(Dix
heures douze minutes)
Le Président (M.
Picard) : À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum,
je déclare la séance de la Commission des
relations avec les citoyens ouverte.
Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre
la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
La
commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur les documents
intitulés Vers une nouvelle politiquequébécoise
en matière d'immigration, de diversité et d'inclusion.
Mme la secrétaire, y
a-t-il des remplacements?
La Secrétaire :
Oui, M. le Président. M. Bernier (Montmorency) est remplacé par
M. Plante (Maskinongé); Mme Richard
(Duplessis), par Mme Léger (Pointe-aux-Trembles); et Mme Lavallée
(Repentigny), par M. Jolin-Barrette (Borduas).
Le Président (M.
Picard) : Avant de débuter nos travaux, j'aurais besoin d'un
consentement pour qu'on puisse poursuivre
selon... On va excéder l'heure prévue parce qu'on commence avec quelques
minutes de retard. Ça va pour tout le monde? Merci.
Auditions (suite)
Ce matin, nous
recevons la ville de Montréal et M. Antoine Bilodeau, professeur agrégé au
Département de science politique de l'Université de Concordia.
Nous débutons par les
représentants de la ville de Montréal, nous avons M. Lionel Perez qui
remplace M. Coderre. Et vous disposez
de 10 minutes pour faire votre présentation, et je vous demanderais aussi
de nous indiquer qui vous accompagne. La parole est à vous,
M. Perez.
Ville de Montréal
M.
Perez (Lionel J.) : Merci bien, M. le Président. Merci, Mme la
ministre, M. le Président, distingués membres de la commission, merci de nous recevoir parmi vous ce matin. Je me
présente. Mon nom est Lionel Perez, élu municipal, membre du comité
exécutif, responsable, entre autres, des relations gouvernementales. Je suis
accompagné par Mme Peggy Bachman, directrice du Bureau des relations
gouvernementales à la ville de Montréal. Et puis je prends l'opportunité pour excuser
l'absence de M. Denis Coderre, le maire de Montréal, qui devait être avec
nous, mais malheureusement il a eu un empêchement de dernière minute, il s'en
excuse.
Tout d'abord, la
ville de Montréal salue l'initiative du gouvernement du Québec de mener ces
consultations particulières autour d'une
démarche structurante qui vise à élaborer une nouvelle politique en
immigration. À la ville de Montréal, nous souscrivons pleinement à la
vision proposée dans le document de consultation. Montréal a toujours considéré
l'immigration comme une richesse essentielle à son développement, et nous
souhaitons être partie prenante de cette
définition du vivre-ensemble. Pour ce faire, il est essentiel d'améliorer la
convergence et la complémentarité des interventions
en matière d'immigration. Aujourd'hui, Montréal souhaite clarifier son rôle
pour ce qui est de l'accueil et de l'intégration
des nouveaux arrivants. Dans le contexte d'une reconnaissance effective du
statut de métropole, le gouvernement doit saisir l'occasion de sa
nouvelle politique pour bâtir un nouveau partenariat avec Montréal.
Montréal, qui
représente 25 % de la population québécoise, est le lieu d'accueil et
d'intégration de 70 % des nouveaux arrivants du Québec, cela représente
bon an, mal an 35 000 nouveaux citoyens par année. D'ailleurs, l'immigration internationale demeure le moteur
principal de la croissance démographique de Montréal, ce qui entraîne
des répercussions majeures sur le développement social et économique de la
métropole. La diversité et le caractère cosmopolite de Montréal sont devenus,
au fil du temps, l'un de ses plus grands atouts.
Au
cours des 25 dernières années, la ville a mis en place plusieurs
orientations politiques et pratiques pour assurer la participation des citoyens de diverses origines à
la vie municipale, la Charte montréalaise des droits et responsabilités
adoptée en 2006 en est un bon exemple. En 2011, Montréal a obtenu une
reconnaissance internationale du Conseil de l'Europe et de la Commission
européenne pour l'ensemble de ses actions dans le domaine interculturel.
Les
villes sont des acteurs de premier plan dans l'accueil et l'intégration des
immigrants, car c'est au niveau local que se vit quotidiennement
l'inclusion. En tant que gouvernement de proximité, Montréal a le souci de
maximiser l'utilisation des ressources municipales et communautaires,
mentionnons à titre d'exemple les bibliothèques, les maisons de la culture, les installations sportives et les centres de
loisirs. Mais les défis sont nombreux. Plusieurs familles vivent des situations de pauvreté passagères ou
même permanentes. Certains individus sont aussi à risque de vivre des épisodes d'itinérance. Cette situation est
préoccupante, et la ville veut pouvoir disposer de plus de ressources pour
contrer l'exclusion sociale qui en découle et demeurer une métropole inclusive.
Au-delà
des politiques sociales, l'inclusion présente des implications économiques
majeures. Je me permets de rappeler
que le dynamisme de la métropole est essentiel à la prospérité de l'ensemble
des régions du Québec. Avec les départs massifs à la retraite d'ici
2019, 1,4 million de travailleurs devront remplacer ceux qui quitteront.
L'arrivée de nouveaux immigrants représente
une partie de la solution et une condition essentielle pour assurer la vitalité
économique de Montréal et donc du Québec.
Montréal accueille la grande majorité des
immigrants sélectionnés dans la catégorie économique. Toutefois, encore
aujourd'hui, la situation de l'emploi chez ces personnes est précaire. À titre
d'exemple, le taux de chômage à Montréal est
plus élevé pour les immigrants, 11,3 %, que pour les non-immigrants, de
7 %. Face à ces constats, la ville de Montréal a mis en place plusieurs initiatives pour améliorer l'employabilité
des personnes immigrantes sur son territoire. Notre programme de
parrainage professionnel est un exemple de succès. Créé en 2006, il a aidé
354 stagiaires à développer leurs
compétences pour intégrer le marché du travail. Le programme a toutefois été
suspendu en 2014 en raison d'un manque de financement. La ville de
Montréal invite le ministère à réévaluer sa position et le financement du
programme afin qu'il soit relancé rapidement.
Les
entreprises de la région métropolitaine contribuent, elles aussi, à cet effort
d'intégration professionnelle des immigrants à la hauteur de leurs
compétences. Malgré l'immense potentiel de ces travailleurs, la déqualification
et la non-reconnaissance des acquis et compétences sont des problématiques
majeures. La reconnaissance des diplômes étrangers
est complexe et ambiguë pour plusieurs entreprises. Le gouvernement doit porter
une attention particulière à cette réalité et continuer de soutenir des
projets de sensibilisation des entreprises tels que le projet Emploi Nexus.
Comme la
présente consultation servira d'assise à la prochaine planification de
l'immigration, nous souhaitons réitérer l'importance d'éviter toute
mesure qui aurait pour effet de diminuer le nombre d'admissions sur le
territoire montréalais. On le répète,
l'équilibre démographique et le développement économique de la métropole sont
grandement tributaires de l'immigration. Le gouvernement doit poursuivre la
sélection orientée sur la diversification des bassins d'immigration et viser le recrutement de candidats dont les compétences
sont recherchées sur le marché du travail. La métropole souscrit également aux propositions de Montréal International
qui soulignent l'importance pour le ministère de mieux accompagner les
travailleurs temporaires spécialisés et les étudiants internationaux, compte
tenu de leur fort potentiel d'intégration.
Toujours dans
le but de mieux accueillir et intégrer les immigrants, la ville salue
l'orientation gouvernementale qui prévoit
des démarches d'intégration en amont depuis l'étranger. Toutefois,
l'accompagnement de nouveaux arrivants une fois établis au pays demeure
la pierre d'assise d'une intégration réussie.
• (10 h 20) •
La notion du
vivre-ensemble concerne aussi l'accueil humanitaire. Le projet de soutien à
l'intégration, liaison et accompagnement,
SILA, mis en place par la ville suite au séisme d'Haïti est un bel exemple de
partenariat et de réussite, avec près
de 53 000 personnes accueillies. Dans un contexte mondial où les
villes sont de plus en plus appelées à accueillir et soutenir des populations fragilisées, ce type de
projet apparaît comme un modèle d'intervention, et j'invite le
gouvernement à s'en inspirer pour les situations d'accueil d'urgence.
Le document de consultation soulève clairement
la question du rôle des municipalités en matière d'accueil, d'intégration, de francisation, de relations
interculturelles et d'inclusion. La ville de Montréal précise d'entrée de jeu
que la francisation doit demeurer une responsabilité gouvernementale
étroitement liée aux fonctions d'éducation, il est essentiel que cet apprentissage se fasse, à l'arrivée au Québec, dans un
contexte d'accompagnement étroit qui relève des ministères concernés et
non des municipalités. C'est plutôt en ce qui concerne les fonctions d'accueil
et d'intégration qu'un changement de
paradigme est nécessaire afin d'atteindre les objectifs de subsidiarité et
d'efficience visés par le gouvernement. En effet, l'atteinte de ces
objectifs est conditionnelle à une révision en profondeur de l'ensemble des services d'accueil aux nouveaux arrivants, ce qui
implique une étroite collaboration entre tous les partenaires
communautaires et institutionnels. L'efficacité de l'accueil et de
l'intégration des immigrants se réalisera seulement grâce à un partenariat réel entre Québec et Montréal. La métropole a la
capacité d'assumer des pouvoirs accrus dans ces fonctions stratégiques, les nombreuses initiatives et bonnes pratiques
mises de l'avant depuis des années par Montréal témoignent de son
expertise dans le domaine. Toutefois, on ne peut nier la réalité financière.
Montréal évolue dans un contexte de financement restreint et inadéquat.
Pour la période de 2014 à 2016, la métropole
recevra, dans le cadre de l'entente signée avec le ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion,
un financement de 3,1 millions de dollars pour soutenir l'ensemble
de ses actions en matière d'immigration et
d'intégration. Certes, d'autres ministères contribuent à cet égard-là. Ce
montant est nettement insuffisant pour répondre aux défis que nous
sommes appelés à relever. Pourtant, l'accord Canada-Québec relatif à
l'immigration et l'admission des aubains de 1991 prévoit un financement stable,
récurrent et indexé transféré du
gouvernement du Canada au gouvernement du Québec, ce qui représente
320 millions de dollars en 2014. Le temps est venu de revoir les
modes de gestion et de répartition de ces montants afin d'assurer des
ressources à la métropole pour qu'elle puisse remplir adéquatement ses
fonctions d'accueil et d'intégration des nouveaux citoyens.
Les défis sont importants. En tant que
territoire d'accueil et d'intégration de plus de 70 % des immigrants du
Québec, la métropole doit avoir les coudées franches pour agir localement et
répondre aux besoins de ses citoyens. La nouvelle politique québécoise en
matière d'immigration, de diversité et d'inclusion est une opportunité pour le gouvernement du Québec de travailler en
partenariat avec la métropole, la révision des modes de gestion et de
financement d'initiatives montréalaises en matière d'accueil et d'intégration
des immigrants est incontournable. Dans le contexte d'une reconnaissance du statut de métropole, l'occasion est excellente
pour le gouvernement de reconnaître le rôle de la métropole en matière d'accueil et d'intégration
des immigrants et qu'il lui alloue les ressources financières
nécessaires pour assumer ce rôle.
J'invite donc, au nom du
maire de Montréal M. Denis Coderre, le gouvernement du Québec à appuyer le Sommet Vivre ensemble qui se déroulera à Montréal
en juin. Cet événement sera l'occasion d'échanger avec les autres métropoles sur les questions de sécurité et
d'intégration et sur la nécessité de maintenir un équilibre entre l'ouverture
et la vigilance. Ce sera également l'occasion de mettre de l'avant la vision
proposée d'un Québec francophone, inclusif et fier de sa diversité.
Je vous remercie de votre attention, et nous
sommes disponibles pour répondre à vos questions.
Le
Président (M. Picard) : Merci, M. Perez. Nous allons
débuter avec la partie gouvernementale, donc je cède la parole à Mme la
ministre.
Mme Weil :
Oui. Bonjour, M. Lionel Perez, Mme Bachman. Je voudrais, dans un
premier temps, vous remercier de
votre participation et vous dire que j'ai beaucoup, beaucoup apprécié votre
mémoire, c'est un travail très recherché, très riche, beaucoup d'information. Vous faites un retour sur des
programmes qui ont bien fonctionné, évidemment, pour alimenter la réflexion, c'est-à-dire une politique
et un plan d'action à venir, et je vais vous poser certaines questions
sur ces différentes initiatives, mais
surtout ce que j'apprécie beaucoup, c'est cette vision d'ouverture. Et on le
voit, on a juste à se promener à Montréal, on le sent. Moi, je suis
souvent, évidemment, à l'hôtel de ville pour des annonces, des événements, avec
le maire, et c'est vraiment un lieu où le vivre-ensemble est promu
quotidiennement par la ville et d'autres
acteurs. Alors, je voulais vous féliciter publiquement pour tout le travail que
vous faites, je pense que Montréal est un modèle, honnêtement, dans sa
façon de fonctionner. Et on arrivera peut-être sur cette question... bien, on
arrivera sûrement, là, dans les questions
sur le rôle des villes en matière de promotion, si on veut, d'intégration de
l'immigration.
Juste
d'entrée de jeu, j'aimerais parler du rôle du secteur privé, parce qu'il y a des comparaisons avec
d'autres villes, comme Toronto, et je suis frappée... Comme dans d'autres
villes, à Toronto par exemple, tout le dossier de l'intégration des immigrants, ça a été le secteur privé qui a été un peu
l'instigateur de ça, c'est le projet ALLIES. Et moi, je n'étais pas en politique à ce moment-là,
j'étais à La Fondation du Grand Montréal, et on dirait que c'est difficile
de mobiliser le secteur privé comme ils peuvent faire dans d'autres villes
canadiennes.
Et donc on
sait très bien que ce n'est pas le gouvernement qui engage tout ce monde-là. Le
gouvernement a des fonds, on distribue l'argent qu'on reçoit du
gouvernement du Canada à Emploi-Québec. Et vous mentionnez les programmes qui sont financés par Emploi-Québec,
l'argent au ministère de l'Éducation, au ministère de la Santé pour tous
les enjeux que vous soulignez, mais, le secteur privé, on en parle rarement. Et
moi, j'aimerais savoir de votre part, si la
ville veut jouer un rôle de premier plan en matière d'intégration et d'accueil,
qu'est-ce que la ville pourrait faire pour mobiliser le milieu, le
secteur privé qui... finalement c'est le secteur privé qui engage, toute cette...
Vous l'avez mentionné, vous utilisez le mot
«discrimination» comme nous, on l'utilise ici, les préjugés, la fermeture.
C'est sûr que, lorsque les
représentants du secteur privé arrivent, ils disent : C'est souvent la
méconnaissance, mais ils reconnaissent aussi qu'il y a du travail à
faire. Mais la ville comme acteur principal pour mobiliser, qu'en pensez-vous?
M. Perez
(Lionel J.) : C'est certain que chaque intervenant de la société a un
rôle à jouer. Évidemment, le secteur privé
a besoin de main-d'oeuvre, c'est sa préoccupation principale, avoir les gens
qui ont la compétence, les connaissances pour pouvoir contribuer à leur
entreprise et évidemment à l'évolution économique de Montréal et du Québec.
Donc, c'est vraiment le point de départ, de leur point de vue.
Ce qu'on entend, ce qu'on discute avec eux,
Montréal International a soulevé cet enjeu-là, c'est que des fois il y a un
genre de joug pour pouvoir faciliter, accélérer les processus d'acceptation à
un certain niveau, et, comme on l'a mentionné, c'est un enjeu également à voir.
Deuxièmement, il y aussi un enjeu concernant la reconnaissance de diplôme et de compétence. Nous pensons que c'est un volet important
à revoir parce que, d'un point
de vue économique, on va avoir une
main-d'oeuvre qu'on a besoin; deuxièmement, ça va également faciliter
l'intégration de ces mêmes immigrants.
Outre cela, on
a des programmes spécifiques. J'ai parlé du programme Nexus. Ce programme, il
aide des entreprises qui peut-être ont une certaine réticence, une
certaine, peut-être, malcompréhension, certains préjugés, on peut même dire, et
à travers ce programme on peut créer des ponts, on peut briser des murs pour
démontrer à des entreprises que, nonobstant
peut-être l'origine de la personne, elle a les compétences, elle a la capacité
de contribuer à l'entreprise. Évidemment, on reconnaît, du point de vue
secteur privé également... La Chambre de commerce du Montréal métropolitain dit
que c'est un enjeu majeur et elle a un rôle à jouer.
Donc, pour
nous, c'est une question que la ville, elle est un facilitateur sur ces
enjeux-là. On a des programmes spécifiques, on peut contribuer. Évidemment,
tous les enjeux d'intégration se jouent au niveau local, donc c'est une question de vraiment marier, de travailler en
partenariat avec le gouvernement du Québec pour pouvoir faire avancer
ces enjeux et améliorer l'intégration de ces mêmes immigrants.
Mme Weil : Oui. Bien, par
rapport à cette question, je pense qu'il va falloir qu'on réfléchisse, parce
qu'on a toujours... C'est sûr que le
gouvernement a des programmes, peut stimuler, mais je pense que la ville peut
aussi mobiliser le secteur privé, et, je pense, ça vaut la peine de
réfléchir à ça, les chefs d'entreprise, parce que je vous le dis, à Toronto c'est les chefs d'entreprise qui ont pris ce
dossier, avec le gouvernement, mais qui ont vraiment exercé un grand
leadership, et je pense que Montréal est
bien positionnée pour jouer ce genre de rôle. Je connais les programmes. Tous
ces programmes, ils sont excellents, mais on ne sent pas vraiment les
entreprises voulant vraiment jouer un rôle de leadership. Parce qu'on pourra
avoir tous les programmes qu'on veut, c'est les entreprises qui doivent,
finalement, s'y mettre pour commencer à engager. Vous le faites... Oui?
• (10 h 30) •
M. Perez (Lionel J.) :
...on est tout à fait d'accord avec ces énoncés, Mme la ministre. Je pense que le maire de Montréal, M. Denis Coderre, a démontré qu'il
est prêt à prendre ce leadership lorsque c'est opportun. Je pense
qu'avec cette nouvelle administration on
démontre qu'il y a vraiment un nouveau souffle à Montréal sur tous les plans,
que ce soit économique, que ce soit social, que ce soient des questions
de gouvernance. Évidemment, le gouvernement actuel a contribué avec l'adoption de la loi sur l'inspecteur général. Et, on
voit également, il y a un engouement du secteur privé, on a eu le forum, notamment, Je vois Montréal
qui démontre à quel point qu'il y a une volonté. Et ce vent de
changement, il se sent au niveau... on voit beaucoup des gens du secteur privé,
des entreprises, des P.D.G. qui veulent s'impliquer à ce niveau.
Alors,
je pense que vous avez tout à fait
raison, Montréal peut, a et va
continuer à montrer ce leadership, d'autant plus que, comme vous le
savez, on est en discussion sur les enjeux de statut de métropole. Évidemment,
c'est une opportunité de plus pour affirmer
ce leadership au niveau des municipalités mais notamment
à la métropole de Montréal.
Mme
Weil : Et j'arrive à
la page 5, où vous voulez montrer l'exemple en favorisant l'accès aux
jeunes à la fonction publique montréalaise. Donc là, vous voulez
vraiment donner un coup de barre, je comprends. Peut-être que vous pourriez nous parler de cette question de
représentation. En fait, c'est un problème généralisé, c'est un défi, on va
dire, un défi généralisé, je pense,
au Québec, c'est la représentation des minorités ethniques. Est-ce que vous
pourriez nous parler de votre vision et de votre volonté d'aller plus
loin en matière d'accès à l'égalité?
M.
Perez (Lionel J.) : Absolument.
Évidemment, comme je l'ai noté dans l'allocution, Montréal reçoit 70 %
de tous les nouveaux arrivants au Québec. Ça met évidemment un défi de taille concernant l'intégration et la main-d'oeuvre.
Concernant
la fonction publique, notamment, montréalaise, c'est certain qu'au fil des années
on a eu ce même défi, comme la
fonction publique au niveau québécois. On a donc pu instaurer des programmes pour
augmenter le niveau des nouveaux
immigrants, des membres des communautés culturelles, et ça porte fruit, on a vu
que l'augmentation appréciable concernant
les embauches des membres de communautés culturelles est faite tout récemment,
depuis plusieurs années, et ça continue. Est-ce qu'on peut faire mieux?
Est-ce qu'on doit faire mieux? Absolument. Mais il y a les programmes qui sont là, j'ai mentionné également
la charte des droits et responsabilités de Montréal, on a des programmes à
l'accès pour soutenir l'égalité entre
les femmes et les hommes, évidemment d'autres programmes concernant cet
enjeu-là, et Montréal sera toujours là pour augmenter les résultats.
Mme Weil :
Vous parlez aussi du rôle des bibliothèques et de la culture en matière
d'intégration, je trouve ça intéressant. On
n'a pas eu encore beaucoup d'interventions là-dessus, mais c'est peut-être
parce que vous êtes un acteur important
en la matière. Et des sports, vous parlez des sports aussi. Vous avez beaucoup
d'initiatives qui montrent une approche
très diversifiée par rapport à l'inclusion. Est-ce que vous pourriez nous
décrire cette vision que vous avez puis, bon, le succès de votre
programme des bibliothèques mais aussi la culture en général?
M.
Perez (Lionel J.) : Absolument.
Comme je l'ai mentionné dans l'allocution, l'intégration au quotidien se
fait au niveau local. Au niveau local, les nouveaux immigrants, ils vont
évidemment côtoyer le quartier et ils vont prendre avantage des services qui leur sont offerts. Donc, lorsqu'on a des
lieux, des installations municipales, on a l'opportunité de pouvoir
accueillir, de pouvoir offrir un service et être un pont pour cette
intégration. Alors, on parle notamment des bibliothèques,
bibliothèques qui sont très fréquentées à la ville de Montréal. Et c'est
une opportunité pour non seulement s'enrichir d'un point de vue
bibliothécaire, de pouvoir lire et explorer, avoir des connaissances, mais
c'est également un lieu d'échange, c'est un
lieu où on a différents programmes, on a des programmes au niveau
d'échanges culturels, sur des vernissages et des différents enjeux.
Donc, c'est vraiment un lieu également où il y a cette opportunité, comme vous mentionnez, sur les enjeux de la culture, où ça
encourage l'échange, ça encourage la connaissance de la culture québécoise,
de la culture montréalaise, sur les cultures
des différentes personnes, d'origines diverses. Et, encore une fois, ça
démontre cette notion de vivre-ensemble, cette capacité de Montréal, en tant
que métropole, de pouvoir agir comme agent de changement, d'acteur
incontournable sur ces enjeux-là parce qu'on est sur le terrain.
Mme
Weil : Oui, en effet.
J'ai un collègue qui voudra poser des questions, alors je vais aller en amont
maintenant. Le nouveau système d'immigration qu'on souhaite implanter par une
modification à la loi à la fin de l'année, on l'espère
bien, donc qui va s'inspirer du modèle australien, de la Nouvelle-Zélande et du système qui vient d'être implanté au Canada,
qu'on parle, de déclaration d'intérêt, qui permet de réduire les délais de
traitement et de bien, bien, bien choisir les nouveaux arrivants selon
les besoins du marché de travail, le profil professionnel de la personne, quel
rôle vous voyez? On a beaucoup
parlé avec d'autres villes du rôle qu'elles peuvent jouer en amont. Pour bien
réussir l'intégration, ça commence par ce qui se fait en amont, pour
bien sélectionner mais aussi pour bien préparer la personne. Est-ce que vous
avez réfléchi à la question ou...
M. Perez (Lionel
J.) : C'est certain qu'il y aura une consultation, dans une prochaine
étape, qui va pouvoir déterminer des seuils et la façon, exactement qui
recevoir. C'est un enjeu sur lequel la ville de Montréal pourra se prononcer de
façon plus approfondie.
C'est
certain que nous, on veut travailler en partenariat avec le gouvernement du Québec, vous avez mentionné le secteur privé qui a un rôle, et pour voir les
besoins, les besoins, parce que vraiment il y a une pénurie de main-d'oeuvre spécialisée. Donc, si on peut effectivement avoir
une reconnaissance ou bien recevoir les individus, les immigrants avec certaines compétences qui sont ciblées, bien ça va
faciliter de pouvoir adresser un besoin, mais également ça va faciliter
l'intégration de ces mêmes personnes aux niveaux économique et social.
Donc, c'est certain qu'on abonde dans
ce même sens. On aimerait évidemment améliorer le taux d'immigrants, pouvoir avoir des nouveaux arrivants qui sont très
bien ciblés pour fournir le besoin, et Montréal,
évidemment, aura un rôle à jouer à cet égard.
Mme Weil :
Je vais céder la parole, je veux vous remercier. Et on va certainement
poursuivre les échanges. Merci beaucoup.
Le Président (M.
Picard) : M. le député de D'Arcy-McGee, il vous reste quatre
minutes.
M. Birnbaum :
Merci, M. le Président. M. Perez, Mme Bachman, soyez les bienvenus, à
mon tour. Écoutez, comme représentant d'une circonscription où, si on comptait
les nouveaux arrivants, les gens qui viennent d'autres pays d'origine, les
immigrants de deuxième, troisième génération, on franchirait peut-être
90 % des résidents de la circonscription,
alors, comme nous tous, je suis interpellé par votre exposé, surtout quand vous
nous rappelez que 70 % des
immigrants, des gens issus d'immigrants se trouvent à Montréal, donc quelque
35 000 par année. Et aussi, je trouve, c'est important de constater comme vous avez noté la reconnaissance
internationale des efforts de la ville de Montréal. Alors, on parle
d'une histoire grandement de réussite, en même temps avec plein de défis.
J'aimerais
vous inviter à élaborer sur vos recommandations 3 et 9, sur les
pages 17 et 18, surtout quand on parle de l'importance de l'apport de Montréal en tout ce qui a trait à
l'immigration. Dans votre recommandation 3, vous parlez de l'importance et peut-être des enjeux à considérer
si on veut que Montréal soit un partenaire dans la régionalisation des immigrants, qui nous interpelle aussi, comment
faire. Et l'autre endroit où presque tout se passe à Montréal, c'est
l'accueil en ce qui a trait aux
immigrants... aux travailleurs temporaires spécialisés ainsi que les étudiants
internationaux. Sur ces deux
plans-là, vous parlez d'avoir un besoin d'être mieux outillés pour jouer votre
propre rôle. Pouvez-vous nous parler un petit peu de ces enjeux-là?
• (10 h 40) •
M. Perez (Lionel
J.) : Avec plaisir. Merci, M. Birnbaum.
Effectivement, la
ville de Montréal reconnaît qu'évidemment il y a une richesse aux nouveaux
arrivants, aux immigrants, il y a quelque chose pour la richesse pour Montréal
mais pour tout le Québec. On comprend les défis qu'il y a notamment en région pour subvenir à un certain besoin de
main-d'oeuvre, entre autres, et donc c'est vraiment un élément essentiel
et pour les régions et pour Montréal.
On
pense que Montréal, néanmoins, évidemment il y a également un besoin pour sa
croissance économique et démographique.
Le pont, nous pensons que Montréal
peut agir à titre de pont parce que, si, effectivement, la réalité, c'est que les immigrants, à 70 %,
vont continuer à venir à Montréal, y résider... C'est une réalité. Il y a
différentes discussions si ça peut changer,
évidemment on va laisser ça au gouvernement d'en faire le débat et de faire
l'analyse. Mais, Montréal, si
effectivement il y a une intégration qui est un grand succès, bien il n'y a pas
de raison pour que ces mêmes immigrants qui se sentent très à l'aise dans un Québec ouvert, francophone, qui
reconnaît la richesse de sa diversité et des immigrants... de pouvoir aller
en région et pouvoir subvenir à des besoins très nécessaires. Nous pensons que,
par exemple, il y a des programmes de jumelage interculturel qui ont démontré
un certain succès. Le maire de Montréal, également, il a soulevé dans le passé la question d'avoir
une maison des régions à Montréal et comment cette maison des régions peut agir à titre de pont pour faire des
échanges aux niveaux économique, culturel et autres. Alors, sur ce
volet-là, nous pensons que principalement Montréal peut agir à titre de pont, et c'est évidemment
une nécessité de part et
d'autre.
Deuxièmement, sur la
question de la recommandation n° 9, notamment la nécessité de pouvoir
faciliter la question des travailleurs temporaires et spécialisés, comme Montréal International l'a démontré
nous pensons qu'il y a un enjeu majeur ici, il y a une nécessité de
faciliter les enjeux, le processus pour pouvoir vraiment accélérer cet item
pour subvenir aux besoins. Nous pensons également
qu'il y a une opportunité, qu'une fois que ces immigrants,
ces travailleurs spécialisés sont
ici, bien, il y a une opportunité inouïe de pouvoir les intégrer
pour qu'ils puissent rester à long
terme, et ce n'est pas toujours
le cas.
Donc,
ce sont les défis auxquels nous pensons qu'avec un rôle plus accru de Montréal
où on peut travailler en partenariat
avec le gouvernement du Québec... On parle des principes directeurs de
subsidiarité, d'efficience. On ne veut pas
des dédoublements, on veut pouvoir subvenir aux besoins lorsque
nécessaire, et nous croyons que Montréal, en tant que métropole, puisse agir dans
cette lignée.
Le Président (M.
Picard) : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à M. le
député de Bourget.
M.
Kotto : Merci, M. le Président. M. Perez, Mme Bachman, soyez les
bienvenus. Merci pour votre contribution.
M. Perez,
vous parliez d'un besoin de main-d'oeuvre dans l'horizon 2019 évalué à 1,4 million de
travailleurs. Est-ce que le marché est au courant de ce besoin, selon vous?
M.
Perez (Lionel J.) : Bien, on
va évidemment voir. Ce sont des statistiques qui ont été
soulevées, ce n'est pas nous-mêmes
qui les avons développées. Donc, c'est certain que c'est peut-être
quelque chose qui n'est pas nécessairement connu par
tous les intervenants, mais c'est quelque chose qui se véhicule et, c'est
certain, c'est une réalité à laquelle Montréal devra faire face, et, tous les intervenants,
c'est certain que, par exemple, la chambre de commerce, différents intervenants, organismes le répètent au fur et à mesure. Est-ce qu'ils répètent le chiffre de 1,4 million de dollars? Je ne peux pas vous dire présentement, mais c'est certain qu'il y a une pénurie connue sur
cet enjeu-là et qu'avec la réalité démographique, où il y a de plus en
plus de gens qui vont prendre la retraite, ce besoin est nécessaire et connu.
Ça va
dépendre également des enjeux de secteurs qualifiés. Donc, ce n'est
pas seulement un montant, mais c'est...
Une
voix : ...un nombre.
M. Perez (Lionel
J.) : ...un nombre, mais c'est vraiment du ponctuel spécialisé où il y
a un besoin. Et, comme je l'ai mentionné dans notre allocution, nous pensons
que le gouvernement du Québec a un rôle à jouer pour vraiment aider cela, particulièrement avec la reconnaissance des diplômes étrangers et des compétences
professionnelles. Cela va aider cette
pénurie mais également va pouvoir bonifier et améliorer l'intégration de
ces mêmes nouveaux arrivants.
M.
Kotto : O.K. Je
soulève la question parce
qu'effectivement, comme vous le disiez, les chambres de commerce du
Québec et de Montréal notamment, la Fédération des chambres de commerce,
Montréal International vont dans le même sens.
Selon vous, quelle
est la proximité de collaboration qui s'établit entre ces entités — je
parle des chambres de commerce, Montréal
International, de la chambre de commerce de Montréal et de Montréal
International — avec le
milieu du travail? Est-ce qu'il y a une étroite collaboration? Et je
pose la question parce que, si le milieu est déconnecté relativement à
ce besoin projeté, on a de grandes interrogations à se poser relativement au
fondement même de cette projection.
M.
Perez (Lionel J.) : Oui. Alors, c'est certain que Montréal
International joue un rôle très actif à cet égard-là, pour pouvoir arrimer le besoin local, évidemment,
avec des besoins et puis des clients potentiels, des nouveaux arrivants potentiels de l'extérieur. Alors, il y a un
arrimage qui se fait. Les besoins sont connus par Montréal International, par
la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.
Est-ce
qu'on peut bonifier, est-ce qu'on peut améliorer cela? Toujours. On peut
toujours améliorer ces enjeux, cette
relation, cet arrimage. Nous pensons que... Les échos que nous entendons du
secteur privé notamment, c'est vraiment cet engrenage quant au processus
pour pouvoir accepter, par exemple, des travailleurs temporaires spécialisés,
le processus est des fois comparé comme
étant trop long. Et il faut comprendre qu'il y a beaucoup de ces nouveaux
arrivants potentiels qui veulent aller dans
ce sens-là, eux, ils comparent des fois la longueur du processus comme un
élément de prendre leur décision.
Alors, oui, ils veulent venir à Montréal, à la région métropolitaine de
Montréal parce qu'il y a un potentiel,
il y a des enjeux et puis il y a des grappes économiques intéressantes, mais,
si ça va prendre 90 jours au lieu de 35 jours avec une autre
ville, une autre région, eh bien, à un certain niveau, ça nous place dans une
situation moins concurrente, et c'est un élément qui est pris en considération.
Donc, oui, on peut bonifier, mais nous pensons que réellement, quant au processus, on peut améliorer cet élément-là. Ce
serait très avantageux pour Montréal et toute la région.
M.
Kotto : O.K. Toujours sur les volumes, vous savez sans doute
que c'est en 2007, de mémoire, que le flux a été établi pour l'horizon 2014, entre 50 000 et
55 000 immigrants par année au Québec pour des besoins notamment
du marché, pour des raisons, disons,
angoissantes que nous inspire la courbe du vieillissement de la population. On
parle d'un autre facteur pour lequel l'immigration massive aurait un
impact positif, c'est-à-dire la croissance économique.
Bref, de tous ces
paramètres, de toutes ces raisons, aucune jusqu'à présent, scientifiquement
parlant, n'est démontrée. En 2007, on projetait déjà un besoin de 700 000
emplois à combler à l'horizon 2014, ce n'est pas arrivé. Qu'est-ce qui nous
prouve que, pour 2019, ce besoin de 1,4 million d'emplois à combler va se
présenter?
M.
Perez (Lionel J.) : Vous savez, je n'ai pas une boule de cristal
devant moi, M. Kotto, donc je ne peux pas vous garantir, mais c'est certain que le besoin est là. Est-ce que le chiffre
est 1,4? Est-ce qu'il est 1 million? Je comprends que vous avez des
réserves à cet égard-là, mais ce que nous, on entend du terrain, ce qu'on voit
des entreprises du secteur privé, c'est
qu'il y a une pénurie réelle de la main-d'oeuvre qualifiée, spécialisée. Ceci
n'est pas inventé. Si on avait un certain nombre avec des... On a des
postes à combler qui ne peuvent l'être. Il y a une réalité démographique où
l'âge avance dans la société québécoise, donc
automatiquement il va y avoir de combler ces postes-là pour la viabilité
économique de Montréal et du Québec.
Donc, je ne veux pas
rentrer nécessairement dans une question de guerre de chiffres, quel est le
montant exact. Ce qui est certain, c'est
qu'on a besoin, tout le monde le dit, tous les acteurs, il y a des grandes
entreprises qui ne peuvent pas combler
des postes, des postes hautement qualifiés. Alors, ça, on doit faire face à
cela et, pour maintenir notre compétitivité, pour accroître notre
économie montréalaise et québécoise, on doit pallier à ce besoin. Et tout le
monde l'affirme, Montréal International, les chambres de commerce, etc.
• (10 h 50) •
M. Kotto :
O.K. Donc, je prends cette assertion comme une évidence partagée par l'ensemble
du milieu économique à Montréal. Et, partant de là, si je me réfère à vos recommandations 6
et 7, pourquoi est-ce qu'on veut ici
rappeler au gouvernement de réévaluer sa décision de mettre fin au programme
novateur de parrainage professionnel à la ville de Montréal alors qu'il y a
un besoin de le mettre? Pourquoi a-t-on besoin de rappeler cela au gouvernement? Pourquoi à la recommandation 7 on demande au gouvernement de continuer de soutenir les projets tels
qu'Emploi Nexus? Est-ce que le
gouvernement s'incarne comme un obstacle supplémentaire quant à l'intégration
des Québécois d'adoption au marché du travail?
M. Perez (Lionel
J.) : Bien, moi, je vous dirai tout simplement que ce rappel, ces recommandations
sont faits dans le contexte actuel
concernant la réalité budgétaire que fait face le gouvernement du Québec. Nous,
on est là...
M. Kotto :
...c'est un bon point, vous touchez un bon point.
M. Perez (Lionel J.) : Alors, nous...
M. Kotto :
Je fais juste une parenthèse, je fais juste une parenthèse.
M. Perez (Lionel J.) : Bien, si je
peux terminer ma pensée...
M. Kotto : Bien, allez-y.
Allez-y, oui.
M. Perez (Lionel J.) : Merci bien.
Donc...
M. Kotto : C'est parce que
j'ai très peu de temps, c'est pour ça.
M. Perez (Lionel J.) : Je vous
comprends. Je vais essayer d'être rapide pour vous donner l'opportunité de
faire un suivi.
Nous, ce qu'on
dit, c'est qu'il y a des programmes qui fonctionnent, ils sont là, on parle
d'immigration là, c'est une réalité, et nous pensons qu'il y a un
avantage à long terme pour ces enjeux-là. Donc, c'est un rappel. On est là en partenariat avec le gouvernement du Québec. Nous
pensons qu'ils sont à l'écoute, on adhère totalement à cette vision-là
et on est là pour améliorer la situation pour l'ensemble du Québec.
M. Kotto :
Est-il rassurant de rappeler au gouvernement ses devoirs en termes
d'immigration et d'intégration? Est-ce
que... Parce que je me mets à la place du gars qui arrive. Je suis arrivé, moi,
il y a 23 ans à peu près, mais, si j'avais à l'extérieur des
frontières du Québec et du Canada l'information à l'effet que je ne suis pas
sûr, en arrivant, que les portes vont être
ouvertes, que je vais intégrer le marché du travail très facilement, je ne suis
pas sûr que j'aurais pris la décision
de venir. Et je le dis parce que beaucoup de gens à l'extérieur qui rêvent de
venir faire leur vie ou se réaliser ici n'ont pas ces informations-là,
c'est un véritable parcours du combattant. On parle de besoins, mais en même
temps il y a des obstacles intrinsèques au
marché, il y a des obstacles incarnés même par les gestes que pose le
gouvernement.
Je reviens à
la question que je voulais vous poser : Ne doit-on pas faire les choses en
fonction des moyens dont nous disposons en termes de volume, en termes
d'ambition d'intégration?
Le Président (M. Picard) :
Une minute, M. Perez.
M. Perez (Lionel J.) : Merci
beaucoup. C'est certain qu'il y a une réalité économique, mais il faut revoir
la façon de faire. Avec 70 % des
nouveaux arrivants qui sont reçus, accueillis à Montréal, avec les discussions
du statut de métropole qu'on a présentement avec le gouvernement du
Québec, nous pensons qu'il y a une nouvelle opportunité de voir comment on peut mieux intégrer. Donc, c'est une question
d'efficience, une question de subsidiarité. C'est certain qu'il y a un
enjeu du budget, mais, si on voit, avec l'accord Canada-Québec nous pensons
qu'il y a des opportunités. Il y a des
montants qui sont là et, on le rappelle, qui sont pérennes, ils sont stables et
indexés. Donc, nous, on pense que c'est une opportunité de revoir en complémentarité, en partenariat, et nous
pensons que ça va être à l'avantage pour tous les nouveaux immigrants et
donc pour la croissance économique de Montréal et du Québec.
Concernant les recommandations spécifiques, nous,
on pense que c'est tout à fait légitime de pouvoir avoir une discussion franche
et ouverte avec le gouvernement du Québec sur ces enjeux-là. Si on a des
programmes qui fonctionnent et pour des raisons, bien on est là pour faire
valoir le point de vue de la ville de Montréal.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Borduas.
M. Jolin-Barrette : Merci, M. le
Président. Mme Bachman, M. Perez, bonjour.
M. Perez, vous avez abordé la question des
responsabilités au niveau de l'accueil pour la ville de Montréal, il y aurait
lieu de déléguer davantage de responsabilités à la ville de Montréal au niveau
de l'accueil, de l'intégration des nouveaux arrivants. Pouvez-vous développer
sur ce point quelle est la pensée de la ville de Montréal?
M. Perez (Lionel J.) : Absolument.
Je me... peut-être me force de répéter un petit peu, mais c'est certain que Montréal,
en tant que ville qui reçoit 70 % des nouveaux immigrants, on a un rôle
important à jouer. On a clairement indiqué que, sur les enjeux de francisation,
nous soutenons que ça devrait être maintenu comme une compétence du gouvernement du Québec. C'est tout à fait normal.
Ça a un lien avec la compétence d'éducation, qui évidemment est une juridiction du gouvernement du Québec. Concernant des programmes spécifiques, par exemple, on a des programmes d'accueil
et d'intégration, ce sont les OBNL, ce sont des fois les arrondissements qui jouent un rôle là-dessus, et c'est vraiment là où le nouvel
arrivant peut s'intégrer.
Je vous donne
un exemple, on a un programme valorisation jeunesse qui s'appelle Place à la
relève. Eh bien, ça aide les personnes qui sont peut-être
à risque de décrochage scolaire, de 16, 17 ans, de pouvoir trouver un
emploi, un emploi non seulement pour l'été, mais également pour les ouvrir sur
le marché du travail, et on a un excellent taux à cet égard-là, où il y a plus
de 600 jeunes à chaque année qui trouvent des emplois de cette façon-là.
On a également des programmes concernant ce qu'ils appellent Habiter la mixité.
C'est un programme qui vise, par exemple, les HLM,
où il vise à favoriser l'échange entre les nouveaux arrivants et avec les
membres de la société québécoise également pour briser l'isolement. Alors, ce sont tous des enjeux concrets au
quotidien, ce sont des programmes, et Montréal, la ville de Montréal, qui au cours des 25 dernières
années en particulier a pu développer cette expertise, a pu échanger sur
ces enjeux et sur ces programmes.
C'est certain que le rôle du Québec...
le gouvernement du Québec a un rôle à jouer, on veut travailler en
partenariat, en complémentarité et en
subsidiarité pour s'assurer que le meilleur palier de gouvernement qui puisse
fournir le service le fait. Encore
une fois, avec l'enjeu de statut de métropole, c'est à revoir, comment cela se
fait. C'est l'occasion, avec cette nouvelle consultation, avec cette
nouvelle politique puis avec les prochaines étapes, pour revoir cela, et nous
pensons que cette opportunité, elle ne peut pas être manquée, parce que cette
politique aura un impact pour les 20 prochaines années au moins.
M.
Jolin-Barrette : Vous abordez la question de l'accueil, de
l'intégration au niveau municipal parce que, bon,
le palier municipal dispose des outils, mais vous ne pensez pas que la ville de
Montréal a également un rôle à jouer en matière de francisation? Parce
que vous dites : Bon, bien ça relève de la compétence provinciale parce
qu'on lie directement la francisation au
domaine éducationnel. C'est vrai, sauf que l'article 1 de la Charte de la
Ville de Montréal énonce que Montréal
est une ville française. Je me dis juste... Il y a beaucoup de groupes qui sont
venus témoigner qu'une façon de bien
intégrer les gens, c'est notamment par la langue d'usage commune qui est le français.
Donc, je me questionne, à savoir : Est-ce que la ville de Montréal
ne pourrait pas aussi devenir un partenaire en ce sens-là, au niveau de la
francisation des immigrants?
Et
une des sous-questions qui se posent aussi, c'est... Vous invoquez le statut
particulier de Montréal. Concrètement,
dans le statut particulier de Montréal en matière d'immigration, d'intégration,
quelles sont les modalités que vous voudriez voir précisées dans ce
statut particulier de Montréal?
• (11 heures) •
M. Perez (Lionel
J.) : Parfait. Absolument, la francisation est un élément essentiel à
l'intégration de tous les nouveaux arrivants
à Montréal et au Québec. Personne ne nie qu'il y a un rôle transversal, on ne
dit pas qu'on n'a pas un rôle à jouer,
mais ce rôle-là, nous le soumettons, est une question de complémentarité. On ne
veut pas prendre la responsabilité
d'organiser et de faire cette francisation, mais on va travailler en concert
avec les partenaires communautaires, institutionnels. C'est certain
qu'on ne peut pas ignorer cet élément important, mais on n'est pas là pour
suggérer ou soumettre qu'on devrait prendre
cette responsabilité de façon tout entière. Alors, il y a un rôle à jouer, vous
l'affirmez, absolument. C'est à l'avantage
de tous les immigrants de pouvoir ou bien connaître le français à leur arrivée
ou bien de l'apprendre pour pouvoir s'intégrer à la société québécoise
et montréalaise, pour pouvoir trouver des emplois, c'est totalement un élément essentiel, et on est prêts à
jouer notre rôle mais pas de façon principale, de façon, comme je l'ai
mentionné... avec les principes de subsidiarité.
Concernant le rôle du
statut de métropole, nous pensons que nous avons un rôle important pour
l'accueil, pour les raisons que j'ai
énoncées, je ne vais pas me répéter. Les particularités de ces enjeux-là, on le
soulève de façon un peu générale dans
le mémoire. Vous comprendrez qu'également on a des négociations avec le gouvernement du Québec, et donc c'est un enjeu de pouvoir discuter et de pouvoir s'arrimer de part
et d'autre. Je suis certain qu'avec l'ouverture du gouvernement du Québec on va trouver le juste équilibre
sur ces enjeux-là. Mais c'est certain que Montréal est
incontournable sur les enjeux d'accueil et d'intégration.
On le voit au
quotidien, vous savez, Montréal est vraiment un exemple à l'échelle mondiale
sur la notion de vivre-ensemble. On le prend
des fois pour acquis, mais n'importe
où où on peut se promener à Montréal, et quand on fait des comparaisons avec d'autres métropoles, on voit
que vraiment l'enjeu, à Montréal, il y a une vie paisible, il y a une paix sociale. C'est sûr qu'il y a des défis,
absolument, au niveau économique, au niveau d'emploi, mais ce n'est pas
par hasard que le maire Coderre, il a annoncé cette conférence, ce sommet sur
le vivre-ensemble qui aura lieu au mois de juin, où déjà la mairesse de Paris a
annoncé ses intentions, le maire de Toronto également. C'est une opportunité de
démontrer l'exemple qu'est Montréal au niveau mondial et c'est l'opportunité de
partager les meilleures pratiques et de trouver cet équilibre entre l'ouverture
et la vigilance.
M.
Jolin-Barrette : En lien avec le statut particulier de Montréal,
est-ce que ce statut-là va viser uniquement la
ville de Montréal ou plutôt l'agglomération de Montréal? Parce qu'on sait que,
bon, le conseil d'agglomération est
contrôlé par la ville de Montréal. Est-ce que cette démarche en matière de
reconnaissance de statut particulier, notamment... Je comprends que vous êtes en
négociation puis que vous ne vous avancez pas sur ce que vous réclamez comme pouvoirs, mais je crois que
ce serait quand même pertinent que la commission puisse avoir un peu une idée des
pouvoirs en matière d'accueil, d'intégration que vous réclamez. Mais est-ce que
ça vise également l'agglomération de
Montréal?
M.
Perez (Lionel J.) : Principalement, ça vise la ville de Montréal.
Quand on parle de métropole, on parle de la ville de Montréal d'un point de vue de gouvernance. C'est certain que
la ville de Montréal forme 87 % de l'agglomération, alors à un
certain niveau il faut peut-être avoir des paliers, mais principalement on
parle de la ville de Montréal.
M.
Jolin-Barrette : Parfait.
Le Président (M.
Picard) : Merci. Ça met fin à nos échanges. Donc, je vous
remercie, M. Perez et Mme Bachman, pour votre apport aux travaux de
la commission.
Je vais suspendre
quelques instants afin de permettre à M. Antoine Bilodeau de prendre
place. Merci.
(Suspension de la séance à
11 h
2
)
(Reprise à 11 h 4)
Le Président (M. Picard) :
Nous reprenons nos travaux en recevant M. Antoine Bilodeau, professeur
agrégé au Département de science politique de l'Université de Concordia.
M. Bilodeau, vous disposez d'une période de 10 minutes, vont
s'ensuivre des échanges avec des parlementaires. La parole est à vous.
M. Antoine Bilodeau
M.
Bilodeau (Antoine) : Merci. Tout d'abord, merci, M. le Président, Mme
la ministre et députés de l'Assemblée nationale, pour cette invitation
et pour me donner l'opportunité de réagir à votre document de consultation.
Comme vous
l'avez dit, M. le Président, je suis professeur au Département de science
politique de l'Université de Concordia,
mais je suis aussi membre chercheur du Centre pour l'étude de la citoyenneté
démocratique. Mais c'est à titre de chercheur individuel que j'apparais
aujourd'hui devant vous. Mes recherches portent sur deux axes qui chacun est
interpellé par le document de réflexion et la démarche que la commission
poursuit aujourd'hui, soit, tout d'abord, les réactions
de la population d'accueil face à cette immigration et cette diversité
ethnoculturelle grandissante, mais aussi, deuxièmement, l'intégration
des minorités ethnoculturelles à la société québécoise. Mon propos ce matin
portera sur deux constats autour de ces axes
de recherche et sur la manière dont le document de réflexion y répond. Ces deux constats portent sur l'existence de ce que je qualifie de deux malaises au sein
de la société québécoise : le premier malaise renvoie à une certaine hésitation des Québécois
face à l'immigration et à la diversité ethnoculturelle, le second
malaise renvoie à un certain sentiment de rejet au sein des minorités
ethnoculturelles et religieuses du Québec. Je terminerai en examinant comment
le document répond à ces deux malaises.
Donc, premier
malaise : une certaine hésitation des Québécois face à l'immigration et la diversité ethnoculturelle. Le Québec, comme nous le savons tous, a été marqué, au
cours de la dernière décennie, par certains débats qui ont suggéré un certain malaise envers l'immigration, la diversité ethnoculturelle et religieuse au sein de la société québécoise.
Il est parfois difficile de mesurer
l'ampleur réelle de ce malaise au sein de la population. Lors des audiences
de la commission Bouchard-Taylor, on a d'ailleurs beaucoup parlé du rôle
des médias à amplifier cette crise populaire. Mon travail à moi est de documenter l'étendue et la
profondeur de ce malaise et de tenter d'en trouver et d'en expliquer les
origines.
Nous remarquons, au travers un certain nombre
d'études que j'ai réalisées avec mon collègue Luc Turgeon, de l'Université d'Ottawa,
au cours des dernières années et que nous poursuivons toujours aujourd'hui, qu'il
y a effectivement un certain malaise au sein de la société québécoise,
mais qu'il est important de qualifier ce malaise. Une telle
qualification est importante si nous voulons mieux comprendre comment répondre
à ce malaise au travers nos politiques publiques, comme celle que vous
développez aujourd'hui.
Il est tout
d'abord important de préciser que nos outils de recherche nous montrent que les
Québécois, comme tous les autres
Canadiens, sont plus ouverts aujourd'hui qu'ils ne l'étaient il y a 25 ans
à de hauts niveaux d'immigration. La vaste
majorité des Québécois se dit en fait à l'aise avec les niveaux d'immigration
actuels. Les Québécois reconnaissent aussi, peut-être encore plus que
les autres Canadiens, la valeur ajoutée de l'immigration au point de vue
économique.
Les Québécois se distinguent par contre des
autres Canadiens par leur relation plus ambivalente avec la diversité ethnoculturelle et religieuse. On
remarque que, depuis 25 ans, alors que les Canadiens ailleurs au pays sont
de plus en plus à l'aise avec la diversité
ethnoculturelle, ce sentiment, au Québec, il stagne. Nos indicateurs ne montrent
pas de baisse, ce qui est déjà très
bien, mais ils ne montrent pas de hausse non plus, alors qu'on remarque une
telle hausse dans le reste du pays.
Là où les
Québécois se distinguent le plus, par contre, concerne davantage leurs opinions
quant au fait religieux, que ce soit
en ce qui a trait, principalement, à la place de la religion dans nos espaces
publics, ce que nous appelons ici, au Québec, les accommodements
religieux, ou même les accommodements raisonnables.
Quelles sont
les origines de ce malaise, brièvement? Quelques faits ressortent qui sont
importants de mentionner quand on
essaie de comprendre les origines. Tout d'abord, ce sont les francophones
québécois qui sont le plus mal à l'aise, plus que les allophones mais aussi plus que les anglophones, donc ils
sont mal à l'aise ou plus mal à l'aise envers cette diversité
ethnoculturelle grandissante. Deuxièmement, on remarque que les Québécois qui
se disent préoccupés par la survie de la langue française au Québec sont
particulièrement plus hésitants face à cette diversité ethnoculturelle grandissante. Troisièmement, nous observons que
les Québécois se disent particulièrement préoccupés par l'impact de l'immigration sur la culture québécoise, beaucoup
plus que les autres Canadiens peuvent se dire préoccupés par l'impact
culturel de l'immigration, que ce soit sur leur province ou sur l'ensemble du
Canada.
Ces trois observations, il me semble, nous
renvoient toutes à une insécurité linguistique et culturelle qui est en fait un trait marquant de la société québécoise
depuis peut-être ses débuts, donc cette peur de disparaître si ancrée
dans la culture québécoise semble venir
façonner nos rapports à l'immigration et à la diversité ethnoculturelle. Toute
politique d'immigration, d'intégration ou d'inclusion doit donc prendre en
considération cette réalité incontournable de la société québécoise. C'est d'abord en ce sens que le Québec — et c'est un point que je vais développer
plus tard — a
besoin de se doter d'une politique
officielle d'interculturalisme qui soit soutenue et promue afin qu'elle
devienne un moment symbolique fort de ralliement des Québécois à la
diversité ethnoculturelle.
• (11 h 10) •
Second malaise, maintenant, qui concerne un
faible sentiment d'attachement et d'acceptation, au sein des minorités ethnoculturelles, à la société
québécoise. Ce malaise, il est un peu plus discret, hein? Alors qu'on aborde
souvent la question des relations des Québécois avec l'immigration ou la
diversité ethnoculturelle, nous parlons généralement peu, dans les débats
publics et dans la recherche, des relations que les minorités ethnoculturelles,
elles, développent avec
le Québec. Cette seconde perspective est pourtant tout aussi importante que la
première. Mes recherches démontrent que
les immigrants et les minorités ethnoculturelles développent un rapport au
Québec qui est distinct du rapport que les autres Québécois entretiennent avec le Québec à plusieurs égards. Il semble aussi que les minorités ethnoculturelles
au Québec développent une relation avec le Québec qui soit distincte de celle
que les minorités ethnoculturelles ailleurs au pays développent avec la société
d'accueil, le Canada.
Tout d'abord, on remarque que les minorités ethnoculturelles sont davantage attachées au Canada qu'au Québec.
Si ce constat peut sembler aller de soi ou
n'être pas surprenant, il est important de mentionner que cette relation n'est
pas observée chez les autres Québécois, où
l'attachement est plus fort envers le Québec qu'envers le Canada. Il est
particulièrement important de mentionner qu'ailleurs au Canada les
minorités ethnoculturelles ne sont pas plus attachées au Canada qu'à leur
province... ou à peine.
Deuxièmement, nous observons que les minorités
ethnoculturelles au Québec se sentent davantage acceptées par le Canada que par le Québec. Alors que
30 % des minorités ethnoculturelles auxquelles nous avons parlé disent
se sentir faiblement acceptées par le Québec, cette proportion n'est à peine
que de 10 % en ce qui a trait au sentiment d'acceptation par rapport au
Canada. De plus, ailleurs au Canada les minorités ethnoculturelles se sentent
également acceptées par le Québec... par le
Canada que par leur province, donc au Québec il y a un écart mais pas ailleurs
au pays. Il n'y a donc qu'au Québec
que les minorités ethnoculturelles se disent moins acceptées par leur province
que par le Canada.
Des deux points que je viens de mentionner,
l'attachement et le sentiment d'acceptation, il me semble que le sentiment
d'acceptation est plus important, parce qu'on peut le concevoir comme un moteur
de l'intégration. Il est important de
comprendre que ce faible sentiment d'acceptation a des conséquences importantes
sur la participation des minorités
ethnoculturelles au Québec. Le document fait d'ailleurs mention, à juste titre,
de l'importance de la participation des minorités ethnoculturelles. Mes
recherches montrent qu'un faible sentiment d'acceptation entraîne un plus
faible engagement politique, que ce soit par
l'importance accordée aux élections, le sentiment du devoir de voter, la
satisfaction envers la démocratie ou encore, ultimement, l'attachement au
Québec. Nous pouvons discuter des raisons de cette différence entre le Québec et le reste du pays, il n'en demeure pas
moins que le Québec, qui aspire à être une communauté d'accueil, ne réussit pas à créer ce lien avec les
néo-Québécois comme le reste du pays parvient à le faire. Il est pour le
moins paradoxal qu'alors que le Québec
dispose plus que n'importe quelle autre province des outils nécessaires afin
de choisir, accueillir et soutenir les néo-Québécois dans leur nouvelle vie au
Québec il échoue davantage que les autres provinces
à créer ce lien d'attachement et d'acceptation avec les minorités
ethnoculturelles. On pourra revenir un peu plus tard, si vous voulez,
sur les origines de ce deuxième malaise.
Mon dernier
point concerne donc le document de réflexion en tant que tel et plus
particulièrement sous l'angle de cette question : Est-ce que cette
proposition, ce document devant mener à une nouvelle politique d'immigration a
les moyens, la capacité de répondre et d'outrepasser ces deux malaises?
Tout d'abord,
je tiens à dire que le document me semble très complet, je le trouve très bien
étoffé. On sent le désir de ratisser
large, d'adresser un grand nombre des défis en lien aux questions
d'immigration, autant en ce qui a trait aux préoccupations des nouveaux
arrivants, de leur intégration, mais aussi aux préoccupations de la population
d'accueil en lien avec la transformation du
visage du Québec. Le document me semble aussi bien équilibré, on sent la
tension entre le désir d'assurer une
inclusion et une participation de qualité pour les immigrants et de rassurer et
d'apaiser la population d'accueil
dans ses inquiétudes et hésitations face à l'immigration. Donc, il y a cette
tension, et on sent vraiment le désir d'accommoder les deux pôles de
cette tension-là, donc il est bien équilibré à cet effet-là.
Mais la
question que je me pose, c'est : Est-ce que cela est suffisant? Je n'en
suis pas certain. Je n'en suis pas certain parce qu'au-delà des longues listes de constats et d'intentions, qui
sont fort justifiées, il manque au document ce qui me semble le plus
important, soit la proposition d'un moment symbolique fort et rassembleur. Bien
que le document stipule explicitement à la
page 2, et je cite : «...l'approche interculturelle n'a encore jamais
fait l'objet d'une exposition gouvernementale
complète et cohérente. La nouvelle politique aspire à combler cette lacune»,
malgré cette citation dans le document, on cherche quand même encore le
moment fort où l'interculturalisme sera posé et assumé comme modèle officiel et unificateur. Pour ce faire, la
nouvelle politique doit être plus explicite mais aussi plus fière de cet
interculturalisme qui semble pour le moment un peu perdu dans ce long document.
Au-delà de ce document, l'interculturalisme devra être mis en pratique — ce sera une étape ultérieure de vos
consultations, j'en suis sûr — comme c'est déjà le cas dans certains
programmes scolaires. Plus encore, l'interculturalisme devra être promu et
célébré. C'est la seule façon, à mon avis, de créer un moment symbolique fort.
C'est la seule manière d'espérer pouvoir répondre aux deux malaises auxquels je
viens de faire référence dans mon exposé. Merci.
Le
Président (M. Picard) : Merci. Merci, M. Bilodeau. Nous allons maintenant
débuter la période d'échange
en débutant avec la ministre. Allez-y.
Mme Weil : Oui. Bonjour et bienvenue, M. Bilodeau. Merci beaucoup pour votre intervention, votre présentation. Il y a beaucoup de matière là à réflexion mais aussi beaucoup
de matière qui peut nous amener à des actions, des actions très
concrètes.
Et,
dans vos études, peut-être on va essayer de bien comprendre les différences
entre les attitudes au sein même du Québec entre les différentes régions,
quand on parle des banlieues, les régions ou Montréal vos études montrent des différences, vos études montrent des différences
entre les jeunes, l'attitude des jeunes en banlieue, les jeunes à Montréal,
les jeunes en région, pour
bien comprendre les actions qu'on devra prendre soit au sein... Parce qu'on a bien... Avec la ville de
Montréal, je pense que vous étiez ici, vous avez entendu, c'est vraiment... on
écoute la ville de Montréal, c'est un modèle de ville qui affiche fièrement sa
fierté, qui agit, qui veut agir sur tous les fronts et veut être un
mobilisateur et est un
mobilisateur, évidemment ça fait chaud au coeur d'entendre les représentants de
la ville parler, mais je vous dirais que d'autres villes aussi qu'on a
entendues y jouent un rôle important. Alors, avant d'arriver sur les actions,
peut-être revenir sur ces différences même ici, qu'est-ce qui explique ces
différences régionales.
Et
même vous parlez entre la communauté anglophone... les anglophones et les
francophones. Bon, est-ce que c'est plus par régions ou c'est plus parce
que c'est à Montréal ou... Mieux comprendre.
M. Bilodeau
(Antoine) : Merci pour la question, Mme la ministre. D'abord, je pense
que c'est important peut-être de qualifier... Oui, il y a
des différences régionales, je n'en ai pas parlé dans mon exposé. Dans une
étude qui est parue au mois de juin
dernier, on observait effectivement des différences quand même assez marquées
entre les diverses régions du Québec. Et on remarquait, bon, un peu on
en faisait allusion à la présentation d'avant, de la ville de Montréal,
que c'est effectivement à Montréal où... — et notre étude ne portait que sur les
francophones du Québec — que c'est
à Montréal que les francophones se
sentent le moins insécures face à
l'immigration. Et, contrairement à ce qu'on peut croire des fois dans la
dynamique médiatique, ce ne sont pas les centres éloignés de Montréal qui sont
les plus insécures face à l'immigration,
mais on observait plutôt que c'était la périphérie de Montréal, donc, et ce que
certains ont appelé dans d'autres
contextes nationaux, dont en France, et en Suède, et un peu aux États-Unis, si
je me souviens bien, l'effet halo, c'est-à-dire que souvent ce ne sont
pas les gens qui vivent directement avec la diversité qui sont le plus insécures, ce ne sont pas les gens qui vivent très
loin de la diversité, mais c'est les gens qui en vivent à proximité mais
une proximité assez éloignée. Donc, on peut... Et, si on peut essayer de
qualifier ou de comprendre les origines de ça, ça s'explique beaucoup, souvent,
par la qualité du contact qui s'établit entre les gens issus des minorités, de
la diversité ethnoculturelle et la majorité de la population. Les gens à
Montréal ont beaucoup d'opportunités de développer des contacts de qualité, d'échange quotidien, les gens des régions
éloignées, pour la plupart, la diversité ethnoculturelle demeure une réalité souvent abstraite, donc peu menaçante,
alors que dans la périphérie de Montréal, on le sait, il y a un très
haut taux, niveau de va-et-vient avec l'île
pour le travail souvent, donc on voit la diversité, on réalise qu'elle est là,
mais on n'a pas nécessairement l'opportunité toujours de développer un
contact qui est de plus grande qualité afin d'atténuer ce sentiment de menace là. Donc, c'est la périphérie
de Montréal où le sentiment de menace était le plus aigu et à Montréal
où il était le plus faible.
Comme
vous faisiez référence, on a aussi remarqué des différences marquées entre les
groupes générationnels de chacune des
régions. Et, en fait, fait intéressant, ce qu'on remarquait, c'était qu'il n'y
avait aucune ou à peu près aucune différence régionale quant on
regardait les générations qui étaient nées avant 1970. Donc, si on est né au
Québec dans les années 60, 50 ou 40,
qu'on soit à Montréal, en région éloignée ou en périphérie de Montréal, on
avait sensiblement les mêmes
attitudes envers l'immigration au Québec. Là où il y avait des grandes
différences, c'étaient les générations nées après 1970, et là où les différences émergeaient le plus était dans la
périphérie de Montréal. Donc, contrairement à ce qu'on peut penser, ce n'étaient pas les gens les plus
âgés, mais c'étaient les gens les plus jeunes de la périphérie de
Montréal qui étaient le plus insécures
envers l'immigration. Et évidemment on ne pouvait pas le démontrer, mais une
des hypothèses les plus importantes, sur laquelle on mettait l'emphase,
c'était le rôle clé que la loi 101 a joué à partir des années 1970 pour favoriser ce vivre-ensemble-là au niveau de
la ville de Montréal, où les enfants issus de l'immigration et les
autres Québécois se sont tous mis à se
côtoyer sur les bancs d'école. Évidemment, la loi s'appliquait partout au
Québec, mais la diversité n'était pas
également présente au Québec, et donc les gens des périphéries ont eu une
moindre opportunité de développer une plus grande familiarité avec des
gens issus de l'immigration.
• (11 h 20) •
Mme Weil :
Donc, la réponse à ça, c'est la connaissance de l'autre, encourager les
contacts, les relations interculturelles un
peu comme la ville fait, par des programmes de sport, de culture et de
promotion. C'est pour ça qu'on parle beaucoup
du rôle des villes, les élus, le maire pour mobiliser un peu ces contacts et
ces relations, on parle du désir des régions, les besoins en région de main-d'oeuvre.
Alors, votre analyse va être très utile pour la suite des choses.
Vous parlez d'un
geste fort en matière d'interculturalisme et, je pense, que... si je comprends
bien, même au moment de l'accueil, que, l'accueil, on a besoin d'un geste fort
pour que les gens sentent un attachement au Québec et que le Québec montre un
attachement à cette diversité, à cette relation bilatérale — est-ce
que je comprends bien, donc? — et
que, nous, comme gouvernement, vous recommandez un geste fort pour
officialiser, je pense bien, et mettre en pratique ce modèle unique
d'accueil et d'intégration qu'est l'interculturalisme.
M. Bilodeau
(Antoine) : Oui, absolument, vous avez tout à fait raison, mais je
veux juste qualifier... C'est un moment symbolique fort dont le Québec a
besoin. Et à cet effet je dirais qu'il faut le mettre en parallèle avec le gouvernement fédéral, qui a eu au moins trois grands moments symboliques forts
depuis les années 70, sur la politique de multiculturalisme en 1971, la charte et son article
sur le multiculturalisme, l'article 27, mais aussi la politique
canadienne de multiculturalisme en 1988, qui
sont trois moments clés fort symboliques qui laissent peu de marge à
l'interprétation sur la position du gouvernement fédéral en matière d'immigration et de diversité ethnoculturelle. Donc, c'est
un genre de moment fort symbolique
comme ça que le Québec a besoin. L'interculturalisme se discute depuis longtemps,
c'est très compliqué de savoir ce que
ça veut dire, les experts en débattent encore, alors imaginez le public et les
nouveaux arrivants.
Mais je veux juste
dire que le moment... Vous parlez d'un moment symbolique fort au niveau de
l'accueil. Absolument, mais on a besoin d'un moment symbolique fort pas seulement
pour les nouveaux arrivants, c'est un moment symbolique fort pour l'ensemble de
la société québécoise dont on a besoin, les gens qui sont nés ici, qu'ils
soient membres d'une communauté ethnoculturelle ou non. Donc, ça s'adresse
autant au groupe majoritaire qu'aux groupes minoritaires.
Et, à cet
effet-là, j'étais un peu déçu de voir le titre de votre document — et
j'essaie de le retrouver — qui
s'intitule Un Québec interculturel, pluriel et inclusif, et, pour moi,
ça, c'est un peu ce qu'il faut éviter de faire, c'est-à-dire pourquoi...
Et, oui, je comprends l'«inclusif» et je comprends le «pluriel», mais pourquoi
est-ce que ça ne peut pas seulement être la politique d'interculturalisme du gouvernement québécois? Et ça me semblerait beaucoup
plus puissant, au niveau symbolique, d'envoyer un message clair des
principes qui sont dits.
Et il y a
aussi une espèce de timidité dans le document à vouloir affirmer quels sont les
principes. C'est un long document,
j'en conviens, mais il y a un moment qui m'a assez marqué dans le document,
et je crois que c'est... laissez-moi
le retrouver, à la page 13, je crois... attendez, non, c'est... oui, où
l'on dit, oui, à la page 13 on dit : «L'interculturalisme québécois
ne se réduit pas à la seule dimension de la participation. Cependant, il s'agit
peut-être de celle qui nécessite le plus une réaffirmation et qui requiert un
engagement partagé contribuant ainsi au renforcement de la cohésion
sociale.» C'est assez paradoxal que cette
affirmation si importante sur les principes guidant l'interculturalisme soit
présentée d'un point de vue défensif, on est sur la... Et donc on a
besoin d'une affirmation qui soit positive et qui s'assume, au lieu d'être en...
On sent qu'on se défend, dans le document, au lieu d'affirmer quelque chose.
Mme Weil : Bien, justement,
c'est un document de consultation, ce n'est pas le document... Là, on pose des questions puis on reçoit vos commentaires avec beaucoup
d'ouverture parce que justement beaucoup se sont intéressés à la question, comment aller plus loin. Alors, on
vous écoute. C'est un document de consultation, le titre ne présage pas
les actions à venir. Alors, tout ça pour vous dire : On vous entend, je
vous entends.
Et ça m'amène à la présentation de
M. Gérard Bouchard, qui a beaucoup parlé aussi d'interculturalisme avec M. Taylor. Et, pour M. Bouchard,
l'insécurité, vous l'avez mentionné, puis dans vos études on le voit bien,
l'insécurité des Québécois
en général par rapport à l'identité québécoise, la langue française, la pérennité du
fait français en Amérique du Nord... Il nous demande de
regarder le rapport majorité-minorité, il revient beaucoup
sur cette question-là et que, pour rassurer la majorité, il faut parler en ces termes très ouvertement,
pour rassurer la majorité. C'est un langage qui ne fait pas consensus. Quand on parle aux jeunes, les
jeunes, généralement, ne sont pas tellement chauds à parler en
ces termes-là. Mais on écoute ses
commentaires, c'est un homme avec beaucoup d'expérience et un grand intellectuel, et il dit
que, si vous ne le mettez pas en ces
termes-là, vous n'allez pas aller rechercher le problème précis. Et il parle beaucoup
de l'histoire aussi, l'histoire du Québec
et ses rapports majorité-minorité. Est-ce que vous avez un point de vue sur cette question?
M.
Bilodeau (Antoine) : Je
pense que vous mettez le doigt sur probablement un des défis les plus grands dans la formulation de cette politique
d'interculturalisme, comment gérer cette dualité, parce que,
oui, la politique d'interculturalisme s'inscrit dans cette
notion d'insécurité, et je comprends... et là je suis un grand fan — je
m'excuse de l'expression anglophone — des
travaux de Gérard Bouchard, mais je ne suis pas certain que, pour l'avenir,
l'utilisation de ce langage, majorité-minorité,
soit le plus porteur d'un rassemblement de tous les Québécois. Je crois que
l'emphase doit être mise sur des principes comme la langue française,
des valeurs communes, un vivre-ensemble.
Mais
l'utilisation, particulièrement si elle était formelle, dans un document comme une politique des expressions
«majorité» et «minorité» ne me semble pas
porteuse de ce rassemblement autour de la politique. Il faut qu'un jour
les gens cessent d'être soit juste des
membres de la majorité ou de la minorité et qu'ils soient tout simplement
Québécois.
Mme Weil : Il reste combien
de temps?
Le Président (M. Picard) :
Six minutes.
Mme Weil : Six. Donc, vos
grandes recommandations pour promouvoir l'ouverture à l'autre, donc, ce serait de privilégier des contacts dans les écoles... Le
rôle des écoles, on a beaucoup parlé du rôle des écoles, je vous dirais
que peut-être c'est le lieu qui émane de ces
consultations comme le lieu privilégié. Donc, comme vous le disiez, dans
certaines régions le contact est moins
facile parce qu'il y a moins d'immigration. Beaucoup de gens veulent
l'immigration, ça, c'est l'aspect
très positif de ces consultations. C'est un souhait généralisé, qu'on puisse
trouver des façons de faire ce pont, alors
donc on écoute bien ça. Mais est-ce que vous avez d'autres... Peut-être la
culture aussi. On en a moins parlé, mais il y a des... on évoque, la ville de Montréal, je pense, que la culture a un
rôle important à jouer. Peut-être aussi l'éducation par rapport aux droits. Le racisme, la discrimination,
la deuxième génération, je ne sais pas si vous avez un point de vue sur ces questions-là de discrimination carrément, là,
la Commission des droits de la personne est venue en parler, d'autres
aussi, et les gens n'hésitent pas à utiliser le mot. Même le secteur des
entreprises, le Conseil du patronat a évoqué ce problème, parle plus de manque de contact ou de méconnaissance,
apprivoiser la différence. Est-ce que vous avez un plan d'action ou des
actions à privilégier?
• (11 h 30) •
M. Bilodeau (Antoine) : Peut-être
deux points. Je pense que vous soulevez beaucoup de pistes importantes.
Je vais
revenir rapidement sur le rôle de l'école. Je pense qu'effectivement tous les
intervenants qui sont venus et autres qui mettent l'emphase sur l'école,
à mon avis, ont raison. Là où le défi de l'école se pose, en fait, il est
double. Le problème, c'est... On sait tout
d'abord que l'école publique est saignée d'année en année, que les gens
délaissent l'école publique pour s'en aller de plus en plus à l'école
privée. Les enfants sont tous à l'école primaire, et on le vit année après
année, on voit le nombre d'élèves qui choisissent l'école privée au lieu de
l'école publique. Donc, évidemment, là, il y
a une bifurcation où tous les Québécois ne se rassemblent pas au niveau de
l'école publique, à un certain niveau, surtout rendu à l'école
secondaire.
Le deuxième problème par rapport à l'école,
évidemment on a tous un pouvoir limité là-dessus, c'est l'exode des francophones de la ville de Montréal depuis
20, 25 ans, où malheureusement la cohabitation entre les Québécois
de toutes origines ne se fait peut-être pas
autant qu'elle se pourrait si les francophones étaient davantage restés à
Montréal. Bon, on ne
peut pas forcer les gens à vivre à un endroit ou à un autre, mais je crois
qu'il faut se poser cette question-là. L'école
est primordiale, mais sa capacité à agir est plus localisée géographiquement,
hein? Donc, s'il n'y a pas de diversité, on peut difficilement apprendre
le vivre-ensemble à l'école. Donc...
Donc, je vais
revenir peut-être, en terminant, sur le facteur de la discrimination. Oui,
combattre la discrimination est primordial.
Et à cet effet les études que j'ai
réalisées montraient — on
a parlé un peu du sentiment d'acceptation plus tôt dans mon exposé — que les deux... en fait les trois facteurs les
plus importants pour comprendre si les Québécois membres des groupes ethnoculturels se sentaient acceptés par le Québec... En fait, ils étaient trois. Le premier, pas nécessairement en ordre d'importance, c'était les attentes économiques,
c'est-à-dire que, tant qu'ils gardent un espoir d'une vie
économique meilleure, leur sentiment qu'on
veut d'eux dans la société québécoise est élevé, mais, quand ils commencent à perdre
cet espoir-là, alors nécessairement le sentiment de rejet s'installe. Le
deuxième était spécifiquement les expériences discriminatoires,
c'est-à-dire qu'on voyait que plus les expériences
discriminatoires étaient perçues comme étant fréquentes, plus faible était le sentiment d'acceptation,
c'était vraiment une relation linéaire qui n'était pas... Plus
c'est fréquent, plus le sentiment de rejet était fort. Et finalement, parce
que ça fait aussi beaucoup partie du document et des échanges qui ont eu lieu dans le cadre de la commission,
l'usage de la langue française était le troisième et le plus important facteur pour déterminer le niveau du sentiment d'acceptation, c'est-à-dire que les Québécois membres de groupes ethnoculturels qui utilisent le français dans plusieurs
sphères de leur vie sont ceux qui se sentent le plus acceptés par la communauté
québécoise, et, quand on n'utilise pas le français, que ce soit à la maison, au
travail ou avec les amis, le sentiment d'acceptation
baisse. Et je mets l'emphase sur le point ici qu'on ne parle pas de la
connaissance du français mais bien de l'usage, qui sont deux choses complètement différentes parce qu'on peut être parfaitement bilingue ou trilingue mais utiliser principalement une seule
langue, et notre étude montrait ici l'effet de l'usage de la langue au-delà de
la francisation ou de la compétence linguistique.
Mme Weil : Merci beaucoup,
M. Bilodeau. Et je cède la parole à mon collègue de D'Arcy-McGee.
Le Président (M. Picard) :
Pour une minute.
M.
Birnbaum : Merci, M. le Président. Alors, comme on a une minute, M. Bilodeau,
je garderai ça simple. Et je trouve
très intéressante votre description des deux malaises, il me semble
que c'est au coeur du débat, finalement. Et je conviens
avec vous qu'on est plutôt discret, en
ce qui a trait à notre débat public, sur le deuxième malaise. J'aimerais
vous inviter de nous parler du pourquoi de
ça, parce que je trouve que, si on est pour développer la politique idéale,
nous avons à confronter cette deuxième problématique.
M. Bilodeau (Antoine) : Merci pour
la question. Je pense qu'en fait beaucoup d'éléments de réponse ont déjà été fournis dans mes derniers propos par
rapport à l'expérience des attentes économiques, la discrimination et
l'usage du français. On remarque aussi que
le sentiment d'acceptation par rapport au Canada est beaucoup déterminé par les
attentes économiques et par l'expérience discriminatoire de la même façon, donc
les facteurs qui structurent la relation au Québec
sont les mêmes qui structurent la relation au Canada, mais là une des grandes
différences qui s'expliquaient par ce fait
que les minorités se sentent plus acceptées par le Canada que par le Québec
était... s'explique en grande partie par les différences d'usage linguistique. C'est-à-dire qu'au Québec, par rapport
au Québec, quand on parle le français on se sent fortement accepté, et ce ne sont pas tous les membres des groupes
ethnoculturels minoritaires qui utilisent le français. Et on voyait par ailleurs que la langue n'a aucun
effet sur la relation avec le Canada. Qu'on parle français ou anglais,
une autre langue à la maison, le niveau de... le sentiment d'acceptation par
rapport au Canada était le même.
Mais on
commence, en fait, les travaux sur ça, comme je disais, ce n'est pas... tout le
monde, c'est aussi nous qui commençons seulement à regarder ça, et on
n'est pas à même encore de donner une explication complète. Mais, c'est sûr, c'est plus difficile à démontrer
empiriquement, mais ça fait plus de sens de penser qu'il y a deux malaises,
hein, donc. Et ce ne sont pas deux groupes, mais ce sont les minorités
et le groupe majoritaire qui se parlent, qui se regardent, un est mal à l'aise,
l'autre est mal à l'aise, donc c'est une dynamique interrelationnelle entre les
deux communautés.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Bourget.
M. Kotto :
Merci, M. le Président. M. Bilodeau, soyez le bienvenu, et merci pour
cette contribution. Vous ouvrez des
pistes de réflexion de manière fine et chirurgicale, et je pense que le propos
que vous tenez ici devrait nous inciter à travailler davantage quant à
la réflexion qui nous engage en matière d'intégration surtout. Nous avons
tendance en tant qu'humains, d'où que nous
venions, de fuir ce qui peut faire problème dans une communauté aussi diverse
que la nôtre, en l'occurrence, parce
qu'on n'a pas envie de faire face à certaines réalités, mais ça prend du
courage. Et, en tant qu'élus, je pense que nous devons
nous donner ce courage-là, aller au fond des choses, et je pense que les
questions que vous posez ici aujourd'hui nous amènent justement au fond des
choses.
Parlant de
signe symbolique fort, le Québec a des croûtes à manger, pour utiliser une
expression populaire, face à la concurrence
fédérale, parce qu'on considère que nous avons, entre le Canada et le Québec, deux modes d'intégration, deux modèles
d'intégration bien distincts. Au Canada, on a adopté le multiculturalisme. Au Québec,
depuis 25 ans, verbalement,
théoriquement on parle d'interculturalisme, mais le pouvoir politique
n'a pas eu, disons, la sagesse de lui donner un sens, un sens en termes
de forme et de contenu, ce qui fait que moi, immigrant... Et je suis bien placé
pour prendre mon exemple, je suis arrivé ici
il n'y a pas longtemps, 23 ans. Quand je me présente à l'Ambassade
du Canada, on me donne un tel document,
et ce document me parle du Canada, ne parle pas du Québec...
ou du moins ce qui concerne le Québec se résume à, au plan significatif : «Le Québec
compte près de 8 millions d'habitants, dont la vaste majorité est installée sur les rives du fleuve Saint-Laurent ou tout près. Plus des trois quarts des habitants du Québec
ont le français comme langue maternelle.» On ne me dit pas que le français
est la langue publique commune, la langue officielle du Québec. Ça, ça fait consensus
entre ce que M. Bourassa, feu Bourassa, a initié et ce que Camille Laurin
a rivé dans l'inconscient collectif québécois.
Je reviens
sur la compétition multiculturalisme-interculturalisme. La deuxième page, on me donne des citations mémorables, il y en a deux dans ce document, fort
symboliques parce que c'est ma première rencontre avec le Québec, mais dans les faits c'est avec le Canada. C'est sir
Wilfrid Laurier qui dit : «Ici [au Canada], je veux que le marbre demeure le marbre, que le granit demeure [le] granit, que le chêne demeure [le]
chêne, et avec tous ces éléments, je bâtirai une nation, grande parmi
les nations du monde.» C'est possible, mais force est de constater que cette
métaphore nous amène tout droit au
multiculturalisme : Restez ce que vous êtes. D'ailleurs,
c'est le discours qu'on m'a tenu à Paris quand je venais : Vous
êtes une richesse, ce que vous apportez individuellement au plan culturel, au
plan identitaire est une richesse. Donc, ça
conforte ça. On ne parle pas ici de valeurs communes comme l'indique notre
charte, on ne parle pas ici de la nécessité
du vivre-ensemble sur la base de ces valeurs communes. M. Diefenbaker
dit — c'est
l'autre citation : «Je suis Canadien, un Canadien libre, libre de
m'exprimer sans crainte — ça,
c'est parfait — libre
de servir Dieu comme je l'entends — libre de servir Dieu comme je
l'entends — libre
d'appuyer les idées qui me semblent justes...» On n'est pas dans le
commun, là, on est dans autre chose.
Donc, à
partir du moment où je suis habité, moi, par cette philosophie, qui n'est pas
objectivement désagréable mais qui l'est, qui est antinomique avec les
aspirations même au plan des valeurs communes, au plan de l'identité linguistique du Québec, antinomique, je disais,
comment dire, quels sont les palliatifs sur lesquels on devrait
travailler pour, disons, montrer un double
visage au niveau de la frontière, pas seulement une fois qu'on arrive ici, au
terme de trois années, se retrouver à
prêter serment d'allégeance à la reine d'Angleterre? Et ça aussi, c'est un
symbole très fort, mais on pourra y revenir. Je reviens sur la première
question : Comment est-ce qu'on peut rivaliser avec une telle représentation?
Notons au passage que, nos représentations diplomatiques, on est en train de
les fermer, pour cause d'austérité, un peu
partout à travers le monde. Donc, comment est-ce que... Et d'ailleurs, autre parenthèse, le nouveau
visage de la diplomatie canadienne est unilingue anglophone, ça ne vient pas
aider la cause du Québec. Comment est-ce qu'on peut rivaliser avec ça?
• (11 h 40) •
Le Président (M. Picard) :
M. Bilodeau.
M.
Bilodeau (Antoine) : Merci.
Bien, la première façon, c'est d'offrir ce moment symbolique fort ici. Avant
de pouvoir l'offrir ailleurs, hein, dans les documents, il faut qu'on soit
clair où nous, on se situe.
Quand on parlait des sources de ce double
malaise, c'est évident qu'il y a une attirance probablement plus naturelle vers le modèle fédéral non seulement
parce qu'il est fort symboliquement, mais parce qu'il se présente comme
étant un modèle qui est plus flexible dans la recherche identitaire. Il est
multiculturel, il a la diversité au coeur de l'identité
canadienne, il prône le bilinguisme. Donc, ce sont des moments symboliques
forts qui sont aussi probablement très attrayants pour quelqu'un qui
arrive ici parce qu'ils sont très ouverts, très flexibles.
Si le Québec
propose un modèle où il y a des valeurs communes, il y a une langue qui unit
tous, évidemment, déjà en partant c'est un modèle qui peut sembler plus
rigide, hein, moins flexible que le modèle canadien, mais en plus de cette
rigidité... Et, quand j'utilise le mot «rigidité», ce n'est pas péjoratif du
tout. Je crois en ces principes, mais ils paraissent
rigides en parallèle du modèle fédéral. Donc, si déjà le modèle qu'on met de
l'avant est peut-être un peu moins flexible
que le modèle fédéral, mais qu'on ne le prône pas symboliquement de façon forte
et claire, on lutte à armes inégales ici. Toute la place est laissée au
gouvernement fédéral, il y a très peu de place ou de rôle joué dans le
gouvernement du Québec.
Et, comme je
le disais plus tôt, c'est d'autant plus paradoxal que c'est le Québec qui se
veut une société d'accueil. On est
ici dans l'Assemblée nationale, on n'est pas à l'assemblée législative
provinciale. Le Québec a signé des accords importants en matière
d'immigration, a des pouvoirs que personne d'autre ou presque n'a en matière de
sélection, d'accueil des immigrants, on
demande aux immigrants d'adhérer aux valeurs communes, on se dit une société
distincte, on a tout ça, mais on n'a pas
notre politique officielle d'accueil et de gestion de la diversité. Donc, c'est
comme ça qu'on répond tout d'abord.
Ensuite,
est-ce que ça prend la forme d'un document parallèle ou pas? Je ne peux pas
répondre à cette question-là, mais je vais répondre à la deuxième
partie, par rapport aux documents à l'international, sous un autre angle.
Une des choses qui... Et je n'ai pas tous les
détails en tête. Vers la fin du document, on parle d'une approche beaucoup plus autonomiste, je crois, de
l'immigrant, qui a un plus grand rôle à jouer par lui-même pour venir au
Québec et qui a accès à des documents, puis
tout ça. Cette approche-là me préoccupe un peu parce qu'elle me semble aller à
l'encontre de ce que je vous propose ici, le
moment symbolique fort. Et, pour un peu illustrer le propos, je vais faire
référence aux travaux d'une collègue
à l'Université de Berkeley, en Californie, qui a travaillé sur la différence de
taux de naturalisation entre le Canada et les États-Unis, et elle disait
que la valeur ajoutée du modèle canadien ici, qui était, pour elle, le
multiculturalisme, était cette main tendue aux nouveaux arrivants. En
comparaison, le modèle américain proposait un modèle
individualiste, autonomiste : C'est ça que vous voulez, venir aux
États-Unis, vous voulez devenir Américains par la suite, bien arrangez-vous, vous êtes des individus comme n'importe
quelle autre personne qui veut devenir un citoyen américain, prenez vos responsabilités et
organisez-vous, alors que le modèle canadien, lui, tendait la main, travaillait
de concert avec des organisations
ethnoculturelles pour promouvoir la citoyenneté canadienne, pour organiser des
séances de formation pour l'obtention de la citoyenneté canadienne et un
support, donc le support financier et logistique, mais aussi une main tendue symbolique. Et c'est pour ça
que je suis un peu inquiet quand je vois... Bon, comme je vous dis, je n'ai pas en tête toute l'ampleur de cette
proposition-là, mais cette approche qui se veut un peu plus autonomiste, elle
me préoccupe parce qu'elle va directement à
l'encontre de ce que je crois que nous devons faire, c'est-à-dire
proactivement aller vers l'immigrant, qu'il soit ailleurs mais qu'il soit ici
aussi, et tendre cette main de bienvenue.
Donc,
je suis d'accord avec vous, on a besoin d'un document à l'international qui
prône le Québec, et la place du Québec, et la société québécoise.
Le Président (M.
Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de
Borduas.
M.
Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Bilodeau. Si vous voulez bien,
on va retourner sur le rapport majorité-minorité,
interculturalisme. La première de mes questions, c'est... Il y a beaucoup
de groupes qui sont venus parler du concept d'interculturalisme, mais il
y a peu de gens qui le définissent concrètement, ce en quoi il consiste. Je
vous poserais la question suivante : Pour vous, quelle est votre
définition de l'interculturalisme... ou que devrait-on y retrouver, dans ce
concept d'interculturalisme québécois?
M.
Bilodeau (Antoine) : C'est
une très bonne question. Et on
pourrait faire une recension de tous les écrits sur ce que constitue ce
modèle interculturaliste, et je crois qu'il serait difficile à identifier.
Je
crois qu'il s'inscrit tout d'abord dans l'existence d'une culture commune, d'un
fait, d'une réalité linguistique majoritaire
francophone et de la nécessité d'échanges entre les groupes en vue de bâtir
cette culture commune là. Et ce sont les
éléments essentiels. Beaucoup d'autres éléments, la participation, sont
mentionnés dans le document... En fait, ils sont mentionnés dans le
document. Mon problème, c'est qu'ils ne sont pas mis à l'avant-plan de façon
assez forte, O.K.? Et donc c'est ça. Mais à
bien des égards, en fait, si vous lisez un peu le... Parce qu'il y a des
débats, hein, il y a même des gens
qui disent que l'interculturalisme et le multiculturalisme sont la même chose.
Je ne crois pas qu'ils soient exactement la même chose, mais je crois
qu'ils sont relativement assez proches, à bien des égards.
Pour
moi, la différence fondamentale entre les deux est une question de discours. La
politique de multiculturalisme, oui, elle met beaucoup l'emphase sur la
mosaïque, ce que l'interculturalisme ne fait pas, et je crois que c'est une des
différences fondamentales. Mais, si vous
référez à certains des écrits de Will Kymlicka, qui a été un des... qui a
proposé fortement ce modèle-là, on va voir que même à un certain moment, fin
des années 1990, il prône le virage du modèle multiculturaliste
vers le modèle interculturaliste. Et la différence entre les deux modèles se
veut, de un, que le modèle interculturaliste
dicte plus explicitement, un, les limites de ce vivre-ensemble-là et l'emphase
sur la culture commune, mais il dicte
aussi ou il cite explicitement l'existence de cette culture commune là, alors
que dans le multiculturalisme canadien tout
le monde va s'entendre pour dire qu'elle existe, cette culture commune là
dominante, mais elle est anglo-canadienne et elle sert de pôle d'attraction et de convergence. Qu'on parle
d'intégration ou d'assimilation, elle existe, la dynamique, elle est là, elle existe. Le modèle québécois, lui...
Mais il ne la nomme pas, alors que le modèle interculturaliste la nomme,
et à bien des égards c'est une des différences fondamentales entre les deux.
Mais, dans le contexte canadien, la politique d'interculturalisme a besoin de
nommer ce pôle de convergence là qui est la culture québécoise.
M.
Jolin-Barrette : Vous
dites : Une des différences, c'est la culture commune qui est dans le
concept d'interculturalisme. Cette
culture commune là passe, entre
autres, par l'usage de la langue française, mais aussi, nécessairement, par les valeurs communes.
Il y a
eu un débat, la Commission des droits
de la personne disait, bon, les valeurs démocratiques communes, les
valeurs démocratiques. Est-ce que, pour vous, ça contient ces valeurs-là? Et
quelles sont les valeurs communes?
M. Bilodeau
(Antoine) : Bien, les valeurs communes de base, vous les avez nommées,
ce sont les valeurs démocratiques, c'est l'usage de la langue française, mais c'est aussi, ça peut sembler un peu paradoxal, mais c'est
une valeur en tant que telle que le
partage culturel et le rapprochement. Et je pense que c'est ça,
l'importance de la politique d'interculturalisme. Ce n'est pas seulement vivre chacun dans
son coin, c'est aussi partager et échanger entre les diverses communautés.
Et cette valeur-là n'a pas un nom comme la liberté d'expression ou l'égalité
des sexes, mais elle est en soi une des valeurs qui doit être promue au travers
de l'interculturalisme.
M.
Jolin-Barrette : Est-ce que, parmi les valeurs communes, il y a
d'autres valeurs qui ne sont pas des valeurs démocratiques?
M. Bilodeau
(Antoine) : Je peux vous demander à quoi vous faites référence?
M.
Jolin-Barrette : Bien, écoutez,
je ne sais pas, supposons des valeurs de développement durable, des concepts plus larges que des valeurs démocratiques.
M. Bilodeau
(Antoine) : Bien, ça, je pense que c'est à la société québécoise d'en
décider, quelles sont ces valeurs communes là. Est-ce que le développement
durable devrait en faire partie ou pas? Je peux vous donner mon opinion personnelle,
moi, en tant que citoyen, mais ce n'est pas vraiment à moi d'en décider. Je
pense que les valeurs de base qui
doivent être promues sont vraiment
les valeurs démocratiques, la langue
française et cette nécessité d'échange là. Le développement
durable ou autre truc plus spécifique, je crois que c'est à la société
québécoise d'en décider.
M.
Jolin-Barrette : Vous avez
débuté en parlant des deux malaises, et puis on a discuté également
du rapport majorité-minorité. Croyez-vous que le point qui est soulevé
par M. Bouchard au niveau du lien majorité-minorité qui devrait être intégré dans le cadre du concept d'interculturalisme est en fait une source du malaise éprouvé par la
majorité francophone dans le cadre de vos études?
• (11 h 50) •
M. Bilodeau (Antoine) : Je ne suis
pas certain de comprendre votre question, mais... Si je comprends bien, c'est : Est-ce que le Québec
se perçoit comme un groupe minoritaire à
l'intérieur du Canada,
insécure, et c'est ça qui pousse à ce malaise? C'est ça?
M. Jolin-Barrette : Effectivement.
M. Bilodeau (Antoine) : Oui, absolument,
je pense que c'est en grande partie la différence fondamentale dans la façon dont les Québécois
et les autres Canadiens approchent la diversité ethnoculturelle. Les Québécois
sont, dans l'ensemble canadien, dans
l'ensemble nord-américain, une minorité linguistique, une minorité culturelle,
et nécessairement un groupe insécure qui doit accueillir l'autre est
dans une situation beaucoup plus difficile qu'un groupe qui se croit majoritaire, qui se croit fort et qui ne se sent
pas menacé. À mon avis, c'est absolument là la différence fondamentale dans la
façon dont les Québécois et les autres Canadiens adressent la diversité
ethnique et l'immigration, oui.
M.
Jolin-Barrette : Lorsque
vous parlez d'un geste fort, est-ce
que vous pensez nécessairement
à la codification de l'interculturalisme dans le cadre d'une loi,
exemple dans la Loi sur l'immigration?
M. Bilodeau (Antoine) : Je ne crois
pas qu'elle devrait être sous une autre loi, ça devrait être la loi ou la politique
d'interculturalisme. Elle ne devrait pas faire partie de la politique
d'immigration, ça devrait être un document qui transcende les questions
d'immigration.
M. Jolin-Barrette : Donc, ça devrait
constituer une des valeurs de la société québécoise.
M. Bilodeau (Antoine) : Absolument.
C'est ce que j'ai dit plus tôt, oui.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Donc,
au même titre peut-être que de le codifier à l'intérieur de la Charte des
droits et libertés de la personne?
M. Bilodeau (Antoine) : Ça pourrait
être une avenue intéressante, oui.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Le
Président (M. Picard) :
Merci, M. le député, ça met fin à nos échanges. Donc,
M. Bilodeau, je vous remercie pour l'apport aux travaux de la commission.
Et je suspends les travaux jusqu'à
16 heures.
(Suspension de la séance à 11 h 52)
(Reprise à 16 h 32)
Le
Président (M. Picard) :
À l'ordre, s'il vous plaît. La commission reprend ses travaux. Je demande à
toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de
leurs téléphones cellulaires.
Nous allons
poursuivre les consultations particulières
et auditions publiques sur les documents intitulés Vers une
nouvelle politique québécoise en matière d'immigration, de diversité et
d'inclusion.
Dans un premier temps, je souhaite la bienvenue
à M. Bob White, professeur titulaire au Département d'anthropologie à l'Université de Montréal et
directeur du Laboratoire de recherche en relations interculturelles.
M. White, vous disposez de
10 minutes pour faire votre exposé. Je vous demanderais dans un premier
temps de présenter les gens qui vous accompagnent. Vont s'ensuivre des
échanges avec les parlementaires. La parole est à vous.
M. Bob
White
M. White (Bob) :
Merci beaucoup. D'abord, Mme la ministre et les membres de la
commission, merci pour l'invitation, nous
sommes très heureux de pouvoir participer à ce processus. Je m'accompagne de
deux collègues. D'abord, Mme Danielle
Gratton, qui est psychologue et docteure en anthropologie, donc psychologue et
anthropologue de formation, coordonnatrice de recherche pour les travaux
que nous faisons au laboratoire LABRRI, consultante et formatrice aux agences de santé et de services sociaux, et je
tenais à mentionner qu'elle a déjà été présidente du Conseil interculturel de Montréal. À ma gauche, toujours à
ma gauche, Jorge Frozzini, professeur de communications de l'Université
du Québec à Chicoutimi, politologue de formation, docteur en communications,
cochercheur affilié au LABRRI et membre du centre des travailleurs immigrants.
Je voulais dire deux petits mots sur
le groupe qui nous réunit, le LABRRI, qui est un laboratoire de recherche
par des personnes qui s'intéressent à la
recherche, l'enseignement et l'expertise en relations interculturelles. Nous
travaillons principalement sur un projet de
partenariat de recherche qui vise à comprendre les dynamiques interculturelles
dans le contexte urbain, donc surtout
à Montréal, c'est un partenariat qui rassemble une douzaine de partenaires
communautaires, municipaux et
universitaires. Et je voulais aussi mentionner que mon collègue François Rocher
n'a pas pu se joindre à nous, il
était un petit peu plus loin. Donc, il est aussi coauteur sur le mémoire, mais
il n'a pas pu être présent avec nous.
D'abord,
on tenait à saluer le travail qui a été effectué jusqu'à maintenant à travers
ce texte, à travers l'énoncé de politique. Et nous voulons surtout
saluer l'accent qui a été mis sur l'idée de l'inclusion.
Au
Québec, nous avons développé des
expertises en interculturel depuis très longtemps, vous savez sans doute
que le Québec, des fois même plus que le
Canada, est pris comme un foyer d'expertise ou comme un modèle pour les
questions d'intégration et de diversité ethnoculturelle. Mais il demeure qu'on
entend souvent des questions auxquelles nous n'avons pas toujours de très
bonnes réponses, et les questions que nous entendons souvent émergent dans le
cadre de la recherche que nous faisons sur le terrain un peu partout au Québec
mais surtout dans la région métropolitaine. On entend, premièrement, des personnes qui sont inquiétées par les défis
de cette nouvelle diversité qu'on appelle des fois la superdiversité, et ils nous demandent : Il
faut aller jusqu'où? On veut bien adapter nos services, nos outils et nos
ressources, mais s'adapter et adapter jusqu'à
quel point, jusqu'où? La deuxième question qui nous est posée souvent — et ça, c'est souvent après avoir posé la première : Si on accepte d'adapter nos institutions
et nos services, dans ce cas-là il nous faudrait des orientations et des balises plus claires. Donc, nous travaillons
beaucoup avec nos différents partenaires sur le terrain pour essayer de mieux définir l'interculturel et
les aider à trouver des outils qui orientent mieux l'action
interculturelle.
Donc, l'inclusion
peut donner quelques réponses à ces questions, juste l'idée de l'inclusion, une
démarche qui vise à baliser l'inclusion peut donner quelques réponses à ces
questions, mais... Et je pense que c'est peut-être l'argument principal de
notre mémoire. C'est que, pour bien comprendre l'inclusion, il faut s'assurer
de regarder les conditions de l'inclusion, quelles sont les conditions qui
permettent, qui favorisent, qui privilégient l'inclusion, et non seulement pour les immigrants, mais aussi pour
ceux qui les reçoivent. Et cette idée de regarder les deux côtés de
l'équation, les deux côtés des interactions est vraiment au coeur de toute
approche interculturelle.
Nous sommes d'avis que le Québec a
beaucoup d'intérêt à clarifier et structurer une politique
sur l'interculturalisme. Comme vous
avez pu, j'espère, lire dans le mémoire, nous ne sommes pas convaincus que
l'énoncé de politique
accomplit ce travail, mais il y a quelques pas qui vont dans ce sens-là.
On aimerait insister
sur l'idée qu'une politique sur l'interculturalisme doit soutenir
l'interculturel et pas l'inverse. Et donc tout de suite dans cette proposition
vous entendez la distinction que nous faisons souvent entre l'interculturalisme et l'interculturalité. Donc,
l'interculturalisme, c'est une série de politiques qui visent à
encadrer la vie publique, et
l'interculturel ou l'interculturalité, c'est ce fait, cet état de fait, cette
réalité sociologique qui fait que les gens de différentes origines
rentrent en contact les uns avec les autres.
Bon,
pour soutenir l'inclusion, ça demande des conditions interculturelles, c'est
quelque chose qui serait vrai pour le
Québec et peut-être même spécifique au Québec, mais les conditions interculturelles,
elles, exigent des compétences, et pas uniquement des compétences
individuelles — nous
allons beaucoup parler, en fait, de cette différence entre compétences individuelles et compétences
sociétales ou compétences organisationnelles — mais aussi les conditions de
l'inclusion exigent de l'accompagnement. C'est un terme qui va revenir aussi
souvent.
Puisque
le temps est court, nous avons identifié trois enjeux qui nous semblent
essentiels à retenir. Ce sont les enjeux
qui traversent l'ensemble des recommandations que nous avons faites dans notre
mémoire, mais c'est important de prendre quelques minutes afin de les
souligner parce que, dans ce mémoire-là, qui est assez dense, il y a plusieurs
façons de lire le texte.
• (16 h 40) •
Premièrement, on
voulait insister sur l'importance d'identifier des situations problématiques
récurrentes. Ce n'est pas du jargon. En fait, quand on parle de ces situations
problématiques qui reviennent souvent, en recherche interculturelle on utilise souvent le terme «incidents critiques». Nous savons que l'insertion socioprofessionnelle
pose beaucoup de problèmes, et il y a beaucoup de réflexion là-dessus dans
l'énoncé de politique, surtout la situation des travailleurs temporaires, une situation
qui nous inquiète beaucoup, au LABRRI, et qui inquiète beaucoup
de nos partenaires, et donc on a pris un peu de temps pour en parler
dans le mémoire.
Deuxième : le développement
et le transfert des compétences. Il ne faut pas se limiter à une compréhension des compétences individuelles, puisque les
compétences individuelles sont assez faciles à former, nous savons
comment ça se fait, mais, si on ne vise pas les compétences des organisations
et puis même des regroupements d'acteurs dans la société de façon plus large,
ce savoir n'est pas transmis. Deuxième, il faut distinguer entre compétences
culturelles et compétences interculturelles,
c'est essentiel. Les compétences culturelles visent une compréhension de la
culture de l'autre, et les
compétences interculturelles, ce sont principalement des compétences de
communication, donc que faire dans des situations où la communication
dérape.
Et
le troisième enjeu, pour nous, qui est très important, c'est l'importance de
l'échelle municipale. Vous savez qu'il y a beaucoup de débats là-dessus
depuis quelques années. Les villes, les municipalités à travers le Québec proclament des capacités de fournir des
services de proximité. Les villes sont prises, comme nous le savons,
avec beaucoup de problèmes dans cette proximité et des problèmes qui émergent
et qui se répètent de façon quotidienne, ils sont pris aussi avec les plaintes
des citoyens de façon régulière. Mais il y a quand même des choses
intéressantes qui se passent à l'échelle
internationale parce qu'il y a plusieurs mouvements politiques et, je dirais,
sociaux aussi qui travaillent sur
les dynamiques municipales comme une échelle très, très promettante, parmi
d'autres le Conseil de l'Europe, l'Union européenne.
Bref, il y a beaucoup de choses qui se passent à l'échelle municipale, et on
est contents de venir vous parler un petit peu des enjeux que nous voyons à
partir de cette échelle presque du quartier.
Donc, je vais arrêter là.
Le
Président (M. Picard) :
Merci, M. White. Avant d'entreprendre la période d'échange, j'aurais
besoin d'un consentement pour qu'on puisse excéder l'horaire tout à
l'heure. Ça va pour tout le monde?
Et aussi
j'aurais besoin d'un consentement pour permettre à M. le député de Mercier
de participer à nos travaux.
M. Khadir : ...pas amputer
inutilement sur...
Le
Président (M. Picard) :
O.K. Et M. le député de Mercier
aimerait avoir deux minutes. Est-ce qu'on y va comme la semaine
dernière, Mme la ministre?
Mme Weil : Pardon?
Le
Président (M. Picard) :
M. le député de Mercier aimerait avoir deux minutes de votre temps.
Est-ce qu'on y va comme la semaine dernière?
Mme Weil : Oui, oui. Absolument,
absolument.
Le
Président (M. Picard) :
Donc, deux minutes, M. le député de Mercier. On entreprend les échanges, Mme la ministre. La parole est à vous.
Mme Weil : Oui, merci
beaucoup. Alors, je vous remercie, M. White, Mme Gratton et
M. Frozzini. Merci de votre présence ici.
Vous touchez
vraiment au coeur d'un sujet très, très important dans cette consultation et
vous amenez un autre éclairage, peut-être des distinctions importantes.
Alors, on va commencer avec l'interculturalisme parce qu'il y a vraiment une volonté exprimée, on a posé la
question, évidemment, très ouvertement : Que doit-on faire pour que ce
mode unique d'accueil, d'intégration soit
mieux compris, mieux défini, formalisé d'une manière ou d'une autre?, et vous
allez dans le vif du sujet. Et j'aimerais donc vous poser quelques questions
là-dessus.
D'abord, vous
dites : Faire attention... Puis il y a juste un intervenant qui a parlé
d'interculturalité, mais est-ce que vous
pourriez mieux expliquer, donc, quand vous dites : Faites attention aux
mots, l'interculturalisme et l'interculturalité, que les termes imprécis...
qu'il faut faire attention, peut-être revenir sur cette question?
M. White (Bob) : J'ai publié un
texte récemment avec mon collègue François Rocher qui n'a pas pu venir, justement pour essayer de faire émerger un peu
plus à quel niveau la confusion terminologique nous joue des tours. Nous
savons que le Québec se trouve donc dans un
contexte fédéral qui utilise un autre terme pour expliquer ses politiques qui encadrent les questions de diversité ethnoculturelle, immigration et
d'autres, mais nous savons aussi que le Québec n'a jamais vraiment
acheté pleinement les politiques du multiculturalisme. C'est très difficile de
les comparer, mais, dans notre analyse des
discours qui circulent autour de ces deux ismes, donc l'interculturalisme et le
multiculturalisme, nous avons vu que certaines personnes ne voient
que les similitudes et d'autres personnes ne voient que les différences. Mais, d'un point de vue beaucoup plus, je dirais, neutre, pour ne pas dire scientifique, les deux sont vrais, et donc
la question que nous allons poser par rapport à l'interculturalisme dépend du niveau de l'échelle qu'on prend
pour regarder le problème.
Notre analyse explique, je pense, très clairement
qu'il y a certains aspects qui sont pareils des deux politiques d'intégration ou politiques de la gestion de la
diversité, pour prendre le terme plus souvent utilisé, mais, sur d'autres
aspects, les deux approches sont très différentes et même opposées. Mais, étant
donné que dans le contexte du Québec nous ne
sentons... il n'y a pas une majorité qui soit à l'aise avec l'idée du multiculturalisme, le Québec essaie donc de
tracer son propre chemin. Pour le faire, il
ne suffit pas de dire uniquement que nous ne sommes pas multiculturalistes, il
ne suffit pas de simplement changer
le préfixe, le multi devient inter, et voilà, de façon magique nous sommes une
société distincte. Il faut regarder un peu l'histoire, il faut
comprendre qu'effectivement la façon d'interagir avec les gens qui sont venus d'ailleurs n'est pas pareille partout au Canada.
Il faut regarder aussi les deux projets de société, dont une qui est plus
de tradition anglo-saxonne et une autre qui est de tradition francophone
républicaine. Et juste là on voit tout de suite les différences entre les deux modèles, mais principalement mon collègue
politologue François Rocher a souligné la différence du statut juridique
et constitutionnel, qu'au Canada il s'agit d'une politique qui a un certain
statut et au Québec ce n'est pas ce même statut. Malheureusement, il n'est pas
là, parce qu'il explique de façon plus élégante que moi.
Moi, je m'intéresse à une autre distinction qui
est intéressante, et c'est celle qui explique que, dans le modèle multiculturaliste, il n'y a pas de véritable
reconnaissance de l'identité culturelle de la majorité. C'est un gros mot que
je viens de dire, mais je pense que c'est possible de le documenter. Et c'est
un des arguments qui, pour moi, séparent l'interculturalisme
du multiculturalisme, c'est le fait qu'au Québec on est très conscients de
cette majorité-là. On ne veut pas imposer
le point de vue de la majorité, mais les gens qui viennent d'ailleurs, ils
arrivent dans un contexte spécifique, et on ne peut pas faire l'économie de ce contexte, il faut l'assumer, il
faut... D'un point de vue interculturel, il faut justement que ce soit
très explicite et presque sur la table.
• (16 h 50) •
Donc, pour répondre à
votre première question, je dirais que d'abord on fait confusion souvent entre ces
deux modèles, dans le discours parlé
populaire, mais on fait la confusion aussi entre l'interculturalisme comme
politique, que vous connaissez très bien, et
l'interculturel ou l'interculturalité. Donc, l'interculturalité, c'est
l'ensemble des actions qui arrivent,
des interactions, des contacts, des rencontres entre les citoyens ou entre les
citoyens et les institutions. Ça aussi,
ça relève de l'interculturel, mais ce n'est pas l'interculturalisme. En fait,
ce qu'on voit, c'est que, sur le terrain, les gens vivent beaucoup plus de problèmes qu'on aimerait croire, parce
qu'on a tendance à réduire les tensions sociales autour de cette question-là, on ne veut pas mettre trop
d'accent là-dessus. Et, quand les gens cherchent des outils ou des
ressources pour résoudre ces situations conflictuelles ou pleines de tension,
bien ils voient qu'il n'y a pas de balises, il n'y a pas d'outil, il n'y a pas
de cadre de référence, et donc souvent, et on voit ça souvent dans la recherche
que nous faisons à Montréal, c'est qu'il y a
des acteurs, des décideurs, des gestionnaires qui sont pris entre les deux
modèles, ils ne savent pas si c'est
le modèle multiculturaliste qu'il devrait s'appeler ou le modèle
interculturaliste. Et, étant donné que le Québec n'a pas eu un
cadre législatif ou un cadre
politique qui définit clairement c'est quoi et en quoi c'est différent, bien
les gens sont pris avec un tas de problèmes.
Mme Weil :
Et je rajouterais... Parce qu'on a eu M. Antoine Bilodeau ce matin qui a
beaucoup parlé de ça et qui a fait
des études par rapport à l'identification des communautés ethnoculturelles
vis-à-vis l'un ou l'autre et l'attachement qu'ils peuvent avoir vis-à-vis un modèle ou l'autre, et il a dit que
le... — je vais
parler de «branding», ce n'est pas le mot qu'il a utilisé, mais j'ai vu
ça comme un «branding» — que
le Canada a un «branding» très fort...
M. White (Bob) : Oui, vraiment.
Mme Weil : ...et le modèle multiculturel, c'est très fort
dans la tête des gens, ils comprennent tout
de suite ce que ça veut dire, et c'est un «branding» qui est ouvert, donc qui tend la main, qui invite les
gens à faire partie du Canada. Donc, il disait que le Québec doit poser un geste fort, hein, fort, symbolique,
mais il parlait de tendre la main pour dès l'accueil, dès l'accueil, et
donc comme vous, poser ce geste, un cadre législatif ou autres pour bien camper
notre modèle.
Mais il a
mentionné trois gestes que le gouvernement du Canada a faits au fil des années,
donc il y a le politique et juridique,
mais il y a aussi, donc, de bien définir le modèle et tout. Alors, je comprends
que vous allez exactement dans le même sens, mais c'est sûr que...
M. White (Bob) : ...tendre la main
pour dire qu'on vous accepte dans toutes vos différences, ce n'est pas ça, le geste. C'est plutôt un geste de dire que nous
avons un projet de société commun, et donc on veut... on vous encourage
à participer. Et, pour le faire, bien ça prend des conditions d'inclusion et ça
prend aussi un certain accompagnement, on aimerait beaucoup insister là-dessus.
Mme Weil :
On a beaucoup parlé du rôle des villes, on avait la ville de Montréal ici ce
matin. Vous aussi, vous parlez du
rôle des villes, hein? Et on a parlé avec d'autres villes, la ville de
Sherbrooke, Gatineau. Il y en a plusieurs qui sont des modèles très dynamiques, il y a vraiment une
volonté de jouer un rôle important.
Moi, je partage cette vision. Quand on
pense à la réalité de ces villes-là, quand on voit les élus tellement
motivés pour réussir l'immigration, puis évidemment avec des organismes
communautaires sur le terrain autour
et la relation que les villes ont
établie avec ces organismes, je pense qu'il y a quelque chose à regarder
là dans notre modèle.
On ira sur l'immigration après, mais, juste pour
bien s'assurer de ce qu'on peut appeler l'inclusion, qu'on appelait ou qu'on appelle toujours, l'intégration
mais peut-être la pleine participation... On ne vise rien de moins que
la pleine participation. Les gens sont exclus beaucoup. Que ce soit
discrimination, préjugés ou autres, méconnaissance, quoi qu'il en soit, le résultat, c'est qu'il y a des gens qui ne
trouvent pas une place au sein du marché du travail ni dans les conseils d'administration, ils ne sont pas
reflétés dans les médias, cette diversité n'est pas reflétée dans toutes les
tranches de la société, et on s'adresse
beaucoup à ça. Pourriez-vous nous... peut-être en parler un peu plus? Comment
vous voyez le rôle des villes?
Pourquoi c'est, comment dire, une approche gagnante, de valoriser le rôle des
villes au coeur de cette stratégie de pleine participation?
M. White (Bob) : Oui. D'abord, il y
a le constat de la proximité. Nos collègues à la ville de Montréal et dans
d'autres arrondissements, dans d'autres municipalités à travers le Québec sont
pris avec des problèmes vraiment de la vie
quotidienne, c'est l'utilisation de la carte de bibliothèque, c'est les habits
qu'on porte à la piscine, c'est l'utilisation d'un espace, d'un lieu de culte. Ils ont beaucoup d'expertise là-dedans,
ils ont beaucoup d'expérience aussi. Et souvent ce sont ces personnes
qui travaillent à l'échelle municipale qui sont prises avec tous les problèmes
parce que justement ils travaillent dans un contexte de proximité et dans une
logique de proximité aussi, je voulais dire.
Mais nous
savons aussi que les gens qui sont... les personnes qui sont issues de
l'immigration récente, elles ont tendance
à mobiliser politiquement à l'échelle municipale, donc l'engagement civique se
fait souvent à l'arrondissement ou à
l'échelle de la municipalité. C'est beaucoup plus accessible. La recherche en
Europe, partout dans les villes en Europe, démontre qu'il y a quelque chose d'accessible et aussi quelque chose de
significatif pour les personnes à cette échelle-là.
Donc, on sait
que la participation des gens qui viennent d'ailleurs,
bien ça se passe beaucoup à l'échelle municipale. Et, si c'est le
cas, c'est peut-être parce que... Je voulais reprendre la phrase d'un collègue
chercheur qui travaille en Belgique, qui a dit qu'une ville n'est pas un pays.
Et donc ça semble être complètement évident, mais j'aime redire cette phrase-là
parce que, dans ce constat très évident, il y a des aspects qui ne sont pas
aussi évidents à moins qu'on y pense, et
c'est principalement cette idée que c'est difficile d'imaginer quelqu'un
qui va tuer ou se tuer pour une ville. On défend notre quartier, on est très fiers, on
l'affiche, mais les problèmes de l'appartenance qui deviennent des
violences collectives ou sociales ne s'expriment pas à l'échelle municipale. C'est-à-dire
qu'on peut s'attacher très facilement comme
citoyen à une ville, ça se fait facilement, donc on est tous Montréalais, on
est tous Gatinois, on est tous Québécois. J'ai toujours trouvé ça fascinant. Et donc ce que nous, on voit, c'est
que, quand on travaille à l'échelle municipale, les choses se font mieux, les choses se font plus facilement
parce que les différentes idéologies politiques qui existent dans chaque
nation en santé, bien elles partagent les
tables et sont habituées à partager cet espace-là, et ça fait que c'est comme
si on peut travailler de façon plus pragmatique, plus efficace, avec
moins de tension.
Mme Weil :
Je pense qu'il me reste deux minutes, alors je vais y aller rapidement, mais
peut-être que vous allez pouvoir trouver une façon d'y adresser...
Bon,
l'intégration en emploi, lorsque... Moi, j'ai parlé avec beaucoup, beaucoup de
gens avant de présenter ce document.
La première préoccupation, c'était la... bien, reconnaissance des acquis, des
compétences mais l'intégration en emploi, c'est la dignité humaine,
c'est comme ça qu'ils le présentent, et la deuxième génération qui voit les
parents exclus du marché de l'emploi, qui
crée beaucoup d'anxiété chez eux, ils parlent du rêve brisé, et c'est
presque... Quand on parle à certains
psychiatres et psychologues, c'est comme un traumatisme, genre, pour les
familles qui vivent ça. Et vous parlez
de votre préoccupation des travailleurs temporaires. Je vous laisse aller sur
ces enjeux, deuxième génération, intégration en emploi et les travailleurs
temporaires. Dans une minute, j'imagine?
M. White (Bob) : Combien de temps
qu'il nous...
Le Président (M. Picard) :
Une minute.
M. White (Bob) : O.K. Bien, on va peut-être
revenir à cette question-là, j'aurais aimé que mon collègue se prononce là-dessus. Mais, de façon très, très courte, l'insertion
socioprofessionnelle, c'est vraiment une problématique qui est prioritaire pour
beaucoup de personnes en recherche et dans les milieux de vie. On a été
rassurés de voir... que l'énoncé de politique
dise des vraies informations sur la situation qui est vécue par des gens, des situations de
discrimination et d'exclusion. Important
aussi d'insister sur les compétences, les équivalences de compétence, mais, de
notre point de vue, c'est vraiment
une sorte de premier pas qui n'est pas suffisant à faire parce que, quand on
regarde les conditions dans lesquelles les
gens vivent et les conditions qui sont exigées pour se sentir inclus, on se
rend compte qu'il y a une sorte de mouvement pas juste au Québec
mais à l'échelle mondiale qui insiste de plus en plus sur le travail
temporaire. Et nous sommes d'avis que ce mouvement devrait nous inquiéter, parce
que ça fragilise des économies et parce que ça empêche, à l'échelle sociale,
des personnes issues de l'immigration d'assurer une intégration pleine.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Bourget.
• (17 heures) •
M. Kotto : Merci, M. le
Président. M. White, Mme Gratton, M. Frozzini, soyez les
bienvenus. Merci pour la contribution. C'est
toujours très agréable d'entendre les chercheurs en ces
matières-là parce qu'il y a une distance, disons, rationnelle qui nous permet de voir plus clair. Il y a
peu d'émotion dans le propos, ce qui est une bonne chose quand on touche
à ces matières-là. L'immigration, c'est devenu un sujet très sensible un peu
partout à travers le monde, c'est d'ailleurs un enjeu pour les
50 prochaines années un peu partout. C'est très passionné en Europe. Comme
vous le voyez, nous avons beaucoup de chance ici de vivre encore relativement
paisiblement en ces matières.
Vous disiez tout à l'heure, M. White, que
vous avez travaillé sur l'interculturel et toutes ses déclinaisons. Avez-vous également
réfléchi ou travaillé sur le multiculturalisme au passage?
M. White (Bob) : Bien, personnellement
je suis, à quelque part, un enfant du multiculturalisme, vous avez vu dans mon nom de famille que je ne suis pas nécessairement de souche québécoise. Mais je dirais que c'est à travers la
recherche qu'on fait sur l'interculturalisme que nous apprenons beaucoup sur le
multiculturalisme.
L'histoire,
si on regarde les deux politiques qui émergent à travers le temps, on constate
deux choses. D'abord, le multiculturalisme
émerge principalement parce qu'il y a un besoin de répondre à des inquiétudes
qui viennent principalement du Québec. Donc, le multiculturalisme est vu
par certains analystes comme une réponse au Québec au départ.
Deuxièmement, nous voyons qu'il y a un...
M. Kotto :
...je n'ai pas bien compris. Jusqu'à présent, je croyais que c'était la
commission royale qui a donné naissance
à ce bébé, commission royale initiée par M. Trudeau, et les conclusions
nous ont posés là, et le Québec, dans sa réponse au multiculturalisme canadien, a, disons, évoqué... Parce que
jusqu'à présent, vous l'avez bien dit, la partition de la symphonie
d'interculturalité n'est pas encore écrite, depuis 25 ans la réponse n'est
pas écrite, on vit dans une sorte d'approche
intuitive de la chose. On peut poser la question à 10 000 personnes
au Québec et on aura 10 000 façons de concevoir la chose. Ma question, elle est dans ce sens-là. Je voulais
savoir au final ce que vous feriez comme distinction entre
multiculturalisme, interculturalisme, dans la perspective historique que je
viens de résumer très rapidement, et aussi
convergence culturelle, qui est une notion qui a fait l'objet de plusieurs
débats au sein de notre cercle politique pendant des années également,
parce que le but, c'est toujours le vivre-ensemble, hein, c'est cette quête-là.
M.
White (Bob) : Oui, tout à fait. Non, mais ce que je trouve fascinant,
c'est qu'on ne peut pas... ce que j'essaie de dire de façon moins
claire, on ne peut pas imaginer le multiculturalisme sans le Québec, parce que
c'est une politique
qui a été développée en réponse... avec des tensions sociales entre les
provinces à cette époque-là, et en même temps on voit à travers le temps
un rapprochement entre les deux politiques. Donc, il y a des termes et des
aspects structurants dans le multiculturalisme qui viennent influencer et
inspirer l'interculturalisme, et dans l'autre sens aussi il y a des aspects de
l'interculturalisme qui inspirent du côté du multiculturalisme.
Et un de ces aspects,
donc, qui est considéré comme central à la démarche interculturaliste, du point
de vue québécois, c'est l'intérêt pour les interactions et donc un
rapprochement à travers les interactions. Nous, on travaille beaucoup là-dessus, en fait ce sont les traces de
la théorie et la philosophie interculturelles qui disent que toute
situation de vie publique commune se définit
à travers une série ou le cumul des interactions. Et donc dans le modèle
multiculturaliste on a un peu cette idée de
mosaïque ou de séparation, égalité mais séparation, mais dans le modèle
interculturaliste on est beaucoup plus intéressé à l'idée d'avoir
quelque chose de partagé, de commun.
Et donc, si c'est
partagé et commun, dans ce sens-là il faut avoir des outils pour comprendre les
interactions. La convergence a été un outil.
Nous travaillons sur des modèles, sur des outils de recherche qui vont nous
permettre, en fait, de documenter de
façon beaucoup plus systématique toutes les situations qui concernent les
interactions en contexte pluriethnique, et non seulement de pouvoir les
documenter pour aller rechercher des bonnes pratiques, mais aussi de pouvoir
documenter la fréquence et la gravité de ces situations-là. Donc, ça fait
partie d'un de nos intérêts au niveau des
enjeux à regarder dans l'avenir très proche. Il faut être capable de
dire : Est-ce que vraiment nous avons des problèmes dans nos interactions? Et, si oui, c'est où? Et,
si on arrive à les identifier, quel est l'impact de ces interactions sur
l'opération des institutions publiques de façon plus... ou même la vie
publique, l'espace public de façon plus générale?
Moi,
je pense qu'on a beaucoup à apprendre du multiculturalisme, on ne peut pas
l'ignorer, mais je suis convaincu que le Québec fonctionne de façon
différente, et nous considérons que ça serait vraiment à l'avantage pour tous
les Québécois que le gouvernement mette plus de clarté dans la définition.
M.
Kotto : Quand vous référez au multiculturalisme, que
pensez-vous des constats faits en Grande-Bretagne, en Allemagne, en
Belgique, aux Pays-Bas? Et même certaines plumes commencent à s'exprimer du
côté de l'Ontario à l'effet que la démarche ne constitue pas une rencontre
entre, comment dire, la société d'accueil et les aubains, entre guillemets, tout au contraire, les gens sont murés
dans des silos culturels et refusent... ou plutôt ne démontrent aucune volonté d'établir des ponts ou des passerelles
avec les autres. Et on voit ce que ça génère au terme d'un certain
nombre de générations en France, en Grande-Bretagne par exemple.
M.
White (Bob) : Moi, je pense que les gens font des ponts de façon assez
régulière, à leur façon, mais ça dépend des personnes et des endroits où
ils le font.
Effectivement, il y a
quelques publications qui sortent et quelques colloques qui s'organisent autour
de cette idée de la multicultiphobie. Donc,
il y a ce qu'on appellerait en anglais un «backlash» à l'égard du
multiculturalisme. Pour défendre nos
confrères dans l'Ouest et dans le reste du Canada, je dirais que les Européens,
en général, n'ont pas la facilité à comprendre
le contexte spécifique du multiculturalisme, et donc on pourrait se dire que le
multiculturalisme ne pourrait pas s'appliquer de la façon, ailleurs,
qu'il s'applique ici. Le bilan n'est pas si mauvais pour le Canada de façon
générale.
Je comprends aussi la
crainte que vous soulevez qui est une crainte de ghettoïsation et de sentiment
communautariste, pas communautaire dans le sens anglophone mais
communautariste, et moi, je suis convaincu que nous avons des volontés
politiques et des outils, même des outils de recherche qui vont nous permettre
de montrer comment le vivre-ensemble au Québec est possible, de promouvoir et
même d'étudier, d'encadrer, d'encourager... S'il
y a quelque chose de spécifique au Québec, c'est parce que depuis plusieurs
siècles nous avons des stratégies pour assurer
un minimum de vivre-ensemble. Mais on ne peut pas comparer le Québec avec
l'Europe. Les problèmes qu'ils ont, en
Europe, ce sont des problèmes d'intégration sociale et pas uniquement des
problèmes de modèle de gestion de la diversité.
M.
Kotto : O.K., je vous entends bien, mais, si nous ne faisons
pas attention, nous pouvons répéter les mêmes paradigmes de
balkanisation à notre insu, parce que c'est ce qui est arrivé en France par
exemple, et notamment parce que vous, comme
moi, constatez les problèmes d'appauvrissement dans certaines portions de notre
population, le taux de chômage très
élevé à Montréal, par exemple, qui avoisine les 30 % chez des francophones québécois récemment
arrivés.
Il me reste à peine
1 min 30 s. J'aimerais revenir sur vos deux premières
recommandations à l'effet que le gouvernement
se doit de se doter, en quelque sorte, un énoncé politique ou un cadre
législatif relativement à la politique d'intégration,
et vous plaidez pour la publication d'un livre blanc également allant dans ce
sens-là. Est-ce que, partant de là, l'exercice que nous faisons ici
aujourd'hui ne devrait pas en être un spécifique et qui appellerait la
contribution de l'ensemble des cerveaux?
L'addition des cerveaux, vous en êtes l'exemple aujourd'hui, peut nous
permettre d'enrichir le débat au lieu de le mêler avec celui de l'emploi
ou des volumes migratoires.
Le Président (M.
Picard) : En une minute. Une minute.
• (17 h 10) •
M.
White (Bob) : O.K. Non, effectivement, pour nous, la question d'une
politique sur l'interculturalisme devrait être traitée à part. On était
contents de voir qu'une réflexion là-dessus se trouve dans l'énoncé de
politique, mais on n'est pas d'accord avec cette idée que l'énoncé de politique
donne des réponses définitives, il y a un autre travail à faire. Et
il faut séparer l'interculturalisme des pratiques religieuses, de l'emploi, de
l'intégration et de l'immigration. Pour nous, ce n'est pas une question d'immigration. La question de l'interculturel,
donc l'interculturalisme comme politique, appartient au Québec depuis
que le Québec existe.
M. Kotto : Merci.
Le
Président (M. Picard) : Merci. M. le député de Borduas.
M.
Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Gratton,
M. White, M. Frozzini.
M. White, vous
avez abordé dans votre mémoire, à la page 18 et 19, la notion des
incidents critiques et vous donnez un
exemple d'incident critique qui peut se produire dans le cadre de la société
québécoise. Comment fait-on pour diminuer ces incidents critiques là
dans le cadre de la société québécoise et, je dirais, en contexte montréalais?
M.
White (Bob) : Oui, merci pour la question. Je ne sais pas si... Je
voudrais peut-être demander à mon collègue, M. Frozzini, de nous
parler un petit peu des... pas du concept d'incident critique mais d'une
situation qu'on pourrait facilement
qualifier d'incident critique, c'est-à-dire tout ce qui se passe avec la
situation du travail temporaire. Et donc, à notre sens, cette situation pose des problèmes parce que les décisions
que nous prenons par rapport au travail risquent de créer des nouvelles
formes d'exclusion.
Et
puis ensuite, l'autre réponse à cette question, je le donnerais plutôt à ma
collègue, Mme Gratton, qui a beaucoup
d'expérience dans le domaine de la formation, des compétences et qui explique
que d'abord il faut identifier les incidents critiques, il faut vraiment
les documenter et puis les mesurer, et ensuite il faut donner des outils aux
gens pour qu'ils puissent savoir comment répondre quand ça arrive.
Mais,
premièrement, je ne sais pas si, Jorge, tu peux nous parler un petit peu de ce
qui est inquiétant du côté de la situation des travailleurs temporaires.
M. Frozzini
(Jorge) : Vous m'entendez bien? J'imagine que oui, là, je vois le
petit bouton rouge. Merci.
Pour
aborder la question des travailleurs temporaires, écoutez, c'est compliqué
parce qu'on rentre dans la législation aussi,
mais il faut comprendre, premièrement, c'est quoi, c'est quoi, un travailleur
temporaire, quelle est la dynamique qui est établie. C'est une dynamique triangulaire, qu'on appelle,
c'est-à-dire vous avez le travailleur temporaire, O.K., vous avez une agence de placement temporaire et vous avez
une compagnie qui fait appel à cette agence pour recruter des personnes pour qu'elles soient déplacées et aillent
travailler chez cette compagnie. Donc, c'est une relation triangulaire dans
laquelle la compagnie paie cette agence, et
cette agence, par la suite, paie le travailleur comme tel. Donc, la relation
entre employeur et employé, elle est répartie entre deux entités.
Et le problème majeur
qu'il y a en ce moment, c'est que ces personnes-là, lorsqu'elles vont
travailler, premièrement il y en a beaucoup
à Montréal qui se lèvent extrêmement tôt pour aller à un endroit particulier
que cette agence — qu'on les appelle «fly-by-night», comme tel,
c'est-à-dire qu'elles apparaissent et peuvent disparaître du jour au
lendemain — donc,
elle dit à ces travailleurs : Allez à tel endroit, on va vous venir vous
chercher. Donc, ces gens-là, ils se
déplacent proche, habituellement, des métros, il y a quelques métros qu'on a identifiés,
et ils se déplacent et ils ne savent même pas où ils s'en vont, à ce
moment-là arrivent sur place, et c'est à cet endroit-là qu'ils savent vraiment quel type de travail ils vont effectuer pendant la
journée. Et par la suite ils sont ramenés à Montréal à l'endroit où
est-ce qu'on les a pris.
Par
la suite, ils vont à une... même pas à l'agence, ils peuvent aller à un endroit
où on échange des chèques pour aller
chercher leur rémunération. Donc, quand je dis... Il y a des problèmes fiscaux,
entre autres, et problèmes de loi, parce que, ces agences-là, vous voyez, ils peuvent avoir des problèmes, un,
combien qu'ils sont payés, est-ce qu'on donne un montant qui doit être
donné en termes d'impôt et autres, mais aussi aux travailleurs comme tels,
parce que souvent ce qui arrive, c'est que
ces gens-là, finalement, ils se retrouvent à être payés en bas du salaire
minimum, ce qui est illégal, on s'entend. Donc, il y a ces problèmes-là.
Et
à ça s'additionne le problème d'aller à un endroit dans lequel... Comme ils ne
savent pas où ils s'en vont, ils n'ont
pas l'information, souvent il y a des problèmes de santé. C'est-à-dire, s'il
arrive un accident, qui qui est responsable? Habituellement, l'endroit
où est-ce qu'il y a eu l'accident, ils ne vont pas le déclarer, on s'entend, on
le sait, ils ne le déclarent pas parce
qu'habituellement, à ce moment-là, les primes, vous le savez, elles vont
augmenter. Donc, il y a toute
cette problématique comme ça. Donc, au niveau de la santé, on se retrouve avec
des gens qui vont être dans une situation beaucoup plus précaire, comme tel,
par la suite.
Et
c'est ces gens-là qui, habituellement, ils se retrouvent dans une position qui est très précaire parce qu'ils
n'ont pas d'autre choix, c'est la seule
façon de trouver un emploi parce qu'ailleurs soit ils n'ont pas été reconnus...
Et évidemment, lorsqu'on cherche du travail, à un moment donné, on passe
des heures. Si jamais ils avaient eu un travail, ils sont tombés en chômage. Par la suite, ils cherchent
encore, ne se trouvent rien; bien, c'est la seule porte de sortie qui
reste.
M.
Jolin-Barrette : Je comprends que les travailleurs temporaires dont
vous me décrivez la situation ne bénéficient pas des protections sociales
associées aux différentes lois du travail en place.
M. Frozzini
(Jorge) : Des avantages que les autres travailleurs... Oui, voilà.
M.
White (Bob) : Et ça fait que, pour parler de l'inclusion, il faut
d'abord parler des conditions matérielles de base. On ne peut pas juste, en offrant un emploi, espérer que les gens
vont magiquement intégrer la société ou se sentir faisant partie de la
société.
Mais, pour répondre à
la deuxième partie de votre question, donc comment aborder ces questions-là, je
pense qu'il faut penser en termes des
compétences et des compétences organisationnelles qu'est-ce qui fait que des
situations de ce type-là ou d'autres situations problématiques sont abordées
par les organismes. Les gens se sentent désemparés. Ils trouvent des stratégies
locales et spécifiques, mais c'est parce qu'il n'y a pas de balises. Je ne sais
pas, Danielle, si tu pourrais adresser un peu cette question-là de compétences
ou...
Mme
Gratton (Danielle) : Oui, je
vais essayer d'expliquer un peu les mécanismes pour arriver à comprendre
ce qu'est un incident critique et quelles compétences dont on a besoin pour les
résoudre.
Juste avant
de le faire, je veux juste apporter une petite précision. Mon collègue m'a
présentée comme travaillant encore aux agences de santé et de services
sociaux de Montréal et de Laval. Je l'ai fait de 2000 à 2013, donc à Montréal
jusqu'à 2000, après à Laval jusqu'à 2013. Donc, je n'y suis plus présentement, mais c'est dans le réseau de la santé que je vais prendre mes exemples parce que c'est là qu'on
comprend le plus rapidement ce qui se passe. Vous avez un exemple
d'incident critique, d'ailleurs, à la page 19, j'y reviendrai à la fin...
Le Président (M. Picard) : ...vous
avez une minute.
Mme Gratton (Danielle) : Très, très rapidement.
C'est pour ça que j'ai pris des notes, pour le faire vite.
Le Président (M. Picard) : O.K.,
c'est beau.
Mme Gratton (Danielle) : Donc, un
incident critique, selon la définition de Cohen-Emerique, c'est un événement qui va se reproduire, donc c'est une
récurrence. Si on est quelqu'un d'une culture avec quelqu'un d'une autre
culture toujours dans le même contexte, c'est le même problème qui réapparaît.
Donc, ce que
ça va faire apparaître, c'est différentes barrières dont on a parlé aussi dans
notre document, c'est-à-dire une méconnaissance des systèmes, des barrières
linguistiques. Ça peut être aussi des barrières économiques. Ça peut être aussi des
barrières culturelles, «culture» défini au sens le plus simple : façons
différentes de penser, de dire et de faire.
Donc, un exemple : en réadaptation
physique, la réadaptation n'est pas universelle. Donc, si on prend quelqu'un qui a été blessé sur la route et qui est
un immigrant, même après 30 ans, comme je l'ai vu dans mes travaux,
ces personnes-là qui arrivent en réadaptation ne comprennent pas ce qu'est la
réadaptation, ils ne comprennent pas, par
exemple — incident
critique — qu'on
peut bouger quand on a mal. Dans leur pays, le fait de ne pas bouger, c'est
un élément de protection, mais ce dont on se rend compte, au niveau de la
santé, c'est que, si on ne bouge pas du tout, on va créer d'autres handicaps.
Le Président (M. Picard) : En
terminant. En terminant, s'il vous plaît.
Mme Gratton (Danielle) : Donc, les
intervenants qui travaillent avec ces personnes-là doivent régler ce type de
problème là.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Maintenant, M. le député de Mercier.
M. Khadir : Si vous voulez élaborer un peu
davantage là-dessus, j'espère pouvoir vous laisser plus de temps.
Donc, vous
avez, pour schématiser, multiculturalisme, égalité, séparation,
interculturalisme, égalité, intégration, mais vous avez, intégration...
Une voix : Interaction.
• (17 h 20) •
M. Khadir : Interaction, oui.
Ensuite, vous avez mentionné quelques éléments pour cette intégration qui est l'interaction,
qui est la reconnaissance aussi de la majorité, ce qui manque à... — d'ailleurs
M. Bouchard, la semaine dernière,
insistait sur le même élément — mais vous avez aussi dit que, pour que ça
soit réussi, que l'interaction puisse se faire et l'interaction puisse en découler, il faut plus de moyens, ça
exige des moyens parce que c'est dans l'intérêt, bien sûr, des
immigrants, mais c'est aussi dans l'intérêt de la société d'accueil pour les
objectifs, que ce soit la protection du français, pour une meilleure harmonie
sociale, et tout ça.
Parmi les
mesures, vous avez parlé des COFI que vous regrettez, le modèle COFI qui a été
abandonné. Est-ce qu'il y a d'autres
éléments immédiatement applicables? Au-delà
du fait que vous pensez qu'il faut des balises, il faut une politique publique claire, est-ce qu'il y a des
mesures concrètes que vous aimeriez voir dedans?
M. White (Bob) : Oui...
Le Président (M. Picard) :
Une minute.
M. White
(Bob) : Une minute, oui. Premièrement, il faut essayer d'identifier quels sont les problèmes
qui sont plus urgents et qui ont le
plus d'impact sur le vivre-ensemble. Ça se fait, il y a des outils qu'on
commence à développer pour documenter, mesurer, analyser les situations.
Deuxième, nous avons commencé à travailler sur
l'idée de mettre sur pied des expertises qui se trouveraient au sein des organismes et des institutions
publiques, qu'on appelle dans les recommandations, par faute de meilleur
terme, des comités interculturels, qui
pourraient justement aider dans les situations où les problèmes dérapent, donc
une expertise, des compétences en
interculturel qui permettent, les organismes, de développer leurs compétences
interculturelles, parce que ce que nous savons dans les situations que
mes collègues décrivent, c'est que, oui, les immigrants sont vulnérables et
dans des situations précaires, mais nous savons aussi, parce qu'il n'y a pas
assez de ressources mises là-dessus, que les intervenants et les gestionnaires sont aussi
fragilisés, et on a besoin... En fait, c'est un message qu'on aimerait
insister là-dessus assez fort, c'est qu'il
faut protéger tout le monde et il faut s'assurer que et les gens qui reçoivent
les immigrants et les immigrants sont encadrés avec une logique de
protection.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Donc, je vous remercie pour votre apport aux travaux de la commission.
Et je vais suspendre quelques instants afin de
permettre à la prochaine personne de prendre place.
(Suspension de la séance à 17 h 22)
(Reprise à 17 h 25)
Le Président (M. Picard) :
Nous reprenons nos travaux en recevant Mme Catherine Gail Montgomery,
directrice de l'Équipe METISS et professeure à l'Université de Montréal.
Mme Catherine Gail
Montgomery
Mme Montgomery (Catherine Gail) : À l'Université
du Québec à Montréal.
Le Président (M. Picard) : O.K.,
à l'Université du Québec à Montréal.
Mme Montgomery (Catherine Gail) :
C'est proche, hein?
Le
Président (M. Picard) :
Ce n'est pas grave. Donc, vous disposez de 10 minutes pour faire votre
présentation, vont s'ensuivre des échanges avec les parlementaires. Allez-y, la
parole est à vous.
Mme
Montgomery (Catherine Gail) :
Excellent, merci. Je voulais d'abord remercier les membres de la commission pour cette invitation. Je voulais aussi souligner
tout d'abord la grande qualité des documents,
les cahiers de consultation, de synthèse, excellents travaux. Et je voulais
juste mentionner, avant de commencer, aussi la collaboration de deux personnes à la présentation aujourd'hui
qui ne pouvaient pas se déplacer, donc Bilkis Vissandjée, qui est professeure aux sciences infirmières à l'Université de Montréal et membre de l'Équipe METISS, et également Bénédicte Vergé-Brian, qui est
étudiante en sciences infirmière également.
Je vais vous
parler un peu en trois temps, sur trois différents thèmes. Le premier thème,
c'est l'Équipe METISS. J'aimerais juste vous donner une brève
description de ce que nous faites, qui nous sommes. Le deuxième point, c'est un point assez précis dans le cahier de consultation sur lequel j'aimerais revenir. Le troisième point et probablement le point majeur, ce sera un point touchant à la pénurie de main-d'oeuvre dans le domaine de la santé
et des services sociaux, qui touche aussi le point des travailleurs
temporaires dans un des cas que je vais vous présenter.
D'abord,
pour l'Équipe METISS, donc, METISS, c'est Migration et ethnicité en
interventions en santé et
services sociaux. C'est une équipe financée par le Fonds de recherche Québec — Société
et culture et qui est financée depuis presque
20 ans maintenant en partenariat avec le CSSS de la Montagne et le
centre de recherche Sherpa, que vous avez déjà reçu il y a une dizaine
de jours à peu près. Nous regroupons 29 membres. Donc, ces membres sont à
la fois des chercheurs universitaires et ce qu'on appelle des chercheurs praticiens, donc des personnes qui
travaillent dans différentes universités au Québec mais également plusieurs institutions de santé
et services sociaux et des organismes communautaires, parce que
notre but, dans l'équipe, c'est de rapprocher théorie et pratique, ce que je
vais vous donner dans mes exemples aujourd'hui aussi.
Nous travaillons sur trois thèmes essentiellement.
Le premier thème, c'est l'adaptation des pratiques, donc pratiques et savoirs dans le domaine de la santé et des services
sociaux. Le deuxième thème, c'est
l'expérience de vie des personnes migrantes, surtout en lien aussi à
santé et bien-être. Et le troisième thème et celui où je vais me concentrer aujourd'hui, c'est la question du travail, qu'on aborde sous deux angles :
un premier angle, c'est les questions de santé et sécurité du travail pour les personnes migrantes, donc une question
abordée, par exemple, par Sylvie Gravel ou Daniel Côté,
tous les deux membres de l'Équipe METISS; le deuxième thème, c'est la question
de la pénurie. Mais j'y reviens dans un instant.
• (17 h 30) •
D'abord, pour le commentaire précis par rapport
aux cahiers de consultation, c'était juste... Vous attirez l'attention... Je
souligne encore la très grande qualité des documents, mais je voulais
mentionner qu'il y a une seule référence à santé et services sociaux dans le document et qui cible un enjeu qui est très, très
ciblé, qui est la question de
la sédentarité des jeunes immigrants. Donc, je voulais juste mentionner la
complexité et la diversité des enjeux en santé et services sociaux — puis
je peux vous donner quelques exemples — mais
aussi le risque... je connais bien les chercheurs de l'étude qui est citée, et les chercheurs sont
excellents, l'étude est excellente aussi, mais le risque de cibler un enjeu
aussi précis dans une politique
ou un document qui vise une proposition de politique,
pour ne pas stigmatiser les populations, les jeunes, un, et autour d'une problématique aussi précise sachant que la
sédentarité touche la population dans l'ensemble. Santé et services sociaux, on pourrait penser, par exemple, les enjeux organisationnels, la gestion des accommodements. On pourrait penser la sensibilisation, la formation du personnel, on peut penser le rôle syndical. On
peut penser aussi les enjeux
communicationnels, l'interprétariat dans le domaine de la santé — Danielle
s'y connaît très, très bien également. On pourrait penser aussi les enjeux spécifiques liés
à l'adaptation des pratiques, des enjeux liés à des populations précises
comme les jeunes ou les personnes âgées, ou encore les problématiques de santé,
également.
Mais le thème que moi, je veux toucher plus spécifiquement,
la question de la pénurie, je présume que vous lisez les journaux comme
moi, je présume, et nous savons qu'il y a une pénurie de main-d'oeuvre assez
importante dans le domaine de la santé en
particulier. On parle de 40 % des préposés aux bénéficiaires qui seront à
la retraite d'ici 2020, on parle de
30 % des infirmières et des infirmières auxiliaires, on parle de 20 %
d'autres spécialités. On parle des psychologues,
par exemple, des inhalothérapeutes, des technologues
médicaux, sans parler, évidemment, des pénuries dans le domaine de la médecine familiale et d'autres spécialisations
médicales. Donc, nous menons une réflexion dans l'équipe autour de cette pénurie de main-d'oeuvre, sur les questions
d'attraction, les questions de formation et compétence et la question de
la rétention, et c'est un peu autour de la question de la rétention que je vais
vous parler ici à partir de deux exemples précis, assez courts.
Un premier
exemple, c'est un projet qui a été mené par la CDEC Centre-Nord, qui est la
Corporation de développement économique communautaire Centre-Nord, mené
dans le cadre du programme Défi du ministre de l'Immigration, du MICC, donc
anciennement du MICC, un projet mené en partenariat. Et l'un des
questionnements dans le cahier de consultation, c'est la question d'impliquer
des acteurs du milieu, du terrain. Dans ce projet dans la CDEC Centre-Nord, on
a l'Association des aides familiales du Québec, donc le communautaire qui est
impliqué, trois CSSS impliqués dans le
projet, également un centre de francisation qui est le Centre William-Hingston,
un centre de formation professionnelle qui
est l'école des Faubourgs et également Emploi-Québec, dans le dossier, donc
déjà un petit projet mais qui a fait une concertation importante dans le
milieu.
C'est un projet qui vise une population qui est
éloignée du marché du travail, on parle ici des aides familiales résidentes. Ce sont des travailleuses temporaires
qui viennent par le biais du PAFR, le Programme des aides familiaux résidants géré par le fédéral, une population
qu'on appelle éloignée du milieu de travail parce qu'elles sont... durant
la période du travail temporaire elles sont
dans les maisons familiales, des maisons privées où elles travaillent de deux
à quatre ans en moyenne avant de pouvoir
accéder à la résidence permanente. Juste un rappel que c'est l'une des
seules catégories qui peut faire ce transfert vers la résidence permanente
après avoir été dans le programme d'immigration temporaire.
Durant cette période-ci, elles sont relativement
isolées, donc elles ne connaissent pas le fonctionnement du marché du travail. Elles connaissent très peu le
français, la majorité sont anglophones, la majorité sont des
Philippines. La majorité des femmes dans ce programme ont déjà des expériences
en santé dans leur pays d'origine, donc ce sont des infirmières, des sages-femmes, ce sont des ergothérapeutes, des
physiothérapeutes, et ainsi de suite, mais, durant la période qu'elles sont en maison privée, il y a une perte
d'acquis pour ces femmes. Leurs acquis, il n'y a pas de reconnaissance
des acquis une fois sortie du programme de travail temporaire, dans le marché
de l'emploi, parce qu'une période de deux à quatre ans est considérée comme une
perte d'acquis.
Donc, le projet visait l'employabilité dans une
approche intégrée, qui est l'une des grandes forces du projet, où on voit l'employabilité du début à la fin.
Donc, le programme visait francisation d'abord, formation
professionnelle, ensuite placement en stage dans les trois CSSS participants et
pour mener vers l'embauche pour plusieurs à la fin du projet. Donc, plutôt que
de voir le processus d'emploi en étapes segmentées, séparées et
individualisées, les cohortes de femmes sont amenées à travers tout le
processus d'employabilité.
Deuxième
grande force du projet, c'est l'accompagnement personnalisé auprès des femmes.
Connaissant peu le fonctionnement du marché du travail, démarches
administratives assez lourdes, cet accompagnement leur permettait justement de
connaître le milieu. On voit à travers le projet — l'Équipe METISS était
impliquée dans l'évaluation de l'implantation
du projet — la
grande rétention des femmes dans le projet et l'employabilité par la suite dans
les trois CSSS, certaines qui ont
fait le tremplin par la suite dans d'autres formations professionnelles pour
devenir infirmières, et payé par les employeurs, d'ailleurs.
Donc, pour
clore celui-là, juste l'idée que ce n'est pas seulement une question de
compétences professionnelles. Pour
ces femmes, plusieurs elles avaient les compétences professionnelles. C'est une
question d'intégration sociale autour de l'employabilité, un
accompagnement personnalisé.
Le deuxième exemple que je vous donne est un
exemple qui nous vient de Bénédicte Vergé-Brian et Bilkis Vissandjée, les deux
personnes qui ont collaboré à la présentation. C'est un projet qui vise les
infirmières formées à l'étranger, donc qui constituent à peu près 12 % des
infirmières du Québec actuellement. Et on a déjà le constat que l'ordre des infirmiers et infirmières du Québec, l'OIIQ,
ils ont déjà mis en place un grand nombre de mesures pour faciliter la transition des infirmières formées à l'étranger
sur le marché de l'emploi local au Québec, mais, dans l'étude qui est en
cours actuellement, on a le constat chez les femmes, chez ces infirmières, de
la difficulté, du décalage entre leurs attentes du marché du travail — ce
sont des personnes déjà formées — et leur insertion sur le marché du
travail local, extrêmement difficile.
Le Président (M. Picard) : En
terminant, s'il vous plaît.
Mme Montgomery (Catherine Gail) :
Oui, donc cette étude qui montre... qui parle de regroupements sociaux autour
de ces femmes, qui donne un soutien social, donc, je vais conclure, en fait,
sur la question du soutien social, que, dans
la politique, l'une de mes inquiétudes de la politique, de la proposition de
politique, l'une des inquiétudes, c'est
qu'on mise beaucoup sur les compétences professionnelles et une sélection
supplémentaire à l'étranger qui est par la déclaration d'intention. Mon
inquiétude, c'est que le vrai obstacle, dans l'intégration professionnelle dans
le marché du travail, le plus important
n'est pas forcément les compétences professionnelles mais les barrières
structurelles en place sur le marché du travail local et qu'il faut aussi viser des
programmes qui ne visent pas juste les ajustements économiques, les
pénuries de main-d'oeuvre sur le plan économique, mais aussi un accompagnement
social très, très fort auprès de ces personnes qui font le saut, en fait, pour
remplir...
Le Président (M. Picard) :
Merci. Nous allons débuter la période d'échange. Mme la ministre, vous avez
17 min 30 s parce que M. le député de Mercier n'a pas besoin des
minutes cette fois-ci.
• (17 h 40) •
Mme Weil :
Merci beaucoup, Mme Montgomery, pour votre présentation et d'avoir pris le
temps de venir ici expliquer donc
quelques projets très spécifiques. Vous êtes vraiment la première ou le premier
intervenant à parler du réseau de la
santé, et c'est intéressant, parce qu'on a eu beaucoup de représentations par
rapport à la pénurie dans d'autres secteurs économiques, surtout
manufacturier, l'importance d'arrimer la sélection avec des besoins du marché
du travail, un peu le discours que l'on a,
que l'on tient, les préoccupations qui sont partagées, mais on n'entend pas
souvent parler de cette pénurie qui nous guette dans le réseau de la santé.
Alors, je ne
suis pas dans ce réseau-là, je ne suis plus dans ce réseau-là. À une époque je
l'étais, comme présidente de la régie régionale de Montréal-Centre dans
les années 1990 et 2000. Donc, il y a des pénuries, vous le sentez déjà. Donc, ce que vous dites, si je comprends bien...
Puis j'aimerais bien comprendre comment vous avez conçu ce projet, qu'est-ce qui a allumé le besoin de faire un
projet comme ça et si, ce genre de projet, vous le voyez multiplié, parce
que ce que vous dites, c'est qu'on a des
gens ici, sur le territoire, vulnérables parce que... dans le cas de ces aides
familiales qui n'ont pas eu de
contact avec le réseau extérieur, donc, mais c'est des gens formés, des
compétences, et comment les mettre à profit
dans le réseau de la santé, puis donc comment vous avez identifié, puis si vous
voyez donc ces genres de projet... peut-être
une multiplicité de ces genres de projet comme une approche, puis on ira
ensuite discuter de vos préoccupations par rapport au nouveau système à venir, éventuellement. Puis on veut
vraiment bâtir notre système, hein? On va s'inspirer des meilleures pratiques et, avec les consultations,
on va rajouter des dimensions et des couches qu'on ne verra certainement...
peut-être pas dans les autres. Je pense que
chaque juridiction développe la déclaration d'intérêt, donc, vos messages
de prudence, on va bien écouter ce que vous en dites. Donc, allez-y avec ce
projet.
Il y avait un autre projet, je ne sais pas si
vous le connaissez, qu'on avait financé aussi avec l'agence de la santé, des
médecins, des personnes dont les compétences... Ils le savaient même avant de
venir. Maintenant, on les prévient, hein, on fait des relations, des
communications avec des ordres professionnels, et l'ordre professionnel leur dit : Non, ça sera impossible. Mais ils sont
sélectionnés à cause de leur éducation, donc ils viennent, et on leur
demande s'ils sont prêts à faire une
mobilité horizontale, disons. Et il y avait un programme, justement, de
formation en gestion de la santé,
administrative, avec la régie ou l'agence, qui a donné des bons résultats, mais
c'est toujours une question de projet, hein, c'est toujours des projets
qu'on a financés puis qui donnent des résultats intéressants.
Alors, peut-être je vous laisse aller sur qu'est-ce
que vous pensez... Dans le réseau de la santé, quels seraient d'autres types de projet auxquels vous avez
réfléchi? Est-ce qu'il y a eu d'autres projets de ce genre et donc un
besoin criant dans le réseau de la santé par rapport aux... Les chiffres que vous donnez, là, les
départs à la retraite, c'est quand même des chiffres importants, des pourcentages importants.
42 % des préposés aux
bénéficiaires, départ à la retraite d'ici 2020, hein, c'est quand même
important.
Mme Montgomery (Catherine Gail) :
Exactement.
Mme Weil : Et est-ce que vous
voyez le réseau de la santé... Parce que c'est peut-être important aussi pour nous, on fait la sélection. Les infirmières,
jusqu'à tout récemment on parlait de pénurie, on ne parle plus de pénurie
dans ce domaine-là. Mais je vous écoute. Allez-y sur les pénuries que vous
voyez, vous.
Mme
Montgomery (Catherine Gail) : Je vais commencer avec le domaine de la
santé, mais le type de projet dont j'ai parlé pourrait être étendu à
d'autres domaines. Et, je pense, ça s'est fait aussi. Je vais parler un peu de
ça.
Dans le
domaine de la santé, le projet pour les aides familiales résidentes, par exemple,
l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec a justement fait le
constat, dans un mémoire en 2007, je crois, pour les consultations de 2007, le constat de ces aides familiales résidentes qui
ont une grande expérience dans le milieu de la santé et qui pourraient, plutôt que de passer par un programme
temporaire... Parce que ce programme temporaire, en fait, les met dans une
sorte de vide où il y a une perte d'acquis.
Plutôt que de miser sur un programme temporaire qui est un programme de
précarisation aussi, les mettre plutôt dans un programme déjà qui vise
la permanence, déjà que les acquis soient plus rapides.
Ce projet a
commencé, en fait, comme projet du terrain parce que l'Association des aides
familiales du Québec qui
regroupe... — c'est un
organisme de défense des droits de ces femmes — a fait le constat qu'une fois cette
période terminée, après la... quand elles
ont demandé la résidente permanente, quand elles voulaient faire le saut vers
des emplois qui étaient plus
rémunérés, plus d'avantages sociaux, plus de possibilités d'amener leurs
familles, en fait, le constat est que
ces femmes ont énormément de difficultés à intégrer le réseau de la santé, pour
toutes sortes de raisons, pour toutes sortes
de barrières. Donc, le constat a réellement été fait sur le terrain, ensuite la
mobilisation des acteurs qui a été faite assez facilement autour du
projet parce que, dans le réseau des CSSS, la pénurie est assez frappante pour
les aides familiales, dans le réseau des CSSS, où, les préposés aux bénéficiaires,
dans le réseau du milieu hospitalier, il y a une absolue nécessité de recrutement. Donc, le constat s'est fait des deux
côtés : les besoins des femmes, d'une part, hautement qualifiées
mais qui ne trouvent pas d'emploi, et, de l'autre côté, dans le réseau de la
santé, où ça tourne beaucoup, dans ces
postes, et où il y a un véritable manque en termes de personnes. Donc, la
«glue» qui a fait tout ça ensemble, c'était de faire un projet concerté
ensemble.
Mais
la limite d'un projet comme nous l'avons fait, qui pourrait être... Il y a un
autre projet sur les ergothérapeutes qui
est mis en place actuellement au CSSS de la Montagne, également où il y a
pénurie, où il y a nécessité aussi d'attirer une autre clientèle, d'attirer ces personnes formées à l'étranger, mais
le problème de ces petits projets, c'est qu'ils restent des petits
projets. Ce sont des projets pilotes souvent, financés, dans le cas du projet
dont j'ai parlé, pendant une période d'un
an. Mes derniers calculs, de la francisation à l'employabilité, dans la période
d'un an, en passant par la formation professionnelle est un défi en soi qui est très,
très difficile. Donc, probablement, si j'aurais une proposition à faire éventuellement... Ce type de modèle est
intéressant. Je l'ai vu fonctionner dans d'autres CDEC, la cellule nord a fait
un projet similaire dans le milieu des
technologies, donc ce n'est pas un modèle qui est appliqué uniquement à la
santé. Mais c'est un modèle qui
fonctionne par petits projets pilotes, et, s'il n'y a pas de concertation pour
des projets plus larges et à plus long terme, ça reste des projets
pilotes, qui ne peuvent pas aller plus loin, donc...
Mme Weil : J'aimerais vous
amener sur la question de la diversité. Dans le milieu du réseau de la santé,
on a beaucoup parlé de comment rendre les
milieux plus ouverts à la diversité, les bonnes pratiques, et vous, vous
connaissez bien, évidemment, le réseau de la santé.
Est-ce que
vous avez des exemples de bonnes pratiques dans ce domaine? Est-ce que vous
voyez des défis particuliers quant à la sensibilisation des praticiens
et praticiennes du réseau de la santé? Comment vous voyez ça?
Mme Montgomery (Catherine Gail) : Notre
milieu, notre partenaire principal, de l'Équipe METISS, c'est le CSSS de la Montagne, mais nous travaillons avec
d'autres CSSS et d'autres institutions de la santé. Nous avons mis en place... Ma collègue Spyridoula Xenoscostas, qui a
présenté également avec Cécile Rousseau il y a quelques semaines, a
mis en place une série de formations interculturelles,
complémentaires d'ailleurs à ce que Danielle Gratton ici a également fait dans le réseau de la santé. Ces formations
sont nécessaires. Ces formations sont généralement de deux jours,
peuvent durer jusqu'à quatre jours et donnent des éléments de base.
L'important, dans une formation interculturelle,
c'est ne pas juste donner des informations. On parle de l'interculturel, donc
on parle de dialogue. Ce n'est pas juste donner des connaissances sur d'autres
cultures, c'est des compétences, c'est le
développement des compétences personnelles, comment nous gérons notre propre
point de vue, de prendre conscience
de notre point de vue et comment ce point de vue influence nos interactions
avec d'autres personnes.
Donc, je vois très certainement l'intérêt des
formations interculturelles, que ça continue dans le domaine de la santé, dans d'autres domaines aussi. Ces
formations ont été coupées, bon, nous sommes dans une période de
coupures. Donc, d'une part, on veut aller de
l'avant dans la sensibilisation, et, d'autre part, c'est sûr qu'il y a des
argents qui manquent.
Une chose à
considérer lorsqu'on fait la sensibilisation dans les milieux, pas juste en
santé, dans mes fonctions universitaires je travaille dans d'autres
domaines, c'est aussi de penser à... Quand on pense au personnel, c'est tout le
personnel. Donc, on va penser, là, aux intervenants directs, qui ont un contact
direct, mais on doit penser aussi aux réceptionnistes, on doit penser aux
gestionnaires, on doit penser à la sensibilisation de tout le monde.
Une autre
chose qui peut être aidante qu'on voit beaucoup dans les entreprises, qu'on ne
voit pas beaucoup dans le milieu de la santé, avec quelques exceptions
près, mais c'est des politiques internes ou des règlements internes pour gestion de la diversité dans les milieux. Les
grandes entreprises commencent à en avoir, des institutions, le CSSS de
la Montagne en a une, mais ce n'est pas
généralisé à travers le réseau. Ça donne un cadre. Comme la politique qui est
en développement, ça donne un cadre de
référence. Ça ne veut pas dire que ça change tout du jour au lendemain, mais
ça donne un certain nombre de repères au
personnel pour se dire : Nous avons ces balises générales et on peut se
fixer sur ces balises.
Mme Weil :
Ça, c'est dans les rapports entre employés ou... Est-ce aussi par rapport à la
diversité de la clientèle?
Mme Montgomery (Catherine Gail) :
Bien, je pense qu'on peut le voir à différents niveaux. Donc, on peut le voir déjà à ce niveau administratif, gestion
des accommodements — les
accommodements raisonnables, les débats autour de ça ont démarré en quelque sorte... l'un des exemples a démarré dans
le domaine de la santé — donc des balises déjà si on a une demande d'accommodement
spécifique, qu'est-ce qu'on fait avec ça; plutôt que de gérer sur une base ad
hoc, spontanée, avoir des balises de base,
des principes, des lignes directrices pour quelles sont les étapes à suivre,
qui devrait être contacté, comment devrait-on gérer ça. Ça, c'est un
niveau.
Un autre niveau, c'est la gestion des ressources
comme de l'interprétariat. L'interprétariat, nous avons la banque des interprètes à l'agence, mais il y a une
question de ressources et d'argent, ce ne sont pas des ressources
gratuites, et la demande peut être élevée,
donc des balises précises sur comment, quelles sont les étapes à suivre encore,
quand est-ce qu'on a besoin d'un interprète, quels sont les barèmes à
fixer sur le recours ou non à un interprète, donc des balises comme ça.
Et également,
comme vous avez mentionné, pour gérer les rapports entre employés aussi, entre
employés mais aussi entre employés et entre clients ou clientèle, donc
pourrait s'appliquer à tous ces niveaux, je crois.
• (17 h 50) •
Mme Weil :
Vous parlez de barrières structurelles aussi, hein, qui caractérisent le marché
du travail, j'imagine, de façon générale, et donc il faut qu'on
s'adresse à ça. Donc, vous parlez de pratique sélective de recrutement, discrimination — on a
beaucoup parlé de ça — non-reconnaissance
des acquis. S'il y a bien un domaine où la non-reconnaissance des acquis est pertinente, c'est vraiment dans le domaine
de la santé. Le nombre d'ordres professionnels... Ma collègue la députée de Jeanne-Mance—Viger préside un comité interministériel parce que
le premier ministre lui a donné un
mandat très spécifique d'aller plus loin dans ce dossier-là, on le travaille
depuis des années. Il y a la création du commissaire aux plaintes, qui a été créé... lorsque j'étais ministre de
la Justice, j'ai créé le commissaire aux plaintes mais qui est comme un deuxième
regard qui se jette sur les refus. Depuis
ce temps-là, il y a beaucoup d'améliorations qui ont été apportées, on a financé des projets pour les
ordres professionnels, mais on voit qu'il reste encore des obstacles.
Qu'est-ce que vous en dites? Quels sont ces obstacles et pourquoi?
Et est-ce que vous connaissez le système
canadien? On dit que c'est pareil. J'ai vu une étude qui comparait l'Angleterre, le Canada, le Québec
et l'Europe avec la mobilité, et le seul système qui semblait très ouvert,
c'était le système britannique, on va
beaucoup plus par la pratique, et vous allez devenir un
ingénieur «British», on vous laisse aller, vous avez votre diplôme, on
fait confiance, on va vous former — je simplifie, là, mais c'est
un peu comme ça — alors
qu'on présentait le système canadien, québécois
comme très, très, très compliqué. Puis d'ailleurs, quand on parle... Le
Conference Board, ils nous disent la même chose. Vous, qu'est-ce que vous voyez
là-dedans? Puis comment aller plus loin?
Mme
Montgomery (Catherine Gail) : Quand on parle aux personnes, les
personnes qui ont vécu la situation, donc je ne parle pas des personnes
qui siègent sur les comités, bien c'est difficile, c'est extrêmement difficile,
la reconnaissance des compétences. Dans
l'étude qui a été menée ici auprès des infirmières formées à l'étranger, ce
sont des infirmières formées dans différents pays mais y compris en France, où
il y a des ententes spécifiques avec le Québec justement pour la reconnaissance des acquis, mais la reconnaissance
demeure difficile. Quelle est la raison dernière ça? Je ne sais pas. Plus de processus bureaucratique,
nécessairement, amène du temps, amène du stress également. Il pourrait y
avoir des «monopolies» sur certains domaines
aussi, on peut le voir... Peut-être qu'il y a certains critères qui sont
absolument nécessaires et d'autres critères qui peut-être pourraient être assouplis
aussi.
Quand on
parle des aides familiales résidentes, par contre... Parce qu'on en a certaines
qui pourraient appartenir à des
ordres professionnels, mais... Quand on parle de reconnaissance des acquis, on
parle de personnes qui sont dans les ordres,
on voit que déjà l'OIIQ fait un grand effort, il y a quand même beaucoup de
mesures qui ont été mises en place : l'examen spécifique pour les IFE... pardon, les infirmières formées à
l'étranger, un guide préparatoire pour les infirmières également. Il y a
toute une série de mesures mises en place. Là où c'est encore plus inquiétant
que dans les ordres peut-être, c'est les
personnes qui n'appartiennent pas à des ordres réglementés, ce qui peut-être le
cas des aides familiales résidentes,
par exemple, et où la reconnaissance des acquis est déterminée par
l'entreprise, par exemple, où un organisme, n'importe quel organisme qui embauche et qui regarde un C.V., donc, il
ne passe pas par un processus administratif qui est déjà réglementé, c'est simplement par le C.V.
qu'il dit : Oh! ce n'est pas la compétence nécessaire. C'est peut-être là
la difficulté encore plus grande que la
reconnaissance par les ordres professionnels, les personnes qui ne passent pas
par là.
Le Président (M. Picard) : Il
reste une minute.
Mme Weil : Je vais vous poser...
Mme Montgomery (Catherine Gail) : Et
je voudrais juste ajouter...
Le Président (M. Picard) :
Oui, allez-y.
Mme Montgomery (Catherine Gail) : ...programme
de stage dans le milieu, pardon.
Mme Weil : Oui, j'aimerais vous entendre là-dessus.
Il reste une minute. Programme de stage, est-ce que vous avez des
commentaires?
Mme Montgomery (Catherine Gail) :
Les amener sur le terrain le plus rapidement possible, un, pour ne pas perdre les acquis, et des programmes de stage
dans les milieux qui permettent... même avant la reconnaissance des
acquis, pour faire des tâches qui ne sont
pas à la hauteur de leurs qualifications mais qui les amènent déjà dans les
milieux, déjà une sorte de «practicum»
mais tout en étant dans le processus de reconnaissance des acquis, donc, pour
qu'il n'y ait pas une période
d'attente trop longue entre l'application pour les acquis... Et la formation
peut servir à la même chose, justement.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Bourget.
M. Kotto : Merci, M. le
Président. Mme Montgomery, soyez la bienvenue. Merci pour votre
contribution.
Mme Montgomery (Catherine Gail) :
Bonjour. Merci.
M. Kotto : L'objectif de
votre entité est de mieux comprendre le parcours migratoire et aussi les
différentes facettes de l'intégration des immigrants. Vous êtes impliquée là-dedans
personnellement depuis combien de temps?
Mme Montgomery (Catherine Gail) :
Depuis une quinzaine d'années.
• (18 heures) •
M. Kotto : Depuis une quinzaine d'années, donc votre
expérience est bien enracinée. Alors, je vais profiter de votre présence ici pour savoir... Parce que vous devez
sans doute avoir des confidences, parce que, quand on se retrouve ici en
marge, avec la désillusion qui naît du fait
qu'en partant de son pays avec la formation qu'on a reçue, en ayant été sélectionné pour venir au Québec,
fort des espoirs de venir et de s'intégrer dans le marché du travail, notamment dans le
domaine de la santé, et qu'on frappe un mur, on peut vivre des moments
difficiles, de dépression, de stress et autres.
Mme Montgomery
(Catherine Gail) : Tout à fait.
M. Kotto : Vous devez sans doute quotidiennement ou occasionnellement rencontrer des personnes qui ont vécu ce genre d'expérience. Que vous disent-elles réellement?
J'en sais quelque chose parce
que j'en ai rencontré un certain nombre, étant un immigrant
moi-même, mais je veux vous entendre là-dessus. Quelles sont les expériences
que les gens vous partagent dans ces circonstances-là?
Mme Montgomery (Catherine Gail) :
Cette perte de statut est absolument primordiale, je pense, lorsqu'on considère une politique. J'aimerais peut-être
souligner aussi le grand rôle que jouent... Parce qu'avant d'être
professeure à l'université j'ai été une
quinzaine d'années dans le milieu de la santé et services sociaux, je
travaillais surtout avec des organismes communautaires. Ce sont des
organismes qui sont de première ligne aussi pour intervenir auprès de ces
personnes.
La perte de
statut, ça a un impact. L'un des axes, justement, de la programmation de
l'équipe de recherche, c'est aussi le
lien entre santé et bien-être, à quel point le travail en tant que tel est un
facteur de bien-être pour les personnes. Le fait de ne pas être au travail est un facteur qui défavorise être en
santé et le bien-être. On peut parler aussi du statut... pardon, perte
de statut. Un de nos chercheurs travaille sur les hommes immigrants plus particulièrement,
où la perte de statut comme étant le
pourvoyeur de la famille est la perte de statut, pour les hommes, qui amène un
stresseur de plus, ne plus être le pourvoyeur de la famille, quand c'est
la femme, par exemple, qui occupe un emploi.
Les expériences et les témoignages, j'en ai
entendu assez pour me dire que le problème crucial, lorsqu'on parle de l'intégration sur les milieux de travail,
n'est pas juste une question de compétence, que, là, le problème réel où
on devrait s'adresser, c'est les questions
de sensibilisation des entreprises ou des organismes, comment amener... Si les
ordres professionnels existent pour au moins évaluer les acquis, comment est-ce
qu'on pourrait faire la même chose dans les entreprises quand ce sont des
entreprises privées? Comment intervenir dans ces milieux-là qui sont
relativement fermés encore, où il y a des
processus de sélection qui jouent à l'informel, les réseaux informels qui sont
encore très forts? Il y a un excellent document que j'utilise encore
aujourd'hui qui a été produit par le ministère de l'Emploi... il a peut-être changé de nom, mais à l'Emploi et... à
l'époque je ne sais pas, c'est 2005, ministère de l'Emploi en 2005 qui a
produit sur comment favoriser l'embauche dans les entreprises, quelles sont les
étapes à suivre, et c'est encore le meilleur document que je n'ai jamais vu sur
comment amener les entreprises à gérer la diversité dans le milieu et toutes
les barrières qui existent. Dans une
politique sur l'interculturel, il y a la dimension, donc, attirer les meilleurs
pour venir ici, il y a la question de la sélection, l'attraction, ça,
c'est d'accord, mais tout le travail de base qui est l'autre côté, qui est le travail de travailler sur la société d'accueil,
les préjugés, la discrimination en marché du travail, j'ai fait des
recherches sur les travailleurs venant du
Maghreb, et, les commentaires discriminatoires, on les entend encore au
quotidien et dans les moments de
crise peut-être encore plus. Comment travailler dans ces milieux-là? Je vois dans
le cahier de consultation que vous
avez posé la même question. Comment amener les milieux, les entreprises dans
ces... Les institutions publiques sont gérées
par les lois publiques; les entreprises privées, c'est un autre enjeu. Et
comment les amener à adopter ces politiques?
Dans la littérature sur les entreprises, on voit
très bien que, lorsqu'on peut convaincre une entreprise que c'est à leur bénéfice et à leur avantage, qu'ils
ont une pénurie de main-d'oeuvre, c'est à leur avantage de recruter à l'étranger,
de recruter ces professionnels, quand on peut faire la démonstration de
l'importance de ce qu'on appelle la créativité ou l'innovation en entreprise,
c'est que la diversité, ça stimule la créativité dans une entreprise, que ce
n'est pas quelque chose qui est jugé de façon négative, qui est parfois le
cas... Pourquoi on n'embauche pas des personnes venant de l'étranger? On a peur
de cette différence, on a peur que ça se gère différemment. On a peur des
pratiques différentes, on a peur qu'ils ne
connaissent pas la façon dont notre milieu de travail fonctionne. C'est un
inversement de logique, en fait, c'est de miser sur qu'est-ce que cette
population-là peut apporter à une entreprise.
Et, voilà, je me suis éloignée un peu de la question
des expériences de vie, mais je pourrai en fournir des témoignages, beaucoup,
beaucoup, beaucoup.
M. Kotto : C'était utile de
vous entendre sur la petite dérive.
Là, je vais
un peu m'attarder sur cette question, pensant notamment à ceux qui sont souvent... Pas seulement dans la sphère d'activité que vous indiquez mais un peu partout ailleurs, on
note un pourcentage d'à peu près 30 %
de chômage chez les Québécois
d'adoption, chez les citoyens d'adoption à Montréal, par exemple. En même
temps, parallèlement à cela, on note
qu'il y a une perspective de pénurie de main-d'oeuvre. Je généralise, là, mais
je peux axer mon propos dans le domaine
de la santé, je peux dire une boutade en passant. C'est un de mes commettants
qui est d'origine maghrébine — qui est
un ami maintenant parce qu'on se parle beaucoup — qui m'a dit un jour en boutade : Vous
savez pourquoi il y a très peu de gens qui font des crises cardiaques
dans les taxis? J'ai dit : Non. Il m'a dit : Parce qu'il y a beaucoup
de médecins chauffeurs de taxi à Montréal.
C'était une boutade. Bref, il y en a beaucoup qui sont soit en marge du milieu
de travail, du marché du travail,
soit totalement perdus aussi avec des projets de retour au pays ou des
transitions ailleurs, en Ontario, par exemple, ou dans l'Ouest canadien.
Ne
pensez-vous pas qu'il serait, à la lumière de cette réalité, plus adéquat de
s'occuper du monde qui est déjà ici avec nous que d'en faire venir
d'autres massivement pour remplir les rangs du chômage?
Mme Montgomery (Catherine Gail) :
Est-ce qu'on ne pourrait pas jouer sur les deux plans? Est-ce que ce n'est pas important... Je retourne la question,
mais est-ce que... Travailler, oui, absolument, il faut mettre des efforts
pour ceux et celles qui sont déjà ici. Moi,
je fais un plaidoyer ici pour les organismes communautaires de première ligne,
qui offrent des services, justement,
d'insertion socioprofessionnelle qui sont absolument primordiaux, qui sont
sous-financés, et
pour l'intégration ici. La question qu'on fait venir de l'extérieur ou qu'on
utilise le bassin de travailleurs, travailleuses qui sont ici, sur place, le problème demeure qu'il y a des barrières
structurelles existantes sur le marché du travail. Il faut travailler
ces barrières-là pour pouvoir accueillir de l'étranger ou de l'intérieur, la
problématique demeure la même.
Donc, je pense qu'il faut... c'est ça, il faut
travailler sur les deux plans. Il faut continuer, je pense, d'avoir une politique d'immigration ouverte. En lisant la
politique, je me suis dit : Avec une politique très sélective, est-ce que
ma famille aurait pu émigrer ici?, et ma
réponse, c'était non. Je ne vous donne pas mon histoire familiale, mais, sur
deux, trois générations, ce sont des gens qui se placent en emploi. Si je pose
cette même question-là, aujourd'hui, et pour beaucoup
de monde dans la salle probablement et certainement beaucoup de mes étudiants
dans mes salles de cours je pose
cette question-là aussi, sur deux et trois générations, première génération,
c'est dur; en deux et trois générations, un placement qui se fait plus facilement. On le voit, dans certaines
communautés ce n'est pas le cas, les taux de chômage sont encore plus
élevés, et il y a un ciblage plus important dans les programmes d'intervention
qui doit être fait là, mais...
Le Président (M. Picard) : ...
Mme Montgomery (Catherine Gail) :
Pardon?
Le Président (M. Picard) : En
terminant, s'il vous plaît.
Mme Montgomery (Catherine Gail) : En
terminant, donc, juste pour dire que je pense que c'est important de garder une politique ouverte, une politique
d'immigration ouverte. C'est la réputation du Québec aussi, cette
ouverture, et de prendre la fermeture... On
voit les fermetures... les frontières, pardon, qui ferment en Europe, aux
États-Unis, on les voit fermer un peu
partout. Je pense que c'est important aussi de garder à l'esprit ouverture tout
en misant sur les pénuries de main-d'oeuvre et en travaillant localement
auprès des gens ici.
Le Président (M. Picard) :
Merci. M. le député de Borduas, c'est à vous.
M. Jolin-Barrette : Merci, M. le
Président. Bonsoir, Mme Gail Montgomery.
Pour
poursuivre sur votre propos, vous nous dites, dans le fond : Pour la
première génération qui s'installe dans un nouveau pays, c'est parfois difficile d'intégrer le marché du travail.
Par la suite, la deuxième et la troisième génération réussissent à
intégrer le marché de l'emploi, réussissent à intégrer la société.
Ne
trouvez-vous pas que c'est le rôle de la société d'accueil, à partir du moment
où... la sorte de contrat moral qui se
forme entre l'immigrant qui choisit le Québec et la société d'accueil, de tout
faire... que la société d'accueil prenne toutes les mesures nécessaires et requises pour réussir l'intégration dès la
première génération, pour ne pas que la personne qui immigre ici se sente marginalisée et se sente
également frustrée de ne pas pouvoir avoir... de ne pas pouvoir
contribuer à la société québécoise, notamment en intégrant le marché du
travail?
Mme Montgomery (Catherine Gail) : Je
ne pourrais pas être plus d'accord avec vous.
M. Jolin-Barrette : O.K. Comment
fait-on pour y arriver? Parce que vous avez...
Mme Montgomery (Catherine Gail) :
Cette question-là est plus difficile.
M. Jolin-Barrette : Oui, bien vous avez
parlé, entre autres, du sous-financement, vous avez...
Mme Montgomery (Catherine Gail) : Oui. Oui, pardon. La société d'accueil fait d'excellents efforts.
Aussi, le milieu de l'éducation, évidemment, est un lieu très important aussi
pour amener ceux qui arrivent jeunes, première génération, qui arrivent jeunes et qui se préparent pour aller sur le
marché du travail. Donc, il y a d'autres... mais je pense effectivement que les organismes d'accueil les plus importants,
les plus importants en termes de nombre mais en termes de lien réel, lien personnalisé, c'est avec les
organismes communautaires.
Nous avons organisé et avec le LABRRI
d'ailleurs, il y a peut-être deux ans, un événement où il y avait un
regroupement de plusieurs organismes communautaires, et toujours la question de
sous-financement qui vient sur le tapis,
mais il y avait un autre questionnement qui était surgi cette journée-là,
c'était la question du lien social. C'était décrire, par exemple, un
organisme communautaire où il y a des fauteuils, où les gens peuvent juste
entrer, s'asseoir, parler, avoir un lieu de
socialisation, un lieu où il y a des services également. J'ai vu à travers les
années un certain nombre de ces organismes fermer. J'ai vu aussi la
question de pérennisation de financement où souvent les organismes sont gérés par petits projets, un projet qui dure un an, deux
ans, quatre ans, trois ans — quatre ans, c'est rare — et avec ce type de financement aussi
où ils doivent constamment changer de projet, donc changer de population cible
en quelque sorte aussi, toujours immigrants
mais par clientèles très spécifiques : jeunes, minorités visibles, femmes,
femmes avec jeunes enfants, etc. Une pérennisation du financement, une
généralisation du financement moins par petits projets, petits paquets, probablement pourrait assurer une
meilleure survie pour les organismes et probablement ferait un accueil
plus intéressant pour les personnes, je pense, à long terme.
M. Jolin-Barrette : Donc, ce que
vous nous dites, c'est que souvent les organismes communautaires vont développer des projets à la pièce, pour une courte
période de temps, développent une expertise, et là le financement, au
bout d'un certain
nombre d'années, cesse et, s'ils souhaitent poursuivre le programme, bien il
faut qu'ils trouvent des sources de financement
alternatives, sinon le programme cesse et l'expertise qui avait été développée,
dans laquelle on avait investi, elle tombe à l'eau.
Mme Montgomery (Catherine Gail) : Je
l'ai vu dans plusieurs situations, surtout dans les organismes qui s'occupent de l'emploi, parce que les
programmes... les petits programmes financés en employabilité visent des buts
très spécifiques et des clientèles très
spécifiques, donc une clientèle qui est accessible à un programme n'est pas
accessible à un autre.
Je me
rappelle du témoignage d'un intervenant dans un organisme d'employabilité en
particulier, qui disait : Mais hier
j'ai pu accueillir cette personne dans mon bureau. Aujourd'hui, j'ai dû lui
dire : Bien, finalement, vous ne rentrez pas dans nos critères de
sélection pour notre projet, parce que notre projet est financé et qu'il y a
des balises autour du financement.
Il y a
certainement une perte d'efforts dans le travail à la pièce, le financement à
la pièce, comme vous avez dit. Vous
le savez certainement, il y a beaucoup d'énergie qui est mise pour monter les
demandes de subvention pour ces petits projets aussi, donc un temps
administratif qui est plus lourd et un temps d'action, d'agir qui est plus
court et plus rapiécé aussi.
• (18 h 10) •
M.
Jolin-Barrette : Vous avez abordé tout à l'heure la question de la
précarisation des aides familiales notamment et les gens qui immigrent...
bien, en fait, qui ont le statut d'immigrant temporaire. Selon vous, devrait-on
favoriser davantage l'immigration permanente
plutôt que... Parce que
ça a été proposé, d'ouvrir davantage le statut de temporaire et par la suite de choisir... en fait d'encourager
ces immigrants qui ont un statut de temporaire pour qu'ils immigrent
vers un statut de résident permanent. Est-ce qu'on devrait procéder de cette
façon-là ou on devrait tout de suite y aller avec l'immigration permanente?
Mme
Montgomery (Catherine Gail) : Merci pour cette question, c'était le
dernier point dans mon PowerPoint que je n'ai pas eu le temps d'aborder,
c'est bien.
Le Président (M. Picard) :
Vous avez 1 min 30 s pour élaborer.
Mme Montgomery (Catherine Gail) : O.K., parfait. Je vais utiliser l'exemple des aides familiales
résidentes ici parce que c'est... Parce que le terme utilisé dans le cahier de
consultation, c'est une «voie flexible», utiliser le travail temporaire dans certains domaines, je pense, mais
comme une voie flexible visant éventuellement une permanence. Dans le cas des aides familiales résidentes, qui ont un
statut de temporaire pendant une période, comme j'ai dit, de deux,
trois, quatre ans, c'est une période, en fait, qui leur fait perdre des acquis,
ce n'est pas à leur avantage d'avoir cette période
temporaire. Elles vivent des conditions de travail qui sont parfois excellentes
mais parfois sont très mauvaises, en fait. Il y a des balises, évidemment, elles ont des avantages sociaux, il y a des
critères sur le nombre d'heures travaillées, etc., mais il y a aussi des dépassements de ces
critères. On sait que, dans les conditions de vie réelles de ces femmes,
souvent elles travaillent plus que le nombre d'heures requis par semaine, et
leurs conditions sont difficiles.
Donc, cette
période temporaire, en fait, c'est un passage obligé pour ces femmes qui
visent la permanence, qui veulent faire
venir leurs familles, parce qu'elles viennent sans leurs familles
habituellement, mais... Donc, elles
n'ont pas le choix de passer par là, mais ça aurait été mieux qu'elles passent
par la permanence d'abord, pour le réseau de la santé en particulier, parce qu'elles ont des acquis intéressants
pour le réseau de la santé, donc un passage direct...
Le Président (M. Picard) : En
terminant, s'il vous plaît.
Mme Montgomery (Catherine Gail) : ...et
aussi, pour les femmes, pour ne pas vivre cette situation de précarité et une
situation un peu de moindres droits que les personnes avec résidence
permanente.
Le Président (M. Picard) : Je
vous remercie pour votre témoignage.
Et je suspends les travaux jusqu'à
19 h 30.
(Suspension de la séance à 18 h 12)
(Reprise à 19 h 35)
Le
Président (M. Picard) :
À l'ordre, s'il vous plaît! La
commission reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans
la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
Nous allons poursuivre les consultations
particulières et les auditions publiques sur les documents intitulés Vers
une nouvelle politique québécoise en matière d'immigration, de diversité et
d'inclusion.
Je souhaite
la bienvenue à Mme Marian Shermarke, coordonnatrice clinique du Programme
régional d'accueil et d'intégration
des demandeurs d'asile au CSSS de la Montagne. Vous disposez de 10 minutes
pour faire votre exposé, et je vais vous demander de nous présenter les
gens qui vous accompagnent. Vont s'ensuivre des échanges avec les
parlementaires. Donc, la parole est à vous, Mme Shermarke.
Mme
Marian Shermarke
Mme
Shermarke (Marian) : Merci bien. Alors, je vais présenter les
personnes qui sont avec moi. À ma gauche, il y a Marc Sougavinski, directeur général du CSSS de la Montagne.
M. Sougavinski possède des fortes compétences en travail
intersectoriel et interdisciplinaire ainsi qu'en gestion de la diversité. À la
gauche de M. Sougavinski se trouve Mme Marie Ouellon, qui est
directrice administrative, services professionnels et médicaux et PRAIDA au
CSSS de la Montagne.
Alors, nous sommes
ici aujourd'hui pour vous parler de l'immigration humanitaire. Le PRAIDA,
Programme régional d'accueil et
d'intégration des demandeurs d'asile du CSSS de la Montagne, existe depuis
58 ans, il a acquis une vaste
expertise au plan de l'intervention et évaluation dans le contexte de
l'immigration humanitaire, des traumatismes ainsi que l'approche interculturelle et la gestion de la diversité. Il
est à noter que la plupart de nos clients arrivent directement de l'aéroport ou d'un des postes
frontaliers avec une valise, un sac ou avec rien. Ils arrivent souvent
fatigués, traumatisés, sans repères,
désireux de vivre en sécurité et dans la dignité. Notre premier geste est de
répondre aux besoins essentiels de
ces personnes. Notre deuxième intervention consiste à comprendre leurs schémas
de référence afin de les guider face
aux exigences de la société d'accueil, notamment régulariser leur statut,
développer de l'autonomie, etc. En troisième
lieu, nous effectuons un suivi psychosocial sur leur trajet migratoire, les
deuils multiples et les traumatismes. Malgré leur lourd passé, ces
clientèles affrontent leur vie ici avec courage et détermination. Leur
résilience est non seulement étonnante, mais elle est aussi porteuse d'espoir
pour tous ceux qui travaillent avec eux.
Le
choc culturel et identitaire entre clients et intervenants se fait sentir
souvent dans les rencontres. Les professionnels
aussi sont confrontés à des situations qui les heurtent profondément, et ainsi
le soutien clinique et éthique devient essentiel pour les intervenants.
Pour
les clients, la quête de la sécurité passe par trois voies : la
régularisation du statut, que je n'en parlerai pas parce que c'est sous
juridiction fédérale, la formation en lien avec l'emploi et les activités de
socialisation.
Quant
aux obstacles qui ralentissent l'intégration des demandeurs d'asile, nous
observons que le travail d'intégration des demandeurs d'asile commence
trop tard à cause du mythe que la plupart de ces personnes vont être refusées et retournées chez eux. Or, la réalité
est tout autre. Il est à noter que 60 % des nouveaux demandeurs d'asile
sont acceptés comme réfugiés. De plus, un
certain nombre important qui sont refusés sont éligibles à d'autres
programmes, comme le parrainage aux gens qui
sont sur les pays à moratoire, etc. Un bon exemple d'intégration tardive est le
cas des Congolais, ressortissants d'un
pays à moratoire, et durant 10 ans et plus ils n'ont pas eu accès à
l'accompagnement à l'intégration.
• (19 h 40) •
Le manque de
possibilités de socialiser est un problème. La socialisation répond à un besoin
réel de l'être humain, celui d'être en lien
avec d'autres personnes. Quand nous disons à nos clients d'aller rencontrer des
gens du pays pour pouvoir apprivoiser
le Québec, ils nous répondent : Où est-ce que je les rencontre? Et comment
je vais faire, comment je vais les
approcher? Nous avons mis en place
des interventions de prévention par des projets de socialisation visant
à réduire l'isolement, exemple le centre de jour qui est en partenariat entre
le YMCA et le PRAIDA.
Quant à l'intégration
de l'ensemble des immigrants, nous observons que la gestion de la diversité
suppose la gestion du changement. Or, dans
l'application des énoncés sur l'intégration, la gestion du changement vise les
immigrants et beaucoup moins le reste de la société, et donc, dans le contexte
social actuel, l'intégration devient un processus unidirectionnel. Ce mode de gestion de la diversité nourrit le mythe du
«nous», les membres de la société d'accueil, et «eux», les immigrants.
Il faut dire que les
immigrants sont beaucoup plus diversifiés qu'on pense. Beaucoup de clients nous
parlent de la lourdeur des identités imposées. Ceci est le cas d'un Congolais
qui nous dit : Madame, je suis devenu Noir au Québec. C'est aussi le cas d'un Tchadien qui nous dit : Il est
devenu difficile d'être musulman ici ces jours-ci. Certaines personnes
immigrantes ont de la difficulté à assumer ces identités imposées, et de plus
elles trouvent que les identités deviennent un obstacle à leur intégration, et
ce sentiment perdure aussi jusqu'à la deuxième génération.
Quant
aux constats sur les limites de nos efforts, depuis quelques années chaque
ministère fait des efforts pour répondre
aux besoins des immigrants. Les indicateurs de performance permettant d'évaluer
les organismes institutionnels et communautaires oeuvrant auprès des
immigrants ne tiennent toujours pas compte de la complexité de l'intervention ethnoculturelle. La diversité culturelle ou
religieuse parfois est un enjeu politique qui crée des tensions menant à
discuter de la diversité seulement lors de
situations conflictuelles. Cet état de fait complique le dialogue constructif
autour de la diversité.
En
conclusion, je cite une cliente qui, en nous parlant de son processus
d'intégration, elle nous dit : J'ai fui le feu, mais je suis assise sur une flamme permanente dans
ce pays. Je pense que nous avons la volonté politique et les ressources
suffisantes pour éteindre cette flamme. Pour faire cela, il faudrait mieux
arrimer les ressources et impliquer tous les membres de la société.
Je
m'arrête en vous rappelant que le statut de réfugié est un statut transitoire
et que les réfugiés vont devenir des immigrants et des citoyens. À ce
point, je passe la parole à M. Sougavinski pour vous parler du macro,
puisque moi, je vous ai parlé seulement de l'immigration humanitaire.
M.
Sougavinski (Marc) : Bonjour, tout le monde. Merci de nous accueillir.
L'experte ici, c'est Marian Shermarke, mais
je vais profiter du temps qu'il me reste pour élargir un petit peu la
discussion, puisqu'effectivement les réfugiés, les demandeurs d'asile deviennent éventuellement des
citoyens du Québec, et donc l'accueil et tout ce qui s'ensuit, et les
enjeux qui concernent l'ensemble des immigrants, concernent également les
réfugiés.
Je vous rappelle
quand même que le CSSS de la Montagne couvre plus que le programme des
demandeurs d'asile et des réfugiés. Et, pour
ceux qui ne le savent pas, on est situés dans le secteur de Côte-des-Neiges et
le secteur de Parc-Extension,
c'est donc des secteurs où il y a une diversité culturelle énorme. Nous avons
quatre équipes de recherche, dont
deux spécialisées dans le domaine de l'accueil des immigrants — d'ailleurs elles sont venues présenter en
commission parlementaire — et
donc une vaste expertise depuis de nombreuses années concernant l'accueil et
les enjeux reliés aux immigrants.
Donc, j'aimerais vous
amener... partager avec vous toutes les perceptions qui touchent les immigrants
et les citoyens en général et, par la force
des choses, un peu, malheureusement, les sujets d'actualité présentement et
certains enjeux qui malheureusement
reviennent à la surface, et effectivement je vais donc vous parler un peu de
radicalisation et d'intégrisme, d'une part,
comme une espèce de bloc, et, de l'autre, des relations hommes-femmes et tout
ce que ça implique, par exemple
crimes d'honneur, mariage forcé et ainsi de suite, qui sont des enjeux réels de
la société d'aujourd'hui. C'est important de comprendre que ce n'est pas
le nombre qui est l'enjeu ici, on ne peut pas dire qu'on est envahis par des difficultés ou des problèmes. D'ailleurs, ce n'est
pas vrai, ce n'est pas le cas. Donc, l'enjeu ici est l'impact que ces
situations ont sur les citoyens, pour toutes sortes de raisons.
D'abord, tout ce qui
dit «radicalisme» ou «intégrisme», c'est un peu effrayant, il y a une sorte de
distorsion médiatique qui fait en sorte que
ces problèmes sont amplifiés et qu'on en parle très souvent. Peu importe à tort
ou à raison, il reste que ces enjeux
ont des impacts réels sur la population et sur les intervenants, dont nombre
d'entre eux sont ceux qu'on gère à l'intérieur de nos établissements, et qui cherchent parfois des solutions, ou
comment intervenir, ou quoi faire dans diverses
situations. Alors, il ne s'agit pas d'amplifier le
problème, mais il ne faut pas le cacher sous le tapis non plus, et c'est assez délicat comme situation.
On n'a pas le goût, personne, de sombrer dans les assomptions faciles, d'aller
vers de la discrimination, quelquefois du racisme et ainsi de suite, même si on
doit donner quelques balises de temps à autre. La population, donc, est inquiète et a besoin de réponses, et
les intervenants ont besoin d'outils, ont besoin d'appui, ont besoin de
support.
Alors, parmi nos recommandations,
on en a quelques-unes qui touchent les réfugiés mais qui s'élargissent à l'ensemble des enjeux reliés à l'immigration. Vous
avez reçu notre document, donc je ne mentionnerai pas tout, mais je vais
soulever un certain nombre d'entre eux.
La première est très
importante pour nous, qu'un modèle d'intégration des immigrants soit construit
selon une approche bidirectionnelle...
Le
Président (M. Picard) : En terminant, s'il vous plaît. Votre
temps est écoulé, mais vous pourrez préciser lors des échanges avec les
parlementaires.
M. Sougavinski (Marc) :
Absolument. Donnez-moi... J'ai deux recommandations et je m'arrête, et ensuite
on discutera.
Le Président (M.
Picard) : Deux? Allez-y, allez-y.
M.
Sougavinski (Marc) : Que ce ne soit pas juste qu'on apprenne aux
immigrants à s'adapter à nous, mais que ce soit bidirectionnel. Il y a beaucoup de lieux et d'espaces qui doivent
être créés pour qu'il y ait des dialogues, pour qu'il y ait des
découvertes de l'autre, ça manque un peu. Il y en a beaucoup, mais il faut le
faire, donc des espaces qui facilitent les échanges.
Finalement,
la question d'un observatoire, dont on a parlé quelquefois, on pense que c'est
une bonne idée dans la mesure où ça pourrait inclure non seulement la
recherche pratique sur des éléments reliés à l'immigration, mais aussi du support à l'intervention, des conseils qu'on
peut donner et de la formation. Il ne s'agit pas juste d'observer, je
pense que nos intervenants dans nos
institutions ont aussi besoin de davantage d'outils pour qu'on les appuie
lorsqu'ils rencontrent des situations sensibles. Voilà. Merci beaucoup.
Le Président (M.
Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à Mme la
ministre.
Mme
Weil : Je vais d'abord commencer par... Parce que vous avez
beaucoup d'expérience dans un milieu qui est, comme vous dites,
hautement diversifié, peut-être le plus diversifié sur le territoire du Québec.
M. Sougavinski
(Marc) : Peut-être...
Mme
Weil : Bien, vous êtes le CSSS, je pense, qui a vraiment une
pratique très spécialisée — est-ce qu'on pourrait dire ça? — pour la diversité
culturelle et les enjeux associés.
M. Sougavinski
(Marc) : Oui, bien, d'abord... Tout à fait, tout à fait. Je pense que,
dans le monde, il y a peu d'endroits où il y
a autant de diversité sur un même territoire. On peut trouver des ghettos à
certains endroits, mais d'avoir une diversité aussi grande que la nôtre,
c'est en effet assez rare.
• (19 h 50) •
Mme Weil :
Je vous remercie de venir ici, d'échanger avec nous pour qu'on puisse mieux
comprendre ces phénomènes. On pourra
peut-être juste effleurer, mais je trouve ça intéressant parce que je dois dire
que vous êtes peut-être les premiers
qui sont vraiment des intervenants en services de santé et services sociaux
avec qui on va parler. Il y a eu une universitaire qui est venue pour
parler du réseau de la santé puis des besoins, des pénuries de main-d'oeuvre
dans le secteur, mais vous c'est dans la
pratique quotidienne de clientèle à risque, de clientèle fragilisée. Mais en
même temps vous parlez de dialogue,
vous parlez de besoin d'outils, outils de travail, de protocoles, hein,
d'intervention, c'est tout ça.
Alors,
on va peut-être commencer avec vos commentaires sur la situation des réfugiés.
Et vous ne faites pas nécessairement de
distinction entre les demandeurs d'asile et les réfugiés, hein, parce que votre
clientèle est mixte, c'est les deux,
et vous traitez des deux. C'est Mme Shermarke qui... Vous en avez parlé,
mais vous avez parlé de dialogue aussi. Peut-être pour bien comprendre la situation de vulnérabilité de la
clientèle que vous traitez, qui vient chez vous, pourriez-vous nous
décrire... Ils viennent de beaucoup de pays différents, certains d'entre eux
que vous voyez ont peut-être grandi dans des camps de réfugiés aussi, et donc
c'est ces phénomènes-là, vous le voyez maintenant, qui affectent... bien, affectent... qui rend la pratique... la pratique qui
doit s'adapter à ce qu'on appelle la lourdeur des personnes ou les
difficultés plus aiguës de cette clientèle. C'est bien ça?
Mme Shermarke
(Marian) : C'est ça. Et il y a deux volets dans nos interventions.
Comme vous dites, on a des demandeurs
d'asile, on a des réfugiés qui ont grandi dans des camps de réfugiés. Quand on
regarde leur passé, les deux
populations se ressemblent énormément par
rapport aux traumatismes qu'ils ont
subis, la différence est le statut avec lequel ils rentrent ici. Pour
les demandeurs d'asile, ils n'ont aucun statut, donc ils demandent l'asile et il
faut qu'ils attendent pour être acceptés.
Pour les réfugiés installés, c'est du monde qui arrivent avec leur résidence
permanente quand ils sont parrainés soit par l'État soit par la
collectivité.
Donc, en réalité,
l'expérience passée est la même, c'est une expérience de violence organisée, de
torture, de traumatismes sévères, de
multiples deuils, et nos interventions par
rapport au passé ne diffèrent pas
tellement. Par contre, la différence consiste en la manière qu'on va les
accompagner à s'intégrer dans la société d'accueil. Pour les demandeurs d'asile, c'est toute l'insécurité qui continue parce qu'il n'y a pas de statut, mais, pour les réfugiés, au moins cette
insécurité n'existe pas, puisque c'est du monde qui ont déjà leur résidence
permanente.
Donc, nous
travaillons sur deux volets. Le premier volet est le volet des traumatismes et
les deuils, pour les deux populations de la
même manière. Le deuxième volet consiste dans notre approche que partout au Québec
on appelle l'approche interculturelle et qui consiste à être interactif
avec l'autre qu'on ne connaît pas. Donc, le défi, dans cette approche, c'est comment aller vers l'autre,
comment découvrir son schéma de référence pour pouvoir l'accompagner à mieux saisir ce que la société
d'accueil s'attend et quelles seraient les meilleures façons d'accompagner dans
l'intégration de cette personne.
Mme
Weil : Vous avez fait
quelques commentaires, évidemment, qui sont très difficiles, et certainement c'est ce que vous voyez, lorsque
vous avez parlé de problèmes d'identité, que ces personnes vivent des problèmes
d'identité, quelqu'un qui a dit : Je
suis devenu Noir ici, l'autre qui a dit : Ce n'est pas facile d'être
musulman ici. Donc, c'est des critiques très fortes envers la société
d'accueil qui est le Québec, c'est ce qu'ils vivent.
Pourriez-vous
parler un peu plus de ce problème d'identité? C'est qu'eux vivent un problème
d'identité, comment s'identifier à la société québécoise, ce rapport est
difficile. C'est bien ça?
Mme Shermarke
(Marian) : C'est plutôt le choc culturel et identitaire de nouveaux
arrivants. Je peux vous avouer que, quand
cette personne nous a dit : Madame, je suis devenu Noir ici, je l'ai
regardé et j'étais choquée, j'ai eu peur.
Est-ce que c'est un début de santé mentale? Or, quand j'ai
dit : Je ne comprends pas, est-ce
que vous n'étiez pas Noir en
Afrique?, il m'a dit : Non, en Afrique j'étais telle personne, fils de
tel, de telle tribu, de tel pays. Donc, ça, ça ne correspond pas avec comment il s'est identifié, et ça, c'est choquant
pour les personnes qui vivent ça parce qu'il y a une mutation dans leur
identité. Je ne pense pas que les gens qui utilisent ces mots veulent leur
faire mal, mais je pense que, s'il y avait
un rapprochement entre les membres de la société d'accueil et les nouveaux
arrivants, les membres de la société d'accueil n'allaient pas
dire : La personne qui est passée ici, c'est un Noir, ils allaient
dire : Tel monsieur a passé ici. Donc,
c'est ce manque de rapprochement qui fait que les gens, quand ils ne se
connaissent pas, ils vont vite aller sur les identités visibles et pas
vers la personne réelle.
Mme
Weil : On va peut-être parler un peu du phénomène de
radicalisation que vous voyez dans votre pratique, parce que vous avez
des connaissances en la matière. Vous parlez de votre préoccupation par rapport
à la deuxième génération aussi. Pouvez-vous
nous expliquer un peu ce phénomène dans votre pratique professionnelle?
Qu'est-ce que vous voyez? Quels sont les indices? Comment vous
réagissez, bon, quels sont les protocoles?
Mme
Shermarke (Marian) : Nous
voyons... je peux faire une analogie par
rapport à... La première
génération, c'est la première génération
qu'on sème; la deuxième génération, on les récolte, c'est la récolte; la
troisième génération, c'est les fruits. Donc, si on arriverait à bien semer
la première génération, c'est sûr que la deuxième génération, ça aurait été une
bonne récolte, et la troisième génération, ça aurait été des fruits
magnifiques.
La
deuxième génération porte les blessures de la première génération, et, si on
n'arrive pas à intégrer la première génération
le mieux qu'on peut, c'est sûr que, parmi la deuxième génération, il y aura
des gens qui vont porter ces blessures, qui vont être très fragilisés
par ces blessures, qui vont répliquer le modèle d'intégration des parents qui
n'ont pas pu s'intégrer. Et, même s'ils ont
été éduqués dans nos écoles, qu'ils parlent très bien la langue, il se
peut que la blessure soit plus forte.
Donc, dans le travail d'intégration, nos interventions consistent à comment
alléger ces blessures, comment aller vers
cet individu, parce que, s'il y
a blessure, quelquefois il y a une déformation de ce qui s'est passé, puisque
ce n'est pas eux qui ont vécu ça.
Donc, l'intervention, c'est vraiment de démystifier tout ce qui tourne autour de cette
blessure pour avoir accès à la personne et commencer un accompagnement
vers une intégration.
Mais le
secteur de santé et services sociaux ne peut pas faire ça. Ce travail, c'est un
travail intersectoriel, c'est un travail
qui doit être fait par le secteur de l'éducation et le secteur de l'emploi. On ne peut pas
compartimentaliser les êtres humains en disant : Nous, on va agir seulement
sur ce secteur-là, il faut que ce travail soit intersectoriel.
Mme Weil :
Dre Cécile Rousseau, juste pour arriver sur cette question, elle est venue
la première semaine de la consultation et elle disait : Il faut bien
comprendre les phénomènes pour trouver les bonnes solutions, elle faisait la distinction entre intégrisme, radicalisation,
radicalisation violente, et qu'il fallait bien comprendre les concepts. Est-ce que vous pourriez peut-être partager
avec nous...
Mme Shermarke (Marian) : Je vais
laisser cette réponse à M. Sougavinski.
• (20 heures) •
M.
Sougavinski (Marc) : Oui. Effectivement, Dre Cécile Rousseau est notre directrice scientifique et donc... et aussi une
intervenante majeure dans notre CSSS. Alors, non seulement au niveau de la recherche, mais au niveau
de la pratique on est confrontés à certaines situations... C'est que,
oui, il faut bien comprendre les choses pour être capable d'intervenir
convenablement. Et on ne comprend pas toujours très bien qu'est-ce qui va
pousser un individu à la radicalisation, et
à la violence encore moins. Ce n'est pas toujours simplement une question
d'être intégré ou de ne pas être
intégré, d'être heureux ou d'être malheureux. On a des indications que des
jeunes qui ne sont pas forcément malheureux ou qui n'ont pas de
difficulté majeure d'intégration peuvent quand même se radicaliser.
Maintenant,
comme je le disais tantôt, comme c'est des situations épeurantes et souvent
distordues de toutes sortes de façons
à cause que chacun met son opinion là-dedans et les médias s'emballent, et
comme on a tous un peu peur de ce qui
se passe et de ce qu'on voit dans d'autres pays, bien là, effectivement, vous
avez raison, on a tendance à confondre les concepts. Entre autres, ce n'est pas parce que quelqu'un a des croyances
religieuses profondes qu'il va aller nécessairement vers une radicalisation ou un intégrisme violent,
et d'autres peuvent avoir des croyances moins profondes et être en fait
plus violents, alors d'où l'importance de
mener à la fois une approche clinique d'intervention... On ne peut pas rester
assis pendant trois ans, puis faire de la
recherche, puis attendre de voir qu'on ait toutes les données possibles, mais
on doit aussi bien documenter les phénomènes et, oui, faire plus de
recherche pour savoir quels sont les risques, les facteurs de risque qui peuvent pousser des gens vers de la
radicalisation et de la radicalisation violente. Et on doit aussi, je
pense, c'est dans nos recommandations et c'est plus compliqué peut-être, mais
faire un certain travail de communication de façon générale pour la population puis
pour beaucoup de personnes qui ont tendance à mélanger les
concepts et penser qu'on peut passer de l'un à l'autre facilement, ce
n'est pas si simple que ça.
Alors, il n'y
a pas de solution magique, il n'y a pas de recette de cuisine pour contrer ces
phénomènes-là, mais, comme on dit en
anglais, «we have to hit the ground running», il y a des choses à faire
concrètement et quitte à s'ajuster par la suite, au fur et à mesure
qu'on a plus d'information et plus de recherche dans le domaine.
Mme Weil : Et vous faites la
distinction, donc, entre radicalisation et radicalisation violente...
M. Sougavinski (Marc) : Bien, on...
Oui.
Mme Weil : ...comme Cécile
Rousseau, Dre Rousseau, faisait cette même distinction.
M.
Sougavinski (Marc) : Ah!
bien ça tombe bien, on est dans le même établissement. Alors là, si on disait
le contraire, on aurait un problème... quoique des fois on ne dit pas tout à
fait la même chose, effectivement. Mais non.
Et le
principe est facile à comprendre. On peut avoir des croyances religieuses très,
très fortes, on peut même... En fait, dans la vie, on a le droit de
croire à ce qu'on veut, hein, on peut croire à l'astrologie, on peut croire à
n'importe quoi, ça ne fait pas forcément
quelqu'un de violent ou quelqu'un de qui la société devrait se méfier.
Alors, quels sont les facteurs de
risque qui font qu'une personne peut devenir violente? Il n'y a pas de... C'est
très difficile à prédire, ça, en psychologie
ou en science, mais au moins on peut avoir un certain nombre de facteurs de
risque. Et, du côté des intervenants, comme
on doit intervenir, bien il faut qu'il y ait au moins des règles de base ou des
stratégies auxquelles les intervenants puissent se référer, des
groupes-conseils ou, enfin, des gens qui auraient plus d'expérience qui
pourraient peut-être guider l'intervention.
Et Marian a tout à fait raison. Quand on est rendu dans le domaine de
l'intervention... Parce que la prévention,
c'est une chose, il vaut mieux axer vers la prévention le plus possible, mais,
quand on est rendu dans l'intervention
ou quand on craint qu'il puisse y avoir un phénomène de radicalisation, là il
faut intervenir. Et là il faut intervenir de façon multisectorielle,
parce que sinon on se perd dans les méandres des...
Mme Weil : ...le temps?
Le Président (M. Picard) :
Trois minutes
Mme Weil : O.K. Est-ce que
vous partagez des meilleures pratiques avec d'autres professionnels dans d'autres juridictions ou ailleurs ici, au Québec,
qui sont aux prises avec les mêmes genres de phénomène que vous... ou
ailleurs aux États-Unis, au Canada?
M. Sougavinski (Marc) : Oui, en
fait, de multiples façons. Dans le fond, la constitution d'un établissement comme le nôtre, il y a un volet clinique, il y a
un volet recherche. C'est comme une toile d'araignée, il y a une multitude de facettes, il y a les demandeurs d'asile, il y a
les réfugiés, il y a les immigrants tout court, et on est connectés à toutes
sortes de réseaux. On est connectés au
réseau canadien beaucoup, effectivement. Lorsqu'il y a eu des enjeux concernant
l'abolition du PFSI ou des enjeux comme ça,
enfin, on est très connectés à ce qui se passe dans le reste des autres
provinces. Souvent, d'ailleurs, ils
regardent vers nous pour savoir un peu aussi comment s'orienter. Donc, on est
quand même... on a pas mal de longueur d'avance, au Québec, sur bien des
domaines. Il ne faut pas penser qu'on fait juste regarder les autres puis
on essaie d'apprendre des autres, on fait beaucoup de bonnes choses ici aussi.
Mme Weil : Et vous êtes en
lien avec les réseaux scolaires.
M.
Sougavinski (Marc) : On est en lien, tout à fait. On a un programme de
formation qui n'en finit plus, là, de recevoir des appels et qui est
dispensé dans pas mal tous les établissements de la province, certainement à
Montréal.
Et dans le
réseau scolaire on est extrêmement impliqués, le réseau des cégeps aussi, parce
que, là, c'est important de regarder
la situation des jeunes adultes qui sont au cégep au niveau de la
radicalisation. Cécile Rousseau pourrait vous dire qu'elle a beaucoup de
liens et que les cégeps sont prêts à s'investir pour faire un certain nombre de
démarches dans ce domaine-là.
Mme Weil : Quand vous parlez
d'observatoire, qu'est-ce que vous entendez par ça?
M. Sougavinski (Marc) : Je vais
commencer.
Une voix : Oui, allez-y.
M.
Sougavinski (Marc) : Bien, en fait, c'est que, contrairement à ce
qu'on peut penser, on a peu de documentation réelle sur un bon nombre d'enjeux, et ça aussi, ça contribue à la
distorsion dont je parlais tantôt. On parle des mariages forcés, on parle de crimes d'honneur, on parle
d'ablation du clitoris, on parle de certificats de virginité, on parle de
toutes sortes de choses qui en général
concernent les relations hommes-femmes. Il y en a combien? Est-ce qu'il y en a
beaucoup? Comment on intervient? Est-ce qu'on peut inventorier... Il n'y a pas
de recette cuisine, chaque situation est presque un cas d'espèce. Donc, on ne peut pas dire : Bon, bien, regarde,
dans telle situation tu fais telle, telle, telle chose, puis tout va bien aller, ça ne marche jamais comme ça. On a des
orientations, on a des groupes-conseils, à l'intérieur de notre CSSS, mais il faut avoir l'heure juste, donc il faut
documenter non seulement les situations, mais il faut documenter les
modes d'intervention, les expériences qui fonctionnent, les stratégies qui ont
donné de meilleurs résultats que d'autres, et apprendre
de ces stratégies-là, et ensuite les
diffuser, et ensuite en faire... bien, enfin, ensuite... c'est-à-dire presque en même temps en faire des formations et des communautés
de pratique ou, enfin, que les intervenants puissent se les approprier assez rapidement. Alors,
l'observatoire, c'est un peu tout ça. Et il y a un volet recherche, comme je
disais, qui est important, mais il y a aussi un volet stratégies
d'intervention qui est important.
Veux-tu ajouter quelque chose?
Mme Shermarke (Marian) : Si vous
permettez, je vais simplement ajouter une petite chose. L'observatoire, on ne voudrait pas avoir le modèle de la France, par
exemple, en termes d'observatoire, si on regarde l'Observatoire de la laïcité.
Et ce que nous, on peut voir ou ce que... la position du CSSS de la Montagne
est que tout observatoire devrait répondre
aux besoins des deux volets, le volet d'analyse, recherche, etc., mais le volet
d'intervention immédiate aussi, intervention
de crise, et les deux peuvent s'alimenter mutuellement, parce que, si on prend
seulement de l'angle observatoire, analyse, etc., on risque d'être en
crise perpétuelle, et il faut vraiment répondre à la crise sur le terrain.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Bourget.
M. Kotto : Merci, M. le Président.
Mme Shermarke, M. Sougavinski — je prononce bien? Super! — Mme Ouellon, soyez les
bienvenus. Merci pour la contribution.
L'exercice entrepris ici en est un fondamental.
Pour une société, se questionner, il est malheureux qu'on le fasse seulement au
bout de 25 années, parce que la dernière fois qu'on a eu un énoncé
politique en la matière, c'était il y a
25 ans. Je pense qu'avec la nouvelle donne en matière d'immigration, les
flux et les volumes importants de mouvement,
et vu les défis auxquels vous êtes confrontés relativement à ces populations
fragilisées, c'est un exercice qu'on devrait,
je pense, tenir aux trois années minimalement, donc, renouveler, voir aux
failles qu'il y a entre ceux qui arrivent, souvent malgré eux dans le
cas des réfugiés, et ceux qui choisissent de venir versus l'accueil qui leur
est réservé dans le nouvel environnement, qu'ils ne maîtrisent absolument pas.
Mais force, par ailleurs, est de constater le
peu d'énergie, d'intérêt que les médias notamment manifestent relativement à cette question-là. Elle est
pourtant fondamentale. J'aurais souhaité voir beaucoup de journalistes ici
dans la salle pour vous entendre ce soir
parler de l'humain et, dans son interaction avec l'altérité, les difficultés
auxquelles vous êtes confrontés. Mais nous allons faire ce que nous
pouvons faire, trouver des pistes d'équilibre relativement aux enjeux que vous
posez ici ce soir.
C'est
touchant de vous entendre rapporter ici l'histoire de ce Noir qui dit :
C'est au Québec, de mémoire, que je suis devenu Noir, je suis devenu un Noir au Québec, c'est ça, et puis l'autre
qui dit : Ce n'est pas facile d'être musulman ici ces jours-ci. Ce sentiment, il vient de quoi? Est-ce
qu'il vient de leur environnement immédiat, dans l'interaction qu'ils
ont avec l'environnement humain, ou c'est un sentiment qui est généré par ce
qui est véhiculé à travers les médias?
• (20 h 10) •
Mme Shermarke (Marian) : L'un
n'empêche pas l'autre, les deux se touchent, parce que tout ce que... Celui qui dit : Ce n'est pas facile d'être
musulman ici, c'est quelqu'un qui entend dans son voisinage des
commentaires; il allume la télé, et il y a
d'autres commentaires qui passent. Donc, cette personne ne pourra pas
s'empêcher de penser : Mais il y a beaucoup
de personnes qui sont en train de répéter ça, donc ça veut dire que ce n'est
pas facile d'être musulman ici ces jours-ci.
La personne qui dit qu'il est devenu
Noir ici, au Québec, c'est sûr que ce n'est pas seulement
lui auquel... il a été identifié comme un Noir, mais il va voir une
autre personne noire qui va sortir d'un magasin, et ils vont dire : Il y a
un Noir qui est sorti ici. Donc, la personne s'identifie avec l'autre, et tout
à coup ça devient plus grand que cet individu-là.
Et c'est un facteur qui normalise sa pensée parce qu'il n'y a pas que lui qui
est vu comme ça, il y a d'autres semblables à lui aussi qui sont vus de
cette manière. Donc, ça dépasse l'individu.
M. Kotto :
...par souci d'objectivité, en extrapolant, en ramenant le caucasien ou
leucoderme, pour utiliser un terme scientifique,
dans un contexte africain, Nigéria, Cameroun, Congo, Rwanda, Burundi, il est
minoritaire, et, quand on le désigne,
on dit «le Blanc». Est-ce que ce n'est pas le fait d'être minoritaire dans un
espace comme celui-ci ou comme d'autres, de l'autre côté, qui amène les
gens à désigner l'autre par ses signes...
Mme Shermarke (Marian) : Visibles.
M. Kotto : ...visibles, oui,
c'est ça?
Mme Shermarke (Marian) : Vous avez tout
à fait raison, mais ça dépend aussi où est-ce qu'on est inséré dans la société dans laquelle on vient. Si moi, je
suis Africaine et que j'ai commencé dans un statut qui est très
agréable, c'est sûr que le fait que
j'entends ça ou ça, ça va glisser sur moi, mais, si je suis quelqu'un qui est
confronté avec beaucoup de difficultés et en plus je suis identifiée de
manière différente, c'est sûr que ça va prendre plus d'importance.
M. Kotto : O.K. Je veux
revenir sur la question qui a été évoquée tout à l'heure par la ministre au
sujet de la radicalisation. Le phénomène, il
n'est pas nouveau. Il a été observé en d'autres temps avec l'extrême gauche en
Europe, par exemple, les groupes militants
de gauche. Pour en nommer quelques-uns, il y en avait un récemment encore
dirigé par le fameux Carlos, au
départ l'idéologie marxiste, la révolution à tout prix, mais le choix des
armes, c'était la violence, ce n'était pas la démocratie. C'est une
forme de radicalisation idéologique.
La
radicalisation religieuse, on le voit quand elle prend des travers malsains et
qu'elle trouve des postures victimaires dans les banlieues françaises,
par exemple, où les sentiments d'exclusion de la société sont profondément enracinés, trouve là un terreau fertile pour
orienter, considérant le contexte de la guerre, entre guillemets. C'est une
autre guerre, elle est idéologique aussi. C'est une guerre annoncée, il y a des
gens que moi, je ne considère pas comme des musulmans
qui ont annoncé une guerre à l'Occident. Et, quand dans ces banlieues-là on
trouve ce terreau fertile, il est facile de voir comment un jeune radicalisé religieux, sous la poussette d'un
idéologue mal intentionné, peut tomber dans les travers. On l'a vu avec les deux frères qui ont commis le massacre à Charlie
Hebdo, on l'a vu chez le jeune Malien aussi qui cherchait à détruire des Juifs. Le phénomène,
c'est sûr, au plan religieux il faut le suivre, il faut le décortiquer pour
bien le maîtriser. On est loin de cela encore au Québec, mais on n'est pas à
l'abri non plus.
Ce qui
m'amène à dire — et je
vais dans votre sens — que, la fragilité dont vous vous occupez, il faudrait y
investir suffisamment de moyens pour que la première, la deuxième, la troisième
génération se sentent partie prenante de l'ensemble
de la société, du foyer d'accueil, pour ne pas que dans quelques années on se
retrouve dans des scénarios comme ce
qu'on retrouve en Europe en général, parce que ça s'est passé aux Pays-Bas, ça
s'est passé en Norvège, en Belgique, en France, demain. Disposez-vous de
moyens adéquats pour remplir votre mission?
Mme
Shermarke (Marian) : C'est
sûr qu'en tant que des intervenants formés pour faire des interventions
de crise on est formés pour intervenir en contexte de crise et d'intervenir
avant le contexte de crise.
Nos
approches, il y a des approches préventives. C'est une approche
dont on a parlé dans le document qu'on a déposé
où on a créé un centre de jour pour développer des espaces de dialogue, et
c'est tout à l'heure que l'on disait que les immigrants, ils
sont aussi diversifiés, parce que le choc n'est pas seulement entre les
immigrants et les personnes de souche ou,
comme on dit ici, les membres de la société d'accueil, c'est aussi entre les immigrants, le
choc, et, s'il n'y a pas un
espace de dialogue où les gens peuvent s'apprivoiser, discuter, se connaître,
c'est sûr que ce choc-là va se faire ressentir
sur la plateforme sociale en entier. Donc, on a des approches préventives pour
faciliter, pour faire parler les gens, pour les faire dialoguer, pour
faire une médiation culturelle, etc. Ça, c'est toutes nos approches
préventives.
On a aussi
des approches d'intervention de crise où, quand la personne est en crise, on va
regarder c'est quoi qui a déclenché la crise, qu'est-ce que c'était, la
dernière goutte, et puis après on va retourner en arrière pour voir, cette
personne-là, qu'est-ce qui l'a amenée jusqu'ici.
Donc, c'est
sûr qu'en tant qu'intervenants on est formés pour faire ça, mais on a aussi la
chance d'être appuyés par des équipes
de recherche, par des équipes qui s'occupent de l'éthique de l'intervention,
par des équipes qui s'occupent de l'analyse clinique. Donc, ce n'est pas
quelque chose que les intervenants travaillent en silo, il y a tout un ensemble
d'équipes qui intervient. Comme M. Sougavinski disait...
Le Président (M. Picard) : ...s'il
vous plaît.
Mme Shermarke
(Marian) : ...on travaille en intersectorialité. On a des intervenants
qui sont placés dans les écoles, donc on a tout le son de cloche qui
vient aussi du milieu de l'éducation.
Le Président (M. Picard) :
Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Borduas.
M.
Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Mesdames monsieur, bonsoir.
Si vous voulez, on va se diriger vers vos
recommandations à la fin de votre présentation, notamment la recommandation 4, où vous proposez une
recommandation afin d'éviter le repli identitaire, donc de créer des lieux
d'expression communs. Concrètement, quelle
forme ça prend, ces lieux d'expression communs? Et de quelle façon on
réussit à amener les gens vers ces lieux d'expression là?
Mme
Shermarke (Marian) : Avant tout, ces lieux d'expression, ils ont déjà
existé, il y en a certains qui existent, mais il y a vraiment les ressources qui manquent, pour l'instant, pour
continuer à inviter les gens au dialogue. On a déjà fait de l'animation
dans des paroisses...
M.
Jolin-Barrette : Lorsque vous parlez du manque de ressources, c'est
des manques de ressources au niveau financier ou c'est davantage des
problèmes de locaux, des ressources humaines?
Mme
Shermarke (Marian) : C'est des ressources humaines, mais les
ressources humaines sont toujours attachées aux ressources financières
aussi. Donc, bien, il est arrivé qu'on a mené un groupe de personnes
immigrantes dans des paroisses où ils
parlaient, les gens échangeaient, on faisait des activités sociales pour que
les gens se rencontrent, discutent, il y avait un thème à discuter, pour
apprivoiser l'autre. Donc, les espaces de dialogue sont faisables.
Les espaces
de dialogue peuvent être créés à de multiples niveaux. Ils peuvent être créés
entre des intellectuels de différentes
visions sur l'intégration, ils peuvent être créés entre la population. Donc,
nous, on recommandait vraiment que le concept
d'espace de dialogue revienne sur la plateforme du citoyen. Il y a d'autres
espaces de dialogue qui existent, mais il n'y en a pas tellement qui
existent sur les projets interculturels.
M.
Jolin-Barrette : O.K. C'est un peu la même chose avec votre
recommandation n° 5 au niveau du jumelage.
• (20 h 20) •
Mme
Shermarke (Marian) : C'est exactement ça. Avec les programmes de
jumelage, on voyait des personnes de différentes appartenances
culturelles qu'on jumelait, et, les gens, chacun commençait à connaître
l'autre. Et, quand cette pratique était
multipliée, il y avait parmi la population de la société d'accueil des gens qui pouvaient rectifier le
tir en disant : Non, non, non, moi, je
connais des gens qui viennent de cette... ils ne sont pas comme ça. Ce qu'on
est en train de perdre, c'est cette
résonance-là où les gens vont dire : Non, moi, je connais assez de
personnes de telle culture ou de telle religion, et ils ne sont vraiment
pas comme ça.
M.
Jolin-Barrette : Est-ce que
c'était difficile, dans le cadre des jumelages, de trouver des personnes-ressources?
Mme Shermarke (Marian) : Non, ce
n'était pas difficile parce qu'il y avait des multiples plateformes où le recrutement pouvait se passer. Les organismes
communautaires étaient très actifs à faire ce recrutement, les paroisses
étaient actives à faire ce recrutement.
M. Jolin-Barrette :
Et puis, parmi les services que vous offrez annuellement, vous avez un volume
de combien d'individus qui font appel à vos services, dans le cadre de
votre périmètre, là, en lien avec les organismes?
Mme
Shermarke (Marian) : Pour nous, comprendre le nombre de personnes qui
fait appel à nous, c'est très facile, parce
que, par exemple, dans mon département — puis je vais laisser M. Sougavinski répondre
à une autre partie — dans notre département, qui est le
département qui gère l'immigration monétaire, toute personne qui rentre au
Québec est référée à notre service. Donc,
vous pouvez regarder les statistiques d'immigration au Canada; le nombre de
personnes qui rentrent au Québec, ils se
retrouveront dans notre service. Le nombre de personnes qui sont parrainées
soit par la collectivité soit par l'État, ils viennent chez nous, donc
il y a tout ce mouvement d'immigration monétaire qui vient.
Par rapport aux CSSS, c'est les gens qui
habitent le quartier.
M. Jolin-Barrette : Tous les
demandeurs d'asile, tous les réfugiés et tous les parrainages?
Mme Shermarke (Marian) : C'est ça.
M.
Sougavinski (Marc) : Oui, c'est qu'il y a plusieurs programmes
différents. Il y a le programme du PRAIDA qui s'occupe principalement
des demandeurs d'asile, le programme pour les réfugiés, que c'est combien, à
peu près 300 par année?
Mme Ouellon (Marie) : Environ 300
par année, ceux qui sont réfugiés par la collectivité et par l'État.
M.
Sougavinski (Marc) : Puis
l'ensemble du CSSS de la Montagne, bon, là, c'est parce que,
là, ça couvre une population d'à peu
près 220 000 personnes. Donc, ce n'est pas tout
le monde qui vient aux services, évidemment, mais c'est un secteur de
diversité culturelle immense et c'est un... En fait, c'est le plus gros secteur
populationnel de Montréal.
Mme Ouellon
(Marie) : Et je rajouterais sur les groupes de discussion, pour
ajouter à ce que Marian disait, effectivement
toute la richesse que ça apporte, mais ça apporte aussi aux intervenants, tant
en santé qu'en services sociaux, parce que ces groupes d'échange là, ces «focus
groups» là nous permettent, comme établissement et comme intervenants,
d'adapter nos pratiques en fonction des besoins réels.
Tout
à l'heure, la question avait été posée au niveau des outils, des protocoles
qu'on utilise. On les utilise, on les teste. On est un groupe avec
d'autres CAU, d'autres centres affiliés universitaires, mais dans ces
groupes-là ça nous permet vraiment d'aller
chercher la satisfaction de ces gens-là et, je me répète, d'adapter nos moyens,
nos pratiques en s'inspirant des
meilleures pratiques mais aussi en allant chercher ce qui est émergent avec
cette clientèle-là. Donc, c'est vraiment une valeur ajoutée sur
plusieurs points.
M. Jolin-Barrette :
Et puis, dans un continuum de temps, à partir du moment où vous constatez que
vous devriez modifier votre pratique,
combien de temps ça prend au centre pour vraiment, là, changer les façons de
faire, ou pour bonifier le programme, ou pour bonifier votre stratégie
d'intervention?
Mme Shermarke
(Marian) : Le dernier groupe qu'on a fait, c'était il y a deux ans, et
ça nous a pris 14 mois pour ajuster nos
pratiques, et là on va faire un autre test pour voir cette façon que... les
pratiques qu'on a ajustées, qu'est-ce que
ça a donné à la clientèle. Donc, on a tendance à faire chaque deux ans et demi,
dans les derniers 10 ans, chaque deux ans et demi un «focus group»
de clientèle.
M.
Jolin-Barrette : À la recommandation n° 9, vous faites
référence à des mesures de «reaching out» qui doivent être développées pour soutenir les membres de la
deuxième génération dans leur sentiment d'appartenance. Pouvez-vous
définir ce que sont les mesures de «reaching out»?
Mme Shermarke
(Marian) : Ça, on comptait sur le travail intersectoriel, et c'était
vraiment quelque chose que nous, on aurait
travaillé avec les intervenants qu'on appelle les intervenants scolaires, qui
sont dans les écoles, de créer des
activités pour ces jeunes-là pour voir où est-ce qu'ils en sont, comment on
peut les accompagner dans leur... On ne peut pas dire «intégration», parce que c'est des gens qui sont nés ici, mais
quand même ils ont besoin d'un accompagnement.
Le Président (M.
Picard) : Merci. Ça termine notre entretien, et je vous
remercie pour l'apport aux travaux de la commission.
Je
vais suspendre quelques instants afin de permettre au prochain groupe, qui sera
la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, de prendre place.
(Suspension à 20 h 25)
(Reprise à 20 h 28)
Le Président (M.
Picard) : Nous reprenons nos travaux en recevant la Fédération
canadienne de l'entreprise indépendante; Mme Martine Hébert, vice-présidente
principale et porte-parole nationale. Vous disposez d'une période de 10 minutes, vont s'ensuivre des
échanges avec les parlementaires. Vous êtes une habituée ici. Donc, allez-y,
Mme Hébert.
Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI)
Mme Hébert (Martine) : Merci. Merci
beaucoup, M. le Président. Alors, je pense que je suis le dessert aussi, hein, je suis la dernière à passer. Je vais essayer,
donc, d'être à la hauteur de la cerise sur le sundae. Alors, merci, M. le Président, distingués membres de la commission.
Je vous remercie de bien vouloir nous entendre, la fédération, là,
dans le cadre de cette consultation sur la nouvelle politique québécoise
en matière d'immigration.
Comme vous le savez,
à la FCEI on représente les PME. On regroupe 109 000 chefs
d'entreprise à l'échelle canadienne,
24 000 au Québec, ces PME là sont dans tous les secteurs d'activité dans
toutes les régions, donc, et évidemment
elles sont fortement interpellées, là, par la politique d'immigration,
notamment en matière de main-d'oeuvre, parce
qu'elles ont besoin de main-d'oeuvre, et la population immigrante représente un
bassin, là, important de main-d'oeuvre pour les PME, tant québécoises
que canadiennes.
• (20 h 30) •
Alors,
je pense qu'on s'entend tous pour dire que l'immigration, dans une société, est
une source d'enrichissement collectif,
culturel, économique et à tous égards. Et ce qu'on dit, nous, c'est que de
façon à bien intégrer, si vous voulez, les personnes issues de
l'immigration et pour leur permettre de contribuer pleinement, à la hauteur de
leur potentiel à l'épanouissement de la
société, il est important de bien planifier cette immigration-là pour assurer
le meilleur maillage possible entre ce qui est recherché comme
caractéristiques par les employeurs et le profil des personnes immigrantes que
nous accueillons.
Je vous dirais que
malheureusement, au fil des décennies — on n'est pas tous seuls à le
noter, d'ailleurs, le Vérificateur général l'avait noté dans son rapport en
2010 — le
Québec n'a pas toujours bien fait en la matière, cet arrimage-là entre les
profils recherchés dans les postes à pourvoir, là, au sein des entreprises et
celui des personnes immigrantes n'a pas
toujours été au rendez-vous. C'est pourquoi on pense que la sélection des
candidats en fonction des besoins du marché du travail doit redevenir au
centre des orientations et des actions gouvernementales en matière
d'immigration. Ce n'est pas exclusif, mais on pense qu'il faut faire davantage
d'efforts à cet égard-là.
Comme je disais tantôt,
les entreprises du Québec dans plusieurs secteurs et dans plusieurs régions ont
des problèmes de main-d'oeuvre. En fait, on
entend souvent dire qu'il y a, en fait, plusieurs pénuries de main-d'oeuvre,
parce qu'il y a des pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs d'activité
et dans certaines régions, selon les zones géographiques. Et ce besoin-là ne
fait que s'accentuer et ne va que continuer de s'accentuer en raison, là, du
contexte démographique que nous connaissons, et c'est dans ce sens-là que les
nouveaux arrivants représentent un bassin de main-d'oeuvre potentiel qui est très
important pour les entreprises québécoises.
Il y a
certaines questions qui ont été posées par rapport aux pratiques d'embauche et
la gestion de la diversité, là, de la
part des employeurs. Je vous dirais qu'en matière de gestion de la diversité la
plupart des employeurs disent ne pas avoir eu de problèmes à intégrer notamment les travailleurs étrangers
temporaires au sein de leurs entreprises. On vous a mis dans notre mémoire, d'ailleurs, des données de sondage.
C'est des données canadiennes, mais je vous dirais que les réponses, là,
ne varient pas substantiellement selon qu'il s'agit des employeurs du Québec ou
du Canada à cet égard-là. Donc, je pense que
c'est important de le dire, parce qu'on dit souvent qu'il y a des problèmes
d'intégration, mais ce n'est pas toujours vrai. En tout cas, lorsque les compétences des personnes qu'on accueille
sont bien arrimées avec les exigences de l'emploi, ce qu'on constate, comme dans le cas des
travailleurs étrangers temporaires, où c'est souvent le cas, ce qu'on
constate, c'est qu'il n'y a pas de problème,
là, lié à l'intégration dans le milieu de travail. Cependant, les employeurs
vont noter certaines barrières linguistiques à l'occasion de même qu'un
certain manque de services d'intégration, là, selon les régions où ils sont
situés.
Alors, ce qui
m'amène évidemment au niveau de la question de la langue. Je dois vous dire que
je pense qu'on est en faveur, là, du
fait français, à la FCEI, c'est un phénomène reconnu. On reconnaît aussi
l'importance de la francisation et de la langue française.
On pense que
les critères qui sont actuellement en vigueur au niveau de la connaissance de
la langue française entraînent une certaine forme de discrimination,
entre guillemets, si vous voulez, là, systémique en fonction du pays d'origine
et en fonction aussi de certains niveaux de compétence, là, mais qui ne sont
pas nécessairement, je vous dirais, en
demande, là, dans les PME québécoises. On pense qu'il y a beaucoup de candidats
potentiels, par exemple, qui pourraient occuper des emplois qui sont
vacants tout en intégrant des programmes de francisation, et ces candidats-là se retrouvent actuellement éliminés en raison, là,
des critères reliés à la connaissance du français. Alors, à notre avis,
le Québec ne peut pas se permettre de... se payer le luxe, en fait, de bouder
certains bassins d'immigration dont on a grandement
besoin et qui pourraient avoir un apport important à la société québécoise en
raison du fait français. Ici encore, la
question est davantage de savoir où et quelles sont les personnes dont les
talents et les profils correspondent à ce que les employeurs recherchent
et par la suite de mettre en oeuvre, si vous voulez, les politiques et les
mécanismes qui vont permettre à ces gens-là d'acquérir des compétences ou de
parfaire leur connaissance, là, de la langue française.
Quant à la question d'inciter les employeurs à
participer aux efforts à faire du français la langue normale et habituelle de
travail, je vous dirais, Mme la ministre, que nous en sommes parfaitement et je
vous dirais que, dans la quasi-totalité...
en tout cas dans une très grande proportion de PME le français est la langue
d'usage au travail. D'ailleurs, on a
sondé nos membres du Québec à cet égard-là lorsque le précédent gouvernement
avait déposé le projet de loi, là, sur la langue française, et je vous
dirais que les résultats — on
vous les a mis dans le mémoire aussi — sont assez... parlent d'eux-mêmes. Évidemment, le Québec, nous sommes
une société... on ne vit pas dans une bulle, hein, on n'est pas dans une
bulle de verre. On est dans un contexte de mondialisation, la
langue mondiale des affaires, c'est l'anglais, donc l'anglais va être
utilisé aussi. Mais, dans la majorité des cas, là, la langue utilisée la
plupart du temps pour communiquer avec les employés dans l'entreprise, c'est en
grande proportion, là, quasi à 93 % le français est utilisé, là, dans les
entreprises.
Au niveau de
la participation économique des personnes immigrantes, bien je vous dirais qu'à
ce niveau-là... C'est une autre
question qui est abordée dans le document de consultation, et, selon nous, il
ne fait aucun doute que, pour hausser le
taux de participation, il faut que ça se passe en amont, c'est-à-dire il faut
que ça se passe lors de la sélection des candidats, en regard aux véritables besoins du marché du
travail. Ça ne donne rien de sélectionner des individus qui ont une
série de diplômes si ces diplômes-là ne sont
pas ce qui est en demande, là, sur le marché du travail ou n'ont pas, si vous
voulez, là, de valeur sur le marché du travail ou dans les emplois, là, qui
sont offerts.
À cet
égard-là, je vous dirais qu'au Québec, là, quand on regarde les prévisions
d'embauche dans les PME dans les prochaines
années, les besoins se font surtout sentir au niveau du personnel de
production, de corps de métier ou encore dans le secteur de la vente. Donc, ce qu'on voit, c'est que ce n'est pas
nécessairement... ce n'est pas des cadres, ce n'est pas des
gestionnaires, ce n'est pas des professionnels qui ont des diplômes
universitaires vraiment, ce qu'on recherche, c'est des manoeuvres, c'est des
personnes qui ont vraiment un profil et des compétences, là, de base pour des
emplois peu qualifiés. Et qui dit emploi peu
qualifié ne veut pas dire cheap labor, ne veut pas dire non plus nécessairement
que c'est des postes où on exploite
des gens, pas du tout. Je pense que comme société il y a une réalité à laquelle
nous faisons face : nous aurons
toujours besoin de quelqu'un pour tourner les boulettes de hamburger dans les
restaurants de restauration rapide, on aura
toujours besoin de personnes pour servir dans les établissements de tourisme et
d'hôtellerie au Québec et, comme ailleurs,
on aura toujours besoin de manoeuvres dans certaines usines un peu partout, on
aura toujours besoin de gens dans le secteur
de la construction. Donc, je pense que c'est... il faut prendre ça en
considération. Et malheureusement, lorsqu'on regarde, en regard à ce profil-là qui est recherché par les employeurs,
par les PME québécoises, qui, soit dit en passant, fournissent 57 % des emplois au Québec, là,
lorsqu'on regarde ça et qu'on compare avec le niveau de compétence des
personnes immigrantes qui ont été admises au Québec selon la catégorie, on se
rend compte qu'il y a un écart très important,
c'est tout à fait dichotomique. Alors que les PME demandent des gens qui ont
des compétences de base, des manoeuvres ou des compétences techniques,
là, primaires, ce qu'on a accueilli majoritairement au Québec, c'étaient des personnes dans la catégorie de la gestion et
des professionnels, des techniciens et des paraprofessionnels. Donc,
c'est sûr que ce qu'on constate, là, c'est
que l'arrimage, en tout cas, a besoin d'être revalidé dans ce cas-là, parce que
c'est clair que
ça n'a pas permis de combler les besoins. Et d'ailleurs je vous dirais que,
dans son rapport 2010, le Vérificateur général aussi arrivait au même constat, il avait suggéré au... — à l'époque c'était le MICC, ce n'était pas
le MIDI — d'améliorer sa méthode de sélection en
examinant les meilleures pratiques internationales et notamment en modifiant,
là, la grille d'analyse qui était utilisée pour sélectionner les personnes
immigrantes.
Le Président (M. Picard) : En
terminant, s'il vous plaît.
Mme Hébert
(Martine) : Oui. Alors, en
terminant, je vous dirais qu'on a abordé aussi différentes autres
questions, notamment la question d'intérêt,
mais je pense qu'on aura l'occasion d'en parler ensemble. Je pense que ce qu'il
faut retenir, c'est que... Nous, ce
qu'on dit : Il faut mieux arrimer les besoins et la... voyons,
l'immigration avec les besoins du marché du travail, et dans ce sens-là
il y a des efforts à faire.
Le Président (M. Picard) :
Merci, Mme Hébert.
Mme Hébert (Martine) : C'est moi qui
vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Picard) : Je
cède maintenant la parole à Mme la ministre.
• (20 h 40) •
Mme Weil :
Oui. Alors, merci beaucoup, Mme Hébert. Et en fait, oui, vous êtes le
dessert, et on est bien contents de
vous recevoir. Vous avez peut-être entendu le groupe qui était avant vous.
Alors, on change de sujet, hein, là, c'est l'immigration, mais c'est ce magnifique dossier de personnes qui
viennent d'ailleurs pour contribuer au développement du Québec. Certains peuvent avoir des problèmes,
c'est des dossiers humanitaires, mais on souhaite nécessairement que les
gens trouvent leur place, donc ça peut représenter des gros défis. Vous, vous
parlez des travailleurs. Et vous, en fait, vous parlez de ces travailleurs
temporaires peu qualifiés qui ont été vraiment le sujet d'un grand débat
national. On a beaucoup échangé sur ce grand sujet parce qu'en effet c'est
vrai, ces travailleurs temporaires qui viennent aider les entreprises avec leur croissance et, comme vous
dites... C'est quel pourcentage des emplois créés par les petites et
moyennes entreprises, vous avez dit?
Mme Hébert (Martine) : 57 % des
emplois au Québec sont des emplois dans les PME.
Mme Weil : C'est un chiffre à
retenir, hein? Donc, c'est le moteur, finalement, de l'économie. Et ça revient toujours, ce débat-là, le problème, le besoin de
ces travailleurs, et, bon, c'est un autre dossier, parce que c'est
vraiment au niveau fédéral qu'on a tous à continuer à travailler ce dossier.
Peut-être on
va commencer avec la déclaration d'intérêt. Depuis le rapport du vérificateur,
il y a eu des améliorations dans la sélection, je pense que vous êtes au
courant de ça. Et tout récemment le vérificateur a félicité le ministère de
l'Immigration pour dire : Parfait, tout est en règle, et ils sont contents
des modifications qui ont été apportées suite au rapport de 2009, je crois
bien, 2009‑2010.
La
déclaration d'intérêt, vous dites qu'elle serait calquée. Pas exactement. Et
une des raisons... Mais c'est la même notion, on va s'inspirer des
meilleurs systèmes, l'Australie, Nouvelle-Zélande, le Canada. Mais une des
raisons pour lesquelles on fait cette
consultation, c'est pour bâtir notre propre système de déclaration d'intérêt,
il y aura certainement des modifications.
Je lisais un article dans le journal ce matin,
je ne sais pas si vous l'avez vu, sur le programme d'expérience canadienne — vous l'avez vu? — où il semblerait que ce n'est pas inclus
dans la déclaration d'intérêt, donc des étudiants étrangers pensant qu'ils auraient accès au
programme... ce que nous, on appelle le programme PEQ. Il semblerait que
non. En tout cas, on verra ce qui va se passer, mais je peux vous dire ici ce
qu'on a entendu, il y a un vrai consensus par rapport
à ces programmes, travailleurs temporaires, c'est sûr, qui sont spécialisés,
dans le programme PEQ, et les étudiants étrangers. Donc, est-ce que vous
avez... Donc, peut-être vous permettre de parler de recommandations spécifiques
par rapport à ce programme, déclaration d'intérêt.
On a aussi
évoqué le rôle des entreprises, le rôle qu'elles peuvent jouer en amont
lorsqu'on parle de l'adéquation, de
s'assurer... Parce que, ça, il y a encore, comme vous, un grand consensus
là-dessus, mieux arrimer l'immigration et l'emploi, le titre de votre mémoire. Je vous dirais que c'est central
dans ce qu'on a entendu, absolument central, ça se résume exactement à ça. Donc, si vous avez des
recommandations spécifiques qui pourraient être retenues, parce qu'on
écoute toutes les recommandations par rapport à ce nouveau système qui, on
l'espère... on espère pouvoir déposer un projet de loi à la fin de cette année, qu'est-ce que vous aimeriez, comment...
autant dans peut-être le rôle d'influence, parce qu'on parle des maires aussi, les régions qui pourraient
avoir un rôle d'influence, avoir un mot à dire sur les besoins du marché
du travail et cette adéquation.
Mme Hébert (Martine) : Merci, Mme la
ministre. Écoutez, je ne suis pas une spécialiste, là, de comment va
fonctionner la question de la déclaration d'intérêt, mais la préoccupation
qu'on avait par rapport à ce programme-là, c'est de deux ordres.
Je vous
dirais que, premièrement, quand on compare ça avec ce qu'on appelle au Canada,
là, Entrée express, là, qui est un programme un peu similaire, hein...
Une voix : ...
Mme
Hébert (Martine) : C'est ça,
c'est ça. Donc, je veux dire, c'est une bonne chose. Je pense qu'un des
gros avantages de ce système-là est de
permettre aux employeurs d'avoir une voix au chapitre de l'immigration
permanente, ça, je pense que c'est clair, et
on a d'ailleurs appuyé ce programme-là au niveau fédéral, on l'a salué. C'est
un dossier, là... Vous savez, la FCEI, on a l'avantage d'être une
fédération pancanadienne, justement, donc on est très impliqués avec nos
équipes à Ottawa dans ce genre de dossier là, donc.
Cependant, le
problème que nous avons avec ce programme-là, c'est qu'il ne concerne que les
programmes pour les travailleurs qualifiés et de métiers spécialisés.
Alors, encore une fois, ce que ça signifie, c'est que, pour pouvoir émigrer au Canada, au Québec, il faut que tu aies
un doctorat dans ta valise ou en tout cas un baccalauréat dans ta valise
pour pouvoir venir t'établir. Nous, ce qu'on
dit, c'est que, premièrement, nos membres, ce n'est pas dans ces
domaines-là que les besoins sont particulièrement les plus criants, c'est pour
des emplois peu spécialisés, alors il va falloir que ce programme-là permette,
si vous voulez, de répondre aux besoins de main-d'oeuvre aussi non qualifiée ou
avec une formation, là, technique de base.
Donc, je vous dirais que, par contre, comme
c'est une déclaration d'intérêt qui part de l'individu, est-ce que les personnes, là, qui sont une main-d'oeuvre, là,
moins qualifiée ou qui n'ont que des compétences de base vont pouvoir aller formuler une déclaration d'intérêt? C'est là où ce programme-là est peut-être
adapté pour une certaine catégorie, je vous
dirais, de travailleurs ou de candidats potentiels mais n'est pas nécessairement
adapté à l'ensemble peut-être, là, de la réalité des travailleurs qui
sont peu qualifiés et qui n'ont peut-être pas les facilités, là, pour pouvoir
s'inscrire.
Deuxièmement,
il faut que ce soit aussi accessible pour les employeurs, qu'ils puissent bien
identifier et que ce ne soit pas trop
complexe, là, comme système de gestion, puis en ce sens-là je vous félicite
parce qu'au moins... Pour une
fois qu'on est dans un dossier où on ne parle pas d'imposer de la paperasserie
aux employeurs, je suis contente.
Mme Weil :
Bien, j'aimerais... Puis mon collègue de D'Arcy-McGee voudra vous poser des
questions sur le profil de main-d'oeuvre dont vous parlez puis...
Comment vous voyez le marché du travail? Vous
voyez vraiment... Donc, vous avez déjà l'expérience d'une pénurie dans certains domaines peu qualifiés qui
va faire en sorte de freiner la croissance des entreprises, et ça, vous
le voyez à travers le Canada et au Québec?
Mme Hébert (Martine) : Oui, tout à
fait.
Mme Weil :
Mais ce que vous dites, c'est qu'au niveau des politiques publiques, tant au
Québec qu'au Canada ou qu'ailleurs,
on ne retient pas ça. Je sais l'argument. L'argument, c'est que c'est des
personnes qui seraient vulnérables parce
qu'ils n'ont pas le secondaire ou un diplôme universitaire. Ça a toujours été
la pensée en immigration, et je pense que tous les systèmes sont un peu comme ça. Mais ce que vous dites, c'est
que, si on ne fait pas attention à ce phénomène, parce qu'il n'y aura pas assez de Québécois — on va parler du Québec — pas assez de Québécois qui pourront combler
ces emplois... Auquel cas il faudra toujours
compter sur le programme temporaire, mais là le programme temporaire
canadien vient d'être restreint de façon sérieuse, des gens qui pourront
revenir une fois, renouveler seulement une fois, donc seulement deux années.
Donc,
pourriez-vous nous décrire... Parce que vous êtes peut-être la première
personne, là, la première intervenante qui
pourrait nous expliquer un peu ce que vous remarquez dans les réalités du
marché du travail et les années à venir. Puis ensuite mon collègue
pourra vous poser des questions.
Mme Hébert
(Martine) : Tout à fait.
Écoutez, vous avez mentionné le terme «vulnérable», là, je comprends puis je pense que c'est important.
De toute façon, peu importent les gens qui arrivent ici, ils ont accès,
là, je vous dirais, aux mêmes sources d'information, là, que ce soit au niveau
de la Commission des normes du travail, par exemple,
et tout ça. Je pense qu'il y a peut-être des efforts particuliers à mettre
là-dedans, mais en même temps il faut arrêter de penser que tous les
employeurs, c'est des exploiteurs, là, je veux dire, ce n'est pas parce qu'ils
sont vulnérables...
Mme Weil :
Juste pour expliquer le mot, ce n'est pas tellement comme ça qu'on me l'a
expliqué. C'est plus si jamais la
personne perd son emploi, c'est : Est-ce qu'il pourra se retrouver un
emploi?, pas dans le sens de traitement.
• (20 h 50) •
Mme Hébert
(Martine) : O.K. Parce que,
si c'est ça... Bien non, mais c'est parce qu'on a entendu ça beaucoup aussi avec le Programme des travailleurs étrangers
temporaires, c'est pour ça que je voulais faire la précision, Mme la
ministre. Puis vous m'avez ouvert la porte, je suis rentrée dedans. J'espère
que vous allez me pardonner, mais c'est, je veux dire...
Et les
travailleurs étrangers temporaires ont été d'un grand secours dans plusieurs
secteurs d'activité. D'ailleurs, en page 11 de notre mémoire, là,
on vous met les types de poste à pourvoir par type, par secteur d'activité, là,
grâce au Programme de travailleurs étrangers
temporaires, et vous voyez que dans l'hôtellerie et la restauration il y a
beaucoup de postes non qualifiés. Il y a beaucoup aussi au niveau du manufacturier,
là, certains métiers, et tout ça.
Donc, je
pense que c'est important de dire qu'effectivement ce programme-là a subi de
grosses transformations au niveau
fédéral. Je sais que les changements ne sont pas encore en vigueur au Québec,
mais il y a plusieurs employeurs, là, qui risquent d'être privés d'une
main-d'oeuvre importante à la suite de ces changements-là.
Je vous dirais qu'il y a certains travailleurs
étrangers temporaires qui sont utilisés ou en fait qui étaient affectés à des besoins ou à des postes qui sont aussi
permanents, c'est-à-dire que les employeurs qui avaient recours à ces
travailleurs-là, comme ils n'en avaient pas, comme ils ne trouvaient pas de
main-d'oeuvre ni au niveau local ni à travers l'immigration permanente, devaient recourir à ce
programme-là. Alors, c'est pour ça que ce qu'on propose aussi dans notre mémoire, c'est de dire :
Bien, est-ce qu'on peut trouver une solution permanente? Est-ce qu'on
pourrait avoir l'expérience Québec, là, un
peu ce qu'il y a mais pour des travailleurs, justement, qui ont des compétences
de base, et qui leur permettrait
d'avoir une expérience de travail ici pendant une certaine période de temps, au
terme de laquelle ils seraient, là,
des candidats à l'immigration permanente? Parce que, comme je disais tantôt, il
reste, il demeure une réalité, c'est
que beaucoup, beaucoup de postes qui ont été comblés par des travailleurs
étrangers temporaires sont des postes qui sont permanents et qui sont toujours là. Donc, je pense qu'en tout cas
ça, dans la politique, la future politique québécoise...
D'ailleurs, on avait émis, au niveau fédéral, l'idée
d'une espèce de visa. Je sais qu'il y
a le programme expérience Québec ou quelque chose comme ça qui existe, mais
malheureusement c'est aussi, encore une fois, pour des travailleurs
qualifiés. On a besoin de travailleurs non qualifiés, et je pense que... Je
vous dirais qu'il y a moyen, là, en tout cas, d'en
arriver à trouver une solution permanente, si vous voulez, là, pour s'assurer
de bien intégrer ces travailleurs étrangers là non pas nécessairement sur une base uniquement temporaire mais sur une
base permanente pour les emplois, là, qui sont de nature plus durable.
Mme Weil : Je vous remercie.
Je céderais la parole à M. le député.
Le Président (M. Picard) : M.
le député de D'Arcy-McGee, il reste six minutes.
M.
Birnbaum : Ah bon, quand même! Donc, je veux poursuivre de la même
façon. On parle de l'exigence d'une meilleure adéquation, et une des
sources, évidemment, il faut que ce soit l'immigration.
Je trouve
que, depuis le début de ces audiences, il y a une dichotomie, j'espère et je
suis sûr, qui est fausse, qui est destructeur entre quelques groupes qui
prônent comme nous tous la pérennité du français et l'aspect de francisation incontournable et des autres regroupements qui
parlent de l'importance que l'immigration soit aussi un moteur à la fois
de l'intégration, de francisation mais
d'adéquation pour nos besoins communs, de veiller à notre avenir économique.
Comme je dis, mon impression, c'est qu'on
parle d'une fausse dichotomie et que les gens qui sont venus comme vous nous
parler de l'avenir de l'immigration comme
moteur pour l'avenir du Québec, vous n'êtes pas en train de céder une deuxième
place à la francisation. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus et surtout
sur le rôle des PME et des entreprises en ce qui a trait à la francisation
d'appoint et sur une fois rendu ici, chez nous.
Mme Hébert
(Martine) : Écoutez, je
pense qu'on est tous pour le fait français, hein, on vit dans une
province francophone majoritairement. Donc, la question est plus de
savoir : Est-ce qu'on peut assurer une diversité dans l'immigration que nous avons au Québec en faisant,
là, du français un critère aussi important qu'il l'est actuellement dans
les critères, là, qui sont appliqués en
matière d'immigration? Je vous dirais que la réponse est visiblement non, tu
sais, parce qu'automatiquement, si on met la barre trop élevée en matière de
connaissance du français, bien on va se trouver à sélectionner une clientèle immigrante ou des candidats à l'immigration
qui proviennent uniquement de certains bassins, que vous connaissez et qu'on connaît tous. Et non pas
qu'on en a contre ces bassins-là, mais malheureusement je vous dirais
que souvent... bien, malheureusement...
heureusement pour eux, mais souvent c'est que ces candidats-là aussi possèdent
des compétences ou en tout cas des niveaux de diplomation qui sont quand même
assez élevés, je vous dirais.
Alors, pour
nous, ce qui est davantage important, au niveau du fait français, c'est de
dire : Bien, diminuions nos exigences,
mais par contre mettons... de l'autre côté, assurons-nous que les ressources en
matière de francisation soient disponibles
et qu'elles soient aussi... — vous avez parlé du rôle des PME, M. le
député — que ces
ressources-là aussi en matière de
francisation soient adaptées à la réalité des PME. C'est évident que, si on a
des programmes de francisation où la PME qui accueille chez elle un
nouvel immigrant qui doit suivre des cours de français, par exemple, pour
parfaire sa connaissance de la langue
française... bien, qu'il est obligé de partir deux jours par semaine du travail
pour ce faire, ce ne sera peut-être
pas la situation idéale. Je pense qu'il va falloir avoir... peut-être penser à
des programmes de francisation, que
ce soit beaucoup plus flexible en dehors des heures de travail, par exemple, ou
en tout cas avoir des programmes, là, qui ont une certaine flexibilité et qui tiennent compte de la réalité des
petits employeurs, parce que, que voulez-vous, si vous avez 10 employés puis que vous en avez deux
qui s'en vont deux jours par semaine dans un programme de francisation, bien vous venez de perdre 20 % de votre
main-d'oeuvre. On se comprend? Donc, vous ne pouvez pas vous permettre ça.
Moi, je pense que... Et il y a certains
employeurs où il pourrait très bien aussi y avoir des programmes de
francisation sur le lieu de travail,
je pense qu'il y a moyen de faire les choses. Ce qu'on dit : Diminuons le
critère puis augmentons plutôt les ressources
en matière de francisation, et ça, non seulement dans les grands centres
urbains, mais à l'échelle du Québec.
M.
Birnbaum : Si je peux... Il me semble que, le complément de ma
question, vous y avez fait quelques petites allusions, mais j'aimerais que vous en parliez davantage. Le complément
de ma question, c'est : Est-ce que les PME sont au rendez-vous quand on parle de leur fardeau en
ce qui a trait aux défis qui sont devant les nouveaux arrivants,
c'est-à-dire de contrer la discrimination, de faire en sorte qu'il y ait une
formation d'appoint pas juste sur le français mais sur les capacités de base que vous exigerez des
immigrants, sur l'accueil, la sensibilisation des gérants, des employés qui
vont accueillir ces nouveaux gens là?
Mme Hébert
(Martine) : Je vous dirais que c'est important de fournir du soutien
aux employeurs pour les aider dans cette
responsabilité-là qu'ils ont par rapport aux travailleurs issus de
l'immigration qu'ils accueillent en leur sein. Vous savez, quand on leur demande, par contre, est-ce qu'elles ont
pris des mesures pour intégrer leurs travailleurs étrangers temporaires
dans le cadre du PTET, la vaste majorité nous disent : Oui, oui, je les ai
aidés à s'installer, on leur
a offert une formation d'appoint, on a fait du mentorat, on a organisé aussi
des activités sociales ou en tout cas on les a intégrés à certaines
activités sociales dans notre région. Donc, je pense que c'est un réflexe qu'il
y a là.
Est-ce
qu'il doit continuer d'y avoir un support de la part des intervenants et du
gouvernement en la matière? La réponse est oui, absolument, mais il y a
des mesures qui sont prises, là, par les employeurs pour intégrer...
Le Président (M.
Picard) : Merci.
Une voix :
...
Le Président (M.
Picard) : Il reste 10 secondes.
Une voix :
...
Le
Président (M. Picard) : Merci, M. le député de Sherbrooke.
Avant de poursuivre nos travaux, j'aurais besoin d'un consentement pour qu'on excède 21 heures, comme c'est
l'habitude pour notre commission. Donc, ça va pour tout le monde? M. le
député de Bourget, c'est à vous.
M. Kotto :
Merci, M. le Président. Mme Hébert, soyez la bienvenue. Merci pour votre
contribution.
Vous connaissez la
situation du français au Québec et notamment à Montréal. Plus de 70 % des
immigrants arrivent et atterrissent à Montréal, près de 40 % d'entre eux
ne parlent pas un mot de français. La langue de travail, jusqu'à nouvel avis, selon la loi c'est le
français. Nous sommes 2 % de parlant français en Amérique du Nord, c'est
un enjeu fondamental.
C'est
sûr que, quand on s'attarde sur cet aspect-là, on se pose la question :
Oui, mais on fait quoi avec l'économie? Est-ce qu'il n'y a pas lieu
d'imaginer des paradigmes qui pourraient mettre en exergue les avantages de ce
que vous réclamez de l'État en termes de
main-d'oeuvre et une connaissance adéquate du français sans affaiblir ce qui
est déjà en train de péricliter?
Parce que d'ici une vingtaine d'années, selon les projections, le français sera
minoritaire à Montréal, vous êtes bien au courant de ça.
Mme Hébert
(Martine) : Écoutez, j'ai eu l'occasion, dans le cadre d'un projet de
loi déposé par une de vos anciennes collègues, la ministre De Courcy à
l'époque, de parcourir les données, justement, qui avaient été publiées par l'Office de la langue française, et tout ça,
et je dois vous dire, en toute déférence et en tout respect, M. le député,
que je ne partage pas nécessairement votre lecture par rapport au français dans
le sens où...
M. Kotto :
...à quel point précisément?
Mme Hébert (Martine) : Bien, écoutez, je vous dirais, à l'époque... Puis
je n'ai plus les données en tête, mais ce qu'on disait à l'époque, c'est : Est-ce que parce que le français
avance nécessairement... Est-ce que parce que l'anglais avance le français
recule nécessairement?
M.
Kotto : Non, non, non, je n'ai pas mis le français et l'anglais
sur la balance, attention, l'anglais recule aussi. Enfin, c'est ce que
nous disent les chiffres.
Mme Hébert
(Martine) : O.K., parce que...
M.
Kotto : Donc, moi, ma préoccupation est à l'effet que nous
sommes 2 % de parlant français en Amérique du Nord et que, si nous
baissons la garde, ça prend une ou deux générations pour que cette langue
devienne minoritaire, spécifiquement à Montréal.
• (21 heures) •
Mme Hébert (Martine) : Vous savez, je pense qu'il ne faut pas... Il y a
deux choses, en fait, il y a deux débats dans ce que vous soulevez. Puis, comme je vous disais, comme je l'ai dit
depuis le début, on est d'accord avec le fait français, à la FCEI, on supporte ça, sauf que ce qu'on dit,
c'est que... Est-ce que pour protéger le français il faut absolument
qu'au niveau de nos critères
d'immigration... qu'on mette un critère si élevé, en fait, un pointage aussi
élevé dans la connaissance ou que nos exigences soient si élevées dans
le niveau de connaissance de la langue française? Est-ce que pour protéger
justement le fait français on est obligé d'aller jusque-là?
Nous,
ce qu'on dit, c'est qu'une des clés de l'intégration en matière
d'immigration... Parce que c'est ça, comme société, que nous avons comme défi aussi, c'est de dire que, les
personnes que nous allons accueillir, il faut qu'elles puissent
s'intégrer économiquement aussi. Alors, pour faire face à ce défi-là, qui est
multiple, ce qu'on dit, c'est : Peut-être que nos exigences en matière de
connaissance du français sont un peu élevées. Peut-être que, si on les
baissait, on favoriserait davantage l'intégration des personnes que nous
accueillons dans notre société au niveau de l'intégration économique parce qu'on pourrait accueillir des
personnes qui ont un profil qui correspond davantage aux besoins du
marché du travail. Mais, de l'autre côté,
pour adresser votre... — pour prendre un anglicisme bien connu — pour adresser votre préoccupation, pour répondre à votre
préoccupation, il faut, de l'autre côté, s'assurer qu'on a des mesures de
francisation qui sont en place et qui permettent à ces personnes-là de parfaire
leur connaissance du français.
M.
Kotto : Ce qui fait... Mesures de francisation qui font défaut
en ce moment, c'est un constat.
Sur
la question de la gestion de la diversité des entreprises que vous représentez,
vous dites qu'il existe une foule d'outils intéressants pour l'appui,
pour accompagner ces entreprises-là au niveau du MIDI. Vous pensez à quels
outils précisément?
Mme Hébert (Martine) : Bien, écoutez, je vous dirais qu'on siège sur le
Comité des intervenants économiques, là,
du MIDI, qui est un comité à l'intérieur duquel notamment on a l'occasion, là,
de se familiariser avec différents outils ou différentes actions, là, qui sont entreprises par le ministère. Il y a
quand même pas mal d'information sur le site Internet du ministère. Je n'ai pas le nom des outils en tête,
là, je pourrais, M. le Président, faire parvenir à la commission, là, la
liste des outils, là, qu'on trouve, qu'on
juge les plus pertinents et les plus intéressants, mais je vous dirais, M. le
député, que je n'ai pas en tête, au
moment où on se parle, la liste, là, exacte. Mais je sais que sur le site Internet,
et tout ça, il y a quand même des
choses intéressantes qui ont été faites et qu'on continue d'ailleurs de
développer dans l'esprit de collaboration, là, que nous avons avec le ministère, sur le comité de
travail auquel nous siégeons, justement pour essayer de parfaire ce
genre d'outil là, essayer de faire en sorte et de voir à ce que les employeurs
puissent avoir à des outils qui sont adaptés, là, et qui sont nécessaires, là,
pour favoriser une bonne intégration des personnes issues de l'immigration au
travail.
M. Kotto :
O.K. Les travailleurs non qualifiés, vous les voyez dans quel secteur, ceux que
vous réclamez?
Mme Hébert (Martine) : Écoutez, comme on disait tantôt, beaucoup dans le
secteur du tourisme, entre autres, hébergement, restauration. Il y en a
de plus en plus en demande dans le secteur de la construction. Il y en a dans
le secteur, aussi, manufacturier, où, là,
c'est un petit peu plus des ouvriers de compétences techniques. Et évidemment
on a toute la main-d'oeuvre spécialisée, mais ça, c'est un autre, je vous
dirais, palier, là, ce n'est pas là où... Pour nous, ce n'est pas là où le bât
blesse.
Et,
comme on dit dans notre mémoire, d'ailleurs, on a... À quelques occasions, là,
dans le mémoire, on signale justement personnel de production, corps de
métier, à la page 8, professionnels de la vente, personnel administratif ou technique de même que, dans certains autres
secteurs, comme je vous disais tantôt, là, des postes qui exigent plus
un métier ou des postes non qualifiés, notamment
dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration, en agriculture
évidemment, mais il faut dire que le
programme étrangers temporaires a permis de régler... en tout cas les
aménagements qui ont été adoptés par le gouvernement fédéral a permis de
régler les problèmes de main-d'oeuvre, en tout cas de pallier aux problèmes de main-d'oeuvre dans le domaine de
l'agriculture, et donc ça veut dire qu'il y a de la place au Québec et
au Canada pour accueillir des personnes qui n'ont pas nécessairement un diplôme
universitaire, là, en poche.
M.
Kotto : O.K. M. le Président, en terminant, en vertu de
l'article 176 de notre règlement, je vous demande de convoquer les membres de cette commission afin de
pouvoir déterminer les observations, conclusions et recommandations qui
feront suite au présent mandat. Merci. Merci, madame.
Le
Président (M. Picard) : Merci, M. le député. Donc, en vertu de
l'article 176, nous avons trois jours pour se réunir pour rédiger des observations et des
recommandations, c'est prévu dans le règlement, cet article-là. On en
discutera tout à l'heure, après le témoignage de Mme Hébert, si vous êtes
d'accord, mais je reçois bien votre demande, M. le député de Bourget.
Je cède la parole à
M. le député de Borduas.
M.
Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonsoir, Mme Hébert. À
la page 13 de votre mémoire, vous traitez du fardeau fiscal des
petites et moyennes entreprises au Québec versus celui des PME des autres
provinces, donc vous établissez à 8 %
versus 3 % le fardeau fiscal, et vous abordez la question des immigrants
entrepreneurs, des immigrants investisseurs.
Notamment sur la question de la rétention des immigrants
investisseurs et des immigrants entrepreneurs au Québec, donc, on constate qu'ils intègrent... qu'ils
immigrent au Québec, mais par la suite on a
une difficulté à les retenir. Qu'est-ce qu'on peut faire pour réussir,
un, à aller en chercher davantage et, deux, à ce qu'ils soient maintenus sur le
territoire québécois?
Mme Hébert
(Martine) : Je vous dirais qu'en ce sens-là c'est sûr que, vous l'avez
bien mentionné, on entend... Le Québec se
targue parfois d'avoir une fiscalité avantageuse, là. Ce n'est pas
nécessairement le cas lorsqu'on compare
la fiscalité des PME, hein, on parle bien des petites et moyennes entreprises,
là, par rapport au reste des... aux autres provinces canadiennes
notamment. Vous l'avez bien dit, le taux d'imposition de nos PME est à plus du
double de la moyenne canadienne, 8 % au
Québec, 3 % ailleurs. Les taxes sur la masse salariale, qui sont les
contributions des employeurs aux
différents régimes sociaux, là, elles sont 45 % plus élevées au Québec que
dans le reste du Canada. Alors, ça,
c'est sûr que c'est des coûts en partant. Si on veut attirer des immigrants
investisseurs, ce n'est pas fort, fort comme instrument d'attrait, je
vous dirais, pour les attirer.
Par ailleurs, on sait
que le marché du travail et le milieu des entreprises sont fortement réglementés au Québec. On a eu certaines avancées,
mais je vous dirais que la pente demeure quand même assez abrupte. Donc,
en ce sens-là, c'est sûr qu'il faut travailler davantage et continuer à oeuvrer
à créer un environnement fiscal et réglementaire
qui est beaucoup plus convivial pour les entreprises, parce que c'est sûr que
dans la situation actuelle on n'est pas la province la plus attrayante.
M.
Jolin-Barrette : Est-ce que vous avez une idée du nombre annuel
d'immigrants qui décident de partir des entreprises, de démarrer des
entreprises, parmi vos membres? Est-ce que vous avez ces statistiques-là?
Mme Hébert (Martine) : Je n'ai pas
ces statistiques-là, mais ce qu'on sait, c'est qu'il y a beaucoup de... la population immigrante, en fait, il y a certaines
souches qui sont très entreprenantes et qui sont très entrepreneurs,
hein, donc... Et, avec les défis
démographiques que nous avons au Québec, je pense que certainement les
personnes immigrantes vont continuer
d'être un bassin pour l'entrepreneuriat québécois très important et à ne pas
négliger, mais encore faut-il qu'on soit attractif, que le Québec
représente une certaine forme d'attraction, là, pour ces entrepreneurs
potentiels là qui pourraient venir investir
au Québec et s'établir au Québec, ce qui n'est pas le cas actuellement. C'est
pour ça qu'il faut continuer à travailler sur notre environnement fiscal
et réglementaire.
M.
Jolin-Barrette : Vous disiez que c'est important d'avoir une bonne
adéquation entre les besoins du marché du travail et la qualification des immigrants qu'on souhaite accueillir ici
au Québec. Notamment vous dites : Bien, le marché du travail ne requiert pas toujours un diplôme
universitaire, un bac, maîtrise, tout ça, il y a des emplois qui requièrent
peu de qualifications et qui sont non comblés, puis vous donnez l'exemple de la
construction.
Particulièrement sur ce point-là, pour la
construction, on sait que c'est une industrie qui est extrêmement réglementée et que le système de bassin de la
construction ouvre très rarement, vous allez avoir certaines régions que
le bassin ouvre une fois dans l'année, qu'il
faut suivre une série de cours, et que ça prend des certificats de compétence
pour pouvoir intégrer... ou une licence dans le cas de quelqu'un qui voudrait
démarrer son entreprise dans l'industrie de la construction. Donc, comment est-ce qu'on jumelle ça? Parce que ce n'est
pas tout, d'aller chercher des gens avec peu de qualifications pour répondre aux besoins, mais ici même, au Québec, le
marché est fermé et parfois même artificiellement.
Mme Hébert (Martine) : Absolument.
Je pense que c'est pour ça que... Comme je disais tantôt, justement, parlons de
l'environnement réglementaire de ce secteur-là. Je pense qu'il y a des défis
auxquels nous faisons face et auxquels nous allons continuer de faire face et,
en ce sens-là, je pense qu'on va avoir intérêt à repenser peut-être le système tel qu'il est actuellement parce que,
comme vous le dites, c'est un système qui est extrêmement réglementé,
dans cette industrie, qui est extrêmement
segmenté aussi, hein, c'est comme... il y a tellement de corps de métier et de
toutes sortes de choses. Donc, il y a
peut-être des choses à repenser à cet égard-là aussi pour favoriser davantage
la pérennité de la main-d'oeuvre, là, l'apport d'une main-d'oeuvre
pérenne, là, dans cette industrie-là.
• (21 h 10) •
M.
Jolin-Barrette : Sur la question de la langue, à la page 3 de
votre mémoire vous avez effectué un sondage auprès de certains de vos
membres, et on constate que, bon, la majorité, 55 %, n'ont eu aucun
problème au niveau de l'intégration, au
niveau des travailleurs étrangers temporaires, mais par la suite la première
barrière, c'est une barrière linguistique.
Donc, tout à l'heure, vous abordiez
la question de la francisation au travail et puis de libérer
du temps mais que parfois ce n'est pas possible, mais on constate véritablement
que c'est une des priorités pour réussir aussi pour les entrepreneurs, pour les
employeurs, la question de la connaissance de la langue de travail est importante
aussi.
Mme Hébert (Martine) : Oui, c'est-à-dire
que ça ne veut pas dire que parce qu'ils ont identifié ça comme étant... Quand on parle de barrières linguistiques ou de problèmes liés à l'intégration, ça ne veut pas dire que ça a été
des problèmes insurmontables. Ça veut
dire que ce sur quoi ils ont eu à travailler majoritairement, quand ils ont eu à travailler sur quelque chose,
ça a été au niveau de la langue, de dire : Bien, soit que...
Puis ça,
c'est un sondage à l'échelle pancanadien, hein... pancanadienne, c'est-à-dire,
donc c'est le Canada. Alors, quand on
parle de défi au niveau de la langue, c'est à la fois anglais et français, là,
parce qu'on a interrogé nos membres au niveau
pancanadien, donc ce n'était pas juste l'affaire du Québec, là. Donc, on voit
bien que c'est un défi auquel on est confronté,
lorsqu'on parle de main-d'oeuvre issue de l'immigration, et que ce n'est pas
uniquement le fait du français.
Mais ça ne veut pas dire que c'est un problème
qui est insurmontable, ça veut juste dire que c'est parmi les éléments qui sont à travailler ou, si vous voulez,
qui posent un défi aux employeurs. C'en est un, et c'est pour ça qu'on
dit qu'il faut s'assurer d'avoir et de
mettre de l'avant les programmes de francisation, là, qui vont permettre, si
vous voulez, de régler cette
problématique-là ou en tout cas de s'attaquer... ou de bien outiller les
employeurs pour s'attaquer à cette problématique. Mais une barrière, ce
n'est pas un obstacle insurmontable.
Le
Président (M. Picard) : Merci, M. le député. C'est terminé.
Donc, Mme Hébert, on vous remercie pour vos commentaires, votre
apport à nos travaux de la commission.
Mémoires déposés
Et, avant de conclure les auditions, je vais
procéder au dépôt des mémoires des organismes qui n'ont pas été entendus. Pour votre information, nous avons reçu
49 groupes ou personnes en sept jours et nous avons reçu 60 mémoires.
Donc, je vous remercie tous pour votre
collaboration, et la commission ajourne ses travaux sine die.
(Fin de la séance à 21 h 12)