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Version finale

41st Legislature, 1st Session
(May 20, 2014 au August 23, 2018)

Tuesday, February 10, 2015 - Vol. 44 N° 23

Special consultations and public hearings on the paper entitled Towards a New Québec Policy on Immigration, Diversity and Inclusion and the related documents


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Table des matières

Auditions (suite)

Ville de Montréal

M. Antoine Bilodeau

M. Bob White

Mme Catherine Gail Montgomery

Mme Marian Shermarke

Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI)

Mémoires déposés

Autres intervenants

M. Marc Picard, président

Mme Kathleen Weil

M. David Birnbaum

M. Maka Kotto

M. Simon Jolin-Barrette

M. Amir Khadir

*          M. Lionel J. Perez, ville de Montréal

*          M. Jorge Frozzini, accompagne M. Bob White

*          Mme Danielle Gratton, idem

*          M. Marc Sougavinski, accompagne Mme Marian Shermarke

*          Mme Marie Ouellon, idem

*          Mme Martine Hébert, FCEI

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Dix heures douze minutes)

Le Président (M. Picard) : À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des relations avec les citoyens ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

La commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur les documents intitulés Vers une nouvelle politiquequébécoise en matière d'immigration, de diversité et d'inclusion.

Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Bernier (Montmorency) est remplacé par M. Plante (Maskinongé); Mme Richard (Duplessis), par Mme Léger (Pointe-aux-Trembles); et Mme Lavallée (Repentigny), par M. Jolin-Barrette (Borduas).

Le Président (M. Picard) : Avant de débuter nos travaux, j'aurais besoin d'un consentement pour qu'on puisse poursuivre selon... On va excéder l'heure prévue parce qu'on commence avec quelques minutes de retard. Ça va pour tout le monde? Merci.

Auditions (suite)

Ce matin, nous recevons la ville de Montréal et M. Antoine Bilodeau, professeur agrégé au Département de science politique de l'Université de Concordia.

Nous débutons par les représentants de la ville de Montréal, nous avons M. Lionel Perez qui remplace M. Coderre. Et vous disposez de 10 minutes pour faire votre présentation, et je vous demanderais aussi de nous indiquer qui vous accompagne. La parole est à vous, M. Perez.

Ville de Montréal

M. Perez (Lionel J.) : Merci bien, M. le Président. Merci, Mme la ministre, M. le Président, distingués membres de la commission, merci de nous recevoir parmi vous ce matin. Je me présente. Mon nom est Lionel Perez, élu municipal, membre du comité exécutif, responsable, entre autres, des relations gouvernementales. Je suis accompagné par Mme Peggy Bachman, directrice du Bureau des relations gouvernementales à la ville de Montréal. Et puis je prends l'opportunité pour excuser l'absence de M. Denis Coderre, le maire de Montréal, qui devait être avec nous, mais malheureusement il a eu un empêchement de dernière minute, il s'en excuse.

Tout d'abord, la ville de Montréal salue l'initiative du gouvernement du Québec de mener ces consultations particulières autour d'une démarche structurante qui vise à élaborer une nouvelle politique en immigration. À la ville de Montréal, nous souscrivons pleinement à la vision proposée dans le document de consultation. Montréal a toujours considéré l'immigration comme une richesse essentielle à son développement, et nous souhaitons être partie prenante de cette définition du vivre-ensemble. Pour ce faire, il est essentiel d'améliorer la convergence et la complémentarité des interventions en matière d'immigration. Aujourd'hui, Montréal souhaite clarifier son rôle pour ce qui est de l'accueil et de l'intégration des nouveaux arrivants. Dans le contexte d'une reconnaissance effective du statut de métropole, le gouvernement doit saisir l'occasion de sa nouvelle politique pour bâtir un nouveau partenariat avec Montréal.

Montréal, qui représente 25 % de la population québécoise, est le lieu d'accueil et d'intégration de 70 % des nouveaux arrivants du Québec, cela représente bon an, mal an 35 000 nouveaux citoyens par année. D'ailleurs, l'immigration internationale demeure le moteur principal de la croissance démographique de Montréal, ce qui entraîne des répercussions majeures sur le développement social et économique de la métropole. La diversité et le caractère cosmopolite de Montréal sont devenus, au fil du temps, l'un de ses plus grands atouts.

Au cours des 25 dernières années, la ville a mis en place plusieurs orientations politiques et pratiques pour assurer la participation des citoyens de diverses origines à la vie municipale, la Charte montréalaise des droits et responsabilités adoptée en 2006 en est un bon exemple. En 2011, Montréal a obtenu une reconnaissance internationale du Conseil de l'Europe et de la Commission européenne pour l'ensemble de ses actions dans le domaine interculturel.

Les villes sont des acteurs de premier plan dans l'accueil et l'intégration des immigrants, car c'est au niveau local que se vit quotidiennement l'inclusion. En tant que gouvernement de proximité, Montréal a le souci de maximiser l'utilisation des ressources municipales et communautaires, mentionnons à titre d'exemple les bibliothèques, les maisons de la culture, les installations sportives et les centres de loisirs. Mais les défis sont nombreux. Plusieurs familles vivent des situations de pauvreté passagères ou même permanentes. Certains individus sont aussi à risque de vivre des épisodes d'itinérance. Cette situation est préoccupante, et la ville veut pouvoir disposer de plus de ressources pour contrer l'exclusion sociale qui en découle et demeurer une métropole inclusive.

Au-delà des politiques sociales, l'inclusion présente des implications économiques majeures. Je me permets de rappeler que le dynamisme de la métropole est essentiel à la prospérité de l'ensemble des régions du Québec. Avec les départs massifs à la retraite d'ici 2019, 1,4 million de travailleurs devront remplacer ceux qui quitteront. L'arrivée de nouveaux immigrants représente une partie de la solution et une condition essentielle pour assurer la vitalité économique de Montréal et donc du Québec.

Montréal accueille la grande majorité des immigrants sélectionnés dans la catégorie économique. Toutefois, encore aujourd'hui, la situation de l'emploi chez ces personnes est précaire. À titre d'exemple, le taux de chômage à Montréal est plus élevé pour les immigrants, 11,3 %, que pour les non-immigrants, de 7 %. Face à ces constats, la ville de Montréal a mis en place plusieurs initiatives pour améliorer l'employabilité des personnes immigrantes sur son territoire. Notre programme de parrainage professionnel est un exemple de succès. Créé en 2006, il a aidé 354 stagiaires à développer leurs compétences pour intégrer le marché du travail. Le programme a toutefois été suspendu en 2014 en raison d'un manque de financement. La ville de Montréal invite le ministère à réévaluer sa position et le financement du programme afin qu'il soit relancé rapidement.

Les entreprises de la région métropolitaine contribuent, elles aussi, à cet effort d'intégration professionnelle des immigrants à la hauteur de leurs compétences. Malgré l'immense potentiel de ces travailleurs, la déqualification et la non-reconnaissance des acquis et compétences sont des problématiques majeures. La reconnaissance des diplômes étrangers est complexe et ambiguë pour plusieurs entreprises. Le gouvernement doit porter une attention particulière à cette réalité et continuer de soutenir des projets de sensibilisation des entreprises tels que le projet Emploi Nexus.

Comme la présente consultation servira d'assise à la prochaine planification de l'immigration, nous souhaitons réitérer l'importance d'éviter toute mesure qui aurait pour effet de diminuer le nombre d'admissions sur le territoire montréalais. On le répète, l'équilibre démographique et le développement économique de la métropole sont grandement tributaires de l'immigration. Le gouvernement doit poursuivre la sélection orientée sur la diversification des bassins d'immigration et viser le recrutement de candidats dont les compétences sont recherchées sur le marché du travail. La métropole souscrit également aux propositions de Montréal International qui soulignent l'importance pour le ministère de mieux accompagner les travailleurs temporaires spécialisés et les étudiants internationaux, compte tenu de leur fort potentiel d'intégration.

Toujours dans le but de mieux accueillir et intégrer les immigrants, la ville salue l'orientation gouvernementale qui prévoit des démarches d'intégration en amont depuis l'étranger. Toutefois, l'accompagnement de nouveaux arrivants une fois établis au pays demeure la pierre d'assise d'une intégration réussie.

• (10 h 20) •

La notion du vivre-ensemble concerne aussi l'accueil humanitaire. Le projet de soutien à l'intégration, liaison et accompagnement, SILA, mis en place par la ville suite au séisme d'Haïti est un bel exemple de partenariat et de réussite, avec près de 53 000 personnes accueillies. Dans un contexte mondial où les villes sont de plus en plus appelées à accueillir et soutenir des populations fragilisées, ce type de projet apparaît comme un modèle d'intervention, et j'invite le gouvernement à s'en inspirer pour les situations d'accueil d'urgence.

Le document de consultation soulève clairement la question du rôle des municipalités en matière d'accueil, d'intégration, de francisation, de relations interculturelles et d'inclusion. La ville de Montréal précise d'entrée de jeu que la francisation doit demeurer une responsabilité gouvernementale étroitement liée aux fonctions d'éducation, il est essentiel que cet apprentissage se fasse, à l'arrivée au Québec, dans un contexte d'accompagnement étroit qui relève des ministères concernés et non des municipalités. C'est plutôt en ce qui concerne les fonctions d'accueil et d'intégration qu'un changement de paradigme est nécessaire afin d'atteindre les objectifs de subsidiarité et d'efficience visés par le gouvernement. En effet, l'atteinte de ces objectifs est conditionnelle à une révision en profondeur de l'ensemble des services d'accueil aux nouveaux arrivants, ce qui implique une étroite collaboration entre tous les partenaires communautaires et institutionnels. L'efficacité de l'accueil et de l'intégration des immigrants se réalisera seulement grâce à un partenariat réel entre Québec et Montréal. La métropole a la capacité d'assumer des pouvoirs accrus dans ces fonctions stratégiques, les nombreuses initiatives et bonnes pratiques mises de l'avant depuis des années par Montréal témoignent de son expertise dans le domaine. Toutefois, on ne peut nier la réalité financière. Montréal évolue dans un contexte de financement restreint et inadéquat.

Pour la période de 2014 à 2016, la métropole recevra, dans le cadre de l'entente signée avec le ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion, un financement de 3,1 millions de dollars pour soutenir l'ensemble de ses actions en matière d'immigration et d'intégration. Certes, d'autres ministères contribuent à cet égard-là. Ce montant est nettement insuffisant pour répondre aux défis que nous sommes appelés à relever. Pourtant, l'accord Canada-Québec relatif à l'immigration et l'admission des aubains de 1991 prévoit un financement stable, récurrent et indexé transféré du gouvernement du Canada au gouvernement du Québec, ce qui représente 320 millions de dollars en 2014. Le temps est venu de revoir les modes de gestion et de répartition de ces montants afin d'assurer des ressources à la métropole pour qu'elle puisse remplir adéquatement ses fonctions d'accueil et d'intégration des nouveaux citoyens.

Les défis sont importants. En tant que territoire d'accueil et d'intégration de plus de 70 % des immigrants du Québec, la métropole doit avoir les coudées franches pour agir localement et répondre aux besoins de ses citoyens. La nouvelle politique québécoise en matière d'immigration, de diversité et d'inclusion est une opportunité pour le gouvernement du Québec de travailler en partenariat avec la métropole, la révision des modes de gestion et de financement d'initiatives montréalaises en matière d'accueil et d'intégration des immigrants est incontournable. Dans le contexte d'une reconnaissance du statut de métropole, l'occasion est excellente pour le gouvernement de reconnaître le rôle de la métropole en matière d'accueil et d'intégration des immigrants et qu'il lui alloue les ressources financières nécessaires pour assumer ce rôle.

J'invite donc, au nom du maire de Montréal M. Denis Coderre, le gouvernement du Québec à appuyer le Sommet Vivre ensemble qui se déroulera à Montréal en juin. Cet événement sera l'occasion d'échanger avec les autres métropoles sur les questions de sécurité et d'intégration et sur la nécessité de maintenir un équilibre entre l'ouverture et la vigilance. Ce sera également l'occasion de mettre de l'avant la vision proposée d'un Québec francophone, inclusif et fier de sa diversité.

Je vous remercie de votre attention, et nous sommes disponibles pour répondre à vos questions.

Le Président (M. Picard) : Merci, M. Perez. Nous allons débuter avec la partie gouvernementale, donc je cède la parole à Mme la ministre.

Mme Weil : Oui. Bonjour, M. Lionel Perez, Mme Bachman. Je voudrais, dans un premier temps, vous remercier de votre participation et vous dire que j'ai beaucoup, beaucoup apprécié votre mémoire, c'est un travail très recherché, très riche, beaucoup d'information. Vous faites un retour sur des programmes qui ont bien fonctionné, évidemment, pour alimenter la réflexion, c'est-à-dire une politique et un plan d'action à venir, et je vais vous poser certaines questions sur ces différentes initiatives, mais surtout ce que j'apprécie beaucoup, c'est cette vision d'ouverture. Et on le voit, on a juste à se promener à Montréal, on le sent. Moi, je suis souvent, évidemment, à l'hôtel de ville pour des annonces, des événements, avec le maire, et c'est vraiment un lieu où le vivre-ensemble est promu quotidiennement par la ville et d'autres acteurs. Alors, je voulais vous féliciter publiquement pour tout le travail que vous faites, je pense que Montréal est un modèle, honnêtement, dans sa façon de fonctionner. Et on arrivera peut-être sur cette question... bien, on arrivera sûrement, là, dans les questions sur le rôle des villes en matière de promotion, si on veut, d'intégration de l'immigration.

Juste d'entrée de jeu, j'aimerais parler du rôle du secteur privé, parce qu'il y a des comparaisons avec d'autres villes, comme Toronto, et je suis frappée... Comme dans d'autres villes, à Toronto par exemple, tout le dossier de l'intégration des immigrants, ça a été le secteur privé qui a été un peu l'instigateur de ça, c'est le projet ALLIES. Et moi, je n'étais pas en politique à ce moment-là, j'étais à La Fondation du Grand Montréal, et on dirait que c'est difficile de mobiliser le secteur privé comme ils peuvent faire dans d'autres villes canadiennes.

Et donc on sait très bien que ce n'est pas le gouvernement qui engage tout ce monde-là. Le gouvernement a des fonds, on distribue l'argent qu'on reçoit du gouvernement du Canada à Emploi-Québec. Et vous mentionnez les programmes qui sont financés par Emploi-Québec, l'argent au ministère de l'Éducation, au ministère de la Santé pour tous les enjeux que vous soulignez, mais, le secteur privé, on en parle rarement. Et moi, j'aimerais savoir de votre part, si la ville veut jouer un rôle de premier plan en matière d'intégration et d'accueil, qu'est-ce que la ville pourrait faire pour mobiliser le milieu, le secteur privé qui... finalement c'est le secteur privé qui engage, toute cette... Vous l'avez mentionné, vous utilisez le mot «discrimination» comme nous, on l'utilise ici, les préjugés, la fermeture. C'est sûr que, lorsque les représentants du secteur privé arrivent, ils disent : C'est souvent la méconnaissance, mais ils reconnaissent aussi qu'il y a du travail à faire. Mais la ville comme acteur principal pour mobiliser, qu'en pensez-vous?

M. Perez (Lionel J.) : C'est certain que chaque intervenant de la société a un rôle à jouer. Évidemment, le secteur privé a besoin de main-d'oeuvre, c'est sa préoccupation principale, avoir les gens qui ont la compétence, les connaissances pour pouvoir contribuer à leur entreprise et évidemment à l'évolution économique de Montréal et du Québec. Donc, c'est vraiment le point de départ, de leur point de vue.

Ce qu'on entend, ce qu'on discute avec eux, Montréal International a soulevé cet enjeu-là, c'est que des fois il y a un genre de joug pour pouvoir faciliter, accélérer les processus d'acceptation à un certain niveau, et, comme on l'a mentionné, c'est un enjeu également à voir. Deuxièmement, il y aussi un enjeu concernant la reconnaissance de diplôme et de compétence. Nous pensons que c'est un volet important à revoir parce que, d'un point de vue économique, on va avoir une main-d'oeuvre qu'on a besoin; deuxièmement, ça va également faciliter l'intégration de ces mêmes immigrants.

Outre cela, on a des programmes spécifiques. J'ai parlé du programme Nexus. Ce programme, il aide des entreprises qui peut-être ont une certaine réticence, une certaine, peut-être, malcompréhension, certains préjugés, on peut même dire, et à travers ce programme on peut créer des ponts, on peut briser des murs pour démontrer à des entreprises que, nonobstant peut-être l'origine de la personne, elle a les compétences, elle a la capacité de contribuer à l'entreprise. Évidemment, on reconnaît, du point de vue secteur privé également... La Chambre de commerce du Montréal métropolitain dit que c'est un enjeu majeur et elle a un rôle à jouer.

Donc, pour nous, c'est une question que la ville, elle est un facilitateur sur ces enjeux-là. On a des programmes spécifiques, on peut contribuer. Évidemment, tous les enjeux d'intégration se jouent au niveau local, donc c'est une question de vraiment marier, de travailler en partenariat avec le gouvernement du Québec pour pouvoir faire avancer ces enjeux et améliorer l'intégration de ces mêmes immigrants.

Mme Weil : Oui. Bien, par rapport à cette question, je pense qu'il va falloir qu'on réfléchisse, parce qu'on a toujours... C'est sûr que le gouvernement a des programmes, peut stimuler, mais je pense que la ville peut aussi mobiliser le secteur privé, et, je pense, ça vaut la peine de réfléchir à ça, les chefs d'entreprise, parce que je vous le dis, à Toronto c'est les chefs d'entreprise qui ont pris ce dossier, avec le gouvernement, mais qui ont vraiment exercé un grand leadership, et je pense que Montréal est bien positionnée pour jouer ce genre de rôle. Je connais les programmes. Tous ces programmes, ils sont excellents, mais on ne sent pas vraiment les entreprises voulant vraiment jouer un rôle de leadership. Parce qu'on pourra avoir tous les programmes qu'on veut, c'est les entreprises qui doivent, finalement, s'y mettre pour commencer à engager. Vous le faites... Oui?

• (10 h 30) •

M. Perez (Lionel J.) : ...on est tout à fait d'accord avec ces énoncés, Mme la ministre. Je pense que le maire de Montréal, M. Denis Coderre, a démontré qu'il est prêt à prendre ce leadership lorsque c'est opportun. Je pense qu'avec cette nouvelle administration on démontre qu'il y a vraiment un nouveau souffle à Montréal sur tous les plans, que ce soit économique, que ce soit social, que ce soient des questions de gouvernance. Évidemment, le gouvernement actuel a contribué avec l'adoption de la loi sur l'inspecteur général. Et, on voit également, il y a un engouement du secteur privé, on a eu le forum, notamment, Je vois Montréal qui démontre à quel point qu'il y a une volonté. Et ce vent de changement, il se sent au niveau... on voit beaucoup des gens du secteur privé, des entreprises, des P.D.G. qui veulent s'impliquer à ce niveau.

Alors, je pense que vous avez tout à fait raison, Montréal peut, a et va continuer à montrer ce leadership, d'autant plus que, comme vous le savez, on est en discussion sur les enjeux de statut de métropole. Évidemment, c'est une opportunité de plus pour affirmer ce leadership au niveau des municipalités mais notamment à la métropole de Montréal.

Mme Weil : Et j'arrive à la page 5, où vous voulez montrer l'exemple en favorisant l'accès aux jeunes à la fonction publique montréalaise. Donc là, vous voulez vraiment donner un coup de barre, je comprends. Peut-être que vous pourriez nous parler de cette question de représentation. En fait, c'est un problème généralisé, c'est un défi, on va dire, un défi généralisé, je pense, au Québec, c'est la représentation des minorités ethniques. Est-ce que vous pourriez nous parler de votre vision et de votre volonté d'aller plus loin en matière d'accès à l'égalité?

M. Perez (Lionel J.) : Absolument. Évidemment, comme je l'ai noté dans l'allocution, Montréal reçoit 70 % de tous les nouveaux arrivants au Québec. Ça met évidemment un défi de taille concernant l'intégration et la main-d'oeuvre.

Concernant la fonction publique, notamment, montréalaise, c'est certain qu'au fil des années on a eu ce même défi, comme la fonction publique au niveau québécois. On a donc pu instaurer des programmes pour augmenter le niveau des nouveaux immigrants, des membres des communautés culturelles, et ça porte fruit, on a vu que l'augmentation appréciable concernant les embauches des membres de communautés culturelles est faite tout récemment, depuis plusieurs années, et ça continue. Est-ce qu'on peut faire mieux? Est-ce qu'on doit faire mieux? Absolument. Mais il y a les programmes qui sont là, j'ai mentionné également la charte des droits et responsabilités de Montréal, on a des programmes à l'accès pour soutenir l'égalité entre les femmes et les hommes, évidemment d'autres programmes concernant cet enjeu-là, et Montréal sera toujours là pour augmenter les résultats.

Mme Weil : Vous parlez aussi du rôle des bibliothèques et de la culture en matière d'intégration, je trouve ça intéressant. On n'a pas eu encore beaucoup d'interventions là-dessus, mais c'est peut-être parce que vous êtes un acteur important en la matière. Et des sports, vous parlez des sports aussi. Vous avez beaucoup d'initiatives qui montrent une approche très diversifiée par rapport à l'inclusion. Est-ce que vous pourriez nous décrire cette vision que vous avez puis, bon, le succès de votre programme des bibliothèques mais aussi la culture en général?

M. Perez (Lionel J.) : Absolument. Comme je l'ai mentionné dans l'allocution, l'intégration au quotidien se fait au niveau local. Au niveau local, les nouveaux immigrants, ils vont évidemment côtoyer le quartier et ils vont prendre avantage des services qui leur sont offerts. Donc, lorsqu'on a des lieux, des installations municipales, on a l'opportunité de pouvoir accueillir, de pouvoir offrir un service et être un pont pour cette intégration. Alors, on parle notamment des bibliothèques, bibliothèques qui sont très fréquentées à la ville de Montréal. Et c'est une opportunité pour non seulement s'enrichir d'un point de vue bibliothécaire, de pouvoir lire et explorer, avoir des connaissances, mais c'est également un lieu d'échange, c'est un lieu où on a différents programmes, on a des programmes au niveau d'échanges culturels, sur des vernissages et des différents enjeux. Donc, c'est vraiment un lieu également où il y a cette opportunité, comme vous mentionnez, sur les enjeux de la culture, où ça encourage l'échange, ça encourage la connaissance de la culture québécoise, de la culture montréalaise, sur les cultures des différentes personnes, d'origines diverses. Et, encore une fois, ça démontre cette notion de vivre-ensemble, cette capacité de Montréal, en tant que métropole, de pouvoir agir comme agent de changement, d'acteur incontournable sur ces enjeux-là parce qu'on est sur le terrain.

Mme Weil : Oui, en effet. J'ai un collègue qui voudra poser des questions, alors je vais aller en amont maintenant. Le nouveau système d'immigration qu'on souhaite implanter par une modification à la loi à la fin de l'année, on l'espère bien, donc qui va s'inspirer du modèle australien, de la Nouvelle-Zélande et du système qui vient d'être implanté au Canada, qu'on parle, de déclaration d'intérêt, qui permet de réduire les délais de traitement et de bien, bien, bien choisir les nouveaux arrivants selon les besoins du marché de travail, le profil professionnel de la personne, quel rôle vous voyez? On a beaucoup parlé avec d'autres villes du rôle qu'elles peuvent jouer en amont. Pour bien réussir l'intégration, ça commence par ce qui se fait en amont, pour bien sélectionner mais aussi pour bien préparer la personne. Est-ce que vous avez réfléchi à la question ou...

M. Perez (Lionel J.) : C'est certain qu'il y aura une consultation, dans une prochaine étape, qui va pouvoir déterminer des seuils et la façon, exactement qui recevoir. C'est un enjeu sur lequel la ville de Montréal pourra se prononcer de façon plus approfondie.

C'est certain que nous, on veut travailler en partenariat avec le gouvernement du Québec, vous avez mentionné le secteur privé qui a un rôle, et pour voir les besoins, les besoins, parce que vraiment il y a une pénurie de main-d'oeuvre spécialisée. Donc, si on peut effectivement avoir une reconnaissance ou bien recevoir les individus, les immigrants avec certaines compétences qui sont ciblées, bien ça va faciliter de pouvoir adresser un besoin, mais également ça va faciliter l'intégration de ces mêmes personnes aux niveaux économique et social.

Donc, c'est certain qu'on abonde dans ce même sens. On aimerait évidemment améliorer le taux d'immigrants, pouvoir avoir des nouveaux arrivants qui sont très bien ciblés pour fournir le besoin, et Montréal, évidemment, aura un rôle à jouer à cet égard.

Mme Weil : Je vais céder la parole, je veux vous remercier. Et on va certainement poursuivre les échanges. Merci beaucoup.

Le Président (M. Picard) : M. le député de D'Arcy-McGee, il vous reste quatre minutes.

M. Birnbaum : Merci, M. le Président. M. Perez, Mme Bachman, soyez les bienvenus, à mon tour. Écoutez, comme représentant d'une circonscription où, si on comptait les nouveaux arrivants, les gens qui viennent d'autres pays d'origine, les immigrants de deuxième, troisième génération, on franchirait peut-être 90 % des résidents de la circonscription, alors, comme nous tous, je suis interpellé par votre exposé, surtout quand vous nous rappelez que 70 % des immigrants, des gens issus d'immigrants se trouvent à Montréal, donc quelque 35 000 par année. Et aussi, je trouve, c'est important de constater comme vous avez noté la reconnaissance internationale des efforts de la ville de Montréal. Alors, on parle d'une histoire grandement de réussite, en même temps avec plein de défis.

J'aimerais vous inviter à élaborer sur vos recommandations 3 et 9, sur les pages 17 et 18, surtout quand on parle de l'importance de l'apport de Montréal en tout ce qui a trait à l'immigration. Dans votre recommandation 3, vous parlez de l'importance et peut-être des enjeux à considérer si on veut que Montréal soit un partenaire dans la régionalisation des immigrants, qui nous interpelle aussi, comment faire. Et l'autre endroit où presque tout se passe à Montréal, c'est l'accueil en ce qui a trait aux immigrants... aux travailleurs temporaires spécialisés ainsi que les étudiants internationaux. Sur ces deux plans-là, vous parlez d'avoir un besoin d'être mieux outillés pour jouer votre propre rôle. Pouvez-vous nous parler un petit peu de ces enjeux-là?

• (10 h 40) •

M. Perez (Lionel J.) : Avec plaisir. Merci, M. Birnbaum.

Effectivement, la ville de Montréal reconnaît qu'évidemment il y a une richesse aux nouveaux arrivants, aux immigrants, il y a quelque chose pour la richesse pour Montréal mais pour tout le Québec. On comprend les défis qu'il y a notamment en région pour subvenir à un certain besoin de main-d'oeuvre, entre autres, et donc c'est vraiment un élément essentiel et pour les régions et pour Montréal.

On pense que Montréal, néanmoins, évidemment il y a également un besoin pour sa croissance économique et démographique. Le pont, nous pensons que Montréal peut agir à titre de pont parce que, si, effectivement, la réalité, c'est que les immigrants, à 70 %, vont continuer à venir à Montréal, y résider... C'est une réalité. Il y a différentes discussions si ça peut changer, évidemment on va laisser ça au gouvernement d'en faire le débat et de faire l'analyse. Mais, Montréal, si effectivement il y a une intégration qui est un grand succès, bien il n'y a pas de raison pour que ces mêmes immigrants qui se sentent très à l'aise dans un Québec ouvert, francophone, qui reconnaît la richesse de sa diversité et des immigrants... de pouvoir aller en région et pouvoir subvenir à des besoins très nécessaires. Nous pensons que, par exemple, il y a des programmes de jumelage interculturel qui ont démontré un certain succès. Le maire de Montréal, également, il a soulevé dans le passé la question d'avoir une maison des régions à Montréal et comment cette maison des régions peut agir à titre de pont pour faire des échanges aux niveaux économique, culturel et autres. Alors, sur ce volet-là, nous pensons que principalement Montréal peut agir à titre de pont, et c'est évidemment une nécessité de part et d'autre.

Deuxièmement, sur la question de la recommandation n° 9, notamment la nécessité de pouvoir faciliter la question des travailleurs temporaires et spécialisés, comme Montréal International l'a démontré nous pensons qu'il y a un enjeu majeur ici, il y a une nécessité de faciliter les enjeux, le processus pour pouvoir vraiment accélérer cet item pour subvenir aux besoins. Nous pensons également qu'il y a une opportunité, qu'une fois que ces immigrants, ces travailleurs spécialisés sont ici, bien, il y a une opportunité inouïe de pouvoir les intégrer pour qu'ils puissent rester à long terme, et ce n'est pas toujours le cas.

Donc, ce sont les défis auxquels nous pensons qu'avec un rôle plus accru de Montréal où on peut travailler en partenariat avec le gouvernement du Québec... On parle des principes directeurs de subsidiarité, d'efficience. On ne veut pas des dédoublements, on veut pouvoir subvenir aux besoins lorsque nécessaire, et nous croyons que Montréal, en tant que métropole, puisse agir dans cette lignée.

Le Président (M. Picard) : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à M. le député de Bourget.

M. Kotto : Merci, M. le Président. M. Perez, Mme Bachman, soyez les bienvenus. Merci pour votre contribution.

M. Perez, vous parliez d'un besoin de main-d'oeuvre dans l'horizon 2019 évalué à 1,4 million de travailleurs. Est-ce que le marché est au courant de ce besoin, selon vous?

M. Perez (Lionel J.) : Bien, on va évidemment voir. Ce sont des statistiques qui ont été soulevées, ce n'est pas nous-mêmes qui les avons développées. Donc, c'est certain que c'est peut-être quelque chose qui n'est pas nécessairement connu par tous les intervenants, mais c'est quelque chose qui se véhicule et, c'est certain, c'est une réalité à laquelle Montréal devra faire face, et, tous les intervenants, c'est certain que, par exemple, la chambre de commerce, différents intervenants, organismes le répètent au fur et à mesure. Est-ce qu'ils répètent le chiffre de 1,4 million de dollars? Je ne peux pas vous dire présentement, mais c'est certain qu'il y a une pénurie connue sur cet enjeu-là et qu'avec la réalité démographique, où il y a de plus en plus de gens qui vont prendre la retraite, ce besoin est nécessaire et connu.

Ça va dépendre également des enjeux de secteurs qualifiés. Donc, ce n'est pas seulement un montant, mais c'est...

Une voix : ...un nombre.

M. Perez (Lionel J.) : ...un nombre, mais c'est vraiment du ponctuel spécialisé où il y a un besoin. Et, comme je l'ai mentionné dans notre allocution, nous pensons que le gouvernement du Québec a un rôle à jouer pour vraiment aider cela, particulièrement avec la reconnaissance des diplômes étrangers et des compétences professionnelles. Cela va aider cette pénurie mais également va pouvoir bonifier et améliorer l'intégration de ces mêmes nouveaux arrivants.

M. Kotto : O.K. Je soulève la question parce qu'effectivement, comme vous le disiez, les chambres de commerce du Québec et de Montréal notamment, la Fédération des chambres de commerce, Montréal International vont dans le même sens.

Selon vous, quelle est la proximité de collaboration qui s'établit entre ces entités — je parle des chambres de commerce, Montréal International, de la chambre de commerce de Montréal et de Montréal International — avec le milieu du travail? Est-ce qu'il y a une étroite collaboration? Et je pose la question parce que, si le milieu est déconnecté relativement à ce besoin projeté, on a de grandes interrogations à se poser relativement au fondement même de cette projection.

M. Perez (Lionel J.) : Oui. Alors, c'est certain que Montréal International joue un rôle très actif à cet égard-là, pour pouvoir arrimer le besoin local, évidemment, avec des besoins et puis des clients potentiels, des nouveaux arrivants potentiels de l'extérieur. Alors, il y a un arrimage qui se fait. Les besoins sont connus par Montréal International, par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.

Est-ce qu'on peut bonifier, est-ce qu'on peut améliorer cela? Toujours. On peut toujours améliorer ces enjeux, cette relation, cet arrimage. Nous pensons que... Les échos que nous entendons du secteur privé notamment, c'est vraiment cet engrenage quant au processus pour pouvoir accepter, par exemple, des travailleurs temporaires spécialisés, le processus est des fois comparé comme étant trop long. Et il faut comprendre qu'il y a beaucoup de ces nouveaux arrivants potentiels qui veulent aller dans ce sens-là, eux, ils comparent des fois la longueur du processus comme un élément de prendre leur décision. Alors, oui, ils veulent venir à Montréal, à la région métropolitaine de Montréal parce qu'il y a un potentiel, il y a des enjeux et puis il y a des grappes économiques intéressantes, mais, si ça va prendre 90 jours au lieu de 35 jours avec une autre ville, une autre région, eh bien, à un certain niveau, ça nous place dans une situation moins concurrente, et c'est un élément qui est pris en considération. Donc, oui, on peut bonifier, mais nous pensons que réellement, quant au processus, on peut améliorer cet élément-là. Ce serait très avantageux pour Montréal et toute la région.

M. Kotto : O.K. Toujours sur les volumes, vous savez sans doute que c'est en 2007, de mémoire, que le flux a été établi pour l'horizon 2014, entre 50 000 et 55 000 immigrants par année au Québec pour des besoins notamment du marché, pour des raisons, disons, angoissantes que nous inspire la courbe du vieillissement de la population. On parle d'un autre facteur pour lequel l'immigration massive aurait un impact positif, c'est-à-dire la croissance économique.

Bref, de tous ces paramètres, de toutes ces raisons, aucune jusqu'à présent, scientifiquement parlant, n'est démontrée. En 2007, on projetait déjà un besoin de 700 000 emplois à combler à l'horizon 2014, ce n'est pas arrivé. Qu'est-ce qui nous prouve que, pour 2019, ce besoin de 1,4 million d'emplois à combler va se présenter?

M. Perez (Lionel J.) : Vous savez, je n'ai pas une boule de cristal devant moi, M. Kotto, donc je ne peux pas vous garantir, mais c'est certain que le besoin est là. Est-ce que le chiffre est 1,4? Est-ce qu'il est 1 million? Je comprends que vous avez des réserves à cet égard-là, mais ce que nous, on entend du terrain, ce qu'on voit des entreprises du secteur privé, c'est qu'il y a une pénurie réelle de la main-d'oeuvre qualifiée, spécialisée. Ceci n'est pas inventé. Si on avait un certain nombre avec des... On a des postes à combler qui ne peuvent l'être. Il y a une réalité démographique où l'âge avance dans la société québécoise, donc automatiquement il va y avoir de combler ces postes-là pour la viabilité économique de Montréal et du Québec.

Donc, je ne veux pas rentrer nécessairement dans une question de guerre de chiffres, quel est le montant exact. Ce qui est certain, c'est qu'on a besoin, tout le monde le dit, tous les acteurs, il y a des grandes entreprises qui ne peuvent pas combler des postes, des postes hautement qualifiés. Alors, ça, on doit faire face à cela et, pour maintenir notre compétitivité, pour accroître notre économie montréalaise et québécoise, on doit pallier à ce besoin. Et tout le monde l'affirme, Montréal International, les chambres de commerce, etc.

• (10 h 50) •

M. Kotto : O.K. Donc, je prends cette assertion comme une évidence partagée par l'ensemble du milieu économique à Montréal. Et, partant de là, si je me réfère à vos recommandations 6 et 7, pourquoi est-ce qu'on veut ici rappeler au gouvernement de réévaluer sa décision de mettre fin au programme novateur de parrainage professionnel à la ville de Montréal alors qu'il y a un besoin de le mettre? Pourquoi a-t-on besoin de rappeler cela au gouvernement? Pourquoi à la recommandation 7 on demande au gouvernement de continuer de soutenir les projets tels qu'Emploi Nexus? Est-ce que le gouvernement s'incarne comme un obstacle supplémentaire quant à l'intégration des Québécois d'adoption au marché du travail?

M. Perez (Lionel J.) : Bien, moi, je vous dirai tout simplement que ce rappel, ces recommandations sont faits dans le contexte actuel concernant la réalité budgétaire que fait face le gouvernement du Québec. Nous, on est là...

M. Kotto : ...c'est un bon point, vous touchez un bon point.

M. Perez (Lionel J.) : Alors, nous...

M. Kotto : Je fais juste une parenthèse, je fais juste une parenthèse.

M. Perez (Lionel J.) : Bien, si je peux terminer ma pensée...

M. Kotto : Bien, allez-y. Allez-y, oui.

M. Perez (Lionel J.) : Merci bien. Donc...

M. Kotto : C'est parce que j'ai très peu de temps, c'est pour ça.

M. Perez (Lionel J.) : Je vous comprends. Je vais essayer d'être rapide pour vous donner l'opportunité de faire un suivi.

Nous, ce qu'on dit, c'est qu'il y a des programmes qui fonctionnent, ils sont là, on parle d'immigration là, c'est une réalité, et nous pensons qu'il y a un avantage à long terme pour ces enjeux-là. Donc, c'est un rappel. On est là en partenariat avec le gouvernement du Québec. Nous pensons qu'ils sont à l'écoute, on adhère totalement à cette vision-là et on est là pour améliorer la situation pour l'ensemble du Québec.

M. Kotto : Est-il rassurant de rappeler au gouvernement ses devoirs en termes d'immigration et d'intégration? Est-ce que... Parce que je me mets à la place du gars qui arrive. Je suis arrivé, moi, il y a 23 ans à peu près, mais, si j'avais à l'extérieur des frontières du Québec et du Canada l'information à l'effet que je ne suis pas sûr, en arrivant, que les portes vont être ouvertes, que je vais intégrer le marché du travail très facilement, je ne suis pas sûr que j'aurais pris la décision de venir. Et je le dis parce que beaucoup de gens à l'extérieur qui rêvent de venir faire leur vie ou se réaliser ici n'ont pas ces informations-là, c'est un véritable parcours du combattant. On parle de besoins, mais en même temps il y a des obstacles intrinsèques au marché, il y a des obstacles incarnés même par les gestes que pose le gouvernement.

Je reviens à la question que je voulais vous poser : Ne doit-on pas faire les choses en fonction des moyens dont nous disposons en termes de volume, en termes d'ambition d'intégration?

Le Président (M. Picard) : Une minute, M. Perez.

M. Perez (Lionel J.) : Merci beaucoup. C'est certain qu'il y a une réalité économique, mais il faut revoir la façon de faire. Avec 70 % des nouveaux arrivants qui sont reçus, accueillis à Montréal, avec les discussions du statut de métropole qu'on a présentement avec le gouvernement du Québec, nous pensons qu'il y a une nouvelle opportunité de voir comment on peut mieux intégrer. Donc, c'est une question d'efficience, une question de subsidiarité. C'est certain qu'il y a un enjeu du budget, mais, si on voit, avec l'accord Canada-Québec nous pensons qu'il y a des opportunités. Il y a des montants qui sont là et, on le rappelle, qui sont pérennes, ils sont stables et indexés. Donc, nous, on pense que c'est une opportunité de revoir en complémentarité, en partenariat, et nous pensons que ça va être à l'avantage pour tous les nouveaux immigrants et donc pour la croissance économique de Montréal et du Québec.

Concernant les recommandations spécifiques, nous, on pense que c'est tout à fait légitime de pouvoir avoir une discussion franche et ouverte avec le gouvernement du Québec sur ces enjeux-là. Si on a des programmes qui fonctionnent et pour des raisons, bien on est là pour faire valoir le point de vue de la ville de Montréal.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Borduas.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Mme Bachman, M. Perez, bonjour.

M. Perez, vous avez abordé la question des responsabilités au niveau de l'accueil pour la ville de Montréal, il y aurait lieu de déléguer davantage de responsabilités à la ville de Montréal au niveau de l'accueil, de l'intégration des nouveaux arrivants. Pouvez-vous développer sur ce point quelle est la pensée de la ville de Montréal?

M. Perez (Lionel J.) : Absolument. Je me... peut-être me force de répéter un petit peu, mais c'est certain que Montréal, en tant que ville qui reçoit 70 % des nouveaux immigrants, on a un rôle important à jouer. On a clairement indiqué que, sur les enjeux de francisation, nous soutenons que ça devrait être maintenu comme une compétence du gouvernement du Québec. C'est tout à fait normal. Ça a un lien avec la compétence d'éducation, qui évidemment est une juridiction du gouvernement du Québec. Concernant des programmes spécifiques, par exemple, on a des programmes d'accueil et d'intégration, ce sont les OBNL, ce sont des fois les arrondissements qui jouent un rôle là-dessus, et c'est vraiment là où le nouvel arrivant peut s'intégrer.

Je vous donne un exemple, on a un programme valorisation jeunesse qui s'appelle Place à la relève. Eh bien, ça aide les personnes qui sont peut-être à risque de décrochage scolaire, de 16, 17 ans, de pouvoir trouver un emploi, un emploi non seulement pour l'été, mais également pour les ouvrir sur le marché du travail, et on a un excellent taux à cet égard-là, où il y a plus de 600 jeunes à chaque année qui trouvent des emplois de cette façon-là. On a également des programmes concernant ce qu'ils appellent Habiter la mixité. C'est un programme qui vise, par exemple, les HLM, où il vise à favoriser l'échange entre les nouveaux arrivants et avec les membres de la société québécoise également pour briser l'isolement. Alors, ce sont tous des enjeux concrets au quotidien, ce sont des programmes, et Montréal, la ville de Montréal, qui au cours des 25 dernières années en particulier a pu développer cette expertise, a pu échanger sur ces enjeux et sur ces programmes.

C'est certain que le rôle du Québec... le gouvernement du Québec a un rôle à jouer, on veut travailler en partenariat, en complémentarité et en subsidiarité pour s'assurer que le meilleur palier de gouvernement qui puisse fournir le service le fait. Encore une fois, avec l'enjeu de statut de métropole, c'est à revoir, comment cela se fait. C'est l'occasion, avec cette nouvelle consultation, avec cette nouvelle politique puis avec les prochaines étapes, pour revoir cela, et nous pensons que cette opportunité, elle ne peut pas être manquée, parce que cette politique aura un impact pour les 20 prochaines années au moins.

M. Jolin-Barrette : Vous abordez la question de l'accueil, de l'intégration au niveau municipal parce que, bon, le palier municipal dispose des outils, mais vous ne pensez pas que la ville de Montréal a également un rôle à jouer en matière de francisation? Parce que vous dites : Bon, bien ça relève de la compétence provinciale parce qu'on lie directement la francisation au domaine éducationnel. C'est vrai, sauf que l'article 1 de la Charte de la Ville de Montréal énonce que Montréal est une ville française. Je me dis juste... Il y a beaucoup de groupes qui sont venus témoigner qu'une façon de bien intégrer les gens, c'est notamment par la langue d'usage commune qui est le français. Donc, je me questionne, à savoir : Est-ce que la ville de Montréal ne pourrait pas aussi devenir un partenaire en ce sens-là, au niveau de la francisation des immigrants?

Et une des sous-questions qui se posent aussi, c'est... Vous invoquez le statut particulier de Montréal. Concrètement, dans le statut particulier de Montréal en matière d'immigration, d'intégration, quelles sont les modalités que vous voudriez voir précisées dans ce statut particulier de Montréal?

• (11 heures) •

M. Perez (Lionel J.) : Parfait. Absolument, la francisation est un élément essentiel à l'intégration de tous les nouveaux arrivants à Montréal et au Québec. Personne ne nie qu'il y a un rôle transversal, on ne dit pas qu'on n'a pas un rôle à jouer, mais ce rôle-là, nous le soumettons, est une question de complémentarité. On ne veut pas prendre la responsabilité d'organiser et de faire cette francisation, mais on va travailler en concert avec les partenaires communautaires, institutionnels. C'est certain qu'on ne peut pas ignorer cet élément important, mais on n'est pas là pour suggérer ou soumettre qu'on devrait prendre cette responsabilité de façon tout entière. Alors, il y a un rôle à jouer, vous l'affirmez, absolument. C'est à l'avantage de tous les immigrants de pouvoir ou bien connaître le français à leur arrivée ou bien de l'apprendre pour pouvoir s'intégrer à la société québécoise et montréalaise, pour pouvoir trouver des emplois, c'est totalement un élément essentiel, et on est prêts à jouer notre rôle mais pas de façon principale, de façon, comme je l'ai mentionné... avec les principes de subsidiarité.

Concernant le rôle du statut de métropole, nous pensons que nous avons un rôle important pour l'accueil, pour les raisons que j'ai énoncées, je ne vais pas me répéter. Les particularités de ces enjeux-là, on le soulève de façon un peu générale dans le mémoire. Vous comprendrez qu'également on a des négociations avec le gouvernement du Québec, et donc c'est un enjeu de pouvoir discuter et de pouvoir s'arrimer de part et d'autre. Je suis certain qu'avec l'ouverture du gouvernement du Québec on va trouver le juste équilibre sur ces enjeux-là. Mais c'est certain que Montréal est incontournable sur les enjeux d'accueil et d'intégration.

On le voit au quotidien, vous savez, Montréal est vraiment un exemple à l'échelle mondiale sur la notion de vivre-ensemble. On le prend des fois pour acquis, mais n'importe où où on peut se promener à Montréal, et quand on fait des comparaisons avec d'autres métropoles, on voit que vraiment l'enjeu, à Montréal, il y a une vie paisible, il y a une paix sociale. C'est sûr qu'il y a des défis, absolument, au niveau économique, au niveau d'emploi, mais ce n'est pas par hasard que le maire Coderre, il a annoncé cette conférence, ce sommet sur le vivre-ensemble qui aura lieu au mois de juin, où déjà la mairesse de Paris a annoncé ses intentions, le maire de Toronto également. C'est une opportunité de démontrer l'exemple qu'est Montréal au niveau mondial et c'est l'opportunité de partager les meilleures pratiques et de trouver cet équilibre entre l'ouverture et la vigilance.

M. Jolin-Barrette : En lien avec le statut particulier de Montréal, est-ce que ce statut-là va viser uniquement la ville de Montréal ou plutôt l'agglomération de Montréal? Parce qu'on sait que, bon, le conseil d'agglomération est contrôlé par la ville de Montréal. Est-ce que cette démarche en matière de reconnaissance de statut particulier, notamment... Je comprends que vous êtes en négociation puis que vous ne vous avancez pas sur ce que vous réclamez comme pouvoirs, mais je crois que ce serait quand même pertinent que la commission puisse avoir un peu une idée des pouvoirs en matière d'accueil, d'intégration que vous réclamez. Mais est-ce que ça vise également l'agglomération de Montréal?

M. Perez (Lionel J.) : Principalement, ça vise la ville de Montréal. Quand on parle de métropole, on parle de la ville de Montréal d'un point de vue de gouvernance. C'est certain que la ville de Montréal forme 87 % de l'agglomération, alors à un certain niveau il faut peut-être avoir des paliers, mais principalement on parle de la ville de Montréal.

M. Jolin-Barrette : Parfait.

Le Président (M. Picard) : Merci. Ça met fin à nos échanges. Donc, je vous remercie, M. Perez et Mme Bachman, pour votre apport aux travaux de la commission.

Je vais suspendre quelques instants afin de permettre à M. Antoine Bilodeau de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 11 h  2 )

(Reprise à 11 h 4)

Le Président (M. Picard) : Nous reprenons nos travaux en recevant M. Antoine Bilodeau, professeur agrégé au Département de science politique de l'Université de Concordia. M. Bilodeau, vous disposez d'une période de 10 minutes, vont s'ensuivre des échanges avec des parlementaires. La parole est à vous.

M. Antoine Bilodeau

M. Bilodeau (Antoine) : Merci. Tout d'abord, merci, M. le Président, Mme la ministre et députés de l'Assemblée nationale, pour cette invitation et pour me donner l'opportunité de réagir à votre document de consultation.

Comme vous l'avez dit, M. le Président, je suis professeur au Département de science politique de l'Université de Concordia, mais je suis aussi membre chercheur du Centre pour l'étude de la citoyenneté démocratique. Mais c'est à titre de chercheur individuel que j'apparais aujourd'hui devant vous. Mes recherches portent sur deux axes qui chacun est interpellé par le document de réflexion et la démarche que la commission poursuit aujourd'hui, soit, tout d'abord, les réactions de la population d'accueil face à cette immigration et cette diversité ethnoculturelle grandissante, mais aussi, deuxièmement, l'intégration des minorités ethnoculturelles à la société québécoise. Mon propos ce matin portera sur deux constats autour de ces axes de recherche et sur la manière dont le document de réflexion y répond. Ces deux constats portent sur l'existence de ce que je qualifie de deux malaises au sein de la société québécoise : le premier malaise renvoie à une certaine hésitation des Québécois face à l'immigration et à la diversité ethnoculturelle, le second malaise renvoie à un certain sentiment de rejet au sein des minorités ethnoculturelles et religieuses du Québec. Je terminerai en examinant comment le document répond à ces deux malaises.

Donc, premier malaise : une certaine hésitation des Québécois face à l'immigration et la diversité ethnoculturelle. Le Québec, comme nous le savons tous, a été marqué, au cours de la dernière décennie, par certains débats qui ont suggéré un certain malaise envers l'immigration, la diversité ethnoculturelle et religieuse au sein de la société québécoise. Il est parfois difficile de mesurer l'ampleur réelle de ce malaise au sein de la population. Lors des audiences de la commission Bouchard-Taylor, on a d'ailleurs beaucoup parlé du rôle des médias à amplifier cette crise populaire. Mon travail à moi est de documenter l'étendue et la profondeur de ce malaise et de tenter d'en trouver et d'en expliquer les origines.

Nous remarquons, au travers un certain nombre d'études que j'ai réalisées avec mon collègue Luc Turgeon, de l'Université d'Ottawa, au cours des dernières années et que nous poursuivons toujours aujourd'hui, qu'il y a effectivement un certain malaise au sein de la société québécoise, mais qu'il est important de qualifier ce malaise. Une telle qualification est importante si nous voulons mieux comprendre comment répondre à ce malaise au travers nos politiques publiques, comme celle que vous développez aujourd'hui.

Il est tout d'abord important de préciser que nos outils de recherche nous montrent que les Québécois, comme tous les autres Canadiens, sont plus ouverts aujourd'hui qu'ils ne l'étaient il y a 25 ans à de hauts niveaux d'immigration. La vaste majorité des Québécois se dit en fait à l'aise avec les niveaux d'immigration actuels. Les Québécois reconnaissent aussi, peut-être encore plus que les autres Canadiens, la valeur ajoutée de l'immigration au point de vue économique.

Les Québécois se distinguent par contre des autres Canadiens par leur relation plus ambivalente avec la diversité ethnoculturelle et religieuse. On remarque que, depuis 25 ans, alors que les Canadiens ailleurs au pays sont de plus en plus à l'aise avec la diversité ethnoculturelle, ce sentiment, au Québec, il stagne. Nos indicateurs ne montrent pas de baisse, ce qui est déjà très bien, mais ils ne montrent pas de hausse non plus, alors qu'on remarque une telle hausse dans le reste du pays.

Là où les Québécois se distinguent le plus, par contre, concerne davantage leurs opinions quant au fait religieux, que ce soit en ce qui a trait, principalement, à la place de la religion dans nos espaces publics, ce que nous appelons ici, au Québec, les accommodements religieux, ou même les accommodements raisonnables.

Quelles sont les origines de ce malaise, brièvement? Quelques faits ressortent qui sont importants de mentionner quand on essaie de comprendre les origines. Tout d'abord, ce sont les francophones québécois qui sont le plus mal à l'aise, plus que les allophones mais aussi plus que les anglophones, donc ils sont mal à l'aise ou plus mal à l'aise envers cette diversité ethnoculturelle grandissante. Deuxièmement, on remarque que les Québécois qui se disent préoccupés par la survie de la langue française au Québec sont particulièrement plus hésitants face à cette diversité ethnoculturelle grandissante. Troisièmement, nous observons que les Québécois se disent particulièrement préoccupés par l'impact de l'immigration sur la culture québécoise, beaucoup plus que les autres Canadiens peuvent se dire préoccupés par l'impact culturel de l'immigration, que ce soit sur leur province ou sur l'ensemble du Canada.

Ces trois observations, il me semble, nous renvoient toutes à une insécurité linguistique et culturelle qui est en fait un trait marquant de la société québécoise depuis peut-être ses débuts, donc cette peur de disparaître si ancrée dans la culture québécoise semble venir façonner nos rapports à l'immigration et à la diversité ethnoculturelle. Toute politique d'immigration, d'intégration ou d'inclusion doit donc prendre en considération cette réalité incontournable de la société québécoise. C'est d'abord en ce sens que le Québec — et c'est un point que je vais développer plus tard — a besoin de se doter d'une politique officielle d'interculturalisme qui soit soutenue et promue afin qu'elle devienne un moment symbolique fort de ralliement des Québécois à la diversité ethnoculturelle.

• (11 h 10) •

Second malaise, maintenant, qui concerne un faible sentiment d'attachement et d'acceptation, au sein des minorités ethnoculturelles, à la société québécoise. Ce malaise, il est un peu plus discret, hein? Alors qu'on aborde souvent la question des relations des Québécois avec l'immigration ou la diversité ethnoculturelle, nous parlons généralement peu, dans les débats publics et dans la recherche, des relations que les minorités ethnoculturelles, elles, développent avec le Québec. Cette seconde perspective est pourtant tout aussi importante que la première. Mes recherches démontrent que les immigrants et les minorités ethnoculturelles développent un rapport au Québec qui est distinct du rapport que les autres Québécois entretiennent avec le Québec à plusieurs égards. Il semble aussi que les minorités ethnoculturelles au Québec développent une relation avec le Québec qui soit distincte de celle que les minorités ethnoculturelles ailleurs au pays développent avec la société d'accueil, le Canada.

Tout d'abord, on remarque que les minorités ethnoculturelles sont davantage attachées au Canada qu'au Québec. Si ce constat peut sembler aller de soi ou n'être pas surprenant, il est important de mentionner que cette relation n'est pas observée chez les autres Québécois, où l'attachement est plus fort envers le Québec qu'envers le Canada. Il est particulièrement important de mentionner qu'ailleurs au Canada les minorités ethnoculturelles ne sont pas plus attachées au Canada qu'à leur province... ou à peine.

Deuxièmement, nous observons que les minorités ethnoculturelles au Québec se sentent davantage acceptées par le Canada que par le Québec. Alors que 30 % des minorités ethnoculturelles auxquelles nous avons parlé disent se sentir faiblement acceptées par le Québec, cette proportion n'est à peine que de 10 % en ce qui a trait au sentiment d'acceptation par rapport au Canada. De plus, ailleurs au Canada les minorités ethnoculturelles se sentent également acceptées par le Québec... par le Canada que par leur province, donc au Québec il y a un écart mais pas ailleurs au pays. Il n'y a donc qu'au Québec que les minorités ethnoculturelles se disent moins acceptées par leur province que par le Canada.

Des deux points que je viens de mentionner, l'attachement et le sentiment d'acceptation, il me semble que le sentiment d'acceptation est plus important, parce qu'on peut le concevoir comme un moteur de l'intégration. Il est important de comprendre que ce faible sentiment d'acceptation a des conséquences importantes sur la participation des minorités ethnoculturelles au Québec. Le document fait d'ailleurs mention, à juste titre, de l'importance de la participation des minorités ethnoculturelles. Mes recherches montrent qu'un faible sentiment d'acceptation entraîne un plus faible engagement politique, que ce soit par l'importance accordée aux élections, le sentiment du devoir de voter, la satisfaction envers la démocratie ou encore, ultimement, l'attachement au Québec. Nous pouvons discuter des raisons de cette différence entre le Québec et le reste du pays, il n'en demeure pas moins que le Québec, qui aspire à être une communauté d'accueil, ne réussit pas à créer ce lien avec les néo-Québécois comme le reste du pays parvient à le faire. Il est pour le moins paradoxal qu'alors que le Québec dispose plus que n'importe quelle autre province des outils nécessaires afin de choisir, accueillir et soutenir les néo-Québécois dans leur nouvelle vie au Québec il échoue davantage que les autres provinces à créer ce lien d'attachement et d'acceptation avec les minorités ethnoculturelles. On pourra revenir un peu plus tard, si vous voulez, sur les origines de ce deuxième malaise.

Mon dernier point concerne donc le document de réflexion en tant que tel et plus particulièrement sous l'angle de cette question : Est-ce que cette proposition, ce document devant mener à une nouvelle politique d'immigration a les moyens, la capacité de répondre et d'outrepasser ces deux malaises?

Tout d'abord, je tiens à dire que le document me semble très complet, je le trouve très bien étoffé. On sent le désir de ratisser large, d'adresser un grand nombre des défis en lien aux questions d'immigration, autant en ce qui a trait aux préoccupations des nouveaux arrivants, de leur intégration, mais aussi aux préoccupations de la population d'accueil en lien avec la transformation du visage du Québec. Le document me semble aussi bien équilibré, on sent la tension entre le désir d'assurer une inclusion et une participation de qualité pour les immigrants et de rassurer et d'apaiser la population d'accueil dans ses inquiétudes et hésitations face à l'immigration. Donc, il y a cette tension, et on sent vraiment le désir d'accommoder les deux pôles de cette tension-là, donc il est bien équilibré à cet effet-là.

Mais la question que je me pose, c'est : Est-ce que cela est suffisant? Je n'en suis pas certain. Je n'en suis pas certain parce qu'au-delà des longues listes de constats et d'intentions, qui sont fort justifiées, il manque au document ce qui me semble le plus important, soit la proposition d'un moment symbolique fort et rassembleur. Bien que le document stipule explicitement à la page 2, et je cite : «...l'approche interculturelle n'a encore jamais fait l'objet d'une exposition gouvernementale complète et cohérente. La nouvelle politique aspire à combler cette lacune», malgré cette citation dans le document, on cherche quand même encore le moment fort où l'interculturalisme sera posé et assumé comme modèle officiel et unificateur. Pour ce faire, la nouvelle politique doit être plus explicite mais aussi plus fière de cet interculturalisme qui semble pour le moment un peu perdu dans ce long document. Au-delà de ce document, l'interculturalisme devra être mis en pratique — ce sera une étape ultérieure de vos consultations, j'en suis sûr — comme c'est déjà le cas dans certains programmes scolaires. Plus encore, l'interculturalisme devra être promu et célébré. C'est la seule façon, à mon avis, de créer un moment symbolique fort. C'est la seule manière d'espérer pouvoir répondre aux deux malaises auxquels je viens de faire référence dans mon exposé. Merci.

Le Président (M. Picard) : Merci. Merci, M. Bilodeau. Nous allons maintenant débuter la période d'échange en débutant avec la ministre. Allez-y.

Mme Weil : Oui. Bonjour et bienvenue, M. Bilodeau. Merci beaucoup pour votre intervention, votre présentation. Il y a beaucoup de matière là à réflexion mais aussi beaucoup de matière qui peut nous amener à des actions, des actions très concrètes.

Et, dans vos études, peut-être on va essayer de bien comprendre les différences entre les attitudes au sein même du Québec entre les différentes régions, quand on parle des banlieues, les régions ou Montréal vos études montrent des différences, vos études montrent des différences entre les jeunes, l'attitude des jeunes en banlieue, les jeunes à Montréal, les jeunes en région, pour bien comprendre les actions qu'on devra prendre soit au sein... Parce qu'on a bien... Avec la ville de Montréal, je pense que vous étiez ici, vous avez entendu, c'est vraiment... on écoute la ville de Montréal, c'est un modèle de ville qui affiche fièrement sa fierté, qui agit, qui veut agir sur tous les fronts et veut être un mobilisateur et est un mobilisateur, évidemment ça fait chaud au coeur d'entendre les représentants de la ville parler, mais je vous dirais que d'autres villes aussi qu'on a entendues y jouent un rôle important. Alors, avant d'arriver sur les actions, peut-être revenir sur ces différences même ici, qu'est-ce qui explique ces différences régionales.

Et même vous parlez entre la communauté anglophone... les anglophones et les francophones. Bon, est-ce que c'est plus par régions ou c'est plus parce que c'est à Montréal ou... Mieux comprendre.

M. Bilodeau (Antoine) : Merci pour la question, Mme la ministre. D'abord, je pense que c'est important peut-être de qualifier... Oui, il y a des différences régionales, je n'en ai pas parlé dans mon exposé. Dans une étude qui est parue au mois de juin dernier, on observait effectivement des différences quand même assez marquées entre les diverses régions du Québec. Et on remarquait, bon, un peu on en faisait allusion à la présentation d'avant, de la ville de Montréal, que c'est effectivement à Montréal où... — et notre étude ne portait que sur les francophones du Québec — que c'est à Montréal que les francophones se sentent le moins insécures face à l'immigration. Et, contrairement à ce qu'on peut croire des fois dans la dynamique médiatique, ce ne sont pas les centres éloignés de Montréal qui sont les plus insécures face à l'immigration, mais on observait plutôt que c'était la périphérie de Montréal, donc, et ce que certains ont appelé dans d'autres contextes nationaux, dont en France, et en Suède, et un peu aux États-Unis, si je me souviens bien, l'effet halo, c'est-à-dire que souvent ce ne sont pas les gens qui vivent directement avec la diversité qui sont le plus insécures, ce ne sont pas les gens qui vivent très loin de la diversité, mais c'est les gens qui en vivent à proximité mais une proximité assez éloignée. Donc, on peut... Et, si on peut essayer de qualifier ou de comprendre les origines de ça, ça s'explique beaucoup, souvent, par la qualité du contact qui s'établit entre les gens issus des minorités, de la diversité ethnoculturelle et la majorité de la population. Les gens à Montréal ont beaucoup d'opportunités de développer des contacts de qualité, d'échange quotidien, les gens des régions éloignées, pour la plupart, la diversité ethnoculturelle demeure une réalité souvent abstraite, donc peu menaçante, alors que dans la périphérie de Montréal, on le sait, il y a un très haut taux, niveau de va-et-vient avec l'île pour le travail souvent, donc on voit la diversité, on réalise qu'elle est là, mais on n'a pas nécessairement l'opportunité toujours de développer un contact qui est de plus grande qualité afin d'atténuer ce sentiment de menace là. Donc, c'est la périphérie de Montréal où le sentiment de menace était le plus aigu et à Montréal où il était le plus faible.

Comme vous faisiez référence, on a aussi remarqué des différences marquées entre les groupes générationnels de chacune des régions. Et, en fait, fait intéressant, ce qu'on remarquait, c'était qu'il n'y avait aucune ou à peu près aucune différence régionale quant on regardait les générations qui étaient nées avant 1970. Donc, si on est né au Québec dans les années 60, 50 ou 40, qu'on soit à Montréal, en région éloignée ou en périphérie de Montréal, on avait sensiblement les mêmes attitudes envers l'immigration au Québec. Là où il y avait des grandes différences, c'étaient les générations nées après 1970, et là où les différences émergeaient le plus était dans la périphérie de Montréal. Donc, contrairement à ce qu'on peut penser, ce n'étaient pas les gens les plus âgés, mais c'étaient les gens les plus jeunes de la périphérie de Montréal qui étaient le plus insécures envers l'immigration. Et évidemment on ne pouvait pas le démontrer, mais une des hypothèses les plus importantes, sur laquelle on mettait l'emphase, c'était le rôle clé que la loi 101 a joué à partir des années 1970 pour favoriser ce vivre-ensemble-là au niveau de la ville de Montréal, où les enfants issus de l'immigration et les autres Québécois se sont tous mis à se côtoyer sur les bancs d'école. Évidemment, la loi s'appliquait partout au Québec, mais la diversité n'était pas également présente au Québec, et donc les gens des périphéries ont eu une moindre opportunité de développer une plus grande familiarité avec des gens issus de l'immigration.

• (11 h 20) •

Mme Weil : Donc, la réponse à ça, c'est la connaissance de l'autre, encourager les contacts, les relations interculturelles un peu comme la ville fait, par des programmes de sport, de culture et de promotion. C'est pour ça qu'on parle beaucoup du rôle des villes, les élus, le maire pour mobiliser un peu ces contacts et ces relations, on parle du désir des régions, les besoins en région de main-d'oeuvre. Alors, votre analyse va être très utile pour la suite des choses.

Vous parlez d'un geste fort en matière d'interculturalisme et, je pense, que... si je comprends bien, même au moment de l'accueil, que, l'accueil, on a besoin d'un geste fort pour que les gens sentent un attachement au Québec et que le Québec montre un attachement à cette diversité, à cette relation bilatérale — est-ce que je comprends bien, donc? — et que, nous, comme gouvernement, vous recommandez un geste fort pour officialiser, je pense bien, et mettre en pratique ce modèle unique d'accueil et d'intégration qu'est l'interculturalisme.

M. Bilodeau (Antoine) : Oui, absolument, vous avez tout à fait raison, mais je veux juste qualifier... C'est un moment symbolique fort dont le Québec a besoin. Et à cet effet je dirais qu'il faut le mettre en parallèle avec le gouvernement fédéral, qui a eu au moins trois grands moments symboliques forts depuis les années 70, sur la politique de multiculturalisme en 1971, la charte et son article sur le multiculturalisme, l'article 27, mais aussi la politique canadienne de multiculturalisme en 1988, qui sont trois moments clés fort symboliques qui laissent peu de marge à l'interprétation sur la position du gouvernement fédéral en matière d'immigration et de diversité ethnoculturelle. Donc, c'est un genre de moment fort symbolique comme ça que le Québec a besoin. L'interculturalisme se discute depuis longtemps, c'est très compliqué de savoir ce que ça veut dire, les experts en débattent encore, alors imaginez le public et les nouveaux arrivants.

Mais je veux juste dire que le moment... Vous parlez d'un moment symbolique fort au niveau de l'accueil. Absolument, mais on a besoin d'un moment symbolique fort pas seulement pour les nouveaux arrivants, c'est un moment symbolique fort pour l'ensemble de la société québécoise dont on a besoin, les gens qui sont nés ici, qu'ils soient membres d'une communauté ethnoculturelle ou non. Donc, ça s'adresse autant au groupe majoritaire qu'aux groupes minoritaires.

Et, à cet effet-là, j'étais un peu déçu de voir le titre de votre document — et j'essaie de le retrouver — qui s'intitule Un Québec interculturel, pluriel et inclusif, et, pour moi, ça, c'est un peu ce qu'il faut éviter de faire, c'est-à-dire pourquoi... Et, oui, je comprends l'«inclusif» et je comprends le «pluriel», mais pourquoi est-ce que ça ne peut pas seulement être la politique d'interculturalisme du gouvernement québécois? Et ça me semblerait beaucoup plus puissant, au niveau symbolique, d'envoyer un message clair des principes qui sont dits.

Et il y a aussi une espèce de timidité dans le document à vouloir affirmer quels sont les principes. C'est un long document, j'en conviens, mais il y a un moment qui m'a assez marqué dans le document, et je crois que c'est... laissez-moi le retrouver, à la page 13, je crois... attendez, non, c'est... oui, où l'on dit, oui, à la page 13 on dit : «L'interculturalisme québécois ne se réduit pas à la seule dimension de la participation. Cependant, il s'agit peut-être de celle qui nécessite le plus une réaffirmation et qui requiert un engagement partagé contribuant ainsi au renforcement de la cohésion sociale.» C'est assez paradoxal que cette affirmation si importante sur les principes guidant l'interculturalisme soit présentée d'un point de vue défensif, on est sur la... Et donc on a besoin d'une affirmation qui soit positive et qui s'assume, au lieu d'être en... On sent qu'on se défend, dans le document, au lieu d'affirmer quelque chose.

Mme Weil : Bien, justement, c'est un document de consultation, ce n'est pas le document... Là, on pose des questions puis on reçoit vos commentaires avec beaucoup d'ouverture parce que justement beaucoup se sont intéressés à la question, comment aller plus loin. Alors, on vous écoute. C'est un document de consultation, le titre ne présage pas les actions à venir. Alors, tout ça pour vous dire : On vous entend, je vous entends.

Et ça m'amène à la présentation de M. Gérard Bouchard, qui a beaucoup parlé aussi d'interculturalisme avec M. Taylor. Et, pour M. Bouchard, l'insécurité, vous l'avez mentionné, puis dans vos études on le voit bien, l'insécurité des Québécois en général par rapport à l'identité québécoise, la langue française, la pérennité du fait français en Amérique du Nord... Il nous demande de regarder le rapport majorité-minorité, il revient beaucoup sur cette question-là et que, pour rassurer la majorité, il faut parler en ces termes très ouvertement, pour rassurer la majorité. C'est un langage qui ne fait pas consensus. Quand on parle aux jeunes, les jeunes, généralement, ne sont pas tellement chauds à parler en ces termes-là. Mais on écoute ses commentaires, c'est un homme avec beaucoup d'expérience et un grand intellectuel, et il dit que, si vous ne le mettez pas en ces termes-là, vous n'allez pas aller rechercher le problème précis. Et il parle beaucoup de l'histoire aussi, l'histoire du Québec et ses rapports majorité-minorité. Est-ce que vous avez un point de vue sur cette question?

M. Bilodeau (Antoine) : Je pense que vous mettez le doigt sur probablement un des défis les plus grands dans la formulation de cette politique d'interculturalisme, comment gérer cette dualité, parce que, oui, la politique d'interculturalisme s'inscrit dans cette notion d'insécurité, et je comprends... et là je suis un grand fan — je m'excuse de l'expression anglophone — des travaux de Gérard Bouchard, mais je ne suis pas certain que, pour l'avenir, l'utilisation de ce langage, majorité-minorité, soit le plus porteur d'un rassemblement de tous les Québécois. Je crois que l'emphase doit être mise sur des principes comme la langue française, des valeurs communes, un vivre-ensemble.

Mais l'utilisation, particulièrement si elle était formelle, dans un document comme une politique des expressions «majorité» et «minorité» ne me semble pas porteuse de ce rassemblement autour de la politique. Il faut qu'un jour les gens cessent d'être soit juste des membres de la majorité ou de la minorité et qu'ils soient tout simplement Québécois.

Mme Weil : Il reste combien de temps?

Le Président (M. Picard) : Six minutes.

Mme Weil : Six. Donc, vos grandes recommandations pour promouvoir l'ouverture à l'autre, donc, ce serait de privilégier des contacts dans les écoles... Le rôle des écoles, on a beaucoup parlé du rôle des écoles, je vous dirais que peut-être c'est le lieu qui émane de ces consultations comme le lieu privilégié. Donc, comme vous le disiez, dans certaines régions le contact est moins facile parce qu'il y a moins d'immigration. Beaucoup de gens veulent l'immigration, ça, c'est l'aspect très positif de ces consultations. C'est un souhait généralisé, qu'on puisse trouver des façons de faire ce pont, alors donc on écoute bien ça. Mais est-ce que vous avez d'autres... Peut-être la culture aussi. On en a moins parlé, mais il y a des... on évoque, la ville de Montréal, je pense, que la culture a un rôle important à jouer. Peut-être aussi l'éducation par rapport aux droits. Le racisme, la discrimination, la deuxième génération, je ne sais pas si vous avez un point de vue sur ces questions-là de discrimination carrément, là, la Commission des droits de la personne est venue en parler, d'autres aussi, et les gens n'hésitent pas à utiliser le mot. Même le secteur des entreprises, le Conseil du patronat a évoqué ce problème, parle plus de manque de contact ou de méconnaissance, apprivoiser la différence. Est-ce que vous avez un plan d'action ou des actions à privilégier?

• (11 h 30) •

M. Bilodeau (Antoine) : Peut-être deux points. Je pense que vous soulevez beaucoup de pistes importantes.

Je vais revenir rapidement sur le rôle de l'école. Je pense qu'effectivement tous les intervenants qui sont venus et autres qui mettent l'emphase sur l'école, à mon avis, ont raison. Là où le défi de l'école se pose, en fait, il est double. Le problème, c'est... On sait tout d'abord que l'école publique est saignée d'année en année, que les gens délaissent l'école publique pour s'en aller de plus en plus à l'école privée. Les enfants sont tous à l'école primaire, et on le vit année après année, on voit le nombre d'élèves qui choisissent l'école privée au lieu de l'école publique. Donc, évidemment, là, il y a une bifurcation où tous les Québécois ne se rassemblent pas au niveau de l'école publique, à un certain niveau, surtout rendu à l'école secondaire.

Le deuxième problème par rapport à l'école, évidemment on a tous un pouvoir limité là-dessus, c'est l'exode des francophones de la ville de Montréal depuis 20, 25 ans, où malheureusement la cohabitation entre les Québécois de toutes origines ne se fait peut-être pas autant qu'elle se pourrait si les francophones étaient davantage restés à Montréal. Bon, on ne peut pas forcer les gens à vivre à un endroit ou à un autre, mais je crois qu'il faut se poser cette question-là. L'école est primordiale, mais sa capacité à agir est plus localisée géographiquement, hein? Donc, s'il n'y a pas de diversité, on peut difficilement apprendre le vivre-ensemble à l'école. Donc...

Donc, je vais revenir peut-être, en terminant, sur le facteur de la discrimination. Oui, combattre la discrimination est primordial. Et à cet effet les études que j'ai réalisées montraient — on a parlé un peu du sentiment d'acceptation plus tôt dans mon exposé — que les deux... en fait les trois facteurs les plus importants pour comprendre si les Québécois membres des groupes ethnoculturels se sentaient acceptés par le Québec... En fait, ils étaient trois. Le premier, pas nécessairement en ordre d'importance, c'était les attentes économiques, c'est-à-dire que, tant qu'ils gardent un espoir d'une vie économique meilleure, leur sentiment qu'on veut d'eux dans la société québécoise est élevé, mais, quand ils commencent à perdre cet espoir-là, alors nécessairement le sentiment de rejet s'installe. Le deuxième était spécifiquement les expériences discriminatoires, c'est-à-dire qu'on voyait que plus les expériences discriminatoires étaient perçues comme étant fréquentes, plus faible était le sentiment d'acceptation, c'était vraiment une relation linéaire qui n'était pas... Plus c'est fréquent, plus le sentiment de rejet était fort. Et finalement, parce que ça fait aussi beaucoup partie du document et des échanges qui ont eu lieu dans le cadre de la commission, l'usage de la langue française était le troisième et le plus important facteur pour déterminer le niveau du sentiment d'acceptation, c'est-à-dire que les Québécois membres de groupes ethnoculturels qui utilisent le français dans plusieurs sphères de leur vie sont ceux qui se sentent le plus acceptés par la communauté québécoise, et, quand on n'utilise pas le français, que ce soit à la maison, au travail ou avec les amis, le sentiment d'acceptation baisse. Et je mets l'emphase sur le point ici qu'on ne parle pas de la connaissance du français mais bien de l'usage, qui sont deux choses complètement différentes parce qu'on peut être parfaitement bilingue ou trilingue mais utiliser principalement une seule langue, et notre étude montrait ici l'effet de l'usage de la langue au-delà de la francisation ou de la compétence linguistique.

Mme Weil : Merci beaucoup, M. Bilodeau. Et je cède la parole à mon collègue de D'Arcy-McGee.

Le Président (M. Picard) : Pour une minute.

M. Birnbaum : Merci, M. le Président. Alors, comme on a une minute, M. Bilodeau, je garderai ça simple. Et je trouve très intéressante votre description des deux malaises, il me semble que c'est au coeur du débat, finalement. Et je conviens avec vous qu'on est plutôt discret, en ce qui a trait à notre débat public, sur le deuxième malaise. J'aimerais vous inviter de nous parler du pourquoi de ça, parce que je trouve que, si on est pour développer la politique idéale, nous avons à confronter cette deuxième problématique.

M. Bilodeau (Antoine) : Merci pour la question. Je pense qu'en fait beaucoup d'éléments de réponse ont déjà été fournis dans mes derniers propos par rapport à l'expérience des attentes économiques, la discrimination et l'usage du français. On remarque aussi que le sentiment d'acceptation par rapport au Canada est beaucoup déterminé par les attentes économiques et par l'expérience discriminatoire de la même façon, donc les facteurs qui structurent la relation au Québec sont les mêmes qui structurent la relation au Canada, mais là une des grandes différences qui s'expliquaient par ce fait que les minorités se sentent plus acceptées par le Canada que par le Québec était... s'explique en grande partie par les différences d'usage linguistique. C'est-à-dire qu'au Québec, par rapport au Québec, quand on parle le français on se sent fortement accepté, et ce ne sont pas tous les membres des groupes ethnoculturels minoritaires qui utilisent le français. Et on voyait par ailleurs que la langue n'a aucun effet sur la relation avec le Canada. Qu'on parle français ou anglais, une autre langue à la maison, le niveau de... le sentiment d'acceptation par rapport au Canada était le même.

Mais on commence, en fait, les travaux sur ça, comme je disais, ce n'est pas... tout le monde, c'est aussi nous qui commençons seulement à regarder ça, et on n'est pas à même encore de donner une explication complète. Mais, c'est sûr, c'est plus difficile à démontrer empiriquement, mais ça fait plus de sens de penser qu'il y a deux malaises, hein, donc. Et ce ne sont pas deux groupes, mais ce sont les minorités et le groupe majoritaire qui se parlent, qui se regardent, un est mal à l'aise, l'autre est mal à l'aise, donc c'est une dynamique interrelationnelle entre les deux communautés.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Bourget.

M. Kotto : Merci, M. le Président. M. Bilodeau, soyez le bienvenu, et merci pour cette contribution. Vous ouvrez des pistes de réflexion de manière fine et chirurgicale, et je pense que le propos que vous tenez ici devrait nous inciter à travailler davantage quant à la réflexion qui nous engage en matière d'intégration surtout. Nous avons tendance en tant qu'humains, d'où que nous venions, de fuir ce qui peut faire problème dans une communauté aussi diverse que la nôtre, en l'occurrence, parce qu'on n'a pas envie de faire face à certaines réalités, mais ça prend du courage. Et, en tant qu'élus, je pense que nous devons nous donner ce courage-là, aller au fond des choses, et je pense que les questions que vous posez ici aujourd'hui nous amènent justement au fond des choses.

Parlant de signe symbolique fort, le Québec a des croûtes à manger, pour utiliser une expression populaire, face à la concurrence fédérale, parce qu'on considère que nous avons, entre le Canada et le Québec, deux modes d'intégration, deux modèles d'intégration bien distincts. Au Canada, on a adopté le multiculturalisme. Au Québec, depuis 25 ans, verbalement, théoriquement on parle d'interculturalisme, mais le pouvoir politique n'a pas eu, disons, la sagesse de lui donner un sens, un sens en termes de forme et de contenu, ce qui fait que moi, immigrant... Et je suis bien placé pour prendre mon exemple, je suis arrivé ici il n'y a pas longtemps, 23 ans. Quand je me présente à l'Ambassade du Canada, on me donne un tel document, et ce document me parle du Canada, ne parle pas du Québec... ou du moins ce qui concerne le Québec se résume à, au plan significatif : «Le Québec compte près de 8 millions d'habitants, dont la vaste majorité est installée sur les rives du fleuve Saint-Laurent ou tout près. Plus des trois quarts des habitants du Québec ont le français comme langue maternelle.» On ne me dit pas que le français est la langue publique commune, la langue officielle du Québec. Ça, ça fait consensus entre ce que M. Bourassa, feu Bourassa, a initié et ce que Camille Laurin a rivé dans l'inconscient collectif québécois.

Je reviens sur la compétition multiculturalisme-interculturalisme. La deuxième page, on me donne des citations mémorables, il y en a deux dans ce document, fort symboliques parce que c'est ma première rencontre avec le Québec, mais dans les faits c'est avec le Canada. C'est sir Wilfrid Laurier qui dit : «Ici [au Canada], je veux que le marbre demeure le marbre, que le granit demeure [le] granit, que le chêne demeure [le] chêne, et avec tous ces éléments, je bâtirai une nation, grande parmi les nations du monde.» C'est possible, mais force est de constater que cette métaphore nous amène tout droit au multiculturalisme : Restez ce que vous êtes. D'ailleurs, c'est le discours qu'on m'a tenu à Paris quand je venais : Vous êtes une richesse, ce que vous apportez individuellement au plan culturel, au plan identitaire est une richesse. Donc, ça conforte ça. On ne parle pas ici de valeurs communes comme l'indique notre charte, on ne parle pas ici de la nécessité du vivre-ensemble sur la base de ces valeurs communes. M. Diefenbaker dit — c'est l'autre citation : «Je suis Canadien, un Canadien libre, libre de m'exprimer sans crainte — ça, c'est parfait — libre de servir Dieu comme je l'entends — libre de servir Dieu comme je l'entends — libre d'appuyer les idées qui me semblent justes...» On n'est pas dans le commun, là, on est dans autre chose.

Donc, à partir du moment où je suis habité, moi, par cette philosophie, qui n'est pas objectivement désagréable mais qui l'est, qui est antinomique avec les aspirations même au plan des valeurs communes, au plan de l'identité linguistique du Québec, antinomique, je disais, comment dire, quels sont les palliatifs sur lesquels on devrait travailler pour, disons, montrer un double visage au niveau de la frontière, pas seulement une fois qu'on arrive ici, au terme de trois années, se retrouver à prêter serment d'allégeance à la reine d'Angleterre? Et ça aussi, c'est un symbole très fort, mais on pourra y revenir. Je reviens sur la première question : Comment est-ce qu'on peut rivaliser avec une telle représentation? Notons au passage que, nos représentations diplomatiques, on est en train de les fermer, pour cause d'austérité, un peu partout à travers le monde. Donc, comment est-ce que... Et d'ailleurs, autre parenthèse, le nouveau visage de la diplomatie canadienne est unilingue anglophone, ça ne vient pas aider la cause du Québec. Comment est-ce qu'on peut rivaliser avec ça?

• (11 h 40) •

Le Président (M. Picard) : M. Bilodeau.

M. Bilodeau (Antoine) : Merci. Bien, la première façon, c'est d'offrir ce moment symbolique fort ici. Avant de pouvoir l'offrir ailleurs, hein, dans les documents, il faut qu'on soit clair où nous, on se situe.

Quand on parlait des sources de ce double malaise, c'est évident qu'il y a une attirance probablement plus naturelle vers le modèle fédéral non seulement parce qu'il est fort symboliquement, mais parce qu'il se présente comme étant un modèle qui est plus flexible dans la recherche identitaire. Il est multiculturel, il a la diversité au coeur de l'identité canadienne, il prône le bilinguisme. Donc, ce sont des moments symboliques forts qui sont aussi probablement très attrayants pour quelqu'un qui arrive ici parce qu'ils sont très ouverts, très flexibles.

Si le Québec propose un modèle où il y a des valeurs communes, il y a une langue qui unit tous, évidemment, déjà en partant c'est un modèle qui peut sembler plus rigide, hein, moins flexible que le modèle canadien, mais en plus de cette rigidité... Et, quand j'utilise le mot «rigidité», ce n'est pas péjoratif du tout. Je crois en ces principes, mais ils paraissent rigides en parallèle du modèle fédéral. Donc, si déjà le modèle qu'on met de l'avant est peut-être un peu moins flexible que le modèle fédéral, mais qu'on ne le prône pas symboliquement de façon forte et claire, on lutte à armes inégales ici. Toute la place est laissée au gouvernement fédéral, il y a très peu de place ou de rôle joué dans le gouvernement du Québec.

Et, comme je le disais plus tôt, c'est d'autant plus paradoxal que c'est le Québec qui se veut une société d'accueil. On est ici dans l'Assemblée nationale, on n'est pas à l'assemblée législative provinciale. Le Québec a signé des accords importants en matière d'immigration, a des pouvoirs que personne d'autre ou presque n'a en matière de sélection, d'accueil des immigrants, on demande aux immigrants d'adhérer aux valeurs communes, on se dit une société distincte, on a tout ça, mais on n'a pas notre politique officielle d'accueil et de gestion de la diversité. Donc, c'est comme ça qu'on répond tout d'abord.

Ensuite, est-ce que ça prend la forme d'un document parallèle ou pas? Je ne peux pas répondre à cette question-là, mais je vais répondre à la deuxième partie, par rapport aux documents à l'international, sous un autre angle.

Une des choses qui... Et je n'ai pas tous les détails en tête. Vers la fin du document, on parle d'une approche beaucoup plus autonomiste, je crois, de l'immigrant, qui a un plus grand rôle à jouer par lui-même pour venir au Québec et qui a accès à des documents, puis tout ça. Cette approche-là me préoccupe un peu parce qu'elle me semble aller à l'encontre de ce que je vous propose ici, le moment symbolique fort. Et, pour un peu illustrer le propos, je vais faire référence aux travaux d'une collègue à l'Université de Berkeley, en Californie, qui a travaillé sur la différence de taux de naturalisation entre le Canada et les États-Unis, et elle disait que la valeur ajoutée du modèle canadien ici, qui était, pour elle, le multiculturalisme, était cette main tendue aux nouveaux arrivants. En comparaison, le modèle américain proposait un modèle individualiste, autonomiste : C'est ça que vous voulez, venir aux États-Unis, vous voulez devenir Américains par la suite, bien arrangez-vous, vous êtes des individus comme n'importe quelle autre personne qui veut devenir un citoyen américain, prenez vos responsabilités et organisez-vous, alors que le modèle canadien, lui, tendait la main, travaillait de concert avec des organisations ethnoculturelles pour promouvoir la citoyenneté canadienne, pour organiser des séances de formation pour l'obtention de la citoyenneté canadienne et un support, donc le support financier et logistique, mais aussi une main tendue symbolique. Et c'est pour ça que je suis un peu inquiet quand je vois... Bon, comme je vous dis, je n'ai pas en tête toute l'ampleur de cette proposition-là, mais cette approche qui se veut un peu plus autonomiste, elle me préoccupe parce qu'elle va directement à l'encontre de ce que je crois que nous devons faire, c'est-à-dire proactivement aller vers l'immigrant, qu'il soit ailleurs mais qu'il soit ici aussi, et tendre cette main de bienvenue.

Donc, je suis d'accord avec vous, on a besoin d'un document à l'international qui prône le Québec, et la place du Québec, et la société québécoise.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Borduas.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Bilodeau. Si vous voulez bien, on va retourner sur le rapport majorité-minorité, interculturalisme. La première de mes questions, c'est... Il y a beaucoup de groupes qui sont venus parler du concept d'interculturalisme, mais il y a peu de gens qui le définissent concrètement, ce en quoi il consiste. Je vous poserais la question suivante : Pour vous, quelle est votre définition de l'interculturalisme... ou que devrait-on y retrouver, dans ce concept d'interculturalisme québécois?

M. Bilodeau (Antoine) : C'est une très bonne question. Et on pourrait faire une recension de tous les écrits sur ce que constitue ce modèle interculturaliste, et je crois qu'il serait difficile à identifier.

Je crois qu'il s'inscrit tout d'abord dans l'existence d'une culture commune, d'un fait, d'une réalité linguistique majoritaire francophone et de la nécessité d'échanges entre les groupes en vue de bâtir cette culture commune là. Et ce sont les éléments essentiels. Beaucoup d'autres éléments, la participation, sont mentionnés dans le document... En fait, ils sont mentionnés dans le document. Mon problème, c'est qu'ils ne sont pas mis à l'avant-plan de façon assez forte, O.K.? Et donc c'est ça. Mais à bien des égards, en fait, si vous lisez un peu le... Parce qu'il y a des débats, hein, il y a même des gens qui disent que l'interculturalisme et le multiculturalisme sont la même chose. Je ne crois pas qu'ils soient exactement la même chose, mais je crois qu'ils sont relativement assez proches, à bien des égards.

Pour moi, la différence fondamentale entre les deux est une question de discours. La politique de multiculturalisme, oui, elle met beaucoup l'emphase sur la mosaïque, ce que l'interculturalisme ne fait pas, et je crois que c'est une des différences fondamentales. Mais, si vous référez à certains des écrits de Will Kymlicka, qui a été un des... qui a proposé fortement ce modèle-là, on va voir que même à un certain moment, fin des années 1990, il prône le virage du modèle multiculturaliste vers le modèle interculturaliste. Et la différence entre les deux modèles se veut, de un, que le modèle interculturaliste dicte plus explicitement, un, les limites de ce vivre-ensemble-là et l'emphase sur la culture commune, mais il dicte aussi ou il cite explicitement l'existence de cette culture commune là, alors que dans le multiculturalisme canadien tout le monde va s'entendre pour dire qu'elle existe, cette culture commune là dominante, mais elle est anglo-canadienne et elle sert de pôle d'attraction et de convergence. Qu'on parle d'intégration ou d'assimilation, elle existe, la dynamique, elle est là, elle existe. Le modèle québécois, lui... Mais il ne la nomme pas, alors que le modèle interculturaliste la nomme, et à bien des égards c'est une des différences fondamentales entre les deux. Mais, dans le contexte canadien, la politique d'interculturalisme a besoin de nommer ce pôle de convergence là qui est la culture québécoise.

M. Jolin-Barrette : Vous dites : Une des différences, c'est la culture commune qui est dans le concept d'interculturalisme. Cette culture commune là passe, entre autres, par l'usage de la langue française, mais aussi, nécessairement, par les valeurs communes.

Il y a eu un débat, la Commission des droits de la personne disait, bon, les valeurs démocratiques communes, les valeurs démocratiques. Est-ce que, pour vous, ça contient ces valeurs-là? Et quelles sont les valeurs communes?

M. Bilodeau (Antoine) : Bien, les valeurs communes de base, vous les avez nommées, ce sont les valeurs démocratiques, c'est l'usage de la langue française, mais c'est aussi, ça peut sembler un peu paradoxal, mais c'est une valeur en tant que telle que le partage culturel et le rapprochement. Et je pense que c'est ça, l'importance de la politique d'interculturalisme. Ce n'est pas seulement vivre chacun dans son coin, c'est aussi partager et échanger entre les diverses communautés. Et cette valeur-là n'a pas un nom comme la liberté d'expression ou l'égalité des sexes, mais elle est en soi une des valeurs qui doit être promue au travers de l'interculturalisme.

M. Jolin-Barrette : Est-ce que, parmi les valeurs communes, il y a d'autres valeurs qui ne sont pas des valeurs démocratiques?

M. Bilodeau (Antoine) : Je peux vous demander à quoi vous faites référence?

M. Jolin-Barrette : Bien, écoutez, je ne sais pas, supposons des valeurs de développement durable, des concepts plus larges que des valeurs démocratiques.

M. Bilodeau (Antoine) : Bien, ça, je pense que c'est à la société québécoise d'en décider, quelles sont ces valeurs communes là. Est-ce que le développement durable devrait en faire partie ou pas? Je peux vous donner mon opinion personnelle, moi, en tant que citoyen, mais ce n'est pas vraiment à moi d'en décider. Je pense que les valeurs de base qui doivent être promues sont vraiment les valeurs démocratiques, la langue française et cette nécessité d'échange là. Le développement durable ou autre truc plus spécifique, je crois que c'est à la société québécoise d'en décider.

M. Jolin-Barrette : Vous avez débuté en parlant des deux malaises, et puis on a discuté également du rapport majorité-minorité. Croyez-vous que le point qui est soulevé par M. Bouchard au niveau du lien majorité-minorité qui devrait être intégré dans le cadre du concept d'interculturalisme est en fait une source du malaise éprouvé par la majorité francophone dans le cadre de vos études?

• (11 h 50) •

M. Bilodeau (Antoine) : Je ne suis pas certain de comprendre votre question, mais... Si je comprends bien, c'est : Est-ce que le Québec se perçoit comme un groupe minoritaire à l'intérieur du Canada, insécure, et c'est ça qui pousse à ce malaise? C'est ça?

M. Jolin-Barrette : Effectivement.

M. Bilodeau (Antoine) : Oui, absolument, je pense que c'est en grande partie la différence fondamentale dans la façon dont les Québécois et les autres Canadiens approchent la diversité ethnoculturelle. Les Québécois sont, dans l'ensemble canadien, dans l'ensemble nord-américain, une minorité linguistique, une minorité culturelle, et nécessairement un groupe insécure qui doit accueillir l'autre est dans une situation beaucoup plus difficile qu'un groupe qui se croit majoritaire, qui se croit fort et qui ne se sent pas menacé. À mon avis, c'est absolument là la différence fondamentale dans la façon dont les Québécois et les autres Canadiens adressent la diversité ethnique et l'immigration, oui.

M. Jolin-Barrette : Lorsque vous parlez d'un geste fort, est-ce que vous pensez nécessairement à la codification de l'interculturalisme dans le cadre d'une loi, exemple dans la Loi sur l'immigration?

M. Bilodeau (Antoine) : Je ne crois pas qu'elle devrait être sous une autre loi, ça devrait être la loi ou la politique d'interculturalisme. Elle ne devrait pas faire partie de la politique d'immigration, ça devrait être un document qui transcende les questions d'immigration.

M. Jolin-Barrette : Donc, ça devrait constituer une des valeurs de la société québécoise.

M. Bilodeau (Antoine) : Absolument. C'est ce que j'ai dit plus tôt, oui.

M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, au même titre peut-être que de le codifier à l'intérieur de la Charte des droits et libertés de la personne?

M. Bilodeau (Antoine) : Ça pourrait être une avenue intéressante, oui.

M. Jolin-Barrette : O.K.

Le Président (M. Picard) : Merci, M. le député, ça met fin à nos échanges. Donc, M. Bilodeau, je vous remercie pour l'apport aux travaux de la commission.

Et je suspends les travaux jusqu'à 16 heures.

(Suspension de la séance à 11 h 52)

(Reprise à 16 h 32)

Le Président (M. Picard) : À l'ordre, s'il vous plaît. La commission reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Nous allons poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur les documents intitulés Vers une nouvelle politique québécoise en matière d'immigration, de diversité et d'inclusion.

Dans un premier temps, je souhaite la bienvenue à M. Bob White, professeur titulaire au Département d'anthropologie à l'Université de Montréal et directeur du Laboratoire de recherche en relations interculturelles. M. White, vous disposez de 10 minutes pour faire votre exposé. Je vous demanderais dans un premier temps de présenter les gens qui vous accompagnent. Vont s'ensuivre des échanges avec les parlementaires. La parole est à vous.

M. Bob White

M. White (Bob) : Merci beaucoup. D'abord, Mme la ministre et les membres de la commission, merci pour l'invitation, nous sommes très heureux de pouvoir participer à ce processus. Je m'accompagne de deux collègues. D'abord, Mme Danielle Gratton, qui est psychologue et docteure en anthropologie, donc psychologue et anthropologue de formation, coordonnatrice de recherche pour les travaux que nous faisons au laboratoire LABRRI, consultante et formatrice aux agences de santé et de services sociaux, et je tenais à mentionner qu'elle a déjà été présidente du Conseil interculturel de Montréal. À ma gauche, toujours à ma gauche, Jorge Frozzini, professeur de communications de l'Université du Québec à Chicoutimi, politologue de formation, docteur en communications, cochercheur affilié au LABRRI et membre du centre des travailleurs immigrants.

Je voulais dire deux petits mots sur le groupe qui nous réunit, le LABRRI, qui est un laboratoire de recherche par des personnes qui s'intéressent à la recherche, l'enseignement et l'expertise en relations interculturelles. Nous travaillons principalement sur un projet de partenariat de recherche qui vise à comprendre les dynamiques interculturelles dans le contexte urbain, donc surtout à Montréal, c'est un partenariat qui rassemble une douzaine de partenaires communautaires, municipaux et universitaires. Et je voulais aussi mentionner que mon collègue François Rocher n'a pas pu se joindre à nous, il était un petit peu plus loin. Donc, il est aussi coauteur sur le mémoire, mais il n'a pas pu être présent avec nous.

D'abord, on tenait à saluer le travail qui a été effectué jusqu'à maintenant à travers ce texte, à travers l'énoncé de politique. Et nous voulons surtout saluer l'accent qui a été mis sur l'idée de l'inclusion.

Au Québec, nous avons développé des expertises en interculturel depuis très longtemps, vous savez sans doute que le Québec, des fois même plus que le Canada, est pris comme un foyer d'expertise ou comme un modèle pour les questions d'intégration et de diversité ethnoculturelle. Mais il demeure qu'on entend souvent des questions auxquelles nous n'avons pas toujours de très bonnes réponses, et les questions que nous entendons souvent émergent dans le cadre de la recherche que nous faisons sur le terrain un peu partout au Québec mais surtout dans la région métropolitaine. On entend, premièrement, des personnes qui sont inquiétées par les défis de cette nouvelle diversité qu'on appelle des fois la superdiversité, et ils nous demandent : Il faut aller jusqu'où? On veut bien adapter nos services, nos outils et nos ressources, mais s'adapter et adapter jusqu'à quel point, jusqu'où? La deuxième question qui nous est posée souvent — et ça, c'est souvent après avoir posé la première : Si on accepte d'adapter nos institutions et nos services, dans ce cas-là il nous faudrait des orientations et des balises plus claires. Donc, nous travaillons beaucoup avec nos différents partenaires sur le terrain pour essayer de mieux définir l'interculturel et les aider à trouver des outils qui orientent mieux l'action interculturelle.

Donc, l'inclusion peut donner quelques réponses à ces questions, juste l'idée de l'inclusion, une démarche qui vise à baliser l'inclusion peut donner quelques réponses à ces questions, mais... Et je pense que c'est peut-être l'argument principal de notre mémoire. C'est que, pour bien comprendre l'inclusion, il faut s'assurer de regarder les conditions de l'inclusion, quelles sont les conditions qui permettent, qui favorisent, qui privilégient l'inclusion, et non seulement pour les immigrants, mais aussi pour ceux qui les reçoivent. Et cette idée de regarder les deux côtés de l'équation, les deux côtés des interactions est vraiment au coeur de toute approche interculturelle.

Nous sommes d'avis que le Québec a beaucoup d'intérêt à clarifier et structurer une politique sur l'interculturalisme. Comme vous avez pu, j'espère, lire dans le mémoire, nous ne sommes pas convaincus que l'énoncé de politique accomplit ce travail, mais il y a quelques pas qui vont dans ce sens-là.

On aimerait insister sur l'idée qu'une politique sur l'interculturalisme doit soutenir l'interculturel et pas l'inverse. Et donc tout de suite dans cette proposition vous entendez la distinction que nous faisons souvent entre l'interculturalisme et l'interculturalité. Donc, l'interculturalisme, c'est une série de politiques qui visent à encadrer la vie publique, et l'interculturel ou l'interculturalité, c'est ce fait, cet état de fait, cette réalité sociologique qui fait que les gens de différentes origines rentrent en contact les uns avec les autres.

Bon, pour soutenir l'inclusion, ça demande des conditions interculturelles, c'est quelque chose qui serait vrai pour le Québec et peut-être même spécifique au Québec, mais les conditions interculturelles, elles, exigent des compétences, et pas uniquement des compétences individuelles — nous allons beaucoup parler, en fait, de cette différence entre compétences individuelles et compétences sociétales ou compétences organisationnelles — mais aussi les conditions de l'inclusion exigent de l'accompagnement. C'est un terme qui va revenir aussi souvent.

Puisque le temps est court, nous avons identifié trois enjeux qui nous semblent essentiels à retenir. Ce sont les enjeux qui traversent l'ensemble des recommandations que nous avons faites dans notre mémoire, mais c'est important de prendre quelques minutes afin de les souligner parce que, dans ce mémoire-là, qui est assez dense, il y a plusieurs façons de lire le texte.

• (16 h 40) •

Premièrement, on voulait insister sur l'importance d'identifier des situations problématiques récurrentes. Ce n'est pas du jargon. En fait, quand on parle de ces situations problématiques qui reviennent souvent, en recherche interculturelle on utilise souvent le terme «incidents critiques». Nous savons que l'insertion socioprofessionnelle pose beaucoup de problèmes, et il y a beaucoup de réflexion là-dessus dans l'énoncé de politique, surtout la situation des travailleurs temporaires, une situation qui nous inquiète beaucoup, au LABRRI, et qui inquiète beaucoup de nos partenaires, et donc on a pris un peu de temps pour en parler dans le mémoire.

Deuxième : le développement et le transfert des compétences. Il ne faut pas se limiter à une compréhension des compétences individuelles, puisque les compétences individuelles sont assez faciles à former, nous savons comment ça se fait, mais, si on ne vise pas les compétences des organisations et puis même des regroupements d'acteurs dans la société de façon plus large, ce savoir n'est pas transmis. Deuxième, il faut distinguer entre compétences culturelles et compétences interculturelles, c'est essentiel. Les compétences culturelles visent une compréhension de la culture de l'autre, et les compétences interculturelles, ce sont principalement des compétences de communication, donc que faire dans des situations où la communication dérape.

Et le troisième enjeu, pour nous, qui est très important, c'est l'importance de l'échelle municipale. Vous savez qu'il y a beaucoup de débats là-dessus depuis quelques années. Les villes, les municipalités à travers le Québec proclament des capacités de fournir des services de proximité. Les villes sont prises, comme nous le savons, avec beaucoup de problèmes dans cette proximité et des problèmes qui émergent et qui se répètent de façon quotidienne, ils sont pris aussi avec les plaintes des citoyens de façon régulière. Mais il y a quand même des choses intéressantes qui se passent à l'échelle internationale parce qu'il y a plusieurs mouvements politiques et, je dirais, sociaux aussi qui travaillent sur les dynamiques municipales comme une échelle très, très promettante, parmi d'autres le Conseil de l'Europe, l'Union européenne. Bref, il y a beaucoup de choses qui se passent à l'échelle municipale, et on est contents de venir vous parler un petit peu des enjeux que nous voyons à partir de cette échelle presque du quartier.

Donc, je vais arrêter là.

Le Président (M. Picard) : Merci, M. White. Avant d'entreprendre la période d'échange, j'aurais besoin d'un consentement pour qu'on puisse excéder l'horaire tout à l'heure. Ça va pour tout le monde?

Et aussi j'aurais besoin d'un consentement pour permettre à M. le député de Mercier de participer à nos travaux.

M. Khadir : ...pas amputer inutilement sur...

Le Président (M. Picard) : O.K. Et M. le député de Mercier aimerait avoir deux minutes. Est-ce qu'on y va comme la semaine dernière, Mme la ministre?

Mme Weil : Pardon?

Le Président (M. Picard) : M. le député de Mercier aimerait avoir deux minutes de votre temps. Est-ce qu'on y va comme la semaine dernière?

Mme Weil : Oui, oui. Absolument, absolument.

Le Président (M. Picard) : Donc, deux minutes, M. le député de Mercier. On entreprend les échanges, Mme la ministre. La parole est à vous.

Mme Weil : Oui, merci beaucoup. Alors, je vous remercie, M. White, Mme Gratton et M. Frozzini. Merci de votre présence ici.

Vous touchez vraiment au coeur d'un sujet très, très important dans cette consultation et vous amenez un autre éclairage, peut-être des distinctions importantes. Alors, on va commencer avec l'interculturalisme parce qu'il y a vraiment une volonté exprimée, on a posé la question, évidemment, très ouvertement : Que doit-on faire pour que ce mode unique d'accueil, d'intégration soit mieux compris, mieux défini, formalisé d'une manière ou d'une autre?, et vous allez dans le vif du sujet. Et j'aimerais donc vous poser quelques questions là-dessus.

D'abord, vous dites : Faire attention... Puis il y a juste un intervenant qui a parlé d'interculturalité, mais est-ce que vous pourriez mieux expliquer, donc, quand vous dites : Faites attention aux mots, l'interculturalisme et l'interculturalité, que les termes imprécis... qu'il faut faire attention, peut-être revenir sur cette question?

M. White (Bob) : J'ai publié un texte récemment avec mon collègue François Rocher qui n'a pas pu venir, justement pour essayer de faire émerger un peu plus à quel niveau la confusion terminologique nous joue des tours. Nous savons que le Québec se trouve donc dans un contexte fédéral qui utilise un autre terme pour expliquer ses politiques qui encadrent les questions de diversité ethnoculturelle, immigration et d'autres, mais nous savons aussi que le Québec n'a jamais vraiment acheté pleinement les politiques du multiculturalisme. C'est très difficile de les comparer, mais, dans notre analyse des discours qui circulent autour de ces deux ismes, donc l'interculturalisme et le multiculturalisme, nous avons vu que certaines personnes ne voient que les similitudes et d'autres personnes ne voient que les différences. Mais, d'un point de vue beaucoup plus, je dirais, neutre, pour ne pas dire scientifique, les deux sont vrais, et donc la question que nous allons poser par rapport à l'interculturalisme dépend du niveau de l'échelle qu'on prend pour regarder le problème.

Notre analyse explique, je pense, très clairement qu'il y a certains aspects qui sont pareils des deux politiques d'intégration ou politiques de la gestion de la diversité, pour prendre le terme plus souvent utilisé, mais, sur d'autres aspects, les deux approches sont très différentes et même opposées. Mais, étant donné que dans le contexte du Québec nous ne sentons... il n'y a pas une majorité qui soit à l'aise avec l'idée du multiculturalisme, le Québec essaie donc de tracer son propre chemin. Pour le faire, il ne suffit pas de dire uniquement que nous ne sommes pas multiculturalistes, il ne suffit pas de simplement changer le préfixe, le multi devient inter, et voilà, de façon magique nous sommes une société distincte. Il faut regarder un peu l'histoire, il faut comprendre qu'effectivement la façon d'interagir avec les gens qui sont venus d'ailleurs n'est pas pareille partout au Canada. Il faut regarder aussi les deux projets de société, dont une qui est plus de tradition anglo-saxonne et une autre qui est de tradition francophone républicaine. Et juste là on voit tout de suite les différences entre les deux modèles, mais principalement mon collègue politologue François Rocher a souligné la différence du statut juridique et constitutionnel, qu'au Canada il s'agit d'une politique qui a un certain statut et au Québec ce n'est pas ce même statut. Malheureusement, il n'est pas là, parce qu'il explique de façon plus élégante que moi.

Moi, je m'intéresse à une autre distinction qui est intéressante, et c'est celle qui explique que, dans le modèle multiculturaliste, il n'y a pas de véritable reconnaissance de l'identité culturelle de la majorité. C'est un gros mot que je viens de dire, mais je pense que c'est possible de le documenter. Et c'est un des arguments qui, pour moi, séparent l'interculturalisme du multiculturalisme, c'est le fait qu'au Québec on est très conscients de cette majorité-là. On ne veut pas imposer le point de vue de la majorité, mais les gens qui viennent d'ailleurs, ils arrivent dans un contexte spécifique, et on ne peut pas faire l'économie de ce contexte, il faut l'assumer, il faut... D'un point de vue interculturel, il faut justement que ce soit très explicite et presque sur la table.

• (16 h 50) •

Donc, pour répondre à votre première question, je dirais que d'abord on fait confusion souvent entre ces deux modèles, dans le discours parlé populaire, mais on fait la confusion aussi entre l'interculturalisme comme politique, que vous connaissez très bien, et l'interculturel ou l'interculturalité. Donc, l'interculturalité, c'est l'ensemble des actions qui arrivent, des interactions, des contacts, des rencontres entre les citoyens ou entre les citoyens et les institutions. Ça aussi, ça relève de l'interculturel, mais ce n'est pas l'interculturalisme. En fait, ce qu'on voit, c'est que, sur le terrain, les gens vivent beaucoup plus de problèmes qu'on aimerait croire, parce qu'on a tendance à réduire les tensions sociales autour de cette question-là, on ne veut pas mettre trop d'accent là-dessus. Et, quand les gens cherchent des outils ou des ressources pour résoudre ces situations conflictuelles ou pleines de tension, bien ils voient qu'il n'y a pas de balises, il n'y a pas d'outil, il n'y a pas de cadre de référence, et donc souvent, et on voit ça souvent dans la recherche que nous faisons à Montréal, c'est qu'il y a des acteurs, des décideurs, des gestionnaires qui sont pris entre les deux modèles, ils ne savent pas si c'est le modèle multiculturaliste qu'il devrait s'appeler ou le modèle interculturaliste. Et, étant donné que le Québec n'a pas eu un cadre législatif ou un cadre politique qui définit clairement c'est quoi et en quoi c'est différent, bien les gens sont pris avec un tas de problèmes.

Mme Weil : Et je rajouterais... Parce qu'on a eu M. Antoine Bilodeau ce matin qui a beaucoup parlé de ça et qui a fait des études par rapport à l'identification des communautés ethnoculturelles vis-à-vis l'un ou l'autre et l'attachement qu'ils peuvent avoir vis-à-vis un modèle ou l'autre, et il a dit que le... — je vais parler de «branding», ce n'est pas le mot qu'il a utilisé, mais j'ai vu ça comme un «branding» — que le Canada a un «branding» très fort...

M. White (Bob) : Oui, vraiment.

Mme Weil : ...et le modèle multiculturel, c'est très fort dans la tête des gens, ils comprennent tout de suite ce que ça veut dire, et c'est un «branding» qui est ouvert, donc qui tend la main, qui invite les gens à faire partie du Canada. Donc, il disait que le Québec doit poser un geste fort, hein, fort, symbolique, mais il parlait de tendre la main pour dès l'accueil, dès l'accueil, et donc comme vous, poser ce geste, un cadre législatif ou autres pour bien camper notre modèle.

Mais il a mentionné trois gestes que le gouvernement du Canada a faits au fil des années, donc il y a le politique et juridique, mais il y a aussi, donc, de bien définir le modèle et tout. Alors, je comprends que vous allez exactement dans le même sens, mais c'est sûr que...

M. White (Bob) : ...tendre la main pour dire qu'on vous accepte dans toutes vos différences, ce n'est pas ça, le geste. C'est plutôt un geste de dire que nous avons un projet de société commun, et donc on veut... on vous encourage à participer. Et, pour le faire, bien ça prend des conditions d'inclusion et ça prend aussi un certain accompagnement, on aimerait beaucoup insister là-dessus.

Mme Weil : On a beaucoup parlé du rôle des villes, on avait la ville de Montréal ici ce matin. Vous aussi, vous parlez du rôle des villes, hein? Et on a parlé avec d'autres villes, la ville de Sherbrooke, Gatineau. Il y en a plusieurs qui sont des modèles très dynamiques, il y a vraiment une volonté de jouer un rôle important. Moi, je partage cette vision. Quand on pense à la réalité de ces villes-là, quand on voit les élus tellement motivés pour réussir l'immigration, puis évidemment avec des organismes communautaires sur le terrain autour et la relation que les villes ont établie avec ces organismes, je pense qu'il y a quelque chose à regarder là dans notre modèle.

On ira sur l'immigration après, mais, juste pour bien s'assurer de ce qu'on peut appeler l'inclusion, qu'on appelait ou qu'on appelle toujours, l'intégration mais peut-être la pleine participation... On ne vise rien de moins que la pleine participation. Les gens sont exclus beaucoup. Que ce soit discrimination, préjugés ou autres, méconnaissance, quoi qu'il en soit, le résultat, c'est qu'il y a des gens qui ne trouvent pas une place au sein du marché du travail ni dans les conseils d'administration, ils ne sont pas reflétés dans les médias, cette diversité n'est pas reflétée dans toutes les tranches de la société, et on s'adresse beaucoup à ça. Pourriez-vous nous... peut-être en parler un peu plus? Comment vous voyez le rôle des villes? Pourquoi c'est, comment dire, une approche gagnante, de valoriser le rôle des villes au coeur de cette stratégie de pleine participation?

M. White (Bob) : Oui. D'abord, il y a le constat de la proximité. Nos collègues à la ville de Montréal et dans d'autres arrondissements, dans d'autres municipalités à travers le Québec sont pris avec des problèmes vraiment de la vie quotidienne, c'est l'utilisation de la carte de bibliothèque, c'est les habits qu'on porte à la piscine, c'est l'utilisation d'un espace, d'un lieu de culte. Ils ont beaucoup d'expertise là-dedans, ils ont beaucoup d'expérience aussi. Et souvent ce sont ces personnes qui travaillent à l'échelle municipale qui sont prises avec tous les problèmes parce que justement ils travaillent dans un contexte de proximité et dans une logique de proximité aussi, je voulais dire.

Mais nous savons aussi que les gens qui sont... les personnes qui sont issues de l'immigration récente, elles ont tendance à mobiliser politiquement à l'échelle municipale, donc l'engagement civique se fait souvent à l'arrondissement ou à l'échelle de la municipalité. C'est beaucoup plus accessible. La recherche en Europe, partout dans les villes en Europe, démontre qu'il y a quelque chose d'accessible et aussi quelque chose de significatif pour les personnes à cette échelle-là.

Donc, on sait que la participation des gens qui viennent d'ailleurs, bien ça se passe beaucoup à l'échelle municipale. Et, si c'est le cas, c'est peut-être parce que... Je voulais reprendre la phrase d'un collègue chercheur qui travaille en Belgique, qui a dit qu'une ville n'est pas un pays. Et donc ça semble être complètement évident, mais j'aime redire cette phrase-là parce que, dans ce constat très évident, il y a des aspects qui ne sont pas aussi évidents à moins qu'on y pense, et c'est principalement cette idée que c'est difficile d'imaginer quelqu'un qui va tuer ou se tuer pour une ville. On défend notre quartier, on est très fiers, on l'affiche, mais les problèmes de l'appartenance qui deviennent des violences collectives ou sociales ne s'expriment pas à l'échelle municipale. C'est-à-dire qu'on peut s'attacher très facilement comme citoyen à une ville, ça se fait facilement, donc on est tous Montréalais, on est tous Gatinois, on est tous Québécois. J'ai toujours trouvé ça fascinant. Et donc ce que nous, on voit, c'est que, quand on travaille à l'échelle municipale, les choses se font mieux, les choses se font plus facilement parce que les différentes idéologies politiques qui existent dans chaque nation en santé, bien elles partagent les tables et sont habituées à partager cet espace-là, et ça fait que c'est comme si on peut travailler de façon plus pragmatique, plus efficace, avec moins de tension.

Mme Weil : Je pense qu'il me reste deux minutes, alors je vais y aller rapidement, mais peut-être que vous allez pouvoir trouver une façon d'y adresser...

Bon, l'intégration en emploi, lorsque... Moi, j'ai parlé avec beaucoup, beaucoup de gens avant de présenter ce document. La première préoccupation, c'était la... bien, reconnaissance des acquis, des compétences mais l'intégration en emploi, c'est la dignité humaine, c'est comme ça qu'ils le présentent, et la deuxième génération qui voit les parents exclus du marché de l'emploi, qui crée beaucoup d'anxiété chez eux, ils parlent du rêve brisé, et c'est presque... Quand on parle à certains psychiatres et psychologues, c'est comme un traumatisme, genre, pour les familles qui vivent ça. Et vous parlez de votre préoccupation des travailleurs temporaires. Je vous laisse aller sur ces enjeux, deuxième génération, intégration en emploi et les travailleurs temporaires. Dans une minute, j'imagine?

M. White (Bob) : Combien de temps qu'il nous...

Le Président (M. Picard) : Une minute.

M. White (Bob) : O.K. Bien, on va peut-être revenir à cette question-là, j'aurais aimé que mon collègue se prononce là-dessus. Mais, de façon très, très courte, l'insertion socioprofessionnelle, c'est vraiment une problématique qui est prioritaire pour beaucoup de personnes en recherche et dans les milieux de vie. On a été rassurés de voir... que l'énoncé de politique dise des vraies informations sur la situation qui est vécue par des gens, des situations de discrimination et d'exclusion. Important aussi d'insister sur les compétences, les équivalences de compétence, mais, de notre point de vue, c'est vraiment une sorte de premier pas qui n'est pas suffisant à faire parce que, quand on regarde les conditions dans lesquelles les gens vivent et les conditions qui sont exigées pour se sentir inclus, on se rend compte qu'il y a une sorte de mouvement pas juste au Québec mais à l'échelle mondiale qui insiste de plus en plus sur le travail temporaire. Et nous sommes d'avis que ce mouvement devrait nous inquiéter, parce que ça fragilise des économies et parce que ça empêche, à l'échelle sociale, des personnes issues de l'immigration d'assurer une intégration pleine.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Bourget.

• (17 heures) •

M. Kotto : Merci, M. le Président. M. White, Mme Gratton, M. Frozzini, soyez les bienvenus. Merci pour la contribution. C'est toujours très agréable d'entendre les chercheurs en ces matières-là parce qu'il y a une distance, disons, rationnelle qui nous permet de voir plus clair. Il y a peu d'émotion dans le propos, ce qui est une bonne chose quand on touche à ces matières-là. L'immigration, c'est devenu un sujet très sensible un peu partout à travers le monde, c'est d'ailleurs un enjeu pour les 50 prochaines années un peu partout. C'est très passionné en Europe. Comme vous le voyez, nous avons beaucoup de chance ici de vivre encore relativement paisiblement en ces matières.

Vous disiez tout à l'heure, M. White, que vous avez travaillé sur l'interculturel et toutes ses déclinaisons. Avez-vous également réfléchi ou travaillé sur le multiculturalisme au passage?

M. White (Bob) : Bien, personnellement je suis, à quelque part, un enfant du multiculturalisme, vous avez vu dans mon nom de famille que je ne suis pas nécessairement de souche québécoise. Mais je dirais que c'est à travers la recherche qu'on fait sur l'interculturalisme que nous apprenons beaucoup sur le multiculturalisme.

L'histoire, si on regarde les deux politiques qui émergent à travers le temps, on constate deux choses. D'abord, le multiculturalisme émerge principalement parce qu'il y a un besoin de répondre à des inquiétudes qui viennent principalement du Québec. Donc, le multiculturalisme est vu par certains analystes comme une réponse au Québec au départ.

Deuxièmement, nous voyons qu'il y a un...

M. Kotto : ...je n'ai pas bien compris. Jusqu'à présent, je croyais que c'était la commission royale qui a donné naissance à ce bébé, commission royale initiée par M. Trudeau, et les conclusions nous ont posés là, et le Québec, dans sa réponse au multiculturalisme canadien, a, disons, évoqué... Parce que jusqu'à présent, vous l'avez bien dit, la partition de la symphonie d'interculturalité n'est pas encore écrite, depuis 25 ans la réponse n'est pas écrite, on vit dans une sorte d'approche intuitive de la chose. On peut poser la question à 10 000 personnes au Québec et on aura 10 000 façons de concevoir la chose. Ma question, elle est dans ce sens-là. Je voulais savoir au final ce que vous feriez comme distinction entre multiculturalisme, interculturalisme, dans la perspective historique que je viens de résumer très rapidement, et aussi convergence culturelle, qui est une notion qui a fait l'objet de plusieurs débats au sein de notre cercle politique pendant des années également, parce que le but, c'est toujours le vivre-ensemble, hein, c'est cette quête-là.

M. White (Bob) : Oui, tout à fait. Non, mais ce que je trouve fascinant, c'est qu'on ne peut pas... ce que j'essaie de dire de façon moins claire, on ne peut pas imaginer le multiculturalisme sans le Québec, parce que c'est une politique qui a été développée en réponse... avec des tensions sociales entre les provinces à cette époque-là, et en même temps on voit à travers le temps un rapprochement entre les deux politiques. Donc, il y a des termes et des aspects structurants dans le multiculturalisme qui viennent influencer et inspirer l'interculturalisme, et dans l'autre sens aussi il y a des aspects de l'interculturalisme qui inspirent du côté du multiculturalisme.

Et un de ces aspects, donc, qui est considéré comme central à la démarche interculturaliste, du point de vue québécois, c'est l'intérêt pour les interactions et donc un rapprochement à travers les interactions. Nous, on travaille beaucoup là-dessus, en fait ce sont les traces de la théorie et la philosophie interculturelles qui disent que toute situation de vie publique commune se définit à travers une série ou le cumul des interactions. Et donc dans le modèle multiculturaliste on a un peu cette idée de mosaïque ou de séparation, égalité mais séparation, mais dans le modèle interculturaliste on est beaucoup plus intéressé à l'idée d'avoir quelque chose de partagé, de commun.

Et donc, si c'est partagé et commun, dans ce sens-là il faut avoir des outils pour comprendre les interactions. La convergence a été un outil. Nous travaillons sur des modèles, sur des outils de recherche qui vont nous permettre, en fait, de documenter de façon beaucoup plus systématique toutes les situations qui concernent les interactions en contexte pluriethnique, et non seulement de pouvoir les documenter pour aller rechercher des bonnes pratiques, mais aussi de pouvoir documenter la fréquence et la gravité de ces situations-là. Donc, ça fait partie d'un de nos intérêts au niveau des enjeux à regarder dans l'avenir très proche. Il faut être capable de dire : Est-ce que vraiment nous avons des problèmes dans nos interactions? Et, si oui, c'est où? Et, si on arrive à les identifier, quel est l'impact de ces interactions sur l'opération des institutions publiques de façon plus... ou même la vie publique, l'espace public de façon plus générale?

Moi, je pense qu'on a beaucoup à apprendre du multiculturalisme, on ne peut pas l'ignorer, mais je suis convaincu que le Québec fonctionne de façon différente, et nous considérons que ça serait vraiment à l'avantage pour tous les Québécois que le gouvernement mette plus de clarté dans la définition.

M. Kotto : Quand vous référez au multiculturalisme, que pensez-vous des constats faits en Grande-Bretagne, en Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas? Et même certaines plumes commencent à s'exprimer du côté de l'Ontario à l'effet que la démarche ne constitue pas une rencontre entre, comment dire, la société d'accueil et les aubains, entre guillemets, tout au contraire, les gens sont murés dans des silos culturels et refusent... ou plutôt ne démontrent aucune volonté d'établir des ponts ou des passerelles avec les autres. Et on voit ce que ça génère au terme d'un certain nombre de générations en France, en Grande-Bretagne par exemple.

M. White (Bob) : Moi, je pense que les gens font des ponts de façon assez régulière, à leur façon, mais ça dépend des personnes et des endroits où ils le font.

Effectivement, il y a quelques publications qui sortent et quelques colloques qui s'organisent autour de cette idée de la multicultiphobie. Donc, il y a ce qu'on appellerait en anglais un «backlash» à l'égard du multiculturalisme. Pour défendre nos confrères dans l'Ouest et dans le reste du Canada, je dirais que les Européens, en général, n'ont pas la facilité à comprendre le contexte spécifique du multiculturalisme, et donc on pourrait se dire que le multiculturalisme ne pourrait pas s'appliquer de la façon, ailleurs, qu'il s'applique ici. Le bilan n'est pas si mauvais pour le Canada de façon générale.

Je comprends aussi la crainte que vous soulevez qui est une crainte de ghettoïsation et de sentiment communautariste, pas communautaire dans le sens anglophone mais communautariste, et moi, je suis convaincu que nous avons des volontés politiques et des outils, même des outils de recherche qui vont nous permettre de montrer comment le vivre-ensemble au Québec est possible, de promouvoir et même d'étudier, d'encadrer, d'encourager... S'il y a quelque chose de spécifique au Québec, c'est parce que depuis plusieurs siècles nous avons des stratégies pour assurer un minimum de vivre-ensemble. Mais on ne peut pas comparer le Québec avec l'Europe. Les problèmes qu'ils ont, en Europe, ce sont des problèmes d'intégration sociale et pas uniquement des problèmes de modèle de gestion de la diversité.

M. Kotto : O.K., je vous entends bien, mais, si nous ne faisons pas attention, nous pouvons répéter les mêmes paradigmes de balkanisation à notre insu, parce que c'est ce qui est arrivé en France par exemple, et notamment parce que vous, comme moi, constatez les problèmes d'appauvrissement dans certaines portions de notre population, le taux de chômage très élevé à Montréal, par exemple, qui avoisine les 30 % chez des francophones québécois récemment arrivés.

Il me reste à peine 1 min 30 s. J'aimerais revenir sur vos deux premières recommandations à l'effet que le gouvernement se doit de se doter, en quelque sorte, un énoncé politique ou un cadre législatif relativement à la politique d'intégration, et vous plaidez pour la publication d'un livre blanc également allant dans ce sens-là. Est-ce que, partant de là, l'exercice que nous faisons ici aujourd'hui ne devrait pas en être un spécifique et qui appellerait la contribution de l'ensemble des cerveaux? L'addition des cerveaux, vous en êtes l'exemple aujourd'hui, peut nous permettre d'enrichir le débat au lieu de le mêler avec celui de l'emploi ou des volumes migratoires.

Le Président (M. Picard) : En une minute. Une minute.

• (17 h 10) •

M. White (Bob) : O.K. Non, effectivement, pour nous, la question d'une politique sur l'interculturalisme devrait être traitée à part. On était contents de voir qu'une réflexion là-dessus se trouve dans l'énoncé de politique, mais on n'est pas d'accord avec cette idée que l'énoncé de politique donne des réponses définitives, il y a un autre travail à faire. Et il faut séparer l'interculturalisme des pratiques religieuses, de l'emploi, de l'intégration et de l'immigration. Pour nous, ce n'est pas une question d'immigration. La question de l'interculturel, donc l'interculturalisme comme politique, appartient au Québec depuis que le Québec existe.

M. Kotto : Merci.

Le Président (M. Picard) : Merci. M. le député de Borduas.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonjour, Mme Gratton, M. White, M. Frozzini.

M. White, vous avez abordé dans votre mémoire, à la page 18 et 19, la notion des incidents critiques et vous donnez un exemple d'incident critique qui peut se produire dans le cadre de la société québécoise. Comment fait-on pour diminuer ces incidents critiques là dans le cadre de la société québécoise et, je dirais, en contexte montréalais?

M. White (Bob) : Oui, merci pour la question. Je ne sais pas si... Je voudrais peut-être demander à mon collègue, M. Frozzini, de nous parler un petit peu des... pas du concept d'incident critique mais d'une situation qu'on pourrait facilement qualifier d'incident critique, c'est-à-dire tout ce qui se passe avec la situation du travail temporaire. Et donc, à notre sens, cette situation pose des problèmes parce que les décisions que nous prenons par rapport au travail risquent de créer des nouvelles formes d'exclusion.

Et puis ensuite, l'autre réponse à cette question, je le donnerais plutôt à ma collègue, Mme Gratton, qui a beaucoup d'expérience dans le domaine de la formation, des compétences et qui explique que d'abord il faut identifier les incidents critiques, il faut vraiment les documenter et puis les mesurer, et ensuite il faut donner des outils aux gens pour qu'ils puissent savoir comment répondre quand ça arrive.

Mais, premièrement, je ne sais pas si, Jorge, tu peux nous parler un petit peu de ce qui est inquiétant du côté de la situation des travailleurs temporaires.

M. Frozzini (Jorge) : Vous m'entendez bien? J'imagine que oui, là, je vois le petit bouton rouge. Merci.

Pour aborder la question des travailleurs temporaires, écoutez, c'est compliqué parce qu'on rentre dans la législation aussi, mais il faut comprendre, premièrement, c'est quoi, c'est quoi, un travailleur temporaire, quelle est la dynamique qui est établie. C'est une dynamique triangulaire, qu'on appelle, c'est-à-dire vous avez le travailleur temporaire, O.K., vous avez une agence de placement temporaire et vous avez une compagnie qui fait appel à cette agence pour recruter des personnes pour qu'elles soient déplacées et aillent travailler chez cette compagnie. Donc, c'est une relation triangulaire dans laquelle la compagnie paie cette agence, et cette agence, par la suite, paie le travailleur comme tel. Donc, la relation entre employeur et employé, elle est répartie entre deux entités.

Et le problème majeur qu'il y a en ce moment, c'est que ces personnes-là, lorsqu'elles vont travailler, premièrement il y en a beaucoup à Montréal qui se lèvent extrêmement tôt pour aller à un endroit particulier que cette agence — qu'on les appelle «fly-by-night», comme tel, c'est-à-dire qu'elles apparaissent et peuvent disparaître du jour au lendemain — donc, elle dit à ces travailleurs : Allez à tel endroit, on va vous venir vous chercher. Donc, ces gens-là, ils se déplacent proche, habituellement, des métros, il y a quelques métros qu'on a identifiés, et ils se déplacent et ils ne savent même pas où ils s'en vont, à ce moment-là arrivent sur place, et c'est à cet endroit-là qu'ils savent vraiment quel type de travail ils vont effectuer pendant la journée. Et par la suite ils sont ramenés à Montréal à l'endroit où est-ce qu'on les a pris.

Par la suite, ils vont à une... même pas à l'agence, ils peuvent aller à un endroit où on échange des chèques pour aller chercher leur rémunération. Donc, quand je dis... Il y a des problèmes fiscaux, entre autres, et problèmes de loi, parce que, ces agences-là, vous voyez, ils peuvent avoir des problèmes, un, combien qu'ils sont payés, est-ce qu'on donne un montant qui doit être donné en termes d'impôt et autres, mais aussi aux travailleurs comme tels, parce que souvent ce qui arrive, c'est que ces gens-là, finalement, ils se retrouvent à être payés en bas du salaire minimum, ce qui est illégal, on s'entend. Donc, il y a ces problèmes-là.

Et à ça s'additionne le problème d'aller à un endroit dans lequel... Comme ils ne savent pas où ils s'en vont, ils n'ont pas l'information, souvent il y a des problèmes de santé. C'est-à-dire, s'il arrive un accident, qui qui est responsable? Habituellement, l'endroit où est-ce qu'il y a eu l'accident, ils ne vont pas le déclarer, on s'entend, on le sait, ils ne le déclarent pas parce qu'habituellement, à ce moment-là, les primes, vous le savez, elles vont augmenter. Donc, il y a toute cette problématique comme ça. Donc, au niveau de la santé, on se retrouve avec des gens qui vont être dans une situation beaucoup plus précaire, comme tel, par la suite.

Et c'est ces gens-là qui, habituellement, ils se retrouvent dans une position qui est très précaire parce qu'ils n'ont pas d'autre choix, c'est la seule façon de trouver un emploi parce qu'ailleurs soit ils n'ont pas été reconnus... Et évidemment, lorsqu'on cherche du travail, à un moment donné, on passe des heures. Si jamais ils avaient eu un travail, ils sont tombés en chômage. Par la suite, ils cherchent encore, ne se trouvent rien; bien, c'est la seule porte de sortie qui reste.

M. Jolin-Barrette : Je comprends que les travailleurs temporaires dont vous me décrivez la situation ne bénéficient pas des protections sociales associées aux différentes lois du travail en place.

M. Frozzini (Jorge) : Des avantages que les autres travailleurs... Oui, voilà.

M. White (Bob) : Et ça fait que, pour parler de l'inclusion, il faut d'abord parler des conditions matérielles de base. On ne peut pas juste, en offrant un emploi, espérer que les gens vont magiquement intégrer la société ou se sentir faisant partie de la société.

Mais, pour répondre à la deuxième partie de votre question, donc comment aborder ces questions-là, je pense qu'il faut penser en termes des compétences et des compétences organisationnelles qu'est-ce qui fait que des situations de ce type-là ou d'autres situations problématiques sont abordées par les organismes. Les gens se sentent désemparés. Ils trouvent des stratégies locales et spécifiques, mais c'est parce qu'il n'y a pas de balises. Je ne sais pas, Danielle, si tu pourrais adresser un peu cette question-là de compétences ou...

Mme Gratton (Danielle) : Oui, je vais essayer d'expliquer un peu les mécanismes pour arriver à comprendre ce qu'est un incident critique et quelles compétences dont on a besoin pour les résoudre.

Juste avant de le faire, je veux juste apporter une petite précision. Mon collègue m'a présentée comme travaillant encore aux agences de santé et de services sociaux de Montréal et de Laval. Je l'ai fait de 2000 à 2013, donc à Montréal jusqu'à 2000, après à Laval jusqu'à 2013. Donc, je n'y suis plus présentement, mais c'est dans le réseau de la santé que je vais prendre mes exemples parce que c'est là qu'on comprend le plus rapidement ce qui se passe. Vous avez un exemple d'incident critique, d'ailleurs, à la page 19, j'y reviendrai à la fin...

Le Président (M. Picard) : ...vous avez une minute.

Mme Gratton (Danielle) : Très, très rapidement. C'est pour ça que j'ai pris des notes, pour le faire vite.

Le Président (M. Picard) : O.K., c'est beau.

Mme Gratton (Danielle) : Donc, un incident critique, selon la définition de Cohen-Emerique, c'est un événement qui va se reproduire, donc c'est une récurrence. Si on est quelqu'un d'une culture avec quelqu'un d'une autre culture toujours dans le même contexte, c'est le même problème qui réapparaît.

Donc, ce que ça va faire apparaître, c'est différentes barrières dont on a parlé aussi dans notre document, c'est-à-dire une méconnaissance des systèmes, des barrières linguistiques. Ça peut être aussi des barrières économiques. Ça peut être aussi des barrières culturelles, «culture» défini au sens le plus simple : façons différentes de penser, de dire et de faire.

Donc, un exemple : en réadaptation physique, la réadaptation n'est pas universelle. Donc, si on prend quelqu'un qui a été blessé sur la route et qui est un immigrant, même après 30 ans, comme je l'ai vu dans mes travaux, ces personnes-là qui arrivent en réadaptation ne comprennent pas ce qu'est la réadaptation, ils ne comprennent pas, par exemple — incident critique — qu'on peut bouger quand on a mal. Dans leur pays, le fait de ne pas bouger, c'est un élément de protection, mais ce dont on se rend compte, au niveau de la santé, c'est que, si on ne bouge pas du tout, on va créer d'autres handicaps.

Le Président (M. Picard) : En terminant. En terminant, s'il vous plaît.

Mme Gratton (Danielle) : Donc, les intervenants qui travaillent avec ces personnes-là doivent régler ce type de problème là.

Le Président (M. Picard) : Merci. Maintenant, M. le député de Mercier.

M. Khadir : Si vous voulez élaborer un peu davantage là-dessus, j'espère pouvoir vous laisser plus de temps.

Donc, vous avez, pour schématiser, multiculturalisme, égalité, séparation, interculturalisme, égalité, intégration, mais vous avez, intégration...

Une voix : Interaction.

• (17 h 20) •

M. Khadir : Interaction, oui. Ensuite, vous avez mentionné quelques éléments pour cette intégration qui est l'interaction, qui est la reconnaissance aussi de la majorité, ce qui manque à... — d'ailleurs M. Bouchard, la semaine dernière, insistait sur le même élément — mais vous avez aussi dit que, pour que ça soit réussi, que l'interaction puisse se faire et l'interaction puisse en découler, il faut plus de moyens, ça exige des moyens parce que c'est dans l'intérêt, bien sûr, des immigrants, mais c'est aussi dans l'intérêt de la société d'accueil pour les objectifs, que ce soit la protection du français, pour une meilleure harmonie sociale, et tout ça.

Parmi les mesures, vous avez parlé des COFI que vous regrettez, le modèle COFI qui a été abandonné. Est-ce qu'il y a d'autres éléments immédiatement applicables? Au-delà du fait que vous pensez qu'il faut des balises, il faut une politique publique claire, est-ce qu'il y a des mesures concrètes que vous aimeriez voir dedans?

M. White (Bob) : Oui...

Le Président (M. Picard) : Une minute.

M. White (Bob) : Une minute, oui. Premièrement, il faut essayer d'identifier quels sont les problèmes qui sont plus urgents et qui ont le plus d'impact sur le vivre-ensemble. Ça se fait, il y a des outils qu'on commence à développer pour documenter, mesurer, analyser les situations.

Deuxième, nous avons commencé à travailler sur l'idée de mettre sur pied des expertises qui se trouveraient au sein des organismes et des institutions publiques, qu'on appelle dans les recommandations, par faute de meilleur terme, des comités interculturels, qui pourraient justement aider dans les situations où les problèmes dérapent, donc une expertise, des compétences en interculturel qui permettent, les organismes, de développer leurs compétences interculturelles, parce que ce que nous savons dans les situations que mes collègues décrivent, c'est que, oui, les immigrants sont vulnérables et dans des situations précaires, mais nous savons aussi, parce qu'il n'y a pas assez de ressources mises là-dessus, que les intervenants et les gestionnaires sont aussi fragilisés, et on a besoin... En fait, c'est un message qu'on aimerait insister là-dessus assez fort, c'est qu'il faut protéger tout le monde et il faut s'assurer que et les gens qui reçoivent les immigrants et les immigrants sont encadrés avec une logique de protection.

Le Président (M. Picard) : Merci. Donc, je vous remercie pour votre apport aux travaux de la commission.

Et je vais suspendre quelques instants afin de permettre à la prochaine personne de prendre place.

(Suspension de la séance à 17 h 22)

(Reprise à 17 h 25)

Le Président (M. Picard) : Nous reprenons nos travaux en recevant Mme Catherine Gail Montgomery, directrice de l'Équipe METISS et professeure à l'Université de Montréal.

Mme Catherine Gail Montgomery

Mme Montgomery (Catherine Gail) : À l'Université du Québec à Montréal.

Le Président (M. Picard) : O.K., à l'Université du Québec à Montréal.

Mme Montgomery (Catherine Gail) : C'est proche, hein?

Le Président (M. Picard) : Ce n'est pas grave. Donc, vous disposez de 10 minutes pour faire votre présentation, vont s'ensuivre des échanges avec les parlementaires. Allez-y, la parole est à vous.

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Excellent, merci. Je voulais d'abord remercier les membres de la commission pour cette invitation. Je voulais aussi souligner tout d'abord la grande qualité des documents, les cahiers de consultation, de synthèse, excellents travaux. Et je voulais juste mentionner, avant de commencer, aussi la collaboration de deux personnes à la présentation aujourd'hui qui ne pouvaient pas se déplacer, donc Bilkis Vissandjée, qui est professeure aux sciences infirmières à l'Université de Montréal et membre de l'Équipe METISS, et également Bénédicte Vergé-Brian, qui est étudiante en sciences infirmière également.

Je vais vous parler un peu en trois temps, sur trois différents thèmes. Le premier thème, c'est l'Équipe METISS. J'aimerais juste vous donner une brève description de ce que nous faites, qui nous sommes. Le deuxième point, c'est un point assez précis dans le cahier de consultation sur lequel j'aimerais revenir. Le troisième point et probablement le point majeur, ce sera un point touchant à la pénurie de main-d'oeuvre dans le domaine de la santé et des services sociaux, qui touche aussi le point des travailleurs temporaires dans un des cas que je vais vous présenter.

D'abord, pour l'Équipe METISS, donc, METISS, c'est Migration et ethnicité en interventions en santé et services sociaux. C'est une équipe financée par le Fonds de recherche Québec — Société et culture et qui est financée depuis presque 20 ans maintenant en partenariat avec le CSSS de la Montagne et le centre de recherche Sherpa, que vous avez déjà reçu il y a une dizaine de jours à peu près. Nous regroupons 29 membres. Donc, ces membres sont à la fois des chercheurs universitaires et ce qu'on appelle des chercheurs praticiens, donc des personnes qui travaillent dans différentes universités au Québec mais également plusieurs institutions de santé et services sociaux et des organismes communautaires, parce que notre but, dans l'équipe, c'est de rapprocher théorie et pratique, ce que je vais vous donner dans mes exemples aujourd'hui aussi.

Nous travaillons sur trois thèmes essentiellement. Le premier thème, c'est l'adaptation des pratiques, donc pratiques et savoirs dans le domaine de la santé et des services sociaux. Le deuxième thème, c'est l'expérience de vie des personnes migrantes, surtout en lien aussi à santé et bien-être. Et le troisième thème et celui où je vais me concentrer aujourd'hui, c'est la question du travail, qu'on aborde sous deux angles : un premier angle, c'est les questions de santé et sécurité du travail pour les personnes migrantes, donc une question abordée, par exemple, par Sylvie Gravel ou Daniel Côté, tous les deux membres de l'Équipe METISS; le deuxième thème, c'est la question de la pénurie. Mais j'y reviens dans un instant.

• (17 h 30) •

D'abord, pour le commentaire précis par rapport aux cahiers de consultation, c'était juste... Vous attirez l'attention... Je souligne encore la très grande qualité des documents, mais je voulais mentionner qu'il y a une seule référence à santé et services sociaux dans le document et qui cible un enjeu qui est très, très ciblé, qui est la question de la sédentarité des jeunes immigrants. Donc, je voulais juste mentionner la complexité et la diversité des enjeux en santé et services sociaux — puis je peux vous donner quelques exemples — mais aussi le risque... je connais bien les chercheurs de l'étude qui est citée, et les chercheurs sont excellents, l'étude est excellente aussi, mais le risque de cibler un enjeu aussi précis dans une politique ou un document qui vise une proposition de politique, pour ne pas stigmatiser les populations, les jeunes, un, et autour d'une problématique aussi précise sachant que la sédentarité touche la population dans l'ensemble. Santé et services sociaux, on pourrait penser, par exemple, les enjeux organisationnels, la gestion des accommodements. On pourrait penser la sensibilisation, la formation du personnel, on peut penser le rôle syndical. On peut penser aussi les enjeux communicationnels, l'interprétariat dans le domaine de la santé — Danielle s'y connaît très, très bien également. On pourrait penser aussi les enjeux spécifiques liés à l'adaptation des pratiques, des enjeux liés à des populations précises comme les jeunes ou les personnes âgées, ou encore les problématiques de santé, également.

Mais le thème que moi, je veux toucher plus spécifiquement, la question de la pénurie, je présume que vous lisez les journaux comme moi, je présume, et nous savons qu'il y a une pénurie de main-d'oeuvre assez importante dans le domaine de la santé en particulier. On parle de 40 % des préposés aux bénéficiaires qui seront à la retraite d'ici 2020, on parle de 30 % des infirmières et des infirmières auxiliaires, on parle de 20 % d'autres spécialités. On parle des psychologues, par exemple, des inhalothérapeutes, des technologues médicaux, sans parler, évidemment, des pénuries dans le domaine de la médecine familiale et d'autres spécialisations médicales. Donc, nous menons une réflexion dans l'équipe autour de cette pénurie de main-d'oeuvre, sur les questions d'attraction, les questions de formation et compétence et la question de la rétention, et c'est un peu autour de la question de la rétention que je vais vous parler ici à partir de deux exemples précis, assez courts.

Un premier exemple, c'est un projet qui a été mené par la CDEC Centre-Nord, qui est la Corporation de développement économique communautaire Centre-Nord, mené dans le cadre du programme Défi du ministre de l'Immigration, du MICC, donc anciennement du MICC, un projet mené en partenariat. Et l'un des questionnements dans le cahier de consultation, c'est la question d'impliquer des acteurs du milieu, du terrain. Dans ce projet dans la CDEC Centre-Nord, on a l'Association des aides familiales du Québec, donc le communautaire qui est impliqué, trois CSSS impliqués dans le projet, également un centre de francisation qui est le Centre William-Hingston, un centre de formation professionnelle qui est l'école des Faubourgs et également Emploi-Québec, dans le dossier, donc déjà un petit projet mais qui a fait une concertation importante dans le milieu.

C'est un projet qui vise une population qui est éloignée du marché du travail, on parle ici des aides familiales résidentes. Ce sont des travailleuses temporaires qui viennent par le biais du PAFR, le Programme des aides familiaux résidants géré par le fédéral, une population qu'on appelle éloignée du milieu de travail parce qu'elles sont... durant la période du travail temporaire elles sont dans les maisons familiales, des maisons privées où elles travaillent de deux à quatre ans en moyenne avant de pouvoir accéder à la résidence permanente. Juste un rappel que c'est l'une des seules catégories qui peut faire ce transfert vers la résidence permanente après avoir été dans le programme d'immigration temporaire.

Durant cette période-ci, elles sont relativement isolées, donc elles ne connaissent pas le fonctionnement du marché du travail. Elles connaissent très peu le français, la majorité sont anglophones, la majorité sont des Philippines. La majorité des femmes dans ce programme ont déjà des expériences en santé dans leur pays d'origine, donc ce sont des infirmières, des sages-femmes, ce sont des ergothérapeutes, des physiothérapeutes, et ainsi de suite, mais, durant la période qu'elles sont en maison privée, il y a une perte d'acquis pour ces femmes. Leurs acquis, il n'y a pas de reconnaissance des acquis une fois sortie du programme de travail temporaire, dans le marché de l'emploi, parce qu'une période de deux à quatre ans est considérée comme une perte d'acquis.

Donc, le projet visait l'employabilité dans une approche intégrée, qui est l'une des grandes forces du projet, où on voit l'employabilité du début à la fin. Donc, le programme visait francisation d'abord, formation professionnelle, ensuite placement en stage dans les trois CSSS participants et pour mener vers l'embauche pour plusieurs à la fin du projet. Donc, plutôt que de voir le processus d'emploi en étapes segmentées, séparées et individualisées, les cohortes de femmes sont amenées à travers tout le processus d'employabilité.

Deuxième grande force du projet, c'est l'accompagnement personnalisé auprès des femmes. Connaissant peu le fonctionnement du marché du travail, démarches administratives assez lourdes, cet accompagnement leur permettait justement de connaître le milieu. On voit à travers le projet — l'Équipe METISS était impliquée dans l'évaluation de l'implantation du projet — la grande rétention des femmes dans le projet et l'employabilité par la suite dans les trois CSSS, certaines qui ont fait le tremplin par la suite dans d'autres formations professionnelles pour devenir infirmières, et payé par les employeurs, d'ailleurs.

Donc, pour clore celui-là, juste l'idée que ce n'est pas seulement une question de compétences professionnelles. Pour ces femmes, plusieurs elles avaient les compétences professionnelles. C'est une question d'intégration sociale autour de l'employabilité, un accompagnement personnalisé.

Le deuxième exemple que je vous donne est un exemple qui nous vient de Bénédicte Vergé-Brian et Bilkis Vissandjée, les deux personnes qui ont collaboré à la présentation. C'est un projet qui vise les infirmières formées à l'étranger, donc qui constituent à peu près 12 % des infirmières du Québec actuellement. Et on a déjà le constat que l'ordre des infirmiers et infirmières du Québec, l'OIIQ, ils ont déjà mis en place un grand nombre de mesures pour faciliter la transition des infirmières formées à l'étranger sur le marché de l'emploi local au Québec, mais, dans l'étude qui est en cours actuellement, on a le constat chez les femmes, chez ces infirmières, de la difficulté, du décalage entre leurs attentes du marché du travail — ce sont des personnes déjà formées — et leur insertion sur le marché du travail local, extrêmement difficile.

Le Président (M. Picard) : En terminant, s'il vous plaît.

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Oui, donc cette étude qui montre... qui parle de regroupements sociaux autour de ces femmes, qui donne un soutien social, donc, je vais conclure, en fait, sur la question du soutien social, que, dans la politique, l'une de mes inquiétudes de la politique, de la proposition de politique, l'une des inquiétudes, c'est qu'on mise beaucoup sur les compétences professionnelles et une sélection supplémentaire à l'étranger qui est par la déclaration d'intention. Mon inquiétude, c'est que le vrai obstacle, dans l'intégration professionnelle dans le marché du travail, le plus important n'est pas forcément les compétences professionnelles mais les barrières structurelles en place sur le marché du travail local et qu'il faut aussi viser des programmes qui ne visent pas juste les ajustements économiques, les pénuries de main-d'oeuvre sur le plan économique, mais aussi un accompagnement social très, très fort auprès de ces personnes qui font le saut, en fait, pour remplir...

Le Président (M. Picard) : Merci. Nous allons débuter la période d'échange. Mme la ministre, vous avez 17 min 30 s parce que M. le député de Mercier n'a pas besoin des minutes cette fois-ci.

• (17 h 40) •

Mme Weil : Merci beaucoup, Mme Montgomery, pour votre présentation et d'avoir pris le temps de venir ici expliquer donc quelques projets très spécifiques. Vous êtes vraiment la première ou le premier intervenant à parler du réseau de la santé, et c'est intéressant, parce qu'on a eu beaucoup de représentations par rapport à la pénurie dans d'autres secteurs économiques, surtout manufacturier, l'importance d'arrimer la sélection avec des besoins du marché du travail, un peu le discours que l'on a, que l'on tient, les préoccupations qui sont partagées, mais on n'entend pas souvent parler de cette pénurie qui nous guette dans le réseau de la santé.

Alors, je ne suis pas dans ce réseau-là, je ne suis plus dans ce réseau-là. À une époque je l'étais, comme présidente de la régie régionale de Montréal-Centre dans les années 1990 et 2000. Donc, il y a des pénuries, vous le sentez déjà. Donc, ce que vous dites, si je comprends bien... Puis j'aimerais bien comprendre comment vous avez conçu ce projet, qu'est-ce qui a allumé le besoin de faire un projet comme ça et si, ce genre de projet, vous le voyez multiplié, parce que ce que vous dites, c'est qu'on a des gens ici, sur le territoire, vulnérables parce que... dans le cas de ces aides familiales qui n'ont pas eu de contact avec le réseau extérieur, donc, mais c'est des gens formés, des compétences, et comment les mettre à profit dans le réseau de la santé, puis donc comment vous avez identifié, puis si vous voyez donc ces genres de projet... peut-être une multiplicité de ces genres de projet comme une approche, puis on ira ensuite discuter de vos préoccupations par rapport au nouveau système à venir, éventuellement. Puis on veut vraiment bâtir notre système, hein? On va s'inspirer des meilleures pratiques et, avec les consultations, on va rajouter des dimensions et des couches qu'on ne verra certainement... peut-être pas dans les autres. Je pense que chaque juridiction développe la déclaration d'intérêt, donc, vos messages de prudence, on va bien écouter ce que vous en dites. Donc, allez-y avec ce projet.

Il y avait un autre projet, je ne sais pas si vous le connaissez, qu'on avait financé aussi avec l'agence de la santé, des médecins, des personnes dont les compétences... Ils le savaient même avant de venir. Maintenant, on les prévient, hein, on fait des relations, des communications avec des ordres professionnels, et l'ordre professionnel leur dit : Non, ça sera impossible. Mais ils sont sélectionnés à cause de leur éducation, donc ils viennent, et on leur demande s'ils sont prêts à faire une mobilité horizontale, disons. Et il y avait un programme, justement, de formation en gestion de la santé, administrative, avec la régie ou l'agence, qui a donné des bons résultats, mais c'est toujours une question de projet, hein, c'est toujours des projets qu'on a financés puis qui donnent des résultats intéressants.

Alors, peut-être je vous laisse aller sur qu'est-ce que vous pensez... Dans le réseau de la santé, quels seraient d'autres types de projet auxquels vous avez réfléchi? Est-ce qu'il y a eu d'autres projets de ce genre et donc un besoin criant dans le réseau de la santé par rapport aux... Les chiffres que vous donnez, là, les départs à la retraite, c'est quand même des chiffres importants, des pourcentages importants. 42 % des préposés aux bénéficiaires, départ à la retraite d'ici 2020, hein, c'est quand même important.

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Exactement.

Mme Weil : Et est-ce que vous voyez le réseau de la santé... Parce que c'est peut-être important aussi pour nous, on fait la sélection. Les infirmières, jusqu'à tout récemment on parlait de pénurie, on ne parle plus de pénurie dans ce domaine-là. Mais je vous écoute. Allez-y sur les pénuries que vous voyez, vous.

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Je vais commencer avec le domaine de la santé, mais le type de projet dont j'ai parlé pourrait être étendu à d'autres domaines. Et, je pense, ça s'est fait aussi. Je vais parler un peu de ça.

Dans le domaine de la santé, le projet pour les aides familiales résidentes, par exemple, l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec a justement fait le constat, dans un mémoire en 2007, je crois, pour les consultations de 2007, le constat de ces aides familiales résidentes qui ont une grande expérience dans le milieu de la santé et qui pourraient, plutôt que de passer par un programme temporaire... Parce que ce programme temporaire, en fait, les met dans une sorte de vide où il y a une perte d'acquis. Plutôt que de miser sur un programme temporaire qui est un programme de précarisation aussi, les mettre plutôt dans un programme déjà qui vise la permanence, déjà que les acquis soient plus rapides.

Ce projet a commencé, en fait, comme projet du terrain parce que l'Association des aides familiales du Québec qui regroupe... — c'est un organisme de défense des droits de ces femmes — a fait le constat qu'une fois cette période terminée, après la... quand elles ont demandé la résidente permanente, quand elles voulaient faire le saut vers des emplois qui étaient plus rémunérés, plus d'avantages sociaux, plus de possibilités d'amener leurs familles, en fait, le constat est que ces femmes ont énormément de difficultés à intégrer le réseau de la santé, pour toutes sortes de raisons, pour toutes sortes de barrières. Donc, le constat a réellement été fait sur le terrain, ensuite la mobilisation des acteurs qui a été faite assez facilement autour du projet parce que, dans le réseau des CSSS, la pénurie est assez frappante pour les aides familiales, dans le réseau des CSSS, où, les préposés aux bénéficiaires, dans le réseau du milieu hospitalier, il y a une absolue nécessité de recrutement. Donc, le constat s'est fait des deux côtés : les besoins des femmes, d'une part, hautement qualifiées mais qui ne trouvent pas d'emploi, et, de l'autre côté, dans le réseau de la santé, où ça tourne beaucoup, dans ces postes, et où il y a un véritable manque en termes de personnes. Donc, la «glue» qui a fait tout ça ensemble, c'était de faire un projet concerté ensemble.

Mais la limite d'un projet comme nous l'avons fait, qui pourrait être... Il y a un autre projet sur les ergothérapeutes qui est mis en place actuellement au CSSS de la Montagne, également où il y a pénurie, où il y a nécessité aussi d'attirer une autre clientèle, d'attirer ces personnes formées à l'étranger, mais le problème de ces petits projets, c'est qu'ils restent des petits projets. Ce sont des projets pilotes souvent, financés, dans le cas du projet dont j'ai parlé, pendant une période d'un an. Mes derniers calculs, de la francisation à l'employabilité, dans la période d'un an, en passant par la formation professionnelle est un défi en soi qui est très, très difficile. Donc, probablement, si j'aurais une proposition à faire éventuellement... Ce type de modèle est intéressant. Je l'ai vu fonctionner dans d'autres CDEC, la cellule nord a fait un projet similaire dans le milieu des technologies, donc ce n'est pas un modèle qui est appliqué uniquement à la santé. Mais c'est un modèle qui fonctionne par petits projets pilotes, et, s'il n'y a pas de concertation pour des projets plus larges et à plus long terme, ça reste des projets pilotes, qui ne peuvent pas aller plus loin, donc...

Mme Weil : J'aimerais vous amener sur la question de la diversité. Dans le milieu du réseau de la santé, on a beaucoup parlé de comment rendre les milieux plus ouverts à la diversité, les bonnes pratiques, et vous, vous connaissez bien, évidemment, le réseau de la santé.

Est-ce que vous avez des exemples de bonnes pratiques dans ce domaine? Est-ce que vous voyez des défis particuliers quant à la sensibilisation des praticiens et praticiennes du réseau de la santé? Comment vous voyez ça?

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Notre milieu, notre partenaire principal, de l'Équipe METISS, c'est le CSSS de la Montagne, mais nous travaillons avec d'autres CSSS et d'autres institutions de la santé. Nous avons mis en place... Ma collègue Spyridoula Xenoscostas, qui a présenté également avec Cécile Rousseau il y a quelques semaines, a mis en place une série de formations interculturelles, complémentaires d'ailleurs à ce que Danielle Gratton ici a également fait dans le réseau de la santé. Ces formations sont nécessaires. Ces formations sont généralement de deux jours, peuvent durer jusqu'à quatre jours et donnent des éléments de base.

L'important, dans une formation interculturelle, c'est ne pas juste donner des informations. On parle de l'interculturel, donc on parle de dialogue. Ce n'est pas juste donner des connaissances sur d'autres cultures, c'est des compétences, c'est le développement des compétences personnelles, comment nous gérons notre propre point de vue, de prendre conscience de notre point de vue et comment ce point de vue influence nos interactions avec d'autres personnes.

Donc, je vois très certainement l'intérêt des formations interculturelles, que ça continue dans le domaine de la santé, dans d'autres domaines aussi. Ces formations ont été coupées, bon, nous sommes dans une période de coupures. Donc, d'une part, on veut aller de l'avant dans la sensibilisation, et, d'autre part, c'est sûr qu'il y a des argents qui manquent.

Une chose à considérer lorsqu'on fait la sensibilisation dans les milieux, pas juste en santé, dans mes fonctions universitaires je travaille dans d'autres domaines, c'est aussi de penser à... Quand on pense au personnel, c'est tout le personnel. Donc, on va penser, là, aux intervenants directs, qui ont un contact direct, mais on doit penser aussi aux réceptionnistes, on doit penser aux gestionnaires, on doit penser à la sensibilisation de tout le monde.

Une autre chose qui peut être aidante qu'on voit beaucoup dans les entreprises, qu'on ne voit pas beaucoup dans le milieu de la santé, avec quelques exceptions près, mais c'est des politiques internes ou des règlements internes pour gestion de la diversité dans les milieux. Les grandes entreprises commencent à en avoir, des institutions, le CSSS de la Montagne en a une, mais ce n'est pas généralisé à travers le réseau. Ça donne un cadre. Comme la politique qui est en développement, ça donne un cadre de référence. Ça ne veut pas dire que ça change tout du jour au lendemain, mais ça donne un certain nombre de repères au personnel pour se dire : Nous avons ces balises générales et on peut se fixer sur ces balises.

Mme Weil : Ça, c'est dans les rapports entre employés ou... Est-ce aussi par rapport à la diversité de la clientèle?

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Bien, je pense qu'on peut le voir à différents niveaux. Donc, on peut le voir déjà à ce niveau administratif, gestion des accommodements — les accommodements raisonnables, les débats autour de ça ont démarré en quelque sorte... l'un des exemples a démarré dans le domaine de la santé — donc des balises déjà si on a une demande d'accommodement spécifique, qu'est-ce qu'on fait avec ça; plutôt que de gérer sur une base ad hoc, spontanée, avoir des balises de base, des principes, des lignes directrices pour quelles sont les étapes à suivre, qui devrait être contacté, comment devrait-on gérer ça. Ça, c'est un niveau.

Un autre niveau, c'est la gestion des ressources comme de l'interprétariat. L'interprétariat, nous avons la banque des interprètes à l'agence, mais il y a une question de ressources et d'argent, ce ne sont pas des ressources gratuites, et la demande peut être élevée, donc des balises précises sur comment, quelles sont les étapes à suivre encore, quand est-ce qu'on a besoin d'un interprète, quels sont les barèmes à fixer sur le recours ou non à un interprète, donc des balises comme ça.

Et également, comme vous avez mentionné, pour gérer les rapports entre employés aussi, entre employés mais aussi entre employés et entre clients ou clientèle, donc pourrait s'appliquer à tous ces niveaux, je crois.

• (17 h 50) •

Mme Weil : Vous parlez de barrières structurelles aussi, hein, qui caractérisent le marché du travail, j'imagine, de façon générale, et donc il faut qu'on s'adresse à ça. Donc, vous parlez de pratique sélective de recrutement, discrimination — on a beaucoup parlé de ça — non-reconnaissance des acquis. S'il y a bien un domaine où la non-reconnaissance des acquis est pertinente, c'est vraiment dans le domaine de la santé. Le nombre d'ordres professionnels... Ma collègue la députée de Jeanne-Mance—Viger préside un comité interministériel parce que le premier ministre lui a donné un mandat très spécifique d'aller plus loin dans ce dossier-là, on le travaille depuis des années. Il y a la création du commissaire aux plaintes, qui a été créé... lorsque j'étais ministre de la Justice, j'ai créé le commissaire aux plaintes mais qui est comme un deuxième regard qui se jette sur les refus. Depuis ce temps-là, il y a beaucoup d'améliorations qui ont été apportées, on a financé des projets pour les ordres professionnels, mais on voit qu'il reste encore des obstacles. Qu'est-ce que vous en dites? Quels sont ces obstacles et pourquoi?

Et est-ce que vous connaissez le système canadien? On dit que c'est pareil. J'ai vu une étude qui comparait l'Angleterre, le Canada, le Québec et l'Europe avec la mobilité, et le seul système qui semblait très ouvert, c'était le système britannique, on va beaucoup plus par la pratique, et vous allez devenir un ingénieur «British», on vous laisse aller, vous avez votre diplôme, on fait confiance, on va vous former — je simplifie, là, mais c'est un peu comme ça — alors qu'on présentait le système canadien, québécois comme très, très, très compliqué. Puis d'ailleurs, quand on parle... Le Conference Board, ils nous disent la même chose. Vous, qu'est-ce que vous voyez là-dedans? Puis comment aller plus loin?

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Quand on parle aux personnes, les personnes qui ont vécu la situation, donc je ne parle pas des personnes qui siègent sur les comités, bien c'est difficile, c'est extrêmement difficile, la reconnaissance des compétences. Dans l'étude qui a été menée ici auprès des infirmières formées à l'étranger, ce sont des infirmières formées dans différents pays mais y compris en France, où il y a des ententes spécifiques avec le Québec justement pour la reconnaissance des acquis, mais la reconnaissance demeure difficile. Quelle est la raison dernière ça? Je ne sais pas. Plus de processus bureaucratique, nécessairement, amène du temps, amène du stress également. Il pourrait y avoir des «monopolies» sur certains domaines aussi, on peut le voir... Peut-être qu'il y a certains critères qui sont absolument nécessaires et d'autres critères qui peut-être pourraient être assouplis aussi.

Quand on parle des aides familiales résidentes, par contre... Parce qu'on en a certaines qui pourraient appartenir à des ordres professionnels, mais... Quand on parle de reconnaissance des acquis, on parle de personnes qui sont dans les ordres, on voit que déjà l'OIIQ fait un grand effort, il y a quand même beaucoup de mesures qui ont été mises en place : l'examen spécifique pour les IFE... pardon, les infirmières formées à l'étranger, un guide préparatoire pour les infirmières également. Il y a toute une série de mesures mises en place. Là où c'est encore plus inquiétant que dans les ordres peut-être, c'est les personnes qui n'appartiennent pas à des ordres réglementés, ce qui peut-être le cas des aides familiales résidentes, par exemple, et où la reconnaissance des acquis est déterminée par l'entreprise, par exemple, où un organisme, n'importe quel organisme qui embauche et qui regarde un C.V., donc, il ne passe pas par un processus administratif qui est déjà réglementé, c'est simplement par le C.V. qu'il dit : Oh! ce n'est pas la compétence nécessaire. C'est peut-être là la difficulté encore plus grande que la reconnaissance par les ordres professionnels, les personnes qui ne passent pas par là.

Le Président (M. Picard) : Il reste une minute.

Mme Weil : Je vais vous poser...

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Et je voudrais juste ajouter...

Le Président (M. Picard) : Oui, allez-y.

Mme Montgomery (Catherine Gail) : ...programme de stage dans le milieu, pardon.

Mme Weil : Oui, j'aimerais vous entendre là-dessus. Il reste une minute. Programme de stage, est-ce que vous avez des commentaires?

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Les amener sur le terrain le plus rapidement possible, un, pour ne pas perdre les acquis, et des programmes de stage dans les milieux qui permettent... même avant la reconnaissance des acquis, pour faire des tâches qui ne sont pas à la hauteur de leurs qualifications mais qui les amènent déjà dans les milieux, déjà une sorte de «practicum» mais tout en étant dans le processus de reconnaissance des acquis, donc, pour qu'il n'y ait pas une période d'attente trop longue entre l'application pour les acquis... Et la formation peut servir à la même chose, justement.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Bourget.

M. Kotto : Merci, M. le Président. Mme Montgomery, soyez la bienvenue. Merci pour votre contribution.

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Bonjour. Merci.

M. Kotto : L'objectif de votre entité est de mieux comprendre le parcours migratoire et aussi les différentes facettes de l'intégration des immigrants. Vous êtes impliquée là-dedans personnellement depuis combien de temps?

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Depuis une quinzaine d'années.

• (18 heures) •

M. Kotto : Depuis une quinzaine d'années, donc votre expérience est bien enracinée. Alors, je vais profiter de votre présence ici pour savoir... Parce que vous devez sans doute avoir des confidences, parce que, quand on se retrouve ici en marge, avec la désillusion qui naît du fait qu'en partant de son pays avec la formation qu'on a reçue, en ayant été sélectionné pour venir au Québec, fort des espoirs de venir et de s'intégrer dans le marché du travail, notamment dans le domaine de la santé, et qu'on frappe un mur, on peut vivre des moments difficiles, de dépression, de stress et autres.

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Tout à fait.

M. Kotto : Vous devez sans doute quotidiennement ou occasionnellement rencontrer des personnes qui ont vécu ce genre d'expérience. Que vous disent-elles réellement? J'en sais quelque chose parce que j'en ai rencontré un certain nombre, étant un immigrant moi-même, mais je veux vous entendre là-dessus. Quelles sont les expériences que les gens vous partagent dans ces circonstances-là?

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Cette perte de statut est absolument primordiale, je pense, lorsqu'on considère une politique. J'aimerais peut-être souligner aussi le grand rôle que jouent... Parce qu'avant d'être professeure à l'université j'ai été une quinzaine d'années dans le milieu de la santé et services sociaux, je travaillais surtout avec des organismes communautaires. Ce sont des organismes qui sont de première ligne aussi pour intervenir auprès de ces personnes.

La perte de statut, ça a un impact. L'un des axes, justement, de la programmation de l'équipe de recherche, c'est aussi le lien entre santé et bien-être, à quel point le travail en tant que tel est un facteur de bien-être pour les personnes. Le fait de ne pas être au travail est un facteur qui défavorise être en santé et le bien-être. On peut parler aussi du statut... pardon, perte de statut. Un de nos chercheurs travaille sur les hommes immigrants plus particulièrement, où la perte de statut comme étant le pourvoyeur de la famille est la perte de statut, pour les hommes, qui amène un stresseur de plus, ne plus être le pourvoyeur de la famille, quand c'est la femme, par exemple, qui occupe un emploi.

Les expériences et les témoignages, j'en ai entendu assez pour me dire que le problème crucial, lorsqu'on parle de l'intégration sur les milieux de travail, n'est pas juste une question de compétence, que, là, le problème réel où on devrait s'adresser, c'est les questions de sensibilisation des entreprises ou des organismes, comment amener... Si les ordres professionnels existent pour au moins évaluer les acquis, comment est-ce qu'on pourrait faire la même chose dans les entreprises quand ce sont des entreprises privées? Comment intervenir dans ces milieux-là qui sont relativement fermés encore, où il y a des processus de sélection qui jouent à l'informel, les réseaux informels qui sont encore très forts? Il y a un excellent document que j'utilise encore aujourd'hui qui a été produit par le ministère de l'Emploi... il a peut-être changé de nom, mais à l'Emploi et... à l'époque je ne sais pas, c'est 2005, ministère de l'Emploi en 2005 qui a produit sur comment favoriser l'embauche dans les entreprises, quelles sont les étapes à suivre, et c'est encore le meilleur document que je n'ai jamais vu sur comment amener les entreprises à gérer la diversité dans le milieu et toutes les barrières qui existent. Dans une politique sur l'interculturel, il y a la dimension, donc, attirer les meilleurs pour venir ici, il y a la question de la sélection, l'attraction, ça, c'est d'accord, mais tout le travail de base qui est l'autre côté, qui est le travail de travailler sur la société d'accueil, les préjugés, la discrimination en marché du travail, j'ai fait des recherches sur les travailleurs venant du Maghreb, et, les commentaires discriminatoires, on les entend encore au quotidien et dans les moments de crise peut-être encore plus. Comment travailler dans ces milieux-là? Je vois dans le cahier de consultation que vous avez posé la même question. Comment amener les milieux, les entreprises dans ces... Les institutions publiques sont gérées par les lois publiques; les entreprises privées, c'est un autre enjeu. Et comment les amener à adopter ces politiques?

Dans la littérature sur les entreprises, on voit très bien que, lorsqu'on peut convaincre une entreprise que c'est à leur bénéfice et à leur avantage, qu'ils ont une pénurie de main-d'oeuvre, c'est à leur avantage de recruter à l'étranger, de recruter ces professionnels, quand on peut faire la démonstration de l'importance de ce qu'on appelle la créativité ou l'innovation en entreprise, c'est que la diversité, ça stimule la créativité dans une entreprise, que ce n'est pas quelque chose qui est jugé de façon négative, qui est parfois le cas... Pourquoi on n'embauche pas des personnes venant de l'étranger? On a peur de cette différence, on a peur que ça se gère différemment. On a peur des pratiques différentes, on a peur qu'ils ne connaissent pas la façon dont notre milieu de travail fonctionne. C'est un inversement de logique, en fait, c'est de miser sur qu'est-ce que cette population-là peut apporter à une entreprise.

Et, voilà, je me suis éloignée un peu de la question des expériences de vie, mais je pourrai en fournir des témoignages, beaucoup, beaucoup, beaucoup.

M. Kotto : C'était utile de vous entendre sur la petite dérive.

Là, je vais un peu m'attarder sur cette question, pensant notamment à ceux qui sont souvent... Pas seulement dans la sphère d'activité que vous indiquez mais un peu partout ailleurs, on note un pourcentage d'à peu près 30 % de chômage chez les Québécois d'adoption, chez les citoyens d'adoption à Montréal, par exemple. En même temps, parallèlement à cela, on note qu'il y a une perspective de pénurie de main-d'oeuvre. Je généralise, là, mais je peux axer mon propos dans le domaine de la santé, je peux dire une boutade en passant. C'est un de mes commettants qui est d'origine maghrébine — qui est un ami maintenant parce qu'on se parle beaucoup — qui m'a dit un jour en boutade : Vous savez pourquoi il y a très peu de gens qui font des crises cardiaques dans les taxis? J'ai dit : Non. Il m'a dit : Parce qu'il y a beaucoup de médecins chauffeurs de taxi à Montréal. C'était une boutade. Bref, il y en a beaucoup qui sont soit en marge du milieu de travail, du marché du travail, soit totalement perdus aussi avec des projets de retour au pays ou des transitions ailleurs, en Ontario, par exemple, ou dans l'Ouest canadien.

Ne pensez-vous pas qu'il serait, à la lumière de cette réalité, plus adéquat de s'occuper du monde qui est déjà ici avec nous que d'en faire venir d'autres massivement pour remplir les rangs du chômage?

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Est-ce qu'on ne pourrait pas jouer sur les deux plans? Est-ce que ce n'est pas important... Je retourne la question, mais est-ce que... Travailler, oui, absolument, il faut mettre des efforts pour ceux et celles qui sont déjà ici. Moi, je fais un plaidoyer ici pour les organismes communautaires de première ligne, qui offrent des services, justement, d'insertion socioprofessionnelle qui sont absolument primordiaux, qui sont sous-financés, et pour l'intégration ici. La question qu'on fait venir de l'extérieur ou qu'on utilise le bassin de travailleurs, travailleuses qui sont ici, sur place, le problème demeure qu'il y a des barrières structurelles existantes sur le marché du travail. Il faut travailler ces barrières-là pour pouvoir accueillir de l'étranger ou de l'intérieur, la problématique demeure la même.

Donc, je pense qu'il faut... c'est ça, il faut travailler sur les deux plans. Il faut continuer, je pense, d'avoir une politique d'immigration ouverte. En lisant la politique, je me suis dit : Avec une politique très sélective, est-ce que ma famille aurait pu émigrer ici?, et ma réponse, c'était non. Je ne vous donne pas mon histoire familiale, mais, sur deux, trois générations, ce sont des gens qui se placent en emploi. Si je pose cette même question-là, aujourd'hui, et pour beaucoup de monde dans la salle probablement et certainement beaucoup de mes étudiants dans mes salles de cours je pose cette question-là aussi, sur deux et trois générations, première génération, c'est dur; en deux et trois générations, un placement qui se fait plus facilement. On le voit, dans certaines communautés ce n'est pas le cas, les taux de chômage sont encore plus élevés, et il y a un ciblage plus important dans les programmes d'intervention qui doit être fait là, mais...

Le Président (M. Picard) : ...

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Pardon?

Le Président (M. Picard) : En terminant, s'il vous plaît.

Mme Montgomery (Catherine Gail) : En terminant, donc, juste pour dire que je pense que c'est important de garder une politique ouverte, une politique d'immigration ouverte. C'est la réputation du Québec aussi, cette ouverture, et de prendre la fermeture... On voit les fermetures... les frontières, pardon, qui ferment en Europe, aux États-Unis, on les voit fermer un peu partout. Je pense que c'est important aussi de garder à l'esprit ouverture tout en misant sur les pénuries de main-d'oeuvre et en travaillant localement auprès des gens ici.

Le Président (M. Picard) : Merci. M. le député de Borduas, c'est à vous.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonsoir, Mme Gail Montgomery.

Pour poursuivre sur votre propos, vous nous dites, dans le fond : Pour la première génération qui s'installe dans un nouveau pays, c'est parfois difficile d'intégrer le marché du travail. Par la suite, la deuxième et la troisième génération réussissent à intégrer le marché de l'emploi, réussissent à intégrer la société.

Ne trouvez-vous pas que c'est le rôle de la société d'accueil, à partir du moment où... la sorte de contrat moral qui se forme entre l'immigrant qui choisit le Québec et la société d'accueil, de tout faire... que la société d'accueil prenne toutes les mesures nécessaires et requises pour réussir l'intégration dès la première génération, pour ne pas que la personne qui immigre ici se sente marginalisée et se sente également frustrée de ne pas pouvoir avoir... de ne pas pouvoir contribuer à la société québécoise, notamment en intégrant le marché du travail?

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Je ne pourrais pas être plus d'accord avec vous.

M. Jolin-Barrette : O.K. Comment fait-on pour y arriver? Parce que vous avez...

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Cette question-là est plus difficile.

M. Jolin-Barrette : Oui, bien vous avez parlé, entre autres, du sous-financement, vous avez...

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Oui. Oui, pardon. La société d'accueil fait d'excellents efforts. Aussi, le milieu de l'éducation, évidemment, est un lieu très important aussi pour amener ceux qui arrivent jeunes, première génération, qui arrivent jeunes et qui se préparent pour aller sur le marché du travail. Donc, il y a d'autres... mais je pense effectivement que les organismes d'accueil les plus importants, les plus importants en termes de nombre mais en termes de lien réel, lien personnalisé, c'est avec les organismes communautaires.

Nous avons organisé et avec le LABRRI d'ailleurs, il y a peut-être deux ans, un événement où il y avait un regroupement de plusieurs organismes communautaires, et toujours la question de sous-financement qui vient sur le tapis, mais il y avait un autre questionnement qui était surgi cette journée-là, c'était la question du lien social. C'était décrire, par exemple, un organisme communautaire où il y a des fauteuils, où les gens peuvent juste entrer, s'asseoir, parler, avoir un lieu de socialisation, un lieu où il y a des services également. J'ai vu à travers les années un certain nombre de ces organismes fermer. J'ai vu aussi la question de pérennisation de financement où souvent les organismes sont gérés par petits projets, un projet qui dure un an, deux ans, quatre ans, trois ans — quatre ans, c'est rare — et avec ce type de financement aussi où ils doivent constamment changer de projet, donc changer de population cible en quelque sorte aussi, toujours immigrants mais par clientèles très spécifiques : jeunes, minorités visibles, femmes, femmes avec jeunes enfants, etc. Une pérennisation du financement, une généralisation du financement moins par petits projets, petits paquets, probablement pourrait assurer une meilleure survie pour les organismes et probablement ferait un accueil plus intéressant pour les personnes, je pense, à long terme.

M. Jolin-Barrette : Donc, ce que vous nous dites, c'est que souvent les organismes communautaires vont développer des projets à la pièce, pour une courte période de temps, développent une expertise, et là le financement, au bout d'un certain nombre d'années, cesse et, s'ils souhaitent poursuivre le programme, bien il faut qu'ils trouvent des sources de financement alternatives, sinon le programme cesse et l'expertise qui avait été développée, dans laquelle on avait investi, elle tombe à l'eau.

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Je l'ai vu dans plusieurs situations, surtout dans les organismes qui s'occupent de l'emploi, parce que les programmes... les petits programmes financés en employabilité visent des buts très spécifiques et des clientèles très spécifiques, donc une clientèle qui est accessible à un programme n'est pas accessible à un autre.

Je me rappelle du témoignage d'un intervenant dans un organisme d'employabilité en particulier, qui disait : Mais hier j'ai pu accueillir cette personne dans mon bureau. Aujourd'hui, j'ai dû lui dire : Bien, finalement, vous ne rentrez pas dans nos critères de sélection pour notre projet, parce que notre projet est financé et qu'il y a des balises autour du financement.

Il y a certainement une perte d'efforts dans le travail à la pièce, le financement à la pièce, comme vous avez dit. Vous le savez certainement, il y a beaucoup d'énergie qui est mise pour monter les demandes de subvention pour ces petits projets aussi, donc un temps administratif qui est plus lourd et un temps d'action, d'agir qui est plus court et plus rapiécé aussi.

• (18 h 10) •

M. Jolin-Barrette : Vous avez abordé tout à l'heure la question de la précarisation des aides familiales notamment et les gens qui immigrent... bien, en fait, qui ont le statut d'immigrant temporaire. Selon vous, devrait-on favoriser davantage l'immigration permanente plutôt que... Parce que ça a été proposé, d'ouvrir davantage le statut de temporaire et par la suite de choisir... en fait d'encourager ces immigrants qui ont un statut de temporaire pour qu'ils immigrent vers un statut de résident permanent. Est-ce qu'on devrait procéder de cette façon-là ou on devrait tout de suite y aller avec l'immigration permanente?

Mme Montgomery (Catherine Gail) : Merci pour cette question, c'était le dernier point dans mon PowerPoint que je n'ai pas eu le temps d'aborder, c'est bien.

Le Président (M. Picard) : Vous avez 1 min 30 s pour élaborer.

Mme Montgomery (Catherine Gail) : O.K., parfait. Je vais utiliser l'exemple des aides familiales résidentes ici parce que c'est... Parce que le terme utilisé dans le cahier de consultation, c'est une «voie flexible», utiliser le travail temporaire dans certains domaines, je pense, mais comme une voie flexible visant éventuellement une permanence. Dans le cas des aides familiales résidentes, qui ont un statut de temporaire pendant une période, comme j'ai dit, de deux, trois, quatre ans, c'est une période, en fait, qui leur fait perdre des acquis, ce n'est pas à leur avantage d'avoir cette période temporaire. Elles vivent des conditions de travail qui sont parfois excellentes mais parfois sont très mauvaises, en fait. Il y a des balises, évidemment, elles ont des avantages sociaux, il y a des critères sur le nombre d'heures travaillées, etc., mais il y a aussi des dépassements de ces critères. On sait que, dans les conditions de vie réelles de ces femmes, souvent elles travaillent plus que le nombre d'heures requis par semaine, et leurs conditions sont difficiles.

Donc, cette période temporaire, en fait, c'est un passage obligé pour ces femmes qui visent la permanence, qui veulent faire venir leurs familles, parce qu'elles viennent sans leurs familles habituellement, mais... Donc, elles n'ont pas le choix de passer par là, mais ça aurait été mieux qu'elles passent par la permanence d'abord, pour le réseau de la santé en particulier, parce qu'elles ont des acquis intéressants pour le réseau de la santé, donc un passage direct...

Le Président (M. Picard) : En terminant, s'il vous plaît.

Mme Montgomery (Catherine Gail) : ...et aussi, pour les femmes, pour ne pas vivre cette situation de précarité et une situation un peu de moindres droits que les personnes avec résidence permanente.

Le Président (M. Picard) : Je vous remercie pour votre témoignage.

Et je suspends les travaux jusqu'à 19 h 30.

(Suspension de la séance à 18 h 12)

(Reprise à 19 h 35)

Le Président (M. Picard) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Nous allons poursuivre les consultations particulières et les auditions publiques sur les documents intitulés Vers une nouvelle politique québécoise en matière d'immigration, de diversité et d'inclusion.

Je souhaite la bienvenue à Mme Marian Shermarke, coordonnatrice clinique du Programme régional d'accueil et d'intégration des demandeurs d'asile au CSSS de la Montagne. Vous disposez de 10 minutes pour faire votre exposé, et je vais vous demander de nous présenter les gens qui vous accompagnent. Vont s'ensuivre des échanges avec les parlementaires. Donc, la parole est à vous, Mme Shermarke.

Mme Marian Shermarke

Mme Shermarke (Marian) : Merci bien. Alors, je vais présenter les personnes qui sont avec moi. À ma gauche, il y a Marc Sougavinski, directeur général du CSSS de la Montagne. M. Sougavinski possède des fortes compétences en travail intersectoriel et interdisciplinaire ainsi qu'en gestion de la diversité. À la gauche de M. Sougavinski se trouve Mme Marie Ouellon, qui est directrice administrative, services professionnels et médicaux et PRAIDA au CSSS de la Montagne.

Alors, nous sommes ici aujourd'hui pour vous parler de l'immigration humanitaire. Le PRAIDA, Programme régional d'accueil et d'intégration des demandeurs d'asile du CSSS de la Montagne, existe depuis 58 ans, il a acquis une vaste expertise au plan de l'intervention et évaluation dans le contexte de l'immigration humanitaire, des traumatismes ainsi que l'approche interculturelle et la gestion de la diversité. Il est à noter que la plupart de nos clients arrivent directement de l'aéroport ou d'un des postes frontaliers avec une valise, un sac ou avec rien. Ils arrivent souvent fatigués, traumatisés, sans repères, désireux de vivre en sécurité et dans la dignité. Notre premier geste est de répondre aux besoins essentiels de ces personnes. Notre deuxième intervention consiste à comprendre leurs schémas de référence afin de les guider face aux exigences de la société d'accueil, notamment régulariser leur statut, développer de l'autonomie, etc. En troisième lieu, nous effectuons un suivi psychosocial sur leur trajet migratoire, les deuils multiples et les traumatismes. Malgré leur lourd passé, ces clientèles affrontent leur vie ici avec courage et détermination. Leur résilience est non seulement étonnante, mais elle est aussi porteuse d'espoir pour tous ceux qui travaillent avec eux.

Le choc culturel et identitaire entre clients et intervenants se fait sentir souvent dans les rencontres. Les professionnels aussi sont confrontés à des situations qui les heurtent profondément, et ainsi le soutien clinique et éthique devient essentiel pour les intervenants.

Pour les clients, la quête de la sécurité passe par trois voies : la régularisation du statut, que je n'en parlerai pas parce que c'est sous juridiction fédérale, la formation en lien avec l'emploi et les activités de socialisation.

Quant aux obstacles qui ralentissent l'intégration des demandeurs d'asile, nous observons que le travail d'intégration des demandeurs d'asile commence trop tard à cause du mythe que la plupart de ces personnes vont être refusées et retournées chez eux. Or, la réalité est tout autre. Il est à noter que 60 % des nouveaux demandeurs d'asile sont acceptés comme réfugiés. De plus, un certain nombre important qui sont refusés sont éligibles à d'autres programmes, comme le parrainage aux gens qui sont sur les pays à moratoire, etc. Un bon exemple d'intégration tardive est le cas des Congolais, ressortissants d'un pays à moratoire, et durant 10 ans et plus ils n'ont pas eu accès à l'accompagnement à l'intégration.

• (19 h 40) •

Le manque de possibilités de socialiser est un problème. La socialisation répond à un besoin réel de l'être humain, celui d'être en lien avec d'autres personnes. Quand nous disons à nos clients d'aller rencontrer des gens du pays pour pouvoir apprivoiser le Québec, ils nous répondent : Où est-ce que je les rencontre? Et comment je vais faire, comment je vais les approcher? Nous avons mis en place des interventions de prévention par des projets de socialisation visant à réduire l'isolement, exemple le centre de jour qui est en partenariat entre le YMCA et le PRAIDA.

Quant à l'intégration de l'ensemble des immigrants, nous observons que la gestion de la diversité suppose la gestion du changement. Or, dans l'application des énoncés sur l'intégration, la gestion du changement vise les immigrants et beaucoup moins le reste de la société, et donc, dans le contexte social actuel, l'intégration devient un processus unidirectionnel. Ce mode de gestion de la diversité nourrit le mythe du «nous», les membres de la société d'accueil, et «eux», les immigrants.

Il faut dire que les immigrants sont beaucoup plus diversifiés qu'on pense. Beaucoup de clients nous parlent de la lourdeur des identités imposées. Ceci est le cas d'un Congolais qui nous dit : Madame, je suis devenu Noir au Québec. C'est aussi le cas d'un Tchadien qui nous dit : Il est devenu difficile d'être musulman ici ces jours-ci. Certaines personnes immigrantes ont de la difficulté à assumer ces identités imposées, et de plus elles trouvent que les identités deviennent un obstacle à leur intégration, et ce sentiment perdure aussi jusqu'à la deuxième génération.

Quant aux constats sur les limites de nos efforts, depuis quelques années chaque ministère fait des efforts pour répondre aux besoins des immigrants. Les indicateurs de performance permettant d'évaluer les organismes institutionnels et communautaires oeuvrant auprès des immigrants ne tiennent toujours pas compte de la complexité de l'intervention ethnoculturelle. La diversité culturelle ou religieuse parfois est un enjeu politique qui crée des tensions menant à discuter de la diversité seulement lors de situations conflictuelles. Cet état de fait complique le dialogue constructif autour de la diversité.

En conclusion, je cite une cliente qui, en nous parlant de son processus d'intégration, elle nous dit : J'ai fui le feu, mais je suis assise sur une flamme permanente dans ce pays. Je pense que nous avons la volonté politique et les ressources suffisantes pour éteindre cette flamme. Pour faire cela, il faudrait mieux arrimer les ressources et impliquer tous les membres de la société.

Je m'arrête en vous rappelant que le statut de réfugié est un statut transitoire et que les réfugiés vont devenir des immigrants et des citoyens. À ce point, je passe la parole à M. Sougavinski pour vous parler du macro, puisque moi, je vous ai parlé seulement de l'immigration humanitaire.

M. Sougavinski (Marc) : Bonjour, tout le monde. Merci de nous accueillir. L'experte ici, c'est Marian Shermarke, mais je vais profiter du temps qu'il me reste pour élargir un petit peu la discussion, puisqu'effectivement les réfugiés, les demandeurs d'asile deviennent éventuellement des citoyens du Québec, et donc l'accueil et tout ce qui s'ensuit, et les enjeux qui concernent l'ensemble des immigrants, concernent également les réfugiés.

Je vous rappelle quand même que le CSSS de la Montagne couvre plus que le programme des demandeurs d'asile et des réfugiés. Et, pour ceux qui ne le savent pas, on est situés dans le secteur de Côte-des-Neiges et le secteur de Parc-Extension, c'est donc des secteurs où il y a une diversité culturelle énorme. Nous avons quatre équipes de recherche, dont deux spécialisées dans le domaine de l'accueil des immigrants — d'ailleurs elles sont venues présenter en commission parlementaire — et donc une vaste expertise depuis de nombreuses années concernant l'accueil et les enjeux reliés aux immigrants.

Donc, j'aimerais vous amener... partager avec vous toutes les perceptions qui touchent les immigrants et les citoyens en général et, par la force des choses, un peu, malheureusement, les sujets d'actualité présentement et certains enjeux qui malheureusement reviennent à la surface, et effectivement je vais donc vous parler un peu de radicalisation et d'intégrisme, d'une part, comme une espèce de bloc, et, de l'autre, des relations hommes-femmes et tout ce que ça implique, par exemple crimes d'honneur, mariage forcé et ainsi de suite, qui sont des enjeux réels de la société d'aujourd'hui. C'est important de comprendre que ce n'est pas le nombre qui est l'enjeu ici, on ne peut pas dire qu'on est envahis par des difficultés ou des problèmes. D'ailleurs, ce n'est pas vrai, ce n'est pas le cas. Donc, l'enjeu ici est l'impact que ces situations ont sur les citoyens, pour toutes sortes de raisons.

D'abord, tout ce qui dit «radicalisme» ou «intégrisme», c'est un peu effrayant, il y a une sorte de distorsion médiatique qui fait en sorte que ces problèmes sont amplifiés et qu'on en parle très souvent. Peu importe à tort ou à raison, il reste que ces enjeux ont des impacts réels sur la population et sur les intervenants, dont nombre d'entre eux sont ceux qu'on gère à l'intérieur de nos établissements, et qui cherchent parfois des solutions, ou comment intervenir, ou quoi faire dans diverses situations. Alors, il ne s'agit pas d'amplifier le problème, mais il ne faut pas le cacher sous le tapis non plus, et c'est assez délicat comme situation. On n'a pas le goût, personne, de sombrer dans les assomptions faciles, d'aller vers de la discrimination, quelquefois du racisme et ainsi de suite, même si on doit donner quelques balises de temps à autre. La population, donc, est inquiète et a besoin de réponses, et les intervenants ont besoin d'outils, ont besoin d'appui, ont besoin de support.

Alors, parmi nos recommandations, on en a quelques-unes qui touchent les réfugiés mais qui s'élargissent à l'ensemble des enjeux reliés à l'immigration. Vous avez reçu notre document, donc je ne mentionnerai pas tout, mais je vais soulever un certain nombre d'entre eux.

La première est très importante pour nous, qu'un modèle d'intégration des immigrants soit construit selon une approche bidirectionnelle...

Le Président (M. Picard) : En terminant, s'il vous plaît. Votre temps est écoulé, mais vous pourrez préciser lors des échanges avec les parlementaires.

M. Sougavinski (Marc) : Absolument. Donnez-moi... J'ai deux recommandations et je m'arrête, et ensuite on discutera.

Le Président (M. Picard) : Deux? Allez-y, allez-y.

M. Sougavinski (Marc) : Que ce ne soit pas juste qu'on apprenne aux immigrants à s'adapter à nous, mais que ce soit bidirectionnel. Il y a beaucoup de lieux et d'espaces qui doivent être créés pour qu'il y ait des dialogues, pour qu'il y ait des découvertes de l'autre, ça manque un peu. Il y en a beaucoup, mais il faut le faire, donc des espaces qui facilitent les échanges.

Finalement, la question d'un observatoire, dont on a parlé quelquefois, on pense que c'est une bonne idée dans la mesure où ça pourrait inclure non seulement la recherche pratique sur des éléments reliés à l'immigration, mais aussi du support à l'intervention, des conseils qu'on peut donner et de la formation. Il ne s'agit pas juste d'observer, je pense que nos intervenants dans nos institutions ont aussi besoin de davantage d'outils pour qu'on les appuie lorsqu'ils rencontrent des situations sensibles. Voilà. Merci beaucoup.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à Mme la ministre.

Mme Weil : Je vais d'abord commencer par... Parce que vous avez beaucoup d'expérience dans un milieu qui est, comme vous dites, hautement diversifié, peut-être le plus diversifié sur le territoire du Québec.

M. Sougavinski (Marc) : Peut-être...

Mme Weil : Bien, vous êtes le CSSS, je pense, qui a vraiment une pratique très spécialisée — est-ce qu'on pourrait dire ça? — pour la diversité culturelle et les enjeux associés.

M. Sougavinski (Marc) : Oui, bien, d'abord... Tout à fait, tout à fait. Je pense que, dans le monde, il y a peu d'endroits où il y a autant de diversité sur un même territoire. On peut trouver des ghettos à certains endroits, mais d'avoir une diversité aussi grande que la nôtre, c'est en effet assez rare.

• (19 h 50) •

Mme Weil : Je vous remercie de venir ici, d'échanger avec nous pour qu'on puisse mieux comprendre ces phénomènes. On pourra peut-être juste effleurer, mais je trouve ça intéressant parce que je dois dire que vous êtes peut-être les premiers qui sont vraiment des intervenants en services de santé et services sociaux avec qui on va parler. Il y a eu une universitaire qui est venue pour parler du réseau de la santé puis des besoins, des pénuries de main-d'oeuvre dans le secteur, mais vous c'est dans la pratique quotidienne de clientèle à risque, de clientèle fragilisée. Mais en même temps vous parlez de dialogue, vous parlez de besoin d'outils, outils de travail, de protocoles, hein, d'intervention, c'est tout ça.

Alors, on va peut-être commencer avec vos commentaires sur la situation des réfugiés. Et vous ne faites pas nécessairement de distinction entre les demandeurs d'asile et les réfugiés, hein, parce que votre clientèle est mixte, c'est les deux, et vous traitez des deux. C'est Mme Shermarke qui... Vous en avez parlé, mais vous avez parlé de dialogue aussi. Peut-être pour bien comprendre la situation de vulnérabilité de la clientèle que vous traitez, qui vient chez vous, pourriez-vous nous décrire... Ils viennent de beaucoup de pays différents, certains d'entre eux que vous voyez ont peut-être grandi dans des camps de réfugiés aussi, et donc c'est ces phénomènes-là, vous le voyez maintenant, qui affectent... bien, affectent... qui rend la pratique... la pratique qui doit s'adapter à ce qu'on appelle la lourdeur des personnes ou les difficultés plus aiguës de cette clientèle. C'est bien ça?

Mme Shermarke (Marian) : C'est ça. Et il y a deux volets dans nos interventions. Comme vous dites, on a des demandeurs d'asile, on a des réfugiés qui ont grandi dans des camps de réfugiés. Quand on regarde leur passé, les deux populations se ressemblent énormément par rapport aux traumatismes qu'ils ont subis, la différence est le statut avec lequel ils rentrent ici. Pour les demandeurs d'asile, ils n'ont aucun statut, donc ils demandent l'asile et il faut qu'ils attendent pour être acceptés. Pour les réfugiés installés, c'est du monde qui arrivent avec leur résidence permanente quand ils sont parrainés soit par l'État soit par la collectivité.

Donc, en réalité, l'expérience passée est la même, c'est une expérience de violence organisée, de torture, de traumatismes sévères, de multiples deuils, et nos interventions par rapport au passé ne diffèrent pas tellement. Par contre, la différence consiste en la manière qu'on va les accompagner à s'intégrer dans la société d'accueil. Pour les demandeurs d'asile, c'est toute l'insécurité qui continue parce qu'il n'y a pas de statut, mais, pour les réfugiés, au moins cette insécurité n'existe pas, puisque c'est du monde qui ont déjà leur résidence permanente.

Donc, nous travaillons sur deux volets. Le premier volet est le volet des traumatismes et les deuils, pour les deux populations de la même manière. Le deuxième volet consiste dans notre approche que partout au Québec on appelle l'approche interculturelle et qui consiste à être interactif avec l'autre qu'on ne connaît pas. Donc, le défi, dans cette approche, c'est comment aller vers l'autre, comment découvrir son schéma de référence pour pouvoir l'accompagner à mieux saisir ce que la société d'accueil s'attend et quelles seraient les meilleures façons d'accompagner dans l'intégration de cette personne.

Mme Weil : Vous avez fait quelques commentaires, évidemment, qui sont très difficiles, et certainement c'est ce que vous voyez, lorsque vous avez parlé de problèmes d'identité, que ces personnes vivent des problèmes d'identité, quelqu'un qui a dit : Je suis devenu Noir ici, l'autre qui a dit : Ce n'est pas facile d'être musulman ici. Donc, c'est des critiques très fortes envers la société d'accueil qui est le Québec, c'est ce qu'ils vivent.

Pourriez-vous parler un peu plus de ce problème d'identité? C'est qu'eux vivent un problème d'identité, comment s'identifier à la société québécoise, ce rapport est difficile. C'est bien ça?

Mme Shermarke (Marian) : C'est plutôt le choc culturel et identitaire de nouveaux arrivants. Je peux vous avouer que, quand cette personne nous a dit : Madame, je suis devenu Noir ici, je l'ai regardé et j'étais choquée, j'ai eu peur. Est-ce que c'est un début de santé mentale? Or, quand j'ai dit : Je ne comprends pas, est-ce que vous n'étiez pas Noir en Afrique?, il m'a dit : Non, en Afrique j'étais telle personne, fils de tel, de telle tribu, de tel pays. Donc, ça, ça ne correspond pas avec comment il s'est identifié, et ça, c'est choquant pour les personnes qui vivent ça parce qu'il y a une mutation dans leur identité. Je ne pense pas que les gens qui utilisent ces mots veulent leur faire mal, mais je pense que, s'il y avait un rapprochement entre les membres de la société d'accueil et les nouveaux arrivants, les membres de la société d'accueil n'allaient pas dire : La personne qui est passée ici, c'est un Noir, ils allaient dire : Tel monsieur a passé ici. Donc, c'est ce manque de rapprochement qui fait que les gens, quand ils ne se connaissent pas, ils vont vite aller sur les identités visibles et pas vers la personne réelle.

Mme Weil : On va peut-être parler un peu du phénomène de radicalisation que vous voyez dans votre pratique, parce que vous avez des connaissances en la matière. Vous parlez de votre préoccupation par rapport à la deuxième génération aussi. Pouvez-vous nous expliquer un peu ce phénomène dans votre pratique professionnelle? Qu'est-ce que vous voyez? Quels sont les indices? Comment vous réagissez, bon, quels sont les protocoles?

Mme Shermarke (Marian) : Nous voyons... je peux faire une analogie par rapport à... La première génération, c'est la première génération qu'on sème; la deuxième génération, on les récolte, c'est la récolte; la troisième génération, c'est les fruits. Donc, si on arriverait à bien semer la première génération, c'est sûr que la deuxième génération, ça aurait été une bonne récolte, et la troisième génération, ça aurait été des fruits magnifiques.

La deuxième génération porte les blessures de la première génération, et, si on n'arrive pas à intégrer la première génération le mieux qu'on peut, c'est sûr que, parmi la deuxième génération, il y aura des gens qui vont porter ces blessures, qui vont être très fragilisés par ces blessures, qui vont répliquer le modèle d'intégration des parents qui n'ont pas pu s'intégrer. Et, même s'ils ont été éduqués dans nos écoles, qu'ils parlent très bien la langue, il se peut que la blessure soit plus forte. Donc, dans le travail d'intégration, nos interventions consistent à comment alléger ces blessures, comment aller vers cet individu, parce que, s'il y a blessure, quelquefois il y a une déformation de ce qui s'est passé, puisque ce n'est pas eux qui ont vécu ça. Donc, l'intervention, c'est vraiment de démystifier tout ce qui tourne autour de cette blessure pour avoir accès à la personne et commencer un accompagnement vers une intégration.

Mais le secteur de santé et services sociaux ne peut pas faire ça. Ce travail, c'est un travail intersectoriel, c'est un travail qui doit être fait par le secteur de l'éducation et le secteur de l'emploi. On ne peut pas compartimentaliser les êtres humains en disant : Nous, on va agir seulement sur ce secteur-là, il faut que ce travail soit intersectoriel.

Mme Weil : Dre Cécile Rousseau, juste pour arriver sur cette question, elle est venue la première semaine de la consultation et elle disait : Il faut bien comprendre les phénomènes pour trouver les bonnes solutions, elle faisait la distinction entre intégrisme, radicalisation, radicalisation violente, et qu'il fallait bien comprendre les concepts. Est-ce que vous pourriez peut-être partager avec nous...

Mme Shermarke (Marian) : Je vais laisser cette réponse à M. Sougavinski.

• (20 heures) •

M. Sougavinski (Marc) : Oui. Effectivement, Dre Cécile Rousseau est notre directrice scientifique et donc... et aussi une intervenante majeure dans notre CSSS. Alors, non seulement au niveau de la recherche, mais au niveau de la pratique on est confrontés à certaines situations... C'est que, oui, il faut bien comprendre les choses pour être capable d'intervenir convenablement. Et on ne comprend pas toujours très bien qu'est-ce qui va pousser un individu à la radicalisation, et à la violence encore moins. Ce n'est pas toujours simplement une question d'être intégré ou de ne pas être intégré, d'être heureux ou d'être malheureux. On a des indications que des jeunes qui ne sont pas forcément malheureux ou qui n'ont pas de difficulté majeure d'intégration peuvent quand même se radicaliser.

Maintenant, comme je le disais tantôt, comme c'est des situations épeurantes et souvent distordues de toutes sortes de façons à cause que chacun met son opinion là-dedans et les médias s'emballent, et comme on a tous un peu peur de ce qui se passe et de ce qu'on voit dans d'autres pays, bien là, effectivement, vous avez raison, on a tendance à confondre les concepts. Entre autres, ce n'est pas parce que quelqu'un a des croyances religieuses profondes qu'il va aller nécessairement vers une radicalisation ou un intégrisme violent, et d'autres peuvent avoir des croyances moins profondes et être en fait plus violents, alors d'où l'importance de mener à la fois une approche clinique d'intervention... On ne peut pas rester assis pendant trois ans, puis faire de la recherche, puis attendre de voir qu'on ait toutes les données possibles, mais on doit aussi bien documenter les phénomènes et, oui, faire plus de recherche pour savoir quels sont les risques, les facteurs de risque qui peuvent pousser des gens vers de la radicalisation et de la radicalisation violente. Et on doit aussi, je pense, c'est dans nos recommandations et c'est plus compliqué peut-être, mais faire un certain travail de communication de façon générale pour la population puis pour beaucoup de personnes qui ont tendance à mélanger les concepts et penser qu'on peut passer de l'un à l'autre facilement, ce n'est pas si simple que ça.

Alors, il n'y a pas de solution magique, il n'y a pas de recette de cuisine pour contrer ces phénomènes-là, mais, comme on dit en anglais, «we have to hit the ground running», il y a des choses à faire concrètement et quitte à s'ajuster par la suite, au fur et à mesure qu'on a plus d'information et plus de recherche dans le domaine.

Mme Weil : Et vous faites la distinction, donc, entre radicalisation et radicalisation violente...

M. Sougavinski (Marc) : Bien, on... Oui.

Mme Weil : ...comme Cécile Rousseau, Dre Rousseau, faisait cette même distinction.

M. Sougavinski (Marc) : Ah! bien ça tombe bien, on est dans le même établissement. Alors là, si on disait le contraire, on aurait un problème... quoique des fois on ne dit pas tout à fait la même chose, effectivement. Mais non.

Et le principe est facile à comprendre. On peut avoir des croyances religieuses très, très fortes, on peut même... En fait, dans la vie, on a le droit de croire à ce qu'on veut, hein, on peut croire à l'astrologie, on peut croire à n'importe quoi, ça ne fait pas forcément quelqu'un de violent ou quelqu'un de qui la société devrait se méfier. Alors, quels sont les facteurs de risque qui font qu'une personne peut devenir violente? Il n'y a pas de... C'est très difficile à prédire, ça, en psychologie ou en science, mais au moins on peut avoir un certain nombre de facteurs de risque. Et, du côté des intervenants, comme on doit intervenir, bien il faut qu'il y ait au moins des règles de base ou des stratégies auxquelles les intervenants puissent se référer, des groupes-conseils ou, enfin, des gens qui auraient plus d'expérience qui pourraient peut-être guider l'intervention. Et Marian a tout à fait raison. Quand on est rendu dans le domaine de l'intervention... Parce que la prévention, c'est une chose, il vaut mieux axer vers la prévention le plus possible, mais, quand on est rendu dans l'intervention ou quand on craint qu'il puisse y avoir un phénomène de radicalisation, là il faut intervenir. Et là il faut intervenir de façon multisectorielle, parce que sinon on se perd dans les méandres des...

Mme Weil : ...le temps?

Le Président (M. Picard) : Trois minutes

Mme Weil : O.K. Est-ce que vous partagez des meilleures pratiques avec d'autres professionnels dans d'autres juridictions ou ailleurs ici, au Québec, qui sont aux prises avec les mêmes genres de phénomène que vous... ou ailleurs aux États-Unis, au Canada?

M. Sougavinski (Marc) : Oui, en fait, de multiples façons. Dans le fond, la constitution d'un établissement comme le nôtre, il y a un volet clinique, il y a un volet recherche. C'est comme une toile d'araignée, il y a une multitude de facettes, il y a les demandeurs d'asile, il y a les réfugiés, il y a les immigrants tout court, et on est connectés à toutes sortes de réseaux. On est connectés au réseau canadien beaucoup, effectivement. Lorsqu'il y a eu des enjeux concernant l'abolition du PFSI ou des enjeux comme ça, enfin, on est très connectés à ce qui se passe dans le reste des autres provinces. Souvent, d'ailleurs, ils regardent vers nous pour savoir un peu aussi comment s'orienter. Donc, on est quand même... on a pas mal de longueur d'avance, au Québec, sur bien des domaines. Il ne faut pas penser qu'on fait juste regarder les autres puis on essaie d'apprendre des autres, on fait beaucoup de bonnes choses ici aussi.

Mme Weil : Et vous êtes en lien avec les réseaux scolaires.

M. Sougavinski (Marc) : On est en lien, tout à fait. On a un programme de formation qui n'en finit plus, là, de recevoir des appels et qui est dispensé dans pas mal tous les établissements de la province, certainement à Montréal.

Et dans le réseau scolaire on est extrêmement impliqués, le réseau des cégeps aussi, parce que, là, c'est important de regarder la situation des jeunes adultes qui sont au cégep au niveau de la radicalisation. Cécile Rousseau pourrait vous dire qu'elle a beaucoup de liens et que les cégeps sont prêts à s'investir pour faire un certain nombre de démarches dans ce domaine-là.

Mme Weil : Quand vous parlez d'observatoire, qu'est-ce que vous entendez par ça?

M. Sougavinski (Marc) : Je vais commencer.

Une voix : Oui, allez-y.

M. Sougavinski (Marc) : Bien, en fait, c'est que, contrairement à ce qu'on peut penser, on a peu de documentation réelle sur un bon nombre d'enjeux, et ça aussi, ça contribue à la distorsion dont je parlais tantôt. On parle des mariages forcés, on parle de crimes d'honneur, on parle d'ablation du clitoris, on parle de certificats de virginité, on parle de toutes sortes de choses qui en général concernent les relations hommes-femmes. Il y en a combien? Est-ce qu'il y en a beaucoup? Comment on intervient? Est-ce qu'on peut inventorier... Il n'y a pas de recette cuisine, chaque situation est presque un cas d'espèce. Donc, on ne peut pas dire : Bon, bien, regarde, dans telle situation tu fais telle, telle, telle chose, puis tout va bien aller, ça ne marche jamais comme ça. On a des orientations, on a des groupes-conseils, à l'intérieur de notre CSSS, mais il faut avoir l'heure juste, donc il faut documenter non seulement les situations, mais il faut documenter les modes d'intervention, les expériences qui fonctionnent, les stratégies qui ont donné de meilleurs résultats que d'autres, et apprendre de ces stratégies-là, et ensuite les diffuser, et ensuite en faire... bien, enfin, ensuite... c'est-à-dire presque en même temps en faire des formations et des communautés de pratique ou, enfin, que les intervenants puissent se les approprier assez rapidement. Alors, l'observatoire, c'est un peu tout ça. Et il y a un volet recherche, comme je disais, qui est important, mais il y a aussi un volet stratégies d'intervention qui est important.

Veux-tu ajouter quelque chose?

Mme Shermarke (Marian) : Si vous permettez, je vais simplement ajouter une petite chose. L'observatoire, on ne voudrait pas avoir le modèle de la France, par exemple, en termes d'observatoire, si on regarde l'Observatoire de la laïcité. Et ce que nous, on peut voir ou ce que... la position du CSSS de la Montagne est que tout observatoire devrait répondre aux besoins des deux volets, le volet d'analyse, recherche, etc., mais le volet d'intervention immédiate aussi, intervention de crise, et les deux peuvent s'alimenter mutuellement, parce que, si on prend seulement de l'angle observatoire, analyse, etc., on risque d'être en crise perpétuelle, et il faut vraiment répondre à la crise sur le terrain.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Bourget.

M. Kotto : Merci, M. le Président. Mme Shermarke, M. Sougavinski — je prononce bien? Super! — Mme Ouellon, soyez les bienvenus. Merci pour la contribution.

L'exercice entrepris ici en est un fondamental. Pour une société, se questionner, il est malheureux qu'on le fasse seulement au bout de 25 années, parce que la dernière fois qu'on a eu un énoncé politique en la matière, c'était il y a 25 ans. Je pense qu'avec la nouvelle donne en matière d'immigration, les flux et les volumes importants de mouvement, et vu les défis auxquels vous êtes confrontés relativement à ces populations fragilisées, c'est un exercice qu'on devrait, je pense, tenir aux trois années minimalement, donc, renouveler, voir aux failles qu'il y a entre ceux qui arrivent, souvent malgré eux dans le cas des réfugiés, et ceux qui choisissent de venir versus l'accueil qui leur est réservé dans le nouvel environnement, qu'ils ne maîtrisent absolument pas.

Mais force, par ailleurs, est de constater le peu d'énergie, d'intérêt que les médias notamment manifestent relativement à cette question-là. Elle est pourtant fondamentale. J'aurais souhaité voir beaucoup de journalistes ici dans la salle pour vous entendre ce soir parler de l'humain et, dans son interaction avec l'altérité, les difficultés auxquelles vous êtes confrontés. Mais nous allons faire ce que nous pouvons faire, trouver des pistes d'équilibre relativement aux enjeux que vous posez ici ce soir.

C'est touchant de vous entendre rapporter ici l'histoire de ce Noir qui dit : C'est au Québec, de mémoire, que je suis devenu Noir, je suis devenu un Noir au Québec, c'est ça, et puis l'autre qui dit : Ce n'est pas facile d'être musulman ici ces jours-ci. Ce sentiment, il vient de quoi? Est-ce qu'il vient de leur environnement immédiat, dans l'interaction qu'ils ont avec l'environnement humain, ou c'est un sentiment qui est généré par ce qui est véhiculé à travers les médias?

• (20 h 10) •

Mme Shermarke (Marian) : L'un n'empêche pas l'autre, les deux se touchent, parce que tout ce que... Celui qui dit : Ce n'est pas facile d'être musulman ici, c'est quelqu'un qui entend dans son voisinage des commentaires; il allume la télé, et il y a d'autres commentaires qui passent. Donc, cette personne ne pourra pas s'empêcher de penser : Mais il y a beaucoup de personnes qui sont en train de répéter ça, donc ça veut dire que ce n'est pas facile d'être musulman ici ces jours-ci. La personne qui dit qu'il est devenu Noir ici, au Québec, c'est sûr que ce n'est pas seulement lui auquel... il a été identifié comme un Noir, mais il va voir une autre personne noire qui va sortir d'un magasin, et ils vont dire : Il y a un Noir qui est sorti ici. Donc, la personne s'identifie avec l'autre, et tout à coup ça devient plus grand que cet individu-là. Et c'est un facteur qui normalise sa pensée parce qu'il n'y a pas que lui qui est vu comme ça, il y a d'autres semblables à lui aussi qui sont vus de cette manière. Donc, ça dépasse l'individu.

M. Kotto : ...par souci d'objectivité, en extrapolant, en ramenant le caucasien ou leucoderme, pour utiliser un terme scientifique, dans un contexte africain, Nigéria, Cameroun, Congo, Rwanda, Burundi, il est minoritaire, et, quand on le désigne, on dit «le Blanc». Est-ce que ce n'est pas le fait d'être minoritaire dans un espace comme celui-ci ou comme d'autres, de l'autre côté, qui amène les gens à désigner l'autre par ses signes...

Mme Shermarke (Marian) : Visibles.

M. Kotto : ...visibles, oui, c'est ça?

Mme Shermarke (Marian) : Vous avez tout à fait raison, mais ça dépend aussi où est-ce qu'on est inséré dans la société dans laquelle on vient. Si moi, je suis Africaine et que j'ai commencé dans un statut qui est très agréable, c'est sûr que le fait que j'entends ça ou ça, ça va glisser sur moi, mais, si je suis quelqu'un qui est confronté avec beaucoup de difficultés et en plus je suis identifiée de manière différente, c'est sûr que ça va prendre plus d'importance.

M. Kotto : O.K. Je veux revenir sur la question qui a été évoquée tout à l'heure par la ministre au sujet de la radicalisation. Le phénomène, il n'est pas nouveau. Il a été observé en d'autres temps avec l'extrême gauche en Europe, par exemple, les groupes militants de gauche. Pour en nommer quelques-uns, il y en avait un récemment encore dirigé par le fameux Carlos, au départ l'idéologie marxiste, la révolution à tout prix, mais le choix des armes, c'était la violence, ce n'était pas la démocratie. C'est une forme de radicalisation idéologique.

La radicalisation religieuse, on le voit quand elle prend des travers malsains et qu'elle trouve des postures victimaires dans les banlieues françaises, par exemple, où les sentiments d'exclusion de la société sont profondément enracinés, trouve là un terreau fertile pour orienter, considérant le contexte de la guerre, entre guillemets. C'est une autre guerre, elle est idéologique aussi. C'est une guerre annoncée, il y a des gens que moi, je ne considère pas comme des musulmans qui ont annoncé une guerre à l'Occident. Et, quand dans ces banlieues-là on trouve ce terreau fertile, il est facile de voir comment un jeune radicalisé religieux, sous la poussette d'un idéologue mal intentionné, peut tomber dans les travers. On l'a vu avec les deux frères qui ont commis le massacre à Charlie Hebdo, on l'a vu chez le jeune Malien aussi qui cherchait à détruire des Juifs. Le phénomène, c'est sûr, au plan religieux il faut le suivre, il faut le décortiquer pour bien le maîtriser. On est loin de cela encore au Québec, mais on n'est pas à l'abri non plus.

Ce qui m'amène à dire — et je vais dans votre sens — que, la fragilité dont vous vous occupez, il faudrait y investir suffisamment de moyens pour que la première, la deuxième, la troisième génération se sentent partie prenante de l'ensemble de la société, du foyer d'accueil, pour ne pas que dans quelques années on se retrouve dans des scénarios comme ce qu'on retrouve en Europe en général, parce que ça s'est passé aux Pays-Bas, ça s'est passé en Norvège, en Belgique, en France, demain. Disposez-vous de moyens adéquats pour remplir votre mission?

Mme Shermarke (Marian) : C'est sûr qu'en tant que des intervenants formés pour faire des interventions de crise on est formés pour intervenir en contexte de crise et d'intervenir avant le contexte de crise.

Nos approches, il y a des approches préventives. C'est une approche dont on a parlé dans le document qu'on a déposé où on a créé un centre de jour pour développer des espaces de dialogue, et c'est tout à l'heure que l'on disait que les immigrants, ils sont aussi diversifiés, parce que le choc n'est pas seulement entre les immigrants et les personnes de souche ou, comme on dit ici, les membres de la société d'accueil, c'est aussi entre les immigrants, le choc, et, s'il n'y a pas un espace de dialogue où les gens peuvent s'apprivoiser, discuter, se connaître, c'est sûr que ce choc-là va se faire ressentir sur la plateforme sociale en entier. Donc, on a des approches préventives pour faciliter, pour faire parler les gens, pour les faire dialoguer, pour faire une médiation culturelle, etc. Ça, c'est toutes nos approches préventives.

On a aussi des approches d'intervention de crise où, quand la personne est en crise, on va regarder c'est quoi qui a déclenché la crise, qu'est-ce que c'était, la dernière goutte, et puis après on va retourner en arrière pour voir, cette personne-là, qu'est-ce qui l'a amenée jusqu'ici.

Donc, c'est sûr qu'en tant qu'intervenants on est formés pour faire ça, mais on a aussi la chance d'être appuyés par des équipes de recherche, par des équipes qui s'occupent de l'éthique de l'intervention, par des équipes qui s'occupent de l'analyse clinique. Donc, ce n'est pas quelque chose que les intervenants travaillent en silo, il y a tout un ensemble d'équipes qui intervient. Comme M. Sougavinski disait...

Le Président (M. Picard) : ...s'il vous plaît.

Mme Shermarke (Marian) : ...on travaille en intersectorialité. On a des intervenants qui sont placés dans les écoles, donc on a tout le son de cloche qui vient aussi du milieu de l'éducation.

Le Président (M. Picard) : Merci. Je cède maintenant la parole à M. le député de Borduas.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Mesdames monsieur, bonsoir.

Si vous voulez, on va se diriger vers vos recommandations à la fin de votre présentation, notamment la recommandation 4, où vous proposez une recommandation afin d'éviter le repli identitaire, donc de créer des lieux d'expression communs. Concrètement, quelle forme ça prend, ces lieux d'expression communs? Et de quelle façon on réussit à amener les gens vers ces lieux d'expression là?

Mme Shermarke (Marian) : Avant tout, ces lieux d'expression, ils ont déjà existé, il y en a certains qui existent, mais il y a vraiment les ressources qui manquent, pour l'instant, pour continuer à inviter les gens au dialogue. On a déjà fait de l'animation dans des paroisses...

M. Jolin-Barrette : Lorsque vous parlez du manque de ressources, c'est des manques de ressources au niveau financier ou c'est davantage des problèmes de locaux, des ressources humaines?

Mme Shermarke (Marian) : C'est des ressources humaines, mais les ressources humaines sont toujours attachées aux ressources financières aussi. Donc, bien, il est arrivé qu'on a mené un groupe de personnes immigrantes dans des paroisses où ils parlaient, les gens échangeaient, on faisait des activités sociales pour que les gens se rencontrent, discutent, il y avait un thème à discuter, pour apprivoiser l'autre. Donc, les espaces de dialogue sont faisables.

Les espaces de dialogue peuvent être créés à de multiples niveaux. Ils peuvent être créés entre des intellectuels de différentes visions sur l'intégration, ils peuvent être créés entre la population. Donc, nous, on recommandait vraiment que le concept d'espace de dialogue revienne sur la plateforme du citoyen. Il y a d'autres espaces de dialogue qui existent, mais il n'y en a pas tellement qui existent sur les projets interculturels.

M. Jolin-Barrette : O.K. C'est un peu la même chose avec votre recommandation n° 5 au niveau du jumelage.

• (20 h 20) •

Mme Shermarke (Marian) : C'est exactement ça. Avec les programmes de jumelage, on voyait des personnes de différentes appartenances culturelles qu'on jumelait, et, les gens, chacun commençait à connaître l'autre. Et, quand cette pratique était multipliée, il y avait parmi la population de la société d'accueil des gens qui pouvaient rectifier le tir en disant : Non, non, non, moi, je connais des gens qui viennent de cette... ils ne sont pas comme ça. Ce qu'on est en train de perdre, c'est cette résonance-là où les gens vont dire : Non, moi, je connais assez de personnes de telle culture ou de telle religion, et ils ne sont vraiment pas comme ça.

M. Jolin-Barrette : Est-ce que c'était difficile, dans le cadre des jumelages, de trouver des personnes-ressources?

Mme Shermarke (Marian) : Non, ce n'était pas difficile parce qu'il y avait des multiples plateformes où le recrutement pouvait se passer. Les organismes communautaires étaient très actifs à faire ce recrutement, les paroisses étaient actives à faire ce recrutement.

M. Jolin-Barrette : Et puis, parmi les services que vous offrez annuellement, vous avez un volume de combien d'individus qui font appel à vos services, dans le cadre de votre périmètre, là, en lien avec les organismes?

Mme Shermarke (Marian) : Pour nous, comprendre le nombre de personnes qui fait appel à nous, c'est très facile, parce que, par exemple, dans mon département — puis je vais laisser M. Sougavinski répondre à une autre partie — dans notre département, qui est le département qui gère l'immigration monétaire, toute personne qui rentre au Québec est référée à notre service. Donc, vous pouvez regarder les statistiques d'immigration au Canada; le nombre de personnes qui rentrent au Québec, ils se retrouveront dans notre service. Le nombre de personnes qui sont parrainées soit par la collectivité soit par l'État, ils viennent chez nous, donc il y a tout ce mouvement d'immigration monétaire qui vient.

Par rapport aux CSSS, c'est les gens qui habitent le quartier.

M. Jolin-Barrette : Tous les demandeurs d'asile, tous les réfugiés et tous les parrainages?

Mme Shermarke (Marian) : C'est ça.

M. Sougavinski (Marc) : Oui, c'est qu'il y a plusieurs programmes différents. Il y a le programme du PRAIDA qui s'occupe principalement des demandeurs d'asile, le programme pour les réfugiés, que c'est combien, à peu près 300 par année?

Mme Ouellon (Marie) : Environ 300 par année, ceux qui sont réfugiés par la collectivité et par l'État.

M. Sougavinski (Marc) : Puis l'ensemble du CSSS de la Montagne, bon, là, c'est parce que, là, ça couvre une population d'à peu près 220 000 personnes. Donc, ce n'est pas tout le monde qui vient aux services, évidemment, mais c'est un secteur de diversité culturelle immense et c'est un... En fait, c'est le plus gros secteur populationnel de Montréal.

Mme Ouellon (Marie) : Et je rajouterais sur les groupes de discussion, pour ajouter à ce que Marian disait, effectivement toute la richesse que ça apporte, mais ça apporte aussi aux intervenants, tant en santé qu'en services sociaux, parce que ces groupes d'échange là, ces «focus groups» là nous permettent, comme établissement et comme intervenants, d'adapter nos pratiques en fonction des besoins réels.

Tout à l'heure, la question avait été posée au niveau des outils, des protocoles qu'on utilise. On les utilise, on les teste. On est un groupe avec d'autres CAU, d'autres centres affiliés universitaires, mais dans ces groupes-là ça nous permet vraiment d'aller chercher la satisfaction de ces gens-là et, je me répète, d'adapter nos moyens, nos pratiques en s'inspirant des meilleures pratiques mais aussi en allant chercher ce qui est émergent avec cette clientèle-là. Donc, c'est vraiment une valeur ajoutée sur plusieurs points.

M. Jolin-Barrette : Et puis, dans un continuum de temps, à partir du moment où vous constatez que vous devriez modifier votre pratique, combien de temps ça prend au centre pour vraiment, là, changer les façons de faire, ou pour bonifier le programme, ou pour bonifier votre stratégie d'intervention?

Mme Shermarke (Marian) : Le dernier groupe qu'on a fait, c'était il y a deux ans, et ça nous a pris 14 mois pour ajuster nos pratiques, et là on va faire un autre test pour voir cette façon que... les pratiques qu'on a ajustées, qu'est-ce que ça a donné à la clientèle. Donc, on a tendance à faire chaque deux ans et demi, dans les derniers 10 ans, chaque deux ans et demi un «focus group» de clientèle.

M. Jolin-Barrette : À la recommandation n° 9, vous faites référence à des mesures de «reaching out» qui doivent être développées pour soutenir les membres de la deuxième génération dans leur sentiment d'appartenance. Pouvez-vous définir ce que sont les mesures de «reaching out»?

Mme Shermarke (Marian) : Ça, on comptait sur le travail intersectoriel, et c'était vraiment quelque chose que nous, on aurait travaillé avec les intervenants qu'on appelle les intervenants scolaires, qui sont dans les écoles, de créer des activités pour ces jeunes-là pour voir où est-ce qu'ils en sont, comment on peut les accompagner dans leur... On ne peut pas dire «intégration», parce que c'est des gens qui sont nés ici, mais quand même ils ont besoin d'un accompagnement.

Le Président (M. Picard) : Merci. Ça termine notre entretien, et je vous remercie pour l'apport aux travaux de la commission.

Je vais suspendre quelques instants afin de permettre au prochain groupe, qui sera la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, de prendre place.

(Suspension à 20 h 25)

(Reprise à 20 h 28)

Le Président (M. Picard) : Nous reprenons nos travaux en recevant la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante; Mme Martine Hébert, vice-présidente principale et porte-parole nationale. Vous disposez d'une période de 10 minutes, vont s'ensuivre des échanges avec les parlementaires. Vous êtes une habituée ici. Donc, allez-y, Mme Hébert.

Fédération canadienne de l'entreprise indépendante (FCEI)

Mme Hébert (Martine) : Merci. Merci beaucoup, M. le Président. Alors, je pense que je suis le dessert aussi, hein, je suis la dernière à passer. Je vais essayer, donc, d'être à la hauteur de la cerise sur le sundae. Alors, merci, M. le Président, distingués membres de la commission. Je vous remercie de bien vouloir nous entendre, la fédération, là, dans le cadre de cette consultation sur la nouvelle politique québécoise en matière d'immigration.

Comme vous le savez, à la FCEI on représente les PME. On regroupe 109 000 chefs d'entreprise à l'échelle canadienne, 24 000 au Québec, ces PME là sont dans tous les secteurs d'activité dans toutes les régions, donc, et évidemment elles sont fortement interpellées, là, par la politique d'immigration, notamment en matière de main-d'oeuvre, parce qu'elles ont besoin de main-d'oeuvre, et la population immigrante représente un bassin, là, important de main-d'oeuvre pour les PME, tant québécoises que canadiennes.

• (20 h 30) •

Alors, je pense qu'on s'entend tous pour dire que l'immigration, dans une société, est une source d'enrichissement collectif, culturel, économique et à tous égards. Et ce qu'on dit, nous, c'est que de façon à bien intégrer, si vous voulez, les personnes issues de l'immigration et pour leur permettre de contribuer pleinement, à la hauteur de leur potentiel à l'épanouissement de la société, il est important de bien planifier cette immigration-là pour assurer le meilleur maillage possible entre ce qui est recherché comme caractéristiques par les employeurs et le profil des personnes immigrantes que nous accueillons.

Je vous dirais que malheureusement, au fil des décennies — on n'est pas tous seuls à le noter, d'ailleurs, le Vérificateur général l'avait noté dans son rapport en 2010 — le Québec n'a pas toujours bien fait en la matière, cet arrimage-là entre les profils recherchés dans les postes à pourvoir, là, au sein des entreprises et celui des personnes immigrantes n'a pas toujours été au rendez-vous. C'est pourquoi on pense que la sélection des candidats en fonction des besoins du marché du travail doit redevenir au centre des orientations et des actions gouvernementales en matière d'immigration. Ce n'est pas exclusif, mais on pense qu'il faut faire davantage d'efforts à cet égard-là.

Comme je disais tantôt, les entreprises du Québec dans plusieurs secteurs et dans plusieurs régions ont des problèmes de main-d'oeuvre. En fait, on entend souvent dire qu'il y a, en fait, plusieurs pénuries de main-d'oeuvre, parce qu'il y a des pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs d'activité et dans certaines régions, selon les zones géographiques. Et ce besoin-là ne fait que s'accentuer et ne va que continuer de s'accentuer en raison, là, du contexte démographique que nous connaissons, et c'est dans ce sens-là que les nouveaux arrivants représentent un bassin de main-d'oeuvre potentiel qui est très important pour les entreprises québécoises.

Il y a certaines questions qui ont été posées par rapport aux pratiques d'embauche et la gestion de la diversité, là, de la part des employeurs. Je vous dirais qu'en matière de gestion de la diversité la plupart des employeurs disent ne pas avoir eu de problèmes à intégrer notamment les travailleurs étrangers temporaires au sein de leurs entreprises. On vous a mis dans notre mémoire, d'ailleurs, des données de sondage. C'est des données canadiennes, mais je vous dirais que les réponses, là, ne varient pas substantiellement selon qu'il s'agit des employeurs du Québec ou du Canada à cet égard-là. Donc, je pense que c'est important de le dire, parce qu'on dit souvent qu'il y a des problèmes d'intégration, mais ce n'est pas toujours vrai. En tout cas, lorsque les compétences des personnes qu'on accueille sont bien arrimées avec les exigences de l'emploi, ce qu'on constate, comme dans le cas des travailleurs étrangers temporaires, où c'est souvent le cas, ce qu'on constate, c'est qu'il n'y a pas de problème, là, lié à l'intégration dans le milieu de travail. Cependant, les employeurs vont noter certaines barrières linguistiques à l'occasion de même qu'un certain manque de services d'intégration, là, selon les régions où ils sont situés.

Alors, ce qui m'amène évidemment au niveau de la question de la langue. Je dois vous dire que je pense qu'on est en faveur, là, du fait français, à la FCEI, c'est un phénomène reconnu. On reconnaît aussi l'importance de la francisation et de la langue française.

On pense que les critères qui sont actuellement en vigueur au niveau de la connaissance de la langue française entraînent une certaine forme de discrimination, entre guillemets, si vous voulez, là, systémique en fonction du pays d'origine et en fonction aussi de certains niveaux de compétence, là, mais qui ne sont pas nécessairement, je vous dirais, en demande, là, dans les PME québécoises. On pense qu'il y a beaucoup de candidats potentiels, par exemple, qui pourraient occuper des emplois qui sont vacants tout en intégrant des programmes de francisation, et ces candidats-là se retrouvent actuellement éliminés en raison, là, des critères reliés à la connaissance du français. Alors, à notre avis, le Québec ne peut pas se permettre de... se payer le luxe, en fait, de bouder certains bassins d'immigration dont on a grandement besoin et qui pourraient avoir un apport important à la société québécoise en raison du fait français. Ici encore, la question est davantage de savoir où et quelles sont les personnes dont les talents et les profils correspondent à ce que les employeurs recherchent et par la suite de mettre en oeuvre, si vous voulez, les politiques et les mécanismes qui vont permettre à ces gens-là d'acquérir des compétences ou de parfaire leur connaissance, là, de la langue française.

Quant à la question d'inciter les employeurs à participer aux efforts à faire du français la langue normale et habituelle de travail, je vous dirais, Mme la ministre, que nous en sommes parfaitement et je vous dirais que, dans la quasi-totalité... en tout cas dans une très grande proportion de PME le français est la langue d'usage au travail. D'ailleurs, on a sondé nos membres du Québec à cet égard-là lorsque le précédent gouvernement avait déposé le projet de loi, là, sur la langue française, et je vous dirais que les résultats — on vous les a mis dans le mémoire aussi — sont assez... parlent d'eux-mêmes. Évidemment, le Québec, nous sommes une société... on ne vit pas dans une bulle, hein, on n'est pas dans une bulle de verre. On est dans un contexte de mondialisation, la langue mondiale des affaires, c'est l'anglais, donc l'anglais va être utilisé aussi. Mais, dans la majorité des cas, là, la langue utilisée la plupart du temps pour communiquer avec les employés dans l'entreprise, c'est en grande proportion, là, quasi à 93 % le français est utilisé, là, dans les entreprises.

Au niveau de la participation économique des personnes immigrantes, bien je vous dirais qu'à ce niveau-là... C'est une autre question qui est abordée dans le document de consultation, et, selon nous, il ne fait aucun doute que, pour hausser le taux de participation, il faut que ça se passe en amont, c'est-à-dire il faut que ça se passe lors de la sélection des candidats, en regard aux véritables besoins du marché du travail. Ça ne donne rien de sélectionner des individus qui ont une série de diplômes si ces diplômes-là ne sont pas ce qui est en demande, là, sur le marché du travail ou n'ont pas, si vous voulez, là, de valeur sur le marché du travail ou dans les emplois, là, qui sont offerts.

À cet égard-là, je vous dirais qu'au Québec, là, quand on regarde les prévisions d'embauche dans les PME dans les prochaines années, les besoins se font surtout sentir au niveau du personnel de production, de corps de métier ou encore dans le secteur de la vente. Donc, ce qu'on voit, c'est que ce n'est pas nécessairement... ce n'est pas des cadres, ce n'est pas des gestionnaires, ce n'est pas des professionnels qui ont des diplômes universitaires vraiment, ce qu'on recherche, c'est des manoeuvres, c'est des personnes qui ont vraiment un profil et des compétences, là, de base pour des emplois peu qualifiés. Et qui dit emploi peu qualifié ne veut pas dire cheap labor, ne veut pas dire non plus nécessairement que c'est des postes où on exploite des gens, pas du tout. Je pense que comme société il y a une réalité à laquelle nous faisons face : nous aurons toujours besoin de quelqu'un pour tourner les boulettes de hamburger dans les restaurants de restauration rapide, on aura toujours besoin de personnes pour servir dans les établissements de tourisme et d'hôtellerie au Québec et, comme ailleurs, on aura toujours besoin de manoeuvres dans certaines usines un peu partout, on aura toujours besoin de gens dans le secteur de la construction. Donc, je pense que c'est... il faut prendre ça en considération. Et malheureusement, lorsqu'on regarde, en regard à ce profil-là qui est recherché par les employeurs, par les PME québécoises, qui, soit dit en passant, fournissent 57 % des emplois au Québec, là, lorsqu'on regarde ça et qu'on compare avec le niveau de compétence des personnes immigrantes qui ont été admises au Québec selon la catégorie, on se rend compte qu'il y a un écart très important, c'est tout à fait dichotomique. Alors que les PME demandent des gens qui ont des compétences de base, des manoeuvres ou des compétences techniques, là, primaires, ce qu'on a accueilli majoritairement au Québec, c'étaient des personnes dans la catégorie de la gestion et des professionnels, des techniciens et des paraprofessionnels. Donc, c'est sûr que ce qu'on constate, là, c'est que l'arrimage, en tout cas, a besoin d'être revalidé dans ce cas-là, parce que c'est clair que ça n'a pas permis de combler les besoins. Et d'ailleurs je vous dirais que, dans son rapport 2010, le Vérificateur général aussi arrivait au même constat, il avait suggéré au... — à l'époque c'était le MICC, ce n'était pas le MIDI — d'améliorer sa méthode de sélection en examinant les meilleures pratiques internationales et notamment en modifiant, là, la grille d'analyse qui était utilisée pour sélectionner les personnes immigrantes.

Le Président (M. Picard) : En terminant, s'il vous plaît.

Mme Hébert (Martine) : Oui. Alors, en terminant, je vous dirais qu'on a abordé aussi différentes autres questions, notamment la question d'intérêt, mais je pense qu'on aura l'occasion d'en parler ensemble. Je pense que ce qu'il faut retenir, c'est que... Nous, ce qu'on dit : Il faut mieux arrimer les besoins et la... voyons, l'immigration avec les besoins du marché du travail, et dans ce sens-là il y a des efforts à faire.

Le Président (M. Picard) : Merci, Mme Hébert.

Mme Hébert (Martine) : C'est moi qui vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Picard) : Je cède maintenant la parole à Mme la ministre.

• (20 h 40) •

Mme Weil : Oui. Alors, merci beaucoup, Mme Hébert. Et en fait, oui, vous êtes le dessert, et on est bien contents de vous recevoir. Vous avez peut-être entendu le groupe qui était avant vous. Alors, on change de sujet, hein, là, c'est l'immigration, mais c'est ce magnifique dossier de personnes qui viennent d'ailleurs pour contribuer au développement du Québec. Certains peuvent avoir des problèmes, c'est des dossiers humanitaires, mais on souhaite nécessairement que les gens trouvent leur place, donc ça peut représenter des gros défis. Vous, vous parlez des travailleurs. Et vous, en fait, vous parlez de ces travailleurs temporaires peu qualifiés qui ont été vraiment le sujet d'un grand débat national. On a beaucoup échangé sur ce grand sujet parce qu'en effet c'est vrai, ces travailleurs temporaires qui viennent aider les entreprises avec leur croissance et, comme vous dites... C'est quel pourcentage des emplois créés par les petites et moyennes entreprises, vous avez dit?

Mme Hébert (Martine) : 57 % des emplois au Québec sont des emplois dans les PME.

Mme Weil : C'est un chiffre à retenir, hein? Donc, c'est le moteur, finalement, de l'économie. Et ça revient toujours, ce débat-là, le problème, le besoin de ces travailleurs, et, bon, c'est un autre dossier, parce que c'est vraiment au niveau fédéral qu'on a tous à continuer à travailler ce dossier.

Peut-être on va commencer avec la déclaration d'intérêt. Depuis le rapport du vérificateur, il y a eu des améliorations dans la sélection, je pense que vous êtes au courant de ça. Et tout récemment le vérificateur a félicité le ministère de l'Immigration pour dire : Parfait, tout est en règle, et ils sont contents des modifications qui ont été apportées suite au rapport de 2009, je crois bien, 2009‑2010.

La déclaration d'intérêt, vous dites qu'elle serait calquée. Pas exactement. Et une des raisons... Mais c'est la même notion, on va s'inspirer des meilleurs systèmes, l'Australie, Nouvelle-Zélande, le Canada. Mais une des raisons pour lesquelles on fait cette consultation, c'est pour bâtir notre propre système de déclaration d'intérêt, il y aura certainement des modifications.

Je lisais un article dans le journal ce matin, je ne sais pas si vous l'avez vu, sur le programme d'expérience canadienne — vous l'avez vu? — où il semblerait que ce n'est pas inclus dans la déclaration d'intérêt, donc des étudiants étrangers pensant qu'ils auraient accès au programme... ce que nous, on appelle le programme PEQ. Il semblerait que non. En tout cas, on verra ce qui va se passer, mais je peux vous dire ici ce qu'on a entendu, il y a un vrai consensus par rapport à ces programmes, travailleurs temporaires, c'est sûr, qui sont spécialisés, dans le programme PEQ, et les étudiants étrangers. Donc, est-ce que vous avez... Donc, peut-être vous permettre de parler de recommandations spécifiques par rapport à ce programme, déclaration d'intérêt.

On a aussi évoqué le rôle des entreprises, le rôle qu'elles peuvent jouer en amont lorsqu'on parle de l'adéquation, de s'assurer... Parce que, ça, il y a encore, comme vous, un grand consensus là-dessus, mieux arrimer l'immigration et l'emploi, le titre de votre mémoire. Je vous dirais que c'est central dans ce qu'on a entendu, absolument central, ça se résume exactement à ça. Donc, si vous avez des recommandations spécifiques qui pourraient être retenues, parce qu'on écoute toutes les recommandations par rapport à ce nouveau système qui, on l'espère... on espère pouvoir déposer un projet de loi à la fin de cette année, qu'est-ce que vous aimeriez, comment... autant dans peut-être le rôle d'influence, parce qu'on parle des maires aussi, les régions qui pourraient avoir un rôle d'influence, avoir un mot à dire sur les besoins du marché du travail et cette adéquation.

Mme Hébert (Martine) : Merci, Mme la ministre. Écoutez, je ne suis pas une spécialiste, là, de comment va fonctionner la question de la déclaration d'intérêt, mais la préoccupation qu'on avait par rapport à ce programme-là, c'est de deux ordres.

Je vous dirais que, premièrement, quand on compare ça avec ce qu'on appelle au Canada, là, Entrée express, là, qui est un programme un peu similaire, hein...

Une voix : ...

Mme Hébert (Martine) : C'est ça, c'est ça. Donc, je veux dire, c'est une bonne chose. Je pense qu'un des gros avantages de ce système-là est de permettre aux employeurs d'avoir une voix au chapitre de l'immigration permanente, ça, je pense que c'est clair, et on a d'ailleurs appuyé ce programme-là au niveau fédéral, on l'a salué. C'est un dossier, là... Vous savez, la FCEI, on a l'avantage d'être une fédération pancanadienne, justement, donc on est très impliqués avec nos équipes à Ottawa dans ce genre de dossier là, donc.

Cependant, le problème que nous avons avec ce programme-là, c'est qu'il ne concerne que les programmes pour les travailleurs qualifiés et de métiers spécialisés. Alors, encore une fois, ce que ça signifie, c'est que, pour pouvoir émigrer au Canada, au Québec, il faut que tu aies un doctorat dans ta valise ou en tout cas un baccalauréat dans ta valise pour pouvoir venir t'établir. Nous, ce qu'on dit, c'est que, premièrement, nos membres, ce n'est pas dans ces domaines-là que les besoins sont particulièrement les plus criants, c'est pour des emplois peu spécialisés, alors il va falloir que ce programme-là permette, si vous voulez, de répondre aux besoins de main-d'oeuvre aussi non qualifiée ou avec une formation, là, technique de base.

Donc, je vous dirais que, par contre, comme c'est une déclaration d'intérêt qui part de l'individu, est-ce que les personnes, là, qui sont une main-d'oeuvre, là, moins qualifiée ou qui n'ont que des compétences de base vont pouvoir aller formuler une déclaration d'intérêt? C'est là où ce programme-là est peut-être adapté pour une certaine catégorie, je vous dirais, de travailleurs ou de candidats potentiels mais n'est pas nécessairement adapté à l'ensemble peut-être, là, de la réalité des travailleurs qui sont peu qualifiés et qui n'ont peut-être pas les facilités, là, pour pouvoir s'inscrire.

Deuxièmement, il faut que ce soit aussi accessible pour les employeurs, qu'ils puissent bien identifier et que ce ne soit pas trop complexe, là, comme système de gestion, puis en ce sens-là je vous félicite parce qu'au moins... Pour une fois qu'on est dans un dossier où on ne parle pas d'imposer de la paperasserie aux employeurs, je suis contente.

Mme Weil : Bien, j'aimerais... Puis mon collègue de D'Arcy-McGee voudra vous poser des questions sur le profil de main-d'oeuvre dont vous parlez puis...

Comment vous voyez le marché du travail? Vous voyez vraiment... Donc, vous avez déjà l'expérience d'une pénurie dans certains domaines peu qualifiés qui va faire en sorte de freiner la croissance des entreprises, et ça, vous le voyez à travers le Canada et au Québec?

Mme Hébert (Martine) : Oui, tout à fait.

Mme Weil : Mais ce que vous dites, c'est qu'au niveau des politiques publiques, tant au Québec qu'au Canada ou qu'ailleurs, on ne retient pas ça. Je sais l'argument. L'argument, c'est que c'est des personnes qui seraient vulnérables parce qu'ils n'ont pas le secondaire ou un diplôme universitaire. Ça a toujours été la pensée en immigration, et je pense que tous les systèmes sont un peu comme ça. Mais ce que vous dites, c'est que, si on ne fait pas attention à ce phénomène, parce qu'il n'y aura pas assez de Québécois — on va parler du Québec — pas assez de Québécois qui pourront combler ces emplois... Auquel cas il faudra toujours compter sur le programme temporaire, mais là le programme temporaire canadien vient d'être restreint de façon sérieuse, des gens qui pourront revenir une fois, renouveler seulement une fois, donc seulement deux années.

Donc, pourriez-vous nous décrire... Parce que vous êtes peut-être la première personne, là, la première intervenante qui pourrait nous expliquer un peu ce que vous remarquez dans les réalités du marché du travail et les années à venir. Puis ensuite mon collègue pourra vous poser des questions.

Mme Hébert (Martine) : Tout à fait. Écoutez, vous avez mentionné le terme «vulnérable», là, je comprends puis je pense que c'est important. De toute façon, peu importent les gens qui arrivent ici, ils ont accès, là, je vous dirais, aux mêmes sources d'information, là, que ce soit au niveau de la Commission des normes du travail, par exemple, et tout ça. Je pense qu'il y a peut-être des efforts particuliers à mettre là-dedans, mais en même temps il faut arrêter de penser que tous les employeurs, c'est des exploiteurs, là, je veux dire, ce n'est pas parce qu'ils sont vulnérables...

Mme Weil : Juste pour expliquer le mot, ce n'est pas tellement comme ça qu'on me l'a expliqué. C'est plus si jamais la personne perd son emploi, c'est : Est-ce qu'il pourra se retrouver un emploi?, pas dans le sens de traitement.

• (20 h 50) •

Mme Hébert (Martine) : O.K. Parce que, si c'est ça... Bien non, mais c'est parce qu'on a entendu ça beaucoup aussi avec le Programme des travailleurs étrangers temporaires, c'est pour ça que je voulais faire la précision, Mme la ministre. Puis vous m'avez ouvert la porte, je suis rentrée dedans. J'espère que vous allez me pardonner, mais c'est, je veux dire...

Et les travailleurs étrangers temporaires ont été d'un grand secours dans plusieurs secteurs d'activité. D'ailleurs, en page 11 de notre mémoire, là, on vous met les types de poste à pourvoir par type, par secteur d'activité, là, grâce au Programme de travailleurs étrangers temporaires, et vous voyez que dans l'hôtellerie et la restauration il y a beaucoup de postes non qualifiés. Il y a beaucoup aussi au niveau du manufacturier, là, certains métiers, et tout ça.

Donc, je pense que c'est important de dire qu'effectivement ce programme-là a subi de grosses transformations au niveau fédéral. Je sais que les changements ne sont pas encore en vigueur au Québec, mais il y a plusieurs employeurs, là, qui risquent d'être privés d'une main-d'oeuvre importante à la suite de ces changements-là.

Je vous dirais qu'il y a certains travailleurs étrangers temporaires qui sont utilisés ou en fait qui étaient affectés à des besoins ou à des postes qui sont aussi permanents, c'est-à-dire que les employeurs qui avaient recours à ces travailleurs-là, comme ils n'en avaient pas, comme ils ne trouvaient pas de main-d'oeuvre ni au niveau local ni à travers l'immigration permanente, devaient recourir à ce programme-là. Alors, c'est pour ça que ce qu'on propose aussi dans notre mémoire, c'est de dire : Bien, est-ce qu'on peut trouver une solution permanente? Est-ce qu'on pourrait avoir l'expérience Québec, là, un peu ce qu'il y a mais pour des travailleurs, justement, qui ont des compétences de base, et qui leur permettrait d'avoir une expérience de travail ici pendant une certaine période de temps, au terme de laquelle ils seraient, là, des candidats à l'immigration permanente? Parce que, comme je disais tantôt, il reste, il demeure une réalité, c'est que beaucoup, beaucoup de postes qui ont été comblés par des travailleurs étrangers temporaires sont des postes qui sont permanents et qui sont toujours là. Donc, je pense qu'en tout cas ça, dans la politique, la future politique québécoise...

D'ailleurs, on avait émis, au niveau fédéral, l'idée d'une espèce de visa. Je sais qu'il y a le programme expérience Québec ou quelque chose comme ça qui existe, mais malheureusement c'est aussi, encore une fois, pour des travailleurs qualifiés. On a besoin de travailleurs non qualifiés, et je pense que... Je vous dirais qu'il y a moyen, là, en tout cas, d'en arriver à trouver une solution permanente, si vous voulez, là, pour s'assurer de bien intégrer ces travailleurs étrangers là non pas nécessairement sur une base uniquement temporaire mais sur une base permanente pour les emplois, là, qui sont de nature plus durable.

Mme Weil : Je vous remercie. Je céderais la parole à M. le député.

Le Président (M. Picard) : M. le député de D'Arcy-McGee, il reste six minutes.

M. Birnbaum : Ah bon, quand même! Donc, je veux poursuivre de la même façon. On parle de l'exigence d'une meilleure adéquation, et une des sources, évidemment, il faut que ce soit l'immigration.

Je trouve que, depuis le début de ces audiences, il y a une dichotomie, j'espère et je suis sûr, qui est fausse, qui est destructeur entre quelques groupes qui prônent comme nous tous la pérennité du français et l'aspect de francisation incontournable et des autres regroupements qui parlent de l'importance que l'immigration soit aussi un moteur à la fois de l'intégration, de francisation mais d'adéquation pour nos besoins communs, de veiller à notre avenir économique. Comme je dis, mon impression, c'est qu'on parle d'une fausse dichotomie et que les gens qui sont venus comme vous nous parler de l'avenir de l'immigration comme moteur pour l'avenir du Québec, vous n'êtes pas en train de céder une deuxième place à la francisation. J'aimerais avoir vos commentaires là-dessus et surtout sur le rôle des PME et des entreprises en ce qui a trait à la francisation d'appoint et sur une fois rendu ici, chez nous.

Mme Hébert (Martine) : Écoutez, je pense qu'on est tous pour le fait français, hein, on vit dans une province francophone majoritairement. Donc, la question est plus de savoir : Est-ce qu'on peut assurer une diversité dans l'immigration que nous avons au Québec en faisant, là, du français un critère aussi important qu'il l'est actuellement dans les critères, là, qui sont appliqués en matière d'immigration? Je vous dirais que la réponse est visiblement non, tu sais, parce qu'automatiquement, si on met la barre trop élevée en matière de connaissance du français, bien on va se trouver à sélectionner une clientèle immigrante ou des candidats à l'immigration qui proviennent uniquement de certains bassins, que vous connaissez et qu'on connaît tous. Et non pas qu'on en a contre ces bassins-là, mais malheureusement je vous dirais que souvent... bien, malheureusement... heureusement pour eux, mais souvent c'est que ces candidats-là aussi possèdent des compétences ou en tout cas des niveaux de diplomation qui sont quand même assez élevés, je vous dirais.

Alors, pour nous, ce qui est davantage important, au niveau du fait français, c'est de dire : Bien, diminuions nos exigences, mais par contre mettons... de l'autre côté, assurons-nous que les ressources en matière de francisation soient disponibles et qu'elles soient aussi... — vous avez parlé du rôle des PME, M. le député — que ces ressources-là aussi en matière de francisation soient adaptées à la réalité des PME. C'est évident que, si on a des programmes de francisation où la PME qui accueille chez elle un nouvel immigrant qui doit suivre des cours de français, par exemple, pour parfaire sa connaissance de la langue française... bien, qu'il est obligé de partir deux jours par semaine du travail pour ce faire, ce ne sera peut-être pas la situation idéale. Je pense qu'il va falloir avoir... peut-être penser à des programmes de francisation, que ce soit beaucoup plus flexible en dehors des heures de travail, par exemple, ou en tout cas avoir des programmes, là, qui ont une certaine flexibilité et qui tiennent compte de la réalité des petits employeurs, parce que, que voulez-vous, si vous avez 10 employés puis que vous en avez deux qui s'en vont deux jours par semaine dans un programme de francisation, bien vous venez de perdre 20 % de votre main-d'oeuvre. On se comprend? Donc, vous ne pouvez pas vous permettre ça. Moi, je pense que... Et il y a certains employeurs où il pourrait très bien aussi y avoir des programmes de francisation sur le lieu de travail, je pense qu'il y a moyen de faire les choses. Ce qu'on dit : Diminuons le critère puis augmentons plutôt les ressources en matière de francisation, et ça, non seulement dans les grands centres urbains, mais à l'échelle du Québec.

M. Birnbaum : Si je peux... Il me semble que, le complément de ma question, vous y avez fait quelques petites allusions, mais j'aimerais que vous en parliez davantage. Le complément de ma question, c'est : Est-ce que les PME sont au rendez-vous quand on parle de leur fardeau en ce qui a trait aux défis qui sont devant les nouveaux arrivants, c'est-à-dire de contrer la discrimination, de faire en sorte qu'il y ait une formation d'appoint pas juste sur le français mais sur les capacités de base que vous exigerez des immigrants, sur l'accueil, la sensibilisation des gérants, des employés qui vont accueillir ces nouveaux gens là?

Mme Hébert (Martine) : Je vous dirais que c'est important de fournir du soutien aux employeurs pour les aider dans cette responsabilité-là qu'ils ont par rapport aux travailleurs issus de l'immigration qu'ils accueillent en leur sein. Vous savez, quand on leur demande, par contre, est-ce qu'elles ont pris des mesures pour intégrer leurs travailleurs étrangers temporaires dans le cadre du PTET, la vaste majorité nous disent : Oui, oui, je les ai aidés à s'installer, on leur a offert une formation d'appoint, on a fait du mentorat, on a organisé aussi des activités sociales ou en tout cas on les a intégrés à certaines activités sociales dans notre région. Donc, je pense que c'est un réflexe qu'il y a là.

Est-ce qu'il doit continuer d'y avoir un support de la part des intervenants et du gouvernement en la matière? La réponse est oui, absolument, mais il y a des mesures qui sont prises, là, par les employeurs pour intégrer...

Le Président (M. Picard) : Merci.

Une voix : ...

Le Président (M. Picard) : Il reste 10 secondes.

Une voix : ...

Le Président (M. Picard) : Merci, M. le député de Sherbrooke. Avant de poursuivre nos travaux, j'aurais besoin d'un consentement pour qu'on excède 21 heures, comme c'est l'habitude pour notre commission. Donc, ça va pour tout le monde? M. le député de Bourget, c'est à vous.

M. Kotto : Merci, M. le Président. Mme Hébert, soyez la bienvenue. Merci pour votre contribution.

Vous connaissez la situation du français au Québec et notamment à Montréal. Plus de 70 % des immigrants arrivent et atterrissent à Montréal, près de 40 % d'entre eux ne parlent pas un mot de français. La langue de travail, jusqu'à nouvel avis, selon la loi c'est le français. Nous sommes 2 % de parlant français en Amérique du Nord, c'est un enjeu fondamental.

C'est sûr que, quand on s'attarde sur cet aspect-là, on se pose la question : Oui, mais on fait quoi avec l'économie? Est-ce qu'il n'y a pas lieu d'imaginer des paradigmes qui pourraient mettre en exergue les avantages de ce que vous réclamez de l'État en termes de main-d'oeuvre et une connaissance adéquate du français sans affaiblir ce qui est déjà en train de péricliter? Parce que d'ici une vingtaine d'années, selon les projections, le français sera minoritaire à Montréal, vous êtes bien au courant de ça.

Mme Hébert (Martine) : Écoutez, j'ai eu l'occasion, dans le cadre d'un projet de loi déposé par une de vos anciennes collègues, la ministre De Courcy à l'époque, de parcourir les données, justement, qui avaient été publiées par l'Office de la langue française, et tout ça, et je dois vous dire, en toute déférence et en tout respect, M. le député, que je ne partage pas nécessairement votre lecture par rapport au français dans le sens où...

M. Kotto : ...à quel point précisément?

Mme Hébert (Martine) : Bien, écoutez, je vous dirais, à l'époque... Puis je n'ai plus les données en tête, mais ce qu'on disait à l'époque, c'est : Est-ce que parce que le français avance nécessairement... Est-ce que parce que l'anglais avance le français recule nécessairement?

M. Kotto : Non, non, non, je n'ai pas mis le français et l'anglais sur la balance, attention, l'anglais recule aussi. Enfin, c'est ce que nous disent les chiffres.

Mme Hébert (Martine) : O.K., parce que...

M. Kotto : Donc, moi, ma préoccupation est à l'effet que nous sommes 2 % de parlant français en Amérique du Nord et que, si nous baissons la garde, ça prend une ou deux générations pour que cette langue devienne minoritaire, spécifiquement à Montréal.

• (21 heures) •

Mme Hébert (Martine) : Vous savez, je pense qu'il ne faut pas... Il y a deux choses, en fait, il y a deux débats dans ce que vous soulevez. Puis, comme je vous disais, comme je l'ai dit depuis le début, on est d'accord avec le fait français, à la FCEI, on supporte ça, sauf que ce qu'on dit, c'est que... Est-ce que pour protéger le français il faut absolument qu'au niveau de nos critères d'immigration... qu'on mette un critère si élevé, en fait, un pointage aussi élevé dans la connaissance ou que nos exigences soient si élevées dans le niveau de connaissance de la langue française? Est-ce que pour protéger justement le fait français on est obligé d'aller jusque-là?

Nous, ce qu'on dit, c'est qu'une des clés de l'intégration en matière d'immigration... Parce que c'est ça, comme société, que nous avons comme défi aussi, c'est de dire que, les personnes que nous allons accueillir, il faut qu'elles puissent s'intégrer économiquement aussi. Alors, pour faire face à ce défi-là, qui est multiple, ce qu'on dit, c'est : Peut-être que nos exigences en matière de connaissance du français sont un peu élevées. Peut-être que, si on les baissait, on favoriserait davantage l'intégration des personnes que nous accueillons dans notre société au niveau de l'intégration économique parce qu'on pourrait accueillir des personnes qui ont un profil qui correspond davantage aux besoins du marché du travail. Mais, de l'autre côté, pour adresser votre... — pour prendre un anglicisme bien connu — pour adresser votre préoccupation, pour répondre à votre préoccupation, il faut, de l'autre côté, s'assurer qu'on a des mesures de francisation qui sont en place et qui permettent à ces personnes-là de parfaire leur connaissance du français.

M. Kotto : Ce qui fait... Mesures de francisation qui font défaut en ce moment, c'est un constat.

Sur la question de la gestion de la diversité des entreprises que vous représentez, vous dites qu'il existe une foule d'outils intéressants pour l'appui, pour accompagner ces entreprises-là au niveau du MIDI. Vous pensez à quels outils précisément?

Mme Hébert (Martine) : Bien, écoutez, je vous dirais qu'on siège sur le Comité des intervenants économiques, là, du MIDI, qui est un comité à l'intérieur duquel notamment on a l'occasion, là, de se familiariser avec différents outils ou différentes actions, là, qui sont entreprises par le ministère. Il y a quand même pas mal d'information sur le site Internet du ministère. Je n'ai pas le nom des outils en tête, là, je pourrais, M. le Président, faire parvenir à la commission, là, la liste des outils, là, qu'on trouve, qu'on juge les plus pertinents et les plus intéressants, mais je vous dirais, M. le député, que je n'ai pas en tête, au moment où on se parle, la liste, là, exacte. Mais je sais que sur le site Internet, et tout ça, il y a quand même des choses intéressantes qui ont été faites et qu'on continue d'ailleurs de développer dans l'esprit de collaboration, là, que nous avons avec le ministère, sur le comité de travail auquel nous siégeons, justement pour essayer de parfaire ce genre d'outil là, essayer de faire en sorte et de voir à ce que les employeurs puissent avoir à des outils qui sont adaptés, là, et qui sont nécessaires, là, pour favoriser une bonne intégration des personnes issues de l'immigration au travail.

M. Kotto : O.K. Les travailleurs non qualifiés, vous les voyez dans quel secteur, ceux que vous réclamez?

Mme Hébert (Martine) : Écoutez, comme on disait tantôt, beaucoup dans le secteur du tourisme, entre autres, hébergement, restauration. Il y en a de plus en plus en demande dans le secteur de la construction. Il y en a dans le secteur, aussi, manufacturier, où, là, c'est un petit peu plus des ouvriers de compétences techniques. Et évidemment on a toute la main-d'oeuvre spécialisée, mais ça, c'est un autre, je vous dirais, palier, là, ce n'est pas là où... Pour nous, ce n'est pas là où le bât blesse.

Et, comme on dit dans notre mémoire, d'ailleurs, on a... À quelques occasions, là, dans le mémoire, on signale justement personnel de production, corps de métier, à la page 8, professionnels de la vente, personnel administratif ou technique de même que, dans certains autres secteurs, comme je vous disais tantôt, là, des postes qui exigent plus un métier ou des postes non qualifiés, notamment dans le secteur de l'hôtellerie et de la restauration, en agriculture évidemment, mais il faut dire que le programme étrangers temporaires a permis de régler... en tout cas les aménagements qui ont été adoptés par le gouvernement fédéral a permis de régler les problèmes de main-d'oeuvre, en tout cas de pallier aux problèmes de main-d'oeuvre dans le domaine de l'agriculture, et donc ça veut dire qu'il y a de la place au Québec et au Canada pour accueillir des personnes qui n'ont pas nécessairement un diplôme universitaire, là, en poche.

M. Kotto : O.K. M. le Président, en terminant, en vertu de l'article 176 de notre règlement, je vous demande de convoquer les membres de cette commission afin de pouvoir déterminer les observations, conclusions et recommandations qui feront suite au présent mandat. Merci. Merci, madame.

Le Président (M. Picard) : Merci, M. le député. Donc, en vertu de l'article 176, nous avons trois jours pour se réunir pour rédiger des observations et des recommandations, c'est prévu dans le règlement, cet article-là. On en discutera tout à l'heure, après le témoignage de Mme Hébert, si vous êtes d'accord, mais je reçois bien votre demande, M. le député de Bourget.

Je cède la parole à M. le député de Borduas.

M. Jolin-Barrette : Merci, M. le Président. Bonsoir, Mme Hébert. À la page 13 de votre mémoire, vous traitez du fardeau fiscal des petites et moyennes entreprises au Québec versus celui des PME des autres provinces, donc vous établissez à 8 % versus 3 % le fardeau fiscal, et vous abordez la question des immigrants entrepreneurs, des immigrants investisseurs. Notamment sur la question de la rétention des immigrants investisseurs et des immigrants entrepreneurs au Québec, donc, on constate qu'ils intègrent... qu'ils immigrent au Québec, mais par la suite on a une difficulté à les retenir. Qu'est-ce qu'on peut faire pour réussir, un, à aller en chercher davantage et, deux, à ce qu'ils soient maintenus sur le territoire québécois?

Mme Hébert (Martine) : Je vous dirais qu'en ce sens-là c'est sûr que, vous l'avez bien mentionné, on entend... Le Québec se targue parfois d'avoir une fiscalité avantageuse, là. Ce n'est pas nécessairement le cas lorsqu'on compare la fiscalité des PME, hein, on parle bien des petites et moyennes entreprises, là, par rapport au reste des... aux autres provinces canadiennes notamment. Vous l'avez bien dit, le taux d'imposition de nos PME est à plus du double de la moyenne canadienne, 8 % au Québec, 3 % ailleurs. Les taxes sur la masse salariale, qui sont les contributions des employeurs aux différents régimes sociaux, là, elles sont 45 % plus élevées au Québec que dans le reste du Canada. Alors, ça, c'est sûr que c'est des coûts en partant. Si on veut attirer des immigrants investisseurs, ce n'est pas fort, fort comme instrument d'attrait, je vous dirais, pour les attirer.

Par ailleurs, on sait que le marché du travail et le milieu des entreprises sont fortement réglementés au Québec. On a eu certaines avancées, mais je vous dirais que la pente demeure quand même assez abrupte. Donc, en ce sens-là, c'est sûr qu'il faut travailler davantage et continuer à oeuvrer à créer un environnement fiscal et réglementaire qui est beaucoup plus convivial pour les entreprises, parce que c'est sûr que dans la situation actuelle on n'est pas la province la plus attrayante.

M. Jolin-Barrette : Est-ce que vous avez une idée du nombre annuel d'immigrants qui décident de partir des entreprises, de démarrer des entreprises, parmi vos membres? Est-ce que vous avez ces statistiques-là?

Mme Hébert (Martine) : Je n'ai pas ces statistiques-là, mais ce qu'on sait, c'est qu'il y a beaucoup de... la population immigrante, en fait, il y a certaines souches qui sont très entreprenantes et qui sont très entrepreneurs, hein, donc... Et, avec les défis démographiques que nous avons au Québec, je pense que certainement les personnes immigrantes vont continuer d'être un bassin pour l'entrepreneuriat québécois très important et à ne pas négliger, mais encore faut-il qu'on soit attractif, que le Québec représente une certaine forme d'attraction, là, pour ces entrepreneurs potentiels là qui pourraient venir investir au Québec et s'établir au Québec, ce qui n'est pas le cas actuellement. C'est pour ça qu'il faut continuer à travailler sur notre environnement fiscal et réglementaire.

M. Jolin-Barrette : Vous disiez que c'est important d'avoir une bonne adéquation entre les besoins du marché du travail et la qualification des immigrants qu'on souhaite accueillir ici au Québec. Notamment vous dites : Bien, le marché du travail ne requiert pas toujours un diplôme universitaire, un bac, maîtrise, tout ça, il y a des emplois qui requièrent peu de qualifications et qui sont non comblés, puis vous donnez l'exemple de la construction.

Particulièrement sur ce point-là, pour la construction, on sait que c'est une industrie qui est extrêmement réglementée et que le système de bassin de la construction ouvre très rarement, vous allez avoir certaines régions que le bassin ouvre une fois dans l'année, qu'il faut suivre une série de cours, et que ça prend des certificats de compétence pour pouvoir intégrer... ou une licence dans le cas de quelqu'un qui voudrait démarrer son entreprise dans l'industrie de la construction. Donc, comment est-ce qu'on jumelle ça? Parce que ce n'est pas tout, d'aller chercher des gens avec peu de qualifications pour répondre aux besoins, mais ici même, au Québec, le marché est fermé et parfois même artificiellement.

Mme Hébert (Martine) : Absolument. Je pense que c'est pour ça que... Comme je disais tantôt, justement, parlons de l'environnement réglementaire de ce secteur-là. Je pense qu'il y a des défis auxquels nous faisons face et auxquels nous allons continuer de faire face et, en ce sens-là, je pense qu'on va avoir intérêt à repenser peut-être le système tel qu'il est actuellement parce que, comme vous le dites, c'est un système qui est extrêmement réglementé, dans cette industrie, qui est extrêmement segmenté aussi, hein, c'est comme... il y a tellement de corps de métier et de toutes sortes de choses. Donc, il y a peut-être des choses à repenser à cet égard-là aussi pour favoriser davantage la pérennité de la main-d'oeuvre, là, l'apport d'une main-d'oeuvre pérenne, là, dans cette industrie-là.

• (21 h 10) •

M. Jolin-Barrette : Sur la question de la langue, à la page 3 de votre mémoire vous avez effectué un sondage auprès de certains de vos membres, et on constate que, bon, la majorité, 55 %, n'ont eu aucun problème au niveau de l'intégration, au niveau des travailleurs étrangers temporaires, mais par la suite la première barrière, c'est une barrière linguistique. Donc, tout à l'heure, vous abordiez la question de la francisation au travail et puis de libérer du temps mais que parfois ce n'est pas possible, mais on constate véritablement que c'est une des priorités pour réussir aussi pour les entrepreneurs, pour les employeurs, la question de la connaissance de la langue de travail est importante aussi.

Mme Hébert (Martine) : Oui, c'est-à-dire que ça ne veut pas dire que parce qu'ils ont identifié ça comme étant... Quand on parle de barrières linguistiques ou de problèmes liés à l'intégration, ça ne veut pas dire que ça a été des problèmes insurmontables. Ça veut dire que ce sur quoi ils ont eu à travailler majoritairement, quand ils ont eu à travailler sur quelque chose, ça a été au niveau de la langue, de dire : Bien, soit que...

Puis ça, c'est un sondage à l'échelle pancanadien, hein... pancanadienne, c'est-à-dire, donc c'est le Canada. Alors, quand on parle de défi au niveau de la langue, c'est à la fois anglais et français, là, parce qu'on a interrogé nos membres au niveau pancanadien, donc ce n'était pas juste l'affaire du Québec, là. Donc, on voit bien que c'est un défi auquel on est confronté, lorsqu'on parle de main-d'oeuvre issue de l'immigration, et que ce n'est pas uniquement le fait du français.

Mais ça ne veut pas dire que c'est un problème qui est insurmontable, ça veut juste dire que c'est parmi les éléments qui sont à travailler ou, si vous voulez, qui posent un défi aux employeurs. C'en est un, et c'est pour ça qu'on dit qu'il faut s'assurer d'avoir et de mettre de l'avant les programmes de francisation, là, qui vont permettre, si vous voulez, de régler cette problématique-là ou en tout cas de s'attaquer... ou de bien outiller les employeurs pour s'attaquer à cette problématique. Mais une barrière, ce n'est pas un obstacle insurmontable.

Le Président (M. Picard) : Merci, M. le député. C'est terminé. Donc, Mme Hébert, on vous remercie pour vos commentaires, votre apport à nos travaux de la commission.

Mémoires déposés

Et, avant de conclure les auditions, je vais procéder au dépôt des mémoires des organismes qui n'ont pas été entendus. Pour votre information, nous avons reçu 49 groupes ou personnes en sept jours et nous avons reçu 60 mémoires.

Donc, je vous remercie tous pour votre collaboration, et la commission ajourne ses travaux sine die.

(Fin de la séance à 21 h 12)

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