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(Dix heures huit minutes)
Le Président (M. Blouin): La commission élue
permanente de la justice reprend ses travaux. Le mandat de cette commission est
d'entendre les personnes et les organismes en regard du projet de loi 106, Loi
portant réforme au Code civil du Québec du droit des personnes et
du projet de loi 107, Loi portant réforme au Code civil du Québec
du droit des successions.
Les membres de cette commission sont: MM. Bédard (Chicoutimi),
Brouillet (Chauveau); M. Boucher (Rivière-du-Loup) qui remplace M.
Charbonneau (Verchères); MM. Dauphin (Marquette), Kehoe (Chapleau), Mme
Lachapelle (Dorion), MM. Lafrenière (Ungava), Leduc (Saint-Laurent),
Martel (Richelieu), Marx (D'Arcy McGee).
Les intervenants sont: MM. Bisaillon (Sainte-Marie), Blank
(Saint-Louis), Dussault (Châteauguay), Fallu (Groulx), Mme Lavoie-Roux
(L'Acadie), MM. Paradis (Brome-Missisquoi), Saintonge (Laprairie).
Je vais identifier les groupes que nous aurons l'occasion d'entendre
aujourd'hui. J'aimerais que les représentants de ces groupes puissent
nous signifier leur présence s'ils sont effectivement dans cette salle.
La Corporation professionnelle des psychologues du Québec, la
Corporation professionnelle des médecins du Québec, la Commission
des droits de la personne du Québec, le Groupe auto-psy, l'Association
canadienne pour la santé mentale, division du Québec,
l'Université de Sherbrooke, le Réseau d'action et d'information
pour les femmes, l'Institut de droit comparé de l'Université
McGill, ainsi que l'Ordre des infirmières et infirmiers du
Québec. Je m'excuse, l'Ordre des infirmières et infirmiers du
Québec ne fait que déposer son mémoire. Nous ne
l'entendrons donc pas aujourd'hui.
Comme il y a beaucoup de pain sur la planche, je souhaiterais que les
organismes puissent présenter leur mémoire, leur opinion, de la
façon la plus succincte possible, si possible en moins de 20 minutes et
que les partis politiques puissent s'acquitter de leur tâche de
recueillir des renseignements auprès de vous dans le même laps de
temps.
Sans plus tarder, je demande aux membres de la Corporation
professionnelle des psychologues du Québec de prendre place à la
table des invités afin que nous entendions leurs commentaires.
Je demanderais au représentant de se présenter
lui-même et de présenter ceux qui l'accompagnent.
Corporation professionnelle des psychologues du
Québec
M. Sabourin (Michel): Je suis Michel Sabourin, président
de la Corporation professionnelle des psychologues du Québec. Je vous
présente David Bélanger, vice-président de la même
corporation, et, plus à ma gauche, François Leduc, consultant aux
affaires professionnelles de la même corporation.
M. le Président, M. le ministre, Mme et MM. les
députés, nous tenons, d'abord, à vous remercier de
l'occasion qui nous est donnée de vous présenter nos suggestions
et commentaires par rapport au projet de loi no 106. Nous aimerions souligner,
dès le début, notre accord avec l'esprit de ce projet de loi,
surtout en ce qui a trait à la volonté, qui est
particulièrement exprimée dans les articles 197 et 198, de
protéger, avant tout, les intérêts propres de l'individu
qui n'est peut-être pas totalement en mesure de décider pour
lui-même et par lui-même. Cette préoccupation pour les
droits de la personne, nous la partageons entièrement et nous croyons
utile de vous préciser qu'elle est à la base de notre
intervention auprès de cette commission aujourd'hui. Nous avons choisi
de vous faire des suggestions par rapport à certains articles pour
lesquels nous nous pensons plus qualifiés en fonction surtout de notre
mandat de protection du public et de surveillance de l'exercice de la
profession de psychologue. Nous allons reprendre ici, le plus succinctement
possible, les principaux éléments du document qui vous a
déjà été distribué. Avec la permission du
président de cette commission, j'aimerais faire distribuer aux membres
présents un addendum à ce mémoire, si la chose est
possible.
Le Président (M. Blouin): Avec l'unanimité, tout
est possible.
M. Sabourin: L'aspect le plus important de notre intervention, ce
matin, touche le caractère psychologique des examens sur lesquels
peuvent s'appuyer des décisions sur les composantes de discernement, sur
les capacités de discernement des individus. Nous
avons donc choisi un certain nombre d'articles. Je vais, en suivant un
peu le libellé du document que nous avons présenté, vous
décrire, le plus succinctement possible, les modifications que nous
aimerions proposer et qui ne sont pas mentionnées au niveau du
mémoire.
Concernant l'article 12, nous sommes d'accord avec le premier paragraphe
de cet article parce que nous croyons qu'il est à la fois inspiré
et respectueux de la Charte des droits et libertés. Par ailleurs, le
deuxième paragraphe nous laisse perplexes dans le sens que nous croyons
qu'il s'agit là d'une restriction à la jouissance des droits
civils. Selon nous, la valeur primordiale accordée au consentement de la
personne prend ici une préséance qu'il faut absolument respecter.
Dans le fond, il faut être assuré que des limites dans la
capacité de discernement d'une personne tiennent fondamentalement
à sa condition physique et psychologique, et non pas seulement aux
effets, parfois puissants, d'une médication psychoactive, laquelle peut
induire d'une façon rapide et quelquefois persistante une condition
telle que le patient ne peut donner son consentement en temps utile.
Nous proposons donc que le deuxième paragraphe de l'article 12 se
lise de la façon suivante: "Nul consentement n'est requis, en cas
d'urgence, lorsque la vie de la personne est en danger." Nous aimerions
ajouter, à ce niveau-ci: "pourvu qu'elle ne soit pas sous l'influence
d'une médication ou d'une autre condition pouvant entraver
sérieusement sa capacité de discernement". Le reste de l'article
se poursuivrait tel qu'écrit déjà.
Concernant l'article 14, d'après nous, l'embûche majeure de
cet article, c'est la définition même de la capacité de
discernement ou de ce qui est mentionné, du fait d'être ou de ne
pas être doué de discernement. Je pense que tout le monde ici est
bien conscient qu'il nous arrive fréquemment, à nous tous,
d'être ou de ne pas être doués de discernement d'une
façon passagère et que, malgré ces déficiences
passagères, nous ne pouvons quand même pas dire que nous sommes
mentalement limités, en termes de la jouissance de nos droits. Nous
pensons qu'il peut arriver des circonstances où quelqu'un peut dissiper
ses biens, mais sans que nécessairement cela doive dire qu'il le fait
d'une façon courante et constante. Cela peut être relié
à des déficits psychophysiologiques, cela peut être
relié à toutes sortes d'affections, qu'elles soient naturelles ou
accidentelles, qui peuvent ne pas diminuer d'une façon
générale les capacités de discernement des gens ou qui
peuvent ne pas les diminuer en ce qui concerne certaines matières. Il
peut arriver que le discernement se fasse pour certaines choses et qu'il ne se
fasse pas pour d'autres choses.
Donc, d'après nous, le libellé de l'article 14 aurait
avantage à préciser la notion de discernement. On pense que c'est
important qu'il précise s'il s'agit de la disposition de son corps ou de
la disposition de ses biens. On pense qu'il est également important de
préciser si le non-discernement doit être total ou
spécifique, s'il doit être relié à des
matières précises, s'il soit être permanent ou
circonstanciel. En fait, dans le cas présent, étant donné
la difficulté à faire une définition exhaustive et
complète de ce qu'est le discernement parce que cela peut prendre des
connotations nombreuses, on suggère qu'un examen psychologique peut
permettre d'obtenir une évaluation nuancée des capacités
d'une personne. Dans notre mémoire, nous avons présenté,
en note infrapaginale, une description de ce que comprend un examen
psychologique. Je pense que les membres de cette commission vont être
à même de pouvoir lire cette description et de juger par
eux-mêmes de tout ce qu'elle contient, de tout le potentiel d'un tel
examen.
Nous pensons également, étant donné notre
préoccupation par rapport aux droits de la personne, que, dans le cas
où quelqu'un ne serait pas satisfait par l'étiquette de non
doué de discernement qu'on lui aurait accolée, dans le cas d'un
refus de traitement, l'autorisation du tribunal doit toujours être
requise. Nous suggérons donc un certain nombre de modifications à
l'article 14. Je vais me permettre de relire l'article 14 en incluant ces
modifications: "Le consentement du majeur non doué de discernement -
là, on ajouterait ceci - en certaines matières, est donné
sur ces matières par son tuteur ou curateur." Le reste du paragraphe
demeure inchangé. On ajouterait, par ailleurs, un second et un
troisième paragraphes à cet article ou, éventuellement,
cela pourrait être de nouveaux articles. Ce qu'on ajouterait, c'est la
chose suivante: "L'absence de discernement d'un majeur quant à la
disposition de son corps ou de ses biens doit, quand le temps et les
circonstances le permettent, avoir été établie à la
suite d'un examen psychologique précisant la nature des limites de la
capacité de jugement de l'individu et le degré de permanence de
ce handicap." Le troisième paragraphe se lirait de la façon
suivante: "Toute évaluation restrictive de la capacité de
discernement peut faire l'objet d'une contestation devant le tribunal de la
part du majeur concerné." Voilà pour l'article 14.
L'article 20. Étant donné la nuance qui est
déjà inscrite dans l'article 20 par rapport au caractère
permanent et irréversible que peuvent présenter un examen, un
traitement ou une intervention, nous pensons qu'il serait profitable et
important de retirer la dernière partie de cet article, à savoir
"lorsqu'il n'est
pas exigé par l'état de santé". Nous croyons que
l'article sans cette mention respecte davantage les droits de la personne.
En ce qui concerne l'article 21, il nous étonne grandement. On
mentionne la possibilité que le tribunal puisse autoriser une
expérimentation dans le cas d'une personne en tutelle ou en curatelle.
Surtout en regard de l'article 19, qui mentionne déjà une
exclusion à ce niveau, on ne croit pas que cette expérimentation
puisse demeurer une possibilité. On suggère alors que l'article
soit amendé en vue d'éliminer la possibilité de faire une
expérimentation au niveau prévu dans l'article 21.
Concernant les articles 24, 25, 26 et 28, nous les avons
regroupés parce que nous croyons qu'ils contiennent des
éléments qui vont dans le même sens et notre
réaction est également dans le même sens. Nous sommes
particulièrement étonnés que les articles
mentionnés fassent une mention précise du rôle du
médecin uniquement. Le nouveau code présentement à
l'étude devrait être conçu dans un meilleur respect des
droits de tous les professionnels habilités à faire des
interventions et à faire des évaluations en ce qui concerne la
santé physique et mentale.
Pourtant, le Code des professions identifie assez clairement les
nombreuses professions oeuvrant dans le domaine de la santé. Il nous
semble qu'une mise à jour du Code civil devrait respecter cette
importante législation québécoise.
Quant à l'un des objets des articles, soit l'examen
psychiatrique, nous désirons vous apporter un certain éclairage
par rapport à cet examen. L'expression "examen psychiatrique" signifie
qu'un examen est fait par un psychiatre. Quant à nous, on hésite
à conserver une telle appellation parce que nous pensons qu'il n'existe
pas comme telle une dimension psychiatrique de la personnalité. La
psychiatrie est une profession et non un aspect de la personne. Il conviendrait
dans cet article de remplacer l'expression "examen psychiatrique" par
l'expression "examen psychologique", tout en qualifiant après coup les
professionnels aptes et habilités à faire cet examen
psychologique. La plupart des gens peuvent savoir qu'un examen psychiatrique,
en général, c'est un examen de la morbidité d'une
personne. À notre connaissance, un tel examen, qui est surtout
axé sur une identification d'une pathologie, peut parfois porter
préjudice à un individu. Un tel type d'examen devrait être,
bien sûr, complété par un examen des capacités
résiduelles, un examen des forces vives et un examen du bilan
fonctionnel d'une personne et éviter la plupart du temps de
déboucher sur des diagnostics à portée négative et
pathologisante. Un psychologue, tout comme un psychiatre d'ailleurs, est
habilité de par sa profession et de par sa formation à faire un
examen psychologique. Voilà donc pourquoi nous suggérons que,
dans les articles 24, 25, 26 et 28, partout où on parle d'examen
psychiatrique, ce soit remplacé par l'expression "examen
psychologique".
Concernant l'article 27, étant donné l'opinion que nous
venons d'émettre pour les quatre articles mentionnés, il serait
conséquent que l'article 27 soit amendé de la façon
suivante: "Que le terme "médecin" soit remplacé par un
"médecin dûment habilité, un psychiatre ou un psychologue
doit procéder à l'examen psychologique". Il serait important de
spécifier de quel type d'examen il s'agit. Il est important de noter -
on pourra le voir au niveau de l'addendum qui a été
distribué ce matin - que demander qu'une telle précision soit
apportée à un texte de loi ne découle pas uniquement des
arguments logiques que nous tentons de vous soumettre ce matin, mais
également d'un état de fait. Si on examine attentivement ce qui
existe outre-frontières, chez nos voisins du Sud, pour les examens
prescrits au niveau des régimes de protection et souvent au niveau du
Code criminel et dans bien des circonstances, on reconnaît explicitement,
dans les articles de loi traitant de ces problèmes, aux psychologues la
capacité d'intervenir. D'après les données
mentionnées dans l'addendum, on se rend compte - je cite de
mémoire - que 27 États américains reconnaissent cela d'une
façon explicite. On se rend compte également, dans un projet de
loi récent soumis par le président Reagan, que l'expertise du
psychologue est tout autant reconnue que celle du médecin ou du
psychiatre. Il est bien sûr que le fait que ce soit inscrit dans une loi
américaine ne signifie pas nécessairement que ce soit inscrit
dans une loi canadienne, mais étant donné que,
déjà, c'est une reconnaissance très clairement
acceptée et acceptable un peu partout dans le monde, on ne voit pas
pourquoi cela ne devrait pas être inscrit dans nos propres lois qui sont,
en ce moment, soumises à une refonte.
Concernant l'article 28, l'amendement qu'on aimerait apporter va dans le
sens de prévoir qu'une personne pour qui une demande d'ouverture d'un
régime de protection est faite devrait pouvoir être
assistée d'un avocat. On pense également, d'une façon
conséquente avec ce qu'on mentionnait préalablement, que le
rapport d'examen psychiatrique doit également être remplacé
par un rapport d'examen psychologique.
Concernant les articles ayant rapport avec la tutelle, à
l'article 166, nous avons un commentaire à faire. Nous pensons que
l'exception mentionnée peut soulever une question d'harmonisation entre
la gestion de la tutelle et celle du conseil de tutelle. Nous pensons que
l'exception mentionnée, à savoir
"à l'exception de celle du directeur de la protection de la
jeunesse ou du Curateur public", devrait être éliminée.
Elle ne nous semble pas plus nécessaire qu'il ne le faut.
En ce qui concerne l'article 174, nous voyons un problème de
sens. Dans le premier paragraphe, on mentionne que "le tribunal peut
désigner un juge, un protonotaire, le directeur de la protection de la
jeunesse ou le Curateur public pour agir comme substitut" au conseil de
tutelle. Dans le deuxième paragraphe, on mentionne: "II peut alors
restreindre les droits et obligations du conseil." Si le conseil n'existe pas
et qu'on lui a nommé un substitut, on ne voit pas en quoi on peut
restreindre des droits et des obligations de quelque chose d'inexistant. Dans
ce sens, l'article devrait être précisé.
En ce qui concerne les articles 197 et 198, nous aimerions mentionner et
préciser que nous sommes très heureux de voir que le
législateur a voulu préciser ici d'une façon claire que ce
qui compte, avant tout, quant à l'établissement d'un
régime de protection du majeur, c'est la question de
l'intérêt propre de la personne concernée. Cela nous semble
absolument fondamental. Nous désirons souligner que nous sommes tout
à fait en accord avec ces deux articles.
En ce qui concerne l'article 203, il nous semble y avoir un
élément de danger par rapport à la personne qui est
désignée pour avoir les pouvoirs du curateur. Nous pensons qu'il
serait peut-être utile de préciser que cette personne doit
être à l'abri de tout conflit d'intérêts possible. Ce
n'est pas précisé tel quel dans le libellé. C'est
peut-être implicite, mais, étant donné l'importance des
effets, nous pensons que cela devrait être explicite.
Concernant maintenant l'article 207 qui a rapport à l'ouverture
d'un régime de protection, la remarque ou l'amendement que nous
suggérons va exactement dans le même sens que les amendements
suggérés précédemment pour les articles 24, 25, 26
et 28. Le libellé du deuxième paragraphe devrait se lire de la
façon suivante: "Le certificat est établi sur la recommandation
écrite du médecin dûment habilité, du psychiatre ou
du psychologue." (10 h 30)
Concernant l'article 209, c'est exactement dans le même sens,
encore une fois. Nous pensons que le terme "examen psychiatrique" devrait
être remplacé par "examen psychologique".
À l'article 210, le problème qui se pose est qu'encore une
fois, comme on l'a déjà fait remarquer pour un autre article, il
n'y a aucune mention du droit d'une personne à être entendue et
à être représentée par un avocat lorsqu'un
régime de protection est demandé. On pense qu'il serait important
que ce soit précisé dans le texte de loi.
Concernant l'article 211, nous avons deux remarques. Nous aimerions
compléter la mention des "preuves médicales" en mentionnant "ou
psychologiques" et que, dans le deuxième paragraphe, l'on puisse
éliminer "dans la mesure du possible". À notre avis, la plupart
du temps, à l'impossible nul n'est tenu. Nous pensons que, puisque la
porte est déjà grandement ouverte par rapport à ce que
nous ne pouvons pas faire, il n'est pas nécessaire de l'ouvrir encore
davantage, qu'elle l'est déjà suffisamment comme c'est
là.
En conclusion, pour être brefs, nous aimerions souligner, encore
une fois, que nous sommes heureux de constater que dans ce texte de loi il y a
un réel souci du respect de la personne. Nous appuyons, bien sûr,
ce souci qui nous semble faire l'objet de la majorité des articles qui
nous sont présentés.
Les suggestions que nous avons faites vont dans le sens que, lorsqu'il y
a des procédures exceptionnelles qui doivent être prises dans le
cas d'un individu pour qui on demande un régime de protection et qui
n'est pas en mesure de décider par lui-même, on pense qu'il est
très très important de s'assurer que ce soit vraiment fait en
fonction des intérêts de cette personne, en étant
assuré que les intérêts de cette personne seront toujours
protégés et qu'il n'y a aucune possibilité qu'ils ne le
soient pas. Nous pensons également que le caractère psychologique
des examens, que nous avons mentionné à quelques reprises, est
important dans une société adulte et aux ressources
diversifiées.
Bien sûr, la tradition voulait que dans notre
société, il y a quelques années, seulement certains
professionnels étaient habilités à poser certains actes.
On leur en accordait même, à notre avis, un grand nombre. Bien
sûr qu'il y a 50 ans, lorsque quelqu'un avait un problème,
c'était très clair. Il s'adressait à son avocat, à
son médecin ou à son curé, parce qu'à
l'époque il n'y avait pas d'autre possibilité. Depuis fort
longtemps, les universités ont instauré des programmes qui
développent des services professionnels très clairs et qui sont
avantageux pour les individus et pour la société. C'est pour cela
que nous nous permettons de souligner que les lois doivent être
adaptées à la réalité. Merci.
Le Président (M. Blouin): Merci beaucoup, M. Sabourin. Je
dois maintenant reprendre la liste des membres et des intervenants puisqu'on
m'a signalé quelques modifications. Tout de suite après, je
donnerai la parole à M. le ministre.
Les membres sont donc: M. Bédard (Chicoutimi), M. Brouillet
(Chauveau); M. Boucher (Rivière-du-Loup) qui remplace M. Charbonneau
(Verchères); M. Dauphin (Marquette), Mme Juneau (Johnson), M.
Kehoe (Chapleau), Mme Lachapelle (Dorion), M. Lafrenière
(Ungava), M. Leduc (Saint-Laurent), M. Martel (Richelieu), M. Marx (D'Arcy
McGee).
Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Blank
(Saint-Louis), M. Dupré (Saint-Hyacinthe), M. Dussault
(Châteauguay), M. Fallu (Groulx), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Marquis
(Matapédia), M. Paradis (Brome-Missisquoi) et M. Saintonge
(Laprairie).
M. le ministre, vous avez la parole.
M. Bédard: M. le Président, je voudrais remercier
le président, M. Sabourin, des représentations qu'il vient de
nous faire au nom de la Corporation professionnelle des psychologues du
Québec. On peut facilement parler d'un mémoire articulé
qui, je pense, souligne d'une façon spéciale la
préoccupation de la Corporation professionnelle des psychologues du
Québec pour qu'une meilleure protection soit accordée à
des personnes qui peuvent être en difficulté, que ce soit
médicalement ou par l'état de minorité, ou encore, comme
vous le dites dans votre mémoire, qu'on y mette le plus de moyens
possible de manière à assurer le droit de l'individu à
l'autonomie et à l'exercice de ses responsabilités.
Vous y êtes allé de certaines interrogations et suggestions
d'amendements. Par exemple, à la page 5 de votre mémoire, vous
dites: "Dans le cas de refus de traitement de la part d'un majeur non
doué de discernement, une autorisation du tribunal devrait toujours
être requise". Vous désirez également que l'article 20 soit
amendé pour faire en sorte que l'autorisation du tribunal soit
nécessaire même lorsque l'intervention est exigée par
l'état de santé du patient.
Vous y avez fait allusion. En termes de courant de pensée, vous
n'ignorez pas qu'il existe actuellement une réflexion, tant au
Québec qu'au Canada et aux États-Unis, sur la relation qui doit
exister sur le plan humain et médical entre le patient, sa famille et le
ou les médecins traitants. On reviendra sur le mot "médecin" tout
à l'heure. Cette réflexion est alimentée par de nombreux
cas célèbres qui ont eu beaucoup de retentissement à cause
des recours juridiques qui ont été exercés. Je pense
à l'affaire Quinlan et également au cas d'un jeune garçon
en Colombie britannique qui a, d'ailleurs, déjà été
évoqué au cours des travaux de cette commission. Il existe un
courant de pensée de plus en plus répandu selon lequel les
tribunaux ne devraient pas intervenir ou devraient intervenir le moins possible
dans la relation patient-famille-médecin, qui en est une essentiellement
d'ordre privé, puisque la décision du tribunal n'est pas
nécessairement meilleure que la décision de ceux et celles qui
ressentent ou qui vivent certaines situations de personnes qui sont très
proches d'eux. J'aimerais que vous explicitiez davantage la philosophie de
votre corporation par rapport à ce qu'on peut appeler une tendance qui
se développe non seulement au Québec, mais aussi ailleurs.
M. Sabourin: Si vous me le permettez, je vais demander à
M. David Bélanger de répondre à cette question.
M. Bélanger (David): Sur ce point-là, je comprends
très bien et je pense que nous serions du même avis que, dans
certaines circonstances, un tapage publicitaire comme celui qui a eu lieu en
Colombie britannique est une situation très pénible et
très difficile pour toutes les personnes qui sont parties
là-dedans. Il s'agit spécifiquement ici de l'article 20. C'est
à cause du caractère permanent ou irreversible du cas. On
spécifie que, dans un cas comme celui-là, toutes les
précautions doivent être prises pour qu'on ne passe pas outre aux
intérêts particuliers d'un individu. Nous jugions qu'il
était plus prudent de ne pas faire d'exception quand il s'agit d'un
caractère permanent et irréversible ou d'un risque sérieux
pour une personne. Je pense à des situations qui sont tout à fait
différentes du cas de la Colombie britannique, où il ne
s'agissait pas de ce type d'interventions. Ici, il s'agit d'interventions qui
peuvent vous amener à perdre des capacités physiques pour le
reste de votre vie. C'est assez important qu'à ce moment-là tous
les éléments soient considérés et qu'un jugement
très impartial, le plus impartial possible...
M. Bédard: On est tous à même de constater
jusqu'à quel point il est difficile de définir certaines
situations quand on veut les qualifier par des mots. Vous le soulignez,
d'ailleurs, lorsque vous nous demandez une modification. On est à
même de le constater quand il s'agit d'expressions comme celle que nous
employons "non doué de discernement". D'autre part, vous y allez de
certaines suggestions d'amendements au niveau de l'article 12. Ne pensez-vous
pas que le libellé de ce que vous proposez peut donner ouverture
à bien des interprétations, et peut-être à bien des
contestations en fin de compte? Cela peut prendre un bon bout de temps avant de
bien cerner, par des mots, la situation qui est évoquée d'une
façon spéciale concernant l'article 12.
M. Bélanger (David): Dans le cas de l'article 12, c'est
réellement une précaution que nous prenons. En fait, je crois que
c'est assez important - en tout cas, nous pensons que c'est
préférable de le prévoir dans le texte même de la
loi - qu'on s'assure, dans le cas d'une incapacité de donner son
consentement éclairé à cause d'une médication et
ainsi de suite, quand c'est
possible, de retirer la médication pour que la personne soit
capable de se prononcer.
Supposons qu'on veuille m'amputer une jambe...
M. Bédard: Je m'excuse de vous interrompre.
M. Bélanger (David): Oui.
M. Bédard: Vous dites à cause de médication
et vous ajoutez également un autre élément.
M. Bélanger (David): Je ne sais pas. Je ne me souviens pas
du libellé: "Pourvu qu'elle ne soit pas sous l'influence d'une
médication ou d'une autre condition pouvant entraver sérieusement
sa capacité de discernement."
Prenons un exemple. Supposons qu'on doive m'amputer une jambe et que,
à cause de la médication, évidemment, je suis inconscient
pendant un certain temps et qu'on ne peut pas me consulter. S'il est possible,
quand même, de retirer la médication de façon suffisante
pour qu'à un moment donné je sois capable de donner mon avis, je
préférerais être capable de donner mon avis pour une chose
comme celle-là. Je prends cela comme exemple, mais il pourrait y avoir
d'autres exemples.
C'est notre souci de protéger le plus possible le consentement
éclairé d'une personne qui est capable de donner son consentement
et de faire bien attention qu'il n'y ait pas de condition dans laquelle cela
pourrait arriver, tout simplement que, légalement on puisse
l'éviter. C'est peut-être trop de prudence, si vous voulez.
M. Bédard: Non, remarquez, quand je pose la question, je
ne veux pas porter un jugement de valeur négatif. Je crois que nous
avons, comme vous l'avez dit, la même préoccupation, tous les
membres de cette commission, d'apporter la meilleure des protections possible
dans ces circonstances, tout en essayant de tenir compte des
réalités lorsque les situations se présentent, des
réalités complexes. Mais quand vous ajoutez la deuxième
partie de votre libellé, j'aimerais que vous réfléchissiez
tout haut sur cette deuxième partie ou suggestion d'amendement et que
vous nous disiez qui va déterminer, si une personne ne peut pas donner
son consentement, que la personne pourrait éventuellement donner un
consentement éclairé si la médication était
ramenée à sa plus simple expression. Quel mécanisme joue
autour de tout cela?
M. Bélanger (David): M. le ministre, la précision
qu'on veut apporter, c'est essentiellement le fait qu'on a connu, je pense,
dans l'histoire du Québec, quelques cas d'abus où quelqu'un,
ayant été étiqueté non doué de discernement,
cela a été établi d'une façon
générale et globale, sans nuancer. On donne dans notre texte
l'exemple du daltonien. Ce n'est pas parce que quelqu'un ne perçoit pas
les couleurs, donc est non doué du discernement des couleurs, qu'il est
diminué pour autant dans ses autres facultés. Cela exige une
grande nuance dans la notion des capacités de discernement de la
personne. Il y a cela, d'une part.
D'autre part, il y a aussi tous les jeux d'influence qu'il peut y avoir.
En venant, on se faisait des réflexions en disant que c'est assez
courant de voir un mari ou une épouse invoquer des arguments de
non-discernement pour que des mesures puissent commencer à être
prises par rapport à son conjoint. Finalement, on peut être en
mesure d'imaginer toutes sortes de situations où des personnes, à
cause de leur intérêt propre, vont chercher à instaurer des
mesures qui, dans le fond, ne respectent pas la personne pour elle-même.
Cette appellation, qu'on a voulu vague, n'étant pas nous-mêmes
avocats ou législateurs pour pouvoir la préciser, c'est
essentiellement pour pouvoir prévoir des situations comme
celles-là.
M. Bédard: C'est à partir de cette
préoccupation que vous nous faites des suggestions d'amendements.
M. Bélanger (David): C'est cela.
M. Sabourin: Si je peux me le permettre, M. le ministre, dans le
libellé actuel du deuxième paragraphe, il n'est pas, non plus,
précisé qui donne le consentement dans les cas d'urgence.
Évidemment, la question que vous nous posiez, à savoir qui peut
préciser les autres conditions, pourrait s'adresser également
à ce qui est déjà prévu par le libellé du
deuxième paragraphe. (10 h 45)
M. Bédard: On peut difficilement le prévoir, car on
dit que "nul consentement n'est requis". On ne peut donc pas prévoir un
mécanisme à mettre en place.
M. Sabourin: Peut-être que le libellé de la
modification qu'on désire apporter n'est pas le meilleur
légalement.
M. Bédard: C'est pourquoi je vous demande de l'expliquer.
L'important pour nous, quant à la phraséologie du texte, pour
pouvoir travailler efficacement, c'est de savoir...
M. Sabourin: Je pense que notre intention, très
brièvement...
M. Bédard: ...quelles sont les
préoccupations...
M. Sabourin: Oui.
M. Bédard: ...qui sont derrière vos suggestions,
quitte à essayer de les traduire quand c'est possible.
M. Sabourin: Si vous le permettez, notre intention est tout
simplement d'être assurés que, lorsque nul consentement n'est
requis, il s'agisse vraiment de situations où il n'est absolument pas
possible d'obtenir un consentement. C'est cela le sens du "pourvu" qu'on
mentionnait. On voulait préciser certaines situations courantes
où c'est clair que le consentement n'est pas possible, mais, pour nous,
ce sont des situations qui pourraient être renversées et on
pourrait avoir la préoccupation de chercher à obtenir le
consentement.
M. Bédard: D'accord. J'ai une dernière question:
à la page 7 de votre mémoire, vous parlez de la mention du mot
"médecin", à l'article 24, Est-ce que je dois comprendre que vous
désirez qu'un membre de votre corporation puisse amorcer, de
façon formelle, le processus qui est décrit à cet
article?
M. Sabourin: L'intention derrière la modification
proposée, c'est que le psychologue puisse être également
habilité à faire un examen psychologique si on lui demande de le
faire. Il existe - c'est une précision que je n'ai pas mentionnée
tantôt -un comité spécial de l'American Bar Association qui
a proposé un modèle, l'année dernière, en ce qui
concerne ces types d'examen et d'évaluation. Son modèle, si je
peux me permettre quelques minutes d'explication, est basé sur
l'utilisation d'une équipe multidisciplinaire qui comprend un
médecin, un psychiatre, un travailleur social et un psychologue. C'est
le modèle qui est déjà utilisé dans trois
États américains et qui a été étudié
très sérieusement dans d'autres États. Vu le
caractère récent de cette proposition, c'est-à-dire
l'année dernière, nous pensons qu'il ne faudrait pas octroyer
à un seul individu une décision qui, souvent, n'est
peut-être pas directement reliée à son champ de
compétence. Je pense que le médecin est très
compétent au plan médical, mais au plan psychologique ou au plan
social proprement dit - ce sont des implications qui, souvent, peuvent
être importantes dans les décisions qui sont prises - je pense
qu'on aurait avantage à permettre à quelqu'un qui a une formation
différente de pouvoir apporter une autre opinion qu'il pourrait
être important pour la cour d'obtenir et qu'alors on puisse faire appel
à des gens qui ont une expertise complémentaire à celle du
médecin.
M. Bédard: Je vous demandais, par ma question, si vous
désireriez, en fait, quoique cela puisse être le cas, qu'un membre
de votre corporation amorce le processus qui est désigné et qui
est décrit à l'article 24. Est-ce que ce n'est pas le cas
lorsqu'une personne présente, pour elle-même ou pour autrui, un
danger réel en raison de son état mental? Le tribunal peut, sur
demande d'un médecin ou de toute autre personne
intéressée... Cela rejoint...
M. Sabourin: Cela rejoint, oui. Cela précise que le
processus peut être amorcé par toute personne
intéressée directement par le cas.
M. Bédard: Par toute personne intéressée,
dont un psychologue.
M. Sabourin: Oui, mais la remarque qu'on fait, c'est par rapport
à l'examen.
M. Bédard: D'accord.
M. Sabourin: La personne intéressée peut demander
qu'un examen soit fait, mais nous aimerions préciser que l'examen puisse
être fait par d'autres professionnels que le médecin, étant
donné le fait que, dans bien des cas, l'expertise dont le...
M. Bédard: Vous pensez qu'à la manière dont
c'est formulé on ne donne pas ouverture à cela, quoiqu'il me
semble que cela...
M. Sabourin: Non, c'est cela. M. Bédard: ...le
donne.
M. Bélanger (David): La seule modification que nous
voudrions, c'est d'ordonner un examen psychologique, purement et simplement, ce
qui ouvre la porte au psychiatre comme au psychologue, comme aux personnes qui
sont qualifiées pour faire un examen psychologique, et qu'on insiste sur
cet aspect de faire ressortir les capacités résiduelles d'une
personne, par exemple, l'aspect positif, si vous voulez, de son...
M. Bédard: Je vous remercie.
Le Président (M. Blouin): Merci, messieurs. M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Merci, M. le Président. Dans le même ordre
d'idées, par rapport à la modification concernant l'examen
psychiatrique, j'ai déjà demandé aux médecins qui
se sont présentés ici ce qu'ils pensent du changement des mots
"examen psychiatrique", par les mots "examen psychologique". Je vous le dis
tout de suite, ils n'étaient pas d'accord. Ils ont dit que cela
relève du domaine médical; peut-être
que vous aurez l'appui de la Corporation professionnelle des
médecins, juste après vous, puisqu'on va peut-être leur
poser cette même question. Les médecins étaient tout
à fait contre. Je n'ai pas vraiment saisi le fond de leurs arguments; on
aura sûrement l'occasion de leur poser cette même question dans
quelques minutes.
Vous avez parlé de la législation américaine. Aux
Etats-Unis, quelle est la position de l'American Medical Association ou des
médecins sur cette question?
M. Sabourin: Je ne connais pas la position de l'American Medical
Association. J'ai simplement énoncé dans l'addendum les faits
existant présentement, c'est-à-dire que, dans 26 États
américains, on reconnaît l'expertise du psychologue au même
titre que l'expertise du psychiatre dans les sujets qui nous
préoccupent, notamment dans l'établissement d'un régime de
protection. Au niveau d'autres lois - nous avons donné deux autres
exemples - en l'occurrence pour les délits sexuels, 27 États
américains mentionnent textuellement dans leurs lois que les
évaluations, les examens et les traitements peuvent être
effectués par un psychologue ou par un psychiatre.
M. Marx: D'accord.
M. Sabourin: En ce qui concerne les délits criminels,
c'est plus récent, c'est intégré comme tel dans le Crime
Control Act que le président Reagan a soumis au Congrès.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: En ce qui concerne l'article 21, vous proposez que cet
article soit amendé afin que les expérimentations soient
uniquement permises sur des personnes douées de discernement. Je ne suis
pas sûr si on peut vraiment toujours tracer la ligne entre un traitement
et une expérimentation. Supposons qu'on puisse le faire, à
l'article 21, l'expérimentation en question pourrait être dans
l'intérêt de la personne. Si on modifie l'article tel que
proposé, cela peut jouer contre l'intérêt de la personne
dans un cas précis.
M. Bélanger (David): Je crois que vous avez raison,
n'est-ce pas. Ce qui arrive ici, c'est que nous voyons une contradiction avec
l'article 19 où l'expérimentation est exclue.
M. Marx: C'est cela.
M. Bélanger (David): Dans cet article, on reprenait cet
aspect: l'expérimentation est faite "dans l'intérêt de la
personne". Si l'on peut démontrer qu'il s'agit de l'intérêt
de la personne de faire une expérimentation sur elle - ce qui me semble
peut-être assez difficile parce que, la plupart du temps,
l'expérimentation est faite dans l'intérêt de l'avenir et
pas dans l'intérêt de la personne présente - je serais bien
d'accord qu'on laisse tomber purement et simplement "est fait dans
l'intérêt de la personne". Nous voyons une contradiction avec
l'article 19.
M. Marx: À l'article 19, nous avons des
représentations en ce qui concerne, par exemple, la transplantation d'un
rein entre mineurs. Il y a des problèmes et je sais que le ministre se
penchera sur cette question parce qu'il est possible qu'il soit
nécessaire de modifier l'article 19 pour permettre certaines
transplantations comme celle de la moelle épinière entre mineurs
qui ne sont pas doués de discernement. On reviendra sur cette
question.
Merci.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. le
député de D'Arcy McGee.
Mme la députée de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: J'aimerais poser une question au
président de la Corporation des psychologues. En annexe 1, vous avez mis
une lettre du Conseil interprofessionnel du Québec dans laquelle vous
soulevez le problème de la définition de la "personne incapable".
Il semble qu'une définition ait été retenue par la
commission canadienne qui s'est penchée sur ce sujet. Quels sont les
problèmes qui y sont soulevés? Vous dites: Eux, suggèrent
qu'il y ait une étude un peu plus approfondie de cette notion de
"personne incapable". Est-ce qu'ils en donnent, quand même, une certaine
définition?
M. Sabourin: Écoutez, je vais demander à David
Bélanger de répondre à cette question. Il participe
directement aux travaux de cette commission. Il va sûrement être en
mesure de vous éclairer davantage que je ne pourrais le faire.
M. Bélanger (David): Je dois dire que c'est une
série de corporations, n'est-ce pas, qui se sont unies au Conseil
interprofessionnel pour réagir, justement, à cette proposition de
réforme du droit pénal. Je dois dire que ce n'est pas allé
plus loin que cela. C'est-à-dire que ce qu'on souhaite, étant
donné que c'est à l'étude, c'est qu'on précise,
justement, la déterminante. Qui va déterminer l'incapacité
et quelles sont les limites, justement? Ce sont les spécifications de
l'incapacité qui vont être déterminées.
Mme Lavoie-Roux: Vous faites un rapprochement avec le concept de
non-discernement qui est dans le projet de loi ici.
M. Bélanger (David): C'est cela.
Mme Lavoie-Roux: C'est-à-dire qu'il y aurait les
mêmes difficultés d'interprétation ou de définition
des limites de cette notion. Est-ce que vous vous êtes penchés sur
le problème de la stérilisation des déficients mentaux ou
des malades mentaux et quelle a été votre expérience dans
ce domaine en tant que professionnels?
M. Sabourin: Nous ne nous sommes pas penchés sur le
problème. C'est un problème, bien sûr, qui nous
préoccupe. Il y a probablement des études à ce sujet qui
devront être faites, je pense, par notre corporation dans les semaines
à venir. Il s'agit, je pense, d'un problème important.
Déjà, notre attitude à ce sujet est peut-être celle
reflétée au niveau d'un article qui est paru dans Santé
mentale du Canada qui présente le pour et le contre de cette
stérilisation en mettant l'accent sur les dangers possibles au niveau
des droits de la personne. Sans présumer des conclusions d'une
étude qu'on n'a pas encore eu le temps de faire, je pense
qu'éventuellement notre attitude serait certainement en rapport avec
cette question fondamentale des droits de la personne.
M. Bélanger (David): Est-ce que je pourrais ajouter une
chose? Ceci nous a amenés, d'ailleurs, à nous montrer très
prudents en ce qui concerne l'article 20, qui parle du caractère
permanent ou irréversible de l'intervention. Comme c'est un cas
d'irréversibilité, on souhaite qu'on soit le plus prudent
possible.
Le Président (M. Blouin): Merci.
Mme Lavoie-Roux: Vous soulevez la possibilité d'ajouter
à l'évaluation psychiatrique l'évaluation psychologique ou
peut-être, plus généralement, de se référer
au grand terme "psychologique" qui embrasse plus large que "psychiatrique".
Dans votre pratique, est-ce qu'il arrive, par exemple, peut-être à
la demande d'un médecin de médecine générale ou
autrement, qu'on vous demande de produire une évaluation du discernement
ou du non-discernement, une évaluation du fonctionnement psychologique
d'un malade ou d'une personne?
M. Bélanger (David): Je pense que cela arrive très
fréquemment. De fait, quand on parle d'examen psychiatrique, souvent
cela inclut un examen psychologique à l'intérieur de l'examen
psychiatrique, lequel peut être fait soit par un psychiatre, soit par un
psychologue. C'était, justement, pour ces raisons plutôt que pour
des raisons purement de sémantique que nous parlions d'examen
psychologique. Surtout aussi, je le répète, nous insistons sur le
fait que, quand nous examinons quelqu'un, il faut se préoccuper aussi
des aspects positifs de ses capacités résiduelles, de sa
possibilité de fonctionner; pas seulement de ce qui lui manque, mais de
ce qui lui reste comme possibilité d'arriver à un discernement ou
à un consentement.
Mme Lavoie-Roux: II reste que, quand même, cela aussi peut
être une préoccupation d'un psychiatre.
M. Bélanger (David): Absolument. Nous ne nions pas cela.
Il n'est pas question d'exclure qui que ce soit. C'est simplement que nous
trouvons que la loi...
Mme Lavoie-Roux: Dans les faits, on vous demande de remplir cette
tâche. Est-ce que votre rapport peut servir d'appui à un
médecin pour de l'internement?
M. Bélanger (David): Ce n'est pas impossible, cela arrive
dans certains cas, j'en suis sûr. (11 heures)
M. Bédard: Lorsque certaines décisions importantes
sont à prendre, d'après ce qu'on nous a dit, presque
régulièrement se retrouve à l'intérieur de
l'équipe constituée, un psychologue. En fait, vous nous
entretenez de la réalité présente, des faits. Je ne veux
pas présumer des décisions, mais vous aimeriez que le texte du
projet de loi reflète un peu plus cette réalité.
Maintenant, tous les membres de la commission sont conscients que la
réalité est là quand même, même de la
manière dont est rédigé le Code civil actuel.
M. Sabourin: Notre intention, bien sûr, est de ne
léser personne. Nous pensons, étant donné que c'est
l'intention de faire une refonte d'un Code civil, qu'il y aurait lieu d'ajuster
la loi à la réalité des faits, justement, comme plusieurs
l'ont mentionné devant cette commission. Au niveau de l'expertise
à la cour, de plus en plus, le psychologue est appelé à
poser un témoignage d'expert dans bien des cas. Il existe même
certains domaines, comme l'expertise psycholégale, concernant la garde
des enfants, où c'est extrêmement fréquent. Cela se
développe de plus en plus; il s'agit donc d'une réalité.
On pense que c'est important. Sans vouloir, bien sûr, diminuer la
contribution d'autres professionnels, il serait important d'adapter notre cas
à la réalité.
Le Président (M. Blouin): Mme la députée de
L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Je voudrais revenir à des points que vous
avez soulevés, qui ont été soulevés à
plusieurs reprises ici, mais que je tiens à relever parce que, quand
on
en délibérera plus tard, il y aura peut-être moyen
de trouver des mécanismes. C'est la question - peut-être pas,
comme on l'a dit l'autre jour, par le truchement de la révision du Code
civil, mais peut-être par la loi des hôpitaux - des comités
interdisciplinaires. Avant de prendre des décisions qui sont parfois
irréversibles et en dépit de ce qui a été dit ici,
j'ai relu des rapports, par exemple, sur la protection du malade mental. J'ai
eu l'occasion de les lire depuis notre dernière réunion ici.
C'est évident que les gens ne sont pas suffisamment
protégés parce qu'il y a trop souvent un individu qui intervient
pour poser un jugement. Il peut le poser de bonne foi, mais en laissant de
côté peut-être d'autres dimensions qui sont tout aussi
importantes.
Il y a aussi la question de la nomination du curateur ou du tuteur
à l'intérieur des établissements. Il faut être
extrêmement prudent quant aux conflits d'intérêts. Par
exemple, dans le cas de la stérilisation des malades, cela peut
être très dangereux que ce soit le tuteur, qui travaille à
l'intérieur de l'établissement, qui, à un moment
donné, prenne une décision sans que ce soit évalué
par d'autres. Merci.
Le Président (M. Blouin): Merci, Mme la
députée de L'Acadie.
M. le député de Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais revenir au deuxième
paragraphe de l'article 12. Si je comprends bien, le seul critère que
retient le deuxième paragraphe, c'est en cas d'urgence. Je ne comprends
pas votre amendement au niveau de l'article 12. Peut-être que votre
amendement pourrait être fait à un autre article. Là, je
pense bien que le deuxième paragraphe ne parle pas de personne
douée ou non de discernement, capable de prendre une décision ou
non. Le seul critère, à mon sens, qui doit intervenir je suis
d'accord avec le deuxième paragraphe - c'est le cas d'urgence.
M. Bélanger (David): Je suis d'accord avec vous. Remarquez
bien que cela pourrait s'appliquer à vous et à moi: en cas
d'urgence, il est important de prendre une décision rapide pour sauver
la vie de quelqu'un; je suis absolument d'accord. Nous ne sommes pas contre ce
type d'intervention. Tout ce que nous voulions y apporter, c'est la prudence.
L'urgence peut être définie de différentes façons.
Il y a des choses qui sont urgentes pour vous et qui ne le sont pas pour moi.
Il peut aussi y avoir des choses urgentes pour moi, mais qui ne le seraient pas
pour vous.
La seule précision que nous apportons, c'est que, dans le cas
d'une personne qui n'est pas capable de décider à cause d'une
médication, même si c'est une urgence, il soit possible quand
même d'enlever la médication suffisamment pour avoir un
consentement éclairé. Je vous ai donné l'exemple d'une
jambe à amputer. Même s'il y a urgence, si l'urgence n'est pas au
point qu'on ne puisse pas me poser la question, je préférerais
qu'on me pose la question. C'est simplement une prudence. Remarquez bien que
nous n'y tenons pas plus que cela. Nous croyons que c'est une prudence. La
médication peut être évoquée. Ce peut être
plus expéditif, à un moment donné, de laisser la personne
sous médication et de procéder tout de suite, alors que cela
pourrait peut-être être enlevé. Nous voulions faire penser
à cette possibilité.
M. Bédard: À ce moment, on a la difficulté
de définir quelle est l'urgence, comme vous le dites.
M. Bélanger (David): C'est cela.
M. Bédard: On pourrait écrire un volume
là-dessus, parce qu'il y a différentes notions de ce qu'est
l'urgence par rapport à différentes personnes, à
différentes situations.
M. Bélanger (David): Nous voulions simplement attirer
l'attention sur ce fait que la médication pourrait empêcher une
personne de donner un consentement, quand la personne pourrait très bien
être capable de donner son consentement sans cet aspect.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Saint-Laurent, cela va?
M. le député de Chapleau.
M. Kehoe: À l'article 27, vous dites dans la loi que le
médecin doit procéder à l'examen psychiatrique. Est-ce que
je peux comprendre par votre mémoire que votre organisme prétend
que cela devrait être soit un psychiatre, soit un psychologue, soit un
médecin habilité, soit un travailleur social qui peut
procéder... Sont-ils tous inclus dans la définition de
"médecin" à l'article 27?
M. Leduc (François): M. le député, je veux
seulement préciser quelque chose là-dessus. D'une part, on
précise dans notre texte que les examens peuvent être de deux
ordres: ils peuvent être notamment des examens de type clinique. À
ce moment, de par le Code des professions et de par les us et coutumes actuels
et contemporains, les psychologues, les psychiatres et des médecins
dûment habilités font ces examens. Sans le déprécier
aucunement, je ne pense pas qu'un orthopédiste puisse faire un examen
mental, ce n'est pas son domaine. Pourtant, il est couvert aussi par le mot
"médecin". C'est pour cela qu'on voyait davantage l'utilité de
restreindre le mot "médecin" en disant
simplement "dûment habilité". Dans le fond, cela renvoie
à leur code d'éthique, à leur champ de
spécialité, cela ne fait que restreindre les choses. D'autre
part, le thème "médecin" est pour nous discriminatoire parce
qu'à ce moment, il désigne de façon très stricte
une seule et même profession. Il exclut à ce moment les autres.
À ce moment, on doit plus recourir à des mécanismes
d'interprétation si l'article de loi n'est pas précisé,
alors qu'en le précisant, en disant "médecin dûment
habilité" - un psychiatre, de fait, est habilité, un psychologue
aussi - à ce moment, je pense que cela coupe court à des
interprétations possibles et cela ne fait que confirmer une
réalité qui est déjà prévalante dans le
milieu. C'est pour cela qu'on voulait préciser cela.
Le Président (M. Blouin): Très bien. Cela va, M. le
député de Chapleau? Au nom de tous les membres de cette
commission, je remercie les représentants de la Corporation
professionnelle des psychologues du Québec de nous avoir fourni leur
important témoignage. J'invite la Corporation professionnelle des
médecins du Québec à prendre place à la table des
invités.
M. le ministre.
Corporation professionnelle des médecins du
Québec
M. Bédard: M. le Président, il m'aurait fait grand
plaisir d'échanger des propos avec le président de la Corporation
professionnelle des médecins, M. Augustin Roy. Je devrai cependant
quitter la salle pour ce mémoire, puisque je dois être
présent au comité des priorités, qui siège ce
matin. Je ne voudrais pas que ce soit interprété comme un manque
d'intérêt. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de discuter
déjà de certains points du mémoire avec M. Roy, lorsqu'il
attendait d'être entendu devant les membres de la commission. Je suis
très heureux de voir que mon collègue, le député de
Bertrand et ministre délégué aux Relations avec les
citoyens, a accepté de me remplacer pour l'audition de ce
mémoire.
Le Président (M. Blouin): À plus tard, M. le
ministre.
Je demanderais aux représentants de la Corporation
professionnelle des médecins du Québec - vous en êtes bien
conscients maintenant, nous avons un horaire extrêmement serré -
de consentir aux mêmes efforts auxquels vos prédécesseurs
ont consenti et d'essayer de résumer votre présentation en une
vingtaine de minutes.
Pour les fins du journal des Débats, je vous demanderais de vous
présenter et de présenter ceux qui vous accompagnent.
M. Roy (Augustin): Merci, M. le Président. Je suis
persuadé que même si le ministre doit s'absenter avec
justification, il aura la chance de lire notre présentation dans le
journal des Débats. Ses collaborateurs auront sûrement l'occasion
de lui faire part des points principaux de notre mémoire.
Je vais présenter les membres qui m'accompagnent: à ma
gauche, le Dr Jacques Brière, secrétaire général
adjoint, ancien chirurgien général de l'hôpital
Maisonneuve-Rosemont; à ma droite, le Dr André Lapierre,
secrétaire général adjoint, en train de vous distribuer
une copie de ma présentation; à mon extrême droite, le Dr
Bernard Therrien, pédiatre, qui a aussi été
secrétaire à la faculté de médecine de
l'Université de Sherbrooke et directeur des services professionnels de
l'Hôtel-Dieu de Sherbrooke, qui connaît très bien le rouage
et la mécanique concernant l'examen et le traitement des malades mentaux
et qui est aussi membre de notre service d'inspection professionnelle.
M. le ministre, M. le Président, Mmes et MM. les membres de la
commission, la Corporation professionnelle des médecins du Québec
tient à faire ses commentaires sur le projet de loi no 106, Loi portant
réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, parce que
certains chapitres de ce projet affectent l'exercice professionnel des
médecins dans leurs relations avec leurs patients. Nos commentaires se
limiteront à ces chapitres qui traitent de l'intégrité de
la personne, des régimes de protection du majeur et des actes de
l'état civil. Si la réforme du Code civil du droit des personnes
est nécessaire, nous croyons que les chapitres que nous venons de
mentionner devraient être modifiés ou, dans le langage
littéraire, revus et corrigés. Nous en profitons pour
féliciter le ministre et les rédacteurs de ce nouveau Code civil
qui ont fait des efforts considérables.
Nous convenons, par ailleurs, des difficultés de transposer en
termes juridiques des concepts très complexes dans les chapitres
déjà mentionnés qui sont source de confusion. Ces
chapitres créent des régimes parallèles à ceux
établis par la Loi sur la protection du malade mental, la Loi sur la
curatelle publique et la Loi sur la protection de la santé publique sans
contenir de dispositions abrogeant ces régimes parallèles ni de
dispositions transitoires. Même si les dispositions correspondantes de
ces trois lois étaient clairement abrogées, la situation qui en
résulterait ne constituerait pas pour autant une amélioration. En
effet, les dispositions correspondantes de ces trois lois sont beaucoup plus
précises, claires et adaptées à la réalité.
Même en oubliant les dispositions des autres lois traitant des
mêmes droits et obligations, les chapitres du projet de loi 106 qui
traitent de l'intégrité
de la personne et des régimes de protection du majeur sont
rédigés d'une façon qui engendre la confusion. Nous nous
étonnons que ces chapitres aient été rédigés
sans consulter la profession médicale, qui est pourtant quotidiennement
confrontée avec les situations où ce droit s'applique alors que
d'autres organismes l'ont été, notamment le barreau et la Chambre
des notaires.
Avant de commenter les trois chapitres que nous venons de mentionner,
nous tenons à faire remarquer que le premier article du chapitre
traitant de la jouissance des droits civils semble vouloir trancher une
question qui est encore sujette à débat. En effet, il semble
vouloir établir l'acquisition de la nature humaine au moment de la
naissance. Nous nous demandons quel est le but visé par le
législateur. Nous ne croyons pas opportun de relancer ici, à
l'occasion de la révision du Code civil, le débat sur
l'avortement. Cette question relève bien plus du Code criminel, comme
l'a très bien expliqué le ministre à plusieurs reprises.
Nous pourrons donner des détails en réponse à vos
questions mais nous ne croyons pas que ce soit la place pour discuter plus
longuement de cette question.
Nous nous posons des questions sur la terminologie de ce projet de loi.
Le chapitre traitant de l'intégrité de la personne n'utilise pas
les expressions "traitement" et "intervention" avec beaucoup de rigueur. Un
traitement est une manière de soigner un malade ou une maladie. À
ce titre, un traitement est toujours requis par l'état de santé
et c'est un non-sens de parler de traitement non requis par l'état de
santé. Par ailleurs, une intervention peut être médicale ou
chirurgicale. Une intervention peut être un mode de traitement mais pas
toujours.
On souhaiterait également plus de rigueur dans l'emploi des mots
"santé" ou "intégrité physique ou mentale". Nous croyons
qu'il est préférable de parler de santé ou
d'intégrité sans distinguer entre le domaine physique et le
domaine mental. D'ailleurs, l'article premier de la Charte des droits et
libertés de la personne a été récemment
amendé de façon à ne plus faire de distinction entre
l'intégrité physique et l'intégrité mentale.
D'ailleurs, la santé, telle que définie par l'Organisation
mondiale de la santé, implique cette notion; cette définition de
l'Organisation mondiale de la santé se lit comme suit: "La santé
est un état de complet bien-être physique, mental et social et ne
consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité." (11 h
15)
Ce chapitre introduit aussi cette notion de discernement mais ne la
définit pas. C'est une notion très subjective qui porte à
interprétation. Le médecin, avant toute décision
judiciaire établissant un régime de protection, aura à
décider si une personne est douée ou non de discernement
lorsqu'il aura à obtenir un consentement. Si, dans certains cas, il peut
être assez facile de conclure qu'un majeur est doué de
discernement, dans d'autres cas, ce sera beaucoup plus difficile et assujetti
à des divergences d'opinions. Dans le cas d'un mineur,
l'évaluation de la capacité de discerner est très
difficile. Cette capacité de discerner n'est pas une faculté
statique. Elle se développe progressivement avec la maturation
intellectuelle. Jusqu'à un certain point, un enfant de deux ans est
doué d'un certain discernement. Il peut discerner entre un jouet et un
aliment, entre deux types de jouets, entre deux aliments et entre son
père et sa mère. Cette notion de discernement n'existait pas dans
la Loi sur la protection de la santé publique, qui permet à un
mineur de quatorze ans ou plus de consentir aux soins requis par son
état de santé. En passant, nous mentionnons l'importance dans la
loi de préciser partout quatorze ans ou plus en ce qui concerne le
mineur, tel que c'est indiqué dans les autres lois, parce que - on vous
l'a mentionné à plusieurs reprises -si on met seulement quatorze
ans, cela implique, évidemment, que quinze, seize ou dix-sept ans
pourraient être exclus. De plus, le projet de loi n'accorde plus aux
mineurs de quatorze ans ou plus la confidentialité envers le titulaire
de l'autorité parentale que lui accordait la Loi sur la protection de la
santé publique et nous croyons que cette disposition devrait être
conservée, parce qu'elle est extrêmement importante. La notion de
proches parents utilisée dans le projet de loi n'est pas définie
et est laissée à l'interprétation du médecin. Nous
croyons que, là encore, il y a matière à correction. De
même, dans le chapitre sur l'intégrité de la personne, on
parle parfois de l'autorité parentale et parfois du tuteur, dans le cas
d'un mineur, sans que l'on sache pourquoi l'on choisit l'un ou l'autre
terme.
Je vais maintenant parler brièvement de la judiciarisation des
décisions relatives à certaines interventions chirurgicales et
à l'expérimentation. Les articles 18, 19 20 et 21, tels qu'ils
sont rédigés, ont comme conséquence de soumettre à
la décision du tribunal toute intervention chirurgicale
esthétique, par exemple, pour un décollement d'oreilles et tout
cas où on voudrait procéder à un prélèvement
de moelle osseuse sur la personne d'un mineur. Nous croyons que ces articles
devraient être rédigés différemment de façon
à ne pas soumettre à la même procédure les
interventions chirurgicales que nous venons de décrire et les cas de
stérilisation préventive chez les personnes incapables de
consentir pour elles-mêmes. Nous ne croyons pas que le recours au
tribunal soit la solution idéale pour régler ces
problèmes, à moins d'un désaccord entre
les parties concernées. Je dois mentionner ici que nous avons
été impressionnés par le plaidoyer de parents de certains
handicapés mentaux qui se sont présentés ici devant la
commission parlementaire au cours des premières journées des
auditions, qui ont été extrêmement éloquents dans
leur présentation et qui ont donné des faits précis de
leur vécu quotidien.
Je pense qu'il est aussi important de faire la différence entre
le déficient mental ou le handicapé mental et le malade mental,
parce que la notion de déficience implique un état relativement
permanent, alors que la maladie est généralement un état
passager et épisodique. Il est extrêmement important de faire la
différence entre les deux. Nous sommes du même avis que les
parents de handicapés mentaux et l'Association des handicapés
mentaux, qui ont peur des tribunaux, à juste titre, je crois. Je suis
bien d'accord que beaucoup de membres de cette commission connaissent des
avocats et des juges, mais, pour le commun des mortels et même pour des
gens d'expérience, ce n'est pas simple de se présenter devant un
tribunal. C'est impressionnant. C'est surtout lourd et coûteux. Ce n'est
pas nécessairement l'endroit où on doit discuter de
problèmes qui vont avoir une très grande influence sur une
personne. Nous croyons qu'il y a d'autres mécanismes plus
appropriés, comme des comités multidisciplinaires, tel que l'a
suggéré le Comité de la santé mentale du
Québec, dans un mémoire qu'il a remis au gouvernement en 1980,
parce que là, ce serait justement un endroit où on pourrait
parler de multidisciplinarité et où plusieurs personnes
pourraient donner leur avis sur la décision favorable ou non de
procéder à une stérilisation, en tenant compte, par
ailleurs, de la personne en cause, de son intérêt - ce qui doit
être primordial - et en tenant compte aussi des parents qui doivent
s'occuper de cette personne.
Je vais maintenant parler brièvement de la notion de
consentement, dont on a beaucoup fait état au cours de cette
commission.
Il nous faut aussi mentionner que l'article 12 de ce chapitre, tel que
rédigé, permet à un médecin de procéder
à un traitement ou à une intervention chirurgicale sur la
personne d'un majeur capable de consentir sans requérir son consentement
lorsque sa vie est en danger.
Cet accroc à la liberté n'existait pas dans la Loi sur la
protection de la santé publique, et nous le mentionnons dans notre
mémoire. Tel que cet article est rédigé, un médecin
pourrait procéder à une greffe cardiaque sur la personne d'un
majeur capable de consentir sans requérir de lui son consentement, si sa
vie est en danger à la suite d'une pathologie cardiaque qui peut
être traitée par greffe cardiaque. Il y a certainement là
danger d'abus et une sérieuse atteinte à la liberté et
à l'intégrité d'une personne humaine. Comme tous les
autres groupes qui se sont présentés devant cette commission,
nous souhaitons qu'une personne consciente, même en danger de mort,
conserve le droit de refuser un traitement.
Parlons maintenant de la concordance avec les lois de la santé.
La dernière partie de ce chapitre sur l'intégrité de la
personne vient en conflit avec plusieurs dispositions de la Loi sur la
protection du malade mental. Elle impose un délai irréaliste de
24 heures pour obtenir d'un tribunal une ordonnance d'examen psychiatrique
lorsqu'une personne est admise sous garde en raison de son état mental.
Ce délai était de 48 heures dans la Loi sur la protection du
malade mental. Si, parce que l'admission provisoire sous garde a lieu au cours
d'une fin de semaine, il est impossible d'obtenir une ordonnance d'examen
psychiatrique dans le délai de 24 heures, le malade, même
dangereux, devra être relâché par l'établissement de
santé mettant ainsi en danger la population et le malade
lui-même.
Il est essentiel, comme l'indique l'article 3 de la Loi sur la
protection du malade mental, que cet examen psychiatrique soit fait par un
psychiatre ou un médecin et non par un autre professionnel de la
santé. Il ne s'agit absolument pas du même genre d'examen que
l'examen psychologique ou tout autre examen. Nous pourrons préciser cela
en réponse à vos questions, mais je serais tenté de dire
ici: Chacun son métier et les vaches seront bien gardées.
Il faut aussi faire attention quand on fait des comparaisons avec les
États-Unis, comparaisons qui sont souvent boiteuses. Nous avons des
régimes politique et juridique différents. Il y a aux
États-Unis une vague de déréglementations où tout
est permis et il y a de moins en moins d'intervention gouvernementale. Je sais
qu'il y a des gens qui souhaiteraient la même chose au Canada et au
Québec. Par exemple, la prostitution est légalisée aux
États-Unis dans certains États, mais cela n'en fait pas
nécessairement une bonne chose et cela ne la transforme pas en vertu. Il
faut donc être bien prudent lorsqu'on fait ce genre de comparaison et il
faut aussi penser que la formation des personnes n'est pas
nécessairement la même.
Souvent, aux États-Unis, on parle beaucoup plus du psychologue
clinique, le "clinical psychologist", qui travaille beaucoup plus avec le
psychiatre, que du psychologue traditionnel que l'on voit ici. De toute
façon, je pense qu'il faut quand même s'assurer que chaque
profession remplit le champ de sa compétence même si nous sommes
prêts à collaborer et si, en fait, nous collaborons avec tous les
autres professionnels de la santé à l'intérieur de nos
mandats respectifs
et toujours dans l'intérêt des malades.
Mentionnons encore une fois la confusion des termes puisque le projet de
loi parle d'admission sous garde alors que la Loi sur la protection du malade
mental parle de cure fermée. Ce chapitre parle également
d'admission sous garde dans un établissement de santé ou de
services sociaux. Les seuls établissements de services sociaux qui
existent sont les centres de services sociaux. Ces établissements ne
sont pas organisés pour admettre sous garde des personnes dont
l'état de santé les rend dangereuses pour elles-mêmes ou
pour autrui. On devrait donc mentionner uniquement dans la loi les
établissements de santé.
Le chapitre sur les régimes de protection du majeur crée,
lui aussi, des situations fort complexes. Le régime de tutelle peut
varier au gré du tribunal qui peut accroître ou restreindre la
capacité d'exercice du majeur en tutelle. Nous nous demandons comment
les tiers, par exemple, les médecins qui entrent en relation avec les
majeurs en tutelle, pourront s'y reconnaître. Ce chapitre enlève
également au Curateur public le pouvoir de consentir aux examens,
traitements ou interventions proposés aux personnes sous sa juridiction
pour le donner à une personne nommée par l'établissement,
le même établissement où ces examens et soins sont
proposés. Il peut y avoir là danger de connivence et de conflit
d'intérêts. Il faut aussi se demander, si en pratique,
l'établissement trouvera facilement des personnes qui accepteront une
telle charge et si elles demanderont compensation pour la responsabilité
qu'elles ont à assumer.
Le projet de loi judiciarise systématiquement les régimes
de protection alors que la Loi sur la protection du malade mental et la Loi sur
la curatelle publique prévoyaient un processus administratif de mise
sous curatelle publique. Une telle judiciarisation est-elle justifiée?
Nous avons eu connaissance d'abus dans des cas de curatelle privée
où le processus judiciaire intervient, mais jamais dans les cas de
Curatelle publique. Nous croyons que le projet de loi aurait plutôt
dû prévoir une révision systématique des
régimes de protection après un délai raisonnable, dans les
cas où l'incapacité n'est pas, de toute évidence,
permanente.
Le projet de loi confie au directeur général de
l'établissement où est admise la personne sous garde la
tâche d'émettre les certificats d'aptitudes du patient à
prendre soin de lui-même ou à administrer ses biens. Nous croyons
qu'il s'agit d'un geste relié à l'exercice de la médecine
et qui devrait revenir au directeur des services professionnels ou à un
médecin qui l'autorise, comme le veulent la Loi sur la protection du
malade mental et la Loi sur la curatelle publique.
Enfin, le chapitre sur les actes de l'état civil, par ses
articles 263, 264, 272 et 274, augmente le fardeau administratif
déjà lourd supporté par les médecins. Il les oblige
à rédiger et souvent à transmettre un constat de naissance
et un constat de décès au directeur de l'état civil en
plus d'avoir à rédiger et à transmettre une
déclaration de naissance et une déclaration de
décès au registre de la population du ministère des
Affaires sociales en vertu de la Loi sur la protection de la santé
publique. Une telle duplication doit être évitée et j'en
profite, par ailleurs, pour dire que le système actuel que l'on veut
modifier avait au moins la qualité d'être extrêmement
accessible pour les individus alors qu'on n'a pas l'assurance que le nouveau
système va l'être autant. On a même l'assurance qu'il ne le
sera pas autant, parce qu'il était très facile d'aller dans
n'importe quel presbytère et de recevoir les extraits de baptême,
les extraits de mariage et tout ce qui était nécessaire pour
fonctionner civilement.
Nous devons conclure en demandant au gouvernement de s'interroger
sérieusement sur la nécessité d'une telle réforme
du Code civil, particulièrement quant aux chapitres sur
l'intégrité de la personne, les régimes de protection du
majeur et les actes de l'état civil. Si une réforme s'impose,
nous croyons que ces chapitres, particulièrement ceux sur
l'intégrité de la personne et les régimes de protection du
majeur, devraient être réécrits en tenant compte de la Loi
sur la protection du malade mental, de la Loi sur la curatelle publique et de
la Loi sur la protection de la santé publique. La profession
médicale devrait être consultée au moment de la
rédaction de ces chapitres et non a posteriori, puisqu'elle a à
vivre des situations d'application pratique de ces chapitres.
Je pense, M. le Président, que dans ma présentation, j'ai
oublié de me présenter. Je suis le Dr Augustin Roy,
président, secrétaire général de la Corporation
professionnelle des médecins du Québec. Ceci pour les fins du
journal des Débats.
Le Président (M. Blouin): Merci, Dr Roy. Sur ce, je donne
la parole au ministre délégué aux Relations avec les
citoyens. M. le ministre.
M. Lazure: M. le Président, je suis content que le
président de la Corporation professionnelle des médecins du
Québec se soit présenté à la fin de son
mémoire, parce que c'était tout à fait injuste. Les gens
de l'autre côté de la table le connaissent très bien alors
que certains de ce côté-ci peuvent le connaître moins.
Évidemment, ce n'est pas mon cas alors que je le connais depuis
très longtemps.
Je veux féliciter la Corporation professionnelle des
médecins du Québec pour
la préparation de cet excellent mémoire. Il y a plusieurs
questions qu'on peut soulever. M. le Président, je vais suivre l'ordre
du mémoire pour poser quelques questions ou faire quelques commentaires.
Le premier commentaire est d'ordre général. À la fin de
votre intervention vous dites que vous regrettez que le gouvernement consulte a
posteriori. Je veux m'inscrire en faux contre cette affirmation. La
consultation dans le cadre de la commission parlementaire ouverte aux
organismes comme celui-ci n'est pas de la consultation a posteriori, c'est de
la consultation avant le fait de rédiger la formule finale du projet de
loi qui sera soumise en deuxième lecture par la suite et qui sera
éventuellement votée par l'Assemblée nationale. Si les
comités, avec le barreau et la Chambre des notaires, ont
été consultés - et le réseau interprofessionnel
d'information fonctionne très bien - c'est que le ministère de la
Justice le fait de façon régulière, chaque fois qu'il
prépare un projet de loi. On doit cependant dire qu'il y a eu des
consultations avec le ministère des Affaires sociales qui est quand
même quelque peu associé à la corporation des
médecins, mais l'essentiel est la consultation d'aujourd'hui finalement.
(11 h 30)
À la page 3: traitement et intervention, vous dites: "Un
traitement est toujours requis par l'état de santé et c'est un
non-sens de parler de traitement non requis par l'état de santé."
À première vue, cela paraît vrai, mais est-ce qu'on ne peut
pas se poser la question en rapport avec la chirurgie plastique? Une
intervention chirurgicale esthétique n'est pas nécessairement
requise pour l'état de santé de l'individu; je pense que
d'ajouter l'état de santé, peut-être pour la santé
mentale, oui, et là on touche à l'unité de la
santé, le concept unitaire de la santé, dont je parlerai
tantôt, mais je pense que c'est une précision dans notre projet
qui, à première vue, garde sa raison d'être puisqu'il y a
des interventions qui ne sont pas vraiment directement reliées à
la santé de l'individu.
M. Roy: Je pourrais répondre tout de suite à
cela.
M. Lazure: Oui. M. Roy: Dr Brière.
M. Brière (Jacques): Voyez-vous, si on utilise des termes
dans un projet de loi sans les définir, on les utilise dans leur sens
commun en général. Or, dans les dictionnaires que l'on a
regardés, on définit le traitement comme une manière de
soigner un malade ou une maladie. Vous faites référence aux
interventions - j'emploie le mot à bon escient - de nature
esthétique; si elles n'ont pas pour but d'améliorer l'état
de santé, mais simplement de corriger un défaut
esthétique, alors il faut parler d'intervention esthétique et non
de traitement. Il s'agit de s'entendre sur les mots, mais encore une fois le
sens commun du mot "traitement", le sens que l'on trouve dans tous les
dictionnaires, c'est: soigner un malade ou une maladie. Alors une intervention
purement esthétique ne soigne pas, il faut parler d'intervention de
nature esthétique et, pour être plus précis, d'intervention
chirurgicale de nature esthétique parce qu'on pourrait faire une
intervention médicale de nature esthétique aussi.
M. Lazure: Je pense que cette mise au point nous éclaire
et on se rejoint finalement pour autant qu'il y a un petit lexique pour
expliquer le sens des termes.
Le deuxième point que je veux soulever sur la santé
physique ou mentale, je veux simplement exprimer, sans engager le ministre de
la Justice nécessairement, que je remplace aujourd'hui, mon accord avec
cette approche unitaire de la santé. Je pense qu'il va de soi que,
lorsqu'on parle d'une personne en santé, cela recouvre autant l'aspect
physique que l'aspect mental.
La question du terme "doué de discernement", vous en parlez
longuement dans votre mémoire. Avec raison, vous dites que c'est un
nouveau terme; nouveau, cependant, seulement dans le cadre de la Loi sur la
protection du malade mental, peut-être, et d'autres lois du genre, car on
m'informe que cette expression existe déjà dans notre droit.
C'est la raison pour laquelle on a choisi ce terme. Je sais, par exemple, qu'il
y a un groupe, l'Association du Québec pour les déficients
mentaux, qui propose de changer ce terme pour utiliser plutôt "apte
à faire un choix ou inapte à faire un choix", mais
évidemment cela nous renvoie encore au même problème. Il
faudra définir là aussi sur quel critère on se base pour
décider qu'une personne n'est pas apte à faire un choix ou manque
de discernement.
M. Brière: Évidemment, une autre expression qui
pourrait être utilisée, c'est celle de la capacité de
consentir; une personne qui a la capacité de consentir, puisqu'on parle
presque partout dans ce chapitre sur l'intégrité de la personne
de consentement, ce serait peut-être encore un meilleur terme. Mais
évidemment, comme vous l'avez vu dans notre mémoire, on ne
suggère pas d'amendement, on pense que le chapitre comporte suffisamment
de lacunes ou peut-être d'imperfections pour mériter d'être
récrit, mais une expression que l'on pourrait utiliser, c'est
"capacité de consentir"; une personne qui a la capacité ou non de
consentir. Dans les faits, on ne sera pas plus avancé, il faudrait quand
même
déterminer, dans chaque circonstance, si elle a une
capacité de consentir, mais déjà c'est un peu plus
précis. En questionnant une personne, en lui exposant la nature d'une
intervention médicale ou chirurgicale, je pense qu'on peut voir ou
saisir, en général, si elle a la capacité de comprendre ce
qu'on lui explique et, ensuite, de donner un consentement. Il faudrait
peut-être retenir le terme capacité de consentir; c'est une
suggestion.
M. Lazure: Oui, c'est une suggestion intéressante.
M. Roy: Si on parle de cela, c'est parce qu'on voudrait qu'on se
comprenne bien sur les termes dans le Code civil et que ce ne soit pas trop
assujetti à l'interprétation par les tribunaux. Dans le Code
civil, comme tel, on ne parle pas de personne douée de discernement. On
parle à un endroit de discernement dans le Code civil vers l'article
600. Ce n'est pas exactement le terme qui est utilisé ici. C'est
peut-être plus clair de l'établir différemment, mais, de
toute façon, je pense qu'il est important que la terminologie soit
précise pour éviter de plus en plus l'intervention des
tribunaux.
M. Lazure: On s'entend là-dessus, mais on m'informe,
encore une fois, qu'aux chapitres 18, 19, 20 du Code civil, on parle de
discernement effectivement et c'est la raison pour laquelle ce terme avait
été repris. Sur un autre point, M. le Président, sur le
cas des jeunes de quatorze ans et plus, vous dites à la page 4 de votre
mémoire: De plus, le projet de loi n'accorde plus aux mineurs de
quatorze ans ou plus la confidentialité envers le titulaire de
l'autorité parentale que lui accordait la Loi sur la protection de la
santé publique. Ce n'est pas tout à fait notre
compréhension, puisqu'à l'article 16 de notre projet, on dit
bien: "Le mineur de quatorze ans doué de discernement peut consentir
seul à un examen ou à un traitement exigé par son
état de santé physique ou mentale." On le maintient en tout cas.
Dans l'esprit de la loi, en tout cas, on veut le maintenir.
M. Roy: Peut-être dans l'esprit, mais, dans
l'interprétation, cela peut différer. Le Dr Brière va
vous...
M. Brière: Voici. Si l'on se reporte à l'article 29
du projet de loi, on dit: "Lorsqu'une personne non douée de discernement
ou un mineur - là, on n'indique pas si le mineur est ou non doué
de discernement, donc, cela peut comprendre les mineurs de quatorze ans ou plus
doués de discernement - est gardé dans un établissement de
santé ou de services sociaux, le titulaire de l'autorité
parentale et, le cas échéant, le tuteur, le curateur ou les
proches parents doivent être préalablement informés par
l'établissement du plan de traitement appliqué à la
personne, des interventions requises ainsi que de tout changement important
dans ses conditions de vie ou dans son traitement." Cela, à mon avis,
c'est ne pas respecter la confidentialité. Dans la Loi sur la protection
de la santé publique, à l'article 42, c'est bien
différent. Au deuxième paragraphe, on disait, pardon, c'est au
premier paragraphe: "Un établissement ou un médecin peut fournir
les soins ou traitements requis par l'état de santé d'un mineur
âgé de quatorze ans ou plus avec le consentement de celui-ci sans
qu'il soit nécessaire d'obtenir le consentement du titulaire de
l'autorité parentale. "L'établissement ou le médecin doit
toutefois avertir le titulaire de l'autorité parentale en cas
d'hébergement pendant plus de douze heures ou de traitement
prolongé." On obligeait seulement à avertir. Là dans
l'article 29 du projet de loi no 106, ce n'est plus simplement avertir, c'est
informer sur le plan de traitement à appliquer à la personne, les
interventions requises, tout changement important dans ses conditions de vie ou
dans son traitement. On pense que ce sont quand même deux régimes
un peu différents.
M. Lazure: Oui. Je comprends ce que vous voulez dire. Par rapport
à la situation actuelle, c'est un changement. Il y a peut-être une
certaine discordance entre les deux articles, entre l'article 16 et l'article
29. On en prend bonne note.
M. Roy: M. le ministre, je suis persuadé que vous voulez
conserver la facilité pour le mineur de quatorze ans et plus de
consentir seul à un traitement et d'aller chez le médecin se
faire traiter et de ne pas avertir ses parents, seulement dans les cas
d'hébergement de plus de douze heures, parce que tout le monde est
d'accord pour certains problèmes personnels que le mineur peut garder
pour lui.
M. Lazure: C'est cela. Au point suivant, je note que vous
êtes en accord avec la position de l'Association pour les
déficients mentaux et aussi avec l'opinion qui avait été
soumise il y a quelques années, vous y avez fait allusion, par le
Comité de santé mentale qui, quant à la
stérilisation, concluait qu'il serait souhaitable de mettre sur pied
dans chaque région un comité multidisciplinaire. Pour l'examen
psychiatrique, le délai de 24 heures vous semble trop court. Si je
comprends bien, vous préféreriez qu'on s'en tienne au
délai actuel qui est prévu de 48 heures pour l'examen
psychiatrique.
M. Roy: Oui, et si vous voulez qu'on
ait la base sur l'examen...
M. Lazure: Plusieurs l'ont mentionné. Moi,
spontanément, en tout cas, je vais en faire une recommandation à
mon collègue de la Justice. Cela me paraît court, 24 heures,
à moi aussi. Cela ne me paraît pas fonctionnel.
M. Roy: Vous connaissez, évidemment, les problèmes
des procédures encourues.
M. Lazure: Oui.
M. Roy: C'est pour cela que le Dr Therrien est ici, parce qu'il
l'a vécu lui-même.
M. Lazure: Cela va, je l'ai vécu moi aussi. À la
page 8 de votre mémoire, . concernant - et j'achève - les
régimes de protection du majeur. Au fond, c'est un point important,
c'est de la judiciarisation. Vous posez la question: Est-ce qu'elle est
justifiée? Évidemment, dans l'esprit du gouvernement, du
ministère de la Justice en particulier, il s'agit d'offrir le maximum de
protection à la personne. Vous posez la question: Est-ce que cette
précaution, qui nous ferait dorénavant passer par le tribunal,
n'est pas une procédure trop lourde, trop compliquée? Cela vous
fait peur?
M. Roy: C'est, bien sûr, normal que l'on pense
différemment, si on est avocat ou médecin. Les avocats qui
rédigent le projet de loi pensent en fonction des tribunaux -c'est comme
cela que l'avocat fonctionne -mais, nous, nous pensons en fonction du
bien-être des patients. On a déjà des tribunaux
administratifs ou des processus administratifs très précis de
prévus dans les lois, qui fonctionnent bien, qui sont efficaces, qui ne
sont pas trop lourds. En faisant appel aux tribunaux, et même aux juges,
pour n'importe quelle décision, on sera dans des situations
épouvantables. Je pense que le Dr Brière voulait ajouter quelque
chose sur cela.
M. Lazure: Je comprends très bien, mais il y a aussi la
question des droits de l'individu qui est impliqué. Je ne sais pas si
vous avez pris connaissance du mémoire d'un groupe qui s'appelle
Auto-Psy, qui doit passer aujourd'hui, je crois, et qui, lui, a un son de
cloche différent du vôtre, et ce n'est pas le seul groupe. Le
dilemme du législateur, c'est de faire le départage entre la
protection des droits de l'individu et une certaine efficacité
administrative, et aussi une efficacité thérapeutique,
évidemment.
M. Brière: Si notre mémoire ou allocution est
présentée avec un point d'interrogation, c'est qu'on se
demande... C'est vrai qu'il faut protéger autant que possible les droits
des individus, mais est-ce que dans le régime actuel de la Curatelle
publique il y a eu tellement d'abus - dont nous n'avons pas eu connaissance,
mais dont vous avez peut-être eu connaissance - que cela mérite
cette judiciarisation? Il faut quand même réaliser que dans le
régime de la Curatelle publique il y a deux examens psychiatriques. Il y
a le certificat qui est envoyé au Curateur public et la famille peut
toujours intervenir pour demander aux tribunaux de nommer un curateur
privé. Alors, on se dit: Est-ce qu'il y a réellement eu tant
d'abus dans le système de la Curatelle publique que cela justifie une
procédure judiciaire? C'est la question qu'on pose. Nous n'avons pas eu
connaissance de si grands abus.
M. Roy: Ensuite, on pense que dans les lois existantes il y a
déjà des mécanismes clairs et précis. C'est
même rendu à un point tel que l'on reçoit des remarques de
la population, des parents ou des alliés qui ont des malades mentaux
dans leur famille. Ils se demandent si le régime n'est pas trop simple,
pas trop facile. On se demande s'il n'est pas trop difficile d'hospitaliser
quelqu'un pour problèmes mentaux, s'il n'y a pas trop de malades mentaux
en circulation, si on est en sécurité quand on se promène
dans nos rues. Évidemment, c'est complètement l'opposé de
la situation que vous avez vécue au début de vos années de
pratique, que vous avez tenté de corriger et que vous avez effectivement
corrigée, lorsque vous avez fait partie d'une commission qui a
étudié la situation du malade mental au début des
années soixante.
Maintenant, vous savez que ce n'est pas facile d'hospitaliser quelqu'un
dans un hôpital psychiatrique. C'est encore moins facile dans un
hôpital général parce qu'on ne peut pas garder ces malades
trop longtemps. Le problème actuel est peut-être exactement
l'inverse du problème ancien. Actuellement, il est devenu très
difficile de garder un malade mental à l'hôpital, en
établissement, alors que, par définition, le malade mental n'est
pas conscient de sa maladie.
Il faut toujours faire la distinction entre le malade mental et le
déficient mental. On est souvent porté à confondre les
deux. Le déficient mental, ce n'est pas du tout la même chose. Je
l'ai mentionné tout à l'heure dans ma présentation, le
malade mental, évidemment, peut être amélioré,
guéri - peut-être, je le souhaite - mais ce sont des maladies qui
évoluent par cycle. Le propre du malade mental est de ne pas
reconnaître qu'il est malade, alors qu'il peut être dangereux pour
les autres. Est-ce qu'on doit attendre que les malades mentaux commettent des
crimes ou des meurtres pour pouvoir s'en occuper? C'est rendu à ce
point-là dans notre société. Je suis sûr que,
dans vos bureaux de comté, vous devez en entendre parler de temps
en temps.
M. Lazure: C'est certainement un point de vue qui mérite
une très sérieuse considération. J'ai exprimé
l'autre soir beaucoup de sympathie pour le point de vue exprimé par les
parents des enfants déficients mentaux, par rapport à la
possibilité qui se dessine par notre projet de loi de recourir au
tribunal. Bon!
La dernière question que je veux soulever, c'est celle qui se
rapporte à ce que vous appelez la deuxième formule, à la
fin de votre mémoire. Je veux vous rassurer. Le médecin n'aurait
pas à compléter deux formules. Il s'agirait d'une formule
unifiée, d'une seule formule et je prends l'engagement comme ministre
responsable des bonnes relations avec les citoyens - parce que cela inclut les
citoyens médecins d'examiner avec mon collègue de la Justice
cette formule pour qu'elle soit le plus simple possible et qu'elle ne prenne
pas trop de temps à être complétée par le
médecin.
M. Roy: Pourrais-je faire une remarque, M. le ministre?
M. Lazure: Oui.
M. Roy: Nous sommes très heureux de voir le désir
du gouvernement d'éviter la duplication. Évidemment, cela va
demander à ce moment-là un amendement à la Loi sur la
protection de la santé publique. Il faut réaliser que les
formules de déclaration de décès et de naissance dans la
Loi sur la protection de la santé publique sont fort différentes
du simple constat de décès et du constat de naissance que l'on
requiert pour l'état civil. Je suis heureux de voir ce désir,
mais j'espère que tout va concorder.
M. Lazure: Oui, oui. Il y aura une loi d'application un peu plus
tard, à la suite des différentes lois, y compris celle-ci. Il
faudra qu'il y ait une loi d'application de cette loi 106 et dans cette loi
d'application, les concordances seront faites avec les autres lois.
Une dernière question concernant le travail en équipe
multidisciplinaire; vous y avez fait allusion tantôt et j'ai entendu la
fin des échanges avec la Corporation des psychologues. Eliminez-vous
complètement la présence, dans un texte législatif, de
l'équipe multidisciplinaire à une étape quelconque de la
procédure d'examen, que ce soit le premier examen ou l'examen de
révision, peu importe? Y voyez-vous une présence quelconque?
M. Roy: C'est-à-dire qu'on a fait allusion aux articles 20
et 21, à la question de la stérilisation des déficients
mentaux. On n'a pas donné de formule. D'ailleurs, la loi n'en donne pas
comme telle. Elle parle de tribunal et nous suggérons d'autres formules,
comme d'autres organismes. On parlait à ce moment-là d'un
comité multidisciplinaire comme on parle dans le Code criminel d'un
comité d'avortement thérapeutique. On ne dit pas qui, exactement,
doit siéger à ce comité. On pourrait peut-être,
évidemment, spécifier que ce comité pourrait être
composé de parents de la personne et de différents professionnels
de la santé, pour utiliser une expression assez large. Mais on fait
aussi allusion, d'un autre côté, à l'examen psychiatrique.
On n'est pas d'accord à ce qu'un examen psychiatrique devienne un examen
psychologique. Ce n'est pas du tout la même chose. Je pense qu'il serait
peut-être temps d'élaborer sur cette différence importante
entre un examen psychiatrique et un examen psychologique. Dr Therrien.
M. Therrien (Bernard): Oui. Tenant compte du concept unitaire de
la santé, comme on l'a mentionné plus tôt - cela a
été discuté par la Corporation des psychologues notamment
- et en particulier des articles 24 à 27 du projet de loi où il
est question d'admission sous garde, ce qui semble être
l'équivalent de l'ancienne cure fermée, nous croyons fortement
que cet examen doit être fait par un psychiatre ou un médecin. Il
y a plusieurs raisons -croyons-nous - pour soutenir une telle affirmation.
D'abord, les perturbations d'ordre mental, autrement dit, les raisons pour
admettre sous garde peuvent être très souvent reliées
à des causes cérébrales organiques. Les tumeurs
cérébrales, l'épilepsie temporale, l'hypoglycémie,
l'alcoolisme et les intoxications médicamenteuses sont autant de
conditions physiques organiques qui peuvent donner lieu à des
dangerosités au point de vue suicidaire ou homicidaire et cela
nécessite une histoire médicale et un examen physique et mental
complet, même avec certains éléments neurologiques et
endocriniens.
La deuxième chose est qu'il n'est pas toujours facile
d'évaluer la dangerosité et, de fait, il existe dans les
hôpitaux une collaboration avec des psychologues pour aider à
établir certains aspects du déséquilibre mental. Si la loi
le reconnaissait à tous les membres de la Corporation professionnelle
des psychologues du Québec dans l'ensemble, tous les psychologues
auraient le droit d'évaluer la dangerosité. Ils n'ont pas de
spécialité reconnue et d'attestation par des certificats. On a
mentionné par exemple qu'un examen psychiatrique était un examen
fait par un psychiatre. On pourrait dire la même chose: un examen
psychologique est un examen fait par un psychologue. Je pense qu'il faudrait
plutôt s'en tenir au terme "examen complet
physique et mental".
Le règlement d'application sur la Loi sur les services de
santé et les services sociaux, à l'article 50, dit bien qu'une
admission dans un centre hospitalier est un geste médical. Un
médecin ou un dentiste peut demander l'admission dans un centre
hospitalier. Bien sûr que l'évaluation de la dangerosité,
l'examen mental et physique, l'examen complet de la personne qu'on doit garder
contre son gré doit être finalement décidé par un
médecin ou un psychiatre. Évidemment, au Code des professions, la
définition de l'exercice de la psychologie ne permet pas, je crois, de
faire des diagnostics de maladies pathologiques. Lorsqu'il s'agit, comme le
disent les articles de loi, d'admettre une personne sous garde contre son
gré, c'est du domaine franchement pathologique et cela suppose une
perturbation carrément psychologique. Maintenant...
M. Lazure: Dr Therrien, je crois que cela m'éclaire
suffisamment sur votre position. M. le Président, j'ai
complété mes remarques et mes questions.
Le Président (M. Blouin): Merci, Dr Therrien. Merci, M. le
ministre. La parole est maintenant au député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Je voudrais poursuivre sur la même question. Vous
avez entendu le mémoire des psychologues qui ont dit que dans 26
États américains on prévoit des examens psychologiques.
Ont-ils tous tort aux États-Unis?
M. Roy: C'est différent aux États-Unis dans
beaucoup de domaines et c'est dommage que le Dr Therrien n'ait pas pu...
M. Marx: On s'inspire souvent des autres gouvernements...
M. Roy: C'est la querelle des psychologues et des psychologues
cliniques et les psychologues veulent devenir des psychologues cliniques.
Effectivement vous avez des psychanalystes, des psychologues qui deviennent
psychanalystes mais à ce moment-là ce n'est pas de la psychologie
au sens du terme du Code des professions. Cela ne veut pas dire que certains
psychologues ne pourraient pas devenir des psychologues cliniques, c'est une
formation américaine. Évidemment, il y a bien des choses aux
États-Unis qui sont différentes des nôtres et, dans le
domaine des professions, cela en est une à l'heure actuelle. Je vais
donner l'exemple des podiatres. Les podiatres américains sont des
orthopédistes du pied. Ils font de la chirurgie du pied alors que les
podiatres ici et les "pédicuristes" français -c'est la même
chose - ne font que de la pédicurie, de petits soins du pied comme
s'occuper des cors. Les termes ne veulent pas nécessairement dire la
même chose et les professionnels ne sont pas préparés de la
même façon à ce moment-là.
M. Marx: C'est-à-dire que vous seriez d'accord pour des
examens psychologiques si nous formions des psychologues cliniciens?
M. Roy: Cela ne doit pas s'appeler examen psychologique. Cela
doit s'appeler examen psychiatrique parce qu'on examine une pathologie. C'est
une responsabilité extrêmement sérieuse que d'admettre
quelqu'un en cure fermée ou sous régime de garde. On le prive de
sa liberté. Il faut établir un diagnostic médical. Il faut
évaluer la dangerosité de la personne. C'est donc quelque chose
de très complexe et c'est hors du domaine de la majorité des
psychologues. Je ne dis pas que certains psychologues ne pourraient pas arriver
à obtenir cette compétence mais le terme ne devrait pas
être changé.
M. Marx: J'imagine que le ministre psychiatre est d'accord.
M. Roy: Le docteur Therrien voudrait préciser.
Précisez donc, Dr Therrien.
M. Lazure: M. le Président, je n'ai pas été
élu député de Bertrand à titre de psychiatre et je
ne suis pas ici à titre de psychiatre, je suis ici pour qu'on ait
l'échange le plus ouvert et le plus éclairant possible.
Le Président (M. Blouin): ...pour nos invités.
M. le député de D'Arcy McGee, est-ce que vous aviez
terminé?
M. Marx: Tout ce que j'ai voulu dire par cela, c'est qu'il est
difficile de divorcer d'avec ses anciennes études professionnelles.
Le Président (M. Blouin): Est-ce que vous avez d'autres
questions?
M. Marx: Moi aussi, cela m'arrive.
M. Lazure: S'il fallait qu'on fasse cette remarque chaque fois
qu'un avocat-député intervient, on la ferait tout le temps.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
D'Arcy McGee, aviez-vous d'autres questions?
M. Marx: Cela ne me gêne pas.
M. Roy: Le Dr Therrien voudrait compléter la
réponse.
Le Président (M. Blouin): Dr Therrien,
oui.
M. Therrien: Si vous le permettez, M. le Président, pour
compléter ce que vient de dire notre président, le Dr Roy, les
psychologues n'ont pas au Québec de spécialité
officiellement reconnue ou attestée par un diplôme. Comment
pourraient-ils être habilités, l'ensemble d'entre eux, ceux qui
s'occupent d'orientation scolaire ou autre, à faire de tels examens?
C'est ce qu'on voulait dire.
Il y a une autre chose que j'aurais aimé commenter
brièvement avec votre permission; on a fait allusion au fait qu'il
fallait être positif et non pas négatif, ne pas établir
nécessairement un diagnostic psychiatrique, pathologique, qui est
lui-même "pathologisant", pour employer cette expression, mais
plutôt parler de capacité mentale résiduelle chez un
patient. Ceci est très vrai, nous sommes d'accord qu'il vaut mieux
être positif que négatif. Ceci fait partie de tout un courant qui
débute au début des années 1965-1970, qui retrouve, il
faut le dire, de moins en moins d'adeptes et qui s'est appelé,
d'après d'aucuns, de l'antipsychiatrie. De plus en plus, on retrouve des
fondements biologiques et des fondements biochimiques même dans les
questions de maladies mentales et nous croyons qu'en règle
générale les médecins sont mieux formés à
analyser ces choses et à apporter des diagnostics.
Le Président (M. Blouin): Merci, Dr Therrien. M. le
député de D'Arcy McGee, est-ce que vous avez d'autres
questions?
M. Marx: Oui. On demandera au ministre de la Justice, en
consultation avec le ministre délégué aux Relations avec
les citoyens, de se pencher sur cette question.
À la page 8 du mémoire du président, il est
écrit: "En effet l'article 19 semblait exclure la possibilité
qu'une personne non douée de discernement soit soumise à une
expérimentation". Avez-vous des recommandations? Êtes-vous pour
une modification de l'article 19?
M. Brière: Encore une fois, nous ne venons pas ici avec un
article qu'on veut modifier, parce que c'est impossible sur des articles qui se
tiennent tous. Ce qu'on a voulu exprimer, c'est qu'il semble y avoir une
contradiction dans l'article 19 où l'on dit que, des personnes non
douées de discernement ne peuvent être soumises à une
expérimentation. Par contre, si on retourne à l'article 21, on
voit que le tribunal lui, peut autoriser l'expérimentation même
chez des personnes non douées de discernement. Est-ce que c'est une
contradiction voulue ou un oubli? C'est ce qu'on ne sait pas. On a voulu au
moins la souligner.
M. Marx: Vous n'avez pas de recommandation précise?
M. Brière: Notre recommandation est qu'il faudrait
réécrire tous ces articles. De la manière qu'ils sont
écrits, ils se tiennent tous et même on ne peut pas en lire un
sans se rapporter à d'autres, autrement, la phrase commence à un
endroit sans qu'on sache ce qu'elle veut dire.
M. Roy: Je crois qu'il y a eu plusieurs remarques faites sur
l'expérimentation dans d'autres mémoires. Je me souviens en
particulier de la présentation des médecins de l'hôpital
Sainte-Justine et de l'Hôpital de Montréal pour enfants, qui ont
très bien élaboré leur pensée sur le sujet de
l'expérimentation. Dans ce domaine, si vous vous en tenez à leur
suggestion, vous serez en bon terrain.
M. Marx: Vous êtes plus ou moins d'accord avec leur...
M. Roy: Sur la question de l'expérimentation, en accord
parfait.
M. Marx: Vous êtes d'accord. Parfait.
Une remarque peut-être. Dernièrement, vous avez dit que la
Corporation professionnelle des médecins du Québec a peur que la
loi 106 risque d'engendrer la confusion à cause d'autres lois
spécifiques qui portent sur les mêmes sujets. Nous sommes
habitués à la confusion législative depuis quelques
années. (12 heures)
J'aimerais préciser que cette loi n'est pas pour demain. Cette
loi sera adoptée peut-être dans un an. On va avoir une loi
d'application de la réforme du Code civil. À ce moment,
peut-être que ce sera nécessaire que vous fassiez une autre
étude pour voir s'il y a vraiment concordance. La concordance, ce sera
dans une loi spéciale présentée peut-être à
la fin de cette année ou l'an prochain.
M. Roy: On sait bien qu'il va y avoir une loi de concordance, une
loi de transition, le ministre l'a répété, mais chat
échaudé craint l'eau froide. Je pense que nous sommes des
habitués des commissions parlementaires bien avant le régime du
Parti québécois et je peux vous dire que de 1970 à 1976
nous avons vu souvent des promesses qui n'ont jamais été
réalisées. Nous avons eu...
M. Marx: Moi, je n'étais pas ici à
l'époque.
M. Lazure: C'était le gouvernement des libéraux,
évidemment.
M. Marx: Je n'étais même pas membre du parti
à l'époque.
M. Lazure: On ne l'a pas fait dire à l'ancien candidat
dans Bourassa.
Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous
plaît!
M. Roy: Vous savez, je n'accuse personne...
Le Président (M. Blouin): Dr Roy, vous soulevez là
des sujets...
M. Roy: ...parce que je ne suis pas partisan...
Le Président (M. Blouin): ...qui risquent de délier
les passions...
M. Roy: ...mais je dois vous dire quand même...
Le Président (M. Blouin): ...et je souhaiterais que nous
revenions au coeur du sujet.
M. Roy: II est quand même important que ce soit
enregistré pour être juste envers tout le monde. On a
demandé autrefois, lorsqu'on a révisé toutes les lois de
la santé dans les années 1970 et 1971, d'avoir des
règlements qui accompagnent les lois et d'être consultés.
Souvent, cela n'a pas été mis en application. C'est pour cela
qu'on a tellement de problèmes actuellement dans le domaine de la
santé. C'est pour cela que tellement de lois ont été
modifiées, retouchées et qu'elles devraient l'être encore.
On a été vraiment échaudés et on s'en souvient
encore.
M. Marx: On va demander au ministre de vous donner l'occasion de
faire des représentations en ce qui concerne cette loi de concordance.
Je pense que ce serait souhaitable.
M. Lapierre (André): M. le Président. Le
Président (M. Blouin): Oui, docteur.
M. Lapierre: En fait, il y a un message qu'on laisse dans le
mémoire et qui ne semble pas ressortir ici autour de la table. C'est
qu'on ne veut pas insister seulement sur la concordance entre les lois. Ce
qu'on veut laisser comme message, c'est que les articles actuels des lois sur
la protection du malade mental et de la santé publique sont meilleurs
que les dispositions qu'on retrouve dans le projet actuel.
M. Marx: Vous voulez que les articles des autres lois aient
préséance sur les dispositions...
M. Lapierre: Pas nécessairement qu'ils aient
préséance, mais tout au moins qu'on utilise ceux avec lesquels on
vit actuellement et qui nous paraissent meilleurs que ceux qu'on voit
rédigés dans le projet de loi 106.
M. Marx: Mais c'est cela...
M. Lapierre: Qu'on les transporte dans le projet de loi 106, s'il
le faut.
M. Marx: Oui, mais c'est cela, parce que dans une loi
d'application il est possible de modifier les articles des autres lois pour y
faire des changements importants en guise de concordance. Je pense que vous
aurez l'occasion de faire des représentations à ce
moment-là. On va l'exiger et on a déjà la promesse du
ministre, donc, pas de problème.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. le
député de D'Arcy McGee. M. le député de
Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): Alors, à l'article 27, on
emploie le terme médecin. Si j'ai bien compris, vous n'êtes pas
satisfaits de ce terme. Vous parlez également de l'article 24, quand il
y a une demande d'un médecin pour ordonner un examen psychiatrique. Aux
fins de la rédaction de la loi, lorsqu'on va être appelé
à l'étudier article par article, est-ce que vous auriez une
suggestion à nous faire? Est-ce que vous voudriez remplacer le mot
médecin par psychiatre?
M. Brière: La Loi sur la protection du malade mental
prévoit déjà expressément que c'est un examen
psychiatrique fait par un psychiatre, sauf dans une région où il
n'y a pas de psychiatre, où cela peut être fait par un autre
médecin qui n'est pas l'allié de la personne. Tel que l'article
27 est rédigé, on se demande si c'est le même
médecin qu'à l'article 24 qui peut demander l'admission sous
garde. La Loi sur la protection du malade mental permet aussi à
n'importe quel médecin d'admettre provisoirement sous garde mais,
ensuite, l'examen qui va le confirmer, ce sera l'examen d'un psychiatre, sauf
cas exceptionnels. Je pense qu'à l'article 27 il devrait être
spécifié qu'il s'agit d'un examen fait par un médecin
psychiatre, sauf dans les circonstances exceptionnelles où cela pourrait
être un autre médecin. Il y a quand même des régions
où il n'y a pas de psychiatre.
M. Leduc (Saint-Laurent): Vous voulez qu'on mentionne le terme
psychiatre.
M. Brière: Je ne veux pas tomber dans le piège de
dire: On changera un mot dans
un article et on en changera un dans l'autre. Je pense que ce n'est pas
cela; tout cela doit être repensé. Le sens, c'est que là,
cela devrait être un examen psychiatrique.
M. Leduc (Saint-Laurent): Et à l'article 24
également.
M. Brière: Non, pas nécessairement.
M. Leduc (Saint-Laurent): Vous parlez d'un examen
psychiatrique.
M. Brière: Non, un médecin peut admettre
provisoirement une personne sous garde et, ensuite, il y aura un examen
psychiatrique.
M. Leduc (Saint-Laurent): Non, mais je parle de l'examen.
M. Brière: Ah oui! Quand vous parlez de l'examen, ce
devrait être l'examen psychiatrique.
M. Roy: Je pense bien que vous faites la distinction nette entre
l'admission sous garde et l'examen intensif qui suit l'admission. L'admission
sous garde est généralement une affaire d'urgence: il faut
établir que la personne est en mauvais état; il faut souvent
avoir un ordre de cour. Alors, c'est un médecin qui le fait d'urgence
et, ensuite, c'est suivi d'un examen approfondi.
M. Brière: D'ailleurs, c'est bien exprimé à
l'article 24. On dit qu'un médecin admet sous garde et, ensuite, on
parle d'examen psychiatrique. C'est à l'article 27 que...
M. Leduc (Saint-Laurent): Alors, en fait, vous voudriez qu'il y
ait une manière de concordance entre les articles 27 et 24.
M. Brière: Oui, qu'il y ait une logique, qu'à
l'article 27, on spécifie bien qu'il s'agit de l'examen
psychiatrique.
Le Président (M. Blouin): Très bien. M. le
député de Chapleau.
M. Kehoe: À la page 3 de votre mémoire, vous parlez
de la notion de discernement. C'est un problème qui revient dans
plusieurs mémoires jusqu'à maintenant, mais vous mentionnez que
c'est le médecin qui aura à décider si une personne est
douée ou non de discernement; ce sera d'abord le médecin qui
déterminera cela. Actuellement, quelles sont les procédures ou
quelles sont les modalités dont vous vous servez pour le
déterminer? Je parle avant l'arrivée de la loi. D'ailleurs, la
notion de personne douée de discernement n'est pas dans la loi
actuellement, mais il y a un terme similaire. De quelle manière
procédez-vous actuellement pour le déterminer?
M. Brière: Commençons par les mineurs. S'il s'agit
d'un mineur de quatorze ans ou plus, il a le droit de consentir pour
lui-même, selon la Loi sur la protection de la santé publique.
S'il s'agit d'une personne majeure, elle est présumée pouvoir
consentir à moins d'une preuve du contraire. Ici, c'est un peu
différent, si vous regardez à l'article 14: "Le consentement du
majeur non doué de discernement est donné par son tuteur ou
curateur." S'il n'est pas ainsi représenté -donc, dans le cas
d'un majeur qui n'a pas de tuteur ni de curateur - c'est le médecin qui
devra dire que cette personne n'est pas douée de discernement. Or, la
notion de "doué de discernement", comme on l'a exposé longuement,
est très vague. Si on mettait, par exemple: le consentement du majeur
incapable de consentir pour lui-même, déjà, cela nous
orienterait beaucoup mieux parce qu'il s'agirait bien de la capacité de
consentir, ce qui peut s'apprécier beaucoup mieux que la notion de
"doué de discernement". Discerner quoi?
Le Président (M. Blouin): Très bien. S'il n'y a pas
d'autres questions... Oui, Mme la députée de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Je voudrais revenir sur la question de la
judiciarisation des régimes de protection. Si je comprends bien, vous
préférez ce qui est prévu dans l'actuelle Loi sur la
protection du malade mental qui, elle, prévoit, en fait, deux examens,
c'est-à-dire que l'un peut venir confirmer ou infirmer l'autre quand il
y a révision par les médecins de la Commission des affaires
sociales. Est-ce que c'est cela?
M. Brière: C'est exact, madame. J'ai été
surpris tout à l'heure - je pense que c'était à la fin du
mémoire précédent - que vous sembliez dire que le projet
de loi no 106 accordait une meilleure protection que celle de la Loi sur la
protection du malade mental. Si c'est vrai, ce n'est pas apparent...
Mme Lavoie-Roux: Non.
M. Brière: ...parce que, dans la Loi sur la protection du
malade mental, cela demande deux examens psychiatriques...
Mme Lavoie-Roux: Oui, mais...
M. Brière: ...plus la décision d'un tribunal, alors
que dans le projet de loi no 106, c'est un examen psychiatrique et la
décision du tribunal.
Mme Lavoie-Roux: C'est pour cela que je reviens là-dessus,
parce que l'explication que vous apportez ici me semble aussi aller
dans le sens que vous le dites. Par contre, comment expliquez-vous que,
selon le rapport de la Commission des affaires sociales, des patients soient
gardés contre leur gré dans les centres hospitaliers et que la
Commission des affaires sociales nous dise que, depuis 1975, elle a un peu plus
de 700 cas qui ont demandé une révision à partir de
l'autre disposition de la loi qui dit que, quand quelqu'un veut contester, il
peut être entendu à la Commission des affaires sociales? Cette
année - on vient de recevoir le rapport 1981-1982 - il y aurait eu 117
demandes de ce type de révision. Depuis 1975, il y en aurait eu un peu
plus de 700. Enfin, ce sont les statistiques officielles que je vous donne.
Alors, la Commission des affaires sociales conclut en disant: "Ces personnes
sont donc gardées contre leur gré dans les centres
hospitaliers."
M. Brière: Une personne en cure fermée par ordre de
cour est gardée contre son gré, c'est vrai.
Mme Lavoie-Roux: Oui mais comment se fait-il que les demandes de
révision semblent venir du patient même ou de la famille du
patient et non pas du médecin qui traite le patient?
M. Brière: C'est possible. Maintenant, je ne connais pas
le texte sur lequel vous vous appuyez. Est-ce que la Commission des affaires
sociales dit que les cures fermées dans ces cas n'étaient pas
justifiées? Est-ce que c'est expressément ce que l'on dit?
Mme Lavoie-Roux: On donne les résultats que dans X cas ils
ont rendu des décisions contraires et que dans X cas ils les ont
maintenues...
M. Brière: Bon, quelqu'un peut toujours se tromper, mais
ce que l'on dit, c'est que la Loi sur la protection du malade mental a beaucoup
plus de garanties. Si vous continuez à étudier cette loi, vous
allez voir que la décision de cure fermée est sujette à
révision à l'intérieur de l'hôpital au bout de trois
semaines, ensuite au bout de six mois. Est-ce qu'on le fait ou non? À ce
moment, ce n'est pas à cause d'une déficience de la loi; ce
serait à cause d'une déficience d'un processus dans le centre
hospitalier, mais ce n'est pas la loi qui offre moins de garanties que votre
projet de réforme du Code civil va en offrir parce qu'on n'en
prévoit même pas, de révision, dans ce projet de
réforme.
Mme Lavoie-Roux: Oui. Ce sont des réflexions que la
Commission des affaires sociales...
M. Brière: Oui et elle a peut-être raison.
Mme Lavoie-Roux: ...a faites depuis 1977-1978 et dans son rapport
de 1980-1981. Cela veut dire qu'il reste, quand même, que ces patients
sont sous les soins d'un médecin dans le centre hospitalier.
M. Brière: Oui. Alors, est-ce que la révision n'a
pas eu lieu? Peut-être. À ce moment, c'est qu'on n'a pas
observé les prescriptions de la loi. Si elle a eu lieu et qu'on a encore
conclu à la nécessité de la cure à tort, c'est que
le médecin s'est trompé.
Une voix: Le Dr Therrien va compléter. Mme Lavoie-Roux:
Oui.
M. Therrien: Vous savez, madame, dans la Loi sur la protection du
malade mental, on prévoit que le malade qui est en cure fermée a
le droit, sans que le centre hospitalier y fasse objection - et c'est
très heureux - de s'adresser à son député, à
l'ombudsman, etc. Alors, il est possible que ces chiffres représentent
le nombre de requêtes qui sont venues des patients. Ce qu'il serait
intéressant de savoir serait le nombre de cas dont la commission a
jugé qu'ils n'étaient pas justifiés.
Mme Lavoie-Roux: Je peux vous donner les statistiques pour le
rapport 1981-1982, si je peux retrouver la place. 117 déclarations
furent reçues et 58 décisions furent rendues, 50 dossiers
étant annulés par voie de règlement. Sur les 58
décisions rendues, 25 ont accueilli la demande et 33 l'ont
rejetée.
M. Therrien: Alors, c'est 25 par année.
Mme Lavoie-Roux: Alors, c'est moitié-moitié, mais
c'est quand même important quand on prend l'individu.
M. Roy: II n'y a pas de système sans faille.
M. Therrien: Mais c'est 25 cas sur des milliers.
M. Roy: Et vous comprenez combien il peut être difficile
d'évaluer la dangerosité d'une personne et souvent une
personne...
Mme Lavoie-Roux: Mais ce sont ceux qui ont pris l'initiative de
demander une révision.
M. Roy: Oui, mais souvent ces personnes...
Mme Lavoie-Roux: N'oubliez pas que vous avez affaire à des
gens qui sont dans des hôpitaux.
M. Roy: II faut peut-être continuer. Souvent, ces personnes
qui vont être relâchées de leur cure fermée vont
être réadmises en cure fermée un mois après...
Mme Lavoie-Roux: C'est possible mais ce n'est pas une raison
pour...
M. Roy: ...à la demande même de la famille.
Voyez-vous qu'on est sur un terrain très glissant, très
difficile. Je pense que le système actuel est sévère,
même très sévère. On traite avec des humains et avec
des malades mentaux qu'il est très difficile d'évaluer. Je pense
que les gens le font objectivement et le mieux possible.
Mme Lavoie-Roux: On peut se tromper.
M. Roy: Mais encore là l'opinion, évidemment, de
trois personnes peut différer de l'opinion de trois autres et là
on est en terrain d'opinions, mais cela ne veut pas dire que ces gens... Ce
sont généralement des admissions à
répétition parce qu'on ne garde plus les gens en cure
fermée toute leur vie, contrairement à autrefois. Autrefois, il
n'y avait pas de problème, on les gardait toute leur vie. Maintenant,
ils sont en cure fermée pour une période limitée; ils
ressortent, ils rentrent, ils ressortent, et je suis sûr que le ministre
responsable des relations avec les citoyens le sait fort bien.
M. Lapierre: En fait, comme l'a dit le Dr Brière tout
à l'heure, le mécanisme de protection est dans la loi
actuellement et il n'existe pas dans le projet de réforme. Ce qu'il
faudrait...
Mme Lavoie-Roux: Le mettre ici peut-être. Le
mécanisme administratif.
M. Lapierre: ...c'est aller vérifier si le système
de révision qui est prévu dans la loi actuelle est
appliqué dans les hôpitaux et dans quelle mesure il est
appliqué. C'est ce qu'il faudrait vérifier.
Une voix: II nous apparaît plus strict...
M. Lazure: Si on me le permet, M. le Président, pour
conclure là-dessus, je voudrais encore une fois rassurer la corporation
des médecins et les autres groupements. Après avoir eu un petit
caucus avec les représentants du ministère de la Justice, il est
bien sûr qu'à la suite de la commission parlementaire, dans la
rédaction finale du projet de loi, notre objectif est de conserver les
meilleurs éléments de ce projet-ci et de la loi actuelle sur le
malade mental, qui est une assez bonne loi, à tout prendre. (12 h
15)
Le Président (M. Blouin): Sur ce, s'il n'y a pas d'autres
questions, je remercie les représentants de la Corporation
professionnelle des médecins du Québec de nous avoir
présenté leur avis.
À la suite d'une entente intervenue entre les organismes, je
demanderais maintenant aux représentants de l'Association canadienne
pour la santé mentale, division du Québec, de bien vouloir venir
s'asseoir à la table des invités. Compte tenu que ce
mémoire devrait normalement être présenté assez
rapidement, nous espérons ne pas trop excéder le mandat qui nous
été donné par l'Assemblée nationale et qui indique
que nous devons terminer nos travaux à 12 h 30. Lorsque nous arriverons
à 12 h 30, je demanderai que nous puissions dépasser de quelques
minutes l'heure de suspension.
Sur ce, pour les fins du journal des Débats, je demande aux
représentants de l'Association canadienne pour la santé mentale,
division du Québec, de se présenter et de nous livrer leurs
remarques préliminaires.
Association canadienne pour la santé mentale,
division du Québec
M. Messier (Michel): Mon nom est
Michel Messier; je suis ici à titre de représentant du
comité scientifique de l'Association canadienne pour la santé
mentale, division du Québec. À ma gauche, M. Paul-Marcel
Gélinas, qui est aussi directeur général de la division du
Québec de la même association. J'attire votre attention sur le
fait qu'on m'a demandé si j'accepterais de présenter le
mémoire plus tôt pour faciliter le déroulement des
opérations; je suis bien d'accord avec cela, mais je voudrais qu'on ait
tout de même la chance aussi bien de le présenter que d'en
discuter. Quinze minutes, cela me paraît un peu bref pour faire tout
cela, même si j'y mets beaucoup de bonne volonté.
Le Président (M. Blouin): II n'y a pas de problème.
Je vous signale que nous accordons habituellement, si c'est possible, une
vingtaine de minutes aux gens pour présenter leur mémoire. Nous
avons bien l'intention de vous accorder le même temps que nous avons
accordé aux autres organismes.
M. Messier: Comme je l'ai souligné dans le premier
paragraphe du mémoire que vous avez reçu, nous avons
été sollicités pour présenter un mémoire au
tout début de mars. À ce moment-là, on a vraiment dû
procéder à la vapeur pour soumettre un premier mémoire. Ce
deuxième mémoire se veut une position beaucoup plus
nuancée et complète de notre opinion sur ces points qui nous
semblent des plus importants. M. Paul-Marcel Gélinas vient de distribuer
un certain
nombre d'exemplaires. Je pense que nous avions une dizaine d'exemplaires
de ce deuxième mémoire, qui est plus complet que le premier que
nous avions déposé auprès de la commission.
L'ACSM remercie le ministre d'avoir sollicité son opinion sur des
questions concernant la protection des droits des citoyens, de ceux surtout qui
présentent des perturbations psychologiques importantes. Notre
association poursuit comme objectifs la promotion de la santé mentale et
la protection des droits des malades mentaux. C'est surtout le deuxième
volet de notre rôle qui sera représenté dans les remarques
que nous vous adressons. Nous devons vous souligner, cependant, comment nous
trouvons important, pour qu'un individu se situe bien dans cette
société, qu'il soit régi par des lois spécifiant
aussi clairement que possible ses droits et obligations, de façon qu'il
se sente personnellement plus compétent et bien informé sur la
liberté qui lui est reconnue et sur la responsabilité qui y est
associée.
D'une manière générale, nous tenons à faire
valoir le point de vue que la liberté et les droits de l'individu
s'accompagnent nécessairement de la responsabilité et des
obligations correspondantes. Notre Code civil devrait refléter ce
rapport et l'équilibre qui doit exister entre ces deux aspects de notre
comportement personnel et social.
Ainsi, on peut imaginer que si, au début de l'humanité, un
individu pouvait être très libre de faire ce qu'il voulait compte
tenu de ses moyens et connaissances, il portait, cependant, la pleine
responsabilité de ses actions et toute erreur de jugement pouvait
remettre en cause son intégrité physique, si ce n'est sa vie
elle-même. Il avait comme obligation de se supporter entièrement,
ainsi, d'ailleurs, que ses enfants, jusqu'à ce qu'ils puissent se
suffire eux-mêmes au moins au point de vue biologique. Le processus de
maturation biopsychosocial de l'être humain est particulièrement
prolongé et, de ce fait, une attitude de protection et de
responsabilité face à ses proches est une des composantes du
fonctionnement humain habituel.
Je pense qu'a priori nous devrions reconnaître que, même si
les intérêts des parents, conjoints ou alliés d'un individu
ne sont pas nécessairement identiques aux siens, ils sont plus
près, en général, de bien le refléter, fût-ce
à travers l'appartenance au même groupe socio-culturel et,
partant, aux mêmes valeurs humaines. Reconnaître l'existence d'un
préjugé favorable en ce qui concerne les proches me paraît
résulter d'une appréciation plus juste des rapports entre
individus que de postuler un antagonisme, une situation conflictuelle.
Cependant, cette situation peut exister et, dans les faits, l'individu qui
présente des difficultés de fonctionnement psychologique est issu
d'un milieu qui ne lui a pas nécessairement fourni les moyens propres
à son épanouissement personnel. Il est donc possiblement en train
de réagir à des contraintes indues pour lui, contraintes qui sont
peut-être fort acceptables cependant pour les autres membres de son
groupe. Il doit donc, en tant qu'individu, pouvoir faire reconnaître le
bien-fondé de son point de vue et c'est dans ces cas,
c'est-à-dire lorsqu'il existe un droit de contestation, que le processus
judiciaire devrait être appelé à intervenir.
De plus, il faut bien reconnaître que l'organisation de la vie en
société a favorisé la prise en charge de plus en plus
importante par l'État des besoins de base de l'individu. En
contrepartie, cet État s'est ingéré de plus en plus dans
nos vies pour nous prescrire souvent comment nous comporter. Il ne peut en
être autrement, bien entendu, car nul n'est prêt à accepter
la responsabilité des choix faits par un tiers sur lesquels
lui-même n'a aucune autorité. Ainsi, il nous apparaît
important de préserver, dans toute la mesure où il peut
l'exercer, le droit à l'acceptation ou au refus par le
bénéficiaire de toute modalité d'examen ou de traitement,
même si son choix peut avoir pour lui-même des conséquences
plus ou moins fâcheuses. Sinon, nous pourrions faire vivre
artificiellement des individus sans que leur vie ni la qualité de
celle-ci aient quelque sens, quelque valeur pour eux après qu'ils ont
perdu toute responsabilité par suite de la perte de leur liberté
de choix.
Il faudrait que notre droit civil protège donc largement la
liberté de l'individu et lui reconnaisse la pleine responsabilité
de ses choix en ce qui concerne sa vie, son intégrité physique et
son épanouissement personnel. La loi n'interviendrait pour le
protéger que lorsqu'il est évident qu'il agit temporairement, ou
pour une période de temps indéfinie, d'une manière non
conforme à ce qu'il était antérieurement et que, de plus,
ses actions semblent être le résultat d'un fonctionnement
psychologique pleinement perturbé et non simplement différent de
celui de son entourage.
Dans le même ordre d'idées, nous souhaitons que la
situation où l'individu ne semble pas pouvoir exercer cette pleine
liberté et responsabilité soit relativement circonscrite et
qu'alors le processus de soins et d'assistance puisse être rapidement mis
sur pied de façon que la personne retrouve le plus rapidement possible
sa liberté et sa responsabilité. Pour mettre sur pied ces soins
et assistance - je dis bien pour mettre sur pied, pas nécessairement en
cours de route -le processus judiciaire est souvent lourd et compliqué.
Il porte plus sur la contestation que sur la recherche d'un consensus, d'une
entente. Le recours aux tribunaux et sa lenteur risquent d'équivaloir
alors à un déni
de traitements et d'assistance aux personnes alors même qu'elles
en ont, justement, le plus besoin. Si le législateur impose à
toute personne intéressée, au sens de la loi, d'avoir recours
à un tribunal pour demander qu'une autre personne soit amenée
à un établissement de santé ou de services sociaux pour
examen et traitements, la loi doit aussi s'assurer que les tribunaux peuvent
assumer correctement cette responsabilité en tout lieu et en tout temps,
ce qui est actuellement souvent impossible.
Ce qu'il faudrait, c'est que la personne qui présente des
troubles psychologiques traduits par des actions qui mettent sa vie et ses
biens ou la vie et les biens d'autrui en danger puisse être amenée
à un centre de santé et de services sociaux où un
médecin pourrait procéder aux examens requis et instituer le
traitement le plus en mesure de permettre à la personne concernée
de se rétablir rapidement. Si celle-ci conteste la décision de
procéder aux examens et d'appliquer le traitement, elle doit être
entendue par un tribunal dans les meilleurs délais et celui-ci pourra
alors s'informer des raisons qui ont motivé les interventions
antérieures, établir, si requis, un régime de protection
temporaire ou plus définitif et désigner la personne responsable
de la garde du bénéficiaire concerné. Le reste des
procédures prévues dans la loi 106 pourra alors s'appliquer, mais
comme elles entraînent souvent des délais relativement
prolongés, il est fort probable que, dans bien des circonstances,
l'évolution rapide vers l'amélioration de la condition
psychologique les rende superflues.
De cette façon, il nous semble possible d'allier le fait de
procurer une aide appropriée et ce, rapidement et efficacement, tout en
protégeant par la présence éventuelle des tribunaux dans
le processus la liberté et la responsabilité des personnes
concernées et d'autres intervenants, médicaux, entre autres, dont
il est question. Il faut bien reconnaître que les états
d'aliénation temporaire sont de beaucoup les plus fréquents et
que, par définition, ils sont de courte durée. Le processus
requis pour une intervention appropriée ne devrait pas être plus
encombrant et créer plus de problèmes que ce qu'il entend
régler et protéger.
Nous vous présentons maintenant des commentaires plus
spécifiques sur divers articles du projet de loi 106. Si vous le voulez,
on peut le prendre article par article, mais je ne veux pas lire les articles
et y ajouter les changements. Je vais lire seulement les changements que nous
proposons pour ne pas alourdir la présentation.
Article 12. Éliminer la distinction "physique et mentale" qui
qualifie le mot santé, étant donné que cette distinction
est de moins en moins justifiée depuis que des découvertes
scientifiques démontrent de plus en plus la présence d'un
substratum biochimique aux phénomènes dits mentaux.
Article 14. Quel est le sens que nous devons donner à "non
doué de discernement"? Doit-on le comprendre au sens "d'incapable",
précisé par l'article 99, à la page 30 du texte de loi? Si
oui, pourquoi les deux appellations? Qui définit initialement "non
doué de discernement" avant l'ouverture d'un régime de
protection?
Article 16. Comment comprendre "soumis à des traitements
prolongés"? Par exemple, si une adolescente demande un stérilet
ou des anovulants, s'agit-il là d'un traitement prolongé et
s'agit-il là encore d'un traitement requis par son état de
santé? Je ne parle pas de circonstances exceptionnelles, mais de
circonstances bien fréquentes.
À l'article 18, avec le même exemple en tête, est-ce
qu'on peut penser que, si le traitement ne doit comporter aucun risque, il
existe un tel traitement qui ne comporte aucun risque? Nous proposons
plutôt que le risque devrait être moins important que les bienfaits
espérés.
Article 19. Si nous suivons cet article, la personne ne pourrait plus
jamais profiter d'un traitement à ses débuts qui a
nécessairement un caractère expérimental. D'ailleurs, on
peut s'interroger là-dessus: Quand un traitement est-il
expérimental? Un peu dans l'ordre des remarques qui ont
été faites par les associations précédentes:
Comment concilier les articles 19, 20 et 21 dans un aspect de
congruité?
Article 25. Le délai de 24 heures ne sera techniquement
applicable que si l'appareil judiciaire place à la disposition des
malades suffisamment de magistrats et de personnel en disponibilité tous
les jours de la semaine et dans tous les endroits où il y a des
hôpitaux. Dans la situation actuelle, ce délai de 24 heures serait
impraticable. Un délai de deux jours ouvrables nous semble plus
réaliste.
Article 27. Nous recommandons les modifications suivantes. Il y a une
faute ici. Ce n'est pas "que les médecins chargés de faire
l'examen psychiatrique", mais que le médecin chargé de faire
l'examen psychiatrique soit choisi selon les critères
énoncés actuellement dans la Loi sur la protection du malade
mental à l'article 3 qui dit: "Un examen clinique psychiatrique doit
être fait par un psychiatre qui n'est ni parent, ni allié de la
personne qui le subit; toutefois un médecin peut faire un tel examen
s'il n'est ni parent, ni allié de la personne qui le subit et si, en
raison de l'urgence, de la distance ou d'autres circonstances, aucun psychiatre
n'est disponible dans la région où réside cette
personne."
À défaut de cette mention du psychiatre, il y aurait lieu
au moins que deux médecins, ni parent, ni allié, procèdent
à un examen psychiatrique. Cette protection paraît
nécessaire pour bien protéger les droits du malade mental avant
que le tribunal ordonne sa garde dans un hôpital. Ici, si nous
mentionnons deux médecins, c'est qu'en général un
médecin psychiatre n'est appelé à intervenir que lorsqu'il
y a eu un premier examen fait par un médecin généraliste
au niveau d'une salle d'urgence, au niveau d'un bureau privé, etc.
Nécessairement, quand le médecin psychiatre intervient, il y a eu
un autre médecin. On parle donc, en tout cas, de deux médecins
qui ont dû quelque part demander un tel examen pour que le processus se
mette en branle.
De plus, qu'arrive-t-il du droit de recours à la Commission des
affaires sociales après que le malade a été placé
en cure fermée? On a soulevé, à la toute dernière
question, tout à l'heure, qu'il y a beaucoup de gens qui contestent
cela. Qu'arrive-t-il de ce droit dans ce nouveau texte de loi? Ce droit d'appel
est jugé essentiel et l'expérience démontre que l'exercice
de cette procédure a eu un effet très salutaire sur la
qualité des modalités d'application de la Loi sur la protection
du malade mental.
Quant à la confidentialité du rapport de l'examen
psychiatrique, les membres présents se demandent pourquoi c'est le
tribunal qui peut autoriser cette divulgation plutôt que le malade
lui-même ou son représentant. On comprend mal le sens de cette
restriction au tribunal pour le droit de divulguer l'information.
Nous passons maintenant au titre cinquième, chapitres premier,
deuxième et troisième, article 109. On devrait mettre une
définition dans le lexique qui précède tous les articles
et utiliser partout le même vocable. Existe-t-il des différences
entre incapable, prodigue et non doué de discernement? Si oui, quelles
sont ces différences?
Article 203. Il est important de définir "garde" comme
l'administration de la personne et non seulement sa surveillance. Encore
là, quand on fait référence à un texte de loi, il
faut penser que les gens qui vont le lire ne sont pas tous des juristes avertis
et il est important de bien préciser les termes soit un lexique ou
d'employer leur utilisation courante si on veut que l'on se comprenne. Sans
cela, cela ne donne lieu qu'à des contestations de part et d'autre.
Le choix de la personne qui doit assumer la garde de la personne et, par
conséquent, qui doit autoriser le traitement en lieu et place du malade
apparaît contenir un risque important de placer l'individu comme juge et
partie s'il est nommé par l'établissement où est
gardé le malade sans qu'il se sente obligé de rendre compte de
ses décisions à un organisme supérieur auquel le malade ou
toute personne intéressée pourrait faire appel, le cas
échéant.
Ainsi, une commission comme celle des affaires sociales devrait exister
pour réviser les décisions prises par le curateur ou le tuteur ou
le représentant d'une manière large, si le malade le demande.
Cette commission, de plus, devrait recevoir au moins une fois par année
un compte rendu des décisions des curateurs et tuteurs quant aux
autorisations de traitements qu'ils ont demandés pour leurs pupilles et
cela, sans que personne en fasse la demande. Cela doit être un processus
régulier, statutaire. Ce n'est pas le seul moment où une telle
révision pourrait être exercée, mais elle devrait, elle, de
toute façon s'exercer.
Article 210. Est-ce qu'on doit attendre l'opinion du tribunal pour
désigner un curateur ou tuteur à la personne admise? Sinon, qui
doit désigner cette personne?
Articles 211 et 212. On les trouve, évidemment, souhaitables.
Article 213. Supprimer, encore là, les épithètes
"physique ou mentale". La révision doit être
précisée, cependant, et obligatoire au moins au cours de la
première année.
Article 214. "Permanent et total" nous semblent des absolus et c'est
rarement, si jamais, rencontré, en particulier "total".
Articles 215 et 219. On s'interroge sur ce qu'il advient de la garde de
la personne alors que ces articles visent surtout l'administration des biens.
D'une manière générale, nous reprendrions les commentaires
de la Corporation professionnelle des médecins du Québec qui se
demandait ce qu'il arriverait éventuellement des articles de la Loi sur
la protection du malade mental qui nous semblent, dans bien des cas, largement
satisfaisants. Est-ce qu'il y aura, effectivement, une concordance
d'établie? Quelle sera-t-elle? Ainsi de suite. Nous serions certainement
intéressés à participer au processus qui visera à
établir une telle concordance, si elle a lieu.
Le Président (M. Blouin): Je vous remercie beaucoup.
Compte tenu que plusieurs membres de la commission avaient pris des engagements
et qu'ils doivent maintenant se rendre à d'autres réunions, nous
allons reprendre nos travaux après la période des questions.
À ce moment-là, le ministre pourra vous interroger sur les sujets
qu'il souhaitera traiter avec vous. Sur ce, la commission élue
permanente de la justice ajourne ses travaux sine die.
(Suspension de la séance à 12 h 31)
(Reprise de la séance à 15 h 40)
Le Président (M. Paré): À l'ordre, mesdames
et messieurs!
La commission élue permanente de la justice reprend ses travaux
dans le but d'entendre des personnes et des organismes en regard du projet de
loi no 106, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit
des personnes, et le projet de loi no 107, Loi portant réforme au Code
civil du Québec du droit des successions.
Nous avons entendu l'Association canadienne pour la santé
mentale, division du Québec. Nous en sommes maintenant rendus à
la période des questions et des commentaires.
M. le ministre.
M. Lazure: M. le Président, je veux féliciter
l'Association canadienne pour la santé mentale, division du
Québec, pour la qualité du mémoire qu'elle nous a
présenté ce midi. Je voudrais faire une mise au point, puisque
vous en parlez au début de votre mémoire, lorsque vous dites que
l'association a reçu une demande d'opinion de la part du ministre de la
Justice au début de mars 1983 et que vous vous plaignez un peu du
délai trop court pour y apporter votre réaction. Il y a un
imbroglio, un malentendu, en ce sens que ce projet de loi que nous
étudions aujourd'hui a été déposé à
l'Assemblée nationale - il ne faut pas l'oublier - le 17 décembre
et, ensuite, les avis publics annonçant la tenue d'une commission
parlementaire ont paru dans les médias au mois de février.
Comme troisième étape, qui n'est pas nécessaire,
qui n'est pas demandée par nos lois et nos règlements, le
ministre de la Justice et son équipe ont cru bon de s'adresser, par
lettre, à certains groupes plus particuliers. C'était tout
à fait un geste de courtoisie, pour ainsi dire, et qui s'ajoutait aux
mécanismes normaux, les mécanismes normaux étant le
dépôt du projet de loi en décembre - donc, il y a
déjà trois mois - et ensuite la parution publique des avis dans
les journaux.
J'ai quelques réactions et quelques questions. Je vais suivre
l'ordre de votre mémoire. A la page 2, au deuxième paragraphe, je
veux simplement exprimer une grande sympathie pour l'énoncé,
assez élégant d'ailleurs, que vous faites ici, de la façon
que c'est formulé. Je cite: "Reconnaître l'existence d'un
préjugé favorable en ce qui concerne les proches m'apparaît
résulter d'une appréciation plus juste des rapports entre
individus que de postuler un antagonisme ou une situation conflictuelle." Cela
continue dans cette veine.
Le grand défi, c'est - comme on a déjà eu
l'occasion de le dire, comme le ministre de la Justice a eu l'occasion de le
dire - à la fois de préserver le plus possible les droits de
chaque individu et, en même temps, de faire cela à
l'intérieur d'un mécanisme qui ne soit pénalisant pour
personne et qui, s'il est trop lourd, va finalement nuire à l'individu
lui-même. Je fais allusion ici au recours au tribunal qui, dans le
projet, par rapport à la situation présente, pourrait amener des
procédures plus compliquées et peut-être plus lentes.
D'ailleurs, je cite juste un exemple de ces différents recours au
tribunal, celui du délai de 24 heures. C'est l'article 25. Vous dites
que le délai de 24 heures ne sera techniquement applicable que si
l'appareil judiciaire place à la disposition des malades suffisamment de
magistrats et de personnel en disponibilité, etc.
Je veux que vous sachiez qu'on va prendre en considération cette
remarque à la page 2. La page 3 va aussi dans le même sens.
À la page 5 sur l'article 12 - je crois que vous étiez là
ce matin lorsqu'on a eu des échanges avec la Corporation professionnelle
des médecins - je pense bien que votre remarque de rendre plus unitaire
le concept de santé et de ne pas dissocier le physique et le mental,
cela est tombé dans des oreilles tout à fait sympathiques. Je ne
reprendrai pas non plus les remarques qu'on a faites sur le débat ou
l'échange sur l'expression "personne douée de discernement" qui
devra certainement être définie, si elle est maintenue comme
telle.
À l'article 16, vous posez la question: Comment comprendre
"soumis à des traitements prolongés"? Par exemple, une
adolescente qui demande un stérilet ou des anovulants, s'agit-il d'un
traitement exigé par son état de santé? Je pense qu'il
faut répondre non à votre question. Je ne sais pas si cela va
amener une réaction de votre part.
Quant à l'article 19, "cette personne ne pourrait plus jamais
profiter d'un traitement à ses débuts et qui a
nécessairement un caractère expérimental". Sur toute cette
question de l'âge minimal où la personne peut se prêter
à un traitement expérimental, pour votre information, jusqu'ici,
de notre côté, du côté ministériel, je dirais,
comme point de référence, comme point de repère, que le
mémoire des gens de Sainte-Justine nous paraît fort pertinent sur
toute cette question. Nous avons l'intention de le regarder de très
près. L'équipe qui travaille à ce projet de loi va
regarder de très près tout ce qu'il y a dans le mémoire de
Sainte-Justine, de même que dans celui de l'hôpital de
Montréal pour enfants.
À la page 7, en ce qui a trait à la confidentialité
du rapport d'examen psychiatrique, vous vous demandez pourquoi c'est le
tribunal qui peut autoriser sa divulgation plutôt que le malade
lui-même.
Là aussi, je pense que cela a besoin d'être
explicité. Il est bien évident qu'on ne peut pas nier au malade
ou à la personne elle-même le droit d'autoriser quelqu'un à
regarder son dossier. C'est un principe fondamental.
À la page 8, vous parlez de la Commission des affaires sociales.
Vous dites: Une commission comme celle des affaires sociales devrait exister
pour réviser les décisions prises par le curateur ou le tuteur si
le malade le demande. Même si ce n'est pas encore précisé
dans le texte qui est proposé, il est clair, en tout cas, pour
l'équipe ici, que nous souhaitons que continue cette procédure
qui équivaut à des protocoles d'entente entre des
établissements, des hôpitaux, notamment, et le curateur public.
À toutes fins utiles, bien sûr, quand le curateur public donne
actuellement son autorisation pour une intervention chirurgicale sur un malade
qui est sous la Curatelle publique, le curateur le fait fort de l'avis du
directeur des services professionnels ou de quelqu'un d'équivalent. On
n'a pas l'intention de changer de façon importante cette
procédure qui semble bien fonctionner.
Finalement, à la page 9, vous dites: Article 210. Doit-on
attendre l'opinion du tribunal pour désigner un curateur ou tuteur
à la personne admise? Sinon, qui doit désigner cette personne? La
réponse, là aussi, dans notre esprit, c'est oui. On doit attendre
l'opinion du tribunal pour désigner un curateur ou un tuteur.
La dernière question que je vous pose -je l'ai posée ce
matin à la corporation des médecins, puisqu'il y a
différentes écoles de pensée à ce sujet - est la
suivante: Dans votre esprit, cette demande, que certains examens dits
psychiatriques puissent être faits par une équipe
multidisciplinaire, est-elle envisageable dans une certaine mesure ou dans
certaines circonstances? Si oui, pourriez-vous vous expliquer un peu
là-dessus?
Le Président (M. Paré): La parole est à
vous, M. Messier.
M. Messier: Merci. Pour répondre très
spécifiquement à la question que vous venez de poser, il faut
bien que je reconnaisse que je suis et médecin et psychiatre, mais que
je ne compte parler ni à titre de médecin ni à titre de
psychiatre. Des associations professionnelles sont en principe chargées
de défendre ces aspects. J'essaie plutôt de représenter le
sentiment d'une association de bénévoles, de parents, de malades,
de professionnels qui ont à coeur la santé mentale. C'est plus
dans ce cadre-là que j'essaie de répondre et de traduire le
sentiment de ce groupe. Je ne pense pas que ce groupe voie d'une manière
absolument hostile la possibilité que des personnes autres que des
médecins puissent être appelées à exprimer leur
opinion en ce qui concerne la compétence - pour revenir à cela -
à consentir au traitement d'individus.
Je pense, cependant, que nous souhaitons que ce ne soit pas
laissé à un seul individu. Là, je pense qu'il faut faire
la part entre deux situations. Il y a la situation d'urgence, ou qui a un
caractère immédiat et qui est de beaucoup la plus
fréquente, de l'individu qui est amené à l'hôpital
ou qui se présente à l'hôpital et qui a besoin d'une aide
rapide, qu'il demande ou qu'il refuse l'heure d'après, et pour lequel
une intervention, d'habitude courte en temps, est suffisante pour permettre un
rétablissement et la reprise de sa liberté ainsi d'ailleurs que
de sa responsabilité. À ce moment, je pense qu'il faut trouver un
mécanisme simple, léger, expéditif, rapide. C'est dans la
majeure partie des cas suffisant en quelques jours parfois, quelques heures
parfois, pour que l'individu puisse retrouver sa complète liberté
et sa responsabilité. À ce moment, je pense que deux individus,
cela pourrait être deux médecins, un médecin et un
psychiatre, un médecin et un psychologue, deux personnes
compétentes, à condition, cependant, si ce ne sont pas des
médecins, que la définition soit assez précise des
qualités particulières du professionnel dont il est
question...
Je pense que la définition des professionnels autres que
médecins est beaucoup plus large et on pourrait avoir, à ce
moment, des gens qui ont une expérience bien différente de celle
d'un groupe de médecins, de psychiatres qui, de par leur formation et
leur pratique, ont un champ d'expérience beaucoup plus précis,
beaucoup plus spécifique et qui, à ce moment, peuvent être
jugés habiles ou non à intervenir, pour des gens dont la
préparation est très variée. On peut se demander un petit
peu ce qu'il adviendrait de quelqu'un en psychologie qui aurait des
études de niveau simple baccalauréat, d'autres au niveau de
maîtrise, d'autres au niveau de doctorat, des gens qui n'ont aucune
expérience du milieu hospitalier et de ces situations d'urgence,
d'autres qui ont une expérience aussi longue que la mienne de situations
de salles d'urgence que je considérerais à ce moment tout aussi
compétents que moi pour intervenir.
Je crois qu'il s'agit de circonscrire un peu à qui on va donner
ce droit. Il est plus simple souvent de ne le reconnaître qu'aux
médecins dans la mesure où leur préparation est plus
standardisée. L'examen qui certifie leur compétence est aussi
plus standardisé. On est donc plus sûr de savoir à qui on a
affaire. Si les autres professions pouvaient s'astreindre à un processus
comparable, je pense qu'elles pourraient être associées aux
médecins pour une bonne partie de cela. Je
parle de l'examen qui est relativement simple, qui vise une mesure
temporaire. Quand on parle d'une mesure beaucoup plus à long terme,
quand on parle des mesures légales qui sont prévues, souvent dans
la nomination d'un curateur, d'un tuteur, on parle de mesures qui prennent
quinze jours avant de commencer, qui peuvent peut-être prendre un mois
avant de s'établir, on parle de situations beaucoup plus importantes,
dont les conséquences sont plus lourdes. Je pense effectivement qu'une
équipe multidisciplinaire, y compris possiblement des gens directement
intéressés, dont des gens directement intéressés
pourraient faire partie d'ailleurs, pourrait être appelée
auprès du tribunal pour émettre une opinion. Elle émet une
opinion et, s'il y a unanimité, le tribunal ne fait que
l'entériner. S'il y a désaccord entre les experts, le tribunal
sera appelé à trancher. Mais là, on parle d'une situation
qui est plus rare, qui, de par l'importance, revêt un caractère
exceptionnel et qui devrait donc être traitée d'une manière
exceptionnelle.
Dans la majeure partie des cas, la pratique nous renseigne sur le fait
qu'en quelques jours... Ce n'est pas rare dans un hôpital que quelqu'un
entre sous l'empire d'une cure fermée étant activement suicidaire
ou psychotique, n'étant absolument pas capable de conduire sa vie et
que, dans les 24, 48, 72 heures après, cette personne soit assez
rétablie pour reprendre la responsabilité de ses affaires.
Même les démarches entreprises sous l'empire des régimes
actuels ne sont plus nécessaires, parce que la personne est suffisamment
rétablie et on ne poursuit pas ces démarches. J'essaierais donc
de faire la part des choses entre deux types de situation.
M. Lazure: Est-ce que vous avez des réactions à mes
réactions de tout à l'heure?
M. Messier: Oui, à votre toute première
réaction, celle de l'article 16, par exemple. Si on lit l'article 16, on
y dit: Le mineur de quatorze ans ou plus, j'entends, doué de
discernement peut consentir seul à un examen ou à un traitement
exigé par son état de santé, physique ou mentale. S'il est
gardé dans un établissement plus de douze heures, les parents
devraient en être informés ou le responsable, ainsi que si le
traitement doit être prolongé. Interpréter cela dans le
sens un peu prescrit, cela veut dire ceci. Prenons l'exemple le plus
fréquent: Une adolescente pourrait facilement obtenir un avortement, qui
est une mesure simple, qui n'exige pas un séjour à
l'hôpital pendant douze heures et qui n'est pas un traitement
prolongé et ne pourrait pas se voir prescrire des anovulants, si on
l'interprète d'une manière un peu rigoureuse. Je pense que ce
sont des situations qui ne sont pas une fois pour 1000. Ce sont des situations
qui arrivent tous les jours. Je prends cet exemple parce que c'est
peut-être celui avec lequel je suis le plus familier.
J'imagine qu'il y a bien d'autres situations où, par rigueur du
texte, on pourrait dénier certaines choses à certaines personnes
qui pourraient en avoir le fruit, alors qu'on pourrait le permettre à
d'autres en d'autres circonstances. Les conséquences, pourtant, d'un
geste comme de l'autre sont tout aussi importantes.
M. Lazure: Qu'est-ce que vous suggérez, alors, comme
formulation à l'article 16?
M. Messier: N'étant pas juriste, je ne sais pas
exactement...
M. Lazure: Ne nous attachons pas aux mots, mais au fond.
M. Messier: Je pense que ceci est important, que le tuteur ou la
personne responsable le sache. Si une personne n'est pas autour, n'est pas
rejoignable, si on ne sait où est la personne dont on est responsable...
Je pense que c'est important qu'on le sache. C'est dans ce sens qu'un
séjour hospitalier ou dans un établissement de soins, de
santé ou de service social qui dépasse 12 heures ou 24 heures
devrait être mentionné. Mais un traitement, prolongé ou
non, pour autant qu'il n'a pas nécessairement un caractère
définitif, permanent, on peut douter de l'intérêt de le
communiquer nécessairement au responsable de l'autorité
parentale, au tuteur ou au curateur, selon le cas; sans cela, on fait des
différences importantes.
M. Lazure: Oui, cela est clair, merci. Est-ce qu'il y a autre
chose?
M. Messier: Je ne sais pas... Je laisserais la parole à M.
Gélinas qui, lui aussi, peut avoir des nuances à apporter
à certains de mes propos ou des réactions à vos propres
réactions.
M. Gélinas (Paul-Marcel): Merci. J'aimerais dire que
souvent on peut croire que l'association n'aboie pas très fort. Cela
n'implique pas que sa vision soit handicapée ou qu'elle soit incapable
de discernement. Depuis 25 ans, l'association a pris la défense des
droits des malades mentaux alors que le sujet lui-même était
passé sous silence. La loi 106 met aujourd'hui l'accent sur les
personnes handicapées mentalement. Il faut comprendre que ces personnes
handicapées mentalement ne sont plus en majorité dans les centres
hospitaliers à caractère psychiatrique, mais bien dans les
centres d'accueil et les foyers. Plus que jamais, nous
avons besoin des spécialistes pour les aider à
l'hôpital aussi bien qu'au foyer. L'association respecte le rôle du
médecin psychiatre qui agit comme un spécialiste dans l'acte
médical et dans l'établissement d'un diagnostic. Ce que je
voudrais souligner ici, c'est qu'il n'appartient pas à la loi 106 de
préciser ce que les membres de l'équipe en santé mentale
peuvent faire. C'est pourquoi nous aimerions plutôt que l'association
puisse revenir devant la commission parlementaire quand il s'agira des
règlements.
Nous regrettons, à l'association, que la psychiatrie, telle
qu'elle se pratique au Québec présentement, ne soit pas
absolument satisfaisante. La santé mentale n'est pas l'apogée ou
la réserve des psychiatres. Toutes les professions humaines ont un
rôle à jouer; c'est pourquoi nous demandons encore de discuter ces
problèmes au moment de la préparation des règlements et
dans le cadre de la préservation des droits des personnes.
M. Lazure: M. le Président, je transmettrai certainement
à mon collègue, le ministre de la Justice, le voeu que vous
exprimez et j'ai toutes les raisons de croire que c'est un voeu qui pourrait
être exaucé.
Le Président (M. Paré): Merci. Est-ce que vous avez
des questions?
M. Marx: Est-ce que le ministre a terminé?
M. Lazure: Oui, le ministre a terminé. M. Marx: II
a fait vite sur ce dossier. M. Lazure: C'est efficace.
M. Marx: J'ai seulement deux questions. Premièrement,
à l'article 21, vous avez écrit: "Nous souhaitons que les
tribunaux s'impliquent davantage, mais ont-ils les moyens? En sont-ils
conscients?" Il y avait d'autres questions dans ce sens d'autres groupes qui se
sont présentés devant la commission. Ici, à l'article 21,
on prévoit que le tribunal prenne l'avis d'experts; est-ce que cela ne
serait pas suffisant pour répondre à vos soucis, si le tribunal
prend l'avis des experts? D'autres personnes qui sont venues devant la
commission ont voulu écarter le rôle du tribunal dans ces
dossiers; je vois que vous êtes pour l'implication du tribunal, mais vous
posez des questions.
M. Messier: Si mon propos se veut nuancé, je veux dire
que, personnellement -je ne sais pas si toute l'association serait d'accord
avec cela parce qu'on n'a pas eu nécessairement l'occasion de
débattre de chacun des points sur lesquels vous m'interrogez - il me
semble que l'idéal serait qu'il existe un consensus entre les parents,
les proches d'une personne qui, pour une raison ou pour une autre, est
jugée incapable. Les médecins et les autres professionnels, que
ces gens ensemble établissent un consensus et recommandent quelque chose
au tribunal, qui n'aurait qu'à s'assurer qu'un processus de consultation
adéquat a été suivi et entérine la recommandation
du groupe; donc, le processus judiciaire est réduit à sa plus
simple expression. Lorsqu'il n'y a pas d'accord possible dans le groupe, je
pense que l'ensemble des parties devrait être entendu, y compris
possiblement le bénéficiaire, dans la mesure où c'est
possible de le faire. Je dis simplement que, dans ma pratique, depuis bien des
années, je ne pense pas avoir jamais rencontré un tribunal qui
s'est donné la peine de convoquer ces gens pour en parler avec eux
d'avance, avant de rendre son jugement. Souvent, les jugements sont rendus sur
des présentations très simples de documents écrits et sans
grande attention prêtée aux nuances qu'un document comme tel
devrait comporter, sans écouter les experts, sans écouter
nécessairement les membres de la famille, sans écouter surtout
les bénéficiaires. Il y a des cas où cela n'est pas
possible. Je pense que la loi est juste, quand elle dit: "si c'est possible".
Mais je souhaiterais que, lorsque le tribunal décide d'intervenir, il le
fasse d'une manière aussi complète, en donnant large auditoire, y
compris au bénéficiaire. Je pense que, dans bien des cas, cela
n'est pas nécessaire surtout pour des mesures simples, et je pense que,
lorsque tout le monde se met d'accord sur une mesure quelconque, le tribunal
devrait l'homologuer tout simplement et il ne doit pas y avoir une intervention
plus lourde que cela. (16 heures)
M. Marx: Je trouve que cela est un bon point. On soulèvera
cela lors de l'étude article par article de ce projet de loi. L'autre
question concerne l'article 214. Vous avez écrit que "permanent et
total" sont des absolus, rarement si jamais rencontrés, surtout "total".
Que suggérez-vous comme solution?
M. Messier: Je ne sais pas si cela fait suite aux remarques de M.
le ministre, qui aime la phraséologie utilisée dans la
première partie du texte. Je ne sais pas si je suis un linguiste bien
averti pour répondre à cela. Je pense que l'esprit de la
représentation veut qu'aujourd'hui, au rythme où vont les choses,
les choses qui étaient permanentes il y a quelque temps le soient de
moins en moins et que ce qui était total, je pense, ne l'ait jamais
été. Même des personnes absolument incapables de vaquer
à des occupations où des choix importants sont mis en cause sont
souvent largement capables de vaquer à des occupations
quotidiennes, de prendre des décisions pour le quotidien.
À ce moment-là, qu'est-ce que cela veut dire une
incapacité totale? Si on utilise ces termes-là, cela
m'apparaît beaucoup... À la limite, je ne connais pas de gens qui
soient totalement incapables. Je connais des gens qui sont incapables de
prendre tel ou tel genre de décision, sur l'ampleur de tel ou tel
problème, mais cela ne veut dire, en aucun cas, "incapable total". Les
termes m'apparaissent trop importants. Je n'ai pas de phrase ou de
périphrase en tête qui me permettrait de définir une
incapacité à caractère permanent et total.
M. Marx: J'imagine qu'au moment où la curatelle s'ouvre,
cela devient permanent et total, à ce moment-là, mais cela peut
changer. On peut avoir un autre avis.
M. Messier: Quand on parle de permanent et total, on ne parle pas
seulement... On parle d'une projection dans l'avenir. On fait une
prédiction sur ce qui va se passer et cela m'apparaît excessif de
demander à quelqu'un... Dans certaines situations, je pense qu'on peut
le faire, mais elles sont rares. Je ne sais pas si on désire que les
curateurs ou les tuteurs ne soient nommés que pour des choses qui ont un
caractère permanent et total. Si on l'entend dans le sens strict du
terme, cela m'apparaît excessif. Il devrait y avoir une façon de
présenter les choses où le caractère signifie que la
personne ne peut pas s'occuper d'elle au jour le jour. Je pense qu'une
phraséologie de ce genre reflète mieux le sens qu'on veut donner
à cette expression-là qu'incapacité totale.
Le Président (M. Paré): Est-ce que cela va? Il n'y
a pas d'autres questions? MM. Messier et Gélinas, de l'Association
canadienne pour la santé mentale, division du Québec, nous vous
remercions de la présentation de votre mémoire devant la
commission.
J'inviterais maintenant la Commission des droits de la personne du
Québec à se présenter à la table pour la
présentation de son mémoire.
M. Bédard: Je voudrais remercier mon collègue, le
ministre délégué aux Relations avec les citoyens, de sa
très grande collaboration aux travaux de cette commission...
M. Marx: Cela nous a fait plaisir à nous aussi...
M. Bédard: ...et de m'avoir remplacé de
façon très positive.
M. Marx: Pour l'Opposition, cela a été un plaisir
aussi.
Le Président (M. Paré): M. le ministre, c'est
à l'unanimité.
M. Marx: J'ai même suggéré, même si
vous n'étiez pas ici, que le ministre prenne des adjoints parlementaires
pour l'aider dans ses travaux. C'est le ministre qui est le plus
surchargé de travail, mais il n'a pas d'adjoint parlementaire.
Peut-être qu'il nommera quelqu'un.
M. Bédard: Comme le député de D'Arcy McGee
le voit, j'ai fait un bon choix.
Le Président (M. Paré): Je vous remercie de vos
commentaires, messieurs. Je demanderais au porte-parole du groupe de se
présenter, de nous présenter les personnes qui l'accompagnent et
ensuite de nous faire la présentation de son mémoire.
Commission des droits de la personne du
Québec
Mme Fournier (Francine): Je suis Francine Fournier,
présidente de la Commission des droits de la personne du Québec.
M'accompagnent Me Madeleine Caron, directrice de la recherche à la
Commission des droits de la personne du Québec, et Me Marie Murphy, qui
est aussi au service de la recherche de la Commission des droits de la personne
du Québec.
C'est en se fondant sur les droits et libertés de la personne
contenus dans la charte québécoise que la commission intervient
auprès du législateur pour proposer des recommandations au projet
de loi no 106.
Il s'agit principalement du droit à l'intégrité -
article 1 - du droit à la vie privée - article 5 - du droit
à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens -
article 6 - du droit à l'égalité - article 10 - du droit
à une audition quand il s'agit de la détermination de ses droits
et obligations - article 23 - du droit à l'avocat - article 34 - et du
droit de la personne handicapée à la protection et à la
sécurité que doivent lui apporter sa famille et les personnes qui
en tiennent lieu.
Article 48. La commission reconnaît que le projet de loi no 106
manifeste une grande préoccupation pour l'autonomie des personnes,
l'exercice des droits dans la bonne foi et sans abus, le respect de la vie
privée, de l'intégrité, de la sécurité, mais
elle croit qu'en s'appuyant sur les principes contenus dans la charte des
améliorations considérables pourraient y être
apportées. Les remarques de la commission touchent plus
spécifiquement les droits des personnes handicapées dont on veut
à la fois assurer l'autonomie et la protection. Il s'agit là d'un
équilibre difficile à atteindre et nous en sommes très
conscients.
L'expérience des six années de la
commission avec les personnes ayant eu à passer par le processus
psychiatrique, la présence des représentants de la commission au
sein du comité de révision de la Loi sur la protection du malade
mental, du ministère des Affaires sociales, sa participation à
plusieurs colloques sur la stérilisation des déficients mentaux
autorisent la commission à proposer au législateur les
recommandation contenues dans ce mémoire.
Quant à certaines autres recommandations, particulièrement
celles qui ont trait à l'abus de droit et au respect de la vie
privée, elles viennent aussi de l'expérience de la commission. En
matière de relations de travail, une théorie de l'abus des droits
mieux resserrée contribuerait à faire corriger bien des
injustices.
Quant au droit d'accès au dossier personnel privé, c'est
un droit revendiqué par de nombreux groupes et la commission, par
l'article 67e de la charte, a le devoir de recevoir les suggestions,
recommandations et demandes touchant les libertés de la personne, de les
étudier et de faire au gouvernement les recommandations
appropriées.
Enfin, c'est pour que le Code civil puisse représenter en droit
privé le régime de droit mettant en oeuvre les droits
fondamentaux reconnus dans la charte que la Commission des droits de la
personne souhaite que le législateur tienne compte de ses
recommandations.
Tout d'abord, de la jouissance des droits civils. Le régime
juridique applicable au foetus. Le Code civil actuel ne contient pas de
définition normative de la personne humaine. L'article 18 dit tout
simplement, à l'instar de l'article 1 de la Charte des droits et
libertés du Québec, que l'être humain possède une
personnalité juridique. Le foetus est-il un être humain et,
partant, possède-t-il la personnalité juridique et tous les
droits qui en découlent? Bref, est-il sujet de droit?
Par une fiction juridique héritée du droit romain, le Code
civil admet que l'enfant conçu, mais non encore né, est
réputé être une personne chaque fois qu'il y va de son
intérêt, pourvu qu'il naisse vivant et viable. Même si cette
règle se retrouve dans les dispositions concernant les successions, la
Cour suprême du Canada l'a appliquée pour reconnaître le
droit à l'intégrité physique d'un enfant né infirme
à la suite d'un accident subi par sa mère durant la
grossesse.
Le Code civil actuel ne considère pas le foetus comme une
personne. Toutefois, il lui reconnaît une personnalité
conditionnelle. Autrement dit, le foetus est sujet de droit à condition
qu'il naisse vivant et viable. Selon le droit actuel, l'auteur d'une faute
à l'égard d'un foetus doit réparation à l'enfant,
qui, encore une fois, né vivant et viable, a subi un dommage
résultant de cette faute. L'on songe à la responsabilité
médicale à l'occasion d'une intervention sur la mère, ou
même sur le foetus, chirurgie prénatale; l'on songe aux conditions
de travail dangereuses faites à la mère enceinte et à son
enfant et l'on songe aux cas plus ordinaires de responsabilité civile,
chute de la mère dans un escalier, par exemple.
Toutefois, comme le fait remarquer un rapport récent du Conseil
des sciences du Canada, jusqu'à présent, notre système
juridique n'a pas envisagé les délicates questions juridiques et
éthiques posées par la nouvelle biologie. L'intervention dans la
vie humaine en matière de procréation, de fertilisation in vitro,
par exemple, ou de correction du génome, les recherches sur la
modification de l'ADN ou l'expérimentation sur les foetus vivants
soulèvent des questions que ne peut plus négliger le droit. Le
Code civil actuel ne répond pas à ces questions nouvelles. Aussi
est-il important d'examiner si les éléments de solution à
ces questions pourraient se retrouver dans le projet de loi no 106.
L'article 1 du projet dit: L'être humain possède la
personnalité juridique. Il est sujet de droit depuis sa naissance
jusqu'à sa mort. Par ailleurs, l'article 664 du projet de loi no 107 sur
les successions reconnaît que l'enfant conçu, mais non encore
né, peut succéder s'il naît vivant et viable. De plus,
l'article 123 du projet de loi no 106 reconnaît que les père et
mère sont tuteurs de leur enfant conçu, mais qui n'est pas encore
né, pour lequel ils sont chargés d'agir dans tous les cas
où ses intérêts pécuniaires l'exigent. Les droits
pécuniaires et successoraux de l'enfant conçu sont donc l'objet
de protection par le projet de loi du Code civil.
Mais, qu'en est-il de ses droits extrapatrimoniaux et en particulier de
son droit à l'intégrité physique? En posant comme
règle que l'être humain n'est sujet de droit qu'à partir de
sa naissance, le projet de loi évite les problèmes nouveaux que
posent l'expérimentation, la fertilisation et la recombinaison
génétique, mais, de plus, il risque de diminuer les droits
existants de l'enfant conçu, mais non encore né, qui subirait une
atteinte à son intégrité physique pendant la
grossesse.
A-t-on voulu, par l'article 1, préserver les droits des femmes
à l'avortement? Si tel est le cas, plutôt que d'enlever des droits
au foetus, peut-être vaudrait-il mieux reconnaître ce droit aux
femmes de façon positive. De plus, il serait étonnant, par
ailleurs, que les femmes voulant porter à terme une grossesse et mettre
au monde un enfant sain se réjouissent qu'on veuille priver leur enfant
conçu, mais non encore né, de tous les droits extrapatrimoniaux.
Les progrès de la technologie, chirurgie prénatale,
génétique moléculaire, interventions dans le
processus de fécondation, les effets néfastes de certaines
conditions de l'environnement de travail notamment, commandent que le
législateur n'élude pas les questions touchant la vie
prénatale, d'autant plus que, selon le préambule du Code civil,
celui-ci est constitué d'un ensemble de règles qui établit
le droit et constitue le fondement des autres lois.
On ne peut certes pas aborder ces questions sans penser à la
question de l'avortement, auquel cas l'on doit aussi penser au droit à
la vie privée et à la liberté de la mère, sans
oublier la législation fédérale pertinente. Mais les
problèmes reliés à la condition prénatale
dépassent largement la question de l'avortement. C'est pourquoi la
commission croit qu'il faut se mettre à l'oeuvre pour adopter le plus
tôt possible un texte législatif incorporé au Code civil
concernant le régime juridique applicable à la condition
prénatale. N'y a-t-il pas dans notre projet un chapitre concernant le
respect du corps après le décès?
La commission recommande donc que le législateur
québécois organise, à l'intérieur du Code civil, un
régime juridique propre à la condition prénatale. En
attendant que ces règles soient adoptées, elle propose que la
deuxième phrase de l'article 1 du projet de loi no 106 soit
supprimée.
Deuxièmement. De l'exercice des droits civils. 1. Abus de droits.
La commission se réjouit de l'adoption d'une règle codifiant la
théorie de l'abus des droits. Selon cette théorie, l'exercice
d'un droit n'est plus légitime s'il a pour effet de causer un
préjudice excessif par rapport à l'avantage tiré de
l'usage de ce droit. Elle regrette toutefois qu'on ait modifié la
règle proposée par l'Office de révision du Code civil qui
reconnaissait ce critère de proportionnalité entre l'exercice du
droit et son effet nuisible, pour le remplacer par le critère
très flou et très subjectif de l'intérêt
sérieux et légitime.
La commission recommande donc que l'article 8 du projet de loi no 106
soit conforme à la proposition de l'Office de révision du Code
civil. Donc: Nul ne peut exercer un droit en vue de nuire à autrui ou de
manière à causer un préjudice hors de proportion avec
l'avantage qu'il peut en tirer. (16 h 15)
Deuxièmement, consentement aux examens, traitements et
interventions, en ce qui concerne les personnes douées de discernement.
La commission est d'avis que, même en cas d'urgence, une personne majeure
peut, en connaissance de cause, refuser pour elle un traitement, même si
cela peut entraîner la mort. Il s'agit du respect de l'autonomie de la
personne et de son inviolabilité. Prendre parti pour la vie, c'est aussi
prendre parti pour la liberté de la personne, ce qui ne signifie pas que
la personne en état d'urgence doive être privée du droit au
secours, car le droit au secours ne signifie pas l'obligation d'être
secouru. Nous croyons que ce droit de mourir dans la liberté et la
dignité est aussi un droit fondamental, corollaire du droit à la
vie. C'est pourquoi la commission recommande que l'article 12 du projet soit
reformulé ainsi: En cas d'urgence, nul consentement n'est requis lorsque
la vie de la personne ou son intégrité physique est en danger et
que son consentement ne peut être obtenu en temps utile.
Deuxièmement, pour ce qui est des personnes non douées de
discernement, le projet de loi 106 propose, aux articles 14 et suivants, des
règles applicables au consentement dans le cas où la personne est
non douée de discernement. On ne prévoit toutefois aucun
critère pouvant aider à décider si une personne est ou non
douée de discernement. Pourtant, si le majeur non doué de
discernement n'est pas représenté, le conjoint ou un parent peut
substituer son consentement à celui de la personne dont le consentement
serait normalement requis.
Nous croyons qu'il y a trois catégories de personnes qui peuvent
être touchées par cette disposition. D'abord, les comateux et tous
ceux qui, à cause de leur condition physique, sont privés de
discernement; ensuite, les déficients mentaux et, enfin, les personnes
souffrant de troubles mentaux. Ce que l'on peut reprocher au projet, c'est de
soumettre toutes ces personnes au même régime. Or, dans la
réalité, on peut être non doué de discernement pour
certaines fins: administrer ses biens, accomplir un travail, s'occuper de ses
enfants, et être doué de discernement pour certaines autres fins:
accepter un traitement dentaire, prendre des médicaments, subir une
intervention chirurgicale. Le projet est muet sur les critères menant
à conclure qu'une personne est non douée de discernement; il ne
précise pas non plus qui sera l'interprète de ces
critères: le médecin, le tuteur, l'époux, la famille,
l'infirmier. Cela peut avoir des conséquences sérieuses à
une époque où les solutions alternatives aux drogues deviennent
de plus en plus répandues. Nous craignons que le projet n'autorise des
solutions pouvant aller à l'encontre des droits des malades, solutions
pouvant même être antithérapeutiques.
C'est pourquoi la commission recommande que la capacité de
consentir à un examen, une intervention ou un traitement soit
présumée. Si un majeur, non doué de discernement, s'oppose
à un traitement, une intervention ou un examen, l'autorisation du
tribunal devrait être exigée, sauf en cas d'urgence. Ce tribunal
peut être soit un tribunal ordinaire, soit un tribunal administratif
où les règles de justice
naturelle seront respectées. Autrement dit, ce qu'il est
important de préserver, c'est que le point de vue des droits et
intérêts de la personne concernée soit entendu par un
arbitre impartial pour éviter les conflits d'intérêts entre
le malade, sa famille et les médecins.
En ce qui concerne la stérilisation et l'expérimentation,
la commission approuve sans réserve l'article 20 du projet qui exige
l'autorisation du tribunal quand un examen, traitement ou intervention non
requis par l'état de santé présente un caractère
permanent ou irréversible ou un risque sérieux pour le mineur ou
le majeur non doué de discernement. Cette disposition n'empêche
pas la stérilisation des personnes handicapées, mais elle
garantit que le tribunal puisse s'opposer à une demande de
stérilisation qui ne serait pas faite dans l'intérêt
véritable de la personne.
En ce qui concerne l'expérimentation, la commission souhaite
qu'elle soit permise à certaines conditions et avec l'autorisation du
tribunal. L'expérimentation thérapeutique devrait être
permise sur une personne incapable de donner un consentement libre et
éclairé, mais seulement si elle a pour but de sauver sa vie ou
d'éviter une détérioration grave de sa santé ou
encore si l'on peut démontrer qu'il est déraisonnable d'en
attendre un développement de ses capacités. Dans tous les cas,
l'autorisation du tribunal devrait être exigée et le droit
à l'avocat reconnu.
En ce qui concerne l'obligation de subir un examen psychiatrique et la
garde obligatoire, il faut être conscient, bien sûr, que, pour des
motifs sérieux, à savoir un danger réel pour la
santé ou la sécurité de la personne ou d'autrui, on peut
permettre une dérogation au droit à la liberté des
personnes. Précisément parce qu'il s'agit d'atteinte à la
liberté, il est nécessaire d'assortir toute décision
à ce sujet des plus grandes garanties procédurales et
judiciaires.
Le projet nous semble insuffisant à cet égard d'abord
parce qu'il ne parle que de danger réel sans préciser en quoi il
doit consister et aussi parce qu'il ne comporte pas de garantie
procédurale adéquate. La commission recommande donc que, dans les
cas où une personne est soumise à une garde obligatoire, elle
devrait avoir droit à une audition dans les quatorze jours du
début de la garde. Au moment de l'ordonnance, un avocat devrait
être nommé d'office à la personne concernée pour
qu'elle puisse être assistée lors de l'audition. Le droit à
l'expertise médicale indépendante devrait être
prévu.
Troisièmement, du respect des droits de l'enfant. Étant
donné qu'il arrive souvent que, dans un procès, les
intérêts de l'enfant sont différents de ceux de ses
parents, nous croyons que le droit de l'enfant à l'assistance d'un
avocat devrait être spécifiquement reconnu. La disposition
suivante proposée par l'Office de révision du Code civil devrait
être ajoutée: Le tribunal doit, lorsque l'intérêt de
l'enfant l'exige, désigner un avocat pour le représenter dans une
procédure; toute personne intéressée, y compris les
membres des services auxiliaires d'un tribunal, peut demander la
désignation d'un avocat.
Quatrièmement, du respect de la réputation et de la vie
privée. Les dispositions du projet relatives au respect de la vie
privée ne sont pas suffisantes. L'article 34 tel que
rédigé nous fait craindre que l'on s'en serve pour limiter le
domaine de la vie privée à l'utilisation du nom, de l'image ou de
la voix d'une personne, le droit au respect de la vie privée
étant relié au droit au respect de la réputation. Il
s'agit là d'une conception très restrictive du droit à la
vie privée. C'est une approche plus large de ce droit qui était
proposée par l'Office de révision du Code civil. En effet, le
droit au respect de la vie privée doit comprendre les deux volets
suivants. Premièrement, le droit à la non-intrusion dans la
sphère d'intimité d'une personne. Deuxièmement, le droit
à ce qu'on n'utilise pas à mauvais escient des renseignements
personnels. Le premier volet est complètement laissé de
côté par le projet. Ensuite, même si l'article 35 donne un
droit d'accès au dossier constitué ou détenu en vue
d'informer un tiers, cela constitue une protection bien incomplète des
renseignements personnels.
La prolifération des fichiers privés et l'usage abusif qui
peut en découler amènent la commission à douter
très sérieusement de l'efficacité de cet article. En
effet, comment une personne peut-elle utiliser ce droit d'accès si elle
ne connaît même pas l'existence d'un dossier qui la concerne? Ne
faut-il pas accorder le droit d'accès à leurs dossiers aux
travailleurs, même si ces dossiers ne sont pas constitués ou
détenus en vue d'informer un tiers?
En ce qui concerne le respect au droit de la vie privée, la
commission fait trois recommandations. Premièrement, l'article 34
devrait être remplacé par une disposition comme la suivante, qui
est inspirée par le rapport de l'Office de révision du Code
civil: Nul ne peut porter atteinte à la vie privée d'autrui sans
le consentement de celui-ci ou sans y être expressément
autorisé par la loi; notamment, pénétrer chez autrui ou y
prendre quoi que ce soit, intercepter ou utiliser volontairement une
communication privée, capter ou utiliser l'image ou la voix d'une
personne se trouvant dans des lieux privés, surveiller par quelque moyen
que ce soit une personne dans sa vie privée, utiliser le nom, l'image,
la ressemblance ou la voix d'une personne à toute autre fin que
l'information légitime de l'opinion publique,
utiliser toute correspondance, manuscrit ou autre document personnel
d'autrui, divulguer, en ce qui concerne la vie privée d'autrui, une
information contenue dans un fichier administré par l'État ou par
une autre personne.
Deuxièmement, la commission réitère une
recommandation qu'elle a souvent formulée, à savoir qu'une loi
sur les agences d'information doit être adoptée pour
reconnaître pleinement, dans le secteur privé, le droit
d'accès aux dossiers et le droit au respect des renseignements
personnels. Une telle loi doit reconnaître non seulement le droit
d'accès et le droit de correction, mais aussi le droit de
connaître l'existence d'un dossier personnel.
Troisièmement, la Loi sur les normes du travail devrait
être modifiée pour reconnaître pleinement ce droit aux
travailleurs.
Le cinquième point. Des régimes de protection du majeur.
Avant de livrer nos commentaires sur le sixième titre du projet de loi
no 106 qui traite des régimes de protection du majeur, nous voudrions
répéter les propos que nous tenions au sujet de la réforme
de la Loi sur la protection du malade mental. Le nom même de cette loi en
définit le but explicite: la protection. L'histoire nous apprend
cependant que c'est au nom de la protection qu'on rendait les femmes incapables
d'administrer leurs biens et d'exercer le droit de vote.
C'est au nom de la protection qu'on a privé les Indiens de
certains droits reconnus aux Blancs. Nous croyons qu'il importe d'être
sensible aux ambiguïtés que peut recouvrir le concept de protection
et aux injustices auxquelles il peut donner lieu si de telles interventions
protectrices ne s'accompagnent pas de règles de preuve et de
procédure qui garantissent le respect des libertés fondamentales
des personnes qui sont l'objet de telles interventions.
Le Code civil doit tendre à assurer la protection des personnes
handicapées mentalement tout en respectant le plus possible leur
liberté et leur autonomie. Comme on ne peut priver une personne de sa
liberté, de son autonomie que pour des raisons sérieuses qui
doivent être évaluées par un tribunal, on ne devrait pas
non plus la priver de l'administration de ses biens sans la protection des
garanties procédurales accordées à ceux qui voient leurs
droits définis et leurs obligations. Si un majeur doit être soumis
à un régime de protection et qu'on doit lui nommer un gardien
pour prendre soin de sa personne, la procédure de nomination et les
critères utilisés doivent être choisis de façon
à éviter des conflits d'intérêts et de façon
que les droits fondamentaux de la personne protégée soient
respectés; tels sont le droit à l'information, le droit à
la liberté dans la mesure où elle peut s'exercer.
Il faut comprendre en effet qu'une personne handicapée
mentalement peut avoir besoin d'un régime de protection, mais qu'elle
n'est pas pour autant et dans tous les cas dépourvue de tout
discernement. Dans la mesure où cette faculté peut s'exercer, on
doit faire en sorte qu'elle puisse être respectée.
C'est pourquoi la commission désire faire, à ce titre, les
recommandations suivantes: Le projet devrait spécifier que le prodigue
ne peut être mis sous tutelle qu'en cas d'atteinte aux droits des
personnes à sa charge ou à l'ordre public.
Le gardien de la personne protégée devrait être
désigné par le tribunal et non par un établissement qui
risque de se trouver en conflit d'intérêts avec elle. Il existe un
peu partout des groupes de parrainage civique dont les membres pourraient
s'acquitter de cette fonction. Le projet devrait préciser que le gardien
doit informer la personne protégée, communiquer avec elle,
obtenir son avis et en tenir compte.
Troisièmement, le projet devrait reconnaître le droit de la
personne protégée à être informée de toute
décision la concernant.
Quatrièmement, en règle générale, le
régime de protection ne devrait entrer en vigueur qu'au moment du
jugement. En cas de danger réel pour la santé ou la
sécurité de la personne ou en cas de risque sérieux de
détérioration ou de dissipation de ses biens, le tribunal
pourrait nommer provisoirement un ou des représentants de la personne
pour protéger ses intérêts. Toutefois, ces mesures
extraordinaires devraient être suivies d'une audition dans un
délai raisonnable.
De plus, le majeur pour lequel on demande l'ouverture d'un régime
de protection devrait toujours être représenté par un
avocat.
Le certificat d'incapacité ne devrait pas être
automatiquement envoyé au Curateur public s'il ne s'agit pas
d'incapacité à administrer ses biens. (16 h 30)
L'expression "personne à protéger" dans les articles 210
et 211 devrait être modifiée par celle de "personne pour laquelle
on demande un régime de protection". Enfin, la proposition de l'Office
de révision du Code civil de donner à la personne
protégée le droit d'administrer le produit de son travail devrait
être retenue.
Voilà, M. le Président, en substance, les recommandations
de la Commission des droits de la personne.
Je vous remercie.
Le Président (M. Paré): Merci beaucoup, Mme
Fournier.
La parole est maintenant à vous, M. le
ministre, pour commentaires et questions.
M. Bédard: M. le Président, je voudrais remercier
d'une façon tout à fait particulière Mme la
présidente de la Commission des droits de la personne du Québec,
de même que celles qui l'accompagnent de leur présence ici devant
cette commission. Je veux les remercier également du mémoire
très substantiel qui a été porté à notre
attention. Je crois que tous les membres de la commission parlementaire
s'attendaient que la Commission des droits de la personne du Québec se
fasse entendre sur ce projet de loi, étant donné l'importance des
sujets discutés et des principes en cause. Même si la commission
reconnaît que le projet de loi no 106 manifeste une grande
préoccupation pour l'autonomie de la personne, l'exercice des droits
dans la bonne foi et le respect de la vie privée, de
l'intégrité et de la sécurité, la commission y va
de suggestions d'améliorations qui pourraient être
apportées au projet de loi.
La Commission des droits de la personne du Québec porte une
attention particulière - et c'est normal - à un sujet qui a
déjà été évoqué par plusieurs des
groupes qui se sont fait entendre devant cette commission, à savoir la
protection du foetus. Effectivement, cette question de la protection du foetus
a suscité de nombreux commentaires depuis le début des travaux de
la commission. J'aimerais donc apporter certaines précisions et vous
poser ensuite certaines questions.
On a dit beaucoup de choses jusqu'à maintenant. Il est important
de souligner que la volonté du législateur dans le texte qui est
devant nous est de maintenir le droit actuel. Contrairement à ce que
vous semblez sous-entendre, il ne s'agissait pas de protéger le droit de
la mère à l'avortement puisque j'ai déjà eu
l'occasion de le dire et je le redis: ce droit est réglé par le
Code criminel. Les évaluations juridiques de cette question nous ont
permis de constater, tout comme vous d'ailleurs, puisque vous y faites
allusion, que le droit actuel ne reconnaît au foetus que des droits de
nature patrimoniale, tel le droit à une succession, à une
donation, à des indemnités, en raison des dommages subis à
la suite d'une faute, et ce, à condition que l'enfant naisse vivant et
viable.
Des vérifications faites sur l'état de cette question,
notamment dans les autres provinces canadiennes, aux États-Unis, en
France et en Angleterre, nous ont permis de constater une situation juridique
analogue, c'est-à-dire une reconnaissance de droit de nature
pécuniaire. Des représentations nous ont été
formulées par d'autres organismes sur cette question. Le barreau,
interrogé sur cette question, nous a dit qu'il considérait que
les droits du foetus sont exercés par la mère. Nous savons tous
les difficultés qu'il y a de définir à quel moment un
foetus devient un être humain et, de ce fait, acquiert la
personnalité juridique. Des médecins qui se sont fait entendre et
ont fait des représentations devant nous, au cours de nos travaux, nous
ont même dit qu'on ne pouvait, à ce moment, préciser
véritablement le moment de la conception.
Vous soulignez, à l'appui de votre demande d'établissement
d'un régime juridique applicable au foetus, le développement de
la science, tels la fécondation in vitro, le phénomène des
mères porteuses, etc. Ne croyez-vous pas qu'en raison même de la
complexité de telles questions, elles peuvent difficilement être
toutes réglées par des dispositions d'ordre général
dans le Code civil? Vous-même, vous le mentionnez dans votre
mémoire: Le Code civil est un document de toute première
importante, du point de vue juridique, qui exprime des principes
généraux sur des sujets que d'autres lois sont ensuite
appelées à préciser lorsqu'il y a
nécessité.
Ne croyez-vous pas qu'il serait préférable qu'il y ait une
intervention législative expresse sur ces questions au fur et à
mesure de leur présence? J'aimerais que vous me donniez des
précisions sur ce que vous croyez devoir être les droits
extrapatrimoniaux du foetus. Quel serait le contenu de l'ensemble de ce
régime que vous proposez? Qui devrait exercer ces droits? À quel
moment? C'est-à-dire à la naissance, pourvu qu'il naisse vivant
et viable.
Dans le mémoire - je me réfère au premier que vous
aviez présenté - vous soulevez, à l'appui de votre demande
d'un régime juridique spécial, un exemple concernant l'alcoolisme
d'une mère pouvant affecter le développement du foetus. C'est
très important. C'est une situation qui peut effectivement se produire.
Ne croyez-vous pas que de tels exemples démontrent un conflit entre
votre position sur cette question et celle que vous défendez en ce qui a
trait à l'inviolabilité de la personne, l'intégrité
de la personne? Je voudrais que vous me donniez des explications
là-dessus. Ainsi, on pourrait croire qu'une mère pourrait,
malgré son refus, se voir imposer une cure de désintoxication ou
même se voir obligée de cesser de fumer ou je dirais même
d'aller jusqu'à refuser certains médicaments qui peuvent
être de nature à affecter le foetus.
Ce n'est pas plus facile pour vous que cela ne l'est pour nous d'essayer
de concilier des grands principes sur lesquels on peut parler très
longuement quand on les prend séparément. On peut parler pendant
des semaines et des semaines du droit à la vie. On peut parler pendant
des semaines et des semaines, avec beaucoup d'éloquence, du droit
à la mort. Vous l'évoquez dans votre mémoire. Quand vient
le temps de faire une
loi, elle ne doit pas aller dans deux directions. Il s'agit d'essayer de
concilier ces grands principes. Quand la conciliation de ces grands principes
fondamentaux se présente à nous, je pense qu'on peut très
facilement, en respectant les idées des uns et des autres, percevoir la
complexité du travail à effectuer.
Je pense que nous sommes tous en mesure de dire qu'il y a des risques de
conflits de droit et que de telles situations sont toujours très
difficiles à trancher. Quand vous parlez de la protection du foetus, je
vous pose simplement une question: N'y a-t-il pas lieu de présumer que
la mère qui porte un enfant qui va naître va tout faire pour
préserver ce foetus et pour adopter les attitudes nécessaires en
fonction de l'intérêt de cet enfant, tout en étant
consciente qu'elle a aussi des droits quant à son
intégrité physique? J'aimerais que vous expliquiez ce que serait
le contenu de ce régime juridique, pour le bénéfice des
membres de la commission. J'aimerais que vous expliquiez aussi la partie de
votre mémoire où vous dites, et je cite: "Nous croyons que ce
droit de mourir dans la liberté et la dignité est aussi un droit
fondamental corollaire du droit à la vie." Comment pourrait-on concilier
le contenu de ce que serait un régime juridique de protection du foetus
avec l'affirmation que vous faites du droit de mourir dans la liberté et
la dignité? D'accord, mais cela peut aller jusqu'où,
l'énoncé du principe fondamental que vous évoquez à
la page 7 de votre mémoire?
Le Président (M. Paré): La parole est à
vous, Mme Fournier.
Mme Fournier: Merci beaucoup. Je vais demander à Mme Caron
de répondre.
Mme Caron (Madeleine): Pour la première question, M. le
ministre, la question du régime juridique applicable au foetus, je crois
qu'on doit souligner qu'il y a deux genres de problèmes qui sont
posés par l'article 1 du projet de loi. C'est d'abord le droit à
l'intégrité physique du foetus comme tel. Vous avez
souligné la règle que l'enfant conçu et non encore
né est une personne à condition qu'il naisse vivant et viable,
dans le Code civil actuel, au chapitre des successions, des donations, etc.;
donc, on reconnaît plutôt des droits patrimoniaux et je pense que
le fait est là, sauf que...
M. Bédard: Dans les autres lois que j'ai
mentionnées.
Mme Caron: Oui. Devant le vide ou l'absence de dispositions
spécifiques dans le Code civil actuel, on a quand même une
décision principalement de la Cour suprême et cette
décision a fait l'unanimité des auteurs qui se sont
penchés sur cette question pour dire qu'on devait appliquer cette
règle même dans les droits extrapatrimoniaux. Il n'y a pas eu
d'énormes cas dans la jurisprudence, mais on peut raisonnablement penser
qu'en l'absence d'une disposition spécifique dans le Code civil, les
tribunaux continueraient d'appliquer la règle de infans conceptus aux
droits extrapatrimoniaux de l'enfant conçu, mais non encore né,
à condition qu'il naisse vivant et viable. Ce que fait l'article 1,
à nos yeux, c'est qu'il contient maintenant une disposition
spécifique qui dit que l'être humain est sujet de droit depuis sa
naissance jusqu'à sa mort. Bien sûr, dans le projet de loi no 107,
la règle demeure et l'article 123 la reconnaît aussi, mais cet
article 1 contient tout de même une disposition nouvelle qui pourrait
empêcher les tribunaux d'appliquer la règle que l'enfant
conçu mais non encore né est une personne à la condition
qu'il naisse vivant et viable, qui pourrait empêcher les tribunaux de
l'appliquer aux droits extrapatrimoniaux. Nous croyons que, lorsqu'on change la
loi, c'est pour reconnaître plus de droits et non pas en enlever. Nous
craignons que la deuxième phrase de l'article 1 n'enlève des
droits, actuellement, non pas reconnus explicitement dans le Code civil, mais
implicitement reconnus. Voilà pour le premier aspect de l'article 1.
Donc, nous croyons que cette deuxième phrase est dangereuse. (16 h
45)
M. Bédard: Si la deuxième phrase n'existait pas,
vous pensez que cela réglerait le problème?
Mme Caron: J'arrive au deuxième problème
posé par l'article 1.
M. Bédard: Vous continuez de n'en pas parler.
Mme Caron: Je ne veux surtout pas éviter de
répondre à votre question.
M. Bédard: Je vous posais la question:
Est-ce que vous pensez que le fait d'enlever la deuxième phrase
que vous évoquez réglerait le problème?
Mme Caron: II ne réglerait peut-être pas le
problème, mais il empêcherait... Il faudrait peut-être le
remplacer par autre chose. La commission, comme vous l'avez vu, ne veut surtout
pas proposer des solutions prématurées à ce genre de
problème. Nous avons dit que nous étions prêts à
retravailler cette question, à suggérer une autre
formulation.
M. Bédard: Comme vous y allez de la demande, pour qu'il y
ait quand même un
régime juridique, j'imagine que vous avez une certaine
idée de ce que pourrait être le contenu de ce régime
juridique spécifique au foetus.
Mme Caron: Peut-être qu'enlever la première phrase
de l'article 1 réglerait la question du droit à
l'intégrité physique, accident subi par la mère pendant sa
grossesse. Mais il y a tout l'autre aspect des droits du foetus soulevé
par la biologie nouvelle. Il est possible que nous ne soyons pas prêts
à envisager un régime, d'ici le mois de juin, à formuler
des règles pour prévoir toutes ces situations-là. Il
faudrait probablement prévoir à plus long terme un groupe de
travail qui se pencherait sur ces questions. Le message de la commission
relativement à l'article 1 est qu'il ne faut surtout pas enlever des
droits qui pourraient être reconnus maintenant.
M. Bédard: Quand on parle d'une façon un peu plus
théorique, de part et d'autre, cela peut sembler difficile de voir
à quelle enseigne on loge exactement, à partir d'un exemple
pratique où on essaie de concilier deux principes fondamentaux:
l'intégrité de la personne, disons de la mère, et
l'intégrité physique du foetus. Revenons à votre exemple
de la mère aux prises avec des problèmes d'alcoolisme qui sont
carrément de nature à être dommageables pour le foetus et
qu'il aurait besoin de soins; voulez-vous me dire comment vous tranchez,
comment vous conciliez ces grands principes-là; comment
trancheriez-vous?
Mme Caron: Quand nous avons donné cet exemple-là,
ce n'était pas pour dire: La mère n'a plus... Donner l'exemple
aux yeux de certains, c'est laisser croire que la commission prend parti pour
le foetus plutôt que pour la mère. Ce n'est pas là notre
intention...
M. Bédard: Non, mais...
Mme Caron: C'est que ce n'est pas en enlevant tout droit au
foetus qu'on règle la question.
M. Bédard: D'ailleurs...
Mme Caron: Un tribunal devrait probablement évaluer la
situation et voir quels sont les moyens qui peuvent être pris dans une
situation concrète. Est-ce que...
M. Bédard: Je ne veux pas laisser entendre que cet
exemple... Les exemples que vous employez, comme les nôtres, c'est
toujours sujet à... C'est simplement pour essayer d'éclaircir des
situations, mais quand même, à partir de cet exemple... Vous nous
dites que les tribunaux auraient à trancher; si je me permets de vous
poser la question à savoir comment trancheriez-vous, quelle serait votre
réponse? Je ne pars pas du principe, comme vous l'avez dit... Je pense
bien que, de part et d'autre, on n'essaie pas de se prêter des
intentions; on essaie seulement de voir quelle est la solution.
Mais au stade où vous en êtes dans votre réflexion,
disons que nous avons ce problème, cet exemple, cette situation que vous
évoquez d'une mère alcoolique qui a nécessairement besoin
de traitements sinon c'est la vie du foetus qui est en danger... L'état
de votre réflexion jusqu'à maintenant, quand il s'agit de
concilier les droits fondamentaux de la mère et du foetus, vous
amène à quelle solution?
Mme Caron: À moins d'être devant un cas très
concret où on sait exactement où on en est, on ne peut trancher.
Tout ce qu'on peut dire, M. le ministre, c'est qu'avec le projet tel qu'il est,
ce serait facile à trancher parce que le foetus n'aurait pas de droit;
alors, ce serait vite réglé. Ce serait tranché même
sans voir la mère, sans entendre son point de vue, sans n'avoir rien
entendu. On trancherait tout de suite puisque le foetus n'a rien...
M. Bédard: Je m'excuse. Je m'excuse. On ne se
prêtera pas d'intentions, mais ce n'est pas ce qui est dit dans le Code
civil.
Mme Caron: Mais quand on dit que le...
M. Bédard: Dans le sens qu'on ne demandera rien à
la mère et qu'on n'essaierait pas de... Nous, par exemple, on a à
trancher, à un moment donné.
Mme Caron: Oui et vous me demandez...
M. Bédard: ...c'est pour cela qu'on vous demande votre
éclairage...
Mme Caron: C'est cela.
M. Bédard: ...à savoir dans quel sens vous
trancheriez.
Mme Caron: D'accord.
M. Bédard: Cela ne veut pas dire qu'on va trancher dans le
même sens, mais, à un moment donné...
Mme Caron: Bon. Alors, je vais répondre en disant...
M. Bédard: ...il faut qu'une décision se
prenne.
Mme Caron: D'accord. Si j'étais devant le problème,
avec le projet de loi no 106 tel
qu'adopté, je trancherais tout de suite en disant que le foetus
est sujet de droit depuis sa naissance. Donc, je dirais: La mère est
libre totalement.
Si je juge dans le cadre du droit civil actuel, je considère que
la mère est une adulte douée de discernement raisonnable,
qu'elle... Cela dépend, je verrais le moment de la grossesse, ce qui se
passe. Mais si le foetus...
M. Bédard: Si vous me permettez de vous interrompre.
Remarquez que nous avons la même présomption, je pense, nous tous
qui sommes ici et vous-même aussi, qu'une mère... Normalement, on
doit présumer qu'elle a à coeur l'intérêt de la
préservation de l'enfant qui est à naître,
n'est-ce-pas?
Mme Caron: Et c'est pour cela que la question reste. Il faudrait
voir dans quelle situation cette femme est. Est-ce qu'on lui a apporté
de l'aide pour lui faire comprendre qu'elle met la santé de son enfant
en danger? Avant d'arriver devant les tribunaux, il pourra s'être
passé bien des choses dans la vie de cette personne. Elle pourra
être conseillée par...
M. Bédard: Oui, oui. Mme Caron: ...safamille...
M. Bédard: Mais nous parlons du Code civil.
Mme Caron: Oui.
M. Bédard: Je ne vous parle pas...
Mme Caron: Vous me demandez...
M. Bédard: ...des services sociaux et des
possibilités d'aide aux femmes qui en ont besoin lorsqu'elles sont dans
des situations difficiles. Je pense que cela peut être... Mais du point
de vue juridique, face à une situation comme cela...
Mme Caron: Oui?
M. Bédard: ...comment conciliez-vous les grands principes
dont on discute.
Mme Fournier: Mon intervention sera peut-être moins
satisfaisante, mais ce que je peux répondre à cette question,
c'est que, encore une fois, lorsque nous avons présenté une
série de problèmes qui se posent, nous avons très
rapidement ajouté que nous estimions qu'il fallait
réfléchir sur les problèmes posés par ces
différents exemples et nous n'avons pas apporté de
réponse. Alors, je ne peux pas vous dire que j'ai un mandat de la
Commission des droits de la personne du Québec qui me permette de
trancher une question comme celle que vous me posez en ce moment.
Nous n'avons pas une réponse précise à donner,
à savoir dans quel sens on irait, si on pouvait évaluer les
droits des uns et des autres dans ces questions. Je pense que ce que nous
constatons tous ensemble, c'est que cela pose des problèmes et c'est
pour cela que nous disions: N'y aurait-il pas lieu de mettre sur pied un groupe
de travail qui approfondirait ces différentes questions et imaginerait
des solutions possibles, que nous n'avons pas, malheureusement, à vous
proposer actuellement?
M. Bédard: Souvent, on indique la formulation de l'Office
de révision du Code civil. Il faudrait bien se rappeler que l'Office de
révision du Code civil parle des droits de l'enfant conçu, mais
né viable. Né viable. En fait, même la formulation de
l'Office de révision du Code civil n'est pas de nature à
reconnaître des droits très spécifiques à l'enfant,
au foetus. Ce n'est qu'à condition qu'il naisse viable.
Mme Fournier: C'est cela. Notre position...
M. Bédard: Pardon?
Mme Fournier: Excusez-moi.
M. Bédard: D'accord, allez-y.
Mme Fournier: Je voulais dire que notre position est très
claire là-dessus. Nous parlons de droits conditionnels. On pourrait dire
de droits rétroactifs, si on veut, en ce sens que, à partir du
moment où l'enfant est né et viable, on puisse lui
reconnaître des droits qu'il a eus au moment où il était en
gestation. C'est ça, l'affaire.
M. Bédard: Ce n'est pas ce qui est dit dans votre...
Mme Fournier: Oui, oui, tout à fait. C'est cela.
M. Marx: M. le ministre...
Mme Fournier: C'est exactement cela qu'on veut.
M. Bédard: Oui, je vais terminer.
M. Marx: ...sur cet article...
Mme Fournier: Le Code civil actuel...
M. Bédard: II faudrait que vous m'indiquiez où
parce que quelques membres de la commission n'ont pas cette perception.
Mme Fournier: D'accord. Le Code civil
actuel ne considère pas le foetus comme une personne; toutefois,
il lui reconnaît une personnalité conditionnelle. Autrement dit,
le foetus est sujet de droit à condition qu'il naisse vivant et
viable.
M. Bédard: Oui, mais même avec l'autre formulation,
à partir du moment où le foetus naît viable, tous les
droits existent pour lui.
Mme Caron: Oui, mais ce qui lui est arrivé pendant la
grossesse de la mère, s'il n'est pas sujet de droit, c'est comme si
ça n'existait pas juridiquement. C'est ça, le
problème.
M. Bédard: Pardon?
M. Leduc (Saint-Laurent): Une justice conditionnelle, c'est
inutile.
M. Bédard: Pouvez-vous nous donner des exemples des
conséquences que pourrait avoir cette rétroactivité de
droit?
Mme Caron: Par exemple, on parle des conditions de travail des
mères. La Loi sur la santé et la sécurité du
travail reconnaît des droits aux mères pour protéger leur
enfant à naître. Le Code civil est la source, le fondement des
autres lois. La mère, bien sûr, peut revendiquer des droits
pendant sa grossesse, mais ce qui est arrivé à l'enfant
conçu pendant la grossesse et une fois qu'il est né, s'il lui a
été causé des dommages, lui-même, personnellement,
pourrait les revendiquer s'il est sujet de droit pendant la gestation.
M. Bédard: Mais tous ces droits qu'il pourrait revendiquer
sont reconnus à la mère dans des lois particulières, comme
vous l'évoquez. Ces lois particulières continuent de
s'appliquer...
Mme Caron: Oui, mais...
M. Bédard: ...au-delà des règles
générales du Code civil.
Mme Caron: ...prenez le cas où, à cause d'une faute
dans l'emploi, l'enfant naît malade, naît infirme. C'est une action
en droit civil qui sera prise, à moins que ce ne soit sous l'empire du
droit statutaire. C'est une action qui sera prise en droit civil par l'enfant
contre l'auteur de la faute pour réclamer des dommages. Pour cela, il
faut qu'il soit sujet de droit pendant qu'il a subi ces dommages, qu'il a subi
l'atteinte dommageable.
M. Bédard: J'aimerais savoir comment vous en arrivez
à la conclusion que la loi, telle que présentée, refuse
à cet enfant - puisque maintenant il est né viable, c'est d'un
enfant dont on parle - ne permet pas ces droits de recours à l'enfant
une fois qu'il est né viable et qu'il a subi des préjudices. (17
heures)
Mme Caron: Si vous êtes inexistant en droit, si vous
étiez inexistant au moment où la faute vous a causé un
dommage, vous ne pouvez pas prétendre qu'on vous a causé du
dommage.
M. Bédard: Oui, mais si l'enfant ne naît pas
viable...
Mme Caron: On n'en parle pas.
M. Bédard: Vous le dites vous-même, il n'y a pas de
problème.
Mme Caron: C'est cela.
M. Bédard: S'il naît viable, à ce moment, il
a des droits qu'il peut faire valoir.
Mme Caron: Pas si la faute s'est produite avant qu'il soit sujet
de droit.
M. Marx: Puis-je poser une question, M. le Président?
Le Président (M. Paré): Oui.
M. Marx: Juste une question.
M. Bédard: Personnellement, j'aurais continué. Je
ne suis pas du même avis.
M. Marx: On a déjà passé 30 minutes sur cet
article. On a déjà discuté cela dans le cadre d'autres
mémoires. J'ai juste une petite question. Le ministre a dit qu'il ne
veut pas changer l'état de droit actuel, mais, dans le projet de loi, ce
n'est pas rédigé dans les mêmes mots que dans le Code civil
d'aujourd'hui. Moi, j'ai toujours appris en droit que, lorsqu'on change des
mots, c'est pour changer quelque chose. On ne change pas des mots ou des
articles pour maintenir le droit actuel. Je pense que c'est cela le
problème. Si le ministre est d'accord pour que l'état de droit
actuel reste tel quel, pourquoi changer les articles?
M. Bédard: Mon collègue conviendra qu'une
formulation différente peut avoir le même effet. On l'a dit. Des
représentations ont été faites jusqu'à maintenant.
Nous allons en tenir compte pour voir jusqu'à quel point une formulation
différente peut avoir des effets à ce point différents.
D'un autre côté, s'il fallait partir du principe que toute
formulation différente amène nécessairement un
renversement de situation... À un moment donné, il faut quand
même permettre une certaine diversité dans la manière
d'exprimer
les choses tant du point de vue législatif qu'à d'autres
points de vue.
M. Marx: Oui, mais M. le ministre conviendra que, lorsqu'on
change la formulation - c'est un peu différent dans le code actuel et
dans le projet - la première chose sur laquelle les juges vont
s'interroger, c'est: Quelle était l'intention du législateur?
Est-ce qu'ils vont lire le journal des Débats et conclure que le
ministre a dit: On ne veut pas de changements? Quand il va y avoir une autre
formulation, il y a possibilité qu'ils croient qu'on a voulu changer
quelque chose parce qu'on est censé ne pas parler pour ne rien dire. Pas
à l'Assemblée nationale, dans les lois.
M. Bédard: Oui, on est d'accord là-dessus. Je ne
crois pas que les discussions en commission parlementaire soient
nécessairement des documents dont se servent les juges...
M. Marx: Ils vont jeter un coup d'oeil.
M. Bédard: Mais cela ne fait pas loi. Les discussions en
commission parlementaire ne font pas la loi. La loi, c'est ce qui est
écrit. Au-delà de la formulation, je comprends que le point que
soulève M. le député de D'Arcy McGee est technique - il
s'agira de s'y attarder - mais l'essence de mes questions à la
Commission des droits de la personne du Québec, est d'aller plus loin
que la formulation et essayer d'aller ensemble au fond des choses. C'est le
sens de mes questions. C'est pour cela que je vous demandais aussi de vous
expliquer. Je ne suis peut-être pas allé au fond des choses.
À ce moment, y a-t-il lieu de mieux traduire les idées des uns et
des autres quand elles ne sont pas contradictoires, quand elles peuvent
être conciliées? C'est dans cet esprit que je vous demandais
d'expliciter où cela va dans votre esprit, l'application de ce droit
fondamental de mourir dans la liberté et la dignité en relation
avec le projet de loi dont on parle. Je comprends, comme principe
général, qu'on peut faire de grands discours, vous et moi, durant
de longues heures sur le droit de mourir dans la liberté et la
dignité, mais du point de vue pratique, par rapport au projet de loi que
nous étudions, cela peut aller jusqu'où, l'application de ce que
vous nous dites à la page 7 de votre mémoire?
Mme Caron: À l'heure actuelle, ce que les gens très
malades désirent, ce n'est pas ce qu'on appelle l'acharnement
thérapeutique autour d'eux. On parle des gens doués de
discernement. La prolifération des centres palliatifs auprès des
mourants le montre; ce dont les gens ont besoin, c'est d'être
assistés.
M. Bédard: Un instant, je veux bien comprendre et il y a
du bruit un peu. Quand vous affirmez cela, vous parlez des personnes
douées de discernement.
Mme Caron: Oui, voilà. Nous disons que si les personnes
douées de discernement refusent un traitement, même si cela doit
entraîner la mort, on doit respecter leur volonté.
M. Bédard: Alors, comment conciliez-vous un principe comme
celui-là avec une situation qui ferait qu'une mère, qu'une femme
douée de discernement, qui est enceinte, décide de son droit de
mourir dans la dignité et dans la liberté? Comment conciliez-vous
cela avec le droit de vivre du foetus?
Mme Caron: Vous parlez d'une femme qui est mourante et qui refuse
des traitements?
M. Bédard: Non, qui est douée de discernement. Je
prends votre expression: une femme douée de discernement.
Mme Caron: Oui, et qui est mourante, qui va mourir si on ne la
traite pas, c'est cela?
M. Bédard: Voilà!
Mme Caron: C'est un problème, ça. Je pense que
c'est une situation exceptionnelle. Quand on a fait la proposition au sujet du
majeur doué de discernement dont on doit respecter le refus, je pense
que c'est un ensemble de situations qu'on visait.
M. Bédard: Je vous apporte cet exemple; je pense que cela
nous démontre jusqu'à quel point il est difficile de concilier
certains principes.
Mme Caron: C'est cela.
M. Bédard: Mais c'est aussi pour faire ressortir une
chose. Comme vous le dites, c'est un cas exceptionnel. Dans le Code civil, ce
sont des principes généraux à partir desquels des lois
particulières vont découler nécessairement. Je pense que
vous conviendrez avec moi - c'est normal qu'on ait la préoccupation des
cas exceptionnels parce qu'ils existent et c'est toujours des problèmes
dramatiques, humainement parlant - qu'il est bien difficile de régler
cela à partir de règles générales. C'est pour cela
que je vous demandais si vous ne croyez pas que ces situations exceptionnelles
ou encore, quand vous parlez même d'un régime juridique
spécifique au foetus, cela pourrait éventuellement, se retrouver
ou être traité par des lois spécifiques qui tiennent
compte
de ces situations exceptionnelles.
Mme Caron: Quand on a parlé de régime juridique
applicable au foetus, l'idée qu'on voulait soumettre, c'est qu'en 1867
on ne pensait pas à cela. Mais à cette époque-ci, alors
qu'on fait de l'expérimentation sur les foetus, la fertilisation in
vitro, ce n'est pas en niant tout droit au foetus qu'on doit envisager le droit
futur. On doit y penser peut-être pas pour demain, mais à long
terme.
Quant au problème précis que vous avez soulevé de
la mère mourante qui porte un enfant, je ne suis pas en mesure de
répondre maintenant. La proposition de la commission de
reconnaître au majeur doué de discernement le droit de refuser des
traitements couvre un grand nombre de situations autres que celle que vous avez
soulevée.
M. Marx: Sur le même article, M. le ministre.
M. Bédard: Je n'ai pas d'objection.
M. Marx: Sur cette question, si les juges veulent s'inspirer des
débats de l'Assemblée nationale, ils ne vont pas trouver de
réponse. Sur le droit à la mort, quel est l'état de la
jurisprudence aujourd'hui, en vertu du droit civil québécois?
Est-ce qu'on a le droit à la mort?
Mme Murphy (Marie): L'auteur de l'oeuvre en question est dans la
salle et vous parlera plus tard de la responsabilité médicale.
À la lecture de cette oeuvre, la jurisprudence actuelle permet le droit
de choisir si on veut mourir. Comme je le dis, c'est l'état de la
jurisprudence actuelle, c'est l'avis des auteurs.
M. Marx: Supposons qu'un Témoin de Jéhovah veut
refuser une transfusion de sang, est-ce qu'il n'y a pas de cas où les
cours ont émis des injonctions pour l'imposer?
Mme Murphy: Comme je l'ai dit, je ne suis pas experte - les
experts sont ici -mais, selon ma compréhension, il a le droit de refuser
pour lui, mais non pour son enfant. Pour lui-même, il a le droit de
refuser.
M. Bédard: On parle de droits fondamentaux. Quand vous
parlez du droit de mourir dans la liberté, la dignité, est-ce
que, dans votre esprit, cela pourrait aller jusqu'à vouloir dire qu'une
personne qui est victime d'un accident grave, mais que des soins
appropriés pourraient ramener à la santé pourrait refuser
ces soins-là? Est-ce que cela pourrait aller jusque-là?
Mme Caron: Si la personne est inconsciente, si son consentement
ne peut pas être obtenu en temps utile, oui.
M. Bédard: Non, ne parlons pas d'une personne qui n'est
pas capable de donner un consentement, c'est une autre situation. Parlons de la
situation que vous évoquez, le droit de mourir, le droit au niveau du
consentement, donc d'une personne qui est capable de donner un consentement.
Est-ce que votre énoncé peut vouloir dire qu'une personne,
victime d'un accident grave, mais capable d'exprimer une volonté, aurait
le droit de refuser des traitements même s'il il était clair que
des soins appropriés pourraient la ramener à la vie?
Mme Caron: Certainement. Cela peut arriver pour des raisons
religieuses, comme on l'a soulevé et cela peut arriver pour des raisons
proprement de liberté individuelle.
M. Bédard: Est-ce que cela veut dire le droit au
suicide?
Mme Caron: Non, non.
M. Bédard: Presque.
Mme Caron: C'est très différent.
Mme Murphy: Dans notre mémoire...
M. Bédard: Qu'est-ce qui est différent? Je voudrais
bien comprendre.
Mme Caron: C'est-à-dire que ce n'est pas la personne qui
s'est donné la mort à elle-même.
M. Bédard: Pardon?
Mme Caron: Quand vous avez un cancer, ce n'est pas vous qui avez
décidé d'avoir le cancer et d'en mourir.
M. Bédard: Ce n'est pas d'un cancer qu'on parle. Les
personnes qui sont en phase terminale et pour lesquelles il y a des
décisions à prendre concernant le fait d'avoir des traitements ou
pas, parce qu'il est clair que, de toute façon, elles n'en n'ont pas
pour longtemps, cela est un autre problème. Je ne vous parle pas de gens
en phase terminale. Je vous parle d'une personne qui a eu un accident grave et
que des soins appropriés pourraient ramener à la santé,
mais qui, pouvant exprimer un consentement, dirait: Non, je ne veux pas ces
soins-là. Vous lui donnez ce droit?
Mme Murphy: Dans notre mémoire, nous avons dit qu'il y a
aussi dans la charte le droit au secours, c'est-à-dire que, si vous
êtes en danger, vous avez le droit à
l'assistance. Même si une personne est dans l'état dont
vous parlez, il est probablement du devoir du médecin - ce consentement
n'est pas oui ou non, ce n'est pas simple -de lui parler et même
d'essayer de la convaincre d'être consciente de la valeur de la vie. Nous
ne sommes pas contre cela. Après toute cette discussion et en toute
connaissance de cause, si la personne ne veut pas un traitement, on dit qu'il
faut respecter sa décision.
M. Bédard: Autrement dit, vous avez là une personne
qui - je reprends mon exemple parce que c'est aussi bien de garder le
même - a un accident grave et que des soins appropriés pourraient
ramener à la vie. Tous les efforts sont faits par le médecin pour
convaincre cette personne qu'elle devrait accepter ces soins et vous
prétendez qu'on doit respecter la décision de cette personne de
refuser ces soins et de mourir. Est-ce que c'est cela?
Mme Fournier: C'est cela. (17 h 15)
M. Bédard: Ce n'est pas loin du droit au suicide, quand
quelqu'un est informé de la possibilité de demeurer vivant si des
soins appropriés lui sont donnés et qu'on lui reconnaît le
droit de dire non. Il me semble qu'il ne faudrait pas avoir peur des mots.
J'essaie de comprendre jusqu'où cela mène, votre affaire. C'est
le droit au suicide.
Mme Murphy: M. le ministre, en parlant encore de
réalité, on peut se demander combien de personnes dans cet
état, sur notre route, vont dire: Je ne veux pas être
traité. Il me semble que c'est un cas théorique.
M. Bédard: Non, je m'excuse. On n'en est pas sur le nombre
de personnes qui diraient oui ou non. Dans votre mémoire, vous parlez
des principes.
Mme Murphy: C'est cela.
M. Bédard: Des principes, en soi, c'est complet.
Mme Murphy: C'est le principe. C'est cela.
M. Bédard: Ce n'est pas selon le nombre de personnes. Le
principe existe ou n'existe pas. Ce que vous nous dites, c'est presque
reconnaître le droit au suicide.
Mme Murphy: C'est un droit que tout Témoin de
Jéhovah exerce chaque fois que la question de la transfusion de sang se
pose. Tout Témoin de Jéhovah est dans la situation que vous
décrivez. C'est cela.
M. Bédard: Oui, oui. J'ai décrit toute la
situation. Alors, c'est cela?
Mme Fournier: Pour répondre vraiment
précisément à votre question, oui, c'est cela. Nous
considérons que quelqu'un doué de discernement a le droit de
refuser un traitement.
M. Bédard: Même si cela doit entraîner la
mort?
Mme Murphy: Oui.
M. Bédard: Et même s'il n'est pas en phase
terminale? Indépendamment de cela?
M. Marx: Dans mon expérience, j'ai déjà
rencontré des personnes dans certaines situations qui ont dit: Je veux
mourir, j'aimerais mourir, mais elles n'étaient pas pressées.
Vous comprenez que c'est une autre problème pratique.
M. Bédard: Oui, et il y a plusieurs personnes qui,
étant dans des situations très difficiles, peuvent vouloir
mourir, mais elles seront parmi les premières à être les
plus reconnaissantes parce qu'on n'aura pas donné suite à leur
désir. En tout cas, je voulais savoir jusqu'où cela allait.
Le Président (M. Paré): Le député de
Saint-Laurent aussi avait demandé la parole.
M. Bédard: Je reviendrai avec d'autres questions
peut-être.
M. Leduc (Saint-Laurent): Je ne voudrais pas que cela dure trop
longtemps, mais je voudrais revenir à l'article 1. J'avais compris de
votre mémoire que vous vouliez protéger le foetus. C'est ce que
j'avais compris parce que, si je lis la page 5, entre autres, vous dites: "II
risque de diminuer les droits existants de l'enfant conçu, mais non
encore né qui subirait une atteinte à son intégrité
physique pendant la grossesse." Et le paragraphe en dessous disait: "Si tel est
le cas (...) plutôt que d'enlever des droits au foetus". Je pense que
j'avais mal compris parce qu'à une réponse à une question
du ministre vous avez dit: Pour autant qu'il naît vivant et viable. Cela
veut donc dire que cette notion est conditionnelle. J'ai beaucoup de
difficulté à concilier les deux. C'est bien cela en fait quand
vous dites: II faudrait peut-être envisager un régime juridique
propre à la condition prénatale. Ce serait basé
là-dessus. Ce serait à la condition qu'il naisse vivant et
viable. C'est conditionnel à ce moment.
Une voix: C'est-à-dire que je crois que oui.
M. Leduc (Saint-Laurent): Alors, quand vous dites: On veut
enlever la deuxième phrase à l'article 1, cela ne règle
pas votre problème. Je ne pense pas que cela va arriver à votre
solution. Pas du tout. Je voudrais peut-être qu'on l'enlève parce
que je pense qu'à ce moment, en l'enlevant, on va reconnaître des
droits au foetus. Comme l'a dit mon collègue de D'Arcy McGee, on a
modifié l'ancien article et on a ajouté un paragraphe disant que
c'est à partir de la naissance. Cela veut donc dire que ce n'est pas
depuis la conception. Je voudrais bien savoir si c'est bien cela. Vous dites:
On va le protéger - en fait, cela semble contradictoire - il a des
droits pour autant qu'il naît vivant et viable. C'est cela?
Mme Caron: On couvre deux situations dans notre mémoire:
premièrement, reconnaître l'intégrité physique au
foetus à condition qu'il naisse vivant et viable. C'est pour cela qu'on
veut qu'on enlève la deuxième phrase de l'article 1. L'autre
situation qu'on veut couvrir, c'est le régime juridique propre au foetus
lui-même. Par exemple, sur la question de l'expérimentation sur
les foetus, des consentements doivent-ils être obtenus? Le respect et
tout cela, l'expérimentation sur le foetus à la suite d'un
avortement. Je parle de l'expérimentation, mais il y a d'autres
questions, comme les recherches sur la génétique. Cela ne peut
pas être couvert uniquement en ajoutant ou en enlevant une phrase dans le
Code civil. Il faut vraiment réfléchir et voir toutes les
implications de la biologie moderne sur la situation du foetus pendant qu'il
est foetus. Ce sont ces deux situations qu'on soulève dans notre
mémoire. Ce sont deux genres de problèmes.
M. Leduc (Saint-Laurent): Pour autant qu'il naisse vivant et
viable, toujours.
Mme Caron: Pas nécessairement. Si on parle de la recherche
et des recherches en biologie, cela peut même être
indépendamment du fait qu'il naisse vivant et viable.
Mme Fournier: Si vous faites une recherche sur les
génomes, il se peut qu'il arrive quelque chose d'autre à cet
enfant précis en gestation et qu'il ne naisse pas. On dit qu'il faudrait
aussi un régime juridique pour prévoir ces conditions au moment
où cela se fait.
M. Bédard: Admettez-vous que vous parlez
d'expérimentations et que c'est dans des lois spécifiques,
sûrement pas dans une législation générale sur le
Code civil, que cela peut se retrouver?
Mme Caron: Peut-être, M. Bédard, mais, quand vous
dites que l'être humain "est sujet de droit depuis sa naissance
jusqu'à sa mort" et que vous dites que le Code civil est le fondement
des autres lois, vous en enlevez là.
M. Bédard: Quand vous parlez de tous les problèmes
d'expérimentation, comme ceux que vous venez d'évoquer, on ne
règle pas cela en employant la formule de "l'enfant conçu
à la condition qu'il naisse vivant ou viable."
Mme Caron: Non. Effectivement, vous avez raison.
M. Bédard: Ces expérimentations se font avant
même qu'il soit né.
Mme Caron: Sauf qu'en spécifiant que l'être humain
est sujet de droit depuis sa naissance jusqu'à sa mort, c'est votre base
pour votre future législation et là vous vous causez un
problème.
M. Leduc (Saint-Laurent): On peut bien l'enlever.
M. Bédard: Les lois sectorielles s'appliquent.
M. Marx: Juste une petite intervention sur ce point. Admettons
qu'on enlève la deuxième phrase pour être sûr qu'on
garde le droit actuel. Pour des cas limites, pour des cas spéciaux - le
ministre a donné des exemples - on va laisser au juge le soin de
décider. On ne peut pas tout régler dans le Code civil. À
l'article 1, on donne une certaine importance pour la première fois
à la jurisprudence, même à la doctrine; ce sera possible
à des gens d'écrire des livres pour influencer les juges, plus
peut-être qu'avec cet article à l'heure actuelle. Donc, on laisse
le droit actuel. Pour des cas exceptionnels, on va développer un certain
droit par le biais de la jurisprudence. Dans le cas où ce sera
nécessaire d'intervenir, l'Assemblée nationale peut toujours
intervenir pour modifier, si vous voulez, la jurisprudence. Le droit civil,
cela a toujours été cela. Je vois mal qu'on essaie de
"réglementer" cette question.
Mme Caron: II resterait encore un problème. À
l'article 123, on parle des intérêts financiers. On ne peut pas
toucher à l'article 1 sans envisager l'article 123 aussi.
M. Marx: Seriez-vous d'accord pour que le droit actuel reste tel
quel? Ce serait mieux, mais ce n'est pas l'idéal pour la commission,
c'est cela?
M. Bédard: Cela ne résout pas la situation.
Mme Caron: Remarquez qu'en ayant...
M. Bédard: C'est ne pas parler du problème.
Mme Fournier: Cela ne couvre pas tout le problème.
M. Marx: M. le ministre, vous avez dit que vous ne voulez pas
changer l'état actuel du droit. C'est ce que vous avez dit.
M. Bédard: Oui, au niveau de l'intention que nous avions
exprimée.
M. Marx: C'est cela.
M. Bédard: On parle de la situation; c'est pour cela qu'on
entend des groupes. On le sait, le droit actuel ne règle pas tous les
problèmes.
M. Marx: Le problème est qu'on ne veut pas changer quoi
que ce soit, mais en donnant une nouvelle formulation on change les choses. Je
crois que c'est cela.
M. Leduc (Saint-Laurent): À ce moment, vous dites que
l'enfant a une personnalité juridique pour autant qu'il va naître
vivant et viable. Est-ce cela?
Mme Caron: C'est le principe.
M. Marx: Passons à un autre article.
M. Leduc (Saint-Laurent): Je vous pose la question parce que pour
moi, c'est très important. Je veux bien comprendre votre perception de
cet article.
Mme Caron: C'est un minimum, disons.
M. Leduc (Saint-Laurent): Cela semble contredire un peu ce que
vous dites dans votre mémoire.
M. Bédard: Juste une petite correction. On parle toujours
du droit actuel. Selon nous, par l'article tel qu'il est libellé
présentement qu'on retrouve dans le projet de loi no 106, on cristallise
le droit actuel, tenant compte d'une jurisprudence...
M. Marx: Vous êtes le seul à penser cela au
ministère.
M. Bédard: On aura l'occasion sûrement d'en
rediscuter.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Chauveau.
M. Brouillet: J'aimerais revenir sur ce que vous venez
d'affirmer: L'être humain, le foetus, ne serait sujet de droit que s'il
naît vivant et viable. J'ai un peu de difficulté à
comprendre le sens de cela parce que, pour moi, quand on reconnaît des
droits à quelqu'un, cela détermine de la part des autres
personnes des obligations à son égard. Cela voudrait dire, si
l'on suit la logique du principe que vous avez soutenu, qu'avant sa naissance,
tant qu'il ne vit pas, tant qu'il ne naît pas vivant et viable, les
autres personnes n'auraient pas l'obligation de le respecter. Je ne peux pas
vraiment comprendre ce genre de position. Cela veut dire: Dès qu'il est
foetus, on peut bien dire qu'il a des droits conditionnels, mais tant qu'il ne
naît pas vivant et viable, les autres n'ont pas d'obligations à
son égard. Je trouve qu'il serait un peu dangereux de soutenir cette
position.
Mme Caron: Le principe dont on parle, ce n'est pas la Commission
des droits de la personne qui le soumet, c'est un principe qui nous vient du
droit romain. Ce n'est pas la proposition de la commission. Cependant, il y a
deux façons d'interpréter ce principe. D'abord: l'enfant
conçu n'a pas de droits à moins qu'il naisse vivant et viable. Il
y a une autre façon qui serait - certains la proposent - l'enfant
conçu a des droits à moins qu'il ne naisse pas vivant et viable.
Ce sont les deux façons d'interpréter la condition.
M. Brouillet: Je comprends très bien.
Mme Caron: C'est une chose. Je vais continuer. De plus, la
commission dit aussi qu'à cause de ce qui se passe actuellement partout,
ce n'est plus suffisant, ce principe du droit romain; il faut aussi se pencher
sur la condition du foetus et faire une législation appropriée;
mais dans le Code civil, en enlevant tout droit au foetus, on sape à la
base les fondements de cette future législation.
M. Bédard: Pour les suggestions que vous nous faites, vous
avez sûrement quelques lignes de fond concernant de ce que pourrait
être cette législation spécifique de protection du foetus.
J'aimerais savoir jusqu'où cela pourrait aller.
Mme Caron: Là encore, je sais qu'il y a des travaux qui se
font un peu partout, à la fois aux États-Unis et au Canada sur
cela. Dans les deux mois qu'on a eus pour préparer ce mémoire,
c'est impossible de vous dire quelles seraient les grandes lignes de cela.
M. Bédard: Je vous comprends.
Mme Caron: Dans le projet de loi 106, vous avez un chapitre sur
le respect du cadavre. Même si le cadavre n'est plus sujet
de droit, vous reconnaissez, tout de même, qu'il a des droits,
parce qu'il a été, etc.
M. Bédard: D'accord, il ne faudrait pas en faire
l'allégation d'une façon démagogique par rapport au
foetus. Comme vous nous dites, il y a bien des travaux.
Mme Caron: D'accord.
M. Bédard: Législativement, il y a bien des
situations qui existent dans les autres pays. Je suis capable de comprendre que
vous n'ayez pas eu le temps d'approfondir autant que vous l'auriez voulu le
sujet, mais je suis en mesure de vous dire que ce qu'il y a là rejoint -
nous avons peut-être eu un peu plus de temps pour le faire - l'essentiel
des législations adoptées dans plusieurs pays. (17 h 30)
Mme Caron: Je vais vous donner un exemple de problème. Il
y a eu une commission aux États-Unis sur tous ces problèmes, sur
toutes ces questions. Pensons juste au problème du consentement sur
l'expérimentation sur les foetus. Il y a le consentement de la
mère. Est-ce que l'opinion du père doit être prise en
considération ou non? Voilà des problèmes qui peuvent se
poser.
M. Bédard: Ce sont des problèmes qui peuvent se
poser sauf qu'avant de se poser des questions sur la façon dont un droit
doit être exercé, le travail que nous avons à faire et
aujourd'hui c'est d'essayer de concilier les droits, les principes. Ensuite,
les précautions qu'il y aura à prendre, législativement
parlant, ou humainement parlant pour que ces principes soient appliqués,
c'est une tout autre chose.
Mme Caron: Je crois que le mandat que la Commission des droits de
la personne a donné aux personnes qui sont ici ne va pas plus loin que
de dire: La deuxième phrase de l'article risque d'enlever des droits et
nous suggérons qu'il soit repris.
M. Bédard: Je sais que vous ne prenez pas d'une
façon négative le fait que nous essayons, comme membres de la
commission puisque nous aurons, à un moment donné, à
trancher, d'aller au fond des choses avec vous, de connaître vos
perceptions parce que vous y allez quand même, dans votre mémoire,
de suggestions très précises. Vous portez des jugements de valeur
très précis sur des choses. J'espère que je ne vous donne
pas l'impression de vous harceler ou encore de vouloir vous mettre en
boîte. Je tiens à vous dire que ce n'est pas du tout notre
intention. C'est plutôt d'essayer d'aller au fond des choses puisque vous
y allez, à un moment donné, de jugements de valeur et vous
recommandez très carrément d'autres solutions. À partir du
moment où un groupe nous recommande très spécifiquement
d'autres solutions, c'est un peu normal qu'on essaye de les approfondir avec le
groupe en question.
Le Président (M. Paré): Est-ce qu'il y a d'autres
questions?
M. Marx: Oui, j'ai une autre question.
Le Président (M. Paré): M. le député
de D'Arcy McGee.
M. Marx: J'ai deux autres questions. Une question assez
précise et une autre assez générale.
À propos du respect de la réputation et de la vie
privée, sur le droit à l'intimité, nous avons eu des
représentations de groupes qui ont parlé des listes noires de
locataires à Montréal.
Premièrement, est-ce que vous pensez que vos recommandations
auront pour effet de couvrir de telles situations? Je parle de vos
recommandations contenues aux pages 11, 12 et 13 de votre résumé.
Admettons qu'on accepte ces recommandations, est-ce que cela va couvrir le
problème des listes noires?
Mme Caron: Oui, puisque, parmi les recommandations, il y a celle
d'adopter une loi couvrant la question des agences d'information et l'aspect de
la divulgation de listes d'information sur les personnes.
M. Marx: C'est-à-dire une autre loi.
M. Bédard: Vous parlez d'une législation
spécifique plutôt.
Mme Caron: Oui.
M. Marx: Une législation spécifique.
M. Bédard: Là-dessus, nous avons à
poursuivre un débat sur la formulation qu'on pourrait adopter en ce qui
concerne le Code civil en termes de principes généraux. Je sais
que l'Office de révision a un principe général qu'il
évoque et, d'ailleurs, qu'on retrouve dans le projet de loi 106, sauf
que l'Office de révision du Code civil ajoute un "notamment" et indique
différents sujets où il veut porter une attention plus
particulière. Jusqu'à quel point il est mieux d'y aller avec un
principe général ou encore de préférer un principe
général à partir duquel on réfère à
des sujets d'une façon non limitative, je crois que la question peut se
poser au-delà des sujets qui sont évoqués et par vous et
par l'Office de révision du Code civil dans ce domaine. Il peut arriver
sûrement que -étant donné que les révisions du Code
civil ne se font pas tous les jours, on le sait -des situations changent enfin
que ces
situations ne soient pas évoquées dans les "notamment" que
l'on retrouve dans la formulation de l'Office de révision du Code civil.
On va essayer de voir quelle est la meilleure manière de
légiférer dans ce domaine.
Mme Caron: M. Bédard, je crois que nous sommes d'accord
avec votre principe. Mais nous croyons que l'article 34 va à l'encontre
de votre principe. Dans l'article 34, on utilise des situations
particulières. On dit: "L'utilisation du nom, de l'image ou de la voix
d'une personne..." On précise des situations particulières et on
peut interpréter cela comme disant: Ce qui n'est pas
précisé dans l'article 34 n'est donc pas couvert par le champ
d'application du Code civil. Par exemple, la simple intrusion dans la vie
privée: dans l'article 34, on parle de "l'utilisation du nom, de l'image
ou de la voix"; nous craignons que l'intrusion dans la vie privée,
à cause de l'interprétation de ces articles, ne soit vue comme
non couverte par le Code civil.
M. Bédard: Je veux bien vous comprendre. Vous craignez que
cela n'atténue un peu le principe général
déjà contenu dans la loi 106.
Mme Caron: Oui.
M. Bédard: Parce qu'il y a un principe
général dans un autre article...
Mme Caron: Oui. "Toute personne a droit au respect de sa
liberté".
M. Bédard: ...qui touche tout. Si je comprends bien, vous
préféreriez peut-être qu'il n'y ait que le principe
général, plutôt que d'avoir d'autres articles qui soient de
nature à diminuer la portée du principe
général.
Mme Caron: Encore là, nous ne voulons pas, dès
aujourd'hui, dire qu'il suffirait d'enlever l'article 34 pour que tout soit
réglé. Nous voulons tout simplement soulever les
problèmes.
M. Bédard: C'est votre préoccupation. Mme Caron:
Oui. M. Bédard: D'accord.
M. Marx: Sur cette même question, il a déjà
été dit que dans le Code civil on ne met que les principes. Donc,
il ne serait pas justifié d'insérer un article avec le mot
"notamment", comme cela a été suggéré par l'Office
de révision du Code civil et comme c'est suggéré dans
votre mémoire. Avez-vous un point de vue là-dessus?
Mme Caron: Oui. Il y a deux façons d'envisager les choses.
Si on veut le laisser, effectivement, on peut. C'est une politique
législative de laisser la jurisprudence définir ce qu'est la vie
privée. On peut faire cela et attendre. Ou on peut, comme on l'a fait
dans certains autres cas dans ce projet de loi no 106, penser que la situation
est assez bien couverte et aller plus loin. Je pense que la commission n'a pas
à faire le travail du législateur. La seule chose qu'on veut
indiquer, c'est qu'il faut faire attention à ce que le Code civil ne
vienne pas restreindre le droit à la vie privée alors qu'on veut
le promouvoir en ajoutant un chapitre.
M. Marx: Dans le Code civil actuel, il y a des articles où
on trouve des "notamment", des exemples; ce n'est pas fausser le droit civil
québécois de prévoir des exemples, parce que, notamment,
le juge peut toujours allonger la liste, le cas échéant.
M. Bédard: On ne peut sûrement pas dire que c'est...
D'accord.
M. Marx: J'ai une dernière question et c'est la
suivante.
M. Bédard: Seulement une petite remarque.
M. Marx: Oui.
M. Bédard: Ou il y a la possibilité d'une loi
spécifique, parmi les moyens que vous évoquiez, à partir
d'un principe général qui est très clairement
établi dans le Code civil.
Mme Caron: Ce que nous suggérons, c'est une loi, entre
autres, sur les agences d'information, enfin, c'est une loi qui couvrirait les
fichiers. Mais la vie privée a d'autres aspects que celui des fichiers:
c'est la simple intrusion dans la vie privée d'une personne par un autre
individu. Cela pourrait peut-être être difficilement couvert par
une loi sectorielle.
M. Marx: On peut toujours avoir un article, tel que
proposé par l'Office de révision du Code civil ou par la
Commission des droits de la personne et, après, avoir une loi
spécifique. L'une n'empêche pas l'autre.
M. Bédard: C'est exact.
M. Marx: Le ministre a opté, je pense, pour le principe
sans une énumération des exemples.
M. Bédard: J'ai écouté, en fait, je pense,
comme tous les membres de cette commission. Quand on parle d'élaboration
du
Code civil, on parle d'une opération non partisane où on
se permet de réfléchir tout haut de temps en temps de part et
d'autre. J'ai écouté. Il y a certains principes de droit. Comme
on l'a fait remarquer tout à l'heure, il y a une technique. Madame
disait: On n'est pas ici pour trancher. On parle des principes
généraux, on parle des préoccupations au niveau de
certains droits qui se doivent d'être protégés concernant
la vie privée, etc. Quant à la manière de le traduire dans
le Code civil ou dans des lois spécifiques, c'est un choix que doit
faire le législateur et il doit essayer de faire le choix le plus
opportun en tenant compte des considérations qui ont été
faites.
M. Marx: Ma dernière question est la suivante: Vous savez
qu'un jour, toute la charte aura préséance sur toute loi
québécoise. Ce n'est pas encore le cas, mais ce sera le cas quand
le ministre aura le temps de proclamer les amendements de la charte en
vigueur.
M. Bédard: Question de règlement, M. le
Président. Mon collègue n'est pas juste là. Je venais
juste de dire qu'on ne fait pas de politique. Ce n'est pas que je n'ai pas le
temps. D'ailleurs, Mme la présidente est ici, elle sait qu'au moment
où on se parle, avec le sous-ministre de la Justice, il y a des
discussions qui se font sur la portée, en fait, sur l'ampleur de tous
les amendements qui ont été apportés à la Charte
des droits et libertés, sur leur mise en vigueur aussi parce que cela va
représenter un travail additionnel énorme, donc, des ressources,
etc. Je pense à toute cette situation qui, à l'heure actuelle,
fait l'objet de discussions...
M. Marx: Je m'excuse, M. le ministre.
M. Bédard: ...avec la Commission des droits de la
personne.
M. Marx: J'ai pensé que vous aviez évalué
les effets avant de déposer le projet de loi.
M. Bédard: Nous les avons évalués. Ce n'est
pas cela du tout.
M. Marx: De toute façon, la question reste qu'un jour,
quand le sous-ministre va avoir le temps...
M. Bédard: On ne passera pas d'autres remarques.
M. Marx: ...toute la charte telle que modifiée aura
préséance sur le Code civil, sauf si, un jour, le gouvernement
décide d'insérer un "nonobstant" quelque part dans une autre loi,
comme on le fait de temps en temps, notamment pour la loi 111. Est-ce que vous
avez trouvé des conflits de droit, c'est-à-dire des conflits
entre les dispositions des projets de loi nos 106 et 107 et la charte
québécoise?
M. Bédard: M. le Président, je serais porté
à invoquer de nouveau le règlement pour corriger les propos de
mon collègue. La loi 111 ne suspend des droits et libertés
-d'ailleurs, je pense qu'il y a eu, à un moment donné, une mise
au point faite par la commission - qu'en fonction du contenu même de la
loi 111. Il ne faudrait pas lui donner une portée
générale.
M. Marx: Dans le cas d'un conflit entre la loi 111 et la charte
québécoise, c'est la loi 111 qui aurait préséance.
C'est tout ce que j'ai voulu dire.
M. Bédard: Ce n'est pas la suspension de tous les droits
et libertés.
M. Marx: Je n'ai jamais dit cela, M. le ministre. Vous êtes
en train de citer d'autres personnes qui ne sont pas présentes.
M. Bédard: Très bien. Allez-y.
Mme Fournier: La question que vous posez: Est-ce qu'il y a des
conflits entre le projet de loi no 106 et la charte des droits?
M. Marx: 106 et 107, le cas échéant, et la charte
telle qu'amendée.
Mme Fournier: Voilà. En fait, très simplement, les
conflits que nous avons perçus, nous les avons décrits dans le
mémoire. Les questions que nous voyons possiblement en contravention
avec la charte, nous les avons soulevées dans le mémoire que nous
présentons sur la loi 106.
M. Marx: Cela veut dire que, dans le cas où on adopterait
la loi 106 telle quelle, c'est possible qu'un jour un juge va dire: Cet article
ou cette disposition va à l'encontre de la charte
québécoise, donc cette disposition est inopérante. C'est
cela, la conclusion? (17 h 45)
Mme Murphy: C'est difficile, parce qu'on n'a pas fait cela en
pensant à cette question exactement; mais je pense au cas d'une personne
jugée non douée de discernement qui perd le droit de donner un
consentement. L'article 23 de la charte exige que, lorsqu'il s'agit d'un droit,
il faut une audition saine et entière dans un tel cas. Si les articles
actuels veulent dire qu'une personne, sans aller devant un tribunal, perd son
droit à l'autonomie de son corps, à mon avis, c'est un bon
exemple de quelque chose qui va à l'encontre de la charte, et toutes nos
recommandations tiennent compte de
cette violation des droits dans le projet.
M. Marx: D'accord. On va le laisser comme ça.
M. Bédard: Mais il y a quand même certaines
améliorations qui ne sont pas des suggestions qui sont faites parce ce
que cela viendrait nécessairement à l'encontre de la Charte des
droits et libertés de la personne.
Mme Fournier: Oui, oui.
M. Bédard: Je crois qu'il y a beaucoup de nuances à
faire.
M. Marx: Je pense que le devoir premier de la commission en vertu
de la charte - je vois cela comme cela - est de le signaler quand il y a des
conflits entre la charte et une législation quelconque.
M. Bédard: Je suis d'accord. Tout simplement, je pense que
nous sommes aussi d'accord pour dire, Mme la présidente, que même
si certaines des suggestions n'étaient pas retenues, cela ne voudrait
pas dire que le texte qui prévaudrait à ce moment viendrait
nécessairement à l'encontre de la Charte des droits et
libertés de la personne. La commission y est allée de certaines
suggestions...
M. Marx: Oui.
M. Bédard: ...sur des sujets qui
l'intéressent...
M. Marx: Oui, sûrement, sûrement.
M. Bédard: ...aux fins d'améliorer des protections,
etc., mais si une suite ne leur est pas donnée, cela ne vient pas
nécessairement à l'encontre de la Charte des droits et
libertés de la personne. D'accord?
M. Marx: Oui.
M. Bédard: Une dernière question. Vous
suggérez que la personne protégée conserve
l'administration du produit de son travail. Cependant, puisqu'on donne la
possibilité d'adapter le régime aux besoins de la personne,
est-ce qu'il n'est pas plus sage de laisser au tribunal le soin de
décider plutôt que de prévoir tout cela de façon
systématique? Parce que, dans certains cas, cela pourrait lui être
défavorable.
Mme Murphy: Peut-être, mais en général je
dirais que cela devrait être présumé qu'il a le droit
d'administrer ses biens. Je dirais que cela devrait être la
présomption. Si jamais il y a des raisons extraordinaires, qui ne me
viennent pas à l'esprit, et que les personnes qui demandent ce
régime sont capables de faire la preuve que c'est absolument impossible
pour cette personne de le faire, cela devrait être une preuve.
M. Bédard: Est-ce que vous ne croyez pas que cette
présomption se retrouve à l'article 220 qui réfère
à l'article 86?
Mme Murphy: Cette présomption est là. Par contre,
il y a d'autres articles qui suivent où la présomption n'est pas
aussi claire; par exemple, quand on dit que le tribunal va décider pour
la personne à protéger; avant la décision du tribunal
même que la personne est à protéger. Comme nous l'avons
souligné, nous sommes d'accord avec les premiers principes sauf qu'il y
a des articles qui suivent et dans notre mémoire nous disons que ces
articles ne concordent pas avec l'article 220. Alors, étant donné
la confusion dans les articles qui suivent, on a souhaité que les choses
soient dites. On est d'accord avec le principe de l'article 220, mais on
souligne les articles qui, à notre avis, vont à l'encontre de
l'article 220.
M. Bédard: D'accord. Nous prendrons ces remarques en bonne
considération. Parlant de sujets aussi importants, de libertés
aussi importantes que celles qui sont contenues dans le projet de loi, on
pourrait discuter encore longtemps, mais nous ne voulons pas vous retenir
indûment. Je tiens à vous remercier d'une façon tout
à fait particulière de votre présence ici et des
considérations que vous avez portées à la connaissance de
la commission.
Mme Fournier: Merci beaucoup.
Le Président (M. Paré): Merci aux
représentants de la Commission des droits de la personne du
Québec. Est-ce qu'il y avait d'autres questions?
M. Marx: Le député de Saint-Laurent m'a
signalé une phrase, dans le résumé de la commission, que
je n'avais pas vue avant, en ce qui concerne l'article 1. Vous avez
écrit: A-t-on voulu, par l'article 1, préserver le droit de la
femme à l'avortement? Je pense que le ministre a bien dit, au
début, que l'avortement relève du Code criminel et nous discutons
du Code civil, je ne vois pas la relation que vous avez voulu faire.
Mme Caron: Autrement dit, nous ne voyions pas l'utilité de
cet article. On essayait de se demander pourquoi il était là.
M. Marx: Oui, mais, en matière d'avortement, on ne peut
pas légiférer.
Mme Caron: Oui, tout à fait.
M. Marx: Si c'est légal en vertu du Code criminel, c'est
légal.
Mme Caron: Oui. Donc, raison de plus pour ne pas l'avoir.
M. Marx: Pour qu'on ne change pas la formulation. D'accord.
Merci.
Le Président (M. Paré): Est-ce qu'il y a d'autres
questions? N'ayant plus de questions, nous remercions les membres de la
Commission des droits de la personne du Québec de leur présence
et d'avoir accepté de répondre à nos questions. Merci
beaucoup.
Maintenant, étant donné l'heure tardive, il ne sera pas
possible d'entendre d'autres groupes immédiatement. Donc, j'invite les
autres groupes, qui doivent présenter des mémoires, à se
présenter ici à partir de 20 heures ce soir. Le premier groupe
à être entendu sera le Groupe auto-psy.
Donc, la commission suspend ses travaux jusqu'à 20 heures ce
soir.
(Suspension de la séance à 17 h 52)
(Reprise de la séance à 20 h 15)
Le Président (M. Paré): À l'ordre, s'il vous
plaît; La commission élue permanente de la justice reprend ses
travaux dans le but d'entendre des personnes et des organismes en regard des
projets de loi nos 106, Loi portant réforme au Code civil du
Québec du droit des personnes, et 107, Loi portant réforme au
Code civil du Québec du droit des successions. J'aimerais rappeler que,
pour la séance de ce soir, M. Champagne (Mille-Îles) remplacera,
comme membre, M. Brouillet (Chauveau).
Nous étions rendus à l'audition du Groupe auto-psy. Je
demanderais au porte-parole des gens qui sont déjà
installés de s'identifier et de nous présenter les personnes qui
l'accompagnent, s'il vous plaît.
Groupe auto-psy
M. Morin (Paul): Merci, M. le Président. Je me
présente: Paul Morin, vice-président du Groupe auto-psy. Avant de
vous présenter les autres, je voudrais excuser notre présidente
qui, malheureusement, n'a pas pu se déplacer. À mon extrême
gauche, vous avez M. Bernard Boudreau, administrateur du conseil
d'administration, Mme Evelyne Saint-Pierre, avocate et à ma droite, M.
Benoît Côté, secrétaire.
M. le Président, mesdames et messieurs les députés,
d'abord, je lirai le préambule de notre mémoire; puis, nous
interviendrons à tour de rôle sur le consentement aux soins, la
procédure d'internement, la protection de la vie privée et,
finalement, le régime de protection.
Le Groupe auto-psy est un organisme provincial regroupant des
ex-psychiatrisés et des sympathisants aux psychiatrisés,
c'est-à-dire des personnes qui ont subi et qui sont passées par
le système psychiatrique. Le Groupe auto-psy défend les droits et
les intérêts des personnes qui subissent le système
médico-psychiatrique.
Le projet de loi no 106, quoique contenant de nettes
améliorations sur l'ancien régime, notamment au sujet de la
curatelle, nous préoccupe vivement puisqu'il laisserait encore entre les
mains des seuls psychiatres la liberté de décider quand une
personne est dangereuse pour elle ou pour autrui, quand elle est apte ou non
à administrer ses biens ou à subir un traitement.
Je vais lire les "attendu" qui datent déjà de 1981, mais
qui reflètent bien la réalité d'aujourd'hui. "Attendu que
la Charte des droits et libertés de la personne n'est pas toujours
respectée quand il s'agit de personnes handicapées et/ou
déficientes; "Attendu qu'une personne peut être internée en
cure fermée sans pouvoir faire respecter ses droits et que l'internement
l'empêche d'exercer ses droits judiciaires; "Attendu qu'une question
aussi importante que la liberté d'un être humain ne doit pas
dépendre du ressort d'un tribunal administratif aux décisions
duquel il n'y a pas d'appel; "Attendu que les psychiatres ne sont pas toujours
plus aptes que l'homme de la rue à prédire qu'une personne est
dangereuse; "Attendu que, lorsqu'il s'agit de la liberté d'une personne,
les risques d'erreurs devraient plutôt être pris en faveur de la
liberté qu'en faveur de l'internement; "Attendu que les personnes vivant
avec un handicap et/ou une déficience ne sont pas toujours
informées de leurs droits; "Attendu que, sans aucune audition
impartiale, sans jamais avoir eu le droit de présenter une preuve
contraire ou le droit de se défendre, une personne peut se trouver
privée du droit de gérer ses biens et le curateur devient, par
cette attestation, non seulement curateur aux biens, mais aussi à la
personne; "Attendu qu'il n'y a même pas une disposition dans les lois qui
garantit que la personne sera avisée qu'une telle décision a
été prise à son égard, au nom de sa protection;
"Attendu qu'à toutes fins utiles c'est le médecin qui
décide unilatéralement et sans appel d'un problème qui,
traditionnellement, a toujours été soumis au tribunal et aux
règles de justice naturelle; "Attendu que les droits fondamentaux sont
mis en jeu;
L'ensemble des organismes de promotion
- c'était à la conférence socio-économique
pour l'intégration de la personne handicapée en décembre
1981 - recommande que le ministère de la Justice, le MAS et tout autre
ministère concerné se concertent afin de modifier la Loi sur la
protection du malade mental et la Loi sur la Curatelle publique afin que les
droits fondamentaux suivants soient respectés en ce qui concerne le
diagnostic de l'incapacité d'administrer ses biens, le critère de
la dangerosité, la capacité d'une personne de consentir à
un traitement, ainsi que toute procédure impliquée par ses
droits: le droit à une audition impartiale avec préavis
adéquat à la personne concernée, le droit à une
audition devant un tribunal impartial non administratif, le droit à une
défense pleine et entière, le droit d'être présent
à l'audition, le droit d'être représenté par un
avocat indépendant, le droit de contre-interroger les témoins et
de présenter une preuve, le droit d'appel, le droit à un examen
des solutions les moins radicales.
Ces attendus et ces recommandations sont extraits du cahier des
propositions d'action de l'ensemble des organismes provinciaux de promotion des
personnes vivant avec un handicap et/ou une déficience, lors de la
conférence pour l'intégration de la personne handicapée
tenue à Montréal en décembre 1981. Le Groupe auto-psy
avait été alors l'instigateur de cette proposition.
En mars 1983, les attendus ont toujours cours, l'arbitraire
médico-psychiatrique règne en maître. Malgré les
faiblesses des arguments concernant l'efficacité de la psychiatrie,
alors qu'elle s'appuie pourtant sur son statut de discipline scientifique, la
psychiatrie continue de prospérer et d'accroître son
autorité sur de multiples aspects de la vie quotidienne. Ainsi,
malgré qu'elle soit établie sur des fondements moraux plus que
scientifiques et, de ce fait, la plus contestable des disciplines
médicales, la psychiatrie dispose de plus de pouvoir sur lesdits
patients que n'importe quel autre spécialiste médical.
Le psychiatre moderne, indépendamment de sa position dans
l'éventail des traitements, est devenue une personne avec un pouvoir
extraordinaire, un chaman qui sait mieux les pensées du patient que le
patient lui-même, qui est capable de dire au juge quand la punition est
juste, qui peut calmer les agités avec des psychotropes ou des
électrochocs ou stimuler les dépressifs avec des
antidépresseurs et qui est capable de donner de l'aide et des conseils
sur à peu près chaque aspect du comportement humain. Le
psychiatre est devenu le plus important décideur non-gouvernemental de
la vie humaine.
Le projet de loi no 106 n'a pas tenu compte de ces données et,
conséquemment, le pouvoir psychiatrique sera enchâssé pour
longtemps si ce projet de loi devait être adopté tel quel.
Maintenant, je passe la parole à M. Benoît Côté, qui
va exprimer des avis sur le consentement aux soins.
M. Côté (Benoît): Au Québec, le
consentement aux soins est lié à la Loi sur la Curatelle
publique, ce qui donne lieu à l'absurdité suivante: sans
possibilité d'appel, une personne perd juridiction sur son corps
à la suite d'une décision d'un psychiatre sur sa capacité
d'administrer ses biens. Ainsi sans aucune audition impartiale, sans jamais
avoir eu de droit de se défendre, une personne se trouve non seulement
privée du droit de gérer ses biens, mais aussi perd tout
contrôle sur les soins, car le curateur devient par cette attestation non
seulement curateur aux biens, mais aussi à la personne.
Où est passée la charte des droits? L'illogisme de
l'opération saute aux yeux. Un psychiatre examine une personne sur la
base de sa capacité d'administrer ses biens et, s'il la reconnaît
inapte, elle perd deux droits fondamentaux: le respect de
l'inviolabilité de sa personne et le droit de gérer ses biens,
encore une fois, sans aucun droit d'appel et sans même la
possibilité de révision. Il n'y a même pas une disposition
de la loi qui garantit que la personne sera avisée qu'une telle
décision a été prise à son égard au nom de
sa protection.
Voici quelques exemples de cas dont notre groupe dénonce la trop
grande prolifération. Premier exemple: une dame de 93 ans est
hospitalisée dans un centre hospitalier pour soins prolongés. Une
tumeur est découverte sur un sein et les médecins décident
d'en faire l'ablation. Elle refuse l'opération mais sa voix ne compte
plus, car elle est sur la Curatelle publique et le curateur donne son
consentement. Deuxième exemple: une femme est internée par son
mari. Celui-ci devient son curateur privé. Un psychiatre prescrit un
traitement aux électrochocs. Elle n'en veut pas, mais son curateur
privé donne son consentement et elle doit subir ces traitements.
Troisième exemple: un homme prend pendant plusieurs mois des drogues
psychotropes à l'essai. Il n'en est pas avisé puisque le Curateur
public a donné son consentement à cette expérimentation
médicale.
Lorsque le Groupe auto-psy prit connaissance du projet de loi no 106,
les dispositions contenues à l'intérieur des régimes de
protection semblaient garantir unilatéralement aux citoyens et
citoyennes du Québec que dorénavant un lien de causalité
entre l'incapacité à gérer leurs biens et la
capacité à consentir à un traitement ne pourrait plus
inévitablement s'établir. Je fais référence aux
articles 197, 198 et 199, et plus précisément encore, aux
articles 220 et 221, ceux-là mêmes où la capacité
dévolue
au tuteur d'accroître ou de restreindre les capacités
d'exercice du majeur ne fait aucun doute.
Toutefois, l'ambiguïté et la formulation de certains
articles du projet de loi no 106 touchant le consentement aux soins, articles
12, 14 et 21, pourraient représenter dans la pratique une
négation de la théorie énoncée aux articles 197,
198 et 199. Cette contradiction prend appui, selon nous, sur le fait que l'on
ne s'est pas servi de la Charte des droits et libertés de la personne
comme fondement au Code civil. L'article 1 de la Charte des droits et
libertés de la personne proclame: "Tout être humain a droit
à la vie, ainsi qu'à la sûreté, à
l'intégrité et à la liberté de sa personne."
Pourtant, la deuxième partie de l'article 12 stipule: Nul
consentement n'est requis, en cas d'urgence, lorsque la vie de la personne est
en danger; il en est de même lorsque son intégrité physique
est en danger et que son consentement ne peut être obtenu en temps
utile." Nous croyons que cet article déroge aux droits de l'individu
capable de donner un consentement libre et éclairé de disposer de
la liberté de sa personne et d'exercer son autonomie.
Nous constatons qu'il y a régression de fait puisque, dans
l'état actuel du droit québécois, si un patient dans une
situation d'urgence est capable de donner un consentement libre et
éclairé on est tenu de respecter sa décision. Nous
soumettons que ce droit devrait continuer à être reconnu dans le
nouveau Code civil.
L'article 14 soulève aussi pour nous plusieurs interrogations.
D'abord, on semble établir une présomption que la personne
soumise au régime de protection serait non douée de discernement
alors même qu'aucune définition n'est donnée de la personne
non douée de discernement. De même, on ne sait sur quels
critères on se basera pour faire un tel jugement.
On voudrait aussi qu'on éclaircisse un peu la notion de conjoint.
Est-ce que c'est toute personne intéressée ou si un concubin
pourrait aussi donner le consentement?
Le projet de loi ne mentionne pas quels sont les critères pour
juger qu'une personne est apte à consentir ou apte à refuser un
traitement. L'interprétation du terme "non doué de discernement"
laisse place à des éventualités qu'on ne peut toutes
détailler puisqu'elles sont presque illimitées. En effet, le
projet de loi ne spécifie pas qui déclare une personne non
douée de discernement. Cela nous semble proprement aberrant vu les
droits en jeu et les possibilités d'arbitraire.
On peut reprendre, par exemple, le cas d'un mari qui mène sa
femme à l'hôpital. Il atteste à l'hôpital qu'elle est
non douée de discernement. Est-ce que cette attestation prive la
patiente du droit de consentir à ou de refuser un traitement de
psychotrope ou d'électrochocs?
Nous ne comprenons pas, non plus, pourquoi une personne jugée non
douée de discernement devrait perdre automatiquement le droit de
consentir à un traitement ou de le refuser. Très souvent, dans
les services de psychiatrie des hôpitaux généraux et dans
presque tous les cas lorsqu'il s'agit d'établissements du type de
troisième ligne, du genre Robert-Giffard, les patients ne peuvent
exercer le droit de refuser, par exemple, un traitement par drogues
psychotropes. On prend ce refus comme un signe de déséquilibre
mental de ladite personne. Plus le patient se plaint, plus les doses sont
augmentées. Un document intitulé La sismothérapie,
présenté par le comité de la santé mentale, nous
apprend qu'en 1975 26 358 électrochocs ont été
donnés dans la province. La plupart du temps, la personne était
considérée comme incapable de donner un consentement
éclairé ou, si elle refusait de donner son consentement, c'est le
Curateur public qui donnait le sien à la place de la personne.
On se demande aussi ce que le tuteur vient faire à l'article 14.
Le régime de tutelle au majeur est assimilable à la tutelle au
mineur, "sauf incompatibilité". Par conséquent, l'idée du
majeur présumé non doué de discernement parce que
représenté par un tuteur nous semble tout à fait
erronée.
Quant au consentement aux soins par procuration donné par le
conjoint ou un proche parent, il y a des dangers que les intérêts
de la personne protégée et de sa famille divergent.
Récemment, un jeune ontarien, Justin Clark, a dû se battre en cour
de justice contre son propre père qui lui refusait le droit de quitter
l'hôpital et cherchait à le placer sous curatelle. Encore
là, on aimerait que la notion de conjoint soit mieux expliquée.
Est-ce qu'un concubin, par exemple, pourrait donner le consentement?
Pour toutes ces raisons, nous sommes d'avis que l'autorisation du
tribunal devrait être demandée dans tous les cas où un
majeur non doué de discernement refuse de subir un traitement. Il
suffirait d'ajouter à l'article 15 qu'il faut l'autorisation d'un
tribunal si un majeur non doué de discernement s'oppose au traitement.
Tous les droits procéduraux impliqués par l'article 23 de la
Charte des droits et libertés de la personne s'appliqueraient: une
audition impartiale avec le droit de contre-interroger les témoins et de
preuve. L'article 37 de la Charte des droits et libertés de la personne
assure aussi un droit à un avocat. La signification est absolument
nécessaire afin que la personne puisse assurer et préparer sa
défense. L'exigence de la présence lors de l'audition inclut le
droit ne pas être sous l'influence de drogues avant l'audition.
L'article 20 du projet de loi, même s'il
tend à affirmer la nécessité du tribunal pour tout
examen, traitement ou intervention qui présente un caractère
permanent ou irréversible ou un risque sérieux pour le mineur ou
le majeur non doué de discernement, nous apparaît ambigu et manque
de clarté. Qui aura autorité pour établir si l'examen, le
traitement ou l'intervention nécessite une demande d'autorisation du
tribunal parce que non exigée par l'état de santé de la
personne protégée? Qui osera mettre en doute la bonne foi du
médecin?
Quand on parle de traitements psychiatriques, d'examens et tout, je
citerai ici, à titre indicatif pour les gens de la commission, les
simples effets secondaires d'un médicament souvent utilisé en
psychiatrie et qui s'appelle le Modecate. Le Modecate est un antipsychotique
fréquemment utilisé, comme je le disais, en psychiatrie. Ses
principaux effets secondaires sont: confusion mentale, rêves bizarres,
agitation, excitation, troubles des fonctions psychomotrices, sédation
excessive, ralentissement moteur, difficulté à avaler, troubles
de la vue, évanouissements, maux de tête, hypertension, et j'en
passe. Les effets secondaires liés à la consommation de
médicaments se retrouvent souvent chez les patients et cela se
transforme en maladie, ce qu'on appelle les maladies iatrogènes, les
maladies liées aux effets défavorables de certains
médicaments. Il y aurait actuellement au centre hospitalier
Robert-Giffard 200 personnes étiquetées schizophrènes
chroniques qui souffrent de dyskinésie tardive. Il n'y a aucun
traitement actuellement qui peut contrer ce mal qu'est la dyskinésie
tardive.
Il y a une brochure: Médicaments ou potions magiques, qui a
été faite par le Conseil des affaires sociales et de la famille
qui mettait en garde justement contre le nombre de plus en plus fréquent
de maladies iatrogéniques. Par exemple, on a estimé à
près de 100 000 000 $ le coût occasionné par ce type de
maladies au Québec. Cela a été fait en 1975 par M. Leblanc
qui était directeur de la faculté de pharmacie de
l'Université Laval. Ce sont quand même des coûts sociaux
assez astronomiques. Les médecins ont peut-être souvent tendance
à dire qu'il n'y a jamais de danger, que les effets secondaires de ces
médicaments sont bénins, mais, quand on regarde la
réalité, c'est assez effrayant, merci. (20 h 30)
Quand on parle de l'aptitude du médecin à pouvoir encadrer
ses expérimentations ou le type de médicament qu'il donne, il y a
tout lieu de s'interroger sur le fait que le pharmacien, qui est quand
même un spécialiste en pharmacologie, qui a une formation dans ce
sens, n'est pas beaucoup plus apte que le médecin à
prédire les effets à long terme d'un médicament. Dans une
étude, parue en 1976, qui a été menée par
l'école de pharmacie auprès des pharmaciens de la ville de
Québec, on constate que la majorité des pharmaciens, lors de
l'enquête, n'a pas pris la peine d'informer le client des
précautions à prendre lors de la prise d'un médicament et
des effets secondaires désastreux qui pouvaient en résulter. Dans
78% des cas, les pharmaciens n'ont pas décelé l'interaction
dangereuse de deux médicaments. 60% des pharmaciens ont mal
répondu à une question d'ordre pharmaceutique.
Aux États-Unis, un tribunal a statué que, dans le cas
d'une intervention radicale telle que l'électrochoc, on devait toujours
demander l'autorisation d'un tribunal si la personne n'est pas capable de
donner un consentement libre et éclairé. La personne aurait
nécessairement un avocat pour défendre ses intérêts.
Nous sommes donc d'avis qu'il faut éliminer de l'article 20: "lorsqu'il
n'est pas exigé par l'état de santé."
Le premier paragraphe de l'article 21 nous semble contradictoire avec
l'article 222. L'on présume encore que le non doué de
discernement pourrait être un adulte soumis au régime de
protection du conseil de tutelle. Nous trouvons trop limitative la liste de
personnes qui pourraient être appelées à témoigner
au tribunal. Nous souhaitons qu'on rajoute à la liste: "toute personne
ayant montré un intérêt particulier."
Concernant le deuxième paragraphe de l'article 21, nous ne
saisissons pas pourquoi l'on y retrouve le terme "expérimentation",
alors qu'à l'article 19 ii n'en est fait aucune mention.
Le dernier paragraphe de l'article 21 nous laisse également
songeurs: "II (le juge) doit aussi, sauf impossibilité, recueillir
l'avis de la personne concernée et respecter son refus, à moins
de motifs graves." En laissant le "sauf impossibilité" à la
discrétion du juges, le législateur ne protégerait pas les
droits de la personne. Comment le juge va-t-il respecter le refus d'une
personne qui, de prime abord, si l'on se réfère à
l'article 20, est jugée non douée de discernement par on ne sait
qui? Il est évident que, dans la pratique, cet état de fait
deviendra le "sauf impossibilité."
Vu les effets secondaires des médicaments et à la
lumière de la littérature scientifique, je rappelle aux membres
de cette commission que les mécanismes d'action des psychotropes sont
encore pratiquement inconnus. Vu le caractère important qui a trait aux
droits de la personne qui sont en jeu, on considère que retirer à
quelqu'un le droit de consentir à un traitement peut être
franchement antithérapeutique.
Finalement, je terminerai ma réflexion sur des choses qu'on a
entendues ici, en
commission parlementaire. Il y a un médecin qui parlait d'un
principe directeur important, le vieux principe sur lequel on se base pour
faire une bonne psychiatrie, à savoir qu'il faut se demander si on fait
au patient ce qu'on voudrait qu'on nous fasse à nous-mêmes. J'ai
entendu aussi que, si tout le monde faisait son métier, les vaches
seraient bien gardées. Mais il semble qu'il y a peu de médecins
qui sont prêts à goûter à leur propre
médecine. Une étude américaine démontre que 70% des
médecins étiquetés "dépressifs" ne consultent
même pas un de leurs collègues psychiatres quand il y va de leur
santé mentale. Je terminerai sur une autre étude, celle de
Maruani qui démontre que plus d'un psychiatre sur trois prescrit un
traitement dont il ne voudrait même pas, s'il était lui-même
malade, c'est-à-dire les médicaments. Par un raisonnement
éthique, on peut se demander: Est-ce qu'on peut prescrire à
quelqu'un quelque chose qu'on ne prendrait même pas soi-même?
Je termine ma partie là-dessus. Je donne la parole à Paul
Morin.
M. Morin (Paul): L'article 24, qui a trait à la
prédiction de la dangerosité, nous préoccupe au plus haut
point. Un rapport de la Commission des droits de la personne, datant de 1978,
proposait comme définition de la dangerosité: "preuve de
l'existence d'un danger physique réel, d'un acte récent et
manifeste, ainsi que d'une grande probabilité que tel acte manifeste
sera posé dans un avenir immédiat".
En 1980, le rapport Orientations proposées pour une
révision de la Loi sur la protection du malade mental soumettait qu'une
personne soit placée en garde obligatoire quand son état mental
met en danger sa santé ou sa sécurité ou la santé
ou la sécurité d'autrui et requiert une garde plus importante
qu'une garde normale, dite souvent de bon père de famille.
Pourtant, l'article 24 est en retrait de ces deux propositions. Nous
croyons que la définition de la dangerosité déjà
proposée par la Commission des droits de la personne devrait
prévaloir dans le nouveau Code civil, respectant ainsi l'esprit de la
Charte des droits et libertés de la personne.
L'article 24 fait également référence à un
concept que nous récusons: l'examen psychiatrique. Nous luttons pour que
la psychiatrie dépérisse; aussi, il va de soi que nous soyons
totalement opposés à l'idée de laisser entre les mains du
supposé psychiatre-expert la totale latitude de porter des jugements sur
la dangerosité d'une personne et sur son inaptitude à prendre
soin d'elle-même ou à administrer ses biens.
Nous constatons avec surprise que le projet de loi propose encore de
laisser les citoyens et les citoyennes du Québec entre les mains du
psychiatre. Le rapport
Orientations, déjà cité, reconnaissait pourtant
"que démonstration a été faite de l'incapacité du
psychiatre à prédire la dangerosité." Il n'y a qu'à
lire ce qu'écrivent les psychiatres. Ainsi, cette citation: "La notion
de dangerosité déborde tellement le champ de la psychiatrie
qu'elle est de peu d'utilité pour le spécialiste. Il n'en
connaît pas de définition scientifique et encore moins les
critères de prédiction lui permettant de l'appliquer de
façon rigoureuse à une pathologie mentale définie. Il est
de plus en plus évident qu'elle est un facteur de confusion et
prête flanc à l'arbitraire." C'est écrit par le Dr Michaud,
qui est psychiatre, et c'est dans son Précis pratique de psychiatrie qui
a été publié à Montréal en 1981 et qui est
un manuel de psychiatrie.
Si les psychiatres ne s'entendent pas entre eux sur le concept de la
dangerosité, cependant, ils ne remettent pas en question leur
capacité et leur expertise à discerner l'aptitude d'une personne
à administrer ses biens ou à consentir à des traitements.
Ce n'est pas surprenant, car ce serait reconnaître que la psychiatrie
fonctionne plus comme une institution paralégale que comme une
discipline scientifique. En effet, en quoi l'expertise physiologique que
possède le médecin-psychiatre lui sert-elle lorsqu'il examine une
personne quant à sa capacité d'administrer ses biens ou à
consentir à un traitement? Il paraît évident que ce n'est
pas une décision médicale quand on examine les critères de
tests légaux de compétence. Il peut être
démontré que les méthodes utilisées par les
psychiatres sont des méthodes courantes de communication verbale
à qui, au mieux, peut être donnée la désignation de
techniques d'entrevue. Les conclusions atteintes par le psychiatre sur la base
de ces entrevues sont fondées sur l'application des règles de
langage au comportement quotidien de la personne incriminée. En fait, le
psychiatre fait paraître son information comme scientifique en utilisant
un jargon technique pour décrire des comportements quotidiens qui
pourraient l'être beaucoup plus simplement.
Bref, le projet de loi no 106, en augmentant l'utilité sociale de
la psychiatrie par l'utilisation d'experts-psychiatres en cour de justice, ne
ferait qu'accentuer le prestige et le pouvoir de la psychiatrie et rehausserait
son statut scientifique. Consé-quemment, nous suggérons que
l'examen psychologique soit dorénavant effectué par un
comité de travail multidisciplinaire composé de trois personnes:
un travailleur social, un psychologue et un médecin-psychiatre.
Maintenant, je parlerai davantage des spécifications en ce qui
concerne la procédure d'internement. On a entendu, cet
après-midi, certaines affirmations concernant l'application de la Loi
sur la protection du malade mental. Je voudrais, tout simplement,
rappeler ici un extrait du rapport annuel 1980-1981 de la Commission des
affaires sociales. "Dans son rapport annuel de 1977-1978, la commission
signalait certaines anomalies dans l'application de la Loi sur la protection du
malade mental, notamment le fait que certaines personnes soient privées
de leur liberté sans qu'on ait, au préalable, obtenu l'ordonnance
requise. Bien que trois ans se soient écoulés depuis, la
commission constate que cette lacune persiste et ce, plus
particulièrement dans les hôpitaux généraux
dotés d'un département de psychiatrie. La commission rappelle, en
outre, que la cure fermée ne peut être utilisée pour
imposer un plan de traitement, voire même pour forcer un patient à
prendre les médicaments prescrits, alors que l'état mental de la
personne ne justifie pas le maintien de la cure fermée dans son cas. La
commission constate pourtant l'existence de telles situations et ce, de
façon trop fréquente."
L'article 27 du projet de loi spécifie la procédure
d'internement, mais nous considérons que cet article permet de graves
dénis de justice: une personne peut être détenue pour un
minimum de dix jours sans avoir aucun moyen de se défendre, aucun moyen
de présenter une preuve contraire, aucun moyen de contre-interroger
"toute personne intéressée" qui l'a mise en cause dans cette
situation. Le Code criminel accorde plus de droits aux prévenus.
Nous sommes d'avis que, dans le cas de la procédure
d'internement, la personne visée devrait avoir droit à une
audition impartiale dans les quatorze jours du début de son internement.
Ledit tribunal devrait nommer un avocat au moment de l'ordonnance psychiatrique
pour assurer que la personne soit assistée d'un avocat lors de la
préparation de son audition impartiale. Celle-ci devrait se tenir en
présence de la personne concernée et on devrait aussi voir
à ce que la personne soit dégagée de tout traitement qui
pourrait l'empêcher de participer pleinement à l'audition.
Nous ne voudrions pas terminer cette partie sans mentionner l'article 28
qui semble faire l'amalgame entre l'inaptitude et le régime de
protection. Pourtant, une personne peut être jugée dangereuse pour
elle ou pour autrui sans nécessiter un régime de protection.
Selon l'avis du contentieux du ministère des Affaires sociales, dans
l'état actuel du droit, une personne détenue sous la
procédure de la cure fermée a le droit de refuser un
traitement.
Je passe maintenant la parole à Bernard Boudreau.
M. Boudreau (Bernard): Bonjour! Pour commencer, j'aimerais
seulement dire qu'on n'est pas le seul groupe qui tient compte de cela. On est
allé chercher des appuis un peu dans la communauté. J'ai ici avec
moi une trentaine d'appuis de différents groupes. Je ne les lirai pas
tous. Ce serait fastidieux. Je les déposerai à la commission
après. Je vais vous en lire, quand même, quelques-uns pour vous
donner une idée. Il y a le CLSC Centre-Sud à Montréal, il
y a le CLSC de la basse-ville à Québec qui endossent notre
rapport, la Jeunesse ouvrière chrétienne, le Syndicat des
professeurs du Vieux-Collège de Montréal, le Comité des
bénéficiaires du centre hospitalier Robert-Giffard, l'Association
de défense des droits sociaux, l'ADDS, Solidarité Psychiatrie,
Mouvement d'action chômage Québec et Montréal, Regroupement
des OVEP et ainsi de suite. On en a une trentaine.
Je veux enchaîner avec un cas concret qui s'est produit il y a
environ deux semaines, qui touche beaucoup de points. Je vais me limiter au
respect de la vie privée et à la liberté de la personne.
Récemment, dans une aile psychiatrique d'un hôpital de
Montréal, une femme a été mise en cure fermée;
cette femme n'avait commis aucun délit criminel et ne prenait pas de
médicaments. Des proches de cette personne, considérant qu'elle
vivait une période difficile de sa vie, la font interner contre son
gré. Elle a été tenue quatorze jours en cure
fermée. La seule personne avec qui on l'a laissé communiquer,
c'était son avocate. On ne lui a pas permis de communiquer ou de
recevoir des communications avec quelque autre personne. On lui a
administré des tranquillisants majeurs, c'est-à-dire de la
chlorpromazine ou de Largactil - c'est la marque de commerce - contre son
gré. L'avocate n'a pas pu avoir de conversation avec le médecin
psychiatre qui n'était jamais disponible. À son insu, cette femme
a été mise sous la Curatelle publique. Son avocate a appris cet
état de fait en allant au palais de justice à Montréal. La
psychiatre devait la garder jusqu'à la mi-mai. Elle a fait appel
à auto-psy. Cette personne est sortie. Ce n'est pas pour les bienfaits
d'auto-psy. C'est pour vous montrer qu'il y a bien des points qui peuvent
être bafoués dans la réalité.
Nous ne voudrions pas passer sous silence le fait que le projet de loi
ne contient aucune référence spécifique au droit à
la confidentialité. Nous ajouterions un paragraphe à l'article
26, qui se lirait comme suit: "Lorsque gardée en établissement,
la personne visée a droit à la confidentialité de toute
communication avec l'extérieur, à moins que le tribunal n'en
décide autrement". On sait que la Loi sur la protection du malade mental
limite les communications. Elle peut donner le droit, lors d'une cure
fermée, de limiter les communications avec l'extérieur par des
écrits seulement et aussi avec les personnes suivantes: avocats,
notaires, médecins, Curateur public, membres de la Commission
des affaires sociales, députés de l'Assemblée
nationale et Protecteur du citoyen.
On sait que, pour une personne qui se retrouve en cure fermée, ce
n'est jamais agréable; c'est généralement contre son
gré. Je ne pense pas que parler à un avocat, à un notaire
ou à un médecin, cela va réconforter la personne. Elle a
besoin de support. Elle aurait besoin de communiquer avec des membres de la
famille. Dans la pratique quotidienne qu'on vit à auto-psy, c'est ce qui
se passe. On demande que la personne puisse communiquer avec qui elle veut,
comme elle le veut, avec les moyens qu'elle veut et au moment où elle
désire.
J'aimerais maintenant passer la parole à Evelyne Saint-Pierre,
qui va vous parler des régimes de protection.
Mme Saint-Pierre (Evelyne): En premier lieu, nous tenons à
exprimer notre grande satisfaction quant aux principes établis par le
législateur aux articles 197 et 198. En effet, nous trouvons là
la garantie que la règle sous-jacente au régime de protection
sera le respect des droits de la personne soumise à un tel
régime. Grâce à ces articles, l'autonomie de la personne
devient la règle et l'incapacité, l'exception, d'où une
interprétation restrictive des motifs pouvant donner lieu à
l'ouverture d'un régime de protection.
Dans ce sens, nous pouvons conclure que les parties
intéressées dans une demande d'ouverture de régime devront
favoriser celui qui garantira le plus d'autonomie à la personne à
protéger, ce qui laisse supposer que le conseiller au majeur deviendra
le régime de base et que les autres ne trouveront application que dans
des cas très particuliers, voire exceptionnels.
C'est en se basant sur ces principes d'autonomie et de respect des
droits que nous avons pu identifier certaines lacunes dans le projet de loi,
lacunes qui pourraient à la rigueur vider de leur contenu les articles
197 et 198. Je signalerai ici les points qui ont le plus retenu notre
attention. En premier lieu, nous nous opposons à ce que la
prodigalité soit encore un motif pour lequel une personne pourrait
être soumise à un régime de protection. C'est un terme si
peu défini et pouvant porter à une interprétation souvent
arbitraire que nous en demandons le retrait purement et simplement, ce que le
rapport de l'Office de révision du Code civil proposait, d'ailleurs.
L'article 200 soulève également quelques interrogations
chez nous, surtout quant aux articles 166 et 174 du projet de loi. En effet,
nous ne trouvons aucune justification à la dispense que l'article 166
accorde au Curateur public et au directeur de la protection de la jeunesse
quant à la surveillance du conseil de tutelle. Nous en demandons donc le
retrait.
(20 h 45)
Finalement, l'article 174, prévoyant que le juge peut nommer soit
le Curateur public, soit le directeur de la protection de la jeunesse comme
substitut au conseil de tutelle, entraîne un danger de conflit
d'intérêts évident lorsque ces deux personnes sont
elles-mêmes tuteur ou curateur à la personne ou aux biens. En
effet, qui nommerait le tuteur ou le curateur ad hoc lorsque la personne
protégée a à débattre certains
intérêts avec son tuteur ou curateur? Voir à cette fin
l'article 168. On constate bien vite la non-applicabilité de l'article
174 dans un tel cas puisque ce pouvoir de nomination relève du conseil
de tutelle ou, à défaut, de son substitut.
Au deuxième alinéa de l'article 200, on devrait ajouter
comme personnes devant être convoquées, celles qui
démontrent un intérêt particulier vis-à-vis des
personnes pour qui le régime de protection est demandé; ce qui
autoriserait le conjoint de fait à intervenir. Car on ne sait pas si le
législateur inclut ce dernier dans la définition qu'il entend
donner au mot conjoint dans son projet de loi. De plus cet ajout permettrait de
convoquer les amis intimes de la personne lorsque celle-ci n'a pas de
famille.
L'article 203 soulève une réelle inquiétude chez
les auteurs du présent mémoire. Le législateur devrait
prévoir l'absence de tout lien entre la personne qui aura la garde du
majeur et l'institution où sera gardé ce dernier, ce qui
éviterait les conflits d'intérêts où les droits de
cette personne seraient menacés. Nous proposons donc que la personne
désignée soit nommée par la cour et que cette personne
soit libre de toute affiliation avec l'hôpital.
L'article 207 suscite également des interrogations en ce sens
qu'il y a atteinte à la vie privée de la personne traitée
dans un établissement de santé. En effet, on exige ici un
certificat dans tous les cas, même si la cause qui justifie une demande
d'ouverture en est une qui vise la personne et sa capacité à
prendre soin d'elle-même et non pas sa capacité à
administrer ses biens. Sur simple réception de ce certificat, le
Curateur public exerce d'office les devoirs et pouvoirs du curateur
jusqu'à ce que le tribunal se prononce et ce, sans qu'une quelconque
preuve d'urgence ait été apportée. La simple existence de
ce certificat établit une présomption d'incapacité avant
même que le tribunal se soit prononcé. On semble s'éloigner
de l'esprit des articles 197 et 198. Comme dans tout cas de privation des
libertés, on devrait exiger une audition impartiale dans un délai
raisonnable pour s'assurer du bien-fondé de cette privation.
Nous suggérons également que le dernier paragraphe de
l'article 207 se lise comme suit: "Le certificat est établi sur la
recommandation écrite du comité multidisciplinaire qui a
examiné le majeur et il en est donné avis, sans délai, au
majeur, à son conjoint, aux proches parents connus, au Curateur public
et au procureur du majeur.
L'article 209 devrait prévoir que le directeur
général doit informer dans l'immédiat les personnes qui y
sont mentionnées. À ces dernières devrait être
ajoutée "toute personne démontrant un intérêt
particulier vis-à-vis du majeur". En effet, si cette personne peut
demander l'ouverture d'un régime de protection, elle devrait logiquement
pouvoir intervenir.
À l'article 210, nous constatons que la personne est
considérée comme incapable jusqu'à preuve du contraire.
Une procédure spéciale en cas d'urgence nous paraît
nécessaire lorsqu'il y a un grand risque que les ressources
financières de la personne soient sérieusement dissipées.
Si le tribunal accepte la preuve d'urgence, on devrait exiger une audition dans
un délai raisonnable pour vérifier la nécessité du
régime de protection. S'il n'y a pas urgence, la personne pour laquelle
on demande un régime de protection devrait retenir tous ses droits
jusqu'à preuve devant un tribunal impartial de son incapacité. Il
va de soi que nous souhaitons que, dès l'introduction de l'ouverture
d'un régime de protection, la personne puisse disposer de l'aide d'un
avocat. Par conséquent, la Loi sur l'aide juridique devrait être
amendée en conséquence afin de prévoir explicitement ce
mandat.
L'article 210 permet non seulement au tribunal d'enlever les droits
avant l'audition, mais aussi le tribunal peut d'office statuer sur la personne
à protéger. Les termes mêmes employés semblent
établir une présomption d'incapacité, ce que nous
contestons. L'article 211 nous laisse aussi songeurs pour les mêmes
motifs. De même, nous souhaitons le retrait de "dans la mesure du
possible", à l'article 211. Le personne doit toujours être
entendue. Ceci vaut aussi pour l'article 212. Nous maintenons notre position
qu'elle doit toujours être entendue et pas seulement "dans la mesure du
possible".
À l'article 213, nous avons une nette amélioration avec
l'ancien régime, mais aucun délai n'est prévu pour la
révision. Comme nombreuses sont les personnes sans famille sous
curatelle, nous suggérons que la décision soit automatiquement
révisée après une année et révisée,
après, tous les deux ans. Dans le respect des articles 197 et 198, le
législateur devra faire bénéficier de ce mécanisme
de révision les majeurs actuellement soumis à un régime de
protection présentement en vigueur. Ce ne serait que justice vu les abus
que la procédure actuelle permet. Ceci implique que la procédure
civile existante devrait être modifiée en conséquence.
Finalement, le projet de loi contient une grave omission, concernant le
majeur protégé, sur son droit à conserver l'administration
du produit de son travail. Le rapport sur le Code civil du Québec
reconnaissait clairement ce droit. Nous sommes d'avis que les termes du rapport
soient inclus dans le nouveau Code civil, à savoir: "La personne
protégée conserve l'administration du produit de son travail. Le
malade conserve l'entière administration du produit de son travail
effectué pendant la tutelle."
Permettez-nous en terminant de citer un classique: "Oui, mon corps est
moi-même et je veux en prendre soin: guenille si l'on veut, ma guenille
m'est chère." Merci.
Le Président (M. Paré): Merci beaucoup pour votre
présentation. La parole est maintenant au ministre pour commentaires et
questions.
M. Bédard: M. le Président, je voudrais, d'abord,
remercier M. Morin, de même que les personnes qui l'accompagnent pour les
représentations faites. Même si c'est à une heure plus
tardive, nous avons eu droit à un mémoire très consistant
de la part de nos invités. Je sais que ce n'est pas d'aujourd'hui que
vous vous préoccupez des personnes subissant le système
médico-psychiatrique, d'autant plus que je sais que vous avez
été en continuelle relation avec les personnes qui avaient la
responsabilité de travailler à la mise au point de ces chapitres
du Code civil. Je pense à celle et à celui qui nous accompagnent
ici, qui sont avec moi.
Dans votre mémoire, vous dénoncez d'une façon
particulière le monopole exercé par les psychiatres dans le
domaine. Cependant, lorsque vous parlez d'un comité multidisciplinaire
qui aurait la responsabilité de l'examen, j'aimerais que vous
explicitiez un peu plus ce que serait sa composition.
M. Morin (Paul): II y a un document qui a été
présenté par la corporation des psychologues; je le cite ici
comme tel: "II convient de mentionner qu'un comité spécial de
l'American Bar Association a récemment proposé un modèle
de régime de protection impliquant la constitution d'une équipe
d'évaluation multidisciplinaire composée d'au moins trois
professionnels nommés par la cour, à partir d'une liste d'experts
approuvée par l'État. Cette équipe pourrait comprendre un
médecin, psychiatre ou omnipraticien, un travailleur social et un
psychologue." Je le mentionne sans développement, mais je pense que
c'est une formule dont on pourrait facilement s'inspirer ici au Québec,
dans le sens qu'il y aurait trois sortes de professionnels, mais ils seraient
quand même des experts. Il y aurait une liste soumise à la cour
et. celle-ci choisirait parmi ces
experts. Celle liste ne serait pas composée uniquement de
psychiatres; elle serait composée aussi de travailleurs sociaux et de
psychologues qui ont une expertise dans le domaine. On reconnaît quand
même que c'est une spécialisation; comme la psychiatrie peut
être une spécialisation, c'est aussi une spécialisation, la
psychologie et les travailleurs sociaux. Cela aurait aussi l'avantage de donner
un plus vaste éventail d'opinions sur une personne. La psychiatrie peut
bien dire qu'elle est biopsychosociale, mais, enfin, elle est surtout
médico-psychiatrique et elle gomme souvent l'aspect plutôt humain
et communautaire qui existe chez toute personne. C'est dans ce sens que le
comité multidisciplinaire pourrait exister.
C'est sûr qu'il y a deux sortes d'examens. Dans l'article 25, on
parle d'un premier examen en dedans de 24 heures et il faut que le jugement du
tribunal ordonne un examen psychiatrique. Mais je pense que le comité
multidisplinaire pourrait s'appliquer aux deux examens. Même le premier
examen, qui peut être tenu en l'espace de 24 heures, pourrait
déjà être multidisciplinaire et le deuxième examen
pourrait être aussi multidisciplinaire. Je pense que cela a l'avantage
d'avoir le plus d'opinions possible.
M. Bédard: Je comprends ce que vous nous dites concernant
les psychiatres. Vous avez entendu les psychologues ce matin; est-ce que cela
vaut aussi pour eux, les remarques que vous avez à faire? Est-ce qu'il y
a une nuance?
M. Morin (Paul): La nuance, c'est que nous travaillons dans le
domaine psychiatrique et lorsqu'on dit que le psychiatre est la personne non
gouvernementale qui détient le plus de pouvoir sur l'individu, ce n'est
pas le psychologue. C'est le psychiatre. Dans ce sens-là, ce que nous
disons, c'est qu'il est certain que la Corporation professionnelle des
médecins est sur la défensive, parce que présentement, au
Québec, les médecins sont comme cela, ils sont sur le "top". Ce
que nous disons, c'est qu'ils en prennent trop. On devrait les descendre un peu
pour qu'ils soient un peu plus proches de la population et que les droits de la
personne soient plus respectés. C'est simplement dans cette idée.
Quant aux psychologues, on a seulement à parler, par exemple, de
l'ancien chapitre 48 de la loi 27; les psychologues sont soumis à
l'arbitraire des psychiatres dans les équipes multidisciplinaires.
Présentement, de la façon dont cela fonctionne au Québec,
c'est le psychiatre qui est en haut de tout et qui décide. Au niveau de
la hiérarchie, c'est le médecin qui est en haut. Ce que nous
disons, c'est que cela devrait être multidisciplinaire et que
l'autorité devrait être partagée.
En tout cas, je pense qu'on n'a pas à revenir sur l'exposé
qu'on fait; cela nous semble assez clair que le psychiatre n'a pas une
expertise particulière. Quand on parle de la dangerosité, par
exemple, même les psychiatres s'entendent entre eux pour dire qu'ils
n'ont pas une compétence particulière. Pourquoi laisserait-on
cela aux psychiatres? C'est la même chose pour la question de
l'inaptitude à administrer des biens. Je pense qu'on a assez bien
exprimé que ce n'est pas à cause de leur expertise physiologique
que des psychiatres sont capables de dire si une personne est apte ou non
à administrer ses biens. Il parle tout simplement à la personne
et il essaie de voir si elle délire un peu ou si elle sait combien elle
a d'argent. Cela ne prend pas un diplôme en psychiatrie pour faire une
affaire semblable.
Des voix: Ah! Ah!
M. Côté: Le but du comité est de faire
intervenir dans le processus des personnes qui, dans leur grille d'analyse,
tiennent compte de l'évolution sociale des gens. On est en
difficulté économique en ce moment. La Corporation
professionnelle des travailleurs sociaux disait: On a bien beau faire des
programmes, mais quand la situation économique se
détériore, les gens entrent en hôpital psychiatrique. Ce ne
sont pas seulement des conditions biochimiques qui font entrer des gens dans le
processus. Il y a des conditions sociales. Il y a aussi des conditions
familiales particulières. Beaucoup d'études ont
démontré que, chaque fois que le taux de chômage monte, le
taux d'admission dans les hôpitaux psychiatriques monte aussi. Le
psychiatre qui a souvent une formation biomédicale ne tient jamais
compte de cela, quoiqu'il se targue d'avoir une approche biopsychosociale. Je
pense qu'il y a des travailleurs sociaux et des psychologues qui sont beaucoup
plus à même de faire face à cette situation.
M. Boudreau: J'apporterais peut-être seulement un petit
complément de réponse, très court. M. le ministre a
demandé si cela valait aussi pour les psychologues. Il y a quand
même une situation particulière: lorsqu'une personne à
revenu moyen, bénéficiaire de l'aide sociale ou en chômage,
est en difficulté, elle n'a pas d'autre alternative que de consulter un
psychiatre. C'est le seul que l'assurance-maladie couvre. Il n'y a pas moyen de
voir un psychologue ou un psychanalyste ni quelque autre alternative payante
que ce soit, à moins d'envisager une alternative qui ne coûte
rien. Les centres de psychanalyse vivent avec des budgets de 25 000 $. Le plus
gros, je pense que c'est avec 250 000 $. Il y a peut-être, à
Québec, un centre de psychanalyse un peu plus cher. Il y a quand
même une différence par rapport aux autres. Ils ont le monopole de
la
gratuité. C'est cela.
Ensuite, concernant la différence par rapport à la
psychiatrie et aux autres, la psychiatrie est la seule parmi ces disciplines
qui base son raisonnement sur un déséquilibre chimique. On sait
que les électrochocs ont pour but de changer le fonctionnement de la
personne en créant une crise d'épilepsie. Cela change la
production des hormones cervicales. C'est comme si on prenait cinq dés
avec le chiffre six et qu'on voulait avoir un six. On les lance. Cela peut
avoir des résultats positifs. Même dans certains cas, cela aide,
mais à long terme cela revient. Pour les personnes qui viennent nous
voir et qui ont eu des traitements aux électrochocs, cela revient. Pour
ce qui est des médicaments pour le système nerveux central, on
joue au niveau de l'équilibre chimique. On donnait tantôt les
effets secondaires des médicaments. Si on prend, par exemple, un
médicament tricyclique - on dit un antidépresseur - on a
identifié trois substances cervicales où cela joue. Quand il y a
25 effets secondaires, cela veut dire que cela joue au moins sur 28 substances
cervicales, mais, en même temps, il y en a trois qui contrôlent les
autres qui ne sont pas contrôlées. On dit que c'est un choix entre
deux maux. D'accord? (21 heures)
M. Bédard: C'est vraiment un complément de
réponse!
Même si on peut être appelé à ne pas partager
toutes les représentations que vous faites dans votre mémoire, il
y a quand même plusieurs clarifications de termes que vous demandez. Il y
a également à deux ou trois reprises des ambiguïtés
que vous avez soulevées et dont on tiendra compte. Il reste que tous les
membres de la commission attacheront l'importance qu'il se doit à votre
mémoire, parce que, au-delà de la spécialisation qu'une
personne peut avoir en termes de diplôme, vous avez aussi votre
expérience humaine des choses, ce qui est de toute première
importance. On aurait peut-être bien des questions à poser. Si on
en a moins, je ne voudrais pas que vous tiriez la conclusion que le
mémoire est moins substantiel que d'autres, mais, vous le savez autant
que nous, plusieurs mémoires d'organismes ont été
entendus, plusieurs questions ont été soulevées, des
réponses ont été apportées. Vous donnez votre
opinion sur bien des sujets qui déjà ont été
soulevés.
Maintenant, un sujet qu'on a abordé d'une façon
spéciale aujourd'hui, c'est la question de l'administration du produit
du travail d'une personne protégée. Vous voudriez que cela
demeure en principe son entière responsabilité. Je vous le
demande: Est-ce que cela ne risque pas d'entraîner, dans certains cas,
des inconvénients qui, parfois, peuvent être difficiles à
réparer au niveau des conséquences?
M. Morin (Paul): Je ne le sais pas. C'est la proposition à
la toute fin, je pense.
M. Bédard: Concernant le régime de protection
où vous vous dites pas mal d'accord avec les principes, mais où
vous nous mettez en garde contre certains articles qui seraient de nature
à diminuer un peu la portée des principes auxquels vous
souscrivez et qui sont contenus dans l'article 197 et autres, qu'est-ce que
vous en pensez?
M. Boudreau: Oui. D'accord. Par rapport à l'administration
de la personne, pour son propre argent, je vais prendre un autre cas qui est
aussi arrivé, il y a quelques mois, ici à Québec, dans un
centre hospitalier à vocation essentiellement psychiatrique. Une
personne a gagné à la loterie, un homme assez âgé,
et sa famille l'a fait interner. C'était son héritage qu'elle
voyait dilapider. Il a fallu faire témoigner une douzaine de personnes
pour qu'il puisse reprendre possession de son argent. Donc, ce n'est pas
facile, premièrement, par rapport à la personne, par rapport
à l'héritage et, deuxièmement, à l'intérieur
de l'institution, cela laisse des ouvertures. Lorsque la personne est sous
curatelle et qu'elle n'a pas le droit de gérer ses biens, il faut se
mettre dans le quotidien de là-bas, prendre un café à la
machine, cela coûte 0,35 $ et cela dépend de sa bonne
volonté; si elle a été sage et douce pendant la
journée, on va lui permettre de retirer 5 $ en mettant sa griffe. C'est
infantiliser la personne. On sait que l'infantilisation n'est pas typique de la
psychiatrie, on voit cela dans beaucoup d'hôpitaux. On voit toujours
l'attitude envers la personne: Bon, vous avez pris vos petites pilules?
même avec des gens qui ont tous leurs moyens. Je ne sais pas comment on
pourrait légiférer là-dessus. J'aimerais passer la parole
à M. Paul Morin, sur ce plan.
M. Morin (Paul): De toute façon, si on prend l'exemple du
centre hospitalier Robert-Giffard, on va donner 10 $ par semaine à un
individu. Souvent, ce sont des sommes d'argent très minimes. Ce que nous
disons, c'est que, justement, même si ce montant d'argent est minime, au
moins, si on le laisse à la personne cette personne peut se
responsabiliser. Là, on dit: Ces 10 $, vous n'êtes même pas
capable de vous en servir, vous êtes trop imbécile, vous
êtes trop irrécupérable. C'est trop pour vous, ces 10 $.
Quand vous voudrez avoir 1 $, vous viendrez nous le demander. On joue souvent
sur des sommes d'argent minimes, mais je pense qu'on devrait les laisser
à la personne qui a travaillé; c'est quand même le produit
de son travail. Si on pense que la personne travaille, si on pense que la
personne est suffisamment intelligente pour être capable d'assembler
quelque chose et d'avoir un
produit fini de son travail, je pense que c'est un principe assez
inaliénable que le produit de son travail lui appartienne quand
même. M. Côté a quelque chose à ajouter.
M. Côté: Bien concrètement, une personne, en
hôpital psychiatrique, qui retirerait 10 $ par exemple, parce qu'elle
fait le messager dans l'hôpital aurait, disons, 2000 $ après dix
ou quinze ans d'hospitalisation; elle aurait un petit pécule. Il est
bien évident que, si la personne veut dépenser ses 2000 $
à un moment donné, d'un seul coup, on s'aperçoit que la
personne dilapide ses biens. L'idée est peut-être, au lieu de lui
enlever complètement la capacité d'administrer tout cela, de lui
en laisser une petite partie à elle pour que, dans un processus de
resocialisation possible, elle puisse justement fonctionner. Par exemple, pour
quelqu'un qui vit en hôpital psychiatrique depuis six ans, une livre de
steak haché coûte encore 0,98 $.
M. Bédard: Oui.
M. Boudreau: C'est cela, toute l'idée. C'est quand
même très important pour la personne d'en avoir ne serait-ce
qu'une petite partie si on s'aperçoit que la personne dilapide, mais de
toujours prendre cela en considération.
M. Bédard: Alors, c'est sutout à ces petites sommes
que vous pensez lorsque vous parlez de laisser à une personne...
M. Morin (Paul): Si on donnait un chiffre, oui.
M. Bédard: ...l'administration du produit de son
travail.
Mme Saint-Pierre: II est rare aussi que quelqu'un qui veut gagner
35 000 $ va être sous une tutelle ou une curatelle.
M. Bédard: Oui.
Mme Saint-Pierre: Ce ne sont jamais des sommes exorbitantes.
M. Bédard: Une dernière question. Concernant les
personnes qui sont en institution et la responsabilité de la garde de
ces personnes lorsqu'il n'y a ni tuteur ni curateur qui leur sont
nommés, à qui en confieriez-vous la responsabilité?
M. Morin (Paul): Nous proposons que la personne
désignée soit nommée par la cour, que cette personne soit
libre de toute affiliation avec l'hôpital. On peut penser que la cour
à une liste de personnes disponibles. Cela peut être des personnes
qui travaillent dans les institutions, qui ont une certaine expertise
particulière, mais au moins qui ne travaillent pas dans l'institution
où la personne demeure. Je pense qu'on n'est pas le seul groupe à
le dire.
M. Bédard: Ce point-là, il y en a plusieurs qui
l'ont évoqué.
M. Morin (Paul): II y en a plusieurs parce qu'effectivement c'est
vrai. Nous connaissons davantage le centre hospitalier Robert-Giffard parce que
nous y travaillons. Il me semble que dire à quelqu'un: Ton tuteur
travaille ici pourrait facilement créer un conflit.
M. Côté: Je suis sur une unité de vie, par
exemple. Je veux m'acheter des pantoufles et elles coûtent 7,95 $. C'est
le préposé aux malades qui est là ou l'infirmière -
les établissements ont leurs règles internes - qui va
contresigner mon bordereau, si je veux avoir l'argent, et qui va
décider, finalement, si j'ai les pantoufles ou non. C'est
peut-être dans cet esprit parce que souvent il y a des conflits
d'intérêts. Ti-Jos, tu n'as pas fait telle affaire, eh bien, tu
n'auras pas tes 5 $. Cela arrive souvent. En parlant de conflit
d'intérêts, cela est très fréquent.
M. Bédard: Je vais laisser la chance à mes
collègues de poser des questions.
Le Président (M. Paré): M. le député
de D'Arcy McGee.
M. Marx: Votre présentation soulève beaucoup de
problèmes, mais je pense que le ministre sera d'accord si je dis que
vous êtes le premier groupe qui a soulevé ces problèmes
devant cette commission. Pour vraiment évaluer toutes vos
recommandations, je pense que ce serait nécessaire d'entendre d'autres
personnes impliquées, soit des psychiatres, des directeurs
d'institutions et ainsi de suite.
J'ai déjà eu l'occasion d'entendre des histoires
semblables, des cas semblables. J'aimerais connaître des cas
précis parce que vous avez mentionné un certain nombre de cas
précis. Avez-vous des cas où quelqu'un, par exemple, a poursuivi
soit un psychiatre, ou un hôpital pour dommages et intérêts
et a gagné? Je sais qu'il y a des causes comme celles-là aux
États-Unis. Une personne avait été enfermée pour
des raisons non valables et elle a poursuivi l'hôpital ou le
médecin et elle a eu gain de cause. Par exemple, il y a une cause
maintenant dans les journaux. Un Chinois a été enfermé 36
ans. Le problème, c'est qu'il ne parlait pas anglais et personne n'a
compris que ce n'était pas un malade mental. Il a été
enfermé pendant 25 ou 35 ans et maintenant il poursuit l'hôpital,
les médecins et ainsi de
suite. Est-ce que vous avez des exemples comme celui-là ici,
parce que vous avez parlé de beaucoup d'abus?
M. Morin (Paul): Oui, malheureusement il y a un problème
qui existe, c'est que le pouvoir médical est vraiment assez puissant et
il y a peu de personnes ici au Québec qui ont poursuivi leur psychiatre.
L'article 57 de la loi 46, Loi sur la protection du malade mental, dit que,
lorsqu'un psychiatre ou un établissement ne respecte pas la loi, on peut
le poursuivre et il est passible de... par exemple, je ne sais pas, s'il y a
une procédure d'internement à suivre, en dedans de 96 heures, il
faut qu'il y ait deux autres psychiatres qui confirment le premier examen. On a
déjà lu des jurisprudences de la Commission des affaires sociales
où l'on disait dans le jugement: La Commission des affaires sociales
constate que l'établissement n'a pas respecté les 96 heures. On a
vérifié et il n'y a personne, jamais, ni aucune institution, ni
aucun médecin qui a été condamné au Québec
pour avoir violé la Loi sur la protection du malade mental,
malgré tous les abus qu'on connaît. Il y a un grave
problème à ce niveau-là. La majorité de nos gens
qui fréquentent les psychiatres et les institutions n'a pas beaucoup
d'argent. Déjà, faire toute la démarche, aller à
l'aide juridique et tout cela, ce n'est pas facile.
Il faut dire que la jurisprudence n'aide pas vraiment. Il y a eu un cas,
celui d'une femme psychiatre qui avait eu des électrochocs; cela est
arrivé à Montréal au Montreal General Hospital. Elle a
poursuivi le Dr Cameron. C'était une psychiatre qui avait reçu
des électrochocs, c'est rare. Cela s'est rendu en Cour d'appel. On a dit
que l'électrochoc était une procédure utilisée
depuis X années et que, même si la personne avait perdu la
mémoire ce n'était pas bien grave.
Il existe un cas pendant aujourd'hui, c'est le cas de M. Jean-Charles
Pagé, celui qui a écrit Les fous crient au secours. Lui aussi a
été victime des mêmes traitements que Mme Orlikow, la femme
du député du NPD à Ottawa, qui est allée chercher
50 000 $ en dédommagements du Allan Memorial parce que la CIA a fait des
expériences sur elle aux électrochocs au début de 1960 ou
1961. M. Jean-Charles Pagé poursuit, lui aussi. On l'a aidé
à partir. Même si cela date de 20 ans, il poursuit
l'hôpital. La dernière fois que je lui ai parlé, il avait
certains problèmes parce qu'il n'arrivait pas à trouver des
médecins pour confirmer qu'il avait eu des effets secondaires. C'est
tout le problème de trouver des médecins qui confirment
qu'à cause des traitements donnés il y a eu perte de
mémoire et tout cela. Malheureusement, il existe peu de cas.
Prenez simplement le rapport du barreau. Le rapport du barreau n'a
pratiquement pas parlé de la psychiatrie. Il y a des choses que le
barreau ne voit même pas. À notre avis, on trouve cela très
dommageable que les avocats, au Québec, se soient peu
intéressés à cette question de la santé mentale.
Concernant la santé mentale, il y a énormément de travail
de sensibilisation à faire chez les avocats de la province de
Québec. C'est l'état de la situation.
M. Marx: Cela prendrait quasiment une commission juste pour faire
enquête sur ces questions que vous avez soulevées. Nous, nous
pouvons proposer n'importe quoi, mais c'est au ministre d'accepter.
M. Bédard: C'est-à-dire qu'ils peuvent proposer
n'importe quoi, mais nous, on a à en faire l'évaluation.
M. Marx: C'est cela. De temps en temps, il accepte nos
idées, mais de temps en temps, non. Souvent, il dit qu'il a pensé
à cela avant. Vous avez parlé d'une femme qui a été
mise en cure fermée. Elle avait un avocat. C'était à
l'Hôpital général, je pense.
M. Morin (Paul): C'est le cas que Bernard a mentionné.
Non, c'est tout récent, cela vient d'arriver à l'Hôtel-Dieu
de Montréal. C'est un cas dont on s'est occupé, c'est un cas de
la fin de semaine dernière.
M. Marx: C'est cela. A-t-elle une cause qu'elle pourrait porter
devant les tribunaux? Il y a des façons de contrôler les actions
injustifiées des personnes. Il y a toujours des actions en dommages et
intérêts, sans parler des poursuites pénales que vous avez
soulignées.
M. Morin (Paul): Je croirais qu'elle aurait une cause, dans le
sens que, quand la personne du Groupe auto-psy est allée avec une
avocate dans le bureau du DSP, cela s'est réglé très
rapidement en l'espace de cinq minutes. Je pense que le DSP s'est rendu compte
qu'il y avait certaines anomalies dans le dossier de la personne quant à
ses droits. Il a dit à l'avocate qu'elle n'avait pas besoin d'y aller.
À mon avis, la personne ne semble malheureusement pas
intéressée à poursuivre l'hôpital. La seule
poursuite qu'elle pourrait vraiment faire, c'est parce que la Loi sur la
protection du malade mental n'a pas été respectée quant
à la cure fermée. Donc, ce serait à ce niveau du
non-respect de la Loi sur la protection du malade mental. La dernière
fois que j'ai rencontré la personne, elle ne semblait pas
intéressée à poursuivre l'hôpital. Malheureusement,
c'est souvent le cas. Les personnes subissent des abus, mais ce ne sont pas
toutes les personnes qui veulent en
parler.
Mme Saint-Pierre: Elles ont plus envie d'oublier
l'événement.
M. Marx: Je connais le problème. Vous avez parlé de
sensibiliser la population et même les députés à
l'Assemblée nationale. Une des façons de faire cela, ce serait
d'avoir des "test cases" et de porter cela à l'attention de tout le
monde. Étant donné le nombre de cas que vous avez cités
à titre d'exemples, j'imagine qu'il doit y avoir de bons cas où
ce serait possible de faire un "test case", de sensibiliser la population et
peut-être même de gagner, ainsi de suite.
M. Côté: II y a un problème. Quelqu'un qui a
été traité un bout de temps en psychiatrie a tout le
problème de la stigmatisation sociale, de l'isolement, de la
marginalisation. Une étude récente d'un professeur de
l'Université du Québec à Rimouski a démontré
que 90% des Québécois et Québécoises
n'accepteraient même pas de partager un repas avec une personne qui a
fait du temps en psychiatrie. Les gens ont de la difficulté à
parler de ce vécu. C'est quand même possible. On le fait, on
essaie de sensibiliser la population, mais il y a cela aussi, les gens n'osent
pas parler.
M. Bédard: Sur ce point, pensez-vous que ce professeur est
près de la vérité par rapport au pourcentage?
M. Côté: La stigmatisation, oui. (21 h 15)
M. Morin (Paul): Il y a eu une étude faite par le
ministère des Affaires sociales, une enquête sur les perceptions
et les attitudes de la population québécoise. C'était une
étude tout ce qu'il y avait de plus scientifique. Sans aller
jusqu'à 90%, il y avait beaucoup de stigmatisation; on disait qu'on ne
louerait pas un logement à une personne qui a un dossier psychiatrique.
Le stigma est presque plus lourd que le dossier criminel. Comme la Corporation
professionnelle des médecins le disait, c'est toute la question de
dangerosité. Pourtant, il y a plein d'études qui ont
démontré que les personnes qui sont en psychiatrie ne sont pas
plus dangereuses que la moyenne de la population. Encore là, il y des
torchons, comme Photo Police ou Allô Police, qui parlent de vague de
folies ou d'une personne qui vient d'aller voir un psychiatre et qui tue
quelqu'un. Le stigma est vraiment très fort. C'est une lutte nouvelle
qui existe au Québec et ça ne fait pas longtemps que des groupes
d'ex-patients psychiatriques se rassemblent. Il y aussi la question de la
fausse honte, il y a beaucoup de personnes qui ont honte d'avoir eu des
troubles émotionnels. Nous disons qu'il n'y a pas de honte à
avoir eu des troubles émotionnels.
M. Marx: Vous dites que c'est un stigma, oui, mais il y aussi des
gens qui sont fiers d'avoir leur psychiatre, leur sociologue. Peut-être
que je suis dans un milieu spécial, mais dans le milieu universitaire ou
dans un milieu bourgeois, disons, il y a beaucoup de gens qui ont leur
psychiatre, leur psychologue. Il y a des gens qui me disent que, pour vraiment
se comprendre, il faut se faire analyser. Bon, cela veut dire que ce n'est pas
un stigma, c'est une...
M. Côté: Ce n'est pas la même chose.
M. Bédard: Ce n'est pas la même chose...
M. Marx: Ce n'est pas la même chose. M. Bédard:
...que ce qui est évoqué.
M. Côté: II y a environ une quarantaine
d'études qui font une corrélation entre les
caractéristiques sociologiques de cette personne, à savoir
qu'elle vient d'un milieu défavorisé ou populaire, et le fait,
qu'elle se retrouve dans des services psychiatriques durs, du genre services de
troisième ligne, tels les hôpitaux psychiatriques comme
Robert-Giffard. Une thérapie de cri primal à 450 pendant la fin
de semaine, c'est bien le "fun" d'y aller aussi, mais les gens qui passent par
la psychiatrie dite lourde, c'est autre chose.
M. Marx: J'ai déjà eu l'occasion de
m'intéresser à ce problème. Est-ce qu'il est vrai que la
plupart des patients dans les hôpitaux de soins psychiatriques sont de la
classe défavorisée?
M. Boudreau: J'aimerais apporter un complément de
réponse là-dessus.
M. Marx: C'est comme dans les prisons.
M. Boudreau: On a mené une étude sur les urgences
psychiatrique dans la région de Montréal. Sur au-delà de
30 000 cas - on peut faire une extrapolation à partir de ce qui
était dans le rapport - 82% - sous réserve d'erreur de 1% environ
- des gens qui se retrouvaient dans les urgences psychiatriques étaient
des gens qu'on appelle sans pouvoir; c'étaient des chômeurs, des
femmes au foyer, des assistés sociaux, des étudiants. Les causes
sociales sont là. Ce que vous disiez tout à l'heure concernant
une personne qui dit qu'elle suit une thérapie et qui arrive d'un voyage
en Floride, ce n'est pas la majorité; ces gens font partie des 12%.
M. Marx: Je voudrais poser une
question assez spécifique. Vous avez dit qu'en vertu de l'article
20, un traitement d'électrochocs devrait être approuvé par
le tribunal dans tous les cas. Est-ce que c'est cela?
M. Morin (Paul): Oui, c'est cela. On considère que
l'électrochoc est un procédé... De toute façon, on
ne sait même pas comment cela fonctionne encore. C'est comme les
médicaments psychotropes; il y a des études qui disent ne pas
savoir comment cela fonctionne.
M. Marx: Quand on visite les hôpitaux de soins
psychiatriques, il y a des personnes difficiles, des personnes violentes, j'en
ai rencontrées assez.
M. Morin (Paul): Ce sont les minorités, il y a en 10%.
M. Marx: Non, mais il y a des gens à qui il faut donner un
traitement quelconque.
M. Morin (Paul): Oui, mais là n'est pas la question. Nous
disons que l'électrochoc est un traitement majeur qui devrait demander
l'autorisation du tribunal. C'est dans ce sens que nous disons que, comme c'est
un traitement majeur, on devrait, surtout quand la personne est jugée
inapte à consentir à un traitement, lui assurer une
protection.
M. Marx: Vous avez cité des expériences
américaines, ou la législation américaine. Est-ce que
c'est comme cela aux États-Unis?
M. Côté: À Berkeley, il y a un moratoire
présentement sur l'utilisation de cette technique. Par
référendum, la population a voté contre l'utilisation de
ce traitement à cause des effets secondaires.
M. Marx: Dans la ville de San Francisco, mais là, on vote
pas mal de choses. À Berkeley, c'est une ville spéciale.
M. Côté: Oui, oui.
M. Marx: Ailleurs, est-ce qu'il y a des exemples, est-ce qu'il y
a des lois spéciales?
M. Boudreau: Si on regardait un peu ce qui s'est passé,
dans l'histoire de la psychiatrie au Québec, cela nous ferait comprendre
bien des choses par rapport à l'électrochoc. Il y a eu, à
un moment donné, la thérapie qu'on appelait les douches
écossaises, qui étaient des douches froides, des douches d'eau
glacée. Il y a eu ensuite la malariathéparie. On injectait le
vaccin, le virus de la malaria. D'une fois à l'autre, le
précédent n'était pas bon et on en sortait un nouveau. Il
y a eu l'insulinothérapie, la chimiothérapie, les
électrochocs. C'est que, d'une fois à l'autre, le traitement
n'est pas bon pendant dix ans. Lorsqu'il est bon, c'est le meilleur, c'est
celui qu'il faut. Nous, on considère que l'électrochoc n'est
absolument pas bon pour la personne, cela lui laisse des séquelles. On
demande simplement une interdiction stricte des électrochocs, parce
qu'on calcule que ce n'est pas bon, point final.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): Si je comprends bien, en ce qui
concerne l'article 199, qui parle du tuteur au prodigue ou conseiller, vous
suggérez de faire disparaître du Code civil la protection pour le
prodigue. Pour avoir pratiqué et avoir vu dans nos études des cas
de prodigalité, cela m'inquiète un peu. Est-ce que vous avez une
formule quelconque?
Mme Saint-Pierre: II faut définir au moins le terme, le
restreindre un peu ou dire que ce serait le régime du conseiller au
majeur lorsqu'il y a un réel danger, pour la famille, s'il y a des
dépendants ou des choses comme cela. Il faudrait soit le définir,
le restreindre ou l'enlever, mais pas laisser ce terme comme cela dans le
vague, sans définition, sans restriction, etc. C'est certain qu'il y a
des cas vraiment tristes de prodigalité. On en est conscient. Au moins,
il faut les définir. Là, on était à
l'extrême.
M. Leduc (Saint-Laurent): On donne une définition, mais on
maintient la protection pour le prodigue.
Mme Saint-Pierre: Le régime de protection le plus souple,
disons le conseiller au majeur.
M. Bédard: Vous me le permettez? M. Leduc
(Saint-Laurent): Oui.
M. Bédard: Vous êtes d'accord que c'est le juge qui
déterminerait quel régime.
Mme Saint-Pierre: Oui, jusqu'à quel point il y a du
sérieux dans cela, c'est bien entendu. Étant donné que
c'est une demande en justice, cela va amener une preuve.
M. Bédard: Merci.
M. Leduc (Saint-Laurent): Est-ce que c'est l'ORCC qui
recommandait l'abolition de la protection?
Mme Saint-Pierre: II l'avait enlevée... M.Leduc(Saint-Laurent): II
recommandait l'abolition de l'établissement d'un régime.
Cela me surprend et m'inquiète un peu. En ce qui concerne les articles
211 et 212, apparemment, vous ne seriez pas satisfaits de leur
rédaction. Le droit d'être entendu, dites-vous, devrait être
réel. Moi, cela me semble tout de même suffisant pour
l'établissement du régime de protection. On consulte la personne
à qui on va imposer ce régime et on va également la
consulter quant au choix de la personne qui va être nommée tuteur.
Cela me semble assez satisfaisant.
Mme Saint-Pierre: Oui, mais pas "dans la mesure du possible". Il
doit donner à la personne l'occasion d'être entendue.
M. Leduc (Saint-Laurent): Vous voulez absolument faire
disparaître "dans la mesure du possible". Et si ce n'est pas
possible?
Mme Saint-Pierre: Oui. À l'impossible, nul n'est tenu.
Vous aurez une preuve qui sera faite dans ce sens, mais on ne doit pas laisser
la porte ouverte, tout simplement.
M. Leduc (Saint-Laurent): En fait, si c'est "dans la mesure du
possible" qui vous ennuie, cela va.
Le Président (M. Paré): II n'y a plus de question.
Merci beaucoup de votre présentation et d'avoir accepté de
répondre à nos questions. J'inviterais maintenant les
représentants de l'Université de Sherbrooke, s'il vous
plaît, à s'avancer et à prendre place ici à
l'avant.
Bonsoir et bienvenue à la commission élue permanente de la
justice. Je demanderais maintenant au porte-parole de s'identifier et de nous
présenter la personne qui l'accompagne.
Université de Sherbrooke
Mme Philips-Nootens (Suzanne): Je suis Suzanne Philips-Nootens,
professeur à la faculté de droit de l'Université de
Sherbrooke. Je vous présente Me Robert Kouri, professeur à la
faculté de droit de l'Université de Sherbrooke.
M. le Président, M. le ministre, Mme et MM les
députés, le projet de loi 106, relatif aux personnes, consacre un
chapitre I à la jouissance des droits civils et un chapitre III à
l'intégrité de la personne. Nous étant
intéressés particulièrement au domaine du droit de la
santé, nous avons voulu vous faire part d'une réflexion
concernant les article 1 et 11 à 23 dudit projet. Nous sommes bien
conscients que ces articles ont déjà été
abordés à maintes reprises devant vous. Sans doute, nos propos
iront-ils, pour l'essentiel, dans le même sens que ceux qui ont
déjà été développés ici. Cependant,
vu l'importance capitale de cette réforme du droit des personnes en ce
qui touche au domaine médical et de ses répercussions profondes
sur ce que chacun d'entre nous a de plus précieux, nous ne pouvions
garder le silence.
Notre mémoire écrit vous présente des propositions
de modifications aux articles concernés. Nous n'en ferons par la lecture
devant vous. Nous nous permettons de vous y référer pour le texte
formel. Nous commenterons seulement les principaux points sur lesquels nous
désirons attirer particulièrement l'attention de la commission,
à savoir la protection de l'enfant conçu, le droit de la personne
humaine à son autonomie, le mineur et les soins thérapeutiques,
le majeur non doué de discernement et les soins thérapeutiques
et, enfin, les personnes non douées de discernement face à
l'expérimentation et au don d'organe.
Premier point, la protection de l'enfant conçu. La Commission des
droits de la personne et M. le ministre ayant largement développé
cette question tout à l'heure, nous ne reviendrons pas sur les
mêmes arguments, à savoir ceux développés par la
commission sur la nécessité d'une protection de l'enfant
conçu. Cependant, le paradoxe qui existe actuellement, à savoir
l'attribution des droits patrimoniaux et le silence concernant les droits
extrapatrimoniaux, laisse au moins la porte ouverte à des solutions
diverses, à la prise en considération des valeurs en
présence, valeurs qui ont été évoquées, tout
à l'heure, par M. le ministre. Cette prise de considération des
valeurs en présence nous semble une réponse possible à la
question qui a été longuement évoquée tout à
l'heure. Tant qu'une personne seule est concernée, elle est libre de
décider de son devenir. Son droit à l'autonomie est garanti.
À partir du moment où les décisions de cette personne de
ne pas se faire traiter risquent de causer préjudice à autrui, le
droit intervient. Voyez, par exemple, la Loi sur la protection du malade
mental, la Loi sur la protection de la santé publique. Face au foetus,
le choix dépendra de la valeur que la société accordera
à ce futur citoyen. Si elle lui donne préséance, elle
pourrait, éventuellement, obliger la mère à se faire
traiter.
Mais l'article 1, tel que formulé dans le projet de loi, nous
semble à sa face même écarter a priori une ou des valeurs
en présence en niant tout droit à l'enfant conçu. Si telle
n'est pas l'intention du législateur, pourquoi conserver une telle
formulation? Pour éviter des contradictions entre la
dénégation de tout droit et l'attribution de certains droits,
puisque nous savons que le projet attribue également des droits
patrimoniaux à l'enfant conçu en nommant même les
père et mère tuteurs en
ce qui concerne ses intérêts pécuniaires, pour ne
pas dénaturer des conflits possibles entre un enfant conçu et sa
mère, pour prévenir de regrettables abus en ce domaine, pour
éviter, enfin, un net recul par rapport au droit existant actuellement,
nous suggérons dans notre mémoire la suppression de la
deuxième phrase de l'article 1 et la suppression du terme
"pécuniaires" à l'article 123.
Deuxième point, le droit de la personne humaine à son
autonomie. Après avoir consacré le principe de
l'inviolabilité de la personne humaine et son corollaire, à
savoir le pouvoir d'autonomie de la personne, le projet de loi, à
l'article 12, prévoit qu'en cas d'urgence et si la vie d'une personne
est en danger son consentement n'est plus requis. En d'autres termes, la
thèse du caractère absolu du droit à
l'inviolabilité et sa conséquence normale, le droit de refuser
des soins, admis par la doctrine et la jurisprudence, n'existe plus. Par voie
de conséquence, il est permis de traiter une personne malgré elle
en vue de la sauver. (21 h 30)
Même si l'exemple a déjà été
mentionné par le Dr Roy ce matin, c'est le même exemple que nous
avions retenu à savoir: atteint d'une grave crise cardiaque, vous
êtes amené pleinement conscient à l'hôpital. Votre
vie étant en danger et ce traitement étant votre dernier recours,
le médecin n'a aucun besoin de votre consentement pour vous soumettre
à une greffe cardiaque ou même à l'implantation d'un coeur
artificiel, à supposer que ce traitement ait à présent
dépassé le stade purement expérimental.
Cette thèse de l'intervention forcée,
préconisée par certains, l'est au nom de la théorie de
l'abus de droit: le patient, en refusant des soins vitaux, détournerait
de son but de protection son droit à l'inviolabilité. Mais,
précisément, nous ne pensons pas qu'il y ait détournement
du droit du patient. Le principe de l'inviolabilité signifie qu'une
personne est libre de décider ce qu'elle veut pour elle-même. Elle
est souveraine, autonome. L'inviolabilité peut avoir pour but la
protection de la personne, mais seulement avec son consentement. Par
conséquent, personne ne peut aller à l'encontre de la
volonté libre et éclairée du titulaire de ce droit.
Lorsqu'un médecin, par exemple, respecte le refus de son patient, il se
conforme à la finalité du droit de ce dernier à son
inviolabilité.
La thèse de l'intervention forcée signifierait
également que l'obligation d'obtenir le consentement du patient
n'existerait plus que pour des cas non urgents. Ceci restreindrait
énormément la portée des articles 11 et 12 qui exigent ce
consentement. De plus, l'obligation de renseigner, corollaire de l'obligation
d'obtenir le consentement, disparaîtrait par le fait même dans les
cas les plus graves.
Une autre situation est également prévue dans cet article,
celle du danger pour l'intégrité physique. Ne faudrait-il pas
parler d'intégrité tout court afin d'inclure
l'intégrité mentale? Ici, le médecin peut procéder
si le patient n'est pas en état de donner un consentement en temps utile
et si, dans ces conditions de danger, la personne, capable de donner un
consentement, le refuse. Pourquoi arriver à deux solutions
différentes? Ces dispositions visent-elles à introduire en droit
québécois une véritable obligation à la
santé? Si tel est le cas, cette obligation pourrait logiquement, dans
une étape ultérieure, s'étendre à bien des aspects
de l'activité humaine.
À l'instar de la Commission des droits de la personne et d'autres
organismes, nous estimons donc impérieux, fondamental, que l'exigence du
consentement soit maintenue, même en cas d'urgence pour la vie, en
conformité avec le droit à l'autonomie et à la
liberté garanti à chacun d'entre nous par la charte. Ce droit ne
peut nous être dénié à un moment crucial de notre
existence, si nous sommes en état de l'exercer. Seule
l'impossibilité d'obtenir ce consentement en temps utile doit permettre
au médecin de procéder sans plus attendre.
Troisième point, le mineur et les soins thérapeutiques. La
société québécoise fait de la cellule familiale le
cadre privilégié du développement de l'enfant. Le Code
civil du Québec impose aux parents l'obligation de nourrir, entretenir
et éduquer leurs enfants. Pour leur permettre de remplir ces
obligations, le droit civil attribue corrélativement aux parents
l'autorité parentale. Ce n'est que si ceux-ci négligent leur
devoir ou que le comportement de l'enfant cause des problèmes majeurs
que le législateur intervient pour pallier la situation.
Les soins de santé constituent une part majeure et essentielle
des soins que les parents doivent et donnent en général à
leurs enfants. Aussi, le législateur a-t-il prévu, à juste
titre, à l'article 13 que c'est le titulaire de l'autorité
parentale qui consent, en principe, pour le mineur aux soins
thérapeutiques nécessaires. Cependant, pour répondre aux
réalités de la vie moderne, le législateur a
édicté, à l'article 42 de la Loi sur la protection de la
santé publique, exceptionnellement, une capacité spéciale
pour le mineur de 14 ans doué de discernement. Ce mineur peut consentir
seul aux soins thérapeutiques. Hormis cette exception, il faut revenir
au principe général de l'article 13, à savoir le
consentement donné par les parents, le mineur étant sous leur
autorité jusqu'à l'âge de 18 ans. Nous estimons donc que,
si ce mineur ne consent pas à se faire traiter, les parents peuvent
consentir pour lui.
Le projet de loi no 106 prévoit également, à
l'article 15, la nécessité d'obtenir l'autorisation du tribunal
chaque fois que le mineur doué de discernement s'oppose, autrement dit
refuse des soins, puisqu'à ces articles nous sommes dans le domaine
thérapeutique. Ici, on ne précise pas d'âge pour le mineur.
Ceci pourrait être interprété comme impliquant la
nécessité d'obtenir l'autorisation du tribunal chaque fois qu'un
mineur de moins de 14 ans, considéré comme doué de
discernement, refuse de subir un examen ou un traitement
nécessité par son état de santé. Certains
mémoires défendent cette position au nom de l'autonomie de
l'enfant. Elle nous semble, quant à nous, irréaliste. Allons-nous
nous adresser au tribunal chaque fois qu'un enfant de 8 ou 10 ans s'avise de
refuser un examen ou un traitement médical, notamment parce qu'il a peur
d'une prise de sang ou de l'opération des amygdales ou d'une suture de
plaie? Notre expérience de parents, comme celle de la plupart d'entre
vous sans doute, nous permet d'imaginer les implications d'un tel recours. S'il
s'agit d'une affection plus grave, comment le tribunal, face au conseil du
médecin, au consentement des parents, d'une part, et au refus de
l'enfant, d'autre part, pourrait-il entériner ce refus, autrement dit,
écarter des chances de guérison? N'oublions pas que l'on
hésite encore actuellement sur la légalité de
l'arrêt des moyens artificiels de prolongation de la vie alors qu'il n'y
a plus aucun espoir pour le patient. Ici, face au refus d'un jeune de se faire
traiter, on entérinerait cette décision, autrement dit,
écartant pour lui certaines chances de guérison, même si le
pourcentage est faible.
Pour être conséquent avec ce que nous venons de dire au
sujet du mineur de 14 ans, nous estimons que le consentement relève a
fortiori des parents pour un enfant plus jeune, sous réserve du recours
prévu par l'article 15 en cas de refus abusif. Si l'on défend la
position contraire, l'autorité parentale est vidée de l'un de ses
objets essentiels, la santé de l'enfant, et l'article 13, d'une grande
partie de son contenu, puisque, en définitive, il n'aurait plus
d'application que pour le mineur en bas âge ou non doué de
discernement.
Le majeur non doué de discernement et les soins
thérapeutiques. Nous serons brefs sur ce point. Le projet de loi
prévoit que le consentement peut être donné pour cette
personne par son tuteur ou curateur ou, éventuellement, par son conjoint
ou par un proche parent. Puisqu'il s'agit ici de situations non urgentes, nous
ne croyons pas justifié de déroger à l'exigence du
consentement donné par un représentant. En effet, l'ouverture
d'un régime de protection est prévue dans le cas du majeur non
doué de discernement dès que celui-ci est incapable de former ou
de donner un consentement libre et éclairé. La nomination du
représentant devrait donc pouvoir se faire assez rapidement. De plus, le
consentement du proche parent nous semble être une source de
difficultés potentielles. Par exemple, en cas de divergence d'opinions
de parents aussi proches les uns que les autres, que devra faire le
médecin? Devra-t-il s'adresser au tribunal? Il nous semble donc plus
logique de réserver au représentant le droit de consentir pour le
majeur incapable.
Cinquième point, les personnes non douées de discernement
face à l'expérimentation et au don d'organes. Parmi les personnes
incapables visées par ce texte, il faut comprendre les mineurs en bas
âge, les mineurs déficients mentaux et les majeurs incapables.
Nous recommandons très fortement que ces personnes soient non seulement
à l'abri de toute expérimentation non thérapeutique, mais
également protégées contre toute forme de
prélèvement d'organes ou de tissus. Dans les deux cas,
l'incapable ne retire aucun bienfait de ces atteintes. Il faut se rappeler que,
parmi les buts du principe de l'inviolabilité, il y a la protection de
la personne. Il y aurait risque non négligeable de voir, notamment, des
personnes déficientes sacrifiées au bénéfice de
personnes dites normales dont la valeur sociale serait considérée
comme plus grande. On a déjà autorisé, par exemple, aux
États-Unis le prélèvement d'un rein sur un
déficient mental institutionnalisé, en prétextant son
intérêt à sauver la vie de son frère.
Pour les enfants, n'oublions jamais que leur intérêt doit
être le motif déterminant des décisions prises à
leur sujet. Tout en comprenant le déchirement des parents face à
certaines situations tragiques et le désir bien légitime des
médecins de sauver leurs patients, nous estimons qu'on ne peut faire
courir à un enfant non doué de discernement un risque, même
pour sauver l'un de ses frères ou soeurs.
En conclusion, qu'il nous soit permis de déplorer l'absence de
commentaires émis par les rédacteurs du projet de loi. Ceci nous
oblige souvent à spéculer sur la portée de certaines de
ses dispositions. Particulièrement dans le domaine médical, il
faut s'exprimer dans les termes les plus clairs possible car ces articles, une
fois adoptés, devront être appliqués quotidiennement par
les personnes oeuvrant dans les institutions du réseau des affaires
sociales. Est-il nécessaire d'insister davantage sur l'importance d'une
législation limpide, réaffirmant l'intangibilité de la
personne? Je vous remercie de l'attention que vous avez bien voulu nous
consacrer.
Le Président (M. Paré): Merci beaucoup pour la
présentation.
La parole est maintenant à vous, M. le ministre.
M. Bédard: M. le Président, je remercie Mme Nootens
et celui qui l'accompagne de leurs représentations devant la commission.
Comme vous l'avez mentionné, l'essentiel des problèmes que vous
soulevez ont fait l'objet d'une longue discussion avec le groupe de la
Commission des droits de la personne. Je ne crois pas qu'il soit opportun de
reprendre toute cette discussion à laquelle vous n'avez peut-être
pas participé. On a pu constater que vous étiez continuellement
présente.
Je voudrais, à partir d'un exemple donné à la page
4 de votre mémoire, vous demander certains commentaires. Par exemple,
vous semblez dénoncer le fait qu'on puisse traiter une personne
malgré elle en vue de la sauver. Pourtant, au début de votre
mémoire, vous demandez que soit reconnue la tutelle légale pour
l'enfant conçu, donnant l'exemple de la mère qui refuserait une
transfusion sanguine. Comment, à l'aide de cet exemple concret,
appliquer ce deuxième principe tout en respectant le premier auquel vous
vous rattachez? Est-ce qu'il n'y a pas là une certaine contradiction? En
tout cas, s'il n'y a pas de contradiction, je pense que c'est l'illustration de
la difficulté de concilier des principes et des situations. Je me
réfère à cet exemple. On en a employé un autre avec
la Commission des droits de la personne. J'aimerais avoir vos commentaires.
M. Kouri (Robert): On cherche à réaffirmer
l'inviolabilité de la personne. Malheureusement, ce ne sont que les
femmes qui peuvent tomber enceinte et l'inconvénient de la situation,
c'est qu'il y a une deuxième personne, ou un être humain en
puissance du moins, dont la vie est en jeu. À ce moment, nous avons cru
bon de réaffirmer le droit de l'enfant conçu de mener à
terme le début de sa vie, de venir au monde. Une fois cette étape
terminée, il faut bien reconnaître le droit de la femme de refuser
des soins, étant la seule personne directement intéressée.
Si elle refusait des soins tout en étant enceinte, forcément, sa
décision aurait une conséquence par rapport à l'enfant
conçu. Donc, à cause de l'état inséparable, si vous
voulez, des deux êtres en présence, c'est pour cela que nous
affirmons l'obligation pour la femme enceinte de se faire soigner.
M. Bédard: Enfin, on ne reprendra pas la discussion.
M. Kouri: Non, d'accord.
M. Bédard: Je pense qu'on peut exprimer le même
souhait, à savoir qu'elle accepte des traitements. Si elle ne les
accepte pas avec les conséquences que cela peut avoir sur l'enfant
conçu et non né, à ce moment, la situation devient plus
difficile à résoudre.
M. Kouri: Effectivement, c'est un problème très
difficile. Du moins lors de nos discussions, on semblait être d'accord
pour dire: Voilà, elle doit accepter de se faire soigner. Ce qu'on
cherchait, c'était le mécanisme et le mécanisme qui
semblait être disponible, c'était l'injonction mandatoire. Mais il
y a un problème fondamental. En règle générale, les
tribunaux hésitent à imposer de telles injonctions contre les
personnes physiques parce que cela peut entraîner, par exemple, des
conséquences comme l'outrage au tribunal et, donc, des atteintes
à la liberté de l'individu concerné. Cependant, faute de
mieux, nous sommes peut-être portés à croire que, quand il
y a l'intégrité de deux êtres en présence,
peut-être les tribunaux seront portés à imposer tel genre
d'injonction et à obliger la femme à subir des soins. Je conviens
que cela est très problématique, c'est indéniable.
Mme Philips-Nootens: II faut bien comprendre qu'il y a ici deux
situations différentes. En fait, quand la personne seule est
concernée, nous préconisons le respect absolu de son autonomie,
c'est-à-dire de son droit de choisir ce qu'elle veut devenir
elle-même. Je vous en prie.
M. Bédard: Allez, continuez. (21 h 45)
Mme Philips-Nootens: C'est différent à partir du
moment où d'autres personnes sont en cause. Par exemple, dans la Loi sur
la protection du malade mental, il est question d'internement à partir
du moment où la personne est dangereuse pour autrui. Dans la Loi sur la
protection de la santé publique, il est question de traiter les
personnes à partir du moment où elles présentent un danger
pour autrui. Autrement dit, ici, nous n'avons plus une seule personne qui est
concernée. D'autres sont impliquées et c'est ce que je disais
tout à l'heure: À partir du moment où c'est le foetus qui
est impliqué, même s'il est inséparable de sa mère,
le choix dépendra de l'importance que la société voudra
accorder ou non à ce foetus qui est là.
M. Bédard: À la page 14 de votre mémoire -
excusez-moi - faites-vous une distinction, quand on parle du droit de mourir
dans la liberté et la dignité, si je peux utiliser l'expression
employée dans le mémoire de la Commission des droits de la
personne, entre une personne qui, par exemple, est atteinte de cancer et en est
rendue à la phase terminale, alors qu'il est très clair que la
mort est à brève échéance
et que la personne a à décider si, oui ou non, elle veut
que les soins continuent, faites-vous une distinction, dis-je, entre la
situation de cette personne et une autre situation que j'évoquais avant
le souper, celle d'une personne qui a eu un accident grave, où il
ressort, après analyse, que des soins appropriés pourraient la
ramener ou, très carrément, lui conserver la vie? Faites-vous une
distinction entre ces deux situations?
Mme Philips-Nootens: Je pense que le droit de refuser des soins
existe dans les deux situations, parce qu'en fait n'importe quel traitement
comporte, évidemment, des inconvénients. C'est à la
personne de faire le choix de ce qu'elle veut ou ne veut pas subir, si la
personne est capable, évidemment, de donner un consentement valide ou un
refus valide à ce moment-là. Vous pouvez refuser pour divers
motifs. Il y a l'exemple très classique des Témoins de
Jéhovah, qui refusent la transfusion sanguine qui leur sauverait la vie.
Les motifs peuvent être religieux comme ils peuvent être politiques
ou de toute autre nature. À partir du moment où on
reconnaît le droit absolu à l'autonomie de la personne, on doit
respecter son refus de soins, quand elle est capable de l'exprimer de
façon claire.
M. Bédard: Au nom de ce principe du respect de l'autonomie
de la personne, vous nous dites - je ne sais pas, je peux mal vous
interpréter - que vous êtes d'accord peut-être - je
résume - avec le droit d'une personne à se suicider, par
exemple?
Mme Philips-Nootens: Non. Je sais que tout le monde n'est pas
d'accord là-dessus, mais...
M. Bédard: Est-ce que cela va jusque-là? C'est ce
que je voudrais savoir.
Mme Philips-Nootens: ...je fais une distinction absolue avec le
suicide où je décide moi-même, en pleine connaissance de
cause, de mettre fin à mon existence, alors qu'aucune circonstance
extérieure ne m'y force, sauf peut-être un intérêt
précis. Par contre, quand je refuse des soins, je suis juge. J'ai en
face de moi une maladie ou un accident qui ne dépend pas de moi, qui ne
dépend pas de ma décision et je suis juge à ce
moment-là de ce que je veux ou ne veux pas accepter comme traitement. Je
pense qu'il y a une distinction fondamentale avec le suicide.
M. Bédard: On pourrait continuer à en parler, mais,
comme vous l'avez mentionné tout à l'heure, on a
déjà traité pas mal de ce sujet avec le groupe de la
Commission des droits de la personne, qui a précédé le
vôtre. Une autre question. A la page 14 de votre mémoire, vous
dites que l'article 21 "permet au tribunal de passer outre pour motifs graves.
Ceci risque d'engendrer de regrettables abus, face à la tentation de
donner une autorisation en fonction de la valeur sociale des personnes
impliquées." Pourriez-vous préciser votre pensée sur cette
partie de votre mémoire?
M. Kouri: En effet, si nous reconnaissons au mineur doué
de discernement la possibilité de consentir à des actes ou
à des interventions non thérapeutiques, par exemple la
possibilité de se prêter à une expérience, dans ce
cas-là, s'il est doué de discernement et s'il a la
capacité de le faire, en cas de refus, pourquoi irait-on devant un
tribunal lui imposer quelque chose qui, à sa face même, n'est pas
dans son intérêt? Quand on parle de dons d'organes, quand on parle
des autres actes, etc., il s'agit d'actes essentiellement altruistes, et
l'altruisme vient de soi-même et non des autres.
M. Bédard: Je vous remercie.
Le Président (M. Paré): M. le député
de Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): Merci. Vous suggérez un ajout
à l'article 16. Je suppose que le troisième paragraphe est
relié au premier. On dit: "Le mineur de 14 ans, doué de
discernement, peut consentir seul à un examen ou à un traitement
exigé par son état de santé, physique ou mentale."
Ensuite, vous dites qu'il faudrait ajouter que, s'il s'oppose à un tel
examen, le consentement du titulaire de l'autorité parentale, ou tuteur,
permet de passer outre à son refus. Cela veut donc dire qu'il a le droit
de dire oui mais qu'il n'a pas le droit de dire non. S'il dit non, en fait, le
troisième paragraphe s'applique.
Mme Philips-Nootens: Cela paraît assez paradoxal en droit
évidemment, parce que, normalement, le pouvoir de consentir implique le
pouvoir de refuser, mais ici nous nous trouvons tout de même en face d'un
article d'exception. Si nous nous replaçons dans l'optique dans laquelle
cet article, qui reprend l'article de la loi sur la santé publique,
avait été promulgué, c'était notamment pour
permettre aux mineurs de se faire traiter sans avertir nécessairement
leurs parents, sans devoir obtenir le consentement de leurs parents.
La loi actuelle, pas plus que l'ancienne, ne prévoit le cas
où le mineur refuse de se faire traiter. Nous pensons que, puisqu'il
s'agit d'un article d'exception, le droit commun reprendrait ses droits,
c'est-à-dire que le consentement du mineur est donné par le
titulaire de l'autorité parentale.
M. Leduc (Saint-Laurent): Si on regarde maintenant l'article 19,
en ce qui concerne les personnes non douées de discernement quant
à l'aliénation d'une partie de leur corps, si je comprends bien,
vous dites que, dans ce cas, cela devrait être défendu. Est-ce que
c'est cela? Alors, il n'y aurait aucune aliénation de partie de corps
qui serait possible dès qu'une personne ne serait pas douée de
discernement. Est-ce que j'ai bien compris?
M. Kouri: C'est cela.
M. Leduc (Saint-Laurent): Si on revient à l'article 1 - on
en a beaucoup discuté cet après-midi - la Commission des droits
de la personne suggérait également qu'on enlève la
deuxième phrase de l'article 1. Elle disait que, pour protéger
l'enfant, c'était une sorte de condition: pour autant que l'enfant
naissait vivant et viable. Est-ce que vous avez la même vision, la
même perception? Est-ce que vous voyez cela de la même façon
que la Commission des droits de la personne? La Commission des droits de la
personne disait: Pour autant que l'enfant naît vivant et viable, ce qui
semblait, à mon sens, inacceptable. Est-ce que vous en faites une
condition ou bien si, par le fait d'enlever le deuxième paragraphe,
votre intention est de protéger le foetus, l'enfant à
naître?
M. Kouri: La suppression de votre deuxième paragraphe
permettra la reconnaissance de la personnalité du foetus, avec un effet
rétroactif. Nous croyons que l'enfant conçu est investi de la
qualité de sujet de droit, à la condition résolutoire
-pour prendre des termes très juridiques - de ne pas naître vivant
ou viable. En d'autres termes, en attendant, à partir de la conception -
je suis entièrement d'accord avec vous et avec les commentaires que vous
avez formulés cet après-midi: la conception a lieu à quel
moment, c'est très difficile de le savoir dans les faits -
jusqu'à la naissance et à condition que l'enfant naisse vivant et
viable, il a des droits acquis, des droits assujettis à une condition
résolutoire, c'est-à-dire que si l'enfant ne naît pas
vivant ou viable, ses droits disparaîtront rétroactivement, en
remontant à la conception. Mais, entre-temps, c'est-à-dire durant
la période de la grossesse, l'enfant sera protégé. Donc,
par exemple, si la mère a le droit de se prêter à une
expérimentation, si cette expérience a pour effet de porter
atteinte à son enfant conçu, par la reconnaissance de cette
existence conditionnelle de l'enfant conçu, elle n'aura plus le droit de
le faire. Si, par contre, vous dites: On va attendre jusqu'à la
naissance pour savoir si l'enfant est vivant et viable, cela veut dire
qu'entre-temps l'enfant n'est pas sujet de droit, l'enfant ne jouit d'aucune
protection, sauf des protections qui sont accordées, par exemple, par le
Code pénal, entre autres.
M. Leduc (Saint-Laurent): Vous pensez que c'est une protection
suffisante. C'est, en fait, une manière de condition, c'est
assurément conditionnel.
Mme Philips-Nootens: Je voudrais ajouter quelque chose. Ce n'est
peut-être pas une protection suffisante face, comme cela a
été évoqué cet après-midi, au
développement des techniques modernes et des techniques, notamment, qui
touchent à la biologie et à la génétique. Mais la
suppression de la deuxième phrase est ce que nous appellerions une
mesure d'urgence, en ce sens qu'au moins l'article limité à sa
première phrase laisse la porte ouverte à des mesures de
protection. Il nous semble que, si on garde l'article tel qu'il est
écrit, on ferme la porte à ces mesures de protection.
M. Leduc (Saint-Laurent): D'accord.
Mme Philips-Nootens: Je voudrais ajouter qu'il ne faut pas
oublier que la condition est dans notre tradition juridique. On n'intervenait
pas dans la réalisation de la condition. Une condition n'a de valeur que
pour autant qu'il n'y ait pas d'intervention extérieure dans le
processus.
M. Leduc (Saint-Laurent): Cela va.
M. Bédard: D'ailleurs, vous l'avez évoqué
aussi, on mentionnait jusqu'à quel point, des fois, il est difficile de
concilier certains droits fondamentaux: droit à la vie, droit à
l'autonomie, à disposer de sa personne, etc. Je m'aperçois que,
des fois, à partir du même droit sacré, entre autres le
droit à l'autonomie de sa personne, on en arrive à des
recommandations contraires selon les groupes, selon la manière de
penser. Entre autres, au sujet de l'article 21, nous avons entendu beaucoup de
groupes qui, au nom de l'autonomie de la personne justement, réclament
que la personne qui est concernée par une décision du tribunal
soit toujours entendue. Vous, au nom du même principe, vous en arrivez
à la conclusion, à la page 14 de votre mémoire, que vous
trouvez absolument illogique d'exiger l'avis de la personne concernée,
s'il s'agit d'un enfant en bas âge, etc. Vous en arrivez à la
conclusion contraire. Est-ce que vous pourriez expliciter un peu cela?
Mme Philips-Nootens: La discussion pourrait, évidemment,
se faire, comme elle s'est faite beaucoup aujourd'hui, autour de la notion de
"doué" de discernement.
M. Bédard: Oui.
Mme Philips-Nootens: II est bien évident que, si on arrive
à la conclusion qu'effectivement la personne n'est pas douée de
discernement ou s'il s'agit d'un enfant en bas âge, son consentement aura
quelle valeur au point de vue juridique? On parle de consentement libre et
éclairé. On a étendu cette notion très loin suivant
le but auquel on voulait aboutir, notamment en disant que des enfants de deux
ans et demi ou quatre ans auraient donné un consentement
éclairé à ces interventions.
M. Bédard: Probablement que ces personnes qui, au nom du
même principe demandent que la personne concernée soit toujours
entendue, le demandent en se disant qu'il n'y a pas seulement à
évaluer la portée ou la valeur juridique du témoignage qui
peut être rendu, mais qu'il y a aussi, j'imagine, tout le
côté humain de la démarche. Je pense que vous avez
été en mesure de le constater. Il y a des groupes qui demandent
carrément que toutes les personnes concernées soient entendues
par un tribunal.
M. Kouri: Entendus, M. le ministre; mais si c'est un non
doué de discernement, au fond, et si le non doué de
discernement...
M. Bédard: Je ne vous dis pas que je ne suis pas d'accord
avec votre raisonnement. (22 heures)
M. Kouri: ...arrive à une conclusion qui est
peut-être contre-indiquée par rapport à son état,
qu'est-ce qui va arriver? Une chose est bien certaine, on va passer outre
à ce refus. Alors, la consultation, c'est humain, bien sûr, mais
est-ce un geste stérile ou pas? C'est la question qu'on se pose.
M. Bédard: Enfin, ce sera notre travail d'essayer de
concilier cela. Je pense bien que vous en arrivez à cette conclusion
avec un raisonnement exprimé de bonne foi, sur des bases solides. Ceux
qui arrivent à une conclusion contraire le font pour d'autres motifs. Ce
sera à nous d'essayer d'apporter la meilleure solution possible qui
tienne compte des situations évoquées tant par vous que par
d'autres groupes qui ont été entendus. Cela montre la
complexité certaine. Merci de votre mémoire.
Le Président (M. Paré): Merci beaucoup d'être
venus nous présenter votre mémoire et d'avoir répondu
à nos questions. Avant de poursuivre et d'inviter un autre groupe,
j'aurais besoin, étant donné qu'il est maintenant 22 heures,
selon le règlement, du consentement unanime pour pouvoir poursuivre les
travaux.
M. Bédard: Je pense que nous avons ce consentement
unanime, M. le Président.
Le Président (M. Paré): D'accord. Puisque nous
avons le consentement unanime, nous allons poursuivre l'audition des
mémoires en invitant Mme Marcelle Dolment à venir
présenter un mémoire au nom de l'organisme Le Réseau
d'action et d'information pour les femmes. Alors, bonsoir, madame. Bienvenue
à la commission.
Mme Dolment (Marcelle): Bonsoir.
Le Président (M. Paré): Vous pouvez nous
présenter votre mémoire, mais j'aimerais que vous nous
présentiez la personne qui vous accompagne, avant d'en faire la
lecture.
Mme Dolment: Oui. Nous devions être trois personnes. Judith
Sauvé, qui devait présenter le mémoire sur le projet de
loi sur les droits de la personne, est en examen actuellement, mais elle
était censée être ici à 22 heures. Elle va
peut-être venir compléter. Monique Beaulieu, qui est du
Réseau d'action et d'information pour les femmes, et Marcelle
Dolment.
Peut-être, en attendant que ma compagne arrive...
M. Bédard: Est-ce que vous vous sentiriez plus à
l'aise si nous entendions...
Mme Dolment: Non, non. Je pense bien qu'elle va arriver
sûrement.
M. Bédard: Non.
Mme Dolment: Vous voulez dire entendre les autres avant?
M. Bédard: Oui. Soyez bien à l'aise. On comprend
que vous puissiez...
Mme Dolment: D'accord. On va lui donner une chance d'arriver.
M. Bédard: Cela va.
Le Président (M. Paré): Nous pourrons vous entendre
à la suite de l'autre groupe que nous allons immédiatement
inviter à prendre place. Il s'agit de l'Institut de droit comparé
de l'Université McGill. Alors, bonsoir et bienvenue à la
commission. On s'excuse de l'heure tardive, mais vous avez vu qu'il y avait
plusieurs mémoires et beaucoup de discussions autour de la
présentation des mémoires. Je demanderais à la personne
qui va présenter le mémoire de s'identifier et de nous
présenter les personnes qui l'accompagnent.
Centre de droit privé et comparé du
Québec
M. Crépeau (Paul): M. le Président, M. le ministre,
mesdames et messieurs, je voudrais, tout d'abord, présenter ceux qui
m'accompagnent. À ma droite, Me Pierre Deschamps, qui est le
coordonnateur de nos projets de recherche en droit médico-hospitalier.
À ma gauche, Me Louise Lussier, qui est attachée de recherche au
Centre de droit privé de l'Université McGill, ainsi que Mme
Bartha Knoppers, qui est, à la faculté de droit de
l'Université McGill, chargée de l'enseignement du droit des
personnes et de la famille. Je suis Paul Crépeau, professeur à
l'Université McGill et directeur du centre.
Le mémoire que nous vous présentons, M. le
Président, est présenté à titre purement personnel.
Il ne représente que les vues personnelles de ses auteurs. Ce
mémoire se présente en deux parties. Dans une première
partie, il s'agit d'observations générales concernant le chapitre
troisième. Dans une deuxième partie, il s'agit de commentaires
particuliers portant sur l'article 1. Avec votre permission, nous voudrions
nous attarder à la deuxième partie du rapport, la première
partie comportant des suggestions concernant le style rédactionnel, le
style législatif. Il nous semble qu'il serait préférable
de nous attarder à la seconde partie, qui voudrait soulever des
questions reliées à des principes fondamentaux. Les questions que
nous voulons soulever concernent le respect de la personne humaine, le respect
de l'inviolabilité et de l'autonomie de la personne humaine, le
problème de la légalisation des atteintes à la personne
humaine et, enfin, le problème de la judiciarisation des conflits. Il
nous semble que ces questions, qui sont fondamentales et qui se
présentent dans ce que sera le premier livre du Code civil,
méritent toute l'attention possible et un examen très
sérieux. Nous pensons que ces principes représentent des valeurs
humaines dont on peut espérer qu'elles sont encore les valeurs
dominantes dans notre société et on peut souhaiter que le
législateur voudra bien en assurer la consécration
législative.
Comme ce mémoire a été rédigé par ce
groupe de chercheurs et que Me Pierre Deschamps en a été le
rapporteur et l'instigateur, je lui demanderais de bien vouloir vous
présenter les vues de notre groupe.
M. Deschamps (Pierre): M. le Président, M. le ministre,
Mme et MM. les députés, dans le mémoire que nous avons
l'honneur de vous soumettre, nous avons voulu faire une critique serrée
de certaines dispositions contenues au projet de loi 106 et ce, tant en ce qui
concerne la formulation de certains articles qu'en ce qui concerne les
politiques législatives qui en constituent en quelque sorte
l'infrastructure. Dans les observations que nous avons formulées
à l'égard de chacun des articles critiqués, nous avons
tenté de rattacher les dispositions du projet de loi 106 aux
dispositions législatives existantes afin de mieux faire ressortir les
différences de fond et de forme qui pouvaient exister. Si, à
certains moments, la critique a pu paraître vive, notre intention ne fut
à aucun moment de vilipender le projet de loi 106 mais, au contraire, de
proposer des améliorations aux textes contenus audit projet et, dans
certains cas, comme pour l'article 1, d'attirer l'attention des membres de
cette commission sur les conséquences de l'adoption de certains textes
dans leur formulation actuelle.
Pour enchaîner avec les divisions que Me Crépeau a soumises
à votre attention, j'aimerais, d'abord, faire quelques commentaires sur
le principe sous-jacent à la personnalité juridique. Dans les
commentaires que nous avons faits à propos de l'article 1, nous avons
tenté de démontrer que, tel que formulé, l'article 1
enfreignait certaines règles relevant de la logique. À ce propos,
nous nous référons à la première partie de nos
commentaires faits en rapport avec cet article. La rédaction de
l'article 1 pourrait certes être modifiée de façon à
faire disparaître la redondance qui l'affecte. En effet, dire que
l'être humain possède la personnalité juridique, c'est
affirmer du coup qu'il est sujet de droit. Il faut dès lors conclure
qu'il y a répétition indue de la même idée en
employant les deux expressions. Dans la mesure où l'on adhère aux
modifications proposées en rapport avec le moment d'acquisition de la
personnalité juridique, ne conviendrait-il pas mieux d'affirmer que
l'être humain a la personnalité juridique depuis sa naissance
jusqu'à sa mort ou encore que l'être humain est sujet de droit
depuis sa naissance jusqu'à sa mort?
Mais dire que l'être humain est sujet de droit depuis sa naissance
jusqu'à sa mort, c'est implicitement affirmer que l'être humain
qui se situe à l'extérieur des bornes chronologiques de la
naissance et de la mort n'est pas sujet de droit et n'a pas de
personnalité juridique. En conséquence, il s'avère
incorrect, au plan logique, d'affirmer, comme le fait la première
proposition de l'article 1, que l'être humain, à savoir tout
être humain, possède la personnalité juridique.
De fait, en raison de la formulation de l'article 1, ce ne sont pas tous
les êtres humains qui possèdent la personnalité juridique,
mais uniquement ceux qui sont nés et qui ne sont pas encore morts.
Ainsi, les êtres humains qui n'ont pas encore franchi le cap de la
naissance, tel le foetus humain, n'existent pas civilement selon le projet
de
loi no 106. Dans la foulée de l'article 1, ils ont un statut
équivalent à celui qu'avait l'esclave ou le prisonnier à
l'égard duquel on avait prononcé la mort civile. Leur
intégrité physique n'est nullement protégée par la
loi, ce qui n'est même pas le cas pour le cadavre humain.
À la suite de ces remarques, nous avons posé une question
qui nous semble être une question clé, à laquelle il
importe d'apporter une réponse précise. L'intégrité
du foetus humain, de l'enfant conçu, mais pas encore né ou, de
manière plus générale, du produit de la conception
humaine, ne devrait-elle pas être l'objet de protection tout comme celle
du cadavre humain? Dans le contexte biomédical actuel, qui permet la
conception d'êtres humains en dehors de l'organisme humain maternel et
qui, de plus, permet d'intervenir sur le foetus humain alors même qu'il
se trouve confiné à l'intérieur de l'utérus
maternel, il nous paraît nécessaire, raisonnable et opportun,
à défaut, de la part du législateur
québécois, de lui conférer, de plein droit, dès sa
conception, la personnalité juridique, d'établir, tout comme il
le fait pour le cadavre humain, des normes spécifiques en regard d'une
atteinte à son intégrité. Cette intervention
législative pourrait se traduire par l'ajout de l'alinéa suivant
à l'article 11 du projet de loi: On ne peut porter atteinte à
l'intégrité d'un être humain avant sa naissance que dans la
mesure prévue par la loi.
L'article 1 du projet de loi no 106 a pour effet de nier au foetus toute
personnalité juridique tant et aussi longtemps qu'il n'est pas
né. En fait, il le prive, à toutes fins utiles, de toute
protection juridique. Jusqu'en 1971, le droit civil québécois
considérait la naissance comme le moment d'acquisition et le point de
départ de la personnalité juridique, et considérait,
d'autre part, par le biais d'une fiction juridique, que le foetus, dans le
ventre de sa mère, devait être considéré comme
étant déjà né toutes les fois que son
intérêt l'exigeait.
Toutefois, en 1971, le législateur québécois devait
reconnaître à tout être humain la personnalité
juridique en adoptant l'article 18 du Code civil actuel et ce, quel que soit
son stade de développement. Le projet de loi actuel, nous le disons en
toute déférence et bien humblement, ne codifie pas le droit civil
actuel dans la mesure où seul l'être humain qui est né se
voit reconnaître la personnalité juridique.
Pour notre part, nous croyons que l'être humain, quel que soit son
stade de développement, mérite la protection de la loi et
qu'aucune discrimination ne devrait être faite à cet égard
par le législateur. Celui-ci demeure, d'ailleurs, toujours libre de
décider si dans certaines circonstances, telles que dans les cas
où la continuation d'une grossesse compromet la vie ou la santé
de la mère, il ne convient pas de faire échec au droit à
la vie d'un être humain avant sa naissance ou encore s'il convient
d'obliger une femme enceinte à se soumettre à une cure de
désintoxication dans la mesure où son problème
d'alcoolisme compromet l'intégrité physique du foetus.
Pour terminer cette première série de commentaires, je
voudrais attirer également votre attention sur un problème qui a
été débattu aujourd'hui en ce qui concerne la
viabilité comme condition d'acquisition de la personnalité
juridique. Il nous semble qu'en droit civil la viabilité ne doit plus
être considérée comme une condition d'acquisition de la
personnalité juridique. La raison concerne principalement les
nouveaux-nés qui naissent avec certaines malformations importantes. Ces
enfants, dans plusieurs cas, sont considérés par la
médecine ou par les médecins qui ont à se pencher sur leur
cas comme des enfants non viables. (22 h 15)
Or, il y a un grave danger, s'il fallait reconnaître la
viabilité comme une condition d'acquisition de la personnalité
juridique, que, par le biais d'un certain raisonnement, on en vienne à
dire que ces enfants ne sont pas doués de personnalité juridique,
même s'ils sont nés. Cela pourrait laisser une ouverture à
des situations qu'on a retrouvées dans certaines juridictions où
on laissait des enfants mourir et même, dans certains cas, on les tuait
d'une façon positive et active, en ce sens que, étant
considérés comme non viables et, partant, comme n'ayant pas la
personnalité juridique, ces enfants pouvaient être
considérés non pas comme des personnes humaines, mais comme des
êtres dépourvus de la protection de la loi. Nous pensons que
même un être qui n'est pas viable mérite la protection de la
loi et est créancier d'une obligation de soins qui ne sera pas
nécessairement une obligation de recevoir des soins intensifs, mais,
à tout le moins, des soins palliatifs. Même si nous n'en avons pas
fait mention dans notre mémoire, nous croyons opportun de dire à
nouveau que la viabilité dans notre droit civil ne devrait plus
constituer une condition d'acquisition de la personnalité juridique.
Je passe maintenant à une seconde série de commentaires
concernant l'autonomie de la personne humaine. En ce qui concerne l'autonomie
de la personne humaine dans les décisions relatives aux atteintes
à son intégrité physique, nous aimerions regrouper nos
commentaires en quatre points. D'abord, le refus d'un majeur doué de
discernement de recevoir des soins exigés par son état de
santé. Dans le contexte social actuel, il nous semble que le
législateur devrait reconnaître explicitement et formellement le
droit de tout majeur doué
de discernement de refuser de subir un examen, un traitement ou une
intervention chirurgicale, quels qu'ils soient. De manière
générale, au sein de notre société, on
considère que la personne humaine majeure, lucide et saine d'esprit
devrait être en mesure de déterminer ce qu'il adviendra de sa
personne. S'il est impérieux pour le législateur de le
reconnaître formellement, c'est que présentement, dans la
pratique, on fait échec à ce droit. À titre d'exemple
-j'aimerais attirer votre attention sur ce point - au niveau de la
jurisprudence québécoise, il existe très peu de
décisions qui ont été inscrites dans les rapports
judiciaires concernant le refus d'un patient de recevoir certains traitements.
La raison est bien simple, c'est que généralement une
requête est présentée devant un juge de la Cour
supérieure et le jugement est dans le sens que la requête est
accueillie suivant ses conclusions, de sorte que la connaissance des
événements est très rarement portée à
l'attention des médias d'information ou même de la
communauté juridique.
J'aimerais attirer votre attention sur une décision qui a
été rendue en 1980 et où l'on s'est basé sur
l'article 20 du Code de procédure civile, qui est un article qui ne
crée pas, en fait, un droit, mais qui permet d'exercer un droit. C'est
le cas d'une dame de 86 ans qui avait été admise à
l'hôpital avec des saignements intestinaux; on l'a contrainte à
recevoir une transfusion sanguine afin de lui sauver la vie, malgré le
fait qu'elle eût signé et rédigé un refus de
traitement. C'était clair qu'elle savait ce qu'elle faisait. Elle se
référait à ses convictions de Témoin de
Jéhovah. Malgré ce fait, l'hôpital a cru bon de s'adresser
à un juge de la Cour supérieure pour la forcer à recevoir
une transfusion sanguine. On peut se demander sur quoi le tribunal a pu se
baser, en quelque sorte, pour autoriser un tel traitement.
Il nous semble que les tribunaux ont tendance - une tendance qui est
bonne ou qui est mauvaise, mais, quant à nous, on devrait respecter
l'autonomie de la personne humaine - à autoriser des traitements qui
sont contre le gré de certaines personnes qui ont pris une
décision libre et éclairée. Ce cas-là, qui est le
seul qui existe, je pense, dans la jurisprudence québécoise,
illustre, quant à nous, la nécessité pour le
législateur de préciser qu'on doit reconnaître au majeur
qui est doué de discernement, qui a un comportement raisonnable et
lucide, le droit de refuser des traitements, même si la
conséquence est son décès.
Sur ce point, nous avons fait une recommandation à l'article 12,
à savoir que "le refus d'un majeur, doué de discernement, de se
soumettre à un examen, à un traitement ou à une
intervention chirurgicale doit être respecté, sauf dans les cas
expressément prévus par la loi", de sorte que ce serait au
législateur de définir les cas et non pas aux tribunaux.
Le second point porte sur le refus d'un mineur doué de
discernement de recevoir des soins exigés par son état de
santé. En ce qui concerne le mineur doué de discernement, on peut
comprendre que le législateur québécois hésite ou,
voire, refuse de lui accorder pleine autonomie ou souveraineté en ce qui
concerne la faculté de refuser de se soumettre à des soins requis
par son état de santé. Toutefois, il nous semble opportun, comme
le fait le projet de loi no 106, de faire en sorte qu'en cas de tel refus le
tribunal soit saisi de la question et que les parents ne soient pas
autorisés à passer outre à son refus. Encore pour
illustrer la pertinence de notre propos, nous aimerions citer le cas qui s'est
présenté récemment dans un hôpital pour enfants de
Montréal. À une jeune fille de seize ans, on avait établi
un diagnostic d'ostéosarcome au niveau de la joue; la seule solution
afin de lui sauver la vie et d'arrêter la progression de
l'ostéosarcome, c'était de lui enlever les dents, une partie du
palais, la joue et l'oeil. L'enfant a été confrontée, les
médecins lui ont expliqué ce qu'il s'agissait de faire dans un
cas comme cela; on lui a tout expliqué en détail et, finalement,
l'enfant a refusé de se soumettre au traitement. Elle a quitté
l'hôpital et les médecins ont respecté, dans ce cas, son
refus.
On peut se demander: Que serait-il advenu si les parents avaient
décidé de faire opérer leur jeune fille et que
possiblement les médecins avaient été d'accord avec cela?
Je pense qu'on aurait peut-être causé un drame terrible en la
forçant à se soumettre à une telle intervention sans qu'il
y ait possibilité pour un tiers, à savoir le tribunal, de tenter
de voir ce qui était dans le meilleur intérêt de l'enfant.
Dans ce sens, le projet de loi no 106 reconnaît cette règle et je
pense que c'est une bonne façon de légiférer.
Maintenant, en ce qui concerne le refus des parents d'autoriser un
traitement, le législateur doit maintenir la possibilité d'en
référer au tribunal lorsque le refus n'est pas justifié
par l'intérêt de l'enfant. Tous ont en mémoire la
célèbre affaire Dawson en Colombie britannique.
Au Québec, on a connu une affaire Dawson, il y a de cela quelques
années. Étant donné le fait que le problème avait
été soumis à un juge dans son cabinet, que la
requête a été accordée suivant ses conclusions,
c'est un cas qui n'a jamais fait la manchette des journaux et qui n'a jamais
été porté à l'attention de la communauté
juridique. Toutefois, il importe de signaler que, dans ce cas, tout
s'était déroulé hors de la connaissance des parents. Alors
qu'ils étaient à l'hôpital les procureurs de
l'hôpital
se sont présentés devant un juge, on a fait des
représentations au juge sur la base d'une requête en
décrivant certaines malformations qu'avait l'enfant, mais en en oubliant
un certain nombre d'autres. Les parents n'ont jamais été
appelés pour donner leur point de vue, pour s'expliquer, de sorte qu'on
a autorisé le traitement et les parents se sont trouvés devant un
fait accompli. En ce sens, nous pensons que le projet de loi, à bon
droit, devrait maintenir la règle de l'audition des parents ou des
parties intéressées et même des enfants lorsque c'est
nécessaire, lorsqu'ils sont présents, de les entendre devant le
tribunal.
Le quatrième point concerne le refus d'un mineur doué de
discernement de subir un prélèvement organique pour fins de
transplantation sur un tiers. Le projet de loi no 106 a pour effet de
conférer aux parents d'un mineur doué de discernement le pouvoir
d'autoriser un prélèvement organique. Le consentement du mineur,
suivant la formulation de l'article 18, ne serait plus requis. Dans ce
contexte, il nous apparaît important de reconnaître
spécifiquement au mineur doué de discernement, quelle que soit la
nature du risque, le pouvoir de refuser de se soumettre à un tel
prélèvement comme le fait, en fait, la législation
française.
Maintenant, j'aimerais aborder très brièvement notre
troisième point, qui consiste en la légalisation de certaines
atteintes à l'intégrité physique. Le projet de loi no 106
a pour effet de rendre les expérimentations sur des personnes non
douées de discernement illicites en quelque sorte. Ces
expérimentations seraient prohibées. Nous pensons que c'est une
saine politique législative. En fait, l'expérimentation pourrait
être possible sur des mineurs doués de discernement, encore qu'il
faudrait peut-être préciser davantage les règles qui
pourraient permettre de telles expérimentations.
Maintenant, en ce qui concerne les prélèvements ou ce
qu'on appelle, dans le jargon juridique, "les aliénations entre vifs
d'une partie du corps" qui entraînent nécessairement un
prélèvement de substance organique, si, en ce qui concerne le
majeur doué de discernement, l'article du projet de loi no 106 relatif
aux aliénations entre vifs ne pose pas de problème de fond, il en
est tout autrement en ce qui concerne les mineurs, doués ou non de
discernement.
Actuellement, le Code civil, en son article 20, reconnaît comme
étant illicites les prélèvements organiques faits sur un
mineur doué de discernement, dans la mesure où certaines
conditions de fond et de forme sont respectées. Par ailleurs, il appert
que le prélèvement fait sur un mineur non doué de
discernement, dans la mesure où aucune disposition ne l'autorise
expressément, doit être tenu pour illicite. C'est la position que
prend la doctrine lorsqu'elle affirme que de tels prélèvements,
théoriquement, ne sont pas possibles. Il appert, toutefois, que,
même s'ils sont théoriquement prohibés par la loi, certains
prélèvements, notamment de moelle osseuse afin de transplanter la
moelle chez un patient qui est atteint de leucémie notamment, sont
néanmoins effectués et ce, avec l'assentiment judiciaire.
Une recherche effectuée au palais de justice de Montréal
et qui a donné lieu à une publication dans Le médecin du
Québec, dont le titre est Aspect juridique de la transplantation de
moelle osseuse, nous a permis de retracer des cas où un juge de la Cour
supérieure a autorisé un prélèvement sur des
enfants âgés de 2 1/2 ans et 3 1/2 ans. Il est pour le moins
douteux que ces enfants aient été doués de discernement et
qu'ils aient pu consentir par écrit, comme l'exige le Code civil dans sa
forme actuelle. Dans la mesure où il s'avère que des juges sont
prêts à ne pas sanctionner le droit, on peut se demander si les
règles de droit actuelles sont encore adéquates et se demander
également si le législateur, à certaines conditions
clairement définies, ne devrait pas rendre licites les
prélèvements de substances organiques chez les personnes non
douées de discernement.
À notre avis, il convient de rendre licites les
prélèvements organiques faits sur la personne d'un mineur ou d'un
majeur non doué de discernement. Il faut, dans ces cas, exercer un
meilleur contrôle sur les situations et les décisions. Nous
pensons que, en se référant au tribunal, ce contrôle qui
vise à assurer la protection des intérêts des personnes en
cause est assuré. Par ailleurs, dans la mesure où le
législateur fait disparaître l'exigence du consentement personnel
du mineur doué de discernement, les parents, étant alors
appelés à donner le consentement requis par la loi, il convient
de lui reconnaître la faculté de pouvoir refuser de se soumettre
à un tel prélèvement.
En ce qui concerne la judiciarisation des contrôles, je serai
bref, quitte à laisser l'occasion à Me Crépeau
d'expliciter davantage ce point. Compte tenu de l'importance des
décisions prises à leur égard, il nous paraît
opportun d'assurer à certaines personnes mineures ou majeures non
douées de discernement une protection adéquate en rapport avec
certaines atteintes à leur intégrité physique et de faire
intervenir le pouvoir judiciaire. (22 h 30)
Toutefois, il faudrait souligner qu'il faudrait transformer en ces
matières l'administration de la justice. Dans l'immédiat, les
juges qui sont saisis de tels litiges ne sont pas toujours
préparés à y faire face. Ainsi, le juge peut être
appelé, à 14 heures, à décider, dans son cabinet,
d'une saisie avant jugement et, quelques instants après, à
décider d'un prélèvement de moelle
osseuse sur la personne d'un mineur.
Il faudrait humaniser la justice en ces matières. Si l'on
confère au tribunal un plus grand rôle - et c'est ce que nous
souhaitons - il faut d'une manière corollaire faire en sorte qu'il
puisse le faire dans un climat plus humain. L'article 21 du projet de loi a
tenté d'améliorer ce climat et nous pensons qu'il doit être
maintenu et que le recours au tribunal, loin de faire peur aux contribuables ou
aux personnes, devrait au contraire, si certaines modifications sont
apportées à l'humanisation de la justice, être
sanctionné. Merci.
Le Président (M. Paré): Merci beaucoup pour la
présentation de votre mémoire. J'inviterais maintenant M. le
ministre à faire ses commentaires et à poser des questions.
M. Bédard: M. le Président, je pense que nous
sommes très gâtés d'avoir la possibilité d'entendre
M. Crépeau à l'occasion des travaux de cette commission. Je
comprends que l'heure est tardive au moment où ce mémoire est
entendu. Maintenant, je voudrais quand même mentionner que, si nous
n'avons pu entendre M. Crépeau qu'à une heure tardive, nous avons
en cela un peu respecté la volonté de M. Crépeau qui avait
certaines occupations de telle sorte qu'il ne pouvait assurer les membres de la
commission d'être libéré avant 18 heures afin d'être
entendu par la commission. Je crois que nous devons profiter de l'occasion, au
nom des membres de la commission, je dirais plus, au nom de toute la
communauté juridique, pour exprimer non seulement le plaisir, mais
l'avantage que la commission a de pouvoir profiter de l'expérience de ce
dernier.
J'aimerais rendre un hommage particulier à M. Crépeau pour
la contribution énorme qu'il a apportée à
l'évolution du droit québécois de par les
responsabilités qu'il assumait à l'Office de révision du
Code civil. Connaissant sa modestie, je n'irai pas plus loin dans mes
commentaires sur ce point, mais je crois qu'il est important de mentionner,
quand même, que c'est toute la communauté juridique
québécoise et, je dirais, toute la population du Québec
qui ne peut qu'être redevable à M. Crépeau pour sa
contribution à l'évolution du droit, parce que le Code civil,
comme on l'a dit - et nous sommes à même de le constater tous les
jours par l'audition des groupes sur le projet de loi en question - est
vraiment la loi fondamentale de la société
québécoise. Nous sommes à même de constater
jusqu'à quel point cela touche tous les Québécois et
Québécoises dans l'exercice de leurs droits de tous les
jours.
Je remercie également ceux et celles qui accompagnent M.
Crépeau, les membres de l'Institut de droit comparé de
l'Université
McGill. On peut dire qu'ils ne sont pas les moins choyés d'avoir
comme directeur celui que je viens de mentionner tout à l'heure. Je sais
bien que la première tentation serait de profiter - je dis bien profiter
- de l'expérience des membres de ce groupe qui nous visite pour aborder
beaucoup de sujets. Nous allons quand même nous limiter, M. le
Président, à un point auquel le mémoire porte une
attention particulière, à savoir la protection du foetus. Nous
avons déjà eu l'occasion de poser la même question à
des groupes qui vous ont précédés et qui avaient des
représentations dans le même sens que celles de ce mémoire,
concernant la protection de l'enfant dès sa conception. Je voudrais vous
fournir l'occasion de nous dire comment vous conciliez cette demande de
protection de l'enfant dès sa conception avec la demande d'assurer le
caractère d'inviolabilité de la personne et qu'on ne puisse
aucunement passer outre à son refus de traitement, par exemple. Ne
croyez-vous pas, mise à part la question de l'avortement qui, je crois,
est réglée par le Code criminel, que les droits extrapatrimoniaux
ainsi consentis à l'enfant non encore né risquent quand
même - vous l'avez dit, d'ailleurs - d'entrer en conflit avec ceux de la
mère? La Commission des droits de la personne a parlé d'un
régime juridique qui toucherait d'une façon spécifique les
droits extrapatrimoniaux. Iriez-vous jusque-là? Ou encore, quels
seraient les droits extrapatrimoniaux fondamentaux que vous pourriez identifier
et qui devraient peut-être être traités par le Code civil ou
par une loi spécifique, d'une façon tout à fait
particulière?
M. Crépeau: Sur ce plan, M. le ministre, il nous semble -
et nous l'avons dit dans notre mémoire - qu'il y a là une
question de valeurs fondamentales. Il me semble que le législateur,
notamment par la rédaction de l'article 1 qu'il a proposé dans le
projet de loi 106, exprime les valeurs qu'il entend consacrer et les valeurs,
c'est une chose qui se discute. C'est une chose qui, dans une
société démocratique, doit faire l'objet soit d'un
consensus ou soit, à un moment donné, d'une majorité et il
appartient au législateur de trancher. Il nous semble, à nous,
qu'en 1971 le législateur québécois, à l'article 18
du Code civil -expression qu'il a reprise dans la Charte des droits et
libertés de la personne - a tranché. Il a dit très
simplement que l'être humain possède la personnalité
juridique.
Je me permets de rappeler que cet article 18 est le résultat
d'une recommandation qu'avait proposée le comité du droit des
personnes de l'Office de révision du Code civil qui était
présidé par le professeur Frank Scott et dont faisaient partie M.
le professeur Jacques-Yvan Morin,
le professeur Jean Beetz, maintenant de la Cour suprême, et le
professeur Gerald Le Dain, maintenant juge à la Cour
fédérale. Le comité a proposé cette phrase
très simple, très courte, très précise et
très concise, et le législateur l'a adoptée. En adoptant
ce texte, il a adopté le concept de la personnalité juridique.
Or, qui dit personne dit l'ensemble des droits civils de la personne. Quand on
est une personne humaine, on a droit à la vie, on a droit à la
liberté, on a droit à la sûreté de sa personne, on a
droit, en quelque sorte, à tous les droits extrapatrimoniaux, de
même qu'aux droits patrimoniaux qu'englobe cette notion de personne.
Alors, en 1971, le législateur a tranché.
Maintenant, dans ce premier article du projet de loi 106, nous estimons
que le législateur fait marche arrière parce que, tout en
admettant, dans une première phrase, que l'être humain a la
personnalité juridique, donc que tout être humain a la
personnalité juridique, il vient, dans une seconde phrase, nous dire
que, tout en ayant la personnalité juridique, il n'est sujet de droit
que de la naissance au décès. En toute déférence,
il y a là une contradiction interne inadmissible. Comme nous l'avons
préconisé dans notre mémoire, il conviendrait de revenir
à la solution adoptée par le législateur en 1971; cela
voudrait dire, tout simplement, que l'enfant conçu, dès la
conception, possède la personnalité juridique. Tant et aussi
longtemps qu'il est dans le sein maternel, il a droit, comme tout autre
être humain, aux droits qui sont accordés à la
personne.
Bien sûr, depuis des siècles, nous savons que se posait le
problème de ce qui devait arriver à l'enfant, lorsqu'il arrivait
mort-né ou qu'il arrivait, au moment de la naissance, non viable. On
sait qu'au fond, pour éliminer des problèmes très concrets
de double succession, on a inventé cette notion de viabilité,
que, si l'enfant est mort-né ou s'il naît non viable et qu'il
meurt, alors il sera réputé comme s'il n'avait jamais
existé. Mais il nous semble qu'on a donné, en quelque sorte,
à cette notion, un aspect secondaire par l'introduction en 1971 de cet
article 18. Alors, il faut en tirer les conséquences. Les
conséquences sont que nous sommes dans une situation extrêmement
difficile où il y a la mère, qui est une personne humaine qui a
droit, elle aussi, comme toute autre personne, à l'ensemble des droits
qui lui sont accordés par la charte, mais, que voulez-vous, elle porte
en elle un être qui est aussi un être humain et qui, lui aussi, a
droit à l'ensemble des prérogatives qui sont accordées aux
êtres humains dans la charte. Alors, se pose le problème du
conflit.
Bien sûr, nous reconnaissons volontiers que - vous l'avez
mentionné, M. le ministre - se pose le problème de l'avortement.
Mais il est bien entendu, comme l'a estimé le législateur
fédéral, qu'il y a des cas où l'avortement devient un mal
nécessaire et qu'il faut supprimer l'enfant parce qu'il porte atteinte
à la vie et/ou à la santé de sa mère. Mais dans
d'autres cas où il n'y a pas d'atteinte, dans le cas, par exemple, que
vous avez mentionné où une mère refuserait les soins, eh
bien, dans la mesure où elle n'est pas enceinte, nous l'avons dit, elle
a droit de les refuser, respectant le principe de l'autonomie de la
volonté. Mais nous estimons que, lorsqu'elle porte un enfant, elle n'a
pas le droit d'entraîner avec elle dans la mort un être qui a le
droit à la vie et à la sûreté. Alors, que
voulez-vous, nous en arrivons à la conclusion que, dans un cas comme
celui-là, il faudrait pouvoir imposer à la mère un
traitement qui puisse sauver l'enfant.
M. Bédard: Autrement dit, c'est plus que
l'égalité que vous réclamez pour le foetus; c'est la
primauté du foetus.
M. Crépeau: Je ne le crois pas, M. le ministre. (22 h
45)
M. Bédard: Quand vous nous dites que les deux personnes
ont tous les droits, elles ont donc le droit de les exercer. Qui tranche? Vous
nous dites qu'on devrait pouvoir imposer à une femme l'obligation de
recevoir des traitements lorsqu'elle est enceinte et, à un moment
donné, vous dites qu'une personne doit avoir le droit de refuser des
traitements lorsque d'autres vies ne sont pas en cause. À ce
moment-là - je ne veux pas porter un jugement de valeur, j'essaie
d'aller au fond des choses avec vous - c'est plus que l'égalité,
c'est la primauté du foetus que vous réclamez.
M. Crépeau: En toute déférence, M. le
ministre, je ne le crois pas, parce que, quand il s'agit d'accorder à
une personne, quelle qu'elle soit, homme ou femme, le droit de refuser un
traitement, c'est qu'il y va de son intérêt personnel. Lorsque la
mère porte un enfant, il faut reconnaître l'idée qu'il y a
deux êtres humains qui sont égaux en droit, qui ont tous les deux
le droit à la vie et à la santé. Mais si la mère,
dans l'exercice de ce qu'elle croit être sa liberté et son
autonomie, estime devoir refuser des soins, ce qui, par le fait même,
entraîne l'enfant dans la mort, nous pensons que le législateur
pourrait autoriser un traitement obligatoire. Ce n'est pas la fin du monde, M.
le ministre.
M. Bédard: Je n'ai jamais dit que c'était la fin du
monde. On essaie de concilier des principes.
M. Crépeau: Non, non. Ce que je veux dire, simplement,
c'est que cette notion de
traitements imposés n'est pas inconnue dans notre
législation. Il y a des textes législatifs du Québec qui
imposent dans certains cas -dans les cas, par exemple, de maladies à
déclaration obligatoire - des traitements obligatoires. C'est une chose
qui est parfaitement reconnue et le fait d'imposer à la mère,
dans le but de sauver l'enfant, un traitement qui pourrait sauver l'enfant
n'est pas une notion farfelue qui serait de nature à porter atteinte
à la personnalité ou aux droits de la mère.
M. Deschamps: Si vous me permettez d'ajouter à cela, ce
qui est, je pense, exprimé par M. Crépeau, c'est qu'il faudrait,
au niveau des accommodements législatifs, si jamais il fallait imposer
un traitement à la mère dans certaines circonstances, que le
législateur le décide. Ce ne serait pas quelque chose qui
pourrait être laissé au libre arbitre d'un tribunal. Il s'agit
là d'une décision politique, d'une décision
législative. Je pense que, pour comprendre vraiment l'ampleur ou le
plein sens de l'article 1, il faut également lire l'article 11 et
peut-être se référer également à l'article 18
du Code civil, en ce sens que nul ne peut porter atteinte à la personne
d'autrui - en supposant que le foetus est un autrui - sans son consentement -
évidemment, le foetus ne peut pas consentir - ou sans y être
autorisé par la loi. Donc, dans la mesure où le
législateur, dans une autre loi, forcerait une personne qui porte en son
sein un enfant à subir des traitements, je pense qu'il s'agit là
d'une décision législative et que ce n'est pas en ajoutant un
deuxième membre de phrase à l'article 1 que l'on va
résoudre véritablement le problème.
M. Leduc (Saint-Laurent): Je pense que Me Crépeau a
raison. En fait, il faut faire un choix. Si je regarde l'article 1, j'ai
nettement l'impression, en fait, qu'on a fait un choix, tel qu'il est
rédigé. On dit: "II est sujet de droit depuis sa naissance
jusqu'à sa mort." C'est donc qu'avant sa naissance on lui nie des
droits. À mon sens, le choix a été fait. Tel qu'il est
rédigé, en fait, on doit reconnaître qu'avant, il n'a pas
de droits. Est-ce que votre suggestion serait de reconnaître qu'il a des
droits, qu'il est sujet de droit depuis sa conception jusqu'à sa mort?
Si on veut donner des droits à l'enfant, je pense qu'il faut
certainement indiquer qu'il va avoir des droits depuis la conception. Est-ce
que vous seriez d'accord?
M. Crépeau: Je crois, monsieur, qu'il faut faire le choix
que vous venez de suggérer. Je dois vous dire, et je le dis en toute
déférence, que le choix a été fait, me semble-t-il,
à l'article 1, mais on n'y trouve pas la cohérence à
laquelle on devrait s'attendre. Parce que, à partir du moment où
vous insérez la deuxième phrase de l'article 1, vous niez tout
droit extrapatrimonial à l'enfant conçu. Mais comment peut-on,
d'un côté, à l'article 1, nier, dans la deuxième
phrase, la qualité de sujet de droit à un enfant et, à
l'article 123 de la même loi, donner à l'enfant - le mot "enfant",
ce n'est pas une chose, c'est un enfant - un curateur qui ne se charge que de
ses intérêts patrimoniaux? Il y a quelque chose qui ne va pas. Non
seulement cela, M. le Président, mais, à l'article 664 du projet
de loi no 107, vous reconnaissez à l'enfant conçu, qui n'est pas
encore né, un droit de succession. Comment peut-on reconnaître un
droit successoral à quelqu'un qui, à l'article 1, n'est
même pas sujet de droit?
Je veux bien que, sur le plan des valeurs, le gouvernement actuel prenne
la responsabilité de dire qu'un enfant conçu n'est pas un
être humain ou, s'il est un être humain, n'est pas sujet de droit,
mais, au moins, il faut accepter les conséquences que cette prise de
position entraîne.
M. Leduc (Saint-Laurent): Quelle serait votre suggestion pour la
rédaction de l'article 1? Vous avez mentionné que l'être
humain possède peut-être la personnalité juridique.
Iriez-vous plus loin que cela?
M. Crépeau: Pour ma part, monsieur, si on l'estimait
nécessaire, vu que, déjà, l'article 1 a été
inséré tel quel, donnant ainsi l'impression que le
législateur a voulu prendre une position, qu'il a prise, on pourrait
peut-être mettre les points sur les "i" et dire que l'être humain
possède la personnalité juridique depuis la conception jusqu'au
décès. Ce serait là trancher de façon très
précise, de façon très nette, de façon très
concise le problème. Mais, à partir du moment où vous
dites que l'être humain possède la personnalité juridique,
vous avez tranché le débat, et il est tranché actuellement
par l'article 18 et par le deuxième alinéa de l'article 1 de la
Charte des droits et libertés de la personne. Pourquoi changer? Si on a
voulu faire un changement fondamental au plan des valeurs humaines, nous
respectons ce choix, mais qu'on soit conséquent.
M. Bédard: Vous avez mentionné tout à
l'heure qu'il y avait dans notre droit des cas de traitements obligatoires et
vous avez référé à la Loi sur la protection de la
santé publique. Les maladies dont on y parle sont des maladies
spécifiques. Quand même, on parle des maladies
vénériennes, on parle des maladies contagieuses. Est-ce
exact?
M. Crépeau: C'est cela, M. le ministre. Dans la
réglementation de la loi, qu'on pourra vérifier, il y a un
certain nombre d'affections que l'on estime devoir faire
l'objet soit d'une déclaration, soit d'un traitement obligatoire.
Il ne s'agit pas de faire l'analogie et de dire qu'on est en présence du
même cas, mais ce que j'ai voulu dire, c'est que l'idée d'un
traitement obligatoire n'est pas une chose exceptionnelle au point de dire que
ce serait contraire à nos traditions. Cela existe.
M. Leduc (Saint-Laurent): Quand vous mentionnez, à
l'article 12, que "le refus d'un majeur, doué de discernement, de se
soumettre à un examen, à un traitement ou à une
intervention chirurgicale doit être respecté", c'est très
clair. Mais vous ajoutez ensuite: "sauf dans les cas expressément
prévus par la loi. Quels sont ces cas? En avez-vous?
M. Crépeau: Par exemple, je vous donne un cas qui pourrait
éventuellement se poser: un cataclysme, une situation d'une telle
urgence que le législateur, dans l'examen de la situation, estimerait,
pour éviter, par exemple, la contamination d'une population, pour
éviter la propagation de maladies, qu'il faille imposer un traitement.
Nous estimons qu'au plan des valeurs, c'est une chose qui pourrait être
parfaitement possible.
Ce que nous demandons au législateur, c'est de préciser
les cas où un traitement serait obligatoire. Il me semble que ce ne
serait pas exagéré pour le législateur, dans un certain
nombre de cas, par exemple, des cas de maladies vénériennes ou
des infections qui pourraient se propager, d'imposer un traitement aux
personnes. De tout temps, dans des cas d'épidémie, on a
imposé des restrictions à la liberté des personnes. Le
législateur pourrait très bien le faire. Ce que nous disons,
c'est que ce soit dans des cas expressément prévus par la loi.
Nous estimons que le principe de l'autonomie de la personne humaine,
douée de discernement, capable de décider de son sort, devrait
être respecté. Si le législateur estime que, dans des cas
particuliers il y va du salut public ou de la santé publique d'une
société d'intervenir, qu'il le fasse, mais qu'il le dise.
M. Bédard: M. Crépeau, pourriez-vous nous dire s'il
y a des jugements qui sont intervenus et qui reconnaissent expressément
la personnalité juridique du foetus?
M. Crépeau: Immédiatement, M. le ministre, on pense
à l'affaire Léveillée de 1933, de la Cour suprême du
Canada. C'est la première décision qui vient à l'esprit
où la Cour suprême, notamment, dans les notes de l'honorable juge
Lamont, a voulu reconnaître que cette fiction, qui nous vient du droit
romain, de l'infans conceptus devait être reconnue et qu'il fallait lui
donner sa pleine application non seulement pour des questions patrimoniales,
mais également pour la reconnaissance des droits extrapatrimoniaux,
notamment le droit à la vie et à la sécurité.
Je dois vous dire, par ailleurs, M. le ministre - l'objectivité
me l'impose - que nous avons une décision - Langlois contre Meunier -
où un juge de la Cour supérieure, aujourd'hui de la Cour d'appel,
nous dit que l'enfant conçu n'est ni une personne, ni une chose. Or, en
droit civil, il n'y a pas de limbes; on est une personne ou on est une chose.
On ne peut pas être rien. C'est très regrettable que nous ayons
une décision comme celle-là où on vient en quelque sorte,
sur un plan philosophique, affirmer qu'un enfant conçu, qui n'est pas
encore né, n'est ni une personne, ni une chose.
M. Bédard: Dans vos travaux juridiques, vous avez eu
l'occasion d'examiner la jurisprudence d'autres pays, concernant ce même
problème. Pourriez-vous nous dire si, dans d'autres pays, il y a une
jurisprudence établie qui reconnaît la personnalité
juridique au foetus?
M. Crépeau: Je n'oserais pas vous répondre comme
cela, M. le ministre, mais, si vous le souhaitez, c'est avec grand plaisir que
nous vous fournirons un mémoire comportant une analyse
détaillée de la jurisprudence comparative dans ce domaine.
M. Bédard: D'accord.
M. Leduc (Saint-Laurent): Vous dites: À l'article 1, on
pourrait retenir seulement la première phrase: "L'être humain
possède la personnalité juridique". Est-ce que vous ne craignez
pas, si on ne qualifie pas, si on n'ajoute pas par la deuxième phrase la
période pendant laquelle il aura la personnalité juridique, sera
sujet de droit, qu'on ait peut-être d'autres jugements disant que ce
n'est ni une personne, ni une chose?
M. Crépeau: Sur ce plan, on est toujours porté
à reprendre le mot de Talleyrand au congrès de Vienne lorsqu'on
lui fit une proposition et il a répondu: Cela va sans dire. Mais
Talleyrand ajoutait: Cela va sans dire, certes, mais cela va mieux et ira mieux
en le disant. Si le législateur estime qu'en ne formulant pas le
principe du respect de la personnalité humaine, quel que soit le stade
de développement de l'être humain, cela pourrait être
interprété limitativement, je pense que la meilleure solution est
de trancher, alors vraiment, le débat et de dire: L'être humain
possède la personnalité juridique depuis la conception
jusqu'à son décès.
M. Bédard: La commission des services juridiques, au nom
du droit de mourir dans la
dignité, dans la liberté, nous a dit très
expressément qu'elle reconnaissait le droit au suicide. Quels sont vos
commentaires là-dessus? Est-ce que vous abondez dans le même
sens?
M. Crépeau: II faut s'entendre, M. le ministre. Au Canada,
il n'est pas défendu de s'enlever la vie. Dire qu'on a le droit au
suicide, c'est peut-être un peu fort. Je pense qu'on peut au moins dire
qu'on a la liberté de se suicider et ce n'est plus un acte criminel.
D'autant plus que, quand on réussit, il n'en est plus question. Mais, il
peut y avoir ce qu'on peut appeler des actes qui portent atteinte à sa
propre vie et dans la mesure où une personne, librement, consciemment,
dans l'exercice de son autonomie, décide de mettre fin à sa vie
ou décide de se laisser mourir, je pense qu'il y a là une
question de valeur fondamentale et, dans notre droit, cette valeur, nous
semble-t-il, doit être respectée. Cela entraîne bien
sûr, M. le ministre, des situations pénibles.
M. Bédard: Oui. Alors, moi, je vous pose le dilemme
suivant. Disons qu'une femme est enceinte et qu'elle désire mettre fin
à ses jours. Quel droit doit primer?
M. Crépeau: Pour moi, dans ce cas, M. le ministre, il faut
séparer, à mon avis, très clairement le problème de
la femme qui n'est pas enceinte et qui désire mettre fin à ses
jours.
M. Bédard: Oui, d'ailleurs, je ne vous pose pas l'autre
question. Vous y avez répondu tout à l'heure. Je crois que votre
réponse valait autant pour l'homme que pour la femme. J'en viens au
deuxième exemple.
M. Crépeau: Lorsqu'elle est enceinte, nous avons
essayé de montrer tout à l'heure que se pose le conflit et qu'il
nous semble que, lorsqu'une mère porte un enfant, elle a une
responsabilité additionnelle et que, selon nous, au plan des valeurs,
elle n'a pas le droit d'entraîner son enfant avec elle dans la mort.
M. Bédard: Elle n'a plus le droit de porter atteinte
à sa vie.
M. Crépeau: II me semble que c'est un cas où le
législateur devrait dire expressément que c'est un cas où
l'on peut imposer à la mère une situation. Bien sûr, il y a
toute une gamme de situations où le problème peut se poser, et
lorsque, par exemple, le problème se pose, lorsque la mère a
déjà atteint le stade où l'enfant est déjà
viable, le problème est beaucoup plus facilement réglé,
puisque l'on pourrait éventuellement procéder à une
expulsion de l'enfant et, ensuite, laisser la mère suivre son destin.
C'est une possibilité.
M. Leduc (Saint-Laurent): En ce qui concerne la
personnalité juridique, la recommandation du rapport de l'ORCC,
c'était quoi?
M. Crépeau: L'article 1 du livre I du projet de Code civil
s'énonçait ainsi: "L'être humain possède la
personnalité juridique."
M. Bédard: L'article 28 s'appliquait à l'enfant,
mais conditionnellement à sa survie.
M. Crépeau: Oui, c'est cela. Il y avait les articles 28 et
29, M. le ministre, l'article 28 disant que l'enfant... Il y avait
l'introduction de la notion de vivant et de viabilité et l'article 29
prévoyait des jours qui pouvaient être considérés
comme une présomption d'existence, pendant un certain nombre de jours
précédant la naissance.
M. Bédard: Présentement, vous nous parlez un peu de
la conception sans délai. Dois-je comprendre, dans les
représentations que vous nous avez faites, que vous faites les
mêmes nuances concernant le délai de 300 jours
précédant la naissance ou encore si votre pensée a
évolué par rapport à ce délai...
M. Crépeau: Je dois dire, M. le ministre...
M. Bédard: ...en fonction du délai de
conception?
M. Crépeau: ...que nous avons voulu volontairement limiter
le cadre de nos observations à l'article 1 et aux articles 11 et
suivants du Code civil, estimant qu'il s'agissait là de matière
assez dense et assez importante pour mériter des observations. Si,
éventuellement, vous souhaitiez, de la part du Centre de droit
privé de McGill, un exposé plus détaillé d'opinions
sur le sujet, il nous fera plaisir d'obtempérer à votre
invitation.
M. Bédard: Oui, mais les articles s'interprètent
quand même les uns par rapport aux autres. Vous y étiez
allés, à ce moment-là... Probablement que je dois conclure
que, si je veux vous demander votre opinion sur d'autres articles, nous devrons
le faire formellement au niveau de l'institut dont vous êtes le directeur
et que vous n'êtes disponibles pour aucune autre expression d'opinion
devant les membres de cette commission.
M. Crépeau: C'est-à-dire, très simplement,
M. le ministre, que nous sommes venus ici à titre purement personnel.
Nous avons exprimé un point de vue sur certaines
questions pour lesquelles nous sommes mieux préparés. Si,
éventuellement, il y avait d'autres opinions que vous souhaitiez
obtenir, cela nous ferait grand plaisir de participer davantage à
l'examen de ces questions.
M. Bédard: Bon! Personnellement, je n'ai pas d'autres
questions.
M. Leduc (Saint-Laurent): Si vous me le permettez, l'article 28
est-il conciliable avec la prise de position que vous faites ce soir?
M. Crépeau: Je ne veux pas entrer dans le sujet, mais le
problème est, je suppose, de savoir - quelle sera la décision?
c'est une autre chose - fondamentalement, lorsqu'un enfant est mort-né
ou lorsqu'un enfant naît non viable et qu'il meurt, ce que dit le droit
civil. Or, depuis des siècles, c'est qu'il sera réputé
n'avoir jamais existé. C'est simplement pour éviter des questions
de double succession ou de double donation, une double transmission de
patrimoine. Mais, ce que serait ou ce que devrait être la solution, je
pense que je préférerais y donner suite à la demande
expresse qu'on pourrait nous faire. Je ne voudrais pas parler autrement qu'en
mon nom personnel. Je ne peux pas, bien sûr, engager l'opinion de mes
collaborateurs.
Une voix: J'aimerais, si vous me le permettez, s'il vous
plaît...
M. Bédard: Soyons bien clairs: C'est sûr que,
lorsque nous vous demandons une opinion, c'est une opinion personnelle que les
membres de la commission vous demandent. Nous ne voulons pas aller
jusqu'à ce que vous engagiez les membres du groupe avec lequel vous
êtes ici. Maintenant, la semaine passée, des médecins se
sont fait entendre devant la commission. Ils ont exprimé l'opinion qu'il
était extrêmement difficile de déterminer, même
médicalement, le moment de la conception. Par rapport à une telle
affirmation, quels sont les commentaires que vous pourriez nous faire?
M. Crépeau: Tout d'abord, je pense que cela correspond
à une réalité. Il est extrêmement difficile de
préciser le moment de la conception. C'est la raison pour laquelle, dans
la tradition civiliste, on a toujours voulu présenter une période
qui représente en quelque sorte une fiction dans certains cas, mais une
période pendant laquelle l'enfant est présumé avoir
été conçu pour pouvoir éventuellement
bénéficier d'une succession lorsqu'il y a mort du père,
par exemple. Sur ce plan, je pense qu'on ne peut pas contester la
difficulté, mais, par ailleurs, je pense qu'il y aurait lieu de
maintenir la règle traditionnelle d'une période durant laquelle
l'enfant serait présumé avoir été conçu, si
bien que, si le père meurt dans les 300 jours ou les 250 jours, on
puisse choisir, selon l'évolution de la science, une période et
dire que, si le père ou un grand-père meurt dans la
période entre la naissance et 250 jours précédant cette
naissance, l'enfant aura été présumé avoir
été conçu à ce moment. Je crois que la solution
traditionnelle mériterait d'être retenue.
En ce qui concerne la viabilité, M. le ministre, ce n'est pas que
nous ne voulons pas répondre, d'autant plus que mon collègue, Me
Pierre Deschamps, en notre nom, a pris position et a suggéré que
cette viabilité soit éliminée comme en quelque sorte une
condition de la personnalité. C'est une opinion qui nous paraît
tout à fait justifiable, parce qu'à partir du moment où
vous dites que l'être humain a la personnalité juridique, il en a
les droits. Lorsqu'il naît vivant, il a tous les droits que lui accorde
la personnalité juridique. Cela veut dire que, même s'il est non
viable au sens où on pouvait l'entendre au XIXe siècle, au moment
où on a préparé ces articles du Code civil, aujourd'hui,
on sait que les progrès de la médecine, les progrès de la
science sont tels qu'on peut aider l'enfant, on peut corriger les
déficiences qui le rendaient non viable et lui donner, par la science,
la viabilité. Si vous dites que l'enfant ne sera une personne humaine
que s'il naît viable, tant qu'il est non viable, il n'aura pas le droit
aux soins et traitements que donne la Loi sur les services de santé et
les services sociaux et, qui reconnaît le droit à la personne
humaine de recourir à des services de santé et des services
sociaux.
Le Président (M. Paré): Je crois que madame voulait
faire des commentaires aussi.
Une voix: Oui, vous avez demandé tout à l'heure si
l'arrêt Léveillé était cité ou suivi dans
d'autres juridictions. L'arrêt Montreal Tramways contre
Léveillé a eu une grande influence dans les juridictions
américaines, anglaises, sud-africaines et australiennes en ce qui
concerne les droits des enfants qui ont souffert d'un préjudice à
l'intérieur de l'utérus de leur mère de poursuivre
l'auteur du délit après leur naissance. (23 h 15)
Une voix: Nous pourrions vous fournir les
références à ces décisions dans le cadre du droit
anglo-américain, avec grand plaisir, M. le ministre.
Le Président (M. Paré): On vous remercie beaucoup
de votre présentation et d'avoir accepté de répondre
à nos questions malgré l'heure tardive. Merci beaucoup.
Une voix: On vous remercie.
Le Président (M. Paré): J'inviterais maintenant le
Réseau d'action et d'information pour les femmes à se
présenter en avant, s'il vous plaît.
Bonsoir et "rebienvenue". Merci de votre patience. On vous écoute
pour la présentation de votre mémoire.
Réseau d'action et d'information pour les
femmes
Mme Dolment: Je pense que Judith Sauvé était
probablement trop fatiguée par les examens pour venir; ce sont des
examens en droit, d'ailleurs.
J'espère que les membres de la commission ont encore un peu
d'énergie pour écouter ce que nous avons à dire, parce
qu'il y a eu beaucoup de discussions. J'aimerais, avant de commencer nos deux
mémoires, répondre à la discussion qui vient d'avoir lieu,
pendant que c'est très frais. Nous n'en avons pas parlé dans
notre mémoire sur le projet de loi no 106 traitant du droit des
personnes; nous n'avons pas du tout abordé les discussions qui ont eu
lieu aujourd'hui sur les droits du foetus ou enfin sur la rédaction de
l'article 1, pour une bonne et simple raison. C'est parce que...
M. Bédard: D'accord, nous n'avons aucune objection, mais
nous pouvons vous dire, Mme Dolment, que nous avons pris connaissance de votre
mémoire et de toutes les considérations qui y sont contenues. Si,
effectivement, vous voulez entretenir la commission sur ce qui vient
d'être dit...
Mme Dolment: Très rapidement.
M. Bédard: ...d'une façon spéciale par ceux
et celles qui viennent de vous précéder et d'autres groupes, je
pense que c'est très indiqué.
Mme Dolment: Je crois que c'est un débat très
important et qu'il y a énormément d'implications pour nous,
d'autant plus que nous avons mené une lutte pendant des années
pour faire reconnaître les droits des femmes. Nous n'avons pas
parlé de l'article 1 pour une bonne et simple raison, c'est que nous
trouvions qu'il était très bien rédigé.
Après toutes les discussions que j'ai suivies avec beaucoup d'attention
aujourd'hui, je crois que c'est l'un des articles les mieux
rédigés qui soient de tout le projet de loi no 106 et je vous
dirai pourquoi en quelques mots. En disant: L'être humain possède
la personnalité juridique...
M. Bédard: Cela illustre la diversité de la
société et des valeurs.
Mme Dolment: Oui, je le pense. Nous sommes des femmes et des
mères et ce sont des juristes et cela illustre justement la
diversité. Nous vivons les problèmes; nous sommes un peu la
nature et ils sont un peu des gens qui traitent de choses intellectuelles,
peut-être un peu coupés de la vie. Enfin...
L'être humain - on essaiera de parler la même langue qu'eux
pour se faire comprendre - possède la personnalité juridique. Je
crois que les mots personnalité et personne sont très
différents. Je crois qu'il y a eu un peu de confusion quand nous avons
parlé de personnalité: on donnait l'interprétation de
personne. J'aimerais vous souligner qu'il y a deux jours a paru dans les
journaux un jugement de la Cour suprême d'Allemagne qui ne reconnaissait
pas du tout le foetus comme personne, avant la naissance. C'est uniquement au
moment de la naissance qu'on le reconnaissait comme personne. Ceci ne veut pas
dire qu'il ne peut pas y avoir personnalité juridique. J'aimerais aussi
souligner aux gens qui m'ont précédé que, quand on a
mentionné que le foetus n'était ni une chose ni une personne, il
n'était donc rien du tout, c'est ce que nous étions avant 1928.
Nous n'étions pas des personnes, nous n'étions pas des choses,
nous n'étions rien du tout. Nous avons été comme cela
pendant des siècles; alors, cela nous connaît bien.
Maintenant, la personnalité juridique veut dire que, quand
même...
M. Bédard: Sûrement qu'humainement, peu importe
l'état du droit, la mère qui porte un enfant sait très
bien qu'il y a en elle...
Mme Dolment: ...un être humain. M. Bédard:
...quelque chose qui...
Mme Dolment: Je pense que, de nature, c'est
intrinsèquement évolutif, c'est-à-dire qu'il n'y a pas un
droit de dire que c'est une personne ou que ce n'est pas une personne. À
mesure que l'embryon se développe, il a de plus en plus de droits, si on
peut dire, et au moment de la naissance, il a tous les droits au complet, si on
peut dire.
Maintenant, l'être humain possède la personnalité
juridique, ce qui veut dire que le foetus est reconnu comme être humain.
Il possède la personnalité juridique, cela veut dire que, quand
même, une mère qui aurait travaillé dans un endroit qui
aurait pu faire du tort au foetus, si le foetus meurt, pourrait toujours
réclamer quelque chose parce qu'elle a été
attaquée. En fait, l'être humain qui possède une
personnalité juridique pourrait être objet de droit. Je pense que
cet article est parfait, en ce sens qu'il est sujet de droit depuis sa
naissance jusqu'à sa mort. Au moment de sa naissance, il devient
sujet de droit, il pourrait inscrire des poursuites, si on peut dire,
avec, évidemment, le tuteur qui pourrait le faire pour lui. Tant qu'il
est foetus, il ne peut rien, il est uniquement objet de droit,
c'est-à-dire que la mère pourrait réclamer en cour de
justice, dire: Écoutez, j'ai travaillé dans telle usine, on m'a
refusé de changer de travail, peu importe, j'ai perdu le foetus et je
réclame quelque chose pour cette perte.
Il pourrait être objet de droit, il aurait une personnalité
juridique, mais, par contre, il ne serait pas sujet de droit. Ce qui veut dire
que le père du foetus ne pourrait pas arriver et dire au médecin:
J'ai consulté deux médecins et j'estime qu'il faut faire une
intervention. Il y a des interventions chirurgicales qui ont été
faites dans le ventre de la mère et, même si elle ne veut pas
qu'on pratique l'intervention dans son ventre, j'estime qu'il faut la pratiquer
quand même.
C'est extrêmement grave, ce qu'on vient de dire, et je voudrais
m'opposer avec toute la force du monde à ce qu'on a dit ici aujourd'hui
par rapport au droit de la mère de décider si, oui ou non, il
doit y avoir intervention, même si c'est pour protéger le foetus.
Qui peut dire que l'intervention est nécessaire? Bien des
médecins reconnaissent que la personne la plus habilitée pour
savoir ce qui est bon ou n'est pas bon pour le foetus, c'est la mère,
bien plus que les médecins. D'autant plus que bien des médecins
qui ont des thèses défendent des points de vue qui, trois ans
après, sont complètement rejetés. Deux médecins
pourraient dire: C'est telle intervention qu'il faut pratiquer, mais au corps
défendant de la femme, alors que ce serait peut-être
contre-indiqué, et ça pourrait être prouvé quelques
années plus tard.
On ne peut absolument pas non plus passer par-dessus le corps de la
mère, si on peut dire. Tant que l'enfant est dans le corps de la
mère, il y a une espèce de hiérarchie de droits,
c'est-à-dire que les droits de la mère priment ceux du foetus
parce que, quand même, c'est elle qui recouvre le foetus. Une fois que
l'enfant est sorti, d'accord, il a ses droits, il devient sujet de droit, mais,
tant que la mère est là, il y a une espèce de
hiérarchie de droits. Les droits de la mère doivent passer avant
les droits du foetus et je pense que le jugement de la mère, si elle
estime qu'elle ne veut pas telle intervention, c'est à elle de
décider. Je pense que, très souvent, elle est beaucoup plus
habilitée à savoir ce qui lui convient.
Vous avez entendu ici tout à l'heure le Groupe auto-psy qui
mettait souvent en doute les jugements des psychiatres; je n'irai pas
là-dedans, mais ça veut dire que les médecins n'ont pas la
science infuse, ni les juristes. Je serais tout simplement pour qu'on laisse
l'article tel qu'il est. Il conserve la personnalité juridique à
l'être humain parce que, quand même, le foetus est un être
humain, il a une personnalité juridique, on peut quand même
l'invoquer pour obtenir certaines choses; il est objet de droit, mais il n'est
pas sujet de droit, c'est-à-dire qu'il ne peut pas, même si c'est
le père qui en prend l'initiative, forcer à une intervention
chirurgicale. Je pense qu'on doit reconnaître le droit de la mère
de décider si oui ou non elle veut obtenir telle ou telle intervention,
même si c'est pour protéger le foetus. C'est la mère qui
doit décider, c'est elle qui décide pour l'enfant.
Nous allons commencer notre vrai mémoire.
M. Bédard: Sur ce point, vous venez d'exprimer clairement
notre point de vue.
Mme Dolment: Plus j'entendais les discussions, plus je trouvais
que cet article était bien rédigé, je trouve que c'est un
des mieux rédigés. J'espère que vous n'en changerez pas un
seul iota, tout y est.
M. Bédard: Je sais que M. Crépeau vous
écoute.
Mme Dolment: M. le député de D'Arcy McGee n'est pas
là, mais il a dit: Si vous avez changé la formulation, c'est
parce que vous vouliez changer ce que vous vouliez dire. Je ne suis pas
d'accord. Nous avons demandé très souvent que le Code civil
s'adresse au monde ordinaire. Je crois que la formulation qui avait
été suggérée par la Commission des droits de la
personne, qui était là avant, et par M. Leduc aussi, je crois,
voulait revenir à l'ancienne formulation. Je pense que c'est
peut-être très judicieux pour des juristes, mais pour nous, en
disant "naissance", tout y est, c'est intrinsèque, les droits sont
là intrinsèquement, l'enfant est né, la naissance est
là; il peut faire les poursuites nécessaires ou quoi que ce soit
qui soit nécessaire, du moment qu'il est né, et d'une
façon beaucoup plus simple, beaucoup moins compliquée. Il est
temps qu'on simplifie le Code civil. Vous savez, le Code civil n'est pas fait
pour les juristes, mais pour le monde ordinaire et je pense qu'on l'oublie un
peu trop.
Je vais y aller assez rapidement, parce qu'il est assez tard. Nous avons
mis dans nos recommandations sur le droit des personnes que le Code civil
régit l'exercice de leurs droits. On dit: "La disposition
préliminaire du projet de loi no 106 sur le droit des personnes
spécifie que le Code civil régit l'exercice de leurs droits,
leurs rapports entre elles ainsi que leurs biens, établit le droit et
constitue le fondement des autres lois." C'est sur cela que nous voulons
insister. Vous dites que ce projet de loi est le fondement des autres
lois.
Je vais résumer le mémoire. Nous nous sommes
demandé pourquoi vous n'avez pas situé dans le projet de loi no
106 la place que prend la Charte des droits et libertés de la personne.
Il nous semble que ladite charte est la première des lois. Nous aurions
aimé une référence à la Charte des droits et
libertés de la personne dans le projet de loi no 106 pour établir
vraiment comme il faut la hiérarchie. Vous dites là que c'est le
fondement des autres lois, mais où se situe la Charte des droits et
libertés de la personne?
M. Bédard: C'est écrit dans la charte. Ce n'est pas
nécessaire d'y faire référence dans le Code civil.
Mme Dolment: Pourquoi ne pas y faire référence? Il
me semble que...
M. Bédard: Si c'est pour dire la même chose.
Mme Dolment: Oui, mais cela clarifie. Très souvent, deux
lois se complétaient et vous reveniez d'une loi à l'autre pour
exprimer qu'il y avait l'autre loi. Enfin!
M. Bédard: D'accord? Je vous donne l'explication. Cela est
contenu dans la charte.
Mme Dolment: Le projet de loi no 106 doit donc clarifier et
préciser les zones grises et même noires des autres lois qui
portent atteinte à l'égalité fondamentale des citoyens et
des citoyennes, parce que le code, jusqu'à ce jour, n'a fait que la
correction à la pièce de notre système de droits et de
relations entre les individus.
Il y a encore quand même bien des zones grises et même bien
des contradictions dans les lois. Conséquences inévitables de
cette façon de procéder, il y a un manque de coordination, une
mauvaise interprétation des situations, un manque de concordance entre
les lois, allant même jusqu'aux contradictions d'une loi à
l'autre. Exemple: la femme est "capable" et n'est plus en tutelle de l'homme,
mais on ne s'est pas soucié d'être conséquent avec cette
prise de position élémentaire dans un siècle moderne,
même lorsqu'on a refait le droit de la famille. En effet, une partie du
droit de la famille considère la femme encore en tutelle et
l'infantilise puisqu'elle inscrit au même titre le droit des enfants
à des aliments et le droit de la femme à être
compensée pour son retrait de la vie du travail
rémunéré à cause de son rôle parental.
Nous estimons que, dans le projet de loi no 106, il manque plusieurs
droits, entre autres, le droit à être considérée
comme une adulte. La charte des droits du Québec condamne la
discrimination individuelle, mais aussi la discrimination systémique
puisqu'elle vient d'introduire un nouvel article permettant de corriger cette
discrimination. Résultat du système, n'est-ce pas là ce
que le jargon juridique appelle un argument a contrario?
La charte n'est pas proclamée encore, mais vous recommandez
certaines corrections d'injustice systémique, de discrimination
systémique dans la charte des droits, ce qui veut dire que la charte des
droits condamne la discrimination systémique.
Or, nous nous apercevons que, dans bien des situations, la femme est
discriminée systémiquement tout en n'étant pas
discriminée individuellement. L'exemple que nous donnons, c'est
justement cette tutelle de la femme dans certaines législations, entre
autres, dans la fiscalité. La femme est considérée comme
incapable de gérer l'espèce de revenu garanti que constitue la
déduction de personne mariée, mais, quand nous avons porté
plainte à la Commission des droits de la personne, on nous a
répondu qu'il n'y avait pas discrimination puisque les hommes qui sont
dans cette situation sont traités de la même façon.
Or, c'est très rarement qu'un homme est dans la situation d'une
femme à la maison, car celle-ci est là souvent pour toute sa vie
ou pour très longtemps. C'est en examinant ces
problèmes-là que nous nous sommes dit que, dans le projet de loi
no 106, il fallait absolument inscrire des droits qui n'y sont pas, entre
autres le droit à être traitée comme adulte. Parce que, si
on avait inscrit le droit à être traitée comme adulte quand
on avait l'état d'adulte et qu'il fallait avoir les prérogatives
d'adulte, on n'aurait pas pu prendre dans la fiscalité ce
règlement qui fait que la déduction de personne mariée est
versée à celui qui gagne le revenu, c'est-à-dire que celui
qui gagne le revenu a une déduction personnelle de base et il a la
déduction de personne mariée, parce qu'on considère que la
personne à sa charge ne peut pas administrer ni plus ni moins ce revenu
garanti. (23 h 30)
D'autres situations sont semblables. Ainsi, dans la loi 89, vous avez
l'obligation alimentaire. Il est évident qu'une femme qui reste à
la maison - c'est ce que nous venons de soulever - n'est pas une femme qui a
droit à des aliments de la part de son mari. Elle a droit à une
compensation, parce qu'elle n'a pas été sur le marché du
travail. Si on dit qu'elle a droit à des aliments, c'est qu'on
l'infantilise, qu'on considère qu'elle est en tutelle et qu'on doit la
nourrir. C'est le droit d'adulte...
M. Bédard: Sur ce sujet, si vous me permettez une
question.
Mme Dolment: Oui.
M. Bédard: Par exemple, le droit alimentaire, la
créance alimentaire, le barreau a suggéré l'introduction
d'une créance alimentaire en faveur du conjoint pour suppléer
à des cas d'injustice. Que pensez-vous de cette idée de la
créance alimentaire, telle que préconisée par le
barreau?
Mme Dolment: Au lieu d'une part réservataire? Vous voulez
dire pour la conjointe, la veuve ou pour une personne qui est divorcée;
pour la conjointe, la veuve, la conjointe survivante?
M. Bédard: C'est cela.
Mme Dolment: C'est-à-dire que nous, c'est une part
réservataire qu'on voudrait avoir pour la conjointe survivante. Pour la
personne qui a eu un jugement de cour, par exemple une femme divorcée,
nous voudrions avoir ce qu'on a en Ontario, c'est-à-dire un recours,
mais non pas pour une créance alimentaire, un recours pour avoir une
mesure de compensation parce qu'elle a perdu le revenu qui lui était
versé avant. C'est le terme "alimentaire" que nous contestons.
Par contre, pour les enfants, oui, on pourrait réclamer une
créance alimentaire. Ce sont des enfants, des enfants mineurs ou des
enfants majeurs, qui sont dans une situation de handicap. C'est la notion
d'aliment que nous voulons rejeter et, d'ailleurs, les libéraux avaient
aussi accepté de la rejeter lors de la discussion de la loi 89. Si vous
vous souvenez, M. Forget était d'accord avec le rejet de cette
définition d'aliment qui s'applique à la femme, à la
conjointe.
Nous voulons illustrer encore le fait qu'il est important d'inclure dans
le projet de loi no 106 les prérogatives d'adulte, car nous avons
l'état d'adulte. En 1928 ou 1929, nous avons eu le droit d'être
considérées comme des personnes et c'est inscrit - vous
l'inscrivez maintenant - que tout être humain doit avoir, surtout
à la naissance, un sujet de droit. C'est une personne, mais le droit
d'adulte n'est pas inscrit. Pour des hommes, qui n'ont jamais vécu cette
situation, ils n'en voient pas la nécessité. Quand on l'a
mentionné à certaines personnes, à des juristes, ils ont
dit: C'est évident. Mais ce n'est pas évident, parce que nous
vivons le concret et le concret, c'est que nous ne sommes pas
considérées comme des adultes, nous n'avons pas droit au revenu
garanti, et ce sont uniquement les femmes hétérosexuelles, parce
que les homosexuels ont droit à un revenu garanti... Toute personne qui
naît a actuellement droit à un revenu garanti. Les seules
personnes qui ne l'ont pas, ce sont les personnes qui vivent
hétérosexuellement sans revenu. Un homosexuel peut aller à
l'aide sociale et dire: Je n'ai aucun revenu. On ne lui demandera pas combien
gagne son conjoint homosexuel. Pas du tout. Mais la femme qui va demander de
l'aide sociale, on va lui demander: Vivez-vous avec un homme? Si elle dit oui,
mariée ou non, elle perd son droit. Si elle est mariée, le revenu
garanti est versé sous forme de déduction de personne
mariée, mais il est versé au mari. Si elle n'est pas
mariée, il ne peut faire aucune réclamation. Alors, on est
pénalisées d'être hétérosexuelles. De la part
d'hommes qui font la législation, cela ne nous paraît pas
très reconnaissant de leur part.
Une voix: II y a des femmes... Mme Dolment: Pardon?
Une voix: II y a des femmes qui s'occupent de la
législation.
Mme Dolment: Mais je pense qu'au Conseil des ministres, il y a
peu de femmes quand il y a vote. Même si les femmes votaient toutes pour
nous, je pense que les hommes l'emporteraient. On n'est pas encore rendu
moitié moitié.
Je vous donne des exemples. On a mis beaucoup l'accent au RAIF sur le
projet de loi no 106. On a un autre exemple qui vient heureusement d'être
corrigé. Enfin, si vous mettez en application le discours inaugural -je
n'irai pas jusqu'à l'insulte de dire le discours du trône à
des indépendantistes - M. Lévesque a mentionné qu'une des
grandes injustices serait corrigée, c'est-à-dire qu'actuellement,
si la conjointe survivante, qui a droit à une rente lorsque le mari
meurt, se remarie, elle perd son droit à la rente de conjoint survivant.
La femme passe d'un homme à l'autre comme si c'était un enfant
et, dès qu'un autre homme la prend en charge, elle perd son droit, comme
si elle n'avait pas travaillé tout le temps qu'elle a été
mariée. On lui enlève ce droit. Maintenant, M. Lévesque a
dit que la rente de conjoint survivant ne serait plus enlevée à
la femme, si elle se remariait. Alors, nous espérons que ce sera mis en
application. Nous en sommes très heureuses et nous félicitons le
ministre qui représente le Conseil des ministres en espérant
qu'il le rappellera à M. Lévesque, s'il l'oubliait.
M. Bédard: Je prends note de votre...
Mme Dolment: ...message.
M. Bédard: ...demande.
Mme Dolment: Maintenant, il y a aussi
la situation où la femme qui a une pension alimentaire - je
répète le terme parce que c'est le terme - la perd, si elle vit
avec un autre homme. À ce moment-là, l'ex-mari peut retourner en
cour et dire: Écoutez, elle vit avec un autre homme. La pension
alimentaire était versée pour des besoins de subsistance, au lieu
d'être versée pour des besoins de compensation; parce qu'elle a
été en dehors du marché du travail pour faire survivre la
société, elle perd ce droit. Nous vous donnons des exemples
très concrets; il y en a une infinité d'autres. Nous estimons que
le droit d'être traitée comme un adulte, quand on a l'état
d'adulte, est aussi important que le droit de la personne dont on a
discuté en long et en large toute la journée, surtout en vue,
directement ou indirectement, d'enlever à la femme le droit sur
l'inviolabilité de son corps.
Nous disons justement que le législateur rédige avec son
bout de la lorgnette. On comprend un peu qu'on soit porté à ne
voir que ses propres problèmes quand on rédige des lois. Nous
vous demandons de faire un petit effort et de vous mettre dans nos souliers
pour voir ce que nous vivons. Si vous voulez que les femmes continuent à
avoir des enfants, il va falloir absolument que les lois changent parce que,
actuellement, nous, en tant que féministes, recommandons aux femmes de
ne pas avoir d'enfant tant que nos conditions de travail ne seront pas
améliorées.
Une voix: ...
Mme Dolment: Oui, mais je pense que nous partons de pas mal plus
bas. Maintenant, dans notre mémoire, nous demandons à la
commission parlementaire de nous écouter avec autant d'attention, de
donner autant d'importance à nos mémoires qu'on en donne à
ceux du barreau, de la chambre de commerce, de la Chambre des notaires et des
juristes, parce que c'est nous qui vivons les problèmes. La Chambre des
notaires, le barreau, c'est sûr, ont une certaine expertise, mais ils ont
aussi des intérêts en même temps. Il faut vraiment voir
l'autre côté du paysage. Le côté des démunis
est beaucoup plus important que le côté des gens qui font de
l'argent avec nos malheurs, tout cela étant dit avec beaucoup de
considération.
M. Bédard: Oui, vous y allez avec beaucoup de
considération!
M. Leduc (Saint-Laurent): Et de conviction.
M. Bédard: Avec beaucoup de conviction, à part
cela.
Mme Dolment: Oui, il faut dire que c'est nous qui entendons les
femmes, c'est nous qui recevons les plaintes et c'est nous qui vivons les
problèmes. Souvent, on vit dans une tour d'ivoire quand on est au
gouvernement.
Les articles à changer. Je vais y aller assez rapidement, parce
qu'il y a l'autre mémoire à présenter. Les
recommandations. Nous trouvons important que soient ajoutés les articles
suivants ou que soient modifiés les articles qui traitent
déjà de ces principes dans le sens suivant: La personne est une,
entière et a son individualité propre et autonome. C'est
très important, la question de l'individualité, parce que nous
nous sommes aperçues que ce qui lésait le plus la femme, c'est
qu'on la considérait comme une partie de l'entité familiale. Elle
n'avait aucun droit autonome. C'était la même chose pour
l'identité de la personne, au point de vue du nom. Quand elle voulait
voter, avec l'ancienne loi, il fallait qu'elle prenne le nom de son mari. Elle
n'était pas considérée comme ayant une unité
individuelle; parce qu'elle se mariait, elle perdait son droit en tant
qu'individu. Je ne répéterai pas toutes les situations, mais il y
a une infinité de situations où la femme perd son droit
d'individu.
Lorsque la personne atteint la majorité et qu'elle est
émancipée - nous en avons parlé tout à l'heure -
lorsqu'elle a l'état d'adulte, elle doit en avoir aussi les
prérogatives. Elle peut administrer ses biens - nous l'avons dit tout
à l'heure - passer des contrats, recevoir à son propre nom le
revenu garanti, qui est prévu pour elle... Il ne faut pas oublier que la
déduction de personne mariée, ce n'est pas du tout comme cela a
été présenté par le Conseil du statut de la femme
à Ottawa et au Québec ou par des ministres qui sont responsables
de la situation de la femme; ce n'est pas du tout parce qu'on lave les
chaussettes du mari. Il faudra oublier cette notion. C'est simplement parce
qu'il y a une bouche de plus à nourrir dans la famille. C'est pour cela
que, quand on a voulu l'enlever aux personnes plus âgées, pour le
verser uniquement à des parents, nous nous sommes opposées avec
véhémence - bien des gens, bien des couples se sont aussi
opposés - parce que, même si le couple n'a pas d'enfant, il y a
une bouche de plus à nourrir et un revenu garanti, c'est-à-dire
un montant minimum de subsistance, doit être prévu pour la femme,
comme il est prévu dans la déduction personnelle de base, qui est
un montant minimal qui n'est pas imposé parce qu'on considère que
c'est un montant de subsistance initial.
Tout être humain a droit à une identité autonome, on
vient de l'expliquer.
Les parents ont un pouvoir égal de transmettre leur nom à
leur enfant et la loi doit prévoir les moyens nécessaires pour la
correction de la discrimination traditionnelle
qui a été faite à la mère par la
transmission unique du nom du père. Ici, nous voulons dire que, bien que
nous ayons été contentes d'une certaine façon des deux
petites années qui nous ont été données pour
ajouter notre nom à celui de l'enfant, nous sommes très
déçues que ce soit limité à deux ans. D'ailleurs,
de jeunes hommes sont venus présenter un mémoire en ce sens. Je
pense que c'est l'aide juridique qui est venue, qui nous a appuyées et
qui a dit qu'elle ne voyait pas pourquoi on limitait à deux ans le droit
de rajouter notre nom au nom de l'enfant.
Je pense que c'est un minimum que de pouvoir signer notre oeuvre,
c'est-à-dire que la femme fait les enfants; je ne pense pas qu'avoir
donné uniquement deux ans pour ajouter notre nom au nom de l'enfant, ce
soit bien correct. En fait, il y a bien des femmes qui ne sont pas au courant
de la loi. Elles ne savaient pas qu'elles avaient le droit d'ajouter leur nom,
malgré tous nos efforts, avec des posters que nous avons faits et des
annonces un peu partout; nous croyons que, pour la femme, cela devrait
être continué et pas limité à deux ans. Maintenant,
nous estimons aussi que M. Bédard a fait adopter une loi pour les
enfants, une des premières et une des meilleures, contrairement à
celle sur le droit de la famille, qui est une des plus arriérées
dans tout le monde évolué; le droit des enfants, par contre, est
un des plus évolués. Je crois que, partout, quand vous avez
adopté la loi 89 et tout ce qui concerne la famille, vous avez toujours
dit que l'intérêt de l'enfant primait.
Il me semble que l'autonomie de l'enfant a aussi été
très respectée. On impose un nom à l'enfant à sa
naissance, c'est nécessaire, parce que, évidemment, il faut bien
le nommer. Mais nous, nous voudrions que soit ajouté un
élément dans la loi sur le changement des noms pour que ce soit
l'enfant, rendu à l'âge adulte, qui décide. Nous aimerions
lui donner à peu près trois ans, parce que juste lui dire
à 18 ans: Tu décides, c'est un peu étroit. Entre 18 et 21
ans, il pourrait décider de changer de nom, soit garder le nom qu'il a,
évidemment, ajouter le nom de la mère ou changer le nom de la
mère pour le nom du père et vice versa ou enfin de prendre des
parties de nom. Nous voudrions qu'il ait un choix. Ce serait un peu comme son
initiation à l'âge adulte. En fait, il pourrait décider
quel nom il pourrait porter. Vous avez dit dans la loi sur le changement de nom
que, si le nom était difficile à prononcer, c'était un
motif suffisant. Je pense que le désir d'avoir le nom de sa mère
est aussi un motif suffisant. Vous n'êtes pas sans savoir, M.
Bédard... Je dois m'adresser au président, mais je pense que
c'est plus simple de s'adresser à la personne à qui on s'adresse;
cela va peut-être aussi disparaître avec le temps, comme la toge.
Cela ne me paraît pas très logique, enfin, disons que c'est plus
logique.
M. Bédard: Cela risque d'être plus efficace.
Allez-y, continuez.
Mme Dolment: Nous estimons, en fait, que l'enfant a ce droit,
justement... Si on lui accorde le droit de changer de nom simplement pour une
question de difficulté de prononciation, qu'on lui accorde aussi ce
droit pour d'autres raisons. Comme je le disais, il y a bien des femmes qui ont
essayé d'ajouter leur nom au nom de l'enfant, mais le père a
refusé de donner les 50 $ exigés, même s'il faisait 50 000
$ par année. On a plusieurs cas de femmes qui ont dit: Je ne vais quand
même pas divorcer juste pour cela et qui ne l'ont donc pas fait.
J'aimerais vous faire remarquer aussi que nous avons fait faire tout
près de 1 000 000 $ à M. Parizeau parce que nous avons mis des
posters un peu partout et nous savons qu'il y a eu beaucoup de demandes depuis
qu'on a fait de la publicité. Peut-être qu'il faut l'aborder par
ce biais en temps de crise. Peut-être que, si vous maintenez ce droit
encore quelques années, cela va améliorer aussi vos finances.
Mais nous aimerions que les frais de 50 $ disparaissent parce que nous trouvons
un peu honteux que la femme soit obligée de payer pour ajouter son nom
à celui de l'enfant alors que l'homme n'a pas payé du tout pour
donner son nom à l'enfant.
Quand nous avons fait une plainte à la Commission des droits de
la personne, elle a répondu qu'il n'y avait pas de discrimination dans
cette question parce que l'homme pouvait lui aussi, dans le cas où
c'était le nom de la mère, ajouter son nom. On sait très
bien que c'est surtout le nom de l'homme qui est là. Ici, pour
l'identité imposée et stéréotypée je vais
passer assez rapidement, je viens de le dire.
En conclusion l'article 55 devra donc ajouter un quatrième motif.
Je vais juste le lire. Si l'enfant désire porter le nom de sa
mère ou ajouter celui de son père ou modifier son nom pour ne
prendre que le nom d'un des deux parents ou partie du nom des parents ou
intervertir ces noms ou en former un nouveau avec ces parties de nom - nous
préférerions un nom différent de celui du père et
de la mère pour l'enfant pour bien marquer qu'il est différent
des deux - il pourrait le faire sans devoir invoquer d'autres raisons que ce
désir, dès l'âge adulte, ou avant dans certaines
circonstances, s'il est émancipé ou si le fait de porter le nom
qu'il veut modifier lui cause des problèmes.
Les personnes que nous connaissons qui ont tenté de faire
rajouter le nom de la mère ont dû avoir un rapport d'un psychiatre
selon lequel elles étaient à moitié insensées
à cause du fait qu'elles portaient le nom. Nous trouvons que c'est
absolument aberrant.
(23 h 45)
Nous espérons que ces propositions de modification du projet de
loi no 106, basées sur les droits fondamentaux de la personne qui,
hélas, ne sont pas encore tous inscrits -et nous revenons encore sur le
droit d'avoir des prérogatives d'adulte quand on avons l'état
d'adulte - seront bien reçues. Nous sommes confiantes que, si le
gouvernement demande à la population de se prononcer sur le contenu des
projets de loi, c'est sûrement afin de pouvoir les améliorer en
tenant compte des problèmes et considérations que cette
population est parfois plus à même de souligner, parce qu'elle les
vit, et j'insiste bien là-dessus. Il est bien évident que ceux et
celles qui font les lois ne peuvent tout prévoir, on comprend que vous
fassiez quelques oublis, mais, une fois en possession d'un meilleur
éclairage, il serait illogique ou irresponsable de ne pas en tenir
compte.
M. Bédard: M. le Président, nous remercions le
Réseau d'action et d'information pour les femmes
représenté par Mme Dolment.
Mme Dolment: Oui. Nous allons le voir pour l'autre projet de
loi.
M. Bédard: Pardon?
Mme Dolment: C'est pour l'autre projet de loi que je vais faire
des représentations, le projet de loi no 107.
M. Bédard: Oui. Ah bon! Voulez-vous y aller tout de suite?
D'accord.
Mme Dolment: Mais on le fait en même temps, je pense. Tout
le monde va le faire en même temps.
M. Bédard: Oui, oui. Cela va.
Mme Dolment: J'espère que vous ne me renvoyez pas chez
moi.
M. Bédard: Non, non.
Mme Dolment: Non? En fait, c'est ce que je devais
présenter. L'autre, d'est...
M. Bédard: Ah! Je comprends que...
Mme Dolment: Oui. Ce n'était pas moi qui devais
présenter celui-ci.
M. Bédard: ...tout ce que nous avons entendu
jusqu'à maintenant, ce sont des commentaires...
Mme Dolment: Non, non, mais, enfin...
M. Bédard: ...et maintenant, voici le mémoire.
Mme Dolment: ...je ne m'étais pas préparée
pour vous le présenter. Ce n'est pas moi qui devais vous le
présenter. Alors, j'ai essayé de le résumer.
M. Bédard: C'est pour cela que nous nous sommes permis de
vous poser quelques questions à l'intérieur même de votre
exposé. Je crois que cela permettra...
Mme Dolment: Pas de problème. Ce sera fait.
M. Bédard: ...de disposer après.
Mme Dolment: Oui. Exactement. Au sujet du projet de loi no 107,
c'est un droit des successions qui ne protège pas adéquatement
les droits de la conjointe survivante. Le Réseau d'action et
d'information pour les femmes a été extrêmement
déçu, à la lecture du projet de loi no 107 sur le droit
des successions, de constater que le ministre de la Justice n'avait rien retenu
des réclamations faites depuis longtemps par les femmes pour obtenir une
part réservataire de la succession du mari décédé
ainsi que de la nécessité de prévoir un recours pour les
femmes divorcées et séparées à qui on a reconnu le
droit à une rente familiale compensatoire - les termes "pension
alimentaire", comme je l'ai dit tout à l'heure, étant
rejeté comme infantilisant et insultant - rente qui cesse avec le
décès du débiteur, selon la loi actuelle.
Les recommandations de l'Office de révision du Code civil
étaient pourtant qu'une part réservataire devait être
inscrite dans le Code civil. M. Crépeau, qui avait justement
présidé l'Office de révision du Code civil, avait vraiment
recommandé qu'il y ait une part réservataire. Nous avons
été très surprises de ne pas le retrouver dans votre
projet de loi. Les autres provinces reconnaissent qu'une personne qui a obtenu
une rente familiale compensatoire et qui se retrouve sans revenu à cause
du décès du mari a un recours contre la succession de celui-ci.
J'ai ici un livre de l'Ontario que j'ai fait venir, la Réforme sur le
droit de la famille. C'est le nouveau droit de la famille de l'Ontario. J'en ai
fait une photocopie que je peux peut-être vous remettre.
Je vous lis seulement ce petit paragraphe qui reconnaît justement
aux femmes divorcées en Ontario un recours contre la succession. "En vue
d'être admissible à réclamer le soutien des biens d'une
succession, la personne à charge - on l'appelle la personne à
charge, c'est quand même humiliant, mais il faut reprendre le même
terme - devra avoir reçu le soutien de la personne
décédée immédiatement avant sa mort ou à
condition que la personne décédée ait été
dans l'obligation légale - donc un
jugement de cour - de pourvoir à la subsistance de ladite
personne à charge." Ce qui veut dire qu'une personne divorcée qui
a eu un jugement de cour a un droit de recours contre la succession. "La
demande devra être faite au tribunal des successions et tutelles ayant la
juridiction pour nommer une personne en vue d'administrer la succession du
défunt. La législation s'applique au décès survenu
le ou après le 31 mars 1978. Lorsque la personne meurt avant cette date,
la personne à charge peut encore avoir des droits en vertu d'une
ancienne loi connue sous le nom de Loi sur les secours pour les personnes
à charge." Même avant cette loi, en Ontario et dans les autres
provinces, on n'était pas aussi dur envers les femmes qui étaient
mariées, il y avait toujours un recours contre la succession. Il y a
seulement au Québec qu'on parle de la famille avec un grand F, mais on y
est extrêmement dur envers les femmes qui ont eu des enfants ou qui ont
été mariées. "Une demande pour une part plus grande d'une
succession devrait être effectuée dans les six mois qui suivent la
mort du décédé." Je pourrais vous en faire une
photocopie.
Pourquoi donc le Québec s'acharne-t-il à ternir son image
auprès des femmes de ce pays et auprès des étrangers en
n'accordant pas aux Québécoises un juste traitement? Il y a eu
beaucoup de propagande dans l'Ouest, par exemple, sur la façon dont le
Québec a évolué pour le droit de la famille. C'est un peu
tordu, la façon dont on le fait. On dit: Ici, on a la
société d'acquêts, c'est le partage des biens et tout cela,
alors qu'on sait très bien que la plupart des gens prennent la
séparation de biens, surtout...
M. Blank: C'est 50%-50% à peu près.
Mme Dolment: Je pense que M. Blank vous a bien fait valoir que,
même si c'était 50%-50%, les statistiques ne sont pas toujours
exactes.
M. Bédard: Oui, d'accord, mais...
Mme Dolment: C'est 50%-50%, quand il n'y a pas d'argent, mais,
quand il y a de l'argent, c'est la séparation de biens. C'est ce qu'a
dit M. Blank. Je pense que c'est exact.
M. Bédard: Vous me parlez de statistiques.
Mme Dolment: Notre expérience...
M. Bédard: Je ne veux pas amorcer un débat sur la
nature des...
Mme Dolment: En général, quand il y a de l'argent,
c'est surtout la séparation de biens, parce que vous savez très
bien que, quand les gens ne connaissent rien, ils ne pensent même pas
à passer un contrat de mariage, c'est automatiquement la
société d'acquêts.
M. Bédard: Oui, sauf qu'il y a des personnes qui se
marient, qui n'ont rien au moment du mariage et qui prennent alors la
société d'acquêts. Il n'y a rien qui empêche par
après...
Mme Dolment: Oui, cela arrive, il y a des cas...
M. Bédard: ...qu'il y ait justement des acquêts,
avec tout ce que cela implique d'avantages quant au système. Les
situations peuvent changer, vous admettrez cela avec nous.
Mme Dolment: Oui, c'est sûr. Je suis d'accord avec vous. La
proportion de 50%-50% n'est pas exacte dans le cas où il y a des biens,
parce que le mari, très souvent, va alors opter pour la
séparation de biens. Les gens qui sont en affaires optent pour la
séparation de biens en général.
C'est ici que l'approche patrimoniale est encore... Ce qu'on reproche
surtout, c'est qu'on a maintenu encore une fois l'approche patrimoniale. C'est
le plus grand reproche qu'on a à faire à la loi 89 et à
cette loi-ci. Le Québec, je ne sais pas pourquoi, est encore à
l'ère de la chandelle, c'est-à-dire qu'on a encore l'approche
patrimoniale, alors qu'on traite du droit de la famille. Dans les autres
provinces, on a pris l'approche familiale. Il n'y a qu'au Québec qu'on a
maintenu l'approche patrimoniale à l'encontre de la famille et au
détriment de la famille et des enfants, d'une certaine façon.
Voire l'enrichissement du conjoint pour l'obtention du droit sur la maison
familiale...
M. Bédard: Vous admettrez avec moi que, lorsqu'on fait des
comparaisons avec les autres provinces, vous les faites sur un point
particulier. Il peut arriver que, dans certaines provinces, sur un point
particulier, il y ait des différences qu'on puisse interpréter
comme étant du plus pour ces autres provinces, mais, quand on prend
l'ensemble du droit...
Mme Dolment: Quand on prend l'ensemble du droit, nous sommes
beaucoup plus malmenées. Toutes les femmes vous le diront. Je connais
beaucoup de gens qui vivent en Ontario - une partie de ma famille vit en
Ontario, je suis assez au courant - et dans d'autres provinces... Oui?
M. Bédard: Enfin, il y a peut-être des perceptions
différentes...
Mme Dolment: Non.
M. Bédard: ...parce que je lisais encore aujourd'hui une
déclaration faite par la ministre - peut-être que les
témoignages doivent venir d'ailleurs - à la Condition
féminine de France qui disait très carrément que le
Québec, dans le domaine de la condition féminine, était
assurément à l'avant-garde des autres pays.
Mme Dolment: Malheureusement, M. Bédard, j'étais
à la conférence de presse.
M. Bédard: Oui.
Mme Dolment: Ce n'est pas exactement cela. Peut-être que
cela est sorti comme cela dans les journaux - je ne vous blâme pas - mais
ce n'est pas exactement ce qu'elle a dit. Elle a parlé uniquement par
rapport au sexisme. J'ai posé des questions sur les lois, sur le Code
criminel, et elle n'était pas au courant des lois de son propre pays.
C'est un fait. J'ai justement fait venir de France de la documentation. Nous
avons rencontré des Françaises, elles m'ont envoyé le
résumé pour le droit de la famille. Il y a bien des endroits,
bien des points où la France est en avance sur nous sur le droit de la
famille. Quand elle a mentionné cela, c'était uniquement par
rapport au sexisme, à la lutte contre le sexisme.
M. Bédard: Je suis d'accord avec vous qu'il y a des points
où d'autres peuvent être en avance, mais je parlais de l'ensemble
d'une législation.
Mme Dolment: Oui, mais vous n'ignorez pas que la maison familiale
est très souvent, pour la plupart des gens, le seul bien qu'ils
possèdent, et les meubles évidemment. Avant, c'était la
séparation de biens, en général; le seul droit que la
femme avait, c'était sur les meubles. Même avec le nouveau droit
de la famille, le juge peut maintenant donner les meubles à l'homme.
Comme en général la maison appartient à l'homme,
très souvent, le juge va dire: Écoutez, les meubles vont aller
avec la maison. La femme va alors être dépouillée
complètement. Il y a bien des droits qu'on a perdus avec le nouveau
droit de la famille. De toute façon...
M. Leduc (Saint-Laurent): Que faites-vous, madame, de la
prestation compensatoire? Ce n'est tout de même pas
négligeable.
Mme Dolment: Vous tombez en plein dans notre sujet. La prestation
compensatoire, justement, j'y arrivais. Nous nous élevons aussi contre
cette clause révoltante qui oblige la veuve - nous parlons de la veuve
ici, nous ne retournerons pas au droit de la famille et à la loi 89 -
sûrement à grands frais - quand on sait ce que coûtent les
avocats - à prouver qu'elle a enrichi son mari pour avoir un droit sur
la maison familiale; c'est là le scandale, de prouver qu'on a enrichi un
mari pour avoir un droit sur le nid de la famille. En fait, on doit avoir un
droit sur le nid familial, simplement parce qu'on est parent, non pas parce
qu'on a enrichi le mari. Dans les autres provinces, on a reconnu cela sans
complication; c'est élémentaire, c'était même
reconnu d'une certaine façon, même avant leur modification aux
droits de la famille, parce qu'il y avait le "homestead" dans les autres
provinces, et c'était très rare qu'on mettait une femme en dehors
de la maison, parce que c'était considéré comme
l'enveloppe de la famille. Mais ici, c'est vraiment intéressé et
très vénal; il faut prouver - c'est patrimonial - qu'on a enrichi
le mari. Alors, qu'est-ce qui arrivera? Il faudra prouver qu'on a enrichi le
mari et l'autre prouvera qu'il a été appauvri par la femme; ce
qui veut dire que ce sont les avocats qui feront l'argent. Nous trouvons que
c'est un droit fondamental de posséder la moitié de la maison
familiale; maintenant, si ce n'est pas juste, je juge pourra probablement
vérifier si, oui ou non, c'est injuste.
Mais on s'en tiendra à la loi 107 et au cas de la conjointe
survivante.
M. Bédard: Quant à la comparaison avec l'Ontario,
on ne refera pas le débat sur la loi 89...
Mme Dolment: Non.
M. Bédard: ...mais, concernant la résidence
familiale et la prestation compensatoire...
Mme Dolment: Mais il arrive pour...
M. Bédard: ...il y avait peut-être un libellé
très pompeux et qui donnait l'impression de plus de droits que ce que
nous donnions nous-mêmes avec la loi 89, sauf qu'on avait établi
très clairement que soit en Ontario ou dans d'autres provinces, il y
avait énormément de moyens de passer à côté
de l'efficacité de la législation.
Mme Dolment: Si vous lisez la jurisprudence et les jugements qui
se font, en général, elles ont un droit sur la moitié des
biens, elles n'ont pas un droit sur tous les biens. Il y a bien eu des
problèmes avec les actions de Bell Canada et tout cela, mais, sur la
maison familiale, il n'y a pas de problème. Nous demandons uniquement,
sur la maison familiale, de ne pas être obligées de prouver qu'on
a enrichi le mari. La conjointe survivante a déjà a un gros
problème; parce qu'elle vient de perdre son mari,
évidemment, elle fera probablement des dettes pour enterrer le
mari et tout; il faudra qu'elle prouve par rapport aux héritiers, parce
que c'est bien mis dans la loi, qu'elle a enrichi son mari pour avoir un droit
sur la maison familiale.
J'aimerais vous faire remarquer, M. le ministre, que ce droit est
même diminué du fait qu'il faudra considérer aussi les
droits qu'elle a à cause du régime matrimonial. Il y a eu une
discussion ici, il y a quinze jours, où on disait: Non, la conjointe
survivante aura la prestation compensatoire; si elle a un contrat en
société d'acquêts, elle aura ce que lui apporte son
régime matrimonial; elle aura ceci et cela... Mais si vous relisez
l'article de loi, je me demande si ce n'est pas...
Le Président (M. Paré): Vous m'excuserez juste un
instant, s'il vous plaît. Étant donné qu'il est minuit,
selon le règlement de l'Assemblée nationale, j'aurais besoin du
consentement pour pouvoir poursuivre l'audition du présent
mémoire.
Mme Dolment: Ce ne sera pas long.
Le Président (M. Paré): D'accord, vous pouvez y
aller.
Mme Dolment: Dans l'article du projet de loi no 107, c'est bien
marqué qu'en tenant compte... Ce n'est pas à 107, excusez-moi,
mais, dans la loi 89, il faut quand même retourner à la loi 89, il
est bien indiqué, en tenant compte notamment des autres avantages qui
sont apportés par le régime matrimonial, quand on parle de la
prestation compensatoire pour la conjointe survivante, à l'article
735.1, que: "Cette prestation est fixée en tenant compte notamment des
avantages que procurent au conjoint survivant le régime matrimonial, le
contrat de mariage et la succession. Elle est payable au comptant ou par
versements." Quand on dit notamment, je crois qu'il pourrait y avoir même
des cas où, si la personne a un héritage de son père ou a
des moyens individuels, à elle personnellement, on pourrait même
en tenir compte en disant: Vous avez une fortune, ce n'est pas
nécessaire d'avoir... Notamment, on peut impliquer bien des choses et
cela laisse la porte ouverte à bien d'autres éléments. Je
pense donc que la conjointe survivante ne devrait pas avoir à prouver
qu'elle a enrichi le mari pour avoir un droit sur la moitié de la maison
familiale; cela nous paraît élémentaire, surtout dans une
situation de deuil où elle a déjà assez d'épreuves.
(Minuit)
Les parts réservataires. Nous voulons avoir, pour la femme...
Nous condamnons un peu la tendance du gouvernement à vouloir faire d'une
pierre deux coups. On a voulu probablement, avec cette question de prestation
compensatoire, récompenser la personne qui a été la femme
collaboratrice du mari. Je pense que cela a été dit dans un
mémoire quand on a discuté de la loi 107, ce devrait être
traité dans le droit commercial. Je crois que c'était
l'Association pour la planification fiscale et successorale qui a dit
clairement que ça n'allait pas du tout dans le droit de la famille, que
ça allait plutôt dans le droit commercial de pouvoir compenser le
travail qu'a fait la femme collaboratrice du mari. On mêle
enrichissement, patrimoine, travail d'une femme collaboratrice et droit
parental sur la maison familiale. Il va falloir vraiment prendre un
problème à la fois, voir quelle est la nature de ce
problème et le régler par rapport à sa véritable
nature.
Dans l'article 920, on n'exige pas une plus-value pour accorder une
compensation pour ce qui a été fait nécessairement. Si
vous regardez un peu plus loin, il y a un article de la loi qui, justement,
dit: "Elle est aussi diminuée du montant des impenses nécessaires
même si ces impenses n'ont entraîné aucune plus-value." Il
était nécessaire que quelqu'un prenne soin des enfants de la
maison, c'était aussi nécessaire que de prendre soin des impenses
et prendre soin des biens. Ce n'est pas nécessaire qu'il y ait une
plus-value, pourquoi exiger une plus-value pour elle? Il y a deux poids et deux
mesures. Sa compensation pour avoir soin de la maison, parce qu'elle va prendre
soin de la maison, quand même, c'est un droit de propriété
sur sa maison. Cette condition d'enrichissement est immorale et
discriminatoire.
Nous sommes désolées et déçues que le
ministre de la Justice place les femmes dans des situations qui les obligent
à se ruiner pour prouver leurs droits. Il y a encore une
judiciarisation. Je pense que ça vous a été
reproché plusieurs fois par rapport à la législation. Il y
a une judiciarisation du système qui coûte une fortune. On ne peut
pas se payer ces coûts d'avocat pour prouver ses droits. Une loi bien
faite et qui identifie bien les problèmes et définit correctement
les droits selon leur véritable nature éviterait ces
dépenses. On espère que la loi va être corrigée, que
les principes vont être inclus dans ce projet de loi et qu'il n'y aura
pas de trous. Très souvent, le premier paragraphe de la loi est
très bien et le deuxième paragraphe défait ce qui est dit
au premier paragraphe. Il y a très souvent des contradictions entre un
article et un autre qui est un peu plus loin. Évidemment, ça fait
faire de bonnes causes, mais, pour les personnes qui n'ont pas beaucoup
d'argent, je pense que c'est absolument injuste, et c'est même un peu
cruel.
Nous sommes cependant heureuses que le ministre ait
éliminé ce malheureux article
de la loi qui obligeait la survivante ou le survivant marié en
société d'acquêts à choisir entre sa part des
acquêts et son droit à la succession. C'est un excellent
changement qui a été fait de ne pas être obligé de
choisir entre le droit à la succession et le droit à sa part des
acquêts. Nous sommes aussi entièrement d'accord...
M. Bédard: Je trouve que vous avez l'art de manier les
fleurs, d'une part, et le pot.
Mme Dolment: Non, je suis très objective, vraiment.
M. Bédard: C'est ça.
Mme Dolment: Ce ne sont pas des fleurs du tout.
M. Bédard: Je le sais.
Mme Dolment: Ce n'est pas politique, c'est apolitique, c'est
sincère, surtout avec vous. J'achève.
M. Bédard: Je sais, c'est d'autant plus
intéressant.
Mme Dolment: Nous sommes aussi entièrement d'accord avec
son désir de tenir compte des enfants quand il s'agit de disposer de la
maison familiale. On a dit à un endroit, dans un article de droit, qu'il
faudrait considérer aussi le droit de l'enfant à rester dans la
maison familiale. Je reconnais encore là votre préoccupation des
droits de l'enfant et de l'intérêt de l'enfant et nous sommes
entièrement d'accord. L'enfant a le droit de demeurer à la
maison, parce qu'il peut être trop traumatisé de partir à
ce moment-là, même s'il a un certain âge.
Nos propositions. Il y a en fait deux catégories de biens
à partager. Je vais y aller rapidement, mais c'est quand même
très important. Nous avons divisé cela en deux catégories
de biens, les biens à partager lors d'un décès. Il y a un
partage qui n'est que l'exercice d'un droit détenu par les personnes qui
reçoivent ces biens, mais que la mort a matérialisé, et un
partage qui est l'héritage proprement dit. Il y en a un qui est un
privilège et l'autre qui est un droit. Le premier est un dû, en
tant que parent ou en tant que travailleuse - car, dans la loi 106, il faudrait
que la femme soit reconnue non seulement comme adulte, mais aussi comme
travailleuse - et l'autre est un don. Le premier doit donc être
privilégié. C'est certain que le premier doit être
privilégié. Le dû doit passer avant le don. Dans le droit
de tester sur lequel on est constamment revenu, je pense que le caprice de
tester passe après le dû aux parents ou à la conjointe.
C'est même tout le monde qui va en profiter, les contribuables et
l'État, parce qu'elle ne sera pas à la charge de l'État,
et ce ne seront pas les contribuables qui paieront parce que l'autre a eu le
caprice de faire don de choses qui auraient dû être un dû
à des personnes souvent étrangères.
Le partage privilégié. La maison familiale fait partie de
ce dû. Le RAIF se base sur le principe que la maison familiale est
quelque chose de très spécial pour la famille - je ne reviendrai
plus là-dessus - les souvenirs et la sécurité affective
qu'elle procure, l'environnement, etc. Il nous paraît donc impensable que
la maison familiale puisse être léguée à quelqu'un
d'autre qu'au parent survivant qui y demeure. Nous insistons sur ce droit
fondamental de parent. La maison familiale comprend les meubles familiaux et,
dans les meubles, il y a la voiture.
En cas de décès, nous disons que le parent survivant qui
habite la maison familiale, qu'il y demeure à la suite d'un jugement de
cour - cela peut être un droit d'habitation à la suite d'un
jugement de cour; si la femme est simplement séparée, elle ne
peut pas avoir un droit sur la maison, seulement un droit à l'habitation
tel que le dit la loi 89; ou dans un cas de divorce, elle peut avoir aussi un
droit de propriété ou la moitié de la maison ou même
un droit d'habitation; ou parce qu'y menant une vie commune avec le ou la
défunt/e -mettons qu'ils vivent ensemble - devrait avoir
l'entière propriété de la maison et des meubles, peu
importe le testament ou le contrat. Nous estimons que le testateur -mettons que
c'est le mari - ne peut pas léguer la maison à quelqu'un d'autre.
C'est obligatoire de la laisser au parent, à la conjointe.
La vie de la famille doit pouvoir continuer avec le moins de brisures
possible. Il ne faut pas faire passer le patrimonial avant le familial. Nous
revenons encore à la condition d'enrichissement qui n'a pas à
être là. Le droit à la compensation familiale, le droit sur
la maison familiale et le droit à la compensation commerciale, nous
l'avons dit tout à l'heure, doivent prendre des chemins
différents. En fondant ces trois éléments en un seul, on
lèse gravement les femmes parce qu'elles perdent un des droits... On les
fond ensemble et on fait une espèce de "bargain", mais finalement elle
perd des avantages qui devraient lui être dus à cause des autres
droits, mettons du droit en tant que femme collaboratrice ou parce qu'elle a
travaillé en tant que parente ou en tant que conjointe.
Nous disons donc qu'en cas de décès, quand il n'y a pas
d'enfants, par contre, les meubles familiaux comprenant la voiture vont au
conjoint survivant, peu importe le régime matrimonial ou le testament.
Cela concerne
les meubles. Pour la maison familiale, quand il n'y a pas d'enfants,
c'est différent. Nous disons que cela ira à la conjointe
survivante seulement après trois ans pour éviter qu'une femme se
marie par exemple, et qu'au bout de deux mois, si le mari meurt... Après
deux mois de mariage, la femme n'a vraiment pas droit à la maison. Le
mari aurait pu la laisser à sa mère ou à quelqu'un
d'autre. Quand il n'y a que deux mois qu'on vit avec quelqu'un, je pense que le
droit à la maison familiale n'a pas été beaucoup
justifié.
Si des enfants demeurent encore à la maison, un droit
d'habitation peut leur être accordé et le partage, s'il y a lieu,
être retardé. S'il y a conflit, un juge décidera...
Les parts réservataires. Il y avait le partage
privilégié et les parts réservataires. Quand il y a des
successions avec ou sans testament, nous estimons qu'il devrait y avoir une
part réservataire pour la conjointe survivante. Dans tous les cas, qu'il
y ait testament ou non... Il y a quand même des cas où la
conjointe peut être complètement déshéritée.
Je pense que c'est le notaire Leduc qui a dit qu'il n'avait pas souvenance de
cas où une femme avait été
déshéritée. Je ne suis pas certaine, ce n'est pas vous qui
avez dit cela? Quelqu'un avait dit cela, du côté libéral,
c'est-à-dire qu'il n'avait pas eu connaissance qu'une femme avait pu
être déshéritée complètement par son mari.
Nous, nous avons entendu parler de cas où la femme avait
été complètement déshéritée.
Nous pensons que la conjointe survivante a un droit à une part
réservataire. Je pense que l'Office de révision du Code civil
recommandait le tiers de la part réservataire. Nous recommandons la
moitié de la part réservataire. Évidemment, quand elle est
mariée sous le régime de la séparation de biens, il est
certain qu'elle a déjà la moitié des biens, mais, quand
elle est mariée sous le régime...
M. Bédard: Vous demandez la moitié plus la
possibilité...
Mme Dolment: Je ne vois pas où est le problème.
M. Leduc (Saint-Laurent): Non, mais...
M. Bédard: Ce que je voulais dire d'une façon
spécifique, vous l'avez mentionné tantôt...
Mme Dolment: La maison familiale, c'est un droit...
M. Bédard: Oui, cela va, plus le droit de profiter des
avantages et de la succession et du contrat...
Mme Dolment: II y a deux cas: s'il n'a pas fait de testament, si
elle est mariée sous le régime de la société
d'acquêts, elle a la moitié des biens. Nous commençons
toujours par enlever la maison familiale. La maison familiale est soustraite
avec les meubles de la succession, ce qui comprend la voiture. Elle a droit
à la moitié de ce qui reste.
M. Leduc (Saint-Laurent): Si elle est mariée sous le
régime de la communauté de biens ou sous celui de la
société d'acquêts.
Mme Dolment: Oui, c'est ce que je dis. Elle a droit à la
moitié.
M. Leduc (Saint-Laurent): Est-ce qu'elle va avoir la
moitié plus l'autre moitié?
Mme Dolment: Elle va avoir un peu plus de la moitié. Si
elle est mariée sous le régime de la société
d'acquêts, nous commençons par enlever la maison familiale qui est
un droit fondamental de parent. D'après nous, c'est un droit fondamental
de parent.
M. Leduc (Saint-Laurent): D'accord.
Mme Dolment: Ensuite, elle a droit à la moitié des
acquêts, parce qu'il faut bien qu'elle puisse vivre dans cette
maison-là. Il y a des femmes qui ont la maison et qui ne peuvent
même pas vivre dedans. Nous disons que les acquêts, c'est la
richesse accumulée.
M. Leduc (Saint-Laurent): D'accord.
Mme Dolment: La maison, c'est quelque chose à part. La
maison, pour nous, c'est l'enveloppe familiale. C'est quelque chose de
très spécial. C'est complètement à part. Les
meubles, la maison et la voiture, c'est à part. Le reste, ce sont les
biens accumulés. C'est la richesse, enfin, l'argent, les parts, etc.
Elle a droit à la moitié des acquêts. Mais on commence
toujours par enlever la maison familiale.
M. Leduc (Saint-Laurent): Je suis d'accord. Vous dites que la
moitié...
Mme Dolment: Maintenant, la séparation de biens.
M. Leduc (Saint-Laurent): Mais, si elle est mariée sous le
régime de la communauté de biens ou sous celui de la
société d'acquêts...
Mme Dolment: C'est ce que je dis, la société
d'acquêts.
M. Leduc (Saint-Laurent): ...elle va aller chercher sa
moitié, plus la moitié du reste. Est-ce que c'est cela?
Mme Dolment: Non, c'est plus que cela. Elle a toute la maison
familiale.
M. Leduc (Saint-Laurent): D'accord. Vous donnez la maison
familiale, les meubles, la voiture.
Mme Dolment: Mais c'est cela, le régime de la
société d'acquêts. C'est ce que je vous dis.
M. Leduc (Saint-Laurent): Société d'acquêts
ou non, vous dites qu'elle l'a.
Mme Dolment: C'est cela, oui.
M. Leduc (Saint-Laurent): Ensuite, qu'est-ce que vous donnez? Si
elle est mariée sous le régime de la communauté de biens,
vous allez donner la moitié des biens également, ou sous le
régime de la société d'acquêts.
Mme Dolment: C'est cela. C'est ce que je viens de
répondre. Vous venez de le dire. Sous le régime de la
société d'acquêts, c'est ce qu'elle a. Vous venez de le
dire, oui, c'est cela.
M. Leduc (Saint-Laurent): Et la moitié du reste.
M. Bédard: Je voudrais vous poser une question très
précise. Vous dites que, pour ce qui est de la part, de la
réserve, ce devrait être la moitié; c'est ce que vous
proposez, plus le droit aux avantages matrimoniaux...
Mme Dolment: C'est cela, les avantages matrimoniaux, c'est la
moitié des biens.
M. Bédard: Une seconde. C'est parce que je...
Mme Dolment: C'est sous le régime de la
société d'acquêts. On parle de la société
d'acquêts. On ne parle pas de la séparation de biens.
M. Bédard: Je l'avais...
Mme Dolment: Pour nous, la maison familiale, comme je l'ai dit,
on la met toujours à part. Alors, il y a deux cas qui peuvent rester: la
communauté de biens... En fait, trois cas; le régime de la
communauté de biens n'existe plus, mais, enfin, il y a encore des gens
mariés sous ce régime. Il y a la communauté de biens, la
société d'acquêts et la séparation de biens.
M. Leduc (Saint-Laurent): II faut qu'elle renonce à la
communauté de biens ou à la société
d'acquêts, parce qu'il faut bien se comprendre.
Mme Dolment: Non, j'ai félicité le ministre
justement parce qu'il ne sera pas... Maintenant, elle n'est plus obligée
de renoncer à...
M. Leduc (Saint-Laurent): D'après votre formule, j'essaie
de vous suivre.
Mme Dolment: Elle ne renonce à rien du tout.
M. Leduc (Saint-Laurent): Oui, mais la maison familiale, s'il y a
des biens de communauté, disons, très importants.
Mme Dolment: Oui, mais la maison familiale, on la
considère...
M. Leduc (Saint-Laurent): On l'a donnée.
Mme Dolment: Oui, c'est ce que je dis. La maison familiale, c'est
automatique, c'est l'enveloppe de la famille. Ne la considérez
pas...
M. Leduc (Saint-Laurent): Par où commencez-vous?
M. Bédard: Est-ce que vous placez la réserve juste
sous le régime de la séparation de biens?
Mme Dolment: Non, la réserve est dans tous les cas, mais
cela va revenir au même. Je comprends ce que vous voulez dire. Oui.
M. Bédard: Parce que je...
Mme Dolment: Quand il y a la société
d'acquêts...
M. Leduc (Saint-Laurent): Ou la communauté de biens.
Mme Dolment: En tout cas. Prenons le régime de la
société d'acquêts. Elle a droit automatiquement, par le
régime matrimonial, à sa moitié de biens. Alors, il
reste...
M. Leduc (Saint-Laurent): Les biens du mari.
Mme Dolment: Oui, moitié-moitié. Ensuite, il reste
l'autre moitié qui appartient au mari. Maintenant, le mari peut...
M. Bédard: Elle a droit à...
Mme Dolment: II y a deux situations. Il peut avoir fait un
testament ou non.
M. Bédard: C'est cela.
Mme Dolment: S'il a fait un testament et qu'elle n'est pas du
tout mentionnée dans
le testament, c'est correct. Elle n'est pas mentionnée dans le
testament, elle n'aura que sa moitié des acquêts.
M. Bédard: Mais si elle est mentionnée dans le
testament, elle a droit, en plus, à ses avantages d'héritier.
Mme Dolment: Oui.
M. Bédard: Plus, enfin...
Mme Dolment: Cela a du bon sens. S'il veut tout lui laisser...
Écoutez! En séparation de biens, il est écrit: au
survivant les biens et tout, de la même façon.
M. Leduc (Saint-Laurent): Mais, si elle est mariée sous le
régime de la communauté de biens ou sous celui de la
société d'acquêts, il reste des biens. Alors, il y a une
moitié de la communauté des biens. Elle va aller chercher sa
moitié dans les biens de la communauté.
Mme Dolment: Oui.
M. Leduc (Saint-Laurent): Ensuite, elle va aller chercher la
moitié du reste?
Mme Dolment: Non. C'est ce que je dis. Dans l'autre moitié
qui reste, qui est la part du mari, si on peut dire, du mari
décédé, tout dépend s'il a fait un testament ou
s'il n'en a pas fait.
M. Leduc (Saint-Laurent): Mais il n'y a pas de testament.
Mme Dolment: S'il n'y a pas de testament, d'après moi,
elle devra aller chercher ce qui est marqué dans le code,
c'est-à-dire que ce qui lui reste à lui...
M. Leduc (Saint-Laurent): C'est une communauté de biens.
Disons qu'il n'y a aucun bien propre, c'est 50-50. C'est la situation la plus
claire et, je dirais, la plus normale ou la plus répandue.
Habituellement, les gens se sont mariés sans aucun bien, ils n'ont pas
hérité. Ce sont des biens de communauté. Disons 100 000
$.
Mme Dolment: Dans le cas d'une communauté...
M. Leduc (Saint-Laurent): Disons 100 000 $ et également
une propriété, une auto et des meubles dont la
propriété va à la femme, les meubles et l'auto à la
femme. Il nous reste 100 000 $. Comment faites-vous cela? Comment partagez-vous
cela? En communauté de biens, 50-50? (0 h 15)
Mme Dolment: 50 000 $ à la femme.
M. Leduc (Saint-Laurent): Elle a déjà ses 50%, il
reste 50 000 $.
Mme Dolment: Elle a 50 000 $ parce qu'elle s'est mariée en
communauté de biens...
M. Leduc (Saint-Laurent): D'accord.
Mme Dolment: Je peux me tromper, je ne suis pas notaire et je
connais un peu moins la communauté de biens, mais j'imagine que c'est la
même chose que la société d'acquêts. Les autres 50
000 $, normalement, devraient être couverts par ce qui est dans la loi
sur les successions, c'est-à-dire s'il a des enfants et s'il est mort
sans testament... S'il est mort sans testament, les 50 000 $ qui restent,
j'imagine, doivent aller selon l'attribution faite dans la loi,
c'est-à-dire à ses père, mère et, s'il n'a pas
d'enfants, à son conjoint.
M. Bédard: Des pourcentages sont prévus pour la
femme, les enfants, etc.
Mme Dolment: Oui, c'est prévu dans la loi, j'imagine.
M. Leduc (Saint-Laurent): Le tiers. Elle irait chercher le
tiers.
Mme Dolment: Cela, c'est s'il n'y a pas de testament.
M. Leduc (Saint-Laurent): Ensuite, la moitié de ce qui
reste.
Mme Dolment: Pardon?
M. Leduc (Saint-Laurent): Ensuite, la moitié. Ensuite,
elle irait chercher...
Mme Dolment: Non, la part réservataire, c'est surtout dans
le cas d'une séparation de biens où elle n'aurait droit à
rien.
M. Leduc (Saint-Laurent): Ah! bon! II faudrait donc dire que
c'est le cas d'une séparation de biens.
Mme Dolment: C'est surtout dans ce cas.
M. Bédard: C'est pour cela que je vous posais la question
tout à l'heure, vous y avez répondu d'ailleurs.
M. Leduc (Saint-Laurent): Surtout? On ne peut pas dire "surtout",
c'est oui ou non. Est-ce que cela s'applique seulement pour la
séparation de biens? Je voudrais bien le savoir.
Mme Dolment: Attendez une minute.
C'est ce qu'on dit: sera "attribué à la conjointe
survivante si elle était mariée en séparation de biens,
qu'il y ait testament ou non". Vous m'avez posé une question. C'est
sûr qu'elle aura 50% si elle était mariée en
communauté de biens ou en société d'acquêts; c'est
certain qu'elle va les avoir. C'est automatique, elle a la moitié
à ce moment-là.
M. Leduc (Saint-Laurent): D'accord.
Mme Dolment: Oui, je comprends ce que vous voulez dire. Dans le
cas d'une succession, s'il y a des enfants, elle n'aura que le tiers des deux
tiers des 50 000 $ qui restent. C'est probablement pour cela que vous me posiez
la question. Dans le cas des 50 000 $ qui restent - allons-y avec des chiffres,
ce sera plus simple - en société d'acquêts, d'après
la règle d'attribution, s'il y a des enfants, les enfants sont
censés avoir deux tiers et la femme un tiers. Nous croyons qu'elle
devrait avoir la moitié. La règle d'attribution sera
changée, un peu modifiée pour lui donner 50%.
M. Leduc (Saint-Laurent): Donc, ce n'est pas une clause
réservataire. Mais, en tout cas...
Mme Dolment: Je pense que ce n'est pas scandaleux.
M. Bédard: Ce qui veut dire, dans votre exemple, qu'elle
aurait 75 000 $ sur les 100 000 $.
Mme Dolment: Exactement. Je pense que ce n'est pas énorme
quand on y pense. Notre principe - on y revient à la fin - est que les
enfants majeurs n'ont qu'à gagner leur vie. Elle a travaillé avec
lui, alors elle y a bien droit. L'Association québécoise de
planification fiscale et successorale donnait tout à la conjointe
automatiquement. Nous gardons quand même certaines normes, au bout de
trois ans, etc.
Disons que c'est assez clair, ce que nous voulons pour la part
réservataire. Dans le cas de la séparation de biens, c'est aussi
très clair parce qu'elle peut être complètement
lésée; c'est sûr qu'elle a droit à la moitié.
Maintenant, il y a l'ex-conjointe survivante. C'est extrêmement important
pour l'ex-conjointe survivante. C'est une des plus grandes failles de notre
système. M. Bédard a très souvent évoqué le
cas d'un remariage, de mariages successifs. Je pense que cela répond
à votre objection quand vous dites que vous vous préoccupez
encore une fois des enfants, s'il y a des enfants d'un premier mariage, des
enfants mineurs. Vous avez apporté une objection à cette
association en disant: Oui, mais si un deuxième mariage est fait avec
une jeune femme de 25 ans qui gagne très bien sa vie, alors que l'autre
a eu cinq enfants, elle reste prise avec les enfants et elle est
complètement déshéritée. Que faire? Vous avez
raison dans ce cas.
C'est pour cela que nous avons fait une proposition pour que
l'ex-conjointe survivante, la conjointe qui avait un ex-mari, ait droit
à un recours contre la succession selon la capacité de payer de
la succession. Ce peut être un montant forfaitaire, tout dépend.
Si c'est une grosse fortune, ce peut être une rente, comme cela se fait
parfois. S'il n'y a pas beaucoup d'argent, ce peut être un montant
forfaitaire qui lui permettra de se retourner, de se trouver du travail et de
voir venir un peu pendant quelques années, toujours selon la
capacité de payer de la succession. Je pense que cela répond
à ce problème.
Autrement, c'est l'État qui va être obligé de la
prendre en charge; ce serait extrêmement lourd pour l'État
d'être obligé de payer. Ce que nous recommandons, en même
temps, favorise une meilleure redistribution. Il ne faut pas oublier qu'avant,
le patrimoine était l'État providence, c'est-à-dire qu'il
n'y avait pas d'État providence, c'était le patrimoine qui payait
pour les personnes à charge. Maintenant, cela est disparu, c'est
l'État qui paie, ce qui veut dire que ce sont les contribuables qui
paient. Si on n'a pas une bonne hiérarchie dans les droits,
c'est-à-dire les droits privilégiés, les
responsabilités passent avant le droit de tester.
Maintenant, le conjoint. Nous reconnaissons les mêmes droits au
conjoint de fait qui a des enfants parce que, pour nous, c'est toujours le
même principe de responsabilité. La maison familiale doit aller
à la conjointe de fait qui a des enfants. Le père n'a pas le
droit de la léguer à d'autres personnes parce que c'est
l'enveloppe familiale. Pour nous, c'est quelque chose de presque vivant, une
maison, un troisième parent. Marié ou pas marié, cela ne
change rien du tout.
M. Leduc (Saint-Laurent): Si vous me permettez. Un conjoint de
fait, quelle en est votre définition?
Mme Dolment: Pardon?
M. Leduc (Saint-Laurent): Quelle est votre définition du
conjoint de fait?
Mme Dolment: Pour nous, le conjoint de fait... Nous l'avons dit -
évidemment, je ne voulais pas trop entrer dans les détails et
lire tout le mémoire - que, pour nous, la famille, ce n'est pas un
couple. Pour nous, un couple, ce sont toujours des individus. Conjoints de
fait, dans le cadre de la loi 107, ce sont des gens qui ne sont pas
mariés, mais qui ont des enfants, parce qu'on a bien dit:
conjoint de fait qui a des enfants. Conjoints de fait, c'est un couple qui vit
ensemble. Pour nous, nous ne reconnaissons aucun droit familial à un
couple qui n'aurait pas d'enfants; déjà, dans le premier
mémoire que nous avons présenté au cours des travaux de
l'Office de révision du Code civil - j'espère qu'on ne perdra pas
de crédibilité en vous disant cela, c'est très logique et,
chaque fois qu'il y a eu des problèmes, notre solution répondait
au problème - nous estimions que des gens qui n'ont pas d'enfants ne
devraient pas avoir le droit de se marier. Ne bondissez pas! Les gens qui n'ont
pas d'enfants, qui ne sont pas... Rien n'empêche que cela répond
à bien des objections. Nous l'avons laissé tomber justement pour
éviter ces sourires et ces rires, mais, en fait, c'est très
logique.
L'État ne doit protéger que là où il y a
matière à protection, c'est-à-dire là où il
y a des faibles. Deux êtres qui vivent ensemble ne sont pas deux
êtres faibles, chacun doit gagner sa vie, chacun doit pourvoir; ce sont
des êtres autonomes. Il n'y a aucune justification pour avoir une loi
spéciale, tel le droit de la famille, qui protégerait deux
êtres qui sont autonomes. On arrive à toutes sortes d'injustices
avec la loi actuelle parce qu'on reconnaît des droits à des
couples qui n'ont pas droit du tout d'avoir des droits de conjoints survivants,
quand ce sont deux personnes parfaitement autonomes. C'est pour cela que vous
avez le problème des homosexuels qui invoquent la charte pour dire
qu'ils ont droit à un an de conjoint survivant. Vous arrivez à
des espèces de contradictions ou d'aberrations comme ce que je viens de
vous dire. On pourra en discuter plus longuement une autre fois, quand il ne
sera pas minuit vingt.
Maintenant, les successions sans testament. Je pense que M.
Bédard comprend bien le point de vue. Justement, il ne veut plus faire
de distinction entre enfants illégitimes et enfants légitimes
pour protéger les droits des enfants. Des conjoints de fait qui ont des
enfants ont les mêmes droits sur la maison familiale.
Successions sans testament. Une fois les biens familiaux
privilégiés et la part réservataire de la conjointe
survivante ou du conjoint - le conjoint survivant a les mêmes droits -
soustraits de la succession, une part réservataire du quart des biens
restants sera octroyée à la mère de la ou du
décédé, si elle est née avant 1944. C'est une
génération de femmes qui sacrifiaient vraiment leur profession ou
enfin leur chance de gagner de l'argent. Elles n'avaient même presque pas
le droit de travailler dans ce temps. Elles sont restées à la
maison et n'ont aucune protection. Elles n'ont pas d'argent très
souvent. Elles sont encore dépendantes du mari. Cela nous paraît
normal qu'il y ait une part réservataire dans le cas où il n'y a
pas de testament. Ici, il manque un petit mot: c'est sans testament. Née
avant 1944 et sans testament.
Pour un enfant qui meurt sans testament, que ce soit un homme ou une
femme, la mère aura droit à une part réservataire du
quart. Mais cela est ce qui reste, quand la maison familiale et les meubles
auront été octroyés et quand la part réservataire
aura été octroyée à la conjointe survivante qui
aura en plus très souvent des assurances et peut-être un compte en
banque. Ce ne sera peut-être pas grand-chose. Enfin, le quart ira
à la mère. Ce n'est pas scandaleux puisque, actuellement, les
parents ont droit à quelque chose quand il n'y a pas de testament.
Car les mères de cet âge sont toutes mamans. Cette
génération de mères... Bon! Vous l'avez déjà
lu dans le mémoire probablement, si vous l'avez lu avant.
La conjointe survivante qui aura déjà les meubles, la
maison et une part réservataire personnelle dans le cas de la
séparation de biens, je viens de le dire, et la moitié des
acquêts dans le cas de ce régime matrimonial, en plus des
assurances et autres réserves et avantages sociaux (rentes,
régimes de retraite, tout cela, parce qu'elle aurait peut-être une
rente de conjoint survivant) une assurance automobile, si le mari est mort dans
un accident, avec des prestations très généreuses et
peut-être bien des biens personnels et un salaire, ne sera pas
lésée.
Une soeur ou un frère, mais c'est plus souvent la soeur, qui a
payé pour les études de la personne
décédée... On a beaucoup de cas où c'est la soeur
et, de celles-là, on en connaît même dans notre mouvement,
qui ont payé pour que leur frère fasse son cours; très
souvent, on obligeait même la soeur à payer en disant: C'est lui
qui doit faire le cours universitaire. On sacrifiait la soeur. Je pense que la
soeur pourrait retourner contre la succession et dire: Moi, j'ai payé
tout le temps, j'ai droit... Cela dépend des successions,
évidemment, s'il y a assez d'argent. Je pense qu'elle pourrait - enfin,
le juge décidera - avoir une compensation, parce qu'il y a beaucoup
d'ingratitude très souvent. S'il y a une succession et de la richesse,
c'est parce que la soeur a payé pour faire faire le cours. Parfois,
c'est le frère, mais, en général, c'est la soeur.
Quant à l'héritage proprement dit, on arrive justement au
caprice de tester, si on peut dire, pour faire opposition à l'autre qui
est une obligation, c'est-à-dire que c'est simplement un don qu'on fait
comme cela. Le partage proposé à l'article 725, un tiers à
la conjointe ou conjoint survivant et deux tiers aux enfants, aux descendants,
se comprend difficilement. Tout le monde vous l'a dit d'ailleurs. Sauf dans le
cas d'enfants
mineurs, handicapés gravement ou encore aux études, quel
besoin ont les enfants d'être privilégiés par rapport
à la conjointe qui a investi sa vie dans la famille? On estime qu'il n'y
a aucune raison de privilégier des enfants majeurs par une succession.
Ils n'ont qu'à gagner leur vie. C'est même très mauvais de
laisser beaucoup d'argent à des enfants parce qu'ils le gaspillent.
Très souvent, ils vont se droguer ou boire ou tout cela, ou même
dilapider les biens quand c'est une compagnie. Il y a même des
employés qui vont perdre leur travail. On pense que c'est à
chacun de gagner sa vie. Ce n'est pas la question qu'il ait un privilège
dans ce projet de loi dans le cas d'une entreprise familiale où, si
l'enfant a travaillé, on privilégie l'enfant qui a
travaillé; c'est parfait. On parle de cas où l'enfant
n'était pas du tout dans l'entreprise familiale. On pense que c'est la
conjointe qui doit l'avoir.
Le Président (M. Paré): Je m'excuse, madame, de
vous interrompre. Je voudrais juste vous demander d'accélérer
parce que, habituellement, on essaie de se maintenir à une heure par
audition. Cela fait déjà un peu plus d'une heure.
Mme Dolment: Oui, d'accord. La proportion qui revient à la
conjointe par rapport aux descendants devrait être donc être
modifiée. On veut modifier la proportion 1/3-2/3, on n'est pas du tout
d'accord. On a dit tout à l'heure ce qu'on voulait.
Par rapport aux parents, on n'est pas d'accord non plus que la
mère ait le même montant que le père. On voudrait que la
mère ait plus que le père dans le cas où la succession va
aux parents. On voudrait que la mère ait plus parce que, très
souvent, la mère n'a pas de salaire, n'a pas de rentes. Elle est
très souvent lésée. Elle a tout mis de côté
pour élever les enfants. On voudrait qu'elle ait une proportion plus
grande de la succession que le père, dans le cas où cela va aux
parents.
À l'article 896, il nous semblerait indiqué d'ajouter
après "du conjoint survivant": "peu importe le régime matrimonial
du ou de la défunte", ce qui donnerait: "Dans la composition des lots,
on doit tenir compte des dispositions testamentaires, du droit de
préférence du conjoint survivant, peu importe le régime
matrimonial du ou de la défunte". C'est au cas où vous ne
reconnaîtriez pas notre droit qu'on veut avoir sur la maison familiale.
On voudrait que, peu importe le régime matrimonial, la femme puisse
décider d'avoir la maison dans son lot - quand il y a une succession et
qu'elle est dans le testament -parce que c'est simplement dans le cas de la
société d'acquêts que la femme peut choisir de mettre la
maison dans son lot.
C'est pas mal tout. Nous ne sommes pas du tout d'accord que la
succession sorte de la famille immédiate: les cousins, les cousines, les
neveux, les tantes. Quand il n'y a pas de testament, cela ne devrait pas du
tout aller aux autres, cela devrait retourner à l'État. Nous
sommes tout à fait contre les successions qui ne sont pas envers des
personnes qui ont un droit sur la succession, c'est-à-dire la conjointe
qui a gagné - elle a gagné autant que le mari
décédé - et les enfants qui sont à charge. Il est
évident que le mari peut toujours laisser, qu'il peut faire un testament
s'il le veut. Dans le cas où il n'y a pas de testament, nous estimons
que cela devrait retourner à l'État, c'est-à-dire aux
contribuables, à la société, parce que nous sommes tout
à fait contre le fait que les gens qui ne travaillent pas, qui n'ont pas
travaillé, qui n'ont fait aucun travail pour gagner cet argent, aient un
droit sur cet argent. Cela doit retourner à la société
s'il n'y a pas de parents directs: père, mère, enfants ou
conjoint.
M. Bédard: M. le Président...
Mme Dolment: Vous avez d'ailleurs...
M. Bédard: Oui, nous avons les deux mémoires.
Mme Dolment: Pardon?
M. Bédard: Vous avez donné tout le
côté substantiel des deux mémoires. Je voudrais remercier
effectivement le Réseau d'action et d'information pour les femmes, que
vous représentez de même que madame qui vous accompagne de
l'ensemble de ses représentations. En ce qui me concerne et en ce qui
concerne mon collègue aussi, nous nous sommes permis de poser les
questions à mesure que vous y alliez de vos représentations et,
étant donné l'heure tardive aussi, je n'aurais pas d'autres
questions à poser, si ce n'est, encore une fois, de vous remercier de
votre collaboration et de vos représentations.
Mme Dolment: Je ne pense pas avoir dépassé
l'heure.
M. Bédard: Soyez bien à l'aise. Tout le monde
était d'accord. Vous aviez des choses à dire, vous les avez
dites. Je pense que c'est ce qui est important.
M. Leduc (Saint-Laurent): Vous nous avez étourdis un peu,
mais... (0 h 30)
Mme Dolment: Ce n'est pas à cause de ce que je vous ai
dit; je suis sûre que vous êtes d'accord avec ce que j'ai dit.
Maintenant, c'est politique, ce que je dis.
Le Président (M. Paré): Je vous
remercie beaucoup de votre patience, malgré l'heure tardive. On
prend note de vos demandes.
Mme Dolment: Est-ce que je peux ajouter un petit mot, une petite
phrase?
Le Président (M. Paré): Allez!
Mme Dolment: Je demanderais aux gens qui ont été
surpris, entre autres du côté libéral, de
réfléchir sur ce que j'ai dit. Sincèrement, en
réfléchissant au bien de l'enfant et aux droits du conjoint, je
crois que vous serez peut-être d'accord avec plus de choses que vous ne
le croyez.
M. Leduc (Saint-Laurent): Madame, je respecte vos idées et
vos opinions, mais je ne les partage pas nécessairement.
Mme Dolment: J'y réfléchis.
Le Président (M. Paré): Merci. Est-ce que vous
aviez quelque chose pour conclure, M. le ministre?
M. Bédard: M. le Président, nous concluons -
effectivement, j'ai un petit commentaire en conclusion - maintenant nos travaux
qui, je tiens à le mentionner, ont été très
fructueux et nous ont apporté un éclairage fort utile. Il est
évident que tout le monde est en mesure de constater, avec la
diversité des opinions qui ont été exprimées par
les différents groupes devant cette commission, que nous avons un
travail gigantesque à accomplir pour essayer de concilier l'ensemble de
ces expressions d'idées, à la lumière des besoins de la
réalité québécoise. Je tiens d'abord à
remercier toutes les personnes qui, à titre personnel ou à titre
de représentants d'associations ou d'organismes, sont venues
présenter des mémoires devant cette commission parlementaire. Je
remercie aussi toutes les personnes qui, sans se présenter devant la
commission, parce qu'il y en a beaucoup, ont quand même jugé bon
de faire parvenir leurs commentaires sur cette étape importante de la
réforme du Code civil que nous étudions présentement.
Comme je l'ai déjà dit, la réforme du Code civil
représente une tâche très importante. Il est indispensable
que le Code civil, qui est une loi fondamentale et qui constitue la charpente
du droit québécois, reflète le plus adéquatement et
le plus fidèlement possible la réalité
québécoise. C'est d'ailleurs dans ce but que j'ai cru
nécessaire que la réforme du Code civil, en accord avec nos amis
de l'Opposition, soit précédée d'une importante
consultation de façon à permettre aux citoyennes et aux citoyens
du Québec, qui sont les premiers touchés par cette
législation, d'apporter leur point de vue et de faire part de leurs
commentaires aux législateurs.
Le nombre de mémoires qui ont été
déposés démontre bien que, malgré la
complexité non seulement apparente, mais réelle du dossier, le
caractère plus technique des projets actuellement à
l'étude, il reste quand même que le nombre de mémoires
démontre que ces dossiers, les sujets traités, suscitent un
intérêt certain dans la population.
La participation de nombreux organismes démontre aussi la grande
variété des intérêts en présence, des
opinions et la complexité de la tâche du législateur
chargé de concilier ces intérêts et de dégager un
consensus social sur les différentes questions que pose la
réforme entreprise.
Je pense notamment à l'accroissement de l'intervention judiciaire
qui est, d'une part, revendiquée depuis longtemps par les organismes
voués à la défense des droits des personnes
affectées par cette législation et qui est, d'autre part,
jugée trop importante par les porte-parole des milieux hospitaliers
médicaux et même par des parents d'enfants vivant avec un handicap
mental.
Je termine en disant que je pense aussi à une apparente
confusion, voire à d'évidentes contradictions qui se
dégagent de certaines représentations qui nous ont
été faites en ce qui a trait à l'inviolabilité de
la personne et à la défense et à la protection de certains
droits. Les deux derniers groupes à comparaître devant nous en
sont la meilleure illustration.
En plus du nombre, je tiens à souligner aussi la qualité
des mémoires qui nous ont été présentés
ainsi que la pertinence de certains commentaires qui nous ont été
formulés. Cela démontre bien, encore une fois, le sérieux
de la réflexion à laquelle se sont livrés les organismes
qui ont bien voulu se faire entendre devant la commission.
La consultation que nous avons entreprise nous permettra donc de
parfaire ces deux projets de loi - je nous souhaite bonne chance - et de nous
assurer qu'ils répondront adéquatement aux attentes de la
population. Ainsi, notre réflexion se poursuivra à la
lumière des idées et des commentaires que nous avons reçus
pendant les quatre jours qu'aura duré la commission parlementaire, ainsi
que des commentaires qui ont été acheminés directement et
qui continueront de l'être à mon bureau, ou qui me seront faits
personnellement. Merci encore une fois, M. le Président.
Le Président (M. Paré): Avant de terminer,
j'aimerais rappeler aux membres de la commission qu'on a reçu un autre
mémoire de l'Ordre des infirmières et infirmiers du
Québec, mais pour dépôt seulement. Je veux aussi rappeler
au rapporteur désigné qu'il doit faire rapport à
l'Assemblée nationale dans les plus brefs délais
possible.
La commission ayant accompli le mandat qui lui avait été
confié, les travaux sont ajournés sine die. Bonne nuit, mesdames
et messieurs.
(Fin de la séance à 0 h 36)