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(Dix heures dix minutes)
Le Président (M. Blouin): Je déclare ouverte la
séance du 13 avril 1983 de la commission élue permanente de la
justice. Je relis, d'abord, le mandat de la commission qui est d'entendre des
personnes et des organismes en regard des projets de loi no 106, Loi portant
réforme au Code civil du Québec du droit des personnes, et no
107, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des
successions.
Les membres de cette commission sont: M. Bédard (Chicoutimi), M.
Charbonneau (Verchères); M. Dupré (Saint-Hyacinthe) qui remplace
M. Brouillet (Chauveau); M. Dauphin (Marquette), Mme Juneau (Johnson), M. Kehoe
(Chapleau), Mme Lachapelle (Dorion), M. Lafrenière (Ungava), M. Leduc
(Saint-Laurent), M. Marx (D'Arcy McGee).
Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Blank
(Saint-Louis), M. Boucher (Rivière-du-Loup), M. Dussault
(Châteauguay), M. Fallu (Groulx), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie); M. Polak
(Sainte-Anne) qui remplace M. Paradis (Brome-Missisquoi) et M. Saintonge
(Laprairie).
Je vais donner lecture des associations qui, aujourd'hui, ont
été mises à l'ordre du jour et, en même temps, je
vais vérifier si, parmi l'assistance, les représentants de ces
associations sont présents. D'abord, l'Association des femmes
collaboratrices. Est-ce que les représentantes de cette association sont
présentes? Il s'agissait du premier groupe à l'ordre du jour.
L'Association québécoise de planification fiscale? Est-ce que les
représentantes de l'Association des femmes collaboratrices sont
présentes? Elles sont là. La Commission des services juridiques;
le Regroupement des comités logement et des associations de locataires;
l'Association pour la promotion des droits des handicapés?
Une voix: Oui.
Le Président (M. Blouin): L'Association des hôpitaux
du Québec?
Une voix: Oui, M. le Président.
Le Président (M. Blouin): L'Assemblée des
évêques du Québec?
Une voix: Présent, M. le Président.
Le Président (M. Blouin): L'Association canadienne pour la
santé mentale?
Une voix: Présent.
Le Président (M. Blouin): L'Association du Québec
pour les déficients mentaux?
Une voix: Présent.
Le Président (M. Blouin): Groupe Auto-Psy?
Une voix: Présent.
Le Président (M. Blouin): Alors, vous constatez, pour ceux
qui ont assisté à nos travaux hier, que la liste d'aujourd'hui
est encore assez longue. Nous serons davantage fixés cet
après-midi, mais je crois que nous pouvons dès lors
prévoir que nous ne serons pas en mesure d'entendre les mémoires
de tous ces groupes qui ont été inscrits à l'ordre du
jour. Nous allons essayer, cependant, d'agir avec le plus de
célérité possible en limitant nos débats selon les
habitudes des commissions parlementaires. Nous demandons à nos
invités d'utiliser une vingtaine de minutes pour la présentation
de leur mémoire. Tant au parti gouvernemental qu'au parti de
l'Opposition, nous demandons d'utiliser chacun vingt minutes également
pour interroger nos invités. Cela veut dire que nous devrions, en
principe - enfin, nous l'espérons - pouvoir d'heure en heure entendre
une association ou un groupe invité.
Sans plus tarder, je demande à l'Association des femmes
collaboratrices de venir s'installer à la table des invités. Pour
les fins du journal des Débats, je demanderais aux représentantes
de cet organisme de bien vouloir s'identifier et, ensuite, de nous livrer le
contenu de leur exposé.
Association des femmes collaboratrices
Mme Laberge (Marie-Reine): Vous nous prenez un petit peu par
surprise, car nous devions être le troisième groupe, selon l'ordre
du jour prévu. Je me présente. Je suis Marie-Reine Laberge,
présidente de l'Association des femmes collaboratrices du Québec.
À ma droite, Mme Brigitte Carpentier, qui est représentante
régionale du même organisme pour la région de
Québec.
Nous sommes très heureuses de venir vous soumettre nos
recommandations. Les circonstances ont voulu que, ce matin, nous fassions un
peu exception à la règle. Pour avoir assisté à la
séance d'hier, nous avons constaté que c'étaient des
spécialistes en matière juridique qui, jusqu'à
présent, ont apporté leurs recommandations. Nous aurions pu ne
pas faire exception parce que notre conseillère juridique, Me Suzanne
Dame, devait être avec nous, mais un concours de circonstances l'en a
empêchée.
Nous nous sommes intéressées dès le début
à la réforme du Code civil du Québec, alors que nous
avions fait une présentation à l'occasion du projet de loi no 89.
Certaines de nos recommandations ont, d'ailleurs, été retenues en
partie, effectivement en rapport avec la prestation compensatoire. Aujourd'hui,
nous ferons des recommandations concernant la réforme de la loi 107
seulement, c'est-à-dire celle qui traite du droit des successions.
Ce qui fait que nous nous intéressons à cet aspect de la
réforme de cette loi, c'est que, par les objectifs que nous poursuivons,
dont la reconnaissance de la valeur économique du travail des femmes qui
collaborent avec leur mari dans une entreprise à but lucratif, nous
tenons à ce que des lois soient en vigueur pour rétablir
l'équilibre dans toute circonstance déterminante si, justement,
le travail de ces femmes n'a pas été reconnu au fur et à
mesure qu'il était accompli.
Comme nous sommes conscientes que dans plusieurs cas, et on pourrait
même dire pour la majorité des femmes collaboratrices, le
système de collaboration prend fin par le décès, il
était tout indiqué qu'on se penche sur cette question. Par ce qui
se vit comme situation pour ces femmes, il est clair que leurs droits actuels
sont dépendants des droits matrimoniaux. Elles se retrouvent avec des
droits que l'on pourrait appeler "extrapatrimoniaux" qui ne peuvent pas
être retransmis parce que, la plupart du temps, cela se limite à
une espèce de reconnaissance morale de leur implication dans
l'entreprise. Effectivement, ce serait le seul bien qu'elles pourraient
léguer.
L'association croit justifié qu'on puisse légiférer
en vue d'éliminer certaines injustices et pour permettre aux nouveaux
droits et devoirs des époux d'être concordants avec les droits qui
régissent la transmission des biens. Effectivement, selon une
enquête, le travail des femmes collaboratrices n'est pas reconnu, compte
tenu que 85% d'entre elles travaillent dans des entreprises qui sont à
propriétaire unique. Donc, la forme d'entreprise ne reconnaît pas
systématiquement ce travail. L'enquête dont je parle a
été tenue par l'Association féminine d'éducation et
d'action sociale en 1975. Tout nous permet de croire que la situation n'a pas
tellement changé jusqu'ici.
L'enquête disait aussi que 54% de ces femmes sont mariées
en séparation de biens. Dans bien des cas, la femme collaboratrice
verse, en plus, au patrimoine familial de son argent personnel provenant d'un
travail à l'extérieur ou même d'autres biens personnels et
ce, sans qu'elle n'ait jamais aucune garantie, comme un droit de
propriété, la mentalité voulant que la femme doive faire
confiance à son mari.
Il est bien clair que la femme collaboratrice a accepté de
collaborer à partir de règles qui ont été
établies avant 1980 par le Code civil. Elle demeure toujours la
travailleuse invisible que l'industrialisation n'a pas su inclure dans la
population dite active et pourtant, selon des statistiques qui ont
été citées par Mme Monique Bégin lors d'une
intervention en Chambre en janvier 1981, il y en aurait autour de 125 000 au
Québec.
Dans l'ensemble, il y a plusieurs points avec lesquels nous sommes
d'accord dans la réforme qui est proposée. Entre autres, nous
appuyons l'article 684, qui vise à modifier le délai pour exercer
le droit d'opter: l'article 712, concernant la possibilité de conserver
la capacité de choix entre ses droits et avantages matrimoniaux; les
articles 730 et 731, qui privilégient le conjoint pour deux tiers par
rapport aux ascendants privilégiés; l'article 790, concernant la
possibilité de représentation, et les articles 883, 885 et 888,
concernant l'inclusion de l'entreprise familiale.
Par contre, nous demandons, à l'article 660, de limiter le droit
de tester; à l'article 663, d'inclure la possibilité, pour la
succession du conjoint, de réclamer une prestation compensatoire;
à l'article 725, d'établir à 1/2 et 1/2 la part des
conjoints et des descendants; à l'article 749, la création d'une
réserve et, à l'article 819, de nommer un administrateur
plutôt qu'un liquidateur.
Si nous considérons que le projet de couple est un choix qui est
effectué par des êtres libres et autonomes; si nous
considérons que la charte des droits, à son article 16,
reconnaît que "la famille est un élément naturel et
fondamental de la société et a droit à la protection de la
société de l'État"; si nous considérons que le
rôle social attribué aux femmes comme responsables de la cellule
familiale représente, selon une étude canadienne, de 8 000 000
000 $ à 10 000 000 000 $ pour 1971, équivalant à entre 37%
et 42% du produit national brut; si nous considérons que l'apport
économique de la femme collaboratrice à la valeur du patrimoine
est très importante, tant par son travail domestique que par son travail
dans l'entreprise; si nous considérons que l'État
doit prévoir des règles qui correspondent à une
certaine justice sociale; si nous considérons que cette justice sociale
devrait préserver le choix d'un projet de couple et la valeur de la
famille dans la transmission des biens; si nous considérons aussi les
propositions de l'Office de révision du Code civil concernant les
successions et les recommandations qui ont déjà été
formulées par l'AFEAS; si nous considérons aussi les attentes
spécifiques des femmes collaboratrices; nous nous prononçons,
concernant l'article 712, en disant que nous appuyons cet article parce qu'il
respecte les droits matrimoniaux d'un conjoint survivant, bien que, pour un
conjoint collaborateur, cette disposition demeure insuffisante. La vocation
successorale du conjoint survivant n'est pas subordonnée à la
renonciation à ses droits et avantages marginaux.
L'association n'est pas d'accord avec l'article 725, concernant la
répartition d'un tiers pour la conjointe ou le conjoint et des deux
tiers pour les descendants. Cet article ne reconnaît pas le principe
d'égalité entre les conjoints et ne correspond par aux
changements, tant sociaux que juridiques, qui ont force aujourd'hui. Nous
demandons que, dans tous les cas, le conjoint recueille la moitié et les
descendants l'autre moitié.
Concernant la question des deux tiers pour les descendants et de l'autre
tiers pour les ascendants privilégiés, là aussi, nous
considérons que ce changement est important et on le croit
justifié en raison des changements sociaux et juridiques. De plus, nous
estimons que cela renforce la réalité du couple et que cela
assure au conjoint un respect de l'engagement de vie commune qu'il a pris.
De plus, je sais que l'article 749 est très controversé et
discuté. De toute façon, pour notre part, nous ne sommes pas
d'accord avec cette liberté totale de tester dont il est question
à l'article 749, toujours en raison des changements sociaux et
juridiques qui s'effectuent, en raison de la concordance à assurer entre
la loi qui établit les droits et les devoirs des époux et la
capacité de disposer des biens patrimoniaux, en raison de la situation
économique et sociale vécue par les femmes, en raison de l'apport
économique spécifique des femmes collaboratrices au
développement de l'entreprise, qui constitue le principal bien dans la
plupart des cas. À cet effet, nous appuyons la recommandation qui a
déjà été présentée par l'AFEAS au
sujet des femmes collaboratrices en particulier, à savoir: la
création d'une réserve.
Maintenant, concernant la représentation, on peut passer un peu
plus rapidement. Quant à la question du liquidateur dont on fait mention
à l'article 818, on devrait peut-être se faire éclairer un
peu, parce que, d'après ce que j'ai saisi hier dans les
délibérations, nous y voyions simplement une opposition par le
fait que le terme "administrateur" nous paraissait avoir une connotation plus
positive que celle de "liquidateur". Mais je pense qu'il y a plus que cela dans
le fait d'employer le terme liquidateur. On pourrait peut-être y revenir
tantôt.
Au sujet de l'article 864, l'ADFC approuve le législateur qui
prévoit inclure, de la même manière que pour toutes autres
dettes, la prestation compensatoire dans le règlement de la succession.
L'ADFC est, toutefois, en désaccord sur le principe qui veut que cette
prestation soit accordée en tenant compte, notamment, des avantages que
procurent le régime matrimonial et le contrat de mariage. Il y aura
peut-être des commentaires disant que nous sommes très exigeantes,
mais je l'explique en disant que, dans le cas des femmes collaboratrices, nous
croyons que cet apport ne distingue pas suffisamment les tâches
domestiques et celles de l'entreprise. Il y a deux principes qui
prévalent à nos demandes, c'est le respect de la vie de couple et
l'aspect familial de toute entreprise et de toute composante, et les
tâches qui sont très spécifiques à l'entreprise et
qui ont un caractère lucratif.
Je pense que je pourrais m'en tenir à ceci pour la
présentation. Les autres points sur lesquels nous nous sommes
prononcées sont en rapport avec le partage de la succession, aux
articles 883, 885 et 888. Nous appuyons fortement l'article 897 concernant la
composition des lots.
Je pourrais peut-être faire une dernière remarque en ce qui
a trait aux attributions préférentielles. L'article 904 dit ceci:
"Malgré l'opposition ou la demande d'attribution par voie de
préférence - c'est ce qui est indiqué dans le projet de
réforme - d'un autre copartageant, l'entreprise ou les parts sociales ou
valeurs mobilières liées à celle-ci sont attribuées
par préférence à l'héritier qui participait
activement à l'exploitation de l'entreprise au temps du
décès." Alors, l'héritier en tant qu'épouse, qui a
toujours collaboré la plupart du temps à 50% et même plus
dans l'entreprise, il est clair que l'on souhaite qu'on tienne compte de cela.
L'association tient à réaffirmer l'importance pour le conjoint
collaborateur de l'attribution préférentielle à
l'héritier qui participait activement à l'exploitation. Nous ne
voulons pas que cette attribution ne s'applique qu'à l'immeuble qui
servait de résidence au défunt, soit l'immeuble de la
résidence familiale.
Cela complète notre exposé.
Le Président (M. Blouin): Merci beaucoup, madame. Je
cède la parole au ministre de la Justice. M. le ministre.
M. Bédard: M. le Président, je voudrais remercier
chaleureusement l'association, Mme la présidente, pour le mémoire
qu'elle vient de nous communiquer, en bref. En ce qui à trait à
l'Association des femmes collaboratrices, je pense qu'à juste titre vous
avez évoqué déjà votre implication dans la
réforme du droit dès les débuts. C'est avec raison que
vous l'avez mentionné car, lorsque nous avons fait la réforme du
droit de la famille, l'Association des femmes collaboratrices et l'AFEAS y sont
allées de suggestions très importantes qui ont contribué
à faire avancer, je dirais même à débloquer
certaines mesures qui étaient de nature à avantager la
collaboratrice. Je pense, entre autres, vous l'avez évoqué,
à la prestation compensatoire, un sujet sur lequel vous aviez
concentré vos efforts lors de la réforme du droit de la famille;
je pense également à plusieurs suggestions concernant la
protection de la résidence familiale. (10 h 30)
Je pense que je me fais le porte-parole de tous les membres de la
commission en exprimant le plaisir de voir que vous continuez votre
implication. Vous avez mentionné qu'hier nous avions eu l'occasion
d'entendre surtout des groupes juridiques. Vous pouvez être sûres
que tous les membres de la commission sont au premier chef sensibles à
ceux qui ont à vivre les réalités de tous les jours, parce
que le Code civil, qui régit les rapports des citoyens et des citoyennes
entre eux, touche justement la vie de tous les jours et, dans ce
sens-là, c'est très important l'éclairage qui est
apporté à la commission par ceux qui ont à vivre le
contenu des lois.
Comme vous le savez, il y a des groupes qui se sont fait entendre hier,
entre autres le barreau qui a évoqué la possibilité
d'instaurer une créance alimentaire. Est-ce que vous avez quelques
remarques à faire à propos de cette suggestion faite par le
barreau, au lieu de la réserve?
Mme Laberge: Bien, comme je le disais tantôt...
M. Bédard: La chambre des notaires, comme vous le savez, a
développé une argumentation qui n'allait pas dans le sens de la
réserve. Maintenant, le barreau a évoqué la
possibilité d'instaurer une créance alimentaire. Avez-vous
quelques remarques? Mais, je ne voudrais pas vous prendre par surprise, non
plus.
Mme Laberge: Oui, je comprends. C'est bien sûr que, au fur
et à mesure que les débats se déroulaient hier, on pouvait
croire que la créance alimentaire pouvait se comparer à une
réserve. Mais il reste qu'il y a toutes sortes de subtilités que
nous ne percevons peut-être pas. Comme je vous le dis, c'est bien
humblement qu'on présente notre mémoire ce matin. Par contre, ce
qu'il ne faudrait pas oublier, c'est que le cas des femmes collaboratrices est
très différent de celui d'une conjointe - je ne veux pas employer
le terme "ordinaire" - qui n'a pas, effectivement, participé d'une
façon professionnelle - je n'entends pas par là un travail de
spécialiste juridique, mais un travail qui est très particulier -
à l'entreprise. C'est plus qu'une maîtresse de maison, qu'une
épouse, qu'une conjointe; c'est une travailleuse dans une entreprise qui
appartient à son mari. Alors, la question de la réserve
correspondrait, selon les recommandations qu'on fait à l'annexe A,
à une demie des biens énumérés ici. Par exemple,
pour évaluer la réserve du conjoint survivant, en ce qui concerne
les femmes collaboratrices, on devrait inclure les biens suivants: tous les
biens de la succession, toute somme qui est exigible au titre de pension de
retraite, contrat d'assurances, etc., si la désignation d'un
bénéficiaire a été faite dans les trois ans
précédant le décès, toute donation faite entre vifs
dans les trois ans précédant le décès et toute
donation faite à cause de mort. Enfin, maintenant, dans la
recommandation, il y a aussi des biens qui doivent être imputés
sur la réserve.
M. Bédard: Sur un autre point, vous nous faites part de
votre point de vue concernant le partage successoral. Le conjoint - comme on
peut le voir dans le projet de loi, à partir du moment où il
serait adopté - pouvant maintenant cumuler les avantages de son contrat
de mariage et faire valoir ses droits à la prestation compensatoire,
s'il y a lieu, ne croyez-vous pas que le partage successoral proposé
permettra un traitement plus égalitaire entre les enfants qui sont de
plus en plus fréquemment issus de mariages différents, puisque
c'est généralement le conjoint survivant qui assume les
responsabilités?
Mme Laberge: C'est dans le cas de succession sans testament, de
succession ab instestat.
M. Bédard: Au lieu du tiers, vous demandez la
moitié.
Mme Laberge: Oui.
M. Bédard: Vous ne croyez pas qu'en tenant compte du fait
qu'il y a maintenant la prestation compensatoire il y a aussi la
possibilité pour le conjoint héritier de profiter des avantages
du contrat de mariage et des bénéfices de la succession. En plus
de cela, le régime légal qui est de plus en plus adopté
par la population donne la moitié des acquêts. Ne croyez-vous pas
que l'ensemble de ces mesures donne beaucoup plus que la
moitié que vous demandez?
Mme Laberge: Vous êtes en train de me dire que la
réserve n'est plus nécessaire...
M. Bédard: Avec toutes ces autres mesures...
Mme Laberge: ...avec la prestation compensatoire et le fait qu'il
y a 50% qui sont octroyés à l'épouse même s'il y a
des enfants. Toute la question de l'entreprise est quand même
protégée dans les attributions préférentielles. Ce
sont des recommandations, évidemment. Je ne pense pas que j'aie, ce
matin, à renoncer à ce qui fait partie des recommandations. Il
est bien sûr qu'il s'agit de choses discutables...
M. Bédard: Qui doivent être prises en
considération.
Mme Laberge: ...au moment où tout cela sera repris article
par article. Il est vrai qu'en parlant de réserve nous reprenons la
recommandation qui a été faite par l'AFEAS avant que la
prestation compensatoire soit en vigueur.
M. Bédard: C'est cela.
Mme Laberge: Cela est peut-être un peu plus
équilibré.
M. Bédard: Vous êtes, d'ailleurs, en mesure de
constater que, d'un groupe à l'autre, il y a des points de vue
différents. Le travail de la commission est d'essayer de concilier, de
tenir compte aussi des améliorations qu'il y a eu depuis le
dépôt par l'Office de révision du Code civil. Je pense,
entre autres, à la loi 89 et à la prestation compensatoire.
Certains organismes nous ont soumis qu'il n'était pas
nécessaire d'établir une réserve puisque la règle
générale veut que le conjoint soit le légataire universel,
le défunt assumant ainsi ses responsabilités.
Mme Laberge: Qu'entendez-vous par règle
générale?
M. Bédard: Le conjoint est, dans la majorité des
cas, le légataire universel.
Mme Laberge: Vous voulez dire dans l'ordre pratique des choses,
dans la moyenne établie par l'ensemble des cas. Mais il reste qu'il faut
protéger ce qui pourrait devenir une exception.
M. Bédard: Ne croyez-vous pas que l'instauration d'une
réserve pourrait entraîner des changements au niveau des
mentalités en ce sens que le "défunt", ayant l'impression d'avoir
assumé ses responsabilités par le biais de la réserve,
serait peut-être porté à céder ses biens à
d'autres, étant convaincu d'avoir satisfait au minimum? La disposition
qu'on instaure, si on devait instaurer la réserve, c'est sûrement
à partir d'un minimum sur lequel nous pourrions nous mettre d'accord.
C'est simplement sur le plan des mentalités, la réserve
étant légale, étant là pour protéger les
intérêts familiaux, vous croyez qu'il pourrait se
développer une mentalité de l'autre conjoint...
Mme Laberge: Est-ce que vous prévoyez cela en regard du
principe qui dit que toutes les lois sont faites pour être
contournées?
M. Bédard: Non, non, non. Je vois que vous le dites avec
le sourire. Il y a assez de problèmes lorsqu'elles sont
contournées, je ne pense pas être celui qui désire qu'il en
soit ainsi.
Mme Laberge: Peut-être y aurait-il, à ce
moment-là, des conjoints qui seraient suffisamment astucieux pour avoir
cette espèce de prévention au départ.
M. Bédard: Enfin, ce n'est pas dans le sens de vouloir
contourner, mais, à partir du moment où il y a une réserve
légale - il faut qu'elle soit légale, par la force des choses -
tout ce que je vous demande, c'est de savoir s'il peut être possible
qu'il se développe une mentalité du conjoint de donner le reste
de ses biens à d'autres, ayant le sentiment d'avoir assumé ses
responsabilités par l'application de la loi.
M. Blank: C'est la même chose aujourd'hui pour contourner
les nouveaux articles du code.
M. Bédard: Quant à l'opinion du
député de Saint-Louis, je sais que je vais avoir l'occasion... M.
le Président...
Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous
plaît;
M. Bédard: Je sais que je vais avoir l'occasion d'entendre
l'opinion de mon honorable collègue, le député de
Saint-Louis, tout au cours de l'adoption de ce projet de loi. Son opinion est,
d'ailleurs, très importante, je tiens à le souligner. Mais, pour
le moment, il m'importerait plutôt de connaître les opinions et les
remarques que Mme la présidente aurait à faire.
Mme Laberge: Effectivement, cela semble être un point
très controversé entre les gens qui ont la compétence
d'analyser toutes les implications.
M. Bédard: On le voit un peu par les
mémoires.
Mme Laberge: Par contre, je pense que ce qu'il faut prendre
surtout en considération, c'est que nous tenons à ce que la loi
protège d'une façon très spécifique la femme
collaboratrice qui est, d'une part, l'épouse et la conjointe d'un couple
qui a fait l'objet d'une décision commune pour bâtir un projet
familial et, d'autre part, une femme qui a contribué à
l'accumulation du patrimoine dans tout ce qu'il y a de plus véridique
par son apport en travail. Comme je vous le disais tantôt, il y a deux
éléments dans le cas des collaboratrices que l'on doit envisager
au niveau de la protection: d'une part, comme partie du couple qui a
conçu une unité familiale et aussi comme travailleuse qui a
vraiment collaboré à accumuler le patrimoine dont il est question
au moment de la succession, un peu comme on le ferait avec un
sociétaire; mais la loi ne l'a jamais protégée,
jusqu'à présent. Même si les femmes collaboratrices
existaient depuis toujours, malheureusement, ce n'est que depuis quelque temps
que l'on pense à envisager de protéger, disons, cette
catégorie de travailleuses pour ce qu'elles sont et ce qu'elles
font.
M. Bédard: Comme cela a été le cas pour la
loi 89, je pense que nous continuons à partager cet objectif de la
protection la plus équitable possible pour la femme collaboratrice. Je
vous remercie de vos commentaires présentés à la
commission.
Mme Laberge: D'accord. Merci, M. le ministre.
Le Président (M. Blouin): D'accord. Alors, la parole est
maintenant au député de Sainte-Anne.
M. Polak: D'abord, madame, vous étiez ici hier, quand le
barreau a soumis son mémoire, ainsi que la chambre des notaires qui a
fait de même. Même chez les députés, vous avez sans
doute noté qu'il y en a qui sont très favorables à votre
prise de position. Par exemple, le député de Saint-Louis et
moi-même. Je suis certain, même à ma gauche et à ma
droite, qu'il y en a d'autres. Je pense que cela veut dire quelque chose.
Même si nous ne sommes pas le gouvernement, de temps en temps, les
ministres nous écoutent.
D'autre part, le ministre a dit hier que vous étiez
déjà pas mal protégées. Il y a le régime de
la société d'acquêts qui devient de plus en plus
répandu. Donc, en vertu de ce régime, il y en a
déjà la moitié. Il ne faut pas aller trop loin. C'est un
des arguments qui sont invoqués.
Dans votre mémoire, à la page 2, vous parlez des
statistiques de 1975 où vous dites que 85% de ces femmes travaillent
dans les entreprises à propriétaire unique.
Mme Laberge: En 1981 aussi.
M. Polak: Oui. Il y en a 50% mariées en séparation
de biens et 84% qui ne reçoivent pas de salaire. Avez-vous des
statistiques récentes de 1982, disons? Est-ce que cela a changé?
Le ministre a dit que le régime de la société
d'acquêts devient de plus en plus répandu. Je n'ai pas cette
impression. Je pratique le droit à Montréal et je peux vous dire
que ceux qui viennent me voir et qui ont un peu d'argent - je ne fais pas leur
contrat de mariage, mais je les envoie chez un notaire - demandent toujours le
régime de la séparation des biens. C'est mon opinion personnelle,
mais j'aimerais savoir quelle est la tendance dans votre organisme. Est-il vrai
qu'on va de plus en plus vers la société d'acquêts ou
est-ce que la séparation de biens est encore très populaire?
(10 h 45)
Mme Laberge: Disons que nous n'avons, malheureusement, aucune
statistique officielle à ce sujet, mais il est clair que c'est dans
notre intérêt de faire en sorte d'en obtenir le plus rapidement
possible pour nos dossiers. Par contre, quand vous parlez de tendance,
évidemment, c'est pour les jeunes couples. Effectivement, de par la
nature de notre dossier, c'est sûr que nous incitons les jeunes couples
à bien s'organiser dès le départ. Mais la nature de notre
dossier fait que nous nous occupons aussi de défendre celles qui
déjà sont en état d'injustice par rapport à ce
qu'elles ont déjà accompli et qui n'est pas encore reconnu.
On espère avoir des statistiques le plus tôt possible.
Celles qui le vivent, effectivement, sont en séparation de biens en
très grande majorité.
M. Polak: Encore maintenant, n'est-ce pas?
Mme Laberge: Oui.
M. Polak: Donc, disons que ma théorie demeure. Dans mon
expérience privée, je constate carrément qu'on demande la
séparation de biens qui, évidemment, inclut le danger de ne pas
avoir de protection en cas de décès, et la dame à
côté de vous dit qu'elle a un peu la même impression.
Mme Laberge: Nous n'avons pas, actuellement, de statistiques
officielles, mais nous espérons en avoir.
M. Polak: Maintenant, avez-vous, comme association, la preuve de
mauvaises expériences comme ce fameux exemple qu'on a tous lu dans le
journal? Vous avez vu le
cas d'un mari dont l'épouse l'a aidé dans son commerce. Le
gars, qui avait une grande ferme en Alberta ou en Saskatchewan, est devenu
millionnaire et il a dit à sa femme: Bonjour tristesse! Je me suis
trouvé une autre femme plus jeune. C'est malheureux. Celle-ci n'a pas de
protection. Je voudrais savoir si votre association a connaissance de
problèmes comme cela, si des femmes sont venues vous voir en disant:
Voici ma situation.
Mme Laberge: Si nous devions vous citer ici tous les cas dont
nous sommes témoins, je pense qu'il faudrait vraiment siéger
longtemps.
Mme Carpentier (Brigitte): Ici même au Québec, on a
des cas comme cela et très près de nous.
M. Polak: Donc je pense que c'est...
Mme Laberge: On peut vous en citer seulement un, en tout cas, qui
a été porté au très grand public, parce qu'il
était cité dans un film projeté à la grandeur de la
province, un film qui a été fait par l'Office national du film,
qui a été tourné dans une région très
immédiate de celle d'où je viens, c'est-à-dire dans la
région sud-ouest de Montréal: une femme d'agriculteur qui avait
collaboré pendant 20 ans et qui, selon le désir de son mari qui
l'a tout simplement mise à la porte avec ses enfants, s'est
retrouvée absolument avec rien. Même si elle a poursuivi, elle n'a
rien pu avoir parce qu'elle se croyait fermement protégée du fait
qu'elle n'avait pas de contrat de mariage et qu'à l'époque le
fait de ne pas avoir de contrat de mariage correspondait à la
communauté de biens.
Par contre, il y avait une incidence dans les circonstances qui faisait
que ce contrat de mariage ne pouvait être interprété de
cette façon, parce que le couple avait eu comme premier lieu de
résidence les États-Unis pour la première année de
leur mariage. Ce n'est qu'au bout d'un an qu'ils sont venus racheter la ferme
de son père à elle dans une région du Québec.
À ce moment, la thèse du non-contrat de mariage égale
communauté de biens ne s'appliquait pas.
En plus, elle est revenue à la charge pour une question de
pension alimentaire et des subterfuges ont été utilisés
pour ne pas devoir même répondre à cette
nécessité au moins de faire vivre ses enfants.
M. Polak: Maintenant, je pense qu'il est important pour nous de
savoir qu'il y encore beaucoup de ces cas, comme vous le dites, où cette
protection n'existe simplement pas et la victime vient vous en parler.
Mme Laberge: Ce cas a été relaté à
l'intérieur d'un film qui a été tourné
récemment, mais remonte quand même à un certain nombre
d'années.
M. Polak: Avec les changements récents qu'on a eus - comme
le ministre l'a mentionné, il y a la société
d'acquêts depuis une dizaine d'années, mais il y a d'autres
changements comme la prestation compensatoire - ...
M. Bédard: La prestation compensatoire.
M. Polak: ...avez-vous encore des plaintes qui indiqueraient que
le problème n'est pas résolu et que cela prend plus que cela?
Mme Laberge: La prestation compensatoire n'est quand même
en vigueur que depuis le 1er décembre. Là aussi, nous essaierons
d'avoir un certain reflet de la jurisprudence à ce sujet. Il reste
toujours que la jurisprudence et la loi sont deux choses
différentes.
M. Bédard: II y a surtout aussi maintenant, à
partir du moment où on adopterait la loi, le cumul possible des
avantages matrimoniaux et des avantages de la succession.
M. Polak: Une dernière question.
M. Bédard: Le député de Sainte-Anne se
demandait tout à l'heure quelles sont les proportions de ceux et celles
qui vont vers la société d'acquêts par rapport à la
séparation de biens. Disons que c'est à peu près 50-50
selon les statistiques que nous avions lorsque nous avons procédé
à l'adoption de la loi 89.
M. Polak: J'ai une dernière question, M. le
Président. Lorsque vous parlez du principe de la réserve, que
j'accepte personnellement - d'ailleurs, cela existe partout en Europe
-avez-vous pensé quelle sera la formule de cette réserve?
Avez-vous un pourcentage dans votre esprit? Je vais vous donner comme exemple:
dans les Pays-Bas, où il y a une réserve en faveur de la femme et
des enfants, la réserve est la moitié de ce qu'une personne
aurait reçu ab intestat; c'est une formule. Avez-vous pensé
à une formule? Lorsque vous parlez de la réserve, qu'est-ce que
cela veut dire en pourcentage ou en nombre?
Mme Laberge: Pour nous, c'est... M. Polak: Le
principe.
Mme Laberge: ...toujours un principe de la moitié...
M. Polak: D'accord:
Mme Laberge: ...à tous les niveaux qui deviennent une
circonstance déterminante. Que cela soit au moment de la vente d'une
entreprise, au moment du décès ou au moment du divorce, nous
parlons toujours d'une reconnaissance d'une demie.
M. Polak: Vous n'incluez pas les enfants dans cette
réserve, non?
Mme Laberge: Si on considère que l'épouse, selon
les changements sociaux et juridiques en rapport avec le couple, est
jugée une personne responsable et que l'on doit considérer d'une
façon égale avec le mari, pourquoi les enfants ne
deviendraient-ils pas successibles de l'épouse, de la mère? Parce
que c'est quand même un droit dont même une femme, en tant
qu'individu, peut bénéficier, le droit de céder des biens.
C'est quelque chose aussi dans la vie de quelqu'un d'avoir des biens dont elle
peut disposer en faveur de quelqu'un d'autre, en faveur de ses enfants, par
exemple. Pourquoi faut-il toujours que cela soit par un détour? Pourquoi
faut-il que les enfants ne reçoivent des biens que de leur père,
alors que la mère a contribué à les accumuler tout autant?
C'est une satisfaction pour une mère de pouvoir dire: Ces
biens-là sont à moi, en propre, et je peux les léguer
à mes enfants.
M. Polak: D'accord. Merci, madame. Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Blouin): Merci. Avant de donner la parole
à la députée de L'Acadie, je rappelle que nous allons
essayer aujourd'hui, dans la mesure du possible, de resserrer un peu notre
procédure pour entendre le plus grand nombre de groupes possible et
qu'il y a encore trois intervenants inscrits. J'espère que nous pourrons
respecter les limites que nous nous sommes fixées.
Mme la députée de L'Acadie.
Mme Lavoie-Roux: Nous allons essayer de suivre vos directives, M.
le Président. Je voudrais remercier d'une façon toute
particulière l'Association des femmes collaboratrices. Je pense bien
qu'on s'attendait à les voir à cette commission
parlementaire.
M. Polak: Êtes-vous membre? Vous n'êtes pas
membre?
Mme Lavoie-Roux: De l'Association des femmes collaboratrices?
M. Polak: Bien oui! Vous êtes collaboratrice aussi.
Le Président (M. Blouin): Mme la députée de
L'Acadie, vous avez la parole.
Mme Lavoie-Roux: Je voudrais les féliciter d'être de
toutes les luttes pour faire avancer la condition des femmes.
Évidemment, il y a eu des progrès d'accomplis, il n'y a aucun
doute. Les lois les protègent mieux qu'autrefois, mais il reste encore
beaucoup à faire. Votre vigilance est absolument essentielle pour
continuer sur la route du progrès.
Voici mes questions. À la page 3, vous semblez pour le moins
déçues que le projet de loi ne limite pas le droit de tester,
comme l'avait recommandé l'Office de révision du Code civil.
Hier, nous avons entendu le barreau dire: C'est un principe qui n'a jamais
été remis en cause depuis des décennies. Il semblait fort
heureux qu'il ait été retenu. Mais vous semblez ne pas partager
ce point de vue. Est-ce que vous pourriez nous donner vos raisons?
Mme Laberge: Je pense que c'est en rapport, justement, avec toute
la nature des objectifs que nous poursuivons. Nous y avons fait allusion
jusqu'à présent. C'est aussi en raison des changements sociaux et
des changements juridiques. Il faut faire concorder la loi qui établit
les droits et les devoirs des époux avec la capacité de disposer
des biens patrimoniaux. Si nous poussons l'argumentation à
l'extrême, nous constatons que, dans le cas où le testateur
déciderait de l'ensemble des biens du patrimoine, il disposerait, ni
plus ni moins, unilatéralement de certains biens qui ne sont pas
à lui seul, parce que, effectivement, l'épouse a contribué
par son travail, par son implication. Ce n'est pas pour rien qu'on dit qu'une
femme collaboratrice a le coeur et la tête en affaires, même si
elle ne détient rien légalement concernant des titres de
propriété ou autre chose. Elle est impliquée tout autant
que si l'entreprise lui appartenait. Si le mari, unilatéralement,
dispose de tous les biens, si on pousse cela à l'extrême, on se
dit: II dispose de quelque chose qui ne lui appartient pas en tout en
propre.
Mme Lavoie-Roux: Dans la logique des choses, cela vous
étonne que ce principe n'ait pas été retenu...
Mme Laberge: Ne soit pas reconnu.
Mme Lavoie-Roux: ...puisqu'il y a eu des efforts de faits,
justement, pour reconnaître tous les droits juridiques de la femme...
Mme Laberge: C'est cela.
Mme Lavoie-Roux: ...comme étant une personne égale
et pouvant disposer de biens qui lui appartiennent.
Mme Laberge: C'est un peu comme je le disais tantôt
concernant cette espèce de satisfaction qu'elle pourrait avoir que ses
enfants lui deviennent successibles. C'est un peu tout cela.
Mme Lavoie-Roux: J'aimerais aussi vous demander une chose. On
parle beaucoup de la société d'acquêts, on parle beaucoup
de la prestation compensatoire qui, je pense, est entrée en vigueur au
début décembre, si je ne m'abuse. Est-ce que, selon votre
expérience, quand arrive cette division des biens pour quelqu'un qui est
marié sous un régime de société d'acquêts -
je pense particulièrement aux entreprises agricoles dont un grand nombre
de vos membres sont issus - il s'agit là d'une opération qui est
facile et satisfaisante pour la femme? On a une si longue tradition voulant que
les fermes soient une entreprise qui appartient aux conjoints. Cela reste-t-il
encore une opération assez difficile ou si, selon votre connaissance,
les choses se font également à la satisfaction de la
conjointe?
Mme Laberge: Vous parlez d'un règlement qui se ferait dans
le cas d'une société d'acquêts - c'est cela? - ou dans le
cas d'une séparation de biens, alors que la prestation compensatoire
s'appliquerait.
Mme Lavoie-Roux: Oui, c'est cela.
Mme Laberge: Encore là, justement, notre bagage est un peu
mince à cause du fait que les délais ne sont pas longs depuis
l'application de la prestation compensatoire. Il faut bien dire aussi qu'on
espère bien -c'est sûr qu'il y a beaucoup de cas - que, depuis six
mois, dans tous les cas où ils ont eu à faire une succession, on
n'a pas dû être obligé d'avoir recours à la loi pour
pouvoir régler des choses. Il y a quand même des entreprises
où les choses, pour les couples, vont relativement bien. La loi, c'est
toujours une ceinture de sécurité. Malheureusement, nous n'avons
pas assez de compilations concernant la jurisprudence à cet effet. Nous
avons évidemment beaucoup de travail et nous n'avons pas beaucoup de
compilations dans ce domaine. (11 heures)
Mme Lavoie-Roux: C'est parce que le ministre - je ne lui en tiens
pas rigueur -semble privilégier la non-rétention de la notion de
réserve en s'appuyant sur le fait que maintenant les gens sont mieux
protégés à partir de la société
d'acquêts, de la prestation compensatoire et enfin peut-être
d'autres mécanismes dont on a parlé.
Il m'apparaît par contre que le vécu ou enfin
l'expérience quant à l'opérationalisation ou quant aux
résultats concrets de ces mesures qui ont été prises, on
ne le connaît pas encore. D'un autre côté, à partir
de résultats non connus, on semble dire que la réserve maintenant
est beaucoup moins nécessaire et peut-être qu'on peut la mettre de
côté.
Mme Laberge: II y a peut-être un élément
justement qui peut laisser planer certains doutes en rapport avec la prestation
compensatoire. Il y a toujours une espèce de preuve à faire.
Mme Lavoie-Roux: C'est cela.
Mme Laberge: II y a une espèce de preuve à faire
pour venir établir la proportion, le bien-fondé de tout cela,
tandis que le principe de la réserve est établi dès le
départ. C'est sûr qu'il y a un élément de protection
de plus à la base concernant la réserve, c'est ni plus ni moins
acquis au départ. Tandis que, pour la prestation compensatoire, il y a
toute la question de la preuve à faire et on sait à quel point
parfois tout cela peut être difficile.
Mme Lavoie-Roux: On peut se retrouver devant des situations qu'on
a connues dans le passé et qu'on connaît encore aujourd'hui et qui
peut-être sont décrites injustement. Finalement, quand le tribunal
doit trancher, il y a toutes sortes d'autres facteurs qui peuvent entrer en
ligne de compte, par exemple, quand on décidait des pensions
alimentaires. Il n'est pas question de remettre en question les juges. On
disait: Si l'on passe devant tel juge, il y a des chances que la femme ait une
meilleure compensation que si l'on passe devant tel autre juge. Je pense que
cela n'est pas de mon cru. Je pense que c'est une observation
générale qui a été faite.
Si on retrouve un peu, dans le fond, une chose équivalente avec
la prestation compensatoire, on pourra peut-être aussi se retrouver
devant des décisions qui ne rendent peut-être pas aussi justice
qu'on le souhaiterait.
Mme Laberge: C'est comme la question des donations, quand on
laisse entendre que tout est un petit peu sujet à la discrétion
du juge. C'est le principe au départ, dans la façon dont il peut
interpréter cela.
Mme Lavoie-Roux: Je vous remercie. Le Président (M.
Blouin): D'accord.
M. Bédard: Comme l'a dit Mme la députée de
L'Acadie, le moins qu'on puisse dire, c'est que j'ai des réserves sur la
réserve. J'essaie d'imaginer quantativement ce que cela peut donner. Je
pense qu'on est tous, au niveau de la commission, que les travaux du Code civil
ont été, jusqu'à maintenant, complètement
dépolitisés et je
pense qu'on est capable de continuer dans ce sens.
On essaie très objectivement de faire l'analyse. Si on y va avec
une réserve de 50%, de la moitié plus prestation compensatoire,
plus avantages matrimoniaux, je me dis qu'à un moment donné, il
va falloir aussi penser aux enfants. Je comprends le rôle de
responsabilité assumé par le conjoint survivant par rapport aux
enfants, mais il y a quand même deux réalités, celle des
enfants, celle du conjoint survivant. Ce n'est peut-être pas si
indiqué que cela. Si nos calculs nous amenaient à faire en sorte
que presque tout l'essentiel du patrimoine est entre les mains d'une personne,
on pourrait aussi s'interroger pour savoir quelle serait la réclamation
des enfants, s'ils avaient à se faire entendre, par rapport à un
certain degré d'autonomie.
Il s'agit d'essayer de concilier toutes ces notions tout en ayant comme
objectif d'améliorer. Comme Mme la présidente l'a dit tout
à l'heure, je pense qu'on l'a fait tous ensemble, solidairement, avec la
loi 89. On va essayer de continuer de faire la part des choses.
Peut-être que c'est opportun de le rappeler puisque nous avons
devant nous l'Association des femmes collaboratrices. Dans la loi 89
également, il y avait ce qu'on appelait l'attribution
préférentielle, la possibilité également pour un
juge, comme c'est le cas pour la résidence familiale, pour l'entreprise,
de décider à la fin, lorsqu'il y a séparation, d'attribuer
l'ensemble de l'entreprise au conjoint par rapport à l'autre. Ce sont
toutes des mesures dont il faut faire le compte.
Je suis conscient aussi que ça ne fait pas si longtemps que la
loi 89 est adoptée. Il est évident qu'on ne peut pas parler,
à l'occasion des présents débats, d'une jurisprudence
très établie. Mais il faut quand même parler, à
partir d'une intention du législateur qui était très
claire en ce qui a trait à la compensation, à la prestation
compensatoire, de toutes les notions qui étaient dans la loi 89.
À ce sujet, tous les membres - d'ailleurs, cela a été
adopté à l'unanimité - avaient une volonté ferme
que cela veuille dire quelque chose de très significatif, de telle
façon que, si la jurisprudence - je vais aussi loin que de le dire -
s'établissait ou allait dans une direction qui nous amène
à conclure que cela ne donne pas autant d'avantages que le
législateur prévoyait vouloir donner, à ce
moment-là, il y a toujours la possibilité de faire les
amendements en conséquence.
Le Président (M. Blouin): Très bien.
Mme Laberge: Effectivement, il faut que les mesures soient
très fermes. Je disais tantôt que, même si les
collaboratrices existent depuis toujours, il reste que le changement de
mentalité est difficile à effectuer et qu'il faut que les lois
acceptent tout cela. Il reste toujours que, pour certaines mesures, si elles ne
sont pas assez fermes... On a vu des cas où, par exemple, on insiste
auprès des femmes qui bénéficient d'un peu de protection
pour qu'elles renoncent au peu qu'elles détiennent. C'est à cet
égard qu'on a tendance à privilégier la réserve
parce qu'elle s'établit au départ et que c'est pratiquement sans
discussion, sans preuve et sans...
Mme Lavoie-Roux: Cela évite des recours aux tribunaux.
M. Bédard: C'est sans discussion, sauf qu'il ne faut pas
oublier une réalité dont on est tous conscients, c'est
qu'à l'heure actuelle, du point de vue social, les divorces existent
beaucoup. Il n'est pas question de s'en réjouir ou de s'en peiner. Peu
importe. Ce sont des problèmes familiaux, mais il reste qu'il y a
certaines réalités sociales qui ont changé beaucoup. Quand
on parle de la réserve, on peut avoir le cas d'une femme qui a
collaboré pendant des années avec son mari, son conjoint et qui,
à un moment donné, divorce. Qu'arrive-t-il de la réserve?
Il n'y en a plus. Écoutez, il faut penser à toutes ces notions
non pas à partir d'une vision statique des choses mais, pour les femmes
collaboratrices comme pour toutes les autres femmes au Québec, il y a
des réalités sociales qui font que, quelquefois, il y a des
changements. Je pense qu'on vous a au moins convaincues qu'on est tous
très sensibles aux remarques que vous avez faites et que les membres de
la commission, de part et d'autre de cette table, vont essayer de trouver la
solution qui conciliera tous les points de vue, autant que c'est possible.
Mme Laberge: II reste que, de toute façon, les
recommandations qui ont été faites ici ont été
faites après une analyse poussée de ce qui pouvait correspondre,
le plus équitablement possible, à ce que nous poursuivons. Elles
sont toujours là et on espère que vous en tiendrez tous compte au
plus haut point.
M. Bédard: Merci beaucoup.
Mme Laberge: Alors, nous vous remercions infiniment et...
Le Président (M. Blouin): Ce n'est pas terminé,
madame. M. le député de Saint-Louis a demandé la
parole.
M. Blank: J'aurais quelques remarques et quelques questions.
Quand le ministre a parlé de la question des enfants, il trouve
peut-être irrégulier que le survivant ait tous
les biens et que les enfants n'aient rien, mais n'oubliez pas que la
mère ou le père de ces mêmes enfants peut rester. Ce n'est
pas l'intérêt des enfants qui compte à ce moment-là.
Les enfants peuvent travailler. S'ils sont très jeunes, ils sont encore
avec cette personne-là. S'ils travaillent, ils peuvent gagner leur vie.
Ce ne sont pas les enfants qui ont besoin d'être protégés
ici, c'est le conjoint, le survivant.
M. Bédard: Ah! Non, c'est l'enfant. Écoutez.
M. Blank: Oui, mais, dans les successions, les enfants sont ceux
qui ont tout l'avenir devant eux. Le conjoint survivant, c'est une autre
affaire.
M. Bédard: II ne faut pas les oublier totalement. C'est ce
que j'avais dit.
M. Blank: Non, il ne s'agit pas, nécessairement, de les
oublier, mais ils sont secondaires.
Deuxièmement, sur la question du pourcentage des gens qui ont le
régime de la société d'acquêts ou de
séparation de biens, nonobstant ce qu'on veut, nous ne vivons pas dans
une société parfaite. Il y a des gens qui sont moins bien nantis
que d'autres. Les moins bien nantis ne sont pas intéressés par la
question de succession. Il n'y a pas beaucoup à donner aux autres. On
doit aller au bureau du ministre du Revenu pour avoir des statistiques pour
connaître le pourcentage des gens qui utilisent encore la
séparation de biens et qui font des rapports pour les successions. On
peut même commencer à un montant minime, tel que 2000 $. Le
pourcentage des gens qui ont le régime de la séparation de biens
ou de la société d'acquêts, c'est là qu'on va
trouver la vraie réponse au problème. Les gens qui n'ont rien ne
sont pas intéressés à ces affaires-là. Mais des
gens qui possèdent quelque chose... Selon mon expérience, la
presque totalité des gens qui possèdent quelque chose ont le
régime de la séparation de biens, pas de 50% à 54%. C'est
là que cette section s'appliquera. Il y a encore des gens qui retirent
des prestations de bien-être social. Cela ne s'applique pas à ces
gens. Cela s'applique à des gens qui ont quelque chose à laisser,
même seulement 2000 $, 25 000 $. On ne parle pas de millions. Je pense
que les statistiques qu'on donne en général ne sont pas vraiment
des statistiques. On doit trouver les statistiques des gens qui laissent
quelque chose. C'est là qu'on doit diriger nos lois, pas à la
masse où il y a un grand pourcentage qui ne s'applique pas.
Sur la question de contourner la loi, si on a une réserve, on
peut faire exactement la même chose avec la prestation compensatoire.
Cela s'applique de la même façon. Si on veut contourner la loi on
peut contourner l'ancienne ou la nouvelle loi et même la loi future. Ce
n'est pas une raison. Je pense qu'on doit étudier plus
sérieusement la question de réserve.
Le Président (M. Blouin): Très bien. Un bref
commentaire, M. le ministre? Ce n'est pas terminé, M. le
député. Madame, auriez-vous des remarques?
Mme Laberge: Non.
Le Président (M. Blouin): Cela va. M. le
député de Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais apporter le point de vue
d'un praticien. Il est évident - c'est notre constatation dans un bureau
de notaire; nous sommes tout de même plusieurs notaires, je pense qu'on a
un certain échantillonnage - que dans 95% des testaments qui sont faits
c'est toujours au dernier vivant. On reconnaît qu'en pratique le conjoint
est bien avantagé. J'en suis bien plus sur la question de
liberté. On est en train de tout enlever. Je pense que c'est important.
C'est une question d'arrêter! Communauté de biens,
société d'acquêts, prestation compensatoire, ce sont des
cas où vraiment le conjoint est protégé. Qu'est-ce qu'il
vous reste? Il vous reste la séparation de biens. Il faut
reconnaître aujourd'hui que les gens sont assez bien informés et
quand ils se marient en séparation de biens, ils prennent leurs
précautions. Dire qu'il n'y aura aucune mention... Aujourd'hui, vous
avez des clauses dans des contrats de mariage qui prévoient qu'en cas de
divorce ou de séparation il y aura un montant forfaitaire payable. C'est
la réalité, ce sont des choses qu'on vit. Je dis qu'il faut
arrêter de réglementer. D'ailleurs, de ce côté-ci de
la table, nous disons constamment qu'il y a trop de réglementation,
qu'il y a trop de lois. On brime la liberté des gens. Et on veut encore
aller plus loin que cela. Si on veut disposer d'une résidence familiale,
vous savez qu'il faut avoir le consentement du conjoint. Encore une autre
protection. Si on veut l'hypothéquer, c'est la même chose. Je dis
que c'est assez.
M. Polak: II ne parle pas au nom de tout le monde!
M. Bédard: C'est un sujet qu'il veut réglementer
davantage que nous autres du côté gouvernemental.
M. Leduc (Saint-Laurent): Je suis ici pour dire ce que je pense.
Je peux mentionner mon expérience. Je l'ai vécu un bon moment. Je
sais bien qu'en pratique, chez nous, on commence à en avoir assez. Je
pense que la protection est suffisante
pour les conjoints.
Mme Laberge: On parlait de statistiques tantôt. Est-ce que
vous avez fait des statistiques concernant ce qu'on fait justement, quand vous
osez dire que lorsqu'on fait un contrat de mariage en séparation de
biens, on prend nos précautions. Nous pouvons vous donner les preuves
que, dans la très grande majorité des cas, c'est un concours de
circonstances qui détermine quel contrat sera utilisé. Bien
souvent c'est le notaire qui dit qu'il recommande cela. (11 h 15)
Des voix: Oui, oui.
Mme Laberge: Écoutez, monsieur, je me suis fait dire
personnellement... Justement, je suis mariée sous le régime de la
séparation de biens. Au moment où il a été question
d'avantages, le notaire a mis en garde mon mari, qui était dans
l'entreprise, en disant qu'il ne faut pas que ce soit trop élevé:
"Quand tu en viendras à faire des affaires, cela va te nuire". Alors,
imaginez la femme qui est dans une entreprise et que toute cette philosophie
est à la base, que croyez-vous qu'on fait des questions de donations? On
la fait résigner, dès qu'on en a la chance.
M. Leduc (Saint-Laurent): Mais vous vouliez avoir mon opinion.
Laissez-moi parler un peu!
Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous
plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Je rappelle aux membres
de cette commission, comme je le rappelle aussi aux gens qui assistent à
nos délibérations, qu'il n'est pas permis...
M. Bédard: Ils vont penser qu'on a applaudi le
député de Saint-Laurent...
Le Président (M. Blouin): M. le ministre, s'il vous
plaît! À l'ordre, s'il vous plaît! Je rappelle donc pour la
bonne marche de nos travaux qu'il n'est pas permis aux gens de manifester, que
ce soit pour ou contre une opinion qui est émise. À cet
égard, je dois féliciter les gens qui assistent à nos
délibérations pour leur grande discipline. M. le
député de Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais simplement répondre
là-dessus que ce n'est pas ce qui se passe maintenant dans les bureaux
de notaires. Alors, vous êtes un peu dépassés.
Des voix: Ah! Ah!
Mme Laberge: II y a des suites...
M. Leduc (Saint-Laurent): Vous avez fait votre contrat de
mariage, il y a longtemps. Je pense qu'aujourd'hui ce n'est pas de cette
façon. D'ailleurs, je dois vous dire qu'à chaque fois qu'on fait
une transaction, dans 90% des cas, l'acquisition est faite conjointement par le
mari et la femme, tant pour les propriétés que pour les
entreprises.
Mme Laberge: Ah non!
M. Leduc (Saint-Laurent): Bien oui! Bien oui! En tout cas, je
vous dis ce qui se passe chez nous.
Mme Laberge: Les statistiques qui dénombrent les femmes
qui sont vraiment en société disent qu'il y en a 7% au
Québec, monsieur. Elles s'impliquent dans les décisions, mais il
y en a seulement 7% qui ont vraiment des contrats de société en
affaires. En ce qui concerne le fait qu'on régisse trop maintenant
toutes les choses, je pense qu'on ne peut pas y échapper. Je me permets
de souligner que c'est peut-être simplement quand il s'agit de
protéger les femmes que l'on trouve qu'il y en a trop.
M. Blank: Sur cette question, le ministre a fait remarquer que ce
sont nous-mêmes qui cherchons à avoir plus de règlements.
M. le ministre, si on impose la réserve, c'est la loi et on n'aura moins
de règlements. Parce que si on a la prestation compensatoire, on doit
aller en cour et il y a des milliers de règlements qui s'y appliquent.
On peut les remplacer par un seul.
M. Bédard: Non, non. Vous savez très bien que cela
ne remplacerait pas tout le reste. Voyons! Soyons sérieux! En tout cas,
d'après ce que je peux constater, l'accord n'est pas fait quant à
l'Opposition. Du point de vue gouvernemental, on va continuer à vous
écouter.
Mme Laberge: Je dois le regretter... Le Président (M.
Blouin): À l'ordre!
Mme Lavoie-Roux: Du côté gouvernemental, il y a
seulement le ministre qui parle...
Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous
plaît! À l'ordre!
M. Leduc (Saint-Laurent): Je pense que ce sont différentes
questions sur le Code civil. On doit apporter...
M. Bédard: Non, non, mais je pense qu'il est normal que
l'on donne tous notre opinion. Cela fait avancer les travaux. D'ailleurs, entre
les membres de la
commission, on n'en tire pas profit. On dit simplement une
constatation.
Le Président (M. Blouin): Très bien, M. le
ministre.
M. Leduc (Saint-Laurent): Mais ils n'ont pas dit un mot. Il
aurait peut-être fallu qu'ils parlent.
Mme Juneau: Vous auriez peut-être mieux fait de vous
taire.
Le Président (M. Blouin): S'il vous plaît! S'il vous
plaît!
M. Leduc (Saint-Laurent): Je dis ce que je pense. Je ne suis pas
ici pour dire ce que les autres pensent.
M. Bédard: M. le Président...
Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous
plaît! À l'ordre, s'il vous plaît, M. le
député de Saint-Laurent!
M. Leduc (Saint-Laurent): Ce que les autres pensent, oui,
peut-être.
Une voix: Vous êtes au carrefour des idées.
M. Bédard: En tout cas, si c'est un carrefour
d'idées, à un moment donné, il faudra essayer de penser la
même chose quand on adoptera la loi.
Mme Lavoie-Roux: Cela fait six ans qu'on discute comme cela,
imaginez-vous quand il est partisan.
Le Président (M. Blouin): En conclusion, M. le
ministre.
M. Bédard: De toute façon, lorsqu'on aura
adopté la loi, il est évident que de part et d'autre on essaiera
de faire en sorte que nos travaux donnent un résultat tel que nous en
arrivions à l'unanimité. C'est bien important quand on parle du
Code civil, une loi fondamentale, que l'on puisse, même si on peut
diverger sur certains points, sur l'ensemble faire l'unanimité.
Je voudrais simplement donner une information à madame, qui
s'interrogeait sur le mot "liquidateur". Elle semblait avoir certaines
inquiétudes en ce qui a trait à la terminologie. On est
habitué à nos terminologies. Le mot "liquidateur" est celui que
l'on retrouve souvent dans le droit d'expression française pour les
fonctions qui sont dévolues par le projet de loi. Je voudrais bien
mentionner que le liquidateur n'est là que pour dégager l'actif.
Il ne faut pas avoir l'impression qu'il est là pour administrer la
succession, c'est pour essayer de dégager l'actif le plus rapidement
possible, pour faire en sorte que les délais, qui sont très
longs, on le sait, beaucoup trop longs pour disposer des successions, puissent
être plus courts et qu'on ait aussi l'assurance qu'il y a un liquidateur
- employons ce terme pour le moment, on verra - qui soit de toutes les
successions, ce qui n'est pas le cas présentement.
Je vous donne cette information et, encore une fois, je vous remercie
très sincèrement pour vos représentations devant les
membres de la commission.
Mme Laberge: Je voudrais exprimer ce que je ressens
présentement. Je ne sais pas si je dois déplorer ou
apprécier le fait que notre présentation ait suscité
autant de controverses. Je pense que c'est peut-être...
M. Leduc (Saint-Laurent): Pas du tout, madame, au contraire.
Mme Laberge: J'espère que cela deviendra un
élément positif pour développer davantage
d'intérêt pour pouvoir en discuter le plus sérieusement
possible.
M. Leduc (Saint-Laurent): De la discussion naît la
lumière, madame.
M. Bédard: Quand cela soulève des passions, c'est
que vous avez touché des points sensibles, c'est tout.
Mme Laberge: Je vous remercie, de toute façon, de votre
attention.
Le Président (M. Blouin): À notre tour, mesdames,
nous... À l'ordre, s'il vous plaît!
À notre tour, nous remercions les représentantes de
l'Association des femmes collaboratrices d'être venues et nous demandons
maintenant aux représentants de l'Association québécoise
de planification fiscale et successorale de venir s'asseoir à la table
des invités, s'il vous plaît.
Avant de demander aux représentants de l'association de...
M. Bédard: Pouvez-vous vous placer dans le milieu.
Le Président (M. Blouin): Est-ce que vous pourriez vous
déplacer un peu pour que tous les membres de la commission puissent vous
voir correctement, s'il vous plaît?
M. Mathieu: Vous êtes trop à droite pour le
ministre, imaginez. Il faut être plus à gauche un peu.
M. Bédard: J'aime bien cela, plus à gauche!
Le Président (M. Blouin): Alors je
rappelle aux membres de la commission que les représentantes de
l'Association des femmes collaboratrices ont réussi à faire leur
présentation à l'intérieur du temps que nous leur avions
suggéré d'une vingtaine de minutes et que les membres de la
commission ont un peu excédé les périodes qui avaient
été convenues. J'espère que cette fois nous pourrons
procéder à nos travaux dans les délais que nous nous
sommes fixés. Je vous demande, monsieur, s'il vous plaît, de vous
présenter et de présenter les gens qui vous accompagnent.
Association québécoise de planification
fiscale et successorale
M. Rainville (François): Je me présente,
François Rainville, président de l'association. À mon
extrême gauche, le président du comité de
législation, Me Robert Archer; à ma gauche immédiate, Me
François Loiselle, qui fera la présentation du projet de loi no
107, et, à ma droite, Me Luc Martel, qui fera la présentation du
projet de loi no 106. Je demande à Me Martel, sans
préambule...
M. Martel (Luc): Pour ce qui est du projet de loi no 106, dans le
contexte de notre association, on s'est penché sur seulement quelques
questions qui pouvaient avoir des implications de nature plus fiscale ou
successorale. On s'est attaché particulièrement à deux
points: la question de domicile et la question du fameux titre neuvième
des personnes morales.
Pour ce qui est du domicile, au Québec, c'est une notion qui
revêt une importance particulière parce que, en plus d'être
un facteur de rattachement dans plusieurs règles
québécoises de droit international privé, cela constitue,
avec la résidence, un critère d'assujettissement retenu par la
Loi sur les droits successoraux.
Ensuite, on a vu dans le projet de l'Office de révision,
l'approche qu'il faisait des articles 79 et suivants du Code civil actuel, pour
ce qui est de l'établissement du domicile et du critère
d'intention. L'office cherchait à éliminer le critère
d'intention, particulièrement en matière successorale où
le problème est d'autant plus prononcé qu'il s'agit de
déterminer avec certitude l'intention d'une personne qui est
décédée. Alors, c'est difficile pour une personne
décédée de s'exprimer sur son intention
d'établissement du domicile.
L'article 73 du projet de loi reprend d'ailleurs la suggestion de
l'office à deux nuances près. Au lieu de parler de
résidence habituelle, comme il en était question à
l'office, on parle de résidence principale et on ajoute au premier
paragraphe une restriction ou une possibilité de dire que le domicile ne
sera pas nécessairement la résidence principale, mais cela pourra
être une autre résidence, si on démontre son intention de
le vouloir ainsi. Le nouveau texte semble être une amélioration
par rapport aux articles 79 et suivants du Code civil, en ce qu'on n'exige pas
de prime abord une preuve d'intention, sauf pour manifester un désaccord
avec l'énoncé initial. Mais on se demande si on ne sera pas quand
même obligé de faire des preuves d'intention pour démontrer
qu'effectivement, on n'avait pas l'intention, ni tacite ni volontaire, de
vouloir maintenir son domicile au lieu de sa résidence principale
antérieure quand on déménage.
Le cas le plus frappant qu'on voyait, c'est une personne qui
déménage, conserve la propriété de sa
résidence antérieure et s'en va comme locataire ou qui
achète une seconde maison, ou quoi que ce soit. Comme la notion de
résidence deviendrait plutôt une question objective établie
sur des questions de faits matériels et que la question de conserver la
propriété d'une résidence pourrait être un des
facteurs déterminants de la résidence, est-ce que certaines
autorités, surtout fiscales, ne pourraient pas être portées
à dire que le fait de conserver une résidence antérieure,
c'était démontrer tacitement l'intention de vouloir conserver son
domicile à cet endroit? Là, on sera obligé de
démontrer l'intention que non, cela n'est pas parce qu'on a
conservé la propriété d'une ancienne résidence
qu'on voulait nécessairement y conserver son domicile; ce sont des
questions de circonstances.
Alors là, face à cela, on se posait la question: Est-ce
qu'on est plus avancé qu'avant? Est-ce qu'on ne devrait pas
carrément éliminer entièrement la notion d'intention et
rattacher, une fois pour toutes, la question de domicile à la question
de résidence qui est une notion retenue dans la plupart des autres
lois?
Une autre constatation, c'est que l'emploi des mots "résidence
principale" dans le projet de loi no 106 est peut-être un peu malheureux
parce qu'il entre en concurrence avec la notion de résidence principale
qu'on a développée dans les différentes lois fiscales et
aussi avec l'expression des articles 449 et suivants, pour ce qui est de la
nouvelle loi 89. Alors, cela peut entraîner une certaine confusion. Ce
serait peut-être préférable de conserver la notion de
résidence habituelle aux fins de caractérisation du domicile.
Aussi, si on veut vivre ou si on veut amener une notion de domicile
équivalant à la résidence habituelle, ne devrait-on pas
établir certains critères ou une série de
présomptions pour aider à la détermination de la
résidence habituelle ou de la résidence principale, de
façon à ne pas devoir toujours ramener cette question devant les
tribunaux, une solution qui est trop fréquemment utilisée depuis
quelque temps dans les lois?
On pourrait même aller jusqu'à se poser
les questions: Est-ce que cela sera encore utile de conserver la notion
de domicile, si on en vient à dire que le domicile, c'est la
résidence principale? Pourquoi est-ce qu'on conserverait les deux
notions de front? En conservant toujours les deux concepts, est-ce qu'on ne
serait pas toujours porté à essayer de distinguer l'un de
l'autre?
Une dernière remarque quant au domicile. À l'article 80 du
projet de loi, on dit que les époux peuvent avoir un domicile distinct.
Cela pourrait aussi créer des difficultés, surtout en droit
international privé, si des mesures comme celles prévues au livre
neuvième du rapport sur le Code civil du droit international
privé ne sont pas adoptées en même temps que celles du
projet. Évidemment, il y aurait peut-être une loi d'application
qui pourrait venir faire le pont en attendant l'adoption d'un livre
éventuel sur le droit international privé, mais, en attendant, il
y aurait des conflits de droit. (11 h 30)
Les recommandations qu'on pourrait apporter relativement au domicile
seraient les suivantes: éliminer complètement la preuve
d'intention et en rester à des preuves de fait; remplacer la notion de
domicile par celle de "résidence habituelle"; si on va jusqu'à
dire que le domicile d'une personne est le lieu de sa résidence
habituelle; utiliser les mots "résidence habituelle" plutôt que
"résidence principale" afin d'éviter toute confusion avec la
notion résidence principale des lois fiscales et du nouveau Code civil
et aussi se rapprocher du qualificatif "habituelle" qui est déjà
employé dans différentes conventions internationales de droit
privé; finalement, prévoir l'adoption simultanée de
règles de droit international privé ou, pour le moins, en traiter
dans des mesures transitoires, dans une loi d'application.
Le deuxième point sur lequel on voulait se prononcer est le livre
des personnes morales, dont on a beaucoup traité hier. Nonobstant une
opinion qui semble favorable au livre neuvième, notre association est
plutôt du côté de toutes les autres opinions qui ont
été émises hier, soit de surseoir ou de reporter
l'adoption du livre des personnes morales jusqu'à ce que ce soit
davantage développé ou complété par des lois
connexes et aussi par un certain ménage qui pourrait y être
apporté, comme les remarques d'hier en faisaient mention.
Je veux seulement souligner quatre éléments qui ont
déjà été présentés hier, mais avec
lesquelles notre association est d'accord. Le premier commentaire, c'est qu'il
est impossible actuellement de se faire une idée sur ce livre, parce
qu'il y a trop de pièces du casse-tête qui sont absentes. On ne
sait pas ce qui en sera d'un chapitre éventuel sur les
sociétés ou sur l'administration du bien d'autrui.
Le deuxième commentaire, c'est qu'il existe actuellement, dans
notre droit, des outils de travail qui sont familiers et connus de tous:
l'entrepreneur, l'entreprise à propriétaire unique, la
société, la compagnie. Ce sont tous des outils de travail
quotidiens utilisés par la grande majorité des gens en affaires,
particulièrement dans les PME. Cela étant déjà
connu et familier, est-ce que ce ne serait pas dangereux, dans le contexte
actuel, de chambarder ces notions et d'arriver avec un tout nouveau contexte
sans avoir consulté au moins toutes les parties
intéressées? Quitte, même, à aller en commission
publique ou en commission d'étude pour en étudier l'impact non
seulement en droit civil, mais en droit fiscal, parce que la fiscalité
est très importante pour les gens en affaires; l'État, le fisc
est notre principal associé.
Troisième commentaire: II a été
énoncé que l'esprit du livre neuvième sur la personne
morale était de rédiger un cadre de règles
supplétives. À l'étude du titre, on se demande si c'est
réellement un cadre supplétif ou si ce n'est pas un tout nouveau
système qui a été établi. On se demande si on n'a
pas un peu dépassé nos intentions et s'il n'y aurait pas lieu de
le revoir.
Finalement - c'est peut-être une question de terminologie, mais
c'est quand même le reflet de préoccupations de plusieurs
personnes - il est malheureux de constater que le projet fait disparaître
le mot "corporation" pour ne traiter que de sociétés. La
corporation est le reflet d'une réalité qui est familière
dans notre contexte nord-américain. Pratiquement tout le monde sait ce
qu'est une corporation ou, encore mieux, une compagnie. Tout le monde sait ce
qu'est une compagnie. Une société, par contre, a une autre image
pour les gens. On parle d'une société de personnes. Une
société, c'est plutôt une entité non
incorporée dans l'esprit des gens. Notre droit commercial et ses
institutions sont d'origine anglo-saxonne et correspondent aux institutions
commerciales de tout le reste du continent nord-américain. Pourquoi
importer d'ailleurs une terminologie avec laquelle nous sommes moins familiers
et qui va plutôt apporter de la confusion dans l'esprit des gens?
Les recommandations qu'on pourrait énoncer sur le titre des
personnes morales sont de deux ordres: retarder sa promulgation jusqu'à
ce qu'une étude à fond puisse y être apportée en
connaissance de cause avec les autres morceaux qui nous manquent; et si
possible conserver le mot corporation et même de préférence
le mot compagnie dans notre Code civil. Je sais que c'est déjà un
peu tard parce que la commission des valeurs mobilières a
déjà fait disparaître le mot compagnie pour ne parler que
de société. On
a également le même courant du côté
fédéral. Ce n'est pas nécessairement parce que ces gestes
ont été accomplis qu'il serait trop tard pour remettre la
sitation sur une base qu'on juge plus connue ou plus familière.
Ce sont les commentaires que nous avions à apporter sur le projet
de loi 106.
Le Président (M. Blouin): Merci. Le deuxième volet
de votre présentation. M. Loiselle.
M. Loiselle (François): Alors, en ce qui concerne le
projet de loi 107 en général. Ceux qui ont préparé
le projet méritent certainement des félicitations à bien
des égards. Nous allons soulever différents problèmes,
différents points; pas tous les points qui sont relevés dans
notre mémoire mais certains points qui nous apparaissent importants.
Nos représentations se feront en deux parties, d'une part nous
étudierons une institution qui peut vous paraître
révolutionnaire mais qui, selon nous, reflète le plus la
réalité quotidienne de tous les jours. Il s'agit de la
dévolution successorale exclusive au conjoint en l'absence de
disposition testamentaire.
Vous imaginez tout de suite le boom publicitaire que cela pourrait
entraîner dans le public. Nous vous entretiendrons donc sur ce nouveau
phénomène qui est posssible et qui est souhaitable, nous le
pensons.
Dans un deuxième temps, si le temps nous le permet on discutera
certains articles du projet de loi 107. On remarque dans le projet de loi qu'il
n'y a pas de définition du terme conjoint. Le mot conjoint
employé à l'article 711 et dans différentes autres
sections peut paraître confus. Il faudrait peut-être le
préciser. Est-ce qu'on veut aussi inclure le conjoint de fait? La loi
devrait, si on entend exclure le concubin, établir clairement qu'il
s'agit uniquement - pour ce qui la concerne - du conjoint suite au mariage.
Il faudrait remarquer que le conjoint de fait est
considéré dans différents statuts du gouvernement et qu'il
y aurait peut-être simplement un petit pas à faire pour le
législateur afin de prendre des mesures nécessaires pour
protéger ce conjoint. Cependant là n'est pas notre point et nos
représentations d'aujourd'hui.
II est malheureux de constater que les articles 725 et suivants,
relatifs à la dévolution au conjoint survivant et aux
descendants, ne reflètent pas la réalité d'aujourd'hui.
Ces articles seraient pour le moins conservateurs et très peu
adaptés au contexte social actuel. Nous aurions
préféré de beaucoup que le législateur adopte les
articles proposés par l'Office de révision du Code civil qui ont
une tendance plus moderne et plus dynamique. Comme on le sait, ces articles ont
été proposés il y a quelques années. Les temps
changent puis on a besoin de moderniser et de mettre à jour ces
choses.
Nous tenterons donc de vous démontrer tous les avantages sociaux,
économiques et politiques qui résulteraient de la
dévolution exclusive au conjoint. À remarquer que le droit actuel
est à l'effet que le conjoint n'est pas un héritier à part
entière dans l'ordre de dévolution légale de la
succession; au contraire il ne vient que concourir avec d'autres
héritiers.
Remarquez, et c'est certainement malheureux, que le projet de loi
retient ce droit de concourir avec les descendants qui recueilleraient les 2/3
de la succession et à leur défaut les ascendants
privilégiés qui recueilleraient 1/3 de la succession et
même, dans un troisième temps, les collatéraux
privilégiés. De son côté, l'Office de
révision du Code civil propose un droit d'option en faveur du conjoint
survivant, lequel pourrait concourir avec les descendants du défunt et
recevoir soit la moitié de la succession d'une part, soit l'usufruit de
la totalité des biens. Et, en l'absence de descendants, le conjoint
hérite de la totalité de la succession, ce qui nous
apparaît plus moderne, plus "up-to-date". Quant à nous, nous
croyons avantageux que l'époux puisse succéder à son
conjoint et faire cavalier seul dans le premier ordre de la dévolution
successorale légale. Advenant le prédécès du
conjoint ou lorsque le défunt laisse des descendants, la succession
serait dévolue, évidemment, pour le tout, à ces derniers,
c'est-à-dire à ses descendants.
Le fondement même de l'ordre de la dévolution légale
des successions doit se retrouver dans les affections présumées
du défunt qui n'a pu établir, d'une manière expresse, ses
dernières volontés quant à la disposition de ses biens. Le
législateur doit donc présumer des dernières
volontés du défunt comme si ce dernier avait pu les exprimer.
Nous sommes d'avis que les conjoints forment ensemble le premier noyau affectif
de la famille, bien avant, généralement, la venue de l'enfant.
Pourtant, l'histoire nous démontre que le conjoint survivant a dû
patienter longtemps avant de compter parmi les affections
présumées du défunt. C'est d'ailleurs avec beaucoup de
timidité que la loi Pérodeau de 1915 reconnaissait que le
conjoint avait gagné l'affection du défunt plus que ne l'aurait
fait un cousin au douzième degré.
Des voix: Ah! Ah! Ah!
M. Loiselle: Peut-être avait-on auparavant le souci d'une
hérédité légitime par le sang et le désir de
conserver les biens dans une même famille héréditaire. Avec
le temps, le législateur a dû se rendre compte
que le conjoint prenait une part active à cette famille, de
manière souvent honorable et digne de l'affection du défunt. Nous
ne nions pas le fait que les articles proposés par l'Office de
révision du Code civil protègent à la fois le conjoint et
les descendants. Néanmoins, l'évolution de la
société est telle qu'on doit présumer davantage que le
défunt aurait vraisemblablement légué ses biens à
son conjoint s'il avait pu exprimer ses dernières volontés. Il
serait heureux que le législateur saisisse ici l'occasion d'innover et
d'accorder au conjoint du défunt une meilleure part d'affection
présumée en faisant de l'époux survivant le seul
héritier du défunt au premier ordre. À tout le moins,
devrait-il accepter le projet proposé par l'Office de révision du
Code civil; à tout le moins et relativement à l'ordre de
dévolution. D'une part, si le conjoint concourt avec les descendants du
défunt, il pourra choisir entre la moitié des biens du capital ou
l'usufruit de la totalité. D'autre part, si le défunt ne laisse
pas de descendants, le conjoint hérite seul. On ne mélange pas
les ascendants privilégiés et les collatéraux
privilégiés et cela nous paraît acceptable.
Il nous paraît aujourd'hui inconcevable et même inacceptable
que le conjoint survivant doive concourir, le cas échéant, soit
avec les ascendants privilégiés ou avec les collatéraux
privilégiés. Pour notre part, nous considérons que le
noyau familial devrait avoir préséance sur la parenté plus
éloignée afin d'établir l'affection présumée
du défunt. Et, nous constatons que le conjoint fait partie
intégrante et essentielle de ce noyau.
Dans le cas où le législateur retiendrait le
critère des affections présumées du défunt pour
déterminer l'ordre de la dévolution légale des
successions, il serait bienvenu de créer un article stipulant que
l'époux survivant succède seul à son conjoint
décédé. D'autre part, si le législateur donne
priorité à la conservation des biens dans une famille
héréditaire, nous lui suggérons fortement d'adopter la
position de l'Office de révision du Code civil à ce sujet. Aussi,
le législateur devra-t-il considérer que le conjoint
séparé de corps, relativement à la dévolution
légale des successions, puisse suivre le même traitement que celui
accordé au conjoint divorcé, puisqu'on base cela sur les
affections présumées. Je pense que, si on se sépare de son
conjoint, on n'a pas vraiment l'intention de laisser ses biens à ce
conjoint. (11 h 45)
M. Bédard: L'affection présumée a
changé de place.
M. Loiselle: Je pense que oui. J'ai quelques considérants
et je vais terminer notre premier point là-dessus. Vous me direz, M. le
Président, si je prends trop de temps.
Le Président (M. Blouin): J'ai presque le goût de
vous le dire déjà parce que...
M. Loiselle: Vous me le direz dans cinq minutes, si je
dépasse.
Le Président (M. Blouin): Pour cinq minutes, on peut
s'entendre.
M. Loiselle: Considérant que, pour établir l'ordre
de la dévolution successorale, le législateur doit, en l'absence
de dispositions expresses à cause de mort, présumer des
dernières volontés du défunt comme s'il les avait
exprimées;
Considérant que les dernières volontés du
défunt tiennent beaucoup plus de l'affection du défunt que de la
conservation des biens dans la famille;
Considérant que le conjoint est un membre important et essentiel
au noyau familial;
Considérant qu'il y a lieu de présumer que le
défunt avait un lien affectif privilégié et prioritaire
avec son conjoint;
Considérant que le conjoint survivant devra continuer de remplir
les obligations vis-à-vis de ses enfants; il y aura toujours une
obligation alimentaire de ce conjoint survivant vis-à-vis de ses
enfants;
Considérant que, dans l'esprit de la grande majorité des
gens, le conjoint survivant hérite de la totalité des biens; bien
souvent les gens arrivent à nos bureaux pour faire un acte de vente. On
leur explique que les biens seront partagés moitié aux enfants,
moitié à eux selon le régime ou un tiers, deux tiers et
ils sont tout surpris de cela. Comment se fait-il que mon conjoint
n'hérite pas de la totalité de mes biens? C'est à ce
moment-là qu'ils font un testament;
Considérant aussi - cela peut paraître important - que
l'ordre de dévolution proposé par la section I du chapitre
quatrième du projet de loi 107 va perpétuer la complexité
actuelle du règlement des successions (présence
d'héritiers mineurs, création de tutelle, requête en
autorisation spéciale, vente à l'enchère de biens
immobiliers, partage, etc.) et même l'aggraver dans certains cas par la
nouvelle obligation de la prestation compensatoire;
Considérant l'économie qui en résulterait pour les
héritiers intéressés si ces problèmes
étaient évités par une attribution exclusive au conjoint
survivant;
Considérant la possibilité pour l'intéressé
de faire un testament qui édicte un ordre de dévolution
différent... Si les gens savent que les biens sont
transférés automatiquement au conjoint survivant et qu'ils
veulent transmettre des biens aux enfants et que ceux-ci sont mineurs, il est
beaucoup intéressant pour le testateur d'aller voir le notaire et de
faire son testament au profit de ses enfants et de donner des
protections particulières qui protégeraient une situation
particulière. Autrement dit, il pourrait nommer un liquidateur ou un
exécuteur avec les pouvoirs qu'il voudra bien lui donner. L'enfant sera
d'autant plus protégé, même plus protégé que
ne pourrait le faire la loi;
Considérant la faveur que le public accordera au principe de la
dévolution exclusive au conjoint survivant;
Nous recommandons, l'Association québécoise de
planification successorale et fiscale, que les articles 725 et 726 soient
modifiés et donnent tout au conjoint au premier rang et, au
deuxième rang, fassent bénéficier les enfants.
C'était le premier point. Je serai très bref sur l'autre
point. On voulait noter quelques articles et dire que les délais
d'acceptation de la succession nous apparaissent non conformes. Je pense qu'on
rejoint l'opinion de la chambre des notaires, du barreau là-dedans.
M. Bédard: Comme vous le savez, la loi d'application verra
à établir une cohérence.
M. Loiselle: Il serait gentil de faire cela.
M. Bédard: Ce n'est pas seulement gentil, mais
indiqué.
M. Loiselle: Cela s'impose. À l'article 763, on
suggère que la lecture du testament doit se faire par le notaire en
présence du testateur. Nous suggérons - souvent pour un testament
fiduciaire - que le testateur fasse lecture de son propre testament. S'il est
content ou s'il veut poser des questions, on peut lui expliquer tout comme on
peut expliquer un acte d'hypothèque ou un acte de fiducie. On
suggère que la lecture du testament puisse être faite par le
testateur à n'importe quel endroit et qu'on dise qu'on est consentant
pour le signer devant le notaire et devant un témoin.
On a noté, à l'article 788, la notion d'unité
économique qu'il faudrait peut-être préciser. Aux articles
796 et suivants, il y aurait peut-être une précision quant
à l'accroissement et à la représentation dans les cas de
legs à titre universel. Je pense que ce sont des points importants.
Je termine en disant que, dans son ensemble, le projet de loi nous
paraît très bien fait. Nous faisons simplement ces recommandations
pour épargner bien des difficultés. L'attribution exclusive au
conjoint devient une institution presque révolutionnaire aujourd'hui,
mais cela règle bien des problèmes. Plus de problème de
prestation compensatoire. Plus de problème d'évaluer cela devant
les tribunaux. Évidemment, il y aura des choses à discuter. Je
laisse le soin aux membres de la commission de poser les questions
nécessaires à ce sujet-là.
Le Président (M. Blouin): Merci, Me Loiselle. Je donne la
parole au ministre de la Justice.
M. Bédard: M. le Président, je voudrais remercier
les représentants de l'Association québécoise de
planification fiscale et successorale d'avoir voulu déployer les
énergies nécessaires - parce qu'il en faut -pour se pencher sur
ces deux chapitres sur lesquels on veut apporter une réforme de notre
Code civil et de nous avoir présenté un mémoire
très substantiel, pour employer vos mots. Je vous en remercie.
Le projet de loi, comme vous le dites, est très bien fait.
Maintenant, je pense que le but de vos représentations, comme celui de
tous les autres groupes, est d'essayer de l'améliorer, parce qu'il y a
toujours place pour amélioration. Vous pouvez être sûrs que
vos remarques seront prises en bonne considération.
Je me limiterais à une question concernant le chapitre des
personnes. Vous avez centré vos représentations sur un point
précis, à savoir le domicile. Concernant le domicile, ne
croyez-vous pas que le fait d'éliminer, comme vous le proposez,
complètement toute référence à la notion
d'intention pourrait quand même avoir des conséquences
fâcheuses pour certaines personnes? Je pense entre autres au cas des
personnes résidant à l'étranger temporairement, mais qui
désirent conserver leur domicile au Québec. Ce ne sont pas des
exemples aussi rares qu'on peut le croire. C'est tous les jours que des
personnes peuvent décider d'aller travailler un an ou deux à
l'extérieur du Québec, mais de garder quand même leur
domicile au Québec. Il me semble que la notion d'intention, dans le
projet de loi, vient d'une façon plutôt subsidiaire par rapport
à ce qui existait auparavant. Enfin, il me semble, à moins que
vous ne nous apportiez des arguments très convaincants en ce sens, que
l'on doit garder cette référence à la notion
d'intention.
M. Loiselle: Si on s'en remet à des critères de
résidence habituelle, il s'agirait en fait de développer les
faits majeurs ou les principales données qui pourraient nous amener
à considérer où la personne réside ou encore
à savoir où la personne est domiciliée. Mais cela est
déjà établi. Les faits marquants sont déjà
établis surtout dans les législations fiscales, mais cela
pourrait facilement s'adapter au civil.
L'intention n'est pas complètement rejetée, mais elle
n'est qu'un des éléments qui font partie de la
détermination de la résidence. Également, dans les
traités internationaux, il y a toute une série de
présomptions qui sont faites et on fonctionne par
élimination. Si on ne tombe pas dans la première
présomption pour déterminer où la personne est
domiciliée ou résidente, on tombe dans la seconde ou la
troisième, etc. Même votre exemple...
M. Bédard: D'après ce que vous nous dites, je suis
presque porté à dire qu'on se rejoint d'une certaine
façon. Vous voulez que la référence à la notion
d'intention soit subsidiaire, mais qu'il y ait aussi d'autres
critères...
M. Loiselle: Plus subsidiaire qu'elle ne l'est actuellement.
M. Bédard: Pardon?
M. Loiselle: Encore plus subsidiaire qu'elle ne pourrait
l'être.
M. Bédard: En tout cas, si vous avez des moyens ou une
formulation à nous proposer pour la rendre moins subsidiaire que cela,
je me demande, à un moment donné...
M. Martel (Luc): Si on n'en parle pas du tout.
M. Bédard: Oui, mais c'est cela. Là-dessus...
M. Martel (Luc): Elle va revenir de par la pratique. Cela sera un
des éléments à déterminer. Ou bien, il s'agirait de
développer.... Comme il y aura probablement, dans le chapitre du droit
international privé, des règles d'établissement de
domicile ou, si on en arrive à remplacer "domicile" par
"résidence habituelle", des règles d'établissement de
résidence habituelle, peut-être que la solution sera là,
à savoir: Quelqu'un qui travaille à l'étranger pour X
période de temps, où est-il domicilié en
réalité? Où a-t-il sa résidence habituelle? C'est
là qu'on va trouver la réponse.
M. Bédard: Sur cette question, mon collègue de
D'Arcy McGee me dit qu'il aurait peut-être une question additionnelle sur
le sujet; aussi bien procéder tout de suite.
M. Marx: C'est sur le domicile? M. Bédard: Oui.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Je suis plus ou moins d'accord avec le ministre sur
cette question de domicile. On est souvent d'accord, mais on n'exprime pas
souvent ses intentions. Je trouve que le fondement de la notion de domicile,
c'est l'intention. Cela veut dire que... Je ne vois pas pourquoi...
M. Martel (Luc): C'est le problème. M. Marx:
Pardon?
M. Martel (Luc): C'est là qu'est le problème. C'est
un élément subjectif. En fait, vous pourriez vivre toute votre
vie, par exemple, à l'extérieur du Québec tout en
étant domicilié au Québec.
M. Marx: D'accord. Sur un autre point que vous avez
soulevé, vous avez suggéré qu'on parle de
"résidence habituelle" au lieu de "résidence principale".
D'accord?
M. Martel (Luc): Oui.
M. Marx: Dans le code actuel, c'est l'"établissement
principal". D'accord?
M. Martel (Luc): Oui.
M. Marx: Oui. Mais je trouve que "résidence principale"
est le terme d'aujourd'hui pour parler d'"établissement principal" et je
ne vois pas pourquoi on changerait pour un autre terme qui ne fait pas partie
de notre droit.
M. Martel (Luc): C'est parce qu'il faudrait donner deux
connotations à "résidence principale", à ce moment. Il y
aurait la résidence principale comme propriété physique,
la résidence principale aux fins du projet de loi no 89, la
résidence principale aux fins des lois fiscales et il y aurait la
résidence principale plutôt l'équivalent de domicile. C'est
moins physique, c'est une place mais pas nécessairement le
bâtiment lui-même.
M. Marx: Mais si on change "établissement principal" pour
"résidence principale", je sais ce que cela veut dire. Si on change pour
"résidence habituelle", on va créer du droit nouveau. De toute
façon, vous avez souligné qu'on peut avoir des
interprétations différentes. Je suis d'accord. On a, par exemple,
des articles similaires dans les deux lois sur l'impôt et des
interprétations différentes; c'est plus ou moins impossible
d'éviter cela.
M. Martel (Luc): C'est juste qu'on ajoute un
élément de confusion qui aurait peut-être pu être
évité si on avait deux terminologies. Mais là, cela
devient juste une question de terminologie, finalement.
M. Bédard: Là-dessus, je pense qu'on serait
plutôt...
M. Marx: Pour elle, cela peut toucher
le fond, c'est sûr.
M. Bédard: Je pense qu'on serait plutôt d'accord sur
ce point, mon collègue de D'Arcy McGee et moi. À partir de ses
remarques, je me demande avec quoi il est en désaccord sur le premier
point. Mais, s'il y a des nuances possibles sur la notion de "résidence
principale", imaginez les nuances possibles aussi sur la notion de
"résidence habituelle". Franchement...
M. Martel (Luc): II faudrait qu'elle soit définie.
M. Bédard: Oui. Je pense... En tout cas.
M. Martel (Luc): Et on retrouverait les éléments de
définition qui, de toute façon, seront nécessaires pour
les articles suggérés, 73 et 74.
M. Bédard: Comme on poursuit un objectif qui est
d'indiquer quelle est la résidence principale - qu'on l'appelle
"habituelle" ou "principale" - comme déjà il y a toute...
Enfin...
M. Martel (Luc): De toute façon, on devra préciser
ce qu'on entend par "résidence principale" aux fins des articles 73 et
74. Alors, qu'on le définisse pour "résidence habituelle" ou
"résidence principale", cela va être la même
définition.
M. Bédard: Avec tout le respect que j'ai pour votre
opinion, il y a place pour la discussion. (12 heures)
Sur l'autre point, concernant les successions, vous suggérez que
la succession soit exclusivement dévolue au conjoint en matière
de succession légale, en invoquant le fait qu'il assume
généralement toutes les responsabilités relatives aux
enfants. Vous avez parlé - pour employer votre expression - d'essayer de
traduire dans le projet de loi la notion d'affection présumée;
mais vous admettrez avec moi que cette réalité d'affection
présumée, si on s'en tient au contexte social auquel vous avez
référé et auquel vous voudriez qu'on s'adapte, on est en
mesure de constater que l'affection présumée peut être de
durée indéterminée, beaucoup plus que cela était le
cas peut-être il y a 15 ou 20 ans. Dans ce sens, je pense que c'est en
essayant de s'adapter à cette nouvelle réalité sociale
qu'on essaie d'aller de l'avant. Alors, dans un contexte où de plus en
plus fréquemment les enfants sont issus de mariages différents,
ne croyez-vous pas qu'une telle solution, à laquelle j'ai
référé tout à l'heure, risque quand même
d'entraîner des inégalités entre les enfants alors que nous
avons voulu, par la réforme du droit de la famille, créer
l'égalité au niveau des enfants, quelles que soient les
circonstances de leur naissance? De plus, je pense qu'il importe de rappeler -
on l'a déjà fait - que même si la part demeure la
même, à savoir le tiers et non la moitié, le conjoint
obtiendra dorénavant davantage puisqu'il cumulera les avantages de son
régime matrimonial, ce qui n'était pas permis auparavant. Je vous
demanderais vos commentaires sur les conséquences de cette nouvelle
réalité sociale des affections présumées plus
indéterminées que dans le passé.
M. Loiselle: Alors, vous avez raison là-dessus. C'est la
réalité. Évidemment, je vois un peu le cas. Le père
et la mère ont deux enfants; l'un décède ou il y a divorce
ou il y a séparation; le père se remarie avec une autre et
là décède; est-ce qu'il y a une affection plus en faveur
des enfants que du deuxième conjoint? Si on donnait tout au
deuxième conjoint, il y aurait aussi un autre problème qui serait
soulevé, c'est que ce ne sont pas les enfants de celui qui survit. Comme
ils ne sont pas ses enfants, il y aura peut-être lieu de prévoir
une créance alimentaire en leur faveur, et tout cela. Je vois le
problème d'ici. Cependant, nous considérons et nous maintenons
nos positions à cet effet pour plusieurs raisons.
Généralement, et je ne pense pas me tromper là-dessus,
lorsqu'on se remarie on prend des positions plus fermes et on fait un testament
où on le précise davantage, à la lumière de l'autre
mariage...
M. Bédard: À la lumière de
l'expérience passée.
M. Loiselle: ...on prend de l'expérience. On apprend que
c'est mieux d'avoir des documents écrits, scripta manent. Je pense que
là-dessus, les personnes sont davantage protégées. C'est
généralement ce qui se fait. Au deuxième mariage, les gens
nous rencontrent, font un testament et séparent comme ils le veulent:
moitié au conjoint...
M. Bédard: Même si on peut être plus "prudent"
à l'occasion d'un deuxième mariage, comme vous dites, et qu'on
pense à faire un testament, il reste que s'il n'y en a pas eu pour les
enfants du premier mariage, les carottes sont cuites pour eux d'une certaine
façon.
M. Loiselle: Peut-être pas, mais on pourra toujours
recourir à une dette alimentaire en faveur des enfants. Ils seraient
protégés, les enfants mineurs; car les enfants majeurs, il ne
faudrait quand même pas se leurrer... Pour ce groupe de gens qui n'ont
pas eu la chance de faire un testament pour plusieurs raisons, on pourrait
prévoir une dette alimentaire vis-à-vis des enfants.
M. Bédard: Alors, je vous remercie M. Loiselle de vos
commentaires. Remarquez qu'on est peut-être un peu plus rapide à
partir de maintenant. Cela n'est pas que les mémoires sont moins
substantiels et moins intéressants, mais je pense me faire l'écho
de tous les membres de la commission... Vous avez été en mesure
de constater que plusieurs des sujets qui sont abordés à partir
de maintenant - c'est normal - ont déjà été
traités de façon assez détaillée à
l'occasion de la présentation de mémoires d'autres organismes.
Mais soyez convaincu que notre attention, concernant les points soulevés
dans votre mémoire, ne se limite pas seulement aux points que nous
soulevons au niveau des questions, mais nous tiendrons compte de l'ensemble des
représentations de votre mémoire.
Le Président (M. Paré): M. le député
de D'arcy McGee.
M. Marx: J'ai une question sur le même article que le
ministre a évoqué, l'article 725. Vous avez parlé d'une
affection présumée pour une période
indéterminée. Moi, je dirais qu'il y a moins d'affection
présumée qu'autrefois, étant donné le nombre de
divorces, de séparations et ainsi de suite. Je ne tirerais pas cette
conclusion pour changer cet article du code. Ce serait peut-être une
bonne idée, mais je ne vois pas de consensus social ou un
impératif pour changer cet article si vous n'avez pas d'autres raisons.
Qu'on laisse l'article tel quel ou qu'on fasse les changements, c'est facile
pour les gens de changer leur régime en faisant un testament même
olographe. Sur toute cette question des biens, il ne faut pas oublier que 25%
de la population vivent en dessous du seuil de la pauvreté. Donc, il n'y
a pas de problème de succession avec eux. Les autres qui ont assez
d'argent et de biens vont aller voir des gens comme vous ou des notaires. Donc,
finalement, cet article ne s'applique pas à tellement de personnes. Ce
qu'il faudrait peut-être faire - c'est au ministre de décider -
c'est de la publicité pour que les gens sachent qu'ils peuvent changer
leur régime en faisant un testament olographe. Il y a beaucoup de gens
qui ne sont pas au courant qu'ils peuvent prendre une feuille de papier,
écrire quelques mots et décider à qui laisser quoi, le cas
échéant, s'ils veulent éviter des honoraires d'avocat ou
de notaire.
Une voix: De notaire, pas d'avocat.
M. Loiselle: Mais ce ne serait pas éviter des frais que de
faire cela, étant donné qu'il faudrait le faire vérifier
à la
Cour supérieure. Mais, de toute façon... M. Marx: ...on
n'a pas ici.
M. Loiselle: ...c'est un autre problème qui n'entre pas
dans ce cadre.
Affection présumée, oui, c'est vrai que cela peut
être un peu estompé par l'étendue des divorces et des
séparations. Mais c'est bien sûr qu'on parle aujourd'hui de ce qui
est mauvais, c'est facile de lire les journaux et de voir ce qui est mauvais.
Cependant, ce qui est beau, on ne le dit pas. On ne dit pas qu'il y 30 000
mariages et que, là-dessus, il y en a 20 000 qui vont bien et qu'il y en
a 10 000 qui vont mal. Cela, on ne le dit pas.
Affection présumée, en général, je pense
bien que c'est le conjoint, c'est la famille. Donnons priorité et
protégeons le conjoint, d'après moi. D'après l'Association
québécoise de planification successorale et fiscale, le
problème était de protéger le conjoint qui, bien souvent,
était obligé de partager avec l'enfant. Ce n'était pas
intéressant non plus de partager, d'autant plus que l'enfant pouvait
être mineur. Ce n'était pas agréable non plus. Il y avait
peut-être seulement 5000 $, 6000 $, 8000 $ ou 10 000 $ à partager.
Ce conjoint survivant a besoin d'argent pour vivre et pour prendre soin de son
enfant, aussi. Cela crée toute une espèce de problème. La
Curatelle publique va nous répondre, quand on a remis 5000 $ en banque
sur les 10 000 $ pour protéger l'enfant: II faut prendre soin de
l'enfant, on ne peut pas prendre une partie de ces 5000 $ qui ont
été déposés à la banque jusqu'à ce
que l'enfant ait 18 ans. On ne peut pas. De toute façon, le parent est
obligé aux aliments vis-à-vis de l'enfant. Donc, qu'il prenne son
argent. Une fois qu'il aura éliminé cela, le conjoint n'aura plus
rien. Ce n'est pas tellement agréable.
M. Marx: Je comprends. Dans un autre ordre d'idées, mais
en parlant toujours des successions, dans d'autres domaines comme le logement,
le gouvernement a fait une certaine publicité pour faire connaître
un bail type. Les gens ne vont pas voir leur avocat ou leur notaire pour signer
un bail, il y a le bail type. Ils peuvent changer des articles ici et
là. Comment verriez-vous ce fait que le gouvernement fasse de la
publicité pour dire aux Québécois: Voilà un
testament olographe type avec certains articles; vous pouvez le changer, mettre
tel ou tel article dans un testament olographe; c'est très simple, vous
pouvez prendre une feuille de papier et écrire: Je déclare que je
laisse tout à mes enfants ou je déclare que je laisse tout
à ma femme ou à mon mari et ainsi de suite. Aujourd'hui, c'est
tellement compliqué qu'il faut voir un avocat
ou un notaire pour tout faire, quoique ce n'est pas toujours vrai.
Je ne pense pas que ce soit nécessaire pour tout le monde d'aller
voir un professionnel pour vraiment faire un testament. Ma secrétaire
allait en vacances, elle m'a dit: Bon, j'aimerais faire un testament et je veux
laisser tout à mon mari si je décède en vacances.
M. Blank: Elle ne part pas en vacances avec son mari?
Une voix: Pas à son patron?
M. Marx: Elle n'a pas fait cela au patron parce que c'est une
nouvelle secrétaire, elle ne me connaît pas assez encore.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Comment est-ce que vous verriez une telle initiative du
gouvernement de faire de la publicité pour dire aux gens: Vous pouvez
changer votre régime, c'est bien simple, prenez une feuille de papier et
écrivez cela de votre main et voici les éléments
clés d'un tel testament?
M. Loiselle: Je pense que cela pourrait créer un gros
préjudice, évidemment, à la population. Cependant je suis
très en faveur qu'on informe le public qu'il y a trois façons de
faire un testament. Qu'on l'informe de ces choses, je suis tout à fait
d'accord.
Si la personne veut rencontrer un conseiller juridique pour l'informer
de ses droits, il n'y a aucun problème. Là-dessus, qu'on informe
le public des avantages et des inconvénients que pourrait causer
l'écriture d'un testament fait sous la forme olographe par rapport
à un testament qui va être, sous le nouveau projet, un testament
devant témoins, et non pas sous la forme dérivée des lois
d'Angleterre, ou un testament notarié, qu'on informe les gens sur les
avantages de l'un par rapport aux autres, peut-être qu'à ce moment
le public pourra se faire une opinion et rencontrer probablement un conseiller
juridique.
D'ailleurs, ce n'est pas dispendieux. C'est une démarche
très intéressante. Ils peuvent prendre connaissance du travail
notarial et bien souvent ils seront aidés; surtout lorsqu'il y a des
enfants mineurs, cela devient intéressant. Cela devient
intéressant parce qu'on a des protections supplémentaires. Au
niveau de la planification successorale et fiscale, cela devient aussi
très intéressant.
Ce n'est pas seulement le jeu des formules. Certainement, nous notaires,
ce n'est pas des formules que l'on va prendre; comme dans un bail type, prendre
une clause, puis une autre clause et une autre clause. On va certainement
adapter différentes clauses qu'on aura rédigées pour
satisfaire le client. C'est d'écrire noir sur blanc ses intentions.
Là-dessus, si vous me le permettez M. le député, Me Martel
aurait une idée à ajouter.
M. Martel (Luc): Pour la question des testaments et ces
choses-là, la plupart du temps la première préoccupation
d'un individu qui désire faire un testament, du moins dans les cas qu'on
peut vivre, c'est la sécurité financière du conjoint
survivant.
Deuxième priorité, selon l'importance de la succession, du
patrimoine, c'est d'essayer dans la dévolution de
bénéficier le plus possible des exemptions, des déductions
existantes dans les différentes lois, mais pour autant que cela ne nuise
pas à la sécurité financière ou au bien-être
du conjoint survivant qui, lui, de toute façon, a beaucoup plus de
chances de pouvoir subvenir aux besoins des enfants et de voir à leur
bien-être s'il a suffisamment de capital ou s'il est lui-même
sécurisé que si on fractionne le patrimoine et qu'on laisse
chacun se débrouiller de son côté. Cela c'est une
chose.
Pour revenir à votre question de publicité, j'irais plus
loin que cela quant à y être et quant à vouloir faire de la
publicité. Cela réglerait un des problèmes qui semblent
vous tracasser beaucoup actuellement. Je ferais de la publicité aussi
sur tous les moyens d'associer les gens en affaires. Je pense surtout à
la représentation des femmes collaboratrices. Je me demande s'il n'y a
pas ici un peu le déplacement d'un problème. On ramène
dans le droit civil un problème qui est plutôt de nature
commerciale. Je vise la réserve. (12 h 15)
Si les gens étaient au courant des possibilités de
conventions avec lesquelles ils peuvent intervenir, soit avec leur conjoint ou
avec d'autres parties: conventions d'associés, conventions
d'actionnaires, salaires qui se paient entre conjoints... Il y a toute une
série de documents qui devraient être rédigés
dès qu'on est en affaires. Il faudrait peut-être rendre
conscients, faire une certaine éducation économique aux gens
d'affaires. C'est déjà amorcé par différents
groupements. Mais cette solution serait peut-être beaucoup plus opportune
que de jouer dans le droit civil pour régler des cas plus rares et venir
mettre une règle qui va affecter toute la population, alors que toute la
population n'a pas le même problème.
M. Marx: J'ai seulement un petit commentaire à faire, pour
ma secrétaire. Je continue à croire que ma secrétaire
n'avait pas besoin de visiter un avocat ou un notaire pour faire ce petit
changement. Tout cela
me fait penser aux annonces à la télévision de H.
et R. Block. C'est tellement difficile maintenant de remplir une formule
d'impôt qu'il faut voir un spécialiste, même si ce n'est pas
nécessaire.
Vous savez que la tendance aujourd'hui, au moins dans certaines
juridictions, c'est de rendre tout cela plus simple. Je pense qu'au
gouvernement fédéral, la nouvelle loi sur le divorce qui va
être déposée rendra possible l'obtention d'un divorce par
consentement sans passer par un avocat. Il faut penser à cela aussi. Il
y a beaucoup de gens qui veulent changer leur régime et ce n'est pas
toujours nécessaire qu'ils voient un spécialiste, un
professionnel, et ainsi de suite. C'est avoir recours à un service dont
ils n'ont pas vraiment besoin pour faire le changement qu'ils aimeraient faire,
quoique je convienne, comme cela a été dit par Me Tardif, qu'il
est souvent nécessaire d'avoir une planification successorale. Mais,
dans d'autres cas, ce n'est pas nécessaire.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Sainte-Anne, vous aviez demandé la parole?
M. Polak: J'ai seulement une question, M. le Président.
Merci.
J'ai noté que, dans votre annexe, vous dites que - et tout
à l'heure, vous avez répondu au député de D'Arcy
McGee - vous voulez protéger le conjoint. C'est un principe que vous
défendez. Et, c'est bien expliqué: le lien affectif est
privilégié, prioritaire, etc. Comment se fait-il qu'on ne trouve
rien sur la patate chaude de la réserve? J'ai entendu parler de ce
problème depuis hier. Quant à moi, ayant pris cette attitude
très humaniste dans l'ab intestat, j'aurais préféré
voir cette même attitude dans le testament et continuer à suivre
ce principe de protection du conjoint.
M. Martel (Luc): Pour ce qui est de la réserve, j'irai un
peu dans le même sens que les autres groupements qui se sont
prononcés. À l'association, on doit constater que, en pratique,
le problème auquel pourrait répondre la réserve est
très rare, en ce sens que, la plupart du temps, les testaments
pourvoient aux besoins et du conjoint et des enfants. Le cas qu'on voudrait
régler est surtout un cas d'exception. Dans cette optique, on devrait
prévoir des mécanismes d'exception et non pas aller à la
chasse aux papillons avec un fusil pour éléphants. Alors, si on
dit: D'accord, il nous faut un mécanisme d'exception. Maintenant, est-ce
qu'il doit couvrir et les conjoints et les enfants? Pour ce qui est des
conjoints, on pourrait dire que, de plus en plus, avec le régime
légal qui existe, la société d'acquêts, avec la loi
89, avec une conscientisation ou avec les mécanismes de conventions qui
devraient exister entre toutes les personnes en affaires pour protéger
leurs intérêts économiques, il est peut-être moins
nécessaire d'avoir une réserve pour le conjoint. En fait, ce
n'est même pas indiqué dans notre esprit comme étant
actuellement nécessaire pour ce qui est des rares cas où cela
pourrait servir. Il y a d'autres outils qui sont peut-être plus
appropriés que des outils à intégrer au Code civil pour
régler des problèmes de commerce ou de partage dans un commerce
ou d'efforts dans une entreprise. Cela ne devrait pas faire partie du Code
civil. Pour les conjoints, pour l'instant, nous en arrivons à la
conclusion qu'il n'est peut-être pas nécessaire d'en arriver
là.
Pour les enfants - encore là, on est toujours dans un contexte
d'exception - cela dépend jusqu'où on veut couvrir les enfants.
Est-ce qu'on veut simplement voir à ce que les enfants jusqu'à
leur majorité - parce qu'on ne traiterait que des enfants mineurs -ne
manquent de rien, comme si les parents avaient été là et
avaient subvenu à leurs besoins ou si on veut leur donner un pourcentage
d'une succession ou d'un patrimoine? Selon la réponse à cette
question, si on ne veut que pourvoir aux aliments qu'ils devraient normalement
avoir -c'est l'obligation des parents vis-à-vis des enfants, qui existe
de toute façon, indépendamment des successions, en vertu de la
loi 89 - à ce moment-là, prévoyons, dans le même
sens que le barreau le suggérait, une créance alimentaire pour
les enfants mineurs jusqu'à concurrence de leurs besoins et
jusqu'à leur majorité.
M. Polak: Dernière question. Vous êtes dans la
planification fiscale et successorale; sans doute, faites-vous affaires avec
d'autres provinces ou d'autres pays, avec des gens qui ont des actifs
placés ailleurs que dans la province de Québec. Comme tel, vous
devez connaître le système dans d'autres juridictions. Ne
trouvez-vous pas que c'est le système du Québec qui est
l'exception et que la règle devient de plus en plus que cette
idée de réserve? C'est la direction où on va partout. Je
ne sais pas pourquoi on tient tant au fameux principe de cette liberté
illimitée de tester dans la province de Québec. Dans les autres
pays la tendance est tout à fait différente. Est-ce que cela veut
dire que nous avons la seule vérité et qu'il faut tenir
absolument à cela ou n'est-il pas temps de penser que les autres peuvent
penser et qu'il faudrait aller dans leur direction aussi?
Le Président (M. Blouin): Succinctement, s'il vous
plaît!
M. Martel (Luc): En fait, il est vrai que cela existe ailleurs.
Il ne faut tout de
même pas jouer aux lemmings pour autant. C'est peut-être
même une de nos dernières fiertés, il nous reste la
liberté absolue de tester au Québec. C'est peut-être un des
derniers bastions qu'on peut avoir. Dans les autres pays qui l'ont, est-ce que
c'est vraiment un avantage? J'entendais parler de toutes les planifications qui
se font pour l'éliminer, la contourner. Ne serait-il pas possible de
trouver, avec les outils qu'on a actuellement et tous les
éléments qui ont été suggérés
jusqu'à maintenant, un système beaucoup plus efficace qu'une
réserve?
M. Polak: D'accord.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Saint-Hyacinthe.
M. Dupré: Dans les discussions que vous venez d'avoir,
souvent - le barreau, hier, avait à peu près la même
position - vous tracez une ligne de démarcation à l'âge de
18 ans, ce qui est tout à fait normal pour le soutien. Il reste que je
sais fort bien - j'ai moi-même trois filles majeures aux études
-qu'il n'y a rien de plus mineur financièrement qu'un enfant majeur aux
études. On semble oublier totalement ce côté-là dans
le partage au sens large. J'aimerais vous entendre là-dessus.
M. Martel (Luc): Je ne serais pas contre le fait qu'on
étende la créance alimentaire aux enfants dépendants, aux
enfants aux études. En fait, c'est une question de définir la
nouvelle notion qu'on voudrait créer de créance alimentaire. Ce
que je voudrais dire, comme tous les autres, c'est qu'il ne faudrait pas
régler des cas d'exception avec une règle qui frappera tout le
monde. Tous les gens n'ont pas les mêmes besoins, les mêmes
problèmes.
M. Dupré: Oui, mais de nos jours, étudier
après 18 ans, ce n'est pas une exception. Au contraire.
M. Loiselle: En fait, c'est le problème d'accorder une
réserve ou une créance alimentaire; cela s'applique à des
cas d'exception. Je ne sais pas. Je suis marié avec une femme et je
donne tous mes biens à ma concubine, laissant mes enfants dans le
besoin. J'ai des obligations alimentaires vis-à-vis de ces
enfants-là. Pourtant, j'ai donné tous mes biens à ma
concubine. C'est un cas d'exception, tout comme la liberté de tester est
limitée par l'ordre public et les bonnes moeurs. Dans l'ordre public et
les bonnes moeurs, on peut ajouter certains cas d'exception, par exemple dans
le cas d'un testateur qui déshériterait sa famille au profit d'un
tiers et au désavantage des aliments qu'il est obligé de donner
à ses enfants et à son épouse.
M. Rainville: Dans cette même dimension, on a l'obligation
des enfants vis-à-vis des parents, qui ne connaît pas
d'âge.
M. Dupré: Auparavant et même aujourd'hui, c'est une
obligation, même dépassé 18 ans, si les moyens
pécuniaires sont là.
M. Loiselle: On a toujours ce mécanisme. On peut toujours
poursuivre le parent ou l'enfant pour refus de pourvoir.
M. Dupré: Cela se fait très rarement que l'enfant
poursuive ses parents pour refus de pourvoir. C'est assez rare.
M. Loiselle: Je ne sais pas si je dois dire malheureusement ou
heureusement, mais n'est-ce pas drôle que de ce temps-ci cela se fasse de
plus en plus? À ma grande surprise.
M. Dupré: Je dirais heureusement.
Le Président (M. Blouin): Très bien. Je rappelle
aux membres de l'Opposition qu'ils ont épuisé le temps sur lequel
nous nous étions entendus. Donc, je souhaite que les questions qu'ils
adresseront à nos invités soient les plus brèves, les plus
succinctes et les plus précises possible. J'accorde la parole à
M. le député de Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais qu'on parle un petit peu de
l'article 788. Je pense que c'est important. Il va falloir prendre des
décisions. On parle de la fameuse unité économique et des
immeubles accessoires, contigus ou annexes. Dans la pratique, à mon
sens, je vois la pagaille là-dedans. Je voudrais savoir ce que vous en
pensez. Quelles suggestions pourriez-vous nous faire de façon que,
lorsqu'on sera appelé à rédiger l'article - je ne pense
pas qu'on puisse le garder tel quel - on ait des éléments?
M. Loiselle: Tel que rédigé, ici, finalement on
vient simplement constater un état de fait. Une entreprise, disons, qui
progresse depuis la rédaction du testament, si le testament n'est pas
changé, on présume que l'intention du testateur était
d'inclure ses accessoires. Parce que, finalement, on vient simplement relier
les accessoires au principal.
M. Leduc (Saint-Laurent): Si vous avez une bâtisse de 25
logements, disons, et que vous avez un terrain vacant à
côté et qu'on construit dessus, est-ce que cela va être
compris dans le legs? Dans l'article, il semble que oui. Je trouve que c'est
aller très loin.
M. Rainville: Me Loiselle aurait un commentaire.
M. Loiselle: Évidemment que notre mémoire traite de
cet article. Il est bien sûr que cela va être la pagaille
générale. Il va falloir que cela soit mieux
précisé.
M. Bédard: Aussi bien vous donner l'explication tout de
suite pour ne pas inventer des pagailles. Il est clair, à partir du
moment où, d'après le cas évoqué par le
député de Saint-Laurent, il y a un terrain vague - on sait que
des terrains vagues dans des grandes villes peuvent représenter des
montants importants - s'il se construit quelque chose, ce n'est plus un
accessoire.
M. Leduc (Saint-Laurent): C'est contigu. Cela fait un ensemble.
C'est ce qu'on appelle les fameux complexes.
M. Bédard: Non. Écoutez, on peut peut-être
préciser des choses, mais il me semble qu'il va de soi à un
moment donné, si vous avez un immeuble, que c'est un tout. Si un autre
immeuble se construit sur un terrain contigu, c'est un autre tout. S'il faut
corriger la terminologie pour que cela soit bien clair, d'accord.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): Dernière question sur le sujet
de la représentation. Également, je pense que c'est un sujet
très important. Je voudrais surtout parler de celle qu'on institue en
matière testamentaire. Je ne suis pas tellement favorable à ce
qu'on établisse la représentation en matière
testamentaire, d'autant plus qu'on ne l'établit pas pour les legs
particuliers. Je crois que vous n'en avez pas traité.
M. Loiselle: Je pense qu'il faut tenir compte que le
légataire particulier n'est pas un héritier. C'est plutôt
un créancier. Il ne faut pas tenir les mêmes règles pour ce
légataire que pour le légataire à titre universel ou
universel. D'autre part, le projet de loi prévoit une
représentation. Nous ne sommes pas contre la représentation par
les testaments. Une fois qu'on le sait, il n'y a aucun problème, on
planifie en conséquence. Cependant, nous souhaiterions que le
législateur soit plus précis lorsqu'il édicte les
règles quant à la représentation par rapport à
l'accroissement. Si je lègue tous mes immeubles à trois
personnes, est-ce qu'il y aura accroissement en faveur des deux ou, s'il y en a
un qui décède ou qui ne peut recevoir les biens, est-ce que la
part de celui qui prédécède va être partagée
entre ses enfants? On a certainement un problème à ce niveau et
il faut que ce soit précisé.
(12 h 30)
M. Leduc (Saint-Laurent): Mon objection n'est pas pour les
testaments qui vont être faits devant notaire ou par les avocats. On le
sait, c'est clair. S'il n'y avait pas de représentation et qu'on voulait
en avoir, avant, on l'insérait, mais ce n'est plus cela. Si vous avez
des profanes qui font un testament, pensez-vous qu'ils vont être au
courant de cela? Ils veulent donner à leurs enfants. Est-ce qu'ils
veulent nécessairement donner à leurs petits-enfants, si la
fortune est assez restreinte? En tout cas, je trouve que c'est très
important et il va falloir s'arrêter et y penser.
M. Loiselle: Votre objection est...
M. Leduc (Saint-Laurent): Surtout, je vous le
répète, pour les testaments qui sont faits par les profanes, par
les individus, sans consulter les spécialistes.
Le Président (M. Blouin): Bien. M. le ministre, une
brève réponse.
M. Bédard: Non, j'ai terminé.
Le Président (M. Blouin): Conformément à
l'article 148, paragraphe 1, de notre règlement, je demande aux membres
de la commission de me donner leur consentement pour permettre au
député de Beauce-Sud d'intervenir.
M. Bédard: Avec plaisir, M. le Président.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Beauce-Sud, vous avez la parole.
M. Mathieu: Merci, M. le Président, merci, MM. les
membres, de votre condescendance. Je voudrais vous dire que j'avais averti le
porte-parole de notre parti de mon intention de participer à ces
travaux, mais, hier, j'ai été retenu à cause du
décès de mon associé à mon étude notariale.
Malheureusement, j'ai donc dû m'absenter.
Il y une question que je voudrais poser, étant donné que
nous avons des spécialistes ici aujourd'hui dans un domaine très
important. Tout à l'heure, vous disiez que le conjoint hérite
seul. Je dois conclure que c'est toujours en cas de succession ab intestat, en
l'absence de testament.
M. Rainville: Oui.
M. Mathieu: Parlant d'enfants, tout à l'heure, on disait:
Le conjoint hérite seul. On a parlé d'un second mariage avec
enfants d'un premier mariage. Vous avez dit: II serait possible, par exception,
d'établir une créance alimentaire pour ces enfants. Mais le
problème que nous allons avoir aujourd'hui,
et je voudrais le soumettre à l'attention de la commission c'est
que, dans notre droit civil actuel, il existe une présomption de
paternité. Le père est celui que les justes noces
démontrent. Avec la loi 107, nous n'avons plus cette présomption.
Or, si nous sommes pris avec la dévolution légale, un enfant peut
bien être né hors mariage; un père peut avoir eu des
enfants dans un premier mariage, un second mariage et également hors
mariage avec plus d'une personne. À un moment donné, il se fait
une recherche de paternité, chose qui est tout à fait possible,
logique, qui arrivera un jour.
Le terme "enfant", je voudrais que la loi précise où cela
commence et où cela finit. J'aimerais avoir vos commentaires
là-dessus parce qu'on va se ramasser avec... Supposons qu'un notaire
fait un testament ou qu'en l'absence de testament, dans une succession ab
intestat, la personne dit, par exemple: Je lègue mes biens à mes
enfants à parts égales. Il y en a trois issus d'un mariage et une
couple d'autres dont la paternité peut être déclarée
dans le registre de l'état civil et, dans d'autres cas, non
déclarée. Il me semble que ces enfants sont les enfants du
défunt, qu'ils soient nés hors mariage ou dans le mariage. Je
voudrais savoir, d'après vous, où commence le droit de l'enfant
et où il se termine, vu qu'on n'a plus de présomption de
paternité.
M. Bédard: M. le député de Beauce-Sud, c'est
peut-être une manière différente de voir, mais je crois
qu'il existe encore une présomption de paternité. Elle est
peut-être moins absolue qu'elle ne l'était auparavant dans le code
et cela se comprend puisque, dans la loi 89, nous avons voulu faire
disparaître la notion de "légitime", "illégitime", etc.,
avec les conséquences normales que cela avait, mais il demeure encore
une présomption qui est moins absolue.
M. Mathieu: M. le Président, c'est à...
M. Bédard: Regardez dans l'article 594. "Tous les enfants
dont la filiation est établie ont les mêmes droits et les
mêmes obligations, quelles que soient les circonstances de leur
naissance".
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Beauce-Sud.
M. Bédard: Mais votre question demeure quand même
pertinente. Je voulais juste apporter cette correction.
M. Mathieu: Je vois cela sous l'angle de la pratique de tous les
jours, surtout si la paternité en naissance hors mariage est
déclarée, chose qui est possible.
Le Président (M. Blouin): Avant que les invités
prennent la parole, je leur demanderais, si possible encore une fois, de
répondre succinctement. M. le député de Beauce-Sud
étant le dernier intervenant, nous pourrions entendre l'exposé
des représentants de la Commission des services juridiques avant de
suspendre nos travaux jusqu'à 16 h 30. Alors, s'il vous plaît!
M. Martel (Luc): En réponse rapidement, si, de son vivant,
l'individu en question ne s'était pas préoccupé des
enfants d'ailleurs qu'il pouvait avoir eus, pourquoi, au décès,
faudrait-il tout à coup qu'il ait une obligation de s'en
préoccuper? S'ils n'avaient aucun droit avant, les enfants d'ailleurs,
pourquoi se créerait-il un droit au décès plus que de son
vivant?
M. Mathieu: On enlève la notion, avec la loi 89, d'enfant
né hors mariage, illégitime. Donc, si l'enfant est
enregistré, au registre de l'État civil, né hors mariage,
la paternité est reconnue.
M. Martel (Luc): S'il a des droits avant, il pourra les faire
valoir au décès avec la créance alimentaire, par
exemple.
M. Mathieu: II aurait les mêmes droits, qu'il soit
né hors mariage ou dans le mariage.
M. Martel (Luc): Tout enfant, de quelque mariage que ce soit,
aurait un recours contre la succession du père.
M. Mathieu: On pourrait dire de quelque union que ce soit et non
pas de quelque mariage que ce soit.
M. Martel (Luc): De quelque union que ce soit.
M. Loiselle: Je pense que le code est à cet
effet-là. On ne tient plus compte que l'enfant soit né hors
mariage ou dans un mariage. C'est clair maintenant que tous les enfants d'un
défunt, Tous avec un T majuscule, ont des droits.
Le Président (M. Blouin): M. le ministre.
M. Bédard: M. le Président, je...
Le Président (M. Blouin): Cela va, M. le
député de Beauce-Sud?
M. Bédard: ...pense qu'on a tous été
à même de constater, par les questions posées, le
côté substantiel du mémoire qui nous a été
présenté. Sur l'aspect de la réserve successorale, je
crois que votre opinion est très importante, d'autant plus qu'elle
s'accompagne d'une orientation que vous avez très clairement
explicitée et qui aurait pour effet que la succession soit
dévolue entièrement au conjoint. En matière de succession
légale, vous établissez très clairement et
entièrement votre préoccupation par rapport au conjoint. J'ai cru
comprendre que, même si on devait en arriver là, vous ne semblez
pas privilégier la voie de la réserve successorale pour atteindre
ce but. Je vois que vous me faites signe affirmativement; vous pensez qu'il y a
beaucoup d'autres moyens que ceux-là que nous pouvons mettre de l'avant
et qui auront non seulement le même effet, mais peut-être un effet
encore plus significatif par rapport aux intérêts du conjoint que
vous représentez d'une façon spéciale.
Je ne vous ai pas posé de questions sur le chapitre des personnes
morales pour la bonne et simple raison que dès hier - c'est, d'ailleurs,
une de vos suggestions - tout le monde a convenu qu'il y a lieu d'approfondir,
cela par des échanges plus directs dans un comité au niveau de la
chambre de commerce, du barreau, de la chambre des notaires et de tous ceux qui
sont concernés, pour essayer de mieux cerner la réalité et
d'en arriver à un objectif d'efficacité que nous essayons tous
d'atteindre.
Cela sera ma dernière remarque, vous avez dénoncé
le fait qu'on suggère de remplacer le mot "corporation " par celui de
"société". D'ailleurs, cela a été
évoqué dans d'autres représentations. On sait, cependant,
que ce terme a été dénoncé comme un anglicisme.
Même le gouvernement fédéral a modifié sa loi, qui
s'appelle maintenant la Loi sur les sociétés commerciales
canadiennes. Je pense que le changement de terminologie au niveau
fédéral n'a pas créé de problème. Il faut
convenir que c'est surtout sur le fond même du contenu de ce chapitre
qu'il faudra essayer d'orienter nos préoccupations pour en arriver
à une formulation qui corresponde un peu plus au sens des
représentations qui nous ont été faites par les organismes
préoccupés de développement économique. Je vous
remercie, encore une fois, de votre bonne collaboration.
Le Président (M. Blouin): Très bien, M. le
ministre. Je me fais le porte-parole de tous les membres de cette commission
également pour remercier les représentants de l'Association
québécoise de planification fiscale et successorale.
J'inviterais maintenant les représentants de la Commission des
services juridiques à venir s'asseoir à la table des
invités. Merci. Nous allons procéder. Je souhaite la bienvenue
aux représentants de la Commission des services juridiques. Je vous
invite à vous identifier pour les fins du journal des Débats.
Commission des services juridiques
M. Lafontaine (Yves): Mon nom est Yves Lafontaine, je suis
président de la Commission des services juridiques. À ma gauche,
Me François Doré, du service de recherche de la Commission des
services juridiques; à ma droite, Me Claudine Roy, du même service
de recherche et, à l'extrême droite, le plus petit, Me Quintal,
qui est d'un bureau d'aide juridique de Sherbrooke spécialisé
dans la représentation des enfants.
Le Président (M. Blouin): Très bien. Vous pouvez
alors procéder à la lecture de votre exposé et...
M. Lafontaine: Notre mémoire.
Le Président (M. Blouin): ...tenter, si possible, de
terminer pour la suspension.
M. Lafontaine: Je suis bien conscient du problème que vous
avez, M. le Président, et je sympathise avec vous. J'essaierai, autant
que possible, de me conformer à vos directives, mais je ne peux,
cependant, pas le promettre, parce que, dans le cours des
événements d'hier, il est survenu des points essentiels dont nous
voudrions traiter, même s'ils ne sont pas dans notre mémoire. Si
vous calculez que c'est inopportun, vous nous le direz.
Le Président (M. Blouin): Très bien, nous comptons
sur votre collaboration.
M. Lafontaine: Vous allez remarquer que notre mémoire a
une tendance plutôt pratique et concrète. On ne discute pas
tellement, disons, des grands principes ou de la philosophie sous-jacente. Cela
se comprend, parce qu'on est en grande partie d'accord avec tous les principes
de modernisation qu'on retrouve dans ces deux volets. Vous remarquerez,
cependant, qu'on traite seulement d'une partie de ces deux projets de loi. On
traite seulement du projet de loi no 106 et, encore là, seulement d'une
partie du projet de loi no 106. N'étant pas une chambre de commerce,
nous n'avons pas jugé bon de traiter des personnes morales, parce que
nous n'avons pas tellement d'intérêts, étant donné
les clients que nous représentons. Quant au droit des successsions, nous
n'avons pas tellement un intérêt concret à traiter de ce
sujet. Le type de mémoire vient, justement, du fait qu'il a
été fait par des praticiens, même si, par la suite, il a
été endossé unanimement par l'ensemble des
commissaires.
Il y a un problème dont on a parlé hier et qu'on voudrait
aborder nous aussi, mais sous un angle différent. C'est qu'il est
difficile de regarder le projet de loi sans savoir quels seront les amendements
ou les
lois statutaires qui vont venir se greffer autour de cette loi. À
titre d'exemple - dans le mémoire, d'ailleurs on y revient à
quelques occasions - la Loi sur la protection du malade mental va-t-elle
subsister? Quelle allure va-t-elle prendre? Peut-être qu'elle va
continuer à exister. Je pense qu'elle devrait continuer à exister
parce qu'on ne retrouve pas les mêmes garanties dans le droit civil qu'on
avait déjà acquises dans la Loi sur la protection du malade
mental. Nous avons quand même pris le risque de dire: Voici, cela existe
déjà à certains endroits dans la Loi sur la protection du
malade mental et cela devrait continuer à exister.
Maintenant, la loi de concordance et la procédure qui va exister,
qui va être sous-jacente, par exemple, à la convocation des
assemblées pour un conseil de tutelle, pour procéder à la
nomination d'un tuteur, pour procéder à la nomination d'un tuteur
ad hoc, s'il a des intérêts contradictoires avec son tuteur, nous
n'avons pas encore ces mécanismes. Je présume que nous pourrons
peut-être apporter des commentaires à ce moment; en tout cas, nous
l'espérons. Ils n'ont peut-être pas la même pertinence dans
l'état actuel de ce dossier.
Une observation de fond que nous faisons: Au niveau des articles 1
à 10, on reproduit les articles de la Charte des droits et
libertés de la personne. Ce sont déjà des articles qui
existent et nous demandons quelle est l'opportunité de
répéter dans le Code civil ces dispositions. (12 h 45)
II y a une confusion, quant à nous, qui naît aussi des
termes qui sont employés là-dedans. On parle, à un moment
donné, d'être humain, on parle de personne humaine, on parle de
personne. Là-dessus, à certains moments, on ne sait pas, par
exemple, quand on parle de la personne morale vis-à-vis d'un patrimoine,
vis-à-vis de la bonne foi, vis-à-vis de l'ordre public, de quel
type de personnes on parle. On se demande si le législateur ne devrait
pas préciser cela. Quant à nous, le chapitre qui s'appelle "De
l'intégrité de la personne" devrait s'appeler "De
l'intégrité de la personne humaine", parce qu'effectivement ce
qu'on y retrouve ne s'applique pas à la personne morale.
Article 14. On est encore au niveau des droits. Peut-être qu'on a
une mauvaise conception, peut-être qu'on l'a mal lu. Si on met ensemble
l'article 14 et l'article 19 de la loi, il y a un danger. Quand nous ne sommes
pas devant une situation d'urgence et que l'intervention exigée par
l'état de santé n'est pas irréversible, on dit que la
nécessité du consentement d'une personne autre - encore
là, sans qu'il soit question d'urgence - pourrait justifier que le
conjoint n'ait besoin d'aucune autorisation.
L'exemple qu'on peut donner et qui est vécu présentement,
c'est celui du traitement des drogués en Colombie britannique. C'est un
sujet qui est revenu. Dans le fond, le conjoint, dans des circonstances
semblables, pourrait en profiter pour dire qu'on n'est pas devant une situation
d'urgence que l'intervention n'est pas irréversible et qu'on calcule que
les sécurités ne sont pas assez grandes. C'est comme s'il y avait
eu un oubli de boucher ce trou-là. Nous disons que cet article 14, qui
ne vise pas les cas d'urgence, risque de donner ouverture à l'arbitraire
et pour cette raison, nous croyons qu'il y aurait lieu, par respect pour le
principe même de l'inviolabilité et de l'intégrité
de la personne, que le processus judiciaire soit impliqué dans
l'appréciation de la preuve qu'une personne majeure soit "non
douée de discernement".
Au plan pratique, maintenant, encore là, on ne sait pas ce qui
arrive pour la protection du malade mental. Mais ce qu'on sait, d'après
ce qu'on voit dans le code présentement, c'est que le tribunal qui
semble avoir juridiction serait le tribunal de droit commun, je présume;
ce serait donc la Cour supérieure. Ce qui existe présentement,
c'est qu'on peut s'adresser à n'importe quelle juridiction, à peu
près. Cela va de la Cour provinciale à la Cour des sessions de la
paix, au Tribunal de la jeunesse, aux cours municipales à
Montréal et à Québec. Il y a beaucoup de points de service
et c'est utile. Nous avons, nous, 144 bureaux et, si le Code civil remplace la
Loi sur la protection du malade mental, s'il faut s'adresser seulement à
la Cour supérieure pour obtenir une requête afin d'instituer un
système de protection pour un majeur, nous disons que, dans le fond, on
est en train de limiter l'accès en donnant juridiction seulement
à la Cour supérieure. À ce moment-là, on ne sait
pas ce qui arrivera à la protection du malade mental. Et cela risque
aussi, en même temps, de créer peut-être un conflit de
juridictions. Le juge de la Cour supérieure dira que c'est lui qui a
juridiction alors que, présentement, ce n'est pas le cas en vertu de la
Loi sur la protection du malade mental. Ce sont les cours de type provincial
qui ont juridiction.
De la même façon, ne sachant pas ce qui arrive à la
protection du malade mental, il y a des garanties qu'on ne retrouve pas en
droit civil. Par exemple, la révision qui peut maintenant se faire par
la Commission des affaires sociales afin de décider d'interner une
personne ou non. Il y a aussi la révision statutaire possible qui existe
en vertu de la Loi sur la protection du malade mental. Si ma mémoire est
bonne, à tous les six mois, la commission peut exiger un rapport de
l'institution psychiatrique et peut décider proprio motu de faire
enquête et de voir s'il y a lieu de continuer l'internement de cette
personne. Nous disons que nous ne retrouvons pas ces principes
présentement et que ce
serait peut-être une bonne idée de les ajouter à cet
endroit ou encore de les mettre dans la Loi sur la protection du malade mental,
si celle-ci subsiste.
Il y a une erreur dans le texte à la page 7, où nous
disons: "Nous croyons que l'article 27 devrait reprendre la philosophie de
l'article 10 - c'est de l'article 7 - de la Loi sur les services de
santé et les services sociaux quant à la possibilité de
divulguer le dossier médical. Cet article devrait être
modifié en conséquence de façon à permettre
à la partie et à son procureur d'avoir accès à son
dossier médical, sauf restriction du tribunal." Je pense que, lorsqu'on
est en pratique et qu'on veut représenter utilement le client, si ce
dernier a accès à son dossier en vertu de la Loi sur les services
de santé et les services sociaux, il serait normal aussi que son
procureur puisse y avoir accès. De toute façon, le client est
protégé par le secret professionnel.
Sommairement, à l'article 35, nous voulons ajouter, dans le cas
du respect de la réputation et de la vie privée, la
possibilité d'un recours en dommages et intérêts. Cela ne
coûte rien de l'ajouter parce que, de toute façon, en pratique, il
faudrait avoir ce recours-là.
D'autres suggestions pratiques: Quand on parle des autorisations
concernant le respect du corps après le décès, nous disons
que, si elles sont verbales, elles devraient être faites au moins devant
deux témoins. Encore là, c'est une question de pratique.
Les articles 54 à 72 concernent le changement de nom et le
changement de la mention du sexe. L'article 78 de la loi 89 prévoyait
que les père et mère d'un enfant avaient un délai de deux
ans pour décider de la modification du nom de l'enfant. Ce que nous
disons, c'est: Pourquoi mettre un délai de deux ans? Pourquoi ne pas
l'ouvrir tout simplement? Nous ne voyons pas l'opportunité de ramener
cela à deux ans. Il y a une campagne d'information qui s'est faite
dernièrement pour dire: Cela arrête bientôt; n'oubliez pas
que le délai de deux ans s'en vient. Dans notre type de
clientèle, il y a beaucoup de gens qui ne le savent pas, qui n'ont
peut-être pas eu l'occasion de le faire et qui auraient pu le faire. Dans
le fond, si le législateur trouvait que c'était opportun, deux
ans, pourquoi pas continuer? C'est ce que nous voulions dire.
Une autre remarque: Nous croyons que le projet de loi devrait être
modifié de façon à prévoir que l'enfant mineur,
âgé de quatorze ans, soit obligatoirement avisé d'une
demande de changement de son nom. Je pense qu'il s'agit, quand même,
d'une partie de son patrimoine, même si les enfants n'en ont pas
beaucoup, qui est son nom. Il serait tout à fait normal qu'un enfant
soit avisé lorsqu'il y a une demande de changement de nom qui le
concerne. Encore là, ce n'est pas très compliqué à
faire.
Quant à la tutelle au mineur, il est prévu que le tuteur
devrait fournir un cautionnement. On applaudit à cela, nous sommes tout
à fait d'accord. On a vécu de nombreuses situations dans
lesquelles on s'est retrouvé où des parents avaient tout
simplement acheté des automobiles et fait des dépenses absolument
folles à même les biens qui appartenaient à leurs mineurs.
Je pense qu'il est tout à fait normal qu'il y ait un cautionnement. On
voudrait aussi que ce cautionnement soit vérifié par quelqu'un de
l'extérieur. Nous suggérons que la sûreté soit
jugée acceptable aussi par le Curateur public et qu'il en soit
informé. Qu'il ait l'obligation de vérifier que le cautionnement
est donné.
Vous remarquerez qu'en ce qui concerne le conseil de tutelle nous sommes
restés assis entre deux chaises. Dans le fond, c'est peut-être
à vous de le décider. On n'a pas voulu aller plus loin. On a,
cependant, peur qu'il n'y ait une lourdeur pratique de ce système. On
commence par une assemblée à laquelle assisteront sept personnes
qui en choisiront cinq ou trois et qui, après cela, feront rapport au
tribunal sur le choix d'un tuteur; ensuite, il en restera cinq à
côté qui surveilleront l'administration ou trois ou
peut-être un substitut dans les cas d'urgence, lequel substitut peut
aussi être un protonotaire ou le délégué de la
protection de la jeunesse. Cela nous semble lourd parce qu'on le voit, tout
d'un coup, tout ensemble. Peut-être que dans la réalité
cela pourra se fractionner et que cela deviendra une chose facile à
administrer. Nous sommes quand même conscients du choix politique que le
législateur a fait pour un peu mettre de côté le Curateur
public qui, dans d'autres rapports, était la personne qui devait
être désignée pour surveiller ces administrations. On
n'insiste pas là-dessus.
La sûreté est présentement établie à
25 000 $ dans le cas des pères et mères, autrement dit, on ne
devrait la donner que lorsque les biens dévolus au mineur sont
supérieurs à 25 000 $. Nous calculons qu'une limite de 10 000 $
serait tout à fait normale, parce que c'est pas mal d'argent, 25 000 $,
quand c'est pour un mineur. Quant à moi, la caution devrait être
réduite pour le protéger jusqu'au montant de 10 000 $.
À l'article 203, lorsque le majeur protégé est dans
un établissement de santé ou de services sociaux pour une
durée prolongée et qu'il n'est pas sous curatelle ou tutelle ou
sous l'autorité du Curateur public, on dit que l'autorité
à ce moment-là est exercée par une personne
désignée par l'établissement. On peut se demander qui va
la nommer et qui elle peut être. Nous suggérons que ce soit le
directeur général de l'établissement, parce que c'est
déjà défini et on sait déjà qui il est. Il
faut faire attention parce que, avec ces consentements qui
peuvent être donnés, parfois ce peut être le soignant
qui soit le représentant de l'institution. Alors, on se demande pourquoi
ce ne serait pas le directeur général de l'institution.
Une suggestion pratique quant à l'ouverture des régimes de
protection. On a vu qu'il y a une gradation dans les régimes de
protection: vous avez une curatelle au majeur, vous avez une tutelle et vous
avez un conseiller. Nous disons qu'il faudrait, si on fait une requête en
curatelle et que le juge est d'accord pour que ce soit seulement un conseiller,
qu'on ne soit pas obligé de se désister et de recommencer une
nouvelle requête, autrement dit, le plus comprend le moins et, si vous
faites une requête en curatelle, qu'elle puisse aboutir aussi à la
nomination d'un conseiller.
Les actes de l'état civil. Nous sommes pleinement d'accord avec
la façon dont cela va être administré. Cela va
régler bien des problèmes, quant à nous, par rapport
à la situation actuelle. Le fait qu'il y aura seulement deux registres
à un endroit central, un qui sera informatisé et l'autre
où on écrit à longue main, quant à nous, cela va
régler plusieurs problèmes, c'est bien évident.
Quant au délai de 30 jours pour enregistrer les actes de
l'état civil, nous croyons que c'est un délai trop court. Il
était de quatre mois et, quant à nous, ce délai devrait
rester à quatre mois. Il y a quand même des situations
d'éloignement. Il y a aussi des situations d'ignorance où, avant
d'avoir un rendez-vous pour savoir quoi faire, le délai sera
déjà écoulé. Je comprends qu'on pourra toujours le
bonifier par la suite, mais pourquoi ne pas le prévoir
immédiatement et éviter peut-être des procédures
inutiles?
Dans la journée d'hier - c'est pourquoi j'ai demandé
à Me Quintal de demeurer - il a été question de l'article
120, soit du tuteur ad hoc qui pouvait avoir des intérêts
contradictoires. Le ministre de la Justice, à ce moment, en a
profité pour demander au barreau ce qu'il pensait quant à la
représentation des enfants. Est-ce que cela prend un tuteur ou pas?
Est-ce que l'avocat a un rôle? Quel est son rôle? De qui
détient-il son mandat?
La question de l'intérêt de l'enfant par rapport à
ses droits, c'est un sujet de préoccupation qu'on a chez nous, depuis le
début, à l'aide juridique et on a essayé d'arriver
à une solution qui soit acceptable et qui tienne compte aussi des
intérêts de l'enfant. J'ai remarqué, ce matin, quand on
parlait aussi de succession, de réserve successorale, etc., que,
à un moment donné, quelqu'un a dit: II n'y a personne ici qui va
nous parler de ce que les enfants aussi pourraient en penser. Si on me
permettait, peut-être plus tard, étant donné qu'on est
déjà rendu à 13 heures, de dire un mot là- dessus,
je l'apprécierais.
M. Bédard: Sûrement.
Le Président (M. Blouin): Dans la mesure où cela
n'excède pas trop la limite de temps.
M. Bédard: À la reprise de nos travaux, nous
n'aurons pas d'objection à ce que vous ajoutiez des commentaires sur ce
sujet particulier.
Le Président (M. Blouin): Nous ajournons nos travaux sine
die. La reprise devrait s'effectuer entre 16 heures et 16 h 30 et, à ce
moment, vous aurez la parole. D'accord?
(Suspension de la séance à 12 h 59)
(Reprise de la séance à 16 h 33)
Le Président (M. Blouin): À l'ordre, s'il vous
plaît;
Mesdames, messieurs les membres de la commission élue permanente
de la justice, je vous rappelle rapidement, au début de cette
séance, que le mandat de cette commission est d'entendre des personnes
ou des organismes en regard du projet de loi no 106, Loi portant réforme
au Code civil du Québec du droit des personnes, et du projet de loi no
107, Loi portant réforme au Code civil du Québec du droit des
successions.
De plus, je vous indique que les membres de la commission sont: M.
Bédard (Chicoutimi), M. Dupré (Saint-Hyacinthe) qui remplace M.
Brouillet (Chauveau), M. Charbonneau (Verchères), M. Dauphin
(Marquette), Mme Juneau (Johnson), M. Kehoe (Chapleau), Mme Lachapelle
(Dorion), M. Lafrenière (Ungava), M. Leduc (Saint-Laurent), M. Marx
(D'Arcy McGee).
Les intervenants sont: M. Bisaillon (Sainte-Marie), M. Blank
(Saint-Louis), M. Boucher (Rivière-du-Loup), M. Dussault
(Châteauguay), Mme Lavoie-Roux (L'Acadie), M. Lazure (Bertrand) qui
remplace M. Fallu (Groulx), ainsi que M. Polak (Sainte-Anne) qui remplace M.
Paradis (Brome-Missisquoi) et M. Saintonge (Laprairie).
En début de séance, je demande aux intervenants, qui ont
assisté pour la plupart à nos délibérations depuis
hier, d'éviter dans la mesure du possible de retoucher à des
questions qui ont déjà fait l'objet de longs débats et qui
ont été, je crois, vidées. Vous pouvez émettre
rapidement votre opinion sur ces sujets, si vous en manifestez le désir,
mais ne pas trop insister pour ne pas prolonger indûment les
débats, parce qu'il y a énormément de groupes, de gens qui
viennent d'un peu partout au Québec et qui attendent d'être
entendus. Nous espérons
ainsi pouvoir accélérer la marche de nos travaux, afin de
permettre à tous et à chacun d'exprimer leur avis sur ce sujet de
grande importance.
M. Marx: M. le Président...
Le Président (M. Blouin): Oui, M. le député
de D'Arcy McGee.
M. Marx: Si c'est possible, j'aimerais qu'on avise maintenant
tout le monde qui on entendra cet après-midi et qui on entendra
demain.
Le Président (M. Blouin): Oui.
M. Bédard: Pour aujourd'hui, nous avons déjà
communiqué avec les groupes qui seront entendus. Les autres,
malgré toute notre bonne volonté, on ne pourra les entendre avant
demain. Vous pouvez peut-être indiquer les trois groupes...
Le Président (M. Blouin): Nous devrions terminer avec le
groupe de la Commission des services juridiques, ensuite entendre le
Regroupement des comités logement et associations des locataires, et
nous terminerons notre journée avec l'Association pour la promotion des
droits des handicapés (Jonquière, Arvida, Kénogami)
Association pour le développement de l'handicapé intellectuel du
Saguenay. Je crois que nous pourrions terminer notre journée
après avoir entendu ces groupes. Je vous demande de nouveau votre
collaboration pour que nous évitions de retoucher des sujets qui ont
déjà été largement approfondis. D'accord?
M. Quintal (Michel): D'accord. M. le Président, ce qu'on
voulait ajouter à notre présentation...
M. Bédard: Voudriez-vous parler plus fort?
M. Quintal: D'accord. Ce qu'on voulait ajouter à la
présentation qui avait été faite avant l'heure du
dîner, c'était toute la question de la représentation des
enfants à partir du problème du tuteur ad hoc. Là-dessus,
le barreau vous a fait des représentations hier disant qu'il
n'était pas d'accord avec la nomination d'un tuteur ad hoc lorsqu'il y a
des conflits avec le tuteur. Il vous en a exprimé les raisons,
c'était, dans les grandes lignes, qu'il y avait un problème avec
la famille et que c'était la famille qui nommait un tuteur et c'est le
tuteur ad hoc, finalement, qui s'en venait donner un mandat à un avocat
dans une chose semblable. On maintient cette position du barreau, on fait
nôtre le désaccord exprimé là-dessus.
Par quoi remplacerait-on le tuteur ad hoc? Ce qu'on se dit, c'est:
Pourquoi ne pas le remplacer tout simplement par un avocat? L'avocat, que
viendra-t-il faire comme travail là-dedans? Je pense que ce que l'avocat
viendra faire - même si on est en face d'un mineur - c'est de
représenter son client au même titre qu'un avocat
représentera un adulte. La question qui vient immédiatement est
la suivante: Oui, mais en vertu de quoi l'avocat représentera-t-il
l'enfant? Je pense que, sur toute la question du mandat, selon le Code civil,
le mineur n'est pas exclu de la capacité de mandater. Lorsqu'on regarde
l'article 985 du Code civil, on nous dit que toute personne est capable de
contracter sauf si elle est exclue par la loi. Lorsqu'on regarde aux articles
1701 et suivants du Code civil en matière de mandat, il n'y a pas
d'exclusion en ce qui concerne le mineur face au mandat. Donc, le mineur peut
mandater. De plus, quant au mandat, toujours aux articles 1732 et suivants du
Code civil, on mentionne également que, dans le cas des avocats et des
notaires, ils doivent exercer leur mandat conformément à la loi
et à leur code d'éthique. Quand on arrive avec des enfants,
lorsque l'enfant lui-même peut donner le mandat, pourquoi ferait-on
intervenir un adulte pour venir donner un mandat à la place de l'enfant?
Le projet de loi nous dit que l'enfant est sujet de droit. Lorsque l'enfant est
capable de donner un mandat, pourquoi ne le donnerait-il pas à son
avocat et soit représenté comme tout individu face à un
problème juridique. Par contre si l'enfant n'est pas capable de donner
le mandat, on pense aux jeunes enfants de la naissance à deux ans,
quatre ou six ans, etc., ceux-là qui ne peuvent donner un mandat qui ne
peuvent le verbaliser, quel est le rôle de l'avocat à ce moment
dans ces cas?
Je pense qu'on peut parler, à ce moment-ci, pour les jeunes
enfants non capables de mandater, de la notion de mandat légal que l'on
retrouve finalement dans l'exercice de la profession d'avocat à savoir
qu'est-ce que l'avocat fera face à un mandat légal lorsqu'il se
présente à des jeunes enfants comme cela? Il va d'abord s'assurer
du "due process" lors de la cause. Il va s'assurer que les règles de
droit soient suivies et les règles de procédures
également.
La deuxième chose c'est que, comme l'enfant va être
représenté et qu'il va y avoir eu un avocat de
désigné à cet enfant, on verra plus tard comment cela
pourrait se faire, il est partie à l'action. L'enfant étant
partie à l'action, on l'a fait par cette désignation pratiquement
comme une intervention forcée et ordonnée par le juge, ce que son
avocat fera c'est qu'il verra à ce que la preuve soit la plus
complète possible. Après s'être assuré du "due
process" il complétera la preuve, il verra à ce que le
tribunal ait devant lui la matière qu'il lui faut pour prendre la
meilleure décision dans le litige. Finalement ce que l'avocat fera c'est
qu'il fera valoir les droits de son client mineur. Pour nous, c'est cela qui
est un mandat légal trois étapes "due process", faire la preuve
la plus complète possible et faire valoir les droits de la personne.
Ces droits-là, c'est quoi? C'est bien sûr que le mineur a
des droits patrimoniaux à l'intérieur du Code civil. Il a aussi
d'autres droits à l'intérieur du Code civil et ce sont
peut-être les droits extra-patrimoniaux que l'on retrouvera les droits,
entre autres, d'être nourri et entretenu qu'on retrouve au Code
civil.
Il y a aussi les droits que l'on retrouve dans la charte
québécoise, où on fait valoir à ce moment et on dit
clairement que l'enfant a le droit à la protection, à la
sécurité et à l'attention de sa famille ou des gens qui en
tiennent lieu. Alors, ces droits sont aussi des droits réels
extra-patrimoniaux qui existent à l'heure actuelle et dans ce genre de
cause. Évidemment, si l'on est dans un litige monétaire, ce sera
autre chose, mais dans les autres cas ces droits extra-patrimoniaux existent et
c'est le travail de l'avocat de les faire valoir.
Là, évidemment, je vous ai parlé des droits, et
cela amène l'autre question, qui est la notion d'intérêt de
l'enfant. Pour ne pas vous faire tomber en bas de vos chaises, c'est qu'on dit:
Tout enfant...
M. Bédard: Je suis habitué à en prendre,
allez-y.
M. Quintal: On retrouve un peu partout maintenant, dans le Code
civil, que les décisions concernant les enfants doivent être
prises dans l'intérêt de l'enfant et dans le respect de ses
droits. Quand je dis "ne tombez pas en bas de vos chaises", c'est dans le sens
où on s'interroge sur la pertinence d'inscrire dans un article que les
décisions doivent être prises dans l'intérêt de
l'enfant - cela va de soi - et dans le sens où, au départ - je
fais un retour en arrière à la Loi sur la protection de la
jeunesse -en 1979, le législateur avait dit que les décisions
devraient être prises dans le respect des droits. À ce
moment-là, le législateur pensait: Si on respecte les droits de
l'enfant, on va respecter son intérêt. Ensuite, ce qu'on
reprochait à la notion d'intérêt, c'était de
favoriser beaucoup le paternalisme. L'intérêt, c'est très
abstrait comme notion et chacun l'interprétait un peu à sa
façon. On disait: Cela amène le paternalisme, mais on ne sait pas
trop ce que c'est. Pourquoi ne pas y aller avec des données plus
précises? C'est très subjectif; c'est très abstrait.
Lorsqu'on regarde la jurisprudence en matière
d'intérêt, cela a commencé quand même depuis 1920,
où les Cours suprêmes ont toujours parlé de
l'intérêt de l'enfant, et cela de différentes
façons. Mais la réalité que la notion
d'intérêt recouvre, finalement, lorsqu'on regarde la
jurisprudence, c'est qu'on découvre qu'il y a encore des
préoccupations de protection, de sécurité et d'attention,
tant sur le plan physique que psychologique.
Le Président (M. Blouin): Je sais que vous avez de bons
arguments pour étayer les affirmations que vous avancez. Cependant, je
crois que tous ces arguments supplémentaires pourraient être
fournis au moment où les membres de la commission vous poseront des
questions.
M. Quintal: D'accord.
Le Président (M. Blouin): Je crois que vous pourriez
davantage évoquer les positions de votre organisme. Ensuite, lors de la
discussion, nous pourrions aller plus loin dans ces interventions.
M. Quintal: D'accord, M. le Président.
Alors, notre proposition serait que les décisions soient prises
dans le respect des droits de l'enfant, et, par ce moyen-là, qu'on
arrive à la finalité qui est l'intérêt de
l'enfant.
Maintenant, pratiquement, comment peut-on faire? On se pose la question
à savoir qui va nommer cet avocat et comment va-t-il être
payé, cet avocat d'enfant? Je pense que, pratiquement, lorsque le
tribunal en arrive à la conclusion que l'enfant devrait avoir un avocat,
l'enfant, s'il est d'âge à mandater, peut aller se chercher un
avocat de lui-même, comme cela se fait actuellement en matière de
protection de la jeunesse ou de délinquance. S'il n'en connaît
pas, le tribunal peut lui faire part, comme aux adultes, que le système
d'aide juridique existe. Dans les cas où l'enfant ne peut pas donner de
mandat, le tribunal n'aurait qu'à l'envoyer à l'organisme
constitué par le législateur - et c'est l'Aide juridique - qui
dit à l'article 51 que: l'Aide juridique doit fournir les services d'un
avocat à une personne qui en fait la demande. Si le tribunal demande
à l'Aide juridique de fournir un avocat, c'est déjà dans
la loi de le prévoir. Cela règle la désignation et les
coûts. (16 h 45)
Le Président (M. Blouin): Cela va? Merci beaucoup. M. le
ministre.
M. Bédard: M. le Président, je voudrais remercier
le président de la Commission des services juridiques de même que
celles et ceux qui l'accompagnent pour la présentation de leur
mémoire qui est surtout centré sur le droit des personnes. Fort
à propos après avoir entendu les points de vue exprimés
par
d'autres organismes sur d'autres points, il y est allé de
commentaires additionnels sur différents autres points. Même si on
ne les retrouve pas dans le mémoire, c'est fort à propos et nous
en prenons bonne note. Je suis aussi très heureux de constater que,
comme cela a été le cas pour le projet de loi no 89, la
Commission des services juridiques continue sa présence significative
dans l'étude et les recommandations pour améliorer le projet de
loi que nous avons devant nous.
Nous aurions plusieurs questions. Beaucoup de ces questions ou de ces
sujets ont été touchés à l'occasion de l'audition
de groupes précédents. Je sais que vous ne vous en formaliserez
pas si le nombre de questions est plus restreint à mesure que les
groupes défilent. J'ai entendu tout à l'heure avec beaucoup
d'attention - cela me rappelait des souvenirs - la plaidoirie de Me Quintal
concernant l'à-propos de la présence des avocats pour
défendre les intérêts de l'enfant. Je pense qu'il n'y a
aucun membre de la commission qui met en doute la capacité, la
possibilité pour des avocats de défendre équitablement les
intérêts de l'enfant. D'ailleurs, il n'y a pas d'article... Me
Quintal plaidait un peu... À un moment donné, je me demandais
s'il n'y avait pas un article dans le projet de loi où on était
en train de proscrire la présence des avocats pour défendre les
intérêts de l'enfant.
M. Quintal: C'est cela, M. le ministre.
M. Bédard: On n'en a pas l'intention, vous pouvez en
être assuré. Ce qui est dans le projet de loi est la continuation
de la formule de nomination d'un tuteur ad hoc à l'enfant. Je crois que
cela peut se concilier; il y a différents âges. Quand même,
quand on parle des enfants, on peut parler d'un enfant de 14 ans qui est
capable de choisir qui va défendre ses intérêts. On doit
aussi penser à l'enfant beaucoup plus jeune, de deux ou trois ans, qui a
besoin d'être - il me semble manifestement - appuyé et
représenté par un tuteur ad hoc. Cela me semble assez clair de ce
côté-là. Je comprends que le tribunal pourrait faire
l'évaluation des cas et décider, comme cela peut se faire,
d'affecter, de déterminer, ou encore d'indiquer qu'un avocat...
M. Quintal: C'est la nature de la représentation.
Finalement, le problème qui se pose à ce sujet est qu'avec le
tuteur ad hoc c'est ce dernier qui va donner le mandat. Alors, qu'est-ce qui va
arriver comme conflit? Lorsque, par exemple, en prenant le cas du jeune de 14
ans, le tuteur ad hoc va être nommé et qu'il va donner un
mandat...
M. Bédard: S'il a 14 ans, il y a des nuances parce qu'on
parle de quelqu'un qui peut être en mesure de décider des choses.
Bon! Mais pour l'enfant de deux ans?
M. Quintal: Pour l'enfant de deux ans, ce sera quelqu'un avec
qui... Le conflit est dans la famille. C'est pourquoi il va y avoir un tuteur
ad hoc. C'est cette famille qui va nommer, dans les conflits
d'intérêts qui existent, le tuteur ad hoc et celui-ci, selon toute
vraisemblance, sera quelqu'un de la famille, qui va être pris dans le
conflit d'intérêts, qui va donner un mandat à l'avocat.
M. Bédard: Soyons clairs! J'ai peut-être mal saisi.
Est-ce que vous voulez me dire que la position du barreau est la disparition du
tuteur ad hoc? Est-ce que vous épousez totalement cette prise de
position ou si vous croyez, lorsque l'enfant est manifestement plus jeune ou
très jeune, qu'il est aussi très important que la formule de
tuteur ad hoc soit maintenue?
M. Quintal: Lorsque l'enfant sera très jeune, le
problème qui existera sera celui de savoir qui sera le tuteur ad hoc.
Déjà, on sait qu'il va être nommé par la famille,
qu'il va vivre les conflits d'intérêts. Donc, la personne qui va
être nommée et qui, finalement, comme tuteur ad hoc, donnera un
mandat à l'avocat - parce que nécessairement, il va y avoir un
avocat quand même, même si l'enfant a deux ans, parce qu'il y a un
conflit en justice - à ce moment, celui qui va mandater l'avocat est une
des personnes qui aura été nommée par des gens qui sont en
conflit. C'est là qu'on s'interroge sur l'équité du mandat
qui pourrait être donné.
M. Bédard: Même s'ils sont en conflit, je pense
qu'à ce moment, s'il y a des dissensions ou n'importe quoi par rapport
à une cause qui, éventuellement, est devant le tribunal,
n'importe qui est susceptible ou a le droit de se faire entendre.
M. Quintal: Sauf que l'avocat va détenir son mandat du
tuteur ad hoc. C'est là l'affaire.
M. Bédard: Peut-être une dernière question.
Vous formulez certaines inquiétudes quant à la lourdeur - M. le
président en a parlé de façon plus spéciale -
pouvant entraîner le conseil de tutelle. Est-ce que vous avez des
suggestions particulières à formuler sur la question du
contrôle de l'exercice de la tutelle et ce, sans susciter une
intervention accrue dans ce domaine?
M. Lafontaine: Si on a des solutions pour diminuer la
lourdeur?
M. Bédard: Peut-être une suggestion, je ne sais pas.
Vous craignez la lourdeur. On sait que cela remplace... Mon humble opinion est
que nous pensions, par cette formule, contribuer à diminuer la lourdeur
de ce qui existait auparavant. Peut-être croyez-vous qu'il y a des
solutions pour presque l'éliminer complètement. J'aimerais savoir
si vous avez des suggestions précises ou, encore, si cela se limite au
niveau des inquiétudes que vous avez valablement exprimées.
M. Lafontaine: C'est ce qu'on a fait. On a d'abord
commencé à regarder toutes les solutions possibles pour voir s'il
n'y avait pas une meilleure façon de s'y prendre pour essayer d'en
diminuer la lourdeur. Mais après avoir fait le tour de toutes les
solutions, on a dit: C'est peut-être celle-là. On verra à
l'usage. De toute façon, les lois peuvent aussi être
modifiées.
M. Bédard: J'aurais bien d'autres questions, mais je vais
laisser à mes collègues...
Le Président (M. Blouin): Merci, M. le ministre. M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Vous avez soulevé beaucoup de points, des points
techniques et des points importants, mais je peux vous assurer que nous allons
faire un résumé de votre mémoire et aussi de vos
interventions pour soulever toutes ces questions lors de l'étude article
par article de ce projet de loi qui viendra dans quelques mois.
J'ai peut-être un commentaire et une question. Vous avez
soulevé la question que, peut-être, il faudrait changer le titre
du livre premier pour "des personnes humaines" et peut-être mettre les
personnes morales dans un autre livre. Je sais qu'au dix-neuvième
siècle c'était dans le même livre, mais il n'y avait pas de
lois sur les compagnies, et ainsi de suite. Je pense que c'est peut-être
une bonne idée de changer la nomenclature de ces titres, de ces
livres.
En ce qui concerne l'article 1, au troisième paragraphe, parce
que je sais que les avocats à la Commission des services juridiques
plaident beaucoup de causes, comme avocat praticien, comment voyez-vous ce
troisième paragraphe que le barreau a vraiment critiqué?
C'est-à-dire qu'"en cas de silence ou d'insuffisance, ces règles
sont complétées par celles qui se dégagent d'une
jurisprudence constante et d'une doctrine reçue ou des principes
généraux du droit ainsi que parfois de la coutume et des usages."
Êtes-vous d'accord avec ce paragraphe dans l'article 1 ou avez-vous des
remarques à faire?
Le Président (M. Blouin): Me
Lafontaine.
M. Lafontaine: Je n'ai pas de mandat spécifique de la
commission de parler sur le sujet, mais vous demandez peut-être une
opinion personnelle comme juriste. Je pense que ces dispositions
préliminaires ne font que consacrer ce qui est la réalité
quotidienne et la réalité du plaideur dans le fond, parce que
c'est comme cela que ça procède en pratique. Cela m'aurait
peut-être plus fatigué si on avait parlé de la doctrine du
stare decisis, c'est-à-dire que les jugements de cour sont finaux et
qu'il n'y a plus rien à faire une fois qu'un tribunal s'est
prononcé. Ce n'est pas cela. On a parlé d'une jurisprudence
constante. Je peux m'accommoder de cela. Mais si on avait amené la
notion du stare decisis, j'aurais peut-être trouvé cela fatigant,
mais encore là...
M. Bédard: On a ajouté aussi: "et" d'une
jurisprudence constante "et" d'une doctrine reçue, non pas "ou". Je
pense que c'est important pour essayer d'être le plus
étanche...
M. Marx: II faut d'abord soulever le problème, à
savoir quand une doctrine est reçue et qu'est-ce que la jurisprudence
constante. C'est cela.
Le Président (M. Blouin): D'accord? Cela va, M. le
député de D'Arcy McGee?
M. Marx: Oui, M. le Président.
Le Président (M. Blouin): Alors, M. le
député de Bertrand et ministre délégué aux
Relations avec les citoyens.
M. Lazure: Je m'excuse auprès des représentants de
la commission de ne pas avoir assisté à leur présentation.
J'ai essayé de parcourir rapidement le mémoire tantôt.
À titre aussi de ministre responsable de l'application de la loi 9, la
Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées, je suis
particulièrement intéressé à un ou deux aspects de
leur mémoire. Je vais me permettre d'en soulever un.
À la page 5 de votre mémoire, vous traitez de l'article
14. Vous dites que cet article introduit dans notre droit une nouvelle
catégorie de personnes, les personnes majeures non douées de
discernement. Vous vous opposez à ce que le projet de loi prévoie
que le conjoint ou qu'un proche parent puisse donner un consentement lorsqu'il
n'y a pas de tuteur. Je veux seulement soulever un exemple où on
pourrait vraiment avoir besoin d'un tel mécanisme: une personne adulte
qui a une intelligence moyenne et qui, d'habitude, a tout son discernement,
mais à cause de certaines dispositions maladives, de temps à
autre, fait des bouffées, connaît des épisodes
où la personne se sent persécutée, elle a des tendances
paranoïdes. La personne se sent persécutée et, dans
l'ensemble de sa vie quotidienne, son discernement est maintenu. Mais elle a un
ou quelques délires bien précis qui peuvent rendre la vie
impossible aux gens qui l'entourent: sa famille, son conjoint, sa conjointe ou
ses enfants. Cela n'est pas une urgence en tant que telle, mais, contrairement
à ce que vous avancez, il me semble que le conjoint ou le proche
parent... En tout cas pour la partie examen, peut-être pas pour la partie
traitement, parce qu'il y a là examen et il y a aussi traitement et
intervention - il y a trois expressions qui sont utilisées - mais au
moins dans la partie examen, en l'occurrence examen psychiatrique, il me semble
que le mécanisme qui est proposé par le projet de loi
paraîtrait fort utile. Quelle est votre réaction à
cela?
Mme Roy (Claudine): Notre position sur ce problème, c'est
que, d'abord, ce n'est pas une situation d'urgence, bien entendu, c'est donc,
à notre avis, le bon moment pour nommer un conseiller à cette
personne, pour le rentrer dans les régimes de protection du majeur.
C'est pour cela...
M. Lazure: Vous alourdissez vraiment les choses. C'est la seule
réaction que j'aurais. Vous dites: Comment un conjoint ou un proche
parent peut-il passer un jugement sur l'état de la personne? En partie,
je suis d'accord avec vous. Moi, je dirais: II peut passer un jugement sur le
fait que la personne semble au moins avoir besoin d'un examen médical,
au moins jusqu'à l'examen, sinon au traitement. Est-ce qu'il n'y a pas
lieu de distinguer au moins entre l'examen et le traitement? (17 heures)
M. Lafontaine: Ce pourrait être un moindre mal, cela
pourrait être un palliatif si on le limitait seulement à cela.
Mais il faut noter qu'il n'y a pas d'urgence non plus. Vous vous tenez toujours
sur la marge, vous êtes seulement à l'examen et il n'y a pas tout
à fait urgence.
M. Lazure: II y a urgence. J'ai seulement une dernière
remarque. Il n'y a peut-être pas apparence d'urgence dans le sens que la
personne n'est peut-être pas immédiatement dangereuse pour
elle-même ou pour autrui, mais, d'après les gens qui vivent avec
la personne, il y a urgence que le personne soit traitée. Ce sont des
cas très communs, très fréquents.
M. Lafontaine: ... M. Lazure: Pardon?
M. Lafontaine: S'il y a urgence, il n'y a pas de
problème.
Mme Roy: C'est l'article 12 qui s'applique.
M. Lazure: Urgence, mais pas dans le sens où on l'entend
habituellement. Je pense que cela serait utile de conserver, au moins pour la
partie examen, un tel mécanisme.
Mme Roy: ...la différence entre un examen et un
traitement. Il peut y avoir des examens qui sont très douloureux
auxquels une personne refuse de se soumettre, et c'est quand même une
personne majeure qui, jusqu'à maintenant, n'a jamais été
"interdite" selon le système actuel. Est-ce que ce n'est pas justement
le temps de voir à sa protection?
Le Président (M. Blouin): Merci, M. le
député et ministre délégué aux Relations
avec les citoyens. M. le député de Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): Je voudrais qu'on regarde l'article
179. Vous en avez d'ailleurs fait une mention dans votre mémoire. Moi,
j'ai certaines réticences. On dit que, pour garantir l'administration
des tuteurs, quand le tuteur est autre que le père ou la mère, on
va exiger une sûreté si les biens excèdent 10 000 $ et
lorsque c'est le père ou la mère, c'est au-delà de 25 000
$. Vous dites: II faudrait peut-être ramener cela à 10 000 $ pour
les deux cas. Je suis bien d'accord, mais je me demande également:
Est-ce qu'on ne devrait pas le ramener à zéro? Est-ce qu'on
pourrait permettre de dilapider les premiers 10 000 $ et qu'on ne permettrait
pas de dilapider au-delà de 10 000 $ ou au-delà de 25 000 $? On a
vu des cas tellement tristes où, lorsqu'il s'agissait de remettre les
biens aux mineurs lorsqu'ils avaient 18 ou 21 ans, il ne restait plus rien
parce que les parents s'étaient acheté un manteau de vison pour
la mère, une auto, ils allaient se promener en Floride. Bien des fois,
il y avait des incapacités permanentes et il ne restait rien.
Là-dessus, je serais très sévère. Ce n'est
pas une sécurité du tout de dire qu'avec les parents, il y a
moins de danger. Je ne sais pas ce que vous en pensez.
M. Doré (François): Je sais au départ que,
sauf erreur, l'Office de révision du Code civil, quant à lui,
avait suggéré 6000 $ comme limite. Par contre, il faut
également penser que, si le Curateur public avait un rôle efficace
dans la surveillance de la tutelle, certains de ces problèmes pourraient
être évités.
Également, il faudrait lire l'article 179 en rapport avec
l'article 143 qui indique d'où
proviennent les sommes d'argent que le tuteur peut administrer. On
s'aperçoit que, finalement, c'est à partir du moment où
cela excède les besoins de l'enfant, que le contrôle devrait se
faire. Vous suggérez à partir de zéro, ce serait
peut-être l'idéal. Par contre, ce serait peut-être amener
trop de rigueur au système. En fait, il s'agit de mettre une limite. On
trouvait de toute façon que 25 000 $, c'était trop
élevé. On se dit: Pourquoi ne pas le mettre à 10 000 $,
comme tout autre tuteur? C'est le souci de la clientèle qu'on
représente, des cas qu'on a déjà vus, comme vous le
soulignez. Il y a aussi la question du coût d'administration de tout
cela.
Le Président (M. Blouin): Cela va? M. le
député de Saint-Laurent.
M. Leduc (Saint-Laurent): C'est une interrogation, cela va.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
Sainte-Anne, rapidement.
M. Polak: Non, non.
Le Président (M. Blouin): Non, cela va. Alors, M. le
ministre.
M. Marx: On pourrait peut-être avoir l'information sur le
coût de la sûreté.
M. Bédard: Je ne peux pas dire exactement, c'est tant les
1000 $ assurés. Ce ne sont pas des coûts exorbitants.
M. Leduc (Saint-Laurent): II faut donner une garantie
hypothécaire. Cela ne coûte rien.
Le Président (M. Blouin): II n'y a pas d'autres...
M. Marx: Cela coûte les frais de notaire.
Le Président (M. Blouin): II n'y a pas d'autres
interventions? Je remercie donc les représentants de la Commission des
services juridiques.
M. Marx: On va revenir sur ce point qui a été
soulevé. Peut-être le ministre peut-il y
réfléchir?
M. Bédard: C'est une heureuse suggestion, on la prendra
à son mérite.
Le Président (M. Blouin): Encore une fois, je remercie les
représentants de la Commission des services juridiques d'être
venus nous donner leur opinion et j'invite maintenant les représentants
du
Regroupement des comités logement et associations de
locataires.
Alors, pendant que vous prenez place, je vous rappelle que je
souhaiterais que vous puissiez exposer vos idées avec concision afin que
nous puissions, dès cet après-midi, entendre également le
groupe qui vous suit. Et, avant que vous ne nous présentiez vos
opinions, je vous demanderais, pour les fins du journal des Débats, de
vous identifier, s'il vous plaît.
Regroupement des comités logement et
associations de locataires
M. Vallée (Bernard): M. le Président, mesdames,
messieurs, je suis Bernard Vallée, porte-parole du Regroupement des
comités logement et associations de locataires du Québec.
À ma droite, M. Denis Cusson, membre du comité de coordination de
notre organisme. À ma gauche, M. Pierre Péladeau, étudiant
en droit à l'UQAM, qui nous sert de conseiller et qui a fait une
recherche sur le sujet dont on va vous parler, la protection de la vie
privée.
Le Président (M. Blouin): C'est bien.
M. Vallée: Par le mémoire qu'on vous a
déposé, on désirait faire connaître notre point de
vue sur le projet de loi no 106 et, en fait, essentiellement, sur les chapitres
deuxième et cinquième, portant sur l'exercice des droits civils
et le respect de la réputation et de la vie privée. D'ailleurs,
nous avons remarqué jusqu'à présent que peu de groupes se
sont prononcés sur ces articles qui nous semblent très
importants.
C'est l'apparition et le développement de listes noires et de
fichiers centraux de locataires, mis sur pied par les associations de
propriétaires et par certaines compagnies, qui ont soulevé notre
inquiétude, celle des locataires et de tous les citoyens soucieux des
droits de la personne. C'est ce phénomène qui nous a
incités à examiner et à commenter ce projet de loi. En
fait, ce qu'on va vous transmettre aussi, c'est notre déception que nous
exprimerons ici. Mais par contre, nous suggérons des pistes en vue d'une
législation qui ait de l'allure - qu'elle soit, d'ailleurs, sous forme
de complément ou d'amendement au Code civil - et aussi des pistes pour
une législation statutaire future.
Pour nous, la principale chose qu'on pourrait dire sur les chapitres
deux et trois, c'est qu'ils semblent s'appuyer sur une réalité
devenue désuète et qui ne tient absolument pas compte des
nouvelles réalités, en particulier techniques et informatiques,
qui pénètrent actuellement dans la vie privée des gens. On
n'est plus dans le domaine du colportage de rumeurs, des papotages de couloirs.
On est en face de systèmes, même internationaux, de banques de
données.
M. Marx: Vous parlez des chapitres deux et trois de quel...
M. Vallée: Les chapitres deux et cinq, excusez-moi. Les
chapitres deux et cinq...
M. Marx: Les chapitres deux et cinq de...
M. Vallée: ...de la loi 106. M. Marx: ...quel est
le titre? M. Vallée: Loi 106, c'est-à-dire...
M. Marx: Je ne trouve pas de chapitres deux et cinq dans...
M. Vallée: Excusez-moi. C'est dans le livre premier, titre
premier. Ce sont les articles 5 à 10, d'une part, chapitre
deuxième, De l'exercice des droits civils. Excusez-moi, je ne suis
pas...
M. Marx: Non, non, non.
M. Vallée: ...et chapitre cinq à la page 10: Du
respect de la réputation et de la vie privée, articles 33
à 36.
Si notre groupement ne rassemble pas l'ensemble des associations de
locataires du Québec, nous savons, en tout cas, que notre point de vue
est partagé par de nombreux organismes qui ont donné leur appui
à notre mémoire. Je soulignerais, en particulier, l'autre
organisation importante au niveau des locataires qui est le FRAPRU, la CEQ et
quelques-uns de vos collègues de l'Assemblée nationale, le
ministre de la Science et de la Technologie, le ministre de l'Habitation et la
Commission des droits de la personne, qui nous ont déjà
manifesté leur vive préoccupation face à ce
problème.
On va rentrer dans le vif du sujet. Vous avez entendu parler, il n'y a
pas très longtemps, de l'apparition et du développement des
listes noires. Le problème est que les propriétaires et leurs
associations ont décidé d'organiser sur une grande échelle
un harcèlement, une intimidation et une discrimination qu'ils faisaient
d'habitude de façon très artisanale. Avec les nouveaux outils
informatiques, des fichiers permettent d'accumuler un nombre d'informations
sans limite sur de plus en plus d'individus, à un coût minime et
avec une très grande facilité d'utilisation.
Engagés dans une lutte décisive contre toute forme
d'intervention juridique de l'État dans leur commerce, les marchands de
logements n'ont jamais caché leur intention, c'est-à-dire de
dissuader les locataires de faire usage de recours juridiques et
éliminer du stock de logements qu'ils contrôlent tous ceux qui se
prévaudraient quand même de leurs droits. Alors que des lois comme
la loi 107, la loi de relations propriétaire-locataires, leur donnent
déjà des moyens de poursuivre et d'expulser, par exemple, les
mauvais payeurs, les saboteurs, les trouble-fête, ils se donnent les
moyens d'imposer leur propre loi et substituent à la justice publique la
loi de la jungle.
Actuellement, plus de 20 000 locataires sont fichés. Nous ne
sommes donc pas face à un phénomène marginal. Le chiffre
de 20 000 a été évalué au mois de janvier. Je pense
qu'il faudrait peut-être doubler ce chiffre à l'heure actuelle.
Dans le vide législatif complet qui entoure les pratiques des banques
privées de données comme les listes noires, le dépôt
du projet de loi no 106 aurait pu nous permettre d'espérer qu'une
volonté politique de mettre fin aux abus allait enfin s'exprimer.
Pourtant, nous pensons que nous sommes loin avec ce projet de loi d'un cadre
législatif permettant le respect intégral de la
réputation, de la vie privée ainsi que de l'exercice des droits
civils sans crainte de représailles. Nous avons été
surpris du caractère extrêmement réduit du nombre
d'articles - par exemple dans le chapitre cinquième qu'on examine - qui
prétendent finalement encadrer un domaine aussi vaste et grave en ce qui
concerne les droits de la personne. Cela nous a franchement
étonnés.
En faisant cette déposition aujourd'hui, on a un objectif qui est
de mettre fin à notre problème en tant qu'association de
locataires face aux listes noires de locataires. Je pense qu'il pose le
problème d'ensemble des banques de données privées. Je
vous rappellerais, pour mémoire, le but que nous visons au sujet du
problème qui nous concerne et dont une loi ou des principes dans le Code
civil devraient tenir compte, c'est qu'il faut que des listes comme les listes
noires de locataires qui sont un certain type de banques de données
privées soient éliminées puisqu'elles visent uniquement la
discrimination et la renonciation à l'exercice de droits civils. Il faut
donc que des mécanismes très précis et des principes
puissent guider ces mécanismes pour qu'on interdise la mise sur pied de
tels fichiers et qu'on prévoie aussi des pénalités pour
poursuivre les contrevenants, ce qui n'existe pas présentement.
On va essayer de déterminer ce que sont les principes qui
pourraient régir un tel code ou une telle législation. Une
législation complète et efficace pour garantir que la vie
privée des citoyens ne sera pas violée par les promoteurs et les
utilisateurs de banques de données sur les individus devrait permettre
de contrôler les objectifs de telles banques, la pertinence de leur
contenu, leur utilisation ainsi que l'accès des citoyens à leurs
dossiers, la vérification et la correction des informations. Avec les
développements de l'informatique et de la télématique
qui
augmentent considérablement la portée des
conséquences sociales de leur utilisation, il revient à
l'État, non seulement aux seuls individus, de protéger les
citoyens face à des agissements qui donnent aux promoteurs et aux
utilisateurs de listes noires ou de fichiers des moyens de répression
qu'il est difficile de contrer de manière individuelle. On ne se trouve
plus confronté à telle ou telle pratique non délicate ou
frauduleuse, mais bien à des systèmes organisés de
discrimination et de représailles à grande échelle. (17 h
15)
Nous pensons que cette loi devrait prévoir que la mise sur pied
des banques de données sur les individus soit soumise à des
demandes de permis qui seraient l'occasion de vérifier si les objectifs
de ces fichiers et le contenu des informations n'entraînent aucune
possibilité d'intimidation et de discrimination. Il faudrait aussi
affirmer la propriété complète des individus sur toutes
les informations qui les concernent, particulièrement, des informations
que l'entreprise privée voudrait accaparer. Il faudrait que ces banques
de données puissent être contrôlées
régulièrement ou sur plaintes par un organisme compétent
afin de vérifier si le contenu et l'usage qui en est fait ne
contreviennent pas à ce qui serait socialement acceptable dans une
société démocratique.
Il faudra enfin que les individus qui se sentent lésés
dans leurs droits puissent faire appel à l'État pour assurer le
coût et les démarches des poursuites. Cette loi et ces principes
devraient établir la primauté du respect de la vie privée,
donc, du droit de propriété aussi des individus sur les
informations les concernant et la primauté du plein exercice des droits
civils sur toute autre considération, y compris le droit de
propriété des biens et marchandises.
La loi 106 répond-elle à ces attentes? Nous avons pris
acte du contenu des articles 5, 8, 33 et 35 du projet de loi no 106. Dans le
cas qui nous concerne, on a regardé cela et on aimerait les
interpréter comme suit. Je le précise bien, "on aimerait", parce
qu'en fait c'est à vous de nous confirmer si c'est effectivement comme
cela.
Les listes noires ou de tels types de listes sont illégales parce
qu'elles visent à nuire à autrui. Est-ce vraiment ce que
l'article 8 veut dire? Parce que ces listes privent les locataires visés
de l'accès au stock de logements contrôlés par les membres
des associations promotrices des listes noires. Elles visent à obliger
les locataires à renoncer à l'exercice de leurs droits civils.
À l'article 10, est-ce vraiment ce que le législateur voulait
dire? Si oui, tant mieux. Mais je n'en ai pas l'impression. Si on lit l'article
33, on pourrait penser que, pour inscrire une information concernant un
locataire sur un fichier, l'organisme promoteur devra obtenir obligatoirement
le consentement de cette personne. Je n'ai pas l'impression que l'article 33
pourrait effectivement s'interpréter comme cela. Donc, le
problème reste entier. Un locataire pourra avoir accès à
son dossier, faire rectifier les informations ou les faire supprimer si elles
sont non pertinentes et préjudiciables. C'est ce qu'on lit à
l'article 35. Par exemple, cela pourrait vouloir dire qu'un locataire pourrait
faire supprimer la mention des recours juridiques dans lesquels il aurait
été impliqué ou il pourrait faire supprimer la mention
qu'il est un assisté social.
En fait, il reste à savoir si cela correspond bien à
l'intention du législateur. Nous en doutons, car les choses se
gâtent, lorsqu'on regarde de plus près les articles. Si la loi
affirme qu'on ne peut renoncer à l'exercice de ses droits civils,
à l'article 10, en fait, aucune disposition n'interdit
expressément à quelqu'un de faire, par exemple, des menaces ou
des représailles contre une personne qui désirerait ou exercerait
ses droits; aller à la Régie du logement, par exemple.
Il n'existe aucune disposition, effectivement, déclarant
expressément que nul ne peut forcer ou contraindre une autre personne
à renoncer à l'exercice de ses droits. Les droits d'accès
et de correction n'ont de sens que si la personne a connaissance de l'existence
des dossiers constitués à son sujet. Or, plusieurs de ces
dossiers et, en fait, toutes les listes noires au Québec, sont
constitués à l'insu des personnes concernées. Nulle part,
à notre avis, il n'est question dans ce projet de loi de l'obligation
d'informer la personne qu'un dossier est ou a été
constitué à son sujet. Cela réduit considérablement
la portée des articles qui portent sur l'accès.
Rien n'est prévu pour empêcher les représailles
contre un individu qui a refusé de donner son consentement à la
constitution d'un dossier sur sa personne. Or, on sait que c'est une condition
de plus en plus répandue pour obtenir un logement, mais aussi un emploi
ou un service. La conséquence d'un tel refus étant, le plus
souvent, le refus pur et simple du logement, de l'emploi ou du service, il
n'est prévu aucun droit de contester un consentement ainsi forcé,
particulièrement dans les cas où le consentement ouvre la porte
à une intrusion abusive dans la vie privée ou que l'information
demandée est non pertinente, discriminatoire ou ouvre la porte à
l'arbitraire le plus odieux.
Si la loi permet aux intéressés d'avoir accès
à leurs dossiers, la majorité des banques privées de
données, y compris les listes noires de locataires, risque d'être
exclue de cette disposition de l'article 35 à
cause du caractère restrictif du texte. Ne sont visés que
les dossiers constitués dans le but d'informer un tiers. Un membre d'une
association de propriétaires est-il un tiers pour son association? Ces
gens diront non. La loi ne s'appliquera donc pas à ces dossiers.
Le droit d'accès et de correction des dossiers n'a de sens que si
on peut vraiment l'exercer. Or, c'est sur les individus que repose le fardeau
des démarches et des coûts pour l'obtenir, s'il y a obstruction
des propriétaires de fichiers. Bien peu seront, par exemple, les
locataires qui auront les moyens de faire face aux longues et coûteuses
procédures judiciaires que les puissantes associations de
propriétaires ne manqueront pas de multiplier, sans compter l'attention
toute particulière dont les plaignants seront l'objet par la suite.
La notion d'accès aux dossiers semble laisser croire que le
législateur en est resté à l'image de bons vieux classeurs
métalliques et leurs dossiers de papier et de carton qu'on peut aller
vérifier, alors que la réalité de l'informatique permet
l'existence de plusieurs clés d'accès à l'information qui
ne seront pas toutes révélées aux consultants, que ce
soient les intéressés et même les tribunaux qui sont
très peu compétents dans ces matières d'informatique et
qui ne pourront alors vérifier la totalité des dossiers, sans
parler de la facilité de destruction de preuves alors que ce ne sont que
des impulsions électriques.
Les tribunaux devront se prononcer sur le bien-fondé de
rectification ou de suppression d'information en l'absence de toute
définition dans le Code civil de la pertinence ou du caractère
socialement acceptable de l'utilisation de certaines informations. Ce qui est
pertinent pour un marchand de logements ne l'est pas forcément pour un
locataire pour qui le logement est un besoin essentiel.
Le législateur a également ignoré la
possibilité de constitution ou d'utilisation de banques de
données situées en dehors du territoire du Québec, aux
États-Unis, par exemple, ou dans d'autres provinces; Tenant-Chek dans
les Maritimes veut étendre son service "coast to coast" et en
particulier au Québec.
Aucun système de contrôle préventif des banques de
données n'est prévu pour surveiller leur constitution et leur
utilisation. Les recours étant individuels, aucun pouvoir n'est
donné clairement aux tribunaux pour mettre hors d'état de nuire
un fichier complet dont la totalité ou une partie de ses informations
sont préjudiciables, dont les modes de cueillette sont discutables, dont
la gestion est non sécuritaire ou l'utilisation discriminatoire.
Aucune pénalité ne semble prévue non plus pour
dissuader d'agir d'éventuels contrevenants à la loi qui seront
tentés de brimer l'exercice des droits civils ou de violer la vie
privée. Pour nous, il y a là tous les indices d'une loi qui
risque de rester sur les tablettes ou d'un Code civil qui n'est pas du tout
adapté, qui va être inopérant dans les conditions dans
lesquelles la vie privée, actuellement, en 1983, est atteinte.
Si le gouvernement veut sincèrement apporter aux citoyens des
moyens concrets et efficaces de se défendre, nous pensons que, pour au
moins ces chapitres, il devrait se remettre au travail en examinant la
réalité quotidienne qu'on vit à la base, nous les
citoyens, les conditions réelles et nouvelles de l'exercice de nos
droits, les moyens techniques considérables que se donnent maintenant
les plus nantis de la société pour imposer leur volonté,
souvent au mépris des droits sociaux.
Cette réforme du Code civil doit être
complétée et il est nécessaire d'établir un cadre
législatif et réglementaire complet et spécifique, au
moins aussi poussé que celui qui concerne les banques de données
gouvernementales. On rappelle aussi que des mesures transitoires
immédiates doivent être prises afin que le temps nécessaire
que vous devriez prendre pour approfondir la connaissance du problème et
pour lui trouver des solutions adéquates ne soit utilisé par les
promoteurs de banques de données privées pour développer
encore plus leurs pratiques contestables.
C'est, en gros, le résumé de notre mémoire. Je
voudrais prendre même pas une minute...
Le Président (M. Blouin): D'accord.
M. Vallée: ...pour vous citer une lettre envoyée
par un propriétaire à un locataire, pour vous montrer que ce
n'est vraiment pas de la paranoïa dont on fait état aujourd'hui.
C'est l'avocat de la locataire qui nous l'a envoyée. "Vous trouverez
ci-jointe, une copie d'une lettre en date du 1er juin 1982 que M. Guy Hunter,
un propriétaire, adressait à une de ses locataires, Mme Claire
Langlois, cette dernière âgée de 80 ans." Celle-ci se
lisait comme suit: " Chère madame Langlois, étant donné
que vous refusez l'augmentation de loyer, étant donné que je fais
partie de CORPIQ, une association de propriétaires, nous avons une
banque de noms pour les mauvais locataires. Ceci est dans le but de
protéger un autre propriétaire de gens comme vous. Vous pouvez me
croire: vous aurez de la misère à vous trouver un loyer. Je vous
ai donc - l'orthographe est très mauvaise - inscrit à cette
banque. Étant donné que vous avez été à la
régie, je vous informe que dans quelques jours vous n'aurez plus de
thermostat pour contrôler la chaleur, que dès le 1er juillet 1982
vous n'aurez plus d'eau chaude et que dans quelques mois, vous
aurez une lettre vous avisant que je vais reprendre possession de votre
loyer pour me loger".
Le harcèlement et la discrimination on les connaît depuis
des centaines d'années; les systèmes de discrimination et
d'atteinte à la vie privée qu'on connaît en 1983, c'est
sans comparaison avec ce qu'on connaissait jusqu'à présent. Les
quelques articles qu'on nous a soumis dans la loi 106 ne peuvent faire
l'affaire.
Le Président (M. Blouin): Merci, M. Vallée. La
parole est au ministre de la Justice.
M. Bédard: M. le Président, je remercie les
représentants du Regroupement des comités logement et
associations de locataires du Québec de leur représentation.
Comme il fallait s'y attendre, et c'est normal, ils ont centré
l'essentiel de leur représentation sur des préoccupations qui, en
fait, correspondent à des réalités sociales. Je comprends.
J'ai lu leur mémoire, comme tous les membres de la commission. Nous
venons de les entendre. Vous nous avez dit que la loi 106 ne répond pas
à vos attentes. Je pense que vous avez raison et j'ajouterais qu'il est
fort probable que le Code civil, comme tel, ne pourra pas répondre
à toutes vos attentes.
M. Vallée: Peut-être dans ses principes.
M. Bédard: Ce sont des principes. On est en train
d'élaborer le Code civil, pas le code des locateurs et locataires. Quand
je dis cela je ne veux minimiser en aucune façon les problèmes
que vous avez évoqués, la réalité de certaines
situations qui doivent être rectifiées. Mais soyons de bon compte
dès le départ. Il y a une différence entre le Code civil
et un code plus spécifique par rapport à un sujet de
préoccupation. Je pense qu'il faut en convenir.
Vous vous étonnez qu'il n'y ait pas beaucoup d'articles
concernant le chapitre de l'exercice des droits civils. Il y aurait de quoi
surprendre si ce chapitre devait rejoindre toutes les préoccupations de
tous les groupes, tel le vôtre, qui pourraient avoir des
représentations à faire par rapport à un sujet de
préoccupation donné. Quand on parle du Code civil, il s'agit, il
faut en convenir quand même, de dispositions qui ont un caractère
général pour s'appliquer à une clientèle
très large, l'ensemble des citoyens et citoyennes du Québec,
alors que vos remarques ont quand même, il faut en convenir, des aspects
très spécifiques. Quand je dis cela, je n'en diminue en aucune
façon la portée et l'importance.
De plus, ne croyez-vous pas que l'introduction de certaines dispositions
dans le Code civil, je parle de l'article 8 que vous avez mentionné...
Je n'irai pas vous dire, parce que j'aurais l'impression de ne pas être
correct, que les articles 8, 9 et 10 n'ont été pensés
qu'en fonction des locateurs et des locataires. Je pense que je serais
malhonnête de dire cela ou de le dire à propos de n'importe quel
groupe. Mais à partir de principes généraux... Vous les
avez mentionnés parce que vous trouviez, tout au moins dans leur forme
ou leur rédaction, qu'il y avait un contenu. Je comprends qu'il n'y a
pas les mots locateur et locataire. Comme d'autres groupes peuvent venir nous
dire: On aimerait bien qu'il y ait des mentions spécifiques. Il reste
quand même qu'au niveau de la formulation... Je ne m'apprête pas
à vous dire que cela répond à toutes vos demandes; au
contraire, je n'ai pas besoin de me répéter. Mais on voit
déjà là, quand même, des principes
généraux qui font en sorte que cela pourra déboucher sur
des décisions de la part des tribunaux qui auront à s'inspirer,
en fait, de ces dispositions. (17 h 30)
Par rapport à plusieurs des préoccupations que vous
évoquez fort valablement, je crois que plusieurs de ces recommandations
débordent le cadre du Code civil. On retrouverait plusieurs des
réponses à vos préoccupations dans la Charte des droits et
libertés de la personne où il y a sûrement certaines
dispositions ou encore certaines situations qui, à la lumière du
contenu de la Charte des droits et libertés de la personne, pourraient
être évaluées par la Commission des droits de la personne
si demande lui en était faite.
Vous parlez de toutes les banques de données. On peut dire que,
"gouvernementalement", il y avait un vide complet avant; il y a au moins une
partie où il y a eu une loi en ce qui a trait à toutes les
banques: la loi sur l'accès à l'information qui regarde les
organismes publics et parapublics. Je comprends que cela ne va pas dans le
secteur privé. J'ai l'impression que cela serait extrêmement
difficile de tout couvrir. Par exemple, il peut y avoir des banques de
données qui contiennent des informations qui servent ici à poser
certains gestes, alors que la banque de données est elle-même en
dehors du Québec, non seulement en dehors du Québec, mais en
dehors du pays, aux États-Unis ou ailleurs. C'est la complexité,
je pense, du problème -vous l'avez très bien
évoquée - à la lumière de cette nouvelle
réalité qu'est l'informatique, au niveau de l'ensemble des
sociétés, pas seulement de la nôtre.
Vous nous avez parlé - ce sera ma seule question, je m'en excuse;
c'est un mémoire quand même très important quant aux
préoccupations exprimées - je ne pense pas que ce soit à
travers votre chapeau -des listes noires de locataires et de certains
propriétaires qui s'en servent. Est-ce que je dois comprendre
qu'il y a aussi une liste noire des propriétaires? Il doit y avoir des
gens qui s'en servent et d'autres qui ne s'en servent pas. J'aimerais savoir -
c'est ma seule question - jusqu'où vous croyez qu'un contrôle des
listes contenant des données objectives sur les individus devrait
s'exercer.
Le Président (M. Blouin): M. Vallée.
M. Vallée: Jusqu'où, cela veut dire que, la
première chose - je pense que c'est un principe que le Code civil
devrait avoir et ce n'est pas une législation globale là-dessus -
c'est le principe de la propriété de la personne, de toutes les
informations qui la concernent et de l'obligation pour quiconque voulant
utiliser cette information de lui en demander la permission. C'est un principe
qui n'est pas une législation, qui n'est pas complexe. C'est la
première chose qu'un citoyen du Québec pourrait exiger de
l'État, qu'il le protège au niveau de ce principe, au niveau du
Code civil. Il est absent dans le Code civil. Donc, on aimerait qu'il y ait au
moins cela, qu'il y ait des...
M. Bédard: Je m'excuse. Là-dessus, il y a l'article
8 qu'on a mentionné. L'essentiel, c'est qu'on ne peut exercer un droit
avec l'intention de nuire à autrui ni de manière à lui
causer un préjudice en l'absence d'un intérêt
sérieux et légitime. C'est un principe extrêmement
large.
M. Péladeau (Pierre): Mais, est-ce qu'on pourrait d'abord
répondre aux...
M. Bédard: II y a aussi l'article 35 sur lequel je
voudrais attirer votre attention: "Toute personne peut consulter ou faire
reproduire à ses frais un dossier qui la concerne et qu'une personne
constitue ou détient sur elle dans le but d'informer un tiers, sous
réserve des lois relatives à l'accès aux documents des
organismes publics et à la protection des renseignements personnels.
"Elle peut faire rectifier une information inexacte, incomplète ou
équivoque et faire supprimer une information non pertinente qui lui est
injustement préjudiciable.
M. Péladeau: Pour répondre d'abord à la
première partie de votre question...
M. Bédard: ...ce sera ma seule question.
M. Péladeau: La première, vous parliez du nombre
limité de personnes. Il faut dire que la question des banques de
données touche aussi la consommation et l'emploi en priorité.
M. Bédard: Du nombre limité...
M. Péladeau: II y a présentement 4 000 000 de
dossiers, en pratique pour tous les adultes québécois, qui sont
constitués au niveau des bureaux de crédit.
M. Bédard: Je n'ai pas parlé du nombre
limité de personnes. Je n'ai jamais indiqué cela. Parce que je
sais très bien que cela couvre...
M. Péladeau: ...que cela touchait peu de gens et
finalement c'était cela. En pratique, au Québec, la question des
banques de crédit, en passant, c'est la loi ontarienne qui s'applique au
Québec. C'est pour cela qu'il n'y a que très peu de plaintes
selon la Loi sur la protection du consommateur. Étant donné que
les flux transfrontières nécessitent une normalisation des
standards dans tout le Canada pour le libre flux des informations, en pratique
c'est le standard le plus élevé au Canada, la loi ontarienne, qui
s'applique au Québec.
On pourrait ajouter aussi qu'on parle présentement d'un
problème actuel lié à une technologie actuelle sauf que la
technologie se développe à une vitesse assez affolante. En
particulier, présentement les logiciels qui sont utilisés ce sont
des logiciels de gestion de textes et de traitement mécanique de mots.
Or, on est déjà actuellement à développer et
utiliser un peu partout dans le monde, puis aussi au Québec, qui est
à l'avant-garde sur ce sujet dans le domaine de la francophonie, une
nouvelle génération de logiciels d'analyse automatique de textes,
c'est-à-dire de logiciels d'analyse de contenu.
Les logiciels actuels de gestion de textes qui ne font que traiter,
organiser l'information de façon mécanique permettent
déjà de constituer des listes puissantes et extrêmement
efficaces. C'est le cas des bureaux de crédit qui peuvent, avec des
informations provenant du ministère de la Justice et de leurs propres
dossiers qui sont identifiés de façon tout à fait
différente... Le ministère de la Justice identifie le nom des
parties et leurs adresses. Au niveau des bureaux de crédit, on identifie
avec le numéro d'assurance sociale, date de naissance, etc. Ils sont
capables de faire la liaison des dossiers de façon automatique.
Les nouveaux logiciels d'analyse de textes qui se développent
sont déjà capables aujourd'hui non seulement de jouer avec les
mots mais aussi de les lire, de leur donner un sens, de tirer des
déductions, d'effectuer des classements complexes et de faire des
évaluations et même de prendre certaines décisions.
Pour prendre un seul exemple. Il y a les multinationales dans le domaine
de l'informatique. L'information nous provient de
journalistes-enquêteurs. Ce sont les seuls à part nous qui ont
fait des études le moindrement sérieuses sur la question au
Québec. Ces sociétés multinationales sont à
développer des logiciels capables de traiter des informations de nature
carrément subjective, notamment des informations sur le comportement.
Elles développent des logiciels capables d'analyser des comportements
d'individus et elles expérimentent présentement
déjà l'évaluation de leurs employés. Cela c'est
principalement aux États-Unis. C'est-à-dire que ce ne sera plus
bientôt, comme dans le Code civil présentement, la pertinence des
informations. Tantôt vous parliez d'informations objectives. On va
bientôt pouvoir traiter des informations de nature subjective. On le fait
déjà. Les listes noires sont souvent des informations de nature
subjective.
Ce n'est donc plus simplement la pertinence mais aussi la nature des
modes de classement, des critères d'évaluation, leur utilisation
et les choix d'analyse qui vont être l'objet de discussions en plus de
l'aspect discriminatoire ou sensible de l'information. Non seulement la
situation nécessite un débat large et public sur la question, non
seulement l'Assemblée nationale doit légiférer et
réglementer les banques de données et la protection de la
réputation et de la vie privée, que ce soit dans le Code civil ou
dans des textes statutaires, mais le gouvernement du Québec doit se
donner des mécanismes et une autorité capable de suivre le
développement de ce phénomène, même de le
précéder.
On est bien placé, au Québec particulièrement,
parce que c'est ici au Québec qu'on développe pour la
francophonie un des logiciels d'analyse de textes. Ce n'est pas dans
l'entreprise privée mais c'est dans le secteur public. C'est à
l'Université du Québec à Montréal.
Le Président (M. Blouin): Je crois qu'on a bien saisi.
M. Péladeau: Cela prend 20 ans, 25 ans pour faire une
réforme du Code civil, mais cela en prend 4 ou 5 pour faire une nouvelle
génération de logiciels et d'ordinateurs. Donc, il faut plus que
statuer sur les questions de principe, il faut se pencher résolument et
sérieusement sur les questions d'application de ces principes et aussi
étudier immédiatement de façon urgente pour l'ensemble des
banques de données, parce que ce ne sont pas seulement les locataires
qui sont ici. Les listes noires...
Le Président (M. Blouin): Je m'excuse, je vous
arrête. Je crois qu'on a très bien saisi l'essence de votre
opinion...
M. Péladeau: Bon.
Le Président (M. Blouin): ...et que vous l'avez transmise
justement à la commission.
M. Bédard: ...il y en a qui sont à
l'extérieur.
Le Président (M. Blouin): Maintenant, M. Vallée,
vous avez quelques remarques?
M. Vallée: Je voudrais revenir sur la question que me
posait le ministre de la Justice sur l'article 35, à savoir s'il nous
convient. C'est justement ce que M. Péladeau vient de dire:
l'équilibre est complètement débalancé entre les
pouvoirs de l'entreprise privée avec tous ces moyens-là, et le
pouvoir du citoyen qui n'est même pas au courant qu'il existe un dossier
sur lui. Toute l'entreprise privée a le portrait intégral de sa
personnalité et l'utilise comme bon lui semble, dans l'anonymat le plus
complet, sans que personne ne le sache. Comment, alors, pouvoir consulter,
faire reproduire, faire modifier, quand on ne connaît même pas la
machine énorme, digne de 1984, de l'écrivain
célèbre, qui est derrière elle? C'est pour cela qu'on
veut, qu'on a vraiment l'impression ici qu'on a... Tantôt, le ministre
disait qu'on se plaignait du projet parce qu'on n'y trouvait pas les
problèmes des locataires. Je pense que c'est vraiment ne pas comprendre
du tout ce qu'on a dit. Ce qu'on a dit, c'est que ne sont pas présents
des éléments qui vont défendre, en partie, les locataires:
c'est l'ensemble des problèmes des banques de données
privées qui sont actuellement les éléments majeurs de
l'atteinte à la réputation et à la vie privée qui
sont en question, et non pas les locataires. Que le mot "locataire" ne
soit pas dans le projet de loi, cela ne nous embête pas.
M. Bédard: Je n'ai pas dit que vous vous plaigniez. Cela
aurait été négatif. J'ai dit tout simplement que...
Écoutez, j'ai entendu votre mémoire, comme tout le monde. Vous
constatiez que cela ne répondait pas à toutes vos
attentes....
M. Vallée: Ni à celles d'aucun consommateur ou
citoyen.
M. Bédard: II me semble vous avoir bien traduit. Si j'ai
bien compris votre mémoire, c'est cela? Bon. Je vous ai dit
également que le Code civil - et ce n'était péjoratif
d'aucune façon - est un code avec des principes généraux,
ce n'est pas le code des locateurs ou des locataires ou de ce que vous voudrez.
Mais, ce n'était pas dit d'une façon négative.
M. Vallée: Les principes généraux que nous
apportons...
M. Bédard: Je comprends l'ampleur du problème que
vous évoquez; il ne va pas trouver sa solution ou sa réponse
uniquement
dans le Code civil, mais peut-être dans d'autres lois.
M. Vallée: Les principes généraux que nous
apportons, vous ne les trouvez pas pertinents? Par exemple, que le consentement
de la personne soit requis à toute collection ou tout ramassage
d'informations sur elle-même?
M. Bédard: Je vous ai dit que nous allions prendre en
considération l'ensemble de votre mémoire.
Le Président (M. Blouin): D'accord? Alors, M. le
député de Sainte-Anne?
M. Polak: Oui, M. le Président, je remercie le
député de D'Arcy McGee de me laisser poser seulement une question
parce que je dois partir. D'abord, M. Vallée, je connais très
bien le travail de votre groupement parce que je le considère toujours
un peu comme une voix de conscience, même si nous ne sommes pas toujours
d'accord. J'ai noté que les groupements de Pointe-Saint-Charles et de la
Petite Bourgogne sont très actifs. Ils ne sont pas sur la liste, mais je
sais qu'ils sont membres de chez vous et c'est dans mon comté.
Ce que je voudrais savoir, c'est si vous avez vu une telle liste avec,
disons, 20 000 noms? Est-ce qu'une telle liste existe? L'avez-vous vue?
Deuxièmement, est-ce qu'il serait inscrit sur cette liste que tel ou tel
locataire est allé en appel devant la Régie des loyers tant de
fois, à tel ou tel endroit, etc.? Disons des notes qui vraiment portent
préjudice à tel ou tel locataire?
M. Vallée: Notre organisme est très pauvre. Donc,
on n'a pas beaucoup de sous.
Le Président (M. Blouin): M. Vallée, je vous
signale qu'il s'agit d'une question assez précise...
M. Vallée: Oui.
Le Président (M. Blouin): ...et je vous demanderais d'y
répondre.
M. Vallée: Je peux vous dire que votre collègue, M.
Herbert Marx, a le dossier complet. On n'a pu envoyer qu'un seul dossier
à l'Opposition. On en a envoyé à tous les
différents ministres et tout cela. On a un dossier d'étude fait
par Pierre Péladeau qui donne des exemples de fichiers. La liste, on ne
la voit pas; elle est dans un ordinateur. Mais, il y a les fiches que les
propriétaires obligent les locataires à remplir avec leur
numéro d'immatriculation, la marque, l'année, le nom de leur
employeur, le numéro de compte en banque, le nombre de fois qu'ils sont
allés à la régie. Vous avez les exemples. Vous demanderez
à votre collègue,
M. Marx.
Le Président (M. Blouin): Rapidement, M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Marx: J'ai la liste. J'ai vérifié, le ministre
n'est pas sur la liste. Je suis au courant de ce problème. Il est exact
que vous m'avez envoyé une copie d'un dossier assez épais. J'ai
parlé à quelqu'un, à vous-même, c'est cela.
Il est évident qu'il y a des comportements
répréhensibles dans notre société et je pense qu'il
n'appartient pas au législateur de proscrire tout comportement
répréhensible, même pas de proscrire toute discrimination.
Par exemple, je pense qu'il est légal de faire de la discrimination pour
des raisons économiques. Je pense que quelqu'un qui ne veut pas faire
affaires avec un autre parce que cette personne n'a pas d'argent, ne peut pas
fournir une garantie, c'est une raison valable pour faire de la discrimination
dans le sens de ne pas transiger avec cette personne. Il y a d'autres raisons.
Supposons qu'un vendeur vienne me voir et que je n'aime pas son visage; c'est
de la discrimination. Je ne veux pas transiger avec lui. Je ne pense pas qu'il
sera jamais de l'intention du législateur de proscrire toute forme de
discrimination définie d'une façon générale et
large.
En ce qui concerne les banques de données, il y a des
problèmes comme ceux que vous avez soulevés et soulignés.
En ce qui concerne, par exemple, les listes, j'imagine que ces listes ont
toujours existé. Il y a toujours eu des gens qui avaient des listes. On
a des listes. J'imagine que le Parti québécois a ses listes, je
sais que nous avons nos listes. Il y a des listes au fédéral,
comme l'a souligné la députée de Dorion. Je ne pense pas
qu'on puisse vraiment traiter de ce problème des locataires dans le Code
civil. S'il y a un problème, il faut donc adopter une loi quelconque. Je
dirais qu'en ce qui concerne la liste noire des propriétaires, s'il y a
une intervention à faire ce serait peut-être dans le titre
septième du Code civil, qui traite du louage. Il est possible qu'il soit
nécessaire de faire une modification quelconque de ce titre parce que,
par exemple, dans le bail type qui existe au Québec - cela veut dire
avec des articles obligatoires - il y a déjà certains
comportements qui sont illégaux. On peut en ajouter un autre, le cas
échéant.
En ce qui concerne les banques de données et tout le
problème que vous avez soulevé, je suis d'accord avec le ministre
qu'il ne serait pas dans le cadre du Code civil de légiférer.
Peut-être que cela nécessitera une loi spéciale seulement
pour traiter de cette question. Vous êtes le
premier groupe à soulever cette question. Je sais que la ligue
des droits va soulever la même question, d'ici quelques jours. Mais pour
légiférer vraiment dans ce domaine, cela prendra des
études, une autre commission parlementaire et, le cas
échéant, une autre loi. Je pense que le problème dont vous
voulez qu'on traite déborde vraiment les deux lois qui sont à
l'étude à cette commission. Je le vois de cette façon.
M. Péladeau: Est-ce que la définition de ce qu'est
le respect de la réputation de la vie privée pourrait s'inscrire
dans ce chapitre?
M. Marx: C'est cela. Si vous voulez tenter votre chance avec cet
article, un jour, devant les tribunaux, c'est à vous de...
M. Cusson (Denis): Pourquoi inscrire l'article, si on ne peut
s'en servir devant les tribunaux?
M. Marx: Pardon?
M. Cusson: À quoi sert de mettre un tel article s'il est
difficile de s'en servir devant les tribunaux?
M. Marx: Non, non. Un instant! C'est-à-dire que les
tribunaux vous donneront peut-être raison en ce qui concerne les banques
de données et les listes noires, mais peut-être pas. Dans un tel
article, on ne peut pas prévoir tous les cas possibles. Ce ne serait pas
un Code civil, ce serait une autre espèce de loi.
M. Cusson: D'accord.
M. Vallée: Depuis tantôt, je comprends que vous nous
indiquez qu'il y a d'autres lieux où il pourrait y avoir une loi qui
protégerait mieux la vie privée. Là, je parle de la vie
privée et pas seulement des locataires. Je vais vous donner un exemple.
On a fait une proposition à la Commission des droits de la personne et
on l'a transmise au ministre de la Justice. Il s'agit de l'interdiction de
représailles contre quelqu'un qui exerce ses droits civils, pour qu'elle
soit présente quelque part. On nous a répondu par lettre - Mme
Olivier, de votre cabinet, je pense: "Nous n'avons pas retenu, dans les
amendements à la Charte des droits et libertés de la personne, le
fait d'ajouter, à toutes les interdictions de discrimination, les
discriminations sur le fait qu'on a usé d'un droit civil." Par exemple,
aller à la régie. Actuellement, on est discriminé.
Donc, on avait fait une proposition et vous l'avez supprimée de
la Charte des droits et libertés de la personne. Là, on ne
retrouve pas cette expresse interdiction de faire un acte qui vise à
obliger quelqu'un à renoncer à ses droits civils. Où
va-t-on le trouver? On nous renvoie d'un projet de loi à un autre, d'une
structure législative à une autre. On n'est pas des avocats,
nous. On veut pouvoir trouver quelque part, à un moment donné,
quelque chose pour aller devant les tribunaux. Il y a des trous. En tout cas,
ce qui nous fait peur dans tout cela et notre inquiétude - je vais
partir de cette commission encore plus inquiet que je ne l'étais
tantôt - sera d'autant plus grande qu'il nous semble que les membres de
cette commission ne semblent pas voir les changements des structures de
pouvoirs que les nouvelles technologies vont amener dans notre
société...
M. Bédard: Je peux vous dire...
M. Vallée: ...et qu'il faut qu'il y ait des
éléments dans le Code civil.
M. Bédard: ...au nom des membres de la commission de ce
côté-ci de la table, que, franchement, il ne faut pas charrier non
plus. Je pense que nous sommes sensibles à des réalités
sociales autant que vous pouvez l'être. Je crois que lorsque vous avez
été entendu, vous l'avez été d'une façon
respectueuse et, non seulement respectueuse, mais d'une façon
intelligente. Qu'on ne soit pas en mesure de livrer toute la marchandise par
rapport à ce que vous demandez, je pense que cela ne vous permet pas de
tirer la conclusion que les gens qui vous entendent ne vous ont pas compris ou
ne veulent pas vous comprendre. En tout cas, ce n'est pas du tout mon attitude
et je voudrais que ce soit clair de ce côté. On ne diffère
même pas d'opinion, fondamentalement, par rapport à l'importance
du phénomène que vous avez évoqué. Personne ici
autour de cette table n'a exprimé, de quelque manière que ce
soit, que vos représentations manquent de sérieux ou quoi que ce
soit. Loin de là, non.
Mais avant de tirer des conclusions que nous n'avons pas compris ou
n'avons pas voulu comprendre... Quand vous nous dites que vous partez un peu
plus inquiets, je suis bien prêt à essayer, avec tous les membres
de la commission, de vous rassurer sur certains aspects. Ce que je vous ai dit,
c'est qu'on est en train de traiter du droit civil, de certains principes
généraux, de principes généraux qui, à ce
moment, à partir de situations, peuvent permettre d'aller devant les
tribunaux. On ne peut pas, comme a dit le député de D'Arcy McGee,
présumer de ce que sera l'interprétation des tribunaux, de ce que
seront les jugements des tribunaux. Si, par exemple, vous décidiez
demain, à partir des préoccupations que vous avez
évoquées, d'aller devant les tribunaux et d'invoquer les articles
concernant l'exercice des droits civils, l'article 35 que je vous ai
mentionné ou d'autres, on ne peut pas présumer quelles
seraient les décisions des tribunaux, mais je pense que cela
représente des principes généraux auxquels on peut
s'attacher d'une façon très solide pour essayer de faire valoir
chacun nos points de vue par rapport à nos sujets de
préoccupation.
Le Président (M. Blouin): M. le député de...
M. le ministre.
M. Bédard: Maintenant, peut-être, si vous me
permettez une chose, vous savez, une petite question. Vous connaissez M. Philip
Edmonston sans doute, qui s'occupe de la protection des automobilistes et qui,
à un moment donné, fait des enquêtes et indique
régulièrement à l'ensemble de la population qu'on doit
aller à tel garage et ne pas aller à tel autre garage; autrement
dit, c'est une sorte de liste noire des garages. De lui-même, il
décide d'une liste noire des garages. Est-ce que vous...
M. Cusson: Dans le cas présent où le logement est
un droit essentiel pour la population et où le taux de vacance est
extrêmement bas dans les quartiers populaires, une liste noire des
propriétaires entre les mains des locataires ne voudrait pas dire
grand-chose parce que le logement est une chose tellement essentielle qu'une
liste noire de mauvais propriétaires ne servirait à rien.
M. Bédard: D'accord! Restons-en au plan des principes. Je
pense que c'est là qu'on peut essayer de voir comment on peut se
rejoindre. Je vous pose la question: Est-ce que vous acceptez, par exemple,
cette initiative... je parlais de Philip Edmonston, cela peut être toutes
sortes d'autres initiatives que vous pouvez avoir à l'esprit et qui
proviennent de motifs très louables, d'y aller de listes noires, non pas
de propriétaires ou de locataires, mais de listes noires par rapport
à des services qui sont rendus à l'ensemble d'une population;
est-ce que vous acceptez ce principe?
M. Vallée: II semble qu'il y ait une très grande
différence entre...
M. Bédard: Non, je...
M. Vallée: ...le droit à l'existence des garages et
à leur compétence, et le droit...
M. Bédard: Je ne vous parle pas des garages.
M. Vallée: Non, mais il y a une différence entre
les listes. Il me semble qu'on parle de la vie privée et de la
réputation. Il y a quelqu'un qui, publiquement, offre un service. Ce
service est jugé pas bon.
M. Bédard: Oui, puis, lorsqu'on parle d'un garage qui
appartient à une personne en particulier et non pas à une
corporation; cela existe des individus qui sont propriétaires...
M. Vallée: Mais c'est public.
M. Bédard: ...d'entreprise. Cela existe une
réputation pour...
M. Vallée: II y a une première différence.
C'est que cette liste est publique aussi.
M. Bédard: ...ces gens-là, mais si vous permettez,
je ne voudrais pas...
M. Vallée: D'accord!
M. Bédard: ...qu'on s'en tienne...
M. Vallée: Non, non.
M. Bédard: Vous avez parlé des locateurs et
locataires. Là, je vous parle et je vous donne même un exemple
concernant les réparateurs d'autos. Je ne veux pas qu'on discute d'autos
ni des locateurs...
M. Vallée: Non, non.
M. Bédard: ...je vous demande au niveau des principes,
liste noire, que ce soit... Autrement dit, accepteriez-vous une liste noire des
propriétaires par rapport à une liste noire des locataires ou si
sur le plan des principes vous bannissez les deux?
M. Cusson: Les principes sont différents parce que les
deux biens en question sont différents. On a entre les mains des besoins
qui ne sont pas essentiels et des besoins qui sont fondamentalement
essentiels.
M. Bédard: Ah oui, mais on n'est pas...
M. Vallée: Je peux vous donner une autre
différence.
M. Bédard: Oublions les besoins essentiels par rapport aux
besoins non essentiels.
M. Vallée: D'accord:
M. Bédard: Disons des besoins normaux, est-ce que vous
acceptez...
M. Vallée: Je peux vous donner des...
M. Bédard: Est-ce que vous rejetez, que ce soit d'un
côté ou de l'autre, le principe de listes?
M. Vallée: Non, je ne rejette pas. Ce qu'on rejette, c'est
le principe de listes de
personnes quand nous discutons de la personne humaine. Nous ne discutons
pas de listes de services. J'ai le droit de savoir si quelqu'un donne un bon
service ou un mauvais service. Les listes noires de locataires, les listes
noires d'employeurs, les listes noires de consommateurs, contiennent des
renseignements personnels, non pas sur le service que donne la personne, mais
sur son caractère, sur le nombre de fois qu'il a été
à la régie ou au tribunal, sur sa condition sociale, sur ses
possessions, sur la façon dont il se comporte avec ses voisins, ce que
pensent ses voisins de cette personne. Cela n'a rien à voir avec un
service.
M. Bédard: Si vous permettez...
M. Vallée: Le principe des listes noires, je vous dis oui;
le principe des listes noires sur les personnes, je vous dis non.
M. Bédard: Si vous parlez de services, est-ce que vous
accepteriez le principe d'une liste, qu'on l'appelle noire ou blanche, qui
indique quels sont les propriétaires qui donnent de bons services
à leurs locataires par rapport à des propriétaires qui
donnent de mauvais services à leurs locataires?
M. Péladeau: À condition qu'elle soit publique,
qu'il y ait possibilité de la corriger, parce que, présentement,
la liste de M. Edmonston est publique. Tout le monde peut la corriger. On peut
même poursuivre M. Edmonston dans ce cas. Présentement, il n'y a
même pas de preuve possible, parce qu'on ne sait même pas si on est
fiché et, en plus de cela, l'information étant de l'information
électronique, c'est du courant et des impulsions électriques
qu'on peut facilement faire disparaître d'un ordinateur.
M. Bédard: Très bien, je pense que dans
l'ensemble...
M. Péladeau: Ce sont des conditions.
M. Bédard: ...on en est rendu à ce que peut
être une liste publique par rapport à une liste non publique. En
fait, je sais que le sujet est extrêmement large. Je crois que cela devra
déboucher tôt ou tard, malgré la complexité, sur une
loi en fonction de tout ce qu'on peut appeler les banques de données,
les banques d'informations, etc. Même si je vous disais qu'on peut
trouver la solution à tout cela dans le Code civil, même dans la
Charte des droits et libertés de la personne, je crois que, comme vous
le dites, les situations évoluent très rapidement. On a
peut-être la chance d'être à l'avant-garde ici, au
Québec, par rapport à des phénomènes qu'on observe
beaucoup plus -comme vous l'avez expliqué - aux États-Unis,
où on voit l'ampleur que tout ce problème peut prendre.
Peut-être qu'une loi spécifique sera nécessaire.
M. Marx: J'aurais seulement un mot à dire, M. le
Président. Je trouve que le problème qui a été
soulevé est un problème très important. Vos solutions
comportent des idées qui font leur chemin, si je peux m'exprimer ainsi,
et c'est sûr que de nouvelles technologies vont exiger de nouvelles lois,
le cas échéant; je pense que c'est évident. Je pense que
vous devez - si je peux le dire - diviser votre intervention en deux temps.
Premièrement, il y a la banque de données. C'est un
problème qu'il serait peut-être nécessaire de revoir et il
faudra légiférer en ce qui concerne les banques de
données. Deuxièmement, la liste noire des propriétaires...
(18 heures)
Le Président (M. Blouin): Je m'excuse, M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Consentement.
Le Président (M. Blouin): Je dois maintenant recueillir le
consentement des membres de la commission pour que nous excédions
quelque peu...
M. Bédard: Pour un mémoire qu'il nous reste
à entendre, d'accord.
M. Marx: Oui, il n'y a pas de problème.
Le Président (M. Blouin): D'accord. Vous voulez
poursuivre?
M. Marx: Je parlais de la liste noire des propriétaires.
Je pense qu'il y a deux problèmes qui sont un peu différents. Ce
n'est pas fini. Comme vous le faites aujourd'hui, il faut qu'on discute de cela
sur la place publique et qu'on fasse des pressions sur le gouvernement et sur
l'Opposition pour avoir des changements. Je pense que ce n'est pas dans le
cadre de cette révision du Code civil qu'on pourrait vraiment
espérer avoir des modifications.
M. Bédard: En terminant, on peut vous assurer que, non
seulement à la lumière du contenu de votre mémoire, mais
aussi de l'échange que nous avons eu et que je crois positif, même
si, sur certains aspects, cela peut sembler contradictoire, ce que je ne crois
pas, nous allons essayer de voir comment nous pourrions resserrer tout cela au
niveau des principes. Déjà, on s'entend qu'on ne peut pas y faire
mention de locateurs et de locataires comme tels. Je pense que vous ne l'avez
pas demandé, non plus; cela est bien clair. On va essayer de voir
jusqu'à quel point il pourrait y avoir un travail de fait qui pourrait
nous permettre de présumer que des tribunaux pourraient se
rattacher à certains principes généraux pour en
arriver à des décisions qui puissent être de nature
à améliorer, parce que c'est votre objectif, en fait, la
qualité de vie des citoyens.
Le Président (M. Blouin): Alors, en concluant, M. le
député de D'Arcy McGee.
M. Marx: Dernière question. Avez-vous fait une
étude comparée? Est-ce que ces listes existent dans d'autres
juridictions et est-ce que les législateurs sont intervenus pour
légiférer contre ces listes et les banques de données dans
d'autres provinces ou aux États-Unis?
M. Péladeau: Ce qu'on peut dire, pour ce qui est de
l'existence de listes, c'est qu'on sait que les seules qu'on connaisse, ce sont
les listes de locataires et elles existent aussi en Nouvelle-Écosse,
comme on le disait, et dans les Maritimes. On ne connaît pas très
bien la législation là-bas. Ce qu'on sait, c'est qu'en
général la plupart des pays qui sont membres de l'OCDE sont
intervenus là-dessus, y compris le Canada, et ils ont même
accepté des lignes directrices concernant la protection de la vie
privée et les flux transfrontières de données. En Europe,
la majorité des Parlements sont intervenus là-dessus; les
États-Unis, l'Australie ont une législation assez
élaborée là-dessus. On est en train de développer,
on veut d'abord approfondir parce que là, présentement, il faut
analyser l'ensemble des banques de données dans le secteur des
locataires, non seulement chez les associations de propriétaires, mais
aussi du côté des entreprises privées. Et on va
développer aussi l'analyse du côté de la consommation et du
travail. C'est une étude qui nous essoufle, qui prend beaucoup de
temps.
M. Vallée: Personne ne nous aide pour faire cela.
M. Marx: Vous pouvez demander une subvention au ministère,
on va vous appuyer.
M. Bédard: On va en prendre bonne note de ce
côté-là. Effectivement, vous travaillez dans un secteur
d'activité qui intéresse beaucoup de gens. Merci.
Le Président (M. Blouin): Vous avez quelque chose à
ajouter, rapidement, M. Vallée, en conclusion? Non?
M. Cusson: On peut peut-être expliquer un peu notre
déception en disant qu'on se fait "barouetter" d'un ministère
à l'autre à propos de ce fameux problème des banques de
données. Au ministère de l'Habitation, on nous renvoie à
la protection du consommateur et d'un bord à l'autre, à la
Commission des droits de la personne. M. Jean-François Bertrand, dans
une assemblée publique à Québec, a dit: Vous pourrez
trouver une solution à vos problèmes lors de la commission
parlementaire sur la loi 106. C'est ce qui explique notre déception
à ce sujet.
Le Président (M. Blouin): Je crois, quand même, que
vous avez réussi à porter à la considération des
membres de cette commission les préoccupations qui sont les vôtres
et celles des gens que vous représentez, et je vous remercie
d'être venus faire part de ces importantes interventions.
M. Vallée: Merci.
Le Président (M. Blouin): Alors, tel que convenu, nous
allons maintenant inviter les représentants de l'Association pour la
promotion des droits des handicapés (Jonquière, Arvida,
Kénogami) et ceux de l'Association pour le développement de
l'handicapé intellectuel du Saguenay à venir s'asseoir à
la table des invités.
Enfin, vous n'ignorez pas que nous avons déjà
excédé de quelques minutes le temps qui était prévu
pour le déroulement de cette commission. Si vous voulez, nous allons
suspendre nos travaux pour quelques minutes.
Des voix: Non, non, non.
Le Président (M. Blouin): Non? Alors, puisque tout le
monde est au poste, nous allons donc procéder. Je vous demanderais
d'abord de vous identifier et d'identifier les personnes qui vous
accompagnent.
Association pour la promotion des droits des
handicapés (J.A.K.) et
Association pour le développement de
l'handicapé intellectuel du Saguenay
Mme Brière-Ruest (Lise): Permettez-moi de me
présenter. Je suis Lise Brière, présidente de
l'Association pour la promotion des droits des personnes handicapées.
À ma gauche, Mme Sylvianne Saint-Pierre, membre du conseil
d'administration de la même association; à l'extrême droite,
Mme Stella Harvey, secrétaire permanente de l'Association pour le
développement de l'handicapé intellectuel du Saguenay et,
à ma droite, Mme Madeleine Girard, présidente de l'Association
pour le développement de l'handicapé intellectuel. Je dois vous
dire que nous sommes quatre parents d'enfants handicapés. Cela, c'est
important.
Le Président (M. Blouin): Oui.
Mme Brière-Ruest: Alors, nous vous
d'apporter notre point de vue sur la loi 106. C'est l'aspect
stérilisation qui nous préoccupe. C'est bien modestement que nous
présentons cet avis. Ce n'est pas un mémoire
préparé par des spécialistes, mais cela se veut une
consultation de parents vivant le problème quotidiennement avec des
personnes déficientes mentales. Nous croyons que les parents sont
souvent délaissés, voire même ignorés lorsqu'il
s'agit de prendre des décisions importantes concernant les personnes
handicapées.
La stérilisation des personnes déficientes mentales fait
l'objet de nombreuses discussions depuis un certain nombre d'années et
plusieurs groupes se sont déjà prononcés sur ce sujet par
des mémoires et des avis de toutes sortes. Les deux associations qui
présentent cet avis sont des associations de parents d'enfants
handicapés mentalement à des degrés divers. Nous sentons
le besoin de réagir à ce moment-ci du débat, puisqu'il
nous apparaît que les groupes et le gouvernement, avant même de
prendre une décision en ce qui concerne le projet de loi no 106 sur la
réforme du Code civil, devraient prendre en considération
d'autres aspects que ceux soulevés par le Barreau du Québec, le
Curateur public et d'autres organismes.
C'est l'opinion de nos deux associations de parents que vous trouverez
dans les prochaines pages, ainsi qu'une proposition ayant fait
l'unanimité parmi les membres des deux groupes. Nous faisons abstraction
de toutes les définitions de la déficience mentale. Nous ne
croyons pas nécessaire de rappeler les diverses classifications qui vous
sont très certainement connues puisque toujours utilisées dans
les écrits qui sont portés à votre attention dans les
présents travaux. Nous vous rappelons, cependant, que le problème
qui est ici soulevé met en cause des personnes déficientes
mentales pour qui une demande de stérilisation non thérapeutique
est faite et pour qui un doute quant à leur possibilité de
consentir existe. Pour toutes les autres personnes douées de
discernement, il va sans dire que seule leur décision doit être
prise en considération, qu'elles soient déficientes mentales ou
non.
Il est également important de garder à l'esprit que nous
ne parlons pas des personnes atteintes de maladies mentales, mais bien des
personnes vivant avec une déficience mentale. Dans le premier cas, les
personnes sont atteintes, pour un temps plus ou moins long, d'une maladie
réversible, alors que, pour les personnes vivant avec une
déficience mentale, il s'agit d'un état permanent et significatif
irréversible. Nous ne disons pas qu'elles sont incapables
d'amélioration, mais nous savons que, jusqu'à ce jour, il n'y a
pas de guérison.
Notre position. Dans certains cas, et pour les raisons
précisées ultérieurement, nos deux associations sont
d'accord sur le principe de la stérilisation de certaines personnes
déficientes mentales non capables de donner leur consentement et pour
qui la demande est faite par un tiers. Nous croyons que, pour la protection de
ces personnes et dans leur intérêt, de même que dans le but
de sauvegarder leur intimité, il est nécessaire qu'un
mécanisme soit mis en place et que ce mécanisme soit le plus
proche possible de la personne pour qui une demande est faite et qu'elle ne
soit pas privée du support de ses proches. Le mécanisme que nous
proposons dans les prochaines pages a aussi pour but d'éviter toute
décision arbitraire et non éclairée, de même que les
abus possibles.
Nous considérons qu'une demande de stérilisation est
recevable quand elle est faite dans l'intérêt de la personne
handicapée. Pour nos associations, l'intérêt de la personne
déficiente mentale dépend de beaucoup d'autres facteurs que de
celui relié à sa fertilité ou au contrôle de
celle-ci. En effet, l'intérêt de la personne est également
d'avoir la possibilité de vivre le plus harmonieusement possible dans un
milieu serein et avec des gens qui ne la perçoivent pas comme une
charge, mais comme un membre à part entière de leur groupe.
L'intérêt de la personne, c'est aussi de pouvoir participer
à la vie collective et cela, en toute confiance. Malheureusement, les
dangers d'être abusé sont toujours présents et, comme les
personnes dont il est question sont incapables d'y faire échec, nous
devons les entourer de protection, quand ce n'est pas de surprotection.
Dans ce débat, des professionnels ont mis en doute la bonne
volonté des proches de la personne déficiente mentale. Même
le Curateur public prétend que seuls les proches profiteraient d'une
telle mesure. M. le curateur s'est-il demandé ce qu'il adviendrait du
bébé né d'une mère déficiente mentale
incapable d'en prendre soin? Bien que cet argument ne semble pas peser lourd
dans la balance de certains organismes, nous croyons sincèrement que
vous devez en tenir compte. Il ne s'agit pas d'alléger la tâche
des personnes qui s'occupent d'une personne déficiente mentale, mais il
ne faudrait pas que des mesures juridiques aient pour effet de l'alourdir.
Il ne faut pas perdre de vue que nous parlons de personnes qui ont
besoin d'assistance pour la majorité des actes de leur vie. La
tâche et les responsabilités qui incombent à ces personnes
sont déjà terriblement lourdes. Nous croyons que, avec un
règlement ou une loi trop rigide, nous ferons échec à la
normalisation, car beaucoup de parents se verront placés devant
l'impossibilité d'assumer toutes les responsabilités que leur
imposera une société aux lois étanches.
L'intérêt de la personne déficiente mentale, c'est
aussi de pouvoir vivre dans un milieu où on la respecte. Or, il devient
difficile de conserver du respect pour quelqu'un quand, pour toutes les
décisions qui entourent sa vie, nous devons affronter le système
judiciaire - ce qui a pour effet d'opposer les parents et leurs enfants ou le
tuteur et ses protégés - et quand l'intimité des enfants
est sur la place publique et soumise aux discussions d'une population.
Nous croyons donc qu'aucun autre intérêt que celui de la
personne déficiente ne peut être surpassé en reconnaissant
que certains droits devraient être accordés aux personnes qui
assument les responsabilités des actes des personnes déficientes
mentales qui sont incapables de les assumer.
Lorsqu'une demande de stérilisation est faite pour une personne
déficiente mentale par un tiers et qu'un doute existe sur sa
capacité de consentir, nous devons procéder à une
évaluation de cette capacité. Qui peut en juger? Nous croyons
qu'une personne déficiente mentale pour qui un tel doute existe ne doit
pas être privée de l'aide de ses proches et doit, par ailleurs,
jouir de toute la protection que nécessite son état, dans le plus
grand respect de son intimité.
Mieux que quiconque, les parents ou les proches de la personne
déficiente mentale qui ont vécu en milieu familial ou ailleurs
sont en mesure de donner une appréciation juste et équitable.
Leur expérience ne doit pas être ignorée. Aucun
mécanisme ne doit opposer ces personnes, risque que nous croyons
justifié quand nous parlons d'un système judiciaire. Nous sommes
conscientes que des dangers pourraient exister si seuls les parents ou les
proches avaient ce mandat. Aussi, nous proposons, au prochain article, un
mécanisme que nous croyons humain et responsable.
Mécanisme proposé. Pour toutes les raisons
énumérées précédemment, nos associations
proposent que le gouvernement accepte le principe de la stérilisation
non thérapeutique, non volontaire pour certaines personnes
déficientes mentales non douées de discernement, qu'un
comité de type familial ou tutoral soit alors établi, que ce
comité ait pleine autorité quant à la décision
relative à la capacité de consentir de la personne pour qui la
demande est faite et que ce soit ce même comité qui décide
quant à l'autorisation de stériliser ou pas. (18 h 15)
Un tel comité pourrait être formé comme suit: la
personne déficiente mentale pour qui une demande est faite; les parents
ou, à défaut, le tuteur ou le curateur; une personne travaillant
auprès de la personne déficiente mentale ou, à
défaut, une personne connaissant la problématique; une
personne-ressource venant d'une centre de planning ou d'un organisme
spécialisé en matière de planning; une personne venant
d'une association de défense des droits des personnes
handicapées. Nous croyons qu'un mécanisme, tel que
proposé, serait en mesure de prendre une décision
éclairée et responsable et que cette décision devrait
être respectée, soit sous la forme d'une homologation faite par un
juge ou sous une autre forme.
Mise à part la position du Curateur public, il semble que la
plupart des organismes soient en accord avec le principe de la
stérilisation. Cependant, il reste un bon bout de chemin à faire
afin de se rejoindre sur les notions de responsabilité,
d'intérêts et en matière de mécanismes. Nous
souhaitons que l'opinion que nous vous livrons soit prise en
considération. Elle est née de l'expérience et du
vécu de parents responsables et intéressés. Nous ne
voulons pas une fois de plus faire les frais d'une philosophie ou d'un nouveau
mode de pensée. Nous voulons que les législateurs tiennent compte
du vécu quotidien des gens et de la réalité.
Le Président (M. Blouin): Merci beaucoup, Mme
Brière.
Je cède la parole au ministre de la Justice. M. le ministre.
M. Bédard: Je salue Mme Brière, de même que
celles qui l'accompagnent, toutes originaires de la région du
Saguenay-Lac-Saint-Jean.
M. Marx: C'est pourquoi on les entend après six
heures.
M. Bédard: Je sais très bien ne pas être
partisan en disant, au nom des membres de la commission, que nous sommes
très heureux de la communication que vous avez faite aux membres de la
commission sur un problème aussi important que le développement
du handicapé intellectuel. Ce témoignage est d'autant plus
important, comme vous l'avez mentionné vous-mêmes, que vous
êtes responsables, mères de handicapés. Ce vécu
quotidien avec des personnes qui, au premier chef, doivent retenir l'attention
du législateur en termes de protection donne à votre
témoignage un relief de toute première importance. Vous l'avez
à juste titre mentionné: Cette commission n'est pas ici seulement
pour entendre des spécialistes, loin de là; on doit être au
contact surtout des personnes qui ont à vivre quotidiennement des
situations auxquelles on peut apporter des améliorations au plan
législatif. Ce vécu quotidien - je le crois et je vous le dis
sincèrement et je sais que tous les membres de la commission partagent
cette opinion - ces témoignages représentent souvent un poids
énorme dans la prise de décision finale. Vous pouvez compter
d'avance que, tel que vous le demandez,
l'ensemble de vos représentations sera pris en très bonne
considération.
En ce qui concerne les questions - non pas que je croie être
taxé de partisanerie si je pose des questions à des gens de ma
région - j'ai tenu sur cet aspect particulier à demander la
collaboration de mon collègue, le ministre délégué
aux Relations avec les citoyens, dont vous connaissez la profession, qui, j'en
suis convaincu, sera très heureux d'engager le dialogue avec vous,
quitte à revenir avec d'autres questions si nécessaire.
Le Président (M. Blouin): Merci beaucoup.
M. Lazure: Je veux me réjouir du travail qui nous est
présenté par le groupe du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Pour
l'édification de mes collègues députés des deux
côtés, c'est une des 510 associations de personnes
handicapées ou de représentants de personnes handicapées
qui sont très actives au Québec actuellement, très
florissantes. Je ne vous cache pas ma sympathie pour la formule que vous
proposez. Aux Affaires sociales on avait eu, il y a à peu près
trois ans, une recommandation un peu semblable venant du Comité de la
santé mentale, un comité formé de représentants de
plusieurs disciplines en sciences humaines.
Je fais une comparaison. Dans le Code criminel, qui est une loi
fédérale qui permet l'avortement thérapeutique, il est
stipulé qu'un comité médical doit se prononcer. Toute
comparaison est un peu boiteuse, mais je voudrais quand même, pour la
réflexion de tout le monde, qu'on y pense. Le législateur,
fédéral ou provincial, peu importe, n'a pas cru bon dans le cas
d'avortements de recourir au tribunal, soit pour entériner la
recommandation d'un comité médical ou pour prendre la
décision lui-même. Alors, je me demande pourquoi on aurait besoin
nécessairement de recourir au tribunal.
Il y a peut-être là place pour une formule entre les deux,
mais ma tendance va beaucoup plus vers la formule que vous proposez que celle
qui est contenue dans le projet. Je pense qu'il faut que, dans ce comité
de type familial, de type tutoral, non seulement on s'assure de la
présence de personnes compétentes en sciences humaines aussi bien
qu'en sciences médicales, si je peux dire, mais aussi de personnes qui
aient une position neutre par rapport aux intérêts qu'il faut
départager, parfois les intérêts parentaux et les
intérêts de l'enfant, de la fille en question ou - c'est ce que
j'allais dire - du garçon en question aussi.
Il faudrait que, dans un tel comité, on soit assuré que ce
ne serait pas nécessairement les intérêts des parents qui
primeraient toujours sur les intérêts de l'enfant en question,
garçon ou fille. Connaissant l'influence que des parents peuvent avoir
sur de jeunes adultes déficients mentaux, qui sont déficients au
point de ne pas avoir de discernement, il faudrait craindre que l'influence
parentale ne soit massive par rapport à l'influence des autres membres
du comité en question.
Je veux donc simplement souligner que c'est un son de cloche, comme vous
l'avez dit vous-même, que plusieurs groupements ont fait valoir depuis
quelque temps. Je pense qu'il faut s'y arrêter, l'étudier
très attentivement et peut-être maintenir un lien quelconque avec
le tribunal. Je ne sais pas quel lien il faudrait maintenir dans un certain
nombre de cas bien précis et non pas pour l'ensemble des cas.
Je veux, moi aussi, comme le député de Chicoutimi, vous
féliciter pour votre patience, pour le travail que vous nous
présentez et je vous remercie de votre présence.
M. Bédard: J'ai une question. Vous parlez d'un
comité. On essaie d'en discuter le plus librement possible. On fait
référence au tribunal dans le projet de loi. Vous n'auriez
sûrement pas objection... Disons que ce n'est pas de décisions
dont on parle; j'essaie de voir comment on pourrait concilier la
présence nécessaire d'un tribunal par rapport à la formule
que vous présentez. Est-ce que vous auriez objection, lorsqu'il n'y a
pas unanimité dans le comité que vous nous décrivez,
à ce qu'à ce moment il y ait lieu d'aller devant le tribunal?
Mme Saint-Pierre (Sylvianne): Quant à moi, j'ai peur du
tribunal.
Mme Brière-Ruest: Moi aussi, j'ai peur du tribunal. Il est
là, mais...
M. Bédard: Oublions le tribunal. Une voix: Oui.
M. Bédard: À partir du moment où vous avez
un comité où tous les membres sont égaux...
Mme Brière-Ruest: On n'a pas besoin du tribunal.
M. Bédard: ...où chacun a droit à son
opinion, où ne se dégage pas une opinion d'unanimité, il
faut bien chercher un arbitre. Ce ne sera pas le ministre de la Justice ni,
avec tout le respect que j'ai, mon collègue de l'Opposition; je pense
qu'il faut recourir à une institution qui est là. Même si
on en a peur, je pense qu'on doit en reconnaître l'importance par rapport
à l'ensemble d'une société. Est-ce que je peux comprendre
en principe, sans se figer dans le ciment, ni de votre part ni de la mienne -
je veux être bien clair - que, lorsqu'il n'y a pas
unanimité, il n'y a pas d'objection à ce que le tribunal
puisse se prononcer?
Mme Brière-Ruest: II faudrait que ce soit dans des cas
extrêmes.
M. Bédard: Lorsqu'il n'y a pas unanimité...
Mme Brière-Ruest: Dans des situations très
précises de curatelle...
M. Bédard: ...ou dans des situations...
Mme Brière-Ruest: ...alors que des personnes sont vraiment
incapables de prendre des décisions, quand tout a été bien
analysé.
M. Bédard: Enfin!
M. Laurin: C'est à regarder.
Le Président (M. Blouin): Oui, madame.
Mme Girard (Madeleine): Normalement, les parents qui vivent la
situation sont les meilleurs juges, à mon avis.
M. Bédard: Oui, mais il se peut que les meilleurs juges ne
soient pas d'accord. À un moment donné, même si on part du
principe qu'il n'y a dans ce comité que des parents de handicapés
vivant des expériences similaires, il se peut qu'on diverge d'opinion
sur les moyens à prendre. Vous conviendrez avec moi qu'il faut quelqu'un
pour décider. Il faut quand même penser...
Mme Brière-Ruest: À d'autres mécanismes.
M. Bédard: ...à un arbitre, si je peux employer
l'expression, qui, à ce moment-là, serait le tribunal.
Mme Brière-Ruest: Oui, mais il faudrait quand même
faire attention dans le choix parce qu'on se rend compte souvent qu'on ne fait
pas de différence entre la déficience mentale et la maladie
mentale.
M. Bédard: J'ai vu ce que vous avez souligné.
Mme Brière-Ruest: Je trouve cela très important et
j'espère que vous allez réfléchir là-dessus. Un
déficient mental, c'est un état de vie, c'est quelqu'un qui est
comme ça, tandis qu'une maladie, c'est passager.
M. Bédard: Je pense que vous l'avez bien expliqué
dans votre mémoire.
Mme Brière-Ruest: On l'a dit, mais on voudrait quand
même que vous y attachiez de l'importance.
M. Bédard: Soyez-en convaincue.
Mme Girard: On ne pense pas qu'il y ait des handicapés
intellectuels déficients qui soient capables de juger eux-mêmes de
la décision. Je ne sais pas s'il y en a, mais c'est très
rare.
Mme Brière-Ruest: Oui, c'est très rare.
Le Président (M. Blouin): M. le député de
D'Arcy McGee.
M. Marx: Le problème que vous avez soulevé l'a
été dans beaucoup d'autres mémoires et nous aurons
l'occasion d'entendre beaucoup d'autres témoins sur ce point, parce que
je pense que c'est un point très important. Il va sans dire que nous
avons tous les mêmes soucis, c'est-à-dire qu'on veut prendre
toutes les précautions nécessaires pour être sûrs que
c'est la bonne décision et qu'on ne fait pas d'erreur. C'est plus ou
moins normal qu'à l'Assemblée nationale on pense au tribunal,
qu'on pense au juge pour décider afin, comment dirais-je, que ce soit
officiel. Je ne pense pas qu'il faille avoir peur des tribunaux et des juges.
De toute façon, on va bientôt nommer juge un ancien
député de votre région.
M. Bédard: De quoi parlez-vous? M. Marx: Non, de
rien.
M. Bédard: J'espère que vous ne voulez pas
assimiler les juges...
M. Marx: Non, je veux dire que les juges sont des gens qu'on
connaît; il ne faut pas avoir peur des tribunaux ni des juges.
Le ministre vous a posé une question: S'il y a une dissidence au
niveau du comité, que penseriez-vous du fait que ce soit
homologué par le tribunal? On peut prévoir une autre
possibilité; que ce soit décidé par un comité, mais
il faut que ce soit homologué ou entériné par le tribunal.
Ce peut être une autre façon de régler ce
problème.
Mais j'insiste sur le point que vous avez souligné et que je
crois très important: en venir à ce que tout le processus ne soit
pas trop lourd. C'est ça, le problème, que ce ne soit pas trop
lourd. Ce peut être moins lourd devant un tribunal que devant un
comité. Ce n'est pas sûr que ce serait souple et qu'on aurait un
processus rapide devant un comité. Vous comprenez ce que je veux
dire?
Mme Brière-Ruest: Oui, je comprends très bien ce
que vous voulez dire. Mme Saint-Pierre va réagir, mais je ne suis pas
d'accord avec ce que vous dites, de toute
façon.
Mme Saint-Pierre: On a déjà eu des problèmes
et on a conclu que, si c'était un juge - je pense que cela a
déjà été mentionné devant une commission -
on va devant tel juge parce qu'il a l'esprit plus ouvert qu'un autre. Si vous
avez le malheur... Il ne faut pas oublier, non plus, que les parents sont
souvent émotifs. On nous accuse d'être émotifs. Je pense
que, quand on est parents d'un enfant handicapé, c'est vrai qu'on est
émotifs. Si on arrive devant un juge qui est très
sévère, je dirais même étroit d'esprit, beaucoup de
parents peuvent se sentir vraiment démunis et ne pas savoir se
défendre, tandis que, si c'est un juge qui a l'esprit ouvert, qui
comprend le problème du déficient mental, c'est plus facile. (18
h 30)
Mme Brière-Ruest: II a déjà des
données, il a déjà quelque chose quand même devant
lui. Il n'arrive pas tout seul comme cela pour avoir à décider
si, oui ou non, on fait une stérilisation. C'est quand même
important.
M. Marx: Le juge doit motiver sa décision. Il faut avoir
une raison pour refuser ou pour accorder ce qui est demandé. Je pense
que, dans les faits, ce n'est peut-être pas comme vous imaginez que ce
sera. C'est le juge, comme le ministre l'a dit, qui sera l'arbitre, qui va
recueillir toute l'information, toute l'expertise, qui va avoir l'avis des
parents et ainsi de suite. À la fin, c'est le juge qui va prendre la
décision. Si cela n'est pas un processus lourd, je pense que cela
pourrait bien répondre à vos exigences.
M. Bédard: Je pense que personne ici ne vous reprochera
d'être émotifs lorsque vous parlez du sujet. Cela me semble tout
à fait normal et humainement explicable. La situation que vous
évoquez, qu'il peut y avoir différentes perceptions de ces
problèmes selon les juges, tout en reconnaissant la bonne foi de tout le
monde, je pense que cela existe et vous le mentionnez à bon droit. Je
vous demande aussi d'y réfléchir en pensant que, vous le savez,
c'est une décision extrêmement importante. En plus de cela, les
personnes qui ont à prendre cette décision importante pour un
tiers, le législateur doit penser, quelles que soient ces personnes,
à leur assurer quand même une certaine protection pour qu'elles ne
soient pas l'objet, après cela, de poursuites en
dommages-intérêts pour avoir pris la mauvaise décision,
etc. Je pense que c'est à tout cela qu'il faut réfléchir
ensemble.
Je vous dirais d'essayer de compléter la réflexion que
vous avez déjà entreprise - qui est très avancée,
parce que vous nous proposez des choses - à partir de certaines
questions que, je pense, nous devions vous poser, quitte à pouvoir
échanger encore à nouveau. Je pense que vous résumez
presque toute votre préoccupation ou le fondement de votre
préoccupation - c'est le point fort de votre mémoire, alors que
vous y allez de suggestions - quand vous dites: II ne s'agit pas
d'alléger la tâche des personnes qui s'occupent d'une personne
déficiente mentale, et on sait que c'est déjà une
tâche extrêmement lourde, mais, dites-vous, il ne faudrait pas que
des mesures légales aient pour effet de l'alourdir. Soyez sûres
que, là-dessus, nous partageons entièrement vos
préoccupations. En tout cas, si vous continuez la discussion, si vous
avez d'autres remarques à nous faire, n'hésitez pas à
communiquer, je dirais, avec le soussigné. Ce sera d'autant plus facile
qu'on demeure dans la même région. Merci beaucoup.
Mme Girard: Pour nous, c'était un mémoire, mais
c'étaient les sentiments des parents qu'on voulait vous dire dans ce
mémoire. Merci.
Le Président (M. Blouin): Avant d'ajourner nos travaux, je
vous rappelle que nous allons les reprendre demain, à 10 heures. Nous
avons, quand même, réussi à entendre cinq groupes
aujourd'hui. Nous allons tenter demain de procéder résolument et
avec célérité et, d'ici là, à demain, 10
heures. La commission élue permanente de la justice ajourne ses
travaux.
(Fin de la séance à 18 h 35)