(Onze heures vingt et une minutes)
Le Président (M.
Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît!
Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des
institutions ouverte.
La commission est réunie afin de poursuivre les
auditions publiques dans le cadre des consultations particulières sur le projet
de loi n° 2, Loi portant sur la réforme du droit de la famille en matière
de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la personnalité
et d'état civil.
Avant de débuter, Mme la secrétaire, y a-t-il
des remplacements?
La Secrétaire : Oui, M. le
Président. Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce) est remplacée par Mme Maccarone
(Westmount—Saint-Louis)
et M. Zanetti (Jean-Lesage) est remplacé par M. Leduc
(Hochelaga-Maisonneuve).
Le Président (M.
Bachand) : Merci. Également, y a-t-il consentement pour
permettre à la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques de participer à nos travaux?
Consentement. Merci beaucoup.
Auditions (suite)
Donc, ce matin, il nous fait plaisir
d'accueillir Mme Line Picard avec nos travaux ce matin. Merci beaucoup
d'être ici. Alors, comme vous le savez, vous avez 10 minutes de
présentation, puis après ça on aura un échange avec les membres de la
commission. Donc, immédiatement, je vous cède la parole. Puis, encore une fois,
merci d'être avec nous ce matin.
Mme Line Picard
Mme Picard (Line) : Merci beaucoup.
Alors, bonjour. Je m'appelle Line Picard. Je suis ici aujourd'hui pour
vous partager mon point de vue sur certains aspects du projet de loi qui
touchent la gestation pour autrui.
Je suis une enseignante à l'élémentaire depuis
plus de 19 ans. Je suis titulaire d'un baccalauréat en psychologie, un
baccalauréat en éducation et une maîtrise en counseling éducationnel.
Je suis également maman de deux grandes filles
de 14 et 16 ans, et j'ai eu l'immense honneur d'avoir la chance de vivre
l'expérience d'être mère porteuse gestationnelle à deux reprises. Je suis
l'auteure d'un livre intitulé Aventures au pays des cigognes, où je
raconte mon histoire et aussi où je tente de démystifier certains aspects moins
bien connus liés à la gestation pour autrui. J'ai aussi été très présente
depuis les 12 dernières années sur des forums d'appui pour les femmes
porteuses, où j'agis à titre de mentor. J'ai côtoyé plus d'une centaine de
mères porteuses et aussi des parents d'intention. Donc, ma perspective... la
perspective que je vais vous partager aujourd'hui s'appuie sur ces expériences.
Pour mieux comprendre ma perspective,
permettez-moi d'abord de vous partager les grandes lignes de mon projet, de mon
expérience. En 2009, quand j'étais âgée de 30 ans, mes enfants avaient
alors deux ans et quatre ans, j'ai choisi d'être mère porteuse
gestationnelle, c'est-à-dire porter les enfants de couples infertiles avec qui
je n'avais aucun lien génétique. J'ai pris cette décision pour des raisons
entièrement altruistes, après beaucoup de réflexion, de nombreuses recherches
et surtout après avoir eu l'assurance que j'aurais l'appui de ma famille et de
mes proches.
J'étais, à ce moment, résidente de l'Ontario, où
l'entente légale que j'avais établie avec les parents était reconnue par la
loi. À la suite d'un transfert d'embryons, je suis devenue enceinte de jumeaux
et j'ai donné naissance à deux garçons en 2010. L'expérience fut tellement
merveilleuse que j'ai choisi de la répéter environ un an plus tard. Donc, dans
des circonstances similaires, j'ai donné naissance en 2012 à une petite fille.
Ces expériences demeurent à ce jour parmi les
plus belles, les plus riches, les plus gratifiantes que j'ai eu la chance de
vivre. Il n'y a pas de mots pour décrire le bonheur et aussi la fierté de
réaliser qu'on a permis à des gens d'être parents. Les enfants que j'ai portés
sont aujourd'hui âgés de 11 ans et neuf ans. Je continue d'entretenir
des liens très spéciaux avec ces familles.
En ce qui concerne le projet de loi,
permettez-moi d'abord de dire que je suis vraiment très satisfaite et
particulièrement soulagée que le Québec ait finalement fait le choix d'encadrer
juridiquement cette pratique, et je suis en accord avec l'essentiel du projet
de loi. Le fait de mettre des balises légales à un phénomène qui existe déjà
depuis longtemps au Québec et qui se produit régulièrement malgré l'absence
d'encadrement légal est réellement une bonne chose pour toutes les personnes
impliquées, donc les femmes porteuses, les parents d'intention et surtout pour
les enfants qui vont naître de ce type de projet.
Permettez-moi toutefois d'exprimer mon désaccord
avec certains articles de la loi qui proposent que la gestatrice ait la
possibilité de refuser de consentir à la renonciation de son lien de filiation
avec l'enfant qu'elle aurait porté pour des parents
d'intention, et ce, jusqu'à 30 jours suivant la naissance de l'enfant. En
d'autres mots, on propose d'offrir à la mère porteuse le droit de changer
d'idée et de garder l'enfant.
J'aimerais insister sur un point important avec
lequel nous pouvons sans doute tous nous entendre ici et avec lequel toutes les
femmes porteuses que j'ai côtoyées ont toujours été fortement d'accord. Dans un
projet de gestation pour autrui, le meilleur intérêt de l'enfant devrait
toujours, toujours primer et être central à toute décision qui le concerne,
incluant l'établissement de la filiation. Donc, peu importe la nature du
projet, traditionnel ou gestationnel, il est
logique que dès la naissance la loi exige que la filiation soit automatiquement
accordée aux parents d'intention, ceux à qui appartient le projet
parental, et non à la gestatrice, qui n'a jamais eu l'intention d'être la mère
de cet enfant.
Dans le cas malheureux, bien que statistiquement
improbable au Canada, où une gestatrice changeait d'avis et manifestait le
désir de garder et élever l'enfant comme le sien, je suis convaincue qu'un
juge, et non la gestatrice elle-même, serait
mieux placé pour trancher sur la question et décider ce qui est réellement dans
le meilleur intérêt de l'enfant. Ce
serait donc à la gestatrice et non aux parents d'intention d'entamer les
démarches nécessaires pour demander l'obtention de la filiation.
Bien que la loi québécoise en vigueur désigne
comme mère toute femme qui accouche d'un enfant, qu'elle ait un lien génétique
ou non avec celui-ci, on peut certainement s'entendre sur le fait que porter et
accoucher d'un enfant ne fait pas automatiquement d'une personne une mère, pas
plus que le fait de donner son ovule ou son sperme ne fait de quelqu'un un parent. Même si les donneurs de gamètes
partagent un lien génétique avec l'enfant, on comprend que ce lien
génétique n'a rien à voir avec le rôle ou les responsabilités d'un parent. Il
serait complètement illogique d'accorder la filiation d'un enfant au donneur ou
à la donneuse, tout comme il serait illogique d'accorder cette filiation à une
gestatrice avec comme simple raison qu'elle a porté l'enfant.
Bien qu'il soit tout à fait justifié que la
gestatrice ait le contrôle absolu sur son corps et qu'elle ait, tout au long du
projet, le droit unique et autonome de prendre ou refuser des procédures ou
traitements médicaux, la décision quant à la filiation de l'enfant n'est pas
une décision médicale ni même relative au corps de la femme. Une fois qu'un
enfant est né, il devient un être humain à part entière avec des droits qui lui
sont propres. Il n'est pas une extension du
corps de la femme qui l'a porté. Et, à ma connaissance, cette perspective est
partagée par la grande majorité des femmes porteuses.
J'aimerais élucider un des plus grands mythes
concernant l'état d'esprit des femmes porteuses, soit cette tendance absurde
que plusieurs personnes ont à comparer la relation d'une femme porteuse avec
l'enfant qu'elle a porté à celle d'une mère
biologique qui placerait son propre enfant en adoption. Ces deux situations
sont complètement différentes.
Donc, l'état
d'esprit d'une femme porteuse n'a absolument rien à voir avec celle d'une femme
qui se retrouve enceinte de son propre enfant biologique et qui fait
face à l'obligation de prendre la meilleure décision pour son enfant à elle. Ce choix de placer son propre
enfant en adoption peut certainement entraîner des sentiments de
culpabilité et de déchirement. Je n'ai jamais observé ces sentiments chez une
femme porteuse pour qui la décision est réfléchie et la grossesse très
planifiée. Une femme porteuse a fait le choix conscient de porter cet enfant
bien avant de devenir enceinte. Cette idée qu'il existe un sentiment de
déchirement chez la gestatrice au moment où elle remet le bébé à ses parents
est simplement fausse et non fondée.
La plupart des femmes porteuses ont aussi
préalablement rencontré une psychologue ou une travailleuse sociale avant
d'entamer le projet. Cette rencontre, qui sera d'ailleurs obligatoire, si j'ai
bien compris, avec le nouveau projet de loi,
permet de prendre conscience des implications du projet, de réfléchir aux
enjeux qu'il implique avant de prendre la décision. Selon mes
observations, les femmes qui, à ce stade de la réflexion, réalisent qu'elles ne
sont pas prêtes à renoncer à leurs droits... leur filiation avec l'enfant ainsi
qu'à toute responsabilité ou droits parentaux décident rarement de poursuivre
le projet.
Au Canada, la motivation principale des femmes
faisant le choix d'être gestatrices pour autrui serait d'aider un couple à
réaliser leur rêve d'être parents, tout simplement. Un changement d'intention
au cours de la grossesse ou suite à la naissance est très peu probable. Le
phénomène d'une gestatrice qui exprimerait soudainement l'intention de garder
le bébé qu'elle a porté pour des gens qu'elle a sincèrement voulu aider est
pratiquement inexistant au Canada, à ma
compréhension. À cet effet, les lois proposées ne refléteraient peut-être pas
toute la réalité actuelle mais seraient plutôt basées sur des mythes,
des fausses croyances et même des idées préconçues.
Plusieurs facteurs sont essentiels pour qu'un
projet de gestation pour autrui soit une expérience positive : la
construction d'un solide lien de confiance, la communication ouverte et surtout
l'élaboration d'attentes et de balises très claires et irrévocables concernant
le projet parental. Ces attentes précises sont établies dans une convention
légale, un contrat qui, selon la nouvelle loi, sera rédigé et conclu avant que
toute démarche médicale ne soit entamée. Le contrat ne devrait laisser
aucune... place à aucune ambiguïté quant à l'objectif du projet. Cette
limpidité est absolument essentielle au développement du lien de confiance.
Le fait d'offrir à la gestatrice la possibilité
de devenir le parent légal d'un bébé qui n'est pas le sien, ni d'un point de
vue social et parfois ni même d'un point de vue biologique, représente un
potentiel significatif de confusion, de malentendus et sans doute de nombreuses
tensions entre les différentes parties impliquées. Cette suggestion risquerait
possiblement de créer chez la gestatrice des doutes et peut-être même, dans
certaines circonstances, être interprétée par cette dernière comme une
invitation à s'identifier comme étant la mère et à réclamer des droits
parentaux, ce qui ne serait évidemment pas souhaitable.
• (11 h 30) •
La période après
l'accouchement est également d'une grande importance pour le développement du
lien de confiance nécessaire pour le maintien d'une relation à long terme entre
la gestatrice, les parents et l'enfant, qui est généralement
souhaité par tous, surtout par les parents, qui désirent habituellement que
leur enfant soit au courant de ses origines et connaisse la femme qui lui a
donné la vie. Un très grand nombre de gestatrices offrent également aux parents
de tirer leur colostrum et leur lait maternel après l'accouchement afin que le
bébé puisse en bénéficier. En offrant à la gestatrice une période de
30 jours pour soudainement décider de garder le bébé qu'elle a porté, il
n'est pas difficile d'imaginer l'hésitation et l'inconfort des parents à
entretenir une relation intime avec la gestatrice une fois l'enfant né, lui
permettre d'offrir son lait maternel au bébé, à la laisser voir et prendre le
bébé dans ses bras. On peut imaginer leur crainte, sans doute non fondée mais
tout de même bien réelle, qu'une trop grande proximité puisse porter la
gestatrice à trop s'attacher au bébé.
Le développement de
l'identité parentale et familiale ainsi que le développement du lien affectif
entre les parents et l'enfant sont
particulièrement importants dans un contexte où l'enfant est né d'une tierce
personne. Les gens qui ont recours à
la gestation pour autrui ont souvent passé à travers de nombreuses épreuves
difficiles avant de finalement devenir
parents. Un stress additionnel causé par la menace de perdre leur bébé ne
serait certainement pas l'idéal pour les nouveaux parents et certainement pas
pour l'enfant, qui mérite d'avoir un environnement familial aussi serein et
stable que possible.
Bref, il est
important de se questionner à savoir s'il est réellement dans le meilleur
intérêt de l'enfant de mettre en place
certaines composantes d'une loi qui pourraient potentiellement lui causer, à
lui et à sa famille, beaucoup plus de tort que de bien. Je vous invite à
la réflexion. Merci.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup,
Mme Picard. M. le ministre, vous avez la parole.
M. Jolin-Barrette : Oui. Bonjour,
Mme Picard. Merci beaucoup d'être présente en commission
parlementaire. Je pense que votre propos est très intéressant. Parce qu'on parle
de modifier une loi, en fait, de venir encadrer la gestation pour autrui, puis vous, vous venez nous raconter votre
expérience pratique de ce que vous avez vécu. Alors, c'est fort
instructif, puis je vous remercie pour votre témoignage.
Peut-être, si on peut
débuter sur la question du 8‑30 jours, dans le fond, dans le projet de
loi, ce qu'on prévoit, c'est que...
Puis peut-être une
autre question avant de commencer ça. Hier, le Conseil du statut de la femme
est venu nous dire qu'on devrait utiliser les termes «maternité de
substitution». On parle généralement de gestation pour autrui. Qu'est-ce que
vous en pensez, sur l'utilisation du vocabulaire qu'on devrait utiliser?
Mme Picard
(Line) : Bien, je pense que n'importe quel vocabulaire... Mais il y a
plusieurs différents termes qui existent, là, justement, pour parler du
phénomène, je pense, tant qu'on utilise un vocabulaire qui est clair quant au
lien de la femme, donc un vocabulaire, dans le fond, qui ne sous-entend pas que
cette femme-là est la mère de l'enfant. Donc, différents endroits dans le monde
aussi utilisent différents termes.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Donc, vous, vous êtes moins à l'aise avec
«maternité de substitution».
Mme Picard
(Line) : Ça fonctionne pour moi aussi.
M.
Jolin-Barrette : Ah! ça fonctionne aussi. O.K.
Mme Picard
(Line) : Oui, oui. Il n'y a pas de problème, oui.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Sur la question du 8‑30 jours, le
projet de loi, ce qu'il fait, ce qu'il dit, dans le fond : Le consentement
doit être donné, pas avant le huitième jour mais avant le 30e jour. Donc,
la mère porteuse a la possibilité de conserver l'enfant ou... En fait, elle ne
peut pas donner le consentement avant, mais ça doit se faire durant cette
période-là.
Par contre, dès la
naissance... Dans le projet de loi, là, on a l'article 541.13, et, dès la
naissance de l'enfant, il peut y avoir une remise aux parents. Et, durant ce
laps de temps là, on dit : «Le fait de confier l'enfant emporte, de plein
droit, la délégation de l'exercice de l'autorité parentale et [...] la
tutelle...» Exemple, l'accouchement, durant cette période-là, l'enfant est
remis, donc les parents d'intention ont la... bien, déjà, en fait, le parent qui
a le matériel génétique, c'est le père de
l'enfant, biologiquement, et là c'est au huitième jour. Donc, est-ce que ça, ça
vous satisfait ou vous, vous
dites : Non, non, ça devrait être l'inverse, ça devrait être la mère
porteuse qui peut revenir dans les 30 jours?
Mme Picard
(Line) : Tout à fait. Moi, je pense que la filiation devrait
automatiquement être accordée aux gens à qui appartient le projet parental,
donc les parents d'intention et non la gestatrice.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Mais, à ce moment-là, vous ne pensez pas que ça
risque de créer davantage de contestations juridiques, si jamais il y avait un
désir de la mère porteuse de revenir sur sa décision? Parce que, puisque la filiation serait établie d'office, tu
sais, dès le départ, dès le moment de la naissance, là, à ce moment-là, on
se retrouverait à écraser une filiation qui
a déjà été établie. Donc, on viendrait créer une filiation. Ensuite, la mère
porteuse viendrait dire : Non, je le
conserve. Donc, on viendrait détricoter. Ça, vous n'avez pas de crainte, vous,
avec ça, que ça fasse ça.
Mme Picard
(Line) : Bien, selon ma compréhension du phénomène, c'est très rare
qu'une femme porteuse décide soudainement que, non, elle change d'idée puis
elle veuille réclamer la filiation avec l'enfant. Alors, à ce niveau-là, non, je n'ai pas vraiment de crainte
que ça vienne alourdir le processus, là. Je ne le vois pas vraiment, du
tout, là.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Dans votre mémoire, vous dites agir à titre de
mentor, notamment pour certaines femmes qui agissent à titre de mères
porteuses. Pouvez-vous me dire, là, comment ça se passe?
Puis vous avez dit aussi : Il faut
déconstruire certains mythes. Ce n'est pas des femmes qui sont en situation de
vulnérabilité.
Mme Picard (Line) : Pas du tout.
M. Jolin-Barrette : Parce que c'est
sûr qu'un des objectifs du projet de loi d'avoir la convention notariée, de
faire le choix de s'assurer que les intérêts de l'enfant et de la mère porteuse
soient le plus encadrés possible, c'est ça, la priorité, pour nous. Vous, vous
dites... Au-delà de l'état de vulnérabilité ou non de la personne qui le fait,
notre souci, c'est justement cette
priorité-là à la mère porteuse, à l'intérêt de l'enfant également puis
l'autonomie également de la femme sur son corps, qui décide de le faire,
donc avortement si, au cours de la grossesse... elle puisse le faire à tout
moment, le fait de pouvoir mettre certaines clauses également, dans la
convention notariée, qui seraient abusives ou
qui n'auraient pas d'allure pour la mère porteuse. Mais c'est quoi, le portrait
général des gens, là, que vous mentorez, qui décident de faire la
gestation pour autrui?
Mme Picard (Line) : Donc, le profil
typique d'une femme qui prend cette décision ou...
M. Jolin-Barrette : Bien, je vous
dirais, vous, qu'est-ce que vous avez vu? Parce que vous l'avez vécu, puis,
j'imagine, avec les différents réseaux de femmes qui décident de faire ça.
Mme Picard (Line) : Donc,
généralement, c'est des femmes qui sont assez éduquées, comme vous l'avez
mentionné, très rarement en situation de vulnérabilité. C'est des femmes qui
ont eu des expériences positives de maternité, qui accordent une grande valeur
aussi au fait d'être parent puis qui ont décidé de partager cette chance-là
qu'elles ont avec d'autres. Ce sont des femmes qui sont extrêmement généreuses
et surtout, je dirais, courageuses, parce
que c'est sûr que ça implique certains risques. Et puis, donc, c'est ça, les
femmes qui prennent cette décision-là sont habituellement bien
informées, prennent le... ont le souci de le faire.
M. Jolin-Barrette : O.K. Mais,
malgré ça, malgré le fait que ce soient des femmes bien informées, vous êtes
d'accord avec le fait qu'on amène un encadrement juridique, une convention notariée
puis...
Mme Picard (Line) : Tout à fait,
tout à fait. Je pense que c'est très important. Puis, justement, je trouve que
cette étape-là, donc, la rencontre, aussi, préalable avec le psychologue ou la
travailleuse sociale puis la prochaine étape qui va être la rédaction d'une
convention légale, ces étapes-là sont essentielles pour, justement, que toutes
les parties impliquées comprennent les enjeux liés au progrès... au projet et
puis qu'elles soient capables, justement, de prendre la décision, là, en toute
connaissance de cause, donc que ce ne soit pas une décision qui est prise sur
un coup de tête. Donc, habituellement, la plupart des cas, comme moi j'ai
connu, les femmes ont eu le souci de passer à travers ces étapes importantes
là.
Par contre, c'est déjà arrivé, j'ai déjà été
témoin de cas où les choses s'étaient moins bien déroulées. Donc, sans tomber
dans l'anecdotique, donc, deux cas en particulier, sur une centaine, où les...
C'est deux différentes femmes qui s'étaient
fait abandonner en cours de grossesse par les parents, et, dans les deux cas,
dans ces deux cas-là, il n'y avait
pas eu de convention. Il n'y avait aucun encadrement légal ni même médical.
Donc, je pense que le fait de mettre en
place une loi qui va encadrer juridiquement ce type de projet va permettre,
justement, d'éviter ce type de dérapage.
M.
Jolin-Barrette : O.K. J'aurais deux dernières questions pour vous
avant de céder la parole à mes collègues. Je vais vous les poser en
rafale. Hier, on nous a suggéré, certains groupes nous ont suggéré de... avant
de devenir mère porteuse, dans le fond, d'avoir eu une grossesse préalable.
Donc, première question, qu'est ce que vous en pensez?
Et, deuxièmement, est-ce que, lorsqu'on décide
d'être mère porteuse, puis ça a été une discussion qu'on a eue hier par rapport
aux agences, là... Est-ce que les femmes qui s'engagent dans ce processus-là, à
partir du moment où il y a eu une première rencontre, où il y a des démarches
qui sont faites, elles se sentent prises ou, lorsqu'il y a un encadrement, vous
pensez qu'en tout temps elles vont pouvoir se dire : Bien, moi, j'arrête,
ou moi, je ne vais pas plus loin? Tu sais, comme... Comment c'est perçu? Alors,
grossesse préalable et à partir du moment où il y a déjà des démarches
d'effectuées.
Mme Picard (Line) : Oui. Donc...
Puis c'est une opinion personnelle. Oui, je pense que le fait d'avoir eu une
grossesse préalable permet de mieux comprendre, justement, qu'est-ce que c'est
que la maternité puis de comprendre aussi, justement, le lien d'attachement que
certaines femmes ont quand elles sont enceintes. Donc, il y a des femmes qui ne
sont pas prêtes à vivre cette expérience-là, puis je respecte entièrement leur
choix. Puis je pense que c'est important, oui, d'avoir vécu une grossesse pour
être capable de prendre une décision éclairée puis de connaître ses propres
limites aussi par rapport à ce qu'on veut et ce qu'on se sent à l'aise de
faire.
L'autre question, c'était par rapport à... dans
la mesure où un contrat est établi avec les parents...
• (11 h 40) •
M. Jolin-Barrette : Oui. Bien, en
fait, je vous dirais, tu sais, nous, on vient mettre un encadrement. Bon, on
nous a demandé d'encadrer les agences également. Mais ce qui ressortait,
c'était le fait de dire : Bien, tu sais, un coup que
j'ai été à des séances d'information, un coup que j'ai dit oui, tout ça, c'est
comme si le train était en marche, là, puis j'avais une crainte de reculer.
Est-ce que, si l'encadrement, il est strict, la perception de la mère porteuse,
c'est qu'elle va toujours pouvoir ressortir puis cesser le projet parental?
Parce que c'est ce qu'on souhaite, là. Alors, je chercherais c'est quoi, les
balises à mettre en place pour toujours assurer son autonomie.
Mme Picard (Line) : Oui, tout à
fait, puis je suis d'accord avec ça. Puis, en général, c'est ce dont j'ai été
témoin aussi. Donc, oui, ça arrive, dans certaines situations, où, pour une
raison ou une autre, la mère porteuse, la femme décide de se rétracter.
Souvent, c'est pour des raisons médicales ou, des fois, c'est juste parce qu'il
y a quelque chose qui accroche avec les parents, quelque chose qui fait non en
dedans, comme on dit. Puis je pense que la plupart des femmes porteuses sont à
l'aise d'interrompre le déroulement du projet.
C'est sûr que ça aide d'avoir un encadrement.
Souvent, c'est la clinique de fertilité aussi qui va permettre cet
encadrement-là, qui va supporter la porteuse dans son choix.
Puis on parlait aussi d'avoir, là, des
rencontres avec une psychologue ou une travailleuse sociale. Je pense que ça
aussi, ce serait d'une grande utilité, là, pour, justement, accompagner la
femme porteuse, pour pouvoir prendre cette décision-là qui n'est pas toujours
facile à faire. Souvent, c'est plus une espèce de culpabilité, si on veut. On
ne veut pas décevoir quelqu'un. Mais je pense que c'est important d'être
capable de respecter ses propres limites dans ce type de projet là.
M. Jolin-Barrette : O.K. Parfait. Je
vous remercie beaucoup, Mme Picard. Je pense que la députée de Bellechasse
veut poser des questions.
Mme Picard (Line) : Merci.
Le Président (M.
Bachand) : Merci. J'ai le député de
Chapleau préalablement.
M. Jolin-Barrette : Pardon.
M. Lévesque (Chapleau) : ...Mme la
députée de Bellechasse. Bien, je peux y aller. Quelques petites questions, Mme
Picard, rapidement, là. Merci, d'abord, de partager votre expérience. C'est
vraiment apprécié.
Vous avez dit que c'était une volonté purement
altruiste, au départ, d'aller dans cette voie-là. Vous avez parlé que c'est une
des plus belles expériences, enrichissante. Ça, c'est quand même très positif
pour l'avenir.
Je me demandais... Est-ce qu'il y a un volet qui
était un peu plus négatif? Là, je peux parler, là, notamment, avec la question
des remboursements de certains frais qui sont engendrés. Est-ce qu'il y a eu
des pertes de votre côté, peut-être au niveau du travail, ou quoi que ce soit,
ou d'autres éléments que vous avez vécus qui seraient peut-être à corriger ou à
amener dans le processus?
Mme Picard
(Line) : Bien, au niveau du remboursement des pertes, donc,
c'est un volet qui est habituellement très clair dans la convention
légale. Donc, dans ma situation, c'était le cas aussi.
Donc, vous savez qu'au Canada la rémunération
est illégale, mais le remboursement des dépenses est permis. Puis je pense que
c'est important. Bien, premièrement, les parents s'attendent à ça aussi.
N'importe quelle grossesse engendre des frais. Donc, un couple traditionnel,
là, qui décide d'avoir des enfants biologiques, c'est sûr qu'il y a des coûts
associés qu'ils vont habituellement absorber eux-mêmes. Dans le cas d'une femme
porteuse, bien, ces frais-là sont habituellement absorbés par les parents
d'intention à qui appartient le projet parental. Donc, les femmes porteuses
acceptent rarement de le faire à leurs frais, à leur perte aussi. Puis il ne
devrait pas non plus y avoir de conséquences négatives financières pour la
femme porteuse et sa famille, qui a fait le choix de vivre ce projet-là.
Donc, pour moi, non, ce n'est pas quelque chose
qui a du tout eu des conséquences négatives. C'était très clair avec les
parents. Les parents, c'est ce qu'ils souhaitaient aussi. Des conséquences
négatives, de mon côté, non. Je pense j'ai été très, très chanceuse aussi. J'ai
toujours eu une communication très ouverte.
Puis j'ai choisi aussi les parents avec qui
j'allais vivre ce projet-là. Donc, on m'a présenté plusieurs profils de
parents. Ce n'est pas les parents qui manquent, là, qui cherchent des mères
porteuses. Donc, je me suis assurée d'avoir... de choisir un couple, dans le fond,
avec qui je partageais des valeurs semblables, qu'on avait des attentes, aussi,
semblables avant, pendant et après la grossesse.
Donc, je pense que toute cette transparence-là
puis cette communication ouverte là, la construction du lien de confiance aussi,
c'est des éléments qui font, là, que l'expérience a été positive pour moi.
Puis, dans les cas... Pour certaines femmes qui vivent peut-être des défis par
rapport à ce projet-là, souvent, c'est que je vois qu'il y a des lacunes à un
de ces niveaux-là, donc, soit le lien de confiance, soit la communication qui
est un petit peu plus difficile, des attentes qui étaient peut-être un peu
moins claires.
Donc, je pense que... C'est pour ça, d'avoir...
le fait d'avoir un suivi psychologique avant le projet peut vraiment aider
toutes les parties impliquées, là, à mettre les cartes sur la table puis à ce
que tout le monde le vive de façon positive.
M. Lévesque (Chapleau) : Oui.
Excellent. Une dernière petite question rapidement. On a parlé de la question
du 30 jours, consentement de la mère porteuse. Il y a un groupe, hier, qui
est venu nous dire qu'au Royaume-Uni ils sont en train de revoir ça parce que
ça crée de la frustration chez les mères porteuses, le fait de permettre ce 30 jours là. Est-ce que vous notez
également cette frustration-là chez les mères porteuses que vous avez côtoyées,
donc, qui ne voudraient pas avoir ces délais-là pour pouvoir, dans le fond,
remettre l'enfant?
Mme Picard (Line) : En fait, c'est
que j'ai comme l'impression que les femmes, en ce moment, ne sont pas vraiment
au courant de cette partie du projet de loi là. Moi, je l'ai lu, puis ça m'a
fait sauter. Puis je suis un peu surprise que personne ne semble réagir en ce
moment. Mais je suis absolument certaine que, oui, c'est quelque chose qui
risque de faire réagir, bien, les parents, premièrement, mais aussi les femmes
porteuses, parce qu'en mettant cette composante-là, qui vient surtout affecter
les parents, là, on ne se le cachera pas, mais, de ricochet, ça affecte la relation
de confiance, je pense, avec... entre la femme porteuse puis les parents, ça
risque de créer beaucoup, beaucoup de tensions, je pense, qui ne sont vraiment
pas nécessaires. C'est un projet qui est déjà très chargé émotivement, une
gestation pour autrui. Donc, c'est ça, je pense que cette période-là de
30 jours risque juste d'apporter une certaine méfiance ou de nuire au lien
de confiance significativement aussi.
M. Lévesque (Chapleau) : Merci.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Bachand) :
Merci. Il reste une 1 min 40 s pour questions-réponses. Mme la
députée de Bellechasse.
Mme Lachance : Merci, M. le
Président. Merci, Mme Picard, d'être là aujourd'hui. C'est fort
intéressant de vous entendre.
Je vais revenir sur des points qui ont déjà
peut-être été abordés pour peut-être préciser. Vous avez parlé tout à l'heure
que vous avez joué un peu le rôle de mentor avec certaines femmes qui avaient
le souhait de devenir mères porteuses, principalement avec les femmes, pas avec
les parents... oui, avec l'ensemble...
Mme Picard (Line) : Plus les femmes,
oui.
Mme
Lachance : Plus les femmes.
Et puis vous avez mentionné que, sur une centaine, là, il y avait eu deux
cas qui vous revenaient en mémoire, un peu plus difficiles, ce qui n'est quand
même pas énorme. Mais est-ce que c'étaient des mères qui s'étaient rétractées
ou est-ce que c'étaient des parents?
Mme Picard (Line) : C'est les
parents qui avaient abandonné la mère.
Mme Lachance : Donc, les mères se
retrouvaient avec un enfant qui était en fait pour autrui à la base.
Mme Picard (Line) : Oui, exactement.
Puis c'était à elles d'entamer des démarches pour soit trouver une autre
famille ou les placer en adoption. Puis c'est ça qui a eu lieu aussi.
Mme Lachance : Donc, d'où
l'importance, comme vous l'avez mentionné, d'avoir une bonne convention.
Mme Picard (Line) : Tout à fait.
Mme Lachance : Vous avez aussi
abordé le fait, justement, dans le même ordre, de l'expérience positive de
maternité qui conduisait ces femmes-là à faire le choix, parfois, de devenir
mères porteuses. Est-ce que vous pensez que la grossesse préalable est
100 % essentielle ou il y en avait, parmi la centaine, qui n'avaient pas
eu d'expérience de grossesse et que ça s'est bien passé aussi?
Mme Picard (Line) : À ma
connaissance, les femmes que j'ai vues, moi, tout le monde avait vécu une
grossesse au préalable. Je pense que, la plupart des agences au Canada, c'est
un critère pour pouvoir faire affaire avec une femme porteuse. Puis, à
l'extérieur de ça, je pense que les cliniques de fertilité aussi, c'est quelque
chose, là, qui est particulièrement important.
Ce serait intéressant d'avoir l'avis d'experts.
Moi, je ne suis pas une experte, je n'ai pas fait de recherche sur la gestation
pour autrui, mais, si vous me demandez mon opinion personnelle, moi, je pense
que, oui, le fait d'avoir vécu la maternité aide à prendre une décision qui est
beaucoup plus éclairée qu'une femme qui ne l'a pas vécu.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à la
députée de Westmount—Saint-Louis, s'il vous plaît.
Mme Maccarone : Bonjour. Un grand
plaisir de vous entendre, et votre témoignage est fort pertinent. Puis je veux
vous remercier d'emblée d'amener un aspect très positif à quelque chose que, je
pense, on a des craintes souvent. Puis vous soulevez vraiment la crainte, je
pense, de plusieurs parents en ce qui concerne : Est-ce que je vais
vraiment pouvoir avoir mon enfant suite à la naissance?
Je veux comprendre un peu plus le processus dont
vous avez entamé vous-même, vous avez dit que vous avez passé par une
institution, une clinique pour trouver des parents, parce que c'est vous qui
avez dit : Oui, j'ai un intérêt à faire ceci, alors, mieux comprendre le
processus pour vous, puis si vous avez aussi des recommandations pour nous en ce qui concerne peut-être des besoins que nous
devons mettre dans un règlement ou dans la loi pour s'assurer qu'on protège
toutes les parties prenantes dans ce contrat.
Mme Picard
(Line) : Oui, tout à fait.
Donc, j'ai vécu deux expériences. Mes deux expériences étaient
différentes. La première, c'était via une agence. La deuxième, j'ai rencontré
les parents dans des forums sur Internet, des forums de fertilité.
Je pense qu'avec le nouveau projet de loi... Je
pense que la rencontre avec la psychologue, la travailleuse sociale, à mon
avis, devrait être faite par un organisme indépendant et non par l'agence ni
même par la clinique de fertilité. Les deux ont des intérêts financiers dans le
projet. Je ne dis pas que c'est mal fait, là, parce que, dans mon cas, ça s'est passé de cette façon-là, c'était
très bien fait. Mais je pense que ce serait préférable d'avoir des
organismes indépendants qui s'assurent d'avoir ce dialogue-là, d'avoir cette
rencontre préalable là de façon à ce que ce soit le plus impartial possible.
• (11 h 50) •
Mme Maccarone : Pour être éligible,
là, on a parlé de... on pense que ce serait bien d'avoir une grossesse
préalable. Mais est-ce qu'il y aura autre contrainte que vous pensez que nous
devons enchâsser dans une loi pour s'assurer qu'on protège, encore une fois,
toutes les parties prenantes, incluant l'enfant?
Mme Picard (Line) : Bien, encore là,
je pense que peut-être que des experts seraient mieux placés que moi pour
établir des critères, si on veut. Peut-être que les psychologues, justement,
seraient plus capables d'établir des balises très claires.
Je pense que c'est essentiel que toutes les
parties qui acceptent de vivre ce projet-là soient conscientes des risques, donc démontrent une compréhension de tout
ce que ça implique, donc, en termes de risques, en termes aussi, là, de
ce qui va se passer après, là, puis les attentes par rapport au lien de
filiation, et tout ça. Donc, je pense que, si on démontre une compréhension, ça devrait être un critère, oui. Pour les
autres, bien, on va laisser les experts se prononcer.
Mme Maccarone : Côté éthique,
pensez-vous que nous devons statuer en ce qui concerne... Là, on parle de si
c'est nécessaire, peut-être, d'avoir une grossesse préalable mais... puis on
parle aussi d'un âge minimum de 21 ans. L'âge minimum de 21 ans,
pensez-vous que c'est pertinent? Parce que, s'il y a des personnes qui donnent
naissance à des enfants avant 21 ans... Mais est-ce qu'on devrait aussi
penser à un âge maximum?
Puis, à l'intérieur de ça, est-ce qu'on devrait
aussi avoir un souci en ce qui concerne les liens de filiation entre les
personnes, mettons que moi, je veux porter un enfant pour ma fille qui a un
problème de santé, puis elle n'est pas en mesure de le faire d'elle-même?
Mme Picard (Line) : Bien, en ce qui
concerne l'âge, je pense que l'âge maximal... Du moins, les médecins sont mieux
placés, là, pour prendre cette décision-là.
Un âge minimal, je pense que c'est plus une
question de maturité et de compréhension des enjeux, plus que d'âge en tant que
tel. En ce qui concerne...
L'autre question, c'était par rapport à la
filiation, donc, si c'est une soeur ou une cousine ou... À mon avis, ça ne
change rien, là, que ce soit une personne... une cousine, une soeur ou
quelqu'un qui est complètement inconnu. Au moment de prendre cette décision-là,
je pense que les composantes qui vont faire que le projet est positif, que j'ai
nommées tantôt, le lien de confiance, la communication, demeurent les mêmes.
Donc, pour moi, ce n'est pas quelque chose qui change. Des fois, même, je pense
que ça aide d'avoir quelqu'un qui a un certain recul, un étranger. Justement,
c'est peut-être moins chargé d'émotion. C'est plus impartial aussi.
Mme Maccarone : Et, en ce qui
concerne le contrat entre les deux parties, vous l'avez abordé un peu avec mes
collègues, mais est-ce qu'il y a aussi des balises dont nous devrons penser à
mettre en place? Je vous donne un exemple. On a parlé... On sait qu'on ne veut
pas avoir la marchandisation de la part de la femme. Alors, c'est fait d'une
façon altruistique, qu'une femme va porter un enfant pour un couple, mais les
frais associés avec ça peuvent vraiment se différencier d'une personne à
l'autre, puis aussi l'expérience peut être très différente. Ça peut devenir une
grossesse à risque. Alors, la femme porteuse va devoir, mettons, rester chez
elle, elle ne pourra pas aller au travail. Est-ce que les parents d'intention
doivent rémunérer la femme porteuse pour le temps qu'elle n'est pas au travail,
par exemple? Qu'est-ce qu'on devrait prévoir, dans un contrat, pour s'assurer
que tout est couvert, pour protéger la femme en question?
Mme Picard (Line) : Bien, je pense
que ça, c'est des choses qui doivent être discutées puis établies entre la
femme porteuse puis les parents d'intention, mais, comme je l'ai mentionné
tantôt, je pense que cette décision-là ne devrait jamais être vécue avec des
pertes financières.
Donc, c'est certain que chaque projet est
différent, peut engendrer plus ou moins de coûts selon la circonstance. Donc,
évidemment, je pense à une grossesse à risque, où la femme devait être en arrêt
de travail. C'est certain que ce sont des
clauses importantes à avoir dans un contrat pour que la femme soit protégée et
ne vive pas de pertes.
Mme Maccarone : Et après la
grossesse aussi, après l'accouchement?
Mme Picard (Line) : Oui, tout à
fait.
Mme
Maccarone : Parce que je sais...
Mme Picard
(Line) : La plupart des contrats vont prévoir une période
post-partum... je ne sais pas, il me semble...
j'ai envie de dire trois à six mois, si je ne me trompe pas, s'il y avait des
complications liées à ce type de projet là.
Mme
Maccarone : O.K. Puis, en termes de support émotionnel, psychologique,
je sais qu'il y a quand même quelque chose à l'intérieur de la loi, mais est-ce
qu'on y va assez loin? Mettons, on offre un appui avant, est-ce qu'on devrait
aussi avoir un appui après? Devons-nous... Parce qu'aussi on a très peu de
statistiques en ce qui concerne ceci. Avez-vous des recommandations pour nous à
ces deux sujets?
Mme Picard
(Line) : Bien, moi, je pense que n'importe quel appui ou n'importe
quel dialogue qui peut permettre, justement, là, aux parties de mieux
communiquer puis de maintenir le lien de confiance, c'est certain que... Si
c'est des ressources additionnelles qui peuvent être mises en place, c'est sûr
que ça ne peut pas causer de tort, là. Au contraire, ça peut justement venir
appuyer les personnes puis donner une voix aussi à tout le monde.
Des fois, la
communication peut être difficile quand il y a beaucoup d'émotions qui sont
chargées. Ce n'est pas tout le monde qui communique bien aussi. Donc, c'est
certain que, oui, n'importe quel suivi comme ça ou n'importe quelle ressource
additionnelle serait souhaitable, oui.
Mme Maccarone :
O.K. Puis connaissez-vous des cas où la mère a décidé de... la femme porteuse a
décidé de garder l'enfant? Parce que je sais que ça fait beaucoup le sujet de
votre mémoire. Mais est-ce que vous connaissez des cas? J'ai fait une recherche
en ligne, je n'en ai trouvé aucun.
Mme Picard
(Line) : Moi, je n'ai jamais vu ça, jamais, jamais. Je n'ai jamais vu
ça. Le plus triste que j'ai vu, si on veut, c'est une femme qui était déçue
parce que les parents avaient décidé de couper les liens avec elle suite à
l'accouchement, ce qui arrive. Puis, tu sais, encore là, je pense que, dans la
rencontre préalable au projet, c'est important de comprendre que les parents
ont le droit de couper les liens. C'est leur décision. Ce n'est pas notre
enfant. Ces parents-là ne nous doivent rien. Puis ça fait partie des
possibilités, puis je pense que c'est important de le comprendre, ça, puis de
l'accepter aussi avant de décider de poursuivre le projet. Mais une femme qui
décide de garder le bébé, qui manifeste le désir ou même qui regrette ou qui
s'est sentie déchirée de remettre l'enfant à ses parents, je n'ai jamais même
entendu parler de ça, jamais.
Mme Maccarone :
Je présume qu'il devrait y avoir un accompagnement ou quelque chose. Je n'ai
jamais vécu... Je trouve fascinante
l'expérience. Je ne l'ai jamais vécu, évidemment, mais la transition des femmes
porteuses puis de donner le bébé que vous avez porté pendant 10 mois, ça
doit être lourd, ça doit être très émotionnel. Que devons-nous faire pour
s'assurer qu'on protège cette femme à l'intérieur de ce processus? Parce que
vous, vous avez une belle expérience, mais on imagine la femme qui n'a pas eu
une belle expérience.
Mme Picard
(Line) : Bien, encore là, comme je vous dis, je pense que... Bien,
premièrement, on ne donne pas un bébé, on le remet à ses parents. Puis je pense
que le fait que la décision a été prise bien avant de devenir enceinte... La
décision ne se prend pas au moment où la femme accouche, la décision est déjà
prise. Donc, la femme, elle n'a pas à
choisir de remettre l'enfant ou pas, la décision est déjà prise. Donc, cette
espèce de déchirement là, moi, je n'en ai jamais entendu parler. Donc...
Puis je m'attendais à le ressentir un peu, ne serait-ce qu'instinctivement, les
hormones, et tout ça, puis, vraiment, là,
pas du tout, du tout. C'est vraiment un bonheur de voir ces parents-là
accueillir leur enfant après tout ce long processus là, qui n'a pas été facile
pour personne. Donc, je ne l'ai jamais vu, ce déchirement-là, jamais.
Mme Maccarone :
Puis est-ce qu'on devrait avoir des critères d'éligibilité pour être femme
porteuse?
Mme Picard
(Line) : Bien, comme j'ai dit tantôt, je pense que c'est aux experts
de se poser la question, là, puis de... Mais probablement que oui. Donc, je
pense que la grossesse préalable, c'est sûr que c'est quelque chose qui aide
beaucoup à avoir une expérience positive, puis, au niveau de la maturité, donc,
s'assurer que la femme qui prend cette décision-là comprend parfaitement les
enjeux, les attentes, tout ce que ça implique. Donc, je pense que ça, c'est les
critères qui devraient être les plus importants. Le reste, je pense que c'est
des détails.
Mme Maccarone :
Puis vous, vous recommandez fortement de continuer le lien entre la femme
porteuse puis les parents d'intention.
Mme Picard
(Line) : Oui, tout à fait. Puis, selon ce que j'ai observé, c'est ce
que les parents souhaitent dans la plupart des cas aussi. Je pense que c'est
une chance, que les enfants ont, de pouvoir, justement, connaître leurs
origines puis connaître la femme qui les a portés. Ça apporte une richesse.
C'est un peu comme un enfant qui est placé en adoption, justement, puis qui ne
connaît pas ses origines. Je pense que ça comble peut-être un vide au niveau de
l'identité, ça répond à des questions. Je pense que c'est des morceaux du
casse-tête qui sont importants pour les enfants à avoir. Donc, oui, la relation
après la grossesse est certainement importante.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. M. le député
d'Hochelaga-Maisonneuve, s'il vous plaît.
M. Leduc :
Merci, M. le Président. Bonjour.
Mme Picard (Line) : Bonjour.
M. Leduc : Bienvenue. Merci
pour votre témoignage, très apprécié. Pour vraiment être parfaitement clairs,
pour bien servir votre pensée sur la question de l'expérience préalable d'avoir
eu une grossesse précédemment... Là, vous avez vu, ça a été un sujet de discussion
hier. Ça va en être un, probablement, pour le reste des audiences aussi. J'ai
cru comprendre que vous étiez ouverte à ce que ce soit une condition... bien,
vous avez dit que c'était préférable. Premièrement, est-ce que vous êtes
ouverte à ce que ce soit une condition dans la loi?
• (12 heures) •
Mme Picard (Line) : Bien,
encore là, je ne pense pas que c'est à moi de décider. Moi, ce que je pense,
c'est que c'est sûr que c'est quelque chose qui peut contribuer très
positivement au projet et à faire en sorte, là, que les choses se déroulent
bien. Puis je pense que la plupart des femmes qui prennent cette décision-là de
porter l'enfant de quelqu'un d'autre le font justement parce qu'elles accordent
une valeur à la maternité. Donc, sans l'avoir vécu, c'est à se questionner, bien, quelles sont vraiment ses intentions.
Donc, au Canada, je remarque que c'est vraiment des intentions
altruistes. Donc, pour une femme qui n'aurait pas vécu cette expérience-là...
C'est difficile de voir comment vouloir donner quelque chose à quelqu'un sans
l'avoir reçu nous-mêmes.
M. Leduc : Donc, ouverture à ça,
mais pas une position nécessairement tranchée, au moment où on se parle
aujourd'hui, pour que ce soit une condition préalable.
Mme Picard
(Line) : Oui. Je ne me sens
pas assez à l'aise pour avoir une opinion tranchée, oui, considérant
que...
M. Leduc : Je comprends. C'est
parfait. Des fois, les nuances, c'est des meilleures... la meilleure solution
dans cette enceinte.
Sur l'aspect du revenu, ça aussi, on joue, des
fois, sur une mince ligne. Salaire, compensation, ça reste du revenu. Parlant
des cas que vous connaissez ou que vous, vous avez vécus, est-ce que vous
auriez... auriez-vous apprécié avoir un salaire? Parce qu'il y a des
discussions qui se passent, des fois, au fédéral, des projets de loi privés qui
sont déposés, qui sont controversés aussi. Est-ce que la perte de compensation,
ça suffit? Est-ce qu'on ouvre le chantier? Est-ce qu'on réclame au fédéral
qu'on permette d'avoir un revenu, carrément, comme... que ce soit salarié,
cette fonction-là de mère porteuse?
Mme Picard (Line) : O.K. Donc, de
permettre la rémunération, si on veut.
M. Leduc : Est-ce qu'on devrait
aller jusque-là? C'est ça, la question que je vous pose.
Mme Picard (Line) : Encore là, ça,
c'est une question, je pense, qui revient aux experts. Je pense que c'est une
question qui englobe beaucoup d'enjeux éthiques, moraux, puis ça ouvre la porte
à, peut-être, des dérapages aussi. Donc, je ne suis pas certaine d'être la personne
la mieux placée pour trancher là-dessus.
Par contre, comme j'expliquais tantôt, je pense
que, dans toutes les conventions, c'est important d'avoir des balises claires
qui font en sorte qu'aucune femme n'ait à vivre cette expérience-là avec des pertes,
donc qu'il y ait des clauses, là, qui protègent, justement, la femme pour
toutes les éventualités, incluant le remboursement de salaire si la femme
devait manquer des journées de travail, ou autres.
M. Leduc : Je comprends. Merci
beaucoup.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette, s'il
vous plaît.
Mme Hivon : Oui. Merci beaucoup pour
un témoignage très incarné, c'est le cas de le dire, et très éloquent.
Mme Picard (Line) : Merci.
Mme Hivon : On voit aussi que tout
votre background... je dirais, que vos réflexions sont très poussées. Donc,
merci.
Juste un terme de vocabulaire. Je ministre vous
en a posé une, question, par rapport à ce que le Conseil du statut de la femme
nous a dit. Il nous disait aussi de faire attention à l'expression «mère
porteuse» et plutôt de parler de femme porteuse. Je note que c'est l'expression
que vous utilisez, justement, pour faire une distinction qu'on n'est pas mère
du simple fait qu'on porte un enfant. C'est bien ça?
Mme Picard (Line) : Oui, exactement.
En 2009, je pense qu'on ne se posait pas vraiment la question, parce que, pour
nous... en tout cas, pour moi, c'était clair que, même si j'ai utilisé le terme
«mère porteuse» — c'est
d'ailleurs... ça fait partie du titre du livre que j'ai publié — pour
moi, dans ma tête, ça a toujours été clair que je n'ai jamais eu de rôle ou d'identité de mère par rapport à mon projet. Je
pense que le terme a surtout été adopté des Américains, qui ont toujours
utilisé «surrogate mother», à défaut d'avoir un autre terme. Donc, il y a
plusieurs termes qui sont utilisés, «gestatrice», «femme
porteuse». Pour moi, ça revient au même. Puis, oui, s'il y a possibilité
d'utiliser des termes qui sont un petit peu plus clairs sur ce rôle-là, bien,
tant mieux, je pense que c'est une bonne chose.
Mme Hivon : O.K. Merci. Votre
réponse est très claire. Je suis juste curieuse, sans entrer dans les détails
de votre expérience ou des expériences en
général, quand vous dites : Moi, j'avais le goût, évidemment, j'ai eu
différents projets de vie de couples qui m'ont été soumis, par exemple. Tout
ça, là, comment ça se fait, à l'heure actuelle, avec cette espèce de jumelage
là via les agences, j'imagine, ou les cliniques, et/ou, si vous pouvez nous le
dire? Puis vous nous disiez tantôt que ce n'était pas nécessairement ça l'idéal
pour jumeler les intentions. C'est quoi, l'idéal?
Mme Picard (Line) : Bien, pour
jumeler les intentions, peut-être que ça, c'est quelque chose qui peut se faire,
donc, de choisir de vouloir rencontrer des gens puis d'établir une convention.
Ça, je pense que les agences peuvent jouer un rôle à ce niveau-là, puis même
les sites Web.
Moi, je pense que, quand... La décision, la
signature du contrat devrait être faite, à ce moment-là, la rencontre préalable
à ça. Il devrait y avoir quelqu'un d'externe qui permette de vraiment aller en
profondeur, si on veut, dans les attentes liées au projet, donc, que tout le
monde comprenne bien, là, comment ça va se passer.
Mme Hivon : Mais, généralement, là,
pour faire ce jumelage-là, cette rencontre-là, c'est beaucoup via les agences
ou via des sites, même, qui existent. C'est ça que je comprends.
Mme Picard (Line) : Oui. Du bouche à
oreille aussi. Des fois, c'est quelqu'un dans l'entourage. Donc, ça, c'est... Moi, j'appelle plus ça le contact
initial, si on veut, donc, le contact initial, de voir si on sent qu'il
pourrait y avoir quelque chose. C'est un peu comme... Ce serait comme
accepter d'avoir une «date» avec quelqu'un, si on veut. Puis après ça, d'un
coup qu'on rencontre les parents, on peut avoir une discussion. Puis là, bien,
après ça, c'est sûr que ce serait bien d'avoir une tierce personne qui guide un
peu, puis qui sert un peu, peut-être, de médiateur pour rentrer dans des sujets
qui sont peut-être un peu plus difficiles à aborder, puis qui pose des questions,
là, peut-être un petit peu plus pointues pour ouvrir la porte, là, à certaines
discussions qui sont plus difficiles.
Mme
Hivon : Merci.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, Mme la députée.
Mme Picard, merci beaucoup d'avoir été avec nous ce matin. C'est très,
très, très apprécié.
Mme Picard (Line) : Merci. Ça me
fait plaisir.
Le Président (M.
Bachand) : C'est très positif.
Alors donc, cela dit, je suspends les travaux
jusqu'à 15 heures cet après-midi. Merci.
(Suspension de la séance à 12 h 06)
(Reprise à 15 h 01)
Le Président (M.
Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bon
après-midi. La Commission des institutions reprend ses travaux. Nous
poursuivons, donc, les auditions publiques dans le cadre des consultations
particulières sur le projet de loi n° 2, Loi portant sur la réforme du
droit de la famille en matière de filiation et modifiant le Code civil en
matière de droits de la personnalité et d'état civil.
Cet
après-midi, nous entendrons la Commission des droits de la personne et droits
de la jeunesse, le Regroupement des
maisons pour femmes victimes de violence conjugale, mais, d'abord, nous
accueillons Pre Janik Bastien Charlebois.
Alors, bienvenue, cet après-midi, avec nous.
Comme vous le savez, vous avez 10 minutes de présentation, et, par après,
nous aurons un échange. Alors, la parole est à vous. Puis, encore une fois,
merci beaucoup de participer à la commission. Merci.
Janik Bastien Charlebois
Bastien Charlebois (Janik) : Un
grand merci. Donc, si je comprends bien, je peux le retirer, oui?
Le Président (M.
Bachand) : Il n'y a pas de souci.
Bastien Charlebois (Janik) : O.K.
Est-ce que j'ai besoin d'appuyer sur quelque chose pour le... Non? O.K.
Le Président (M.
Bachand) : Les techniciens sont là, oui.
Bastien Charlebois (Janik) : Bien,
tout d'abord, merci beaucoup de me recevoir. Je suis très touchée de ce geste.
Pour moi, ça signale l'intérêt à l'endroit des personnes intersexes puis ça me
donne l'opportunité de faire en sorte que le projet de
loi soit le plus solide possible, qu'il puisse, enfin, ne pas compromettre les
droits humains des personnes intersexes.
Donc, je parle, évidemment, à titre de personne
qui se spécialise sur les questions intersexes. Donc, c'est ma spécialisation
professorale. Il s'agit aussi de mon vécu, c'est-à-dire que suis moi-même une
personne intersexe. Et j'ai aussi participé à des initiatives, donc, de
mobilisation sur les droits humains avec d'autres personnes intersexes, donc,
notamment, à la rédaction de la déclaration de consensus de Malte, en 2013, qui
est considérée comme un point de repère consensuel pour les revendications
intersexes, de même qu'une participation, donc, à l'Organisation mondiale de la
santé dans le cadre de la réforme des codes internationaux des maladies.
Donc, quand
on parle d'intersexuation, de quoi on parle? C'est superimportant qu'on ait un
langage commun. Donc, l'intersexuation, ou «intersexe», est un terme
parapluie qui regroupe une diversité de variations corporelles innées, de
caractéristiques sexuelles qui ne correspondent pas aux définitions typiques
des corps dits mâles ou femelles. Et ces caractéristiques sexuelles peuvent
être les chromosomes, les gonades, les organes sexuels externes et internes, la
production hormonale ou les traits qui apparaissent à la puberté.
Il est très important de comprendre qu'intersexe
ne renvoie pas à l'identité de genre mais à une expérience d'invalidation du
corps sexué de naissance. La majorité des personnes intersexes ont une identité
de femme ou d'homme, donc environ 80 %, tandis qu'il y a quand même une
minorité significative qui ne se sent ni homme ni femme, donc 20 %. De la
même manière, donc, les sexualités sont assez diversifiées chez les personnes
intersexes.
Donc, du côté la situation des personnes
intersexes, donc, au Québec, comme partout en Occident, les enfants intersexes
subissent des modifications corporelles non consenties, irréversibles et qui
n'ont aucun caractère d'urgence. On compte, par exemple, des réductions de
l'organe génital externe, donc, sous les titres de clitoroplastie, des
vaginoplasties et des corrections d'hypospades.
Ces
interventions de nature normative sont condamnées comme des violations des
droits humains par plusieurs organes de traités de l'ONU de même que des
organismes défendant les droits de la personne. Non seulement ces interventions comportent-elles toujours des
risques de perte de sensibilité, de douleur et d'effets secondaires
dommageables, mais elles constituent une agression car se font sans le
consentement.
Les revendications intersexes se centrent sur
l'arrêt des interventions non consenties. Donc, c'est ça, la priorité, plus
qu'une question, là, de reconnaissance d'un troisième genre ou quoi que ce
soit. C'est quelque chose qui est à part. Donc, c'est l'arrêt, le plus
rapidement possible, donc, des arrêts... des interventions non consenties et la
protection de l'autodétermination des personnes, c'est-à-dire qu'il revient à
chaque individu, chaque personne intersexe de décider pour elle-même si elle
désire ou non des modifications corporelles, et, si oui, lesquelles. Donc, on
ne peut pas présumer, à partir du moment où on sait l'identité de genre de la
personne, que cette personne-là va désirer forcément avoir un corps qui rentre
dans les normes. Donc, tout dépend de chaque individu.
Alors, du côté du projet de loi, le projet de
loi, donc, dans sa rédaction première, prévoyait un ensemble de choses, donc, la création de la catégorie
«indéterminé» pour la mention de sexe, la possibilité d'une mention de
genre, néanmoins, pour les personnes avec un sexe indéterminé, de même
qu'initialement, et là j'ai compris que c'était retiré, une obligation de
modification structurelle du corps pour pouvoir faire un changement de mention
de sexe.
Alors, c'est une bonne nouvelle que l'obligation
soit formellement retirée, mais il demeure quand même des risques avec la
présence de la mention «indéterminé» de même qu'avec une double présence de
mentions «sexe», «genre». Et tout ça, bien, ça s'appuie sur qu'est-ce qu'on
veut dire à «sexe» et «genre». Du moins, le fait qu'il y a un dédoublement,
qu'on ajoute «genre», ça laisse entendre que le sexe renvoie à quelque chose de
plus vrai, de plus fondamental, et renvoie à des critères corporels,
c'est-à-dire que, pour pouvoir être classé soit mâle ou femelle, par exemple,
il faudrait qu'on réponde... que notre corps réponde à un ensemble de critères.
Et, en même temps, bien, le sexe, dans... parmi
la population, et je ne sais pas si c'est l'intention du législateur, mais c'est aussi compris comme une
forme de désignation, de renvoi à l'identité de genre. Donc, on présume,
à partir des organes génitaux externes à la naissance, qu'une personne va
développer une identité garçon si elle présente pénis et scrotum et qu'elle va
développer une identité fille si elle entre dans les normes, c'est-à-dire
qu'elle a un clitoris de petite taille et vagin. Avec l'existence de cette
tension-là, on se trouve à avoir à faire face à des défis.
Donc, dans la réalité, donc, sur la pratique
concrète, disons, dans la pratique médicale, les équipes de prise en charge
vont se hâter de déterminer le diagnostic de la personne. Donc là, c'est une
pratique qui est considérée comme étant urgente de savoir... déterminer un
soi-disant vrai sexe ou essayer de trouver un sexe quelconque à l'enfant, et
ceci, parce qu'on estime que les parents, donc, vont se sentir dans l'urgence
aussi. Ils vont être très inquiets. La plupart des parents s'attendent à
pouvoir répondre à la question : Est-ce que j'ai un garçon ou une fille?
Puis, souvent, la convention, c'est que c'est entendu que garçon, fille, ça
repose sur certaines normes corporelles, alors qu'on sait déjà que ce n'est pas
toujours automatiquement le cas.
Et donc, étant donné cet impératif de répondre
rapidement à la question, donc, on se retrouverait devant une situation où il
n'y aurait pas d'interminé qui... de façon pratico-pratique, qui demeurerait
longtemps. Donc, au-delà de deux, trois semaines, c'est assez rare qu'une
équipe médicale ne va pas s'être concertée pour déterminer un genre le plus
probable.
Et, depuis les 20 dernières années, il y a
eu un certain changement dans les pratiques médicales sur le plan de
l'assignation. Donc, on va assigner un genre en fonction du diagnostic qui est
établi. Donc, il existe une très grande diversité de diagnostics intersexes
parce qu'il existe une très grande variété de cas intersexes, et on a établi,
donc, des fréquences d'identité de genre en fonction de chaque variation
intersexe.
Donc, par exemple, pour l'insensibilité complète
aux androgènes, dans l'immense majorité des cas, ce n'est pas la totalité, la
personne va se sentir femme plus tard, et donc, même si cet enfant-là a des
chromosomes XY et des testicules
internes, on va l'assigner comme fille, tandis qu'il y a d'autres cas où
l'insensibilité partielle aux androgènes... où les pourcentages sont beaucoup plus partagés, et, à ce moment-là,
bien, on peut faire une assignation tout en... enfin, une assignation
qui va être une estimation la meilleure.
Et il y a des
équipes médicales, il y a certains médecins qui vont quand même préparer les
parents, c'est-à-dire les avertir du fait qu'il est probable que
l'enfant développe une identité différente, et donc de se préparer à ça, et
d'être capables d'accueillir l'identité de genre de l'enfant. Les parents qui
reçoivent ou qui apprennent la nouvelle que leur enfant n'entre pas dans les
normes, souvent, ils vont être effectivement déconcertés, et vont aussi être
confrontés à beaucoup de langage, de vocabulaire pathologisant, et ils vont se
trouver dans une position très vulnérable.
Donc, il y a peu de parents qui vont être prêts
à envisager la situation où leur enfant serait... resterait dans une espèce de
statut indéterminé, et ce, même si on attribue temporairement une identité de
genre masculin ou féminin, parce que, dans l'esprit de bien des gens, y compris
la moyenne des parents, ils vont estimer que cette attribution d'un genre en présence d'un indéterminé ou en présence d'une
mention de sexe est une espèce de succédané, une espèce... quelque chose
de plus artificiel ou secondaire, et personne ne veut quelque chose qui est
considéré comme artificiel sur le plan de son identité.
• (15 h 10) •
Et donc l'approche intersexe, sur ce plan-là, va
être d'être la plus pragmatique possible, c'est-à-dire d'inviter à faire un détachement entre l'assignation de
genre et les modifications corporelles. Donc, on peut très bien assigner
un genre à un enfant, garçon ou fille. On ne demande pas à ce que les parents
deviennent des révolutionnaires du genre. Je pense qu'il y a peu de parents qui
auraient, disons, la disposition à élever leur enfant de façon neutre. On ne
demande pas ça. Donc, on veut accompagner les parents, faire en sorte qu'on y
aille avec une assignation de genre temporaire sans qu'il y ait cette
présupposition que des modifications corporelles soient nécessaires, et quitte
à, donc, préparer le parent à accueillir l'identité de genre de l'enfant. Donc,
il est très important qu'il n'y ait pas d'exigence, de barrière à la
reconnaissance de cette identité.
Donc, en
termes pratiques ou en termes de solutions, ce serait important de retirer une
mention «indéterminé» et de retirer un dédoublement sexe-genre, donc, de
pouvoir se fonder sur une mention, et que cette mention-là ait une
compréhension du sexe, par exemple, si on décide de prendre une mention de sexe
qui est plus une compréhension, donc, une lunette de genre pour l'enfant. Et
c'est comme ça qu'on va réduire les risques que des parents aillent de l'avant
avec des modifications corporelles.
Donc, voilà.
Je sais que le temps vient d'être écoulé. Je vous remercie beaucoup de votre
attention puis, bien, voilà, j'espère
que ça va pouvoir aider, faire en sorte que le projet de loi puisse... ne mette
pas plus à risque les enfants intersexes.
Le Président (M.
Bachand) : Merci infiniment de votre présentation. Période
d'échange, M. le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Merci, M. le
Président. Pre Bastien Charlebois, bonjour. Merci de participer aux
travaux de la commission. Votre point de vue est très intéressant.
Puis on va aborder la question des enfants.
Juste dire, dès le départ, relativement... J'ai annoncé que, bon, l'objectif, faisant suite au jugement, c'était de
faire en sorte de répondre au jugement. J'ai annoncé également qu'on
allait retirer l'obligation d'avoir une
opération pour changer de sexe. Alors, on va revenir à la situation actuelle.
Même chose également pour le coming out forcé, la perception qui pouvait
être associée à ça. Ça fait que, tout ça, on va corriger.
Puis, je l'ai annoncé, je veux entendre, durant
les consultations, les différents points de vue pour être bien sûr d'aller dans
la bonne direction. Les dispositions qu'on a mises dans le projet de loi,
justement, pour les enfants intersexes... Puis je le disais hier à la députée
de Sainte-Marie—Saint-Jacques,
relativement au fait... L'année passée, on avait fait le projet de loi pour
interdire les thérapies de conversion puis on avait eu cette discussion-là par
rapport aux personnes intersexes, aux enfants intersexes, relativement... du
fait que, souvent, de ma compréhension...
Puis, vous l'avez dit, là, souvent, ça se règle
à l'intérieur de deux semaines, quand un enfant naît avec des organes génitaux
masculins et féminins ou pas... n'est pas nécessairement apparent. Vous l'avez
dit, bien, ça se fait rapidement, la décision, puis c'est comme s'il y avait
une pression. Or, ça se peut que le choix qui est fait par l'équipe médicale ne
représente pas la personne, comment elle se sent. Supposons qu'on décide de
conserver ses organes génitaux masculins, finalement, bien, dans son esprit,
c'est une petite fille, puis elle se sent comme une femme, à ce moment-là, il y
a une dichotomie entre les deux.
Alors, la disposition qu'on a mise, de pouvoir
établir le sexe indéterminé, c'était justement pour prendre le temps puis
laisser le temps de voir comment l'enfant se développe puis de quelle façon il
s'identifie. Mais là je comprends que, de vos propos, vous dites : Ce
serait mieux de ne rien prévoir, de ne pas mettre de mention dans la loi, de ne
pas permettre ce laps de temps là indéterminé, comme on le proposait, pour
prendre le temps. Vous, vous nous dites : Écoutez — puis
vous me direz si je résume bien, là — vous êtes mieux d'enlever ça
puis là de venir assigner un sexe à la naissance, quitte à le changer plus
tard. Est-ce que j'ai bien compris?
Bastien Charlebois (Janik) : Donc,
c'est ça, donc, de permettre un geste d'assignation sans qu'évidemment il y ait
de prérequis de modification corporelle, donc, sur ce geste-là. Préalablement,
dans les anciennes dispositions de loi, les médecins, quand ils cochaient «F»
ou «M», avaient... Il n'y avait pas de nécessité que le corps réponde à
certaines normes pour pouvoir cocher «F» ou «M». Ça va être d'autres logiques
qui vont présider à des interventions non consenties. Donc, dans la littérature
médicale, ils ne vont pas dire : On doit faire les interventions parce que
c'est nécessaire pour inscrire la mention de sexe.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Mais je fais juste préciser ma question, là,
pour être sûr de bien comprendre. Actuellement, dans le projet de loi, on avait
introduit la notion d'indéterminé pour laisser le temps que l'enfant se
développe, grandisse, puis qu'ensuite le choix soit fait par les parents au
moment opportun. Là, vous nous suggérez d'enlever ça, puis, dès le départ, que
les parents décident, avec l'équipe médicale : Bien, on va identifier
«masculin» ou «féminin», même si les organes génitaux... Il n'y a pas
d'opération, dans le fond, mais les parents font ce choix-là. Puis, en grandissant, qu'il y ait ou non une
opération, un ou l'autre, bien, les parents, par la suite, pourraient
modifier le sexe sur les documents officiels de l'État. Dans le fond, vous
proposez... En résumé, là, on fait un choix au départ, tu sais, on vient
assigner — vous
avez dit une assignation temporaire tantôt — on vient assigner, puis,
après ça, trois, quatre, cinq, huit, 10 ans plus tard, à ce moment-là, on
pourra revenir, puis là venir prendre la décision.
Bastien Charlebois (Janik) : Oui,
c'est ça, donc, de voir comment l'enfant s'exprime plus tard. C'est sûr que le
bout où je peux un petit peu me poser des questions, c'est comment on définit
la mention de sexe, tu sais, donc, c'est qu'est-ce qu'on entend par mention de
sexe. Et, si on l'entend comme une affirmation de genre, alors là, oui, il n'y
a aucun problème.
Et il y aura quand même aussi à prévoir des
situations où il y a certains enfants qui... Il y a certaines personnes
intersexes, j'avais parlé de 20 % environ, qui ne se sentent ni homme ni
femme.
Mais, c'est ça, donc, de mettre une catégorie
«indéterminé», c'est très insécurisant pour beaucoup de parents. Donc, ils
préféreraient avoir, la majorité... Ce n'est pas quelque chose qui va les
apaiser ou qui va faire en sorte qu'ils vont s'abstenir d'accepter des
interventions ou des propositions d'intervention de la part d'un médecin.
M. Jolin-Barrette : Juste une
question là-dessus. Là, vous nous parlez... vous dites : Pour les parents,
tu sais, ça représente, en soi, un défi puis...
Bastien Charlebois (Janik) : Pour la
plupart.
M. Jolin-Barrette : Pour la plupart.
L'enfant, lui, comment il vit ça, tu sais, quand il grandit, là? Supposons, là, que, bon, les parents, avec le corps médical,
décident : On va attribuer le sexe féminin. Finalement, c'est un
garçon. En grandissant, le fait d'avoir une transition, le changement, comment
c'est vécu par l'enfant?
Bastien Charlebois (Janik) : Bien,
tant et aussi longtemps que c'est quelque chose qui est désiré par l'enfant,
c'est quelque chose qui va être positif si on l'accueille là-dedans. Je pense
que ça devient plus éprouvant pour l'enfant si on a effectué des modifications
corporelles sans son consentement et que, par la suite, il va faire une modification de cette affirmation de genre,
quoique ça peut être le cas même sans faire de modification. Il y a
beaucoup d'enfants, encore aujourd'hui, qui subissent des interventions non
consenties, puis c'est un long parcours, essayer de se dépêtrer de tout ça.
Donc, le plus on encourage l'autonomie ou l'autodétermination des enfants, le
mieux c'est.
C'est sûr que, quand un enfant est bébé, on ne
peut pas savoir comment l'enfant... avec certitude comment l'enfant va
s'identifier plus tard. Donc là, ça va être de faire en sorte qu'il y ait au
moins quelque chose qui puisse rassurer un peu les parents temporairement, tu
sais, en disant : Bon, bien, voici, tu sais, on estime... — souvent,
les équipes médicales, donc, vont faire un ensemble de tests — on
estime qu'il est plus probable que l'enfant s'identifie de telle, telle façon. Il n'est pas impossible que l'enfant, au bout du
compte, s'identifie quand même d'une autre façon, mais, bon, tu sais,
là, il y a discussion avec les parents, puis on va aller de l'avant avec une
mention, et c'est ça, mais c'est très important que ça ne vienne pas avec une
obligation de modification corporelle.
Et, quand on... Si on arrivait avec un projet de
loi où il y avait à la fois mention de sexe et mention de genre, bien, on crée,
de façon implicite, un code normatif, c'est-à-dire qu'on laisse entendre que tu
as une vérité, en quelque part, tu as un
vrai genre qui est associé à certains... à des normes corporelles, et c'est là
que ça pourrait motiver davantage les parents à aller de l'avant pour
que l'enfant ait des modifications corporelles.
• (15 h 20) •
M. Jolin-Barrette : Donc, je
comprends que c'est préférable d'assimiler l'identité de genre au sexe.
Là, sur la question, là, supposons, de la
pression, là, rattachée, là, parce que, dans le fond, avec les dispositions qu'on a mises, le but, c'était
d'éviter, justement, cette pression-là, tu sais, d'avoir à décider tout de
suite, tout de suite, vous, vous dites : Bien, si, déjà, on a
l'assignation temporaire, ça va enlever cette pression-là sur les parents, ils vont avoir le temps de réfléchir, tout ça.
Comment... Supposons, à la naissance, là, comment vous voyez ça? Est-ce
que cette assignation temporaire là, elle doit être déterminée uniquement par
les parents ou ça doit se faire conjointement, supposons, avec l'accoucheur
puis avec l'équipe médicale?
Bastien Charlebois (Janik) : C'est
fait, généralement, de façon conjointe, en réalité, puis ce n'est pas... Comment dire? Ce n'est pas ce qui pose le plus de
problèmes, que ce soient les parents ou l'équipe médicale qui, au
départ, déterminent un genre qu'ils estiment
être le plus probable de se développer. Le plus important, c'est qu'il y ait un
ajustement ou un accueil de comment l'enfant va s'identifier plus tard, tu
sais, donc, c'est sûr, que cette transition se fasse bien.
C'est sûr que les parents... peut-être pas les
parents, c'est-à-dire, les équipes médicales ont généralement une bonne idée des... de la... enfin, des probabilités
d'identification. Bon, des fois, on peut avoir certains désaccords au
sein de la communauté. Par exemple, si je pense à la variation hyperplasie
congénitale des surrénales, souvent, la tendance des médecins va être de faire
une assignation fille, alors que, dans 5 % à 10 % des cas, les
personnes vont se sentir garçon parmi cette assignation.
Donc, c'est ça. Mais ce
n'est pas... Que ce soit déterminé par les parents ou les équipes médicales,
c'est... enfin, ce n'est pas ce qui est le plus problématique. Ce n'est pas le
centre de la question.
M. Jolin-Barrette : Peut-être une
dernière question avant de céder la parole à mes collègues. Vous avez
dit : Il y a eu une évolution, là, relativement aux enfants qui naissent
intersexes. Vous disiez : À une certaine époque, ça se faisait rapidement,
rapidement. Là, est-ce que je dois comprendre qu'au niveau médical, là, entre
le moment de la naissance... puis, s'il y a des opérations qui ne sont pas obligatoires,
là, mais, s'il y a opération, bien, maintenant, ils prennent le temps, le
cheminement davantage ou c'est encore vraiment rapide?
Bastien Charlebois (Janik) : C'est
très rapide, généralement, avant deux ans. En fait, l'évolution est sur un autre
ordre. L'évolution est sur le fait qu'auparavant on a cru... Je ne veux pas
fonctionner par euphémisme, mais, auparavant, ce qui était déterminant dans
l'assignation, c'était est-ce qu'on se trouve devant une personne qui a un
phallus, qui est capable de pénétrer ou non, donc, si... enfin, si on a une
personne qui a des testicules et qu'elle a un...
Là, je fais une petite parenthèse. Phallus, en
fait... Tu sais, souvent, on va prendre pénis et clitoris, ce sont des conventions, mais les organes génitaux
proviennent d'une même structure originelle, donc un bourgeon génital,
dans l'état foetal, puis il y a un développement qui se fait. Mais il existe
des formes intermédiaires, différentes possibilités intermédiaires de taille
sur, disons, ce que je pourrais appeler, de façon générale, un phallus. Et, un
enfant, donc, qui avait des testicules mais un phallus qui était considéré
comme n'étant pas assez grand pour effectuer une pénétration vaginale, on
estimait que cet enfant-là ne pourrait pas se développer adéquatement comme
garçon et que ce serait, en fait, terrible
de vivre ainsi, et on préférait faire des assignations fille. Donc, on en
faisait une fille. On retirait les testicules, on retirait le phallus,
et c'est ça.
Donc,
aujourd'hui... Et on estimait qu'on pouvait imposer un genre. Donc, on estimait
qu'à condition, évidemment, qu'on s'y prenne très tôt et qu'on soit...
qu'on maintienne fermement une même éducation de l'identité... que cette
identité-là collerait puis que ce serait comme ça que... l'enfant serait
correct. Et, bon, pour les enfants qu'on assigne fille, bien, ça, on estimait
qu'il était important qu'on crée une cavité vaginale pour pénétration. On
estimait qu'il était important que le... ne soit pas trop grand, donc, et qu'on
fasse une réduction clitoridienne. Pendant un temps, jusque dans les
années 70, il y a eu la clitoridectomie.
Et, voilà, tu sais, donc, aujourd'hui, on met de
côté... ou, enfin, depuis la déclaration de consensus en 2005... enfin, 2006,
du côté médical, on estime qu'il est plus important d'essayer de faire les
assignations en fonction des probabilités d'identité de genre plutôt que
d'essayer d'imposer en fonction de, c'est ça, la présentation du phallus.
M. Jolin-Barrette : Je vous remercie
grandement pour votre présentation.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup, M. le ministre. M. le député de Nicolet-Bécancour, s'il vous plaît.
M. Martel : Merci, M. le Président. Bonjour, Pre Bastien
Charlebois. Très content de votre présence aujourd'hui. Je dois vous
avouer, puis vous allez le remarquer par la profondeur de mes questions, que ce
n'est pas une réalité que je connais beaucoup. Et, si je veux en rajouter, en
biologie, ce n'était pas ma matière forte.
Tantôt, au début de votre intervention, vous
avez parlé d'un pourcentage. J'ai entendu 20 % de... À quoi vous faisiez
allusion quand vous parliez du 20 %?
Bastien Charlebois (Janik) : C'est
une estimation d'une étude communautaire réalisée en Australie. C'est l'estimation la plus près du taux d'identité, des
fréquences d'identité. Donc, chez les personnes intersexes, la majorité
se sent homme ou femme, donc, à peu près 80 %, puis 20 %... on a
quand même une minorité significative qui ne se sent ni un ni l'autre.
M. Martel : En général, dans la
population, 100 % des humains, 80 % des humains sont capables
d'identifier s'ils sont homme ou femme, puis il y a 20 % que c'est plus
ambigu. Je comprends bien?
Bastien Charlebois (Janik) : Non.
Non, c'est ça, alors, ça, moi, je renvoyais uniquement à l'identité de genre.
Maintenant, pour les variations corporelles, alors là, je pense, si je
comprends bien votre question, ce que vous aimeriez savoir, c'est la fréquence
de variations intersexes, donc, de fois où il y a... on arrive devant des corps
qui n'entrent pas tout à fait dans les normes typiques mâles et femelles. C'est
bien ça?
M. Martel : Oui, oui,
absolument.
Bastien Charlebois (Janik) : Alors,
c'est très difficile d'avoir une estimation précise, pour un ensemble de raisons, mais, bon, ça peut aller de 0,5 % à
1,7 %, 1,7 % si on prend en considération des différences qui
apparaissent à la puberté. Mais, sinon, si
on regarde du côté de ce qui apparaît à la naissance, c'est plus réduit. Et
évidemment, tu sais, du côté médical et du côté intersexe, nos
définitions vont être différentes. Du côté médical, ils réduisent ça aux fois
où ils ne sont pas certains de l'identité de genre future de la personne,
tandis que, pour nous, on base notre définition sur l'expérience d'une invalidation
de notre corps de naissance parce qu'il n'entre pas dans les normes mâles,
femelles.
Et, c'est ça, donc, c'est une estimation
approximative qui est toujours difficile à établir, parce qu'on a aussi une
situation de détection, surtout, maintenant, avec les tests... soit les tests
préimplantatoires ou certains tests, donc, pendant la
grossesse, où il y a certaines formes, certaines variations intersexes qui sont
détectées, et il y a avortement de foetus intersexes. Donc, ça va réduire les
fréquences. Ça fait en sorte que c'est très difficile à établir.
Mais, c'est ça, tu sais, on a différentes
variations sur le plan des chromosomes. Souvent, on va penser que c'est clair,
tu sais, que les populations se distinguent uniquement mâle-femelle, et mâle,
c'est XY, et femelle, c'est XX, mais ce n'est pas une définition absolue. Donc,
juste sur le plan des chromosomes, on a, des fois, des chromosomes XXX ou
XXY. Il peut y avoir des mosaïques, donc, des personnes qui ont à la fois en
elles des chromosomes XX et XY. Et, du côté des gonades, bien, on va
souvent entendre parler de testicules ou ovaires, mais, bon, il y a aussi des situations où il y a des ovotestis, donc, des
gonades qui combinent tissus testiculaires et ovariens. Puis, bon, je
pourrais décliner comme ça... Alors, c'est ça, ça peut donner une petite idée,
là, d'un point de repère.
Le Président (M.
Bachand) : Tout le temps est passé. Donc, la députée de Westmount—Saint-Louis,
s'il vous plaît.
Mme Maccarone : ...un plaisir
de vous avoir avec nous. Merci beaucoup pour votre témoignage. Je veux renchérir un peu sur la question de mon collègue.
On a parlé du nombre d'enfants qui naissent intersexes, mais j'aimerais
vous entendre en ce qui concerne... Je sais que vous avez fait une demande
d'accès à l'information pour tracer le nombre
d'enfants qui subit une intervention, chirurgie non urgente, peut-être. Je ne
suis pas médecin, ça fait que je n'étais pas là au moment que c'est arrivé. Combien de ces enfants... avez-vous
reçu, comme information, de la régie de l'assurance médicale du Québec,
qui ont subi cette chirurgie? Dans le fond, c'est une mutilation. On va nommer
les choses.
Bastien Charlebois (Janik) : Alors
là, ça adonne que je n'ai plus les chiffres fraîchement à la mémoire, mais
c'était quelques centaines avec...
• (15 h 30) •
Mme Maccarone : Je l'ai, le
chiffre, c'est 898, oui, qui était quand même une surprise, pour moi, de voir
autant d'enfants... Puis je voulais savoir... Selon vous, pensez-vous que c'est
un chiffre qui est exact? Parce qu'il me semble, si un médecin ou un chirurgien
décide d'aller vers l'avant avec une telle chirurgie, il faut avoir une trace
de ça, il faut avoir quelque chose qui est coché. Alors, pensez-vous que c'est
un chiffre qui est exact ou pensez-vous que peut-être... il y a peut-être autre
manière de dire : Bien, j'ai dû faire une intervention, ça fait que, dans
le fond, on n'a pas un vrai chiffre ou un portrait de qu'est-ce qui se passe
ici, dans notre province?
Bastien Charlebois (Janik) : Donc, à
savoir s'il y aurait certains de ces chiffres-là qui se réfèrent à des
interventions qui auraient été nécessaires médicalement?
Mme Maccarone : Oui. Bien, j'ai vu
la grille, qui est quand même assez détaillée, avec toutes les options dont ils
ont le choix de choisir quand ils vont aller vers l'avant à assigner un sexe à
un bébé.
Bastien Charlebois (Janik) : Alors,
il est possible que, dans des cas d'orchidectomie, donc, ça, c'est le retrait,
souvent, des testicules internes... Ils vont rarement retirer des ovaires,
quoique, bon... Il pourrait y avoir certains
cas où il y a risque de cancer véritable, mais c'est complexe, parce qu'il y a
des situations où il y a eu une estimation surélevée de risque de
cancer. Tu sais, je pense, encore une fois, à l'insensibilité complète aux
androgènes. La plupart du temps, donc, il y avait la pratique de retirer les
gonades internes ou les testicules internes. Et souvent, bon, on prétextait le
risque de cancer, alors que, dans les chiffres, d'ailleurs, qui sont dans la
déclaration de consensus de 2006, le risque de cancer est à 3 %. Donc,
pour cette variation-là, ce ne serait pas légitime et... à moins qu'il y ait un
suivi de la personne. Et donc il y a des bases normatives aussi pour le retrait
de testicules internes, surtout si la personne est... Donc, c'est vu comme
étant discordant.
Alors, c'est ça, tu sais, je pense que c'est
important d'avoir une attitude prudente à l'égard, par exemple, de ces chiffres-là sur les orchidectomies ou les
gonadectomies, à savoir qu'il est fort probable qu'il y en ait là-dedans
qui soient fondées sur des motifs normatifs, mais il n'est pas exclu qu'il y
ait aussi des motifs médicalement nécessaires.
Mme Maccarone : Vous devancez ma
prochaine question que j'avais pour vous. Puis ça, c'est... On a quand même des
stéréotypes, on a quand même des préjugés. On est des êtres humains. Sans
jugement, mais je veux adresser l'éléphant
dans la pièce. C'est parce que, souvent, les médecins, ils vont poursuivre à
faire un type de chirurgie pour assigner une identité de genre à un
enfant ou un sexe à un enfant parce qu'ils décident que c'est pour des raisons
médicales. Mais, dans le fond, c'est très peu de cas qui... La réalité, ce
n'est pas pour des raisons médicales, c'est un choix que nous faisions.
Bastien Charlebois (Janik) : Oui.
Bien, alors, c'est ça, tu sais, là, il y a un jeu discursif, dans le sens où la
plupart des... Enfin, pour ce qui est des organes génitaux externes, il n'y a
pas de... il n'y a aucun risque pour la santé. Et, quand les médecins vont
mobiliser le raisonnement de la nécessité médicale, ils vont y faire comprendre
ici une nécessité psychologique. Et le discours traditionnel, dans la pratique
médicale, c'est... enfin, il y a toujours eu cette persuasion-là ou cette
conviction qu'un enfant ne peut pas développer d'identité, garçon ou fille,
adéquate si son corps ne rentre pas dans les normes.
Mais on se trouve devant une situation où c'est
très difficile de faire entendre nos perspectives, comme personnes intersexes,
entre autres, parce qu'on va nous dire : Bien, elles sont où, vos données?
Mais la majorité des personnes ont subi des interventions
non consenties. Ça fait qu'on se trouve devant une possibilité... enfin, une
situation d'impossibilité de démonstration, sauf... Enfin, il y a des personnes
qui ont pu échapper, tu sais, à travers les
mailles du filet, et ces personnes ont témoigné de leurs expériences, et tout
ça, et du fait que... Bien, tu sais, la plupart vont signaler comment c'était bien, pour elles, de pouvoir être
autonomes, de pouvoir décider pour elles-mêmes, mais ça va être réduit à
des anecdotes.
Mme Maccarone : On a beaucoup
entendu, en ce qui concerne le projet de loi n° 2, que c'est l'avenir de
nos enfants, il faut protéger les enfants, il faut toujours garder l'enfant au
centre de nos débats. Alors, selon vous, est-ce que ce serait important, comme
législateurs, de promettre l'interdiction, d'abord, des médecins de poursuivre
avec de telles chirurgies?
Bastien Charlebois (Janik) : Ce
serait idéal éventuellement. Évidemment, dans une perspective intersexe, on voudrait que ça se fasse le plus rapidement
possible. En même temps, c'est très délicat, parce que, bon,
historiquement, les législateurs vont être très frileux à légiférer dans la
pratique médicale, et, inversement, les médecins sont très opposés à se faire
légiférer. Et un tel projet de loi, puis il commence à y avoir des rédactions
de projets de loi un petit peu partout dans
le monde, doit être très bien réfléchi, doit être mûrement réfléchi pour
s'assurer qu'il n'y ait pas de... disons, de brèche et qu'en même temps
on prenne en considération les situations où il y a une nécessité médicale,
donc, de savoir bien départager les choses.
Mme Maccarone : Parlez-nous un peu
du phénomène de manque de l'information que nous avons. Il n'y a aucune donnée.
Qu'est-ce que vous proposez que nous fassions pour s'assurer que c'est bien
documenté?
Bastien Charlebois (Janik) : Bien,
c'est une très bonne question, c'est une grosse question. Alors, tout d'abord,
pour la question des données, disons, qui émanent de la Régie de l'assurance
maladie, je pense que ça aiderait de savoir s'il n'y a pas une probabilité que
certains actes soient inscrits sous d'autres titres que ceux pour lesquels on a fait la requête. Parce que c'est un
peu le cas en Ontario, c'est extrêmement difficile d'obtenir les données
parce que différents termes peuvent être employés. Donc, de pouvoir avoir le
coeur net sur, disons, l'exactitude et la complétude des informations, ce
serait quelque chose qui aiderait.
Puis d'avoir une information à l'inverse,
c'est-à-dire qu'en fonction de chaque variation intersexe quelles sont les
interventions qui vont être pratiquées. Mais ça, je comprends qu'on n'a pas les
données. Et d'ailleurs, c'est ça, tu sais,
on a un ancien système de classification des maladies. Tu sais, je pense que...
Là, on est rendus au système 11, à l'Organisation mondiale de la
santé, puis je pense qu'on vient de passer tout juste au 9 ou au 10 au Québec.
Donc, c'est sûr que ça rend la cueillette d'informations assez difficile sur ce
plan-là, parce qu'il y a des aspects qui sont plus liés à la confidentialité,
puis ça, c'est sûr que c'est important de protéger la confidentialité des
patients.
Mme Maccarone : Je comprends tout à
fait. C'est très complexe. Par rapport à l'âge de consentement, on sait que le
consentement médical, c'est à 14 ans, le consentement pour une relation
sexuelle, c'est 16 ans, l'âge de la majorité est 18 ans. Quelle est
votre opinion en ce qui concerne l'âge de consentement, 14 ans, pour le
changement d'identité de genre?
Bastien Charlebois (Janik) : Oui. Je
pense que ça devrait être aligné sur le 14 ans, donc prendre les mêmes
points de repère que ceux qu'on a prévus dans la loi.
Mme Maccarone : O.K. Vous avez
proposé, dans vos remarques et aussi dans votre mémoire, que nous devons
préparer les parents. Je sais qu'on devrait avoir, peut-être, une campagne de
sensibilisation aussi. Qu'est-ce qui est votre recommandation, en ce qui
concerne ceci, pour s'assurer que, non... On a un collègue, autour de la table,
qui dit lui-même : Il y a un manque de l'information. Que pouvons-nous
faire pour s'assurer que la population est plus sensibilisée aux réalités des
personnes intersexes?
Bastien Charlebois (Janik) : Bien,
je verrais deux niveaux. Déjà, il serait très important qu'il y ait un
accompagnement psychosocial adéquat auprès des parents, et un accompagnement
psychosocial qui soit indépendant des équipes médicales. Parce que la culture
médicale est très hiérarchique, et les psychologues qui travaillent à
l'intérieur des équipes, donc, doivent, disons, tout simplement suivre
l'autorité des chefs de service. Et ça peut donner des situations où...
D'ailleurs, il y a une mère qui a témoigné à cet égard, qui, elle, quand son
enfant est né, en 1998, avait reçu un petit peu d'accompagnement psychosocial, mais
l'objectif de l'accompagnement, c'était de la réconcilier avec la prescription
médicale. Donc, ce n'était pas quelque chose qui, vraiment, était là pour,
disons, appuyer un accueil de l'enfant. Alors, c'est ça, cet accompagnement
psychosocial doit être indépendant et doit être dépathologisant.
On sait que de présenter l'enfant avec des
termes pathologisants va induire une vision de l'enfant chez les parents. Donc,
il y a plus de probabilités que les parents décident d'aller de l'avant avec
des recommandations de chirurgie si on emploie un discours pathologisant que si
on n'emploie pas de discours pathologisant. Donc, ça, c'est un premier niveau.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup. Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques, s'il vous plaît.
Mme Massé :
Merci, M. le Président. Bonjour, Janik. Quand tu parles de discours
pathologisant, qu'est-ce que tu veux dire?
Bastien Charlebois (Janik) : Bien,
dans la pratique médicale, on va nous qualifier de désordre ou on va dire qu'on a des malformations, qu'on a un défaut ou
que notre corps est incomplet. Bon, je pourrais en énumérer plusieurs, là. Mais, depuis 2006, c'est la
pratique d'employer la terminologie «désordre du développement sexuel»
pour nous.
• (15 h 40) •
Mme Massé : Donc, c'est ça, quand
vous parliez d'invalidation, c'est que vous êtes né avec le corps où vous êtes
né, puis là, bien, il y a du monde qui ont l'autorité médicale, qui viennent
dire à tes parents : Pas tout à fait normale, cette petite bête là, ça fait
qu'il faudrait la réenligner un petit peu.
Bastien Charlebois (Janik) : Oui,
bien, c'est ça, c'est un... disons, c'est le prolongement des perspectives très
hétéronormatives, c'est-à-dire qu'on estime que tout être humain devrait...
aurait une destinée hétérosexuelle, et que, si tu n'as pas un corps qui se
prête à des relations hétérosexuelles, bien, tu as un défaut.
Mme Massé : Donc, ce que je
comprends des recommandations, c'est retirer l'«indéterminé», c'est de ne pas
stigmatiser, c'est d'accepter que, dans les faits, la mention de sexe, puisque
c'est de ça qu'on parle principalement ici, soit une mention, bien sûr,
assignée à la naissance, mais, à n'importe quel moment donné dans sa vie, la
personne va pouvoir se réaffirmer dans son genre, si tel est le cas. C'est vrai
pour les intersexes, mais c'est vrai pour tout le monde.
Bastien Charlebois (Janik) : Exactement.
Mme Massé : Et donc il y a quelque
chose de l'ordre... d'un peu normaliser que, dans la vie, il n'y a pas juste
des vrais gars avec un vrai pénis, de telle façon, puis des vraies femmes avec
un... C'est un peu ça, là, c'est de lâcher du lousse là-dessus puis de se
dire : Dans le fond, chaque être humain, il est comme il est, et donc
évitons les interventions et permettons aux personnes de devenir celle qu'elle
est et de le choisir éventuellement.
Bastien Charlebois (Janik) : Oui,
oui. Je pense que, si, socialement, on en vient à comprendre que... La variable
sexe, dans le fond, c'est une convention. C'est sûr que la plupart des
individus vont se retrouver, tu sais, avec certains points de repère normatifs,
tu sais, qu'on va comprendre comme étant mâle ou femelle, mais il existe, dans
l'absolu, une grande diversité, puis une personne ne va pas être moins femme si
elle a des chromosomes XY ou si elle a des testicules internes.
Le Président (M.
Bachand) : ...
Mme Massé : Bien, merci de votre
présentation.
Bastien Charlebois (Janik) : Merci.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette, s'il
vous plaît.
Mme Hivon : Oui. Merci beaucoup.
Très, très intéressant. Tantôt, vous avez dit à ma collègue... Parce que, bon,
vous rejetez l'idée de mettre «indéterminé», je vous suis très bien là-dessus,
puis vous avez dit : Pour ce qui est de l'assignation, on va y aller en
lien avec les probabilités. Comment on détermine les probabilités?
Bastien Charlebois (Janik) : C'est
que les... Bon, quand il y a eu des critiques intersexes dans les
années 90, les médecins se sont rapidement retournés de bord là-dessus,
parce qu'ils s'étaient associés à toute l'affaire Reimer, d'ailleurs, tu sais,
qui avait causé tout un scandale. Et il a fallu qu'il y ait une révision de la
croyance qu'on peut imposer une identité de genre. Et ils ont fait des suivis
auprès de différentes variations intersexes pour essayer de voir quelles
étaient les probabilités de développement identitaire, donc de voir... d'ailleurs... tu sais, parce que, souvent, ils
avaient imposé des identités de genre, et de voir, bien, à quel point il y
avait eu des affirmations de genre différentes. Et ça, bien, ça guide la
pratique. Ce n'est pas parfait, puis là je pourrais en parler longtemps, là,
mais, c'est ça, il y a quand même eu cette direction-là, à des grands égards,
là, d'y aller en fonction des probabilités.
Mme
Hivon : Donc, il y
a des études qui viennent un peu... qui viendraient guider la famille, les
parents et les médecins pour dire : Voici, on aurait... ce serait plus
logique de donner cette identité-là. Mais évidemment les choses peuvent
complètement changer dans la suite des choses, là.
Bastien Charlebois (Janik) : Oui,
c'est ça. Tu sais, je pense qu'il y a une part de correct là-dedans, tu sais.
C'est sûr qu'il y a des aspects où ça peut devenir compliqué. Tu sais, bon, par
exemple, l'hyperplasie congénitale des surrénales, bien, souvent, les médecins
vont dire : Ce sont des filles, puis là il y a une imposition... bien,
enfin, l'assignation, ce n'est pas si pire, c'est qu'il y a une présomption où
on va insister sur le fait que ce sont toutes des filles
fondamentalement, alors que, dans 5 % à 10 % des cas, les personnes
vont s'affirmer garçon, et on va souvent procéder à des interventions non
consenties.
Mme Hivon : Est-ce qu'il y a des
études longitudinales pour voir la cohérence dans le temps avec ce qui avait
été anticipé comme probabilité?
Bastien Charlebois (Janik) : Oui,
jusqu'à un point, mais c'est difficile, parce qu'il y a des personnes qui sont
perdues de vue, pour un ensemble de raisons, donc, certaines parce que, bon, on
n'a plus l'adresse ou certaines ne veulent absolument plus rien savoir du corps
médical.
Et il y avait tendance... Et je reprends
l'exemple de l'hyperplasie congénitale des surrénales, il y a souvent un
attachement ou une... enfin, une tendance, chez les médecins, à réduire les
estimations de l'identité garçon. Et, c'est ça,
même quand il y a des personnes qui affirmaient une identité autre,
les équipes, les psychiatres au sein des équipes essayaient de, disons,
réduire ou de mettre un frein à ça. Donc, c'est ça. Alors, ce n'est pas
parfait. Les estimations sont bonnes jusqu'à un certain point.
Mme
Hivon : O.K.
Merci.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. Alors, Janik Bastien Charlebois,
professeure au Département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal,
merci beaucoup d'avoir été avec nous. C'est très apprécié.
Cela dit, je suspends les travaux quelques
instants afin d'accueillir nos nouveaux témoins. Merci beaucoup. À bientôt.
(Suspension de la séance à 15 h 46)
(Reprise à 15 h 53)
Le Président (M.
Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend
ses travaux. Alors, il nous fait plaisir d'accueillir les représentants de la Commission
des droits de la personne et des droits de la jeunesse, des gens, bien sûr,
qu'on connaît.
Alors,
Me Tessier, merci beaucoup d'être ici avec Me Montminy et
M. Blouin. Alors, comme vous connaissez les règles, j'en suis
convaincu, Me Tessier, des commissions parlementaires... Alors, encore une
fois, bienvenue. Donc, 10 minutes de présentation, et, après ça, l'échange
avec les membres de la commission. Donc, Me Tessier, la parole est à vous.
Encore une fois, merci beaucoup d'être avec nous cet après-midi.
Commission des droits de la personne et des droits de la
jeunesse (CDPDJ)
M. Tessier (Philippe-André) : Merci,
M. le Président, Mmes et MM. les députés, M. le ministre. Donc, Philippe-André
Tessier, président de la Commission des droits de la personne et des droits de
la jeunesse. Je suis accompagné de Samuel Blouin, chercheur, et
Me Karina Montminy, conseillère juridique à la direction de la recherche
de la commission.
Je veux juste rappeler, d'entrée de jeu, que la
mission a pour... entre autres missions d'assurer le respect et la promotion
des principes énoncés dans la Charte des droits et libertés de la personne.
Elle assure également la protection de l'intérêt de l'enfant ainsi que le
respect et la promotion des droits qui lui sont reconnus par la Loi sur la
protection de la jeunesse, et c'est donc à ce titre que la commission a examiné
le présent projet de loi.
Compte tenu de l'ampleur et de l'importance des
modifications proposées par le projet de loi qui vise à réformer le droit de la
famille ainsi qu'à donner suite à la décision rendue par la Cour supérieure
dans l'affaire Centre de lutte contre l'oppression des genres, nous sommes ici
pour vous faire part des grandes orientations de la commission sur les sujets
pour lesquels nous estimons nécessaire d'attirer votre attention à cette étape
des travaux parlementaires. Nous allons vous transmettre, au cours des
prochaines semaines, un mémoire qui traitera de façon plus détaillée de ces
sujets et d'autres thématiques visées par le projet de loi.
L'objectif
annoncé de cette partie de la réforme du droit de la famille, soit de
considérer les enfants d'abord, rejoint pleinement l'une des préoccupations de la commission, de rendre
effective la reconnaissance de l'enfant comme titulaire de droits.
Rappelons qu'à l'occasion des consultations tenues par la Commission spéciale
sur les droits des enfants et la protection de la jeunesse elle a, en ce sens,
insisté sur l'urgence pour le gouvernement d'agir pour renforcer le respect des
droits de l'ensemble des enfants et garantir la pleine protection de leur
sécurité et de leur développement.
De façon plus particulière, la commission se
réjouit des modifications proposées en vue d'élargir la portée du droit à la
connaissance des origines pour les enfants adoptés et pour ceux nés d'un don de
gamètes ou d'une gestation pour autrui. Comme elle l'a souligné dans le passé,
ce droit trouve son fondement dans le droit à l'intégrité et à la liberté de sa
personne, la reconnaissance de la personnalité juridique, le droit à la
sauvegarde de sa dignité, le respect de sa vie privée et le droit à
l'information, lesquels sont reconnus tant par la charte québécoise que par le
droit international, notamment la Convention relative aux droits de l'enfant.
La commission accueille en outre positivement la
consécration du droit à la connaissance de ses origines dans la charte. Compte
tenu du statut de cette dernière dans le corpus normatif québécois, l'ajout
proposé viendrait lui
accorder une valeur importante. La commission souhaite vous faire part du
questionnement que soulève l'inscription dans le chapitre IV de la
charte, relatif aux droits économiques et sociaux. Tel que mentionné
précédemment, il est plus généralement associé, ce droit, à certains droits
fondamentaux déjà énoncés au chapitre I de celle-ci et semble davantage
appartenir à cette catégorie de droits.
Ensuite, la commission ne peut passer sous
silence la proposition d'introduire un cadre légal de la gestation pour autrui
dans le Code civil. Tant des experts du milieu juridique que des sciences
sociales militent en faveur d'un encadrement législatif dans le contexte où
cette forme de procréation assistée se pratique déjà au Québec. Ainsi, disposer de règles claires contribuerait à
s'assurer que tout projet parental impliquant la gestation par une tierce
personne se réalise dans le respect des
droits de l'enfant et de son intérêt ainsi que les droits des femmes ou
personnes qui acceptent de donner naissance à l'enfant.
La commission, qui avait, en 1991, émis des
réserves sur la reconnaissance de cette pratique dans le Code civil, souscrit à
ce postulat, considérant les avancées réalisées en la matière du point de vue
médical et des développements judiciaires. De l'avis de la commission, la
finalité qui doit être recherchée est celle d'assurer à l'enfant et à la femme
qui accepte de donner naissance à ce dernier le respect des droits qui leur
sont reconnus par la charte. Pour la femme ou la personne qui a accepté de
donner naissance à un enfant, citons le droit à la vie, à l'intégrité et à la
liberté de cette personne, le droit à la sauvegarde de sa dignité, le droit au
respect de sa vie privée et le droit à l'égalité. Pour l'enfant né d'un tel
projet parental, mentionnons, entre autres, son droit à la protection, à la sécurité et à l'attention que ses parents ou les
personnes qui en tiennent lieu peuvent lui donner. Les règles
d'encadrement de la gestation pour autrui proposées par le projet de loi
poursuivent, de l'avis de la commission, cette finalité au regard des droits de
la charte.
Sur un autre
sujet, la commission estime important de souligner l'avancée, en droit
québécois, que représenterait la reconnaissance des effets de la
violence familiale dans le droit commun, particulièrement sur les droits des
femmes et des enfants, qui en sont les
principales victimes, rappelons-le. Les actes de violence familiale constituent
incontestablement des atteintes graves à plusieurs droits de la charte, dont
les droits fondamentaux.
La commission tient, à cet égard, à saluer la
proposition d'ajout, au Code civil, prévoyant que l'autorité parentale s'exerce sans violence aucune.
Cependant, l'expression peut soulever certaines questions, notamment
quant à l'interprétation qui en sera donnée par les acteurs du système
judiciaire et aux impacts que pourrait avoir un tel libellé. Par exemple, on peut se demander si la notion introduite
engloberait l'ensemble des formes de violence prévues par la Loi sur le divorce, telles que les abus
sexuels, l'exploitation financière et les comportements coercitifs et
dominants.
Dans cette même perspective, la commission
estime nécessaire de vous faire part d'autres préoccupations concernant les
différentes façons de qualifier la violence dans le projet de loi. En effet, la
disposition relative au consentement aux soins du Code civil ainsi que
l'article lié à l'interrogatoire et au contre-interrogatoire des victimes du Code
de procédure civile réfèrent à la violence familiale ou sexuelle, alors que
d'autres modifications au Code civil visent uniquement la violence familiale,
de telle sorte que, lorsque le terme «violence familiale» est employé, il n'est
pas clair si cela inclut d'autres formes de violence.
À ce sujet, à l'instar du comité d'experts sur
l'accompagnement des personnes victimes d'agressions sexuelles ou de violence
conjugale, la commission estime que la violence conjugale devrait être nommée
explicitement dans le Code civil et dans le Code de procédure civile. En effet,
l'inclusion de ce terme assurerait une prise en compte, en contexte de litige
familial, de l'impact de cette violence sur les enfants et le parent victimisé.
Sur un autre thème, la commission est hautement
préoccupée des graves répercussions que pourraient avoir les modifications
proposées aux mentions de sexe ou de genre dans les actes de l'état civil sur
la réalisation de plusieurs droits des personnes trans, non binaires et
intersexes inscrits dans la charte. Elle déplore, par ailleurs, que les
présentes consultations se tiennent alors que des personnes qui interviennent
n'ont pas pu prendre connaissance des amendements annoncés et ne pourront se
prononcer sur ceux-ci. Cela dit, elle applaudit la proposition qui vise à reconnaître
l'identification de genre non binaire. Il s'agirait d'une avancée majeure pour
les personnes concernées.
Précisément, la commission s'oppose à toute
modification qui aurait pour effet de dévoiler le fait qu'une personne est
trans à toutes les personnes auxquelles elle devrait présenter son acte de
naissance ou un certificat d'état civil.
C'est ce qu'elle appréhende par l'ajout d'une mention de l'identité de genre
distincte de celle de la mention de sexe dans l'acte de naissance. Le
dévoilement forcé, qui pourrait résulter de la non-concordance de ces mentions
entre elles, porterait atteinte à la vie
privée, à la dignité et à l'égalité des personnes trans, qui sont toutes
garanties par la charte.
Ajoutons que la non-concordance entre les
documents d'identité et son identité de genre affecte la réalisation des droits
économiques et sociaux des personnes trans et non binaires, eux aussi garantis
par la charte. Comme l'écrit le juge Moore dans la décision Centre de lutte, le
fait de devoir présenter des pièces d'identité révélant leurs modalités de
genre amène les personnes trans et non binaires à se retirer de situations
pouvant les exposer à la violence et à la discrimination, comme l'inscription
dans un établissement scolaire, la recherche d'un emploi ou la demande de soins
de santé.
• (16 heures) •
Concernant les dispositions proposées
relativement à l'ajout ou au changement d'une mention de l'identité de genre
pour les personnes mineures de 14 ans et plus, la commission est contre le
maintien de l'exigence de fournir une lettre d'une personne appartenant à une
profession désignée attestant que le changement est approprié. En 2015, la
commission avait déjà estimé qu'une telle condition est problématique parce
qu'elle contredit le mouvement de... dépathologisation, pardonnez-moi, de la
transidentité. Elle serait également en décalage par rapport à l'autonomie
reconnue aux enfants de 14 ans et plus pour prendre les décisions les
concernant ayant de plus grandes implications qu'un changement administratif
notamment en matière de soins.
La
commission s'objecte également catégoriquement au retour proposé des exigences
de subir des traitements médicaux et des interventions chirurgicales
pour obtenir un changement de la mention du sexe apparaissant sur l'acte de naissance. Son retrait, en 2015, répondait à
des recommandations formulées par la commission en 2007, 2012 et 2013.
La commission avait alors démontré qu'une
telle condition constituait une atteinte discriminatoire aux droits des
personnes trans à l'intégrité, à la
reconnaissance de leur personnalité juridique et à la dignité, ainsi qu'au
respect de leur vie privée.
La commission craint aussi les effets
potentiels, sur l'exercice des droits des personnes intersexes, de la possibilité d'indiquer à l'acte de naissance que
le sexe est indéterminé. Une telle mention, encore une fois, dévoilerait
que la personne est intersexe, portant ainsi
atteinte au droit au respect de sa vie privée, et l'exposerait potentiellement
à une discrimination. De plus, l'obligation de modifier la mention
«indéterminé» dès qu'il serait possible pour un médecin d'assigner un sexe
ajouterait à la pression médicale et sociale à la normalisation des organes
génitaux des personnes intersexes. Les droits à l'intégrité, à la dignité, à la
vie privée et à l'égalité de ces personnes pourraient s'en trouver sérieusement
compromis.
Ces commentaires conduisent à se demander si le
potentiel d'atteinte aux droits, notamment à la vie privée et à l'égalité, que
recèlent les mentions de sexe et d'identité de genre sur les actes de l'état
civil est véritablement justifié par leurs avantages pour la réalisation
d'autres droits ou d'autres considérations d'intérêt public, comme
l'identification des personnes ou la prestation de services adaptés en fonction
du sexe.
À ce propos, la commission a insisté à de
nombreuses reprises sur l'importance de la collecte de données liées à des
motifs interdits de discrimination, dont font partie le sexe et l'identité de
genre. En effet, ces données sont indispensables
pour évaluer les effets potentiellement discriminatoires des politiques et
prévoir des mesures correctrices au besoin. Elle a néanmoins précisé
qu'une telle collecte visant... doit viser la mise en oeuvre du droit à
l'égalité et ne doit pas créer ou accroître les discriminations ou les préjugés
visant les groupes marginalisés. Elle doit également se faire conformément à
l'ensemble des droits inscrits à la charte, notamment celui de la vie privée.
Des données sur le sexe et le genre pourraient ainsi être recueillies dans le
respect de la charte, sans qu'il ne soit toutefois nécessaire de faire figurer
ces informations sur les actes de l'état civil ou d'autres documents
d'identité, comme le suggèrent les principes de Yogyakarta plus 10, définissant
des normes juridiques internationales relativement à ces questions.
En terminant, la commission tient à saluer les
efforts importants consentis par le législateur pour réviser la terminologie
genrée employée dans plus d'une trentaine de lois. Dans la foulée, nous
incitons le législateur à considérer la charte dans cet exercice de révision
terminologique.
Je vous remercie, et nous sommes disposés à
répondre maintenant à vos questions.
Le Président (M.
Bachand) : Merci, M. Tessier. M. le ministre, s'il vous
plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui. Merci,
M. le Président. Me Tessier, Me Montminy, M. Blouin, bonjour.
Merci de participer aux travaux de la commission.
Premier point. Relativement à la notion de
violence familiale qu'on vient introduire, on a eu cette discussion-là hier
avec un autre groupe, dans le fond, le législateur décide de venir, justement,
nommer la notion de violence familiale dans la prise en compte, pour l'intérêt
de l'enfant, si jamais il y a une situation de garde, et d'indiquer au tribunal, de dire : Vous devez considérer la
violence familiale, notamment en matière de garde d'enfant. Parce que
les témoignages qu'on a reçus sont beaucoup
à l'effet de dire que certaines femmes n'allèguent pas la violence
familiale, la violence conjugale qu'il y a dans le cadre du couple, parce qu'on
dit : Bien, écoutez, la violence est... c'est de la violence conjugale,
c'est de la violence contre madame, mais monsieur est un bon père.
Alors, ça, on ne veut pas ça, là. On ne veut pas
ce genre de raisonnement là, parce que la violence contre madame a des impacts sur les enfants également.
Même si ce n'est pas dirigé directement contre les enfants, ça fait
partie de la violence familiale, la violence
conjugale au sens large, ça fait que c'est pour ça qu'on inscrit «violence
familiale».
Vous, vous
dites : Écoutez, il faut nommer la violence conjugale. Moi, je vous
dirais... Hier, on avait la suggestion «violence conjugale, violence
physique, violence psychologique». Ça englobe toutes ces formes de violence là.
Je l'ai dit hier, je vais le redire en étude
détaillée, mais, notamment, on peut... Je ne voudrais pas qu'on se retrouve,
dans le feu de ça, parce que, vous savez, on modifie le code là-dessus aussi...
mais je ne voudrais pas qu'on exclue certains types de violence, qui seraient
définis pour le futur. Et on veut laisser la possibilité au tribunal
d'interpréter largement cette notion de violence familiale là. Donc, je tenais
à vous le dire pour préciser notre intention à ce niveau-là.
Bon, sur la question de la gestation pour
autrui, vous êtes d'accord à ce qu'on mette un encadrement, tel qu'on le
propose, pour protéger les mères porteuses ainsi que l'intérêt des enfants.
M. Tessier (Philippe-André) : Oui,
tout à fait. Donc, c'est le sens des propos.
Peut-être, simplement, sur le commentaire, là,
par rapport à ce qui est de la violence, évidemment, on le dit, on salue le
fait que le législateur vient un peu briser ce silence-là. Donc, on vient
reconnaître explicitement. Donc, on adhère à cette modification-là.
Cela dit, la
notion de violence familiale, elle n'est pas définie. Évidemment, donc, il y a
un exercice interprétatif qui sera confié aux tribunaux pour venir un
peu... venir définir et baliser. Mais ce à quoi on fait référence, c'est au
fait que... Et, notamment, on a tenu le même
genre de propos sur le projet de loi n° 59
visant à modifier la Loi sur la santé et sécurité au travail, porté par
le ministre du Travail, dans lequel on parlait de violence physique et
psychologique, et on a... On parlait d'inclure la violence conjugale ou
familiale.
Donc, on attire bien
humblement l'attention du législateur sur le fait qu'il y a, ici, des termes
utilisés dans un projet de loi récemment adopté par l'Assemblée nationale qui
reprennent le vocabulaire «conjugale ou familiale». Donc,
il y a aussi, ici, dans notre exercice à nous, une sensibilisation au
législateur à une certaine cohérence dans la rédaction législative pour éviter
d'en échapper. Le but de tout le monde, je pense, ici, c'est, évidemment, de
couvrir l'ensemble des violences, donc, que le ministre a décrit, M. le
Président.
Et donc, pour ce qui
est de la gestation pour autrui, effectivement, tel qu'indiqué dans nos
commentaires, donc, le cadre annoncé, là, nous semble conforme à ce moment-ci.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Bon, avec la convention notariée, vous êtes à
l'aise, tout ça, avec l'encadrement. Question. On a eu, depuis hier, là,
différents intervenants qui présentent des points de vue opposés, à savoir
est-ce que, pour la mère porteuse qui décide de faire un projet parental, il
devrait y avoir une grossesse préalable. Qu'est-ce que la commission en pense?
Est-ce que ça pourrait être un motif de discrimination?
Là, moi, je suis...
Dans le fond, de la façon dont on a construit le projet de loi, c'est pour toujours,
en tout temps, respecter l'autonomie de la
femme en lien avec son corps, avec ses propres décisions. Certains nous
suggèrent de dire : Bien, écoutez, vous devez déjà avoir eu une grossesse
préalable. Qu'est-ce que la commission en pense, de ça, de cette suggestion-là?
Parce que ce n'est pas dans le projet de loi, là.
M. Tessier
(Philippe-André) : Oui, tout à fait. Bien, ça me permet peut-être de
cadrer aussi notre propos aujourd'hui. Évidemment, il y a des éléments sur
lesquels on pourra se prononcer plus en détail dans notre mémoire, qui sera fourni à la commission parlementaire
avant l'étude détaillée, là, je veux juste rassurer les parlementaires là-dessus.
Donc, vous pourrez avoir le bénéfice de notre position plus détaillée sur
certains éléments.
Maintenant, la
question, cette question-là spécifique en est une que nous n'avons pas étudiée
ou analysée à ce moment-ci, à moins que mes collègues aient quelque chose à
ajouter de spécifique là-dessus. Mais ce n'est pas une question sur laquelle on
avait à se prononcer aujourd'hui.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Un des objectifs de l'encadrement de la
gestation pour autrui, c'est d'éviter la commercialisation puis la
marchandisation du corps de la femme. C'est pour ça qu'on va avoir un cadre
très strict puis c'est pour ça également qu'avec l'international on vient
encadrer tout ça. Puis il va y avoir une liste d'États pour faire en sorte que,
justement, il n'y ait pas de Québécois puis de Québécoises qui aillent à
l'étranger exploiter aussi des femmes qui seraient dans une situation de
vulnérabilité. On pense aux usines à bébés, tout ça, dans certains pays. Donc,
on veut éviter ça.
On a eu des
commentaires relativement à l'encadrement des agences puis du fait qu'on
devrait peut-être les interdire, tout ça. Qu'est-ce que vous pensez de ça?
M. Tessier
(Philippe-André) : Oui. Bien, ça, écoutez, ça me permet peut-être de
dire aussi que, bon, évidemment, il est essentiel ici, dans ce projet de loi
là... Puis on comprend que c'est un peu ce qui anime le législateur, là, dans les travaux qui sont en cours présentement, c'est
qu'il faut que les femmes qui acceptent de donner naissance à l'enfant, elles soient informées de
leurs droits avant la conception, pendant la grossesse, à
l'accouchement, que les parents d'intention soient également informés de leurs
droits, de leurs obligations. Le rôle du notaire, on y a fait référence, est
également important. Et la commission est favorable, de façon préliminaire, là,
à un encadrement, un meilleur encadrement qui permet justement ce respect des
droits de l'enfant, des droits de la femme, de la personne qui a accepté de
donner naissance.
Et
on appuie aussi la voie administrative, parce qu'évidemment l'idée, ici, c'est
d'avoir une façon de fonctionner qui
est bien encadrée, qui est bien balisée. Évidemment, encore une fois, là, notre
analyse plus détaillée sera faite dans notre mémoire, mais ce sont les
grands principes généraux autour desquels on s'articule, on articule notre
position.
• (16 h 10) •
M. Jolin-Barrette :
O.K. Un autre volet, sur la question de la connaissance des origines, dans
le fond, on vient... On va plus loin que le
projet de loi n° 113, qui avait fait un pas, mais, vraiment, on donne accès sur
deux volets, bon, pour les enfants qui ont été confiés à l'adoption,
également sur la fratrie, également sur les descendants, pour la connaissance
des origines.
Parallèlement à ça,
puisqu'on instaure la gestation pour autrui, on vient dire également aux
enfants qu'ils ont droit, à la gestation pour autrui. Puis on a eu un
témoignage éloquent, hier soir, également, d'une personne issue de
contributions... de matériel génétique donné d'un tiers, puis je pense que ça
illustrait vraiment le propos, à savoir pourquoi c'est important de connaître
les origines.
Qu'est-ce que la
commission en pense, de cet élargissement-là puis du droit à la connaissance
des origines?
M. Tessier
(Philippe-André) : Bien, effectivement, donc, comme a mentionné, là...
Donc, effectivement, le projet de loi n° 2 vient préciser puis élargir,
là, donc, la portée des modifications introduites par le p.l. n° 113
de 2016. Donc, nous avions accueilli favorablement les modifications qui
visaient ces reconnaissances-là, et on est en faveur,
là, de l'ajout de dispositions pour prévoir, pour la famille adoptive ou la
famille d'origine, de conclure une entente aussi dans l'échange de
renseignements. Donc, nous étions d'avis et nous sommes toujours d'avis que le
modèle d'adoption québécois, qui avait... qui prévoyait une rupture totale des
liens entre l'enfant et la famille d'origine, devait être révisé. Donc on se...
On favorise, là, l'ajout et on est d'accord avec l'ajout aussi de ce droit-là à
la charte.
Notre commentaire est
plus à l'effet... au niveau de la structure organique de la charte, au niveau
du droit qui est consacré ici. Il s'agit d'un droit qui s'apparente beaucoup
plus à la nature d'un droit, ou d'une liberté, ou d'un droit fondamental que
d'un droit économique et social. Mais ça, encore une fois, pour le moment...
Puis, si mes collègues veulent ajouter... Mais c'est un peu, là, la trame sur
laquelle on s'oriente pour le moment.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Puis, sur 579, qu'on vient modifier, sur
l'échange de renseignements, vous êtes favorables aussi, là?
M. Tessier (Philippe-André) :
Oui, tout à fait. C'est ça, puis... Oui.
M.
Jolin-Barrette : La représentation des enfants, maintenant, de la DPJ,
donc, l'aide juridique, on étend la protection de l'aide juridique, ça, vous
êtes en accord, j'imagine, aussi?
M. Tessier
(Philippe-André) : Oui, tout à fait. Donc, la question de la
représentation, c'est un élément sur lequel,
encore une fois, on voulait se pencher plus amplement. Mais c'est sûr et
certain que le fait qu'il soit... l'aide juridique soit accordée
gratuitement à tout enfant mineur, donc, effectivement, c'est un élément qui va
dans le sens des recommandations de la
commission, tant devant la commission spéciale que d'autres recommandations de
la commission.
M. Jolin-Barrette :
O.K. Peut-être une dernière question avant de céder la parole à mes
collègues. Hier, on a eu l'association des
parents adoptants puis la Fédération des parents adoptants, puis ils nous ont
fait des représentations relativement à l'âge pour accéder à la
connaissance des origines, notamment. Dans le fond, dans le projet de loi, on a
10‑14 ans. Eux, ils disaient 16 ans, parfois, dans certains cas, 18.
Qu'est-ce que vous pensez de ça, là, relativement aux âges qu'on a fixés?
Est-ce que la Commission a une opinion là-dessus?
M. Tessier
(Philippe-André) : Là dessus, peut-être, mes collègues pourraient
compléter, mais l'analyse préliminaire que nous avons faite, là... Encore une
fois, là, c'est une question sur laquelle on voudra peut-être regarder dans le
mémoire plus précisément, parce qu'il y a une analyse un petit peu plus
circonstanciée puis un peu plus nuancée qu'on a entreprise sur cette
question-là. Je ne sais pas si Me Montminy ou...
Mme Montminy
(Karina) : Oui. Effectivement, ce sera un des points qu'on va
développer dans le mémoire, l'âge, et on sait... aussi, les échanges qu'il y a
eu aussi dans la pratique, aussi, ce que ça soulève comme enjeux et en fonction
des positions, bien sûr, là, qu'on a mises de l'avant, là, depuis plusieurs
années, là, sur toute l'importance de la reconnaissance mais toujours avec les
liens, évidemment, avec les principaux droits qui sont en cause, là, dans la
Charte, l'importance pour toute personne de connaître... On peut le lier autant
à l'article 1, là, de connaître la personnalité juridique, la liberté de sa
personne, donc, le respect de la vie privée, le respect de sa dignité. Donc,
c'est des droits qui sont majeurs. Et évidemment c'est en fonction de... à la
lumière de ces droits-là, là, qu'on vous fournira, là, des précisions
supplémentaires.
M. Jolin-Barrette :
Parfait. Bien, je vous...
M. Tessier
(Philippe-André) : On fait preuve de prudence. C'est ça. On fait
preuve de prudence là-dessus, M. le
Président, M. le ministre, parce que c'est des questions, effectivement, très
sensibles. Puis, ces enjeux-là, on veut s'assurer, là, de tous les expliciter dans notre mémoire. Donc, on
espère que vous pourrez nous lire d'ici le temps des fêtes.
M.
Jolin-Barrette : Bien sûr, bien sûr. Je vous remercie beaucoup pour
votre passage en commission. Je crois que la députée de Mirabel voulait...
Le
Président (M. Bachand) : Mme la députée de Mirabel, s'il vous
plaît. Oui, vous avez la parole. Merci.
Mme D'Amours :
Merci. Bonjour. Merci d'être à notre commission. Je vais reposer la même
question que le ministre a posée, mais peut-être que je vais vous enligner sur,
peut-être, une autre réponse. Hier, et même, bon, dans des discussions de
couloir avec certaines femmes, hier, on disait, bien, que ce serait bien que
les femmes qui portent l'enfant aient une expérience... qu'ils soient à la
deuxième expérience, là, au niveau de l'accouchement. Et certaines femmes me
disaient : Bien, si moi, je n'ai jamais eu d'enfant, je n'en veux pas,
mais je suis prête à être une mère porteuse pour un ami, la famille, ou
j'aimerais avoir le droit, si c'est légal, si c'est cadré, si... Est-ce que
vous pensez qu'en balisant... qu'une femme
doit avoir accouché une première fois, sinon elle ne peut pas être une mère
porteuse, vous ne pensez pas qu'on brime les droits de la femme, le droit de
faire de son corps ce qu'elle veut?
M. Tessier (Philippe-André) : Encore une fois, nous, l'alignement que nous
avons, c'est... Et on est favorables à un encadrement, un meilleur
encadrement. Et il est important que les femmes qui... Et c'est ça, les
principes qui guident la commission, c'est de s'assurer que la femme en
question, qui porte et accouche, ne peut pas être l'objet de pressions indues.
On ne veut pas commercialiser. Ce sont ça, les grands principes autour desquels
on articule notre positionnement. Donc, c'est ça, aussi, le régime
d'encadrement, l'acte notarié, et tout. Tout vise à s'assurer de faire en sorte que, dans le meilleur scénario possible,
cela se produise et se fasse dans des conditions qui sont respectueuses
des droits de la femme ou de la personne en question et, effectivement, de
l'enfant. Alors, c'est ça un peu, l'approche de la commission sur cette
question.
Mme
D'Amours : Merci.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. Est-ce qu'il y a d'autres
questions du côté gouvernemental? Mme la députée de Bellechasse.
Mme Lachance : Merci, M. le
Président. Merci d'être là. Merci de prendre le temps. J'aimerais revenir sur
un point que vous avez déjà discuté, mais pour lequel j'aimerais davantage
explorer votre position. Tout à l'heure, vous vous êtes montrés favorables,
justement, à l'aide juridique pour les enfants. Mais comment on peut dire ce
que ça va changer? Pouvez-vous développer un petit peu, là, comment... les
avantages définitifs que vous y voyez?
M. Tessier (Philippe-André) : Oui,
tout à fait. Bien, merci pour la question. Alors donc, évidemment, cette
proposition-là, elle rejoint deux considérations sur lesquelles la commission
s'est prononcée à plusieurs reprises.
Donc, premièrement... (panne de son) ...il faut
comprendre que, si, pour notre État, l'État du Québec, et c'est l'approche de
la commission, l'enfant est sujet de droit, donc, l'enfant est titulaire de
droits au sens de la Convention relative aux droits de l'enfant mais également
en droit interne québécois, un des principes fondamentaux, c'est le droit de
participer puis d'être entendu. C'est un des principes directeurs des
conventions internationales auxquelles le Québec s'est déclaré lié. Et, bien,
forcément... Et, même, il y a même un article spécifique de la Convention
relative aux droits de l'enfant qui le prévoit. Donc, pour la commission, c'est
sûr et certain que ce genre d'avancée là, bien, c'est de nature à mettre en
effet pratique ce droit-là à l'enfant d'être entendu lorsqu'il... qu'il soit
représenté.
Mme Lachance : Est-ce qu'il me reste
une petite minute? Oui? Merci, M. le Président. Vous avez aussi abordé,
évidemment, le droit des enfants à la connaissance de leurs origines. Et puis
j'ai bien entendu, là, que vous allez
détailler davantage dans votre mémoire, parce que la prise de position n'était
peut-être pas si évidente, spontanément, comme ça. Néanmoins, je vous dirais qu'hier, quand on a entendu le
témoignage, ça venait, si on veut, mettre la table pour plusieurs
questionnements. Et, à cet effet là, on sent qu'on est en opposition sur le
droit des enfants et peut-être le droit d'un parent porteur à ne pas vouloir.
Est-ce que c'est des choses que vous avez, dans votre pratique, déjà entendues,
vues? Puis comment vous allez étayer, dans le fond, votre position?
M. Tessier (Philippe-André) : Bien,
je pourrais peut-être laisser mes collègues compléter là-dessus, mais il s'agit
effectivement, ici... puis c'est toujours ça qui est un peu complexe dans ces
questions-là, c'est qu'on parle... Il y a
deux droits, finalement, qui s'opposent, hein, et l'exercice d'articulation de
ces deux droits-là, c'est quelque chose qui est fondamental dans notre
réflexion. Je ne sais pas si Me Montminy ou M. Blouin veut compléter
là-dessus.
Mme Montminy (Karina) : Bien, comme
on mentionnait, je pense, ça va être un élément, là, sur lequel on va
détailler, effectivement, là, dans notre mémoire, là. Donc, vous allez pouvoir
y retrouver des éléments beaucoup plus spécifiques, là, sur les points qu'on
doit prendre en considération lorsque... c'est ça, pour les enfants de
14 ans et plus, là. Je pense que c'est ce qu'on comprend aussi, ce qu'on a
pu percevoir, là, de l'ensemble des intervenants, intervenantes, c'est que ça
cause des enjeux particuliers, effectivement, aussi dans l'application des
modifications, là, qui sont entrées en vigueur à la suite, là, du projet de loi
n° 113.
Mme Lachance : Bien, merci beaucoup.
On se fera un plaisir de vous lire.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Westmount—Saint-Louis,
s'il vous plaît.
• (16 h 20) •
Mme Maccarone : Merci, M. le
Président. Bonjour. Un plaisir de vous avoir en commission aujourd'hui. Et
merci beaucoup pour votre témoignage et votre mémoire préliminaire — parce
que j'ai compris qu'il y aurait quand même une... on attend après une... — Me
Tessier, parce que votre opinion est fort importante.
Alors, je
veux commencer par rapport à... les droits fondamentaux. Est-ce que la
commission prévoit quand même des
risques de dérive liés à la GPA, la gestation pour autrui, soit la
marchandisation, l'atteinte de l'intégrité et la dignité?
On parle
aussi... Puis, dans votre réponse, s'il vous plaît, parce que je ne suis pas
avocate, si vous pouvez parler pour
le commun des mortels qui nous entend, mais aussi prendre en considération...
On parle beaucoup des droits des femmes, on parle beaucoup des droits
des parents d'intention, mais aussi le droit des enfants qui ne sont pas nés
encore.
M. Tessier (Philippe-André) : Oui.
Effectivement, c'est... La GPA, c'est une question qui fait l'objet de débats
partout en Occident. C'est un régime d'encadrement qui n'est pas simple. Nous
faisions référence, un peu plus tôt, au fait que la commission, en 1991, avait
une position. Cette position-là avait laissé la porte entrouverte en
disant : Dans un contexte bien balisé et bien défini, ces éléments-là
pourraient être considérés. Donc, il y a eu une évolution au cours des
30 dernières années.
Et c'est évident que tout régime qui discute de
la question de la GPA doit traiter du droit de la femme, des droits des femmes,
aussi, du fait qu'il y a une certaine autonomie. Et on veut éviter cette
marchandisation.
Ce qui se
passe également présentement, c'est que cet encadrement-là, présentement, il a
fait l'objet de contournements,
disons, et c'est sûr et certain que... Je pense qu'il y a plusieurs...
Plusieurs provinces se sont penchées sur ces questions-là, ont adopté des cadres. Au niveau fédéral, il y a eu
des évolutions qui ont eu lieu également par rapport au regard porté sur
la GPA.
Donc, c'est sûr et certain que, pour nous,
l'idée, ici, c'est que... Encore une fois, la voie retenue par le législateur,
et c'est sur celle-ci qu'on se prononce, on ne vise pas à commenter d'autres cadres
légaux, l'objectif, c'est de s'assurer que les droits de
l'ensemble des parties impliquées soient respectés, mais en ouvrant la porte à
la GPA. Donc, évidemment, ça, c'est le pas en avant que l'on fait. Et c'est
pour ça que les critères dont vous discutez en commission parlementaire, dont
vous allez discuter, qui sont mis de l'avant, c'est ça, les éléments sur
lesquels nous, on va être particulièrement attentifs, tant pour le moment mais
également dans le futur, parce que c'est quelque chose qu'il va falloir
continuer à surveiller et analyser, voir l'impact de ces mesures-là dans le
temps.
Mme Maccarone : J'aimerais vous
entendre par rapport à la notion juridique d'intérêt de l'enfant. C'est une
notion que, dans le code criminel du Québec, il me semble que... J'aimerais
savoir si vous pensez que nous devons penser à élargir à une définition
peut-être plus exhaustive du concept, étant donné que nous sommes en train de
faire un débat sur la réforme du droit de la famille.
M. Tessier (Philippe-André) : Oui.
Bien, l'intérêt de l'enfant, effectivement, il est contenu à plusieurs lois.
Donc, la charte fait quand même référence également à une forme d'intérêt de
l'enfant. La Loi sur la protection de la jeunesse, il y a un projet de loi, qui
vient d'être déposé ce matin, qui fait référence de façon quand même assez
explicite. Donc, c'est un élément qui se lit tant dans le Code civil du Québec
que dans la Charte des droits et libertés de la personne, en interaction
également avec la Loi sur la protection de la jeunesse. C'est un élément qui
est au coeur de toutes les conventions internationales également auxquelles le
Québec s'est déclaré lié. C'est un principe cardinal également lorsque l'on
procède à l'analyse. Puis, la commission, lors de ses représentations devant la
commission spéciale, la commission Laurent,
nous avons évidemment articulé l'ensemble de notre position en lien avec
ça.
Et une des recommandations également que la
commission a déjà faites par le passé, c'était de faire en sorte que, dans la charte
québécoise des droits et libertés, on prévoie explicitement que ladite charte
s'applique, compte tenu des principes établis à la Convention relative aux
droits de l'enfant, la convention internationale à laquelle le Québec s'est
déclaré lié, tout ça, évidemment... l'idée étant d'arrimer l'intérêt de
l'enfant tant dans le Code civil que la charte, également, dans la Loi sur la
protection de la jeunesse, que tous ces outils législatifs là renvoient à ces
concepts-là qu'est la Convention relative aux droits de l'enfant.
Mme Maccarone : J'aimerais revenir
sur la GPA. On a entendu un témoignage, plus tôt aujourd'hui, d'une femme
porteuse qui nous a partagé son expérience. Elle a porté des enfants pour des
parents d'intention deux fois. Et elle a insisté, ça fait partie de ses
recommandations, que la filiation soit accordée aux parents d'intention sans
qu'une période de grâce de 30 jours ne soit accordée à la gestatrice.
Parce que, présentement, dans le projet de loi, on a la période... pas avant le
sept jours puis pas après le 30 jours. Qu'est-ce que vous pensez, la CDPDJ, en
ce qui concerne cette recommandation?
M. Tessier (Philippe-André) : Sur
cet élément-là, je vais peut-être laisser mes collègues fournir quelques
éléments de réponse.
Mme Montminy (Karina) : Je pense
qu'effectivement ça, c'est un point très précis, là, qu'on va aborder dans
notre mémoire. Mais c'est sûr qu'on l'a toujours regardé en fonction... Nous,
on s'est penchés sur le cadre tel que présenté, là, par le projet de loi n° 2, en fonction, là, de la proposition, là, qui est
faite. Est-ce que ce serait... Bien, pour nous, c'est toujours... Ça revient
toujours au même cadre d'analyse aussi, qui est le nôtre. Est-ce que l'ensemble
de la proposition d'encadrement, là, de la GPA est conforme ou nous apparaît
conforme aux droits, là, qui sont protégés par la charte et reconnus aux
femmes... ou qui seront reconnus aux femmes ou aux personnes, là, qui
accepteront de porter un enfant?
Est-ce que la période de délai semble être... semble,
du moins, une garantie... qui semble accorder une garantie à la personne, là,
qui va accepter de donner naissance, de conserver la possibilité, là, de donner
son consentement une fois la naissance de l'enfant aussi, mais d'avoir... Ce
délai-là est toutefois assez court et semble, là, présenter... Il y a des
garanties qui sont aussi prévues par le projet de loi. Donc, ce sont des
éléments, là, d'analyse préliminaire, là, qu'on a quand même pris en
considération.
Mme Maccarone : O.K. On est en
attente de vos recommandations. Je veux vous entendre aussi sur la catégorie
des parents. Je sais que vous n'êtes peut-être pas rendus là dans votre
réflexion, mais, étant donné que vous avez statué en ce qui concerne le
changement d'une mention d'identité de genre pour les personnes mineures de
14 ans et plus... C'est sûr, pour la communauté trans, pour la communauté
non binaire, la catégorie de parents... Puis, si
je ne m'abuse, je pense qu'il y a des juridictions canadiennes, comme la Colombie-Britannique,
la Saskatchewan, où tous les parents
sont simplement identifiés comme parents. Mais le sens de ce projet de loi, ça
veut dire que «parents», ce serait réservé uniquement pour les personnes
trans, non binaires. Quelle est votre position sur cet état des lieux?
M. Tessier (Philippe-André) :
Peut-être, mon collègue, M. Blouin, pourrait...
M. Blouin (Samuel) : Oui. Bonjour.
Merci beaucoup pour la question. Donc, effectivement, un des principes à partir
duquel on a analysé les dispositions du projet de loi est celle... est celui
d'éviter tout dévoilement forcé. Donc, effectivement, la disposition, la façon
dont elle est rédigée actuellement va entraîner le dévoilement forcé de
personnes trans et non binaires. Et donc il y a d'autres propositions qui ont
été faites pour éviter un tel dévoilement forcé,
donc, soit que toute personne soit... utilise l'appellation «parents» ou soit
que l'appellation «parents» soit ouverte à toute
personne, en conservant «père et mère». Donc, il y a différentes alternatives
qui pourraient être considérées pour éviter tout dévoilement forcé. Mais donc
ce que souhaiterait éviter la commission, c'est le dévoilement forcé en raison
des atteintes à mon droit au respect de sa vie privée.
Mme Maccarone : Ça devrait être,
d'abord, peut-être la même chose pour la mention de sexe, «M», «F» et «X». «X»
devrait être réservé pour tous les Québécois, donc, qui auront un intérêt,
peut-être, de porter... de ne pas s'identifier de cette manière.
M. Blouin (Samuel) : Donc,
effectivement, l'option «X», bon, qui concernait les personnes non
binaires, est... peut être assez paradoxale,
parce que la reconnaissance de la mention «X» peut favoriser la
réalisation des droits, par exemple, de voir à la reconnaissance de la
personnalité juridique, le droit à l'égalité, le droit de dignité des personnes
non binaires, mais peut aussi avoir pour effet de porter atteinte au droit à
l'égalité de ces personnes en les exposant à la discrimination et à la
violence, potentiellement, en dévoilant leur identité de genre.
Donc, il me semblait... Donc, une solution qui
pourrait être envisagée pour respecter le consentement des personnes
concernées, c'est d'offrir la possibilité de retirer complètement... que ces
personnes puissent retirer leur mention de genre de leurs documents d'identité.
Puis une autre question, une autre proposition
qu'on soumettait à la discussion, disons, dans les notes d'allocution du
président, c'était de retirer complètement, par exemple, les mentions
d'identité de genre ou de sexe des documents d'identité, ce qui ne veut pas
dire que l'information ne pourrait pas être collectée, mais de les afficher sur
les documents. C'est une proposition qui pourrait être considérée aussi.
Le Président (M.
Bachand) : 45 secondes, Mme la
députée.
• (16 h 30) •
Mme Maccarone : Je présume aussi que
vous êtes d'accord qu'on ne devrait pas avoir une mention «indéterminé». On a
entendu la Pre Janik Bastien Charlebois, juste avant vous, qui disait que
ce serait peut-être fausse route, pour nous, d'avoir ce type de mention pour
les personnes intersexes.
M. Blouin (Samuel) : Oui. Bien,
encore pour les mêmes raisons, en lien de... d'éviter tout dévoilement forcé et
aussi, bien, d'éviter de lier l'état civil à l'apparence des organes génitaux
des personnes. Donc, déjà, la mention du sexe, dans l'état du droit actuel, ne
concerne pas que les organes génitaux, puisque c'est déjà possible de changer
cette mention-là sans avoir recours à des chirurgies. Donc, on pense que cet
état du droit devrait être maintenu, donc avoir une mention du sexe qui reflète
l'identité de la personne et non pas l'état de ses organes génitaux.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. M. le député
d'Hochelaga-Maisonneuve, s'il vous plaît.
M. Leduc : Merci, M. le Président.
Bonjour. Bonjour à vous trois. Peut-être faire un peu de chemin sur le sujet en
cours. L'idée de ne pas mettre sur les documents publics des mentions de sexe
ou de genre mais quand même avoir à l'esprit que, pour des collectes de
données... Par exemple, ici, on s'en sert souvent, là, des statistiques,
pour orienter nos prises de décision, je comprends l'idée, mais j'ai de la
misère à voir comment elle est mise en pratique. Est-ce que vous avez des
exemples dans d'autres pays ou même des exemples qu'on fait ici, peut-être,
puis que je ne suis pas au courant?
M. Tessier (Philippe-André) : Oui.
Bien, peut-être que mon collègue pourra compléter, mais, bon, l'exemple le plus
actuel, là, c'est les Pays-Bas, qui ont adopté ça. Ils se sont donné une
période de cinq ans, là, pour faire une transition. Et là j'ai compris qu'également,
là, du côté de la Belgique, il y avait un mouvement en ce sens-là. Donc, il y a
des exemples internationaux qui vont dans ce sens-là, évidemment.
Puis on partage tout à fait la même
préoccupation. L'idée, c'est de faire une distinction entre le papier sur
lequel il est indiqué la mention mais le fait, pour l'État, d'avoir accès à
cette donnée-là ou certaines données pour, justement, parler de données
désagrégées. La commission, c'est une de nos recommandations dans plusieurs
domaines. C'est qu'il est essentiel quand même de disposer de données sur les
motifs prévus à 10, sur des motifs qui sont à la base de la discrimination,
pour pouvoir la documenter.
Mais l'idée, c'est : Est-ce qu'on a
nécessairement besoin de l'afficher au vu et au su de tous? C'est ça, la
nuance. Donc, d'avoir accès à la donnée, c'est une chose, il peut y avoir des
guides et des pratiques pour protéger cette donnée-là, mais de ne pas l'exhiber
à tous, par exemple, sur l'acte de naissance ou les certificats de l'état
civil.
M. Leduc : Oui, ou une carte
d'assurance maladie ou un permis de conduire, etc., mais quand même pouvoir
collecter des données pour la régie de la santé ou...
M. Tessier (Philippe-André) : Oui.
Oui.
M. Leduc : O.K. Je comprends.
Intéressant. On ira creuser les exemples, là, que vous nous avez évoqués.
Dans le peu
de temps qu'il nous reste, la question de l'argent, du revenu, elle revient
souvent dans les débats. Le fédéral
permet une compensation mais pas une rémunération. Des fois, je trouve que la
ligne est mince entre les deux. Est-ce
que vous voyez des potentiels conflits où on pourrait, justement, être trop sur
les deux... sur la ligne mince, finalement?
M. Tessier
(Philippe-André) : Je ne sais pas si mes collègues voudront compléter,
mais, encore une fois, cet élément-là, c'est un des éléments sur lesquels on va
vous revenir plus en détail. Mais, encore une fois, le principe est le même,
c'est tout ce qui s'approche ou qui s'apparente à la commercialisation, tout ce
qui nous amène vers ça. Nous, le cadre qui est proposé dans le projet de loi n° 2, dans l'esprit de notre analyse puis du regard qu'on
porte, c'est justement d'éviter ces éléments-là. Alors, ces éléments-là sont au
coeur de l'analyse qu'on va... que cette... La préoccupation que vous nous
partagez, elle est au coeur aussi de notre préoccupation.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup.
M. Leduc : Merci beaucoup.
Le Président (M.
Bachand) : Merci. Mme la députée de
Joliette, s'il vous plaît.
Mme Hivon : Oui. Bonjour à vous
trois. Heureuse de vous revoir au sein de la Commission des institutions. Je
voudrais venir sur la question du droit des femmes, évidemment, à disposer de
leur corps. Bien, est-ce qu'il y a un corollaire qui ferait en sorte qu'il y a
une forme de droit de pouvoir être femme porteuse et qui nous limiterait dans
l'encadrement et les conditions qui peuvent être mises de l'avant?
M. Tessier (Philippe-André) : C'est
une question à laquelle... Je ne sais pas si ma collègue a des éléments de
réponse à fournir. C'est... Ce n'est pas un élément sur lequel on s'est
prononcés pour le moment.
Mme Hivon : O.K. En fait, je vous
demande ça parce que, quand je vois les droits fondamentaux, je me dis :
Ce n'est pas un droit fondamental de pouvoir être une femme porteuse. Donc, je
voulais.... Moi, j'étais portée à penser qu'on pouvait amener un encadrement,
comme par exemple, le projet de loi propose 21 ans. Il peut y avoir une
foule de... je dirais, de mesures d'encadrement. Donc, je voulais juste, vu que
vous êtes les spécialistes de toute cette question-là, des droits et libertés,
que vous me disiez si j'erre ou si je suis sur la bonne voie de penser que,
oui, il peut y avoir quand même un encadrement assez strict puisqu'il n'y a
pas, à ma connaissance, de droit fondamental à cet égard-là.
M. Tessier (Philippe-André) : Bien,
pour l'encadrement, ça, on est tout à fait favorables. C'est... Oui, tout à
fait. Je ne sais pas... Puis, encore une fois, là, au niveau des modalités, là,
je ne veux pas trop m'avancer aujourd'hui, mais, pour la notion de
l'encadrement de la GPA, ça, il y a... tout à fait, on partage votre analyse.
Mme Hivon : Et puis, pour revenir
sur la question de la violence familiale versus la violence conjugale, moi, je
suis d'accord avec vos observations. Je pense que c'est précisément parce qu'on
veut s'assurer que la violence conjugale est comprise qu'on ne veut pas se
limiter à l'expression «violence familiale». Parce que ça pourrait être vu comme un enfant n'est pas atteint si un homme
violente sa femme, alors qu'on veut que l'enfant soit considéré là-dedans
comme étant atteint. Est-ce que vous suggérez une énumération dans le code?
M. Tessier (Philippe-André) : Bien,
c'est sûr et certain qu'on essaie d'être respectueux aussi de la technique législative du Code civil
dans un régime civiliste. Certains ont fait référence à la Loi sur le divorce,
qui contient une énumération qui peut inspirer... Un juge saisi d'un litige,
d'un tel litige pourra s'inspirer de différentes sources, mais évidemment la
Loi sur le divorce s'applique dans un cadre donné.
Alors donc, l'idée, ici, c'est peut-être plus
d'avoir... Et puis c'est là-dessus qu'on attire, à ce moment-ci, de façon
préliminaire, l'attention du législateur, c'est de dire : Il y a, dans
d'autres projets de loi très récents, l'utilisation
d'un vocabulaire, et qui fait référence explicitement à «conjugale ou
familiale», et qui fait référence à d'autres... «violence sexuelle» également. Donc, c'est de s'assurer que... Ce qu'on
veut bien viser, c'est protéger les gens contre la violence, les femmes
et les enfants, bien, de s'assurer que ce langage-là qui est utilisé d'autres
lois québécoises soit arrimé à ce qu'il y a dans le p.l. n° 2,
finalement.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. Alors, Me Tessier,
Me Karina Montminy, M. Blouin, merci beaucoup d'avoir été avec nous
en cet après-midi.
Alors, sur ce, je suspends les travaux quelques
instants afin d'accueillir nos prochains invités. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 16 h 37)
(Reprise à 16 h 41)
Le Président (M.
Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La
commission reprend ses travaux. Alors, il nous fait plaisir d'avoir avec nous cet après-midi le Regroupement des
maisons pour femmes victimes de violence conjugale.
Donc, Mme Louise Riendeau et
Mme Nathalie Villeneuve, merci beaucoup d'être avec nous cet après-midi. Merci beaucoup de votre temps. Alors, comme vous
connaissez... Vous connaissez les règles de la commission, donc, un petit 10 minutes de
présentation, après ça, on a un échange avec les membres de la commission.
Donc, à vous la parole. Et, encore une fois, merci d'être avec nous cet
après-midi.
Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence
conjugale
Mme Villeneuve (Nathalie) : Merci à
vous.
Mme Riendeau (Louise) : Bien,
bonjour. Merci à la commission de nous entendre. Je suis Louise Riendeau. Ma
collègue, Mme Villeneuve, va participer aux discussions par la suite, mais
je vais faire la présentation.
Le regroupement représente 43 maisons
d'aide et d'hébergement qui reçoivent spécifiquement les femmes et les enfants victimes de violence conjugale. Selon
nos dernières statistiques, 55 % des femmes qui ont été hébergées
dans nos maisons membres étaient en union de fait et elles étaient accompagnées
par leurs enfants dans 85 % des cas. Ces enfants-là ont entre zéro et
12 ans. Donc, les articles dont on va discuter aujourd'hui les touchent
très directement.
Le regroupement demande depuis très longtemps
que le Code civil soit modifié pour qu'on s'assure que les tribunaux tiennent
compte de la présence de violence conjugale au moment de déterminer le meilleur
intérêt de l'enfant. Donc, on salue la
volonté exprimée dans le projet de loi n° 2 pour prendre en
compte ça, mais on pense qu'il faut aller plus loin.
Le projet de loi propose de prendre en compte la
violence familiale et sexuelle pour déterminer le meilleur intérêt de l'enfant. Pour nous, quand on dit qu'on
veut aller plus loin, c'est qu'en fait on souhaite qu'on prenne vraiment
en compte la question de la violence
conjugale. Ce qu'on constate sur le terrain à l'heure actuelle, c'est que les
tribunaux tiennent assez bien compte de la violence exercée directement sur les
enfants, donc de la violence familiale, mais le tribunal, dans bien des cas, ne tient pas compte de l'impact que peut
avoir la violence conjugale qui est exercée sur leur mère, sur les
enfants. Dans beaucoup de cas, le tribunal semble croire que, malgré le climat
de terreur dans lequel ces enfants-là vivent... qu'il y a peu d'impacts.
Le tribunal semble aussi croire souvent que la
violence conjugale s'arrête avec la séparation, alors qu'au contraire, dans certains cas, elle s'accentue. Et
on voit souvent des conjoints violents utiliser les droits d'accès, la
garde pour continuer à maintenir leur violence. Et parfois cette violence-là va
se transformer et va passer par les enfants. Donc, on dit : Il faut
vraiment les protéger.
E,t malgré que les tribunaux soient souvent
informés de la présence de cette violence, on voit souvent des ordonnances de
garde partagée ou des droits d'accès sans aucune supervision, ce qui met les
femmes et les enfants en danger. Pire
encore, on observe que, quand des femmes allèguent la violence conjugale, quand
des femmes tentent de protéger leurs
enfants, on va parfois penser qu'elles font de l'aliénation parentale et on va
parfois leur enlever toute garde des
enfants, ce qui va faire que les enfants vont être complètement coupés de leur
parent qui essaie de les protéger. Donc, c'est pour ça que nous, on dit : Il faut vraiment demander très
explicitement au tribunal de tenir compte de la violence conjugale. Et on pense que parler de violence
familiale n'est pas suffisant, qu'on risque de rester, au fond, dans le statu
quo.
Autre raison pour parler de la violence
conjugale, je dirais, peut-être, pour paraphraser la ministre Guilbault, qui
disait, cet après-midi : Le Québec est une société distincte. Au Québec,
depuis les années 80, on fait la différence entre la violence conjugale et la violence familiale. Et, même si la
définition de la violence familiale, qui a été incluse dans la Loi sur
le divorce, est inclusive, inclut la violence conjugale, on a ici, au Québec,
l'habitude de faire la distinction entre les deux.
Au Québec, quand on parle de violence conjugale,
ce n'est pas une violence moindre et incluse dans la violence familiale. Nos politiques gouvernementales, d'ailleurs, depuis
1986, parlent de violence conjugale. Le terme existe déjà dans un
certain nombre de lois. Vous savez encore mieux que moi qu'on vient d'adopter
le projet de loi qui crée un tribunal spécialisé en matière d'agression
sexuelle et de violence conjugale. Donc, nous, on se dit : Si on veut être
clairs avec le tribunal, si on veut que le tribunal saisisse bien l'intention
du législateur, on pense qu'il faut parler de violence familiale et conjugale,
ou familiale ou conjugale, partout dans le projet de loi.
Autre chose qui est très importante pour nous,
c'est de clarifier de quelle violence on parle. On ne parle pas, ici, d'une
violence mineure et isolée, on ne parle pas, ici, de gestes de violence pour se
défendre, on parle d'une violence répétitive qui a un impact coercitif, dominant,
qui amène les victimes à avoir peur, à être terrorisées. C'est la violence dont
on parle dans la Politique d'intervention en matière de violence conjugale.
Donc, nous, on se dit : Il faut guider le tribunal dans l'appréciation des
situations pour éviter que des parents, que ce soient des mères ou que ce
soient des pères, au fond, qui auraient utilisé la violence de façon très rare
soient pénalisés et que leur enfant soit privé
de contacts avec eux. Donc, c'est ce qui nous amène à... C'est ce qui guide
l'ensemble de nos... nos recommandations, pardon.
D'abord, notre première recommandation, et, pour
nous, c'est vraiment, peut-être, la plus importante, c'est minimalement que,
partout où on parle de violence familiale, on parle de violence conjugale quand
il est question de déterminer l'intérêt de l'enfant.
On pourrait par contre aller plus loin et, à
l'instar de la Loi sur le divorce, inclure dans le Code civil une série de critères qui aideraient le tribunal à mieux
juger de la question de l'intérêt de l'enfant. Et on s'assurerait ainsi que
les enfants, qu'ils soient issus de couples
mariés ou en union de fait, soient traités de la même façon au moment où on
va regarder cette question-là pour
déterminer les droits de garde ou d'accès. Donc, c'est notre deuxième
recommandation.
À la recommandation 3, on recommande
d'ajouter un article au Code civil pour indiquer clairement au tribunal les
éléments dont il devra tenir compte quand il examinera la présence de violence
conjugale ou familiale. Puis en fait on a repris le libellé de la Loi sur le
divorce, qui parle d'une conduite violente, menaçante, avec un effet cumulatif, coercitif, dominant, qui parle aussi de
l'exposition directe ou indirecte des enfants à la violence conjugale et qui
nomme un certain nombre de types de violence. On parle d'abus sexuels. On
aurait pu parler d'exploitation sexuelle aussi, mais, comme on s'est collés à
la Loi sur le divorce, on ne l'a pas incluse. Mais peut-être que le législateur
pourrait décider de le faire.
Au niveau de la recommandation 4, on
souhaite clarifier l'article qui dit que les parents exercent leur autorité
parentale sans violence aucune. Je pense que, là aussi, on se disait que ce
serait mieux de parler «sans violence familiale ou conjugale aucune». Ce serait
beaucoup plus clair et ça exclurait aussi les gestes de défense que des parents
ou des mères, en général, peuvent utiliser.
Recommandation 5. On applaudit — c'était
une de nos demandes — au
fait qu'un parent pourra plus facilement revendiquer des soins pour ses enfants
sans l'autorisation de l'autre parent qui serait violent, qui serait la cause
de cette demande de soins là. Mais, là aussi, on demande d'ajouter «violence
conjugale» à «violence familiale et sexuelle».
Recommandation 6. Même chose, on demande
d'ajouter explicitement la violence conjugale dans les motifs qui peuvent
conduire au retrait de l'autorité parentale.
Recommandation 7. Toujours en cohérence, on
demande de spécifier qu'en cas de violence conjugale une partie ne peut pas
contre-interroger l'autre partie.
• (16 h 50) •
Au niveau de la recommandation 8, on
demande qu'on inclue dans le Code de procédure civile, au fond, les facteurs à
considérer lorsque le tribunal examine la présence de violence familiale ou
conjugale. Là encore, on a suggéré le libellé qui est dans la Loi sur le
divorce.
Recommandation 9. Aussi dans le Code de
procédure civile... Écoutez, on entend toutes sortes de mythes et de préjugés
dans les tribunaux, et on pense que, là aussi, il faut guider les décisions qui
vont être prises. Parmi les mythes et les
préjugés qu'on entend, c'est, genre : la fin de la relation, c'est la fin
de la violence; le fait qu'on n'a pas allégué la violence pendant
l'union, qu'on le fasse après, laisse croire que c'est des fausses allégations;
le fait qu'une victime continue à cohabiter
avec son agresseur peut laisser penser que c'est des fausses allégations. Donc,
on se dit : Il faut être clair avec le tribunal qu'il ne faut pas
faire de telles inférences. Même chose, on entend parfois que ce n'est pas une bonne chose que les enfants aillent dans des
maisons d'aide et d'hébergement avec les femmes, alors que c'est une
façon de les protéger. Donc, on demande qu'on ajoute une série d'informations à
ce sujet-là dans le guide de procédure civile.
Un
commentaire aussi. Il y a un article qui prévoit la possibilité de poursuivre
des relations avec les grands-parents et avec un ex-conjoint si on juge
que c'est dans l'intérêt de l'enfant. Dans ce cas-ci aussi, il faudra évaluer
si la poursuite de cette relation-là fait en sorte que ça peut permettre de
poursuivre la violence, et que c'est bien dans l'intérêt de l'enfant.
Enfin, on a identifié des conditions de réussite
à cette réforme-là, en tout cas, sur les aspects que nous, on met de l'avant.
D'abord, la formation. On en a parlé beaucoup dans l'étude du projet de loi n° 92, mais c'est aussi nécessaire en droit de la famille.
On pense qu'il faudrait que le ministère de la Justice, en collaboration avec
le Barreau, s'assure que tous les professionnels du droit soient capables de
détecter la présence de violence conjugale et de la plaider au moment
nécessaire devant le tribunal. Donc, on a besoin de formation et d'outils.
Autre élément pour protéger les enfants et, dans
certains cas...
Le
Président (M. Bachand) :
Mme Riendeau, juste
peut-être pour conclure rapidement, parce que le temps file.
Mme Riendeau (Louise) : J'ai fini,
j'ai fini. Dernier élément, on pense qu'il faut améliorer l'accès aux services
de supervision de droits d'accès qui existent au Québec mais qui ne sont pas
suffisants. Voilà.
Le Président (M.
Bachand) : Vous êtes très efficace. Merci
beaucoup. M. le ministre, pour débuter la période d'échange.
M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M.
le Président. Mme Riendeau, Mme Villeneuve, bonjour. Merci de
participer à nos travaux. Je tiens à vous remercier également pour votre
contribution sur le projet de loi n° 92 pour le
tribunal spécialisé. Je pense qu'on a fait des pas de géant, notamment, avec
ça.
Puis ça me faisait penser, justement, par
rapport... On va parler de la notion... Je vais vous poser des questions sur la
relation de violence. Mais, justement, sur la formation des juges, dans le
fond, tous les juges devront suivre la formation, les nouveaux, hein, ceux qui
sont en exercice également, on souhaite qu'ils suivent la formation en violence sexuelle, violence conjugale, ceux qui
vont être à la retraite pour revenir aussi. Ça fait que ça, c'est
important. C'est une mesure qui... en lien avec le droit de la famille, qui
fait en sorte que l'ensemble des individus qui vont être appelés à trancher des litiges vont déjà être
sensibilisés à cette notion-là. Je pense que c'était important de le
rappeler.
Bon, sur la question de la violence familiale,
nous... Je vous entends, vous dites : On devrait l'expliciter. Au fédéral,
ils l'ont fait, ils l'ont explicité, mais ça va un peu à l'encontre, dans le
fond, des règles du Code civil puis de l'approche civiliste des choses, où
est-ce qu'on vient le nommer d'une façon générale justement pour que ce soit
englobant puis pour venir couvrir l'ensemble des types de violence, donc le
critère de violence familiale. Puis, moi, dans mon esprit, ça inclut notamment,
puis je vais le dire dans les intentions du législateur, violence conjugale,
violence familiale, violence sexuelle, violence psychologique, dans le fond, la
kyrielle. Mais je veux que ça puisse demeurer évolutif pour que la notion de
violence familiale puisse évoluer avec le temps, puis que le législateur
dit : Écoutez, c'est une interprétation large pour le juge. Alors, on veut
que ce soit interprété largement.
Et, justement, on veut que
ce soit pris en considération, notamment, dans les ordonnances de garde. Puis
on veut surtout éviter des situations où certaines femmes ne l'allèguent pas,
ou sont gênées de l'alléguer, ou elles se disent :
Je ne l'alléguerai pas parce que je ne voudrais pas que ce soit retenu contre
moi, ou monsieur est violent contre madame, mais il n'est pas violent
contre les enfants, donc que ce ne soit pas considéré. On veut que ce soit
considéré. Ça fait qu'il y a un message, également, qu'on envoie là-dedans.
Mais je note bien que vous, vous souhaitez que
ce soit... ce soit détaillé.
Mme Riendeau (Louise) : Oui, parce
que, si on ne... D'abord, si on ne distingue pas familial et conjugal, comme je
l'ai expliqué, on pense que la violence conjugale risque de passer sous le
radar.
Effectivement, à l'heure actuelle, on a des
avocats qui disent aux femmes : Ne le dis pas, ça va te nuire, ou même,
quand c'est dit, on voit que... Puis nos collègues de la fédération, que vous
allez voir plus tard, ont fait une recherche,
on voit que ce n'est pas pris en compte dans les jugements et qu'on ne tient
pas compte des effets que ça a sur les
enfants et des effets que ça aura sur la sécurité des enfants et de leurs
mères. Donc, on dit : Il faut le dire, d'une part.
D'autre part, il faut s'assurer qu'on tient
compte de ce qui est problématique. Une violence épisodique, situationnelle,
qui arrive une fois, ou quelqu'un qui utilise la violence pour se défendre ne
devrait pas être pris en compte quand on regarde cette question-là.
Mais, à l'heure actuelle, on voit, au criminel,
des femmes qui sont accusées — on parle de plaintes croisées — où
des agresseurs accusent la femme pour essayer de lui faire retirer la plainte,
etc. Et on invite les procureurs à essayer de faire la distinction. Est-ce
qu'on est face à une violence coercitive, active, ou on est face à des gestes
de défense?
Donc, c'est pour ça qu'on dit : Il faut
donner les éléments aux professionnels du droit, en droit de la famille et en
droit de la jeunesse, pour être capable de bien savoir de quoi parle.
M. Jolin-Barrette : O.K. Sur la
question que l'autorité parentale s'exerce sans violence, vous aviez, là, des
commentaires sur ce point-là, là. J'aimerais bien les comprendre.
Mme Riendeau (Louise) : Bien, en
fait, puisqu'on est dans la sphère du familial, nous, on disait... puis que...
en cohérence avec les autres amendements, on se disait : Ça devrait être
«sans violence familiale et conjugale». C'est sûr que ce n'est pas intéressant
d'avoir un parent qui est violent dans d'autres sphères de sa vie, mais là, ce
dont il faut tenir compte ici, quand on regarde les limitations à l'autorité
parentale, c'est vraiment le comportement au sein de la famille et les impacts
que ça peut avoir sur l'ensemble des membres de la famille.
M. Jolin-Barrette : Mais, par
contre, il ne faut pas que ce soit limitatif non plus, puis c'est pour ça qu'on
l'a écrit de cette façon-là, parce que c'est la violence en général. Donc, tu
sais, à l'intérieur de la violence familiale, à l'intérieur du concept de
violence en soi, ça inclut les différents types de violence. Donc, c'est pour
ça qu'on l'a construit de cette façon-là. Puis on rejoint l'objectif que vous
souhaitez.
Qu'est-ce que vous pensez du fait, là, que
pour... s'il y a de la violence, ça peut mener à la déchéance de l'autorité parentale?
Mme Riendeau (Louise) : Bien, on
pense que, dans certains cas, effectivement, il faut en tenir compte, puis
qu'il y a des parents qui vont utiliser le concept de l'autorité parentale pour
maintenir le contrôle sur l'autre parent. Donc, que ce soit une possibilité,
nous, on voit ça d'un très bon oeil. Les Français vont encore plus loin que ce
qui est proposé dans le projet de loi. Nous, on n'est pas allés là, mais on
pense que le tribunal devrait pouvoir en tenir compte, effectivement, quand il juge
ces questions-là.
M. Jolin-Barrette : O.K. On a ajouté
également, dans le projet de loi, le fait que, désormais, pour recevoir des
soins pour les enfants, s'il y a présence de violence, bien, il n'y a qu'un
seul parent, désormais, qui va pouvoir donner cette autorisation-là. Donc, je
dois comprendre que vous êtes favorables à ça. Parce que, pour illustrer
concrètement, c'est, exemple... Supposons, il y a présence de violence
familiale puis là il y a monsieur, madame. Madame souhaiterait que l'enfant
puisse avoir accès à des services d'aide psychologique, donc aller voir un
psychologue, supposons, pour... tu sais, pour recevoir des soins, puis discuter
de la situation, puis tout ça. Puis là monsieur dit : Non, non, non, moi,
je ne consens pas. Puis là ce qui arrive, c'est que les psychologues, en
fonction du code de déontologie, vu que
l'enfant est mineur, ils disent : Bien là, moi, ça me prend le
consentement des deux parents. Là, donc, nous, on vise spécifiquement
cette situation-là pour éviter que l'enfant ne puisse pas avoir accès à des
ressources. Donc, ça, vous êtes d'accord avec ça.
Mme Villeneuve (Nathalie) : Oui, on
est d'accord. Mais il faut aussi inclure toutes les travailleuses des maisons d'hébergement, les autres services que les
psychologues, les intervenants du CLSC... Parce qu'on sait qu'on a, en
maison d'hébergement, des services pour aider les enfants qui sont victimes ou
témoins de la violence conjugale. Donc, il faut inclure ça. Mais c'est très
bien. C'est une avancée importante, effectivement, là.
• (17 heures) •
Mme Riendeau (Louise) : Oui. C'est
quelque chose qu'on revendiquait depuis longtemps, parce qu'on a vu beaucoup
d'enfants privés de soins, qui avaient besoin de soins à cause de la violence
de leur père, que ce soit de la violence
sexuelle ou de la violence conjugale à l'égard de leur mère, et le père, ne
reconnaissant pas cette violence-là, s'opposait à ce que les enfants aient des soins.
Donc, c'est vraiment quelque chose que nous, on revendiquait depuis
longtemps.
M. Jolin-Barrette : O.K. Dans votre
mémoire, vous abordez, là, le fait que, parfois, à travers les différentes
chambres, à travers les différentes cours, il y ait certaines incohérences.
Est-ce que je dois en déduire que vous seriez favorables à avoir un tribunal
unifié en droit de la famille pour simplifier les différentes étapes, les
différents processus? Vous verriez ça d'un bon oeil, là?
Mme Riendeau (Louise) : Bien,
on ne verrait pas ça d'un mauvais oeil. Mais, déjà, l'idée du coordonnateur judiciaire,
dont on a parlé avec le projet de loi n° 92,
serait une avancée. Au Nouveau-Brunswick, c'est un modèle qui semble bien
fonctionner. Ça fait que, déjà, je pense que ça, c'est un pas dans la bonne
direction. Et ça peut nous permettre de poursuivre la réflexion sur la question
du tribunal unifié.
M. Jolin-Barrette : O.K.
Une dernière question avant de céder la parole à mes collègues. Pouvez-vous
aborder la notion d'aliénation parentale un peu, là, comment est-ce qu'avec les
femmes avec lesquelles vous êtes en contact, là, qui sont victimes de violence
conjugale, là... comment ça se passe, puis comment c'est plaidé, puis
comment... juste un petit portrait, là, de
votre réalité avec les femmes que vous aidez, comment, là, c'est amené, là,
cette notion-là, là, puis comment c'est perçu aussi par les cours, là.
Mme Villeneuve (Nathalie) : C'est
très mal perçu en général. Puis, vous le disiez tout à l'heure, que ce soit à
la cour de la famille, que ce soit au niveau de la DPJ, lorsque les mères
essaient de protéger leurs enfants en nommant
les dangers, les risques, la réalité qui est vécue par les enfants, les mères
se retrouvent souvent comme étant la personne qui fait de l'aliénation
parentale, qui, dans le fond, fait de fausses allégations, met des choses sur
la table pour nuire à l'ex-conjoint, pour nuire au père, pour briser la
relation, alors que ce que la mère essaie de faire, c'est de protéger ses
enfants. Et ça, M. le ministre, on voit ça tous les jours.
Cet après-midi, j'ai pris un appel et je
discutais de ça avec une maman à la DPJ. Dans le fond, ce qu'elle se fait dire,
c'est qu'elle n'est pas collaborante, qu'elle essaie de mettre des bâtons dans
les roues de monsieur, que ce que... Quand
eux, ils vérifient auprès de monsieur, me dit... monsieur dit : Non, ce
n'est pas ça du tout. On embarque dans toute la manipulation des
conjoints qui sont violents et qui continuent de vouloir contrôler par les
enfants. Donc, c'est une réalité. Et c'est vraiment triste parce que c'est
vraiment un problème majeur que l'on vit, en maison d'hébergement, les mères
qui sont accusées de ça, là.
Mme Riendeau (Louise) : On a
fait une recherche sur l'utilisation de l'article 810 et on a vu que des
femmes ne rapportaient plus les bris de condition parce que la DPJ leur avait
dit qu'elles ne collaboraient pas à maintenir
le lien avec le père. Donc, la mesure de protection que le droit criminel
pouvait leur apporter était complètement court-circuitée par le droit de
la famille ou par la protection de la jeunesse, alors que le syndrome
d'aliénation parentale, ce n'est même pas reconnu scientifiquement par les
pairs. Donc, il y a vraiment du travail à faire là-dessus.
Et c'est pour ça que nous, on plaide pour bien
guider le tribunal sur... face à quelles situations de violence on est et pour qu'on en tienne compte, pour que,
justement, les femmes qui tentent de protéger leurs enfants ne se
ramassent pas, d'une part, au banc des
accusés et que des enfants ne se ramassent pas privés de leur mère, qui tente
de les protéger.
M. Jolin-Barrette : O.K. Je
vous remercie pour votre passage à la commission parlementaire. Toujours très
apprécié.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le ministre. M. le député de Chapleau,
s'il vous plaît.
M. Lévesque (Chapleau) : Merci
beaucoup, M. le Président. Bonjour, Mme Riendeau. Toujours un plaisir
d'échanger avec vous, là, on a eu l'occasion à quelques reprises.
Mme Villeneuve, bonjour.
J'aimerais peut-être prendre la balle au bond.
Vous avez dit que vous aviez écouté notre vice-première ministre tout à l'heure et vous me parlez du fameux 810. Je ferais le
lien, là, cet après-midi, ce qui a été annoncé, est-ce que vous pensez,
pour les femmes dont vous êtes proches... Est-ce que ça peut aider, cette
mesure-là, ça peut venir...
Mme Riendeau (Louise) : Certainement.
Les bracelets antirapprochements ne sont pas magiques, mais c'est un mécanisme
de plus pour protéger certaines femmes. Et on pense qu'effectivement, pour
certaines femmes, elles vont se sentir plus en sécurité, et que la façon dont
le ministère a réfléchi la chose, avec deux périmètres, est quelque chose de
bien intéressant. Donc... Puis nous, on a offert notre collaboration au
ministère de la Sécurité publique pour suivre la mise en application, pour
s'assurer que ça se fasse le mieux possible.
M. Lévesque (Chapleau) : Oui.
Parce que vous disiez, justement, là, en lien avec... que les femmes ne
dénonçaient plus, par crainte que la DPJ dise : Bon, vous n'êtes plus
collaboratrice. Donc, peut-être que cette mesure-là va être un ajout de
protection, là, pour ces personnes-là.
Mme Riendeau (Louise) : Oui. On
pourra voir, là, dépendant comment ça va être utilisé puis à quelle étape, là.
Oui.
M. Lévesque
(Chapleau) : O.K. En lien avec l'aliénation parentale et la violence
conjugale, souvent, les tribunaux, là, vous l'avez dit d'entrée de jeu, bon,
malgré que... c'est un bon père de famille, ils vont l'autoriser. Ils vont permettre, donc, cette garde-là. Le lien que
vous faites, justement, avec l'aliénation parentale, la violence
conjugale puis la façon dont c'est présenté au tribunal, j'aimerais peut-être
que vous me fassiez un portrait par rapport à ça.
Mme Riendeau (Louise) : Bien, en
fait, comme on l'a dit, quand les mères allèguent la violence conjugale, ou,
dans d'autres cas, c'est les enfants qui refusent de voir leur père parce
qu'ils ne se sentent pas en sécurité, tout ça, on va souvent dire : Ah!
madame est aliénante, c'est madame qui met des idées dans la tête des enfants
parce qu'elle ne veut pas que le père y ait accès, alors que le problème, ce
n'est pas ça. Le problème, c'est, effectivement, que les droits d'accès ou la
garde partagée, encore pire, donnent des occasions à des pères qui veulent
maintenir le contrôle sur leur ex-conjointe
ou à leurs enfants de maintenir cette violence-là. Et on va voir aussi des
situations où la violence va passer à travers les enfants, où les pères
vont soumettre les enfants à la question de qu'est-ce que fait ta mère,
etc., qui voit-elle, etc. Je ne sais pas si... Nathalie, si tu veux ajouter
quelque chose.
Mme Villeneuve (Nathalie) : Bien,
tout à fait. J'ai un exemple qui est tout à fait récent, nous, en maison
d'hébergement, une maman qui est séparée depuis déjà deux ans, le garçon a été
victime, de la part du père, de violence physique. Le petit ne veut pas aller
chez le père, fait des grosses crises d'anxiété, crises d'angoisse, pleure à l'école,
refuse d'aller, refuse de manger, et tout. La mère... Nous, on accompagne la
mère depuis deux ans. Et, dernièrement, la mère a perdu la garde de son fils,
qui a été placé en famille d'accueil, parce qu'on disait que madame nuisait au développement de l'enfant,
qu'elle mettait des choses dans la tête de l'enfant, alors que le petit,
lui, ce qu'il dit — qui
est quand même un garçon de 11 ans, donc ce n'est pas un bébé, est capable
de s'exprimer — dans
le fond, on ne l'entend pas. On n'entend pas le petit. Puis, quand la mère
dit : Mais là vous n'entendez pas ce que mon fils dit, puis mon fils a
peur, puis il a raison d'avoir peur...
La mère a vécu des agressions très graves de la
part du conjoint, et, en voulant protéger son fils, bien, cette mère-là, elle a perdu la garde de son fils. Oui,
le tribunal dit : Le père va voir l'enfant sous supervision. Mais la mère
doit aussi perdre son fils pendant
30 jours, puis elle va devoir voir son fils sous supervision, parce qu'on
dit qu'elle nuit à son enfant. Alors,
on est là, devant un fait, de dire à une mère : Tu n'es pas collaborante,
tu es aliénante. C'est un parfait exemple.
M. Lévesque (Chapleau) : Donc, il y
a comme deux...
Mme Riendeau (Louise) : Et de punir
un enfant, finalement, qui essaie de se protéger.
Mme Villeneuve (Nathalie) : Puis de
punir un enfant... Oui, et de punir un enfant. Puis l'enfant, lui, ce qu'il a
fini par dire, c'est comme : Bien, je n'aurais pas dû parler, parce que,
là, en plus, je n'ai même plus ma maman. Vous comprenez? Nous, on en vient, en
maison d'hébergement... des fois, on se dit : Est-ce qu'on fait bien de
signaler à la DPJ? Parce qu'on se dit : On veut protéger l'enfant, mais
finalement, au bout du compte, on se retrouve avec des accusations envers la
mère.
M. Lévesque (Chapleau) : C'est un
peu comme si la notion d'aliénation parentale prenait le pas sur la violence
conjugale.
Mme Villeneuve (Nathalie) :
Exactement.
M. Lévesque (Chapleau) : C'est un
peu curieux comme vision.
Mme Villeneuve (Nathalie) : À la
DPJ, on ne parle pas de violence conjugale, on va parler de conflit de
séparation. Ce n'est pas de la violence conjugale, on parle de conflit de
séparation. Je suis désolée, mais la... Un conflit de séparation, on est dans
une relation plus égalitaire. En violence conjugale, il y a quelqu'un qui veut
avoir le pouvoir sur l'autre, qui peut contrôler l'autre. Alors, il faut faire
la distinction.
M. Lévesque (Chapleau) : L'enfant
dont vous mentionnez...
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, M. le député Chapleau. Désolé.
M. Lévesque (Chapleau) : Merci
beaucoup. Merci.
Le Président (M.
Bachand) : Mme la députée de Westmount—Saint-Louis, s'il vous
plaît.
• (17 h 10) •
Mme Maccarone : Merci, M. le
Président. Bonjour, mesdames. Un plaisir de vous avoir avec nous aujourd'hui. D'emblée, merci beaucoup pour tout ce
que vous faites. Je pense que c'est non seulement très important, mais
de venir passer en commission parlementaire pour sensibiliser aussi la
population puis tous les gens qui nous écoutent de la réalité des femmes qui
sont victimes de violence familiale et violence conjugale, c'est
archi-important.
Ça m'amène à une réflexion, si vous me
permettez, de vous entendre. Je suis horrifiée de savoir qu'il y a autant de
femmes qui sont en train de vivre cette détresse. J'ai une femme qui a passé à
mon bureau de comté il y a... comme un dernier recours
pour voir si je pouvais l'aider, qui se retrouvait exactement dans la situation
dont vous avez décrit. Puis, vraiment, j'ai senti la détresse, et, pour
moi-même, pas dans une position pour l'aider et inapte de venir l'aider... et une profonde tristesse de ne
pas savoir quoi faire. Alors, merci beaucoup pour votre mémoire puis les
recommandations, parce que je pense non seulement que ça va amener un peu à la
lumière, mais vous avez fait des recommandations qui sont fort pertinentes,
bien, parce que c'est un sujet qui est très sensible.
J'aimerais vous entendre un peu. Vous avez
commencé votre mémoire avec l'impact de la violence conjugale sur les enfants.
Pouvez-vous nous peinturer un portrait de ceci avant de rentrer dans le détail
de vos recommandations, s'il vous plaît?
Mme Riendeau (Louise) : Bien,
en fait, on voit que les enfants développent toutes sortes de problèmes et puis
ils ont plus de problèmes de santé que d'autres enfants. Ils ont des problèmes
scolaires, ils ont des problèmes d'adaptation. Certains vont aussi prendre
exemple, reproduire la violence. Écoutez, Nathalie pourra certainement vous en
parler plus que moi, mais, dans les maisons, on a des bébés qui sursautent
quand il y a un bruit à côté de leur couchette. On a des enfants qui font des
cauchemars. Donc, c'est clair que, de vivre dans un climat de violence, même si
les mères font tous les efforts pour essayer que ça n'éclate pas quand les
enfants sont proches, et tout ça, ces enfants-là entendent et voient ce qui se
passe.
Mme Villeneuve
(Nathalie) : Puis les mamans
sont... Les mamans sont souvent surprises quand elles arrivent en maison
d'hébergement et que nous, on demande aux enfants s'ils savent pourquoi ils
sont en maison d'hébergement. Souvent, les mères vont nous dire : Bien,
non, ils ne sauront pas, parce qu'ils ne se rendent compte de rien et ne savent pas ce qui se passe à la maison. Et les
mères sont souvent très surprises de constater que les enfants savent
très bien ce qui se passe à la maison. Le climat de tension, les enfants le
vivent, le sentent. Le soir, quand la maman pense que tout le monde dort, bien,
désolée, mais les enfants entendent.
Les cinq premiers jours des enfants qui arrivent
en maison d'hébergement, c'est toujours assez difficile, parce que les enfants
sont dans la période où ils sont le plus perturbés. Ils sont en période de
changement. Mais nous, on le voit, là. Des enfants qui arrivent en maison
d'hébergement, qui ne dorment pas bien, qui ne mangent pas bien, qui ont des
difficultés d'apprentissage, des troubles de comportement, et tout ça, nous, on
le voit, là.
Après deux semaines, après trois semaines, des
enfants qui dorment mieux, qui mangent mieux, sont moins malades, qui tout d'un
coup, à l'école, se mettent à aller mieux parce qu'il n'y a plus cette
violence-là, il n'y a plus... il n'y a plus ce climat de tension là...
Les enfants ne sont peut-être pas nécessairement
témoins toujours de la violence, des gestes de violence, mais les enfants sont sensibles à ce climat de
tension. Moi, je viens d'un milieu de violence. Je ne voyais pas
toujours la violence, mais, un climat de
tension, je connais ça très, très bien. Même si tu ne le vois pas, tu le sens.
Alors, les enfants ont des antennes. C'est des éponges, les enfants.
Mme Maccarone : Tout à fait. Ça m'amène à vous poser des
questions par rapport à votre recommandation 5. Pouvez-vous nous
expliquer? Encore une fois, je sais que vous avez quand même touché un peu
là-dessus avec la dernière intervention,
avec le ministre, mais pouvez-vous expliquer encore une fois l'importance que
les intervenantes des maisons d'aide et d'hébergement pour femmes et de
violence conjugale sont incluses dans le processus, plus reconnues pour venir
aider les victimes?
Mme Villeneuve (Nathalie) :
Bien, en fait, c'est qu'on sait très bien qu'en maison d'hébergement on offre, un, des services aux enfants lorsqu'ils sont
hébergés. Donc, on fait des suivis avec les mamans, avec les enfants afin
de voir avec eux c'est quoi qu'ils vivent à
la maison, comment ils peuvent, à leur façon, reprendre un peu de pouvoir sur
la situation.
On voit aussi des enfants en services en
externe, donc des mamans qui ne sont pas nécessairement hébergées mais qui ont
quand même besoin de services, puisque les enfants ont eux aussi besoin de
support.
Ça nous est
arrivé de devoir cesser ces rencontres-là avec les enfants parce que le père
l'avait appris et refusait que les intervenantes des maisons voient
leurs enfants. Et on le sait, que, si, mettons, dans le projet de loi, ce ne
seraient que les professionnels comme les psychologues ou les professionnels de
la santé, bien, en maison d'hébergement... en maison d'hébergement, on se
retrouverait à être exclus, alors que je crois que c'est les maisons
d'hébergement, entre autres, qui détenons l'expertise en violence conjugale.
Alors, voilà pourquoi c'est important pour nous.
Mme Maccarone : Pourquoi ils
sont exclus? Je ne comprends pas. Il me semble que c'est tellement logique.
Alors, comment ça se fait qu'il y a cette exclusion?
Mme Villeneuve (Nathalie) : Je
ne saurais pas quoi répondre. Peut-être, Louise, tu pourrais répondre.
Mme Riendeau (Louise) : Bien,
en fait, on ne présume pas qu'ils sont nécessairement exclus, mais ce qu'on dit, c'est qu'il faut s'assurer qu'en faisant ce
changement-là on les inclut. C'est davantage ça que je vous dirais, là,
parce que c'est des lieux où les enfants, effectivement, peuvent avoir une
intervention adaptée à leur vécu de violence.
Mais nous, on pense que l'intervention de tout
le monde est importante. Un des problèmes avec les membres d'ordres professionnels, c'est qu'effectivement
eux, ils ont encore plus d'exigences avant d'être capables de donner des
soins aux enfants. Ça prend l'autorisation des parents, ça prend l'information
des parents. Donc, il faut vraiment que l'ensemble
des soins auxquels peuvent avoir accès des enfants puissent être ouverts et
soient demandés par un seul parent.
Mme Maccarone :
Parlez-nous un peu de vos recommandation 8 et recommandation 9. Vous
avez mis des listes, en ce qui concerne les recommandations
d'intégrer, dans les articles du Code de procédure civile, vraiment une liste qui... Je ne sais pas si c'est complet, je
ne sais pas si c'est exhaustif. Est-ce que tout ça, c'est lié à des
expériences dont les femmes que vous venez aider et leurs familles ont vécues?
Mme Riendeau (Louise) : Bien, en
fait, c'est... On a repris les libellés qui sont déjà dans la Loi sur le divorce et que nous avions appuyés au moment de
l'étude du projet de loi C-78. Parce qu'effectivement ça fait écho
à ce qu'on voit. Quand on travaille la question de la violence conjugale, la
nature, la gravité, la fréquence de la violence familiale ou conjugale sont
importantes. C'est là où on distingue de... par rapport à une violence
occasionnelle. Donc, c'est important de regarder ça. Et, on voit souvent, dans
les situations dangereuses, la fréquence et la gravité augmentent. Donc, il
faut d'autant en tenir compte.
Le fait qu'effectivement il y ait un effet
cumulatif... On le voit, la violence conjugale n'est pas un geste, ce n'est pas
un incident, c'est à la fois des gestes criminels, mais c'est à la fois,
parfois, des gestes anodins qui privent les femmes de liberté et qui les
amènent à avoir peur de leur conjoint, et qui ont aussi cet effet-là sur les
enfants. Le fait que... on l'a dit, que ce soit dirigé contre l'enfant ou pas,
qu'il soit exposé directement ou indirectement, a autant d'impact. Donc, il
faut examiner ça. Quels torts ça a causé à l'enfant, c'est aussi important.
Est-ce que non seulement la sécurité de l'enfant, mais d'un autre membre de la
famille peut le tracasser? Les conjoints violents vont souvent s'en prendre aux
parents des victimes, au nouveau conjoint des victimes, à toutes sortes de
proches qui les appuient. Et ça, c'est sûr que, pour les enfants, ça crée
autant de craintes. Donc, oui, effectivement, tout ça ressemble à... reprend
des éléments qui correspondent à la réalité de ce qu'on voit dans les maisons.
Pour ce qui est de la recommandation 9,
comme je l'ai dit, c'est souvent des mythes, des préjugés qu'on va entendre.
Bon, si elle était victime de violence, pourquoi est-elle restée avec? Si elle
était victime de violence, pourquoi ne l'a-t-elle pas déclaré? Et souvent on va
remettre en cause la parole des victimes qui vont dénoncer la violence, parce
qu'on a ces mythes et ces préjugés-là. Donc, oui, ça correspond vraiment à la
réalité qu'on voit, en plus d'avoir été inclus, fort justement, dans la Loi sur
le divorce.
Mme Maccarone : Et, si ces
modifications, les recommandations ne figurent pas dans une mouture finale du
projet de loi n° 2, pensez-vous que ça peut
faire partie d'une formation? Vous avez évoqué la notion de formation, puis
comment c'est important dans votre projet de loi. Peut-être, vous pouvez parler
un peu de ceci, puis si vous avez des craintes, des recommandations à cet
égard.
Mme
Riendeau (Louise) : On s'est
posé la question, de... par exemple, toute la question de la
recommandation 9, qui sont sur les mythes et préjugés, si on ne devait pas
dire : Une formation devrait inclure ça. Bien sûr que ça peut être une
solution, mais des formations, souvent, c'est volontaire. On sait que, là, il y
a une volonté d'essayer d'en donner plus, mais quand même. Et, des formations,
on n'en retient pas toujours tout le sens. Alors que, si c'est inclus dans la
loi, c'est davantage prescriptif pour le tribunal et ça donne davantage des
orientations qu'une simple formation. Alors, c'est pourquoi nous, on a opté
pour demander que ce soit inscrit dans le Code de procédure civile.
Le Président (M.
Bachand) : Merci infiniment. M. le député
d'Hochelaga-Maisonneuve, s'il vous plaît.
• (17 h 20) •
M. Leduc : Bonjour. Bonjour à vous
deux. Votre présentation est très claire. Votre mémoire est très clair aussi.
Je n'ai pas beaucoup de questions de fond. J'en ai peut-être une de forme.
Il y a quand même beaucoup de recommandations.
Est-ce qu'elles sont classées en ordre d'importance ou est-ce que vous en avez,
mettons, une ou deux que vous pensez qu'il serait essentiel que l'on intègre,
là, dans le projet de loi? Elles sont toutes essentielles, j'imagine, c'est
pour ça que vous les avez mises dans votre mémoire, mais qu'est-ce qu'on ne
peut pas échapper, là, dans ce que vous proposez?
Mme Villeneuve (Nathalie) : Bien,
pour nous, on ne peut pas échapper de nommer nommément la violence conjugale.
Puis c'est dans le vocabulaire du Québec, c'est déjà dans nos lois et c'est ce
qui n'est pas pris en compte à l'heure actuelle par le tribunal. Alors, ça,
c'est essentiel.
Deux, je pense qu'il faut donner des guides pour
apprécier de quelle violence on parle. Donc, effectivement, quand on définit les facteurs à prendre en compte,
quand on examine la présence de violence conjugale et de violence
familiale, pour nous, c'est essentiel.
Mme Riendeau (Louise) : On pense que
c'est le grand moment. Comme on est en train de faire une modification, un
changement majeur, bien, alors, ne reculons pas, avançons pour donner à tous
les acteurs qui travaillent en droit familial... que les choses soient claires,
soient faciles à comprendre et que les bons mots soient au bon endroit. Alors,
il n'y aura pas de possibilité d'interprétation ou de sens large. Les choses
seront claires et beaucoup plus faciles pour tous les acteurs.
M. Leduc : C'est une question de
cohérence.
Mme Riendeau
(Louise) : Bien, moi, je pense que ça aide la cohérence, puisque les
choses vont être claires. L'avocat de l'un puis l'avocat de l'autre ne pourra
pas dire : Ah! bien, moi, je l'interprète comme ça, et moi, je... Non. Ce sera écrit clairement, et voilà ce que ça voudra
dire. Puis moi, je pense que ça va aller dans le bon sens. C'est un plus puis
c'est dans le but de protéger les femmes et les enfants. Je crois que c'est
vraiment comme... On insiste sur ce fait-là, là.
Mme Villeneuve
(Nathalie) : Puis moi, j'ajouterais que c'est d'autant plus important
d'encadrer les choses qu'on est dans du domaine du droit davantage privé. Quand
on est en droit criminel, le DPCP donne des directives, peut demander aux
procureurs de travailler de telle et de telle façon. Mais, quand on est en
droit de la famille, c'est des avocats en pratique privée ou des avocats à
l'aide juridique, mais, quand même, ce n'est pas des avocats qui sont encadrés
de la même façon. Donc, c'est important qu'ils soient capables d'amener au
tribunal l'ensemble des éléments à apprécier pour prendre une décision.
Puis Nathalie l'a
dit, des réformes du droit de la famille, il n'y en a pas si souvent. Donc, je
pense que le gouvernement, à juste titre, nomme l'ensemble des mesures qui ont
été prises dans les derniers mois pour travailler à contrer la violence conjugale, à protéger les victimes, bien, ça, ça en
fait partie, et je pense qu'il faut ajouter cet outil-là à notre coffre
d'outils.
M. Leduc : Merci
beaucoup.
Le
Président (M. Bachand) : Merci infiniment.
Mme la députée de Joliette, s'il vous plaît.
Mme Hivon : Oui. Bonjour. Merci à vous deux. Merci de votre
mémoire, encore une fois, très clair. Donc, il y a beaucoup de choses
qui ont été couvertes.
Je vous ai très bien
entendues et je suis complètement d'accord avec le fait qu'on doit nommer
expressément la violence conjugale. D'ailleurs, c'est une recommandation du
rapport Rebâtir la confiance, que les choses soient exprimées
clairement, pour éviter... Parce qu'il y a déjà tellement d'ambiguïtés dans la
manière dont les tribunaux interprètent tout ça.
Moi,
je voulais vous amener sur vos deux dernières recommandations, un sujet qui
m'intéresse beaucoup, depuis longtemps. Je me souviens, d'ailleurs,
d'une rencontre spécifiquement sur le sujet avec vous. C'est la question de la supervision des droits d'accès au moment de
l'échange des enfants, lorsqu'il y a des droits de garde qui sont
partagés. Donc, on sait que c'est un moment,
aussi, qui peut être souvent critique ou difficile, les échanges, dans un
contexte de violence conjugale ou familiale.
Vous
dites, d'une part, à 11 : Que «le tribunal considère, pour toute
ordonnance de garde ou d'accès, la possibilité de prévoir la supervision
des droits d'accès». Est-ce que vous voulez nous dire par là que vous estimez
qu'à l'heure actuelle ce n'est pas quelque
chose qui est pris en compte systématiquement et que ça devrait l'être dans
tous les cas ou pratiquement, que ça
devrait être un peu la base, si on est dans une circonstance de violence
conjugale, sauf avis contraire?
Puis ensuite vous
nous rappelez l'importance qu'il y ait vraiment des mécanismes d'encadrement.
Où on en est là-dedans? Dans mon deux minutes.
Mme Riendeau
(Louise) : Oui. Tu veux-tu y aller, Nathalie, ou tu veux que j'y
aille?
Mme Villeneuve
(Nathalie) : Bien, vas-y, puis je suivrai.
Mme Riendeau (Louise) : Bien, effectivement, dans beaucoup de cas, ce
n'est pas considéré... ou ce n'est parfois pas considéré parce qu'il n'y
a pas de services, ça fait qu'on est un peu dans un cercle vicieux, alors que
c'est des situations explosives. On le sait,
que des féminicides ou des homicides d'enfants arrivent autour du moment de la
séparation.
Donc, il faut
vraiment... Je pense qu'on n'a pas de chance à prendre si on estime qu'on est
dans une situation de violence familiale ou de violence conjugale, d'être très
prudents, et d'envisager la perspective de la supervision de droits d'accès, et
de l'envisager pour aussi longtemps que ce sera nécessaire. Souvent, quand on
parle de la supervision, on dit : il
faut que ce soit du court terme. Mais, dans les situations de violence
conjugale, ça peut être long avant qu'un conjoint contrôlant décroche et
accepte la fin de l'union. Donc, je pense, aussi longtemps que ce sera
nécessaire, on devrait y avoir recours.
Et, à l'heure
actuelle, parce qu'il n'y a pas assez de services, des fois, on va demander à
des membres de la famille d'assumer la supervision, ce qui n'est pas chose
simple quand on est face à un conjoint qui est contrôlant, qui peut faire peur, au fond, à l'ensemble, même à ses
parents qui tentent de l'aider. Donc, pour nous, c'est très important.
Mme Hivon :
O.K. D'ailleurs, on a vu une tragédie qui est arrivée dans un contexte
comme celui-là il y a quelques années. Mais, dites-moi, là, je comprends, quand
il n'y a pas de services... Ça, il y a vraiment un coup de barre à donner pour
que toutes les régions aient des lieux sécuritaires pour la supervision. Mais
est-ce que, les tribunaux, vous sentez qu'ils évoluent sur cette question-là,
quand les services sont présents, ou il y a encore une espèce de réticence à
l'ordonner clairement?
Le
Président (M. Bachand) : Très rapidement, parce
que le temps, malheureusement, nous manque.
Mme Villeneuve (Nathalie) :
Bien, malheureusement, ce n'est pas pris en compte. En tout cas, dans les
dossiers que nous, on voit, c'est nous qui devons pousser, faire des
recommandations, le dire à la femme pour que ce soit demandé. Ce n'est vraiment
pas quelque chose qui est courant.
Mme Hivon : O.K.
Bien, merci.
Le Président (M.
Bachand) : Sur ce, merci beaucoup,
Mme Villeneuve, Mme Riendeau. Merci beaucoup de votre mémoire, de
votre participation.
Une voix : Merci.
Le Président (M.
Bachand) : Mais surtout merci infiniment
pour le travail que vous faites. Vous faites une grande différence.
Cela dit, je suspends les travaux jusqu'à
19 h 30 ce soir. Merci beaucoup. À bientôt.
(Suspension de la séance à 17 h 27)
(Reprise à 19 h 32)
Le Président (M.
Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bon
début de soirée. La Commission des institutions reprend ses travaux.
Nous poursuivons donc les auditions publiques
dans le cadre des consultations particulières sur le projet de loi n° 2, Loi portant sur la réforme du droit de la famille en
matière de filiation et modifiant le Code civil en matière de droits de la
personnalité et d'état civil.
Ce soir, nous entendrons TransEstrie
conjointement avec Action Santé travesti-e-s et transsexuel-le-s du Québec, la
Fédération des maisons d'hébergement pour femmes. Mais on débute cette soirée
avec grand plaisir en accueillant Me Louise Langevin, professeure titulaire à
la Faculté de droit de l'Université Laval.
Alors, bonsoir. Merci d'être avec nous ce soir.
C'est un grand plaisir. Donc, vous connaissez les règles, un petit
10 minutes de présentation, et après ça on échange avec les membres de la
commission. Donc, Me Langevin, je vous cède la parole. Et, encore une
fois, merci d'être avec nous ce soir.
Mme Louise Langevin
Mme Langevin (Louise) : Merci M. le
Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés. D'abord, je veux vous
remercier de me donner l'occasion de m'adresser à vous ce soir sur quelques
articles du projet de loi n° 2 portant réforme sur le
droit de la famille.
En entreprenant une réforme sur le droit de la
famille, le législateur québécois ne peut pas imposer un seul modèle de la
famille. Il doit respecter la diversité des familles et leurs valeurs. Dans ce
domaine, à mon avis, le seul rôle du législateur consiste à protéger les
vulnérables, dont font partie les enfants et, dans certains cas, les femmes.
Donc, ce
soir, ma présentation porte sur 39 articles qui encadrent la maternité
pour autrui et les personnes qui y sont impliquées. Le sujet est très
polarisé, parce que la pratique remet en question notre conception de la
maternité et de la paternité. Cependant, toutes les personnes impliquées dans
le débat veulent protéger l'enfant, qui devrait être au coeur de nos discussions. La protection de l'enfant signifie
nécessairement qu'il ne peut pas être traité différemment ou désavantageusement en raison des décisions de ses
parents. Par ailleurs, on ne peut ignorer les femmes qui sont impliquées
dans le parcours procréatif : la mère porteuse, la mère intentionnelle et
la fournisseuse d'ovules.
Mon analyse et mes positions sur la pratique
des mères porteuses sont analysées par une réflexion féministe qui dénonce le
patriarcat, l'exploitation du travail et des capacités procréatives des femmes.
Je défends le droit à l'autonomie procréative des femmes. Cependant, à mon
avis, cette autonomie ne peut pas être absolue si elle mène à l'exploitation
des femmes.
Ma posture tient compte des réalités
économiques, historiques et sociales de la maternité. Les capacités
procréatives des femmes ont été exploitées et continuent de l'être. L'industrie
de la procréation assistée y contribue certainement. Je ne nie pas l'agentivité
des femmes. Je considère cependant que l'État doit intervenir pour encadrer la
maternité pour autrui dans le but de respecter, justement, l'autonomie
procréative des femmes.
Le principe de précaution doit prévaloir. Mes
commentaires sur le projet de loi sont donc basés à la fois sur la protection
de l'intérêt de l'enfant et le respect des droits de la mère porteuse. Et ces
intérêts ne doivent pas être analysés en opposition, ils doivent être en
interrelation. Je désire rappeler qu'il n'y a pas de droit à l'enfant. Il y a
certainement un désir d'enfant, mais qui ne peut pas se transformer en droit.
D'abord, je veux parler de la difficulté de
nommer, et les points que je vais reprendre sont développés plus en détail dans
mon mémoire.
Premièrement, la difficulté de nommer. Le projet
de loi utilise l'expression «la femme ou la personne qui a accepté de donner
naissance à un enfant», tout comme l'expression «gestation pour autrui». Ces
deux expressions effacent la femme qui porte l'enfant et qui en accouchera. La
mère porteuse est la mère légale jusqu'à ce qu'elle donne son second
consentement entre le huitième et le 30e jour après l'accouchement.
L'expression «gestation pour autrui» efface ce qu'est la maternité. Donc,
j'utiliserai les termes «mère porteuse» et «maternité pour autrui».
Maintenant, les mesures pour respecter le droit
à l'autonomie procréative de la mère porteuse. Je salue la décision du
législateur d'encadrer la pratique, sans pour autant l'encourager, au lieu de
simplement l'ignorer. Il est inutile, à ce moment-ci, de se demander si cette
pratique est bonne ou mauvaise, elle est permise au Canada à titre gratuit — mais
on peut douter que ce soit vraiment à titre gratuit — et
aussi parce que des enfants en naissent. Donc, c'est pour ça que je dis que ce
n'est pas le moment de se demander si c'est bien ou si c'est mal.
D'ailleurs, le nombre de mesures de protection
dans le projet de loi indique bien que cette pratique n'est pas banale. Les
mesures proposées dans le projet de loi visent à respecter, justement, le droit
à l'autonomie procréative de la mère porteuse, et le Québec rejoint ainsi trois
autres provinces canadiennes. Et le Québec n'avait pas le choix d'encadrer cette
pratique. La Cour d'appel avait été très claire à ce sujet.
Le projet de loi met en place une série de
mesures, dès la formation du projet parental, pour s'assurer du consentement
libre et éclairé de toutes les parties. Je salue la possibilité de la mère
porteuse de pouvoir changer d'avis et de garder l'enfant sans pénalité avant
l'accouchement mais aussi entre le huitième et le 30e jour après
l'accouchement. La période de sept jours doit être maintenue, sept jours
entre la naissance et le moment où la mère porteuse peut donner son deuxième
consentement. Cette période de sept jours doit être maintenue pour permettre un
consentement libre et éclairé. Pour moi, cette période de sept jours fait
partie de ce principe de précaution.
Cependant, à mon avis, certains articles doivent
être réécrits pour s'assurer que la mère porteuse ait toujours le dernier mot
et qu'un tribunal ne puisse intervenir pour évaluer ses capacités parentales et
lui retirer son lien de filiation avec l'enfant.
Je salue aussi l'imposition du contrat
réglementé comme outil de négociation et de protection. Le contrat est
d'ailleurs utilisé en ce moment par les parties, même s'il est non exécutoire.
Et je salue aussi le fait qu'il s'agit d'un contrat réglementé dont le contenu
sera prévu dans un règlement. Je salue l'indemnisation des pertes salariales de
la mère porteuse et la possibilité d'obtenir des prestations de maternité, tout
comme le fait que, dans la Charte des droits et libertés du Québec, le droit...
sera ajouté le droit de toute personne de connaître ses origines.
Le projet de loi prévoit deux voies, la voie
administrative, pour l'établissement de la filiation, et la voie judiciaire, et
c'est ce que l'Ontario, et la Saskatchewan, et la Colombie-Britannique ont
décidé de faire, donc une voie, je dirais, plus simple, la voie administrative,
pour les personnes, les couples qui ont respecté toutes les mesures, toutes les
exigences, et ensuite une voie judiciaire, longue et plus coûteuse, pour la
personne ou les couples qui n'auraient pas respecté les mesures qui sont
imposées.
• (19 h 40) •
Cependant,
cette voie judiciaire ne doit pas servir à retirer la filiation de la mère
porteuse lorsqu'elle ne consent pas.
Je donne un exemple. Que se passe-t-il dans le cas où le contrat a été rédigé
après la conception du foetus et que la mère a été payée? Donc, les conditions n'ont pas été respectées. Ça veut
donc dire que ces parents intentionnels devront aller devant le
tribunal. C'est la voie judiciaire qui est... qui doit être appliquée. Dans ce
cas, le projet de loi dit que le projet parental est nul. Quelles sont les
conséquences de la nullité du projet parental pour l'enfant? Est-ce qu'on peut
sanctionner les parents intentionnels et la mère porteuse qui n'auraient pas
respecté certaines conditions sans pour autant punir l'enfant qui en est issu?
Je ne crois pas. Sanctionner les parents, c'est souvent aussi sanctionner
l'enfant.
Le projet de loi s'attaque à la maternité pour
autrui transfrontalière. J'ai analysé ces articles en détail. On voit bien
comment on veut protéger, contrôler en amont et après l'accouchement, quand
l'enfant revient au Canada, un peu comme on fait en matière d'adoption
internationale. Je comprends bien l'idée derrière tout ça. Mais, après
réflexion, je pense que ces articles n'ont qu'une valeur dissuasive. Comment le
législateur peut-il discriminer envers des enfants en raison des circonstances
de leur naissance?
Comme je l'ai dit, il est très difficile de
sanctionner les parents sans en même temps punir les enfants. Un exemple, le
projet de loi prévoit une liste de pays ou de provinces désignés où des parents
intentionnels pourront aller faire affaire, oui, avec une mère porteuse à
l'étranger. Que se passe-t-il si ces couples ne vont pas dans un pays dont le
nom apparaît sur la liste? Par exemple, la Californie n'apparaîtra pas sur
cette liste, parce que la Californie accepte, tolère la gestation pour autrui à
titre commercial. Et certainement que la Californie ne sera pas sur cette
liste-là, parce que ça va à l'encontre du droit canadien, ça va à l'encontre de
l'ordre public québécois et canadien.
Donc, l'enfant revient avec son passeport au
Canada avec les parents. Immigration Canada dit clairement comment obtenir un
passeport dans un tel cas. L'enfant est au Québec, il a un passeport canadien,
il a un acte de naissance américain ou un jugement qui déclare la parentalité
de ses parents. Les parents n'ont pas respecté les conditions. On va punir
l'enfant parce qu'il n'a pas d'acte de naissance qui va être reconnu au Québec?
Je n'ai pas d'acte de naissance reconnu au Québec. Ça ne m'a jamais nui. Est-ce
qu'on peut, parce que les parents ont décidé d'aller en Californie, faire en
sorte que l'enfant n'ait pas d'acte de naissance reconnu au Québec?
Le Président (M.
Bachand) : Me Langevin, votre 10 minutes est passé.
Je me tourne vers le ministre pour la période de questions. Je suis désolé,
hein, on est vraiment...
Mme Langevin (Louise) : Je suis
habituée. Je le sais, oui.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup de votre compréhension. M. le
ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Merci, M. le
Président. Me Langevin, merci beaucoup d'être avec nous ce soir pour discuter
du projet de loi. Vous nous apportez un éclairage intéressant.
Première chose, parlons de vocabulaire. Vous,
vous nous faites la recommandation d'utiliser le terme «maternité pour autrui»,
contrairement à «femme» ou à «gestation pour autrui». Donc, pourquoi est-ce
que, pour vous, c'est important de venir nommément dire... bien, en fait, de ne
pas évacuer le terme «maternité pour autrui» ou «maternité de substitution»,
versus «gestation»?
Mme
Langevin (Louise) : Voyez-vous, même tantôt, j'ai dit GPA, parce que,
bon, ça se dit, en quelque sorte, plus facilement. Mais, il faut bien
comprendre, la gestation pour autrui efface, à mon avis, la réalité de la
maternité, les neuf mois de grossesse et l'accouchement. C'est comme si GPA, ça
nous permettait d'accepter plus facilement
ce que c'est, en fait. C'est une maternité pour autrui. Donc, GPA, ça sert, en
quelque sorte, à ce que... je dirais, égaliser, à polir, à rendre
quasiment stérilisé... à stériliser un phénomène qui est une maternité pour
autrui. Donc, c'est pour ça que je considère que «gestation», ça efface la
réalité de la maternité. Et ça efface aussi... C'est pour ça que j'utilise le
mot «mère porteuse».
Ça efface la réalité
de la maternité pour les femmes de toutes les époques, dans toutes les classes
sociales, une réalité qui n'est pas toujours rose. Les mères ont été exploitées — parce
qu'elles sont des mères. On en connaît les conséquences économiques pour les
femmes.
Mais la maternité a
aussi des bons côtés. Donc, pour moi, appeler une «femme qui a accepté de
donner naissance»... D'ailleurs, toutes les femmes enceintes acceptent de
donner naissance. Après neuf mois, là, il y a tout le temps une naissance.
Donc, pour moi, enlever le mot «mère», c'est nier le rôle de la maternité dans
notre société.
M.
Jolin-Barrette : Est-ce que vous êtes d'avis que le fait d'utiliser le
terme «maternité de substitution» ou «mère», ça vient faire en sorte que c'est
une approche davantage féministe d'utiliser ce terme-là?
Mme Langevin
(Louise) : Les féministes ne sont pas toutes d'accord entre elles,
hein?
M. Jolin-Barrette :
Je vous pose la question, là. Moi, je...
Mme Langevin
(Louise) : Oui. Bien, de mon point de vue à moi, oui, parce que je
tiens compte de la réalité des femmes.
M.
Jolin-Barrette : Moi, je vous dis, Me Langevin, ce que je souhaite faire
avec le projet de loi puis mon intention, deux éléments, c'est ce qui m'a
guidé, puis je suis ouvert à apporter des bonifications, premièrement, protéger
la mère porteuse relativement à son consentement, relativement au processus
durant la grossesse, qu'elle puisse mettre fin à tout moment, qu'elle ait
l'autonomie de son corps.
Deuxièmement,
l'intérêt de l'enfant. On sait qu'il y a des enfants qui naissent de la
gestation pour autrui ou de la maternité de substitution. On veut qu'ils soient
protégés. Les parents d'intention ne sont plus ensemble, se chicanent, ne veulent plus s'occuper de l'enfant,
on veut les attraper. On veut s'assurer... Au départ, vous faites un
projet. Il y a un être humain qui va naître
de ça. On veut s'assurer que cet enfant-là ait une filiation et qu'il y ait des
garanties, des obligations alimentaires, qu'il ne soit pas laissé pour compte.
Parce que lui, il n'a pas choisi de venir au monde. Ça fait que, tu sais, ça,
c'est ce qui nous guide au départ. Après ça, moi, je suis plus sur les
modalités. On a entendu différents points de vue à date. Ça fait que c'est plus
ça qui nous guide.
Sur le contrat, la
convention, là, notariée, vous êtes à l'aise à ce que ce soit impératif, que ce
soit bien balisé puis qu'il y ait des règles d'ordre public dans la convention.
Mme Langevin
(Louise) : Ah! oui, oui, oui. Parce que vous ne pouvez pas... Je ne
crois pas qu'il y a une égalité de pouvoir entre les deux parties dans la
mesure où... Regardez les contrats que vous allez trouver sur Internet. Vous
allez me dire : Oui, oui, c'est aux États-Unis. Mais regardez-les. Les
Canadiens et Québécois utilisent quand même ces modèles gratuits sur Internet.
Et ce sont des contrats d'adhésion, là, hein, où il y a des obligations juste
pour la mère porteuse. Et c'est elle qui est contrôlée dans sa vie quotidienne.
Donc, il faut que ce
soit un contrat réglementé, comme on en connaît d'autres, où le contenu est
déjà prévu dans un règlement, et qui laisse, je dirais, peu d'imagination aux
parties.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Je veux vous entendre sur la question, là, du
8-30 jours. Dans le fond, vous, vous dites : Il faut conserver le
8-30 jours, c'est important que la mère porteuse ne puisse pas donner son
consentement avant le huitième jour. Pourquoi?
Mme Langevin
(Louise) : Pour qu'elle exerce un consentement libre et éclairé. C'est
pour ça que... Je vois tout à fait le septième jour, tout le temps, avec cette
idée de principe de précaution. Je sais qu'il y a certaines études qualitatives, avec des petits échantillonnages,
qui disent : Oh! ça ne s'est jamais produit, une mère porteuse qui
change d'idée. Bien, au mois de janvier, à
Vancouver, il y a une affaire qui va être entendue où une mère porteuse veut
ravoir l'enfant. L'enfant a quatre ans maintenant. Il y a déjà une décision
intérimaire qui a été rendue dans cette affaire-là.
Donc, cette idée que
les mères porteuses disent toujours oui, que tout est parfait... On n'est pas
au pays des licornes, là. On est dans une société, puis vous savez bien qu'il
n'y a pas de phénomène où tout est parfait, O.K.? Et donc, pour moi, ce sept
jours-là, c'est le principe de précaution où il n'y a pas de décisions qui se
prennent. La mère porteuse vient d'accoucher, on laisse passer le sept jours.
Et, pour moi, l'autre
période, entre le huitième et le 30e jour, ce n'est pas surprenant. Ils
l'ont en Ontario, ils l'ont en Saskatchewan — un peu moins long, il me
semble, en Saskatchewan — et
dans d'autres pays aussi. Pour moi, cette période, elle est tout à fait
normale. Pourquoi se presser, là? C'est quoi, l'affaire?
M. Jolin-Barrette : Et, tout à
l'heure, on entendait... je crois, c'est ce matin, Mme Picard, qui a été
mère gestationnelle à deux reprises, elle,
elle disait : Vous devriez faire le contraire, vous devriez, dans le fond,
dire... bien, comme un droit de dire : Bien,
finalement, j'ai changé d'idée. Plutôt que de donner un consentement positif,
de dire : Bien, d'office, à la naissance, l'enfant est remis, et c'est
comme s'il y avait un consentement, mais, dans les 30 jours, que la mère
porteuse puisse retirer son consentement.
• (19 h 50) •
Mme Langevin (Louise) : C'est comme
si le consentement serait présumé dès le départ.
M. Jolin-Barrette : Exactement.
Mme Langevin (Louise) : On ne voit
pas ça en soins de santé, on ne voit pas ça dans la théorie des obligations,
que le consentement soit tout le temps présumé. On ne peut pas présumer du
silence de quelqu'un.
M. Jolin-Barrette : Donc, pour vous,
c'est important d'avoir un consentement explicite.
Mme Langevin (Louise) : Oui. Pour moi,
c'est important d'avoir ce... toujours à partir du point de vue du principe de
précaution et de ce consentement libre et éclairé.
M. Jolin-Barrette : O.K. Sur la
question de la séance d'information psychosociale, où est-ce que vous vous
situez, vous? Parce que certains disent : Bien, écoutez, ça prendrait
peut-être une évaluation, comme dans le cas des parents adoptants.
Nous, on a décidé de proposer une séance
d'information séparément pour la mère porteuse, séparément pour les parents
d'intention. Quel est votre avis là-dessus? Parce que certains nous ont
dit : Ça prendrait une évaluation. D'autres disent : Non, non, une
séance d'information, c'est correct.
Mme Langevin (Louise) : Oui. Je ne
pense pas qu'on puisse évaluer les capacités parentales de parents
intentionnels, parce qu'on ne peut pas présumer qu'ils seront de moins bons
parents que les autres parents. Donc, de ce point de vue là, je pense que ça
pourrait être discriminatoire d'imposer une évaluation.
Et la loi québécoise sur la procréation
assistée, à l'article 10.2, prévoit que le médecin, dans la clinique de
fertilité, peut, s'il a des motifs raisonnables, demander une évaluation
psychosociale du couple qui se présente en fécondation in vitro. Donc, il
suffirait possiblement de modifier cet article-là et d'y inclure la mère
porteuse. Par exemple, une mère porteuse de 21 ans qui se présente, qui
n'a pas eu de grossesse, peut-être que le médecin peut avoir des doutes sur son
consentement libre et éclairé. Donc, je soulevais l'article 10.2 de la loi
québécoise sur la procréation assistée, qu'on pourrait modifier et là prévoir
une possibilité d'évaluation des capacités parentales ou vérifier le
consentement vraiment libre et éclairé. Ce serait une possibilité, rendu là,
là, à la clinique de fertilité.
M. Jolin-Barrette : O.K. Au début de
votre intervention, vous avez abordé la question de.... il n'y a pas de droit à
l'enfant. Qu'est-ce que vous voulez dire par là? Puis je pense que ça oriente
également le propos que vous tenez, là. Qu'est-ce que vous voulez dire par «il
n'existe pas de droit à l'enfant»?
Mme Langevin (Louise) : Il n'y a pas
de droit à l'enfant, comme un droit de créance, j'ai droit à ceci, j'ai le
droit, comme un droit fondamental. Je ne sais pas, d'ailleurs... j'ai droit à
l'enfant, comme si j'étais un créancier qui demande un droit. Il n'y a pas ce
droit parce que l'enfant n'est pas un objet, et il n'y a pas un droit à
l'enfant. Ce discours-là est beaucoup vu dans les groupes de parents infertiles
et dans certaines communautés LGBT, qui vont réclamer le droit d'être parent,
le droit d'avoir un enfant. C'est beaucoup là qu'on entend ce discours. En
fait, c'est le désir qui glisse et qui devient un droit, le vocabulaire du
droit, qui est plus fort que le vocabulaire du désir.
Donc, on ne peut pas... Il n'y a pas un droit
sur un être humain, il n'y a pas un droit sur l'enfant. Même si le désir est, je dirais, fondamental et profond, il
n'y a pas un droit à l'enfant. Et souvent, dans certains discours, c'est ce
qu'on entend, comme si toutes les personnes
adultes qui désirent un enfant ont un droit à l'enfant. Il n'y a pas ce droit à
l'enfant.
M. Jolin-Barrette : O.K. Je vous
remercie grandement pour votre présence en commission parlementaire. J'ai des
collègues qui veulent vous poser des questions. Merci, très intéressant.
Le Président (M.
Bachand) : M. le député de Chapleau, s'il vous plaît.
M. Lévesque (Chapleau) : Oui. Merci
beaucoup, M. le Président. Me Langevin, merci beaucoup de votre
présentation.
J'aimerais peut-être revenir sur un constat que
vous faites quant aux agences. Vous dites, là : On peut se demander à quoi
serviront les agences, les réseaux sociaux semblent déjà assez efficaces pour
mettre en contact les personnes intéressées. Et vous recommandez au législateur
qu'il devrait considérer l'interdiction de ces agences. Pourquoi? Qu'est-ce qui
vous fait dire ça, là? Peut-être nous éclairer sur toute cette question-là, si
c'est possible.
Mme Langevin
(Louise) : Oui. Les agences de rencontre — qui fait de la
rencontre, qui agirait comme intermédiaire et qui serait payée — sont
interdites, ces agences, par la loi fédérale. O.K.? Et comment... Et regardez,
dans la région de Toronto, le nombre d'agences de rencontre depuis que le droit
ontarien est plus clair sur la question depuis 2017. Il y a un grand nombre
d'agences. Bon, bien, ces agences-là n'ont pas le droit de vendre leurs
services. Donc, ils
vont donner leurs services de rencontre gratuitement, si je peux le dire, mais,
en arrière de ça, il y a des conseils : conseils juridiques,
conseils médicaux, conseils de ceci et conseils de cela. Ces agences-là, à
moins d'être avocats, ne peuvent pas donner
de conseils. Des conseils sur les assurances, bien, il y a des spécialistes en
matière d'assurance vie, assurance santé, et tout ça.
Donc, je me demande,
avec le projet de loi, où il y aura une séance d'information, où il y aura un
ou une notaire qui va voir aux questions juridiques, où il y aura tout un
encadrement, à quoi les agences vont servir. Puis là je... Allez dans des
groupes privés sur Facebook, où il y a des parents qui cherchent des mères
porteuses. Et c'est pour ça que je dis : Les réseaux sociaux font pas mal
la job en ce moment.
Donc, je me demande
si ces agences-là n'exploitent pas l'inquiétude des parents intentionnels et
aussi l'inquiétude des mères porteuses.
M. Lévesque
(Chapleau) : On a eu un exemple, le ministre en faisait mention tout à
l'heure, Mme Picard, qui a eu deux
expériences, une, justement, sur les réseaux sociaux puis une avec une agence.
Ça avait bien fonctionné dans les
deux cas pour sa part. Donc, il y a peut-être une voie de passage soit entre
les deux ou trouver des solutions par rapport
à ça. Mais vous, vous seriez pour abolir, de ne pas permettre les agences dans
le cas... pour... à but lucratif, là.
Mme Langevin
(Louise) : Bien, ce n'est pas pour rien non plus qu'à l'article...
est-ce que c'est 541.4 ou 541.3, là... où on dit que le contrat doit
nécessairement être entre la mère porteuse et les parents intentionnels, pour
éviter que ce soit entre l'agence et les parents intentionnels, pour ne pas que
la mère porteuse soit l'employée de l'agence, si vous comprenez ce que je veux
dire.
Moi, qu'on m'explique
leur rôle et leur utilité, mais je ne vois pas, à ce moment-ci, leur rôle, à
moins que ce soit comme en Angleterre, qu'ils offrent une liste gratuite de
mères porteuses, bon, comme on en voit un peu en Angleterre. Mais je ne vois
pas leur... Je ne comprends pas et je ne vois pas la pertinence.
M. Lévesque
(Chapleau) : Justement, allons-y sur le Royaume-Uni. Nous avions eu un
groupe qui... Puis revenons également sur le principe de précaution que vous
avez mentionné précédemment. Actuellement, il y a une réflexion quant aux
changements à la loi pour, justement, les mères porteuses qui pourraient ne pas
avoir le choix nécessairement pour garder l'enfant ou le donner. Puis
Mme Picard nous a dit que ça créerait de la méfiance également puis une
certaine frustration.
Mme Langevin
(Louise) : De...
M. Lévesque
(Chapleau) : De pouvoir... Cet article-là, là, du 8‑30 jours, là.
Et, au Royaume-Uni, il y a cette même réflexion-là. Je ne sais pas qu'est-ce
que vous avez à dire par rapport à ça, là, sur la méfiance que ça pourrait
créer envers les parents d'intention par rapport à la mère porteuse.
Mme Langevin
(Louise) : Je ne... Bon, pour ce qui est du Royaume-Uni, leur rapport
final devrait sortir cet hiver. C'est ce que ça dit sur le site, là, O.K.?
Bon, je ne vois pas
la méfiance que ça peut causer, ce délai, parce que, de toute façon, les
parents intentionnels vont être avertis que la mère porteuse peut changer
d'idée pendant la grossesse, peut changer d'idée un jour avant d'accoucher,
peut changer d'idée aussi après l'accouchement. C'est ça, l'état. C'est une des
mesures pour protéger le consentement libre et éclairé et pour éviter une forme
d'exploitation des femmes. Donc, s'ils le savent, ils le savent, ils
s'embarquent dans l'aventure en le sachant bien, et la mère porteuse sait
qu'elle peut changer d'idée.
M. Lévesque
(Chapleau) : Tout en connaissance de cause. O.K. Puis donc vous parlez
d'un cas, justement, à Vancouver, que l'enfant aurait quatre ans. Il me semble
que c'est un peu... Le délai me semble déraisonnable... ou ça me semble un peu
inquiétant par rapport à cette situation-là, là.
Mme Langevin (Louise) :
Oui. Les faits sont complexes. La mère porteuse a tout le temps eu des
liens, des visites avec l'enfant jusqu'à ce qu'il ait l'âge de trois ans. À
partir de trois ans, il y a eu des problèmes entre la mère porteuse et le
couple, et là c'est devant le tribunal. Mais ce que... Puis je ne sais pas
comment ça va se terminer, là. Est-ce... Il va y avoir, j'imagine, un examen de
qui sont les bons parents, mais l'enfant a tout le temps été avec ses parents
intentionnels.
• (20 heures) •
M. Lévesque
(Chapleau) : Mais vous ne recommandez pas un délai plus important que
le 8-30 jours. C'est bien ça, là? Le quatre ans, ce n'est pas... ce ne
serait pas un objectif, là. On n'irait pas là, là.
Mme Langevin
(Louise) : Non. Ce n'est pas ça. Mais mon idée, c'est de dire :
Il y a des cas où ça ne fonctionne pas toujours bien. Au Québec, on ne peut pas
en avoir entendu parler tant que ça, elles ne peuvent pas aller devant les
tribunaux.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup.
Je me tourne vers l'opposition officielle avec le député de LaFontaine, s'il
vous plaît.
M. Tanguay : Merci
beaucoup, M. le Président. Merci, Me Langevin, d'être avec nous ce soir.
J'ai comme l'impression qu'en 10 minutes, là, on n'aura pas vidé le sujet.
Puis c'est des questions fondamentales, là, puis on est en train de rédiger la
loi.
Je vais
commencer par votre dernière phrase, une fois que j'ai dit ça, votre dernière
phrase : «Dans tous les cas, des
statistiques et des études sur les enfants qui en sont issus seront nécessaires
pour mieux comprendre le phénomène.»
Là, j'ai l'impression qu'on va à vitesse
grand V. On est à la fin du mandat. Je parle, moi, de mon côté, comme
législateur. Puis, je veux dire, que le ministre ne se sente pas éconduit,
offusqué, pris à partie, là. Je me sens, comme législateur, là, à minuit moins
cinq. Il nous reste une session parlementaire, 360 articles, puis le coeur
du débat qu'on a, c'est un des 360 articles, 96, qui en ajoute 38. Excusez
du peu.
Le Président (M.
Bachand) : ...ajuster votre micro pour qu'on puisse entendre
votre douce voix.
M. Tanguay : Oui. Je vous en prie.
Excusez-moi, M. le Président.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup.
M. Tanguay : Alors, Me Langevin,
vous dites, donc : Il n'y a pas un droit à l'enfant. J'aimerais, donc, sur
les principes... Et je vois ce que vous
voulez, corrigez-moi si j'ai tort, là, mais vous voulez, entre autres... Si je
prends la recommandation 2 : «Précisez le sens des articles», puis là
vous en nommez cinq, six, «afin qu'il soit clair qu'un tribunal ne puisse
intervenir pour modifier le lien de filiation de la mère porteuse qui désire
garder l'enfant». Donc, si je vous comprends bien, vous dites que, pour les
parents d'intention, ils n'ont pas un droit, ils ont un désir, probablement
fondamental et très vrai, mais ils n'auraient pas le droit. Et vous semblez
dire qu'il faudrait, donc, refaire un balancement vers l'importance du lien de
la mère porteuse et de l'enfant dans tous les cas de contestation ou tous les
cas où des conditions n'auraient pas été respectées.
Mme Langevin (Louise) : Ce sont des
articles que j'ai essayé de comprendre, la lecture est assez difficile, et
que... Je n'ai pas compris la portée de plusieurs articles. Et j'ai passé
plusieurs heures à essayer de comprendre. J'ai eu d'autres interprétations et,
quand j'ai eu d'autres interprétations, j'ai dit : Ah! c'est ça que ça
voulait dire, mais ce n'est pas ça qui est écrit. Donc, je pense qu'il faudrait
essayer de revoir le style et que ce soit clair. Parce que j'ai passé des
heures et des heures à essayer de comprendre puis je me dis : S'il faut
qu'un tribunal ne comprenne pas quelle est l'intention du législateur, ça va
aller mal. C'est ça que je veux dire, là.
M. Tanguay : Non, tout à fait, tout
à fait. Vous, également, semblez vouloir donner un rôle, puis corrigez-moi si
j'ai tort ou précisez peut-être, un rôle accru, notamment dans le contexte de
la recommandation 6, modifier la Loi sur les activités cliniques et de
recherche en matière de procréation assistée «pour permettre au médecin
traitant de demander une évaluation psychosociale...
Mme Langevin (Louise) : Oui, c'est
ce que j'ai dit tantôt.
M. Tanguay : ...de la mère
porteuse». Donc, quel est le rôle du médecin? Est-ce que le médecin est
habilité par son ordre professionnel, son code de déontologie? Est-ce qu'il
peut demander de telles évaluations pour... psychosociales pour la mère
porteuse?
Mme Langevin (Louise) : Dans
l'article 10.2 de la loi québécoise sur la procréation assistée, c'est
lorsque le médecin a des motifs raisonnables de croire que les parents
intentionnels devant lui n'ont pas... je ne me souviens plus du phrasé exact,
là... n'ont pas les capacités parentales, que l'intérêt de l'enfant ne serait
pas bien protégé. Donc, c'est dans ce cas-là que le médecin pourrait demander ce
genre d'évaluation. Donc, c'est pour ça qu'on pourrait rajouter la mère
porteuse, dans ce cas-là, pour permettre au médecin... Quand le couple et la
mère porteuse arrivent en clinique, ils ont déjà signé le contrat, vu plein de
personnes. Et ils arrivent en clinique, et là peut-être que...
Je donnais cette possibilité-là, parce que le
projet de loi, évidemment, à raison, ne dit pas : Bien, il faudrait que la
mère porteuse ait eu une première maternité, il ne faudrait pas qu'elle donne
ses ovules, il faudrait qu'elle ait tel âge et tel âge. Parce que, plus on met
de conditions... Qu'est-ce qui va se passer si la mère porteuse ne respecte pas
la condition? Bien, on va punir l'enfant? On va lui enlever l'enfant et
l'envoyer en adoption? Je ne le sais pas, là. Mais donc je voyais ce médecin-là
avec sa possibilité, s'il a des motifs raisonnables, de demander une évaluation
psychosociale. Puis il y a déjà des
professionnels qui sont formés pour ça. C'est prévu dans le règlement, et tout
ça, là.
M. Tanguay : Et, par extension, à
51.10, lorsqu'il est dit que, d'une part, la mère porteuse ou la personne qui
va donner naissance et, d'autre part, les parents d'intention doivent subir une
rencontre... pas subir, doivent participer à
une rencontre — «subir»,
ce n'était pas le bon mot — concernant
les implications psychosociales, devrait-il aussi y avoir là une
évaluation de leur capacité à aborder cette relation contractuelle là de façon
positive? Devrait-il y avoir une évaluation faite par un professionnel, psychologue
ou travailleur social?
Mme
Langevin (Louise) : Tantôt,
c'est ce que j'ai dit au ministre de la Justice. Je pense que ces
évaluations-là, si elles portent sur l'évaluation des capacités parentales,
c'est discriminatoire vis-à-vis de ces gens-là. Parce qu'il y a des tas de parents qui ont des enfants par la méthode
traditionnelle, et on leur... on ne leur fait pas passer un test pour savoir s'ils vont être des bons parents ou pas. De
toute façon, on ne peut pas prédire qui seront des bons parents ou pas,
là.
Et donc c'est pour ça que la session de
rencontre doit aborder les questions éthiques et les questions psychosociales, et aussi je pense qu'on devrait
rajouter les questions médicales tout de suite. Les conséquences, sur la
mère porteuse, de la superovulation, les
conséquences de l'implantation de l'embryon, les conséquences pour sa
santé à elle, les questions médicales
devraient être abordées beaucoup plus tôt qu'une fois rendue dans la clinique
de fertilité.
M. Tanguay : Et vous, vous
sembliez douter, quand vous avez dit : Au Canada à titre gratuit, vous
sembliez douter de cette... Quelle portée dois-je donner à ça, à ce doute-là?
Mme Langevin (Louise) : Mais on
le sait bien, la maternité pour autrui, au Canada, est à titre gratuit. La loi
fédérale l'impose, O.K.? Donc... Mais il y a un problème pour trouver des
donneuses, qui ne sont pas des donneuses d'ovules, au Canada. Il faut les
acheter, les ovules, aux États-Unis, parce qu'on n'en a pas au Canada, il n'y a
pas de femme qui les donne, O.K.?
Bon, il y a des anecdotes, et pas juste des
anecdotes, où les mères porteuses sont... je ne dirai pas rémunérées, mais
reçoivent des cadeaux. On le sait bien, que c'est comme ça que ça se passe. Il
y a tout un discours, spécialement chez les agences, qui présente la maternité
pour autrui comme le don ultime de soi. Les femmes sont habituées à donner
gratuitement, on le sait. Donc, il y a toute cette idée du don, que c'est
gratuit, pour, en quelque sorte, cacher le côté, je dirais, peut-être
commercial, mercantile, qui est interdit au Canada mais qui existe.
Donc, c'est pour ça tantôt que j'ai dit :
Il y a un marché noir — ou
un marché gris, appelez-le comme vous voulez — de maternité pour autrui, où
il y a des cadeaux qui passent sous la table. Et ça, le législateur peut
difficilement contrôler la situation, mais c'est ça, la réalité. Il y a des
enquêtes... des journalistes d'enquête qui ont publié pas mal d'articles sur la
question.
M. Tanguay : Et ce serait d'autant plus ajouter un niveau de
difficulté pour le législateur ou l'autorité québécoise de s'assurer que tout se fait selon les règles
établies. Si on va à l'international, avec une mère porteuse à
l'international, là, je veux dire, le «reach out», si vous me permettez
l'expression, est... Mais je sais, je sais que, par règlement, ils vont
dire : Tel État est sérieux, tel État ne l'est pas. Ils vont établir.
Mais, à quelque part, il y a un défi, là, hein?
Mme Langevin (Louise) : Bien,
c'est ce que j'ai soulevé tantôt. Je pense que ces articles-là n'ont qu'une
valeur symbolique dissuasive, parce qu'outre les provinces canadiennes, en
dehors du Québec, y a-t-il des endroits sur la planète où une mère porteuse
étrangère voudra rendre ce service de manière totalement gratuite?
M. Tanguay : Avez-vous une...
Dans vos recherches, je ne sais pas si vous avez vu des... quand c'est établi
dans un État, comme ça le serait au Québec, des statistiques sur une proportion
substantielle, justement, de parents d'intention, dans la localité de l'État
qui l'aura permis et encadré, qui ont recours à des mères porteuses à
l'étranger? Est-ce qu'il y a là un tremplin pour...
Mme Langevin (Louise) : Le
fait, vous voulez dire, d'encadrer de manière très serrée sur le territoire, est-ce
qu'il y a un mouvement vers l'étranger?
M. Tanguay : Oui.
Mme Langevin (Louise) : On peut
penser que oui. On peut penser que oui. Si c'est trop compliqué ici et que les
mères porteuses sont difficiles à trouver... Je vous ferai remarquer que des
utérus, ça se trouve dans le corps de jeunes femmes, là, hein, et, aux
dernières nouvelles, il n'y a pas... l'utérus artificiel n'est pas sur le point
d'apparaître sur le marché. Donc, si on ne trouve pas d'utérus au Québec, bien,
on va aller en trouver en Californie, pour ceux qui ont les moyens, ou en
Ukraine, où c'est beaucoup moins cher.
M. Tanguay : Est-ce qu'il y a
des États, à l'heure où on se parle, qui seraient des modèles pour nous ou un
État qui serait un modèle pour nous? Aidez-nous.
Mme Langevin (Louise) : Ça
dépend. En Israël, une mère porteuse peut être quatre fois mère porteuse, c'est
payé par l'État, parce qu'Israël a une politique populationnelle, il y a des
motifs religieux, les femmes qui ne sont pas des mères sont rejetées dans la
société. Donc, c'est tout à fait différent. Et c'est très encadré. C'est très,
très encadré. La mère porteuse ne fournit pas ses propres ovules. Bon, tout ça,
c'est très, très encadré et payé par l'État, mais il y a des objectifs
différents.
En France, ils ont été obligés de reconnaître
les enfants fantômes. Ils se sont fait taper sur les doigts par la Cour
européenne des droits de l'homme. Puis là, au mois d'août, ils viennent... Ils
ne reconnaissent pas la maternité pour
autrui. Ils ne la reconnaissent pas. Mais il y a des Français qui reviennent
sur le territoire avec des enfants d'Ukraine, tu sais, ça fait qu'il
faut qu'ils les reconnaissent, ces enfants-là. Ils ne peuvent pas en faire des
enfants fantômes.
M. Tanguay : Merci.
• (20 h 10) •
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup.
Je dois céder la parole au député d'Hochelaga-Maisonneuve, s'il vous plaît.
M. Leduc :
...
Mme Langevin
(Louise) : Bien, ils reviennent avec un enfant... Deux parents
français qui sont allés en Ukraine ou en Espagne et qui reviennent avec un
enfant sur le territoire, bien, il est là, cet enfant-là. Il ne peut pas être
fantôme. Il a le droit aux services d'école, aux soins de santé. C'est ça que
la Cour européenne des droits de l'homme a dit. Donc, les Français, ils n'ont
pas eu le choix. Ils ne veulent pas la maternité pour autrui, mais il y a des
enfants qui en sont nés, donc ils doivent les reconnaître et leur donner les
mêmes services.
M. Leduc :
Sur la rémunération, dans votre mémoire, vous semblez assez ouverts à ce
qu'on... pas la rémunération, mais la compensation, puis il y a des gens qui
vous ont précédée, ils disaient : Je ne veux pas être rémunérée, mais je
ne veux pas perdre de l'argent en le faisant. On a donc une espèce de terrain
milieu avec le projet de loi actuel, si je comprends bien.
Mme Langevin
(Louise) : Bien, parce qu'il y a déjà un règlement au fédéral. Et le
règlement n'est pas très clair, mais il y a des règles interprétatives qui vont
avec, des lignes directrices qui disent : Oui, la perte... les pertes de
revenus pour aller à différents rendez-vous devraient être... on devait leur
rembourser la perte salariale et, quand il y a un billet du médecin qui fait
que la femme enceinte, la mère porteuse ne peut pas travailler, bien, qu'on
devrait l'indemniser. Et c'est tout à fait dans cette idée qu'elle le fait
gratuitement, et donc elle ne devrait pas en subir... subir des pertes pour le
service gratuit qu'elle rend.
M. Leduc :
Mais, quand il y a des députés... Là, je pense à M. Housefather, là, qui
faisait des projets de loi privés pour changer ça, là, pour qu'on sorte de
cette interdiction de rémunération. Ce n'est pas quelque chose qui vous semble
une bonne idée, là? Parfait.
Avez-vous une pensée
sur la question de la pluriparentalité, comme un sujet un peu connexe? Vous
vous êtes concentrée beaucoup sur la GPA.
Mme Langevin
(Louise) : Oui, parce que je n'ai pas eu le temps de travailler sur
plus.
M. Leduc :
Je comprends.
Mme Langevin
(Louise) : Oui. Comme pas mal tous les citoyens, j'ai une idée
là-dessus. Mais, au-delà de mon opinion personnelle à moi, je pense que, si la
pluriparentalité n'est pas reconnue... je pense qu'il pourrait y avoir là de la
discrimination à l'égard de certaines familles qui vivent des réalités tout à
fait différentes. Et il faut regarder ce qui se passe en Ontario. L'Ontario est
comme un laboratoire. Un enfant peut avoir jusqu'à six parents. Donc, il faut
regarder ce qui se passe en Ontario et ce qui se passe en Colombie-Britannique.
C'est comme un laboratoire. Moi, je ne le sais pas, ça fait quoi, des
adolescents avec quatre parents. Je le sais, qu'est-ce que ça fait avec deux,
là, et donc c'est pour ça que... Je ne suis pas psychologue, je suis parent et
je ne vis pas dans cette sorte de famille. Mais je sais que le législateur ne
peut pas discriminer. On ne peut pas imposer la bonne famille. Il y a des
familles.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. Mme la députée de Joliette,
s'il vous plaît.
Mme Hivon :
Oui. J'ai 2 min 40 s puis j'en aurais pour des dizaines et des
dizaines de minutes. Est-ce que... C'est parce qu'il y a des questions de
philosophie, puis il y a des questions d'implications juridiques, puis vous
êtes sur les deux niveaux, puis c'est ça qui est passionnant.
Mais est-ce que je
décode, puis corrigez-moi vraiment, que vous n'êtes pas convaincue que c'est
une grande avancée sociale, mais que c'est comme un peu une fatalité, parce
qu'il faut protéger les enfants qui naissent de cette réalité-là qui s'est
imposée?
Mme Langevin
(Louise) : Et protéger les femmes.
Mme Hivon :
Et protéger les femmes. Mais, si on vous avait dit : Il y a un moyen de
contourner ça, peut-être que vous n'auriez pas dit que c'était la grande
avancée sociale, la maternité pour autrui.
Mme Langevin
(Louise) : Il n'y a pas de moyen de contourner ça. Le phénomène est
là, le phénomène est installé. Des couples
canadiens vont à l'étranger, on ne sait pas combien, il n'y a pas de
statistiques là-dessus. Il n'y en a même pas, au Canada, ou très peu.
Donc, il est là. C'est pour ça que j'ai dit au début : Ça ne sert à rien
de se demander si c'est bien, si c'est mal, on ne peut pas reculer, c'est là.
Donc, comment protéger toutes les parties? Je ne le sais pas, comment protéger
tout le monde en même temps du même niveau, mais je sais qu'il faut protéger
l'enfant. Ça, c'est sûr, sûr. Et ensuite, de mon point de vue, il faut protéger
les femmes en raison de l'exploitation du corps des femmes dans notre société.
Mme Hivon :
Oui. Puis là c'est ce qui m'amène à votre constat que j'avais commencé à... qui
commençait à me travailler dans ma tête, notamment, avec la gestation... enfin,
avec la maternité pour autrui, transfrontalière. Là, je me disais : Ça va
être quoi, les sanctions? Puis là vous nous amenez puis vous dites même, plus
globalement : Si la femme a 19 ans, elle n'a pas 21 ans, si elle
est rémunérée, alors qu'elle n'est pas supposée l'être, ça va être quoi, les sanctions? Parce qu'on veut protéger l'enfant
malgré tout. Donc, dans le fond, pourquoi on se donne tout ce trouble-là
si, dans le fond, vous êtes en train de nous dire : Comment on va pouvoir
appliquer quelque chose quand, au travers de tout ça, notre objectif, c'est de
protéger l'enfant? Je suis en train de me demander...
Mme
Langevin (Louise) : Bien,
c'est parce qu'il y a des choses que peut-être que je ne comprends
pas — mais
qu'on me l'explique — mais
moi, je n'ai pas vu... Cet enfant-là va revenir avec un passeport canadien. Il
va avoir un acte de naissance ou un jugement étranger qui reconnaît le lien
avec ses parents, qui sont des parents canadiens. On va lui refuser l'école, à
l'enfant? On va lui refuser des soins de santé, la carte... Comment peut-on
punir des parents sans punir l'enfant?
Mme Hivon : Donc, pour vous, il n'y
a comme pas vraiment d'application concrète de l'encadrement, aussi beau et
parfait soit-il. C'est un peu ça, la conclusion, déconcertante un peu, à
laquelle vous arrivez.
Mme Langevin (Louise) : Mais je
pense que des tas de pays, en France aussi, arrivent à ça. Ils ont été forcés. En France, tu ne peux pas avoir des
enfants fantômes, tu ne peux pas avoir des citoyens fantômes. Et c'est le
constat auquel plusieurs pays en arrivent. Et puis certains ont dit :
Bien, O.K., on va la permettre. En Californie, d'autres pays, comme en Israël,
on va l'encadrer beaucoup, beaucoup. En Angleterre, on va voir qu'est-ce qui se
produit. On sait que les mères porteuses, elles reçoivent des gros, gros cadeaux,
en Angleterre.
Le Président (M.
Bachand) : Me Langevin, merci beaucoup d'avoir été avec nous.
C'est très apprécié.
Alors, je suspends les travaux quelques instants
afin d'accueillir nos prochains invités. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 20 h 18)
(Reprise à 20 h 23)
Le Président (M.
Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La
commission reprend ses travaux.
Alors, il nous fait plaisir d'accueillir, de
TransEstrie, Séré Beauchêne Lévesque, de même que l'action... représenté par
l'Action Santé travesti-e-s et transsexuel-le-s du Québec, Mme Daphne
Barile.
Alors, merci beaucoup d'être ici. Comme vous
savez, vous avez 10 minutes de présentation au total, puis après ça on
aura un échange avec les membres de la commission. Donc, je vous cède la
parole. Puis, encore une fois, merci d'être avec nous ce soir.
TransEstrie
et Action Santé travesti-e-s et
transsexuel-le-s du Québec (ASTTEQ)
Mme Barile (Daphne) : Je veux
remercier de m'accorder la parole aujourd'hui. Je m'appelle Daphne Barile et je
suis la coordonnatrice d'ASTTEQ, un projet communautaire par et pour des
personnes trans qui existe depuis 1998. Notre mandat est de fournir des
services de soutien par les pairs aux personnes trans les plus marginalisées,
dont les travailleurs et travailleuses du sexe, les personnes migrantes, les
personnes racisées, les personnes qui vivent avec le VIH et les personnes en
situation d'itinérance.
Nos intervenants facilitent l'accès au logement,
aux services de santé et aux ressources juridiques. ASTTEQ est basée à
Montréal. Toutefois, nos services sont bien connus dans tout le Québec, et on
travaille régulièrement avec des personnes qui habitent dans les régions.
Chaque mois, nous aidons plus de
20 personnes avec leurs demandes de changement de la mention de sexe. Dans
les derniers mois, nous avons vu une grande augmentation de personnes qui
veulent faire ce changement avant que ce projet de loi soit adopté. Beaucoup
d'elles ont peur des effets de ce projet de loi dans leur vie et plusieurs sont
venues dans la détresse.
Ces changements font une grande partie de notre
travail, parce qu'ils sont une protection juridique essentielle. Le moment où on montre une pièce d'identité est un des
moments les plus dangereux dans la vie des personnes trans qui
fréquentent nos services. Quand un propriétaire, un agent de sécurité ou un
employeur regarde une pièce d'identité et voit quelque chose qui ne correspond
pas à la personne qu'il voit devant lui, c'est à ce moment-là que les personnes
trans marginalisées subissent la discrimination et la violence.
Ce danger n'est pas hypothétique. Je connais
personnellement beaucoup de personnes pour lesquelles les obstacles au
changement de la mention de sexe ont directement mené à l'itinérance, le
chômage, le sous-emploi et la pauvreté. Dans le fond, l'accès au changement de
la mention du sexe est nécessaire pour vivre la vie quotidienne sans divulguer
constamment qu'on est trans.
Ce projet de loi ne
facilite pas l'accès à cette protection de base. Plutôt, il crée plus
d'obstacles pour les personnes trans et les met plus en danger d'être exposées
chaque jour. Il les force à subir une opération chirurgicale stérilisante
pour faire un changement de la mention de sexe. Pour ceux et celles qui ne
veulent pas ou ne peuvent pas, il introduit une nouvelle mention de genre qui
les étiquetterait tout de suite comme trans, en effet, exactement le contraire
des besoins des personnes trans, qui cherchent à éviter la discrimination.
Le ministre a dit
qu'il retirera l'exigence chirurgicale. Cette révision est d'une importance
capitale, mais elle n'est pas suffisante. D'abord, il faut que le gouvernement
n'impose aucune exigence médicale tout court, y incluant l'hormonothérapie.
Même pour les personnes qui veulent ces traitements, une exigence médicale
nuirait à leur sécurité. Au Québec, il y a une pénurie de médecins qui
travaillent avec les personnes trans. Comme j'ai expliqué plus tôt, le changement de la mention de sexe est
une stratégie de survie pour les personnes qui fréquentent un service,
et n'importe quelle exigence médicale les
condamnerait à une longue période de discrimination et de pauvreté,
d'habitude huit ou neuf mois, avant une rencontre avec un médecin.
Mais,
plus généralement, toute condition associée avec le changement de la mention de
sexe nuit à l'autonomie corporelle de
personnes trans. Comme les opérations chirurgicales, les traitements hormonaux
sont souvent stérilisants. Une telle exigence empêcherait les personnes
trans de fonder une famille.
Le gouvernement parle
beaucoup de l'importance de l'autodétermination des mères porteuses. Je
m'adresse à vous aujourd'hui pour demander que vous respectiez aussi
l'autodétermination des personnes trans, pour que toute personne puisse faire ce qu'elle veut avec son propre corps et pour que
les mêmes protections juridiques soient accordées à toutes les
personnes.
En outre, je vous
prie de considérer que chaque barrière à l'accès au changement de la mention de
sexe sera particulièrement ardue pour les personnes qui vivent sans
hébergement, qui sont criminalisées ou qui vivent dans la misère. La plupart
des personnes qui fréquentent nos services n'ont aucune manière de payer les
frais administratifs pour la demande de la
mention de sexe. C'est la raison pour laquelle je demande que le gouvernement
enlève ces frais.
Pour les personnes
trans les plus marginalisées au Québec, l'accès au changement de la mention de
sexe peut mener à une vie plus sécuritaire, plus supportable et plus intégrée
dans la société québécoise.
Je passe maintenant
la parole à Séré.
Beauchesne
Lévesque (Séré) : Bonjour. Merci de nous recevoir. Je m'appelle Séré.
Je suis coordonnateur de l'organisme TransEstrie, qui est à Sherbrooke depuis
2019, et puis je suis responsable également des formations. Et je suis moi-même
une personne trans et une personne non binaire.
J'ai témoigné dans le
cadre du procès en Cour supérieure devant le juge Moore en début de
l'année 2009 et, comme beaucoup de gens des communautés trans et non
binaires, je me suis réjoui quand, au début de l'année 2021, la décision a
donné gain de cause à plusieurs de nos revendications.
On s'attendait, pour
la suite, que simplement une troisième option de mention de sexe, une option
non binaire, soit ajoutée. Malheureusement, le projet de loi n° 2 ne répond pas à nos espoirs. On comprend que le projet
de loi a été rédigé avec les meilleures des intentions, mais l'impact de
plusieurs dispositions sur nos communautés nous inquiète beaucoup, et ce, même
en considérant que les exigences chirurgicales seront retirées.
J'ai entendu le
ministre dire dans les médias que la réforme, en ce qui a trait aux mentions de
sexe et de genre, est difficile parce que les besoins des personnes trans et
des personnes non binaires sont différents. Or, ce n'est pas le cas. Il y a un
consensus dans les différentes communautés au sujet de cet enjeu.
Il faut aussi
rappeler qu'il y a beaucoup de personnes qui s'identifient comme trans et comme
non binaires simultanément, y compris moi-même. Le sexe est une notion
compliquée qui ne peut adéquatement être expliquée par un mot ou même une lettre sur un bout de papier. Est-ce que ça
devrait faire référence aux organes génitaux externes, aux organes
reproducteurs, aux hormones sexuelles, aux chromosomes?
On peut prendre mon
exemple. Je suis né avec une vulve, un vagin et un utérus. J'ai décidé d'avoir
une chirurgie génitale d'affirmation de genre pour avoir un pénis, mais j'ai
gardé mon vagin et mon utérus. Alors, ça devrait être quoi, ma mention de sexe?
Avant 2015, je n'aurais pas pu changer ma mention de sexe, malgré le fait que
j'ai eu une chirurgie génitale, parce que je n'ai pas eu d'hystérectomie, et
c'était ça, le prérequis.
• (20 h 30) •
Heureusement, ça a
changé, et, depuis six ans, il y a des hommes qui sont légalement des hommes et
qui ont une vulve, et il y a des femmes qui sont légalement des femmes et qui
ont un pénis. Leur mention de sexe reflète leur identité de genre et non leurs
caractéristiques physiques. Puis ça, ça a du sens, parce que, quand on voit
qu'une personne a une mention de sexe
féminine, la première chose à laquelle on pense, c'est que cette personne-là,
c'est une femme. On ne pense pas à ce
qu'elle a dans ses sous-vêtements. Donc, ça... Suivant cette logique, il n'y a
aucun problème à ce qu'une personne ait une mention de sexe non binaire,
peu importe ce qui est ses organes génitaux.
Donc, comme la
mention de sexe réfère déjà au genre d'une personne, la création d'une mention
de genre est inutile. Les personnes trans comme les personnes non binaires
veulent simplement pouvoir changer la mention de sexe en utilisant celle qui
leur convient le mieux, que ce soit une mention de sexe masculine, féminine ou
non binaire, sans qu'il y ait aucune exigence médicale, que ce soit une
exigence chirurgicale, d'hormonothérapie ou l'aide d'un professionnel de la
santé.
Donc, au final, la
distinction, dans le projet de loi, entre la mention de sexe et la mention de
genre ne peut servir qu'à identifier les personnes trans, qui seront les seules
à avoir une mention de genre. Or, tout ce que nous voulons, et la raison
principale pour laquelle quelqu'un présente une demande de changement de
mention de sexe, c'est d'avoir des pièces d'identité qui ressemblent en tous
points aux pièces d'identité des personnes qui ne sont pas trans. Sans quoi,
nous sommes à risque de subir de la discrimination.
Pour la même raison, c'est essentiel de retirer
les articles du projet de loi qui ajoutent une mention de modification sur les
actes de naissance. On veut également avoir la possibilité de choisir la
mention parentale qui nous convient sans que ce soit
automatiquement lié à notre mention de sexe. Il y a des hommes trans qui
veulent se désigner comme le parent de leur enfant, et des personnes non
binaires qui peuvent vouloir se désigner comme la mère de leur enfant. Il s'agit d'un choix qui est personnel. Nous
croyons également qu'on ne devrait pas exiger une lettre d'un
professionnel de la santé pour une personne qui désire changer sa mention de
sexe une deuxième fois, comme c'est le cas actuellement.
En effet, dans les dernières années, plusieurs
personnes non binaires, y compris moi-même, ont changé leur mention de sexe
pour féminin ou masculin, car c'étaient les seules options qui étaient
disponibles. Depuis l'annonce du projet de loi, on a également vu beaucoup de
personnes non binaires déposer une demande de changement de mention de sexe,
car elles avaient peur d'être prises pour toujours avec une mention de sexe qui
leur a été assignée à la naissance. Donc, nous devrions avoir le droit de
changer notre mention de sexe sans avoir à fournir de pièces justificatives
supplémentaires qui ajoutent un coût et des délais importants à nos démarches.
Je conclus en résumant les revendications
communes de nos deux organismes. Ces modifications sont le strict minimum pour
que le projet de loi ne soit pas discriminatoire envers les personnes trans et
non binaires. Donc, il s'agit du retrait de toute exigence médicale pour
changer de mention de sexe, le retrait de l'ajout d'une mention de genre, le
retrait de la mention de changement apporté à l'acte de naissance, le libre
choix de la mention parentale, sans égard à
la mention de sexe, la possibilité de retirer la mention de sexe de nos pièces
d'identité, le retrait de l'exigence d'une lettre de professionnel pour
un deuxième changement de mention de sexe et le retrait des coûts exigés pour
la présentation d'une demande de changement de nom ou de changement de mention
de sexe.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup de votre
présentation. Donc, nous allons débuter la période d'échange. M. le ministre,
s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui. Merci.
Merci, M. le Président. Séré Beauchesne Lévesque, Daphne Barile, bonjour. Merci
de venir témoigner à la commission parlementaire. Je suis heureux que vous ayez
accepté l'invitation puis je pense que vous livrez un témoignage important.
Parce que l'un des objectifs avec le projet de loi, c'est vraiment de faire en
sorte, un, de répondre au jugement de la Cour supérieure, du juge Moore,
d'adapter le résultat du jugement, de moderniser nos lois et de vraiment
s'assurer de faire en sorte que les personnes non binaires, les personnes trans
s'y retrouvent dans notre corpus législatif.
Pour ce qui est du jugement, on ne peut pas
parler sur le fond du dossier comme tel, parce que, bon, il y a des procédures en appel sur un élément, puis, dans le
fond, on va laisser la cour pour la suite, mais je veux qu'on parle du
reste, parce que, là, je cherche, puis le
gouvernement cherche à trouver une voie de passage qui va permettre de
satisfaire, dans le fond, les membres
des communautés puis surtout de trouver une solution consensuelle, mais qui est
aussi inclusive.
Alors, j'ai déjà annoncé qu'on allait revoir les
dispositions relativement à l'obligation de subir l'opération pour changer le
sexe, même chose également pour la notion de coming out forcé. Puis, je l'ai
dit d'entrée de jeu aussi, je n'ai pas déposé les amendements avant de
commencer la commission parce que je souhaitais entendre tous les témoignages.
Puis on a consulté aussi. Mais je voulais qu'on passe cette étape-là pour
vraiment bien saisir ce que les différents groupes souhaitaient, où ils étaient
situés, tout ça. Je vous dirais que ce n'est pas si simple de trouver la voie
de passage. Je vous entends bien sur ce que vous souhaitez. Il y a un équilibre
à avoir aussi dans la construction, dans le fond, des dispositions.
Tout à l'heure, vous avez dit, bon, la question
du genre versus le sexe. Dans le fond, j'entends bien que vous souhaitez faire
en sorte qu'on puisse avoir une troisième voie, donc, notamment, sur
l'identification, pour faire en sorte que la personne choisisse de... féminin,
masculin ou autre, pour non binaire. Mais, même, je vous ai entendu dire tout à l'heure... Vous souhaiteriez même
qu'il n'y ait pas de mention, une possibilité qu'il n'y ait pas de
mention.
Beauchesne Lévesque (Séré) : Bien,
en fait, ce serait... En fait, ce qu'on veut, c'est la possibilité de pouvoir,
pour une personne individuelle, retirer sa mention si elle ne veut pas qu'une
mention apparaisse sur sa pièce d'identité, dans le fond.
M. Jolin-Barrette : Donc, vous, vous
dites : On voudrait qu'il ne soit rien écrit.
Beauchesne Lévesque (Séré) : Oui,
exactement.
M. Jolin-Barrette : O.K. Il y a
cette option-là. L'autre option, exemple, sur le passeport canadien... Sur le
passeport canadien, ce qu'ils font, c'est au niveau du sexe, puis là, dans le
fond, on entend le sexe non pas en fonction des organes génitaux mais en
fonction de l'identification. Donc, c'est comme si on venait assimiler le genre
à la notion de sexe...
Beauchesne Lévesque (Séré) : C'est
déjà le cas depuis 2016... 2015.
M. Jolin-Barrette : C'est ça. Mais
ça, avec cette possibilité-là... Exemple, sur le passeport canadien, vous avez
«masculin», «féminin» ou «X». Ça, qu'est-ce que vous pensez de ça?
Beauchesne Lévesque (Séré) : Bien,
moi, je crois que... Premièrement, sur les certificats de naissance, il n'est
pas écrit «M» ou «F», il est écrit «masculin» ou «féminin». Donc, dans ce
cas-là, il devrait aussi être écrit «non binaire» sur le
certificat de naissance. Donc, l'option devrait être de pouvoir choisir
«féminin», «masculin» ou «non binaire»,
parce que X, ça ne correspond pas aux deux autres désignations. Parce que ce
sont des mots et non pas des lettres. Et
l'identité de genre, c'est non binaire. Ce n'est pas X, ou indéterminé, ou quoi
que ce soit, c'est non binaire. Donc, sur ça...
M. Jolin-Barrette : Donc, pour vous,
c'est important de le nommer.
Beauchesne Lévesque (Séré) : De
nommer, de nommer la chose. Parce qu'on n'est pas des «autres», on n'est pas...
Il n'y a pas les personnes normales qui ont un genre, les femmes et les hommes,
et les autres. On a un genre. Notre genre est non binaire. Donc, ça, c'est
important que ce soit écrit comme tel.
Puis ensuite, pour la lettre qui va apparaître
sur la pièce d'identité en tant que telle, ça peut être X, ça pourrait être N
pour non binaire. Ça, on comprend que, là, à ce moment-là, c'est une lettre.
Donc, oui, ce serait ça, l'option. Et ce serait une mention de sexe de la même
façon que les personnes trans... Les femmes trans et les hommes trans ont accès
à un changement de mention de sexe qui est M ou F. Bien, dans ce cas-là, les
personnes non binaires auraient accès à une mention de sexe non binaire, ce qui
ne ferait pas une distinction entre les personnes qui sont binaires et les
personnes qui sont non binaires.
M. Jolin-Barrette : O.K. Parce que
ce que vous dites, c'est beaucoup le processus identificatoire aux yeux des
tiers aussi. C'est entre autres ça qui est en jeu.
Beauchesne Lévesque (Séré) : Oui.
Bien, en fait, c'est d'avoir, puis tu me corrigeras, Daphne... c'est d'avoir
une pièce d'identité qui correspond à notre identité, parce qu'en ce moment...
Moi, j'ai fait un changement de mention de sexe. J'ai un M sur mes papiers
d'identité. Est-ce que ça correspond à mon identité? Mieux que F, mais ce n'est
pas... je ne suis pas un homme. Donc, j'aimerais pouvoir avoir une pièce
d'identité qui correspond à mon genre, de la même façon que tout le monde peut
en avoir. Mais après ça, effectivement, il faut se poser la question :
Est-ce que la mention de sexe sert à quelque chose? Ça, c'est comme un autre
débat.
M. Jolin-Barrette : O.K. Mais, dans
ce cas-là, exemple, comme vous, là, parce que vous donnez votre exemple, vous,
qu'est-ce qui serait adapté, supposons, à votre volonté?
Beauchesne Lévesque (Séré) : Bien,
ce serait de pouvoir choisir la mention «non binaire».
M.
Jolin-Barrette : C'est ça,
donc, de rajouter la mention «non binaire», ce qu'on souhaite faire, par
ailleurs, dans le cadre du projet de loi.
Beauchesne Lévesque (Séré) : Oui,
mais vous le faites d'une façon qui ne légitimise pas les identités non binaires au même titre que les autres identités de
genre. Parce que, là, on aurait les sexes, donc féminin et masculin,
puis on aurait les identités de genre — féminin,
masculin, non binaire. Mais, comme on a vu, l'identité de genre, le sexe,
sur les pièces d'identité, on confond cela.
Donc, on aimerait ça pouvoir simplement avoir une mention de sexe non
binaire.
M. Jolin-Barrette : C'est ça. Donc,
vous souhaitez, dans le fond, qu'on assimile la notion d'identité de genre au
sexe...
Beauchesne Lévesque (Séré) : Exactement.
M. Jolin-Barrette : ...à
l'identification sexuelle, donc, qu'il n'y ait pas... puis là je vais revenir à
ce que je disais au début, qu'il n'y ait pas l'équivalent, parce que ça a été
les critiques puis ça a été perçu comme ça... le fait que ce soit l'équivalent
d'un coming out forcé. Parce que ça a été perçu comme ça. Parce que vous
dites : Si, dans le fond, là, tel que c'est rédigé présentement, là, si,
dans le fond, je suis non binaire, dans le fond, moi, je vais prendre la voie
d'identité de genre. Puis là ce que ça ferait, puis vous me direz, là, si le
raisonnement est approprié, là, ce que ça ferait, bien, ça va indiquer,
supposons que c'est X, là, ça va indiquer que je suis une personne non binaire
parce qu'il va être indiqué «identité de genre» sur...
Beauchesne Lévesque (Séré) : Bien,
ce n'est pas ça, la question, parce que, de toute façon, on va savoir que je
suis non binaire, peu importe si c'est via la mention de sexe ou la mention de
genre. Donc, ça, ce n'est pas vraiment ça, la question. La question, c'est plus
de dire : Pourquoi est-ce que les personnes, les hommes trans et les
femmes trans ont accès à un changement de mention de sexe, et moi, je n'y ai
pas accès, parce qu'il n'y a pas une option qui représente?
Puis je vous ai expliqué... Je veux dire, moi,
je viens ici, à l'Assemblée nationale, puis je parle de mes organes génitaux
parce qu'il faut que j'explique le fait que, bien, il y a des personnes qui
choisissent d'avoir un pénis et un vagin. Puis pourquoi moi, je ne peux pas
obtenir une mention de sexe qui reflète ça?
• (20 h 40) •
M. Jolin-Barrette : Oui, oui, je
vous suis. Là, vous me dites... On parle du sexe. Parlons du sexe après.
Parlons de l'identité de genre. Sur la question de l'identité de genre, ce
serait possible aussi que certaines personnes ne
veulent pas s'identifier par le sexe mais également par l'identité de genre.
Donc, nonobstant, là... Enlevez la question...
Beauchesne
Lévesque (Séré) : Bien, en retirant...
M.
Jolin-Barrette : Enlevez la question de l'opération, là, puis tout ça,
là.
Beauchesne
Lévesque (Séré) : Oui, mais, justement, vu qu'on... C'est ça que
j'allais dire. Vu qu'on retire l'obligation... Vous avez dit que vous allez
retirer l'obligation de chirurgie.
M.
Jolin-Barrette : C'est ça. Ce ne sera plus un enjeu.
Beauchesne Lévesque (Séré) : Donc,
ça veut dire que les hommes trans et les femmes trans vont pouvoir
changer de mention de sexe de M à F ou de F à M, pas de problème. Ça, c'est
super. C'est ça qu'on veut. Mais on veut que...
M.
Jolin-Barrette : Mais vous voulez qu'on rajoute, pour le sexe, un X
pour non binaire.
Beauchesne
Lévesque (Séré) : ...sexe non binaire puis qu'on retire la question
d'identité de genre, parce que ce n'est pas utile d'avoir ces deux
catégories-là. On veut une seule catégorie où est-ce que toutes les mentions
sont traitées équitablement. Donc, il n'y aura pas des personnes qui ont une
mention de genre, des personnes qui ont une mention de sexe. Tout le monde aura
une mention de sexe avec les trois possibilités, d'être un homme, une femme ou
une personne non binaire, au sein de la même mention de sexe.
M. Jolin-Barrette :
Un peu comme l'a fait la Nouvelle-Écosse, où ils ont fait ça puis ils ont
assimilé, dans le fond, l'identité de genre à la notion de sexe. Mais, dans le
fond, sur les documents de l'état civil, supposons, de Nouvelle-Écosse, ce qui
arrive, c'est qu'il y a uniquement la rubrique «sexe», et là les personnes
peuvent choisir, bien, F, M ou X. C'est un peu ça.
Beauchesne
Lévesque (Séré) : Pareil comme c'est en Ontario, en
Colombie-Britannique aussi. La mention «X» est assimilée à la mention de sexe,
puis il n'y a pas une catégorie différente. Je ne sais pas si Daphne a quelque
chose à ajouter là-dessus.
Mme Barile
(Daphne) : Oui. C'est peut-être plus clair si je dis comme ça :
On veut que le gouvernement n'est pas concerné avec les organes génitaux des
personnes trans. On veut que les changements du sexe... La raison pour laquelle
on cherche un changement de sexe, c'est pour éviter une situation où quelqu'un
voit une carte d'identité, et on dit : Oh! c'est une personne trans devant
moi. Alors, c'est pour ça qu'on dit : C'est impossible... On veut une
possibilité de n'avoir pas une marque de sexe, parce que ce serait génial pour
les personnes trans de n'avoir pas cet enjeu sur leur carte d'identité du tout.
Mais, si on conserve un marqueur de sexe, ce qui est important, c'est que c'est
très facile à changer la mention de sexe pour que, selon la situation de chaque
personne, on peut choisir le marqueur de sexe qui va mener à une situation
sécuritaire pour eux.
Et c'est différent
pour chaque personne trans. Pour certaines personnes trans, c'est vraiment,
vraiment dangereux d'être exposé comme trans chaque jour. Pour des autres,
c'est important d'avoir une carte d'identité qui reflète leur identité, mais
c'est... Ce qui est important pour toutes les personnes trans, c'est de n'avoir
pas une exigence médicale ou chirurgicale
qui va identifier les personnes qui tiennent leur carte d'identité comme
personne trans.
M.
Jolin-Barrette : Mais ça, je peux vous rassurer tout de suite, puis je
l'ai dit puis je le redis, il n'y aura pas ces exigences-là.
Juste une question
sur... Tout à l'heure, Séré Beauchesne Lévesque, vous avez dit : La
possibilité de changer plusieurs fois. Est-ce que ça arrive fréquemment,
justement, qu'une personne trans décide de changer son identité de... bien, son
identification de sexe, dans la formule actuelle, là, pas dans la formule du
projet loi, là, mais de passer de masculin à féminin, féminin, masculin?
Beauchesne
Lévesque (Séré) : Bien, ça n'arrive vraiment pas souvent. Ça arrive
parfois. Mais notre préoccupation, c'est vraiment qu'avec l'ajout d'une
troisième mention, là, bien, il y a plein de personnes qui vont vouloir faire
un deuxième changement, parce qu'il n'y avait pas la possibilité auparavant.
Puis je vous dirais que le problème va rester le même, même dans plusieurs
années, parce que...
M.
Jolin-Barrette : Juste une question. Quand vous dites : Il n'y
avait pas la possibilité, parce que... à cause des enjeux administratifs...
Beauchesne
Lévesque (Séré) : Non, parce qu'il n'y avait pas de mention «non
binaire».
M.
Jolin-Barrette : Oui, oui, oui. O.K. Oui.
Beauchesne
Lévesque (Séré) : Donc, par exemple, moi, j'ai changé masculin et là
je voudrais rechanger, non binaire.
Puis je vous dirais
que même des gens qui n'ont pas changé avant, mettons... Disons qu'on est en
2025. Le projet de loi a été adopté. Il y a trois mentions de sexe, O.K.? Ça se
pourrait qu'une personne, en 2024, ait changé de féminin
à masculin parce que ce n'était pas sécuritaire pour elle, à ce moment-là,
d'avoir une pièce d'identité qui la désigne comme personne non binaire, pour
plusieurs raisons, que ce soit pour l'accès au logement, que ce soit à cause
d'une situation familiale, et, une fois que cette personne-là va être dans une
situation plus sécuritaire, veut décider de changer sa mention de sexe une
deuxième fois pour que ça reflète réellement son identité, ou le contraire,
qu'une personne le fasse et puis après ça se trouve dans une situation qui
n'est pas nécessairement sécuritaire ou se rend compte que son identité de
genre n'était pas celle qu'elle a pensée et veuille faire un deuxième
changement. Puis ça, ce ne sera pas un cas
qui va être fréquent, mais c'est important qu'il n'y ait pas d'obstacle, pour
ces personnes-là, supplémentaire, ce qui existe déjà comme obstacles
pour changer de mention de sexe.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Je comprends très bien. Un grand merci pour
votre témoignage ce soir. C'est fort apprécié. Merci beaucoup.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. On
continue avec M. le député de Saint-Jean, s'il vous plaît.
M. Lemieux : Pour
combien de temps, s'il vous plaît?
Le
Président (M. Bachand) : 2 min
30 s. Question, réponse.
M. Lemieux : Eh
mon Dieu! Je voulais laisser un peu de temps à la députée de Mirabel, alors je
vais poser une question très rapide qui va nous sortir de la moitié du projet
de loi dans laquelle on est pour aller dans la loi... la partie de la loi sur
la famille. Vous y avez fait allusion, mais je veux être certain que j'ai bien
compris.
Dans le projet de
loi, ça dit qu'on peut désigner la mère, le père ou le parent. Ça, ça vous
convient, ça?
Beauchesne
Lévesque (Séré) : Oui, mais c'est juste qu'on veut que le choix ne
soit pas en fonction... On ne veut pas que ce soit automatique en fonction de
la mention de sexe. On veut qu'une personne puisse choisir la désignation qui
convient. C'est tout.
M. Lemieux : Oui,
oui. C'est ce que moi, je comprends de ce qu'il y a dans le projet de loi par
rapport à la dimension loi de la famille.
Beauchesne
Lévesque (Séré) : Bien, en fait, dans le projet de loi, c'est
seulement quelqu'un qui a changé de mention d'identité de genre qui peut avoir
la mention «parent», par exemple.
M. Lemieux : Oui,
mais le principe, je veux dire...
Beauchesne
Lévesque (Séré) : Oui, le principe, ça marche.
M. Lemieux : C'est beau. Parfait. M. le Président, je vais
céder le temps qu'il me reste à la députée de Mirabel.
Le
Président (M. Bachand) : 1 min
40 s, Mme la députée de Mirabel.
Mme D'Amours :
Merci. Bien, je vais y aller en rafale. Merci beaucoup d'être là ce soir.
Vous parliez de personnes qui sont plus marginalisées au Québec. Pouvez-vous
nous dire combien de personnes on parle?
Mme Barile (Daphne) : Combien de personnes? On
travaille, chez ASTTEQ, avec, genre, 1 000,
1 500 personnes. Mais je ne sais pas si c'est le tout, parce que nous
sommes une organisation.
Beauchesne
Lévesque (Séré) : Je vous dirais que, pour nous, de notre côté,
presque toutes les personnes trans qui viennent à nos organismes sont dans une
situation marginalisée, n'ont pas d'emploi, ont perdu leur appui familial.
Donc, c'est pour ça que c'est important de réduire les barrières au minimum.
Mme D'Amours : Et ma dernière question,
je vais y aller vite, vite, l'acte de naissance, tantôt, vous avez parlé
de l'acte de naissance, est-ce que j'ai bien compris que vous aimeriez que non
seulement il y aurait masculin et féminin, puis
qu'il y aurait non binaire? C'est qu'on serait en train de décider pour
l'enfant, qui, peut-être, un jour, voudrait, lui, soit garder le sexe masculin ou féminin, puis là on va
le mettre non binaire? Est-ce que j'ai bien compris votre proposition?
Beauchesne
Lévesque (Séré) : Non. Ça ne concerne pas l'assignation d'un sexe à la
naissance. Idéalement, on n'assignerait pas de sexe. Mais là on est dans autre
chose. S'il continue à y avoir une assignation de sexe, l'assignation va
continuer de se faire, féminin ou masculin, comme ça se fait en ce moment, mais
on pourra changer de mention de sexe pour non binaire plus tard.
Le
Président (M. Bachand) : Parfait. Merci
beaucoup. Mme la députée de Westmount—Saint-Louis, s'il vous plaît.
Mme Maccarone : Merci,
M. le Président. Bonsoir, Séré. Bonsoir, Daphne. Un plaisir de vous avoir avec
nous ce soir. Votre présentation est très attendue.
D'emblée, je veux commencer, bien, en disant que
les conclusions du jugement du juge Moore sont très claires. Les personnes
trans méritent le respect de leur identité de genre et ne devraient pas être
traitées différemment des personnes qui ne sont pas trans. Comme l'explique le
juge Moore, je vais juste le citer : «Un registre de l'état civil qui ne
reconnaît pas l'identité de genre des personnes transgenres ou non binaires ou
qui limite leur capacité à modifier la
mention du sexe sur leur acte de l'état civil pour refléter leur vraie identité
les prive de leur droit à la dignité et à l'égalité.» Je pense que vous avez partagé ça, et je vous félicite,
parce que je sais que c'est une bataille que vous menez.
Puis je veux parler un peu des obstacles, parce
que, déjà, vous faites face à plusieurs obstacles. Là, vous faites face à un autre obstacle. Parlez-en un peu,
des obstacles, pour que les gens qui nous écoutent comprennent c'est quoi, la bataille. Parce qu'une transition... je
ne suis pas une personne trans, ça fait que je ne parle pas d'expérience, mais ce n'est
pas linéaire. Ça fait que parlez-nous un peu de ça pour qu'on comprend vraiment
ce que vous êtes en train de vivre.
• (20 h 50) •
Beauchesne Lévesque (Séré) : Exactement.
Les démarches de transition, ils n'ont pas d'ordre. Il n'y a pas... Ce n'est
pas linéaire. Parfois, je rencontre des personnes que la première chose qu'ils
veulent faire, c'est changer leur mention de sexe. Des fois, c'est la dernière
chose. C'est vraiment en fonction du parcours d'une personne.
Puis moi, en 2019, j'ai rédigé un guide de
transition légale parce que c'était... les gens trouvaient ça tellement
compliqué. Moi, je passais ma vie à expliquer aux gens comment changer leur nom
et leur mention de sexe légalement, parce que la question... remplir les
formulaires, trouver les bons formulaires, la question de se faire assermenter
aussi, la question d'avoir un témoin qui nous connaît depuis au moins un an,
alors que... qui affirme que notre démarche est sérieuse, alors que beaucoup de
personnes trans, en faisant leur coming out, perdent tout leur réseau. Donc, parfois, certaines personnes n'ont
pas une personne qui les connaît depuis au moins un an pour témoigner
que leur démarche est sérieuse. Puis aussi comment on peut... Comment une autre
personne peut témoigner qu'une démarche est sérieuse, ça aussi, c'est quelque
chose qu'on ne comprend pas, la nécessité de ce témoin-là. Donc, ça, c'est un
obstacle qui peut être dur à surmonter.
Pour les jeunes, les jeunes, qui doivent avoir
une lettre d'un médecin aussi, c'est incroyablement difficile. À Montréal,
c'est déjà difficile. Nous, on travaille en région. À Cowansville, à Coaticook,
trouver un travailleur social, un médecin, un psychologue qui va être capable
de rédiger une lettre comme ça, c'est presque impossible pour un jeune de moins
de 18 ans. Donc, nous, on se retrouve à devoir trouver des professionnels pour
ces personnes-là, à payer ces professionnels pour ces personnes-là. Parce que,
dans le système public, oubliez ça, ce n'est pas possible. Donc, c'est
seulement au privé.
Puis donc, par rapport aux coûts également, là,
en tant que tel, le 144 $ plus le 20 $... 60 $ pour commander le
nouveau certificat de naissance, pour changer les pièces d'identité, aller
reprendre des photos, tout ça, moi, pour changer mon nom puis tous mes
documents au complet, ça m'a coûté à peu près 800 $. J'avais 19 ans. Je n'avais
pas cet argent-là. C'est mes parents qui ont payé, parce que j'ai la chance
d'avoir des parents qui m'ont soutenu. Si ça n'avait pas été le cas, je
n'aurais pas pu changer ma mention de sexe, même si je répondais à tous les
critères.
Mme Barile (Daphne) : Oui. Je
voudrais ajouter quelques obstacles qui se passent beaucoup chez nous, à
ASTTEQ. Comme j'ai dit déjà, les frais sont énormes pour les situations
d'itinérance. Tous frais administratifs est un obstacle qu'on ne peut pas
accéder au changement de la... un changement de mention de sexe.
Aussi, pour les personnes immigrantes, la
nécessité d'avoir un certificat de naissance traduit en anglais ou en français,
c'est quelque chose d'autre qui a des frais, que certaines personnes n'ont pas
un certificat de naissance avec eux. Il faut
retourner parfois au lieu de la naissance. Et, si on est un réfugié, ça risque,
son statut de réfugié, de faire ça.
Aussi, il y a un manque d'information juridique
qui est très grave. Il faut beaucoup du monde. Et alors c'est quelques
obstacles. Mais aussi il y a... Pour beaucoup, beaucoup de monde dans une
situation précaire de logement précaire,
quand, les documents administratifs, il faut répondre aux lettres envoyées à
leur logement, ça risque d'être manqué.
Alors, je dis ça juste pour dire que toutes les
barrières, comme une lettre d'un médecin à une exigence médicale, ça va ajouter
à tout ça pour que ça devient quelque chose insurmontable.
Mme Maccarone : Daphne, dans vos
remarques préliminaires, vous avez mentionné que vous avez encore beaucoup plus de gens qui viennent, maintenant,
pour demander comment faire un changement de sexe, parce qu'il craint d'une adoption d'un projet de loi qui, dans son
état actuel... discriminatoire envers les personnes trans. Alors,
expliquez-nous, si, mettons, c'était adopté
dans son format actuel, dans le libellé actuel, ce serait quoi, l'impact sur la
communauté.
Mme Barile
(Daphne) : Si ce projet de loi est adopté avec une
distinction entre le genre et le sexe, beaucoup
de nos participants vont être discriminés tout le temps, parce que, quand on
est... L'expérience du profilage racial, c'est... La discrimination avec les
cartes d'identité devient quelque chose beaucoup plus grand. Alors, si on a
quelque chose, sur une carte d'identité, qui
dit «identité de genre» et non pas «sexe», ça va être une marque que quelqu'un
est trans, et beaucoup, beaucoup du monde craint que ça va être...
devenir une barrière à l'emploi, une barrière
au logement, parce que beaucoup de nos participants sont... expérimentent la
discrimination par les propriétaires et par les employeurs.
Mme Maccarone : Vous avez mentionné
aussi, dans vos remarques, que c'est très important de travailler sur la
sensibilisation. Parlez-nous de qu'est-ce qui est le plus important que les
gens comprennent en ce qui concerne la réalité des personnes trans.
Beauchesne
Lévesque (Séré) : C'est que ce n'est pas une réalité, c'est des
réalités. On a des vécus extrêmement différents d'une personne à l'autre, et il
faut, dans ce type de projet de loi, respecter la diversité des parcours, la
diversité des expériences, la diversité des défis auxquels on peut être
confronté quand on est une personne trans ou non binaire. Donc, c'est...
Puis,
moi, c'est l'enjeu principal. Je suis responsable des formations à TransEstrie,
puis c'est l'enjeu principal sur lequel
on doit passer du temps en formation, c'est de dire : Il n'existe pas un
parcours trans, il existe beaucoup de parcours trans, et il faut
respecter la diversité de ces parcours-là, qui ne sont pas linéaires, qui ne
sont pas prévisibles, qui peuvent peut-être
des fois confondre ou surprendre les gens. Mais c'est juste de respecter cette
diversité de parcours là.
Mme
Maccarone : Vous avez terminé votre présentation en disant : Nos
recommandations sont le strict minimum pour que le projet de loi ne soit pas
discriminatoire. Alors, je vous pose la question : Qu'est-ce que nous devrions faire pour que ce projet de loi soit
réellement inclusif? Et quelles seraient vos principales
recommandations?
Beauchesne
Lévesque (Séré) : Bien, je crois qu'il faut juste faciliter vraiment,
à la base, le processus, donc, de diminuer les délais de traitement. Ça peut
prendre six mois à un an, changer une mention de sexe. Moi, j'ai dû rentrer à
l'université avec mon ancienne identité parce que les papiers n'étaient pas
prêts à temps, et puis ça m'a causé vraiment beaucoup de stress, beaucoup
d'anxiété, beaucoup de souffrance.
Donc, de diminuer les
délais, de faciliter le changement de nom aussi pour les personnes qui ne
changent pas de mention de sexe. Parce que certaines personnes non binaires ne
veulent pas avoir une mention «non binaire» mais veulent quand même changer
leur nom, et actuellement ces personnes-là doivent fournir une lettre d'un
psychologue ou d'un travailleur social qui prouve que ce changement-là est
nécessaire. Donc, ce changement-là devrait être facilité également pour les
personnes qui ne veulent pas changer de mention de sexe.
Et puis l'exigence
d'un témoin qui connaît la personne depuis au moins un an aussi, c'est, en un
sens, absurde, parce que personne ne peut vraiment témoigner qu'une démarche
est sérieuse ou non, à part la personne qui présente la demande. Et puis ce n'est
pas... Ce n'est pas quelque chose qui est utile ou nécessaire et qui... Dans le
fond, ça ne sert pas à quoi que ce soit. Donc, de retirer cela, ce serait
vraiment aidant pour les personnes trans qui ont perdu tout leur réseau après
un coming out.
Je pense que, comme
ça a été mentionné dans d'autres témoignages, il faut réfléchir à la pertinence
du marqueur de genre en tant que tel. Je veux dire, moi, souvent... Comme je
l'ai dit tantôt, j'ai un marqueur de genre M, puis je me fais arrêter à la SAQ,
n'importe où, en fait, maintenant, à cause du passeport vaccinal...
Mme
Maccarone : COVID. C'est COVID. Exact.
• (21 heures) •
Beauchesne
Lévesque (Séré) : ...puis, souvent, la personne prend mon permis de
conduire, me regarde et dit : O.K., c'est beau, madame. Puis je suis
comme : Le M, ce n'est pas pour madame, là.
Ça fait que, tu sais,
je me pose la question : Est-ce que c'est quelque chose qui est
nécessaire, étant donné que, la majorité du temps, les gens ne remarquent même
pas cette mention de sexe là sur mon permis de conduire? J'ai peur, moi aussi,
quand je me fais appeler madame. Puis après ça je me dis, bien, peut-être que
la personne va «double take», puis voir que j'ai un M, puis là changer de
comportement.
L'autre fois, je me
suis fait remorquer. C'était la nuit. On arrive au garage. Le remorqueur me
dit : Est-ce que je peux voir ta pièce d'identité pour compléter le
formulaire? Puis, depuis le début, il m'appelait madame. J'étais habillé en
rose, j'étais très féminin, tout ça. J'ai eu peur. C'est la nuit. Je ne connais
pas cette personne-là. On est dans un garage désert. Je montre une pièce
d'identité avec une mention de sexe qui ne correspond pas à la façon dont je me
présente. Qu'est-ce qui va m'arriver? En fait, je lui ai donné sa carte, je me
suis sauvé, j'ai dit : O.K., oui, il faut que j'aille retirer de l'argent
pour vous payer. Je me suis sauvé parce que je me suis dit : Je ne sais
pas qu'est-ce qui va arriver, tu sais. Ça fait que je suis parti. J'ai retiré
mon argent. Je lui ai donné le temps de peut-être avoir sa réaction tout seul.
Puis après ça ça a été correct, mais j'ai eu peur. Puis, cette peur-là, je dois
vivre avec tout le temps.
Puis c'est la même
chose pour les personnes qui ne peuvent pas changer leur mention de sexe, c'est
la même chose pour les personnes qui sont encore plus marginalisées que moi et
qui se trouvent dans une situation précaire encore plus souvent que moi qui
fais remorquer ma voiture une fois dans l'année, tu sais.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Sainte-Marie—Saint-Jacques, s'il vous plaît.
Mme Massé :
Oui. Merci, M. le Président. Bonsoir, Daphne. Bonsoir, Séré. Parlons-en, de la
nécessité de marqueurs de genre sur nos papiers sociaux. Puis là tu viens de
parler de ton permis de conduire, mais on peut parler du code permanent, on
peut parler de la RAMQ, on peut parler... Bon. Plus tôt aujourd'hui, la Commission
des droits de la personne évoquait l'idée que ce n'était peut-être pas
nécessaire. J'aimerais ça vous entendre... Bien, je pense, je t'ai un peu entendu, Séré. Je ne sais pas si,
Daphne, tu pouvais ajouter là-dessus. Qu'est-ce que vous pensez de cette
idée?
Mme Barile
(Daphne) : Je crois que ce n'est pas... Il n'y a pas aucune nécessité
pour le gouvernement de régler le sexe ou le genre des personnes au Québec. Je
ne vois pas la raison pourquoi. Et je vois tout le temps, à mon travail, comme
ça devient un obstacle énorme dans la transition des personnes trans
marginalisées. Si on conserve un marqueur de sexe, ce qu'il faut, c'est que
c'est le plus facile que possible de changer ce marqueur, sans justificatif.
Mais, si... Mais c'est
encore mieux si on l'abolit, parce que, si on l'abolit, il n'y a pas de
démarche pour éviter la discrimination. On peut seulement changer le nom, si on
veut changer le nom, et vivre sa vie sans craindre que la personne devant toi
va lire la carte d'identité et voir quelque chose différent que la personne
devant lui.
Alors, si on est une personne trans et on veut
changer l'apparence, la manière avec laquelle on est dans le monde, on est déjà
dans une situation de crise, parce qu'on a cette carte d'identité qui dit
quelque chose d'autre. Mais, si on n'a pas un marqueur de sexe, ce n'est pas un
problème. Alors, c'est quelque chose que veulent beaucoup de personnes trans
pour cette raison-là.
Mme Massé : Oui. Merci. En fait, je
trouve ça intéressant, parce que, dans le projet de loi, ce n'est pas ça, hein,
on vient consolider cette idée que d'exposer notre genre, notre sexe — parce
que c'est comme ça qu'on le dit au Québec — c'est comme ça, la norme.
Alors, moi, je suis contente que vous abordiez cette question-là. Et moi qui
est genrée depuis la naissance, et je me reconnais dans mon sexe assigné, je ne
haïrais pas ça, moi non plus, de voir disparaître les marqueurs de genre sur
mes papiers sociaux. Msais, bien sûr, sur l'état civil, c'est normal qu'on
garde, incluant les non binaires, une... qu'on puisse suivre l'évolution de la
population québécoise à travers l'état civil.
Beauchesne Lévesque (Séré) : Mais,
tu sais, je dirais, avant, il y avait la religion sur les papiers, maintenant,
il ne l'a plus, puis on est capables de suivre quand même la religion des gens,
si on en a besoin.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Joliette, s'il
vous plaît.
Mme
Hivon : Oui. Merci. Merci à
vous deux. C'est une réflexion vraiment intéressante, à savoir à quoi ça
sert encore. Donc, je pense qu'il ne faut
pas faire complètement l'économie de ça. Parce que, tant qu'à se poser toutes
ces questions-là, posons-nous le fondamental
aussi. Donc, je comprends que, vous, votre idéal, là, ce serait ça, ce serait
qu'il n'y en ait pas du tout. Entre ça ou
choisir qu'il y en ait ou pas, vous diriez : Tant qu'à faire, on l'enlève
comme référence.
Beauchesne Lévesque (Séré) : Oui. Tu
sais, je dirais que ça peut être utile pour certaines personnes, pour légitimer
leur identité, de dire : Voyez, je suis une femme, c'est légitimé par le
gouvernement. Ça fait que ça, c'est quelque chose qui peut être utile pour
certaines personnes trans. Mais, d'un autre côté, si personne n'a la mention
sur ses cartes d'identité, ça ne devient
plus quelque chose... un référent auquel on consulte. Donc, ça devient un peu
caduc.
Donc, oui, je crois que le retrait répondrait
aux besoins d'une situation qui évolue constamment. Parce que, si on se
dit : Oui, il y a une mention «non binaire», bien, c'est parce que les
personnes non binaires, ce n'est pas un genre, c'est plusieurs genres. Donc,
après ça, on se dit : O.K., mais moi, je ne suis pas représenté par «non
binaire», c'est agenre, c'est autre, c'est telle affaire. Ça fait que, là, on
se ramène tout le temps à rajouter des catégories pour quelque chose qu'on n'a
pas besoin d'avoir. Ça fait que, oui, effectivement, l'enlever, à la base,
c'est peut-être la solution la plus simple pour le gouvernement à long terme.
Mme Hivon : O.K. Puis tantôt vous
avez dit quelque chose d'intéressant, vous avez dit, en fait, en précision à
une question qui a été posée : On pourrait l'avoir, choisir M, F, non
binaire, ou carrément de ne pas l'avoir, d'avoir ce choix-là. En même temps, est-ce
que vous pensez que le choix de ne pas l'avoir serait majoritairement exercé
par des personnes non binaires? Et est-ce que ça reviendrait un peu à les
identifier par la bande — c'est
une question que je me posais tantôt — ou vous dites : Non, on
ne voit pas cet enjeu-là?
Beauchesne Lévesque (Séré) : Oui.
Bien, je connais des personnes cisgenres qui voudraient retirer leur mention,
parce qu'ils ne comprennent pas c'est quoi, l'importance.
Mme Hivon : Vous ne voyez pas...
C'est ça, vous ne voyez pas d'enjeu là.
Mme Barile (Daphne) : Pour nos
participants, c'est encore mieux s'il n'y a pas de choix, si tout le monde
n'ont pas de marqueur de sexe, parce qu'on craint... Ce qu'on craint, c'est
exactement ça, que le choix ou l'absence d'un choix va marquer une personne
comme trans. Alors, si on a l'option avec les autres options, c'est bon, c'est
meilleur qu'on a dans ce projet de loi maintenant, mais le meilleur, c'est
l'absence de... d'une... toute option.
Mme Hivon : O.K. Merci beaucoup.
Le Président (M.
Bachand) : Merci. Donc, à moi de vous remercier beaucoup
d'avoir participé aux travaux de cette commission. Merci beaucoup de vous être
déplacés. C'est très apprécié. Puis salutations particulières aux gens de
l'Estrie, bien sûr.
Des voix : ...
Le Président (M.
Bachand) : Bien, j'en profite, hein, pourquoi pas?
Alors, sur
ce, on va suspendre les travaux quelques instants afin d'accueillir notre
prochaine invitée. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 21 h 07)
(Reprise à 21 h 14)
Le Président (M.
Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend
ses travaux. Alors, il nous fait grandement
plaisir de recevoir Mme Manon Monastesse, de la Fédération des maisons
d'hébergement pour femmes.
Alors, merci
beaucoup d'être avec nous à cette heure conviviale où... à quelque part dans le
monde. Mais merci infiniment. Donc, comme vous savez, vous avez
10 minutes de présentation. Après ça, nous aurons un échange avec les membres de la commission. Donc, je vous cède la parole
immédiatement. Puis merci beaucoup d'être avec nous ce soir.
Fédération des maisons d'hébergement pour femmes (FMHF)
Mme
Monastesse (Manon) : Bien, c'est un grand... L'honneur est pour moi.
Alors, je remercie la commission, M. le ministre, les députés, Mmes et
MM. les députés, de nous recevoir ce soir. Alors, c'est un grand honneur,
encore une fois, de présenter nos recommandations devant la commission.
Alors, nous voulons
souligner, encore une fois, à la suite de la loi sur l'implantation des
tribunaux spécialisés, l'engagement politique et la volonté législative
du gouvernement québécois quant à la réforme en profondeur proposée du droit de
la famille et modifiant le Code civil, le projet de loi n° 2.
Nous saluons de ce fait la volonté de changement social et d'amélioration des
conditions de vie et de sécurité des femmes violentées et de leurs enfants dans
un contexte de violence familiale, conjugale et/ou sexuelle.
Alors, nous sommes vraiment à la croisée des
chemins. Et on salue vraiment la volonté du gouvernement de prendre de front
plusieurs modifications et plusieurs recommandations qui sont incluses dans le
rapport Rebâtir la confiance, de les prendre de front. Et souvent on dit
que la violence conjugale, familiale, sexuelle, ce sont des problématiques
transversales. Donc, il faut aussi y aller de façon transversale au niveau des
solutions.
Alors, en ce qui concerne le projet de loi
n° 2, ce projet de loi amène, pour nous, des changements structurants qui amélioreront de façon notable la
prise en compte de la violence familiale et conjugale par les tribunaux
de la famille. Nous espérons que, grâce à ce projet de loi, il y aura une
reconnaissance effective de la violence familiale et conjugale dans les affaires en droit de la famille, en phase avec les
définitions provinciale, de la politique en matière de violence
conjugale, et fédérale, la loi du divorce, qui permettra de s'assurer
optimalement de la sécurité des femmes et des enfants sur les plans physique et
psychologique et ainsi que de garantir une certaine cohérence entre les
différentes sphères du droit criminel, familial et, ultimement, en protection
de la jeunesse, tel que le préconise le rapport Rebâtir la confiance.
Alors, ce qu'on a... Ce qu'on vous présente dans
notre mémoire, dans un premier temps, c'était, pour nous, important de faire un
état des lieux de la reconnaissance effective de la violence familiale et
conjugale à l'heure actuelle par les tribunaux de la famille à partir de la
littérature scientifique et, entre autres, à partir du rapport de recherche
conjoint de la... Violence conjugale devant les tribunaux de la
famille : enjeux et pistes de solution, qui a été rendu public à
l'été 2019. Alors, à partir de cet état des lieux et ces plusieurs
constats, on a analysé, on a étudié certains articles du projet de loi n° 2
qui touchent plus spécialement la question de la violence conjugale et
familiale.
Alors, pour nous, c'est quand même des changements
majeurs, parce qu'on veut introduire... On veut reconnaître l'importance de
prendre en compte la violence familiale. Et, pour nous, une des
recommandations, c'est de toujours parler de violence familiale et conjugale,
parce que, dans la réalité, quand il y a de la violence conjugale, il y a
toujours de la violence familiale, et le contraire est aussi vrai. Alors... Et
le fait de prendre en considération la violence familiale, et on ajouterait,
comme recommandation, la violence conjugale, c'est extrêmement important dans
la détermination des critères d'évaluation de l'intérêt de l'enfant dans ce
contexte.
• (21 h 20) •
Alors, on vous propose, bien sûr, d'avoir une
définition beaucoup plus opérationnelle. Alors, on vous propose celle... la
définition qui a été reconnue dans les amendements de la loi du divorce. Mais
aussi il faut aussi permettre également d'enchâsser la définition du
gouvernement du Québec en matière de violence conjugale et de reconnaître
aussi... de mettre bien en évidence aussi les principes directeurs de la
politique, qu'on perd souvent de vue lorsqu'il y a évaluation de l'intérêt de
l'enfant, à savoir, dans les neuf principes directeurs, bien sûr, d'assurer la
sécurité des femmes et des enfants qui sont victimes et de s'assurer de la
responsabilisation des conjoints qui ont des comportements violents. Alors, le
fait d'introduire, de reconnaître l'importance de l'évaluation de l'intérêt de l'enfant à la lumière de la violence familiale ou
conjugale... et conjugale, c'est un changement qui est marquant. Un
autre... Et puis aussi on vous a soumis des
critères d'évaluation, également, à enchâsser dans l'article l'article 33
du projet de loi.
Également, ce qui, pour nous, est extrêmement
positif, c'est l'obligation à l'effet que l'autorité parentale doit s'exercer
dans un contexte exempt de violence, quelle qu'elle soit. Et ça, c'est vraiment
majeur comme article, comme modification au niveau du droit de la famille.
Également, la possibilité que, dans un contexte
de violence familiale et conjugale, le parent victime puisse demander des soins
et des services pour ses enfants sans l'autorisation du parent exerçant de la
violence. Ça, c'est vraiment, je veux dire, majeur. C'est quelque chose que
l'on voit tous les jours, des femmes avec des enfants en maison d'hébergement et qui sont toujours... Il
faut le dire, qu'un conjoint violent, même quand il y a séparation, il y
a toujours de la violence postséparation. Et les enfants sont souvent
instrumentalisés pour maintenir le contrôle et... le contrôle total sur la
conjointe. Et une des façons que le conjoint va utiliser, c'est justement en
sachant très bien que la mère a toujours besoin de l'autorisation. Et,
majoritairement, ils vont faire obstacle.
Alors, pour nous... (panne
de son) ...des situations qui sont crève-coeur, parce qu'on voit des enfants
qui ont beaucoup de traumatismes, qui ont vécu... qui ont été exposés à la
violence que leur mère a subie, et, de par ce fait même,
même eux-mêmes peuvent être victimes de violence physique directe,
psychologique ou autre, et qui ont de graves traumatismes. Et, pour nous, c'est
extrêmement important de pouvoir intervenir auprès de ces enfants-là, parce
qu'on sait qu'ils sont les adultes de demain. Et on le voit, à travers... les
impacts de ces traumatismes, à travers leur parcours scolaire. Et ça, c'est
vraiment majeur, que ça ait été enchâssé dans le projet de loi. Pour nous, on
salue grandement cette initiative.
Alors, entre
autres... Là, je ne sais pas combien de temps il me reste, mais...
Le
Président (M. Bachand) : Quelques secondes, mais, avec votre
accord, on pourrait...
Mme Monastesse
(Manon) : Quelques secondes. Bon.
Le
Président (M. Bachand) : Oui. Bien, c'est ça. Alors, on
pourrait procéder à la période d'échange, avec votre accord, bien sûr.
Mme Monastesse
(Manon) : D'accord.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Très apprécié. M. le
ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette :
Merci, M. le Président. Mme Monastesse, bonsoir. Merci beaucoup d'être
présente ce soir et qu'on puisse vous retrouver. Et d'ailleurs je tiens à vous
remercier, parce que vous avez notamment participé aux consultations sur la
réforme de la famille en 2019. Puis je pense que c'est important, le point de
vue que vous apportez ce soir, notamment relativement à la violence. Parce que,
dans le projet de loi, il y a beaucoup de choses, on entend des groupes sur
différents sujets, mais il y a un point fondamental, moi, qui me tient beaucoup
à coeur, c'est notamment le fait de prendre en considération la violence
familiale. Puis ça s'inscrit dans un continuum de choses qu'on fait avec la
réforme de l'IVAC, avec le projet de loi n° 92, sur
lequel on vous a entendue notamment, le fait d'accorder quatre heures de
conseils juridiques en matière de violence sexuelle, de violence conjugale. Et
là on introduit d'autres dispositions dans le Code civil. Puis je pense que
vous l'avez bien dit, que la notion de violence doit être prise en compte dans
le système de justice.
Je
voudrais vous demander... Nous, on l'a écrit, «violence familiale»... la prise
en compte, dans l'intérêt de l'enfant, de la violence familiale. On le
conçoit dans un sens large, donc incluant violence conjugale, violence
psychologique, violence physique, mais je ne voulais pas que ce soit limitatif
à uniquement ces types de violence là, parce que je veux que l'article puisse vivre dans le temps puis puisse être
interprété largement par rapport à la prise en considération de la
violence, les différentes formes de violence qui vont être prises.
Est-ce que... On a eu
des intervenants qui nous ont dit : Vous devriez le nommer, là, comme la
Loi sur le divorce. Vous aussi, vous y avez
fait référence. C'est fondamental, pour vous, de venir détailler? Parce que,
généralement, dans le Code civil, tu sais, on met le terme largement puis on
lui donne... un terme largement... Mais quelle est la hauteur de l'importance
de venir le détailler, pour vous?
Mme Monastesse
(Manon) : Bien, la hauteur est très élevée parce que... C'est pour
cette raison qu'on a fait tout un préambule pour expliquer les nombreuses
problématiques qui sont rencontrées. Alors, nous, on espère que le législateur
va vraiment nommer les choses, va vraiment nommer les critères au niveau de la
prise en compte de l'intérêt de l'enfant, va nommer le pouvoir coercitif. Puis,
vous savez, au fédéral, il y a eu des représentations à l'effet d'introduire
dans le Code criminel le contrôle coercitif, qui, souvent, ne se traduit pas
par de la violence physique mais hautement de la violence psychologique,
économique, et tout. Et c'est extrêmement important, parce qu'on fait face
actuellement à de nombreuses problématiques où on ne tient pas compte de cette
définition en termes de rapport de pouvoir, en termes de contrôle et de
contrôle coercitif. On ne prend absolument... Puis vous l'avez vu, là, dans les
extraits qui ont été nommés, de jugements où est-ce qu'on passe outre non
seulement à la reconnaissance de la violence conjugale ou familiale, mais de
ses impacts.
Alors, c'est pour
cela que c'est extrêmement important que le législateur définisse, pour qu'on
ne passe pas à côté, et qu'il n'y ait pas d'autre... il n'y ait pas d'autre
définition de la violence qui puisse coexister avec celle du gouvernement.
Parce que, malheureusement, c'est le cas. Quand tu as de nombreuses situations
de violence, et quelquefois une violence vraiment intensive, auprès de la mère
et des enfants, et qu'on parle simplement de conflit sévère de séparation,
bien, on passe complètement à côté, là. Et nous, on le voit au quotidien.
M.
Jolin-Barrette : Une question là-dessus, Mme Monastesse. Dans le
fond, vous dites... À la lumière de votre expérience, des femmes que vous voyez
dans votre organisation, vous dites : Elles vont à la cour, puis, dans le
fond, en quelque sorte, c'est minimisé. Est-ce que ça arrive souvent, ça, où
que ce n'est pas analysé, ce n'est pas pris dans le spectre de la décision?
C'est ce qu'on veut corriger, là, avec l'insertion. Mais, pratico-pratique, là,
vous voyez des femmes, qui sont dans vos maisons, qui ne l'allèguent pas parce
qu'elles se font dire : Bien, il ne faut pas nuire au dossier, supposons,
pour la garde des enfants, ça fait que n'allègue pas ça. Ça arrive, ça. Vous le
voyez.
Mme Monastesse
(Manon) : Ah! ça, c'est constant. C'est constant. Et non seulement...
C'est pour cela aussi qu'on a bien étoffé notre mémoire, parce que c'est dans
la littérature scientifique depuis une cinquantaine d'années, là. On a des
spécialistes, comme Peter Jaffe, qui ont écrit sur le sujet, et de
nombreux auteurs, juristes et compagnie, où est-ce que, vraiment, on nomme
cette situation pour les mères, pour les femmes, de «no-win situation».
Alors, si elles essaient
de faire reconnaître que le père a des comportements problématiques, est un
danger pour les enfants, bien, on va dire
qu'elles font de l'aliénation parentale — en
passant, qui est un concept qui n'a aucune base scientifique — et/ou,
si elles ne le font pas, on va dire que ce sont des mauvaises mères. Parce que,
souvent, on demande même à la mère d'assurer la sécurité. On reconnaît jusqu'à
un certain point que le père peut avoir des comportements problématiques, mais
on va demander à la mère de s'assurer qu'il n'y ait pas de débordement, entre
guillemets. Alors, on les place dans une situation qui est absolument
intenable, là.
Alors, c'est pour cette raison que c'est bien
important de définir qu'est-ce qu'on entend par de la violence conjugale, de la
violence familiale, qu'est-ce qu'on entend, quels sont les critères qu'il
serait important de tenir en compte quand on détermine l'intérêt de l'enfant.
Et ça, il y a même de la documentation de l'ONU sur la question. Alors, le gouvernement
du Québec est tout à fait en phase avec ce qui se fait également au plan
international.
• (21 h 30) •
M.
Jolin-Barrette : O.K. On
propose également, dans le projet de loi, là, comme le proposait la
recommandation 7 de Rebâtir la confiance, là... Le fait qu'en
présence de violence un parent va pouvoir consentir seul à des soins, donc,
aller chez le psychologue, tout ça, je sais que c'était une de vos demandes
aussi, pratico-pratique, là, chez les femmes qui sont chez vous, que vous
hébergez, ça va faire une bonne différence pour elles? Ça arrive fréquemment,
ça, le fait que, supposons, le conjoint...
Mme Monastesse (Manon) : Ah! c'est
constant, oui, c'est constant. Puis c'est aussi crève-coeur pour nous, parce qu'on veut assurer des soins aux enfants,
et, souvent, de la part des pères, bien, ça va être comme... perçu comme
de faire en sorte que les enfants deviennent... vraiment, ne reconnaissent plus
l'autorité du père, c'est une façon de les aliéner,
quand ce n'est absolument pas le cas. Donc... Mais, du point de vue d'un père,
il perd le contrôle, à ce moment-là, si on s'occupe des enfants.
Et on le voit quotidiennement, des enfants qui
sont extrêmement traumatisés et qui ont peur, qui vivent... qui ont vécu dans
un contexte de terreur, qui est documenté. M. Lapierre a interviewé une
soixantaine d'enfants pour leur demander quel avait été leur vécu en tant
qu'enfants qui avaient vécu dans un contexte de violence conjugale et
familiale, puis c'est une des choses que les enfants ont dites. Puis il a
interviewé des enfants de six ans à la majorité, et une des choses qu'ils ont
dites, c'est qu'ils avaient... ils s'étaient sentis trahis par le système parce
qu'on les avait forcés à maintenir des contacts avec un parent qui, pour eux,
était la représentation de la terreur et qui n'avait aucune... Parce qu'en tant
que parent, je veux dire, la première chose qu'on fait, c'est qu'on a une
empathie envers nos enfants. On a besoin de mettre les besoins des enfants en
premier et de ne pas tout centraliser par rapport à nous. Avec un père qui a des comportements violents,
bien, c'est exactement... Ce qu'il fait, c'est qu'il ne pense pas
d'abord à l'enfant, c'est qu'il va penser... Il va penser à l'enfant en
l'instrumentalisant par rapport à ses besoins personnels.
Alors, c'est pour cette région... c'est pour
cette raison... Et puis ça, les enfants nous le disent souvent, c'est qu'ils se
sentent trahis puis ils ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas faire
confiance à leurs sentiments aussi, tu sais, dire : Oui, j'ai peur, je ne
veux pas aller voir mon père, et puis on lui dit : Bien non, il faut que
tu ailles voir ton père, il faut... c'est quand même ton père, il faut que tu
aies des contacts réguliers avec lui.
Il faut comme
amender la situation et faire une différence. Bien, je veux dire... Et ça,
c'est documenté aussi, un conjoint
violent, c'est également un parent qui a des habiletés parentales qui sont
problématiques, là. Je veux dire, on ne fait pas face à deux personnalités, à un trouble de personnalité multiple,
là, c'est la même personne. Alors, en effet... C'est ça, alors, pour
nous, c'est pour cette raison que c'est extrêmement important que ça ait été
enchâssé dans le projet de loi.
M. Jolin-Barrette : Bien, c'est bien
noté. Je vous remercie, Mme Monastesse, pour vos témoignages ce soir. J'ai
des collègues qui souhaitent vous poser des questions. Alors, un grand merci.
Mme Monastesse (Manon) : Merci à
vous.
Le Président (M.
Bachand) : Député de Saint-Jean, s'il vous
plaît.
M. Lemieux : Et, ma question
habituelle, pour combien de temps, M. le Président?
Le Président (M.
Bachand) : Cinq minutes.
M. Lemieux : Merci beaucoup, M. le
Président. Bonsoir, Mme Monastesse.
Mme Monastesse (Manon) : Bonsoir.
M. Lemieux : Le ministre a fait
référence tout à l'heure à l'IVAC. C'est vrai qu'on vous parle, ce soir, dans un contexte où on dirait qu'il y a un paquet de
choses qui viennent d'arriver ou qui sont en train d'arriver et qui font
en sorte qu'on a un portrait plus... Nous,
évidemment, on est en train d'étudier le projet de loi n° 2, mais il n'est
pas tout seul. Il y a plein de choses autour. Oui, la réforme de l'IVAC,
le lieutenant-gouverneur a signé, hier, le projet de loi n° 92, qui est,
donc, devenu loi. Aujourd'hui, on parlait de la DPJ. On parlait des bracelets
de protection. Tout ça, c'est un ensemble de mesures.
Alors, je vous ramène... Et vous avez beaucoup
parlé de l'importance de la définition claire de la violence conjugale. Mais, si j'élargis l'espèce de lorgnette
du projet de loi n° 2, qu'est-ce qu'il y a, là-dedans, qui est
important pour vous,
qui va faire une différence de plus que ce que vous êtes capables de faire pour les
femmes qui se retrouvent chez vous, leurs enfants et, ultimement, leurs
familles?
Mme Monastesse (Manon) : Bien,
premièrement, nous qui sommes au coeur, là, de la situation, ne serait-ce
que... Ça peut sembler anodin de dire : On enchâsse dans un projet de loi
une définition claire où on réaffirme également la définition du gouvernement,
mais c'est un aspect majeur, parce qu'actuellement, en droit de la famille,
devant les tribunaux de la famille, puis notre recherche qui a analysé
250 jugements le démontre bien, ce n'est pas cette définition-là qui prime
en termes de contrôle coercitif, de rapports de domination. Et c'est très peu
pris en considération quand on détermine l'intérêt de l'enfant.
Donc, pour nous, c'est extrêmement
problématique, où est-ce qu'on en vient à des avocats qui vont dire aux
femmes : Bien, on ne va pas parler de la violence conjugale que vous avez
vécue, on ne va pas parler du fait que le père va également... des
comportements envers les enfants parce que c'est un facteur qui peut être
utilisé contre vous. Quand je parlais de «no-win situation», c'est quand même
des situations qui ont été documentées dans la littérature scientifique depuis
40 ans, là.
Alors, pour nous, le fait de vraiment déterminer
dans le projet de loi, dans le droit de la famille, de mettre ça au clair qu'il
y en a une, définition, puis il n'y en a pas 50, qu'on ne peut pas parler de
conflit sévère de séparation, qu'on ne peut pas parler d'aliénation parentale,
bien, ça va grandement changer la vie des femmes, des enfants qu'on soutient,
ne serait-ce que ça.
M. Lemieux : Et vous dites aussi
qu'il est très important que le gouvernement élabore un plan de
sensibilisation, formation des citoyens. Avec tout ce dont je parlais qui est
sur la table en ce moment, qui est en train de se placer, qui est en train de
s'organiser, forcément, c'est par là que ça passe. On n'a pas beaucoup le
choix, là.
Mme Monastesse (Manon) : Tout à
fait, tout à fait, et puis la sensibilisation de tous les acteurs. On
mentionnait toute la question de la sensibilisation des intervenants dans les
services, de droits d'accès, de droits de supervision.
C'est également extrêmement important. Parce que ce n'est pas parce qu'un père
qui a toujours exercé de la violence,
tout à coup, va s'occuper de l'enfant pendant une heure... qu'il est devenu,
tout à coup, le meilleur père du monde.
Alors, il faut être très alerte à l'effet de
comment un conjoint... Puis là je parle vraiment des pères qui exercent de la
violence, là, je ne parle pas en général. Et ça, ça fait toute la différence.
Il faut qu'il y ait une meilleure sensibilisation, formation des magistrats. Et
on le voit à la lumière de jugements qui ont été répertoriés dans notre
rapport, où est-ce que même un juge va dire : Monsieur a été très violent
envers sa conjointe, est un mauvais employé, a été violent envers ses
beaux-parents, mais il n'y a pas de raison pour nous de croire que ce n'est pas
un bon père. Alors, pour nous, c'est extrêmement critique de se retrouver
devant des situations comme ça. Et malheureusement c'est dans la vie de tous
les jours que ça se passe.
M. Lemieux : Merci beaucoup, Mme
Monastesse. Mon temps est écoulé.
Mme Monastesse (Manon) : D'accord.
Merci.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de LaFontaine, s'il
vous plaît.
• (21 h 40) •
M. Tanguay : Oui. Merci beaucoup.
Bonsoir, Mme Monastesse. Merci beaucoup d'être avec nous ce soir.
Si vous le voulez bien, j'aimerais ça qu'on
passe un peu de temps ensemble sur les articles 597 et suivants du Code
civil. On sait que le projet de loi ajoute un nouvel article, 603.1. Et vous
avez des recommandations. Donc, c'est sur le titre de l'autorité parentale. Et
je vous avoue qu'en relisant ces articles-là je trouve des articles curieux,
comme 597 : «L'enfant, à tout âge, doit respect à ses père et mère.» Je
veux dire, quel est l'impact juridique de ça? Je
comprends que, souvent, il y a des articles qui sont des relents du code
Napoléon de 1804, mais, quand même, il y a sûrement des applications tangibles et justifiables en 2021. Mais il y a
quand même le ton qui est donné à cet article-là.
603, vous dites, et j'aimerais vous entendre
là-dessus, vous parlez... «Prévoir une suspension temporaire de l'autorité
parentale». Alors, ici, juste pour les fins de discussion, 603.1, nouvel
article, premier alinéa : «Le père ou la mère ou le parent peut, sans
l'accord de l'autre parent, en raison d'une situation de violence familiale ou
sexuelle causée par ce dernier, requérir pour son enfant des services de santé
ou des services sociaux, incluant des services de soutien psychosocial,
reconnus par le ministre de la Justice.» Et là vous dites, proposez de prévoir
une suspension temporaire de l'autorité parentale. J'aimerais vous entendre
là-dessus, s'il vous plaît.
Mme
Monastesse (Manon) : Oui, oui, effectivement, parce que ça peut aussi
aller jusque-là, et ça a été démontré aussi dans la littérature. Ce qu'on
propose... Dans d'autres juridictions, où est-ce que... Et il nous semble tout
à fait évident... C'est que, quand on suspend, supposons, temporairement
l'autorité parentale parce que cette autorité est défaillante, bien, il nous semble tout à fait logique qu'il y ait un
renversement du fardeau de la preuve. Parce qu'actuellement ce sont les
mères qui doivent prouver, quasiment hors de tout doute, comme si on était au
criminel, que le père, vraiment, exerce une autorité qui est extrêmement
problématique.
Et, comme je parlais... Puis ce n'est pas une
figure de style, là, quand je parle que les enfants ont vraiment l'impression
de vivre dans un climat de terreur. Et on sait à quel point c'est extrêmement
dommageable pour les enfants. Pour nous, ce serait exactement de renverser le
fardeau de la preuve, et que ce serait aux parents violents, majoritairement
les pères, de prouver qu'il y a eu des changements dans leur comportement,
qu'ils ont amélioré leurs habiletés parentales, et par la suite, bien sûr, restaurer
cette autorité convenue.
M.
Tanguay : Est-ce que, dans la jurisprudence, vous le voyez,
vous l'avez vu, vous l'avez constaté régulièrement, ça, cette perte
temporaire d'autorité parentale là?
Mme Monastesse (Manon) : Bien, ici,
ça en prend beaucoup, beaucoup, beaucoup, de la déchéance parentale. Ça
prend... Mon Dieu! Ça prend un fardeau de preuve qui n'est quasiment pas
atteignable, là. C'est extrêmement rare. Écoutez, au Canada, on est même devant
des aberrations où un parent, un père qui a tué la mère devant ses trois enfants et qui... les enfants ont été placés sous la
tutelle des grands-parents maternels, bien, il a réussi, pendant qu'il
était en prison pour une peine, je crois, de 30 ans de prison, à obtenir
la garde de ses enfants et faire transférer la tutelle et l'autorité parentale
vers ses parents. Alors, comprenez-vous que ça va loin, là, alors...
Et puis ce que je voudrais dire, c'est que,
comme quand on regarde en Australie, on en a beaucoup parlé, du modèle de
tribunaux spécialisés à Southport, dans le Queensland, en Australie, où il y a
vraiment, même... et puis là on est dans le même système de droit, où il y a
vraiment, même, une intégration du criminel, du pénal et du civil pour pouvoir
permettre de vraiment avoir un jugement qui soit en harmonie avec tous ces
systèmes de... Bien, écoutez, au niveau de
la garde des enfants, c'est le parent violent qui doit prouver que... qui doit
prouver qu'il est un bon parent. On
ne parle pas d'aliénation parentale. On ne parle pas de conflit sévère de
séparation. Toutes ces fausses références ont été complètement évacuées. On évalue toute la question du contrôle
et des habiletés parentales dans ce contexte-là.
M. Tanguay : Dans le nouvel
article 603.1, le nouvel... le deuxième alinéa, puis là je vais le
résumer, c'est un paragraphe assez long, on parle d'aller chercher... «À cette
fin, le père [...] la mère ou le parent doit avoir obtenu une attestation d'un
fonctionnaire ou d'un officier public» qui, sur le vu de la déclaration sous
serment... il existe une telle situation de violence... Comment, ça, ce
processus-là, vous l'accueillez? Est-ce que c'est pratique, dans le sens noble
du terme? Est-ce que c'est faisable? Est-ce que c'est souhaitable? Comment vous
voyez ça, cette formalité-là?
Mme
Monastesse (Manon) : Bien,
écoute, il faudrait, dans un premier temps, déterminer qui sont les
officiers qui peuvent émettre... Et nous, on demande à ce qu'on soit inclus
dans ces officiers, dans ces responsables-là,
puisque c'est notre travail au quotidien et qu'on le fait déjà. En ce qui
concerne la résiliation du bail, on est reconnus pour faire des
attestations, là, et documenter le vécu de violence conjugale et familiale.
C'est déjà reconnu.
M. Tanguay : Est-ce que... Et là je
lis l'article 605, l'article 605 m'amène une question : «Que la
garde de l'enfant ait été confiée à l'un des parents ou à une tierce personne,
quelles qu'en soient les raisons, les père et mère conservent le droit de surveiller son entretien et son éducation et sont
tenus d'y contribuer à proportion de leurs facultés.»
N'y aurait-il pas lieu, là, d'ajouter certains
détails sur «quelles qu'en soient les raisons, j'ai toujours un droit de
regard»? Bien, attends une minute, là. Qu'est-ce que vous en pensez?
Mme Monastesse (Manon) : Bien oui,
tout à fait. Il faut mettre les exceptions... qu'il faut qu'il y ait une
évaluation, là, des personnes qui vont détenir cette autorité-là envers les
enfants. Et c'est la raison aussi pourquoi je vous ai parlé du cas de la
Colombie-Britannique, là. Si la garde est transférée aux parents du conjoint
qui a exercé de la violence ou que lui-même... et, dans ce cas-là, lui-même
avait vécu de la violence familiale, c'est absolument... Ça devrait être
complètement proscrit, là. Effectivement, il faut qu'il y ait une analyse au
niveau des personnes, là, qui vont pouvoir assurer cette tutelle-là.
M. Tanguay : Et, là-dessus, je
pense, Mme Monastesse... Je pense que nous, comme législateurs, là,
consciencieux... Quand on sera rendus à ces articles-là, je pense qu'il va
falloir revoir, là, sous cet angle-là, là, s'assurer de... Parce que la loi
n'est pas toujours ouverte, hein? Je veux dire, là, on a une belle occasion,
597 et suivants, de dire : Ah!
peut-être, là, un tour de roue, là, là, là, pour s'assurer qu'il y ait une
cohérence, là, au-delà de 603.1.
606... Ajouter, à l'article 606, «que la
commission de violence familiale et conjugale constitue un motif grave
permettant la déchéance de l'autorité parentale». Puis vous dites : «Les
femmes violentées et leurs enfants doivent pouvoir exercer leurs droits à la
vie, à la liberté et à la sécurité, tel que stipulé par la charte canadienne...»
Donc, ça, c'est réellement... très clairement, il faut l'établir à 606, comme
vous le proposez, là.
Dans les considérations, là, je retourne en
arrière, vous dites, donc : «À l'heure actuelle, pour conclure...» Puis
votre mémoire, je veux dire, est excessivement étoffé, là, en notes de bas de
page. On voit la jurisprudence, là. Il y en a des dizaines, et des dizaines, et
des dizaines. «À l'heure actuelle, pour conclure à une situation de violence,
le système judiciaire s'appuie sur les crimes commis et non sur le contrôle
exercé sur la victime...»
Parlez-moi donc de l'importance de reconnaître,
dans nos tribunaux, le contrôle coercitif.
• (21 h 50) •
Mme
Monastesse (Manon) :
Exactement. Parce que c'est vraiment un aspect qui est difficilement
criminalisable, parce que ce ne sont pas nécessairement des gestes de violence
physique. Un conjoint qui exerce ce contrôle peut exercer toute sa vie un
contrôle efficace et coercitif. Alors, à ce moment-là, il n'aura pas besoin de
commettre... de commission de violence physique, parce que tout le reste
fonctionne. Alors... Et malheureusement, au Canada, encore, ce n'est pas
enchâssé dans le Code criminel. Ce l'est en Angleterre, ce l'est en Écosse...
reconnu, le contrôle coercitif, comme criminellement... c'est ça, comme une
infraction criminelle, avec toute une série de critères.
Et ça fait une grande
différence, là. En ce moment, seulement deux, trois ans après l'application,
l'entrée en vigueur de cet article-là dans le Code criminel, ça fait toute la
différence, parce qu'on va voir des spécialistes venir présenter, au jour le
jour, là, tout le microcontrôle au quotidien qui est exercé puis à quel point
ça a été dommageable autant pour la mère que les enfants. Alors...
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup.
M. Tanguay : Merci beaucoup.
Le Président (M.
Bachand) : Je dois céder la parole au député
d'Hochelaga-Maisonneuve. Merci, M. le député de LaFontaine.
M. Leduc : Merci, M. le Président.
Bonsoir. Vous nous faites différentes recommandations dans votre mémoire.
J'aurais envie d'y aller vraiment plus sur la forme. Sur le fond, c'était
vraiment très clair. Sur la forme, laquelle ou lesquelles, peut-être une, deux,
les plus importantes, là, qu'on ne doit vraiment pas échapper, dans ce que vous
recommandez, là, qui sont essentielles?
Mme Monastesse (Manon) : Bien, toute
la question de mieux définir, de vraiment enchâsser une définition claire de la
violence familiale et conjugale et de déterminer les critères d'évaluation de
l'intérêt de l'enfant dans ce contexte-là. Parce qu'actuellement qu'est-ce qui
est... Et là c'est dû aussi...
Quand on regarde les articles de loi de la loi
du divorce, où est-ce qu'on dit que c'est comme si l'autorité parentale est
suprême, qu'on dit qu'un enfant a toujours droit d'avoir des contacts, d'avoir
accès à ses deux parents, nonobstant la situation... d'où l'importance de
définir et de prouver l'impact négatif de la violence conjugale, de la violence
familiale sur les enfants et d'utiliser des critères très précis pour
déterminer l'intérêt de l'enfant. Parce qu'actuellement le concept de l'intérêt
de l'enfant, qu'on regarde le droit de la famille ou qu'on regarde, même, la
loi de la protection de la jeunesse, c'est un concept qui est extrêmement mou,
qu'il n'y a pas vraiment de critères... de définition ou de critères
d'évaluation de la condition. C'est beaucoup laissé au soin de la magistrature,
d'évaluer la situation, mais il n'y a rien de référence. Alors, ça nous prend
des références pour évaluer ces critères, qui sont déterminants, là, au niveau
du bien-être des mères et des enfants.
M. Leduc : Donc, sortir un peu de
l'évolution d'une jurisprudence qui peut aller d'un bord ou de l'autre puis
vraiment clarifier une direction.
Mme Monastesse (Manon) : Exactement.
M. Leduc : Parfait.
Mme Monastesse (Manon) : Et puis les
écrits restent, alors...
M. Leduc : Merci beaucoup.
Mme Monastesse (Manon) : ...parce
que je le vois... Oui, d'accord.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. Alors, Mme la
députée de Joliette, c'est à vous.
Mme
Hivon : Oui.
Bonjour, Mme Monastesse. On avance.
Mme Monastesse (Manon) : Bonjour.
Bonsoir, bonjour.
Mme
Hivon : Oui. Donc,
merci d'être aussi allumée à cette heure tardive. Donc, on a bien compris votre
message, que moi, j'endosse complètement, là, que la violence conjugale soit
nommément écrite dans le Code civil. Je pense que ce serait une grande avancée.
Le défi, maintenant, c'est la définition. Vous
connaissez l'économie de notre Code civil. Donc, d'insérer une définition là,
ce n'est pas simple. J'ai vu que vous référez aussi à Michaël Lessard, donc, à
ses travaux puis ses recommandations. Donc, on va tout regarder ça. Pour vous,
c'est essentiel que ce soit nommé et c'est aussi essentiel que ce soit défini
d'une manière ou d'une autre, par renvoi ou à l'intérieur même du Code civil,
ou vous avez un autre mécanisme en tête, là? Je sais que vous n'êtes pas juriste,
là, encore moins légiste, mais est-ce que vous avez une proposition par rapport
à ça?
Mme Monastesse (Manon) : Oui, bien,
de l'inclure dans un préambule. De ce que nous, on a, dans nos consultations
auprès de personnes plus expérimentées que nous, c'est vraiment la possibilité
de l'inclure dans un préambule. Parce qu'on connaît, effectivement, l'économie
du Code civil. Alors, bien, c'est faisable, parce qu'on regarde les
juridictions, comme je vous dis, comme je le... Je référais à la
Grande-Bretagne, à l'Écosse, à l'Australie, la
loi sur... Puis, aux États-Unis, on a quand même un Domestic Violence Act, où
est-ce que tout est défini également. En
Australie, c'est également le cas, là. Il y a de nombreuses lois. Ici, on n'a
pas de loi, là, sur la violence conjugale, mais ça existe ailleurs et c'est clairement
défini.
Et, comme je le disais, dans le tribunal
spécialisé, à Southport, il n'y a pas d'ambivalence, là. Quand on parle de
violence conjugale, c'est du contrôle, c'est des rapports de domination. On ne
parle pas de conflit. On ne parle pas d'aliénation parentale. Ça a complètement
été évacué parce que ce n'est absolument pas une référence pertinente. Donc,
c'est possible. Et puis je vous fais toute confiance.
Mme Hivon : Merci. Vaste
mandat. Est-ce que, selon vous, ça va être suffisant, l'inscription noir sur
blanc de ces mots-là dans le Code civil,
pour changer les attitudes et les décisions des tribunaux? Est-ce que, pour
vous, il y a d'autres éléments, là, qu'on devrait venir inclure ou, pour
vous, vous dites : Ça, c'est le signal majeur, puis on est confiants que
ça va changer les choses?
Le Président (M.
Bachand) : Il reste quelques secondes.
Mme Monastesse (Manon) : Avec
les critères qui ont été enchâssés dans les amendements de la loi du divorce,
là, au niveau des critères d'évaluation de l'intérêt de l'enfant et puis...
Puis, bien sûr, il faut de la formation de tous les acteurs à cet effet
également.
Le
Président (M. Bachand) :
Bien, sur ce, merci beaucoup d'avoir été avec nous jusqu'à 10 heures,
22 heures. C'est très apprécié.
Alors, sur ce, la commission ajourne ses travaux
jusqu'au jeudi 2 décembre, après les affaires courantes. Merci
encore. Bonne soirée. Merci.
(Fin de la séance à 21 h 57)