(Seize heures vingt-cinq minutes)
Le Président (M.
Bachand) : Bon après-midi, tout le monde. Ayant constaté le
quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte.
La commission
est réunie virtuellement afin de procéder aux consultations particulières et
aux auditions publiques sur le projet de loi n° 86, Loi concernant
la dévolution de la couronne.
Avant de débuter, Mme la secrétaire, y a-t-il
des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Hivon (Joliette)
est remplacée par M. Bérubé (Matane-Matapédia).
Le Président (M.
Bachand) : Cet après-midi, nous allons débuter par les
remarques préliminaires puis nous entendrons, par visioconférence, le
Pr Marc Chevrier, professeur au Département de science politique de
l'Université du Québec à Montréal, et
également le Pr Patrick Taillon, professeur à la Faculté de droit de
l'Université Laval, et M. André Binette, juriste en droit
constitutionnel.
Remarques préliminaires
Donc, on va
débuter par les remarques préliminaires. J'invite maintenant la ministre
responsable des Institutions démocratiques et de la Réforme électorale à
faire ses remarques préliminaires. Mme la ministre, vous disposez de
six minutes, s'il vous plaît.
Mme Sonia LeBel
Mme LeBel : Merci. Merci, M. le
Président. Bonjour, chers collègues. Alors, c'est un plaisir d'entamer avec
vous aujourd'hui les consultations particulières sur ce projet de loi, petit
projet de loi dans le nombre d'articles, mais fort important dans ses effets.
Et il s'agit donc du projet de loi n° 86, Loi concernant la dévolution de
la couronne, nom, peut-être, qui peut sembler un peu ambigu, alors je pense que
c'est le bon moment, le début des consultations, pour faire un bref survol, là,
à l'égard de ce projet de loi là, de ses effets, de son objectif. Et on pourra,
par la suite, entendre les différents intervenants, qui viendront très
certainement nous apporter un éclairage de leur point de vue, et avec leurs
expertises, et leurs expériences en droit constitutionnel.
La dévolution de la couronne est un principe de
common law qui entraîne, donc, des conséquences sur les activités des
trois pouvoirs de l'État qui sont le pouvoir législatif, qui est le
Parlement; le pouvoir exécutif, qui est le gouvernement;
et le pouvoir judiciaire, qui sont les tribunaux. Comment la dévolution de la
couronne peut se produire? C'est soit par le décès du souverain actuel,
la reine Elizabeth II, ou par le fait qu'elle pourrait abdiquer, là, son
pouvoir au prochain dans la lignée sur la dévolution de la couronne.
C'est
important, donc, d'adopter des dispositions qui vont venir établir sans aucune
ambiguïté qu'une dévolution de la couronne n'entraîne pas, en droit québécois,
des conséquences juridiques et constitutionnelles particulières, mais on
doit se prémunir des effets d'une telle
dévolution de la couronne, et, pour plus de clarté et de certitude, il est
important aussi de regrouper dans un même projet de loi l'ensemble de
ces dispositions.
Il existe actuellement... on avait, avant la Loi
sur l'Assemblée nationale de 1982 qui a été adoptée, qui a remplacé la Loi sur la Législature, il y avait, à
l'intérieur de cette loi-là, la
précédente, une disposition très claire pour contrer les effets de la
dévolution de la couronne, qui semble avoir été abolie et remplacée par une
autre disposition qui, quant à nous, est beaucoup plus ambiguë dans ses effets,
à tout le moins, sur les trois pouvoirs, particulièrement sur le pouvoir
juridique. Donc, autrement dit, le projet de loi viendrait dire clairement...
vient dire clairement que les activités des trois pouvoirs de l'État ne
seraient pas interrompues de quelque manière que ce soit lorsque surviendra la
prochaine dévolution de la couronne.
Je l'ai dit tantôt, il est important, je pense,
il est important en tout temps de se prémunir contre les effets d'une
dévolution de la couronne. Il n'y a pas eu de dévolution de la couronne depuis
1952, donc c'est sûr que ça fait longtemps qu'on n'a pas eu l'occasion d'en
avoir ou de ne pas en avoir les effets ici, au Canada et au Québec. La reine
Elizabeth est quand même âgée présentement de 95 ans, elle a entamé sa 70e
année de règne. Donc, je pense que c'est encore... c'est toujours important,
mais je pense qu'on peut comprendre ici qu'il y a une certaine urgence, là,
pour notre Parlement, de légiférer pour se prémunir des effets juridiques qui
sont justement liés à cette dévolution. Je l'ai dit, un projet de loi très
court, quatre articles, mais avec des objectifs et des effets importants de
préciser le droit pour éviter que les trois
pouvoirs que j'ai mentionnés soient... se retrouvent dans des situations
ambiguës. Je pense que c'est important de le dire.
D'autres Parlements, au Canada ou ailleurs, ont d'ailleurs
déjà légiféré à cet égard. Le dernier est la province de Terre-Neuve, qui l'a fait en décembre 2019. Elle avait, elle
aussi, là, dans l'adoption d'une autre loi, sur les élections à date fixe, je crois, aboli l'article qu'elle avait
précédemment dans son corpus législatif pour se prémunir également des effets d'une dévolution. En outre, ailleurs
dans le monde, également, parmi les États régis par la common law
britannique et qui ont également la reine Elizabeth II comme chef
d'État, on peut noter que la Nouvelle-Zélande possède une disposition claire
visant à neutraliser tous les effets juridiques de la dévolution de la
couronne. Dans la fédération australienne, c'est important, c'est intéressant
de le savoir, chacun des six États possède également des dispositions visant à
contrer certains ou l'ensemble des inconvénients, et le Parlement de
l'Australie-Occidentale a d'ailleurs été le dernier à légiférer à cet égard en
2017.
Alors, je suis persuadée que les trois
intervenants qui ont accepté notre invitation pourront apporter, je l'ai dit
tantôt, un éclairage sur la nécessité d'agir et pour éviter, justement, qu'il y
ait un effet et qu'on puisse continuer, là, à exercer nos activités dans les
trois pouvoirs qui pourraient, selon le principe de la common law, être mis en
péril ou, à tout le moins, interrompus par cette dévolution de la couronne.
Donc, merci, et j'ai bien hâte de poursuivre la conversation avec vous. Merci,
M. le Président.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, Mme la ministre. J'invite maintenant
le porte-parole de l'opposition officielle et député de LaFontaine à faire ses
remarques préliminaires pour une durée de quatre minutes. M. le député, s'il
vous plaît.
M. Marc Tanguay
M. Tanguay : Merci beaucoup,
M. le Président. Vous m'entendez bien?
Le Président (M.
Bachand) : Très bien, oui.
• (16 h 30) •
M. Tanguay : Super. Merci beaucoup. Alors, à mon tour, M. le Président, de vous saluer,
saluer Mme la secrétaire et les personnes qui travaillent également avec
vous. Heureux de vous retrouver, quoiqu'en virtuel. Je me rappelle, on avait
fait beaucoup de virtuel, notamment, sur le projet de loi visant la réforme de
l'IVAC. Alors, heureux de vous retrouver, M. le Président, heureux de retrouver
également Mme la ministre, même si c'est virtuellement, et mes collègues
de la banquette ministérielle et des autres oppositions.
Je n'ai pas l'intention de prendre tout mon
temps, M. le Président, si ce n'est qu'effectivement je partage, nous partageons l'objectif du gouvernement avec le
projet de loi n° 86, qui vise à nous sortir, le cas échéant, évidemment,
le cas échéant, de ce qui pourrait être des
discussions, des imbroglios, des imprécisions quant à la dévolution éventuelle
de la couronne. Lorsque l'on dit que ça touche le législatif, l'exécutif, le
judiciaire et même les personnes en poste au service de l'État, bien, ça touche
toutes les sphères de l'État, alors d'où l'importance et le paradoxe du projet
de loi, aussi succinct soit-il, aussi important il est. Et vous pourrez compter
sur notre diligence et sur notre volonté de vouloir
voir cette pièce législative adoptée. Ceci étant dit, ça ne nous empêchera pas,
et au contraire, on a même l'occasion, puis, là-dessus, je fais un clin
d'oeil à mon collègue de Matane-Matapédia, de parler de Constitution, puis de
parler de royauté, puis de parler de la couronne. Je sais que c'est un
sujet qui lui touche particulièrement à coeur.
Alors, on aura l'occasion d'entendre
trois personnes qui viendront nous en parler cet après-midi et l'occasion d'échanger sur des principes constitutionnels qui
sont le socle, à toutes fins pratiques, de notre société de droit, de notre
démocratie. Alors, je nous souhaite de très bons travaux, M. le Président, et
je vous remercie beaucoup.
Le Président (M.
Bachand) : Merci, M. le député de LaFontaine. J'invite
maintenant le porte-parole du deuxième
groupe d'opposition et député de Jean-Lesage à faire ses remarques
préliminaires pour une durée maximale d'une petite minute. M. le député
de Jean-Lesage.
M. Sol Zanetti
M.
Zanetti : Merci, M. le Président. Alors, on va parler, dans les
prochains jours, d'une constitution, la Constitution canadienne, qui est
illégitime, qui est le fruit d'une annexion par la force écrite sans la
participation des autochtones, des femmes, des classes populaires, de
l'élite souverainiste et progressiste, pendue ou exilée. J'espère que ça va
être au moins l'occasion de réfléchir au système politique dans lequel on est,
dans le but de l'améliorer.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup, M. le député de Jean-Lesage. J'invite maintenant le
porte-parole du troisième groupe d'opposition et député de
Matane-Matapédia à faire ses remarques préliminaires pour une durée aussi
maximale d'une petite minute. M. le député de Matane-Matapédia.
M. Pascal Bérubé
M. Bérubé : Merci, M. le Président.
Salutations à la ministre, à tout le monde.
Le Parti québécois considère que la monarchie
est archaïque et coloniale. Et le seul fait qu'on doit se réunir démontre le ridicule de la situation, bien sûr,
pas pour nos institutions, mais d'avoir à travailler à la poursuite de notre démocratie
en fonction d'une institution qui fait partie, quant à nous, des oubliettes de
l'histoire. C'est profondément ridicule.
Alors, je le
dis d'entrée de jeu, ces travaux devraient être accompagnés d'une déclaration
très forte des parlementaires à
l'effet de se débarrasser de la monarchie britannique. C'est notre objectif, et
je demande particulièrement au gouvernement du
Québec de se faire une tête là-dessus et d'indiquer une fois pour toutes, comme
il l'a déjà fait dans un document, qu'il souhaite la fin du lien avec la
couronne britannique.
Alors, on va participer avec intérêt pour
adopter ce projet de loi, pour ne pas que personne soit pénalisé au Québec, mais le moment est pas mal venu pour la Coalition avenir Québec d'indiquer si elle souhaite préserver le lien
avec la monarchie britannique ou pas. Chez
nous, c'est plutôt clair, et il me tarde de connaître l'opinion du gouvernement
là-dessus.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, M. le député.
Afin de bien
accueillir notre invité, je vais suspendre les travaux quelques instants pour
faire des petites vérifications techniques. O.K.? Ça ne sera pas
tellement long. À tantôt.
(Suspension de la séance à 16 h 34)
(Reprise à 16 h 36)
Le Président (M.
Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend
ses travaux.
Auditions
Alors, au nom de la commission, il me fait
plaisir d'accueillir le Pr Marc Chevrier. Je vous rappelle que vous
disposez de 10 minutes pour votre exposé et je rappelle que le
Pr Chevrier est professeur au Département de science politique de l'Université du Québec à Montréal.
Donc, Pr Chevrier, la parole est à vous pour 10 minutes. Après ça,
nous aurons une période d'échange
avec les membres de la commission. Encore une fois, merci d'être avec nous aujourd'hui.
M. Marc Chevrier
M.
Chevrier (Marc) : Merci,
M. Lafontaine. Donc, alors, je vais essayer, en 10 minutes, MM., Mmes
les députés, Mme la ministre, donc, d'essayer de résumer ma pensée sur un
sujet, bon, qui mériterait sans doute de longs développements.
Alors, le problème qui nous réunit aujourd'hui
est celui de la réponse appropriée à la fin du règne inévitable d'Elizabeth II, souveraine du Canada, du
Royaume-Uni et de nombreux autres royaumes. Alors, je vois deux réponses
possibles appropriées à ce changement qu'on appelle... qu'on peut appeler la
dévolution de la couronne. Il y a une réponse technique et ce que j'appellerais
la réponse générale.
La réponse technique consiste à faire en sorte
que la mort de la souveraine ou son abdication en faveur du prince Charles,
qui deviendra alors Charles III, n'interrompe en aucune manière le
fonctionnement régulier des institutions québécoises. Donc, ça, c'est ce que
j'appelle la réponse technique. La réponse générale regarde plutôt la réaction
adéquate à la possibilité que la mort ou l'abdication de la souveraine suscite
au Royaume-Uni, dans d'autres royaumes de Sa Majesté, une désaffection à
l'égard de l'institution monarchique même et même un mouvement de réforme pour
la république dans ces pays. Alors, je vais surtout regarder rapidement avec
vous la réponse technique et, si le temps le permet, dire quelques mots de la
réponse générale.
Pour la réponse technique, nous touchons au
coeur, donc, de l'institution monarchique dans la tradition britannique. Suivant cette tradition, le roi a
deux corps, un corps mortel et un corps immortel, ces fameuses deux
personnes du roi, et l'Angleterre a emprunté à ce langage médiéval, et
l'État, comme tel, n'est pas vraiment un concept utilisé par les juristes ou par les politiciens. Le
concept qui en tient lieu, c'est celui de couronne. Donc, la couronne est à la
fois une personne physique et une personne perpétuelle, en droit, et
l'État, sous la forme de la couronne dans le système britannique, se construit notamment
par des liens sous la forme d'un serment qui lie la personne du souverain à ses
serviteurs, ses vassaux. Aujourd'hui, on dirait peut-être «les parlementaires», les officiers qui
remplissent des fonctions au nom de Sa Majesté.
Donc, en théorie, si la personne de la souveraine
ou du souverain meurt, tous les serments qui ont été faits et qui construisent la toile de la couronne, tous ces
serments sont défaits. Donc, il faut les renouveler, et toutes les actions
judiciaires qui ont été intentées au nom du roi ou de la reine, tous les
contrats scellés en son nom, en théorie, sont interrompus, de même que le Parlement
est dissous. Ça, c'est ce que j'appellerais la théorie. C'est un principe de
common law, qui a été, bon, dégagé par les tribunaux anglais, par la doctrine
anglaise.
Cela dit, les Parlements qui sont souverains en
régime britannique ont quand même corrigé ce principe de common law. Ils ont
plutôt rétabli une espèce de continuité du fonctionnement des institutions en
faisant en sorte que la dévolution par la mort, abdication du souverain,
n'interrompe pas, donc, le fonctionnement des institutions et ne dissolve pas, par exemple, le Parlement. Le
Royaume-Uni a adopté plusieurs lois en ce sens. Je n'en ferai pas l'histoire. Quand le Canada s'est créé, en
1867, le Parlement fédéral y a pourvu, plusieurs États provinciaux ont adopté
des lois en ce sens, et même le Québec, je
pense, l'ancienne loi... (panne de son)...en place, malgré, donc, la mort du
souverain.
• (16 h 40) •
Alors, si nous sommes réunis aujourd'hui, j'ai
l'impression, cela est dû au fait qu'une réforme est intervenue en 1982. On a adopté une loi sur l'Assemblée
nationale qui a écarté l'ancienne règle prévue dans la Loi sur la Législature,
et on a prévu que le lieutenant-gouverneur seul pouvait dissoudre la Chambre.
Mais est-ce suffisant pour dissiper toute ambiguïté?
Certains pensent que non ou, du moins, pensent que le risque n'en vaut pas la
peine de laisser les tribunaux statuer sur
la validité ou non d'un parlement qui n'aurait pas été dissous à la mort, à
l'abdication de la reine.
Donc, le projet de loi, de toute évidence,
répond à ce besoin, et donc il cherche à maintenir la continuité des activités du Parlement, du gouvernement, des
tribunaux, ainsi que les serments d'allégeance ou d'office déjà prêtés en
abolissant la nécessité même de recourir à un décret du lieutenant-gouverneur
pour le maintien des commissions et des nominations existantes.
Sur le projet de loi comme tel, j'aurais
peut-être quatre remarques à faire. La première, c'est sur le libellé même du projet de loi. On vise, en fait, trois
institutions : le Parlement, le gouvernement et les tribunaux. Or, la loi
sur les services publics, dont on abroge deux articles, vise
essentiellement des fonctionnaires de
l'administration, c'est-à-dire les ministères,
les organismes. Et donc on abroge ces articles et on remplace ça, ou on croit
remplacer ça, par le concept de gouvernement. Or, selon la Loi
d'interprétation, le «gouvernement», en bon français, d'ailleurs, désigne
strictement l'exécutif, c'est les ministres et le lieutenant-gouverneur.
Donc, si vous
voulez vraiment couvrir, membres de la commission, toutes les possibilités, vous aurez peut-être intérêt, à mon avis, à nommer
l'administration, parce que, pour moi, l'administration ne se déduit pas du
concept de gouvernement. Ce sont... D'ailleurs, en science politique, on
distingue maintenant les quatre pouvoirs : exécutif, législatif, judiciaire
et l'administratif. Et je remarque que, dans plusieurs lois québécoises, on
emploie le concept de l'administration.
Alors, peut-être que, pour plus de sûreté, il pourrait être
judicieux d'ajouter l'idée de l'administration.
Et il faut aussi remarquer que le législateur,
souvent, québécois, prend une grande liberté. Par exemple, dans le projet de
loi sur la réforme de la Charte de la langue française, le projet de loi
n° 96, on dit que l'administration inclut
le gouvernement et les ministères. Donc, vous voyez, il y a des définitions
très variables. Je pourrais donner d'autres exemples, mais peut-être que, pour les fins de ce projet de loi, il
pourrait être utile, donc, de nommer l'administration.
Deuxième
remarque. J'observe que ce projet de loi est un projet de loi de nature
constitutionnelle, constitutionnelle dans
le sens où il touche à la constitution matérielle de l'État du Québec. Il ne
touche pas, comme tel, à la Constitution fédérale ou... suprême du pays
mais il touche de toute évidence à la Constitution interne du Québec. C'est ce
qu'on appelle la Constitution matérielle,
donc toutes les lois qui touchent l'organisation de l'État. Et, au Québec, la
Constitution matérielle n'a pas été formalisée dans ce qu'on appelle une
constitution écrite.
Ce que je constate, c'est qu'au cours des
dernières années on a tendance, au Québec, à multiplier les lois de nature constitutionnelle, qui touchent à la
Constitution matérielle du Québec, donc on en ajoute sans cesse. On va même
jusqu'à les reconnaître comme lois fondamentales, et j'ai comme l'impression
que ce projet de loi en rajoute une autre.
Et, bon, par exemple, les tribunaux ont reconnu
que la loi n° 99, la loi sur l'exercice des droits fondamentaux et des
prérogatives du peuple québécois et de l'État québécois, eh bien, c'est une
espèce de loi fondamentale qui regarde la
Constitution interne du Québec. Je pourrais donner d'autres exemples. La Loi
sur la laïcité de l'État semble revêtir les traits d'une loi fondamentale, et
j'ai l'impression qu'on veut faire de la Charte de la langue française
également une telle loi, sans compter
qu'on voudrait même étendre la Constitution interne du Québec à la partie V
de la Loi constitutionnelle de 1867.
Donc, c'est une simple observation. Évidemment,
le législateur peut faire ce qu'il veut. Il peut décider d'ajouter une loi de nature constitutionnelle,
mais je me demande si, par exemple, il pourrait... plutôt que d'ajouter une loi
avec ses propres articles, est-ce qu'il ne pourrait pas tout simplement ajouter
des articles, mais à des lois déjà
existantes, donc, et... bon, c'est une des possibilités qu'il pourrait
envisager.
Troisième
remarque, je constate que, bon, le projet
de loi, évidemment, réintroduit dans
la législation québécoise la notion de couronne. Il est rare que le
Québec légifère à l'égard de la couronne. Au cours des dernières années, le
législateur québécois a eu tendance à vouloir gommer, à biffer toute mention de
la couronne ou de la monarchie dans ses lois. On pourrait donner plusieurs exemples.
L'expression «couronne du chef du Québec»... le Québec est la...
Le
Président (M. Bachand) : Il
vous reste quelques secondes. Je m'excuse de vous interrompre... parce que le
temps passe très rapidement.
M. Chevrier (Marc) : Ah! bon,
parfait.
Le Président (M.
Bachand) : Mais écoutez, il reste beaucoup de temps d'échange
avec les membres de la commission.
M. Chevrier (Marc) : Je vais
conclure rapidement.
Le
Président (M. Bachand) :
Alors donc, je vais passer la parole à la ministre, alors ce sera à elle... si
elle veut vous donner du temps, bien sûr, pour compléter. Mme la ministre, pour
une période de 16 min 30 s, vous avez la parole.
Mme LeBel : Bien, absolument, M. le
Président. Pr Chevrier, ça me fait plaisir de vous donner le temps de compléter. On a suffisamment de temps pour ces
échanges, donc continuez. Vous étiez à votre troisième point, où vous disiez qu'entre autres, dans le titre, qu'on
réintroduit la notion de couronne ou de monarchie. Alors, je vous laisse compléter,
vous aviez quatre points, d'ailleurs, à faire valoir, donc, allez-y.
M. Chevrier (Marc) : Oui. Bien, écoutez,
je serai bref pour permettre les échanges. Donc, ce que je voulais simplement
dire, c'est que, oui, on réintroduit, dans la législation, la notion de
couronne. Or, depuis de nombreuses années, au Québec, on
tend à vouloir effacer toutes les mentions de l'institution monarchique et les
désignations du Québec comme une couronne. Par exemple, l'expression «couronne
du chef du Québec» ou «couronne du chef de la province du Québec», qui a déjà
existé dans notre législation, cette expression-là a été retirée. Et, souvent,
on va la remplacer par la mention «État» dans notre législation.
Ce que je constate, cependant, c'est que cette
tendance à vouloir effacer l'institution monarchique peut quand même nous jouer
des vilains tours, c'est-à-dire qu'il y a peut-être le risque de rendre
illisible la manière dont l'État québécois
tient son autonomie, ses prérogatives de la Constitution canadienne.
C'est-à-dire que la monarchie canadienne, peu importe ce qu'on peut en penser sur le plan politique, c'est
l'instrument par lequel, finalement, les États provinciaux ont pu
obtenir une autonomie, une forme d'indépendance vis-à-vis du pouvoir fédéral.
Parce que la monarchie est conçue comme une, au Canada, mais elle a
11 incarnations institutionnelles qui sont indépendantes et autonomes les unes par rapport aux autres. Et donc le Canada...
le Québec exerce donc, par exemple, de grandes prérogatives exécutives,
notamment, dont profitent plusieurs organismes mandataires, et ce sont toutes
des prérogatives de la couronne. Et, tant et aussi longtemps que le
Québec vivra dans ce système monarchique, il peut quand même être utile de
laisser visible dans notre législation un
lien entre l'État québécois et, justement, la couronne. Et, à l'heure actuelle,
je constate que ce lien est en train de disparaître dans la législation.
Par ailleurs, je constate que les lois
québécoises utilisent, dans huit lois différentes, l'expression «la
couronne du chef du Canada» pour désigner le gouvernement fédéral, donc c'est
encore utilisé dans nos lois. La convention de la Baie James utilise encore
l'expression «la couronne du chef du Québec». Donc, ça, c'est un texte que le Québec
ne peut pas changer unilatéralement. Bref, tout ça pour vous dire que ce n'est
pas mauvais, évidemment, de faire une loi
sur la dévolution de la couronne, mais, pour rendre compréhensible et lisible
notre législation, ne faudrait-il pas faire apparaître quelque part que
l'État du Québec ou l'État qu'on affirme dans plusieurs de nos lois a un lien
quelconque avec cette couronne dont on tire des pouvoirs et des prérogatives?
Et enfin,
quatrième remarque, très simple, je constate que le projet de loi, d'une
certaine façon, vient modifier la
portée du serment d'allégeance prévu à l'article 128 de la Loi
constitutionnelle de 1867, puisqu'il en précise, finalement, la portée
lorsque survient une dévolution de la couronne. Donc, c'était ma quatrième
remarque.
• (16 h 50) •
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. Mme la ministre, s'il vous
plaît.
Mme LeBel : Oui. Merci,
Pr Chevrier. Donc, juste peut-être pour... Je comprends que vous
considérez, là, que le projet de loi est une réponse plus technique, là, à
l'effet de la common law, du principe de common law, qui entraînerait des
conséquences, là, sur nos trois pouvoirs de la dévolution à la couronne.
Simplement pour préciser, si je comprends
bien... Et donc je vais me permettre d'être plus technique dans notre échange pour les quelques minutes qui vont
suivre, parce que dans l'immédiat, ce qui m'intéresse, naturellement,
c'est le projet de loi qui est déposé, pour être capable de, à très court
terme, pouvoir se prémunir contre les effets d'un décès de la reine Elizabeth
ou de son abdication, qui est quand même assez pertinent, là, compte tenu
qu'elle est de l'âge avancé auquel elle se
trouve... d'autant plus pertinent. Je
ne dis pas que c'est toujours pertinent de s'en prémunir, mais je pense
que c'est d'autant plus... je dirais, le caractère d'urgence est plus présent,
disons-le.
Donc, si je
comprends bien, à l'article 1, dans le fond, vous nous proposez...
l'article 1 qui dit : «La dévolution de la couronne n'a pas
pour effet de mettre un terme aux activités du Parlement, du gouvernement et
des tribunaux.» C'est à cet article-là que
vous ajouteriez la notion d'administration publique, celle-ci n'étant pas,
selon votre interprétation, moindre
et incluse dans la notion de gouvernement. C'est exact? Je veux être sûre d'avoir bien
compris votre premier commentaire.
M. Chevrier (Marc) : Oui, c'est une
observation que j'ai faite, si vous appliquez strictement la notion de
gouvernement telle que définie par la loi d'interprétation.
Mme
LeBel : O.K.
Donc, pour s'assurer de se prémunir de tous les effets dans tous les secteurs
qui pourraient être concernés, c'est votre proposition. Écoutez, elle est très
bien notée.
Quant
à votre troisième... bon, votre deuxième commentaire, si je comprends bien,
c'est de dire que vous pensez qu'on aurait pu... parce qu'on peut prendre le
chemin d'un projet de loi autoportant, mais vous dites qu'on aurait pu intervenir plutôt par des dispositions à
l'intérieur d'autres... de plusieurs lois, au lieu de le faire de cette
façon-là. C'est un peu votre propos par rapport au chemin choisi?
M. Chevrier (Marc) : Oui, c'est ça.
Et c'est-à-dire qu'au fond l'idée, c'est, plutôt que de créer, comme vous dites, une nouvelle loi autoportante, qui serait,
quant à moi, une loi de nature constitutionnelle au sens de la Constitution
matérielle, on pourrait insérer, dans des lois existantes, les dispositions
pertinentes. Et le but aussi, c'est de faire en sorte de renforcer les lois qui
sont déjà là plutôt que de les consolider, plutôt que d'ajouter une strate de
plus à la Constitution matérielle. Mais, bon, c'est une question, je dirais, de
philosophie législative.
Donc, on peut penser que, sur le plan technique,
la loi qui est proposée est parfaite et qu'on peut passer à autre chose, mais une simple observation... de
philosophie législative, c'est-à-dire que, si on veut plutôt construire à
partir de l'existant, on pourrait plutôt insérer les dispositions qui sont ici
proposées dans des lois, telle ou telle loi existante.
Mme LeBel : Toujours dans le but,
dans le fond, de répondre au même objectif, on se comprend... propos? O.K.
M. Chevrier
(Marc) : Oui, et donc dans le but de répondre au même objectif et
peut-être dans le but de répondre à un autre objectif, qui serait peut-être de
renforcer une ou deux lois qui, pour nous ou pour vous, revêt le caractère
d'une loi constitutionnelle qui touche à l'organisation de l'État dans ce qu'il
a de plus central.
Mme LeBel : Peut-être encore plus
dans l'objectif, Pr Chevrier, est-ce que vous... vous avez, d'ailleurs...
vous y avez fait d'ailleurs mention, à la Loi sur l'Assemblée nationale, qui a
été adoptée en 1982 et qui a pour effet, de
façon délibérée ou non, là, de peut-être nous rendre plus... mon terme est
peut-être mal choisi, mais plus vulnérables, si on veut, aux effets qui
pourraient être entraînés par une dévolution de la couronne.
Est-ce que vous avez eu l'occasion d'examiner l'article
ou... l'article qui se trouve à l'intérieur de la Loi sur l'Assemblée nationale
de 1982, là, qui dit que, en gros, seul le lieutenant-gouverneur peut dissoudre
le Parlement? Est-ce que vous... Et, dans le fond, dans un deuxième
temps, ma question est...
et je pense que vous l'avez mentionné, si je ne me trompe pas, d'entrée
de jeu dans votre propos. Ma question est sur la nécessité d'agir, compte
tenu du fait qu'en 1982 on semble avoir
évacué la protection ou le rempart que nous avions, là, pour nous prémunir des
effets contre la dévolution de la couronne. Est-ce que vous avez eu
l'occasion d'examiner la...
M. Chevrier (Marc) : Bien, j'ai lu
l'opinion de Gaston Deschênes à ce sujet, j'ai vu un peu les vieilles
dispositions qui régissaient la question avant 1982. Évidemment, on est dans
une question qui est très interprétative, c'est-à-dire que ceux qui ont fait
les changements en 1982 pensaient peut-être que le libellé proposé qui réserve
au lieutenant-gouverneur seul de pouvoir dissoudre l'Assemblée... ces gens-là
pensaient peut-être qu'ils obviaient au problème
de la succession. «Dévolution successorale», c'est un autre terme
qu'utilisait, je pense, Deschênes pour parler de la dévolution de la
couronne.
Et donc, en fait, c'est plus, je dirais, une
question de sûreté législative, judiciaire, c'est-à-dire qu'on pourrait se satisfaire de l'existant et dire : Voilà,
seul le lieutenant-gouverneur peut dissoudre la Chambre, donc ça veut dire que
la mort de la reine ne peut pas la dissoudre, mais on pourrait dire que ce
n'est peut-être pas assez clair ou alors ça pourrait ne pas satisfaire. Puisque
les lois sont interprétées par tous les citoyens et les citoyennes, donc on
pourrait ne pas satisfaire certaines
personnes estimant que la loi... l'Assemblée nationale, finalement, contrevient
au vieux principe de common law, et peut-être qu'on pourrait être sage,
donc, de légiférer à cet égard pour éviter toute contestation, judiciaire ou
autre.
Donc, je ne crois pas qu'on... je n'ai pas
l'impression qu'à l'époque on ait oublié la question, mais peut-être qu'à
l'époque on pensait, comment dire, un peu trop rapidement à la possibilité que
le libellé retenu allait résoudre le problème.
Mme
LeBel : O.K. Et peut-être,
pour la dernière, le troisième point que vous avez mentionné, puis excusez-moi,
Pr Chevrier, si je n'ai peut-être pas bien compris votre propos, là, mais,
quand vous parliez du fait que, dans ce projet de loi là, entre autres, on semble vouloir réintroduire la notion de couronne, alors que vous
avez mentionné — et
c'est moi, je paraphrase, naturellement, n'hésitez pas à me corriger, là —qu'on semble
avoir eu une tendance à vouloir évacuer cette notion de nos lois dans
les dernières années, j'avoue que je vois mal comment on aurait pu faire un projet
de loi qui contre, parce qu'on veut vraiment contrer les effets de la
dévolution de la couronne, autrement qu'en y référant.
Et peut-être que je simplifie à outrance votre
propos, et excusez-moi, là, si c'est le cas, mais je vais vous donner peut-être l'occasion de clarifier le fait que... Je pense que, pour contrer les effets, il faut toujours bien nommer le
phénomène en question. Donc, est-ce que c'est plutôt le fait que... ou bien je
simplifie, ou bien vous disiez plutôt qu'on
devrait éviter, peut-être, quand on est dans ce régime, naturellement, et qu'on n'est pas dans une autre catégorie comme un régime de république, d'évacuer cette notion
à outrance pour justement ne pas créer d'ambiguïté sur le fait que
nous sommes dans ce régime? Est-ce que c'est plus ça, le sens de votre propos?
M. Chevrier (Marc) : Bien, c'est-à-dire
que je ne suis pas contre le fait qu'on réintroduise la notion de la couronne
sur le plan technique. Sur le plan philosophique, ça, c'est autre chose.
Sur le plan technique, d'une certaine façon, il
faut parler le langage du droit effectif, et le langage du droit effectif, qui
est celui de la common law d'origine britannique, ne nous donne pas le choix
que de parler de couronne. Donc, qu'on le
fasse, en soi, ce n'est pas un mal, bien au contraire, mais, comme je vous l'ai
dit... je faisais simplement
la remarque que ce projet de loi, au fond, ce n'est pas qu'il est à contre-courant,
mais c'est-à-dire qu'il fait apparaître un concept qui, lui, disparaissait progressivement
de la législation québécoise.
Donc, pour moi, c'est plus une question
d'intelligibilité de l'ensemble de la législation, c'est-à-dire qu'on fait apparaître
une idée que le législateur tendait à vouloir faire disparaître. Donc,
peut-être qu'on estime que ça suffit et que
c'est assez clair, mais, sur le plan constitutionnel, l'État du Québec ou
l'État tout court qu'on utilise dans nos lois, il a des prérogatives, des
immunités, et possède des pouvoirs législatifs, mais qui sont aussi la
dérivation du fait qu'il est, en droit
constitutionnel, une couronne, donc. Et ce lien-là, peut-être, à mon avis,
s'est perdu dans la législation québécoise. Et évidemment, ça dépasse les problèmes ou ça dépasse les dimensions de
ce projet de loi qui comporte deux ou trois articles seulement, mais
c'est une simple remarque, ce n'est pas nécessairement une observation sur un
défaut, comme tel, du projet de loi.
• (17 heures) •
Mme
LeBel : Bien, c'est pour ça que je voulais bien le clarifier, puis
j'ai bien... J'ai pris la peine, effectivement, Pr Chevrier, de situer la discussion sur le plan technique. Je suis
convaincue que, sur le plan philosophique, on pourrait avoir une discussion tout aussi intéressante,
mais, comme on est sur le projet de loi, comme tel, je voulais circonscrire.
Je vois que mon collègue, M. le
Président, le député de Chapleau
a levé la main. S'il a une question, il me reste quelques minutes, je suis
prête à lui céder la parole pour pouvoir discuter avec le Pr Chevrier.
Merci, professeur, si je ne vous reparle pas, merci de votre rapport.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M.
le député de Chapleau, il reste 2 min 50 s.
M.
Lévesque (Chapleau) : Oui, merci beaucoup, M. le Président. Merci
beaucoup, Mme la ministre. J'en profite pour saluer tout le monde. Pr Chevrier, merci
de vos interventions.
J'aimerais peut-être
revenir sur le premier concept, d'entrée de jeu, que vous nous aviez présenté,
là, le concept de common law, justement, de la fameuse personne perpétuelle et
la personne physique dans la couronne, d'où la
fameuse maxime, là : Le roi est mort, vive le roi, ou la reine est morte,
vive le roi ou vive la reine, c'est selon. Il n'y a pas une certaine, justement,
continuité de l'État dans la deuxième personne, disons, la personne
perpétuelle? J'aimerais peut-être clarifier, là, ce dont vous nous parliez par
rapport à ça, justement, et nous dire la nécessité de ce projet de loi.
M. Chevrier (Marc) : C'est-à-dire il y a une... il y a évidemment...
on joue avec des fictions. Alors, les deux
personnes du roi, c'est la personne physique et là,
ensuite, la personne juridique perpétuelle. Mais le roi ou la reine meurt un jour, et, lorsque survient la mort ou
l'abdication, il y a une interruption, évidemment, dans la vie du souverain, mais la
couronne, comme personne juridique, continue d'exister.
Mais,
en common law, même si la couronne continue d'exister, comme la couronne se
construit par des serments, eh bien, il faut renouveler les serments. Donc,
oui, il y a une couronne perpétuelle, mais on pourrait dire que la mort
du souverain la paralyse. Et donc, pour sortir la couronne de sa paralysie,
bien, il faut renouveler les serments ou il faut reconvoquer le Parlement par
des élections. Ça, c'est l'ancienne doctrine du common law.
Mais évidemment, par
la suite, d'une certaine façon, on a renforcé le caractère perpétuel de la
couronne, justement, par des lois particulières qui prévoient la
non-interruption des activités de...
M. Lévesque
(Chapleau) : D'où la loi. D'où la loi.
M. Chevrier (Marc) : C'est ça. Donc, d'une certaine façon, le projet de loi en question
contribue à renforcer le caractère perpétuel de la couronne.
M.
Lévesque (Chapleau) : Un
autre principe, rapidement. Vous avez parlé que la couronne, le fait que...
dans le corpus législatif, n'était plus là, il y a une certaine illisibilité de
notre autonomie. Puis vous avez parlé... vous avez fait le lien avec le
fédéral. Je sais qu'il ne reste pas beaucoup de temps, là. Peut-être que ce sera pour une
autre occasion.
Le
Président (M. Bachand) : En quelques secondes, professeur.
M. Chevrier
(Marc) : Oui. Bon, écoutez, je constate tout simplement qu'il y a une
asymétrie de traitement, c'est-à-dire que le
Québec, dans sa législation, reconnaît qu'il y a une couronne fédérale mais ne
le fait pas pour lui-même, et il
préfère parler d'État ou d'État du Québec. Et je ne suis pas nécessairement
contre le fait qu'on emprunte tel langage, bien au contraire, mais on a peut-être perdu le lien, comme je l'ai dit tout à l'heure, entre cet État, son autonomie et le fait qu'il ait dérivé
comme une couronne.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je
cède maintenant la parole au député de LaFontaine pour une période de
11 minutes. M. le député, s'il vous plaît.
M. Tanguay :
Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour de vous saluer,
Pr Chevrier. Très heureux de vous parler, surtout que ça me rappelle une formation
que j'ai eue en sciences politiques, à l'Université Laval, par contre, je n'ai
pas fait sciences politiques à l'Université de Montréal, mais à l'Université
Laval, mais ça me rappelle aussi, pour l'Université de Montréal, les cours de droit constitutionnel, et c'est là où on se repose la
question, quand on se remet là-dedans. O.K., donc, un principe
constitutionnel, puis vous pourrez confirmer, de common law va céder le pas à
une loi du Québec ici.
M. Chevrier
(Marc) : Oui, c'est ça, en quelque sorte, puisque notre droit public,
au Québec, est encore régi par la common law. La common law, en fait, les
juristes la pensent un peu comme le corps du roi et la pensent comme
perpétuelle, c'est-à-dire que les principes de common law ne meurent jamais.
Ils peuvent être écartés par des lois, mais, quand les lois se retirent, les
vieux principes reviennent. Alors, c'est un peu comme ça qu'on pense le droit
public en common law et c'est encore comme ça qu'on l'enseigne.
M. Tanguay :
C'est bon. Je vous écoutais parler de la couronne et de la portée potentiellement
exiguë du terme «couronne». J'aimerais savoir... Puis, pendant que je vous
écoutais attentivement, je faisais des recherches, je suis tombé sur l'article 61
de la Loi d'interprétation du Québec. Et là... Est-ce que vous me voyez toujours
si... Vous me voyez toujours, M. le Président?
Le Président (M.
Bachand) : Oui, oui, ça va, oui.
M. Tanguay :
Parfait. Alors, l'article 61 de la Loi d'interprétation du Québec... puis
j'aimerais savoir jusqu'à quel point, selon votre compréhension,
Pr Chevrier, ça viendrait diminuer beaucoup peut-être l'écueil d'une portée limitée de couronne où on dit : «Dans toute loi, à moins qu'il n'existe des
dispositions particulières à ce contraire : les mots — donc 1°,
paragraphe 1° de 61, Loi d'interprétation du Québec — «Sa Majesté», «roi», «souverain», «reine»,
«couronne», signifient le souverain du Royaume-Uni, du Canada et des autres
royaumes et territoires, et chef du Commonwealth.»
Alors, j'aimerais savoir si vous
aviez pu jeter un oeil sur cet article d'interprétation là et jusqu'à quel
point il viendrait nous réconcilier avec
l'ampleur, la pleine plénitude que prend le terme «couronne», là, dans le
projet de loi n° 86.
M.
Chevrier (Marc) :
Bien, cet article, cet alinéa, donc, de l'article 61 de la Loi
d'interprétation vise, en fait, la couronne britannique,
et, en ce sens-là, l'article est clair.
Ce qui n'est pas clair, c'est plutôt
l'incarnation institutionnelle de la couronne vis-à-vis du Québec, parce que ce
qui est un peu compliqué, c'est que la couronne, oui, elle est incarnée par le
souverain, qui est déterminé par une loi de succession du Parlement
britannique. Ça, bon, c'est ce qui est visé dans la Loi d'interprétation, mais il
y a aussi une couronne au Canada, et la reine est reine du Canada. Elle règne
sur le Canada et sur le Royaume-Uni, comme
sur d'autres royaumes. Et la reine du Canada, donc, est cheffe du Canada,
qui est pensé comme une couronne, mais qui est démultiplié par 11, c'est-à-dire
les 10 États provinciaux plus l'État fédéral canadien. Et c'est pour cette
raison-là qu'est apparu dans le langage du droit ces formules qu'on appelle la
couronne du chef du Canada, ou la couronne au droit du Canada, ou la couronne
en droit du Québec, ou de la province de Québec, des expressions qui se sont multipliées, mais qui essayaient,
finalement, de nommer cette articulation institutionnelle de la couronne mais
vis-à-vis du Québec, ou de l'Ontario, ou de l'État fédéral. Donc...
Et ce que je
constate, c'est que cette expression particulière de la couronne vis-à-vis du
Québec, qu'on nommait avant, on ne le nomme plus, même s'il y a des
textes qui utilisent encore la vieille expression, comme la Convention de la
Baie James ou plusieurs règlements, par exemple, de la ville de Montréal,
utilisent encore cette expression.
M. Tanguay : O.K. Est-ce
que... Donc, en termes plus précis, est-ce que vous auriez une appellation
autre à nous suggérer ou additionnelle à celle de couronne?
M. Chevrier (Marc) : Bien,
c'est-à-dire que, pour l'instant, je ne vois pas trop qu'est-ce qu'on pourrait
utiliser puisque le concept est quand même reçu en droit canadien et dans le
langage politique canadien. Donc, si on inventait un concept que personne ne
comprend, on ne s'aiderait pas.
Donc, je ne dis pas qu'il faut le réintroduire
dans le projet de loi n° 86, mais je voulais simplement souligner un peu
la portée de ce projet de loi par rapport au travail du législateur québécois
au cours des dernières années.
M. Tanguay : J'aimerais
maintenant vous poser une question, puis ça a été effectivement ma première
source de questionnement en lisant le projet de loi, aussi court soit-il, là,
sur ce que vous appelez, vous, puis c'est votre premier point de catch, je
crois déceler que c'est... en tout cas, moi, je le perçois comme étant le
principal défi, de s'assurer de ne pas manquer la cible, le quatrième pouvoir,
l'administration publique.
J'essayais de comprendre, tel que libellé, une
personne ayant une charge ou un emploi... et c'est ce que l'on vise à
assurer... c'est ce à quoi on vise à assurer une continuité, celles et ceux qui
ont charge et emploi, et comment ça, ça va de pair... et c'est tout à fait
similaire et comparable, avec la loi, les deux articles de loi que l'on veut
abroger ici, qui se trouvent à être la Loi sur les employés publics. Donc,
j'aimerais vous entendre là-dessus.
À la question suivante : Croyez-vous qu'il y a
identité parfaite entre, d'une part, les concepts de fonctionnaires et
employés publics du Québec, et, d'autre part, «charge» ou «emploi» tels
qu'utilisés dans le projet de loi n° 86... est-ce que, selon vous, c'est
clair qu'il y a adéquation ou il y a un drapeau rouge pour vous, là?
• (17 h 10) •
M.
Chevrier (Marc) : Bien,
écoutez, vous parlez ici de l'article 1 du projet de loi n° 86.
Donc, il y a deux éléments, le premier alinéa, qui... donc qui est une
clause de continuité qui concerne les activités du Parlement du Québec, du gouvernement,
des tribunaux, et, deuxième alinéa, on dit que la dévolution de la couronne ne
met pas un terme à une charge ou à un emploi.
Alors, la question, c'est plus de savoir comment
construire l'interprétation de cet article. Est-ce qu'un deuxième alinéa ne fait que reprendre des éléments
qui sont nommés dans le premier, c'est-à-dire qu'on vise le Parlement, le gouvernement, les tribunaux, à l'intérieur desquels il y a des
emplois et des charges, ou alors est-ce que le deuxième alinéa, en... par les termes «emploi et charge», viserait plus
que le Parlement, le gouvernement et les tribunaux, et là il viserait
implicitement l'administration? Pour ma part, bon, si vous voulez vraiment être
sûr de bien couvrir, peut-être qu'il serait utile d'ajouter l'administration au
premier alinéa.
M. Tanguay : O.K. Donc, vous
ajouteriez : Elle n'a... pour effet de mettre un terme à une charge ou à
un emploi et, par ailleurs, à tout lien conféré dans un contexte d'emploi
visant l'administration publique, là, le... mettre le concept d'administration
publique. Parce qu'effectivement, moi... Oui?
M. Chevrier (Marc) : Je le mettrais
dans le premier alinéa.
M. Tanguay : Dans le premier
alinéa de l'article.
M.
Chevrier (Marc) : Lorsqu'on parle des activités du Parlement, du gouvernement
et des tribunaux...
M. Tanguay :
Je comprends.
M. Chevrier
(Marc) : ...bien, on pourrait ajouter l'administration à cette
énumération.
M. Tanguay :
Parfait. Parce que...
M. Chevrier
(Marc) : Là, ça couvre tout.
M. Tanguay :
C'est intéressant, ce que vous apportez comme réflexion, parce
qu'effectivement, moi, je faisais l'adéquation, mais, voyez-vous, vous ouvrez
une autre perspective entre le second alinéa de l'article 1 et
l'article 3. Moi, je faisais une adéquation. Moi, je me disais que
l'article 3, une fois que vous avez adopté l'article 1, y incluant, bien
évidemment, son deuxième alinéa, moi, je disais... mon interprétation était de
dire : Ah! bien, à ce moment-là, j'ai besoin de l'article 3 pour
aller, parce qu'ils n'ont plus d'oeuvre utile, aller abroger les
articles 7 et 8, qui prévoyaient, justement, pour les fonctionnaires et
les employés publics, une continuité dans un contexte de dévolution. Mais vous
dites : Il n'y a peut-être pas adéquation puis peut-être qu'il y aurait un
débat, le cas échéant, sur l'intention du
législateur. Puis vous apportez l'autre piste d'interprétation : Non, non,
non, le deuxième alinéa de 1 concerne toutes celles et ceux qui gravitent
autour des institutions du premier alinéa.
M. Chevrier
(Marc) : En effet.
M. Tanguay :
Alors, en mettant «administration publique» là ou, en tout cas, un vocable...
puis l'invitation est lancée à Mme la ministre et celles et ceux qui
travaillent avec elle peut-être de considérer, le cas échéant, un amendement.
Puis ça, c'est intéressant, ce que vous soulevez.
Écoutez, moi, ça
fait... ça fait réellement le tour. Je vous remercie beaucoup pour l'éclairage
que vous avez apporté. C'est une loi qui
n'est pas anodine et qui nécessite, justement, que... L'objectif
de la loi, c'est de s'éviter tout écueil ou interprétation. Alors,
assurons-nous que ce soit bien rédigé. Alors, je vous remercie beaucoup,
Pr Chevrier.
Le
Président (M. Bachand) : Merci, M. le député. Je cède
maintenant la parole au député de Jean-Lesage pour une période de
2 min 45 s. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Oui. Merci, M. le Président. Alors, merci beaucoup pour votre présentation,
Pr Chevrier.
Ma question est moins
technique ou... bien, peut-être qu'elle l'est, technique, mais... si on
n'adopte pas ce projet de loi, là, par
exemple, selon vous, là, qu'est-ce qui va se passer? Est-ce que les
craintes du gouvernement sont fondées, là, à savoir qu'il faudrait partir en
élection, etc.? Est-ce que ça créerait vraiment ce phénomène-là ou personne
n'oserait nous... venir dire à l'Assemblée nationale : Écoutez, il faudrait
que vous arrêtiez de siéger, par exemple?
M. Chevrier
(Marc) : Bien, écoutez, il n'y a pas, de toute façon... il n'y a pas,
comment dire, de mouvement profond au Québec
qui tiendrait mordicus à ce que la mort de la souveraine entraîne la dissolution
de la Chambre. Donc, je ne vois pas de gens ou d'organisations qui
défendent avec rage ou conviction ce vieux principe de common law.
Au fond, à mon avis,
j'ai l'impression que le projet de loi répond à un souci de prudence. Est-ce
que ce souci est excessif? Ça, je laisse ça à votre interprétation. Parce que,
bon, à la limite, effectivement, si le gouvernement n'adopte pas ce projet de
loi, laisse les choses en l'état, arrive la dévolution de la couronne, peu
importe comment... Au fond, si personne au gouvernement, ni personne dans l'Assemblée
nationale, personne dans la société civile ne réclame la dissolution de la Chambre, à mon avis, les choses
vont continuer sur l'horaire.
Donc, au fond, c'est
un projet de loi qui essaie de parer à la possibilité peut-être théorique que quelques
personnes dans la société
se plaignent du non-respect du principe de common law que nous avons considéré.
Et, pour ce faire, donc, on essaie de
parer, donc, à cette possibilité et on adopte ce projet de loi en s'inspirant de
projets de loi similaires qui ont été adoptés ailleurs au Canada, et qu'on trouve un peu l'équivalent dans les
constitutions internes des États fédérés en Australie.
M. Zanetti :
Est-ce qu'il reste du temps?
Le Président (M. Bachand) : Il reste cinq secondes, M. le député de Jean-Lesage. Peut-être, si
vous voulez faire un dernier commentaire,
allez-y.
M. Zanetti :
Au prochain coup. Merci à vous.
Le Président (M. Bachand) : Merci de votre compréhension. M. le député de Matane-Matapédia, pour 2 min 45 s, vous avez
la parole. Votre micro, M. le député.
M.
Bérubé :
...
Le
Président (M. Bachand) : Non. Repèse... Parfait.
M.
Bérubé : Vous m'entendez?
Le
Président (M. Bachand) : Oui, parfaitement.
M.
Bérubé :
Oui, M. le Président. Je n'ai pas de question.
Le Président (M. Bachand) : Merci
beaucoup. Alors, écoutez,
là-dessus, M. Chevrier, j'aimerais vous remercier
d'avoir participé aux travaux de la commission. Ça a été très apprécié.
Et,
cela dit, afin d'accueillir nos autres invités, nous allons suspendre les
travaux quelques instants. Merci beaucoup. Et, aux membres de la commission, restez en
ligne. Merci.
(Suspension de la séance à
17 h 17)
(Reprise à 17 h 21)
Le Président
(M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît!
La commission reprend ses travaux. Il nous fait plaisir d'accueillir notre
deuxième témoin, M. le professeur Patrick Taillon, professeur à la Faculté
de droit de l'Université Laval. Et il est accompagné, bien sûr, d'un invité.
Alors,
Pr Taillon, vous avez, bien sûr, 10 minutes de présentation, et,
après ça, on va procéder à la période d'échange. Donc, la parole est à vous
pour 10 minutes.
M. Patrick Taillon
M. Taillon
(Patrick) : Merci, M. le Président. Merci aux membres de la commission.
Merci pour cette invitation à discuter d'un projet de loi important, du moins,
les risques qu'il tente d'atténuer sont considérables. Je suis accompagné aujourd'hui
de Me Julien Fournier, avocat et doctorant en droit constitutionnel à la
Faculté de droit de l'Université Laval, qui a beaucoup... de nombreuses réalisations, mais dont je ne
mentionnerai qu'une seule, d'avoir fait un mémoire de maîtrise sur les questions
liées à l'évolution de la couronne au Québec et au Canada,
et un mémoire qui a été primé par un
prix Jean-Charles-Bonenfant, prix de l'Assemblée
nationale et de la fondation pour
l'excellence de ce mémoire.
Alors, dans ce court
mot introductif, je vais suivre un peu l'ordre de présentation du court mémoire
qu'on vous a... qu'on a préparé pour les
membres de la commission, M. le
Président, et qui se résume, au fond,
à trois constats : le premier, un projet de loi nécessaire; le
deuxième, un projet de loi bien construit; et le troisième, un projet de loi à
compléter ultérieurement par bien d'autres réformes.
Donc,
premier constat, ce projet de loi est nécessaire. Ce n'est pas simple à
vulgariser, mais, grosso modo, il y a, dans
le fonctionnement, à l'origine de nos institutions, hein, l'idée que le Parlement,
c'est la reine dans son Parlement. Et
donc il y a une règle de common law qui veut que, lorsque la reine meurt, bien,
il faut dissoudre les Chambres, faire des élections, prêter à nouveau
serment.
Cette règle de common
law, elle s'est appliquée au Québec, du moins au Bas-Canada, durant le
XIXe siècle. Donc, on a des précédents très clairs qui montrent que cette
règle, elle fait... elle en fait partie, du droit québécois. Et cette règle, on
l'a par la suite abriée d'une disposition législative qui est venue, en quelque
sorte, résoudre le problème, donc nous dispenser de tenir de telles élections.
Cette règle a existé un certain nombre de temps.
Et puis, à l'occasion
de la réforme de la Loi sur l'Assemblée nationale, en 1982, la manière de
formuler la règle a soudainement changé. Si on est optimistes, on dit que,
maintenant, c'est... La règle est toujours là, mais ce n'est pas très clair. Si
on est plus pessimistes et qu'on veut être un peu plus alarmistes, on peut se
demander si la règle n'a pas tout simplement disparu, et donc, dans ces
circonstances-là, le Québec était exposé à un risque, un risque qui n'est pas
nécessaire, soit un risque d'être obligé de tenir des élections ou de voir les
lois du Québec adoptées après l'absence d'élections contestées devant les
tribunaux, avec toutes les incertitudes que cela comporte, dans un contexte où
il y a probablement un très fort consensus social et politique sur le fait
qu'il n'y a pas lieu de faire d'élections lors de la dévolution de la couronne.
Donc, une loi
nécessaire, une loi bien construite, bien construite parce qu'elle règle les
trois problèmes. Si on l'adopte, il n'y aura pas d'élection à la suite de la
dévolution de la couronne. Deuxièmement, les députés n'auront pas à prêter un
nouveau serment au prochain roi qui, vraisemblablement, serait le prince
Charles. Si certains le souhaitent, peut-être qu'une cérémonie pourra être
organisée, mais l'obligation de prêter serment, ça va résoudre ce problème-la,
et il n'y aura pas lieu d'adopter un décret concernant, là, les fonctionnaires
qui poursuivent l'exercice de leurs fonctions.
Donc, trois problèmes
qui sont réglés, pas juste pour la prochaine dévolution de la couronne, mais
pour les suivantes aussi, et c'est ce qui nous amène à souligner que, sur le
plan légistique, les choix qui ont été faits dans la conception du projet de
loi nous semblent plutôt astucieux, c'est-à-dire d'avoir mis ce remède dans une
loi distincte de nos lois générales. On aurait pu inscrire ça dans Loi sur
l'Assemblée nationale, par exemple, comme ça l'était jadis, mais, en inscrivant ça dans une loi un peu isolée, je pense
qu'elle a toutes les chances de ne jamais être modifiée, cette loi, et
donc elle a toutes les chances de perdurer.
Et deuxième choix qui a été fait par ceux qui
ont préparé le projet de loi, qui nous semble judicieux, bien, ça me semble
très respectueux aussi d'un choix politique qui a été fait au Québec, depuis la
Révolution tranquille, d'éviter de multiplier les
références à la couronne dans nos lois générales... et donc, en traitant de la
question dans une loi isolée, on reste un peu fidèles à ceux qui ont écrit la
Loi sur l'Assemblée nationale en 1982 et à la manière dont ils voulaient le
faire. Et donc je pense que ces choix légistiques, si je peux dire, sont tout à
fait judicieux.
Dernier constat, et je m'arrête après deux ou
trois minutes là-dessus, c'est un projet de loi qui reste, évidemment, à
compléter ultérieurement, hein? Je ne crois pas que c'est le moment de se
lancer dans des réformes qu'on ferait un peu
trop rapidement, supplémentaires, mais il est important d'attirer... il est
important pour nous, M. le Président, d'attirer l'attention des membres
de la commission sur le fait que, lorsqu'il est question de nos institutions
monarchiques, ce n'est pas vrai qu'on ne peut pas les améliorer. Il y a des
changements qui sont possibles. Certains sont très compliqués à faire, et donc
il est peut-être plus sage de ne pas aller dans cette direction-là, mais il y a
un certain nombre de changements qui pourraient être faits sans engager de
grandes négociations constitutionnelles avec le reste du Canada, donc des
changements que le Québec peut faire seul, s'il le souhaite.
Et la Révolution tranquille est, à cet égard,
très instructive. Je recense rapidement, dans le petit mémoire, quelques
grandes... quelques familles d'exemples de réformes qui ont été faites depuis
la Révolution tranquille. Ça va des changements de vocabulaire jusqu'à
l'abolition de la deuxième chambre. Bon, vous avez une petite liste énumérative
de ces réformes, mais je pense que le grand chantier de la Révolution
tranquille pourrait encore être complété. Ce qui m'amène à la dernière page du
mémoire, donc quelques chantiers possibles. Je ne les présenterai pas tous,
mais, pour chaque chantier, vous avez ensuite, entre crochets, la voie
procédurale à suivre, si je peux dire.
Un mot sur deux changements qui, personnellement,
me tiennent particulièrement à coeur. Le premier, qui est un grave problème
dans une fédération, ce n'est pas normal que ce soit l'Exécutif de l'entité
fédérale qui choisisse le chef d'État de l'entité fédérée. Et, à cet égard, du
point de vue de l'idéal du fédéralisme, c'est un irritant que le
lieutenant-gouverneur soit choisi par Ottawa, et c'est le premier changement que
l'on présente dans la liste.
Ce serait bien que l'Assemblée nationale, les
élus du Québec soient davantage proactifs dans le choix de leur
lieutenant-gouverneur. Évidemment, on n'a pas le pouvoir de le nommer, mais on
a le pouvoir de s'exprimer. On a le pouvoir de dire : Voici la personne
que nous voudrions avoir comme lieutenant-gouverneur, de le dire publiquement,
et ensuite de laisser à ceux qui ont le pouvoir de le faire le fardeau
d'accepter ou de refuser cette recommandation-là, donc, donner au Québec, en pratique, par de nouveaux usages, une
capacité de choisir notre chef d'État. Bon, ensuite, on pourrait
rebaptiser l'institution. Je vous épargne.
Mais dernier exemple avant de conclure cette
présentation introductive, je voudrais aussi attirer l'attention des membres de
la commission, M. le Président, sur l'importance, à certains égards, de prendre
la monarchie au sérieux, dans la mesure où
elle est au coeur de nos institutions. Dans un Québec qui se préoccupe souvent
de manquer de pouvoir dans la fédération,
bien, le peu de pouvoirs dont on dispose, il faut en maîtriser les tenants et
les aboutissants. Et, à bien des égards, la couronne est au coeur des
institutions, et ce qui la limite, ce qui l'encadre, c'est souvent ou presque tout le temps des usages, des conventions,
donc des règles non écrites, des règles floues, des règles méconnues. Et ce flou, parfois, lorsqu'il y a des crises
parlementaires, ça fait en sorte qu'au lieu d'atténuer la crise, parfois, le
flou accentue la crise.
• (17 h 30) •
L'exemple de la crise parlementaire d'Ottawa de
décembre 2008 est un parfait exemple. Et c'est pour ça que, dans les pistes, dans les chantiers à compléter
sur le front de la monarchie au Québec à court terme, bien, de travailler
à une meilleure codification de ces règles
non écrites, floues, conventionnelles, de ces usages qui organisent la
monarchie, ça pourrait être une occasion de faire un grand pas en avant.
On n'est pas les seuls à... On ne serait pas les
premiers à le faire. La Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni ont adopté des «cabinet manuals», donc des
codifications pratico-pratiques de ce qui organise la couronne. Et, en
travaillant habilement, ça peut être
une occasion de permettre au Québec de vivre son parlementarisme à sa manière
et d'encadrer le plus possible le
rôle que doit jouer, dans nos institutions, le lieutenant-gouverneur, mais en
maximisant le plus possible le rôle
des élus. Donc, en travaillant sur une codification, en travaillant sur le
règlement de l'Assemblée, il y a des grands pas en avant qui peuvent
être faits. Pour en savoir plus, évidemment, je vous suggère à tout moment la
lecture de l'excellent mémoire de Julien Fournier ou encore d'une récente étude
que j'ai publiée pour l'IRAI sur tous ces chantiers, toutes ces questions de
réformes possibles en lien avec la monarchie. Voilà.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, Pr Taillon. Je cède maintenant la
parole à Mme la ministre, s'il vous plaît.
Mme LeBel : Merci, M. le Président.
Merci, Pr Taillon, pour ce bel exposé. D'ailleurs, ça va me permettre de vous
demander... Moi, ma compréhension... Naturellement, je ne suis pas
constitutionnaliste et j'ai eu l'occasion de
travailler et de potasser le droit constitutionnel, surtout eu égard aux
applications de la Constitution en droit criminel, naturellement, là.
Donc, je vous dirais que l'exclusion de la preuve, etc., c'est les... le droit
à une fouille, les choses comme ça, ce sont
plutôt les portions de la Constitution avec lesquelles je suis la plus familière,
mais, ceci étant dit, j'ai toujours, malgré tout, trouvé ça fort
intéressant.
Ma
compréhension était... parce qu'on en parle, avec votre... l'intervenant
précédent également, on a beaucoup parlé du pouvoir législatif qui était
affecté ou pouvait être affecté par la dévolution de la couronne, selon le
principe de common law et selon la façon dont on interprète la
disposition qui est demeurée dans la loi sur l'Assemblée législative... nationale, pardon, en 1982, là, qui
disait que seul le lieutenant-gouverneur pouvait dissoudre le Parlement.
Je paraphrase, naturellement, mais j'avais comme compréhension aussi qu'il
pouvait y avoir des effets sur le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire,
donc les tribunaux, parce qu'on parle d'éviter des élections. Mais je pense
qu'il est bon de
recadrer ici que la... ce n'est pas parce qu'on veut éviter des élections dans
cette législature, mais c'est de faire en
sorte que les élections au Québec ne soient pas tributaires de l'abdication ou
de la mort du souverain en Angleterre. Je pense que c'est important,
démocratiquement, que l'on fasse le choix du moment de nos élections ici, au
Québec.
Et là, maintenant, c'est sûr que, comme il ne
s'est rien passé en matière de dévolution de la couronne depuis 1952, on a peut-être
l'impression que c'est farfelu d'agir maintenant, mais, bon, il y a l'âge de la
souveraine actuelle, mais il y a aussi la possibilité qu'un souverain qui n'a
pas cette même... disons, qui est moins fragile au niveau de l'âge, pourrait
abdiquer pour des raisons quelconques. Et, à ce moment-là, si on n'intervient
pas, ma compréhension, bon, au niveau du pouvoir législatif, c'est qu'on
serait tributaires de ce qui se passe à Londres par rapport à nos élections
et le maintien de notre pouvoir législatif. Pour
moi, c'est bien compris, et je pense que la nécessité d'agir est bien comprise.
Mais parlez-moi du pouvoir judiciaire. J'avais
l'impression qu'il y avait un effet également sur le pouvoir judiciaire,
peut-être que c'est ma compréhension qui est erronée. Et, bon, maintenant, je
verrais... je pourrais penser à d'anciens collègues qui seraient tentés, si on
n'intervient pas et qu'il y a un effet sur le pouvoir judiciaire, de présenter
certaines requêtes dans plusieurs dossiers pour dire que la dévolution de la
couronne a eu un effet sur la cause qui est présentement entendue. Donc, il n'y
a pas juste une question d'éviter des élections, là, mais je pense qu'il y a des effets beaucoup plus profonds à
cette dévolution, potentiels, à tout le moins, en vertu du principe de common
law. Est-ce que je me trompe ou...
M. Taillon (Patrick) : Oui, bien,
avec votre permission, je vais faire une amorce de réponse et laisser mon
collègue Julien Fournier compléter. Mais, grosso modo, le principe, là, on peut
parler le langage de l'État québécois tel qu'on le connaît, mais on peut parler
aussi le langage de la monarchie. C'est comme des équivalents. Et donc la
couronne, c'est l'État, c'est le pouvoir, et le pouvoir... partout où il y a du
pouvoir, il y a donc de la couronne. Nos juges rendent justice, la justice est
rendue au nom de Sa Majesté, si je parle le langage de la monarchie.
Mme
LeBel : J'ai d'ailleurs été, jusqu'en 2005, avant qu'on forme le DPCP,
un procureur de la couronne, donc...
M. Taillon (Patrick) : Oui,
exactement. Et donc les juges, avant d'entrer en fonction, prêtent serment.
Donc, la couronne, elle est partout. Sur la question précise de la dévolution,
je laisse mon collègue Julien Fournier ajouter un complément.
Le Président (M. Bachand) :
M. Fournier, s'il vous plaît.
M. Fournier (Julien) : Bonjour, M.
le Président. Et, Mme la ministre, merci pour votre question. C'était, en
quelque sorte, une anomalie dans la législation québécoise. Il n'y avait pas de
disposition précise sur cette question de l'effet de la dévolution de la
couronne sur les procédures devant les tribunaux. Quand on compare avec les
autres provinces du Canada, quand on compare aussi avec la législation
fédérale, l'article 46 de la Loi d'interprétation fédérale prévoyait cette
situation-là. Et donc on a, avec ce projet de loi qui est proposé maintenant,
une garantie que ce genre de plaidoirie là n'aurait pas de succès devant les
tribunaux.
Mme LeBel : O.K. Donc, vous êtes d'accord
avec moi, parce que ce que je faisais, je faisais le comparatif entre la Loi
sur la Législature, qui a été abrogée en 1982, et la nouvelle disposition qui a
été introduite dans la Loi sur l'Assemblée nationale en 1982. Et, même dans la
précédente disposition, qui était beaucoup plus claire, à mon sens,
que l'actuelle disposition, on parlait de... «aucune législature
de la province n'est dissoute par le décès du souverain». Donc, on ne
faisait pas référence au pouvoir... aux tribunaux.
Donc, est-ce que
je peux comprendre, M. Fournier, Pr Taillon, de par votre commentaire, qu'il est fort approprié de couvrir également les tribunaux,
là, dans... quand on parle de contrer les effets de la dévolution de la
couronne?
M. Taillon (Patrick) : Bien, moi, ma
compréhension, c'est que le projet de loi qui est devant nous, il règle le
doute interprétatif qui résulte de la réforme de 1982, mais il va un peu plus
loin, notamment sur cette question du décret pour les fonctionnaires et éventuellement,
peut-être, sur la question du serment aussi. Donc, c'est peut-être un mal pour un bien, tant qu'à régler le problème...
Effectivement, il me semble qu'on s'attaque plus largement à l'ensemble
des incidences associées à la dévolution de la couronne.
Mme
LeBel : Je ne veux pas vous
mettre en porte-à-faux avec la personne précédente, puis ce n'est pas le cas du
tout, mais il semblait... Le Pr Chevrier — c'était Chevrier, c'est ça? — semblait nous dire que, dans l'article
premier, là, moi, je pense, qui est
le coeur du projet de loi... D'ailleurs, ce n'est pas difficile d'être le coeur
quand il y a quatre articles. Quand on parlait de la... bon,
effectivement, on allait plus large, quant à moi, parce qu'on parle des
activités du Parlement du Québec, du gouvernement et des tribunaux, nous...
semblait dire que, dans la notion de gouvernement, la notion d'administration
publique n'était pas nécessairement couverte, et nous demandait de le préciser,
ce...
Et j'ai bien compris, là, mon collègue de
LaFontaine, qui me demandait... Donc, je suis en train de rédiger un potentiel
amendement comme... au moment où on se parle, clin d'oeil. Mais est-ce que vous
êtes d'accord avec cette interprétation-là qu'on serait mieux de préciser la
notion d'administration publique, qui n'est pas nécessairement, dépendamment
comment on la regarde, moindre et incluse dans la notion de gouvernement?
M. Fournier (Julien) : Deux choses.
D'abord...
Mme
LeBel : C'est M. Fournier?
M. Fournier (Julien) : Oui. Deux choses. D'abord, les politologues
séparent l'administration du gouvernement et les juristes ont tendance à moins le faire. À mon sens, dans le
gouvernement, dans le contexte de cette loi-là, ça encadre toute
l'administration publique.
Et puis, deuxième
point, la solution à la question du Pr Chevrier, bien, elle se situe dans le
deuxième alinéa, hein, «la dévolution de la
couronne n'a également pas pour effet de mettre un terme à une charge ou à un
emploi.» Et là, donc, on vise toutes les charges, tous les emplois au
Québec, toutes les professions, les commissions, les... n'importe quel
fonctionnaire ou personnage qui a un pouvoir de l'État, qu'il soit, donc,
délégué. À mon sens, c'est couvert par l'alinéa 1°, 2°, et donc je ne partage
pas cette préoccupation de Pr Chevrier.
M. Taillon
(Patrick) : Moi, je vois mal comment un juge pourrait arriver, après
l'adoption de cette loi-là, puis dire : Vous avez oublié quelqu'un, vous
avez oublié une charge, vous avez oublié... Je pense que l'intention du législateur qui semble se dessiner à travers ce
projet de loi, c'est vraiment d'encadrer l'ensemble des situations liées à la
dévolution de la couronne.
Mme
LeBel : Donc, à votre sens, là, puis vous l'avez mentionné d'entrée de
jeu, Pr Taillon, tel que... le libellé de l'article 1, parce que c'est le
coeur vraiment de ce projet de loi. Par la suite, il y a certains articles de
concordance, là, quand on abolit les
articles 6 et 7 de la Loi sur l'Assemblée nationale, je pense, ou l'administration
publique, peu importe... fait le
travail, là, et semble couvrir toutes les sphères d'un... qui pourraient
être... potentiellement subir un impact de cette dévolution de la couronne,
là.
M. Taillon
(Patrick) : Oui, et il fait plus que réparer le doute qui s'est créé
en 1982, et ça, ça lui donne quand même un certain mérite. Je pense, notamment,
à la question du serment, là, parce que, bon, ça serait... Autant il y a un vrai risque pour l'élection, autant on
s'imagine mal le juge qui arriverait puis qui défendrait... qui achèterait ce
risque. Et donc, sur l'élection, le verre à moitié vide, le verre à moitié
plein, et se discute...
Mais moi, je pense
qu'il y avait quand même un risque auquel on ne veut pas s'exposer, et, je
pense, c'est une bonne chose de... Quant à
l'exigence du serment, bien, elle est moins exorbitante que celle d'imaginer
tout le Québec plongé dans une élection générale. Et donc, sur cette
question précise, le projet de loi, il me semble d'une très grande utilité. C'est maintenant très, très clair
que le serment ne sera pas requis. Et, dans les travaux de l'historien Gaston
Deschênes, qui ont été mentionnés
précédemment et qui le seront probablement jusqu'à la fin de cette séance, il a
bien montré que, sur la question du
serment, les usages ou l'histoire nous montrent qu'il y a eu prestation de
nouveaux serments beaucoup
plus longtemps que l'usage de la dissolution.
Bref,
je ne veux pas prendre trop de temps, mais je trouve qu'il s'agit d'un remède
qui a été conçu pour vraiment essayer d'englober toutes les facettes possibles
du problème, des problèmes que pourrait susciter la dévolution.
• (17 h 40) •
Mme LeBel :
Bien, merci beaucoup. Quant à moi, M. le Président, c'est tout le temps dont
j'avais besoin. Je crois qu'il y a une main de levée, mais...
Le
Président (M. Bachand) : Oui. M. le député de Chapleau, s'il
vous plaît.
M. Lévesque
(Chapleau) : Oui. Merci, beaucoup, M. le Président. Bonjour, Pr
Taillon, Me Fournier, merci de votre présentation. Peut-être deux questions,
là. Une première, Pr Chevrier nous parlait, justement, du fait que le
législateur québécois avait décidé de s'éloigner du terme «couronne» dans la
législation. Vous soulignez cela de façon positive, là, le fait que ce soit
dans une loi isolée et non pas dans d'autres lois. Il faisait un lien avec la possibilité de... l'éligibilité de l'autonomie
provinciale, du moins, il mettait un certain bémol à ce niveau-là. Je ne le
sais pas qu'est-ce que vous en pensez, là, de cette situation-là
proposée par Me Chevrier.
M. Taillon
(Patrick) : Je vais essayer une réponse courte au cas où Julien
voudrait ajouter.
Moi, ce que j'entends
de ce message de mon collègue, ou, en tout cas... et que je fais mien, c'est
qu'il ne faut pas tomber dans le piège... Le choix de masquer par le
vocabulaire la nature monarchique de nos institutions est un choix politique
qui se défend parfaitement, pas de problème avec ça, mais il ne faudrait pas
que ça se combine à l'endroit d'un désintérêt à l'endroit du fonctionnement
réel et de la nature profonde de nos institutions. Et donc prendre la monarchie
au sérieux, ne pas en faire une espèce d'angle mort, à mon avis, c'est
indispensable pour que le Québec puisse bien jouer ses cartes, bien maîtriser la
défense de ses intérêts dans l'organisation de sa constitution
interne, mais aussi dans ses rapports
avec le reste du Canada, parce que cette couronne, elle est partagée à
l'intérieur de la fédération. Et donc c'est le message que j'entends.
Pendant plusieurs
années, Julien Fournier et moi, on s'est impliqués dans une longue saga
judiciaire sur une réforme des règles de
succession au trône dans cette optique-là, c'est-à-dire que ce n'est pas parce
que la monarchie... Qu'on soit pour ou contre, elle existe et elle doit
être prise au sérieux parce que sur ce terrain se jouent des enjeux de pouvoir,
et le Québec a à défendre des intérêts, a à jouer ses cartes sur ces
questions-là.
Et
le projet de loi le montre. Imaginez une interprétation la plus alarmiste
possible, imaginez le Québec plongé dans une élection parce qu'on ne s'est pas
suffisamment intéressés à la monarchie, parce qu'on considère que ce n'est
pas un sujet passionnant. C'est ce genre de
piège dans lequel il ne faut pas tomber. Puis c'est un peu ce que j'entendais
du message de mon collègue Marc Chevrier, du moins, c'est ma compréhension.
M.
Lévesque (Chapleau) : Et parlons, justement, des fameuses, quoi,
11 couronnes au Canada, là. Il y a un certain irritant là. Elles sont
censées, normalement, être égales entre elles. Vous parlez d'un irritant en
lien avec la nomination du lieutenant-gouverneur. Que pensez-vous de l'affirmation
que le fédéral serait la fille des provinces et non pas l'inverse, et non pas les provinces, donc les autres entités
fédérées seraient les filles du fédéral? Il y a une espèce de débat, là,
c'est assez théorique, là, mais tout simplement pour avoir votre opinion par
rapport à ça.
M. Taillon
(Patrick) : Bien, précisément sur la couronne, c'est très... À
l'origine, dans le texte de 1867, c'est mal
organisé et ça crée une impression de subordination, comme si le représentant
de la couronne à Québec était un fonctionnaire fédéral choisi, nommé et
rémunéré par Ottawa, sauf que... Et Julien Fournier maîtrise ça beaucoup mieux
que moi, mais la jurisprudence du comité judiciaire du Conseil privé est vite
venue un peu corriger le tir et venir
dire : Ce n'est pas parce que c'est écrit comme ça dans le texte qu'il n'y
a pas une logique du fédéralisme qui doit s'appliquer. Et donc on a
essayé de désamorcer ce côté-là.
Après, je comprends de votre question que... Mais
peut-être que c'est une erreur, que, oui, il y avait des colonies qui
préexistaient en 1867, ces colonies se sont unies pour créer le fédéral...
M. Lévesque
(Chapleau) : ...
M.
Taillon (Patrick) : Donc, une espèce de créature... Évidemment, ça
fait partie de la dynamique. En même temps, d'autres provinces ont été créées
par ce pouvoir, cette entité commune. Donc, il y a des dynamiques qui
vont dans les deux sens.
Mais, pour le thème
qui est le nôtre aujourd'hui, sur la monarchie, c'est un irritant profond que
le chef de l'État du Québec, le lieutenant-gouverneur ou le représentant de Sa
Majesté en territoire québécois ne soit pas choisi par le Québec lui-même. Et
ça, ça pourrait se changer par de simples usages. Il suffit que l'Assemblée
nationale dise haut et fort : Voici
notre candidat. Moi, je pense que ça créerait un momentum politique qui ferait
que ce serait irrésistible pour les
autorités fédérales et le gouverneur
général de s'opposer à cette volonté
forte du Québec de dire : Voici la personne que nous
voulons à ce poste.
M. Lévesque
(Chapleau) : Merci beaucoup, je comprends mieux. Merci, Pr Taillon et
Me Fournier. Merci, M. le Président. Ce sera tout pour moi.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de LaFontaine,
s'il vous plaît.
M.
Tanguay : Merci beaucoup,
M. le Président. Alors, à mon tour de saluer M. Julien
Fournier et plus particulièrement, également, Pr Patrick Taillon. M. le Président, je me dois de dénoncer un conflit, peut-être, d'intérêts. Je suis allé sur les bancs d'école avec Me Taillon,
Pr Taillon, faculté de droit à l'Université
de Montréal, je pense, même
section d. On était dans la même section.
M. Taillon
(Patrick) : Absolument.
M. Tanguay :
Et on avait eu, comme prof constitutionnel, José Woehrling,
si mon souvenir est toujours bon.
M. Taillon
(Patrick) : C'est juste.
M. Tanguay :
Je voudrais juste savoir quelle note vous avez eue et quelle note j'ai eue.
J'espère que la vôtre était nettement meilleure que la mienne, parce qu'aujourd'hui
vous êtes rendu le... un spécialiste de la question.
M. Taillon
(Patrick) : Mon souvenir, c'est que vous aviez d'excellentes notes à
l'époque. Je ne sais pas pour la suite de vos études, mais, à ce moment-là,
vous étiez un étudiant particulièrement brillant. Donc, je n'oserais pas
comparer ma note de l'époque à celle d'aujourd'hui. J'ai peut-être fait des
cours de rattrapage plus tard.
M. Tanguay :
Ah! non, non, je ne suis pas inquiet pour vous, puis il faudrait voir, en ce
qui me concerne, à quel moment ça s'est
gâté, mais ça, c'est un autre débat. Je suis sûr que la ministre
aurait peut-être une théorie là-dessus. Puis je remercie la
ministre qui dit... Elle dit oui, je ne veux pas la partir là-dessus, c'est mon
temps avec M. Taillon et M. Fournier. Puis j'invite la ministre, oui,
à continuer à réfléchir à des amendements. C'est bien, ça, puis j'aime ça quand
elle travaille en direct également.
Dites-moi,
question théorique, mais c'est toujours intéressant de... J'aimerais vous lancer la première
question. Est-ce que, dans les autres provinces, ils ont cette
certitude-là? Et, dans la mesure où une province aurait fait cavalier seul avec
une telle pièce législative, j'imagine qu'il y aurait eu un débat
d'interprétation d'une province à l'autre, à ce moment-là, une province qui
l'a, la loi n° 86, et l'autre qui dit : Non,
moi, je roule les dés, je ne l'ai pas.
Est-ce qu'à l'heure
où on se parle, au Canada, dans les autres provinces, elles ont toutes de
telles pièces législatives? Et sinon je pense que ça va leur mettre de la
pression, parce qu'on ne fait pas ça pour rien non plus, là. J'aimerais vous
entendre là-dessus,
M. Fournier (Julien) : M. le
Président, le fédéral a ces dispositions-là. C'est l'article 2 de la Loi
sur le Parlement du Canada et l'article 46 de la Loi d'interprétation.
Notre compréhension, mais on n'a pas la recension complète ici, devant nous, c'est que, l'essentiel
des provinces, c'est réglé. D'ailleurs, il restait Terre-Neuve. Terre-Neuve
a réglé ce problème-là en 2019. Et donc le Québec... Notre compréhension complète, il y a donc une
espèce d'uniformité à l'échelle canadienne.
M. Tanguay : Parfait. Merci pour cette précision-là. On a eu,
dans le contexte du débat, les élections à date fixe. Alors, élections à date fixe, c'est intéressant parce que
c'est là où on voit le rôle du lieutenant-gouverneur.
L'Assemblée nationale ne peut pas lier le lieutenant-gouverneur, le lieutenant-gouverneur
peut... Puis on a vu que c'est arrivé, je veux
dire, c'est sous Pauline Marois, projet de loi de 2013, il n'y a pas eu de
vote, puis on me détrompera si j'ai tort, de non-confiance.
Mme Marois a décidé de traverser la rue, puis d'aller voir le lieutenant-gouverneur,
et on est partis en élection nonobstant le
fait qu'il y avait une élection à date fixe, mais il y avait un gouvernement
minoritaire. Autrement dit, une loi
qui n'est pas une loi théorique, parce que c'est une affirmation claire qu'au
Québec on a des élections à date fixe,
prochaines élections en octobre 2022, mais on ne peut pas lier le lieutenant-gouverneur,
ce qui fait que le lieutenant-gouverneur peut constater, vote de
non-confiance, et nous faire partir en élection. Et un premier ministre peut
toujours traverser la rue puis dire... Puis Stephen Harper l'avait fait
également pour une loi similaire.
Une fois que
l'on a dit ça, qu'une loi de l'Assemblée nationale ne peut pas lier... Et, tel
que rédigé, les élections à date fixe,
c'est bien rédigé parce qu'on dit que ça n'a pas pour effet, évidemment, de
diminuer le pouvoir du lieutenant-gouverneur, et ainsi de suite.
L'article 2 de la Loi sur l'Assemblée nationale définit le Parlement du Québec comme étant la jonction de
l'Assemblée nationale et du lieutenant-gouverneur. Tel que rédigé,
l'article 1, qui se veut lier le Parlement du Québec, est-il bien rédigé
en ce qu'il aurait prétention aussi de lier, bien évidemment, l'Assemblée
nationale, mais de lier le lieutenant-gouverneur?
• (17 h 50) •
M. Taillon (Patrick) : Oui. Deux
choses. D'abord, la loi sur les élections à date fixe, c'est un formidable
exemple qu'on peut faire des réformes, même s'il y a la contrainte qu'est la
charge de lieutenant-gouverneur. Et le Québec
s'est démarqué par rapport à son équivalent fédéral et à d'autres provinces,
parce que, justement, au lieu d'aller jouer trop directement sur la
charge de lieutenant-gouverneur, ce qu'on a... ce qui a été fait par, je crois,
à l'époque, le ministère du Conseil exécutif, à travers certains secrétariats,
c'est de jouer plutôt sur la date de fin de la législature. Donc, une
législature, ça meurt au bout d'un certain temps. Et donc le modèle québécois
d'élections à date fixe, ce n'est pas
d'aller jouer dans la charge de lieutenant-gouverneur, mais c'est de dire :
Après telle date, c'est fini. Et donc, en créant un délai maximum, ça
devient la date fixe.
Sur la question précise que vous soulevez, moi,
je n'ai pas cette inquiétude. Peut-être que Me Fournier l'a, mais à lui
d'intervenir, si c'est le cas. Mais je crois qu'au contraire il y a, dans la
charge de lieutenant-gouverneur, des
caractéristiques essentielles, si je peux dire, qui ne peuvent pas être
modifiées par une simple loi, mais il y a ensuite toutes sortes d'autres
considérations qui peuvent l'être.
Donc là, ici,
là, le Parlement du Québec comme un tout, comme un organe qui est composé de
plusieurs organes, qui établit une nouvelle règle, ça ne me semble
aucunement remettre en question cette part constitutionnellement protégée, difficile à modifier, qu'on appelle la
charge de lieutenant-gouverneur. C'est ses aspects essentiels. Pas du tout,
je n'ai pas cette inquiétude.
M. Tanguay :
M. Fournier, vouliez-vous ajouter? Vous...
M. Fournier (Julien) : Je n'ai
pas d'inquiétude non plus. Les aspects accessoires qui sont liés à la fonction
de lieutenant-gouverneur peuvent être régis par des lois du Parlement du
Québec. Je pense que ça tombe dans cette catégorie-là.
M. Taillon (Patrick) : Juste
pour donner un exemple, là, le lieutenant-gouverneur, il nommait les membres du Conseil exécutif, il nommait les sénateurs
québécois. Quand on a aboli la deuxième Chambre, ça a donc été contesté en disant : Vous avez enlevé un pouvoir
considérable au lieutenant-gouverneur, celui de nommer ses sénateurs québécois,
là. Je le dis pour qu'on se comprenne facilement. Et les tribunaux ont
dit : Non, non, ça, ce n'est pas dans le coeur essentiel de sa charge, c'est des éléments sur lesquels les élus du
Québec, le Parlement du Québec peut intervenir... peut intervenir
unilatéralement, pardon.
M. Tanguay : Si vous me
permettez, je vais passer... je vais passer à la dernière section de votre
mémoire que moi, j'ai nommée la section du
beau risque. Parce qu'on le sait, le beau risque de René Lévesque, c'était de
dire : Bien, on embarque avec
Brian Mulroney. Puis le beau risque, c'est, si jamais ça fonctionne, bien,
l'option souverainiste va en prendre pour son rhume parce qu'on aura
fait fonctionner ça, cette fédération-là. Alors, je le vois comme étant des pas
davantage vers le beau risque, ce qui est une bonne chose.
Le premier point, puis je trouvais intéressant,
là, «recommander publiquement aux autorités fédérales le choix du Québec quant
à l'identité du prochain lieutenant-gouverneur...» Il y a le vote par
résolution de l'Assemblée nationale. Est-ce que ça, ça pourrait, dans l'ordre
constitutionnel, être liant, ou ce serait uniquement l'expression d'un souhait de l'Assemblée? Est-ce que ça
pourrait constitutionnellement être liant pour le gouvernement fédéral? Et là
on réfère au gouverneur général, là, si j'ai bien compris la mécanique de la
chose, là.
M. Taillon (Patrick) : Bien, ça
dépend comment on le fait, mais, pour moi, c'est clair que la seule manière de
le faire, c'est dans un outil où le Québec exprime son choix, mais qui ne
serait pas une loi, qui ne serait pas une norme. Donc, par exemple, une résolution de
l'Assemblée nationale qui dirait... transpartisane, avec un très large appui,
qui dit : Bien, cet homme ou cette
femme est notre choix pour le prochain lieutenant-gouverneur. Bien, ça, c'est
inattaquable parce que ça ne produit
en soi aucun effet, mais c'est l'expression d'un choix politique très fort qui
est difficile ensuite... qui est politiquement irrésistible.
Et on fêtait hier la Journée nationale des
patriotes. Bien, leur combat pour le gouvernement responsable, il a été gagné
un peu de la même manière. Ils se battaient pour un gouvernement responsable,
inscrit dans le droit, qui s'officialise. Ça, ils ne l'ont pas eu, mais, dès
les années qui ont suivi, s'est mis en place des usages qui consistent à nommer
au poste de premier ministre la personne qui a gagné les élections, et cet
usage perdure jusqu'à aujourd'hui. Donc,
l'usage qui veut qu'Ottawa choisisse notre chef d'État ou notre représentant de
Sa Majesté. Ce n'est qu'un simple usage
que je crois qu'on pourrait faire évoluer en introduisant un autre usage
préalable, qui consisterait à l'expression d'un choix politique fort par
les élus québécois.
Et vous avez raison de parler de beau risque,
parce qu'il est vrai qu'à force de moderniser nos institutions, donc moderniser
notre monarchie à nous, il y a effectivement le paradoxe que, si elle fonctionne
mieux, peut-être qu'elle pourra durer plus longtemps. Mais moi, je ne suis pas
dans les scénarios du pire, je vois qu'il y a des progrès possibles pour le
Québec, pour que ses institutions, son pouvoir fonctionnent mieux. Alors, à
partir de là, je me dis : Ces changements-là, on a intérêt à les faire.
M. Tanguay : Autre élément,
puis avec le peu de temps qu'il nous reste, j'aimerais vous entendre sur
modifier le serment d'allégeance. On sait qu'en vertu de la loi il y a deux
serments. Il y a le serment envers le peuple du Québec et le serment envers Sa
Majesté, le dernier qu'on a fait, c'est Sa Majesté la reine Elizabeth II.
Modifier, qu'entendez-vous par modifier le serment, le dire autrement, mais
avoir un deuxième serment lié à la couronne, ou l'abolir carrément?
M. Taillon (Patrick) : Bien, vous
voyez, on n'a pas mis le mot «abolir» parce que je pense qu'une... Même dans
les institutions totalement républicaines, les députés prêtent serment avant
d'entrer en fonction. Donc, il me semble beaucoup
plus logique d'être dans une dynamique de réécriture, ce que le Québec a déjà
fait en partie. Du moment où nos tribunaux ont déjà concédé que
couronne, c'est synonyme d'État, bien, je crois qu'il y a moyen d'utiliser un
vocabulaire différent. Mais oublions, là, qu'on soit pour ou contre la
monarchie, que des députés qui entrent en fonction,
que des juges qui entrent en fonction prêtent un serment, ça me semble
nécessaire et indispensable. Puis après c'est les mots, c'est plus cet
espace-là, moi, que je suggère de travailler.
M. Tanguay : C'est ça, je...
puis je ne proposais pas indirectement de l'abolir, évidemment, le fait qu'il y
ait deux serments, le premier, évidemment,
envers le peuple du Québec... et en est un qui ne soulève aucun questionnement.
Puis vous disiez, j'aimerais vous entendre, avec les quelques secondes qui
restent, M. le Président va nous rappeler à l'ordre, rebaptiser l'institution
du lieutenant-gouverneur. Vous avez quoi en tête et qu'est-ce que ça donnerait?
M. Taillon (Patrick) : Ah! là, là,
ça va être difficile, tout est possible, mais là il y a un grand dilemme. Soit on assume que c'est notre institution puis on lui
donne un certain prestige... Partout en Amérique du Nord, par exemple,
le terme «gouverneur» veut dire quelque chose. Donc, supprimer le lieutenant,
qui l'infériorise par rapport à Ottawa, c'est d'ailleurs une idée défendue par André
Binette, votre prochain invité. Moi, je suis plutôt en accord avec ça,
gouverneur, pour des réunions protocolaires avec des homologues
américains. C'est quelque chose qui dit quelque chose.
Si, à l'inverse, on est plutôt dans une
stratégie d'isolement du lieutenant-gouverneur, où on veut le garder mais on veut le limiter à un rôle de sanctionneur
de loi, un rôle très administratif, bien là, il faut aller vers une
terminologie un peu moins prestigieuse sur le plan protocolaire. On
pourrait imaginer «secrétaire général du Québec», ou je ne sais trop quoi. Personnellement, je lui
donnerais une importance protocolaire parce que ça peut être utile
dans nos relations extérieures.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de
Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M.
Zanetti : Oui, merci.
J'aimerais vous entendre sur la question suivante : D'où vient, selon vous, la
légitimité de la monarchie?
M. Taillon (Patrick) : D'abord, la
légitimité, ce n'est pas juridique, là, ça vient... Donc, dans notre cas, elle vient de la Conquête, elle vient de la force des
armes. C'est une couronne qui s'est affirmée par un geste de conquête.
Dans le cas du Québec, c'est comme ça qu'historiquement ça s'est fait.
Après, on pourrait essayer de faire un trait
d'union sous le fait qu'on a vécu sous deux couronnes, là, mais la légitimité,
ça se puise dans des réalités qui sont en dehors du droit. Ça peut être une
légitimité politicodémocratique, ça peut être une... Là, ici, on est dans un
état de fait qui découle d'une conquête militaire.
M.
Zanetti : Merci. Et est-ce que
ça pourrait être l'occasion, par
exemple, ce projet de loi là, de penser à, disons, questionner les peuples du Québec sur leur
volonté de continuer à être sous un régime monarchique?
M. Taillon (Patrick) : Bien, moi,
j'espère que ce projet de loi là va nous faire réaliser collectivement que la
monarchie doit être prise au sérieux, parce que sinon ça peut générer, parfois,
certains problèmes. Et, si ensuite cette prise de conscience là amène à élargir, là, on
propose, dans notre mémoire, quelques pistes de réformes faciles à conduire. Mais,
même si ça mène à un débat sur des réformes plus fondamentales, moi, je n'ai
pas de problème avec ça.
Mais je serais réticent, personnellement, à
conditionner l'adoption du problème urgent à régler. Parce qu'il faut être réaliste, là, il y a quelque chose de
complètement inimaginable de voir que le Québec soit plongé dans une élection
ou soit de voir ses lois contestées devant
les tribunaux sous prétexte que cette élection-là n'a pas eu lieu. Donc,
j'aurais tendance à ne pas conditionner l'urgent remède précis qu'est ce
projet de loi là avec le grand débat.
Mais il
faut... Une société normale doit mener ce grand débat, le mener parfois par
étapes sur certaines réformes partielles ou aussi discuter de réformes
plus ambitieuses. Il n'y a rien de... C'est tout à fait souhaitable.
M. Zanetti : Je vous remercie. Ça va
être tout pour moi.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Matane-Matapédia, s'il
vous plaît.
M. Bérubé : Merci. Je n'ai pas de
question. Je vous remercie.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup. Donc, sur ce, messieurs, merci beaucoup
d'avoir participé à la commission, c'était très intéressant.
Et, là-dessus, je vais suspendre les travaux
quelques instants pour accueillir nos autres invités tantôt. Encore une fois,
Me Taillon, Me Fournier, merci beaucoup d'avoir été avec nous. Au plaisir.
Alors, je suspends les travaux quelques
instants.
(Suspension de la séance à 18 heures)
(Reprise à 18 h 12)
Le Président (M.
Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! La commission
reprend ses travaux.
Alors, il nous
fait plaisir d'accueillir M. André Binette et M. Pierre Dubuc, qui
vont s'identifier plus formellement, avec nous. Alors, bienvenue à la commission.
C'est un grand plaisir de vous accueillir. Alors, comme vous savez, vous avez
10 minutes de présentation. Après ça, on aura un échange avec les membres
de la commission. Alors, je vous laisse la parole et, encore une fois, merci
d'être avec nous.
M. André Binette
M. Binette (André) : Je vous
remercie de votre invitation. Je vais livrer une version courte de mon mémoire.
Je serai heureux ensuite de répondre à vos questions.
J'interviens devant vous à double titre, d'abord,
comme juriste et ancien avocat qui a développé une expertise sur les questions
relatives à la monarchie, et comme président fondateur de la Coalition pour la
république du Québec, la COREQ. La raison d'être de la coalition est de donner
une voix aux trois quarts des Québécois, dont 81 % des francophones, qui,
selon un récent sondage, favorisent l'abolition de la monarchie
canado-britannique et la mise en place d'une
république du Québec. Je suis accompagné aujourd'hui par un membre cofondateur,
Pierre Dubuc, directeur de L'Aut'journal.
Nos remarques auront deux volets. Le
premier portera sur le projet de loi proprement dit. Le second tentera d'ouvrir
un débat plus large sur le statut de la monarchie au Québec, un sujet majeur
qui a été rarement évoqué en cette Assemblée depuis les années 60, mais qui
nous parait maintenant à l'ordre du jour de notre nation.
Le projet de loi n° 86 a pour but de
corriger deux anomalies juridiques. La première est l'existence continue d'une ancienne règle du droit britannique, dont
nous avons hérité à la Conquête. Cette règle s'appliquait automatiquement
dans tout l'empire et s'applique toujours au Québec, à moins qu'elle ne soit
écartée par une loi. La règle est à l'effet que
la fin du règne d'un roi ou d'une reine, que ce soit par un décès ou
abdication, entraîne immédiatement la dissolution de l'Assemblée
nationale et de nouvelles élections, de même que la fin instantanée de la
charge des juges et autres représentants de l'État qui ont prêté serment à Sa
Majesté.
Cette règle a pris naissance à une époque où
l'État était considéré une émanation de chaque monarque individuel. La vie de
ce dernier était le fondement de l'existence de l'État. Le droit
constitutionnel moderne fait plus nettement la distinction entre la personne et
l'institution. Il demeure vrai que Sa Majesté incarne l'État, mais on ne
confond plus, de nos jours, le roi ou la reine du moment avec la couronne, qui
jamais ne meurt, mais la règle demeure, et il faut toujours que le pouvoir
législatif compétent intervienne pour l'empêcher de renaître par défaut. Au Québec, comme vous le savez, il existait des
dispositions législatives qui écartaient l'ancienne règle, mais l'adoption
d'une nouvelle Loi sur l'Assemblée nationale
en 1982 les a omises, ce qui est la deuxième anomalie. Certains juristes
ont soulevé la possibilité de difficultés sérieuses, si elle n'était pas à
nouveau mise de côté explicitement par une loi. Cela dit, le projet de loi me
semble bien rédigé et paraît couvrir tous les angles d'une contestation
éventuelle.
Il est
toutefois malheureux qu'en 2021 des ressources législatives et gouvernementales
du Québec doivent être consacrées à
se pencher sur les inconvénients de l'ancien droit britannique. Cela n'est
possible que parce que le rapatriement de
la Constitution n'a pas eu lieu pour la monarchie. C'est la grande exception.
Sur ce plan, le Canada n'a pas encore atteint l'indépendance
constitutionnelle. Nous le constaterons à nouveau à la fin du règne
d'Elizabeth II qui, inévitablement, surviendra bientôt. À ce moment, la succession royale sera instantanée. Le cadre
législatif applicable ne sera ni canadien ni québécois, il sera fourni
par des lois anglaises poussiéreuses qui datent de 1689 et de 1701. Ces lois
sont en contradiction avec le principe de
laïcité et le droit à l'égalité garanti par la charte québécoise.
La monarchie est, bien sûr, le
plus grand symbole de l'inégalité, du colonialisme et de la Conquête. Le peuple
québécois ne l'a jamais choisie.
Les membres
de l'Assemblée nationale seront prochainement
appelés à inscrire dans la constitution provinciale, qui est reconnue par la
Constitution canadienne depuis 1867, le fait indéniable que le Québec est une
nation. Si elle pouvait librement exercer son droit à
l'autodétermination interne dans le cadre canadien, il est certain que la
nation québécoise choisirait de former une république. Cela va de soi depuis
longtemps.
Je laisse ici la parole à M. Dubuc.
M. Dubuc
(Pierre) : Les Québécois ne veulent ni de Charles III ni de William
V. Ils croient que le moment est venu
d'abolir la monarchie au Québec. Le peuple québécois est républicain, l'idée
républicaine est une caractéristique profonde de notre nation, comme
l'attachement à la langue française ou à la laïcité. Les Québécois veulent
enterrer dans la normalité... entrer dans la
normalité. La normalité, c'est que les trois quarts des États de la terre,
environ 150 sur 200, sont des républiques, et cette tendance est nettement à la
hausse depuis plus d'un siècle. En 1900, il y avait un empereur en
Chine, en Allemagne et en Autriche, un tsar en Russie, un sultan en Turquie,
des rois en Égypte, en Grèce, en Italie, au
Portugal, et nous en passons. Tout cela a disparu. Loin d'être dans le camp de
la normalité, le Canada est un retardataire constitutionnel.
La COREQ n'a
pas à convaincre nos concitoyens que le moment est venu d'agir, elle a
seulement à convaincre les membres de
l'Assemblée nationale. Deux questions peuvent légitimement être posées :
Comment faire et par quoi remplacer la monarchie?
Je cède à nouveau la parole à M. Binette.
M. Binette (André) : La réponse à la
deuxième question, par quoi remplacer la monarchie, est évidente. La monarchie
ne peut être remplacée que par la république du Québec. Dans le cadre canadien
actuel, le lieutenant-gouverneur représente
la couronne canadienne. Il doit être remplacé par un gouverneur qui représente
la nation québécoise. Il n'est pas nécessaire d'attribuer à ce
gouverneur des pouvoirs plus importants que ceux du lieutenant-gouverneur actuel. L'important est de rapatrier la fonction
de chef de l'État fédéré québécois. Il faut donc que ce gouverneur soit désigné
par l'Assemblée nationale ou élu au suffrage
universel. Ce changement, à lui seul, accroîtra la visibilité et la puissance
symbolique de l'État québécois et renforcera notre identité nationale. De plus,
le Québec pourra s'autodésigner comme république associée dans la Constitution
canadienne. Rien, en principe, n'empêche le Québec de devenir une république
dans le cadre canadien, et ce, même si le Canada devait choisir de conserver la
monarchie.
Comment faire? L'abolition de la monarchie sera
le plus important changement constitutionnel depuis 1982. Il importe de bien le
préparer. Certains changements peuvent avoir lieu sans modifier la Constitution
canadienne. Ces changements devraient être
lancés immédiatement. La priorité première devrait être la sélection, par
l'Assemblée nationale, du prochain et dernier lieutenant-gouverneur du
Québec. L'Assemblée nationale pourrait faire connaître son choix dès cet automne en votant à la majorité des deux tiers, comme
elle le fait déjà pour plusieurs autres fonctions. Une telle façon de faire serait tout à fait
valide, puisque, sur le plan constitutionnel, il s'agirait d'une simple
suggestion. Certaines suggestions sont cependant difficiles à ignorer.
Il faut être proactif pour abolir la monarchie. La fonction de
lieutenant-gouverneur a été conçue en 1867 pour placer les provinces dans un
état de subordination. Cet état est incompatible avec le respect et l'identité
de la nation québécoise. L'Assemblée nationale doit construire et renforcer
notre identité nationale en abolissant ce reliquat d'un passé colonial.
Plus fondamentalement, la Constitution
canadienne ne doit pas être vue comme un obstacle à l'abolition de la
monarchie, mais plutôt comme une manière de procéder. Dans le renvoi sur la
sécession du Québec de 1998, une affaire dans laquelle j'ai été profondément
impliqué, la Cour suprême a indiqué comment l'Assemblée nationale pouvait initier
un changement constitutionnel majeur. Elle a créé ce qu'elle a appelé
«l'obligation de négocier», une notion empruntée au droit du travail. La Cour
suprême n'a nullement exigé la tenue d'un référendum pour déclencher
l'obligation de négocier. Elle s'est appuyée sur la souveraineté parlementaire,
puisque la souveraineté du peuple n'existe
pas en droit canadien. Il suffit donc d'une simple résolution de l'Assemblée
nationale pour déclencher l'obligation de négocier.
La Cour suprême a étendu cette obligation bien
au-delà du cas de l'accession à la souveraineté. Elle peut s'appliquer à toute
modification de la Constitution du Canada. Elle est unique au monde, à notre
connaissance. Pour s'en prévaloir, il suffit d'avoir la volonté de donner suite
à celle du peuple québécois. L'obligation de négocier n'est pas une obligation
de résultat, mais, encore une fois, certaines propositions qui s'appuient sur
un vaste consensus démocratique ont un très grand poids politique.
• (18 h 20) •
Aucune province ne s'est prévalue jusqu'ici de
l'obligation de négocier. L'Alberta pourrait être la première à le faire dans
les prochains mois. Le gouvernement albertain a choisi d'employer l'outil
référendaire à cette fin ce 18 octobre,
même s'il n'est pas requis sur le plan juridique. Si cette démarche se
confirme, la Constitution canadienne sera rouverte sans l'intervention
du Québec. L'obligation de négocier s'appliquera cependant à lui comme au
gouvernement canadien et à ceux des autres provinces. Le mode d'emploi de
l'obligation de négocier sera alors inventé. Ce précédent sera déterminant pour
la suite de l'histoire constitutionnelle canadienne et québécoise.
Le Québec ne sera nullement tenu de se limiter à
l'ordre du jour de l'Alberta. La Constitution sera rouverte en totalité. Le gouvernement devra obtenir de
l'Assemblée nationale un mandat de négocier. Ce mandat devrait inclure l'abolition de la monarchie et la mise en place de la
république du Québec sans se limiter à ces questions. Que la nation québécoise
soit dignement représentée à ce moment, que vive longuement la république du
Québec. Je vous remercie.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la ministre, s'il vous plaît. Vous
avez la parole.
Mme
LeBel : Oui, merci. Merci, M. le Président. M. Binette,
M. Dubuc, merci beaucoup pour votre présentation.
Écoutez, je comprends
tout à fait votre position, qui est très claire sur le principe même d'être
dans une monarchie, mais présentement, si je m'intéresse particulièrement au
projet de loi n° 86, on pourrait... Bien, on peut être pour ou contre le
principe d'une monarchie. On peut penser, à l'instar de ce que vous présentez,
de ce que votre coalition présente et pense, qu'on devrait plutôt se retrouver
dans une république. Et ça, c'est une discussion que je serais très intéressée
à avoir avec vous et qui est très intéressante. Honnêtement, même sur le plan
personnel, je ne suis pas en désaccord avec la majorité de vos propos, mais
qu'on soit pour ou contre la monarchie, on peut déplorer également les raisons
qui nous amènent à avoir à légiférer dans les circonstances actuelles de notre
état de situation. Mais vous considérez, donc, qu'à court terme ce projet de
loi n'est pas superflu, là, qu'il va nous... il va, à tout le moins, je pense que vous le dites dans votre mémoire,
corriger l'omission de la Loi sur l'Assemblée nationale, qui a été...
qui est survenue en 1982, quand on n'a pas reproduit la disposition précédente,
là, de la Loi sur la Législature, que j'avais sous la main il y a deux
secondes, qui disait qu'aucune législature de la province n'est dissoute par le
décès du souverain, mais continue, peut se réunir, s'assembler, siéger, etc.
Donc,
vous êtes d'accord quand même qu'à très court terme — pour ou contre, là, je vous dis, le principe
de l'état dans lequel on se trouve par notre système — qu'il
est impératif, là, d'agir sur cette omission-là qui a été introduite, bon... on pourrait se poser la question pourquoi,
là, mais peut-être qu'on pensait que l'article qui s'y trouve présentement
était suffisant, c'est possible, mais qu'il est nécessaire de légiférer à cet
égard.
M. Binette (André) : C'est une mesure de prudence qui est justifiée. Si des avocats, par
exemple, en défense, en droit criminel, invoquent couramment l'arrêt
Jordan pour arrêter les procédures, ils n'hésiteront pas un instant pour soulever cette ancienne règle de common law
pour contester, par exemple, le mandat d'un juge qui entend une cause devant eux. Donc, même si on peut sourire, même si
on peut s'étonner, c'est un réflexe de prudence qui est nécessaire.
Et il me semble que
la rédaction du projet de loi couvre les différents angles. J'ai pu consulter,
donc, les lois de différentes provinces, la loi fédérale, j'ai constaté que le
Parlement fédéral a adopté une loi semblable dès sa création, en 1867. Donc,
pour lui, c'était une considération importante dès le départ, et que toutes les
provinces l'ont fait de différentes manières.
Je
dirais que l'approche retenue dans le projet de loi n° 86, c'est une bonne synthèse. Il rassemble en un
seul lieu l'ensemble des questions qui peuvent se soulever, ce qui n'est
pas le cas ailleurs nécessairement.
Mme LeBel :
Bien, vous savez, M. Binette, vous avez touché à une corde qui est très
chère à mon coeur, ayant eu, je vais dire, l'opportunité, à défaut de vouloir
employer un autre terme, d'avoir à plaider comme ancien procureur de la
couronne, parce que c'était le terme qui était employé devant les tribunaux
jusqu'en 2005, quand on a formé le DPCP... d'avoir eu à plaider l'arrêt
Jordan. Je comprends très bien, d'ailleurs.
Et ça me permet de
vous amener sur une autre question peut-être plus précise encore, là, et pointue,
des conséquences. Parce qu'on parle beaucoup de vouloir éviter une élection, et
je trouve que c'est un peu simplifier la portée
de ce projet et les conséquences éventuelles de ne pas légiférer de penser que
la seule raison de le faire, c'est de s'éviter une élection. Vous avez
mentionné, d'ailleurs, le mandat des juges, et je peux... je suis certaine de
pouvoir penser, je ne les nommerai pas, à
plusieurs anciens collègues qui se feraient une joie, justement, de plaider le
fait que le juge n'a plus la légitimité
d'agir, compte tenu de la dévolution de la couronne et s'il n'avait pas reprêté
serment en conséquence.
Donc, il y a des
conséquences, là, réelles et très... j'allais dire très pratiques, là, sur le
terrain, en bon français, de ne pas
légiférer, qui pourraient, d'ailleurs, même si on décide de continuer comme si
de rien n'était après la dévolution de la couronne, qui pourraient être
à tout le moins invoquées devant les tribunaux.
M. Binette
(André) : Il y a des conséquences réelles et très pratiques, très
concrètes, dans différentes sphères de l'action de l'État québécois, et ce
serait de la négligence que de ne pas y faire face dès maintenant. Donc, on pense aux juges, on pense évidemment aux
députés, à toute personne qui a prêté serment d'allégeance à Sa Majesté.
La règle traditionnelle voulait donc que ce serment prenait fin avec la vie,
l'existence du monarque et qu'il fallait reporter un nouveau serment
d'allégeance, quel que soit le fonctionnaire, quel que soit la fonction
occupée, et donc que toutes ces fonctions-là seraient mises en péril,
potentiellement, s'il n'y avait pas ce projet de loi.
Mme LeBel :
Et peut-être une dernière petite question de précision. Le Pr Chevrier est
venu mentionner... On parle de
l'article 1 du projet de loi, qui est l'article, je vous dirais, central,
là, de ce projet de loi. Vous mentionnez, vous, que, selon vous, il est
bien rédigé et semble couvrir tous les angles d'une possible contestation.
Comme l'objectif du
projet de loi est de s'assurer justement de couvrir tous les angles, un angle a
été soulevé par le Pr Chevrier à l'effet que la notion de gouvernement
n'emporterait pas nécessairement celle d'administration publique, alors que le Pr Taillon est d'avis que, bon, sur le plan
juridique, la notion de gouvernement emporte la notion d'administration
publique et que le deuxième alinéa vient, si on veut, compléter le travail
et fermer la boucle.
Je
ne suis pas contre le fait de préciser davantage l'article 1, si cela
s'avère nécessaire, compte tenu que l'objectif est bien de couvrir tous les
angles, mais, de votre point de vue à vous, est-ce que vous pensez que cet
angle est effectivement couvert par la rédaction actuelle?
M. Binette
(André) : Je crois que c'est un choix de technique de rédaction législative
plutôt qu'un choix entre des règles de droit différentes. Je pense qu'on
arrive, par les deux formes de rédaction, au même résultat. Personnellement, je
préfère l'approche du Pr Chevrier, simplement parce que, sur le plan formel,
elle me paraît plus satisfaisante. De mentionner nommément l'administration
avec un grand A, c'est une distinction qu'on fait souvent en droit
administratif et constitutionnel, donc, mais je suis d'accord aussi avec le
Pr Taillon pour dire que la notion de couronne, ou de gouvernement,
plutôt, emporte celle d'administration.
Mme LeBel : Bien, merci
beaucoup. Merci beaucoup à tous les deux pour votre rapport fort pertinent. Je n'ai pas
d'autre question, pour ma part, M. le Président.
Le
Président (M. Bachand) : Merci. Est-ce que j'ai d'autres questions
du côté ministériel? Si je n'ai pas d'autre question, je vais passer la parole
au député de LaFontaine, s'il vous plaît.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, M. le Président. Alors, à mon tour de vous saluer,
MM. Binette et Dubuc. Merci beaucoup d'être là avec nous cet après-midi.
Dans un premier temps... je
vais y aller en deux volets. Dans un premier temps, tel que rédigé, là, projet
de loi n° 86, et on comprend que... et vous nous le dites,
là, vous comprenez l'à-propos, la nécessité du projet de loi n° 86,
tel que rédigé, puis corrigez-moi si j'en ai
perdu un bout, là, mais il n'y a pas d'élément sur lequel vous dites : Par contre,
au niveau de la rédaction, dans les quatre articles, faites attention à ça, ça,
ça. Tel que rédigé, vous, vous n'y voyez pas d'écueil, vous vous
déclarez satisfaits, pour le projet de loi n° 86?
M. Binette (André) : Pour la forme, j'ai exprimé une préférence pour
la suggestion du Pr Chevrier, mais je ne crois pas que c'est une
différence sur le fond.
• (18 h 30) •
M. Tanguay : Non, c'est ça. O.K. Parfait. Je reprends la
balle au bond parce que je pense qu'on a... puis je reprends la balle au
bond pour faire mon point, puis peut-être vous taquiner un peu, puis vous dire
que je ne suis pas d'accord, peut-être, avec une de vos affirmations, en
page 3 de votre mémoire, mais le fait de vous poser la question va me
permettre de faire cette démonstration-là de mon désaccord avec vous.
Quand vous dites,
deuxième paragraphe, page 3, vous dites : «Il est toutefois malheureux
qu'en 2021 des ressources législatives et gouvernementales du Québec doivent
être consacrées à se pencher sur les inconvénients de l'ancien droit
britannique», fin de la citation, je vous dirais que le projet de loi n° 86,
ce que vous décriez, puis je le fais avec un sourire dans la voix, est un
prétexte, ou une occasion, devrais-je dire, pour qu'on puisse se rencontrer, MM. Binette et Dubuc, puis qu'on puisse
parler, justement, de ce que vous proposez, à savoir la république
autodésignée du Québec.
Alors, n'y voyez-vous
pas là, un peu comme le faisait le Pr Taillon, peut-être, une rampe de
lancement, une sorte d'occasion, justement,
de dire : Bien, vous savez, il y a des outils qui peuvent être... qui
existent déjà? Puis vous, vous en proposez un, changement fondamental,
qui est la république autodésignée, là, du Québec, là.
M. Binette
(André) : J'aime beaucoup votre approche. Effectivement, on peut
transformer un obstacle constitutionnel en occasion d'avancement, et un projet
de loi technique en une ouverture pour discuter sur le fond. Alors, je
pense que vous avez tout à fait raison sur ce point et je
pense que c'est... C'est pour ça que
j'ai voulu dépasser le cadre étroitement technique de la discussion, aujourd'hui,
pour ouvrir la porte à une réflexion plus large.
M. Tanguay :
M. Dubuc, vouliez-vous ajouter quelque chose? Je vous ai vu réagir.
M. Dubuc
(Pierre) : Bien, je suis bien d'accord. Non, je suis d'accord avec
lui. Je pense que cette volonté-là de
modifier les choses est appuyée par un consensus québécois très large, comme
nous l'avons souligné dans le mémoire. Donc, c'est important, dans le cadre... surtout que, maintenant, avec le projet
de loi sur la langue, où on décide
d'intervenir au plan de la Constitution canadienne, eh bien, pourquoi ne
pas élargir cette intervention-là et inclure l'abolition de la monarchie?
M. Tanguay : O.K. Et, selon vous, beaucoup pourrait être fait, puis
j'aimerais vous donner l'occasion de peut-être étayer cette affirmation-là, beaucoup
pourrait être fait sans être limité à avoir une modification à l'unanimité, par exemple, des
autres provinces. J'aimerais vous entendre là-dessus. Et est-ce que
j'ai bien compris que cette république autodésignée, donc, ça pourrait se faire sans modification formelle de la Constitution
canadienne, que ce soit la formule
7/50 ou celle de l'unanimité?
M. Binette (André) : L'autodésignation doit quand même
correspondre à une réalité, et, à un
moment donné, il faudra ouvrir
la Constitution pour discuter d'abolir la monarchie.
Ce que je dis cependant, c'est que, lorsqu'on
s'appuie sur un fort consensus québécois, que ce soit sur l'abolition de la
monarchie ou sur autre chose, je pense que le Canada devra prendre bonne note
de ce consensus.
Et nous avons maintenant
un outil juridique, comme je l'ai souligné, depuis 1998, l'obligation de
négocier, qui n'existait pas auparavant et que nous devons mettre à l'épreuve.
Si c'est un atout, je pense qu'on devrait s'en servir. Si c'est un mirage, il
faut qu'on se détrompe très rapidement.
Mais ce qu'on sait, c'est que l'Alberta a
l'intention explicite de l'utiliser pour la première fois dès cet automne,
donc, pour ouvrir la Constitution canadienne. Et donc le Québec sera non seulement
convié, mais obligé d'aller à la table, si l'obligation de négocier est bien
comprise. Donc, à ce moment-là, il devra apporter ses propres priorités, il
devra obtenir un mandat de l'Assemblée nationale et du peuple québécois, qui
devrait comprendre, à mon avis, en priorité mais pas seulement cela,
l'abolition de la monarchie.
M. Tanguay : Et cette obligation
de négocier de 1998, qui découle, là, du renvoi sur la sécession du Québec, ne peut... puis j'ai lu le jugement, mais je ne
l'ai pas lu récemment, je dois vous avouer... elle découlerait nécessairement d'un référendum gagnant sur une question spécifique ou elle
pourrait découler d'une volonté exprimée par l'Assemblée nationale, par exemple, cette obligation de négocier?
M. Binette (André) : Comme je l'ai
indiqué dans mon mémoire, la Cour suprême n'a nullement exigé la tenue d'un référendum
pour déclencher l'obligation de négocier. Le droit canadien ne connaît pas la souveraineté
du peuple. Le droit canadien
connaît la souveraineté parlementaire. Donc, ce que la Cour suprême a exigé, tant
pour l'accession du Québec à
la souveraineté que pour toute autre modification de la Constitution, c'est une
simple résolution de l'Assemblée nationale ou d'une autre assemblée
législative.
L'Alberta se
prépare à tenir un référendum, qui sera suivi de résolutions d'appui dans
quatre autres provinces, semble-t-il, formées par des gouvernements
conservateurs. Donc, vous aurez là cinq provinces, la moitié de la fédération. Ce sera, à mon avis, un poids
politique irrésistible pour ouvrir la Constitution et déclencher l'obligation
de négocier, ce qui ne veut pas du tout dire qu'on sera liés par l'ordre
des priorités des autres, mais que notre résolution, c'est-à-dire la résolution de notre Assemblée nationale, encadrera le
mandat de notre gouvernement pour aller négocier et s'asseoir à la
table, ce qu'il devra faire, de toute façon.
M. Tanguay : Ah! bien, je
trouve ça intéressant parce que, tout fédéraliste que je suis, évidemment, nous
sommes tous pour la société distincte,
pour... Au Québec, nous avons notre façon très, très distincte de nous
gouverner et de voir les choses également. Donc, tout fédéraliste que je
suis, je vois la fédération canadienne comme pouvant être, justement, un arbre
vivant. Alors, je trouve ça intéressant.
Et peu importe que l'on ne se rejoigne pas,
peut-être, vous et moi, sur la finalité, peut-être, entre, par exemple, la
souveraineté ou l'appartenance canadienne, j'y vois quand même des
possibilités, justement, pour faire des pas,
plusieurs pas, même, dans la bonne direction, à savoir l'épanouissement du
Québec, là, au sein de la fédération canadienne ou, à tout le moins, des
pas dans la bonne direction pour celles et ceux qui ne l'imaginent peut-être
pas dans la fédération canadienne, ce que je ne suis pas. Mais, quand même, il
y a des possibilités pour tout le monde, là, autour de la table, là.
M. Dubuc (Pierre) : J'imagine que le
concept de république du Québec à l'intérieur du Canada vous plaît, dans ce
cas-là?
M. Tanguay : Ah! bien là, je
ne me prononce pas sur cette question-là. Vous savez, on est convoqués en vertu du projet de loi n° 86.
Mais le concept de la fédération canadienne me plaît beaucoup, vous l'avez
compris d'entrée de jeu, je pense.
Mais un n'exclut pas nécessairement l'autre. Alors, à parfaire, la discussion
est à parfaire. Ne voyez pas là un chèque en blanc de ma part, je vous
en prie.
Mais je vous remercie beaucoup, M. Binette et M.
Dubuc. Ça a été une discussion très, très intéressante.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Jean-Lesage, s'il
vous plaît.
M. Zanetti : Oui. Merci beaucoup, M.
le Président. Merci pour vos présentations très inspirantes sur le fond. J'ai beaucoup
apprécié qu'on dépasse l'aspect technique.
J'ai très peu
de temps, alors je vais essayer d'aller droit au but, là. Si, par exemple, on adoptait un amendement,
dans le projet de loi, qui, d'une façon ou d'une autre, là, énonçait, affirmait
l'abolition de la monarchie, est-ce que, ça aussi, ça déclencherait une obligation
de négocier, comme une résolution de l'Assemblée nationale, par exemple?
M. Binette (André) : Oui, je crois.
Je n'ai pas beaucoup réfléchi à cet aspect de la question. Tout ce que je dis,
c'est qu'une loi n'est pas nécessaire, qu'une simple résolution suffit, que
c'est une résolution qui aurait donc une portée très considérable, qui aurait,
en soi, une valeur constitutionnelle, puisqu'elle déclencherait une obligation
qui s'imposerait tant au fédéral qu'aux autres provinces, donc. Mais, de toute
façon, vous allez être le récipiendaire de l'obligation bientôt, si l'Alberta
donne suite à son référendum. Donc, c'est vous qui devrez gérer l'obligation
qui s'appliquera à vous comme Assemblée nationale. Mais j'imagine qu'on peut
procéder par une loi, mais ce n'est pas nécessaire.
M. Zanetti : Ce serait quand même le
bout du bout du gênant que ce ne soit pas nous, au Québec, qui ayons l'initiative
de changement pouvant mener à l'abolition de la monarchie ou à d'autres choses,
là. En tout cas, que ça parte de l'Alberta, ce serait quand
même... il n'y aurait pas de quoi être fier, hein? Mais on a des occasions, par
exemple, que ça n'arrive pas de même puis qu'on le fasse par nous-mêmes. Merci beaucoup, M. Binette et M. Dubuc, pour vos interventions inspirantes.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le
député de Matane-Matapédia, s'il vous plaît. Votre micro, s'il vous plaît.
M.
Bérubé : Bienvenue,
M. Binette, M. Dubuc. Je suis heureux que vous soyez là. Je partage, évidemment,
là, l'ensemble de vos propos. Alors, c'était moins pour moi que je souhaitais
que vous soyez là que pour la ministre, qu'elle puisse entendre votre propos,
qu'elle puisse s'en inspirer, inspirer son gouvernement à manifester davantage de nationalisme, notamment à travers une politique
comme celle-là qui est soutenue par le peuple. Le gouvernement est
sensible aux sondages, vous en avez un assez fort, alors je l'invite à faire
cheminer ça.
Donc, je n'ai pas de question, et j'apprécie la
tribune que vous avez eue pour vous faire entendre auprès de la ministre.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup, M. le député. M. Binette, M. Dubuc,
merci beaucoup d'avoir été avec nous aujourd'hui. C'est très, très, très
apprécié. Puis on se dit probablement à bientôt.
Alors, sur
ce, la commission, ayant accompli son mandat, ajourne ses travaux sine die.
Merci beaucoup. À bientôt.
(Fin de la séance à 18 h 38)