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Version finale

42nd Legislature, 1st Session
(November 27, 2018 au October 13, 2021)

Wednesday, August 12, 2020 - Vol. 45 N° 77

Special consultations and public hearings regarding digital contact notification applications, their relevance and usefulness and, if applicable, the conditions for making them socially acceptable in the fight against COVID-19


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Table des matières

Remarques préliminaires

Mme Joëlle Boutin

M. Mathieu Lévesque

Mme Marwah Rizqy

Document déposé

M. Gabriel Nadeau-Dubois

M. Martin Ouellet

M. Guy Ouellette

Auditions

M. Yves Gingras et Mme Marie-Jean Meurs

Commission de l'éthique en science et en technologie (CEST)

Ligue des droits et libertés (LDL)

MM. Bastien Le Querrec et Axel Simon

M. Yoshua Bengio

Autres intervenants

M. André Bachand, président

Mme Marie-Claude Nichols

Mme Lucie Lecours

*          M. Jocelyn Maclure, CEST

*          M. Dominic Cliche, idem

*          Mme Alexandra Pierre, LDL

*          M. Dominique Peschard, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures onze minutes)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bonjour. Très content de vous revoir en cette belle période estivale.

Alors, ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je vous souhaite bien sûr la bienvenue et je demande à toutes les personnes présentes dans la salle de bien éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

La commission est réunie afin de procéder aux auditions publiques dans le cadre de consultations particulières au sujet d'outils technologiques de notification de contacts ainsi que sur la pertinence de ce type d'outils, leur utilité et, le cas échéant, les conditions de leur acceptabilité sociale dans le cadre de la lutte contre la COVID-19.

Avant de débuter, Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Lachance (Bellechasse) est remplacée par M. Provençal (Beauce-Nord); M. Lamothe (Ungava) est remplacé par Mme Boutin (Jean-Talon); Mme Robitaille (Bourassa-Sauvé) est remplacée par Mme Nichols (Vaudreuil); M. Tanguay (LaFontaine) est remplacé par Mme Rizqy (Saint-Laurent); M. Fontecilla (Laurier-Dorion) est remplacé par M. Nadeau-Dubois (Gouin); M. LeBel (Rimouski) est remplacé par M. Ouellet (René-Lévesque).

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Avant de débuter les auditions, je procède au dépôt du document de consultation dans le cadre des consultations particulières.

Ce matin, nous débuterons par les remarques préliminaires puis nous entendrons M. Yves Gingras et Mme Marie-Jean Meurs.

Remarques préliminaires

J'invite donc maintenant la députée de Jean-Talon et le député de Chapleau à faire leurs remarques préliminaires, pour un total de 5 min 34 s. Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme Joëlle Boutin

Mme Boutin : Oui. Bonjour à tous. Alors, je suis très heureuse de vous retrouver en plein été, après quelques vacances. J'aimerais tout d'abord saluer mes collègues de la partie gouvernementale, nos collègues de l'opposition, M. le Président. J'aimerais également saluer et remercier surtout les groupes qui ont été appelés, les groupes d'experts, à participer à cette consultation particulière là. On est très heureux et on a très envie de les entendre afin de prendre un choix éclairé.

Vous savez, dans le cadre de la pandémie actuelle, il y a plusieurs pays qui sont allés l'avant en proposant... en mettant à la disposition des citoyens une application de notification à l'exposition à la COVID-19. L'Ontario et le Canada sont allés de l'avant également. Dans la foulée de ces annonces-là, le ministre délégué à la Transformation gouvernementale a décidé de, premièrement, consulter les citoyens avec une consultation publique numérique afin de mieux comprendre les préoccupations des citoyens, mieux saisir également l'acceptabilité sociale par rapport à une telle application. Puis on a également accepté de faire des consultations particulières pour entendre les experts et voir s'il n'y aurait pas des angles morts qu'on n'aurait pas manqués avant de faire une décision éclairée.

Les résultats de la consultation publique numérique vont être compilés dans un rapport qui va être rendu public prochainement, mais on sait déjà que les résultats sont relativement positifs avec un taux d'acceptabilité d'environ 75 %. C'est quand même intéressant compte tenu qu'il y a à peu près des milliers de personnes qui ont participé à cette consultation-là pendant l'été.

Avant même d'attendre la fin des consultations particulière, le gouvernement a décidé de reposer sa décision sur des principes fondamentaux afin de protéger la vie privée des gens et les protections des données personnelles. Premièrement, c'est très important de comprendre que, si jamais on allait de l'avant avec une telle application, cette application-là serait rendue disponible complètement gratuitement. C'est une application qui est anonyme, sécuritaire, installée sur une base volontaire. C'est une application qui fonctionnerait sans géolocalisation, donc sans GPS, sans recours à la biométrie ni à la reconnaissance faciale. L'application fonctionnerait à l'aide d'une technologie qui est dite Bluetooth, donc elle ne collecterait aucun renseignement personnel, n'effectuerait aucun traçage. C'est impossible de repérer une personne, là, en géolocalisation avec ça. C'est une application qui permet de stocker des codes générés aléatoirement sur le téléphone seulement, donc il y a un niveau de protection quand même intéressant. Puis, l'application va notifier l'utilisateur ou l'utilisatrice lorsqu'elle a été en contact avec une personne qui aurait eu un diagnostic positif à la COVID-19 et lui permettrait également de recevoir des informations pertinentes, à savoir les actions à prendre après : aller se faire tester, se mettre en quarantaine, des numéros de téléphone à appeler en cas de nécessité.

Maintenant, j'aimerais laisser la parole à mon collègue député de Chapleau pour qu'il parle un petit peu du cadre réglementaire et législatif qui encadrerait une telle application au Québec. On ne peut pas faire n'importe quoi au Québec. Donc, je vais lui laisser la parole.

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Chapleau, s'il vous plaît.

M. Mathieu Lévesque

M. Lévesque (Chapleau) : Merci, M. le Président. Donc, bonjour. Moi aussi, j'en profite pour vous saluer, là. C'est agréable de se retrouver après quelques semaines, quelques mois, là, à l'Assemblée nationale — donc, bonjour, chers collègues — effectivement, là, sur des temps exceptionnels.

Mais, tu sais, je voudrais prendre quand même le temps de brosser un tableau, là, des... le cadre législatif puis également de nombreuses lois, là, du Québec qui protègent, dans le fond, qui visent à protéger les renseignements personnels, l'identité des Québécois, également leur vie privée, déjà en place au Québec, évidemment, en plus de toutes les garanties et les protections, là, qui sont offertes, du moins que le gouvernement a mises de l'avant par rapport à s'il décidait d'aller de l'avant avec une application.

Donc, commençons. D'abord, la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, notamment avec l'article 63.2, donc, qui affirme qu'un organisme public doit protéger les renseignements personnels.

Ensuite, il y a aussi la loi, là, qui concerne le cadre juridique des technologies de l'information, notamment, là, avec l'article 25, là, qui stipule que, bon, la personne responsable de l'accès à un document technologique portant un renseignement confidentiel doit prendre des mesures de sécurité nécessaires à en assurer la confidentialité. Donc, ça, c'est déjà des dispositions du cadre juridique québécois.

Il y a aussi l'article 26, donc, qui réitère le principe de la nécessaire sécurité et protection des renseignements personnels dans l'éventualité où seraient remis des documents technologiques à un prestataire de services. Donc, ça aussi, ça vient ajouter aux protections déjà en place au Québec.

Également, l'article 43, donc, qui limite l'utilisation d'un dispositif, donc, permettant de savoir où se trouve une personne, comme des données de géolocalisation. Donc, c'est très limité dans la loi déjà.

Puis on ajoute ici, dans la Loi concernant le cadre juridique des technologies de l'information, les articles de protection des Québécois en lien avec la biométrie, donc, ça aussi, c'est une préoccupation, notamment avec l'article 44 qui stipule clairement que «nul ne peut exiger, sans le consentement exprès de la personne, que la vérification ou la confirmation de son identité soit faite au moyen d'un procédé permettant de saisir des caractéristiques ou des mesures biométriques», également l'article 45, hein, qui stipule que, dans l'éventualité de la création d'une banque de caractéristiques ou des mesures biométriques... donc, ça doit être divulgué à la Commission d'accès à l'information qui aura le pouvoir de déterminer l'usage et la confection de telles banques de même que de les suspendre, de les interdire ou de les détruire.

Également, la Commission d'accès à l'information, qui est un chien de garde et qui a pour fonction la protection des renseignements personnels en rappelant aux organismes publics, aux entreprises, aux citoyens leurs droits et obligations en ces matières.

Finalement, donc, en plus de tous ces mécanismes de protection, le gouvernement était très préoccupé par la protection de renseignements personnels, de l'identité des Québécois de même que de leur vie privée et a présenté le projet de loi n° 64, dont se souviendra notre collègue président du Conseil du trésor actuel, la Loi modernisant des dispositions législatives en matière de protection des renseignements personnels, qui vise donc à renforcer les mesures de protection. Cela faisait d'ailleurs depuis 2001 qu'il n'y avait pas eu d'amélioration de ce côté. Donc, c'est un grand pas de la part du gouvernement. Ça démontre le sérieux et l'importance que le gouvernement a avec cela. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. J'invite maintenant la porte-parole de l'opposition officielle et députée de Saint-Laurent à faire ses remarques préliminaires, pour une durée de 3 min 43 s. Mme la députée.

Mme Marwah Rizqy

Mme Rizqy : Merci beaucoup, M. le Président, et bon retour à tous. Contente de revenir ici. D'entrée de jeu, je tiens à souligner que c'est quand même préoccupant de tenir ce genre de consultation seulement en plein été, alors que la ligue des droits de la personne ainsi que beaucoup d'autres organismes, en fait 25, ont demandé, depuis maintenant le mois de mars, qu'on ait une consultation, parce que c'était vraiment un enjeu crucial, et qu'on parle de violation potentielle de la vie privée.

Je suis aussi préoccupée... et, je sais, c'est un choix politique de ne pas avoir de ministre présent. Par contre, même s'il n'y a pas de projet de loi qui est en cours sur ce dossier, il y aura visiblement, peut-être, un projet de loi en cours par la suite. Et ça aurait été pertinent d'avoir un membre du cabinet ministériel présent pour entendre ces consultations qui préoccupent les Québécois.

D'autre part, nous avons demandé des consultations élargies sur un dossier tout aussi préoccupant et beaucoup plus urgent, la reconnaissance faciale. Parce que, présentement, la Sûreté du Québec, vous le savez, a fait un appel d'offres pour aller de l'avant avec le logiciel de reconnaissance faciale. Ce segment-là ne fera pas partie de nos discussions, par choix politique, encore une fois.

Quand j'entends la députée de Jean-Talon faire beaucoup d'affirmations sur... que c'est confidentiel, j'ai eu la chance de lire les nombreux mémoires et je pense que c'est important de faire preuve de prudence, parce qu'aujourd'hui on reçoit des experts, déjà, qui sont très intéressés par tout cela, et, eux, dans les mémoires, il y a quand même certains qui mentionnent que, non, ce n'est pas totalement anonyme.

D'autre part, il me semble ironique que Shopify ne soit pas présent. C'est comme si Uber ne serait pas venu à une consultation sur l'industrie du taxi. Alors, M. le Président, vous comprendrez que j'ai rédigé une série de questions, que j'aimerais déposer pour que l'Assemblée nationale transmette nos questions à Shopify, puisqu'ils sont partie prenante dans cette application qu'aujourd'hui le gouvernement fédéral a mise de l'avant et disponible pour l'ensemble des Canadiens, incluant les Québécois, car nous aimerions savoir comment que Shopify pourra s'assurer d'avoir une muraille de Chine entre le volet commercial et cette application pour ne pas qu'il y ait de croisement de données.

D'autre part, M. le Président, permettez-moi aussi de souligner que, pour nous, c'est important que, lorsque le gouvernement remet un sondage aux médias, tel que le sondage sur le traçage de données, il aurait été souhaitable, pour une bonne collaboration, que nous, on ait accès, l'ensemble de la députation, à ce sondage, parce qu'on n'a pas eu, aujourd'hui, accès au sondage, ni aux données, ni même l'échantillon qui a répondu à ce sondage. Alors, vous comprendrez que la bonne collaboration, ça va de part et d'autre.

Je ne sais pas combien de temps qu'il me reste, M. le Président.

• (11 h 20) •

Le Président (M. Bachand) : Moins d'une minute.

Mme Rizqy : Ah! bien alors, M. le Président, pour conclure, nous aimerions que la lettre soit transmise. Et je ne sais pas si ma collègue veut rajouter quoi que ce soit.

Mme Nichols : Oui. En fait, je vais prendre... Merci, bonjour à tous. Je suis contente d'être ici, malgré que ce soit l'été, pour parler d'un sujet important, mais surtout pour entendre les différents experts qui vont venir échanger avec nous, parce qu'on a des préoccupations, vous le savez, on a des préoccupations. On représente, tout le monde ici, des citoyens et on se demande vraiment, entre autres, comment ça peut aider les citoyens à être acteurs de leur propre santé. Je dirais que ça va être probablement le thème qui sera abordé, là, durant la commission.

Donc, comme disait ma collègue de Saint-Laurent, c'est avec enthousiasme que nous voulons entendre les différents experts sur tous les enjeux de traçage. Et évidemment il y aura une partie reconnaissance faciale...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup.

Mme Nichols : ...auquel on ne pourra pas passer à côté.

Document déposé

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Alors, je prends... vous déposez officiellement, et puis on prendra une décision pour la suite des choses. Merci beaucoup.

Donc, j'invite maintenant le député de Gouin, porte-parole du deuxième groupe d'opposition, à faire ses remarques, pour 56 secondes. M. le député de Gouin.

M. Gabriel Nadeau-Dubois

M. Nadeau-Dubois : Merci, M. le Président. Bonjour à tous et toutes. C'est une commission importante que celle que nous allons tenir dans les prochains jours, parce que c'est des enjeux qui sont hautement d'intérêt public. Et c'est dommage que cette commission se tienne au milieu de l'été. Je veux quand même rappeler que, le 28 mai dernier, le 28 mai dernier, j'ai déposé une motion à l'Assemblée nationale pour qu'on tienne cette commission à la fin de la précédente session parlementaire. Cette motion-là a été battue par le gouvernement de la Coalition avenir Québec, et on se retrouve aujourd'hui à tenir cette commission-là pressés par le temps, dans l'urgence, au milieu de l'été. C'est regrettable.

Deuxièmement, je veux déplorer, moi aussi, l'absence des gens de Shopify qui ont travaillé à la programmation de l'application qui est recommandée maintenant par le gouvernement fédéral. On s'est butés à une fin de non-recevoir de la part du gouvernement pour ce qui est d'inviter les individus liés à Shopify qui ont programmé cette application-là. Donc, on va avoir une discussion, malheureusement, qui va être largement théorique, puisqu'on ne pourra pas poser des questions concrètes aux gens qui ont concrètement fait l'application qui est actuellement utilisée au Canada.

Puis, en terminant, je ne peux pas m'empêcher, M. le Président, moi aussi, de trouver absolument dommage que le gouvernement ait organisé une consultation en ligne — ça, c'est bien — mais qu'il conserve pour lui ces résultats-là, qu'il les donne à des journalistes pour avoir des bons reportages...

Le Président (M. Bachand) : Merci...

M. Nadeau-Dubois : ...mais qu'il ne juge pas important d'en informer les parlementaires.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le député. Merci. M. le député de René-Lévesque, s'il vous plaît, pour 56 secondes.

M. Martin Ouellet

M. Ouellet : Bonjour. Merci. Merci, M. le Président. Donc, à mon tour de vous saluer. Je vais être accord avec mes collègues de l'opposition, je déplore effectivement que, comme parlementaires, on n'a pas eu accès aux informations de la consultation. Puis c'est majeur, c'est une pandémie, il n'y a pas de politique à faire, il y a des vies à sauver, il y a des gens à donner confiance, il y a des services à améliorer.

Et on se pose la question cet été : Est-ce que la technologie peut nous aider? Et on sonde les Québécois, Québécoises sur cette volonté, cette intention et ces outils qui pourraient nous aider à vaincre une fois pour toutes cette pandémie. On consulte les gens et, comme parlementaires, aujourd'hui, M. le Président, on n'a pas accès aux informations. Alors, je présume que je les lirai dans un fil de presse ou je les entendrai à la radio, mais, comme parlementaire, j'aurais aimé, du moins, avoir un résumé de ce qui aura été rassemblé dans cette consultation, puisque ça va orienter les discussions que nous allons avoir avec les spécialistes en droit, les spécialistes en sciences, en technologies.

Et en terminant, M. le Président, l'autre chose que je déplore, c'est qu'on va parler beaucoup de technologie aujourd'hui, mais l'angle mort, aussi, c'est l'accessibilité. 88 % des gens au Canada ont un téléphone cellulaire, 12 % n'en ont pas, et, si on veut aider les plus démunis et les gens qui sont à risque, et dont les personnes aînées, il va falloir aussi, au gouvernement, qu'on ait une stratégie pour fournir cette technologie-là, si on va de l'avant, à ces gens qui sont les plus démunis. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le député. M. le député de Chomedey, pour 51 secondes.

M. Guy Ouellette

M. Ouellette : Merci, M. le Président. Bonjour à tous et à toutes. J'écoutais les remarques des collègues puis je crois, M. le Président, qu'on va devoir parler de gouvernance, de bonne gouvernance, dans les trois prochains jours, de bonne gouvernance en intelligence artificielle. C'est une gouvernance qui doit se faire de façon éthique en tenant compte des valeurs québécoises. Et ce n'est pas vrai qu'on va laisser le gouvernement tourner les coins ronds, comme ils l'ont fait récemment dans d'autres projets de loi. On ne peut pas prendre les citoyens pour des imbéciles, M. le Président, puis encore plus si cette consultation-là est prélude d'un projet de loi gouvernemental. On espère que les témoignages des experts qu'on va entendre au cours des trois prochaines journées vont éclairer les parlementaires sur cette bonne gouvernance éthique puis rassurer les citoyens du Québec, qui en ont présentement grandement besoin.

Le Président (M. Bachand) : Merci, M. le député. Donc, ceci met fin aux remarques préliminaires.

Auditions

Nous allons maintenant débuter les auditions. Il me fait plaisir de souhaiter la bienvenue à M. Yves Gingras, professeur titulaire au Département d'histoire à l'Université du Québec à Montréal, conjointement avec Mme Marie-Jean Meurs, professeure au Département d'informatique à l'Université du Québec à Montréal. Puis je vous rappelle que vous disposez d'une période de 10 minutes pour votre exposé. Après, nous procéderons à la période d'échange avec les parlementaires. Sur ce, bienvenue, et à vous la parole.

M. Yves Gingras et Mme Marie-Jean Meurs

Mme Meurs (Marie-Jean) : Merci, M. le Président. Mmes, MM. les députés. Donc, je m'appelle Marie-Jean Meurs, je suis professeure d'informatique à l'UQAM, où je mène ma recherche en intelligence artificielle, notamment appliquée à la santé. Je suis également membre du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie et coordonnatrice du groupe de recherche multidisciplinaire HumanIA, qui s'intéresse au développement humaniste de l'intelligence artificielle.

Donc, je suis accompagnée de M. Yves Gingras, professeur d'histoire à l'UQAM, un membre du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie, directeur de l'Observatoire des sciences et technologies, chevalier de l'Ordre national du Québec et titulaire du prix Léon-Gérin.

Donc, le premier point de notre présentation examine aujourd'hui la question de l'efficacité des applications que l'on appelle de traçage ou plutôt de notification de contacts. Comme vous avez pu le lire dans notre document de synthèse, l'efficacité de ces outils n'est pas démontrée, et nous ne disposons actuellement ni d'évaluation scientifique rigoureuse ni de données probantes.

Alors, si ce cela vous convient, je vais donner la parole à mon collègue. Nous avons prévu de parler à deux voix, puisque nous nous complétons, Yves, en sciences humaines et moi, plus sur le volet technologie.

M. Gingras (Yves) : Merci. D'abord, je veux vous remercier de votre invitation. Je pense qu'effectivement, dans la conjoncture actuelle, il est très important qu'on regarde la question qui nous préoccupe non seulement d'un point de vue technique, mais d'un point de vue des sciences sociales. On a entendu, au cours des derniers six mois, énormément d'informaticiens nous dire qu'il y avait une bébelle qui allait résoudre les problèmes. Ça, quand on fait de la sociologie des sciences depuis 30 ans, on a vu ça des dizaines de fois passer.

On a vu, au début du XXIe siècle, la génomique. Une fois qu'on a eu le génome humain, on a eu plein de médecins qui ont dit : On va avoir de la médecine personnalisée, puis ça va être réglé. C'est un peu plus compliqué que ça. Ensuite, on a eu, vous avez peut-être oublié, les nanotechnologies. On a dit : Les nanotechnologies... Il y a l'éthique des nanotechnologies. Les nanotechnologies vont révolutionner les... Les robots vont entrer dans notre corps. On s'est excité pendant cinq ans sur les nanotechnologies.

Depuis 2016, on est dans une période absolument équivalente sur l'intelligence artificielle. Donc, le discours dit : Tout va changer par l'intelligence artificielle. Ça va tout faire, ça, il va y avoir des apprentissages automatiques, tout ça va être extraordinaire. Et arrive la COVID, la pandémie. Donc, on dit : Regardez, on va vous régler ça. On a même entendu des informaticiens nous dire qu'avec une application ça pourrait avoir l'effet d'un vaccin. On a entendu des informaticiens dire ça. Je veux dire, ça vous... exemple de niveau d'exagération dans laquelle on vit.

Donc là, on a la chance que l'épidémie, actuellement, elle est sous contrôle, donc on est dans une période où on peut réfléchir au lieu de chercher des solutions miracles qui vont nous être vendues, hein, par des vendeurs de gadgets. Donc, regardons c'est quoi, ces gadgets-là. Il y en a plein à travers le monde, et chacun a développé son gadget différent, chacun l'a vendu ou donné, peu importe, mais c'est un gadget. Dans tous les cas, on a dit : Ça, c'est un outil qui va être utile. Bien sûr, en principe, la technologie, c'est utile. On le voit ici, hein, on a de la radio, on a de la télé. Sauf que, quand on dit que l'outil est utile, on présuppose qu'il fonctionne. Donc, ici, je veux vous immuniser contre la tendance à accepter la rhétorique dominante, qu'il y a un outil qui va faire x et qui va faire y.

Nous, on vous dit... Mais moi, j'ai une maîtrise en physique, donc, si on me dit que ça, ça marche, je dis : O.K., si ça marche, comment? Montre-le-moi. Aucun endroit, on n'a testé Shopify sur un échantillon qui nous dit... Quand on nous dit que tu as été à deux mètres pendant 10 minutes, est-ce que c'est vraiment que tu étais à deux mètres? Parce que Bluetooth, là, ça réfléchit sur les murs, ça peut être... entre deux murs, ce n'est pas détecté. Des informaticiens ont fait plusieurs tests qui montrent que le taux n'est pas plus élevé que 80 %. Or, si vous faites un test en santé, il doit être homologué par Santé Canada, qui doit dire : Avant qu'on vende ton appareil qui a comme fonction, par exemple, de trouver des anticorps, avant de le mettre sur le marché, on va s'assurer que, quand il dit qu'il détecte des anticorps, il y a bien des anticorps. Ça s'appelle la science expérimentale. On teste l'appareil.

Ici, personne n'a parlé, à travers le monde, de : Elle marche-tu, la bébelle? Donc, on dit : Si une bébelle doit être utilisée un jour, et ça va peut-être être utile à l'automne ou à l'hiver prochain, on a du temps pour dire : Mes chers vendeurs de gadgets, montrez-moi qu'elle fonctionne. Et ça, ça se fait de façon expérimentale, ce n'est pas trop compliqué, hein? On peut le faire. Il y a eu plein de tests qui ont été faits sur Bluetooth, avec deux téléphones qui sont proches, et ils se sont aperçu que, si la personne qui est dans le métro tourne, et que son téléphone est dans sa poche arrière, et qu'elle tourne sur elle-même, bien, la mesure de la distance vient d'être multipliée par deux ou trois. Voyez-vous, on est dans le technique, là. Et les informaticiens, ce n'est pas des physiciens ni des ingénieurs électriques. Or, Bluetooth, c'est des ondes électromagnétiques de 2,4 gigahertz. Donc, il faut regarder...

Donc, on dit : Pour l'instant, aucune application, canadienne ou québécoise, n'a été testée. Et donc qu'est-ce qu'on veut faire? Le sociologue trouve que c'est intéressant, mais c'est poétique. On fait une expérimentation à grande échelle. On dit : C'est vrai, on ne sait pas si ça marche, mais on va le donner en Ontario et, dans deux, trois mois, on verra bien si on a des taux de faux positifs qui sont très nombreux. Qu'est-ce que ça va donner? Ça veut dire qu'on va vous dire : Aïe! Tu as été proche de quelqu'un qui l'a. Là, vous allez aller où? Aller passer des tests. Et là vous allez donc peut-être encombrer le système de santé par des faux positifs. Or, le taux de prévalence actuel sur les tests, si vous le calculez, on a eu 900 000 tests, il y a 60 000, environ... c'est 6 %. Donc, on a eu tendance à accepter le discours des informaticiens, disant : J'ai une bébelle, achetez-la, on va sauver des vies. Tout le monde veut sauver des vies, mais est-ce que ça, ça va sauver des vies?

Dernière chose, c'est que... Et on passe aux coûts. Il faut minimiser les coûts. Quel est les coûts de préparer une application? On ne le sait pas. Or, en France, on le sait. Il y a un rapport du Sénat français qui vient de dire que l'application StopCovid, en France, qui ne fonctionne pas, coûte 200 000 € à 300 000 € par mois. Donc, est-ce que ce 200 000 € là serait plus utile à la Santé publique pour détecter vraiment les cas? Donc, je vous amène à dire : Regardons la complexité des choses. Pour tout produit normal, on a le coût-bénéfice et quel est le coût d'opportunité. Le coût d'opportunité, c'est : Est-ce que le système de santé, qui a actuellement réussi à aplatir la courbe et à stabiliser les cas, a fonctionné? Est-ce que la technique qu'on veut utiliser, un, fonctionne? Et, deux, combien elle va coûter et quel est le coût d'opportunité? Ça nous amène au point suivant.

Mme Meurs (Marie-Jean) : Donc, effectivement, si... Nous, notre constat — j'espère que vous avez eu notre résumé — c'est que, si, effectivement, une application devait être mise à disposition selon un délai qui n'est probablement pas lié à une validation scientifique, tel qu'Yves vient de le souligner, il y a plusieurs points qui sont importants.

Le premier point qui nous paraît essentiel, c'est la minimisation des coûts. En termes informatiques, multiplier les applications, c'est inutile. C'est nuisible à l'aspect scientifique de la collecte de données, par exemple. C'est coûteux, comme Yves vient de le dire. Et donc c'est souhaitable d'utiliser quelque chose qui est existant, qui va être interopérable, pour avoir une large couverture, et qui serait le moins intrusif possible, ce qui m'amène évidemment à la question des données.

On a beaucoup parlé de données personnelles. C'est un sujet sur lequel, effectivement, vous avez pu vous pencher et puis qui couvre plus que les applications de traçage parce qu'on a également la problématique de la reconnaissance faciale, dont on ne va pas parler aujourd'hui, mais qui est importante. Collecter, ça a deux conditions. Être minimal, parce que ce que vous ne collectez pas, bien, vous ne pouvez pas le divulguer. Quel que soit le niveau de protection que vous avez, et vous aurez des experts pour vous en parler dans les prochains jours, quel que soit le niveau de protection, ça n'est jamais infaillible. Ce que vous ne savez pas, vous ne pouvez pas le transmettre. Donc, collecter le moins possible, c'est essentiel, et surtout ne pas centraliser pour être sûr que ce qui vous appartient, vos données, sont sur votre appareil.

Point très important, les données doivent rester au Canada sur des serveurs gouvernementaux. Vous savez qu'étant donné... Ce n'est pas moi qui vais vous apprendre ça. Moi, je suis informaticienne et non pas du domaine... je ne fais pas partie du domaine du droit. Mais, pour autant, toute divulgation de données qui... enfin, tout stockage de données qui ne soit pas strictement au Canada n'est plus sous la loi canadienne. Donc, stocker les données chez nous, ça nous paraît indispensable, et surtout les détruire au fur et à mesure. Il est totalement inutile de conserver des données en dehors de la fenêtre de validité, qui, d'après ce que nous disent les experts, est de 14 jours.

Mon point suivant, c'est la transparence, un code source libre. Actuellement, certaines applications ont effectivement divulgué leur code source, ce qui permet, pour des informaticiens d'avoir... et des personnes spécialistes en cybersécurité de fouiller là-dedans pour savoir exactement ce qui est divulgué, pour savoir exactement comment elles fonctionnent. Donc, le code source et son accès doivent être... Enfin, le code source doit être accessible en tout temps. Et, en plus, ce code doit être parfaitement bien documenté, parce que des milliers de lignes de code, ce n'est pas possible de les comprendre et de les analyser en un temps record si on n'a pas une documentation extrêmement pertinente.

Je donne ainsi la parole à Yves pour la question de la gouvernance puisque moi, en tant qu'informaticienne, j'ai un avis de citoyenne, mais je n'ai pas d'avis d'experte.

 (11 h 30)

Le Président (M. Bachand) : Cela dit, il vous reste 19 secondes.

M. Gingras (Yves) : Très bien. Sur la gouvernance, on vient de mentionner que c'est un point qui est très important. Donc, on veut insister sur le fait que cette gouvernance-là relève de la démocratie et que les autorités légitimes, c'est le ministère de la Santé et les institutions de la Santé publique. Aucun OBNL, aussi généreux se dit-il, ne peut remplacer l'État pour s'occuper des données. Bien qu'il y ait des libertariens qui croient que l'État n'est pas utile et que les compagnies privées pourraient gérer les données, c'est inacceptable, parce que ceux qui ont été élus, c'est vous, et ceux qui représentent le gouvernement, ce sont les ministères. Et donc on pourra aller dans le détail dans vos questions. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Alors, maintenant, nous allons procéder à la période d'échange. Mme la députée Jean-Talon, s'il vous plaît, et, je vous rappelle, vous avez un total, du côté du gouvernement, de 15 min 15 s.

Mme Boutin : Combien?

Le Président (M. Bachand) : 15 min 15 s.

Mme Boutin : Premièrement, merci beaucoup, M. Gingras et Mme Meurs, d'être ici aujourd'hui. C'était très important pour nous d'entendre divers groupes pour justement avoir... prendre le pouls, justement, et voir s'il n'y avait pas d'angle mort qu'on aurait oublié avant de prendre une décision. Il n'y a pas de décision qui a été prise.

D'emblée, j'aimerais vous dire... Parce que j'ai entendu vos préoccupations. C'est très important de comprendre que nous n'irons pas dans une collecte de données personnelles. Tout ce qui est collecte de données personnelles, stockage de données, et tout... C'est pour ça, effectivement, aussi qu'on va... que, si jamais on prenait la décision d'adopter ou de rendre disponible une telle application, on prioriserait une technologie dite de Bluetooth. Le code source est déjà disponible, là, sur... là. C'est très transparent, là. C'est le même que Santé Canada, dans le fond, puis l'Ontario. Mais il n'y a pas de collecte de données personnelles. De toute façon, c'est très encadré dans le cadre législatif, au Québec. Puis on comprend les préoccupations des gens en cette matière, puis le gouvernement du Québec... Donc, ça, c'est très important.

Un point que j'ai trouvé très intéressant, que vous avez mentionné, M. Gingras, c'est vraiment de mesurer les coûts d'opportunité, donc les effets positifs versus les désagréments ou des désavantages. Je pense que, quand on prend une décision, on veut vraiment mesurer le pour et le contre, voir qu'est-ce qu'une application comme ça pourrait apporter aux Québécois dans le cadre de la lutte contre la pandémie versus des désagréments ou des effets négatifs comme... Vous parliez des faux positifs, parce qu'effectivement, dans le monde, plusieurs applications ont été lancées dans divers pays, puis il y a eu des cas, là, probablement, de faux positifs, puis c'est surtout avec l'application Bluetooth. L'application Bluetooth est choisie, priorisée parce qu'il n'y a pas de géolocalisation, il n'y a pas de traçage. Ça permet la plus grande protection des données personnelles des Québécois ou des citoyens en général.

Puis moi, je me suis posé la question puis j'ai fait des recherches hier. Je ne sais pas si vous avez lu les mêmes articles que moi, mais j'aimerais vous entendre là-dessus. J'ai regardé notamment... Parce qu'effectivement il n'y a pas encore d'études qui ont sorti par rapport aux résultats parce que la plupart des pays n'ont même pas consulté d'experts ni les citoyens, ont lancé ça le plus rapidement possible pour... justement en se disant : Ça va nous aider dans le cas d'une deuxième vague. Donc, ils ont lancé ça rapidement. Nous, on est un des seuls États, dans le fond, à prendre le temps de consulter puis de dire : On va prendre le pouls, puis on va voir si c'est acceptable, puis regarder le pour et le contre.

J'ai lu, par contre, qu'il y a des modélisations qui ont été faites par la Oxford University. Je ne sais pas si ça vous dit quelque chose. Puis après ça il y a le MIT Technology Review qui ont sorti un article, là, je pense, à la mi-juin, qui démontrait, dans le fond, qu'une application comme ça, qui serait une mesure, on s'entend, complémentaire aux mesures actuelles, aurait des effets positifs pour diminuer le nombre de cas, pratiquement, peu importe le niveau d'adhésion. C'est sûr que plus qu'il y a de gens qui «downloadent» l'application, mieux c'est, mais non. Mais je ne sais pas si vous l'avez vu, mais, moi, ça m'intéresse, puis je suis totalement, là...

Je ne sais pas, même moi, mon idée n'est pas faite par rapport à cette application-là, mais je m'intéresse quand même à des études et des modélisations, puis j'aimerais ça vous entendre, savoir si vous abondez dans le même sens ou... Tu sais, par rapport aux effets positifs, admettons, s'il y a des cas de faux positifs, bien, ça encourage quand même les gens à... bon, qui ont été notifiés : Vous avez peut-être été en contact, mais peut-être que c'est un faux positif... encourager les gens, les jeunes, notamment, qui sont peut-être moins sensibilisés ou moins prompts à aller se faire tester, à prendre des mesures ou à être un petit peu plus sensibles aux risques. Est-ce que les effets positifs qui seraient basés sur les articles ou les modélisations, par exemple celles d'Oxford University, ne seraient pas supérieurs à des risques, selon vous? Est-ce que vous avez pesé le pour et le contre par rapport à ça?

• (11 h 40) •

M. Gingras (Yves) : Pour répondre à cette question-là, c'est important de voir que ce que vous dites, c'est effectivement ce que tout le monde dit, en disant : Bah! On a une technique. Si ça sauve même une vie, ça vaut la peine, hein? Ça, je l'ai lu. Les informaticiens, je l'ai lu encore dans la revue Science, oui, au fond, même si... l'efficacité, ils ont refusé de la mesurer, alors que ce n'est pas compliqué, la mesurer.

Mais, je répète, si vous envoyez des gens faire des tests, combien coûte un test? Rappelez-vous qu'au début les tests étaient coûteux, et c'est pour ça qu'on a dit : On ne teste non pas les citoyens lambda, on teste ceux qui ont des... qui se sentent... qui ont des symptômes. Pourquoi on a fait ça? Bien, parce qu'il y a des coûts associés aux tests. Un calcul coût-bénéfice, c'est ça que ça fait. Or, pendant ce temps-là, encore une fois, c'est quoi, le taux de faux positifs? Je n'ai... Il y a un seul cas qu'on connaît, c'est en Israël. Israël, le logiciel a été développé par le Shin Bet. Ça, c'est le service secret. Mais, bon, donc, ils connaissent l'informatique. Donc, ils ont fait un logiciel, mais toujours est-il que le taux dans le... oui, dans le Jerusalem Post du 6 juin, montrait que le taux de faux positifs était de 93 %.

Donc, moi, ce que je dis, c'est : Testez-les. Ne spéculons pas avec une modélisation qui dit : Si ça marche, alors ça va être utile. Une modélisation, c'est très utile parce que ça dit : Si ça marche, ça va être utile. Mais qui doute que, si vous mettez un masque, il y a moins de chances que je vous crache dans la face? Donc, il y a un peu de bon sens sur lequel il faut revenir puis dire : Les modélisations des hypothèses, c'est plausible. Mais je dis toujours : Pourquoi vous ne le testez pas, l'appareil, si, en Israël, le taux fait qu'il ne sert à rien?

L'autre chose, c'est la prévalence de la maladie; il ne faut quand même pas l'oublier, elle est très faible. Donc, dans un métro où il y a 100 personnes, statistiquement, il y en aurait six qui pourraient l'avoir. Si la moitié ont le téléphone, O.K., ça fait une demie. Une demie fois une demie, c'est la probabilité de rencontre des deux téléphones, c'est un quart. Ça fait que vous êtes rendus à 4 % de probabilité de détecter. Ça, c'est mathématiques simples, le calcul des probabilités, dont les modèles ne parlent pas parce que le modèle dit : Si tout va bien, ça sauve des vies. Oui, tout le monde a compris. Donc, je rappelle toujours la même chose : Shopify, vous êtes gentils, testez ça sur l'île Bizard, on mesure les distances, puis dites-moi si vous savez que je suis à deux mètres. Moi, c'est tout ce que je demande.

Mme Boutin : Est-ce que vous auriez des recommandations, justement? Si le gouvernement allait vers un projet pilote ou pour tester une application comme ça, quelles seraient vos recommandations par rapport à ça?

M. Gingras (Yves) : Ah! ça, ça serait très bien, parce qu'on pourrait... Et la Santé publique doit être impliquée là-dedans parce qu'elle est habituée d'aller faire les suivis et elle sait comment ça se fait, le suivi, puis le temps que ça prend. Ça fait que, si, demain, il y a 50 notifications ou 5 000 notifications puis que les gens viennent ici, qu'est-ce qu'on fait? Donc, on n'a pas analysé les... Ça a peut-être été fait par le ministère de la Santé, qui ne nous en parle pas, ou l'Institut national de santé publique, j'espère, a fait ces calculs-là, de dire : Écoutez, là, si ces appareils-là sont en marche puis qu'il nous arrive 2 000, on fait quoi? C'est ça que je voudrais qu'on fasse, qu'on fasse la réalité et non pas la spéculation sur les possibilités. Plein de choses peuvent arriver, mais, pour l'instant... des choses aussi simples que ce que je viens de vous dire, hein? Si la moitié des gens ont un téléphone, la probabilité que les deux téléphones se rencontrent, c'est le produit, donc cinq fois cinq, 25, c'est un sur quatre. Donc, est-ce qu'un sur quatre... Puis, dans les un sur quatre, il y a 6 %, si on suit les stats actuelles, qui ont la probabilité d'avoir... Donc, ça fait quatre sur 1 000.

Je dois vous dire, il faut qu'il y ait, à l'interne du ministère, des gens qui disent : Laissons faire l'excitation puis allons... vite, faisons des calculs. Un statisticien officiel va vous les faire. Ce n'est pas compliqué. Ça s'appelle le théorème de Bayes, hein? Il va vous calculer ça exactement, vous, les probabilités, que, même si 70 % des gens ont le téléphone, sept fois sept, 49, c'est une chance sur deux de gens où la probabilité d'avoir le COVID est de 6 %. Et c'est technique, mais je pense qu'il faut aller vers ça, sinon on se laisse emballer.

Dernière chose, c'est que les gouvernements veulent agir parce que ne pas agir, les gens sont mal à l'aise. Ça fait que le gouvernement fédéral dit : Voyez-vous, on est un bon gouvernement, on agit. Ils ont lancé Shopify, qui est une expérimentation réelle, sans tests avant. Ça fait que, là, on verra qu'est-ce que ça donne dans deux mois. Les sociologues vont analyser ça, hein, mais est-ce que c'est éthique d'expérimenter sans balises? Je ne suis pas certain. Peut-être que...

Mme Meurs (Marie-Jean) : Oui. Sur l'article que vous citez, donc, il s'agit d'une prépublication qui est sortie mi-juillet, qui fait état, d'ailleurs, de données collectées sur l'île de Wight par les chercheurs de l'Université d'Oxford, et cet article est très intéressant parce que, justement, dans leurs conclusions, il est bien mentionné que l'impact de l'application n'est pas avéré, que, dans le contexte... Non, non, non, les données probantes... C'est écrit clairement dans l'article, les données probantes ne sont pas là. En fait, très exactement, si ma mémoire est bonne, il est indiqué que la causalité n'est pas avérée. C'est-à-dire que l'usage a été là à titre d'expérimentation, que des observations ont été faites sur la santé de la population de l'île de Wight, qui est quand même un milieu très particulier, mais que la causalité qui permettrait d'avérer l'efficacité de cette application n'est pas là.

En revanche, ce qui est intéressant... Donc, ça vient conforter notre explication initiale et puis le propos de mon collègue. Mais ce qui est très intéressant, c'est que ça met, comment dire, de l'eau au moulin de l'idée d'un test. Faisons des tests scientifiquement rigoureux parce qu'en effet ce sont des options qui sont intéressantes et qui pourraient avoir une influence. Mais, dans la logique de l'urgence, la rhétorique de l'urgence, vous constaterez que cette étude a été reprise pour dire : Vous voyez, ça marche. Ce n'est pas ça qui est écrit dans l'article. Ce n'est vraiment pas ça. Ce qui est écrit, c'est que c'est intéressant, mais que nous n'avons pas encore les données permettant d'affirmer une causalité, c'est-à-dire est-ce que ça eu une influence positive.

Mme Boutin : J'aimerais vous entendre sur... On parle de tests. Vous, est-ce que vous auriez aussi des recommandations si... comment on pourrait effectuer un test? Est-ce que ce serait seulement de la modélisation ou on utilise des vraies personnes, concrètement parlant?

M. Gingras (Yves) : Il ne faut surtout pas faire de la modélisation, parce qu'ultimement la modélisation, elle est, dans un sens, tautologique. Il sort ce qui rentre. Mais des tests, ça a été fait. Je vais donner un exemple ici, c'est qu'il y a un test qui a été fait... je l'ai peut-être dit tantôt, mais qui a été fait sur Bluetooth expérimentalement. Et on s'est aperçus que, dans 20 % des cas, on ne détectait pas la bonne distance, ce qui ne me surprend pas, parce qu'au fond mon pif, c'est que le taux de faux positifs devrait... à cause de ces technologies-là, ne me surprendrait pas qu'il soit au moins autour de ça, 20 %. Et ça, donc, comment on a fait ça?

Il y a un autre exemple qui a été fait en France, l'application StopCovid, qui est une des premières qui a été en application. Il y a un ingénieur de l'INRIA— on a le texte ici, à quelque part — qui est allé chez lui... Et lui, il est à l'INRIA. C'est le lieu qu'ils ont développé l'appareil. Lui, il est allé chez lui, il a pris deux téléphones. Il a téléchargé l'appareil. Il les a mis à deux mètres de distance, séparés par un mur. Et là il a joué avec ça et il s'est aperçu que non seulement ce qui était dit dans l'appareil était faux, c'est qu'on devait uniquement attendre 15 minutes de contact minimum à moins de deux mètres, il s'est aperçu qu'il y avait eu un avis de contact, alors que ça faisait juste deux, trois minutes. Et ensuite, d'ailleurs, le ministre a dit : O.K., on va ajuster l'appareil. Donc, lui a testé, il ne s'est pas contenté de dire, le ministre ou le... ou Shopify : Regardez, ça marche comme ça. On vous dit qu'on n'a fait que les tests présents... deux mètres pendant 15 minutes. Ça, c'est ce qu'ils disent. Est-ce que c'est comme ça que l'appareil... Cet ingénieur-là a dit : Bien, je l'ai fait, le test, c'est faux. Et là ils ont refait l'appareil.

Tester, c'est prendre les appareils, mettre le détecteur dessus puis mesurer la distance entre les deux personnes. Ici, par exemple, on est 50. Je sais à quelle distance vous êtes, je prends ça en note puis je dis à l'appareil : O.K., tout le monde a mis son appareil; à quelle distance on est? Ça fait que ça a été fait, puis, dans huit chances sur 10, on était capable de dire : Oui, ils sont bien en bas de deux mètres. C'est ça, tester. Ce n'est pas supposer, mathématiquement, ce que ça donne. Ça, c'est utile pour prédire et faire des prévisions, mais ensuite il faut les vérifier, les prévisions. Ce n'est pas compliqué. Et on a le temps, hein? Je vous rappelle qu'ici on n'est pas dans l'urgence. On a pris combien de temps aujourd'hui? Hier, c'était 95, là, je ne sais pas combien, on est en bas de 100 cas par jour. Donc, il n'y a pas de raison de s'exciter et d'aller trop vite, parce qu'il y a des coûts à prendre des décisions trop rapides. En France, l'efficacité est à peu près nulle. Et, si vous faites le calcul, deux fois 12, 24, bien, ça nous coûte 2,4 millions d'euros pour une bébelle qui ne marche pas.

Le Président (M. Bachand) : Le député de Chapleau, s'il vous plaît.

M. Lévesque (Chapleau) : Justement, là, c'est pour ça que j'aimerais faire appel à Pre Meurs, donc, sur votre expertise plus en tant qu'informaticienne. Donc, pour que, justement, la bébelle dont on parle, ça fonctionne, qu'est-ce qu'il faudrait qu'on retrouve dans cette application-là? J'imagine que vous avez une idée. Vous avez, tu sais, réfléchi sur ça. Vous avez lu. Vous êtes experte dans le domaine. Qu'est-ce que ça prendrait pour que ça fonctionne?

Mme Meurs (Marie-Jean) : C'est une question à double sens parce que quelle est la différence entre fonctionner et être efficace? C'est-à-dire...

M. Lévesque (Chapleau) : ...

Mme Meurs (Marie-Jean) : Les deux? Bon, O.K. Pour que ça fonctionne, au sens de ce qu'Yves vient de dire, en termes de Bluetooth, il faut s'assurer qu'effectivement un certain nombre de précautions sont prises, que les appareils vont être compatibles avec la technologie utilisée, que les taux de faux positifs, etc., soient connus, parce que, dans ce domaine, et notamment dans tout ce qui touche ces applications technologiques, souvent, on a de l'incertitude. Il est impossible de prétendre qu'une application va fonctionner, techniquement, technologiquement, moi, je ne parle pas de santé, là, mais va fonctionner à 100 %, quel que soit son niveau de perfection. Je veux dire, aucun grille-pain ne grille à la perfection le pain, aussi technologiquement avancé soit-il. Donc, il y aura toujours un seuil d'erreur. Ce qui est extrêmement important, c'est de le connaître, c'est-à-dire de savoir à l'intérieur de quelle, disons, plage de validité on se trouve.

Donc, ça, c'est une première chose, donc, évaluer avec précision. On a des protocoles scientifiques très précis, qu'on connaît très bien, qui permettraient d'évaluer effectivement les mesures de distance, quand est-ce qu'elles sont fiables, quand est-ce qu'elles ne le sont pas, et donc de pondérer, probablement, l'approche qui va être utilisée pour notifier ou ne pas notifier. Si vous pondérez par un seuil qui dit : Bon, bien là on n'est vraiment pas sûrs que ça soit vrai, bien, donc, on évite de notifier. Déjà, vous limitez, vous mitigez la présence de faux positifs.

Après, pour ce qui est de l'efficacité, là, on est sur un domaine qui relève beaucoup plus, selon moi, de la santé publique que de l'informatique, et même essentiellement de la santé publique et extrêmement peu de l'informatique, puisque nous, en tant qu'informaticiens, informaticiennes ou spécialistes en intelligence artificielle, nous ne sommes que des fabricants d'outils. Je me plais souvent à le rappeler. On fabrique des outils dans ce domaine au service d'une cause qui est la cause de santé publique.

Donc, dans ce domaine, ces applications-là ne sont pas là pour collecter. La collecte, elle est en amont, d'après moi. Elle est faite au niveau de la Santé publique. Et c'est à la Santé publique de dire quels sont ses besoins, quelles sont ses interrogations et comment nous, on va pouvoir répondre à ce questionnement-là, parce que, oui, à ce moment-là, on pourra utiliser des modèles d'apprentissage pour améliorer éventuellement des prédictions sur la base de données qui seront fiables, c'est-à-dire qui auront été validées par la santé. Donc, est-ce que c'est... Pardon.

• (11 h 50) •

Le Président (M. Bachand) : Il ne vous reste plus de temps, désolé. Alors, je dois passer la parole à l'opposition officielle pour une période de 10 min 10 s. Et avant j'autorise le dépôt du document de la députée de Saint-Laurent et je vous donne la parole. Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme Rizqy : Merci beaucoup, M. le Président. Merci. Fort intéressant. Vous me donnez le goût de m'inscrire à vos cours. Alors, bienvenue parmi nous. J'aurais quelques questions. Vous m'avez bien fait sourire lorsque vous avez mentionné que, depuis 30 ans, vous avez entendu l'industrie informatique inventer des bébelles numériques pour à peu près tous les maux de la terre. Dites-moi, dans une... Habituellement, quand on a une solution, c'est pour répondre à un problème. Alors, en quoi cette solution répond au problème suivant? Par exemple, est-ce qu'on aurait fermé plus tôt l'aéroport de Montréal avec une application de traçage?

M. Gingras (Yves) : Ce n'est pas évident comme réponse parce que le problème, c'est qu'une fois qu'on a fait la détection puis que la personne dit : Bien là, tu as rencontré, sans le savoir, quelqu'un qui, finalement, a la COVID, là, il faut lui dire quoi faire. La première chose, c'est... on dit : Bien là, tu rentres chez vous puis tu ne bouges pas avant 14 jours, ce qui est un peu du délire, ou on dit : Tu fais un test, puis là ça coûte le prix d'un test. Donc, ça, c'est la Santé publique qui va décider ça, ce n'est pas l'appareil. Comme elle dit, l'appareil, c'est un outil. Il faut savoir s'en servir. Il faut se demander est-ce qu'on a eu besoin de l'outil pour se rendre où on est aujourd'hui. Bien, la réponse, c'est non. On a contrôlé l'épidémie. Arrêtons de délirer, là, on a contrôlé l'épidémie. L'épidémie, là, est à 100 par jour dans la province de Québec. Donc, on a fait des techniques qui ont fonctionné. Après, on peut spéculer, hein, puis faire les gérants d'estrade. Vous savez ce que j'en pense.

Mme Rizqy : Toujours dans le même sens, en quoi que, par exemple, avec le traçage, avec cette application, on aurait été en mesure de prendre la décision plus rapidement, de dire : Bon, bien, les travailleurs de la santé, vous n'allez pas de zones chaudes à zones froides? Est-ce que c'est grâce à ce type d'application ou, en fait, c'est vraiment une question de gestion humaine, de prise de décision de ceux qui sont à la Santé publique et des gouvernements davantage, et non pas cette application qui permet de prendre une décision plus rapide, là?

M. Gingras (Yves) : L'application ne donne que de l'information pour la décision. Par exemple, si on avait cette application-là qui fonctionnait très bien, disons, neuf fois sur 10, ce qui est très bien, on verrait peut-être que l'épidémie, elle est localisée dans des réseaux. Moi, je fais beaucoup de sociologie des réseaux. Vous savez que les réseaux sont hétérogènes, hein? C'est la loi du 20-80. C'est que les réseaux ne sont pas homogènes. Tous les gens n'ont pas la même probabilité de se rencontrer. C'est dans le système de santé qu'on a eu les cas les plus fréquents, et c'est donc les personnes des familles de santé qui étaient les plus probables, en termes de probabilité, alors que, dans mon environnement à moi, il n'y avait personne.

Donc, ça, ça aiderait à connaître cette vérité sociologique que les réseaux sont hétérogènes et que la probabilité d'attraper le COVID dans un espace donné, elle n'est pas la même partout. Le R0, il est homogène dans l'espace, mais, dans la réalité, c'est le cas qui compte, c'est-à-dire la probabilité que vous en infectiez 40 parce que vous rencontrez tous vos élus, vous les rencontrez tous, alors que moi, je ne rencontre personne. Donc, oui, c'est utile, mais pour aide à la décision et jamais pour décider automatiquement. Impossible. Aucune technologie ne peut permettre une décision.

Mme Rizqy : ...parce que vous allez par points. Vous commencez avec efficacité, parlons d'efficacité : Singapour. Vous avez remarqué qu'à Singapour ils ont commencé d'abord avec ce qu'on appelle la technologie la plus douce, la moins intrusive, c'est-à-dire celle qui nous est présentée aujourd'hui, le Bluetooth, et plusieurs citoyens, résidents ont téléchargé l'application, et malheureusement ça n'a pas fonctionné. Par la suite, ils sont allés à plus intrusif, c'est-à-dire localisation par GPS, pour finalement aboutir avec un bracelet. Pensez-vous que ça, c'est... Il y a des risques de dérive vers ce qu'on appelle le totalitarisme numérique, où est-ce que, dans la rhétorique de l'urgence, on se permet d'aller encore plus loin, encore plus loin et encore plus loin parce que lorsqu'on est en pleine crise, des fois, bien, à ce moment-là, on n'a plus le temps de faire des consultations publiques et, dans l'urgence, on dit : On va aller... Puisque, de toute façon, l'application, dans le cas de Singapour, ils pouvaient déjà l'ajouter à l'application précédente qui partait de Bluetooth, était déjà téléchargée, alors le gouvernement s'était donné la permission, sans consultation des citoyens, de simplement permettre au logiciel d'aller encore de façon plus intrusive dans les téléphones intelligents.

M. Gingras (Yves) : Comme nos collègues vont vous le dire aussi cet après-midi, historiquement, on sait très bien qu'une fois que la technologie est en place c'est beaucoup plus facile d'additionner dessus que de reculer. On ne recule à peu près jamais. Mais, dans le cas de Singapour, il faut bien rappeler que c'est à 20 % qu'ils l'ont, donc 20 % qu'est la probabilité de rencontre, deux fois deux égale quatre, il y avait 4 % que les deux téléphones se rencontrent. 4 %. Donc, ça ne peut pas être efficace. Ça fait que, là, on dit : O.K., ce n'est pas efficace, on va rajouter une couche, puis, à la dernière, une couche, une couche, une couche. La technologie, une fois qu'on rentre la main dedans, il faut faire très attention, c'est difficile de reculer, difficile. Ce n'est pas impossible. Ça prend des décisions, comme, par exemple, dire qu'on n'a pas besoin d'application, ça prend du courage pour le dire, mais ça pourrait être vrai.

Mme Rizqy : Merci. C'est très important, ce que vous venez de dire. Et, toujours dans l'efficacité, l'Islande, eux, c'était 40 % qui ont téléchargé l'application, et, malgré un seuil de 40 % de téléchargement de l'application, ça ne s'est pas avéré efficace non plus en Islande.

M. Gingras (Yves) : Bien non, parce que quatre fois quatre égale 16, ça fait 16 % de probabilité que les deux téléphones se rencontrent.

Mme Rizqy : Alors, pour ceux... Par exemple, lorsqu'on lit le rapport de la ligue des droits de la personne, ils font mention du comté de ma collègue Paule Robitaille, collègue de Montréal-Nord. La pandémie a touché sévèrement Montréal-Nord. Dans ce quartier, on parle d'un quartier où est-ce que les risques de vulnérabilité sont importants, de pauvreté aussi, et notamment que 30 % des résidents n'ont pas accès à Internet. Alors, ici, non seulement il y a un bris de service, mais, qui plus est, lorsqu'on dit : Vous pouvez avoir l'application, est-ce qu'on risque d'avoir beaucoup de laissés-pour-compte dans ces cas-là puis d'accentuer, d'ailleurs, des inégalités non seulement sociales, mais aussi de santé publique?

M. Gingras (Yves) : Je suis très content que vous souleviez la question parce que j'ai sorti les données là-dessus. Ça, c'est très important. Vous savez, dans le document de préparation, on dit : 77 % des gens ont un téléphone intelligent. Mais ça, encore une fois, c'est une donnée homogène. Ça n'a aucune valeur. La réalité, c'est que 53 % des gens qui gagnent moins de 20 000 $ l'ont. Donc, la moitié des gens qui gagnent moins de 20 000 $ ne l'ont pas. Or, la COVID est plus fréquente où? Dans les milieux pauvres. 52 %, la moitié, des gens qui ont plus que 65 ans n'ont pas de téléphone intelligent. Où est le danger du COVID? Chez les personnes âgées, chez les pauvres. 98 % des 18-24 l'ont. Donc, eux, ils l'ont, et ce n'est pas eux les plus en danger. Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas l'utiliser, mais ça veut dire que 77 %... Encore une fois, c'est une vision homogène. La société n'est pas homogène. Il faut se sortir ça de la tête. Il faut regarder les cas là où ils sont. Les pauvres ne se serviront pas de cette application-là, les vieux ne s'en serviront pas, uniquement les jeunes. C'est mieux que rien, mais il faut le savoir, que c'est les jeunes, ce n'est pas la société qui va faire ça, c'est des groupes précis.

Mme Rizqy : ...avoir des laissés-pour-compte.

M. Gingras (Yves) : Bien sûr qu'il va y avoir des laissés-pour-compte, bien évident. Mais on va répondre que, bien, ceux qui l'ont, au moins, vont rester loin des laissés-pour-compte. C'est pour ça qu'il faut parler de distance physique et pas de distance sociale.

Mme Rizqy : Oui, mais les pauvres ne pourront pas partir de leur habitation à loyer modique, hein? On s'entend, ils ne pourront pas quitter un CHSLD pour en trouver un de luxe à 10 000 $ par mois, hein? On s'entend. Alors, même si on reste loin d'eux, ils existent, et on doit en prendre soin.

Et j'aimerais aller sur quelque chose que vous avez dit, Mme la Pre Meurs, sur les serveurs et les données. Vous êtes bien au courant qu'en février 2019, alors... au président du Conseil du trésor, il y avait une annonce que le gouvernement du Québec avait l'intention de confier la gestion des données des Québécois vers le secteur public pour plus de 80 %. Et, jusqu'à ce jour, on ne nous a pas encore répondu si c'était un serveur qui sera québécois ou même détenu par le secteur privé à l'étranger, une entreprise étrangère. Ici, est-ce qu'on n'a pas un danger que, justement... On parle aujourd'hui du traçage, d'une application, mais il y a aussi cet aspect-là du gouvernement, ce désir d'aller vers la privatisation des données.

Mme Meurs (Marie-Jean) : C'est surtout mon collègue Sébastien Gambs qui pourra vous en parler demain puisque c'est son domaine de spécialité. En l'état, pour moi, c'est fondamental que les données restent au Québec et, en tout cas, restent au Canada, parce que, dans ce domaine, on a la possibilité d'être assez sûr de la façon dont ces données seront protégées, et surtout si elles sont dans les mains du secteur public. Si on met nos données dans les mains du secteur privé, on n'est plus maîtres de ce qui se passe. En tout cas, quels que soient les engagements qui sont pris, on entre dans une... on donne une possibilité. Comme dit Yves, si on ouvre la porte, elle est ouverte. Donc, effectivement, on peut se munir des garde-fous très précis, mais, tant qu'on est dans le service public, tant que les données sont la propriété du gouvernement, gérées sur des serveurs gouvernementaux et encadrées par les moyens dont on dispose, on s'assure la plus grande sécurité. Donc, là-dessus, oui, c'est quelque chose qui est extrêmement important.

Mme Rizqy : Juste pour le temps qui me reste, une minute, M. le Président, j'aimerais juste me réserver le droit à l'article 176 pour vraiment qu'on ait une séance de travail, à la fin de toutes nos consultations, pour avoir un rapport avec nos recommandations là-dessus.

Le Président (M. Bachand) : C'est en discussion avec les différents leaders des partis, effectivement.

Mme Rizqy : Parfait. Merci. Alors, je termine rapidement. Vous avez aussi mentionné, Pre Meurs, au niveau des organismes à but non lucratif... et vous m'avez fait bien sourire parce que je ne pourrais pas manquer l'occasion d'en parler, parce que vous avez bien raison que c'est souvent un angle mort, parce qu'on dit «à but non lucratif», mais, souvent, elles sont associées avec une autre société qui est à but lucratif, et on l'a vu cet été avec le scandale WE Charity. Alors, ici, est-ce que vous êtes ferme qu'effectivement on devrait exclure là-dessus toutes des sociétés opaques, et même celles qui sont étrangères, là? Et pouvez-vous aussi nous indiquer au niveau des conflits d'intérêts potentiels?

Le Président (M. Bachand) : Écoutez, il vous reste 20 secondes, cependant, pour répondre.

Mme Meurs (Marie-Jean) : O.K. Donc, je vous répondrai simplement plus en tant que citoyenne et en coordonnatrice d'HumanIA. Nous, les conflits d'intérêts sont évidents. Pour ce qui est de la problématique des organismes à but non lucratif, Yves l'a très bien dit, on a un problème d'opacité. Donc, non.

Le Président (M. Bachand) : Merci. M. le député de Gouin, pour 2 min 32 s, s'il vous plaît.

(12 heures)

M. Nadeau-Dubois : Merci, M. le Président. Bonjour. Merci d'être ici aujourd'hui. J'ai peu de temps, mes questions vont être brèves. Je vous invite à également avoir des réponses brèves pour qu'on ait le temps de couvrir le terrain que j'aimerais couvrir avec vous.

D'abord, je veux revenir sur l'absence des gens de Shopify dans le cadre de cette commission parlementaire. Ils ne viendront pas témoigner. Ça a été très difficile de la part de la commission de les joindre. Lorsqu'on a fini par... Lorsque la commission a fini par joindre les gens de Shopify, ils nous ont répondu que ce n'était pas eux qui avaient développé l'application, mais des «volunteers» — c'étaient des communications en anglais, bien sûr — donc des bénévoles à l'intérieur de leur entreprise qui auraient développé l'application, mais que, donc, ce n'est pas eux. Ça fait qu'ils ne peuvent pas venir en parler. Réponse embêtante. On a tenté, donc, de contacter ces gens-là. Ça n'a pas été possible. Et, en fait, le gouvernement, de toute façon, a coupé l'herbe sous le pied de cette tentative-là puisque, du côté gouvernemental, on a nous a dit : Ça va être trop confondant si on invite les «volunteers», les bénévoles de Shopify de venir. Alors, on ne les entendra pas. Donc, on va avoir, dans les trois prochains jours, une discussion largement théorique sur les applications en général.

Or, ça transparaît du discours de la partie gouvernementale, on semble se diriger, de toute évidence, vers cette application-là. Du point de vue de l'acceptabilité sociale de ces outils technologiques, du point de vue éthique, est-ce que vous trouvez normal que les développeurs de l'application qui est vraisemblablement envisagée par le gouvernement ne rendent aucun compte aux parlementaires?

Le Président (M. Bachand) : ...secondes, Mme Meurs.

Mme Meurs (Marie-Jean) : Je n'ai pas d'avis politique, bien entendu, j'ai un avis technique. Le code source de cette application, je l'ai vérifié moi-même avant de vous rendre visite, est parfaitement libre. Toutes les facettes de l'application, que ce soit le «frontline», tout ce qui est dedans, tout est ouvert. J'ai insisté sur la nécessité de la documentation. Donc, effectivement, la question que vous posez est intéressante. Est-ce qu'on est en mesure d'avoir suffisamment de documentation? Mais il n'y a... il y a une totale transparence sur le code source. Donc, à la limite, oui, ça serait peut-être plus facile si on avait le développeur pour nous guider à travers le code, mais on a accès en totalité au code qui est utilisé. Donc, c'est la réponse technique que je pourrais mettre en face de votre question.

M. Nadeau-Dubois : Si on mettait en place une telle application au Québec, est-ce qu'on serait en mesure, selon vous, avec les informations que vous avez, de mieux protéger les aînés au Québec, qui ont été les principales victimes de la première vague de la pandémie?

Le Président (M. Bachand) : Malheureusement, c'est tout le temps qu'on a. Je dois céder la parole au député de René-Lévesque. M. le député de René-Lévesque, s'il vous plaît.

M. Ouellet : Vous pouvez répondre... Allez-y... sa réponse.

Mme Meurs (Marie-Jean) : Je ne suis pas membre de la Santé publique, donc je ne peux pas répondre à cette question.

M. Ouellet : C'est la grande question qu'on a aujourd'hui. Est-ce que la technologie peut nous aider à vaincre cette pandémie? Je vous ai entendus tout à l'heure, vous nous avez dit que les mesures sanitaires nous avaient aidés à aplanir la courbe. Mais, comme parlementaires, on se pose la question : Est-ce qu'on pourrait en faire plus? Et ce que vous nous dites depuis tout à l'heure : Faisons attention d'aller trop vite, prenons le temps de tester. Et vous nous allumez les lumières sur la technologie Bluetooth qu'on discute, à savoir qu'elle n'a pas été testée. Elle devrait être testée avant de la mettre en application. À votre idée ou à votre connaissance, est-ce qu'il existerait d'autres technologies qui pourraient nous aider à mieux lutter contre la pandémie? Est-ce que, dans vos recherches, vous, à titre d'informaticienne, vous, avec vos autres collègues, qui regardez la littérature, est-ce qu'il existe d'autres choses technologiques qui pourraient nous aider à en faire un petit peu plus pour mieux protéger nos populations?

M. Gingras (Yves) : Il y a plusieurs technologies, mais la raison, je pense, pour laquelle la majorité font Bluetooth, c'est que c'est la moins intrusive. Comme elle l'a dit, ça reste sur le téléphone de chacun, donc là, on est sûrs que ce n'est pas envoyé dans le système, où on sait que tu es obèse, que tu as telle maladie. C'est ça qu'on veut éviter. C'est pour ça qu'on a pris celle-là, puis, en plus, elle est tout près. Et donc, oui, si, une fois qu'on l'a testée... Moi, je ne suis pas antitechnologie. Je dis : Avant d'acheter un tapis, là, je veux savoir si c'est de qualité. Donc, un coup qu'on l'a testée, ça va être utile parce qu'on va être capables... mais il faut le vérifier pour ne pas que ça vienne encombrer. Pour l'instant, comme on vient de le dire, c'est théorique. Quand on l'aura testée, ça ne sera pas théorique. Mais je pense que ça devrait suffire, ça, cette affaire-là. Et, sinon, on rajoute des couches de GPS puis des couches de ci. Puis ceux qui veulent nous dire la prédiction de la probabilité, eux veulent toutes les données du système de santé, ça n'a aucun bon sens.

M. Ouellet : Dans ce cas-là, si on veut avoir un meilleur taux de succès et on veut toucher les populations qui sont plus à risque, tel que vous le mentionnez avec vos chiffres tout à l'heure, il serait probablement pensable aussi que le gouvernement aide les populations les plus démunies ou les plus touchées d'avoir en main cette application et ces téléphones si, effectivement on a fait les tests, si on est d'avis que c'est la chose à faire. Est-ce que ça, vous êtes d'accord qu'on devrait faire ça?

M. Gingras (Yves) : Moi, je dirais que non parce que ça, c'est du technojovialisme : Donnons la bébelle à tout le monde, ça va être utile. Les gens âgés, il faut les garder socialement. Ils restent dans leur famille, c'est à vous, comme fils ou petit-fils, de faire attention, et non pas de dire : Regarde, toi, on va te mettre aussi avec un appareil à jour au cas où tu irais au Metro au coin de la rue. Si on suit les gestes les plus classiques, on n'aura pas besoin de ça.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup.

M. Gingras (Yves) : Mais c'est utile dans certains cas, mais pas donner à...

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je dois donner la parole au député de Chomedey. M. le député de Chomedey, s'il vous plaît, pour 2 min 30 s.

M. Ouellette : Effectivement, on n'a pas beaucoup de temps. Bonjour à vous deux. Très instructif. M. Gingras, vous nous avez parlé que le gouvernement veulent agir. Vous dites : Pas à n'importe quel prix. Puis peut-être aussi qu'on n'en a pas besoin, de l'application. Ça pourrait être vrai. Je suis préoccupé, et puis on l'a vu dans les dernières semaines, le gouvernement veut aller vite. Là, il y a des vendeurs, là, qui sont prêts à vendre n'importe quoi. Le gouvernement a une urgence sanitaire qu'il veut avoir de façon indéfinie pour être capable de décider n'importe quoi, n'importe quel moment, sans en rendre compte, particulièrement aux parlementaires.

Je pense que, pour nous, ce qui est important, c'est tout ce qui est de la gouvernance, de la bonne gouvernance éthique de ce qu'on est en train de faire. Parce qu'un coup que la décision est prise, là, toutes les bébelles sur le terrain, il y en a un qui va gagner le gros lot. En France, on l'a vu : 200 000 €, 300 000 € par mois. Ça va avoir été décidé, on n'y reviendra plus. Tout ce qui est temporaire n'est rien de plus permanent au gouvernement. Ça fait que vous avez des commentaires sur la bonne gouvernance éthique?

M. Gingras (Yves) : Moi, je dirais de la gouvernance, parce que... Je me permets de dire que, souvent, on parle beaucoup, beaucoup d'éthique, mais attention, là, il y a la gestion, il y a l'organisation. Ce n'est pas de l'éthique, c'est de l'organisation, puis la technique, c'est la technique, il faut savoir que ça marche. Mais on enfume ça souvent en disant : Il faut être éthique. Non, non.

La gouvernance, par exemple, c'est essentiel qu'aucun OSBL ne soit associé à ça. Les OSBL, c'est connu, c'est opaque. Quand vous créez un OSBL, c'est parce que vous ne voulez plus que les citoyens aient accès à ces données-là, vous ne voulez plus... On l'a fait... on l'a vu à la ville de Montréal avec l'auto électrique puis leur petite course électrique. Donc, le gouvernement doit être responsable, il doit gérer ses données dans la santé. S'il achète un appareil, c'est comme acheter une TV; allez chez vous puis vous vous en occupez de votre TV, hein? Ce n'est pas Google qui gère votre TV, là, parce que, là, si vous êtes dans le trouble, il va prendre toutes vos informations. Puis ça, c'est simple, c'est la gouvernance de base qui dit que le Québec est autonome et que la santé relève du provincial.

Dernière chose que je veux dire, qui est importante, c'est que la technique, ce n'est jamais neutre. La technique, ça peut servir la politique. Par exemple, pourquoi le fédéral a agi avant les provinces? Parce qu'il veut rappeler qu'il intervient en santé. Or, la santé, c'est du domaine provincial. Mais il le fait avec une technique. Il dit : Ah! je vous amène une technique. Mais la sociologie élémentaire de la politique, ça dit : J'amène une technique comme gouvernement fédéral qui veut sauver la vie des citoyens canadiens, au-dessus des provinces. Donc, il faut faire une lecture politique de la technologie aussi.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Puis je tiens à vous remercier infiniment pour votre participation aux travaux de la commission.

Cela dit, la commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures, et on se retrouve dans la salle Pauline-Marois. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 12 h 10)

(Reprise à 14 h 01)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bon début d'après-midi. La Commission des institutions reprend ses travaux. Je demande bien sûr à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.

La commission est réunie afin de procéder aux auditions publiques dans le cadre des consultations particulières au sujet d'outils technologiques de notification des contacts ainsi que sur la pertinence de ce type d'outils, leur utilité et, le cas échéant, les conditions de leur acceptabilité sociale dans le cadre de la lutte contre la COVID-19.

Cet après-midi, nous entendrons la Commission de l'éthique en science et en technologie, la Ligue des droits et libertés, la Quadrature du cercle... du Net, pardon, et l'Institut québécois de l'intelligence artificielle. Ces deux derniers seront par visioconférence.

Sur ce, je souhaite donc la bienvenue aux représentants de la Commission de l'éthique en science et en technologie. Donc, M. Maclure et M. Cliche, bienvenue. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes pour votre exposé. Après ça, nous aurons une période d'échange avec les membres de la commission. Alors, bienvenue. La parole est à vous.

Commission de l'éthique en science et en technologie (CEST)

M. Maclure (Jocelyn) : Merci beaucoup. Merci, M. le Président. Mmes, MM. les députés des différents partis, merci de nous donner la chance de partager quelques idées avec vous au sujet de l'utilisation éventuelle d'applications numériques de notification d'exposition au virus. Je suis accompagné de Dominic Cliche, qui est conseiller en éthique à la Commission de l'éthique en science et en technologie du Québec et l'un des rédacteurs du mémoire qu'on a soumis, donc, à la commission.

La Commission de l'éthique a été à l'avant-plan du débat depuis le mois d'avril, hein, sur l'utilisation éventuelle d'applications numériques de traçage ou de notification. Dès qu'on a appris que le Mila développait un projet d'application, on a décidé très rapidement de mettre sur pied un comité spécial de travail, qu'on voulait indépendant par rapport au Mila, pour évaluer les bénéfices et les risques, d'un point de vue éthique, hein, de l'utilisation éventuelle d'une application. C'est un comité de travail qu'on voulait multidisciplinaire, mobilisant des expertises de différents organismes. Donc, il y avait évidemment des membres de la Commission de l'éthique en science et technologie, mais aussi des membres du comité d'éthique de santé publique de l'INSPQ, des professionnels de l'INESSS, des professionnels de la Commission d'accès à l'information, de la Commission des droits de la personne et des experts indépendants.

Lorsqu'on a... Au mois d'avril, on a publié un rapport intérimaire qui énonçait cinq grandes conditions d'acceptabilité éthiques de l'utilisation éventuelle d'une application. Lorsqu'on a compris... lorsqu'on a appris que le projet du Mila allait être abandonné, on a décidé de concentrer nos efforts sur les applications plus standards, dites binaires, qui sont utilisées maintenant dans plusieurs pays du monde, en tentant de sous-peser les avantages et inconvénients d'approches dites centralisées et décentralisées et de technologies utilisant, donc, le protocole Bluetooth. Et c'est ce qui a mené, donc, au rapport que vous avez sous les yeux.

Sur le plan du contenu de ce mémoire, lorsque, bon, on a tenté de participer à ce débat public... et on a constaté très tôt que le débat était plutôt mal engagé au Québec et qu'on ne s'était pas encore, hein, donné les moyens d'une prise de décision éclairée, hein, sur l'utilisation ou non d'une telle technologie. Et, très tôt dans le débat, on a suggéré qu'il fallait éviter au moins deux grandes visions qui nous apparaissaient insatisfaisantes, hein, pour mener à une prise de décision éclairée, à savoir ce qu'on a appelé d'abord une forme de solutionnisme technologique, d'une part, et une forme de catastrophisme, d'autre part, hein?

Et le technosolutionnisme, hein, c'est lorsqu'on pense qu'une proposition technologique est une réponse particulièrement efficace et prioritaire à des problèmes sociaux ou des problèmes de santé, hein, comme ceux engendrés par la pandémie actuelle. Le problème avec cette vision, hein, est que les développeurs des technologies, hein, ne sont pas du tout des spécialistes, hein, des problèmes sociaux, des problèmes de santé en question. Ils tendent à sous-estimer la complexité de ces problèmes et à surestimer la capacité et l'efficacité de leur solution technologique.

De l'autre côté, une vision catastrophiste tend à focaliser exclusivement sur un ou des risques, hein, inhérents à l'utilisation d'une technologie donnée, en omettant les bénéfices, hein, éventuels ou potentiels de l'utilisation de la technologie et souvent en dramatisant, hein, les risques associés à l'utilisation d'une technologie, hein, comme, en l'occurrence, hein, lorsqu'on se concentre exclusivement sur la possibilité d'une surveillance généralisée des citoyens ou d'une utilisation frauduleuse des données personnelles.

L'idée n'est surtout pas de dire que ces risques-là n'existent pas. Au contraire, il faut les prendre très au sérieux. Mais il faut évaluer à ce qu'il y ait des mesures d'atténuation des risques et il faut... une évaluation éthique rigoureuse exige qu'on compare, hein, d'une certaine façon, les bénéfices potentiels et les risques potentiels de l'utilisation d'une technologie et qu'on fasse un choix éclairé, hein, suite à cette comparaison des bénéfices et des risques.

Pour éviter le technosolutionnisme, on a suggéré très tôt qu'il fallait voir cette question-là comme une question de santé publique, hein, et que, ce faisant, ceux qui devaient être aux commandes dans ce débat, bien, ce sont les décideurs en santé publique et les décideurs d'un point de vue politique aussi, qui sont imputables devant la population, et que c'est eux qui devaient être vraiment aux commandes de ce débat. Et on suggère, hein, que les décideurs publics, hein, s'entourent aussi d'expertise complémentaire en éthique, en protection de la vie privée et, évidemment, en technologie de l'information. Mais il faut remettre, hein, ce débat-là dans le cadre des interventions en santé publique.

Au final, là, donc, on travaille sur ces questions depuis la fin du mois de mars, il nous apparaît évident qu'une application numérique de notification des expositions ne peut pas être vue comme une solution majeure, ou principale, ou prioritaire à la lutte contre la transmission du virus, hein? C'est ce que révèlent, hein, les expériences à travers le monde et les limites, hein, inhérentes à ce type d'application binaire, hein, dont il est question maintenant partout dans le monde. Au mieux, une application numérique peut être une intervention complémentaire à des interventions plus traditionnelles et plus structurantes en santé publique.

Là, où il peut y avoir une plus-value, on ne peut pas exclure la possibilité qu'il y ait une véritable plus-value, c'est eu égard à la possibilité que des personnes soient asymptomatiques ou présymtomatiques, hein, décident soit de se faire tester ou qu'ils décident... ou qu'ils se fassent tester plus tôt, suite à la réception d'une notification d'exposition, hein? Une personne asymptomatique pourrait très bien ne pas du tout se faire tester. Elle ne ressent pas de symptômes. Mais, suite à une notification, elle dit : Ah! mais peut-être, hein, que je suis à risque, hein? Et elle peut décider de se faire tester. Une personne présymtomatique peut décider de se faire tester plus tôt, hein, avant l'apparition des symptômes. Et, dans les deux cas, c'est possible, hein, qu'il y ait une contribution à briser des chaînes de transmission du virus, hein, de façon plus précoce, hein, que si on avait attendu, par exemple, l'apparition de symptômes. Donc, on ne peut pas exclure cette possibilité. Tout dépend évidemment de l'efficacité des applications en question.

Et les expériences internationales, jusqu'ici, on ne peut pas dire qu'elles sont concluantes en ce sens qu'on pourrait tirer un constat très, très clair sur le plan de leur efficacité. D'abord, il faut définir ce qu'est l'efficacité, hein, quels sont les résultats attendus. Et, pour l'instant, on peut apprendre beaucoup, hein, de ce qui s'est passé à travers le monde, mais il n'y a pas un constat clair, hein? Il y a des pays, comme l'Allemagne et l'Irlande, qui considèrent que les applications font partie des interventions en santé publique, hein, et qu'il faut continuer à utiliser ces applications. Il y a des pays qui, pour des raisons très différentes, comme le Royaume-Uni et la Norvège, ont décidé d'abandonner tout simplement, hein, ces applications, de ne plus les utiliser. Et, dans plusieurs pays, bien, la solution... la situation continue d'évoluer.

Donc, l'efficacité, hein, n'est pas établie, mais, encore là, on ne peut pas exclure qu'il y ait une certaine efficacité. Si on considère que l'efficacité est suffisante et qu'il peut y avoir une contribution, hein, qu'il peut s'agir d'une intervention complémentaire, hein, par rapport aux autres interventions en santé publique, bien, ensuite, hein, il faut répondre à un certain nombre de questions éthiques, hein, qu'on aborde dans le détail dans notre rapport, hein?

• (14 h 10) •

Parmi ces enjeux, bon, il y a la question d'abord des conditions d'un consentement éclairé et continu, hein? Il faut qu'il s'agisse d'une démarche, là, entièrement volontaire, hein, et, étant donné l'efficacité discutable ou pas établie encore, il n'est pas question, hein, de contraindre qui que ce soit d'utiliser une telle application. Bon, il y a plusieurs enjeux autour de la protection de la vie privée, on les aborde dans le rapport, et je sais que vous allez entendre la Commission d'accès à l'information, avec qui on a travaillé, donc je n'aborde pas plus en détail pour l'instant, mais on pourra le faire dans la période de discussion.

Un enjeu qui a souvent été souligné est celui d'une possible pente glissante, hein, et d'une normalisation des usages, hein, de nos données personnelles. Donc, c'est l'idée que, si on s'engage, hein, sur ce terrain, bien, une fois qu'on a commencé à utiliser les données personnelles générées par les applications, bien... et certains acteurs vont en faire d'autres usages qui, eux, vont être problématiques d'un point de vue éthique. La réponse à ce genre de préoccupation, habituellement, n'est pas qu'il faille nécessairement interdire, hein, l'usage d'une technologie, mais qu'il faille très bien la baliser, hein, que les conditions d'utilisation légitimes et légales, hein, soient clairement établies dès le départ.

On aborde des considérations, aussi, relatives aux fractures numériques, hein, qui sévissent dans nos sociétés. Est-ce qu'il y a là, donc, des raisons qui devraient faire en sorte qu'on devrait être sceptiques par rapport à l'utilisation des applications numériques? On pourra en discuter. Une chose qui nous apparaît claire, hein, c'est lié tant à des risques de discrimination et aux conditions d'un consentement éclairé. C'est que, si on utilise ces applications, un employeur ne devrait pas pouvoir obliger un employé à télécharger et à utiliser l'application étant donné qu'il ne s'agit pas du tout d'un outil de dépistage, hein, ou un outil diagnostic.

Et, dernièrement, une des conditions d'acceptabilité d'utilisation d'une telle application, c'est la transparence, hein, du processus qui mène à la décision et des raisons qui motivent les choix politiques en la matière, pour que les citoyens, hein, puissent se faire une tête. Ils doivent aussi... il faut tenter, d'une façon ou d'une autre, de les mettre dans le coup, hein, qu'ils aient voix au chapitre. Parce qu'au final, hein, une application de ce genre-là va être plus efficace s'il y a une adhésion assez large. Donc, sur le plan de la gouvernance et de la conception, il faut trouver une façon, donc, d'inclure les citoyens dans cette démarche. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup pour votre présentation. On débute la période d'échanges. Mme la députée de Jean-Talon.

Mme Boutin : Premièrement, merci d'être ici, messieurs, c'est fortement apprécié. Votre rapport était très intéressant, très bien construit, avec les pistes d'action. Je suis certaine que ça va contribuer à la réflexion pour le gouvernement. On n'a pas encore pris la décision, là, vous le savez déjà. C'est important de consulter les experts, consulter la population. Mais on s'est déjà positionnés à savoir qu'on n'irait pas avec des solutions, dans le fond, qui permettent la collecte de données personnelles ou la géolocalisation. L'objectif, c'est vraiment de protéger au maximum la vie privée et les données personnelles des gens. Il n'y a pas de stockage de données non plus.

Et puis on n'en a pas parlé plus tôt, là, mais j'ai lu un petit peu plus puis je le sais qu'on va aussi tester, faire un audit de sécurité sur l'application, si jamais on allait de l'avant, avant... par le centre cyberdéfense québécois... centre québécois de cyberdéfense avant d'y aller. Puis moi, j'ai deux questions principales, puis que c'est basé vraiment sur votre rapport. J'aimerais savoir : Est-ce que ces balises-là ou ces mesures d'atténuation là, si jamais on allait de l'avant, sont suffisantes? Et, sinon, qu'est-ce que vous recommanderiez d'aller encore plus pour, un, venir encadrer l'utilisation de cette application-là?

Et puis ma deuxième question, je la lance tout de suite parce que mes collègues aussi ont des questions, c'est au sujet de la gouvernance, parce que vous en parlez un petit peu dans votre rapport, on parle du rôle de coordonnateur du gouvernement puis de la mise en place d'un comité d'experts. Mais qu'est-ce qui pourrait être mis en place, au départ, pour assurer une saine gouvernance? Donc, c'est vraiment au niveau de... les mesures d'atténuation puis la gouvernance.

M. Maclure (Jocelyn) : Parfait. Merci beaucoup pour vos questions. Je vais répondre brièvement et je vais laisser Dominic compléter. Sur le plan de l'atténuation des risques, entre autres sur la vie privée, bon, il faut, si on va de l'avant, mettre de l'avant ce qu'on appelle une approche de protection de la vie privée dès la conception, hein, «privacy by design». C'est une approche qui est maintenant de plus en plus répandue, qui fait en sorte, hein, qu'à chaque fois que les développeurs ont des choix à faire ils doivent opter pour les choix qui, au fond, offrent une protection la plus robuste possible pour la vie privée. Et donc, ça, ça doit être vraiment dans les spécifications, là, qu'est-ce qui est demandé aux développeurs.

C'est une condition qui est nécessaire, cette approche-là, mais qui n'est pas suffisante. Il faut aussi, bon, qu'on ait les moyens, hein, de vérifier si effectivement toutes les mesures sont mises en place et que, dans les faits, hein, la vie privée des utilisateurs est bien protégée. Et donc, évidemment, il faut, hein, que, par exemple, la Commission d'accès à l'information, hein, puisse faire ses propres enquêtes pour voir si ces mesures sont en place.

Sur le plan de la gouvernance, donc, une fois qu'on a dit, hein, que les autorités de santé publique et les autorités politiques, hein, devaient être maîtres d'oeuvre, on pense qu'un comité-conseil, hein, devrait être constitué, incluant, donc, des expertises complémentaires. Il nous apparaît clair, hein, que quelque chose comme une phase pilote, des projets pilotes, hein, devraient être mis en oeuvre aussi pour voir quelles sont les limites, hein — il y a souvent des écueils, hein, qu'on ne peut pas anticiper a priori — et qu'un processus de suivi très serré, hein, doit être mis en place. Je ne sais pas si, Dominic, tu veux ajouter quelque chose sur un de ces deux points-là.

M. Cliche (Dominic) : Bien, très brièvement. En fait, effectivement, je pense que l'idée... Il y a une foule de pistes d'action, comme vous avez pu voir dans le cadre du rapport qu'on a soumis, évidemment, et on peut y aller de manière beaucoup plus séquentielle, là, que de prendre ce lot de pistes d'actions là, et en premier lieu cette phase pilote là, mais, de manière plus générale, une évaluation plus rigoureuse de l'efficacité de l'application qui sera choisie. Parce que, là, encore une fois, on parle avec... Est-ce qu'on parle de COVID Alert, qui a été proposée par le fédéral? Est-ce qu'on parle d'une application spécifiquement québécoise? Et là avec différents enjeux que ça peut poser en termes d'interopérabilité, par exemple. Donc, il y a toute une autre boîte à ouvrir, à la limite.

Mais, sur la question, vraiment, de l'efficacité, en premier lieu, je pense qu'il y a là une première étape nécessaire à passer. Est-ce que ce sera l'Ontario qui fera office de phase pilote ou le Québec devra lui-même le faire dans un cadre différent? Ce sera à voir si vous souhaitez aller de l'avant. Mais je pense qu'en fait c'est clairement la première étape à ce niveau-là. Et la mise sur pied d'un comité de suivi, encore une fois, est-ce que le conseil consultatif au fédéral est suffisant ou est-ce que le Québec veut se doter d'un comité spécifique qui va pouvoir prendre en compte des enjeux locaux? Je pense que c'est quand même quelque chose qui devrait être soumis à la réflexion.

Mme Boutin : Mon collègue...

Le Président (M. Bachand) : Oui. M. le député de Chapleau.

M. Lévesque (Chapleau) : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Merci de votre présence, merci de votre témoignage. Vous avez présenté deux visions, donc, le solutionnisme technologique et le catastrophisme. J'imagine qu'entre les deux il y a un juste milieu, là, que vous identifiez. Vous avez également mentionné le fait que, disons, cet outil-là ne devrait pas être la solution principale ou majeure à la pandémie. Ça, je pense qu'on en est tous. Est-ce que vous pourriez peut-être nous donner la vision du juste milieu, pour vous, de l'équilibre entre le catastrophisme puis le solutionnisme technologique? Qu'est-ce qui serait, là, votre vision par rapport à ça?

M. Maclure (Jocelyn) : Oui. Merci de votre question. La grande inconnue là-dedans est l'efficacité véritable, hein, et la fiabilité et l'efficacité. Bon, le protocole Bluetooth, hein, vous le savez sans doute, n'a pas été conçu à la base pour mesurer des distances entre des utilisateurs, hein, d'appareils. C'est fait pour échanger de l'information. Et, dans un deuxième temps, on peut aussi s'en servir pour tenter de mesurer la distance entre les utilisateurs, mais il faut continuer à faire des tests sur la fiabilité, hein, réelle, hein, si on détourne un peu, hein, le protocole Bluetooth de ses fonctions originaires. Et, sur le plan de l'efficacité, il faut être capable d'évaluer, au fond, au moins de façon approximative, hein, combien de cas on arrive à détecter en utilisant une application par rapport aux moyens traditionnels.

Dans certains pays, là, on soutient être capable d'évaluer, hein, que quelques dizaines de cas ou une centaine, dans un pays, ont été vraiment identifiés grâce à l'utilisation, à l'échange d'information entre les appareils, mais c'est difficile à évaluer. Mais, si cette efficacité s'avérait, je pense que, dans un scénario, disons, plus nuancé, il y aurait là un outil de plus, au fond, dans notre arsenal de moyens pour lutter contre la transmission du virus. Parce que, comme je le disais, c'est vrai que, potentiellement, des personnes asymptomatiques ou présymptomatiques pourraient se faire tester plus tôt s'ils reçoivent une notification. Et je pense que, sur le plan des risques éthiques, hein, tant sur le plan de la protection de la vie privée que des autres enjeux que j'ai mentionnés, on est capables, hein, d'élaborer des mesures d'atténuation vraiment robustes des risques.

Et un dernier point, pour répondre à votre question, que j'ai oublié de mentionner tout à l'heure, Dominic a parlé de l'interopérabilité. Ça, ça me semble être très important. Si on décide, au Québec, d'aller de l'avant, peu importe, hein, que ce soit l'application du fédéral ou pas, il faudrait, hein, idéalement que ce soit interopérable, c'est-à-dire que ça puisse fonctionner aussi, échanger des données avec d'autres applications qui fonctionnent un peu de la même... sur la base de la même technologie. Parce que, bon, déjà, on a commencé à déconfiner le Québec, hein, il y a des mouvements entre les régions, il y va avoir de plus en plus de mouvements interprovinciaux aussi. En Europe, ils s'organisent maintenant pour que les différentes applications dites décentralisées puissent fonctionner ensemble aussi. Et là, dans un contexte où les mouvements, hein, de population recommencent à prendre plus d'importance, il peut être utile d'avoir une application de ce genre-là qui permet de... Moi, bon, si j'ai été dans une autre province, hein, j'ai peut-être été en contact avec le virus à ce moment-là, et ça nous donne un outil de plus. Donc, si l'efficacité est suffisante, il me semble que, bon, ça peut faire partie... ça peut constituer une solution qui n'est pas négligeable.

• (14 h 20) •

M. Lévesque (Chapleau) : Justement, vous le demandiez, sur l'efficacité, ça a été une question en lien... ce matin, il y avait cette préoccupation-là. Pour un éthicien ou, du moins, pour la vision éthique, qu'est-ce que représente l'efficacité? On est un peu dans la réflexion, là. Ce serait quoi, l'efficacité pour la vision plus éthique?

M. Cliche (Dominic) : C'est une très bonne question. En fait, un des très grands enjeux est de pouvoir définir effectivement l'efficacité dans le contexte, et c'est une des grandes... autant on en parle beaucoup, autant c'est une des absentes du débat dans la mesure où, de quelle efficacité on parle, c'est très peu détaillé.

Donc, comme je disais, donc, les modèles théoriques mis de l'avant, donc le fameux 60 % d'adoption nécessaire qu'on entend souvent, c'est dans un contexte spécifique, avec certaines hypothèses, pour pouvoir endiguer carrément la pandémie, là. Est-ce que l'efficacité à moindre échelle, donc, de pouvoir simplement identifier quelques cas, briser quelques chaînes de transmission est considérée comme étant suffisante au regard des risques qui sont soulevés? Là, évidemment, il y a tout un enjeu, là, de pondération qui est à faire ici et qui demanderait d'être davantage détaillé.

Donc, d'un point de vue éthique, en fait, ce qu'on peut rappeler, c'est la nécessité de bien définir, justement, qu'est-ce qu'on cherche à faire en termes de santé publique et comment peut y contribuer, évidemment, l'application au-delà de l'idée que l'application va permettre de ramener le taux de transmission à un niveau de contrôle complet. Je pense que ça, on peut prendre pour acquis que ça ne sera pas le cas.

Mais, bon, après ça, de l'autre côté, par rapport à l'ensemble des risques qui peuvent advenir... Et il faut voir comment ça se pondère. Et là ça va dépendre aussi beaucoup de la fiabilité de l'application, donc son taux de faux positifs ou de faux négatifs. Si on se retrouve avec une grande quantité de faux positifs, d'une certaine manière, on peut se dire : Ce n'est pas si mal, on va être en mesure de tester plus de gens, quitte à ce que, bon, il y ait plus de... Vaut mieux, en fait, tester plus de gens que moins et découvrir plus de cas que moins de cette manière-là.

Mais, en même temps, on risque de créer de l'anxiété à l'intérieur de la population. On peut créer un engorgement, carrément aussi, des services de santé. Est-ce qu'on va être en... Est-ce que, si on se retrouve avec une multiplicité de demandes de la part d'utilisateurs qui reçoivent des notifications, disons, non nécessaires, on va devoir détourner des ressources importantes en santé pour pouvoir prendre en charge ces cas-là... en fait, ces présumés cas là?

Donc là, c'est aussi un ensemble de considérations, là, qui doivent être sur la table. Et c'est très difficile de... c'est beaucoup de questions empiriques, finalement. Donc, pour un éthicien, on peut poser les questions, mais on peut difficilement y répondre, en ce moment, sur ces questions-là.

M. Lévesque (Chapleau) : Merci, M. le Président. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée de Les Plaines, s'il vous plaît.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup. Merci de votre explication. D'entrée de jeu, j'ai bien aimé votre explication sur le catastrophisme et le solutionnisme. Je suis un petit peu dans le même type de question par rapport à... Parce qu'on va relire quand même le mandat, qui était : les conditions d'acceptabilité sociale dans la lutte contre la COVID. Est-ce que, selon vous... Parce que, vous l'avez bien mentionné, il y a beaucoup d'autres outils de... d'outils ou plutôt de façons d'être aussi, depuis le début de la COVID : se laver les mains, le port du masque, la distanciation. Est-ce que vous le voyez quand même, cet outil-là, éventuellement, si on y va avec un outil comme celui-là, comme complémentaire à ce qui s'applique déjà? Et mon autre question : Est-ce que vous vous lanceriez dans, justement, un pourcentage d'acceptabilité? Vous l'avez mentionné un petit peu, mais, selon vous, il faudrait que ce soit... c'est volontaire, donc il faudrait qu'on aille à combien pour avoir une acceptabilité?

M. Maclure (Jocelyn) : Pour l'instant, d'un point de vue empirique, on n'est pas capables de répondre à cette question-là. On a souvent parlé du 60 %, mais il y a des études présentement qui suggèrent que ça peut être plus bas que ça, aussi, tout dépendant où sont concentrés les utilisateurs. Si certaines populations, par exemple, plus à risque maintenant parce qu'ils se sentent plus protégés ou peu susceptibles de développer des complications, qui... donc, eux, prennent plus de risques, mais utilisent davantage l'application. Bien, ça peut être utile dans ce cas-là, parce qu'en recevant des notifications on dit : Ah! bien, j'ai été vraiment exposé au virus et je devrais d'abord être prudent, peut-être m'isoler davantage et me faire tester. Donc, pour l'instant, on n'est pas capables... en tout cas, on n'a pas vu d'études nous disant : Voici le seuil, hein, sur le plan de l'efficacité; en deçà d'un certain seuil, il n'y a pas d'efficacité.

L'acceptabilité sociale, hein, en éthique, n'est pas un principe qui est aussi fort que d'autres valeurs éthiques. Parce que parfois il y a des propositions qui sont largement acceptées, mais qui posent problème d'un point de vue éthique. Mais, dans ce cas-ci, c'est vrai que sans adhésion, bon, il faut y penser deux fois avant d'aller de l'avant parce que le succès dépend quand même, hein, que deux utilisateurs, leurs appareils entrent en contact et s'échangent de l'information, et ce faisant, bon, si une personne infectée a téléchargé l'application, mais que les personnes autour ne l'on pas fait, bien, il n'y a pas d'efficacité là.

Donc, c'est vrai qu'il faut trouver les moyens, si le législateur décide d'aller de l'avant, de vraiment faire en sorte que les citoyens soient entendus, que leurs préoccupations soient prises au sérieux et qu'au fond on leur permette d'avoir confiance, hein? Et, en France, il n'y avait pas de confiance envers StopCovid, l'application qui a été lancée là-bas, entre autres par rapport à des craintes, hein, plus ou moins fondées, là, par rapport à la protection de la vie privée, et l'adhésion est très, très, très faible, hein? Et, dans ces conditions-là, ça ne vaut tout simplement pas la peine d'aller de l'avant.

Le Président (M. Bachand) : Une minute.

Mme Lecours (Les Plaines) : Une minute? À ce moment-là, vous avez parlé aussi de la façon d'appliquer, justement, la notification, on va le dire comme ça... pas l'application, mais de l'appliquer sur le terrain. Si, par exemple, moi, je reçois... mais je sais à peu près où je suis allée, quels genres de contacts que j'ai eus, bien, je peux décider aussi non pas d'aller me faire tester, mais je peux décider de me retirer pendant deux semaines aussi. Ça, ça fait partie, on s'entend, des possibilités. Donc, est-ce qu'il y aura nécessairement engorgement? C'est un peu difficile à visualiser, mais ça fait quand même partie des possibilités.

M. Maclure (Jocelyn) : Oui, exactement. Et il faut toujours garder en tête, hein, que ces applications-là, bon, c'est très sommaire, hein, ce qu'elles peuvent faire. Donc, s'il y a un plexiglas entre deux personnes, l'application ne peut pas le savoir. Si les personnes ne se sont pas parlé, mais elles ont resté 15 minutes à une certaine distance ou une autre, l'application ne peut pas le savoir. Si les personnes portaient un masque, l'application ne peut pas le savoir. Donc, c'est de l'information qui peut être utile, mais en gardant toujours en tête les limites, hein, d'un outil qui est quand même assez rudimentaire.

Le Président (M. Bachand) : Mme la députée de Saint-Laurent, s'il vous plaît.

Mme Rizqy : Merci beaucoup. Bienvenue. Merci pour votre présence. Vous avez commencé en disant que le débat au Québec était mal engagé. Pouvez-vous nous dire pourquoi?

M. Maclure (Jocelyn) : Bien, ce qui nous a frappés au départ, c'est que les positions étaient très, très, très polarisées, hein? Et, comme c'est le cas dans d'autres débats de société, lorsque ce sont les positions les plus radicales, hein, qui prennent toute la place, les points de vue plus nuancés peinent à se faire entendre. Donc, il reste que, de part et d'autre, hein, il pouvait y avoir de bonnes idées, mais je... En fait, ma lecture du débat était que le technosolutionnisme, hein, par les promoteurs de certaines applications, et le catastrophisme, donc, prenaient toute la place dans l'espace public, d'où nos interventions, au mois d'avril, pour tenter, donc, de cheminer vers une évaluation plus nuancée, donc, des avantages et inconvénients d'une telle application.

Mme Rizqy : Par votre ton, je devine, dans le calme.

M. Maclure (Jocelyn) : Oui.

Mme Rizqy : Et, dites-moi, je me pose la question : Est-ce qu'au Québec ou même au niveau fédéral, est-ce qu'on n'a pas mis un peu la charrue devant des boeufs avec une solution qui nous vient, pour reprendre vos termes, par les promoteurs, notamment des géants, là, tels que Google et Apple, à un problème qu'on n'a pas encore identifié parce qu'on n'a pas encore fait la consultation? En fait, bien, on nous a promis d'avoir une enquête indépendante publique pour faire la lumière de qu'est-ce qui est arrivé, notamment dans nos CHSLD. Est-ce qu'on ne devrait pas plutôt attendre de voir quelles ont été nos lacunes avant d'arriver avec une solution proposée par les promoteurs?

• (14 h 30) •

M. Maclure (Jocelyn) : Oui. Merci de la question. Je pense qu'il faut distinguer le processus qui a été mis en place par le fédéral et l'application qui a été proposée. Je vais laisser Dominic parler de l'application. Sur le plan du processus, c'est certain qu'à la lumière de nos conditions d'acceptabilité il y a eu des lacunes importantes en ce sens que, bon, il n'y a pas eu un processus public transparent qui a mené à cette adhésion, hein, du gouvernement fédéral à une application particulière.

Bon, l'implication d'Apple et Google là-dedans, c'est une application, somme toute, limitée, en ce sens qu'Apple et Google ont élaboré un protocole, hein, permettant que les appareils Android et ceux d'Apple, hein, puissent communiquer ensemble. Mais ce n'est pas eux qui ont développé l'application, hein? Donc, c'est des bénévoles de Shopify avec l'implication de BlackBerry, par la suite, pour la question de la sécurité informatique.

Mais c'est certain que nous, en tout cas, à la Commission de l'éthique, on aurait aimé que les différentes options, hein, soient mises sur la place publique et que différents intervenants soient consultés, que les citoyens aussi puissent s'exprimer, ce qui n'a pas été le cas et ce qui n'est pas une condition de succès, hein, sur le plan de l'adhésion des citoyens. Donc, il y a plusieurs lacunes sur le plan du processus.

Sur le plan de l'application elle-même, il y a quand même quelques... bon, des atouts, hein, dans le jeu de cette application, en ce sens que, bon, c'est une application qui ressemble beaucoup à celle qui a été utilisée le plus massivement à l'étranger, et, bon, il y a cette phase de tests qui a été mise de l'avant, et, bon, pour l'avoir regardée, elle est... sur le plan du consentement, là, c'est très clair, ce à quoi on consent et ce que va faire l'application. Donc, il y a quand même des caractéristiques intéressantes à cette application.

M. Cliche (Dominic) : Oui, bien, tu sais, sur l'application particulièrement, effectivement, là, celle qu'on regarde principalement, en ce moment, là, dans les notifications d'exposition, on parle d'applications qui sont vraiment minimales, donc qui recueillent très peu de données et qui vont vraiment... qui ont une fonction très spécifique, ce qui répond quand même généralement, là, aux meilleures pratiques, là, qui sont énoncées à l'international.

Pour revenir quand même peut-être plus spécifiquement à votre question, nous, c'est sûr que ce qu'on met de l'avant, c'est l'importance que cette... qu'une application, si elle est choisie, vraiment s'intègre dans une stratégie plus générale de santé publique, hein, que ce ne soit pas simplement quelque chose qui figure en parallèle, mais quelque chose qui puisse vraiment être intégré, d'une part, pour faciliter le travail des gens de la santé publique, pour s'assurer que ça n'ajoute pas un fardeau supplémentaire au système de santé, mais aussi simplement pour que... bon, évidemment, aussi pour que les suivis de ces notifications-là puissent être bien pris en charge. Mais il ne faut pas non plus attendre nécessairement qu'on ait réglé l'ensemble des problèmes de santé ou qu'on ait des réponses pour l'ensemble des problèmes reliés à la pandémie pour se questionner sur une application, c'est-à-dire que je ne pense pas que l'application aurait comme visée nécessairement non plus de régler des problèmes qu'il y a eu dans les CHSLD, par exemple.

Donc, évidemment, c'est des enjeux extrêmement importants, mais on peut quand même faire une distinction entre les deux. C'est très important qu'une réflexion de fond soit faite sur les besoins de santé. Nous, lorsqu'on a consulté, on avait des gens quand même de Santé publique qui nous ont signifié des besoins en matière de traçage de contacts, donc, pour lesquels une application pouvait être utile. Eux ne semblaient pas, cependant, être très satisfaits de ce qui était offert, là, sur le marché, de ce qu'on leur proposait, dans le fond, lors des différentes rencontres qu'ils ont pu avoir avec des promoteurs. Mais, cela dit, ça peut répondre à des besoins de santé publique. Est-ce que ça répond effectivement? Nous laisserons aux gens de Santé publique le soin de répondre à cette question-là. Mais on peut probablement quand même agir sur plusieurs fronts, là, à la fois.

Mme Rizqy : Vous avez parlé, dans votre réponse, d'efficacité. Alors, je me permets d'illustrer mes propos avec l'homme qui est derrière vous. Pour ceux qui ne peuvent pas voir, M. le Président, dans notre salle, on a une antichambre pour les journalistes où est-ce qu'on peut voir clairement... où est-ce qu'il y a un monsieur avec une fenêtre qui va servir d'exemple. Si, par exemple, nous avons tous téléchargé, dans cette salle, l'application, lui aussi, et que lui, il reçoit une notification comme quoi qu'il l'a contractée, la COVID-19, nous allons tous recevoir la même notification potentiellement parce qu'il est à proximité pendant maintenant 33 minutes. Mais il y a quand même un mur qui nous sépare, et, dans votre rapport, vous en faites mention. Et, rappelez-nous... Vous vous rappelez qu'aux mois de mars et avril on n'était pas en mesure de tester tous les Québécois parce qu'on manquait de tests, mais aussi parce qu'il y avait un effet d'engouement. Même nos travailleurs de la santé, on n'était pas capables de les tester. Alors, ici, est-ce que cette application pourrait faire en sorte que plusieurs autres personnes, donc tous nous autres, on recevrait une notification, alors qu'on n'a jamais été en contact direct avec lui?

M. Maclure (Jocelyn) : C'est un risque potentiel, effectivement. Bon, il faut se rappeler que, dans les choix politiques qu'il y a à faire, hein, puis on... et ce sont des choix politiques, hein, ce n'est pas les développeurs qui doivent prendre ces décisions-là, il faut décider : Est-ce que le contact doit avoir été à un mètre, 1,5 mètre, deux mètres, hein? Donc, ça, c'est une décision très pratique qu'il faut prendre, et on peut, sur la base des meilleures pratiques, décider, bon, nous, ça va être deux mètres, et là c'est possible, hein, qu'on inclue, hein, des cas où il ne peut pas y avoir de transmission, hein, parce que, justement, il y a un mur qui nous sépare.

Et donc un des enjeux, hein, dont on discute dans le rapport, bon, c'est cette possibilité de créer une certaine anxiété, hein, c'est-à-dire que plusieurs notifications soient envoyées et que plusieurs personnes qui, bon, n'auraient pas eu besoin de se faire tester se fassent tester. Mais il y a le risque aussi inverse, qui est celui de créer un faux sentiment de sécurité, hein, quelqu'un qui dira : Je n'ai pas reçu de notification, donc je ne suis pas à risque. Donc, ça, ce serait une très mauvaise réaction à l'absence de notification que de se penser complètement en sécurité, parce que ces applications peuvent échapper, hein, plusieurs formes de transmission, soit par des personnes qui n'utilisent pas l'application ou des transmissions sur des surfaces, et ainsi de suite. Donc, ça peut créer un faux sentiment d'insécurité et un faux sentiment de sécurité. Donc, ça, c'est... Il faudrait avoir une compréhension très claire de ces limites et que ça soit expliqué aux citoyens avant de déployer une telle technologie.

Mme Rizqy : Dites-moi, le temps file, alors je vais y aller en rafale, tantôt, on a parlé des chiffres, on vous a posé... quel était le seuil d'acceptabilité ou de téléchargement, vous avez mentionné... de 60 %. Mais, si on gratte un peu dans les chiffres, nous, au Québec, là, ça a été d'abord et avant tout nos aînés qui ont été gravement affectés, mais aussi les personnes dans les zones plus vulnérables. Ma collègue Paule Robitaille, Montréal-Nord, excessivement affectée. Montréal-Nord, c'est 30 % des gens qui n'ont pas Internet. Moi, dans nos CHSLD, on a fait des livraisons d'iPad parce que les gens n'étaient même pas capables de rejoindre leur famille. Alors, comment on va rejoindre ces zones et ces personnes qui, eux, ont été davantage affectées?

M. Maclure (Jocelyn) : Veux-tu dire un mot sur les fractures numériques?

M. Cliche (Dominic) : Écoutez, effectivement, c'est un enjeu important. On voit que le taux de pénétration, là, des appareils mobiles décline à mesure que l'âge augmente, et, effectivement, comme vous le soulignez, dans les milieux plus défavorisés, c'est un problème. Évidemment, la question là-dedans, c'est qu'il faut peut-être faire... il faut distinguer — et, encore une fois, c'est une question pour laquelle je n'ai pas de réponse, hein, c'est une question qu'on pose — il faut peut-être distinguer, bon, la fracture numérique elle-même, mais l'impact du déploiement d'une application sur les inégalités et les inégalités de santé plus particulièrement.

Il est possible que, malgré qu'il n'y ait pas une grande utilisation des téléphones intelligents, par exemple, dans une certaine partie de la population, que, malgré tout, il n'y ait pas de contribution à accentuer les inégalités si elle permet quand même de réduire, par exemple, la transmission des infections de manière plus générale dans la population. C'est une question empirique, on ne le sait pas. Mais ce sur quoi on devrait vraiment focaliser, c'est la capacité d'une application, compte tenu de la fracture numérique, la capacité d'une application à au moins ne pas accentuer les inégalités, les inégalités de santé en particulier, et idéalement aussi, bien évidemment, les réduire le plus possible, là.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Gouin, s'il vous plaît.

M. Nadeau-Dubois : J'ai envie de poursuivre là-dessus. Bonjour, d'abord, MM. Cliche et Maclure. Vous dites : Il ne faudrait pas que ça accentue, une telle application, les inégalités. Or, si les gens qui sont les plus vulnérables au virus sont ceux qui, statistiquement, auront le moins accès à l'application et que les gens qui sont les moins vulnérables au virus, disons les jeunes, sont ceux qui vont le plus avoir accès à l'application, comment on peut conclure que ça n'augmenterait pas les inégalités? Est-ce qu'au contraire on ne vient pas ajouter une nouvelle inégalité dans le droit à la santé en disant : Parce que ça tombe que vous êtes jeunes et que vous avez accès à Internet, vous avez droit, vous avez accès à une protection supplémentaire? Est-ce qu'il n'y a pas là intrinsèquement une augmentation des inégalités dans ce qui est de la réalisation de son droit à la santé?

M. Maclure (Jocelyn) : C'est une bonne question, et on y a réfléchi sérieusement parce qu'effectivement je pense qu'instinctivement c'était la crainte de tous les membres de notre comité, mais, en y réfléchissant davantage, je pense qu'on a affaire là à une situation qui est différente de, par exemple, l'utilisation des technologies de l'information en éducation, hein? Là, on sait que les fractures numériques accentuent des inégalités existantes, on l'a vu pendant le confinement, certaines familles, hein, ne pouvant pas se brancher, se connecter, manquant d'appareils pour faire travailler les enfants à la maison. Il s'agit déjà de familles désavantagées, et là les inégalités se creusent encore davantage en raison de la fracture numérique.

Dans ce cas-ci, la situation est un peu différente parce qu'on a affaire à une maladie infectieuse, en fait, hein, et que tous, y compris les plus vulnérables, peuvent bénéficier d'une baisse de la transmission du virus, hein? Même si certains ne peuvent pas bénéficier, hein, immédiatement des avantages, par exemple, de recevoir une notification, si d'autres, hein, autour, eux, transmettent moins le virus, bien, étant donné qu'il s'agit, hein, d'une épidémie, hein, eux aussi se trouvent moins à risque, hein, d'être contaminés parce que l'application a contribué à faire baisser, donc, la transmission communautaire. Donc, en ce sens-là, il est possible, hein, que même les plus vulnérables peuvent bénéficier d'une utilisation assez large par d'autres segments de la population.

• (14 h 40) •

M. Nadeau-Dubois : Par contre les chances d'être en contact avec des gens porteurs ne sont pas les mêmes aussi selon les milieux socioéconomiques. Puis ça, le cas Montréal-Nord, le cas des travailleurs et travailleuses de la santé le montrent bien aussi.

Mais j'ai peu de temps, ça fait que je m'excuse, je vais aller assez cavalièrement. Je veux vous entendre sur le cadre législatif. Est-ce que, selon vous, à l'heure actuelle, au moment où on se parle, nous avons tout ce qu'il faut dans le cadre législatif québécois pour encadrer l'utilisation d'une application telle que celle qui semble être envisagée par le gouvernement dans ce qu'on décode de ses déclarations publiques?

Le Président (M. Bachand) : Si vous êtes capable de le faire en 20 secondes, ce serait très apprécié.

M. Maclure (Jocelyn) : O.K. Bien, il y a plusieurs initiatives qui peuvent êtres mises de l'avant sans adopter des lois, hein, sur le plan de mettre en place, hein, par exemple, un comité de suivi, imposer, hein, certaines spécifications ou une phase pilote. Et une modification législative qui est peut-être... qui serait peut-être nécessaire, hein, c'est celle qui a été suggérée par la Commission d'accès à l'information, c'est-à-dire l'employeur ne doit pas pouvoir exiger l'utilisation de...

M. Nadeau-Dubois : En ce moment dans nos lois, il n'y a rien qui l'interdirait?

M. Maclure (Jocelyn) : À ma connaissance, non.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de René-Lévesque, s'il vous plaît.

M. Ouellet : Merci beaucoup, M. le Président. Donc, à mon tour de vous saluer, M. Maclure et M. Cliche. Vous avez pondu un document de 78 pages; merci de contribuer, de par votre travail, à la réflexion des parlementaires.

J'aimerais couvrir un angle qu'on n'a pas beaucoup couvert, la gouvernance. Ce matin en point de presse, je demandais au gouvernement que, si on va de l'avant avec l'application, il serait important de connaître, pendant son utilisation, mais après, combien... comment ça a fonctionné, donc une espèce de reddition de comptes. Trouvez-vous que ce serait une bonne chose à faire qu'une fois qu'on décide d'aller de l'avant avec l'application on suit son évolution, comment que ça fonctionne, qu'on ait une reddition de comptes pendant et après? Est-ce que ça serait une bonne chose?

M. Maclure (Jocelyn) : À notre avis, c'est même une condition qui est essentielle à l'acceptabilité d'une telle décision, hein? Je ne sais pas si tu veux donner des détails, là, par rapport à la recommandation exacte de notre rapport?

M. Cliche (Dominic) : Bien, en fait, on a plusieurs pistes d'action qui vont tourner autour, effectivement, de ces besoins-là, donc évidemment qu'on étudie en amont, qu'on ait des périodes d'évaluation, mais clairement de suivi sur plusieurs paramètres, autant sur les paramètres techniques que sur les éléments plus proprement d'éthique, de sécurité, de protection de la vie privée.

Et, comme vous le mentionnez, effectivement, ça, c'est quelque chose qu'il est important de souligner aussi, on parle de la pandémie actuelle, bon, mais, en même temps, on peut se projeter un peu davantage aussi, ce n'est probablement et certainement pas la seule pandémie à laquelle on va avoir affaire de notre vivant. Probablement, encore une fois, que des solutions similaires se représenteront, peut-être encore plus perfectionnées, bon, meilleures ou... mais, dans tous les cas, une bonne rétrospective, si on va de l'avant avec une telle option, est absolument nécessaire justement pour apprendre de ce qu'on fait en ce moment et pour pouvoir être... ajuster l'ensemble des cadres législatifs, réglementaires, etc.

M. Ouellet : Donc, vous nous invitez à aller en prospective aussi pour le futur. Si on apprend de ce qu'on vit présentement, on pourrait mieux prévoir une autre phase d'un autre virus dans un autre temps.

Mon temps est court. J'aimerais vous entendre. Est-ce que, selon vous, le développement de cette application, ou sa gestion, ou sa mise en application et son suivi devraient être sous la gouverne de la Santé publique plutôt que le gouvernement ou l'Assemblée nationale? Croyez-vous que ça devrait être la Santé publique qui a entre les mains un peu ce qui se passe pour ajuster un peu ses protocoles et ses façons de faire sur le terrain? Trouvez-vous que c'est une meilleure avenue comme ça?

M. Maclure (Jocelyn) : C'est notre recommandation, une de nos recommandations, que les autorités de santé publique, hein, c'est eux qui ont l'expertise scientifique et le savoir-faire, là, sur le plan de la prise de décisions aussi, donc c'est eux qui doivent identifier les besoins et prendre les décisions, mais de concert avec le gouvernement et les élus de façon générale, parce qu'au final, hein, seul le législateur est imputable, hein, devant la population. Mais l'expertise, hein, et les compétences, donc, résident, hein... doivent être reconnues, là, sur le plan de la santé publique. Et la seule fonction d'une telle application serait de contribuer positivement à la baisse de la transmission, et ça, c'est la Santé publique qui doit être maître d'oeuvre.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Chomedey, s'il vous plaît.

M. Ouellette : Merci, M. le Président. Bonjour, messieurs. On a parlé de gouvernance, j'en ai parlé ce matin dans mes remarques préliminaires. Je pense que ça va prendre une bonne gouvernance. C'est de l'intelligence artificielle. Il va falloir que ça soit fait en accord avec les valeurs québécoises et il va falloir que ça soit fait éthiquement. Vous en avez parlé, vos conclusions parlent... vous avez... je vous en ai parlé tantôt, c'est à croire que vous saviez qu'il y avait une commission, 78 pages... Dans vos conclusions, il y a deux choses que je retiens. Je disais, ce matin, qu'il ne faut pas prendre les citoyens pour des imbéciles. Vous avez accordé à la participation citoyenne, en transparence, en imputabilité, une place de choix. Vous avez beaucoup parlé de choix politiques, M. Maclure, dans vos commentaires, et je retrouve dans la conclusion, à la page 61... Vous dites, là, il y a peut-être un danger de profilage politique avec ce genre d'application là, puis vous nous mettez en garde.

Puis finalement, puis je vais vous laisser le restant du temps pour me donner votre avis, vous terminez votre conclusion en disant que tout ça doit se faire s'il y a des changements législatifs. Un changement législatif, là, c'est avec tout le monde au Parlement, ce n'est pas en état d'urgence sanitaire avec des décrets, là. Donc, vous nous dites de faire très attention au respect de la vie privée, au respect des droits et libertés des personnes. Ça, je retiens ça dans votre conclusion, je ne sais pas si vous voulez rajouter là-dessus.

M. Maclure (Jocelyn) : Bien, merci pour votre intervention. Je préciserais que, dans les applications qui sont discutées à travers le monde maintenant, il n'y a pas d'intelligence artificielle, hein? Le projet du Mila, lui, était, disons, unique, mais aussi beaucoup plus ambitieux et nécessitait plus de données, plus de circulation de données pour pallier à certaines des lacunes dont on a parlé, mais en créant aussi des risques, hein, correspondants.

Sur le plan de la gouvernance, j'ajouterais une seule chose, que, bon, on est en contexte de crise, hein, mais j'encouragerais, hein, le gouvernement et l'ensemble des élus à mobiliser l'expertise qui est déjà présente au sein de l'État québécois, vu de façon large, hein? À la Commission de l'éthique, il a fallu qu'on se débatte et qu'on fasse preuve de beaucoup d'initiative, hein, pour vraiment avoir voix au chapitre. Et on a été chercher l'expertise, hein, qui aurait dû être mobilisée, hein, je pense à l'Institut national d'excellence en santé et en services sociaux, qui ont une expertise dans l'évaluation des technologies médicales, évidemment, l'INSPQ, et ainsi de suite, hein? Donc, il y a des organismes-conseils indépendants qui peuvent compter sur une expertise précieuse en la matière, et il ne faut surtout pas hésiter à les mobiliser dans une gouvernance saine.

Le Président (M. Bachand) : Merci infiniment de votre temps puis votre présence à la commission.

Cela dit, je suspends les travaux quelques instants. Merci.

(Suspension de la séance à 14 h 47)

(Reprise à 14 h 52)

Le Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Merci. La commission reprend ses travaux.

Alors donc, il me fait plaisir de recevoir la Ligue des droits et libertés. Alors, M. Alexandre Pierre et Mme Dominique Peschard, alors la parole est à vous pour 10 minutes. Et encore une fois, merci beaucoup de votre participation à la commission.

Ligue des droits et libertés (LDL)

Mme Pierre (Alexandra) : Alors, bonjour.

Le Président (M. Bachand) : Alexandra.

Mme Pierre (Alexandra) : C'est Alexandra.

Le Président (M. Bachand) : Désolé, désolé.

Mme Pierre (Alexandra) : Bonjour, la Ligue des droits et libertés est un organisme à but non lucratif qui a été fondé en 1963. Depuis plus de 50 ans, elle fait connaître, elle défend et elle fait la promotion des droits reconnus par la Charte internationale des droits. Elle est engagée principalement auprès des instances gouvernementales pour la défense des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, contre la discrimination et contre toute forme d'abus de pouvoir. Elle mène aussi des activités d'information, de formation et de sensibilisation auprès du grand public.

Avant de commencer, on tenait à faire quelques commentaires sur la consultation elle-même. La Ligue des droits et libertés déplore que le gouvernement ait tenu cette consultation en plein été, dans un délai aussi court. La consultation a été annoncée fin juin pour des auditions en août, donc moins de deux mois, avec une consultation en ligne de moins d'un mois, du 8 juillet au 2 août, alors même que les enjeux soulevés par nos discussions aujourd'hui ou par les applications sont complexes et importants.

En mai, il y a plus de 1 800 personnes et organismes ou organisations qui ont signé une déclaration initiée par la ligue. Et cette déclaration demandait un débat public sur ces technologies et dénonçait le manque de transparence du gouvernement. Avec la présente consultation, on tenait à dire que, donc, la consultation et les conditions dans laquelle elle se tient, on est bien loin du compte, et le droit de la participation de toutes et tous dans ce débat est loin d'être respecté, d'après nous.

Le Président (M. Bachand) : ...

M. Peschard (Dominique) : Oui, moi, je vais faire part de quelques risques qu'entrevoit la Ligue des droits et libertés quant à ce genre d'application et des problèmes quant au fonctionnement des applications comme tel. La première question qui est soulevée quand on déploie ce genre de système ou d'application, c'est la question des données colligées, de comment elles sont utilisées et de leur protection. Or, selon plusieurs observateurs, dont l'Observatoire international sur les impacts sociétaux de l'intelligence artificielle et du numérique, il y a présentement peu d'information sur ces applications permettant à des experts indépendants d'examiner ces applications en fonction de ces exigences. Puis le fait que Shopify se soit désisté de témoigner ce matin ne contribue pas à éclaircir ces enjeux, disons.

L'autre élément qui est à mettre dans le portrait, c'est le fait que les organismes responsables de la protection des renseignements personnels et de la vie privée, tant au Québec qu'au Canada, ont souligné que les instruments... les lois existantes sont inadéquates présentement pour faire face à des applications comme celle proposée. Or, même si l'utilisation de l'application, elle se fait sur une base volontaire, c'est ce qu'on comprend, les personnes ont quand même le droit de savoir clairement dans quoi elles s'engagent et les risques qu'elles encourent, et on considère que ce n'est pas le cas présentement.

L'autre élément principal, c'est qu'on considère que l'outil proposé est mésadapté au but poursuivi. On utilise la technologie Bluetooth entre téléphones pour évaluer le risque de transmission de la COVID-19 d'un individu à un autre. Or, l'outil réduit le facteur... le risque de transmission à deux éléments réducteurs : la distance et le temps. Ce qui est donné le plus souvent, c'est deux mètres et un contact qui dure plus de 15 minutes.

Or, à sa face même, on voit bien que l'application ne tient pas compte du contexte. Je peux faire état d'un exemple simple. Disons qu'il y a deux personnes qui s'engueulent dans la rue sans porter de masque pendant cinq minutes, bien, ça ne sera pas considéré un facteur de risque, une situation de risque, parce que le 15 minutes n'aura pas été rempli, alors que, s'il y a deux personnes assises sur un banc, qui discutent tranquillement en portant des masques pour plus que 15 minutes, c'est un risque potentiel, alors que, manifestement, c'est beaucoup moins risqué que la première situation.

Et un des deux facteurs ne peut même pas être mesuré avec précision : la distance. Bluetooth n'a pas été conçu pour ça. Et l'évaluation de la distance dépend de la force du signal, qui dépend de toutes sortes de conditions. Par exemple, deux personnes assises face à face, ça a été démontré, si leur téléphone, elles le posent sur la table plutôt que de l'avoir dans leur poche, le signal a une intensité différente. Même, des fois, les téléphones peuvent être éloignés, et l'intensité augmente parce qu'il y a une surface réfléchissante.

Et ça ne tient pas compte aussi des obstacles qu'il peut y avoir entre les personnes qui interagissent. Par exemple, si vous êtes assis dans un restaurant, à l'intérieur, à côté de la baie vitrée qui donne sur l'extérieur, puis quelqu'un est assis à une table extérieure, juste de l'autre côté de la baie vitrée, pour l'application, les personnes sont en contact, alors que ce n'est pas du tout le cas. Et aussi l'application ne tient pas compte, évidemment, d'autres mécanismes de transmission, comme, par exemple, des gouttelettes qui sont... dont on débat encore, il faut le dire, de l'importance, mais la contamination par les surfaces ou les gouttelettes en suspension.

Alors, pour ces raisons-là, on pense que cet instrument ne peut pas faire autrement que générer des fausses alarmes, c'est-à-dire des faux positifs, dans certaines situations et passer à côté d'autres situations où il y aurait réellement risque de transmission, c'est-à-dire donner des faux négatifs.

L'autre problème, c'est que, pour aviser des personnes qu'elles ont peut-être été en contact avec quelqu'un de contaminé, il faut savoir qui est contaminé. Or, on sait présentement qu'il y a plus de personnes qui sont positives que celles qui ont été diagnostiquées par des tests. Donc là, il y a eu des mesures faites, en Ontario et au Québec, à partir de la banque de sang, et ainsi de suite. Donc, il y a beaucoup de personnes qui se promènent asymptomatiques, et, si on veut endiguer la pandémie, c'est surtout de tester massivement pour identifier ces personnes.

• (15 heures) •

L'autre problème, c'est la question du nombre d'utilisateurs. Le chiffre magique de 60 % a souvent été mentionné. Maintenant, on peut discuter du seuil que ça prend, mais je voudrais faire un commentaire parce que ça a été... une précision parce que ça n'a pas été souvent apporté. C'est que, si 60 % des personnes ont un téléphone, pour que l'application fonctionne, il faut que les deux personnes en présence aient le téléphone. Et la probabilité que deux personnes aient le téléphone en même temps, avec 60 % de diffusion de l'application, c'est 60 % de 60 %, c'est-à-dire 36 %. Donc, 60 % d'utilisateurs va détecter 36 % des interactions. Alors, ça prend beaucoup d'utilisateurs pour détecter un nombre significatif d'interactions.

Bon, et l'autre question qui se pose, c'est : Qui possède un téléphone capable de faire fonctionner l'application? C'est 77 % de la population en général au Québec. Mais des personnes qui ont un revenu en bas de 20 000 $, ça tombe à 53 %, les personnes entre 65 et 74 ans, ça tombe à 52 %, et les personnes au-dessus de 75 ans, à 35 %. Et, fait supplémentaire, si on prend une application comme Alerte COVID, avec ce qui a été déployé en Ontario, on s'est rendu compte que ça prenait des téléphones avec des systèmes d'exploitation relativement récents, donc qui sont encore moins susceptibles d'être possédés par les personnes que je viens de mentionner. Autrement dit, les personnes les plus à risque sont celles qui sont le moins susceptibles de pouvoir utiliser l'application.

Alors, on peut discuter longuement, faire des hypothèses sur l'efficacité d'une telle application, mais il y a quand même eu un paquet d'expériences dans d'autres pays. Dans le mémoire, on mentionne celles de Singapour, de la France, de la Grande-Bretagne et de l'Islande. Celle de l'Islande est particulièrement intéressante parce que l'application a été bien reçue par la population. Il y a eu un taux de pénétration de 40 %, ce qui est exceptionnel pour les différents... très bon, comparé à ce qui s'est fait ailleurs. Et, malgré cela, les autorités qui géraient la propagation de la COVID en Islande ont conclu que l'impact de cette application a été minime sur le contrôle de la pandémie.

Donc, pour ces raisons-là, on trouve que cette application-là pose des risques, qu'elle ne s'adresse pas aux vrais défis de lutter contre la COVID-19 et qu'elle a aussi un potentiel discriminatoire. Mme Pierre va enchaîner peut-être sur des alternatives qu'on...

Le Président (M. Bachand) : Mme la Présidente, vous avez une minute. S'il vous plaît.

Mme Pierre (Alexandra) : Oui, une minute. Alors, comme a dit Dominique, cet outil s'avère inefficace. Les populations les plus touchées par le virus sont les moins susceptibles de posséder cette application-là.

Et une autre chose, qu'on pourra peut-être développer dans la période des questions, c'est toute la question sur la législation québécoise en matière de protection de la vie privée et de renseignements personnels, qui est complètement inadéquate en ce moment pour encadrer le domaine numérique. Donc, c'est un risque supplémentaire qui est non négligeable.

Je conclurais très vite sur le droit à la santé. Pour la ligue, un des problèmes majeurs de cette crise-là, c'est le manque de moyens du système de santé qui a été malmené par des décennies d'austérité, de politiques d'austérité, ces politiques-là qui ont grandement affecté la capacité du système de santé à tester massivement les Québécois pour la COVID.

À ce sujet, pour nous, on considère que les méthodes traditionnelles de traçage manuel de contact sont beaucoup plus efficaces que les solutions dont on parle aujourd'hui. Il est donc impératif, dans cette perspective-là, de donner les moyens nécessaires à la Santé publique pour qu'elle puisse remplir sa mission maintenant, avec la crise du COVID, mais aussi par la suite. La protection de la santé publique demande, dans ce sens-là, des mesures structurantes, des investissements suffisants pour lutter contre les inégalités, notamment celles que Dominique a... dont celles que Dominique a parlé — pardon — et pour contrer les effets de toutes sortes de types de discriminations et d'exclusions sur les conditions de vie et les déterminants sociaux de la santé.

Puis là on voit d'ailleurs, avec la COVID, à quel point le droit à la santé est interdépendant d'autres droits, comme le droit à un niveau... à un revenu de niveau... à un revenu décent, le droit au logement, le droit à des bonnes conditions de travail.

Le Président (M. Bachand) : Merci. Je dois vous arrêter parce qu'on dépasse beaucoup de temps... le temps, c'est-à-dire. Alors, Mme la députée de Jean-Talon, s'il vous plaît.

Une voix : ...

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Chapleau. Excusez-moi.

M. Lévesque (Chapleau) : Merci beaucoup, M. le Président. Peut-être, d'abord, sur la forme, puisque c'est comme ça que vous avez ouvert vos remarques. Le délai était le même pour tous les groupes. Nous avions, d'ailleurs, un groupe précédent qui a pu nous remettre un mémoire de 78 pages très, très bien préparé et bien ficelé. Pour ce qui est de la consultation publique, il y avait également, là, nombreuses participations de la population, de nombreux citoyens.

Peut-être un peu un retour également sur les présentations du gouvernement, là. D'abord, l'application va être gratuite et volontaire, ensuite, va fonctionner sans géolocalisation, sans biométrie et sans stockage de données. Donc, à ce niveau-là, là, c'est tout simplement pour rassurer, là, les intervenants.

Ensuite, donc, vous avez parlé de la législation. Je trouve ça quand même intéressant. Peut-être on pourrait brosser, là, un tableau. J'avais eu l'occasion de le faire, notamment en lien avec, bon, la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, la loi, également, concernant le cadre juridique des technologies de l'information, la Commission de l'accès à l'information, également le projet de loi n° 64. Peut-être j'aimerais vous entendre, là, sur ces législations-là. Qu'est-ce qui manque? Qu'est-ce qui serait intéressant? Qu'est-ce qu'on devrait ajouter? Parce qu'il y a quand même déjà un beau corpus législatif très intéressant au Québec. Puis d'ailleurs le gouvernement se propose d'en ajouter et, dans le fond, d'améliorer la situation, parce que c'est une préoccupation du gouvernement. Donc, c'est ça, peut-être vous entendre sur le cadre législatif, là.

Mme Pierre (Alexandra) : Est-ce que tu veux...

M. Peschard (Dominique) : Oui, je peux. Disons, on a eu l'occasion, à la ligue, de se pencher sur ce cadre-là, au fil des ans, puis on a constaté que le cadre... les dispositions ont... il y a eu une érosion dans la gestion des renseignements personnels au niveau de l'État, dans le sens que les principes de départ, qui visaient que les données soient collectées juste à la fin pour laquelle ils avaient... utilisées à la fin pour laquelle elles étaient collectées, ne pas être partagées dans différents organismes... que le rôle de supervision de la Commission d'accès à l'information, avant que de telles choses soient faites, a été affaibli. Donc, il y a eu une érosion progressive, même, du régime qui avait été établi au départ.

Et il est clair que dans le contexte présent, avec ce qu'on a vu qui arrive dans le domaine des renseignements personnels et les GAFAM, là, que le système de protection est totalement inadéquat. Puis ce n'est pas juste au Québec, c'est au Canada. L'Europe a dû revoir son cadre législatif. Et on va certainement... le projet de loi n° 64 est à l'étude, à la ligue, ce n'est pas moi personnellement qui en fait l'étude, mais on prévoit certainement intervenir sur ce projet de loi devant la commission parlementaire qui l'examinera.

Mme Pierre (Alexandra) : Puis je pourrais ajouter quelque chose aussi. On n'est pas les seuls à dire ça. Il y a aussi les commissions... les commissaires fédéraux, provinciaux... fédéral — pardon — provinciaux et territoriaux à l'information et à la protection de la vie privée qui ont aussi fait une déclaration commune en soulignant le fait que les lois fédérales, provinciales et territoriales, concernant le domaine numérique, étaient inadéquates. Donc, il y a aussi un certain nombre de spécialistes qui disent la même chose et qui expriment leur inquiétude face à ces questions.

M. Lévesque (Chapleau) : Avez-vous certaines propositions législatives ou quelques points qui pourraient peut-être nous éclairer, là, pour l'étude de la suite des choses par rapport à ça?

Mme Pierre (Alexandra) : Je pense que ça va être fait, notamment dans le...

M. Lévesque (Chapleau) : Dans votre équipe?

Mme Pierre (Alexandra) : ...dans notre mémoire sur le projet de loi en question.

M. Lévesque (Chapleau) : O.K. Une autre petite question. Est-ce que vous pensez peut-être que ça pourrait être un outil, justement, ou c'est vraiment, là, complètement à proscrire, une telle application? Est-ce que ça pourrait servir, venir comme un éventail... un ajout, dans le fond, aux différentes mesures de santé publique qui sont appliquées, évidemment, pas comme seule mesure, mais comme un outil supplémentaire qu'on pourrait utiliser, ou c'est vraiment... il n'y aurait pas moyen, là, de déterminer ça ou de trouver une voie de passage pour que ça devienne un outil ou que ça soit, disons, acceptable?

Mme Pierre (Alexandra) : En fin de compte, puis on l'a dit, il y a des gros problèmes : donc, cette efficacité, la question des populations plus vulnérables à la COVID et, dans des contextes socioéconomiques particuliers, la loi à l'information. Donc, pour nous, c'est ça, le constat. On a une solution qui est le traçage manuel, pour lequel il faut évidemment donner des moyens à la Santé publique.

Mais je trouve que votre question est intéressante parce que c'est comme s'il y avait un parti pris, alors, c'est-à-dire, sans égard aux résultats qui sont sur le terrain, sans égard au fait qu'il y a déjà un meilleur moyen, est-ce que... C'est ça, pour nous, c'est la question de : Est-ce que c'est utile compte tenu de ce contexte-là? Après, est-ce qu'il y a des alternatives à ces technologies et à ces applications, je ne pense pas que ça soit à nous de dire ça. Ce qu'on constate, ce que ça ne fonctionne pas tel qu'elles sont présentées en ce moment.

M. Lévesque (Chapleau) : Merci. Non, ce n'est pas... À vrai dire, c'est juste pour vous rassurer, il n'y a pas de parti pris, là. À vrai dire, c'est que, s'il y avait un groupe qui avait été très, très favorable à l'application, je serais allé à l'inverse puis je serais allé voir un peu, gratter des problématiques et les autres détails. Donc, j'essaie de voir les deux côtés de la médaille. Comme je vous l'avais rappelé, le gouvernement n'a pas pris encore sa décision. Donc, merci. Merci.

• (15 h 10) •

Le Président (M. Bachand) : ...s'il vous plaît.

Mme Boutin : Merci, premièrement, d'être ici. C'est vraiment apprécié. J'ai lu votre rapport avec grande attention. Puis, premièrement, on a parlé de la technologie Bluetooth puis le fait que certains... bon, il y a certaines lacunes à cette technologie-là, comme toute technologie. Il n'y a aucune technologie parfaite. Ce n'est pas quelque chose qui n'est pas une panacée... la technologie n'est jamais une panacée. D'ailleurs, pour tout ce qui est le traçage manuel des contacts, la Santé publique le fait déjà, mais il y a déjà aussi d'autres outils de gestion numérique. Puis là, bon, il y a une transformation numérique en cours, ça prend beaucoup de temps, mais c'est la vie. Et cet outil-là, bon, si jamais le gouvernement allait de l'avant, c'est vraiment un outil complémentaire. Puis le Bluetooth, bon, c'est une technologie qui a été choisie parce que c'est probablement la technologie qui limite le plus l'intrusion dans la vie privée. La protection des données personnelles est excessivement importante et a toujours été une considération pour le gouvernement, là, depuis l'arrivée du gouvernement.

Moi, je vais vous amener sur quelque chose qui est dans votre rapport, puis on en a discuté tout à l'heure, puis c'est la fracture numérique. Tu sais, j'aime ça parler des vraies affaires puis je pense que c'est important qu'on en parle parce que c'est une préoccupation. Ça l'est dans le système d'éducation. Quand qu'on a fait le virage numérique, il y a des populations plus vulnérables qui avaient difficilement plus accès à ça. Moi, je me posais la question, parce que c'est évident qu'il y a des gens qui n'ont pas de téléphone intelligent, qui ne peuvent pas le «downloader» ou qui ne l'utiliseront pas si jamais c'était rendu public à la population. On pense aux gens plus vulnérables, dans les secteurs plus défavorisés, ou les gens âgés.

Mais est-ce que ça ne pourrait pas aussi avoir un effet favorable sur une population comme les jeunes, par exemple, qui ont tendance à avoir des téléphones intelligents — puis je ne veux pas porter de jugement, là, aux jeunes, je fais attention à ce que je dis — mais qui sont peut-être moins sensibles ou qui vont peut-être moins aller se faire tester d'emblée? Ils vont rentrer en contact avec des gens puis des fois ils vont peut-être moins être sensibles à cette question par rapport à des populations plus vulnérables comme les gens âgés qui vont être plus préoccupés. Moi, je pense à mes parents qui font très, très attention. Est-ce que ça ne pourrait pas être, puis je vous pose la question vraiment en toute transparence, un effet positif pour les jeunes qui se diraient : Ah! j'ai été en contact avec une personne, oui, peut-être que je devrais faire attention, peut-être que je devrais aller me faire tester? Avez-vous pensé à ça?

Mme Pierre (Alexandra) : J'aurais envie de répondre à cette question-là. Une de nos préoccupations constantes, à la ligue, c'est de faire en sorte que les droits de tous et toutes soient respectés. Puis on sait qu'il y a des populations qui sont particulièrement vulnérables, en termes de droits, puis c'est notamment avec cette lunette-là qu'on regarde cette application-là. Parce que ce qu'on nous a dit, c'est : Ça va être un outil de prévention et de réduction de la COVID. Or, les personnes les plus touchées, puis il me semble que c'est là-dessus que c'est important de se concentrer, sont les moins à même d'avoir ces applications.

Donc, pour les jeunes, je n'en sais rien, dans la mesure où est-ce que... Je dis «je n'en sais rien», dans la mesure où est-ce que les problèmes que Dominique a évoqués, ça n'a rien a voir avec le fait d'être jeune ou pas. Tu sais, il y a une inefficacité. La loi sur la protection des données personnelles, c'est toujours la même, que ce soit un jeune ou un plus vieux qui l'utilise. Donc, ça ne répond pas à ça. Mais, en plus, les populations les plus vulnérables sont les moins à même d'utiliser ces outils-là. Donc, pour nous, c'est un gros... un autre gros défaut de ce type d'application là aussi.

Mme Boutin : Merci.

Le Président (M. Bachand) : O.K. Mme la députée de Les Plaines, s'il vous plaît.

Mme Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Vous dites que le traçage manuel des contacts serait plus efficace ou est plus efficace, parce que c'est actuellement de la façon dont on fonctionne. J'aimerais ça que vous élaboriez un petit peu là-dessus.

Mme Pierre (Alexandra) : Bien là, quand on parle de traçage, on parle d'enquêtes épidémiologiques qui sont réalisées par les personnes qui sont formées pour ça, formées par la Santé publique, évidemment. Et l'idée, donc, c'est de réaliser ces enquêtes. Et ce qui est intéressant aussi avec le traçage manuel, c'est la suite. C'est-à-dire qu'une fois qu'on a réalisé ces enquêtes-là, normalement, la Santé publique a les moyens de pouvoir retracer... pas retracer, mais plutôt contacter directement, par toutes sortes de moyens, les personnes qui sont à risque, leur donner des instructions extrêmement claires, géographiquement situées aussi : Bien, vous avez un hôpital à cinq minutes, etc. Ce que les applications ne font pas. Il y a comme toute une partie de l'application où est-ce que la personne doit être, en quelque sorte, proactive, donc, regarder son téléphone, être près d'une source Internet pour pouvoir mettre à jour, dire : Vous avez été à risque, donc appelez telle... Donc, tout ça, à notre sens, c'est beaucoup moins efficace que cette espèce de prise en charge qui fait partie de la mission de la Santé publique. Je ne sais pas si tu veux rajouter quelque chose, Dominique?

M. Peschard (Dominique) : Moi, je pense que pour répondre à ce genre de questions, comme dans toute question d'ordre scientifique, c'est l'expérience qui dicte qu'est-ce qui marche, qu'est-ce qui ne marche pas. Et en Islande, où ils ont été très... ils semblent avoir un système de traçage de la COVID qui a bien marché, ils avaient à la fois du traçage manuel puis du traçage... ils avaient l'application, comme je l'ai mentionné tantôt. Or, eux-mêmes ont conclu que c'était le traçage humain, manuel qui était efficace et que l'application avait peu contribué. Donc, ça, c'est leur expérience. À mon avis, c'est ce genre de choses qui est le plus parlant que des hypothèses sur ce qui pourrait ou ne pourrait pas être.

Mme Lecours (Les Plaines) : Est-ce que ça ne pourrait pas être complémentaire? Parce que, quand on pose des questions... Puis, bon, au cours des derniers mois, j'ai été beaucoup en contact avec ce que nous, on appelle dans notre jargon, là, des cas de comtés, là, où les gens... il y a une part de mémoire : Qui j'ai rencontré... Tu sais, il y a tout l'aspect humain aussi derrière tout ça. Est-ce que vous ne le verriez pas comme étant complémentaire à ce qui se fait actuellement?

Mme Pierre (Alexandra) : Bien, encore une fois, en Islande, ils avant les deux et ils ont conclu que ce n'était pas un bon outil. Donc, je veux dire, c'est difficile pour nous de faire d'autres hypothèses que celles qui sont en face de nous et qui sont effectives, là. On n'est pas... C'est ça. Voilà.

Mme Lecours (Les Plaines) : O.K.

Le Président (M. Bachand) : ...députée de Jean-Talon, allez-y.

Mme Boutin : Moi, j'ai une question pour vous. On parle des populations vulnérables — je m'écarte un peu, mais pas tant : qu'est-ce qui pourrait être fait de plus pour, justement, mieux soutenir les populations vulnérables? Là, on va rester dans le cadre numérique, là, mais ça pourrait être autre chose aussi. Est-ce qu'il y a des outils supplémentaires? Mettons qu'on ne parle pas de cette application-là ou cette application-là, mais qu'est-ce qui pourrait être fait de plus pour mieux accompagner les populations vulnérables, mieux identifier les cas, accélérer, en fait, la détection pour limiter la propagation pour ces populations-là.

Mme Pierre (Alexandra) : Bien, comme vous avez pu le voir dans notre mémoire, nous, on constate que, compte tenu des différentes déclarations de la Santé publique elle-même, le... — voyons, je vais le dire — tester à grande échelle, c'est la solution, voilà. Les méthodes traditionnelles, vous l'avez dit, ne sont pas parfaites, mais c'est les plus efficaces qu'on a jusqu'à présent.

Mme Boutin : Effectivement, il n'y a aucune méthode à elle seule qui est parfaite, là, puis c'est pour ça que... Puis c'est un apprentissage. Je pense que tous les pays et tous les États évoluent, puis il y a un apprentissage, là. Donc, c'est pour ça que je posais cette question-là. C'est pour accélérer puis sensibiliser la population, dans le fond. Pour augmenter le niveau de test, pour encourager les gens à aller se faire tester plus rapidement, qu'est-ce qui pourrait être fait?

M. Peschard (Dominique) : Bien, c'est sûr qu'il faut aussi fournir des moyens aux personnes, c'est-à-dire en termes d'équipement de protection, et des choses comme ça. C'est sûr que des situations d'inégalités sociales qui entraînent des effets démesurés sur des groupes discriminés ou défavorisés, ça ne peut pas être renversé du jour au lendemain. Mais ce que la COVID démontre, c'est... à révéler jusqu'à quel point des inégalités peuvent avoir des conséquences graves dans des constitutions comme celle-ci. Donc, à long terme, ça devrait être, comme Mme Pierre a mentionné, politique publique en termes de... contre les inégalités de revenus, avoir un revenu décent, le logement. C'est des choses comme ça qui permettent de réduire l'impact de pandémie. C'est clair que les personnes qui ont des logements plus grands, qui peuvent faire du télétravail, et etc. sont favorisés dans la lutte... dans la protection contre la pandémie, par rapport aux travailleurs de première ligne, comme on l'a vu dans les mois passés.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Saint-Laurent, s'il vous plaît.

Mme Rizqy : Merci. Bonjour, je commencerais, d'ailleurs, par... juste pour revenir. J'ai été un petit peu malaisée par l'avant-propos de mon collègue de Chapleau puis j'aimerais juste rappeler à tout le monde que le groupe qu'on a reçu, au préalable, c'est un organisme gouvernemental avec des fonds gouvernementaux. Et nous avons devant nous un organisme sans but lucratif, donc pas les mêmes ressources. Alors, je crois que, lorsqu'ils disent qu'ils n'ont pas eu beaucoup de temps, c'était juste et à propos...

Une voix : M. le Président...

Mme Rizqy : Non, il n'y a pas de M. le Président, là. Il n'y en a pas là-dedans.

Des voix : ...

Le Président (M. Bachand) : Non, non, non. M. le député de Chapleau, s'il vous plaît! Mme la députée de Saint-Laurent, vous avez la parole.

Des voix : ...

Mme Rizqy : ...l'article, s'il vous plaît, là, parce que...

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Chapleau, je vous demanderais votre collaboration. Mme la députée de Saint-Laurent, vous avez la parole. S'il vous plaît.

Mme Rizqy : Merci. Et je crois aussi qu'on doit souligner que la Ligue des droits a été le premier organisme au Québec, au mois de février et au mois de mars, à avoir sonné l'alarme sur différents aspects, bien au-delà du traçage. C'étaient les premiers aussi à nous dire qu'on a aussi un risque important au niveau de l'encadrement juridique, notamment, dans le dossier de reconnaissance faciale. Vous êtes... Merci, allez-y, je pense que vous avez envie de dire quelque chose.

• (15 h 20) •

Mme Pierre (Alexandra) : Oui, j'aurais envie de préciser. Quand je disais tout à l'heure que ce n'étaient pas des conditions favorables à un vrai débat public, oui, certes, il y a les délais pour des organismes comme nous qui avons des moyens limités, mais, au-delà de ça, faire un mémoire et présenter un mémoire, ça ne peut pas être réduit à un débat public. Et, de même, concernant la consultation en ligne, cette consultation-là a posé des questions très théoriques, alors même qu'il y avait plein d'informations qu'on n'avait pas, qui n'étaient pas disponibles, qu'on ne voulait pas... donc, le public n'avait pas ces informations-là. Ce qui veut dire que, par exemple, je doute que les personnes qui ont rempli cette consultation en ligne là avaient beaucoup d'éléments sur les ratages de l'application, sur les expériences à l'étranger. Quand je parle d'un débat public, c'est un débat, aussi, informé. Donc, au-delà de la ligue et du temps qu'on a pu avoir pour faire ou pas ce mémoire-là, c'est surtout l'idée de consultations publiques en été pour avoir un débat public. Pour nous, ça ne nous semble pas très approprié.

Mme Rizqy : Puis aussi, aujourd'hui, on n'a aussi personne de la banquette ministérielle qui est ici pour, justement, poser des questions si d'aventure on devait augmenter l'encadrement juridique. Je tiens à le souligner.

Mais j'aimerais vous entendre. Parce que nous, on a demandé un débat élargi non seulement sur le traçage, et la Ligue des droits s'était déjà prononcée là-dessus, au mois de mars, la reconnaissance faciale, identité numérique. On disait qu'on a plein d'outils technologiques tout à coup, mais est-ce qu'on est équipés en matière... un, avec une population informée? Mais est-ce que notre cadre juridique, aujourd'hui, est suffisant avec tous ces géants du Web qui veulent avoir davantage d'informations à notre égard?

Mme Pierre (Alexandra) : Bien, c'est un peu dans cette perspective-là aussi que la ligue demandait un débat public, certes, sur ces applications-là parce que c'est celles-là qu'on a en face, mais aussi, plus largement, notamment, on l'a mentionné, sur toute la question de la législation qui est manquante. Et aussi, puis peut-être que je laisserais Dominique parler là-dessus, on ne peut pas faire abstraction du contexte avec les GAFAM, qui ont des intérêts financiers très forts et qui fait que plus on va vite, moins on est capable non seulement d'identifier ces intérêts-là, mais aussi de les départir de l'intérêt public, finalement, donc de faire la différence entre les intérêts, et qu'est-ce qu'ils veulent nous vendre, et l'intérêt public. Je ne sais pas si tu veux rajouter quelque chose sur les GAFAM.

M. Peschard (Dominique) : Je pense que c'est de plus en plus... Nous, on a été parmi les premiers à sonner l'alerte, je veux dire, au fil des années passées, mais maintenant je pense que c'est assez largement reconnu que ces grandes corporations, sous le couvert de services, sont en train de piller nos vies personnelles dans leur propre intérêt et que nos lois sont complètement inadaptées. C'est un phénomène, et ça, juste à l'échelle internationale. Donc, on n'est pas du tout protégé contre ça. Et elles se proposent aussi de devenir les gestionnaires de nos données, mais les gestionnaires aussi des services publics. L'offensive de Google aux États-Unis, dans le domaine de la santé et de l'éducation, est phénoménale, et c'est, je pense, une grande préoccupation pour nos sociétés démocratiques. Et c'est un débat qu'on souhaite vivement mettre... voir se faire, dans la société québécoise, à très court terme.

Mme Rizqy : Est-ce que c'est une affirmation qui pourrait être vraie? On apprend maintenant que, lorsque différents élus au niveau fédéraux ont dit : Cette application est totalement anonyme... On a ici un rapport qui dit : Non, on peut avoir une information qui a été rendue anonyme, mais qu'on peut reculer puis être capable d'avoir l'identité de la personne, mais c'est peu probable, c'est une possibilité. Alors, ces géants du Web qui ne paient pas d'impôt pourraient faire en sorte d'avoir plus de données, faire des profits et toujours pas payer d'impôt. Donc, pour eux autres, là, c'est vraiment le rêve.

Mme Pierre (Alexandra) : Bien, c'est un peu ce contexte-là, c'est-à-dire que tous ces enjeux-là doivent être décortiqués, et c'est sûr que tous... Comme je le disais tout à l'heure, les intérêts des GAFAM sur cette question-là, il faut qu'ils soient très clairs et qu'ils soient très... qu'on puisse les détacher de l'intérêt public puis de pouvoir examiner ces questions-là selon l'intérêt des Québécois et des Québécoises, notamment, en termes de protection de la vie privée, protection des données personnelles, d'inégalité sociale. Donc, pour moi, c'est ça, quand la ligue dit : Il faut un débat public, c'est toutes ces ramifications-là qu'il faut observer.

Mme Rizqy : Et, je ne sais pas combien de temps qu'il me reste, mais...

Le Président (M. Bachand) : 3 min 40 s, Mme la députée.

Mme Rizqy : Merci. Je vais aller en deux volets. Quelle est la conséquence? Disons que le gouvernement va de l'avant puis que, malheureusement, ce qui va arriver est la chose suivante : croisement de données, une entreprise, un des géants du tech arrive à faire du croisement des données ou qu'il y a une fuite de données au niveau financier. Quelle est l'amende? Et est-ce que notre chien de garde, que ce soit le commissaire fédéral ou le commissaire de la vie privée, au niveau des provinces... sachant qu'il y a déjà une plainte en Alberta puis que ça fait déjà deux ans que la plainte a été déposée, qu'on n'a toujours pas le rapport du commissaire à la vie privée de l'Alberta dans un autre dossier. Alors, c'est quoi, les conséquences pour les géants du tech, à l'heure actuelle, avec les cadres législatifs qu'ils ont au niveau criminel, financier, si jamais ça dérape?

M. Peschard (Dominique) : Bien, à ma connaissance, les commissaires peuvent seulement constater des abus et faire des recommandations. Ça fait partie du problème.

Mme Rizqy : Donc, notre chien de garde, c'est un peu comme un chihuahua qui manque de mordant?

Mme Pierre (Alexandra) : Oui, oui. Bien, en fait, ça fait partie aussi de l'inadéquation d'un certain nombre de lois, de mécanismes, d'institutions.

Mme Rizqy : Est-ce que vous recommandez qu'on ajoute davantage de ressources puis vraiment donner des lois avec beaucoup plus de mordant mais aussi des ressources? Parce que les délais en ce moment, lorsqu'on porte plainte ou lorsque le commissaire à la vie privée se saisit d'un dossier, on parle de délais, là, qui sont de deux ans, là, c'est comme... Est-ce que ça serait davantage... Tant qu'à avoir... On parle de gouvernance puis d'avoir un chien de garde qui va surveiller l'application, mais, en ce moment, le chien de garde a de la misère, là, à appliquer les lois actuelles. Et, même s'il doit l'appliquer, les conséquences, là, c'est... On n'est pas aux États-Unis, il n'y a personne qui s'en va en prison puis personne qui paie des amendes d'un milliard, là, ici, là, on s'entend, là.

Mme Pierre (Alexandra) : Bien, c'est clair que toute la question des services publics comme ceux-là, comme la Santé publique, il faut leur donner les moyens de pouvoir faire leur travail puis d'accomplir leur mission. Puis il y a clairement aussi, on l'a répété plusieurs fois, des mises à jour législatives qui doivent être faites.

Mme Rizqy : Est-ce qu'il me reste encore du temps ou non?

Le Président (M. Bachand) : 1 min 30 s.

Mme Rizqy : Ah! merci. Excellent. Alors, ma dernière question, et non la moindre : Est-ce que ça, ici, c'est une autre application qui va faire en sorte encore une fois que les populations plus vulnérables seront encore les laissés-pour-compte? Dans le sens que les aînés n'auront pas plus, demain matin, un téléphone intelligent, les populations plus vulnérables... si, par exemple, on prend, de façon plus concrète, Montréal-Nord, où est-ce que vous avez mentionné notamment que 30 % n'ont pas accès à Internet de façon régulière. Alors, au fond, on va mettre de l'argent, sachant que les ressources sont limitées, par définition, mais les besoins sont illimités, mais, encore une fois, on n'aura peut-être pas la bonne priorité puis qu'au lieu de miser sur les gens, les êtres humains, les préposés, on va miser sur des technologies qui vont, encore une fois, juste enrichir les géants du tech.

Mme Pierre (Alexandra) : Bien évidemment que la question du coût n'est pas négligeable, mais c'est aussi la question tout simplement de l'efficacité, là. Je me répète encore, mais je pense que ça vaut la peine. L'impératif, c'est de donner les moyens à la Santé publique pour qu'elle puisse remplir sa mission maintenant, après la COVID. Puis, pour ça, bien, il faut des investissements suffisants. Il faut comprendre ce que signifie le droit à la santé puis comment il est lié à d'autres droits, et ça, ça implique des moyens. Donc, oui, il y a la question du coût qui... D'ailleurs, il y a un enjeu de transparence là-dedans aussi. Il y a l'enjeu du coût, mais il y a aussi l'enjeu de : Est-ce que c'est ça qu'il nous faut?

Le Président (M. Bachand) : ...député de Gouin, s'il vous plaît.

Mme Rizqy : Merci.

• (15 h 30) •

M. Nadeau-Dubois : Merci, M. le Président. Merci, monsieur et madame, d'être avec nous cet après-midi. J'ai peu de temps, ça fait que je vais faire des questions brèves. Merci d'être brefs également dans vos réponses.

J'aimerais vous entendre sur le risque d'engorgement au niveau des tests si une telle application était, dans un «best case scenario», largement téléchargée au Québec. On nous dit : Il y a à peu près 77 % des gens au Québec qui ont un téléphone intelligent. Si on atteignait un taux record au monde, et que, donc, ça marche très, très bien, et qu'à peu près la moitié des gens téléchargeaient l'application, la moitié des gens qui ont un téléphone téléchargeaient l'application, ça nous donne environ 3 millions d'applications actives. Si ces gens-là reçoivent des notifications comme quoi ils ont été en contact avec quelqu'un qui est positif et qu'on fait, au Québec, entre 9 000 et 18 000 tests par jour, comment va-t-on même vérifier les notifications que ces gens-là ont eues? Comment est-ce qu'on va même s'assurer que ce sont de réels cas positifs?

M. Peschard (Dominique) : C'est sûr qu'une production assez importante de faux positifs, ça va poser un réel problème pour tout système. Mais ça ne pose pas juste un problème pour le système. Ça pose un problème pour les personnes parce qu'à partir du moment où une personne, on lui dit qu'elle a peut-être contracté la COVID-19, bien... le moindrement responsable, c'est de se comporter comme si elle avait la COVID-19 jusqu'à tant qu'elle ait été testée pour prouver qu'elle ne l'avait pas. Ça, ça entraîne de se retirer du travail pour une journée ou deux au minimum en attendant, peut-être de retirer ses enfants de l'école en disant : Peut-être que je les ai contaminés.

Donc, des faux tests positifs, ça a des conséquences sur le système, mais ça a des conséquences aussi sur les personnes qui reçoivent ce genre d'indication. On peut faire des parallèles, par exemple, avec les diagnostics du test du cancer du sein chez les femmes, où il y a eu beaucoup de faux tests de diagnostics positifs, et les conséquences que ça entraînait en termes d'inquiétudes, et tout ça. Alors, s'il y a démesurément de faux diagnostics, ça a des conséquences non seulement sur le système, mais aussi sur les personnes qui reçoivent ces faux diagnostics.

M. Nadeau-Dubois : Puis est-ce que je me trompe ou il y a même un risque que ça, étant donné que ce sont les populations plus favorisées et plus jeunes qui vont avoir l'application, et donc qui vont recevoir des notifications, que ça pourrait même, structurellement, défavoriser les gens plus vulnérables d'avoir même accès aux tests parce qu'il va y avoir tellement d'engorgement au niveau des tests parce que les gens qui ont l'application vont vouloir aller faire vérifier leur diagnostic qu'on pourrait même, par la bande, priver les gens qui sont plus vulnérables d'accès à un test parce que le système va être engorgé par des notifications?

Le Président (M. Bachand) : On a dépassé le temps. M. le député de René-Lévesque, s'il vous plaît.

M. Ouellet : Merci beaucoup, M. le Président. Je vais aller droit au but. Quand je lis votre mémoire puis j'entends vos commentaires, je vais vous placer devant un choix, selon vous, c'est-tu parce que l'application n'est pas fiable qu'il ne faut pas aller de l'avant ou bien c'est parce que, si elle était fiable, mais qu'elle ne couvre pas toute la population, qu'il faudrait ne pas l'appliquer?

Mme Pierre (Alexandra) : C'est ça. Moi, je pense que c'est un faux choix. C'est-à-dire que le portrait qu'on nous dresse, qu'on vient de dresser, c'est le fait de son efficacité, le fait des populations vulnérables que vous venez de parler, les législations. Donc, tout ça s'entrecroise. Tu sais, c'est interdépendant, là, dans le sens où est-ce qu'il n'y a pas de choix à faire. C'est le constat qu'on fait. Ces trois éléments-là sont problématiques. Voilà. Donc, je ne sais pas si ça répond à votre question.

M. Ouellet : Bien, je vais préciser un peu. Je vais préciser un peu, puis le but, ce n'est pas de vous coincer.

Mme Pierre (Alexandra) : Non, non, bien sûr. J'essaie de répondre.

M. Ouellet : On essaie d'avoir des éclairages sur différentes facettes de l'utilisation ou non de technologies. On connaît une application aujourd'hui. Demain matin, il y en a une nouvelle qui est beaucoup plus fiable, qui a très peu de faux positifs, donc elle donne les résultats escomptés, mais elle doit être téléchargée sur des applications et des téléphones qui, comme vous le dites dans votre mémoire, amènent des gens à ne pas être capables de s'en prévaloir. Est-ce que, dans ce cas-là, si la technologie était fiable et l'application était adéquate, est-ce que le fait que les populations les plus vulnérables ne puissent pas l'avoir devrait nous amener, comme législature, à dire : Écoutez, si on fait ça, on cause un préjudice aux plus démunis et on ne devrait tout simplement pas aller de l'avant?

Mme Pierre (Alexandra) : Bien, j'aurais tendance à dire que, si ce problème-là est réglé, le premier problème de l'inefficacité, bien, en effet, les deux autres restent tout entiers sur la législation, mais aussi sur le fait que les plus... En fait, ce n'est pas le fait... c'est non seulement les populations les plus vulnérables socioéconomiquement, mais c'est aussi les populations les plus vulnérables à la COVID. Donc, j'aurais tendance à dire, et tu me compléteras, Dominique, que le problème ne serait pas réglé. Mais, encore une fois, c'est une hypothèse. Et, nous, ce qu'on voudrait, c'est partir du test de la réalité, qui est que c'est inefficace, et, si on peut régler ce problème-là, bien, il nous reste les deux autres à régler.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Chomedey, s'il vous plaît.

M. Ouellette : Merci. Bienvenue à vous deux. Effectivement, je trouve que votre mémoire est très détaillé. Vous y avez mis du temps, et je pense qu'il est très intéressant pour nous aussi. Effectivement, l'organisme qui est venu avant travaille là-dessus depuis le mois de mars. C'est un organisme gouvernemental. Et effectivement je fais écho à ce que j'ai entendu tantôt.

Finalement, à la fin de tout ça, ça va être un choix politique. Le gouvernement est pressé de faire de quoi, là, puis là il essaie de nous convaincre que ça va être complémentaire puis ça va régler tous les problèmes. C'est-à-dire que ça va régler un de ses problèmes. On va passer à un autre appel, puis arrangez-vous. On va payer puis on va essayer de s'organiser. Je disais ce matin qu'il ne faut pas prendre les citoyens pour des imbéciles. Je le répète depuis à matin, ça prend une adhésion des citoyens. Vous avez mis un exemple dans le traçage manuel, qui est beaucoup plus fiable. À la page 9 de votre mémoire, vous avez dit : À partir du moment où la Santé publique explique avec transparence, clairement, ce qu'ils doivent faire ou ce qu'ils attendent de nous, bien, il y a une adhésion. Le système n'a pas suivi parce que la place pour les tests, ça a pris des heures et des heures, puis, même à ça, la patience des gens qui ont attendu des heures et des heures... On pourrait être bien meilleurs dans notre affaire. Ce matin, on est venus nous dire que peut-être que ce n'est pas obligatoire qu'on ait une application.

Vous avez parlé tantôt aussi de la transparence de la consultation en ligne. Bon, on aimerait bien, nous autres aussi, que ça soit transparent, là, mais ça a été transparent pour un poste, pour une station de télévision ce matin. Je pense qu'il va falloir questionner la méthodologie. Il va falloir questionner les informations. C'est sûr que cette consultation en ligne en plein mois de juillet est pour assurer une légitimité à une décision qu'on ne dit pas prise, mais qu'on va avoir une décision dans deux, trois jours, là. Ça aussi, ça nous a été mentionné puis ça a été public ce matin.

Finalement, pour tout ça... Parce que j'écoute vos inquiétudes puis je pense que vos inquiétudes sont partagées par pas mal de monde, et on veut juste s'assurer de prendre les bonnes décisions puis de faire les bons choix. Puis peut-être que, vraiment, on n'en a pas besoin. Si, ailleurs, ils ont prouvé que ce n'était pas nécessaire, pourquoi il faudrait se dire : Ah! là, ce n'est plus bon en Islande ou ce n'est plus bon en Israël, puis juste prendre les affaires qui font notre affaire?

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Malheureusement, c'est tout le temps que nous avons. Mais je voudrais vous remercier de votre participation à la commission.

Cela dit, nous suspendons les travaux quelques instants. Et, je vous rappelle, pour les prochains après, c'est une visioconférence. Merci, à tantôt.

(Suspension de la séance à 15 h 38)

(Reprise à 15 h 49)

Le Président (M. Bachand) : Alors, bonjour, tout le monde. À l'ordre! La commission reprend ses travaux. Alors, il nous fait plaisir d'accueillir par visioconférence les représentants de la Quadrature du Net. Alors, c'est M. Bastien Le Querrec et M. Axel Simon.

Alors, je vous rappelle que vous avez 10 minutes de présentation. Et, par après, nous aurons un échange avec les membres de la commission. Alors, la parole est à vous. Puis, encore une fois, merci beaucoup de votre participation.

MM. Bastien Le Querrec et Axel Simon

(Visioconférence)

M. Simon (Axel) : Pardon, je recommence. Vous devriez m'entendre maintenant.

Le Président (M. Bachand) : Allez-y.

M. Simon (Axel) : Merci beaucoup de votre invitation. M. le Président, Mmes et MM. les députés, nous sommes contents de pouvoir participer aux travaux de votre commission sur tout ce qui concerne, donc, les réponses technologiques à la crise liée au COVID-19. Je m'appelle Axel Simon. Je suis avec Bastien Le Querrec. Nous faisons partie de la Quadrature du Net, qui est une organisation citoyenne qui défend les libertés dans l'espace numérique depuis une dizaine d'années en France, en Europe et parfois plus largement dans le monde. Nous avons travaillé sur pas mal de choses au fur et à mesure des années, mais toujours avec cet angle sur les libertés collectives et individuelles.

Donc, moi, je suis Axel Simon. Je suis plutôt spécialiste en tout ce qui est sécurité informatique et je participe à la Quadrature depuis de nombreuses années. Mais je vais laisser Bastien se présenter rapidement aussi.

• (15 h 50) •

M. Le Querrec (Bastien) : Bonjour à toutes et à tous. Merci pour votre invitation. Donc, je suis Bastien Le Querrec, membre de la Quadrature du Net. Je suis juriste en droit public en France et je vous parlerai plus sur un volet moins technique et plus politique après.

M. Simon (Axel) : Très bien. Merci, Bastien. Du coup, pour commencer notre propos, j'aimerais insister sur le fait que toutes les réponses technologiques qu'on a pu voir à la crise du COVID doivent toujours être comprises comme des compléments et non pas comme des solutions seules. On a pu voir beaucoup d'attrait pour cette solution qui était parfois inspirante ou qui donnait assez envie, mais, vraiment, nous, on veut mettre l'accent sur le fait qu'il faut garder les yeux braqués sur les moyens qui ont fait leurs preuves. Donc, c'est tout ce qui est moyen hospitalier, y compris les rémunérations des personnes qui travaillent dans ces conditions difficiles, tout ce qui est traçage manuel, qui est d'une importance majeure, l'accès aux tests, l'accès aux masques, la sensibilisation à tout ce qu'on a appelé gestes barrières. Donc, ça, c'est vraiment fondamental avant de se poser quoi que ce soit d'autre comme question technique.

Pour entrer un peu plus dans la partie technique, nous, on voit à peu près quatre buts qu'on peut faire émerger, qu'on pourrait vouloir atteindre de manière technique.

Donc, premier but, c'est peut-être celui qu'on voit le plus, c'est ce qu'on appelle le traçage de contacts automatique, la capacité à remonter une chaîne de contacts et pouvoir alerter les personnes qui ont été potentiellement contaminées par quelqu'un d'autre. Un deuxième but, c'est la capacité à fournir des informations épidémiologiques, donc tout ce qui est analyse de clusters, etc. Un autre but qu'on voit, c'est le suivi et le contrôle de la quarantaine, voire la capacité à punir la violation de la quarantaine. Et un dernier but qui a été évoqué à certaines reprises, c'étaient les idées de preuve de santé ou également appelées passeport d'immunité.

À notre sens, certains de ces buts sont légitimes, d'autres ne le sont pas ou, en tout cas, posent des risques de dérive autoritaire bien trop forts pour être acceptables. Un point sur lequel je pense qu'il est important d'insister pour l'instant, c'est le risque de mélanger les buts dans une même réponse technique. Quand on fait ça, on retire le choix aux personnes de décider si elles veulent utiliser l'application ou non puisqu'en mélangeant les buts on ne leur laisse plus vraiment la capacité à faire un consentement éclairé sur chacun des buts. On peut très bien être d'accord avec un but et pas avec un autre, mais, si l'application fait tout d'un coup, c'est très difficile de faire son choix. Donc, attention au mélange des buts, que ce soit volontaire ou non.

Si on regarde un petit peu du côté des solutions, on a plusieurs options pour fabriquer des applications. On peut faire du fait maison, comme ce qui a été fait en France, où on développe quelque chose dans son coin, ou on peut utiliser des choses plus standard et potentiellement aussi plus basées sur une coopération internationale, ce qui a été le cas dans ce qu'on a pu voir dans certaines réponses.

On peut également utiliser la... On peut rentrer dans des modèles décentralisés ou dans des modèles centralisés. La France a fait le choix d'un modèle centralisé, qui pose pas mal de questions. Donc, pas mal de réponses n'ont pas été convaincantes.

Et enfin on peut se demander si l'application doit être libre et open source ou propriétaire. Bien évidemment, elle doit être libre. C'est-à-dire qu'elle doit garantir certaines libertés à ses utilisateurs, et son code source doit être disponible. Mais, si c'est une condition sine qua non, ce n'est pas du tout une condition suffisante.

En France, donc, il y a un exemple sur lequel on a pas mal travaillé. L'application est effectivement libre au sens strict, mais la communauté de développement autour est inexistante. La gestion du travail communautaire a été très mauvaise. Il y a eu pas mal de secrets, de mélanges, etc. Et la réponse, techniquement, globalement, a été très problématique.

Également, si on décide de rentrer dans des solutions plus standardisées en utilisant, par exemple, les interfaces qui ont été rajoutées dans les systèmes d'exploitation mobiles pour faire des applications sur les téléphones mobiles, qui ont été rajoutées par Apple et par Google dans leur système d'exploitation mobile respectif, on ouvre plein d'autres questions sur la dépendance à Google et Apple, dont il faut rappeler que le modèle économique est basé sur la vente de publicité, et donc sur ce qu'on appelle l'économie de l'attention. C'est moins le cas pour Apple, mais ça reste quand même un petit peu le cas, mais surtout sur Google, qui représente une vaste majorité des ordiphones en circulation. C'est entièrement basé sur l'économie de l'attention, donc la capacité à connaître et à profiler les gens. Donc, il faut se poser de réelles questions quand on commence à dépendre de ça, y compris des services Google, qui sont intégrés à beaucoup, beaucoup de terminaux Android, qui donnent à Google une capacité d'extraire des informations très importantes sur les utilisateurs, qui sont d'ailleurs la base de leur modèle économique.

Et un dernier point sur lequel je veux attirer l'attention rapidement, c'est... On a beau avoir des solutions qui, théoriquement, peuvent être très élégantes — moi, je m'intéresse pas mal à la cryptographie, il y a des choses qui sont vraiment très belles — la question est toujours de ce qui se passe quand ça rentre à l'épreuve du monde réel. On a vu en Corée un exemple absolument terrible de gens qui commençaient à détourner ou à créer des applications secondaires pour utiliser le modèle principal pour essayer de deviner qui était malade autour de soi. Ils commençaient à entrer dans une espèce modèle de délation.

On peut également se poser la question de ce qui se passe quand on met des applications qui utilisent le Bluetooth dans les supermarchés ou les centres commerciaux qui utilisent déjà largement des technologies de traçage par Bluetooth pour savoir qui est qui dans le supermarché. Si on passe à la caisse et qu'il y a un «beacon» Bluetooth qui peut nous corréler avec un achat par carte bancaire, la vie privée disparaît assez rapidement

 On a d'autres cas d'attaques et de désanonymisation qui sont plausibles et qui sont documentés. Donc, on a quand même beaucoup de problèmes à ce niveau-là et on peut... Peut-être, moi, je vais terminer la partie technique sur deux points.

À Singapour, une application avait été lancée avec beaucoup de...

Le Président (M. Bachand) : M. Simon? Oui, M. Simon, je m'excuse, parce qu'il reste... le temps va très rapidement. Alors, avec votre accord, on va passer la parole à M. Le Querrec, s'il vous plaît.

M. Simon (Axel) : Tout à fait.

Le Président (M. Bachand) : On va revenir avec vous pour la période des questions. Merci.

M. Le Querrec (Bastien) : Alors, moi, je vais terminer un petit peu ce lien avec ce que voulait dire Axel, c'est que le cas français a été l'exemple même de l'absence de conformité aux règlements dans la mise en oeuvre de cette application. C'est-à-dire que le cas français avait un encadrement réglementaire assez strict, validé par le contrôleur français des données personnelles, mais finalement ce cadre strict n'a pas été respecté par le gouvernement lui-même, qui se l'était fixé. Et tout ça pour dire que, finalement, sur le volet politique, il y a un certain nombre de raisons qui doivent pousser à combattre ce genre d'application.

D'une part, le coût de ce type d'application n'est pas négligeable. En France, le coût est estimé entre 300 000 € et 400 000 € par mois, indépendamment du développement. C'est une fois que l'application est déployée à grande échelle. À ce titre, d'ailleurs, en France, il y a eu un signalement par une association de lutte contre la corruption pour des soupçons de détournement de fonds ou de favoritisme. C'est quelque chose qui est vraiment très intéressant et très important à prendre en compte. Même si on prend la fourchette basse en France, qui serait une estimation aux alentours de 200 000 € par mois, le résultat en France a été, sur le premier mois, le mois où il y a eu le plus téléchargements, 14 notifications, ce qui fait un peu plus de 10 000 € par notification, donc qui est un coût vraiment très important, encore une fois, en mettant de côté le coût du développement qui, en France, a été fait de manière gratuite.

L'autre raison qui doit pousser à bannir ce genre d'application, c'est une acclimatation à la surveillance. Une application qui est dans son téléphone, que l'on ne voit pas concrètement fonctionner, alors même qu'elle tourne en tâche de fond, crée une habitude. Elle crée une acclimatation à la surveillance. Elle habitue les populations, les personnes à être surveillées en permanence. Le risque de ce genre d'application, c'est de créer un effet cliquet et une accoutumance à des technologies de surveillance qui sont discrètes mais continues. Ce genre de technologie dépasse vraiment le cadre d'application contre la COVID, et ses effets de cliquet peuvent avoir des conséquences ailleurs, dans d'autres domaines de la société.

Il y a également des risques de discrimination. On l'a vu dans d'autres pays, c'est un effet de masse, un effet de groupe qui va inciter les personnes à adopter cette application, alors même qu'elles refuseraient ce principe. Même si ce genre de discrimination est interdite dans la loi en France, mais ailleurs, c'est protégé très certainement par des textes, au Canada, en droit international, même si ce genre de discrimination est interdite, dans la pratique, on ne peut pas l'empêcher parce que l'effet de groupe est beaucoup plus important.

Enfin, pour terminer, je dirais que ce genre d'application nous assure une croyance vraiment qui est celle du solutionnisme technologique. C'est la croyance que la technologie va nous sauver d'absolument tout. Comme le disait mon collègue Axel en introduction, ce genre d'application doit vraiment être minime et secondaire. Le principal, c'est de mettre l'accent sur les moyens hospitaliers, les tests, la sensibilisation. Avec ce genre d'application, on a une croyance que la technologie va tout résoudre et on minimise inévitablement ces autres sujets.

Et, pour terminer, lorsque votre commission a invité la Quadrature du Net à intervenir, nous nous sommes vraiment dit qu'il y a aujourd'hui quelque chose à saisir et nous vous appelons vraiment à prendre position contre ce genre d'application. Il y a une expérimentation qui est déjà en cours au Canada, et nous vous invitons vraiment à demander l'arrêt de cette expérimentation et à prendre position contre ce genre d'application. Je vous remercie.

• (16 heures) •

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Nous allons débuter la période de questions avec la députée de Jean-Talon. Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme Boutin : Bonjour, M. Simon, bonjour, M. Le Querrec, bonsoir pour vous. Merci, premièrement, de participer à cette commission, c'est très apprécié.

Je ne sais pas si vous connaissez tout le contexte actuel. Je vais faire ça vraiment très, très, très brièvement. On est en consultations particulières. On a lancé une consultation publique pour mieux comprendre les préoccupations des gens et comprendre aussi l'acceptabilité sociale. On s'est déjà positionnés à savoir que, si jamais on allait de l'avant avec une application, on choisirait une application plus de type Bluetooth, donc pas de collecte de données. Tout est complètement confidentiel, anonyme, sans géolocalisation, sans GPS, sans biométrie et reconnaissance faciale, ce qui a aussi des effets négatifs au niveau de, peut-être, l'efficacité. Ce n'est pas optimal, mais ça nous permet de peut-être mieux protéger la vie privée des gens et d'être moins intrusifs. Mais la décision n'est pas encore prise, puis c'est pour ça qu'on voulait vous rencontrer. Puis je voulais aussi ajouter que l'application, le code, c'est un code «open source», donc un code ouvert, qui est disponible. Santé Canada l'a même publié sur son site, et puis tout est décentralisé. C'est une approche beaucoup plus décentralisée que centralisée, comparativement à la France.

Par contre, on est d'accord, je pense que tout le monde s'entend ici que toute solution technologique est complémentaire aux solutions existantes. Ce n'est pas une panacée, c'est vraiment un outil pour améliorer la détection, l'identification des cas, encourager les gens, aussi, à aller se faire tester de manière un petit peu plus rapide qu'attendre d'avoir des symptômes.

Moi, j'ai deux questions à vous demander. Premièrement, est-ce que vous pensez... Bon, là, j'ai compris votre positionnement, mais, quand même, là, j'aimerais savoir si... Est-ce que, dans le but de protéger la vie privée des gens et de minimiser toute... parce qu'il n'y a pas de collecte de données personnelles avec le Bluetooth. Est-ce que c'est la meilleure technologie disponible, actuellement au niveau mondial, pour atteindre cet objectif-là? C'est ma première question.

Deuxièmement, qu'est-ce qui pourrait être fait de plus pour limiter tous les risques, advenant que le gouvernement aille dans ce sens-là?

M. Simon (Axel) : Alors, je vais essayer de répondre à votre question. Est-ce que c'est la meilleure solution? C'est plutôt que c'est techniquement la moins pire. Ça fait que c'est la seule qui soit à peu près capable de répondre au but énoncé, à savoir de remonter une chaîne de contacts sans rentrer dans des mécanismes qui sont du registre de donner à un État la capacité de savoir où est toute la population tout le temps, ce qui est fondamentalement totalitaire.

Après, je crois qu'il y a quelque chose qui est malheureusement trop peu connu, c'est l'état de l'art pour tout ce qui est technologie de désanonymisation, donc la capacité à prendre des données qui, sur la surface, ont l'air anonymes et à, par différents traitements ou par différents raccrochements à d'autres données, les raccrocher à des personnes réelles. Et ça, c'est quand même quelque chose qui est réellement à craindre, étant donné qu'il y a beaucoup de cas dans lesquels, en pratique, ce n'est pas très, très dur de... les gens. Il y a pas mal d'attaques qui ont été théorisées, et documentées, et testées pour voir si ça fonctionnait, et même parmi les personnes qui développent certaines de ces applications... sont très conscientes de ces problèmes, et beaucoup de... dans certains cas, c'est vraiment l'idée de développer une application qui soit la moins pire, mais jamais vue comme une... Moi, j'ai entendu plusieurs fois les gens dire : S'il faut qu'il y ait une application qui soit développée, alors on va essayer d'en faire une la moins pire possible, mais, fondamentalement, on n'est même pas convaincus que ce soit la bonne solution.

Donc, à défaut de faire peut-être la seule solution qui pourrait être encore plus, hein, qui pourrait réellement... bon, à 100 %, on ne peut jamais être protégé à 100 %, la vie privée, mais quelque chose qui pourrait être vraiment... Aller plus loin, ce serait un matériel qui serait dédié, qui n'aurait aucune autre capacité que d'émettre et de recevoir ces identifiants, etc., qui serait complètement déconnecté d'Internet. Mais, même dans ces cas-là, ça veut dire qu'on aurait une protection technique de la vie privée qui serait importante, mais, en pratique, on reviendrait au problème que citait Bastien, à savoir, une certaine accoutumance. On revient quasiment à un bracelet électronique. Même s'il est techniquement différent d'un bracelet électronique de surveillance de prison, on est quand même dans un contexte qui s'en rapproche et qui habitue les gens à ça.

Donc, je crois qu'il faut quand même beaucoup se méfier de ce qui se passe quand ces applications se heurtent au réel et comment, de la manière dont elles vont être détournées, y compris pour des intérêts économiques parfois, des idées du type : Est-ce que je peux deviner si mon voisin est malade? Est-ce que je peux deviner si des gens... Est-ce qu'on peut faire chanter des gens? Toutes ces questions-là, en fait, dès que ça rentre vraiment dans le monde réel, l'inventivité des gens n'est quand même pas à sous-estimer, malheureusement.

Mme Boutin : Mais est-ce qu'il y a des choses qui pourraient être faites au niveau, par exemple... puis peut-être se baser sur l'expérience de la France, des choses à faire et à ne pas faire au niveau de la gouvernance, de la coordination en amont des tests qui pourraient être faits? Parce que, nous, bon, il va y avoir un test fait avec le centre québécois de cyberdéfense au niveau de la sécurité parce que l'objectif, c'est de protéger au maximum les données personnelles. En fait, les applications qui seraient considérées ne collectent aucune donnée personnelle, là, c'est vraiment des codes aléatoires, générés automatique et qui sont détruits. Donc, comme vous avez dit, ce n'est pas toujours optimal, mais est-ce qu'il y a des choses qui pourraient être mises en amont au niveau de la gouvernance pour pouvoir minimiser tout risque ou les risques en général?

M. Simon (Axel) : Je vais laisser la parole à Bastien, qui aura une réponse un peu plus complète. Mais, si on veut faire des logiciels, il y a des manières de le faire, et ce n'est pas évident. Ce n'est pas juste de publier du code sur une plateforme, ça demande vraiment un effort, et une connaissance, et une capacité à interagir en communauté qui est trop souvent absente chez les gros acteurs privés qui n'en ont pas l'habitude, sauf certains grands cas, enfin, certains exemples de grosses entreprises qui font ça très bien. Mais, globalement, ce n'est pas aussi simple que juste de dire : On va mettre le code libre et on va faire un audit de sécurité. Malheureusement, on n'est pas sur une application qui risque d'être utilisée par quelques personnes, mais par vraiment beaucoup de monde, ce qui change l'intérêt économique, en fait, à la dévoyer. Bastien, vas-y, je t'en prie.

M. Le Querrec (Bastien) : Je voulais ajouter. Alors, effectivement, en France, la gouvernance autour de l'application de lutte contre le... enfin, de traçage des contacts est assez catastrophique, où on avait vraiment un manque total de transparence et le... Publier le code source ne suffit pas; il faut vraiment de la transparence, énormément.

Mais ensuite vous avez cité le fait que l'application, l'éventuelle application canadienne serait testée avec les agences de l'État en matière de cybersécurité. C'est évidemment une autre condition sine qua non pour le déploiement de ce genre d'application. On a vraiment cité tous les risques majeurs de ce genre d'application. C'est de toute façon une étape indispensable que tous les pays le font. L'exemple suisse est assez intéressant parce qu'on a eu un lancement qui a été un peu plus tardif que ce qui s'est fait en France, avec une accentuation sur la sécurité, vraiment lancer cette application quand on pensait qu'elle serait prête, et non pas faire la course à qui sortira l'application en premier. Donc, c'est vraiment quelque chose qu'il faut prendre en considération.

Mais, encore une fois, nous ne pensons pas que cette application, que ce genre d'application soit vraiment indispensable à la lutte contre le coronavirus.

Le Président (M. Bachand) : M. le député de Chapleau, s'il vous plaît.

M. Lévesque (Chapleau) : Oui. Merci, M. le Président. Bonjour, M. Simon, Me Le Querrec. Plaisir de vous avoir ici, là, ce soir.

Juste une petite clarification, là. Vous avez dit, là, notamment en lien politique, vous avez dit nous appeler à combattre l'application ou, du moins, ces types d'application là, et également, bon, ça pourrait être un complément aux gestes barrières. Donc, j'aimerais juste voir s'il y a une compatibilité entre ces deux éléments-là. Est-ce qu'il faut combattre l'application ou ça peut tout de même être un complément aux gestes barrières ou aux différentes mesures de santé publique?

M. Le Querrec (Bastien) : Alors, c'est inévitable que ce genre d'application, lorsqu'elle est déployée à l'échelle d'un pays, est un complément dans cette lutte. Mais, lorsque l'on fait la balance, l'équilibre entre les avantages que cela va procurer et les inconvénients, la réponse doit très clairement être de lutter contre ce genre d'application.

Un exemple que je n'ai pas eu le temps de développer tout à l'heure, mais c'est que ce genre d'application accentue les problèmes de répartition à l'accès à la santé au sein des populations. C'est-à-dire que ce genre d'application doit être massivement utilisée dans la population pour être efficace, ce qui n'arrive pas, en pratique. Même dans les pays qui sont réputés être très friands de ce genre de solution, de ce genre de réponse technologique, on ne dépasse pas un seuil qui serait satisfaisant. Or, ce genre d'application aujourd'hui — et, en France, c'est totalement le cas — est utilisé par les populations actives dans des centres urbains, ce qui fait que les populations âgées ou qui vivent dans les campagnes ne seront pas soi-disant protégées par ce genre d'application.

Et donc on va accentuer les discriminations dans l'accès aux soins parce que ce genre d'application sera très utile. On nous annonce dans le métro parce qu'il y a des personnes qui sont en contact et qui ne peuvent pas communiquer entre elles. Mais finalement, par rapport aux risques que nous avons développés depuis le début de notre intervention, la balance doit inviter à ne pas déployer ce genre d'application, parce que les effets néfastes sont beaucoup trop importants.

M. Lévesque (Chapleau) : Peut-être un petit point sur ce que vous venez de dire. Justement, le gain communautaire qui pourrait être fait n'est pas, justement, favorable à l'ensemble de la population même si, disons, il y a quelques populations qui sont ciblées davantage? Par exemple, ici, au Québec, les jeunes, actuellement, il y a une croissance au niveau des cas. Effectivement, ils ont accès à certaines technologies. Donc, le fait que ces jeunes-là puissent savoir qu'ils ont eu... ou qu'ils ont été en contact avec une personne qui avait la COVID-19, et eux vont se faire tester, il n'y a pas un gain communautaire ou populationnel pour l'ensemble de la communauté, de la société, à ce niveau-là?

• (16 h 10) •

M. Le Querrec (Bastien) : Alors, en France, on a vu, sur le premier mois à l'échelle de la France, donc plusieurs dizaines de... Je n'ai pas de chiffres, en fait, plusieurs dizaines de millions de personnes, il y a eu 14 notifications à l'échelle d'une population entière pour 1,8 million de téléchargements annoncés. Donc, c'est vraiment tout petit. Ce gain va être vraiment très limité et, au contraire, il va mettre le risque potentiel de désanonymisation, de pistage pour des questions marketing, des attaques de désanonymisation. Ça, ces risques sont vraiment très concrets, alors que les gains sont assez limités. C'est aussi en Australie où on avait parlé, sur le premier mois, de développement d'un seul cas, d'une seule notification annoncée. Donc, vraiment, ce gain communautaire est très limité.

M. Lévesque (Chapleau) : D'accord. Vous avez fait une gradation, là...

M. Simon (Axel) : ...rajouter quelque chose, mais je vous en prie.

M. Lévesque (Chapleau) : Oui, allez-y, allez-y.

M. Simon (Axel) : C'était juste pour dire que je pense qu'il peut y avoir un effet de curiosité dans ces applications. L'application, le premier mois en France, elle a été téléchargée 1,8 million de fois, mais après ça elle a été désinstallée 600 000 fois. Donc, il y a beaucoup, beaucoup de gens qui l'ont installée, l'ont testée et qui, finalement, n'ont pas vu l'intérêt et sont passés à autre chose. Et donc soit on est dans un cas où les gens qui sont curieux le testent mais, après ça, l'abandonnent, soit on est dans un cas où tout le monde l'utilise, peut-être, et, dans ce cas-là, on ne sait même pas si c'est très efficace puisqu'on n'a pas... Moi, je n'ai pas vraiment réussi à trouver de chiffres là-dessus, mais il peut y avoir... On peut retourner dans cette crainte du sentiment d'être protégé, alors qu'il n'en est rien. La réelle protection, elle, va plutôt venir déjà des actions qu'on a au jour le jour et de la manière dont on interagit avec les autres personnes et peut-être se dire : Ah! mais c'est bon, j'ai l'appli sur mon téléphone, je peux aller faire la fête dans un bar en sous-sol, alors que c'est beaucoup plus dangereux parce qu'on est en vase clos et que l'air n'est pas recyclé, etc. C'est compliqué. Il peut y avoir ce côté un peu de talisman magique de : J'ai l'appli, c'est la technologie, c'est moderne, donc ça va suffire pour me protéger. Et la réponse, elle ne se situe pas là, en fait.

M. Lévesque (Chapleau) : Je comprends, merci. Vous avez parlé... Vous avez fait une gradation, là, de types d'applications. Vous avez parlé d'abord... une qui serait liée... donc un traçage du contact automatique, une deuxième qui pourrait être liée à des éclosions, là, vous avez dit «clusters épidémiologiques», et une troisième qui pourrait viser, justement, à punir le fait de ne pas respecter la quarantaine. Il y a quand même une gradation dans ça. Évidemment, ce n'est pas du tout l'intention, si jamais on allait avec ça, là, d'aller aussi loin que ça. Au contraire, on est plus dans le limité, là, de façon très, très restrictive, pour éviter, justement, là, tout problème en lien avec la vie privée puis les renseignements personnels. Est-ce que c'est parce que l'expérience française, qui parlait... cette gradation-là ou... J'essaie juste de voir, là, d'où nous venait cette gradation-là.

M. Simon (Axel) : Alors, il y avait... Il y a deux buts à ça. Il y a, oui, effectivement, une expérience par rapport à d'autres pays. Ce n'est pas l'expérience française. Mais il y a vraiment souvent, dans l'approche politique de la technologie, une capacité ou... enfin, qui n'est pas forcément une capacité, mais plutôt une tentation de mélanger les buts parce qu'il y a une croyance un petit peu magique en la technologie, qu'elle va tout résoudre. Et donc, à mon avis, c'est très important, si on veut avoir une approche raisonnable et correcte des moyens techniques, de d'abord bien se poser les questions des buts qu'on cherche à atteindre afin de ne pas les mélanger. Donc, moi, je suis ravi de vous entendre dire que vous n'avez aucune recherche d'atteindre certains des buts qui nous paraissent, à notre avis, tout à fait néfastes, comme les passeports d'immunité ou tout ce qui est contrôle de la quarantaine. Et merci, d'ailleurs, pour le terme d'«éclosion», parce qu'on n'a pas... enfin, moi, je n'ai pas entendu ce terme en français encore, donc je suis très content de l'avoir. Ça, par exemple, ça paraît être un but beaucoup plus légitime. Mais l'important, c'est d'être capable de les séparer avant pour pouvoir se poser des questions raisonnablement et pour aussi être capable de permettre aux gens d'avoir le choix de peut-être... d'accepter une appli qui ferait un but mais pas une appli qui ferait un autre but.

Après, des applications qui font tout ça... Il y en a eu, par exemple, en Hongrie, où l'application est développée par une entreprise privée, donc l'application n'est pas libre, son code n'est pas disponible. L'organisation qui l'a développée est à but lucratif et elle fait, entre autres, le contrôle de la quarantaine par une observation GPS de la position des gens, etc. Et l'alternative qui est donnée aux gens, c'est que, là, c'est soit ça, soit la police vient chez vous tous les jours. Vous pouvez imaginer que le consentement, dans ces cas-là, devient un petit peu plus flou quand on a soit le choix d'installer une appli sur le téléphone, soit d'avoir une visite de la police tous les jours. Mais, oui, il y a des pays qui mélangent les buts, et peut-être volontairement.

M. Lévesque (Chapleau) : Peut-être une dernière question, là, rapidement.

M. Le Querrec (Bastien) : Un autre...

M. Lévesque (Chapleau) : Ah! oui, allez-y, excusez.

M. Le Querrec (Bastien) : J'aurais juste un autre point. Même si les buts annoncés dans ce genre d'application, telle que mise en place par un État, peuvent être légitimes et peuvent être des buts non autoritaires, il y a un risque, avec la pression sociale, que les buts affichés, en pratique, soient différents, et c'est toute la question du contrôle social. Si un supermarché, un jour, oblige ses clients à avoir l'application avant de pouvoir rentrer, tant que le gérant du supermarché ne sera pas pris la main dans le sac, finalement, cette obligation, ce but non prévu initialement sera, dans les faits, celui qui servira et qui sera mis en place par ce genre d'application. Et c'est vraiment un glissement des buts qui est possible grâce au fait qu'on ne peut pas empêcher les gens d'avoir des comportements sociaux et des effets de groupe qui peuvent parfois déraper.

M. Lévesque (Chapleau) : O.K. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Vaudreuil, vous avez la parole, s'il vous plaît.

Mme Nichols : Oui, merci, M. le Président. Alors, bonjour, bonsoir. C'est impressionnant, quand même, cet engouement pour l'intelligence artificielle. Je trouve que ça soulève des questions qui sont assez importantes, puis évidemment, là, on a des groupes, des experts, là, qui viennent en témoigner, mais des questions importantes puis des impacts aussi sur la vie puis sur les individus, puis je trouve que, souvent, on l'oublie, cette portion-là.

Puis je ne veux pas cibler nécessairement les jeunes, mais on en parle depuis ce matin puis on se dit : Bien, tu sais, les jeunes vont avoir accès à cette application-là. Ça va être plus facile pour eux, ils ont des cellulaires, ils ont ci, ils ont ça. Mais on oublie souvent la partie confidentielle, la partie partage des données, puis, moi, c'est une partie qui m'embête parce que les gens disent : Hein, tu n'as pas l'application? Ah! Je vais la prendre. Mais ils font ça instinctivement, sans nécessairement penser aux impacts, aux répercussions autour de tout ça, puis évidemment, bien, on le sait, il y en a qui ont des intérêts en arrière de tout.

Donc, ça m'amène à la partie consentement. Évidemment, il y a plusieurs personnes qui sont prêtes à donner ce consentement-là, mais est-ce que ça ne serait pas justement... Est-ce qu'il ne faudrait pas justement prévoir l'usage d'une application, l'échange de consentement, ou renouveler, peut-être, le consentement en échange de ces données-là? On ne devrait pas plutôt régir l'usage plutôt que d'en interdire l'usage de transfert des données tout court pour ceux qui s'approprient ces données-là?

M. Le Querrec (Bastien) : Alors, il y a effectivement un problème, que vous rappelez de manière très pertinente, qui est l'effet de groupe et qui va inciter les personnes à installer l'application. En France, le gouvernement français fait un énorme travail de communication et, parfois, flirte avec la culpabilisation des personnes. Vous voulez vous protéger? Installez l'application. Sous-entendu : Si vous ne le faites pas, vous serez responsable de morts. C'est vraiment ce qu'ont dit, sans se cacher, des ministres français qui ont affirmé haut et fort que, si les personnes ne voulaient pas ce genre d'application, elles seraient responsables des morts supplémentaires. Il y a vraiment une culpabilisation que l'on retrouve dans le discours politique, qui est vraiment néfaste et qui tend à limiter la validité de ce genre de consentement.

Ensuite, à la Quadrature du Net, on n'a pas de solution miracle sur cette question du consentement. On peut éventuellement avoir un consentement renouvelé. Ça peut être une piste, mais, encore une fois, il faut faire la mise en balance de ce genre d'application avec les effets néfastes.

Mme Nichols : Et je me demandais s'il y avait des façons qu'on pourrait prévoir, justement, là, l'encadrement, soit l'encadrement du transfert des données ou soit l'encadrement du consentement, mais ça, le consentement, ça peut être sur l'application, une touche où on dit qu'on consent, puis souvent on le fait instinctivement pour avoir accès à l'application, mais au niveau du transfert des données.

• (16 h 20) •

M. Le Querrec (Bastien) : Alors, au niveau du transfert de données, en France, à partir du moment où il n'y a pas... À partir du moment où la personne ne se déclare pas comme étant contaminée, elle n'a pas de données, autres que son identifiant, qui sont envoyées sur le serveur centralisé. Mais ça reste, de toute façon, dès le début, une donnée qui est transférée sur les serveurs du gouvernement français, qui seront aussi transférées sur des serveurs annexes, si on choisit une autre solution.

Indépendamment de ça, lorsque l'application tourne en page de fond, elle va émettre des signaux Bluetooth, et ces signaux peuvent être captés. Mon collègue Axel a rappelé des attaques qui peuvent réutiliser ces informations, et ces attaques ne peuvent pas être mitigées au sens où c'est intrinsèque à ce genre d'application, de diffuser le fait que le téléphone est un téléphone sur lequel cette application est installée, et on ne peut pas empêcher les autres personnes autour de capter cette information.

Donc, on ne peut pas empêcher, par exemple, une borne de publicité intelligente, qui piste les adresses Bluetooth des personnes, on ne peut pas empêcher techniquement ce genre de bornes de publicité de capter des informations sur les utilisateurs de ce genre d'application. Légalement, on peut l'interdire, mais, dans la pratique, on ne peut pas s'en prémunir.

Mme Nichols : Donc, ça se confronte. Vous avez parlé de technologies de surveillance continuelle. Vous avez parlé aussi qu'il y avait des conséquences, vous avez dit qu'il y avait des conséquences ailleurs, dans d'autres domaines, mais je pense que c'était votre collègue qui en a parlé. Vous faites référence à quoi quand vous parlez de conséquences ailleurs, dans d'autres domaines?

M. Le Querrec (Bastien) : Alors, c'est notamment le problème avec une autre technologie sécuritaire qu'on voit apparaître de plus en plus, qui est la reconnaissance faciale. La reconnaissance faciale, c'est le fait que chacun peut avoir son identité scannée à n'importe quel moment sans s'en apercevoir. Avec les applications pour lutter contre le coronavirus, c'est exactement la même chose. À n'importe quel moment, les personnes peuvent être scannées, n'importe qui peut scanner avec une application qui est censée protéger également ou lors d'une attaque, telle qu'elles ont été documentées, et ça, ce genre de technologie se passe dans la poche de l'utilisateur sans qu'il s'en aperçoive. Et ce phénomène, on le retrouve vraiment avec la reconnaissance faciale où n'importe qui dans la rue, dans un environnement de travail, dans un centre commercial, peut voir son identité scannée et ses données analysées. Et c'est le même principe, finalement, que l'on retrouve entre la reconnaissance faciale et ce genre d'applications de lutte contre le coronavirus.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée, s'il vous plaît.

M. Simon (Axel) : ...

Le Président (M. Bachand) : Allez-y, M. Simon.

M. Simon (Axel) : D'accord. Très bien. Oui. Maintenant, du coup, j'essaie de retrouver ce que je voulais dire.

Le Président (M. Bachand) : Mais, si vous permettez, je vais céder la parole à la députée de Saint-Laurent. Merci, M. Simon. Mme la députée, s'il vous plaît.

Mme Rizqy : Bien, dans la même veine, j'ai eu l'avantage de bien regarder le documentaire sur ARTV, où est-ce que vous apparaissez, et vous mentionnez notamment les dérives du totalitarisme numérique, et j'aimerais bien vous entendre sur ce qu'on appelle le croisement de données, c'est-à-dire, notamment, on peut partir d'une bonne intention gouvernementale et avoir cette application, mais on a l'industrie qui, d'autre part, veut avoir beaucoup d'information. On a même des gouvernements qui aimeraient contrôler énormément d'information.

M. Simon (Axel) : Tout à fait. Alors, justement, ça tombe très bien, parce que ça revient un petit peu au point que je voulais émettre précédemment, à savoir qu'avec la reconnaissance faciale on est directement dans la reconnaissance de la personne. Normalement, avec une application de traçage automatique qui est correctement faite, ce n'est pas aussi direct, c'est-à-dire qu'on est dans un croisement secondaire, on recoupe avec d'autres informations. Néanmoins, le fond du propos reste le même par rapport à ce que disait Bastien.

Mais ce que vous évoquez là, donc je ne sais pas si le terme de «totalitarisme numérique» est... je ne sais pas, moi, je dis... En fait, c'est celui que j'utilise régulièrement, mais il y a vraiment ce risque. En fait, c'est très difficile de faire une application qui soit véritablement pseudonyme. «Anonyme», c'est un terme qui est très fort parce que ça implique qu'on ne sait pas qui est qui. Ce n'est pas ce qu'on veut dans ces cas-là. En fait, ce qu'on veut, c'est pouvoir parler aux gens, remonter les informations aux gens sans savoir qui ils sont réellement. Donc, on va plutôt utiliser le terme de «pseudonyme» dans ces cas-là, mais, même dans ces cas-là, c'est très, très difficile à faire et ne jamais se rater, en fait, tout du long de la chaîne et de protéger, en fait, l'identité réelle des gens.

Un cas très bête, mais tout simple. En France, l'application, la première fois que vous vous connectez, elle se connecte à partir de chez vous ou de votre téléphone mobile, et, en fait, cette adresse IP à partir de laquelle vous vous connectez, c'est déjà une information qui permet de commencer à retrouver qui vous êtes. Donc, si vous vous connectez généralement à partir de deux points, ça permet déjà de savoir si c'est généralement votre travail ou chez vous. Bien, il n'y a pas une tonne de gens qui vont être globalement connectés à ces deux endroits, et, ça y est, ça réduit à un nombre de gens très, très, très restreint.

Par exemple, l'application française, elle utilise un service pour reconnaître... pour distinguer les humains des robots, ce qu'on appelle un captcha en anglais, un test automatique pour dissocier les humains des robots, et ce captcha est hébergé par Google. Et donc, toute personne qui remplit ce captcha, un, révèle une partie de son identité à Google et, deux, améliore les algorithmes de reconnaissance faciale de Google, par ailleurs, ce qui est un autre problème. C'est du travail gratuit qui est fourni en masse à Google, donc ça, c'est toujours un autre point qui est toujours amusant à soulever.

Mais, en fait, on est dans une situation actuelle où il y a une main mise telle de la part de certains gros acteurs — qui sont quasiment tous Américains — sur les technologies numériques que c'est très, très, très difficile de mettre en place des choses sans du tout se reposer sur eux et sans, finalement, leur donner une partie du gâteau des informations personnelles des gens qui, évidemment... Pour la majorité de ces gros acteurs, leur modèle économique est basé sur l'exploitation de ces données personnelles et sur la création de profils pour les vendre à des publicitaires. Donc, finalement, de ne pas les nourrir du tout, ce n'est pas strictement impossible techniquement, mais c'est extrêmement complexe et, surtout, ça demande des moyens et une volonté politique énormes.

Mme Rizqy : Merci. Il ne reste pas beaucoup de temps, je vais rapidement, mais, juste pour le bénéfice de ma collègue la députée de Jean-Talon, qui ne cesse de dire, depuis le début de la journée, que c'est totalement confidentiel, le 31 juillet dernier, nous, le commissaire à la vie privée fédéral, au Canada, a clairement indiqué que c'était une affirmation qui était inexacte et que, bien au contraire, qu'il était possible de pouvoir retrouver l'identité des données.

Aujourd'hui au Québec, c'est le 12 août, et on achète des livres québécois. Il y a un titre qui s'appelle En as-tu vraiment besoin?, qui est écrit par Pierre-Yves McSween. Alors, question très courte : Avons-nous vraiment besoin de cette technologie, oui ou non?

Le Président (M. Bachand) : Il faut que ça soit oui ou non, parce qu'on n'a plus de temps.

M. Le Querrec (Bastien) : Alors, ça va être non, et je me permets de rajouter un mini-exemple. Aujourd'hui, ce genre d'application est, pour Android, diffusé par le Play Store, pour Apple, par l'Apple Store, et ce qui fait que les utilisateurs ne peuvent pas ne pas utiliser ce genre d'outils, qui sont intrinsèquement des outils de pistage. Donc, dans la pratique, on ne pourra pas, de toute façon, dissocier les deux totalement.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Alors, je cède la parole au député de Gouin. M. le député, s'il vous plaît.

M. Nadeau-Dubois : Merci, M. le Président. Bonjour, messieurs, merci d'être avec nous ce soir pour vous.

J'ai envie de profiter de votre expertise en sécurité informatique et de vous poser la question suivante : En deux minutes, pouvez-vous nous parler des risques de sécurité qui sont intrinsèques aux applications qui fonctionnent à partir de la technologie Bluetooth et qui s'appuient, pour ce faire, sur l'API développé par Apple et Google?

M. Simon (Axel) : Oui, je vais essayer. Les risques principaux, ce sont, pour moi, des risques de réidentification par des moyens secondaires. Et ce sont des risques de... Il y a un doute. Bien, ça, c'est le risque principal. Le risque secondaire, c'est celui d'applications malveillantes qui se font passer pour l'application d'origine, et donc qui vont utiliser un nom proche ou une image proche pour, en fait, installer autre chose qui serait malveillant. Et le troisième risque, qui est moins évident, mais qui est également possible, c'est que l'application en elle-même commence avec des buts nobles et finisse par être modifiée dans la durée. Parce que le logiciel, ce n'est pas comme un livre qui, une fois publié, est figé. C'est beaucoup plus comme un flux, quelque chose qui est modifié en profondeur... bien, qui est modifié régulièrement pour rester à jour. Et, au fur et à mesure, on peut ajouter des fonctions, en enlever d'autres et potentiellement entièrement remplacer l'application au fur et à mesure, et finissant avec quelque chose qui était complètement différent entre ce à quoi on avait pensé, sans forcément même que les gens ne s'en rendent compte. Ça, c'est les risques, pour moi, principaux.

M. Nadeau-Dubois : Et, sur une échelle de un à 10, les risques de réidentification à court et moyen terme, vous les mesurez comment?

M. Simon (Axel) : C'est un peu difficile de répondre à cette question si simplement parce que ça va dépendre des contextes. Il y a des personnes qui seront beaucoup plus intéressantes à réidentifier que d'autres. Il y a des contextes dans lesquels il sera beaucoup plus intéressant de réidentifier des personnes, peut-être, qui, par ailleurs, ne seraient pas importantes. Je donnais l'exemple tout à l'heure de l'entretien d'embauche. Les gens auront beaucoup plus intérêt à savoir si vous êtes malade ou si vous êtes malade actuellement du COVID pendant votre entretien d'embauche que si vous n'êtes pas à la recherche d'emploi. Si vous êtes quelqu'un de très riche, ce sera peut-être intéressant également de le savoir, ne serait-ce que pour les paparazzis qui voudraient le savoir, mais c'est un peu variable. Mais je dirais que c'est quand même... La désanonymisation dont on a parlé tout à l'heure est quelque chose de largement plus faisable que les gens ne se rendent compte en général, et vraiment beaucoup, beaucoup plus.

M. Nadeau-Dubois : Donc, ce n'est pas un scénario farfelu.

M. Simon (Axel) : Non.

M. Nadeau-Dubois : Ce n'est pas s'inquiéter de manière exagérée que de penser qu'une telle opération est possible. C'est quelque chose qui est relativement facile à faire.

M. Simon (Axel) : Non. Pour moi, c'est être raisonnable. C'est être raisonnable. Il faut partir du principe que ça sera fait en partie, pas sur l'ensemble de la population, mais que ça sera les... Ce sont des attaques qui seront mises en oeuvre dans pas mal de cas parce qu'elles seront intéressantes économiquement dans pas mal de cas.

M. Nadeau-Dubois : Quels acteurs ont les capacités techniques...

Le Président (M. Bachand) : Là, je dois céder la parole au député de René-Lévesque, s'il vous plaît.

M. Ouellet : Merci beaucoup, messieurs. Oui, effectivement, Gabriel, je vais faire du pouce sur toi. Quel genre d'organisation est susceptible, effectivement, de faire de la réidentification d'utilisateur?

• (16 h 30) •

M. Simon (Axel) : Ça peut aller de l'entreprise qui veut juste... qui va juste placer un téléphone portable lors de l'entretien d'embauche pour avoir des informations en se faisant passer pour une personne tierce. On crée un utilisateur fantôme sur un téléphone supplémentaire et que, si jamais on reçoit une notification par la suite, on sait que la personne qu'on a vue pendant l'entretien était malade. Ça peut aller de ça jusqu'à des entreprises publicitaires qui vont avoir, comme on disait tout à l'heure, des bornes dans toute une ville, et qui vont être capables de suivre les gens dans toute la ville, et, du coup, de commencer à retrouver qui sont les gens, peut-être, avec des caméras qui seront intégrées aux panneaux publicitaires, peut-être avec d'autres informations qui sont diffusées au même moment, des informations wifi qui seraient concomitantes avec des informations Bluetooth. Selon l'attaque que l'on cherche à mettre en place, ça demande plus ou moins de moyens. Mais la réponse la plus basique, c'est qu'un simple téléphone portable d'occasion peut suffire dans certains cas précis.

M. Ouellet : Vous l'avez évoqué, la gouvernance, en France, suite à la mise en place de l'application, n'a pas eu vraiment de succès. Selon vous, qu'est-ce qu'on devrait faire, nous, ici, au Québec, si le gouvernement est quand même tenté d'aller de l'avant avec la mise en place de cette application? Qu'est-ce qu'on devrait surveiller pour éviter, excusez-moi l'expression, mais le bordel vécu en France?

M. Le Querrec (Bastien) : Bien, la première chose à faire, ça sera de mettre en oeuvre une réelle gouvernance organisée à l'avance. C'est-à-dire qu'en France, une fois que le code est mis sur la place publique, rien n'a été organisé par la suite. C'est-à-dire que les développeurs initiaux contrôlaient totalement... les remontées, en termes de bogues, étaient très opaques sur certains points, ce qui a empêché des problèmes de sécurité très importants à être signalés et corrigés de manière efficace. Donc, la première chose à faire, c'est organiser, avec les chercheurs en matière de sécurité informatique, avec les développeurs, avec le gouvernement, avec les organisations de la société civile, organiser en amont, avec une structure identifiée et claire, une méthode de gouvernance, se mettre d'accord sur une méthode de gouvernance. En France, c'est l'absence de mise en commun de cette manière de gouverner l'application qui était à l'origine de la cacophonie qu'on a pu voir.

M. Simon (Axel) : Je répondrais vite quelque chose de supplémentaire. Je dirais après : Ne le faites pas, ne fabriquez pas... Enfin, premièrement, suivez notre conseil et optez pour une autre solution. Mais, si vraiment vous deviez le faire et ne pas suivre ce conseil, ne faites pas la vôtre. Tournez-vous vers des solutions qui existent déjà et rejoignez des projets qui sont déjà fonctionnels plutôt que de succomber au syndrome du : Ça n'a pas été inventé ici, alors on va créer quelque chose de nouveau que nous, on aura inventé. Il y a déjà des choses qui existent et qui sont à peu près... enfin, qui sont les moins pires. Donc, ça ne sert à rien d'essayer de réinventer la roue.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Chomedey, s'il vous plaît.

M. Ouellette : Merci, M. le Président. Bonsoir à vous deux. Donc, dans ce cas-là, ce n'est pas nécessaire d'acheter local ou d'acheter canadien, là. Il faut acheter la meilleure technologie ou la meilleure solution, puis la meilleure solution, avec ce que j'entends aujourd'hui... Est-ce que, M. Le Querrec, vous êtes contre tout ce qui a été fait ou toutes les applications, peu importe le pays? Parce que j'ai l'impression que vous avez fait le tour du monde, là, pour vérifier ce qui se faisait partout. Votre contre, il est mondial?

M. Le Querrec (Bastien) : Alors, on ne prétend pas avoir parcouru de manière exhaustive tout ce qui s'est fait dans le monde, mais, effectivement, ce qu'on a vu pour l'instant, ce sont des applications qui, intrinsèquement, ne sont pas satisfaisantes, ont un vecteur d'attaque très important, posent des problèmes, pour les libertés, très importants, indépendamment de la technologie, que ça soit celle de Google, ou d'Apple, ou une solution centralisée comme en France. Certaines technologies sont moins mauvaises que d'autres. Mais, vraiment, la conclusion que l'on peut tirer avec ce recul... depuis plusieurs mois, puisque les premières applications de traçage des contacts sont arrivées en janvier, avec le recul, vraiment, ce que l'on peut tirer comme conclusion, c'est qu'intrinsèquement ce type d'application est mauvais.

M. Ouellette : J'ai une autre question pour vous. Vous avez parlé tantôt que c'est pour les populations actives dans les centres urbains. Les centres plus régionaux sont peut-être moins atteints. Est-ce que vous ne pensez pas qu'une application comme ça pourrait stigmatiser les grands centres urbains? Je regarde... Au Québec, dans la région de Montréal puis la périphérie de Montréal, c'est la moitié de la population du Québec. En région, je ne pense pas qu'on ait cette problématique-là. Est-ce que vous ne pensez pas que ce genre d'application, qui va être très téléchargée dans la région de Montréal, ça ne stigmatisera pas, justement, la région de Montréal et que ça ne fera pas dire au gouvernement : On vous l'avait dit, c'est juste le monde de Montréal puis de la périphérie?

M. Simon (Axel) : Sans parler de stigmatisation, ça crée vraiment un problème dans l'accès aux soins. C'est-à-dire que ce genre d'application va faire que l'énergie va être mise dans des personnes qui ont déjà accès à un système de santé. Les personnes âgées qui n'ont pas de smartphone, les personnes dans des campagnes avec une densité de population qui fera que la probabilité de rencontrer une personne qui aurait été contaminée sera encore plus faible... Ce genre d'application va étendre, va accentuer les différences dans les accès aux soins au sein des populations qui... ces différences qui existent déjà, et l'énergie sera mise dans des populations actives dans des centres urbains. En France, on nous a cité régulièrement l'exemple du métro. Sous-entendu : Les personnes âgées vivant à la campagne, on ne veut pas s'en occuper.

M. Ouellette : Merci.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Écoutez, M. Le Querrec et M. Simon, merci beaucoup de votre collaboration aux travaux de la commission. Et puis, bien, je vous dis bonsoir de Québec. À bientôt. Au revoir.

M. Simon (Axel) : Merci. Au revoir.

M. Le Querrec (Bastien) : Merci encore de nous avoir invités. Bonne soirée. Bonne journée, plutôt. Au revoir.

Le Président (M. Bachand) : Alors, merci.

Alors, nous allons suspendre les travaux quelques instants. Merci beaucoup.

(Suspension de la séance à 16 h 36)

(Reprise à 16 h 38)

Le Président (M. Bachand) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! La commission reprend ses travaux. Je souhaite maintenant la bienvenue à M. Yoshua Bengio, de l'Institut québécois d'intelligence artificielle. Encore une fois, bienvenue à la commission. Je vous rappelle que vous disposez de 10 minutes de présentation. Puis après nous aurons un échange avec les membres de la commission. Alors, la parole est à vous. Et, encore une fois, merci d'être là.

M. Yoshua Bengio

(Visioconférence)

M. Bengio (Yoshua) : Merci. En fait, nous, on n'avait pas préparé de mémoire. J'avais dit que j'étais disponible pour répondre à des questions. Donc, si vous voulez, on peut passer directement aux questions.

Le Président (M. Bachand) : On peut passer directement aux questions. Oui, Mme la députée de Jean-Talon, s'il vous plaît.

Mme Boutin : Bonjour, M. Bengio. Écoutez, merci beaucoup d'être présent. Je sais que vous êtes un homme occupé.

Je pense que vous savez déjà un petit peu la position du gouvernement. Pour nous, c'est important de faire des consultations. Puis on a tout de suite mis d'emblée des principes fondamentaux pour protéger au maximum la vie privée et les données personnelles des gens. Donc, on s'est déjà avancés à dire qu'on privilégierait une solution plus basée sur la technologie Bluetooth. Mais je sais quand même que vous avez développé... que MILA a développé une application. Puis moi, je vais avoir des questions. J'aimerais, un, que vous nous en parliez un petit peu, de cette application-là, parce que, tu sais, bon, peut-être que vous pourriez en parler un petit peu, puis après je vais amener ma question.

• (16 h 40) •

M. Bengio (Yoshua) : Bien sûr, si vous voulez. L'idée, là, de l'application qu'on a développée à MILA, c'était de pouvoir donner une alerte plus tôt que les applications de traçage, comme celle qui a été développée par Shopify, dans le sens qu'on demande aux gens, s'ils le veulent, volontairement, d'indiquer s'ils ont des symptômes parmi une liste de symptômes que la science, aujourd'hui, associe à la maladie. Et donc, ça, ça peut arriver généralement plusieurs jours avant qu'ils aillent à l'hôpital ou qu'ils décident de se faire tester. Et ces jours d'avance, évidemment, c'est potentiellement des jours qui permettent de changer les comportements de personnes qui n'ont pas encore de symptômes, donc qui n'ont pas de raisons de changer leur comportement, d'être plus prudents.

Donc, l'idée, c'était : Est-ce qu'on peut réduire la transmission du virus en utilisant de l'information qui, actuellement, n'est pas utilisée, qui n'est pas demandée aux gens dans les applications de traçage qu'on retrouve un peu partout dans le monde, comme celle qui a été développée par le gouvernement fédéral? Évidemment, ça veut dire que les gens, volontairement, donnent de l'information qui est utilisée pour avertir leurs contacts. Finalement, le principe des contacts, c'est le même que ce qui se passe avec l'application fédérale dans le sens que c'est Bluetooth, c'est le même genre de mécanisme, et le téléphone se rappelle des contacts qu'il a eus. Puis la différence, c'est qu'au lieu que la communication entre les téléphones se fasse uniquement quand quelqu'un a un test positif, la communication va se faire aussitôt qu'il y a des indices que la personne est contagieuse, de façon à ce qu'elle avertisse les... enfin, son téléphone avertisse ses contacts de faire attention. C'est ça, l'idée.

Puis pourquoi est-ce que ça a besoin d'intelligence artificielle? Parce que, bien, ce n'est pas si simple que ça, finalement, de décider est-ce que c'est un bon moment ou pas, quel degré on va donner à l'information qui a été recueillie, parce qu'il y a des douzaines... bien, il y a au moins une douzaine de symptômes possibles, avec des degrés divers. Et on doit pondérer l'information qui vient des messages qui ont été reçus d'autres contacts, des symptômes qui ont été déclarés, pour arriver à une espèce de probabilité que la personne soit contagieuse. Et c'est cette probabilité-là qui sert à déterminer un message qui est envoyé aux contacts, qui ne sera pas binaire, mais qui va être à un degré, finalement, de contagiosité qui va changer les comportements des gens en leur disant de faire plus ou moins attention, de changer leur comportement vers quelque chose de plus proche de la quarantaine ou de peut-être ne rien changer du tout.

Mme Boutin : Puis est-ce que cette application-là, qui utilise l'intelligence artificielle, est-ce que vous étiez les seuls dans le monde à l'avoir faite ou est-ce qu'il y a d'autres applications similaires qui utilisent ce genre d'intelligence artificielle là dans le monde?

M. Bengio (Yoshua) : À ma connaissance, il n'y a aucune application dans ce genre qui est déployée. Par contre, il y a plusieurs groupes de chercheurs dans le monde qui ont réalisé que ça pouvait être important d'utiliser ces informations supplémentaires, et donc d'utiliser des techniques d'apprentissage statistique pour améliorer l'efficacité des applications de traçage. Mais, à ma connaissance, il n'y en a aucune qui a été menée jusqu'au bout et déployée. C'est quelque chose qui est relativement nouveau, qui est plus de l'ordre, actuellement, de l'investigation qui a été faite par des chercheurs.

Mme Boutin : Puis je pense que, dans le cas de COVI, il y avait moins de risques de faux positifs également, si je ne me trompe pas?

M. Bengio (Yoshua) : Bien, l'idée, c'est qu'on va pouvoir être plus sélectifs sur les messages qu'on envoie. Puis des faux positifs, il va y en avoir avec n'importe quelle approche. Donc, ça, c'est... J'ai entendu des gens discuter lors de la commission puis ailleurs. Il n'existe pas de système qui va parfaitement détecter qu'une personne a été infectée, et donc il y aura toujours des faux positifs. C'est nécessaire, parce qu'il y a de l'incertitude dans l'information qui est disponible.

Donc, en réalité, pour n'importe quel système qu'on met en place, il va toujours y avoir un compromis entre la liberté perdue, entre guillemets, pour rien par des gens qui ont reçu des alertes, alors qu'ils n'étaient pas contagieux, puis les vies sauvées par ceux qui, autrement, n'auraient pas changé leur comportement, mais qui vont être plus prudents parce qu'ils ont reçu une alerte. Donc, il y a un choix social entre un degré, disons, de liberté que les gens vont volontairement laisser aller... parce qu'on leur a donné de l'information qui leur permet de suspecter qu'ils ont peut-être la maladie et ce que ça peut permettre de sauver comme vies. Mais, comme c'est entre les mains des individus, moi, je considère qu'éthiquement c'est raisonnable. Ce n'est pas la société qui, nécessairement, impose ça, mais c'est les gens, de la manière que quelqu'un qui a des symptômes, il n'est pas sûr d'avoir la maladie, mais, en général, la plupart des gens... Il y a des sondages qui ont été faits. Ils montrent que les gens vont avoir tendance à changer leur comportement en se disant : Bien, si j'ai des symptômes associés à la maladie, peut-être que je l'ai, je vais faire plus attention.

Mme Boutin : Donc, une application, bien, comme COVI ou une autre application, là, plus comme... plus Bluetooth ou moins... tu sais, peut-être moins intrusive dans la vie privée pourrait quand même augmenter ou changer les comportements pour encourager les gens à se faire tester plus tôt, peut-être?

M. Bengio (Yoshua) : Oui, exactement. Soi dit en passant, COVI, c'est Bluetooth aussi, là, ça ne change rien là-dessus.

Mme Boutin : Mais vous avez le GPS aussi, je crois, ou peut-être je me trompe, non?

M. Bengio (Yoshua) : Non, non. Il y a une première version qu'on avait faite, qui utilisait le GPS parce que la technologie Bluetooth n'était pas prête à ce moment-là.

Mme Boutin : O.K. Moi, j'ai une question, parce qu'on a eu beaucoup de discussions aujourd'hui par rapport... supposer... réfléchir à l'efficacité, peser le pour et le contre. Bon, le gouvernement, c'est sûr qu'on a un certain... un cadre réglementaire et législatif à respecter pour la protection des données personnelles. On veut être le moins intrusif possible. Donc, ça nous amène à certains choix. Mais, je me demandais, dans le développement de votre application... Parce que MILA, c'est un groupe de recherche, puis, pour vous avoir rencontré quelques fois, je sais que, tu sais, vous avez quand même une réflexion. Vous faites de la modélisation. Est-ce que vous avez modélisé, puis je ne connais pas du tout la réponse, là, soupesé le pour et le contre et modélisé le degré d'efficacité que ça pourrait avoir en complémentarité aux mesures mises en place par la Santé publique?

M. Bengio (Yoshua) : Bien sûr, bien sûr. C'est pour ça qu'on a développé un simulateur épidémiologique qui permet de tester, dans le modèle, avec les meilleures données médicales existantes aujourd'hui, comment différentes stratégies de traçage peuvent avoir un impact plus ou moins grand sur les différents enjeux, là, d'alertes, de vies sauvées, ou de cas évités, ou de contraintes qui ont été rajoutés à des gens pour rien. Donc, il y a toujours ce compromis dont on parle. Donc, effectivement, la plus grande partie de notre travail, ça a été de développer ce modèle épidémiologique qui est basé sur des modèles épidémiologiques qui ont été développés ailleurs, à Oxford en particulier, et dans lequel on a... qu'on a enrichi avec, disons, des données plus récentes sur la COVID-19 et qu'on a mis au point pour pouvoir tester justement différentes interventions du type outil de traçage dans les applications.

Mme Boutin : Et puis est-ce que vous avez eu des résultats que vous pourriez parler déjà?

M. Bengio (Yoshua) : Oui. Bien oui. Donc, effectivement, et selon les conditions qui... En particulier, je pense que les gens s'intéressent à la question du taux d'adoption de ces applications-là. Selon les conditions, on va voir que les applications de traçage binaire, comme celle actuellement disponible au fédéral, donnent un avantage par rapport à ne rien faire du tout, et d'utiliser les symptômes donne un avantage supplémentaire. C'est ça.

Maintenant, une chose que je veux dire, qui est importante parce que ça fait partie de la réflexion, c'est qu'au taux d'adoption qu'on voit aujourd'hui avec l'application fédérale, s'il y avait le même taux d'application au Québec qu'il y a actuellement en Ontario, aucune application ne ferait une différence statistiquement mesurable. Donc, même si on déployait puis qu'on se disait : Ah! on va prendre quelque temps ou... même sur une population pilote, vu le petit nombre de cas qui existent actuellement au Canada, si on a un taux d'adoption de, genre, 5 %, ou 10 %, ou 15 %, ça serait difficile de répondre à la question : Est-ce qu'une méthode marche mieux qu'une autre?, simplement parce qu'il n'y aurait pas assez de données pour mesurer de manière fiable est-ce qu'une méthode marche mieux qu'une autre.

Mme Boutin : Avez-vous identifié un taux d'adoption minimal qui serait significatif?

M. Bengio (Yoshua) : Il n'y a pas de taux d'adoption minimal. Mais ce que je peux vous dire, c'est que disons que... c'est ce que d'autres études montrent, là, c'est que, si on est dans les alentours de 40 %, 50 %, 60 %, on a quelque chose d'intéressant. Est-ce qu'au Québec on est capables de motiver suffisamment les gens pour qu'il y ait ce taux d'adoption? C'est loin d'être sûr. En tout cas, dans l'état d'esprit actuel des gens, j'en doute beaucoup.

Par contre, on peut se poser la question. S'il y avait une forte deuxième vague, puis que le système de santé était débordé, puis que les gens s'inquiétaient puis se disaient : Bon, bien, je suis très inquiet et je vais prendre les moyens qu'il faut, je vais prendre toutes les possibilités pour éviter de contaminer les gens dans ma communauté, donc les choses pourraient être différentes dans une situation comme ça. Mais, si on parle d'aujourd'hui, je ne pense pas qu'il y aurait un avantage mesurable.

• (16 h 50) •

Mme Boutin : O.K. Merci.

Le Président (M. Bachand) : Le député de Chapleau, s'il vous plaît.

M. Lévesque (Chapleau) : Oui, merci, M. le Président. Bonjour, M. Bengio. Merci et bravo pour le travail que vous faites en intelligence artificielle. C'est vraiment remarquable, les recherches également.

Peut-être rapidement, là, au niveau fédéral, bon, ils ont choisi une autre application. Je sais que vous étiez dans la course. Peut-être savoir pourquoi ils n'auraient pas retenu Mila au fédéral. Puis peut-être, dans la même foulée... Vous êtes préoccupé par le statut binaire, là... une application de type binaire par le gouvernement du Canada. Je laisserais peut-être... Je ne sais pas si c'est complémentaire comme question.

M. Bengio (Yoshua) : Oui. Bon, premièrement, la première question, ce n'est pas à moi qu'il faut la poser, c'est au gouvernement fédéral.

M. Lévesque (Chapleau) : Oui, mais je me demandais. Vous avez peut-être une petite idée, là.

M. Bengio (Yoshua) : J'ai ma petite idée, mais je ne pense pas que c'est mon rôle de deviner ce qu'il y a dans l'esprit des politiciens à Ottawa et de partager ça publiquement.

M. Lévesque (Chapleau) : Ah! c'est bon, oui.

M. Bengio (Yoshua) : Pour la deuxième question, bien, en fait, j'y ai un petit peu répondu tantôt, c'est que les applications qui existent actuellement, donc, comme l'application fédérale, on les appelle binaires, là, parce que le signal d'alerte qui est envoyé, c'est un oui ou un non. Donc, la personne qui reçoit ce signal ne va soit rien faire si elle ne reçoit pas de signal ou se placer dans un niveau d'alerte relativement élevé, qui peut être proche de la quarantaine, ou décider d'aller se faire tester, selon la recommandation qui est faite.

En réalité, il peut y avoir différents degrés de certitude. Étant donné l'information qui est disponible dans un téléphone, c'est-à-dire quels symptômes la personne a, quel genre de signaux elle a reçus de ses contacts, quel genre de condition médicale préalable elle pouvait avoir, les probabilités d'être contagieux vont être très différentes. Et donc, si la probabilité que je sois contagieux est, mettons, juste de 10 %, je ne devrais pas agir de la même manière que si ma probabilité est de 90 %. Alors, d'avoir juste un signal binaire qui est communiqué entre les téléphones, ça manque... ça nous empêche de profiter de la possibilité d'agir de manière mesurée, justement, comme pour revenir à la question de tout à l'heure, pour réduire... disons, la perte de liberté que quelqu'un qui serait un faux positif aurait.

Donc, si on nous donne un signal d'alerte, mais que je ne l'ai pas, je vais m'empêcher de faire des choses. Par contre, s'il y a moins de probabilité que je sois réellement contagieux, peut-être que je ne suis pas obligé d'aller aussi loin dans la restriction que je vais apporter à ma vie. Ça fait que d'envoyer un signal qui est plus dégradé, là, peut-être simplement avec un certain nombre de niveaux de risque, ça permet de réduire l'impact négatif d'un potentiel faux positif qu'il va y avoir de toute façon.

M. Lévesque (Chapleau) : Donc, vous avez parlé également que l'application, donc, nécessitait davantage de renseignements, davantage de données. Je crois que c'est également centralisé. Vous ne voyez pas un risque là, justement, pour la protection de la vie privée, des renseignements personnels? Il n'y a pas un enjeu, là, qui peut causer, là, certains problèmes à ce niveau-là?

M. Bengio (Yoshua) : C'est sûr qu'il y a toujours un compromis entre la qualité des décisions qu'on va prendre puis la quantité d'information qu'on se permet d'utiliser. Donc, si on utilise zéro information, à part j'ai un test positif ou négatif, évidemment, on prend des décisions moins bonnes, mais on donne très, très peu d'information. En fait, ce n'est pas vrai qu'on donne zéro information. Avec les applications Apple, Google, c'est relativement facile de se trouver dans des situations où quelqu'un peut avoir accès au fait que vous avez eu un test positif. Ce serait une autre discussion, là, mais, je veux dire, il n'y a aucune méthode qui est absolument «foolproof».

Bon, maintenant, si moi, je décide de partager avec le gouvernement ou une entité qui va utiliser cette information des données sur mon état de santé, genre, j'ai eu des symptômes, etc., c'est un choix que je fais. C'est comme donner son sang. Tu n'es pas obligé de donner ton sang, mais, si ça sauve des vies, tu as peut-être envie de le faire quand même. Donc, après ça, comment on gère ces données centralisées? Bien, c'est un enjeu de cybersécurité, comme on le fait déjà, de toute façon, dans les hôpitaux.

M. Lévesque (Chapleau) : Je comprends. Merci beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Alors, Mme la députée de Saint-Laurent, s'il vous plaît.

Mme Rizqy : ...permission, je vais...

Le Président (M. Bachand) : O.K. Alors donc, je pense, il y a eu discussion. Est-ce qu'il y aurait consentement unanime pour interchanger la prise de la parole? Alors, M. le député de Gouin, s'il vous plaît.

M. Nadeau-Dubois : Merci beaucoup, M. le Président. Ne vous inquiétez pas, M. Bengio, c'est juste une question d'horaire. Il n'y a pas de complot qui s'est fait en votre absence. On interchange l'ordre protocolaire parce que je dois quitter plus tôt.

Vous avez dit, puis je l'ai noté... Quand même, je vous ai trouvé assez pessimiste quant à l'utilité, dans la conjoncture actuelle, d'une application pour lutter contre la pandémie, parce que vous avez dit, je vous cite à peu près, là : Il n'y a pas d'avantage mesurable, dans la situation actuelle, à utiliser une telle application. J'avoue que ça m'a surpris parce que j'ai ressorti vos propos du 22 avril dernier où vous affichiez, ma foi, un optimisme débordant quant à l'utilité d'une application. Vous aviez dit, à l'époque, et je vous cite, là : Il y a des études qui montrent qu'une application comme ça pourrait agir essentiellement comme un vaccin. Si à peu près la moitié de la population l'utilise, ça va protéger l'ensemble de la population.

M. Bengio (Yoshua) : Oui, exactement, sauf que...

M. Nadeau-Dubois : C'étaient des déclarations très optimistes.

M. Bengio (Yoshua) : Oui, mais la raison...

M. Nadeau-Dubois : Aujourd'hui, vous me semblez beaucoup plus... bien, disons, beaucoup moins optimiste. Pouvez-vous expliquer l'évolution de votre pensée?

M. Bengio (Yoshua) : Bien, c'est-à-dire que j'ai bien dit : S'il y avait à peu près 50 % de la population. Ce que je crois aujourd'hui, c'est que, dans l'état des choses, avec la réception qu'a eue l'application fédérale, ça serait très peu probable que, tout d'un coup, tu sais, en Ontario il y ait 5 % à 10 % des gens qui l'utilisent, puis qui décident de la télécharger, puis qu'au Québec ce soit 50 %. Mais, en avril ou en mai, ce n'était pas aussi évident d'arriver à cette conclusion.

M. Nadeau-Dubois : Parfait. J'ai seulement deux minutes. Donc, vous m'excuserez, là, je vais aller rapidement. Si on continue cette analogie que vous avez faite, à l'époque, sur les vaccins, on sait bien qu'avant de mettre un vaccin en circulation il y a énormément de tests cliniques et d'étapes qui sont assez exigeants scientifiquement pour qu'on finisse par autoriser un vaccin puis le mettre en circulation. Si je pousse votre analogie un peu plus loin, est-ce qu'on ne pourrait pas se dire qu'il serait souhaitable qu'avant de mettre une telle application en circulation on devrait lui faire passer un processus au moins aussi exigeant que celui qu'on fait subir aux vaccins potentiels? Puis je ne suis pas le premier à faire cette analogie-là. C'est un éditorial de la revue Nature qui reprenait cette analogie au mois d'avril en disant : Si on met en circulation des applications, il faudrait leur faire passer un processus d'autorisation au moins aussi exigeant que celui à travers lequel on fait passer les vaccins. Qu'est-ce que vous en pensez?

M. Bengio (Yoshua) : Tout à fait d'accord avec ça. Il faut faire un pilote. Le seul enjeu, c'est un enjeu statistique qui est semblable à ce que je disais tout à l'heure, c'est que... Je vais prendre un exemple. Si on décide de faire un pilote dans un quartier de Montréal où on sait que la prévalence de la maladie est assez élevée, et qu'il y a seulement 10 % de la population qui télécharge l'application, et qu'il y a seulement deux nouveaux cas par semaine, la probabilité qu'on observe des transmissions à travers deux téléphones va être tellement faible qu'on ne pourra arriver à aucune conclusion statistique.

Donc, ce que je dis, c'est que, oui, en principe, l'idéal, c'est d'avoir un test sur une population, mais il faut que cette population et la taille de la population malade, c'est-à-dire les gens qui ont la maladie, soient suffisamment grandes pour qu'on puisse avoir des données qui nous permettent de quantifier : Oui, ça fait une différence ou pas. Moi, ce que je crois, c'est que, dans l'état actuel des choses, on ne serait pas capables de faire un test comme ça, à moins de dire que le test, c'est tout le Québec. Et encore il faudrait qu'on le fasse pendant plusieurs mois pour avoir suffisamment de données pour pouvoir dire : Oui, ça fait une différence.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de Saint-Laurent, s'il vous plaît.

Mme Rizqy : Merci beaucoup. Alors, merci d'être présent avec nous par vidéoconférence.

Vous avez aussi mentionné que c'était relativement facile, l'accès aux données via Google ou Apple. Est-ce que vous pouvez élaborer là-dessus, s'il vous plaît?

• (17 heures) •

M. Bengio (Yoshua) : Non, ce que j'ai voulu dire, c'est qu'il y a des attaques qui sont faisables contre le système d'Apple, Google, en fait, tous les systèmes qui utilisent Bluetooth. En gros, je vais vous donner un exemple, là, imaginez que vous êtes un hôtelier, O.K., puis que vous mettez un téléphone ou un gadget Bluetooth dans la chambre de quelqu'un. Vous savez c'est qui, cette personne-là, d'accord? Puis, si vous gardez ce téléphone-là puis, plus tard, mettons, deux jours plus tard, vous recevez la lettre qui dit... votre gadget Bluetooth, là, il reçoit un message qui dit : Attention, attention, vous avez été en contact avec quelqu'un qui avait la COVID, bien là vous allez savoir c'est qui. Du coup, l'hôtelier, il sait que telle personne qui a tel numéro de téléphone, telle adresse, tel numéro de carte de crédit a la maladie.

Mme Rizqy : D'accord. Merci.

M. Bengio (Yoshua) : Il y a moyen de se défendre contre des choses comme ça. Mais je veux juste dire qu'il n'y a pas d'attaque... il n'y a pas de système complètement protégé contre des attaques.

Mme Rizqy : Évidemment, le risque zéro, on le sait, n'existe pas. Puis vous avez même comparé la protection des données, par exemple, tel qu'un hôpital... Vous savez qu'on éprouve même... Le gouvernement, avec le dossier de la RAMQ, lorsqu'on a vu que c'était possible d'entrer et sortir des données ni vu ni connu et que c'est un enjeu... Alors, il me semble qu'avant d'aller de l'avant avec une telle application... Habituellement, on essaie de mettre sa maison en ordre avant d'ajouter d'autres affaires dans sa maison, non?

M. Bengio (Yoshua) : Bien, je ne suis pas d'accord, moi. Moi, je pense qu'il faut mettre dans la balance les vies qu'on peut sauver. Donc, il faut estimer c'est quoi, le gain en vies humaines. Que ce soit pour ce genre d'application ou pour l'utilisation des données de santé, on ne peut pas juste tenir compte de la vie privée et pas de l'autre côté de la médaille, qui est : Qu'est-ce que l'utilisation des données peut faire pour sauver des vies ou améliorer la santé des gens?

Mme Rizqy : Alors, concrètement, par exemple, l'application, pour les CHSLD, ça aurait fait quoi comme changement?

M. Bengio (Yoshua) : Bien, s'il y a moins de gens affectés dans la société, il y aura moins de gens affectés dans les CHSLD parce que les gens qui sont affectés dans les CHSLD, ils l'ont pris de quelqu'un qui venait de l'extérieur.

Mme Rizqy : Oui, mais vous savez que les travailleurs de la santé, même si c'était connu qu'ils avaient... On ne peut pas... Il n'y avait pas assez de tests. Même si c'était connu qu'on devait fermer et empêcher le passage d'établissement en établissement, le gouvernement a maintenu cette décision. Ce n'est pas l'intelligence artificielle qui a fait défaillance ici, c'est vraiment une décision qui a été défaillante.

M. Bengio (Yoshua) : Je suis d'accord.

Mme Rizqy : Mais je n'irai dans ce dossier. Mais, si vous permettez...

Le Président (M. Bachand) : S'il vous plaît, parce que, vu qu'on est en visioconférence, il y a des petits délais. Donc, donnez le temps de poser la question, donnez le temps de donner la réponse aussi, s'il vous plaît. Mme la députée.

Mme Rizqy : Et puis il y a aussi une question d'efficacité parce qu'au mois de mars et au mois d'avril on a essayé d'éviter les taux d'étranglement puis que plusieurs personnes se présentent en même temps soit à l'hôpital ou, par exemple, dans les tests de dépistage parce qu'on manquait de tests, malheureusement. Et, si l'application, de façon... celle qu'on... De toute évidence, le gouvernement semble préconiser sa technologie Bluetooth. On voit, dans les différents documents qu'on a reçus... C'est qu'il pourrait y avoir beaucoup de faux positifs. Des gens qui, par exemple, sont dans une pièce, mais séparés, pourraient avoir une notification. Donc, on pourrait avoir plusieurs personnes notifiées qui sont appelées à faire un test, mais là on ne serait pas capables d'identifier qui on doit prioriser dans le système de santé.

M. Bengio (Yoshua) : Oui, mais l'important, c'est de le regarder d'un point de vue statistique encore, c'est-à-dire, c'est quoi, le nombre de contacts qui vont être des faux positifs à cause d'un mur, ça va être une très petite fraction. Donc, ça ne change pas grand-chose au total. Ce qu'il faut voir, c'est combien de vies on sauve versus combien de libertés on enlève à des gens, et c'est ce rapport-là... Ce n'est pas parce qu'il y a des faux positifs qu'une approche n'est pas acceptable. Il faut voir le gain et la perte ensemble.

Mme Rizqy : O.K. Mais jusqu'à présent, quand on regarde ailleurs, si on prend, par exemple, le Singapour ou l'Islande, où est-ce qu'il y a quand même des taux de téléchargement massifs, plus importants que 20 %, même 30 %, on parle de 40 %, ça n'a pas été un franc succès. Et même que, dans le cas de Singapour... ont dû aller plus loin, ils sont allés jusqu'à la géolocalisation, GPS, et par la suite ils ont décidé d'aller carrément avec le bracelet électronique. Alors, ça, est-ce que vous... Ça aussi, c'est quelque chose qui semble envisageable? C'est parce que, si des pays qui ont tenté... même la Norvège a décidé de reculer.

M. Bengio (Yoshua) : Bien, ça dépend du poids qu'on met sur la valeur vie privée par rapport à la valeur vie humaine. Donc, différents pays peuvent mettre la balance à un endroit différent. Si nous, on choisit de mettre plus de poids sur la vie privée, bien, c'est correct, c'est notre choix.

Mme Rizqy : Parce que j'ai l'impression que c'est un petit peu un faux débat. Ce n'est pas tant de mettre plus d'argent dans... plus de poids dans la balance de la vie privée. Mais, étant donné que les ressources sont quand même limitées, si on met des millions de dollars pour développer une application... Est-ce qu'on ne peut pas, à la place, vérifier, dans un premier temps, où est-ce qu'on a failli, avec un rapport... Bon, voici les décisions qui ont été prises à cette époque. Maintenant, on a tiré des leçons. On se rend compte qu'on a manqué de bras dans nos CHSLD. On se rend compte qu'on a manqué, en amont, de masques. On se rend compte que, par la suite, on aurait peut-être dû déployer plus rapidement l'armée. Il me semble que c'est investir... D'abord, on pourrait faire des décisions entre ressources humaines et efficacité. Tantôt, vous avez parlé même du vaccin, mais la COVID-19, c'est le SRAS numéro deux. Le SRAS numéro un, on n'a jamais eu de vaccin. Alors, c'est pour ça que je me demande... Est-ce qu'aujourd'hui... On dirait qu'on utilise la technologie avant de réfléchir aux autres problèmes qu'on a avant.

M. Bengio (Yoshua) : Bien, je ne vois pas pourquoi l'un est en contradiction avec l'autre. Premièrement, les coûts de la maladie, à l'échelle de la province ou du pays, sont énormes en comparaison des coûts pour développer une application ou gérer une application. Et les coûts de santé, par exemple, autour de la maladie sont incroyablement plus élevés. Donc, on n'est pas du tout dans le même ordre de grandeur. Ça fait que, pour moi, ce n'est pas un vrai enjeu. Le vrai enjeu, c'est plutôt le débat entre la vie privée puis la santé.

Mme Rizqy : O.K. Est-ce que vous avez un exemple que l'application a fonctionné ailleurs dans le monde?

M. Bengio (Yoshua) : Quelle application? Il n'y a pas une application.

Mme Rizqy : Bien, celle, par exemple, qu'on a en ce moment, COVID-19... l'application fédérale qui est utilisée avec le Bluetooth?

M. Bengio (Yoshua) : Moi, je n'ai pas développé cette application. Je ne peux pas parler pour cette application.

Mme Rizqy : Non, je le sais, mais est-ce que vous avez des exemples? Je sais que vous ne l'avez pas développée. On sait que c'est Shopify, avec... des travailleurs de Shopify qui l'ont développée. Mais, vous, dans vos recherches, est-ce que vous avez vu si cette application que le fédéral a lancée... Est-ce qu'ailleurs dans le monde on a vu un franc succès?

M. Bengio (Yoshua) : Pas à ma connaissance.

Mme Rizqy : D'accord. Je ne sais pas combien de temps qu'il reste. D'accord, merci. Et vous, aujourd'hui...

M. Bengio (Yoshua) : Mais la raison principale, c'est parce qu'il n'y a pas eu d'adoption suffisante.

Mme Rizqy : Et l'adoption suffisante, bien, si on regarde dans certains pays, ça serait quoi, alors? Parce que, si on fait...

M. Bengio (Yoshua) : Il n'y a pas de...

Mme Rizqy : Il n'y en a pas?

M. Bengio (Yoshua) : Je n'ai pas vu de publication qui analyse ces trucs-là. Donc, en fait, la réponse, ce n'est pas que ça n'a pas marché, c'est que je ne connais pas de rapport qui fait une vraie analyse.

Mme Rizqy : Alors, vu que c'est volontaire et qu'on voit qu'ailleurs dans le monde les seuils tournent peut-être... On a vu l'Islande, par exemple, 40 %. Est-ce que, si, de façon volontaire, les gens ne vont pas de façon massive se ruer puis télécharger l'application, est-ce que ça vaut encore la peine ou est-ce que vous, vous seriez du type de personne à préconiser d'aller de l'avant puis de dire : Ce serait obligatoire, alors, pour augmenter l'efficacité?

M. Bengio (Yoshua) : Ce n'est pas à moi à décider ce genre de chose. C'est un choix collectif.

Mme Rizqy : Parfait. Je vous remercie beaucoup.

Le Président (M. Bachand) : M. le député de René-Lévesque, s'il vous plaît.

M. Ouellet : Merci beaucoup, M. le Président. Donc, à mon tour de vous saluer, M. Bengio. On va se mettre dans la prospective, parce que, là, c'est différent... Aujourd'hui, on est entre la première et la deuxième vague. Je pense que vous avez été très enthousiaste lorsque vous avez présenté, même, à l'émission Tout le monde en parle, vos travaux à l'époque où est-ce qu'on cherchait plein de solutions pour essayer de se sortir dans l'état dans lequel on était. Peut-être qu'à l'automne ou ultérieurement... peut-être que votre application va intéresser le gouvernement. Donc, j'aimerais peut-être qu'on ait une discussion sur votre application, à savoir si le gouvernement le choisissait, à quel moment on la retirerait de la circulation.

M. Bengio (Yoshua) : Je ne comprends pas. Je veux dire, après qu'elle ait fait son travail ou à la fin de la pandémie?

M. Ouellet : Si on la mettait en application, à quel moment, parce que c'est l'intelligence artificielle, à quel moment il serait avisé de dire...

M. Bengio (Yoshua) : Ce n'est pas l'intelligence artificielle qui décide ça, là. On décide d'avance que, quand la pandémie est terminée, selon l'Organisation mondiale de la santé, par exemple, ou un autre critère qu'on décide, on retire l'application. Donc, l'application, en fait, je ne sais comment elle est faite, celle du fédéral, mais celle que nous, on avait développée, il y avait un mécanisme, disons, d'autodestruction. C'est que, quand on envoie le signal que c'est terminé, tout s'efface. Les applications disparaissent, finalement.

M. Ouellet : Et les données colligées pendant la mise en place de l'application pour faire grandir et vivre l'intelligence artificielle...

M. Bengio (Yoshua) : Les données auraient été éliminées au fur et à mesure qu'elles étaient collectées, gardées un certain temps pour pouvoir entraîner les modèles puis ensuite éliminées.

M. Ouellet : O.K. Donc, on les aurait gardées un certain temps pour, peut-être, dans une autre pandémie, avoir une application plus...

M. Bengio (Yoshua) : Non, non, un certain temps, c'est quelques mois.

• (17 h 10) •

M. Ouellet : Quelques mois?

M. Bengio (Yoshua) : C'est juste pour pouvoir faire la modélisation des données. Mais, une fois qu'on a extrait l'information des données, on n'a aucune raison de les garder.

M. Ouellet : Est-ce que votre application, versus celle de Shopify... est-ce que le taux d'adhésion devrait être similaire pour prouver son succès?

M. Bengio (Yoshua) : Je n'ai pas la réponse à votre question. Je pense qu'il y aurait un avantage à utiliser les méthodes qui utilisent les symptômes, donc, comme la méthode qu'on a développée, mais je ne peux pas vous le démontrer. C'est une bonne question. A priori, il y aurait un avantage, sauf que, s'il y a un «si», là... Mettons, si on veut dire qu'il y avait un seuil, là, qu'on passe de 50 % à 40 %, très bien, mais, si on n'arrive pas à faire lever les taux d'adoption à plus que 5 %, ou 10 %, ou 15 %, de toute façon, ça ne changera pas grand-chose. Toutes les méthodes vont être relativement peu utiles à ce taux d'adoption là.

M. Ouellet : Est-ce que d'autres gouvernements, M. Bengio, vous ont contacté pour mettre en avant vos travaux sur votre application?

            M. Bengio (Yoshua) : Oui. On a été contactés par des gouvernements au Mexique. Mais, pour l'instant, depuis que le fédéral a tiré la plug sur le projet, on a arrêté le développement.

M. Ouellet : Le développement? D'accord. Merci beaucoup, M. Bengio.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le député. M. le député de Chomedey, s'il vous plaît.

M. Ouellette : Merci. Merci, M. Bengio, d'être avec nous. C'est très intéressant.

Il y a une chose qu'il ne faudra peut-être pas faire, parce que c'est sûr que, politiquement, on recherche une solution magique qui va régler tous les problèmes, qu'ils soient technologiques ou autres. Et je vous entendais parler de vie privée par rapport à la vie humaine ou les vies sauvées, puis il y a des gens qui sont venus nous dire aujourd'hui : Il faudra faire attention justement pour ne pas culpabiliser. On a eu des gens de la France qui sont venus tantôt nous dire qu'on a culpabilisé les gens. Même les ministres en France ont culpabilisé les gens : Si vous ne téléchargez pas ou si vous n'avez pas l'application, vous pouvez être responsable, par absence d'adhésion, de vies humaines qui ne seraient pas sauvées. C'est juste un commentaire que je vous fais parce que ça pourrait être tentant politiquement d'aller dans ce sens-là.

Je veux aller au niveau de votre adhésion. Vous parlez que c'est sûr que plus il va y avoir de monde qui vont adhérer à l'application, meilleurs pourront être les résultats. Si on prenait pour acquis... Parce que ce n'est pas à vous que je vais dire que la population du Québec est divisée en deux. On l'a entendu à la télévision. Il y a les régions et il y a les méchants dans la région de Montréal, O.K.? Ça, on a entendu... Peut-être le mot «méchant» va m'être attribué. Mais il ne faudrait pas stigmatiser la région de Montréal et les gens de la région de Montréal. Si on prenait l'application que le gouvernement veut mettre en place et dire : On demande une adhésion en région, c'est sûr que les données qu'on aurait, ce serait passablement différent que si le 40 %...

M. Bengio (Yoshua) : Bien non. En fait, c'est le contraire. Il faudrait qu'il y ait plus de gens qui l'utilisent là où la maladie est plus présente.

M. Ouellette : Mais comment on peut savoir que la maladie est plus présente?

M. Bengio (Yoshua) : Bien, on le sait.

M. Ouellette : Je comprends qu'elle est dépistée à Montréal. Je comprends que les CHSLD étaient à Montréal. Mais ça ne veut pas dire qu'il y a...

M. Bengio (Yoshua) : La Santé publique sait à peu près où est-ce qu'il y a plus de cas.

M. Ouellette : Bon, oui. Bien, il faut aller plus dans des certitudes et ne pas faire de choix politique magique non plus, là. Plus on va avoir de données sur l'ensemble de la province, mais meilleures pourront être nos facilités puis nos techniques d'intervention, là. Je pense que c'est plus là-dessus... et ne pas justement stigmatiser des régions pour dire : On a réglé... il y a eu tant de mille morts à telle place, c'est eux autres qui sont les plus touchés. On ne peut pas le savoir. Vous me dites qu'à peu près la Santé publique peut le savoir. Je pense qu'il faut avoir une transparence et une bonne gouvernance dans l'application de ces technologies-là.

M. Bengio (Yoshua) : En fait, je ne comprends pas où vous voulez en venir. La Santé publique sait exactement les cas, les résultats des tests partout au Québec. Donc, elle sait que, dans telle région, il y a tant de cas, à peu près. Elle voit l'évolution. Et ce que je dis simplement, c'est que, du point de vue de l'utilité d'une application, là où c'est le plus pertinent que les gens la téléchargent et l'utilisent, c'est dans les endroits où il y a plus de la maladie, parce que c'est là qu'elle peut être le plus utile et que c'est important de tracer les contacts et le déplacement du virus.

Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Bengio. C'est tout le temps qu'on a. Merci beaucoup de votre participation à la commission.

Cela dit, la commission ajourne ses travaux jusqu'à demain, jeudi 13 août, à 9 heures. Merci beaucoup.

(Fin de la séance à 17 h 15)

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