(Onze
heures trente-trois minutes)
Le
Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il
vous plaît! Bonjour, et bienvenue. Ayant constaté le quorum, je déclare la
séance de la Commission des institutions ouverte. Je vous souhaite encore une
fois la bienvenue et je vous demande, comme vous le savez, de bien vouloir
éteindre la sonnerie de vos appareils électroniques.
La
commission est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de
loi n° 21, Loi sur la laïcité de l'État.
Avant de débuter, Mme
la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Lachance
(Bellechasse) est remplacée par M. Poulin (Beauce-Sud); Mme Anglade
(Saint-Henri—Sainte-Anne)
est remplacée par Mme David (Marguerite-Bourgeoys); M. Fontecilla
(Laurier-Dorion) est remplacé par M. Zanetti (Jean-Lesage); et M. LeBel
(Rimouski) est remplacé par M. Bérubé (Matane-Matapédia).
Auditions (suite)
Le Président (M. Bachand) : Ce matin, nous entendrons la Fédération des femmes du Québec de même
que la coalition inclusive Québec.
Cela dit, je souhaite
la bienvenue aux femmes de la Fédération des femmes du Québec. Je vous rappelle
que vous avez 10 minutes de présentation et après nous aurons un échange avec
les membres. Mesdames, bienvenue, et la parole est à vous. Merci.
Fédération des femmes du Québec (FFQ)
Mme
Bouchard (Gabrielle) : Merci beaucoup à la
commission. Merci à vous, les députés qui sont ici pour écouter nos voix, pour participer à ces échanges, qui sont importants
pour la vie démocratique au Québec.
Et on va faire une courte
présentation et on a hâte aussi de faire des échanges avec vous durant notre
période de questions qu'on aura.
Comme premier point,
ce que j'aimerais apporter, c'est que la conversation qu'on a ici, en commission
parlementaire, est une conversation qu'on a depuis plus de 10 ans à la Fédération des femmes du Québec. On avait pris une première position en 2009 et, depuis ce temps-là, on a eu la chance de
faire évoluer notre position. Donc, bien qu'on avait une position en
2009, on n'est pas restées stagnantes avec et on a évolué, on a continué à
avancer et on a continué à comprendre mieux
les enjeux. Ce qui a été au centre de notre capacité d'avancer et de voir les
choses différemment de celle qu'on
avait en 2009 est fondamental au féminisme de la fédération, qui est d'écouter
les premières concernées. Et présentement une des raisons pour lesquelles Idil est ici avec
nous, c'est pour vous permettre d'entendre les premières concernées.
Ce
projet de loi là, pour nous, est un projet de loi qui vise particulièrement les femmes musulmanes. On le voit dans les débats depuis qu'on a
commencé ces conversations-là, que les femmes musulmanes vivent les contrecoups
de nos conversations sur la laïcité depuis plus de 10 ans. À chaque fois que ça
revient un enjeu, les femmes doivent vivre les impacts de nos conversations. Pour nous, attendu que les femmes
musulmanes sont celles qui sont visées depuis longtemps, sont celles qui auront des impacts significatifs,
pour la fédération, ce projet de loi
là qui est présenté est un projet de loi qui est fondamentalement
sexiste. Il est sexiste, parce qu'un des points fondamentaux du féminisme au
Québec, du mouvement féministe au Québec est
le concept de «nos corps, nos choix». De tous les temps, depuis le droit de vote,
au droit à l'avortement, aux conversations
qu'on a aujourd'hui, «nos corps, nos choix» reste un principe fondamental
qui est important pour nous toujours à
garder en tête, et le projet de loi qui est présenté ici est une attaque
directe aux choix des femmes et à leurs corps. De la même façon où
est-ce que la fédération va toujours soutenir les femmes qui ont une imposition
de quoi que ce soit, on va aussi soutenir les femmes lorsque les États, lorsque
les provinces, lorsque les institutions, lorsque les entreprises imposent des
restrictions à leurs corps et à leurs choix.
Ce
qui est fait ici présentement est inquiétant, pour nous, parce que ça ouvre une
brèche sur les droits fondamentaux et spécifiquement sur les droits
fondamentaux des femmes, et on croit que le projet de loi manque la cible au
niveau de la laïcité. Un exemple tout récent
que, j'assume, vous êtes au courant : l'Alabama fait partie d'un des États
qui ont voté une loi contre
l'avortement, un État qui est supposé être laïque, qui n'a pas de signe
religieux apparent, mais qui clairement a pris des décisions de contrôle du corps des femmes basé sur un
extrémisme religieux. On voit des signes des mêmes tendances en Ontario, on voit la même chose dans
d'autres provinces. Et, pour nous, de savoir que la Charte des droits et
libertés est quelque chose qui peut être
modifié aussi facilement, sans consensus social, sans consensus de
l'Assemblée nationale, avec une imposition
de bâillon et en empêchant les tribunaux de jouer le contrepoids nécessaire qu'ils
doivent jouer dans un processus démocratique
et dans une démocratie, pour nous, nous laisse croire qu'un gouvernement qui
serait dans des extrêmes conservateurs
pourrait attaquer d'autres droits que les femmes ont, donc pourrait attaquer
encore nos corps et encore nos choix.
Le
projet de loi présentement crée des barrières à l'égalité. On ne croit pas non
plus que la clause grand-père qui est présentée est vraiment une clause
grand-père qui va permettre aux femmes de continuer, mais elle est beaucoup
plus un outil qui va permettre de minimiser
la visibilité des impacts vraiment vécus, parce que ces impacts-là se feront
sur plus long... seront remis entre
les mains des institutions, des commissions scolaires, des groupes, et donc
collectivement on ne pourra pas voir
cet impact-là, et il sera dur à calculer. Mais nous, étant à l'écoute des
femmes, on les voit, on les entend, ils nous sont dits.
La fédération a réussi à trouver une sortie vers
le haut, depuis 2009, de cette conversation-là qu'on a sur la laïcité. Elle a été basée sur l'écoute, la
compréhension des expériences des femmes, et j'espère qu'aujourd'hui vous
aurez la chance de faire une partie de cette réflexion-là aussi, d'où la raison
pour le partage de notre temps avec Idil, à qui je vais passer la parole.
• (11 h 40) •
Mme Issa (Idil) : Merci, Gabrielle.
Merci, M. le Président. M. le ministre, Mmes et MM. les députés de l'Assemblée, merci de m'accorder ces quelques
minutes pour vous entretenir à propos du projet de loi n° 21.
Je regrette seulement que plus
d'associations représentant les minorités religieuses du Québec n'aient pas été
invitées à s'exprimer, compte tenu qu'elles seront les plus affectées
par cette loi.
Je suis ici
devant vous en tant que citoyenne qui appartient à plusieurs groupes
minoritaires. Je suis une femme, je suis
Noire et je suis musulmane. À cause de qui je suis, je subis plusieurs
barrières en termes de discrimination.
Toutefois, j'ai réussi à compléter un bac en
philosophie et sciences politiques à l'Université McGill, où j'ai commencé mes
études avec huit bourses de mérite. Hier, il y avait le lancement d'une
consultation sur le racisme systémique à Montréal, un pas important pour reconnaître les effets négatifs que
les institutions peuvent avoir sur les expériences vécues des citoyens
et citoyennes quand la discrimination est validée par les lois et les
politiques de l'État. Entre-temps, ici, à l'Assemblée nationale du Québec, on était en train de légiférer un nouveau plafond
de verre qui empêchera les femmes musulmanes, entre autres minorités
religieuses, d'atteindre des postes d'autorité ou d'être enseignantes.
Durant ces
auditions parlementaires, on a dit que la loi n° 21
est une continuation de la Révolution tranquille, un héritage du passé. On a aussi dit que la loi n° 21 représente la culmination inévitable du mandat de la CAQ, un
consensus, mais on n'a pas encore parlé du
futur. Alors, je suis ici pour parler du futur du Québec. Je représente aussi
le futur de cette nation, intelligente, intégrée, contribuant d'une
façon positive à ma société, ayant la confiance de mes pairs, utilisant ma voix
non pour renforcer les préjugés de la majorité envers l'autre, mais pour créer
l'espace pour le dialogue.
Là, je
m'adresse directement au gouvernement de la CAQ. J'ai l'intention de briser ce
plafond de verre que vous êtes en train de construire, qui va amoindrir
mes options et va me stigmatiser dans la société. Si ça me prend cinq, 10, 15
ou 20 ans, je briserai ce plafond de verre et tout autre plafond de verre qui
m'empêchera d'atteindre mon potentiel. M. le
ministre, j'aurai une position d'autorité et je serai plus juste que vous et je
ne nuirai pas aux intérêts d'une minorité déjà vulnérable dans
l'exercice de mes fonctions.
Pour
conclure, l'élément le plus important que cette loi n'a pas pris en
considération, c'est une femme comme moi, parfaitement soumise à ma
propre volonté, avec aucune intention de me reculer de l'espace public ou de me
récuser d'une position d'autorité.
Maintenant, j'aimerais lire quelques témoignages
de femmes qui seront affectées par cette loi.
Messaadi, enseignante : «Je vis dans le
stress quotidiennement. Je ne pourrai pas changer de commission. Je ne pourrai
pas postuler pour un autre poste.»
Messaadi :
«Dès mon arrivée au Québec, je me suis très bien intégrée. J'ai fait toutes les
démarches nécessaires pour avoir mon permis d'enseigner. J'ai investi
mon temps et mon argent. C'est inhumain, c'est discriminatoire de m'interdire
d'enseigner parce que je porte un signe religieux.»
Jaouadi,
enseignante : «Ça serait la précarité financière, car je contribue
financièrement dans l'éducation de mes enfants. De plus, comment
expliquer à mon enfant que sa maman est discriminée dans la société parce
qu'elle a fait des choix?» Merci.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup, mesdames. M. le ministre, s'il vous plaît, vous avez la
parole.
M.
Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Bonjour, mesdames. Merci de participer aux travaux de la
commission parlementaire.
Écoutez,
d'entrée de jeu — je vous
écoutais tout à l'heure — vous disiez : Le projet de loi n° 21
est une attaque à nos choix, à nos corps, c'est extrême, on attaque les
droits, c'est une barrière à l'égalité, c'est un plafond de verre. Je souhaite
vous dire que je ne partage pas votre opinion, pas du tout. Le projet de loi,
ce n'est pas ça du tout qu'il fait.
Le projet de
loi vise vraiment à assurer la laïcité de l'État, et ce qu'il fait, c'est qu'il
fait en sorte de placer toutes les religions sur un pied d'égalité, il
fait en sorte de séparer l'État des religions, il assure l'égalité de tous les
citoyens et citoyennes. Il assure aussi le
fait que les citoyens et citoyennes peuvent exercer leur liberté de conscience
et leur liberté de religion. Le
droit, au Québec et au Canada, ne fait pas référence à la laïcité. On a eu
beaucoup de débats avec les différents intervenants
qui sont venus ici, en commission parlementaire, et, parfois, ceux qui étaient contre le projet de loi, ils
disaient : Écoutez, déjà le Canada, et le Québec, est un État laïque. C'est faux. C'est faux, parce
qu'on ne retrouve aucunement dans le corpus
législatif cette référence à la laïcité. Et
même la Cour suprême se mélange entre «laïcité» et «neutralité».
Alors là, ce qu'on fait, c'est qu'on vient établir clairement quelle est la
définition de la laïcité et quels seront les rapports entre l'État et les
religions.
Tout à l'heure, vous avez fait référence à l'avortement. Ça provoque un malaise chez
moi, parce que ce n'est pas du tout
de la même nature et le même débat, on ne parle pas du
tout des mêmes choses. On parle, dans certaines
fonctions spécifiques
de l'État, en raison du pouvoir exercé, en raison de la figure d'autorité, du
fait qu'il ne sera pas possible de porter,
durant la prestation de travail, des signes
religieux. C'est un choix de société. Je
ne pense pas que c'est approprié de comparer ça à l'avortement. Alors,
je vous dirais que le projet de loi qu'on a développé, c'est un projet de loi
qui est modéré et qui vise notamment
à assurer aussi les droits de tous et chacun. Alors, je comprends que vous ne
partagez pas l'opinion et le choix du gouvernement. Par contre, je ne
peux pas me réconcilier non plus avec l'opinion que vous formulez en regard du projet
de loi, bien que je la respecte.
Je voulais
vous demander : Par rapport au visage à découvert, le fait de donner des
services à visage découvert et de les recevoir à visage découvert pour
des motifs de sécurité et d'identification, est-ce que vous êtes d'accord avec
ça?
Mme
Bouchard (Gabrielle) : Sur
la question des visages découverts, bon, c'est une
conversation qui est encore en cours
au niveau de la fédération, et un des points qu'on s'est dits, c'est :
Lorsqu'on arrivera à une vraie discussion sur ça, au lieu de discussion hypothétique,
on va s'engager dans cette conversation-là avec plaisir pour être capables de
le faire. Présentement, on utilise la question du visage découvert pour
créer... ou c'est ce qui est créé dans la population, un épouvantail sans qu'il
y ait d'encadrement sur qu'est-ce qu'on veut dire.
Présentement, le projet de loi est tellement
flou et il n'y a tellement pas d'encadrement réglementaire autour et il y aura tellement peu de débats à l'Assemblée
nationale, et les tribunaux ne seront pas capables non plus d'apporter
leur voix là-dessus, qu'on se retrouve dans
des situations où est-ce qu'on a vécu, par exemple... je pense, c'est l'année
passée, où est-ce qu'on n'était même pas sûr
si les chauffeurs d'autobus ne pourraient pas avoir, par exemple, le droit
d'empêcher une femme ayant le visage
découvert de rentrer dans l'autobus.
Donc, le gouvernement, par le fait qu'il y a peu de clarté
dans la loi et qu'il n'y a aucune réglementation qui va l'encadrer, s'assure que ça va
être laissé à toute personne en position de semi-autorité dans sa sphère de prendre des décisions d'interpréter la
loi à ce niveau-là. Donc, de parler à visage découvert, je pense
qu'on aurait beaucoup de conversations à avoir là-dessus
autres que le cinq minutes qu'on a là présentement, mais pour dire qu'est-ce qu'on veut dire par
«visage découvert», qu'est-ce qu'on veut dire par «sécurité», qu'est-ce
qu'on veut dire pour des questions d'identification, dans quel contexte est-ce que c'est important pour l'État, et tout
ce genre de choses là, habituellement, sont justement faites dans une
réglementation et dans une conversation qu'on a autour d'une réglementation.
Donc, c'est difficile de répondre à votre
question, M. le ministre, parce qu'on n'a pas les outils et on n'a pas le contexte pour être capables de le faire de façon
efficace, et là on doit donner des versions Twitter un petit peu de ces conversations-là, et je crois qu'on est mieux que
ça comme société, d'être capable d'avoir les conversations de la
bonne façon.
Le Président (M.
Bachand) : M. le ministre, s'il vous plaît.
M.
Jolin-Barrette : Oui. Bien, écoutez,
avec égard, je ne partage pas encore votre point de vue relativement au visage à découvert, parce que, c'est très clair, à toutes les fois où
un... en fait, tous les fonctionnaires de l'État devront oeuvrer à visage découvert, et, lorsqu'on demande
un service, s'il y a des motifs de sécurité ou d'identification, on devra avoir le visage à découvert. Et il y a eu énormément
de débats là-dessus dans le cadre du projet de loi n° 62 que la précédente
ministre de la Justice a déposé.
Et d'ailleurs vous avez soulevé, à juste titre,
le cas de l'autobus. Dans le projet de loi n° 62, ce qui était prévu notamment,
c'étaient les motifs de sécurité et d'identification mais aussi les questions de communication et
d'interaction. Alors, ça a été suspendu par
la Cour supérieure, la disposition. Donc, actuellement, ce n'est pas en vigueur au Québec, la loi
ne s'applique pas, la loi n° 62 ne s'applique pas.
Nous, ce que
nous avons fait, c'est que nous avons précisé le fait de devoir se découvrir le
visage uniquement pour les motifs de
sécurité et d'identification. On n'a pas pris le critère de l'interaction et de
la communication, notamment dû aux difficultés d'application.
Alors, là-dessus, est-ce que vous trouvez que
c'est une avancée qu'on vienne préciser le champ d'application au niveau des
services publics, de la réception des services publics?
• (11 h 50) •
Mme
Bouchard (Gabrielle) : Je
vous invite à laisser les tribunaux être capables de vérifier cette interprétation-là.
Donc, le projet de loi n° 62 a été
puis il est encore, je pense, officiellement entre les mains des tribunaux
pour être capables de peaufiner,
d'améliorer, de donner des guides pour être capables de faire cette analyse-là.
Et vous l'avez mentionné vous-même.
Donc, vous avez utilisé l'outil des tribunaux pour faire un ajustement
à votre projet de loi. Donc, je crois que votre projet de loi doit être soumis au processus judiciaire pour qu'on s'assure qu'il n'y aura pas d'empiètement et qu'on
va avoir un cadre clair. Présentement, ce ne sera pas le cas.
Donc, est-ce que c'est une avancée? Je ne le
sais pas, parce qu'on n'a pas le même cadre de référence entre les deux.
Le Président (M.
Bachand) : M. le ministre.
M. Jolin-Barrette : Bien, une des...
que vous me suggérez, c'est justement, lorsqu'on attend après les tribunaux... Ça fait deux ans que le projet de loi
n° 62 a été adopté, et le droit n'a pas évolué à ce niveau-là. Et moi,
je pense que, dans un cas, supposons, pour
le fait de donner des services et la réception de services, sur le fait qu'ils
doivent être faits à visage
découvert... moi, je pense que, dans notre société, c'est la base, c'est la
base de la société québécoise, ça fait partie
de l'organisation de la société et que ça n'a pas à être défini par les
tribunaux, mais plutôt par le biais des députés élus à l'Assemblée
nationale.
Je
pense que ça, c'est une question de société et que le forum approprié, ce n'est
pas les tribunaux. Je pense que ça, c'est
une question qui relève du législateur à l'Assemblée nationale. Même chose pour
la question des rapports entre l'État et
les religions, avec ce qu'on fait avec le projet de loi sur la laïcité, et de
l'interdiction du port de signes religieux. Et c'est pour ça qu'on utilise la disposition de dérogation,
parce qu'en utilisant la disposition de dérogation, bien, ça assure que,
dans le cas du visage à découvert, de la
prestation et de la réception de services, bien, le cadre défini va être celui
qui va être défini par l'Assemblée
nationale, et même chose également pour la laïcité, la définition de la laïcité
et le port de signes religieux, l'interdiction du port de signes
religieux.
Donc, il y a
comme deux visions qui s'affrontent, je vous dirais. Ceux qui sont contre le
projet de loi n° 21 disent : Vous
ne devez pas avoir recours aux dispositions de dérogation, laissez ça aux
tribunaux. Et ceux qui sont en faveur du projet de loi disent :
Bien, effectivement, ça devrait être décidé par les élus à l'Assemblée
nationale. Comment vous voyez ça quand je vous présente ça comme ça?
Mme
Bouchard (Gabrielle) : La
clause «nonobstant» n'a pas été faite pour contrôler les minorités, elle a été
faite pour protéger des minorités. Lorsqu'on l'a utilisée avec la loi 101,
on l'a utilisée parce que le fait français au Canada était minoritaire dans une
mare, une mer anglophones. Donc, on se devait, pour la protection de la langue
française, d'utiliser la clause
«nonobstant». Je ne crois pas que les créateurs de la clause «nonobstant»
avaient en tête qu'une majorité utiliserait la clause «nonobstant» pour
créer des barrières à une minorité. Je ne crois pas que c'était son intention.
Ça reste encore, au départ, une question de nos
corps et de nos choix. Et les tribunaux sont là pour jouer un contrepoids, M. le ministre. Et on est dans des
processus qui doivent prendre le temps de faire le travail correctement.
On a plein de cas où est-ce que vous qui
êtes ici dites : On ne peut pas en parler, parce que c'est devant les
tribunaux. On a un ministre de la
Justice qui est là, où est-ce que son rôle, c'est de s'assurer que le temps est
pris pour être capable de faire les débats,
de faire les échanges et d'aller chercher les solutions les meilleures en
incluant l'ensemble des outils qu'on a, et de retirer ça en prévention,
pour nous, est clairement un problème. Dans toutes les conversations qu'on a,
les tribunaux jouent un rôle important de
contrepoids. Et d'enlever en plus, avec un potentiel de bâillon... et de faire
un changement à la charte québécoise est définitivement problématique
et, pour nous, est une porte ouverte.
M. le ministre, on est dans les groupes
féministes et on voit les impacts des politiques conservatrices et des politiques
de droite sur les femmes, sur le terrain. On est avec elles, nos groupes sont
avec elles, sont là pour les soutenir, et on entend quotidiennement des histoires où est-ce que nos droits sont
sous attaque. Je comprends que vous ne le voyez pas, mais on est ici pour vous le dire, à toutes et à
tous ici, que ce pas-là d'ouverture, cette ouverture-là où est-ce que
n'importe quel gouvernement qui sera majoritaire aura le
droit de faire un changement à la charte, est dangereux. Et de mettre un
bâillon pour empêcher ce changement-là est aussi dangereux. On se doit
d'utiliser l'ensemble de nos outils lorsqu'on prend des décisions aussi
importantes que de restreindre des droits pour des minorités autant au Québec
qu'ailleurs.
M.
Jolin-Barrette : Encore une
fois, en tout respect, je ne partage pas votre avis. Les seules personnes qui
parlent de bâillon présentement, outre vous,
c'est le Parti libéral. Moi, je crois qu'on peut adopter le projet de loi d'ici
le 15 si les parlementaires y mettent du leur. Alors, ça va dépendre des
oppositions, M. le Président.
Relativement
à l'utilisation de la disposition de dérogation, ça a été utilisé à plus d'une
centaine de reprises à titre préventif
par tous les gouvernements successifs du Québec. D'ailleurs, on a des lois à
renouveler cet automne qui touchent les régimes de retraite aussi.
Alors, je pense que le législateur doit avoir cette possibilité-là de toujours
le faire.
Autre élément
aussi. Au niveau de la Charte des droits et libertés de la personne, la charte
québécoise, il n'y a pas de procédure
formelle de modification. C'est arrivé à plusieurs reprises qu'elle a été
modifiée au cours des années. Et moi, je
pense que le fait d'inscrire la laïcité de l'État dans la Charte des droits et
libertés de la personne, c'est une avancée qui est positive. Je pense que, notre société, depuis 50
ans, on dit qu'elle est laïque. Il est temps de l'inscrire formellement
dans nos lois. Il est temps aussi que ça
devienne un outil d'interprétation, parce qu'au Québec on décide que ça... pas
on décide, je pense que c'est avéré
que la laïcité, c'est une valeur fondamentale, et il est temps qu'elle fasse
partie de nos textes de droit, nos textes fondamentaux.
Autre
élément. Je ne crois pas que la laïcité, ce soit une politique conservatrice.
Je pense que la laïcité de l'État, c'est
une avancée pour tous les citoyens et citoyennes du Québec. Honnêtement, je le
crois véritablement. Alors, je vous remercie d'être venues en
commission. Je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des questions.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup, M. le ministre. Alors, je me tourne vers les collègues
ministériels. Mme la députée de Les Plaines, vous avez la parole.
Mme
Lecours (Les Plaines) : Merci, M. le Président. Tout d'abord, je me
permets de vous remercier d'être ici aujourd'hui, de nous faire entendre
votre position.
Je vais par contre me permettre de vous citer. À
quelques mots près, là, vous avez dit au tout début que le projet de loi n° 21 vise principalement les femmes musulmanes. Il ne vise
personne, en fait, le projet de loi n° 21. Le projet de loi ne vise pas les personnes, il vise
les personnes en autorité... en fait, il ne vise pas, il s'adresse aux
personnes en autorité pour qu'elles n'arborent aucun signe religieux. On
n'attaque pas personne, ce n'est pas un projet de loi pour attaquer personne.
Or, ceci
étant dit, pour moi, la laïcité, il faut qu'elle s'applique. Ce n'est pas juste
un grand principe. Il faut qu'elle s'applique.
Puis un des gens qu'on a entendus ici hier nous parlait de faits et en fait et
en apparence. Je pense que c'est important
qu'on l'applique en fait et en apparence, la laïcité. Ce n'est pas juste un
principe, c'est une application. Il y a sept projets de loi qui, au cours des dernières années... Vous avez dit
que votre position a évolué au cours des années. Il y a sept projets de loi qui
ont été déposés sur les relations entre l'État et les religions, dont un a été
déposé par Françoise David, que vous connaissez très bien, d'ailleurs.
Alors, ma question est bien simple : Est-ce
qu'il y a un de ces projets de loi là, est-ce qu'il y a une de ces positions-là
qui aurait été quelque chose d'intéressant pour vous, si le projet de loi n° 21 n'en est pas?
Mme
Bouchard (Gabrielle) :
Je ne sais pas à quoi vous faites
référence, là, je ne peux pas vous répondre. Vous parlez de sept projets de loi, puis j'avoue que je
n'ai pas la connaissance de ces sept projets de loi là pour être capable
de vous répondre, malheureusement.
Mme Lecours
(Les Plaines) : Bien, il y a quand même eu le projet de loi n° 60, le n° 62. On a parlé abondamment, dans les dernières années, des liens entre l'État
et la religion. Alors, y a-tu quelque chose qui, selon vous, serait
l'application de la laïcité, si le projet de
loi n° 21 n'en est pas un? Parce que vous dites dans votre mémoire que
c'est important, la laïcité.
• (12 heures) •
Mme
Bouchard (Gabrielle) : La
laïcité, c'est important, mais il faut qu'on parle de la bonne laïcité. Donc,
de parler d'enlever des signes religieux...
Enlever des signes religieux n'amène pas la laïcité, n'empêche pas le prosélytisme, n'empêche pas les gens de prendre des décisions
sur la base de leur religion. On pourra tout enlever les signes
religieux, et, si quelqu'un
décide d'offrir des services en disant : C'est ce que ma religion me
demande de faire, ses décisions seront teintées
à ce moment-là. Donc, ce n'est pas les signes religieux qui vont
faire une différence dans la laïcité de l'État. On manque la cible avec
ce projet de loi là. Donc, de parler de laïcité, de la séparation de l'État et
des structures et de la religion, c'est effectivement quelque chose qui est important,
mais on doit bien le faire.
Ce n'est pas
à cause qu'on met l'étiquette «laïcité» sur un projet de loi qu'on touche les
fondements de ce que doit être la laïcité. D'enlever des signes ne
permettra pas d'atteindre votre objectif. Pour ce qui est des sept...
Une voix : ...
Mme Bouchard (Gabrielle) :
Pour ce qui est des sept projets de loi, bien, ils doivent répondre aux
principes fondamentaux féministes qu'on a,
qui est du respect de nos corps et de nos choix. Si un projet de loi va à
l'encontre de ces principes
fondamentaux là du féminisme québécois et d'un féminisme international, à ce moment-là
on n'aura pas d'autre choix que de
s'y opposer, parce que c'est fondamental pour la fédération de défendre
l'ensemble des femmes, et, si on veut
faire ça, on doit les écouter, écouter les impacts et s'assurer que leurs
corps, leurs choix, leurs décisions, leurs parcours de vie seront respectés. Donc, si on étudiait
chacun des sept projets de loi, c'est l'angle avec lequel on le prendrait.
Et je pense qu'Idil voulait ajouter quelque chose.
Le
Président (M. Bachand) :
Malheureusement, je dois céder la parole à la députée de Marguerite-Bourgeoys.
Merci. Mme la députée, s'il vous plaît.
Mme David : Oui. Merci beaucoup, Mme
Bouchard, Mme Issa, d'être ici avec nous. C'est non seulement extrêmement important, mais j'oserais même dire
que c'est très courageux d'être ici avec les positions que vous
présentez. Et, qu'on parle d'identité de
genre, qu'on parle de race, qu'on parle de couleur de la peau, qu'on parle de
religion, vous incarnez et vous
défendez toutes ces positions-là devant un auditoire, j'oserais dire, très
majoritairement masculin. Alors, ça ajoute à votre courage et au défi
que ça comporte, je crois.
Maintenant, vous avez une proposition de mémoire
qui est effectivement assez complexe et qui nous ramène à de très longues discussions sur le féminisme dans les 50 dernières
années. Et vous faites avec beaucoup, je pense, de transparence et d'authenticité état des
différentes positions. Et je pense que vous nous instruisez sur la complexité
de votre démarche, le sérieux, la rigueur que les femmes ont eus à se
poser la question : Qu'est-ce qu'être féministe, pas en 1970, où peut-être
ces questions-là ne se posaient pas, en 2019 et pour les années à venir? Et ça,
ce n'est pas simple.
Alors, quand
vous dites dès le début : «Au Québec, il y a des féministes croyantes tout
comme il y a des athées réactionnaires.
Combien de féministes croyantes ont activement participé aux mouvements
féministes au Québec?», bien, heureusement
que vous posez la question, parce que, oui, il y avait des gens très
progressistes qui étaient aussi des femmes chrétiennes. Pensons aux féministes chrétiennes qui ont lutté pour le
droit à l'avortement libre et gratuit. Pensons à toutes ces féministes musulmanes qui, en tant que membres
de la Fédération des femmes du Québec, se battent avec nous pour les
droits de toutes les femmes au quotidien. Vous ajoutez : «Il n'y a aucune
raison de croire que de réprimer une femme croyante
est un acte féministe et émancipatoire.» Alors, vous dites un peu plus
loin : «Nous avons choisi un féminisme qui enlève les barrières que rencontrent les femmes plutôt qu'un féminisme
qui utilise l'appareil de l'État pour limiter les choix des femmes.
[...]le féminisme ne doit exclure aucune femme ni leur enlever des droits.»
«Nos corps, nos choix», c'est vraiment, je
pense, ce qui résume le mieux votre position, mais j'aimerais vous donner
l'occasion d'en parler un peu plus pour que les gens entendent la rigueur de
votre position en même temps et les conséquences, évidemment, sur le projet de
loi.
Mme
Bouchard (Gabrielle) : Donc,
la fédération est faite de plusieurs
membres individuels, de plusieurs groupes, de plusieurs centres de femmes qui offrent des services, au quotidien,
aux femmes dans la société québécoise, qui les voient dans leur quotidien, dans leurs moments de
détresse, dans leurs moments de joie, dans leur vulnérabilité, et au final, dans les outils qu'on doit voir, qu'est-ce
qui émancipe une femme, qu'est-ce qui lui permet de remplir son plein
potentiel, à toutes les fois, c'est lorsqu'on réserve notre jugement,
lorsqu'on la soutient dans ses décisions et lorsqu'on respecte son corps.
Donc,
le choix qu'on a fait de revenir à «nos corps, nos choix» était pour se donner
un outil collectif simple pour être
capables d'analyser nos discussions. Donc, lorsqu'on dit, par exemple, que ce
projet de loi là a un impact spécifique sur les femmes, que ce projet de loi est sexiste, c'est qu'on voit qu'il a
un impact direct sur le corps et les choix de femmes. On sait qu'il y a
d'autres groupes qui vont être touchés. On sait qu'il y a des hommes sikhs qui
vont être touchés, et là ce sera intéressant
de voir si, par exemple, le bracelet sikh va être considéré comme un signe
religieux et si on va leur demander de
l'enlever. Il y a aussi un arbitraire au niveau de qui est en position
d'autorité et sur qui l'État va jouer. Mais,
d'une façon ou d'une autre, peu
importe où est-ce que la loi s'applique, on voit que l'impact est au niveau du corps et des choix des femmes. Donc, on pourrait prendre d'autres outils
d'analyse, on pourrait parler d'intersectionnalité, on pourrait parler
de beaucoup de choses qui peut-être nous
perdraient dans cette conversation-là. Donc, pour nous, le mémoire vous
donne, MM. et Mmes les députés, un outil qui va vous permettre de voir le
point de vue de la fédération à travers un outil simple qui est «le corps, nos choix». Donc, si vous regardez chacun des
points qui sont dans le projet de loi, regardez-les avec la question :
Est-ce que ça porte atteinte aux droits et aux choix des femmes?, et vous
verrez que oui.
Le Président (M.
Bachand) : Mme la députée, s'il vous plaît.
Mme
David : Merci, M. le Président. Vous dites : «Il n'y a rien de
courageux — je vous
cite — à faire
une loi qui contrôle le corps des
femmes et leur accès à la société civile. Il n'y a rien de courageux à négocier
au rabais les droits humains.» C'est une phrase importante, je pense, de
votre mémoire.
Mme
Bouchard (Gabrielle) : C'est
beaucoup plus courageux d'avoir une conversation d'inclusion, d'avoir
une conversation qui va défaire les
stéréotypes, une conversation qui va nous obliger collectivement à regarder qui
on est et à se voir dans le miroir
qu'une loi qui va répondre à des inquiétudes, qui va répondre à des malaises,
qui va répondre à des incompréhensions. Ça demande un travail de longue
haleine, ça demande des efforts, ça demande de penser de façon collective pour être capables de faire ça. Donc,
oui, pour nous, ce n'est pas courageux de faire cette loi-là, c'est la
voie de la facilité.
Pour nous, de
faire une conversation qui va nous faire comprendre l'ensemble de la diversité
et la beauté de cette diversité-là à
travers le Québec va nous permettre d'avoir un Québec qui va être beaucoup plus
inclusif, un Québec qui va être beaucoup plus acceptant et où est-ce
qu'on va défaire les mythes, les stéréotypes et comprendre l'autre qui est en
avant de nous, qu'on ne connaît pas. C'est votre rôle, comme gouvernement et
comme députés, de faire ce travail-là.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup.
Malheureusement,
je dois suspendre les travaux, on est appelés pour aller voter. Alors, demeurez
en place, le temps va demeurer à vous. Alors, on suspend les travaux
pour quelques instants. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 12 h 8)
(Reprise à 12 h 24)
Le Président (M.
Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît!
Merci. La commission reprend ses travaux. Mme la députée de Marguerite-Bourgeoys,
vous avez la parole, s'il vous plaît.
Mme David : Merci beaucoup. Alors,
nous reprenons. Et, tout à l'heure, vous avez eu un échange avec le ministre sur la clause dérogatoire et puis le fait
de bloquer un peu le recours aux tribunaux. Et vous avez une citation
quand même assez puissante de quelqu'un,
je pense, qui est passablement respecté à travers l'histoire, qui s'appelle
Simone de Beauvoir, qui rappelle
l'importance du rôle des tribunaux lorsqu'elle déclarait «ne jamais oublier
qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que
les droits des femmes soient remis en cause. Les droits ne sont jamais acquis.
Vous devrez rester vigilantes votre vie durant.»
Alors, ces
paroles ont traversé l'histoire. Justement,
elle le mettait au futur. Nous sommes au présent. J'aimerais que vous
reveniez sur cette citation-là en rapport justement avec la clause dérogatoire.
Mme Bouchard
(Gabrielle) : Je sais que M. le ministre était mal à l'aise avec l'exemple de l'avortement, mais je crois que cette analogie-là est importante pour
qu'on soit capables de bien comprendre les risques d'impact toujours à partir des premières concernées
et à partir d'une analyse féministe.
Donc, lorsqu'on
dit qu'il ne suffit que d'un gouvernement, qu'il ne suffit que d'un groupe, qu'il ne suffit
que d'un changement politique
pour voir nos droits être changés, pour nous, on le voit présentement. Lorsque le ministre plus tôt a parlé qu'il y a eu plusieurs changements qui ont été faits à la charte... tous
les changements ont été faits pour bonifier la charte et ajouter des protections à d'autres groupes, être sûr qu'on ajoute, qu'on
protège plus, qu'on défende plus les droits.
Présentement,
l'ajout de la laïcité comme telle n'est pas problématique. L'ajout de la laïcité, telle que définie dans le projet de loi, l'est. Donc, si on veut avoir un bon ajout, on doit s'assurer que cet
ajout-là est encadré dans un cadre législatif, dans un cadre réglementaire,
dans une validation des tribunaux pour s'assurer qu'on fasse la bonne job. On
le voit présentement partout où est-ce que les groupes minoritaires sont
attaqués à cause de l'inquiétude majoritaire. Et c'est de ça que Simone de Beauvoir parlait et c'est de ça que nous, on parle
aussi. L'inquiétude majoritaire ne peut pas justifier une restriction
des droits des minorités. On se doit collectivement d'être mieux que ça. Et,
nous, notre rôle, comme Simone
de Beauvoir l'a fait par le passé, comme d'autres féministes l'ont fait aussi,
comme les groupes de femmes au Québec
le font, c'est de s'assurer qu'on lève les drapeaux lorsque c'est le temps. Et
là, présentement, la fédération lève un drapeau, on dit : Présentement, il y a un danger. Les femmes le
vivent. Les femmes vivent ces impacts-là. On ne vous demande pas si vous
êtes d'accord, on vous dit que c'est ce qui se passe. Les groupes de femmes,
c'est leur rôle.
Mme David :
On avait un expert juriste hier qui s'appelle Pierre Bosset, qui, en réponse à
une question, je pense, ou... je ne
sais pas s'il l'a dit spontanément ou si c'était dans son mémoire, qui a dit
par rapport au projet de loi et dès le début
du mémoire que ce n'était pas un projet de loi sur la laïcité, mais il faudrait
renommer le titre, l'intitulé du projet de loi, et qu'il proposait que
c'était bien un projet de loi sur l'interdiction des signes religieux et non
pas un projet de loi sur la laïcité.
Vous dites un peu dans les mêmes termes que la
laïcité n'est pas un enjeu négatif pour vous, l'État laïque. D'ailleurs, s'il y a un des consensus sur lesquels
on peut s'entendre rapidement, je pense, c'est la question de la
laïcité. Mais l'interdiction des signes religieux, c'est principalement de ça
dont il est question dans le projet de loi. Vous parlez beaucoup de protéger, justement, non seulement les droits des minorités,
mais d'avoir une approche féministe. Et on a parlé beaucoup d'ADS. On a même eu une motion, ce matin, où Québec
solidaire proposait — la CAQ a
voté contre — de
faire une ADS+ sur le projet de loi.
Mais je voudrais vous entendre sur le fait que
les femmes sont quand même, probablement — moi, c'est ma
prétention — beaucoup
plus touchées que les hommes.
Mme Bouchard
(Gabrielle) : Comme j'ai dit
en début de présentation et comme on note dans le mémoire, les femmes
font les frais de ces conversations-là. Donc, qu'on soit conscients ou non du
fait qu'elles font les frais de nos conversations,
sachez qu'elles font les frais de nos conversations. Nos outils de mesure ne
doivent pas être : Est-ce qu'il y a des signes religieux ou non? Et je suis d'accord avec vous,
Mme David, que ça devrait être un projet de loi qui est nommé plus sur l'interdiction des signes religieux. Et
notre outil de mesure sur la laïcité de l'État ne peut pas être le nombre
de signes religieux portés par les gens qui y travaillent.
On doit trouver des outils de mesure qui sont à
la hauteur de notre responsabilité collective et qui vont nous permettre de vraiment mesurer la valeur ou la
laïcité de notre État, et ce n'est définitivement pas avec ça qu'on va
être capables de le faire. On doit aller plus loin que juste les signes
religieux, effectivement. Merci.
Mme David : Merci.
Le Président
(M. Bachand) : M. le député de Jean-Lesage, s'il vous
plaît.
• (12 h 30) •
M. Zanetti :
Je vous remercie, M. le Président. Merci beaucoup pour votre présence ici.
J'aimerais vous entendre parler sur l'expérience concrète des femmes qui
vont subir les conséquences de ce projet de loi là.
Celles qui vont devoir choisir entre leurs
convictions et leurs emplois, est-ce que leur sort va s'améliorer, et
vont-elles s'émanciper grâce au p.l. n° 21?
Mme Issa
(Idil) : Non, pas du tout. Je connais mes amies. J'ai plusieurs amies qui sont des femmes musulmanes comme moi, qui sont voilées, et elles seront
touchées par cette loi. Leur position financière serait précarisée. Plusieurs
d'entre elles prennent soin de leurs
enfants. C'est elles qui paient le loyer. Alors, ça va être très difficile pour
elles. En plus, ce débat a contribué
à la montée de la haine et de la violence. Moi, j'ai une amie qui s'appelle Fatima Ahmad, qui a été agressée cette semaine pendant que les auditions sont
ici, à l'Assemblée. Quelqu'un a tiré son voile et l'a frappée à Montréal.
Alors, je vis les conséquences de ces débats dans la société
et je trouve que, si on veut vraiment assurer la laïcité, que j'aime aussi, parce que ça me permet d'avoir
ma religion dans la liberté, ce n'est pas en... interdire les signes religieux, une loi qui ne touche même pas au financement des écoles privées
qui ont un mandat explicite d'enseigner la religion.
M.
Zanetti : Qu'est-ce que vous répondez lorsqu'on
entend le ministre dire que ce projet de loi là ne touche pas
particulièrement les femmes, qu'il s'applique à tout le monde de façon égale?
Mme Issa (Idil) : Je pense qu'il
faut avoir une compréhension plus sophistiquée, à l'Assemblée nationale, de la
discrimination. C'est des années qu'on sait que, le concept du racisme ou de la
discrimination systémique, il faut s'instruire là-dessus.
Mme Bouchard (Gabrielle) :
Si je peux rajouter sur...
Le Président (M.
Bachand) : ...
Mme
Bouchard (Gabrielle) : Je
vais me référer à Facebook, où est-ce qu'il y avait une image, un «cartoon»
qui passait, puis je trouvais que ça parlait beaucoup... lorsqu'on dit que ça
touche tout le monde, et il y avait un arbre, il y avait un professeur qui était en animal — je ne sais pas si c'était un hibou ou un
singe, ou peu importe — et ensuite il y avait
une rangée d'animaux. Donc, il y avait un hippopotame, il y avait une girafe,
il y avait un singe, il y avait un poisson, et là le professeur disait : Comme test final, vous allez grimper à
l'arbre. Et c'est parlant, cette image-là, parce que ce qu'on dit, c'est qu'on met un test que tout le monde
peut passer, et, à cause que tout le monde est soumis au même test, on
le met comme si
c'était un test qui ne visait pas certaines personnes. Bien, dans cette
image-là, le poisson puis l'hippopotame ne monteront pas à l'arbre et ne
passeront pas le test final.
Dans la loi
qu'on a ici présentement, on a quelque chose de similaire où est-ce que, bien
qu'on dise que ça vise tout le monde, celles qui vont être impactées
principalement... et ceux aussi qui vont être impactés sont ceux qui portent
des signes visibles de leur religion.
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de Matane-Matapédia,
s'il vous plaît.
M.
Bérubé :
...M. le Président. Mesdames, bienvenue à l'Assemblée nationale. Déjà, en
page 1 de votre mémoire, on peut
lire une phrase en gras : «La Fédération des femmes du Québec rejette en
bloc le projet de loi n° 21.» Alors, quand vous évoquez la conversation, ça va être difficile, parce que nous, on
soutient plusieurs mesures, on considère qu'il y a des tests de cohérence avec une volonté de pleine
laïcité. Alors, en ce sens, je respecte votre position, qui est
cohérente avec vos positions antérieures, et je préfère utiliser ce temps pour
vous permettre d'exposer une de vos propositions que vous faites dans votre
mémoire. Peut-être également vous dire d'entrée de jeu que, nous aussi, notre
formation politique se définit comme
féministe, profondément, à travers des grandes mesures qui ont été amenées au
plan législatif au Québec, puis on n'a pas la même définition, mais on
se respecte mutuellement.
Alors, vous
indiquez que «d'autres améliorations au principe de séparation pourraient être
menées», vous parlez de «mettre fin aux prières dans les conseils
municipaux ou abolir les privilèges accordés aux organismes religieux, par exemple». Alors, pouvez-vous nous dire à quoi vous
pensez, par exemple, comme privilège qui est accordé présentement à des
organismes religieux?
Mme Bouchard (Gabrielle) :
Certains des privilèges, par exemple, c'est les exemptions fiscales qui y sont
données. Il y a d'autres, aussi, privilèges, par exemple comme les écoles
privées qui peuvent continuer à enseigner le religieux et qui vont continuer à
apporter ces idées-là.
Mais, au-delà
de ces points-là précis, ce qu'on annonce là-dedans et la raison pour laquelle
on le rejette en bloc, c'est que présentement il y a un manque de cohésion dans cette loi-là, il y a un
manque d'encadrement dans cette loi-là, la conversation est mal partie, il
n'y a pas une bonne base. Donc,
d'essayer de rapiécer des bouts, de faire des ajouts ou de faire des modifications va quand
même garder le coeur de la loi, qui,
lui, rate profondément la cible qu'on essaie d'atteindre, qu'est la laïcité. Donc, pour nous, on doit avoir une prise deux à
un projet de loi sur la laïcité qui va être parti sur d'autres bases, qui va être parti sur des bases féministes et qui va nous
permettre collectivement d'avoir une conversation qui inclura au lieu
d'exclure.
Le Président (M.
Bachand) : M. le député, s'il vous plaît.
M.
Bérubé : ...préciser que c'est surtout au plan fiscal pour
les lieux de culte, quelles que soient les religions. Là où on a une divergence, parce que
vous amenez comment que le projet de
loi est apporté, tout ça...
fondamentalement, nous, on considère
que la pratique religieuse ou les signes ostentatoires, en privé, dans les
lieux de culte, dans les lieux communautaires,
ça va, mais, quand on travaille pour l'État, on a le droit de définir des
règles, il y a des responsabilités également. Il m'apparaît que ça devrait être respecté par tout le monde. Et je suis
convaincu que, lorsque la loi sera adoptée, parce qu'elle sera adoptée — le gouvernement est majoritaire — on pourra poursuivre les échanges sur des
mesures d'intégration, par exemple,
des femmes. Nous, on a proposé 20 mesures, au cours de la dernière année, qui
vont favoriser l'intégration des femmes en emploi et aussi faire en
sorte que, par d'autres mesures, on puisse continuer de faire avancer la cause
des femmes.
Mais nous ne
sommes pas d'avis que cette cause-là fait reculer la cause des femmes. Nous
sommes d'avis que la laïcité, c'est bon pour tout le monde, hommes et
femmes, sans distinction, et qu'on peut...
Le Président (M.
Bachand) : En terminant, M. le député.
M.
Bérubé : Bien,
voilà. C'est un peu la conclusion que je voulais vous indiquer. Voilà.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci beaucoup. Cela complète cette période de la commission. Mesdames,
merci beaucoup de vos contributions aux travaux.
Je vais
suspendre quelques instants pour permettre au prochain groupe, Coalition
Inclusion Québec, de prendre place. Merci.
(Suspension de la séance à 12 h 37)
(Reprise à 12 h 40)
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. À l'ordre, s'il
vous plaît!
Je souhaite la bienvenue à la Coalition
Inclusion Québec. D'ailleurs, je leur cède la parole pour 10 minutes, pour
leur exposé, et après on aura une période d'échange avec les membres de la commission.
Bienvenue, et vous avez la parole.
Coalition Inclusion Québec
Mme Ravon (Perri) : M. le
Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, nous sommes cinq membres de la Coalition
Inclusion Québec, une coalition d'organismes et d'individus qui s'est formée au
mois de mars en opposition au projet
de loi n° 21. Nos membres incluent des personnes de tous les
horizons, de toutes les religions ainsi que des personnes sans religion. Ils incluent des personnes dont les
familles sont au Québec depuis des générations ainsi que des personnes nouvellement arrivées. Bouchera Chelbi est
enseignante en anglais langue seconde dans deux écoles de la commission scolaire de Montréal. La révérende Diane Rollert
est pasteure de l'Église unitarienne de Montréal et cofondatrice de la Coalition Inclusion Québec. Taran Singh est
représentant de la communauté sikhe du Québec. À ma gauche, Gregory
Bordan, il est avocat à Montréal. Et moi-même, Perri Ravon, je suis avocate en
droit constitutionnel à Montréal.
Tout
d'abord, nous sommes déçus qu'il n'y ait pas eu plus de personnes invitées à
participer à ces consultations, en particulier
les minorités religieuses qui seront les plus affectées par le projet de loi
s'il est adopté. La coalition a tenu ses propres consultations populaires le lundi de cette semaine, où nous
avons entendu 26 individus et organismes, pour la plupart
représentant différents groupes religieux au Québec. Ils ont témoigné des effets
très tangibles qu'aura et qu'a déjà le
projet de loi n° 21 sur leur vie. L'organisme Justice Femme, par
exemple, a soulevé de façon très inquiétante que le nombre de femmes musulmanes victimes de
harcèlement au Québec et qui se tournent vers l'organisme pour de
l'appui a nettement augmenté depuis le dépôt
du projet de loi. Ils ont documenté plus de 40 cas de harcèlement contre
les femmes musulmanes portant le
hidjab, depuis le dépôt du projet de loi n° 21. Le Conseil
canadien des femmes musulmanes nous a, pour
sa part, partagé l'expérience de plusieurs femmes enseignantes dans leurs pays
d'origine qui ont passé des années à refaire
leurs études afin d'obtenir leurs certificats d'enseignement au Québec et qui
maintenant se voient dans l'impossibilité de trouver un emploi. Tous ces groupes et ces individus ont des
perspectives et des préoccupations qui méritent d'être entendues. Nous
avons apporté avec nous les mémoires qu'ils nous ont soumis et nous vous les
laisserons à la fin de cette présentation.
Dans le temps qui me
reste, j'aimerais aborder quatre points.
Premièrement, à notre
avis, le gouvernement fait fausse route en tentant de tenir en opposition les
droits fondamentaux et les valeurs
québécoises. Au Québec, nous avons été les premiers au Canada à adopter une
charte des droits complète. Adoptée
en 1975 par un vote unanime de l'Assemblée nationale, la charte québécoise
représente un véritable consensus
québécois sur les valeurs québécoises, et nous devrions en être fiers. À ce
sujet, nous aimerions souligner qu'un sondage effectué la semaine
dernière par Léger Marketing, commandé par l'Association des études canadiennes
et la coalition, dont nous vous remettrons une copie à la fin de cette
présentation, révèle que l'appui au projet de loi n° 21
diminue sensiblement d'autour de 20 % lorsqu'il est mentionné que le
projet de loi viole la charte québécoise.
Deuxièmement, dans la
mesure où le gouvernement veut restreindre les droits fondamentaux des
Québécois et Québécoises, il est primordial qu'il le justifie. Dans la mesure
où le gouvernement juge que le projet de loi n° 21 constitue un compromis raisonnable, il peut en
faire la démonstration devant les tribunaux. Nous ne sommes certainement
pas les premiers intervenants à critiquer
l'utilisation de la clause «nonobstant», mais, selon nous, l'empressement à
invoquer cette clause indique à certains
membres de la société que leurs droits ne sont tout simplement pas suffisamment
importants pour devoir justifier leur
limitation. Une société reconnaît la valeur de ses membres lorsqu'elle est
prête à expliquer toute atteinte aux droits et lorsque ces atteintes ne
vont pas au-delà de ce qui est nécessaire.
Troisièmement,
on ne saurait trop insister sur les incohérences du projet de loi n° 21. Il est impossible de déterminer clairement les motifs ayant conduit aux choix particuliers qui ont été
faits. Il est vrai que certains des groupes ciblés par le projet de loi sont en position d'autorité.
Toutefois, d'autres groupes sont visés par l'interdiction du port de signes
religieux, bien qu'ils n'exercent aucune
autorité. Si nous prenons les avocats et les notaires, par exemple,
l'interdiction de porter un signe
religieux s'appliquerait à un avocat travaillant dans un cubicule, qui fait de
la recherche, par exemple, à la Régie du logement, bien que cette personne
n'interagisse pas avec le public et ne soit pas en position d'autorité. Par
contre, l'interdiction ne s'appliquerait pas
au Vérificateur général du Québec, véritable figure d'autorité. Les limites aux
droits fondamentaux au Québec exigent des objectifs pressants et des moyens
rationnels, et ce n'est pas ce que révèlent les incohérences que nous
retrouvons dans le projet de loi n° 21.
Sur
la question des avocats, nous aimerions souligner que le projet de loi
n° 21 aura également un impact sur le secteur privé. Les avocats et les notaires en pratique privée seront
privés de mandats du gouvernement ou de nombreuses commissions et régies s'ils portent un signe
religieux. Un cabinet qui reçoit régulièrement des mandats
gouvernementaux ne pourra plus se permettre d'engager un avocat ou une avocate
qui porte un signe religieux.
Finalement,
la question du hidjab. Certains partisans du projet de loi affirment qu'il
créera des conditions propices à la
pleine et entière participation des femmes musulmanes dans la société
québécoise. En réalité, c'est tout le contraire. Le projet de loi
n° 21 ne vise que les femmes très scolarisées qui travaillent déjà au sein
de la collectivité en tant qu'enseignantes, en tant que fonctionnaires, qui
sont pleinement intégrées à la société, qui interagissent avec des collègues d'autres religions et sans religion. Le
projet de loi n° 21 renverra ces femmes à la maison en leur disant
qu'à moins de se conformer à un code
vestimentaire différent elles n'auront plus leur place dans le secteur public.
En aucun cas cela ne constitue de l'émancipation.
Certes,
vous répondrez que le projet de loi contient une clause de droits acquis, mais
cette clause est extrêmement limitée : elle ne s'attache pas aux
personnes elles-mêmes, mais à leurs postes. Les personnes ciblées seront
forcées d'occuper le même poste, au même endroit, durant toute leur carrière.
L'enseignante chevronnée candidate à un poste
de direction ou à un emploi plus prometteur dans une autre commission scolaire
ne pourra pas être promue à l'échelon supérieur si elle porte le hidjab.
Celui qui travaille au sein d'une des nombreuses régies et tribunaux énumérés
au paragraphe 3° de l'annexe II du projet de
loi ne pourra pas changer de fonction s'il porte la kippa. Le projet de loi ne
crée, ni plus ni moins... ou, plutôt, le projet de loi crée ni plus ni moins
différentes catégories de citoyens.
Le
gouvernement dit vouloir tourner la page sur la question des signes religieux,
mais il ne tournera pas la page. Premièrement, l'impact social du projet
de loi est très grand. Les personnes qui ne pourront pas réaliser leurs rêves professionnels après des années d'études, les
personnes victimes de harcèlement au travail, dans le métro parce
qu'elles portent un signe religieux, toutes
ces personnes vivront les conséquences concrètes de la loi. Empêcher des
citoyens de participer pleinement à la société sur un pied d'égalité
avec les autres entraînera des incidences sociales qui se feront sentir longtemps
dans l'avenir.
Ensuite, il
est clair que des batailles judiciaires auront lieu, peu importe l'utilisation
de la clause «nonobstant». Plutôt que d'utiliser cette clause, si le
gouvernement cherche à éviter des batailles judiciaires, il devrait soumettre
la question de la constitutionnalité du
projet de loi à la Cour d'appel. C'est la façon la plus rapide de déterminer
s'il est possible de concilier le
projet de loi avec la charte québécoise ou si, comme nous le croyons, le projet
de loi constitue une violation grave et injustifiée des droits des
Québécoises et des Québécois.
Nous
demandons donc, en conclusion, en tant que représentants et membres de la
Coalition Inclusion Québec, le retrait du projet de loi n° 21 ou
son renvoi à la Cour d'appel du Québec. Nous vous remercions pour votre
attention.
Le Président (M.
Bachand) : Merci infiniment. Avant de passer la parole au
ministre, j'aurais besoin d'un consentement pour ajouter au temps de séance 25
minutes, s'il vous plaît.
Une voix : ...
Le Président (M.
Bachand) : Consentement. Merci beaucoup. M. le ministre, s'il
vous plaît.
M.
Jolin-Barrette : Merci, M.
le Président. Mesdames messieurs, bonjour, bienvenue à l'Assemblée
nationale. Merci pour votre témoignage et votre participation aux travaux de la
commission.
Vous demandez
le retrait du projet de loi et un renvoi en Cour d'appel. Est-ce que vous
trouvez certains éléments positifs à l'intérieur du projet de loi
n° 21?
• (12 h 50) •
M.
Singh (Taran) : Donc, en fait, c'est évident qu'il y a
certains... L'élément positif, c'est de pouvoir... De votre côté, vous avez une certaine volonté de vouloir
inscrire dans une charte ou dans une constitution le concept de la
laïcité, qu'on voit dans l'article 2. Par
contre, la question qui est importante, la question primordiale, c'est :
Quelle interprétation est-ce qu'on va donner à ce concept?
Donc, pour nous, au Québec, la laïcisation des
institutions publiques, elle a été très utile et elle a permis une meilleure intégration de certaines communautés.
Donc, notre propre suivi québécois, dans notre contexte québécois, c'est
que la laïcité de l'État et des institutions publiques, elle a permis une
meilleure participation, entre autres, dans notre contexte, à la communauté
juive, à nos institutions publiques et à notre société.
Donc, par
contre, le projet que vous proposez et l'interprétation que vous proposez de la
laïcité excluraient d'une manière très importante plusieurs communautés
de manière significative. Donc, c'est à ce moment-là qu'on voit qu'il y a vraiment une différence critique entre
la laïcisation et l'histoire de la laïcisation au Québec depuis les
années 60 et le projet que vous
avancez, et c'est vraiment dans cette optique-là qu'on vous demande de
revérifier comment on pourrait avoir
un projet de loi qui nous permettrait d'avoir ce concept de la laïcité,
mettons, dans une charte ou dans un document, mais en continuant sa conception à la québécoise, qui a justement permis
une meilleure intégration des gens, parce que, présentement, ce que vous
proposez, c'est exactement l'opposé qu'elle fait.
M.
Jolin-Barrette : Bien,
là-dessus, je vais exprimer mon désaccord avec vos propos. Mais je voudrais
savoir, quand on dit, à
l'article 1 : L'État du Québec est un État laïque, à
l'article 2 : «La laïcité de l'État repose sur les principes suivants : 1° la séparation de l'État et des
religions; 2° la neutralité religieuse de l'État; 3°
l'égalité de tous les citoyens
et citoyennes; [et] 4° la liberté de
conscience et la liberté de religion», en quoi vous êtes en désaccord avec
cette proposition-là et les principes
qui sous-tendent la laïcité québécoise, qui va être inscrite à la fois dans la
loi mais à la fois aussi comme valeur
fondamentale de la société québécoise dans la Charte des droits et libertés de
la personne, considérant le fait que tout le monde se réclame du fait
que le Québec est un État laïque mais que ce n'est inscrit nulle part.
M.
Singh (Taran) : ...dit que l'article 2, il était bien. Par
contre, c'est une question de comment vous allez vouloir l'interpréter.
Et donc,
lorsque vous étendez cette conception de la manière que vous le faites, d'une
restriction significative et importante
aux gens qui portent... ou qui pratiquent leur religion en portant un
symbole x, on exclut... Et, en fait, M. Jolin-Barrette, vous, est-ce que vous êtes en désaccord
avec le fait que la laïcisation des institutions publiques, dans
l'histoire du Québec, a permis une meilleure
intégration, entre autres, à la communauté juive? Est-ce que vous êtes
peut-être conscient ou moins
conscient du fait qu'auparavant on a déjà eu deux systèmes, dans un...
certaines communautés étaient exclues et donc avaient leurs propres
institutions? Et puis là, maintenant, puisque les institutions publiques ne
sont pas si restrictives et permettent leur
pleine participation, justement ils sont rentrés dans le système public au
niveau éducatif, au niveau des hôpitaux, et ainsi de suite.
Donc,
peut-être que vous ne le savez pas, mais je vous pose la question : Vous-même,
est-ce que vous ne croyez pas qu'au Québec, dans notre avancement et
dans notre laïcisation des institutions publiques, on a permis une meilleure intégration? Et, le projet que vous proposez,
est-ce qu'il continue dans cette vague ou est-ce qu'il va à l'opposé?
Parce que mon interprétation, c'est qu'il va catégoriquement à l'opposé.
Le Président (M. Bachand) : M. le
ministre.
M. Jolin-Barrette : Oui. Bien, je comprends que vous nous formulez votre point de vue. Ce
n'est pas le point de vue du gouvernement, l'interprétation que vous
faites du projet de loi.
Le
projet de loi vise notamment à assurer que toutes les religions sont traitées
de la même façon, et le processus de sécularisation de la société
québécoise, depuis les 50 dernières années, va justement en ce sens-là.
Et, dans le cadre du rapport
Bouchard-Taylor, notamment on recommandait que les personnes en situation
d'autorité ne portent pas de signes religieux dans l'exercice de leurs
fonctions, en raison du fait du pouvoir qu'ils exercent sur leurs concitoyens,
et on a fait ce choix-là, d'aller dans cette direction-là et comme société,
effectivement, c'est réclamé par la société. Il y a eu énormément de débats.
Tout
à l'heure, dans le cadre des interventions, vous avez dit : Écoutez, les
minorités sont visées par le projet de loi. On a entendu des gens qui sont venus témoigner ici, notamment
Mme Lesbet, et elle disait : «Les minorités qui sont ici, au Québec, disent bravo au projet de loi n° 21, qui nous permet d'exister, de respirer et de ne plus être
considérées en tant que musulmanes, mais en tant que citoyennes à part
entière. Je suis fière d'être citoyenne québécoise.»
Donc,
de l'avis de plusieurs femmes, le projet de loi, il est favorable. Comment
est-ce que vous opposez votre point de vue à ces femmes-là, qui
réclament le projet de loi n° 21?
Mme Chelbi (Bouchera) : Je pense que, de prendre une personne qui n'est
pas concernée par quelque chose
et de lui demander de donner son opinion ou
d'imposer son choix sur ce que devrait être une autre personne qui n'est
pas d'accord avec elle, je trouve ça un petit peu osé, mettons. C'est correct pour elle de ne pas être d'accord
avec mon choix personnel, mais, le
fait qu'on veuille... parce que je ne suis pas d'accord avec vous et que je
veuille vous imposer mon choix, mes valeurs... je pense que, là, c'est
un problème pour la laïcité et pour la neutralité.
M. Bordan
(Gregory) : J'aimerais ajouter un mot.
Une voix :
...
M. Bordan (Gregory) : Tout simplement que la liberté de religion comprend, en fait, la
liberté de manifester la religion, et c'est à chaque personne de décider
qu'est-ce qui constitue la religion, sa pratique.
M. Jolin-Barrette : O.K. Sur la question du visage découvert, je voudrais
vous entendre. Est-ce que vous êtes favorables au fait que les
services publics soient donnés à visage découvert et qu'ils soient reçus également
à visage découvert pour des motifs de sécurité et d'identification?
Mme Ravon (Perri) : O.K. Premièrement, on trouve intéressant que vous
reveniez toujours sur cette question, étant donné que c'est
simplement un paragraphe d'un long projet de loi et que c'est peut-être le paragraphe
qui aura le moins d'impact pratique au Québec.
Dans tous les cas, a priori, il semble déraisonnable que quelqu'un
qui travaille dans un cubicule, qui parle au téléphone et qui
n'interagit pas avec les membres du public ait une obligation de faire son travail à visage découvert. Donc, ça,
c'est pour parler de certains excès qui semblent évidents. C'est ce
qu'on aura à dire là-dessus.
M. Jolin-Barrette : O.K. Donc, vous trouvez ça excessif de demander à un
fonctionnaire de l'État québécois
que, dans le cadre de ses heures de travail, il travaille avec le visage
découvert.
Mme Ravon (Perri) : Donc, ce que j'ai dit, c'est qu'on trouve
excessif qu'un fonctionnaire de l'État québécois qui travaille dans un
cubicule, qui parle au téléphone et qui n'interagit pas avec les membres du
public doive le faire à visage découvert.
M. Jolin-Barrette : O.K. C'est votre opinion. Je ne la partage aucunement.
Et vous comprendrez qu'au Québec, là-dessus, ça fait pas mal consensus, du fait qu'on devrait,
lorsqu'on travaille pour l'État québécois, avoir le visage découvert. Et la même chose au niveau de la réception des
services... Je ne vous ai pas entendus relativement à la réception des services.
Est-ce que vous êtes d'accord
avec le fait que, pour des questions d'identification et de sécurité, on doive
se découvrir le visage?
Mme
Ravon (Perri) : Donc, déjà, sur la question du fait que ça fasse
consensus, dans tous les cas, quand on restreint
les droits fondamentaux, on doit avoir des objectifs pressants, des mesures
rationnelles, des mesures proportionnelles, et c'est tout ce débat qui
aurait lieu devant les tribunaux si ce projet de loi était évalué par la cour. Donc, sur toute la question de : Est-ce que
c'est raisonnable que les gens qui offrent des services ou les reçoivent le
fassent à visage découvert ?, ce serait le genre de décision précise
qu'évaluerait un tribunal en fonction de la Constitution.
Pour ce qui est de la réception des services, en effet, le
projet de loi n° 21 évite certains excès du projet de loi n° 62 en utilisant des critères plus restreints de
l'identification et de la sécurité. Par contre, ça semble être une restriction beaucoup trop large pour ce qui est de l'offre des
services. Et je reviens à mon exemple de tout à l'heure, de la personne
qui n'interagit aucunement avec le public et qui se verrait obligée de suivre
ce genre de restriction.
M.
Jolin-Barrette : Donc, de ce que je comprends de votre réponse, pour
vous, on ne devrait pas légiférer sur le
fait que les personnes qui demandent un service public, elles ne soient pas
obligées de se découvrir pour des motifs de sécurité ou
d'identification. Vous n'êtes pas d'accord avec ça, là, le fait que, quand
une...
Mme Ravon (Perri) :
...d'accord.
M. Jolin-Barrette : Ah! vous êtes d'accord avec ça.
Mme
Ravon (Perri) : Oui, que ce projet de loi évitait les excès du dernier
projet de loi. Donc, vous avez mieux encadré les deux
motifs — de
sécurité, identification — avec lesquels
on est d'accord.
M. Jolin-Barrette : O.K.
M. Bordan (Gregory) : Et d'ailleurs
ce projet de loi n'est même pas nécessaire, c'est déjà prévu. Alors, on
n'ajoute, à cet égard, pas grand-chose, mais on est d'accord avec le principe.
M. Jolin-Barrette : C'est déjà prévu
où?
M. Bordan
(Gregory) : Tous les
tribunaux, certainement, respecteraient une obligation
de s'identifier pour des fins d'identification ou de sécurité. On peut
l'ajouter dans une loi, mais sans doute ce serait respecté, de toute façon.
M. Jolin-Barrette : Ah! «sans
doute». Il n'y a pas de décision des tribunaux là-dessus.
M. Bordan (Gregory) : Si vous voulez
ajouter une loi à cet effet, c'est une chose, mais c'est intéressant que,
pendant un 30 minutes qui est donné, on veut discuter de la partie la
moins importante, de façon pratique, de la loi.
• (13 heures) •
M.
Jolin-Barrette : Non, non,
c'est quand même très important, parce que, quand on se présente
en commission parlementaire, là on vient témoigner sur certains éléments qui
sont factuels. Et, dans votre mémoire, vous dites : Écoutez, le Québec,
ça a été la première province à se doter d'une charte des droits. Or, il y a eu
la Déclaration canadienne, en 1960, des droits.
Là, vous nous
dites : Écoutez, sans doute, les tribunaux diraient : Bien,
non, les services publics, les tribunaux trancheraient. Or, vous ne soutenez pas de décisions de tribunaux, vous
ne présentez pas de décisions de tribunaux qui avaliseraient ça, et c'est une hypothèse. Alors, moi, ce que je fais,
c'est que je l'inscris concrètement dans la loi, parce qu'au Québec c'est une balise de la société québécoise.
On détermine ensemble, et le Parti libéral est d'accord avec moi là-dessus,
que, lorsqu'on donne un service public,
lorsqu'on est un fonctionnaire de l'État, on a le visage à découvert, et,
lorsqu'on reçoit un service, pour l'identification et la sécurité, c'est le
minimum, au Québec, qu'on se découvre le visage.
Cela étant dit, je sais que mes collègues, M. le
Président, veulent poser certaines questions.
Le Président (M.
Bachand) : Merci, M. le ministre. M. le
député de Vachon, s'il vous plaît.
M. Lafrenière : Merci, M. le
Président. Il nous reste combien de temps?
Le Président (M.
Bachand) : Six minutes.
M. Lafrenière : Six minutes.
Parfait. Merci beaucoup. Merci de votre visite aujourd'hui. Très apprécié.
Tout à l'heure, j'ai une dame qui a dit : Lorsqu'on n'est pas concerné par quelque chose, de donner son opinion, c'est
osé un peu. Je vais me permettre de vous dire que j'ai trouvé ça osé, dans
votre mémoire, au point 5... Là, vous parlez des policiers. Ça fait que
c'est sûr que vous avez attiré mon attention. Alors, j'aimerais vous en parler
un peu. Au point 5, vous parlez des agents
de la paix, et j'aimerais vous dire que les syndicats de policiers sont venus
ici, devant nous, nous dire qu'ils
étaient d'accord avec l'importance de la neutralité et de l'apparence de
neutralité aussi. Alors, ils nous ont confirmé ça. L'ex-policier que je
suis vous dit la même chose aussi.
Et je veux
juste vérifier une chose avec vous. Probablement que vous savez que, dans
plusieurs pays du Maghreb, on interdit ou on demande aux policiers et
aux militaires de ne pas travailler au visage couvert. Vous le savez?
Une voix : ...
M.
Lafrenière : Dans plusieurs
endroits. Vous savez aussi que, dans votre mémoire, vous dites que,
lorsqu'on demande aux agents de la paix...
Et, lorsqu'ils portent un signe, on dit : Ils ne sont pas dignes
d'enseigner ou de protéger nos citoyens ou nos citoyennes et qu'on ne
saurait leur faire confiance.
C'est votre
résumé que vous avez émis, mais je vais vous faire un parallèle. Vous savez que
les constables que vous avez
rencontrés en venant ici aujourd'hui n'ont pas le droit de porter un signe qui serait
un signe politique, donc un simple macaron, une petite pine. Ils n'ont
pas le droit. Pourtant, ils seraient dignes quand même de faire leur travail. Cependant, on leur demande une apparence de
neutralité. Ce n'est pas qu'ils ne seraient pas dignes de le faire. Je
veux juste corriger ce qui est écrit là, que je trouve grossier un peu. Ce
n'est pas qu'ils ne sont pas dignes, c'est que nous...
Le Président (M.
Bachand) : M. le député de Vachon, attention à vos mots aussi, s'il vous plaît, «grossier» et... Il faut faire attention.
M.
Lafrenière : Excusez-moi,
excusez-moi. Je pensais que vous parliez de «dignes». Excusez-moi.
«Particulier». Je suis désolé, je ne voulais
pas vous offenser du tout. C'est juste que, lorsqu'on... Puis le terme
«dignes», je veux juste mettre ça clair, c'est dans le papier qui est
devant moi.
Ce n'est pas qu'ils
ne sont pas dignes, c'est juste qu'on demande une apparence de neutralité.
Alors, vous comprenez, si je fais le
parallèle avec la religion, ce n'est pas qu'on croit que les gens qui auraient
un signe religieux ne sont pas dignes d'être policiers, mais pas du
tout, c'est juste qu'on veut une apparence de neutralité.
Mme Chelbi (Bouchera) : Je peux commencer. Est-ce que vous êtes
au courant que, dans le reste du Canada, il y a des
policiers qui portent des symboles religieux? Est-ce que vous pensez qu'avec
ces symboles religieux là ils sont moins aptes à faire leur travail?
M.
Lafrenière : On ne dit pas
qu'ils ne sont pas aptes. Je reviens à ce que je vous ai dit tout à l'heure, madame. Ce n'est pas qu'ils
ne sont pas aptes. La même chose que nos constables ici, s'ils portaient un
petit signe d'un parti politique... Ce n'est
pas qu'ils ne sont pas aptes. On leur demande une apparence de neutralité, et
c'est ce que les syndicats nous ont dit, c'est ce que les policiers nous
disent aussi, qui l'ont vécu sur le terrain. Et je peux vous dire que j'ai patrouillé à Montréal pendant 25 ans, je
l'ai vécu sur le terrain. Et l'apparence de neutralité est importante, parce que, si j'ai une victime qui ne vient
pas me voir, croyant que j'ai une opinion qui est différente, c'est là qu'on va
perdre des victimes, et c'est là-dessus...
Puis je ne remets pas en cause tout ce que vous avez écrit, je vous dis juste
la partie policière que j'ai vécue du terrain. C'est là que je suis en
total désaccord.
M. Bordan (Gregory) : Je pense qu'il y a une distinction importante à faire. Un message
politique est un message qu'on communique à quelqu'un d'autre pour
l'inviter à adhérer à une opinion. C'est un débat politique. Le port d'un signe
religieux, ma kippa, n'est certainement pas une demande à quelqu'un d'adhérer à
une opinion ou une pratique quelconques. C'est tout à fait différent d'un
message politique.
M.
Lafrenière : Donc, pour vous, la neutralité politique et la neutralité
religieuse, ça serait à deux niveaux?
M. Bordan
(Gregory) : On parle de deux choses différentes. Un, c'est, en fait,
au fond, une sorte de... prosélytisme — puis je m'en excuse — une invitation à quelqu'un d'autre
d'adhérer... Ma kippa à moi, et je suis certain que c'est la même chose
pour les autres signes religieux, c'est une décision purement personnelle, ce
n'est pas un... On n'impose pas un dialogue, on n'impose rien à qui que ce soit
d'autre.
M.
Lafrenière : Est-ce que vous êtes d'accord avec moi que, dans les deux
cas, on est vraiment dans les apparences? Parce que la personne qui a la petite
pine d'un parti politique peut être très neutre aussi, mais, dans l'apparence,
on enlève cette apparence de neutralité.
M. Bordan (Gregory) : Dans un cas d'un message politique, on le met pour communiquer un
message, on exige une réponse, on impose un point de vue. Ce n'est pas
vrai d'un signe religieux.
Je
vous pose une question, avec égard. Vous me voyez dans une kippa. Est-ce que ça
vous donne le sentiment de vouloir
vous convertir au judaïsme? Je ne le crois pas. Il n'y a pas de débat. Et, si
vous me posez des questions à cet égard, honnêtement, ce serait malvenu.
Ce n'est pas vrai...
M.
Lafrenière : Vous savez, je suis un député de la CAQ puis je ne pense
pas vous avoir converti aujourd'hui non plus, ça fait que je ne pense
pas que ça va changer là-dessus.
M. Bordan
(Gregory) : Mais c'est un débat...
M.
Lafrenière : Je suis en désaccord. Je suis désolé.
M. Bordan (Gregory) : Mais ce serait légitime d'essayer d'avoir un débat, essayer de me
convaincre. C'est ça qui
arrive pendant les élections, au cours des élections. Ce ne serait pas vrai de
la religion.
M.
Lafrenière : Je veux juste
revenir au terrain, parce que mon exemple est vraiment très opérationnel,
terrain. Vous comprenez où je veux vous
amener, surtout dans ce que vous avez envoyé comme mémoire.
Je parle vraiment de l'apparence de neutralité. Puis, je vous le dis,
en aucun temps on ne dit que les gens ne sont pas dignes d'être
policiers. Ce n'est pas ça. Ça, ce mot-là,
je ne l'ai pas aimé. C'est vraiment dans l'apparence de neutralité où on veut
s'assurer qu'une victime puisse venir
voir le policier — et, je vous le dis, je l'ai vécu sur le
terrain pendant 25 ans — et s'assurer qu'elle est à l'aise à venir nous rencontrer,
nous parler sans avoir cette apparence de non-neutralité.
M.
Singh (Taran) : Pour la question, parce que vous nous donnez un
exemple du Maghreb, moi, je préfère rester quand même au Canada. Il y a
quand même neuf autres provinces, et on peut prendre l'exemple de la GRC et des
neuf autres provinces qui sont plus près d'ici.
Vous
savez, il y a aussi d'autres concepts en démocratie. Il y a le concept de la
représentation bureaucratique, qui dit
que le corps civique ou le corps policier devrait représenter... ou moindrement
être représentatif de la communauté et de la population qu'il sert. Or, on le sait, et toutes nos études nous le
démontrent, au Québec, on a quand même un déficit important de
représentation de communautés ethnoculturelles dans le corps policier. Je suis
certain que vous en êtes conscient. On fait quand même des recrutements
importants dans certaines classes de... pour la diversification, et ainsi de
suite.
Deuxièmement,
c'est aussi important, et il y a plusieurs études qui nous le démontrent — si vous les voulez, je pourrais vous
les fournir — qui
nous indiquent que, lorsqu'on a des communautés minoritaires, ethnoculturelles
ou ethnoreligieuses, parce que maintenant,
en fait, je ne suis même pas dans l'ethnoreligieux, je suis juste dans
l'ethnoculturel... Donc, lorsqu'on a
des communautés minoritaires, c'est beaucoup plus facile pour eux d'avoir un
rapprochement avec un corps policier qui aurait une diversité plus
importante, même si ce n'était pas celle de leur propre identification
culturelle ou religieuse.
Donc, je
crois que l'apparence de la neutralité, c'est quelque chose... c'est-à-dire,
les autres services de police des autres
villes du Canada en sont aussi inquiets, mais ils sont évidemment capables de
gérer cette diversité sans restreindre ces droits aux gens de participer. Et, en fait, eux autres, ils vous
diraient qu'ils auraient une meilleure prestation auprès de certaines
communautés minoritaires.
Le Président
(M. Bachand) : Merci, M.
Singh. Je cède maintenant la parole à la députée de Marguerite-Bourgeoys,
s'il vous plaît.
Une voix : ...
Le Président (M.
Bachand) : S'il vous plaît, s'il vous plaît! Mme la députée,
s'il vous plaît.
Mme
David : Merci beaucoup, M. le Président. Et merci d'être venus et de
représenter la diversité non seulement des opinions, mais la diversité
culturelle, la diversité religieuse.
On a
l'occasion comme ça, probablement, et c'est pour ça que ma première question va
s'adresser à Mme Chelbi, de voir ici,
en consultations, si je ne m'abuse, la première enseignante voilée, donc,
directement, directement touchée par le
projet de loi. Je ne pense pas me tromper en disant que vous êtes la première
et probablement la seule avec qui nous allons avoir le plaisir
d'échanger. Alors, je vais vous laisser toute la place nécessaire. Vous êtes
venue, vous avez du temps pour expliquer comment vous vivez ce projet de
loi — je
dis bien «vous vivez», parce que ce n'est pas juste intellectuel, il y a toutes
sortes de démonstrations comme quoi il y a des effets émotifs, il y a des
effets factuels, il y a des gestes — et comment vous vivez, comme enseignante
voilée, la situation, et celle, éventuellement, de vos consoeurs.
• (13 h 10) •
Mme Chelbi (Bouchera) :
La première chose que je peux dire, c'est qu'en voyant ce projet de loi je me
suis dit... j'ai trouvé ça un peu paternaliste, je dois avouer. C'est comme si
la femme devait toujours satisfaire certaines personnes
de comment elle devait s'habiller. Et je dois dire que je le rejette
profondément, parce que je suis une personne totalement autonome. Les gens qui me connaissent savent que j'ai un
petit caractère, mettons. N'allons pas trop loin. Donc, j'ai trouvé ça totalement paternaliste. Puis j'ai
eu des contacts avec des collègues qui me disaient : Oui, mais,
Bouchera, tu ne connais pas l'histoire du
Québec. J'ai dit : Oui, c'est vrai que je ne l'ai pas vécue
personnellement, mais je me suis informée, je lis beaucoup, je suis très
curieuse de nature. Mais j'ai fait un parallèle avec ce projet de loi.
Ils me
disaient : Tu n'es pas au courant? L'Église, elle entrait dans les foyers
puis elle obligeait les gens... puis etc. Puis je me suis dit : Je fais un parallèle, et ce que je vois dans
ce projet de loi, c'est comme une volonté inconsciente, peut-être, de vouloir remplacer l'Église, justement.
Par la façon de dicter aux gens : Comment vous devez vous habiller,
comment vous devez être en public, vous avez
le droit de faire ça en public, mais chez... pas le droit de faire ça en
public, mais, chez vous, vous avez le
droit, c'est comme me dicter comment je dois vivre ma vie, et je dois avouer
que je rejette ça profondément.
Par contre,
je suis très chanceuse, j'ai des amis, des collègues formidables qui me
supportent, qui me disent que c'est
une aberration, ce projet de loi. Il y a même une collègue qui m'a dit : Mais pourquoi...
Une collègue québécoise blanche qui me disait : Mais pourquoi ce projet
de loi? J'ai dit : Je pense que le gouvernement de la CAQ a peur que je
vous convertisse. Et vous savez ce qu'elle
m'a dit? Elle m'a dit : Juste avec tes gâteaux, tu pourrais nous
convertir. Avec ton foulard, ça ne
marchera pas. Donc, juste pour vous dire... Puis j'ai des parents qui
m'écrivent des messages, qui me disent... Là, je le dis, mais je suis touchée, parce que ces parents-là
s'excusent... qui m'écrivent des messages en disant : Je m'excuse de ce que le gouvernement vous fait vivre. Je
trouve ça extrêmement gênant, ce que vous êtes en train de vivre. Et je
ne me suis pas plainte, je ne me suis pas
épanchée sur mes malheurs, mais c'est des parents qui voient le travail que je
fais avec leurs enfants. Je ne suis pas le meilleur prof au monde, mais
j'ai quand même des élèves qui, quand je m'absente... ils me chicanent le
lendemain : Pourquoi tu n'étais pas là hier?, pour vous dire...
Là, je me
dis : On parle de majorité tout le temps, mais est-ce qu'on prend en
considération ces personnes-là qui sont affectées? Moi, je m'en sors bien, je
ne vais pas pleurer, mais j'ai des collègues qui le vivent très, très mal. J'en
ai plein qui font des dépressions. Il
y en a plein qui se sentent comme ostracisés. Ils se sentent rejetés par la
communauté. Il y en a qui enseignent
depuis 30 ans, il y en a qui enseignent depuis 20 ans. Ça n'a jamais
été un souci majeur ni avec les élèves ni avec les parents, puis là,
tout d'un coup, on va passer une loi qui dit que : Toi, là, le fait que tu
enseignes, tu es un gros problème pour le
Québec, alors que ces personnes-là pensent qu'elles sont un atout pour le
Québec, elles veulent construire le
Québec, elles sont bien intégrées. Mais c'est comme si on venait leur
dire : Toi, là, oh! non. À moins que tu enlèves ton symbole
religieux, tu ne fittes plus dans le système. Si la...
Le
Président (M. Bachand) : Allez-y, madame, si vous voulez.
Mme Chelbi (Bouchera) : Je peux continuer?
Le Président (M.
Bachand) : Oui, oui.
Mme
Chelbi (Bouchera) :
Là, je vais utiliser un mot très, très fort, parce qu'il y en a qui me
disent : Oui, mais la clause grand-père va s'appliquer sur toi, donc tu es sauve quand même.
Vous savez, la première pensée qui m'est venue à l'esprit quand j'ai lu ce qu'il en était dans cette clause grand-père,
c'était : O.K., tu n'as pas commis de crime, mais on va te faire
une fleur, on ne t'emmènera pas en prison, mais...
Le Président (M.
Bachand) : Attention dans vos propos, s'il vous plaît.
Mme
Chelbi (Bouchera) :
O.K. Je dis ce qui m'est venu à l'esprit en premier. Mme Hélène me demande qu'est-ce que j'en pense, et je dis
ce qui me venait à l'esprit tout de suite après. Là, je me dis, c'est
comme : tu as le droit tant que tu restes dans la même position que
tu es, c'est-à-dire enseigner dans ta commission scolaire, tu es sauve, mais il
ne faudrait surtout pas aspirer à devenir
directrice, à devenir conseillère pédagogique, à changer de champ. Ou, même si
je voulais déménager, je n'aurais pas le droit de changer de commission
scolaire. Je me suis dit : Mais pourquoi ne pas me mettre un bracelet
électronique? Désolée, mais...
Le Président (M.
Bachand) : ...Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Mme Chelbi (Bouchera) : ...c'est exactement comme ça que je l'ai vécu.
Mme
David : Il y a peut-être un mythe aussi à enlever, mais je vais
revenir sur le début. Vous dites : Je porte le voile et je suis une femme très autonome, et même
avec un petit caractère. Ce que j'en comprends, c'est que vous n'êtes
pas forcée à porter le voile.
Mme
Chelbi (Bouchera) :
Pas du tout. Je l'ai porté de mon propre chef et je dois avouer que je n'ai pas
eu l'aval de mes amis ni de ma famille. Mais je me suis
imposée puis je ne l'ai jamais regretté depuis.
Mme
David : Et il est souvent apporté ici, en commission, que : Ah!
mais ce n'est pas un problème, mais elle l'enlèvera entre
9 heures et 5 heures.
Mme
Chelbi (Bouchera) :
Demandez à un végan : O.K., à midi, tu n'as pas le droit d'être végan,
O.K., donc tu vas
devoir manger de la viande, puis, une fois que tu rentres chez toi, tu as le
droit de faire ce que tu veux et de manger ce que tu veux. Bien, je me sens exactement dans la même position pour deux
raisons. La première, c'est qu'en tant que femme je n'accepte pas qu'on me dicte comment m'habiller. La deuxième chose,
c'est que j'ai la liberté de religion, la liberté de conscience. On entend que je n'essaie pas...
Est-ce que j'ai essayé de vous convertir depuis que je suis là? Je serais
très mauvaise, de toute façon.
Mme David : Merci.
Le Président (M.
Bachand) : Merci. Mme la députée de Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.
Mme Robitaille :
Bonjour à tous. Merci d'être ici aujourd'hui.
Je
vais d'abord poser une question à M. Singh. J'ai lu le mémoire de la communauté
sikhe. Il est expliqué très clairement que le turban est essentiel à votre identité, c'est une
partie intégrante de votre
identité. Alors, un sikh comme vous,
M. Singh, au Québec, ne pourra pas être greffier, greffier adjoint,
policier, garde-chasse, enseignant, commissaire d'un tribunal, pas seulement un procureur de la couronne, mais aussi
vous ne pourrez pas être avocat pour le gouvernement provincial.
Alors, je me
demandais : Comment on se sent là-dedans, quel message ça envoie à votre communauté, ça, et
puis quel impact sur l'intégration de votre communauté dans la société
québécoise ça va avoir?
M.
Singh (Taran) : Bien, en fait, vous voyez — merci pour votre question — moi, ça fait 32 ans que j'habite
au Québec, O.K., je suis un gars de la rue
Saint-Denis. Maintenant, je suis en train de faire une maîtrise en sciences
politiques. Je ne suis absolument pas
sévère, pour ne pas utiliser le mot «radical», dans ma pratique religieuse. Ma
femme est juive. J'ai un mariage interreligieux.
Juste pour donner un exemple du fait que même
des gens qui ne sont pas nécessairement en train de pratiquer quoi que ce soit... Parce que le message qu'on
envoie, il est quand même assez important. C'est que justement je ne
vais pas être capable de m'intégrer. Justement, en fait, on s'attaque aux gens
qui sont les mieux intégrés de communautés minoritaires.
On est en train de dire à des gens qui sont qualifiés, qui sont compétents, qui
occupent des bons postes, qui auraient
l'opportunité justement de continuer à mieux vivre au Québec et à participer et
à... On paie des impôts, et ainsi de suite,
on participe, on veut construire la société ici avec vous. Je parle français
comme ça, je suis un allophone, je parle quatre
langues, mais, non, je ne peux pas travailler dans certaines occupations. Et ce
qui est particulièrement sidérant présentement... et je sais que, bon, il y a
une question Québec-Canada ici, mais ce qui est particulièrement sidérant
présentement pour les jeunes sikhs, c'est justement un peu ce qu'on parlait
tantôt, c'est qu'ils se retrouvent avec un ministre national de la Défense
sikh, mais eux, ils ne peuvent pas avoir une ambition à être policiers sur les
rues de Montréal. Donc, ils se posent des
questions profondes, et moi, comme père de famille, je me pose la
question : Comment est-ce que je
peux, malgré que je suis complètement intégré ici, malgré que j'ai un vécu et
une histoire ici et que j'ai de la famille,
de la parenté et des amis ici... mais comment est-ce que je peux élever mes
enfants ici en leur donnant des limites qui sont assez importantes?
D'autre part, M.
Jolin-Barrette, ce qui est particulièrement inquiétant, c'est l'approche
législative que le gouvernement a décidé
d'entreprendre, parce que, l'approche que vous prenez, en amendant la charte
québécoise, pas une charte qui nous a
été imposée par des immigrants ou par le Moyen-Orient — non, non, c'est notre propre charte — en
utilisant la clause dérogatoire et en,
potentiellement, utilisant le bâillon, vous êtes en train d'établir un
précédent qu'un gouvernement avec une
simple majorité à l'Assemblée nationale pourrait de manière importante
redéfinir quelles seraient les
restrictions pour les gens qui travaillent dans... Parce que qu'est-ce qui
prévient, demain, un gouvernement d'utiliser justement le même processus législatif pour étendre ses restrictions?
Comment est-ce que je peux avoir un sentiment de sécurité dans un emploi? C'est quelque chose qui crée une précarité
économique très importante, et pas juste au privé. Le gouvernement, il
établit explicitement et implicitement des normes.
Donc,
quelle autorité morale est-ce que le gouvernement aurait demain, après
l'adoption d'une loi comme celle-ci, vers
une compagnie privée? Donc, si une compagnie privée, elle se dit : Bien,
moi, je suis les traces du gouvernement, le gouvernement, il dit qu'on ne veut pas avoir de gens qui travaillent
dans certains emplois publics, d'avoir un certain rôle parce que le
gouvernement, il dit : Bien, présentement, la loi ne touche pas le
privé... et vous avez raison. Par contre, le privé se doit... et, souvent, ce
qu'il fait, c'est qu'il adhère à certaines normes qui sont établies par le
gouvernement.
Donc,
comment est-ce qu'on pourrait prévenir une discrimination dans certains
domaines privés? Quelle autorité morale
est-ce que le gouvernement aurait face à cette situation-là si elle s'élevait
demain? Donc, c'est très inquiétant, c'est très inquiétant, c'est malheureux. Et pour moi personnellement c'est
triste, parce que je suis un Québécois, et je me pose comme question : Dans l'avenir, quelle sera
la position que je pourrais avoir pour pouvoir contribuer pleinement à la
société?
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. Singh. M. le député
de Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M.
Zanetti : Je vous remercie. Est-ce que je pourrais avoir le temps du
député de Matane-Matapédia, qui est...
Le Président (M. Bachand) : Est-ce que vous demandez le consentement pour
utiliser le temps du troisième groupe?
M. Zanetti :
Oui.
Le
Président (M. Bachand) : Consentement?
Une voix :
...
Le
Président (M. Bachand) : Pas de consentement. M. le député,
s'il vous plaît. Votre temps avance, là. C'est le temps.
M. Zanetti :
C'est quand même incroyable. Ayoye! J'aimerais vous entendre, M. Singh, en
particulier sur la question de
l'intégration. Vous avez dit quelque chose de très intéressant par rapport aux
conséquences que ça a quand des personnes
se sentent exclues et que finalement, au lieu de s'intégrer, bien, elles se
créent leurs propres institutions ou elles se replient sur leurs
communautés.
Est-ce
que j'ai bien compris — puis pourriez-vous le développer davantage? — les conséquences sur l'intégration
que vous pensez que ça va avoir au Québec?
• (13 h 20) •
M.
Singh (Taran) : Bien, en fait — merci, encore une fois, pour la
question — bien, on
l'a vécu au Québec avec la communauté juive. La communauté juive,
antérieurement, dans notre propre vécu, dans notre propre contexte québécois, a
établi des institutions parallèles parce qu'ils et elles n'étaient pas
bienvenus dans certaines institutions publiques.
Et là, ici, c'est évident, parce que c'est un message d'exclusion : c'est un
message d'exclusion pour certaines communautés qui pratiquent leur
religion de certaines manières.
Donc,
ça va immédiatement... et, vous me permettez, c'est sûr,
c'est difficile de restreindre un certain sentiment émotif, parce
qu'évidemment ça vient nous toucher
profondément. Donc, il y a des réactions de stigmatisation, il y a des communautés qui vont être
marginalisées. Ça, c'est évident. Mais, au-delà de là, ce qui se passe et ce
qui me concerne... ce qui m'inquiète,
pardon, le plus, c'est qu'on est en train de créer un environnement où, les jeunes qui se sentent
rejetés ou qui se sentent exclus par un
projet de loi comme celui-ci, c'est beaucoup plus facile, pour certains éléments
qui pourraient exister, pour les
radicaliser. Donc, c'est ça qui est aussi un peu problématique, c'est que,
lorsqu'on a une société qui nous exclut
d'une manière explicite, d'une manière légale, elle crée justement ce danger
qu'il y a des gens qui pourraient... particulièrement
les jeunes qui présentement se cherchent des emplois, et ainsi de suite, se
cherchent un cheminement professionnel.
Le Président (M. Bachand) : Merci, M. Singh. Parce que je veux vraiment
laisser le temps aussi au député. Désolé. M. le député de Jean-Lesage,
s'il vous plaît.
M.
Zanetti : C'est très parlant. Je pense qu'une chose de laquelle toutes
les Québécoises et tous les Québécois... à laquelle ils sont sensibles, c'est la question du sentiment
d'appartenance, de l'unité nationale, de l'intégration, puis, s'il y a une chose que tout le monde craint, bien, c'est la
radicalisation en général, l'intégrisme, qu'il soit religieux ou autre.
Et, au fond, ce projet de loi là, à vous entendre, il va contribuer à toutes ces
choses que nous craignons.
Une voix : Selon moi, oui.
Le
Président (M. Bachand) :
S'il vous plaît! Malheureusement — désolé — c'est tout le temps qu'on a. Alors,
j'aimerais vous remercier pour votre contribution aux travaux de la commission.
Document
déposé
Avant de
suspendre les travaux, je vais déposer une lettre datée du 27 mars 2019 de
l'Association des policières et policiers provinciaux du Québec.
Cela dit, la commission suspend ses travaux
jusqu'à 15 heures. Merci.
(Suspension de la séance à 13 h 22)
(Reprise à 15 h 6)
Le
Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il vous plaît! Bienvenue. La Commission des institutions
reprend ses travaux. Je demande, bien sûr,
à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de
leurs appareils électroniques.
Nous
poursuivons donc les consultations particulières et auditions publiques sur le projet de loi n° 21, Loi
sur la laïcité de l'État. Cet après-midi, nous entendrons la Ligue des
droits et libertés et le Rassemblement pour la laïcité. Je souhaite donc la bienvenue aux représentants de la
Ligue des droits et libertés. Je leur cède la parole pour une période de
10 minutes. Après ça, nous aurons un échange avec les membres de la
commission. À vous la parole, et bienvenue.
Ligue
des droits et libertés (LDL)
M.
Nadeau (Christian) : Merci.
Mon nom est Christian Nadeau. Merci de nous recevoir. Je suis président
de la Ligue des droits et libertés. Je suis accompagné d'Alexandra Pierre, qui
est membre du conseil d'administration de la ligue, et de Maxim Fortin, qui est
coordonnateur de la section Québec de la Ligue des droits et libertés. Nous
allons présenter le mémoire en trois temps, mais soyez assurés que nous allons
respecter notre temps de parole.
Fondée en
1963, la Ligue des droits et libertés est un organisme à but non lucratif,
indépendant et non partisan qui vise
à faire connaître, à défendre et à promouvoir l'universalité, l'indivisibilité
et l'interdépendance des droits reconnus dans la Charte internationale des droits de l'homme. La Ligue des droits est
affiliée à la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme. La Ligue des droits et
libertés poursuit comme elle l'a fait tout au long de son histoire
différentes luttes contre la discrimination et contre toute forme d'abus de
pouvoir, pour la défense des droits civils, politiques, économiques, sociaux et
culturels. Son action a influencé plusieurs politiques publiques et a contribué
à la création d'institutions vouées à la défense et à la promotion des droits
humains, notamment l'adoption de la charte des droits et libertés de la personne du Québec et la création de la commission des
droits et libertés de la personne et de la jeunesse... des droits de la
jeunesse, pardon, et des droits de la jeunesse.
Rappelons que la Ligue des droits et libertés a, notamment,
participé aux travaux de la commission Bouchard-Taylor ainsi qu'à la consultation et aux auditions publiques sur le
projet de loi n° 63, Loi modifiant la Charte des droits et libertés de la personne; le projet de loi n° 94, Loi établissant les
balises encadrant les demandes d'accommodement; le projet de loi
n° 60, Charte affirmant les valeurs de la laïcité; et le projet de loi
n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État.
Depuis les controverses sur les accommodements raisonnables
en 2006 et surtout depuis l'épisode de la charte dite des valeurs et de ses suites en 2013, la Ligue des
droits et libertés a commencé à réfléchir sur la question de la laïcité
sous l'angle du racisme systémique.
Pourquoi? Les enjeux de la laïcité et du racisme ne devraient pas, par
principe, être liés, mais la ligue a
constaté très tôt que les débats sur la laïcité au Québec ont trop souvent pour
conséquence de cibler et d'exclure certains
groupes, en particulier les personnes racisées, en plus de contribuer à rendre
le débat social extrêmement toxique.
Pour la ligue, la
laïcité de l'État ne peut avoir comme conséquence l'exclusion de certaines
populations ou l'imposition aux minorités de prétendues valeurs d'une majorité.
Elle ne peut pas non plus être utilisée pour dicter une certaine manière de vivre ses croyances. C'est pourquoi, suite au
dépôt du projet de loi n° 21, la ligue a demandé au gouvernement de
faire marche arrière avec ce projet de loi, qui, selon elle, est
discriminatoire, et que plusieurs autres groupes considèrent comme tel, et qui
viole, selon nous, la charte québécoise des droits et libertés de la personne.
Depuis
son adoption en 1975, la charte québécoise a connu de nombreuses modifications,
mais toutes ces modifications visaient à
renforcir et non à affaiblir les protections des droits des personnes, et cela,
toujours dans le plus grand respect pour un texte qui doit être au coeur de toutes les lois
québécoises. La modification de la charte par le biais du projet de loi
n° 21 est aux antipodes, selon nous, d'un tel respect, puisqu'à ce jour
aucune urgence, aucun argument démontrant la nécessité absolue d'agir n'a été
apporté.
• (15 h
10) •
M. Fortin (Maxim) : Pour la Ligue des droits et libertés, le projet
de loi n° 21 ne sert ni la justice ni l'égalité, car il compromet les conditions de leur réalisation.
Il a plutôt pour effet d'encourager la recherche d'une société homogène
ou, du moins, conforme aux exigences pressenties de la majorité.
Dans
les notes explicatives du projet de loi n° 21, il est mentionné que la
laïcité de l'État repose sur quatre principes, soit la séparation de l'État et
des religions, la neutralité religieuse de l'État, l'égalité de tous les citoyens
et citoyennes ainsi que la liberté de conscience et la liberté de religion. Or,
selon la Ligue des droits et libertés, le projet de loi n° 21 va à
l'encontre de chacun de ces principes fondamentaux, à commencer par celui de
l'égalité de tous les citoyens et citoyennes.
La
Ligue des droits de libertés croit que la liste des considérants qui apparaît
en tête du projet de loi repose sur un certain idéal d'uniformité de la nation québécoise, qui serait vue
comme ayant des caractéristiques
propres, des valeurs sociales
distinctes et un parcours historique spécifique. Ce sont là les ingrédients
d'une rhétorique qui a pour objectif de forger une identité sur l'identique, c'est-à-dire en tordant la
complexité de l'histoire du Québec de façon telle à l'interpréter comme un récit portant sur un seul peuple et en
unifiant de force les valeurs diverses qui cohabitent présentement au Québec.
L'égalité
dont il est question ici suppose, en fait, la conformité à une sélection de
modes vie acceptables dans la sphère
publique non pas en vertu... légitime de ne pas causer aucun... et préjudice à
autrui, mais afin de correspondre à une
certaine représentation de notre société. L'égalité signifierait alors
l'aplanissement du pluralisme sous prétexte que celui-ci donnerait cours à des valeurs incompatibles avec celles d'une
majorité. Selon le projet de loi n° 21, parmi ces valeurs
compterait l'importance que la nation québécoise accorde à l'égalité entre les
femmes et les hommes. Or, ce projet de loi aura justement pour effet d'exclure
des femmes de certaines professions. Si le gouvernement souhaitait véritablement assurer le respect des droits des
femmes, il mettrait, par exemple, en oeuvre des mesures visant à assurer
leur autonomie économique et l'élimination des violences faites à leur endroit,
soit de véritables moyens pour permettre aux femmes de participer à la société
québécoise.
Le
projet de loi n° 21 est défendu par le gouvernement parce que, selon
celui-ci, ses objectifs s'inscrivent dans l'histoire de la sécularisation des institutions québécoises. La Ligue
des droits et libertés s'interroge sur la façon dont le projet de loi pourrait à la fois affirmer un
principe de neutralité et en même temps s'inspirer de la spécificité de
l'histoire du Québec. Si la laïcité a pour
but de protéger la neutralité de l'État, elle ne peut pas de surcroît jouer le
rôle de gardienne d'une certaine vision
de l'identité québécoise, qui serait en danger. C'est pourtant le double rôle
qu'on tente de lui faire jouer par le biais du projet de loi n° 21.
Mme Pierre (Alexandra) : La ligue s'oppose à une telle représentation de
la société, de son identité et de ses valeurs,
à plus forte raison si cette représentation est défendue comme un équilibre
entre les droits collectifs de la nation québécoise et les droits et libertés de la personne. La ligue considère
comme artificiel un tel équilibre, puisqu'il suppose une opposition
entre le droit des groupes et les droits et les libertés des individus. Dans le
cas actuel, il est impossible de voir en
quoi les droits collectifs seraient menacés par les libertés individuelles,
d'autant plus que la nation québécoise est plurielle et qu'elle est divisée au sujet de ce projet de loi. Un
conflit politique n'est pas un conflit entre des droits, et c'est encore
moins une raison légitime de bafouer les droits de minorités.
La ligue défend
l'indivisibilité et l'interdépendance de tous les droits humains. Elle estime
que le principe de l'interdépendance des
droits humains est mis en péril par le p.l. n° 21. Les personnes qui verront leur liberté
de religion et leur
droit à l'égalité bafoués seront, dans un même temps, privées d'exercer leur
droit au travail et leur droit à un revenu décent, sans discrimination. On sait par ailleurs que l'intégration
économique est un vecteur important de contribution à la société et de
participation citoyenne duquel seront exclues ces personnes. Plus encore, ce
qui est en jeu, c'est le droit collectif des Québécois et des Québécoises de
vivre dans un État de droit qui protège les droits de tous et toutes.
Par définition, une loi permet et interdit de faire
certaines choses. Parce qu'elle limite les libertés, elle doit être justifiée, sinon elle ne
serait que la manifestation d'un pouvoir arbitraire. Dans le cas présent, le
gouvernement défend son projet de loi
n° 21 en parlant de la nécessité d'un devoir de neutralité religieuse en
ciblant les signes religieux portés par les personnes employées de
l'État et en situation d'autorité. Selon la ligue, le projet de loi n° 21
n'a pas comme objectif de favoriser un devoir de neutralité religieuse ou bien
une réelle laïcité de l'État. En effet, la laïcité requiert que les
institutions de l'État soient neutres à l'égard des religions et séparées de
celles-ci. La neutralité et la séparation visent à garantir la liberté de
religion et de conscience ainsi que l'égalité de toutes et tous. Or, dans les
faits, le projet de loi porte atteinte aux deux droits que la laïcité doit
protéger.
Il
est difficile de voir en quoi ce projet
de loi sert vraiment
ce devoir de neutralité religieuse, comme si la neutralité se prouvait
par l'absence de tout signe religieux. Cela reviendrait à croire que la
neutralité d'un juge, par exemple, l'apparence
de partialité ou d'impartialité de sa part ne dépendrait pas, en dernière
instance, des actions qu'il pose, mais reposerait
uniquement sur son apparence vestimentaire. La ligue rappelle
que la neutralité religieuse de l'État se vérifie avant tout par des comportements et non à
l'apparence des personnes en situation d'autorité. Or, le projet de loi n° 21
est basé sur l'idée selon laquelle il serait légitime de soupçonner qu'une
personne en situation d'autorité portant un signe religieux n'exerce pas sa
fonction en toute impartialité et sans discrimination. Ceci est impossible à
démontrer, et le gouvernement est incapable
de citer un cas de tentative de prosélytisme de la part de ces personnes. Tout
l'argumentaire du p.l. n° 21 est donc basé sur un préjugé.
Finalement, la ligue ne peut passer sous silence
le fait que le projet de loi est une manifestation de ce qu'on appelle le
racisme systémique. En effet, le racisme systémique repose, entre autres, sur
un ensemble de règles ou de pratiques formelles ou informelles qui peuvent être neutres en apparence
et sans intention raciste mais qui, dans les faits, désavantagent de
façon disproportionnée les personnes racisées. Merci.
Le Président (M.
Bachand) : ...s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M.
le Président. Madame messieurs, bonjour. Merci d'être en commission
parlementaire pour nous présenter votre point de vue sur le projet de loi
n° 21.
D'entrée de
jeu, tout à l'heure, vous parliez du premier considérant du projet de
loi : «Considérant que la nation québécoise
a des caractéristiques propres, dont sa tradition civiliste, des valeurs
sociales distinctes et un parcours historique spécifique l'ayant amenée
à développer un attachement particulier à la laïcité de l'État.»
Donc, vous êtes en désaccord avec cet énoncé?
M. Nadeau (Christian) :
En fait, nous ne sommes pas en désaccord avec l'énoncé en lui-même, c'est
plutôt de la manière dont il s'inscrit dans la logique du projet de loi.
Ce que nous
pensons, c'est qu'il est indéniable qu'il y a une histoire du Québec et une
évolution de ses institutions sur des questions et des enjeux comme, par
exemple, la séparation de l'Église et de l'État. Le problème, en fait, c'est
que nous pensons que la manière même dont le projet de loi interprète cette
histoire consiste, en fait, à vouloir unifier l'histoire de ce progrès social
de façon telle à ce que ce soit vu comme une espèce d'histoire rectiligne,
comme s'il n'y avait pas, en fait, plusieurs
valeurs qui étaient en cause dans l'histoire de ce mouvement. Et ce que nous
disons, en fait, c'est que, lorsque
l'État québécois s'est développé avec des institutions et que ces institutions
ont permis, notamment, une
indépendance par rapport, par exemple, au clergé, cela a toujours été fait
aussi avec la préoccupation de l'ensemble des droits. C'est l'équilibre des droits entre eux qui nous intéresse,
puisqu'encore une fois la ligue défend par-dessus tout le principe
d'interdépendance des droits.
M.
Jolin-Barrette : Je
comprends votre position, mais le projet de loi n° 21 prévoit justement un
équilibre entre les droits. Au
dernier considérant, là, on l'indique également : «Considérant qu'il y a
lieu d'affirmer la laïcité de l'État en assurant un équilibre entre les droits collectifs de la nation
québécoise et les droits et libertés de la personne.» Donc, on a ce
souci-là d'assurer un équilibre.
Et je vous
référerais au premier considérant, là, du projet de loi, là. Ce sont les mots
mêmes de la Cour suprême de dire que
la société québécoise a des valeurs sociales distinctes, la tradition
civiliste, des caractéristiques propres. Moi, je crois que c'est un état
de fait historique de dire qu'il y a eu un parcours de sécularisation de la
société québécoise. Il y a eu des avancées.
On sait à quel point l'État et certaines religions au Québec étaient côte à
côte, étaient interreliés, et, on l'a
vu au cours des 50, 60 dernières années, il y a eu un processus. C'est la
logique dans laquelle le projet de loi s'inscrit, de dire : On
sépare formellement, dans un texte de loi, l'État et les religions. Vous ne
pensez pas?
• (15 h 20) •
M.
Nadeau (Christian) : Ce que
nous pensons, c'est que cette logique historique, jusqu'à maintenant, en a
été une de protection des droits.
Là, on se
retrouve dans une situation où, en fait, on veut retirer des droits. Donc,
l'incohérence logique vient plutôt de
voir dans un projet de loi la suite d'un processus qui ne ressemble pas à ce à
quoi nous avons assisté jusqu'ici, du moins, si je compte, disons, dans les premières années, c'est-à-dire l'époque
vraiment des premiers moments d'une séparation entre l'Église et l'État. Là, on se retrouve dans une autre logique
complètement, c'est ce que notre mémoire dit, surtout depuis, disons, à
peu près une dizaine d'années.
Ce que nous voyons, en fait, c'est que le
problème, c'est lorsque nous essayons de montrer, en fait, que la protection des droits relève d'un caractère
national, alors qu'en fait c'est
l'affirmation de prérogatives et de devoirs d'État. Donc,
c'est l'État qui doit accomplir un certain nombre de fonctions, qui doit aussi
se justifier lorsqu'il tente de faire des modifications, le gouvernement, bien sûr, qui doit se justifier au moment de faire des modifications aux lois, a fortiori si cela
perturbe, comme l'a montré, par exemple, Pierre Bosset à
cette tribune il n'y a pas longtemps,
perturbe l'équilibre des
droits.
En fait, encore une fois, c'est toujours le même principe : si l'interdépendance des
droits est remise en cause,
c'est l'édifice global, en fait, de la
structure des droits, et donc de l'État de droit, qui se retrouve également remis
en cause.
M. Jolin-Barrette : Et donc, selon
vous, on ne devrait pas inscrire la laïcité de l'État dans nos lois et dans la Charte
des droits et libertés de la personne comme valeur fondamentale de la société québécoise
et comme un outil d'interprétation en lien avec les droits et libertés
fondamentaux?
Mme Pierre (Alexandra) :
Bien, évidemment que nous sommes, à la ligue, pour la laïcité, mais il faudrait
s'entendre sur ce que signifie la laïcité.
La laïcité,
c'est lorsque les lois, les règles, les façons de s'appliquer ne sont pas
déterminées par les religions et que l'État ne favorise ni ne défavorise
une croyance ou l'incroyance. C'est l'État qui doit être laïque, pas les
individus. On veut cette laïcité-là,
mais, pour nous, elle ne s'inscrit pas dans l'habillement des individus, elle
s'inscrit dans les lois, les règles et les façons de l'appliquer de l'État.
M.
Jolin-Barrette : O.K. Mais
séparons les choses. Premier principe, le principe de laïcité de l'État. On a
une définition, à l'article 2, qui reprend une partie de ce que vous venez de
dire, notamment que l'État doit être neutre, doit
traiter, d'une façon neutre sur le plan religieux, toutes les religions. C'est
ce qu'on fait. Également, on sépare formellement l'État des religions, deuxième
principe... bien, en fait, c'est le premier, là, je les ai inversés. Troisième
principe, l'égalité de tous les citoyens et citoyennes devant la loi; et,
quatrième principe, la liberté de religion et la liberté de conscience. Ça,
êtes-vous d'accord avec cette partie-là?
M.
Nadeau (Christian) : ...de
la même manière, et là je répéterais les arguments de Pierre Bosset, c'est
qu'en fait il y a une confusion par rapport
à l'idée même de laïcité et que ce qui est proposé par le projet de loi va à
l'encontre de cette idée générale.
Nous pouvons avoir une représentation d'ensemble
sur l'idée générale, tout dépend de la manière dont elle est appliquée et ensuite du sens qu'on lui donne.
Lorsque vous présentez, par exemple, la laïcité comme une valeur, alors
là il y a déjà un problème, dans la mesure où on veut charger la notion de
laïcité d'un sens, alors que précisément elle repose
sur l'idée d'une neutralité de la procédure. Il y a bien sûr une différence
entre le principe de neutralité et le principe de laïcité, mais il n'en demeure pas moins que la laïcité, c'est un
instrument afin de rendre la société plus juste. Si la laïcité de l'État introduit des mesures qui rendent la
société injuste pour certaines de ses composantes, par exemple des
groupes précis de personnes à l'intérieur de la société, alors nous avons un
effet contraire à ce qui est normalement recherché par la laïcité.
M.
Jolin-Barrette : Mais
revenons sur le principe de base, là. Dans nos lois, là, moi, je pense que
c'est important de dire formellement,
là, qu'au Québec il y a une séparation formelle entre l'État et les religions.
Tout le monde dit ça, là. Tout le
monde dit ça, mais ce n'est présent dans aucun texte de loi. Nous, on vient
l'inscrire. Bon, vous n'êtes pas d'accord avec le volet Les personnes en
situation d'autorité qu'on interdit de porter un signe religieux, mais tassons
ça pour un instant.
Sur le
concept même de laïcité, ça, vous êtes d'accord avec nous que ça doit être dans
la Charte des droits et libertés de la personne puis que ça constitue
une valeur de la société, comme...
M. Nadeau (Christian) :
À condition...
M.
Jolin-Barrette : Non, mais
je veux juste terminer. Comme exemple, l'égalité entre les femmes et les
hommes, on s'entend qu'au Québec c'est une valeur importante de la société
québécoise à ce même titre là.
Mme
Pierre (Alexandra) :
L'égalité entre les hommes et les femmes, ça fait partie d'un certain nombre de
droits qu'on a, et la difficulté qu'on a
avec ce projet de loi, c'est la façon dont il hiérarchise ces droits-là.
Notamment, quand on parle d'égalité
hommes-femmes et qu'on prétend que cette égalité-là a une certaine préséance,
ça nous pose un problème, et ça pose d'autant plus un problème que le
projet de loi va, de fait, discriminer de façon disproportionnelle un certain
nombre de femmes, les femmes musulmanes, pour ne pas les nommer.
M.
Jolin-Barrette : Bien, je ne
suis pas d'accord avec vous, parce que nulle part on ne hiérarchise les droits.
Et, comme vous voyez, les droits s'interprètent les uns par rapport aux autres.
Bon, certains
vous diront : La Cour suprême a placé le droit à la liberté de religion
d'une façon supérieure à tous les
autres droits — je ne
ferai pas cette prétention-là ici, mais on a entendu ça, notamment, dans les
témoignages — à cause de
la jurisprudence. Mais, dans tous les cas, moi, dans la conception, c'est que
je placerais tous les droits et
libertés sur le même pied d'égalité, et les droits et libertés
s'interprètent les uns par rapport aux autres.
Et là ce qu'on fait, c'est qu'on vient insérer
la notion de la laïcité, le droit à avoir un État laïque. Ça, c'est important
pour la société québécoise, c'est une avancée. Et, vous savez, il y a plusieurs
personnes qui sont venues et qui ont dit qu'elles étaient favorables à l'interdiction
du port de signes religieux, que c'était dans la suite historique
de la démocratie québécoise. Guy Rocher a dit ça. Les juristes de
l'État, avec Julie Latour, Henri Brun, Guy Tremblay, Daniel Turp, Maurice Arbour, ont parlé d'un projet de loi sobre et substantif, mesuré et efficace, le reflet d'une société
mature qui se projette dans l'avenir.
L'Association québécoise des Nord-Africains a dit que l'interdiction du
port de signes religieux,
c'était un minimum qui garantit le bien-vivre-ensemble et la bonne
intelligence. Et même M. Bouchard a eu certains bons mots à l'égard du projet
de loi.
Alors, je me dis, en quoi ce n'est pas une
avancée d'inscrire la laïcité dans nos lois et dans notre charte?
Mme
Pierre (Alexandra) :
Parce que cette laïcité, telle que vous l'interprétez et telle qu'elle est
dans le projet de loi, va avoir des effets discriminatoires très clairs
sur un certain nombre de personnes qui portent des signes religieux et que ces discriminations-là sont réelles.
D'ailleurs,
vous parliez de cette laïcité, mais, dans ce cas-là, l'État a quand même
l'obligation de démontrer en quoi le
port d'un signe religieux porte atteinte à cette laïcité de l'État ou à la réalisation des fonctions
des fonctionnaires en état d'autorité
et des professeurs. Et il n'y a pas eu de démonstration là-dessus, il n'y a pas
eu de fait là-dessus. Donc, ça serait notre point de vue sur le projet
de loi n° 21.
Le Président (M.
Bachand) : ...s'il vous plaît.
M.
Jolin-Barrette : Pensez-vous que, Gérard Bouchard et Charles Taylor,
au moment d'écrire leur rapport, qui visait
à interdire, notamment, le port de signes religieux pour les personnes en
situation d'autorité — juges, policiers, gardiens de prison, procureurs — avec la même définition de «laïcité» que je
présente dans le projet de loi, leur intention, c'est de discriminer des
gens?
Mme Pierre (Alexandra) : Il faudrait demander à Bouchard, Taylor. Nous, ce
qu'on dit, c'est que ce projet de loi, en
l'occurrence, va impacter de façon disproportionnée les personnes qui portent
des signes religieux... dont la manière de pratiquer la religion inclut
cet aspect-là, et, dans ce cas-là, les femmes musulmanes seront
particulièrement touchées par ce projet de loi là.
M. Jolin-Barrette : O.K. Bien, je suis en désaccord avec vous, parce que ça s'applique à
tous de la même façon.
Juste une question.
Sur le projet de loi n° 62, on visait une
interdiction relativement à la réception de services pour... à visage découvert pour des motifs de sécurité,
d'identification, de communication et d'interaction. Nous, dans le projet de loi, maintenant, ce qu'on dit,
c'est : On doit s'identifier, on doit recevoir le service à visage
découvert pour des motifs de sécurité et d'identification. Êtes-vous
d'accord avec ça?
M. Nadeau (Christian) : Ce qui est déjà balisé par la Charte des droits
et libertés permet de répondre à ces cas. Ensuite, on se retrouve devant
des cas qui sont complexes et qui doivent se vérifier cas par cas. Il est très
difficile de répondre de manière générale à cette question si on en fait
simplement un principe aveugle aux réalités. Donc, ce qu'il est important de
voir... Ça, c'est une première chose.
Maintenant, pour revenir
sur votre première question, le fait qu'il y a eu plusieurs personnes qui
étaient d'accord avec le projet de loi ne signifie pas... dont plusieurs
collègues éminents, ne signifie pas pour autant que cela renforce l'autorité en
tant que telle du projet. Il y a toujours la possibilité d'une dissidence ou
d'un désaccord. C'est la raison même d'une institution comme celle-ci.
M.
Jolin-Barrette : Ah! bien, c'est pour ça qu'on vous entend et c'est
pour ça qu'on entend les gens qui sont favorables aussi.
Alors, M. le
Président, je sais que j'ai des collègues qui souhaitent poser des questions.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup, M. le ministre. Mme la députée de
Les Plaines, s'il vous plaît.
Mme
Lecours (Les Plaines) : Merci beaucoup, M. le Président. Permettez-moi
à mon tour de vous remercier d'être ici aujourd'hui, de nous donner
votre point de vue.
Écoutez,
en 2011, le Conseil du statut de la femme... Et je vais vous rappeler la
mission du Conseil du statut de la femme,
qui est un organisme gouvernemental de consultation et d'étude. Il conseille le
ou la ministre et le gouvernement du Québec
sur tout sujet lié à l'égalité, au respect des droits et au statut de la femme,
dans un objectif de justice sociale. Alors, je disais donc qu'en 2011 le Conseil du statut de la femme a produit un
avis selon lequel il appuyait une interdiction de porter des signes
religieux pour les agents de l'État et recommandait de modifier la charte
québécoise pour consacrer la laïcité de l'État.
Que pensez-vous que
notre gouvernement... devrions-nous faire avec cet avis?
• (15 h 30) •
Mme Pierre (Alexandra) : Alors, sur la question de... Désolée. Est-ce que
vous pouvez répéter votre dernière partie de la question?
Mme
Lecours (Les Plaines) : Que
pensez-vous que nous devrions faire avec cet avis, qui n'est quand même pas...
Mme
Pierre (Alexandra) : Bien, pour nous, du point de vue de la
ligue, la liberté de religion, l'égalité hommes-femmes, tous ces droits sont
des droits interdépendants.
Le
Conseil du statut de la femme a émis cet avis, et on ne serait pas d'accord
avec cet avis-là, notamment parce
qu'on considère que les signes religieux sont polysémiques, ils peuvent avoir plusieurs
sens. Ce n'est pas à l'État de s'immiscer
dans la tête des croyants et des croyantes pour donner cet avis-là, pour dire qu'est-ce qu'ils doivent faire de ces
signes-là. Nous, ce qui nous importe, c'est la laïcité et la neutralité de
l'État. S'il y a un lien qu'on peut prouver et déterminer entre ces signes religieux là et la laïcité de l'État, on est
prêts à les entendre. Mais, pour nous, il n'y a donc pas de lien entre
ces deux choses-là. Je ne sais pas si ça répond à votre question.
Mme
Lecours (Les Plaines) : Petite question additionnelle. Je vais laisser
mon collègue poursuivre après. Vous disiez
aussi que, dans le préambule, il y a évidemment la séparation des religions et
de l'État et que ça va à l'encontre... Vous considérez que ça va à
l'encontre... Pourquoi?
Mme Pierre (Alexandra) : En fait, le projet de loi là, tel qu'il a été
présenté, va à l'encontre de la neutralité de l'État et notamment parce qu'il dicte, en quelque sorte, aux croyants
comment ces croyants-là doivent ou pas exercer leurs croyances. Et on voit bien que l'idée de la
neutralité de l'État, c'est que l'État ne doit pas s'immiscer ni dans la façon
de croire ni dans la façon d'exercer sa
non-croyance. Et, pour nous, ça va donc à l'encontre de cette idée de
neutralité, puisque l'État dicte quel signe est valable ou si un signe
religieux... comment on peut le porter et à quel moment, etc.
Ce
qui est important pour nous, c'est de savoir, lorsqu'un fonctionnaire en
autorité ou un professeur est devant une personne à qui il est en
interaction, s'il est capable de faire ce travail-là, et on ne peut pas
présumer que le port d'un signe ait une quelconque influence sur son travail.
Pour nous...
Le Président (M. Bachand) : ...parce que
le temps file. Le député de Chapleau a la parole pour une minute, s'il vous
plaît. Rapidement.
M. Lévesque
(Chapleau) : ...M. le Président. Donc, bonjour, tout le monde.
Une
petite question rapide : Dans la mesure où la Charte canadienne des droits
réfère à la suprématie de Dieu, vous ne pensez pas qu'il serait
opportun, voire pertinent que la charte québécoise réfère justement, elle, à la
laïcité? Il n'y a pas une certaine incongruité là?
M. Nadeau (Christian) : En fait, qu'il y ait la volonté... et on revient
sur une question qui nous a déjà été posée, qu'il y ait une volonté d'inscrire la laïcité, à la limite, nous pouvons
en convenir. Le problème n'est pas là. Le problème, c'est qu'à partir du
moment où on veut définir un certain type de laïcité qui, lui, serait
incompatible avec la vision d'interdépendance des droits, selon nous, bien
sûr... et, en ce sens, nous pensons que le concept de laïcité se trouve falsifié, c'est-à-dire qu'il est utilisé pour des
finalités qui ne sont pas celles pour lesquelles le concept existe en
réalité. Donc, la querelle ne devrait pas
être sur la présence du mot, la querelle devrait être sur le sens de
l'utilisation de ce mot dans un dispositif législatif.
Le Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Je cède maintenant la parole à la
députée de Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
Mme David :
Merci beaucoup. Bonjour, messieurs madame. Merci beaucoup d'être ici.
Écoutez,
c'est peut-être un scoop qu'on a, mais on a le mémoire, tout chaud encore, du
Conseil du statut de la femme de mai
2019. Donc, on réfère beaucoup à 2011, mais je vais vous lire maintenant la
position du Conseil du statut de la femme et je voudrais avoir, donc,
vos commentaires, parce que c'est quand même un conseil gouvernemental qui est
très respecté et donc auquel la CAQ se réfère souvent. Donc, ils vont devoir se
mettre à jour par rapport à ça.
Alors,
«considérant que les inégalités entre les femmes et les hommes de même qu'entre
les femmes que génère l'interdiction de
signes religieux dans l'exercice de certaines fonctions», considérant «les
difficultés à identifier les signes religieux»,
considérant «les questions qui subsistent quant aux répercussions du port de
signes religieux par le personnel du
milieu scolaire sur les élèves», considérant «le fait que le foulard islamique
revêt différentes significations pour les femmes qui le portent, ne
représentant pas pour certaines d'entre elles un symbole d'infériorisation et
de soumission des femmes, le conseil
recommande au gouvernement [...] d'identifier les signes religieux visés par
une interdiction du port dans
l'exercice de certaines fonctions; [...]de veiller à la réalisation d'études et
de consultations afin de clarifier pour les autres fonctions exercées au
sein de l'État — à
part celle de l'autorité coercitive, avec laquelle ils sont en accord, donc — les arguments pouvant fonder l'interdiction
de port de signes religieux; [et de] cerner les effets du port de signes
religieux par l'ensemble du personnel des écoles».
Donc,
il est très clair qu'ils sont contre l'élargissement au milieu scolaire, alors,
ce qui est une position évidemment importante quand ça vient du Conseil
du statut de la femme.
Évidemment,
je peux présupposer que vous êtes d'accord avec la partie qui concerne les
écoles, parce que vous êtes contre
l'interdiction de port de signes religieux pas mal partout, mais je voulais
justement voir, en lien avec ce que le conseil
vient de dire, quel est le lien que vous pouvez faire avec la notion souvent
mal comprise — et, comme
vous y référez, vous êtes très bien placés pour l'expliquer — celle
du racisme systémique.
M. Nadeau (Christian) : Alors, d'une part, évidemment, nous ne pourrons
pas réagir au mémoire, que nous, nous ne connaissons pas, mais tout ce
que nous pouvons dire, c'est qu'il serait très dangereux pour l'État de jouer à
un jeu d'identification de ce qui est un
signe religieux et ce qui ne l'est pas. Ça nous semble très problématique. Je pense
que la question a été déjà discutée. Est-ce que, par exemple, cet anneau est un
signe religieux? Est-ce qu'il ne l'est pas? Ça peut devenir extrêmement
complexe et très hasardeux et ouvrir la porte à un très grand arbitraire.
Maintenant,
par rapport à la question du racisme systémique, je laisserai à d'autres le
soin de compléter ma réponse, mais ce
que nous voyons, en fait, c'est qu'à partir du moment où il y a une forme de
discrimination qui serait indirecte mais qui a un effet très clair sur un groupe de personnes en particulier, les
femmes musulmanes, alors ça nous semble la preuve que ce que nous essayons de faire dans notre
société, c'est loin de réfléchir à la problématique du racisme
systémique, mais, au contraire, par la
modalité, donc, d'un projet de loi, de l'instituer, et ça, ça nous semble
totalement inacceptable. Encore une
fois, il faut rappeler ce qu'est le racisme systémique. Ça n'a absolument rien
à voir avec le fait que des individus soient racistes ou aient une conscience ou un projet racistes en tant que tels.
Le racisme systémique, c'est le mode de fonctionnement des institutions qui donne lieu à des effets que nous
pouvons juger comme étant racistes. Je ne sais pas si tu veux compléter.
Mme
Pierre (Alexandra) : Bien, j'aimerais compléter en disant aussi
que ce racisme systémique affecte de nombreux
droits. Dans le cas présent, on peut penser aux femmes musulmanes, entre
autres, qui vont être privées d'un certain
nombre de métiers, donc potentiellement du droit au travail, notamment celles
qui sont... ou qui veulent devenir professeures,
et tout ça est relié aussi au droit à un revenu décent et à toute la question
de la notion d'égalité, donc mêmes fonctions
mais avec des droits différents, notamment quand on pense à la clause
grand-père, où est-ce que certaines vont pouvoir avancer dans leur carrière, et d'autres non, en lien avec ce
signe religieux là et jamais en lien avec leurs compétences, jamais en lien avec les interactions qu'elles peuvent avoir
avec les élèves, par exemple, puisqu'encore une fois la preuve n'a pas été faite... de lien entre les signes religieux
et une quelconque influence, ou etc. Donc là, il y a aussi une atteinte
à l'égalité. Pour nous, c'est extrêmement dangereux.
Mme David : Je continue.
Il y a un paragraphe à la page 12 du mémoire du Conseil du statut de la
femme : «Ainsi, le conseil
reconnaît l'importance de prendre en considération la diversité des points de
vue sur la signification du foulard islamique de même que l'impact de son
interdiction eu égard aux enjeux d'égalité — donc, égalité hommes-femmes. Il souhaite que des efforts continuent d'être
déployés pour trouver les meilleures façons de poursuivre les idéaux de
la société québécoise en matière d'égalité et de justice sociale.»
Je
ferais référence à la page 3, ce que vous dites comme titre d'un chapitre, qui
est Ce que le projet de loin° 21
veut faire, mais ne dit pas : forger
une «identité québécoise» au détriment du pluralisme et des minorités, et je citerais le premier ministre, qui a dit justement en entrevue... Le
premier ministre justifie l'utilisation de la clause dérogatoire par la
nécessité de protéger les valeurs, notre
langue, protéger ce qu'on a de différent au Québec. «Ce n'est [pas] une
décision facile, mais je pense qu'il faut [le faire pour] protéger notre
identité.»
Alors,
je trouve qu'il y a là différents
points de vue sur une chose qu'on appelle l'identité québécoise.
J'aimerais vous entendre.
• (15 h 40) •
M.
Nadeau (Christian) : Ce que nous voyons comme motivation... et
d'ailleurs notre présentation porte à la fois
sur le projet de loi, mais aussi est une réponse à différents arguments que
nous avons entendus à la fois ici et dans l'espace public, qui tentent
de justifier, en fait, ce projet à la fois par un souci d'une majorité et,
d'autre part, par une espèce de vision d'une
identité collective qui serait totalement homogène et qui a une certaine
représentation des choses où le pluralisme est exclus, le pluralisme
étant identifié à d'autres modèles de valeurs, comme si, au Québec, nous n'étions pas déjà de facto une société plurielle,
quelque chose dont nous devrions nous enorgueillir au lieu de vouloir,
au contraire, le contraindre.
Donc,
je pense qu'effectivement ce qu'il faut, c'est éviter toute forme de référence
à un soi-disant idéal d'identité qui serait vu comme étant celui d'un
souci de la majorité qu'il reste, d'ailleurs, à démontrer.
Une voix :
...
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de
Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît. Pardon.
Mme
Robitaille : Bonjour. Merci d'être avec nous aujourd'hui. Moi, je vous
écoute et j'aimerais savoir... À la lumière de ce que vous dites, si je
comprends bien, cette idée d'interdiction du port des signes religieux est
quelque chose d'inutile qui va, en fait, causer des divisions, qui va, en fait,
causer des problèmes.
Selon
vous, et j'aimerais vous entendre là-dessus, quelle est la conséquence d'une
loi comme ce projet de loi n° 21 sur notre société québécoise?
Mme
Pierre (Alexandra) : Bien, je pense qu'il y a plusieurs
conséquences. Déjà, il y a des conséquences directement sur les personnes
concernées, leurs droits vont être bafoués, on l'a expliqué... droit à
l'égalité, droit à un revenu décent, droit au travail dans certains cas. Ça,
c'est directement une des conséquences du projet de loi.
Une autre conséquence
du projet de loi, c'est d'alimenter un climat extrêmement toxique. Pour nous,
c'est quand même un élément important. Et aussi toute la question du processus,
notamment cette commission, l'éventuel recours
à la clause dérogatoire, pour nous, c'est très... puis juste le fait que,
probablement, ce projet de loi là ne va pas passer d'une façon consensuelle à l'Assemblée nationale.
Pour nous, de banaliser comme ça la Charte des droits et libertés...
C'est extrêmement important. La charte est un texte quasi constitutionnel que
les Québécois et Québécoises se sont donné en 1975 pour établir cette société
de droit dans laquelle nous vivons. Donc, ça, pour nous, c'est aussi une... Le
processus, et le fait de banaliser donc cette charte-là, est aussi extrêmement
inquiétant, pour nous.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la députée, s'il vous plaît.
Mme
Robitaille : Et quel message vous pensez que ça envoie, ça, aux
communautés immigrantes, aux différentes communautés culturelles?
Mme
Pierre (Alexandra) : Bien, pour nous, c'est clair qu'une
nation, une société ne peut pas se bâtir par la négative, en écartant un certain nombre de groupes sociaux et en
fragilisant leurs droits fondamentaux. Le Québec peut et doit se bâtir sur un projet positif qui ne viole pas
les droits fondamentaux et qui se base sur cette charte, sur les
principes de cette charte qu'on s'est donnée collectivement. Ça envoie un bien
mauvais message, notamment en regard de cette question
de racisme systémique, sur qui est vraiment Québécois et Québécoise et qui ne
l'est pas. Pour nous, c'est troublant sur une question de droits, de
droits fondamentaux, mais sur la question sociétale aussi.
Mme
Robitaille : Le fait qu'on veut interdire les signes religieux et on
ne définit pas c'est quoi, un signe religieux, j'aimerais vous entendre là-dessus. C'est quoi, pour vous, un...
justement, c'est quoi, le danger? C'est quoi, un signe religieux?
Mme
Pierre (Alexandra) : ...danger, c'est que l'État définisse
qu'est-ce qu'un signe religieux, puisque ça reviendrait
à dire aux croyants et aux non-croyants comment exercer, en quelque sorte, leur liberté de conscience.
C'est d'ailleurs un des problèmes de cette
loi-là. Est-ce qu'une main de Fatima que j'aurais achetée, dans mon voyage au
Maroc, comme souvenir... comment ce sera interprété, alors qu'un autre va
l'avoir pour une autre raison? Ou, la croix que ma grand-mère m'aura donnée en héritage, est-ce
que c'est ça, un signe religieux? Puis comment on fait pour... C'est un
gros problème, pour nous.
M.
Nadeau (Christian) : Et
surtout, je vous dirais, c'est qu'indépendamment même de la difficulté
d'interpréter ce qu'est un signe religieux le fait même que l'État souhaite
définir, s'il le souhaitait, ce qu'est un signe religieux est contradictoire
avec l'idée même de la laïcité.
Mme
Robitaille : Je vous écoute.
En fait, j'en conclus qu'il n'y a pas d'urgence, en fait, qu'il n'y en a pas,
de problème, que cette loi-là, de la façon dont elle est écrite, va créer beaucoup
plus de problèmes qu'elle va aider à une cohésion sociale.
M.
Nadeau (Christian) :
...c'est qu'il y a peut-être une urgence, mais ce n'est pas celle à laquelle
nous pensons. C'est-à-dire qu'en fait
il y a peut-être une urgence qui consisterait à avoir un calcul politique, à
essayer de voir quelle serait la meilleure stratégie pour alimenter ou
remettre sur la table un débat qui n'a pas lieu d'être, parce que précisément
il n'y a pas de problème...
Le Président (M.
Bachand) : En terminant.
M. Nadeau (Christian) :
Et voilà, donc.
Le Président (M.
Bachand) : Merci. M. le député de Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti : Merci, M. le Président.
Merci beaucoup pour votre présence ici.
Selon vous,
qu'est-ce qui va se passer si ce projet de loi là est adopté? C'est-à-dire, en
termes de recours légal ou de lutte pour les droits et libertés, comment
entrevoyez-vous la suite si le projet devait être adopté comme il est?
M.
Nadeau (Christian) : Alors,
il peut y avoir plusieurs stratégies, d'accord? Je ne vais pas être devin en
essayant de voir quelles seront celles des
autres groupes. Il va y avoir des stratégies qui pourront être juridiques. Il y
aura des moyens d'action politique, mais ce qui peut être certain, en
tout cas, quand on pense à qu'est-ce qui va se passer, c'est plutôt qu'elles
seront les victimes.
C'est-à-dire,
avant même de penser à la manière dont nous allons nous défendre, ce qu'il faut
essayer de voir aussi, c'est que
d'emblée il y a des victimes et ces victimes sont déjà présentes, parce que, le
simple fait d'interpeller un groupe en particulier
et de le mettre sur la sellette et sans cesse d'alimenter un discours qui, au
final, ne veut rien dire d'autre qu'une forme de xénophobie, alors nous nous retrouvons avec des victimes
directes, quels que soient les effets même immédiats, structurels du
débat. Donc, il y a, si vous voulez, comme une espèce d'effet performatif, en
fait, de ces débats, qui s'éternisent et qu'on veut résoudre tout simplement en
aggravant...
Mme Pierre (Alexandra) :
Si je peux rajouter aussi. Je pense qu'une des conséquences directes, ça va
être d'affaiblir la charte, d'affaiblir l'État de droit dans lequel on se
trouve, et qu'on veut valoriser, en quelque sorte. Les différentes modifications
à la charte, tout au long de l'histoire, ont toujours été pour bonifier la
charte, c'est-à-dire pour accorder des
nouveaux droits. Là, on est complètement dans une logique différente, et ça, je pense que
ça va être une conséquence très claire de ce projet de loi et de
l'ensemble du processus, par ailleurs, autour de ce projet de loi.
Le Président (M.
Bachand) : M. le député, s'il vous plaît.
M.
Zanetti : Merci. C'est très
éclairant, la question de «ça va affaiblir la charte et l'État de droit». Les
conséquences pour les autres, à part
les personnes qui portent des signes religieux... Est-ce que vous voyez des
conséquences plus larges, pas pour...
Parce qu'on parle beaucoup des minorités, mais, en fait, c'est les droits de
la personne qui sont attaqués, et tout le monde est une personne au Québec,
là. Alors, c'est quoi, plus largement, les conséquences?
M.
Nadeau (Christian) : Pour
nous, en fait, c'est : à partir du moment où on interroge ou qu'on
confronte un principe comme celui de
l'interdépendance des droits, ce qui est remis en cause, c'est ce qui fait même
le lien social. Donc, lorsqu'on veut essayer de penser à un projet
collectif et que ce qui est remis en cause, c'est ce qui permet, en fait, la communication entre les personnes et... ou, au
contraire, qui renforce l'exclusion, alors on se retrouve exactement à
l'inverse de ce que nous pourrions appeler
construire une société. En fait, on détruit une société dans la mesure où on
fait ce qu'on fait. C'est qu'on joue
à choisir ce qui nous semble compatible avec une certaine idée de ce qu'est la
société, et, du coup, nous séparons, en fait, les personnes plutôt que
les unir.
Le
Président (M. Bachand) :
Merci. Malheureusement, c'est tout le temps qu'on a. Je tiens à vous
remercier pour votre collaboration et votre implication au niveau des travaux
de la commission.
Je suspends les travaux quelques instants, et
après nous allons accueillir le Rassemblement pour la laïcité. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 15 h 49)
(Reprise
à 15 h 52)
Le
Président (M. Bachand) : À l'ordre, s'il
vous plaît! La commission reprend ses travaux.
Je souhaite maintenant
la bienvenue au Rassemblement pour la laïcité. Je vous invite à prendre la
parole pour une période de 10 minutes, et après ça nous aurons une période
d'échange avec les membres de la commission. Alors, à vous la parole, s'il vous
plaît.
Rassemblement pour la laïcité (RPL)
Mme
Sirois (Michèle) : Merci. Je suis Michèle Sirois et je suis
accompagnée de Claude Kamal Codsi. Nous coordonnons ensemble le Rassemblement
pour la laïcité.
Depuis
la Révolution tranquille, la laïcité est au coeur de la modernisation de
l'État. Le projet de loi n° 21 est une étape majeure pour la Québec afin de formaliser la laïcité dans une loi
et l'enchâsser dans la charte québécoise. En 2007, lors de la création de la commission
Bouchard-Taylor, le premier ministre Jean Charest a fait une déclaration
officielle quant aux valeurs qui sont
prioritaires pour la société québécoise. Je cite : «L'égalité entre les
femmes et les hommes, la primauté du français et la séparation entre
l'État et la religion constituent des valeurs fondamentales. Elles ne peuvent
faire l'objet d'aucun accommodement. Elles
ne peuvent être subordonnées à aucun autre principe.» Jean Charest rappelait
alors ce qui est considéré comme les valeurs fondatrices du Québec moderne.
Ainsi, la laïcité est un projet de la société québécoise qui transcende les
partis politiques au pouvoir, depuis plus de 30 ans.
Le projet de loi sur
la laïcité de l'État s'appuie sur quatre principes. Le premier principe énoncé
dans le projet de loi n° 21 est la séparation entre
l'État et la religion, qui a pris la forme, au Québec, d'un mouvement de déconfessionnalisation progressive des
institutions de l'État. Le second principe est la neutralité religieuse, qui
doit être une neutralité de fait,
sans prosélytisme, mais elle doit aussi être une neutralité d'apparence. En
fait, cela se vit tous les jours pour
ce qui est de l'interdiction d'afficher ses préférences politiques,
conformément à la Loi de la fonction publique. Dans les sociétés plurireligieuses, on doit élargir ce
devoir de réserve en interdisant d'afficher également ses préférences
religieuses et en mettant les lois
démocratiques au-dessus des règles religieuses. Le troisième principe affirme
l'égalité de tous les citoyens et citoyennes. Nous sommes heureux que la
valeur d'égalité entre les femmes et les hommes ait été prise en compte dans le projet de loi n° 21.
L'État laïque s'appuie aussi sur l'égalité de tous les citoyens, qui peuvent
jouir des mêmes droits et assument les mêmes responsabilités. L'État ne
doit accorder aucun privilège à aucune conviction spirituelle. Ainsi, tous les citoyens, qu'ils soient de sexe féminin ou
masculin, croyants ou non, homosexuels ou hétérosexuels, Blancs, Noirs, Métis, ou autres, qu'ils soient de
souche ou nouvellement arrivés, tous les citoyens ont droit au même
accès aux services gouvernementaux, au même traitement devant les tribunaux et
à l'exercice, sans entrave, des mêmes libertés fondamentales. Enfin, le
quatrième principe est la liberté de conscience et la liberté de religion.
Le Rassemblement pour
la laïcité soutient la liberté religieuse conformément à l'article 3 de la
charte québécoise, mais ce droit fondamental
implique aussi un devoir, celui de respecter les droits des autres. La liberté
religieuse des employés de l'État doit
s'exercer dans le respect de la liberté de conscience de l'ensemble des citoyens, puisque c'est aussi une liberté reconnue par le même article 3.
La
question fondamentale est la suivante : Que faire quand des
droits s'opposent? La réponse relève du simple bon sens : établir un territoire neutre où les citoyens vont se sentir respectés,
quelles que soient les croyances des employés de l'État, un terrain neutre où les citoyens de toutes origines vont
pouvoir interagir de façon pacifique. Cela est encore plus important à
l'école pour respecter le droit à la liberté de conscience des enfants et de
leurs parents. Dans un rapport de recherche
de la Commission des droits de la personne, on notait que le
crucifix était attentatoire à la liberté de conscience des enfants, qui constituent une clientèle captive
et vulnérable. Alors, que dire des signes religieux portés par des
professeurs qui exercent une autorité, des
profs qui constituent des modèles pour les enfants et avec qui les enfants
entretiennent une relation affective?
La loi 101, votée en 1977, a contribué à apaiser les conflits linguistiques, et nous parlons maintenant avec
fierté des enfants de la loi 101. Dans quelques années, ce sera aussi une
fierté de parler des enfants de la loi n° 21,
des enfants à qui le Québec aura offert enfin une école laïque, neutre, ouverte
à toutes et à tous, sans égard à leur appartenance religieuse.
M. Codsi (Claude Kamal) : Ce projet
de loi affirme que l'État du Québec
est laïque. Cette laïcité-là exige que les institutions parlementaires,
gouvernementales et judiciaires respectent les énoncés et les principes de la laïcité,
notamment la neutralité religieuse de l'État, dans les faits et dans les
apparences.
Or,
la neutralité de l'État n'est pas désincarnée. Elle s'incarne par son personnel,
comme l'a reconnu elle-même la
Cour suprême du Canada. Et, pour que l'État soit neutre et ne favorise
aucune religion en fait et en apparence, son personnel doit être neutre, que ce soit dans ses décisions
ou dans son apparence, de là la logique de l'interdiction d'affichage de
signes religieux aux employés de l'État, qui
sont au service de l'ensemble des citoyens. C'est d'ailleurs
la même logique que celle du devoir de réserve et de neutralité qui est
exigé de tous les fonctionnaires de l'État pour ce qui est de leurs opinions politiques,
qu'ils ne peuvent pas afficher pendant leurs heures de travail.
Le Rassemblement pour
la laïcité salue aussi l'intention du gouvernement d'inclure le principe de la laïcité
dans la charte québécoise
des droits et libertés, de recourir à la clause dérogatoire et d'exprimer ainsi
sa détermination à proposer un modèle de gestion du rapport du religieux
avec l'État qui soit propre au Québec, à son histoire et à son évolution.
Lorsqu'il est question d'établir des équilibres entre les droits
individuels et les droits collectifs dans une société en constante évolution,
le rôle du législateur devrait primer, et le politique devrait avoir préséance sur
le judiciaire.
D'autre
part, on ne saurait trop insister sur le fait que cette interdiction porte seulement
sur l'affichage de signes religieux pendant
les heures de travail d'un sous-ensemble des employés de l'État. Le gouvernement a, en effet, choisi d'imposer cette obligation
de neutralité d'affichage seulement aux personnes en situation d'autorité
coercitive et aux directions et
enseignants des écoles du primaire et du secondaire du réseau public. Nous
comprenons que le gouvernement du Québec a choisi la voie du compromis
en décidant d'avancer sur la voie de la laïcité et en limitant l'interdiction d'affichage à ces catégories d'emploi. L'inclusion
des enseignants reconnaît que l'école publique est le lieu de
l'éducation laïque. Dans cette logique, nos
enfants, qui sont à l'âge vulnérable de la construction de leurs croyances, de
leur jugement, de leur identité et de leurs convictions, n'ont pas à
être exposés à des signes religieux portés en permanence par leurs enseignants,
qui sont aussi des modèles et des figures d'autorité. Il y va de la liberté de
conscience des enfants. Le Rassemblement
pour la laïcité recommande que cette obligation de neutralité soit étendue à
tout le personnel de l'école, des services de garde aux services
spécialisés, et ce, dans un souci de cohérence.
Aussi,
et compte tenu de la volonté du gouvernement d'autoriser certains enseignants à
afficher leur appartenance religieuse
à travers une clause grand-père, le rassemblement recommande, au nom de la
liberté de conscience des élèves et des parents, de prévoir un mécanisme
par lequel les parents et leurs enfants pourront recevoir, s'ils le souhaitent,
des services qui respectent la neutralité de l'État.
Ce
projet est modéré mais constitue quand même une percée importante et un minimum
en ce qui a trait à l'idéal de la laïcité de l'État. Nous comprenons
cependant le souci du gouvernement d'y aller avec précaution, surtout dans le
contexte nord-américain et multiculturaliste, qui comprend mal les intentions
de la laïcité et qui lui a toujours préféré l'affichage
multiconfessionnel en guise de neutralité. Selon nous, la laïcité est davantage
porteuse d'harmonie, de cohésion sociale dans des sociétés
multiconfessionnelles qui sont la réalité de nos jours.
Alors, en conclusion,
nous disons oui au projet de loi n° 21 sur la laïcité, qui constitue un
minimum et qui est largement appuyé par la population. Nous allons appuyer le
gouvernement dans sa démarche, même si nous aurions souhaité aller un peu plus
loin, et nous allons insister pour que les améliorations que nous proposons
soient prises en compte pour assurer une
plus grande cohérence dans l'application de la laïcité de l'État, parce que la
laïcité, c'est un des socles de la
démocratie et une condition essentielle de l'harmonie et du mieux-vivre
ensemble dans une société de plus en plus diversifiée, pluraliste, multiethnique
et multiconfessionnelle.
En
terminant, je voudrais vous dire qu'en tant qu'immigrant et fils d'immigrant,
pour moi comme pour beaucoup d'autres immigrants, ce projet de loi est
perçu comme un véritable cadeau. Merci.
• (16 heures) •
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Avant d'aller plus
loin, j'aurais besoin d'un consentement unanime pour ajouter cinq minutes à la
séance d'aujourd'hui.
Des voix :
Consentement.
Le
Président (M. Bachand) : Consentement. Merci. M. le ministre,
s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Oui. Merci, M. le Président. Mme Sirois, M. Codsi, bonjour, merci
pour votre présentation ici, au salon
bleu, sur le projet de loi n° 21. Vous êtes nos derniers invités à
témoigner, et je pense qu'on boucle la boucle des consultations avec
vous. Alors, merci de votre présence.
Tout
au long des consultations que nous avons eues, on a beaucoup de gens qui sont
venus nous dire : Écoutez, le Québec
est déjà laïque, le Canada est déjà laïque. De facto, c'est comme ça. Ça ne va
rien apporter de plus de faire une loi sur la laïcité ou d'inscrire la
laïcité dans la Charte des droits et libertés de la personne.
Pourquoi, pour vous,
c'est pertinent qu'il y ait une loi sur la laïcité et qu'on l'inscrive dans la
charte?
M. Codsi (Claude Kamal) : D'abord, M. le ministre, vous mentionner que la
laïcité du Canada anglais n'est pas la laïcité
du Québec. On a fait un petit passage là-dessus. Nous avons une approche
spécifique, au Québec, et nous n'avions pas défini formellement la
laïcité.
Une
des avancées qu'apporte ce projet de loi, c'est qu'il définit la laïcité, comme
l'a mentionné Mme Sirois, avec plusieurs
axes, et la neutralité de l'État puis l'égalité des hommes et des femmes, etc.
Il la définit premièrement. Il l'inscrit comme un élément fondateur en l'inscrivant dans la Charte des droits et
libertés, et, à cet égard, elle va devenir une source d'éclairage lorsqu'il est question de quoi que ce
soit, lorsqu'il est question aussi d'accommodements, et nous trouvons
que c'est une très heureuse percée et c'est
l'établissement d'un nouveau droit, pour nous, un nouveau droit collectif, et
c'est à cet égard que nous disons que...
C'est sûr qu'il y a plusieurs intervenants qui parlent de limiter les droits
individuels, mais, quand on définit
un nouveau droit collectif, bien, il faut lui faire de la place. C'est-à-dire
que, dans tous les cas de droit, moi, j'ai
le droit de m'exprimer, mais je n'ai pas le droit de diffamer. Donc, ma liberté
d'expression va s'arrêter à un moment donné.
J'ai le droit de me promener, mais je ne peux pas aller sur le terrain du
voisin. Et on crée... en fait, on reconnaît, plutôt, un nouveau droit,
qui est le droit à la laïcité de l'État, et, en ce faisant, on limite de façon
très chirurgicale les droits de ceux qui
sont dans l'exercice de leurs fonctions pour reconnaître le droit à la laïcité
de tous pendant leurs heures de travail. Alors, quand on en fait un
immense enjeu, il faut peut-être ramener ça à sa juste mesure.
M. Jolin-Barrette : Donc, pour vous, c'est véritablement un équilibre, dans le fond. J'ai
bien aimé votre exemple au niveau de
la liberté d'expression versus la
diffamation. Vous dites : C'est un peu la même chose, il s'agit d'un
équilibre, donc c'est quelque chose qui est pondéré et qui vient s'appliquer mais qui fait un équilibre
entre les droits individuels et les droits collectifs. C'est un peu ça,
le sens de votre propos.
M. Codsi (Claude Kamal) : Absolument. Puis la responsabilité de cela n'incombe
pas aux cours. C'est-à-dire, la
cour va interpréter le droit existant. Vous reconnaissez un nouveau droit
collectif et vous devez l'établir et le définir pour que les cours, qui
naviguaient une peu à l'aveuglette, puissent l'appliquer. C'est le bon sens.
M. Jolin-Barrette : Dans votre mémoire, vous dites que le rapport Bouchard-Taylor ne va
pas assez loin au niveau de
l'interdiction des signes religieux, parce que, dans Bouchard-Taylor, ils ne visent pas les enseignants
comme nous, on vise dans le projet de loi n° 21...
Pourquoi est-ce que les enseignants devraient être visés par le projet de loi n° 21?
M. Codsi (Claude Kamal) : Pour plusieurs raisons. La première raison, c'est
que, si vous regardez un peu dans le monde, là, toutes les chartes de
laïcité, tous les mouvements s'attaquent à l'école, parce que c'est la
clientèle la plus vulnérable. On veut bien,
et on l'a reconnu à plusieurs égards, reconnaître comme dans Bouchard-Taylor
les droits des accusés, des intimés,
des détenus, qui sont des adultes qui pourraient se défendre. Ils peuvent se
défendre, ces gens-là. Mais, les
droits et la liberté de conscience des enfants, qui va les défendre, donc? Et
les enseignants sont des figures d'autorité
et les enseignants diffusent des messages, et nous croyons profondément que
l'école, comme bras de l'État, devrait refléter la laïcité de l'État.
M. Jolin-Barrette : O.K. En raison de la figure particulière de l'influence, pour les
enseignants ainsi que pour toutes les
autres personnes qui portent des signes religieux et qui sont visés par
l'interdiction dans le cadre du projet de loi, on prévoit une clause de
maintien en emploi, une clause de droits acquis.
Dans le mémoire, vous
dites : Écoutez, on n'est pas très favorables à la clause de droits
acquis. Pourquoi?
M. Codsi (Claude
Kamal) : La première chose qui a été soulignée par plusieurs
intervenants, c'est que ça crée un peu deux
catégories difficiles à gérer dans les organisations. Nous comprenons qu'il y a
des enjeux d'emploi, là, nous comprenons cela, mais, dans un monde
idéal... Je ne sais pas comment vous dire ça. Quand on a eu la loi sur l'interdiction de la cigarette, est-ce qu'on a
maintenu en emploi... et on a maintenu les gens qui fumaient déjà depuis
de très nombreuses années et pour qui
c'était un besoin immense? On les a maintenus en emploi, et ça a été... On a
établi la loi, ils s'y sont
conformés. Et ce qu'on dit dans notre rapport, c'est qu'on comprend et on
voudrait qu'il y ait, idéalement, un délai pour lequel tout le monde
soit conforme à cet idéal qui constitue la laïcité de l'État.
M. Jolin-Barrette : Je reviendrai. Je sais que j'ai des collègues qui veulent poser des
questions. S'il reste du temps, je reviendrai, M. le Président.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de
Nicolet-Bécancour, s'il vous plaît.
M.
Martel :
...merci pour votre très bon témoignage. Je veux profiter de l'occasion pour...
Je suis un membre permanent de la commission,
et ça adonne que, ma première et seule intervention, je dois la faire avec les
derniers invités, mais je veux
mentionner, féliciter le travail de mon collègue ministre, de l'opposition. Je
veux vous dire que je suis très, très fier
de faire partie d'un Parlement qui est capable de parler de sujets aussi
émotifs que ça dans un très, très grand respect. Donc, je vous exprime
ma fierté, chers collègues.
Juste
une petite question. Vous comprenez que, très délibérément, on a mis la clause
dérogatoire à l'intérieur du projet
de loi. Certains pensent que, même si on fait ça... Puis nous, on a un objectif
d'essayer de clore ce dossier-là, qui traîne
depuis très longtemps. Certains disent que ça ne réglera pas le problème, les
tensions sociales, le débat va continuer. Je pense que vous penchez un peu du même avis que nous, que la clause
dérogatoire était utile. Est-ce que vous pouvez vous exprimer par
rapport à ça?
• (16 h 10) •
M. Codsi (Claude
Kamal) : On a conclu au bout de nombreuses années que, chaque fois
qu'on posait un geste, y compris un geste
pour avoir des services au visage découvert, deux semaines après, cette volonté
exprimée par le gouvernement précédent, le gouvernement du Parti libéral,
était mise en brèche et suspendue. À chaque fois que le législateur veut poser
un geste, en vertu de droits et libertés et des chartes, ce geste-là est
contrecarré.
Et
là on parle d'une situation, comme on le mentionnait, où on reconnaît une
nouvelle réalité pluraliste qui exige une
action et une nouvelle définition des choses. Dans ce contexte-là, on estime
que... et puis, en considérant le nombre d'années et en considérant le fait, comme on l'a déjà
écrit dans notre mémoire, qu'on voudrait que ceci prenne le temps d'être vécu et d'être assimilé et qu'on voit dans
cinq ans de quoi il s'agit, nous sommes tout à fait en faveur de
l'utilisation et de l'invocation de la clause dérogatoire.
Mme
Sirois (Michèle) : Est-ce que je peux
ajouter quelque chose?
Une voix :
...
Mme Sirois (Michèle) : O.K. Merci. J'ai entendu beaucoup
d'auditions, et puis il y a eu des débats autour de la clause dérogatoire qui étaient avec une connotation juridique. Et puis moi, je suis
anthropologue et j'ai enseigné plusieurs années la sociologie. Je pense que c'est la dimension sociale qui, en tout cas, pour moi, m'intéresse dans cette clause. Et, comme Claude Kamal
l'a mentionné, aussitôt que la loi n° 62 est arrivée,
il y a eu des contestations qui ont gelé l'application. Alors donc, ça nourrit continuellement... Ça fait
plus de 30 ans qu'on revient toujours sur quelque
chose, puis on n'aboutit pas. Et la population, de plus en plus, devient... Il
y a des gens qui veulent... de toutes origines, de toutes origines. Dans le rassemblement, il y a
des gens de toutes origines et qui veulent que ça avance au Québec.
Ils ne veulent pas se retrouver dans
la société comme on était dans la société
soit au Québec traditionnellement ou dans leur société, ils veulent que ça
avance et qu'il y ait un respect.
Et
on ne parle pas beaucoup de la liberté de conscience. On parle toujours
de la liberté religieuse des employés, mais,
la liberté de conscience, je n'ai pas entendu beaucoup de gens la défendre,
et ça semble être négligeable. Pourtant, pourquoi on hiérarchise les
libertés religieuses avant les autres? Puis, la liberté des enfants, on en fait
quoi? Est-ce que la liberté des prisonniers, c'est plus important... liberté de conscience des prisonniers que la liberté des enfants?
Ça continue toujours. MM. Bouchard-Taylor... hein, Bouchard, puis après Taylor
a quitté le bateau, là, mais il parlait seulement que de la coercition, des employés avec
coercition, mais qu'est-ce qu'il venait nous dire? Il venait nous dire que
c'était une atteinte aux libertés de conscience quand il y avait des employés
avec une autorité coercitive. Ces mêmes signes
là, qui causent problème quand ils sont juges, gardiens de prison,
policiers, ne causeraient plus de problème
quand ce sont des enfants? Eh bien, moi, je pense qu'il a vraiment déconnecté
de ce que c'est vraiment, un signal.
J'ai
entendu aussi beaucoup de gens qui parlaient des signes polysémiques. Ça
veut dire toutes sortes de
choses. Peut-être que la personne... il y a toutes sortes de personnes qui ont
dans leur tête différents sens, mais les personnes qui reçoivent, elles, elles ont un sens qu'elles donnent, et c'est ce
sens-là, c'est le citoyen ou c'est l'enfant. Et, même si on dit : Ah! mais c'est un professeur qui ne va
pas influer sur les enfants, n'a pas d'acte de prosélytisme, j'espère, mais
ça ne veut pas dire... Parce que
l'enfant, lui, il n'est pas bête. L'enfant, lui, a des cours d'éthique et
culture religieuse, il a des manuels avec moult photos. Il a juste à
identifier : Que veut dire ce signe que je vois sur la tête de mon
professeur? Je regarde dans mon livre
et j'ai le code pour décoder qu'est-ce
que veut dire le message. Donc, ce ne
sont pas des vêtements ordinaires, il y a des messages, il y a un cours
qui le forme à décoder ce qu'il voit. Alors, ce qu'il décode transmet un
message. Que la personne ait dans sa tête toutes sortes de sens, ça n'a rien à
voir.
Et
j'ai entendu des commissions
scolaires qui disent : Ce n'est
pas applicable, on ne saura pas quels signes... Eh bien, je
leur recommande de lire les livres, d'ouvrir les livres qu'ils passent à leurs
propres élèves, et ils vont comprendre qu'effectivement ils vont être
capables de les décoder. C'est un cours de base pour des enfants. Ça devrait
être un cours de base pour des commissaires scolaires.
Le Président (M. Bachand) : Merci. Autre question du côté ministériel? M. le député d'Ungava, s'il
vous plaît.
M. Lamothe :
Bonjour à vous. Expliquez-nous pourquoi le Rassemblement pour la laïcité est favorable
à l'enchâssement du principe de laïcité dans la charte québécoise.
M. Codsi (Claude Kamal) : Nous estimons que ce droit-là à la laïcité est un
droit important, nouveau qui est un droit
citoyen duquel même pourrait se réclamer tout le monde. Ce n'est pas
une loi parmi d'autres. Dans une société beaucoup plus pluraliste,
multiethnique et multiconfessionnelle, nous affirmons un droit à ce que toutes
les personnes qui sont en rapport
avec l'État aient un État qui est neutre en fait et en apparence, et c'est une
façon très saine, très harmonieuse, très
tournée vers l'avenir d'envisager les rapports dans une société qui est maintenant
beaucoup plus fragmentée. C'est ce que nous
souhaitons.
Nous voyons toutes
sortes d'exemples dans le monde où cette laïcité se vit bien, la Turquie par
exemple ou d'autres pays dans le monde, où le fait d'avoir instauré la laïcité
de l'État règle des problèmes de conflit, de tension interreligieuse dans le rapport
qu'on a avec l'État. Donc, on trouve que cette chose-là est suffisamment
importante et va éclairer d'autres choses pour être inscrite dans la Charte des
droits et libertés.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M.
le ministre, s'il vous plaît.
M. Jolin-Barrette : Vous souhaiteriez qu'on étende la portée du projet de loi aux centres de la petite enfance. Pourquoi?
M. Codsi (Claude Kamal) : En fait, M.
le ministre, nous souhaitons
l'étendre à plus qu'aux centres de la petite enfance, nous souhaitons l'étendre à l'ensemble de l'école. Nous
souhaitons l'étendre aussi aux écoles privées et nous souhaitons l'étendre aux centres de la petite
enfance, toujours dans la même logique. La logique, c'est qu'il faut protéger
l'enfant.
M. Jolin-Barrette : Bien, en fait, je vous dirais, pourquoi aux centres de la petite
enfance et pas aux garderies privées subventionnées et aux garderies
privées non subventionnées? Est-ce que vous les viseriez aussi?
M. Codsi (Claude Kamal) : Oui. Nous croyons que, dans le projet de la
laïcité de l'État, les garderies privées, peut-être, ont un statut
particulier. Et nous estimons que c'est une percée déjà de faire cela dans les
CPE et dans l'équipe-école et dans les écoles privées, puisqu'elles sont
subventionnées à hauteur de 60 %.
M. Jolin-Barrette : Donc, pour vous, le critère pour quoi est-ce qu'on devrait les viser, c'est le critère
de la subvention.
M. Codsi (Claude
Kamal) : Voilà. La subvention, qui en fait, en fait, une extension
d'une forme de l'État, voyez-vous.
M. Jolin-Barrette : Et, le fait que la fréquentation de l'école privée n'est pas
obligatoire, même chose pour le CPE, c'est argument-là ne vous rejoint
pas?
Une
voix : ...
M. Jolin-Barrette : ...supposons, à l'école publique, où, l'école publique, la
fréquentation, elle l'est, obligatoire?
M. Codsi (Claude
Kamal) : Bien, c'est sûr que le statut de l'école publique est
prioritaire. C'est très clair pour nous.
Nous, notre raisonnement, ça a été de dire : Pourquoi défendrions-nous...
et ça a été le cas d'organismes qui ont témoigné devant vous, pourquoi
défendre seulement l'école publique et ne pas défendre les autres? Et pourquoi
créer deux statuts? Il y a une question de cohérence, et nous acquiesçons à cet
argument.
M. Jolin-Barrette : Vous nous invitez également à, parmi les personnes qui devraient ne pas
porter de signes religieux... vous
nous invitez à viser également le directeur de la protection de la jeunesse.
Pourquoi cette proposition?
M. Codsi (Claude
Kamal) : Le directeur de la protection de la jeunesse et ses
représentants sont investis d'une autorité
qui représente l'autorité de l'État. Ils interviennent, des fois, dans des
situations complexes où ils prennent des décisions importantes qui affectent le cours important de la vie des
gens et, à cet égard, ils représentent l'État. Et l'État est laïque et
l'État, dans ces représentants... ils sont laïques aussi. C'est juste une
question de cohérence.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de
Marguerite-Bourgeoys, s'il vous plaît.
• (16 h 20) •
Mme David :
Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup d'être ici aujourd'hui.
Je
vais reprendre une phrase de madame, parce que je voudrais la comprendre
vraiment, que vous puissiez élaborer un
petit peu plus, quand vous avez dit : Est-ce que la liberté de conscience
des prisonniers est plus importante que la liberté de conscience des
enfants? J'aimerais ça que vous élaboriez pour que je comprenne bien.
Mme
Sirois (Michèle) : Je me mettais dans la logique du rapport
Bouchard-Taylor, où on limitait d'enlever les
signes religieux pour le personnel, les employés qui ont une autorité
coercitive. Donc, ça veut dire soit
des justiciables ou des prisonniers.
Donc, leur liberté de conscience, d'un certain sens, serait davantage
respectée. Et là je me suis posé la question :
Pourquoi M. Bouchard, qui est un humaniste, n'a pas étendu ça aux enfants, qui
sont davantage une clientèle influençable, et vulnérable, et captive?
Parce que ce sont des jeunes enfants. C'est dans ce sens-là.
Mme
David : Mais, en même temps, vous dites... je ne sais pas si c'est à
l'occasion de la même réponse, là, mais vous dites : Mais l'enfant n'est pas bête, il va aller fouiller,
etc. Moi, il me semble, dans le langage courant, quand on dit ça, c'est
qu'il n'est pas si vulnérable que ça.
Mme Sirois (Michèle) : C'est-à-dire qu'il est vulnérable d'un certain
sens, parce qu'on peut lui transmettre des messages, d'accord? Comme moi, j'ai un enfant que je connais qui avait
vu dans son livre d'éthique et culture religieuse l'archange Saint-Michel. Il était sûr qu'il
existait et qu'il l'avait vu. Alors, c'est dans ce sens-là qu'on peut voir que,
oui, les enfants peuvent être influençables.
En même temps, ils sont capables de décoder, ils sont en formation. Donc, à
mesure qu'ils vont vieillir, c'est ça, on
doit former les enfants de façon à ce qu'ils aient accès au savoir, mais il
faut le respecter, parce qu'il y a des enfants de toutes croyances et
également des parents qui ont différentes convictions spirituelles.
Mme
David : ...parce que c'est beaucoup un vocabulaire de protection des
enfants que vous employez, «vulnérabilité»,
«il faut protéger les enfants», donc c'est comme... Vous dites : Les
adultes peuvent se défendre. Donc, les enfants
sont encore vulnérables. Je vous soumets respectueusement qu'on veut tous, dans
l'école québécoise — c'est
même dans le programme d'études
québécoises — exposer
les enfants à la diversité de notre monde fort complexe, j'en suis, fort
complexe, du monde — je parle
de la planète aussi — sur des
enjeux qui sont compliqués, sur ce qui est différent de nous. Alors,
c'est comme si c'était un très grand danger de les exposer à un type de
diversité mais pas à d'autres types de diversité.
Mme Sirois (Michèle) : Bien, j'aimerais juste terminer. Je ne sais pas
si vous avez vu la recherche à la Commission des droits de la personne que M. Pierre Bosset avait... était directeur
de la recherche, a publiée, où il disait que le crucifix pouvait être
attentatoire à la liberté de conscience d'enfants qui étaient non catholiques.
Donc, il ne parlait pas d'empêcher la diversité, il disait simplement de ne pas être attentatoire. Si un crucifix sur un
mur que des enfants regardaient pouvait être attentatoire, peut-on imaginer
qu'un professeur peut transmettre un message? Parce que beaucoup de gens ont
essayé de minimiser les messages des signes religieux. Mais les messages des
signes religieux, on... ce que je disais, on fournit à l'enfant un code aussi pour comprendre. Donc,
quand il est en première année, l'enfant, il prend tout ça, puis, tout à
coup, il se forme tranquillement un
jugement. Mais on essaie que ce jugement soit respectueux de la liberté de
conscience de l'enfant qui est en formation, mais aussi celle de ses
parents.
M. Codsi (Claude
Kamal) : Vous me permettez de rajouter un élément?
Le
Président (M. Bachand) : Rapidement, allez-y, oui.
Mme David :
Rapidement.
M. Codsi (Claude Kamal) : Vous me permettez de rajouter un élément. Je suis
très sensible à votre désir d'exposer les
jeunes à la diversité de toutes les opinions, etc., et d'ailleurs ils sont
exposés : ils sont exposés dans la société, ils sont exposés dans
l'école. La question qu'on débat ici, c'est : Est-ce que l'État, qui
manifeste une volonté d'être neutre... Est-ce qu'on ne devrait pas exposer
aussi nos jeunes au fait qu'un État veuille être neutre? Ils ont la diversité
dans la cafétéria, dans l'école, dans la
classe, dans les convictions des enseignants, mais ils savent aussi que l'État
a décidé d'être neutre vis-à-vis les religions, donc, et les enseignants
respectent cela.
Mme David :
On réfléchit, là. À ce titre-là, pourquoi vous n'incluriez pas dans cette
notion de neutralité une homogénéité de plein d'autres droits et libertés qui
ont été acquis de chaudes luttes, comme d'avoir des professeurs de race
différente, de couleur de peau différente, d'orientation sexuelle différente?
Celle-là, c'est de la diversité, on en conviendra aussi.
M. Codsi (Claude
Kamal) : ...les enseignants de race... et de diversité d'orientations,
nous en avons.
Mme David :
Exactement. Et pourquoi, celle-là, il ne faut pas protéger les enfants, tout le
discours...
M. Codsi (Claude Kamal) : Mais nous ne la protégeons pas. Je m'excuse, je
me suis peut-être mal exprimé. Nous avons
des enseignants de toutes les races, et de toutes les orientations sexuelles,
et de toutes les religions, mais est-ce que nous souhaiterions avoir un enseignant
qui rentre avec un macaron, qui dit : Moi, je suis de telle race ou de
telle orientation sexuelle ou de
telle... et voici ma publicité que je fais tous les jours? Nous disons non,
même par quel parti politique... d'un parti politique. Nous avons les mêmes
contraintes vis-à-vis les opinions politiques. Et nous avons même, dans la Loi de la fonction publique — nous l'avons cité dans notre mémoire — des enjeux très clairs et même des enjeux de
mise à pied pour ceux qui ne respecteraient pas... parce qu'effectivement nous
avons une variété d'opinions politiques, mais nous ne voulons pas les afficher,
les exposer, parce qu'on n'est plus neutres. C'est aussi simple que ça.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. Mme la députée de
Bourassa-Sauvé, s'il vous plaît.
Mme
Robitaille : Bonjour. Merci d'être là. Écoutez, ce matin, on avait un
représentant de la communauté sikhe... bien,
il était sikh de religion, et c'était intéressant, parce que — je pense qu'il venait du Plateau—Mont-Royal — il parlait un français parfait, il était marié avec une femme d'origine juive, et
c'est un gars qui connaissait plein de choses. Je lis, dans le mémoire, justement, de la communauté sikhe, et
on l'explique très, très bien, là, que le port du turban, c'est une
partie intégrante de l'identité sikhe. Il ne peut pas l'enlever, son turban, ça
fait partie de lui.
Qu'est-ce
que vous faites avec cet homme-là? Il ne pourrait pas être greffier, il ne
pourrait pas être greffier adjoint, il
ne pourrait être pas procureur de la couronne, il ne pourrait pas être avocat
du gouvernement provincial. Vous ne trouvez pas qu'il y a une injustice là-dedans? On va faire quoi avec lui? On va
le faire choisir entre sa foi et puis une carrière? Qu'est-ce que vous
répondez, qu'est-ce que vous dites à ce gars-là?
M. Codsi (Claude Kamal) : Moi, je trouve votre question
très légitime, et elle revient à la question de l'arbitrage des droits. C'est-à-dire que nous allons
poser... ou nous allons peut-être poser un nouveau droit qui est un droit
collectif, à avoir un État laïque, neutre,
sans affichage, en apparence. Pour ce faire, il y a des conséquences, et
une des conséquences, c'est qu'on ne
l'affiche pas. Et, pour cela, ceux qui affichent... et ils ont le droit
d'afficher et ils vont afficher partout... au moment où ils sont au
service de l'État, pendant leurs heures de travail. Ils vont rentrer dans la
classe et ils ne vont pas afficher... et, en sortant, ils vont afficher et...
Une voix :
...
M. Codsi (Claude Kamal) : Je m'excuse. Juste pour terminer. C'est
la même question que pour l'expression des convictions politiques, c'est la
même chose. Moi, je peux être de Québec solidaire, du PQ, etc. Quand je rentre en classe, je n'ai
pas le droit... on suspend mon droit pendant mes heures de travail, et là je
ressors puis...
Le
Président (M. Bachand) : Mme la députée, s'il
vous plaît.
Mme
Robitaille : Vous comprenez, monsieur, qu'on exclut les sikhs, vous
comprenez qu'on exclut certains pans de la population, c'est de l'exclusion.
• (16 h 30) •
Mme Sirois (Michèle) : Moi, j'aimerais préciser que la majorité
des sikhs n'en portent pas, de signe religieux. Certains sikhs ont fait le choix de porter des signes religieux. C'est un choix comme qui...
chaque choix a des conséquences ou
des... On choisit une carrière, on ne peut pas aller dans l'autre. On choisit
une option au cégep et on ne veut pas aller dans une autre... à l'université. Chaque choix aussi... ils ont fait un
choix, et puis moi, je ne vois pas... ils peuvent percevoir ça comme une injustice. Mais, en même temps,
mettons-nous dans la peau des parents ou de certains citoyens qui, eux,
dans leur liberté de conscience, peuvent se sentir heurtés.
Donc, quand il y a un
droit à la liberté de conscience et qu'on a un droit à la liberté religieuse,
comment on concilie ça? Comment on arbitre
les droits? Ça, c'est la question. Et c'est ça qui fait que, depuis une
trentaine d'années, on a essayé d'arbitrer ça, et on arrive à nourrir
des extrémismes, extrémismes à gauche, extrémismes à droite. Je pense qu'il
faut retisser le tissu social, parce qu'actuellement il est dans une mauvaise
situation.
Le Président (M. Bachand) : Merci.
Mme la députée, s'il vous plaît.
Mme Robitaille :
Donc, si je comprends bien, les gens qui portent des signes religieux comme le
monsieur de ce matin, en fait, ils véhiculent un certain extrémisme, ils
sont...
Mme Sirois
(Michèle) : Non, ce n'est pas du tout ça que j'ai dit.
Mme Robitaille :
Non? O.K. Je voudrais être sûre de ce que vous dites.
Mme Sirois (Michèle) : Non. Je l'ai écouté, puis il m'a semblé être une
personne non seulement affable, gentille, bien articulée, bien intégrée... Aucun problème. On ne parle pas de cas
personnels, on parle de choix de société, des projets de société, un projet de société d'avenir. Plus
nos sociétés vont être multiculturelles... Écoutez, on est rendu, à
Toronto, à avoir, pour respecter les choix
religieux... on est rendu à avoir sept, huit, neuf, 10 prières. Au Sud des
États-Unis, certains sont rendus à
demander des prières sataniques. Oui, oui, malheureusement, on est rendu là.
Donc, on est en surenchère.
Le
Président (M. Bachand) : Mme la députée de Bourassa-Sauvé,
en terminant.
Mme Robitaille :
...cet homme-là n'a pas sa place, nécessairement, dans la fonction publique
provinciale s'il veut devenir avocat ou s'il veut être enseignant.
M. Codsi
(Claude Kamal) : Si la...
Le
Président (M. Bachand) : Rapidement, s'il vous plaît, oui.
M. Codsi (Claude Kamal) : Bien, si la règle de la société québécoise est
que nous avons un État laïque, les gens qui ne veulent pas respecter
cette règle de la laïcité s'excluent de cet emploi. C'est comme dans d'autres
métiers : si quelqu'un ne se conforme pas... Mais c'est un privilège que
d'être au service de la collectivité. On abandonne nos droits... ou à nos
convictions politiques affichées quand on le fait.
Le
Président (M. Bachand) : Merci beaucoup. M. le député de
Jean-Lesage, s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Je vous remercie beaucoup. Et je demanderais le consentement, peut-être, pour
avoir le temps du député du Parti québécois.
Des voix :
...
Le Président
(M. Bachand) : Merci. M. le député, allez-y.
M. Zanetti :
Pour une deuxième fois aujourd'hui, il n'y a pas de consentement. Je pense
qu'ils sont tannés de vous entendre. Ça se peut-u?
Des voix :
...
Le
Président (M. Bachand) : M. le député
de Beauce, s'il vous plaît!
Une voix :
...
M. Zanetti :
Parfait.
Le Président (M. Bachand) : Non, il n'y a pas d'interpellation, vous le savez
très bien, en consultations publiques. M. le député de Jean-Lesage,
rapidement, s'il vous plaît.
M. Zanetti :
Oui. Qu'est-ce qui va se passer au Québec si on n'interdit pas les signes
religieux? Concrètement, qu'est-ce qui va se passer au Québec, qu'est-ce
qu'on peut craindre?
M. Codsi
(Claude Kamal) : Si on n'interdit pas les signes religieux?
M. Zanetti :
Si on n'interdit pas les signes religieux au Québec, qu'est-ce qu'on peut
craindre?
M. Codsi (Claude Kamal) : Donc,
on ne fait rien puis on... O.K.
M. Zanetti : Si on n'interdit
pas les signes religieux au Québec, qu'est-ce qui va se passer au Québec?
M. Codsi (Claude Kamal) : Bon,
qu'est-ce qui se passerait au Québec si on n'interdisait pas, M. le député,
d'afficher les convictions politiques des enseignants? Qu'est-ce qui va se
passer?
M. Zanetti :
C'est ça. Bien, c'est ce que je vous demande.
Mme Sirois
(Michèle) : Moi, j'aimerais répondre.
M. Zanetti : Je n'ai pas
beaucoup de temps, là.
Mme Sirois
(Michèle) : J'aimerais vous
répondre avec une citation, monsieur, O.K.? J'aimerais vous répondre une
citation d'un philosophe que vous connaissez, que «la première religion qui a
été écartée des institutions, c'est — le Québec — la
sienne : le christianisme. Les signes ostentatoires religieux ont été
retirés des écoles publiques, dont la déconfessionnalisation
s'est réalisée en 1998 seulement — citation. Les raisons pour lesquelles ils
ont été retirés sont les mêmes pour lesquelles nous devrions empêcher
que d'autres s'y introduisent.» L'auteur, c'est un certain Sol Zanetti.
M. Zanetti : ...je peux
intervenir?
Une voix : ...
M. Zanetti : C'est un bel effet de
toge pour...
Mme Sirois (Michèle) :
Alors, qu'est-ce qui arriverait...
Le Président (M.
Bachand) : Mme Sirois, s'il vous plaît...
M. Zanetti : C'est un bel effet
de toge pour éviter la question.
Le Président
(M. Bachand) : M. le député.
M. Zanetti : C'est un bel
effet, Mme Sirois, pour éviter la question. Là, j'ai comme une minute,
mais je veux savoir, vous, qu'est-ce que
vous pensez. Qu'est-ce que vous pensez qu'il va arriver au Québec si on
n'interdit pas les signes religieux?
Parce que, là, vous avez répondu : Rien, il ne se passera rien, et vous
voulez qu'on limite les droits des gens pour rien. Qu'est-ce qui va se
passer au Québec? Est-ce que votre rassemblement n'a rien à dire là-dessus?
M. Codsi (Claude Kamal) : Non,
nous avons des choses à dire.
M. Zanetti : Allez-y.
M. Codsi (Claude Kamal) : Nous
avons une volonté populaire, générale d'avoir une séparation entre l'État et
les religions.
Une voix : ...
M. Codsi (Claude Kamal) : Non,
je vais y répondre, je vais répondre. Si on ne fait rien, on n'aura pas cette séparation et on aura l'influence de plus en plus
grandissante du religieux dans l'État, dans l'école, dans les
institutions. Et ce n'est pas une chose...
si vous regardez l'exemple de plein de pays dans le monde, ce n'est pas une chose heureuse. Donc, ce que je vous réponds, c'est que, si nous ne
faisons pas cela, nous allons avoir, tranquillement,
dans l'avenir, avec les années, une plus grande interpénétration du
religieux dans l'État avec les influences et les pressions...
Le Président (M.
Bachand) : Merci beaucoup. Bien, j'en profite pour vous
remercier beaucoup de votre participation aux travaux.
Document déposé
Et puis, cela
dit, avant de conclure, j'aimerais déposer un document de la Coalition
Inclusion Québec concernant un sondage.
Mémoires déposés
Également, je
procède au dépôt des mémoires des organismes qui n'ont pas été entendus lors
des auditions publiques.
Sur ce, la
commission ajourne ses travaux jusqu'au lundi 27 mai, à 14 heures, où
elle va entreprendre un autre mandat. Merci beaucoup.
(Fin de la séance à 16 h 36)