(Onze heures vingt-neuf minutes)
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : À l'ordre, s'il vous plaît!
Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des
institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien
vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils électroniques.
La commission
est réunie afin de poursuivre les consultations particulières et auditions publiques
sur le projet de loi n° 62, Loi
favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment
à encadrer les demandes d'accommodements religieux dans certains
organismes.
M. le secrétaire, y a-t-il des remplacements?
Le Secrétaire : Non, M. le
Président, il n'y a pas de remplacement.
• (11 h 30) •
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Nous entendrons, cet avant-midi, les organismes suivants : le
Centre consultatif des relations juives et israéliennes ainsi que
l'Assemblée des évêques catholiques du Québec.
Auditions (suite)
Nous recevons en premier lieu Mme Eta Yudin, qui est la
vice-présidente du Centre consultatif des relations juives et israéliennes du Québec, qui va nous présenter
les deux personnes qui l'accompagnent. Vous avez dix minutes pour faire
votre présentation, et par la suite il y aura un échange avec Mme la ministre
et les porte-parole des deux oppositions. Mme Yudin, à vous la parole.
Centre consultatif des
relations juives et israéliennes (CERJI)
Mme Yudin
(Eta) : Mme la ministre, M. le Président, Mmes et MM. les membres du
comité, nous vous remercions de nous accueillir ici aujourd'hui afin de
pouvoir vous exposer notre point de vue concernant le projet de loi n° 62.
Avant de commencer, permettez-moi de vous
introduire mes collègues : David Ouellette et Max Robert.
Le Centre consultatif des relations juives et
israéliennes-Québec, le CIJA-Québec, est l'agent de représentation de la Fédération CJA et des intérêts de la communauté juive institutionnelle
du Québec. Nous sommes le trait d'union, en effet, entre notre communauté et les trois paliers du gouvernement, les
médias, le milieu communautaire, les entreprises et les universités. CIJA-Québec est mandaté par la communauté pour
assurer une qualité de vie juive et de participer aux débats sociétaux
dans le meilleur intérêt de l'ensemble de la société québécoise.
Le Québec est
un État laïque de facto depuis la Révolution tranquille, garantissant à tous
ses citoyens les libertés de
conscience, de religion, ainsi l'accès égal de tous aux services d'État.
CIJA-Québec accueille les efforts du gouvernement visant à renforcer l'adhésion de longue date à la
neutralité religieuse de l'État. CIJA-Québec n'est pas un groupe d'intérêts
religieux. Nous représentons toute la
diversité de la communauté juive québécoise et ses pratiques culturelles ou
religieuses. Les Juifs québécois
peuvent être, entre autres, orthodoxes, libéraux, traditionnels, athées et
même, dans le cas de Leonard Cohen, bouddhistes.
La communauté
juive soutient pleinement le modèle laïque actuel du Québec, qui garantit le
droit de tout individu à la liberté
de culte et de conscience de même que le respect des droits et libertés des
minorités. Dans le même temps, à titre
de minorité historique du Québec, nous, Juifs québécois, ne saurions trop
insister sur le devoir d'intégration dans la culture de convergence de la majorité historique. C'est pourquoi, par
exemple, nous sommes tout à fait d'accord avec le principe que, pour être raisonnable, tout
accommodement doit inconditionnellement respecter l'égalité entre les hommes
et les femmes.
CIJA-Québec
reconnaît qu'il est important que les organismes publics disposent d'un cadre
clair pour offrir des accommodements et que tout accommodement doit être
accordé uniquement si la demande est raisonnable.
Bien que nous
soutenions l'esprit du projet de loi, nous aimerions profiter de cette occasion
pour présenter quelques suggestions qui serviront à mieux répondre aux
objectifs de ce projet de loi. Je donne la parole maintenant à mon collègue
Max.
M. Robert (Maxime) : Merci, Eta. Ma
partie va porter essentiellement sur le sujet des accommodements.
Concernant les accommodements religieux, selon
la Charte des droits et libertés, il a déjà été établi que les employeurs
doivent tenir compte des croyances et pratiques religieuses de leurs employés
en milieu de travail. La jurisprudence,
comme vous le savez, balise déjà l'obligation de l'employeur de rechercher un
accommodement sous réserve qu'il
n'entraîne pas de contrainte excessive. Aussi, la Cour suprême a établi un
certain nombre de facteurs qui doivent être pris en considération pour
déterminer si l'accommodement présente une contrainte excessive pour
l'employeur. Pour un membre du personnel d'un organisme
public qui traite d'une demande d'accommodement sur des motifs religieux, nous
croyons qu'il est nécessaire d'inclure dans la loi un rappel ou une mise en
contexte soulignant qu'un employeur a une
obligation de rechercher un accommodement pour son employé mais aussi que
l'employé a le devoir de participer à la recherche d'un compromis.
L'obligation
d'accommodement, comme vous le savez, est bien sûr limitée par les normes se
rapportant aux contraintes excessives et aux
exigences professionnelles justifiées. Nous soutenons le libellé de
l'article 10, selon lequel une
demande d'accommodement ne peut pas porter atteinte au principe de la
neutralité religieuse de l'État. Cependant, actuellement, il n'y a pas de définition claire de ce qui pourrait
porter atteinte au principe de la neutralité religieuse de l'État. Donc, pour nous, la question, c'est :
Est-ce que c'est seulement une question de favoritisme ou de non-favoritisme
sur la base de l'appartenance à une religion
ou est-ce qu'il y a une obligation supplémentaire non définie à
l'article 4?
Étant
donné que ce qui nous préoccupe aujourd'hui, ce sont les demandes fondées sur
les motifs religieux, nous, ce que nous craignons, c'est que la décision soit
laissée à la discrétion du personnel traitant de la question au cas par
cas, ce qui pourrait donner lieu à une vaste
gamme d'interprétations des règles et donc à une certaine confusion. Nous
sommes aussi préoccupés à l'effet que
cette confusion pourrait être utilisée pour restreindre de façon abusive le
droit à l'accommodement raisonnable.
Pour
ce qui concerne le milieu de travail scolaire, l'article 11 traite d'absences
du travail fondées sur des motifs religieux,
nous, ce qu'on aimerait, ce serait... on croit qu'il serait nécessaire que
l'article 11 exprime clairement de nouveau qu'un employeur a une obligation d'accommodement et qu'il peut utiliser
les facteurs énumérés aux paragraphes 1° à 5° pour déterminer si l'accommodement est susceptible
d'entraîner une contrainte excessive. Nous croyons aussi qu'il serait important de préciser dans la loi qu'un employé
doit être en mesure d'utiliser ses jours de vacances ou ses jours de congé
pour motif personnel, ou de faire une demande
de congé non payé, ou de compenser les heures perdues, selon un arrangement
flexible avec l'employeur, afin d'arriver à un accommodement pour les fêtes
religieuses. Ceci doit être considéré dans une perspective d'option et non pas
de restriction, et non pas d'imposition.
L'article
12 traite d'absences de l'école fondées sur les motifs religieux. On soutient
les notions avancées dans le projet de loi n° 62 concernant que les
accommodements raisonnables ne doivent pas compromettre, entre autres, la
fréquentation scolaire, les projets éducatifs, les règlements scolaires, mais
on pense que ce serait bien aussi pour les institutions
qu'il y ait un mécanisme qui soit mis sur pied pour que les enseignants soient
informés, dès le début de l'année scolaire, des absences à venir pour
motif religieux. J'aimerais donner la parole à mon collègue M. David Ouellette.
M. Ouellette
(David) : Très bien. Moi, je vais vous parler...
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : M. Ouellette.
M. Ouellette (David) : ...brièvement de la manière dont
l'article 16 du projet de loi n° 62 modifierait la Loi sur les
services de garde éducatifs à l'enfance.
Nous
sommes préoccupés, en fait, par ce qui est stipulé dans cet article 16... ou,
plutôt, conformément à l'article 17, qu'en
cas de contravention, d'infraction à l'article 16 les subventions d'un CPE
pourraient être réduites, voire annulées. De quelles infractions parle-t-on? On parle évidemment du fait que les
administrateurs de CPE doivent s'engager à ne pas fournir d'apprentissage religieux dans leurs
établissements et que l'apprentissage d'une religion ne fasse pas partie des
objectifs non plus du CPE. Or, dans le même temps, la loi fait un aménagement,
disons, pour des célébrations ayant des connotations religieuses, et nous croyons qu'ici il y a beaucoup
d'arbitraire entre qu'est-ce qui est culturel, qu'est-ce qui est religieux. Et évidemment, avec cette menace de
retrait assez rapide de subvention, on peut comprendre que les CPE n'oseront même pas réaliser comme activité ce qui
est permis par la loi, parce qu'encore là il nous semble que le libellé est extrêmement arbitraire. Qu'est-ce qui découle
de la culture, qu'est-ce qui découle du religieux, ça reste à être défini.
Dans
notre cas, la communauté juive, il faut savoir que les aspects religieux et
culturels sont étroitement liés les uns
aux autres et sont très difficilement différenciables. Comme disait ma collègue
Eta en entrée de jeu, nous avons des Juifs
orthodoxes, conservateurs, libéraux, traditionnels, athées. Moi
personnellement, je suis athée, mais ça ne veut pas dire que je ne suis pas attaché à certains
événements annuels qui ponctuent la vie juive, hein? Donc, pour moi, ce n'est
pas du tout une question religieuse, c'est vraiment culturel.
On
trouve vraiment qu'il y aurait lieu à mieux définir et à enlever la peur
d'arbitraire qu'il y a dans la différence entre ce qui est une
célébration à connotation religieuse, voire culturelle et l'interdiction
formelle de dispenser tout enseignement religieux dans un CPE, et c'est pour ça
que nous aimerions recommander que, dans le cas d'infraction, il y ait un
processus plus progressif sur le retrait des subventions. On pourra y revenir
pendant les questions. Merci.
• (11 h 40) •
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : Merci, M. Ouellette. Mme la ministre.
Mme Vallée :
Alors, merci beaucoup. Merci de votre présentation et merci pour le dépôt de
votre mémoire.
D'entrée de jeu, parce que vous avez mentionné certains questionnements
d'interprétation sur les dispositions du projet de loi... On a entendu, depuis quelques jours, des groupes qui ont manifesté leur
souhait d'avoir, une fois le projet
de loi adopté, des guides de mise en oeuvre de ce projet de loi, des guides
d'interprétation de ce projet de loi, des dispositions du projet de loi qui
seraient adaptés aux différents milieux. Je pense, il ne s'agit pas de modifier
le texte législatif, mais bien, une fois le texte adopté, de soumettre justement
des guides, puisque les gestionnaires n'ont pas nécessairement la connaissance
fine des décisions des tribunaux, de l'interprétation de certaines dispositions.
Il
existe actuellement un guide qui a été préparé par la commission des droits de la personne et de la
jeunesse qui visait notamment à répondre aux questionnements que pouvaient
avoir certains employeurs, certains gestionnaires qui reçoivent des
demandes d'accommodements religieux.
Je me demandais : Est-ce que vous êtes
familiers avec ce guide-là? Est-ce que vous auriez des commentaires à apporter face à ce guide-là, si vous le
connaissez? Et sinon qu'est-ce que vous pensez de cette proposition qui nous a été formulée d'accompagner le projet de loi de guides
destinés à certains secteurs de l'administration publique?
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
M. Ouellette.
M. Ouellette (David) : On n'est pas
familiers avec le guide de la commission, mais nous sommes tout à fait favorables à ce que des guides soient rédigés,
élaborés à l'intention des administrateurs
publics. Nous croyons que, si ce débat des accommodements raisonnables
traîne depuis 10 ans au Québec, c'est justement en... c'est cette absence de directives claires qui, évidemment, respectent la
jurisprudence mais qui rendent la jurisprudence plus facile à interpréter
pour des gens qui ne sont pas des juristes, hein, qui sont des administrateurs
publics. Donc, nous sommes tout à fait favorables
à l'élaboration de guides pratiques et qui soient vraiment utiles pour les
décisions que les administrateurs publics doivent prendre au quotidien.
Je crois que nous avons une occasion de clore ce débat.
Mme Vallée : Dans votre
analyse de l'article 10, vous faites une recommandation, suggérez que
l'employé, lorsqu'il participe à la
recherche d'une solution, démontre une volonté de compromis. À l'article 10, on
voit au dernier alinéa : «Un
accommodement ne peut être accordé que si le demandeur a collaboré à la
recherche d'une solution qui satisfait au caractère raisonnable.»
J'aimerais vous entendre sur la distinction
entre votre proposition et le libellé de l'article 10.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
M. Robert.
M. Robert
(Maxime) : Merci. Nous
croyons qu'il serait important de rajouter un rappel concernant l'obligation de l'employeur aussi, de rappeler que l'employeur a un devoir, une obligation de recherche et de participer à la recherche
d'accommodements.
Mme
Vallée : Ça, vous
l'avez mentionné, effectivement, mais vous mentionnez qu'il faudrait préciser que
l'employé aussi doit démontrer
une volonté de compromis qui est un petit peu distincte de la participation à
la recherche d'une solution, donc. Parce que le libellé actuel, c'est que
l'employé collabore à la recherche d'une solution qui satisfait au caractère raisonnable, donc le caractère que l'on
retrouve, mais vous parlez de volonté de compromis. J'aimerais vous
entendre sur cette distinction entre les deux libellés.
M. Robert
(Maxime) : Pour nous, la participation, c'est une façon de démontrer sa volonté. Mais ce qui est la clé dans
la recherche d'un accommodement raisonnable, dans le fond, c'est un peu le
test de la bonne foi : Est-ce
que la personne a véritablement participé? Est-ce que la personne a vraiment tenté de rechercher
l'obtention d'un compromis, de bonne foi?
Mme
Vallée : Vous avez évidemment
fait un certain nombre de commentaires concernant l'article 16, l'introduction de l'article 16, qui est actuellement
une codification d'une directive administrative qui est déjà en vigueur.
L'objectif
de cet article-là puis l'objectif, à l'époque, de la directive, et je l'ai mentionné
hier à un autre groupe qui a fait une présentation devant nous, mais
c'est d'assurer une égalité au sein des services de garde qui sont subventionnés par l'État et de permettre à tous les
jeunes d'avoir accès, sans condition préalable, à ces services subventionnés.
Alors, c'est l'objectif qui est derrière la directive et qui est soutenu
par son introduction dans le projet
de loi, c'est vraiment assurer que les services de garde subventionnés
sont accessibles à tous les enfants et sans discrimination et dans le respect de la diversité, évidemment,
mais s'assurer que ces services, qui sont recherchés par bien des familles,
puissent être accessibles à tous.
Donc, la
recherche derrière cette démarche, c'est d'assurer une harmonisation de tout
ça. Et je comprends de vos commentaires que, pour vous, dans le cas de
l'adoption du projet de loi, il pourrait y avoir lieu, pour cette disposition particulière, de mettre en place un guide à l'attention de ceux et celles qui
offrent ce type de service là pour éviter de se priver de célébrer une
petite fête, de peur de représailles.
M.
Ouellette (David) : Oui.
Bien, en fait, ce qu'on voudrait ajouter... c'est tout à fait acceptable, pour nous, ce que
vous introduisez là, mais ce que je n'ai pas eu le temps de présenter il y a
quelques minutes, c'est que nous croyons vraiment qu'au-delà de ça il
faudrait mettre sur place un processus d'appel et d'encadrement en cas de litige ou
d'infraction réelle ou perçue à ce niveau-là justement pour retirer un peu cette crainte, là, des
administrateurs de... sans vouloir heurter ces principes de neutralité religieuse compris par la directive, et
qu'ils ne perdent pas leur financement ou leur statut de CPE à une première infraction perçue. Donc, on aimerait voir ajouté à ce
projet de loi un processus de sanction qui soit plus graduel et puis,
évidemment, avec des avenues d'appel.
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Mme la ministre, je pense que M. le député de D'Arcy-McGee aurait une question.
Mme
Vallée : Oui. Je vous
remercie. Je vais laisser mon collègue poser sa question. Et puis on reviendra, au
besoin.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
M. le député de D'Arcy-McGee.
M.
Birnbaum : Merci, M. le Président. Je veux à mon tour souhaiter la bienvenue à Mme
Yudin, M. Ouellette et M. Robert. J'ai eu le plaisir de travailler avec
l'organisme et avec vous trois, et ce n'est pas une première visite à l'Assemblée
nationale.
Je tiens
à souligner qu'on partage l'adhérence
à une communauté qui a... l'histoire, mais une histoire qui se
maintient, au Québec,
de vigilance en tout ce qui a trait aux droits de la personne, en même temps à
la justice nécessaire, collective de comprendre cet équilibre qui
est nécessaire et qui a été omniprésent tout au long de cette histoire. On
parle d'une communauté représentée par une pluralité dans une seule circonscription au Québec, c'est D'Arcy-McGee, et aussi je crois que c'est intéressant à
souligner, parce que ça touche aux gens dont on parle, qu'on parle
d'une communauté qui s'est
donné la tâche de se maîtriser en français, bien avant la Charte de la langue
française, en grande proportion. On parle d'une communauté assez diverse, évidemment, avec ses liens au
Maghreb et sépharades aussi, dont le français est la langue d'usage,
mais on parle aussi d'une communauté, à Montréal et au Québec, avec des racines
de longue date, d'origine ashkénaze où
l'apprentissage du français a été un effort, mais un effort que la communauté
s'est donné comme priorité.
Aussi, cette
histoire est marquée, comme je dis, par une adhérence à la responsabilité civile, à l'entraide, et tout ça,
une communauté qui est très fière d'avoir été, à côté de Nelson
Mandela, à côté de Martin Luther King, les leaders de la communauté juive mondiale. Alors, il me semble que c'est intéressant à souligner, parce que c'est pertinent dans le débat actuel.
Je lis votre mémoire
et je comprends qu'il y a des enjeux, des questions, mais j'aimerais savoir si
mes soupçons sont corrects, c'est-à-dire que les orientations de notre projet, de miser à la fois sur le
vivre-ensemble et de miser sur la bonne
foi des Québécois de toutes origines et surtout de se circonscrire
ces débats d'une façon disciplinée pour faire en sorte que ça encadre nos gestes, ça nous équipe pour
s'adresser aux conflits potentiels, si dans l'ensemble de nos orientations
on rejoint vos préoccupations.
• (11 h 50) •
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
M. Ouellette.
M.
Ouellette (David) : Oui. En général,
oui, d'autant plus que nous apprenons aujourd'hui que vous pensez à élaborer des guides
pratiques à l'intention des administrateurs publics.
Comme nous avons dit au départ, nous sommes tout
à fait d'accord avec l'esprit de la loi. Nous avons aujourd'hui proposé des précisions,
c'est-à-dire mieux définir cette neutralité religieuse par rapport aux accommodements. C'est-à-dire,
on a dit que, d'entrée de jeu, ces deux paragraphes qui disent : Oui,
l'accommodement, mais dans le respect de
la neutralité religieuse, on croit que ceci doit être élaboré parce que ça
prête le flanc à une interprétation restrictive qui pourrait, en fait,
carrément fermer la porte sur tout accommodement religieux si ce n'est pas
mieux défini.
Mais, oui,
nous croyons que c'est un grand pas dans la bonne direction. Notre propre
lecture de ce débat, qui nous accompagne
depuis maintenant 10 ans au Québec, je crois, est due à
cette perception dans le public et chez les administrateurs que les accommodements raisonnables n'étaient pas
encadrés. Nous, on a toujours cru qu'ils l'étaient par la jurisprudence mais qu'il y avait peut-être
un manque d'information, un déficit pédagogique justement par rapport à cette jurisprudence. Donc, on avait souvent l'impression
que c'était très arbitraire, ce qui était accordé ou pas selon quels critères. Donc, ces critères doivent être mieux
connus, doivent être connus du public et doivent être bien définis pour les
administrateurs publics qui devront prendre des décisions.
Donc, oui,
dans l'ensemble, ce projet
de loi, nous l'accueillons
favorablement, avec les réserves que nous avons émises.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Bon. Ça revient à vous, Mme la ministre.
Mme Vallée : Dans votre mémoire, lorsque vous avez
fait une présentation, en 2013, sur le projet
de loi n° 60, vous aviez
exprimé, à l'époque, une préoccupation quant au projet de loi n° 60, quant
à ce qui était présenté. Et vous craignez
que ce projet de loi là proposait
de... ou votre interprétation, c'était que ça portait atteinte à «l'exemplaire
modèle laïque québécois», pour
utiliser le terme que vous aviez utilisé à l'époque, qui était en place à
l'époque depuis quand même bon nombre d'années, parce que vous
disiez : Le projet de loi va marginaliser les individus, va porter atteinte,
d'une certaine façon, au principe de neutralité religieuse de l'État.
Je sais que
c'est vaste, c'est large comme question, mais j'aimerais vous entendre sur cet
aspect-là, parce que le projet de loi
vient définir clairement la façon dont la prestation de services doit être
offerte dans l'État québécois mais ne
vient pas pour autant apporter des restrictions quant au port d'un signe
religieux par une personne qui oeuvre au sein de l'État. Ça suscite
certaines critiques, mais j'aimerais vous entendre sur cet enjeu-là.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
M. Ouellette.
M.
Ouellette (David) : La
question des signes religieux. Évidemment, là, on a au-dessus de notre tête,
là, le modèle français de laïcité,
qui est un modèle particulier qui répond aux contingences historiques
françaises, où la séparation de l'État
et de l'Église a été beaucoup plus
turbulente qu'au Québec. On peut dire que le XIXe siècle français, qui a
conduit jusqu'à la loi sur la laïcité
de 1905, a été un siècle de turbulences, voire de violences. Ça a été un
divorce difficile, tandis que chez nous la
séparation de l'État et de l'Église, bien, elle a été tranquille, n'est-ce pas?
Donc, ça répond à des contingences
différentes. Et, si on regarde l'interdit de signes religieux pour les agents
de l'État en France, on doit quand même
se poser la question : À quel besoin est-ce que ça répond? Je crois ne pas
me tromper en avançant que cet interdit-là vise à assurer l'accès égal
de tous devant les services de l'État.
Maintenant,
la question qu'on doit se poser, au Québec, avant de considérer de telles
mesures, qui enfreignent très
certainement sur les libertés individuelles et la liberté de conscience,
c'est : Est-ce qu'on a ce problème-là? Est-ce que l'accès à l'État est compromis du fait qu'un
fonctionnaire, je ne sais pas, moi, à la SAAQ porte un crucifix, un turban
ou autre signe religieux visible? Alors, nous croyons qu'on n'a pas cet
obstacle-là. Je veux dire, l'accès de tous les Québécois à l'État, il est égal, il n'est pas compromis par un signe
religieux qu'éventuellement un fonctionnaire ou un agent d'État
porterait.
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : Merci, M. Ouellette. Mme la députée de
Taschereau.
Mme
Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour. Bonjour, ça fait
plaisir de vous voir, Mme la vice-présidente, Mme Yudin, M. Ouellette,
monsieur... Excusez-moi, je ne connais pas tous vos noms. M. Robert, bienvenue.
J'ai
lu avec attention votre mémoire. Vous intervenez toujours très bien en
commission parlementaire. J'apprécie toujours les propositions que vous
faites. Il y a quelque chose qui est écrit dans votre mémoire qui n'est pas
dans une proposition. Ce n'est pas une proposition d'amendement, mais c'est
quelque chose d'important.
Vous
dites bien, d'entrée de jeu, dans la présentation de départ du mémoire :
«Le Québec est un État laïque de factodepuis la Révolution tranquille.» On s'entend tous et toutes là-dessus,
le Québec est laïque. Maintenant, il y a des gens qui sont venus nous
dire : Pourquoi ne pas l'inscrire dans la loi? J'ai dit moi-même qu'à
aucun endroit dans le corpus législatif du
Québec on ne trouve ces mots : «Le Québec est un État laïque.» Alors,
est-ce que ça devrait être inscrit dans la loi? C'est une question qui se pose aujourd'hui dans cette commission
parlementaire. Nous y croyons. Il y a quelqu'un qui a dit que, dès
l'article 1, on dit : «Considérant la neutralité religieuse de
l'État», blablabla... puis là on parle de la neutralité
religieuse ensuite comme mode d'application. Est-ce que vous croyez que... bon,
évidemment, comme communauté, puisque
c'est comme ça que vous vous présentez, est-ce que vous croyez qu'il serait
intéressant d'inscrire : Considérant la laïcité de l'État, ce qui de facto existe, et ensuite on parle de
neutralité religieuse dans la façon de l'accommoder et de la vivre? Il y
a un pas là-dedans qui pourrait réunir pas mal de monde, je pense.
Alors,
comment, comme communauté, accueilleriez-vous de prime abord cette suggestion,
d'inscrire cette déclaration que vous faites dans l'introduction? Ce
n'est même pas un article d'application, là, c'est un considérant.
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : M. Ouellette.
M. Ouellette (David) : Écoutez, je vous dirais que, pour nous, la
différence, elle est assez sémantique, hein, la laïcité, c'est la neutralité de l'État sur les questions religieuses.
Donc, si on s'entend que c'est de ça qu'on parle, on n'aurait aucune
opposition à ce qu'on parle de laïcité de l'État Québécois, absolument pas. Ça
existe de facto. S'il y avait une inscription
de... mais je ne vois pas pourquoi on aurait une opposition à cela. Pour nous,
c'est sémantique, là, il n'y a pas différence entre «laïcité» et
«neutralité religieuse de l'État».
• (12 heures) •
Mme
Maltais :
Merci. On est plusieurs à croire qu'il y a une différence, mais on essaie de
trouver le terrain d'entente pour que, je
dirais, toutes les subtilités de l'exercice que nous faisons puissent se
terminer en loi plus intéressante que ce que nous avons actuellement.
Je pense que déjà,
par exemple, l'idée du guide qu'a soumise la ministre... c'est quelque chose
que, dès mes remarques préliminaires, je
disais, il faut absolument que ce ne soit pas seulement sur les membres du
personnel de l'État qu'existe cette obligation d'accommoder mais qu'il
faut qu'il y ait des balises. Cette idée de sortir du cas par cas, effectivement, commence à être accueillie, et
c'est intéressant, ça veut dire qu'on est en train d'essayer d'évoluer vers
une loi qui soit un peu plus, je dirais, consensuelle.
Autre
chose. Sur l'article 12, vous en parlez à un moment donné... c'est à la page...
Où est l'article 12? Vous avez un bout sur l'article 12. Page 5. Voilà.
Vous dites que «l'article 12 traite d'absences de l'école fondées sur des
motifs religieux», mais l'article 12, à mon
sens, et je pense que c'est partagé, traite de l'absence... Ah! non, le
personnel, c'est le 11. Le 12, c'est
l'élève. O.K. Pardon. Le 12, c'est l'élève. Alors, vous dites en conclusion sur
cet article-là : «Nous croyons qu'un
mécanisme doit être mis sur pied pour que les enseignants soient informés, dès
le début de l'année, des absences pour
motif religieux de tout élève. Ceci permettrait de trouver, en temps utile, des
arrangements pour mitiger les retards encourus par ce type d'absence.»
Fondamentalement,
on pourrait dire : Oui, c'est une bonne idée, mais, considérant que
l'État, normalement, il ne doit pas
fonctionner en fonction du religieux, il doit fonctionner en fonction des
régimes pédagogiques, et tout, est-ce que ce n'est pas enchâsser le religieux dans le fonctionnement de l'État?
Parce qu'à ce moment-là ça veut dire que l'État, l'école, la commission
scolaire va bâtir un calendrier en fonction des fêtes religieuses et non plus
en fonction du calendrier pédagogique
établi. Je trouve que cet article-là... Je veux bien comprendre pourquoi vous
voyez ça, parce qu'à mon sens c'est le pas qu'il ne faut pas franchir,
mais je veux vraiment vous entendre là-dessus : Pourquoi vous pensez ça?
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : M. Ouellette.
M.
Ouellette (David) : Bien, je
crois qu'on en a une lecture différente. Moi, je ne crois pas que ça vient
situer la religion dans l'école, du
tout, mais la laïcité comme nous la comprenons, c'est un devoir des
institutions et non pas des citoyens et non pas des individus, et, nous, ce
qu'on essaie d'apporter, c'est une solution pragmatique à quelque chose qui ne va pas disparaître, même si l'école se déclarait
absolument laïque. Et il y a des élèves... je ne dis pas nécessairement
«de notre communauté», mais il y a des élèves qui ne se présenteront pas à
certains jours du calendrier religieux de leurs communautés. Donc, ça, c'est
une réalité, on ne pourra pas l'empêcher. Donc, comment est-ce qu'on mitige ça?
Qu'est-ce qu'on peut faire pour que ça
entrave le moins possible le curriculum et le fonctionnement d'une école? Et on
le voit chaque année, donc, que des
administrations d'école sont prises de court, parce qu'un certain nombre
d'élèves ne se présenteront pas en classe ce jour-là.
Donc, nous,
ce qu'on propose, c'est une avenue qui mitigerait, qui rendrait la vie plus
facile aux professeurs, aux écoles et
qui limiterait les répercussions sur les élèves qui doivent s'absenter, mais on
ne voit pas ça comme une intrusion du
religieux dans l'école. L'école ne devient pas religieuse du fait qu'elle
cherche à trouver des solutions pour ceux qui s'absentent pour des raisons personnelles en raison de leurs convictions
religieuses, et, encore une fois, les individus ne sont pas régis par la
laïcité, ce sont les institutions qui le sont.
Mme
Maltais :
...alors, pourquoi pour motif religieux plutôt que pour motif de travail, et
tout ça? Je veux vraiment, là, examiner ça.
Je comprends que ça faciliterait, peut-être, mais sauf que ça modifie le
calendrier scolaire. Donc, c'est une
modification potentielle du calendrier scolaire, à moins que ça rentre dans les
journées pédagogiques, mais c'est aux
parents... Mais là vous demandez qu'il y ait un mécanisme formel de l'État, et
c'est là, pour moi, pour motif religieux seulement, pas pour motif de travail et de choses... c'est là que je
trouve qu'il y a un enchâssement du religieux qui, pour moi, déborde un peu sur la vision qu'on a de
l'éducation et du régime pédagogique, du calendrier scolaire. Je comprends
la recherche, mais...
Mme Yudin (Eta) : Nous ne
proposons...
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Mme Yudin.
Mme Yudin (Eta) : Pardon. Nous ne
proposons pas de changer le calendrier de l'école pour accommoder les étudiants qui vont manquer de l'école, mais, dans
la perspective de l'administration de l'école ou des professeurs, de savoir
que, telle date et telle date, on ne va pas
mettre un examen, on ne va pas organiser le voyage à l'Assemblée nationale,
c'est de la même manière que beaucoup
de parents, quand ils prennent des vacances hors du calendrier, ils notifient
le professeur pour pouvoir assurer
qu'ils ne vont pas manquer la journée où on va enseigner l'alphabet. Genre,
juste d'ajuster un peu, et de savoir, et d'être mieux équipé pour
équilibrer les outils en classe.
Mme
Maltais :
...pour ça, on a seulement huit minutes ou neuf minutes environ pour échanger.
Je vous remercie. Je comprends que c'est pour l'examen. Là, je comprends
la précision. Mais c'est parce que c'était très large, mais je comprends la
précision maintenant. Évidemment, j'aurais eu d'autres échanges à faire, mais
je n'ai plus de temps. Merci beaucoup.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Mme la députée de Montarville.
Mme Roy :
Merci, beaucoup, M. le Président. Bonjour aux gens de CIJA-Québec, Mme Yudin,
M. Ouellette, M. Robert, merci pour
votre présence, merci pour votre mémoire, que j'ai lu avec beaucoup
d'attention. Et il y a des choses là-dedans que je suis très heureuse de
lire.
Quand vous
nous dites, naturellement, d'entrée de jeu, à la page 2 : «La communauté
juive soutient pleinement le modèle
laïque actuel du Québec, qui garantit le droit de tout individu à la liberté de
[culture] et de conscience de même que
le respect des droits et libertés de minorités», je suis d'accord avec vous.
Vous nous dites, et ma collègue en a fait mention : «Le Québec est un État laïque de factodepuis la
Révolution tranquille...» «De facto», ça signifie, pour les gens qui nous écoutent, «dans les faits». Nous, nous
aimerions voir inscrit le mot «laïcité». Je comprends que ce n'est pas quelque
chose qui vous choque ou avec lequel vous seriez en désaccord. Ça me rend bien
heureuse de l'entendre.
Par ailleurs,
vous nous mettez un petit bémol. Je dois dire qu'avec beaucoup de diplomatie,
là, et de doigté vous ne faites pas des recommandations, mais des
suggestions, alors je vois toute votre diplomatie ici. Là, ce que vous nous dites... et on parle de cette neutralité
religieuse qui est édictée à l'article 4, vous nous dites — j'ai pris des notes pendant que vous parliez : Il n'y a pas de définition
claire sur ce qui pourrait porter atteinte à la neutralité religieuse. Et vous
mettez le doigt sur un gros bobo, là,
parce que la neutralité religieuse... pour les gens qui nous écoutent, c'est
l'article 4, il est écrit : «Un
membre du personnel d'un organisme public doit faire preuve de neutralité
religieuse dans l'exercice de ses fonctions. Il doit veiller à ne pas
favoriser ni défavoriser une personne en raison de l'appartenance ou non de
cette dernière à une religion.»
Vous disiez
que ça soulevait des craintes chez vous, qu'il n'y ait pas de définition claire
de ce qui pourrait porter atteinte à la neutralité religieuse.
Pourriez-vous élaborer sur ce que vous entendez par là? Puis qu'est-ce que vous
demanderiez qui soit fait?
M.
Ouellette (David) : En fait,
notre crainte, ce n'est pas les contraintes pour un employé de l'État dans
l'exercice de ses fonctions. Ça, ce
n'est pas du tout ça. Nous, notre crainte, c'est que ce libellé pourrait être
interprété de manière à rejeter
d'office toute demande d'accommodement fondée sur un besoin religieux. C'est
pour ça qu'on demandait une précision
à cet endroit-là. C'est-à-dire que, quand on dit que l'accommodement ne doit
pas porter atteinte à la neutralité religieuse de l'État, il nous semble qu'il manque
quelque chose ici. Ça ouvre la porte à une interprétation qui dirait que,
puisque l'État est religieusement neutre, il
ne peut pas accorder d'accommodement sur la base de la religion. On craint
que ça puisse être interprété de cette manière tel que formulé en ce moment.
• (12 h 10) •
Mme
Roy : Je comprends la nuance que vous faites. Par ailleurs, vous dites dans votre mémoire : «Dans le
même temps, à titre de minorité
historique du Québec, nous, Juifs québécois, ne saurions trop insister sur le
devoir d'intégration dans la culture
de convergence de la majorité historique. C'est pourquoi, par exemple, nous
sommes tout à fait d'accord avec le
principe que, pour être raisonnable, tout accommodement doit
inconditionnellement respecter l'égalité entre les hommes et les femmes.» Je trouve que c'est très
beau, ce que vous écrivez, là, et je suis aussi très heureuse de le lire et de
savoir que c'est où vous vous positionnez. Merci. Merci pour ça. C'est important
que les gens l'entendent.
Maintenant,
je vais aller un petit peu loin, vous faites des suggestions
à l'article 16. L'article 16 vous inquiète un peu plus.
C'est l'article qui traite des services de garde, de la Loi sur
les services de garde éducatifs à l'enfance. Là, c'est un article très, très long, je n'en ferai pas la lecture,
mais on dit une chose puis ensuite on dit un peu : Oui, mais. Et je pense que
ça soulève des craintes chez vous. À la page 7 de votre mémoire : «Dans la
forme actuelle du projet de loi n° 62, il est difficile de déterminer quel type d'activité liée
à la religion pourrait effectivement être autorisé.» On parle d'activités,
de pratiques, d'échanges éducatifs. Donc, élaborez un peu la crainte que vous
avez à l'égard de l'article 16.
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : M. Robert.
M. Robert (Maxime) : Notre crainte vis-à-vis l'article 16, c'est qu'actuellement cette loi vient codifier la directive ministérielle. Et, comme mon collègue
M. Ouellette le mentionnait tout à
l'heure, dans l'identité juive,
l'aspect religieux et culturel est
difficilement dissociable. C'est pourquoi que nous, on espère voir la mise en place d'un
mécanisme d'appel, d'un processus graduel vis-à-vis les sanctions, parce
qu'actuellement on a des garderies, des CPE... des garderies subventionnées qui craignent de perdre leur
financement. Des activités qui, normalement, devraient être permises selon
le texte actuel de la loi sont évitées pour ne pas courir le risque de peut-être
être en violation, parce que la conséquence pour un CPE ou pour une garderie subventionnée, perdre le financement, c'est un arrêt de mort : la garderie va fermer.
Mme Roy :
Oui. Allez-y.
M. Ouellette (David) : ...préciser. Pour nous, c'est vraiment
la... Il y a quelque
chose d'arbitraire, pour nous. On ne
comprend pas comment un inspecteur qui arriverait dans... Un inspecteur qui
arriverait dans un CPE à quelques jours de Noël, s'il entend les enfants
chanter des chansons de Noël, il va comprendre, là, que ce n'est pas de l'éducation
religieuse qui y a lieu, hein, parce que,
généralement, disons, 95 %, l'inspecteur, ça fait partie de son bagage
culturel, donc il comprend ce qu'il
voit là. Un inspecteur qui débarquerait dans un CPE majoritairement juif à la
même époque, où nous, on célèbre
Hanoukka, qui est le Noël juif un peu, et qui entendrait un responsable du CPE en train de chanter des
chansons pour Hanoukkah et expliquer un peu l'histoire derrière cette
fête, bien, pourrait conclure, lui, qu'il s'agit d'éducation religieuse, alors que, de notre point de vue, il
s'agit de transmission de patrimoine culturel. C'est-à-dire que toutes nos
fêtes religieuses peuvent être interprétées
aussi comme des jalons historiques dans l'histoire des Juifs, hein, c'est pour
ça qu'un Juif qui n'est pas du tout
religieux peut continuer à observer des fêtes dans un sens qui n'est pas du
tout spirituel mais qui fait partie de son identité en tant que Juif.
Donc, c'est vraiment
là qu'on pense qu'il y a vraiment beaucoup de travail à faire pour départager
ce qui est culturel de cultuel puis comment
ça s'assurer que les agents, les fonctionnaires de l'État aient le bagage
nécessaire pour comprendre ce qu'ils voient dans un CPE.
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Merci, M. David Ouellette, Mme
Eta Yudin et M. Maxime Robert, représentant le Centre consultatif des
relations juives et israéliennes.
Je
suspends quelques minutes. Je demanderais à l'Assemblée des évêques catholiques
du Québec et à l'archevêque de Québec de bien vouloir s'avancer, s'il
vous plaît.
(Suspension de la séance à
12 h 14)
(Reprise à 12 h 17)
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons
l'Assemblée des évêques catholiques du Québec. C'est de la grande
visite. Je pense que c'est la première fois que le cardinal Lacroix, qui est
archevêque de Québec, Mgr Lépine, qui est archevêque de Montréal, et, le plus
près de Québec, Mgr Lortie, qui est évêque de Mont-Laurier, qui est président
de l'assemblée, viennent en commission parlementaire. On vous souhaite la bienvenue. On m'a informé que c'est
Mgr Lortie qui va faire les premières présentations, et qu'à tour de rôle
Mgr Lépine et le cardinal Lacroix vont
prendre la parole, et que vous allez conclure, Mgr Lortie. Si je ne suis pas
dedans, vous me le dites.
Vous
avez dix minutes pour faire votre présentation, et après il y aura
un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux oppositions.
Je vous laisse la parole, Mgr Lortie.
Assemblée
des évêques catholiques du Québec (AECQ)
M. Lortie
(Paul) : Alors, je tiens
d'abord, dans un premier temps, à vous offrir nos salutations les plus
chaleureuses.
Nous
remercions la Commission des institutions pour nous avoir invités dans le
cadre de cette consultation. Nous apprécions
cette attention, car le sujet revêt une grande importance pour le Québec
et pour notre assemblée. Dans notre mémoire, à la page 1... vous
avez un bref historique à la page 1 du mémoire, et nous mentionnons que nous
existons depuis 1849. Évidemment,
on n'était pas là au début. Et, comme on vient de vous le dire — je
passe un petit peu à ma droite — vous
connaissez le cardinal Lacroix et, à ma gauche, Mgr Lépine de Montréal,
et, comme vous l'avez dit, moi, je suis le président de l'Assemblée des
évêques catholiques du Québec.
Et, vous les
avez mentionnés, le premier sujet que va aborder Mgr Lépine, ce sera sur
la signification et la raison d'être
de la neutralité religieuse de l'État. Mgr Lacroix va enchaîner avec le sujet
«la liberté de conscience et de religion», et moi, je terminerai avec la valeur
du pluralisme québécois actuel et une très brève conclusion. Alors, je
laisse la parole à Mgr Lépine.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Mgr Lépine.
M. Lépine (Christian) : Alors,
d'entrée de jeu, pour plonger dans le vif du sujet, actuellement, la notion de
neutralité religieuse est ambiguë, car elle est comprise au moins de deux
façons assez différentes.
Pour les uns,
dont nous sommes, être neutre signifie ne pas avoir de préférence ou de parti
pris. Du point de vue d'un État, la
neutralité religieuse signifie donc que cet État n'a pas de préférence en la
matière. Il n'est ni pour ni contre telle
religion ou telle autre, ni pour ni contre la religion en elle-même, ni pour ni
contre sa présence ou son absence dans l'espace
public, ni pour ni contre la croyance, l'incroyance, l'athéisme ou
l'indifférence par rapport à la religion, il est neutre.
• (12 h 20) •
Toute
personne, bien sûr, est libre d'adhérer ou non à la religion ou à une pensée de
type religieux. C'est fondamental.
Comme individu, on a le droit d'être croyant, incroyant, athée, agnostique ou tout à fait indifférent par rapport
à la religion et on a le droit de ne pas
avoir d'opinion sur le sujet. Si l'État est neutre, c'est qu'il respecte toutes les
options en la matière.
Pour
d'autres, la neutralité religieuse de l'État signifierait qu'il bannit toute manifestation de
la dimension religieuse dans
l'appareil étatique, notamment les signes et symboles qui seraient visibles dans
les lieux, dans les documents ou encore dans le comportement ou
l'habillement du personnel. «Neutralité religieuse» signifierait alors «absence
de tout signe religieux». À notre avis, cette compréhension de la neutralité religieuse de l'État
contient en elle-même une contradiction, puisque l'État
aurait alors une préférence en
matière religieuse, celle d'en exclure toute manifestation. Il ne serait donc
pas neutre. On se rapprocherait, dans les faits, d'une sorte d'athéisme
officiel.
Alors,
pourquoi un État choisit-il la neutralité religieuse? L'objectif n'est-il pas
de garantir concrètement l'exercice des
libertés fondamentales et, en particulier, de la liberté de conscience et de la
liberté de religion? Ces libertés, il faut le souligner, précèdent l'État, elles ne viennent pas de lui. L'État les
reconnaît et les respecte, il n'en est pas la source. Ce n'est pas
l'État qui accorde la liberté aux citoyens, ce sont les citoyens qui se donnent
un État sur lequel ils comptent notamment pour faire respecter leurs droits et
libertés. L'État existe pour les citoyens, et non l'inverse. La neutralité religieuse ici n'est pas un principe, mais un
moyen. Ce n'est pas la neutralité qui est une valeur fondamentale à protéger,
mais les droits et libertés. C'est pourquoi
nous suggérons que soit clairement exprimé dans le projet de loi que l'option
de l'État québécois est de garantir, protéger et promouvoir l'exercice des libertés
fondamentales, dont font partie intégrante les libertés de conscience et
de religion.
Aussi
osons-nous poser une question qui pourra surprendre : Le titre du projet
de loi est-il le bon? Quel est le but poursuivi?
L'objectif n'est pas de protéger l'État, mais ses citoyens. Ne faudrait-il pas
le dire explicitement même dans le titre
de la loi? Le titre ne pourrait-il pas être loi favorisant le respect de la
liberté de conscience et de la liberté de religion?
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Merci. Cardinal Lacroix.
M. Lacroix (Gérald Cyprien) : C'est
pourquoi nous recommandons que le projet de loi fasse explicitement référence à ces libertés de conscience et de
religion en les nommant clairement, qu'il utilise la formulation qui se trouve
dans un considérant du préambule de la
charte québécoise des droits et libertés de la personne, à savoir que «le
respect de la dignité de l'être
humain, l'égalité entre les femmes et les hommes et la reconnaissance des
droits et libertés dont ils sont titulaires constituent le fondement de
la justice, de la liberté et de la paix», et surtout qu'il cite explicitement l'article 18 de la Déclaration universelle des
droits de l'homme, lequel constitue sans aucun doute la référence la plus
solide pour un législateur. Je
cite : «Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de
religion; ce droit implique la
liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de
manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en
public qu'en privé, par l'enseignement, les pratiques, le culte et
l'accomplissement des rites.»
On ne trouve
dans le projet de loi aucune mention explicite de la liberté de conscience et
de la liberté de religion. De fait,
le mot «conscience» en est totalement absent, alors qu'il est pourtant au coeur
de toute la problématique. À l'article 1, il est question des conditions suivant lesquelles un accommodement pour un
motif religieux peut être accordé. Parler seulement de motif religieux n'est pas à la hauteur de l'importance de
ce qui est en jeu ici. Et l'article 6, qui a pourtant le but évident de protéger la liberté de conscience
d'un professionnel de la santé, s'en tient à l'expression «en raison de ses
convictions personnelles». C'est vrai, bien
sûr, mais c'est insuffisant. Parler seulement de motif religieux et de
convictions personnelles ne permet pas de donner au projet de loi des
assises solides à la mesure de la gravité des enjeux. Cela pourrait même être interprété comme une façon
d'éviter le point central de tout le débat, qui est l'exercice et le respect
des droits et libertés.
Aussi, nous
croyons qu'étant donné tout ce qui a conduit à ce projet de loi au cours des
dernières années il faut qu'une
réponse sur rien de moins que la reconnaissance explicite des libertés
fondamentales que sont la liberté de
conscience et de religion en soit le fondement.
Le fait de reprendre explicitement ces
affirmations, qui sont universelles et incontestables, aurait un double avantage : d'abord, d'élever tout le débat,
et la législation qui en découle, au niveau approprié, qui est celui des
valeurs universelles reconnues dans
le concert des nations, et de plus d'éviter que les interprétations de la loi
ne s'enlisent dans des discussions
stériles sur le caractère privé ou public de la religion. La Déclaration
universelle des droits de l'homme est sans équivoque : la religion
se vit, s'exprime et se manifeste «tant en public qu'en privé».
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Mgr Lortie.
M. Lortie
(Paul) : Et je vous partage
quelques considérations sur le thème n° 3 : la valeur du pluralisme québécois actuel, à la page 5, au point
3.1.
On se réjouit,
dans l'article 13 du projet
de loi, de reconnaître la valeur des
éléments emblématiques ou toponymiques
du patrimoine culturel du Québec, notamment du patrimoine religieux. Toutefois,
cela nous paraît réducteur, car les éléments toponymiques auxquels on
réfère sans les nommer n'appartiennent pas seulement au passé ou au patrimoine.
Il y a bien des éléments du présent, de la vie actuelle de notre Église, par
exemple, qui seront sans doute considérés
dans l'avenir comme faisant partie de l'héritage ou du patrimoine. Notre mémoire
donne quelques exemples. Je vous cite
la porte sainte, installée en 2013 dans la cathédrale de Québec,
ou la relance ou la nouvelle vie dans des lieux fort fréquentés grâce à des investissements majeurs, financiers, comme par exemple, à l'oratoire Saint-Joseph à Montréal.
Il est bien important de reconnaître que la
réalité religieuse fait encore et toujours partie, bien que de façon différente, du Québec contemporain. Ce n'est
pas seulement une question d'héritage du passé ou de
patrimoine. Pour notre part, nous
voyons sans cesse des manifestations inédites, en particulier chez les jeunes
adultes, qui permettent d'entrevoir la
naissance d'une toute nouvelle façon d'être Église. Que l'on pense aux Journées
mondiales de la jeunesse, avec le pape, où des millions de personnes sont au rendez-vous et des milliers de
jeunes adultes catholiques québécois y participent.
Une autre considération, c'est : le
catholicisme québécois actuel est de plus en plus multiculturel. Bien des paroisses et des sanctuaires en témoignent. Notre mémoire
vous donne des exemples, mais je souligne uniquement que le dimanche, au Québec, la messe est célébrée
dans plus de 42 langues différentes. À ce pluralisme interne au catholicisme
s'ajoute bien sûr la nouvelle diversité
religieuse, à laquelle la plupart des Québécois n'étaient pas habitués ni préparés, surtout quand elle devient plus visible. C'est
évident... l'une des causes principales au débat qui a conduit à ce projet.
Nous croyons qu'il est de première
importance d'affirmer la valeur de ce nouveau pluralisme québécois.
Il faut le traiter comme une richesse.
Nous constatons que le projet de loi évite de nommer ou de qualifier ce nouveau
pluralisme. Nous croyons qu'il devrait le faire.
Il est important de nous demander s'il est toujours
approprié d'aborder la question à partir d'une logique des accommodements. La diversité et le pluralisme ne
devraient plus être considérés comme des éléments qui viennent déranger ou perturber la normalité des choses, mais comme
la nouvelle réalité. Il est important de mettre plutôt l'accent d'apprendre un
nouveau vivre-ensemble dans lequel la dimension religieuse à visages multiples
restera incontournable.
Enfin, la société québécoise
est désormais pluraliste. Cela se voit, cela va continuer à se voir, et il faut
s'y faire. Il y va du respect des droits et des libertés universellement
reconnus.
Je termine
par une très brève conclusion. Nous voulons vous redire notre profond
attachement à nos institutions démocratiques. Nous exprimons notre reconnaissance
et notre respect à tous les députés et ministres de l'Assemblée nationale
pour tous les efforts que vous déployez pour mettre en valeur des valeurs de
justice, d'équité et de paix. Nous exprimons
notre admiration, toujours renouvelée, pour la capacité du peuple québécois
à maintenir ouverts des espaces de partage, d'écoute et de dialogue même
quand les débats peuvent s'enflammer et se charger d'émotion.
Pour notre
part, nous avons la conviction que la foi qui nous habite, cette foi de
l'Église catholique qui a imprégné notre
histoire et nos traditions, est et demeurera une source de sens, de confiance,
de paix et d'espérance qui contribue à la vérité et à la paix, à la
recherche du bien commun et à la protection des plus petits de notre société.
Merci.
• (12 h 30) •
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Merci, Mgr Lortie. Mme la ministre.
Mme Vallée : Merci beaucoup. Merci, messieurs, de votre témoignage et également
du mémoire que vous nous avez partagé, fort intéressant, parce que vous
abordez la question de la neutralité d'une façon qui est intéressante aujourd'hui, et je vous dis pourquoi. Nous entendrons, un peu plus tard cet après-midi, un groupe qui a interprété la neutralité de l'État comme vous le faites lorsque vous dites : Il y a
deux interprétations de la neutralité
de l'État : il y a la première, à l'effet que les institutions sont
neutres mais on respecte la liberté de conscience et la liberté de religion des
gens qui interagissent au sein de ces
institutions-là, mais il y a
une autre interprétation plus rigoureuse à l'effet que la neutralité
impliquerait l'absence de la réalité religieuse, de la liberté de conscience en
l'espace public, ce qui n'est pas celle qui nous a inspirés dans la rédaction
du projet de loi.
La rédaction du projet de loi s'est inspirée
d'une définition de la neutralité que l'on retrouve notamment dans l'affaire de la prière au Saguenay, qui a été
tranchée par la Cour suprême. Certains nous ont reproché de s'inspirer des
décisions de la Cour suprême pour légiférer, mais, que voulez-vous, c'est quand même
le plus haut tribunal, et il nous aide, il nous guide lorsque vient le
temps de respecter les droits de tous et chacun dans la rédaction d'une
législation. Donc, je
trouvais important de la souligner. Et puis, à juste titre, vous
avez soulevé cette nécessité de
réitérer l'intention que nous avons lorsque nous utilisons le thème
«neutralité». Alors, merci beaucoup.
Dans votre projet de loi, vous mentionnez aussi
une... dans votre mémoire, pardon, petit lapsus, dans votre mémoire, vous mentionnez que vous souhaiteriez
voir ou retrouver, au sein du texte, des précisions quant à l'importance
de respecter la liberté de conscience, la
liberté de religion. On n'y fait pas référence, parce que nous avons notre
charte, qui prévoit déjà ces
droits-là et qui prévoit déjà le respect de ces droits-là. Donc, principe de
rédaction : on ne retranspose que très rarement, dans les textes de
loi, des dispositions que l'on retrouve dans d'autres dispositions
législatives.
Donc, je vous
dis ça, mais, ceci étant, est-ce que vous maintenez cette recommandation qui
est formulée à votre mémoire?
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Mgr Lépine.
M. Lépine
(Christian) : Disons, il y a
comme la réalité des faits et des courants qui se dessinent. Alors, dans les
faits et dans les courants qui se dessinent,
souvent, le mot «neutralité» est compris dans une perspective exclusive de la
visibilité, c'est-à-dire cacher, pour ne pas
dire voiler la visibilité, et étant présentée comme une neutralité, mais c'est
une neutralité qui affaiblit, je
dirais, la perspective de la liberté de conscience et de religion et d'être, et
d'exprimer, et de vivre en privé et
en public. Et, dans ce sens-là, l'idée, c'est qu'en faisant le lien
explicitement avec cette dimension de la liberté fondamentale dans le projet
de loi, en trouvant une façon de faire le lien, c'est pour orienter
l'interprétation du mot «neutralité», si on
veut, pour que ce soit vraiment une neutralité, entre guillemets, respectueuse de
la diversité où on n'a pas à avoir peur de la visibilité, de la
différence ou des différentes confessions.
Mme Vallée : Donc, ce que je comprends de votre mémoire, c'est
que, pour vous, il est important de bien positionner
la neutralité afin qu'elle ne puisse pas être perçue comme un outil pour
aseptiser la société de cette réalité, de ce respect et de ces
droits fondamentaux que sont la liberté de conscience et la liberté de
religion.
J'aimerais justement
vous entendre sur la question du port des signes religieux, parce qu'on l'a abordée de façon un petit
peu plus rapide, compte tenu du temps qui vous était imparti. À votre mémoire,
vous en parlez quand même longuement. Et je crois qu'il serait important,
peut-être, de présenter vos observations.
Une voix : Mgr Lacroix.
M. Lacroix
(Gérald Cyprien) : Oui. En
fait, si on comprend bien ce qu'on vient d'échanger sur la bonne façon d'interpréter la neutralité et la liberté de
religion et de conscience, il me semble qu'on ne voit pas de menace à porter,
de façon raisonnable, des signes
religieux. Évidemment, si j'avais une croix d'un pied et demi... bon,
j'exagère, là, mais qu'on puisse,
d'une façon raisonnable, exprimer la tradition chrétienne ou non chrétienne à laquelle
on appartient, ce n'est pas une menace,
hein? Il y a du raisonnable là-dedans, il y a du déraisonnable, mais en soi on
va dans d'autres pays où on voit des
gens qui... et même dans d'autres provinces où c'est beaucoup plus... Alors, on
voit des gens avec des turbans, d'autres avec une petite croix, d'autres avec une kippa, enfin, et ce n'est pas
menaçant si le fonctionnaire, la personne qui est au service de l'État
est une personne compétente et respectueuse.
En fait, ça
exprime la liberté de religion, le fait qu'on permet cela, qu'on est capables
de vivre différents ensemble. Alors, moi, je vois ça comme un plus de
cette façon-là.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Mme la ministre.
Mme Vallée :
En fait, vous expliquez aussi... et je trouve ça intéressant, on a abordé à
plusieurs reprises, dans les travaux
de la commission, la question de la laïcité. Notre collègue, tout à l'heure,
invitait, proposait peut-être d'ajouter, dans le préambule ou dans un préambule du projet de loi, une affirmation
quant au fait que le Québec est un État laïque, proposition qui a été
soulevée il y a quelques minutes.
Une voix : ...
Mme Vallée : Oui. Bien, en
fait, notre collègue...
Une voix : ...
Mme Vallée : ...réitère, oui.
Oui, oui, je ne voudrais pas sous-estimer les convictions de notre collègue.
Mais vous
élaborez aussi sur la question de l'utilisation du terme «laïque». J'aimerais
vous entendre là-dessus.
M. Lortie
(Paul) : C'est dans notre mémoire au point 3.6 : Le projet
de loi évite les deux mots : de «laïcité» et de «laïque». Dans le phénomène que nous avons, au
niveau laïque, la façon de classifier les gens à la suite de leurs baptêmes,
on parle des gens qui vivent leurs baptêmes,
des laïques, on en convient. Ensuite, il peut y avoir des religieux, des
religieuses. Il va y avoir aussi des
prêtres puis il va y avoir des évêques, puis il y a aussi, évidemment, le pape.
Alors, c'est une façon de comprendre.
Et, en même temps, on a de plus en plus des laïques qui travaillent et qui sont
des... des employés laïques qui
travaillent pour nous. Il y a même une association de laïques qui est au niveau
provincial pour leur donner des droits plus importants et respectueux
des conventions collectives.
Alors,
nous estimons que cette réalité du mot «laïque», chez nous, là, le fait qu'on
l'utilise a un sens particulier qui
n'est pas le sens que l'on donne. Mais, ce qui important, il s'agit aussi de
préciser quel est le sens. C'est parce que, même si on parle, mettons,
d'un État laïque, il est important de voir la portée de cette signification. Je
ne sais pas si Mgr Lépine...
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
...vous aviez un commentaire additionnel?
M. Lacroix
(Gérald Cyprien) : Moi,
j'ajouterais, c'est bien évident que l'État québécois est un État laïque, mais
la société, elle n'est pas laïque, la société vit...
Une voix : ...
• (12 h 40) •
M. Lacroix
(Gérald Cyprien) : Voilà. Et
c'est ça, parfois, qu'on mélange, je trouve, hein? L'État québécois est bel
et bien laïque, mais la société ne l'est
pas. Dans la société, on retrouve tous les courants et les expressions, et ça,
c'est acceptable. Ce ne serait pas
acceptable au niveau gouvernemental, mais... Alors, on n'a aucun problème à
dire que l'État québécois est laïque.
Je pense que c'est une évolution heureuse. Et, si on l'entend bien et on le vit
bien, ça ne fera qu'aider à vivre la
démocratie et ça aidera à faire respecter les droits et libertés de tous les
Québécois et Québécoises, et ça, c'est un plus.
M. Lortie (Paul) : C'est à la fin du
3.6 dans le mémoire.
M. Lacroix (Gérald
Cyprien) : Oui.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Mgr Lépine, vous aviez un autre commentaire là-dessus.
M. Lépine
(Christian) : Disons,
parfois, il y a des thèmes que l'on prend pour acquis, mais il ne faut pas les
oublier, et c'est le mot
«démocratie». Quelque part, nous avons le privilège de vivre dans une
démocratie, et c'est un privilège et dans
le monde et dans l'histoire. Et, pour moi, c'est de protéger la démocratie
d'affermir la démocratie. Donc, quel impact est-ce que ça a sur ce qu'on est en train de faire, quel impact est-ce
que ça a sur la qualité de la vie démocratique? Et, dans ce sens-là, si on peut dire que, dans les cadres
de la démocratie, on est non seulement un État démocratique, mais qu'on est une société démocratique, là on affermit la
question des libertés fondamentales. Et donc c'est comme un esprit qui vient animer... Et comment faire en sorte que la
différence soit vue comme une richesse, même si ça veut dire peut-être qu'il va
falloir qu'on prenne le temps de rencontrer l'autre pour comprendre? La
différence peut être vue comme une richesse. Et l'identité, je pense,
est une force aussi, mais la différence aussi.
La
démocratie, c'est un contexte dans lequel on peut... ça prend du temps, ça
prend des énergies, ça ne se fait pas du jour au lendemain, mais le
filon démocratique, qui sera toujours présent de façon explicite, m'apparaît
important.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
30 secondes. Mme la ministre.
Mme Vallée : 30 secondes. Je vous remercie pour
vos explications puis je vous remercie aussi pour le mémoire parce que j'ai été
vraiment touchée par une phrase, et vous mentionnez à la page 6 : «La
société québécoise est devenue et va demeurer culturellement et religieusement
diversifiée et plurielle. C'est la réalité. Il faut non seulement prendre
acte de cette nouvelle réalité, mais surtout
l'intégrer à notre compréhension de ce que signifie être Québécois [et être]
Québécoise.» C'est beau. Merci.
M. Lortie (Paul) : Je vous dirais
que vous qui connaissez un petit peu Mont-Laurier...
M. Lacroix (Gérald Cyprien) : Je
savais qu'il allait parler de ça.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
...monseigneur.
M. Lortie
(Paul) : Non, mais à la cathédrale, le 9 octobre, à la messe, il
y avait quelqu'un du Salvador... du Pérou, de la Tchécoslovaquie, du Sénégal qui étaient à la messe. Ces gens-là
ont trouvé un emploi dans notre région et ils viennent régulièrement. Moi-même je suis surpris de voir
que le paysage est changé. Puis, quand j'entends Mgr Lépine... la messe est célébrée en 42 langues... On ne les chassera
pas demain matin pour dire : On veut avoir la paix. C'est un enrichissement
pour tout le monde.
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Je vais vous amener à Chomedey,
Mgr Lortie, très prochainement. Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Bonjour. Merci, M. le Président. Bonjour, messieurs :
M. le président, qui est monseigneur, que je connais bien; bonjour, Mgr
Lacroix, ici; Mgr Lépine, que je connais moins. Mais, Mgr Lortie, j'espère que
vous vivez bien entre l'archevêché de Québec et l'archevêché de
Montréal, ça se passe bien. Vous êtes le médiateur.
M. Lacroix (Gérald Cyprien) : Il est
entre Lacroix et Lépine.
Des voix : Ha,
ha, ha!
M. Lortie (Paul) : ...
Mme
Maltais : Oui. C'est pour ça qu'on s'amuse. Écoutez, j'apprécie
beaucoup votre mémoire. J'apprécie aussi beaucoup cette nuance que vous venez de faire en disant : Oui, on
peut déclarer que l'État est laïque, mais la société, elle est
plurielle. Tout à fait. Ça, je l'apprécie beaucoup. Ça, on s'entend là-dessus.
Il y a une
chose, dans votre mémoire, qui m'étonne. Il y a tout un débat actuellement
autour de la symbolique des vêtements
religieux. Je n'oserais jamais dire que c'est du linge, parce que c'est des
vêtements religieux. Particulièrement concernant
ce qui a été émis comme proposition à la suite de la grande consultation de MM.
Bouchard et Taylor, il y a une
proposition qui semble faire consensus au Québec — vous n'en parlez pas, peut-être que vous
n'êtes pas d'accord, peut-être que
vous êtes plus frileux par rapport à ça — c'est que les agents en position d'autorité,
juges, avocats et agents de prison,
ne devraient pas porter de signe religieux, parce qu'ils ont un pouvoir de
coercition, c'est-à-dire, eux, peuvent donner
des amendes, peuvent même mettre des gens en prison. Donc, cette importance de
voir que ça ne peut en aucun cas être
vu comme ayant peut-être une portée religieuse par un signe visible a semblé assez importante pour faire
partie d'un grand consensus.
Je sais que
vous dites : Il fait partie de la conviction religieuse, le fait de
pouvoir porter un vêtement, même dans l'État. Là-dessus, on jase encore, mettons, au Québec.
Mais là-dessus il semblait y avoir consensus. Vous n'en parlez
pas. Est-ce que vous êtes ouverts à ça ou encore réticents?
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
M. Lortie.
M. Lortie
(Paul) : Bien, moi, à première vue, là, dans ce que vous dites, c'est possible que le législateur estime que ce soit bon, mais il faut toujours regarder les motifs
pour lesquels on fait cela. Alors, c'est important de regarder... On a mis beaucoup plus de restrictions sur le port du vêtement pour
des mesures de sécurité. C'est moins au niveau de la foi. Alors, à
ce moment-là, c'est sûr que pour nous
autres il y a une tolérance qui est donnée. Mais, si jamais
vous estimez que pour le bien commun
ça peut être nécessaire, moi, je respecterai ce que vous avez l'intention de
faire pour la bonne marche du gouvernement. Mais c'est moins notre champ de compétence. Alors, ce n'est pas une
question que je veux... la chèvre et le chou, mais, on le voit dans la
façon de s'exprimer aujourd'hui, il faut s'habituer à la différence et voir un enrichissement. Connaître une autre culture dans
notre vie personnelle, c'est être davantage un homme et une femme, parce
qu'on intègre une autre portion de l'humanité.
Alors, moi,
je me dis : Ils ont des coutumes différentes des nôtres, et c'est à nous de
voir comment ça peut être un enrichissement. Mais je comprends que
parfois, quand vous êtes en autorité, vous avez à légiférer, des fois, pour une
question de sécurité. Mais, au niveau de la foi, ce n'est pas une menace de
porter un vêtement religieux.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Mgr Lépine.
M. Lépine
(Christian) : Disons, il y a
comme l'impact pédagogique. La loi a un impact pédagogique, je pense, sur la société, et, dans
ce sens-là, c'est : Qu'est-ce qu'on transmet comme message? Alors, c'est peut-être la question à se
poser.
Pour ma part,
là, indépendamment des zones très
ciblées, là, c'est le fait que, dans la mesure où la visibilité, entre guillemets, est loisible et possible à l'intérieur
non seulement de la société, mais aussi dans l'État, c'est que le message
que ça communique, c'est que la diversité
puis la... c'est une bonne chose, ce n'est pas quelque chose qu'on a à cacher.
L'identité religieuse, c'est une bonne
chose, ce n'est pas quelque chose qu'on a à cacher. Alors, que pour des raisons
de sécurité ou autres qui sont autres que des motifs d'ordre religieux
on puisse avoir une certaine réflexion, c'est une possibilité, mais en n'oubliant pas que la loi, elle est pédagogique.
Alors, quel est le message qu'on est en train de donner à travers ça?
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : C'est parce
que les gens ne savent pas qu'on a seulement
neuf minutes quand on est... Il faut le dire.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Il vous en reste quatre.
Mme
Maltais : Il m'en reste
quatre. C'est bon. Non, c'est parce
que ce n'est pas... Je connais bien
la coutume catholique. Par exemple, je n'ai pas crainte d'avoir quelqu'un,
mettons, devant moi qui a une croix, mais, si c'est un policier, je ne veux pas qu'il en ait, vous comprenez, et c'est parce qu'il a un pouvoir de coercition qui
pourrait être vu non pas par moi,
mais par un autre, et le contraire est vrai aussi. Donc, c'est pour ça
qu'autour de Bouchard-Taylor il y avait consensus. La diversité dans la
population est accueillie avec plaisir et avec bonheur.
Là, ce qu'on parle, c'est tout simplement, là, d'agents de l'État ayant un pouvoir de coercition, c'est précis
comme ça, là. Je comprends, Mgr Lépine, que vous accueillez bien la diversité.
Nous aussi. La discussion est sur les agents de coercition. Mais je ne
sais pas si vous voulez en rajouter. Sinon, je vais vous poser une autre
question.
M. Lortie
(Paul) : Je vous dirais que
ce phénomène-là va s'accentuer. Il va y avoir une autre commission encore.
Pourquoi? Parce que l'arrivée de nouveaux immigrants va faire advenir un
nouveau paysage et on aura à se situer par rapport
à ce contexte-là. On ne peut pas régler d'un coup tous les événements.
Même pour nous autres c'est nouveau. Dans le diocèse de Mont-Laurier, j'en ai huit qui viennent du Burundi, comme
prêtres, j'en ai deux qui viennent de l'Amérique
du Sud, alors c'est nouveau. Avant, c'étaient tous des prêtres québécois.
Bien, c'est nouveau. J'ai à m'adapter, moi aussi, ce n'est pas la même
chose.
• (12 h 50) •
Mme
Maltais : Je suis
d'accord. L'article 4 de la loi dit : «Un membre du personnel
d'un organisme public doit faire preuve de neutralité religieuse
dans l'exercice de ses fonctions. [...]veiller à ne pas favoriser ni
défavoriser une personne en raison de l'appartenance...»
Est-ce qu'il y a des modifications,
pour vous... ou si vous êtes à l'aise avec cette partie de la loi là?
M. Lacroix (Gérald Cyprien) : ...avec ça, ça me semble être clair, hein, en
autant qu'on comprend que la neutralité religieuse ne se situe pas seulement dans les vêtements, elle est dans
sa façon d'être, dans son professionnalisme, la qualité de sa relation et du service qu'il offre à la
clientèle et aux citoyens et citoyennes. C'est là que ça se situe, hein, la
neutralité, beaucoup plus. Bon. Voilà.
Le Président
(M. Ouellette, Chomedey) : Mgr Lépine.
M. Lépine (Christian) : ...que c'est une question délicate, là, puis je
n'ai pas l'intention ou la prétention de dire qu'il y a une solution nécessairement claire, mais, personnellement, là,
si je vois quelqu'un avec un turban qui est en train de me servir, rendre un service de l'État, moi, je
ne vois pas ça comme une menace, je ne me dis pas que l'État, il veut que je devienne sikh. Au contraire, je vais voir
que je vis dans un endroit où différentes religions ont leur place et que les
gens, à cause de leur religion, ne
deviennent pas des citoyens de seconde zone, sont toujours considérés comme des
citoyens à part entière.
Alors
donc, là, pour moi, l'idée qui est présente dans la loi, et qui est très belle,
et qui est très vraie, et qui est même très
succincte, en une phrase, là, d'accueillir les gens, quelle que soit leur
identité, c'est très bien, mais, pour ma part, je ne suis pas convaincu que, pour faire ça, il faut que
moi, j'apparaisse... ou que celui qui sert apparaisse comme n'ayant pas d'identité, parce qu'à quelque part j'aime autant
une identité, entre guillemets, visible, s'il le faut, qu'une identité cachée,
parce que c'est...
Mme Maltais :
...pas là-dessus, là. On n'est pas dans le service public, on est dans le
«visage découvert». Le «visage découvert»; vous êtes d'accord?
Une voix :
Oui, oui. Oui, oui, il n'y a aucun problème.
Mme Maltais :
Oui, oui, ça va.
M. Lortie
(Paul) : Tout en reconnaissant, je suis d'accord avec vous, que
l'identification de quelqu'un peut se faire
par les empreintes digitales. Puis Mgr Lacroix, parce qu'on s'est préparés...
Il paraît qu'on est uniques avec nos yeux et on...
Une voix :
...
M. Lortie
(Paul) : Tiens! Ceux qui travaillent, des fois, avec d'autres groupes,
ils le savent.
Une voix :
...
M. Lortie
(Paul) : C'est ça.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) : Merci, Mme la députée de Taschereau. Mme la
députée de Montarville.
Mme Roy :
Merci beaucoup.
Le Président
(M. Ouellette, Chomedey) : Vous avez des yeux uniques.
Mme Roy :
Nous avons tous des yeux uniques, et je pense à NEXUS, quand vous avez dit ça,
là, lorsqu'on arrive à l'aéroport.
Bonjour, messieurs,
M. le cardinal. On dit «messeigneurs» quand vous êtes deux?
M. Lortie
(Paul) : Allez, allez spontanément.
Mme Roy :
Écoutez, c'est un plaisir de vous entendre. On voit ici toute une autre façon
de lire et de comprendre le projet de
loi n° 62 et vraiment on sent les théologiens en vous, là. On comprend que
vous comprenez ce projet de loi là et
vous le prenez d'un autre sens. Et là la journaliste en moi n'a pas pu
s'empêcher de prendre des notes et noter des choses, et j'ai noté que vous avez employé — lorsque vous parliez, je vous ai écoutés
attentivement — des
termes très forts, très forts pour commenter le projet de loi n° 62 :
définition ambiguë, mauvais titre, réducteur, manque d'élévation. C'est des
mots qui m'ont interpellée, mais je poursuis.
Je
comprends à la lecture de ce que vous nous avez dit puis surtout après vous
avoir entendus que vous feriez plusieurs
modifications à ce projet de loi là et vous allez... et là je peux me tromper,
là, vous me corrigerez, je sens que vous
allez à l'autre bout du spectre comparativement à, je vais dire, nous, la
formation politique que je représente, dans la mesure où nous, nous
souhaitons qu'il y ait une interdiction de porter des signes religieux mais
uniquement pour ces personnes en position
d'autorité coercitive comme nous l'ont recommandé les commissaires Bouchard et
Taylor, minimalement, et qui sont,
naturellement, on les connaît, les juges, les procureurs de la couronne, les
gardiens de prison et les policiers.
Ce
que je comprends de ce que vous nous avez dit, c'est... et ce que le projet de
loi fait actuellement, c'est qu'il ne
touche à aucun signe religieux pour personne. On ne touche à rien, donc on les
permet tous. Mais vous, vous nous dites qu'il faudrait aller plus loin dans une certaine forme d'acceptation de
signes ou d'acceptation du religieux. Et là j'ai pris des notes, vous voulez que le projet de loi
n° 62 fasse référence à la liberté de conscience et à la liberté de
religion. Vous voulez qu'on les
introduise dans le projet de loi plus spécifiquement. Vous nous parliez aussi
des termes que l'on retrouve dans la
Déclaration universelle des droits de l'homme à l'article 18, alors
mettre, si je comprends bien, le religieux, le spirituel plus à l'avant
même. Pouvez-vous commenter? Ou je n'ai absolument rien compris.
M. Lortie
(Paul) : ...compris l'essentiel de notre message. Mgr Lacroix va
continuer.
M. Lacroix
(Gérald Cyprien) : Merci. Vous avez raison d'avoir trois théologiens
devant vous mais aussi trois amoureux de
l'humanité et du respect nécessaire pour les droits et libertés de tous les
citoyens et citoyennes, et c'est pour
cela qu'on veut réintroduire la question de l'article 18 de la déclaration des droits de l'homme, bien
qu'on ait dit tout à l'heure : Bien, ça existe déjà, on le connaît. Mais
nous, on trouvait important de faire ce rappel à l'intérieur de ce projet de loi là, parce que parfois on a tendance à vouloir éliminer toute la question
religieuse dans le domaine public. On
entend souvent dire : Ça, c'est une question privée, c'est personnel,
privé, faites ça chez vous, mais il ne faut pas que ça paraisse, alors que ça, ça nous donne l'impression
qu'on dévie le débat avec ça. Alors, c'est important de rappeler cela.
M.
Lortie (Paul) : L'autre
élément, c'est à la page 5 de notre mémoire en haut. Mgr Lacroix va continuer, parce
qu'il le dit avec tellement de vigueur et c'était son goût. Le premier paragraphe
au haut de la page 5.
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : Mgr Lacroix.
M. Lacroix (Gérald
Cyprien) : «Le fait de reprendre explicitement ces affirmations, qui
sont universelles et incontestables, aurait
un double avantage : d'abord, d'élever tout le débat — et
la législation qui en découle — au
niveau approprié, qui est celui des valeurs universelles reconnues — c'est
cela, on a peur que ça, ce soit évacué, les valeurs universelles reconnues — [par]
le concert des nations; et de plus d'éviter que les interprétations de la loi
ne s'enlisent dans des discussions stériles sur le caractère privé ou
public de la religion.»
C'est pas mal mieux
dit que ce que j'ai exprimé spontanément, mais c'est ça que je voulais dire.
Voilà.
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : Mme la députée de Montarville, 1 min 30 s.
Mme
Roy : Merci. Et on
comprend très, très bien que... et c'est très clair ce que vous
dites, là, mais ce que vous proposez... on serait devant un projet de
loi tout à fait différent de ce qu'on a là, là.
M. Lacroix (Gérald
Cyprien) : Non, on pense que ça l'enrichirait.
M. Lortie
(Paul) : Ça préciserait les termes qui sont utilisés. C'est l'avantage
de mettre ça. Et, s'il y a une contestation,
elle est plus difficile à hypothéquer le projet de loi, parce qu'on
s'appuie sur des lois où l'ensemble des pays du
monde ont donné leur accord. Or, ce n'est pas banal. Et aussi, la charte du Québec,
dans le préambule, vous l'avez aussi,
ce rappel-là. C'est vrai que Mme Vallée a plus d'expérience que moi dans...
rédiger un projet de loi, mais il n'en en demeure pas moins que, si on met explicitement les références, ça donne
un appui plus ferme. Et c'est faux de penser que la religion ne se vit
qu'en privé. Elle se vit aussi publiquement. Et c'est important pour que...
sans ça, on va devenir frileux. Et c'est
incroyable, l'avantage que l'on a de croire pour vivre chaque jour. Et, quand
on a de grandes épreuves, la foi, c'est un levier extraordinaire :
de savoir que quelqu'un est avec nous quand on a des difficultés.
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : Sur ces belles paroles — Mgr Lortie,
merci, cardinal Lacroix, Mgr Lépine,
représentant l'Assemblée des évêques catholiques du Québec — la
commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures, où
elle poursuivra son mandat.
(Suspension de la séance à
12 h 58)
(Reprise à 15 h 2)
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) : La Commission
des institutions reprend ses travaux. Je demande à toutes les personnes
dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs appareils
électroniques.
Nous
poursuivons les consultations particulières et auditions publiques sur le
projet de loi n° 62, Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant notamment à
encadrer les demandes d'accommodements religieux dans certains organismes. Nous entendrons, cet
après-midi, les organismes suivants : Mme Fatima Houda-Pepin;
L'Association de droit Lord Reading; M. Hassan Jamali; et l'Association
humaniste du Québec. Avant de revenir à Mme
Houda-Pepin, je veux souligner la présence, cet après-midi, en Commission des
institutions, de M. Rémy Trudel, ancien député de Rouyn-Noranda—Témiscamingue,
et qui est accompagné d'étudiants en maîtrise à l'ENAP.
Une voix : ...
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Oui, oui, étudiants et étudiantes, Mme la députée Taschereau.
Des voix : Ha, ha, ha!
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Bon. Je n'avais pas fini. Étudiants et étudiantes de l'ENAP qui sont
en maîtrise et, même s'ils viennent de Montréal, sont bienvenus à Québec.
Des voix : Ha, ha, ha!
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Je me suis vengé un petit peu. Donc, Mme Houda-Pepin, je pense que
vous connaissez les règles — je n'ai pas besoin de vous le dire :
dix minutes; je vous fais signe quand on est près du 10 minutes; et
après il y aura un échange avec Mme la ministre et les porte-parole des deux
oppositions. Je vous laisse la parole.
Mme Fatima Houda-Pepin
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Alors, M. le Président, Mme la ministre, Mmes
et MM. les députés... et, à travers vous,
je salue aussi tous les autres députés qui auront à se prononcer et à voter sur
ce projet de loi. Compte tenu des courts délais et surtout du fait que je sois, en ce moment, sur un mandat à
brève échéance, je n'ai malheureusement pas pu vous fournir un mémoire, M. le Président, pour la
commission et, comme je ne dispose que d'une dizaine de minutes comme
vous l'avez spécifié, je vais essayer de me limiter à l'essentiel.
Alors, vous
savez, j'ai été députée à l'Assemblée nationale de 1994 à 2014, j'ai été
première vice-présidente de l'Assemblée
nationale de 2007 à 2012 et actuellement je suis consultante internationale,
chargée de cours, chroniqueuse et conférencière. Alors, allons-y sur le
débat qui nous interpelle.
Je vous ai
entendus, certains députés, dans cette commission dire que, le projet de loi,
il y avait un manque par rapport à la
laïcité, qu'il fallait introduire le concept de la laïcité dans le projet de
loi, alors je voudrais commencer d'abord par ça, parce que, dans le projet de loi n° 491 que j'avais déposé
à l'Assemblée nationale, à titre de députée indépendante, le 12 février 2014 et qui portait sur deux volets,
la neutralité religieuse de l'État et la lutte à l'intégrisme, je n'avais pas
utilisé le terme de laïcité. Donc, je
voudrais vous expliquer pourquoi et pourquoi peut-être ce concept, il est
discutable, bien que je trouve tout à fait légitime la proposition qui
est faite de l'introduire.
Lorsque j'ai
commencé à travailler sur le projet de loi n° 491, M. le Président,
c'était entre 2007 et 2011, dans le
sillage de la commission Bélanger-Campeau, et, comme j'étais dans une
fonction... Pardon, Bouchard-Taylor, plutôt. Et, comme j'étais dans une fonction de neutralité et que je ne pouvais
pas me prononcer publiquement, je me suis dit : La meilleure façon de contribuer, c'est à travers
une réflexion sur la question et peut-être élaborer un projet de loi. C'est
ce qui m'a amenée au projet de loi n° 491. Et, avant d'arriver au projet
de loi n° 491, j'ai fait un détour pour analyser les modèles de laïcité dans le monde pour découvrir un certain nombre de
choses. Premièrement, la laïcité s'inscrit dans un contexte historique particulier, ce qui fait que la laïcité en France
n'est pas la même que la laïcité aux États-Unis, qu'elle n'est pas la
même dans la laïcité au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou en Turquie. Ça, c'est le
premier constat.
Deuxièmement, la laïcité est un concept qui est
historiquement, et au moins depuis plus d'un siècle, associé surtout au modèle français, et le modèle français,
c'est une laïcité de combat, une laïcité de combat qui a été forgée dans
une lutte féroce contre l'Église, et
évidemment tout ça, c'était dans le sillage de la Révolution française, ce qui
n'est pas le cas du Québec. L'autre
aspect aussi qu'il faut retenir, c'est que, lorsqu'il y a eu ce débat très
houleux, très déchirant en France, il
y avait une religion dominante, la catholique, il y avait une minorité
protestante et une toute petite communauté juive. C'est dans ce cadre-là que le débat s'est fait. Par contre, nous,
au Québec, nous sommes au XXIe siècle, nous sommes dans un contexte de
pluralisme religieux, la réalité est différente. L'autre aspect, c'est que le
caractère laïque est une caractéristique
propre au catholicisme. On ne la trouve pas nécessairement même dans le
protestantisme, où le sacerdoce est
universel. Il y a donc une hiérarchie dans l'Église catholique, il y a un
sacerdoce, et ça va jusqu'au pape. La laïcité est un phénomène qui est étranger dans beaucoup de religions, l'islam
par exemple. L'islam sunnite, majoritaire, repose sur le lien direct entre le croyant et Dieu. Il
n'y a pas de sacerdoce, il n'y a pas de clergé, il n'y a pas de hiérarchie.
Donc, les religions peuvent toujours prétendre : Nous sommes
laïques, de toute façon.
Donc, l'autre aspect aussi entourant maintenant
le concept de la laïcité en tant que telle, si on veut l'asseoir dans le projet de loi qui est devant nous, il y a
au moins trois conceptions de la laïcité, il y a la laïcité ouverte aux droits
individuels, la laïcité ouverte aux droits
individuels et collectifs et la laïcité qu'on pourrait dire intégrale, et,
dépendamment du modèle qu'on choisit, on arrive à des résultats assez
différents.
Maintenant, la neutralité religieuse de l'État.
Le projet de loi n° 62 s'intitule Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l'État et visant
notamment à encadrer des demandes d'accommodements religieux dans certains
organismes. J'ai cherché dans ce projet de
loi la définition de la neutralité religieuse de l'État et je ne l'ai pas
trouvée. L'article 1 débute par, et je cite : «Considérant la
neutralité religieuse de l'État...» Mais à quelle neutralité religieuse de l'État fait-on
référence? Dans quelle loi, dans quelle Constitution, dans quelle chartre des
droits elle est définie? Et de quoi est-ce qu'on parle, au juste?
L'autre
aspect, c'est que le projet de loi n° 62 ne porte pas vraiment sur la
neutralité religieuse de l'État en tant que telle, mais... une loi favorisant le respect de la neutralité
religieuse de l'État. Alors, comment est-ce qu'on peut favoriser le respect
de quelque chose qu'on ne connaît pas?
• (15 h 10) •
Par
ailleurs, lorsqu'on lit attentivement le projet de loi, cette neutralité
religieuse de l'État, elle repose essentiellement sur les épaules des employés de l'État. Or, l'État ne peut pas se soustraire à son obligation.
L'État doit assumer. C'est celui qui
doit assumer, au premier lieu, et incarner la neutralité religieuse de l'État.
On ne trouve pas ça dans le projet de
loi.
On
ne peut donc pas, M. le Président, faire l'économie d'une définition, dans le projet de loi, de la neutralité religieuse de
l'État et de la laïcité si le consensus parmi les députés se dégage à cet effet.
Pourquoi? Parce qu'on est dans un
domaine de droit nouveau. La
neutralité religieuse de l'État ou la laïcité, ce n'est pas de la tarte aux
pommes, c'est sérieux, ça a des implications
sur les droits des gens. Donc, c'est très important que l'on puisse définir la
neutralité religieuse de l'État et/ou la laïcité comme un droit politique fondamental pas dans une loi ordinaire
comme le projet de loi n° 62, mais dans une charte des droits, la
charte des droits du Québec.
Dans
le projet de loi n° 491, si vous permettez, M. le Président, je voudrais
vous rappeler qu'il y a une définition. Je vous la soumets pour réflexion, tout simplement — vous pouvez la bonifier : «L'État est
neutre au regard de quelque religion
que ce soit. Il ne peut, directement ou indirectement, favoriser ou défavoriser
l'exercice d'une religion.» Donc, ça, ça
fait de la neutralité religieuse de l'État un droit collectif. Dans le même
article, il est dit que «toute personne a droit à la neutralité
religieuse de l'État envers les religions». Autrement dit, un simple citoyen
peut poursuivre l'État pour non-respect de la neutralité religieuse de l'État.
Là, on parle des vraies affaires.
Je
veux aller très rapidement, M. le Président, puisque vous me signalez qu'il me
reste peu de temps, à l'article 9, l'article
9 où il est indiqué qu'un service de l'État doit être donné et reçu à visage
découvert. Mais la neutralité religieuse de l'État ne peut pas être réduite à une simple modalité de donner ou de
recevoir les services publics à visage découvert. Et ce visage découvert dont il est question dans
le projet de loi, c'est quoi, au juste? La ministre a déjà déclaré, au
lendemain du dépôt du projet de
loi — je la
cite : «Évidemment, le tchador, pour bien des gens, constitue un signe
d'oppression de la femme[...]. Il y a
des femmes qui sont forcées de le porter, mais il y a des femmes qui le portent
[de] façon volontaire. Et ça aussi,
on doit [le respecter].» Alors, puisqu'il s'agit du tchador, pourquoi ne pas le
nommer carrément dans le texte du
projet de loi? Et, dans ce même article, l'article 9, l'alinéa trois, il y a un
accommodement qui permet le port de la burqa et du niqab.
Alors — vous me faites signe, M. le Président,
d'arrêter — je vais
arrêter là. De façon très constructive, je suis prête à entendre vos
questions et à échanger avec vous dans un esprit très, très constructif.
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : Merci, Mme Houda-Pepin. Mme la ministre.
Mme
Vallée : Merci. Alors, Mme Houda-Pepin, merci de votre
présentation. C'est un plaisir de vous revoir. Je tiens à saluer M. Trudel, qui vous accompagne, ainsi que
les étudiants. Je pense que c'est une belle démonstration de ce qu'est notre Assemblée nationale et je pense que vous
êtes une digne représentante aussi grâce à votre implication, qui est continue
et soutenue. Alors, là-dessus, je pense que
tout le monde s'entend ici, autour de la table, et je pense que tout le monde
s'entend aussi, autour de la table, sur
votre passion et votre constance sur ces enjeux. Et, pour vous avoir côtoyée
alors que vous occupiez des
fonctions, vous avez toujours été passionnée par ces enjeux, les enjeux également
des droits des femmes un peu partout à travers le monde.
Et
j'étais fort intéressée par votre explication sur l'évolution de votre pensée
et sur votre approche, le choix que vous aviez fait lors du dépôt du
projet de loi n° 491, de faire le choix de la neutralité, effectivement,
qui était définie. Vous aviez fait le
choix aussi d'introduire le concept de neutralité à l'intérieur de la charte
québécoise et vous nous suggérez de définir
la neutralité. Une suggestion est de s'inspirer de votre texte. On a eu une
suggestion similaire également,
ce matin, qui nous a été formulée par l'Assemblée des évêques catholiques. On a
des gens qui ont manifesté ce
souhait-là. Et, je dois vous dire, je vous entends et je comprends, pour avoir
été, à un certain moment donné, dans l'opposition, dans d'autres projets de loi où on demandait de définir des termes nouveaux,
je comprends qu'il y aurait peut-être
lieu de bonifier afin que le concept de neutralité soit bien interprété. Parce que,
ce matin, on nous expliquait que, pour
certains, la neutralité voudrait dire, d'une certaine façon, l'absence de toute
forme de représentation religieuse, de toute forme de manifestation
religieuse.
Et
il y a aussi cette neutralité qui est définie dans les arrêts récents de la
Cour suprême dans l'affaire de la prière au Saguenay. Nous ne l'avons pas définie dans le projet de loi, parce que, selon nous, la décision de la Cour suprême,
elle était assez claire, assez limpide et
permettait de référer à ce qu'était la neutralité de l'État dans notre esprit
et dans l'espace public.
Ceci
étant dit — vous
aviez inscrit «la neutralité» à l'intérieur de la charte — est-ce
que vous considérez que le préambule
du projet de loi pourrait s'avérer un endroit... que d'ajouter un
préambule au projet de loi, incluant, par exemple, une définition de
la neutralité qui reprendrait les termes... Parce que votre définition,
elle est très similaire à celle que l'on retrouve dans le jugement de la
Cour suprême. Elle est celle sur laquelle tous s'entendent, c'est-à-dire que
l'État ne favorise ni défavorise une
religion. Donc, est-ce que vous croyez, selon vous... Vous n'avez pas déposé de
mémoire, mais je vous avoue que j'ai
relu votre projet de loi avec attention, parce que je me suis dit, vous
connaissant, qu'il y a des grandes chances que vos
représentations soient en lien avec ce que vous avez déjà déposé ici, devant l'Assemblée.
Est-ce que
vous croyez donc que d'amender le projet
de loi et d'y inclure un préambule
précisant certains concepts pourrait s'avérer utile dans le cadre de
l'exercice auquel on se livre actuellement?
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Mme Houda-Pepin.
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Merci, M. le Président. Tout
d'abord, je voudrais, encore une fois, rappeler que je vous ai expliqué le cheminement que j'ai fait par
rapport à la laïcité et pourquoi j'ai écarté dans le projet de loi la notion de la laïcité à cause de toutes les difficultés
que ce concept-là pose au niveau de sa théorisation par rapport au Québec,
mais ce n'est pas exclu. Et je me rendrais à
un consensus qui se dégagerait de cette commission, où on voudrait
définir... Il faut le définir correctement, parce que, là, on ne peut
pas juste introduire la laïcité puis la neutralité religieuse sans nécessairement
lui donner un sens, parce que ça a des conséquences.
Alors,
ceci étant dit, pour revenir à la neutralité religieuse de l'État et au projet de loi n° 62... Mme la ministre,
nous avons été collègues, je vous connais,
j'ai beaucoup d'estime pour vous, cela va de soi, mais le projet de loi
n° 62 est à reprendre. Si vous
voulez faire une oeuvre utile pas pour le Parti libéral, pas pour le PQ, pas
pour la CAQ ou pour Québec solidaire,
mais pour le Québec, ce projet de loi doit être repris et réécrit de sorte
qu'on commence par le socle. Le
projet de loi n° 62 est en train de présenter une neutralité religieuse de
l'État construite par le toit. Comme pour une maison : vous
commencez par construire le toit, ça ne marchera pas.
Et
j'ai proposé aussi, dans une chronique récente... j'ai fait un appel à vous
tous et vous toutes pour vous dire : Ce serait tellement bien qu'à l'issue de cette consultation que vous
allez faire vous puissiez trouver un forum quelconque pour dire c'est quoi, le consensus minimum sur lequel
on peut s'entendre pour avancer, tout le monde ensemble, parce que je ne pense pas qu'il y ait un parti qui va
sortir de cet exercice gagnant, aucun, mais vous pouvez gagner tous si vous
acceptez de mettre la partisanerie de côté pour un temps et de dire :
Quelle est la meilleure définition de la neutralité religieuse de l'État? Est-ce qu'on doit inclure la laïcité ou pas? Si oui, comment on va la définir? Et puis
vous entendre là-dessus.
• (15 h 20) •
Dans
le projet de loi n° 491, Mme
la ministre, que vous savez, sur
lequel j'ai travaillé, je n'étais pas seule, j'ai été guidée, et encadrée, et appuyée par les meilleurs
conseillers juridiques de l'Assemblée
nationale, et, à la fin, il a fallu
aussi recourir à une expertise très
pointue, celle de l'honorable ex-juge Claire L'Heureux-Dubé, de la Cour suprême, qui a passé des heures sur le
projet de loi n° 491 à replacer toutes les virgules à la bonne
place. Pour vous dire, elle m'a questionnée sur
pratiquement chaque mot pour être sûre que devant un tribunal, devant une cour,
ce projet de loi va passer le test. Ce projet de loi, il est caduc depuis l'élection de 2014, mais il vous appartient à
vous, les députés, il est déposé à l'Assemblée
nationale formellement. Et non
seulement il vous appartient, mais
les bonnes idées ne meurent pas. Moi, je vous offre de l'utiliser comme
une base de réflexion, parce qu'il y a un travail qui a été fait sérieusement,
et je souligne que ce travail a été fait avant
la charte des valeurs. La charte des valeurs n'était même pas dans le décor. Ça
s'est terminé en 2011. La charte des valeurs, c'est arrivé plus tard.
Alors,
s'il faut définir les concepts de neutralité ou de laïcité,
il faut que ça soit dans la Charte des droits. Et, dans la Charte des droits, vous avez très bien
dit, Mme la ministre... dans le n° 491, il est clairement
dit : «L'État est neutre au regard de quelque religion que
ce soit. Il ne peut, directement ou indirectement, favoriser ou défavoriser l'exercice d'une religion.» Et, en plus, on ajoute une
sécurité supplémentaire : «Toute personne a droit à la neutralité de
l'État envers les religions.»
Pourquoi j'ai tenu à ajouter ça? Parce
que j'ai constaté, moi, dans ma vie politique
que, lorsque la liberté de religion est en jeu ou qu'elle devient un enjeu, les hommes et les
femmes politiques se mettent sous le tapis et ils ont toutes
sortes de raisons pour alléguer ci, pour alléguer ça. Alors, on a dit :
Pourquoi un citoyen ne pourrait pas, hein, contester
l'État devant les tribunaux s'il s'avère qu'il ne respecte pas son obligation
de neutralité religieuse ou de laïcité? Alors, je pense que c'est dans cette
direction qu'il faut aller.
Vous
êtes équipés, vous avez des légistes, vous avez des experts qui sont autour de
vous, les partis ont également
leurs expertises. Pourquoi ne pas mettre
tout ça ensemble, le partager et doter le Québec
d'une véritable loi qui va définir clairement et nettement ce qu'est la neutralité religieuse de l'État?
C'est un droit nouveau, c'est un droit politique, c'est un droit fondamental, c'est un droit
collectif et individuel. C'est ça, les paramètres de ce que devrait être la
neutralité religieuse de l'État.
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : Mme la ministre.
Mme
Vallée : Je tiens à
vous rassurer, Mme Houda-Pepin, le projet
de loi n° 62 a été rédigé également
avec les juristes du ministère de la Justice, alors... les légistes, les juristes et les
constitutionnalistes du ministère de
la Justice. Alors, ce n'est
pas un projet de loi qui a été rédigé rapidement et c'est un projet de loi qui
a considéré un certain nombre de paramètres.
Vous
savez, on disait hier... et un constitutionnaliste, un juriste, qui s'est
présenté devant nous nous disait : À l'égard de la neutralité, à l'égard
de la laïcité, il pourra y avoir autant d'opinions juridiques
qu'il y a de juristes, parce
qu'effectivement un projet de loi
peut être étudié de façon différente, avec un regard différent, avec un regard qui
nous est propre, comme on entendait ce matin, et qui amène une certaine
perception.
Et
puis, votre projet de loi, je n'ai aucun doute qu'il a été rédigé avec beaucoup
d'attention, connaissant votre souci du
détail, mais, ceci étant dit, je ne suis pas prête à dire que le projet de loi
n° 62 est à rebâtir complètement. Il repose sur des socles. Par contre, je comprends très bien, à la lumière des
commentaires qui nous sont formulés, et comme nous le faisons dans tous nos projets de loi, un projet
de loi peut toujours être bonifié. Et c'est la beauté de l'exercice auquel on
se prête aujourd'hui, c'est de le bonifier à
l'aide des commentaires de ceux et celles qui l'ont lu, qui en ont pris connaissance avec un regard différent du nôtre et avec un
regard différent de celui de nos juristes et des juristes qui se sont
penchés... et qui ont rédigé le projet de loi, parce qu'un juriste, au même titre que notre collègue de Montarville,
avec ses yeux de juriste, va regarder un projet de loi avec un regard
différent du mien, et puis c'est tout à fait normal.
Ceci
étant, j'aimerais vous entendre, parce que vous abordez la question
du tchador dans votre projet de loi, le projet
de loi n° 491. Vous abordez la question de la burqa. Vous l'identifiez de
façon très claire. Je comprends que, pour certains, ce serait souhaité, ce serait souhaitable. Il y a un
professeur adjoint à la Faculté de théologie et d'études religieuses de l'Université de Sherbrooke qui disait, qui
avait comme opinion, et je vous le cite : «En interdisant l'accès aux
services de l'État aux femmes qui
portent le voile intégral, incluant le tchador, on coupe de la société les
personnes qui le portent, on brise
les points de contact qui peuvent justement aider à rencontrer la culture de la
société d'accueil. En agissant de la sorte,
on renforce les possibilités d'intégrisme. Il faut donc continuer de faciliter
l'inclusion et de développer des politiques d'intégration pour éviter de radicaliser les personnes.» Et certains
diront et auront comme opinion que d'interdire le tchador, évidemment, va à l'encontre des droits de liberté
de conscience, de liberté religieuse et donc obligerait l'État à recourir à
la clause dérogatoire.
J'aimerais
vous entendre, parce que c'est une question qui n'est pas à prendre à la légère
lorsqu'il est question de droits et
de libertés individuels, mais je connais votre intérêt pour toutes ces
questions sociales puis j'aimerais vous entendre sur ces enjeux-là.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
En deux minutes, Mme Houda-Pepin.
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Très rapidement, M. le Président. D'abord, sur
la question des opinions juridiques, ce
n'est pas le propre du projet de loi n° 62, toutes les pièces de
législation font l'objet de différentes opinions juridiques, de différents avis juridiques. Même, vous pouvez
avoir des avis juridiques du côté du gouvernement et du côté de l'opposition
qui sont différents. Ça, ça fait partie des choses qui sont tout à fait
normales.
Maintenant,
face à des opinions juridiques différentes, face à des opinions politiques
différentes, un gouvernement gouverne,
et gouverner, c'est choisir. Donc, c'est votre responsabilité à vous d'assumer
le choix qu'il faut faire. Moi, je vous lis ici une petite phrase qui
dit : «Nous proposons donc que soit inscrit à la charte québécoise le
principe de neutralité religieuse des institutions de l'État.» Page 6, Identité
québécoise : la vision du Parti libéral du Québec,
3 septembre 2013. Alors, ça, c'est un document du Parti libéral, et
ça a été élaboré dans le cadre de la réflexion sur la neutralité et la laïcité, etc. Comment ça se fait que, depuis le 3
septembre 2013, au 10 juin 2015, quand vous avez déposé le projet de loi, ce n'est plus dans la Charte des
droits? Comment se fait-il que, dans cette même page, on dit : L'État ne
favorise ni ne défavorise aucune religion ou
encore l'absence des religions? C'est dans le même... Il y a une élaboration
de définition déjà qui est commencée.
Il y a un engagement qui est pris par le Parti
libéral d'inscrire la neutralité religieuse de l'État dans la charte québécoise des droits. Pourquoi ce n'est pas
respecté? Pourquoi ça se retrouve dans un projet de loi ordinaire qui s'appelle
le projet de loi n° 62?
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Merci, Mme Houda-Pepin, c'est déjà...
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Alors, je vais, Mme la ministre, répondre, si
vous permettez, à votre deuxième question peut-être avec les questions
qui vont suivre. Désolée.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Mme la députée de Taschereau.
Mme Maltais : Bonjour, M. le
Président. Bonjour à notre ex-collègue Fatima Houda-Pepin et bienvenue.
Vous parlez d'un document. Est-ce que c'est le
rapport Ouimet?
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Non, non. Le rapport Ouimet, c'est un plagiat
du projet de loi de Fatima Houda-Pepin. Et, lorsque je leur ai dit que j'allais rendre public le projet de loi
avec le rapport, le rapport n'a jamais été rendu public.
Mme Maltais : O.K. Alors, je ne pourrai
pas commenter, puisque je n'ai jamais vu le rapport Ouimet.
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Voilà.
Mais moi, j'ai vu les deux.
Mme
Maltais : Je ne m'insérerai pas dans la discussion. Voulez-vous
terminer la réponse que vous vouliez donner à la ministre tout à
l'heure?
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Oui, si
vous voulez.
Mme Maltais : Allez.
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Est-ce
que vous me posez la même question?
Mme Maltais : Oui
• (15 h 30) •
Mme Houda-Pepin (Fatima) : C'est
très gentil à vous.
Bon. Mme la ministre me soulève la question du tchador, de la burqa et elle dit, bon, un avis
d'un professeur qui dit qu'on va
couper les personnes des services par l'inclusion de la radicalisation. Ça,
c'est l'argument que j'entends depuis
des années. Je l'ai
entendu, entre autres, lorsqu'on a voilé des femmes québécoises catholiques
dans une école musulmane. On leur a
imposé le voile comme condition préalable à leur embauche. Je suis sortie
publiquement pour dénoncer ça, parce que l'islam ne contraint pas les autres à
porter un voile. Mais ça s'est fait ici, à Montréal. Et j'avais entendu cette
même question en disant : Mais il
faudrait que les catholiques s'intègrent dans les écoles musulmanes, etc.,
puis, si on ne le fait pas, les
écoles musulmanes vont se développer, le secteur public va se dégarnir, etc.
C'était une position syndicale, pour être honnête, mais là on l'a
enrobée avec toutes sortes d'arguments.
Face aux
valeurs fondamentales — vous êtes ministre, vous êtes une femme, vous êtes députée — qu'est-ce que ça vous dit, l'égalité entre les femmes et les hommes? Le Parti libéral,
son héritage, c'est quoi? Tous les combats qui ont été gagnés jusqu'à tout récemment, jusqu'à la
Révolution tranquille, c'étaient des combats du Parti libéral, c'étaient des
combats des libéraux, des intellectuels et
des politiciens. Et aujourd'hui on va céder là-dessus? On va céder là-dessus?
Dans le
projet de loi n° 491, il y a l'article 4. L'article 4, qu'est-ce qu'il
dit? Il dit : «Un membre du personnel de l'État ne peut porter un tchador, un niqab ou une burka dans
l'exercice de ses fonctions au motif qu'ils représentent un symbole
d'oppression qui va à l'encontre du droit à l'égalité entre les femmes et les
hommes.»
Alors, ma
question, Mme la ministre, si vous permettez, pour vous : La burqa, le
tchador, est-ce que c'est des signes religieux ou c'est des signes
d'oppression des femmes?
Mme
Maltais : M. le
Président, évidemment...
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : La question était adressée à la présidence, évidemment. Mme la députée
de Taschereau, si vous voulez y répondre, soyez...
Mme
Maltais :
Avec plaisir. Ce sont, pour moi, des symboles de l'asservissement des femmes.
Ce n'est pas des morceaux de linge,
c'est des symboles. Ça a valeur de symbole, bien sûr. Maintenant, ce n'est pas
l'orientation qui a été prise, à ce que je sens, dans ce projet de loi là.
D'ailleurs, c'est assez étonnant, puis vous le soulevez, il y a peu de gens
qui l'ont soulevé, les articles du projet de
loi n° 9 sont les «services à visage découvert», mais ils ne parlent
jamais de la religion, ils parlent de visage découvert.
Vous, dans
votre projet de loi n° 491, vous parlez du droit à l'égalité des femmes et
des symboles d'oppression. Bon. C'est
très différent, c'est deux choix, là. Je ne vais pas m'immiscer entre les choix
du Parti libéral, je me sens un peu, des
fois, en dehors de la game, mais c'est deux options différentes. Évidemment,
l'option d'ajouter le tchador fait qu'on réglerait déjà... le mot «tchador», en quelque part, ferait qu'on
réglerait une partie de cette discussion-là. Ça réglerait tout... en partie. En fait, ça réglerait ce bout-là, là.
Mais l'autre chose, c'est : vous aviez l'article 3 aussi. Donc, déjà, en
2011, vous étiez prête à dire qu'une personne en autorité contraignante,
notamment, et là c'est Bouchard-Taylor, un juge, un procureur, un
policier ou un agent correctionnel, ne peut porter un signe religieux
ostentatoire dans l'exercice de ses fonctions.
Donc, déjà en
2011, vous étiez là où est le consensus d'aujourd'hui, le consensus minimal,
mettons. Alors, est-ce que nous devrions ajouter ça? Cinq ans plus tard,
pour vous, est-ce que c'est toujours aussi important?
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Mme Houda-Pepin.
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : M. le Président, je pense que, comme je vous ai
dit, ma réflexion s'est faite entre 2007
et 2011, j'étais vraiment dans le sillage de Bouchard-Taylor. Et, lorsque cette
recommandation a été sortie, j'ai trouvé ça tout à fait raisonnable comme proposition. Et, à ce moment-là, je ne
pensais pas en termes de signes religieux, etc., toutes les chiffonneries qu'on a discutées autour de la Charte des
droits, c'était pour moi une façon de définir la neutralité religieuse de l'État matériellement, la
matérialiser, cette définition.
Pourquoi? Parce que les personnages qui détiennent une autorité contraignante, ils représentent l'État.
Ça, c'est très important, parce
que la neutralité religieuse de
l'État doit s'incarner pas dans les
murs, mais dans les personnages qui symbolisent l'État. Or, les juges, les
procureurs, ces personnages-là, qui
sont dans un statut particulier, qui ont une autorité contraignante, sont les représentants de l'État. Donc,
c'est dans cette optique-là, pour vous expliquer vraiment le contexte, que
j'avais réfléchi à cette notion-là, et que je trouvais, encore une fois,
équilibrée, et, pour ma part, c'était le consensus minimum.
Bon. Aujourd'hui,
évidemment, il y
en a qui ne sont pas capables de se
rendre jusque-là, d'autres réclament d'aller plus loin, et moi, je vous suggère : pour poser le premier jalon,
le plus important, pour moi, c'est le socle sur lequel on va
fonder la neutralité religieuse de l'État et la laïcité, Mme la députée de Taschereau,
parce que je sais qu'elle vous tient à
coeur. Je suis prête à vous suivre. Voyez-vous, je suis de bonne foi, mais
définissez, par exemple, la neutralité comme il faut dans le projet de loi, mais, en même temps, il faut quand même que cette neutralité s'incarne dans les
personnages qui représentent l'État.
Bon. On me
dit, moi, que le juge, le procureur, ça ne représente pas l'État.
Ah! c'est une interprétation, comme dit Mme la ministre, les opinions
divergent, mais, à un moment donné, on ne peut quand même pas prendre Bouchard-Taylor... et pas seulement Bouchard-Taylor,
on parle de Bouchard-Taylor, mais, tous les experts qui ont travaillé sur cette question-là,
hein, qui ont fourni des documents, qui ont
fait des réflexions, qui ont validé aussi avec la Constitution, avec la Charte
des droits, on ne peut quand même pas nier tout ce travail-là qui a été fait.
Alors, la disposition de l'article 3 dans le projet
de loi n° 491 sur la neutralité religieuse de l'État et la lutte à l'intégrisme, pour moi, ça, c'est le consensus
minimum. Si on n'arrive pas à s'entendre sur ça, on ne va nulle part. C'est
clair. Bien, encore une fois, on peut aller
plus loin. Ça, c'est sûr. Peut-être que, dans 10 ans, on peut se rendre plus loin,
mais maintenant ça fait déjà
combien d'années qu'on discute de la même chose et qu'à chaque fois qu'on
discute de ça on tombe
dans les travers et on craint des drames? Pourquoi est-ce qu'on ne s'entend pas sur le fond des choses, et qu'on dit : On
part de là, et, plus tard, on avisera?
Savez-vous
que la loi de 1905 sur la laïcité en France... la France n'a pas accouché d'une loi
du jour au lendemain, là, il y a eu des lois qui y ont précédé sur la
sécularisation dans les écoles. Et, lorsque la loi a été adoptée en 1905, la première
chose qu'ils se sont rendu compte :
qu'ils ont oublié des choses. Notamment, le patrimoine des églises, c'est qui qui va s'en
occuper? Là, il fallait réfléchir et trouver
une façon de régler ce problème. Parce
que nous sommes dans une démarche,
dans un parcours qui ne va pas s'arrêter
avec nous aujourd'hui. Les choses vont évoluer, et on pourra, à ce moment-là, au moment voulu, régler ces
problèmes lorsque la réflexion va mûrir, et elle va évoluer. Mais
moi, je vous dis : J'aimerais tellement, tellement qu'il y
ait un consensus sur ça, j'aimerais tellement
que vous puissiez travailler ensemble pour qu'on puisse avancer et faire
avancer le Québec.
Le
Président (M. Merlini) : Merci beaucoup. Ça termine le temps de l'opposition
officielle. Nous allons aller maintenant
au deuxième groupe d'opposition, et, Mme la députée de Montarville, pour votre
bloc d'échange avec Mme Houda-Pepin, à vous la parole.
Mme
Roy : Merci, M. le Président. Mme Houda-Pepin, merci d'être là. Toujours
un plaisir de vous voir, un plaisir de
vous lire et un plaisir de vous entendre. Et je voudrais saluer, au passage,
vos étudiants et les étudiantes de l'ENAP.
Ce matin — j'ai
très peu de temps — j'ai
profité de ma question pour questionner la ministre sur l'article 9, l'article
9 du projet de loi n° 62 : «Un membre du personnel d'un organisme
doit exercer ses fonctions à visage découvert...» Selon ma compréhension
des choses — Mme
la ministre nous dit qu'autant d'avocats, autant de compréhensions ou
d'interprétations — selon
ma compréhension des choses, ce visage découvert permettra à une enseignante de
porter le tchador.
J'aimerais
savoir : À la lumière de votre expertise, est-ce que vous comprenez
l'article 9 de la même façon que moi? Et que voyez-vous dans cet article
9? Et quelles seront les conséquences s'il est adopté tel quel?
• (15 h 40) •
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Alors, écoutez, j'ai posé une question tantôt,
mais Mme la ministre, ce n'est pas de
sa faute, elle n'avait pas le temps de me répondre, de savoir : Quand vous
parlez du tchador, du niqab et de la burqa, est-ce que vous parlez de
code vestimentaire dégradant pour la femme qui remet en question le principe de
l'égalité hommes-femmes ou est-ce que vous parlez de symboles religieux? Il
faut d'abord résoudre cette question, parce que, dépendamment de la réponse que
vous allez donner, on va aller dans une direction ou dans l'autre.
Pour ma part, puisque
vous me posez la question, ces codes vestimentaires sont antérieurs à l'islam,
ils n'ont absolument rien d'islamique. Vous
avez un texte que j'ai écrit en 1994, qui est toujours d'actualité. Je me
suis tapé le Coran de bord en bord,
les hadiths, les premières sources primaires en arabe. J'ai passé une semaine
de mes vacances de Noël à l'Estérel là-dessus. J'ai pondu un texte et je
me suis dit : Les gens qui vont le lire aujourd'hui, demain et dans
10 ans, ils vont comprendre c'est quoi,
l'enjeu. Ces questions-là sont fondamentales. La compréhension des
enjeux : il faut savoir de quoi
on parle et il faut savoir à qui on parle dans ces questions-là. Donc, pour
moi, le tchador ne sera jamais un symbole religieux de l'islam, de même que la burqa, de même que les niqabs. Ce
qu'il y a dans l'islam, c'est la modestie à l'égard de la femme. Les
versets sont cités dans les textes que je vous ai donnés. On n'a pas le temps
d'en parler.
Donc, dépendamment de
comment est-ce que vous considérez le tchador, par exemple, par rapport au
visage découvert, si vous excluez le
tchador, donnez-moi un autre exemple de visage découvert. Enlevez le tchador.
C'est quoi, le visage découvert?
Une voix :
Le voile.
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : Bon.
Le voile. On reste toujours dans la même matière. Mais, en dehors de ça,
avez-vous un autre exemple à me donner pour
me définir le visage découvert autrement que par le tchador, peu importe
la forme que ça peut prendre? On est dans le
tchador. Donc, le visage découvert, c'est le tchador. Si c'est le tchador, ça
doit être écrit dans le projet de loi clairement pour que les députés qui vont voter tantôt, ils vont voter
sur l'implantation du tchador dans la
fonction publique du gouvernement du
Québec, pour que les citoyens du Québec sachent que c'est pour ça que
les députés ont voté.
La même chose pour le
paragraphe trois de l'article 9, qui introduit un accommodement qui annule
l'effet bénéfique du premier paragraphe,
c'est-à-dire qu'on va accommoder une personne, hein, pour porter le voile
intégral, au cas par cas. Bien, on
n'est pas sortis du bois. Moi, je viens de vous dire que, dans le projet de loi
n° 491, c'était interdit, parce
que c'étaient des tenues dégradantes pour les femmes. Et pour moi le principe
de l'égalité entre les hommes et les femmes
est très important, c'est un droit fondamental, les femmes se sont battues pour
ça, et ce n'est pas aujourd'hui qu'on va rétrograder parce qu'il y a un
tchador qui se promène dans le paysage, je suis désolée.
Mme
Roy : Je suis tout à fait d'accord avec vos propos, qui sont très sages, et j'espère qu'on les
entend très haut. Donc, vous avez la
même lecture que moi de l'article 9. Je suis contente de voir que je ne
suis pas la seule qui ait cette lecture. Et qu'on va ouvrir la porte au tchador
dans la fonction publique et on va permettre l'accommodement religieux pour le voile intégral, la burqa et le
niqab, c'est ce que dit l'article 9.
Par
ailleurs, dire uniquement «neutralité [...] de l'État» à l'article 1...
vous nous dites : Il manque une définition. Alors, si on garde
l'article 1 tel quel, quelles seront les conséquences de cette
application-là?
Le Président (M. Merlini) : En
1 min 15 s, Mme Houda-Pepin.
Mme Houda-Pepin
(Fatima) : Pardon?
Le Président (M. Merlini) :
1 min 15 s.
Mme Houda-Pepin (Fatima) :
1 min 15 s. Merci, M. le Président.
Si vous
gardez l'article 1 tel quel, il n'y a pas de neutralité
religieuse de l'État. Ne parlez pas de neutralité
religieuse de l'État, parce que
vous ne la définissez pas. Devant un juge, ça ne tient pas la route. Et, même
devant vous, les parlementaires, vous
n'allez pas vous entendre pour savoir c'est quoi, la signification de ce qui
est là. La neutralité religieuse de l'État, vous
savez ce que c'est? La laïcité, en France, elle est inscrite dans l'article
1 de la Constitution. Elle est inscrite dans la Constitution américaine.
C'est clair et net. Est-ce qu'on peut l'inscrire dans la Charte des droits? Le
Parti libéral du Québec s'est engagé à le
faire, donc pourquoi est-ce qu'on ne le ferait pas? Il devrait y avoir
consensus. Si le Parti libéral s'y
est engagé, si vous, les autres partis, vous êtes d'accord, alors c'est
là-dedans qu'il faut aller, c'est dans cette direction-là qu'il faut
aller.
Et moi,
aujourd'hui, je suis venue vous dire que vous avez une chance, et ne la perdez
pas, parce que ce débat-là a créé une
fatigue épouvantable au Québec, il a stigmatisé des gens, il a créé des
dissensions, et vous avez l'occasion — et je m'adresse à Mme la
ministre — ...
Le
Président (M. Merlini) : Mme Houda-Pepin, je dois, malheureusement,
vous interrompre, le temps est écoulé.
Mme Houda-Pepin (Fatima) : Très
bien. Je dis un mot pour terminer, M. le Président...
Le Président (M. Merlini) : Très,
très rapidement.
Mme
Houda-Pepin (Fatima) : ...par consensus, s'il vous plaît. Je veux
l'interpeller, elle, parce que c'est la leader, et j'aimerais qu'elle prenne un rôle actif dans ce travail consensuel
pour nous donner une véritable loi sur la neutralité religieuse de
l'État et, pourquoi pas, la laïcité. Merci beaucoup.
Le
Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, Mme Houda-Pepin, pour votre
contribution aux travaux de la commission.
Je suspends
les travaux quelques instants et j'invite les représentants de l'association
des droits de Lord Reading de venir prendre place à la table. Alors,
nous suspendons quelques instants. Merci.
(Suspension de la séance à 15 h 46)
(Reprise à 15 h 48)
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons maintenant
L'Association de droit Lord Reading. Me Frank Schlesinger...
L'Association de droit
Lord Reading
Une voix : Bien dit.
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : ... — probablement qu'au bout de 45 minutes je vais avoir ça comme ça — vous
êtes le président du comité des droits de la personne, vous allez nous
présenter les gens qui vous accompagnent. Et vous avez 10 minutes pour faire votre exposé. Par la suite, il y aura
une période de questions avec Mme la
ministre et les représentants des deux oppositions. Me Schlesinger,
à vous la parole.
M.
Schlesinger (Frank M.) :
Bon. Alors, M. le Président, Mme la ministre
de la Justice, membres du comité,
députés, je tiens, au nom de L'Association
de droit Lord Reading, de vous remercier infiniment pour l'honneur que vous
nous avez fait en nous invitant afin de présenter notre mémoire sur le projet
de loi n° 62.
J'aimerais
présenter mes collègues : à ma droite, Me Ted Goloff, avocat et
ancien président de l'association; et, à ma gauche, Me Michael
Bergman, avocat.
Je m'appelle
Frank Schlesinger. Je suis le président du comité sur les droits humains de
l'association. Dans le passé, j'ai été le président du Congrès juif
canadien, région de Québec et président de son comité sur les relations
communautaires et, au fil des années, j'ai eu l'opportunité et l'honneur de
présenter plusieurs mémoires au nom de la communauté juive, mais, cette
fois-ci, nous nous limitons à L'Association de droit Lord Reading.
• (15 h 50) •
L'Association de droit Lord Reading — l'association — fondée
en 1948, a son siège à Montréal et a comme membres,
principalement mais non exclusivement, des juristes d'origine juive. Le présent
mémoire est respectueusement
soumis en vertu de l'une de nos tâches principales telle que contenue dans
notre déclaration de mission : conseiller et promouvoir l'avancement des
droits de la personne et libertés fondamentales.
L'association croit qu'il n'y a aucun besoin pour ce projet de loi. Il ne fournit aucun bénéfice ajouté et ne s'adresse à aucun besoin pressant. La neutralité de l'État
est déjà entérinée dans la Constitution, non seulement dans les chartes du Québec
et du Canada, mais est aussi protégée par les serments d'office
de ses fonctionnaires. Nous croyons que, bien que le projet de loi n° 62 ait pour intention de promouvoir la neutralité
de l'État, en pratique, le contraire peut bien en résulter. Le projet de loi tente de
codifier une forme de neutralité religieuse dans les espaces publics mais
pourrait bien priver les individus de leurs droits et libertés fondamentaux.
Les
enseignements de la Cour suprême dans Mouvement laïque québécois contre
Saguenay, au paragraphe 74, disent :
«a)
la neutralité religieuse étatique exige que l'État ne favorise ni ne défavorise
aucune croyance pas plus, du reste, que l'incroyance[...];
«c) un espace public
neutre ne signifie pas l'homogénéisation des acteurs privés qui s'y trouvent;
«d) la neutralité est
celle des institutions de l'État et non celle des individus.»
Ces enseignements ne
sont nullement satisfaits par le projet de loi.
La
rédaction des articles 1 et 4 implique qu'une certaine façon d'adhérence
religieuse individuelle et personnelle et
la profession de foi peuvent compromettre la neutralité religieuse de l'État.
Le projet de loi procède à partir d'une telle fausse prémisse et enfreint l'obligation de l'État de rester neutre en
discriminant contre les individus en faveur d'une laïcité ascétique.
La
rédaction de l'article 4 semble couvrir deux concepts distincts : a, que
les membres du personnel d'un organisme public doivent faire preuve de neutralité religieuse; et, b, ces membres
du personnel doivent veiller à ne pas favoriser ni défavoriser une personne en raison de l'appartenance
ou non de cette dernière à une religion. En fait, le premier alinéa de l'article 4 pourrait être lu et compris comme
signifiant que, dans tous les aspects de l'exercice de leurs fonctions, ces
membres du personnel doivent s'abstenir de
démontrer quelque appartenance de nature religieuse que ce soit, incluant
le port d'une calotte juive — kippa — un turban, une croix ou un hidjab, par
exemple. Pour certains fidèles, la tenue particulière peut être un
élément obligatoire de leur profession, leur confession religieuse, multipliant
ainsi les préjudices qu'ils subissent en conséquence.
Nous
étions rassurés par la déclaration de Mme la ministre, telle que rapportée dans
La Presse du 18 octobre 2016, que ce n'est pas une charte sur le linge. Alors, si c'est vraiment
l'intention, et je le crois, nous proposons qu'il y aura un changement dans la rédaction à se lire comme suit,
en mettant les deux concepts ensemble : «Un membre du personnel d'un
organisme public doit faire preuve de neutralité religieuse dans l'exercice de
ses fonctions en ce qu'il doit veiller à ne pas favoriser ni défavoriser une personne en raison de l'appartenance
ou non de cette dernière à une religion.» Ceci éliminerait l'incertitude quant à savoir si la question des vêtements,
ou le linge, des symboles religieux du membre du personnel sera
impliquée.
De
plus, l'article 13 du projet de loi compromet la neutralité religieuse de
l'État en créant une exemption pour les éléments emblématiques ou
toponymiques du patrimoine culturel du Québec, notamment du patrimoine culturel
religieux, qui témoignent de son parcours
historique. Le projet de loi n° 62 ne définit ni précise les éléments
emblématiques ou toponymiques du
patrimoine culturel du Québec — article 13. Cela ajoute à la confusion et
manque de clarté. Est-ce que ce
patrimoine culturel inclut seulement l'héritage culturel chrétien ou également
les contributions, à ce patrimoine culturel, des minorités du Québec?
L'envergure
du projet de loi, l'obligation ambiguë de démontrer la neutralité religieuse,
l'absence de termes clairs et bien
définis et l'octroi, par le projet de loi, d'une discrétion non définie aux
décideurs inconnus peuvent faire en sorte que le projet de loi sera incapable de satisfaire aux exigences de la
règle de droit, c'est-à-dire la connaissance à l'avance de ce qui est
requis et par qui, et ce, avec une certitude raisonnable.
Le
projet de loi n° 62 s'applique généralement et sans distinction à tous les
organismes quasi gouvernementaux, même
les écoles et hôpitaux, qui, alors qu'on peut les considérer comme faisant
partie de l'espace public, ne sont ni l'État ni le gouvernement. Il y a risque que le personnel de ces organismes
publics se voie empêché d'offrir les services ou tenir ou participer à des activités qui peuvent avoir
quelque lien que ce soit avec une pratique religieuse, même lorsque lesdits
services ou activités sont nécessaires ou même primordiaux ou autrement
bénéfiques. Le projet de loi enfreint sur les consciences
et croyances les plus personnelles de ses citoyens. Par le biais de
l'article 7, il rend toute personne ou société qui conclut un contrat,
avec un organisme public, de subvention assujettie aux mêmes atteintes. Ceci
rend l'envergure et les effets nuisibles presque sans limite.
L'établissement
de conditions additionnelles spécifiques et exclusives à l'accommodement
religieux est hautement problématique
en soi. Établir les normes d'accommodement est un exercice futile et superflu
parce que les secteurs des affaires,
de la santé et de l'éducation des organismes publics gèrent déjà avec succès
les demandes d'accommodement. L'intervention du gouvernement à cet égard
est inutile. Les employés de ces domaines d'activité sont syndiqués et
bénéficient d'une représentation assurant la protection de leurs meilleurs
intérêts.
En
outre, quant à l'article 9, si forcer quelqu'un à se dévoiler comme condition
préalable pour donner des services ou
recevoir des services, tel que prescrit par l'article 9 du projet de loi, peut
rendre son vis-à-vis plus confortable, pour celle forcée de se dévoiler il peut s'agir de la violation de ses
libertés fondamentales de religion et/ou de libre expression et peut nous amener à des situations absurdes et
incohérentes et peuvent contredire les enseignements de la Cour suprême
dans l'affaire R. contre N.S.
Le projet de loi
n° 62 place les étudiants dans les écoles publiques au Québec dans la
situation humiliante et dégradante de devoir
pétitionner pour ces exemptions et accommodations individuelles au cas par cas,
et ce, de manière répétitive.
Et je termine. Vu que
le projet de loi semble présumer que la neutralité de l'État sera compromise
par tout accommodement qui est accordé à un
membre de la communauté de l'école pour raisons religieuses et vu que le projet
de loi impose autant de critères sur
l'étudiant postulant, il semble improbable que toute accommodation pour des
motifs religieux soit accordée.
L'effet du projet de loi sera d'exclure les étudiants des écoles publiques du
Québec s'ils ont besoin d'accommodements religieux.
Je vais terminer avec une
dernière indication. L'article 1 de la Charte canadienne et l'article 9.1 de la
charte québécoise permettent les
restrictions sur les droits fondamentaux et libertés seulement lorsque la
restriction est manifestement justifiée dans une société libre et
démocratique et où il y a un but substantiel pressant, objectif : le
gouvernement n'a démontré ni la nécessité,
ni l'urgence, ni la proportionnalité ou atteinte minimale qui pourrait
justifier de telles grandes limites sur les libertés fondamentales.
Merci beaucoup pour votre attention.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Merci. Mme la ministre.
Mme Vallée : Merci,
messieurs. Merci de votre présentation.
Dans un
premier temps, je dois vous dire, et je dois vous rassurer, effectivement, ce
projet de loi là ne vient pas interdire le port d'un signe religieux, le
port d'un vêtement religieux.
Vous avez
fait référence à un extrait d'une prestation dans ce que nous appelons ici
communément la «hot room», donc, la
salle de conférence de presse, la salle de point de presse, où j'ai dit, parce
que j'avais l'impression de répéter que nous n'encadrions pas le port de signes religieux... et, pour expliquer
le propos, j'ai dit : «Ce n'est pas une charte sur le linge...» Je
dois vous avouer, je ne pensais pas que cette petite phrase là serait reprise,
mais au moins ça a le mérite...
M. Schlesinger (Frank
M.) : ...
• (16 heures) •
Mme Vallée :
Non, ce que je veux dire, c'est que je ne pensais pas que ça aurait fait autant
de remous et que ça aurait affolé autant les gens, mais au moins ça aura
le mérite peut-être d'exprimer notre intention.
Je comprends que de ce clip, de ce petit extrait
vous avez compris notre objectif. Notre objectif, ce n'est pas d'aseptiser le visage de la société québécoise,
au contraire, et de la fonction
publique, c'est d'assurer que la
prestation puis la réception de services publics ne seront pas
influencées par une croyance ou une absence de croyance dans la prestation de
services.
Et j'ai lu avec attention votre mémoire hier
soir, et ce matin on avait devant nous l'Assemblée des évêques catholiques qui nous indiquait qu'il y avait deux
types d'interprétation de la neutralité : l'interprétation qui est celle
que la Cour suprême en fait notamment dans l'affaire de la prière au
Saguenay, à l'effet que l'État est neutre et ne doit ni favoriser ni défavoriser en fonction d'une croyance ou d'une absence de
croyance; et cette autre perception de la neutralité à l'effet que la neutralité s'afficherait par
l'absence totale de la religion dans la sphère publique. Je tiens à vous
rassurer, tel n'est pas notre
intention d'aseptiser la société québécoise, parce
qu'au contraire notre société québécoise, elle est riche de sa
diversité. On ne le dira jamais assez.
Et donc là-dessus j'aimerais vous entendre parce
que...
Une voix : ...
Mme Vallée :
Est-ce que vous ne croyez pas qu'il est important, compte tenu des débats qui
ont eu cours ici, au Québec, au cours
des 10 dernières années, qui ont polarisé la société québécoise, qui ont amené
un tas d'enjeux et qui parfois ont
peut-être créé certains préjugés à l'égard de certaines communautés, est-ce que
vous ne croyez pas qu'il est important
d'affirmer que, dans cette prestation de services, l'État est neutre et qu'il
ne doit pas y avoir de... une décision ou une prestation de services ne
doit pas être biaisée par une appartenance ou une non-appartenance? J'aimerais
vous entendre sur question-là, messieurs.
Le Président (M. Merlini) : Me
Bergman.
M. Bergman
(Michael N.) : Permettez-moi de répondre. Ici, au Québec, les
Québécois, les Québécoises demeurent dans
une grande maison ensemble comme une grande famille. Chacun a sa propre chambre
dans cette grande maison, qui est
imprégnée des valeurs de l'histoire et de l'évolution des Québécois. Mais ce
genre de projet de loi, à notre avis, enlève
les adeptes de la maison, dit aux religieux et aux gens qui portent les signes
ou les croyances religieuses : S'il vous plaît, vous pouvez rester sur les meubles mais dans la cabane à
l'arrière de la maison. Donc, il y a un chien de garde pour sécuriser la
laïcité de l'État et de la société québécoise.
Ça, c'est
le message dans ce genre de projet de loi. D'où provient le problème? Peut-être
il y a un problème politique. Vous
avez souligné une polarisation pour un débat dans la société, mais la
protection des droits des minorités, des droits fondamentaux, des
libertés de chacune et chacun exige qu'on mette de côté le débat en faveur des
chartes, la charte québécoise, la charte
constitutionnelle, des ordonnances et jugements des tribunaux. Alors, il est
prévu à l'article 13 quelle est
l'exception pour les choses qui semblent être une partie de notre patrimoine
québécois. Voici ma kippa, ma calotte. Est-ce
une partie de notre patrimoine québécois aussi? Et... était ici depuis 1894.
Ils ont un resto dans la Basse-Ville, ici. Donc, le premier ministre Taschereau mangeait là-bas. Est-ce qu'à porter
ma kippa comme ça j'ai besoin d'une permission, que je suis distingué dans une manière négative? Est-ce que, pour dire que je redeviens jeune — je
pense que je suis jeune, mais peut-être
il y a des gens qui sont en désaccord — redeviens
jeune pour être un élève dans une école secondaire... que j'ai besoin d'un accommodement pour apporter
ma kippa ou d'autre chose? On peut avoir les fêtes religieuses comme le
Rosh Hashanah, le Nouvel An religieux pour les Juifs, ou le Yom Kippour.
Ça, c'est le message dans ce genre de projet de
loi. Ce genre de projet de loi dit aux citoyennes et citoyens : Il y a
un problème, il faut le régler, et on
ne va pas entériner le débat, mais encourager un débat sur les valeurs.
L'objectif des droits minoritaires,
des droits et libertés, c'est de promouvoir l'espace public, donc la diversité
des Québécois, pour être exposé. C'est vrai que, depuis
la Révolution tranquille, il y a un rejet des choses catholiques. Est-ce que
pour Dieu, qui est dans une autre
diversité... par tout le monde, par toutes les religions, que nous, comme des
Québécois modèles, une société forte, puissante, devons avoir un tel
genre de projet de loi?
Ce projet de
loi nous dit que le Québec est trop faible pour garder ses valeurs, pour garder
son histoire, pour engager avec d'autres gens. Donc, pour moi, pour
nous, ce serait un projet de loi sans objet.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
M. Goloff.
M. Goloff (Theodore) : Si vous me le
permettez, M. le Président...
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Oui.
M. Goloff (Theodore) : ...je serais
peut-être un peu plus technique.
Si
l'objectif, en effet, c'est de prévoir qu'il n'y aura aucune forme de préjudice
religieux dans la prestation de services, alors je dis : J'ai de la difficulté de comprendre ce qu'avec un
esprit tout à fait respectueux j'appelle la multiplication des pains que je trouve à l'article 7,
c'est-à-dire l'application de cette loi non seulement à la fonction publique,
mais même aux employés travaillant
pour une compagnie privée qui décidera de contracter avec un organisme public.
Et je trouve la faille suivante dans
la rédaction de l'article 7 : c'est que la loi s'appliquerait non seulement
aux employés du contractant qui vont
travailler à l'intérieur de l'espace public, à savoir, j'imagine, à l'organisme
public concerné, mais même ceux n'ayant
rien à voir avec cette prestation. Mais, si l'objectif traite de la prestation
de services, la prestation, en effet, de services publics,
l'article 7 mérite d'être reconsidéré dès le début.
Ensuite, je
m'attaque à l'article 4. Il y a là le principe qui vaut d'être rappelé, à
savoir que le législateur ne parle jamais
pour rien. Alors, si l'objectif, c'est de prévoir l'absence de favoritisme pro,
contre, même à l'égard de l'athéisme, j'accepte
ça, mais déjà ça fait partie... D'abord, j'ai noté qu'en vertu de l'article...
je pense que c'est l'article 3.5°, on fait appliquer la loi aux juges
administratifs.
• (16 h 10) •
Alors,
l'Assemblée nationale, quand il y avait la refonte du Code du travail... Et je
fais cette référence-là, c'est parce
que ça fait déjà presque 44 ans que j'ai confié ma vie professionnelle au
droit du travail. Alors, quand le Tribunal administratif du travail a été créé, il y en a un, serment d'office, de chaque juge administratif qui reflète justement
ce qui est compris dans le deuxième paragraphe.
Alors, un,
quant à moi, l'article 4 est superfétatoire... au moins le deuxième
paragraphe, mais, en ajoutant le premier paragraphe, si le principe veut que le législateur ne parle jamais
pour ne rien dire, ça laisse à quelqu'un à argumenter que ça vise d'autre chose. Et quelle autre chose? Justement,
la profession de religion dans l'espace public par le port de vêtements
ostentatoires. En effet, c'est la rédaction même de l'article 4 qui fait
l'inverse de ce que l'honorable ministre semble attribuer à l'objet de la loi, c'est-à-dire
que ce n'est pas une charte de linge.
Alors, si ce n'est pas une charte de linge, qu'on fasse en sorte que l'article 4 ne laisse pas
la possibilité d'interpréter l'article 4 de telle
façon. Et c'est ça, en effet, l'objectif de l'amendement qui vous est suggéré quant à l'article 4.
Alors, de notre point de vue, la loi
comme telle, l'article comme tel est
superfétatoire. Mais, si, pour différentes raisons, on pense que c'est
absolument nécessaire, alors, pour le moins, il y aura une amélioration, quant à nous, si on combine les deux en
précisant, en effet, que la manière de faire preuve de neutralité religieuse ou de... plutôt, la manière
de faire preuve de neutralité religieuse, c'est de veiller à ne pas favoriser
ni de défavoriser une personne en raison de
l'appartenance ou non de cette dernière à une religion. Là, on évacuera toute
possibilité de quiconque d'argumenter justement qu'il s'agit d'une charte de
linge et là on va arriver à l'objectif de l'honorable ministre.
Maintenant,
ça ne règle pas le problème de l'article 7. Et, quant à moi,
l'article 7 viole un principe qui a été reconnu par un de nous autres, à savoir l'honorable juge
Côté, dans un jugement récent de la Cour suprême, celui qui impliquait Énergie atomique du Canada, qui est cité dans
notre mémoire. Et c'est quoi, le principe? Le principe que l'individu, le
citoyen, qu'il soit prince ou simple citoyen, il connaisse d'avance qu'est-ce qu'il doit faire
par rapport à qui et de quelle façon. Alors, avec l'article 7, on ne sait pas à qui ça va s'appliquer et
selon quel régime, parce que l'article 14 donne une discrétion aux plus
hautes autorités de l'organisme public de décréter selon des critères qu'on ne
connaît pas que non seulement ceux qui
travaillent dans l'espace public seront assujettis à cette loi, mais également
tous ses employés, mais on n'a pas encore les critères qui déterminent
selon quels critères ça sera exercé. Merci.
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Merci, Me Goloff. C'est une
plaidoirie. Mme la députée de Taschereau.
Une voix : ...
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Ah! Alors, bien, Mme la ministre
va le prendre en délibéré. Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci, M. le Président. M. Schlesinger, M. Goloff, M.
Bergman, bienvenue à cette commission parlementaire.
Évidemment,
vous représentez un peu les juristes de la communauté juive, si je comprends
bien, très attachés aux droits et
libertés. On a eu toutefois, ce matin, le Centre consultatif des relations juives et israéliennes-Québec
qui avait compris différemment que
vous le projet de loi. Mettons qu'ils n'allaient pas aussi loin dans
votre critique, si j'ose dire.
Il y a quelque chose quand même qui m'a fatiguée dans votre présentation, puis je
veux vous le dire honnêtement.
Puis je ne pense que vous le receviez
négativement. Bien au contraire, à mon avis. J'ai été étonnée que vous puissiez
croire une seconde que le patrimoine
culturel québécois religieux, ça n'incluait pas nécessairement la culture juive. J'y ai vu, moi... Laissez-moi plaider un petit
peu aussi, là, s'il vous plaît.
M. Schlesinger (Frank M.) : Allez-y,
allez-y.
Mme
Maltais : Vous avez pris votre temps. Écoutez,
tout le monde, j'espère, au Québec est conscient de
siècles d'histoire juive au Québec.
Je me suis... puis je le rappelle, des fois, en commission parlementaire quand
c'est le sujet, je me suis battue
pour qu'une inscription juive sur un théâtre demeure là puis j'ai mis du monde
dehors de mon théâtre en
disant : Ce n'est pas de vos affaires, c'est notre patrimoine. Mais ce que
je vais vous dire aujourd'hui, c'est : C'est notre patrimoine
commun, et jamais une seconde, malgré toutes nos différences partisanes, je
n'aurais pu croire que votre communauté puisse ne pas se sentir incluse dans le
patrimoine culturel québécois.
Qu'est-ce que vous pensez de ma tirade?
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Oh! là, là, il y en a trois qui veulent répondre. Je commence par vous,
Me Schlesinger.
Mme
Maltais : Oui, moi, je ne suis pas une avocate. Je suis une
parlementaire, une députée, puis il
y a des moments où je défends
la vision commune qu'on a de notre société.
M. Schlesinger (Frank M.) : Nous ne
prenons pas une position accusatoire, nous présumons toujours de la bonne foi.
La question
est la suivante : il y a une croix sur la montagne, il y a
une croix dans la législature. Quand on entend des gens parler, nous sentons que, pour la grande majorité
des personnes, la culture et le patrimoine québécois, c'est plutôt
tous les saints, tous les choeurs qu'on voit
en conduisant dans le paysage. C'est ça que nous comprenons comme étant ce que la majorité croit. Moi, je me considère comme Québécois. Pas tout le monde croit que c'est la même chose. J'ai eu la question posée à moi : Êtes-vous Juif
ou Québécois?, comme si c'était mutuellement exclusif. Je peux
vous raconter des histoires que j'ai vécues dans ma vie et j'ai passé la
grande partie de ma vie dans la communauté francophone.
Il y a
cette conception. Ce que nous devons faire, c'est de prévenir que ça soit ce
qui est vraiment entériné dans le droit. Alors, je comprends que ce n'est pas l'intention ici. Jamais
je ne prétendrais que c'est l'intention de nous exclure. D'ailleurs, vous nous avez invités de venir
présenter notre mémoire. Et, en revenant ici, j'ai remarqué à un de mes
collègues : Imaginez, le Parlement de Québec a invité les juristes
juifs de venir présenter un mémoire. Est-ce que ce n'est pas quelque chose d'extraordinaire dans la vie et dans le monde? Parce que nous voyons ce qui
se passe dans d'autres pays où l'antisémitisme est en train de renaître.
Alors, on était très fiers d'être invités ici et on reconnaît que ce n'est pas l'intention de l'Assemblée nationale de nous exclure,
mais ce qu'il faut faire, c'est de nous garder vigilants contre cette vague où les gens peuvent croire que c'est ça. Il
faut comprendre que les barèmes sont très vagues, et, si on met ça entre
les mains de tous les fonctionnaires, là c'est un danger.
Mme
Maltais : Bien,
M. le Président, je vais...
Une voix : J'ai...
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Je le sais, que vous seriez en complémentaire, mais Mme la députée de Taschereau, elle a juste un petit peu de temps.
• (16 h 20) •
Mme
Maltais : Oui. Je n'ai que neuf minutes. Il m'en reste
cinq. O.K. Je vais quand
même jaser un peu. Je vais vous dire que ce sont justement
les fonctionnaires du ministère de la
Culture et des Communications qui
décident de ce qui est patrimonial ou
pas et que le religieux n'a rien à voir là-dedans. C'est l'histoire du Québec,
c'est l'architecture, et, en ce
sens-là, on leur demande, eux aussi, d'être neutres religieusement, mais ils
voient par contre... en tant que sites patrimoniaux, et, à mon sens, moi, je ne vois pas de problème. Mais vous faites bien de dire : Nous voulons dire : Faites
attention. Moi, je ne vois pas de problème, je comprends.
Aussi,
dans votre mémoire, vous dites : Tout ça est déjà édicté dans les cours de
justice, dans la jurisprudence,
et tout, ou : On n'a pas besoin de
cette loi-là. Mais une société évolue, et c'est ici les parlementaires qui décident de ce que sera
la loi, et ensuite elle est interprétée par les juges, mais nous avons le
droit, c'est entièrement en notre pouvoir, de faire évoluer le droit.
Nous, là, on écrit les lois que les autres interprètent.
Alors, vous
ne trouvez pas qu'étant donné tout le débat qu'il y a eu dans la société
ce ne pourrait pas être apaisant, si
j'ose dire, si on arrive à un consensus — évidemment, ce serait la meilleure des choses — si on arrive à un consensus? De ce côté-là, on
entend des sons qui semblent intéressants, qui semblent positifs. Est-ce qu'il ne serait
pas intéressant pour la société
justement qu'on fasse évoluer les choses et qu'on s'approche du consensus québécois?
M. Goloff
(Theodore) : ...Mme la
députée, et c'est la suivante : quand je me promène dans le monde et ailleurs au
Canada, je suis fier de dire que le Québec a eu sa Charte des droits et libertés de la
personne en 1975, à savoir sept ans avant la Charte canadienne. Mais une
charte, ça, c'est une chose. Une loi, ça, c'en est une autre.
Mme la députée, vous parlez, en effet, d'une loi, d'une loi qui changerait la charte
ou qui affecterait alors, quant à
nous, les droits consacrés dans la charte. Maintenant, pourquoi
est-ce qu'on a adopté la charte si, par vote majoritaire, on pourra, en effet, enfreindre, limiter, changer
les droits qui, selon notre charte, adoptée en 1975, sont considérés des droits
fondamentaux? Alors, si on veut amender la charte, ça, c'est une chose. Une
loi, ça, c'en est une autre.
Mme
Maltais : Oui, mais, Me Goloff, le droit d'avoir des
convictions politiques, il est fondamental, il est protégé, mais on a décidé communément que le droit de son
appartenance politique, dans l'État, il ne devait pas se déployer de
façon visible, et on l'a tous accepté parce
qu'on croyait qu'il pouvait y avoir là un impact sur la qualité du service. Pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas faire
la même chose du côté seulement de l'État? On ne touche pas à la conviction de
la personne ou à sa croyance personnelle,
mais à l'affichage, à la visibilité dans l'État. C'est la seule chose. D'ailleurs,
ça, on n'en parle même pas là-dedans,
remarquez, là, on n'est même pas là-dedans. On est dans la neutralité face à la fonction.
Je veux vous
dire une chose aussi par rapport à l'article 7. J'ai bien entendu... sur les organismes, je
comprends la difficulté, qu'il est à
améliorer vraiment sur, par exemple, des contrats avec des organismes communautaires qui sont, eux, religieux et qui donnent
des services directs. Je comprends qu'il y a votre crainte là-dessus.
M. Bergman (Michael N.) : Si je peux
répondre brièvement.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Me Bergman, il vous reste 40 secondes.
M. Bergman (Michael N.) : Mme la
députée, votre plaidoyer est excellent, parce que, selon votre logique, l'article 13, c'est : le patrimoine québécois
n'est plus nécessaire, parce que le patrimoine québécois, c'est les
catholiques, les protestants, les
Juifs, les musulmans, les bouddhistes, les gens avec aucune croyance. Ce n'est
pas nécessaire de le dire.
Si on insiste sur une telle disposition, c'est pour dire que c'est le patrimoine de la
majorité, et ça, c'est l'interprétation des messieurs et mesdames dans
la rue.
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Merci, Me Bergman. On a manqué de temps, là. Mme la députée de Montarville.
Mme Roy : Merci,
M. le Président. Messieurs, maîtres,
je m'incline devant tant de savoir. J'aimerais souligner cependant que
vous nous dites : Attention à l'article 7. Et vous le dites à juste titre.
Et j'ai été très surprise de voir l'article
7 de la ministre dans ce projet
de loi là, puisqu'il est calqué, en
quelque sorte, sur le défunt projet
de loi n° 60 du ministre
Drainville, et c'était l'article 10.
Et j'avais dit au ministre Drainville
à l'époque : Mais pourquoi vous faites ça, parce que vous allez assujettir des sous-contractants?
Alors, vous ne touchez pas aux employés de l'État, vous nous parlez
des sous-contractants et vous dites la même chose, alors on comprend de la même
façon.
M. Goloff
(Theodore) : Ce peut être,
en effet, une façon de démontrer notre neutralité. Nous
sommes des juristes et, peu importe
la nature du projet de loi, ou la
partie au pouvoir qui le propose, ou la partie qui le propose, si effectivement
il y en a une, faille, dans l'article, on est ici, en effet, pour vous aider à
l'améliorer, au moins à souligner les failles.
Mme Roy :
Oui. Je reprends. J'ai très peu de temps. Mais on a la même lecture, on touche
ici aux sous-contractants, donc on ne
touche pas aux employés de l'État. Moi, ça m'inquiète. Ça m'inquiétait sous le
p.l n° 60 du PQ, ça m'inquiète ici. Je suis très surprise de le
trouver là d'ailleurs. Et j'étais contre et je suis contre.
Maintenant,
vous nous dites d'entrée de jeu... puis là on a entendu beaucoup de groupes,
beaucoup de concepts, neutralité,
neutralité de l'État... vous dites : Attention, l'article 4, la façon
dont il est rédigé, il y a un problème. Et vous nous dites : L'association croit qu'il n'y a aucun besoin pour ce
projet de loi. Il ne fournit aucun bénéficiaire ajouté et ne s'adresse à aucun besoin pressant. La neutralité
de l'État est déjà entérinée dans la Constitution, et non seulement dans
les chartes du Québec et du Canada, mais aussi elle est protégée par des
serments d'office des fonctionnaires.
Là, j'aimerais comprendre. Neutralité, laïcité;
pour vous, y aurait-il une différence si on parlait de laïcité? Pourquoi?
Expliquez-moi, allez-y, je vous donne tout le temps.
Le Président (M. Ouellette,
Chomedey) : Me Goloff.
M. Goloff
(Theodore) : Oui, effectivement, dans le sens suivant : l'État,
ça, c'est une chose, et l'espace public, c'est d'autre chose. Les deux ne sont pas nécessairement la même chose.
En effet, parce que je reçois une subvention de l'État, je ne suis pas l'État. L'État, d'après Hobbes et la tradition,
veut dire l'aspect législatif, l'aspect exécutif et l'aspect judiciaire.
Alors, qu'est-ce qu'une école fait là-dessus, qu'est-ce qu'un hôpital fait
là-dessus? Je comprends que c'est l'espace public, mais ce n'est pas l'État. Et
le principe, c'est que, oui, il y en a une, séparation, entre l'État et
l'église, «l'église» avec une minuscule,
voulant dire «toute la religion». Mais la laïcité et la séparation d'État et la
religion ne sont pas nécessairement la même chose.
M. Schlesinger
(Frank M.) : On a vu que
vous avez parlé, dans le projet de loi, des dentistes, des médecins et des sages-femmes. Alors, est-ce que le fait qu'à
l'Hôpital juif il y a un médecin qui porte la kippa, ça le rend hors combat
parce qu'il professe une certaine religion?
J'espère que non. Mais pourquoi vous avez mis ça là-dedans, comme, spécial?
Pourquoi? Quelle est la raison de mettre ça là-dedans?
Le Président (M. Ouellette,
Chomedey) : M. le président prend votre question en délibéré. Mme la
députée de Montarville.
Mme Roy :
Vous allez y répondre?
Le Président
(M. Ouellette, Chomedey) : Non, non, non, je la prends en
délibéré.
Mme Roy :
Et je comprends ce que vous nous dites quand vous dites que la neutralité de
l'État... et l'État, ce n'est pas les
personnes, c'est ça qui est bien important, d'où la notion d'incorporer ce que
nous, nous pensons, nous aimons bien, les recommandations de
Bouchard-Taylor mais très précises qui parlent de fonctionnaires de l'État.
Est-ce que, dans la
recherche d'un consensus, c'est une chose qui pourrait être faisable que de
faire cette limitation au droit mais très
précis pour un fonctionnaire de l'État dans l'exercice... interdire un port de
signes religieux pour un fonctionnaire de l'État identifié dans
l'exercice de ses fonctions?
• (16 h 30) •
M. Goloff
(Theodore) : Mais le problème, avec respect, c'est : on fait un
pas arrière, on fait un pas arrière jusqu'à
1832. C'est à l'honneur du Parlement du Québec que c'était en 1832... que les
obstacles aux minorités non chrétiennes de professer leur religion et
tenir n'importe quel office ont été ôtés. Nous étions, nous, la première dans l'Empire britannique du temps, bien avant la mère
des Parlements à Westminster, de le faire, et ça bénéficiait effectivement
toutes les autres religions.
Le
problème que je vois, c'est le
suivant : la charte que nous avons adoptée en 1975 établit différents
chefs de discrimination à l'article
10, au même titre... la discrimination pour l'origine ethnique,
d'un côté, et la religion, de l'autre côté, mais on semble maintenant
créer un genre de différence entre les deux, il n'y a pas d'équation. Là, on
met toute l'emphase sur la religion, la question
de la laïcité et on peut arriver à une situation cocasse, pour ne pas dire absurde. Et là
je vais toucher vite, si vous me permettez une minute...
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : ...même pas. Je ne peux pas vous donner une
minute, même.
M. Goloff
(Theodore) : Alors, merci.
M. Bergman
(Michael N.) : ...secondes.
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : Alors, si vous avez 10 secondes, Me
Bergman, je vous les donne.
M.
Bergman (Michael N.) : Une
phrase — et
j'ai toujours le dernier mot, même devant le juge : La laïcité
n'est pas une religion québécoise. La neutralité, ce n'est pas la laïcité.
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : Merci, Me Bergman, merci, Me Goloff,
merci, Me Schlesinger, représentant L'Association de droit Lord Reading,
d'être venus déposer en commission.
Je suspends quelques
minutes. Et je demanderais à M. Hassan Jamali de s'approcher.
(Suspension de la séance à
16 h 32)
(Reprise à 16 h 34)
Le
Président (M. Merlini) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Nous reprenons nos travaux. Et je souhaite la bienvenue à M. Hassan Jamali, professeur retraité.
Vous avez 10 minutes pour votre exposé, et ensuite nous procéderons à la période d'échange avec les membres de la commission, la ministre et les
porte-parole des deux oppositions. Je vous invite donc à nous présenter
votre exposé. À vous la parole.
M. Hassan Jamali
M. Jamali
(Hassan) : Merci. Mmes et MM. les députés, le projet de loi n° 62
vise à favoriser le respect de la neutralité
religieuse de l'État et les conditions permettant d'accorder des accommodements
à caractère religieux. Ce projet de loi a été présenté également dans le
cadre du plan gouvernemental de lutte contre la radicalisation.
Dans
ce mémoire, notre démarche est guidée par deux principes : le premier, qui
fait consensus au Québec, est que le
Québec est une société distincte, voire une nation; le deuxième, que
l'intégration réussie des immigrants à la société québécoise est vitale
pour l'adhésion à cette nation. Nous allons essayer d'examiner si ce projet de
loi favorise les deux principes ou, au contraire, risque de fragiliser notre
société et ses fondements.
Aujourd'hui,
le multiculturalisme, l'interculturalisme, l'ouverture au monde,
l'accommodement raisonnable sont à
l'honneur. En même temps, il devient presque honteux de promouvoir la
convergence, la cohésion sociale et les valeurs communes. Si le but de
la promotion de la diversité est le rapprochement entre les différents groupes
et individus d'origines et de cultures diverses, elle doit exclure la religion. La
culture, pour moi, c'est la musique, la peinture, la danse, la cuisine, qui unit toute l'humanité pendant que
la religion est un élément de division et de tension même à l'intérieur
de la même famille.
Une société distincte
francophone n'est pas donc tenue à imiter le modèle d'intégration anglo-saxon
cher aux MM. Bouchard, Taylor, amoureux de
la laïcité ouverte. Le modèle anglo-saxon n'a pas protégé
les États-Unis des attaques terroristes, non plus l'Angleterre. Il est
dangereux aussi pour notre société distincte de dénigrer la laïcité française, considérée fermée selon les mêmes bien-pensants.
Les sages, suite à la barbarie des systèmes totalitaires, ont élaboré la
Déclaration universelle des droits de
l'homme. Très important, le mot «universelle», puisqu'aujourd'hui des groupes et États ne font
que mettre les réserves, au nom de la spécificité religieuse, sur ses principes
et sur toute résolution de l'ONU cherchant à protéger les femmes et les
enfants.
Moi, au Québec
depuis 39 ans, d'origine syrienne et de confession musulmane, je n'ai pas honte
de dire que j'ai été privilégié de
vivre et d'élever mes garçons en Québécois fiers de leur pays, le Québec,
et de l'héritage culturel de leurs parents.
Par contre, j'ai honte lorsque certains de mes
coreligionnaires, y compris certains représentants autoproclamés d'une communauté musulmane inexistante, traitent les Québécois
d'islamophobes et de racistes. J'ai travaillé 35 ans dans un cégep où les élèves sont originaires de 70 pays,
et les professeurs, de 30 pays, et on n'a jamais signalé aucun comportement
qu'on puisse qualifier d'islamophobe ou raciste envers les musulmans.
La neutralité
de l'État n'est pas un objectif en soi, elle vise à renforcer le principe de l'égalité de tous les citoyens devant les institutions étatiques et légales. En
ce qui concerne la neutralité de l'État, la loi n° 62 se limite à
l'obligation des membres du personnel
d'un organisme public de faire preuve de neutralité religieuse dans l'exercice
de leurs fonctions et d'exercer leurs
fonctions à visage découvert. Donc, porter les signes religieux ostentatoires
par des membres du personnel d'un
organisme public est permis tant et aussi longtemps que le service est fourni à
visage découvert. Il est évident que ce principe permettra, voire encouragera le port, dans la fonction publique
et dans les écoles publiques, de signes religieux ostentatoires.
Dans une
société humaine ordinaire, il n'y a que les individus qui portent les uniformes
spécifiques. Les autres qui tiennent
à afficher leur appartenance à la religion appartiennent soit à une secte
fermée soit à une idéologie de type fasciste.
Moi, comme citoyen, et malgré mon origine musulmane, je ne me sens pas à l'aise
devant une fonctionnaire qui porte le
hidjab, encore moins le tchador. Je ne peux pas m'empêcher de m'interroger sur
la raison qui l'a poussée à le faire. Je
ferais appel, même si la personne est hautement professionnelle et courtoise, à
tous les préjugés et interrogations. Ce privilège, accordé à un certain nombre de femmes musulmanes, mettra les
autres musulmans et non-musulmans dans une situation inconfortable par
rapport à leurs coreligionnaires et leurs collègues.
Le Québec
reçoit beaucoup d'immigrants des pays arabes et musulmans. Plusieurs de ces
pays sont en état de guerre alimentée
par les différences entre chrétiens et musulmans et aussi entre musulmans
chiites et musulmans sunnites. En travaillant
avec les réfugiés syriens, j'ai remarqué que, du côté musulman, la présence du
hidjab est omniprésente, du côté chrétien
les hommes jeunes portent des croix en bois très visibles. Jamais dans le passé
je n'ai connu une telle manifestation, et cette apparence est plus
politique que religieuse.
J'ai trouvé toujours étonnant que, sauf de rares
exceptions, les médias et les partis politiques ne prononcent jamais le mot «islamisme» ou «islam politique». Le
rapport entre l'obligation de porter le hidjab et l'islam politique est quasi absent. Pourtant, même si un certain nombre de
musulmans et de musulmanes ont cru que leur religion impose le port du
hidjab par les femmes, d'autres le font par adhésion à une idéologie islamiste,
idéologie politique.
• (16 h 40) •
Comment
dissocier le port du hidjab de l'islam politique tout en sachant que l'islam
politique, soit dans les États comme l'Arabie saoudite, l'Iran, etc., ou
les mouvements islamistes comme les Frères musulmans, impose le hidjab à toutes les femmes? Pas un choix, c'est à toutes les femmes. À Montréal,
la cérémonie annuelle de port du hidjab par les fillettes de neuf ans
est organisée chaque année par une organisation islamiste pro-iranienne.
L'école, la
grande absente du débat. Une société distincte ne peut en aucun cas négliger le rôle
de l'école publique pas seulement
dans la francisation des enfants immigrants, mais aussi dans les intégrations
aux valeurs de la société d'accueil. Ni dans le projet de la charte du gouvernement du Parti québécois
ni dans le projet de loi n° 62 on ne trouve la moindre trace sur le port du hidjab ou d'autres signes
religieux par les élèves dans les écoles publiques. Pourtant, la protection des
jeunes contre les agressions physiques et
psychologiques est au centre du mandat de la DPJ. Une fillette mineure voilée
souffre physiquement et psychologiquement.
Deux psychiatres, une Tunisienne et un Français, ils ont bien décrit — c'est
dans le mémoire, je ne vais pas raconter
tout ça — les conséquences physiques et psychologiques
sur le port du hidjab par les filles
mineures. Dommage que les deux
médecins qui nous gouvernent ne soient pas présents pour nous éclairer davantage là-dessus. Les deux psychiatres disent que... Bon.
Excusez-moi. Danielle Jasmin, dans le journal La Presse
du 25 juillet 2015, raconte comment une
fillette de cinq ans voilée vit son enfance à la maternelle, et vous avez le
lien dans le mémoire. L'école publique doit jouer un rôle central à la
fois à l'intégration des enfants et aussi contre la radicalisation, puisque l'expression religieuse à l'école publique,
qu'elle soit par le corps professoral ou par les élèves, constitue directement
ou indirectement du prosélytisme.
Recommandation 1 : interdire tout signe religieux, idéologique et politique
dans la fonction publique et dans les écoles publiques, et ce, pour les
enseignants et les élèves.
Les accommodements pour un motif religieux. Les
accommodements pour un motif religieux ne peuvent que faciliter le
prosélytisme, créer une ambiance malsaine dans le milieu de travail, contribuer
à rendre l'intégration des musulmans et des
Arabes plus difficile sur le marché
du travail. On peut raconter la
question de la salle de prière. Quand on
demande une salle de prière, c'est un instrument pour dire aux autres :
Moi, je suis musulman, il y a une salle de prière. Moi, je dis : Alors, bien, écoute, c'est
l'heure de la prière. Tu viens avec moi? Peut-être pour vous, vous
allez dire : Non, non, je n'ai
pas le goût. Mais un musulman, un nouvel immigrant va être gêné de le dire, par
adhésion à la communauté et parce que
socialement ça ne se fait pas. Alors, premièrement, les employés, quand on a... Je peux donner
l'exemple dans une entreprise
aussi. On circulait une pétition. Elle m'a dit ça, une femme maghrébine, m'a dit : J'étais
gênée, je n'ai
pas voulu qu'il y ait une salle de prière. Mais elle était gênée de ne pas
signer. Alors, c'est une pression, ça. Il y avait une fois, au Journal de Montréal... dans
une entreprise à Laval, la directrice
de ressources humaines, elle a dit : On a accordé à deux employés musulmans le droit d'aller de 1
heure à 3 heures tous les vendredis pour la prière de vendredi, et heureusement qu'il n'y en a que deux.
Qu'est-ce qu'on peut comprendre? Il n'y en aura pas d'autre. Alors, je peux
donner les exemples que je connais personnellement.
La loi n° 62
est encore plus soft que les recommandations de la commission Bouchard-Taylor, qui ne règlent
rien du tout. Il faut être un
délinquant ou un adepte de la conduite en état d'ébriété pour faire affaire aux
policiers, aux gardiens de prison et
aux juges. Alors, la dernière fois que j'ai vu, moi, des juges, c'était Mme
Charbonneau et Mme Gomery à la télévision.
Le Président (M. Merlini) : Merci,
M. Jamali.
M. Jamali (Hassan) : Recommandation
2...
Le Président (M. Merlini) : M.
Jamali, votre temps est écoulé.
M. Jamali (Hassan) : Juste la recommandation
2. Je n'ai rien trouvé de mieux...
Le Président (M. Merlini) : Mais
votre temps, M. Jamali, malheureusement... Il y a du temps d'échange. Mme la
ministre, vous permettez? Alors, allez-y, on va prendre ça sur le temps du gouvernement.
M. Jamali (Hassan) : Juste la recommandation
2.
Le Président (M. Merlini) : Oui,
allez-y, allez-y.
M. Jamali
(Hassan) : Parce qu'à ma montre j'ai encore une minute. Je n'ai rien trouvé de mieux que la
solution suggérée par Boucar Diouf
dans La Commission Boucar pour un raccommodement raisonnable :
«Allons-y d'un non sonore à la
moindre demande d'accommodement religieux.» Il dit quelque chose d'autre, vous l'avez dans le mémoire.
En terminant.
Quelqu'un me dira : On n'a pas le choix, nous sommes
liés par la charte. Je répondrai : Oui, mais il existe la clause
nonobstant. Il ne faut pas hésiter à s'en servir pour protéger les citoyens et
les mineurs, société distincte oblige.
Le
Président (M. Merlini) : Merci beaucoup, M. Jamali. On commence la période d'échange avec Mme la ministre et députée de Gatineau. À
vous la parole.
Mme Vallée : Merci, M.
Jamali. merci pour votre présentation. Évidemment, on a des visions distinctes,
des visions divergentes sur la façon de
faire atterrir dans notre société certains principes, mais je vous remercie
d'avoir produit un mémoire, je vous
remercie d'être présent aujourd'hui, prendre de votre temps pour venir partager
votre vision de la société québécoise avec nous, parlementaires.
Je prenais en
note, avant votre conclusion... je voulais vous entendre, parce que vous faites
un certain nombre de recommandations.
Dans le fond, si je vous comprends bien, si je vous entends bien, pour vous, la
société civile devrait être exempte de signes religieux de la part de
ceux et celles qui y oeuvrent. Donc, on ne devrait pas... je veux juste m'assurer de bien comprendre vos propos, il ne
devrait pas y avoir de manifestation externe de la foi d'une personne si
cette personne oeuvre dans l'État, est un
fonctionnaire de l'État, oeuvre dans la fonction publique. Est-ce que j'ai bien
compris votre propos?
M. Jamali
(Hassan) : Moi, je propose
deux choses. Non, je ne dis pas «dans l'espace public en général ou la société
civile», moi, je dis : Il faut limiter
ça là où ça fait mal, comme dit la publicité. Où ça fait mal, c'est la fonction
publique. Écoutez, la fonction publique,
d'abord, il faut que le fonctionnaire... on ne peut pas identifier la religion
comme il ne faut pas qu'on identifie
aussi l'appartenance politique ou idéologique d'un fonctionnaire. Le
fonctionnaire doit être quelqu'un... pratiquement une personne, un
citoyen, point. Je ne veux pas identifier...
Écoutez, je
vous ai parlé des communautés, il y a les Turcs qui détestent les Grecs, il y a
les chrétiens qui détestent les musulmans, il y a le sang qui coulait et
coule encore en Syrie, au Liban, et ces gens-là, quand ils vont... quelqu'un qui va s'adresser à un fonctionnaire, il va voir
devant lui quelqu'un qui lui rappelle, par exemple, que son fils, ou son père,
ou son frère a été assassiné pour quelqu'un
qui portait ce truc-là, et sûrement il y a un problème. Et, moi, ce que je dis
aussi, j'ai mentionné ça dans le mémoire,
que c'est protéger le fonctionnaire des regards, des interrogations à ce que
lui, il est quoi? Il est frère
musulman, il est intégriste, c'est quelqu'un qui adhère à Daesh, etc.? Ce n'est
pas simple, tout ça. Il faut
protéger. Et les gens peuvent être agressifs envers lui aussi comme citoyen.
Alors, je parle de la fonction publique, où les citoyens vont s'adresser
à un fonctionnaire.
Deuxièmement,
c'est l'école. L'école, moi, je suis... je sais qu'au Québec on a été choqués à
propos de loi française de 2004, mais
la loi française faisait un consensus. Et je vous dis quelque chose que peu de
Québécois connaissent : Après l'adoption,
pratiquement à l'unanimité, c'était un consensus en France sur la loi de 2004.
Un sondage a démontré que 74 %
des lycéennes voilées étaient en faveur de cette loi. Qu'est-ce que ça veut
dire? Ça veut dire que 74 % des femmes voilées étaient obligées de
le faire par une pression politique, ou sociale, ou environnementale.
Alors,
c'est pour ça, moi, que je dis : Si vous voulez qu'il y ait la paix
sociale, si vous voulez aussi protéger les filles... On dit dans les écoles : Ne t'assois pas à côté d'une
fille musulmane, elle pue. C'est sûr, après deux, trois heures dans les classes surchauffées, elle va transpirer,
cette fille. Vous n'avez peut-être pas entendu ça, mais moi, je l'ai entendu.
Et personne n'ose répéter ça. Je l'ai entendu.
Moi aussi,
j'ai élevé mes enfants dans des écoles ici. Et je ne sais pas si vous voulez
savoir pourquoi moi, j'ai quitté Montréal
et suis allé avec mes garçons, les deux garçons, à Saint-Bruno. Parce que
justement j'avais peur. J'avais peur que mes enfants soient élevés dans
un environnement, parce qu'on était à ville Saint-Laurent, où ils ont subi déjà
à la maternelle la pression des autres
enfants musulmans, en disant à mon fils — il avait cinq ans à peine : Ah! ta mère
n'est pas musulmane, elle ne porte
pas le hidjab, par exemple. Et c'est sûr qu'à la sortie de l'école il y avait une
vingtaine de femmes musulmanes qui
portaient le hidjab, mais ma femme n'en faisait pas partie. Alors, déjà, elle a
subi cette pression. Et moi, j'ai dit
à ma femme... Quand j'ai raconté ça à ma femme, elle a dit : Bien, appelle
l'agent d'immeubles, et on a quitté
depuis 14 ans, et je ne regrette pas du tout. Mais je plains ceux qui vivent
cette situation encore à Montréal, qu'on n'en parle jamais.
• (16 h 50) •
Mme Vallée :
Je vous entends, mais vous avez aussi, sans doute, suivi les débats qui ont eu
cours au cours des dernières années.
Et vous parliez du consensus qui pouvait exister au sein de la société
française, en France, au moment de
l'adoption de certains projets de loi. Je ne crois pas qu'il y ait ici un
consensus quant à votre proposition d'interdire ou de limiter le port de
signes religieux dans la fonction publique et dans les écoles.
Je crois
qu'il y a un consensus plutôt sur l'importance de protéger les droits
individuels, qui sont garantis par nos chartes, dont la liberté de conscience
et la liberté de religion, parce que le débat... et je comprends que vous avez
votre histoire personnelle et puis vous arrivez avec tout ce bagage-là,
mais le débat a aussi... lorsqu'on ostracise certaines personnes et lorsqu'on les isole et on ne leur permet pas d'intégrer la
société, est-ce qu'on ne va pas donner raison à une certaine forme de
radicalisation, un certain discours radical? Est-ce que vous ne croyez pas que
ça pourrait justement donner l'impulsion à
certaines personnes de s'en prendre à la société si la société ne respecte pas
le droit de religion, ne respecte pas
la liberté de conscience par des interdits de porter les signes religieux à
certaines personnes, notamment aux femmes musulmanes, en interdisant
leur intégration à la fonction publique québécoise?
Est-ce que
vous ne croyez pas que ça peut avoir cet effet-là? C'est un effet pervers, dans
le fond, parce que vous nous
dites : Moi, je considère... et votre perception est de dire : La
fonction publique doit être absente de signes religieux, et ça permet de protéger les croyances de chacun,
mais est-ce que vous ne croyez pas que cette façon de faire, en mettant de côté et en n'incluant pas certaines
personnes... Et là on cible vraiment les femmes musulmanes, parce qu'il y a
bien des signes religieux qui sont
portés et sont à peine vus. La croix, elle est portée par bien des gens, au
bout d'une chaîne et elle n'est pas
vue. Mme Houda-Pepin, tout à l'heure, portait son pendentif, la main de
Fatima, et personne n'en a fait de cas.
Est-ce que
vous ne croyez pas qu'on ostracise les gens et, là, en ostracisant des gens, on
donne des munitions au discours radical qui en veut à la société
d'accueil?
M. Jamali
(Hassan) : Moi, je pense
qu'en permettant de porter les signes religieux dans la fonction publique et
dans les écoles, c'est le contraire, vous donnez les moyens à l'islam
politique, que vous n'aimez pas... je sais, je n'en entends jamais parler,
pratiquement, par les représentants des citoyens, et même pas dans les médias,
les moyens de mettre de la pression sur les
gens, et je peux parler longtemps que cette pression existe : elle existe
à l'école, existe au milieu de
travail. C'est pratiquement dire : Écoutez, porte ça, et là, après, ça va
être plus facile d'influencer les autres ou même ça va être facile aussi à un mari de lui... Écoute, la loi le
permet, pourquoi tu veux enlever... Tu vas dire : Écoute, je suis gênée quand même, je ne veux pas être très
visible de loin, parce que, quand vous parlez d'une petite croix ici, on
ne voit pas ça à... il faut vraiment
s'approcher beaucoup pour voir. Par contre,
le voile, on le voit de très loin en se promenant un peu partout, à Québec,
à Montréal, etc. Ce n'est pas la même chose.
Et aussi le
voile a une signification politique. Pourquoi vous voulez dégager absolument
cette dimension politique? Pourquoi l'Arabie saoudite impose à
toutes les femmes... On n'a jamais vu ça dans toute l'histoire de l'islam avant
le XXe siècle, qu'un État a imposé le
voile à toutes les femmes. Les talibans, ils ont fait la même chose. Pourquoi
l'Iran, pourquoi au Soudan, pourquoi
les Frères musulmans, tout ce monde-là? Et ça, c'est politique. Je ne dis pas
que toutes celles qui portent le
hidjab adhèrent... Il y en a qui ont cru à une sorte d'arnaque théologique,
que c'est une obligation religieuse. Mme Houda-Pepin vous a un peu
expliqué qu'il n'y a pas d'obligation religieuse. Mais ce n'est pas à nous de le définir, ce n'est pas à nous aussi de
dire : Bien, aujourd'hui, c'est les musulmans. Demain, les autres vont dire :
Ah! nous aussi, on veut être visibles. Alors, on va se trouver à la fonction
publique avec toutes sortes de... pratiquement, c'est l'Halloween. Et là
qu'est-ce qu'on va faire? À mon avis, on n'a pas le choix.
Deuxièmement,
la charte, est-ce que c'est vraiment... c'est la liberté religieuse de porter ce qu'on
veut, d'avoir une apparence
particulière? Pourquoi le Québec a demandé aux curés et aux soeurs, religieuses,
quand... Disons, quand l'école
n'était plus, disons, une école religieuse... d'y aller habillés en civil,
personne n'a dit : On a brimé leurs droits. Pourquoi ces soeurs, religieuses, et ces religieux, ils n'ont pas
dit : Ah! ma religion m'oblige... et moi, je ne peux pas exercer ma
religion si je m'habille en civil? Pourquoi?
Moi,
écoutez, dans le cégep où j'ai travaillé, il y avait une vingtaine de
profs d'origine juive, une vingtaine. Il n'y en a aucun qui a porté la kippa. Et je parle de cégep.
Ça, ce n'est pas l'école primaire, ce n'est pas l'école secondaire, on ne
parle pas de mineurs ici. Et j'ai rencontré
une fois un de mes collègues dans la rue. Il avait la kippa. Je lui ai dit : Pourquoi pas au cégep? Il m'a dit : Non, non, au
cégep, moi, comme professeur, vis-à-vis mes élèves, ils n'ont pas à savoir
c'est quoi, ma conviction religieuse. Ça, c'est une attitude d'un
citoyen responsable. Alors, si vous voulez maintenant aller dans... dire «la charte», non, ce n'est pas vrai,
ce n'est pas un droit. Autrement, je veux dire, bien, moi, je vais aller me promener dans un cégep... Et encore, quand on parle de
l'école, quelle charte... pourquoi la DPJ, pourquoi moi, je ne peux pas gifler
mon enfant? Pourquoi je ne peux pas lui faire subir... Dans le mémoire, lisez
ce que les deux médecins ont écrit,
c'est très troublant. Moi, de temps en temps — ma femme est marocaine — de temps en temps, je vais au Maroc. Son frère, qui est médecin, il m'a dit ça, il m'a
dit : C'est incroyable, les dépressions chez les femmes voilées que je
reçois à la clinique. Alors, une
société, on n'a pas le droit aussi de protéger... et je ne parle pas de tout le
monde, mais au moins les mineures? Au
moins. Ça, c'est notre devoir. Si on laisse ces filles souffrir... Parce
qu'elles souffrent, les filles. Une fille
qui a sept, huit, neuf ans, même douze ans qui doit passer toute la journée,
dans une classe surchauffée, voilée, c'est une fille qui souffre, et on est complice si on ne règle pas ce
problème. Et c'est ça qui a fait que la France est intervenue, à cause de ça, et à la demande des filles musulmanes
qui ont demandé d'entretenir avec le comité Stasi à huis clos pour leur
dire : S'il vous plaît, au moins, laissez-nous respirer à l'école, au
moins.
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : Merci. Merci, Mme la ministre. Mme la députée
de Taschereau.
• (17 heures) •
Mme
Maltais : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Jamali. J'ai
l'impression d'entendre un témoignage de l'intérieur, différent de ce qu'on entend en général. C'est-à-dire qu'on
entend beaucoup de réclamations de la part de gens qui viennent demander de pouvoir porter des signes
religieux. Vous, c'est un témoignage de l'intérieur, d'un gars qui vit
dans la communauté maghrébine, qui dit : Non, non, résistez, et qui amène
des arguments assez intéressants.
Évidemment,
on n'est pas dans la charte ou dans le projet de loi n° 60, là, on n'est
dans le projet de loi qu'on a devant
nous, qui est le projet de loi du Parti libéral, je vais le dire, puis on
essaie de voir ce qu'on peut en faire, s'il pourrait vraiment faire avancer la population québécoise ou
s'il va la faire reculer, le principe étant que, normalement, on adopte une loi, c'est pour faire évoluer dans le bon sens une société.
Vous semblez très dur. Vous êtes en train de nous dire, je pense, à la partie sur les... dans votre mémoire, la
partie sur les accommodements pour
motifs religieux... vous nous dites dans votre mémoire que ça va ouvrir
la porte à la pratique religieuse dans l'État puis vous avez des exemples qui
me fatiguent.
J'aimerais
ça que vous me parliez un peu plus de ces exemples, du prosélytisme qui peut
s'effectuer du moment où on accorde les accommodements religieux. Parce
que vous donnez l'exemple de gens chez Bell Helicopter, du Journal de
Montréal. J'aimerais ça vous entendre. Est-ce que vous avez des choses à
ajouter là-dessus? Parce que je n'avais jamais vu ça comme ça, comme étant que
ce projet de loi là pouvait ouvrir à des problèmes.
M. Jamali
(Hassan) : Moi, j'ai été témoin... Moi, quand je donnais des cours au
cégep, il y avait les groupes financés par
Emploi-Québec qui suivaient les formations de mise à jour, si vous voulez. Eh
bien, moi, j'ai vu de mes propres yeux,
à la pause, deux, trois qui disent aux autres : Écoutez, on va aller faire
la prière. Ils faisaient ça où? Ils cherchaient une classe libre. Dans une classe, ils faisaient ça. Il y a un des
autres qui, une fois, est venu me voir, il m'a dit : Bien, écoute, qu'est-ce que tu veux, si jamais on refuse, ils
vont raconter ça à tout le monde. Nous, on vit tous... on est les voisins, etc.
Alors,
ça, moi, j'ai vécu ça personnellement. Et là cette situation est... Écoutez,
moi, j'ai été, pendant un an à peu près,
directeur de l'Institut Teccart et, quand on a fait l'entrevue pour former un
groupe Emploi-Québec, disons, pour suivre une formation d'Emploi-Québec, j'ai toujours posé la question, j'ai
dit : Les cours ici se donnent du lundi au vendredi, de 8 heures jusqu'à 6 heures le soir,
est-ce que ça vous pose un problème? J'ai demandé à chacun toujours cette
question : Est-ce qu'il y a un
inconvénient? Non, non, non. Parce qu'ils voulaient être admis. Le premier
vendredi déjà, ils ont dit à un
prof : Écoutez, est-ce qu'on peut être libres de 1 heure à 3 heures, parce
qu'on va faire la prière de vendredi? Alors, le prof, il vient me voir, me dit : Qu'est-ce que je fais? Moi, je
monte, j'ai dit : Écoutez, vous vous rappelez quand je vous ai posé
cette question à propos de la disponibilité? J'ai appris qu'il y en a qui ne
sont plus disponibles du lundi au vendredi,
de 8 heures à six heures. Si c'est le cas, il n'y a pas de problème, j'ai une
liste d'attente comme ça. Alors, si quelqu'un
a vraiment un problème, dites-le tout de suite. Alors, j'attends. Bien sûr,
personne... Qu'est-ce que ça veut dire, ça? Vous savez qu'il y en a, c'est sûr qu'ils vont aller faire leur
prière, mais ils vont aussi pousser les autres, vont mettre la pression sur les autres aussi pour le faire.
Alors, ça, c'est sûr que, pour un Québécois... vous êtes habitués à dire :
Ah! ça ne me tente pas, je ne veux pas, moi, je m'en fous, de l'église,
de la religion, etc. Mais pas un immigrant qui vient d'arriver, qui est très lié à la communauté, il est encore fragile. Non.
Ça, c'est : le prosélytisme est la pression quotidienne. Alors, moi, je trouve que je les ai libérés. Mais
j'ai prévu le coup. Et, quand je les ai affrontés, personne n'a osé dire le
contraire. C'était clair.
D'ailleurs,
écoutez, vous savez — ça,
c'est une anecdote — une
fois, j'ai écrit un article en langue arabe dans le journal arabe à Montréal. J'ai dit : Pourquoi vous ne faites pas
la prière le vendredi soir? Qu'est-ce qu'il y a? Je n'ai pas vu dans... Moi, je connais très bien le Coran,
j'ai été 10 ans dans une école musulmane. Ce n'est pas indiqué là. On peut faire la prière du vendredi le soir. Il y a un
religieux libanais qui m'a répondu que moi, je ne connais pas l'islam, que je suis je ne sais pas quoi. Il m'a vraiment
lancé des flèches. Moi, je lui ai répondu, je lui ai dit : La différence
entre nous deux : que moi, je
veux que tout le monde puisse aller
faire la prière. Ce n'est pas votre cas, parce qu'en faisant, le soir, et les étudiants et les élèves... Et plein
de monde peut aller faire la prière de vendredi. Alors, moi, je suis pour la
prière de vendredi. Et pourquoi
pas le soir? C'est pour ça. Pourquoi ne pas demander à ces gens-là d'accommoder leurs
gens? Pourquoi? Ils peuvent le faire. Ils peuvent absolument
le faire. Pourquoi? Pourquoi c'est à nous toujours de les accommoder?
Pourquoi pas eux?
Mme
Maltais : Merci
beaucoup...
M. Jamali (Hassan) : Ah! à propos de la communauté, s'il vous plaît, maghrébine, la communauté maghrébine, aujourd'hui, elle est prise en
otage par ceux qui sont les représentants de cette communauté-là. C'est une
prise en otage, parce
que les musulmans ne sont pas que les Maghrébins. Vous savez bien qu'il y a
trentaine de pays d'origine... mais on ne parle jamais des Sénégalais,
on ne parle même pas des Afghans, on ne parle pas des Syriens et des Libanais.
Des Maghrébins.
Écoutez, demandez à
n'importe quel Québécois : Pour vous, les musulmans, c'est qui? Il va
dire : Marocains, Algériens. Alors,
est-ce que c'est une situation saine? Pourquoi coller l'étiquette sur le dos d'une communauté
qui est une communauté fragile? C'est
une nouvelle immigration. Moi, à mon avis, ce que je propose ici... certains
vont dire que je suis radical. Non,
pas du tout. Moi, je suis pour la liberté. Seulement, vous vous devez,
comme représentants des citoyens, de protéger les citoyens. C'est un
devoir.
Le
gouvernement doit protéger les citoyens et ne pas aider les
autres à les prendre en otages sous prétexte que la religion, les croyances... Ce n'est pas vrai. Ma
mère n'a jamais porté le hidjab et, si elle avait vécu, elle
aurait pu avoir aujourd'hui peut-être 95 ans.
Mme
Maltais :
Merci beaucoup. J'apprécie. Évidemment, je vous le dis, on n'a pas la même
position.
Évidemment,
là-dessus, au départ, avec les partis, nous, on avait
déposé un autre type de loi beaucoup plus restrictif, mais maintenant on
travaille avec la matière qu'on a devant nous. Et je pense que le mieux qu'on
puisse faire pour le moment, c'est d'essayer
de s'entendre pour qu'on évolue. Ça fait que je cherche comment faire évoluer
cette loi de façon plus restrictive, étant donné qu'il y a quand même
une majorité gouvernementale à laquelle on fait face, mais on veut essayer de
faire évoluer les choses pour en arriver à quelque chose de plus intéressant
pour la société. Mais donc je comprends vos
commentaires, puis il faut en tenir compte, le malaise de la communauté
qui dit : Nous, on a essayé justement
de se débarrasser de la religion. On en entend parler quelquefois. Un plaidoyer
très vibrant.
Maintenant,
il y a une autre chose que vous dites qui est assez dure, c'est que ça pourrait
affecter l'emploi des musulmans, carrément, que les gens...
Une voix :
...
Mme
Maltais : Que ça
pourrait affecter l'emploi, c'est-à-dire que les employeurs pourraient en
venir... Nous, on a l'impression
qu'en balisant les accommodements religieux on va aider les employeurs à se
sentir plus confortables avec les gens des communautés.
M. Jamali
(Hassan) : Tout à fait.
Mme
Maltais : Mais vous semblez
dire que les accommodements religieux pourraient être une charge qui ferait
que les entrepreneurs ne voudraient pas engager de gens qui pourraient demander
des accommodements.
M. Jamali (Hassan) : Écoutez, moi, je pense qu'un obstacle à l'emploi, c'est
la peur des employeurs des demandes d'accommodements religieux. Et là je
peux en parler des heures et des heures, mais, je sais, vous n'avez pas le
temps
Une voix :
Mais on n'a plus le temps.
M. Jamali
(Hassan) : Non, non, seulement, ce que je dis : C'est un
obstacle, c'est un obstacle à l'emploi, un obstacle à l'emploi. D'ailleurs, à
la commission Bouchard-Taylor, il y avait un... j'ai mentionné ça dans le mémoire,
il y avait, à Laval, une direction des ressources humaines de plusieurs entreprises. Il a témoigné, il a dit : J'ai le mot
d'ordre des dirigeants de ces
entreprises de ne pas engager les gens de certaines régions. Pourquoi? À cause
de ça, à cause des accommodements à caractère religieux.
Écoutez,
je vous garantis que, si vous interdisez le port du voile dans les écoles
publiques et à la fonction publique, la majorité des musulmans vont vous
appuyer, parce qu'on en a assez, de nos coreligionnaires qui ont pris en otages
80 %... même plus que 80 % des
musulmans au Québec. Alors, je vous demande de protéger cette
majorité et enfin qu'on les laisse
tranquilles. Et on ne peut pas les laisser tranquilles tant et aussi longtemps...
parce que la liste des intégristes est
très longue. On dit : Ah! d'accord, pas de porc à l'école, mais il faut
que la viande soit halale, et le yaourt aussi, il ne faut pas que...
Alors, écoutez, on ne s'en sort jamais, leur liste est interminable. Je les
connais très bien.
• (17 h 10) •
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : Merci. Mme la députée de Montarville.
Mme
Roy : Oui. Merci, M. le Président. M. Jamali, toujours un
plaisir de vous voir, de vous entendre, merci pour le mémoire, et je ne savais pas l'anecdote. Vous
ne m'avez pas raconté que vous êtes venu vivre à Saint-Bruno pour les motifs que vous avez évoqués tout à l'heure.
Alors, merci d'être venu vivre à Saint-Bruno puis de rendre notre ville plus
belle, parce que je sais que vous vous impliquez énormément dans la communauté.
Merci pour ce que vous faites.
Merci
d'être là. Et je suis particulièrement fière que nous soyons concitoyens,
voisins, pratiquement, et de ce que vous
dites et je suis particulièrement heureuse d'entendre un musulman, un immigrant
parfaitement intégré à la communauté québécoise,
canadienne nous dire des choses et je vais vous citer, parce que, ce que vous
dites, je crois qu'il y a énormément de
Québécoises, de Québécois, de citoyens qui nous écoutent qui pensent comme
vous, et que ça vienne de vous, que ça vienne d'un musulman, ça vient
donner du poids à ces propos-là, parce que, quand c'est une députée qui n'a
pas, par exemple, la même idée du concept que la partie gouvernementale, bien,
on se fait dénigrer pour nos propos.
Alors, quand
vous nous dites : «Dans ce mémoire, notre démarche est guidée par deux
principes : le premier, qui fait
consensus au Québec, c'est que le Québec est une société distincte, voire une
nation par son histoire, sa langue et sa culture», je suis tout à fait d'accord avec vous,
je suis heureuse de voir que vous dites ça. «Le deuxième, qui découle du
premier, est que l'intégration réussie des
immigrants à la société québécoise est vitale pour la cohésion entre les
Québécois de souche et les nouveaux
Québécois.» Tout à fait d'accord avec vous. Vous disiez par ailleurs : «Au
Canada et au Québec, le
multiculturalisme, l'interculturalisme, l'ouverture au monde et des termes
semblables sont à l'honneur — par les temps qui courent, hein. En même temps, il devient presque honteux de
promouvoir la convergence, la cohésion sociale et les valeurs communes.» Et là vous me parlez de valeurs
communes dans votre témoignage, et je les partage. Et, quand vous nous dites un peu plus loin, et ça me touche, puis
je vais vous laisser aller là-dessus... Vous êtes Syrien, vous vivez ici
depuis 39 ans, alors pour moi vous êtes Québécois. Vous êtes Canadien d'origine
syrienne.
Vous
dites : «...j'ai honte lorsque certains de mes coreligionnaires, y compris
certains représentants autoproclamés d'une
communauté musulmane inexistante, traitent les Québécois d'islamophobes et de
racistes.» Merci de dire ça. Merci de
dire ça, parce que je pense qu'on a le droit de se poser ces questions, au
Québec, et on a droit de faire la différence entre les musulmans et
l'islam politique radical. Et vous nous le dites aujourd'hui, et je trouve ça
très important.
Et maintenant
j'aimerais que vous poursuiviez. Vous étiez en train de dire qu'actuellement il
y a, au Québec, des... on va les
appeler des prédicateurs autoproclamés ou des islamistes qui prennent en otages
les musulmans qui sont ici pour vivre avec nous puis avoir la paix.
J'aimerais que vous élaboriez là-dessus.
M. Jamali (Hassan) : Bien, écoutez,
d'abord, en faisant une nette, disons, distinction entre l'islam politique et
l'islam, là, on stigmatise plus les musulmans. C'est en essayant de négliger la
dimension politique, c'est là qu'on stigmatise tout le monde.
À ça on
dit : Écoutez, nous, notre problème, ce n'est pas avec les musulmans, ce
n'est pas avec l'islam. Moi aussi, je
n'ai jamais eu de problème avec ma religion. Je suis athée, je ne suis pas
croyant, mais j'aime l'islam. Moi, j'aime l'islam. Je peux vous parler
beaucoup sur l'islam que j'ai connu, l'islam de mes parents, de mes
grands-parents. Les gens, on vivait en
harmonie terrible entre musulmans et chrétiens en Syrie, surtout en Syrie,
avant que cette dictature ait semé la zizanie
entre les communautés. On sait bien, on a fêté la... Moi, j'ai fréquenté plus
les églises que les mosquées dans mon pays, mais peut-être qu'il y avait une raison
personnelle, qu'il y avait les... Il n'y a pas de fille dans les mosquées.
Mais ce que je veux dire : Qu'on
stigmatise moins les musulmans. On les stigmatisait très bien, mais parlons
d'abord des vraies choses, que nous, on était un pays démocratique.
L'État n'a
pas d'idéologie, n'a pas de religion. Alors, il y a les gens... appelons ça un
mouvement islamiste radical, c'est un
mouvement politique. Écoutez, les Frères
musulmans, le premier mouvement politique dans l'islam, c'est en 1928. Les Frères musulmans, c'est dans la mouvance de
tous les mouvements fascistes en Europe, c'est en même temps. C'est :
on change un mot, on le remplace par un
autre. Au lieu de parler de «nation» ou «race», on met «religion» à la place.
C'est un mouvement qui n'a rien à
voir avec les principes de base de l'islam. C'est un mouvement de type
fasciste. Et c'est là notre problème.
C'est pour ça. Même ceux qui y tiennent, s'ils défendent le principe
que : Une femme musulmane, écoutez, c'est
son choix, ça, c'est la religion qui impose... etc. Ceux qui poussent ces
femmes à porter le voile, à le garder et qui nous obligent d'admettre ça
et trouver ça normal, ce sont des gens qui ont des projets politiques. Et la
majorité des personnes, même
ceux qui disent : On est laïques, on est laïques... Regardez leur
histoire, ces représentants de la communauté
musulmane. D'abord, ils sont tous
Maghrébins. De quoi stigmatiser une communauté que le Québec a besoin. Le Québec est allé chercher les Maghrébins. Ils sont francophones,
ils sont éduqués, ils sont des gens tout à fait intégrables.
Moi, je vois
ici... il n'y a pas de problème. À Saint-Bruno, il y a
un magasin d'informatique. C'est un Marocain. Il est populaire. Tout le monde va là-bas. Chaque fois que je vais là-bas,
j'attends, il y a trois, quatre personnes là. Il a les contrats avec les entreprises. Mais lui, maintenant,
il a déménagé. Il n'était pas à Saint-Bruno. Maintenant, il s'installe à
Saint-Bruno avec sa femme et les enfants, il est heureux. Sa femme n'est pas
voilée. Lui, il m'a dit : Mais c'est quoi, cette histoire? Moi, je ne veux pas qu'on me dise : Ah! c'est la
musulmane. Non. C'est ça. Vous savez, en réalité, quand ceux qui exposent leurs femmes... ou ils poussent
leurs femmes à porter le voile, ça veut dire que : Ah! c'est la musulmane.
Je comprends si c'est une soeur, religieuse,
je comprends que ce soit un curé. Oui, mais, quand c'est une personne civile
qui porte un signe religieux, c'est toujours politique, c'est toujours, aussi,
fasciste.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Merci, Pr Hassan Jamali, pour être venu déposer en commission.
Je suspends
quelques minutes. Je demanderais à l'Association humaniste du Québec
de bien vouloir s'avancer.
(Suspension de la séance à 17 h 17)
(Reprise à 17 h 20)
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Nous reprenons nos travaux. Nous recevons l'Association humaniste
du Québec et son président, M. Michel Virard.
Vous allez nous présenter la personne qui vous accompagne, M. Virard.
Vous avez 10 minutes pour faire votre
présentation, et après il y aura un échange avec Mme la ministre et les
porte-parole des deux oppositions. Je vous laisse la parole,
M. Virard.
Association humaniste
du Québec (AHQ)
M. Virard
(Michel) : Merci de nous
laisser faire entendre le point de vue des athées et agnostiques du Québec.
Je suis avec M. Claude Braun, qui est aussi notre rédacteur en chef
de notre magazine, le Québec humaniste.
L'Association
humaniste, je vais vous en parler brièvement, et aussi des généralités de
notre... mon opinion et celle du
conseil d'administration des humanistes, de façon générale, sur le projet de
loi n° 62, et ensuite M. Claude Braun vous détaillera
l'opinion que nous avons sur chacun des articles.
Pour commencer — peut-être que peu d'entre vous sont
familiers avec l'Association humaniste du Québec — nous avons été fondés en juin 2005 par Bernard Cloutier, qui était
un ancien président de la SOQUIP, Normand Baillargeon et moi-même, Michel Virard, et c'était pour
donner une voix aux athées et aux agnostiques. Nous sommes la première
organisation francophone au Québec à se déclarer athée et agnostique. Alors,
nous organisons des activités sociales, culturelles,
philosophiques et principalement sur le développement de la pensée critique, de
la raison libre de tout dogme et de
la promotion de l'humanisme séculier. Nous sommes membres de l'International
Humanist and Ethical Union, qui est
une association internationale à Londres, et avec laquelle nous avons des liens
assez étroits, puisqu'ils nous représentent aux Nations unies, et nous avons pu, en fait, utiliser ces liens dans
certaines situations au Canada, comme par exemple le retrait de la
charia en Ontario. C'est suite, en partie, à une action internationale par des
associations humanistes de l'Europe
occidentale et d'Amérique que le gouvernement McGuinty est revenu en arrière
sur cette proposition de charia en Ontario, de tribunaux arbitraux.
Qui
représentons-nous? Bien, directement, nous avons évidemment des membres, nous
avons des sympathisants, nous
rejoignons à peu près, régulièrement, toutes les semaines,
3 000 personnes, et c'est dans toutes les régions du Québec. Nous avons des chapitres à Québec, à
Trois-Rivières et à Montréal. Ce groupe que nous tentons de représenter est à
peu près de 12 % des gens qui se
déclarent sans religion au Québec. Maintenant, n'oubliez pas que ce ne sont pas
les seuls gens qui sont incroyants,
puisqu'on retrouve, à l'intérieur, des gens qui se déclarent catholiques, par
exemple, au Québec, une proportion
assez remarquable de gens qui disent qu'ils sont catholiques mais qui ne
croient pas en Dieu, ce qui est assez extraordinaire, il faut le dire.
Donc, ça, c'est un aspect des choses qui est souvent passé sous silence, c'est la
non-pratique. On sait qu'au Québec il y a environ une vingtaine de pour cent de
la population qui est effectivement pratiquante.
Pour le reste, ils sont ce qu'on appelle des... ils ont des confessions qui
sont de nature sociale beaucoup plus que religieuse.
Bien. Notre
avis sur le projet de loi n° 62 est que c'est un pas dans la bonne
direction. C'est sûr, il y a plusieurs choses
dans le projet de loi que nous sommes enclins à soutenir, il n'y a aucun doute
là-dessus. Par contre, il faut dire qu'il nous paraît très, très mince
et très en deçà des attentes non seulement des groupes humanistes, mais même de
la population québécoise en général. Nous
savons, par exemple, qu'il y a une majorité de Québécois qui appuient une
laïcité beaucoup plus étendue que celle, minuscule, qui nous est
proposée aujourd'hui avec le projet de loi n° 62.
Le titre du projet lui-même prête à confusion.
On parle du respect de la neutralité religieuse de l'État, mais, en fait, c'est assez maigre à ce chapitre,
puisqu'il n'y a vraiment qu'un des trois articles qui est vraiment au sujet de
religions. Il y a même un article qui
fait nommément, expressément, référence à autre chose que la religion, il
s'agissait plutôt de techniques pour
faciliter les interactions entre les employés de l'État et le public. Donc, il
ne s'agit plus de religion, il s'agit d'autre chose, mais, bon... Alors,
ça, c'était le deuxième point.
Ce qui nous
inquiète beaucoup, c'est plutôt ce qu'il n'y a pas dans le projet de loi n° 62, parce
qu'il semble bien que, là encore, on
va échouer dans le devoir du gouvernement de protéger les citoyens et les enfants contre le
prosélytisme abusif. Alors, j'utilise
un terme qui apparemment n'a pas traversé l'Atlantique. Le prosélytisme abusif
a été défini en Europe. On sait, tout le monde sait que le prosélytisme fait partie de la liberté de religion et que, naturellement, il n'y a pas de liberté de religion sans possibilité de prosélytisme. Toutefois, il y a
des situations de prosélytisme abusif lorsque
des gens en position d'autorité
utilisent cette position pour formuler, soit directement ou vocalement,
mais soit aussi indirectement,
dans leur conduite et dans leur
accoutrement, faire... ils font du prosélytisme, et dans certaines situations
il s'agit de prosélytisme abusif, et nous avons le
cas, je pourrais dire, qui est très clair dans le cas des... et la commission
Bouchard-Taylor, en fait, l'avait mis non
pas sous ce nom, mais sous la forme d'une expression différente, mais il
s'agissait des fonctionnaires avec une
position d'autorité très claire tels que les juges, les gardiens de prison et
les policiers. Il s'agirait évidemment de
prosélytisme abusif, même s'il n'est pas de forme orale, qu'il est simplement
de forme de projection d'image. Mais n'empêche
que la Cour européenne des droits a tout à fait confirmé que le prosélytisme
abusif était contraire aux droits des
gens. Il est, en fait, contraire à la liberté de conscience de ceux qui le
subissent. Donc là, il s'agit de faire en sorte que celui qui prétend utiliser sa liberté de religion
pour faire du prosélytisme abusif... il faut mettre en face celui qui le reçoit,
c'est-à-dire l'enfant ou le citoyen qui
demande un service et qui se trouve exposé à cette forme d'imposition,
d'utilisation, je dirais même, de détournement de la majesté de l'État
au profit d'une religion particulière.
C'est ce que
nous trouvons inadmissible et c'est pour ça que nous proposons que l'État soit
formellement, non seulement dans son
action, neutre, mais, dans son apparence, qu'il soit neutre, c'est-à-dire sans
signe religieux ostensible ou ostentatoire.
Je vais
passer la parole à M. Claude Braun, qui va vous détailler en quoi les articles sont acceptables mais
fort limités.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
M. Braun. Je vous indique qu'il vous reste 2 min 30 s.
M. Braun
(Claude) : Très bien.
Merci beaucoup. Je suis honoré d'être dans cette enceinte avec
mes collègues de travail. Nous
travaillons pour le même employeur, le gouvernement
du Québec. Je suis professeur de
neurosciences cognitives à l'Université du Québec à Montréal.
Sur le thème
général du projet de loi, la neutralité
religieuse, ce terme, ce mot, je ne
sais pas si d'autres intervenants ici
ont soulevé la question de la polysémie de ce terme, les sens multiples
du terme «neutralité», mais ça va d'un extrême à l'autre, hein, le champ
sémantique de ce terme : de «pulvérisation», dans le sens militaire; de
«stérilisation», dans le
sens vétérinaire; ou d'«indifférence», dans d'autres contextes. Alors, lequel
est l'intention du gouvernement et de ce projet
de loi? Ça reste un petit peu
indéfini, mais notre impression, c'est que ça tend vers le sens le plus faible
que puisse avoir le terme «neutralité», peut-être dans le sens, par
exemple, d'un certain clientélisme où «neutralité religieuse» référerait aux personnes religieuses en laissant complètement de côté, par ailleurs, les personnes qui n'ont aucune identité
religieuse, n'ont pas de croyance ou se déclarent explicitement agnostiques ou
athées.
Bien. La
neutralité à laquelle l'Association humaniste du Québec pourrait se rallier,
c'en est une qui se définirait par le
principe formulé par Condorcet, philosophe et mathématicien des Lumières, que
l'État doit se déclarer incompétent en matière de religion. Ça, ce
serait une neutralité avec laquelle nous serions tout à fait à l'aise.
Deuxièmement, en conformité avec la loi de 1905 française,
écrite en grande partie par la libre pensée française, l'État ne finance ni ne salarie rien de religieux.
C'est le deuxième critère pour que nous soyons tout à fait à l'aise avec
le concept de neutralité. Il ne reste pas beaucoup de temps? Les points
spécifiques, alors.
• (17 h 30) •
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
O.K.
M. Braun (Claude) : 30 secondes?
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : Oui. Non, c'est beau, Mme la
ministre va permettre que vous
fassiez votre point.
M. Braun (Claude) : O.K. Merci.
Merci, Mme la ministre. Je vais quand même accélérer le pas un peu, faire attention,
comprimer un peu le propos.
Pour nous,
«neutralité» devait être synonyme de «laïcité» sur la question de la religion, et, à ce moment-là, un projet de loi qui voudrait favoriser le respect de la
neutralité devrait aller au-delà de favoriser, devrait essayer d'assurer...
La neutralité est présentée comme étant une
bonne chose, même si personne n'est
dupe ici au point de croire que la neutralité religieuse existe soit au Québec ou soit au Canada. Le préambule de la
Constitution canadienne affirme l'existence de Dieu, là, ça fait que,
tout de suite en partant, là, avant même que ne commence la Constitution
elle-même, c'est foutu pour les agnostiques
et pour les athées. Nous ne sommes pas dans une société neutre sur le plan
religieux. Mais il y aurait tellement
d'autres rubriques qui pourraient être abordées et qui devraient être abordées,
d'autres lois qui ont besoin d'être mises
à jour pour la modernité québécoise, qui sont en annexe de notre mémoire. Je me
rends compte que je n'aurai pas le temps d'élaborer là-dessus.
Très, très rapidement, maintenant, sur les trois
points prescriptifs du projet de loi n° 62. Nécessité du visage à découvert dans les transactions entre officiers de
l'État et citoyens. Nous sommes très favorables à ce point spécifique et nous aimons beaucoup aussi toute possibilité
qu'il y aurait de respecter le premier principe de la neutralité, celui de
Condorcet, à l'effet que l'État doit se
déclarer incompétent en matière de religion. Et le visage découvert, ce n'est
pas une affaire religieuse, ça n'a
rien à voir avec la religion. C'est une transaction qui a besoin d'être faite.
Au fédéral ou au provincial, quand un policier vérifie un permis de
conduire, il faut voir le visage sur le permis de conduire. C'est une fonctionnalité de l'opération du service ou de
l'obligation citoyenne ou du service d'État qui doit être fourni dans une
interaction entre deux personnes. Alors,
c'est dans une bonne direction qu'on s'en va avec la neutralisation de la
religion elle-même dans l'exercice de gouvernance.
Ceci étant
dit, il n'y a pas que le problème du visage qui serait découvert ou pas
découvert. Un citoyen qui demande, par
exemple... ou une citoyenne qui demande que tel représentant de l'État n'ait
pas le sexe qui convient pour avoir un rapport
avec elle, ça, c'est un problème qui peut émerger d'un contexte culturel
religieux, mais il pourrait y avoir toutes sortes de contextes qui rendraient dysfonctionnelle une transaction
entre un officier de l'État et un citoyen qui ne soient pas religieux : quelqu'un qui est aux prises
avec des problèmes de santé mentale, quelqu'un qui est beaucoup trop radical
sur le plan politique, quelqu'un qui est
complètement farfelu sur le plan culturel. Ce n'est pas une bonne chose pour
l'État de chercher à se transformer
en théologien pour essayer d'interpréter l'état d'esprit religieux ni des
citoyens ni de ses officiers.
Au niveau des
accommodements au travail, il y a un point que nous aimons particulièrement
dans le projet de loi, c'est le point
qui fait état de la nécessité de l'équité dans la livraison des accommodements
en rapport avec les journées de congé
ou les horaires de travail. Nous ajouterions à ça quand même l'accès aux
services de tout genre, demandes d'accès à une salle par exemple pour
une activité. Que ce soit la prière ou que ce soit n'importe quoi, ça nous
indiffère. Il est important qu'il y ait équité, et c'est spécifié dans le
projet de loi, c'est une très bonne chose, mais, à ce moment-là, pourquoi est-ce qu'on parle de religion, là? C'est
contre-productif de parler d'accommodements religieux dans des contextes
comme ça. Faisons des accommodements,
laissons-les être raisonnables, mettons des balises et assurons-nous que ces
accommodements soient distribués
équitablement à la population. Pourquoi faire des tests de religiosité à quelqu'un pour qu'il ait droit à un accommodement? Qu'on distribue les accommodements,
et puis chacun le fera pour les raisons qui bonnes lui sembleront.
Les
garderies, maintenant. Quelques secondes là-dessus. Voilà le point qui
est, lui, très spécifiquement religieux ici, qui montre que c'est quand
même important pour l'État
d'adresser la question de la religion, mais, encore une fois, je répète que l'idée, c'est de se déclarer
incompétent en matière de religion et de refuser de financer et de salarier
quoi que ce soit de religieux. À ce moment-là, ça va de soi. Pour le point sur les garderies, on ne finance pas des
garderies religieuses si on accepte
cette idée, qui n'est pas nouvelle, qui existe dans d'autres pays, comme la
France par exemple. Et voilà, le tour est joué. Alors, c'est
dans ce sens-là que nous irions.
Et un dernier
point qu'on voudrait spécifier : si on interdit que la religion, par exemple, soit enseignée dans les garderies,
comment se fait-il que le même enfant s'en aille à l'école le même jour et
subisse un enseignement religieux sous la forme du programme Éthique et culture religieuse?
On me répondra : Oui, mais ce qu'on ne veut pas à la garderie, c'est de l'endoctrinement et puis de l'enseignement fanatisé ou extrême, tandis qu'à
l'école tout est correct parce que c'est du culturel. Nous disons non, nous n'achetons pas ce discours. Notre
position, c'est : pour une abolition du volet religieux du cours de culture religieuse. Ceci porte
atteinte, pensons-nous, à la dignité des gens que notre association représente,
mais, oui, à leurs droits, à nos droits. Et nous contestons devant le Parlement
du Québec en ce moment le programme Éthique
et culture religieuse. Pour nous, c'est aussi rejetable, et sur la même base
que ce qui est proposé dans le projet de
loi, d'interdire que soit enseignée la religion ou la culture religieuse — pour nous, c'est la même chose — dans les garderies, aux enfants de
même âge et aux mêmes enfants.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Merci, M. Braun. Mme la ministre.
Mme Vallée : Merci beaucoup,
messieurs, pour votre mémoire, d'avoir pris le temps, d'une part, de nous présenter un mémoire qui est quand même
substantiel et également d'avoir pris le temps de venir échanger avec nous
en commission parlementaire. J'ai beaucoup de questions.
Dans un
premier temps, dans l'une de vos recommandations, la recommandation n° 11, vous demandez, au besoin, de recourir «à la clause dérogatoire de la charte
[...] afin de rétablir l'équilibre entre le droit à la liberté de conscience,
le droit à la liberté de religion et la laïcité de l'État».
J'aimerais vous entendre un peu plus sur cette recommandation
et voir en quoi cette recommandation-là peut s'inscrire dans le projet de loi n° 62.
Une voix : Vous parlez de
l'annexe?
Mme Vallée : Oui, dans
l'annexe.
Une voix : Dans l'annexe.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
M. Braun, c'est vous ou, non, ça va être...
Mme Vallée : En fait, la page 15 du mémoire
que j'ai. Donc, j'imagine, oui, effectivement, c'est possiblement l'annexe.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
M. Braun.
M. Braun (Claude) : Pouvez-vous être
un peu plus spécifique avec votre question?
Mme Vallée :
Bien, j'ai votre mémoire, et à votre mémoire, en page 15, donc mémoire en date
du 25 octobre, en page 15, on est à l'article 11 ou l'alinéa 11.
M. Braun (Claude) : Oui.
M. Virard (Michel) : Ah oui! O.K.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
M. Virard.
• (17 h 40) •
M. Virard
(Michel) : Dans l'état
actuel des choses, il semble que l'interprétation classique, au Canada,
d'une... que toute contrainte vis-à-vis d'un membre de la fonction
publique concernant les signes religieux est une contrainte vis-à-vis
de la liberté de religion de cette personne et, à ce titre, contredit la charte
des droits canadienne à ce sujet. Nous pensons
que cette vision unidirectionnelle est insuffisante, parce que,
comme je l'ai expliqué un peu avant, le prosélytisme abusif consiste à imposer sa vision et sa présence
religieuses à l'autre sans lui demander son avis. Donc, il y a
violation de la liberté de conscience
soit de l'enfant qui est devant un professeur avec un accoutrement religieux
soit du citoyen qui se trouve à
discuter avec un fournisseur de services qui se promène avec également
un accoutrement religieux qui transmet
une image qui est une forme d'utilisation, de détournement, en fait, de la majesté de l'État,
du pouvoir de l'État au profit
de sa religion.
Cet aspect-là
est évacué, au Canada comme au Québec, la plupart du temps. Le fait est, c'est qu'on ne
voit toujours que la contrainte qui
est faite sur le malheureux fonctionnaire
qui va devoir enlever son turban, qui va devoir enlever son tchador, qui va devoir enlever son voile. On ne
voit jamais la violation de la liberté de conscience de celui qui est en face.
Et, particulièrement dans le cas des enfants,
il s'agit pour nous de quelque chose de majeur. Or, dans les faits, si le
Parlement du Canada devait décider qu'une
loi du Québec se trouvait à contredire la charte, il serait nécessaire
évidemment d'utiliser la clause dérogatoire, et nous pensons qu'on
l'utiliserait à bon escient, sans aucun doute.
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Mme la ministre. Trois minutes.
Mme Vallée :
Merci. Donc, d'une certaine façon, ce que vous nous indiquez également, c'est
que l'article 10, qui vise seulement
que les accommodements religieux, devrait aussi, d'une certaine façon, puis
peut-être que je me trompe dans mon interprétation, devrait aussi, peut-être, d'une certaine façon,
s'appliquer aux accommodements visant à protéger la liberté de
conscience.
Est-ce que c'est une
autre façon de formuler cette recommandation?
M. Virard
(Michel) : ...clairement, et ça, je parle de la jurisprudence dans
d'autres pays, évidemment, pas nécessairement au Canada, mais on a cet aspect.
Ça
a été discuté. La liberté de religion et la liberté de conscience sont des
sujets qui ne sont pas nouveaux. La notion de prosélytisme a été étudiée en détail, il y a des livres entiers qui
ont été écrits sur le sujet. Et il y
a même un livre qui s'appelle Le prosélytisme abusif dans le
code civil français, par
exemple. Donc, ça existe. Et cette
notion, elle précise les bornes, en
fait, du prosélytisme, ce qui ne semble jamais être une question
au Canada. Le prosélytisme semble autorisé dans toutes les situations sans particulièrement avoir de raisonnement basé sur ce que la personne en face perçoit, ou
reçoit, ou est imposée par cette forme de prosélytisme.
Donc,
tant qu'on n'aura pas remis en perspective le fait que, oui, il y a
violation de la liberté de conscience de l'enfant qui se trouve à devoir prendre pour modèle quelqu'un qui
utilise abusivement son accoutrement pour imposer de façon visuelle une façon
d'être qui n'est pas nécessairement celle que les parents de cet enfant désireraient,
donc nous avons ici une violation. Peut-être
qu'elle paraît mineure et qu'elle paraît... elle est mineure, bien sûr,
parce qu'elle peut être renversée par l'action des parents.
N'empêche qu'il s'agit d'un problème
tout à fait réel et on le voit. Dans le cas du cours d'ECR, on l'a vue
aussi, cette possibilité des personnes en position d'autorité de transmettre un
message puissant à des personnes qui ne sont pas en position d'autorité, qui
sont, en fait, en situation d'infériorité.
Lorsque
vous demandez un permis à la SAAQ, par exemple, vous vous trouvez, en fait, en
position d'infériorité. Si la
personne en face ne veut pas vous le donner ou elle a une raison pour vous
retarder la transaction, vous pouvez vous demander : Mais est-ce parce qu'il est de cette religion ou qu'il
l'affiche manifestement ou est-ce que c'est pour une bonne raison? Il y a toujours un doute. Je pense qu'il est
préférable d'éviter, d'éliminer ce doute et d'avoir une apparence neutre
dans toutes les situations d'interaction avec le public dans le cas de la
fonction publique.
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : Merci, M. Virard. Mme la députée de Taschereau.
Mme
Maltais : Merci, M. le Président. M. Virard, M. Braun — M. le président et, je
pense, le rédacteur en chef de
votre journal — bienvenue.
Merci de votre mémoire.
Évidemment, je
comprends que vous revenez un peu au principe dans lequel moi, je crois encore,
qui est que, normalement, la neutralité ou
la laïcité... vous, vous dites que les concepts sont les mêmes,
je ne suis pas d'accord tout
à fait là-dessus, mais vous dites que, normalement, tous les
fonctionnaires ne devraient pas afficher de signes religieux. Je suis d'accord
avec vous, sauf que ce n'est pas la loi qu'on a devant nous. On a une loi qui
dit qu'on peut faire des accommodements
religieux et qu'on doit donner les services et recevoir les services à visage
découvert. Alors, je vais parler de ça, c'est ça qu'on a devant nous,
même si je comprends très bien que, pour vous, Bouchard-Taylor, la partie minimale, ce sont : les policiers, les
personnes en situation d'autorité ne devraient pas afficher de signes religieux
ostentatoires. On s'entend là-dessus. Bon, je ne reviendrai pas
là-dessus, mais je veux noter que c'est présent dans votre mémoire.
Ceci dit,
actuellement, avec la loi qu'on a, c'est tout à fait possible, c'est tout à
fait possible, un policière pourrait porter
des signes religieux ostentatoires. Il n'y a aucune interdiction là-dessus, il
n'y a pas de règle là-dessus. Mais il
y a quelque chose sur les services à visage découvert qui dit qu'un fonctionnaire
doit donner les services à visage découvert
et qu'une cliente, un client de l'État doit recevoir les services à visage
découvert. Vous dites : On est d'accord avec ça, ce n'est pas religieux, on ne parle pas de religion. Vous ne
parlez pas... si vous avez vu l'exception, l'exception qui, à mon avis,
tue la règle. Je vais l'appeler comme ça.
M. Virard
(Michel) : Effectivement.
Mme
Maltais : Le troisième paragraphe dit qu'«un accommodement
qui implique un aménagement à l'une ou l'autre de ces règles — le
visage découvert — est
possible», est possible, sauf sécurité, identification, niveau de communication requis. Et les accommodements sont
gérés ensuite dans un autre article. Donc, un accommodement à motif religieux pourrait être demandé et pourrait tuer
cette idée que les services devraient être rendus à visage découvert. Donc,
le religieux s'insinue mais par ailleurs, par en dessous.
Est-ce que vous êtes
sensibles à ce que je vous dis, mettons, exprimé comme ça?
M. Virard (Michel) : Absolument. En fait, bon, si on ne l'a pas inclus dans le
présent rapport, d'une part, c'est parce
que nous n'avions pas le temps
matériel pour le faire, mais effectivement il y a plusieurs endroits où les exceptions font que ça diminue beaucoup la pertinence de l'article
lui-même, donc qu'on se trouve à diluer beaucoup... et c'est un des problèmes qu'on a vus, oui. Vous aurez peut-être
l'occasion... Je ne sais pas si vous allez recevoir le Mouvement laïque québécois,
mais le Mouvement laïque québécois est beaucoup plus pertinent sur ces
points-là, justement.
Mme
Maltais : Malheureusement, nous ne les recevrons pas, même si nous l'avons demandé. Il y a
objection...
M. Virard
(Michel) : Mais vous pourrez avoir le mémoire, je pense.
Mme
Maltais : Oui. Nous aurons
le mémoire, mais, je vous dis, nous sommes d'accord pour recevoir le
Mouvement laïque québécois, mais nous ne le recevrons pas. Voilà.
Donc, Bouchard-Taylor,
oui, mais permis à l'heure actuelle, mais il faudrait donc changer la loi pour
ça. L'exception, moi, je vous dis, il faut absolument revoir cela, c'est parce
que ça fait une introduction du religieux.
Sur les
accommodements, là, j'ai de la misère à comprendre votre position. Vous avez
une phrase très claire qui dit :
«La position de l'AHQ sur les accommodements religieux est qu'ils devraient
être totalement interdits.» Mais, en même
temps, vous dites ailleurs, en page 4, que «personne ne devrait être obligé
d'accommoder les croyances ou rituels religieux
des autres à ses frais, sur les lieux de travail, sans contrepartie». Donc, à
un endroit, vous dites : C'est possible à certaines conditions, puis, à la fin, vous dites : On ne devrait
pas... Pouvez-vous m'expliquer ce qui me semble, à première vue, une
incohérence?
• (17 h 50) •
M.
Braun (Claude) : Eh bien,
tout tourne autour de l'article 5 de la section 11 de la section III
sur les accommodements religieux.
Je le
cite : «5° l'équité au regard des conditions de travail des autres
membres du personnel...» C'est-à-dire — excusez-moi : «...doivent être plus
spécifiquement considérées[...] — et je lis l'item — l'équité au regard des conditions de
travail des autres membres du personnel, notamment en ce qui a trait au nombre
de congés payés et à l'établissement des horaires de travail — etc.»
Ce point-là,
on a débattu de ça au conseil d'administration de l'AHQ. On avait un désaccord. À peu près la moitié du conseil d'administration pensait que — et
moi, je m'inclus là-dedans — ce
point spécifie que, si accommodement il y a,
il doit être distribué également à tous les employés. Moi, je le prends comme
ça. Et la moitié du C.A. disait : Bien non, pas du tout, on va
donner des accommodements religieux, et il n'y a pas de contrepartie, et ça ne
va pas être distribué également, c'est tout
simplement qu'on va dire à tout le monde : Ah! bien, ça ne te pénalise
pas, ce n'est pas inéquitable, c'est juste gentil.
Enfin, en
d'autres mots, certains d'entre nous pensons que ce point-là ne veut
strictement rien dire, que c'est de la poudre
aux yeux. Moi, je pense que, si on poursuivait en cour, le juge serait obligé
de reconnaître qu'«équité», ça veut dire
«équité», ça veut dire «distribution égale». Mais toute la question tourne
autour de ça dans notre rapport sur le projet de loi n° 62. Voilà.
De créer l'équité rend caduc l'aspect religieux, peu importe le motif pour
demander un congé, un réaménagement, une
salle ou n'importe quoi. Si tout le monde a droit à autant de salles, chaque
employé a droit à une salle pendant
autant d'heures, a droit de demander que son horaire soit changé, qu'est-ce que
ça veut dire de demander ça sur une base religieuse? Ça ne veut
absolument rien dire, et puis tant mieux. C'est ça, notre point de vue.
Mme
Maltais : Dernière chose. En page 4, vous dites que vous êtes
d'accord avec la disposition sur les centres de la petite enfance, sur
cette partie-là, «mais pas la liste des exceptions qui la rendent caduque,
mort-née». Pourtant, il y a des groupes
religieux qui sont venus nous dire... ou des groupes de communauté qui sont
venus nous dire : Non, c'est bon.
Puis c'est tel quel le libellé qu'il y avait dans le projet de loi n° 60,
la fameuse charte. Alors, quelques explications, si vous avez le temps.
M. Braun (Claude) : Oui. Est-ce que
vous pourriez nous...
Mme Maltais : Oui, page 4,
avant-dernier paragraphe, deuxième phrase.
M. Braun (Claude) : De notre...
Mme Maltais : De votre mémoire.
M. Braun (Claude) : Oui, sauf que,
la liste des exceptions, je ne l'ai pas en tête...
Mme Maltais : Ah! O.K., O.K., c'est
vrai, nous, on connaît la loi au fil du temps, oui.
M. Braun
(Claude) : ...le détail de
la liste des exceptions, mais ici il y a vraiment... on s'est aperçus, là,
que... votre cas précédent que vous avez soulevé, on s'en est moins aperçus, la
liste des exceptions ou des possibilités de contournement ou les
exemptions, etc.
Ici, ça nous
a frappés, au niveau des garderies, là. Évidemment, on comprend que, si une
personne d'une culture très exotique
par rapport à la nôtre — je ne sais pas, moi, ça pourrait être asiatique, ça pourrait être
arabe, ça pourrait être n'importe quoi — accueille des enfants de sa
culture et qu'il y a des fêtes nationales puis des fêtes culturelles ou des activités qui font tellement partie du quotidien
et qui sont religieuses puis qu'il y a des activités autour de ça... il ne
faudrait quand même pas mettre les
gens à l'amende parce qu'ils expriment naturellement leurs cultures. On
comprend qu'il peut y avoir des
exceptions pour que la loi ne soit pas trop carrée et puis empêche toute
personne qui n'est pas québécoise, francophone
de souche d'ouvrir une garderie, là, au risque de se sentir menacée, là, par
quelque sorte de police de la culture, et
tout ça. Mais ça nous a juste semblé excessif, c'est trop flou. En fait, tout
l'article devient trop flou. Qu'est-ce qu'on veut... En fait, je vais le dire autrement. Ce que nous souhaiterions,
c'est que le projet de loi soit plus explicite sur ce qu'il ne veut pas
qui se passe exactement dans les garderies, là.
Qu'est-ce
qu'on ne veut pas, là? Est-ce que c'est la radicalisation qu'on ne veut pas,
c'est la radicalisation violente qu'on
ne veut pas, c'est l'endoctrinement qu'on ne veut pas? Est-ce que c'est le
marquage identitaire qu'on ne veut pas, etc.?
Le Président (M. Ouellette, Chomedey) :
Merci. Mme la députée de Montarville.
Mme Roy : Merci, M.
le Président. Messieurs, merci. Merci pour votre mémoire. Et j'aimerais vous
dire un merci spécial, parce que,
d'entrée de jeu, vous avez dit quelque chose, puis il n'y a pas eu beaucoup de
réactions, mais vous avez dit que
vous avez, entre autres, lutté contre cette demande d'imposition de la charia
au Canada. Alors, merci d'avoir fait ça, si vous avez participé à cette
lutte.
M. Virard
(Michel) : ...
Mme
Roy : Merci. Par ailleurs, vous — j'ai pris quelques notes — naturellement, en tant qu'athées et
agnostiques, vous trouvez, j'imagine, qu'on donne beaucoup trop de place
aux religieux.
M. Virard (Michel) : C'est un petit peu plus nuancé que ça. Ce n'est pas qu'il y ait
beaucoup d'addition de services pour
les religieux, c'est qu'on traîne un paquet de casseroles, c'est-à-dire des
choses qui existent depuis fort longtemps et qui n'ont pas été mises à
jour, et, en particulier, ce sont des choses qui peuvent être très coûteuses.
Je vous signale que,
veux veux pas, en tant qu'athée au Québec, je finance indirectement des
religions, parce qu'il y a encore une grande
quantité d'exceptions fiscales qui s'adressent uniquement aux religieux et qui
font que les contribuables, quels
qu'ils soient, financent, de fait, des fonctions religieuses. On a des listes,
on a déjà travaillé là-dessus, je
veux dire... elle est longue. On parle de centaines de millions, on ne parle
pas de pinottes, O.K.? Ça, il faut se mettre la tête dans le sable pour ne pas le voir. Il y en a d'autres aussi au
niveau symbolique. Il reste une grande partie de choses qui n'ont pas
été faites et qui font que, de fait, on se retrouve comme des citoyens de
seconde classe.
Bon,
le préambule de la Constitution canadienne est déjà là, ce n'est pas votre
responsabilité, je le sais, mais il ne faut
pas l'oublier. Nous sommes officiellement, au Canada, des citoyens de seconde
classe, parce que nous ne croyons pas à la suprématie de Dieu. Désolé. Donc,
ça, c'est quelque chose de fondamental et qui n'est pas près de se régler, manifestement. Dans le détail, on a toujours
cette... par exemple, à moins que ça ait changé, mais le protocole de l'Assemblée nationale au Québec fait encore une
place disproportionnée aux représentants de l'Église catholique. Donc, vous allez avoir, dans l'ordre protocolaire, qui
est d'ailleurs très différent de l'ordre protocolaire du Parlement d'Ottawa...
vous allez avoir le fait que l'archevêque,
par exemple, ou le primat du Canada ont précédence sur des ministres élus, donc
sur vous. Désolé. C'est quelque chose qu'on
traîne depuis longtemps. Ça ne devrait pas être comme ça. C'est toujours là.
Je ne parlerai même pas de la croix au salon
de l'Assemblée nationale, qui est une... en fait, vis-à-vis de n'importe quelle
nation qui se prétend laïque, est une incongruité assez monumentale.
Mme
Roy : Je vais poursuivre. Je comprends ce que vous dites, c'est
intéressant, mais je vais poursuivre. Vous avez dit quelque chose — j'ai pris une note : On ne se soucie
pas de ce que la personne en face perçoit et reçoit lorsqu'on parle de signes religieux très visibles. C'est une
violation du droit de conscience de celui qui perçoit et reçoit. Je trouve
ça terriblement intéressant, parce qu'au Québec on n'a pas le droit de se dire
interpellé ou offensé par les symboles religieux, ou politiques, ou autres qui
nous offensent.
M. Virard (Michel) : Alors, entre deux citoyens qui se rencontrent dans la rue,
effectivement, il n'y a pas ce droit. Si
je rencontre un prêtre dans la rue, bon, que sa vision m'importune ou pas, ça
ne change rien, mais il n'est pas en positon d'autorité vis-à-vis de moi, tandis qu'un enfant qui est dans une école,
un adolescent qui est à l'école ou au cégep se trouve, en fait, en situation d'infériorité vis-à-vis de
l'enseignant. L'enseignant reste, veux veux pas, un modèle, et le modèle qui
est projeté est un modèle prosélyte de... et
nous pensons qu'il est non seulement... je ne suis pas le seul à le penser, mais
la Cour européenne des droits a déjà légiféré sur la question et a trouvé
qu'effectivement, dans certaines situations, le prosélytisme pouvait être
abusif et, en ce sens, devait être combattu.
Le Président (M.
Ouellette, Chomedey) : Il reste deux minutes.
Mme Roy :
Merci. Je trouve le concept de prosélytisme abusif intéressant, et on devrait
peut-être l'exploiter davantage ou voir qu'est-ce qui se fait à cet égard-là.
M. Virard
(Michel) : Il existe des ouvrages là-dessus.
Mme Roy :
Et vous dites que, dans le code civil français, on en fait mention, ce qui est
intéressant. Et on fait référence... et ça
allume des lumières, sur le cas de ce jeune homme juif qui poursuit le
gouvernement actuellement parce qu'il n'a pas eu droit à l'éducation
comme tous les autres enfants. Alors, ça nous amène là.
M. Virard
(Michel) : Eh oui! Ce sont des cas extrêmes, mais ce sont des cas
réels, oui.
Mme Roy :
Je vous remercie beaucoup pour l'éclairage que vous apportez. Merci, messieurs.
M. Virard
(Michel) : Bienvenue.
Le
Président (M. Ouellette, Chomedey) : M. Michel Virard, M. Claude
Braun, représentant l'Association humaniste du Québec, merci d'être
venus déposer devant la commission.
La
commission ajourne ses travaux au mardi 1er novembre 2016, après les
affaires courantes, soit vers 15 heures, où elle poursuivra son mandat.
(Fin de la séance à 18 heures)