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Version finale

40th Legislature, 1st Session
(October 30, 2012 au March 5, 2014)

Thursday, February 20, 2014 - Vol. 43 N° 131

General consultation and public hearings on Bill 60, Charter affirming the values of State secularism and religious neutrality and of equality between men and women, and providing a framework for accommodation requests


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Table des matières

Auditions (suite)

Dialogue judéochrétien de Montréal

Centre universitaire de santé McGill (CUSM)

Intervenants

M. Luc Ferland, président

Mme Noëlla Champagne, présidente suppléante

M. Bernard Drainville

Mme Kathleen Weil

Mme Rita de Santis

Mme Nathalie Roy

M. Daniel Ratthé

Mme Françoise David

M. Marc Tanguay

*          M. Victor Charles Goldbloom, Dialogue judéochrétien de Montréal

*          Mme Diane Rollert, idem

*          M. Jean Duhaime, idem

*          M. Peter Abraham, CUSM

*          M. Normand Rinfret, idem

*          Mme Sophie Baillargeon, idem

*          M. Pramod S. Puligandla, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Onze heures trente-quatre minutes)

Le Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

La commission est réunie afin de tenir des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 60, Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodement.

Mme la secrétaire, est-ce que nous avons des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce) remplace M. Ouimet (Fabre) et Mme Roy (Montarville) remplace M. Duchesneau (Saint-Jérôme).

Auditions (suite)

Le Président (M. Ferland) : Merci, Mme la secrétaire.

Ce matin, nous recevrons deux groupes, soit, en premier, le Dialogue judéochrétien de Montréal, suivi par le Centre universitaire de santé McGill.

Maintenant, nous recevons les représentants de Dialogue judéochrétien de Montréal en vous mentionnant que vous disposez de 10 minutes pour la présentation de votre mémoire, suivies d'une période d'échange avec les groupes parlementaires. Alors, je vous demanderais peut-être de vous présenter, ainsi que les deux personnes qui vous accompagnent. La parole est à vous.

Dialogue judéochrétien de Montréal

M. Goldbloom (Victor Charles) : M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, je m'appelle Victor Goldbloom, je suis président du Dialogue judéochrétien de Montréal. Je suis accompagné de Mme Diane Rollert, qui est pasteure de l'Église unitarienne de Montréal, et de M. Jean Duhaime, qui est l'ancien doyen de la Faculté des sciences des religions à l'Université de Montréal.

Le Dialogue judéochrétien de Montréal est une table à laquelle se rencontrent les Églises anglicane, catholique romaine, catholique ukrainienne, luthérienne, mormone, presbytérienne, unie et unitarienne avec la communauté juive. Elle existe depuis 1971. C'était l'initiative de feu le cardinal Paul Grégoire. Et nous nous réunissons mensuellement depuis tout ce temps-là. Il y a, parmi nos membres, des gens qui portent des symboles ou des vêtements qui identifient leur appartenance religieuse, et nous ne sommes donc pas d'accord avec les restrictions qui sont proposées. Mais nous voulons aller plus loin.

Au bout du chemin que commence à tracer ce projet de loi, nous percevons une société où l'État aurait fait taire les religions et les aurait rendues invisibles. Nous avons l'impression que le gouvernement veut dire, en modifiant légèrement les paroles de Molière : Cachez ces saints, s-a-i-n-t-s, que je ne saurais voir. Par de pareilles visions, les âmes sont blessées, et cela fait venir de coupables pensées.

Je puise dans mon expérience personnelle. Aux années 60, la commission Hall étudiait les soins de santé et a voulu obtenir un éclairage sur la gestion financière des hôpitaux. C'est la religieuse qui était responsable de l'administration financière de l'Hôpital Notre-Dame qui a fourni un exposé absolument brillant. Lorsque je suis devenu ministre de l'Environnement, ce n'était pas encore un ministère autonome, c'était attaché aux Affaires municipales, j'ai eu donc une secrétaire. Après un certain temps, elle a recruté une consoeur de classe. Les deux avaient été formées chez les bonnes soeurs, les deux possédaient à merveille leur français, et j'avais la joie quotidienne de discuter avec elles des nuances de la langue française. Plus tard, devenu titulaire des Affaires municipales, j'ai acquis quatre secrétaires additionnelles, plus jeunes, formées dans les écoles essentiellement laïcisées de l'époque. J'ai le regret de dire qu'elles ne produisaient à peu près pas une lettre sans faute de français que je devais corriger.

Je ne parle pas seulement du passé. Il y a trois ans, le Dialogue judéochrétien a participé aux offices à la paroisse Saint-Luc de Dollard-des Ormeaux. Cette paroisse offre quatre messes chaque fin de semaine afin d'accommoder le millier de personnes qui y assistent. Dans ma synagogue, aux grandes occasions, il y a plus de 1 000 personnes qui assistent.

• (11 h 40) •

Je suis un fan du poste de Radio Ville-Marie qui diffuse une programmation religieuse à l'échelle de la province et qui s'intéresse, depuis plusieurs années, aux relations interconfessionnelles.

Je termine sur une note vraiment personnelle. Vous constatez que je ne porte ni symbole ni vêtement qui identifie mon appartenance religieuse, mais, lorsque je mets ma kippa, ma calotte, je ne deviens pas, par le fait même, moins objectif, moins ouvert d'esprit, moins Québécois. Je passe la parole à ma collègue.

Mme Rollert (Diane) : M. le ministre, Mmes et MM. les membres de la commission, je vous remercie pour cette opportunité de témoigner devant vous. Je suis la pasteure de l'Église unitarienne de Montréal, je sers une communauté qui est vraiment diversifiée. Certains d'entre nous sont théistes, agnostiques et aussi athées. Donc, j'ai beaucoup d'expérience avec la richesse du vivre-ensemble, une expérience que j'ai expérimentée depuis que je suis immigrée au Québec, des États-Unis il y a huit ans, quand je ne parlais que quelques mots de français.

Quand j'utilise le mot «religieux», je fais référence à mon choix personnel de vivre selon certaines valeurs qui m'amènent à évoluer dans une communauté affectueuse. Ces valeurs qui nous animent sont l'amour, la tolérance, l'intégrité, la liberté de questionner, un engagement à promouvoir la paix, la préservation de l'environnement et la valeur et la dignité intrinsèques de toute personne. Surtout, je respecte la neutralité de l'État et l'égalité entre les femmes et les hommes. Comme femme, je suis très consciente des batailles difficiles que mènent actuellement les femmes de partout dans le monde pour établir leur juste place au sein d'une société plus égalitaire. Je suis pleine d'empathie pour toutes les femmes qui ont souffert des inégalités vécues à cause de leurs traditions culturelles ou religieuses. Mais je suis heureuse de dire qu'on a fait beaucoup de chemin. C'est pour ça que je suis ici aujourd'hui comme une femme qui dirige un culte. Dans chaque tradition religieuse, il y a des femmes qui sont en train de réclamer leur moitié du ciel, mais elles ont choisi de le faire dans leurs traditions et pas à l'extérieur. Alors, ce n'est pas à nous de les juger à cause de leur manière de s'habiller. En légiférant sur le droit d'une femme à s'habiller selon ce que lui dicte sa conscience, vous la privez du droit fondamental de contrôler son propre corps. En la forçant à choisir entre son travail et sa foi, vous vous assurez qu'elle soit marginalisée, et non libérée.

Finalement, je comprends que vous, M. le ministre, êtes admirateur du mon compatriote, Thomas Jefferson. À la fin du XVIIIe siècle, Jefferson a proposé sa propre charte pour l'établissement de la liberté de la religion dans l'État de Virginie. Dans cette charte, Jefferson affirme clairement que tous les citoyens ont le droit de servir leur gouvernement, indépendamment de leurs croyances ou leurs expressions religieuses. Autrement, dit-il, cela revient à priver le citoyen en le lésant des privilèges et d'avantages auxquels il peut naturellement prétendre au même titre que ces concitoyens. Jefferson a prévenu aussi des risques d'exiger la conformité à des normes arbitraires. À mon avis, c'est ce genre de conformité que le projet de loi n° 60 exigerait des personnes qui affichent aujourd'hui leur appartenance religieuse.

Depuis mes huit ans ici, j'ai connu des gens chaleureux, d'esprit ouvert et curieux. C'est le Québec que je connais et que j'aime. J'espère que l'on saura maintenir et développer cet esprit d'ouverture dans cette société civile et respectueuse que j'ai tant admirée.

Et j'ai ici, pour vous, M. le ministre, une copie de la charte de Jefferson comme cadeau, qui est encadrée pour vous, que je vais aller vous donner.

Le Président (M. Ferland) : Alors, nous allons remettre au ministre le... Parce que, le temps étant presque écoulé, il reste à peu près 10 secondes…

M. Duhaime (Jean) : Bien, écoutez, en 10 secondes, la seule chose que je pourrais vous dire, c'est que nous avons le sentiment que, dans le document d'orientation, comme dans le projet de loi, les religions sont traitées comme des maladies. Les religions ne sont pas des maladies, même s'il peut y avoir des maladies des religions. On a introduit un cours d'étique et de culture religieuse dans le système scolaire précisément pour dissiper...

Le Président (M. Ferland) : …parce qu'on est arrivés un peu en retard, dû aux activités du salon bleu, vous allez comprendre, alors je dois quand même restreindre les périodes de présentation de mémoires.

Alors, nous allons à la période d'échange, et je cède la parole à M. le ministre.

M. Drainville : Merci, M. le Président. Merci à vous trois pour et le mémoire et la présentation. J'ai déjà dit privément à M. Goldbloom tout le respect et l'estime que j'avais pour lui et je le redis publiquement maintenant. Vous avez fait une contribution remarquable à la société québécoise. Vous l'avez fait comme homme public, homme politique, mais vous l'avez fait également dans d'autres engagements, et je pense que vous êtes un grand Québécois, M. Goldbloom.

Comme on n'a pas beaucoup de temps, on a moins de temps que prévu, malheureusement, pour vous poser des questions, j'aimerais aller à quelques points essentiels. D'abord, vous dites dans votre mémoire, à la page 8, que vous n'arrivez pas à déceler une crise d'accommodements raisonnables. Moi, je pense qu'il y a eu une crise en 2007. Je ne dirais pas qu'on est dans une crise actuellement, mais je pense qu'il faut mettre en place des règles claires en matière d'accommodement pour prévenir d'autres crises, d'autres dérapages à l'avenir. Vous savez, il y a un consensus au sein des quatre partis qui sont représentés à l'Assemblée qu'il faut des règles claires en matière d'accommodement. Plusieurs grandes centrales syndicales, plusieurs groupes, également, très importants, qui représentent des milieux, le milieu scolaire par exemple, la Fédération des commissions scolaires sont d'avis que ça prend des règles beaucoup plus claires que celles qui existent présentement en matière d'accommodement.

Alors, est-ce que je peux vous demander d'abord : Est-ce que vous êtes d'accord avec le cadre devant baliser les demandes d'accommodement à l'avenir, enfin surtout les demandes d'accommodement religieux?

M. Duhaime (Jean) : Bien, de façon générale, le projet de loi, dans notre compréhension, là… nous ne sommes pas des juristes, mais, dans notre compréhension, le projet de loi met par écrit les pratiques qui sont déjà en vigueur depuis quelques années.

Qu'on veuille se donner des règles claires, ça nous paraît tout à fait légitime. En même temps, ces règles-là ne doivent pas devenir un poids tel qu'il faudra instaurer toutes sortes de contrôles et qu'il faudra un remède plus important que le mal pour essayer de résoudre cette question-là. Nous pensons, nous croyons beaucoup au principe de subsidiarité et nous pensons que tout ce qui peut être réglé localement doit l'être et que, lorsque cela se fait dans un cadre général sur lequel il y a un accord — je sais que, M. le ministre, vous tenez beaucoup aux principes — lorsqu'on s'entend sur les principes, ensuite la pratique, je crois, doit être laissée au niveau où le problème se pose.

M. Drainville : Vous avez raison. Il y a une partie des balises qu'on met en place qui codifie une jurisprudence existante, par exemple toute la notion de contrainte excessive, mais on va quand même plus loin. Quand on dit, par exemple, qu'à l'avenir une demande d'accommodement ne devrait pas être accordée si elle remet en question le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes, il nous semble que c'est quelque chose de bien raisonnable. Et donc il nous semble que... Parce que ce que j'entends dans vote réponse, c'est que vous n'êtes pas convaincus que cet aspect-là du projet de loi mérite d'être appuyé, là. C'est ce que je comprends. La partie accommodements raisonnables, vous ne l'appuyez pas, c'est ce que je comprends.

M. Duhaime (Jean) : C'est-à-dire que nous appuyons de façon globale l'idée qu'il y ait un cadre général pour orienter le règlement ou tout le processus d'accommodement raisonnable. Lorsqu'on dit qu'un accommodement devrait être refusé s'il contrevient au principe de l'égalité hommes-femmes, on fait du principe de l'égalité hommes-femmes un principe absolu, alors que l'ensemble des droits dans notre société doivent avoir la même attention et le même intérêt. Alors, si on met au-dessus de tous les principes... on met comme principe suprême l'égalité hommes-femmes, nous croyons que ça peut être problématique.

• (11 h 50) •

M. Drainville : Oui. Moi, je vous dirais qu'on lui donne un caractère déterminant, je ne dirais pas «un caractère absolu». Je pense que, les droits, il y a des… comment dire, il y a des droits fondamentaux, mais il n'y a pas de droit absolu, hein? Et je dirais que, dans le cas du projet de loi n° 60, l'égalité entre les hommes et les femmes, ça devient une valeur incontournable, non négociable, déterminante dans l'évaluation et éventuellement la décision concernant une demande d'accommodement.

Si vous me permettez, je vais aller sur la question des signes. Vous écrivez : «…la neutralité et l'objectivité se situent dans le coeur, dans la tête et dans la formation, pas dans la tenue vestimentaire ou dans un symbole d'appartenance.» Alors, est-ce que vous êtes d'accord avec l'obligation du visage à découvert, ce qui veut dire dans les faits que le niqab et la burqa, pour ne nommer que ceux-là, sont interdits pour les agents de l'État et également pour les usagers parce que c'est un signe religieux, hein? La burqa, le niqab sont des signes religieux. Est-ce que vous êtes d'accord que ça ne devrait pas être permis?

M. Duhaime (Jean) : Écoutez, on peut discuter sur le sens qu'on leur donne. Si vous dites : Ce sont des signes religieux, je veux bien, mais est-ce que c'est parce que ce sont des signes religieux qu'on les interdirait ou parce que nous souhaitons que l'échange de services entre l'État et ses citoyens se fasse à visage découvert? Ça, c'est autre chose.

M. Drainville : Mais, peu importe la raison que vous souhaitez, moi, j'ai mes raisons, je pourrais vous les exposer, mais on n'a pas suffisamment de temps, malheureusement. Mais, vous, de votre côté, est-ce que vous êtes d'accord avec l'obligation du visage découvert, peu importe la raison que vous souhaitez… la justification que vous souhaitez lui donner, à cet interdit?

M. Duhaime (Jean) : C'est une question qui pourrait être discutée avec les groupes concernés.

Un des problèmes que nous avons avec ce projet de loi, c'est qu'il nous semble que c'est un projet qu'on veut imposer sans avoir suffisamment pris acte de la présence des groupes religieux, de la présence de leadership aussi dans ces groupes-là et puis sans avoir suffisamment exploré, avec l'ensemble des personnes concernées, l'ensemble des composantes religieuses et non religieuses de notre société, quel est le problème, quelles sont les solutions possibles.

On a le sentiment, quand on lit en particulier le document d'orientation, qu'il y a une vision extrêmement négative de la religion derrière ce projet de loi, que les religions, tout ce que la religion a apporté au Québec, à peu près, ce sont des noms de rue puis des signes emblématiques, alors qu'il y a eu un apport très positif. Malgré des erreurs, malgré des errements, il y a eu et il y a encore un apport positif des groupes religieux dans la société québécoise, et ça, ce n'est pas reconnu. Alors, ça, c'est un des problèmes que nous avons. Nous pensons qu'il y a d'autres moyens de manifester la neutralité religieuse de l'État, que ces moyens-là doivent être explorés dans une approche non partisane puis en dialogue avec l'ensemble des composantes religieuses et non religieuses de la société québécoise. C'est la seule façon d'arriver à un consensus social sur un sujet comme celui-là. Il faut arrêter de traiter la religion comme si c'était une maladie.

M. Drainville : Oui. Mais là, écoutez, j'entends évidemment votre point de vue puis, comme je le dis, et le répète, je respecte les positions contraires à la nôtre, mais, en tout respect, moi, je pense que la liberté de religion, et la liberté de conscience, est mieux protégée avec un État neutre et avec une reconnaissance explicite de sa neutralité que le vide juridique dans lequel on est présentement. Moi, je vous le dis en tout respect, je pense sincèrement qu'un État qui est neutre, un État qui est laïque va être à même de respecter toutes les religions et toutes les croyances et les non-croyances.

Je vais vous soumettre un argument de Guy Rocher qu'il énonce dans une entrevue qu'il a donnée à Paul Journet. La question de Paul Journet est la suivante : «…en permettant à une femme qui porte le hidjab de travailler dans la fonction publique, ne favorise-t-on pas son intégration dans la société?» On pourrait remplacer le mot «hidjab» par un «autre signe religieux». Et Guy Rocher de répondre : «C'est un argument fautif et dangereux, car on considère seulement les besoins d'une personne. Il faut sortir de cet individualisme pour voir l'aspect collectif, celui de l'institution. Si le nombre augmente, si le nombre des personnes qui portent un signe religieux augmente, la neutralité de l'État s'effrite. Quand 10 enseignants d'une école porteront un signe religieux, on se demandera si cette école est encore neutre.» Vous ne pensez pas qu'il y a du vrai là-dedans?

M. Duhaime (Jean) : …M. Rocher fait exactement, dans la dernière phrase que vous venez de citer, c'est d'opposer la liberté religieuse et la neutralité, alors que, la neutralité de l'État, une de ses visées, c'est de favoriser la liberté religieuse. Puis la liberté religieuse, ça implique la possibilité d'exprimer son appartenance religieuse publiquement. Alors, ça, il y a un problème, là, assez sérieux, on est d'accord. Écoutez, moi, je conviens… et je pense que c'est la position de l'ensemble des membres qui sont autour de notre table de dialogue interreligieux, nous convenons très bien que la neutralité religieuse de l'État est importante. Mais, précisément, un des points qui manquent dans le document d'orientation, qui définit la liberté religieuse... qui définit la neutralité de l'État, pardon, c'est qu'une des visées de la neutralité de l'État, c'est de favoriser et de préserver la liberté religieuse. Ça n'y est pas, dans le document, ça. Je comprends que vous y croyez, mais il n'y a probablement pas uniquement en restreignant le port, l'affichage de signes religieux qu'on peut afficher la neutralité de l'État. Il y a d'autres moyens à trouver pour faire ça. Est-ce qu'on a eu besoin de restreindre l'affichage de signes ostentatoires pour faire valoir la charte des droits et libertés du Québec?

M. Drainville : Je ne suis pas sûr de vous suivre, là. La...

M. Duhaime (Jean) : Comment promeut-on la charte des droits et libertés du Québec? Est-ce que c'est en restreignant des choses ou est-ce que c'est en faisant la promotion de ce qu'elle contient puis en faisant de l'éducation puis de la diffusion?

M. Drainville : Oui. Mais, en tout respect, nous, nous soutenons que ce que nous proposons respecte tout à fait la charte des droits et libertés, qu'elle soit québécoise ou canadienne, d'ailleurs. Et, par ailleurs, je vous rappelle...

M. Duhaime (Jean) : ...modifier?

M. Drainville : Oui, oui, mais bien sûr qu'on la modifie parce qu'on veut s'assurer justement que les grands principes de laïcité, et de neutralité, et de séparation des Églises et de l'État soient enfin inscrits dans ce texte fondamental qu'est la Charte des droits et libertés, puisqu'actuellement la laïcité de l'État, la neutralité de l'État, la séparation des religions et de l'État, ce n'est inscrit nulle part dans nos documents législatifs, dans nos documents institutionnels. Alors, on veut pallier à ça effectivement en l'inscrivant formellement. Je pense que ça va être un plus.

Maintenant, écoutez, on a visiblement un désaccord, puis ça ne nous empêche pas de se parler très respectueusement. Mais moi, sincèrement, je... Nous, nous sommes d'avis que la liberté de religion, elle est protégée, et la liberté de conscience aussi. Vous savez, la liberté d'expression, c'est une liberté fondamentale. Ça ne nous empêche pas de dire aux fonctionnaires : Pendant les heures de travail, vous ne pouvez pas afficher vos convictions politiques.

M. Duhaime (Jean) : …M. le ministre, si je me permets...

M. Drainville : Oui.

M. Duhaime (Jean) : ...en 2008, quand on a déconfessionnalisé… de 2005 à 2008, grosso modo, quand on a déconfessionnalisé le système scolaire, on n'a pas sorti la religion des écoles, on a introduit un cours d'éthique et de culture religieuse mur à mur sur l'ensemble du primaire et du secondaire. Un des objectifs de ce programme-là, c'est de faire tomber les préjugés à l'égard des religions par une meilleure connaissance de ce qu'elles sont, de faire tomber des préjugés aussi à l'égard des visions humanistes du monde puis de favoriser une compréhension et le dialogue entre des citoyens de différentes appartenances. Comment pensez-vous qu'on va atteindre cet objectif-là si en même temps on envoie le signal que l'appartenance religieuse, c'est une affaire strictement privée puis que c'est interdit de l'afficher dès qu'on a le moindre lien, par ses fonctions, avec l'État québécois?

M. Drainville : Mais, monsieur...

La Présidente (Mme Champagne) : …1 min 30 s.

M. Drainville : ...écoutez, il y a une dernière chose que je voulais vous soumettre, là, puis c'est tout le sens que peut prendre le signe religieux pour la personne qui le voit.

Je pense qu'on va s'entendre pour dire qu'un signe religieux envoie un message religieux, n'est-ce pas? Sinon, on ne le porterait pas, là. Alors, je pense que la personne qui porte un signe religieux envoie ce message, transmet ce message religieux et je pense qu'il faut mettre dans l'équation pas seulement le droit ou les droits de la personne qui porte le signe, mais il faut également mettre dans l'équation les droits des personnes qui reçoivent ce signe-là. Et donc, les citoyens, les usagers, les enfants, notamment dans les institutions scolaires, les parents également, je pense qu'ils ont des droits, eux aussi, et il faut les mettre dans l'équation. Et, quand on a des personnes qui travaillent, par exemple, avec des jeunes, qui nous disent que le signe peut miner la relation de confiance qu'une jeune fille qui a besoin d'aide souhaite obtenir, l'aide qu'elle souhaite obtenir parce que le message qu'elle reçoit, c'est un message religieux et que dans certains cas c'est cette religion-là qui l'a condamnée, qui l'a rejetée, qui l'a exclue ou même qui pose un problème pour son intégrité physique dans le cas des violences liées à l'honneur, je ne peux pas, moi, comme ministre, ne pas prendre ça en considération.

Il faut prendre ça en considération, le fait que l'incarnation religieuse qui s'exprime à travers le signe peut miner la confiance d'un usager, d'une citoyenne, d'une jeune femme, dans certains cas.

• (12 heures) •

Une voix : Oui.

Le Président (M. Ferland) : Alors, M. le ministre, c'était tout le temps qui était imparti pour la partie ministérielle. Maintenant, je vais du côté du parti de l'opposition officielle et je cède la parole, je pense, à la députée de Notre-Dame-de-Grâce. Allez-y.

Mme Weil : C'est bien ça. Merci, M. le Président. Alors, bienvenue, Dr Goldbloom, Mme Diane Rollert et M. Jean Duhaime, bienvenue. À mon tour, je voudrais saluer la contribution de Dr Goldbloom à la société québécoise, rappeler que Dr Goldbloom a été ministre de 1970 à 1973, si je me souviens bien, de l'Environnement et des Affaires municipales, mais aussi, et ça va intéresser, je pense, ceux qui nous écoutent, Dr Goldbloom est aussi un médecin et un pédiatre, donc, qui a fait beaucoup de travail auprès des enfants. Et évidemment son expérience pour le dialogue interconfessionnel, ça, c'est vraiment une de ses grandes contributions.

Alors, je voudrais revenir sur cette question de neutralité religieuse de l'État, permettre peut-être à M. Duhaime d'élaborer. Ce que je veux vous dire, M. Duhaime, parce que j'ai eu à piloter ce dossier lorsque j'étais ministre de la Justice, tout ce que vous dites est exactement la règle de droit qui existe au Québec et qu'en fait, oui, la neutralité religieuse de l'État, ça découle de la Charte des droits et libertés, et c'est pour permettre la liberté de religion, ce n'est pas là pour cacher ou écraser les religions. Donc, je voulais juste vous rassurer que, lorsque j'étais ministre de la Justice et qu'on parlait de neutralité, c'étaient exactement les avis que j'avais du ministère de la Justice dans ce dossier, et lorsque je l'ai porté aussi à titre de ministre de l'Immigration. Et je veux vous rassurer que c'est l'état du droit. Donc, éventuellement, si ce projet de loi était adopté, évidemment les tribunaux interpréteraient… et c'est le point aussi de la Commission des droits de la personne et du Barreau.

Mais je vous permettrais de revenir sur votre commentaire. Parce que nous, lors de cette commission, et les auditions, on entend beaucoup, beaucoup de malaise par rapport à la religion, et, je vous dirais, ça va très loin, surtout par rapport à l'islam, et c'est surtout par rapport au voile. Et, lorsqu'on pose la question sur la kippa, ou autres, on dirait que, bon, ils reviennent carrément à répondre pour… ils portent un jugement sur l'islam, et il y a un lien qui est fait avec l'égalité hommes-femmes. Ils ne savent pas trop. C'est-à-dire, ils essaient de dire… bon, ils ont une inquiétude par rapport à cette religion et par rapport à l'émancipation des femmes. Donc, en forçant la femme à enlever son voile, on va la libérer. Évidemment, il y a le point de vue qui dit : C'est une approche très paternaliste et qu'il faut permettre aux femmes de faire leur choix; des femmes musulmanes qui nous disent : Bon, c'est mon choix. Mais j'aimerais vous entendre là-dessus parce qu'on… je vous dirais que les trois quarts de cette commission, c'est par rapport à l'islam plus qu'autre chose.

M. Duhaime (Jean) : Peut-être un bref commentaire, puis d'autres pourront compléter.

D'abord, sur la question des signes religieux, oui, c'est vrai que les signes religieux, ça envoie un message, mais ce n'est pas nécessairement du prosélytisme passif et silencieux, comme dit le document d'orientation. Et puis il y a des gens pour qui les signes religieux, ça met en confiance alors que, d'autres, peut-être ça les repousse, alors il faut voir aussi, là. Quand quelqu'un affiche son appartenance religieuse, il dit quelque chose de lui-même, il ne fait pas nécessairement du prosélytisme. Et ce qui dérange un peu dans la société québécoise, à ma compréhension des choses, c'est qu'il y a un affichage plus marqué dans certains groupes religieux, dont l'islam. Mais l'islam, au Québec, il est comme d'autres traditions religieuses, il est assez diversifié, il n'est pas très homogène et il y a différents courants, différentes tendances. Et je pense que, comme plusieurs sociétés occidentales, nous avons à intégrer cette nouvelle contribution qui vient en grande partie de l'immigration mais pas uniquement… parce qu'il y a des convertis nés au Québec dans la tradition catholique, au moins culturellement, qui se convertissent à l'islam, et ce sont souvent des gens qui sont encore plus prosélytes que des musulmans immigrés ici, qui gardent un profil assez bas et qui cherchent à s'intégrer davantage dans la société québécoise.

Alors, il faut distinguer, il faut nuancer. Et notre approche, comme groupe de dialogue interreligieux, c'est que ce n'est pas en imposant des contraintes qu'on va résoudre ce genre de problèmes, c'est en ouvrant un dialogue avec des individus puis avec des groupes avec un leadership qui a une certaine influence sur ces communautés. C'est un des problèmes qu'on a identifiés. L'été dernier, on avait un congrès international d'amitié judéochrétienne. On s'est posé la question de la laïcité dans les sociétés occidentales. Le consensus qui s'est dégagé, c'est qu'il faut ouvrir davantage le dialogue avec les groupes religieux.

La ville de Marseille a créé un conseil interreligieux. C'est la deuxième plus grande ville de France où la population immigrante, proportionnellement, est beaucoup plus forte qu'à Paris. Et cette ville, dans une société laïque, cette ville a créé un conseil interreligieux. Et tous les grands projets de société s'élaborent en concertation, pas avec le contrôle des Églises ou des groupes religieux, mais on entend, on écoute leur voix au même titre que d'autres groupes ou mouvements sociaux. Puis, quand on a un problème avec un mouvement social, la dernière solution, c'est d'envoyer l'armée puis la police. Avant ça, il y a des étapes de dialogue, il y a des étapes de négociation puis de clarification.

M. Goldbloom (Victor Charles) : Permettez-moi d'ajouter un commentaire en marge de ce que M. Duhaime vient de dire. Je trouve embêtante la présomption que l'absence de signes identitaires religieux est la preuve de l'impartialité et que, par contre, la présence d'une identification religieuse est la preuve que cette personne est incapable de mettre de côté son appartenance et de juger objectivement une question qui est devant elle. Je trouve ça très embêtant.

Mme Weil : Oui. D'ailleurs, je vous dirais justement que, selon beaucoup d'experts, cet acharnement à vouloir dénuer, si on veut, la société québécoise, aseptiser la société québécoise, dans l'espace gouvernemental, et qui va très loin dans notre réseau de santé et d'éducation, de signes religieux fait preuve justement de non-neutralité. Et on a eu un expert qui est venu, de l'Université de Montréal, qui disait que justement la diversité des religions et de son expression… pas la promotion des religions, mais la diversité est un signe justement de neutralité, car l'État reste impartial par rapport à cette expression et le fait qu'il y ait plusieurs religions.

Maintenant, le ministre avait mal interprété ce qui avait été dit à l'époque, il pensait que c'était la promotion de la religion. Mais ce que Michel... de l'Université de Montréal...

Une voix :

Mme Weil : ...Seymour nous disait, ce n'était pas que l'État voulait faire la promotion de la religion, mais le fait qu'il y avait plusieurs manifestations est justement la manifestation de la neutralité. J'aimerais vous entendre sur cette question, vous l'avez abordée un peu tantôt, sur la question de neutralité.

M. Duhaime (Jean) : Bien, moi, je serais porté à dire là-dessus : Qu'on veuille aseptiser complètement, disons, tout ce qui est public dans la société québécoise, qu'on veuille rendre ça religieusement neutre, totalement neutre au plan religieux, ça n'empêchera pas les citoyens québécois qui sont des croyants, qui vivent d'après leurs convictions, de faire leur choix, de poser leurs actions et d'avoir des comportements qui sont en lien avec leurs convictions religieuses.

Alors, puisque nous savons que c'est comme ça qu'un croyant agit, pourquoi ne pas en tenir compte? Si on ne connaît pas la motivation qu'il y a derrière les gestes de quelqu'un, c'est parfois très difficile de les comprendre. Quand on comprend ces motivations, quand on peut échanger de croyant à croyant ou de personne qui a des valeurs humanistes à personne qui a des valeurs religieuses, lorsqu'on est capables de vivre ensemble comme citoyens, on est capables de faire, il me semble, une meilleure société. Puis il y a beaucoup de points communs sur lesquels des croyants, des non-croyants, les uns au nom de valeurs humanistes; les autres au nom de valeurs religieuses, peuvent travailler ensemble. Je pense à la construction de la paix, la recherche de la justice, de l'équité dans une société. On peut le faire.

Moi, je travaille dans des groupes. Et les membres de notre groupe de dialogue le font. On travaille avec des gens qui sont croyants ou incroyants. On pose une action écologique à chaque année dans un quartier. On ne demande pas aux gens s'ils sont croyants ou pas, on leur demande s'ils veulent nettoyer le quartier, nettoyer un parc dans leur quartier ou devant leur école pour que la vie soit plus agréable pour tout le monde. Mais il y a des gens qui vont participer à cette action-là parce qu'ils sont croyants puis que l'environnement, c'est important pour eux non seulement comme être humains, mais comme êtres religieux. Alors, il faut qu'on tienne compte de cette dimension-là de la vie d'une personne.

Mme Weil : ...je veux juste rapidement... Dr Goldbloom, vous êtes pédiatre. On entend souvent ici que le droit des enfants, le ministre l'a dit, c'est de ne pas être exposé à la religion de son institutrice...

• (12 h 10) •

Le Président (M. Ferland) : Je demanderais juste... pas un temps d'arrêt, mais ça va me prendre… parce qu'étant donné qu'on a débuté la commission à 11 h 30, disons que, moi, ça va me prendre le consentement des partis pour dépasser l'heure prévue, c'est-à-dire 13 heures. Alors, est-ce que j'ai le consentement pour dépasser 13 heures?

Des voix : Consentement.

Le Président (M. Ferland) : Alors, il y a consentement. Allez-y.

Mme Weil : Merci beaucoup. Oui. Alors, votre expérience, pour revenir, M. le président, votre expérience de pédiatre. On entend, bon, un malaise. Le ministre a donné la situation qui pourrait causer un malaise.

Mais je tiens à corriger une chose pour le ministre : si on lit le rapport du Conseil du statut de la femme par rapport aux crimes d'honneur, ils disent : C'est culturel, il faut faire attention. Et, comme on a vu dans la famille Shafia, il n'y avait aucun signe religieux, et ça, c'est une mise en garde qu'ils font : il ne faut pas mêler crimes d'honneur avec la religion.

Une voix :

Mme Weil : Non, mais «culturel», c'est très important. Bon. Alors, je dis ça parce que j'ai lu leur rapport que j'ai trouvé phénoménal.

Mais donc je veux revenir par rapport à cette notion des enfants puis des éducatrices qui nous ont dit : Bon, on peut les exposer à la diversité, et la capacité de l'enfant de discerner.

M. Goldbloom (Victor Charles) : Le droit le plus fondamental de l'enfant écolier, c'est d'être préparé à faire face au monde. Bannir l'identité religieuse de l'école, c'est cacher à l'enfant la réalité du monde et donc de le préparer mal à rencontrer cette diversité qu'on ne peut lui cacher à la porte de l'école. Alors, je suis d'accord. J'ai été consulté de façon fort limitée, mais quand même j'ai participé au débat sur le dessein du nouveau programme aux écoles sur la diversité religieuse. Et je pense que c'est une réalité que l'on doit continuer d'enseigner aux enfants.

Mme Weil : Merci. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Est-ce que vous avez d'autres… La députée de Bourassa-Sauvé. Allez-y, vous avez la parole.

Mme de Santis : Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation et pour votre mémoire. Moi, j'aimerais vous poser une question que le ministre pose très souvent. On sait qu'on ne peut pas afficher des signes politiques, d'allégeance politique si on est membre… si on est fonctionnaire ici, au Québec. Alors, si on ne peut pas afficher un signe politique, pourquoi on devrait être capable d'afficher un signe religieux? Est-ce que c'est la même chose? Si c'est différent, pourquoi c'est différent?

M. Duhaime (Jean) : Moi, j'aurais une réponse assez spontanée là-dessus : si j'étais fonctionnaire de l'État, ce que je ne suis pas, je serais au service d'un gouvernement qui a une appartenance politique claire. Si je ne suis pas de cette appartenance politique là puis que je l'affiche explicitement, là je peux, je pense, miner la crédibilité du citoyen qui va venir me voir puis qui ne sera pas sûr qu'il a vraiment le service de l'État.

L'État est neutre. Comment est-ce que l'affichage d'un signe religieux peut dire au citoyen qui est face de moi que j'ai un parti pris plutôt qu'un autre? L'État n'a pas de religion. Alors, si on veut comparer les choses, il faut comparer des pommes avec des pommes, des oranges avec des oranges, là. Un fonctionnaire, il est au service d'un État. L'État est mené par un gouvernement qui a une allégeance politique. Et il faut que le fonctionnaire soit neutre et ne manifeste pas son allégeance à lui. Il est au service de l'État. Bon. Mais l'État n'a pas de religion.

M. Goldbloom (Victor Charles) : Ce qui compte, c'est le comportement. Ce que l'on porte est moins important que la façon de laquelle on s'exprime, on communique avec des gens. Si on a un parti pris et l'on cherche à en convaincre le public, c'est autre chose que d'avoir une responsabilité professionnelle pour l'enseignement ou pour la gestion de la chose publique.

Mme Rollert (Diane) : Et moi, je vois que cette loi ne va pas mettre les choses vraiment neutres. Parce que vous êtes habillés comme vous êtes dans votre tradition, mais votre tradition, c'est la tradition, c'est la norme ici, au Québec. Et, pour une personne qui porte le voile, qui porte la kippa, c'est leur identité personnelle, ce n'est pas leur politique. On peut porter le voile mais avoir des politiques différentes. C'est tellement difficile à exprimer, mais je pense que…

Une voix : …English.

Mme Rollert (Diane) : Thank you. It may be better for me to just try to explain this. You have a certain way of being and expressing yourselves here, so for you it's OK to wear a small cross, and this law says it's OK to wear a small cross. But that's the way that you express yourselves, that's your culture, and I, as somebody coming and being served in the Government, when I see you…

Le Président (M. Ferland) : …parce que, le temps étant écoulé pour la partie de l'opposition officielle, je dois aller du côté de la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président. Merci, madame, messieurs, merci d'être là. Écoutez, je voudrais profiter du fait que vous aviez commencé une question pour vous laisser vous exprimer. Please go on with what you just started.

Mme Rollert (Diane) : So, for me, if I am being served by you and you are wearing a small cross, that still says to me that you are of a particular tradition, but that doesn't have any effect on how you're going to serve me. But this law does not make… what you're proposing does not actually create neutrality nor does it create equality between men and women because you are privileging certain groups of men and certain groups of women over others. And so I don't see how… What I'm trying to understand with this law is how would it actually do what it's claiming it wants to do. When you announced… when the law was announced, this entire building was decorated for Christmas. How is that a neutral State? I don't understand. Please explain to me why that is different from your desire to take away a hijab from a woman and why, if she takes away her hijab… Is that going to liberate her? No, because we know that what liberates women is their access to equal education, to public expression, to employment. And you're going to take away their employment. That isn't going to fix things.

So I'm trying to understand how this law is going to actually create what it claims it's going to create.

Mme Roy (Montarville) : Parfait. Je vous ai bien comprise. Maintenant, j'aimerais vous amener — j'ai peu de temps — sur la cohésion sociale. À la dernière page de votre mémoire, vous dites, pour le bénéfice de nos téléspectateurs qui vous écoutent : «Enfin, nous éprouvons un sentiment fort troublant. Le gouvernement présente son projet de charte comme instrument de cohésion sociale. Il affirme avoir une majorité de son côté; mais, si cela est vrai — et, en tout respect, nous n'en sommes pas convaincus — cette majorité ne dépasse que de très peu la moitié de notre population. Et l'opposition ne se limite pas aux minorités ethnoreligieuses, loin de là. La cohésion sociale, que nous souhaitons tous, dont nous avons tous besoin, n'est clairement pas à ce rendez-vous. Et elle nous manquerait dangereusement si une telle législation ne ralliait pas un consensus massif.»

Alors, ma question : Que craignez-vous qu'il advienne à notre cohésion sociale si le projet de loi était adopté tel quel, sans modification?

M. Goldbloom (Victor Charles) : Nous craignons, entre autres choses, une discrimination que la loi est supposée ne pas permettre. Mais voilà que, comme vient de le dire Mme Rollert, il y a des femmes qui se trouveraient désavantagées par rapport aux hommes de la même religion. L'inverse est vrai dans certaines religions. Et le débat qui se déroule depuis un bon moment déjà sur ce projet de loi démontre des dissensions assez profondes, assez intenses. Et nous avons voulu, par notre présentation, être calmes et objectifs, exprimer notre point de vue, mais nous regrettons les tensions qui existent dans notre société autour de ce projet de loi.

Le Président (M. Ferland) : …parce que, le temps de parole de la députée de Montarville étant écoulé, je cède maintenant la parole au député de Blainville.

• (12 h 20) •

M. Ratthé : …M. le Président. Mme Rollert, M. Duhaime, M. Goldbloom, c'est un honneur de vous recevoir avec nous ce matin. Je vais profiter du fait que vous représentez sept Églises, la communauté... On n'a pas souvent l'occasion de parler à des gens qui représentent l'Église en tant que telle. C'est un bel apport que vous nous apportez. Dans sa forme actuelle, le projet de loi évidemment n'interdira pas le port de... le port de signes religieux, pardon, dans l'espace public. Les gens vont pouvoir pratiquer effectivement leur religion aussi dans leurs communautés, au sein de leurs familles, dans les lieux de culte. Le projet de loi interdirait le port dans... lors des heures de travail, au niveau de la fonction publique.

Vous nous dites, et je vais vous lire rapidement, que «la neutralité et l'objectivité se situent dans le coeur, dans la tête [...] dans la formation [et] pas dans la tenue vestimentaire». Alors, vous êtes une personne d'église. Est-ce qu'on ne peut pas dire la même chose de la foi? Est-ce que la foi se traduit obligatoirement par le port de signes religieux? Est-ce que la foi ne pourrait... Est-ce qu'on ne pourrait pas répondre la même chose et dire : La foi se situe dans le coeur, dans la tête et pas nécessairement par le fait qu'on arbore des signes religieux?

Mme Rollert (Diane) : C'est vraiment personnel, la foi. Et, dans certaines religions, c'est un choix personnel, pourquoi on porte un signe. Et on ne peut pas le laisser à côté pendant la journée. Et je pense que, pour vous ici, chez beaucoup de Québécois, c'est difficile de comprendre parce que le port de signes religieux fait partie de la hiérarchie de l'Église catholique. Mais, dans les autres confessions, c'est vraiment personnel et c'est un choix personnel. Et c'est ça que je pense.

M. Goldbloom (Victor Charles) : Ma réponse à votre question est nettement oui. Et je me suis cité en exemple, je n'affiche pas mon appartenance religieuse. J'ai des coreligionnaires pour qui cette appartenance doit être manifestée par le port, notamment, d'une calotte. Mais on revient toujours à notre principe que la neutralité, la qualité humaine, c'est dans le coeur, c'est dans la tête, ce n'est pas dans ce que l'on porte sur soi.

Une voix : M. Duhaime.

M. Duhaime (Jean) : …un bref commentaire là-dessus : les signes religieux ont une histoire et ils appartiennent aussi à des cultures. Puis, si on ne comprend pas ça, on peut essayer d'imposer un principe universel, le «one size fits all», là, pour la religion, ça ne fonctionnera pas. Parce que des groupes religieux… On parle de diversité dans le judaïsme, par exemple. On en a un bel exemple au Québec. Il y a des groupes religieux pour qui c'est essentiel d'afficher son appartenance religieuse extérieurement par des règles qui sont codifiées depuis des siècles. Remettre ça en question, c'est remettre en question pas juste un vêtement, c'est remettre en question l'essence même de la religion pour cette personne-là. On parle d'orthopraxie dans certaines religions, c'est-à-dire que la pratique est aussi importante que la foi.

Le Président (M. Ferland) : Je dois arrêter parce que je dois céder la parole à la députée de Gouin pour la dernière partie, c'est-à-dire trois minutes d'échange avec les représentants du groupe. Allez-y.

Mme David : Merci, M. le Président. Madame, messieurs, merci d'être là. C'est extrêmement intéressant. Moi, j'aimerais que vous répondiez à la question que le ministre a posée tout à l'heure. Vous n'avez pas eu le temps de répondre. Et pourquoi j'aimerais que vous répondiez à celle-là? C'est parce que c'est en train de devenir l'argument massue pour certains en faveur de l'interdiction du port de signes religieux, c'est-à-dire l'exemple concret, classique : la jeune fille de 14 ans… ou le jeune homme de 14 ans, disons, qui découvre son homosexualité, qui est musulman, qui veut en parler, mais la travailleuse sociale de son école est musulmane et porte le voile. Va-t-il, oui ou non, être à l'aise d'aller lui parler?

M. Duhaime (Jean) : Moi, j'ai été dans le domaine de l'éducation pendant 40 ans. En général, je vous dirais, dans mon expérience, ce n'est pas toujours le travailleur social ou la travailleuse sociale qui a reçu les confidences de la personne dans des situations semblables. Des fois, c'est un professeur d'histoire ou un professeur de français. C'est un adulte significatif qui sera capable d'un discernement qui sera capable éventuellement d'orienter la personne vers un autre travailleur social ou une autre travailleuse sociale s'il estime qu'il peut y avoir un problème.

Je crois aussi que, pour certaines personnes, la situation inverse est vraie : il y a des gens qui vont aller vers une personne qui affiche son appartenance religieuse ou qui affiche son identité, puis pour eux c'est significatif, ça les met en confiance, à tort ou à raison, hein? Alors, c'est un argument qui est à manipuler avec précaution, comme tout ce qui est religieux.

Mme David : Mais, si je vous comprends bien, vous admettez donc, quand même, que, oui, pour certains jeunes, cette situation-là peut créer un malaise et que, donc, le jeune ou la jeune va peut-être aller chercher un autre adulte — puis ce n'est pas ça qui manque dans les écoles — pour lui parler. Vous acceptez quand même cette idée que, dans certaines situations particulières, il peut y avoir malaise.

M. Duhaime (Jean) : Bien, il peut y avoir un malaise pour toutes sortes de raisons par rapport à toutes sortes de personnes dans un milieu, là. Ça n'a rien à voir avec l'affichage d'un signe religieux plutôt qu'autre chose. Un enfant, un jeune, dans la situation que vous décrivez, il pourrait être aussi mal à l'aise avec une travailleuse sociale qui aurait un anneau dans le nez.

M. Goldbloom (Victor Charles) : Madame, permettez-moi d'ajouter : La société dans laquelle j'ai grandi était cloisonnée et remplie de préjugés. Si l'on appartenait à une religion minoritaire, notamment la mienne, on ne pouvait accéder à certains postes dans la fonction publique, par exemple. Avant mon arrivée en 1970, il n'y avait jamais eu une personne de ma religion qui a siégé au Conseil des ministres du Québec. Donc, vous comprenez l'allergie que j'éprouve à l'endroit de toute distinction de nature religieuse. Excusez ma franchise.

Le Président (M. Ferland) : Alors, c'était tout le temps, le temps étant écoulé. Alors, je tiens à vous remercier pour le temps que vous avez pris pour préparer le mémoire, ainsi que votre présence ici pour le présenter.

Je vais suspendre quelques instants afin de permettre aux représentants du Centre universitaire de santé McGill à prendre place.

(Suspension de la séance à 12 h 27)

(Reprise à 12 h 30)

Le Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux.

Nous recevons maintenant les porte-parole du Centre universitaire de santé McGill en vous mentionnant que vous disposez de 10 minutes pour présenter votre mémoire, suivies d'un échange avec les groupes parlementaires. Alors, je vais vous demander de vous présenter, ainsi que les personnes qui vous accompagnent. La parole est à vous.

 Centre universitaire de santé McGill (CUSM)

M. Abraham (Peter) : M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, au nom du CUSM, j'aimerais vous remercier de votre invitation à venir présenter devant les parlementaires. Je me nomme Peter Abraham et je suis membre du conseil d'administration du Centre universitaire de santé McGill. Je suis accompagné de Normand Rinfret, notre directeur général, qui présentera l'essentiel de notre position. Nous profitons aussi de la présence du Dr Pramod Puligandla, président du Conseil des médecins, des dentistes et des pharmaciens, et de Mme Sophie Baillargeon, présidente du Conseil des infirmières et infirmiers, qui pourront répondre aux questions sur l'impact de la charte sur la fourniture des soins, sur la recherche et sur l'enseignement au sein du CUSM. D'ailleurs, j'aimerais déposer un document provenant du Conseil des infirmières et infirmiers du CUSM.

Le CUSM est l'un des chefs de file des centres universitaires de santé à l'échelle mondiale. Il est né de la plus grande fusion volontaire de six hôpitaux. Nos établissements sont reconnus pour la qualité exceptionnelle des soins centrés sur les besoins des patients et de leurs familles. Au cours des deux dernières années, le CUSM s'est transformé de manière significative. La gouvernance a été grandement améliorée. Nous avons aussi accru la transparence tant à l'interne qu'à l'externe afin que notre communauté soit au courant de nos décisions ainsi que de notre performance. Le C.A. a d'ailleurs porter une attention particulière sur la performance financière et clinique de l'institution. Nous sommes fiers d'affirmer que nos résultats sont, à ce jour, meilleurs qu'anticipés et que nous respecterons l'atteinte du déficit zéro en 2014‑2015. Nous avons réalisé ce redressement tout en maintenant les volumes et la qualité des soins à la population. Nous sommes fiers de la diversité de notre main-d'oeuvre, des patients et de leurs familles. Notre engagement est de fournir un milieu de travail harmonieux et respectueux et d'offrir des soins de qualité à tous, indépendamment de l'origine ethnique, de leur langue, de leur religion ou de leur sexe.

Finalement, pour préparer notre mémoire, nous avons consulté la communauté du CUSM. Le conseil d'administration a participé aux discussions entourant le mémoire et entériné le consensus voulant que la charte va à l'encontre de notre mission, de nos valeurs et qu'elle essaie de résoudre un problème qui n'existe pas dans nos établissements. Pour ces raisons, nous croyons que le projet de loi devrait être retiré.

Je passerais maintenant la parole à Normand Rinfret, notre directeur général, qui vous expliquera plus à fond notre position.

M. Rinfret (Normand) : Merci, M. Abraham. M. le Président, le projet de loi n° 60 a défrayé les manchettes dans l'ensemble du Québec au cours des derniers mois. Il en a aussi été un, sujet de préoccupation, au Centre universitaire de santé McGill, le CUSM. En effet, la charte a alimenté les conversations au sein de nos conseils, chez nos syndicats, au conseil d'administration et parmi nos professionnels de la santé qui sont en première ligne.

À plusieurs égards, le projet de loi n° 60 touche directement notre organisation. Il y a un impact à l'égard de nos valeurs et de notre mission tout en constituant une menace pour nos activités quotidiennes et pour notre réputation internationale si durement gagnée. Nous opérons un centre universitaire de santé ayant la responsabilité d'offrir des services à une partie importante de la population du Québec. Le CUSM dispense des soins de pointe, ce qui implique souvent des traitements et des façons de procéder d'avant-garde et complexes. Bien que les activités du CUSM nécessitent des technologies de pointe et des installations spécialisées, ce dont notre institution a vraiment besoin pour fonctionner efficacement est son personnel, c'est-à-dire des personnes très qualifiées, bien formées, de calibre supérieur. Parmi ces personnes figurent des médecins, des infirmières, des professionnels de la santé, des techniciens, du personnel de soutien, des scientifiques et bon nombre d'autres personnes jouant un rôle de premier plan.

Notre force réside dans notre capacité à recruter et à retenir des employés qualifiés, compétents et motivés. Dans un environnement mondial de plus en plus concurrentiel, le projet de loi n° 60 dresse des obstacles importants sur notre route. Il y a fort à parier que nous allons perdre des employés qui choisiront d'aller travailler à l'extérieur du Québec plutôt que de renoncer à la possibilité d'afficher des symboles religieux. D'autres personnes qui ne sont pas religieuses ont déclaré qu'elles ne resteraient pas au service d'une organisation qui imposerait le respect de cette loi. Soyons clairs, le CUSM respectera la loi du Québec, mais il faut noter que le bassin d'employés potentiels dont nous disposons va aussi diminuer, du fait de l'élimination des personnes portant des vêtements ou des symboles marquant leur appartenance religieuse. Notre main-d'oeuvre ne provient pas seulement du Québec ou du Canada, mais aussi de par le monde. Nous recrutons à l'échelle de la planète dans le but d'attirer ici les meilleurs dans leur domaine en partie dans le but de pourvoir des postes pour lesquels il n'existe pas suffisamment de Québécois qualifiés. Dans le secteur des soins de la santé, il y a, malheureusement, une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée dans diverses disciplines, qu'il s'agisse de certains médecins spécialistes, de certains chercheurs de pointe, d'infirmiers ou d'infirmières, d'inhalothérapeutes ou des spécialistes en imagerie médicale, pour n'en mentionner que quelques-uns. Il n'est pas facile d'attirer du personnel dans ces domaines. La concurrence est vive, et nous devons être en position de force lorsque nous faisons du recrutement.

Le projet de loi n° 60 va nous affaiblir. La perception de la société québécoise qui a toujours été reconnue comme étant ouverte et accueillante va changer. Pour bon nombre de personnes, il ne sera plus aussi attrayant de travailler ici.

Lors de la rédaction de notre mémoire, nous avons effectué un sondage auprès des membres de notre collectivité afin de connaître leurs points de vue. Les conseils représentant nos médecins et nos infirmières se sont prononcés contre la charte. Nos comités de patients sont contre la charte. Les sections locales de nos syndicats — CSN, APTS, FIQ — dénoncent aussi la charte. Nous avons invité toutes les personnes qui le désiraient à nous faire part de leurs commentaires. Quelque 250 membres de notre collectivité ont pris le temps de nous faire connaître leurs opinions. 93 % d'entre eux s'opposent vivement au projet de loi tel que libellé. Permettez-moi de vous lire ce que nous a écrit l'un de nos médecins : «Je ne suis pas certain que nous pourrions continuer à travailler dans une telle province. Il est fort probable que ma femme, qui enseigne aussi à McGill, et moi commencions à préparer notre famille à quitter le Québec. Ma femme et moi sommes tous deux agnostiques, en conséquence aucun de nous n'aborde de symboles religieux.» Il s'agit d'un message que bon nombre de nos employés nous ont transmis. D'autres membres du personnel nous ont clairement indiqué qu'ils quitteraient le CUSM le jour où l'hôpital congédierait une personne parce qu'elle porte des vêtements ou des bijoux marquant son appartenance religieuse.

Le message que l'on nous envoie est que, si le projet de loi n° 60 est adopté, les employés du CUSM s'attendent à perdre des collègues ou ont eux-mêmes l'intention de trouver du travail ailleurs.

J'aimerais rappeler que nos activités ne se limitent pas aux soins offerts aux patients, bien que ce volet soit au coeur de notre mission. Le CUSM est également un établissement d'enseignement qui offre des programmes de formation à tous les types de professionnels de la santé. Le projet de loi n° 60 réduirait le bassin de personnes où nous puisons nos stagiaires. La recherche constitue également une composante importante de notre mission. Le CUSM abrite le deuxième institut de recherche en importance au pays. Nous participons à des projets multidisciplinaires…

Le Président (M. Ferland) : …pour conclure.

M. Rinfret (Normand) : Pardon?

Le Président (M. Ferland) : Une minute pour conclure, environ. Allez-y.

M. Rinfret (Normand) : D'accord, je suis à ma conclusion, à peu près.

Nous participons à des projets multidisciplinaires, à l'échelle de la planète, dans 60 villes réparties dans 35 pays et sur six continents. Les avantages financiers liés à ce rayonnement international sont considérables pour le Québec. Par exemple, le montant des bourses est passé de 85 millions de dollars en 2008 à 170 millions de dollars l'an dernier. Il est aussi important de souligner que les soins de santé offerts au Canada et au Québec jouissent d'une très bonne réputation sur la scène internationale, ce qui nous offre des possibilités de partager notre savoir-faire et notre expérience avec d'autres parties du monde, en ce qui permet de conséquence… à notre système de santé d'avoir accès à des ressources additionnelles. Ici, le projet de charte compromet cette situation.

• (12 h 40) •

En terminant, j'aimerais partager une deuxième réflexion avec vous. Le projet de loi n° 60 va avoir une incidence défavorable sur les soins de santé offerts aux Québécois. Avec tous les efforts que nous déployons constamment pour améliorer ces soins, nous nous questionnons à savoir si le gouvernement a anticipé une réponse aussi négative à son projet de loi par les communautés minoritaires du Québec et les répercussions négatives que tout ceci pourrait avoir sur l'amélioration continue des soins de santé québécois.

Permettez-moi de préciser que le CUSM n'accorde aucune importance à la clause relative à l'exemption que comporte le projet de loi n° 60. Nous ne prévoyons pas demander d'exemption. À notre avis, le projet de loi n° 60 devrait être retiré. Je vous remercie de m'avoir offert la possibilité de prendre la parole devant vous aujourd'hui, et nous sommes prêts à répondre à vos questions.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci pour votre présentation. Excusez. Alors, je cède maintenant la parole à M. le ministre.

M. Drainville : Merci, M. le Président. Merci pour votre mémoire et votre présentation.

Je vais aller tout de suite dans le vif du sujet parce que, malheureusement, on a un petit peu moins de temps qu'on avait prévu. Vous dites, à la page 8 de votre mémoire : «Nous n'avons pas reçu de plaintes de patients quant à quelque manquement à nos obligations en matière de neutralité. Nous n'avons pas éprouvé de difficultés liées à des demandes d'accommodements raisonnables. À notre avis, il n'y a pas de problème.» Et pourtant on a beaucoup, beaucoup d'indications très claires qu'il y a régulièrement, dans notre système de santé, des demandes d'accommodement religieux. La FIQ notamment, le plus grand syndicat d'infirmières, dans un sondage réalisé auprès de ses membres, révélait que 55 % des infirmiers et infirmières, surtout, disaient recevoir des demandes d'accommodement pour motifs religieux de la part de patients et de patientes. Selon la fédération, je cite : «…ce pourcentage élevé vient confirmer notre prétention à l'effet que les demandes d'accommodements sont, contrairement à ce que les gestionnaires peuvent dire, relativement nombreuses.» Dans le même sondage, 35,8 %, grosso modo le tiers, des demandes d'accommodement pour motifs religieux sont référées à l'équipe de soins, c'est ce que disait le sondage; à peu près le tiers, référé à un supérieur immédiat. La FIQ avait également évalué, dans un précédent sondage qu'elle avait dévoilé dans son mémoire à la commission Bouchard-Taylor, des données qui étaient de même nature. Donc, il y avait des demandes d'accommodement, certaines demandes d'accommodement même qui pouvaient, dans certains cas, remettre en question la santé du patient ou mettre en péril les soins à lui prodiguer.

Alors, première question, M. Rinfret : Est-ce que vous en avez, des demandes d'accommodement religieux? Et, si oui, parce que vous dites que vous n'avez pas de problème avec les demandes d'accommodement, mais vous ne dites pas que vous n'avez pas de demande d'accommodement… Alors, est-ce que vous en avez, des demandes d'accommodement religieux? Et, si oui, comment les gérez-vous?

M. Rinfret (Normand) : Dans un centre hospitalier comme celui du Centre universitaire de santé McGill, qui est un centre académique, je vais vous dire, avec la clientèle qu'on a, c'est évident qu'on a énormément d'accommodements à donner dans une journée, dans une semaine, dans un mois. Ce que le mot «problème» ici indique, c'est qu'on n'est pas dans une situation où on considère qu'on a eu des plaintes ou qu'on s'est retrouvés dans des difficultés qu'il était problématique de pouvoir trouver des accommodements aux gens. Puis c'est de là qu'on se pose la question : Pourquoi, à ce moment-ci, avons-nous un projet de loi, qui vraiment nous porte dans une situation de dire : Il y aurait eu des problèmes? Le mot «problème» ici, c'est en relation directement avec le concept de la notion de dire : Est-ce que ça nous cause problème de donner des accommodements? La réponse, c'est non.

Je pense, je peux vous passer Mme Baillargeon qui est infirmière. Elle va vous donner des exemples : combien de fois dans un épisode de soins, dans un… Même avec les travailleurs, on est obligés de faire des accommodements. Ça fait partie de la vie d'un centre hospitalier académique.

Mme Baillargeon (Sophie) : Oui. Merci, M. le Président. Cette diversité-là, elle représente la culture même du CUSM où la différence, chez nous, est plutôt une richesse qu'un désavantage.

Peut-être que je pourrais vous donner quelques exemples bien concrets d'accommodement que l'on doit faire de façon régulière. Par exemple, un patient inuit avait besoin… il fallait s'assurer qu'un objet spécifique soit toujours à la tête de son lit parce que pour lui ce que ça représentait… ça pouvait assurer une bonne chasse à ses fils lors de son absence. Et ça, c'est une réalité que nous avons.

Nous travaillons avec le RUIS McGill et donc nous desservons cette population au Québec. Une autre patiente d'origine asiatique, dont la numérologie est importante, demandait si c'était possible de ne pas avoir une chambre avec le chiffre six, par exemple. D'autres… des parents de religion juive orthodoxe dont… ils ont un enfant aux soins intensifs pédiatriques et, lors du sabbat, ne peuvent pas toucher certains appareils, ne peuvent pas faire certaines activités; alors, par exemple, ce qu'on fait dans ce temps-là, c'est qu'on leur dit : À telle heure, chez vous, on vous appelle, vous écoutez le répondeur et on vous donne l'information sur l'état de santé de votre enfant. Ou, que ce soient des hommes, des femmes, Caucasiens, laïques et qui demandent : J'aimerais qu'un homme me lave… mais aussi d'autres hommes vont aller dire : Je ne veux pas qu'un homme me lave, je ne suis pas gai.

Alors, tout ça, c'est pour vous dire que…

M. Rinfret (Normand) : Je ne suis pas gai, alors, en conséquence, je veux qu'une femme…

Mme Baillargeon (Sophie) : …qu'une femme me lave. Alors, tout ce que ça représente, c'est qu'il faut vraiment avoir une approche holistique avec toutes les situations. C'est ainsi qu'on va vraiment avoir une approche centrée sur le patient et la famille. Ça va contribuer à la santé de ces patients et de leurs familles et ça va donner le rôle actif aux patients dans leur situation de santé. Donc, c'est avoir une ouverture, et ça représente vraiment la culture.

M. Rinfret (Normand) : Et, finalement, ce que je voudrais dire, c'est qu'au centre de santé McGill on essaie vraiment de prendre en considération la personne parce que c'est la personne qu'on dessert. Et, dans toutes sortes de situations, la personne nous arrive avec des opinions, des pensées, des besoins qui sont différents, et les cliniciens, comme au niveau administratif, on est obligés de prendre compte de ça et d'accommoder les gens. Mais de là à ce qu'on ait des plaintes… on n'en a pas.

M. Drainville : Disons, là, qu'un patient dit : Je ne souhaite pas être soigné par une femme, j'exige d'être vu par un médecin homme. Est-ce que vous accommodez?

Mme Baillargeon (Sophie) : …situations comme celles-là, s'il y a une possibilité, parce qu'il y a une diversité, s'il y a une possibilité, c'est quelque chose qu'on peut faire. Mais, si la situation fait que c'est impossible, à ce moment-là on explique la situation et à ce moment-là on ne peut pas le faire. Donc, on ne fera pas des accommodements qui vont affecter les autres patients ou qui vont apporter des inégalités. Alors, c'est quelque chose que l'on vit régulièrement dans des soins intensifs ou d'autres milieux de médecine.

Alors, nous essayons, dans la mesure du possible, de répondre à ces accommodements. Si c'est impossible, nous avons une discussion avec la famille et le patient.

M. Drainville : O.K. Donc, vous êtes d'accord pour qu'un patient demande à être soigné par un médecin ou une infirmière du sexe qu'il souhaite. C'est-à-dire, de demander à être soigné par un médecin homme, ou un médecin femme, ou une infirmière femme ou un infirmier, vous êtes d'accord pour que le patient demande ça et, dans la mesure du possible, vous accommodez ces demandes-là.

Mme Baillargeon (Sophie) : Alors, ce qu'on essaie de promouvoir, c'est justement… c'est l'écoute et de regarder la diversité et la spécificité de chacune des situations de santé que l'on rencontre, et cet aspect-là…

M. Drainville : …c'est oui.

Mme Baillargeon (Sophie) : …fait partie…

M. Drainville : La réponse, c'est oui, Mme Baillargeon.

M. Rinfret (Normand) : La réponse, c'est bien oui. La réponse, au niveau de la philosophie de l'organisation, c'est bien oui et c'est ça qui est important. Parce que, quand vous demandez un service particulier dans un environnement hospitalier… Puis là je ne parle pas, là… vous voulez avoir un repas x versus un repas y, quoique pour certaines religions on est capables de s'organiser en conséquence. Mais, quand il y a des choses où est-ce que les gens nous arrivent…

Je vais vous donner un exemple, M. le ministre. Je vous donne l'exemple des bouddhistes qui décident qu'on ne peut pas toucher au corps d'une personne qui vient de décéder, pour un montant de sept heures après le décès. Nous, on tourne les lits, là. Puis vous connaissez la pression dans notre environnement, là, c'est : une heure, une heure et demie, là, il faut que le lit ait tourné parce qu'il faut être capables de monter quelqu'un de l'urgence. Mais, dans un cas comme ça, on a trouvé une façon de s'organiser avec les membres de la famille, puis on l'a fait à plusieurs reprises, avec la communauté pour être capables de dire : On va trouver une pièce dans l'environnement du plancher où la personne est puis on va tout simplement déplacer, et les gens ont accepté. Mais, je veux dire, leur première demande, c'était : Non, on ne vide pas la chambre. Mais, de passer à un coin un petit peu plus loin, ils ont accepté.

Des accommodements, je veux dire… ça fait 35 ans que je travaille dans le milieu de la santé. J'ai été directeur des ressources humaines durant pas loin de 12 ans. Avec les employés, dans l'environnement où on est, au Centre universitaire de santé McGill, c'est constant, et il faut s'entendre entre nous. Et, le projet de loi, je vais vous dire ce qu'il me cause comme problème. C'est que, quand il arrive aujourd'hui, dans l'agenda actuel du milieu de la santé, quand on regarde tout ce que le gouvernement fait au niveau des projets d'optimisation, l'ouverture des nouveaux centres du CHUM et du CUSM, qui sont extraordinaires pour la réputation du Québec, pour l'avancement de notre connaissance, pour l'investissement qu'on a décidé d'y faire… Pourquoi nous lancer ce projet de loi là dans nos pattes?

• (12 h 50) •

M. Drainville : Il me reste vraiment très peu de temps, là, mais je veux qu'on parle du port des signes religieux parce que c'est un des éléments les plus importants de votre mémoire.

Je vais procéder à la lecture d'un extrait d'un article paru dans le Journal of Medical Ethics, qui est un journal britannique, et qui porte justement sur la question des signes religieux et je vais le lire en anglais, là. Et ça résume, pour l'essentiel, notre position sur la question des signes, en particulier par rapport au système de santé, O.K.?

«One of the uncontroversial hallmarks of professionalism is that it requires the professional to act in an impartial, unbiased manner. This, arguably gives us the first clue as to why health care professionals should refrain from displaying symbols in their offices advising patients of the professionals' private lives' religious, [...]political, sexual, or other affiliations. It is common knowledge that one of the central features of the doctor-patient relationship is trust. Patients' trust in their doctors' professional integrity and impartiality is a necessary condition for honest disclosure of, for instance, embarrassing and potentially compromising information a patient might need to disclose during the consultation. Say, if in today's South Africa a patient should disclose unsafe sexual encounters with various people whose HIV status is unknown to him or her in order to assist a prudent risk-assessment and diagnosis, clearly the display of religious symbols in the consultation room is likely to prevent full and frank disclosure. After all, both Islam and Christianity tend to frown upon sexual behaviour outside the marital context. If a doctor displays these ideologies' symbols in her rooms, patients have reason to be reluctant to disclose what they have actually done, in order to avoid a potential moral judgment by the doctor. As a foreseeable consequence the primary objectives of health care are defeated by a narrow non-professional desire of the doctor to let patients know about an entirely private matter, namely his or her religious preferences.

«Women in need of professional advice regarding pregnancy testing, abortion, and birth control have reason to be reluctant to disclose relevant information to doctors displaying paraphernalia of religions critical of [a] birth control — such as, for instance, Catholicism. Of course, a professional would not allow her personal preferences to interfere with any advice rendered, but confronting patients with information about these preferences in the consultation room is likely to interfere negatively with the interrogation and conversation taking place between the health care professional and the patient.»

Et l'article continue : «Similarly, gays and lesbians are known to be reluctant to see doctors due to concerns about these professionals' responses to their sexual orientation.Some of these concerns seem confirmed by reported real-world experiences of such patients when visiting health care professionals — etc.»

Alors, vous comprenez l'essentiel du message, c'est-à-dire que le port de signes religieux peut être perçu de toutes sortes de façons par le patient qui a recours, donc, aux services de santé, indépendamment de la volonté de la personne qui porte ce signe religieux. Et donc je comprends très bien l'argumentaire que vous soumettez dans votre mémoire et les craintes que vous exprimez. Et, en passant, moi, de me faire dire : Il n'y a jamais eu de plainte, pour moi, ce n'est pas un très bon argument parce que tu n'iras pas te plaindre contre quelqu'un qui t'a soigné. Et, en général, on est très bien soignés dans notre système de santé. Alors, moi, l'argument de dire : On n'a pas eu de plainte sur la question des signes religieux… écoutez, le médecin qui m'a soigné… l'infirmière qui s'est occupée de moi, là, tu sais, je n'irai pas me plaindre contre cette personne-là, là. Mais ça ne m'empêche pas par contre de voir, dans le signe qu'elle porte ou dans le signe qu'il porte, un certain nombre de choses avec lesquelles je ne suis pas nécessairement d'accord.

Et donc les droits de la personne qui travaille dans le système de santé doivent être contrebalancés par des responsabilités qui viennent avec ces droits. Et par ailleurs je pense que les patients qui ont recours à notre système de santé ont des droits eux aussi, notamment la liberté de conscience. Alors, voilà, en gros, l'argument. Je vous laisse le soin d'y répondre. Et ce sera, malheureusement, ma dernière question.

M. Rinfret (Normand) : Je vais tenter d'être très court. Mais j'aimerais tout simplement dire que, dans le milieu de la santé, les plaintes, il faut les encourager. Vous avez entièrement raison dans ce sens-là. Et je pense que de demander que les organisations de santé voient vraiment à mettre un profil et une attention particuliers à des sujets comme ceux de la culture et des religions… je pense que c'est intéressant. Mais la dure réalité est que le patient qui vient voir un clinicien a souvent une attente face à son service et que le dialogue avec la personne même est la meilleure solution. Et je pense que même, quand on voit ce qui est écrit dans la British Medical Association… À mon avis, ce que ça dit, c'est que c'est évident qu'il n'y a pas… personne d'entre nous serait prêt à recevoir une piqûre d'une personne qui a le visage caché. Ça, c'est clair. Mais, une fois ça dit, je pense qu'il faut faire très attention de la façon dont on approche ce sujet-là.

C'est un changement majeur que cette loi. Et, nous, ce qu'on dit, c'est : Retirez-la, trouvez une autre façon d'influencer la population québécoise. Mais ça, ça va nous créer, au niveau international, recherche, académique, clinique, soins de santé, des problèmes. Je vais conclure là-dessus.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci. Maintenant, je vais aller du côté du parti de l'opposition officielle avec la députée de…

Une voix :

Le Président (M. Ferland) : …LaFontaine ou Notre-Dame-de-Grâce?

M. Tanguay : …M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : LaFontaine.

M. Tanguay : En vertu de l'article 214, j'aimerais savoir, M. le Président, est-ce que c'est le même article qu'a cité le ministre que celui dont on avait déjà reçu copie.

Le Président (M. Ferland) : Oui.

M. Tanguay : C'est un autre…

Le Président (M. Ferland) : C'est un autre article.

M. Tanguay : Est-ce qu'en vertu de l'article 214 il peut nous en donner une copie?

Le Président (M. Ferland) : Alors, M. le ministre.

M. Drainville : On va vous en faire une photocopie, puis on va vous la faire distribuer.

M. Tanguay : Parfait. Merci.

Le Président (M. Ferland) : Alors, on va remettre la copie au secrétariat, on va se charger de faire les copies pour tout le monde. La parole à la députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Oui. Merci, M. le Président. Bonjour, M. Rinfret, M. Abraham, M. Puligandla et Mme Baillargeon. Juste peut-être pour faire un suivi, parce que j'écoutais bien les paroles du ministre, on parlait… Puis c'était très clair dans l'exemple qu'il a donné du British Medical Journal, c'est «religious symbols in the office», «religious symbols in the rooms and paraphernalia». Donc, ce n'est pas «religious clothing», ils font la distinction. La British Medical Association had a conference, by the way, c'était le 14 février 2014, où on leur a dit qu'ils devaient encourager de respecter les religions, notamment le vêtement religieux, mais évidemment la préoccupation, c'est toujours la stérilité. Donc, les accommodements qu'ils font, c'est de s'assurer que c'est stérile. Donc, je voulais vraiment faire cette distinction, parce que j'ai bien écouté. Et, le ministre a raison, c'est sûr que, si on va dans un bureau puis qu'on voit des crucifix partout… Et d'ailleurs je vous dirais que c'est justement… il y a une cause actuellement, qui est devant les tribunaux, par rapport à cet enjeu-là, devant la Cour suprême. Alors, d'avoir des symboles religieux dans un environnement, c'est du prosélytisme, c'est considéré comme du prosélytisme, mais le port de signes religieux ne l'est pas. Je voulais juste amener cette distinction pour les gens qui écoutent. Mais, d'après la British Medical Association, c'est la stérilité qui est la préoccupation, donc ils essaient d'accommoder dans ce sens. Moi, j'aimerais vous entendre... Vous avez parlé du consensus, parmi tous vos professionnels, sur l'objection, et je pense que, si je comprends bien, c'est l'objection à l'article 5, c'est-à-dire cette interdiction mur à mur de porter un symbole religieux, et votre préoccupation par rapport à la dispensation des soins.

Vous êtes dans peut-être le secteur le plus névralgique, le plus important de tous les services qu'un gouvernement doit donner. C'est vraiment les services de santé qui sont au coeur des préoccupations de tous les Québécois. Vous, ce que vous dites, votre crainte, c'est par rapport… premièrement, l'inquiétude, qui règne actuellement parmi votre personnel, et la perte, c'est-à-dire des gens qui vous disent carrément que… je ne pourrai rester si cette loi devenait… si ce projet de loi devenait loi.

Pourriez-vous élaborer sur l'angoisse que vous ressentez actuellement parmi votre personnel et le fait qu'ils peuvent quitter et que vous auriez de la difficulté à rencontrer vos objectifs de services de soins?

• (13 heures) •

M. Rinfret (Normand) : J'apprécie beaucoup. Je pense qu'il y a deux éléments à votre question puis je vais demander d'abord à Mme Baillargeon de parler un peu de la recherche qui a été faite dans le domaine, où est-ce que, si les équipes de travail ne s'entendent pas… les incidences que ça peut avoir sur la morbidité et la mortalité. Et puis, après ça, je vais demander à Dr Puligandla de nous dire un petit peu qu'est-ce qu'est la position des médecins sur la question du potentiel de leur départ.

Mme Baillargeon (Sophie) : Oui. Alors donc, au CUSM, les équipes travaillent de façon interdisciplinaire et de façon très collaborative et dans une diversité qu'ils acceptent entre eux et entre nous, finalement.

Et donc, un tel projet de loi, ce qui est en train de se passer, c'est que ça crée beaucoup de préoccupations, et les préoccupations sont plutôt de l'inquiétude que cela va apporter dans leur travail. Et ce qu'on voit en ce moment, c'est que ça peut affecter, déstabiliser, même un peu briser cette harmonie que l'on a entre les équipes. Et ce qui arrive à ce moment-là, ça a un impact direct sur les soins et la qualité que l'on donne aux patients, parce que ce sont des études qui ont été démontrées à grande échelle, et ça, ce n'est pas nouveau comme information. Si on n'a pas une bonne cohésion, une bonne collaboration, une bonne stabilité de travail entre les professionnels de la santé, il y a une moins bonne communication à ce moment-là et donc il y a une moins bonne information en lien avec les soins du patient. Donc, il y a une corrélation directe qui a été mesurée de façon quantitative dans le passé.

De plus, pour les infirmières, on entend de plus en plus d'infirmières qui disent : Moi, si ce projet de loi passe, je quitte, je quitte le Québec. Et il y a d'autres études qui démontrent que l'impact de ça, c'est que les infirmières vont avoir plus de patients parce qu'il va y avoir une pénurie qui va s'intensifier, qui est déjà là, qui va s'intensifier. Et il y a des études très claires, quantitatives qui démontrent que, si le ratio augmente… de patients par infirmière, encore une fois, la morbidité, donc, les problèmes, les complications que le patient peut rencontrer vont augmenter.

M. Rinfret (Normand) : Puis j'aimerais beaucoup demander à notre médecin, qui est le président du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens, de donner un peu sa position sur justement cette crainte qu'on a : que les médecins pourraient quitter.

M. Puligandla (Pramod S.) : Alors, merci pour avoir l'opportunité de vous parler aujourd'hui.

Alors, les médecins sont liés, par leur serment médical, à ne pas permettre que des considérations d'âge, maladie, infirmité, de croyance, d'origine ethnique, sexe ou tout autre critère qui s'interpose entre notre devoir comme médecins et nos patients… C'est sûr que nous sommes d'avis que le port de vêtements et de signes religieux par les employés du secteur de la santé ne nuit aucunement, de quelque façon que ce soit, à la prestation des soins de santé. C'est sûr qu'avant de venir ici j'ai reçu plusieurs courriels, des messages des membres de notre conseil, indiquant qu'ils sont inquiets que la loi soit acceptée. Nous avons toujours un défi dans les ressources humaines médicales. Donner le choix de travailler dans un environnement moins accueillant où eux-mêmes ou leurs collègues manquent les droits fondamentaux des individus… plusieurs vont quitter, surtout si un de ses collègues est congédié parce qu'il porte des vêtements ou des bijoux marquant son appartenance religieuse. Cette… n'est pas une menace. L'impact de la charte est significatif, et je pourrais vous donner un exemple. J'ai une collègue en hémato-oncologie qui fait de la recherche chez les tumeurs du cerveau en pédiatrie. Sa recherche a gagné plusieurs prix nationaux et internationaux, et ça changera comment on traite des cancers du cerveau pour le bénéfice des enfants au Québec et au monde. Mais elle a fait sa formation en dehors du Canada. Elle est venue ici à cause de la réputation de McGill et du CUSM.

Pourquoi provoquer le départ potentiel des experts, de chercheurs, des médecins spécialistes avec ce projet de loi? Je ne sais pas si elle quittera ou non. C'est finalement le droit des médecins, individus et leurs capacités de travailler dans cet environnement ou non. Mais c'est sûr que notre conseil espère que la loi va être retirée par la loi, parce que c'est essayer de régler un problème qui n'existe pas. On est capables de faire le traitement, de donner des soins essentiels pour tous nos patients. Et, s'il y a un problème avec la communication, avec notre jugement ou notre idée, on peut chercher quelqu'un d'autre, un autre collègue qui peut peut-être donner les meilleurs soins pour nos patients.

Mme Weil : Vous avez mentionné que la diversité… évidemment, vous vivez bien avec la diversité, vous gérez bien la diversité. Est-ce que vous voyez une diversité croissante? Moi, je dois dire, j'étais dans le réseau de la santé dans les années 90, et il y avait beaucoup de fierté dans le réseau de la santé. Je pense, le réseau de la santé était peut-être pionnier en matière d'acceptation de diversité. Mais est-ce que vous voyez qu'il y a une diversité grandissante? Est-ce que vous voyez que ça se reflète ou est-ce que le CUSM a toujours été un milieu de diversité?

M. Rinfret (Normand) : Je dois dire que le CUSM a toujours été un milieu de très, très grande diversité. Quand je dis que, pour être capables de répondre aux besoins de nos patients, il faut avoir un répertoire d'à peu près… la connaissance de 72 langues… parce que sinon ce qu'on a comme problème, c'est qu'il y a des gens qui viennent, puis on ne peut pas les servir. Et nous avons un statut qui nous oblige de servir ces patients-là, et je pense que c'est extrêmement important qu'on le fasse. Donc, la diversité, pour moi, ce n'est pas quelque chose vraiment qui grandit, ça a toujours été là, ça fait partie des fondements. En 1887, le premier hôpital qui a été créé, le Royal Vic, il y avait justement la liberté de pouvoir traiter les patients qu'il y avait, peu importent leur couleur, leur religion, leur culture. Ça fait partie des fondements, comme on l'a dit auparavant. Alors, je pense que c'est important de le noter. Peut-être, je peux demander à Mme Baillargeon de rajouter quelque chose.

Mme Baillargeon (Sophie) : Oui. Je pense qu'aussi ce qu'on voit grandir, par contre, c'est une compréhension de ces diversités-là. De multiples groupes se sont formés… de multiculturalisme, pour mieux comprendre et mieux communiquer, ouvrir la communication et donc mieux travailler en collaboration avec les patients et les familles.

Mme Weil : …j'aimerais vous féliciter. Mon père a pratiqué la médecine au Royal Vic pendant au moins 40 ans et, je me rappelle, quand j'étais jeune, il me parlait de cette diversité. Et les cas d'exemple que vous avez donnés comme médecin, ça existait à l'époque. Évidemment, la diversité était plus concentrée sur certaines cultures ou une immigration autre que l'immigration qu'on voit maintenant. Mais j'étais privilégiée parce qu'il nous racontait, comme enfants, un peu comment on a accommodé ces religions. Donc, comme vous dites, je pense, c'est une longue tradition, une longue tradition, surtout à Montréal, on entend les universités le dire aussi.

Moi, j'aimerais vous amener sur… parce que ma collègue a une question aussi. On entend beaucoup ici : Vraiment, c'est l'article 5 qui cause problème et que, l'article 5, beaucoup le voient comme une rupture avec l'histoire de diversité, l'histoire d'ouverture du Québec et voudraient qu'on mette de côté, comme parlementaires, l'article 5 et qu'on adopte le reste. Bon. Vous, vous n'avez pas de problème avec les accommodements, mais nous, on voit bien les balises, moi, je l'avais proposé, justement, des balises pour encadrer les accommodements. Je l'avais proposé en 2010. Donc, il y a un consensus ici autour de ça. Pensez-vous qu'il serait bien de scinder le projet de loi et d'aller de l'avant avec ce qui fait consensus?

• (13 h 10) •

M. Rinfret (Normand) : Pour nous, en ce moment, ce qu'on dit, c'est qu'on rejette le projet de loi tel qu'il est présenté. Et, tel qu'il est présenté, ce qu'on dirait, c'est : Il faut absolument que… et surtout, là, j'aimerais passer le message : Ne laissez pas les organisations avoir à poser la question au système juridique de savoir si, oui ou non, le projet de loi est légal. Si jamais vous avez une crainte face à ça, je vous demanderais, au gouvernement, d'aller en Cour d'appel puis de le questionner. Je ne suis pas juriste; mais j'ai l'impression que ça se fait. On me l'a dit, en tout cas. Ne nous laissez pas le fardeau de tenter ça. Ne nous laissez pas avec la période de 10 ans. C'est impossible.

Alors, nous, face à toutes les réactions internes, on a dit : Ça ne fonctionne pas, on rejette le projet de loi. Maintenant, revenir avec quelque chose de positif, revenir avec quelque chose qui permet — et, l'article 5, s'il vous plaît, portes fermées — vous pouvez le considérer, parce que, je veux dire, j'imagine qu'il y a une évolution. Mais prenez compte du changement dans la santé, comme vous l'avez dit. C'est extrêmement important. La tolérance des organisations de santé — puis là je parle pour le CUSM, mais mes collègues se joindraient à moi — pour le changement est limitée. Et en ce moment vous en demandez énormément, comme parlementaires, dans le changement de la santé au Québec avec des institutions nouvelles, des fusions nouvelles, une transformation du réseau. C'est énorme. Je ne sais pas si quelqu'un voudrait rajouter, mais c'est ma réponse.

Le Président (M. Ferland) : Alors, je cède maintenant la parole à la députée de Bourassa-Sauvé. Il reste environ 2 min 30 s, à peu près.

Mme de Santis : Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup pour votre mémoire et aussi pour votre présentation. Nous savons tous que, dans le système de santé et services sociaux, il y a un manque de fonds. Alors, l'argent n'est pas là pour faire tout ce qu'on voudrait faire. Si on mettait en application l'article 14 du projet de loi, qui est l'article qui indique qu'il faut avoir un dialogue avec une personne qui refuse d'enlever son signe ostentatoire… et ensuite il y a des mesures disciplinaires qui peuvent aller jusqu'au congédiement, est-ce que vous prévoyez qu'il y aurait une augmentation de plaintes? Et combien cela pourrait coûter au CUSM?

M. Rinfret (Normand) : C'est extrêmement compliqué d'évaluer le montant d'argent que ceci pourrait coûter au CUSM.

Ce que je peux dire, c'est que ce qui d'abord est ma première réaction, c'est que dans n'importe quel processus disciplinaire, compte tenu des conventions collectives qui existent, la mécanique qui est inscrite là, c'est déjà existant : il faut parler à la personne, il faut essayer de convaincre la personne; ça ne fonctionne pas, on documente; et, après plusieurs documentations, bien là on en arrive avec une impossibilité de faire changer l'opinion de la personne. Puis la finalité de tout ça, c'est que… on le sait tous, un congédiement dans le milieu de travail, c'est comme la pendaison… bien, je veux dire, c'est, quand le lien d'emploi est rupturé, et la confiance surtout, que, là, à ce moment-là, on procède. Cet élément-là, je veux dire, pour nous, il est déjà existant. Ça fait que je ne vois pas l'apport que ça a vraiment.

Puis, deuxièmement, quand vous me demandez : Est-ce que ça va augmenter… écoutez, si jamais il y avait une loi, telle qu'elle est, qui est présentée, c'est évident qu'on va se retrouver avec une avalanche de griefs, puis je ne suis pas le seul à le dire. Cette avalanche de griefs là va se retrouver avec des coûts. Moi, je peux vous dire qu'au CUSM un grief, en moyenne, je veux dire, qui n'est pas réglé, c'est au-delà de 100 000 $ de la transaction; un grief pas réglé qui s'en va en arbitrage. Ça fait que, dans le contexte, si on a une avalanche de griefs, ça va coûter énormément d'argent. Pourquoi réinventer la roue quand elle est déjà là?

Mme de Santis : Et ces montants-là vont devoir être payés par votre propre budget, je présume.

M. Rinfret (Normand) : Toutes les questions, oui, sont payées à même…

Le Président (M. Ferland) : …le temps est écoulé pour la partie…

M. Rinfret (Normand) : Oui, la…

Le Président (M. Ferland) : …de l'opposition officielle. Je vais du côté de la députée de Montarville. La parole est à vous.

Mme Roy (Montarville) : Oui. Merci, M. le Président. Madame, messieurs, merci. Merci pour votre mémoire. Vous faites référence, à la page 11 — on va continuer à parler des employés de l'hôpital, infirmières, médecins, etc. — à la fameuse publicité qu'on a vue, hein, avec cette infirmière qui a justement un voile sur la tête : «We don't care what's on your head, we care what's in it.»

Cette publicité-là, est-ce qu'elle a eu un impact jusqu'à présent? Est-ce que les infirmières en ont parlé? Est-ce que déjà il y a des conséquences chez vous ou pas pour le moment?

M. Rinfret (Normand) : La compétition, je vais vous dire, parce que cette publicité-là est sortie dans un environnement très proche de nous, à la frontière de l'Ontario, la compétition qu'il y a entre le recrutement à Montréal et l'environnement ontarien est énorme. Et je peux vous dire que je n'ai pas fait un décompte en fonction de la publicité, mais je peux vous dire qu'on perd des infirmières, sur une base régulière, qui s'en vont à Toronto, parce que notre main-d'oeuvre en matière infirmière, surtout dans les centres académiques… c'est qu'on engage des gens qui sont extrêmement mobiles parce qu'ils viennent d'environnements comme dans les soins… Les soins aigus, les urgences, ce n'est pas des personnes qui ont énormément d'ancienneté qui vont là, c'est des jeunes, parce qu'eux autres, ils sont capables de résister puis ils aiment ça, le challenge. Mais ils sont mobiles et ils s'en vont. Et ça, automatique, je peux vous dire que... Je ne peux vous dire : En relation avec ça, mais on en perd à tous les mois, et la compétition est énorme. Peut-être que Mme Baillargeon peut aider.

Mme Baillargeon (Sophie) : Moi, je peux vous dire que — moi, je travaille comme infirmière — donc, dans le cercle des infirmières, cette publicité-là a eu un gros impact. Il y a eu beaucoup, beaucoup de discussions à ce niveau-là parce qu'au CUSM on veut vraiment miser sur les connaissances des infirmières et leur pensée critique, leurs observations, leurs habiletés, leur communication et le travail centré sur le patient et la famille. Donc, c'est quelque chose que l'on valorise énormément. Alors, lorsque les gens ont vu cette publicité-là, ils se sont dit : Si je ne peux pas avoir cet aspect-là, justement, ce qui est dans ma tête, si je ne peux pas l'avoir ici, moi, je m'en vais en Ontario. Alors, ça faisait vraiment un appel vraiment important chez les infirmières au CUSM.

Mme Roy (Montarville) : Bon. J'aimerais poursuivre sur cette lancée parce que c'est vraiment ce qui nous intéresse et je veux que vous sachiez que nous, du deuxième groupe d'opposition, on s'oppose justement à l'article 5 pour ce qui est de l'application de l'article 5 dans tout le réseau de la santé, pour des raisons, vous en avez déjà nommé plusieurs, d'applicabilité et de difficulté de rétention peut-être du personnel, et on pense que, pour nous, ce qui compte par-dessus tout, ce sont les soins qui sont dispensés et la qualité des soins.

Cela dit, vous dites : On en perd régulièrement à chaque mois. Je n'ai pas le décompte officiel, mais avez-vous une idée de grandeur? Un, deux, trois par mois? Parce que déjà, depuis six mois qu'on parle de cette charte… donc, ça fait déjà six mois que vous en entendez parler. Est-ce qu'il y a eu une accélération des départs ou c'est constant?

M. Rinfret (Normand) : Je ne peux pas répondre à la question. Je peux aller voir puis essayer de vous répondre plus tard si j'ai des informations…

Le Président (M. Ferland) : …ça adonne bien, parce que je dois aller du côté du député de Blainville. M. le député.

M. Ratthé : Merci, M. le Président. Madame, messieurs, on va rester un peu dans la même veine parce que, écoutez, je vais vous donner ma perception. Et le contenu de votre mémoire est fort intéressant.

Si quelqu'un venait ici, qui serait pour la charte, je vous dirais, nous dire qu'il craint que l'islam envahisse le Québec, qu'on soit mis en danger dans nos coutumes, dans nos cultures, je traiterais... en tout cas, ma perception, ce serait que ce seraient des propos alarmistes. Et je lis à trois endroits dans votre mémoire… et c'est là que je me pose la question… vous nous dites finalement que la qualité des soins va être réduite, que les médecins vont s'en aller, que les infirmières risquent de s'en aller, que… Et ce que je viens d'entendre de votre part, c'est qu'en réalité… c'est aussi une impression que vous avez. Corrigez-moi si je me trompe. Mais ce que vous nous dites ce matin, ce que vous dites à certaines personnes à la maison, c'est : On transmet un message en disant : Écoutez, là, faites attention parce qu'il n'y aura plus de bons soins, il y aura des médecins qui vont s'en aller. Puis, que ce soit d'un côté ou de l'autre, là, moi, j'ai toujours un peu de misère avec des propos qui... J'aime mieux des propos plus modérés, plus pondérés, plus objectifs et je trouve que les propos que vous nous tenez actuellement… Et là vous nous avez dit : Je n'ai pas de chiffre, je n'ai pas évalué, on avait un bel exemple avec une publicité, je ne suis pas en mesure de vous dire l'impact réel. Je trouve que ça vient, en tout cas… et c'est ma perception, et vous pouvez me corriger… que ça vient un peu miner la crédibilité de ce que vous nous dites, malgré toutes les situations auxquelles vous devez faire face et qui, à mon sens, sont sûrement réelles. Mais vous comprenez que le message... qu'il y a des gens à la maison qui peuvent se dire : Bien là, attention, là, si ça passe, moi, je n'aurai plus de médecin, je ne pourrai plus me faire opérer, parce que des gens extrêmement crédibles sont venus nous dire ça. Et là moi, j'ai un petit problème avec ça.

M. Rinfret (Normand) : Mais je pense que ce que vous avez peut-être... Puis retournez dans le mémoire. C'est clairement dit que 125 personnes au Centre universitaire de santé McGill ont offert une réponse à notre processus de consultation en disant : Nous, on quitte ou on pense à quitter. Ça, c'est un chiffre qui est clair, qui est là et qui est par évidence. On peut vous donner les lettres ou les mots de ces gens-là. Ça fait que je n'essaie pas de faire un processus d'alarme ici, là, j'essaie de dire : Il y a 125 personnes, puis c'est une main-d'oeuvre spécialisée, qui disent : Nous, on pense sérieusement à quitter, ou : On quitte, puis, à cela, des gens qui ne portent pas des signes religieux, parce qu'ils sont complètement contre cet environnement, cette philosophie. Ça fait que c'est la meilleure réponse que je peux vous donner. Je ne sais pas si...

M. Abraham (Peter) : …pas seulement des mots, c'est quand même une consultation qui a retrouvé tous les conseils — Conseil des médecins, Conseil des infirmières — les unions locales, O.K., toute la grande communauté qui arrive avec...

Le Président (M. Ferland) : Je dois aller du côté de la députée de Gouin pour la dernière partie des échanges. Mme la députée.

• (13 h 20) •

Mme David : Merci, M. le Président. Peut-être juste signaler une information à l'intention des gens qui nous écoutent : le Syndicat des professionnelles en soins infirmiers au CUSM, le syndicat local donc, qui regroupe probablement plusieurs centaines d'infirmières, s'est prononcé contre l'interdiction du port de signes religieux. Mais, moi, ma question va porter sur les accommodements, parce que j'ai quand même un petit malaise. Si, par exemple, un père de famille refuse de parler à la directrice d'une école parce qu'elle est une femme, je pense, j'espère qu'il va se faire répondre : C'est moi, la directrice, et c'est à moi que vous parlez, que vous le vouliez ou non.

Dans le même esprit, si un patient de votre hôpital refuse de parler à une infirmière ou à une femme médecin, et clairement c'est pour des raisons sexistes, j'ose croire que, ce genre d'accommodement… je ne peux même pas appeler ça un accommodement… vous allez le refuser au nom de l'égalité entre les hommes et les femmes.

M. Rinfret (Normand) : Je vais vous dire, dans un centre hospitalier, les personnes sont très souvent dans un environnement d'extrême tension. Et je dois dire que, quand je regarde nos urgences avec… on fonctionne en ce moment à 242 % ce matin, là, je veux dire, la pression du personnel est immense. Ça, le 242 %, là, voyez-vous le chaos dans une urgence, que j'appelle chaos organisé, où les gens donnent tout ce qu'ils peuvent, où est-ce que l'organisation doit toute se centrer, focusser pour aider? Quand une personne arrive puis exprime un désir, dans un centre hospitalier, ce que vous essayez de faire, c'est que vous essayez d'y répondre le mieux possible parce que la personne est en détresse. Et donc ce n'est pas comme dans une école. Je ne peux pas parler pour l'école, je n'y travaille pas, mais je peux vous dire que, pour voir qu'est-ce qui se passe à l'urgence, pour voir qu'est-ce qui se passe dans les soins intensifs… et les patients sont, de plus en plus, extrêmement malades, avec des durées de séjour extrêmement plus courtes… que, quand le patient exprime un choix, à ce moment-là c'est le choix de la personne et c'est avec ce choix-là qu'on compose. Et, je vais vous dire, je pense qu'on est très bons à le faire très bien. Puis, je ne sais pas, Mme Baillargeon veut peut-être rajouter.

Mme Baillargeon (Sophie) : Oui. Alors, effectivement, ces patients et ces familles-là sont dans une autre situation, une situation vulnérable et d'inquiétude face à la santé de la personne de leur famille. Et ils sont peut-être à un moment souvent peut-être plus ouverts à voir l'intérêt pour leurs patients et leurs familles.

Je vais vous donner un exemple bien concret. Quand j'étais infirmière gestionnaire dans des soins intensifs pédiatriques, il y avait un père qui ne voulait pas que ce soit un homme infirmier qui prenne soin de sa fille. Et donc, après avoir regardé la situation, on s'est rendu compte que c'était préférable en fait pour cette fille-là d'avoir cet infirmier-là parce qu'il l'avait déjà eue auparavant, connaissait la situation. Elle était très complexe. D'autre part, ça allait changer, ça allait affecter les…

Le Président (M. Ferland) : Alors, malheureusement, le temps étant écoulé, il ne nous en reste pas beaucoup…

Mme Baillargeon (Sophie) : Donc, c'est ça.

Le Président (M. Ferland) : …je vous remercie pour la présentation de votre mémoire et je lève maintenant la séance. Et la commission suspend ses travaux quelques instants avant de se réunir en séance de travail.

(Fin de la séance à 13 h 23)

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