(Onze heures trente-quatre minutes)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre, s'il vous
plaît! Ayant constaté le quorum, je
déclare la séance de la Commission
des institutions ouverte. Je demande
à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre
la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
La commission est
réunie afin de tenir des auditions publiques dans le cadre de la consultation
générale sur le projet de loi n° 60, Charte
affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi
que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes
d'accommodement.
Mme la secrétaire, est-ce
que nous avons des remplacements?
La Secrétaire :
Oui, M. le Président. Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce) remplace M. Ouimet (Fabre)
et Mme Roy (Montarville) remplace M. Duchesneau (Saint-Jérôme).
Auditions (suite)
Le Président (M.
Ferland) : Merci, Mme la secrétaire.
Ce
matin, nous recevrons deux groupes, soit, en premier, le Dialogue judéochrétien
de Montréal, suivi par le
Centre universitaire de santé McGill.
Maintenant, nous
recevons les représentants de Dialogue judéochrétien de Montréal en vous
mentionnant que vous disposez de 10 minutes
pour la présentation de votre mémoire, suivies d'une période d'échange avec les
groupes parlementaires. Alors, je vous
demanderais peut-être de vous présenter, ainsi que les deux personnes qui vous
accompagnent. La parole est à vous.
Dialogue judéochrétien de Montréal
M. Goldbloom
(Victor Charles) : M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les
députés, je m'appelle Victor Goldbloom, je
suis président du Dialogue judéochrétien de Montréal. Je suis accompagné de Mme
Diane Rollert, qui est pasteure de
l'Église unitarienne de Montréal, et de M. Jean Duhaime, qui est l'ancien doyen
de la Faculté des sciences des religions à l'Université de Montréal.
Le
Dialogue judéochrétien de Montréal est une table à laquelle se rencontrent les
Églises anglicane, catholique romaine,
catholique ukrainienne, luthérienne, mormone, presbytérienne, unie et
unitarienne avec la communauté juive. Elle existe depuis 1971. C'était
l'initiative de feu le cardinal Paul Grégoire. Et nous nous réunissons
mensuellement depuis tout ce temps-là. Il y
a, parmi nos membres, des gens qui portent des symboles ou des vêtements qui
identifient leur appartenance religieuse, et nous ne sommes donc pas d'accord avec
les restrictions qui sont proposées. Mais nous voulons aller plus loin.
Au
bout du chemin que commence à tracer ce projet de loi, nous percevons une
société où l'État aurait fait taire les religions et les aurait rendues invisibles. Nous avons l'impression que
le gouvernement veut dire, en modifiant légèrement les paroles de Molière : Cachez ces saints,
s-a-i-n-t-s, que je ne saurais voir. Par de pareilles visions, les âmes sont
blessées, et cela fait venir de coupables pensées.
Je puise dans mon expérience
personnelle. Aux années 60, la commission Hall étudiait les soins de santé et a
voulu obtenir un éclairage sur la gestion
financière des hôpitaux. C'est la religieuse qui était responsable de
l'administration financière de l'Hôpital Notre-Dame qui a fourni un exposé
absolument brillant. Lorsque je suis devenu ministre de l'Environnement, ce n'était pas encore un ministère autonome, c'était
attaché aux Affaires municipales, j'ai eu donc une secrétaire. Après un certain temps, elle a recruté
une consoeur de classe. Les deux avaient été formées chez les bonnes soeurs, les deux possédaient à merveille leur
français, et j'avais la joie quotidienne de discuter avec elles des nuances
de la langue française. Plus tard, devenu
titulaire des Affaires municipales, j'ai acquis quatre secrétaires
additionnelles, plus jeunes, formées dans les écoles essentiellement
laïcisées de l'époque. J'ai le regret de dire qu'elles ne produisaient à peu
près pas une lettre sans faute de français que je devais corriger.
Je ne parle pas
seulement du passé. Il y a trois ans, le Dialogue judéochrétien a participé aux
offices à la paroisse Saint-Luc de
Dollard-des Ormeaux. Cette paroisse offre quatre messes chaque fin de semaine
afin d'accommoder le millier de
personnes qui y assistent. Dans ma synagogue, aux grandes occasions, il y a
plus de 1 000 personnes qui assistent.
• (11 h 40) •
Je
suis un fan du poste de Radio Ville-Marie qui diffuse une programmation
religieuse à l'échelle de la province et qui s'intéresse, depuis
plusieurs années, aux relations interconfessionnelles.
Je termine sur une note vraiment
personnelle. Vous constatez que je ne porte ni symbole ni vêtement qui
identifie mon appartenance religieuse, mais, lorsque je mets ma kippa, ma
calotte, je ne deviens pas, par le fait même, moins objectif, moins ouvert
d'esprit, moins Québécois. Je passe la parole à ma collègue.
Mme Rollert
(Diane) : M. le ministre, Mmes et MM. les membres de la
commission, je vous remercie pour cette
opportunité de témoigner devant vous. Je suis la pasteure de l'Église
unitarienne de Montréal, je sers une communauté qui est vraiment
diversifiée. Certains d'entre nous sont théistes, agnostiques et aussi athées.
Donc, j'ai beaucoup d'expérience avec la
richesse du vivre-ensemble, une expérience que j'ai expérimentée depuis que je
suis immigrée au Québec, des États-Unis il y a huit ans, quand je ne
parlais que quelques mots de français.
Quand
j'utilise le mot «religieux», je fais référence à mon choix personnel de vivre
selon certaines valeurs qui m'amènent à évoluer dans une communauté
affectueuse. Ces valeurs qui nous animent sont l'amour, la tolérance, l'intégrité, la liberté de questionner, un
engagement à promouvoir la paix, la préservation de l'environnement et la
valeur et la dignité intrinsèques de toute
personne. Surtout, je respecte la neutralité de l'État et l'égalité entre les
femmes et les hommes. Comme femme, je
suis très consciente des batailles difficiles que mènent actuellement les femmes
de partout dans le monde pour établir
leur juste place au sein d'une société plus égalitaire. Je suis pleine
d'empathie pour toutes les femmes qui
ont souffert des inégalités vécues à cause de leurs traditions culturelles ou
religieuses. Mais je suis heureuse de dire
qu'on a fait beaucoup de chemin. C'est pour ça que je suis ici aujourd'hui
comme une femme qui dirige un culte. Dans chaque tradition religieuse, il y a des femmes qui sont en train de
réclamer leur moitié du ciel, mais elles ont choisi de le faire dans leurs traditions et pas à l'extérieur.
Alors, ce n'est pas à nous de les juger à cause de leur manière de
s'habiller. En légiférant sur le droit d'une
femme à s'habiller selon ce que lui dicte sa conscience, vous la privez du
droit fondamental de contrôler son
propre corps. En la forçant à choisir entre son travail et sa foi, vous vous
assurez qu'elle soit marginalisée, et non libérée.
Finalement, je
comprends que vous, M. le ministre, êtes admirateur du mon compatriote, Thomas
Jefferson. À la fin du XVIIIe siècle,
Jefferson a proposé sa propre charte pour l'établissement de la liberté de la
religion dans l'État de Virginie.
Dans cette charte, Jefferson affirme clairement que tous les citoyens ont le
droit de servir leur gouvernement, indépendamment
de leurs croyances ou leurs expressions religieuses. Autrement, dit-il, cela
revient à priver le citoyen en le lésant
des privilèges et d'avantages auxquels il peut naturellement prétendre au même
titre que ces concitoyens. Jefferson a prévenu aussi des risques
d'exiger la conformité à des normes arbitraires. À mon avis, c'est ce genre de
conformité que le projet de loi n° 60 exigerait des personnes qui
affichent aujourd'hui leur appartenance religieuse.
Depuis
mes huit ans ici, j'ai connu des gens chaleureux, d'esprit ouvert et curieux.
C'est le Québec que je connais et que
j'aime. J'espère que l'on saura maintenir et développer cet esprit d'ouverture
dans cette société civile et respectueuse que j'ai tant admirée.
Et
j'ai ici, pour vous, M. le ministre, une copie de la charte de Jefferson comme
cadeau, qui est encadrée pour vous, que je vais aller vous donner.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, nous allons remettre au
ministre le... Parce que, le temps étant presque écoulé, il reste à peu
près 10 secondes…
M. Duhaime (Jean) : Bien, écoutez, en 10 secondes, la seule chose que je pourrais vous
dire, c'est que nous avons le sentiment que, dans le document
d'orientation, comme dans le projet de loi, les religions sont traitées comme
des maladies. Les religions ne sont pas des
maladies, même s'il peut y avoir des maladies des religions. On a introduit un
cours d'étique et de culture religieuse dans le système scolaire précisément
pour dissiper...
Le
Président (M. Ferland) : …parce qu'on est arrivés un peu en
retard, dû aux activités du salon bleu, vous allez comprendre, alors je
dois quand même restreindre les périodes de présentation de mémoires.
Alors, nous allons à
la période d'échange, et je cède la parole à M. le ministre.
M. Drainville :
Merci, M. le Président. Merci à vous trois pour et le mémoire et la
présentation. J'ai déjà dit privément à M.
Goldbloom tout le respect et l'estime que j'avais pour lui et je le redis
publiquement maintenant. Vous avez fait
une contribution remarquable à la société québécoise. Vous l'avez fait comme
homme public, homme politique, mais vous l'avez fait également dans
d'autres engagements, et je pense que vous êtes un grand Québécois, M.
Goldbloom.
Comme
on n'a pas beaucoup de temps, on a moins de temps que prévu, malheureusement,
pour vous poser des questions,
j'aimerais aller à quelques points essentiels. D'abord, vous dites dans votre
mémoire, à la page 8, que vous n'arrivez pas à déceler une crise
d'accommodements raisonnables. Moi, je pense qu'il y a eu une crise en 2007. Je
ne dirais pas qu'on est dans une crise actuellement, mais je pense qu'il faut
mettre en place des règles claires en matière d'accommodement pour prévenir
d'autres crises, d'autres dérapages à l'avenir. Vous savez, il y a un consensus
au sein des quatre partis qui sont représentés à l'Assemblée qu'il faut des
règles claires en matière d'accommodement. Plusieurs grandes centrales
syndicales, plusieurs groupes, également, très importants, qui représentent des
milieux, le milieu scolaire par exemple, la
Fédération des commissions scolaires sont d'avis que ça prend des règles
beaucoup plus claires que celles qui existent présentement en matière
d'accommodement.
Alors,
est-ce que je peux vous demander d'abord : Est-ce que vous êtes d'accord
avec le cadre devant baliser les demandes d'accommodement à l'avenir,
enfin surtout les demandes d'accommodement religieux?
M. Duhaime
(Jean) : Bien, de façon générale, le projet de loi, dans notre
compréhension, là… nous ne sommes pas des juristes, mais, dans notre
compréhension, le projet de loi met par écrit les pratiques qui sont déjà en
vigueur depuis quelques années.
Qu'on
veuille se donner des règles claires, ça nous paraît tout à fait légitime. En
même temps, ces règles-là ne doivent
pas devenir un poids tel qu'il faudra instaurer toutes sortes de contrôles et
qu'il faudra un remède plus important que le mal pour essayer de résoudre cette question-là. Nous pensons, nous
croyons beaucoup au principe de subsidiarité et nous pensons que tout ce
qui peut être réglé localement doit l'être et que, lorsque cela se fait dans un
cadre général sur lequel il y a un
accord — je sais
que, M. le ministre, vous tenez beaucoup aux principes — lorsqu'on s'entend sur les principes,
ensuite la pratique, je crois, doit être laissée au niveau où le problème se
pose.
M.
Drainville : Vous
avez raison. Il y a une partie des balises qu'on met en place qui codifie une
jurisprudence existante, par exemple toute
la notion de contrainte excessive, mais on va quand même plus loin. Quand on
dit, par exemple, qu'à l'avenir une demande d'accommodement ne devrait
pas être accordée si elle remet en question le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes, il nous
semble que c'est quelque chose de bien raisonnable. Et donc il nous
semble que... Parce que ce que j'entends
dans vote réponse, c'est que vous n'êtes pas convaincus que cet aspect-là du
projet de loi mérite d'être appuyé, là. C'est ce que je comprends. La
partie accommodements raisonnables, vous ne l'appuyez pas, c'est ce que je
comprends.
M. Duhaime
(Jean) : C'est-à-dire que
nous appuyons de façon globale l'idée qu'il y ait un cadre général pour orienter le règlement ou tout le processus
d'accommodement raisonnable. Lorsqu'on dit qu'un accommodement devrait
être refusé s'il contrevient au principe de
l'égalité hommes-femmes, on fait du principe de l'égalité hommes-femmes un
principe absolu, alors que l'ensemble des
droits dans notre société doivent avoir la même attention et le même intérêt.
Alors, si on met au-dessus de tous
les principes... on met comme principe suprême l'égalité hommes-femmes, nous
croyons que ça peut être problématique.
• (11 h 50) •
M.
Drainville : Oui.
Moi, je vous dirais qu'on lui donne un caractère déterminant, je ne dirais pas
«un caractère absolu». Je pense
que, les droits, il y a des… comment dire, il y a
des droits fondamentaux, mais il n'y
a pas de droit absolu, hein?
Et je dirais que, dans le cas du projet de loi n° 60, l'égalité entre les
hommes et les femmes, ça devient une valeur incontournable, non négociable,
déterminante dans l'évaluation et éventuellement la décision concernant une
demande d'accommodement.
Si vous me
permettez, je vais aller sur la question des signes. Vous écrivez : «…la neutralité
et l'objectivité se situent dans le
coeur, dans la tête et dans la formation, pas dans la tenue vestimentaire ou
dans un symbole d'appartenance.» Alors,
est-ce que vous êtes d'accord avec l'obligation du
visage à découvert, ce qui veut dire dans les faits que le niqab et la burqa, pour ne nommer que ceux-là, sont interdits
pour les agents de l'État et également pour les usagers parce que c'est un signe religieux, hein? La
burqa, le niqab sont des signes religieux. Est-ce que vous êtes d'accord que ça
ne devrait pas être permis?
M. Duhaime
(Jean) : Écoutez, on peut discuter sur le sens qu'on leur
donne. Si vous dites : Ce sont des signes religieux, je veux bien,
mais est-ce que c'est parce que ce sont des signes religieux qu'on les
interdirait ou parce que nous souhaitons que
l'échange de services entre l'État et ses citoyens se fasse à visage découvert?
Ça, c'est autre chose.
M.
Drainville : Mais,
peu importe la raison que vous souhaitez, moi, j'ai mes raisons, je pourrais
vous les exposer, mais on n'a pas
suffisamment de temps, malheureusement. Mais, vous, de votre côté, est-ce que
vous êtes d'accord avec l'obligation du visage découvert, peu importe la
raison que vous souhaitez… la justification que vous souhaitez lui donner, à
cet interdit?
M. Duhaime (Jean) : C'est une
question qui pourrait être discutée avec les groupes concernés.
Un des
problèmes que nous avons avec ce projet de loi, c'est qu'il nous semble que
c'est un projet qu'on veut imposer
sans avoir suffisamment pris acte de la présence des groupes religieux, de la
présence de leadership aussi dans ces groupes-là et puis sans avoir
suffisamment exploré, avec l'ensemble des personnes concernées, l'ensemble des
composantes religieuses et non religieuses de notre société, quel est le
problème, quelles sont les solutions possibles.
On a le sentiment, quand on lit en particulier
le document d'orientation, qu'il y a une vision extrêmement négative de la
religion derrière ce projet de loi, que les religions, tout ce que la religion
a apporté au Québec, à peu près, ce sont des
noms de rue puis des signes emblématiques, alors qu'il y a eu un apport très
positif. Malgré des erreurs, malgré
des errements, il y a eu et il y a encore un apport positif des groupes
religieux dans la société québécoise, et ça, ce n'est pas reconnu.
Alors, ça, c'est un des problèmes que nous avons. Nous pensons qu'il y a
d'autres moyens de manifester la neutralité
religieuse de l'État, que ces moyens-là doivent être explorés dans une approche
non partisane puis en dialogue avec
l'ensemble des composantes religieuses et non religieuses de la société
québécoise. C'est la seule façon d'arriver
à un consensus social sur un sujet comme celui-là. Il faut arrêter de traiter
la religion comme si c'était une maladie.
M. Drainville : Oui. Mais là,
écoutez, j'entends évidemment votre point de vue puis, comme je le dis, et le répète, je respecte les positions contraires à la
nôtre, mais, en tout respect, moi, je pense que la liberté de religion, et
la liberté de conscience, est mieux protégée
avec un État neutre et avec une reconnaissance explicite de sa neutralité que
le vide juridique dans lequel on est
présentement. Moi, je vous le dis en tout respect, je pense sincèrement qu'un
État qui est neutre, un État qui est laïque va être à même de respecter
toutes les religions et toutes les croyances et les non-croyances.
Je vais vous
soumettre un argument de Guy Rocher qu'il énonce dans une entrevue qu'il a
donnée à Paul Journet. La question de
Paul Journet est la suivante : «…en permettant à une femme qui porte le
hidjab de travailler dans la fonction publique, ne
favorise-t-on pas son intégration dans la société?» On pourrait remplacer le
mot «hidjab» par un «autre signe religieux».
Et Guy Rocher de répondre : «C'est un argument fautif et dangereux, car on
considère seulement les besoins d'une
personne. Il faut sortir de cet individualisme pour voir l'aspect collectif,
celui de l'institution. Si le nombre augmente, si le nombre des
personnes qui portent un signe religieux augmente, la neutralité de l'État
s'effrite. Quand 10 enseignants d'une école
porteront un signe religieux, on se demandera si cette école est encore
neutre.» Vous ne pensez pas qu'il y a du vrai là-dedans?
M. Duhaime (Jean) : …M. Rocher fait
exactement, dans la dernière phrase que vous venez de citer, c'est d'opposer la liberté religieuse et la neutralité,
alors que, la neutralité de l'État, une de ses visées, c'est de favoriser la
liberté religieuse. Puis la liberté
religieuse, ça implique la possibilité d'exprimer son appartenance religieuse
publiquement. Alors, ça, il y a un problème, là, assez sérieux, on est
d'accord. Écoutez, moi, je conviens… et je pense que c'est la position de
l'ensemble des membres qui sont autour de notre table de dialogue
interreligieux, nous convenons très bien que la neutralité religieuse de l'État est importante. Mais, précisément, un des points qui manquent dans le document d'orientation, qui
définit la liberté religieuse... qui définit la neutralité de l'État, pardon,
c'est qu'une des visées de la neutralité de l'État, c'est de favoriser et de préserver la liberté
religieuse. Ça n'y est pas, dans le document, ça. Je comprends
que vous y croyez, mais il n'y a
probablement pas uniquement en restreignant le port, l'affichage de signes
religieux qu'on peut afficher la neutralité de l'État. Il y a d'autres
moyens à trouver pour faire ça. Est-ce qu'on a eu besoin de restreindre
l'affichage de signes ostentatoires pour faire valoir la charte des droits et
libertés du Québec?
M. Drainville : Je ne suis
pas sûr de vous suivre, là. La...
M. Duhaime (Jean) : Comment
promeut-on la charte des droits et libertés du Québec? Est-ce que c'est en restreignant des choses ou est-ce que c'est en
faisant la promotion de ce qu'elle contient puis en faisant de
l'éducation puis de la diffusion?
M.
Drainville : Oui. Mais,
en tout respect, nous, nous soutenons que ce que nous proposons respecte tout à
fait la charte des droits et libertés, qu'elle soit québécoise ou canadienne,
d'ailleurs. Et, par ailleurs, je vous rappelle...
M. Duhaime (Jean) : ...modifier?
M. Drainville : Oui, oui,
mais bien sûr qu'on la modifie parce qu'on veut s'assurer justement que les
grands principes de laïcité, et de
neutralité, et de séparation des Églises et de l'État soient enfin inscrits
dans ce texte fondamental qu'est la Charte des droits et libertés,
puisqu'actuellement la laïcité de l'État, la neutralité de l'État, la
séparation des religions et de l'État, ce n'est inscrit nulle part dans nos
documents législatifs, dans nos documents institutionnels. Alors, on veut
pallier à ça effectivement en l'inscrivant formellement. Je pense que ça va
être un plus.
Maintenant,
écoutez, on a visiblement un désaccord, puis ça ne nous empêche pas de se
parler très respectueusement. Mais
moi, sincèrement, je... Nous, nous sommes d'avis que la liberté de religion,
elle est protégée, et la liberté de conscience aussi. Vous savez, la liberté d'expression, c'est une liberté
fondamentale. Ça ne nous empêche pas de dire aux fonctionnaires :
Pendant les heures de travail, vous ne pouvez pas afficher vos convictions
politiques.
M. Duhaime (Jean) : …M. le ministre,
si je me permets...
M. Drainville : Oui.
M. Duhaime (Jean) : ...en 2008,
quand on a déconfessionnalisé… de 2005 à 2008, grosso modo, quand on a déconfessionnalisé le système
scolaire, on n'a pas sorti la religion des écoles, on a introduit un cours
d'éthique et de culture religieuse mur à mur sur l'ensemble du primaire
et du secondaire. Un des objectifs de ce programme-là, c'est de faire tomber les préjugés à l'égard des religions par une
meilleure connaissance de ce qu'elles sont, de faire tomber des
préjugés aussi à l'égard
des visions humanistes du monde puis de favoriser une compréhension et le
dialogue entre des citoyens de différentes appartenances. Comment
pensez-vous qu'on va atteindre cet objectif-là si en même temps on envoie le signal que l'appartenance religieuse, c'est une
affaire strictement privée puis que c'est interdit de l'afficher dès qu'on
a le moindre lien, par ses fonctions, avec l'État québécois?
M. Drainville : Mais,
monsieur...
La Présidente (Mme Champagne) :
…1 min 30 s.
M.
Drainville : ...écoutez, il y a une dernière chose que
je voulais vous soumettre, là, puis c'est tout le sens que peut prendre
le signe religieux pour la personne qui le voit.
Je pense
qu'on va s'entendre pour dire qu'un signe religieux envoie un message
religieux, n'est-ce pas? Sinon, on ne le porterait pas, là. Alors, je pense que la personne qui porte un
signe religieux envoie ce message, transmet ce message religieux et je
pense qu'il faut mettre dans l'équation pas seulement le droit ou les droits de
la personne qui porte le signe, mais il faut
également mettre dans l'équation les droits des personnes
qui reçoivent ce signe-là. Et donc, les citoyens, les usagers, les enfants, notamment
dans les institutions scolaires, les parents également,
je pense qu'ils ont des droits, eux aussi, et il faut les mettre dans l'équation. Et,
quand on a des personnes qui travaillent, par exemple, avec des jeunes,
qui nous disent que le signe peut miner la relation de confiance qu'une jeune
fille qui a besoin d'aide souhaite obtenir, l'aide
qu'elle souhaite obtenir parce que le message qu'elle reçoit, c'est un message
religieux et que dans certains cas c'est cette religion-là qui l'a
condamnée, qui l'a rejetée, qui l'a exclue ou même qui pose un problème pour
son intégrité physique dans le cas des violences liées à l'honneur, je ne peux
pas, moi, comme ministre, ne pas prendre ça en considération.
Il faut
prendre ça en considération, le fait que l'incarnation religieuse qui s'exprime
à travers le signe peut miner la confiance d'un usager, d'une citoyenne,
d'une jeune femme, dans certains cas.
• (12 heures) •
Une voix : Oui.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, M. le ministre, c'était tout
le temps qui était imparti pour la
partie ministérielle. Maintenant, je vais du côté du parti de l'opposition
officielle et je cède la parole, je pense, à la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Allez-y.
Mme Weil : C'est bien ça. Merci,
M. le Président. Alors, bienvenue, Dr Goldbloom, Mme Diane Rollert et M. Jean Duhaime, bienvenue. À mon tour, je
voudrais saluer la contribution de Dr Goldbloom à la société québécoise, rappeler que Dr Goldbloom a été ministre
de 1970 à 1973, si je me souviens bien, de l'Environnement et des
Affaires municipales, mais aussi, et ça va intéresser, je pense,
ceux qui nous écoutent, Dr Goldbloom est aussi un médecin et un pédiatre, donc, qui a fait beaucoup
de travail auprès des enfants. Et évidemment son expérience pour le dialogue
interconfessionnel, ça, c'est vraiment une de ses grandes contributions.
Alors, je
voudrais revenir sur cette question de neutralité religieuse de l'État, permettre peut-être
à M. Duhaime d'élaborer. Ce que je
veux vous dire, M. Duhaime, parce que j'ai eu à piloter ce dossier lorsque
j'étais ministre de la Justice,
tout ce que vous dites est exactement
la règle de droit qui existe au Québec et qu'en fait, oui, la neutralité religieuse
de l'État, ça découle de la Charte des droits et libertés, et c'est pour permettre la liberté de religion,
ce n'est pas là pour cacher ou écraser les religions. Donc, je voulais
juste vous rassurer que, lorsque j'étais ministre de la Justice et qu'on
parlait de neutralité, c'étaient exactement les avis que j'avais du ministère
de la Justice dans ce dossier, et lorsque je l'ai porté aussi à titre de ministre de
l'Immigration. Et je veux vous
rassurer que c'est l'état du droit. Donc, éventuellement, si ce projet
de loi était adopté, évidemment les tribunaux interpréteraient… et c'est le
point aussi de la Commission des droits de la personne et du Barreau.
Mais je vous permettrais de revenir sur votre
commentaire. Parce que nous, lors de cette commission, et les auditions, on entend beaucoup, beaucoup de malaise
par rapport à la religion, et, je vous dirais, ça va très loin, surtout
par rapport à l'islam, et c'est surtout par
rapport au voile. Et, lorsqu'on pose la question sur la kippa, ou autres, on
dirait que, bon, ils reviennent carrément à répondre pour… ils portent
un jugement sur l'islam, et il y a un lien qui est fait avec l'égalité hommes-femmes. Ils ne savent pas trop.
C'est-à-dire, ils essaient de dire… bon, ils ont une inquiétude par
rapport à cette religion et par rapport à
l'émancipation des femmes. Donc, en forçant la femme à enlever son voile, on va
la libérer. Évidemment, il y a le
point de vue qui dit : C'est une approche très paternaliste et qu'il faut
permettre aux femmes de faire leur choix; des femmes musulmanes qui nous
disent : Bon, c'est mon choix. Mais j'aimerais vous entendre là-dessus
parce qu'on… je vous dirais que les trois quarts de cette commission, c'est par
rapport à l'islam plus qu'autre chose.
M. Duhaime (Jean) : Peut-être un
bref commentaire, puis d'autres pourront compléter.
D'abord, sur
la question des signes religieux, oui, c'est vrai que les signes religieux, ça
envoie un message, mais ce n'est pas nécessairement du prosélytisme
passif et silencieux, comme dit le document d'orientation. Et puis il y a des gens pour qui les signes religieux, ça met en
confiance alors que, d'autres, peut-être ça les repousse, alors il faut voir
aussi, là. Quand quelqu'un affiche son
appartenance religieuse, il dit quelque chose de lui-même, il ne fait pas
nécessairement du prosélytisme. Et ce qui dérange un peu dans la société
québécoise, à ma compréhension des choses, c'est qu'il y a un affichage plus
marqué dans certains groupes religieux, dont l'islam. Mais l'islam, au Québec,
il est comme d'autres traditions
religieuses, il est assez diversifié, il n'est pas très homogène et il y a
différents courants, différentes tendances. Et je pense que, comme plusieurs sociétés occidentales, nous avons à
intégrer cette nouvelle contribution qui vient en grande partie de l'immigration mais pas uniquement… parce
qu'il y a des convertis nés au Québec dans la tradition catholique, au moins culturellement, qui se convertissent à
l'islam, et ce sont souvent des gens qui sont encore plus prosélytes que
des musulmans immigrés ici, qui gardent un
profil assez bas et qui cherchent à s'intégrer davantage dans la société
québécoise.
Alors, il
faut distinguer, il faut nuancer. Et notre approche, comme groupe de dialogue
interreligieux, c'est que ce n'est
pas en imposant des contraintes qu'on va résoudre ce genre de problèmes, c'est
en ouvrant un dialogue avec des individus puis avec des groupes avec un
leadership qui a une certaine influence sur ces communautés. C'est un des problèmes qu'on a identifiés. L'été dernier, on
avait un congrès international
d'amitié judéochrétienne. On s'est posé la question de la laïcité
dans les sociétés occidentales. Le consensus qui s'est dégagé,
c'est qu'il faut ouvrir davantage
le dialogue avec les groupes religieux.
La ville de
Marseille a créé un conseil interreligieux. C'est la deuxième plus grande ville
de France où la population immigrante, proportionnellement, est beaucoup
plus forte qu'à Paris. Et cette ville, dans une société laïque, cette ville a créé un conseil interreligieux. Et tous
les grands projets de société s'élaborent en concertation, pas avec le
contrôle des Églises ou des groupes
religieux, mais on entend, on écoute leur voix au même titre que d'autres
groupes ou mouvements sociaux. Puis,
quand on a un problème avec un mouvement social, la dernière solution,
c'est d'envoyer l'armée puis la police. Avant ça, il y a des étapes de
dialogue, il y a des étapes de négociation puis de clarification.
M.
Goldbloom (Victor Charles) :
Permettez-moi d'ajouter un commentaire en marge de ce que M. Duhaime vient de dire. Je trouve embêtante la présomption
que l'absence de signes identitaires religieux est la preuve de
l'impartialité et que, par contre, la présence d'une identification religieuse est la preuve que cette
personne est incapable de mettre de côté son appartenance et de juger
objectivement une question qui est devant elle. Je trouve ça très embêtant.
Mme Weil : Oui. D'ailleurs, je vous dirais justement que, selon beaucoup
d'experts, cet acharnement à vouloir dénuer,
si on veut, la société québécoise, aseptiser la société québécoise, dans
l'espace gouvernemental, et qui va très loin dans notre réseau de santé
et d'éducation, de signes religieux fait preuve justement de non-neutralité. Et
on a eu un expert qui est venu, de l'Université de Montréal, qui disait que justement la diversité des
religions et de son expression… pas
la promotion des religions, mais la diversité est un signe justement
de neutralité, car l'État reste impartial par rapport à cette expression et le fait qu'il y ait plusieurs
religions.
Maintenant,
le ministre avait mal interprété ce qui avait été dit à
l'époque, il pensait que c'était la promotion de la religion. Mais ce
que Michel... de l'Université de Montréal...
Une voix : …
Mme Weil : ...Seymour nous disait, ce n'était pas que l'État
voulait faire la promotion de la religion, mais le fait qu'il y avait plusieurs manifestations est justement la manifestation de
la neutralité. J'aimerais vous entendre sur cette question, vous l'avez
abordée un peu tantôt, sur la question de neutralité.
M. Duhaime
(Jean) : Bien, moi, je
serais porté à dire là-dessus : Qu'on veuille aseptiser complètement,
disons, tout ce qui est public dans la société québécoise, qu'on veuille rendre
ça religieusement neutre, totalement neutre au plan religieux, ça n'empêchera pas les citoyens québécois
qui sont des croyants, qui vivent d'après leurs convictions, de faire leur choix, de poser leurs actions et
d'avoir des comportements qui sont en lien avec leurs convictions
religieuses.
Alors, puisque
nous savons que c'est comme ça qu'un croyant agit, pourquoi
ne pas en tenir compte? Si on ne connaît
pas la motivation qu'il y a derrière les gestes de quelqu'un,
c'est parfois très difficile de les comprendre. Quand on comprend ces motivations, quand on peut
échanger de croyant à croyant ou de personne qui a des valeurs
humanistes à personne qui a des valeurs religieuses, lorsqu'on est capables de
vivre ensemble comme citoyens, on est capables de faire, il me semble, une meilleure société. Puis il y a beaucoup
de points communs sur lesquels des croyants, des non-croyants, les uns au nom de valeurs humanistes;
les autres au nom de valeurs religieuses, peuvent travailler ensemble.
Je pense à la construction de la paix, la recherche de la justice, de l'équité
dans une société. On peut le faire.
Moi, je travaille dans des groupes. Et les
membres de notre groupe de dialogue le font. On travaille avec des gens qui sont croyants ou incroyants. On pose une
action écologique à chaque année dans un quartier. On ne demande pas aux gens s'ils sont croyants ou pas, on leur
demande s'ils veulent nettoyer le quartier, nettoyer un parc dans leur
quartier ou devant leur école pour que la
vie soit plus agréable pour tout le monde. Mais il y a des gens qui vont
participer à cette action-là parce qu'ils sont croyants puis que l'environnement, c'est important pour eux non
seulement comme être humains,
mais comme êtres religieux. Alors, il faut qu'on tienne compte de cette
dimension-là de la vie d'une personne.
Mme Weil : ...je veux juste rapidement... Dr Goldbloom, vous
êtes pédiatre. On entend souvent ici que le droit des enfants, le ministre
l'a dit, c'est de ne pas être exposé à la religion de son institutrice...
• (12 h 10) •
Le
Président (M. Ferland) : Je demanderais juste... pas un temps d'arrêt, mais ça va me prendre… parce qu'étant donné qu'on a débuté la commission à 11 h 30, disons que, moi, ça va me
prendre le consentement des partis pour dépasser l'heure prévue, c'est-à-dire
13 heures. Alors, est-ce que j'ai le consentement pour dépasser
13 heures?
Des voix : Consentement.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, il y a consentement. Allez-y.
Mme Weil : Merci
beaucoup. Oui. Alors, votre
expérience, pour revenir, M. le
président, votre expérience de
pédiatre. On entend, bon, un malaise. Le ministre a donné la situation qui
pourrait causer un malaise.
Mais je tiens
à corriger une chose pour le ministre : si on lit le rapport du Conseil du
statut de la femme par rapport aux
crimes d'honneur, ils disent : C'est culturel, il faut faire attention.
Et, comme on a vu dans la famille Shafia, il n'y avait aucun signe religieux, et ça, c'est une mise en
garde qu'ils font : il ne faut pas mêler crimes d'honneur avec la
religion.
Une voix : …
Mme Weil :
Non, mais «culturel», c'est très important. Bon. Alors, je dis ça parce que
j'ai lu leur rapport que j'ai trouvé phénoménal.
Mais donc je
veux revenir par rapport à cette notion des enfants puis des éducatrices qui
nous ont dit : Bon, on peut les exposer à la diversité, et la
capacité de l'enfant de discerner.
M.
Goldbloom (Victor Charles) :
Le droit le plus fondamental de l'enfant écolier, c'est d'être préparé à
faire face au monde. Bannir l'identité
religieuse de l'école, c'est cacher à l'enfant la réalité du monde et donc de
le préparer mal
à rencontrer cette diversité qu'on ne peut lui cacher à la porte de l'école.
Alors, je suis d'accord. J'ai été consulté de façon fort limitée, mais
quand même j'ai participé au débat sur le dessein du nouveau programme aux
écoles sur la diversité religieuse. Et je pense que c'est une réalité que l'on
doit continuer d'enseigner aux enfants.
Mme Weil : Merci. Merci, M.
le Président.
Le Président (M. Ferland) :
Est-ce que vous avez d'autres… La députée de Bourassa-Sauvé. Allez-y, vous avez
la parole.
Mme de Santis :
Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation et pour votre mémoire.
Moi, j'aimerais vous poser une question que le ministre pose très
souvent. On sait qu'on ne peut pas afficher des signes politiques, d'allégeance politique si on est membre… si on est
fonctionnaire ici, au Québec. Alors, si on ne peut pas afficher un signe
politique, pourquoi on devrait être capable
d'afficher un signe religieux? Est-ce que c'est la même chose? Si c'est
différent, pourquoi c'est différent?
M.
Duhaime
(Jean) : Moi, j'aurais une réponse assez spontanée là-dessus : si
j'étais fonctionnaire de l'État, ce que je ne suis pas, je serais au service d'un gouvernement qui a une
appartenance politique claire. Si je ne suis pas de cette appartenance
politique là puis que je l'affiche explicitement, là je peux, je pense, miner
la crédibilité du citoyen qui va venir me voir puis qui ne sera pas sûr qu'il a
vraiment le service de l'État.
L'État est
neutre. Comment est-ce que l'affichage d'un signe religieux peut dire au
citoyen qui est face de moi que j'ai
un parti pris plutôt qu'un autre? L'État n'a pas de religion. Alors, si on veut
comparer les choses, il faut comparer des pommes avec des pommes, des
oranges avec des oranges, là. Un fonctionnaire, il est au service d'un État.
L'État est mené par un gouvernement qui a
une allégeance politique. Et il faut que le fonctionnaire soit neutre et ne
manifeste pas son allégeance à lui. Il est au service de l'État. Bon.
Mais l'État n'a pas de religion.
M.
Goldbloom (Victor Charles) :
Ce qui compte, c'est le comportement. Ce que l'on porte est moins
important que la façon de laquelle on
s'exprime, on communique avec des gens. Si on a un parti pris et l'on cherche à
en convaincre le public, c'est autre chose que d'avoir une
responsabilité professionnelle pour l'enseignement ou pour la gestion de la
chose publique.
Mme
Rollert (Diane) : Et moi, je vois que cette loi ne va pas mettre les
choses vraiment neutres. Parce que vous êtes habillés comme vous êtes dans votre tradition, mais votre
tradition, c'est la tradition, c'est la norme ici, au Québec. Et, pour une personne qui porte le voile, qui porte la
kippa, c'est leur identité personnelle, ce n'est pas leur politique.
On peut porter le voile mais avoir des politiques différentes. C'est tellement
difficile à exprimer, mais je pense que…
Une voix : …English.
Mme Rollert
(Diane) : Thank you. It may be better for me to just try to explain this. You have a
certain way of being and expressing
yourselves here, so for you it's OK to wear a small cross, and this law says it's OK to wear a small
cross. But that's the way that you express yourselves, that's your culture, and
I, as somebody coming and being served in the Government, when I see you…
Le
Président (M. Ferland) : …parce que, le temps étant écoulé pour la partie de l'opposition officielle, je dois aller du
côté de la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, M. le Président. Merci, madame, messieurs, merci d'être là. Écoutez, je
voudrais profiter du fait que vous aviez commencé une question pour vous
laisser vous exprimer. Please go on with what you just
started.
Mme
Rollert (Diane) :
So, for me, if I am being served by you and you are wearing a small cross, that
still says to me
that you are of a particular tradition, but that doesn't have any effect on how
you're going to serve me. But this law does
not make… what you're proposing does not actually create neutrality nor does it
create equality between men and women
because you are privileging certain groups of men and certain groups of women
over others. And so I don't see how…
What I'm trying to understand with this law is how would it actually do what
it's claiming it wants to do. When you announced… when the law was
announced, this entire building was decorated for Christmas. How is that a
neutral State? I don't understand. Please
explain to me why that is different from your desire to take away a hijab from
a woman and why, if she takes away
her hijab… Is that going to liberate her? No, because we know that what
liberates women is their access to equal education, to public
expression, to employment. And you're going to take away their employment. That
isn't going to fix things.
So I'm trying to understand how
this law is going to actually create what it claims it's going to create.
Mme Roy
(Montarville) : Parfait. Je vous ai bien comprise. Maintenant,
j'aimerais vous amener — j'ai peu de temps — sur la cohésion sociale. À la dernière page
de votre mémoire, vous dites, pour le bénéfice de nos téléspectateurs qui vous écoutent : «Enfin, nous éprouvons un
sentiment fort troublant. Le gouvernement présente son projet de charte comme instrument de
cohésion sociale. Il affirme avoir une majorité de son côté; mais, si cela est
vrai — et, en
tout respect, nous n'en sommes pas convaincus — cette
majorité ne dépasse que de très peu la moitié de notre population. Et l'opposition ne se limite pas aux minorités
ethnoreligieuses, loin de là. La cohésion sociale, que nous souhaitons
tous, dont nous avons tous besoin, n'est clairement pas à ce rendez-vous. Et
elle nous manquerait dangereusement si une telle législation ne ralliait pas un
consensus massif.»
Alors, ma
question : Que craignez-vous qu'il advienne à notre cohésion sociale si le
projet de loi était adopté tel quel, sans modification?
M.
Goldbloom (Victor Charles) :
Nous craignons, entre autres choses, une discrimination que la loi est
supposée ne pas permettre. Mais voilà que,
comme vient de le dire Mme Rollert, il y a des femmes qui se trouveraient
désavantagées par rapport aux hommes de la
même religion. L'inverse est vrai dans certaines religions. Et le débat qui se
déroule depuis un bon moment déjà sur ce projet de loi démontre des
dissensions assez profondes, assez intenses. Et nous avons voulu, par notre présentation, être calmes et objectifs,
exprimer notre point de vue, mais nous regrettons les tensions qui
existent dans notre société autour de ce projet de loi.
Le
Président (M. Ferland) : …parce que, le temps de parole de la
députée de Montarville étant écoulé, je cède maintenant la parole au
député de Blainville.
• (12 h 20) •
M. Ratthé :
…M. le Président. Mme Rollert, M. Duhaime, M. Goldbloom, c'est un honneur de
vous recevoir avec nous ce matin. Je
vais profiter du fait que vous représentez sept Églises, la communauté... On n'a pas souvent l'occasion de parler à des gens qui représentent l'Église en tant que telle. C'est un bel apport que vous nous apportez. Dans sa forme actuelle, le projet de loi évidemment
n'interdira pas le port de... le port de signes religieux, pardon, dans
l'espace public. Les gens vont
pouvoir pratiquer effectivement leur religion aussi dans leurs communautés, au
sein de leurs familles, dans les lieux de culte. Le projet de loi
interdirait le port dans... lors des heures de travail, au niveau de la fonction
publique.
Vous nous dites,
et je vais vous lire rapidement, que
«la neutralité et l'objectivité se situent dans le coeur, dans la tête [...] dans la formation [et] pas dans la
tenue vestimentaire». Alors, vous êtes une personne d'église. Est-ce qu'on
ne peut pas dire la même chose de la foi?
Est-ce que la foi se traduit obligatoirement par le port de signes religieux?
Est-ce que la foi ne pourrait... Est-ce qu'on ne pourrait pas répondre
la même chose et dire : La foi se situe dans le coeur, dans la tête et pas
nécessairement par le fait qu'on arbore des signes religieux?
Mme
Rollert (Diane) : C'est
vraiment personnel, la foi. Et, dans certaines religions, c'est un choix
personnel, pourquoi on porte un signe. Et on ne peut pas le laisser à côté
pendant la journée. Et je pense que, pour vous ici, chez beaucoup de Québécois, c'est difficile de
comprendre parce que le port de signes religieux fait partie de la hiérarchie
de l'Église catholique. Mais, dans les autres confessions, c'est vraiment
personnel et c'est un choix personnel. Et c'est ça que je pense.
M.
Goldbloom (Victor Charles) :
Ma réponse à votre question est nettement oui. Et je me suis cité en
exemple, je n'affiche pas mon appartenance
religieuse. J'ai des coreligionnaires pour qui cette appartenance doit être
manifestée par le port, notamment,
d'une calotte. Mais on revient toujours à notre principe que la neutralité, la
qualité humaine, c'est dans le coeur, c'est dans la tête, ce n'est pas
dans ce que l'on porte sur soi.
Une voix : M. Duhaime.
M. Duhaime
(Jean) : …un bref
commentaire là-dessus : les signes religieux ont une histoire et ils
appartiennent aussi à des cultures. Puis, si
on ne comprend pas ça, on peut essayer d'imposer un principe universel, le «one
size fits all», là, pour la religion, ça ne fonctionnera pas. Parce que
des groupes religieux… On parle de diversité dans le judaïsme, par exemple. On
en a un bel exemple au Québec. Il y a des groupes religieux pour qui c'est
essentiel d'afficher son appartenance religieuse extérieurement par des règles
qui sont codifiées depuis des siècles. Remettre ça en question, c'est remettre
en question pas juste un vêtement, c'est remettre en question l'essence même de
la religion pour cette personne-là. On parle
d'orthopraxie dans certaines religions, c'est-à-dire que la pratique est aussi
importante que la foi.
Le Président (M. Ferland) :
Je dois arrêter parce que je dois céder la parole à la députée de Gouin pour la
dernière partie, c'est-à-dire trois minutes d'échange avec les représentants du
groupe. Allez-y.
Mme David :
Merci, M. le Président. Madame, messieurs, merci d'être là. C'est extrêmement
intéressant. Moi, j'aimerais que vous
répondiez à la question que le ministre a posée tout à l'heure. Vous n'avez pas
eu le temps de répondre. Et pourquoi j'aimerais que vous répondiez à
celle-là? C'est parce que c'est en train de devenir l'argument massue pour certains en faveur de l'interdiction du port
de signes religieux, c'est-à-dire l'exemple concret, classique : la
jeune fille de 14 ans… ou le jeune homme de
14 ans, disons, qui découvre son homosexualité, qui est musulman, qui veut en
parler, mais la travailleuse sociale de son
école est musulmane et porte le voile. Va-t-il, oui ou non, être à l'aise
d'aller lui parler?
M. Duhaime
(Jean) : Moi, j'ai été dans le domaine de l'éducation pendant 40 ans.
En général, je vous dirais, dans mon
expérience, ce n'est pas toujours le travailleur social ou la travailleuse
sociale qui a reçu les confidences de la personne dans des situations
semblables. Des fois, c'est un professeur d'histoire ou un professeur de
français. C'est un
adulte significatif qui sera capable d'un discernement qui sera capable
éventuellement d'orienter la personne vers un autre travailleur social
ou une autre travailleuse sociale s'il estime qu'il peut y avoir un problème.
Je
crois aussi que, pour certaines personnes, la situation inverse est
vraie : il y a des gens qui vont aller vers une personne qui affiche son appartenance religieuse
ou qui affiche son identité, puis pour eux c'est significatif, ça les met en confiance, à tort ou à raison,
hein? Alors, c'est un argument qui est à manipuler avec précaution, comme tout
ce qui est religieux.
Mme
David : Mais, si je
vous comprends bien, vous admettez donc, quand même, que, oui, pour
certains jeunes, cette situation-là
peut créer un malaise et que, donc, le jeune ou la jeune va peut-être
aller chercher un autre adulte — puis ce n'est pas ça qui manque dans les écoles — pour lui parler. Vous acceptez quand même
cette idée que, dans certaines situations particulières, il peut y avoir
malaise.
M. Duhaime (Jean) : Bien, il peut y avoir un malaise pour toutes sortes de raisons par rapport à toutes sortes de personnes
dans un milieu, là. Ça n'a rien à voir avec l'affichage d'un signe religieux
plutôt qu'autre chose. Un enfant, un jeune, dans la situation que vous
décrivez, il pourrait être aussi mal à l'aise avec une travailleuse sociale qui
aurait un anneau dans le nez.
M. Goldbloom (Victor Charles) : Madame, permettez-moi d'ajouter : La société
dans laquelle j'ai grandi était cloisonnée et remplie de préjugés. Si
l'on appartenait à une religion minoritaire, notamment la mienne, on ne pouvait
accéder à certains postes dans la fonction publique, par exemple. Avant mon arrivée en 1970, il n'y avait jamais eu
une personne de ma religion qui a siégé au Conseil des ministres du Québec. Donc, vous comprenez l'allergie que
j'éprouve à l'endroit de toute distinction de nature religieuse. Excusez ma
franchise.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, c'était tout le temps, le temps étant écoulé. Alors, je tiens à vous
remercier pour le temps que vous avez pris pour préparer le mémoire, ainsi que
votre présence ici pour le présenter.
Je vais suspendre
quelques instants afin de permettre aux représentants du Centre universitaire
de santé McGill à prendre place.
(Suspension de la séance à 12 h 27)
(Reprise à 12 h 30)
Le Président (M.
Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux.
Nous
recevons maintenant les porte-parole du Centre universitaire de santé McGill en vous
mentionnant que vous disposez de 10
minutes pour présenter votre mémoire, suivies d'un échange avec les groupes
parlementaires. Alors, je vais vous demander de vous présenter, ainsi
que les personnes qui vous accompagnent. La parole est à vous.
Centre universitaire de
santé McGill (CUSM)
M. Abraham (Peter) : M. le Président, M. le
ministre, Mmes et MM. les députés, au
nom du CUSM, j'aimerais vous
remercier de votre invitation à venir présenter devant les parlementaires. Je me nomme Peter Abraham et je suis membre du conseil d'administration du Centre universitaire de santé McGill.
Je suis accompagné de Normand Rinfret, notre
directeur général, qui présentera l'essentiel de notre position.
Nous profitons aussi de la présence du Dr Pramod Puligandla, président du Conseil des médecins, des dentistes
et des pharmaciens, et de Mme Sophie Baillargeon, présidente du Conseil des infirmières et infirmiers, qui pourront
répondre aux questions sur l'impact de la charte sur la fourniture des
soins, sur la recherche et sur l'enseignement au sein du CUSM. D'ailleurs,
j'aimerais déposer un document provenant du Conseil des infirmières et
infirmiers du CUSM.
Le
CUSM est l'un des chefs de file des centres universitaires de santé à
l'échelle mondiale. Il est né de la plus grande fusion volontaire de six hôpitaux.
Nos établissements sont reconnus pour la qualité exceptionnelle des soins
centrés sur les besoins des patients et de leurs familles. Au cours des deux
dernières années, le CUSM s'est transformé de manière significative. La
gouvernance a été grandement améliorée. Nous avons aussi accru la transparence
tant à l'interne qu'à l'externe afin que
notre communauté soit au courant de nos décisions ainsi que de notre
performance. Le C.A. a d'ailleurs
porter une attention particulière sur la performance financière et clinique de
l'institution. Nous sommes fiers
d'affirmer que nos résultats sont, à ce jour, meilleurs qu'anticipés et que
nous respecterons l'atteinte du déficit zéro en 2014‑2015. Nous avons réalisé ce redressement tout en maintenant les
volumes et la qualité des soins à la population. Nous sommes fiers de la diversité de notre
main-d'oeuvre, des patients et de leurs familles. Notre engagement est de
fournir un milieu de travail harmonieux et
respectueux et d'offrir des soins de qualité à tous, indépendamment de
l'origine ethnique, de leur langue, de leur religion ou de leur sexe.
Finalement, pour préparer notre mémoire, nous
avons consulté la communauté du CUSM. Le conseil d'administration a
participé aux discussions entourant le mémoire et entériné le consensus voulant
que la charte va à l'encontre de notre mission, de nos valeurs et
qu'elle essaie de résoudre un problème qui n'existe pas dans nos établissements.
Pour ces raisons, nous croyons que le projet de loi devrait être retiré.
Je passerais maintenant la parole à Normand
Rinfret, notre directeur général, qui vous expliquera plus à fond notre position.
M.
Rinfret (Normand) : Merci,
M. Abraham. M. le Président, le projet
de loi n° 60 a défrayé les manchettes dans l'ensemble du Québec au cours des derniers mois. Il en a aussi été un,
sujet de préoccupation, au Centre universitaire de santé McGill, le CUSM. En effet, la charte a
alimenté les conversations au sein de nos conseils, chez nos syndicats,
au conseil d'administration et parmi nos professionnels de la santé qui sont en
première ligne.
À plusieurs
égards, le projet de loi n° 60 touche directement notre organisation. Il y
a un impact à l'égard de nos valeurs et de notre mission tout en
constituant une menace pour nos activités quotidiennes et pour notre réputation
internationale si durement gagnée. Nous
opérons un centre universitaire de santé ayant la responsabilité d'offrir des
services à une partie importante de la
population du Québec. Le CUSM dispense des soins de pointe, ce qui implique
souvent des traitements et des façons de procéder d'avant-garde et
complexes. Bien que les activités du CUSM nécessitent des technologies de
pointe et des installations spécialisées, ce dont notre institution a vraiment
besoin pour fonctionner efficacement est son
personnel, c'est-à-dire des personnes très qualifiées, bien formées, de calibre
supérieur. Parmi ces personnes
figurent des médecins, des infirmières, des professionnels de la santé, des
techniciens, du personnel de soutien, des scientifiques et bon nombre
d'autres personnes jouant un rôle de premier plan.
Notre force
réside dans notre capacité à recruter et à retenir des employés qualifiés,
compétents et motivés. Dans un environnement mondial de plus en plus
concurrentiel, le projet de loi n° 60 dresse des obstacles importants sur
notre route. Il y a fort à parier que nous
allons perdre des employés qui choisiront d'aller travailler à l'extérieur du Québec plutôt que
de renoncer à la possibilité d'afficher des symboles religieux. D'autres
personnes qui ne sont pas religieuses ont déclaré
qu'elles ne resteraient pas au service d'une organisation qui imposerait le
respect de cette loi. Soyons clairs, le CUSM respectera la loi du Québec, mais il faut noter que le bassin
d'employés potentiels dont nous disposons va aussi diminuer, du fait de
l'élimination des personnes portant des vêtements ou des symboles marquant leur
appartenance religieuse. Notre main-d'oeuvre
ne provient pas seulement du Québec ou du Canada, mais aussi de par le monde.
Nous recrutons à l'échelle de la planète
dans le but d'attirer ici les meilleurs dans leur domaine en partie dans le but
de pourvoir des postes pour lesquels il n'existe pas suffisamment de
Québécois qualifiés. Dans le secteur des soins de la santé, il y a, malheureusement, une pénurie de main-d'oeuvre
qualifiée dans diverses disciplines, qu'il s'agisse de certains médecins
spécialistes, de certains chercheurs de pointe, d'infirmiers ou d'infirmières,
d'inhalothérapeutes ou des spécialistes en
imagerie médicale, pour n'en mentionner que quelques-uns. Il n'est pas facile
d'attirer du personnel dans ces domaines. La concurrence est vive, et
nous devons être en position de force lorsque nous faisons du recrutement.
Le projet de
loi n° 60 va nous affaiblir. La perception de la société québécoise qui a
toujours été reconnue comme étant
ouverte et accueillante va changer. Pour bon nombre de personnes, il ne sera
plus aussi attrayant de travailler ici.
Lors de la
rédaction de notre mémoire, nous avons effectué un sondage auprès des membres
de notre collectivité afin de
connaître leurs points de vue. Les conseils représentant nos médecins et nos
infirmières se sont prononcés contre la
charte. Nos comités de patients sont contre la charte. Les sections locales de
nos syndicats — CSN,
APTS, FIQ — dénoncent
aussi la charte. Nous avons invité toutes
les personnes qui le désiraient à nous faire part de leurs commentaires.
Quelque 250 membres de notre collectivité
ont pris le temps de nous faire connaître leurs opinions. 93 % d'entre eux
s'opposent vivement au projet de loi tel que libellé. Permettez-moi de vous
lire ce que nous a écrit l'un de nos médecins : «Je ne suis pas certain que nous pourrions continuer à
travailler dans une telle province. Il est fort probable que ma femme,
qui enseigne aussi à McGill, et moi
commencions à préparer notre famille à quitter le Québec. Ma femme et moi
sommes tous deux agnostiques, en conséquence aucun de nous n'aborde de symboles
religieux.» Il s'agit d'un message que bon nombre de nos employés nous ont
transmis. D'autres membres du personnel nous ont clairement indiqué qu'ils quitteraient
le CUSM le jour où l'hôpital congédierait une personne parce qu'elle porte des
vêtements ou des bijoux marquant son appartenance religieuse.
Le message
que l'on nous envoie est que, si le projet de loi n° 60 est adopté, les
employés du CUSM s'attendent à perdre des collègues ou ont eux-mêmes
l'intention de trouver du travail ailleurs.
J'aimerais
rappeler que nos activités ne se limitent pas aux soins offerts aux patients,
bien que ce volet soit au coeur de
notre mission. Le CUSM est également un établissement d'enseignement qui offre
des programmes de formation à tous les
types de professionnels de la santé. Le projet de loi n° 60 réduirait le
bassin de personnes où nous puisons nos stagiaires. La recherche
constitue également une composante importante de notre mission. Le CUSM abrite
le deuxième institut de recherche en importance au pays. Nous participons à des
projets multidisciplinaires…
Le Président (M. Ferland) :
…pour conclure.
M. Rinfret (Normand) : Pardon?
Le Président (M. Ferland) :
Une minute pour conclure, environ. Allez-y.
M. Rinfret (Normand) : D'accord, je
suis à ma conclusion, à peu près.
Nous
participons à des projets multidisciplinaires, à l'échelle de la planète, dans
60 villes réparties dans 35 pays et
sur six continents. Les avantages financiers liés à ce rayonnement
international sont considérables pour le Québec. Par exemple, le montant
des bourses est passé de 85 millions de dollars en 2008 à
170 millions de dollars l'an dernier. Il est
aussi important de souligner que les soins de santé offerts au Canada et au
Québec jouissent d'une très bonne réputation sur la scène internationale, ce qui nous offre des possibilités de
partager notre savoir-faire et notre expérience avec d'autres parties du monde, en ce qui permet de conséquence…
à notre système de santé d'avoir accès à des ressources additionnelles.
Ici, le projet de charte compromet cette situation.
• (12 h 40) •
En terminant, j'aimerais partager une
deuxième réflexion avec vous. Le
projet de loi n° 60 va avoir une incidence défavorable sur les soins de santé offerts aux Québécois.
Avec tous les efforts que nous déployons constamment pour améliorer ces soins, nous nous questionnons
à savoir si le gouvernement a anticipé une réponse aussi négative à son
projet de loi par les communautés minoritaires du Québec et les répercussions
négatives que tout ceci pourrait avoir sur l'amélioration continue des soins de santé québécois.
Permettez-moi de
préciser que le CUSM n'accorde aucune importance à la clause relative à l'exemption
que comporte le projet de loi n° 60.
Nous ne prévoyons pas demander d'exemption. À notre avis, le projet de loi
n° 60 devrait être retiré. Je
vous remercie de m'avoir offert la possibilité de prendre la parole devant vous
aujourd'hui, et nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci pour votre présentation.
Excusez. Alors, je cède maintenant la parole à M. le ministre.
M. Drainville :
Merci, M. le Président. Merci pour votre mémoire et votre présentation.
Je
vais aller tout de suite dans le vif du sujet parce que, malheureusement, on a
un petit peu moins de temps qu'on avait
prévu. Vous dites, à la page 8 de votre mémoire : «Nous n'avons pas reçu
de plaintes de patients quant à quelque manquement à nos obligations en matière de neutralité. Nous n'avons pas
éprouvé de difficultés liées à des demandes d'accommodements
raisonnables. À notre avis, il n'y a pas de problème.» Et pourtant on a
beaucoup, beaucoup d'indications très
claires qu'il y a régulièrement, dans notre système de santé, des demandes
d'accommodement religieux. La FIQ
notamment, le plus grand syndicat d'infirmières, dans un sondage réalisé auprès
de ses membres, révélait que 55 % des infirmiers et infirmières,
surtout, disaient recevoir des demandes d'accommodement pour motifs religieux de la part de patients et de patientes. Selon la
fédération, je cite : «…ce pourcentage élevé vient confirmer notre
prétention à l'effet que les demandes
d'accommodements sont, contrairement à ce que les gestionnaires peuvent dire,
relativement nombreuses.» Dans le même
sondage, 35,8 %, grosso modo le tiers, des demandes d'accommodement pour
motifs religieux sont référées à
l'équipe de soins, c'est ce que disait le sondage; à peu près le tiers, référé
à un supérieur immédiat. La FIQ avait
également évalué, dans un précédent sondage qu'elle avait dévoilé dans son
mémoire à la commission Bouchard-Taylor,
des données qui étaient de même nature. Donc, il y avait des demandes
d'accommodement, certaines demandes d'accommodement même qui pouvaient,
dans certains cas, remettre en question la santé du patient ou mettre en péril
les soins à lui prodiguer.
Alors,
première question, M. Rinfret : Est-ce que vous en avez, des demandes
d'accommodement religieux? Et, si oui,
parce que vous dites que vous n'avez pas de problème avec les demandes
d'accommodement, mais vous ne dites pas que vous n'avez pas de demande d'accommodement… Alors, est-ce que vous
en avez, des demandes d'accommodement religieux? Et, si oui, comment les
gérez-vous?
M. Rinfret (Normand) : Dans un centre hospitalier comme celui du Centre
universitaire de santé McGill, qui est un
centre académique, je vais vous dire, avec la clientèle qu'on a, c'est évident
qu'on a énormément d'accommodements à donner
dans une journée, dans une semaine, dans un mois. Ce que le mot «problème» ici
indique, c'est qu'on n'est pas dans une
situation où on considère qu'on a eu des plaintes ou qu'on s'est retrouvés dans
des difficultés qu'il était problématique de pouvoir trouver des accommodements aux gens. Puis c'est de là qu'on
se pose la question : Pourquoi, à ce moment-ci, avons-nous un
projet de loi, qui vraiment nous porte dans une situation de dire : Il y
aurait eu des problèmes? Le mot «problème»
ici, c'est en relation directement avec le concept de la notion de dire :
Est-ce que ça nous cause problème de donner des accommodements? La
réponse, c'est non.
Je
pense, je peux vous passer Mme Baillargeon qui est infirmière. Elle va vous
donner des exemples : combien de fois
dans un épisode de soins, dans un… Même avec les travailleurs, on est obligés
de faire des accommodements. Ça fait partie de la vie d'un centre
hospitalier académique.
Mme Baillargeon (Sophie) : Oui. Merci, M. le Président. Cette diversité-là,
elle représente la culture même du CUSM où la différence, chez nous, est
plutôt une richesse qu'un désavantage.
Peut-être
que je pourrais vous donner quelques exemples bien concrets d'accommodement que
l'on doit faire de façon régulière.
Par exemple, un patient inuit avait besoin… il fallait s'assurer qu'un objet
spécifique soit toujours à la tête de
son lit parce que pour lui ce que ça représentait… ça pouvait assurer une bonne
chasse à ses fils lors de son
absence. Et ça, c'est une réalité que nous avons.
Nous travaillons avec
le RUIS McGill et donc nous desservons cette population au Québec. Une autre patiente d'origine asiatique, dont la numérologie
est importante, demandait si c'était possible de ne pas avoir
une chambre avec le chiffre six, par exemple. D'autres… des parents de religion juive orthodoxe dont… ils ont un
enfant aux soins intensifs pédiatriques et, lors du sabbat, ne peuvent
pas toucher certains appareils, ne peuvent pas faire certaines activités;
alors, par exemple, ce qu'on fait dans ce temps-là, c'est qu'on
leur dit : À telle heure, chez vous, on vous appelle, vous écoutez
le répondeur et on vous donne l'information sur l'état de santé de votre
enfant. Ou, que ce soient des hommes, des
femmes, Caucasiens, laïques et qui demandent : J'aimerais qu'un homme me
lave… mais aussi d'autres hommes vont aller dire : Je ne veux pas
qu'un homme me lave, je ne suis pas gai.
Alors, tout ça, c'est
pour vous dire que…
M. Rinfret
(Normand) : Je ne suis pas gai, alors, en conséquence, je veux qu'une
femme…
Mme
Baillargeon (Sophie) :
…qu'une femme me lave. Alors, tout ce que ça représente, c'est qu'il faut
vraiment avoir une approche holistique avec
toutes les situations. C'est ainsi qu'on va vraiment
avoir une approche centrée sur le patient
et la famille. Ça va contribuer à la santé de ces patients et de leurs
familles et ça va donner le rôle actif aux patients dans
leur situation de santé. Donc, c'est avoir une ouverture, et ça représente vraiment
la culture.
M. Rinfret (Normand) : Et, finalement,
ce que je voudrais dire, c'est qu'au centre de santé McGill on essaie vraiment
de prendre en considération la personne parce que c'est la personne qu'on
dessert. Et, dans toutes sortes de situations, la personne nous arrive avec des
opinions, des pensées, des besoins qui sont différents, et les cliniciens, comme au
niveau administratif, on est obligés de prendre compte de ça et d'accommoder
les gens. Mais de là à ce qu'on ait des plaintes… on n'en a pas.
M.
Drainville : Disons,
là, qu'un patient dit : Je ne souhaite pas être soigné par une femme,
j'exige d'être vu par un médecin homme. Est-ce que vous accommodez?
Mme
Baillargeon (Sophie) :
…situations comme celles-là, s'il y a une possibilité, parce qu'il y a une
diversité, s'il y a une possibilité, c'est
quelque chose qu'on peut faire. Mais, si la situation fait que c'est
impossible, à ce moment-là on explique la situation et à ce moment-là on
ne peut pas le faire. Donc, on ne fera pas des accommodements qui vont affecter les autres patients ou qui vont apporter
des inégalités. Alors, c'est quelque chose que l'on vit régulièrement
dans des soins intensifs ou d'autres milieux de médecine.
Alors, nous
essayons, dans la mesure du possible, de répondre à ces accommodements. Si
c'est impossible, nous avons une discussion avec la famille et le
patient.
M.
Drainville : O.K.
Donc, vous êtes d'accord pour qu'un patient demande à être soigné par un
médecin ou une infirmière du sexe
qu'il souhaite. C'est-à-dire, de demander à être soigné par un médecin homme,
ou un médecin femme, ou une infirmière
femme ou un infirmier, vous êtes d'accord pour que le patient demande ça et,
dans la mesure du possible, vous accommodez ces demandes-là.
Mme Baillargeon
(Sophie) : Alors, ce qu'on
essaie de promouvoir, c'est justement… c'est l'écoute et de regarder la
diversité et la spécificité de chacune des situations de santé que l'on
rencontre, et cet aspect-là…
M. Drainville : …c'est oui.
Mme Baillargeon (Sophie) : …fait
partie…
M. Drainville : La réponse,
c'est oui, Mme Baillargeon.
M. Rinfret
(Normand) : La réponse,
c'est bien oui. La réponse, au niveau de la philosophie de
l'organisation, c'est bien oui et c'est ça
qui est important. Parce que, quand vous demandez un service particulier dans
un environnement hospitalier… Puis là
je ne parle pas, là… vous voulez avoir un repas x versus un repas y, quoique
pour certaines religions on est capables de s'organiser en conséquence.
Mais, quand il y a des choses où est-ce que les gens nous arrivent…
Je vais vous
donner un exemple, M. le ministre. Je vous donne l'exemple des bouddhistes qui
décident qu'on ne peut pas toucher au
corps d'une personne qui vient de décéder, pour un montant de sept heures après
le décès. Nous, on tourne les lits,
là. Puis vous connaissez la pression dans notre environnement, là, c'est :
une heure, une heure et demie, là, il faut
que le lit ait tourné parce qu'il faut être capables de monter quelqu'un de
l'urgence. Mais, dans un cas comme ça, on a trouvé une façon de s'organiser avec les membres de la famille, puis on
l'a fait à plusieurs reprises, avec la communauté pour être capables de dire : On va trouver
une pièce dans l'environnement du plancher où la personne est puis on va
tout simplement déplacer, et les gens ont
accepté. Mais, je veux dire, leur première demande, c'était : Non, on ne
vide pas la chambre. Mais, de passer à un coin un petit peu plus loin,
ils ont accepté.
Des
accommodements, je veux dire… ça fait 35 ans que je travaille dans le milieu de
la santé. J'ai été directeur des ressources humaines durant pas loin de
12 ans. Avec les employés, dans l'environnement où on est, au Centre universitaire de santé McGill, c'est
constant, et il faut s'entendre entre nous. Et, le projet de loi, je vais vous
dire ce qu'il me cause comme problème. C'est
que, quand il arrive aujourd'hui, dans l'agenda actuel du milieu de la santé,
quand on regarde tout ce que le
gouvernement fait au niveau des projets d'optimisation, l'ouverture des
nouveaux centres du CHUM et du CUSM, qui sont extraordinaires pour la
réputation du Québec, pour l'avancement de notre connaissance, pour l'investissement qu'on a décidé d'y faire… Pourquoi
nous lancer ce projet de loi là dans nos pattes?
• (12 h 50) •
M.
Drainville : Il me
reste vraiment très peu de temps, là, mais je veux qu'on parle du port des
signes religieux parce que c'est un des éléments les plus importants de
votre mémoire.
Je vais
procéder à la lecture d'un extrait d'un article paru dans le Journal of
Medical Ethics, qui est un journal britannique, et qui porte
justement sur la question des signes religieux et je vais le lire en anglais,
là. Et ça résume, pour l'essentiel, notre position sur la question des signes,
en particulier par rapport au système de santé, O.K.?
«One of the uncontroversial hallmarks of professionalism is that it
requires the professional to act in an impartial, unbiased manner. This, arguably gives us the first
clue as to why health care professionals should refrain from displaying
symbols in their offices advising patients of the professionals' private lives'
religious, [...]political, sexual, or other affiliations. It is common knowledge that one of
the central features of the doctor-patient relationship is trust.
Patients' trust in their doctors' professional integrity and impartiality is a
necessary condition for honest disclosure of, for instance, embarrassing and
potentially compromising information a patient might need to disclose during
the consultation. Say, if in today's South
Africa a patient should disclose unsafe sexual encounters with various people
whose HIV status is unknown to him or
her in order to assist a prudent risk-assessment and diagnosis, clearly the
display of religious symbols in the consultation room is likely to prevent full and frank disclosure.
After all, both Islam and Christianity tend to frown upon sexual behaviour outside the marital context. If a
doctor displays these ideologies' symbols in her rooms, patients have reason to be reluctant to disclose what they have
actually done, in order to avoid a potential moral judgment by the
doctor. As a foreseeable consequence the primary objectives of health care are
defeated by a narrow non-professional desire of the doctor to let patients know
about an entirely private matter, namely his or her religious preferences.
«Women in need of professional advice
regarding pregnancy testing, abortion, and birth control have reason to be reluctant to disclose
relevant information to doctors displaying paraphernalia of religions critical
of [a] birth control — such as, for instance, Catholicism. Of course, a
professional would not allow her personal preferences to interfere with
any advice rendered, but confronting
patients with information about these preferences in the consultation room is
likely to interfere negatively with
the interrogation and conversation taking place between the health care
professional and the patient.»
Et l'article continue : «Similarly, gays and lesbians are known to
be reluctant to see doctors due to concerns about these professionals' responses to their sexual
orientation.Some of these concerns seem confirmed by reported real-world
experiences of such patients when visiting health care professionals — etc.»
Alors, vous comprenez l'essentiel du message, c'est-à-dire que le port de signes religieux peut être perçu de toutes sortes de façons par le patient qui a recours,
donc, aux services de santé, indépendamment de la volonté de la personne
qui porte ce signe religieux. Et donc je
comprends très bien l'argumentaire que vous soumettez dans votre mémoire et
les craintes que vous exprimez. Et, en
passant, moi, de me faire dire : Il n'y a jamais eu de plainte, pour moi,
ce n'est pas un très bon argument parce que tu n'iras pas te plaindre
contre quelqu'un qui t'a soigné. Et, en général, on est très bien soignés dans notre système de santé. Alors, moi,
l'argument de dire : On n'a pas eu de plainte sur la question des
signes religieux… écoutez, le médecin qui
m'a soigné… l'infirmière qui s'est occupée de moi, là, tu sais, je n'irai pas
me plaindre contre cette personne-là,
là. Mais ça ne m'empêche pas par contre de voir, dans le signe qu'elle porte ou
dans le signe qu'il porte, un certain nombre de choses avec lesquelles
je ne suis pas nécessairement d'accord.
Et donc les droits de
la personne qui travaille dans le système de santé doivent être contrebalancés
par des responsabilités qui viennent avec
ces droits. Et par ailleurs je pense que les patients qui ont recours à notre
système de santé ont des droits eux aussi, notamment la liberté de
conscience. Alors, voilà, en gros, l'argument. Je vous laisse le soin d'y
répondre. Et ce sera, malheureusement, ma dernière question.
M. Rinfret (Normand) : Je vais tenter d'être très court. Mais j'aimerais
tout simplement dire que, dans le milieu de la santé, les plaintes, il faut les encourager. Vous avez entièrement
raison dans ce sens-là. Et je pense que de demander que les organisations de santé voient vraiment à
mettre un profil et une attention particuliers à des sujets comme ceux de
la culture et des religions… je pense que
c'est intéressant. Mais la dure réalité est que le patient qui vient voir un
clinicien a souvent une attente face à son service et que le dialogue avec la
personne même est la meilleure solution. Et je pense que même, quand on voit ce qui est écrit dans la British Medical
Association… À mon avis, ce que ça dit, c'est que c'est évident qu'il n'y a pas… personne d'entre nous
serait prêt à recevoir une piqûre d'une personne qui a le visage caché.
Ça, c'est clair. Mais, une fois ça dit, je pense qu'il faut faire très
attention de la façon dont on approche ce sujet-là.
C'est un changement
majeur que cette loi. Et, nous, ce qu'on dit, c'est : Retirez-la, trouvez
une autre façon d'influencer la population
québécoise. Mais ça, ça va nous créer, au niveau international, recherche,
académique, clinique, soins de santé, des problèmes. Je vais conclure
là-dessus.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci. Maintenant, je vais
aller du côté du parti de l'opposition officielle avec la députée de…
Une voix :
…
Le Président (M.
Ferland) : …LaFontaine ou Notre-Dame-de-Grâce?
M. Tanguay :
…M. le Président.
Le Président (M.
Ferland) : LaFontaine.
M.
Tanguay : En vertu de l'article 214, j'aimerais savoir, M. le
Président, est-ce que c'est le même article qu'a cité le ministre que
celui dont on avait déjà reçu copie.
Le Président (M.
Ferland) : Oui.
M. Tanguay :
C'est un autre…
Le Président (M.
Ferland) : C'est un autre article.
M. Tanguay : Est-ce qu'en
vertu de l'article 214 il peut nous en donner une copie?
Le Président (M.
Ferland) : Alors, M. le ministre.
M. Drainville : On va vous en
faire une photocopie, puis on va vous la faire distribuer.
M. Tanguay : Parfait. Merci.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, on va remettre la copie au secrétariat, on va se charger de
faire les copies pour tout le monde. La parole à la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil : Oui. Merci,
M. le Président. Bonjour, M. Rinfret,
M. Abraham, M. Puligandla et Mme Baillargeon. Juste peut-être pour faire
un suivi, parce que j'écoutais bien les paroles du ministre, on parlait… Puis
c'était très clair dans l'exemple qu'il a
donné du British Medical Journal, c'est «religious symbols in the
office», «religious symbols in the
rooms and paraphernalia». Donc, ce n'est pas «religious clothing», ils font la
distinction. La British Medical
Association had a conference, by the way, c'était le 14 février 2014, où on
leur a dit qu'ils devaient encourager de respecter les religions, notamment le
vêtement religieux, mais évidemment la préoccupation, c'est toujours la
stérilité. Donc, les accommodements qu'ils
font, c'est de s'assurer que c'est stérile. Donc, je voulais vraiment faire
cette distinction, parce que j'ai
bien écouté. Et, le ministre a raison, c'est sûr que, si on va dans un bureau
puis qu'on voit des crucifix partout… Et d'ailleurs je vous dirais que c'est justement… il y a une cause
actuellement, qui est devant les tribunaux, par rapport à cet enjeu-là, devant la Cour suprême. Alors, d'avoir
des symboles religieux dans un environnement, c'est du prosélytisme, c'est considéré comme du prosélytisme, mais le
port de signes religieux ne l'est pas. Je voulais juste amener cette
distinction pour les gens qui écoutent.
Mais, d'après la British Medical Association, c'est la stérilité qui est la
préoccupation, donc ils essaient d'accommoder dans ce sens. Moi, j'aimerais
vous entendre... Vous avez parlé du consensus, parmi tous vos professionnels,
sur l'objection, et je pense que, si je comprends bien, c'est l'objection à
l'article 5, c'est-à-dire cette interdiction mur à mur de porter un symbole
religieux, et votre préoccupation par rapport à la dispensation des soins.
Vous êtes
dans peut-être le secteur le plus névralgique, le plus important de tous les
services qu'un gouvernement doit
donner. C'est vraiment les services de santé qui sont au coeur des préoccupations
de tous les Québécois. Vous, ce que vous
dites, votre crainte, c'est par rapport… premièrement, l'inquiétude, qui règne
actuellement parmi votre personnel, et la perte, c'est-à-dire des gens
qui vous disent carrément que… je ne pourrai rester si cette loi devenait… si
ce projet de loi devenait loi.
Pourriez-vous
élaborer sur l'angoisse que vous ressentez actuellement parmi votre
personnel et le fait qu'ils peuvent quitter et que vous auriez de la difficulté
à rencontrer vos objectifs de services de soins?
• (13 heures) •
M.
Rinfret (Normand) : J'apprécie
beaucoup. Je pense qu'il y a deux éléments à votre question puis je vais
demander d'abord à Mme Baillargeon de parler un peu de la recherche qui a été
faite dans le domaine, où est-ce que, si les
équipes de travail ne s'entendent pas… les incidences que ça peut avoir sur la
morbidité et la mortalité. Et puis, après ça, je vais demander à Dr Puligandla de nous dire un petit peu qu'est-ce qu'est la position
des médecins sur la question du potentiel de leur départ.
Mme
Baillargeon (Sophie) : Oui.
Alors donc, au CUSM, les équipes travaillent
de façon interdisciplinaire et de façon très collaborative et dans une
diversité qu'ils acceptent entre eux et entre nous, finalement.
Et donc, un
tel projet de loi, ce qui est en train de se passer, c'est que ça crée beaucoup
de préoccupations, et les préoccupations
sont plutôt de l'inquiétude que cela va apporter dans leur travail. Et ce qu'on
voit en ce moment, c'est que ça peut affecter, déstabiliser, même un peu
briser cette harmonie que l'on a entre les équipes. Et ce qui arrive à ce moment-là, ça a un impact direct sur les soins et
la qualité que l'on donne aux patients, parce que ce sont des études qui
ont été démontrées à grande échelle, et ça,
ce n'est pas nouveau comme information. Si on n'a pas une bonne
cohésion, une bonne collaboration, une bonne stabilité de travail entre les
professionnels de la santé, il y a une moins bonne communication à ce moment-là
et donc il y a une moins bonne information en lien avec les soins du patient.
Donc, il y a une corrélation directe qui a été mesurée de façon quantitative
dans le passé.
De plus, pour
les infirmières, on entend de plus en plus d'infirmières qui disent : Moi,
si ce projet de loi passe, je quitte, je quitte le Québec. Et il y a
d'autres études qui démontrent que l'impact de ça, c'est que les infirmières
vont avoir plus de patients parce qu'il va y
avoir une pénurie qui va s'intensifier, qui est déjà là, qui va s'intensifier.
Et il y a des études très claires,
quantitatives qui démontrent que, si le ratio augmente… de patients par
infirmière, encore une fois, la morbidité, donc, les problèmes, les
complications que le patient peut rencontrer vont augmenter.
M. Rinfret
(Normand) : Puis j'aimerais
beaucoup demander à notre médecin, qui est le président du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens, de donner un
peu sa position sur justement cette crainte qu'on a : que les
médecins pourraient quitter.
M. Puligandla (Pramod S.) : Alors,
merci pour avoir l'opportunité de vous parler aujourd'hui.
Alors, les
médecins sont liés, par leur serment médical, à ne pas permettre que des
considérations d'âge, maladie, infirmité,
de croyance, d'origine ethnique, sexe ou tout autre critère qui s'interpose
entre notre devoir comme médecins et nos
patients… C'est sûr que nous sommes d'avis que le port de vêtements et de
signes religieux par les employés du secteur de la santé ne nuit aucunement, de quelque façon que ce soit, à la
prestation des soins de santé. C'est sûr qu'avant de venir ici j'ai reçu
plusieurs courriels, des messages des membres de notre conseil, indiquant
qu'ils sont inquiets que la loi soit acceptée. Nous avons toujours un défi dans les ressources humaines
médicales. Donner le choix de travailler dans un environnement moins accueillant où eux-mêmes ou leurs collègues manquent
les droits fondamentaux des individus… plusieurs
vont quitter, surtout si un de ses collègues est congédié parce qu'il porte des
vêtements ou des bijoux marquant son
appartenance religieuse. Cette… n'est pas une menace. L'impact de la charte est
significatif, et je pourrais vous donner un exemple. J'ai une collègue
en hémato-oncologie qui fait de la recherche chez les tumeurs du cerveau en pédiatrie. Sa recherche a gagné plusieurs prix
nationaux et internationaux, et ça changera comment on traite des
cancers du cerveau pour le bénéfice des
enfants au Québec et au monde. Mais elle a fait sa formation en dehors du
Canada. Elle est venue ici à cause de la réputation de McGill et du
CUSM.
Pourquoi
provoquer le départ potentiel des
experts, de chercheurs, des médecins spécialistes avec ce projet de loi? Je ne sais pas si elle quittera ou non. C'est finalement le droit des
médecins, individus et leurs capacités de travailler dans cet environnement
ou non. Mais c'est sûr que notre conseil espère que la loi va être retirée par
la loi, parce que c'est essayer de régler un
problème qui n'existe pas. On est capables de faire le traitement, de donner
des soins essentiels pour tous nos
patients. Et, s'il y a un problème avec la communication, avec notre
jugement ou notre idée, on peut chercher quelqu'un d'autre, un autre
collègue qui peut peut-être donner les meilleurs soins pour nos patients.
Mme
Weil : Vous avez
mentionné que la diversité… évidemment, vous vivez bien avec la diversité, vous
gérez bien la diversité. Est-ce que
vous voyez une diversité croissante? Moi, je dois dire, j'étais dans le réseau
de la santé dans les années 90, et il y avait
beaucoup de fierté dans le réseau de la santé. Je pense,
le réseau de la santé était peut-être
pionnier en matière d'acceptation de
diversité. Mais est-ce que vous voyez qu'il y a une diversité grandissante?
Est-ce que vous voyez que ça se reflète ou est-ce que le CUSM a toujours
été un milieu de diversité?
M. Rinfret (Normand) : Je dois dire que le CUSM a toujours été un milieu
de très, très grande diversité. Quand je dis que, pour être capables de répondre aux besoins de nos patients, il
faut avoir un répertoire d'à peu près… la connaissance de 72 langues… parce que sinon ce qu'on a comme problème,
c'est qu'il y a des gens qui viennent, puis on ne peut pas les servir. Et nous avons un statut qui
nous oblige de servir ces patients-là, et je pense que c'est extrêmement
important qu'on le fasse. Donc, la diversité, pour moi, ce n'est pas quelque
chose vraiment qui grandit, ça a toujours été
là, ça fait partie des fondements. En 1887, le premier hôpital qui a été créé,
le Royal Vic, il y avait justement la liberté de pouvoir traiter les patients qu'il y avait, peu importent leur couleur,
leur religion, leur culture. Ça fait partie des fondements, comme on l'a dit auparavant. Alors, je pense que
c'est important de le noter. Peut-être, je peux demander à Mme
Baillargeon de rajouter quelque chose.
Mme Baillargeon (Sophie) : Oui. Je pense qu'aussi ce qu'on voit grandir, par
contre, c'est une compréhension de ces diversités-là. De multiples
groupes se sont formés… de multiculturalisme, pour mieux comprendre et mieux
communiquer, ouvrir la communication et donc mieux travailler en collaboration
avec les patients et les familles.
Mme
Weil : …j'aimerais vous féliciter. Mon père a pratiqué la
médecine au Royal Vic pendant au moins 40 ans et, je me rappelle, quand j'étais jeune, il me parlait
de cette diversité. Et les cas d'exemple que vous avez donnés comme médecin, ça existait à l'époque. Évidemment, la
diversité était plus concentrée sur certaines cultures ou une
immigration autre que l'immigration qu'on
voit maintenant. Mais j'étais privilégiée parce qu'il nous racontait, comme
enfants, un peu comment on a accommodé ces religions. Donc, comme vous
dites, je pense, c'est une longue tradition, une longue tradition, surtout à
Montréal, on entend les universités le dire aussi.
Moi,
j'aimerais vous amener sur… parce que ma collègue a une question aussi. On
entend beaucoup ici : Vraiment, c'est
l'article 5 qui cause problème et que, l'article 5, beaucoup le voient comme
une rupture avec l'histoire de diversité, l'histoire d'ouverture du Québec et voudraient qu'on mette de côté,
comme parlementaires, l'article 5 et qu'on adopte le reste. Bon. Vous, vous n'avez pas de problème avec
les accommodements, mais nous, on voit bien les balises, moi, je l'avais
proposé, justement, des balises pour encadrer les accommodements. Je l'avais
proposé en 2010. Donc, il y a un consensus ici autour de ça. Pensez-vous qu'il
serait bien de scinder le projet de loi et d'aller de l'avant avec ce qui fait
consensus?
• (13 h 10) •
M. Rinfret (Normand) : Pour nous, en ce moment, ce qu'on dit, c'est
qu'on rejette le projet de loi tel qu'il est présenté. Et, tel qu'il est
présenté, ce qu'on dirait, c'est : Il faut absolument que… et surtout, là,
j'aimerais passer le message : Ne
laissez pas les organisations avoir à poser la question au système juridique de
savoir si, oui ou non, le projet de loi
est légal. Si jamais vous avez une crainte face à ça, je vous demanderais, au
gouvernement, d'aller en Cour d'appel puis de le questionner. Je ne suis pas juriste; mais j'ai l'impression que ça
se fait. On me l'a dit, en tout cas. Ne nous laissez pas le fardeau de
tenter ça. Ne nous laissez pas avec la période de 10 ans. C'est impossible.
Alors, nous, face à
toutes les réactions internes, on a dit : Ça ne fonctionne pas, on rejette
le projet de loi. Maintenant, revenir avec quelque chose de positif, revenir
avec quelque chose qui permet — et, l'article 5, s'il vous plaît, portes fermées — vous pouvez le considérer, parce que, je
veux dire, j'imagine qu'il y a une évolution. Mais prenez compte du changement dans la santé, comme vous
l'avez dit. C'est extrêmement important. La tolérance des organisations de santé — puis là je parle pour le CUSM, mais mes
collègues se joindraient à moi — pour le changement est limitée. Et en
ce moment vous en demandez énormément, comme
parlementaires, dans le changement de la santé au Québec avec des institutions
nouvelles, des fusions nouvelles, une transformation du réseau. C'est énorme.
Je ne sais pas si quelqu'un voudrait rajouter, mais c'est ma réponse.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, je cède maintenant la parole à la députée de Bourassa-Sauvé. Il reste
environ 2 min 30 s, à peu près.
Mme de Santis :
Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup pour votre mémoire et aussi
pour votre présentation. Nous savons tous que, dans le système de santé et
services sociaux, il y a un manque de fonds. Alors, l'argent n'est pas là pour faire tout ce qu'on voudrait faire. Si on
mettait en application l'article 14 du projet de loi, qui est l'article qui indique qu'il faut avoir un dialogue
avec une personne qui refuse d'enlever son signe ostentatoire… et
ensuite il y a des mesures disciplinaires qui peuvent aller jusqu'au
congédiement, est-ce que vous prévoyez qu'il y aurait une augmentation de
plaintes? Et combien cela pourrait coûter au CUSM?
M. Rinfret (Normand) : C'est extrêmement compliqué d'évaluer le montant
d'argent que ceci pourrait coûter au CUSM.
Ce
que je peux dire, c'est que ce qui d'abord est ma première réaction, c'est que
dans n'importe quel processus disciplinaire,
compte tenu des conventions collectives qui existent, la mécanique qui est
inscrite là, c'est déjà existant : il faut parler à la personne, il faut essayer de convaincre la personne; ça
ne fonctionne pas, on documente; et, après plusieurs documentations,
bien là on en arrive avec une impossibilité de faire changer l'opinion de la
personne. Puis la finalité de tout ça, c'est
que… on le sait tous, un congédiement dans le milieu de travail, c'est comme la
pendaison… bien, je veux dire, c'est,
quand le lien d'emploi est rupturé, et la confiance surtout, que, là, à ce
moment-là, on procède. Cet élément-là, je veux dire, pour nous, il est
déjà existant. Ça fait que je ne vois pas l'apport que ça a vraiment.
Puis,
deuxièmement, quand vous me demandez : Est-ce que ça va augmenter…
écoutez, si jamais il y avait une loi, telle qu'elle est, qui est
présentée, c'est évident qu'on va se retrouver avec une avalanche de griefs,
puis je ne suis pas le seul à le dire. Cette
avalanche de griefs là va se retrouver avec des coûts. Moi, je peux vous dire
qu'au CUSM un grief, en moyenne, je
veux dire, qui n'est pas réglé, c'est au-delà de 100 000 $ de la
transaction; un grief pas réglé qui s'en va en arbitrage. Ça fait que,
dans le contexte, si on a une avalanche de griefs, ça va coûter énormément
d'argent. Pourquoi réinventer la roue quand elle est déjà là?
Mme de Santis :
Et ces montants-là vont devoir être payés par votre propre budget, je présume.
M. Rinfret
(Normand) : Toutes les questions, oui, sont payées à même…
Le Président (M.
Ferland) : …le temps est écoulé pour la partie…
M. Rinfret
(Normand) : Oui, la…
Le
Président (M. Ferland) : …de l'opposition officielle. Je vais du côté de la députée
de Montarville. La parole est à vous.
Mme
Roy
(Montarville) : Oui. Merci, M. le Président. Madame, messieurs, merci. Merci pour votre
mémoire. Vous faites référence, à la page 11 — on va continuer à parler des employés de
l'hôpital, infirmières, médecins, etc. — à la fameuse publicité qu'on a vue,
hein, avec cette infirmière qui a justement un voile sur la tête : «We
don't care what's on your head, we care what's in it.»
Cette
publicité-là, est-ce qu'elle a eu un impact jusqu'à présent? Est-ce que les
infirmières en ont parlé? Est-ce que déjà il y a des conséquences chez
vous ou pas pour le moment?
M. Rinfret (Normand) : La compétition, je vais vous dire, parce que cette
publicité-là est sortie dans un environnement très proche de nous, à la
frontière de l'Ontario, la compétition qu'il y a entre le recrutement à Montréal et l'environnement ontarien est énorme.
Et je peux vous dire que je n'ai pas fait un décompte en fonction de la publicité, mais je peux vous dire qu'on perd des
infirmières, sur une base régulière, qui s'en vont à Toronto, parce que
notre main-d'oeuvre en matière infirmière, surtout dans les centres
académiques… c'est qu'on engage des gens qui sont extrêmement mobiles parce qu'ils viennent d'environnements comme dans
les soins… Les soins aigus, les urgences, ce n'est pas des personnes qui
ont énormément d'ancienneté qui vont là, c'est des jeunes, parce qu'eux autres,
ils sont capables de résister puis ils
aiment ça, le challenge. Mais ils sont mobiles et ils s'en vont. Et ça,
automatique, je peux vous dire que... Je ne peux vous dire : En
relation avec ça, mais on en perd à tous les mois, et la compétition est
énorme. Peut-être que Mme Baillargeon peut aider.
Mme Baillargeon (Sophie) : Moi, je peux vous dire que — moi,
je travaille comme infirmière — donc,
dans le cercle des infirmières, cette
publicité-là a eu un gros impact. Il
y a eu beaucoup, beaucoup
de discussions à ce niveau-là parce qu'au CUSM on veut vraiment miser sur les
connaissances des infirmières et leur pensée critique, leurs observations,
leurs habiletés, leur communication et le travail centré sur le patient et la
famille. Donc, c'est quelque chose que l'on valorise
énormément. Alors, lorsque les gens ont vu cette publicité-là, ils se sont
dit : Si je ne peux pas avoir cet aspect-là, justement, ce qui est dans ma tête, si je ne peux
pas l'avoir ici, moi, je m'en vais en Ontario. Alors, ça faisait
vraiment un appel vraiment important chez les infirmières au CUSM.
Mme Roy
(Montarville) :
Bon. J'aimerais poursuivre sur cette lancée parce que c'est vraiment ce qui
nous intéresse et je veux que vous sachiez que nous, du deuxième groupe
d'opposition, on s'oppose justement à l'article 5 pour ce qui est de l'application de l'article 5 dans tout le réseau de la santé, pour des
raisons, vous en avez déjà nommé plusieurs, d'applicabilité
et de difficulté de rétention peut-être du personnel, et on pense que, pour
nous, ce qui compte par-dessus tout, ce sont les soins qui sont
dispensés et la qualité des soins.
Cela dit,
vous dites : On en perd régulièrement à chaque mois. Je n'ai pas le
décompte officiel, mais avez-vous une idée
de grandeur? Un, deux, trois par mois? Parce que déjà, depuis six mois qu'on
parle de cette charte… donc, ça fait déjà six mois que vous en entendez
parler. Est-ce qu'il y a eu une accélération des départs ou c'est constant?
M. Rinfret
(Normand) : Je ne peux pas
répondre à la question. Je peux aller voir puis essayer de vous répondre
plus tard si j'ai des informations…
Le
Président (M. Ferland) : …ça
adonne bien, parce que je dois aller du côté du député de Blainville. M. le
député.
M. Ratthé : Merci, M. le
Président. Madame, messieurs, on va rester un peu dans la même veine parce que,
écoutez, je vais vous donner ma perception. Et le contenu de votre mémoire est
fort intéressant.
Si quelqu'un venait ici, qui serait pour la
charte, je vous dirais, nous dire qu'il craint que l'islam envahisse le Québec, qu'on soit mis en danger dans nos
coutumes, dans nos cultures, je traiterais... en tout cas, ma perception, ce
serait que ce seraient des propos
alarmistes. Et je lis à trois endroits dans votre mémoire… et c'est là que je
me pose la question… vous nous dites
finalement que la qualité des soins va être réduite, que les médecins vont s'en
aller, que les infirmières risquent
de s'en aller, que… Et ce que je
viens d'entendre de votre part, c'est qu'en réalité… c'est aussi une
impression que vous avez. Corrigez-moi si je
me trompe. Mais ce que vous nous dites ce matin, ce que vous dites à certaines
personnes à la maison, c'est : On
transmet un message en disant : Écoutez, là, faites attention parce qu'il n'y aura plus de bons soins, il
y aura des médecins qui vont s'en
aller. Puis, que ce soit d'un côté ou de l'autre, là, moi, j'ai toujours
un peu de misère avec des propos
qui... J'aime mieux des propos plus modérés, plus pondérés, plus objectifs
et je trouve que les propos que vous nous tenez actuellement… Et là vous
nous avez dit : Je n'ai pas de chiffre, je n'ai pas évalué, on avait un
bel exemple avec une publicité, je ne suis
pas en mesure de vous dire l'impact réel. Je trouve que ça vient, en tout cas… et c'est ma perception, et vous pouvez me corriger… que ça
vient un peu miner la crédibilité de ce que vous nous dites, malgré toutes
les situations auxquelles vous devez faire face et qui, à mon sens,
sont sûrement réelles. Mais vous comprenez que le message... qu'il y a des gens à la maison
qui peuvent se dire : Bien là, attention, là, si ça passe, moi, je n'aurai
plus de médecin, je ne pourrai plus me faire opérer, parce que des gens extrêmement
crédibles sont venus nous dire ça. Et là moi, j'ai un petit problème avec ça.
M. Rinfret
(Normand) : Mais je pense
que ce que vous avez peut-être... Puis retournez dans le mémoire. C'est clairement
dit que 125 personnes au Centre universitaire de santé McGill ont offert une
réponse à notre processus de consultation en disant : Nous, on quitte ou
on pense à quitter. Ça, c'est un chiffre qui est clair, qui est là et qui est
par évidence. On peut vous donner les lettres ou les mots de ces gens-là. Ça
fait que je n'essaie pas de faire un processus d'alarme ici, là, j'essaie de dire : Il y a 125 personnes, puis c'est une main-d'oeuvre spécialisée, qui
disent : Nous, on pense sérieusement à quitter, ou : On quitte,
puis, à cela, des gens qui ne portent pas des signes religieux, parce qu'ils
sont complètement contre cet environnement, cette philosophie. Ça fait que
c'est la meilleure réponse que je peux vous donner. Je ne sais pas si...
M. Abraham (Peter) : …pas seulement
des mots, c'est quand même une consultation qui a retrouvé tous les conseils — Conseil
des médecins, Conseil des infirmières — les unions locales, O.K.,
toute la grande communauté qui arrive avec...
Le
Président (M. Ferland) : Je dois aller du côté de la députée de
Gouin pour la dernière partie des échanges. Mme la députée.
• (13 h 20) •
Mme David : Merci, M. le
Président. Peut-être juste signaler une information à l'intention des gens qui
nous écoutent : le Syndicat des
professionnelles en soins infirmiers
au CUSM, le syndicat local donc, qui regroupe probablement plusieurs centaines d'infirmières, s'est prononcé
contre l'interdiction du port de signes religieux. Mais, moi, ma
question va porter sur les accommodements,
parce que j'ai quand même un petit malaise. Si, par exemple, un père de famille
refuse de parler à la directrice d'une école
parce qu'elle est une femme, je pense, j'espère qu'il va se faire
répondre : C'est moi, la directrice, et c'est à moi que vous
parlez, que vous le vouliez ou non.
Dans le même
esprit, si un patient de votre hôpital refuse de parler à une infirmière ou à
une femme médecin, et clairement
c'est pour des raisons sexistes, j'ose croire que, ce genre d'accommodement… je
ne peux même pas appeler ça un accommodement… vous allez le refuser au
nom de l'égalité entre les hommes et les femmes.
M. Rinfret
(Normand) : Je vais vous
dire, dans un centre hospitalier, les personnes sont très souvent dans
un environnement d'extrême tension. Et je
dois dire que, quand je regarde nos urgences avec… on fonctionne en ce
moment à 242 % ce matin, là, je veux
dire, la pression du personnel est immense. Ça, le 242 %, là, voyez-vous
le chaos dans une urgence, que j'appelle chaos organisé, où les gens
donnent tout ce qu'ils peuvent, où est-ce que l'organisation doit toute se centrer, focusser pour aider? Quand une
personne arrive puis exprime un désir, dans un centre hospitalier, ce
que vous essayez de faire, c'est que vous
essayez d'y répondre le mieux possible parce que la personne est en détresse.
Et donc ce n'est pas comme dans une école.
Je ne peux pas parler pour l'école, je n'y travaille pas, mais je peux vous
dire que, pour voir qu'est-ce qui se passe à l'urgence,
pour voir qu'est-ce qui se passe dans les soins intensifs… et les patients sont, de plus en plus, extrêmement malades, avec
des durées de séjour extrêmement plus courtes… que, quand le patient exprime un choix, à ce moment-là c'est le choix de
la personne et c'est avec ce choix-là qu'on compose. Et, je vais vous
dire, je pense qu'on est très bons à le faire très bien. Puis, je ne sais pas,
Mme Baillargeon veut peut-être rajouter.
Mme
Baillargeon (Sophie) : Oui.
Alors, effectivement, ces patients et ces familles-là sont dans une autre
situation, une situation vulnérable et
d'inquiétude face à la santé de la personne de leur famille. Et ils sont
peut-être à un moment souvent peut-être plus ouverts à voir l'intérêt
pour leurs patients et leurs familles.
Je vais vous donner un exemple bien concret.
Quand j'étais infirmière gestionnaire dans des soins intensifs pédiatriques, il y avait un père qui ne voulait
pas que ce soit un homme infirmier qui prenne soin de sa fille. Et donc,
après avoir regardé la situation, on s'est
rendu compte que c'était préférable en fait pour cette fille-là d'avoir
cet infirmier-là parce qu'il l'avait déjà
eue auparavant, connaissait la situation. Elle était très complexe. D'autre
part, ça allait changer, ça allait affecter les…
Le
Président (M. Ferland) : Alors, malheureusement, le temps étant
écoulé, il ne nous en reste pas beaucoup…
Mme Baillargeon (Sophie) : Donc,
c'est ça.
Le
Président (M. Ferland) : …je vous remercie pour la présentation
de votre mémoire et je lève maintenant la séance. Et la commission
suspend ses travaux quelques instants avant de se réunir en séance de travail.
(Fin de la séance à 13 h 23)