(Onze heures quarante-huit minutes)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre, s'il vous
plaît! Ayant constaté le quorum, je
déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande également
à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre la
sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
La commission
est réunie afin de tenir des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 60,
Charte affirmant les valeurs de
laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les
femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodement.
Mme la secrétaire, est-ce que nous avons des remplacements?
La Secrétaire : Oui, M. le
Président. Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce) remplace M. Ouimet (Fabre); et Mme
Roy (Montarville) remplace M. Duchesneau (Saint-Jérôme).
Auditions (suite)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, Mme la secrétaire. Et, ce matin, nous recevons les groupes
suivants, c'est-à-dire les représentants du Centre d'études ethniques des universités
montréalaises, suivi de M. Michel Paillé.
Mais, avant
d'aller céder la parole à nos représentants des organismes, j'aimerais juste informer les
membres de la commission et, bien
entendu, tous ceux et celles qui nous écoutent. J'avais reçu, en date du 30
janvier dernier, une lettre qui m'était
adressée, bien sûr, de la part du ministre responsable des Institutions démocratiques et de la
Participation citoyenne, qui soulevait une problématique quand même
importante et que je qualifierais de majeure, c'est-à-dire dont certaines femmes qui avaient... venues présenter un mémoire
ici qui ont fait l'objet de menaces et d'intimidation. Je veux quand même et
je tiens ce matin à faire la lecture de la lettre, la réponse que j'ai adressée
au ministre. Je pense que les membres de la
commission, d'ailleurs, ont reçu les...
• (11 h 50) •
Donc : «M. le ministre, j'ai bien reçu votre lettre du 30 janvier dernier, dans laquelle vous
portiez à mon attention que des
femmes et leur entourage ont fait l'objet de menaces et d'intimidation après
leur passage devant la Commission des institutions dans le cadre des consultations sur le projet de loi n° 60, Charte affirmant les
valeurs de laïcité et de neutralité religieuse
de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les
demandes d'accommodement. En tant que président de cette commission,
sachez que je suis évidemment troublé par ces événements inacceptables.
«Un des
moyens mis à la disposition d'une commission pour accomplir certains aspects
des mandats qui lui sont confiés ou qu'elle s'est elle-même donnés
demeure la consultation. Ces consultations en commission parlementaire
constituent pour les députés un excellent moyen pour se préparer à
l'accomplissement d'un mandat en cherchant à connaître les besoins et les
opinions des personnes et des organismes touchés par la question à l'étude.
«Cette étape,
bien entendu, précède l'analyse détaillée des projets de loi, peu importe quels
projets de loi. Aussi, devons-nous
assurer de préserver cet important outil démocratique et de garantir son bon
fonctionnement. Pour ce faire, il demeure
impératif que toute personne ou organisme qui désire contribuer à l'avancement
de notre société en participant à une consultation en commission
parlementaire puisse le faire en s'exprimant librement et à l'abri de toute
menace et intimidation. Prenant cette question très au sérieux, je tiens à vous
assurer de mon entière collaboration afin que la Commission des institutions
puisse effectuer son mandat sans aucune entrave.
«Vous n'êtes pas sans savoir que la sécurité à
l'Assemblée nationale est un enjeu d'une importance capitale, placé directement sous la responsabilité du
président. Je tiens à vous informer que celui-ci s'est assuré de maintenir
la sécurité nécessaire au bon fonctionnement
de nos travaux. À sa demande, j'ai d'ailleurs été rencontré le 13 janvier
dernier par la Direction de la sécurité de
l'Assemblée nationale afin de discuter de l'ensemble des enjeux entourant cette
consultation. De plus, les responsables de
la Direction de la sécurité ont été avisés des événements en question et
suivent la situation de près et ils m'ont
assuré qu'ils prendront tous les moyens nécessaires pour assurer la sécurité
des intervenants.»
Alors, bien entendu, ceci était dans le but de
faire en sorte que les groupes ou les individus qui viennent ici, à l'Assemblée
nationale, dans notre institution, faire la présentation d'un mémoire, que cela
se fasse dans la plus grande sécurité pour
toutes les personnes, incluant, bien entendu, les membres de la commission. Bien
entendu, à l'extérieur de l'enceinte
du parlement, lorsqu'un groupe, un individu qui fait l'objet d'intimidation,
peu importe de quel ordre, la sécurité
de l'Assemblée nationale avec la Sûreté du Québec vont entreprendre des
démarches pour aller vérifier la provenance
de ces menaces-là… et, encore là, je pèse sur l'importance de «peu importe
l'ordre ou les menaces qui seront proférées à l'endroit d'individus ou
de groupes qui feront l'objet d'intimidation».
Alors, je
considérais, ce matin, important de rappeler à l'ensemble des gens, bien
entendu, qui nous écoutent, aux membres
de la commission et surtout, surtout, aux groupes qui viennent ici présenter
leur mémoire parce qu'à l'intérieur des mémoires que vous nous présentez, c'est
l'opinion, la position que vous avez envers le projet de loi, et ça, bien
entendu, peu importe le projet de loi, donc
ça demande — tout
dépendamment, bien entendu — en ce qui nous concerne, sur le
projet de loi n° 60, souvent de la part
des personnes qui viennent ici, en avant… parce que souvent c'est des positions
personnelles, et, même si c'est des
positions des groupes, des membres que vous représentez, ça prend une certaine
dose de courage, des fois, dans
certains cas. Alors, je pense que c'est dans notre devoir de vous assurer que
les mesures de sécurité sont prises et que
ça se fait dans l'ordre et dans le respect, bien entendu, parce que la teneur
des propos… Je l'ai rappelé à quelques reprises,
hein, lors de cette commission, depuis les tout débuts des travaux. J'invite aussi,
bien entendu, les porte-parole ou les
personnes, les individus qui viennent ici, en avant… la teneur des propos est
importante, donc, que ça se fasse dans le respect, dans l'ordre, et c'est mon rôle de m'assurer que ça se fasse
dans ce climat-là. Alors, sur ce, maintenant, j'invite la porte-parole
de…
M. Tanguay :
M. le Président, je veux rappeler les règlements. Alors, en vertu de l'article
32, M. le Président, j'aimerais et je
me dois de faire le rappel au règlement suivant : 32, paragraphe 3°, ça
parle du décorum et que les députés «doivent
s'abstenir de tout ce qui peut nuire à l'expression d'autrui ou au bon
fonctionnement de l'Assemblée». Quelques secondes, et je le fais de la
façon la plus sereine possible, mais c'est important. On a un groupe et on
devra finir une heure plus tard, parce qu'on commence, en bout de piste, une
heure en retard. À 12 h 25, nous étions ici prêts…
Une voix : …
M. Tanguay :
…12 h 25. À 12 h 25, nous étions ici, prêts et…
Des voix : …
M. Tanguay :
À 11 h 25. À 11 h 25, et le ministre a pris sur lui d'aller parler
aux journalistes, et ce qui fait en sorte que vous avez pu commencer et déclarer la séance ouverte 20 minutes plus
tard. Alors, par respect, et je le dis également en respectant le ministre, et je le sais que c'est un
homme occupé, mais je vous demanderais, M. le Président, de faire un
rappel à tous les collègues, pas juste au
ministre, mais à tous les collègues, que, si on est en retard, d'avoir au moins
la décence de vous faire commencer…
Le Président (M. Ferland) :
Je reçois bien votre…
M. Tanguay : …à l'heure,
c'est important.
Le
Président (M. Ferland) : Non, l'article que j'ai lu… Tout ce
que je vais vous dire là-dessus, c'est qu'il est évident que j'informe les gens qui viennent présenter ici un mémoire que
le temps de présentation — vous avez un bloc d'une
heure — sera
respecté. Alors, je vous informe également que, peu importent les raisons pour
lesquelles la commission débute ses travaux, on ne peut pas invoquer le
retard d'un parlementaire. O.K.? Parce que…
Une voix : …
Le Président (M. Ferland) :
Ni l'absence. Alors, tout le monde est présumé arriver en même temps et être présent à la commission. Alors, je reçois vos
commentaires, mais je fais en même temps ces petites mises en garde et
qui sont en lien direct avec l'article 32,
alors ceci pour assurer, je le répète en terminant, avant de vous laisser la
parole, que, peu importe à l'heure où
on va débuter, les groupes qui se sont déplacés disposeront du temps qui leur
est imparti, donc une heure chacun. Il est évident qu'on va déborder
après 13 heures.
M. Tanguay :
Mon point, M. le Président, et je vais être très court là-dessus, l'article 32,
faire en sorte que ces gens-là, oui, ils n'auront pas de perte de temps,
mais ils auront commencé une heure en retard.
Le Président (M. Ferland) :
Non, c'est correct. J'ai bien compris.
M. Tanguay : Alors, votre
appel est important.
Le Président
(M. Ferland) : 685J'ai bien
compris. Alors, sur ce, j'invite la porte-parole du Centre d'études
éthiques des universités montréalaises à se
présenter ainsi que les personnes qui vous accompagnent pour s'assurer que les
titres soient inscrits au bon endroit.
Alors, je vous cède la parole en vous disant que vous avez 10 minutes pour
votre mémoire, suivi de l'échange avec les parlementaires.
Centre d'études
ethniques des
universités montréalaises (CEETUM)
Mme Milot
(Micheline) : Alors, merci,
M. le Président. M. le ministre, messieurs et mesdames de la commission,
nous vous remercions de nous permettre de
prendre la parole devant vous. Mon nom est Micheline Milot, je suis codirectrice du Centre d'études ethniques des
universités montréalaises depuis 2009 et je suis professeure en
sociologie à l'Université du Québec à Montréal, je suis
spécialisée sur la laïcité et les religions. Je laisse le soin à mes collègues
de se présenter brièvement.
Mme Meintel (Deirdre) : Je suis
Deirdre Meintel, codirectrice du CEETUM, professeure au Département d'anthropologie à l'Université de Montréal. J'ai
longtemps travaillé sur les minorités ethniques et, depuis 2007, je
dirige une recherche sur la diversité
religieuse au Québec depuis la Révolution tranquille et sur la signification du
religieux dans le quotidien des Québécois.
Mme
Kanouté (Fasal) : Fasal
Kanouté, professeure en sciences de l'éducation à l'Université de Montréal.
Je travaille sur la thématique générale de l'immigration et de la diversité en
lien avec les enjeux de scolarisation.
M. Bourhis
(Richard) : Je suis Richard Bourhis, Département de psychologie. J'ai
été directeur du CEETUM de 2006 à 2009. Je travaille sur l'intégration
des immigrants, la discrimination et l'aménagement linguistique.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, la parole est à vous pour la présentation de votre mémoire.
• (12 heures) •
Mme Milot
(Micheline) : Merci. Alors,
un mot rapidement sur le Centre d'études ethniques, que nous
qualifierons comme le CEETUM. C'est un
centre de recherche qui regroupe des chercheurs provenant de sept universités
et de plus de 18 facultés et
départements universitaires différents. Il mène des recherches de pointe sur un
grand nombre de sujets : l'immigration, l'intégration sociale, la diversité,
la cohabitation urbaine, la religion, les relations interculturelles, la
discrimination, entre autres.
Ce mémoire ne
présente pas l'opinion des chercheurs sur le projet de loi. Chacun des 50
membres du centre a ses propres
opinions libres et personnelles, et plusieurs les ont exprimées déjà par divers
moyens. Mais le mémoire propose simplement
de sensibiliser les membres de cette commission et le législateur à des aspects
qui, en regard des analyses et des recherches
menées depuis plusieurs années par des membres du CEETUM, sont de nature à
interroger la pertinence de l'un ou
l'autre des articles du projet de loi n° 60 ou leurs effets potentiels sur
des personnes appartenant à des groupes minoritaires. Pour ma part, je
dirai quelques mots sur les questions de laïcité et de neutralité.
Selon toutes les études que j'ai menées depuis 15
ans, il m'apparaît évident que le Québec a connu un réel processus de
laïcisation tranquille pendant les deux derniers siècles, mais celui-ci s'est
déroulé sans incorporation explicite dans le
droit du principe de laïcité ou de séparation de l'État et des religions.
Toutefois, ces attributs de l'État découlent
très clairement de la protection qui doit être accordée aux
droits fondamentaux que sont la liberté de conscience et de religion, la liberté d'expression en cette
matière et l'égalité entre tous les membres de la nation. La laïcité
de l'État est même inhérente au processus de construction de la démocratie
et des États de droit.
Au Québec,
il n'y a pas de religion d'État, mais la neutralité de l'État, bien que toujours
relative, est réellement effective.
S'il n'y a pas eu de proclamation juridique de la laïcité,
c'est qu'elle ne fut pas nécessaire, comme, d'ailleurs, dans la plupart des démocraties
et des États de droit. Dans notre histoire, très tôt, dès 1774, l'Acte de Québec
a aboli une obligation importante, celle qui était faite, pour les catholiques,
de renoncer aux aspects de leurs convictions qui ne concordaient pas avec ceux
de l'Église protestante pour bénéficier de l'accès aux fonctions publiques. Cet
aspect des libertés a été par la suite étendu aux autres groupes religieux.
Toujours
au Québec, l'analyse des principaux documents qui ont
influencé les politiques publiques au Québec depuis des décennies permet de constater que la laïcisation apparaît toujours comme un aménagement
institutionnel pour que la société
québécoise soit plus ouverte à la diversité, respectueuse des droits
fondamentaux et ainsi plus inclusive de tous les citoyens d'appartenances culturelles ou religieuses diversifiées. En
ce sens, la conception de la laïcité dans le projet de loi n° 60
m'apparaît constituer un renversement important des politiques publiques, de
l'économie du droit et de la tradition historique, qui sont à la base du vivre-ensemble
et de la volonté d'intégration.
Un mot rapide sur la question de la neutralité,
qui apparaît comme une valeur de façon un peu surprenante. En fait, c'est un attribut de l'État où l'État
doit s'imposer une restriction afin de ne favoriser ni de gêner directement
ou indirectement aucune religion, aucune
famille de pensée. C'est-à-dire, l'État neutre renonce à toute compétence
théologique qui lui permettrait de décider
de l'interprétation juste à donner à une croyance religieuse, à un signe
religieux ou à la validité de son
expression dans la mesure où ils ne font pas de tort réel à autrui. Pourquoi?
Parce qu'un État de droit laïque n'a tout simplement pas la compétence
pour répondre à ces questions, à moins de se substituer aux autorités
cléricales ou théologiques. En ce sens, le
projet de loi m'apparaît déroger à la neutralité tout en la proclamant. Sur ce,
je cède la parole à ma codirectrice, Mme Deirdre Meintel.
Mme Meintel (Deirdre) : Pour ma
part, je dirige une équipe de recherche qui mène des observations et des entrevues auprès de 126 groupes religieux situés à
Montréal et sur un total de 216 groupes dans toute la province. 65 groupes
ont fait l'objet d'études plus approfondies, dont 45 à Montréal. Et là on
touche à toutes sortes de courants religieux et spirituels, et surtout les
courants qui reflètent les transformations depuis la Révolution tranquille.
Ce que nous
trouvons, entre autres, nous constatons la relative invisibilité de la
religiosité des Québécois et en particulier
ceux de souche, soit les personnes francophones nées au Québec et baptisées
catholiques. Un facteur majeur dans l'occupation
de la réelle diversité religieuse au Québec concerne la grande discrétion des
individus nés dans la province quant à leurs fréquentation, pratique et
croyance. Typiquement, ils n'en parlent pas, même à leur entourage proche. Beaucoup redoutent le ridicule ou craignent de
scandaliser, dans le cas des professions libérales, de scandaliser leurs
clients. Ça renforce un stéréotype assez vivace qui dirait que les immigrants
sont très religieux et les Québécois de souche presque
athées. Beaucoup de croyants, jeunes et vieux, catholiques et autres, ne se
sentent déjà pas libres de vivre et d'exprimer leur croyance ouvertement. La charte
des valeurs, si elle devient loi, ne fera que renforcer leur silence.
Par ailleurs, parmi les centaines de personnes
nées au Québec interviewées dans cette recherche, personne n'exprime de se
sentir menacé par les pratiques religieuses des autres, visibles ou invisibles.
En général, on trouve un accommodement
réciproque entre immigrants et non-immigrants. Les institutions, en particulier catholiques, font preuve de grande flexibilité
pour s'adapter aux immigrants et autres défis de la modernité. De leur part,
les groupes religieux immigrants se
démarquent par leur souci d'aider leurs membres à s'adapter à cette société et
offrent une variété de supports personnels,
émotionnels et psychologiques. Et en plus la religion devient un langage
symbolique qui permet à ces gens de reformuler leurs expériences
migratoires en termes valorisants.
Pour parler
des femmes qui portent le foulard, dit le voile, ma collègue Géraldine Mossière
a réalisé une enquête auprès de
femmes québécoises de souche converties à l'Islam. Celles qui ont décidé de
porter le foulard disent avoir pris cette décision…
Le Président (M. Ferland) :
Madame, il faut conclure.
Mme
Meintel (Deirdre) :
…librement et sans pression et que ça représente pour elles une ressource qui
leur permet de se valoriser par leur
intellect et leur personnalité et pas par leur physique. Et en plus les autres
femmes musulmanes interviewées disent
à peu près la même chose, que ça représente un choix personnel, leur
foi personnelle et aucunement un moyen de prosélytisme. Et nous avons
étudié 11 mosquées jusqu'à date.
Finalement,
un mot, très vite, sur l'intégration. Dans la plupart des cas que nous avons
rencontrés, les fréquentations religieuses aident à enraciner les
immigrants dans leur nouveau contexte de vie. Cependant, la stigmatisation…
Le Président (M. Ferland) :
Malheureusement, madame, malheureusement…
Mme Meintel (Deirdre) : …des
pratiques religieuses visibles…
Le Président (M. Ferland) :
Excusez. Le temps est écoulé, le 10 minutes. Donc, on doit aller à la période d'échange avec les parlementaires. Mais vous aurez
sûrement l'occasion de poursuivre votre mémoire au fur et à mesure que
les groupes vont vous questionner. Alors, M. le ministre, la parole est à vous.
M.
Drainville : Merci,
M. le Président. Bonjour à vous quatre, merci d'être présents parmi nous, merci
pour votre mémoire. D'abord, quelques commentaires, je dirais, de mise
en contexte, là.
Je viens de
vous entendre, Mme Meintel — c'est bien ça? — vous avez fait référence aux Québécois de
souche. Je comprends que cette appellation-là, vous l'utilisez dans le cadre de
certaines recherches que vous avez menées, mais je tiens à vous dire que, d'emblée, nous, on est très réfractaires à
diviser la société québécoise selon l'origine des uns et des autres. À notre avis, toutes les personnes qui
vivent au Québec sont des Québécois à part entière, à parts égales.
Qu'on soit de dixième génération d'origine canadienne-française ou qu'on soit
un Québécois ou une Québécoise de première génération qui est venu du Maghreb
ou de l'Amérique latine, pour nous, ça ne fait absolument aucune différence.
Et je tiens à
vous dire, et c'est important de le noter, il y a une proportion importante de
nouveaux Québécois, donc, de
Québécois de première génération, notamment des Québécois d'origine maghrébine,
qui sont venus en commission jusqu'à maintenant et qui ont donné leur
appui à la charte. Alors, je pense qu'il faut être très prudent de ne pas
laisser entendre de quelque façon que ce
soit que la charte favoriserait davantage le bloc majoritaire d'origine
canadienne-française contre les minorités, là.
Parce que je lis dans votre mémoire, notamment à
la page 13 : «La communauté majoritaire, dans sa volonté légitime de promouvoir ses intérêts, ne peut
monopoliser l'État, comme autrefois les églises dominantes, au détriment
des expressions minoritaires dont elle
surestime généralement la menace à son identité collective.» Je respecte, bien
entendu, votre point de vue, mais je pense qu'il faut se garder, dans ce
débat-là, d'essayer de diviser les camps selon une appartenance d'origine. Ça,
c'est la première chose que je voulais vous dire.
La deuxième
chose — mais ça,
c'est davantage une question — vous avez récemment acheminé une
nouvelle version de votre mémoire à la commission. Bon, je ne vais pas revenir
sur toutes les modifications entre la version précédente
et la nouvelle version, mais ce qui est clair, c'est que certaines phrases de
la première version sont maintenant beaucoup moins affirmatives, beaucoup
plus nuancées. Et j'aimerais vous demander pour quelle raison vous avez
senti le besoin, je dirais, de nuancer, d'être moins catégoriques dans un
certain nombre d'affirmations que vous faites dans la dernière version, par
rapport à la version précédente.
• (12 h 10) •
Mme
Meintel (Deirdre) : Bon.
Premièrement, nous voulions soumettre le rapport à temps. Nous avons eu
des échanges avec des collègues, et il y
avait deux ou trois endroits où on jugeait correct de faire des petites
modifications, mais je ne vois pas de grande différence de ton entre l'une ou
l'autre version.
M. Drainville : Bien,
écoutez, on ne va pas… Je n'ai pas le goût d'entrer dans la… — comment
dire? — la
sémantique, là, mais ça nous semblait, en
tout cas, que vous… vous étiez plus nuancés, disons, dans certaines
affirmations, par rapport à la version précédente.
Maintenant,
allons au coeur de votre mémoire. Alors, à la page 17 de votre mémoire…
Attendez que je le retrouve. Juste
ici. Alors, à la page 17, vous dites : «La neutralité dans les services
publics ne réside pas d'abord dans le conformisme vestimentaire. La neutralité de l'État se
concrétise dans l'impartialité lors de l'exercice de la fonction et de la
justification des décisions rendues. On
pourrait ajouter, d'un point de vue sociologique, que, si une société se veut
inclusive et que l'on conçoit la
diversité comme une richesse, il paraît normal que la fonction publique reflète
cette diversité à la fois culturelle et religieuse.» Fin de citation.
Ça
m'amène à vous poser la question : Est-ce que vous croyez qu'au nom de la
diversité des opinions politiques on devrait mettre fin au principe de
neutralité politique dans la fonction publique, y compris en matière de port de
signes politiques?
Mme Milot (Micheline) : En fait, il m'apparaît que la différence entre
l'affichage de signes religieux et l'affichage de signes politiques est fondamentalement différente dans une société de
droit et dans une société démocratique; ce ne serait pas le cas dans une
société théocratique. Mais, dans un État moderne de droit, laïque, comme celui
du Québec, les convictions politiques sont
sous-jacentes aux lois, aux réglementations et elles sont à la base de tout le
processus législatif. Les autorités religieuses n'interviennent pas de
façon directe dans le processus législatif. Autrement dit, les dogmes d'aucune
religion ne sont pris en compte au moment de la confection des lois. Alors, le
signe religieux n'a pas, donc, d'interférence
directe avec l'application du contenu de la loi par un fonctionnaire, ou d'un
règlement. Le signe politique au contraire indique objectivement la
position idéologique du travailleur par rapport aux décisions politiques qu'il
est chargé de faire appliquer ou de faire respecter, ce n'est pas le cas pour
un signe religieux comme une kippa.
M. Drainville :
Je me rappelle, Mme Milot, lors d'une rencontre que nous avions eue à mon
bureau, je vous avais précisément
posé cette question-là, et, je dois dire, vous êtes d'une parfaite constance et
cohérence puisque vous m'aviez donné
exactement la même réponse. Et, si vous vous rappelez, j'avais surenchéri en
vous disant : Oui, mais, attention, quand vous dites que les
convictions religieuses n'interfèrent pas dans les lois, il faut faire
attention parce que les religions, de façon
générale, elles ont des idées très précises sur ce qu'est un mariage, très
souvent les religions n'admettent pas
le mariage homosexuel. Les religions ont des idées très arrêtées sur
l'avortement. Les religions ont des idées très arrêtées sur la
contraception. Les religions ont des idées très arrêtées sur les droits des
femmes.
En
d'autres mots, ce que j'essaie de vous dire, c'est que l'appartenance
religieuse et, je dirais, l'affichage d'une appartenance religieuse
envoient non seulement un message religieux et le code moral qui accompagne ce
message religieux, mais elle envoie
également, en tout cas pour certaines personnes qui vont le recevoir, un
message politique. Ce n'est pas absolument déraisonnable que de… — comment
dire? — que
de concevoir qu'une personne, un citoyen, par
exemple, qui voit quelqu'un dans le service public afficher ouvertement sa religion, ce n'est pas
déraisonnable que ce citoyen-là puisse penser que la personne qui
affiche sa conviction religieuse épouse également les prises de position de sa
religion sur toutes les questions que je viens d'énumérer.
Donc,
moi, je vous dis, je… Et, là-dessus, on a un désaccord, puis c'est
correct, je n'ai pas de problème avec ça, mais
moi, je pense que les religions font de la politique.
Elles ne font pas exclusivement ça, mais elles font de la politique, au sens où elles ont des opinions et des prises de
position très précises sur toutes sortes d'enjeux très politiques
qui sont…
Regardez le débat sur
le mourir digne, actuellement. C'est un excellent cas. Le projet de loi n° 52
propose un certain nombre de choses, et il y a un certain nombre de leaders
religieux qui ont pris position contre ce projet de loi au nom de leurs convictions morales, au nom de la doctrine religieuse.
Donc, je vous dirais, de dire que le signe religieux est différent du signe politique parce que
le signe religieux et l'appartenance religieuse n'influencent pas le processus législatif ou n'influencent pas
le contenu des lois, je vous dirais, c'est une prémisse personnellement que je
n'accepte pas, en tout respect pour votre position.
Par ailleurs, j'aimerais vous entendre sur les citoyens — et
on a eu quelques témoignages en ce sens-là depuis le début
de la commission — qui,
voyant un signe religieux, se sentent jugés. Elles se sentent jugées dans leur
homosexualité, par exemple. Elles se sentent jugées dans leur consommation
d'alcool, fort modérée par ailleurs. Quelqu'un, je pense, nous a… a évoqué le
cas d'une jeune fille, par exemple, qui demande un avortement, qui veut avoir un
avortement et qui se retrouve devant un professionnel de la santé qui
affiche ouvertement sa foi catholique. Alors, sachant la position de l'Église catholique sur l'avortement, on peut
comprendre que cette jeune femme puisse se sentir rejetée ou puisse se
sentir très mal à l'aise de demander le
service de santé auquel elle a droit. Bref, l'une des grandes tensions que l'on
vit à travers ce débat-là, c'est la
tension entre le droit ou les droits de l'agent d'État et les droits des citoyens
qui demandent un service public. Et
j'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce
qu'à votre avis le citoyen qui demande un service a un droit au moins
égal au respect de sa liberté de religion et de sa liberté de conscience que
celui… que le droit, donc, de la personne qui donne le service?
Mme Kanouté (Fasal) : Personnellement, j'aimerais répondre à une partie des questions du
ministre. Je suis en sciences de l'éducation, je forme des enseignants.
Il est clair que la base de notre activité de formation s'aligne sur les principes que sont la neutralité de l'État, la
laïcité et le principe d'égalité hommes-femmes. Cependant, je ne crois
pas qu'on puisse évaluer l'adhésion d'un
professionnel à ces principes par le biais des points religieux uniquement.
Donc, il faut évaluer l'adhésion à ces
principes en regardant comment les gestes professionnels sont posés. Alors, on
se demande : Que fait un travailleur social? Que fait un
enseignant? Que fait un employé de l'État? Et c'est à travers ces gestes
professionnels là qu'on peut évaluer l'adhésion.
Autrement
dit, il y a des raccourcis qui me semblent très dommageables et qui peuvent
amener à caricaturer ou à discriminer.
Un professionnel, un employé n'est pas le représentant de sa culture, n'est pas
le représentant de sa religion. On est porteur de culture, on est
porteur de religion, mais on ne peut pas amalgamer en disant que, parce que
quelqu'un affiche des signes religieux, cette personne-là est en accord avec
toutes les controverses ou toute la représentation qu'on a. Je trouve que… Oui?
M. Drainville :
Mme Kanouté, je ne suis pas en train de dire que, chaque fois que quelqu'un
affiche un signe religieux, il ou elle endosse la doctrine de son Église. Je ne
suis pas en train de dire ça du tout. Je peux vous donner plusieurs cas très,
très proches de moi, des personnes qui sont très croyantes et qui sont très,
très, très critiques de plusieurs positions que l'Église catholique a prises
sur nombre d'enjeux.
Mais ce que
je vous dis, c'est qu'il est possible que le citoyen ou la citoyenne qui
demande un service se sente brimé dans
son droit, dans sa liberté de conscience et de religion. Et moi, je me dis, à partir du moment où cette possibilité-là existe,
et on a eu des cas qui le démontrent, qu'elle existe, ce n'est pas au
citoyen... — comment
dire? — ce n'est
pas au citoyen qu'on doit demander de faire
l'effort ou d'ajuster son comportement, c'est à l'État de s'ajuster. Ce n'est
pas au citoyen de s'ajuster, c'est à l'État, qui donne le service, qui
est payé par les citoyens, qui doit incarner, donc, cette neutralité, ce respect
égal pour tous, cette égalité de tous, c'est à l'État de faire l'effort pour
assurer non seulement sa neutralité, mais son apparence de neutralité. On dit
souvent : Ça ne prend pas juste la justice, ça prend l'apparence de
justice. Bien, je pense que ça doit s'appliquer également au principe de
neutralité religieuse.
• (12 h 20) •
Mme
Kanouté (Fasal) : Oui.
Peut-il légiférer sur toutes les possibilités d'inconfort qui pourraient
exister dans la relation entre
quelqu'un qui demande un service et quelqu'un qui offre ce service? De dire
qu'il y a une possibilité, donc, qu'il
faudrait mettre en exergue et viser vraiment le port de signes religieux, en
tout cas, je ne trouve pas qu'un État puisse aller dans ce sens-là. C'est sûr qu'il y a des possibilités d'inconfort.
Mais faudrait-il légiférer sur toutes les possibilités d'inconfort? Dans
notre société, on est arrivés à une maturité démocratique qui fait que quand
même les gens ont la possibilité de faire la part des choses.
M. Drainville : Mme Kanouté,
ce n'est pas seulement de l'inconfort. Dans certains cas, c'est carrément de la
détresse. Dans certains cas, c'est carrément la condamnation. Dans certains
cas, ça peut amener quelqu'un à ne pas accepter l'avis du professionnel ou de
la professionnelle dont elle a besoin, ça peut l'amener carrément à renoncer. Et, vous savez, je n'aime pas le mot «inconfort».
Moi, je pense que, dans ces cas-là, quand quelqu'un dit : Je me
sens jugé, condamné par l'État
dans mon orientation sexuelle ou dans mon choix de croyance religieuse
ou de non-croyance, ce n'est pas juste un malaise ou un inconfort, les
droits de cette personne-là sont alors brimés.
Et vous me
parlez des droits des personnes de porter un signe religieux. Je ne crois pas
que le droit de la personne de porter
un signe religieux est plus important que le droit du citoyen d'avoir, lui
aussi et elle aussi, le respect, d'obtenir le respect de sa liberté de
conscience et d'être respecté dans sa dignité d'être humain. Ce n'est pas juste
un inconfort, on est dans la dignité humaine.
Mme
Kanouté (Fasal) : Mais nous
ne sommes pas d'accord parce
qu'a priori vous définissez comme quelque chose de problématique le port du
signe religieux. Donc, c'est la posture de départ que nous ne partageons pas.
Je ne pense pas que ce soit a priori problématique, le port d'un signe
religieux.
M. Drainville : Je vous dis
que ça l'est dans l'esprit, dans le regard.
Des voix : ...
M. Bourhis (Richard) : C'est parce
que, M. le Président, je veux dire un petit mot là-dessus.
Le Président (M. Ferland) : S'il
vous plaît, allez-y.
M. Bourhis (Richard) : Vous dites,
donc, que les Québécois n'ont pas à être embarrassés par la présence de
fonctionnaires portant des signes religieux ostentatoires. La loi n° 60
est proposée pour résoudre ce problème d'inconfort de la majorité québécoise. À
ce jour, le gouvernement n'a pas fourni de chiffres concernant le nombre de
fonctionnaires portant des signes religieux. Combien de musulmans, de Juifs ou
de sikhs risquent d'être affectés par l'application de la loi n° 60?
Nous avons
besoin de ces chiffres pour connaître le nombre de musulmans, de Juifs et de
sikhs qui auront à être congédiés pour port ostentatoire de signes
religieux. Parlons-nous de 10, 100, 1 000 ou 10 000 congédiements sur
les 500 000 fonctionnaires de l'État
québécois? Devons-nous protéger la majorité québécoise de tous les inconforts
qu'elle pourrait ressentir face à la présence de ceux qui sont différents?
Il nous
semble bien plus urgent d'adopter des mesures pour corriger les discriminations
que de créer de nouvelles barrières à l'inclusion des minoritaires. Les Québécois
francophones sont en droit de connaître dans quels mots ils auront à congédier les Juifs, les musulmans et les
sikhs des institutions de l'État québécois suite à l'adoption de cette loi.
M. Drainville : C'est parce
que ce n'est pas seulement les sikhs, et les Juifs, et les musulmans, là, qui
sont visés, c'est toutes les religions qui
sont visées. On ne catégorise pas les religions qui sont visées et on ne fait
pas le… Toutes les religions sont visées, tous les signes ostentatoires
sont concernés, là.
Et par ailleurs il me reste malheureusement très
peu de temps, mais je veux juste vous citer une entrevue que Guy Rocher a donnée au journaliste Paul Journet.
Alors, Paul Journet lui pose la question : «…en permettant à une femme qui porte le hidjab de travailler dans la fonction publique, ne favorise-t-on pas son intégration dans la société?» C'est la question
du journaliste. Écoutez bien la réponse de Guy Rocher : «C'est un argument
fautif et dangereux, car on considère seulement
les besoins d'une personne. Il faut sortir de cet individualisme pour voir l'aspect
collectif, celui de l'institution. Si le nombre augmente, la neutralité de l'État
s'effrite. Quand 10 enseignants d'une école porteront un signe religieux,
on se demandera si cette école est encore neutre.» Êtes-vous d'accord avec ça,
que le jour où on aura 10 enseignants qui porteront un signe religieux dans une
école, on pourra se poser la question si l'école est encore neutre?
M. Bourhis
(Richard) : Bien, je crois,
moi, que ce qui est plus important avec la portée de cette loi-là, c'est le
nombre de congédiements que vous aurez à aménager. Est-ce que c'est 10? Est-ce
que c'est 1 000? Est-ce que c'est 10 000?
Et les gens qui sont congédiés, ça, c'est la réalité. C'est une réalité dure à
subir. Et donc, à ce titre, on a le droit de se demander combien il y en aura et de quelle façon vous allez les
congédier, au nom de quel droit vous allez les congédier. Et on doit les comptabiliser maintenant, dans cette
enceinte, tout simplement parce que c'est le but de cette commission. On
doit numériser le nombre de congédiements que vous allez orchestrer.
M.
Drainville : Pourquoi
vous présumez que les gens ne respecteront pas la loi? Moi, je pense que la
vaste majorité vont respecter la loi.
Et par ailleurs je vous soumettrai, comme je l'ai dit d'entrée de jeu au début
de cette commission, j'ai dit :
Si une personne décide de placer ses convictions religieuses au-dessus de son
service public, ce sera sa décision. Mais nous, on va tout faire, moi, je dois vous dire, on va tout faire pour
garder tout le monde. On dit depuis le début qu'on tient à garder tout le monde parce que, de façon générale,
les gens qui sont dans le service public, ce sont des gens compétents et
appréciés.
Le
Président (M. Ferland) :
…M. le ministre, malheureusement le temps… Il y avait 20 minutes.
Malheureusement, on doit aller du côté du parti de l'opposition officielle.
Et je cède la parole au député de LaFontaine, je crois, hein?
M. Tanguay : Oui. Merci
beaucoup, M. le Président. Vous dites : Malheureusement, on va aller du
côté de l'opposition. Je vous dirais : Heureusement, parce qu'on va
entendre leurs voix, on veut…
Le
Président (M. Ferland) : M. le député de LaFontaine, je n'ai
pas dit «malheureusement» en lien avec la parole que je vous cédais. Je
disais au ministre : Malheureusement, vous disposiez de 20 minutes.
M. Tanguay :
Oui, mais, savez-vous, nous, on ne trouve pas ça malheureux parce qu'on va
moins entendre le ministre puis on va plus entendre celles et ceux qui
aujourd'hui…
Le
Président (M. Ferland) : Vous disposez du temps qui vous est
imparti, vous en faites ce que vous voulez.
M. Tanguay :
…aujourd'hui… M. le Président, alors, laissez-moi y aller, on a juste 14
minutes, et mes autres collègues auront des questions.
Vous êtes,
donc, le Centre d'études éthiques des universités montréalaises, vous avez une
fine expertise. Trop peu souvent, nous avons, dans ce débat-là, pu avoir
le bénéfice d'études et d'analyses. Moi, je veux vous entendre, votre voix plus
longuement que celle du ministre que je viens d'entendre présentement.
Je vous cite à la page 12 : «Il nous paraît
évident que l'État a un rôle fondamental à jouer pour favoriser une compréhension de la diversité, puisque des
décisions politiques peuvent enclencher des mécanismes d'exclusion [à
l'égard des minorités] et de racisme à l'égard des minorités. Ces mécanismes
sont déjà à l'oeuvre, et nos chercheurs les ont documentés…» Et vous faites, donc, évidemment, à votre point 7, page 16,
la discrimination quant à l'accès au travail. Vous dites : «…le Québec, société située en Amérique du Nord où la
liberté de conscience et la liberté d'expression ont toujours un statut
central…»
J'aimerais, là — puis j'y vais
rapidement — vous
entendre sous deux aspects. De un, le message que ça envoie de dire : Public, parapublic et les sous-traitants de
l'État. Ça, c'est plus de 600 000, aucun signe religieux, le
message que ça envoie quand on essaie du
même souffle d'avoir le discours d'un État qui est diversifié, qui fait la
place à la diversité qui est une richesse. J'aimerais vous entendre
là-dessus.
Et j'aimerais
également vous entendre sur le postulat ou la présomption, indépendamment des
nombreuses heures et années de cours
d'éthique : Si vous avez un signe religieux, j'ai une présomption de votre
mauvaise foi, présomption que vous
allez vouloir faire de nouveaux adeptes ou que votre croyance, qui est un
système de valeurs qui vous fait évidemment de bons et de bonnes citoyens et citoyennes, votre croyance viendra contaminer votre professionnalisme.
J'aimerais vous entendre là-dessus.
• (12 h 30) •
Mme Milot (Micheline) : Dans une
société aussi sécularisée que la nôtre, une sécularisation qui atteint les
croyants dans toutes les religions — et ça, c'est très documenté — le
rapport de proximité et de distance par rapport aux normes de leur religion est manifeste chez tous les croyants dans
toutes les religions. Alors, il est évident qu'on ne peut pas imputer à quelqu'un qui porte un signe
religieux ou qui n'en porte pas d'avoir… d'adopter des normes
malveillantes à l'égard d'autrui qui pourrait lui faire du tort.
Cela dit, on
remarque que, quand les individus, dans une société, commencent à avoir de la
suspicion à l'égard d'autrui, une
suspicion qui n'est fondée que sur leurs propres préjugés personnels, alors une
suspicion qu'une personne de peau
noire va probablement servir de façon plus adéquate, plus bienveillante
quelqu'un, une clientèle de la peau noire, même
chose pour l'handicap, etc., si l'État se met à renforcer d'un point de vue institutionnel, je dirais, cette suspicion à l'égard d'un certain nombre de personnes, ça
légitime, du coup, les membres de la société à exercer la même suspicion à l'égard d'autrui.
Et
d'autres éléments documentés que nous avons. Si l'État, par l'institutionnalisation de certaines lois, manifeste une suspicion à l'égard
de personnes, par exemple, qui portent un signe religieux — mais
ça peut être à l'égard de la couleur de la
peau dans d'autres contextes — quand
ces individus sortent du contexte institutionnel étatique et, par exemple, doivent aller
chercher un logement, leurs signes religieux ou la couleur de leur peau, ils
l'ont avec eux. Alors, pourquoi la personne qui doit, par exemple, louer
ou non un logement à cette personne ne serait pas tout à coup aussi méfiante que
le gouvernement peut l'avoir fait en légiférant pour interdire ces signes-là
comme étant présumés nocifs lors de l'exercice de leurs fonctions
professionnelles?
M. Tanguay : Avez-vous, donc, noté effectivement… On dit beaucoup… Parce
que, là, demain matin, ce
serait 600 000 Québécoises, Québécois, public, parapublic, et plus les
entreprises, les employés des PME et des entreprises donnant les services au gouvernement ou recevant une subvention.
Avez-vous vu un phénomène de vases communicants et l'avez-vous constaté? Si le gouvernement met le
standard à ça, comme il dit : Présomption que tu as un signe
religieux, tu as une croix, et que, donc,
c'est de facto fautif, tu dois l'enlever, avez-vous vu, dans vos études, que ce
soit au Canada ou ailleurs dans le
monde, un système de vases communicants où, là, également — vous venez d'en faire état — les entreprises et les organismes
autres que publics et parapublics vont de facto adopter la même méfiance?
Mme Milot
(Micheline) : Effectivement,
puis on le voit présentement en France. Alors, mes collègues chercheurs
sont extrêmement inquiets. Notamment, pas plus tard qu'hier, il y a eu une
entreprise privée située dans une banlieue où
il y a pratiquement 100 % uniquement de personnes immigrées dans des
situations largement défavorisées et qui, même si la loi ne s'applique pas, en France, aux entreprises privées, veut
étendre la loi aux entreprises privées avec l'interdiction de signes
religieux, quels qu'ils soient, dans son entreprise.
Alors,
effectivement, il y a un enjeu non seulement de vases communicants, mais de
présomption et de préjugés entretenus,
je dirais, institutionnellement et systématiquement à l'égard de certaines
catégories de personnes et pas de d'autres.
Alors, j'ajouterais aussi que les… autant il m'apparaît déplacé de présumer de
la nocivité de certaines convictions qui nous apparaissent visibles,
autant on ne peut pas dire que les convictions qui sont invisibles sont non
nocives. Alors, on pense à la misogynie, au racisme, à l'homophobie qui sont
généralement des convictions que portent… que peuvent
porter beaucoup de citoyens et qui n'ont aucun lien avec un signe ostentatoire
religieux qu'ils peuvent porter ou non.
M. Tanguay :
J'aimerais également… On parle au niveau social, et vous avez un exemple tout à
fait frappant, la France ne peut pas
être un modèle d'intégration et d'accueil, et ce n'est pas un argument que de
dire : Bien, en France, s'ils l'ont fait, on doit le faire, nous,
également. Ça ne tient pas du tout la route, c'est des raccourcis
intellectuels.
J'aimerais
vous entendre maintenant, pas au point de vue social, mais au niveau de
l'individu. Vous parlez, en page 16,
du phénomène de banalisation de
l'identité religieuse. Oui, il y a la conséquence capitale de perdre son
emploi pour un homme ou une femme et en termes d'importance de participer, de se
réaliser dans un emploi, de participer à la société, donc l'importance d'avoir un emploi. J'aimerais
vous entendre sur ce phénomène que l'on vivrait au point de vue individuel, de se voir banalisé ce qui fait ce que
nous sommes intrinsèquement et ce qui constitue un motif de non-discrimination,
la croyance, la liberté de conscience et de religion.
La Présidente (Mme Beaudoin) : Mme
Milot.
M. Bourhis
(Richard) : Je peux dire quelque chose, si vous voulez bien. Vous me
permettez? On a des recherches qui révèlent que les victimes de
préjugés, de ceux qui se voient exclus, non seulement souffraient d'une estime
de soi négative, mais se sentaient plus
tristes, plus stressées et plus dépressives que celles qui ne subissaient pas
ce genre d'abus.
De plus, les
recherches montrent qu'en général la discrimination représente une menace à
l'identité sociale des victimes. On a
de la recherche là-dessus. Ce sentiment de menace amène parfois les victimes à
s'identifier plus fortement à leur
propre groupe, ayant pour effet de provoquer un repli identitaire qui nuit à
l'intégration des minorités. Alors, on a ça aussi comme résultats. Ce repli identitaire peut provoquer l'adoption de
stratégies d'acculturation séparatiste… — bon,
là, on est dans une des recherches un peu spécialisées — donc
un sentiment, une orientation d'acculturation séparatiste à l'égard de la société d'accueil, comme le
démontrent nos études des étudiants maghrébins en France. Attention, le
repli identitaire isole les minorités et peut mener à l'intégrisme. En somme,
la discrimination indirecte de la charte mine la cohésion sociale du Québec.
Une autre
brochette de résultats qu'on obtient, c'est qu'à la longue les conséquences de
la discrimination sont lourdes à porter pour les victimes et vont même
jusqu'à entraîner une détérioration de la santé physique. Plusieurs études épidémiologiques démontrent que les effets
néfastes de la discrimination pour la santé des Africains-Américains et des musulmans… ces victimes de discrimination
développent des sentiments de manque de contrôle dans leur vie qui les rendent plus susceptibles de souffrir
d'hypertension, de maladies cardiaques, de surpoids et d'obésité. Puis il y a
lieu de croire que ces effets
néfastes pour la santé sont les mêmes pour toutes les victimes de
discrimination, incluant celles au Québec.
Donc, en augmentant le stress de la discrimination des minorités religieuses
qui peuvent être visées par la loi, la loi n° 60 risque de coûter
cher au système de santé du Québec.
Alors,
j'invite la commission à visionner le documentaire La leçon de
discrimination pour bien voir et comprendre les effets néfastes de la discrimination pour ses victimes. Et, cette
discrimination-là, on l'a fait, dans cette étude-là, dans ce documentaire qui a été largement vu à la Société
Radio-Canada, on l'a fait à l'aide de catégorisation «eux-nous»
arbitraire par rapport à la taille des enfants, tout simplement. Donc, on a des
recherches qui démontrent que simplement la catégorisation «eux-nous» est
suffisante pour enclencher des sentiments de… premièrement, chez les...
avantagés de la
discrimination, et crée des sentiments d'être victimes de discrimination chez
ceux qui sont dévalorisés par ce genre de catégorisation là. Donc, dans la recherche, on s'aperçoit que c'est
assez facile pour les êtres humains de sentir qu'ils sont victimes de
discrimination ou de stigmatisation suite à une catégorisation
valorisé-dévalorisé. Donc, c'est le danger.
Et puis c'est le but de la commission. On veut
alerter les architectes de la loi, de dire : Il va y avoir des conséquences
négatives pour ceux qui se perçoivent victimes de cette loi-là. Et là on a le
repli identitaire, et là on a la menace de
l'intégrisme chez ceux qui se sentent vraiment victimes. Et, on le voit en
France, il y a des quartiers de non-droit
en France pour ceux qui sont exclus de la société française, surtout des
Maghrébins. Donc, les dangers existent avec ce genre de catégorisation
là qu'on voit dans la loi par rapport à ceux qui portent des signes religieux
et ceux qui ne les portent pas.
La Présidente (Mme Beaudoin) : Mme
la députée de Notre-Dame-de-Grâce, à vous la parole.
• (12 h 40) •
Mme Weil :
…une chose. Alors, peut-être, on va avoir des questions… peut-être des réponses
rapides. Vous dites que la tradition québécoise… que l'affirmation
de neutralité, de laïcité, l'expression est ancrée dans l'histoire d'une
société, puis il faut faire attention,
prendre garde de ne pas s'inspirer de modèles ailleurs. Et vous confirmez
que les politiques publiques, depuis la Révolution tranquille, c'est un
modèle de laïcité ouverte. Est-ce que c'est bien ça?
Mme Milot (Micheline) : Certainement
une laïcité des institutions, des réglementations et des lois qui s'est toujours
voulue inclusive dans la diversité. Alors, certains la qualifient d'ouverte,
d'autres d'inclusive. Enfin, le qualificatif témoigne de quelque chose, c'est-à-dire ce pour quoi on… Beaucoup de personnes ajoutent
un qualificatif au mot «laïcité», c'est
que plusieurs craignent une application de la laïcité qui, plutôt que protéger les droits
minoritaires, les restreint, alors, comme ça existe dans peu de pays,
mais dans certains pays dont on ne peut pas importer, justement, les exemples parce
que la tradition juridique et historique est différente.
Mme Weil : La neutralité a toujours été une neutralité
des institutions et non des individus, c'est selon la
règle de droit du Québec, du Canada.
Mme Milot (Micheline) : Du Canada,
depuis plus que des décennies, des siècles.
Mme Weil : D'accord. Et est-ce
que vous êtes au courant de l'étude
du German Law Journal : Women Between a Rock and a Hard Place : State Neutrality vs. EU
Anti-Discrimination Mandates in the German Headscarf Debate?Est-ce que vous êtes au courant? C'est une étude qui a été
faite justement… qui va exactement dans le sens que vous allez, donc qui a fait une étude sur l'impact de leur «Headscarf Legislation»
qui ressemblait à tout point de vue
au projet de loi n° 60, et ils ont été inondés de plaintes de
discrimination dans le secteur public et privé.
Mme Milot (Micheline) : Les deux, effectivement.
Mme Weil : C'est votre… Donc,
je cède la parole à ma collègue.
La Présidente (Mme Beaudoin) :
Alors, Mme la députée de Bourassa-Sauvé, à vous la parole.
Mme de Santis : Merci
beaucoup, Mme la Présidente. Merci d'être là. J'apprécie énormément votre mémoire. J'aimerais retourner à un commentaire ou à une question qui a été posée par le ministre.
Si, dans une institution
scolaire, il y a 10 enseignants qui portent un symbole religieux
ou un objet religieux, si ces objets religieux sont un crucifix dans un
cas, des voiles dans d'autres cas, une kippa dans un autre cas, il ne me semble
pas que cette institution favorise une religion
ou une autre, et, d'après moi, ça démontre qu'il n'y a vraiment
aucun favoritisme pour une religion et, dans cet aspect-là, ça démontre
une certaine laïcité.
Je pose la question
à vous et je vous demande votre opinion. L'autre jour, les universités, l'Université Concordia,
l'Université de Montréal, nous disent qu'ils ont beaucoup de personnels qui
portent des signes religieux, mais qu'il n'y
a pas de problème de religion qui impose la pensée ou une façon de faire soit
au personnel, soit aux étudiants, soit à l'administration. Alors,
pouvez-vous donner votre opinion là-dessus?
Mme Milot (Micheline) : Un mot
rapidement et je passe la parole à ma collègue Fasal, qui est spécialiste en éducation. Mais, en fait, dans une société
sécularisée et dans des institutions laïques comme les nôtres, quand une
personne porte un signe religieux, la personne qui la voit ne peut que
constater que cette personne-là est de telle ou telle religion, sans plus.
Mme Kanouté (Fasal) : Bien, on
oublie aussi qu'au-delà du signe religieux qui est porté la posture d'un employeur ou d'un professionnel est balisée par un
code d'éthique de sa profession. On ne fait pas n'importe quoi. Si un professionnel commet une faute professionnelle,
bien nous avons des leviers et nous avons des cliquets normatifs pour
sanctionner ces fautes professionnelles, que la femme soit voilée ou pas. Donc,
je trouve qu'il faut faire confiance au système
qu'on a. Personnellement, je trouve qu'il n'y avait aucune urgence au niveau
social pour énoncer une telle loi. Par exemple,
dans le milieu scolaire, depuis des années, nous disposons des outils
nécessaires pour gérer les accommodements raisonnables et nous disposons
aussi…
La Présidente (Mme Beaudoin) :
Mme Kanouté, malheureusement, je dois vous interrompre, le temps est
écoulé. Alors, je cède la parole au groupe
formant la deuxième opposition. Mme la députée de Montarville, à vous la
parole. Vous allez pouvoir continuer peut-être votre exposition.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci, Mme la Présidente. Merci,
mesdames, monsieur, merci pour le mémoire, qui est étoffé, dans lequel il y a des études fort
intéressantes. Et j'aimerais vous amener tout de suite à la page 11, en bas de
page, et on cite des auteurs du mémoire,
dernier paragraphe : «…d'autres études, comme celle menée par le Pr Richard Bourhis et son équipe, attestent bien que les résistances et
les préjugés sont plus élevés à
l'égard des groupes sociaux qui sont
dévalués par certains de leurs attributs — race,
religion — dévaluation que le projet de loi n° 60 risque bien d'alimenter à l'égard des minorités religieuses.» Alors, ma question est la
suivante : Pourquoi nous dites-vous qu'il s'agit d'une dévaluation,
alors que le projet de loi n° 60 interdira le port de signes religieux
mais pour toutes les religions?
M.
Bourhis (Richard) : O.K.
Alors, c'est simplement parce qu'il y
a certaines religions qui sont plus
affectées que d'autres. Donc, c'est clair
qu'on s'entend, pour la religion catholique, le signe ostentatoire d'une grande
croix, elle est maintenant moins fréquente, tandis que, pour les minorités
musulmanes et sikhs ou juives, le signe est encore d'actualité, on pourrait dire, pour ceux qui adhèrent à cela.
Donc, c'est la raison pour laquelle on mentionne ça, qu'il y a
un effet un peu plus dur pour ces minorités-là religieuses que celles
classiques du contexte québécois historique. Donc, ça, c'est un peu un élément.
Pour peut-être dire
une petite chose concernant l'inconfort, on a fait une étude récemment à
l'UQAM, qui est publiée, là, qu'on mentionne
dans le mémoire, où on a pris une expérimentatrice qui soit portait un
habillement occidental, soit un
hidjab ou un niqab à l'UQAM, avec nos étudiants. Et elle a distribué un
questionnaire en disant : Voici la façon de compléter le
questionnaire, etc. Et, par rapport à cette question-là du confort ou
l'inconfort, on a constaté — un
peu avec surprise, d'ailleurs — que
nos étudiants de l'UQAM étaient aussi confortables en présence de
l'expérimentatrice qui était avec un hidjab qu'avec celle qui avait un niqab ou
qui était habillée occidental. Ça nous a surpris. Et, sur tous les indicateurs
que nous avions dans l'étude, la perception de cette expérimentatrice-là, elle
était semblable dans les trois conditions.
Ce
qu'on a compris finalement, c'est qu'une personne qui accomplit une tâche d'une
façon très efficace, très claire, a
fait en sorte que les étudiants ont dit : Bien, cette personne-là fait quelque chose de très normatif, qu'elle soit avec le niqab ou le hidjab, dans un contexte universitaire, elle le fait très bien, et donc on l'évalue d'une façon aussi positive,
qu'elle soit avec le hidjab, le niqab ou habillée normalement, on pourrait
dire, au niveau occidental. Et ils ont même… La seule différence qu'on a obtenue, c'était que nos étudiants manifestaient le
désir plus vif de rencontrer l'expérimentatrice qui était habillée avec
le niqab que celle qui était avec le hidjab ou avec l'habillement occidental parce
qu'ils voulaient mieux connaître la
personne. Ils voulaient avoir… Ils voulaient s'engager dans une relation
interculturelle avec l'expérimentatrice.
Mme
Roy
(Montarville) : …se passait dans une université, lieu de rencontre, lieu d'échange, lieu de
découverte, par ailleurs.
M. Bourhis
(Richard) : Exactement. Et ça fait partie de la formation de nos
étudiants.
Mme
Roy
(Montarville) : Par ailleurs, j'aimerais vous entendre parler… Je comprends très bien que vous dites que vous n'aimez pas la
prémisse à l'effet… cette interdiction de port de signes religieux sur laquelle
la prémisse est basée. Cependant, dans le projet de loi n° 60, il y
a d'autre chose également, et
j'aimerais vous entendre à cet égard. Vous dites que nous avons une laïcité, qu'elle existe, mais elle est de
facto, légalement parlant. Et j'aimerais vous entendre sur le fait… Ne croyez-vous pas qu'il faille, actuellement, dans notre société, inscrire, édicter dans une loi que l'État québécois est laïque? Parce que
légalement ça n'existe pas actuellement.
La Présidente (Mme
Beaudoin) : Pour quelques minutes seulement. Le temps est presque
écoulé.
Mme Milot
(Micheline) : En fait, comme je l'ai dit plus tôt, dans la plupart des
démocraties, il n'y a pas eu de proclamation
juridique de la laïcité. Ce qui importe, c'est que les finalités de la laïcité
soient l'assurance de la liberté…
La
Présidente (Mme Beaudoin) :
Je dois vous interrompre. Le temps est écoulé. Alors, je cède la parole à
la députée de Gouin. À vous la parole.
Mme David :
Pour une période de combien de temps, Mme la Présidente?
La Présidente (Mme
Beaudoin) : Vous avez 3 min 40 s.
Mme
David : Merci.
Mesdames monsieur, bonjour. Première question. On entend beaucoup de choses ici, à
cette commission, en fait, beaucoup de ce que j'appellerais des anecdotes, d'un
côté ou de l'autre, là, sur les rapports usager-employé. Moi, je voudrais
savoir s'il existe des recherches sur cette question. Employé des services
publics, bien entendu.
• (12 h 50) •
Mme Milot (Micheline) : En fait,
oui, on a des chercheurs qui travaillent spécifiquement sur l'intégration au
travail des minorités et les rapports interculturels qui peuvent se produire,
et rapidement la ligne d'importance, c'est : il
incombe à l'institution de trouver les mécanismes pour aider l'intégration de
minorités et permettre des rapports interculturels
de qualité pour, justement, lever — excusez
l'expression académique — la
dissonance cognitive qu'il peut y
avoir ou la peur, la crainte qu'il peut y avoir de la différence. Et nous avons
des études documentées sur des institutions assez larges qui ont fait de leur politique l'intégration de la
diversité sans faire de distinction des signes religieux, la couleur de la peau, le handicap, etc., et, même s'il y a
un inconfort de certaines clientèles ou de certaines personnes en tout
début des rapports, un bon travail de
personnes pour, justement, faciliter le rapprochement entre les individus
lève complètement ces inconforts.
Mme David : Merci. Donc, je pense qu'on aurait avantage,
l'ensemble des parlementaires, à prendre connaissance de vos recherches
sur cette question.
J'ai une
deuxième question, rapidement. Plusieurs disent qu'on est, dans tout ce débat,
là, en présence d'un conflit entre, dans le fond, le droit collectif
d'un peuple, un peuple de toutes origines, bien sûr, à vivre dans un État
neutre et laïque et la défense des libertés
individuelles de femmes qui veulent concilier leurs convictions religieuses et
le travail au service du public. Et
je fais exprès de parler de femmes. Il
y a des hommes aussi, mais ce débat
touche, on le sait, tout le monde, d'abord
et avant tout les femmes. Est-ce
qu'on est vraiment, selon vous, en présence d'un conflit entre des
droits collectifs et des libertés individuelles?
Mme Milot (Micheline) : Non. Non. Il
me semble que le droit à vivre dans un État neutre n'est pas un droit collectif en tant que tel. On a des droits d'avoir
des services qui respectent ce que nous sommes en toute égalité et non
pas à légiférer sur un besoin que j'aurais de ne pas savoir qui est l'autre
dans son identité. Alors, l'État doit garantir que les individus, à quelque groupe qu'ils appartiennent, majoritaire ou
minoritaire, jouissent des mêmes lois, des mêmes droits, des mêmes
bénéfices, et il n'y a pas de documentation qui nous dit qu'il y a une majorité
qui soit inconfortable et qui réclamerait
l'invisibilité de l'appartenance religieuse des personnes. On n'a aucune étude
qui nous permet de valider cela.
Mme Kanouté (Fasal) : Est-ce que je
peux ajouter…
La Présidente (Mme Beaudoin) : Il
vous reste quelques secondes encore.
Mme Kanouté (Fasal) : Je peux
ajouter un mot. On a un discours de reconnaissance de la diversité. Si on reconnaît la diversité, la diversité doit se voir
et s'entendre. On ne peut pas reconnaître la diversité et avoir en même
temps un discours qui s'assimile à de
l'assimilation pure et simple. C'est très important. Donc, nous avons des
outils pour…
La
Présidente (Mme Beaudoin) : Malheureusement, le temps est déjà écoulé. Alors, je vous remercie pour la
présentation de votre mémoire.
Je vais suspendre pour quelques minutes pour
permettre à M. Michel Paillé de prendre place.
(Suspension de la séance à 12 h 53)
(Reprise à 12 h 56)
La
Présidente (Mme Beaudoin) :
M. Paillé, alors je vous invite à présenter votre mémoire.
Vous avez 10 minutes pour la présentation de ce mémoire.
M. Michel Paillé
M. Paillé
(Michel) : Alors, merci, Mme
la Présidente. Je remercie cette commission de m'accueillir à nouveau
dans cette enceinte où j'ai… Je suis venu souvent à l'époque où j'étais
fonctionnaire moi-même. J'ai pris ma retraite il
y a une dizaine d'années et, depuis deux ans, je suis blogueur au Huffington
Post Québec, cependant je suis ici à titre personnel. Alors, je veux
aborder brièvement trois aspects de mon mémoire qui est, somme toute, très
court, que j'ai développé dans trois articles ultérieurement. J'y ferai
peut-être allusion.
Alors, la
première des choses, c'est sur la primauté du français. Je ne reviendrai pas
longuement là-dessus parce que d'autres
sont venus exprimer des vues sur cette question-là. J'avais suggéré dans mon
mémoire de remplacer «primauté du français» par «pérennité du français».
Je me rallie, par exemple, entre autres, à Impératif français et d'autres qui
ont proposé de revenir à l'expression
«français langue commune», c'est plus clair et c'est plus conforme à ce qu'on
disait dans les années 70, au moment de l'adoption de la loi 101. Et j'ai noté
que le ministre avait accepté ce point de vue là, je présume donc qu'il y aura
amendement.
Deuxièmement,
avant même que cette commission… avant même que la loi soit déposée, on parlait
déjà, là, de la… il y avait déjà un débat sur le crucifix à l'Assemblée
nationale. Ce n'est pas dans mon mémoire, mais j'en ai fait un article et j'ai une proposition à vous soumettre,
vous pourrez la transmettre à qui de droit. C'est qu'au fond le
problème, c'est qu'on est braqués sur le
salon bleu comme si on pouvait en faire abstraction par rapport à l'hôtel du
Parlement. Et moi, je vous suggère de le déplacer pour le centrer sur
une verticale symbolique qui serait la suivante.
C'est qu'on a, tout en haut, la croix blanche de
notre drapeau qui flotte à la tour du parlement, suivie de quatre statues de
religieux de notre histoire, deux femmes d'abord et deux hommes ensuite, et
finalement, si on le plaçait juste derrière moi dans le
hall commun aux deux salons, le salon bleu et le salon rouge où nous sommes présentement, on aurait cette symbolique histoire
et religion avec, à l'horizontale, on aurait ce qu'on appelle la
laïcité. Donc, j'ai remarqué, en venant ici tout à l'heure, vu que je suis
arrivé d'avance, qu'il y a des niches dans le hall, on pourrait installer ce crucifix dans une de ces niches-là
avec une plaque pour en montrer la symbolique et raconter son histoire.
Mais
l'essentiel de mon propos porte sur les signes religieux. Alors, pour moi…
j'entre dans un tout autre paradigme, pour
moi, cette question-là, c'est une affaire d'équité entre des travailleurs, en
particulier les fonctionnaires, dont je faisais partie, et aussi les enseignants, les employés d'hôpitaux, etc. Alors,
justement, le dernier texte que j'ai écrit porte là-dessus et il a paru
cette nuit dans le Huffington Post, il est à la une, là, pour deux,
trois jours, vous pourrez le consulter.
• (13 heures) •
Alors, dès la présentation, là, du projet du
gouvernement, en septembre 2013, j'ai déploré que les médias et le public portaient l'attention sur les contacts
de première ligne entre les citoyens et quelques fonctionnaires. Alors,
je trouve ça très réducteur. C'est trop
simple. La fonction publique, c'est plus que ça. D'ailleurs, de toute façon,
moi-même, quand j'étais au Conseil de la langue française et ensuite à
l'office, mes contacts avec la population se faisaient par l'intermédiaire des publications et des journalistes, j'avais très peu de contacts avec le
citoyen lui-même. Mais pourtant j'étais soumis à certaines règles.
Donc, je suis
retourné à la Loi sur la fonction
publique, et je vous lis l'article
10 de la loi, qui dit, dans sa version de 1984, que «tout fonctionnaire
doit faire preuve de neutralité politique dans l'exercice de ses fonctions». Et
ça, c'est une exigence qui vaut pour tout le monde, peu importe le rang, qu'il
s'agisse d'un supérieur ou d'un subalterne, et ça vaut également, ça vaut pour la majorité des
fonctionnaires qui n'ont aucun contact avec la population. C'est une
obligation qui est d'ailleurs très large, elle déborde le cadre des politiques
québécoises.
J'aurais été
mal avisé d'afficher mes opinions en matière de politique fédérale, au Conseil
de la langue française, dans le temps
que j'y étais. Même chose pour les administrations municipales ou les grandes
idéologies. J'avais sans doute des
collègues qui étaient partisans, par exemple, de l'environnement, et ils ont
bien caché leurs idéologies là-dessus parce que l'article 10 de la Loi sur la fonction publique leur demandait
d'être discrets. Le mot clé de mon intervention, c'est la discrétion des
fonctionnaires entre eux.
Ensuite, j'ai
regardé les chartes, les deux chartes. La charte québécoise votée en 1975, de
quoi on parle, finalement? On parle
de l'article 3, qui est intitulé Libertés fondamentales, au pluriel. On
en nomme six, libertés : conscience, religion, opinion, expression,
réunion et association. Et le fédéral, sept ans plus tard, a enchaîné avec sa
charte et il énumère les mêmes six et il en ajoute deux autres, la liberté de
pensée et la liberté de croyance.
Alors,
l'objectif, finalement, de cet exercice, à mon avis, de la Loi sur la fonction
publique... Et je vous cite ici l'article
3 de la loi, qui dit qu'on procède ainsi pour «favoriser l'efficience de
l'administration ainsi que l'utilisation des ressources humaines d'une façon optimale» en obligeant tous les
fonctionnaires à une discrétion sur leurs convictions politiques et
idéologiques.
Alors, il
s'agirait, à mon sens, d'ajouter à cette loi-là, la Loi de la fonction
publique, à l'article 10, la dimension religieuse
et parareligieuse. Je dis «parareligieuse» en plus du religieux parce que, dans
le débat, plusieurs observateurs ont fait remarquer que les signes
religieux dits ostentatoires ont beaucoup plus à voir avec les traditions, avec
les sociétés d'où viennent ces personnes, bien plus que selon les livres saints
des religions concernées.
Alors,
interdire le port de signes religieux au travail, ça revient à étendre les
restrictions déjà existantes à d'autres libertés fondamentales énoncées dans nos deux grandes chartes. Ne pas le
faire, à mon avis, c'est créer deux catégories de fonctionnaires. Interdire aux uns d'afficher leurs
opinions politiques ou idéologiques et permettre à d'autres de
montrer leurs croyances ou leurs convictions religieuses, c'est donner un
privilège aux seconds. Si les uns sont tenus à un devoir de discrétion politique, on devrait
s'attendre à ce que tous en fassent autant relativement aux convictions
religieuses, car les libertés fondamentales ne sont pas hiérarchisées.
On l'a souvent répété, il n'y a pas une liberté qui est plus élevée que
l'autre. Autrement dit, le religieux ne prédomine pas sur le politique et
l'idéologique. Donc, j'ai recommandé d'ajouter
cette dimension religieuse au projet
de loi n° 60. Et évidemment
une chose qui n'est pas mentionnée dans le projet de loi, c'est
d'amender l'article 10 de la Loi sur la fonction publique.
Alors, j'ai
dit essentiellement ce que j'avais… résumé le plus possible. Je suis prêt à répondre à vos questions.
La Présidente (Mme Beaudoin) : Il
vous restait une minute. Ça va?
M. Paillé (Michel) : Il restait une
minute?
La
Présidente (Mme Beaudoin) :
Bon. Alors, ça va. Alors, je cède la parole au groupe formant le gouvernement. M. le
ministre, à vous la parole pour une période de 20 minutes.
M.
Drainville : Merci,
Mme la Présidente. Bonjour, M. Paillé, merci pour votre présentation. Je pense
que je vais faire appel un peu à votre histoire d'ancien fonctionnaire.
Vous avez été fonctionnaire pendant combien d'années, disiez-vous?
M. Paillé (Michel) : 25 ans.
M. Drainville : 25 ans. Certains rejettent, comme vous le savez,
le parallèle que nous faisons entre la neutralité politique
et la neutralité religieuse. Ils disent que ce n'est pas du tout pareil. Je
suis toujours un peu étonné, d'ailleurs, d'entendre mon collègue de LaFontaine
faire cette affirmation que ce n'est pas du tout pareil, alors que les
convictions politiques sont également protégées par l'article 10 de la Charte des droits et libertés, là, la charte sur la non-discrimination. C'est bizarre, il parle de… enfin, il parle du
sexe, de la grossesse, de l'orientation sexuelle puis de la religion, mais il
oublie toujours les convictions politiques qui sont protégées à l'article 10.
Et je lui rappelle également que l'article 3 prévoit également une protection
pour la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la
liberté d'expression. Mais bizarrement il semble que cette liberté
d'expression et d'opinion soit moins importante pour le Parti libéral que ne
l'est la liberté de religion. Je suis franchement toujours un peu étonné
d'entendre ça.
Mais
j'aimerais ça que vous nous disiez à quoi ça pourrait ressembler, cette idée
d'une laïcité ouverte, où, dans le fond, poussée un peu à l'extrême, là, tout le monde pourrait porter des signes religieux et on les encouragerait à le
faire, les athées pourraient porter des
chandails exprimant leurs convictions, les agnostiques pourraient se créer un
signe également. J'aimerais savoir,
de votre point de vue, comme ancien fonctionnaire, là, pendant 25 ans, qu'est-ce que ce seraient, les conséquences sur l'administration publique,
selon vous, de cette laïcité ouverte où on dit, dans le fond : La
meilleure façon d'exprimer notre diversité, c'est d'avoir la plus grande
panoplie possible de convictions religieuses affichées ouvertement à travers
l'État.
M. Paillé (Michel) : Au fond, personnellement, moi, je ferais… Pour moi, la discrétion au
travail, pour tout ce qu'on appelle les libertés fondamentales, les six
ou huit, là, dépendamment de la charte qu'on prend, pour moi, là, la discrétion au travail, ça devrait être une valeur
universelle. Tout travailleur, sur la planète, devrait avoir la paix sur
ces choses-là durant ses heures de travail,
sur ses lieux de travail. On ne va pas travailler pour afficher nos croyances,
quelles qu'elles soient. Parce que tout ça,
ça se passe entre les deux oreilles. Ce n'est pas… Il ne s'agit pas de renier à
quoi on croit, il s'agit simplement
de rester discret envers les autres pour éviter de susciter des… tout ce que
vous voudrez finalement.
Donc, du temps que
j'étais dans la fonction publique, il y avait une règle stricte sur le
politique au sens large, comme je l'ai
développé. Et là arrivent les questions religieuses. Effectivement, je trouvais
qu'on plaçait… on se trouvait… Ne
rien faire, ce serait, comme je l'ai dit, ce serait accorder un privilège à
quelques-uns qu'on n'accorderait pas aux autres. Concrètement, ça veut
dire quoi? C'est que, dans une unité de travail, mettons que vous avez 20, 25
personnes qui travaillent ensemble, il y aurait là-dedans, là, cinq, six
personnes qui ont des convictions profondes en politique, sur la religion. Le directeur de l'unité doit faire
travailler ce monde-là ensemble. Je trouve ça boiteux que… Autrement
dit, il y en a qui seraient…
Vous
avez donné, M. le ministre, l'exemple d'un agnostique qui afficherait sa
non-foi. J'ai vu un chandail, par exemple,
un chandail noir avec des grosses lettres blanches dessus : Dieu n'existe pas.
Alors, évidemment, un affichage comme ça
pourrait provoquer, en quelque sorte, dans les lieux de travail, ceux qui ont
une foi quelconque, même si eux-mêmes ne l'affichent pas, leur foi. Alors,
évidemment, ça, cet exemple-là que je reprends, c'est l'inverse de ce
sur quoi on se penche, c'est-à-dire des signes religieux qui existent déjà
alors qu'on pourrait imaginer le contraire.
Moi,
durant ma carrière, j'ai travaillé avec des gens qui avaient des idées de
toutes sortes, mais je n'ai jamais connu leurs idées de ce temps-là. C'est sûr que j'avais des amis avec qui
j'allais dîner parfois, que je connaissais un peu mieux. Mais, sur les
lieux du travail, on n'exhibait pas nos idéologies. On n'avait pas le droit de
placer une affiche dans nos bureaux, de se promener avec un tee-shirt ou une
casquette. Et je me demande pourquoi ce serait différent pour le religieux. C'est créer deux classes, à mon avis,
et ça pourrait créer, avec le temps, si la chose grossissait, ça pourrait
créer des tensions. Et il y a des patrons qui auraient de la difficulté à
former certaines équipes, mettons, une équipe de trois, quatre chercheurs, par exemple, puis se dire en lui-même : Je ne
suis quand même pas pour mettre ces deux-là ensemble, leur message est
tellement opposé. Voyez-vous, on pourrait imaginer toutes sortes de scénarios
de ce genre-là.
• (13 h 10) •
M. Drainville :
Qu'est-ce que vous répondez à l'argument, que vous entendrez peut-être
incessamment, à l'effet qu'un macaron d'un parti politique, ce n'est pas
comme un signe religieux, c'est beaucoup moins important qu'une appartenance
religieuse? Comment vous répondez à ça?
M. Paillé (Michel) : Bien, moi, je réponds que je lis les chartes, et les deux choses que
vous mettez ensemble viennent du même article dans les deux chartes, et,
d'après les avocats et les juristes, ils nous disent, ils nous répètent que ces droits-là sont sur un même pied d'égalité,
les six que j'ai nommés, là, ils sont sur un même pied d'égalité. Alors,
au fond, ça revient à demander… ça reviendrait
à demander aux tribunaux : Écoutez, dites-nous, est-ce que, ces
droits-là, est-ce qu'il y en a un là-dedans,
là… et pour quelle raison… est-ce qu'il y en a un là-dedans qui est au-dessus
des autres? Personnellement, j'aimerais bien le savoir, mais je doute
fort que les tribunaux feraient ce que le législateur, en 1975, quand on a voté notre charte des droits, ou le
constituant, en 1982, lors du rapatriement constitutionnel à Ottawa… je
doute fort que les tribunaux puissent faire
ce que le législateur et le constituant n'ont pas fait, c'est-à-dire
hiérarchiser ces droits-là.
M. Drainville :
Vous êtes démographe de formation. Vous avez, d'ailleurs, participé à la
commission Bouchard-Taylor, hein, pour laquelle vous avez produit un
rapport de recherche. Là, je vais faire appel à vos compétences de démographe.
Vous
savez, Guy Rocher est venu nous présenter un mémoire et il nous disait que,
dans le fond, la déconfessionnalisation de l'État québécois, elle s'est
amorcée au début des années 60, lorsqu'on a réalisé, dans le fond, que la société québécoise était en train de
changer et qu'il y avait de plus en plus de Québécois qui remettaient en
question les dogmes de l'Église, qui ne s'identifiaient plus nécessairement
comme catholiques, mais comme athées, agnostiques, dans le doute. Alors, voyant
cette diversité de convictions croissante — il y avait de plus en plus de
croyances — bien, l'État devait s'ajuster, et la façon,
pour l'État, de s'ajuster, c'était de dire : Bien, écoutez, on va
laïciser nos institutions pour faire en sorte, justement, de respecter cette
nouvelle diversité des croyances au sein de notre propre population.
Alors,
on a créé un système d'éducation public et on a demandé à ceux et celles qui
sont restés enseignants dans ce
système-là de renoncer progressivement à leurs signes religieux. Ce n'était pas
nécessairement une loi formelle, mais la pression sociale, le consensus
social faisait en sorte que tout le monde comprenait que la diversité
croissante des convictions devait nous
amener vers des institutions qui étaient de plus en plus neutres sur le plan
religieux, de plus en plus laïques.
Et donc Rocher… Guy Rocher, dis-je bien, nous dit : Dans le fond, le projet
de loi n° 60, celui qu'on regarde… la charte, elle s'inscrit dans
le processus de déconfessionnalisation qu'on a commencé dans les années 60.
Comment vous
voyez ça, vous? Est-ce que vous situez le projet de loi n° 60 dans sa
continuité historique et dans la… je
dirais, dans le prolongement de la transformation démographique que le Québec a
connue, particulièrement, je dirais, dans les 20 ou 30 dernières années?
Je vous rappelle qu'il y a près de 13 % des Québécois qui sont nés à
l'étranger présentement, là. C'est une proportion qui est comparable à celui
des États-Unis et de l'Allemagne, et qui est même supérieure à celui du Royaume-Uni. Je dis toujours, moi, que cette
diversité-là, c'est une grande richesse. En même temps, c'est un grand défi. Et donc la démographie
québécoise, elle est en train de changer. Dans quelle mesure, à votre
avis, est-ce que ce projet de loi
n° 60… est-il une réponse, justement, au fait qu'on vit dans une société
où la diversité est de plus en plus présente, ce qui est une très bonne
chose?
M. Paillé (Michel) : Oui. D'abord,
vous parlez de la Révolution tranquille. Ce qui prouve bien qu'elle était tranquille,
c'est que ça s'est fait progressivement. Moi, je me rappelle du temps de mes
études classiques. Quand j'ai commencé en
Versification spéciale, là, en 1959, tous mes enseignants étaient des abbés qui
portaient la soutane et, quand j'ai
terminé, cinq ans plus tard, ils étaient habillés comme des… en civil. C'était
l'ancêtre du cégep de Bois-de-Boulogne,
le collège Saint-Paul, que le cardinal Léger lui-même a laïcisé à sa façon.
Donc…
M. Drainville : En quelle
année ça s'est passé, ça?
M. Paillé
(Michel) : 1959-1964.
C'était une période de cinq ans. Et ça a été fulgurant, et ça s'est fait de
façon tranquille. Et on appelle ça la Révolution tranquille; de fait, elle a
été tranquille.
M.
Drainville : Et je
souligne que c'est avant Vatican II, 1964, là. Parce qu'il y en a qui disent
que cette décision des religieux de
renoncer à leurs habits religieux n'était dictée que par Vatican II. Moi, j'ai
toujours dit : Oui, Vatican II a joué un rôle, c'est bien entendu,
mais il y avait plus que Vatican… Ce n'est pas Vatican II qui a créé les
cégeps, tu sais? Ce n'est pas Vatican II qui
a déposé le projet de loi 60 pour créer le ministère de l'Éducation publique au
Québec. Il y avait un consensus social
également qui a amené ces religieux qui souhaitaient rester dans le nouveau système public à renoncer à leurs habits…
Je m'excuse de vous avoir interrompu, mais je trouve ça intéressant parce que ça, c'est ce que vous avez vécu, là, ce
n'est pas des… On ne prend pas ça ailleurs, vous l'avez vécu. En cinq
ans, vous avez vu les personnes renoncer rapidement à leurs habits religieux.
M. Paillé
(Michel) : Oui, et, pour
répondre à la deuxième partie de votre question, je suis très bien placé
pour parler de la diversité de la population
québécoise. Je connais très bien les projections démographiques de mon collègue
Marc Termote, et effectivement plus le temps
passe, plus la population québécoise se diversifie. Vous avez parlé de
13 % nés à l'étranger, mais j'irai plus loin que ça. Les oreilles,
moi, me silent quand j'entends parler encore de Québécois de souche et, pire, de Québécois pure laine. J'ai osé signer à
titre privé, suite au référendum de 1995, un article dans Le Devoir intitulé Pour en
finir avec les pure laine parce qu'un écrivain avait reproché aux
démographes, à l'ensemble des démographes du
Québec d'être responsables de la déclaration de Jacques Parizeau le soir du
référendum, alors qu'on démontre justement le contraire. Des Québécois
soi-disant pure laine, il n'y en a probablement jamais eu parce qu'on a toujours été mêlés avec des
Irlandais, des Amérindiens, etc. Et des Québécois francophones de souche,
il y en a de moins en moins parce que,
écoutez… Non, effectivement, là, la population francophone se diversifie
davantage. Et, pour nous, en démographie, là, un Français, un Belge, un
Haïtien qui parle français, il est né exactement sur un pied d'égalité avec un
Tremblay ou un Simard, c'est exactement pareil dans nos statistiques, il n'y a
pas de différence.
M.
Drainville : Juste
pour qu'on se comprenne bien. Alors, Vatican II, c'est 1962-1965. Et vous, vous
me dites qu'en 1964 c'était fait.
Hein? La plupart, vous me dites, la plupart de ceux des religieux qui portaient
une soutane, rendu en 1964, ils y avaient renoncé, ils l'avaient
remplacée par des habits laïques.
M. Paillé
(Michel) : Oui, ça s'est
fait en parallèle. Et déjà, en 1964, c'était déjà très avancé, là. Est-ce que
mes souvenirs sont bons, là? Quelle année est la plus marquante?
• (13 h 20) •
M.
Drainville : En tout
cas, les cégeps, c'est 1968, si je ne me trompe pas. C'est Daniel Johnson, si
je ne m'abuse.
Qu'est-ce que
vous pensez du parallèle avec la loi 101? Moi, c'est un… Là-dessus aussi, j'ai
un désaccord avec mes amis d'en face. Je continue à dire que ça se
compare très bien parce que la loi 101, ça a été une loi qui a été très marquante par le débat qu'elle a suscité, un débat
très émotif. Mais, si on fait le
bilan de cette loi-là, c'est une loi, somme toute, qui a contribué à
installer une paix linguistique au Québec et, donc, qui a produit beaucoup d'harmonie au terme de son adoption, puis de son
installation, de sa mise en place. Je pense qu'on peut dire que la loi
101 a été une loi qui a créé de l'harmonie au Québec, qui a contribué à la paix
sociale.
Et moi, je
dis qu'une fois qu'on aura voté cette charte-là on va aussi, je pense, au terme
de son adoption et de sa mise en place, je pense qu'on va constater,
dans quelques années d'ici, qu'elle aura, elle aussi, été… — comment
dire? — qu'elle
aura contribué à plus d'harmonie, à un vivre-ensemble — comment
dire? — plus
serein. Est-ce que vous aimez cette
comparaison, vous, entre la loi 101 et la charte ou est-ce que vous trouvez que
c'est une mauvaise comparaison?
M. Paillé
(Michel) : Je la pousserais
plus loin de la manière suivante. La loi 101 et la loi 22 trois ans
auparavant, là, n'ont pas décidé que, le lendemain de l'adoption de la loi, tout
le monde devait travailler en français. On avait prévu un mécanisme d'implantation du français langue de travail de manière
graduelle, en demandant aux entreprises de nommer une personne responsable de cette francisation-là,
en créant un office de la langue française, avec des agents qui iraient
aider ces entreprises-là à franciser leur milieu de travail, et c'est un rôle
qui se poursuit toujours.
Alors, moi,
j'ai fait allusion à la Loi sur la fonction publique. Cette loi-là relève du
président du Conseil du
trésor, et j'imagine que le président du Conseil du trésor, si le projet de loi
est voté, il va devoir mettre sur pied un système pour faire en sorte que le projet de charte des valeurs soit appliqué
progressivement, comme on l'a fait pour la langue de travail avec la loi 101. Alors, quand j'ai
entendu, tout à l'heure, là, des mises à pied massives de 1 000 ou 10 000 personnes, là, ça,
je ne comprends pas un discours pareil.
Juste pour
vous faire un petit exemple concret, si j'étais arrivé, moi, au travail, un
jour, avec un tee-shirt d'un parti politique
québécois, on ne m'aurait pas congédié immédiatement. Ça aurait été un long
processus prévu par les conventions collectives et ça aurait pu durer
plus d'un an. Il y a quatre étapes à suivre sur le plan formel, sans compter
les étapes informelles. La première des
choses, si j'étais arrivé au travail avec un tee-shirt, là, politique, de
nature politique, avant même que mon
patron vienne me voir pour me demander ce qui se passe, mes meilleurs amis
seraient venus me voir puis ils
auraient dit : Michel, qu'est-ce qui te prend à matin? Pourquoi ça? C'est
de la provocation, c'est une farce, c'est une blague. Alors, voyez-vous, ça ne se fait pas, ça ne se fait pas comme
ça. On est capables de se parler, de se comprendre, de mettre des
ressources à notre disposition pour que les choses avancent tranquillement.
M.
Drainville : Alors,
je m'excuse d'avoir induit cette commission en erreur. La loi des cégeps n'a
pas été votée en 1968, mais bien en 1967. Mais c'est sous Daniel
Johnson, ça, je l'avais. Et elle a été adoptée à l'unanimité. Alors, il nous
reste deux minutes?
La Présidente (Mme Beaudoin) : Oui.
M.
Drainville :
Pourquoi, à votre avis, faut-il agir maintenant? Parce que, par exemple, hier,
la FTQ est venue nous dire : Écoutez, on aimerait mieux que le
débat se poursuive, notamment sur l'interdiction des signes religieux, on ne voudrait pas que vous votiez ça maintenant. Moi,
je suis plutôt… puis notre gouvernement, on est plutôt dans l'urgence,
je vous dirais. On pense que le moment est
venu d'agir, on a repoussé cette question-là sous le tapis beaucoup trop
longtemps, et que, si on n'agit pas, ça va
être plus compliqué à voter, une telle charte, plus tard, et que, d'ici ce
temps-là, si on ne pose pas de
gestes, si on ne vote pas cette loi-là, il va y avoir d'autres épisodes
d'accommodements religieux déraisonnables, il va y avoir d'autres tensions, il va y avoir d'autres frustrations et on
n'aura rien réglé. Alors là, nous, on pense, comme gouvernement, que le temps est venu, donc, d'aller
de l'avant avec cette charte-là. Est-ce que vous partagez cette urgence,
ce sentiment d'urgence, vous, d'agir maintenant?
M. Paillé
(Michel) : Bon, je vous
lancerais une boutade au départ. On ne peut pas… Bien qu'on ne peut pas…
La
Présidente (Mme Beaudoin) : Je dois vous interrompre. Je dois céder la
parole maintenant au groupe formant l'opposition officielle pour une
période de 19 minutes. M. le député de LaFontaine, à vous la parole.
M. Tanguay : Oui, merci
beaucoup. Complétez votre réponse, M. Paillé.
M. Paillé (Michel) : Oui. En fait,
la boutade que je pourrais vous faire, ça… Bien qu'on ne puisse pas refaire l'histoire, si ce n'était que de moi, je ne
comprends pas que le législateur, au moment de l'adoption de la Loi sur la fonction
publique, là, quand ça s'est vraiment organisé, là, pourquoi il n'a pas
considéré dans cette loi-là tout l'article 3 de notre Charte des droits et libertés de la personne au complet, avec les
six droits qui sont énumérés là-dedans, incluant le religieux. On n'en serait pas là aujourd'hui si ça avait été
décidé au départ. Bon, je veux bien comprendre qu'en 1975 ce n'était pas évident, ce n'était pas criant, mais,
comme on dit, gouverner, c'est prévoir. Et ça, ça serait ma réponse, là.
Mais je ne veux pas prendre trop de temps du…
M. Tanguay : C'est le vôtre. Et merci beaucoup, M. Paillé,
d'avoir pris le temps, donc, de rédiger le mémoire et de venir répondre à nos questions.
La Loi sur la fonction publique a été adoptée en 1983, à l'époque, sous un gouvernement
de René Lévesque, et c'est lui qui, à l'époque, a jugé bon de ne pas mettre ça
dans sa loi. Peut-être qu'il avait une raison pour ça. Qu'en pensez-vous?
M. Paillé
(Michel) : En fait, c'est
des lois qui ont été refaites, c'est… Je ne sais pas si c'est la première, là,
mais…
M. Tanguay : …première
ébauche. Mais j'aimerais, M. Paillé, poser la question. On a entendu le ministre
du Parti
québécois sur la neutralité
religieuse qui est tout à fait comparable à la neutralité politique. Pour vous, M. Paillé, êtes-vous d'accord avec la logique du ministre du
Parti québécois qu'un macaron du PQ a la même valeur que la kippa portée
par un juif? Est-ce que le macaron du PQ a la même valeur que la kippa portée
par un juif?
M. Paillé (Michel) : Tout dépend de ce que vous voulez dire par le mot
«valeur». Moi, dans mon optique à moi, là,
de ce que j'appelle la discrétion… Un macaron, en général, c'est assez gros,
hein, mais même une petite épinglette à la boutonnière, là, qui est grande comme une pièce de
0,05 $, là, ça identifie la personne,
ça brise ce que j'appellerais, moi, le
devoir de discrétion envers les autres, être discret sur ce qu'on est par
rapport à ses confrères de travail, ses subalternes, ses supérieurs.
Alors, peu importe le signe. Remarquez, dans mon mémoire, dans mes articles,
dans mon discours, je n'emploie jamais le
terme «ostentatoire» parce que, pour moi, c'est… Il y a un signe ou il n'y en a
pas. Qu'il soit petit ou grand, c'est
du pareil au même pour moi et… Bien, pour revenir à votre mot «valeur», si je
rattache ça aux articles des deux
chartes des droits sur les libertés fondamentales, je dis que c'est la même
valeur parce que politique, idéologique, religieux, c'est pareil.
M. Tanguay :
Mais est-ce que c'est aussi facile, selon vous, basé sur votre expérience de la
vie notamment et surtout, aussi facile de mettre au vestiaire son macaron du PQ
entre neuf et cinq que de mettre sa kippa juive au vestiaire entre neuf et
cinq? Est-ce que je vous interprète bien?
M. Paillé (Michel) : Bon, là, quand vous dites : Est-ce aussi facile de le mettre au vestiaire… C'est ça, la
question? Alors, bien là vous entrez dans le
sentiment que la personne a à l'intérieur d'elle-même. Je n'en sais rien. J'ai
sans doute eu, dans ma carrière, des
collègues de travail qui pensaient tout à fait différemment de moi sur le plan
politique et qui se sont abstenus en
même temps que moi de porter des signes politiques. Et est-ce que c'était plus
difficile pour eux de le faire que pour moi? Ça, je n'en sais rien.
Finalement, ce n'est pas la question que je me pose, moi.
La
question que je me pose, c'est de savoir… J'entre au bureau ou j'entre au
travail… Comme je vous dis, pour moi,
c'est une valeur universelle, la discrétion au travail sur toutes les idées
qu'on a. On ne va pas travailler pour afficher ses idées, on va travailler pour produire quelque
chose. Et donc la question que je me pose, c'est que j'ai un devoir de
discrétion envers les autres, je m'attends à
ce que les autres soient discrets envers moi. Si c'est plus pénible pour les
autres que pour moi, bien là c'est dommage pour eux, mais, que
voulez-vous, c'est… C'est comme ça que je vois ça.
• (13 h 30) •
M.
Tanguay : Dans la question
que je vous posais… Parce que vous avez pris l'exemple de la difficulté pour
un individu de mettre de côté ses
convictions politiques versus les convictions politiques pour un autre
individu. Moi, ma question, c'était la politique et la religion. Longtemps,
on entend : Ah! pour cette personne-là, la politique, c'est une religion,
disant, par ce langage populaire : La politique, ce n'est pas une
religion, et vice-versa. La faites-vous, cette distinction-là? La politique, ce
n'est pas de la religion, puis la religion, ce n'est pas de la politique. Ce
n'est pas aussi facile et évident de mettre
de côté son tee-shirt du PQ versus sa kippa juive. Et la comparaison, moi, nous
la considérons extrêmement dangereuse. Qu'en pensez-vous?
M. Paillé (Michel) : Bien, encore une fois, là, c'est… Dangereux, je ne sais pas comment
elle serait dangereuse. Si… Je ne
suis pas vraiment sûr, là, de saisir la nuance que vous faites. Mais je reviens
encore au libellé de l'article 3 de notre Charte des droits et libertés
de la personne, cette distinction-là, elle n'est pas faite, c'est sur un pied
d'égalité.
Et
il y a une chose que je voudrais faire ressortir. Il ne s'agit pas ici de nier
un droit de croire, un droit d'adhérer à une telle politique ou de croire à une telle religion; ce n'est pas ça,
l'affaire. C'est d'être discret vis-à-vis la chose. Ce n'est pas vrai qu'on laisse sa religion au vestiaire; on
l'apporte, on l'a toujours avec soi. Ses convictions politiques, je ne
les ai pas laissées, moi, au vestiaire tout à l'heure, je les apporte avec moi,
mais je ne les affiche pas, tout simplement. C'est
simplement une question de discrétion, à mon avis. Et, bon, ça peut être plus
pénible pour les uns que pour les autres.
Mais
je suis convaincu, par exemple, quand je vois, là, certains débats dans la
société, là, que… Prenons certaines personnes,
là, qui sont nettement, là, très à droite… je n'aime pas ces expressions-là,
mais très à droite et très à gauche pour défendre des idéologies, là. Pour ces gens-là, sur le plan politique,
mettons, là, pour ces gens-là, ça doit être très difficile de se retenir
dans certains milieux, notamment au travail, que ce soit dans le privé comme
dans le public.
D'ailleurs, puisque
je viens de prononcer, comme ça, «le privé», je vous ferai remarquer une chose.
Dans l'entreprise privée, il n'y a pas de
règle, il n'y a pas de loi qui empêche d'exhiber ses convictions politiques,
mais on ne les accepte pas. Un employé
dans un restaurant, dans une épicerie ou dans un garage qui afficherait ses
opinions politiques ou idéologiques, là, le patron lui demanderait de
retirer ça. Mais, pour le religieux, ça a tout l'air qu'on laisserait faire.
M.
Tanguay : Vous avez un exemple très parlant pour celles et ceux
qui nous écoutent. Dans une entreprise privée, le patron n'accepterait pas que l'employé… — par exemple, un garage, il répare des
voitures — n'accepterait
pas que l'employé arrive avec son tee-shirt du PQ, et vous trouveriez ça
normal qu'il soit averti. Trouveriez-vous tout aussi normal que le garagiste
juif se fasse dire : Ta kippa, tu la laisses au vestiaire? Trouveriez-vous
ça tout aussi normal?
M. Paillé (Michel) : En fait, moi, ce n'est pas une question de norme, comme je vous l'ai
dit là, c'est une question, là… Pour moi, là, la discrétion au travail,
c'est une valeur, une valeur universelle, je l'ai généralisée à l'ensemble de
tous les travailleurs. Mais, comme je l'ai dit dans mon mémoire, aucun parti
politique n'a défendu ça à la dernière élection.
Je n'en ai pas fait une recommandation formelle, je me suis centré sur le
domaine public. On a lancé un chiffre tout à l'heure, là : 500 000 travailleurs. Ça représente peut-être
12 %, 13 % de la main-d'oeuvre au travail actuellement au
Québec, et là-dedans il y a très peu de gens, là, qui veulent absolument
afficher leurs convictions religieuses.
M. Tanguay : Dernière
occasion, M. Paillé, parce que la distinction et la nuance, qui est plus qu'une
nuance, est fondamentale, c'est la différence entre nous et le gouvernement du
Parti québécois, les oppositions. L'employé garagiste se fait avertir. C'est sain qu'il laisse
son tee-shirt du PQ au vestiaire. Est-ce qu'on doit, oui ou non,
demander au Juif de mettre au vestiaire sa
kippa? Est-ce que ce serait tout aussi justifié dans le cas de ce propriétaire
de garage, là? Votre réponse, M. Paillé, est extrêmement importante.
M. Paillé
(Michel) : Bon. En fait,
comme je viens de le dire, mon mémoire ne se concentre que sur le
domaine public. On parle d'abord de la
fonction publique, les ministères, les organismes, on parle des maisons
d'enseignement, les commissions scolaires, les universités, les cégeps et tout
le réseau de la santé. C'est de ça dont on parle. Et ça, ça va chercher dans
les — comme
je l'ai dit, là — 12 %,
13 %, 14 % de la main-d'oeuvre au Québec.
Là, j'ai
donné un exemple dans le privé pour simplement signifier ceci. C'est que,
curieusement, curieusement, le propriétaire
d'une entreprise privée ne laisserait pas passer les signes politiques,
idéologiques, mais, pour le religieux, il les laisserait passer. J'ai
comme l'impression qu'on a tellement bougé vite en matière de laïcité dans
les… — on
en a parlé tout à l'heure — au temps de la Révolution tranquille, de… en
quelque sorte, l'État a pris contrôle de l'enseignement, du réseau de santé, et les communautés religieuses
se sont retirées, ça s'est fait tellement vite, en même temps que la
baisse de la pratique religieuse, que j'ai
comme l'impression que les Québécois sont restés un petit peu… ils ont un
sentiment de culpabilité face à ça qui se
traduit de bien des façons. Par exemple le nombre de baptêmes excède de
beaucoup la pratique religieuse, là,
la pratique religieuse hebdomadaire des anciens catholiques. Alors, ça, c'est
une façon, là… Il y a comme un petit quelque chose, là, et j'ai comme
l'impression que ça pourrait expliquer un peu le phénomène.
M. Tanguay : Merci, M.
Paillé. Portez-vous bien.
La Présidente (Mme Beaudoin) : Mme
la députée de Notre-Dame-de-Grâce, à vous la parole.
Mme Weil :
Merci. Bonjour, M. Paillé. Je voudrais juste ramener ma contribution à ce débat
sur cette notion de neutralité. C'est
bien reconnu dans la jurisprudence — Osborne, Fraser, je ne sais pas si vous avez
lu ces jugements — qu'un
gouvernement n'est pas neutre politiquement, mais un gouvernement est neutre
religieusement. Et d'ailleurs tous, tous, tous sont d'accord pour dire que,
depuis longtemps, le gouvernement québécois est neutre. Bon. Comment ça
s'exprime? C'est qu'il n'y a pas de prosélytisme qui doit se faire, c'est cette
notion de laïcité ouverte. Et d'ailleurs le groupe avant vous, en parlant d'une
laïcité tranquille, l'évolution tranquille et toutes les politiques publiques
qui le confirment, ça a été : promotion
de la diversité pour refléter la société, pas de prosélytisme, mais jamais les
signes religieux ne faisaient partie des… qu'il n'y avait pas de
contrainte à ce niveau-là.
Et la jurisprudence a interprété cette notion de
neutralité politique comme l'obligation de loyauté envers son employeur. C'est
bien différent de tout l'enjeu dont on discute. Le malaise de certains qui
pourraient… de certaines personnes qu'il
pourrait avoir face à un signe religieux lorsqu'il va chercher des services. Je
vous demande de lire ces jugements
parce que… Et l'Angleterre, c'est le modèle de la neutralité, l'importance de
ne pas afficher un signe politique, et c'est
vraiment en termes de loyauté envers l'employeur. Il y a un gouvernement
péquiste, il y a un gouvernement libéral, donc ils ont des orientations différentes. Si quelqu'un affiche qu'il
est libéral alors que c'est un gouvernement péquiste, évidemment — et c'est dans la jurisprudence — on peut s'imaginer que cette personne
manquerait de loyauté. Donc, c'est tout ce que je vais vous dire sur
cette question.
J'ai une
question sur les sondages. Et aussi, ici, on a eu beaucoup, beaucoup, beaucoup
de groupes, d'organismes qui disent : Il y a un malaise face à
cette interdiction et il n'y a pas de consensus dans la société québécoise, et
les sondages le montrent, et beaucoup qui
recommandent qu'on scinde le projet de loi, qu'on aille de l'avant avec ce qui
fait consensus pour avancer, sur les balises
notamment et les accommodements raisonnables. Est-ce que vous comprenez
ce malaise, vous le constatez qu'il y a
cette division sur cet enjeu qui est l'interdiction mais qu'il y a un consensus
sur le reste? Et que pensez-vous de cette recommandation... (panne de
son) …scinder pour pouvoir avancer?
• (13 h 40) •
M. Paillé
(Michel) : Bon. Il y a… Par
exemple vous avez utilisé deux, trois fois le mot «prosélytisme». À mon avis, on n'en est pas là parce que la discrétion
au travail, sur laquelle repose ma façon de voir les choses, ça n'a rien
à voir au prosélytisme parce que l'absence de discrétion, c'est simplement
afficher de manière passive ses convictions, tandis que le prosélytisme, c'est
vraiment un esprit missionnaire, de vouloir séduire l'autre, le convertir à sa
pensée. Alors, c'est tout à fait différent, ça.
Et la loyauté
envers… Je ne sais pas si j'ai bien saisi votre question, mais, en parlant de loyauté à l'employeur,
bien, Mme la députée… J'ai beaucoup parlé de
l'article 10 de la charte… pas de la charte, mais de la Loi sur la
fonction publique, là, qui dit que «le fonctionnaire doit faire preuve de
neutralité politique dans l'exercice de ses fonctions». Mais il y a deux autres
articles, et c'est peut-être là qu'est la nuance.
L'article 11
dit : «Le fonctionnaire doit faire preuve de réserve dans la manifestation
publique de ses opinions politiques.»
Et je n'ai pas recommandé au gouvernement d'ajouter le religieux là-dedans
parce que ça n'a pas sa place. Au travail,
c'est la discrétion. Quand on sort du travail, sur le plan politique — pour reprendre l'image que vous faites,
là, par rapport à la couleur du
gouvernement — il faut
être loyal à son employeur, donc il faut être discret, il faut avoir un
devoir de réserve, faire preuve de réserve dans ses opinions politiques quand
on sort de son milieu de travail. Mais, pour le religieux… il ne faut pas mettre le religieux dans l'article 11 parce
que ça voudrait dire… ça n'aurait aucun sens de dire que le fonctionnaire doit faire preuve de réserve dans
la manifestation politique de sa pratique religieuse. C'est un non-sens, alors…
Mme
Weil : Je vous invite à lire la jurisprudence. Ma question sur…
Est-ce qu'on devrait scinder le projet de loi pour aller de l'avant avec ce qui fait consensus? Parce que beaucoup de
groupes, qu'ils soient d'un bord ou de l'autre, qu'ils soient pour l'interdiction, ou non, je vous
dirais que beaucoup, beaucoup de groupes sont inconfortables avec le
malaise. Est-ce que vous… Comment vous réagissez par rapport à cette
recommandation?
M. Paillé
(Michel) : Bon, en examinant ce dossier-là et en rédigeant mon petit
mémoire, là, au mois de décembre, là, avant
la date limite, j'ai entrevu qu'effectivement le gouvernement aurait pu
procéder en deux étapes ou faire juste
l'une ou l'autre. Par exemple, on aurait pu amender simplement l'article 10 de
la fonction publique pour insérer le religieux
puis oublier tout le reste. Mais sauf que, là, ce serait la portion, là… une
portion vraiment ténue de la chose, ça seraient uniquement ceux qui
tombent sous le coup de la Loi de la fonction publique, c'est-à-dire les
employés des ministères et des organismes publics. Ça laisserait de côté les
hôpitaux, les commissions scolaires, les cégeps, etc.
Pour
le reste, les quatre autres éléments de la charte des valeurs, bon, je ne suis
pas juriste, moi, j'ai eu comme l'impression…
Je ne suis pas intervenu là-dedans pour la raison suivante. Je me suis
dit : Ce sont eux, les élus, et ce sont eux à décider s'ils vont tronquer la chose ou pas. Souvent, on voit ça, des
projets de loi qui sont coupés en deux ou qui sont jumelés, ça peut
arriver.
Mme Weil :
Merci. Merci, M. Paillé.
La Présidente (Mme
Beaudoin) : Pour quelques secondes, Mme la députée de…
Mme Weil :
Ça va, merci.
La
Présidente (Mme Beaudoin) : Non, ça va? Alors, le temps étant écoulé,
je cède la parole au groupe formant la deuxième opposition. Mme la
députée de Montarville, pour une période de cinq minutes.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, Mme la Présidente.
Merci, M. Paillé, merci pour votre mémoire. C'est très clair à l'effet que vous voulez, entre
autres, qu'il y ait des amendements à la fameuse Loi sur la fonction
publique. Mais, moi, ce dont j'aimerais vous parler, c'est effectivement de
votre expérience de fonctionnaire. Vous avez dit que vous avez travaillé longtemps, entre autres à l'Office de
la langue française. Je ne veux pas être indiscrète, mais j'aimerais
savoir : Vous avez pris votre retraite vers quelle époque, en quelle année
à peu près?
M. Paillé
(Michel) : Il y a 10 ans cette année, 2004.
Mme Roy
(Montarville) :
2004, parfait.
M. Paillé
(Michel) : Mais, pendant les sept années qui ont suivi, j'étais
contractuel. J'ai continué à travailler jusqu'en 2011.
Mme Roy
(Montarville) :
Parfait. Alors, ça va nous aider puis ça va nous éclairer dans la mesure où ma
question est la suivante. En tant que professionnel de l'intérieur, qui vivez
avec les fonctionnaires, les 500 000 ou 600 000… — parce
que les chiffres varient, là — 600 000 fonctionnaires de la
fonction publique et parapublique qui seraient
touchés par ces interdictions, etc., vous, personnellement, est-ce que vous en
avez côtoyés beaucoup, vus beaucoup de ces collègues fonctionnaires qui
portaient des signes religieux ostentatoires?
M. Paillé (Michel) : Bon, là, justement, ici, vous soulignez un bon point. C'est que, comme
vous savez, le gros de la fonction publique est à Québec, alors que le
gros de l'immigration diversifiée est à Montréal, et ça, c'est… Je me souviens d'être venu ici, à l'Assemblée nationale,
dans une commission parlementaire sur un projet de loi favorisant la
discrimination positive pour que les minorités, comme par exemple les
Amérindiens… pour l'embauche de minorités au
sein de la fonction publique. Alors, j'étais encore à l'emploi du Conseil de la
langue française à l'époque, et de manière très discrète je suis venu
donner mon opinion personnelle, en commission parlementaire, sur cette
question-là.
Et la grosse
difficulté que j'ai fait voir, c'est que le Québec est asymétrique. Toujours,
encore de nos jours, plus de 80 % de
l'immigration est concentrée à Montréal alors que les institutions sont surtout
à Québec, ce qui permet difficilement
l'entrée de ces personnes-là dans la fonction publique. Puis d'ailleurs, pour
l'avenir, ça ne se fera pas très rapidement.
S'il y a une augmentation de ce nombre de personnes là, peu importe à quel
niveau nous en sommes actuellement, ça
ne se fera pas très vite parce qu'on espère toujours remplacer un fonctionnaire
sur deux. Si, dans une période de temps, il y en a 1 000 qui
partent, on les remplace soi-disant par 500, mais bon, ce n'est pas facile de…
Mais, pour répondre
objectivement à votre question, j'en ai peu rencontré là même où je
travaillais, mais, comme je devais
fréquenter d'autres collègues de travail de d'autres ministères et que parfois j'allais
à Montréal, dans des colloques, je
rencontrais des fonctionnaires de d'autres milieux, mais là j'en voyais
quelques-uns, mais ce n'était pas beaucoup.
Mme Roy
(Montarville) :
Je vous remercie infiniment pour votre réponse. Merci beaucoup, M. Paillé, vous
votre mémoire.
La Présidente (Mme
Beaudoin) : Merci pour la présentation de votre mémoire, M. Paillé.
Alors,
la commission suspend ses travaux jusqu'à 15 heures. Et vous pouvez laisser vos
effets personnels ici même.
(Suspension de la séance à 13 h 47)
(Reprise à 15 h 3)
La Présidente (Mme Vien) : Alors, bon après-midi à chacun et à chacune.
Alors, la commission reprend ses travaux cet après-midi.
Nous
entendrons l'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité,
M. Sébastien Lévesque et également Libres Penseurs athées.
J'invite donc
maintenant les représentants de l'Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité à nous présenter le fruit de leurs réflexions. Alors, bonjour, messieurs,
bienvenue. Vous aurez… vous avez, en fait, 10 minutes pour nous
présenter votre mémoire, après quoi s'ensuivent des échanges avec les
parlementaires. Ça vous va?
Association québécoise
des Nord-Africains
pour la laïcité (AQNAL)
M. Ourdja
(Akli) : Mme la Présidente,
MM. les députés, Mmes les députées, bonsoir. Bon, je me présente, je suis Akli Ourdja, cofondateur de l'association
AQNAL. Je suis accompagné de Kaidi Ali. Normalement, c'était prévu qu'il
y aurait une autre… un troisième intervenant, c'était Mme Chalal. Malheureusement,
avec les pressions et les… que subissent
notre communauté, avec les témoignages, donc elle a dû ne pas se déplacer ici,
à la commission parlementaire. Donc,
c'est pour ça que nous profitons de cette occasion pour dénoncer la campagne de
dénigrement, d'intimidation que subissent les femmes laïques issues de
notre communauté à travers les réseaux sociaux de la part de ces islamistes qui se disent pour la liberté d'expression, pour
la liberté religieuse. Aussi, nous profitons aussi de l'occasion pour
dénoncer aussi la violence que subit la communauté mozabite en Algérie par
l'instrumentalisation de la religion.
Donc, je vais
commencer mon mémoire. Donc, notre
mémoire couvre : premier point, la montée des intégrismes; deuxième point, notre conception de la laïcité;
troisième point, la position d'AQNAL au sujet des atouts marquants pour
la mise en oeuvre d'une laïcité intégrale. Nous terminerons par la nécessité de
rassembler les Québécois plutôt que de les diviser.
Donc, premier
point. La création de l'association AQNAL... a été créée en 2013. Ce qui nous a
animés, c'était notre volonté de
donner une voix aux Québécois et aux Québécoises originaires des pays nord-africains et aussi du
Moyen-Orient qui ne se reconnaissent pas
dans le discours tenu par plusieurs associations à caractère religieux, écoles, centres islamiques, centres de rapprochement culturel,
etc., qui revendiquent une appartenance idéologique sous couvert de
l'islam et comme source première de leur identité.
Nous nous
inscrivons dans un discours différent de celui de l'islam politique
en insérant notre démarche aux valeurs qui
sont les nôtres et que nous, nous pouvons partager avec notre société
d'accueil. Parmi nos objectifs, la participation avec les autres Québécois
à la consolidation des acquis de la Révolution tranquille en conformité avec le
siècle des Lumières est un axe de travail
que nous montons en exergue. Les valeurs de modernité, à savoir l'égalité entre
les femmes et les hommes, la primauté
du français, la séparation entre l'État et l'Église ont été, pour nous et pour les grands
pans des immigrants en provenance de l'Afrique du Nord, les balises qui
nous ont guidés pour le choix du Québec comme seconde patrie.
Avec le dépôt du projet de loi sur la laïcité,
le gouvernement du Québec a franchi un autre grand pas dans la définition des valeurs d'inclusion en tant que
fondement de projet de société dont veut se doter la belle province. Il
est à l'évidence inclusif, il ne laisse
aucune place à la fausseté archaïque et rétrograde qui émerge au sein de la société
et qui la divise, allant jusqu'à
remettre en cause les acquis de la Révolution
tranquille et les premiers fondements
de l'État moderne. En apportant son soutien au projet de loi n° 60,
AQNAL tient à inscrire sa participation dans le processus historique du Québec
moderne, et pour cause, ce projet de
loi consolide les valeurs qui nous
ont attirés au Québec et que nous sommes fiers de partager avec
les Québécois.
Convaincue de
la nécessité d'une charte de la laïcité, AQNAL considère que cela permettra de
matérialiser les conditions
nécessaires et suffisantes à l'adresse des nouveaux arrivants et lèvera les
multiples confusions et ambiguïtés qui sont,
pour certains des leurs et pour d'autres, l'origine de frustrations
incommensurables. Par ailleurs, cela permettra la définition de règles claires qui baliseront les demandes
d'accommodements religieux et fermera la porte aux échappatoires par
lesquelles s'insinuent tous les intégrismes. C'est d'ailleurs la mobilisation
de ces intégrismes qui est à la source de la
virulente campagne de désinformation qui sévit non seulement sur les réseaux
sociaux, mais aussi dans plusieurs médias canadiens et québécois. Notons
également le rôle dommageable d'une certaine gauche qui se qualifie de souverainiste et qui, pour des raisons hautement
électoralistes, montre, par ses actions et ses déclarations favorables
au multiculturalisme, son infiltration par
des activistes islamistes. C'est aussi soi-disant au nom de la liberté de
conscience que de fausses pratiques religieuses personnelles… qu'ils
contribuent au climat de division que vit la société québécoise depuis la
diffusion du projet de loi.
• (15 h 10) •
Pour nous qui venons des pays où les intégrités
morales et physiques sont mises à mal non seulement par les dictatures, quelle que soit leur appellation, mais
aussi par les intégrismes, nous étions convaincus qu'au Québec
nous nous réconcilierions avec la sérénité, l'enthousiasme productif,
l'ardeur et la tranquillité verbale, les échanges argumentés, le débat d'idées beaucoup plus que la violence
verbale observée depuis le mois de septembre 2013. En fait, c'est l'ensemble
de la communauté maghrébine qui souffre de
profilage ethnicoreligieux comme conséquence de la surenchère d'accommodements religieux formulés par une
minorité de partisans de l'Islam politique. Dans les faits, cela se
concrétise par le refus des employeurs de
recruter des candidats issus de notre communauté par crainte de demandes ou…
demandes d'accommodements religieux qui pourraient s'ensuivre.
Enfin,
la laïcité reste le seul moyen pour prévenir des conflits que peuvent engendrer
les visions extrémistes et violentes des religions. La laïcité est une
garantie, un engagement et un protocole qui régiront le bien vivre ensemble
pour tous les citoyens du Québec, peu importe leur religion ou leur origine.
C'est la seule assurance qui préservera et consolidera la gestion efficace de
la diversité culturelle. Seule une laïcité authentique peut être inclusive.
Pour une laïcité authentique et inclusive ainsi
que pour l'inclusion et l'intégration harmonieuse des nouveaux arrivants, plusieurs de nos compatriotes
s'opposent aux accommodements
religieux déraisonnables qui sont, en fait, une ouverture à la
discrimination. Ces demandes d'accommodements déraisonnables sont la source
d'un clivage entre les immigrants, d'un côté, et la société d'accueil, de
l'autre côté.
Plusieurs
mouvements islamistes malheureusement trouvent refuge dans les pays
occidentaux, parmi lesquels le Canada
est qualifié de facile. Il est de même pour le Québec. Ces pays offrent des
ouvertures, des échappatoires démocratiques
qui leur permettront de s'enraciner et de se développer dans la société
d'accueil. Cette utilisation des leviers démocratiques facilite plutôt l'impulsion des militants de l'Islam
politique qui ont pour mandat de recruter des jeunes dans notre
communauté en usant d'un discours de haine envers tout ce qui ne partage pas
leurs idées apocalyptiques. Il exploite les
frustrations, il exploite les frustrations socioéconomiques et le ressentiment
par rapport aux discriminations et au
non-emploi, surtout le chômage, qui augmente dans notre communauté, qualifié
par les spécialistes d'endémique, qui touche des candidats ayant de
forts potentiels. Les moyens d'intégration culturelle et d'insertion
socioprofessionnelle mis en place sont
reconnus par ces mêmes spécialistes d'inappropriés et, en tout état de cause,
ont montré leurs limites. Les chercheurs d'emploi concernés deviennent
du combustible de haute qualité pour nourrir tout le délire religieux que
s'empressent d'entretenir les réseaux intégristes.
La Présidente (Mme Vien) : Je
vous invite à conclure, monsieur. Il vous reste 20 secondes.
M. Ourdja (Akli) : Je vais laisser
la conclusion à mon…
M. Kaidi
(Ali) : Donc, la laïcité ouverte… Donc, je m'attaque à la
conclusion qu'on... La laïcité ouverte et le multiculturalisme sont deux idéologies qui ont le même objectif, celui
de contraindre les immigrants à s'intégrer dans leur communauté d'origine selon des critères
idéologiques d'enfermement et de regroupement, soumis à un groupe
d'individus radicaux souvent et fait usage de
slogans qui séparent de la société d'accueil au lieu de chercher à une
intégration autour de ce qu'ils partagent avec elle.
AQNAL croit à
l'intégration citoyenne, une intégration qui se fait par la mise en valeur de
ce qui est universel en chaque individu, indépendamment de sa communauté
et non pas par ce qui constitue sa particularité communautaire. La laïcité nous
permet de mettre de l'avant ce qui nous rassemble et non ce qui nous divise, à
savoir : la neutralité de l'État et de
ses institutions; l'égalité entre les hommes et les femmes; et la primauté de
la citoyenneté sur l'appartenance religieuse et la fin de tous les
privilèges liés à cette dernière. Merci.
La
Présidente (Mme Vien) : Merci à vous deux, messieurs. Alors, le
temps a été dépassé mais, avec la générosité des parlementaires, on vous
a permis de poursuivre. Alors, M. le ministre, la parole est à vous.
M.
Drainville : Merci
beaucoup, Mme la Présidente. Merci, messieurs, pour votre mémoire et votre
présentation. Écoutez, j'ai lu attentivement
votre présentation, là. D'abord, vous
avez parlé d'intimidation, au départ. Vous avez dit que l'une des
personnes qui devaient venir, Mme Noura Ait Chalal, n'a pas pu venir à cause
des pressions que subit votre communauté. La communauté, vous parlez des Québécois d'origine algérienne
ou la communauté d'origine nord-africaine de façon générale?
M. Ourdja
(Akli) : Donc, cette
campagne de pression, elle est subie par les femmes… par notre communauté
nord-africaine, en particulier par la communauté algérienne, surtout par les
islamistes, etc. Donc, il y avait déjà des antécédents. Il y avait des femmes
qui se sont déplacées ici, à la commission parlementaire, elles ont reçu des intimidations à travers les réseaux sociaux.
Donc, c'est pour ça, donc, que certaines adhérentes ont refusé de
participer au débat, de venir témoigner ici.
M.
Drainville : Quand vous parlez d'intimidation, est-ce que vous
pouvez préciser de quoi il s'agit? Pour les gens qui nous écoutent, ce n'est pas nécessairement… c'est difficile à concevoir, je pense, que, parce qu'on est venu s'exprimer dans une
commission parlementaire, on va subir par la suite de telles intimidations que
ça peut décourager quelqu'un de venir témoigner, comme c'est le cas cet
après-midi. De quoi parle-t-on exactement?
M. Ourdja
(Akli) : En général, les
intimidations, c'est à travers les réseaux sociaux. Et, comme les femmes
qui ont témoigné ici, ce n'est pas des
femmes qui faisaient de la politique, donc elles n'ont pas cette, en quelque sorte,
résistance au regard des autres ou aussi
d'intimidation verbale, et des messages au niveau des réseaux sociaux, elles
n'ont pas cette habitude-là. Donc, ça a créé une atmosphère qui a fait
qu'on n'a pas pu trouver dans notre association une femme qui a, entre
parenthèses… qui veut venir témoigner ici. Donc, on a trouvé des difficultés.
M.
Drainville : Dans
votre mémoire, à la page 7, vous dites, et je vous cite : «Alors que les
femmes qui se disent victimes de la charte de la laïcité font très régulièrement
les manchettes, il ne faut pas oublier qu'il y a des centaines de femmes et de filles qui vivent dans
l'oppression de l'idéologie islamiste et dans un silence total. C'est ce qui
explique l'ignorance
et l'aveuglement de beaucoup de Québécois devant la pression communautaire que
subissent ces femmes et cela, dans l'impunité totale.»
Comment
savez-vous qu'il y a des centaines de femmes et de filles qui vivent dans
l'oppression des islamistes, et ce, dans un silence total? Sur quoi vous
vous appuyez pour dire ça?
M. Ourdja (Akli) : Tout d'abord, par
rapport à cette pression que subissent les femmes, donc, s'il s'agit, par exemple, d'une femme voilée, c'est la presse qui
en parle. D'ailleurs, il suffit… Dernièrement, il y a eu des femmes qui ont subi certaines pressions, la presse a parlé.
Mais, dès qu'il s'agit de femmes, de femmes, par exemple, de notre
communauté, il y a des pressions qui se font à travers les réseaux sociaux.
M. Drainville : Mais c'est
quoi? C'est des… Des pressions, est-ce que vous pouvez préciser de quel type de
pressions il s'agit?
M. Ourdja (Akli) : Il y a des
messages à travers… par exemple, à travers Facebook, il y a…
M. Drainville : Quels sont
les mots qui sont utilisés? C'est quoi, les mots?
M. Ourdja
(Akli) : Traître. Vous êtes
traître de votre communauté. L'apostasie, vous n'êtes plus musulmane. Vous êtes proche des mécréants que des musulmans.
Vous trahissez la communauté musulmane. Donc, c'est ce genre de…
M. Drainville : Est-ce que
ces pressions sont exercées par des personnes qui vivent au Québec? C'est des
personnes qui vivent au Québec qui font ces pressions-là, qui font cette
intimidation?
M. Kaidi
(Ali) : Il me semble, c'est
des gens qui sont d'ici, du Québec. Même, on entend des commentaires,
par exemple, dans les cafés des immigrants,
on entend des commentaires contre ces femmes-là qui sont venues
témoigner ici. Donc, c'est une ambiance qui
existe, cette ambiance-là. Donc, ce qu'on trouve dans l'ambiance, dans des
cafés, etc., on la trouve aussi, c'est la même ambiance, on la trouve
dans les réseaux sociaux.
M.
Drainville : Et
est-ce qu'il y a des craintes, par moments, que la famille de ces personnes, la
famille qui est restée en Algérie puisse éventuellement subir les
répercussions des témoignages?
• (15 h 20) •
M. Kaidi
(Ali) : Oui, il y a des
craintes dans ce sens. Parce qu'il ne faut pas oublier, surtout par rapport aux
femmes qui viennent d'Algérie, donc, lorsqu'il y a pression et aussi avec une
connotation idéologique islamiste, ça fait peur. Donc, ça fait vraiment peur, surtout pour des gens qui sont loin de
nous, ils ne savent pas vraiment les conditions de paix qui existent ici, il
y a vraiment de la paix. Mais il ne faut pas oublier que les gens qui vivent de
l'autre côté, ils savent ce que c'est que
les islamistes ont fait dans ces pays-là. Donc, la menace, elle n'est pas,
comme ça, gratuite. Donc, c'est une atmosphère qui peut dégénérer sur
autre chose ou bien créer un climat aussi, un climat de peur seulement et
laisser les gens ne pas s'exprimer. C'est le but. C'est possible, le but, il
est à ce stade-là.
M. Ourdja (Akli) : D'ailleurs, un
exemple…
M. Drainville : Mais d'une
certaine… Pardonnez-moi.
M. Ourdja
(Akli) : Pardon, un exemple.
Après l'intimidation de certaines
femmes, on a organisé une conférence de
presse… c'est-à-dire, il y a une association de femmes nord-africaines laïques
qui ont organisé une conférence de presse pour dénoncer ces agissements
et ce comportement de la part des islamistes et de ces gens-là, mais on n'a pas
trouvé la presse québécoise, il n'y avait aucun… presque aucun organe de
presse. Alors, ça, ça encourage.
Ensuite, il y
a un discours… Ensuite, même le discours qui est tenu par certains
intellectuels, c'est comme si… Par exemple : Ce n'est pas normal de
trouver une femme maghrébine, qui est issue de notre communauté, laïque. C'est comme si c'était une aberration. Donc, quand on
veut… par exemple, on veut parler d'une femme musulmane, on présente toujours la femme voilée, la femme avec un
tchador. Donc, le fait de voir une femme sans voile qui défend les
valeurs universelles, qui défend la laïcité,
pour la majorité des Québécois, c'est quelque chose qui… c'est quelque chose
d'anormal.
M. Kaidi (Ali) : J'ajoute par
rapport à ça. Nous, en tant qu'immigrants, ce qu'on ressent, c'est que, pour
être audibles et visibles, il faut véhiculer
un discours idéologique islamiste, sinon la communauté d'accueil, en
général, ne va pas nous voir, nous ne
sommes pas audibles, parce qu'il faut vraiment véhiculer un discours radicalement différent de
celui de la société d'accueil pour qu'on soit audibles. C'est ça, le
ressentiment général des gens qui partagent notre discours avec cette association.
M. Drainville : Je veux parler un peu de… Bon, alors vous donnez
un appui à la laïcité telle qu'elle s'incarne dans le projet
de loi n° 60, y compris en matière d'interdiction de porter des signes
religieux lorsqu'on est au service de l'État.
Assez souvent, je donne l'exemple, en commission, de cette dame qui est venue
témoigner en commission et donc qui a
dit qu'elle-même musulmane — hein, c'est une Québécoise musulmane — elle ne s'est pas sentie en confiance
de répondre à une question sur son régime alimentaire puis en particulier sur
sa consommation occasionnelle d'alcool en présence d'une stagiaire qui portait un voile
parce qu'elle se sentait jugée, elle se sentait très mal à l'aise. Donc,
elle n'a pas répondu à la question.
Alors, hier, j'ai
soumis ce cas-là à un des témoins, et l'opposition officielle… Puis je respecte
tout à fait leur position, mais je veux vous entendre sur l'argument qui a été
soumis. Il y a, donc, une représentante de l'opposition officielle qui a dit que cette personne, cette musulmane, donc,
québécoise, qui s'était sentie mal à l'aise de voir une stagiaire voilée, qui s'était sentie condamnée dans ses
choix personnels, faisait de la discrimination à l'égard de la personne
qui portait le voile. Donc, la personne qui
s'est sentie mal à l'aise, donc, qui a témoigné ici, faisait de la
discrimination lorsqu'elle affirmait
que de voir une stagiaire voilée minait la confiance, dans le fond, qu'elle
avait en cette femme-là. Et j'aimerais ça vous entendre là-dessus.
M. Kaidi
(Ali) : Il me semble, il faut distinguer entre le fait tel qu'il s'est
passé. Elle s'est maintenue de ne pas
exprimer qu'elle a certaines habitudes alimentaires qui sont interdites par la
religion. Ça, c'est un fait. Le fait de venir ici témoigner, c'est un autre fait. Donc, c'est
possible qu'on peut dire ici qu'elle l'a stigmatisée, mais pendant qu'elle
s'est maintenue de s'exprimer librement, c'était elle, la victime, ce n'était
pas celle qui portait le voile.
Donc,
le discours, il peut être interprété dans ce sens : Elle a discriminé,
donc… mais, pendant ce fait-là, elle était, elle, en quelque sorte, dans la position de victime, ce n'est pas celle
qui portait le voile. Celle qui
portait le voile, c'est… elle l'a porté innocemment. Mais le voile, en
tant que signe religieux, ça émet des messages, et ces messages-là, c'est des messages d'interdiction, c'est des messages
d'interdiction de certains comportements. Donc, qu'on le veuille ou non,
il émet des messages dans ce sens-là.
M. Ourdja (Akli) : Je pense, la question,
c'est : Qui fait de la discrimination? À l'intérieur de notre
communauté musulmane, il y a, à l'intérieur, une discrimination. C'est l'Islam
politique qui fait de la discrimination. C'est l'Islam politique qui accuse.
C'est l'Islam politique qui fait ça, qui fait ces choses-là, ce n'est pas nous.
Moi, je défends la liberté individuelle, je défends la liberté religieuse, je
ne peux pas faire de la discrimination. Ce n'est pas une femme laïque qui va faire de la discrimination. Mais, à l'intérieur, à l'intérieur de notre communauté, il y a
une discrimination.
C'est vrai que… Malheureusement, le multiculturalisme, il défend une liberté communautaire, il défend… il construit un
discours. Par exemple, si, à chaque fois, on veut parler de notre communauté,
on parle des femmes voilées, on parle du tchador, on dit même que les femmes
qui portent le tchador, elles sont les bienvenues dans le Parlement québécois,
donc ce discours-là encourage le discours islamiste. Donc, c'est un argument. C'est
ça qui les pousse vers… à exercer une pression.
M. Drainville : Et qu'est-ce
que vous répondez à ceux qui vont
dire : De se sentir mal à l'aise face à quelqu'un qui porte un
signe religieux, donc un serviteur de l'État ou une professionnelle de la
santé, peu importe, ce n'est pas une raison
suffisante pour interdire le port des signes religieux, ce n'est qu'un
inconfort, ce n'est qu'un malaise, et donc, à la limite, vivez avez votre malaise, mais votre malaise, comme citoyenne
ou comme usagère, ne justifie pas qu'on interdise le port des signes
religieux pour les agents de l'État, pour les représentants de l'État? Qu'est-ce
que vous répondez à cet argument-là?
M. Kaidi (Ali) : Qu'est-ce que je réponds? On peut dire ça lorsqu'on
devant une pièce de théâtre ou bien on écoute un film, là c'est
possible, mais, devant une réalité… Cette femme-là, elle s'est maintenue
d'exprimer un certain comportement alimentaire au détriment de sa santé. Donc,
il faut regarder l'exemple de ce sens-là. Ça veut dire, des fois, qu'on arrive
même à faire des choses contre notre propre santé. Donc, il me semble, on n'est
pas devant un film d'horreur ou bien une
pièce de théâtre qui nous rend mal à l'aise et on sort du film, on oublie ça.
C'est quelque chose qui engage votre vie.
M.
Ourdja (Akli) : Je peux donner un exemple par rapport à ça. Des fois,
ce n'est pas uniquement… ce n'est pas des
femmes qui sont mal à l'aise, des fois même nous. Quand je me retrouve devant…
quand j'achète… je me déplace à Maxi,
même à Super C, quand j'achète une caisse de bière ou une bouteille de vin, le
fait de voir une femme voilée ou quelqu'un
de barbu issu de ma communauté me déstabilise parce que… Cette chose ou cette
conception, elle n'est pas comprise par les Québécois, mais, dans notre
communauté, comme par exemple…
Si,
demain, par exemple, je vais obliger ma fille à porter le voile et elle va
trouver devant elle une femme voilée qui va l'enseigner, que sera sa position? Est-ce que ma fille peut, par
exemple, dire à son enseignante voilée : Qu'est-ce que tu dis de mon père qui veut m'obliger à porter le
voile? Évidemment, évidemment, ma fille va être perturbée. Elle ne va
pas raconter ça à son enseignante voilée. Donc, cette gêne existe.
D'ailleurs, ça fait
deux ans, il y avait un café qui s'ouvre pendant le mois du ramadan. Le mois du
ramadan, il est ouvert, il sert de la
nourriture. Ce café, il a subi une intimidation à travers… Il y avait quelqu'un
qui est venu à ce monsieur lui dire : À l'intérieur de la mosquée,
on parle sur ton café; comme quoi… il a entendu, comme quoi ils veulent
incendier le café.
Donc,
c'est tout à fait normal que les Québécois ne comprennent pas ce langage. Il
faut être à l'intérieur de notre communauté pour vivre cette pression.
Nous, on est proches… C'est comme s'il y a un tremblement de terre. Il y a les gens qui sont proches de l'épicentre, il y a
les gens qui sont loin de l'épicentre. Les plus touchés sont les gens qui
sont plus dans l'épicentre. Nous, en tant
que musulmans, on est proches de l'épicentre
de l'Islam politique. Donc, on est les plus touchés par rapport
aux Québécois. C'est tout à fait normal. L'Islam politique, devant les Québécois,
il va sourire, il va se présenter gentiment,
il est libre, il défend la liberté, il défend même la laïcité,
mais, envers nous, on est des… on est accusés d'apostasie, on est au… on
légitime même notre… la violence qui peut s'exercer contre nous.
M. Drainville : Et, est-ce que… Vous êtes… C'est une question
délicate, mais le sentiment que vous exprimez aujourd'hui, là, avez-vous
le sentiment que c'est l'opinion d'une majorité de Québécois d'origine
algérienne?
• (15 h 30) •
M. Ourdja
(Akli) : Oui…
M. Drainville : Est-ce
que vous… Est-ce que
cette pression-là, communautaire, cette pression religieuse, est-ce que
vous êtes nombreux à la ressentir ou est-ce que vous êtes seulement une petite
minorité éclairée qui prend la parole aujourd'hui, mais que, pour la majorité de
la communauté, ça se vit plutôt bien? Je ne sais pas…
M. Ourdja (Akli) : Exactement. On est la majorité, on a une majorité
silencieuse. Si on se pose la question : Quel est
le… Pourquoi on est venus au Québec? Pourquoi
on est venus au Québec? Qu'est-ce
qu'on a trouvé au Québec? On a trouvé, au Québec, une société avec des
valeurs universelles, avec une laïcité, avec une révolution tranquille. Donc, pourquoi on est venus? On sait très bien… on est
conscients de ce choix. Maintenant, avec notre arrivée, on trouve une
autre réalité. On trouve une réalité qui est vraiment décevante, c'est le
multiculturalisme, qui préfère nourrir l'esprit communautaire que les autres
valeurs. Donc, c'est pour ça, par exemple, cette majorité n'arrive pas à
s'exprimer.
M. Drainville :
Elle n'arrive pas à s'exprimer parce que vous avez le sentiment que la doctrine
officielle privilégie l'appartenance communautaire plutôt que
l'appartenance citoyenne. C'est ça?
M. Ourdja
(Akli) : Oui, exactement.
M. Drainville :
Hein?
M. Kaidi
(Ali) : Je vais enchaîner sur cela. On a senti que les institutions,
les institutions privilégient le communautarisme
à travers une politique de multiculturalisme qui est bienveillante. Le fait de
respecter les particularités, d'accord.
Mais cette politique-là, comment elle s'interprète, elle se concrétise sur le
terrain? C'est qu'elle pousse les gens à se replier sur leur identité,
et cette identité-là, elle n'est pas culturelle seulement, parce que, lorsqu'on
dit «identité culturelle», elle est vaste,
elle est devenue une identité religieuse. Parce que, culturellement,
pratiquement, on n'est pas différents.
On est différents sur l'alimentation, sur des choses de ce sens-là. Mais, quand
cette communauté-là, elle est noyautée
par un discours théologico-religieux… politico-religieux, il accentue ce qui
est vraiment différent en nous, c'est la religion, donc il
instrumentalise pour mettre en valeur cette appartenance religieuse et faire de
cette appartenance religieuse le seul
élément identitaire dans notre communauté, et ce qui est grave parce que,
lorsqu'on s'enferme dans une appartenance
religieuse, je ne peux pas de… c'est difficile de sortir de cette identité
religieuse et en quelque sorte d'appartenir à deux entités religieuses
en même temps. Soit il faut rester ou bien sortir.
Par
contre, culturellement, je peux partager beaucoup de choses. Je peux manger une
alimentation typiquement maghrébine, nord-africaine et je peux manger en
même temps des aliments typiquement québécois, mais, par contre, je ne peux pas être musulman et chrétien en même
temps, ou bien juif en même temps. Je ne peux pas l'être. Mais le fait
d'accentuer avec le multiculturalisme et de rendre la culture se définir
seulement en appartenance religieuse, c'est ça, le danger, et ce danger-là, il
est bienvenu pour une idéologie islamiste telle qu'elle est ici, au Québec.
M. Ourdja (Akli) : Je vais… Est-ce que je peux
donner un exemple? La dernière fois, quand le Parti libéral a expulsé Mme Houda-Pepin, en même temps, dans notre
communauté, il y a un débat. Alors, on a entendu que le Parti libéral, il préfère avoir dans ses rangs une
députée qui porte le tchador que d'avoir Houda-Pepin. Cette chose-là,
cette vision, cette conception a fait que, dans notre communauté, même si tu es
laïque, même si tu es moderne, même si tu vas
te reconnaître dans ce cheminement de la Révolution tranquille, tu n'es pas
reconnu, tu es invisible. Donc, les femmes qui ne portent pas le voile,
qui ne portent pas le tchador, qui ne portent pas la burka, les Québécois ne
les voient pas. Ils voient, à travers le
discours multiculturaliste, ils voient le musulman. Le vrai musulman, c'est le
musulman islamiste. Donc, vis-à-vis des Québécois, le seul discours, ou
la seule vérité, c'est l'Islam politique. Donc, c'est ça, le…
M. Drainville :
Il me reste, je pense, très peu de temps. Est-ce que je peux vous
demander : Pourquoi vous avez décidé de venir témoigner si vous
vous vous exposez à ces pressions, justement, de la mouvance islamiste?
Pourquoi vous prenez ce risque-là?
M. Kaidi (Ali) : Pourquoi on est venus? Ce n'est pas vraiment du courage parce qu'en
quelque sorte on a vécu dans une ambiance violente. Lorsque je dis
«violente», ça veut dire sanglante. Donc, ce qui se passe ici, ce n'est pas
aussi violent. Il y a de la pression, on la
ressent, mais ce n'est pas… pour l'instant, elle n'est pas violente. Donc, la
menace, elle est verbale, la menace, elle est un contrôle social, la menace,
elle est, je ne sais pas, dans les réseaux sociaux. Mais, pratiquement, on est
juste…
Le Président (M.
Ferland) : Moi, je dois vous arrêter, le temps… Non, le temps
est écoulé pour la partie ministérielle. Je
dois aller à l'instant du côté du parti de l'opposition officielle. Je
reconnais le député de LaFontaine pour un temps de 18 min et
10 s, mais disons 18 minutes.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, M. le Président. Alors, merci beaucoup, messieurs, d'avoir pris
le temps de rédiger le mémoire et de venir
nous en faire la présentation. Vous avez parlé un peu plus tôt et vous avez
donné l'exemple de votre collègue pour démontrer
qu'il y a, des fois, dans notre société, malheureusement, de l'intimidation.
Et, évidemment, il faut le dénoncer. Et, au
Québec, au Canada, partout, dans tout milieu, il faut dénoncer l'intimidation,
je dirais, en tout milieu et sous toutes ses formes. Je reviendrai dans
quelques secondes sur «toutes ses formes».
En tout
milieu. Évidemment, dans le débat du projet de loi n° 60 et également,
dans nos écoles, il faut accepter la diversité. Nous ne sommes pas tous
pareils. Diversité également qui peut être religieuse, mais également, dans
toutes ces formes d'intimidation, qui, des
fois, peut naître de la démagogie. Lorsque quelqu'un prend un argument et
essaie de faire mal paraître ou qu'il
essaie de résumer à outrance la pensée, l'approche d'un participant au débat,
pour moi, ça, c'est faire preuve d'intimidation, et, vous avez raison,
il faut le dénoncer. Il faut faire attention. Et ce n'est pas en se lançant des
épithètes par la tête qu'on va aider — je pense que vous êtes
d'accord avec moi — à
lutter contre l'intimidation.
Alors, une
fois que cette mise au point là est faite, j'aimerais vous entendre maintenant.
Vous avez dit, un peu plus tôt, que
vous aviez organisé une conférence de presse, et je ne sais pas si je vous ai
bien compris, mais vous aviez dénoncé
le fait qu'il manquait certains journalistes, selon vous. Pouvez-vous préciser?
Parce que vous êtes passés très rapidement là-dessus, et je pense que ça participe de votre ardeur, aujourd'hui, à
vouloir vous exprimer.
M. Ourdja
(Akli) : Oui, exactement, il
n'y avait pas de journalistes. Je ne sais pas exactement quel est… Il y
avait une journaliste qui était présente, mais…
Une voix : …
M. Ourdja
(Akli) : Oui. Pardon, c'est le journal Métro qui était
présent dans la conférence. Mais la conférence a passé inaperçue. Ce passage inaperçu de cette conférence a encouragé les
protagonistes de la violence, de l'intimidation.
M. Tanguay : Et en quoi…
Comment vous liez les deux?
M. Ourdja (Akli) : Comment?
M. Tanguay : Comment
liez-vous les deux? En quoi l'absence de journalistes a aidé la violence?
• (15 h 40) •
M. Ourdja
(Akli) : Quand on est, par
exemple… On a… Quand on sent que la presse n'est pas présente, ça, ça encourage, ça encourage, ça nourrit le discours de
ces protagonistes de la violence. D'ailleurs, même quand on dit… Par exemple, quand on dénonce le multiculturalisme,
quand on dénonce la vision culturaliste, c'est la même chose. Quand, par
exemple, on présente deux discours, on dit
que, d'un côté, on lutte pour la démocratie, d'un côté, on lutte pour la
liberté de religion, et, de l'autre côté, on ne nourrit pas un discours qui va
encourager cette liberté religieuse et cette liberté individuelle, c'est ça qui
fait du tort dans notre société.
M. Tanguay :
M. Ourdja, j'ai eu l'occasion de vous croiser sur le plateau de télévision
jeudi soir ou mercredi soir dernier.
Il y avait un débat à la télévision, et vous étiez parmi 10 panélistes, et,
parmi vous, il y avait Mme Kathy Malas, orthopédiste, chef de département dans le réseau de la santé, qui porte
le hidjab. Elle a dit : Moi, ça ne menace pas mon professionnalisme
et ma neutralité, et je ne voudrais pas l'enlever parce que ça fait partie de
mon identité. Il y avait également une autre
femme qui était psychoéducatrice et qui travaille dans les écoles de Montréal,
elle portait le hidjab également et
elle a dit : Moi, ça ne représente pas une menace à mon professionnalisme,
à ma neutralité, et je ne veux pas l'enlever parce que ça participe de
mon identité, de mes croyances.
Quand vous
dites, dans votre mémoire, à la page 7 : «Le voile n'est pas un bout de
tissu sans signification comme le prétendent certains. Au contraire, le
foulard fait partie du projet de société de l'Islam politique, plus précisément
des Frères musulmans, et soutenu par les
pétrodollars», j'aimerais vous entendre là-dessus parce que vous avez une
expérience de vie. Est-ce que l'on peut, d'un côté, avec ces deux témoignages,
et, de l'autre côté, avec votre sentence quant à la signification du hidjab…
n'y aurait-il pas lieu d'y avoir une place à la nuance?
M. Kaidi
(Ali) : Une place à la
nuance entre les deux? Pour nous et pour la majorité de ceux qui viennent du
monde musulman, entre parenthèses, l'Islam,
particulièrement, il n'a pas de symboles, il n'a pas de signes, et surtout le
voile. Le voile, ce n'est pas un signe religieux,
c'est un signe religieux qui… c'est un signe idéologique qui commence à
s'imposer dans nos sociétés à partir des années 80, à partir de la révolution
chiite en Iran et aussi avec la montée des Frères musulmans, qui étaient en compétition avec les chiites, qui va voiler la
société, qui va pénétrer la société avec son idéologie. Donc, il y avait cette compétition-là qui a donné,
pratiquement pendant 30 ans… ça a banalisé le port du voile. Et il est devenu par la suite l'Islam politique, il commence
à devenir la religion authentique de certains pays, et aussi, à la
perception des Occidentaux, ils voient que
l'Islam politique, c'est la religion des musulmans. Et, par contre, dans
l'Islam et dans la religion
musulmane, il n'y a pas ce signe comme étant une exigence religieuse, il y a
d'autres exigences. Je vais laisser mon…
M. Ourdja (Akli) : Moi, je vais
répondre par rapport à la question. Est-ce que le voile… Parce que je suis musulman. À ma connaissance de l'Islam, dans
l'Islam, il y a cinq pays; dans les cinq pays, il n'y a pas de voile. Si
on va rentrer dans cette vision que chacun
veut être identifié, revendique son identité religieuse, dans ce cas-là on va
demander à tous les musulmans du Québec… on
va leur dire : Donc, au cas où vous allez rentrer dans une entreprise ou
vous allez travailler dans un emploi,
vous devez revendiquer une seule prière parce que c'est une exigence. La
prière, la pratique de la prière,
elle est plus exigeante que le voile. Le voile, d'ailleurs, il n'y a aucun
texte dans notre religion, dans le Coran, il n'y a
aucun texte qui parle du voile. On parle du voile, c'est vrai, il y a un texte
qui dit : Il faut rabattre le voile sur la poitrine. Maintenant, peut-être
il y a des gens qui ont pris la poitrine pour la tête. Ça, c'est autre chose.
M. Tanguay :
Vous dites… Parce qu'évidemment il faut mettre les perspectives et il faut voir
l'impact du débat. Vous faites
référence évidemment… et là je ne vais pas sur vos derniers commentaires sur la
signification du hidjab, mais vous parlez des Frères musulmans, de
l'importance de lutter contre l'intégrisme. Vous avez mentionné même que vous
vous opposez aux accommodements qui seraient déraisonnables, ce qui fait partie
du très, très large consensus.
Mais
j'aimerais vous entendre parce que dans… À la page 3 de votre mémoire vous
dites : «Ces valeurs — en parlant du projet
de loi n° 60 — permettront
de construire un Québec moderne et inclusif ne laissant pas de place aux
valeurs archaïques et rétrogrades…» Et en quoi le fait d'être contre
l'interdiction mur à mur de signes religieux serait de favoriser la
continuation de valeurs dites archaïques et rétrogrades? C'est là où je ne vous
suis pas, là.
M. Ourdja (Akli) : Bien, je vais
essayer d'être prof de philosophie, donc, je vais essayer de définir les concepts. Il
y a deux concepts de liberté
individuelle. Il y a la conception universelle de la liberté
individuelle. Ça veut dire, c'est une
reconnaissance de la liberté de l'individu à l'intérieur de la communauté. Il y a la
conception multiculturaliste de la
liberté, ce qui fait… les multiculturalistes ou les culturalistes ne
reconnaissent pas la liberté individuelle, ils reconnaissent la liberté
de la communauté.
Donc, par exemple, prenons le cas de la communauté musulmane. Ça veut dire : Pour les multiculturalistes, la communauté musulmane est libre d'imposer une
vision sur la communauté, sur tous les individus. Donc, par exemple, moi, par exemple, je n'ai pas le droit de remettre en cause ou
d'être… de remettre en cause certaines valeurs à l'intérieur de ma
communauté musulmane, tout en sachant, M. le Président, que toutes les
religions ont subi des réformes, à part la religion musulmane qui n'a pas subi
les Lumières. Donc, maintenant, actuellement, on est en train de subir ces conséquences, ce qui fait… par exemple, au sein du multiculturalisme, et ils voient plus la culture en tant que
quantité que l'individu. J'espère que je vous ai répondu.
M. Kaidi
(Ali) : Par rapport au voile, en quoi il… La question en quoi, en quelque
sorte, il est… comment il est… comment on a fait, bon, le mémoire, c'est
que le voile est un symbole d'une idéologie qui est basée sur l'inégalité hommes et femmes. Si on prend cette idéologie-là, qu'est-ce qu'on voit? On voit que l'homme a des
droits plus que la femme et il voit dans le corps de la femme comme
étant une cause, en quelque sorte, qui va provoquer des choses en l'homme qui vont le dévier de sa foi. Donc, ce
regard-là, il existe dans cette idéologie-là qui essaie de distinguer
entre la femme et l'homme en ce qui concerne les droits.
M. Tanguay : Et
reconnaissez-vous un courant très substantiel de gens qui, à ce sujet-là, quant
à la religion musulmane, ne partagent pas votre
opinion quant à votre conception univoque et sans équivoque, donc, de la
signification du hidjab? Reconnaissez-vous qu'il y a un courant très
substantiel?
M. Kaidi (Ali) : Je reconnais qu'il
y a un courant, et d'ailleurs…
M. Tanguay : Qui n'est pas,
par ailleurs, islamiste, là.
M. Kaidi
(Ali) : Oui, il y a un
courant, d'ailleurs il est le plus visible, c'est le courant islamiste qui est
le plus visible et auquel vous êtes
en train de lui ouvrir, en quelque sorte, les institutions de l'État afin qu'il
s'installe avec son idéologie.
M. Tanguay : Trois options,
un choix : première option, un courant islamiste, donc un courant
également de radicaux religieux qui n'y voient pas là un signe
d'asservissement, vous y voyez là évidemment, à contrepied, un signe qui est d'asservissement, mais également de
gens, et c'est là la troisième option — puis je voulais vous entendre si vous reconnaissez que cette partie de la
communauté là existe — des gens qui ne sont pas des radicaux religieux, qui ne sont
pas des extrémistes et qui ne considèrent
pas le hidjab, le voile sur les cheveux comme étant un signe
d'asservissement de la femme. Est-ce que vous reconnaissez qu'il y a ce courant
de gens non extrémistes?
• (15 h 50) •
M. Ourdja (Akli) : Est-ce que le
voile, il est unique à l'islam? C'est la question. Le voile, il est dans le christianisme. Il y a un verset dans le
christianisme qui parle du voile. Maintenant, dans l'islam, les seuls qui revendiquent ce voile, c'est l'islam politique,
soit qu'il s'agit des Frères musulmans, de la secte des Frères musulmans, soit
les salafistes. Le courant moderniste
à l'intérieur de l'islam, comme par
exemple le grand islamologue Arkoun,
comme le grand mufti du Paris qui
parle Soheib Bencheikh ces gens-là, ces gens-là disent qu'on doit
dépasser certaines choses qu'il y a à l'intérieur de l'islam, et c'est pour ça, nous, nous nous revendiquons d'un islam québécois
et non d'un islam qui vient de l'Arabie saoudite ou d'un islam qui vient du Qatar. Il y a
un islam propre en France, il y a un islam propre aux Québécois,
un islam qui condamne la haine, qui
met la femme et l'homme en égalité, un islam où il n'y a pas de pression, un
islam tolérant, c'est dans cet islam que nous, les Québécois d'origine
de l'Afrique du Nord, nous nous reconnaissons.
M. Kaidi
(Ali) : Par rapport à ça, je vais ajouter quelque chose. Le fait de
distinguer, par exemple, entre le voile et
le tchador et on dit que le tchador, il est banni, il ne faut pas qu'il entre
dans les institutions, etc., mais, si on analyse bien la chose, la différence entre le voile et le tchador, le tchador,
il appartient à une religion officielle, donc, à une secte vraiment
religieuse. Donc, si on défend le droit, la liberté religieuse, c'est le
tchador qui est défendable, mieux que le voile. Donc, par exemple, votre position, ça a
vraiment… ça a choqué un petit peu notre communauté, parce que comment se fait-il que, le tchador, vous le banissez? Il
appartient à une secte vraiment religieuse et officielle, donc, les femmes
qui le portent, il y a vraiment une
exigence. Par contre, le voile, il n'y a aucune exigence religieuse, il y a
seulement des tendances politiques qui l'imposent.
M.
Tanguay : Écoutez,
je vais devoir laisser du temps à ma collègue, mais j'ai une question très courte, et
votre réponse va être extrêmement importante quant à la portée… et quant à la
compréhension qu'on aura. J'ai cité le cas de
deux femmes, une orthopédiste et une psychoéducatrice, qui portaient le hijab,
le voile sur les cheveux. Pour vous, est-ce que, oui ou non, toutes celles qui portent le voile sur les cheveux, le
hijab, comme elles, sont des victimes d'un manque de respect de l'égalité hommes-femmes, le font parce qu'elles sont oppressées et que ça ne relève
pas de leur propre choix, propre à elles? Est-ce que, oui ou non, vous
le concevez?
M. Kaidi (Ali) : Oui, on le conçoit de cette façon. Le voile, c'est un symbole qui
exprime une inégalité entre les hommes et les femmes.
M. Tanguay :
Donc, pour vous, toute femme qui porte le voile est opprimée.
M. Kaidi (Ali) : Non. J'ai dit : L'idéologie qui véhicule ça, elle instrumentalise
ce symbole-là pour s'exprimer de cette
façon, de cette façon. Donc, il faut faire nuance parce que
c'est possible qu'il y ait des femmes qui ne sont pas des militantes,
mais l'idéologie avec laquelle… qui symbolise… le symbole, il symbolise une
idéologie qui est basée sur l'inégalité hommes et femmes. Et ensuite, par
rapport à ça, pourquoi vous refusez la laïcité pour les musulmans et les musulmanes? C'est un signe religieux comme un
autre, il doit quitter les institutions de l'État. Donc, pour nous,
interdire d'une façon universelle tous les
signes religieux, y compris le voile, fait partie… Si les femmes qui disent
qu'il fait partie des signes religieux, il doit, en quelque sorte, être
interdit dans l'espace d'État.
M. Ourdja
(Akli) : Je vais ajouter… Uniquement, par rapport au voile, il y a une
différence entre militante islamiste qui
porte le voile par conviction et des femmes opprimées. Il y a
aussi des… Parce que l'Islam politique, il est convaincu
d'islamiser. Parce qu'il y a des
musulmans, il y a des islamiques qui sont venus uniquement au Québec
pour islamiser la société. Demain, ces gens-là, ils pensent même à faire du
Québec un état islamiste. Dans leur pensée, c'est ça. Donc, il faut distinguer
entre les femmes qui militent pour un projet de société rétrograde et des
femmes qui subissent ce dictat islamiste.
Le
Président (M. Ferland) : Finalement, il y avait peut-être du
temps pour une dernière question pour la députée de Bourassa-Sauvé. Il
reste une minute environ, Mme la députée.
Mme
de Santis : Merci, M. le Président. Merci pour
votre mémoire. Et je suis très inquiète en vous entendant. Et vous pouvez croire que moi, je suis pour l'égalité
femmes-hommes et j'ai toujours milité pour ça. Mais on parle beaucoup
d'islam, islamisme politique, etc., mais vous savez que cette charte des
valeurs touche aussi les Juifs, les sikhs, les chrétiens, etc. Jusqu'à date, ces gens-là… Par exemple, vous êtes allé à
l'hôpital juif, vous avez des médecins avec des kippas, ça va… La charte va interdire à ces médecins de ne plus porter
la kippa. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça? Première question.
Deuxième
question. Vous prenez un peu la laïcité à la française au lieu d'à l'américaine,
et je vous demande : Est-ce qu'on
n'est pas mieux au Québec qu'en France et qu'il y a plus de problèmes
d'intégrisme et d'intégration là qu'ici…
Le
Président (M. Ferland) : Mme la députée, la… Bien, il y a pas
de temps pour la… malheureusement, parce que je dois… Je suis le
gardien du temps et je dois aller du
côté de la députée de Montarville pour un temps de 4 min 30 s, Mme la députée, à
peu près. Allez-y.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci, M. le Président. Bonjour, messieurs. Je suis ravie de vous revoir,
de vous voir ici aujourd'hui, vraiment contente que vous ayez pu déposer ce
mémoire. Triste d'apprendre que les femmes musulmanes laïques ne sont
pas ici parce qu'elles ont peur, ça m'attriste vraiment.
Vous
dites, dans votre mémoire, à la page 6 : «Les Québécois
de souche finissent par mettre dans le même panier tous les immigrants,
surtout ceux qui sont issus de la culture musulmane.» Votre témoignage, ici,
vient nous dire : Attention! Il y a
une différence à faire. Et c'est la raison pour laquelle je suis particulièrement heureuse de vous entendre parce
que vous, vous avez vécu dans les
pays maghrébins. Il y a cette barrière de la langue que… Nous, nous ne
parlons pas arabe, nous ne comprenons pas ce
qui se dit nécessairement. Nous n'allons pas dans les mosquées, vous y allez.
Alors, j'aimerais que vous me parliez de votre expérience québécoise. Parce que
vous avez quitté les pays du Maghreb pour des raisons qui sont propres à vous,
vous arrivez ici. Qu'est-ce que vous voyez et quel est le message surtout que
vous voulez livrer aux Québécois?
M. Ourdja (Akli) : Je vais raconter peut-être mon histoire. Au départ, avant mon arrivée au Québec,
le premier choc que j'ai vécu,
c'était en Tunisie quand une femme voilée, avant de faire… de passer l'entrevue
de sélection en Tunisie, elle a enlevé son voile. Ça, c'est la première…
le premier choc.
Le
deuxième choc, quand je suis arrivé à l'aéroport Trudeau, c'était ma première…
Je mets les pieds au Québec et je
vois que, par exemple, un douanier qui laisse passer une femme avec un
voile intégral et qui me demande d'identifier ma femme.
Ensuite, je lui ai dit, je lui ai répondu, à ce douanier : Si vous voulez
vraiment identifier ma femme, vous demandez
à cette femme qui est passée et qui a mis un voile intégral d'enlever son
voile. Une fois qu'elle va enlever son voile, vous allez identifier ma
femme.
La troisième, c'est
ce qu'on fait maintenant, actuellement. Je ne le fais pas pour moi, je le fais
pour mes enfants. Je veux que mes enfants
grandissent dans un pays de paix, je veux que mes enfants deviennent des
Québécois, pas des indigènes. Je veux à ce
que mes enfants ne vivent pas cette pression qu'on subit actuellement. Il faut savoir que le troisième choc, c'est quand mon enfant a été à l'école. Il y avait
une Québécoise de souche, c'était son enseignante, qui
ne lui a pas donné sa part de yogourt. Ça fait…
Ensuite, mon enfant, à son arrivée à la maison, il a dit à ma femme : On
ne m'a pas remis ma part du yogourt. Il était
frustré. Ensuite, je me suis déplacé à l'école primaire et, quand je suis
arrivé à l'école primaire, j'ai
demandé après l'enseignante, elle m'a dit : Monsieur, je crois, vous êtes
musulman. Je lui dis oui. Elle m'a dit : Dans le yogourt, il y a de
la gélatine, c'est pour ça que je ne lui ai pas donné à votre enfant.
Mme Roy
(Montarville) :
…rien demandé?
M. Ourdja (Akli) : Oui, exactement. Donc, il y a un certain profilage. C'est ça.
Donc, c'est ça, la chose que les Québécois n'arrivent pas à
comprendre. Donc, nous, on est doubles victimes : victimes de l'islam
politique, victimes du multiculturalisme,
victimes des Québécois qui nous considèrent… qui nous mettent sur le même
pied d'égalité avec les islamistes. Parce qu'actuellement le seul discours qui se développe au sein du Québec,
c'est un discours islamiste. Voilà.
Mme
Roy
(Montarville) : Alors, on a besoin d'être informés encore. Il faut
vraiment comprendre, il faut être informés aussi sur cette réalité. Vous
voulez poursuivre?
M. Ourdja
(Akli) : J'ajoute par rapport à ça… Par exemple, ce qui m'a choqué,
moi aussi : la campagne de francisation, on a parlé… Par exemple, on a
montré des Asiatiques, dire : Je vais parler français, des Africains, etc.
Lorsqu'ils sont arrivés à parler des gens issus du Maghreb, ils ont montré une
femme voilée. Les autres, on ne sait même pas à quelle religion ils appartiennent, par contre celle qui
appartient à notre communauté, on l'a l'identifiée automatiquement par le cliché de femme voilée, et ce cliché-là
renvoie au néo-orientalisme qui est vraiment ici, aux Amériques, qui
fait des racines, donc ce
néo-orientalisme-là qui ne voit qu'à travers la religion. Et c'est pour ça, on
a vu même des politiciens aller dans des mosquées…
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, je dois vous arrêter encore une fois, je dois
aller du côté… et pour la
dernière partie des échanges, le député de Blainville pour le même temps,
4 minutes et 30 quelques secondes. Allez-y, M. le député.
• (16 heures) •
M.
Ratthé : Merci, M. le Président. Je vais faire un petit aparté, peut-être une exception à nos
règles. Au nom de mes collègues, en mon nom, je voudrais vous souhaiter
un bon anniversaire, M. le Président.
Le Président (M.
Ferland) : Merci. Mais oui, c'est vrai. Bien, voilà.
Une voix :
…
M.
Ratthé : Je sais, je sais. Messieurs, merci d'être là. Je vais
continuer un peu sur la lancée... Je trouve intéressant,
vous êtes des gens évidemment
qui ont vécu, là, cette immigration, qui êtes venus… avez fait le choix de
venir vous installer, d'adopter… de devenir
des Québécois à part entière. Je voudrais juste avoir votre interprétation à vous, votre opinion. Il y a
des gens qui viennent nous dire ici que, si on adopte une charte comme celle-ci,
on va nuire à l'immigration, on va faire en sorte que des gens vont refuser de venir ici, on va même peut-être
faire en sorte que des gens quittent le Québec parce que…
On va se priver de talents.
Ma question a deux volets. Je voudrais savoir ce
que vous en pensez. Est-ce qu'on va vraiment nuire à l'immigration? Et je voudrais savoir aussi : Est-ce qu'à
l'extérieur du Québec les valeurs québécoises, qui sont celles qui sont
affirmées dans la charte, l'égalité
hommes-femmes, et citées, est-ce qu'elles sont bien véhiculées? Est-ce que les
gens comprennent bien ce qui arrive? C'est un peu… votre expérience que
je voudrais savoir de ce côté-là.
M. Kaidi (Ali) : D'ailleurs, par rapport à la charte des valeurs,
on était, en quelque sorte… nous, on ne voulait pas que ce soit une charte de valeurs. C'est une
Charte de la laïcité. En plus, ce n'est pas des valeurs québécoises, c'est
des valeurs universelles. Donc, on partage
ces valeurs-là, la laïcité, la neutralité de l'État et l'égalité hommes-femmes,
la liberté religieuse, liberté de conscience. Ça, c'est des valeurs
universelles… maintenant n'appartiennent plus à l'Occident parce qu'il y a des
gens qui meurent, dans les pays de l'Orient et des pays du Sud pour ces mêmes
valeurs. Donc, ça n'appartient plus à l'Occident. C'est pour ça que j'utilise
un concept qui appartient à George Corm, qui dit : Il faut laïciser la laïcité, enlever la dimension
chrétienne à la laïcité. Donc, la laïcité, elle n'est pas chrétienne, la
laïcité, c'est une invention de la
raison humaine, et la raison humaine, elle n'est pas la chasse gardée des
Occidentaux, elle est partagée, c'est la chose la mieux partagée entre
les êtres humains. Donc, c'est ça.
M. Ratthé :
Alors, sur le point de vue de l'immigration, est-ce que vous pensez que ça va
ralentir l'immigration, que ça va empêcher des gens de venir?
M. Ourdja
(Akli) : Je ne pense pas. On
essaie de dramatiser la situation. C'est la même chose qu'on a faite en France. En France, avant que la France applique le
voile, on a dit que les femmes… plutôt les filles musulmanes ne vont pas aller dans les écoles publiques. C'est ça,
l'argument. Une fois appliqué, il n'y avait que… je pense, une
soixantaine de filles musulmanes qui ne s'est pas présentée. Après un mois, on
a vu… le chiffre, il s'est rétréci, il est devenu que trois filles qui ont été instrumentalisées par leurs parents. Donc, cet
épouvantail, ce drapeau qu'on dit que ça va nuire au Québec, ça va nuire
à l'image du Québec… Je pense que le Québec a vécu la Révolution tranquille.
C'est grâce à la Révolution tranquille qu'on
est là. Si demain on remet en cause ces valeurs de la Révolution tranquille,
c'est tout à fait normal qu'on va se sentir aussi… on va se sentir gêné.
Donc, il faut acheminer cette Révolution tranquille, il faut la protéger. C'est
ça, l'objectif.
M. Kaidi (Ali) : Et, par rapport à ça, nous, on dénonce le préjugé
qui est derrière cette… C'est ça. Ça veut dire qu'ils pensent que tous
les musulmans sont des intégristes, au point qu'ils sont prêts à quitter leur
emploi pour une soi-disant exigence qui n'est pas vraiment religieuse. Donc,
vous supposez que toute la communauté musulmane, en quelque sorte, elle est
dans le Coran islamiste. Là c'est très dangereux, non pour vous, les Québécois,
parce que c'est dangereux pour la communauté
de l'intérieur parce que, la pression, c'est nous qui la subissons. Vous, vous
ne la subissez pas de la même façon
ou vous ne la subissez pas du tout parce qu'en quelque sorte, avec ce
multiculturalisme, vous êtes en train
de créer une inégalité internationale et une inégalité entre l'Orient et
l'Occident au sein de l'Occident lui-même. Vous êtes en train de créer, en quelque sorte, un Sud à l'intérieur du
Nord et un Orient à l'intérieur de l'Occident, et ça, c'est dangereux
pour notre communauté. Parce que vous, ça va satisfaire, en quelque sorte,
votre curiosité culturelle. Au lieu de voyager des kilomètres et des kilomètres
pour voir l'Orient, vous allez le voir à Jean-Talon et ici seulement.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, ceci met fin au temps qui nous
était imparti pour ce bloc-là, là. Alors, je vous remercie beaucoup pour votre
présentation, le temps que vous avez pris pour préparer le mémoire et vous
déplacer pour le présenter.
Je
vais suspendre quelques moments afin de permettre à M. Sébastien Lévesque de
venir prendre place, pour le prochain intervenant. Alors, on suspend quelques
instants.
(Suspension de la séance à
16 h 5)
(Reprise à 16 h 7)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Maintenant,
nous allons recevoir M. Sébastien Lévesque. En vous mentionnant que vous
disposez de 10 minutes pour présenter votre mémoire, suivi d'un échange avec
les différents groupes parlementaires. Alors, je vous cède la parole, M. Lévesque.
M. Sébastien Lévesque
M. Lévesque (Sébastien) : Merci beaucoup, M. le Président. Mmes, MM. les
députés, M. le ministre, merci de nous
recevoir, merci de me donner l'opportunité aujourd'hui de partager avec vous
mes réflexions, réflexions sur le projet de loi n° 60 en particulier, mais aussi réflexions plus larges sur
la laïcité et l'aménagement de la diversité ethnoculturelle et
religieuse au Québec.
D'entrée de jeu,
j'aimerais vous citer Claude Ryan. D'ailleurs, c'est un homme pour qui M. le ministre
dit avoir beaucoup d'estime : «Les
droits des minorités sont, pour moi, antérieurs à ceux de l'État. Ils le sont
tellement dans ma pensée. Aucun
groupe majoritaire n'a le droit de s'approprier les rouages de l'État pour
imposer sa culture aux autres. La reconnaissance
des droits des minorités relève non pas du bon plaisir des États ou de
l'intérêt des groupes majoritaires, mais de la justice et de la
considération morale fondée sur une certaine conception de l'homme.»
Que
faut-il comprendre de cette citation? D'abord, une première chose, que les
rapports entre la majorité et les minorités doivent être traités avec le
plus grand soin puis que, pour limiter ou affaiblir des droits fondamentaux à certains citoyens, l'État doit avoir des motifs
sérieux. C'est, à mon sens, ce qui fait particulièrement défaut à ce
projet de loi. Il est non seulement
discriminatoire envers certaines minorités, mais aussi et surtout injustifié
puisqu'appuyé sur aucune étude ou donnée probante.
La
mesure la plus controversée du projet de loi n° 60 est évidemment
l'interdiction de port de signes religieux pour l'ensemble des employés
des secteurs public et parapublic. D'ailleurs, je noterai plus loin que
l'essentiel des autres points, des autres
dispositions du projet de loi font largement consensus dans la population ainsi
que chez les élus. C'est, à mon sens,
une mesure abusive, une mesure mal avisée, qui ne répond à aucun besoin réel.
En effet, le fait que certains agents
de l'État arborent des signes religieux sur une base individuelle ne remet
aucunement en cause la neutralité religieuse de nos institutions, leur
neutralité à la fois religieuse et aussi décisionnelle. D'ailleurs, je me
demande qui pense sérieusement que nous
avons actuellement un État religieux au Québec bien que nous n'ayons pas un
projet de loi n° 60.
• (16 h 10) •
Je
m'oppose, par ailleurs, à cette mesure,
puisqu'elle aura de toute évidence pour effet d'accroître la discrimination à l'endroit de certains groupes minoritaires. À
cet égard, il convient de noter que les minorités visibles et particulièrement
les femmes issues de communautés culturelles sont malheureusement déjà l'objet de différentes formes de
discrimination et largement
sous-représentées dans la fonction
publique. Ce projet de loi ne ferait vraisemblablement et malheureusement qu'accentuer ce
fait.
Je pense,
pour ma part, que les institutions de l'État ainsi que ceux qui les représentent se devraient
d'être le reflet le plus fidèle de la
société dans laquelle nous vivons, qui est une société pluraliste. À ce sujet,
j'abonde d'ailleurs totalement
dans le sens des propos de Mme Pauline Marois, qui était alors ministre de
l'Éducation, qui affirmait ceci : «La crédibilité
du discours sur l'ouverture à la diversité ethnoculturelle et religieuse
s'appuie en bonne partie sur la visibilité de cette diversité.» Donc, le fait d'avoir cette diversité visible au sein
même de nos institutions renforce la laïcité, renforce le fait que nos institutions sont ouvertes à
tout citoyen de toute allégeance, de toute provenance.
Au contraire,
en cherchant ainsi à dissimuler la diversité, quel message envoie ce projet de loi à la population si ce n'est que cette diversité constitue un
problème ou un danger? Voilà pourquoi il faut, selon moi, que le gouvernement renonce
à l'idée d'interdire le port de signes religieux chez les agents de l'État.
C'est là non seulement une question d'ouverture
à la diversité, mais aussi et surtout de pleine reconnaissance du droit à la
différence, lequel est parfaitement conforme
à ce qui constitue le véritable sens de la liberté de conscience et de religion
que cherche à déployer une société libérale et démocratique comme la
nôtre.
Dans un autre
ordre d'idées, certains laissent entendre que le projet de loi n° 60
viendrait consacrer ou encadrer davantage
le principe d'égalité entre les femmes et les hommes. D'abord,
laissez-moi vous rappeler que cette égalité est déjà protégée deux fois plutôt
qu'une dans la charte québécoise des droits et libertés de la personne. Quant à
la prétention de venir en aide aux femmes, je crois
qu'il faut avant tout éviter le piège du paternalisme d'État
et se souvenir davantage que
l'émancipation des femmes passe par leur liberté de choix, et ça inclut évidemment
la liberté de porter ou non des signes religieux, ainsi que… et surtout peut-être
l'intégration au marché de l'emploi. À cet égard, l'État québécois étant le plus important employeur au Québec, je vois assez mal
comment on pense venir en aide aux femmes en leur fermant les portes de
nos institutions.
Il s'est par ailleurs dit beaucoup de choses dans les dernières années et dans les
dernières semaines à propos des accommodements raisonnables. Plusieurs,
dont M. le ministre lui-même, laissent entendre qu'il n'y aurait pas de balise claire encadrant ces fameuses demandes
d'accommodement. Pourtant, une étude attentive de la jurisprudence
permet de constater que ces balises existent
bel et bien. Seulement, il est vrai qu'aucun texte de loi au Québec
ne fait explicitement mention de ces balises et par ailleurs ne définit clairement
ce qu'est un accommodement. Pour pallier ce manque et répondre aux besoins des autorités compétentes, je suis d'avis qu'il est
utile de procéder à une codification des pratiques actuelles en matière
d'accommodement, en plus d'expliciter des critères qui président à l'évaluation
d'une demande. Ça pourrait se faire, par exemple, par le biais d'un projet de
loi, bien évidemment, ou la rédaction d'un livre blanc.
Finalement,
en dépit des critiques que j'adresse à ce projet de loi, je tiens à souligner,
comme j'en ai fait allusion tantôt,
que la plupart de ses dispositions font tout de même largement consensus dans
la société québécoise ainsi que chez les
élus. Malheureusement, je déplore l'attitude intransigeante du gouvernement,
qui s'entête à maintenir la ligne dure, refusant de scinder le projet de
loi, alors qu'un consensus est à portée de main. En cherchant bien
maladroitement à rassembler les Québécois
autour de ce que M. le ministre appelle nos valeurs, le projet de loi
n° 60 a de toute évidence l'effet contraire, celui de diviser
davantage les Québécois.
Ce qu'il faut
savoir, c'est que, dans une société libérale et démocratique comme la nôtre, le
vivre-ensemble repose moins sur un contenu moral normatif que sur des
valeurs communes qui sont, en fait, des vertus civiques, comme l'attachement aux principes du droit ainsi que la
délibération éthique. Je pense, d'ailleurs, que, s'il veut faire oeuvre
utile, le gouvernement devrait davantage
s'efforcer de mettre en place des mesures qui favorisent le dialogue
interreligieux et la compréhension
mutuelle. Plus spécifiquement, le gouvernement devrait travailler à
l'édification d'une politique québécoise de l'interculturalisme qui serait notre modèle d'intégration et
d'aménagement de la diversité ethnoculturelle et religieuse au Québec.
Merci, M. le Président.
Le
Président (M. Ferland) : Merci beaucoup, M. Lévesque. Nous
allons maintenant aller à la période d'échange. Et je cède la parole à
M. le ministre.
M.
Drainville : Merci,
M. le Président. Merci, M. Lévesque, pour votre réflexion. D'abord, sur la
question des accommodements, vous
dites, bon : Les balises existent déjà. Elles existent formellement dans
la jurisprudence, mais, dans les
faits, elle est très mal connue, elle n'est pas claire, elle est difficilement
applicable. Ça, nombre de gestionnaires nous l'ont dit, nous le disent.
Des grands syndicats demandent que des balises soient mises en place, les
commissions scolaires le demandent également.
Je vais vous
citer, tiens, quelques passages du rapport Bouchard-Taylor. Page 83, je le
cite : «Dans un groupe-sonde tenu
en avril 2007, des témoignages faisaient état de directions d'école ayant
accepté à contrecoeur certaines demandes d'ajustement — synonyme
pour "accommodement" — qu'elles jugeaient pourtant déraisonnables.
Elles agissaient — donc,
les directions d'école — par crainte des médias, des conflits, des
tribunaux, pour éviter de faire face à des accusations de xénophobie, de
racisme — "nous
avons peur de dire non".» C'est le rapport Bouchard-Taylor qui le dit.
Page
84 : «…plusieurs acteurs du milieu scolaire nous ont confié, en
groupe-sonde ou en entrevue, le malaise ou le doute qu'ils éprouvaient à l'endroit des ajustements», des
accommodements. Page 85 : «Comme dans le cas des écoles primaires et secondaires, des enseignants et des
responsables de services nous ont exprimé leur désarroi : ils se
sentent désemparés, sans repères — et sans balises.» «Comme dans le cas des
écoles primaires et secondaires, le personnel des
cégeps ressent le besoin de balises plus précises…» «D'autres interlocuteurs
[du milieu de la santé] se sont dits mal préparés, insuffisamment soutenus. En conséquence, ils préféraient
accommoder plutôt que de faire face à des protestations et à des
contestations judiciaires. Et, là comme ailleurs, ils percevaient toujours la
menace de la médiatisation.»
Alors,
formellement parlant, vous avez raison notamment que les règles de contraintes
excessives existent déjà. Mais le fait de les inscrire dans la charte,
la charte des droits, à travers notre charte de la laïcité va, je pense,
préciser beaucoup, beaucoup de choses. Je pense que ça va
donner un cadre beaucoup plus clair, et non seulement pour les gestionnaires
publics, mais pour les gestionnaires privés également.
Et, je dois
vous dire, M. Lévesque, visiblement, vous êtes un citoyen très bien informé, vous
m'avez sans doute déjà entendu dire
que le fait qu'on précise les balises en matière d'accommodements va, selon
nous, favoriser l'intégration des néo-Québécois au marché du travail,
parce que, comme vous venez tout juste de l'entendre par les deux Québécois qui
vous ont précédés, deux Québécois d'origine algérienne, ils disent : Nous
sommes les premières victimes des accommodements. Il y a des employeurs qui
refusent de nous donner une chance parce qu'ils ont peur de vivre avec des
demandes d'accommodement.
Nous, on
pense qu'avec ces balises beaucoup plus claires qu'on met dans la charte les
employeurs vont savoir dorénavant
beaucoup plus comment se gouverner s'ils ont des demandes d'accommodement et,
donc, ils vont être plus tentés, plus
incités à donner leur chance à des néo-Québécois qui ont du talent, qui ont des
compétences extraordinaires, mais qui
malheureusement sont sans emploi parce que, dans certains cas, des employeurs
ont peur de se faire demander des accommodements
et ne pas être capables de les gérer. Là, on va leur donner les moyens pour les
gérer. Donc, ça, c'est sur la question des accommodements.
Sur la
question de la discrimination. Parce que, bon, vous êtes un prof de philo, vous
comprenez le sens des mots. Quand
vous dites : Le projet de loi n° 60 est un projet de loi qui va
engendrer de la discrimination notamment à cause de la restriction en
matière de port de signes religieux, vous comprenez que ça me heurte un petit
peu. Je respecte votre position, mais moi, vous comprenez que, si j'avais la
conviction que le projet de loi va discriminer, va produire de la discrimination, jamais je ne l'aurais déposé parce
que ce n'est pas dans mes valeurs puis ce n'est pas dans les valeurs de notre parti ou de notre gouvernement. Je pense qu'au
contraire on va… Moi, je pense qu'à terme on va aider beaucoup la
société québécoise avec cette charte-là. Le débat est intense présentement,
c'est vrai, mais je pense qu'une fois qu'on aura adopté cette charte-là on va
s'en féliciter dans quelques années d'ici.
Et je veux
juste vous rappeler, il y a quand même beaucoup de gens sensés, des grands
humanistes, des très beaux esprits
qui disent que la neutralité religieuse de l'État, elle doit s'incarner dans
ses représentants. Quand vous avez des personnes
comme Guy Rocher qui le disent, Yvan Lamonde, Micheline Labelle, Yolande Geadah, Claire L'Heureux-Dubé, qui
ne voient absolument aucune discrimination dans ce projet-là, vous savez, on
est en très, très bonne compagnie… Est-ce qu'il y a un vote, M. le Président?
• (16 h 20) •
Le Président (M. Ferland) :
C'est ma fête, M. le ministre.
M. Drainville : C'est votre
fête.
Le Président (M. Ferland) : Je
pense que c'est ça qui… Je crois que… Il n'y a pas de vote.
M. Drainville : Arrêtez, là, parce
qu'on va se mettre à chanter…
Le Président (M. Ferland) : Peut-être
après la classe si on peut…
M. Drainville : …M. le
Président, c'est à votre tour de vous laisser parler d'amour!
Le Président (M. Ferland) : À
la fin de la commission, oui. Allez-y.
Une voix : …la bascule.
M. Drainville : La bascule à
la fin. Tiens! La bascule, c'est bon, ça.
Vous savez, même au
sein de la classe politique, sur les quatre partis qui sont présents à l'Assemblée nationale, il y en a trois qui
sont favorables à ce que la neutralité religieuse de l'État s'incarne dans ses représentants.
Alors, l'interdiction est à géométrie
variable. Québec solidaire dit : Seulement les agents
coercitifs. La CAQ dit : Les agents avec pouvoir contraignant, donc les juges, les policiers, les gardiens de
prison, plus les enseignants, les enseignantes, ils sont ouverts, je
pense, aussi sur les éducatrices, on va voir, éducateurs, éducatrices en
garderie. Et nous, c'est l'ensemble des agents de l'État.
Dans le fond, il y a seulement le Parti
libéral qui manque à l'appel sur la question
des signes religieux; eux ne favorisent
aucune interdiction. Mais il y a quand
même trois partis sur quatre qui
disent : C'est raisonnable d'interdire le port de signes religieux
pour certains agents de l'État ou l'ensemble des agents de l'État, au nom de la
neutralité religieuse, qui vise à faire quoi?, qui vise à protéger la liberté
de conscience et la liberté de religion pour tous.
Donc, tout ce que je veux vous dire, c'est qu'en
tout respect pour votre position, vous avez une vision que je respecte totalement, et ça, je le dis depuis le début, moi. Moi, je
dis : Il y a différentes visions de la laïcité. Et
celle que vous portez, elle est tout à fait légitime. Est-ce que vous reconnaissez que celle que nous portons est tout à fait légitime aussi?
M. Lévesque
(Sébastien) : Bien, évidemment, je ne dirai pas qu'elle est illégitime
et je reconnais qu'il y a plusieurs modèles de laïcité. Mais, avant de penser
le modèle de laïcité, il faut d'abord le penser aussi en fonction de l'historique qu'il construit. Et je crois
percevoir dans votre projet de loi, M. le
ministre, qu'il se construit beaucoup sur un modèle qu'on pourrait appeler à la française. Et une problématique qui se trouve, avec ce modèle-là, c'est qu'il semble d'abord ne
pas produire des résultats tout à fait souhaitables et, par ailleurs, il ne
m'apparaît pas tout à fait en phase avec la tradition juridique qu'on a au Québec avec,
par ailleurs, même, et certains en ont fait allusion, avec
l'héritage de notre Révolution tranquille. Donc, pour cette raison-là,
je ne vois pas de raison qui nous pousse à aborder un type de laïcité
qui viendrait, là, s'étendre jusqu'aux individus.
La laïcité qui
s'incarne à travers les choix institutionnels, les normes institutionnelles,
donc, ne vise pas les personnes qui le
représentent. Donc, un peu comme j'en ai fait allusion tantôt, je pense qu'on
peut tous s'entendre que, même en
l'absence d'une loi encore qui aurait été adoptée sur ce sujet précis, il n'y a
personne qui pense sérieusement qu'au
Québec on a un État qui est religieux. Donc, de par les droits protégés dans la
charte québécoise des droits et libertés, liberté de conscience, liberté de religion, qui sont déjà très bien
défendus, donc il se trouve qu'on est à l'abri des décisions qui
seraient jugées arbitraires.
M. Drainville :
Est-ce que vous seriez d'accord, vous, pour l'interdiction du port des signes
religieux pour les agents contraignants, donc les policiers, les juges
et les gardiens de prison? Est-ce que vous seriez d'accord avec ça?
M. Lévesque (Sébastien) : Pour ma part, je ne vois pas la nécessité
d'étendre la neutralité chez les agents de l'État et, quand je dis
«agents de l'État», j'inclus tous les agents de l'État. Donc, si on prend le
cas des…
M. Drainville :
Donc, aucune interdiction pour vous?
M. Lévesque (Sébastien) : Aucune interdiction. Aucune interdiction, sauf
évidemment les motifs qui seraient liés à la sécurité ou à l'identification. Donc, par exemple, si on pense au
visage découvert, qui est évidemment, encore une fois, une mesure qui
fait largement consensus. Mais, si on prend le cas des juges…
Prenons
le cas des juges, par exemple. Donc, d'abord, il est peut-être problématique,
en vertu de la séparation des pouvoirs,
que ce soient les législateurs qui indiquent à la magistrature comment elle
doit gérer, disons, l'accoutrement. Mais,
par ailleurs, il n'y a rien qui, rationnellement, si j'ose dire, nous dit qu'un
juge qui… Et d'ailleurs ce n'est… si je peux me permettre la parenthèse, il n'y en a pas, de juges, donc c'est un cas
hautement hypothétique, mais, si, par ailleurs, il devait y avoir un juge qui porte un signe religieux,
la kippa par exemple, il n'y a rien qui nous indique… il n'y a aucune
indication rationnelle qui nous dit que cette personne-là ne peut pas effectuer
les tâches qui lui incombent de manière impartiale, de façon tout à fait
professionnelle, si ce n'est qu'ici, à mon sens, on distingue mal la
neutralité, la vraie, de l'apparence de neutralité.
M. Drainville : Comment vous réagissez quand vous entendez des
témoignages comme celui qu'on a eu tout
à l'heure juste avant vous, où on parle d'un cas réel, là, le cas d'une femme
musulmane qui a vu dans le voile porté par une stagiaire qui travaillait, donc, dans le secteur de la santé, le message
d'un interdit. Alors, elle se présente, elle consulte pour sa santé, on
lui pose la question sur son régime alimentaire, notamment sur sa consommation
d'alcool — elle
n'a pas de problème d'alcool, là, elle
prend un verre une fois de temps en temps — mais, voyant le voile et l'interdit qui accompagne… enfin, l'interdit qu'incarne le voile
à ses yeux, elle décide tout
simplement de ne pas répondre à la
question qu'on lui pose sur sa consommation d'alcool parce qu'elle a peur de se
faire juger, dans le fond.
Êtes-vous
d'accord, même si vous jugez que l'interdiction n'est pas légitime, même pas
pour des policiers ou des juges,
est-ce que vous êtes d'accord, à tout le moins, que le signe religieux envoie
un message religieux et que ce message religieux
puisse nuire à la relation de confiance entre le citoyen et le représentant de
l'État? Est-ce que vous reconnaissez au moins la légitimité de ce que
cette femme a ressenti quand elle a vu ce voile-là à ce moment-là? Est-ce que
vous reconnaissez la légitimité de ce qu'elle a ressenti?
M. Lévesque (Sébastien) : Oui, effectivement. Je ne peux pas nier la
légitimité d'un sentiment de malaise qui peut être ressenti par une
personne si elle est exposée à la vision de signes religieux. Ça se trouve qu'à
mon sens le malaise que certaines personnes
peuvent ressentir n'est pas un motif suffisant pour réduire les droits
fondamentaux. Donc, dans une société
libérale et démocratique comme la nôtre, on doit s'attendre à être confrontés,
dans un contexte comme dans un autre,
parfois à des choses qui peuvent nous heurter, que ce soit la conviction
politique ou religieuse des autres, ça
peut nous heurter, mais ça fait partie des règles du jeu, si j'ose dire. Donc,
à cet égard-là, de la même façon, pour prendre un exemple, si un musulman, un homme musulman allait…
faisait affaire avec l'État puis devait être mal à l'aise devant une femme qui portait une jupe trop courte selon ses
critères, on se trouverait certainement à répondre à cet inconfort en
disant que la personne doit s'adapter à la
situation, elle doit s'adapter puisque ça fait partie de nos valeurs
d'ouverture et d'inclusion.
M. Drainville :
Mais pourquoi faut-il que ce soit le citoyen qui s'ajuste à l'État? Il me
semble que c'est l'État qui est au
service du citoyen, pas le citoyen au service de l'État. Et donc moi, je… à
partir du moment où le citoyen se sent atteint
dans ses droits… bien, son droit à la santé notamment, pourquoi est-ce qu'on
devrait accepter qu'un citoyen ou qu'une citoyenne soit atteinte comme
ça dans quelque chose de fondamental, c'est-à-dire son intégrité physique, sa santé? Pourquoi on devrait accepter ça, comme
société, que l'État puisse faire ça à un de ses citoyens? Il me semble
que la moindre des choses, c'est que l'État dise : Écoutez, dans une
situation comme celle-là, ma responsabilité, comme État, c'est d'être neutre, et, pendant les heures de travail, de
respecter la liberté de conscience de mes concitoyens, et donc de ne pas chercher à imposer de quelque façon que ce
soit, même si c'est seulement dans la perception, de ne pas imposer de quelque façon que ce soit quelque précepte
religieux ou conviction religieuse que ce soit. Pourquoi c'est
déraisonnable, ça?
M. Lévesque (Sébastien) : Bien,
parce que d'abord, la dame, si on parle d'une dame, par exemple, qui porte le
hidjab, elle aussi est une citoyenne qui…
M.
Drainville : Oui, mais elle travaille pour l'État, elle a des
responsabilités.
M. Lévesque (Sébastien) : Oui, mais sa responsabilité première est de faire
son travail de manière professionnelle et
de manière impartiale, ce qui n'a pas été démontré que le port de signes
religieux l'en empêcherait d'effectuer ses tâches avec professionnalisme. Donc, sinon, si on va plus
loin dans la réflexion, ça se trouve qu'effectivement il peut y avoir
cet inconfort, mais il faut d'abord chercher
à conforter les gens devant cet inconfort-là. Et je pense que, comme j'en ai
fait allusion dans ma présentation, si le
gouvernement, si on veut, légitimise un petit peu cet inconfort-là et l'érige
en droit, le droit de ne pas être
exposé à des signes religieux parce que le signe religieux pourrait me mettre dans l'inconfort, c'est une façon de réduire la liberté de conscience de
certaines personnes, qui est attachée à une religion en particulier ou à une façon en particulier d'exprimer leur religion qui vient
intrinsèquement avec le port de signes religieux dans certains cas. Donc, c'est
aussi la liberté de conscience.
Et
la liberté dont vous faites indirectement allusion, qui serait celle de ne pas être exposé
à des signes religieux, c'est un
droit que je ne reconnais pas, qui n'existe pas dans nos principes de droit.
Donc, c'est pour ça que je ne vois pas la légitimité d'aller jusque-là
pour répondre à ce que serait un inconfort, que, par ailleurs, je reconnais
comme étant légitime. Moi-même, que ce soit
pour un motif ou pour un autre, je pourrais être inconforté par des signes
religieux — ce
n'est pas vraiment le cas, là, mais ça pourrait très bien être le cas — mais
je devrais apprendre à composer avec cette difficulté-là. Ça fait partie du
vivre-ensemble dans une société pluraliste.
• (16 h 30) •
M. Drainville :
Donc, si je vous suis, si je suis votre logique, à ce moment-là vous seriez
favorable pour qu'il n'y ait plus neutralité politique dans la fonction
publique?
M. Lévesque (Sébastien) : La neutralité politique, les signes politiques — appelons-les comme ça — ne sont pas de même nature. Ça
n'appelle pas à un droit de même nature que ceux qui sont de nature
religieuse...
M. Drainville :
Ah!
M. Lévesque (Sébastien) :
...puisque les convictions religieuses ne sont pas de même nature que les
convictions politiques.
M. Drainville :
En vertu de quelle logique?
M. Lévesque
(Sébastien) : Bien, par exemple, est-ce qu'il existe vraiment une
personne qui se sent dans l'obligation morale de porter un signe, une
épinglette, par exemple, du Parti québécois, ou du Parti libéral, ou de quelconque autre... donc, et qui, si elle devait
ne pas pouvoir porter cette épinglette, ce signe politique en toute circonstance, à tout moment, se trouverait à avoir
le sentiment de manquer à ses obligations morales ou d'être fautive,
donc, en regard de quelque chose, là, de
fondamental pour elle… aussi importantes puissent être les convictions
politiques, je le reconnais, là, mais
je ne crois pas qu'elles soient de même nature parce que les questions de
nature religieuse touchent à des grandes
questions qui sont celles des finalités de l'existence, donc, quelles sont les
finalités de l'existence en regard de ce qu'est une vie bien menée, de ce qu'est... les croyances métaphysiques,
pour prendre ces exemples-là, donc chose qui ne touche pas du tout au
domaine politique, là. Donc, c'est ce qui fait, à mon sens, la distinction
importante entre les deux et que l'analogie, aussi crédible puisse-t-elle
paraître, là, ne tient pas vraiment l'analyse.
M. Drainville :
Là-dessus, on a un désaccord, parce que...
M. Lévesque
(Sébastien) : Oui, de toute évidence.
M. Drainville : ...parce
que, je vais vous dire, M. Lévesque, il y a
du monde pour qui la conviction politique
est aussi importante que ne l'est la
conviction religieuse pour d'autres. Et, de commencer à hiérarchiser les
libertés, là, de dire que la liberté d'expression et d'opinion est moins
importante que la liberté de religion, moi, j'ai un profond problème avec ça,
là.
D'ailleurs,
vous vous appuyez sur les textes juridiques pour soutenir votre position. Si
vous regardez les chartes, elles ne
placent pas la liberté de religion au-dessus de quelque droit ou liberté que ce
soit. Les jugements des tribunaux ont peut-être fait de la liberté
religieuse un superdroit. Ça, on peut en débattre. Il y en a qui pensent ça, il
y en a qui pensent que la liberté de
religion a été tellement interprétée avec tellement de... Les tribunaux...
la Cour suprême, pour ne pas
la nommer, a fait preuve d'une telle largesse et a tellement
donné d'importance à la liberté de religion que ça a fini par l'élever, élever la liberté de religion au rang de
superdroit qui a plus d'importance que tout le reste. Bon. Ça,
c'est une thèse, il y en a qui défendent ça, ce n'est pas nécessairement
mon opinion, mais une chose est claire, c'est qu'il y a un débat là-dessus.
Par ailleurs, à partir du moment où tu travailles pour tes concitoyens, vous ne
pensez pas que tu as des responsabilités supplémentaires à titre de représentant
d'une institution publique? Vous ne pensez pas que c'est normal que l'on dise à
quelqu'un : Tu travailles pour tes concitoyens, et, pendant tes heures de
travail, on te demande de garder pour toi ta conviction
religieuse, de la même façon qu'on te demande de garder ta conviction politique
si tu es fonctionnaire? En quoi est-ce déraisonnable? En quoi est-ce une
grande atteinte à la liberté ou au droit d'autrui?
M.
Lévesque (Sébastien) : Le
problème que je vois dans ce raisonnement, c'est qu'il semble envoyer le
message que les signes d'appartenance
religieuse sont un obstacle, sont un obstacle intrinsèque à la bonne relation
que peut entretenir un citoyen avec
l'État, alors qu'à mon sens la laïcité de l'État, elle s'incarne dans les
décisions de l'État, elle s'incarne dans les normes institutionnelles. Donc, du moment où on sait que les décisions, les choix des institutions sont basés
non pas sur des préceptes religieux ou sur des motifs particuliers et
qu'elles sont basées sur l'intérêt général, l'intérêt de tous les citoyens,
alors je ne vois absolument pas en quoi le fait que, sur une base toujours évidemment
individuelle, certains agents de l'État arborent des signes religieux vient
faire en sorte que ces personnes sont moins aptes à effectuer leur travail de manière professionnelle, de manière
consciencieuse et que, par ailleurs, il se trouverait à y avoir une sorte de blocage entre le citoyen et les institutions.
Donc… Outre, évidemment, le fait qu'il peut y avoir le fameux inconfort,
dont on a fait allusion tantôt, mais, à mon sens, cet inconfort n'est pas un
motif suffisant pour limiter ou affaiblir des droits fondamentaux.
M. Drainville : C'est plus
qu'un inconfort, M. Lévesque, là. Dans certains cas, c'est un inconfort, mais,
dans d'autres cas… dans d'autres cas, ça
peut être carrément une condamnation, un rejet, une souffrance vécue
par la personne. Tu sais, tu te fais rejeter de ta famille à cause de
ton orientation sexuelle, et la raison pour laquelle tu es rejeté, c'est essentiellement sur une base religieuse. Tu te retrouves un peu tout seul. Dans le système
de santé, tu veux consulter, tu as besoin
d'aide et tu te retrouves face à une personne qui porte le signe religieux de
la religion qui t'a exclu, condamné pour ton orientation sexuelle. Ce n'est pas juste un inconfort, ça, M.
Lévesque, c'est carrément une atteinte au droit du citoyen d'obtenir un service public sans être jugé ou
condamné pour son orientation sexuelle. En fait, c'est une atteinte au
droit protégé contre… C'est une atteinte au
droit de ne pas subir de discrimination à cause de ton orientation sexuelle, ce
n'est pas juste un malaise.
Un enfant,
qui est influençable, et fragile, et vulnérable par définition, qui se retrouve
dans une classe pendant toute une
année scolaire avec un enseignant ou une éducatrice qui porte un signe
religieux, je m'excuse, mais je pense que ça peut avoir un impact sur le développement de l'enfant. Je pense que ça peut avoir un impact sur sa conception, par exemple, de l'égalité entre les hommes et les femmes : Pourquoi, madame, vous,
vous êtes obligée de porter un voile, puis votre… est-ce que… votre mari
y est-u obligé d'en porter un, lui?
Le
Président (M. Ferland) : Excusez-moi, M. le ministre. C'est le temps qui était imparti pour le premier
bloc. Alors, je me dirige du côté de l'opposition officielle en cédant la
parole au député de LaFontaine.
M. Tanguay : Merci beaucoup,
M. le…
Le Président (M. Ferland) :
Pour 18 minutes, M. le député, à peu près.
M. Tanguay : Oui, merci
beaucoup, M. le Président. Bonjour, M. Lévesque, merci pour votre temps,
d'avoir rédigé le mémoire et de répondre à
nos questions. Vous êtes professeur de cégep, au cégep de Jonquière, et on a
tous lu avec grand intérêt votre mémoire. Je prends le dernier exemple,
qui, je veux dire… On va y aller lentement, là…
Une voix : Et calmement.
M. Tanguay : …et calmement, mais on va voir que l'argument du ministre
ne tient pas la route. Il nous a dit, et les gens à la maison en sont témoins — regardez
bien ça — il
nous a dit : Ce n'est pas juste un malaise. Un jeune homosexuel
entre dans le bureau d'un médecin et le médecin aurait la croix catholique, ce
n'est pas juste… C'est la première fois que
je l'entends dire ça : Ce n'est plus juste un malaise. Il y a
une évolution chez le ministre. Il y aurait là de facto, jeune homosexuel vu du médecin avec la croix catholique, de
facto, il y aurait pas juste un malaise — évolution — il y
aurait discrimination en vertu de la charte québécoise. Or, la charte
québécoise s'applique au domaine public et au domaine privé.
Jeune
homosexuel dans la rue voit la croix catholique, je ne peux pas plus facilement
discriminer lorsque je suis employé
de l'État que quand je suis un simple citoyen dans le domaine privé. On
poursuit la logique : jeune homosexuel voit une personne arriver, un homme avec la croix catholique, il y
aurait discrimination à la seule vue de cette croix, parce que la charte s'applique aux deux relations, le
médecin dans son bureau, le médecin dans la rue qui marche vers lui et,
dans les deux cas, pas juste un malaise, dans les deux cas, la vue de la croix
égale discrimination. Donc, il y aurait discrimination — pouvez-vous imaginer? — de voir une personne s'avancer vers lui avec
la croix. Et j'invite le ministre à aller
relire la charte québécoise des droits et libertés, qui évidemment nous protège
tous, qui s'applique à l'État et à la sphère privée. C'est là une
distinction importante avec la charte canadienne.
Alors,
j'aimerais vous entendre sur cette logique qui vient de faire dérailler le
train du ministre et qui ne tient pas la route. La vue d'un signe serait porteuse de discrimination, pas juste un
malaise. Wow! J'aimerais vous entendre là-dessus,
M. Lévesque.
• (16 h 40) •
M.
Lévesque (Sébastien) : Bien,
en fait, un peu dans la lignée de ce que j'ai déjà dit, ce qui est problématique
dans ce message, c'est qu'il envoie vraiment…
il envoie vraiment, là… il infère cette idée que les signes religieux
sont porteurs d'une signification qui serait univoque, et ça, c'est très problématique
puisque, si on prend l'exemple du hidjab, il y a effectivement une pluralité de raisons qui peuvent amener certaines femmes à porter
le hidjab. On ne va pas essayer de
nier ici le fait qu'il puisse y avoir une minorité de ces femmes-là qui le
portent sous une certaine contrainte. Mais par
ailleurs le projet de loi n° 60 ne répond en aucune façon à ce que
pourrait être la détresse de certaines femmes qui vivent une forme
d'oppression ou une autre.
Donc, il est
très problématique de penser que le signe religieux et sa simple présence,
qu'elle soit… donc, qu'elle soit chez
un agent de l'État… Mais, à ce propos-là, on pourrait étendre la logique en
disant qu'effectivement une jeune femme catholique qui, pour des raisons
liées à une forme d'intégrisme dans sa famille, subirait un tort et pourrait
ressentir un malaise ou, encore là, un inconfort non seulement devant une
infirmière ou un médecin qui arbore un signe religieux, mais peut-être même,
par ailleurs, si on étendait cette logique-là — que je ne partage évidemment pas — d'aller même entrer dans un hôpital qui
porte le nom d'Hôpital Notre-Dame ou par ailleurs un hôpital qui
elle-même a des signes religieux apparents
sur son enceinte, puisqu'il y a encore des hôpitaux ou des écoles au Québec,
hein, qui ont des croix affichées à
l'entrée, elles portent des noms… Bon, en soi, je ne vois absolument pas, là,
en quoi ça pose problème, bien évidemment. Et par ailleurs que ces
signes religieux se retrouvent à être affichés, si j'ose dire, sur l'enceinte
des hôpitaux ou qu'ils se retrouvent aussi,
donc, à être affichés ostensiblement, si on veut, chez un agent de l'État, bien
ça se trouve à être la même logique qui, à
mon sens, n'est pas un motif suffisant pour légitimer la limitation de la
liberté de conscience et de religion
de la personne qui porte le signe religieux, qui, elle, a des raisons qui
peuvent être tout à fait légitimes de porter ce signe-là et des raisons
qui peuvent être très variées aussi.
M. Tanguay : Alors, on aura
l'occasion de laisser, évidemment, au gouvernement de préciser ce nouveau
fondement : la vue égale discrimination.
J'aimerais
vous entendre sur un concept que vous étayez à l'intérieur de votre mémoire, où
vous dites… Vous parlez d'une part de
la laïcité qui participe en elle-même de la diversité. Autrement dit, on
pourrait le dire autrement, que la liberté
de conscience et de religion est la soeur de la neutralité religieuse, les deux
ne sont pas en conflit, mais participent d'une même approche où l'on
célèbre la diversité, on ne la condamne pas, et faire en sorte que…
Et on peut faire référence à Thomas Jefferson.
Je sais que le gouvernement a tenté, par deux de ses ministres, d'essayer de réconcilier, là, les écrits de Thomas
Jefferson avec le projet de loi n° 60, qui ne tenait pas du tout, du
tout la route. Mais j'aimerais vous entendre
là-dessus, que, dans un contexte… Vous parlez aussi de laïcité ouverte où la
liberté de religion et de conscience n'est
pas en contradiction avec la neutralité religieuse. Pour paraphraser Thomas
Jefferson, justement, l'État n'a pas de religion, mais l'État ne viendra pas
tenter de diminuer, ou d'intervenir, ou de faire en sorte de mettre des bâtons dans les roues dans les individus, les
personnes qui, eux, dans leur pure liberté, dans l'exercice de la liberté, peuvent, comme l'abbé Raymond Gravel…
Et je le cite : Moi, je porte ma croix et je n'impose pas ma
religion à personne. L'État, même s'il est neutre, doit respecter Raymond
Gravel et ne doit pas le discriminer en embauche ou dans l'emploi. J'aimerais
vous entendre là-dessus.
M. Lévesque
(Sébastien) : La laïcité qui
vient avec le principe de neutralité religieuse et décisionnelle de
l'État, ce qu'elle fait, en fait, c'est qu'elle cherche à ne pas ni favoriser
ni par ailleurs défavoriser le fait que des gens ont une religion ou par ailleurs qui n'en ont pas. Par ailleurs, ce qu'elle
doit faire c'est qu'elle doit, comme j'en ai fait allusion déjà, éviter de fonder ses choix, de fonder les
normes institutionnelles sur une conception particulière du bien ou du
monde, que ce soit une conception par
ailleurs qui pourrait être religieuse ou encore une conception séculière du
monde. Donc, une fois que l'État remplit ces obligations-là, il remplit ces
obligations-là par le biais de… et non pas de ses représentants, qui, eux, sont des individus qui par ailleurs sont porteurs de convictions, sont porteurs aussi de droits et libertés
qui ne sont pas suspendus, hein? Lorsqu'on est agent de l'État, même si
on est à l'emploi de l'État, nos droits et libertés les plus fondamentales ne
sont pas par ailleurs suspendus pour autant, donc incluant ceux de vivre sa
foi, de vivre sa religion conformément à sa conviction de conscience.
Donc, cette
neutralité-là, elle doit s'incarner dans les décisions, elle doit s'incarner
dans ce qui est le fondement de l'État, c'est-à-dire nos règles de droit, elle doit s'incarner dans la
législature. Elle ne doit pas s'incarner dans les… Elle n'a pas, en fait, à s'incarner dans ce qu'est, dans le
fond, les individus qui représentent l'État, qui, eux, par ailleurs, peuvent toujours effectuer leur travail de la manière la plus
neutre et la plus professionnelle qui soit, n'eu égard à leurs
croyances.
M. Tanguay : Vous avez soulevé — j'en ai fait un d'entrée de jeu — un changement de cap.
Celui-là, il était très récent, ça
faisait quelques minutes. Un autre changement de cap auquel vous avez fait
référence, c'est l'actuelle première ministre, alors, en 1998, ministre de l'Éducation, qui
disait : La diversité… — je
paraphrase la citation que vous avez faite — la diversité, il faut
la célébrer, et la diversité, il faut prendre évidemment conscience qu'elle est
visible, cette diversité-là, et elle doit
être visible, et l'on ne doit pas, comme société d'accueil, tenter de la
neutraliser, cette diversité qui doit être visible.
Dans votre
mémoire, vous faites référence au choix — et
je vous paraphrase — «le
choix de la confiance», quand on a
confiance, évidemment, et faire
en sorte d'avoir une approche qui
célèbre cette diversité-là et qui permet de s'exprimer. Vous dites, et je vous cite : «…les institutions de l'État ainsi que ceux qui le représentent se devraient
d'être le reflet le plus fidèle
possible de la société dans laquelle nous vivons.» J'aimerais vous entendre
élaborer sur cet important concept qui, jadis, semblait aller de soi avec la première ministre et qui, aujourd'hui, l'inscrit aux antipodes de ce raisonnement-là.
M. Lévesque (Sébastien) : Oui, le
pluralisme. Le pluralisme, donc, la diversité ethnoculturelle, la diversité
religieuse, elle est un fait pratiquement, on pourrait dire, indépassable d'une
société libérale et démocratique. On doit apprendre
à composer avec cette diversité, donc, sous toutes ses facettes. Et moi, je crois
que… je suis de ceux qui croient qu'à
cet égard-là l'État a un rôle à jouer qui est un rôle exemplaire. C'est-à-dire que, du moment où on sent que
l'État ferme la porte à cette diversité et
tend à vouloir la mettre en retrait, la cacher, ça envoie, à mon sens, un drôle
de message, un message
même qui… j'allais pratiquement dire un message qui est dangereux en ce sens où
il envoie le message que la diversité,
elle est porteuse, en soi, d'une certaine problématique, alors, qui…
Effectivement, je ne vais pas nier des fois qu'il peut y avoir ce que j'appellerais certains
irritants liés à la diversité, mais on doit apprendre à composer avec ces
irritants et par ailleurs même apprendre à les atténuer. Et ce n'est pas en
cachant la diversité, ce n'est pas en la mettant en retrait qu'on va apprendre
à, justement, calmer ces irritants, comme je le disais.
Donc, il faut
vraiment faire en sorte — et c'est l'État qui a un rôle exemplaire à jouer à ce
titre-là — d'envoyer un message clair que, la
diversité, au Québec, on l'accueille et on l'accueille dans toutes ses facettes
et qu'à ce moment-là on est capables d'apprendre à vivre ensemble. Si on n'est
jamais exposés à cette diversité-là, si on n'est jamais confrontés à cette diversité-là, effectivement il est plus
difficile de penser qu'on va apprendre à composer avec. Donc, c'est là un des gros problèmes. Et l'État,
vraiment, j'y insiste, a un rôle exemplaire à jouer. L'État, c'est le
plus grand employeur au Québec, par ailleurs, aussi, ça, il ne faut pas le
nier, là, et il a, je dirais, là, un certain rôle que je qualifierais de moral
à jouer dans la promotion de cette diversité.
Le Président (M. Ferland) :
Merci. Maintenant, je cède la parole à la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
• (16 h 50) •
Mme Weil :
Oui. Alors, bonjour M. Lévesque, merci pour votre participation aujourd'hui. Je
vais, à partir de cette discussion qu'on vient d'avoir… Je tiens à
rappeler, d'ailleurs, que notre gouvernement, on a adopté une politique de lutte contre l'homophobie avec un plan
d'action. Et on parlait souvent, dans ce contexte-là, de gens qui avaient
des malaises, hein, des malaises partout
dans la société. Et l'approche de cette politique et de ce plan d'action, c'est
l'éducation. Et, d'ailleurs, lorsqu'on a
posé la question, hier, à des intervenants, c'étaient les résidents, des
médecins, donc, en résidence, et on a
parlé aussi avec une commission scolaire, on parlait de ce malaise qu'évoquait
le ministre par rapport à la diversité et
l'interprétation que la personne pouvait avoir. Leur réponse à ça, c'était que…
il y en a un qui a dit : C'est des préjugés, en fait, et l'autre,
c'est que… Les deux ont dit : C'est de l'éducation.
Alors, je
veux vous amener, donc, sur votre première recommandation parce que je trouve
ça vraiment intéressant, on en a
parlé très peu, c'est une politique québécoise de l'interculturalisme.
Certains, il y a quelques semaines, on fait une confusion peut-être
entre «multiculturalisme» et «interculturalisme», surtout le Mouvement laïque
québécois, qui ne semblait pas particulièrement intéressé par
l'interculturalisme, alors que moi, je trouve que c'est une politique
intéressante — j'aimerais
vous entendre là-dessus — pour
justement favoriser l'intégration des nouveaux arrivants.
M. Lévesque (Sébastien) : Il est
important que les règles du jeu soient claires évidemment, et ça, il y a un consensus autour de cette idée-là, c'est-à-dire
que les personnes immigrantes, elles doivent avoir les informations,
hein, suffisantes, et aussi les outils. Et
c'est là l'importance, là, de se doter de ces outils-là, de donner la chance,
de tendre la main aux nouveaux
arrivants. Donc, on les choisit, ces gens-là, on les choisit et on les
accueille, et, à ce moment-là, il est important d'avoir une politique
qui reflète le Québec aussi et donc qui va nous permettre de les accueillir et
de les accompagner dans leur processus
d'intégration : qu'est-ce que c'est, hein, les valeurs québécoises, plus
spécifiquement, qui sont par ailleurs pour
beaucoup des valeurs universelles, mais, par ailleurs, hein, la langue
française, donc, qui doit être
valorisée bien évidemment et doit être la langue d'intégration, la langue par
laquelle passe l'intégration des nouveaux arrivants. Donc, c'est
vraiment important de noter l'importance de cet enjeu-là aussi qui est souvent
laissé de côté.
Par ailleurs, et j'y ai fait allusion tantôt,
l'intégration économique des nouveaux arrivants, donc, c'est une problématique qu'il faut noter. Donc, il est très
difficile pour beaucoup de nouveaux arrivants de se trouver un emploi, parfois même des immigrants qui sont par ailleurs
diplômés, des gens qui sont qualifiés. Donc, ça, c'est des
problématiques réelles, c'est des besoins
réels auxquels le gouvernement devrait s'attaquer plutôt que s'attaquer aux
signes religieux qui, en soi, justement, ne sont pas porteurs d'aucune
problématique fondamentale, là, en ce moment, au Québec.
Mais, par ailleurs, il y a des milliers d'hommes
et des milliers de femmes issus de l'immigration, issus des communautés culturelles, au Québec, qui n'arrivent
pas à se trouver un emploi, qui n'arrivent pas à se retrouver tout à
fait dans le Québec, faute de moyens, faute de politiques qui vont les
accompagner dans leur processus. Évidemment, ces gens-là, ils veulent s'intégrer au Québec. Ils ne sont pas venus ici…
Ils ne sont pas venus ici pour vivre en retrait. Donc, il faut absolument faire en sorte de les accueillir.
Et donc c'est cette notion-là d'intégration, et particulièrement
l'intégration économique, qui devrait faire l'objet d'un soin particulier de la
part de nos gouvernements, là, peu importe quel parti qui sera au pouvoir.
Mme Weil :
Une question courte parce que ma collègue a une question aussi. Beaucoup ont
signalé, là, dans la société québécoise, que l'interdiction, la
proposition du gouvernement, du Parti québécois constitue une rupture avec
notre histoire et le modèle d'intégration qu'on a eu jusqu'à date, de laïcité
ouverte, et donc, face à cette interdiction, disent :
Bon, il y a beaucoup d'éléments dans la loi, dans le projet de loi qui font
consensus, est-ce qu'on devrait scinder le projet de loi, aller de l'avant avec ce qui fait consensus, des balises,
l'inscription de la neutralité religieuse de l'État dans la charte des droits, etc.? Qu'est-ce que vous pensez
de cette… Parce que même les sondages montrent que les gens sont
inquiets par rapport aux conséquences. Ils ne veulent pas que les femmes
perdent leur emploi ou d'autres personnes perdent leur emploi parce qu'ils
seront renvoyés du travail.
M. Lévesque (Sébastien) : On a fait beaucoup état, dans cette commission,
de la Révolution tranquille, de son héritage,
et je pense qu'il faut le reconnaître, l'essentiel des mesures, des
dispositions de ce projet de loi là vont dans le sens d'un progrès
important qui viendrait justement mettre un terme à certains… un terme ou, en
tout cas, continuer un certain avancement de
ce qu'étaient les élans de la Révolution tranquille, le processus de
laïcisation. Donc, effectivement, même si on est
déjà, de fait, un État laïque de par la protection que nous offre la charte des
droits et libertés, on est forcés de
reconnaître qu'il n'y a pas aucun texte de loi, à ce jour, qui fait allusion à
la laïcité de l'État. Se doter d'un texte de loi qui en ferait allusion
serait évidemment quelque chose de tout à fait envisageable. En fait…
Et,
pour ce qui est de… Et ça rejoint les préoccupations de M. le ministre dont il
faisait allusion tantôt : baliser les accommodements raisonnables. En ce moment, ils sont déjà, en fait,
balisés dans la jurisprudence, mais effectivement il y a un manque au
niveau de la… j'allais dire de la clarté, mais, en fait, ce n'est pas tant de
la clarté, mais aussi de la disponibilité de ces règles-là qui sont mal connues
souvent par les gestionnaires. Donc, à ce moment-là, d'avoir un projet de loi qui va permettre de faire mieux connaître ces balises-là, évidemment
que, cette idée-là, je m'y rallie, puis elle fait d'ailleurs consensus
largement.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, rapidement, il reste à peine… même pas une
minute, Mme la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme
de Santis :
Je voulais demander votre opinion sur le fait que l'article
12 du projet de loi dit qu'un médecin ou un pharmacien peut
refuser de donner un service professionnel à cause de ses convictions
personnelles, donc… Et je suis tout à fait d'accord avec ça. Mais en même temps ce même
médecin ou pharmacien ne peut pas porter la kippa ou le voile. Est-ce
que ça vous semble être logique? Est-ce que
c'est cohérent? D'un côté, le ministre parlait d'un médecin qui porte un signe religieux face à un patient qui… peut-être
le patient réagit à ça, mais le médecin sans signe religieux…
Le Président (M.
Ferland) : Malheureusement, Mme la députée…
Mme de Santis :
…peut décider de ne pas fournir un service.
Le
Président (M. Ferland) : …le temps étant écoulé, je dois aller du côté de la députée de
Montarville pour un temps de 4 min 30 s
environ. Allez-y.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci, M. le Président. Merci
beaucoup, M. Lévesque, pour votre mémoire.
J'ai peu de temps, alors j'aimerais tout de suite vous amener à la toute fin dans les recommandations pour préciser.
Vous recommandez d'enchâsser dans la Charte des droits et libertés de la
personne le principe de neutralité religieuse de l'État.
Maintenant,
voici ma question. Comme vous recommandez, justement,
d'enchâsser ce principe de neutralité à même la Charte des droits et libertés, ne craignez-vous pas
que ce soient, justement, les tribunaux qui détermineraient alors les comportements, par exemple les habits,
les rituels et les comportements religieux, plutôt que par l'expression
d'un choix politique qui devrait normalement se traduire par un consensus? En
d'autres mots, si vous laissez la laïcité uniquement dans la Charte des droits
et libertés, ne craignez-vous pas que ce sont les tribunaux qui feront la job
de déterminer les balises et que ce n'est pas aux politiciens de mettre des
balises, justement?
M. Lévesque (Sébastien) : Bien, dans votre question ou dans votre
intervention, il me semble y avoir deux choses à distinguer : d'une part, la neutralité religieuse de l'État, mais
aussi, par ailleurs, les accommodements raisonnables, donc ce
qui se trouve à être des aménagements parfois qu'on va faire...
Mme Roy
(Montarville) :
Non, je ne parle pas d'accommodements ici. Comment allons-nous l'appliquer, cette neutralité de l'État, cette laïcité, si nous
la mettons uniquement dans cette loi sans en déterminer les balises? Et
je ne parle pas d'accommodements religieux ici.
M. Lévesque
(Sébastien) : Bien, il faut effectivement que ce qu'on qualifie de
neutralité religieuse de l'État ou, par ailleurs, de laïcité, elle soit définie aussi, qu'elle soit définie. Donc, effectivement, moi, je fais le choix de la laïcité qui est dite ouverte. Donc, effectivement, il
faut la définir, cette laïcité-là et il faut
expliquer que cette neutralité religieuse de l'État s'applique aux
aspects, je dirais, institutionnels et décisionnels de l'État et non appliquée
à ses représentants.
Mme
Roy
(Montarville) : Mais ce choix, justement, de laïcité de l'État ne devrait-il pas être
un choix politique qui se décide, justement,
dans une enceinte pour tenter aussi d'arriver à un plus grand consensus
sociétal et politique pour
qu'on puisse justement avoir une laïcité qui nous ressemble et non une laïcité
qui ressemblera aux décisions des tribunaux?
M. Lévesque (Sébastien) : Bien, vous me corrigerez si je me trompe, mais il me
semble que toute modification qu'on
voudrait apporter à la charte québécoise des droits et libertés, dans ce cas-ci, par exemple, pour y ajouter le principe de laïcité ou de neutralité
religieuse de l'État, passe par un processus politique, passe par un processus
dans lequel c'est la législature qui doit adopter et définir ces règles-là. Donc, à ce
titre-là, on s'en remet au politique d'abord pour prendre l'initiative de faire de cette valeur de
laïcité ou de neutralité religieuse de l'État quelque chose qu'on
considère fondamental et qui doit être
inscrit à même notre charte. Donc, à ce moment-là, je ne vois pas la... à moins
que je m'égare, là, mais je ne vois pas la contradiction entre les deux.
Mme Roy
(Montarville) :
Je vous remercie infiniment.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci, Mme la députée. Maintenant, je cède la parole au député de
Blainville pour le même temps, 4 min et 30 s. M. le député.
M. Ratthé : Merci,
M. le Président. Merci, M. Lévesque, de nous avoir fourni votre mémoire. M.
Lévesque, je vais exprimer quelques
commentaires puis, ensuite de ça, je vous amènerai, si j'ai le temps un peu,
sur une question. Vous savez, j'entends
bien ce que vous dites, et ma compréhension est que vous arrivez sur une approche très, c'est-à-dire, juridique
des droits fondamentaux et j'ai un petit peu de mal à concevoir que, quand il y
a des gens qui viennent ici — puis là, il y en a plusieurs, là, qui sont venus ici nous exprimer leur
opinion — et quand
les gens prennent des risques à venir ici, quand les gens se disent
intimidés, quand les gens viennent nous dire carrément qu'ils ont été… Tantôt,
le ministre parlait d'un malaise, là, mais
on a même, juste avant vous, deux hommes qui sont venus nous dire que même eux
autres aussi se sentaient jugés; on a une personne qui est venue nous dire que,
quand elle est partie de son pays pour venir s'implanter
ici, elle se s'est sentie intimidée par la personne qui lui donnait un cours
sur comment s'acclimater au Québec; une autre personne vient nous
dire : Moi, je n'ai pas osé dire ce que je ressentais; et que je vous
entends nous dire : Bien, écoutez, ce n'est pas si grave que ça, là, on ne
peut pas faire une loi pour ces gens-là… Moi, je vois cette loi-là beaucoup plus sur un plan aussi humain, sur un
plan où… ce que les gens vivent, et je ne comprends pas vraiment votre point de vue, de dire : On doit simplement
demeurer sur le plan juridique, alors que ce qu'on vit tous les jours, que
ce soient des accommodements, des demandes
d'accommodements déraisonnables, ce que les gens ressentent, c'est ça que
cette politique-là veut adresser.
Tantôt, vous nous
disiez, et je suis assez d'accord avec vous, que, tu sais, il faut quand même
être exposé aux différences. La loi
n'empêchera pas personne de déambuler sur la rue avec leurs signes religieux.
La loi va simplement dire que,
pendant les heures de travail, on va… oui, on va faire en sorte de faciliter,
d'enlever des barrières à des gens qui, peut-être, pour vous, ça n'a pas
beaucoup d'importance ou ils sont peu nombreux et qu'ils devraient
s'acclimater… d'enlever, donc, ces barrières-là pour que tout le monde soit traité
sur un même pied d'égalité. Et j'aimerais peut-être que vous m'expliquiez
davantage pourquoi ce facteur-là, qui est plus un facteur humain — je
vais l'appeler comme ça — vous
n'en tenez pas compte… en tout cas, selon ma compréhension.
• (17 heures) •
M. Lévesque (Sébastien) : …facteur humain, un facteur humain important que
je reconnaissais aussi, hein, c'est la détresse de beaucoup de
personnes, en ce moment, qui ont peur de perdre leur emploi, et ça, on n'en
parle pas suffisamment, à mon sens. Ça prend
des motifs sérieux pour dire qu'on va possiblement faire perdre leur emploi à
des gens, des femmes, des hommes qui par
ailleurs font très bien leur travail à ce jour et pour lesquels on ne reconnaît
pas… ou, en tout cas, on n'a aucune étude à
notre disposition pour pouvoir en juger de manière tout à fait éclairée, qu'il
y aurait, outre quelques cas qu'on
sort de notre chapeau, là, vraiment des problèmes, là… un problème quasiment
que je qualifierais d'endémique, là.
Donc, à ce moment-là, il faut avoir vraiment des motifs importants, là, pour
faire en sorte d'aller de l'avant avec
un projet qui, de toute évidence, fera perdre son emploi à des gens, à des
hommes et des femmes qui, par ailleurs, ne veulent que travailler, ne veulent que gagner leur vie, ne veulent
qu'être des Québécois, de bons citoyens qui paient leur impôt comme vous
et moi.
Moi,
à mon sens, sans des motifs suffisants, sans des études, des données probantes,
en l'absence de ces données-là, pour
moi, chaque emploi… ne serait-ce qu'un seul emploi qui sera perdu au Québec en
raison de ce projet… en raison de cette
loi-là si elle devait être adoptée, sera un emploi de trop de perdu puisqu'il
n'y a pas, à mon sens, de motif suffisant, il n'y a pas la démonstration
de son importance.
Et, inversement,
certaines personnes ont, pour quelque raison que ce soit, le sentiment
fondamental qu'ils doivent avoir le symbole
religieux qui les accompagne dans leur vie. Donc, on peut être personnellement
d'accord ou non avec ça, on peut ne pas comprendre tout à fait aussi
cette réalité-là, pour ne pas nécessairement la vivre par ailleurs personnellement, mais ça m'apparaît quelque chose
qu'on doit reconnaître en vertu de la liberté de conscience et de
religion, donc, qu'il y a certaines
personnes pour qui le port d'un signe religieux n'est pas un choix, n'est pas
un choix en regard de leurs convictions de conscience, j'insiste, donc.
Et je ne dis pas que c'est, par ailleurs, parce que c'est des gens qui…
Le
Président (M. Ferland) : M. Lévesque, malheureusement, ceci met
fin à ce bloc d'échange. Alors, je vous remercie pour la présentation de
votre mémoire.
Je
vais suspendre quelques instants pour permettre aux représentants du groupe
Libres Penseurs athées de prendre place. Alors, on suspend quelques instants.
(Suspension de la séance à
17 h 5)
(Reprise à 17 h 6)
Le Président (M.
Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Nous
recevons maintenant les représentants pour
le groupe Libres Penseurs athées, M. David Rand et M. Jacques Savard. En vous
mentionnant que vous avez un temps de 10 minutes pour présenter votre
mémoire. Alors, je vous demanderais peut-être de nous présenter, qui est qui,
pour mettre les bons noms au bon endroit sur…
Libres Penseurs athées
M. Rand
(David) : Moi, je suis David Rand, président de Libres Penseurs
athées, et voici mon collègue Jacques Savard.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, la parole est à vous pour votre mémoire. Allez-y.
M. Rand (David) : M. le
Président, M. le ministre,
Mmes, MM. les députés, nous vous
remercions de nous donner l'occasion de présenter notre point de vue sur
ce projet de loi d'envergure qui est non seulement d'une importance capitale pour l'avenir du Québec, mais qui ne
manquera pas d'avoir une influence certaine sur la législation et sur les
débats publics dans d'autres juridictions. Je me présente, David Rand,
président de Libres Penseurs athées, une association de défense des droits des athées qui prône le matérialisme
philosophique, la pensée critique et la laïcité. Je suis accompagné de mon collègue Jacques Savard, porte-parole de
notre association. En passant, je suis informaticien de profession,
tandis que M. Savard est gestionnaire fédéral à la retraite.
Vous avez sans doute pris connaissance de notre
mémoire intitulé Assurer un avenir laïque pour le Québec — La liberté de conscience
comprend aussi la liberté de s'affranchir de la religion. Nous voudrions
résumer rapidement l'essentiel de ce mémoire
et ensuite nous pencher sur un principe clé qui est sous-jacent à nos
préoccupations et qui mérite une attention particulière et explicite.
Nous,
Libres Penseurs athées, appuyons le projet de loi n° 60 mais non sans
certaines réserves. Nous félicitons le gouvernement d'avoir eu le
courage de proposer une législation quasi constitutionnelle qui déclare la
neutralité des organismes publics, une étape
majeure dans le lent processus de laïcisation du Québec qui a débuté il y a
plus d'un demi-siècle. Nous appuyons en particulier le devoir de réserve
en matière religieuse qu'imposerait le chapitre II du projet de loi, devoir qui implique des restrictions à l'affichage des
signes religieux ostentatoires par les fonctionnaires de l'État.
La
liberté de religion ne doit pas inclure le privilège de pratiquer sa religion
au travail, dans la fonction publique, en
y étalant ses convictions personnelles. Les signes religieux tout comme les
messages politiques ont un fort caractère divisif, comme l'a démontré la présente consultation. Il nous semble
inconcevable qu'un agent de l'État puisse afficher un tel objet dans le
cadre de ses activités professionnelles. Cette contrainte ne menace pas la
liberté de religion des employés de l'État mais correspond, selon nous, à une
limitation modeste et raisonnable de leur liberté d'expression durant les heures de travail. Cette restriction
protège la liberté de conscience de tous, celle des employés comme celle
des usagers, en établissant un milieu exempt de manifestations religieuses et
politiques partisanes.
En
tant qu'athées, nous désirons souligner que la liberté de religion est
incomplète si elle n'est pas jumelée à la liberté de s'affranchir de la religion, ces deux libertés découlant de
la même liberté de conscience. On dénombre environ 800 000 incroyants au Québec, 10 % de la
population, autant de citoyens ne se reconnaissent aucune religion,
menant ainsi à un total d'environ
1,5 million ou 20 % de la population. Les droits des incroyants et
des sans-religion méritent le même respect que ceux des croyants.
Le prosélytisme non
verbal des signes d'appartenance religieuse dans la fonction publique est une
atteinte aux libertés de tout le monde, pas
seulement celles des incroyants. Les coreligionnaires qui ne portent pas ces
signes sont davantage touchés, car
ces signes leur disent qu'ils ou elles sont insuffisamment pieux, de moins bons
croyants. En tant qu'athées nous sommes solidaires avec ces croyants qui
osent s'affranchir des pressions de leur famille ou de leur communauté pour
remettre en cause leurs anciennes croyances et pratiques religieuses.
• (17 h 10) •
Selon nous, le projet
de loi n° 60 ne ferait qu'étendre le devoir de réserve en matière
d'opinion politique aux opinions et
appartenances religieuses, qui ne constituent, en fait, qu'une expression
politico-religieuse partisane. Travailler pour la fonction publique, ce n'est pas un droit, mais un privilège qui
se mérite. Certaines restrictions à sa liberté d'expression sont le prix
à payer pour pouvoir y accéder.
En
ce qui regarde la définition des termes «neutralité» et «laïcité», nous aurions
souhaité que le projet de loi soit plus
clair. Les termes «neutralité» et «neutralité religieuse» y sont utilisés de
nombreuses fois, mais «laïcité» rarement. Malheureusement, la neutralité
peut s'entendre dans le sens d'accorder des privilèges égaux à toutes les
religions, une vision que nous rejetons
vigoureusement. La neutralité, c'est le refus de l'État d'intervenir de quelque
façon que ce soit dans les affaires religieuses, sauf pour protéger les
droits fondamentaux communs et la laïcité de l'État. L'expression «neutralité religieuse de l'État» n'est pas
synonyme de «laïcité de l'État» et ne suffit pas pour la décrire. La laïcité de
l'État, c'est la séparation entre religion et État, c'est-à-dire l'autonomie et
l'indépendance de l'État par rapport aux religions à leur influence. La neutralité religieuse bien comprise permet donc le
devoir de réserve religieux dans un espace étatique sans manifestation
religieuse partisane, la défense de la liberté de conscience de tous contre le
prosélytisme, en particulier celle des personnes les plus vulnérables, et
finalement l'arbitrage par l'État des libertés lorsque celles-ci s'entrechoquent. C'est pour ces raisons que nous
proposons qu'un nouvel article proclamant officiellement la laïcité de
l'État soit inséré devant l'actuel article 1. Et je dépose le libellé de cette
proposition ici.
Je
continue. Dans le cadre de ces auditions, plusieurs intervenants avant nous ont
énuméré les lacunes du projet de loi
n° 60, nous résumons ici les lacunes les plus importantes à notre avis. Le
crucifix accroché au mur du salon bleu de l'Assemblée nationale est une flagrante entorse à la laïcité et doit
être retiré. Le programme Éthique et culture religieuse est un privilège injustifiable accordé aux
religions et doit être supprimé ou remplacé par un cours d'éthique non
religieux. Le Comité sur les affaires religieuses et le Secrétariat aux
affaires religieuses, au sein du ministère de l'Éducation, du Loisir et du
Sport, doivent être dissous.
L'État
laïque doit se donner le mandat de protéger contre l'endoctrinement la liberté
de conscience de tous, en particulier
les plus vulnérables, nos écoliers et la petite enfance. Il faut éviter toute
identification religieuse de l'enfant, car la religion doit être une
affaire d'adulte, c'est-à-dire des parents. Des enfants chrétiens, musulmans,
hindous, etc., ça n'existe pas, il n'y a que des enfants dont les parents sont
chrétiens, musulmans, hindous, etc.
Il
faut éliminer toute subvention aux écoles confessionnelles privées. Il faut
abroger les avantages fiscaux accordés aux religieux et aux organismes
religieux. Il faut mettre fin aux accommodements religieux consentis et aux
abattoirs rituels. Il faut interdire toute
manifestation religieuse dans les édifices publics, comme les prières lors des
séances des conseils municipaux ou
scolaires. Et finalement nous recommandons vivement la création d'une instance
permanente pour poursuivre la laïcisation qui va demeurer incomplète.
Pour
conclure, nous voudrions souligner un principe primordial qui passe trop
souvent sous silence dans les discussions
sur la liberté de religion, un principe qui doit être explicité dans la loi,
nous parlons bien sûr de la liberté de s'affranchir de la religion tel
qu'évoqué par le titre de notre mémoire. En effet, la liberté de religion est
incomplète sans la liberté de s'en défaire.
Imaginez la liberté sexuelle sans la possibilité de dire non. Si l'individu
n'est pas libre de refuser une
croyance religieuse, alors sa liberté d'en adopter une ne vaut rien. Si elle
préoccupe les athées et les incroyants, cette liberté de s'affranchir de la religion est aussi importante pour
les croyants, et même davantage. À nulle part, la loi ne définit la liberté de conscience et n'affirme
explicitement que cette liberté peut prendre la forme, entre autres, de la
liberté d'apostasier, de changer de religion
ou d'être athée. Une mention explicite de l'apostasie dans la loi est
particulièrement importante, car plusieurs
religions la sanctionnent très sévèrement, allant jusqu'à la peine de mort. En
conséquence, nous requérons avec insistance l'inscription explicite des
libertés d'incroyance et d'apostasie dans la législation pour ne pas les
abandonner aux aléas de la jurisprudence, qui semble de plus en plus les
ignorer.
Le Président (M.
Ferland) : Il y aura une minute pour conclure le mémoire.
Allez-y.
M. Rand (David) : D'accord. Nous demandons aussi que ces libertés soient formellement et
explicitement inscrites dans
l'article 10 de la Charte des droits et libertés afin de protéger les incroyants et les apostats contre la
discrimination dont ils sont trop souvent les cibles. Merci.
Le
Président (M. Ferland) : Merci, monsieur. Alors, maintenant, nous allons à la période d'échange. Et je
cède la parole à M. le ministre. Pour 20 minutes, M. le ministre.
M. Drainville : Merci,
M. le Président. Merci, messieurs,
pour votre mémoire et votre présentation. M. Rand, ma première
question va être pour vous. Dans un texte publié sur votre blogue, vous avez
écrit : «Given the elevated degree of
emotivity, antipathy and even hysteria which have been widely displayed by
critics of the new Charter of Québec Values, it is necessary to establish a few ground rules before any
constructive discussion can possibly occur. The ideas expressed in the Charter,
as well as arguments for and against them, must stand on their own. The
provenance of the ideas — from Québec, from the
French-speaking world, from the Québec Government,
from a sovereignist political party — is
of at most secondary or tertiary importance, if not completely irrelevant. A
hatred of Québec separatists is
not an argument against the Charter, just as a love of them is not an argument
for it.» Fin de citation.
C'est
un fait que les médias, de façon générale, ont tendance à dire que tous les
anglophones sont contre la charte, et je
trouve ça franchement assez réducteur parce
que je doute que tous nos concitoyens
anglophones soient aussi unanimes qu'on le laisse entendre. Pouvez-vous
nous donner un peu une idée de... nous parler un peu de l'humeur qui existe présentement au sein de la communauté anglophone en ce qui a trait au projet de loi? Est-ce qu'effectivement
votre point de vue est partagé par d'autres, même si les médias ne
reflètent pas nécessairement cette diversité des perspectives et des opinions
chez nos compatriotes anglo-québécois?
M. Rand (David) : Je ne suis pas porte-parole de la communauté anglo-québécoise, je ne
peux pas parler pour tout le monde.
Mais, d'après moi, au Québec, les Anglo-Québécois sont fortement contre la
charte. Il y a quand même une minorité qui sont procharte, mais c'est, je
dirais, une minorité plutôt silencieuse. Et, de même, à l'extérieur du Québec,
les médias sont très anticharte de façon monolithique et de façon
assommante même. Mais il y a quand même un intérêt
pour la charte. Il y a, comme je l'ai dit, beaucoup de... plusieurs anglophones
qui sont pour qui n'osent pas s'exprimer pour le moment, ils attendent
que l'orage passe. Par exemple, nous avons des membres à l'extérieur du Québec
qui sont procharte, et il y a d'autres associations qui peuvent, on espère,
prendre position pour la charte ou pour quelque chose de semblable dans
d'autres juridictions au Canada.
M. Drainville :
O.K. Dans votre mémoire, vous dites : «Les Libres Penseurs athées
considèrent que l'interdiction du port des signes religieux est une
mesure égalitaire.» Pourquoi?
M. Rand (David) : Bien, égalitaire dans le sens que ça s'applique à tout le monde, tous
les fonctionnaires de l'État, tous les agents de l'État, peu importent
leurs croyances ou incroyances, et donc ça donne une image de neutralité qui
est importante pour les fonctionnaires de l'État.
M. Drainville :
Alors, qu'est-ce que vous répondez à l'argument qui va vous être soumis dans
peu de temps, que cette mesure, elle est discriminatoire puisqu'elle va
représenter une barrière à l'emploi pour les personnes qui portent un signe
religieux?
• (17 h 20) •
M. Rand
(David) : Je ne pense pas que ça représente une barrière à l'emploi.
Je pense qu'au contraire ça crée un espace
de liberté où les gens de n'importe quelle appartenance religieuse peuvent
laisser tomber cette appartenance pendant les heures de travail et ne
sont pas obligés de s'y identifier. C'est sûr qu'il va y avoir certains individus
qui ne seront pas… qui auront de la difficulté
à composer avec cette contrainte, que nous trouvons assez raisonnable,
mais il y a quand même une période de transition de cinq ans qui est prévue
dans la charte, si ma mémoire est bonne, et je pense que ça va améliorer la situation
dans le milieu du travail de la fonction publique.
M.
Drainville : C'est intéressant, ce que vous dites. Vous
parlez, dans le fond… Ce sont mes mots, là, si ça ne correspond
pas à votre idée, vous me corrigerez. Moi, j'ai parlé, dans certaines
interventions, de l'effet libérateur que l'interdiction
pourrait avoir chez certaines femmes qui se sentent présentement obligées de le
porter… de porter un signe religieux, le
voile, par exemple. Et évidemment on ne les entend pas beaucoup parce que, si
elles se sentent obligées, c'est parce qu'elles vivent une pression
communautaire, familiale. Et donc moi, je pense qu'en créant cet espace de neutralité au sein de l'État on va donner à
certaines femmes l'occasion de pouvoir retirer le voile ou le signe
religieux pendant un certain nombre d'heures
par jour, ce dont elles rêvent secrètement, pour certaines d'entre elles,
encore une fois, et donc ça pourrait
avoir… Au lieu d'avoir l'effet discriminatoire que les adversaires de la charte
passent leur temps à soutenir, je
pense que ça pourrait effectivement donner une occasion à certaines personnes
de pouvoir vivre leur liberté.
M. Rand (David) : Bien, justement,
vous répétez ma pensée. Quand j'ai dit que c'est un espace… ça créé un espace
de liberté dans la fonction publique, c'est précisément ça. Il y a des
personnes qui sont obligées de porter un signe
religieux. Nous ne savons pas lesquelles parce qu'on ne peut pas lire dans
leurs pensées. Si, par exemple, une femme musulmane porte le voile par choix, tant mieux, tant mieux pour elle. Si
c'est par choix, elle peut l'enlever aussi pour aller travailler dans la
fonction publique si elle a l'occasion de devenir fonctionnaire d'État. Bon,
voilà.
M. Drainville : O.K.
M. Savard (Jacques) : Si je peux
intervenir, M. le ministre.
M. Drainville : Oui, bien
sûr.
M. Savard
(Jacques) : J'aimerais bien…
Si on étudie un peu le phénomène du fondamentalisme religieux, on se
rend compte qu'une des caractéristiques d'à peu près tous les fondamentalistes,
c'est ce qu'on appelle l'exclusivisme religieux, c'est-à-dire qu'il consiste à
identifier leurs coreligionnaires pour créer une communauté et exclure cette communauté-là de la plus vaste communauté. En
portant un signe religieux très ostentatoire, on met une barrière, et
c'est le concept que les fondamentalistes
religieux essaient de mettre en place, c'est une barrière individuelle autour
de l'individu, qui le sépare du reste
de la communauté. Si on les force à enlever ce signe qui est une barrière, on
créé un espace public qui est neutre, et c'est lutter pour une société
plus égalitaire et non pas l'inverse, de faire de la discrimination.
M.
Drainville : Par
ailleurs, vous écrivez, dans votre mémoire : Les Libres Penseurs athées
sont d'opinion que — et
je cite, là — «plus un agent de l'État exerce un pouvoir
coercitif ou plus son client est vulnérable — par exemple, la petite enfance ou les patients dans les hôpitaux — plus l'exigence d'apparence de neutralité
devient impérative». C'est pourquoi les
Libres Penseurs athées considèrent que cette interdiction est — citation — «d'une importance capitale chez les
juges, les policiers et policières, les
gardiens et gardiennes de prison ainsi que dans les écoles et chez le personnel
des centres de la petite enfance subventionnés par l'État». Fin de
citation. Pourquoi vous faites ce lien-là? Pourquoi vous faites le lien entre
le signe religieux, d'un côté, et le pouvoir coercitif et la vulnérabilité de
la clientèle, de l'autre?
M. Savard (Jacques) : C'est, en
fait, dans la ligne de pensée que deux femmes remarquables sont venues témoigner ici, Mme Le Pain et Mme Vennes, je
crois, qui ont bien expliqué les phénomènes psychologiques, chez les enfants, d'identification personnelle, avec un
vêtement ou sans vêtement, et etc. Et, si on créé, par exemple, une
image de la femme qui pourra... ne sera sûrement
pas comprise à Qatar par une enfant, mais, plus tard dans la vie, qui
pourrait être comprise comme étant une image plutôt négative parce qu'on
aura pris conscience de certaines choses, on crée chez ces enfants-là déjà des difficultés à gérer ça lorsqu'ils vont vieillir.
Et je me souviens qu'une de ces dames racontait que... je ne suis pas un spécialiste, mais elle nous parlait
de l'identification du corps, et etc., et, à ce moment-là, elle nous
montrait tout l'aspect négatif.
C'est
exactement le même esprit qu'on avait lorsqu'on a écrit ça, c'est de
dire : Nos petits, ils sont très vulnérables, et ne créons pas chez
eux des images qui vont leur créer peut-être plus tard des difficultés, ne les
embarquons pas dans des identifications dont
ils vont avoir à se départir plus tard. On parlait des dames qui, à 20 ans, se
disent : Je ne peux pas enlever
mon voile parce que ça fait partie de mon identité. Bien, ça fait partie de son
identité parce qu'à 7, 8 ans on l'a forcée à le porter puis elle l'a
portée toute sa vie, et ça, ça se comprend, mais c'est quelque chose qu'on lui
a imposé de toute façon lorsqu'elle était jeune soit par l'image d'autres
femmes soit personnellement.
M.
Drainville : Oui.
L'autre exemple tiré de ce témoignage de Mmes Le Pain et Vennes, c'était
en lien avec les crimes d'honneur ou les crimes dits d'honneur. C'était
fascinant, ça. J'invite encore une fois mes collègues, très estimés collègues de l'opposition à réfléchir
également à ce cas-là qui nous a été soumis, où Mmes Le Pain et
Vennes, qui ont travaillé plus de 10 ans pour la DPJ, nous parlaient de...
elles évoquaient le cas de jeunes filles qui pourraient être soumises à des pressions culturelles ou
religieuses au sein de leur famille — mariage forcé, obligation de porter le
voile, par exemple — et qui veulent, donc, essayer de résister à
ces pressions-là, qui veulent vivre leur liberté, qui veulent vivre, par exemple, une relation amoureuse avec un garçon
d'une autre culture ou d'une autre religion, et donc qui se tournent
vers les services sociaux pour obtenir un
appui ou qui se tournent vers leur enseignante ou l'école pour obtenir un appui
et qui se retrouvent face à la même religion
qui les a condamnées ou qui les soumet à ces pressions dans leur milieu
communautaire ou familial. Je trouvais que
c'était un excellent exemple, encore une fois, de l'importance de s'assurer que
les agents de l'État affichent la plus stricte neutralité religieuse que
possible.
J'aimerais vous entendre sur un argument que Guy
Rocher a utilisé dans une entrevue avec Journet, Paul Journet de La Presse,
Paul Journet qui lui dit : «Mais, en permettant à une femme qui porte le
hidjab de travailler dans
la fonction publique, [est-ce qu'on ne favorise] pas son intégration dans la
société?» Et Guy Rocher de répondre : «C'est un argument fautif et
dangereux, car on considère seulement les besoins d'une personne. Il faut
sortir de cet individualisme pour voir
l'aspect collectif, celui de l'institution. Si le nombre augmente, la
neutralité de l'État s'effrite. Quand 10 enseignantes d'une école
porteront un signe religieux, on se demandera si cette école est encore
neutre.»
M. Savard
(Jacques) : Exactement. Si
je peux me permettre une comparaison, M. le ministre, lorsqu'on favorise
ou qu'on est d'accord avec l'approche
libertaire qui consiste à dire : La neutralité, c'est que l'État
n'intervient pas, l'État ne fait rien
contre les religions, ça, c'est du XIXe siècle, c'est John Locke, en même temps
qu'il a créé le libéralisme, a créé un libéralisme religieux. C'est la
philosophie de la Cour suprême actuellement depuis très longtemps puis c'est la
même philosophie aux États-Unis. Or, les
États-Unis sont officiellement un État laïque et neutre, mais on a adopté
justement la philosophie de dire : Ah! on
ne peut brimer la liberté de... bien, la liberté de religion mais même les
libertés économiques. Or, ça, c'est
notre... La Cour suprême nous dit ça. Bien, qu'est-ce qu'on a maintenant aux
États-Unis? On a un État laïque qui
est sûrement l'État le plus religieux de l'hémisphère occidental. C'est une
vraie danse de religions. On se promène avec ses signes religieux. Et,
voir un État religieux aux États-Unis, il faut vraiment faire un effort.
• (17 h 30) •
M. Drainville : Par ailleurs,
j'aimerais vous entendre sur l'argument à l'effet que l'usager ou l'usagère, la
citoyenne qui se retrouve devant un agent d'État qui porte un signe
religieux — ça
peut être une enseignante, ça peut être un
médecin, peu importe — et qui se sent atteinte dans ses droits, dans le fond, ce serait
son problème à elle, à cette personne-là. Si elle se sent rejetée, si
elle se sent condamnée, si ça remet en question le traitement qu'elle a
demandé, c'est son problème, c'est à elle
d'avoir la bonne éducation et c'est à elle de se débarrasser de ses pauvres
préjugés. Et donc ce n'est pas à l'État de s'ajuster, c'est à la
citoyenne ou à l'usager qui ressent ce… qui a cette réaction-là, qui se sent
atteint dans ses droits. Et, dans certains cas, ça peut avoir des conséquences
importantes, comme on vient de le voir dans
le cas de cette jeune fille, là. Comment vous réagissez à ça? Moi, je suis
toujours un peu mal à l'aise quand j'entends ça parce que c'est comme si on disait au citoyen : Tu n'es pas
assez éduqué, tu n'es pas assez intelligent ou tu n'es pas assez… on va
s'occuper de ton éducation, puis, quand tu seras bien… quand tu auras bien
compris, là, tu n'auras plus cette réaction-là. On va te guérir. On va te
guérir de tes préjugés.
M. Savard
(Jacques) : C'est très
réducteur. C'est très, très réducteur. Parce que moi, je pense qu'il y a
toujours deux libertés, et ce sont des
libertés de conscience. Le citoyen se fait interpeller par un signe, pas la
personne qui porte le signe, par le signe. J'ai travaillé depuis
plusieurs années à étudier les phénomènes religieux des signes ostentatoires, je me suis renseigné et j'en suis venu à la
conclusion : le voile, je ne peux pas le voir autrement que comme un
signe… un instrument politique d'un groupe, comme ça a été démontré ici, un
groupe politico-religieux, c'est-à-dire un groupe politique qui instrumentalise
la religion pour se donner des droits. Et, lorsque je vois une femme qui se
promène avec un voile, je vois une personne, j'ai tendance à la croire… à la
voir comme une victime, même si je sais que ça peut être extrêmement
volontaire, voulu de sa part, mais c'est le voile qui m'interpelle, pas la
personne, c'est le message qu'envoie le
voile. Le voile envoie plusieurs messages. Tout objet envoie plusieurs
messages. Et le voile, entre autres, parce
que c'est vraiment le cas le plus patent, est un instrument politico-religieux.
Et je pense que j'ai le droit d'étudier un phénomène, d'arriver à une conclusion sans me faire dire que je vis de
préjugés. J'ai éduqué ma conscience à un phénomène, et ma conscience se sent attaquée, entre guillemets, là… on
ne parle pas de violence évidemment, mais se sent interpellée. Et, si je
suis malade, vulnérable et que je suis confronté, que ma conscience est
confrontée à une autre réalité que je ne partage pas, là je vois ça comme étant
une agression de ma liberté de conscience.
J'imagine…
Imaginez un juif orthodoxe, pour prendre un cas extrême, qui a vécu toutes les
horreurs qu'on connaît de ce qui se passe au Moyen-Orient, qui a un
accident et qui se ramasse devant un médecin arabe ou musulman qui manifeste
sa… On ne peut pas imposer une chose comme ça à cet être qui est vulnérable
maintenant parce qu'il est blessé, il est malade ou peu importe. Le voile est
divisif. Bien, il est divisif ici, dans la société, il va l'être encore après
la charte.
M. Drainville : Finalement,
il me reste à peu près une minute, gros max.
Le Président (M. Ferland) :
Une minute, oui, à peu près. n petit peu plus, mais… Une minute.
M.
Drainville : Il paraît
que la liberté de croyance… la liberté, dis-je, d'opinion et d'expression n'est
pas nécessairement égale à la liberté de religion. Et donc ce serait
correct de limiter l'expression des idées politiques
quand on est fonctionnaire, y compris d'interdire le port de signes politiques,
mais, dans le cas de la religion, là, non,
là, ça, c'est inacceptable. Puis on ne peut pas placer les deux libertés sur un
même pied d'égalité, là. La liberté de religion
et la liberté d'expression, c'est deux choses différentes. Et donc le droit de…
par exemple, le droit d'afficher ses convictions environnementales, ça,
c'est correct de les limiter, même si on pense que l'environnement est menacé puis que c'est la vie sur terre qui est menacée,
ce qui est une conviction, entendons-nous, assez forte, mais ça, on a le
droit de dire : Non, tu n'as pas le
droit de l'exprimer. Par contre, la liberté de religion et la conviction religieuse, elle, il ne faut surtout pas l'encadrer de quelque façon que ce soit.
M. Savard
(Jacques) : Je n'ai pas le
droit… J'ai été fonctionnaire fédéral
pendant 22 ans. J'ai eu connaissance de débats sur l'avortement. Ce n'est pas un macaron, ça, c'est une opinion
politique structurante sur une société. Ce projet de loi est un projet
structurant qui amène des convictions importantes.
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, c'était tout le temps
qui était à la disponibilité de la partie ministérielle. Maintenant, je vais du
côté de la députée de Notre-Dame-de-Grâce pour 16 min 30 sec.
Mme
Weil : Bonjour, messieurs, merci de votre participation.
Dimanche dernier, j'étais à un petit-déjeuner de la Fédération des femmes du Québec, une salle bondée
avec beaucoup de femmes de tous âges, de toutes origines, multilingues, anglophones, francophones, du milieu
des affaires, vraiment beaucoup de diversité. Et il y a une jeune femme professionnelle qui s'est levée, elle dit :
Je suis athée et je n'ai jamais autant défendu la liberté de religion. Et donc,
dans ce débat, je ne pense pas que c'est des
athées, des anglophones, des francophones, c'est vraiment des gens qui
réagissent, il y a vraiment deux points de vue et il y a une rupture et, je
vais dire, il n'y a vraiment pas de consentement, ça c'est sûr, ou de consensus. Et, pour beaucoup de gens, le
fait de venir toucher à un enjeu très, très, très sensible… On a toujours
reconnu la liberté de religion dans notre société et, soudainement, on change
les règles du jeu.
Je veux vous amener
sur le rationnel. Vous êtes des gens rationnels, votre mémoire le montre. Vous
avez des arguments. Et, lorsqu'on parle de
la communauté anglophone et sa réaction, et d'autres, ce qui a beaucoup dérangé
les gens, c'est le manque d'études. Il n'y a pas eu de livre vert, de livre
blanc, il n'y a pas eu de grands débats sur les grands principes et vers quel
type de société veut-on aller. Il n'y avait pas d'études, il n'y avait pas
d'études d'impact. Et aujourd'hui on a eu le grand plaisir d'accueillir un
organisme universitaire qui nous a présenté des études d'impact. Et il existe des études d'impact. Alors, je
voudrais vous entendre sur cette question, sur… Alors qu'on voit, hein, je
pense que vous le constatez aussi, qu'il n'y
a pas de consensus sur l'interdiction… il y a un consensus sur beaucoup
d'éléments qui pourraient nous faire avancer. Et vous avez touché les
questions…
Et j'aimerais
corriger ce que le ministre a dit. Notre formation est tout à fait contre les
intégristes, les mariages forcés, ce qui
déjà est illégal par ailleurs — si le ministre ne le sait pas, c'est déjà
illégal — donc,
beaucoup de mesures qui sont des mesures qu'on associe à des crimes
basés sur l'honneur qui sont illégales. Mais évidemment l'État doit aller plus
loin, on est tout à fait d'accord avec ça, et de ne pas forcer les jeunes — vous
avez soulevé cette question-là — contre leur gré, c'est bien important, et
que ces éléments font consensus, c'est ce qu'on constate, donc, comment
aller plus loin.
Alors, la question,
c'est : Pensez-vous que serait utile, pour avancer, de scinder le projet
et de mettre de côté pour l'instant… d'avoir
un débat basé sur des études des plus rationnelles sur l'interdiction, et, sur
ce qui fait consensus, on va de l'avant? Parce qu'ici, à l'Assemblée
nationale, on pourrait tous s'entendre sur deux tiers du projet de loi.
M. Rand (David) : Personnellement, je ne suis pas très favorable à l'idée de scinder
parce que je trouve que ce que la charte fait est un bon pas dans la
bonne direction. Elle est incomplète et elle imparfaite, mais ce qu'elle fait
est bon. L'interdiction du port des signes
religieux est extrêmement controversée, mais c'est un enjeu auquel il faut
faire face. Et ce n'est pas
nécessairement une situation d'urgence, c'est… Moi, je vois la charte comme une
mesure préventive, c'est une mesure pour l'avenir et pas seulement pour
le présent. Et je ne vois pas quels genres d'études seraient nécessaires pour motiver… pour justifier d'après vous. Mais on voit que l'intégrisme est
un grand danger un peu partout dans
le monde, et, si cette charte peut
freiner un peu cette tendance, elle impose des contraintes mineures et
raisonnables pour la liberté d'expression sans menacer la liberté de
religion.
• (17 h 40) •
Mme
Weil : Donc, un médecin à l'Hôpital général juif, un excellent
médecin qui porte la kippa, le fait
qu'il soit renvoyé de son emploi — puis c'est une perte pour le
réseau de la santé, pour les patients — ça va venir contrer l'intégrisme? En quoi vous faites un lien entre la
perte d'emploi… Il y a un autre médecin qui porte le turban au
CUSM, en quoi est-ce qu'on vient contrer l'intégrisme en empêchant cette
personne de travailler dans un hôpital?
M. Rand
(David) : La personne ne sera pas congédiée du jour au lendemain, il y
a une période de transition. La majeure
partie vont se plier aux conditions imposées. Et c'est aussi par un esprit
égalitaire qu'on impose la même règle à tout le monde, à toutes les religions. Si on interdit les signes
religieux musulmans, il faudrait aussi interdire les signes religieux chrétiens, juifs et autres. Et, quand je
dis «juif», je parle de la religion juive parce qu'on mélange souvent
religion et ethnie chez les juifs. Et d'ailleurs c'est ça que veulent les
intégristes musulmans, quand ils font des accusations d'islamophobie, ils veulent
mélanger l'aspect religion avec l'aspect groupe ethnique afin de plus
facilement faire des fausses accusations de racisme, tandis que l'islam est une religion et pas une race. Donc,
c'est par un esprit égalitaire qu'on applique la règle à toutes les
religions.
Mme Weil :
Il y a eu des études en Europe, notamment en Allemagne, où ils ont implanté un projet
de loi exactement semblable au projet de loi n° 60. Et la commissaire qui
était responsable de l'application de la loi contre la discrimination, qui était pour le projet de loi à l'origine et, après
un an de l'application du projet de loi… de la loi, de la loi sur laïcité, a été inondée de demandes de… de
plaintes de discrimination à l'emploi, de gens qui ont littéralement
perdu leur emploi ou qui ont été empêchés d'avoir un emploi tant dans le
secteur public que le secteur privé. Et les études ont montré qu'il y a eu un effet d'entraînement dans le secteur privé
parce que les gens, les employeurs ont dit : Bien, si c'est bon
pour le gouvernement, c'est bon pour nous. Et c'est ça, les études d'impact,
c'est ça, l'inquiétude, c'est l'effet d'entraînement.
Donc, avant d'aller
de l'avant avec une mesure qui a des conséquences importantes sur le gagne-pain
d'une personne… D'ailleurs, l'emploi, c'est
peut-être l'aspect le plus important dans la vie, dans la dignité de l'être
humain, c'est de pouvoir travailler. Et donc
il faut… et les tribunaux vont le dire, bon, croyance sincère, si la personne
croit vraiment qu'elle doive porter le signe, évidemment, la
discrimination, la Commission des droits de la personne va vous le dire, c'est
comme ça que ce sera appliqué.
Donc,
vous ne pensez pas que ce serait prudent d'avoir une meilleure… de mieux saisir
l'impact dans ce sens-là et les
effets d'entraînement dans le secteur privé, tel que les études le montrent? Et
le Conseil du patronat est venu exprimer cette crainte-là, la FTQ aussi, qui est venue ici témoigner, dire qu'ils
ont une inquiétude et que leurs membres étaient très partagés, mais c'était la grande inquiétude,
c'était l'impact sur l'emploi, l'exclusion de l'emploi qui causerait
évidemment des tensions énormes dans la société québécoise à moyen et à long
terme.
M. Rand (David) : Si j'ai bien
compris, vous craignez que la politique… la prohibition des signes religieux
s'étende dans le secteur privé. Alors, si des compagnies privées adoptent ce
genre de contrainte, si c'est clairement indiqué
dans les contrats d'embauche et ça fait partie de leurs façons de faire, je ne
vois pas d'inconvénient à ça. Vous supposez que les gens seront
congédiés. Moi, je suppose que la plupart, la vaste majorité vont se rendre
compte qu'il est plus important d'avoir un emploi que de porter un signe
d'appartenance.
D'ailleurs,
moi, je porte parfois des symboles athées, un tee-shirt ou un macaron athée,
avec un slogan athée ou antireligieux,
mais je ne porte pas ça au travail et je ne travaille même pas
dans la fonction publique. Un symbole religieux n'est pas plus important pour le croyant ou
la croyante que mon macaron athée l'est pour moi. Si moi, je suis capable
de l'enlever, le croyant ou la croyante est
capable aussi d'enlever son signe religieux quand il ou elle va travailler dans
la fonction publique ou dans une entreprise ayant adopté une charte dans ce
secteur d'emploi.
Mme Weil : Merci.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, je cède la parole à la députée de Bourassa-Sauvé pour environ… presque sept minutes.
Mme de Santis :
Wow!
Une voix : Wow! Bien oui,
wow!
Le Président (M. Ferland) :
C'est incroyable. Incroyable.
Mme de Santis : Merci,
M. le Président.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, je constate votre surprise.
Mme de Santis : Merci d'être venus devant nous et d'avoir
présenté votre mémoire. Vous présentez une position qui est assez
intéressante.
Je veux
d'abord citer ce que vous avez à la page 3 de votre mémoire. Je cite :
«Nous sommes athées. À la lumière de la pensée critique et de la
science, nous considérons comme des fictions infantilisantes les dieux, les
démons, la réincarnation, l'âme immortelle
et les autres croyances surnaturelles. Nous valorisons la raison, le savoir et
l'avancement matériel, intellectuel et moral
de l'humanité. Notre philosophie est matérialiste : il n'existe aucune âme
associée au corps, tandis que l'esprit ou l'intellect est lui aussi matériel
car relevant d'un processus neuronal. Nous sommes des êtres moraux et en
constante évolution, responsables de nous-mêmes, à l'instar de l'humanité dont
nous faisons partie. Nous préconisons la laïcité et rejetons toute influence
religieuse dans les institutions publiques.» Fin de citation.
Il me semble,
quand je lis ça et d'autres commentaires dans votre mémoire, que vous êtes en
train de dire à l'État : Oui, il
faut que vous choisissiez une religion, et cette religion, c'est l'athéisme.
Vous ne l'appelez pas une religion, mais c'est une croyance aussi. Et donc vous demandez à l'État, en choisissant
l'athéisme, de favoriser une religion au détriment des autres, parce que les autres ne
doivent pas exister. Mais le fait qu'on ne croie pas dans les dieux, les
démons, etc., comme vous le notez,
c'est ça que vous voulez que l'État favorise. Donc, je ne vois pas dans ça la
neutralité de l'État. Je vois plutôt un choix de l'État de favoriser
l'athéisme. Comment vous me répondez?
M. Rand (David) : Bien, d'abord,
l'idée que l'athéisme soit une religion, je l'ai entendue 1 000 fois, et
c'est une idée complètement vide de sens. Si
l'athéisme est une religion, alors ne pas jouer au hockey est un sport d'hiver
et la calvitie est une couleur de cheveux.
L'athéisme, c'est tout simplement le rejet des croyances surnaturelles qui ne
sont pas fondées, c'est tout. Il n'y
a pas de rites, il n'y a pas de croyance au surnaturel. Évidemment, l'athéisme
n'est pas une religion.
Nous ne
demandons pas à l'État d'être athée. Nous sommes personnellement athées, nous
sommes antireligieux dans notre
attitude. Nous demandons que l'État établisse ses institutions sans influence
religieuse, tout simplement, sans l'influence
des Églises et autres institutions religieuses, mais avec la pleine
participation de tout le monde, croyant ou incroyant, à condition que
tout le monde pratique une certaine réserve s'ils sont employés par la fonction
publique, et ça s'applique aux athées aussi, c'est-à-dire d'afficher des
symboles ou…
Mme de Santis :
J'ai entendu…
M. Rand (David) : C'est-à-dire que
je suis prêt à accepter ça à condition que les croyants acceptent ça.
Mme de Santis :
J'ai entendu, tout à l'heure, que ça vous est égal si, même dans le privé, on
interdit les signes religieux parce que, vous dites, ça va faire partie
du contrat d'emploi, etc., donc les gens vont choisir de travailler au lieu de ne pas travailler. Mais nous vivons dans une société
où les gens peuvent facilement traverser les frontières. Le choix peut être au-delà que je travaille ou je
ne travaille pas. Je peux… je veux travailler, ça me donne de la
dignité, de travailler. Donc, je vais
choisir, si je suis un médecin à l'Hôpital général juif qu'on voudrait retenir
ici, de simplement aller de l'autre côté de la frontière, en Ontario, ou
aller à New York, ou Boston, ou ailleurs. Ça, c'est aussi une crainte que nous
avons. Parce qu'on ne peut pas perdre ces talents-là. Et donc, en tant que société,
on se met à risque.
• (17 h 50) •
M. Savard
(Jacques) : Mais, si je me
souviens bien, quand on a parlé de la charte de la laïcité en France, en
2004, on utilisait exactement cet argument-là, et ça n'est pas arrivé. Le Québec
devait se vider, avec la loi 101, et, à part quelques
camions bien organisés, il n'y a pas eu d'exode si massif que ça. Peut-être
que quelques personnes vont choisir ça; ça sera leur choix. Mais je ne
crois pas à un exode massif, ce n'est pas vrai.
Mme de Santis : Est-ce
que vous croyez qu'en effet on va
résoudre des problèmes, que, vous croyez, en France, ils intègrent leurs
immigrants beaucoup mieux parce que l'État dit que personne ne peut porter un
signe religieux s'il est un représentant de l'État?
M. Savard
(Jacques) : En France, on
demande aux écolières de retirer les signes religieux, on demande à tout
le monde de retirer les signes religieux. Le projet de loi n° 60 s'adresse
simplement aux fonctionnaires de l'État.
Mme de Santis : Mais je vous pose la question. Les émeutes qui se
font en France, le problème que la deuxième génération a de s'intégrer
en France, on ne veut pas ça au Québec. Mais, ailleurs, si on parle maintenant
du problème d'intégrisme, est-ce que vous croyez vraiment que la charte des
valeurs va régler ça? Les Shafia ne portaient aucun signe religieux, mais il y avait des problèmes importants à l'intérieur de leur famille, et on a connu la finalité de tout ça.
M. Savard
(Jacques) : Madame, on n'a jamais
prétendu que la charte allait régler les problèmes d'intégration et les problèmes d'intégrisme. On l'a dit en toutes
lettres, il manque beaucoup de choses. On demande au gouvernement,
dans notre mémoire, d'agir pour intervenir pour prévenir l'intégrisme, combattre
l'intégrisme. On a lu le projet de loi de Mme Houda-Pepin qui a été présenté
hier. Il y a beaucoup de choses intéressantes dans ça. Il y a des choses, comme
on le soulignait tout à l'heure, qu'on n'a plus besoin de dire parce que c'est
déjà interdit, mais il y a beaucoup de...
Le
Président (M. Ferland) : Excusez-moi, le temps… Le temps est écoulé pour le parti de l'opposition officielle. Je cède la parole
à la députée de Montarville pour quatre minutes.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Merci, messieurs, merci pour votre mémoire,
très intéressant. Tout comme vous, nous
croyons qu'il faut interdire le port de certains signes religieux pour certains
employés, il faut tracer une ligne. Mais, avant d'entrer dans ce sujet,
j'aimerais que vous terminiez ce que vous disiez, là, je trouvais ça très
intéressant. Vous parliez de Mme Fatima Houda-Pepin qui a présenté elle-même
son projet de loi. Poursuivez sur votre pensée à cet égard.
M. Savard
(Jacques) : Eh bien,
on a très brièvement étudié le projet de loi. Il y a beaucoup
de choses qui m'ont semblé intéressantes là-dessus, il y a beaucoup de
choses qu'on souligne dans notre mémoire aussi. On demande la mise en place d'un organisme qui va poursuivre les
études sur l'intégrisme, qu'on devrait appeler «fondamentalisme», d'ailleurs,
parce que ce n'est pas la même chose que l'intégrisme, l'intégrisme est
catholique par définition. Mais effectivement il y a des propositions
intéressantes. Bon. J'ai passé 12 ans de ma vie à écrire des règlements puis
des lois, ça fait que je n'ai pas nécessairement apprécié le style, mais
l'intention, c'est surtout ça qui est important et...
Mme Roy
(Montarville) :
L'esprit de la loi.
M. Savard (Jacques) : ...l'esprit de
la loi, voilà, l'intention qu'on veut donner au législateur. Je trouve qu'il y a beaucoup
de propositions intéressantes qu'on pourrait voir dans la
charte. Nous-mêmes, on trouve que, la charte, il manque des choses. On ne définit même pas la laïcité, on ne nous dit pas
qu'est-ce que c'est. La neutralité de l'État. La neutralité de l'État, ça peut être de donner des privilèges à tout le monde, mais ça peut être d'autres choses, on en a parlé tout à l'heure dans notre exposé. Il faudrait que ce soit défini parce que
les tribunaux vont en inventer une si on ne leur en donne pas. Alors, c'est à
nous de dire : La neutralité, voici comment on la conçoit… — bien,
vous, les législateurs — comment on conçoit cette neutralité.
Alors, bien, ça, ce n'est pas fait dans le projet de loi, je pense que c'est
une grosse lacune.
Mme Roy
(Montarville) :
Alors, je vous remercie pour cette portion de réponse. Maintenant, revenant à
l'interdiction du port de signes religieux, on l'a vu, on en a parlé, nous
sommes pour l'interdiction du port de signes religieux
pour les employés de l'État. Restera à tracer une ligne dans l'optique où il
faudrait avoir une position la plus rassembleuse possible, qui fasse le
plus grand consensus. Et, on l'entend, c'est divisé, et même subdivisé. On a,
entre autres, des indépendantistes qui sont
pour une laïcité ouverte, donc qui ne sont pas pour l'interdiction de port de
signes religieux. Donc, ça commence à se subsidiviser, ce débat.
Alors, ma
question est la suivante : Est-ce que vous seriez d'avis qu'il serait
approprié, du moins, de commencer par
interdire le port de signes religieux pour les gens au moins en position
d'autorité, ceux qu'on connaît, juges, procureurs de la couronne, policiers, gardiens de prison? Et
nous, on préconise, d'ailleurs, enseignants, primaire, secondaire,
directions d'école.
Qu'est-ce que vous en pensez? C'est un bon début? Ça marque un gros point? Ce
serait quelque chose qui
pourrait peut-être faire consensus?
M. Rand
(David) : Ce serait un bon
pas dans la bonne direction, mais nous favorisons
une interdiction plus large, globale. Mais c'est sûr que c'est plus
important chez les gens ayant un pouvoir coercitif.
Mme Roy
(Montarville) :
Pourquoi dites-vous que c'est plus important?
M. Rand (David) : Mais c'est plus
difficile à gérer aussi parce qu'il faut décider dans quelle catégorie tel
fonctionnaire est placé. Est-ce que son pouvoir coercitif est suffisamment
grand, suffisamment important? Et on peut aussi
faire le raisonnement que tout fonctionnaire a un certain pouvoir coercitif.
Même quelqu'un qui prépare les permis de conduire, c'est un certain pouvoir d'État que la personne a. Donc, je
pense que c'est plus juste et plus simple de faire une prohibition globale. Mais c'est sûr que, pour les
gens ayant un grand pouvoir coercitif, ce serait un pas dans le bon
sens.
Mme Roy
(Montarville) : Tout compte tenu du fait qu'il y a,
justement, dissension ou qu'il n'y a pas… Il y a subdivision sur le
sujet. Il faudrait arriver à finir par s'entendre, là.
M. Savard
(Jacques) : On a un problème
de mise en place. En fait, c'est qu'on confond deux choses. Il y a le
principe, le ministre qui parle…
Le
Président (M. Ferland) : Souvent, je dois… C'est le temps qui
était imparti pour la députée. Je me dirige du côté du député de
Blainville pour 4 minutes.
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. Merci, messieurs. Écoutez, je vais venir très
rapidement sur l'intégrisme. Je pense
que c'est une question qui a intéressé tout le monde. Mais, si j'ai bien
compris, vous seriez probablement en faveur à ce que le ministre, par exemple, s'inspire de quelques articles qui sont
dans la loi déposée par l'ex-députée libérale de La Pinière justement
pour contrer les effets ou, du moins, pour… Dans son projet de loi, c'est
surtout pour amasser de l'information, pour
faire des recherches sur le terrain, pour voir comment ça se déroule, pour
arriver… Donc, c'est une mesure…
M. Savard (Jacques) :
…d'interaction.
M. Ratthé :
Oui, c'est ça… effectivement. Donc, c'est quelque chose avec laquelle… Si le
ministre s'inspirait de certains articles, c'est quelque chose à
laquelle vous seriez favorables, j'imagine.
M. Rand (David) : Sauf qu'on n'a pas
eu beaucoup de temps pour l'étudier, mais…
M. Ratthé : Effectivement.
M. Rand (David) : …mais, oui.
M. Ratthé :
Je vais vous donner la chance peut-être de vous exprimer sur des aspects de
votre projet de loi… de votre
mémoire, pardon, que les gens ne peuvent pas lire. Vous faites certaines
suggestions. Il y a un groupe, entre autres, qui est venu nous parler de l'abattage rituel, où vous faites référence.
Vous parlez de manifestations religieuses, par exemple, dans les conseils de ville. On sait qu'il y a des
municipalités… il y en a quelques-unes qui s'objectent totalement à ce
qu'on aille aussi loin. Peut-être, je vous donne un peu la chance, en quelques
minutes, de nous exprimer peut-être les autres points que vous aimeriez voir,
entre autres, ces deux-là.
M. Rand (David) : Mais, par exemple,
la prière dans les séances de conseils municipaux, il faut l'interdire. Il n'y
a pas de… Il ne faut pas qu'il y ait des cérémonies religieuses dans des
instances gouvernementales. Ça, c'est complètement
inacceptable du point de vue la laïcité. Et ça persiste. Il y a le maire de
Saguenay qui s'entête à le faire, et c'est
en cour encore. Si cette charte avait été adoptée il y a quelques mois,
peut-être que la décision de la Cour suprême du Québec… de la Cour
d'appel du Québec aurait été différente.
M. Savard (Jacques) : C'est ce
qu'elle a dit, d'ailleurs.
M. Rand (David) : Oui. Alors donc,
ça, c'est important. Et aussi…
M. Ratthé :
Est-ce que vous pensez que l'interdiction de signes devrait également
s'appliquer aux maires, aux conseillers municipaux?
M. Rand (David) : Moi, je dirais à
l'ensemble des conseillers, oui.
M. Savard (Jacques) : Oui.
M.
Rand (David) : Oui.
Concernant l'abattage rituel, il y a des lois qui imposent une… pour interdire
la cruauté inutile lors de l'abattage, et nous sommes contre toute
exception pour raisons religieuses. Pour des raisons de santé, ces règles sont
là et…
M. Ratthé : …également référence à la qualité
sanitaire, il n'y a pas juste… il y a la santé des animaux, la cruauté…
M. Rand (David) : Oui, l'hygiène.
M. Ratthé :
…mais vous parlez aussi, là, d'une espèce de suspension de règles, là, qui
pourrait mettre en cause, je pense, les règles…
M. Rand
(David) : C'est parce que la
religion ne devrait pas avoir une priorité sur des mesures de santé,
d'hygiène, d'autres mesures.
M. Savard (Jacques) : Sécurité
publique.
M. Rand (David) : Sécurité publique,
oui.
M. Ratthé :
Je vous remercie beaucoup, messieurs, c'est très instructif. Et merci d'avoir
été là jusqu'à 18 heures, parce qu'évidemment c'est toujours peut-être
plus difficile d'être les derniers. Mais c'était fort intéressant, vous nous
avez gardés bien éveillés. Merci.
Le
Président (M. Ferland) : Merci. Merci, M. le député. Merci, M.
Rand et M. Savard, pour votre présentation et vous être déplacés pour
présenter votre mémoire.
Je lève
maintenant la séance, et la commission ajourne ses travaux à demain, vendredi
14 février, à 9 h 30, afin de poursuivre l'étude détaillée du
projet de loi n° 28. Et, sur ce, bonne fin de soirée.
(Fin de la séance à 18 heures)