(Neuf heures trente-deux minutes)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre! À l'ordre,
s'il vous plaît! Ayant constaté le
quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je
demande à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir éteindre
la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
La commission
est réunie afin de tenir des auditions publiques dans le cadre de la
consultation générale sur le projet de
loi n° 60, Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité
religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes
et encadrant les demandes d'accommodement.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des
remplacements?
La
Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Lessard
(Lotbinière-Frontenac) est remplacé par Mme Gaudreault (Hull); M. Ouimet (Fabre), par Mme Weil
(Notre-Dame-de-Grâce); et M. Duchesneau (Saint-Jérôme), par Mme Roy
(Montarville).
Auditions (suite)
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci, Mme la secrétaire. Ce matin, nous entendrons trois groupes, à commencer par Les Juristes pour laïcité et la
neutralité religieuse de l'État, et l'Université de Montréal, et en
terminant avec la Confédération des organismes de personnes handicapées du
Québec.
J'invite donc maintenant Les Juristes pour la laïcité
de la neutralité religieuse de l'État à nous présenter son mémoire,
en vous mentionnant que vous disposez de 10 minutes pour la présentation de
votre mémoire, suivie d'un échange avec les parlementaires. Alors, je vous cède la parole, peut-être
en présentant les personnes qui vous accompagnent pour qu'on inscrive le
bon nom et le bon titre à l'écran.
Les Juristes pour la
laïcité et la
neutralité religieuse de l'État
Mme Latour
(Julie) : Merci, M. le
Président. Alors, Mmes et MM. les parlementaires, je vous remercie de nous accueillir. J'aimerais également
saluer les citoyens et les citoyennes qui sont à l'écoute et qui, tout comme nous,
ont ce vif intérêt pour ce débat important pour l'avenir du Québec.
Alors, je me
présente, je suis Julie Latour, avocate, ancienne bâtonnière du Barreau de Montréal, et j'ai le plaisir et l'honneur d'être aujourd'hui accompagnée par
l'honorable Claire L'Heureux-Dubé, ancienne juge à la Cour suprême du Canada, et par Me Henri Brun, professeur
associé à la Faculté de droit de l'Université Laval et constitutionnaliste de
renom.
Alors, nous
allons à tour de rôle brosser les grandes lignes de notre mémoire et nous
répondrons ensuite avec plaisir à vos questions, qui nous permettront de
préciser notre pensée. Alors, je cède maintenant la parole à Me Henri Brun.
Le Président (M. Ferland) :
Me Henri Brun, allez-y, la parole est à vous.
M. Brun
(Henri) : Merci, M. le
Président. Alors, Mmes, MM. les députés, M. le ministre, alors, les
signataires de notre mémoire sont des
juristes, vous le savez. Malgré cela, ce qui nous mobilise vraiment, ce n'est
pas tant la validité du projet de loi
n° 60 que son opportunité, à savoir l'intérêt et l'importance qu'il y a à
ce qu'il devienne loi. Ce souci, par contre, est fondé, de notre part,
dans une large mesure, sur des considérations juridiques.
Pour ce qui
est de la validité, rapidement, nous croyons tous que le projet de loi n° 60 est valide, y compris en ce qui regarde son article 5, qui restreint le droit de
porter des signes religieux dans certaines circonstances bien limitées.
Cette conviction, nous la fondons sur l'évolution récente du droit constitutionnel, de la jurisprudence et nous la
fondons aussi sur l'évolution à venir, si je peux dire, du droit
constitutionnel.
L'état de la jurisprudence constitutionnelle, à
un moment donné, ne peut pas et ne doit pas être considéré comme la fin de l'histoire, d'autant plus que ce
dont traite le projet de loi n° 60 n'a jamais été soumis aux tribunaux, on
est en matière nouvelle. Il ne faudrait pas, en tout cas, que ce débat, que le
débat légaliste sur la validité en vienne à inhiber
ou à brouiller le débat essentiel qui doit avoir lieu sur l'opportunité du projet de loi n° 60. Il est, à notre avis, tout à fait
légitime qu'un peuple puisse librement s'exprimer, réfléchir, s'exprimer sur ce
genre de sujet que soulève le projet de loi dans le débat public et par
la démocratie parlementaire.
Quant à nous, nous sommes complètement d'accord avec l'objectif premier que poursuit le projet de loi n° 60 et avec les quatre moyens qu'il met de l'avant pour atteindre cet objectif.
L'objectif premier en question, comme nous le dit le premier alinéa du
préambule du projet de loi, est d'affirmer la neutralité religieuse de l'État
du Québec, et il le fait en faisant de cette neutralité
un principe fondamental de la constitution du Québec. Pour nous, c'est ce
qui doit d'abord être fait.
La neutralité religieuse de l'État, il
faut le rappeler, n'est pas une invention, n'est pas une importation, elle
est déjà reconnue en droit constitutionnel, québécois et canadien, mais par la jurisprudence
seulement, au cas à cas, de façon empirique
et dans un certain nombre de cas. Les tribunaux, dans ces cas, ont déduit ce
principe de la neutralité religieuse de l'État précisément de la liberté
de religion affirmée dans nos chartes des droits.
Autrement
dit, la neutralité religieuse de l'État est une dimension de la liberté de
religion. Sans elle, cette neutralité persiste à un degré de confusion
ou d'intégration État-religion incompatible avec la liberté de religion de
chacun. Sa promotion n'a donc rien d'hostile
à la liberté de religion; tout au contraire, elle en est un élément essentiel,
un élément intrinsèque. Mais il
reste, il reste que, pour l'instant, cette neutralité demeure un principe
indéfini, source de beaucoup d'incertitude juridique.
L'absence
d'affirmation législative du principe et de tout aménagement de sa mise en
oeuvre engendre une imprécision juridique
qui est difficilement conciliable avec le principe de la primauté du droit. Et
c'est pour cette raison que nous
croyons, comme juristes, en tant que juristes, qu'il est hautement
souhaitable : un, que la neutralité religieuse de l'État soit
affirmée dans la Charte de droits et libertés de la personne; deux, qu'il y
fasse l'objet d'une définition; et, trois, qu'il soit encadré par des mesures
de mise en oeuvre.
Ce
débat de fond sur l'opportunité du projet de loi n° 60 a été ramené par
plusieurs à une question d'urgence ou de nécessité immédiate. Selon
nous, le projet de loi n° 60 affirme plutôt un principe constitutionnel
fondamental. Pour nous, le projet de loi
n° 60 se situe, à cet égard-là, de la même nature… soulève une question de
la même nature que ce qui a été mis
de l'avant en 1975, lorsque le Parlement du Québec a adopté la Charte des
droits et libertés de la personne. Face à une société qui se pluralise
en accéléré, spécialement en matière religieuse, le projet de loi n° 60
veut garantir que l'État du Québec est et
paraît être un État religieusement neutre. Le projet de loi n° 60 a pour
objet l'avenir à long terme et non pas la réparation d'un quelconque mal
immédiat. Alors, je vous remercie. Je remets la parole à Julie.
• (9 h 40) •
Mme Latour (Julie) : Alors, dans la foulée de ce que M. Brun mentionnait, le projet de loi
n° 60 répond à un besoin de clarté et de sûreté juridique puisque,
contrairement à la plupart des autres démocraties occidentales, l'Acte constitutionnel fondateur du Canada
en 1867 ne traite pas de la question de l'aménagement de la religion dans la vie civile. Il n'en est question qu'à un seul article,
l'article 93, concernant la confessionnalité scolaire,
auquel, d'ailleurs, le Québec a renoncé en 1997 pour ensuite créer des commissions scolaires
linguistiques plutôt que confessionnelles. Donc, ce vacuum, les assises mêmes de la liberté de
religion ne figurent pas au sein de la constitution. Et on a greffé,
100 ans plus tard, la Charte des droits et libertés, en 1982, qui
consacre la liberté de religion et de conscience, mais davantage d'un point de
vue individuel qu'institutionnel.
Pendant
ce temps-là, le processus de sécularisation du Québec
s'est poursuivi, mais certains des acquis laïques sont assez récents parce que… Et, quand je parle
d'acquis laïques, ce sont… notamment au
niveau du droit, d'un État de
droit où les règles émanent de la volonté
populaire et non des préceptes religieux. Et ce n'est que depuis 1982 que la
pleine égalité des époux est reconnue
au sein du Code civil du Québec et que la notion d'enfant illégitime a été
écartée du Code civil. Donc, le socle n'est pas présent et, quand le
socle d'un édifice n'y figure pas, il
y a des dangers qu'il se lézarde. En ce moment, on procède à la réfection de
nos viaducs et on va reconstruire un nouveau pont, il faut faire la même chose
avec la Charte des droits, la solidifier pour qu'elle aille avec un nouveau
souffle.
Également,
en ce moment, dans ce vacuum juridique, on fonctionne avec l'accommodement
raisonnable cas par cas, mais c'est
un concept qui émane du droit du travail, l'accommodement, qui est un droit
fortement balisé par les diverses lois applicables, le Code du travail,
la Loi sur les normes, le Code civil, les conventions collectives. Mais,
lorsqu'un juge ou un arbitre est saisi d'une revendication religieuse, en ce
moment c'est la revendication religieuse contre à peu près rien.
Et,
si cette volonté d'établir cette clarté, parce que le rôle de l'État, c'est de
protéger tous les droits et libertés de la même façon… Et on peut faire l'analogie avec les couleurs dans la
palette d'un peintre des droits et libertés. Alors, chacune est unique, et est un idéal, et aspire à l'absolu.
Mais l'utilité des couleurs pour le peintre, c'est de faire une toile. Et la
toile, c'est la vie en société. Et, dans la
vie en société, les droits et libertés doivent se côtoyer, comme les couleurs,
se rejoindre et parfois même
s'opposer. Et, par exemple, entre le orange… Le orange, c'est la ligne
mitoyenne entre le rouge et le jaune, par
exemple, entre la liberté d'expression et le discours haineux. Le vert est la
ligne mitoyenne entre le jaune et le bleu, donc entre la liberté de religion et la l'égalité hommes-femmes. Et enfin, je
dirais, les tenants de la laïcité ouverte ou le Barreau du Québec, la
Commission des droits de la personne, nous disent : Nous avons la
neutralité de l'État, on n'a pas besoin de
l'affirmer, c'est là de facto. Bien, je répondrais, comme Talleyrand au congrès de Vienne : Si cela va sans dire, cela ira encore
mieux en le disant. Alors, je cède la parole à Mme L'Heureux-Dubé.
Le Président (M.
Ferland) : Allez-y.
Mme L'Heureux-Dubé
(Claire) : Merci, Julie. J'appuie évidemment entièrement le mémoire
des Juristes pour la laïcité et la
neutralité de l'État, particulièrement en ce qui concerne la liberté de
religion. Je souligne aussi que j'appuie
l'intervention du Pr Guy Rocher, ayant, comme lui, signé l'énoncé de principe
du rassemblement pour la laïcité.
Ceci
m'amène au coeur du véritable débat qui divise certains juristes dans cette
enceinte et sur la place publique en ce
qui a trait à la liberté de religion. Ce débat juridique se réduit, à mon avis,
essentiellement aux opinions divergentes des juristes sur l'interprétation
par les tribunaux des limites aux libertés civiles garanties par les chartes.
Certains,
tels le Barreau et la Commission des droits de la personne, entre autres,
s'appuient sur une interprétation large
et expansive de ces libertés civiles par les juges, interprétation basée sur la
croyance sincère uniquement, totalement subjective, d'une personne à
l'effet que ces pratiques relèvent d'une obligation religieuse sans autres
critères — les
arrêts Amselem et Multani dont on a beaucoup discuté.
Pour
Les Juristes pour la laïcité et la neutralité de l'État, dont je suis, cette
interprétation large et totalement subjective
est révolue depuis les arrêts subséquents à ces deux décisions dont nous
faisons état dans notre mémoire. Si le projet
de loi n° 60 était adopté, on devra tenir compte, entre autres, du
contexte social du Québec ainsi que du choix de société que le Québec
s'est donné : une société laïque.
J'ouvre ici une
parenthèse au regard des arrêts sur la sukkah et le kirpan, sur lesquels se fonde
en gros l'interprétation du Barreau et de la Commission des droits de la
personne, pour souligner la forte dissidence du juge Bastarache, un Québécois qui a étudié à l'Université de Montréal, dans
l'arrêt sur la sukkah, pour qui l'interprétation de ces libertés civiles aurait dû se baser sur des
critères, aussi, sur des critères objectifs. C'est, en fait, exactement à
cette interprétation que la jurisprudence
subséquente s'est rangée, ce qui est très souvent le cas des dissidences, qui
deviennent lois à plus ou moins long terme. J'en sais quelque chose.
Aussi,
il ne faut pas oublier la forte dissidence du juge LeBel, le plus grand juriste
actuel du Québec, dans l'arrêt récent N.S., en ce qui concerne le port
du voile intégral devant une cour de justice, et cela non plus ne pourrait
être… ne peut être ignoré.
Ce
qui saute aux yeux dans cette analyse de la jurisprudence, c'est que ce sont
les juges québécois qui ont très souvent
une voix différente sur le banc. Les femmes ont une voix différente sur le banc
et les juges québécois aussi. Cela a été
maintes fois relevé par les journaux. Et, entre autres, le doyen Grammond en
fait état dans un article, justement, sur la sukkah, très mal reçu au Québec, mais plus ou moins ignoré ailleurs,
dans les autres provinces. Il faut lire, à cet égard, la critique très sévère du professeur
Gaudreau-DesBiens, un professeur que j'admire beaucoup, à l'égard de
l'interprétation de la Cour suprême du Canada dans ces arrêts.
En quoi cela est-il
pertinent dans le débat actuel sur le projet de loi n° 60? D'une part,
qu'il ne faut pas présumer de l'immutabilité
des décisions des tribunaux comme le font le Barreau du Québec et la Commission
des droits de la personne. D'autre
part, plus éloquent encore, le contexte social du Québec est tout à fait
différent de celui du reste du Canada,
imprégné de la culture du bien commun dans notre Code civil et ailleurs, de
l'importance de la communauté, du chacun-pour-tous
qui se reflète dans nos institutions, par rapport à une culture du chacun-pour-soi
véhiculée dans d'autres cultures. Ce
contexte ne peut pas être ignoré dans l'interprétation des libertés civiles ici
en jeu. Et c'est pour cela, pour ces raisons d'ordre juridique que je
suis très à l'aise avec le projet de loi n° 60, un projet de société qui
devrait recevoir l'aval des tribunaux. Merci.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci. Merci beaucoup. Alors,
maintenant, je reconnais M. le ministre pour… Il reste environ 19 minutes à peu près. Alors, la parole est à vous pour
la période d'échange. Et j'aurais besoin, avant de poursuivre, du consentement des membres de la
commission pour aller au-delà du temps qui nous est imposé, c'est-à-dire
12 h 30, parce que nous avons
commencé avec un petit retard. Alors, j'ai consentement? Alors, allez-y, M. le
ministre.
M. Drainville :
Merci, M. le Président. Bienvenue, et merci pour votre mémoire et votre
présentation. J'aimerais d'abord — comment dire? — prendre un peu au bond certaines des
affirmations que vous venez de faire, Mme L'Heureux-Dubé, quand vous avez parlé de l'évolution des
jugements de la Cour suprême. Vous avez parlé notamment du jugement sur la sukkah et sur le kirpan. Il y a des
observateurs qui ont tiré de ces jugements l'analyse suivante. Ils ont postulé
qu'à travers ces jugements-là la Cour
suprême avait donné, d'une certaine façon, à la liberté de religion le statut
de superdroit, quasiment de droit prépondérant sur les autres droits. Et
j'aimerais vous entendre là-dessus. Qu'est-ce qui vous rend si confiante que cette charte de la laïcité
pourrait passer le test des tribunaux dans la mesure où certains diront que la
Cour suprême a déjà donné à la liberté de
religion cette espèce de caractère de superdroit et les adversaires de la
charte, comme vous savez, disent que cette charte brime la liberté de
religion? Alors, comment vous répondez à ça? Comment vous voyez ça?
• (9 h 50) •
Mme L'Heureux-Dubé (Claire) : D'abord, je ne suis pas du même avis que ceux qui
disent qu'il y a, de la part de la
Cour suprême… qu'elle a mis en exergue la liberté de religion. Ce n'est pas le
cas, à mon point de vue. Deuxièmement, il y a deux sortes de droits, il
y a des droits fondamentaux, qui sont le droit de… — juste pour vous… une
petite énumération — le
droit à la vie, le droit à un procès juste et équitable, le droit à l'égalité,
etc. Ce sont des droits fondamentaux, et,
lorsqu'on a déterminé qu'il y avait une atteinte à ces droits, c'est fini,
hein? Ce sont des droits tellement fondamentaux qu'il n'y a… à mon point
de vue, on ne peut pas se mettre à leur donner une portée moindre.
Mais,
par contre, les libertés civiles, c'est aussi fondamental, mais d'un ordre tout
à fait différent, et là elles ne sont pas
absolues. Alors, ces libertés-là ont été étudiées ou, enfin, déterminées par la
Cour suprême, dont je viens de parler, dans une évolution de quelques
années, hein? Le kirpan, ça date… Je ne me souviens pas exactement, là, de la
date du kirpan… ou de la décision du kirpan.
Mais depuis, alors, il y a eu une évolution de la pensée sur ces droits… ces
libertés civiles, qu'il faut distinguer, à mon point de vue, des droits
fondamentaux.
M. Drainville :
Mais vous répondez quoi à l'argument qui veut que cette charte porte atteinte à
la liberté de religion? Parce que, dans le fond, c'est l'argument fondamental
de ceux qui s'y opposent, c'est de dire : Ça porte atteinte à la liberté
de religion, la charte.
Mme L'Heureux-Dubé (Claire) : On y répond évidemment dans notre mémoire. Mais
la religion est avant tout, à mon
point de vue, un engagement intérieur, une croyance, comme l'a souligné le juge
La Forest dans l'arrêt Children's Aid Society.
Et je pense qu'il est intéressant de voir ce qu'il disait : «Bien qu'il
soit difficile d'imaginer quelque limite aux croyances religieuses, il n'en va pas de même pour les pratiques
religieuses, notamment lorsqu'elles ont une incidence sur les libertés
et droits fondamentaux d'autrui.»
Alors, dans une autre décision, le
même juge a dit : «Il convient»… Et le juge La Forest, là, c'est un
philosophe du droit, hein? Ça a été un très
grand juriste à la Cour suprême. Il dit également : «Il convient
généralement de tracer la ligne entre
la croyance et le comportement. La liberté de croyance est plus large que la
liberté d'agir sur la foi d'une croyance.» Alors, il y a d'autres
décisions qui ont fait état de cette jurisprudence.
Mais notre mémoire
souligne l'évolution récente, comme je vous ai dit, de la jurisprudence à
l'égard des accommodements religieux. Et les
signes religieux, quant à moi, là, les signes religieux font partie de
l'affichage de ces croyances religieuses et non pas de la pratique d'une
religion. Tous les employés de l'État sont sujets, entre autres, à des normes de loyauté et à des restrictions dans leur
liberté d'expression politique, ce qui a été jugé valide, d'ailleurs,
par les cours de justice. En quoi une
restriction similaire quant à leur liberté d'expression religieuse serait-elle
différente?
Et
là je réponds peut-être à quelqu'un qui a mis ça en doute en disant : Oui,
restriction par rapport à un État laïque. Il faut toujours mettre ce paramètre-là. Et, dans les… On a parlé
beaucoup du cas par cas, etc. Moi, je n'y crois pas, au cas par cas, sans qu'il y ait un mur. C'est une
mosaïque de décisions qui n'ont aucune structure à la base. Alors,
lorsqu'on aura un État laïque, on pourra
avoir une structure beaucoup plus certaine que les décisions cas par cas qu'on
voit aujourd'hui.
M. Drainville :
Par ailleurs, dans l'article du Devoir de samedi dernier, on dit que,
pour vous, «les femmes du Québec
franchiront un jalon important dans leur longue marche vers l'égalité si les
élus adoptent la charte de la laïcité». Dans un article de 2007 qu'on a retrouvé, vous vous opposiez notamment
au givrage des vitres dans un centre de sport ainsi qu'aux heures de piscine non mixtes pour séparer les sexes.
J'aimerais vous entendre davantage sur la façon dont la charte va
assurer l'égalité hommes-femmes selon vous.
Mme L'Heureux-Dubé (Claire) : Bien, ça, c'est du cas par cas, hein? C'est ce
que je viens de dire. Il n'y a rien qui
vient structurer ces décisions. Alors, on peut comprendre la Commission des
droits de la personne, qui est vouée au cas par cas parce que son rôle,
c'est de voir s'il y a eu une discrimination quelconque. Mais, ici, on parle de
société, on n'est pas dans une étude du cas par cas, comme l'est… comme est la
fonction… Alors, ce n'est pas la fonction de la Commission des droits de la
personne, par exemple, de mesurer ces revendications à un État laïque.
Alors,
quant à moi, la longue marche sur l'égalité dont j'ai fait partie et qui
explique le malaise… Je crois que le malaise
dont je parlais, c'est un fait qui a été démontré ici par, entre autres, des
gens qui sont venus discuter du
problème ici. Alors, je voudrais vous dire
que, quant à moi, le suave Hérouxville a mis sur la sellette, a mis
publiquement ce qui couvait à l'intérieur. Ce n'est pas le débat actuel
qui divise la population. La population était divisée, et le débat actuel
permet d'aérer cette division. Alors, quant à moi, c'est très sain comme
exercice, exercice de société.
Et,
quand je parle du droit des femmes, je sais de quoi je parle, et, à mon point de vue, la charte de la laïcité
ne cause aucune discrimination contre les
femmes. On pourrait se demander, dans l'état actuel, qu'est-ce
qui discrimine le plus, est-ce que ce
sont les religions ou c'est la charte de la laïcité? Alors, à cet égard-là, je
pense que la laïcité est excellente pour le droit des femmes, qui ont toujours été, dans le droit, jusqu'à un
certain moment, considérées comme citoyennes de second ordre. On sait ce qui s'est passé dans les années
dernières, dans les années plus lointaines pour rétablir cet équilibre-là.
M. Drainville :
Alors, si je vous demandais, pour les gens qui nous écoutent, là, en quelques
phrases : Pourquoi cette
charte-là, est-ce qu'elle… pourquoi est-elle importante maintenant? Pourquoi
arrive-t-elle à point nommé? Pourquoi devons-nous,
comme élus, donner au Québec ou aux Québécois, une charte de la laïcité?
Pourquoi c'est important maintenant?
Mme L'Heureux-Dubé (Claire) : Bien, d'abord, parce qu'il y avait un débat, il y
avait un débat dans la société elle-même,
débat qui n'était pas public, qui se passait en sourdine, sous le boisseau,
dirait-on. Et, lorsque ce débat-là, par suite d'Hérouxville,
mettons — parce
qu'il y a toujours dans une caricature un peu de vérité — là,
le débat s'est fait publiquement, et c'est
là que la commission Bouchard-Taylor a été formée, qui a elle-même dit que
c'était une nécessité.
Moi, je n'ai pas fait
ces études-là personnellement, mais ils en ont fait, ils ont fait des sondages,
ils sont allés rencontrer le public. Alors,
il me semble que… Ils ont dit que c'était pertinent. Je crois même qu'ils se
sont impatientés parce que ce n'était
pas… la législation ne venait pas assez vite. C'est donc qu'il y a eu un
constat de fait que c'était le temps
et c'était nécessaire d'avoir une charte de la laïcité qui clarifie les
problèmes qui se sont accumulés au rythme des accommodements que je
dirais déraisonnables plus que raisonnables.
M. Drainville :
J'aimerais vous poser la même question, à vous, Me Latour et Me Brun. En
résumé, le meilleur ou les meilleurs arguments pour qu'on ait cette
charte de la laïcité?
Mme Latour (Julie) : Que le Québec continue d'être un État de droit fondé sur la primauté du
droit, qu'il y ait, comme le dit bien
Mme Fatima Houda-Pepin, des verrous pour que les préceptes religieux ne
reviennent pas s'installer au sein du
droit, que ce soit par… Parce qu'à date, par le biais des accommodements… Et il
y a eu des jugements où l'on a permis à des femmes de renoncer à des
droits même d'ordre public, notamment celui de porter en mariage ses nom et prénom selon l'article 393 du Code civil, pour une
fondamentaliste chrétienne, en citant la lettre aux Éphésiens à l'effet
que l'on faisait… la femme et le mari ne faisaient qu'un. Or, c'est régresser
par rapport à cette longue marche des droits que les femmes ont pu acquérir.
Je
vous donnerai un autre exemple concret. À Jérusalem, les sukkahs sont
interdites dans les édifices à étages pour des raisons de sécurité, ici on leur a donné une protection
constitutionnelle. Est-ce qu'on n'est pas allés un peu trop loin? Nos chartes des droits, et Mme L'Heureux-Dubé en
faisait état, contiennent des clauses… le fait même qu'elles contiennent
des clauses restrictives, clauses de limites raisonnables, démontre que l'État
peut agir pour le bien commun. C'est cet équilibre qui doit se poser.
Et, dans un État de droit, nous sommes
des citoyens avant d'être des croyants ou des non-croyants, en
particulier si l'on oeuvre pour l'État. Et
la Cour suprême a confirmé cette neutralité réelle et apparente des
fonctionnaires et a même dit que les citoyens — il
était question de l'Ontario — avaient des droits individuels ou
collectifs d'avoir une fonction publique
impartiale et que c'était une condition essentielle à l'existence d'un
gouvernement responsable. Alors, il est temps d'actualiser la charte, dans une société qui se diversifie en accéléré,
pour aller vers l'avant et pour maintenir une cohésion sociale qui est essentielle à un projet de
société. On ne vit pas tous sur une île déserte. L'État nous octroie ces
droits… en fait, nous le faisons comme peuple souverain et nous nous devons,
les uns les autres, cette fraternité. M. Brun?
• (10 heures) •
M. Brun (Henri) : Oui. Bien, brièvement, je pense que, pour moi, l'essentiel, c'est que
cette neutralité religieuse de l'État
qui fait partie intégrante de la liberté de religion, à savoir même que, sans
cette neutralité religieuse de l'État, la liberté de religion n'existe
pas vraiment, elle doit être affirmée dans la constitution, dans notre
constitution du Québec — qui existe, contrairement à ce que certains
prétendent — et doit
être aussi définie et balisée. Pour ce qui est du balisage, le projet de
loi est intéressant, il prévoit quatre mesures de mise en oeuvre qui balisent.
Pour ce qui est de la définition, bien il y a peut-être un certain manque.
Et,
dans notre mémoire, nous proposons qu'il y ait une disposition définissant la
neutralité religieuse de l'État, et je pense que ce serait une bonne
idée d'y songer. Et je pense que ce n'est pas simplement... ce n'est pas une
question creuse. Même les tribunaux le
souhaitent, hein, demandent — on l'a vu dans certains jugements — que ces choses-là soient affirmées, précisées parce qu'autrement on a une
moitié de la liberté de religion qui n'est même pas affirmée et par
rapport à laquelle on ne sait pas quoi faire.
Est-ce
qu'avec ça on peut interdire à un maire de faire une prière au début des
assemblées du conseil? Est-ce qu'on peut permettre à un établissement
public qu'un culte religieux soit célébré là?, etc. Il y a tout plein de
questions, et on n'a rien. Alors, je pense
qu'il est important, dans le contexte d'aujourd'hui, dans l'évolution que l'on
connaît aujourd'hui, où on est passés très loin, là, de l'unanimiste des
années d'avant 50, et je pense qu'il faut prévoir l'avenir, il faut baliser
l'avenir.
M. Drainville :
Peut-être en terminant, parce qu'il me reste seulement quelques minutes. Mme
L'Heureux-Dubé, vous savez, Mme
Arbour, Louise Arbour, qui est également une ancienne juge de la Cour suprême
du Canada, elle se prononce, ce matin,
dans un texte intitulé Le chant des sirènes, dans lequel elle
écrit : «La charte de la laïcité nous incite à céder au chant des sirènes. Ce chant évoque
l'image nostalgique d'une société homogène catho-laïque, où "nos"
symboles religieux nous paraissent
inoffensifs parce que, n'y croyant plus, nous les avons vidés de leur sens,
alors que ceux des "autres" feraient au contraire peser une
menace permanente sur nous.»
Mme L'Heureux-Dubé
(Claire) : Bien, tous les signes religieux ont le même… Que ce soient
des signes religieux… ou quelques signes
religieux, la charte est très neutre là-dessus. La proposition que vous faites,
de projet de loi, est très neutre. Tous les signes religieux,
catholiques, protestants, etc., sont couverts. Je ne vois pas du tout... Vous
savez, Mme Arbour et moi, on a été souvent dissidentes, je le suis encore.
M. Drainville :
Et donc est-ce que vous trouvez qu'elle...
Mme L'Heureux-Dubé
(Claire) : Je n'ai pas lu l'article du tout, là.
M. Drainville :
Vous ne l'avez pas lu?
Mme L'Heureux-Dubé
(Claire) : Je n'ai pas eu le temps, ce matin.
M. Drainville :
Bon, bien, alors, je vais réserver mes questions là-dessus. Mais je dirais
qu'en définitive elle trouve que ça va trop loin, elle trouve que la charte de
laïcité va trop loin.
Mme L'Heureux-Dubé (Claire) : Bien, je diffère d'opinion complètement, et pour
les raisons particulièrement que
vient d'exposer M. Brun. C'est nécessaire d'avoir des balises. La Cour d'appel
a dit, dans la décision de la prière, qu'il n'y avait pas, au Québec,
justement, de législation là-dessus, alors s'est basée un petit peu là-dessus
pour dire... pour bâtir son opinion. Alors,
à mon point de vue, c'est nécessaire pour la clarté, pour affirmer nos valeurs
comme société. Vous savez, on l'a
fait à plusieurs reprises, hein? Ce n'est pas la première fois, là. Le droit
des femmes, là, ça date de M. Godbout, ça.
Puis après on… À tout moment où il y a eu un débat de société, il y a eu des
montées aux barricades, après ça s'est parfaitement...
Quand la houle a baissé, là, et que les flots sont devenus plus calmes, on n'a
pas eu de problème. Alors, c'est le même phénomène. Plus ça change, plus
c'est pareil.
M. Drainville : Donc, vous pensez qu'une fois qu'on aura voté cette
charte-là s'ensuivra une période d'acceptation, d'harmonie et de
consensus?
Mme L'Heureux-Dubé
(Claire) : Ah, parfaitement! Je suis parfaitement d'accord.
M. Drainville :
Mme Latour, M. Brun… Me Brun, oui….
M.
Brun (Henri) : Peut-être,
pour assurer cette paix — bien là, c'est une autre question — faudra-t-il ou non utiliser la close de dérogation expresse? Moi, ma
réponse juridique, c'est non, pour les raisons
qu'on a mentionnées. Nous croyons que ce projet de loi dans son
intégralité est constitutionnel, est valide. Mais, devant tout ce qui est dit par
ailleurs — on
ne peut quand même pas se boucher les oreilles — je pense qu'il y aura
aussi une décision de nature exclusivement politique
et non plus juridique du tout, absolument politique et administrative,
de dire : Allons-nous vivre avec
10 années de batailles judiciaires sur le même sujet? Et ça, ça pourrait gâcher
cette paix qu'on anticipe. Mais là il y a une décision politique, là,
qui nous échappe.
Mme L'Heureux-Dubé (Claire) : …qui
serait tout à fait légitime.
M. Drainville : Qu'est-ce que
vous dites, Mme L'Heureux-Dubé? Vous dites : Ce serait tout à fait
légitime d'utiliser la clause dérogatoire?
Mme L'Heureux-Dubé (Claire) :
Pardon? Je n'ai pas compris.
M. Drainville : Vous avez dit
que c'était tout à fait légitime. Vous faisiez référence à?
Mme L'Heureux-Dubé (Claire) : À
l'utilisation de la clause dérogatoire. À mon point de vue…
M. Drainville : Elle a
mauvaise presse, vous savez, hein? Elle a mauvaise presse, la clause
dérogatoire.
Mme
L'Heureux-Dubé (Claire) :
Oui, mais elle a déjà été utilisée, et puis la paix s'est installée, hein?
Alors, moi, je dis : Pas nécessairement, pas nécessairement, mais si
nécessaire. Je ne la…
Le Président (M. Ferland) :
Malheureusement, je dois interrompre… Le temps étant écoulé pour la partie
ministérielle, je vais du côté de l'opposition officielle. Et je reconnais le
député de LaFontaine.
M. Tanguay : Merci
beaucoup, M. le Président. Bon matin à vous trois. Merci
beaucoup pour le temps que
vous avez mis pour rédiger le mémoire et aujourd'hui venir nous le présenter,
répondre à nos questions. Vous savez, on a 16
minutes. Je veux poser des questions et mes deux collègues aussi, alors je vais
tenter de garder mes questions courtes. C'est difficile pour un avocat.
Et si on pouvait, donc, avoir un échange sur plusieurs aspects…
J'aimerais,
Me Brun, revenir sur votre dernière intervention. Vous parlez… On parlait de la
paix sociale et ce que pourrait engendrer la non-utilisation de la
clause «nonobstant». J'aimerais en être au niveau du terrain. Selon votre expérience des débats constitutionnels, en quoi un
tel débat sur la constitutionnalité serait difficilement conciliable
avec une paix sociale? Vous parlez… Je pense
que vous avez cité une dizaine d'années. Alors, pouvez-vous nous expliquer un
peu ce que c'est dans les faits, ce débat-là, et quel impact ça peut avoir sur
la cohésion sociale?
M. Brun
(Henri) : Bien, je pense
que, de la même façon qu'actuellement le débat de fond est un peu corrompu par ce débat légaliste, de savoir si c'est
conforme ou non à un État de droit, à des considérations
juridicojuridiques. Et je pense que,
si… Mais, encore une fois, là, il
y a une décision de nature politique
qui devra être prise. Mais, étant
donné ce qu'on nous dit à partir de certains horizons, particulièrement la Commission des droits et le Barreau, il y aura contestation. S'il y a contestation, très concrètement, faire
état d'une dizaine d'années de tempête, ce n'est pas de trop, ça va
ressembler à ça, tout à fait.
Et ce climat
où on s'empêche de discuter du fond des choses, de savoir qu'est-ce qui est
bon, qu'est-ce qui est souhaitable pour notre société au jour
d'aujourd'hui pour le futur à long terme va toujours continuer d'être pollué
par un débat sur la légalité : Est-ce
que c'est… Bon, c'est très intéressant. J'ai l'air de parler contre mon
clocher, mais je me dis que le droit,
c'est aussi autre chose que ça. C'est en ce sens-là que je reproche beaucoup à
la Commission des droits de la personne
d'avoir ce genre d'approche éteignoir, à peu près l'approche de l'avocat de
quartier qui dit à un client : Non,
vous ne pouvez pas construire la clôture entre vous et votre voisin, il y a un
règlement municipal qui dit que c'est interdit. Je pense qu'on est dans un autre ordre de choses ici. Et puis, bien, il
serait bon qu'on s'interroge et qu'on décide et, en essayant de libérer l'horizon le plus possible,
qu'on prenne une décision collective, démocratiquement, à la suite d'un
débat et en utilisant la démocratie parlementaire.
• (10 h 10) •
M. Tanguay :
Oui. Et, sur cet aspect-là, Me Brun, et par la suite… Je vais vous poser une
dernière question et je vais passer à
Mme la juge L'Heureux-Dubé. Me Brun, donc, vous avez dit : Le débat… Vous
avez utilisé un terme qui, je crois…
un terme : Le débat est corrompu par cette… je vous dirais, cette emphase
qui est mise, sur cette division qui est mise. Dans votre mémoire, à la page 15, vous dites… et vous revenez, je
pense, à une position de faire avancer le Québec, qui vise à faire avancer la Québec, et vous
parlez, entre autres, d'enchâsser la laïcité et la neutralité religieuse de
l'État, qui serait déjà à vos yeux une avancée appréciable.
Selon vous…
Parce que je sais que vous citez l'adoption unanime de la charte québécoise des
droits et libertés en 1975. Pour
justement ne pas continuer sur ce débat corrompu, divisif, j'aimerais vous
entendre sur l'opportunité de dire : Bien, écoutez, sur quatre des cinq aspects… Et là on manque de temps,
mais on les connaît, là : les balises aux accommodements,
neutralité dans la charte québécoise, visage découvert. Ne pensez-vous pas que
ce serait, donc, la bonne façon… Parce qu'on
dit que c'est un débat politique, mais force est de constater que, les 125
députés à l'Assemblée nationale, la majorité est contre l'interdiction complète des signes
ostentatoires. Alors, j'aimerais vous entendre sur cette avancée que
l'on pourrait faire et sur cette nécessaire cohésion sociale, charte québécoise
1975 qui est le fondement de notre société. On ne peut pas être divisés
là-dessus. Me Brun, puis après ça j'aurais une question à Mme la juge.
M. Brun
(Henri) : Bien, là-dessus,
je reste proche de notre mémoire. Nous le disons bien franchement, si,
pour avoir l'essentiel des choses, il devait
y avoir quelques compromis, nous sommes d'avis qu'il faudrait, peut-être pas à
l'infini, mais se prêter à quelques
compromis. Ces quelques compromis, si c'était bien fait, n'auraient pas pour
effet de nous priver de l'essentiel des choses.
Bon. On donne quelques exemples, là, dans notre
mémoire, et toujours ce qui revient, c'est la question du découpage un peu à travers les agents de l'État
soumis à la règle de l'interdiction de port de signes. Alors, il y a deux
voies. Certains, là-dessus, prônent une
distinction entre les agents de l'État qui sont en contact avec le public par
rapport à d'autres qui sont plus à
l'arrière. Je pense qu'à mon avis ça, c'est très difficilement praticable. Ça
demeure un critère d'application qui n'aura pas le degré de précision
voulu pour que ce soit effectif, efficace.
Par contre, une distinction sur une autre base,
en essayent d'identifier les agents de l'État qui manipulent la coercition étatique de façon plus immédiate que
d'autres, je pense, est peut-être pleine d'avenir. Je pense qu'il y aura
des difficultés, des difficultés
d'application qu'on n'aurait pas en appliquant la norme à tous les agents de
l'État, hélas! Mais, bon, s'il
fallait se replier un peu de ce côté-là, il y aurait des choses à faire. En
tout cas, on est d'accord, les 12 signataires, que des pas pourraient
être faits de ce côté-là pour ne pas rater l'essentiel.
M. Tanguay : Merci beaucoup,
Me Brun. Oui?
Mme L'Heureux-Dubé (Claire) : Le
mémoire n'est pas dogmatique au point qu'il n'y a pas possibilité de compromis. Il est très modéré, si vous l'avez lu.
Alors, nous disons que c'est important d'avoir le consensus. Moi, je
suis très à l'aise avec ce projet de loi là qui est dans la grande lignée de la
laïcité forgée par le Parti libéral. Je suis libérale moi-même. Alors, je pense que le projet va dans cette lignée-là. De
Duplessis, qui a donné le droit de vote aux femmes…
Une voix : Godbout.
Mme
L'Heureux-Dubé (Claire) :
Duplessis! Godbout. Le premier ministre Godbout, Mme Casgrain, avec qui
j'ai beaucoup travaillé, Thérèse Casgrain, me disait qu'elle lui avait tenu la
main. Et on a été obligés d'avoir une loi pour permettre aux femmes d'accéder
au Barreau, alors que le Barreau s'est battu bec et ongles contre ça. Alors, on
a vu après le Code civil qui a été amendé
sous les libéraux, la même chose sous Lesage après. Alors, ça s'inscrit, ce
projet-là, qui est un projet de société, dans la grande lignée de la laïcité
qu'a promue le Parti libéral lui-même.
M. Tanguay :
J'avais une question… Mais effectivement il est important de ne pas être
dogmatique. Et je souligne et vous
lève mon chapeau en ce qui a trait à l'importance d'aller chercher un compromis
ou de faire avancer le Québec sur ce
qui fait le plus large consensus possible, et ces avancées que vous avez
soulignées en étaient, dont l'exemple probant : en 1975, charte québécoise. Donc, ne pas être
dogmatique, je pense qu'il y a un message fort, là, et à tout un chacun de le
saisir.
J'aimerais vous entendre. Vous avez parlé, Me
Brun — mais
ma question est à l'un de vous trois — de l'importance… Vous le savez mieux que moi, Mme la juge, l'importance de
la règle de droit lorsque l'on veut limiter une liberté. Elle doit être
suffisamment définissable. À deux paliers, dans le projet de loi, l'on dit
d'abord «tout signe ostentatoire». Alors,
qu'est-ce qui est ostentatoire, qu'est-ce qui ne l'est pas? Bonjour aux
administrateurs, administratrices qui devront en déterminer. Mais l'on veut,
deuxième palier de difficulté, quant à la clarté — que je ne vois
pas — de
la règle de droit, l'on veut déléguer cette
autorité décisionnelle sur l'ostentatoire ou pas aux administrateurs. Et
également, les articles 10, on dit : Lorsque les circonstances le
justifient, un organisme pourrait être soumis à cette interdiction. Alors, au
niveau de l'importance d'avoir une règle de droit claire, Me Brun parlait un
peu plus tôt de l'importance d'avoir la précision voulue, y voyez-vous là une
précision tout à fait limpide et hors de tout écueil?
M. Brun
(Henri) : Pour ce qui est,
en tout cas, de l'ostensible ou l'ostentatoire, ça va peut-être plaire à nos
amis de la coalition, nous considérons que le
qualificatif «ostensible» pose des difficultés que ne soulèverait pas un
qualificatif comme «visible» ou «apparent».
Bien. Par contre, toujours avec ce sens pratique qu'on essaie de témoigner, il
n'est peut-être pas approprié, ce ne
serait peut-être pas de la grande sagesse dès lors, au jour d'aujourd'hui, de
se montrer encore plus intrusifs, quoi, ou plus exigeants, et peut-être
vaut-il mieux se contenter d'une restriction portant sur l'ostensible seulement
et non pas sur tout le visible.
M. Tanguay :
Et pourquoi vous dites que ce ne serait pas… Donc, d'y aller d'une mesure plus
claire, de l'interdire complètement,
le visible, pourquoi ce ne serait pas à propos? Aujourd'hui, on ne s'éviterait
pas des écueils d'application?
M. Brun
(Henri) : Oui, on
s'éviterait certainement des écueils d'application, mais c'est simplement…
Comment je dirais? Par sens pratique, par sens empirique, là, de processus
empirique, il serait tout simplement peut-être plus sage de s'en tenir à ce qui est proposé plutôt que
d'être plus restrictifs en passant à l'interdiction de tous les signes
visibles. Alors donc, c'est une position purement pragmatique.
M. Tanguay : Oui, Me Latour.
Mme Latour (Julie) : J'aimerais faire une mise au point sur certains
éléments qui ont été discutés et peut-être aussi en lien avec l'article de Louise Arbour, que j'ai lu. D'une part, Mme
Arbour omet les trois volets les plus importants du projet de loi : affirmer la laïcité, encadrer
les balises, édicter un devoir de neutralité religieuse des fonctionnaires. En
fait, elle semble tout à fait d'accord. Elle
ne parle que du volet des signes religieux, qui sont pourtant le corollaire
tangible d'un visage neutre de l'État.
Ensuite,
elle fait référence à une époque du Québec qui est révolue, l'époque
duplessiste. Il y a eu la Révolution tranquille.
Et, pour elle, de citer Roncarelli, que la Cour suprême est venue à la
rescousse… Mme L'Heureux-Dubé donne l'exemple des droits des
homosexuels. En 1993, on a refusé d'accorder des droits aux conjoints de fait
homosexuels. Mme L'Heureux-Dubé était
dissidente; pour elle, elle aurait permis le tout. Mais, en 2003, 10 ans plus
tard, on les a mariés. Alors, la Cour suprême n'est pas toujours à
l'avant-scène.
Et,
par ailleurs, Mme Arbour mentionne que les droits et libertés, c'est comme un
parapluie qu'on peut pouvoir ouvrir lorsqu'il pleut. Mais justement le
but de l'État, en ce moment, c'est de faire en sorte que tous les parapluies soient
égaux, qu'il n'y en ait pas qui aient un parapluie de golf, la liberté de
religion, et que d'autres aient une petite ombrelle.
C'est de ramener cette égalité. Par ailleurs, nous, ce qu'on fait aussi valoir
dans le mémoire, c'est que les volets initiaux
du projet de loi sont à ce point importants qu'il faut aller de l'avant et
qu'au niveau du port de signes religieux il peut y avoir un aménagement.
Je voudrais aussi
mentionner, quant à la clause dérogatoire, que les clauses dérogatoires sont
des clauses qui figurent au sein de chartes
des droits démocratiquement votées. Il n'y a donc pas d'articles honnis dans
une charte des droits et d'articles
qui auraient plus de noblesse que d'autres, c'est un outil. Et, lors des 30 ans
de la Charte canadienne des droits et libertés, M. Jean Chrétien
lui-même, qui était l'un des rédacteurs et ministre de la Justice à l'époque de
l'adoption de la charte, a dit à quel point
la charte était une fierté, et qu'elle amenait un équilibre parfait entre les
pouvoirs parlementaires et les
pouvoirs juridiques, et que, selon lui, cet équilibre parfait, dans l'esprit de
bien des gens, est venu de l'inclusion de la clause «nonobstant» dans la
charte, qui était d'ailleurs une demande des provinces.
Alors,
c'est cet équilibre qui, au besoin, vu l'importance du débat que nous avons
depuis la commission Bouchard-Taylor, peut être affirmé, et d'avoir cet
équilibre pendant cinq ans, et de dire : Apaisons les choses, nous avons
une paix sociale et nous voyons ensuite cette évolution de la société. Parce
que Julius Grey lui-même a mentionné, en commission parlementaire, l'an
dernier, qu'il avait eu tort de contester la loi 101, et que c'était un fleuron
pour le Québec, et qu'une loi de cette
importance ne devait pas être renégociée d'année en année. Alors, je soumets
que la laïcité, qui est un processus dans lequel nous nous sommes engagés
depuis près de 100 ans, c'est également une loi fondamentale.
• (10 h 20) •
M.
Tanguay : Mme Latour,
on avait d'autres questions. Je ne veux pas vous couper, mais il reste deux
minutes.
Le Président (M.
Ferland) : …
Mme
de Santis :
La mienne va être très courte. Je vais retourner à l'article
5 et les signes ostentatoires. Moi, je vois une discrimination inhérente
dans l'article 5. On peut… Et ce qui est ostentatoire va être défini par règlement
par le gouvernement, pas par l'Assemblée
nationale. Étant catholique, je peux
porter une petite croix, et ça peut être visible. Si je suis une femme
musulmane, je ne peux pas porter de petit voile. Il y a là une discrimination.
Et,
quand on regarde ce qui se passe dans le public, on s'aperçoit que la plupart
des discussions, des arguments, c'est
sur le voile, et on voit que c'est les femmes musulmanes qui sont visées. Et
donc, à part la question de discrimination à l'article 5, je me
dis : Mais, voilà, une des valeurs québécoises, c'est égalité
hommes-femmes, et je ne vois pas cette égalité à l'article 5. Alors,
pouvez-vous, s'il vous plaît, me répondre là-dessus?
Mme L'Heureux-Dubé (Claire) : …la première réponse qui me vient à l'idée :
Qui est discriminatoire? Est-ce
que c'est la religion qui impose ça aux
femmes ou si c'est le projet de loi? Il n'y
a pas de discrimination dans le projet de loi, tout est banni, tout signe ostentatoire. Et ça, ça a été recommandé par la commission
Tremblay-Taylor. Ce n'est pas inventé, là.
Ils ont convenu que d'abord c'était juridiquement correct et ils ont convenu
que ce n'était pas discriminatoire. Alors, je ne vois pas où on prend la discrimination là-dedans contre les femmes.
C'est la même chose pour tout
le monde. Vous ciblez les femmes musulmanes, mais le projet de loi ne
cible personne, il cible tout le monde.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, pour un commentaire seulement. Il reste
environ 30 secondes.
Mme de Santis :
Vas-y.
Mme Weil :
Si je pouvais en 30 secondes.
Le Président (M.
Ferland) : Allez-y, oui, Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme
Weil : Je ne pourrai
pas vraiment poser la question… La préoccupation de Mme Arbour et toutes les voix qui
s'élèvent, parce qu'il y a vraiment beaucoup d'organismes qui s'élèvent, c'est
l'impact discriminatoire. Et il y a une étude
qui a été faite à Berlin, c'est le German Law Journal, je vous invite à
le lire, c'est très intéressant. Ils ont recensé tous les cas de
discrimination parce qu'il y avait deux lois qui se confrontaient, une loi sur
la laïcité et une loi contre la discrimination.
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce, je dois
aller…
Mme
Weil : Mais je vous le montrerai.
Une voix :
…
Le Président (M.
Ferland) : Malheureusement, le temps est écoulé. Je dois aller du
côté de la députée de Montarville. Pour quatre minutes environ, Mme la députée.
Allez-y.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci, M. le Président. Mesdames, monsieur, éminents juristes, c'est ce
que vous êtes, merci, merci d'être
là. Merci pour votre mémoire, c'était très intéressant. Il y a beaucoup
de choses qui m'intéressent dans ce que
vous avez écrit là, qui me rejoignent. Et, en tant que juriste également,
j'aurais beaucoup de choses à dire. Cependant, comme mon
temps est imparti, 4 min 30 s à peine, je serai brève. Alors, je
vais y aller directement.
J'ai
pris des notes lorsque vous parliez. Vous croyez à la nécessité d'adopter une charte de la laïcité. Me Brun, vous parliez de l'intérêt et de l'importance à ce qu'elle devienne loi. Ce
sont vos mots là, je les ai pris en note en tant qu'ex-journaliste. Vous croyez à la constitutionnalité
du projet de loi n° 60. Vous avez dit cependant, tout à l'heure, Me Brun, que vous craignez
une bonne dizaine d'années de débats devant les tribunaux. Alors, pour éviter
ces délais, qui sont des délais terribles
lorsque les batailles judiciaires s'enclenchent, et vous le savez tous autant
que vous êtes ici, le gouvernement n'aurait-il pas intérêt à faire un
compromis pour adopter plus rapidement cette charte? Parce qu'on est devant,
ici, là — tic-tac,
tic-tac — le
temps qui s'écoule. Qu'en pensez-vous?
Une
voix : Décision politique.
Mme Weil : Mais qu'en pensez-vous? Pour éviter ce délai. La
société évolue également, vous nous le dites, on est rendus là. Alors,
que devrions-nous faire, politiquement parlant, pour être… pour l'avoir, cette
charte?
M. Brun (Henri) : En fait, notre mémoire, je pense,
est clair là-dessus, on ne s'objecte pas, au contraire, à
l'idée qu'un certain compromis puisse être fait ou certains compromis. Mais ça
ne veut pas dire non plus de rechercher une unanimité
qui semble difficilement atteignable. Bon. Là, il y a un choix qui est
politique, là, de savoir jusqu'où on va. Mais on ne s'objecte pas... On n'a
pas une position, là, qui est rigide, qui est absolutiste là-dessus.
Mme Roy
(Montarville) : Parfait. J'aurais une petite question
rapide en terminant, et vous prendrez votre temps pour y répondre :
Qu'est-ce que vous dites à ceux qui disent que le projet de charte brime le
droit au travail?
Des voix :
…
M. Brun
(Henri) : Non. Pour ce qui est du droit au travail, généralement c'est
non, et simplement non. Ça n'existe pas, le
droit au travail. Il y a une jurisprudence abondante là-dessus.
Il n'existe pas de droit constitutionnel au travail. Il y a eu... On
s'est essayé devant les tribunaux à plusieurs reprises.
Est-ce que,
par contre, il y a discrimination en emploi? On a vu encore que
récemment il y a des opinions juridiques qui ont été dans ce sens-là, mais, à mon avis,
ce n'est pas fondé. Lorsqu'on parle de discrimination, il faut commencer
par...
Une voix :
Avoir un droit?
M. Brun (Henri) : Oui, et, avant d'arriver à la discrimination, il faut qu'on ait
identifié une distinction fondée sur un
motif énuméré dans les chartes, dans une ou l'autre des chartes. Et, à mon avis,
comme le disait Mme L'Heureux-Dubé, même
à l'article 5, il
n'y a pas de distinction faite entre
des religions, il n'y a aucune... Toutes les croyances sont
traitées de la même façon par l'article 5. Il n'y a pas une religion qui se
trouve singularisée.
Et,
à ce moment-là, on nous dit : Ah oui! Mais c'est les
religions qui sont singularisées. C'est faux également. C'est faux. L'article 5 vise autant ceux
qui n'ont pas de religion. Je veux dire, l'agent de l'État
qui prétendrait aller travailler avec
un tee-shirt ou un gros macaron disant : La religion, c'est l'opium du
peuple, eh bien, il faudrait qu'il l'enlève, son macaron ou qu'il enlève
son tee-shirt tout autant. Bref, ça...
Bon,
il reste qu'en bout de ligne on nous dit : Bon, peut-être
de la discrimination en raison du sexe, mais... Bon, c'est vrai que, dans une religion, on fait porter
tous ces signes-là par les femmes, ce qui justement, d'un point de vue de l'égalité hommes-femmes, est peut-être un peu pénible à constater, mais il reste que,
dans d'autres religions, les signes religieux sont réservés aux hommes,
des signes moins lourds, d'ailleurs… Bon. Voilà.
Le
Président (M. Ferland) : On va aller du côté du député
de Blainville. Peut-être
qu'il va vous laisser poursuivre votre réponse. M. le député de Blainville.
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. Mme L'Heureux-Dubé, Mme Latour, M. Brun, c'est un
honneur de vous recevoir ici. Moi qui ne
suis pas juriste, je vous dis que j'apprends beaucoup de choses dans le
cadre de cette commission. Et je vais vous poser une question en rapport
à ce qu'il y a... à des… j'allais dire des... Il y a eu des formulations, ici,
certaines craintes, en tout cas des demandes qui ont été faites au ministre par
rapport à la charte québécoise des droits et
libertés. Il y en a
eu. Comme j'ai pris un peu d'avance sur la lecture de mes mémoires,
je sais qu'il y en aura encore.
Et plusieurs groupes ou
personnes craignent cette modification-là, demandent de ne pas modifier la charte
québécoise des droits et libertés. Dans
certains cas, on pense que ça
pourrait l'affaiblir. On parle beaucoup de hiérarchisation des droits. On parle beaucoup
d'enlever ou de brimer des droits existants. Et ça revient souvent, cette
demande-là.
À l'inverse,
c'est clair, je regarde dans votre mémoire, là, vous parlez… et c'est souligné :
Enchâsser la laïcité et neutralité de
l'État, un principe fondamental. Alors, je voulais entendre votre opinion afin que
je puisse m'en faire une éventuellement. Parce que, souvent, dans les mémoires
qu'on a, il y a des… je ne dirais pas des contradictions, mais des avis
contraires.
M. Brun
(Henri) : Bien, si je peux
me permettre sur... enfin, dans ce sens-là, dans ce sens-là, le mémoire
qui va le plus loin, et je pense que
personne ne pourra surpasser ça, c'est la Commission des droits de la personne, qui prétend qu'on ne peut pas toucher, qu'on ne peut apporter
aucune modification à la Charte des droits et libertés de la personne, à
moins, ajoutent-ils, qu'on utilise la clause
de dérogation. Moi, je pense que c'est une confusion, une confusion nette
entre le processus de dérogation, où on dit qu'une loi... on soustrait une loi
donnée à l'application d'un des droits de la charte ou de l'une ou l'autre des chartes — c'est la même chose dans les deux cas — et la modification, où c'est tout autre
chose, c'est le législateur constituant qui fait évoluer son instrument par
lequel il se limite. Il vient modifier sa charte.
Une voix : Ça a été modifié à
plusieurs reprises.
M. Brun (Henri) : Et, si on y
regarde... 18, j'ai relevé cela. La charte québécoise des droits et libertés de
la personne a été modifiée, en fait, plus de 18 fois. Elle a été modifiée par
18 lois, et, dans certains cas, on apportait des modifications à trois, quatre, cinq, six des dispositions de la charte.
Et on n'a pas utilisé la clause de dérogation… en 2008, lorsqu'on a
introduit l'égalité hommes-femmes comme principe d'interprétation, non. Même
lorsqu'on a retiré un droit, le droit pour les parents d'avoir droit à une
instruction dans leur religion de la part d'institutions publiques, l'article... — bon, je ne me rappelle plus du numéro,
là — et on
n'a pas utilisé la clause de dérogation. Alors, je trouve que c'est une
espèce d'invention, là, sortie de je ne sais pas où de la part de la Commission
des droits de la personne.
• (10 h 30) •
M. Ratthé :
Mais est-ce que ça pourrait brimer des droits déjà existants à… Parce qu'il y a
des gens qui disent : Bien, on va… hiérarchie des droits, on met la
primauté de la langue, on met… Et là on va se servir de ça pour nous empêcher,
par exemple, d'avoir des accommodements, ça va donner des obstacles
supplémentaires.
Mme Latour
(Julie) : Mais c'est mieux
que ce soient les parlementaires qui décident, et donc tous les citoyens
à travers eux, de quels critères nous devons
respecter avant d'accorder des accommodements. Parce que, dans
l'immédiat, on en faisait état, la décision de la prière au Saguenay, à défaut
de balises… et le juge Guy Gagnon le dit clairement : À défaut d'une charte de la laïcité qui nous
préciserait les obligations que l'État entend s'imposer dans son devoir de
neutralité, la cour décide d'appliquer la
neutralité bienveillante. Mais c'est un critère développé par le Pr José
Woehrling, bon. Mais ce n'est pas à un professeur de décider quels
critères s'appliquent à toute la société. Et cette vision-là fait preuve d'un grand immobilisme. Et, fort de la même logique, on
n'aurait même pas eu la Charte des droits, à l'origine, en 1975, parce
que ça bousculait beaucoup l'état du droit existant. Alors, une charte des
droits, c'est un organe évolutif, et il y a ce contrepoids, l'équilibre d'une
société, c'est entre les trois pouvoirs…
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, je dois aller
reconnaître la députée de Gouin pour la dernière partie de
l'intervention. Trois minutes, Mme la députée.
Mme David :
Merci, M. le Président. Bonjour, enchantée de vous voir ici ce matin.
J'aimerais rappeler qu'on est quand même
très, très nombreux, je pense que les consensus sont très larges malgré
certains avis juridiques, autour du fait qu'on doive inscrire le concept de laïcité dans la Charte des droits,
qu'on doit baliser les accommodements religieux, etc. Vous le savez,
finalement, la charte présentée par le gouvernement rencontre une assez forte
adhésion sur plusieurs points. Ça, je pense qu'il ne faut jamais l'oublier,
quand même, dans le débat actuel.
Ce qu'on sait
par ailleurs, c'est que là on en discute depuis six ou sept mois, c'est la
question de l'interdiction ou non du port des signes religieux. Et je
rappelle ici qu'il n'est pas question que de la fonction publique — parce
que beaucoup des gens qui nous écoutent
mêlent un peu tout ça — il est question des 600 000 employés de l'État, aussi
bien les concierges dans les immeubles que la fonctionnaire au ministère du
Revenu, l'enseignante, le comptable, le médecin, l'éducatrice en service de garde, là, c'est très, très large, les
employés de l'État. En plus, il y a un article qui nous dit : Lorsque des entreprises feront affaire avec l'État
de façon assez substantielle, ils ne pourront pas porter de signes
religieux. Bon. Ça peut être interprété de diverses façons. Donc, c'est très
large.
Et la
question que je vous pose, qui est peut-être moins juridique que sociale, mais
je sais que vous vous y intéressez, c'est :
Vous ne pensez quand même pas que tout ça, là, on est en train de le faire sur
les signes religieux parce qu'il y a le voile, qu'on en discuterait pas mal moins fort si c'était comme il y a
10 ans ou 15 ans, quelques kippas, quelques croix, il n'y avait pas
grand monde que ça dérangeait? Mais il y a le voile. Je sais ce que bien des
gens en pensent, je sais ce que j'en pense,
moi aussi, j'ai eu l'occasion de le dire. Cela dit, oui, les religions
oppriment les femmes — pas de problème. Est-ce qu'on va les opprimer davantage en
leur interdisant l'accès à ces 600 000 emplois et plus? C'est une
question importante, quand même.
Mme L'Heureux-Dubé (Claire) : Madame,
vous savez la grande admiration que j'ai pour vous…
Mme David :
Et c'est réciproque.
Mme
L'Heureux-Dubé (Claire) :
…pour votre engagement social, pour votre lutte pour l'égalité et le droit
des femmes, et j'apprécie beaucoup votre intervention, que j'ai vue d'ailleurs
à la télévision, là, ces jours-ci, là. Quant à moi, il y a une question de logique dans tout ça. Normalement, l'État
n'a pas de visage, il a le visage des personnes qui sont employées par
l'État. Alors, la distinction me badre un peu de savoir que ça va être ceux qui
représentent plus l'État que ceux qui
travaillent à l'État. Alors, question de logique, dans le mémoire qu'on a
déposé pour l'énoncé de principe, on a dit
que, comme logique aussi, il faudrait peut-être ne pas mettre le crucifix en
évidence, hein? C'est toute une question de logique pour moi. Alors,
j'ai beaucoup de difficultés à voir ce que la commission Bouchard-Taylor
recommande, une scission entre le visage de l'État…
Le Président (M. Ferland) :
…madame, il reste à peu près 15 secondes.
Mme Latour
(Julie) : Bien, moi, je
voudrais peut-être mentionner que la Cour suprême le dit, qu'il y a
certaines pratiques religieuses qui sont… qui peuvent être incompatibles avec
les lois d'application générale. Il y a un bénéfice collectif à cette
neutralité de l'État, une réciprocité entre les citoyens, où chacun, dans la
vie publique et privée, peut exprimer sa foi religieuse, mais il faut qu'il y
ait un socle commun où l'on se rejoint…
Le
Président (M. Ferland) : Et, sur ce, malheureusement, j'ai un
rôle très ingrat, vous le savez, hein? Alors, je suis le gardien du
temps de cette commission. Alors, je vous remercie beaucoup pour le temps que
vous avez pris pour préparer le mémoire et venir le présenter.
Nous allons suspendre quelques instants afin de
permettre aux représentants de l'Université de Montréal à prendre place. Alors,
on suspend quelques instants.
(Suspension de la séance à 10 h 35)
(Reprise à 10 h 41)
Le Président (M. Ferland) :
Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre! Je demanderais aux… surtout aux parlementaires, de venir prendre leurs sièges, s'il vous plaît. Alors, nous allons reprendre les travaux de la commission.
Des voix : ...
Le
Président (M. Ferland) : Oui, allez. Il me semble que ça ne porte pas voix. Alors, à l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il
vous plaît! Alors, je demanderais qu'on ferme les portes à l'autre bout de la
salle.
Alors, je demande aux parlementaires de... Mme
la députée de Notre-Dame-de-Grâce, elle n'est pas...
Des voix : …
Le Président (M. Ferland) :
On va la nommer. Venez-vous-en! Merci. Alors, à l'ordre, s'il vous plaît!
Des voix : ...
Le Président (M. Ferland) : À
l'ordre, s'il vous plaît! Alors, maintenant, nous allons...
Des voix : ...
Le Président (M. Ferland) :
Alors, je demanderais aux gens dans la salle peut-être d'aller poursuivre leurs
conversations à l'extérieur. Ce n'est pas facile.
Alors, à
l'ordre! Alors, nous recevons maintenant les porte-parole de... les représentants de l'Université de Montréal, Dr Guy Breton, recteur, et
M. Alexandre Chabot, secrétaire général. Alors, M. Breton ou
M. Chabot — M. Breton,
j'imagine? — la
parole est à vous.
Université de Montréal
(UdeM)
M. Breton (Guy) : Bonjour...
Le Président (M. Ferland) :
Et vous avez 10 minutes pour présenter votre mémoire, suivi d'un échange
avec les parlementaires.
M. Breton (Guy) : Parfait! Alors,
bonjour, M. le Président de la commission, M. le ministre, membres de la commission. Je vous remercie de nous permettre de
prendre la parole devant vous aujourd'hui. Je me nomme Guy Breton, je suis le
recteur de l'Université de Montréal et je suis accompagné de M. Alexandre
Chabot, secrétaire général de l'Université.
Je ne viens pas vous présenter ma
position personnelle sur le projet de loi n° 60, mais celle qui a été
adoptée au sein des instances de
notre université, l'assemblée universitaire et le conseil de l'université. Dans
ces instances siègent des représentants
des étudiants, du corps étudiant, du personnel, des diplômés, de la direction,
des gens qui ont à coeur notre développement
et, par conséquent, le développement du Québec. Bien sûr, la communauté de
l'Université de Montréal est composée
d'individus qui ont des points de vue variés sur le projet de loi n° 60, à
l'instar de ce qu'on voit partout au Québec. Chacun est libre de
s'exprimer, et certains sont venus ici, devant vous, s'exprimer, et cela est
très bien.
Aujourd'hui,
je vous présente la position officielle de l'Université de Montréal. Je précise
aussi que nous ne prenons pas position pour l'ensemble du Québec, nous
prenons position pour notre réalité, notre université. Nous laissons aux Québécois le soin de préciser, de décider ce qui
est bon pour eux, ce qui est bon pour leur avenir. La position que nous
avons prise au sein de nos instances vise notre propre communauté, notre propre
réalité, nos propres constats, nos propres besoins.
L'Université de
Montréal tient, premièrement, à réaffirmer sans aucune équivoque son adhésion
aux valeurs de laïcité, de neutralité
religieuse de l'État, d'égalité entre hommes et femmes. Pour notre université,
qui est officiellement laïque depuis
1967, c'est une évidence, ce n'est pas même pas discutable. Mais notre
communauté a exprimé son inquiétude face à certains éléments du projet
de loi n° 60, en particulier son article 5.
Dans
sa forme actuelle, j'insiste, dans sa forme actuelle, ce projet de loi ne
trouve pas sa place dans la réalité de notre
université. Nous ne percevons pas la nécessité d'une telle loi, puisque la
diversité religieuse n'est pas une source de tension à l'Université de
Montréal. Mais nous percevons un risque d'entrave à la liberté académique, qui
est le socle de l'institution universitaire dans tous les pays démocratiques.
Je
vais commencer par vous décrire rapidement notre réalité. L'Université de
Montréal est le plus grand employeur du
secteur de l'enseignement supérieur au Québec, c'est aussi l'un des plus grands
employeurs de Montréal,
d'ailleurs reconnu tout récemment comme un
des meilleurs, et j'en suis très fier. Nous avons 5 700 professeurs, chargés de cours,
professeurs de clinique, chercheurs. Il faut ajouter à cela 3 400 employés
administratifs et de soutien. C'est donc près de 10 000 personnes qui
travaillent à l'Université de Montréal.
Dans chacun de ces
deux groupes, les enseignants et le personnel administratif et de soutien, on
retrouve des individus qui portent des
signes religieux que le projet de loi présente comme ostentatoires. Nous ne
savons pas combien portent ces signes, puisque le fait même de
recueillir cette information pourrait être perçu comme discriminatoire.
Ce que nous savons, cependant,
c'est que les minorités ethniques sont de mieux en mieux représentées au sein de notre personnel. Nous nous en félicitons,
car nous avons fait des efforts continus d'accès à ces minorités et on
est contents des résultats que ça donne. Nous croyons que le contact avec des
enseignants et du personnel de diverses origines ethniques a pour effet
d'enrichir la formation de nos étudiants, de mieux les préparer pour la suite.
De la diversité dans
nos campus, nous en voulons plus, pas moins. La diversité, on la trouve aussi
chez nos étudiants. Dans les 10 dernières
années, nous avons formé, en français — en
français — 58 000 étudiants étrangers. Nous avons, depuis 10 ans, reçu 58 000 étudiants
étrangers. C'est l'équivalent de Saint-Jérôme, Drummondville. C'est plus
que l'immigration complète du Québec d'une
année qu'on a reçu chez nous et qu'on a formé en français. Nous jouons
donc un rôle d'intégrateur clé dans la société québécoise.
Au total, avec nos
écoles affiliées, nous accueillons plus de 64 000 étudiants. On peut dire
qu'une loi no 60 n'aurait aucun
impact sur les étudiants, on entend dire ça, que ça n'aura pas d'impact sur les
étudiants; c'est faux, parce que nous
employons un grand nombre de nos étudiants. Nous avons 16 800 étudiants à
la maîtrise et au doctorat, une grande partie d'entre eux travaillent
comme chargés de cours, auxiliaires d'enseignement ou de recherche. Sans ces
contrats temporaires, beaucoup de ces
étudiants à la maîtrise et au doctorat n'auraient pas les moyens de poursuivre
leurs études.
L'interdiction
de porter certains signes religieux aurait pour effet d'instaurer une forme de
discrimination au sein de la
population étudiante, en particulier au sein de notre relève scientifique. La
mise en vigueur du projet de loi n° 60 tel que soumis poserait donc des problèmes d'application
majeurs à l'Université
de Montréal. Nous serions forcés de
considérer comme une faute passible de
congédiement un comportement qui, jusqu'ici, était considéré comme une liberté
fondamentale, comme tout à fait normal.
Je
vais vous parler d'une autre facette de notre réalité. L'Université de Montréal
se classe parmi les 100 meilleures universités de la planète. Dans le
Québec francophone, nous sommes la seule à avoir ce statut. Pour le Québec,
c'est un atout, c'est un atout majeur de faire partie des meilleurs sur la
planète. Nous pouvons traiter d'égal à égal avec les grandes universités. Nous
attirons aussi au Québec les chercheurs, les professeurs, les étudiants de
premier plan.
Nous sommes inquiets
qu'une éventuelle interdiction des signes religieux ne soit perçue comme une
marque d'intolérance et nous sommes inquiets
que cette perception ne nuise autant à nos efforts de recrutement qu'à nos
tentatives d'établir des partenariats avec d'autres universités de haut calibre
ailleurs sur la planète. Vous êtes des politiciens aguerris, vous savez à quel
point la perception est importante.
J'aimerais
maintenant insister sur le fait que la diversité religieuse n'est pas un
problème sur notre campus. Dans les 20 dernières années, la Direction
des ressources humaines de l'université n'a rapporté aucun grief en lien avec
le port de signes religieux dits ostentatoires. Aucun grief en 20 ans, avec
10 000 employés. Depuis cinq ans, notre Bureau d'intervention en matière de harcèlement n'a rapporté aucune plainte
liée au port de signes religieux dits ostentatoires ou aux accommodements raisonnables. Et notre
ombudsman ne reçoit qu'une ou deux demandes par année liées avec la discrimination ou les accommodements religieux.
Depuis 2009, aucune de ces demandes n'a été jugée recevable. Ces
demandes ont donc été traitées de façon adéquate, satisfaisante par nos
professeurs, par nos gestionnaires, en qui j'ai entière confiance, des gens de
grande qualité et de bon jugement.
• (10 h 50) •
Et, de plus,
nos mécanismes internes remplissent très bien leur fonction. Nous ne voyons donc
pas la nécessité d'ajouter de nouveaux mécanismes contraignants. Ce
serait une perte de temps, d'énergie, d'argent public, d'autant plus que nous sommes dans un contexte de réduction de ressources
budgétaires. Nous voulons continuer à baliser nous-mêmes
les demandes d'accommodement et nous souhaitons le faire dans le respect de
notre réalité et de nos valeurs.
L'une de nos
valeurs, notre valeur suprême, si j'ose dire, c'est l'autonomie universitaire. Je vais vous lire un extrait de notre définition de l'autonomie
universitaire telle qu'on la retrouve dans notre plan stratégique 2011‑2015.
Le Président (M. Ferland) :
...conclure votre mémoire.
M. Breton
(Guy) : Une minute? Alors,
je vais conclure. Nous défendons la liberté de pensée, d'expression et d'indépendance de l'institution universitaire dans
l'exercice de ses fonctions d'enseignement et de recherche. Il y a ici
trois éléments :
Un, liberté d'expression. Interdire les signes,
on ne peut pas dire que c'est tout à fait une liberté.
Deux, liberté
de pensée. L'interdiction des signes religieux nuit à la liberté de pensée de
celui dont la conscience lui dicte de
porter ce signe religieux. Cette personne devra donc se soumettre et agir
contre sa conscience ou perdre son travail. Difficile de parler de
liberté ici.
Trois,
l'indépendance de l'institution universitaire dans l'exercice de ses fonctions
d'enseignement et de recherche. Cela
signifie, entre autres : liberté d'embaucher les meilleurs professeurs,
celui qui fera avancer le mieux le savoir dans son domaine, qu'il soit
athée, agnostique ou pratiquant.
Je me fais
donc le porte-parole de la communauté de l'Université de Montréal pour vous
dire que le projet de loi appliqué à
nous est contraire à l'esprit de notre université. Nous ne percevons pas la
nécessité de son application chez nous parce
que la diversité religieuse n'est pas une source de tension dans notre
établissement; au contraire, c'est une richesse.
Et je vais conclure sur la chose suivante. Je
l'ai déjà dit et je le répète avec conviction, je suis un médecin, jamais je ne prescrirais un traitement ou un
médicament à un patient qui n'est pas malade. Administrer un médicament
à un patient qui est en santé, ça pourrait même le rendre malade. Je vous
remercie. Et nous sommes disponibles pour vos questions.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci, M. Breton. Maintenant, je cède la parole à M. le ministre.
M.
Drainville : Merci
pour votre mémoire et votre présentation. Bon, d'abord, M. Breton, sur la
diversité, là, vous mettez en
opposition la charte et la diversité. Moi, je pense que c'est une prémisse qui
est fausse. Nous pensons, nous, que la charte
va nous permettre justement de donner un fondement encore plus solide à un
Québec qui est de plus en plus fort de sa diversité. On pense que mettre en place des règles claires en matière de
demandes d'accommodement, ce n'est pas une menace à la diversité, on pense qu'au contraire ça va rendre, à terme,
les relations au sein de la population québécoise beaucoup plus
harmonieuses.
Je pense qu'il y a eu des cas d'accommodement,
par le passé, qui ont suscité d'énormes frustrations, on a même parlé d'une crise des accommodements. Bien,
c'est justement pour prévenir ce genre d'épisodes qu'on pense qu'il faut mettre en place des règles claires en matière
d'accommodement. Et donc moi, je pense qu'à terme ces règles-là vont
nous permettre de continuer à construire dans l'harmonie, mais aussi dans la
cohésion un Québec qui effectivement est de plus en plus diversifié. Et, on le
dit et on le redit, c'est une immense richesse.
Donc, je
m'inscris en faux, si vous me permettez, là, en tout respect, avec l'une des
prémisses de base de votre mémoire,
qui est de dire que la charte serait une menace à la diversité religieuse. Je
pense qu'au contraire elle va nous permettre de continuer à construire
ce Québec qui est fort de sa diversité, religieuse notamment, et on va pouvoir continuer à le faire avec de l'harmonie, de la
bonne entente et une paix sociale qui nous a très, très bien servis.
D'ailleurs, Guy Rocher a même parlé de «paix religieuse». C'est un terme
intéressant, je pense.
Bon,
maintenant, vous nous dites : C'est la position de la communauté
universitaire, l'assemblée universitaire. Et je pense que vous avez
parlé du conseil de l'université. Je ne veux pas qu'on prenne trop de temps
là-dessus, là, mais je pense que, pour les gens qui nous écoutent… Est-ce que
c'est un vote à main levée, ça? Comment ça fonctionne? Et est-ce que ça a été
un vote unanime ou est-ce qu'il y a des personnes au sein de la...
Des voix : ...
M. Drainville : Est-ce qu'il
y a des personnes au sein de votre communauté qui étaient en appui à la charte
ou tout le monde était contre?
M. Breton
(Guy) : Je vous l'ai dit
d'entrée de jeu, que, comme dans toute la société québécoise, il y a des
gens qui sont pour et il y a des gens qui sont contre. Ce que je vous présente
aujourd'hui, c'est une décision de l'assemblée universitaire et du conseil, de
dire : En ce qui nous concerne, à l'intérieur de nos murs, nous n'avons
pas besoin de cette législation additionnelle.
M. Drainville : M. le
recteur…
M. Breton
(Guy) : Cela ne veut pas
dire qu'il y a des gens qui sont pour ou contre. Il y en a
des deux côtés, là. Si vous essayez
de me faire dire que c'est unanime, je n'ai pas dit ça. Ce que j'ai dit, c'est
que l'assemblée universitaire
a fait un vote qui majoritairement… Et là je pourrai passer la parole
au secrétaire général qui tient les sceaux de l'intégrité de ces
processus.
M.
Drainville :: Non, non, mais c'est ce que je voulais savoir. M.
le recteur, là, ne prenez pas… ne prenez pas ça… Tu sais, je pense que… Il
y a beaucoup de gens qui nous écoutent qui ne savent pas c'est quoi, une assemblée
universitaire, qui ne savent pas comment les décisions se prennent. Alors, je vous
demande : Est-ce que ça se prend par un vote? Vous me
répondez : Oui.
M. Breton (Guy) : Oui.
M. Drainville :
Effectivement, il y a eu un vote. Et ça a été un vote majoritaire. Bon.
M. Breton (Guy) : Oui, dans le cas
de l'assemblée. Dans le cas du conseil, c'était un vote unanime.
M.
Drainville : Très
bien. Maintenant, dans votre mémoire, vous faites référence à des demandes
d'avis qui ont été…
M. Breton (Guy) : Bien, est-ce que
je pourrais revenir? Vous avez fait des commentaires où vous n'étiez pas
d'accord. Est-ce que je peux répondre à votre désaccord?
M.
Drainville : Bien
sûr. Bien sûr. Mais je… Vous répondrez, si vous me permettez… vous pourrez
répondre au prolongement de la question que je m'apprête à vous poser.
M. Breton (Guy) : Avec plaisir.
M. Drainville : Dans votre
mémoire, vous faites référence à des demandes d'avis qui ont été faites en lien
avec des motifs religieux. Et vous nous
parlez notamment de demandes qui ont été faites pour des congés religieux,
pour un local de prière… un ou des locaux de
prière, une exemption d'activité, une exemption de transiger avec un
intervenant du sexe opposé, une
identification d'une étudiante qui portait le niqab. Est-ce que je peux vous
demander : À l'Université de Montréal, là, est-ce que c'est
possible pour une étudiante de porter le niqab et d'assister aux cours avec le
niqab?
M. Breton (Guy) : D'assister à des
cours, oui. De passer les examens, il faut que ce soit à visage découvert.
L'environnement pédagogique doit être absolument présent pour les examens.
M. Drainville : O.K. Donc…
M. Breton
(Guy) : Si on parle
d'accommodements, là, je vais… Vous avez fait allusion à divers points, là.
Et je pense que ça illustre très bien notre
propos, que nous gérons bien la situation et qui est… malgré ce que certains
peuvent prétendre, nécessite du cas par cas. Je vais donner quelques exemples.
Une demande
de report d'examen pour une fête religieuse — c'est simple à comprendre — on analyse ces cas-là au cas par cas, parce que ça dépend de quel
examen, ça dépend de l'impact que ça a sur les autres étudiants. Et
parfois on dit oui, parfois on dit non, il n'y a pas une règle absolue. Il n'y
a pas un règlement, il n'y a pas une loi qui peut se substituer au jugement du
professeur.
Un exemple.
Un employé qui veut prendre un congé pour une fête religieuse qui n'est pas à
notre calendrier. Bien, l'employé en discute avec son supérieur. On voit
si ça cause un problème de sécurité, de fonctionnement. On a un environnement de travail. On est un bon employeur,
puis j'insiste pour qu'on le reste. Il peut utiliser ses vacances
annuelles. Donc, il y a des discussions. Et, encore là, c'est un cas par cas.
Quand on demande… Quand quelqu'un de la
communauté demande un espace pour un lieu de prière, bien il n'y en a pas, de lieu prière chez nous. Il n'y en
a pas. Si, par contre, il y a une salle qui est disponible, si ça ne la
soustrait pas, ça peut devenir un lieu de
prière si les gens le demandent et qu'elle est disponible, de la même façon que
ça peut être un lieu pour inviter un ministre à venir parler de sa
position. On fait ça, on analyse ça au cas par cas.
À votre
question : Est-ce qu'un professeur… Vous avez pris l'exemple d'un
étudiant, mais prenons un professeur qui
voudrait être vêtu d'un tchador ou d'un niqab, bien, pour nous, si le visage
est découvert, il peut le faire. On respecte la diversité des vêtements.
Je continue sur des exemples. Certains peuvent
se demander : Est-ce qu'on a des repas casher et des repas halal? Bien,
écoutez, là, nos… La réponse est non, c'est non là-dessus, parce que nos
étudiants sont beaucoup plus soucieux… — et je suis bien placé pour
savoir que, quand ils veulent quelque chose, ils le disent haut et fort — nos
étudiants, bien, ils sont soucieux d'avoir des choix végétariens, d'avoir de la
nourriture sans gluten.
Donc, les
préoccupations de nos jeunes, de nos étudiants, de notre relève, elles ne se
situent pas à discuter des signes religieux. Ce n'est pas ça que l'on
voit chez nous. Et on en a quand même 65 000, étudiants, puis 16 000
étrangers. Je pense qu'on a une bonne expérience. Ça ne cause pas de problème.
Donc, quand
vous me dites que je mets en opposition la charte et l'impact que ça aurait sur
la diversité, je ne vois pas le besoin. Et je pense que peut-être la
meilleure façon de faire que les gens vivent harmonieusement, c'est qu'ils
côtoient d'autres gens, d'autres façons d'être habillé, d'autres façons de
penser. C'est la base même de l'université. Moi, je suis à la tête d'une
institution où je retrouve tout et son contraire. Sur toutes les thématiques,
j'ai tout et son contraire. Puis ça, c'est une richesse. Il faut préserver
cette richesse-là.
• (11 heures) •
M. Drainville : Mais, M. le
recteur…
M. Breton (Guy) : Si ça causait problème, M. le ministre, je vous dirais : On a besoin de votre aide. Mais ça ne cause pas de problème. Ça n'a pas causé de
problème. Je ne vous dis pas qu'il
n'y a pas des enjeux. On a mentionné
des points où parfois il faut analyser, discuter. Nos professeurs, nos
gestionnaires, et au besoin ça remonte plus haut, on a les mécanismes pour
régler ça à l'interne.
M. Drainville : Mais, M. le recteur, si vous me permettez, là. Si
vous, vous ne voyez pas de problème dans le fait qu'un professeur ou
qu'une professeure porte la burqa ou le niqab…
M. Breton
(Guy) : …burqa, c'est à visage caché, ça, ça ne fonctionne pas.
M. Drainville : O.K. Alors, disons… Bien, le niqab est… Le niqab, il y a
seulement les yeux qui sont à découvert, là. C'est permis, ça?
M. Breton
(Guy) : Non, justement. Le tchador, mais il faut le visage découvert, toujours.
M. Drainville : O.K. Donc, le tchador est permis pour un prof. Bon.
Alors, si vous me permettez, vous pouvez trouver ça acceptable et vous pouvez défendre ça au nom de l'autonomie universitaire, mais il pourrait y avoir un certain nombre de vos concitoyens
qui vous écoutent et qui vous disent : Ce n'est pas acceptable, hein…
Une voix :
…
M. Drainville : …parce
que notamment c'est un signe de… Il y a
un très fort consensus à l'effet que
le tchador est considéré comme un
signe d'intégrisme religieux. Et donc ce n'est pas la place d'une université,
quelle qu'elle soit, de donner, je
dirais, sa caution morale à un signe comme celui-là. Alors, vous pouvez
défendre cette position-là au nom de l'autonomie universitaire, mais la
société québécoise peut juger que ce n'est pas acceptable.
M. Breton (Guy) : Moi, je pense que j'ai le devoir d'expliquer ici qu'on a un rôle
d'intégration des nouveaux arrivants, parmi lesquels on va retrouver
plus de gens qui arborent des vêtements ou des signes de ce type-là. Moi, je peux vous dire que je suis fier, je donne
11 000 diplômes par année. J'en donne tellement, je donne tellement de
poignées de main que j'en ai même une
tendinite. Parmi ces 11 000 là, il y a maintenant plusieurs étudiantes qui
viennent avec le voile, qui viennent chercher leur diplôme, qui me
donnent la main, qui sont émancipées, qui sont souriantes, qui peuvent intégrer
le marché du travail avec un diplôme. Je pense… Laissez-moi finir, s'il vous
plaît.
M. Drainville :
Les étudiantes vont pouvoir continuer à porter le voile? S'il vous plaît, ne
laissez pas entendre…
M. Breton (Guy) : Mais je vous ai mentionné tout à l'heure que ces étudiants, en grande
proportion, ont aussi du travail le soir et ne pourront pas porter le tchador.
Quand ils travaillent… Écoutez, là, si la loi était appliquée, le jour ils seraient voilés, puis le soir, ils seraient
dévoilés. Premièrement, du point de vue gestion de ça, là, de la police du
voile qu'il va falloir mettre en place, là,
ça va être compliqué. Deuxièmement, il y a une partie de la journée où ces
gens-là vont devoir changer de personnalité et d'apparence à cause d'une
telle loi.
Moi,
ce que je vous dis, c'est que ces gens-là, qui viennent chez nous, qui étudient
chez nous, qui nous entendent, qui
voient nos valeurs, qui voient notre identité, quand ils viennent sur la scène
chercher leur diplôme, je pense qu'elles sont plus matures, plus
évoluées et elles sont moins ostracisées que si on les garde chez elles avec
leur voile, à ne pas voir autre chose. Je
pense qu'à dialoguer, à échanger, à faire valoir nos valeurs, je pense qu'on
aide ces gens-là à les intégrer. Puis
on a une expérience très concrète qui est très pertinente à la discussion. Je
vais demander à mon secrétaire général de vous la conter.
M. Chabot (Alexandre) : Bonjour. Vous savez, on a un certificat en petite
enfance à notre Faculté d'éducation permanente,
certificat qui est fréquenté beaucoup par les étudiants des communautés culturelles parce
que c'est souvent une façon
d'intégrer le marché du travail. Je parlais récemment avec un responsable de la
faculté qui me disait : Il y a un certain nombre des étudiants des communautés
culturelles, évidemment beaucoup des femmes, qui portent le voile. Et c'est un certificat de 10 cours qui s'étale
sur… dépendant que les étudiants le suivent à temps plein ou à temps
partiel, un an, deux ans ou trois ans. Et
souvent, quand ils sont à temps partiel, c'est parce que, comme disait le
recteur, ils travaillent sur le campus aux bibliothèques ou… pour payer
leurs études.
Et le responsable me
faisait remarquer qu'ils observent de plus en plus qu'au début elles portent le
voile mais souvent, après deux ou trois ans,
à la fin du programme, elles l'enlèvent, elles ne le portent plus, du moins sur
le campus. Et ce n'est pas parce qu'on le leur a imposé, c'est leur
propre choix. À côtoyer d'autres étudiants, avec le dialogue et l'ouverture, de leur propre choix, ces femmes-là
font le choix de retirer leur voile. Qu'est-ce
qu'elles font à la maison, je
ne le sais pas, mais, à l'université, il y a un constat qui est fait, où
elles le font d'elles-mêmes. Et c'est pour ça qu'on dit : Miser sur le dialogue, sur l'ouverture, sur l'échange
nous apparaît plus positif et plus constructif que d'essayer de
restreindre, d'interdire et de les brimer.
M. Drainville :
En tout respect, M. Chabot, vous venez de faire la démonstration qu'elles
peuvent enlever le voile?
M. Chabot (Alexandre) : Bien, oui.
Elles le font d'elles-mêmes.
M. Drainville :
Alors...
M. Chabot (Alexandre) : On ne le
leur interdit pas.
M. Drainville : Bien, c'est
parce que le projet de loi, il repose sur le fait que, quand tu travailles pour
tes concitoyens, quand tu exerces une forme
de service public, et on considère qu'un professeur exerce une forme de
service public, bien on considère que,
lorsque tu exerces cette fonction-là, tu as des responsabilités qui viennent
avec. Et vous venez nous dire que, dans le fond, ces personnes qui
portent le voile comme étudiantes, progressivement, l'enlèvent, pour certaines d'entre elles. Moi, je dis, bien, c'est
bien. Puis c'est des témoignages qu'effectivement que nous avons
également. Alors, si elles peuvent l'enlever
progressivement comme étudiantes, à ce moment-là, lorsqu'elles se retrouveront
comme chargées de cours, ou, peu importe,
responsables d'un séminaire, ou... elles pourront tout également le retirer
lorsqu'elles exerceront ces fonctions-là. C'est exactement ce que nous
soutenons.
M. Chabot (Alexandre) : Ce que vous
devez...
M.
Drainville : Et, par
ailleurs, je veux... Parce qu'il ne me reste pas beaucoup de temps. On a parlé
de la question, donc, du tchador.
Donc, il serait permis, là, pour une enseignante à l'Université de Montréal.
Est-ce qu'il serait permis de séparer une classe entre les hommes et les
femmes, comme ça s'est passé à l'Université de Regina? Non? Bon.
M. Breton
(Guy) : Je ne ferai pas de
commentaire sur Regina. Moi, je parle de ma communauté, là, puis je
limite ça à mes murs. Je réponds à votre
question : Est-ce que chez nous on accepterait qu'il y ait deux groupes,
des hommes, des femmes? La réponse est non.
M.
Drainville : Est-ce
que c'est déjà arrivé qu'un étudiant dise : Je ne veux pas côtoyer de
femmes dans la même salle de classe que moi, comme c'est arrivé à
l'Université York?
M. Chabot (Alexandre) : C'est déjà
arrivé, mais ça lui a été refusé.
M. Drainville : Très bien.
M. Breton (Guy) : On a des règles,
on est capables de fonctionner. On a des profs qui ont du jugement, ça
fonctionne, ça marche. Mais n'alourdissez pas la machine, elle est déjà assez
lourde.
M. Chabot
(Alexandre) : Je veux
revenir, si vous permettez, M. le
ministre, parce que
ce que vous dites sur les femmes qui
enlèvent le voile… Ces femmes-là, elles ont fait le choix de le faire. Mais il faut
bien comprendre que, si on le leur
interdit, elles ne viendront tout
simplement pas dans nos murs, elles
vont rester chez elles. Elles l'ont fait parce qu'à force de dialogue,
d'ouverture, d'échanges avec des collègues, des étudiants, elles se sont
ouvertes à d'autres réalités. Mais, si
d'emblée on leur avait interdit en disant : Si vous venez sur le campus
puis vous travaillez aux bibliothèques, vous ne pourrez pas le porter,
je ne suis pas certain qu'elles se seraient présentées dans nos programmes.
Et j'en veux
pour preuve, cet automne... On n'a jamais eu de problème dans ces
programmes-là, et cet automne, pour
la première fois, il a fallu faire des interventions parce qu'il y a des
étudiantes de communautés culturelles qui étaient craintives, avec tout ce qui se passe dans les
médias, et qui avaient peur de venir sur le campus avec le voile sur la
tête.
M.
Drainville : Bien,
M. Chabot, si vous me permettez, le projet de loi que nous proposons ne
s'applique pas aux étudiantes, sauf
pour l'obligation d'avoir le visage à découvert. Alors, c'est très clair, c'est
ce qui a été décidé comme... c'est ce
qu'on a décidé d'inscrire, d'incorporer dans le projet de loi, et c'est comme
ça. C'est ça, la décision que nous avons prise.
Par ailleurs, sur la question de la liberté
académique, parce que j'ai entendu M. le recteur s'appuyer là-dessus
également, j'aimerais ça vous citer ce que Guy Rocher nous a déclaré ici, en
commission. Il a dit : Que le professeur d'université se prononce sur des
enjeux publics en tant que citoyen, c'est une... c'est autre chose — on
est dans le prolongement d'une
citation — il le
fait sur la place publique, mais il ne doit absolument pas utiliser sa salle de
cours pour étaler et promouvoir ses
convictions religieuses et politiques de quelque manière que ce soit. Et ça ne
s'applique pas qu'aux discours, le port de signes ostentatoires est aussi un
langage qui témoigne de convictions personnelles.
Et là je lui ai dit : Que répondez-vous à
ceux qui souhaiteraient que les universités soient exemptées de l'application de la charte? Il m'a répondu :
«C'est très grave, cette position. Pourquoi? Parce que je dirais que,
depuis toujours, il y a dans l'université un
consensus pratique, une pratique consensuelle qu'aucun professeur n'affiche
devant les étudiants ses convictions politiques, qu'aucun professeur n'affiche
ses convictions religieuses. Il y a peut-être des exceptions, c'est très vrai, il est possible, c'est bien possible, il y
en a, mais c'est un consensus à peu près général. Attention, vous mettez
fin à ce consensus maintenant — il parle de ceux qui proposent, donc,
d'exempter les universités — ce
qui veut dire que vous me donnez à moi
autant qu'aux autres le droit d'afficher mes convictions religieuses dans la
salle de cours.» Il fait une distinction
entre la liberté d'enseigner quelque matière que ce soit et la liberté du prof
de se servir de sa position d'autorité pour afficher ouvertement ses
convictions politiques et religieuses. Réactions?
M. Breton (Guy) : Vous citez
M. Rocher…
• (11 h 10) •
M.
Drainville : Il a été prof à l'Université de Montréal pendant…
M. Breton (Guy) : Un prof émérite, là. Ça fait un petit moment qu'il est à la retraite,
là, puis ça fait plusieurs années qu'il n'a pas eu des salles de classe
devant lui. C'est son opinion, il y a droit…
M. Drainville :
En passant, c'est… Je pense que le commentaire que vous venez de faire est
déplacé, M. le recteur.
M. Breton
(Guy) : Oui, mais c'est quand même une réalité, là.
M. Drainville :
Je me permets de le… Je me permets de le dire.
M. Breton (Guy) : Je veux dire, parce que vous avez dit : Il est professeur, vous
auriez donné l'impression à ceux qui nous écoutent qu'il est
actuellement en contact avec les étudiants dont j'ai parlé plus tôt, ce qui est
faux.
M. Drainville :
Il a été longtemps professeur…
M. Breton
(Guy) : Oui, tout à fait.
M. Drainville :
Il a été longtemps professeur…
M. Breton
(Guy) : Tout à fait.
M. Drainville :
…à l'Université de Montréal.
M. Breton
(Guy) : Mais l'internationalisation de l'Université de Montréal est
plus récente que l'époque où M. Rocher était
là, à l'époque du rapport Parent, Mgr Parent. Il a son opinion, je la respecte,
mais il y a d'autres de mes professeurs qui sont venus
ici, M. Simard est venu, avait une opinion tout à fait différente.
Alors,
écoutez, moi, ce que je vous dis, ce n'est parce qu'un professeur d'économie a une kippa que ça va changer quelque chose. J'essaie de comprendre, là, c'est
quoi, l'impact. Ce n'est pas parce qu'un professeur de biologie va avoir
un voile que ça va changer quelque chose. Ce
n'est pas parce qu'un professeur de chimie… Je vais donner… À l'opposé,
un professeur de chimie qui prendrait une heure pour parler de religion, bien,
ça, ça ne va pas, on sanctionnerait ça.
Et
même, dans le propos de M. Rocher, vous dites qu'il y a une entente, un
consensus que les gens ne profitent pas de leur statut de professeur pour afficher, pour faire du prosélytisme.
En le disant, ça, ce consensus, il existe. Il confirme ce qu'on vous dit depuis le début : Il n'y en
pas, de problème, il n'y a pas chicane. Laissez-nous faire ce que l'on fait
bien. Laissez-nous jouer le rôle
d'intégrateurs des nouvelles communautés. Laissez-nous cette capacité qu'on a
bien joué depuis des décennies. Il
faut arrêter d'avoir peur, il faut arrêter d'avoir peur, d'avoir peur. Et il
faut arrêter de donner l'impression que, parce que les gens sont
différents, il y a un danger là-dedans. Ce n'est pas ça, la réalité, chez nous.
M. Drainville :
Vous nous imputez des motifs indignes. Je trouve que vous allez très loin, M.
le recteur, dans l'interprétation que vous donnez à ce projet de loi.
Moi, je dis depuis le départ que ce projet de loi, en affirmant la neutralité religieuse, vise à protéger la liberté
de religion et de conscience de tous les citoyens, peu importe le choix
qu'ils ont. Je dis également que, si tu
décides de travailler pour tes concitoyens dans quelque capacité que ce soit et
que tu es payé par tes concitoyens,
le devoir minimal que tu as, c'est de respecter le choix que chacun et chacune
d'entre elles a décidé de faire. Et
donc, pendant tes heures de travail, tu devrais garder pour toi tes convictions
religieuses et tes convictions politiques.
Et
je ne crois pas que c'est un affront à la diversité, je ne crois pas que c'est
un affront à la liberté de religion, je ne crois pas que c'est un affront à la liberté de conscience. Et, quand
j'ai des personnes qui viennent me dire, en commission parlementaire, qu'à cause notamment de leur
orientation sexuelle ils ne souhaitent pas se retrouver face à des
personnes qui portent un signe religieux
parce qu'ils ont le sentiment d'être jugés par la religion qui est ainsi
affichée, moi, je pense que ces personnes-là, elles ont le droit d'être
respectées également. Elles ont des droits également, ces personnes-là.
Les
droits des uns s'arrêtent là où commencent les droits des autres, M. le
recteur. Et votre position comme recteur, c'est une position très importante dans notre société. Vous représentez
une institution imminente, qui a une très grande valeur au sein de la
société québécoise, une très grande valeur. L'Université de Montréal, c'est un
joyau de nos institutions. Et je suis un peu
surpris, je dirais, par l'extrapolation que vous faites et la portée que vous
donnez à ce projet de loi sur la laïcité. Je suis franchement assez
étonné.
La laïcité, c'est un
projet d'égalité et c'est un projet qui va être bon pour la diversité. Vous
dites : On n'a pas de problème, laissez-nous tranquilles. Il y a beaucoup
de gens qui disent ça, vous savez : Il n'y en a pas de problème,
laissez-nous tranquilles. Il y en a d'autres qui ont dit : Est-ce qu'on va
attendre d'avoir des problèmes pour agir?
Alors,
visiblement, M. le recteur, en tout respect, on a vraiment un désaccord assez
profond, pas tellement sur le détail,
sur les différentes dispositions du projet de loi, mais là vous êtes carrément…
vous posez un jugement de valeur et vous donnez une interprétation, je
pense, abusive du sens que nous voulons donner à ce projet de loi, et franchement
je trouve ça…
Le Président (M.
Ferland) : Alors, M. le ministre, malheureusement, le temps
étant épuisé…
M. Drainville : Je trouve que
vous allez très loin.
Le Président (M.
Ferland) : …je dois aller du devoir dire à une professeure ou
un professeur — on
parle beaucoup du voile, mais tous les
signes sont visés — malgré
sa compétence, malgré tout l'aspect bénéfique de transfert du savoir qu'elle porte ou qu'il porte à votre
université… de devoir le ou la congédier sur cette base-là? Est-ce que ce
serait le Québec universitaire que l'on veut en 2014?
M. Breton
(Guy) : Écoutez, nous, on va
se plier à la loi, s'il y a une loi. On est une institution qui respecte la
loi. Si, cependant, la loi nous forçait à
congédier quelqu'un de compétent et le congédier parce que cette personne est
vêtue d'une telle façon, sans avoir
parlé à mes syndicats, je pense bien qu'ils seraient d'accord à ce que nous contestions cette décision-là.
M. Tanguay : Dernier point, parce que je sais que mes
collègues veulent vous poser des questions. Vous avez, dans votre Faculté de théologie, 23 professeurs avec doyen. Comment recevez-vous la distinction qui est faite, dans le projet de loi, à l'article 11, deuxième
paragraphe, qui fait en sorte que cette interdiction de tout signe religieux
s'applique à tout le corps professoral sauf votre Faculté de théologie? Comment
vous réconciliez-vous avec cette logique qui ne me paraît pas implacable?
M. Breton (Guy) : Bien, écoutez, on
vous l'a dit en toute simplicité depuis le début, l'ensemble de notre
communauté souhaite rester un environnement d'inclusion, d'échange, de respect.
Donc, on n'a pas fait un grand débat là-dessus, là. Pour nous, on pense que ça
ne devrait pas s'appliquer à nous, pas juste à la Faculté de théologie.
Le Président (M. Ferland) :
Maintenant, je vais du côté de la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil :
Oui. Merci, M. le Président. Merci et bienvenue. Vous dites, à la page 6 :
«Notre université jouit d'une excellente renommée internationale, et la
perception du projet de loi n° 60 représente déjà une menace pour le recrutement de professeurs et d'étudiants
étrangers.» Et donc vous dites ensuite que la diversité religieuse n'est pas
une menace pour vous. L'Université Concordia
est venue, et on a eu… est venue faire des propos très semblables aux
vôtres et ont évoqué cette crainte et que
déjà ils sentaient qu'il y avait un impact négatif sur le recrutement.
J'aimerais que vous nous fassiez part de la compétitivité du marché universitaire au Canada pour le recrutement et un
peu à quoi vous faites face, et l'importance de recruter, recruter et
retenir ici, au Québec, et comment ce projet de loi pourrait expliciter un peu
plus cette notion.
M. Breton
(Guy) : Alors, primo, je
veux affirmer qu'il n'y a pas de baisse de demandes par les étudiants
étrangers, il n'y a pas de crise
actuellement. Cependant, dans l'environnement mondial… Les
professeurs-chercheurs sont des libres penseurs.
Qu'ils perçoivent qu'ils viendraient travailler dans un environnement plus
contraint que ce qu'ils peuvent avoir ailleurs,
il y a tellement d'opportunités pour les meilleurs cerveaux, ça va compliquer
notre recrutement. Ça va compliquer notre capacité de retenir ceux qui
sont là déjà depuis longtemps et qui, écoutez, face à des contraintes qu'ils jugeraient… — puis je ne suis pas là pour juger à leur
place, là, je fais juste vous dire ce que j'entends chez nous — bien,
il y a des gens qui vont quitter.
En ce qui concerne les étudiants, c'est la même
chose, ils veulent aller dans des environnements diversifiés, accueillants, où l'échange d'idées, où l'échange
d'opinions est présent. On a 134 nationalités représentées chez nous. Si
on disait : Il y en a x dont les
habitudes vestimentaires ne devront pas exister, je pense que ça compliquerait
ne fusse qu'être… juste au niveau des
professeurs. Je pense qu'une université, ça se doit d'être ouvert, ouvert au
débat, ouvert à la diversité, c'est
une richesse, ça, là. Et il ne faut pas avoir peur. Il faut plutôt se servir de
l'université pour faire que cette diversité intègre bien le Québec et que l'ensemble du Québec comprenne cette
richesse de la diversité. Mais il n'y a pas de crise, je corrige ça, il
n'y a pas de crise chez nous.
Mme Weil :
Peut-être que je vous amène un peu plus loin que votre réflexion. Mais, ce
matin, Louise Arbour… Il y a une
lettre de Louise Arbour qui est publiée dans La Presse
aujourd'hui, je ne sais pas si vous l'avez lue. Mais il y a tout un débat sur l'impact d'un projet de loi qui
viendrait restreindre le port de vêtement religieux, et c'est sur
l'égalité entre les hommes et les femmes,
l'impact discriminatoire à l'emploi, et le commentaire et des études qui
montrent — et
d'ailleurs, le Conseil du patronat est venu
le confirmer — l'inquiétude
de l'effet d'entraînement. C'est-à-dire, pour l'instant, on imposerait ça dans le vaste, vaste, vaste,
réseau qu'on appelle public, parapublic, universitaire, hospitalier, etc.,
mais que le privé va emboîter le pas. Et il
y a des études en Allemagne qui confirment que c'est exactement ce qui s'est
passé, ils ont été inondés de demandes une fois que la loi sur la
laïcité a été adoptée, et qui disent que, s'il fallait le refaire, on ne le
referait pas parce qu'il y a eu tellement de plaintes.
Est-ce que
vous avez réfléchi à cette question de l'impact d'un projet de loi qui
viendrait permettre la discrimination à l'emploi pour une population
déjà très vulnérable — c'est
ce que Louise Arbour dit ce matin — c'est des femmes musulmanes,
en particulier?
M. Breton
(Guy) : Je vous l'ai dit, et
mon collègue a donné l'exemple, là, des garderies de la petite enfance,
nous souhaitons donner aux gens de toutes
les communautés les outils pour aller sur le marché du travail. En ce qui
concerne l'impact que ça aurait sur d'autres
fournisseurs, je l'ai dit d'entrée de jeu, là, ce que je vous présente et le
mandat que j'ai, c'est de vous présenter la réalité de l'Université de
Montréal, je ne ferai pas de commentaires sur l'extérieur, je vais limiter mes propos à notre fonction, qui est de
former les gens, de transférer du savoir et de jouer notre rôle
d'intégrateur social en français au Québec.
Mme Weil :
Merci.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, maintenant, je reconnais la députée de Bourassa-Sauvé pour à peu près
cinq minutes.
Mme de Santis :
O.K. J'ai simplement une question. Je comprends que c'est depuis 1967 qu'il y a
une séparation entre le religieux et le laïc à l'Université de Montréal.
Une voix : Tout à fait.
Mme de Santis :
O.K. Et, depuis, le religieux ne s'impose pas dans les décisions qui sont
prises par le conseil d'administration ou par vous comme président,
recteur de l'université.
M. Breton (Guy) : Non.
Mme de Santis :
Vous direz qu'en effet vous vivez la neutralité université-religion, comme on
espère vivre État-religion.
M. Breton
(Guy) : Oui. Mais on n'avait
même pas besoin d'être laïques, là, en 1950, on recevait chez nous des
juifs qui étaient refusés dans d'autres établissements. On a toujours joué ce
rôle-là, on a toujours été inclusifs, on a toujours souhaité être l'outil
d'intégration de toutes les communautés du Québec.
Mme de Santis :
Le point que je veux faire, c'est que la neutralité peut exister; l'apparence,
c'est autre chose. On pourrait dire que vous n'avez pas l'apparence de
neutralité parce qu'on peut porter des signes religieux. Mais le fait que tout le monde peut porter des signes
religieux, que ce soit un crucifix, ou une kippa, ou un voile, ça veut dire que
vous n'avez pas fait de choix, en tant
qu'université, de préférer une religion ou l'autre. Et donc cette neutralité
existe, même si, dans l'apparence, il y a l'apparence pas d'une
religion, mais des religions qui existent dans notre société.
M. Breton
(Guy) : Je vais même plus
loin. Pour nous, le fait qu'il y ait cette diversité, qu'il y ait des
bouddhistes, des sikhs, des juifs, des
musulmans, des chrétiens, des athées, qu'il y ait tout ça dans ce grand
melting-pot, je pense que c'est un
signe d'intégration, de tolérance. De faire face à cette diversité, là, c'est
de confirmer la neutralité encore plus que si on cache les choses. Nous,
on aime mieux fonctionner à visage découvert, et c'est vrai aussi pour les
signes religieux.
Mme de Santis :
Est-ce que vous croyez que, si l'État établit que, parmi ces
600 000 personnes qui seront déjà couvertes par l'application du projet de loi, que ces
600 personnes, y compris des fonctionnaires, médecins, etc., ne
peuvent pas porter des signes religieux dits
ostentatoires, que ça ne donne pas un message aux petites et moyennes
entreprises et d'autres personnes qui
doivent engager du personnel, ça ne leur donne pas une indication que peut-être
eux non plus ne devraient engager ces personnes-là? J'ai posé cette
question à quelques personnes que j'ai rencontrées cette semaine, et ils ont dit : Mais, si l'État dit qu'on ne
peut pas porter le voile, moi, je ne veux pas ces personnes-là chez moi, je
ne vais pas les engager. Quelle est votre opinion là-dessus?
• (11 h 30) •
M. Breton (Guy) : Je répète ce que
j'ai dit à Mme Weil : Nous n'avons pas pris position sur l'extérieur de l'université. Mais, M. le ministre l'a mentionné,
nous avons, comme université, un impact sur la société, donc c'est sûr
que ce qui se passe chez nous a un certain
impact à l'extérieur. Si ça fonctionne bien chez nous, les gens pourront
s'interroger : Est-ce que ça ne pourrait pas bien fonctionner chez nous?
Nous, notre
message aujourd'hui, c'est de nous
dire : Laissez-nous continuer à bien fonctionner, on a ce qu'il
faut puis on aide la société québécoise à avancer en étant un outil
d'intégration, de donner la chance à tout le monde à parts égales, à visage
découvert et à signes religieux présents, pas cachés.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, maintenant, je reconnais la députée de Hull pour
1 min 30 s environ.
Mme
Gaudreault : Bon. Merci
beaucoup, M. le Président. Alors, M. Breton, bienvenue. Moi, c'est vraiment
concrètement. Est-ce que vous avez une inquiétude par rapport, par
exemple — vous
êtes médecin — à
la pénurie de main-d'oeuvre dans le réseau
de la santé? Vous savez, nos médecins, nos infirmières, nos infirmières
auxiliaires, beaucoup de ces gens-là…
bien, pas beaucoup, quelques personnes portent un foulard dans la région de
l'Outaouais. Chez nous, il y a une
grave pénurie de main-d'oeuvre. Les gens sont inquiets de perdre ces gens-là au
profit de l'Ontario, qui est de l'autre côté du pont. Comment vous, vous voyez peut-être l'adoption de ce projet
de loi, là, par rapport au réseau de la santé?
M. Breton
(Guy) : Dans la
main-d'oeuvre à l'extérieur? Bien, écoutez, je vous l'ai déjà dit, on vous l'a
mentionné, nous, on pense que, si on
contraint trop, il y a des gens qui vont choisir de ne pas venir chez nous;
s'ils ne viennent pas chez nous, ils
ne seront pas diplômés; s'ils ne sont pas diplômés, ça va affecter certainement
certains secteurs. À quel point? Je ne veux pas être alarmiste, il n'y a
pas de crise, mais ça n'aide certainement pas en disant aux gens : Si vous
venez à l'Université de Montréal, vous ne
pourrez pas vous habiller comme vous voulez. Moi, je pense que ce n'est pas
m'aider dans mon rôle de créer la relève de demain. Je n'ai pas de chiffre, je
ne pense pas qu'il y ait une crise maintenant, mais ce genre de démarche là, c'est insidieux, ça
s'installe graduellement. Moi, je le répète, les dames à qui je donne un
diplôme et qui ont un foulard, je suis content, j'ai l'impression de les avoir
aidées puis, en même temps, d'avoir aidé la société québécoise. Je suis content
de ça puis je souhaiterais pouvoir le continuer.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, malheureusement, c'était tout le temps imparti au parti de l'opposition
officielle. Alors, maintenant, je reconnais la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour,
messieurs, merci, merci pour votre mémoire. J'aimerais vous dire, d'entrée de jeu, que notre parti, le deuxième
groupe d'opposition, souhaite interdire le port de signes religieux chez les enseignants du primaire et du
secondaire pour des raisons évidentes. Cependant, tout comme vous, on ne
veut pas interdire le port de signes religieux chez les profs d'université, et
là encore pour des raisons évidentes, puis l'université
étant l'image même de la pluralité, de la discussion, de la confrontation, et
on s'adresse ici à des adultes, en tout état de cause, qui choisissent
d'y aller.
Cependant,
j'aimerais vous entendre. À la page 7 de votre mémoire, vous nous dites :
«Nous nous sommes dotés de mécanismes internes pour gérer la diversité
religieuse dans le respect des chartes et des critères jurisprudentiels, mais
également dans le respect de la mission et de l'autonomie universitaire.»
Nous croyons
aussi à l'autonomie universitaire. J'aimerais que vous élaboriez un petit peu
sur ces mécanismes internes dont vous
vous êtes dotés. Sont-ils beaucoup utilisés? Y a-t-il eu beaucoup de demandes
d'accommodements? Parlez-m'en un petit peu.
M. Breton (Guy) : Avant de passer la
parole à mon collègue, c'est bien que vous souligniez que, nous, notre mémoire est circonscrit à l'université. Je n'émets
pas de commentaire ni sur les écoles primaires ni secondaires. Je ne
fais pas d'extrapolation ni de procès
d'intention. Donc, limitons-nous à l'objet de notre mémoire, et, là-dessus, mon
secrétaire général va vous faire les commentaires.
M. Chabot (Alexandre) : Bien
d'abord, on a une série de textes réglementaires qui viennent préciser… Par exemple, il y a une politique sur les droits des
étudiants, il y a une politique contre le harcèlement, il y a une
politique sur l'équité en emploi,
l'accessibilité. Donc, on a un certain nombre de textes qui ont été adoptés à
l'interne, qui permettent tant aux employés qu'aux étudiants de savoir
dans quel environnement ils évoluent et surtout quels sont leurs droits.
Et, par
ailleurs, il y a des mécaniques… des mécanismes qui ont été mis en place. Il y
a un bureau, par exemple, du
harcèlement, où les étudiants qui prétendent avoir été lésés ou victimes de
harcèlement — ou les
employés — peuvent se présenter. Il y a un bureau de
l'ombudsman également. Quelqu'un se sent lésé ou un étudiant, par exemple, qui
aurait l'impression que, parce qu'un prof
porte un signe religieux, il l'a mal évalué dans le cadre… Il y a des
mécanismes qui existent pour faire appel de la révision de notes. Et
donc l'étudiant pourrait demander, donc, pour s'assurer que tout est en place…
Et, je vous dirais, ces mécanismes-là sont en
place. Si l'ombudsman était ici, elle vous dirait : Ces dernières années… On parlait, au début de notre
présentation, de cas de harcèlement, puis on les gère très bien. Mais, pour
mettre les choses en perspective, ces
dernières années, on a eu beaucoup plus d'enjeux autour des accommodements
raisonnables touchant nos athlètes, les Carabins, qui demandaient des reports
d'examens pour aller à des compétitions, qu'on en a eus pour des reports touchant les fêtes religieuses. Donc, toutes
proportions gardées, là, si vous me demandiez : C'est quoi, votre
enjeu en termes d'accommodements sur le campus?, je vous dirais : J'ai
plus d'enjeux avec Sport-Excellence que j'en ai avec le… Mais c'est ainsi fait.
Mais les mécanismes sont là.
Mme Roy
(Montarville) : Donc, ma question est la suivante, et c'est
une continuité : Qu'est-ce que vous pensez des articles du projet
de loi n° 60 qui, eux, encadrent spécifiquement les accommodements
religieux? Vous en avez peu parlé.
M. Chabot
(Alexandre) : Bien, comme le
disait le recteur, on a déjà nos mécanismes d'encadrement. Et, là
où peut-être que le projet de loi va un peu trop loin, c'est dans la nécessité de
soumettre ces mécanismes-là à Québec. Et je pense que, dans le respect de l'autonomie universitaire, laissons le soin aux établissements universitaires de déterminer elles-mêmes quelles sont les
balises à l'interne qu'on doit établir dans le respect de la liberté
académique, et de la structure de nos programmes, et de la façon de les
enseigner et de dispenser ces enseignements-là. Et on est tout à fait aptes
d'établir quelles sont les modalités acceptables dans le cadre d'accommodements
raisonnables. Et, à ce que je sache, dans les dernières années, il n'y a eu
aucune dérive à l'Université de Montréal en ces matières.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, le temps est malheureusement écoulé pour la députée de Montarville. Je vais du côté du député de Blainville.
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. M. Breton, M. Chabot, merci d'être là. Je vous
écoutais, dans la nomenclature, là,
ou dans votre allocution vous faites… vous parlez du nombre d'étudiants, du
nombre de professeurs. Et, si j'ai bien compris, ce que vous avez dit, c'est que vous n'avez pas, en fait,
cherché à connaître le nombre de professeurs, par exemple, qui
pourraient porter des signes, justement pour ne pas faire d'intrusion, là. J'ai
bien compris ce que vous m'avez dit. Vous
avez beaucoup parlé d'étudiantes à qui vous remettez des diplômes, que ce soit…
ou encore d'étudiantes au niveau du CPE. On a fait allusion à des
étudiants en sciences infirmières.
Est-ce qu'on peut déjà s'entendre, là,
que le projet de loi ne touche pas les étudiants, là? C'est entendu qu'il
y a une partie de ces étudiants-là qui peuvent travailler. Est-ce que vous avez
une idée plus précise de combien d'étudiants pourraient
travailler? Parce que vous n'avez pas d'idée sur le nombre de professeurs.
C'est parce que, lors de votre exposé, vous
avez beaucoup donné… cité en exemples des étudiants et des étudiantes, alors
que le projet de loi ne touche pas les étudiants et les étudiantes. Vous
citez le fait, et j'en suis fort aise, là, qu'il n'y a pas de problème, que
tout va bien.
Je
vous poserais comme autre question, puis je vais laisser répondre à tout
ça : Est-ce que justement cette charte-là ne viendrait pas être comme perçue comme une mesure préventive? S'il n'y
a pas de problème, il ne devrait pas y en avoir beaucoup plus. Et quelle est, selon vous… quelle différence faites-vous
entre le droit du professeur de porter un signe religieux et le droit de
conscience de l'usager? Et, dans un cas où un usager, un étudiant pourrait vous
dire : Bien, écoutez, moi, je suis mal
à l'aise dans tel cours parce que tel professeur affiche, je veux dire,
n'importe quoi, même un col romain,
quelles seraient les mesures? Alors, c'est un peu… Il y a plusieurs questions
lorsque je vous entends, mais je pense que
vous avez l'essentiel, là. J'aimerais connaître votre position là-dessus. Parce
que vous avez beaucoup parlé d'étudiants, mais le projet de loi
s'adresse principalement aux professeurs.
M. Breton
(Guy) : …employés. Pas juste les professeurs….
M. Ratthé :
Oui, les employés.
M. Breton (Guy) : …les autres employés. Alors, je n'ai pas de nombre, là, par rapport aux
étudiants qui ont des fonctions, mais c'est certainement des centaines
et des centaines. Et ce n'est pas juste des étudiants qui portent des voiles,
là, c'est tout type d'étudiants.
En
ce qui concerne votre exemple précis d'un étudiant qui serait mal à l'aise dans
une classe avec un professeur qui
aurait un col romain, bien les mécanismes dont on a parlé font justement de la
place à ce qu'on cherche des façons de faire.
On ne dira pas au professeur qui a un col romain : Enlève ton col romain.
On va plutôt essayer de relocaliser l'étudiant.
M.
Ratthé : Donc, vous seriez prêts à relocaliser tous les
étudiants qui pourraient avoir une problématique de liberté de conscience, peu importe pourquoi — moi, je ne suis pas là pour juger s'ils
sont… — qui se
sentent mal à l'aise devant un professeur qui afficherait un signe
religieux quelconque, là, peu importe. Parce que le projet de loi ne vise pas
nécessairement et uniquement le voile, là, on s'entend que ce projet de loi
vise toutes les religions, là.
M. Breton (Guy) : Tout à fait. Tout à fait. Alors, je serais tout à fait à l'aise,
d'autant qu'il n'y en a pas. Ça n'arrive pas, ça, des étudiants qui nous
disent qu'ils sont mal à l'aise. Pour le moment.
M. Ratthé :
…ça arrive? Est-ce que, selon vous, il faut attendre que ça arrive? Est-ce
qu'il faut attendre qu'il y ait un problème?
Tu sais, ce que j'entends ce matin, c'est qu'il n'y a pas de problème : Je
ne verrais pas pourquoi on mettrait une loi qui vient peut-être prévenir
d'éventuels problèmes. Je veux juste bien comprendre, là.
M. Breton
(Guy) : Justement, quel est le problème que vous voulez prévenir par
la loi?
M.
Ratthé : Bien, en fait, l'un des problèmes, en fait, qu'on peut
sembler vouloir prévenir, puis ça ne veut pas dire que tous les usagers sont prêts à l'exprimer,
c'est justement la liberté de conscience des usagers. Est-ce que tous les
étudiants qui ont un malaise… Et je ne suis
pas plus en mesure que vous de… parce que vous n'avez pas plus de chiffres que
moi, d'évaluer combien en ont. Est-ce que
tous les étudiants qui pourraient avoir un malaise, on doit en faire fi et
l'ignorer, dire : Bien, il n'y a pas de
problème parce que personne ne se plaint? Est-ce qu'on pourrait présumer que
l'étudiant qui ne va pas se plaindre,
c'est parce qu'il n'est pas à l'aise de le faire non plus? Alors, est-ce que la
loi ne pourrait pas être une prévention à tout, à toutes ces
problématiques-là, d'un côté comme de l'autre, là?
• (11 h 40) •
M. Breton (Guy) : Écoutez, je pense que les étudiants ne sont pas là. Je l'ai mentionné
tout à l'heure, là. Les repas casher puis halal, puis tout ça, ils ne
sont pas là, les étudiants.
Le
Président (M. Ferland) : ...malheureusement, le temps est écoulé pour le député de Blainville.
Je vais du côté de la députée de Gouin.
Mme
David : Oui, merci, M. le Président. M. Breton, M. Chabot, bonjour. D'abord,
moi, je tiens à préciser que, pour Québec solidaire, il est normal qu'un État se
préoccupe de laïcité. Il est normal qu'un État — et il y a des points qui font
largement consensus dans la charte proposée — se préoccupe, par exemple, de
grandes règles, qui ne règlent pas le cas
par cas, on s'entend là-dessus, mais de grandes règles qui balisent les
demandes d'accommodements religieux. Donc, vous comprendrez que je n'ai pas la même perception que vous de cette
charte qui vous paraît un peu, entre guillemets — on va
le dire comme ça — dictatoriale.
Pour moi, malgré tous les désaccords que je peux avoir, c'est un projet
qui a sa légitimité.
Mais
je continue sur la foulée du collègue, toute cette question des droits des
usagers, dans ce cas-ci des droits des
étudiantes et étudiants. On est venus nous dire, par exemple, qu'un étudiant
dans une classe où un professeur porterait une kippa se sentirait mal à l'aise de l'interroger sur les politiques
d'Israël. Je parle évidemment probablement d'un étudiant en sciences
politiques. Parce que je ne pense pas que l'étudiant en biochimie voudra poser
ce genre de question à son professeur. Moi, je voudrais savoir si, dans votre
esprit…
Vous connaissez vos étudiants, ils
vont ont déjà fait un certain printemps quelque peu agité. Est-ce que
vraiment les étudiants sont mal à l'aise
devant des professeurs qui portent des signes religieux ou qui, d'une manière
ou d'une autre, malgré tout, là,
affichent… ou, en tout cas, les étudiants connaissent un peu leur école de
pensée? C'est bien difficile de concevoir qu'ils ne la connaissent pas,
particulièrement en sciences sociales.
M. Breton (Guy) : Bien, écoutez, les associations étudiantes ou les fédérations
étudiantes n'ont pas voulu, chez nous,
prendre position monolithique parce que, comme l'ensemble de la communauté de
l'université, il y a des gens qui sont pour, il y a des gens qui sont
contre. Donc, je pense que ça, c'est un fait. Ça représente la diversité
québécoise, puis je respecte ça.
Il
y a une chose que je sais, c'est que les étudiants sont très capables
d'exprimer leurs choses, ils sont capables de faire face à ça. Et je
pense qu'il y a une curiosité, il y a une finesse, chez nos jeunes, de voir
l'autre différemment. Et, à votre question
spécifique : Est-ce que vous pensez que ça peut intimider les étudiants?,
pas en 2014, Mme David, je ne le
pense pas, pas à l'Université de Montréal. Il y a peut-être des endroits, mais,
chez nous, là — je suis
obligé de répondre pour moi, là, c'est ça, le mandat que j'ai, là — je ne
pense pas que ça soit un problème, que des étudiants se sentent intimidés parce
qu'un professeur porte une kippa, je ne pense pas.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, il reste 15 secondes, le temps d'un
petit commentaire très court.
Mme David :
Le ministre parlait tout à l'heure de professeurs comme de personnes en
situation d'autorité. Est-ce que c'est votre perception?
oM.
Breton (Guy) : Oui, mais ce n'est pas une autorité contraignante. Ce
n'est pas une autorité contraignante, comme un policier ou un juge.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, malheureusement, le temps est écoulé. Alors,
je dois suspendre quelques instants.
Alors, je vous
remercie beaucoup pour le temps que vous avez pris pour préparer le mémoire et
de venir nous le présenter.
Alors, on va suspendre pour permettre aux
prochains intervenants, au prochain groupe, représentant la Confédération
des organismes de personnes handicapées du Québec, à prendre place. Alors, on
suspend quelques instants.
(Suspension de la séance à
11 h 44)
(Reprise à 11 h 48)
La Présidente (Mme
Beaudoin) : La commission reprend ses travaux. Alors, je souhaite la
bienvenue à la Confédération des organismes
de personnes handicapées du Québec. Pour les fins de l'enregistrement, je vous
demanderais de vous identifier, s'il vous plaît.
Confédération des organismes de personnes
handicapées du Québec (COPHAN)
M. Lavigne
(Richard) : Bonjour, Mme la Présidente, messieurs dames de la commission.
Alors, je me présente, je suis Richard
Lavigne, je suis le directeur général de la Confédération des organismes de
personnes handicapées du Québec.
À ma droite, je vous présente notre présidente de la COPHAN, donc, Mme
Véronique Vézina. Et, à ma gauche, je
vous présente M. Olivier Collomb D'Eyrames, qui est directeur d'une organisation qui est membre de la COPHAN, chez nous.
La
Présidente (Mme Beaudoin) :
Vous avez une période de 10 minutes pour la présentation de votre
mémoire. À vous la parole.
M. Lavigne (Richard) : Merci, Mme
la Présidente. Je commencerai par
céder la parole à notre présidente puis après ça je pourrai poursuivre.
La Présidente (Mme
Beaudoin) : Mme la présidente.
Mme Vézina (Véronique) : Merci, Mme
la Présidente. Merci aux autres
membres de la commission. D'abord, j'aimerais vous demander un
accommodement qu'on a mis en place avec la Commission de la santé et des
services sociaux lors des dernières fois où on s'est présentés.
Comme on est deux personnes à avoir un problème de vision, on aimerait
que les autres membres de la commission puissent se présenter, si c'est
possible.
La Présidente (Mme
Beaudoin) : Vous voulez que tous les gens de la commission se
présentent. C'est ça?
Mme Vézina (Véronique) : Oui, s'il
vous plaît, parce qu'on ne peut pas voir, on ne peut pas les reconnaître.
La
Présidente (Mme Beaudoin) : Est-ce qu'il y a consentement? M. le ministre.
M. Drainville :
Alors, Bernard Drainville, je suis le ministre responsable du projet de loi.
M.
Cardin :
Serge Cardin, député de Sherbrooke.
M. Tanguay :
Marc Tanguay, député de LaFontaine, pour l'opposition officielle.
Mme Weil :
Kathleen Weil, députée de Notre-Dame-de-Grâce.
• (11 h 50) •
Mme de Santis :
Rita de Santis, députée de Bourassa-Sauvé.
Mme
Gaudreault :
Maryse Gaudreault, députée de Hull.
Mme Roy
(Montarville) :
Nathalie Roy, députée de Montarville, pour le deuxième groupe d'opposition.
M. Ratthé :
Daniel Ratthé, député de Blainville, député indépendant.
Mme David :
Françoise David, députée de Gouin.
La
Présidente (Mme Beaudoin) :
Et moi-même, comme présidente, Denise Beaudoin, députée de
Mirabel. Je remplace le président actuellement.
Mme Vézina (Véronique) : Bien, d'abord, j'aimerais prendre quelques
minutes pour vous présenter la COPHAN et
les raisons qui motivent le dépôt de notre mémoire à cette commission. La COPHAN est un regroupement d'action communautaire
autonome de défense collective des droits qui a pour mission de rendre le Québec
inclusif afin d'assurer la pleine
participation sociale des personnes ayant des limitations fonctionnelles et
leurs familles. On regroupe 54 organismes et regroupements nationaux et
régionaux et représentant toutes les limitations fonctionnelles.
La
façon dont on travaille à la COPHAN, on s'appuie sur l'expérience et les
compétences des personnes qui ont des limitations
et de leurs proches pour faire nos représentations. La question d'une pleine
participation sociale est au coeur de notre
action. Elle est également reconnue par l'ensemble des encadrements législatifs
du Québec et notamment par la Loi assurant
l'exercice des droits des personnes handicapées en vue de leur intégration
scolaire, professionnelle et sociale. Cette
loi impose à tout ministère ou organisme public de s'assurer de favoriser
l'intégration des personnes handicapées à la société, au même titre que tous les citoyens et citoyennes, en prévoyant
diverses mesures visant les personnes handicapées et leurs familles.
Rappelons également que toute initiative gouvernementale doit s'accorder avec
la politique À part entière pour un
véritable exercice du droit à l'égalité et ainsi favoriser l'inclusion et
accroître la participation sociale des personnes ayant des limitations
fonctionnelles.
J'insiste
sur le fait que la participation sociale pleine et entière des personnes qui
ont des limitations fonctionnelles ne
peut se réaliser sans égalité réelle, et il est possible que, pour atteindre
cette égalité de droit, on doive accommoder une personne afin qu'elle
soit en mesure d'exercer ses droits fondamentaux. Cela signifie qu'il ne s'agit
pas seulement de dire que tous les individus ont les mêmes droits, on doit
aussi garantir l'exercice de ces droits que ce soit par des accommodements ou autrement. D'ailleurs, nous tenons à vous
rappeler que les accommodements raisonnables ont d'abord été définis pour les
personnes ayant des limitations fonctionnelles.
Si
aujourd'hui nous vous présentons ce mémoire, c'est parce que nous avons
identifié des éléments du projet de loi qui risquent de porter atteinte à l'exercice des droits des personnes
ayant des limitations fonctionnelles. Nous croyons aussi que
l'introduction de cette nouvelle charte affaiblira la charte québécoise des
droits et libertés de la personne. Je vais laisser mon collègue Richard vous
présenter qu'est-ce qui nous a amenés à motiver notre réflexion... qu'est-ce
qui a motivé notre réflexion.
La Présidente (Mme
Beaudoin) : M. Lavigne, à vous la parole.
M. Lavigne (Richard) : Merci, Mme la Présidente. Écoutez, nous, si on
est ici aujourd'hui, c'est vraiment sur la perspective... Il y a deux
éléments qu'on veut porter à votre attention plus particulièrement. Le premier
élément, qui va être rapide parce qu'on
n'est pas les seuls qui vous en ont parlé, c'est les effets que créeraient
l'article 10 et l'article 37 du projet de loi.
Simplement
vous dire que le réseau de la COPHAN et ses membres… et les membres, ses
membres, ce sont des organismes communautaires autonomes qui
interviennent afin de favoriser l'amélioration des conditions de vie des personnes qui ont une limitation fonctionnelle et
de leur famille. Parmi ces groupes, de plus en plus, pour toutes sortes
de raisons... doivent accepter de devenir
des sous-traitants de l'État, notamment pour pouvoir survivre. Pour pouvoir
survivre, les organismes communautaires sont
amenés de diverses façons à prendre des ententes de service avec le secteur
public. Et, si on comprend bien... Parce
qu'on n'est pas des avocats, hein? Ça, on vous le dit tout de suite, là. Si on
comprend bien ces articles 10 et 37,
il pourrait être question que, lorsque je ne sais pas qui va décider que les
circonstances le justifient, ces organismes-là soient tenus d'appliquer
un ou l'autre des éléments de cette charte.
Dans la nature même de la mission des organismes
communautaires, par le membership et par les services offerts par ces types
d'organismes là, nous craignons et nous anticipons de graves problèmes au
niveau de la capacité des
organismes communautaires de bien desservir leurs membres, souvent qui, dans
certains cas, sont des individus qui portent
des signes religieux. On comprend mal qu'on veuille éventuellement, par ce
biais-là, se trouver à empiéter sur l'autonomie
et sur la mission même de certains organismes communautaires. Alors, nous, on
se questionne effectivement sur le bien-fondé de ce genre de
dispositions là.
L'autre
élément qui nous préoccupe grandement, c'est toute la question des
accommodements. On comprend que le projet
de loi — en tout
cas, c'est ce qui nous… c'est ce dont on entend parler le plus — veut aborder les questions de signes
religieux. Cependant, notre compréhension de l'article… je dirais plus 42 du
projet de loi, 41, 42, nous questionne sur la portée réelle de ces dispositions
notamment qui viennent ajouter des articles à la charte québécoise des droits
et libertés de la personne.
Une petite parenthèse avant de continuer. Dans
le préambule du projet de loi, on parle qu'on veut parler ici notamment
d'accommodements religieux. Le mot «notamment», pour nous, ouvre la porte à
d'autres types d'accompagnements. Des accommodements
en raison de limitations fonctionnelles, c'est quelque chose sur lequel
on se bat tous les jours pour essayer de
convaincre les partenaires que ces accommodements-là sont justifiés pour
favoriser ou assurer l'exercice du
droit à l'égalité de tous et de toutes, que ce soit aux études, au travail,
dans le transport, dans le loisir, etc.
L'interprétation
qui pourrait être donnée au contenu de l'article 42, notamment sur certains…
le caractère… on parle… Je n'ai pas
le texte malheureusement, là. On parle que ces accommodements-là ne doivent pas
causer de contraintes excessives,
c'est-à-dire eu égard, entre autres, au respect des droits des autres — le respect des droits des autres,
quels autres, quels droits? — à la santé et à la sécurité, à certains
effets sur le bon fonctionnement de l'organisation ainsi qu'aux coûts
qui s'y rattachent. La jurisprudence a effectivement ramené ces éléments-là,
mais s'est aussi garantie de les baliser.
Lorsqu'on parle d'altérer le fonctionnement, on
doit s'assurer que ce… on doit prouver qu'on altère de façon importante le
fonctionnement, pas juste un peu. Parce que moi, personnellement, quand je
demande un document en braille à un
ministère, je sais que je dérange le fonctionnement un petit brin. D'ailleurs,
on me le fait savoir, O.K., que je dérange,
que c'est compliqué. Alors, est-ce que… Lorsqu'on va interpréter ça, comment ça
va être interprété en lien avec cette dimension-là?
Les coûts
impliqués. Ce qui est excessif pour un ne l'est pas pour l'autre. Je pourrais
vous dire, en exemple, qu'on a refusé
des accommodements… on a refusé l'intégration scolaire de jeunes filles et
jeunes garçons qui ont des limitations fonctionnelles à l'école
régulière. On a préféré mettre des centaines, voire des millions de dollars
dans les tribunaux pour bloquer l'inclusion scolaire. Est-ce que les budgets
auraient été mieux utilisés si on avait donné les services aux personnes? Je
pense que de poser la question, c'est d'y répondre.
On considère
que l'article 10 prévoit qu'on ne peut pas discriminer sur la base d'un
handicap et sur le moyen de pallier
ce handicap. Un des moyens de pallier ce handicap, c'est de procéder à des
mesures d'accommodement. Comment va-t-on interpréter ce bout-là par
rapport à ce qui est proposé dans l'article 42? Nous, ça nous interpelle
énormément, d'autant plus que, malgré, malgré la charte, malgré la politique À
part entière, malgré les lois, règlements qui sont en vigueur au Québec, les statistiques démontrent qu'en 2014 les personnes
qui ont des limitations fonctionnelles n'ont pas, et loin de là, encore
réussi à obtenir ce fameux statut de citoyens égaux.
Alors, nous, on considère non seulement qu'il
faut continuer de développer les accommodements dans un objectif d'atteinte de l'exercice du droit à l'égalité, là… On ne parle
pas d'accommodements pour le fun, là, dans une perspective de droit à l'égalité. Bon. Nous, au contraire, on souhaite
que ces mesures d'accommodement là se développent davantage pour que
tous et toutes puissent participer.
Avant de terminer, simplement vous expliquer
que, lorsqu'on parle d'une personne que vous appelez souvent «personne handicapée», il faut référer à deux
éléments pour savoir le niveau de la limitation fonctionnelle. D'une
part, il y a des caractéristiques qui relèvent de la personne, hein, si c'est
sa capacité fonctionnelle, par exemple, et, d'autre part, le niveau d'accès ou d'adaptation des
environnements physiques, politiques, législatifs, réglementaires, sociaux,
etc. Et c'est lorsqu'il y a une
distorsion entre l'incapacité et les accommodements ou l'accessibilité que les
situations de handicap…
La Présidente (Mme Beaudoin) : M.
Lavigne, je vous inviterais à conclure.
• (12 heures) •
M. Lavigne
(Richard) : Oui, je
concluais en disant ça, que c'est là que les situations de handicap se produisent. Et l'accommodement,
c'est un moyen qu'on veut qu'il se développe. Merci.
La
Présidente (Mme Beaudoin) : Malheureusement, le temps est écoulé. Merci pour la présentation de votre mémoire.
M. le ministre, à vous la parole.
M.
Drainville : Merci
beaucoup, Mme la Présidente. Bonjour, M. Lavigne, bonjour, Mme Vézina et Mme Pelletier,
merci pour votre présentation.
Une voix : …
M. Drainville : Ah! excusez-moi...
Une voix : …
M. Drainville : Oui, c'est
mon erreur. Je devrais toujours me méfier des documents écrits. Il faut toujours
contrevérifier.
Je veux d'abord vous rassurer, là, sur
la portée du projet de loi. Je tiens à vous dire et à vous redire que le
projet de loi n'aura pas d'effets défavorables sur les demandes d'accommodement qui
sont fondées sur le handicap. Je dois vous dire qu'au moment de la préparation puis au moment de la rédaction de ce projet de loi là on a été très, très,
très sensibles à la situation des
personnes handicapées. Et je pense que c'est important que vous, d'abord,
preniez acte du fait, là, que, dans les
critères qui vont régir dorénavant les demandes d'accommodement, vous aurez
compris que nous, tout ce que nous faisons,
c'est de codifier les critères de contraintes excessives qui existent déjà,
hein? Ça, c'est la première chose. Donc, les critères de contraintes excessives qui ont déjà été exposés dans
plusieurs jugements de la Cour suprême, c'est-à-dire : le respect des droits d'autrui, la santé et la
sécurité des personnes, le bon fonctionnement de l'organisme. La question
des coûts également a été tenue en compte
par la Cour suprême dans plusieurs jugements. Et donc nous, ce que nous
faisons, c'est que nous prenons ces critères de contraintes excessives
et nous les insérons dans la loi, donc, dans le projet de loi n° 60.
Pour
ce qui est de l'amendement que nous faisons à la Charte des droits et libertés,
moi, je pense que c'est une bonne nouvelle
qu'on ait finalement dans la Charte des droits et libertés une définition de ce
qu'est un accommodement. Moi, je
pense que c'est un plus. Ça va vous donner une protection supplémentaire. Je
vous rappelle, là, le libellé, donc, de l'article 42 : «Un accommodement
résultant de l'application de l'article 10 constitue l'aménagement d'une norme
ou d'une pratique d'application générale qui
est fait en vue d'accorder un traitement différent à une personne qui,
autrement, subirait des effets discriminatoires en raison de l'application de
cette norme ou de cette pratique.» Donc, pour la première fois, on décrit très
explicitement la notion d'accommodement. Et moi, je pense que ça donne une
protection supplémentaire aux demandes d'accommodement qu'une personne handicapée
pourrait faire à l'avenir.
Par ailleurs, c'est
vrai que, dans l'amendement que nous faisons à la charte des droits, on parle
de la notion d'accommodement de façon
générale parce que justement on veut refléter la jurisprudence qui existe en
cette matière, mais, si vous regardez de façon générale le projet de
loi, c'est très, très clair qu'on fait référence, et on fait référence très explicitement,
à de multiples endroits, à la question des accommodements religieux. La mention
d'accommodement religieux, elle est présente à travers le projet de loi.
Donc, dans le fond,
le message que je veux vous communiquer, c'est… Moi, je veux vous rassurer
qu'on a vraiment pris en considération la situation des personnes handicapées
et on s'est vraiment assurés que cette charte-là n'affecte en rien vos droits
et votre capacité d'obtenir des accommodements en fonction, bien entendu, des
règles qui s'appliquent et... C'est vraiment
l'accommodement religieux déraisonnable qui est visé par les règles claires que
nous mettons en place à travers le projet de loi n° 60. Ça, je pense que
c'est important que vous... c'est important de vous rassurer là-dessus, encore
une fois.
M. Lavigne
(Richard) : Est-ce que je peux réagir, Mme la présidente?
M. Drainville :
Bien sûr, bien sûr, allez-y!
La Présidente (Mme
Beaudoin) : Oui.
M. Lavigne (Richard) : Bien sûr, M. le ministre. De toute façon, ce
n'est pas la première fois que vous me le dites. Moi, je voulais juste que vous le disiez en public. Vous avez... Non,
mais, c'est parce que M. le ministre a eu la délicatesse de nous
rencontrer dans une autre tribune pour nous parler de ça, et les membres de la
COPHAN ont pris acte de ça.
La
seule chose que… Il y a deux choses que j'aimerais dire à ce moment-ci. C'est que pourquoi, dans le préambule, on parle d'accommodement religieux notamment? C'est le mot «notamment».
Là, on dit : Oh! Il y a un «notamment», ça veut dire qu'il y a quelqu'un qui a… Je sais que le gouvernement et que l'Assemblée nationale vont se pencher sur l'aspect religieux.
Ça, je comprends, on entend ça à tous les jours. Mais, après que ça va être adopté,
cette loi-là, il y a des gens qui vont s'en servir. Et, à partir du moment où
une loi ouvre la porte à d'autres, les gens vont y aller.
Et, quand je vous
disais tantôt qu'effectivement la Cour suprême a balisé le bon fonctionnement,
le oui, mais il y a des critères plus que le bon fonctionnement, il
faut que ça ait une incidence importante sur le fonctionnement, pas
juste le bon fonctionnement parce que…
Il y a des mots comme ça, le «bon fonctionnement». Ça, c'est des jugements,
ça. Et on a de la misère à avoir nos
accommodements actuellement. Et nous on craint qu'avec ça le moyen de palier
le handicap qui empêche la
discrimination disparaisse au profit du bon fonctionnement, par exemple, de l'article 42, bien, qui va devenir l'article vingt
point quelque chose de la charte.
Alors, nous, on veut
bien vous croire et on vous croit, c'est juste que notre petite expérience nous
fait dire qu'il y en a d'autres qui vont probablement vouloir
dire : Le gouvernement a marqué le mot «notamment religieux»,
c'est vrai que tout le long c'est religieux pas mal, mais l'article 42 ouvre la
porte aux autres motifs pour venir diminuer. Alors,
je ne sais pas, moi, je ne suis pas avocat ni légiste, là, mais on trouverait peut-être
utile que quelqu'un se repenche là-dessus pour s'assurer qu'on
ne vienne pas défaire ce qu'on veut faire avec le projet de loi. Je ne sais pas
si Mme la présidente ou Olivier veulent compléter, là, mais…
Une voix :
Non.
M. Lavigne
(Richard) : Non? Ça va?
La Présidente (Mme
Beaudoin) : Non, ça va? M. le ministre.
M. Drainville :
Si je peux juste répondre à ça. Vous savez, la raison pour laquelle on utilise
le «notamment», M Lavigne, dans le préambule du projet de loi, c'est que le
libellé s'applique à la fois aux diverses dispositions qui concernent les demandes d'accommodement religieux,
mais également à la modification que nous apportons à la Charte des droits et libertés. Et vous comprendrez qu'à
partir du moment où on modifie la Charte
des droits et libertés et qu'on
précise la définition de ce qu'est un
accommodement on ne peut pas, à ce
moment-là, préciser la définition de
l'accommodement seulement pour les accommodements religieux.
La notion d'accommodement, c'est une notion
juridique qui a été définie au fil du temps par toutes sortes de jugements,
mais elle ne s'applique pas… l'accommodement ne s'applique pas qu'aux personnes
handicapées, il s'est appliqué également
à des demandes de nature religieuse. Donc, c'est pour ça qu'on dit «notamment
en matière religieuse», parce qu'on ne peut pas faire abstraction du reste, donc des
demandes d'accommodement qui ont été faites pour des fins non religieuses. Et, comme vous l'avez si bien dit, au
point de départ, la notion d'accommodement, elle s'est appliquée pour
des personnes handicapées, alors… Mais le reste, tout le reste du projet de loi
est très explicite et…
M. Lavigne
(Richard) : C'est pour ça
qu'on a été surpris, M. le
ministre — je m'excuse de vous couper — c'est pour ça qu'on a été surpris quand on a vu l'article
42. On a dit : Hein… Là, on a un
petit peu… On se pose des questions.
Puis, comme je vous dis, on n'est pas des
légistes. Nous, on est des personnes qui militent, qui militent depuis toujours
pour que justement on développe le
principe d'accommodement. Raisonnable, bien
sûr, là, on s'entend tous. C'est
juste que ce qui est raisonnable pour
moi, ne l'est peut-être pas pour vous, puis peut-être
pas pour madame ou… C'est pour ça que nous, on dit : Avec la charte et avec la jurisprudence, on se dirigeait
sur des balises qui avaient un sens plus significatif. Et peut-être
qu'on se trompe. J'espère qu'on se trompe. Mais on voulait venir quand même
vous soumettre ça pour voir s'il n'y avait pas moyen, avec vos légistes — je
ne sais pas comment le dire, là — de
s'assurer que… dans le fond, de s'assurer qu'on s'énerve pour rien, finalement.
• (12 h 10) •
M.
Drainville : Bien, en
tout cas, je veux juste vous
dire : Vous faites bien de me le demander. Vous faites bien de me
le demander. Puis vous avez raison de le demander. Puis vous avez raison de
venir chercher la clarification parce qu'effectivement,
dans l'interprétation qui sera faite éventuellement de la loi, si jamais elle
est adoptée, les personnes qui prendront
ces décisions-là pourront s'appuyer notamment sur l'échange que nous avons
présentement. Et je le dis et le redis
très clairement, le projet de loi ne vise en aucune façon à limiter les droits
des personnes handicapées, notamment leur droit d'obtenir un
accommodement en vertu, encore une fois, d'un certain nombre de critères qui
sont déjà énoncés et qu'on reprend dans la loi.
Alors, je ne
sais pas jusqu'à quel point je peux vraiment en ajouter ou
préciser encore davantage mon propos, mais l'article 42, encore une fois, il reprend la notion d'accommodement, il la définit, ce qui est, à mon avis,
une excellente nouvelle pour les personnes handicapées, pour tout le Québec,
je dirais, pour tous les citoyens québécois. Je pense qu'il y a une forme… il y a
une valeur pédagogique très intéressante et très importante à définir dans la Charte des droits et
libertés ce qu'est une demande d'accommodement et de préciser qu'un
accommodement vise justement à mettre fin à
une situation discriminatoire. Ça, je pense,
c'est une bonne nouvelle. Ça, s'il y
a un bout, là, qui est… Vous
devriez vous en réjouir et être très heureux de ça, je pense, moi.
Puis, pour ce
qui est du reste, il y a toute la notion de contrainte excessive dont on a
parlé tout à l'heure. C'est vrai qu'on rajoute la notion de
l'égalité hommes-femmes et la notion de laïcité quand la demande d'accommodement
est faite à un organisme public, mais ce
n'est en rien menaçant, ça, pour une personne handicapée, que l'on ajoute dans
les critères de demande d'accommodement,
dans les critères de traitement des accommodements le critère d'égalité
hommes-femmes. Ce n'est pas… Ça ne peut pas nuire, ça, aux personnes qui sont
atteintes d'un handicap, le fait de dire : Si l'accommodement qui est demandé compromet l'égalité hommes-femmes, il ne
doit pas être accordé. Je ne vois pas en quoi une demande d'accommodement qui serait faite par une personne handicapée
pourrait remettre en question le principe de l'égalité hommes-femmes.
C'est clair, dans ce cas-ci, que c'est…
On parle bien
sûr d'accommodement de nature religieuse. Et par ailleurs, je vous dirais, même
logique dans le cas de la laïcité. Je
ne vois pas en quoi la demande qui serait faite par une personne handicapée
d'obtenir un accommodement pourrait remettre en cause le principe de la
laïcité de l'État ou de la neutralité religieuse. C'est pour ça que je vous dis que les critères que l'on rajoute, égalité
hommes-femmes et neutralité, laïcité, ne peuvent d'aucune façon diminuer
votre possibilité d'obtenir un accommodement. La première partie définit ce
qu'est un accommodement en disant très clairement :
La personne qui le demande doit être victime d'une discrimination. Je pense que
c'est une bonne nouvelle de clarifier
ça. Et par ailleurs, et c'est la dernière partie de l'article 42, quand on
reprend les critères de contrainte excessive, on reprend ce qui existe
déjà.
Alors, je ne
sais pas comment vous le dire autrement, mais je vous dis : Dans le fond,
ne vous inquiétez pas. Vous avez le
droit, et c'est très bien que vous posiez des questions, que vous obteniez ces
clarifications, mais je vous assure que vos droits sont très, très bien
protégés par le projet de loi n° 60.
M. Lavigne (Richard) : Mme la
Présidente, juste un commentaire. M. le ministre a raison, là, je ne l'ai pas par coeur, l'article, mais le début de l'article
effectivement définit bien la chose. Ce qui nous pose problème, nous,
c'est l'autre petit bout qui est en lien avec ce qu'on vit tous les jours. Ce
qu'on vit tous les jours, c'est que ça n'en prend pas beaucoup pour se faire dire qu'on dérange, hein? Et simplement vous
dire que la preuve en est que, si on regarde la Commission des droits de
la personne, le nombre de plaintes, on voit beaucoup et de façon très
importante — je
ne sais pas si c'est 33 % ou 35 %,
ça dépend des années, là — que ce sont des plaintes en vertu de situations de
handicap, ou du handicap, ou…
Alors, je
crois qu'on a la preuve qu'il y a des choses qui doivent cheminer. Et nous, on
veut juste s'assurer que cette disposition-là ne viendra pas nous faire
reculer. Et nous faisons confiance. Ce n'est pas cette étape-ci de la chose qui
nous dérange, c'est
ceux et celles qui vont vivre avec, les individus, les organisations. Et, quand
je vous dis que, quand je demande un
livre en braille, que je me le fais dire, que je dérange puis qu'on me rend un
grand service, je vous avoue qu'il y a de quoi faire peur pour la suite
des choses. Et les statistiques, je pense que… ceux qui ne le savent pas, je vais vous le dire, je pense qu'on n'est pas encore
bien, bien en situation d'égalité en emploi, en revenus, en éducation,
etc. Je pense que vous êtes tous au courant qu'on a encore un bon bout de
chemin à faire. Puis on compte sur tous ceux… tous les parlementaires et tout
l'appareil public pour continuer à nous soutenir dans notre quête d'égalité.
M. Drainville : …on est très
sensibles à ça, M. Lavigne, on est très sensibles à ça. Et je pense que tous
les parlementaires, peu importe le parti,
sont très sensibles au fait qu'on a encore du travail à faire puis on a encore
du chemin à faire pour donner une
égalité réelle à nos concitoyens qui sont atteints d'un handicap. Et je pense
qu'il y aura toujours matière à progrès, il y aura toujours matière à
amélioration sur ce plan-là. Et je tiens à… Puis je suis certain que mes
collègues des autres formations politiques partagent mon point de vue là-dessus.
Sur la question du coût, je vois que ça vous
agace, vous y faites référence dans votre mémoire. Vous dites notamment, je cite, là : «La COPHAN réaffirme
que les accommodements raisonnables doivent être limités par la
contrainte excessive et non par le bon
fonctionnement de l'organisation et par les coûts». J'entends ce que vous
dites, mais vous le savez comme moi
parce que vous êtes une personne avertie, que la question de l'organisation et
des coûts, elle est déjà prise en
compte dans la jurisprudence. Alors, peut-être que vous avez trouvé que, dans
certains cas, l'argument des coûts est allé trop loin pour refuser des demandes, mais ce que je veux vous dire,
c'est que, quand on fait référence à la question des coûts dans la
définition générale de la contrainte excessive, cette question-là, elle est
déjà prise en compte dans un certain nombre
de jugements qui ont fait jurisprudence. Donc, encore une fois, on ne dit pas
quelque chose qui n'existe pas déjà. Dans
ce qui est… Pour ce qui est de la contrainte excessive, on se contente tout
simplement de prendre les critères actuels et de les codifier dans une
loi, dans le projet de loi n° 60.
M. Lavigne (Richard) : Je pense que
M. Collomb D'Eyrames voulait réagir ou je ne le sais pas…
M. Collomb D'Eyrames (Olivier) : Merci. Je pense qu'il y a…
Olivier Collomb D'Eyrames. La sensibilité au terme «coûts», comme disait
Richard, c'est quand on voit l'énergie mise pour ne pas accommoder et les coûts
que ça engendre comparativement à. Je pense
que ça va dans ce
sens-là. Ça fait plus de 35 ans que
la loi dit qu'on doit rendre accessibles
les bâtiments construits avant 1976 et qu'il
y a des obligations
et que ce n'est pas fait à chaque fois pour des raisons de désorganisation de l'État, des coûts pour le privé, le public, de l'impact
sur l'économie. Donc, je
pense que ça va dans ce sens-là.
Et, nous, je pense, ce n'est pas le terme
«crainte», l'idée, c'est de… est-ce que ça va nous permettre d'aller un peu plus loin? Puis ce n'est pas forcément pour
que les gens puissent plus déposer plainte pour discrimination, le but,
ça serait qu'ils n'aient plus besoin de le
faire. Je pense que là-dessus, on s'entend tous, là. Donc, nous, c'est dans ce sens-là que les interventions sont
faites, c'est : Est-ce que vous, vous pensez que ça va nous donner des
nouveaux leviers? Et ce que j'entends de
votre présentation, effectivement, c'est ça, vous pensez que ça va nous
permettre d'avoir des nouveaux leviers pour faire avancer plus de
manière collective l'égalité et les droits. C'est ça que j'entends.
M.
Drainville : Bien, ce
que je vous dis, c'est que je suis absolument convaincu que ça n'enlève rien
aux droits que vous avez déjà et je
pense sincèrement que la définition que nous donnons à la notion
d'accommodement va effectivement vous
aider parce qu'elle établit clairement le lien entre la demande d'accommodement
et la discrimination. Or, quand vous vous
présentez dans un organisme, quand vous demandez à une institution de vous
donner un accommodement, de façon générale, corrigez-moi si je me
trompe, mais c'est parce que vous êtes victime d'une discrimination, n'est-ce
pas?
M. Lavigne (Richard) : Non.
D'habitude, on ne fait pas ça pour le fun.
M. Drainville : Bien, c'est
ça. Alors, moi, je vous dis…
M. Lavigne (Richard) : Je vais vous
dire bien franchement, j'aimerais bien mieux ne pas en demander, d'accommodement, si je pouvais, là. Puis c'est sûr
que nous, on fait ça dans une perspective, Mme la Présidente, M. le ministre, dans une perspective de droit à
l'égalité. On a les mêmes droits que tout le monde. Maintenant, comment
on fait pour les exercer? Et
l'accommodement, la compensation, l'accessibilité… En tout cas, un jour, quand
on aura un peu de temps, M. le
ministre, je pourrai vous en parler plus longtemps, là. Mais il y a toutes
sortes de mécanismes. Et nous, on pense que c'est une série de
mécanismes qui vont finir par convaincre.
Parce que
l'idée, c'est de convaincre, en bout de ligne, que, lorsqu'on accommode
quelqu'un et qu'il peut exercer son droit à l'égalité, il devient un
citoyen ou une citoyenne à parts égales et à part entière qui peut contribuer.
Je suis déjà venu ici, moi, réclamer le
droit des personnes ayant des limitations fonctionnelles de payer de l'impôt.
Je suis le seul qui est venu demander
à ce que les citoyens paient de l'impôt au Québec, je suis sûr, hein? C'est
qu'on… Puis ce n'est pas qu'on y tient, à payer de l'impôt, là, mais on
tient à payer le même impôt que tout le monde, c'est juste qu'il faut avoir une
job.
M. Drainville : On s'entend.
M. Lavigne (Richard) : En tout cas,
des revenus.
M.
Drainville : Il me
reste seulement quelques minutes. Dans le fond, je pense, si je vous comprends
bien, là, ce n'est pas tellement la loi qui vous inquiète que son
éventuelle application.
M. Lavigne (Richard) : Oui, c'est
ça.
M. Drainville : Hein, on
s'entend? C'est ça.
M. Lavigne (Richard) : Vous avez
tout compris, M. le ministre.
M.
Drainville : Bon. Alors, est-ce que vous auriez des
suggestions à nous faire peut-être pour nous aider à mieux l'appliquer, cette
loi-là, pour faire en sorte qu'on…
• (12 h 20) •
M. Lavigne (Richard) : Si j'étais
légiste ou — comment
qu'on dit ça? — rédacteur
de lois, juriste, je vous répondrais que
j'ai amené mon document. Malheureusement, à la COPHAN, avec nos deux ressources
et une à temps partiel, on n'a pas
les ressources pour aller… malheureusement pour vous conseiller. Mais je suis
sûr que vous pouvez, autour de vous,
dans votre ministère ou au gouvernement, trouver quelqu'un qui pourrait dire,
tu sais : On va trouver une façon de blinder, entre parenthèses, de
parer, là, d'éventuels… Malheureusement, je ne peux pas, là, je ne suis pas
avocat, en plus. Bien, j'ai commencé mon droit, mais je ne l'ai pas fini. Ça
fait que je pense que vous seriez mieux de demander à quelqu'un d'autre.
M.
Drainville : Faites-vous-en pas, là, dans les minutes qui vont
suivre, il y a plusieurs avocats qui vont vous poser plein de questions.
Hein, ils pourront sans doute vous éclairer. Bien, ça m'a fait plaisir de vous
entendre.
M. Lavigne (Richard) : Merci.
M.
Drainville : Merci
beaucoup pour votre présentation et
votre présence parmi nous aujourd'hui. Vous faites… vous jouez très bien le
rôle, je dirais, de chien de garde qui est le vôtre, et c'est très apprécié.
M. Lavigne (Richard) : Merci.
M. Drainville : Merci.
Le
Président
(M. Cardin) : Merci, M. le ministre. Nous allons passer au deuxième groupe… au groupe formant l'opposition
officielle. Le député de LaFontaine.
M. Tanguay : Oui, merci
beaucoup, M. le Président.
Le
Président
(M. Cardin) :
16 minutes.
M. Tanguay : Merci beaucoup à
vous trois d'être ici présents aujourd'hui. Merci pour votre organisme, la COPHAN, d'avoir pris le temps de rédiger le mémoire
et de nous en faire la présentation aujourd'hui et de répondre à nos questions. On a
entendu le ministre un peu plus tôt nous dire et vous dire : Ne vous
inquiétez pas. Un peu comme vous, quand on
entend le ministre nous dire ça, déjà là je pense
qu'on a une source d'inquiétude et on retrouve ça chez beaucoup de Québécoises
et Québécois.
Votre organisme, vous dites qu'il veut faire en
sorte que le Québec soit davantage inclusif, et vous l'avez souligné, et je vous paraphrase : Ça ne prend
pas beaucoup pour dire qu'on dérange. Et la diversité, la
différence dérange. Et il y a une Charte québécoise des droits et
libertés qui fait en sorte que la non-discrimination, que ce soit sur un motif
de handicap physique ou sur la liberté de
religion, sur la religion d'une personne… bien, au Québec,
on ne peut pas discriminer.
J'aimerais
vous entendre sur l'importance que vous accordez à un organisme tel que la Commission
des droits de la personne et des
droits de la jeunesse. Vous avez sûrement eu à transiger ou à oeuvrer avec la Commission
des droits. J'aimerais vous entendre quant au travail de cette même commission
quant à l'application puis au respect des droits et libertés.
M. Lavigne
(Richard) : Vous voulez vraiment
que je réponde à ça, qu'est-ce qu'on
pense du travail de la Commission des droits de la personne? Je pense…
M. Tanguay : Avez-vous des
interactions avec la commission?
M. Lavigne (Richard) : Oui. On
travaille…
M. Tanguay : O.K. Quelles
sont-elles, ces interactions?
M. Lavigne
(Richard) : C'est de la
collaboration, hein? Je pense qu'on travaille avec eux sur divers
dossiers. On invite les personnes qui se
sentent lésées par leur droit à l'égalité de s'adresser à la Commission des
droits de la personne. Nous, on pense que la Commission des droits de la personne a fait
progressé les choses pour… on va parler en raison du motif d'handicap.
Si vous permettez, le reste, je ne pourrai pas vous répondre. Ce n'est pas
quelque chose qui, au niveau de la COPHAN, retient notre attention. Je pense
qu'avec le handicap, on en a assez, là.
Alors, nous,
écoutez, c'est sûr qu'on a rencontré récemment la nouvelle présidence de la
Commission des droits. Alors, on veut
développer des liens. Maintenant, je ne suis pas en mesure d'évaluer, là, le
travail comme tel. Ça serait… On travaille avec l'OPHQ aussi, on
travaille avec la commission, on travaille avec plein de monde. Nous, on essaie
de tirer le meilleur de tout ce beau monde.
Tout ce qu'on sait, c'est que, si on regarde, depuis 35 ans, c'est que, même si
on a des instruments, ces instruments-là ne
peuvent à eux seuls, semble-t-il, répondre à nos aspirations de l'égalité. La
preuve, c'est que… je ne dis pas qu'il n'y a
pas de progrès, mais il y a encore deux fois plus de chômeurs, chômeuses chez
les personnes qui ont une limitation fonctionnelle. Il y a encore, en tout cas,
plein de problèmes.
Alors, est-ce
que c'est à cause de la Commission des droits? Je ne pense pas. Est-ce que
c'est à cause de l'OPHQ? Je ne pense pas. Est-ce que c'est à cause des
uns ou des autres? Je ne pense pas. Je crois que c'est en raison d'une progression nécessaire sur la reconnaissance
qu'une personne qui a une limitation fonctionnelle doit et peut, elle
aussi, contribuer au même titre que les
autres. Et ça, ce n'est pas… c'est toute la société. Et la société est
représentée dans des organisations… donc l'Assemblée nationale, et c'est
à l'Assemblée nationale de lancer des messages.
Je pense que l'Assemblée nationale et le
gouvernement ainsi que les partis de l'opposition avez un devoir de leadership.
Si on attend que la majorité veuille quelque chose avant que ça avance, il y a
des affaires qu'on n'aurait jamais eues,
hein? Et je crois que la majorité… c'est vrai qu'on est en démocratie, que la
majorité a un rôle à jouer, mais le droit de la personne, les chartes,
et tout ça, il faut toujours se rappeler que ces instruments-là sont là pour
protéger les minorités qui sont, pour toutes sortes de raisons, discriminées ou
autre.
M. Tanguay :
…et, à ceux qui vous diraient, M. Lavigne, justement, et qui plaident…
Évidemment, là, il y a un large consensus sur quatre éléments sur cinq.
Le seul où il y a une division — et on entendra plus de 270 heures en commission, c'est important d'entendre les
gens — c'est
sur cette interdiction de port de signes religieux pour tous les employés publics, parapublics et même les
entreprises qui font affaire avec l'État. Subventionnées… en étant
subventionnées ou en ayant un contrat de service.
Ceci dit,
j'aimerais vous entendre là-dessus, sur l'importance… Vous savez, l'argument
que les gens viennent nous dire : Bien, écoutez, la majorité le
veut, ainsi soit-il. Vous, évidemment, vous êtes là pour défendre les droits
des personnes handicapées ou personnes qui
utilisent un élément pour pallier à ce handicap. J'aimerais vous entendre sur
cette importance justement de ne pas prendre
pour argument «la majorité le veut, ainsi soit-il», parce qu'ici plusieurs vous
diront qu'au même titre qu'il y a discrimination, à l'occasion, basée sur le
handicap, il y a ici discrimination basée sur la religion. Alors, j'aimerais vous entendre sur l'importance de :
Attention, là! Ce n'est pas un élément de dire où loge la majorité, mais de respecter les droits et libertés
de chacun. Et vous avez dit : Lorsque quelqu'un s'intègre dans la
société, tout le monde en bénéficie. J'aimerais vous entendre là-dessus.
M. Lavigne
(Richard) : La majorité, ça,
c'est un concept… Je vais vous dire, je pense, que bon, on fonctionne comme ça en démocratie pour notamment procéder à
des élections. Mais, lorsqu'on parle de citoyenneté, d'égalité, c'est ça
qui prime, c'est l'égalité qui prime, selon
moi, sur la majorité. Puis, encore là, la majorité, là… Quelqu'un qui
dit : La majorité pense ça, là…
Oui, je ne sais pas comment on fait pour affirmer ça, là. Mais, bon, tu sais,
il y en a qui disent ça.
Les sondages?
Bien, là, les sondages, on pourrait en parler, on pourrait… Écoutez, les
élections, bien il y a plein de monde
qui ne va pas voter, puis, si les gens ne vont pas voter, c'est parce qu'ils ne
sont pas d'accord, c'est parce qu'ils sont d'accord… C'est des concepts que je trouve un peu... Bien, c'est correct,
c'est utile, mais ce n'est pas ça qui doit uniquement guider notre société. Si on ne décidait que par la majorité
des citoyens, les personnes qui ont des limitations fonctionnelles
seraient encore en institution aujourd'hui, monsieur.
M. Tanguay : …
M. Lavigne
(Richard) : Puis les femmes,
qui sont pourtant majoritaires au Québec, à ce que je sache, la
majorité, là, n'a pas réussi à aller gagner
l'égalité, en tout cas. Ce n'est pas encore réglé, en tout cas. C'est déjà
mieux que ça a déjà été. Mais, si c'était
la simple loi de la majorité qui guiderait tout, bien les femmes seraient
égales dans les faits, hein? Et puis, nous, les personnes handicapées,
on est 15 %, on serait loin en maudit, là, mais…
M. Tanguay : Puis, ce matin,
on…
M. Lavigne
(Richard) : Tu sais, ce
n'est pas des bonnes des bonnes manières de parler, quant à moi. Ceci
dit, nous, on préfère… On parle de droit à
l'égalité des personnes parce qu'on est dans une société qui reconnaît que tous
peuvent contribuer, que tous ont le droit… On a les mêmes droits en théorie.
Alors, l'accommodement, la compensation, tout ça, c'est pour permettre à des
personnes qui ont des besoins spécifiques d'exercer ce rôle-là.
Juste une
petite anecdote pour vous prouver qu'on a encore bien, bien du chemin à faire.
Il y a quand même un certain nombre d'années, il y avait eu un sondage
pancanadien qui demandait aux gens : De quoi avez-vous le plus peur? Et je
vous dirai que les gens avaient plus peur de perdre la vue que d'attraper le
sida.
Alors,
vous voyez que les questions de handicap, c'est quelque chose qui n'est pas
acquis, c'est quelque chose qui fait
peur. Et je peux comprendre que ça peut créer des inconforts, les situations de
handicap ou les limitations fonctionnelles. Mais je pense qu'on doit
collectivement tirer le meilleur de tout le monde et je pense que le Québec doit utiliser toutes ses forces. Tu sais, on parle beaucoup
de pénurie de main-d'oeuvre, puis tout ça, mais il y a de la main-d'oeuvre inactive qui peut-être pourrait
l'être si on accommodait ces personnes pour qu'elles exercent leur
éducation et leur emploi.
• (12 h 30) •
M.
Tanguay : Votre message, M. Lavigne est extrêmement fort.
L'exclusion, faire en sorte que tous et chacun, sans discrimination, que ce soit sur le handicap ou la religion, puisse
prendre part à la société, se réaliser, entre autres par l'emploi. Vous avez parlé de la lutte pour
l'égalité hommes-femmes au Québec qui n'est pas terminée. Dans les faits,
on doit encore y faire écho et on doit
encore se préoccuper de cela. Et, ce matin, Louise Arbour, ancienne juge de la
Cour suprême du Canada — et je la cite — est venue dire : «Et il est
particulièrement odieux d'en faire payer le prix à des femmes déjà marginalisées et pour qui l'accès à l'emploi est
un facteur clé [à la fois] d'autonomie et d'intégration.» Fin de la citation. Louise Arbour, qui parlait de l'effet odieux du projet de loi n° 60 sur l'interdiction
de port de signes qui ferait en sorte que des femmes perdraient leur
emploi si d'aventure cette charte était appliquée.
Et
votre message est extrêmement fort. Vous l'avez mis dans le contexte de la
majorité et ceux qui vous plaideront : Bien, la majorité le veut, ainsi soit-il et le danger de réfléchir de
cette façon-là en termes électoraux, peut-être même, certains diront. Je pense que c'est important. Et votre
organisme… J'aimerais vous entendre sur votre organisme maintenant au niveau de votre action. Avez-vous des cas
d'application, justement, où vous avez dû participer à ce qu'une personne
ait un accommodement, un accommodement qui
soit raisonnable? Et j'aimerais, donc, vous entendre là-dessus, au niveau
des nécessaires balises aux accommodements. Mais c'est toujours une question
d'équilibre, et ça, là-dessus il y a un fort consensus. Sur ça, on pourrait
faire avancer le Québec.
M. Lavigne (Richard) : Je vais commencer, et
M. Collomb D'Eyrames voudrait compléter. Simplement, vous dire
que nous, la mission, on n'intervient pas
auprès des individus, nous, on intervient auprès d'organisations, de
systèmes, et tout ça. Nos membres
interviennent auprès d'individus effectivement, on est appelés souvent à donner
des conseils. Juste un petit commentaire… Bon, je l'ai oublié. J'ai
oublié, là. Je vais demander à M. Collomb D'Eyrames de continuer, j'ai oublié
ce que je voulais vous dire…
Le
Président
(M. Cardin)
: …
M. Collomb
D'Eyrames (Olivier) : La lumière ne s'allume pas. O.K. Bien, juste…
Nous, c'est pareil, on intervient au
collectif. Mais je pense que récemment vous avez vu un M. Delarosbil dans notre région,
je pense que ça vous permet de voir…
Et là, quand on parle de la raisonnabilité des accommodements, je pense que…
enfin, vous prenez toute la mesure du
chemin qu'il reste à parcourir. Puis, comme je vous disais tout à l'heure, ça fait 35 ans que le gouvernement, dans différentes lois,
s'engage à rendre accessibles les bâtiments construits avant 1976, et autant…
quel que soit le gouvernement au pouvoir, ça fait 35 ans que c'est
reporté. Ça, c'est du collectif, mais je vous dirais que,
pour toutes les personnes en fauteuil roulant, c'est pas mal de
l'individuel.
D'ailleurs,
dans le débat qui avait eu lieu sur cet article, en étude détaillée,
le ministre, à l'époque, M. Couillard, qui portait la loi avait raconté qu'il n'avait pas pu
faire accommoder… il n'a pas pu mettre une rampe d'accès devant son bureau de circonscription, que ça avait été refusé pour des raisons
esthétiques. Donc, je pense que vous le vivez, comme députés. Puis vous organisez éventuellement aussi des
campagnes électorales, donc vous voyez la difficulté de trouver des
locaux. Vos sites Internet souvent ne sont
pas accessibles aux personnes aveugles parce qu'on fait tout ça… Vous le voyez
dans votre quotidien, toutes les difficultés
pour fournir les accommodements vous-mêmes. Je pense que tous les bureaux
de comté sont accessibles en fauteuil roulant puis que, si on a besoin d'un
interprète en langue des signes, vous le fournissez.
Par contre, au niveau des partis politiques, qui sont des organisations
indépendantes, je pense que vous prenez aussi la mesure parfois des
défis, des budgets et puis des priorités qui sont affectés à chaque fois, pour
des raisons raisonnables, dans d'autres choses que les accommodements. Ça
arrive aussi.
Le
Président
(M. Cardin) : Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil :
Merci beaucoup. Bonjour, M. Lavigne, M. Olivier et Mme Pelletier. Merci
beaucoup de votre présentation et grand
plaisir de vous revoir aussi. Je n'ai pas de question, mais vous dites que vous
n'êtes pas juristes, mais vous avez
vraiment mis le doigt dessus, avec l'article 42. Et je pense que la Commission
des droits de la personne viendra souligner les éléments que vous avez
soulignés. Et en effet il y a une préoccupation à avoir. Et on aura le temps de
poser des questions, donc, à la Commission des droits de la personne sur cette
question.
Moi, j'aimerais aller
directement à la question qui nous préoccupe tous, c'est l'impact de ce projet
de loi, et notamment l'interdiction de port
de signes religieux sur les minorités et en particulier des femmes déjà
marginalisées. Et, ce matin, Louise Arbour,
elle fait un plaidoyer vibrant, c'est une grande experte en droits humains à
l'échelle internationale, elle parle
des conséquences odieuses. Et vous êtes un organisme qui lutte pour
l'inclusion, l'inclusion de tous et surtout des personnes vulnérables. J'aimerais savoir si vous avez une position, une
appréciation de l'impact de cette prohibition. Hein, c'est carrément ça. On n'est pas dans les balises,
on est dans l'interdiction de porter le voile, de porter la kippa, de
porter le turban si on travaille pour le gouvernement, si on travaille dans un
hôpital, si on est médecin, infirmière, et tout le réseau public et parapublic.
M. Lavigne
(Richard) : M. Collomb D'Eyrames voudrait peut-être commencer,
puis je vais voir après.
M. Collomb D'Eyrames (Olivier) : J'attends
que ça s'allume.
Une voix :
…
M. Collomb
D'Eyrames (Olivier) : Oui, c'est ça? O.K. Bien, c'est ça, nous, il y a
beaucoup de gens qui viennent s'exprimer à la commission, donc on entend
des impacts, des effets que ça pourrait avoir sur le réseau de la santé dans un contexte de rareté de main-d'oeuvre. On ne peut pas parler de pénurie, mais de rareté dans certains
secteurs. Nous, c'est sûr qu'avec le
projet d'assurance autonomie, on fait
le lien, il y a beaucoup de femmes portant des signes ostentatoires qui
donnent des services de soutien à domicile, mais, à ce stade-là, on n'est pas
capables d'évaluer.
Je pense que,
du côté du discours gouvernemental, il y a une volonté d'ouverture, de
souplesse, d'intelligence dans l'application,
mais, comme nous... L'idée, c'est de maximiser la participation des personnes. Alors, si, par exemple, des gens qui travaillent avec des mesures de chèque
emploi-service, là, avec le nouveau projet, ne peuvent pas être accrédités
parce qu'ils ont des signes ostentatoires ou que ça fait partie des contrats
qu'ils vont lier dans l'exécution des service, mais, à ce stade-ci, et de un, le
projet est encore en discussion, puis, je pense, il y a une ouverture
à le bonifier, et de deux, mais c'est qu'on n'est pas capables d'évaluer
ça.
Mme Weil : Pensez-vous qu'il
serait important d'avoir des études d'impact?
M. Collomb
D'Eyrames (Olivier) : Bien,
il me semble que, de toute façon, le gouvernement a certainement
dû...
Mme Weil : Des études, il n'y
en a pas, il n'y en a pas.
M. Tanguay : La réponse est
non.
Mme Weil : Et c'est pour ça qu'actuellement il y a
une grande préoccupation, parce
qu'il n'y a justement pas d'études d'impact.
M. Lavigne
(Richard) : Bien, écoutez,
si je peux me permettre. Nous, à la COPHAN, bien sûr, notre
mission, notre mandat, notre membership nous amènent à parler sous l'angle des situations
de handicap, et tout ça. Ce que je peux vous
dire, c'est que, lorsqu'on parle d'accommodements, il y a
une chose qui est claire, c'est que les personnes qui ont une limitation fonctionnelle n'ont aucun choix, il n'y a
pas de marge de manoeuvre. Moi, demain matin, faites ce que vous voulez, là, mais je vais être obligé encore de
lire du braille. Je suis pris avec ça à vie, point à la ligne. À partir du
moment où on n'a pas de choix, on n'a pas
d'alternative, bien là c'est là que les accommodements devraient être un peu plus ouverts. Lorsqu'il
y a des choix ou des pseudo-choix, ça, je ne suis pas capable. Mais, lorsque quelqu'un
choisit des choses, bien là c'est une
autre histoire. Puis c'est pour ça que nous, on trouve, à un moment donné, que c'est un petit peu tout mélangé. M. le ministre, tantôt, nous a rassurés, mais...
Le
Président
(M. Cardin) : Je m'excuse
de vous interrompre, on doit passer au deuxième
groupe de l'opposition. Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Merci à vous trois pour votre mémoire très
intéressant. On a compris, tout à l'heure, que vous aviez des craintes à
l'égard de la discrimination. Cependant, votre mémoire traite aussi de quelque
chose de très précis, de très important,
qui sont les articles 10 et 37. Et vous n'êtes pas juristes, vous n'êtes pas avocats, mais effectivement vous avez bien compris ce que disent ces articles. Et, pour le
bénéfice des téléspectateurs qui nous écoutent, j'aimerais lire quelques lignes
de votre mémoire, et ensuite je vous poserai une question à cet égard.
À la page 4,
en bas de page, vous nous dites : «L'article 10 introduit la possibilité d'obliger toute personne ou société qui a une entente de
subvention avec un organisme public de respecter un ou plusieurs des devoirs et
obligations" [de la loi].» Alors, naturellement, on sait que les organismes communautaires
vivent, bien souvent, de ces subventions, donc ça s'appliquerait aux organismes
communautaires, vous avez raison.
La page suivante,
la page 5, en haut de page, vous écrivez : «L'article 37 renforce l'article
10 et il donne tout loisir au gouvernement d'assujettir un organisme à l'application de la loi.» Encore une fois, on parle ici d'organismes communautaires, vous avez
raison. Et, un petit peu plus bas, dans l'autre paragraphe, vous
écrivez : «Le projet de
charte de la laïcité s'immisce dans le
fonctionnement de ces groupes. Il s'attaque à leur autonomie et risque même de
menacer la survie de bon nombre d'entre eux.»
Alors, c'est
là-dessus que j'aimerais vous entendre, j'aimerais que vous élaboriez sur
l'impact qu'aurait le projet de loi
n° 60 sur le fonctionnement des
organismes communautaires qui justement reçoivent ces subventions. Qu'est-ce que vous craignez?
Le
Président
(M. Cardin) :
M. Lavigne.
• (12 h 40) •
M. Lavigne
(Richard) : Merci. Oui.
Bien, vous savez, là, on espère ne pas avoir raison, hein? C'est que,
dans la vie, on n'espère pas toujours
avoir raison. Nous, on émet nos analyses, on propose une lecture de la chose et
on anticipe malheureusement qu'un jour peut-être quelqu'un, pour toutes
sortes de raisons, pourrait, par ces deux articles là, nuire et compromettre même l'existence de certaines organisations. M. Collomb D'Eyrames, tantôt, parlait d'exemple d'une personne, d'une femme, en particulier, qui travaille dans une organisation qui rend des services de soutien à
domicile, compétente,
supercorrecte avec tout le monde puis, parce
qu'elle porterait un signe
quelconque, elle pourrait ne plus être disponible. Là, nous, c'est ce
qu'on dit.
Dans les groupes communautaires, bien, les groupes communautaires qui
sont subventionnés, souvent pas
assez, mais subventionnés quand même par l'État, ça serait la même chose. La
COPHAN, on est subventionnés, nous, par le
Secrétariat à l'action communautaire autonome, le SACAIS. Et on est trois dans
le bureau quand on est tous en forme. Et admettons que, demain, je
quittais et que le conseil d'administration engagerait une femme qui porte un
signe ostentatoire — bien on l'engagerait pour ses compétences,
bien sûr — et que
le SACAIS viendrait nous dire : L'année prochaine, bien là vous ne
pouvez plus, c'est là qu'il arriverait un problème entre l'autonomie de
l'organisation et l'imposition de règles qui
n'ont rien à voir, selon nous, avec la reddition de comptes normale que la
COPHAN fait avec plaisir chaque année
sur l'utilisation de ses fonds. Rendre des comptes, ça, c'est correct, mais
s'immiscer dans la mission d'une organisation, on trouve ça... on
questionnait la chose. Et je trouve ça un petit peu malheureux qu'on n'ait pas
eu l'occasion d'en parler avec M. le ministre parce que peut-être qu'on se
trompe, encore là, aussi, je ne sais pas, là.
Mme Roy
(Montarville) : M. Lavigne, je crois que vous ne vous
trompez pas du tout. Votre compréhension des articles, elle est excellente. Et j'irais plus loin en vous
demandant : Si le ministre soustrayait les organismes
communautaires de l'application du projet de loi n° 60, est-ce que ça
vous rassurerait?
M. Lavigne
(Richard) : Je ne le sais
pas. Je ne le sais pas, il faudrait que j'y pense. Bien, ça me rassurerait
comme COPHAN, oui, parce que je ne serais plus visé, mais le concept est là
quand même.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci.
Le
Président
(M. Cardin) :
...a une dernière question, mais on doit passer au député de Blainville pour
quatre minutes.
M. Ratthé : Merci, M. le
Président. Mme Vézina, M. Lavigne, M. Collomb D'Eyrames, merci
de vous être déplacés. On va quand même
poursuivre sur le même but parce que je pense que c'est important, là. J'allais
à peu près poser la même
question : S'il y avait un amendement, si on soustrayait les organismes
communautaires... Parce que, bon, j'ai
bien compris que le ministre, tout à l'heure, nous... Je pense que,
verbalement, là, à deux reprises depuis le début de la... le ministre nous a bien dit de ne pas s'inquiéter. J'imagine
que vous seriez plus confortables si c'était beaucoup plus spécifique et écrit dans la loi que vous
n'êtes pas soumis... que les organismes communautaires ne sont pas
soumis, justement, à cet article-là. Est-ce que cela vous conviendrait?
M. Lavigne (Richard) : Juste pour
vous dire un peu que tout n'est pas toujours si simple. C'est quoi, ça, un organisme communautaire? Un organisme
communautaire autonome? Organisme communautaire qui est patenté par du monde pour avoir des contrats? Organisme d'économie
sociale? Tu sais, c'est... Même dans le milieu communautaire, là, quand on parle… on fait la distinction entre
organisme communautaire et organisme communautaire autonome. Parce que je vous dirai qu'il y a des organismes
communautaires qui existent, qui se disent communautaires, mais qui sont
carrément là pour prendre des contrats de
l'État pour faire quelque chose, notamment dans le développement de la main-d'oeuvre,
par exemple. Pour nous, ce n'est pas des
organismes autonomes parce que c'est le protocole d'entente entre le ministère
et cet organisme-là qui fait des choix et non pas les membres de la communauté.
Un organisme communautaire autonome doit être implanté dans la communauté.
Alors, je ne
vous dis pas qu'on ne serait pas contents, je dis juste que, d'après moi, ça ne
m'apparaît pas si simple de régler cette question-là. Et, pour être bien
honnête avec vous, nous, on a souligné la chose, mais, est-ce que... Si on disait : À l'exception des organismes
communautaires, bien là, l'autre question, c'est : Qu'est-ce qu'un
organisme communautaire? Tandis que...
M. Ratthé : Je comprends bien
que ce que vous nous dites, finalement, c'est que vous êtes très concernés par la question, vous n'avez pas, évidemment, toute
l'expertise voulue pour vous assurer que, entre guillemets, là, vous
allez être protégés. Puis ce que vous demandez au ministre, finalement, c'est
de, lui, se pencher sur la chose puis d'arriver peut-être avec un amendement ou
un article qui va couvrir les différentes possibilités dont vous venez
d'énoncer, là...
M. Lavigne (Richard) : On alerte la
commission sur les dangers que ça pourra avoir... aura ou aurait — ça dépendra
de qui prendra les décisions après — sur l'autonomie, et le
fonctionnement, et le mandat des groupes qu'on représente, c'est-à-dire les
groupes communautaires autonomes, dans notre cas.
M. Ratthé :
...les articles qui vous préoccupent, que vous avez bien identifiés dans votre
mémoire. Est-ce que vous avez
d'autres réactions à nous donner sur la charte en tant que telle? Est-ce que
vous vous êtes penchés là-dessus? Est-ce que vous avez consulté les
membres, les gens avec qui vous faites affaire?
M. Lavigne (Richard) : Nos membres
se sont prononcés sur ce dont on vous a parlé aujourd'hui. Parce qu'à la COPHAN, dans d'autres dossiers aussi, on est
appelés à se prononcer. On représente les personnes qui ont une
limitation fonctionnelle, et je pense que vous comprendrez très aisément que
tous ne pensent pas la même chose parce qu'ils partagent une situation de
handicap, hein? Ce n'est pas monolithique, la COPHAN. Il y en a qui sont pour,
il y en a qui sont
contre. Il y en a qui trouvent que ça va trop loin, d'autres qui trouvent que
ça ne va pas assez loin. Il n'y a pas unanimité, je vous dirai. Alors,
nous, on est venus vous parler de ce qui nous unit et non pas de ce qui nous
divise.
M. Ratthé : Je vous remercie beaucoup,
M. Lavigne.
Le
Président
(M. Cardin)
:
Bon, nous allons passer à Mme la députée de Gouin, pour trois minutes.
Mme David : Oui, merci, M. le
Président. Oui. Madame, messieurs, bonjour. Quant à moi, l'article 10, je
l'éliminerais, ce serait beaucoup plus simple, ça... parce qu'il n'y aurait pas
que les organismes communautaires qui arrêteraient
d'avoir peur, il y aurait aussi les entreprises d'économie sociale et même des
entreprises privées qui doivent vraiment se poser des questions.
Mais je voudrais revenir sur la question des
accommodements parce qu'il y a quelque chose que je voudrais bien comprendre. Lorsque le ministre élabore dans
un projet de loi une série de balises, si vous voulez, de règles
entourant des demandes d'accommodement,
notamment religieux — puis
c'est sûr que c'est surtout religieux dans le cas qui nous occupe, mais c'est vrai que ça couvre plus large,
vous avez raison — il ne
fait, dans le fond, que refléter la jurisprudence qui existe en cette matière depuis bien des années.
Quand on parle de contraintes excessives, quand on parle de coûts trop élevés, vous savez très bien, ce sont des choses
qui existent depuis plusieurs années. Et là vous, vous dites : Oui,
mais, justement, ça, c'est très contraignant
pour nous parce que, chaque fois qu'on demande quelque chose, on a le
sentiment de déranger, que ça coûte trop cher, qu'il y a une contrainte.
Alors, est-ce
que ce que vous êtes en train de nous dire, c'est qu'au fond les personnes
vivant avec un handicap ne devraient
pas être obligées de passer par cette mécanique d'accommodement pour avoir...
pour pouvoir exercer leurs droits comme n'importe quel citoyen, on
devrait collectivement, comme société, décider que tous les bâtiments doivent être accessibles, qu'il doit y avoir des
ascenseurs dans toutes les stations de métro, etc.? Comprenez-vous ce que je
dis? Est-ce que c'est ça que vous nous dites ou si je vous interprète mal?
M. Lavigne
(Richard) : Bien, simplement
vous dire que non seulement on vous dit ça, mais c'est déjà tout écrit dans les lois, ça. Ce n'est pas appliqué. C'est
que c'est pour ça que l'accessibilité... La Loi assurant l'exercice des
droits, la politique. À part entière parlent
de l'accessibilité universelle, parlent d'abolir des obstacles à la
participation sociale, parlent de droit à l'égalité. C'est tout écrit,
ça, Mme la députée.
Alors, nous,
on se dit, si le projet de loi disait : Les accommodements doivent être
assurés s'ils ne compromettent pas
l'équilibre financier… Parce que, là, on parle de coûts. Ça veut dire quoi, ça?
Une piastre, deux piastres, trois piastres? Tu sais, normalement, lorsque… En tout cas, ce que je me souviens de mes
cours de droit, normalement les lois viennent préciser ou... C'est les lois qui mènent, normalement. Alors, la Cour
suprême a émis des critères, et ce que j'ai lu de la Cour suprême, c'est
qu'une fois qu'on a dit «coûts excessifs», il faut que ce soit des coûts
excessifs en lien avec la nature de l'organisation, mais là c'est quand on veut
juste dire : Ça coûte trop cher.
Alors, on a,
au Québec, des mécanismes législatifs et politiques qui ne sont pas appliqués.
Alors, si on veut être plus concrets
dans cette charte-là, si jamais on tient à vraiment préciser les
accommodements, bien allons-y de manière à ce que ça soit vraiment clair que c'est ça, l'orientation
des accommodements… Moi, je parle des accommodements en lien avec les
situations de handicap, puis je crois qu'il y a d'autres types
d'accommodements.
Le
Président
(M. Cardin)
: Et cela met fin à nos travaux. Donc, je vous
remercie infiniment d'avoir été présents.
Donc, je lève maintenant la séance de la
commission… la séance. Et la commission ajourne ses travaux au lundi 10
février, à 14 heures, où elle poursuivra un autre mandat. Merci. Bonne journée.
(Fin de la séance à 12 h 49)