(Neuf heures trente-quatre minutes)
Le
Président (M. Morin) :
Mesdames messieurs, bon matin. Comme nous avons le quorum, je déclare la
séance de la Commission des institutions ouverte. Et, comme à l'habitude,
vérifiez vos téléphones cellulaires. Mettez-les en punition dans le coin, s'il
le faut.
La commission est réunie afin de tenir des
auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 60, Charte
affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi
que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes
d'accommodement.
Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La Secrétaire : Oui, M. le
Président. M. Lessard (Lotbinière-Frontenac) est remplacé par M. Bolduc
(Mégantic); Mme de Santis (Bourassa-Sauvé), par Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce); et M. Duchesneau (Saint-Jérôme),
par Mme Roy (Montarville).
Le
Président (M. Morin) :
Merci, Mme la secrétaire. Comme nous sommes un petit peu en retard, ça me
prend un consentement pour poursuivre après 12 h 30. Est-ce que ça
vous va? Consentement? Ça va? O.K.
Auditions (suite)
Ce matin, nous entendrons Mme Rakia Fourati, le
Mouvement laïque québécois de même que l'Alliance des communautés culturelles
pour l'égalité dans la santé et les services sociaux.
Je vois que Mme Fourati est présente. Donc,
Mme Fourati, vous avez 10 minutes. Allez-y.
Mme Rakia Fourati
Mme Fourati (Rakia) : Merci, M. le
Président. Bonjour, M. le Président. Bonjour, M. le ministre. Bonjour, Mmes et
MM. les députés ainsi que les membres de la commission. Je me présente :
Je suis Rakia Fourati, originaire de la
Tunisie, mon pays d'origine, et je suis au Québec depuis une dizaine d'années.
Je suis venue témoigner par amour pour
le Québec d'abord et parce que j'estime que j'ai un vécu assez riche pour
peut-être en parler à mes collègues et à mes amis québécois.
J'ai vécu
dans quatre pays différents, dont trois où j'ai vu moi-même l'islamisme naître,
et pousser, et grandir dans ces
pays-là, qui sont la Tunisie, l'Égypte et la France. J'ai vécu en Arabie
saoudite où il était déjà installé et que l'intégrisme islamiste battait son plein et le bat toujours. Et
j'avais trois grammes, d'ailleurs, de foi que j'ai perdus là-bas. Et
actuellement je suis au Québec, où je suis très inquiète pour l'avenir et le
futur du Québec.
Donc, avant
de commencer mon mémoire, j'aimerais ouvrir juste une petite parenthèse. Ceux
qui m'ont précédée, j'ai vu qu'il y a deux thèmes qui régnaient, qui
dominaient, dans tous ceux qui ont parlé avant moi, c'est le thème de l'identité et le thème du foulard. Bon, je pense
que, si j'ai à me présenter moi-même, je ne pourrais pas dire, mon
identité, si moi, je suis musulmane ou si je suis arabe ou… parce que mon idée
d'identité ne se résume pas par un verbe, ni un adjectif, ni une phrase, c'est tout un vécu. C'est-à-dire que l'identité
de quelqu'un, c'est ce qu'il a vécu, ce qu'il a embrassé comme culture,
ce qu'il a vécu comme société des sociétés dans lesquelles il a vécu, les gens
qu'il a fréquentés, etc. C'est tout ça qui fait notre identité, et non pas un
mot ou un adjectif pour dire : Je suis ci ou je suis ça.
Et puis aussi, dans l'identité sociale, c'est
pareil. Je crois que c'est M. Seymour qui avait parlé de la société
communautaire, qu'il fallait laisser, entre autres, les Arabes musulmans vivre
en communauté, etc., qu'eux, ils ont leur
temps pour faire la prière, leur orientation pour la Mecque, etc. C'est très
beau, ça, sauf que, moi, ça me fait peur, parce que ça va donner comme une identité sociale qui est une sous-identité
dans un contexte social global et ça va faire comme des ghettos, comme si, je dirais… la communauté
musulmane au Québec, la communauté juive au Québec, la communauté sikhe.
Non. Si on veut parler d'intégration, on est une seule communauté, on est un
seul État et une seule société. Et de là il
faudrait qu'on parle de la notion de l'intégration, donc ce qu'on veut dire par
«intégration» quand on parle de ça.
• (9 h 40) •
Le deuxième
point qui a été aussi très relevé, un peu… souvent, c'est le foulard. Alors, on
essaie de taxer le foulard des fois à la religion, d'autres fois à la
culture, d'autres fois au vestimentaire; quand ça nous arrange, au travail.
Pour moi, le foulard, de toute façon, qu'il
soit rouge, vert, noir, porté d'une façon élégante, avec des boucles
d'oreilles, avec un maquillage ou sans maquillage, ça reste toujours un
symbole. Qu'on l'appelle, d'ailleurs, hidjab, qu'on l'appelle niqab, qu'on
l'appelle tchador, qu'on l'appelle abaya, qu'on l'appelle tout ce qu'on veut,
ça reste aussi un symbole.
Et permettez-moi, là,
de préciser et de donner l'explication d'un symbole. Le symbole, c'est
l'expression substitutive destinée à faire passer dans la conscience sous une
forme camouflée certains contenus qui, à cause de leur censure, ne peuvent y pénétrer tels quels.
Donc, je peux prendre l'exemple, par
exemple, du lion. Si on n'a pas
le droit, par exemple, de dessiner un lion parce qu'il représente la férocité, on
dessine une griffe, et cette griffe-là va refléter, va nous envoyer, va
nous référer à la férocité.
Pour moi, le symbole
du foulard, c'est exactement ça. C'est qu'on ne peut pas dire consciemment ce
que ça représente, mais on y tient sous silence. Et, bien sûr, tout le monde sait — et,
ceux qui ne le savent pas, je le dis parce que je l'ai vécu, et dans tous les pays c'est pareil — il n'y a pas d'autre interprétation pour le
foulard que ce symbole-là qui est l'intégrisme, qui est la soumission,
donc, sous toutes ces formes que je viens de définir.
Maintenant, trois
autres petites notions aussi qui ont été… Quand on parle de démocratie, quand
on parle de démocratie, il faut faire
attention que la démocratie, chez les islamistes, n'a pas du tout la même
notion. Dans le sens de la démocratie
chez nous ou dans les pays démocrates, c'est que le peuple lui-même, il va
faire ses propres lois, il va faire ses propres concepts pour se gérer
lui-même, alors que, chez les islamistes, la démocratie, elle est divine. C'est
que la constitution est déjà écrite depuis
14 siècles, il faut juste l'appliquer. Donc, déjà, pour moi, il y a un
fossé, une définition qui n'est pas la même pour les deux.
De
même pour la laïcité. Quand on dit que la laïcité, c'est la séparation de
l'Église et… enfin, de la religion, je ne dirai pas «de l'Église», de la religion et de l'État, chez les
islamistes cette séparation n'existe pas, parce que l'État, c'est la
religion. Et donc la religion, c'est l'État, et il n'y a aucune différence
entre les deux, et on ne peut pas les séparer du moment où le Coran a été
interprété dans une charia, qui a été aussi interprétée, etc., et qu'on ne peut
pas dévier, on ne peut pas sortir de ce volet-là qui est le volet religieux.
Bon,
la dernière petite définition : la liberté, bien sûr. Donc, on parle aussi
de liberté. On peut être libre, mais, pour les islamistes, on ne peut
être libre que dans une marge très petite, c'est-à-dire ce qui a été omis
d'être interdit aussi bien par la religion que par la charia, que par le
Prophète, que par… Là, on peut être libre, mais il ne reste plus grand marge
pour être libre.
J'aimerais juste
définir une petite notion, une autre petite notion. C'est que ce dont on parle
et pour lequel on est là — et j'espère qu'on est là tous pour la même
cause — c'est
l'avenir du Québec, et l'intérêt du Québec, et l'avenir de nos enfants et nos petits-enfants, en mettant de
côté avant de rentrer, comme on le fait dans le vestiaire, tout ce qui
est intérêt personnel, tout ce qui est
intérêt politique, tout ce qui veut consciemment, inconsciemment,
volontairement ou involontairement nous mener loin de l'intérêt commun
qui est l'avenir du Québec.
Pour les signes
religieux, je crois que tout le monde a… Tout le monde est d'accord sur la
charte, d'après ce que j'ai vu. S'il y a un
petit point sur lequel les gents ne sont pas d'accord, et là tout le monde se
bute, c'est les signes ostentatoires. Moi, j'aimerais sécuriser tout le
monde pour leur dire : Les signes ostentatoires, les signes religieux qui sont actuellement refusés, et réfutés par les
islamistes notamment, ils ont été créés par les islamistes. Alors, je vous
étonne? En 711, quand les musulmans arabes ont envahi l'Espagne…
Le Président (M.
Morin) : Mme Fourati.
Mme Fourati
(Rakia) : Oui?
Le Président (M.
Morin) : Il vous reste une minute pour terminer.
Mme Fourati (Rakia) : Bon, je vous dis alors juste ça. Donc, bon, je vais le lire, ça ira
plus vite que de bégayer comme je le
fais. Donc, en l'an 711, quand ils ont occupé l'Espagne, ils ont instauré
une taxe aux non-musulmans appelée la fidya.
Cette taxe mettait les Juifs et les
chrétiens sous la protection du gouvernement musulman, à l'époque, à la condition
qu'ils ne portent pas de signe religieux en société. Donc, c'est clair que
c'est eux qui avaient commencé cette notion de signes ostentatoires, bien avant
notre charte actuellement dont on parle.
Juste... J'ai beaucoup
parlé d'islamistes. Je finis donc mon intervention pour...
Le
Président (M. Morin) :
…terminé, Mme Fourati, je vous avais prévenue que… Ici, dans cette commission,
dommage,
ce n'est pas dans mon éducation de couper la parole comme ça, mais je suis forcé.
Merci beaucoup, madame...
Mme Fourati
(Rakia) : Il n'y a pas de problème. J'aurai l'occasion de le définir.
Le
Président (M. Morin) :
Merci, Mme Fourati. Bon, maintenant, nous sommes à la période d'échange. M. le ministre, vous avez
22 min 40 s pour discuter avec Mme Fourati.
M. Drainville :
Merci beaucoup. Mme Fourati, merci pour votre présentation et puis pour
votre mémoire.
Je
vais citer un extrait de votre mémoire que j'ai trouvé particulièrement éloquent, alors c'est vous qui parlez, donc : «Si je suis venue vivre au Québec, c'est pour être mieux
considérée, pour fuir les islamistes, oublier l'humiliation — l'humiliation,
dis-je bien — que
véhicule le foulard, pour améliorer mon mode de vie, pour m'intégrer à la société
que j'ai choisie, pour défendre ma dignité de femme tunisienne démocrate et
progressiste. Si j'ai choisi le Québec,
c'est pour ne pas être servie par une femme voilée qui me considère apostate
parce que je ne porte pas le foulard,
ni par une administratrice qui me rejette parce que je suis une femme libre et
démocrate, ni un fonctionnaire qui me dédaigne parce que je suis une
"renégate" — entre
guillemets dans votre mémoire. Si j'ai choisi le Québec, c'est pour être une
femme libre dans un pays laïque, inclusif et égalitaire comme le réclame la
charte.»
Quand j'ai lu ce passage-là, je me
suis dit : Dans le fond, le message qu'elle nous communique, c'est que la
charte, c'est un outil aussi pour se
solidariser, des femmes qui un peu partout dans le monde luttent contre
l'intégrisme. Est-ce que j'ai bien compris?
Mme Fourati (Rakia) : Parfaitement, parfaitement. Si on est là, à part tout ce que vous avez
dit, oui, et que je pense, c'est pour
être un peu sous cette tutelle, sous la protection, sous... de l'égalité, de la
dignité et de la non-soumission de la femme. Parfaitement, on est là
pour ça. Si je leur ai tourné le dos, ce n'est pas pour les voir justement en
face de moi actuellement.
M. Drainville :
Dans votre mémoire, et ça, c'est important de le dire, hein, dans votre
mémoire, vous faites une distinction
importante entre les islamistes, qui sont peu nombreux, hein, et la vaste
majorité des croyants et des pratiquants musulmans, vous faites une
claire... Et je pense que c'est important de toujours la refaire, cette
distinction-là. Moi, je dis toujours :
La vaste majorité de nos concitoyens musulmans, des Québécois de confession
musulmane sont à l'image de tout le
Québec. C'est des gens modérés qui veulent travailler, qui veulent bien gagner
leur vie, qui veulent être heureux dans la vie. Le courant intégriste,
c'est un courant minoritaire, il faut constamment le répéter.
Et là vous ajoutez
donc sur les intégristes, vous dites, et je cite : «Les islamistes ne
veulent pas s'adapter à la modernisation, au
contraire, ils veulent adapter la société dans laquelle ils vivent à leur
politique religieuse et à la charia.» Donc, si je vous comprends bien,
une des caractéristiques du courant intégriste, c'est de lutter contre la
laïcité de l'État. Ça, pour vous, c'est clair. Être intégriste, c'est lutter
contre la laïcité de l'État.
Alors,
à ce moment-là, est-ce qu'on peut dire effectivement que la charte, parce
qu'elle instaure la laïcité de l'État, est un outil pour lutter contre
l'intégrisme religieux?
• (9 h 50) •
Mme Fourati (Rakia) : Parfaitement. Merci, M. le ministre, de me tendre la… C'est ce que
justement j'allais dire et que M. le Président m'avait dit que je
n'avais plus le temps, et là merci de m'avoir permis d'en parler.
Effectivement,
je fais une très grande différence entre l'islam et l'islamisme. Bon, l'islam,
je le respecte. Moi, je suis d'une
famille qui pratique. Je respecte l'islam, ils me respectent. Déjà dans ma
propre famille, avec ma propre maman, j'ai instauré des balises depuis
très longtemps. Donc, qu'on soit clairs : on peut très bien s'entendre
tout en étant athées et musulmans dans une même maison, si on respecte les
balises.
La différence, la
grande différence, entre l'islam et l'islamisme, c'est que, les musulmans, leur
croyance est verticale, ça va entre eux et
le bon Dieu. C'est une foi, c'est une
croyance qui n'a rien à voir avec ceux qui sont à côté. L'islamisme,
c'est une expansion sociale, c'est une politique religieuse qu'ils veulent
instaurer, et ils se sentent, et ils pensent,
et ils croient qu'ils sont tous des petits prophètes et qu'ils sont tous censés
communiquer cette religion aux autres.
Et
là je ne veux pas trop m'allonger sur ça, mais il y a beaucoup
de versets coraniques qui incitent les musulmans au djihad, c'est-à-dire à faire cette guerre. Même si
ce n'est pas une guerre avec les armes, c'est une guerre politique pour instaurer l'islam là où ils
vont. Et je pourrais lire un passage : «Quand vous rencontrez les
infidèles, tuez-les jusqu'à en faire un
grand carnage et serrez les entraves des captifs», etc. «Ne faiblissez donc pas
et n'appelez pas à la paix alors que
vous êtes les plus hauts, qu'Allah est avec vous. [...]Combattez-les jusqu'à ce
qu'il n'y ait plus d'idolâtrie et que la religion soit entièrement à Allah seul. S'ils cessent, donc [...]
l'hostilité, sauf contre les injustes.» Et j'en passe, et plusieurs, plusieurs,
plusieurs versets qui incitent à cette…
Quand
je dis «djihad», je me répète, ce n'est plus avec l'arme, mais ils commencent
par le djihad avec la pensée, avec leurs idéologies, avec leurs politiques
qu'ils veulent instaurer, parce que du moment où mon voisin n'est pas musulman
je suis responsable de lui. Et c'est là l'islamisme dont je parle, qui diffère
de l'islam qui est vertical. Là, on va dans
l'horizontal. C'est vouloir instaurer et impliquer sa propre idéologie aux
autres. Le musulman, le bon musulman, il
dira, par exemple, si je lis ce qu'ils disent aussi sur la haine
dans certains versets pour séparer les gens, dire : C'est pour ça que tu dois devenir musulman : «Ô croyants!
Ne prenez point comme amis les Juifs et les chrétiens; ils sont amis les
uns des autres. Celui qui les prendra pour
amis finira par leur ressembler, et Dieu ne sera point le guide des pervers.»
Bon, moi, quand je lis ça à maman, par exemple, je lui dis : Maman, tu es croyante, tu es religieuse, tu es
pratiquante, tu fais tes prières et
tout. Pourquoi ton Dieu, il dit ça? Elle me dit : Non, il a dû le dire
dans un contexte que nous, êtres humains, on ne comprend pas, donc, ma
fille, je ne m'applique pas dans ce qu'on ne comprend pas, ce que Dieu peut
insinuer autrement, etc. Ça, ce sont les musulmans. Ils prennent ce qu'ils
comprennent, ce qui est, pour eux, positif, ce qui peut les aider à évoluer dans leur foi et non pas à nuire aux gens qui
sont à côté ou la société dans laquelle ils vivent. Et
c'est ça, la grande différence entre l'islamisme et l'islam.
M. Drainville : C'est-à-dire que la majorité de ceux qui pratiquent la religion musulmane vont
adapter le texte aux circonstances d'aujourd'hui et ils vont l'adapter de
façon générale, dans un sens qui vise le respect des autres, l'harmonie dans une société, etc., ils ne
prendront pas le texte au pied de la lettre, un peu comme l'a dit votre mère,
qui dit : Dans le fond, c'est un texte qui a été écrit à un autre moment. Dans les circonstances où il a été écrit, il voulait dire
certaines choses, mais, dans le contexte d'aujourd'hui, il faut l'ajuster, il
faut l'adapter. Et donc il faut donc, comment dire, s'inspirer de ce texte-là
pour l'ajuster à une vie en société qui se veut harmonieuse, qui se veut
porteuse de respect, de sérénité, d'amour, d'amour.
Mme Fourati (Rakia) : Oui, et d'amour, et de pardon, et de tolérance, de tolérance aussi. De
dire que les autres ne sont pas comme moi, ça ne veut pas dire que je ne
suis ni responsable d'eux, etc.
Mais j'insiste aussi pour dire qu'on est
nombreux, nombreux et nombreuses à être ici et qui pensent comme moi. Il ne faut pas… Peut-être parce qu'on ne leur
a pas donné la chance de s'exprimer ou de passer dans les médias pour dire ce qu'ils pensent,
mais nombreux sont les gens musulmans qui sont ici et musulmanes qui sont ici
comme moi qui pensent qu'on est là
pour justement vivre cette tolérance d'être croyant, plus croyant, moins
croyant, ayant plus de foi, moins de foi, etc., sans pour autant subir
cette politique intégriste qu'on nous impose chez nous, d'une part. Et, d'autre
part... Oui?
M.
Drainville : Juste... Excusez-moi de vous interrompre, c'est parce qu'il y a une question
que je veux vraiment vous poser, puis
je m'inspire toujours de votre mémoire, là,
parce que ça va
faire un lien avec ce que vous vous apprêtiez à dire. Je m'excuse de
vous avoir interrompue. Vous pourrez reprendre votre idée, si vous le
souhaitez.
Vous dites
dans votre mémoire : «On aime toutes et tous le Québec,
sa culture, ses principes et ses valeurs, c'est ainsi que la charte des valeurs ne doit pas être comprise comme réaction
au présent, mais comme prévention de l'avenir. Elle est préventive et
essentielle pour garantir la neutralité, l'objectivité et la laïcité d'un
Québec libre, égalitaire et juste.» Fin de
votre citation. Et, d'une certaine manière, la position, quand j'ai lu votre
mémoire, je me suis dit : Elle rejoint la position du sociologue Guy Rocher, qui disait vendredi dernier à
l'émission 24/60, je cite Guy Rocher : «Moi, je trouve que c'est quand il n'y a pas d'urgence que c'est
nécessaire d'agir et de réagir en prévision, mais on doit faire cette
charte dans un moment où on n'est pas dans une crise religieuse.» Fin de
citation de Guy Rocher.
Alors,
pourquoi, pourquoi cet aspect préventif qui transpire de votre mémoire et qui
est repris par Guy Rocher? Pourquoi, en d'autres mots, c'est important
d'agir maintenant?
Mme
Fourati (Rakia) : Écoutez,
c'est important. De toute façon, quand on commence... Je vais vous donner
des chiffres pour ça. Vous savez qu'au
Canada actuellement il y a 650 000 musulmans, ça représente 1,9 % de
la société, en Belgique,
638 000, et ça représente 6 %, alors qu'en France ils sont
4 704 000, et ça représente 7,5 %. Moi, je pense que, si la France que j'ai vécue, les années 70,
avait pris des précautions, avait fait des balises, avait étudié le problème
depuis ces années-là, quand ils sont arrivés
à ce chiffre-là, il n'y aurait pas eu de problème de… ils n'auraient pas eu ces
problèmes qu'ils vivent actuellement, c'est-à-dire que tout le monde aurait su
dès le début à quoi il s'en tient, pourquoi il est là, en allant vivre en
France à quoi je m'attends, qu'est-ce que je peux faire et qu'est-ce que je ne
peux pas faire.
Avant de
venir au Québec, on sait qu'il neige, et qu'il fait très froid, et que, si on
n'est pas habitué au froid, on ne pourrait
pas venir ici. Quand on sait qu'au Québec c'est la laïcité, qu'il y a un régime
politicosocial qu'il faut suivre, que la culture du pays, elle est comme ça… Il faut le savoir. Si on est
d'accord, on vient; si on n'est pas d'accord, on ne vient pas. Donc, c'est dans ce sens-là qu'il faut être préventif,
pour l'avenir. Et c'est ce que j'avais dit au début. Ce qui nous
intéresse surtout, c'est l'avenir du Québec. Ai-je répondu à votre question,
monsieur?
M.
Drainville : …je veux
qu'on parle des signes religieux ostentatoires, si vous me permettez, parce
qu'on a eu plusieurs exemples, depuis le début de la commission, de...
enfin, des personnes qui sont venues nous dire : Le port d'un signe religieux ostentatoire par un employé
de l'État peut miner la confiance que j'ai envers cette personne. Alors,
il y a Michelle Blanc, la semaine passée, qui nous a donné l'exemple d'un jeune
homosexuel qui serait rejeté de sa communauté pour des raisons religieuses, qui
viendrait rencontrer une infirmière, irait rencontrer une infirmière ou un
psychologue qui porte le signe religieux ostentatoire de la même communauté qui
l'a rejeté, et donc qui se sent, par le fait même, rejeté dans le rapport qu'il
a, immédiatement, avec cette personne. On a eu un autre témoignage, Mme Radia
Kichou, témoignage très courageux, qui nous a dit notamment qu'elle s'était
rendue à l'hôpital puis, à un moment donné,
elle devait répondre à sa nutritionniste, elle devait répondre à des questions
sur sa consommation d'alcool, puis
elle a pris la peine de dire : Moi, je ne consomme pas d'alcool plus
que... enfin, c'est très raisonnable, c'est très modéré, je n'ai pas de
problème d'alcool, mais elle dit : Le fait que j'étais en présence d'une
stagiaire qui portait le voile m'a beaucoup,
beaucoup mise mal à l'aise, et je n'ai pas osé parler de ma consommation
d'alcool devant elle parce que je sais... enfin, je crains, à partir d'où moment où elle porte le voile, qu'elle
me condamne dans ma consommation d'alcool, donc je ne me suis pas sentie
à l'aise pour en parler devant elle.
Est-ce que
vous pouvez nous expliquer davantage, peut-être en nous donnant des exemples,
comment le fait d'être servi par une personne qui porte un signe
religieux ostentatoire, par un employé de l'État, donc, qui porte un signe
religieux ostentatoire, peut avoir un impact sur la personne qui demande un
service ou qui s'adresse à elle?
• (10 heures) •
Mme
Fourati (Rakia) : Parfaitement, M. le ministre, et je vais répondre d'une façon même plus
globale. Je dirais que le regard que les islamistes ont sur les femmes islamistes…
musulmanes, pardon, est très différent du regard qu'ils ont, les islamistes,
sur une femme non musulmane, c'est-à-dire que nous, déjà, en tant que
musulmanes, nées musulmanes — ce
n'est pas un choix, on est nées musulmanes — ils se
sentent responsables un peu de nous et ils nous blâment dans tout ce
qu'on fait, ils nous condamnent, ils nous sous-estiment, ils nous…
Ce que j'ai
vécu en Arabie saoudite, je ne souhaiterais pas à une autre femme de le vivre.
Moi, j'ai été convoquée en Arabie saoudite une fois dans un… au
ministère de la Santé, parce que je travaillais dans une clinique. Et j'ai été convoquée
par l'intermédiaire de mon mari, d'abord, ce n'est même pas moi qui devais y
aller, mon mari devait m'accompagner. Et le monsieur qui me regardait, on était
assis là, il s'adressait à mon mari pour me parler à moi. Et à certains moments j'avais donc le foulard, là,
que je portais qui glissait, malheureusement, parce qu'il glisse
toujours, comme inconsciemment je le refuse. Il me parlait à moi en regardant
mon mari et, moi, quand je le regardais pour répondre,
il regardait mon mari en m'écoutant. C'est-à-dire que je n'existe même pas,
dans la tête de ces gens-là, en tant que musulmane qui n'ait pas le
foulard complètement fermé. Vous voyez ce que je veux dire?
Donc, le regard
qu'ils ont sur nous, musulmanes, est beaucoup plus sévère, et il n'est pas
senti de la même façon… Une Québécoise ne sentirait pas ce regard-là que moi,
je sens. Une Québécoise ne sent pas cette humiliation de voir une femme voilée comme moi, je le ressens.
Là, c'est la culture, c'est profond. C'est parce que j'ai toujours été éduquée, depuis que je suis jeune, que, si tu ne
portes pas le foulard, tu vas être une mauvaise femme dans la société,
tu vas être une mauvaise musulmane, tu ne
dois pas faire ci, tu ne dois pas faire ça, donc, ou pour l'alcool ou pour
tout, pour toute autre considération.
Ce qui fait qu'en grandissant il y a deux choses : soit c'est le moi, donc
c'est mon identité, le moi qui
l'emporte pour dire : Je laisse de côté tout ça, je vis mon moi et je… ou
alors c'est le surmoi, c'est l'identité sociale qui va l'emporter et qui
va piétiner sur ma liberté.
Et ce que moi, j'ai
vécu, je prends en exemple… Par exemple, je sais que M. Couillard a
travaillé en Arabie saoudite. Il ne pourra
jamais sentir ni connaître la réalité des choses comme moi, je l'ai connue en
ayant vécu sept ans là-bas parce que
lui, quand il mange, il mange avec les hommes; il ne sait pas que la femme,
elle attend à côté que les hommes terminent de manger pour qu'on leur
donne à manger après. Dans la rue, il ne sait pas qu'il y a la police
religieuse avec un petit bâton qui vient me donner des coups sur les jambes
quand mon foulard tombe ou quand je regarde…
ça m'arrive de regarder quelque chose… qu'on te tape avec un petit bâton sur…
Tout ça, un homme ne peut pas le vivre, c'est la femme qui les vit, et
c'est la femme musulmane.
M. Drainville :
Mme Fourati, il me reste seulement quelques minutes. Permettez-moi de me
faire un peu l'avocat du diable, si je peux encore utiliser cette
expression — je
pense que oui. Les gens vont dire : Mais l'Arabie saoudite, ce n'est pas le Québec. Ils vont dire :
L'Arabie saoudite, ce n'est pas le Québec, Mme Fourati, vous exagérez,
etc. Il y a…
Mme Fourati (Rakia) : …l'Arabie saoudite, ça reste l'objectif des islamistes qui sont au
Québec, que ce soit l'Arabie saoudite
ou, pour certains, d'autres références, mais ça reste, pour eux, leur objectif.
Les islamistes qui sont au Québec, ils ne sont pas différents des
islamistes qui sont en Tunisie, des islamistes qui sont en Arabie saoudite et
des islamistes qui sont ailleurs, et leur objectif et leur idéologie est la
même partout et n'importe où. Donc, si le Québec ne ressemble pas à l'Arabie saoudite, les islamistes du Québec
ressemblent aux islamistes d'Arabie saoudite, et c'est là où ils veulent en arriver, et c'est là où nous, on ne
les laisserait pas faire. Et vous
pouvez compter sur les femmes musulmanes qui vivent ici, qui ont connu cette répression, qui ont connu cette
soumission… Et je comprends, et je salue, et j'applaudis Mme Houda-Pepin, qui a sûrement vécu ça, qui est consciente de ce problème-là
et qui a dit non parce qu'elle
connaît les dessous de la table, elle sait.
Mme Djemila Benhabib, pareil. Comme moi, elle connaît, et
comme Mme Pepin, les dessous de la table. Elle sait ce que ces
gens-là nous réservent, et où ils
veulent en arriver, et ce qu'ils veulent faire. Donc, ces gens-là,
je les applaudis de laisser de côté tous leurs intérêts, qu'ils soient politiques
ou autres, pour l'intérêt du Québec, qui est notre seul objectif,
que je répète, parce qu'on aime le Québec.
M. Drainville :
C'est important, ça fait quelques fois que vous y faites référence. Vous
dites : Il y a beaucoup de néo-Québécoises, de Québécoises donc
nées ailleurs… Notamment, vous, vous êtes née en Tunisie, mais Djemila, c'est en Algérie; Fatima, c'est au Maroc. Bon,
vous dites : Il y a beaucoup de femmes néo-Québécoises qui sont
pour, en tout ou en partie, la charte parce
qu'elles comprennent pourquoi cette charte est nécessaire. Et je trouve très
souvent, dans ce débat-là, qu'on essaie de faire une distinction entre
les Québécois d'origine française et les autres Québécois en disant : Il y
a un fossé entre les deux, alors que la majorité des néo-Québécois et
néo-Québécoises qui sont venus en commission, jusqu'à maintenant, sont venus
appuyer la charte comme vous.
Est-ce
que ça vous fatigue, vous, parfois, cette espèce de généralisation à laquelle
se livrent les médias en disant : Ah!
bien les Québécois d'adoption, en général, là… Ou même ils ne prennent même pas
la peine de dire «en général», souvent ils vont dire : Les
néo-Québécois, là, les Québécois de récente génération, eux autres sont tous
contre la charte, puis c'est les Québécois de souche qui sont pour la charte.
Moi, j'ai un problème, personnellement, avec ça, là. D'abord, je pense que tous les Québécois sont égaux puis je n'aime
pas tellement cette catégorisation, mais de faire dire que… de dire que
les néo-Québécois, néo-Québécoises sont contre la charte, moi, je pense que
c'est…
Mme Fourati (Rakia) : …M. le ministre, les Québécois de souche qui aiment le Québec plus moi.
Donc, pour moi, il n'y a pas de degré
d'être un Québécois. Il y a l'intérêt du Québec qui nous unit, et c'est là où
on est tous Québécois. Qu'on soit de souche, néo, rétro, tout ce que
vous voulez, c'est ça qui nous unit et qui nous relie. D'accord? Merci.
M. Drainville :
Je suis tout à fait d'accord avec vous. Merci beaucoup.
Le Président (M.
Morin) : Merci, M. le ministre. Maintenant, au député de
LaFontaine.
M. Tanguay :
Pour combien de temps, M. le Président?
Le Président (M.
Morin) : Vous avez, excusez-moi, M. le député,
18 min 10 s.
M.
Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Bon matin,
Mme Fourati. Merci beaucoup d'avoir pris le temps de rédiger le
mémoire et, ce matin, de venir nous… de répondre à nos questions, nous en faire
la présentation et répondre à nos questions.
Vous
l'avez bien précisé, vous êtes l'une des 20 signataires du mémoire… pas du
mémoire mais de la lettre des Janette, je pense que c'était en octobre,
le 17 octobre dernier. Vous savez qu'il y aura un mémoire qui sera déposé
par rapport aux Janette, un mémoire sera déposé et qui traduira… Et nous en
avons reçu copie. Il n'est pas encore public,
mais nous avons déjà reçu copie, les députés, de ce mémoire qui se veut la
traduction de la vision et de l'argument présentés par les
20 Janette, si je puis dire.
Est-ce que vous êtes d'accord avec moi
que ce mémoire que les Janette… qui sera déposé traduit donc votre
vision et votre argumentaire?
Mme Fourati
(Rakia) : Bien, si je suis avec eux, c'est que je suis d'accord avec
eux, oui.
M. Tanguay :
O.K. Avez-vous participé à la rédaction du mémoire des Janette?
Mme Fourati
(Rakia) : On a participé dans l'esprit général dans lequel va être
écrit le mémoire, oui.
M.
Tanguay : Il est déjà déposé depuis décembre. Avez-vous eu une
rencontre de travail quant à sa rédaction?
Mme Fourati
(Rakia) : Oui, on a souvent des réunions.
M. Tanguay :
Vous dites «souvent». Donc, à quelle fréquence ou à quel moment?
Mme Fourati (Rakia) : On s'est réunies… Enfin, chaque fois qu'on a besoin de se parler, on se
réunit. Mais je… Oui, mais…
M.
Tanguay : Et donc ce matin — et
dernière question sur le sujet — le mémoire que nous entendrons — et nous n'avons pas encore de date — qui
sera présenté pour les Janette, est-ce que vous en avez eu la lecture? Est-ce
que vous l'avez lu?
Mme Fourati (Rakia) : On me l'a lu, franchement, oui, on me l'a… Mais je ne vois pas où vous
voulez en arriver.
• (10 h 10) •
M. Tanguay :
Je veux juste savoir… Je veux juste savoir jusqu'à quel point…
Des voix :
…
M. Tanguay :
M. le Président, est-ce que…
Le Président (M.
Morin) : Oui. Continuez, M. le député de LaFontaine. S'il vous
plaît!
M. Tanguay :
Merci. J'aimerais savoir jusqu'à quel point votre mémoire que vous nous
présentez est un complément du mémoire des Janette qui sera présenté.
Mme Fourati (Rakia) : Franchement, ce que moi, j'ai présenté, je l'ai présenté… Un beau jour,
j'ai pris mon ordinateur, je me suis
dit : J'ai envie de m'exprimer et j'ai envie de le faire. D'accord?
Donc, ce n'était pas du tout en rapport avec les 20 Janette, et
elles ne savaient même pas peut-être à l'époque, oui, elles ne savaient pas que
moi, je voulais aussi témoigner.
M. Tanguay :
Merci beaucoup. J'aimerais… Mme Fourati, vous avez dit un peu plus tôt que la
charte… le projet de loi n° 60 est
préventif. Donc, reconnaissez-vous qu'au Québec présentement il n'y a pas de
crise, actuellement?
Mme Fourati (Rakia) : C'est-à-dire qu'il y a les symptômes de la crise que moi, j'ai vécue
dans d'autres pays, donc notamment la France, l'Égypte et la Tunisie.
M. Tanguay :
Quels sont-ils?
Mme Fourati (Rakia) : Ces prémisses? Alors, c'est le... bien, le voile, franchement. Vous
savez, pour moi, le voile, pour les
islamistes, c'est comme un thermomètre à mettre dans la société pour voir à
quel point on est pour, on est contre, comment on réagit, comment… C'est
leur baromètre. Il y a déjà ça.
Il
y a les écoles qui se forment en petits groupes, ça commence… vous savez, même
dans des familles, on met quelques filles ensemble très jeunes, on
commence à leur inculquer l'islam, les versets coraniques à apprendre par coeur, le foulard, etc. Moi, j'ai assisté hier à…
enfin, j'ai assisté… j'ai regardé une vidéo où j'avais presque les
larmes aux yeux de voir comment on fait ici,
au Québec, hein, à Montréal-Nord, comment on fait jurer à des petites filles entre
10 et 13 ans de porter le voile
toute leur vie, et qu'elles jurent sur le Coran. Pour moi, ça y est. Ces
filles-là, elles sont bloquées dans leur tête. Comment voulez-vous
qu'elles grandissent… Même si un jour, elles veulent l'enlever, ça y est, elles
ont fait un pacte. Elles ont promis à Dieu, elles ont juré sur Dieu qu'elles ne
vont plus enlever le foulard. Vous vous rendez compte? Les écoles,
l'instruction qu'on me donne, le message qu'on passe, tout ça, ce sont, pour
moi, des symptômes alarmants pour que les intégristes s'installent, y mettent
les pieds et commencent à mettre leurs outils.
C'est vrai que ce
n'est pas encore très flagrant au Québec. Et j'ai bien donné, tout à l'heure,
les statistiques, c'est parce qu'ils ne
présentent pas encore un grand chiffre… Non, excusez-moi, j'ai donné les
statistiques des musulmans, mais,
comme on ne peut pas non plus savoir parmi les musulmans, dont je fais partie,
qui est islamiste, intégriste, qui ne l'est pas, nous, on fait des
balises, on fait une charte, on fait des lois pour tout le monde. Ceux qui les
respectent, c'est qu'ils sont donc comme nous. Ceux qui ne les respectent pas,
c'est qu'ils ont des arrière-pensées.
M. Tanguay : Êtes-vous d'accord avec la proposition par laquelle il serait intéressant — puis
je suis persuadé que oui — de
faire des études par rapport à cela, autrement
dit faire une sorte d'état des lieux
au Québec? Puis effectivement vous soulignez des exemples tangibles quant à
cette préoccupation-là, on ne veut pas de montée d'intégrisme. Êtes-vous
de celles qui croyez qu'il serait réellement
intéressant et important de faire des études plus poussées, plus
approfondies pour faire en sorte justement de bien traduire l'ampleur de
ce qui est cette préoccupation et quel est le modus operandi et le modus
vivendi de ces personnes? Seriez-vous intéressée à ce qu'il y ait des études
sur le phénomène au Québec?
Mme Fourati (Rakia) : Moi, j'estime que l'étude qui a été faite par monsieur… Moi, je la
prends beaucoup plus comme étude que
comme charte ou… l'étude qui a été faite par MM. Bouchard et Taylor. C'est
une des études, pour moi, sociales qu'on pourrait élaborer, améliorer.
Et
je ne sais pas si la loi ici nous permet de faire ce genre d'étude, parce que
ça reste peut-être ethnologique. On a le droit de faire des études sur le nombre de musulmans, par exemple, ou le nombre de Juifs, quel sont ceux qui pratiquent, quels sont
ceux qui ne pratiquent pas? Est-ce qu'on a le droit ici de le faire?
M. Tanguay :
Mais la loi n'enlèvera et ne donnera jamais au gouvernement ce qui est sa
prérogative la plus complète que de lancer de telles études à travers les
différents organismes qui…
Mme Fourati
(Rakia) : C'est interdit, donc.
M. Tanguay :
Non, ce n'est pas interdit, au contraire.
Mme Fourati
(Rakia) : Ce n'est pas interdit, donc?
M.
Tanguay : La loi ne
crée pas cette opportunité-là, elle a toujours existé pour le gouvernement, de pousser
des études. Et, j'imagine, vous seriez d'accord
si le gouvernement décidait d'investir pour que l'on puisse
analyser, justement, et pousser les études quantifiables au point de vue
quantitatif et qualitatif, n'est-ce pas?
Mme Fourati
(Rakia) : Mais l'un n'empêche pas l'autre, M. le député. Je ne vois
pas…
M. Tanguay :
L'autre étant quoi?
Mme Fourati (Rakia) : L'autre, c'est d'instaurer des balises, de faire une charte, de faire
des lois. Et, parallèlement, pour voir comment ça va évoluer, pourquoi
ne pas faire des études? L'un n'empêche pas l'autre, je ne vois pas…
M. Tanguay :
Mais vous seriez heureuse qu'il y en ait d'ores et déjà, n'est-ce pas, des
études, même si l'un n'empêche pas l'autre?
Mme Fourati
(Rakia) : Je n'ai pas compris votre question, excusez-moi.
M.
Tanguay : Des études,
vous les salueriez, s'il y avait des études qui analyseraient le phénomène, n'est-ce pas?
Mme Fourati
(Rakia) : Oui.
M. Tanguay :
Croyez-vous que ce serait important également que l'on puisse, aux points de
vue quantitatif et qualitatif, étudier le phénomène?
Mme Fourati (Rakia) : Mais bien sûr. Commençons par étudier ce qui se passe dans ces
écoles-là. Commençons par sauver ces
enfants à qui on fait des bourrages de crâne, ces petites filles à qui on
dit : Si des fois il y a une mèche qui dépasse de tes cheveux, le bon Dieu va te prendre par les cils, il va
t'accrocher au ciel, il va te faire passer… Commençons par sauver déjà une étude là-dessus,
les études sur les écoles. Quand Mme Djemila Benhabib a voulu faire cette
étude, quand elle a commencé à dénoncer et à en parler, vous voyez un peu ce
que ça a donné comme remous. Donc, au contraire,
il faut la blinder, il faut l'épauler, il faut l'aider. Il faut
dénoncer ces gens-là. Ce n'est pas normal, ce n'est pas normal qu'on
vienne, à une petite fille, lui dire : Si tu fréquentes un chrétien ou un
Juif, tu iras en enfer, on te fera… si tu fais ça. Ce n'est pas normal.
M. Tanguay :
Et vous avez dit que… vous avez cité Mme Djemila Benhabib, qui avait
soulevé le point et qui, vous avez dit, là,
je vous paraphrase, avait soulevé tout un tollé, et tout ça. Croyez-vous
également que ça participe de la responsabilité du gouvernement,
justement, de rendre compte de l'état actuel des lieux et de faire en sorte
que… Et vous le voyez. Sur cette charte du Parti québécois, l'interdiction de signes est le point réellement de division. Sur
tous les autres aspects, entre autres des balises strictes aux accommodements
pour qu'ils soient raisonnables, tout le monde s'entend. Réellement, c'est cette
interdiction des signes. Croyez-vous que le gouvernement a un rôle majeur à
jouer, important, justement, d'éduquer, d'informer et d'instruire? Le
croyez-vous?
Mme Fourati (Rakia) : Mais bien sûr.
Bien sûr, pourquoi pas? Bien sûr.
M. Tanguay :
Tout à fait. Et croyez-vous que présentement le gouvernement a assez fait,
justement, pour éduquer la population?
Mme
Fourati (Rakia) : Non. Personnellement, je ne trouve pas qu'actuellement, ni sur le plan médiatique, ni sur le plan instructif, ni sur le plan éducatif, ni
sur le plan… On n'est pas en train, comme vous l'avez dit, ni de faire
d'étude, ni de dénoncer ces gens-là, ni de
les arrêter pour dire : On vit dans une société, mais, rendez-vous bien
compte, on vit dans une société laïque. Et moi, j'ai l'impression par
moments, quand je vois des vidéos qui se passent ici, que je vis encore en Arabie saoudite, ou en Tunisie actuellement, ou en Égypte actuellement, vous voyez, et ça m'effraie. Ça
m'effraie parce que, oui, dans le temps, on n'était pas comme ça en
Tunisie, on n'était pas comme ça en Égypte, et petit à petit on en est
arrivé là. Et, si on se laisse faire ici, petit à petit on va les rejoindre.
M. Tanguay : Et votre point est extrêmement important. Aussi importante est la préoccupation,
effectivement, de faire face à cette montée,
le cas échéant. C'est important d'y faire face, mais c'est important
également d'y faire face avec une certaine unité, que l'on n'a pas présentement.
Est-ce que
vous déplorez le fait que présentement l'on se divise par rapport à cette question
d'interdiction des signes? Et ne croyez-vous pas justement que, pour
faire face à cette importante préoccupation là, l'on ne devrait pas se diviser
mais s'unir parce que le travail est de tâche... est lourd?
• (10 h 20) •
Mme
Fourati (Rakia) :
Exactement, parce qu'on se divise… et c'est bien ce que j'avais dit tout à l'heure, on se divise pour des intérêts qui sont peut-être
politiques, qui sont peut-être personnels, qui sont… et c'est là où il y a danger. Je vous assure que les
islamistes chez nous, en Tunisie notamment, s'ils ont gagné, c'est parce qu'ils
travaillent pour un seul Dieu, pour un seul objectif, pour une seule personne,
donc ils sont unitaires, ils sont uniformes, ils travaillent en bloc. Moi, je suis pour la diversité politique,
pour qu'il y ait tel parti, tel
parti, etc., mais, pour l'intérêt du Québec, je ne parle plus de
divisions politiques, je parle d'un objectif commun.
M. Tanguay :
Merci beaucoup. Je vais laisser, Mme Fourati, ma collègue poser des
questions. Merci beaucoup.
Le Président (M. Morin) :
Oui, allez-y, Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil :
Bonjour, Mme Fourati. C'est fort intéressant, votre intervention, et je
pense que ce que vous dites, c'est
exactement... je veux dire, tout le monde dans la société québécoise a les
oreilles ouvertes, on est tous en train de regarder ça, et l'identité
québécoise dans ses valeurs et de préserver cette société ouverte, forte,
tolérante et prospère, c'est vraiment,
comment dire, la mission, la vision de tous. Moi, je pense que tous les
Québécois partagent ça, et donc c'est : Comment fait-on pour
justement s'assurer qu'on préserve ces valeurs? Quelles sont les meilleures
stratégies? Et ça va beaucoup dans le sens
de mon collègue. Ça prend d'abord un bon diagnostic avant de proposer le
remède, parce que, si, le remède, on
n'a pas tout le monde ensemble, on pousse ensemble dans la même direction, ça
crée cette rupture. Parce que, il
faut comprendre, on a des règles de droit, c'est une société libre et
démocratique. Alors, je vais aller dans ce sens-là de ce diagnostic.
Comment on
pourrait et par des mesures structurantes… J'aimerais vous entendre sur ces
petites filles, justement, et comment on va trouver de meilleures... des
actions structurantes et proactives pour nous adresser à ce que vous dites, parce que l'égalité hommes-femmes, ça passe par
ça. Et là, ensuite, j'irais à une autre... donc une réponse assez courte
et une deuxième question sur l'impact des
mises à pied, des congédiements franchement massifs sur la société et
l'inclusion, j'aimerais vous poser une
question dans un deuxième temps. Alors donc, quel type de mesure plus... Parce
que la charte, vous convenez, ne propose pas de mesure dans ce sens-là.
Mme Fourati (Rakia) : La charte,
déjà, elle met les balises dont tout le monde est d'accord.
Une voix : …
Mme Fourati (Rakia) : D'accord,
d'accommodement. Maintenant, si j'ai bien saisi votre question, c'est :
Qu'est-ce qu'on peut faire de plus?
Mme Weil : Ou de vrai.
Mme Fourati (Rakia) : Ou de concret?
Mme Weil : De concret, oui.
Mme
Fourati (Rakia) : D'accord.
Beaucoup, sauf qu'il faut commencer par le commencement. Moi, je dirais
que, la charte, c'est vrai qu'elle n'a pas
été jusqu'au bout, mais, pour l'instant, déjà quand la charte passe, quand les
choses sont claires, il va y avoir beaucoup... C'est comme le premier pilier
d'une fondation. Après, il va y avoir la structure qui va monter tout autour
notamment, notamment.
Et
là aussi j'ouvre une autre petite parenthèse, le contexte de l'immigration,
parce qu'aussi ces gens-là qui viennent, dont je fais partie... Moi, vous savez, je vais vous raconter ma propre
histoire ici, vous allez rire. Quand je suis arrivée, on m'avait demandé mes notes
pour voir si j'ai l'équivalence, etc. Mon fils qui était à Paris a été voir à
la Pitié Salpêtrière pour chercher mes notes, on lui a dit : Il y a
40 ans qu'on n'a plus de... gardé les archives. D'accord? Donc, tout ça,
ça altère beaucoup dans l'intégration
sociale. L'immigration a un grand rôle à jouer pour que les gens, avant de
venir, non seulement ce que j'avais
dit, qu'ils sachent à quoi s'en tenir. Comme ils savent qu'il y aura la neige
en hiver, il faut qu'ils sachent si leur diplôme est reconnu, il faut
qu'ils sachent qu'il y a laïcité, il faut qu'ils sachent qu'ils ne pourraient pas porter le foulard dans le travail, etc. Il
faut qu'ils sachent beaucoup de choses, d'accord, l'immigration.
L'éducation, l'éducation, il faudrait que
ces écoles-là coraniques, ces écoles-là qui se permettent de construire des
futurs petits intégristes dans le monde… qu'elles soient contrôlées.
Mme
Weil : Bon, merci, Mme Fourati. Bon, l'inquiétude qui est exprimée actuellement, puis je vais vous citer l'Hôpital
général juif, il y a un médecin juif fort apprécié en neurologie, Dr
Schondorf, qui dit qu'il va quitter si l'interdiction est adoptée. C'est
un exemple. Il y a M. Sanjeet-Singh Saluja, un médecin sikh au Centre
universitaire de santé McGill, qui dit
qu'il… il évoque son départ possible. Il
y a beaucoup de, ce que je
pourrais appeler, dommages collatéraux.
Mais il y a beaucoup de femmes qui portent le voile, très intégrées,
très professionnelles, très compétentes, qui travaillent partout dans le réseau de la santé et des services sociaux au gouvernement.
C'est des femmes qui
participent pleinement au développement économique et social du Québec. Elles
sont venues, les règles du jeu étaient les règles du jeu qu'elles
connaissaient, et soudainement elles vont être écartées.
Avez-vous
une inquiétude par rapport à l'impact de ces mesures si drastiques, si
rapides et si tranchantes pour faire évoluer la société québécoise dans
le bon sens de la prospérité, de l'ouverture, parce que, pour... alors qu'on
pourrait lutter contre l'intégrisme...
Le Président (M.
Morin) : Je m'excuse, je me dois d'intervenir, le temps est écoulé.
Mme Weil :
Ah bon?
Le Président (M.
Morin) : Je passerais la parole à madame de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup, M. le Président. Pour combien de minutes, je vous prie?
Le Président (M.
Morin) : Oui, c'est vrai, j'oublie toujours.
4 min 35 s.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup. Mme Fourati, merci beaucoup pour votre mémoire. Je trouve excessivement intéressant d'entendre parler
des gens qui parlent de leur expérience personnelle, du vécu personnel,
qui ont connu effectivement le sujet dont
nous parlons ici. Quoique la charte du ministre
est beaucoup plus large que
l'intégrisme, on parle de laïcité de l'État.
Vous parlez dans
votre mémoire, et on a commencé à aborder la question avec la collègue de la
première opposition… Vous parliez d'immigration. Et vous avez écrit quelque
chose, et je vais vous citer, parce que j'aimerais que vous élaboriez davantage.
Vous dites...
Mme Fourati
(Rakia) : ...quelle page, s'il vous plaît?
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, oui, pardonnez-moi, la page 4. Alors, la page 4, deuxième paragraphe,
je vous cite, vous dites : «…je suggère
une immigration plus étudiée et plus sélective aussi bien sur le
plan professionnel que sur le plan
moral et psychologique, prenant en considération la capacité et la volonté de
chacun à vouloir s'intégrer en respectant
les droits de toutes et de tous.» Pourriez-vous élaborer? Comment pourrait-on
arriver à faire ça? Parce que,
là, on est rendus dans la subtilité, là. Comment décider si un immigrant a
cette volonté morale?
• (10 h 30) •
Mme Fourati (Rakia) : Oui, effectivement, là on tombe... Mais, que j'avais dit, l'immigration, il y a beaucoup de volets dans l'immigration qui doivent être
révisés, entre autres la demande. Si on coche quatre cases oui, deux
cases non, on a le droit de vivre ici. Si c'est trois non... Ce n'est
pas ça, l'intégration. Ce n'est pas ça, pour moi, une demande pour être... Ce que je suggérerais, c'est une étude
plus approfondie. Je n'ai pas la prétention de la faire comme ça, j'en
parle, c'est tout. C'est une étude plus approfondie de l'intégration, de l'immigration
pour qu'ils soient mieux intégrés, les gens qui
viennent, notamment, oui, une séance pour discuter avec ceux qui sont
censés venir vivre ici, voir leur capacité, leur aptitude à vouloir réellement
s'intégrer, pouvoir vivre dans une société laïque; qu'est-ce que c'est, la
laïcité.
Vous savez que, chez
nous, la laïcité, c'est l'athéisme, hein, il ne faut pas trop se... Je vous le
dis. Comme dans notre processus la religion, c'est l'État, la religion, c'est
la politique, la religion, c'est tout, donc, la laïcité, c'est l'athéisme, il n'y a pas de... Donc, il faut,
ces gens-là, avant qu'ils viennent, qu'ils sachent tout ça. Il ne faut pas qu'ils viennent juste parce
qu'on leur a interdit le foulard chez eux, qu'ils ont été mis en prison, ils
viennent ici, donc, des réfugiés politiques
qui n'ont pas pu vivre chez eux parce que c'est interdit et qui veulent
l'appliquer ici, ou des gens qui viennent
et qui... juste pour l'intérêt économique, sans savoir s'ils vont réellement
pouvoir s'intégrer ou pas, des gens qui viennent avec des diplômes et,
quand ils arrivent ici, on leur dit : Vos diplômes ne sont pas reconnus,
des gens qui viennent avec le niqab, et, quand ils arrivent, on leur dit :
Le niqab est interdit. Tout ça, c'est à revoir à la base, avant qu'on parle
d'immigration.
Mme Roy
(Montarville) :
Est-ce qu'il me reste un peu de temps?
Le
Président (M. Morin) : Oui. Moins d'une minute.
Mme
Roy
(Montarville) : Parfait. Vous parliez de symbole, hein, la symbolique, la symbolique du
voile, et vous dites également, dans votre mémoire, le voile et la
barbe. Parlons-en, de la barbe, parce qu'actuellement le projet de loi n° 60 ne touche pas à la barbe. Vous qui
avez vécu dans ces pays, ça signifie quoi? Comment l'identifier? Puis
qu'est-ce qu'on devrait faire ici?
Mme Fourati
(Rakia) : Bon, je vais vous dire, il n'y a pas que la barbe, il n'y a
pas que le foulard qui sont des signes
ostentatoires. Il y a beaucoup plus que ça, et le plan est très là. Et
d'ailleurs même les hommes, entre nous, ils ont aussi comme le foulard pour ce qu'on appelle cacher la «awra», pour
cacher les parties qui ne doivent pas être visibles pour un homme. L'homme aussi, il a des parties
qu'il doit cacher pour les femmes, qu'il n'a jamais respecté, sinon il
ne pourrait pas faire du soccer, du football, etc., voilà…
Le
Président (M. Morin) : Merci. Merci de votre réponse. Ça me
désole, j'ai de la misère avec ça, mais c'est comme ça. Donc, M. le
député de Blainville.
M.
Ratthé : Merci, M. le Président. Bonjour, madame. Écoutez, j'écoutais
depuis la semaine dernière, là, les… j'allais
dire les gens qui sont défavorables, là, nécessairement, à cette loi-là. Ils
nous disent souvent — comme l'a fait d'ailleurs le député de LaFontaine tout à
l'heure, il vous a questionnée sur le point de vue — qu'il devrait y avoir
des études pour évaluer l'ampleur du
phénomène, combien de personnes seraient touchées. Et je pense que ce que j'ai
compris de vous, c'est qu'effectivement on
devrait pousser plus loin, avoir des études, mais ma question est beaucoup plus
directe : Est-ce qu'on devrait attendre d'avoir des études avant de passer
le projet de loi ou on ne devrait pas attendre?
Mme Fourati (Rakia) : Non, il faut commencer par le projet de loi, et après les études
viendraient, comme je vous dis, comme structures autour de ce pilier-là.
Après, les études nous diraient comment il faut faire pour l'immigration. Après, les études nous diraient comment il faut
faire pour ces écoles-là qui sont ouvertes, qui sont coraniques et qui
ne sont pas contrôlées sur le plan
psychopédagogique des enfants — et je le dis en tant que responsable psy et
je m'assume — pour
beaucoup d'autres choses, mais il faut commencer déjà par mettre sur pied le
pilier, que la charte soit appliquée, et les autres vont venir avec le temps.
Ça, c'est l'avenir, comme on dit. C'est l'avenir du Québec.
M. Ratthé :
Être proactif plutôt que réactif. C'est ce que vous nous dites, finalement.
Vous
venez de parler de l'enfant, de son développement psychomoteur, puis c'est un
paragraphe que j'ai souligné dans votre mémoire, à la page 7, et je
trouvais important peut-être que vous partagiez ça… Moi, je l'ai lu, mais il
est peut-être important de partager ça avec
les auditeurs, avec les gens, et ça vient peut-être expliquer… La semaine
dernière, je parlais à des dames puis
j'essayais de comprendre, je leur demandais pourquoi, le voile, pourquoi est-ce
qu'elles auraient de la difficulté à
l'enlever, et on me disait : Bien, ça fait partie de moi, ça m'identifie,
je ne serais pas capable de le faire, et je trouvais intéressant… Vous dites que le voile peut devenir une
composante d'un schéma corporel. J'aimerais que vous m'en parliez un
petit peu, parce qu'on parle ici d'imposer le voile à des petites filles de
l'âge de cinq ans. Pouvez-vous élaborer davantage?
Mme Fourati (Rakia) : Oui. Vous savez, en psychomotricité, un enfant, pour qu'il puisse vivre
ultérieurement bien dans son corps, bien
dans sa pensée, bien dans sa vision, il faut qu'il vive son schéma corporel et
le vive avec le temps, l'espace et
l'objet qui l'entourent. Bon, si cette petite fille, elle est déjà inhibée sur
le plan psychomoteur, si elle est déjà inhibée sur l'image d'elle-même,
comment voulez-vous qu'elle soit... surtout avec le voile? Et vous voyez la
photo que j'avais mise, elle ne peut même
pas bouger comme il faut. Comment voulez-vous que cette petite fille,
ultérieurement, dans son corps, dans son esprit, dans son état, puisse être
équilibrée et puisse être apte et prête à s'assumer et avoir un moi assez fort?
M. Ratthé :
Parce que le voile fait partie intégrante d'elle-même, à ce moment-là. C'est ce
que vous dites, là.
Mme Fourati
(Rakia) : Le voile fait partie de son schéma corporel qui ne doit pas
exister et qui précise qu'il y a certaines
parties en toi qui sont «haram», il y a certaines parties… C'est comme si ces
parties-là ne devraient pas exister, ne devaient pas… et ça, c'est très
fort pour une petite fille qui va grandir avec ce corps-là qui est tabou,
grandir dans un corps tabou.
M.
Ratthé : Donc, ce qui
expliquerait peut-être la résistance de certaines femmes à vouloir effectivement, là, le retirer, c'est ce que je comprends.
Mme Fourati (Rakia) : Le retirer, oui. Quand elles s'affirment, oui, elles le retirent. Mais
je ne sais pas si j'ai le temps de... Non?
Le Président (M.
Morin) : Continuez, voulez allez perdre du temps.
Mme
Fourati (Rakia) : D'accord. Parce qu'une fois en Arabie saoudite aussi j'ai eu
une petite fille de cinq ans qui est… sa maman était venue consulter pour...
enfin, elle l'a emmenée à la consultation parce que cette petite fille régressait beaucoup, elle régressait dans son
comportement — je
vais essayer d'être brève — elle
régressait dans son comportement, et, après
les séances, on a remarqué que la petite fille — elle a quatre ans, entre quatre et cinq
ans — elle a une
maîtresse au jardin d'enfants, donc, qui lui racontait les horreurs qu'elle va
vivre si elle ne portait pas le voile. Et, cette petite fille, sa maman, à la maison, est libanaise et donc elle est...
Bon, je suppose que, comme moi quand j'étais là-bas, on met le voile quand on sort dans les lieux publics,
etc., mais, quand elle va chez les gens et tout, chez ses amis, elle ne
porte pas le voile. Et cette fille, elle se
sentait coupable. C'est comme si elle est responsable de sa maman qui, elle, ne
porte pas le voile et qui va aller en enfer sans le savoir.
Le Président (M. Morin) :
Merci, madame. J'ai concédé quelques secondes, c'était tellement intéressant.
Mme Fourati (Rakia) : Oui, j'ai
terminé aussi.
Le
Président (M. Morin) : Merci beaucoup pour votre présentation.
On a écouté ça avec intérêt et surtout avec beaucoup de curiosité, on a
appris beaucoup. Merci.
Et j'inviterais à se présenter le Mouvement
laïque québécois.
Je suspends quelques instants.
(Suspension de la séance à 10 h 37)
(Reprise à 10 h 39)
Le
Président (M. Morin) : Nous reprenons nos travaux et, comme je
vous l'ai dit à l'instant, le Mouvement laïque québécois. Donc, je crois
que c'est vous, Mme Jobin, la présidente. Allez-y. Vous avez
10 minutes.
Mouvement laïque
québécois (MLQ)
Mme Jobin (Lucie) : Merci. Alors,
bonjour, M. le ministre. Bonjour, MM. et Mmes les députés. Alors, nous sommes heureux
de présenter notre mémoire aujourd'hui sur le projet de loi n° 60.
Alors, pour ceux et celles qui ne connaissent
pas vraiment le Mouvement laïque québécois, alors je suis avec M. Michel
Lincourt, vice-président du Mouvement laïque québécois. Et moi-même :
Lucie Jobin, présidente.
Le Mouvement
laïque existe depuis 1981, et c'est un groupe de pression politique,
indépendant de toute affiliation politique,
qui est ouvert à tous les citoyens, toutes les citoyennes de toutes les
croyances qui partagent le même objectif fondamental, c'est-à-dire la laïcisation complète de l'État et de ses
institutions publiques au Québec. Alors,
comme vous voyez, ce n'est pas nouveau que nous luttons pour ce
principe.
Alors, comme
vous allez le voir, le MLQ n'est ni proreligieux ni antireligieux. Il milite en
faveur d'un aménagement de la vie en société qui permet aux
croyants de toutes les confessions et aux incroyants de vivre ensemble
dans le respect mutuel, la liberté et l'égalité des droits de chaque citoyen
devant la loi et à l'abri de toute forme de discrimination
et de ségrégation. Le MLQ a toujours prôné la liberté de religion… la liberté
d'opinion et de croyance, lesquelles,
toutefois, doivent s'exercer dans les limites des lois civiles. Alors, depuis
1981, nous défendons ces principes.
Je passe maintenant
la parole à M. Lincourt, qui va vous faire un résumé un peu de notre
position que nous allons vous présenter aujourd'hui avec différents amendements.
• (10 h 40) •
M. Lincourt (Michel) : Bonjour. Bonjour,
M. le ministre. Bonjour, mesdames. Bonjour, messieurs. À l'avant-garde de la
lutte pour instaurer la laïcité au Québec, le MLQ appuie le projet de loi sur
la laïcité, le projet de loi n° 60, et souhaite vivement qu'il soit
adopté le plus tôt possible. Et ça, c'est un appui qui a été voté à l'assemblée
générale du MLQ il y a quelques semaines.
Nous maintenons que c'est pour assurer la liberté de conscience, la
cohésion sociale et l'égalité des hommes et des femmes notamment qu'il faut
instaurer la laïcité et l'enchâsser dans la charte québécoise des droits et
libertés.
Afin d'améliorer un projet de loi déjà bien
fait, nous faisons quelques propositions. Nous pensons qu'il est important de bien communiquer l'idée de laïcité
auprès de la population, c'est pourquoi nous proposons d'ajouter au
titre actuel, qui est fort long, vous le savez, un titre abrégé qui serait la
charte de la laïcité. Ceci éviterait, dans les médias notamment, là, une
confusion des termes.
Deuxièmement,
en principe le préambule d'une loi poursuit au moins quatre objectifs :
énoncer la raison d'être de la loi,
définir les principaux éléments de la loi, encadrer la future interprétation
des divers articles de la loi, notamment par les tribunaux, et, dans ce
cas-ci, bien arrimer la loi n° 60 à la charte québécoise des droits
et libertés. Aussi proposons-nous d'ajouter quelques alinéas au préambule qui
parleront de dignité humaine, d'égalité des citoyens en droits, d'universalité
du bien commun, d'équilibre entre les droits individuels et la cohésion
sociale, de laïcité comme soc de la protection des droits et de la nécessité de
se doter d'un espace institutionnel permettant à chacun de s'exprimer en tant
que citoyen.
Nous
proposons d'ajouter un nouvel article 1 au projet de loi, un article 1
qui proclamera de façon très claire, et dans le mémoire c'est spécifié… qui proclamera la laïcité de l'État
québécois, qui définira que la laïcité est en fait la séparation entre
l'État et les religions et qui énoncera de façon très claire les trois
principes qui sous-tendent la laïcité, à savoir la liberté de conscience,
l'égalité des citoyens face à la loi et face à l'État et l'universalité de la
sphère publique.
À la liste des organismes
soumis à la laïcité, nous proposons d'ajouter l'Assemblée nationale et les
garderies privées, que celles-ci soient
subventionnées ou non. Protection des enfants face à la propagande, comme la
dame qui nous a précédés l'a souligné.
À l'article 5
du projet de loi n° 60, qui traite du devoir de réserve en matière religieuse
imposé aux agents de l'État, nous
proposons deux ajouts : un préambule qui précise le bien-fondé de cette
mesure et une précision à l'effet que les organismes de l'État ne puissent tenir des activités à caractère
religieux dans leurs locaux ni d'y afficher des symboles religieux. Le terme «organismes de l'État»
recouvre notamment les municipalités. On aura compris que nous
souhaitons que l'affaire de la prière et des
symboles religieux au conseil municipal de Saguenay ne puisse se répéter. Et nous
savons que nous sommes devant la Cour suprême sur cette cause. Il va de soi que
nous tenons à ce que ce devoir de réserve s'applique à tous les agents de
l'État, sans exception.
Nous signifions notre appui à la prescription
relative à l'obligation d'agir à visage découvert faite aux usagers et aux agents de l'État, mais — et
c'est une question que l'on pose au gouvernement et à l'Assemblée nationale — ne
devrions-nous pas aller plus loin et, par une loi séparée, interdire cette
pratique inique du port du masque, du port du voile intégral en tout temps,
interdire cette pratique en tout temps et partout sur le territoire québécois?
À propos du
crucifix à l'Assemblée nationale, nous souhaitons qu'il soit décroché de son
emplacement actuel et respectueusement transporté dans un autre lieu de
l'édifice de l'Assemblée nationale ou encore dans un musée.
Tout en
approuvant le libellé des nouveaux articles de la charte québécoise des droits
et libertés pour y inscrire la laïcité, nous proposons un ajout qui spécifierait
que l'État, ses institutions, l'action gouvernementale et celle des agents de l'État sont laïques et que nul, nul ne
peut porter atteinte au caractère de la neutralité de l'État, de ses
institutions et des services publics. Sur cette question, nous souhaiterions
rappeler que, le 22 novembre 2009, le MLQ a adopté une résolution qui préconisait l'inscription de la laïcité
dans la charte québécoise des droits et libertés. Bien que le
libellé du projet de loi n° 60 soit différent de celui de notre résolution,
nous considérons que l'esprit y est respecté, c'est pourquoi nous
apportons notre appui au projet de loi n° 60 sur cette question-là
comme sur les autres.
Il est
fortement suggéré d'inscrire dans la future loi n° 60 l'appel à
la clause dérogatoire de la Loi constitutionnelle de 1982, la loi du Canada,
la clause dérogatoire.
En
conclusion, nous souhaitons que la charte de la laïcité soit votée à l'unanimité par tous les élus de l'Assemblée nationale. Nous ferions ainsi…
Nous, comme citoyens, nous serions alors extrêmement fiers de notre Assemblée
nationale et nous ferions ensemble un geste
pour faire avancer la civilisation. Alors, je vous remercie, et Mme Jobin
et moi, nous sommes... Oui, oui.
Mme Jobin
(Lucie) : Juste avant que
vous passiez aux questions, vous avez dû constater dans notre mémoire
que, vers la fin, nous avons noté quelques
enjeux qui avaient été laissés de côté dans le projet de loi actuel. Alors,
vous trouvez ça à la page 21 de
notre mémoire, où on parle de la fiscalité des organismes
religieux, qui ont déjà beaucoup de privilèges. Alors, ça aussi, il faudrait que ça soit étudié. Il y a
aussi le comité et le Secrétariat aux affaires religieuses qui relèvent
du ministère de l'Éducation et du Loisir. Il
y a aussi toute la question des écoles privées religieuses, dont la dame
précédente a fait état, mais qui ont aussi
beaucoup de subventions. Il y a toute la question du cours d'éthique et de
culture religieuse, qui, d'après nous, n'est pas exempt d'endoctrinement
religieux et qui fait partie quand même du programme du ministère de l'Éducation. Et, comme nos écoles sont
supposées être laïques, de même que nos commissions scolaires, alors on
ne voit pas la place de cet enseignement-là
et on suggère plutôt qu'il soit remplacé par un cours d'enseignement moral
et d'éthique. Il y a toute la question de la
nourriture cashère et halale qui est aussi soumise à votre étude, parce que, là
aussi, il y a beaucoup de sommes d'argent qui vont à des communautés
religieuses. Alors, c'est les points sur lesquels on voulait attirer aussi
votre attention.
Le
Président (M. Morin) : Merci, Mme Jobin, M. Lincourt.
Vous m'avez facilité la tâche. M. le ministre, vous avez encore
22 min 40 s.
• (10 h 50) •
M. Drainville : Merci, M. le
Président. Merci beaucoup pour votre présentation.
À la page 10 de votre mémoire, vous dites
ceci, et je vous cite : «Comme la majorité des citoyens du Québec, nous sommes d'avis que cette restriction — donc la restriction relative au port d'un
signe religieux ostentatoire par les agents
de l'État — est
nécessaire parce que les agents incarnent l'État. Dans l'exercice de leur
mission, les agents d'un État laïque
doivent eux aussi être laïques, à la fois dans leurs actions, dans leurs
discours, dans leur comportement et dans leur habillement. Pourquoi?
Parce qu'ils sont au service de tous les citoyens, à qui ils doivent respect,
quelles que soient les croyances ou les convictions de ceux-ci.»
Certains diront, des personnes ou des groupes
qui s'opposent à la charte, qu'au contraire la meilleure façon d'incarner la
neutralité, c'est par la multiplication des signes religieux chez les agents de
l'État. C'est à travers, donc, cette multiplication que la neutralité se
concrétise. Donc, il y a une espèce, à ce moment-là, de représentativité de la
diversité religieuse. Comment vous réagissez quand vous entendez cet
argument-là, vous?
Le Président (M. Morin) : Qui
intervient? M. Lincourt? Allez-y.
M.
Lincourt (Michel) : Oui.
Oui, je vais répondre à ça. Je pense que nous sommes tous des citoyens
du Québec, et l'État québécois, dans toutes ses ramifications, est au service de
tous ces citoyens-là. Et, quand nous sommes fonctionnaires,
un agent de l'État, nous avons une tâche à
remplir, et cette tâche-là n'est pas de nature religieuse, n'est pas de nature
de propagande pour un point de vue ou un
autre point de vue, même pas pour défendre le point de vue d'un parti
politique ou d'une
autre politique. L'agent de l'État est au service du citoyen et il est là pour
représenter l'État, qui, pour l'ensemble des choses, doit être le même
pour tous. Donc, la multiplication des signes qui sont étrangers à la mission
collective de l'État nous apparaît comme étant des entraves.
Et je peux comprendre le citoyen qui n'a pas la
conviction qui est affichée par ce fonctionnaire d'être en désaccord avec ça et
d'être heurté par ça. Prenons le cas du parent d'un petit garçon de six ans qui
voit son fils ou une petite fille de six ans
se faire endoctriner dans une école coranique, par exemple, ou une école
évangélique, par exemple, et voir des
professeurs qui affichent des messages qui ne sont pas du tout les messages du
programme pédagogique du ministère de
l'Éducation. Ce parent dit : Moi, je suis en désaccord avec ça. Alors,
qu'est-ce qu'on dit à ce parent? Ah! tout le monde a le droit à son opinion, puis le professeur peut endoctriner
ton enfant, puis tu as juste à rentrer chez toi puis accepter ça parce qu'il représente la diversité de la
société québécoise? Je ne pense pas que c'est une situation… une politique
qui est sage. Je pense que la politique qui
est sage, c'est de dire aux agents de l'État : Quand tu travailles pour
l'État, tu es neutre par rapport à
tout ce qui est extérieur à ta mission, et la mission, c'est la même pour tous.
Et on demande à un médecin d'être un excellent
médecin et non pas quelqu'un qui fait la propagande d'une croyance. Nous
demandons à un professeur d'histoire d'enseigner l'histoire comme le
veut le programme pédagogique, à un professeur de mathématiques d'enseigner les
mathématiques, etc. Je pense que c'est une politique, d'ailleurs, qui est
appliquée à beaucoup d'endroits déjà.
M.
Drainville : Sur la
question de la neutralité politique, il y a quelques personnes qui sont venues nous
dire : Ce n'est pas la même chose. La neutralité politique, ça, c'est une
chose; la neutralité religieuse, c'en est une autre. En d'autres mots, ils soutiennent que le fait que la neutralité politique
commande l'interdiction de porter un signe politique, ça, c'est
acceptable et c'est tout à fait, dans leur esprit du moins, compatible avec le
respect de la liberté d'expression, mais,
quand ils arrivent à la liberté de religion, là ils disent : Ah! Là, c'est
autre chose, là. La neutralité religieuse ne doit pas se décliner par
une neutralité religieuse d'apparence, donc par un interdit de porter des
signes religieux, au nom de la liberté de
religion. Alors, moi, je leur dis : Donc, la liberté d'expression, pour
vous, est moins importante que la liberté de religion? Ah non, ce n'est
pas ça qu'on veut dire, etc.
Comment vous
réagissez, vous, à cette apparente… Je dis bien «apparente», parce que je
respecte évidemment le point de vue
de ceux qui soutiennent cette position-là, mais il y a une apparence, me semble-t-il,
d'incohérence ici entre la neutralité politique qui est acceptée de
tous — moi,
je n'ai entendu personne, dans ce débat-là, dire qu'il était contre la
neutralité politique, y compris l'interdiction d'afficher ses couleurs
politiques — et
donc la neutralité religieuse.
M.
Lincourt (Michel) : Moi,
ceux qui soutiennent cette distinction, à mon avis, ça ne tient pas, ça ne
résiste pas à l'analyse. Je veux
dire, pourquoi une pratique n'est pas contraire à un droit? Pourquoi, le signe politique, quand on
l'interdit aux agents de l'État, ça ne brime pas la liberté d'opinion et la
liberté d'expression, qui sont deux droits protégés par les chartes, puis, quand on veut le même devoir de réserve pour les
signes religieux, ça brimerait la liberté de religion? Mais que fait-on de la liberté de conscience? Que
fait-on de la liberté de conscience et des droits des usagers de l'État face à ça?
Je pense
que… Cette distinction, selon moi, ne tient pas du tout, d'autant plus que le projet de loi n'interdit pas aux agents de l'État
les signes religieux. Le projet de
loi, l'article n° 5,
si vous le lisez, interdit le port de signes religieux qui ont un
caractère ostentatoire. Il est possible, si vous êtes un agent de l'État, de
porter un signe religieux discret, un «pin»,
hein, bon, etc. Mais ceux qui s'opposent à la charte disent : Non, non,
non. Nous, nous voulons un signe religieux
ostentatoire. Mais pourquoi ça, pourquoi le signe religieux doit-il
obligatoirement avoir un caractère ostentatoire? Cette question est
rarement posée.
M. Drainville : Et pourquoi,
selon vous?
M. Lincourt (Michel) : Bien, parce
que je pense que le signe religieux n'est pas neutre. Le signe religieux ostentatoire notamment est un signe qui
transporte un message, un message de prosélytisme, un message de
propagande religieuse qui n'a pas sa place
dans les fonctions de l'État. Et l'État, je le répète, il est pour tout le monde, hein? Indépendamment des religions, indépendamment des partis
politiques, indépendamment de toutes les croyances que l'on pourrait avoir,
indépendamment des opinions sur telle chose et telle chose, l'État est là pour
servir tout le monde de la même façon.
Les religions
sont particulières, l'État est universel, hein? Les religions se basent sur
des préceptes qui viennent d'un soi-disant message divin, alors que l'État
se fonde sur des lois qui sont votées par l'Assemblée nationale, qui sont votées par les citoyens. Ce sont les citoyens
eux-mêmes qui décident quelles sont les lois qui régissent
la vie collective. Alors, ça, c'est
fondamental dans les… et il faut absolument que les agents de l'État
transportent, si vous voulez,
cette mission collective de l'État.
Le Président (M. Morin) :
Mme Jobin, vous vouliez intervenir?
Mme Jobin
(Lucie) : Je veux juste
compléter un peu ce que M. Lincourt a dit. Quand on vous a fait quelques
suggestions au niveau du préambule, justement, c'était pour mettre en place les
conditions d'exercice des droits, parce que, quand on dit : La
liberté de religion, la liberté d'expression, nous, on est contre la
hiérarchisation des droits. On dit que les
droits, c'est ce qui est inscrit dans les chartes, autant canadienne que Charte
des droits et libertés. Et, quand on établit les différents points du
préambule qu'on vous suggère d'inscrire pour présenter le projet de loi, c'est
là ce que M. Lincourt disait par rapport à l'égalité citoyenne. On
dit : Les Québécoises et Québécois sont égaux en dignité, et cette égalité
citoyenne ne souffre d'aucune restriction. Ça veut dire que, quelle qu'elle
soit au niveau religieux ou autres, ça ne s'établit pas.
Parce que, si on est tous égaux, puis c'est l'Assemblée nationale qui décide
d'adopter la loi, le projet de charte, à ce moment-là, si tout est inscrit dans
le préambule, la population va pouvoir comprendre et apprécier pourquoi cette
charte-là a été établie et sur quelles bases.
• (11 heures) •
M.
Drainville : Si je
voulais résumer un peu — je ne crois pas déformer vos propos — on pourrait dire : Je ne
souhaite pas, moi, que la religion d'un agent de l'État vienne brimer ma
liberté de conscience, hein? Je pense qu'on n'est
pas loin du coeur de l'affaire ici, là. Donc, vous dites, dans le fond :
Moi, comme usager, quand je me présente devant l'État, l'État étant
incarné ici par un policier, une policière, une fonctionnaire, une enseignante
ou un enseignant, une infirmière, un
médecin, etc., je ne souhaite pas que cette personne affiche ouvertement ses
convictions religieuses, parce que je
m'attends à ce que le service soit neutre, dans un État neutre et laïque, et
donc je souhaite qu'il incarne ce respect, donc, pour mes convictions à
moi comme citoyen.
Mais que répondez-vous à ceux ou à celles qui vont
dire : Vous avez tort de vous sentir brimé dans notre liberté de
conscience, ce n'est pas… Ce que vous pourriez ressentir comme citoyen ou comme
usager du système public, dans le fond, vous n'avez pas à vous sentir comme ça. Vous
devriez respecter le droit de la personne d'afficher ses convictions religieuses et vous n'avez pas à vous sentir brimé
dans votre liberté de conscience. Comment vous... Parce que
moi, je...
M.
Lincourt (Michel) : On peut
renverser l'argument, dire à la personne : Pendant tes heures de travail,
sur les lieux de travail, si tu
travailles pour l'État, tu enlèves toute affiche religieuse et tu n'as
pas à te sentir diminué, tu ne perds pas
ton identité, comme tel. Finalement, tu deviens comme tous les autres citoyens
et tu offres des services comme tous les autres citoyens. On peut
renverser l'argument de la même façon.
Mais on peut même aller plus loin, je veux dire.
Dans une société comme la nôtre, qu'est-ce qu'un droit? Qui définit le droit?
Qui dit que telle chose est un droit et telle autre chose n'en est pas, hein?
En bout de ligne, c'est le législateur et ce
sont les élus de la population qui définissent ça. Il ne suffit pas qu'un
individu décrète comme ça : Ceci est mon droit, pour
qu'automatiquement l'ensemble de la société doive se rallier à cet énoncé.
Alors, le
port d'un signe religieux ostentatoire par un fonctionnaire, est-ce un droit?
On peut dire : Le législateur n'a jamais
dit ça. Le législateur dit que tu as le droit de pratiquer ta religion, mais la
laïcité, la loi n° 60, au Québec, n'empêche pas qui que ce
soit de pratiquer sa religion, d'aucune façon.
M.
Drainville :
Qu'est-ce que vous... Comment vous réagissez à l'argument à l'effet que la
neutralité religieuse ne devrait pas s'étendre aux universités par
principe pour leur autonomie et par principe également… par respect du principe de la liberté académique? En d'autres
mots, il faudrait sortir les universités du périmètre de l'application, du
champ d'application, plaideront certains. D'ailleurs, je pense, c'est
aujourd'hui ou demain que cet argument-là nous sera présenté. Alors, comment
vous réagissez à ça, vous?
M.
Lincourt (Michel) : Bien,
peu de jours après l'annonce du projet de loi, j'ai été invité par CBC à participer à un débat avec un professeur de théologie de l'Université McGill, et lui, subitement, il est arrivé, il s'est présenté à
Radio-Canada avec une croix sur la poitrine, puis on a convenu... Je lui ai
fait remarquer que son symbole religieux était subitement devenu un symbole
politique.
Moi, je pense
que c'est le contraire. Les universités doivent aussi donner des plateformes,
hein, communes. Un professeur de
médecine doit enseigner la médecine. Il n'est pas là pour faire de la
propagande pour sa religion, il est là et il est embauché pour faire ça. S'il a des convictions, il peut participer à
des débats, les universités vont pouvoir participer à des débats mais à
l'intérieur d'un forum qui est le même pour tout le monde, hein?
On se
souvient de l'affaire de l'Université York. Est-ce que, sous prétexte de
liberté religieuse, on va permettre à un étudiant de s'abstenir de participer à des travaux parce qu'il y a des
femmes, un autre va pouvoir s'abstenir de participer à des travaux parce
qu'il y a des Noirs, un troisième, parce qu'il y a des musulmans, puis un
quatrième, parce qu'il y a des Juifs, puis
etc.? Je veux dire, où s'arrête cette soi-disant licence que réclament les
universités? Moi, je ne le sais pas, mais,
s'il est possible d'avoir une liberté d'expression de la part des professeurs
et de la part de l'administration sans pour autant se balader dans les
universités en affichant un drapeau, en érigeant un drapeau...
Comment un
professeur de théologie… mettons un professeur de philosophie qui s'affiche
ouvertement thomiste, par exemple,
peut apprécier un travail d'un étudiant marxiste? Ça se passe comment, là, dans
le débat philosophique? Je veux dire,
moi, j'ai vécu… Vous savez, ceux qui ont mon âge ont vécu ça. Je veux dire,
moi, quand j'allais au collège classique,
hein, en philo I, philo II, je veux dire, on n'a jamais étudié le
marxisme, c'était interdit, c'était à l'Index. Par ailleurs, je veux
dire, c'étaient là des lieux d'enseignement supérieur, en philo. C'étaient des
cours de philosophie mais fichument encadrés
et fichument orientés vers une direction. Et nous aussi, on allait à la
confesse, et nous aussi, on faisait
des promesses pour le restant de nos jours d'être un bon catholique, comme on
force les petites filles actuellement de faire des promesses qu'elles vont porter leur voile toute leur vie.
C'était ça. Le Québec s'est sorti de ça, et le collège de Jésuites ou le
collège de Sulpiciens est devenu un cégep laïque.
La
déconfessionnalisation a eu lieu, hein? Il y a une histoire qui précède ce qui
se passe aujourd'hui, hein, qui date de fort longtemps, et les arguments qui se
sont opposés au droit de vote des femmes, hein, les arguments qui se sont
opposés à la déconfessionnalisation des coopératives, à la
déconfessionnalisation des unions ouvrières, à la déconfessionnalisation des
universités… L'Université de Montréal est une université dont le recteur était
nommé par Rome, il faut bien s'entendre.
Rome s'est opposée à la création de l'Université de Montréal, hein, on voulait
que Montréal, l'Université de Montréal, soit une filiale, une petite
filiale de l'Université Laval papiste, c'était ça. Après ça, il y a eu tout le
mouvement de la déconfessionnalisation du régime scolaire. À toutes les étapes,
partout, les arguments ont été mis de l'avant par les mêmes individus, les mêmes regroupements, des
élites politiques, des élites des médias et les groupes religieux, les
Églises, les diverses Églises selon les époques, et encore aujourd'hui ce sont
les mêmes arguments qui sont apportés par les mêmes gens. À travers l'histoire,
il y a eu des gens qui se sont toujours mis du mauvais côté de l'histoire,
comme pour la loi 101 pour la langue, etc., et pourtant le Québec a évolué
vers une étape cruciale dans son évolution
qui est la loi n° 60 actuelle, et il y aura d'autres étapes à franchir,
là, qui vont suivre par la suite. Donc, il y a tout ce mouvement
historique dont il faut tenir compte.
M. Drainville :
Il me reste seulement quelques minutes. J'ai noté évidemment que vous
souhaitiez étendre l'obligation du visage à découvert aux garderies privées non
subventionnées. Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi c'est important
pour vous? Qu'est-ce qui justifie ça, à votre avis? Parce qu'actuellement,
juste pour que les gens qui nous écoutent
nous suivent bien, dans le projet de loi il est prévu que l'obligation du
visage à découvert s'applique aux
CPE, aux garderies privées subventionnées ainsi qu'aux garderies en milieu
familial, mais on ne va pas jusqu'aux garderies privées non
subventionnées. Vous, vous le souhaitez. Pourquoi?
M. Lincourt
(Michel) : Parce que, je veux dire, ce qui est en jeu ici, ce n'est
pas tellement la structure bureaucratique autour de ces organismes-là ou ces
institutions. Ce qui est en jeu, c'est la protection des enfants. Si, en bout de ligne, on protège les petits contre
l'endoctrinement qui a été décrit tout à l'heure, hein, on doit protéger
tous les enfants, pas uniquement ceux qui sont dans des organismes, des écoles
ou des garderies qui sont dans une structure budgétaire
ABC, puis, XYZ, on ne les protège pas. Moi, je pense que la loi s'applique à
toutes les maisons d'éducation, à tout le monde, parce que tous les
enfants au Québec sont égaux, hein, ils ont tous le même droit au même niveau
de protection, au même niveau d'éducation. Et c'est pour ça qu'on le propose,
c'est uniquement une question de protection de l'enfance.
M. Drainville :
Et en terminant… Il me reste, quoi, une minute?
Le Président (M.
Morin) : 1 min 35 s.
• (11 h 10) •
M. Drainville :
Donc, si je vous comprends bien, il n'est pas question, pour vous, de commencer
à dire : Certains agents de l'État devraient incarner la neutralité, et
donc l'interdiction sur le port des signes religieux devrait s'appliquer seulement
à ces personnes, et, pour ce qui est des autres, par exemple les professeurs
d'université, tout ça, ceux-là, non, on les
sort de l'application de la loi. Dans votre esprit, dès que tu incarnes la loi,
dès que tu es… ou l'État, devrais-je
dire, dès que tu incarnes l'État, dès que tu es un agent de l'État, tu dois
accepter qu'il y a une responsabilité qui vient avec ton devoir de neutralité, et l'une de ces responsabilités,
c'est de garder pour toi, pendant les heures de travail, tes convictions
religieuses.
M. Lincourt
(Michel) : C'est tout à fait ça. Puis il y a une dimension pratique à
ça. C'est que ça fait bien des années, nous,
qu'on patauge dans ces problèmes-là, et on n'arrive pas à mettre des critères
pour dire que lui ne doit pas porter de signe religieux puis lui peut le
porter. Tu sais, on a mis de l'avant le critère de l'autorité, mais où s'arrête
le fonctionnaire qui est en position
d'autorité? Je vous donne des exemples. Les fonctionnaires de l'impôt,
hein, du ministère du Revenu ou de l'Agence du revenu, ils sont en position
d'autorité. Le Protecteur du citoyen peut-il afficher un signe religieux comme
fonctionnaire? Je veux dire…
M. Drainville :
Donc, le cas par cas, pour vous, ce n'est pas une solution.
M. Lincourt (Michel) : Bien, c'est que tout de suite ça ouvre la
porte à toutes sortes d'arbitraires, à toutes sortes de passe-droits,
toutes sortes de situations ambiguës. Je veux dire, le commis du ministère…
Le
Président (M. Morin) :
M. Lincourt, je m'excuse, je m'excuse, je suis obligé de… on est obligés
de se diriger vers LaFontaine. M. le député.
M.
Tanguay : Merci, M. le Président. Bon matin, Mme Jobin. Bon matin,
M. Lincourt. On a déjà eu l'occasion de s'asseoir, vous et moi, je
pense que c'était à l'automne, je ne
me rappelle pas de la date, en septembre, octobre, lors de l'élaboration
de notre position. C'était, pour nous, important de vous entendre, de vous
écouter, et à ce moment-là on avait eu un
bon échange et franchement un échange qui avait été, je dirais, très
respectueux puis un bon échange. On n'est pas d'accord sur tout, bien évidemment,
mais on se respecte par rapport à ça, et c'est ce qui fait l'essence de notre démocratie,
c'est ce qui fait l'essence de nos débats. Et, pour vous comme pour moi, même
si on ne s'entend pas sur l'approche, sur
certaines notions, on n'a pas la même perception, les mêmes expériences et donc les mêmes
propositions, on se respecte là-dedans
et on reconnaît tous deux… ou tous trois, devrais-je dire, qu'il y a
là un élément fondamental. C'est autant fondamental pour vous que ça
l'est pour moi.
Et,
en ce sens-là, vous dites dans votre mémoire, sur un aspect…
Et, comme nous, vous devez sûrement
déplorer la division que l'on voit au Québec sur des questions fondamentales.
On parle du vivre-ensemble sur une question sur laquelle on doit asseoir notre démocratie,
et nos lois, et la façon d'aborder nos lois. Vous dites là-dedans, vous avez parlé, M. Lincourt… vous avez utilisé
l'expression «cohésion sociale» et vous concluez, dans votre mémoire, votre
souhait qu'une telle loi soit adoptée unanimement. Pourquoi c'est important
pour vous qu'il y ait, s'il n'y a pas unanimité, quasi-unanimité ou un très,
très large consensus?
M.
Lincourt (Michel) : Bien, dans une démocratie, c'est normal qu'il y ait
une divergence d'opinions. Puis, si on était
tous du même avis, cette commission parlementaire
n'aurait pas lieu, puis la loi serait déjà votée, puis tout le monde applaudirait. Donc, il y a des divergences
d'opinions, puis c'est sain, c'est bon que ce soit comme ça.
Ce
qui est extraordinaire dans ce qui se passe présentement, c'est qu'il y a cet immense débat, fort respectueux, je dois dire, à part quelques hurluberlus qui ont
lancé des accusations et des injures, mais d'une façon générale ça a été
très, très civilisé. Donc, il y a un débat. Est-ce qu'il y a une division comme ça au sein de la population? Il y a
des divergences d'opinions qui s'amenuisent selon les diverses
dimensions du projet de loi, et c'est la même chose pour les élus de l'Assemblée nationale. Et, si le Parti libéral, et
si la CAQ, et si Québec solidaire déclaraient aujourd'hui qu'ils
adhèrent au projet de loi, bien au moins
chez les leaders de la société, chez nos représentants, il n'y aurait plus de
division, hein? On peut dire que c'est vous qui entretenez la division,
n'est-ce pas?
M. Tanguay :
Et est-ce que vous croyez que nos arguments sont raisonnables et défendables?
Et croyez-vous que l'on se fait l'écho
raisonnable, comme ça doit être le cas en démocratie, de celles et ceux qui ne
sont pas d'accord ou, celles et ceux qui ne sont pas d'accord — puis
là je ne ferai pas référence à ce qu'a dit M. Michaud et qui a retiré ses
paroles — devrions-nous
les rejeter carrément du revers de la main?
M. Lincourt (Michel) : Moi, je pense que tous ceux qui sont en position
de leadership dans la société, et ça touche autant les élus que les gens
comme nous qui sommes dans des mouvements qui militent pour, dans certains cas…
dans ce cas-ci pour la laïcité… Je pense que
nous avons une responsabilité, et la première responsabilité, c'est de
faire la réflexion qui s'impose, hein?
Ça
fait des années et des années que nous, nous faisons la réflexion là-dessus,
que nous organisons des débats, hein, que nous organisons des
conférences publiques, que nous écrivons des mémoires, nous faisons des
conférences, nous faisons des textes sur à peu près tous les aspects qui
touchent à la laïcité, et on trouve ça un peu cavalier, disons, subitement de
voir des gens qui comme ça s'improvisent, puis qui lancent des affirmations,
puis qui développent des positions, puis… Je
veux dire, moi, j'ai vu dans les médias, d'un côté, une personne qui avait
écrit des bouquins, qui, depuis 30 ans,
travaille pour la laïcité; de l'autre côté, une autre personne qui n'a rien
fait, qui n'a rien réfléchi et qui subitement improvise des positions.
Je pense qu'il y a une responsabilité de faire cette réflexion-là.
Moi,
je trouve qu'il y a, dans des positions de certains partis politiques, un
manque de débat véritable. Je pense que ce sont tous des gens qui pensent de la même façon, qui se réunissent
autour de la même table et qui arrivent aux mêmes conclusions tout le
temps. Je pense que les arguments contraires sont peu retenus et je trouve ça
un peu déplorable. Je pense qu'il y a
nécessité de réfléchir aux positions politiques, il y a nécessité aussi
d'entendre la population. Et, bon, voilà, j'ai l'impression de vous
faire un petit peu la morale, mais ce n'est pas du tout mon intention. Mon
intention, c'est qu'il y ait un débat éclairé, hein, sur des principes.
M. Tanguay :
Est-ce que vous croyez que les Gérard Bouchard… M. Seymour qu'on a entendu
la semaine passée, qui a eu une position
extrêmement réfléchie, étayée et qui a su la communiquer… Est-ce que donc les
Bouchard, les Seymour… et là sans tomber
dans l'arène politique, là, les Lucien Bouchard et Parizeau, mais, Gérard
Bouchard, Seymour, croyez-vous qu'eux leur position a droit de cité?
Croyez-vous que leur réflexion est suffisamment longue dans le temps et étayée
pour avoir droit de cité?
• (11 h 20) •
M. Lincourt (Michel) : Tout le monde a droit de cité, mais je pense que
les organisations sans position d'autorité comme les partis politiques,
là, puis les élus ont une responsabilité additionnelle, une responsabilité de
prendre les avis de tout le monde puis de s'insérer dans des débats
contradictoires au sein de leurs organisations.
La commission
Bouchard-Taylor, je veux dire, à mon avis, a suscité plus de problèmes qu'elle
n'a apporté de solutions, hein? Je veux
dire, je peux témoigner que la commission Bouchard-Taylor a pratiqué la
censure. Par exemple, on m'a, moi,
interdit de témoigner. Alors, je veux dire, c'est ça, si vous regardez toutes
les recommandations de la commission Bouchard-Taylor, vous verrez que
tout le blâme va sur la société d'accueil. La commission Bouchard-Taylor a fait
dévier le thème de la laïcité sur le thème de l'immigration, et c'est deux
choses différentes. Il y a des recoupements qui
se font, et l'immigration rejoint la laïcité, mais la laïcité, ça rejoint tout
le monde et pas uniquement les nouveaux... enfin, les nouveaux citoyens
du Québec, ceux qui sont fraîchement arrivés ici. Donc, il y a beaucoup de
failles dans le travail et les recommandations de la commission
Bouchard-Taylor, et la preuve, c'est que, je veux dire, le débat a continué de
façon aussi animée après qu'avant. Donc, ça n'a pas réglé beaucoup de choses.
M. Tanguay :
Allez-y, Mme Jobin. Vous vouliez intervenir?
Mme Jobin
(Lucie) : Bien, simplement pour ajouter que, dans le cadre des recommandations
soumises par la commission Bouchard-Taylor, si on se rappelle bien, il n'y a
rien qui a été retenu, si ce n'est de… même par rapport au crucifix, ça, on s'en rappelle bien. Et
ça a comme continué à créer des malaises au sein de la société québécoise, comme disait Michel, puis le problème de
l'immigration s'en est trouvé comme plus souligné, parce que
là sont venues plusieurs demandes d'accommodement, si on se rappelle, par
rapport à… les piscines à Montréal et
certains cas d'écoles où les enfants
devaient se mettre des oreilles, là, pour ne pas entendre la musique. Alors, ça
a créé toutes sortes de
problèmes, qui avant existaient, mais la commission Bouchard-Taylor voulait les
régler. Mais ça n'a rien réglé, au contraire.
M.
Tanguay : Il y a beaucoup
d'éléments, et on a eu l'occasion de le souligner… Des 36 ou 37 recommandations
du rapport Bouchard-Taylor, il y en a plus de 80 % qui ont été appliquées.
Mais je ne vous ferai pas mon laïus, là, politique là-dessus. J'aurai
l'occasion de l'étayer, mais ça, ça avait été démontré.
J'aimerais
vous entendre sur deux choses rapidement avant de passer la parole à ma collègue.
Au niveau de la clause dérogatoire, selon vous,
c'est un point qui manque au projet de loi n° 60 parce qu'il ne
respecte pas la charte canadienne, et, en ce sens-là, j'aimerais vous entendre
sur la nécessité que vous soulignez de l'utiliser et de l'inclure.
M. Lincourt (Michel) : Au cours des
dernières semaines, il y a eu beaucoup d'individus, même des partis politiques fédéraux
puis des institutions qui ont menacé d'amener le projet de loi n° 60
devant les tribunaux puis de l'escalader
jusqu'à la Cour suprême. Donc, la menace d'avoir des poursuites venant de
partout, en même temps, elle a été faite par les opposants puis répétée,
hein, beaucoup, beaucoup ont répété ça.
Alors, on a beaucoup discuté entre nous de cette
clause et on est arrivés à la conclusion que, si on analyse la jurisprudence de la Cour suprême, notamment les
trois jugements qui concernent la sukkah sur les balcons au Sanctuaire à
Montréal, le kirpan dans la commission
scolaire Marguerite-Bourgeoys puis le port du voile intégral dans les
tribunaux, on arrive à la conclusion que la Cour suprême a hiérarchisé les
droits, dans les faits, malgré un discours du contraire.
La Cour
suprême dit : Le droit de religion est plus important que… Dans le cas du
Sanctuaire, le contrat signé de bonne foi entre ces familles juives et
la copropriété, bien ça, ce n'est pas important, le droit à leur religion est
plus important. Donc, malgré qu'ils aient
signé un contrat qui leur interdisait de faire des constructions sur le balcon,
on leur donne la permission.
Dans le cas du kirpan, le droit de religion
était plus important que le droit à la sécurité des enfants. Et le plus bizarre dans ce cas-là, dans le cas de la Cour
suprême, c'est que la Cour suprême permet le port du kirpan dans une école
mais l'interdit dans les tribunaux puis
l'interdit dans les avions, hein? Je veux dire, c'est… Puis tous les députés
ici ont voté la résolution
interdisant le port du kirpan dans l'enceinte de l'Assemblée nationale,
n'est-ce pas, hein, en affirmant le principe
de la laïcité. Voici, là, un vote unanime et qui a été salué par tout le monde
comme étant quelque chose d'extraordinaire.
Puis, dans le troisième jugement, qui est encore
beaucoup plus préoccupant, selon moi, c'est qu'on fait passer le droit de porter le voile intégral dans les tribunaux en
mettant de l'avant que le droit à la religion est plus important que le
droit de défense des accusés.
Devant ces
trois jugements-là, nous nous sommes dit qu'il y a un risque énorme qu'il y ait
une série de procès qui se fassent,
que ça monte en Cour suprême, puis,
comme ça s'est déjà passé, là, la Cour suprême déboulonne une
partie de la loi n° 60.
M. Tanguay : Donc… Et je vais poser une question
rapide, mais je vous entends bien, là. Il y aurait un risque extrêmement
élevé que le Parti québécois persiste et ne veuille pas mettre de clause
dérogatoire, autrement dit, envoyant le signal que, selon eux, ça va contre la
charte canadienne notamment. Donc, il y a ce risque-là que vous avez clairement
exprimé.
Avant de laisser la parole, rapidement
peut-être, si vous pouvez, parce que je sais que ma collègue a quelques questions, malheureusement on est compressés par
le temps : Pour vous, le crucifix… Nous, nous désirons que le
crucifix demeure à l'Assemblée nationale, demeure au salon bleu. Et, pour vous,
n'y voyez-vous pas là une valeur également patrimoniale, historique… ou vous
voulez le voir retiré comme le Parti québécois?
M.
Lincourt (Michel) : …je
pense que le crucifix a été mis là par Duplessis pour souligner la complicité
entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux. Au lendemain de l'adoption
d'une loi qui stipule le contraire, la séparation du religieux et de l'État, qu'il y ait ce symbole religieux catholique
au-dessus du président de l'Assemblée nationale nous apparaît pour le
moins incongru, donc on suggère en tout respect, hein, de dérocher le crucifix
et le mettre ailleurs dans ce bâtiment-ci ou dans un musée quelque part, à
Québec ou à Montréal.
Concernant
tout le respect… Bon, on pourrait suggérer d'autres symboles, si on veut
absolument mettre un symbole au-dessus de la tête du président de
l'Assemblée nationale, fleur de lis par exemple…
Le
Président (M. Morin) : M. Lincourt, je vais vous
interrompre un petit peu parce que le député de Mégantic a une question.
M.
Bolduc
(Mégantic) : Merci, M. le Président. J'ai une question à
deux volets. Je voudrais savoir ce que vous recommandez que l'on fasse avec les milliers de croix de chemin de nos
régions qui sont entretenues par les municipalités et les citoyens du Québec. Ça, c'est le premier
volet. La deuxième question est : Pourquoi les grandes villes du
Québec voudraient être exclues de la charte, s'il n'y a pas de situation
préoccupante?
M. Lincourt (Michel) : Le drapeau
québécois, la croix sur le mont Royal, le nom des villes, le nom des rues, les calvaires, les croix de chemin, les clochers
et tout ça, ça reste, on n'y touche pas. Ça fait partie de notre société,
c'est O.K. Là, c'est une loi qui s'adresse à
la fonction publique, finalement, à l'action de l'État, donc on ne touche pas à
ça, puis on est tout à fait d'accord avec ça.
Le fait que, le
crucifix, on suggère de le déplacer, c'est qu'il est au coeur du pouvoir de
l'État, hein? Puis peut-être que le crucifix,
il n'a pas sa place dans les cours de justice, hein? Devant la Cour d'appel à
Chicoutimi, où on débattait, là, le MLQ puis un citoyen avec le maire
Tremblay de ce procès, bon, le crucifix était au-dessus du juge, en fait des trois juges
de la Cour d'appel. On a demandé… Notre procureur a demandé de l'enlever, et le
tribunal a accepté de l'enlever, hein, parce que ça nous apparaissait
tout à fait incongru que, sur la cause qui touchait justement à des symboles religieux, la prière et le crucifix dans
la salle du conseil municipal de Saguenay, on tienne les audiences du
procès sous le crucifix, je veux dire, il y
a comme là, là, une incongruité qui est un peu… un peu bizarre. Mais, sur la
voie publique, je veux dire, il n'y a
absolument aucun problème. Même au contraire, je veux dire, si on parle au nom
du MLQ, nous sommes fiers de l'héritage québécois sous toutes ses
formes, là-dessus.
C'était quoi, votre
deuxième question?
M.
Bolduc
(Mégantic) : Pourquoi les grandes villes québécoises demandent
une exclusion?
M. Lincourt
(Michel) : Bien, je n'en sais rien. Je pense que la prétention du
maire de Montréal à l'effet que, je veux dire, personne ne va lui donner des
règles dans sa politique d'embauche, ça ne tient pas la route, hein, je veux dire, c'est de l'esbroufe uniquement. On peut
dire… Imaginez que le maire de Montréal décide : Je suis roi et
maître de l'embauche puis je décide que je
n'embauche pas de Noirs. C'est qu'on va tous rester assis puis dire : Il a
le droit de faire ça?
Le Président (M.
Morin) : Merci, M. Lincourt. Merci. Maintenant, la députée
de Montarville.
• (11 h 30) •
Mme
Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le
Président. Mme Jobin,
M. Lincourt, merci. Merci pour votre mémoire.
J'aimerais,
comme j'ai peu de temps, qu'on se rende tout de suite à la
page 22, parce qu'effectivement
le projet de loi n° 60 ne
traite pas de tous les aspects au Québec, et j'aimerais qu'on parle de ces
écoles privées religieuses. Vous en parlez,
vous dites qu'il faudrait se pencher sur la question. La charte n'aborde pas
cette question du financement des écoles privées à caractère religieux.
Je sais que vous avez
étudié la question longuement. Nous, de notre côté, on a fouillé auprès du
ministère de l'Éducation, il manque
cruellement de données à cet égard-là. Alors, ma question est la
suivante : Est-ce que le gouvernement devrait se pencher sur cette
question sérieusement? Et aussi est-ce que le gouvernement devrait être plus
vigilant à cet égard, puisque vous dites dans votre mémoire : «Et les
pouvoirs publics ferment les yeux sur cette dérive»? Alors, élaborez, je vous
prie.
M. Lincourt
(Michel) : Je pense que le devoir premier est ce qui est devant nous
actuellement, c'est le projet de loi
n° 60. Et nous travaillons pour aider les élus à faire adopter le plus
rapidement possible le projet de loi n° 60, et c'est pour ça que
nous n'avons pas entré dans le corps principal de notre mémoire toutes ces
questions-là.
Mais,
une fois que projet de loi n° 60 sera adopté, je pense qu'il y a
nécessité de se pencher sur un certain nombre de problèmes, et un de ceux-là, ce sont les écoles privées religieuses.
La plupart sont subventionnées, d'autres ne le sont pas. Il y a toutes sortes d'écoles privées religieuses. Il
y en a qui sont excellentes, il y en a qui sont médiocres. Il y en a qui
sont agressivement religieuses, il y en a
d'autres qui sont religieuses un peu par tradition puis font un petit peu de
pastorale après avoir appliqué l'entièreté du programme pédagogique québécois.
Je pense qu'il y a un ménage à faire là-dedans et je pense que l'État ne doit pas, selon notre point de vue, subventionner
les écoles privées qui font de l'endoctrinement religieux au détriment
du programme pédagogique du gouvernement québécois. C'est une question
complexe, parce qu'il y a peut-être autant de cas de figure qu'il y a d'écoles,
hein, à travers tout ça, mais, oui, effectivement, le gouvernement devrait se
pencher sur cette question-là.
Mme
Roy
(Montarville) : ...davantage à l'égard du fait que
le programme du ministère n'est pas respecté qu'à l'égard du fait
qu'elles ont le statut de religieux, que vous avez des préoccupations?
M. Lincourt
(Michel) : Bien, je veux dire, c'est que pourquoi il n'est pas
respecté, c'est parce qu'à la place ils
donnent des cours de religion, hein? Je veux dire, les écoles hassidiques, là,
je veux dire, n'enseignent pas le programme pédagogique du Québec parce qu'ils enseignent la Torah, et ça… Puis, tu
sais, quand tu leur dis : Pourquoi, les cinq jours de la semaine, ne pas enseigner le programme
pédagogique du Québec, puis le vendredi soir, le samedi, le dimanche
vous donnerez des cours sur la Torah?, non,
non, non, on veut enseigner la Torah le lundi, le mardi, le mercredi, etc.
Donc, ce sont surtout ces écoles-là qui posent problème pour l'éducation des
enfants.
Mais
le couvent des Ursulines à Québec est une école excellente, hein, formidable,
là, je veux dire, puis il s'y donne peut-être une petite demi-heure de
pastorale au-delà du programme pédagogique; qui accueille des enfants... non
seulement des enfants catholiques, mais des enfants musulmans, juifs, etc., de
toutes les confessionnalités, puis des enfants dont les parents ne pratiquent
aucune religion. Voici une école excellente et puis, à mon avis, une école où
il n'y a relativement pas de problème, là,
avec cette école-là. Si on regarde leur programme pédagogique, leurs
activités, etc., je veux dire, c'est une école formidable.
Donc,
il y a plein de cas de figure, mais effectivement c'est une question, ça, le
financement des communautés religieuses et des religions… La nourriture
cashère et halale, 70 % des produits qui sont offerts dans les grandes surfaces à Montréal sont cashers, ou halals, ou
les deux, hein? Je veux dire, c'est plus qu'anecdotique, là, je veux
dire, c'est un énorme trafic et...
Le Président (M.
Morin) : M. Lincourt…
M. Lincourt (Michel) : Oui.
Le Président (M. Morin) :
Je sais que je suis déplaisant, mais...
M. Lincourt (Michel) : Mais non.
Le Président (M. Morin) : M.
le député de Blainville.
M. Ratthé :
Merci, M. le Président. Mme Jobin, M. Lincourt, bonjour. Je vais vous
amener sur un dernier aspect, parce que vous avez déjà répondu à
beaucoup de questions. Fiscalité des organismes religieux, plusieurs, jusqu'à
maintenant, sont venus nous dire qu'on ne devrait pas du tout les
subventionner, si on suit la logique de ces gens-là, qui nous disent : Si on est laïc, l'État ne devrait pas
subventionner des organismes religieux. Vous avez une position, j'allais
dire, un peu plus modérée, dans votre cas. Vous allez même jusqu'à dire que certaines associations
culturelles, de bienfaisance devraient même pouvoir bénéficier de certaines
subventions. Donc, c'est les deux points que je voudrais soulever avec vous.
Et, le
dernier point, je voudrais que vous parliez également du fait que certains
animateurs, je vais appeler ça, de pastorale
ou de spiritualité devraient être
plutôt rémunérés par leurs communautés. Alors, vous pourriez peut-être
nous brosser le tableau, là, sur les trois points que vous avez soulevés dans
votre mémoire en ce qui regarde ça.
Le Président (M. Morin) :
Mme Jobin.
Mme Jobin (Lucie) : Oui. Au sujet,
justement, des animateurs de vie spirituelle dans les écoles et aussi dans les hôpitaux pour certaines religions, je pense
que, si les communautés veulent envoyer leurs émissaires, si on peut
dire, c'est que, d'après nous, ça devrait
relever de leurs compétences financières et non que ce soit subventionné par
l'État parce que, si l'État est laïque, les institutions publiques sont
laïques. Ça ne devrait pas être remis en question.
Puis je ne
sais pas si vous avez vu ça, noté ça dans le mémoire, on parle aussi des
célébrants de mariage. Dans le Code civil, on demande que certains
points du Code civil, certains articles du Code civil soient revus justement
pour permettre qu'il y ait des célébrants de
mariage qui… Parce qu'il y en a de différentes confessions, là, qui sont
reconnus, mais, pour ceux qui n'ont aucune pratique religieuse, il faut
procéder par le mécanisme qui est prévu, c'est-à-dire un célébrant désigné.
Mais, s'il pouvait y avoir des célébrants qui ne seraient à aucune connotation
religieuse mais qui soient reconnus, ça permettrait, pour l'ensemble de la
population, de profiter, dans le cas… de célébrer leur mariage ou cette
cérémonie. Mais c'est que, là aussi, il y a comme une inéquité entre les
confessions et ceux qui n'ont aucune pratique religieuse.
Puis la même
chose pour les personnes qui vont supporter moralement ou psychologiquement
dans les hôpitaux ou dans d'autres… Même les prisons, on sait que, ça
aussi, il peut y avoir des personnes qui peuvent être rémunérées.
M. Ratthé : …institutions,
parce que je n'ai pas beaucoup de temps. Votre opinion sur les institutions?
M. Lincourt (Michel) : Le
financement des institutions religieuses?
M. Ratthé : Oui.
M. Lincourt (Michel) : Bien, encore
là, je veux dire, nous ne sommes pas dogmatiques, là, face à tout ça. La logique d'une subvention à une organisation
quelconque religieuse, c'est que ça entretient des services sociaux,
hein? Mais, si l'institution en question, l'Église, ne fait rien de ça, hein,
pourquoi alors lui donner des exemptions fiscales? C'est juste une organisation pour ne pas payer l'impôt. Je pense qu'il y
a, là aussi, un énorme ménage à faire. Je pense qu'il y a de l'abus, je
pense qu'on se déclare religieux n'importe comment, puis il y a autant de
religions que de gars qui veulent sauver de
l'impôt, là. Je pense qu'il y a de l'abus, un énorme abus, puis il y a un
énorme ménage à faire là-dedans aussi. Puis, tu sais, je veux dire, que
l'ensemble de la population canadienne paie pour le chocolat qui est importé
avant Pâque parce que c'est exempt d'impôt, tu sais, c'est à la limite de ce
qui est raisonnable.
M. Ratthé : Merci.
Le Président (M. Morin) : Ça
va? Donc, Mme Jobin, M. Lincourt, merci beaucoup.
J'invite les prochains intervenants, l'Alliance
des communautés culturelles pour l'égalité dans la santé et les services
sociaux.
Je suspends quelques instants.
(Suspension de la séance à 11 h 38)
(Reprise à 11 h 43)
Le Président (M. Morin) :
Nous reprenons nos travaux en recevant l'Alliance des communautés culturelles pour l'égalité dans la santé et les services sociaux. Mme Gonzalez, je crois que c'est vous la présidente. Est-ce que
c'est vous qui intervenez? Allez-y.
Alliance des communautés
culturelles pour l'égalité
dans la santé et les services sociaux (ACCESSS)
Mme Gonzalez
(Carmen) : O.K. Merci, M. le Président. M. le ministre, Mmes, MM. les
députés. Alors, je me présente : Je
suis Carmen Gonzalez, présidente de l'Alliance des communautés culturelles pour l'égalité dans la santé et les services
sociaux. Et j'ai avec moi
M. Jérôme Di Giovanni, directeur général d'ACCESSS, ainsi que
Mme Soumya Tamouro, responsable des programmes santé de notre organisme.
Alors,
dans un premier lieu, Soumya va nous présenter ACCESSS. Après ça, Jérôme va
nous présenter le mémoire. Et, finalement, moi, je viendrai sur un petit
résumé ainsi que les recommandations.
Le Président (M.
Morin) : Vous savez que vous avez 10 minutes?
Mme Gonzalez (Carmen) :
Oui.
Le Président (M.
Morin) : Merci.
Mme Gonzalez
(Carmen) : Alors, on donne la parole à Soumya.
Mme Tamouro (Soumya) : Bonjour, tout le monde. Bon, ACCESSS, c'est l'Alliance des communautés culturelles pour l'égalité
dans la santé et les services sociaux. Nous sommes une fédération de
118 organismes membres à l'échelle du Québec. Nous travaillons pour
l'adaptation des services, toujours dans le domaine de la santé et services sociaux,
et nous existons depuis une trentaine d'années. Nous travaillons particulièrement
dans la formation des professionnels du réseau de la santé, la sensibilisation des immigrants et aussi en ce
qui concerne la recherche pour
tout ce qui peut toucher l'intervention en santé en lien avec les communautés
culturelles. Nous avons plusieurs dossiers, en fait, que ce soient les personnes
âgées, les jeunes, les femmes. Et,
parmi nos dossiers de recherche aussi, nous avons travaillé sur la
gestion de la diversité dans les services de soins spirituels.
Alors, je vais
laisser M. Di Giovanni intervenir. Merci.
M. Di Giovanni (Jérôme) : Bonjour. L'analyse du mémoire,
nous nous sommes inspirés de la Charte
des droits et libertés de la personne du Québec, de certaines lois québécoises
ainsi que de certains arrêts de la Cour
suprême. Pour nous, la société
québécoise est en transformation au niveau
de ses rapports, au niveau aussi de sa composition ethnoculturelle ainsi qu'au niveau de la façon que les services
publics doivent être développés et
gérés, et cela, en raison de l'immigration constante de 50 000
nouveaux arrivants par année qui arrivent au Québec. C'est une nouvelle
immigration, ce n'est plus une immigration
européenne qui a été l'immigration de la Deuxième Guerre mondiale. Maintenant,
nous avons une immigration qui vient, en fin de compte, là… où le
rapport à la société est complètement différent, la notion de la santé est différente, les cultures sont
différentes que celles occidentales ainsi que le rapport à la santé et le
rapport aussi à la religion.
Dans un premier
temps, on est pour la laïcité de l'État et de ses institutions. Par ailleurs,
ce qui est dans le projet de
loi n° 60 ne présente pas la laïcité de l'État et de ses
institutions, plutôt présente une laïcité
de certains Québécois et Québécoises issus de l'immigration qui ne sont pas
conformes à la norme, c'est-à-dire à la norme catholique traditionnelle. Et cela, on peut citer un certain nombre de
choses. Notamment, dans le projet
de loi n° 60,
le législateur ne propose pas
une modification de la Loi des normes du
travail qui oblige les employeurs à offrir des congés payés catholiques.
Notamment, le législateur ne propose pas un amendement à la Loi de la fiscalité
municipale qui exempte de taxes foncières ainsi que scolaires des institutions religieuses, et que ce manque à gagner de
l'État est compensé par les taxes et impôt des citoyens. Le législateur, non plus, ne propose pas une
modification du calendrier scolaire qui est basé sur les pratiques
religieuses catholiques. Même la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Bergevin,
l'a constaté. De plus, le législateur ne propose pas un amendement de l'acte constitutionnel de 1982 qui dans sa première
phrase, premier alinéa, reconnaît la primauté de Dieu. Et ce qu'on dit, c'est que ce qui est proposé ici, dans le projet
de loi n° 60, n'est pas une proposition de neutralité de l'État et de laïcité de l'État, et cela, ça va
être extrêmement important que l'Assemblée nationale dans son entier
puisse faire une réflexion sur ce qu'est la laïcité de l'État. Ce n'est pas
qu'est-ce qu'il y a dans le projet de loi.
Deuxièmement, on est
pour l'égalité hommes-femmes. Par ailleurs, ce qui est proposé dans le projet
de loi, c'est une hiérarchisation des droits
où le droit de la femme prime sur le droit des personnes handicapées, des
personnes âgées, des enfants, des
communautés culturelles, des gais et des lesbiennes, c'est-à-dire ce qui se
retrouve dans l'article 10 de la
Charte des droits et libertés de la personne. Et cela, on est totalement contre
cette hiérarchisation des droits, parce que ce n'est pas quelque chose qui peut exister à l'intérieur d'une charte
des droits et libertés de la personne ni à l'intérieur d'une société qui
se dit démocratique et une société de droit.
• (11 h 50) •
L'autre
élément extrêmement important là-dedans, c'est que, si le port du voile d'une
Québécoise qui pratique la religion musulmane va à l'encontre de, entre
guillemets, absurdement, la laïcité de l'État, pourquoi le législateur ne questionne pas la religion catholique, cette
religion où le pouvoir, c'est un pouvoir masculin, où les femmes
n'occupent pas de pouvoir décisionnel à
l'intérieur de cette religion-là, où
cette religion catholique va à l'encontre des principes mêmes du
mouvement féministe des années 70, 80 et même des années 60? Pourquoi le
législateur pointe uniquement la religion musulmane?
Au niveau de
l'accommodement, l'accommodement est un outil pour éliminer la discrimination,
tant directe qu'indirecte, par rapport à des
groupes qui se voient lésés soit de manière directe, soit en raison de
politiques, de pratiques et de façons de faire qui à la base semblent être neutres mais ont comme
effet de les exclure. Les femmes l'ont vécue, cette discrimination-là,
la discrimination en emploi, et la première décision de la Cour suprême en
1981, qui était l'Action Travail des femmes
contre le CN, a dit que l'égalité par la ressemblance était, en fin de compte,
une discrimination et qu'il fallait
transformer les lieux de travail, les transformer de la sorte pour que les
femmes puissent y accéder et y pratiquer tous les types d'emplois à
l'intérieur du milieu de travail, soit via l'accommodement. Les personnes handicapées l'utilisent de plus en plus pour
éliminer les barrières, pour accéder à diverses activités de la société ainsi
qu'à l'emploi. Mais par ailleurs ce qui est
proposé ici, en fin de compte, c'est de transformer le rôle de l'accommodement
par un filtre égalité hommes-femmes, par un
filtre du patrimoine culturel historique québécois et aussi par le filtre de la
laïcité québécoise, de l'État québécois, et ça, ça va à l'encontre de tout
principe d'accommodement au niveau des chartes.
Nous croyons qu'il
faut une réflexion sur la laïcité de l'État québécois, mais cette réflexion-là
ne doit pas se situer à l'intérieur des partis politiques, doit se situer
ailleurs. Et vous allez voir qu'on a une recommandation qui est suggérée au
législateur pour faire cette réflexion-là.
L'autre élément qu'on
voudrait souligner au niveau de cette laïcité de l'État, qu'on trouve assez
particulier…
Une voix :
…il reste une minute.
M. Di Giovanni (Jérôme) : … — O.K., je vais te passer la parole — c'est les articles 38 et 39 dans le
projet de loi, qui fait qu'à
l'Assemblée nationale on peut garder le crucifix et qu'on peut porter des
signes religieux. Merci beaucoup.
Mme Gonzalez (Carmen) : Oui. En fait, je vais juste amener la conclusion.
C'est qu'il faut plutôt insister d'une part
sur le caractère inclusif de la notion d'accommodement raisonnable et défaire
les mythes l'entourant et, d'une autre part, sur l'apport culturel et
économique des Québécois issus de l'immigration. Parce que je veux surtout
passer aux recommandations.
ACCESSS
recommande que le ministère de la Santé et des Services sociaux le reconnaisse
comme organisme expert-conseil et
établisse un partenariat public communautaire en matière d'adaptation de modes
de soins de santé et de services
sociaux aux caractéristiques des communautés ethnoculturelles. Toutes nos
recommandations sont basées sur la Loi des services de santé et des
services sociaux.
On
recommande aussi que le gouvernement du Québec, en collaboration avec ACCESSS
et le réseau d'ACCESSS, élabore et
implante des programmes d'accès à l'égalité en matière de services sociaux et
de santé pour les communautés ethnoculturelles;
que le gouvernement du Québec, en collaboration avec ACCESSS, implante des
programmes d'accès à l'égalité en
emploi au sein du réseau de la santé et des services sociaux, tels que définis
par la Loi sur l'accès à l'égalité en emploi.
Le
Président (M. Morin) : Mme la présidente, je suis obligé de
vous arrêter, mais, par les questions des gens, là, autour, de la
commission, vous pourrez continuer à passer votre…
Mme Gonzalez
(Carmen) : Oui, merci.
Le Président (M.
Morin) : M. le ministre.
M. Drainville :
Oui, merci, M. le Président. Alors, merci pour votre présentation. Écoutez,
d'abord, d'entrée de jeu, j'ai quelques commentaires à faire sur
certains des passages de votre mémoire. Par exemple, à la page 17, vous
dites ceci : «…le groupe de référence qui constitue la norme — ici
au Québec, là — se
compose de personnes ayant des croyances
religieuses catholiques, de couleur de peau blanche, ayant des pratiques
socioculturelles nord-américaines et ayant
le français comme langue maternelle. Cela a comme effet, en raison de
l'hétérogénéité ethnoculturelle de la société, de générer des politiques
et pratiques discriminatoires.» Je dois dire que je suis pour le moins étonné
par une telle généralisation, là. Si on vous prend au pied de la lettre, là, vous
dites : Les lois qui sont votées par l'Assemblée nationale sont
discriminatoires, sont génératrices de politiques et de pratiques discriminatoires. Je vous
inviterais à nuancer très sérieusement
cette affirmation, si vous jugez bon de le faire, mais en tout cas moi, je pense que ce serait une bonne idée, là, parce
que, si vous jugez que l'Assemblée nationale vote des lois qui sont discriminatoires,
j'aimerais bien vous entendre sur les
correctifs qu'il faudrait apporter pour que les lois votées par l'Assemblée nationale ne soient plus discriminatoires.
Par ailleurs, toujours à la page 17, vous ajoutez, à propos des
membres des communautés
culturelles : «À cause de
leur différence, ces derniers —donc les personnes présentant des différences
ethnoculturelles — ne
pourront jamais, sans accommodement
et transformation de la composition du groupe de référence — donc de la majorité francophone
catholique à laquelle vous avez fait référence…» Donc, ces gens issus des
communautés ethnoculturelles ne pourront jamais «satisfaire la norme qui est
fournie par le groupe de référence». Moi, je… Si vous me permettez, en tout
respect, là, une phrase comme celle-là
entretient l'idée que la majorité des Québécois qui sont nés à l'étranger, donc
la majorité des néo-Québécois, font
des demandes d'accommodement, ce qui est totalement faux, là. La vaste majorité
des Québécois qui s'installent au
Québec ne font pas de demande d'accommodement. La vaste majorité s'installent
chez nous, deviennent des Québécois, veulent vivre heureux, veulent
travailler. Et donc d'entretenir l'idée que ce sont les immigrants ou les
nouveaux arrivants qui sont responsables des demandes d'accommodement, encore
une fois, je pense que c'est une généralisation qui va beaucoup trop loin.
Par ailleurs, je
pense que vous entretenez un peu l'idée que les néo-Québécois sont plus
pratiquants que la majorité des Québécois. Ce n'est pas vrai. En fait, les
chiffres démontrent… les chiffres très officiels démontrent que les
néo-Québécois ne sont pas plus pratiquants que la majorité québécoise.
Par
ailleurs, à la page 6 vous écrivez, et je vous cite, là : «Le projet
de loi n° 60 ajoute une autre barrière à l'accès et au maintien en
emploi des femmes des communautés ethnoculturelles, soit la manifestation de
leurs croyances religieuses par leur habillement en milieu de travail.» Encore
une fois, j'aimerais vous rappeler que la majorité des néo-Québécoises, notamment celles originaires du Maghreb, ne portent pas
plus de signes religieux ostentatoires que la majorité québécoise ou que
la société québécoise de façon générale. C'est des chiffres notamment qui sont
tirés des recherches d'un professeur de l'Université du Québec à Montréal qui
s'est beaucoup penché sur cette question-là.
Alors, en
d'autres mots, je trouve que vous faites plusieurs affirmations qui viennent,
je dirais, renforcer certains préjugés,
alors qu'il me semble que notre travail, ça doit être plutôt de faire la part
des choses puis de s'assurer, comment dire, que l'information qui
circule soit basée sur les faits et non pas sur des préjugés, des stéréotypes.
Par ailleurs,
j'aimerais vous poser la question, parce qu'on a eu quand même plusieurs
témoignages ces derniers jours,
enfin, depuis la semaine dernière, des témoignages donc de… des cas, en fait,
ou des exemples, en fait, de personnes qui
s'adressent à un service public et qui pourraient être indisposées par le port
d'un signe religieux par, par exemple, une infirmière, une enseignante,
etc. Est-ce que, dans votre esprit, les usagers du système public, là, les
personnes qui demandent un système… qui demandent un service public, qui
s'adressent à une enseignante, qui s'adressent à une éducatrice, qui
s'adressent à un fonctionnaire, qui s'adressent à un médecin… Est-ce qu'ils ont
des droits, eux aussi, ou est-ce que c'est seulement la personne qui donne le
service qui a des droits, mais l'usager qui s'adresse à l'État, lui, n'en a
pas?
Le Président (M. Morin) :
M. Di Giovanni.
• (12 heures) •
M. Di
Giovanni (Jérôme) : Oui. Je
vais réagir à vos commentaires. Premièrement, on n'établit pas de
stéréotype et de préjugé. Ce que nous, on
dit, c'est que, dans une société, il y a des lois, il y a des pratiques, il y a
des politiques qui sont fondées sur une façon de faire, et, lorsque
cette société est en transformation sociale dû à l'immigration ou dû à la
manifestation de d'autres groupes, O.K., ces pratiques-là doivent être évaluées
et elles doivent refléter cette nouvelle composition
de la société. C'est également… Et ça, c'est généralisé lorsqu'on
parle de droit à l'égalité, de résultat, puis lorsqu'on parle de lutte à
la discrimination systémique. Ce n'est pas quelque chose qu'ACCESSS a tiré des
nues, des nuages, c'est dans toute la base même des
chartes des libertés de la personne ainsi que celle du Québec.
C'est à la base même des arrêts de la Cour suprême sur des luttes… et de
décisions, lutte à la discrimination. Et je vous réfère à la décision Meiorin,
où la Cour suprême spécifiquement a mentionné qu'il fallait changer la norme,
lorsqu'on regarde toute la question de
l'emploi des femmes, parce que le milieu de l'emploi, dans ce cas-ci, c'était
basé sur un milieu d'emploi hommes,
et, lorsqu'une femme a tenté d'occuper le poste, elle a été évaluée comme si
elle était un homme. Donc, c'est vraiment…
ça fait référence à ça. Puis je vous réfère à d'autres décisions de la Cour
suprême par rapport à ça et à la doctrine du droit à l'égalité et de la
discrimination.
Puis on ne dit pas que tous les immigrants et
immigrantes sont plus pratiquants que les Québécois et Québécoises francophones ou d'origine britannique, ou catholique, ou
protestante. Ce qu'on dit, c'est que de plus en plus, on regarde, il y a
des pratiques religieuses qui sont autres que catholiques et protestantes, et
on doit en tenir compte dans l'organisation des services de santé et des
services sociaux et dans la définition des programmes également.
Puis on peut vous
référer à certains exemples, si vous voulez. Ici, on n'a pas le temps, mais on
pourra se rencontrer puis on pourra
vous citer certains exemples qui fait que, du fait qu'on ne tient pas compte de
cette hétérogénéité-là, de cette différence de relation à la santé, de
cette différence-là, ça fait que les membres des communautés ethnoculturelles
accèdent difficilement à certains services de santé et certains services
sociaux. Donc, c'est ça qu'on dit, et on a des preuves qu'on peut vous mentionner. Si vous voulez le voir, nous
rencontrer, on va se faire un plaisir de vous mentionner ça et de vous
donner ces exemples-là.
Une voix : …
M. Di Giovanni (Jérôme) : O.K.
L'autre élément, M. le ministre : Tout le concept du programme d'accès à l'égalité, c'est-à-dire la
section III de la Charte des droits et libertés de la personne, l'article 86,
ainsi que la loi n° 142, est basé
sur cette notion-là qu'il faut transformer
les façons de faire, qu'il faut transformer les lieux de travail. Et la
beauté de la charte, c'est que, dans
l'article 86, on parle des services ordinairement offerts au public,
services de santé et services sociaux.
Oui, les
usagers des services publics, ils ont des droits. Et je me réfère à la loi à la
santé et des services sociaux, ils ont des droits. Ils ont des droits
même dans le Code civil puis ils ont des droits même dans la charte par rapport
à ça. Mais, lorsqu'on est dans le droit à
l'égalité, c'est l'équilibre entre le droit de l'un par rapport au droit de
l'autre. Et, dans la charte… Et, dans
la loi, excusez-moi, dans la loi de la santé et des services sociaux, il y a un
article qui dit que l'usager doit être considéré au niveau de sa
dignité, au niveau de son intégrité et par respect même de choisir son
intervenant. Oui, effectivement.
M.
Drainville : Mais, à
ce moment-là, est-ce que vous, pour vous, là, de demander à quelqu'un qui
travaille dans un service public… de lui demander, pendant ses heures de
travail, de renoncer à afficher ouvertement ses convictions religieuses, vous trouvez ça déraisonnable? Vous
trouvez que c'est déraisonnable de demander à quelqu'un… Un peu comme on
le fait déjà pour les fonctionnaires sur la neutralité politique, là, on dit
déjà aux fonctionnaires, là : Vous devez
être neutres sur le plan politique. Ça veut dire que vous ne pouvez pas
afficher vos convictions politiques. Là, on dit : La neutralité
religieuse doit se traduire de la même façon pour l'ensemble du personnel de
l'État, et donc, pendant que tu travailles, tu dois renoncer à afficher tes
convictions religieuses par respect pour la liberté de conscience et la liberté de religion de ceux et celles qui font affaire avec
toi, les usagers. Ça, ça vous semble déraisonnable comme proposition?
M. Di
Giovanni (Jérôme) : Bien là,
M. le ministre, pourquoi ne pas rendre l'État vraiment laïque? Pourquoi
pas qu'on n'amende pas la Loi des normes du
travail? Pourquoi pas qu'on n'amende pas la Loi de la fiscalité
municipale? Pourquoi pas qu'on ne change pas le calendrier scolaire? Pourquoi
pas qu'on ne demande pas un amendement à la Constitution
canadienne par rapport à ça? Pourquoi pas qu'on ne demande pas aux membres de
l'Assemblée nationale de ne pas afficher et d'enlever… Et…
M. Drainville : Ça prend…
Le Président (M. Morin) : Un
instant, M. le ministre.
M. Di Giovanni (Jérôme) : Je
voudrais terminer ma réponse, si vous le permettez. O.K.?
M. Drainville : Bien oui.
M. Di
Giovanni (Jérôme) : La
question de l'accommodement… Et ça, ce n'est pas ACCESSS qui le dit, là.
On va remonter même en 1956 avec la décision Brown aux États-Unis, en passant
par la décision ATF, Action Travail des
femmes, et CN en 1981. C'est basé sur la description en emploi — là
on parle de l'emploi — la
description de tâches validée, qu'est-ce que cet employé-là doit faire au
niveau de ces activités,
au niveau de ces fonctions-là. Est-ce que le fait qu'il va
afficher et que ça fait partie de son identité, de son intégrité, sa croyance
religieuse… Est-ce que ça va
affecter l'exercice de ses fonctions? C'est basé là-dessus, là.
Là, si ce projet de loi là veut changer cette réalité-là, la doctrine de l'égalité de résultat de
l'accommodement, soit, faisons-le. Puis mettons un «nonobstant» non pas
uniquement à la charte canadienne mais à la charte québécoise, parce que, là,
on parle de la charte québécoise ici.
M.
Drainville : Oui, mais, quand vous soulevez la question, là, des normes du travail, là, dans
le fond, vous faites référence au calendrier scolaire. En tout respect,
là, c'est parce que ça en prend un, calendrier scolaire, là. Donc,
vous, vous souhaiteriez qu'on rebaptise la fête de Noël puis qu'on lui donne un
autre nom ou que la fête… le congé de Pâques soit rebaptisé congé je ne sais
pas quoi, là?
M. Di
Giovanni (Jérôme) : Absolument
pas, non, ce n'est pas ça qu'on dit. Ce qu'on dit là-dedans,
puis c'est clairement mentionné, M. le ministre, c'est qu'il n'y a pas
un Noël catholique, un Noël protestant, il y a un Noël orthodoxe, il y a un Noël juif, il y a… et il faut réfléchir à
cela. Si on parle de laïcité de l'État, il faut réfléchir à tout ça. Et ce qu'on
dit, notre dernière recommandation, ce qu'on propose, c'est qu'il y ait un
débat sur la laïcité de l'État qui soit sous
l'égide de la Commission des droits
de la personne du Québec et que ce
soit… et, comme trame de fond, qu'il y
ait la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, pour le sortir des considérations politiques
partisanes et des partis politiques. C'est ça qu'on dit. On est rendus là actuellement. On ne dit pas qu'il ne faut pas le faire, c'est que ça va
prendre ce genre de réflexion là. Puis ce n'est pas un défoulement collectif
comme on a vu avec Bouchard-Taylor.
Il y a des Québécois qui pratiquent la Pâques
orthodoxe ou la Pâque juive, et, dans le calendrier scolaire, ils sont désavantagés. C'est ça que la décision
Bergevin a dit, au niveau de la Cour
suprême, et il faut réfléchir à ça
puis il faut voir comment qu'on va
répondre à ces Québécois-là. Puis ayons un vrai État
laïque mais pas un État semi-laïque, ou possiblement laïque, ou
qui va être contesté au niveau de sa laïcité.
M.
Drainville : Bien,
écoutez, encore une fois, M. Di Giovanni, je respecte tout à fait
votre point de vue, là, mais la neutralité religieuse de l'État, elle
s'adresse à toutes les religions, là. Dans les années 60, là, quand on a décidé
de créer un nouveau ministère de l'Éducation
public, gratuit et accessible à tous, quand on a créé le nouveau réseau des
cégeps, assez rapidement les personnes qui sont allées travailler dans ce
nouveau réseau public d'éducation, dans ce nouveau réseau collégial, ont
renoncé à leurs signes religieux. Il y en a certains d'entre eux, d'entre elles
qui avaient été des enseignants qui portaient la soutane ou qui portaient le
voile ou la cornette, dans l'ancien système classique, et assez rapidement ils ont fait la transition vers un
système scolaire… puis on pourrait parler des hôpitaux également, qui ont
suivi un peu la même trajectoire, mais un système scolaire donc de plus en plus
laïque. Et le projet que nous mettons de l'avant, c'est dans le prolongement de
cette déconfessionnalisation, c'est notamment dans le prolongement de cette
déconfessionnalisation. Et assez souvent je dis : Si c'était bon pour les
catholiques dans les années 60 que de renoncer à leurs symboles religieux,
pourquoi ce ne serait pas bon pour toutes les religions aujourd'hui, au nom de
la laïcité, au nom de la neutralité religieuse?
• (12 h 10) •
M. Di Giovanni (Jérôme) : La réforme
et la Révolution tranquille, O.K., les gens, oui, effectivement, ils ont renoncé volontairement à des signes religieux,
puis d'autres l'ont porté. Ce que nous, on dit, on n'est pas contre la
laïcité de l'État. Ce qu'on dit, M. le ministre : Allons jusqu'au bout,
regardons la laïcité de l'État. Et, si on demande aux fonctionnaires soit dans le public, parapublic, péripublic de ne pas
porter de signe religieux, pourquoi, à ce moment-là, on accepterait que l'État finance des institutions
religieuses et oblige le citoyen, en raison de ce manque à gagner, de
payer via ses impôts et taxes? Pourquoi qu'on accepterait que l'État oblige les
employeurs de payer la Pâques catholique puis la Pâques…
puis le Noël catholique? Allons-y, faisons la réflexion de l'État laïque, puis
il faut la faire à cause de l'hétérogénéité
de la société, mais faisons-le à partir de tout l'ensemble de la problématique.
Et ce qu'on dit dans notre dernière
recommandation : On veut qu'il y ait un débat de société. On veut que ce
soit sous l'égide de la Commission des droits
de la personne du Québec parce que ça touche des questions de droit à
l'égalité, et on veut qu'il y ait comme trame de fond la Charte des
droits et libertés de la personne. Puis on devrait être fiers, comme société
québécoise, d'avoir une charte parmi les meilleures au monde, puis il faut
s'opposer lorsqu'on tente de l'amender pour réduire certains droits.
M. Drainville :
À la page 12, vous dites : «…le projet de loi [reconnaît le]
patrimoine culturel et historique québécois de "souche", tout en
excluant l'apport des immigrants…» Encore une fois, je trouve que c'est un
raccourci intellectuel qui me laisse sur ma
faim. La reconnaissance du patrimoine culturel, M. Di Giovanni, là,
ce n'est pas juste la reconnaissance du patrimoine canadien-français ou
catholique, là. Il y a des programmes, par exemple, qui existent déjà
pour préserver le patrimoine culturel, et il y a des synagogues qui ont
bénéficié de ce programme-là, il
y a des églises protestantes également qui ont bénéficié de
ce programme-là, et à juste titre. Et j'espère bien qu'elles y
ont droit, parce que le patrimoine culturel québécois, ce n'est pas seulement
un patrimoine culturel canadien-français ou catholique, c'est le patrimoine culturel de l'ensemble de notre
culture, et notre culture, elle s'est enrichie au fil des générations par des
gens venus de partout dans le monde. Moi, je considère que les Anglais qui sont
restés parmi nous après la conquête, les Écossais,
ceux qui sont venus des États-Unis dans la foulée de la révolution américaine, les
Irlandais qui sont venus chez nous,
la communauté juive qui s'est installée très rapidement,
ils ont tous contribué au patrimoine historique du Québec, et leurs symboles ont le droit également
à une aide financière quand les critères sont respectés. Puis ce n'est pas… il n'y a
aucun… il n'y a pas de préférence pour une religion plutôt que
pour une autre. Ça s'adonne qu'il y a plus d'églises catholiques ou de monuments
catholiques. Qu'est-ce que vous voulez? Ceux qui se sont installés ici, les
premiers Blancs, venaient de France, et il y en a plusieurs d'entre eux qui
étaient catholiques. Mais là on ne va pas commencer à effacer 400 ans
d'histoire, puis faire comme si on mettait le compteur à zéro, puis à partir de
maintenant c'est… Voyons donc! Mais ça n'a pas de bon sens!
M. Di Giovanni
(Jérôme) : Ce n'est pas ça qu'on dit…
M. Drainville : Bien, c'est parce que, là, vous… Là, je
trouve que ça fait beaucoup de références aux Canadiens français, aux
catholiques, aux de souche. Moi, je vous le dis, c'est une… Vous vous présentez
comme un groupe qui favorise
l'égalité. Moi, je vous le dis : La meilleure façon de favoriser
l'égalité, c'est de dire que tous les Québécois sont égaux, qu'on soit Français…
d'origine française, vietnamienne, haïtienne, latino, italienne,
grecque. Peu importe d'où on vient, on
est tous des Québécois. Pourquoi cette idée de séparer le Québec en
deux entre les de souche et les autres?
M. Di Giovanni
(Jérôme) : Ce n'est pas ça qu'on dit, c'est que tout le monde est
égal. On demande des programmes d'accès à l'égalité exactement pour assurer
cette égalité-là. On demande le respect de la charte puis on cite la charte à plusieurs endroits demandant
cette égalité-là. Lorsqu'on fait référence au financement des églises,
que ce soient des églises catholiques, ou des synagogues, ou des mosquées, si l'État
finance une institution religieuse, c'est une institution religieuse. Là, on
questionne la conception de la laïcité de l'État.
Dans
le projet de loi, on parle du patrimoine historique.
Donc, nous, on dit : Si on parle… si on veut utiliser le patrimoine historique culturel québécois
comme un filtre pour accepter ou non un accommodement, d'accepter, oui
ou non, cet accommodement-là en milieu de travail, bien là on interroge ça.
C'est quoi, ce patrimoine-là? Ce n'est pas défini dans le projet de loi. Puis on dit : Faisons attention, parce qu'au niveau de ce patrimoine-là on risque
d'exclure des gens. Tout le monde est
égal en autant que… Puis, ce projet de loi là, en fin de compte, notre
crainte : Ce n'est pas ça qu'il dit. On veut modifier la charte puis on veut rétrécir les droits à l'égalité. Et
c'était pour ça que, dans nos recommandations, on veut un programme
d'accès à l'égalité. On veut également un programme d'accès à l'égalité par
rapport à l'emploi, par rapport à l'accès à des services de santé et des
services sociaux.
Puis, si on vous réfère à la loi de la santé et des services sociaux, il y a des articles qui font référence au fait
que les services doivent être adaptés culturellement et linguistiquement puis
respecter, en fin de compte, les communautés ethnoculturelles,
mais, si on regarde l'analyse qu'on fait de ces programmes-là et de ces
services-là, ils ne le sont pas, ils ne le sont pas, je regrette. On a une loi de la santé et des services sociaux qui dit une chose, dont l'article 2.5° et
2.7°, puis, lorsqu'on regarde ce qui
se passe sur le terrain, ça n'existe pas. Et c'était pour ça qu'on dit au
législateur : On est prêts à s'asseoir
avec le ministère de la Santé et des
Services sociaux pour travailler ces
éléments-là. Et c'est pour ça qu'on suggère à l'Assemblée nationale de faire le débat sur la laïcité mais avec la Commission
des droits puis avec la Charte des droits.
Le droit à l'égalité,
là, de résultat, puis si on s'inspire, M. le ministre, du mouvement des femmes
depuis le tout début, c'est sûr que ça a
amené des transformations dans la société québécoise, ça a amené des transformations dans
les milieux de travail. Si on prend une convention collective d'une entreprise
en, je ne sais pas, 1970 puis en 2010, vous allez
voir qu'il y a eu des modifications majeures, tant au niveau
des politiques de ressources
humaines… Et ça, c'est parce que les
femmes, elles ont rentré sur le marché du travail, elles ont transformé les
milieux de travail, elles ont transformé les politiques. Maintenant, on
a des politiques de harcèlement sexuel tolérance zéro…
Le Président (M.
Morin) : Merci, M. Di Giovanni. C'est terminé pour la
partie ministérielle. Donc, on se dirige vers LaFontaine. M. le député.
M.
Tanguay : Oui, merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup
à Mme Gonzalez, Mme Tamouro et M. Di Giovanni.
Merci beaucoup pour avoir pris le temps de participer à la rédaction du mémoire
et évidemment de nous le présenter aujourd'hui et de répondre à nos
questions.
Vous avez pu
constater, comme on le constate depuis six mois au Québec, une très, très, très
grande division, comme on l'a rarement vu au
Québec, très grande division sur un élément qui ne fait pas partie du
consensus, le consensus étant d'avoir
des balises aux accommodements pour qu'ils soient raisonnables. Et qui dit
balises aux accommodements et qui dit demande d'accommodement, c'est de
permettre, exemple, à la personne handicapée d'avoir accès à l'intérieur d'un édifice, à une personne également qui… une
femme qui est enceinte de conserver son emploi, et de faire en sorte
également qu'une personne qui porte un signe religieux, et qui ne mélange pas
la neutralité de l'État, et qui n'attaque pas
la neutralité de l'État dans l'application des critères de l'administration
publique, dans le service qu'elle donne à la population… Cette équation de dire nécessairement, si cette
personne, par son individualité, par sa croyance ferme et sincère dans des préceptes et dans une religion… que ses
convictions viennent de facto, de facto mettre à mal la neutralité de
l'État, c'est ce contre quoi vous en avez, c'est ce que j'ai compris, et c'est
cette division fondamentale au sein du Québec.
Il y a en face de
nous une conception de faire avancer le Québec par des interdits; on ne fait
pas avancer une société par des interdits. Il y a également ici une approche
qui nie l'individualité, qui nie l'identité individuelle. Et, en ce sens-là, je pense que c'est extrêmement
important et coûteux socialement de voir cette division qui est nourrie
et qui fait en sorte que ce projet de loi, dont quatre des cinq aspects font
très, très large consensus… Et il y aura toujours un refus systématique de la part du gouvernement du Parti québécois de
faire avancer le Québec sur ce qui fait consensus et de faire avancer le
Québec sur ce qui réellement nous unit. L'interdiction de port de signe
religieux parce qu'on a une conception, de
l'autre côté de la table, qu'une kippa juive, c'est comme un macaron du PQ,
c'est tout à fait assimilable… extrêmement insultant…
Une voix :
…
Le Président (M.
Morin) : Oui. M. le député de LaFontaine, M. le député…
M. Tanguay :
…qui ont des convictions religieuses.
Le Président (M.
Morin) : M. le député de LaFontaine.
M. Tanguay :
Oui?
Le Président (M.
Morin) : Faites attention à ce que vous interprétez, O.K.?
Continuez.
• (12 h 20) •
M. Tanguay :
M. le Président, que l'on me détrompe, si j'ai tort, mais, quand on met dans le
même panier, M. le Président, les signes
religieux, la neutralité religieuse de l'État avec la neutralité politique, on
met dans le même panier les signes
religieux et les macarons, les épinglettes politiques. Alors, quand le gouvernement du Parti québécois
met sur le même pied un macaron du Parti québécois parce qu'il ne veut
pas qu'un fonctionnaire le porte parce que ça atteint la neutralité et qu'il
interdit la kippa juive parce qu'il ne veut pas que ça se porte parce que ça
atteint la neutralité, il met, M. le Président — et qu'on me détrompe, de l'autre côté de la
table, si j'ai tort — donc sur
le même pied d'égalité un macaron du Parti québécois et la kippa juive.
Et, si j'ai tort, qu'on me détrompe. Sinon, qu'on le reconnaisse. De faire ces amalgames et de dire que l'on peut aussi
facilement et avec autant de désinvolte interdire les signes
religieux...
Une voix :
…
Le
Président (M. Morin) : Oui, ça va, monsieur… M. le député de
LaFontaine, par tout respect pour nos gens qui sont là, si vous voulez
terminer votre… puis en revenir à nos gens qui sont là, par respect pour eux.
M.
Tanguay : Oui, tout à fait, M. le Président. Et je laisserai le
ministre tenter — et en
conclusion là-dessus — de nous expliquer que ce n'est pas là le
fondement de sa conception de la neutralité, qu'il fait ces amalgames de l'importance d'une conviction religieuse. Et vous
l'avez bien exprimé, vous, de l'Alliance des communautés culturelles
pour l'égalité dans la santé et les services sociaux, entre autres par ce que
représente l'accès à l'emploi. Parce qu'une religion n'est pas une
partisanerie, parce que la politique n'est pas une religion, faire en sorte
qu'il y ait, oui, cette distinction-là, qu'il n'y ait pas cet amalgame
démagogique de dire : On va interdire tous les signes.
En ce sens-là,
j'aimerais vous poser une question quant au…
Une voix :
…
Le Président (M.
Morin) : Oui. Un instant, M. le député de LaFontaine. J'ai...
M. Drainville :
…on peut-u rester respectueux les uns des autres? Moi, je n'ai pas attaqué, là,
comme il le fait, en tout cas je n'ai pas versé dans la basse partisanerie.
J'essaie de rester focalisé sur le témoignage des gens qui viennent nous voir.
Le Président (M. Morin) : M.
le ministre, M. le ministre, c'est...
M. Drainville : Je comprends
qu'il cherche son ton, là, mais il
n'est pas obligé de verser là-dedans, M. le Président…
Le
Président (M. Morin) :
M. le ministre. M. le
ministre, un instant, s'il vous plaît. Ça a bien été. «Démagogie»,
je ne suis pas sûr que c'est... S'il vous plaît, on continue.
M. Tanguay :
Alors, M. le Président, je comprends l'émoi, ce matin, du ministre. La vérité, évidemment,
a toujours sa place, et, je pense, c'est important de le dire.
Donc,
avant que le ministre, sur une chose qui lui fait mal, ne m'interrompe,
je posais la question quant à l'accès à l'emploi. Vous, évidemment,
oeuvrez à tous les jours avec des hommes et des femmes qui veulent justement
accéder à des emplois tout en ne niant pas
leur identité, qui, dans certains cas, comprend des signes religieux, et peut-être...
Je ne sais pas si je peux me permettre de
demander à Mme Tamouro peut-être de répondre à la question. J'aimerais peut-être vous donner l'occasion de vous entendre et par rapport à cette approche inclusive et des programmes, même, qui sont mis
de l'avant par le gouvernement de tout temps, du Québec, surtout ces dernières décennies, pour faire en
sorte de favoriser cet accès à l'emploi. Merci. J'aimerais vous
entendre.
Mme Tamouro
(Soumya) : Merci. J'aimerais juste peut-être citer juste une
expérience qu'on a eue il y a deux semaines. J'avais autour de la table une
dizaine de médecins qui venaient de l'Afrique du Nord, des spécialistes femmes, la majorité portait le voile puis elle
n'avait accès à aucun, aucun emploi. Et, quand elles sont allées au
centre d'emploi, une des médecins, néphrologue, on lui a présenté comme possibilité
d'emploi serveuse. Je ne savais pas comment
répondre. Honnêtement, j'aimerais bien... Je perds mon latin là-dedans,
honnêtement. Comment le Québec
peut se permettre mais vraiment de laisser ces ressources, que ce soient des
médecins dans... au niveau du taxi, que ce soient des femmes qui restent chez
elles? Elles ne peuvent même pas travailler. Que voulez-vous qu'elles fassent?
Et ça, ce n'est que
le début. Avec le projet de loi n° 60, si jamais il est adopté, on
s'en va vraiment, pour une population particulière de femmes, vers l'exclusion.
Elles vont être chez elles, enfermées chez elles, point. Et ça, je pense qu'il
y aurait matière à réfléchir là-dessus.
M.
Tanguay : Et comment recevez-vous… Vous qui êtes sur le
terrain, les deux pieds dans cette réalité, comment recevez-vous parfois
ce qu'on entend, la désinvolture, de dire : Bien, elles n'ont qu'à mettre
leurs signes religieux au vestiaire entre 9 et 5? Vous, là, comment le
recevez-vous? Est-ce que l'on peut aborder un tel sujet fondamental avec autant
de désinvolture?
Mme Tamouro (Soumya) : Je pense que, par rapport à l'emploi, ce qui
est important, c'est la qualification des gens. Il faut vraiment ne pas
perdre de vue la qualification des gens. Et, quand vous êtes dans un hôpital et
vous êtes malade, sur une civière, vous attendez des heures et des heures,
croyez-moi, quand quelqu'un vient vous voir, même si elle a un voile, puis elle est qualifiée, c'est un ange qui vient
vous voir, et c'est ça qu'il ne faut pas qu'on oublie au nom de
soi-disant… des signes religieux.
Alors, la
qualification est très importante, et, des ressources qu'on fait venir de plusieurs
pays, c'est qu'il faut voir notre portée beaucoup
plus loin. On appauvrit des pays avec de ces ressources que le Québec
n'a rien payé pour les former. Et, si
on ne les utilise pas pour la croissance, et l'évolution, et toute la
dynamisation de la société québécoise, on participe à un gâchis mais vraiment
incroyable au niveau de la société, et ça, c'est vraiment l'indignation
suprême. C'est juste ce que j'avais à dire. Merci.
Mme Gonzalez (Carmen) : Oui. J'aimerais ajouter que, justement,
d'autres recommandations
qu'ACCESSS fait, c'est par rapport à l'emploi, et c'est que la Commission des droits de la personne et des droits de
jeunesse et ACCESSS mettent sur pied
un comité de travail sur l'implantation des programmes d'accès à l'emploi.
Et notre recommandation n° 7, c'est que le processus de reconnaissance de formations acquises à
l'étranger soit accéléré et que la formation d'appoint et les stages soient rendus plus accessibles afin de
permettre aux professionnels ayant des formations acquises à l'étranger
de pratiquer rapidement leur profession.
Le Président (M.
Morin) : Ça va? Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme
Weil : Oui, merci, M. le Président. Donc, Mme Gonzalez,
M. Di Giovanni et Mme Tamouro, je veux d'abord vous féliciter pour votre mémoire
et pour le travail que vous faites. Je vous connais depuis longtemps,
j'étais dans le réseau de la santé. Et évidemment toute la préoccupation
était justement comment adapter nos services aux personnes qui sont loin des communautés culturelles, des
personnes qui vivent dans l'exclusion, hein, c'est cette mission, et je vois
que vous préservez et que vous avez cette sensibilité par rapport à
l'inclusion. Et là, toute votre expérience et votre compréhension du droit, ce que je trouve vraiment intéressant, c'est
que vous ramenez des concepts juridiques, mais vous les rendez très
vrais, et la Charte des droits et libertés qui finalement est l'outil principal
pour s'assurer de l'égalité de tous devant la loi et, en société, l'inclusion.
Et, Mme Tamouro,
vous êtes allée sur vraiment l'enjeu principal. On l'entend partout, partout,
partout, non seulement la détresse des gens qui ont peur de perdre leur
emploi, mais de leur famille, mais aussi des directeurs d'hôpitaux. On l'entend des maires municipaux,
on l'entend des recteurs d'université, le gaspillage de talent. C'est des gens qui
sont venus ici pour contribuer, sont extrêmement qualifiés et talentueux, mais
on mêle à ça un autre débat important qui est la lutte contre l'intégrisme et
la signification du voile. Et tout le monde est d'accord qu'il y a des actions
à poser sur ces questions-là, mais nous avons ces talents. Ils sont ici, ils
sont venus ici pour contribuer.
J'ai
une question pour vous : Croyez-vous qu'il y a
une rupture actuelle avec la vision de laïcité qui est prônée depuis 50 ans, que moi, j'ai connue, qui était la laïcité
ouverte — je
pense beaucoup à Jean-Pierre Proulx, qui a beaucoup écrit
là-dessus — et
qu'avec la diversité croissante de la population québécoise pendant les années
1970, 1980, 1990 il fallait trouver des outils et des politiques pour inclure
ces personnes-là, et que tout l'effort gouvernemental, si on regarde les politiques
du ministère de l'Immigration, Emploi aussi, Emploi et Solidarité sociale, le ministère
de la Santé — vous
êtes beaucoup là-dedans — toutes
les politiques vont dans ce sens-là, et c'est pour ça qu'on a adopté cette politique de laïcité ouverte
où on disait : Écoutez, on est neutres par rapport à vos religions, on
veut juste s'assurer du bien-vivre? Qu'est-ce que vous en dites? Est-ce que vous voyez une rupture par rapport à votre expérience ici, au Québec, et votre expérience avec des gouvernements
successifs québécois?
Le Président (M. Morin) :
M. Di Giovanni, c'est vous qui allez répondre?
M. Di Giovanni (Jérôme) : Je vais
répondre, oui.
Le Président (M. Morin) :
Allez-y.
• (12 h 30) •
M. Di
Giovanni (Jérôme) : Effectivement, si on regarde au niveau du projet de loi n° 60 puis si on le compare aussi au projet
de loi n° 94
dans le temps que le Parti libéral était au pouvoir, effectivement il y a
une rupture là. Et cette rupture-là fait craindre beaucoup de choses du
fait qu'on veut… puis du fait aussi qu'on passe son temps à cibler la religion
musulmane. Je suis d'accord avec vous qu'il faut lutter et combattre
l'intégrisme, mais l'intégrisme n'est pas uniquement
musulman. Il y a des protestants fondamentalistes, on n'a qu'à
regarder la télévision le dimanche matin, puis qui prêchent presque la… bien, pas presque, qui
prêchent la condamnation des homosexuels, qu'ils aillent brûler en enfer
parce que… puis qui sont contre l'égalité
hommes-femmes, et qui sont contre, en fin de compte, le mariage gai. Le
fondamentalisme est là, il est dans
notre société, puis il faut le combattre. Mais il ne faut pas le combattre
comme c'est présenté au niveau du projet de loi n° 60 puis il
ne faut pas le combattre au niveau… ce qui se passe actuellement dans les
débats, dans les médias et dans les
sous-titres. Il faut le combattre collectivement, à partir du concept de droit
à l'égalité, du respect des personnes;
que tous les citoyens québécois, qu'ils soient Blancs, jaunes, verts, personnes
handicapées ou non handicapées, gais, lesbiennes ou hétérosexuels, en
fin de compte, il faut les respecter. On a un outil extraordinaire au Québec
qui fait l'envie de beaucoup de pays, qui est la Charte des droits et libertés
de la personne du Québec. Utilisons-le.
Mme Weil :
Merci. Mme Tamouro, vous avez évoqué des expériences personnelles avec des
personnes qui portent le voile, des
professionnelles. Est-ce que je pourrais vous entendre un peu plus sur,
justement, concrètement ce que vous voyez et ce qui vous inquiète?
Mme Tamouro (Soumya) : Vous parlez
des professionnelles qui portent…
Mme Weil : Oui, les gens que
vous rencontrez qui vivent le désarroi.
Mme
Tamouro (Soumya) : Je peux
juste vous mentionner que nous, on intervient au niveau des hôpitaux
mais aussi en termes de sensibilisation au niveau des écoles, et dernièrement
on a plusieurs écoles qui nous appellent pour qu'on fasse quelque chose, qu'on
leur explique, des écoles qui sont complètement, mais vraiment très inquiètes
parce qu'il y a des familles qui sont en
train de prendre leurs enfants puis ils sont en train de quitter. C'est sûr
que, pour le Québec, c'est très
important de rassurer sa population. Et, quand je regarde des femmes qui sont
voilées puis qui sont qualifiées, c'est un désarroi qui est vraiment
immense de ces femmes-là. Je leur parle, puis c'est une inquiétude.
Et l'inquiétude n'est pas juste au Québec, ça va
au-delà des frontières. Nous travaillons avec des écoles qui forment des gens qui travaillent dans le réseau de
la santé, et eux, des écoles privées, ils ont de la difficulté. Ils ont
fait une tournée en Afrique du Nord, puis il
y a beaucoup de familles qui disent : Non, qu'est-ce que ça nous donne
d'envoyer nos enfants et payer le gros prix,
puis après ça ils ne pourront pas travailler au Québec? Donc, ils sont en train
de réfléchir à ne pas envoyer leurs
enfants étudier dans des écoles privées qui coûtent excessivement cher puis
qui… Ils ont les moyens de faire ça,
mais ils ne veulent pas à cause de toute cette problématique que soulève la
charte. Et ça, c'est la réalité terrain.
Mme Weil : Merci,
Mme Tamouro.
Le Président (M. Morin) :
C'est terminé? O.K. Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Mesdames
monsieur, merci pour votre mémoire. Vous
soulevez des nuances intéressantes. On parle du réseau de la santé. Vous nous
écrivez, à la page 46 : Au Québec, 255 000 personnes sont
dans le secteur de la santé et des services sociaux. De ce nombre, est-ce que
vous avez une idée… est-ce que vous savez
combien portent des signes religieux? Parce que là est la question, c'est à eux
qu'on interdirait.
Mme Tamouro (Soumya) : On aimerait
bien le savoir. Vous voulez parler?
M. Di
Giovanni (Jérôme) : C'est la
question qu'on pose : Il y a combien de Québécoises qui portent des
signes religieux et qui sont dans le système de la santé? On ne le sait pas, il
n'y a pas d'étude. Combien…
Mme
Roy
(Montarville) : …Québécois aussi.
M. Di Giovanni
(Jérôme) : Québécois et Québécoises, oui. Combien de Québécois et
Québécois aussi… Québécoises, c'est-à-dire, qui portent le voile ou le niqab et
qui sont dans le secteur de la santé? On ne le sait pas.
Lorsqu'on
parle de droit à l'égalité puis on parle de discrimination, c'est fondé. C'est
fondé sur des faits, c'est fondé pas
sur des impressions. Dans tous les tribunaux, que ce soit au Québec, que ce
soit au Canada, que ce soit en Europe, que ce soit aux États-Unis, lorsqu'on est dans une cause de droit à
l'égalité et de discrimination, on doit démontrer qu'il y a discrimination. Mais on ne le sait pas, il n'y
a pas eu d'étude. Il n'y a pas d'étude, absolument pas. Puis nous, on en
donne, de la formation, dans les hôpitaux,
puis eux aussi, ils ne le savent pas. Puis ça n'a jamais été soulevé dans nos
formations, que ça causait un problème. Surtout lorsqu'on lie ça à la
description de tâches.
Lorsqu'on dit que ça
prend une description de tâches qui est validée, à partir de cette description
de tâches là, là, on peut faire… là on peut
déterminer le code d'habillement de la personne. Puis c'est également vraiment
partout, là.
Mme Roy
(Montarville) :
Je vous remercie pour votre réponse. Merci beaucoup.
Le Président (M.
Morin) : Mme la députée, c'est terminé? Oui, M. le député de
Blainville.
M.
Ratthé : Merci, M. le Président. Mesdames messieurs, bonjour. À
la lueur de… à la lecture, j'allais dire, de votre document, et corrigez-moi si je me trompe, j'ai eu l'impression
que vous souleviez, entre autres dans le domaine de la santé, un certain nombre d'inégalités. D'ailleurs, vous nous parlez de différents piliers, là, de
cinq piliers d'égalité que vous aimeriez
mettre en place, à la page 40, vous nous dites : «L'expérience
terrain nous démontre que cette égalité de droit ne s'est pas encore
traduite en égalité sur le terrain.» C'est ce que vous nous dites. Moi qui
crois vivre dans une société égalitaire…
Mais évidemment je ne suis pas exposé à tous les phénomènes.
Je m'intéresse plus particulièrement à votre pilier 1,
où vous dites : «La prestation des services de santé et services sociaux égale en qualité à ceux qui sont offerts à
la population en général.» Est-ce que vous êtes… Qu'est-ce que vous nous dites actuellement,
j'allais dire qu'il y a deux types de
patient, qu'il y a deux types de services qui sont offerts, et, si
c'est le cas, j'aimerais bien avoir un exemple, parce que moi, je
croyais que tout le monde étaient égaux face à des soins de santé ou à des
services qui étaient donnés par l'État.
Mme Tamouro
(Soumya) : J'aimerais juste vous…
Le Président (M.
Morin) : Mme Tamouro.
Mme Tamouro
(Soumya) : Oui, merci, monsieur. Je vais vous donner un exemple pour
les services de soins spirituels. Je sais
que vous… pour le projet de loi, ça ne touche pas le projet de loi, le projet de loi ne s'appliquerait pas dans les services de
soins spirituels, mais j'aimerais ça quand même vous donner un exemple dans ce
service-là.
Les
intervenants spirituels aujourd'hui — on
les appelle les intervenants depuis 2010 — sont majoritairement des prêtres catholiques, de par l'histoire du Québec,
ce qui est normal. Par contre, si on va dans des quartiers, par exemple
le CSSS de la Montagne, où on a beaucoup de
population musulmane, maghrébine, musulmane, bien on n'a pas de prêtre musulman. Partout au Québec… Il y a un seul à
Sherbrooke, qui est un catholique qui a été converti. Donc, il n'y a pas
d'intervenant spirituel musulman sur tout le
Québec. Et donc on dit : La loi est claire. Quand vous n'avez pas
d'intervenant, vous devez établir des liens avec des représentants religieux
pour éventuellement les faire amener si un malade, un patient le demande. Mais,
une autre étude, sur toute l'île de Montréal, sur 33 hôpitaux, il y a eu
un hôpital qui avait une liste des
intervenants religieux qu'on amène si le patient en a besoin, autrement il n'y
a rien qui est sur le terrain, qui existe
pour répondre à ce besoin d'une autre religion. Même, on a vu des gens qui sont
de d'autres religions qui participent à des messes catholiques pour la
simple et unique raison que leur identité de patient a dépassé celle de leur
religion ou de leurs croyances, parce qu'ils ont besoin d'être en contact avec
d'autres personnes.
M. Ratthé :
…exemple intéressant que vous donnez. Mais je vous poserais une autre question
par rapport à cet exemple-là : Est-ce
que c'est parce que le système les exclut, ces intervenants, ou est-ce parce
que les communautés religieuses n'en
fournissent pas? Parce qu'en réalité c'est ça, la vraie question. Parce que
moi, je me demande : Est-ce que le système les exclut, puis là il y
a inégalité?
Mme Tamouro (Soumya) : Oui. En fait, si je parle de 2001, il y avait la
signature de protocole avec les autorités religieuses et le gouvernement, et là-dedans, par exemple, on a exclu la
communauté musulmane tout simplement, elle n'était pas présente dans
l'entente. Du coup, on n'a personne pour donner ces… intervenir.
Mais
par la suite on a changé les choses, sauf que… On en a. On va les trouver de
manière bénévole, s'ils veulent, pas
de problème jusque-là. Sauf qu'en tant qu'intervenant spirituel c'est un
professionnel de la santé qui va intervenir dans des équipes
multidisciplinaires et aider le soin des malades, un bénévole n'a pas le droit
de connaître le secret professionnel, ne pas
avoir… Donc, il intervient, il n'est pas payé et il quitte. Et souvent, dans
tous les hôpitaux qu'on a vus sur le terrain, ils nous ont dit que c'est
la famille qui le fait venir.
Le Président (M.
Morin) : Merci, le temps est écoulé. Mme la députée de Gouin.
Mme David : Merci,
M. le Président. Bien, c'est intéressant, parce que mon collègue a commencé à aller sur le terrain, dans
le fond, des droits des usagers, et
c'est exactement là que je voulais aller. Parce qu'on
en parle beaucoup, des droits des usagers, dans cette commission.
Est-ce que vous
auriez d'autres exemples plus quotidiens peut-être à nous donner, puisque vous
expliquez que les droits des usagers et
usagères en provenance des communautés culturelles ne seraient pas tout à fait aussi respectés ou enfin il y aurait peut-être… Ce n'est peut-être pas une question
de respect moins qu'une question d'ignorance ou de difficulté d'intervention,
mais, bref, si on veut parler des droits des usagers, d'après ce qu'on entend,
il semble y avoir un problème du côté d'un certain nombre de personnes
des communautés culturelles. Pouvez-vous y aller un petit peu plus loin, là-dedans?
• (12 h 40) •
M. Di Giovanni
(Jérôme) : La réponse est à deux volets. Premièrement, au niveau de la
loi de la santé et des services sociaux,
l'article 2.5°, là, qui stipule qu'il faut offrir des services, là, selon
la langue ou selon les caractéristiques linguistiques et culturelles, l'article 2.7° qui dit :
Favoriser, compte tenu des ressources, l'accessibilité
à des services de santé et des services sociaux aux communautés
culturelles par rapport à leur langue, les différentes communautés culturelles, oui, effectivement, il y a des différences. D'une part, au niveau
des professionnels qui offrent les services, ils sont au désarroi parce
qu'ils ont besoin de formation. Comment intervenir dans un milieu où la
personne ne parle pas la langue, où la notion de la santé est complètement
différente? Et, au niveau de la communication avec l'intervenant en santé, que ce soit un médecin, infirmière ou
autres, elle est extrêmement, extrêmement importante. Puis ce n'est pas parce qu'on ne parle pas la langue française.
C'est qu'on peut parler la langue française, mais les notions, les
concepts sont complètement différents. Donc, ils nous demandent des formations,
et actuellement on a des offres, des propositions auprès du MSSS, auprès des ordres professionnels, mais c'est toujours la
question qu'ils disent : Il manque de ressources puis on n'a pas
les moyens pour former des intervenants. C'est pour ça que les intervenants se
forment à l'heure du dîner, de midi à 1
heure, parce que ça ne coûte pas cher à l'employeur. Donc, il y a cet
élément-là qu'il faut les former, les gens, pour les outiller. Puis on
peut citer des exemples. Au niveau du cancer, lorsque le médecin, il est entré
en communication avec une patiente puis il dit : Madame, vous avez le
cancer du sein, vous allez suivre des traitements, puis la patiente, elle dit : Je sais pourquoi j'ai le problème,
c'est ma belle-soeur qui m'a jeté un sort, je vais m'en occuper, merci,
Mme la médecin, puis elle se lève puis elle s'en va, il y a un gros problème
par rapport à ça.
L'autre élément,
c'est au niveau de la connaissance de services. Là, on touche au niveau des
communautés culturelles. La connaissance des programmes, des services, comment
accéder aux services de santé, c'est quoi, une clinique sans rendez-vous, on offre des ateliers, ACCESSS, aux communautés
ethnoculturelles pour expliquer le réseau de la santé et des services sociaux, puis on le fait sans financement.
C'est un des ateliers qui est le plus couru actuellement au Québec. On
donne des différences, on donne des listes de cliniques de sans rendez-vous. On
explique aussi aux gens comment accéder aux salles d'urgence, aux divers
médecins.
Le
troisième élément, c'est le statut des personnes. En fonction du statut
d'immigration, au Québec et au Canada, on
a droit à… on peut accéder à des types de services puis on n'accède pas à
certains types de services, et là le réseau de la santé est complètement dépourvu parce qu'il ne
sait pas comment gérer le fait qu'il y ait des statuts d'immigration différents.
Le Président (M.
Morin) : M. Di Giovanni, comme je suis réglé par le
temps, je ne peux pas vous laisser continuer. Je vous ai donné quelques
secondes de plus. Dommage!
Oui, Mme Gonzalez,
aviez-vous… Non, ça va? Ça va? Mais…
Mme Gonzalez
(Carmen) : …ajouter juste une chose?
Le Président (M.
Morin) : Oui, très, très court. Je suis très méchant.
Mme Gonzalez (Carmen) : O.K. C'est juste pour M. le ministre. Juste pour
vous dire que, quand on vous invite à nous rencontrer… Parce que j'ai
comme l'impression qu'il y a eu comme de la… qu'on ne s'est pas compris avec le
mémoire. J'aimerais ça, si c'est possible, de réitérer l'invitation de Jérôme,
si on peut parler en dehors de la salle.
Le
Président (M. Morin) : M. le ministre a compris, il vous
donnera la réponse un peu plus tard. Donc, merci beaucoup de votre
intervention. Bon retour à la maison. Nous, on va aller manger quelque peu pour
revenir en forme.
Donc, la commission
suspend ses travaux jusqu'à 14 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 43)
(Reprise à 14 h 8)
Le Président (M.
Morin) : La commission va reprendre ses travaux.
Des voix :
…
Le
Président (M. Morin) :
Attention, s'il vous plaît! Bon début
d'après-midi, tout le monde. Cet après-midi, nous entendrons le
Rassemblement pour la laïcité, le groupe Laïcité citoyenne de la capitale
nationale, M. Guy Rocher, de même que M. Raphaël Fischler.
Donc,
avant de débuter, ça va me prendre un consentement pour terminer un peu après
18 heures. Consentement? Merci.
Donc, M. Chikhi, si c'est vous qui avez la
parole, allez-y. Vous avez 10 minutes.
Rassemblement pour la
laïcité
M. Chikhi (Ferid) : Alors, M. le
Président, bonjour. M. le ministre, Mmes, MM. les députés, bonjour. Notre mémoire se veut être l'expression de près de
61 000 signatures ou signataires de la déclaration pour le
Rassemblement pour la laïcité. Je vous
remettrai ça, M. le Président, comme document qui pourrait être vu par les
députés, les parlementaires. Il y a dedans les adresses, donc, des
personnes, on ne voudrait pas que ce soit connu. Alors donc, 61 000
signataires de la déclaration du Rassemblement pour la laïcité, dont plusieurs
personnalités comme Gilles Vigneault, Julie Snyder, Guylaine Tremblay et bien d'autres, pour n'en nommer que quelques-unes.
Vous trouverez à l'annexe 3 de notre mémoire une liste partielle de
ces personnalités qui appuient le Rassemblement pour la laïcité.
Cette
déclaration, que vous trouverez à l'annexe 2, rejoint aussi de grands pans
de la société faisant partie de ce qu'on
appelle souvent la majorité silencieuse. C'est d'ailleurs la même démarche qui
a rallié spontanément des milliers d'adhérents et d'adhérentes au
mouvement des Janette. Malgré la complexité du sujet, l'appui populaire à la
laïcité est clair, notamment dans la population francophone et allophone.
Le Rassemblement pour la laïcité regroupe plus
d'une vingtaine de groupes ainsi que des citoyens et des citoyennes de tous
horizons politiques, de toutes origines et de tous âges rassemblés autour du
principe de la laïcité comme projet d'avenir pour la société québécoise.
Pourquoi cette démarche est-elle fondamentale et nécessaire? Depuis une
décennie, l'actualité nous force à nous interroger sur le devenir de la société
québécoise et les mutations en cours; sur les relations entre les citoyens et
leurs institutions politiques, économiques, culturelles et sociales; sur les
rapports entre ces mêmes citoyens et leur État; sur l'égalité entre les femmes
et les hommes; sur l'immigration, son intégration et son apport à la société
d'accueil.
Je passe la parole à ma collègue Martine
Desjardins pour la suite.
• (14 h 10) •
Mme Desjardins (Martine) : D'autre
part, toute la société est interpellée sporadiquement en ce qui a trait à la
place de la religion dans l'espace public. Il est essentiel de mettre fin à
l'insécurité juridique qui prévaut depuis trop longtemps en cette matière et
aux tensions sociales que cela génère.
Le débat sur la laïcité est déterminant pour
l'avenir de la société québécoise. Or, cet avenir ne peut se faire et être pensé sans un regard, un ancrage avec le
passé historique, politique, social, culturel et démographique, ne serait-ce
que depuis les 50 dernières années.
Nous estimons que le devenir d'une société ne peut se fonder sur l'exacerbation
des différences mais bien sur l'adhésion à
un socle commun de valeurs citoyennes. Le débat autour des valeurs
prioritaires pour la société québécoise, de l'intégration des immigrants, de la
place des minorités, de la diversité culturelle et du vivre-ensemble pose de
façon cruciale la question de la société que nous voulons pour demain. Alors,
deux questions nous interpellent, et on vous les pose : Quelles sont les
améliorations, les avantages, les progrès sociétaux que le Québec a accumulés
depuis plus de 50 ans? Et qu'est-ce qui pourrait se détériorer, se
dégrader et s'altérer si ce processus est freiné, voire même stoppé, mis en
échec, et surtout dans une société qui devient de plus en plus multiethnique et
multiconfessionnelle?
Le rassemblement dont nous sommes les
porte-parole apporte son appui au projet de loi n° 60 et considère
qu'il constitue une avancée importante pour mettre fin à l'insécurité juridique
qui prévaut depuis trop longtemps en cette
matière et aux tensions sociales, mais c'est aussi pour faire du Québec une
société plus inclusive, notamment pour les citoyens de religion et de
culture musulmanes. La laïcité telle que proposée par le projet n° 60
nous apparaît comme une condition
essentielle du mieux-vivre ensemble. En s'appuyant sur les trois principes qui
sous-tendent la laïcité, à savoir le
respect de la liberté de conscience, l'égalité de tous les citoyens et l'universalité
du bien commun, à savoir les mêmes lois et les mêmes droits qui s'appliquent à toutes et tous, le projet de loi
n° 60 pose les conditions essentielles pour mettre en place un projet de société rassembleur qui
respecte la dignité humaine, renforce la justice sociale et consolide la
cohésion de la société québécoise.
Pour une
première fois, nous croyons que nous pouvons avoir confiance dans la volonté
affirmée de l'ensemble des parlementaires
dont vous êtes. Nous croyons aussi que le débat peut s'élever au-dessus des
visées partisanes. Notamment, dans le
projet de loi, on parle de valeurs québécoises, soit la sauvegarde de la langue
française, l'égalité hommes-femmes et le caractère laïque des
institutions. Il s'agit en fait de valeurs auxquelles le Québec a choisi de
donner la priorité.
Le projet de loi peut contribuer à mettre en
place les conditions pour mieux gérer la diversité, et cela, en ménageant un
espace neutre où tous les citoyens pourront se côtoyer. Pour cela, il est
essentiel que les institutions publiques
ainsi que l'ensemble des agents de l'État soient neutres. En préservant
notamment la neutralité des apprentissages et des employés des centres de la petite enfance, des garderies et des
établissements scolaires, le projet de loi prépare un avenir plus
respectueux des enfants et des convictions spirituelles de leurs parents. C'est
un des aspects du projet de loi auquel le rassemblement accorde beaucoup
d'importance.
Il faut
également considérer le fait que l'enfant en bas âge est incapable de faire un
raisonnement élaboré pour comprendre les distinctions entre sa réalité
présumée et effective, il est centré sur son monde. Vers l'âge de neuf ans, il commence à développer le sens moral
de la réciprocité et de la justice. Impossible, donc, de comprendre
l'ensemble des distinctions et des codes qui lui sont soumis et de les classer
selon ses valeurs familiales avant la fin de son primaire.
Le développement du sens moral en lien avec le
contrat social viendra, quant à lui, beaucoup plus tard. C'est à l'adolescence
que l'élève commence à développer sa critique sociale et découvre ses valeurs
personnelles. C'est donc
dire tout l'impact que l'éducateur a avant cette période de développement. Il
est donc faux de prétendre que les idées, valeurs, choix de religion des éducateurs n'ont pas d'impact. Il en est
de même pour l'interdiction des signes religieux dans les institutions
d'enseignement supérieur, qui contribue à établir un espace neutre qui favorise
le respect de la liberté académique — et j'insiste — du
professeur mais aussi de celle des étudiants.
En adoptant ce projet de loi, le Québec va
consacrer la laïcité comme un impératif pour les sociétés qui sont appelées à
se diversifier davantage. Il nous faut un nouveau contrat social pour mieux
gérer le vivre-ensemble non pas en nous repliant dans un passé communautariste,
mais dans une société qui a mis en place les conditions qui nous rassemblent au-delà de nos différences. Pour y arriver, nous pensons qu'il est légitime de
recourir à la clause de dérogation.
M. Chikhi (Ferid) : Je vais faire la
suite, si vous le permettez. Parmi les opposants à la charte, nombre de
personnes s'inscrivent dans une mouvance intégriste. Elles invoquent le manque
de respect des droits fondamentaux et
stigmatisation des musulmans. Cependant, même si la plupart de celles et de ceux qui
tiennent ces arguments ont de bonnes intentions, ils sont, à quelques
exceptions près, victimes de leur crédulité, de leur naïveté, de leur ignorance
de la religion musulmane telle que pratiquée
par la grande majorité des musulmans. Ils deviennent les premières
victimes de la manipulation à grande échelle
orchestrée par les islamistes au nom de l'atteinte aux libertés individuelles.
En fait, pour ces intégristes, la
seule partie… la seule patrie, pardon, c'est la communauté des croyants,
l'oumma. Pourtant, il y a
place dans le Coran pour un islam modéré. Il
faut donc éviter toute stigmatisation de l'islam mais porter une attention
particulière à l'expansion de l'idéologie
islamiste qui en use pour une prise de pouvoir. Et, même s'il ne s'agit pas
d'une recherche de domination gouvernementale, on peut parler d'une
expansion au niveau spatial et social en évacuant la démocratie et en imposant
la suprématie de quelques individus sur la communauté.
Encourager
les demandes d'accommodement religieux et le port de signes religieux là où
l'histoire du Québec a été témoin de leur retrait des institutions
publiques, comme le suggère la commission Bouchard-Taylor, constitue une rupture sur le chemin de la laïcisation du Québec moderne. Cela ne peut que
favoriser la crispation identitaire, comme celle qui s'est développée
autour du crucifix à l'Assemblée nationale.
Le projet de loi n'est pas complet, notamment en
ce qui a trait aux privilèges accordés à certains groupes religieux. À cet effet, nous suggérons la création
du comité ad hoc qui prendrait en charge toutes les questions qui n'ont
pas été abordées, comme celles du financement des écoles confessionnelles, des
exemptions fiscales accordées aux communautés
religieuses et du cours d'éthique et culture religieuse. Nous demandons au
gouvernement d'introduire une clause de dérogation afin de faire primer
les instances politiques qui sont élues par la population au lieu de remettre
la décision dans les mains de juges qui sont nommés.
Pour
terminer, il faut aussi prendre en compte le respect de la liberté de
conscience des enfants, les convictions de parents ainsi que les convictions de l'ensemble des citoyens. Ces droits
citoyens doivent primer sur les choix vestimentaires personnels des
employés. L'État démocratique ne peut être que laïque et, pour être laïque, il
doit fonctionner selon les lois votées démocratiquement et non selon des
commandements divins ou selon des diktats religieux. Le projet de
loi n° 60 prévoit des limites raisonnables à la liberté de religion
et il correspond à un projet de société que le Québec moderne s'est donné
depuis la Révolution tranquille.
Enfin, il est
important que toutes les forces vives du Québec qui ont à coeur la défense de
la liberté de conscience, de
l'égalité des hommes et des femmes, du pluralisme et de l'indépendance de
l'État par rapport aux religions s'unissent afin de faire de ce combat
démocratique une source de fierté pour le Québec et un projet structurant pour
notre avenir commun.
Avant de terminer notre présentation,
j'aimerais, messieurs et mesdames, citer Mahatma Gandhi. Il a dit : «Je ne veux pas que ma maison soit entourée de murs de
toutes parts, je ne veux pas que mes fenêtres soient obturées. Je veux que les cultures de tous les pays puissent
circuler chez moi aussi librement que possible. Mais je refuse d'être écrasé
par l'une d'entre elles.» C'est ce que nous souhaitons pour le Québec de
demain.
Le Président (M. Morin) :
Merci, mon cher monsieur. Donc, M. le ministre.
• (14 h 20) •
M.
Drainville : Merci,
M. le Président. Merci à vous deux pour la présentation. J'aimerais d'abord
commencer par cet extrait, donc, de votre mémoire à la page 23. Vous
écrivez ceci : «Les pressions communautaristes menant à la surenchère de demandes d'accommodements religieux
ne peuvent que favoriser un profilage ethnico-religieux dont la forte majorité "invisible, silencieuse et
laborieuse" des musulmans est la première victime.» Et vous ajoutez :
«Telle est la mise en garde de
nombreuses personnes originaires du Maghreb et du Moyen-Orient qui se voient
refuser des emplois parce que les employeurs
ont peur de se voir imposer des accommodements religieux et du personnel qui
arborerait des signes religieux.»
Dans le fond,
pour résumer, vous dites : Les premières victimes de la surenchère de
demandes d'accommodement religieux, c'est la majorité de confession
musulmane qui ne cherche qu'un travail, qui veut s'intégrer, qui veut vivre
heureuse avec sa famille, et tout le reste. Pouvez-vous un petit peu élaborer
là-dessus? Parce qu'effectivement, nous, il
y a des employeurs et il y a des chercheurs aussi qui nous ont dit que des
C.V., des curriculum vitae de néo-Québécois étaient
carrément jetés aux poubelles parce qu'il y a des employeurs qui ont peur
d'avoir à gérer des demandes d'accommodement. Alors, plutôt que donner la
chance à une personne qui souvent est très bien formée, bardée de diplômes, enfin, la personne a toutes les
qualifications pour combler le poste, bien, plutôt que de lui donner une
chance, on met sa candidature au panier parce qu'on craint une demande, une
éventuelle demande d'accommodement.
M. Chikhi,
vous, vous êtes conseiller en intervention pour l'insertion professionnelle des
personnes handicapées. Vous êtes
également consultant en matière d'intégration socioculturelle. Dites-nous un
peu comment la charte nous aide justement à rassurer peut-être certains
employeurs du secteur privé, comment elle peut nous aider à mieux intégrer au marché de l'emploi tous ces nouveaux Québécois qui
auraient les qualifications pour obtenir un emploi mais à qui on ne donne pas
la chance notamment parce qu'on a peur qu'ils nous arrivent avec une demande
d'accommodement.
M. Chikhi (Ferid) : Je pourrais
répondre en tenant compte toujours du contenu de notre mémoire, où on parle
effectivement de laïcité et d'une laïcité fermée qui ferait que les employeurs,
quels qu'ils soient, que ce soient ceux de
la fonction publique ou ceux des entreprises privées, soient rassurés; dès
lors, que les candidats qui se présentent ne soient pas jugés par rapport à leur nom et par rapport à
l'incertitude que font planer quelques individus qui effectivement, dans
les entreprises, demandent des accommodements, je dirais, parfois
déraisonnables. Donc, on peut les rassurer en
disant : Oui, vous avez la charte de la laïcité qui protège vos droits
mais qui impose aussi des règles, des règles que tout le monde doit respecter. Alors, au lieu de regarder
simplement l'origine de la personne, on va partir du principe que cette réglementation encadre, oriente les recruteurs
pour ne pas craindre ces personnes-là. Et, s'il y a des accommodements à
apporter, ça serait plutôt des arrangements. Libre à l'entreprise privée
d'offrir l'arrangement qui lui convient dès lors que la compétence,
l'expérience, la qualification de ces candidats est prise en considération.
Mais, dès le moment où on fait de la publicité, une
grosse publicité pour des statistiques qui ont été traitées plusieurs fois
depuis 2010, disant qu'il y a 30 % de la population des Maghrébins qui ne
trouve pas d'emploi, qui est sans emploi, et que la surenchère vient de là, en
disant : Oui, c'est parce que c'est des islamistes, je suis désolé, les
30 % de Maghrébins, ce ne sont pas tous des islamistes. Ce ne sont pas
toutes des femmes qui portent le voile, ce ne sont pas tous des hommes qui ne
serrent pas la main aux femmes. Ce sont de très bons candidats, mais la crainte
des employeurs fait qu'on ne les appelle pas, fait qu'on ne les regarde même
pas. Et puis, oui, il y en a qui enlèvent le voile,
parmi les femmes, il y en a qui rasent leur barbe, parmi les hommes, mais une
fois recrutés, malheureusement, ils remettent tout en place. Alors, les
employeurs se disent : S'il y a eu mauvaise représentation au début, il y
en aura automatiquement par la suite. Alors, nous, on dit que, la charte de la
laïcité, avec des balises bien déterminées qui permettraient aux employeurs de
faire le choix en conséquence des compétences, des qualifications, des
attitudes et des comportements, ils n'auront plus de crainte à recruter ces
candidats.
M.
Drainville : Vous
ajoutez également, toujours à la page 23 — c'est un suivi à la question que je viens de
vous poser, là, alors je vous cite :
«Encore une fois, sur plus de 150 000 musulmanes et musulmans au Québec,
combien de personnes demandent des
accommodements religieux? Très peu.» Vous répondez : Très peu. «Par contre,
la mouvance islamiste, tout en étant
très minoritaire, est particulièrement militante en matière d'accommodements
religieux, alors qu'ils font
partie — ces
accommodements, donc, ou ces demandes d'accommodement — d'une stratégie politique et
idéologique, même s'ils sont invoqués sous
le couvert de la religion. Notons que ces demandeurs sont encouragés dans la
surenchère par des organismes voués à la
défense des droits et qui privilégient les droits individuels et accordent la
priorité aux droits religieux, et
cela, au détriment des droits collectifs, notamment ceux des femmes et des
enfants. Voilà pourquoi l'adoption de
balises claires visant à encadrer les demandes d'accommodements religieux comme
le propose le projet de loi n° 60 peut contribuer à restreindre la
surenchère des demandes en provenance d'intégristes.»
Dans votre esprit, au-delà, là, de cette
surenchère en matière d'accommodements, comment est-ce qu'il se manifeste au
Québec, cet intégrisme religieux? Est-ce que vous pouvez nous éclairer un peu
là-dessus?
M. Chikhi (Ferid) : Bien, la
manifestation, elle est simple. Vous savez, il suffit d'aller dans n'importe
quel organisme de soutien aux chercheurs d'emploi, dans des organismes d'aide à
l'intégration socioéconomique, socioculturelle, et puis on voit le nombre de
personnes qui sont en attente de trouver un emploi. Dès le moment où un emploi est refusé, dès le moment où une
candidature est envoyée à un employeur, quel qu'il soit, et qu'il n'y a pas
de réponse, on crie à la discrimination,
contrairement aux autres 150 000 musulmans qui, lorsqu'ils n'ont pas
de réponse, ils continuent à relever le défi de la recherche d'emploi.
Ils ne s'arrêtent pas à une réponse ou à une non-réponse d'une entreprise,
quelle qu'elle soit.
Alors, pendant que celui qui cherche un emploi,
qui persévère dans sa recherche d'emploi, qui va dans les clubs de recherche
d'emploi, qui retourne chez les conseillers en emploi pour trouver les bonnes
astuces pour se faire recruter… les autres
vont aller à la Commission des droits de l'homme, vont aller aux médias, vont
aller dire : Nous sommes victimes
du racisme, de la xénophobie, de la discrimination. Et là ça porte préjudice à
tout le monde, ça porte préjudice à tous les autres musulmans qui sont
en recherche d'emploi et qui ont des difficultés, parce qu'effectivement il y a
une petite expérience qu'on peut exiger sur le plan culturel, sur le plan de la
connaissance de la société québécoise, mais ce sont des gens qui sont
parfaitement opérationnels après deux, trois, quatre mois de travail.
Alors, encore une fois, quand on parle de
balises, il ne faut pas laisser ça aux employeurs, de décider seuls, mais au
moins de leur donner un cadre de référence qui leur permet de faire les bons
choix.
M. Drainville : Très bien.
Mme Desjardins, jusqu'à maintenant, dans le débat public, certains ont
dit : On ne peut pas interdire le port des signes religieux ostentatoires
dans les institutions d'enseignement supérieur, au nom notamment de la liberté
académique des professeurs. Si je comprends bien votre mémoire, je pense que
c'est un point de vue que vous ne partagez
pas. Et j'aimerais bien que vous nous éclairiez là-dessus, d'autant plus que
vous avez à la fois cette précieuse
expérience que vous avez acquise à la FEUQ, mais vous avez aussi, il faut le
rappeler, été chargée de cours et chercheure dans le domaine de
l'éducation.
Alors, d'abord, précisez bien votre pensée sur
le cadre d'application. Est-ce que vous êtes, comme je semble le comprendre, d'avis que la neutralité des
institutions doit s'étendre donc aux universités, aux institutions
d'enseignement supérieur, premièrement? Et,
deuxièmement, est-ce qu'elle doit s'appliquer également aux professeurs qui
enseignent dans ces
institutions? Et pourquoi, à votre avis, si c'est le cas? Pourquoi, à votre
avis, l'argument de l'autonomie des institutions et l'argument de la
liberté académique ne sont pas… ne vous convainquent pas?
Mme
Desjardins (Martine) :
D'accord. D'abord, je veux spécifier que l'autonomie des institutions
universitaires a fait l'objet d'un débat
dans les dernières années. Certes, chaque institution est autonome dans la mise
en place de ses programmes, mais
elles relèvent tout de même de l'État, hein? L'État fournit un ensemble de
subventions aux universités pour qu'elles puissent fonctionner, et donc
évidemment, pour chaque dollar investi, on est en droit de s'attendre à ce que
les institutions universitaires reflètent la laïcité demandée par l'État.
La neutralité des institutions aussi, elle passe
notamment par les individus, hein? C'est sûr que, dans une université, vous trouvez du papier, un bureau,
mais ça ne reflète pas, en fait, la laïcité d'une institution. Ce qui
l'incarne, ce sont les enseignants, ce sont les professeurs. Et donc à
l'université… Et j'ai parlé un peu du primaire dans notre allocution, mais à l'université, puisque c'est
votre question, il faut faire attention avec le prêt-à-penser. Ça n'existe pas
et ça n'a pas sa place à l'université, le prêt-à-penser. Pourquoi? Parce
que les professeurs préparent les étudiants à la critique — nous
avons bien appris dans les dernières années, croyez-moi — et
notamment on prépare aussi les fonctionnaires de l'État. Pour la plupart, donc,
ils sont passés par le réseau universitaire.
Les professeurs sont aussi en position
d'autorité. Qu'on soit devant des enfants de huit ans ou devant des étudiants de 24 ans, on reste en position
d'autorité. Certes, les étudiants de 24 ans ont un peu plus de bagage pour
être capables, justement, de faire la part
des choses entre ce qui est présenté par l'enseignant, mais évidemment,
l'enseignant, on ne peut pas dissocier son enseignement de la personne qu'il
est, et, lorsque vous enseignez à l'université, vous avez notamment le devoir
de dire à quelle école de pensée vous adhérez.
Je peux vous donner un exemple sur l'éducation.
Vous avez plusieurs modes de pensée, le béhaviorisme, l'humanisme, et que,
lorsque vous enseignez, inévitablement vous allez privilégier une forme ou
l'autre, en fait, des idéologies. Et ça, les étudiants peuvent le critiquer,
puisque vous avez le devoir de le dire.
• (14 h 30) •
M. Drainville : C'est écrit
où, ça, que vous avez le devoir de le dire? Est-ce que c'est...
Mme Desjardins (Martine) : Ça fait
partie de votre liberté académique, ça fait partie de...
M. Drainville : De la
déontologie académique aussi.
Mme Desjardins (Martine) : ...de la
déontologie académique. Lorsque vous êtes professeur, vous avez la liberté, évidemment, d'enseigner selon… et selon
la recherche qui a été faite, les données que l'on sait et souvent aussi
un ensemble d'experts qui s'est déjà penché
sur votre domaine. Vous ne pouvez pas juste arriver avec vos principes et
vos valeurs et les imposer à vos étudiants. Vous partez de principes qui ont
été pensés avant vous, que vous critiquez et que vous amenez à vos étudiants
pour les amener à critiquer. Mais il faut aussi être assez honnête
intellectuellement à l'université. La
majorité des professeurs le font, disent qu'ils font partie d'une école de
pensée et, à ce moment-là, invitent leurs étudiants à la critiquer.
Le problème
avec les signes religieux, M. le ministre, c'est que les étudiants, en fait, ne
peuvent pas le critiquer, puisque ce
n'est pas un des objets qui font partie de la liberté académique. Il fait
partie de l'individu. La liberté académique, c'est ce qui est enseigné,
c'est ce qui est dans la recherche qui est faite à l'université.
M.
Drainville : Ça,
c'est la distinction que vous faites, hein? Vous dites : Le concept de
liberté académique, il s'applique à la matière enseignée, mais il ne va
pas jusqu'à permettre à celui qui transmet cette matière ou à celle qui
transmet cette matière d'afficher ouvertement sa conviction religieuse.
Mme
Desjardins (Martine) : Comme
elle ne lui permet pas non plus d'afficher certaines convictions ou
certains dogmes sans en apporter justement la possibilité aux étudiants de le
critiquer. Et donc effectivement il faut faire la distinction entre la liberté académique, qui est la possibilité, pour le
professeur, d'expliquer et d'amener certains éléments dans le cadre de
son cours... Et je tiens à rappeler que, chaque cours, vous avez un plan de
cours qui a été vérifié par l'université, adopté par le département, et donc la
liberté académique, elle est aussi encadrée à l'université. Mais ça ne fait pas du tout partie… Ce n'est pas la même
chose, la liberté religieuse et la liberté académique. Ce sont deux
choses qui sont complètement différentes.
M. Drainville : Alors, vous y
avez fait référence. J'aimerais ça qu'on élabore un petit peu sur le cas des
enseignants, des enseignantes aux niveaux primaire et secondaire et l'effet que
ça peut avoir sur un enfant que de voir une
personne en autorité, pendant toute une année scolaire, afficher ouvertement sa
conviction religieuse. J'aimerais ça que
vous... Parce qu'on est vraiment... c'est vraiment le coeur... bien, enfin, c'est, je dirais, un des
principaux enjeux du débat,
c'est : Jusqu'à quel point le fait d'afficher sa conviction
religieuse peut brimer la liberté de conscience de celui ou de celle qui
est en présence de ce signe religieux?
Mme Desjardins (Martine) : Il faut comprendre, et comme je l'ai mentionné
dans la présentation : lorsque
vous avez un élève devant vous, du primaire et du secondaire, il est en train
de développer, en fait, sa conception critique, le développement de sa pensée critique. C'est seulement à l'adolescence
qu'il commence à comprendre ce que signifie le contrat social. Et donc ce qu'on est en train de faire actuellement,
c'est-à-dire de définir un contrat social avec la charte des valeurs, il ne le
comprend pas, il ne saisit pas l'ensemble des différentes données avant d'avoir
atteint, là... et ça commence à partir de 13 ans. Ça fait partie
des cours sur le développement de l'enfant.
M. Drainville :
Vous dites 13 ans. Ça, c'est les recherches que vous avez faites…
Mme Desjardins
(Martine) : Exactement. C'est les recherches...
M. Drainville :
…ou les recherches sur le...
Mme Desjardins
(Martine) : Les recherches sur le développement de l'enfant
démontrent... Et, je veux dire, il y en a qui sont très animés, très curieux et
qui sont capables d'aller voir. Maintenant, on a Internet, on a accès à plein de données. Mais, si vous allez vraiment
dans le développement de l'enfant et vous vous attardez au développement
cognitif d'un enfant, comprendre la notion
de contrat social, ça arrive vraiment beaucoup plus tardivement. Et donc il faut arrêter d'essayer de plaquer, en fait, des
conceptions que nous avons, adultes, dans la capacité de l'enfant,
finalement, de faire la critique et la part
des choses, parce que lui n'a pas développé ces capacités-là. Il va finir par le faire, mais il
faut aussi lui laisser la chance de le faire.
M. Drainville :
Quel impact ça a, le fait qu'il n'a pas le sens critique ou qu'elle, la jeune
fille, n'a pas le sens critique, justement, pour faire la part des choses? Quel
impact ça peut avoir sur son développement à lui ou à elle?
Mme Desjardins
(Martine) : En fait, ce que ça peut amener, c'est justement
éventuellement une rupture entre ses valeurs
familiales et les valeurs qui sont prônées dans les institutions scolaires,
puisque parfois ça peut arriver en pleine
contradiction. Mais l'enfant n'est pas nécessairement conscient de tout ça. Il
va retourner à la maison, demander à ses parents certaines questions sur
ces conceptions et faire un choc des valeurs. Ça ne va pas nécessairement
brimer son développement, mais il faut se
rappeler que la personne qui est devant lui, c'est une personne qui est en
autorité. C'est une personne en qui il doit avoir confiance, qui
s'occupe de lui plusieurs heures par semaine. Et donc inévitablement, si les valeurs, par exemple, qui sont prônées
par cette religion-là vont à l'encontre des valeurs familiales, ça peut avoir
un impact, évidemment, sur le développement social de l'enfant.
M. Drainville :
Certains répondront… Je me fais un peu l'avocat du diable, encore une fois,
mais certains diront : Puis après? C'est ça, la vie en société. Il faut
qu'il s'habitue à vivre dans la diversité. Alors, qu'il soit mis en présence de ce type de questionnement ou même de
ce type de tension entre les valeurs qui lui ont été communiquées et les
valeurs que la société
lui rend notamment à travers l'école ou à travers le professeur, où
est le problème?, diront certains, parce
que, regardez, c'est comme ça. C'est
ça, la vie. On est dans une société de plus
en plus multiethnique; aussi
bien qu'elle ou qu'il soit exposé à ça. Puis
il n'y a rien de grave là-dedans, diront-ils, diront-elles, il n'y a rien de
grave là-dedans. La mère ou le père n'aura qu'à mettre les pendules à
l'heure, puis la vie continue.
Mme Desjardins (Martine) : Effectivement, on pourrait effectivement dire ça. Le
problème, c'est que, lorsque vous
faites… Et ça pourrait s'apparenter, par
exemple, à une technique d'impact
qu'on utilise beaucoup en éducation, où on va choquer la personne devant nous pour essayer
d'obtenir un comportement. Le problème, c'est que ça prend un suivi puis
un accompagnement. Et donc vous ne pouvez pas juste dire : On va choquer
un enfant, et par la suite on va le laisser comme
ça, et le parent attrapera la balle au bond. Encore faut-il que le parent soit
mis au courant de ce qui se passe, encore faut-il que l'enfant ait vraiment un accompagnement qui soit approprié et encore
faut-il qu'on lui amène à se poser ces questions-là, parce que sinon il
prend pour acquis, en fait, ce qu'il voit, puisqu'il n'a pas la capacité de la
critiquer jusqu'à l'adolescence.
M. Drainville :
Et parce qu'il va faire confiance à la personne qui est devant lui ou devant
elle. C'est ça qui est très, très important.
Mme Desjardins
(Martine) : Et c'est normal, en fait. L'enfant est amené, justement, à
faire confiance à l'enseignant, puisqu'on lui dit qu'il doit faire confiance et
respecter les consignes de cet enseignant-là.
Donc, évidemment,
pour cet enfant, il doit être capable d'être accompagné face à tout ça, et ce
n'est pas en choquant un enfant ou en le
mettant devant des faits accomplis qu'on va obtenir un comportement ou un
développement à long terme qui va être sain
et justifié, au contraire. Il faut l'accompagner, il faut lui permettre de
faire tranquillement ces apprentissages-là. Et franchement on ne peut
pas déterminer l'impact d'un choc sur les enfants, c'est impossible de le faire, on va le savoir beaucoup plus
tardivement. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, en éducation, on essaie
d'éviter ce genre de technique d'impact, parce que ça a des effets néfastes
qu'on n'est pas capables de contrôler. Je ne suis pas en train de dire que c'est le même type pour des enfants qui voient, par
exemple, des enseignants avec des signes religieux, mais ça pourrait
effectivement s'apparenter.
M. Drainville :
Il me reste à peu près deux minutes. M. Chikhi, ceux qui soutiennent la
charte, qui appuient la charte se font
parfois taxer d'islamophobes, je suis bien placé pour en parler, mais, vous, on
peut difficilement vous taxer d'islamophobe, puisque vous êtes vous-même
musulman, hein, c'est bien…
M. Chikhi (Ferid) : Oui.
M. Drainville : Bon, c'est mauditement embêtant,
dans votre cas, de vous taxer d'islamophobe. Alors, comment vous réagissez quand vous entendez certaines
critiques taxer les partisans de la charte d'islamophobes, alors que
vous êtes procharte et vous êtes musulman? Donc là, ce n'est pas suffisant, là,
il va falloir qu'ils trouvent autre chose dans votre cas, là.
• (14 h 40) •
M. Chikhi
(Ferid) : Vous savez, si je reviens sur le registre purement
théologique, purement religieux, nous l'avons mis en page 20, un verset du
Coran, parce qu'il faut parler avec eux les mots qui leur conviennent. C'est qu'en islam on dit : «Quand, entre peuples,
vous prononcez un jugement, faites-le avec justice : combien, en vérité
est excellent l'enseignement que Dieu vous a donné.» Et il y a un verset du
Coran qui parle de la relation entre chrétiens, musulmans, Juifs, sabéens et tous les gens du Livre : Essayez non
pas dans la religion de vous dépasser, mais essayez par les bonnes
choses que vous faites, par les actions positives que vous faites de vous
concurrencer. Je préfère vous concurrencer tous tels que vous êtes par mes
compétences, par mes qualifications, par mes expériences plutôt que de vous
concurrencer sur la religion, parce que nulle contrainte en religion.
Alors,
celui qui me traite d'islamophobe, c'est son droit, il a la liberté
d'expression, mais il faudrait qu'il fasse mieux que moi en matière de
pratiques quotidiennes, en matière de relations sociales, en matière
d'intégration dans la société d'accueil, où
je peux pratiquer ma religion sans que personne ne m'empêche de le faire. Et ce n'est pas avec les signes extérieurs
que ça se fait, c'est avec ce que j'ai dans le coeur et ce que j'ai dans ma
tête. Alors, je n'ai aucun problème avec ça, je fais face à cela. Et je ne suis
pas le seul.
M. Drainville :
Est-ce que vous subissez des pressions parfois?
M. Chikhi
(Ferid) : Absolument, absolument.
Une voix :
…
M. Chikhi (Ferid) : Bien oui, il y a des menaces. Aujourd'hui, c'est la
cyberintimidation. La jeune dame qui est passée ici il y a quelques
jours, qui a parlé de la prière sur un programme informatique, allez-y, sur
Internet, allez-y, sur les réseaux sociaux, vous allez voir combien elle est
intimidée par, justement, ces groupes-là.
M. Drainville :
Par les groupes intégristes?
M. Chikhi
(Ferid) : Intégristes, bien sûr.
M. Drainville :
Mme Kichou, ça, hein?
M. Chikhi (Ferid) : Mme Kichou, oui. Quand bien même les autres… Nous sommes
musulmans par le travail que nous
faisons, par la productivité que nous apportons dans ce pays qui nous a
accueillis. Nous faisons de notre mieux, même si on est, disons, disqualifiés, parce que beaucoup
disent qu'on ne reconnaît pas nos diplômes, nos expériences et tout,
mais ce n'est pas parce que
j'ai été ingénieur en Algérie ou que j'ai été cadre sénior que je dois obligatoirement commencer par un poste
d'ouverture qui est cadre sénior ou ingénieur. Il y a des ingénieurs qui ne sont
pas inscrits à l'Ordre des ingénieurs qui travaillent comme techniciens.
Le Président (M.
Morin) : Votre temps est imparti. Merci, M. le ministre. M. le
député de LaFontaine.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, M. le Président. De combien de temps disposons-nous?
Le Président (M.
Morin) : De 18 minutes… 16 min 20 s, je
m'excuse.
M.
Tanguay : 16 minutes. O.K. Merci beaucoup, M. le
Président. D'abord et avant tout, j'aimerais présenter mes excuses à Mme Desjardins et à M. Chikhi.
M. Chikhi, nous avons été en retard, nous avions une conférence de
presse. Ce n'est pas une excuse, mais donc je voulais vous présenter nos
excuses. On a eu l'occasion de lire votre mémoire et nous avons des questions à
vous poser. Merci pour le temps que vous avez mis à rédiger le mémoire et le
temps que vous prenez aujourd'hui à répondre à nos questions.
J'aimerais savoir
d'entrée de jeu : Au niveau de l'aspect un peu plus conceptuel, êtes-vous
d'accord avec l'affirmation par laquelle, effectivement, des croyances
religieuses ou ce qui fait fondamentalement partie de l'identité d'une
personne, que ce soit un homme ou une femme, peuvent se traduire par le port de
signes religieux? Est-ce que, cet aspect-là, vous êtes en accord?
M. Chikhi
(Ferid) : Est-ce que, si je comprends bien, ma conviction religieuse…
M.
Tanguay : Est-ce que vous croyez que, pour des personnes, pour
des individus, que ce soit un homme ou une femme, leur conviction
religieuse ou leur identité personnelle fait en sorte, pour eux, de justifier…
c'est important, c'est majeur, pour eux, de porter un signe religieux, quel
qu'il soit, dans certains cas?
M. Chikhi (Ferid) : Il n'y a rien
dans ma religion qui me permette de le faire.
M. Tanguay :
Dans toutes les religions?
M. Chikhi
(Ferid) : Bien, en tout cas,
dans celle que je connais, qui est la mienne, il n'y en a pas. Il n'y a
aucune obligation de port de signe ostentatoire ou de symbole. Le seul symbole
que j'ai à présenter, c'est ma conviction que je peux réussir à faire de bonnes
actions quotidiennement.
M. Tanguay : Et je ne sais
pas si, Mme Desjardins, vous voulez commenter là-dessus. Donc, vous, M. Chikhi, c'est uniquement par rapport à
votre religion. Par rapport aux autres religions, êtes-vous en mesure, les
deux, là, de répondre à la question? Puis,
si vous ne le savez pas, vous ne le savez pas… ou, si vous n'avez pas
d'opinion, vous n'avez pas d'opinion. Le reconnaissez-vous aussi dans
d'autres religions?
Mme
Desjardins (Martine) : Bien,
en fait, comme vous pouvez le voir aussi dans notre mémoire, on a
spécifié pour plusieurs religions, notamment la religion juive, musulmane, chrétienne,
qu'effectivement ils peuvent avoir recours à
des signes ostentatoires, à des ports de signes, mais que dans aucune religion
ils ne doivent le faire à tout moment. Et donc, à ce moment-là… Et vous
pouvez aller le voir, j'imagine, là, on a probablement la page à vous donner
éventuellement, mais vous pouvez aller le voir : dans aucune religion on
ne vous oblige à le porter, sauf lorsque vous allez faire vos prières, lorsque
vous allez, justement, vous présenter à la mosquée. Dans aucune religion ce
n'est une obligation. C'est une possibilité, par contre.
M. Tanguay :
Et une personne, donc, si je suis votre raisonnement, qui dirait : Bien,
moi, désolé, mais je ne peux pas
parce que c'est fondamental pour moi, je ne peux pas mettre au vestiaire mon
signe religieux entre 9 heures et 5 heures du lundi au
vendredi… Une personne qui viendrait vous dire cela, est-ce que je dois
déduire — mais
corrigez-moi si j'ai tort — que
vous n'accorderiez aucune valeur à cette affirmation-là?
M. Chikhi
(Ferid) : M. le député, nous
avons souligné en particulier le fait, par exemple, que des Juifs qui
sont membres du Rassemblement pour la
laïcité nous ont fait savoir qu'ils ne sont pas dans l'obligation de rentrer au
travail avec la kippa, que c'est simplement pour des situations où ils
doivent prier, etc., mais rien ne les oblige à venir avec la kippa au
travail. Il en est de même pour les sikhs. On parle beaucoup des sikhs. Les
sikhs en Inde se départissent de leurs turbans, de leurs signes parce que
justement, bien, ce n'est pas une obligation pour eux, alors on ne voit pas
pourquoi en Inde cela est possible et qu'ici, au travail, cela n'est pas
possible.
Il y a
des espaces communs, il y a des espaces partagés où les signes ostentatoires
ne devraient pas exister. Ça me heurte, ça heurte les autres, alors que,
si… Imaginez, je prends le cas seulement des 150 000 Algériens qui… des
100 000 Algériens qui sont musulmans et qui arriveraient tous avec un
turban et qui arriveraient tous avec le voile. Vous voyez?
Donc, il n'y
a pas d'obligation, en ce qui nous concerne. Il n'y a pas d'obligation dans les
autres religions, à ce qu'on sache.
Alors, on dit : Oui, la laïcité peut nous permettre de travailler ensemble
en tenant compte de nos diversités, de nos
origines, de nos convictions religieuses, mais le plus important, c'est d'être
productifs, c'est de réaliser de bonnes performances.
M. Tanguay :
Et, si c'était le cas, démontré selon votre approche qu'effectivement c'est une
obligation, c'est une obligation religieuse, est-ce qu'à ce moment-là
votre analyse serait différente?
Mme Desjardins (Martine) : Bien,
d'abord…
M. Chikhi (Ferid) : Possiblement,
mais on ne l'a pas.
M. Tanguay : Possiblement. En
quel sens, possiblement?
M. Chikhi (Ferid) : On ne l'a pas.
Il faudrait qu'on voie la manière dont cela est présenté.
M. Tanguay : Et pourquoi ce
serait possiblement différent?
M. Chikhi (Ferid) : Aucune idée.
M. Tanguay : Je veux juste
vous comprendre.
M. Chikhi
(Ferid) : Vous me demandez
d'anticiper sur quelque chose qui n'a pas été abordé. Alors, on préfère
effectivement parler de la diversité de la société québécoise, de la diversité
de sa composante et de ce qui nous rapproche, de ce qui est commun à tous.
M. Tanguay :
Là-dessus, M. Chikhi, ce qui arrive, c'est que, vous voyez, il y a une
très grande division sur ce seul aspect du projet de
loi n° 60. Tous les autres sont très consensuels et mériteraient
qu'on s'y attarde et que l'on bonifie le
projet de loi, mais là-dessus il y a une très, très grande division. Et
beaucoup de gens qui font partie, là, je dirais, du camp de ceux qui
sont contre cette interdiction viendront vous dire : Bien, nous, ça fait
partie de notre religion. Vous venez de nous dire, et corrigez-moi si j'ai tort, mais que
possiblement, si c'était avéré, si c'était démontré, que c'est
effectivement une obligation religieuse, il faudrait, à ce moment-là, aborder
le sujet différemment. Ne venons-nous pas là faire écho justement du bien-fondé
de leur opposition, qui eux croient que ça fait partie de leur religion?
Mme Desjardins (Martine) : Là, je
pense qu'il faut faire la distinction entre les pratiques religieuses et l'utilisation des religions à des fins politiques.
Ce que vous évoquez, c'est l'utilisation des religions à des fins
politiques…
M. Tanguay : Quelles
sont-elles?
Mme
Desjardins (Martine) : …de faire passer en fait sa religion au-devant, en
fait, de son obligation, de son travail, de sa contribution à titre de
citoyen, puis à ce moment-là c'est l'utilisation de sa religion à des fins
politiques.
M. Tanguay : En quoi un
médecin avec la kippa la porterait pour des fins politiques? Je ne comprends
pas.
Mme
Desjardins (Martine) :
Encore une fois, il n'a pas l'obligation de la porter durant les heures de
travail. Et donc, s'il vous fait
croire qu'il a l'obligation de la porter, bien, à ce moment-là, c'est, encore
une fois, l'utilisation à des fins politiques d'un signe religieux. Il a
le droit de le faire, mais il faut quand même en être conscient et le réaliser.
M. Tanguay :
Et le Juif, le médecin juif avec la kippa, quel est le message, selon vous?
Parce que vous réduisez ça à un message politique. Quel est le message
politique qu'il envoie?
• (14 h 50) •
M. Chikhi
(Ferid) : M. Tanguay,
la question de cette séparation, de cette division sur la manière d'aborder
la question, nous, nous trouvons que la
solution est dans la laïcité, en ce sens que, oui, tous ceux qui parlent du
respect de la liberté de conscience, des libertés ont raison, tous ceux
qui parlent de l'égalité de tous les citoyens ont raison, et on partage ce
point de vue, mais ces personnes-là ne tiennent pas compte du troisième
paramètre, du troisième, je dirais, fondement
de la laïcité, c'est-à-dire l'universalité du bien commun, à savoir les mêmes
lois, les mêmes droits qui s'appliquent à tous et à toutes. Si on
applique ces trois paramètres, ce triptyque, tout fonctionnera correctement.
Les lois
s'imposent à tout le monde de la même manière et selon les mêmes droits, bien
sûr, qu'elles génèrent. Donc,
l'espace commun, oui, doit être considéré avec des balises bien déterminées qui
feraient que toutes les religions seraient sur le même piédestal, elles
ne seraient pas l'une en dessous de l'autre, d'accord, et ça
permettrait à tout le monde d'être vraiment dans le projet de société que nous
voulons non pas pour aujourd'hui et pour nos enfants, on le veut pour nos
arrière-arrière-petits-enfants.
M. Tanguay :
Merci beaucoup. Et, pour bien comprendre votre point, quels sont les messages
politiques liés au port de signes religieux?
M. Chikhi (Ferid) : …écoutez, la
chose, elle est simple. En 2001, quand je suis arrivé là où j'habite, sur la Rive-Sud,
il y avait à peine une centaine de musulmans. On est à 7 000 musulmans sur
la Rive-Sud, d'accord, et pratiquement un millier d'islamistes se trouvent là.
Je ne parle même pas de Montréal, je ne parle pas des zones qui sont devenues
des ghettos de la communauté musulmane. Alors, j'ai dit : Il y a une
expansion de l'islam politique et il n'y a
pas les conditions pour qu'un musulman qui ne prône pas d'idéologie puisse
vivre correctement dans ce pays. On est
pratiquement menacés par ces personnes-là, par ces groupes. Alors, il faudrait
le comprendre : ou c'est une opération qui permet à tous les
Québécois de vivre ensemble avec intelligence, d'accord, et on aide ceux qui
ont des problèmes d'intégration en emploi, d'intégration sociale, d'intégration
culturelle à mieux se positionner, ou alors là on fait la part belle à des
islamistes, et il ne faut pas s'étonner des conséquences d'ici un an, d'ici
deux ans, d'ici trois ans.
M. Tanguay : Et cette menace
est-elle transposable à toutes les religions?
Mme Desjardins (Martine) : Est-ce
que vous parlez de la menace de la laïcité, de la neutralité de l'État?
M. Tanguay : Non, je parle de
l'exemple de monsieur, les 1 000 islamistes, là, sur la Rive-Sud.
Mme
Desjardins (Martine) : Je
vous dirais… En fait, je vais vous répondre sur la question de la neutralité
et de la laïcité de l'État, parce que, oui,
c'est une menace que d'avoir des fonctionnaires qui vont étaler leurs signes
religieux, sur la neutralité et la laïcité
de l'État, parce qu'on ne doit pas se leurrer, mais la présence d'un signe,
c'est justement contraire à la neutralité dont l'État se fait le
défenseur. Et, lorsque vous êtes un fonctionnaire, vous êtes un représentant de
l'État, que vous soyez enseignant,
infirmière, médecin. Vous êtes un fonctionnaire de l'État et vous devez
représenter l'État. Et, lorsqu'on parle, par exemple, que ce sont les
institutions qui sont laïques et non pas les individus, encore une fois, on
compare un individu avec une feuille de papier, c'est absolument déplorable. Et
donc, oui, la présence de signes doit rester dans la charte, parce que
justement elle démontre la neutralité et la laïcité de l'État.
M. Tanguay :
Et l'approche inclusive à l'effet que l'on ne discrimine pas basé sur le sexe,
la race, la croyance religieuse, qui
a fait en sorte qu'on avait même des politiques, sous le Parti québécois,
d'intégration et qui favorisaient ce respect-là parce qu'on n'est pas
tous pareils puis on n'a pas tous les mêmes convictions, mais on se respecte,
et ce qui est important, c'est l'État dans son agir via
le fonctionnaire, et non pas les motifs de discrimination par lesquels je
pourrais le discarter qui est important, qu'est-ce qu'on en fait au niveau des
croyances religieuses? Est-ce qu'on met tout ça de côté?
Mme
Desjardins (Martine) :
Écoutez, encore une fois, la charte qui est proposée ici, c'est seulement lors
de vos heures de travail. On n'est pas en train de dire aux gens de ne
plus croire, de ne plus pratiquer, de ne plus vivre selon leur religion. On est
en train de dire que, lors des heures du travail, ils représentent, en fait,
l'État.
Et on n'a
qu'à se rappeler, en fait, dans les années 50, et c'était d'ailleurs le
Parti libéral, qu'on devrait remercier, à l'époque, très progressiste, qui avait lancé la laïcité, qui a permis
l'émancipation des femmes et leur présence sur le marché du travail, qui
les a fait sortir de leurs cuisines et qui les a amenées sur le marché du
travail. Ce fut une excellente proposition, et c'est la laïcité qui a amené ça.
Pourquoi est-ce que maintenant on est en train de dire que ça va être l'inverse
si d'ailleurs votre propre parti a démontré que c'était plutôt le contraire qui
s'est produit?
M. Tanguay : Et ce qui veut
dire que l'État doit représenter la société qu'il administre et qu'il… Et, en
ce sens-là, la diversité et l'obligation de
ne pas discriminer — je vous
ai donné des exemples — basé sur le sexe, la couleur de la peau, l'état civil, grossesse, signes religieux, parce que l'on peut
enlever un signe entre 9 heures et 5 heures, on peut plus facilement le mettre dans la loi et discriminer
sur un aspect religieux, sur un motif religieux? Sinon, sur les autres
motifs, si le droit à l'égalité a un sens,
ne croyez-vous pas qu'il est important de reconnaître que ce n'est pas parce
qu'on peut le mettre et l'enlever
qu'il n'y a pas là un motif protégé par nos chartes qui fait en sorte qu'on ne
peut pas discriminer? Parce que, quant à ça, on ne pourrait pas appuyer
la même logique s'il y avait un motif de discrimination basé sur la couleur de la peau, par
exemple, on ne pourrait pas changer
ça entre 9 et 5. Mais là êtes-vous en train de me dire que, parce qu'on
peut facilement le retirer, bien on peut facilement mettre de côté ce qui est
protégé comme droit à l'égalité? C'est un motif de discrimination, ça, là, là,
la religion, les croyances, les convictions sincères.
Mme Desjardins (Martine) : J'espère
que je n'aurai pas besoin d'avoir un changement de sexe pour aller travailler,
si ce que vous êtes en train de me dire s'appliquerait à l'ensemble. Je trouve
ça un peu... un peu...
M. Tanguay : Pouvez-vous
étayer?
Mme
Desjardins (Martine) : Bien,
en fait, c'est que vous avez dit notamment : Les gens devraient changer de
couleur de 9 à 5. Je trouve ça un peu large, en fait, comme explication.
Ceci étant
dit, je vais passer la parole à mon collègue sur la question de l'employabilité, et des signes religieux,
et de la discrimination tel que vous le présentez.
M. Tanguay : Et, juste pour
répondre à votre interjection, il y a des motifs, il y a un droit à l'égalité
dans les deux chartes, charte québécoise et
charte canadienne, un droit à l'égalité qu'on ne peut pas discriminer notamment
sur la couleur de la peau, le sexe, la
religion, la liberté de conscience, et, si ça veut dire quelque chose au sein
de la fonction publique, c'est qu'on
ne peut pas discriminer basé sur une croyance tout en protégeant la neutralité
de l'État, ça prend un équilibre. Et
le fait de dire : Bien, vous n'avez tout simplement qu'à enlever le signe
religieux, cette facilité-là ne doit pas être un argument, comme vous le
présentez, on s'entend là-dessus.
Mme Desjardins (Martine) :
J'apprécie votre...
M. Tanguay : Non, mais est-ce
qu'on s'entend sur ça? Pardon? Non?
M. Chikhi
(Ferid) : Vous savez, j'ai comme l'impression que la charte québécoise et la charte canadienne,
qui régulent, qui sont des cadres de référence pour tout ce qui se passe en société,
que ce soit au Canada, que ce soit ici, au Québec,
sont devenues immuables comme le Coran.
Il y a des nouveautés au Québec.
Il y a des gens qui viennent de partout,
au Québec, depuis quelques années, bon, ça change la société.
La société initiale est en train de changer, d'accord?
Quand on vous dit qu'il y a 150 000
musulmans au Québec et que tout
le monde focalise sur à peine
2 000 ou 3 000 qu'on a vu manifester, qu'on a vu crier leur
haine du Québécois, on a le droit de se poser des questions, parce que, dans ma
religion, on n'oppose pas ce type de
confrontation. Alors, oui, je dis : La problématique
initiale, la problématique n° 1, c'est l'insertion
socioprofessionnelle. D'accord? On est tous d'accord.
Le Président (M. Morin) :
M. Chikhi, merci.
M. Chikhi (Ferid) : Merci.
Le Président (M. Morin) : On
se dirige vers la députée Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci beaucoup, M. le Président. Mme Desjardins, M. Chikhi, merci.
Merci pour votre mémoire. De un, je suis curieuse, l'ex-journaliste en moi,
quand vous dites que, sur la Rive-Sud, il y a une ville où il y a près de... il
y a plusieurs milliers de musulmans. Vous avez dit 9 000, de mémoire. Je
suis de la Rive-Sud de Montréal, je me demandais quelle ville. De quelle ville
parlez-vous? Je suis très curieuse.
M. Chikhi
(Ferid) : Je parle de la grande agglomération de Longueuil :
Brossard, Greenfield Park…
Mme Roy
(Montarville) :
Ah! O.K. Vous parliez de Longueuil, Longueuil élargie.
M. Chikhi (Ferid) : Oui, oui.
Mme Roy
(Montarville) :
Parfait. O.K., parfait. Maintenant, cela dit, la laïcité de l'État, nous y
croyons, à cette laïcité-là. Cependant, j'aimerais en profiter, puisqu'entre
autres vous connaissez bien le système de l'éducation, pour parler d'éducation.
Pour nous, il est important de bannir le port de
signes religieux entre autres… naturellement les personnes en position
d'autorité, mais entre autres chez les enseignants du primaire et du secondaire
et également les directions d'école. Vous
disiez… Vous parliez tout à l'heure du niveau primaire, le fait que ce sont des
enfants, et dont le rôle de l'enseignement est terriblement important,
le rôle d'éducateur, un rôle éducatif. On parle d'enfants qui sont jeunes, qui
sont influençables, qui sont captifs.
Mais moi, je me questionne au niveau
universitaire. On est en présence d'adultes. Est-ce qu'il y aurait cette
nécessité d'adultes, qui sont beaucoup moins influençables que des tout-petits,
là, on s'entend, là, six, sept ans, qui ont
déjà une pensée développée, qui sont capables de faire la différence entre les
religions, d'avoir leur propre opinion… Dans quelle mesure il y a cette nécessité de faire en sorte que des
profs d'université… Et on choisit d'y aller, à l'université, si on le
veut bien, là. Dans quelle mesure il y aurait cette nécessité à cette laïcité
de l'État de leur demander de ne pas porter de signe religieux?
• (15 heures) •
Mme Desjardins (Martine) : En fait,
ça se retrouvait un peu dans votre question lorsque vous parliez des
enseignants et que vous disiez que c'était un signe d'autorité que d'être
enseignant au primaire et au secondaire. Ça l'est
aussi lorsque vous êtes au cégep et à l'université, vous êtes aussi en position
d'autorité par rapport à vos étudiants. Vous allez les évaluer, vous allez leur faire passer des tests, vous
allez leur enseigner. Vous devez faire respecter la gestion de classe. La gestion de classe, vous allez aussi
en faire à l'université. Vous êtes en position d'autorité. Et donc, si,
dans la conception du primaire et du
secondaire, une des raisons pour lesquelles le port du signe religieux est
banni est parce que c'est des gens qui sont en position d'autorité,
c'est la même raison pour laquelle on le ferait au niveau universitaire.
Ceci étant dit, effectivement, comme vous l'avez
mentionné, lorsqu'on a entre 20 et 25 ans, disons, pour un baccalauréat, on est un peu plus critique. Ça ne
change pas le fait que la personne qui est devant nous est un
fonctionnaire de l'État, a une position d'autorité.
Et aussi j'ajouterais que l'État donne de
l'argent aussi aux universités et en donne substantiellement. Et donc, pour
chaque dollar qu'on va investir, ça devrait être un dollar laïque.
Mme Roy
(Montarville) : Il y a une petite nuance aussi à faire,
cependant. C'est que l'étudiant universitaire choisit, choisit ses
cours, choisit d'aller à l'université. Il y a un choix qui est fait par la
personne qui est rendue adulte ici, là.
Mme Desjardins (Martine) : Oui, mais
il ne choisit pas les enseignants ou les chargés de cours qui vont l'enseigner,
c'est à l'université que revient ce choix-là. Il choisit son programme.
Mme Roy
(Montarville) : Cela dit, j'aimerais revenir à la page 9 de
votre mémoire. Vous nous dites, je vais lire l'avant-dernière
phrase : «Notons, cependant, que c'est la liberté de croire qui est
protégée par les chartes et non pas la
liberté d'agir selon certaines croyances.» Donc, vous nous dites, c'est la
liberté de croire qui est protégée par les chartes.
Alors, si je vous ramène à la charte, notre
charte à nous — on
va prendre la charte québécoise des droits et libertés, là, notre préférée — on va
à l'article 10 et on nous dit : «Toute personne a droit à la
reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés»,
l'exercice — et
là on les énumère — de
la religion.
Alors, quand vous nous dites : C'est la
liberté de croire qui est protégée et non pas la liberté d'agir, je suis
obligée de vous demander comment vous faites pour concilier notre charte
québécoise avec la proposition que vous avez écrite en page 9, parce que,
selon la charte québécoise, c'est la liberté d'exercice qui est protégée.
Le Président (M. Morin) :
M. Chikhi, vous n'aurez pas l'opportunité de répondre, mais peut-être que
par la question du député de Blainville… Oui, M. le député de Blainville.
M. Ratthé :
Oui, j'ai plein de questions, effectivement, mais elle était bonne, cette
question-là, M. le Président, alors je vais vous donner un peu de mon
temps, je vais donner un peu de mon temps pour que vous puissiez répondre à
cette question-là.
M. Chikhi (Ferid) : …on va répondre…
M. Ratthé : Je n'ai pas
beaucoup de temps, alors allez-y.
M. Chikhi (Ferid) : Vous savez…
Le Président (M. Morin) : ...quatre
minutes, là, pour ce monsieur-là.
M. Chikhi (Ferid) : Quatre minutes. Bon, je vais essayer de dire deux
choses tout simplement. Il y a un auteur français, Michel Crozier, qui,
en management, a parlé des institutions, des organisations, des structures et
qui a dit : Il n'y a pas de système sans acteur, et chaque acteur a un
rôle à jouer par rapport à des références, par rapport à des valeurs, par rapport à des principes. D'accord?
Alors, c'est bien de dire qu'on est libre d'exercer notre religion là où
elle doit s'exercer, notre foi en un dieu unique, on peut l'exercer où on veut
tant que c'est entre nous et ce dieu unique, rien n'empêche X ou Y d'aller dans
une synagogue, d'aller dans une mosquée, d'aller dans une église, d'aller dans
un temple pour prier, il peut mettre le signe ostentatoire qu'il veut, mais,
dans un espace public — je
dis bien «espace public» — dans
une institution publique, il ne devrait pas y avoir ce signe qui le démarque
des autres parce que, d'une façon ou d'une autre, il va être stigmatisé si les autres ne lui conviennent
pas ou s'il ne convient pas aux autres, il va y avoir des répercussions sur tout le reste de sa population,
de sa communauté. Alors, on dit : Laissons-le dans le statut privé
et jouons notre rôle en tant qu'employés de l'État, en tant qu'employés dans
les entreprises. Alors, ma foi, je l'exerce là où je peux le faire, sans prosélytisme et sans l'imposer aux autres. De
toutes les manières, ils savent que je suis musulman, ils savent que je
suis chrétien, ils savent que je suis juif.
Le Président (M.
Morin) : …je vais passer la parole au député de...
M.
Ratthé : Merci, M.
Chikhi. Je vais pousser un peu plus loin. J'aime bien, des fois, valider, puis
j'ai une bonne personne devant moi peut-être pour me donner son opinion.
Qu'en est-il des étudiants? On voit dans d'autres pays des étudiants qui ne peuvent pas porter de signe ostentatoire à l'université, on a vu l'exemple de York il
y a deux semaines. Alors,
qu'en pensez-vous?
Mme Desjardins (Martine) :
Écoutez, au niveau du Rassemblement de la laïcité dont je suis la porte-parole,
on n'a pas émis d'opinion sur cette
question-là. On n'a pas d'obligation non plus… ou de recommandation d'obligation d'appliquer la charte pour les élèves
et les étudiants, nous ne sommes pas allés aussi loin. Nous nous en tenons, en fait, aux enseignants et aux professeurs, et donc,
dans mon rôle de porte-parole, je ne pourrai pas répondre davantage. Si
vous voulez avoir mon opinion personnelle, ça sera une autre fois peut-être.
M. Ratthé :
O.K. Ça sera donc une question peut-être à soumettre au comité ad hoc que vous
nous suggérez. Merci, Mme Desjardins.
Le Président (M.
Morin) : Ça va, M. le député de Blainville?
M. Ratthé :
Oui, ça va.
Le Président (M.
Morin) : Ah! vous êtes généreux! Mme la députée de Gouin.
Mme David :
Merci, M. le Président. Bonjour. Bon, d'abord on va placer quelque chose :
il y a des gens qui s'opposent effectivement à certains aspects de la charte du gouvernement et pas à tous les
aspects. J'imagine que vous savez que les gens comme moi ne sont pas les
premières victimes de la manipulation à grande échelle orchestrée par les
islamistes, hein, on va au moins s'entendre là-dessus.
Moi, je veux être un
tout petit peu provocante pour mettre un peu d'animation dans cette auguste
Assemblée. Écoutez, je vous écoute, il y a des choses avec
lesquelles, évidemment, je suis
d'accord, mais il y a quelque chose qui me fascine, c'est qu'on dirait
que le mot «peur» ou le mot «crainte» revient un petit peu souvent. Alors, les
élèves universitaires, si j'en crois votre
mémoire, craindraient de s'exprimer librement devant un professeur qui porte un
signe religieux. Les employeurs craindraient
d'embaucher des employés maghrébins dont ils ne savent même pas,
d'ailleurs, s'ils sont musulmans ou non, parce qu'il n'y a pas que des
musulmans au Maghreb. Alors, ils ont peur, eux aussi, donc ils n'en embauchent pas. Il y a des usagères qui
disent : Moi, j'ai peur d'être soignée par une femme médecin qui porte
le voile. Puis là il y aurait les parents
qui auraient peur de la diversité chez les enseignants, à tout le moins au plan
religieux, alors que je fais partie d'une
génération qui a eu à faire face à ça. Ma mère était ultracatholique; je suis
devenue athée. La grand-mère de mon fils était très, très, très
catholique, elle l'amenait même à la messe parfois sans trop me le dire, puis il m'a posé un jour la question :
Pourquoi grand-maman, pourquoi pas toi? Mais tous les parents font face à ce
genre de question, puis habituellement on trouve le moyen d'y répondre sans
trop de problèmes.
Donc, la question que
je vous pose, un petit peu provocante, mais je le fais gentiment, c'est :
Coudon, de quoi est-ce qu'on a si peur?
Mme Desjardins (Martine) : On n'a peur de rien. Et je ne me souviens pas
d'avoir prononcé dans mon allocution le terme «crainte» non plus,
peut-être que c'est votre impression.
Ceci étant dit, ce
n'est ni une crainte ni une peur mais seulement un défaut d'application de la
laïcité de l'État qu'on est en train de
relever. Lorsque vous avez des individus qui reçoivent de l'argent de l'État
pour faire leur travail, on est en droit de s'attendre à ce qu'ils
reflètent les valeurs de l'État, qui sont des valeurs laïques. Et c'est ça, en
fait, qu'on nomme aujourd'hui. Ce n'est pas
une question de peur, ce n'est pas une question de crainte. Les étudiants
n'ont pas de crainte à avoir d'un enseignant
qui est devant lui et qui pratique la religion. Cependant, il ne faut pas se leurrer :
lorsqu'un enseignant porte des signes devant lui, il y a effectivement une
contradiction entre le côté laïque de l'institution et la personne qui est
devant lui, et c'est ça, en fait, qu'on dénonce. En fait, on dénonce des
incongruités et le fait que, finalement, les bottines ne suivent pas les
babines.
Mme
David : Mais, Mme Desjardins, si je peux me permettre,
vous écrivez… enfin, votre regroupement écrit quand même dans son
mémoire que la liberté de parole d'étudiants universitaires peut être brimée
par le fait qu'un professeur porte un signe
religieux, par exemple : S'il porte une kippa, est-ce que cet étudiant va
se permettre de critiquer Israël?,
mais il y a plein de profs universitaires qui pratiquent toutes sortes
d'idéologies, vous le savez aussi bien que moi. Les étudiants le savent parfaitement bien et vont quand même, en
général, se permettre de confronter leurs professeurs, il me semble.
Le Président (M. Morin) :
Merci, Mme la députée de Gouin. Mme Desjardins, je sentais que vous auriez
une réponse toute prête, mais c'est les règlements qui le font. Donc, merci
beaucoup à vous, Mme Desjardins, et à M. Chikhi pour votre
présentation.
Et j'inviterais à prendre place les gens de
Laïcité citoyenne de la capitale nationale. Merci beaucoup.
Je suspends quelques instants.
(Suspension de la séance à 15 h 9)
(Reprise à 15 h 11)
Le
Président (M. Morin) :
Nous reprenons nos travaux. J'inviterais donc Mme Lavoie… Pardon? O.K., un instant. Suspension.
(Suspension de la séance à 15 h 12)
(Reprise à 15 h 16)
Le Président (M. Morin) :
Bon, nous reprenons travaux. Mme Lavoie, M. Laframboise, on s'excuse
pour ce contretemps. Et à vous la parole, à la personne dédiée. Vous avez
10 minutes pour votre intervention.
Laïcité citoyenne de la
capitale nationale (LCCN)
M. Laframboise (Yves) : Oui, merci, M.
le Président. M. le ministre, Mmes, MM. les députés, mesdames messieurs,
merci de nous recevoir ici aujourd'hui et de nous permettre de vous présenter notre
mémoire, résultat de la réflexion et
de l'adhésion de plusieurs de nos membres. Nous allons nous partager la
présentation de ce document, et je vais donc commencer par vous situer
un peu notre groupe.
Formé de
résidentes et résidents de la grande région de Québec, le groupe Laïcité
citoyenne de la capitale nationale s'inscrit résolument dans le débat
actuel sur la laïcité. Autonome notamment au plan de son organisation et de son
financement, le groupe se prononce en son propre nom et prend toute initiative
originale visant à garder le sujet à l'ordre du jour dans la capitale
nationale.
En plus de vouloir intervenir directement et
activement dans l'actualité sociopolitique, le groupe LCCN a pour objectif de rendre son option claire et crédible auprès de
ses membres et de la population en général. Le groupe est composé de
personnes de divers milieux professionnels ou techniques qui partagent ensemble
un point commun, soit une inquiétude face à la présence dans la société québécoise
de comportements de plus en plus tendus ou extrêmes, comportements le plus
souvent s'appuyant sur des arguments de type religieux.
Dans la désignation de notre groupe, les mots
«laïcité» et «citoyenne» ont volontairement été réunis, car nous croyons qu'il
s'agit de deux concepts qui se complètent et se précisent mutuellement. Le
premier établit la position de l'État face à
la religion ou à son absence, le mot «laïcité» appliqué à l'espace public au
sens étatique; l'autre porte en lui-même
les valeurs civiques ou citoyennes qui sont, à nos yeux, l'expression
française, le civisme, la civilité, la solidarité et l'égalité des
sexes.
L'actualité politique
et sociale des années qui ont précédé et suivi la Commission
de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées
aux différences culturelles, dite commission Bouchard-Taylor, a fortement
interpellé les membres du groupe Laïcité citoyenne de la capitale nationale à
cause, d'une part, du constat des problèmes engendrés par les dérives des accommodements raisonnables et
des trop faibles mesures découlant du rapport de ladite commission et, d'autre part, des pouvoirs limités de l'État québécois
confronté à cette situation. C'est pourquoi le groupe LCCN salue et
appuie le courageux et nécessaire projet de charte déposé par le gouvernement
actuel et en fait même son cheval de bataille, à l'instar de tous ceux et
celles qui partout au Québec croient aux valeurs de laïcité, de neutralité et
d'égalité entre les hommes et les femmes. Il entend ainsi contribuer à la
reconnaissance de la laïcité comme un enjeu majeur de la société québécoise et
un moyen incontournable d'assurer la spécificité de la région de la Capitale-Nationale.
Et je passe maintenant la parole à
Mme Francine Lavoie, qui est aussi porte-parole de notre groupe.
• (15 h 20) •
Mme Lavoie
(Francine) : Je vais vous
lire le résumé qui est à la page 4,
si vous l'avez sous les yeux, qui
donne un aperçu global de tout ce qui est écrit et ce qu'on va dire ensuite.
Québec est aujourd'hui une ville où l'immigration
ne prend pas une place très importante, mais on y trouve de nombreux
descendants britanniques, irlandais ou écossais, bien intégrés à la majorité.
Depuis la fin du XXe siècle jusqu'à aujourd'hui, les nouveaux arrivants, qu'ils soient de
provenance sud-américaine, antillaise, asiatique, maghrébine,
subsaharienne ou européenne, ont réussi, pour la plupart, à vivre en harmonie
avec la majorité francophone de la ville de Québec.
Cependant,
depuis quelques années, certains groupes échappent à ce constat. Chez les uns,
le refus d'intégration est peu
décelable. Chez d'autres, au contraire, ce refus se traduit par des signes ou
des gestes évidents, résultat de traditions figées dans le temps ou mal comprises ou encore de convictions
radicales. Nous estimons donc que, malgré une apparente tranquillité
dans la capitale, le débat sur la laïcité a maintenant rejoint notre
territoire. Il n'est d'ailleurs plus limité à la seule métropole, se retrouvant
aussi dans l'actualité de toutes les régions du Québec.
Nous croyons
que le multiculturalisme, la solution proposée par plusieurs,
n'est pas le signe d'ouverture sur le monde
qu'il croit être. Il s'agit plutôt d'une juxtaposition de ghettos ethniques
repliés sur eux-mêmes et sans autre lien que les rapports d'affaires quotidiens. L'interculturalisme n'est pas non
plus valable pour le Québec, même si cette option veut préserver à la
fois la culture dominante et les différences individuelles.
Le modèle de
type républicain que nous privilégions met l'accent sur la liberté et
l'égalité, valorisant l'intégration des nouveaux arrivants et le partage
des valeurs communes plutôt que le voisinage des différences. Nous croyons juste de demander aux immigrants de notre capitale
d'adopter dans la plus large mesure
possible et sans accommodement déraisonnable ce qui fait consensus au
Québec : la laïcité, l'égalité hommes-femmes et la langue française.
Le Québec a déjà franchi de grandes étapes dans
son processus de laïcisation, mais il est temps maintenant de l'achever par
l'adoption d'une charte de la laïcité. Ce processus doit se faire en conformité
avec les valeurs fondamentales développées et intégrées par les gens d'ici, en
lien avec leur histoire, leurs coutumes et les batailles menées et gagnées
depuis la Révolution tranquille.
Ainsi, les questions des signes ostentatoires,
surtout le voile islamique, sont pertinentes tant dans les domaines de l'espace public étatique que dans les domaines des
institutions d'éducation et de la santé. Quant aux symboles
religieux liés à l'histoire du Québec, nous soulevons la question en fonction
des lieux de pouvoir.
Conséquemment, nous faisons nôtres les objectifs
poursuivis par le projet de loi n° 60 et nous appuyons entièrement ses dispositions. Nous allons même
plus loin en demandant l'abolition de l'aide financière gouvernementale aux écoles… aux institutions privées
confessionnelles et l'interdiction des lieux de culte dans les institutions
publiques d'enseignement.
Nous
souhaitons finalement que la discussion engagée se fasse avec le souci du bien
commun et nous demandons à tous les partis politiques d'en faire la
preuve par leur comportement dans le débat qui entoure ce projet de loi.
Voilà pour le
résumé. La parole à mon collègue, M. Laframboise, pour une page importante
de notre mémoire.
M.
Laframboise (Yves) : Je continue
à la page 10 de notre document. Comme le rappelle Guy Rocher, le
Québec a déjà franchi de grandes étapes dans
ce processus de laïcisation, mais il est temps maintenant de commencer à le
traduire dans nos lois. En 2010, le projet de
loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans
l'Administration gouvernementale et dans certains établissements a
malheureusement contourné la question de la laïcité.
Pourtant, la laïcité ne peut se résoudre simplement par une suite
d'accommodements, de tentatives de compréhension mutuelle transformées en règles diverses, de plâtrages successifs et
finalement improvisés les uns à la suite des autres, c'est-à-dire le
paysage social et juridique dans lequel nous baignons actuellement.
Peut-être
cette attitude trouve-t-elle son explication dans l'individualisme extrême
auquel est parvenue notre société occidentale
dite postmoderne. En effet, cet individualisme, érigé inconsciemment en culte,
produit des effets directs sur les
comportements humains et sociaux : allègement des contraintes, maximum de choix, bannissement de la
coercition et le plus de compréhension
possible. Dans ce contexte, quoi de mieux que des arrangements dits
raisonnables, basés sur la bonne foi des protagonistes?
Peut-être cette attitude est-elle aussi
favorisée par la mentalité anglo-saxonne environnante, laquelle, par sa position de domination en Amérique du Nord, ne sent pas le besoin d'affirmer une identité déjà surreprésentée.
Minoritaires dans cet océan, bien des Québécois
flottent sur cette fausse assurance, même si leur place dans cet espace est
bien fragile.
Nous pensons qu'il faut éviter, par un manque de
clarté, par l'absence de définition précise de la laïcité dans les institutions publiques, que ce soient encore les tribunaux
qui, en place et lieu des politiciens, définissent et interprètent les balises régissant l'exercice de la laïcité
dans l'espace public. Il doit être clair que l'État, ses institutions et les agents qui le représentent sont laïques dans leurs
actions et dans l'image qu'ils présentent aux citoyens.
La laïcité ne peut être ouverte, ou inclusive, ou
autre. Nous estimons qu'il n'y a qu'une seule laïcité : celle où
les droits et les devoirs des non-croyants
sont aussi importants que ceux des croyants; celle où aucune religion
n'ambitionne de s'infiltrer dans les rouages
de l'État laïque, même aux niveaux les plus subalternes, ni ne prétend
s'imposer ou imposer ses perspectives morales, juridiques ou politiques
à quiconque. À cet égard, tous doivent se situer au même niveau, sans que soient ouvertes des portes menant à une
confusion entre le religieux et le politique, à une utilisation de la foi à
des fins politiques et à la possibilité que
l'espace public subisse les assauts des intégristes. Cela n'empêche pas que
l'État québécois respecte la liberté
de conscience et la liberté de religion, considérées comme des valeurs
fondamentales mais du ressort de l'espace privé.
En
conséquence, la question de la laïcité au Québec est un enjeu majeur de notre
société qui doit passer par le biais d'une législation. En ce sens, nous
appuyons entièrement la démarche gouvernementale.
Le Président (M. Morin) :
Merci, M. Laframboise. Votre temps est… C'est dans le temps, c'est bien.
M. Laframboise (Yves) : Est-ce que
nous disposons… C'est terminé?
Le Président (M. Morin) :
Oui. Merci. Donc, M. le ministre, à vous la parole.
M. Drainville : Merci, M. le
Président. Merci beaucoup pour votre mémoire et votre présentation.
Vous dites à la page 10, tiens, on va
commencer par ça… Vous dites à la page 10 : «Nous pensons qu'il faut éviter, par un manque de clarté, par l'absence de
définition précise de la laïcité dans les institutions publiques, que ce
soient encore les tribunaux qui, en place et
lieu des politiciens, définissent et interprètent les balises régissant
l'exercice de la laïcité dans l'espace public.» Et là, quand j'ai lu ça,
j'ai pensé à Benoît Pelletier, l'ancien ministre du gouvernement de M. Charest, qui a déclaré ceci, et c'est
rapporté dans LeJournal de Québec de… c'est d'hier ou enfin
c'est récemment…
Une voix : …
M. Drainville : Vendredi
dernier, excusez-moi. Alors, il dit ceci, M. Pelletier, il dit :
«Lorsqu'on examine la charte des valeurs, on
aurait tort de trop se focaliser sur les enjeux juridiques et constitutionnels
que celle-ci soulève — que la charte soulève. Ces enjeux-là ne
doivent pas être invoqués comme s'ils constituaient des obstacles
incontournables à toute démarche législative
ni comme s'ils nous dispensaient, en tant que société, de débattre du sens
qu'il convient de donner à la laïcité et à la neutralité religieuse de
l'État québécois de nos jours.»
Et là il ajoute ceci, et c'est là qu'il vous
rejoint, à mon avis, ou vous qui le rejoignez : «Ceux qui adoptent, à l'égard de la charte des valeurs, une approche
strictement légaliste commettent une erreur. Ils s'en remettent d'une
façon un peu trop fataliste et volontaire à des juges qui, pour bien
intentionnés qu'ils puissent être, n'en sont pas moins dépourvus de légitimité démocratique et n'ont, contrairement aux élus,
aucun compte à rendre à la population.» Ça, c'est M. Pelletier,
ancien ministre libéral, qui déclare ceci.
Alors,
évidemment, je l'ai toujours dit et je le répète, et vous allez me dire que
c'est une évidence, mais parfois, en politique,
il ne faut pas hésiter à répéter les évidences : Les juges sont un… Le
pouvoir judiciaire ou le pouvoir juridique, c'est un pouvoir essentiel
dans une démocratie, on s'entend là-dessus, mais c'est encore les Parlements
qui votent les lois. C'est encore nous, les
élus, qui avons la responsabilité de voter les lois. Ça nous appartient, c'est
notre responsabilité. Et donc, quand
vous nous appelez à nos responsabilités, il me semble que, dans le fond, ce que
vous faites, vous vous adressez non
seulement au gouvernement qui a déposé le projet de loi, mais à l'ensemble des
partis qui sont ici réunis autour de cette table.
• (15 h 30) •
M.
Laframboise (Yves) :
Effectivement. Nous nous adressons, en fait, à l'Assemblée nationale. Et
M. Pelletier, vous avez raison, exprime tout à fait notre point de vue.
Il faut rappeler à toutes les personnes
présentes ici que nous sommes essentiellement des citoyens, nous sommes des citoyens de la ville de Québec, et nous
nous sommes rassemblés d'une façon spontanée, et nous regroupons passablement de personnes, et nous sommes sans
cesse étonnés, en écoutant les médias, de nous faire rabâcher continuellement le fait que des gens du domaine
légal, des juristes, le Barreau, etc., nous disent qu'on est enfermés,
en réalité, dans un carcan immuable. Ça a
l'air d'une… Ça ressemble à une prison, tout ça, là, et on dirait qu'on ne peut
pas en sortir. Et, les citoyens qui sont devant cette situation-là, je vais utiliser un mot peut-être
qui va vous surprendre, mais c'est souffrant, comme citoyens, de
contempler toute cette situation-là et de se faire dire par des gens qui sont
chargés de rédiger ou de revoir les lois sur
le plan technique… nous dire dans quelle direction notre société doit aller.
Est-ce que le Barreau est réputé pour
être un organisme progressiste? Certains me diront peut-être oui; je pense que
la majorité vont dire non. Qu'est-ce
qui a fait évoluer le Québec depuis 30 ans, 40 ans? Ce sont des
mouvements sociaux, ce sont des syndicats, ce sont des associations. Ce sont des gens qui se sont levés ici et là,
un peu partout, puis qui ont dit que certaines valeurs devaient être absolument partagées par l'ensemble
de la société et que ces valeurs devaient être concrétisées, rédigées
sous forme de loi.
Alors, j'en
reviens à la position du Barreau, qui évidemment, nous, comme citoyens, pas
comme juristes, comme citoyens, nous
a considérablement surpris. Notre réaction, c'est de dire que c'est une
position qui est purement légaliste, et, dans ce sens-là, bon, elle est un peu décevante. C'est une position qui
ne tient pas compte du contexte social. Comme disait un intervenant qui
nous a précédés, le Québec est en train d'évoluer à une vitesse folle. Ici, à
Québec, l'immigration, autour de 2000, 2006, avait dégagé un certain portrait,
mais actuellement, entre 2006 et 2014, on est en train de se rendre compte que
le portrait change beaucoup. Il est où, ce souci de la part des gens de loi de
tenir compte de cette dimension? Ça n'existe pas. On ne peut que se raccrocher,
évidemment, à l'Assemblée nationale, qui est l'organisme suprême qui peut
répondre aux besoins des citoyens à cet égard.
Je dirais
aussi que la position du Barreau nous est apparue comme contre-productive. Si
le Barreau tient à ce que notre société évolue, il ne peut pas seulement
critiquer, mais il doit avancer des choses. Et qu'est-ce qu'on avance? On n'a pas l'impression qu'il ait avancé beaucoup
de choses. Quand on nous dit qu'on est enfermés quelque part, bien, mon
Dieu, on s'attend au minimum à ce qu'on nous dise : Oui, peut-être qu'on
est enfermés, mais il faut en sortir, puis la porte est à tel endroit, elle est
à gauche ou à droite, elle est en avant. On n'a rien, rien, comme citoyens, et
je trouve ça extrêmement décevant.
Mme Lavoie (Francine) : J'aimerais
juste ajouter que c'est la population qui a raison, finalement. Et moi, j'aime bien me faire le porte-parole non pas
uniquement des 150 personnes que nous représentons, du groupe que
nous avons fondé tout récemment, mais d'une
population qui vit dans les régions, et qui vit aussi dans la capitale, et qui
se sert un peu de son gros bon sens, celui qui l'a aidé à survivre comme
peuple peut-être, et qui dit : Il faut arrêter ça, non pas attendre les
crises majeures qui font qu'il n'y a plus rien à faire mais peut-être dès
maintenant mettre des balises, dire : Les choses doivent se passer comme ça, et voilà. Si on ne
veut pas s'y conformer, eh bien, on a le choix de rester en retrait.
Et travailler pour l'État, c'est un privilège,
c'est un privilège, et je ne comprends pas, moi, les personnes qui défendent
le fait que… — j'entendais
tout à l'heure, bon, justement une discussion entre M. Tanguay et
Mme Desjardins — les
personnes qui décident que leurs signes religieux dépassent ce bonheur, je
dirais, de travailler, ce privilège de travailler pour l'État, de gagner sa vie
honnêtement, dignement. Comment se fait-il que… Qu'est-ce qui a tourné, là,
qu'est-ce qui a changé? Moi, je suis d'une époque où au contraire on était
tellement contents de pouvoir étudier et travailler,
même dans un contexte de religion très dominante qui était la religion
catholique. On a déconfessionnalisé nos institutions. Est-ce qu'on va
accepter de les reconfessionnaliser? Voilà.
M. Drainville :
Je vais revenir sur la dimension capitale nationale et… appelons ça le Québec
hors Montréal, mais votre commentaire
m'amène à… me permet de faire une petite parenthèse sur la question de la
neutralité politique. Tu sais, vous
dites, là : Quand est-ce que ça s'est inversé, là? À partir de quand la
conviction religieuse est-elle devenue, dans le fond, plus importante que le
devoir de servir comme fonctionnaire ou comme agent de l'État?
À partir de quand, dans le fond, la conviction religieuse est-elle
devenue plus importante que le service public, voilà, que je dois donner comme
agent de l'État? Et ça me permet de faire un petit détour par la question de la
neutralité politique, parce que tout à l'heure mon collègue de LaFontaine m'interpellait là-dessus. Il me parlait du
macaron du PQ et il me disait : Un macaron du PQ, ce n'est pas
aussi important qu'une kippa, par exemple. Mais, moi, ce que j'aurais le goût
de lui répondre, c'est de dire : Ce
n'est pas le macaron du PQ dont il est question ici, c'est la liberté d'expression que permet le
port du macaron, c'est ce principe-là
qui est en cause. Et donc je dis et je redis que la liberté d'expression n'est
pas moins importante que la liberté
de religion. Et l'article 10 de la Charte des droits et libertés de la
personne, qui s'intitule «Droit à l'égalité dans la reconnaissance et
l'exercice des droits et libertés», fait référence à la fois à la religion et à
la fois aux convictions politiques. Et donc, si on a accepté l'aménagement des
convictions politiques protégées par la Charte des droits, si on a permis que ces convictions politiques
qui sont protégées par le droit à l'égalité sont cohérentes, peuvent cohabiter
avec la neutralité politique des fonctionnaires qui oblige l'interdiction du
port de signe politique, je dis : Bien, si c'est bon pour la liberté d'expression,
si c'est bon pour la neutralité politique, c'est bon aussi pour la neutralité
religieuse.
Et
je ne sais pas si vous m'avez entendu la
semaine passée, à l'ouverture des
travaux de la commission, mais j'ai dit… je paraphrase, là, mais, si une personne qui
travaille pour l'État décide de placer ses convictions religieuses au-dessus
du service public qu'elle doit incarner, qu'elle doit rendre, à ce moment-là,
ce sera sa décision. Et c'est fondamental, ça,
parce que les gens disent : Ah! bien vous allez faire
de l'exclusion, vous allez faire de l'exclusion. Je dis : Non, moi,
je ne fais aucune exclusion, moi. Moi, je dis : Si vous travaillez pour l'État,
il y a des responsabilités qui viennent avec l'État, avec le fait de travailler
pour l'État. Et très souvent on parle des droits, des droits, des droits. Oui,
ils sont très importants, les droits, il
faut les protéger, les chartes existent pour ça, mais avec ces droits-là
viennent des obligations, viennent des devoirs également, qu'on a
tendance à oublier trop souvent, je pense.
Alors,
je veux revenir au quatrième paragraphe de votre résumé. Vous dites : «Nous estimons
donc que, malgré une apparente tranquillité, dans la capitale, le débat
sur la laïcité a maintenant rejoint notre territoire. Il n'est d'ailleurs plus limité à la seule métropole, se retrouvant
ainsi dans l'actualité dans toutes les régions du Québec.»
Je dois admettre que c'est un point sur lequel je veux vous entendre, parce
que très souvent on entend effectivement des gens qui disent : Ça concerne
Montréal, ça. Le débat sur la laïcité, le débat sur les signes religieux, sur
la diversité, ça concerne Montréal. C'est comme s'ils disaient au reste du Québec : Vous n'avez pas besoin de vous occuper de ça, vous autres, ça
concerne juste Montréal.
Et
j'ai été confronté à cette… — ma
question s'en vient — j'ai été confronté à ça quand je suis allé à
Rimouski, à un moment donné il y a un journaliste qui m'a posé précisément cette question-là,
et j'ai dit au journaliste : Vous savez, quand arrive le projet de loi sur les mines, quand arrive un débat autour des ressources
naturelles, les gens de Montréal, là, ils ne se privent pas d'intervenir
dans un débat sur les ressources naturelles. Pourtant, c'est un débat qui
concerne d'abord et avant tout les régions ressources,
on s'entend, mais les gens de Montréal ne s'empêchent pas d'intervenir là-dessus.
Pourquoi sur le débat sur la laïcité et sur la neutralité… Pourquoi est-ce
qu'on dirait aux gens de l'extérieur de Montréal : Occupez-vous-en pas, ça
regarde juste les gens de Montréal?
Alors,
je veux vous entendre là-dessus, parce
que, visiblement, si vous vous êtes
déplacés jusqu'ici, si vous avez pris la peine d'écrire un mémoire,
c'est parce que ça vous concerne directement et vous sentez que ça vous touche,
ça vous interpelle comme citoyens, ça, québécois.
• (15 h 40) •
Mme Lavoie (Francine) : Oui, justement. Et, bon, je ne veux pas faire une espèce de
guerre Québec-Montréal, là, ce n'est pas le lieu pour ça, mais c'est vrai que l'attitude qu'ont beaucoup
de Montréalais par rapport à toutes ces questions n'a pas toujours eu
l'effet positif sur Québec et les régions que, je pense, les habitants de la
métropole escomptent. C'est qu'on a eu
l'impression souvent qu'il y avait trop de compromis, une façon d'être tellement
tolérant, tellement ouvert que
cette tolérance et cette ouverture-là sont devenues, à quelque part, quelque
chose qui ressemble à du laisser-aller, ou de l'indifférence, ou des compromis
à tout prix et puis surtout, surtout à une façon de taire, ou cacher, ou… oui,
cacher son identité pour laisser toute la place à l'autre, vous savez, cette
forme de gentillesse et d'ouverture à outrance, là, qui fait qu'on n'existe
plus tellement on laisse la place à d'autres. C'est un peu cet effet-là qu'on a
vu, et on se dit : Non, on ne veut pas
faire ça comme ça. On voudrait peut-être que ça se passe autrement. On veut
continuer…
M. Drainville :
…trouver le juste équilibre, il faut trouver…
Mme Lavoie (Francine) : Oui, puis on veut continuer à se battre pour des
choses qui sont fondamentales pour nous
et pour lesquelles on se bat depuis 50 ans, comme le féminisme, par exemple. Personnellement, moi, j'ai été de toutes ces époques et puis je
ne peux pas accepter… et beaucoup de gens autour de moi, je le sais, beaucoup
de femmes, beaucoup d'hommes, on ne peut pas accepter ce retour en
arrière, ce retour en arrière de la place du religieux dans l'État, de… Même si ça commence un peu, par des signes
ostentatoires, lentement ça peut prendre un peu plus de place, et on
dit : Assez, c'est assez! Arrêtons ça tout de suite.
M. Laframboise (Yves) : J'aimerais compléter puis répondre à votre question
avec un autre volet. On a l'image de la
ville de Québec, comme ont déjà dit certains, d'un gros village
tranquille où il ne se passe pas grand-chose, en fait, tout le monde
s'aime, c'est la... tout est paisible. Et nous, à partir du moment où on a été
sensibilisés, où on s'est sensibilisés à la question de la loi n° 60,
de la charte des accommodements raisonnables, et qu'on s'est réunis ensemble
comme groupe, on a réalisé, en fait,
en échangeant, en se parlant, on a réalisé qu'à Québec… il n'y avait pas seulement
Montréal où on avait des problèmes d'intégrisme ou
de comportements extrêmes ou de… Oui, je dirais, je pense que ces mots-là
suffisent. En regardant un peu, en fouillant un peu, en regardant les médias,
on s'est rendu compte qu'à Québec il y en a aussi, des problèmes du même type qu'à Montréal, mais... bien, en fait, on les vit en miniature,
d'une certaine façon, il y en a
moins. Pourquoi? Parce que
la plupart des immigrants qui viennent de la plupart des pays ici, au Québec,
se sont relativement bien intégrés à la communauté de la capitale
nationale, relativement bien intégrés, intégrés dans le sens où ils ont accepté
la plupart de nos valeurs communes. Et, si
nous, nous affirmons cette chose-là, c'est parce que, dans le cadre de
nos activités, nous avons pu rencontrer deux personnes
qui sont impliquées dans le domaine de l'immigration ici, à Québec, qui
reçoivent des immigrants de l'extérieur et qui ont pu nous confirmer que, de
façon générale, ça se passait assez bien. Malheureusement, quand on regarde et
qu'on compile, en fait, les événements qui ont pu se passer dans les quelques dernières années ici, à Québec,
qui sont en relation avec des intégrations non réussies, on est obligé de se
rendre compte que ces phénomènes-là sont principalement liés à une
attitude d'intégristes islamiques, qui ne sont pas une majorité, qui, d'après
les gens qu'on a consultés, sont une minorité, mais qui sont tout de même
existants.
Et,
dans l'annexe, page 18 de notre document, nous avons voulu donner des exemples,
en fait, de comportements de ce
type-là qui sont survenus dans les dernières années ici, à Québec.
Et il y a de tout. Il
y a des gens qui se
présentent... une personne qui se présente dans les services publics… Est-ce
que vous avez la page 18, M. le ministre? Vous l'avez? D'accord. Il y a de tout dans ça. Il y a une personne qui refuse
d'enlever son voile lorsqu'elle doit présenter sa carte au conducteur
d'autobus. Il y a la présence, semble-t-il, de prédicateurs, d'imams qui
viennent à l'Université Laval sur invitation
de l'Association des étudiants musulmans de l'Université Laval pour faire des discours, dont une partie
des éléments du discours se rapprochent très étroitement de la charia.
Curieusement, à Québec — est-ce
qu'on doit s'en féliciter? — on a sur le territoire de l'Université Laval
une mosquée, ce qui nous apparaît une chose assez surprenante. S'il y a
une mosquée, est-ce qu'éventuellement on devrait avoir une synagogue? Est-ce
qu'éventuellement on devrait avoir un temple
bouddhiste à l'Université Laval? Pourquoi les musulmans ont-ils ce droit
actuellement et que les autres, à notre connaissance, ne les ont pas? Ça
amène le citoyen à se poser toutes sortes de questions. Est-ce qu'il y a lieu
de mettre en place ou est-ce qu'il existe déjà une direction des affaires
religieuses, à l'Université Laval, pour régler… pour établir une politique à
cet égard?
Nous
avons malheureusement un étudiant de l'Université Laval qui s'est déplacé, il y
a un an et demi ou un an, en fait, aux États-Unis et qui a été arrêté
par le FBI. Il est soupçonné de complot, de participer… d'avoir préparé avec
d'autres un attentat terroriste…
Le
Président (M. Morin) : M. Laframboise, je suis malheureusement
obligé de vous dire que le temps imparti, du côté ministériel, est
terminé. Donc, on s'en irait vers le député de LaFontaine.
M.
Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup pour
vous, aujourd'hui, de venir nous
présenter votre mémoire, le mémoire que vous avez aidé à rédiger, et merci pour
votre temps pour répondre à nos questions aujourd'hui.
On
voit réellement, dans ce débat, qu'il y a beaucoup, beaucoup d'éléments
qui font consensus, hein : les
balises pour que les accommodements soient
raisonnables, entre autres balises, évidemment, qu'il y ait un respect de
l'égalité hommes-femmes, que ça se traduise dans ce qui pourrait être accordé
comme accommodements, et c'est un des éléments
qui fait très, très large consensus;
également services de l'État à visage découvert, réception
et donner les services de l'État à
visage découvert; la neutralité des institutions de l'État dans la charte québécoise. Et l'élément, réellement, sur lequel
il y a un déchirement, au Québec, c'est l'interdiction de port de signe religieux
ostentatoire chez tous les employés du secteur public et parapublic. Ça,
demain matin, c'est 600 000 Québécoises et Québécois. Également, vous avez
vu le choix du Parti québécois d'étendre à
des entreprises qui donneraient des contrats ou qui donneraient des services,
rendraient des services à l'État, donc, contrats de services, possibilité pour
le gouvernement d'étendre à ces employés cette interdiction-là, de même qu'au
niveau des entités subventionnées, à leurs employés, aux gens qui y oeuvrent.
Donc, cette division-là très, très… très large,
je dirais, qui ferait en sorte que, plutôt que de faire avancer le Québec,
faire avancer le Québec sur ce qui nous unit, on table beaucoup, dans le
débat actuel, sur ce qui nous divise et nous désunit.
J'aimerais,
en ce sens-là, revenir à votre mémoire à la page 14, à la fin de la page,
et je vais citer l'avant-dernier paragraphe
lorsque vous parlez des soins de santé. À ce paragraphe-là, et je le
cite : «Même si des cadres de l'Association québécoise
d'établissements de santé et de services sociaux — AQESSS — se
sont à ce jour prononcés contre ce point
précis de la charte, il demeure que ce sont les intervenants de première ligne,
par exemple les infirmiers et infirmières membres de la FIQ, qui font
face à toutes les revendications problématiques. Ces personnes constatent qu'il
y a des problèmes et demandent au gouvernement des balises fermes pour y
remédier.»
Donc,
il y a un premier questionnement. Les balises peuvent évidemment, si elles sont
claires et fermes comme on le souhaitait dès 2010, peuvent nous aider à
ne pas avoir d'accommodement si ce n'est que des accommodements raisonnables, donc d'exclure les déraisonnables,
mais il y a également, dans le domaine de la santé, l'interdiction de
porter les signes ostentatoires qui est une
tout autre chose. Et vous citiez donc la FIQ qui était aux premières lignes.
Évidemment, et ça, ça fait écho de la
division, il y a deux autres syndicats liés à la FIQ, dans les hôpitaux, qui
sont carrément sortis à l'encontre de cette recommandation-là de la FIQ.
La FIQ, déjà là, avait décidé de se prononcer, même si 40 % de ses membres étaient contre. Et également on a cité
l'AQESSS, mais il y a également la Fédération des médecins spécialistes,
lorsque l'on parle d'intervenants de
première ligne, fédération des omnipraticiens, Fédération des médecins
résidents, Collège des médecins, également
l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services
sociaux, centre de santé universitaire McGill, l'Hôpital général juif, ainsi de
suite.
Alors, dans un contexte… Et j'y vais de mon
interrogation. Dans un contexte où, oui, il y a des demandes, sur tout motif de discrimination, hein, que ce
soit lié à la couleur de la peau, au sexe ou à la croyance religieuse, sous
tout motif de discrimination que l'on
retrouve à l'article 10 de la charte québécoise notamment on ne peut
discriminer, c'est un droit à l'égalité et l'on doit répondre à une
demande d'accommodement, il y a la façon d'agir qui n'est pas — et c'est là la division au Québec — d'interdire mur à mur et de dire :
Bien, ce n'est pas compliqué… À l'article 18 du projet de loi, vous
l'avez lu, on interdit carrément les demandes. On dit non seulement qu'il n'y
aura pas de port de signe, à l'article 5, dans l'article 18 on
dit : On interdit toute verbalisation, toute demande, toute communication
de demande d'accommodement en ce sens-là. Et
vous faisiez l'argument de dire : Bien, fions-nous aux gens de la FIQ.
Encore une fois, 40 % de la FIQ
ont dit qu'ils étaient en désaccord, mais là je vous ai nommé une liste de
personnes qui sont également en
première ligne. Alors, par rapport à la nécessaire cohésion sociale sur un
fondement, par rapport au consensus très large que nous avons, ne
croyez-vous pas qu'il serait bien avisé, pour un gouvernement raisonnable, de
mettre de côté cet aspect-là? Ça ne veut pas
dire de cesser le débat, bien au contraire, mais d'aller chercher, en faisant
ses devoirs cette fois-là, basé sur des
études, sur des analyses, un minimum de consensus qui visiblement n'est pas là
aujourd'hui. Et, je vous dirais même,
pour vous qui avez des objectifs, que je ne partage pas entièrement,
évidemment, on ne s'entend pas sur tout, n'y
voyez-vous pas là une façon également, pour vous, d'aider à apporter le sujet
et aborder le sujet qui serait davantage saine?
• (15 h 50) •
M.
Laframboise (Yves) : Dans
votre discours que vous venez de tenir jusqu'à maintenant, vous avez tenté,
d'une certaine façon — puis je vous comprends — de discréditer en fait la position de la
FIQ, bon, par différents moyens, en nous disant que tout le monde n'est
pas du même avis, il y a 40 %... bon, etc. Nous, on a trouvé extrêmement
important de mentionner ce témoignage-là de la FIQ. Je vais vous donner la
raison. C'est une raison de citoyen, ce n'est pas une raison de spécialiste.
Vous n'avez
peut-être pas eu cette chance-là, mais moi, j'ai malheureusement eu cette
chance-là d'aller dans des hôpitaux
deux fois dans les trois dernières années, et j'y suis allé pas seulement pour
des soins de 15 minutes, 30 minutes, j'ai fait l'objet
d'interventions chirurgicales. Et savez-vous qu'est-ce que j'ai constaté? J'ai
constaté que, sur 24 heures où je suis là, moi, puis on s'occupe de moi,
il y a 23 h 45 min ou 23 h 50 min où c'est des
infirmières qui s'occupent de moi puis il y a 10 minutes où c'est un
médecin qui vient ou un chirurgien qui vient me voir.
Et c'est dans ce sens-là que nous, on veut faire
comprendre qu'en réalité, dans le système hospitalier, il peut y avoir des problèmes. Notre compréhension des
problèmes d'accommodement ou de comportements inacceptables, notre compréhension, c'est qu'en réalité les personnes
qui sont sur le front — appelons-les ceux qui sont sur le front — écoutez,
ce sont les infirmières, ce sont les
infirmiers, et c'est eux qui de toute façon ont tout préparé le terrain. C'est
eux qui ont vu les difficultés de
négocier avec une personne, c'est eux qui ont vu les problèmes qui étaient pour
se poser. Et est-ce qu'ils ont pris
le téléphone pour appeler le médecin? Non, c'est eux qui ont réglé ça avec le
médecin. Et, quand le médecin arrive, bien lui, il arrive, là, hein…
vous le voyez, il arrive avec ça, sa fiche : Bonjour, comment ça va?, etc.
Alors, nous,
par cet exemple-là, on a voulu démontrer à quel point cette position de la part
de ces personnes-là était importante et comment en réalité elle ajoute
de la valeur à leur témoignage parce que ce sont eux qui sont les intervenants de première ligne et ce sont eux qui
préparent le terrain à tous les spécialistes. Que voulez-vous que je
vous dise? Vous me dites qu'il y a des
spécialistes, des groupes de spécialistes qui disent qu'il n'y a pas de
problème d'accommodement, mais, les spécialistes, on se bat tous pour
les voir puis, quand on réussit à les voir, on les voit cinq minutes de temps. Est-ce que c'est eux qui se rendent compte des
problèmes qu'il y a sur le terrain dans les hôpitaux? Bien, moi, j'ai ma
réponse.
Mme Lavoie (Francine) : Je voudrais
ajouter… j'aimerais ajouter, M. Tanguay, que…
M. Tanguay : Oui, je vous en
prie.
Mme Lavoie (Francine) : Vous parliez
d'un pourcentage, 40 %, 60 %, mais vous ne nous donnez pas les autres pourcentages pour les associations de
cadres, là. Moi, je pense que c'est un peu pareil, parce que, d'après tout
ce qu'on lit et ce qu'on entend dire depuis
des semaines, c'est très divisé, hein? On se rapproche des moyennes, là,
comme ça.
C'est que je reviens à ce que je disais tout à
l'heure. C'est la population qui montre le plus de réalisme là-dedans — et ça
complète ce que dit monsieur à côté — c'est la population qui est à
même de vivre ça, de vivre des situations problématiques qui demanderaient des
accommodements dits raisonnables. J'ai observé que ceux qui se prononcent le
plus fort contre la charte sont des gens, justement, qui n'ont pas tant que ça
des contacts avec les gens. Ils le font de façon théorique, ils le font à
partir de certaines données comme celles de la commission des droits et libertés ou le Barreau, on en a parlé tout à
l'heure, qui ne sont pas à même d'avoir vécu les choses et qui sont
simplement là pour
faire appliquer les lois, lesquelles lois ont été votées par des députés à
l'Assemblée nationale, lesquels députés ont été élus par la population.
Alors, on revient encore à la population. C'est elle qui a raison, voilà.
M. Tanguay :
Au niveau des infirmiers et infirmières, la FIQ, donc, déjà, là, on avait
soulevé que 40 % étaient contre,
et également vous avez noté qu'il y a les syndicats de deux grands hôpitaux qui
ont également… le CUSM et le CHUM,
donc syndicat des professionnels en soins de santé pour le CHUM et, au niveau
du CUSM, Syndicat des professionnelles
en soins infirmiers et cardiorespiratoires. Donc, le point est davantage
peut-être… Si on essaie d'avancer sur
ce sur quoi on s'entend, c'est que, même pour eux qui sont, comme vous dites…
Et vous faites la distinction versus les médecins, même si je ne suis
pas tout à fait d'accord avec vous, parce que les médecins également sont de
première ligne quand ils rencontrent les
patients. Il y a là une nette division, et beaucoup, beaucoup de représentants,
et de syndicats, et également d'infirmiers et infirmières sur le terrain
le voient et le sentent, ça.
Également, au
niveau de la Commission des droits de la personne, qui a eu un avis, là, je
dirais, très, très clairement exprimé
contre cette interdiction de signe religieux, je pense qu'il est important…
Puis j'aimerais vous entendre là-dessus, l'interdiction de port de signe religieux. C'est qu'eux, depuis la
charte québécoise des droits et libertés, vivent à tous les ans avec les demandes d'accommodement, et ce, pas
uniquement pour les signes religieux, pour tout motif de discrimination.
Et également un service-conseil a été mis
sur pied et, de façon très, très tangible, dans tous les domaines, toutes les
sphères de notre société, tant au public
qu'au privé, ont à aider les décideurs, justement, à faire face à des demandes
d'accommodement. Et eux-mêmes
concluent qu'en bout de piste il n'y a pas… À travers les centaines et les
centaines de cas qu'ils ont eu à étudier, ils n'ont pas eu l'occasion de
vérifier qu'il y avait un réel problème. Au contraire, ils constatent qu'il n'y
a pas de problème. Et, en ce sens-là, il est
important pour nous… On parle de l'aspect politique, et c'est ce que tout le
monde veut, de venir ajouter au niveau des
balises quant aux accommodements, mais force est de constater qu'eux
également qui sont au ras des pâquerettes constatent que l'interdiction mur à
mur ne tient pas la route par rapport à l'objectif que l'on veut atteindre.
• (16 heures) •
M.
Laframboise (Yves) : Bien,
je pense qu'on peut citer un paquet de mémoires, d'études. La discussion
peut se poursuivre à l'infini, qui a raison, qui a tort.
Moi, je vous
dirais que la Commission des droits de la personne, avec la position qu'elle a
prise récemment, ne nous a pas
impressionnés non plus. Toute la question légale nous semble tout à fait
discutable. Moi, je vous dirais… Est-ce que vous êtes… Par exemple, on parle, là, de la charte qui n'est pas
inclusive, qui exclut, qui n'est pas rassembleuse, etc. Je me mets à lire, à un moment donné, le préambule de la
Charte canadienne des droits et libertés et je suis surpris de lire dans
le préambule les mots suivants : «Attendu que le Canada est fondé sur des
principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu»,
et etc. Est-ce que j'ai bien entendu? On
invoque sans cesse la charte des droits et libertés canadienne, et tous ces principes-là ne
sont pas fondés sur des valeurs républicaines mais sur la suprématie de Dieu?
Puis on me dit que la Charte canadienne des droits et libertés, avec son introduction,
devrait être quelque chose d'inclusif? Ma compréhension, moi :
ce n'est pas inclusif, c'est exclusif. Je vous
dirais… Même pire que ça, ça m'apparaît, comme bon citoyen,
discriminatoire, parce qu'à ce que je sache, au Canada
et au Québec, il y
en a, des non-croyants. Comment les
non-croyants peuvent-ils se retrouver dans un tel document? Comment
peut-on l'invoquer de façon générale? Je suis très surpris.
Le
Président (M. Morin) :
Merci, M. Laframboise. Mme la
députée de Notre-Dame-de-Grâce, vous vouliez… Il ne vous reste pas une minute, moins d'une
minute. Allez-y.
Mme Weil : Je vais aller rapidement. Comme ministre de l'Immigration, j'ai eu beaucoup de plaisir dans la ville de Québec et
surtout j'ai eu beaucoup de plaisir à entendre les gens parler qu'ils étaient
heureux et fiers d'une plus grande
diversité. Ils trouvaient que la ville de Québec avait plus de
diversité, vivait bien sa diversité. Mais je vous entends, j'entends ce que vous dites. Et vous n'êtes pas
les premiers qui lancez un petit message, et ce n'est pas juste ici
qu'on peut l'entendre, cette notion de : Est-ce qu'on perd notre identité?
Mais vous touchez l'immigration, et on n'en parle pas beaucoup ici, et la
charte ne parle pas d'immigration. Et vous parlez d'intégrisme, toute la
journée on a entendu parler d'intégrisme.
Mais, honnêtement, pensez-vous vraiment, de dire
à des professionnels de la santé qu'ils ne peuvent pas porter le voile, qu'on touche à ce que vous, vous êtes en train de vraiment… On ne touche pas vraiment à la question qui… Moi,
quand j'ai des conversations avec des gens, ils vont plutôt sur ça, donc cette
notion d'identité collective. Avant, on parlait de la langue; maintenant, on parle plus de cette notion de
mixité, diversité puis… Bon. Alors, en quoi vous pensez que cette interdiction va changer la donne, va
régler l'inquiétude que vous avez? Parce que c'est du 9 à 5, là, du 9 à
5. De 9 à 5, on enlève un voile, on enlève… En quoi ça change la préoccupation
que vous avez?
Mme Lavoie
(Francine) : Bien, je peux
commencer à répondre : C'est la rassurance. C'est la rassurance
qu'au moins, quand on reçoit les services de l'État, il n'y a personne qui
cherche à nous imposer, même entre guillemets… Parce que ce n'est pas anodin. Moi, personne ne va me faire croire que
le voile est anodin. Il y a eu plein d'études de faites aussi. Il y a
des femmes musulmanes qui l'ont dit, qui l'ont crié sur les toits : Ce
n'est pas anodin, attention, c'est un symbole.
Il y a des gens derrière qui veulent… qui montrent justement que ces femmes…
qui envoient ces femmes-là au front. Encore une fois, elles sont
instrumentalisées. C'est toujours les femmes qui sont instrumentalisées.
Le Président (M. Morin) :
Merci. Merci, chère madame. Merci, Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Maintenant, je me dirige vers Montarville.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci beaucoup. Bonjour, monsieur
madame, Mme Lavoie, M. Laframboise. Merci pour votre mémoire. Si je peux
d'entrée de jeu vous dire un petit quelque chose qui va vous conforter dans
votre argumentaire, je me souviens, il y a 25 ans, quand j'étais jeune
étudiante en droit à l'Université de Sherbrooke, il y a un professeur qui nous avait dit quelque chose, puis ça m'avait vraiment
marquée, et je vais vous le répéter parce que ça rejoint ce que vous nous dites. Il nous avait dit : Ce n'est pas
compliqué, le droit est 10 ans en arrière de la société. Alors, ça
rejoint vos propos, le droit est en retard sur la société.
Cependant,
rassurez-vous dans la mesure où il bouge, le droit. Il bouge lentement, mais on
est ici pour écrire des lois pour que
ça bouge. Alors, il bouge, mais il bouge bien lentement. Mais ça rejoint ce que
vous dites, et je voulais partager avec vous. Il y a une question de
lenteur dans tout ça.
Cela dit,
j'aimerais revenir à votre mémoire. À la page 13… On va parler
d'éducation. La laïcité de l'État, nous en sommes, et moi, j'aimerais vous poser une question bien personnelle dans
le cadre de votre mémoire : Dans la mesure où… Si on avait à faire une gradation des domaines de
l'État où la laïcité est la plus importante, lequel ce serait, pour
vous? Et dans quelle mesure, pourquoi, lorsque vous nous dites : «Le
domaine de l'éducation demeure l'endroit névralgique où la laïcité doit
prédominer sans compromis»?
Mme Lavoie
(Francine) : Vous nous
demandez une gradation par rapport à… Oui. Alors, disons que... Est-ce
que ça serait plus important de supprimer
les signes ostentatoires dans les garderies, à la maternelle plutôt qu'à
l'université? Est-ce que c'est quelque chose comme ça?
Mme Roy
(Montarville) :
Ou plutôt dans un bureau à la SAQ, en arrière de la caisse, ou le conducteur ou
le livreur d'une société du gouvernement, ou
l'éducation? Est-ce qu'il y a un domaine législatif du gouvernement où ce
serait plus important d'afficher la laïcité de l'État?
Mme Lavoie (Francine) : J'ai
beaucoup de difficultés, personnellement, à répondre à cette question-là parce
que, pour moi, tous les employés qui représentent l'État puis qui travaillent
avec une clientèle — appelons-la
comme ça, là — des élèves, des étudiants ou des gens qui
viennent chercher des services, tout
ce monde-là devrait afficher une neutralité
et une laïcité. Tout ce qui est… Moi, pour moi, là, toutes les autres positions
sont mollassonnes, c'est-à-dire
qu'elles appellent à des compromis, elles appellent
à des mésententes, à des frustrations. C'est pour ça que j'exhorte ce gouvernement-là
à continuer là-dedans, puis à être clair, puis à être ferme, parce que, dès
qu'on ouvre des portes puis qu'on fait des
exceptions, c'est fini, là, on recommence à vivre la situation
qu'on vit depuis des années. Et d'ailleurs
j'ai été... nous avons été, parce que
nous en avons beaucoup parlé, très déçus par le rapport de la commission
Bouchard-Taylor justement à cause de ça. Ça manquait de clarté, ça
manquait de fermeté. Alors, ma réponse, c'est ça.
Mme Roy
(Montarville) : Je
vous comprends bien, je vous ai entendue. Cela dit, je vous amène à la
page 17 de votre mémoire... la page 18, pardon, excusez-moi.
L'exemple de la fin, vous nous parlez d'un étudiant, un étudiant de l'Université
Laval, si je comprends bien, un
événement du printemps dernier. Cet étudiant a été arrêté aux États-Unis par le FBI et accusé d'être en
lien avec la planification d'actes terroristes.
J'aimerais
savoir dans quelle mesure le projet
de loi de charte qu'on a sous les
yeux aurait pu empêcher ça, que cette personne malveillante planifie des
attentats terroristes.
M.
Laframboise (Yves) : Moi, je
vous répondrais que le projet de loi, en tant que tel, ne l'empêchera pas. C'est
le budget du SCRS au Canada qui va l'empêcher.
Par ailleurs, le projet de loi est nécessaire parce
qu'il doit toujours y avoir, dans notre société, un signal, et ce signal-là doit venir de quelque part. Et ici, au Québec, on a l'Assemblée
nationale, et l'Assemblée nationale, qui est située en haut, doit envoyer un
signal à tout le monde à l'effet que nous respectons des valeurs ici. Et ces
valeurs-là vont se répercuter à peu près dans tous les organismes et...
Le Président (M. Morin) :
Merci, M. Laframboise. Merci beaucoup. C'est bien déplaisant, je le sais,
je suis déplaisant aujourd'hui. M. le député de Blainville.
157 157 M. Ratthé :
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Morin) :
N'oubliez pas que vous avez quatre minutes.
M. Ratthé : Oui. Tantôt, j'ai
moins pris, hein, c'est ça?
M. le Président, tout à l'heure j'ai demandé à
Mme Desjardins si elle était prête à étendre cette mesure-là aux étudiants. Évidemment, Mme Desjardins m'a dit
qu'elle ne pouvait pas exprimer son opinion personnelle. Mais je vais reprendre ma question, puisque, dans votre
mémoire, vous êtes assez spécifiques, là. Vous nous dites :
L'enseignement, donc, de la petite enfance
jusqu'à l'université, les enseignants, les éducateurs mais également les
étudiants, c'est ce que vous dites.
Et je vais vous poser deux questions, donc vous aurez le loisir de pouvoir me
répondre. Et vous allez plus loin même que les signes ostentatoires.
Vous nous dites, à votre recommandation n° 6, que tout emblème et symbole
religieux devraient complètement disparaître de tout ce qui est organisme de
l'État, c'est ce que j'en comprends.
Donc, comment
peut-on… Tantôt, on parlait d'adultes qui choisissent d'aller à l'université.
Comment peut-on exiger ça d'eux alors
que dans la société en général on va dire aux gens : Bien, c'est juste de
9 heures à 5 heures, si vous travaillez dans la fonction publique, que vous
n'aurez pas le droit de mettre des signes ostentatoires? Est-ce qu'il n'y a pas
là un danger de se faire dire qu'il y a justement là un refus d'une pratique
religieuse?
M. Laframboise (Yves) : Bien,
l'idée, en fait, dans notre mémoire, c'était de dire qu'il est très important
de respecter la neutralité de l'État et que cette neutralité se retrouve aussi
sur le territoire des universités. Nous estimons extrêmement important que ce
soit respecté, ce principe-là, par les enseignants. Nous pensons qu'idéalement
il serait préférable, à l'intérieur des
salles de cours, dans les espaces où on discute, des forums, en réalité, des
échanges d'idées, que les signes ostentatoires soient absents. Mais nous
ne connaissons pas non plus la suite des débats ici, et peut-être que d'autres
intervenants auront des précisions plus pertinentes à apporter sur ce sujet-là.
Vous
mentionnez la question des signes, des emblèmes religieux. J'entendais
tantôt quelqu'un, précédemment, parler des croix de chemin. Entendons-nous bien : Sur le territoire
du Québec, il y a un paquet de structures qui sont d'intérêt
culturel et qui sont reconnues par la Loi
des biens culturels, et il n'est pas question de se lancer dans une séance d'abattage
des croix de chemin le long des chemins, de nos petites routes de campagne.
Par ailleurs, nous pensons que la croix qui est
dans l'Assemblée nationale ne devrait pas figurer là, parce que nous estimons que c'est un symbole qui affiche en
réalité tout le catholicisme politique que nous avons vécu au Québec pendant des années et que nous avons décidé de
rejeter déjà à partir des années 1960. Nous pensons donc que ce crucifix
peut avoir sa place, il fait partie de notre
patrimoine, il doit être considéré comme du patrimoine, mais il doit se
retrouver dans un autre lieu, dans un autre
espace. Même s'il se retrouve dans
l'édifice ici, nous pensons que c'est une chose acceptable.
• (16 h 10) •
M. Ratthé :
Votre recommandation ne se limite
pas juste au crucifix de l'Assemblée
nationale. Ce que je peux comprendre, par exemple, un signe ou un
emblème religieux dans une cour de conseil municipal, dans une cour de
justice…
M. Laframboise (Yves) : Nous faisons
un parallèle entre les lieux de pouvoir et la présence du crucifix ou d'autres
symboles semblables. Nous pensons que ce n'est pas la place des symboles
religieux que de figurer dans les lieux de pouvoir, donc, par exemple, les assemblées
municipales, les conseils régionaux et...
Une voix : …
M.
Laframboise (Yves) : ...commissions scolaires et organismes du genre, sans renier, en fait,
notre patrimoine religieux, qui fait partie de notre identité, évidemment.
M. Ratthé : Ça complète, M.
le Président.
Le
Président (M. Morin) :
…merci, Mme Lavoie, M. Laframboise, pour votre participation à cette
commission. Bon retour à la maison. C'est tout près, probablement.
Donc, j'invite M. Guy Rocher à prendre
place.
Et je suspends quelques instants.
(Suspension de la séance à 16 h 11)
(Reprise à 16 h 15)
Le
Président (M. Morin) :
Nous reprenons nos travaux. M. Rocher, bienvenue à cette commission parlementaire. Et je vous laisse la parole immédiatement. Vous savez que vous avez 10 minutes et qu'on va vous écouter avec
attention.
M. Guy Rocher
M. Rocher (Guy) : M. le Président, M.
le ministre, mesdames messieurs. Je me présente rapidement : Je suis sociologue. J'ai enseigné la sociologie pendant
près de 60 ans à l'Université
Laval et à l'Université de Montréal, c'est-à-dire de 1952 à 2010. J'ai, entre-temps, fait partie de la commission Parent,
tout en étant dans l'enseignement. Et j'ai fait une pause dans ma carrière
universitaire pendant quatre ans, car j'ai été ce qu'on appelait secrétaire
général associé au Conseil exécutif du
gouvernement du Québec, comme sous-ministre au Développement culturel et
Développement social avec le ministre Camille Laurin et Denis Lazure, à
l'époque.
En 2014, c'est-à-dire cette année, nous allons fêter le 50e anniversaire du ministère de l'Éducation. Je sais que le ministère de l'Éducation
prépare un événement pour marquer cette date.
En même temps, il se trouve qu'en 2014 nous célébrons le 50e anniversaire du projet de loi qui a créé le ministère de
l'Éducation, c'est-à-dire le projet de loi n° 60. Comme par hasard, comme par hasard,
50 ans plus tard, nous travaillons, vous et moi, nous tous, sur un autre projet de loi n° 60.
Ce n'est pas un hasard, à mon avis, c'est un événement historique important, parce que je crois qu'il y a des
liens profonds entre les deux projets de loi n° 60. Pourquoi? Parce
que le projet de loi n° 60 de 1964 a été, je pense qu'on peut l'affirmer,
la première loi de l'Assemblée
nationale qui établissait la neutralité
de l'État québécois. C'était un grand événement et c'est un événement qui a
marqué le Québec en 1964. Pourquoi? Parce
que pour la première fois on disait que nous mettons fin à un système confessionnel qui
existait depuis des décennies au nom de la neutralité religieuse du système
d'éducation.
Ce
fut une loi très importante. Pourquoi? Parce
que, par cette loi, nous avons
invité… non pas invité, mais nous avons
forcé les 22 évêques du Québec, c'est-à-dire tout l'épiscopat du Québec,
à quitter les postes qu'ils avaient à la tête du système d'éducation
public. Ce ne fut pas sans difficulté, je peux vous le dire.
Non seulement cela, mais, par la loi 60 de 1964,
nous avons institué un ministère qui avait autorité aussi sur tout l'enseignement protestant. Cela ne fait pas souvent partie de
l'historiographie du Québec, mais je peux vous dire que la résistance
des protestants ne fut pas moindre que celle des catholiques. Je pourrais en
parler longuement.
Donc, ce que
cela veut dire, c'est qu'établir la neutralité de l'État québécois
n'était pas anticatholique, pas plus qu'antiprotestant. C'était, au
contraire, une manière d'établir une réalité qui était nouvelle : la
neutralité de l'État.
• (16 h 20) •
Cette
première loi, elle fut très importante. Elle a donné suite à d'autres lois qui
se sont installées, que l'Assemblée nationale a votées, qui allaient également,
et d'une manière de plus en plus concrète, établir la neutralité des institutions
d'enseignement. Ce fut la loi créant les cégeps, où on a créé des institutions
neutres à partir de collèges classiques et d'écoles
normales qui étaient catholiques. Nous avons fait la loi créant l'Université du Québec contre les Jésuites, qui à ce moment-là
demandaient, en 1961 — on
l'a oublié aujourd'hui — d'ouvrir
une université catholique à Montréal. Et plus
tard l'Assemblée nationale a voté une loi qui transformait les commissions
scolaires confessionnelles en commissions scolaires linguistiques.
Donc, je
pourrais dire que la loi n° 60 de 1964 est le début d'une
cinquantaine d'années pendant lesquelles, au Québec, nous avons réfléchi sur la neutralité de l'État québécois, de nos
institutions publiques, et où nous avons tenté également de réaliser cette réalité qu'est la neutralité de l'État dans
nos institutions publiques. C'est donc un parcours historique extrêmement important et qui est un des
aspects les plus importants de la Révolution tranquille. Pourquoi? Parce
que, parmi tous les événements qui peuvent
expliquer ce qu'a été la Révolution tranquille, un des événements — c'est
celui dont j'ai d'ailleurs pris conscience,
pour ma part — c'est la
prise de conscience de la diversité religieuse de la population québécoise. Aujourd'hui, c'est banal de parler de
cette diversité religieuse, mais en 1960 c'était un événement. Pourquoi?
Parce que nous avions accepté depuis
longtemps que nous vivions dans la diversité religieuse entre catholiques,
protestants et Juifs, mais entre
catholiques, protestants et Juifs qui cohabitaient sans relation, dans
l'ignorance mutuelle. Or, en 1960, 1961,
nous apprenions, avec le Mouvement laïque de langue française, qu'il y avait
des Canadiens français qui étaient athées,
des Canadiens français qui refusaient d'envoyer leurs enfants à l'école
publique catholique, qui demandaient une école neutre, qui demandaient
le mariage civil — énormité
à l'époque — qui
demandaient de ne plus faire serment sur la Bible devant les… dans les
tribunaux, etc.
Nous avons
pris conscience d'une manière très forte de cette réalité nouvelle qu'était la
diversité religieuse de la population québécoise, particulièrement de la
population canadienne-française, de la majorité dite catholique. Et quel principe alors nous a servi pour établir les
politiques des institutions publiques? C'est le principe du respect des
convictions et des consciences de toutes les
clientèles qui font affaire avec les institutions publiques. C'est le grand
principe qui a été établi, je peux
dire, peut-être pour la première fois dans un document public par la commission
Parent. On trouve dans le volume IV du rapport de la commission
Parent plusieurs pages qui portent précisément sur l'analyse de la neutralité dans cette perspective du respect de toutes les
convictions, religieuses et autres mais religieuses en particulier des
clientèles. C'est ce principe qui a permis
d'établir les cégeps sur la base sur laquelle ils ont été établis. C'est le
principe qui a permis d'ailleurs
aussi au personnel enseignant d'accepter, qui était dans le personnel
enseignant qui était dans des institutions confessionnelles, religieuses catholiques, d'accepter de passer dans des
institutions neutres comme de plus en plus l'ont été des polyvalentes d'abord, comme l'ont été les cégeps, comme l'a été
l'université et comme se sont aussi déconfessionnalisées les universités
Laval et de Montréal dans les années 60 en abandonnant leurs chartes
pontificales au profit de chartes civiles.
Aujourd'hui, nous sommes devant une autre
situation. Bien sûr, le contexte social et culturel de 2014 au Québec n'est plus celui de 1964 tout à fait. Je
dirais qu'il y a en particulier deux grands changements qui se sont
produits. Le premier, c'est qu'évidemment le
pluralisme religieux qui nous apparaissait considérable en 1964 est devenu
énorme. Nous vivons dans une société québécoise qui maintenant est marquée par
la diversité culturelle, ethnique, religieuse en particulier comme nous ne pouvions pas l'imaginer en 1960. C'est donc un
immense changement dû à l'immigration. Deuxième grand changement, et je
termine là-dessus, M. le Président — je vois votre geste, c'est ça — deuxième
grand changement, évidemment, c'est
l'apparition des chartes, charte québécoise d'abord et charte canadienne, qui
toutes les deux font que, dans le débat
d'aujourd'hui, les juristes ont une place qu'ils n'avaient pas en 1964, et le
problème juridique est posé aujourd'hui d'une manière qu'il ne l'était
pas ou d'une manière peut-être différente à l'époque mais qui n'était…
différente d'aujourd'hui.
Je m'arrête là, M. le Président. J'aurai
l'occasion peut-être d'aller plus loin tout à l'heure en réponse à vos
questions. Merci de m'avoir écouté.
Le Président (M. Morin) :
Oui. Merci, M. Rocher. M. le ministre.
M. Drainville : Bienvenue
parmi nous, M. Rocher. Merci pour votre présentation. Je dois dire que je
suis impressionné, voilà. On apprécie tous
également les mémoires, mais disons que, quand celui qui nous le présente a
89 ans, qu'il a tout le parcours que vous avez, ça commande...
M. Rocher (Guy) : 89 ans et
huit mois et demi.
Des voix : Ha, ha, ha!
M. Drainville :
Alors, ça commande, je dirais, un respect particulier, dont je vous témoigne
ouvertement devant mes collègues.
M. Rocher (Guy) : Merci.
M.
Drainville :
J'aimerais d'abord que nous revenions sur le concept de paix religieuse. Vous
utilisez le concept de paix religieuse dans votre mémoire à quelques
reprises. Vous dites que le projet de loi n° 60, l'actuel, celui que
nous étudions, s'inscrit donc dans un choix historique que nous avons fait il y
a 50 ans, dans l'autre projet de loi n° 60 qui instituait donc cette idée que les institutions
publiques doivent être neutres et que les clientèles doivent être
respectées dans leurs convictions religieuses, et que ce respect pour la
clientèle, si je vous comprends bien, doit avoir préséance sur la conviction
religieuse de l'agent de l'État ou du personnel de l'État.
Alors,
j'aimerais bien que vous nous expliquiez d'abord comment la neutralité
religieuse à laquelle vous avez contribué
avec la commission Parent il y a 50 ans… comment cette neutralité
religieuse a contribué à la paix religieuse. Et en quoi le projet de loi n° 60 que nous avons sous les yeux
est nécessaire pour assurer la pérennité de cette paix religieuse pour
l'avenir?
• (16 h 30) •
M. Rocher
(Guy) : En 1960, nous étions
au bord d'une situation de plus en plus conflictuelle entre en
particulier les Canadiens français dont je
viens de parler, qui se déclaraient athées, et la majorité catholique, une
majorité catholique qui n'était pas prête à accepter qu'il y ait comme
ça des athées qui demandent des droits. Et il y avait là, pour une majorité
catholique, quelque chose d'incongru et même d'inacceptable, hein?
Et je me souviens en particulier d'un article
qui avait fait du bruit à l'époque, de mon ami Gérard Pelletier, un nom connu à l'époque, qui avait publié dans Cité
libre un article intitulé Feu l'unanimité, et Gérard Pelletier en parlait comme
catholique, en disant : Mais je m'étonne que maintenant nous avons perdu
cette unanimité religieuse que nous avions
comme catholiques. Que nous est-il arrivé? Pourquoi cela nous est arrivé? C'est
comme si le fait d'avoir des protestants chez des Canadiens français
nous culpabilisait, nous, catholiques, de n'avoir pas réussi à sauver leur âme,
en quelque sorte, hein?
En bien, comment avons-nous pu établir une paix
entre ceux qui se déclaraient athées et ceux de la majorité qui demandaient... qui s'étonnaient de cet
athéisme? Eh bien, c'est en établissant le principe du respect des
clientèles. Nous avons respecté la clientèle athée en lui offrant un secteur
d'école neutre, nous avons respecté la clientèle catholique en lui disant : Nous allons continuer à avoir
des écoles catholiques, nous avons respecté la clientèle protestante en
disant : Nous allons continuer à avoir
des écoles protestantes, au nom du respect des convictions des catholiques, des
protestants et des athées. Et c'est en ce
sens que nous avons vécu une période de paix religieuse, justement
sur la base de ce principe, en assurant
que les demandes des athées sur la base de leurs convictions, que nous
respections… que leurs demandes soient entendues.
Et c'est pour ça que moi, je relie comme une causalité le principe du respect
des clientèles, des convictions des clientèles à la paix religieuse que
nous avons vécue, parce que ce qui est quand même étonnant… Et cela, je peux le
dire, ça m'est souvent demandé par des visiteurs étrangers : Comment se
fait-il que vous êtes passés d'un système si religieux
avant 1960 à un système qui s'est déconfessionnalisé si vite, sans
manifestation, sans parade dans les rues, sans contestation devant les tribunaux, hein? Eh bien, je dis, le principe
que nous avons suivi, c'est le respect des clientèles, des parents, des
élèves, des étudiants. C'était ça, notre principe, et c'est comme ça que ça a
été accepté.
Et il faut dire aussi que ce principe de
neutralité, de respect des convictions allait dans le sens de l'objectif de l'époque de l'accessibilité, parce que je pense le
dire dans mon mémoire, mais ce qui nous est arrivé, au Québec,
c'est que, grâce à cette neutralité, grâce à cette déconfessionnalisation, nous
avons réussi une accessibilité beaucoup plus large. Il y a un lien très étroit
entre accessibilité et neutralité dans le système de l'éducation.
M.
Drainville : Alors, une des choses qui s'est produite dans ces
années-là, c'est qu'une partie des enseignants qui étaient au travail
dans les institutions religieuses, dans les collèges classiques notamment ont
accepté de continuer à enseigner dans les nouveaux cégeps qui étaient neutres
sur le plan religieux, et qui, ce faisant, ont aussi accepté de renoncer
progressivement à leurs signes religieux. Il y a eu une transition qui s'est
faite, et il y a plusieurs religieux et religieuses qui portaient un signe
religieux qui ont accepté de rester dans le nouveau système des cégeps et qui
ont accepté que ça venait avec un certain nombre de contraintes. Et l'une de
ces contraintes, c'était un habit laïque. Bon.
Et vous savez
toute la controverse que cause la mesure que nous proposons en matière de
signes religieux. Et vous, vous dites, dans votre mémoire, et je vous
cite là-dessus : Les opposants au projet de loi n° 60, l'actuel
projet de loi n° 60, en s'opposant
à l'interdiction du port de signes religieux, veulent inverser le principe du
respect des convictions de toutes les clientèles. Alors, je vous
cite : «…le respect des convictions de l'enseignant aurait désormais
priorité sur le respect des convictions des parents, des élèves, des étudiants
[et des étudiantes]. Il s'agit là, en regard de notre passé, d'un renversement
de la priorité du respect des convictions religieuses, inspiré à mes yeux par
une conception trop individualiste à l'endroit des institutions destinées au service
public.» Élaborez, s'il vous plaît.
M. Rocher (Guy) : Ce que j'ai en
tant qu'observateur, disons, de la société et comme sociologue, c'est que, comme d'autres d'ailleurs, j'ai vu se
développer dans notre société, comme dans l'Occident, d'ailleurs, un
très fort mouvement d'individualisme — tout le monde l'a dit, je
pense, c'est banal de le dire — un très fort mouvement d'individualisme
que j'ai très nettement senti, par exemple, dans mes relations avec les
étudiants. Quand on enseigne pendant
60 ans, on voit passer beaucoup de générations d'étudiants. Chaque
génération est différente des autres, et j'ai vu arriver des générations
d'étudiants de plus en plus individualistes, de plus en plus... ayant une
attitude beaucoup plus utilitaire à l'endroit de
l'université, par exemple, voyant les études dans une perspective beaucoup plus
personnelle, oui. Et évidemment c'est un peu
dans la poussée de cet individualisme que l'on requiert maintenant que
l'enseignant ait... les convictions de l'enseignant aient priorité sur
celles des élèves.
Moi, j'appuie, j'appuie le projet de
loi n° 60 de 2014 comme j'ai appuyé le projet de loi de 1964, parce
que le projet de loi n° 60 de 2014
est basé sur le même principe du respect des convictions des clientèles, et, je
trouve, c'est ça qui est important maintenant. Et c'est ça qui a assuré
la paix, la paix. Je reviens sur votre question précédente, c'est ça qui a
assuré une paix. Et, comme, pour moi, la charte est un projet de loi
extrêmement important pour l'avenir, pour l'avenir
le l'État québécois et des institutions publiques québécoises, je dis :
C'est le principe d'une paix religieuse et d'une paix sociale qui est là
dans ce principe du respect des clientèles. C'est pour ça que j'appuie
l'ensemble, dans son ensemble le projet de
loi n° 60. Il est, à mon avis, inspiré par ce qui a fait le succès de
notre déconfessionnalisation, ce qui a fait
le succès de nos institutions publiques dans l'enseignement. Moi, je parle de
l'enseignement devant votre commission, si vous me permettez, parce que c'est dans l'enseignement que j'ai vécu
pendant 60 ans et c'est là que j'ai fait ma carrière.
M.
Drainville :
Parlons-en, justement, du milieu universitaire. Vous dites à la page 7 de
votre mémoire : «En tant qu'universitaire de carrière, je tiens à
faire part de mon avis concernant l'application de la loi n° 60 aux
universités.
«On invoque bien à tort, à mes yeux, la
"liberté académique", qu'on dit menacée par les exigences de la neutralité. Il s'agit, en l'occurrence, d'une
grave confusion touchant ce qu'est la liberté académique. Le devoir de
réserve que doit respecter tout professeur
d'université concernant ses convictions tant religieuses que politiques n'a
rien à voir avec la liberté académique. Celle-ci porte sur la liberté
concernant la transmission du savoir et la recherche», etc.
Il va y avoir
dès demain, si je ne m'abuse, des représentants du milieu universitaire qui
vont venir vous contredire. Alors, si vous les aviez devant vous, vous
leur répondriez quoi?
M. Rocher (Guy) : Nous aurions une
dure discussion, oui, c'est certain.
M. Drainville : Voilà.
M. Rocher (Guy) : Je sais très bien
que vous allez recevoir peut-être les recteurs. En tout cas, je tiens à dire,
premièrement, que, quand les recteurs parlent, ce n'est pas l'université qui
parle. J'entends toujours les journalistes dire :
L'université est contre le projet de charte. Non, le recteur est contre, mais
moi, je suis contre mon recteur et je fais partie de l'université. Donc,
s'il vous plaît, j'espère qu'un jour on fera la différence entre les recteurs
et l'université. Première réponse.
Deuxième
réponse : Oui, je suis en désaccord avec mes collègues sur deux plans en
particulier. Confusion sur la liberté
académique, comme ils disent. La liberté académique consiste… est notre liberté
en ce qui concerne le savoir que nous enseignons, en ce qui concerne les
recherches que nous faisons, mais ça ne touche pas le vêtement que nous
portons, ça ne touche pas… Ce n'est pas au nom de la liberté académique que
nous avons une liberté religieuse, mais pas du tout, ça n'a rien à voir. Et là
c'est là que je trouve qu'il y a une confusion.
Et il y a une
deuxième confusion dans l'attitude de mes collègues : C'est même au nom de
la liberté de religion et de
conscience qu'ils s'objectent à la charte. Or, je veux dire ceci en ce qui
concerne la liberté de religion et de conscience : J'ai vécu dans
l'université depuis 1952, donc dans l'université catholique. Eh bien, je peux
dire que, dans l'université catholique
d'avant 1960, nous n'avions pas la liberté de religion, nous n'avions pas la
liberté de conscience. Par exemple, nous
ne pouvions pas, en 1950, embaucher un professeur athée, nous ne pouvions pas
embaucher un professeur musulman, nous
ne pouvions pas embaucher un professeur juif. Il fallait être catholique pour
enseigner dans les universités catholiques de Montréal et de Laval,
c'est le régime que j'ai connu.
• (16 h 40) •
À quel moment avons-nous connu la liberté de
religion et de conviction? C'est à partir du moment où, vers la fin des années 60, l'Université Laval et
l'Université de Montréal ont abandonné leurs chartes pontificales et sont
venues ici, à l'Assemblée nationale, se faire donner une charte civile. À
partir de ce moment-là, nous avons joui de la liberté de conviction des professeurs, parce que c'est à
partir de ce moment-là que nous avons eu le droit d'engager des Juifs,
des protestants, des athées, des musulmans.
Eh bien, je dis à mes collègues aujourd'hui : Attention! Si… Et c'est là
que je trouve qu'il y a un vice profond. Si nous refusons, à
l'université… nous demandons, par exemple, que les universités soient exemptées, par exemple, de la charte, de votre
charte de la laïcité, et qu'à
l'avenir nous acceptons que certains professeurs aient le droit de
porter les signes ostentatoires de leur religion comme ils le veulent, eh bien,
je dis : Écoutez, c'est très grave.
C'est très grave cette position. Pourquoi? Parce que je dirais que depuis
toujours il y a dans l'université un consensus
pratique, une pratique consensuelle qu'aucun professeur n'affiche devant les
étudiants ses convictions politiques, qu'aucun professeur n'affiche ses
convictions religieuses. Il y a peut-être des exceptions, c'est très vrai,
c'est bien possible, il y en a, mais c'est
un consensus à peu près général. Attention! Vous mettez fin à ce consensus
maintenant, ce qui veut dire que vous
me donnez à moi autant qu'aux autres le droit d'afficher mes convictions
religieuses dans la salle de cours. Vous voulez dire que maintenant, à
l'avenir, contrairement à ce que je fais depuis 60 ans, j'ai le droit
d'entrer dans la salle de cours avec un tee-shirt disant : Dieu n'existe
pas, je suis athée. Bien, je refuse ce droit et je crois que c'est un droit que nous n'avons pas le droit
d'avoir à l'université. Je crois que c'est une confusion des genres, de
nous prêter ce… de nous donner ce droit que nous nous refusons depuis… en tout
cas, pour moi, depuis le début de ma carrière universitaire. Eh bien, je trouve
ça très grave, ce…
Et voilà
comment je suis en désaccord profond avec mes collègues — ils le savent, d'ailleurs — et pour une raison fondamentale, c'est
la liberté religieuse à l'université que nous avons gagnée contre l'ancienne
université. Et cela, je pense
qu'il faut l'affirmer avec force. Je suis très malheureux d'être en désaccord
avec certains de ces collègues, que j'aime beaucoup, mais c'est un désaccord profond. Et je trouve que c'est non
seulement un désaccord profond, mais c'est un désaccord qui m'inquiète
beaucoup pour l'avenir parce que nous ouvrons une porte, à cause de quelques
personnes qui peut-être demanderaient de
porter des signes ostentatoires, à cause de quelques personnes, nous ouvrons
une grande porte à tous les droits à tous ceux qui ont des convictions
religieuses, quelles qu'elles soient. Et, bon, je pense qu'à l'université on peut compter un bon nombre de
professeurs athées, ce n'est un secret pour personne, mais aucun de ces
professeurs ne l'affiche publiquement.
M.
Drainville : Il me
reste seulement quelques secondes. Si vous avez l'occasion, dans les prochaines
minutes, de nous parler un peu du débat au
sein des intellectuels... Il y a certaines personnes qui ont dit : Les
intellectuels, de façon générale, sont contre la charte au Québec. Je
pense que ça pourrait être une occasion de préciser ça.
Et l'autre chose également, vous avez dit dans
une entrevue au journaliste Paul Journet, de La Presse :
Une personne qui porte un signe religieux
dans une école, on dit : Bof! ce n'est pas grave, mais, lorsqu'il y en
aura cinq ou 10 qui porteront ce
signe, est-ce qu'on sera toujours dans une institution qui sera neutre sur le
plan religieux? Si jamais vous avez l'occasion d'élaborer là-dessus, je
l'apprécierais.
Le Président (M. Morin) : Un
dernier mot, M. Rocher?
M. Rocher (Guy) : Bien, c'est que le
nombre est une réalité sociologique très importante. Quand il y a une personne,
bien sûr, ça ne paraît pas beaucoup, mais, dans une école où il y a
20 enseignants, et quand il y en a 10 qui portent des signes religieux, je crois que les parents ont le droit de
se demander : Suis-je encore dans une école neutre? Suis-je encore dans une école publique neutre? Je pense
que c'est une question que des parents peuvent se poser. Le nombre est
un phénomène sociologique très important et…
Le Président (M. Morin) :
Merci. M. le député de LaFontaine.
M. Tanguay :
Oui, merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, M. Rocher… Je vais
tenter de parler un peu plus fort. Merci beaucoup, M. Rocher,
d'avoir pris le temps de rédiger le mémoire.
M. Rocher (Guy) : À mon âge, on
entend moins, mais on comprend plus de choses, paraît-il.
M. Tanguay : Tout à fait,
tout à fait.
M. Rocher (Guy) : J'ai toujours
espéré que ce n'est pas l'inverse.
M. Tanguay :
Tout à fait. Merci beaucoup, M. Rocher, d'avoir pris le temps de rédiger le
mémoire et de répondre à nos
questions aujourd'hui. On aurait tellement aimé avoir plus de temps, mais on
n'a que 14 minutes, alors je vais aller le plus rapidement
possible. J'ai quelques questions, et ma collègue en aura également.
Vous dites
dans votre mémoire à la page 8… Une de vos recommandations, si je peux
m'exprimer ainsi, est de dire d'instaurer une sorte de clause
grand-père, autrement dit ne pas exclure de leurs postes de travail les
personnes portant déjà des signes ostentatoires. Pourquoi ce serait important
pour vous, cela?
M. Rocher (Guy) : C'est important
pour moi, oui.
M. Tanguay : Et pourquoi?
M. Rocher
(Guy) : Je me suis toujours…
Je l'ai toujours dit, d'ailleurs, je ne m'en suis pas caché. Je l'ai dit
même publiquement. C'est important pour moi pour une question de justice, parce
que je crois que des personnes… J'en connais autour de moi à différents niveaux
de l'enseignement et dans les services de santé, qui portent des signes ostentatoires de leurs convictions religieuses, et
ils n'ont… disons que les institutions ont accepté que ça se fasse dans
un régime, je dirais, antérieur à ce projet
de loi. Et, bon, je n'ose pas parler de droit acquis, c'est une formule un peu
trop juridique et dangereuse aussi en droit, hein, mais disons que je trouve
qu'en toute justice ces personnes ont bénéficié d'une situation où on acceptait que ça se fasse, les institutions
l'acceptaient. Mais voilà que nous changeons de régime, mais j'accepte
que ces personnes-là continuent.
Bien sûr, on
va nous dire : Bien, ça va faire une différence entre ceux qui portent et
ceux qui n'en portent pas, mais déjà
la situation, elle est comme ça. À mes yeux, la nouvelle charte de la laïcité
devrait s'appliquer à ceux qui arrivent. Et même il pourrait y avoir un délai pour ceux qui arrivent, mais… En tout
cas, c'est ma perception, je dirais, de la justice à l'endroit de ces personnes, et donc je m'oppose à
ce qu'il y ait des expulsions au nom de cette charte. Je trouve que ce
serait commettre une injustice à l'endroit et des institutions qui ont accepté
ces personnes avec leurs convictions, telles qu'elles les affichent, et les
personnes elles-mêmes. Voilà ma position.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, M. Rocher. Vous, également, vous faites référence en
introduction ou pour amener le sujet,
dans votre mémoire, à la commission Parent, qui à l'époque, et vous le savez
beaucoup mieux que moi, était une commission royale d'enquête sur
l'enseignement dans la province de Québec, qui a débuté ses travaux en 1961 et
qui a remis ses
rapports en 1963, 1964, donc commission royale d'enquête qui, selon la
présentation du sujet que vous nous en faites,
a initié ce mouvement qui a évidemment présidé à la création du ministère de
l'Éducation. Et je fais un lien avec les deux dernières lignes de votre
mémoire, où vous souhaitez la mise en place d'un organisme chargé de poursuivre
et d'étendre la réflexion collective
présentement engagée. Pourquoi… Puis je reprends cet exemple-là de la
commission royale d'enquête Parent. Là, vous
en faites également la suggestion, un organisme pour poursuivre la réflexion.
Pourquoi c'est important, avant d'agir dans des matières aussi délicates, que
de se donner l'avantage et le bénéfice de la recherche, de l'étude et de la
réflexion?
• (16 h 50) •
M. Rocher
(Guy) : Bon, je dirais que
c'est moins, pour moi, nécessairement de la recherche au sens… Pour moi,
le mot «recherche» a un sens scientifique,
et, comme universitaire, chercheur, je ne parle pas tellement de recherche,
mais je crois que le ministre aurait
avantage, à l'avenir, à s'entourer soit d'un comité soit d'un conseil supérieur
de la laïcité, par exemple, disons.
J'ai eu l'occasion de vivre à deux reprises la création d'un tel conseil. Quand
nous avons fait la loi 101 de 1964, en même temps que le ministère
de l'Éducation nous avons créé le Conseil supérieur de l'éducation, comme on sait, qui a joué un rôle très important depuis
50 ans. Ce Conseil supérieur de l'éducation a donné des avis d'une
grande valeur, et nous avons là une documentation qui est malheureusement
beaucoup trop négligée, trop peu utilisée, c'est la documentation, tous les
rapports et les avis du Conseil supérieur de l'éducation.
Quand, en
1977, nous avons fait la loi 101, nous avons aussi créé… à côté de
l'office de la francisation, nous avons créé le Conseil supérieur de la langue française pour conseiller le
ministre. Ce serait la même chose sur la laïcité, à mon avis, et encore
peut-être davantage, parce que la laïcité, évidemment, on le voit bien dans le
débat que nous vivons et les émotions que
cause cette laïcité, hein, nous aurons besoin de continuer, après la loi… Si
l'Assemblée nationale adopte cette loi,
ce projet de loi, nous allons encore continuer à réfléchir et à mettre en application
la laïcité dans cet État québécois et les institutions publiques. Donc,
je crois que le ministre aura besoin d'être entouré d'un conseil consultatif
qui sera plus une caisse de résonance, si vous voulez, pour lui et pour l'opinion
publique et qui sera en mesure de
faire ce qu'on peut appeler des recherches, enfin, apporter des vues,
et, au besoin, faire la synthèse des vues qui sont exposées dans la population
québécoise. Voilà de quelle manière je vois cette… parce que
je pense que le ministre qui sera responsable de l'application de cette loi aura une très grande responsabilité devant la société québécoise, et donc il aura besoin d'avis qui soient près de lui et de
personnes en qui il pourra avoir confiance.
M. Tanguay : Et croyez-vous, M. Rocher… Et ce sera ma dernière question, je vais laisser
ma collègue poursuivre. Croyez-vous, M. Rocher, par rapport à toute la
division que l'on voit sur un aspect qui est l'interdiction de port de signe... Et là certains tentent, tout à l'heure,
de soulever des chiffres, on a entendu le ministre parler de 20 % des
femmes musulmanes qui portent le voile. On essaie d'avoir une évaluation
quantitative mais qualitative également. Sur cet aspect bien précis, croyez-vous qu'il serait de bon aloi, justement,
quant à cette réflexion collective là, que l'on puisse, sur cet aspect
directement, bénéficier du fruit de ces analyses-là?
M. Rocher (Guy) : Oui. Maintenant,
vous savez, ces analyses, je peux vous le dire en tant que chercheur en sociologie, ce seraient des analyses extrêmement
délicates à faire dans le sens où il est difficile, dans ce genre
d'étude, de considérer la réponse comme étant la bonne réponse. Je peux dire
que, quand on fait des enquêtes en sociologie, on a comme règle de ne pas toujours croire que, là-dedans, la réponse qui
nous est donnée est la bonne réponse. Je ne veux pas parler pour les femmes musulmanes, mais, si je
demande à des femmes musulmanes, si elles portent le voile, est-ce que c'est leur libre choix… Je veux bien accepter leur
réponse, mais je ne suis pas certain que leur réponse est la bonne
réponse, la réponse qui est la réalité
sociologique de cette femme, qui est la réponse anthropologique de cette femme,
parce que je crois qu'il y a des
femmes musulmanes qui doivent dire que c'est un libre choix, je le crois, mais
que ce n'est pas nécessairement leur libre choix.
Alors, je
dirais que d'abord je serais absolument inquiet d'une analyse purement
statistique, il faudrait donc une analyse beaucoup plus fine. Et je
cherche encore l'étudiant en sociologie ou le collègue en sociologie qui
acceptera de faire cette recherche-là. Ce ne serait pas moi, en tout cas.
Le Président (M. Morin) : Mme
la députée de Notre-Dame-de-Grâce, je crois que vous voulez intervenir.
Mme Weil :
Oui, merci. Merci beaucoup, M. Rocher. Je vous ai vu l'autre soir avec
Anne-Marie Dussault, j'ai trouvé ça
fascinant. Et donc ça m'a fait vouloir faire des recherches sur Jean-Pierre Proulx et le rapport de Jean-Pierre
Proulx, parce que moi, j'ai grandi... ça fait peut-être au moins 30 ans
que je gravite dans le réseau de la santé, des services sociaux, j'ai été ministre
ici au gouvernement, donc, dans les services publics et avec une vision de politique
publique qui faisait beaucoup
la promotion de l'ouverture à la diversité, depuis longtemps
le Québec est très actif. Et je suis tombée donc sur
le rapport… Je vais juste aller sur certains éléments parce que j'aimerais vous
entendre, vous êtes sociologue, c'est
intéressant de pouvoir profiter de votre analyse de la situation, parce que, moi, ce que je sens chez les jeunes, mes enfants notamment qui
ont grandi avec des amis qui s'appellent Mohammed, Yasmine, etc., des amis haïtiens, la diversité… qu'ils sont malheureux par
le message qu'on envoie parce que, pour eux, l'entente qu'ils avaient, c'est que le Québec était une société
d'inclusion. Et ils sont malheureux de voir la souffrance du message qu'on
envoie surtout aux musulmans, il faut le dire, c'est beaucoup les musulmans qui
le ressentent.
Alors, je
vais vous lire quelques passages, donc : «La politique
du Québec relative à l'immigration est fondée sur le
principe de l'intégration à une société
définie comme pluraliste, dans le respect des valeurs démocratiques fondamentales qui en
constituent le fondement.» Plus loin : «…la politique québécoise sur
l'intégration sociale est aussi fondée sur le principe du respect des particularismes,
notamment en matière religieuse. En matière scolaire, ce principe
s'articule sur le droit à l'accommodement raisonnable, lequel ne peut toutefois
remettre en question les droits fondamentaux de la personne.» Et il dit ensuite
que… Et ça, c'est le rapport Proulx, hein, le Groupe de travail sur la place de
la religion : «Lorsqu'il s'agit du
droit à l'égalité, c'est d'abord l'opinion des minorités qu'il faut prendre en
considération. La majorité, en effet, souffre rarement des inégalités
puisqu'elle est plus que tout capable d'influencer le décideur politique en sa faveur.» Il va plus loin, il parle de fondement de
la justice et de la paix, et ensuite il dit : «Cette perspective est celle
de la laïcité ouverte.» Alors, on accuse
souvent M. Bouchard, hein, Gérard Bouchard, avec son rapport, d'avoir
inventé cette notion, mais ça précède M. Bouchard, et je peux
constater qu'on a grandi avec cette notion.
Alors, c'est plus en termes de sociologue.
Comment on fait pour s'assurer qu'on continue à bâtir une société inclusive qui
n'est pas ébranlée par ce débat où franchement c'est kif-kif, hein, 50 %
qui croient que ça prend une laïcité plus
pure et dure — je ne
sais pas l'expression — et une laïcité ouverte avec laquelle on a grandi? C'est sûr
que l'immigration a fait en sorte que la diversité de l'immigration, c'est ça
qui crée ce choc. Et certains groupes osent en parler, hein, ils parlent beaucoup de l'islam, c'est sûr, mais ils
commencent à parler d'immigration, et moi, je sens que le débat n'est
pas du tout bien engagé. J'aimerais votre opinion.
Le Président (M. Morin) : M.
Rocher, vous avez à synthétiser ça. Vous avez une minute pour répondre à cette
dame.
M. Rocher
(Guy) : Première
réponse : Vous avez là à la page 8, numéro 1, une partie de ma
réponse. Je crois qu'on ne doit
expulser personne, premièrement. Je pense que, si on adoptait cette position…
je crois qu'il y a là quelque chose de rassurant pour les enfants, ceux
qui sont habitués à avoir ces enseignants continueront à les avoir. Pour moi,
c'est essentiel. Donc, c'est une première réponse.
La deuxième,
c'est que nous entrons dans une période où nous aurons, j'espère, une autre
conception de notre ouverture, parce
que ce projet n'est pas un projet de repli ethnique ni de repli religieux, je
tiens à le dire, contrairement à certains de mes collègues, non, pas du
tout. C'est un projet d'ouverture comme nous l'avons vécu depuis 50 ans, d'ouverture dans le sens de continuer encore
pendant les prochaines années à respecter les convictions de tous ceux
qui se présentent devant les institutions publiques. Pour moi, c'est ça. Et
c'est ça, notre ouverture.
Le Président (M. Morin) :
Merci.
M. Rocher (Guy) : Et elle nous a
marqués, et je crois qu'elle devrait continuer à nous marquer.
Le Président (M. Morin) : Mme
la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Bonsoir,
M. Rocher. M. le professeur, je vais vous appeler ainsi. On va
poursuivre sur la même lancée. À la page 8, pour ceux à la maison qui
n'ont pas eu l'occasion de lire ce que vous avez écrit, je vais vous citer,
vous dites…
M. Rocher (Guy) : …
Mme Roy
(Montarville) : La page 8. Vous dites : «Mon appui
au projet de loi n° 60 s'accompagne de quelques réserves.
«1. Je
considère, au nom de la justice, qu'on ne devrait pas exclure de leur poste de travail
les personnes portant déjà ses signes
ostentatoires de convictions religieuses. Bien sûr, cela a l'inconvénient de
maintenir des disparités dans le milieu de travail — qui
existent déjà en réalité — mais
cela est beaucoup moins grave que l'exclusion.»
Alors, si je
vous lis bien, le gouvernement va trop loin en voulant ultimement renvoyer
l'employé qui refuserait de retirer un signe religieux.
M. Rocher (Guy) : Oui. Je ne suis
pas d'accord avec cette partie du projet de loi n° 60 qui exigerait que
les employés qui portent déjà des signes ostentatoires doivent quitter leur
poste. Je ne suis pas d'accord, donc je l'ai dit bien clairement, je l'ai dit publiquement, oui, et je le dis dans ces
quatre lignes que vous venez de citer, c'est tout à fait ma position, parce que je trouve, comme je le dis,
que c'est plus grave, l'exclusion, que de garder ces personnes qui sont
entrées dans ces positions dans un autre
régime que celui qui sera maintenant le prochain avec l'adoption de ce projet
de loi, oui.
Mme Roy
(Montarville) : Et j'aime bien l'idée que vous
soulevez : On ne va pas parler de droit acquis mais pour le futur.
Je trouve ça intéressant. Vous n'êtes pas le premier qui le soulevez ici.
M. Gauthier, l'ancien chef du Bloc québécois, l'a d'ailleurs soulevé. Je
trouvais ça intéressant.
Par ailleurs, je vous poserais une
question : Quelle sanction verriez-vous à la place du renvoi? Y aurait-il
une sanction ou il n'y aurait pas de sanction?
• (17 heures) •
M. Rocher
(Guy) : Bien, évidemment,
on peut dire… on peut souhaiter que les personnes qui portent des signes
ostentatoires soient invitées à y réfléchir, à tenir compte du fait que maintenant
il y a une loi qui, pour l'avenir, demandera à ceux qui viendront de ne plus
porter de signe ostentatoire, bon, on peut s'engager dans une période, disons,
d'incitation, hein, mais je ne voudrais pas que l'incitation se termine par
l'exclusion. Voilà ma position.
Mme
Roy
(Montarville) : C'est clair.
M. Rocher
(Guy) : Oui, elle est claire.
Mme
Roy
(Montarville) : J'essaie une autre question si j'ai le temps. Vous dites à la page 5 de
votre mémoire, au bas : «Aujourd'hui, l'islam acquiert une présence qui entraîne une nouvelle phase dans
notre réflexion collective sur la neutralité
religieuse.» Alors, est-ce à dire que ce ne sont pas les autres religions qui
entraînent cette nouvelle phase de réflexion sur la laïcité de l'État?
Vous spécifiez l'islam ici. Pourriez-vous élaborer?
M. Rocher
(Guy) : Parce qu'évidemment, dans la situation actuelle, la religion
qui est la religion qui est la plus présente, la plus exigeante parmi les
nouvelles religions, c'est l'islam, c'est évident, hein, ici comme ailleurs. Moi, je ne voudrais pas que ce projet de loi soit
fait parce qu'il y a de l'islam aujourd'hui. Je trouve que c'est une
situation présente, l'islam est là, et je
dirai que… Je l'ai déjà dit, l'islam représente, pour moi, une religion aussi
exigeante que l'a été l'Église
catholique autrefois pour les catholiques. L'Église catholique était une religion
très exigeante pour les catholiques et elle était très exigeante pour
les États, parce que l'Église catholique demandait de faire partie du
gouvernement, en quelque sorte. L'Église catholique, au Québec, a demandé
d'avoir l'éducation sous sa direction, les services de santé, les services
sociaux, etc.
Le Président (M.
Morin) : Merci, M. Rocher. On se dirige vers Blainville.
M.
Ratthé : Merci, M. le Président. M. Rocher, c'est un honneur de
vous recevoir. Je vais continuer un peu sur la lancée de ma collègue de
Montarville, j'avais quelque chose qui était un peu semblable. Vous
dites : Ce projet de loi là n'est ni
anti-islamique, ni anticatholique, ni antiprotestant. En fait, il ne vise
aucune religion. Pourtant, qu'on soit du côté favorable ou défavorable du projet de loi, la plupart du temps on entend
pratiquement uniquement parler à titre d'exemple de l'islam, des… Le groupe juste avant vous nous donnait dans son
mémoire à trois reprises… trois endroits où on disait : Particulièrement
le voile islamique.
Alors,
comme sociologue, pourquoi notre société est… Moi, ça pique ma curiosité parce
que je pense comme vous que ce n'est
pas un projet de loi qui vise une religion en particulier. Pourtant, les gens
qui sont favorables semblent craindre plus
particulièrement l'islam ou visent des signes plus… et les gens qui pratiquent
l'islam viennent nous dire : Ce projet de loi là, il est carrément
contre nous, là, ou à peu près.
M. Rocher (Guy) : Bon, moi, je ne nierai pas qu'il y a dans la population québécoise des
gens qui approuveraient ce projet de
loi par islamophobie, bon, c'est possible et c'est probable, tout comme quand
nous avons fait la loi 60 de 1964 il y avait des gens qui nous
approuvaient par anticatholicisme, ça existait, et il y avait d'anciens
catholiques qui se réjouissaient de cette neutralité. Mais ce n'était pas notre
intention. Nous voulions assurer la neutralité de l'État mais non pas par
anticatholicisme. Et je dirais qu'aujourd'hui, avec ce nouveau projet de loi n° 60,
nous voulons assurer la neutralité des
institutions publiques pour l'avenir non pas par anti- islamisme, par réaction
contre l'islam d'aujourd'hui, pas
plus que contre le catholicisme, qui est encore très présent. Par exemple, je
crois qu'une grande partie du clergé, de l'épiscopat québécois est
contre le projet de loi, hein, ça ne m'étonne pas. J'ai compris que le nouveau
cardinal l'est, bon, il l'a dit clairement.
Donc,
oui, donc, je ne pense pas que ce soit par islamophobie que l'on assiste à ça,
bon, voilà ma position. Je pense que,
comme sociologues, on peut très bien voir les différents courants de pensée et
les différentes manières d'interpréter un projet de loi comme celui-ci, qui est très complexe, hein, qui… Bon. On
peut l'interpréter comme antireligieux, pour un certain nombre, mais, dans mon opinion, je pense que ce n'est pas la
position ni du gouvernement actuel ni de ceux qui… en majorité parmi mes collègues, en tout cas, parce
qu'il y a des collègues de l'Université de Montréal qui approuvent le
projet de loi. Je tiens à le dire ici publiquement, là. Vous m'entendez? Oui, il
y a des collègues qui approuvent le projet de loi, ce n'est pas : Les
intellectuels sont contre. Donc, oui, c'est ma position.
Le Président (M.
Morin) : Il reste un peu de temps, 45 secondes.
M.
Ratthé : Un peu de
temps. Vous avez bien illustré la déconfessionnalisation, vous nous
dites : Je pense que c'est un peu la suite logique 50 ans plus
tard. Il y a des gens ce matin qui sont venus nous dire que ce n'était pas une preuve de laïcité parce que, bon, on
subventionne encore des institutions religieuses, parce que dans l'État québécois on retrouve encore certains signes ou, du moins, démonstrations, actions
que... Alors, il y a des gens qui nous disent : Non, ce
n'est pas une preuve de laïcité, ce qui a été fait à l'époque. Vous en dites
quoi?
M. Rocher
(Guy) : Oui, oui. Vous savez, je pense que la laïcité est tellement un
phénomène nouveau dans l'histoire de l'humanité… La longue histoire de
l'humanité est faite de complicité entre les religions et les États. Depuis
deux siècles à peu près, nous tentons, dans certains pays, de réaliser la
laïcité. Ça ne m'étonne pas que nous ayons de la difficulté, c'est nouveau. Et
donc…
Le Président (M.
Morin) : M. Rocher, merci. Vous tenterez de continuer à la
réponse à la question… à la députée de Gouin.
Mme David : Bonsoir, M. Rocher. Merci infiniment d'être là.
Je partage avec mes collègues une grande admiration pour l'ensemble de
votre oeuvre.
Mais
je vais quand même vous poser une question. Vous dites : Le
principe adopté par la commission Parent a été celui du respect des
convictions religieuses des parents et des élèves, etc., et vous semblez penser
qu'aujourd'hui, en n'interdisant pas le port
de signe religieux, par exemple, dans le monde de l'enseignement, c'est comme si
on privilégiait les enseignants au
détriment des élèves. Je vous soumets quand
même respectueusement que ni la commission
Parent ni les gouvernements des années 60 ou 70 n'ont obligé les enseignants dans nos écoles,
par exemple, primaires et secondaires à se départir de leur costume religieux. Ils l'ont
fait très largement, c'est vrai, j'en ai été témoin, et beaucoup
à cause du concile Vatican II, qui a quand même ouvert un peu
l'Église catholique, ça a fait du bien.
Ça a donc continué,
tout ça. C'est-à-dire que, durant des dizaines d'années — et il
y en a encore un petit peu aujourd'hui — on
a eu des enseignants, des enseignantes… D'accord, les religieuses ne portaient
plus de cornette, mais laissez-moi
vous dire que tout le monde savait qui était une religieuse et qui ne l'était
pas, hein, on pourrait décrire le petit costume, là. Donc, c'était assez évident. Et, moi, ce qui me frappe,
c'est que, jusqu'à tout récemment, personne ne s'en formalisait. C'est comme si ça ne portait pas
atteinte à la laïcité des écoles, en fait, qu'on a concrétisée davantage,
là, en 1997.
Alors, pourquoi aujourd'hui
il serait si important d'interdire le port de signes religieux dans des milieux
où il y en a, oui, il y en a, c'est vrai, mais où il y en a depuis 50 ans,
en fait?
M. Rocher (Guy) : Oui. Je pense que les demandes qui sont faites par les femmes
musulmanes en ce moment ou par une religion en particulier posent un problème
nouveau. C'est en ce sens-là que je disais «pour le moment», parce que je
crois que nous vivions dans le sentiment qu'il y avait un certain consensus sur
le fait que, dans l'ensemble… Et c'est le cas pour l'ensemble. La grande
majorité des enseignants, ils ne portaient pas de signe ostentatoire, il n'y
en avait que quelques-uns. À l'université, je n'en ai vraiment jamais vu parmi les professeurs. Donc, nous vivions dans
une situation où nous avions
l'impression d'avoir un consensus. Ce consensus est brisé, donc nous avons à
donner une réponse. Et la réponse peut être : Bien, nous continuons comme
avant, nous gardons… nous acceptons que dorénavant les
enseignants pourront porter des signes
religieux, mais ce n'est pas ma réponse. Je crois que la réponse que nous
devons faire, au contraire, c'est : Au nom de la clientèle qui se présente dans les écoles, nous devons
repenser la position qui est en train de se développer.
C'est
une position qui est en train de se développer, en réalité. Mes collègues
sociologues ont toujours... ont cru pendant plusieurs années qu'à
l'avenir la religion, dans l'espace public, n'existerait plus, que nous avions…
c'était une phase finie de l'histoire. Et tout à coup mes collègues sociologues
se réveillent et apprennent qu'il y a un retour du religieux, et en effet il y
a un retour du religieux, c'est...
Le Président (M.
Morin) : M. Rocher, M. Rocher...
M. Rocher
(Guy) : Et donc c'est face à cela que nous avons à prendre une
position.
Le Président (M.
Morin) : C'est le retour du temps qui vous arrête. Comme député
de Côte-du-Sud, je vous aurais écouté encore
très longtemps. Vous avez des propos très intéressants, tout le monde ici autour de la table a bien apprécié. Donc, merci beaucoup.
Bon retour à la maison.
Et j'invite
M. Raphaël Fischler à prendre place. Merci, M. Rocher.
Je suspends quelques
instants.
(Suspension de la séance à
17 h 10)
(Reprise à 17 h 14)
Le Président (M.
Morin) : Je vous rappelle à l'ordre. Il nous reste une heure de
travail avec M. Fischler.
Des voix :
…
Le Président (M.
Morin) : S'il vous plaît! S'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous
plaît!
Des voix :
…
Le Président (M.
Morin) : S'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît!
Des voix :
…
Le Président (M.
Morin) : M. Rocher, vous avez stimulé le… Bon. Donc, c'est
parti. M. Raphaël Fischler, bienvenue à cette commission. Et je vous donne
la parole pour 10 minutes. Merci beaucoup. Attention, c'est parti!
M. Raphaël Fischler
M. Fischler
(Raphaël) : Alors, bonjour, M. le Président, M. le ministre, MM., Mmes
les députés. Je me présente : Je suis
professeur agrégé à l'Université McGill. Je suis aussi membre du conseil
d'administration de l'Ordre des urbanistes du
Québec et membre du Comité Jacques-Viger de la ville de Montréal, mais je
précise que je parle uniquement en mon nom personnel et que je ne représente
aucune organisation ni institution.
M. le
Président, je suis très reconnaissant de l'opportunité qui m'est donnée de
contribuer au débat sur le projet de loi n° 60,
mais c'est avec une grande tristesse que je me présente devant vous, car notre gouvernement fait un dommage profond et irréparable au Québec,
et ce, de manière consciente et délibérée. Au lieu de rendre le Québec plus
fort et plus uni, le gouvernement l'affaiblit et le divise. Mon opposition au projet de loi n° 60, à ce qu'on appelle la charte des valeurs québécoises, est catégorique. Le projet de loi, je pense, est antidémocratique et discriminatoire. Il menace nos valeurs
fondamentales. Au lieu d'affirmer les droits fondamentaux des Québécois et des
Québécoises, il affirme l'hégémonie de la majorité sur les minorités.
La société
québécoise dont je suis devenu un membre il y a bientôt 20 ans, cette
société est tolérante et égalitaire. La
ville de Montréal, où j'essaie de contribuer depuis 20 ans au
développement durable du Québec, est une ville plurielle où des gens très différents ont appris à vivre
ensemble et où la pluralité est une source d'innovation et de richesse. Le
projet de loi n° 60 met tout cela en péril. En rédigeant ce texte de loi,
le gouvernement fait un tort énorme au Québec.
Je lui reproche son attitude irresponsable. Je
reproche au gouvernement son manque de compréhension des enjeux en cause, par exemple son manque de
compréhension du multiculturalisme, son manque de compréhension de la signification des objets religieux tels que la
croix ou le foulard et son manque de compréhension des valeurs de
laïcité et de séparation de l'Église et de
l'État. Avant d'être une politique que l'on peut dénoncer, le multiculturalisme
est une réalité. Avant d'être un
objet patrimonial, le crucifix est un objet de culte qui représente l'Église.
Avant d'être un rejet de la religion, la laïcité est un respect
fondamental pour la liberté de pensée.
Je reproche au gouvernement son manque
d'honnêteté quant à la question religieuse. De manière explicite, il affirme la neutralité religieuse de l'État, mais
de manière implicite il établit la chrétienté comme norme collective. De
manière explicite, il inscrit la primauté du français dans la vie de tous les
Québécois et des Québécoises; de manière implicite,
il énonce la primauté du catholicisme. La norme qu'il impose pour réguler la
présence des signes religieux dans l'espace public et pour gérer les
comportements au travail, cette norme est celle de la religion de la majorité.
Troisièmement,
je reproche au gouvernement de jouer avec le feu pour des raisons politiques.
Le gouvernement dit vouloir rallier
les Québécois et les Québécoises, mais il les divise. Il se dit progressiste et
au service de l'égalité, mais il joue le jeu très dangereux de la
réaction et de la discrimination.
Je pense donc
que le projet de loi n° 60 est fondamentalement inacceptable. Il est
inacceptable parce qu'il pose le pluralisme
comme problème et la liberté individuelle comme obstacle. Il est inacceptable,
car, dans son approche au port de vêtements et de couvre-chefs, le
projet de loi impose une norme dont l'application est nécessairement
discriminatoire envers certaines religions.
Le projet de loi est inacceptable parce qu'il exige que les religions
minoritaires se fassent discrètes dans la sphère publique alors que la
religion majoritaire peut y demeurer aussi visible qu'elle l'est actuellement.
Le projet est inacceptable parce qu'il fait un tort énorme au Québec, à son
développement social et économique.
• (17 h 20) •
L'opposition
à la charte des valeurs a énormément de supporteurs parmi les gens qui ont
énormément réfléchi aux questions dont nous débattons aujourd'hui. En
particulier, le projet de loi contredit le message très sage et constructif de
M. Serge Bouchard et de M. Charles Taylor dans leur rapport de mai 2008.
Ces grands Québécois respectés de tous nous
demandaient de faire attention à plusieurs choses. Ils nous demandaient de
faire attention aux règles qui ont des effets discriminatoires; les
interdictions prévues dans le projet de
loi n° 60 sont discriminatoires envers les gens dont les religions
exigent de porter certains vêtements ou couvre-chefs, alors que d'autres personnes n'ont pas ce genre
d'obligation. MM. Bouchard et Taylor nous demandaient de nous souvenir
que l'interculturalisme québécois avait pour but, je cite, de «vaincre les
stéréotypes [...] désamorcer la crainte ou le rejet
de l'autre, tirer profit de l'enrichissement associé à la diversité [et]
bénéficier de la cohésion sociale». La charte qui nous est proposée fait le contraire. Elle renforce
les stéréotypes, elle joue sur la crainte de l'autre, elle parle de
diversité comme une menace et non comme une richesse et elle affaiblit la
cohésion sociale.
MM. Bouchard et Taylor nous demandaient de
cultiver, je cite de nouveau, «une orientation pluraliste,
très sensible à la protection des
droits». C'est tout le contraire que la charte des valeurs fait. Ils nous
demandaient de nous souvenir que la liberté de conscience et de religion
était l'une des finalités de la laïcité et que la neutralité de l'État devait
être conçue de manière à favoriser son expression et non à l'empêcher; c'est
tout le contraire que la charte entend faire.
MM. Bouchard et Taylor demandaient aux
leaders politiques et sociaux, je les cite de nouveau, d'en faire davantage
«pour ramener les choses à leurs véritables dimensions», et donc pour apaiser
les passions et pour affirmer le caractère
libéral de la démocratie québécoise, et c'est de nouveau tout le contraire que le gouvernement fait. Ils nous demandaient de
promouvoir, je les cite, des valeurs communes comme source de solidarité, dont
le pluralisme, l'égalité — en
particulier entre hommes et femmes — la laïcité, la
non-discrimination, la non-violence. Nos ministres nous parlent de l'égalité et de la laïcité
mais pas du pluralisme et de la non-discrimination. Ils ne dénoncent pas assez
la violence qui émerge contre les femmes qui portent un foulard.
Serge Bouchard et Charles Taylor nous
demandaient de construire un avenir rassembleur en essayant de régler le problème du sous-emploi, de la pauvreté, des inégalités et
de la discrimination. Ils nous demandaient de rejeter les peurs et la
tentation du repli sur soi, de penser la pluriethnicité autrement que comme une
série de «nous» juxtaposés, d'éviter de diriger contre toute religion le
ressentiment lié à un passé catholique et d'être davantage conscients des répercussions que peuvent avoir sur les minorités
les mouvements d'humeur de la majorité. La charte des valeurs contredit
ces principes sages et démontre un manque de responsabilité historique de la
part de nos gouvernants actuels.
Le
projet de loi, M. le
Président, nous est présenté comme un
exemple du caractère progressiste du Québec, mais en fait
il a une dimension illibérale et réactionnaire. Il menace notre société
en divisant les Québécois et les
Québécoises, en créant des tensions là où il n'y en avait
pas vraiment et en demandant aux groupes minoritaires de payer le prix d'un
malaise au sein du Parti québécois. Le projet de loi détourne l'attention des
Québécois et des Québécoises des vrais problèmes qui exigent notre attention,
les problèmes de pauvreté, de décrochage scolaire, d'écoles et d'universités
sous-financées, d'infrastructures vieillissantes, etc.
Pour
toutes ces raisons, le projet de loi doit être retiré. Il fait un tort énorme
au Québec. Il n'est pas digne d'une démocratie libérale moderne. Je vous
remercie de votre attention.
Le Président (M.
Morin) : Merci, M. Fischler. M. le ministre.
M. Drainville :
Oui. Merci, M. Fischler, pour votre présentation. Par où commencer? D'abord, je
dois dire que votre présentation que
vous venez de nous faire ressemble davantage à un long réquisitoire politique
qu'à une analyse, je dirais, fondée
empiriquement. Je pense que vous faites toute une série de déclarations qui
sont à caractère politique, mais je cherche
dans le projet de loi les fondements à vos déclarations. Quand, par exemple,
vous dites que le projet de loi n° 60 vise à affirmer la religion de la majorité, vise à dresser la majorité
ethnique de la nation québécoise contre les minorités, je suis en profond désaccord avec une telle
affirmation. Vous pouvez être opposé au projet de loi n° 60, c'est
tout à fait votre droit, mais de
verser dans de tels propos, de verser dans une comparaison comme celle que vous
avez faite par rapport à la situation
en France, vous comparez le Parti québécois à un parti de droite, sinon
d'extrême droite que je ne nommerai pas ici, je pense que vous
exagérez et donc je pense que vous diminuez, ce faisant, la crédibilité de
votre propos. Je pense qu'il aurait été possible pour vous de dire tout ce que
vous avez dit sans verser dans de telles paraboles ou de telles
métaphores et surtout sans utiliser un langage qui, à mon avis, est tellement
exagéré qu'il finit par en devenir un peu réducteur.
Vous
avez entendu M. Rocher juste avant vous. Est-ce que vous étiez là pour
entendre M. Rocher? Alors, est-ce que M. Rocher vous a semblé
être un être… une personne réactionnaire porteuse d'un projet conservateur,
réducteur, alors qu'il a fait une démonstration absolument exceptionnelle, à
mon avis, du fait que l'actuel projet de loi n° 60 s'inscrit dans une
continuité historique qui remonte aux années 60, qui remonte à l'autre projet
de loi n° 60 de ces années-là qui créait le ministère de l'Éducation
au nom de l'égalité notamment, au nom de l'accessibilité aux études pour toutes
les confessions et les non-croyances également, parce qu'il y avait un courant
athéiste qui voyait le jour à ce moment-là? Donc, il
y avait un fondement très porteur
d'égalité sociale dans ce courant de laïcisation tranquille qui a débuté
dans les années 60, et M. Rocher est venu dire que le projet de
loi n° 60 s'inscrit dans ces idées libérales, progressistes, modernes
qui, disait-il, ont permis la paix religieuse, la paix sociale au Québec, je ne
sais pas si vous l'avez entendu utiliser ces termes-là. Alors, je m'attendrais
à tout le moins...
Puis c'est bien ça,
le problème, avec le propos que vous avez tenu, c'est que vous ne reconnaissez
aucune légitimité à la laïcité, à la
conception de la laïcité qui est incarnée dans le projet de loi n° 60. C'est ça, le plus gros problème que j'ai avec votre présentation, c'est que vous
la repoussez du revers de la main en la frappant du sceau de la… — je ne sais pas
si vous avez utilisez le mot, mais je
pense que vous seriez sans doute
d'accord pour l'utiliser — vous la frappez du sceau de la discrimination,
de l'exclusion, de la réaction.
Or, on peut avoir une
discussion sur la conception de la laïcité qui est incarnée à travers le projet
de loi n° 60, on peut s'y opposer,
je n'ai pas de problème avec ça, mais de le disqualifier d'office, en
disant essentiellement qu'il n'a aucune légitimité sur le plan
moral, j'ai un problème avec ça. Je pense que le projet que nous défendons est
fondé sur une conception morale qui est juste, qui est juste, qui respecte
l'être humain, qui respecte son droit de croire ou de ne pas croire en Dieu, qui respecte l'idée que nous
sommes en société parce
que nous partageons un certain nombre de choses, un certain
nombre de valeurs. Alors, vous pouvez, encore une fois, être en désaccord avec
le projet de loi, mais d'en nier la légitimité démocratique, la légitimité
morale, ça, à mon avis, ça va trop loin.
• (17 h 30) •
M. Fischler (Raphaël) : Je
pense que vous m'attribuez des propos
que je n'ai pas tenus. Je ne nie pas la légitimité morale du gouvernement ou de sa loi. Je suis en effet en désaccord avec
la conception de la laïcité qui est véhiculée par ce projet de loi, c'est une conception de la laïcité qui me semble aller trop loin dans
le refus de la présence de la religion.
On
a beaucoup parlé du rapport que cette loi entretenait avec
l'héritage de Thomas Jefferson aux États-Unis, par exemple. Si je puis le dire, le gouvernement
se trompe sur ce sujet. Thomas Jefferson n'était pas un laïc, c'était un homme
religieux et qui pensait que la religion avait une place dans la sphère
publique. Il était pour la séparation de l'Église et de l'État et il n'était
pas pour la laïcité.
On parle de
conception de la laïcité. MM. Bouchard et Taylor nous l'ont très bien dit
dans leur rapport : La laïcité, ce
n'est pas un refus de la religion, ce n'est pas une demande qu'on fait aux
individus d'effacer leur religion, c'est un appel à la liberté de
conscience. Et je pense qu'il y a malheureusement, dans la loi que vous nous
proposez… Je ne dirai pas… je n'utiliserai
pas les mots dont vous pensez que je les pense, je ne pense pas que c'est une
loi immorale, je ne pense pas que
c'est une loi qui n'a pas de légitimité. Elle est tout à fait légitime, et ces débats sont tout
à fait légitimes. Je suis très
heureux de la beauté, de la richesse de notre démocratie qui nous permet
d'avoir ce débat. C'est un texte de loi qui est proposé par un gouvernement,
qui est débattu. Mais je m'oppose à cette loi en des termes qui sont en effet
assez forts parce que je pense, peut-être à tort, mais, je pense, à raison… je
pense que le gouvernement ne se rend peut-être pas compte des effets de la loi
qu'il propose.
Alors,
vous me parlez de questions de la majorité contre les minorités. Je pense qu'il y a
dans cette loi deux poids, deux mesures. Il y a, d'une part, une demande
qui est faite aux membres de minorités religieuses de se faire discrets dans la
sphère publique. Il n'y a pas une demande équivalente à la religion majoritaire
de se faire discrète dans la sphère publique.
M. Drainville : …dans la
sphère étatique, n'est-ce pas?
M. Fischler
(Raphaël) : Je veux dire dans la sphère étatique et publique. Alors,
il est évident que ce sont des termes… Est-ce que la croix sur le mont Royal,
c'est la sphère publique?
M. Drainville : Oui.
M.
Fischler (Raphaël) : Oui,
exact. Le crucifix de l'Assemblée nationale, c'est la sphère étatique et
publique. La loi, malheureusement, demande
des sacrifices aux minorités; elle n'en demande pas à la majorité. C'est pour
ça que je parle d'hégémonie ou que je parle d'imposition de la majorité
aux minorités.
M. Drainville :
M. Fischler, si vous me permettez, on demande à toutes les religions ce
que les catholiques eux-mêmes se sont imposé dans les années 60 lorsqu'ils
ont renoncé aux signes religieux pour pouvoir continuer à enseigner dans le
nouveau système d'éducation publique ou dans le système collégial. Alors,
pourquoi vous…
M.
Fischler (Raphaël) :
Écoutez, il y a deux choses, il y a deux choses qui se passent. D'une part, la
loi demande aux universités, aux hôpitaux ou autres institutions
d'évacuer les symboles religieux. L'Hôpital général juif, mes collègues musulmans, musulmanes ou juifs, etc., on
leur demande à eux de faire des sacrifices, c'est-à-dire d'ôter des vêtements ou des couvre-chefs que leur religion
exige d'eux. Il n'y a pas de demande équivalente à des collègues
chrétiens ou d'autres religions qui n'ont
pas ce genre de demande. C'est le hasard peut-être qui fait que les hindous
n'ont pas de telle demande, les sikhs en ont, les shintoïstes n'en ont
pas, les Juifs en ont. D'appliquer une norme de cette manière en pensant qu'on
est neutre veut dire qu'en fin de compte on ne l'est pas. C'est ça, le principe
d'accommodement raisonnable juridique à la
base. Si on a un angle qui se veut neutre mais qui a un impact différentiel sur
des gens pour des raisons qu'ils ne contrôlent pas, pour des raisons qui
ne sont pas de leur propre chef, on a un impact discriminatoire.
Je ne traite pas le gouvernement de tous les
mots, je ne l'accuse pas d'être raciste, je ne l'accuse pas d'être antimusulman, je ne l'accuse pas d'être antijuif,
ça n'a rien à voir. Je dis que l'effet de la loi est discriminatoire. Or,
si on propose une telle loi, je pense que ça pose problème. Il faut se rendre
compte des effets.
M. Drainville : Mais je vous
rappelle les mots que vous avez utilisés tout à l'heure, là. Vous avez
dit : Le gouvernement fait le jeu de la
réaction et de la discrimination. Alors, ce sont des mots très forts, vous en
êtes conscient, c'est des mots qui
vont très loin. Alors, c'est… Mais je ne veux pas revenir là-dessus. Je vous ai
dit ce que j'en pensais, vous m'avez répondu. Je pense que nous avons un
désaccord, puis c'est correct, mais je ne veux pas prendre tout le temps pour
tourner autour de ce désaccord.
Vous parlez de signes qu'ils ne contrôlent pas,
hein, en parlant des minorités religieuses, mais il y a matière à débat là-dessus, vous le savez, M. Fischler.
Il y a des gens qui disent : Aucune religion n'oblige quiconque à porter
un signe religieux ou en tout cas
certainement pas pendant toute la journée, il n'y a pas de manquement à quelque obligation religieuse que ce soit que de demander à quelqu'un
qui travaille pour l'État de renoncer au port de son signe religieux
pendant les heures de travail. Il y a
des gens tout à fait sérieux, raisonnables, raisonnés, pas particulièrement antireligieux qui l'ont déclaré à cette table. Et, encore une fois, vous avez droit à votre point
de vue, mais il y a
un débat, je pense qu'il faut accepter qu'il y a un débat. Votre point
de vue, en d'autres mots, je le respecte, mais ce n'est pas la vérité. Vous
avez votre vérité, et il y a d'autres vérités dans ce débat.
M.
Fischler (Raphaël) : Je vous
présente mon opinion, qui est en
effet peut-être assez nette et
tranchée, mais c'est mon opinion. Au sujet des signes que vous appelez
signes ostentatoires de la foi, je pense que c'est une conception erronée du foulard, ou de la kippa, ou du turban.
Je pense que la personne qui le porte ne le fait pas pour montrer sa foi
ou sa religion; la personne qui le porte, à
la base, le fait pour montrer sa relation au divin. Alors, nous pouvons parler,
vous et moi, de l'histoire de ces signes religieux, nous pouvons nous demander
si à l'origine les hommes les ont utilisés pour soumettre les femmes ou, des
rois, pour soumettre leurs sujets et nous pouvons avoir de très longues
discussions anthropologiques là-dessus, nous pouvons avoir des discussions très
longues sur le statut de la kippa dans la religion juive, mais nous ne sommes pas des rabbins, nous ne sommes des… nous ne
sommes pas ici à un tribunal rabbinique, nous ne sommes pas ici pour juger de la pertinence de telle interprétation
religieuse de la kippa ou du foulard. Nous sommes ici pour savoir quelles normes nous devons adopter
comme société civile pour régir le comportement des citoyens
et donc pour savoir quel prix nous
sommes prêts à leur faire payer pour le consensus social en termes de privation de leur liberté de conscience ou de comportement, ce qui
est une chose très grave.
Et donc, je
vous dirais, la personne… Moi, j'ai des collègues qui portent des
foulards, j'ai des collègues qui portent des kippas, j'en connais certains qui portent des turbans. Ils ne le
font pas pour dire : Moi, je suis musulmane, ou : Moi, je suis
Juif. Ils le font parce qu'ils ont une relation au divin qui se traduit de
cette manière.
M.
Drainville : Très
bien. Alors, permettez-moi… Est-ce que vous acceptez que quelqu'un qui voit
cette image puisse l'interpréter comme un message religieux et qu'elle
se sente brimée alors dans sa liberté de conscience? En d'autres mots, la
liberté de religion et le droit de cette personne d'afficher sa conviction
religieuse doit être mis dans la balance… doit être mise dans la balance,
dis-je bien, avec la liberté de conscience de celui ou de celle qui reçoit ce message. Et donc j'espère que vous acceptez que,
dans une relation avec l'État, dans une relation avec le service public,
la personne, l'usager qui demande le service a également des droits. Est-ce que
vous reconnaissez que cette personne a également des droits et que sa liberté
de conscience est tout aussi importante que la liberté de religion de celui ou
de celle qui affiche sa conviction religieuse?
M. Fischler
(Raphaël) : Non. Avec tout le respect que je vous dois, non. Je
m'oppose à l'argument qui a été fait par le… Je m'excuse, j'oublie son nom, le
témoin précédent.
Une voix : …
M. Fischler
(Raphaël) : M. Rocher, excusez-moi. Je m'oppose à son
interprétation de la relation entre deux personnes. Je ne pense pas que
le port du foulard ou de la kippa pose intrinsèquement un problème pour la personne qu'on a en face de soi. Je pense que
c'est une interprétation qui est abusive, pas au sens fort du terme mais
erronée. Je pense que la personne qui en face de moi porte un foulard peut
évoquer en moi des sentiments au sujet de la relation
de la femme à l'homme, de l'égalité de l'homme et de la femme, c'est possible,
mais elle ne m'interpelle pas au niveau de la religion, elle ne me remet
pas en cause.
Je pense que nous sommes tous… Je pense que nous
devons faire l'hypothèse de la maturité des adultes et je pense qu'à ce titre… Supposer qu'une personne soit influencée, ressente
qu'un préjudice lui est fait parce qu'une personne en face d'elle porte un foulard, moi, je pense que ce n'est pas une base
suffisante pour légiférer pour limiter les libertés qui sont
fondamentales.
M.
Drainville : Alors, je vous soumets... Il me reste très peu de
temps, M. Fischler. Peut-être que vous pourrez compléter la réponse avec les minutes qu'il vous reste, mais on a eu
déjà quelques exemples : une femme, Michelle Blanc, qui a déjà été un homme mais qui a changé de sexe,
qui nous donnait l'exemple d'un jeune garçon homosexuel qui s'est fait rejeter de sa communauté à cause de son orientation sexuelle et qui se retrouve devant une infirmière ou une
psychologue qui porte le même signe religieux que la communauté qui l'a rejeté,
et donc qui se sent, par le fait même, rejeté. Ça, à mon avis, vous pouvez
débattre de ça, vous pouvez trouver que ce n'est pas fondé, mais je pense qu'il
faut accepter la vraisemblance, très certainement, de ce sentiment
qu'une personne pourrait avoir. Un autre cas, vécu par la personne elle-même cette fois-ci, Mme Kichou, qui nous dit : Je me
présente à l'hôpital, une nutritionniste qui me demande ma
consommation d'alcool, je suis en présence d'une stagiaire qui porte le voile,
et, me sentant jugée d'avance par cette femme, je décide de tout simplement
taire l'information sur ma consommation d'alcool. C'est indéniable qu'il puisse
y avoir des personnes qui interprètent ce
message religieux comme une condamnation de leurs propres valeurs
personnelles. Vous pouvez trouver que ce n'est pas suffisant pour légiférer,
mais c'est indéniable qu'on puisse ressentir ça.
Par ailleurs, je voudrais vous demander, avec le
temps qu'il me reste : Est-ce que vous, vous accepteriez l'interdiction des signes pour les agents
coercitifs comme Bouchard-Taylor? Est-ce
que, pour vous, ce serait... Parce que vous
vous réclamez beaucoup de Bouchard-Taylor. Est-ce que
la proposition de Bouchard-Taylor sur les signes
religieux, à l'effet qu'ils soient interdits pour les policiers, les
juges, les gardiens de prison… Est-ce
que c'est, pour vous, un
compromis honorable en matière d'encadrement des signes religieux?
M.
Fischler (Raphaël) : Non.
Moi, je vous avouerais que je serais extrêmement réticent aussi à cette
imposition. Je comprends le raisonnement, je comprends le désir qu'ont
certaines personnes d'afficher de manière la plus claire et nette possible la neutralité à tous égards d'une
personne qui a un pouvoir coercitif, mais je ne pense pas... Je n'irais
pas, moi, non, jusqu'à imposer, qu'on exige...
Moi, je pense
que, d'une certaine manière, les juges sont sélectionnés pour leur
professionnalisme. Vous savez, moi,
je suis enseignant et j'enseigne dans une école professionnelle, je prépare des
gens à la profession. La profession, c'est quoi? La profession, c'est la
capacité d'un individu d'utiliser sa sagesse, son intelligence, son sens de
l'éthique, son sens moral, ses connaissances techniques et autres pour exercer
un jugement discrétionnaire sur des cas complexes et difficiles. C'est ça, le
professionnalisme.
Le Président (M. Morin) : Je
vous arrête là, monsieur. Donc, M. le député de LaFontaine.
M. Tanguay :
Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Merci, M. Fischler, pour votre
mémoire que vous avez rédigé, dont vous nous avez fait la présentation,
et merci pour votre temps pour répondre à nos questions. Je crois que nous
avons 16 minutes, n'est-ce pas, M. le Président?
Le Président (M. Morin) :
Oui, M. le député de...
M. Tanguay : Alors, je veux
laisser également du temps à ma collègue de répondre à certaines... de poser
quelques questions.
M. Fischler,
vous avez parlé de l'effet discriminatoire de la loi, et, comme législateurs,
évidemment, on doit toujours se poser la
question : Est-ce que nous faisons la bonne chose? Et quels sont les
effets de cette loi? Et j'aimerais vous
citer — et
entendre vos commentaires — un extrait du... Vous savez, avec la charte québécoise... il y a
la Charte canadienne des droits et libertés, mais, la charte québécoise,
en même temps que sa création a été créée, en 1975, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, qui
reçoit plusieurs, plusieurs demandes d'accommodement dans différents
domaines, dont les accommodements en matière religieuse. Et je cite l'opinion
de la commission en octobre 2013 sur le
document de consultation. Et le projet de loi est tout à fait au même effet,
sinon encore plus, parce qu'il élargit.
Ce n'est pas uniquement sur certains ministères ou certains pans du pouvoir
public, mais c'est public, parapublic, les sous-traitants de l'État et
certains subventionnés également. Et je la cite à la page 10, la
Commission des droits dit : «Ainsi, l'interdiction des signes religieux
"ostentatoires" proposée porterait directement atteinte à l'exercice
de la liberté de religion[...].En fait, elle découle non
seulement d'une mauvaise conception de la liberté de religion telle qu'elle est protégée par la Charte des droits et libertés de la personne et
par le droit international des droits de la personne, mais elle traduit
également de manière erronée l'obligation de neutralité qui s'impose à l'État.»
Fin de la citation.
C'est
une déclaration très lourde de sens, très claire de sens, et j'aimerais
recueillir vos commentaires quant à cette déclaration faite par la
Commission des droits de la personne.
M. Fischler
(Raphaël) : Oui, je suis d'accord avec cette position, comme vous
comprenez. Je pense que la compréhension de l'obligation de neutralité doit
être mise en relation avec ce que je disais avant. On demande à des professeurs, à des fonctionnaires, à des
enseignants et à d'autres personnes d'afficher leur neutralité ou d'être
neutres. Dans la mesure où ces personnes n'ont pas de fonctions qui sont liées
à la religion, la neutralité qu'on exige d'eux, c'est la neutralité qui est
liée à leur fonction publique, et il est tout à fait nécessaire, en effet, que
des employés de l'État ou d'autres personnes
qui représentent l'État ou qui ont un pouvoir coercitif ne fassent pas preuve
de préjugé ou de favoritisme et permettent à la personne qu'ils ont en
face d'eux de présenter ses besoins de la manière la plus ouverte possible.
Je
pense que le port du foulard, ou de la kippa, ou du turban n'est pas un
obstacle à ce sujet. Je pense que… Je n'ai personnellement aucun
problème à ce qu'une femme qui porte un foulard ou un homme qui porte un turban
soit juge dans un procès où je serais
malheureusement impliqué. Je ferais confiance à cette personne, jusqu'à preuve
du contraire, qu'elle est capable de
neutralité. Je vous avouerais que, d'une certaine manière, le fait que cette
personne soit croyante me réconforterait peut-être un petit peu, qu'elle
ait une orientation morale assise sur des fondements assez solides, et je lui
ferais confiance de nouveau jusqu'à preuve du contraire qu'elle s'est, dans sa
fonction, assurée de la neutralité qu'on exige d'elle.
M.
Tanguay : Et, à ce niveau-là, vous faites, M. Fischler,
évidemment état… mention, c'est-à-dire, vous faites référence au processus qui existe déjà, qui est le
processus de récusation. Dans un cas où d'aventure je suis en demande ou
en défense, pour l'avoir fait dans une vie
antérieure comme avocat, si l'on a un doute, peu importe le motif, il peut
être également… quant au biais du juge, si
l'on a un doute, l'on doit le démontrer, et c'est du cas par cas, et c'est le
processus de récusation. Et ce n'est pas régulier, mais ça arrive, ça se fait.
Ça se plaide et ça se démontre.
M. Fischler
(Raphaël) : Exact. En effet.
M. Tanguay :
Ceci dit, M. Fischler, vous avez fait — et ça, je pense, c'est
important — appel
à la sagesse et à l'intelligence un peu plus
tôt. C'est exactement les deux qualificatifs que vous avez… les deux termes que
vous avez utilisés, sagesse et intelligence. Et j'aimerais vous entendre
sur un argument qui revient régulièrement par certaines personnes qui souhaiteraient l'interdiction de port de signe religieux,
et argument auquel faisait état Gérard Bouchard dans un texte intitulé La
démagogie au pouvoir. C'est celui de dire : Il existe la neutralité
politique qui fait en sorte que l'on ne peut
pas porter, exemple, un macaron du Parti québécois, O.K., et il existe par
ailleurs une approche à l'effet de dire : Bien, la neutralité religieuse, au même titre que d'exiger le retrait du
port d'un macaron du Parti québécois, la neutralité religieuse peut tout aussi facilement, selon la
même base — puis
c'est l'argument qui est utilisé — exiger aussi facilement le retrait d'un signe, que ce soit la croix, le
turban ou la kippa. Et j'aimerais savoir, vous, comment recevez-vous ce…
Et parce qu'on vous a accusé d'utiliser un
langage réducteur. Comment vous, vous recevez un tel argument, M.
Fischler?
• (17 h 50) •
M. Fischler (Raphaël) : Bien, écoutez, je dirais deux choses. La première, c'est ce que je mentionnais auparavant,
c'est que je ne vois pas la kippa, le turban ou le foulard comme des signes
ostentatoires par lesquels une personne me communique
sa religion. Ce n'est pas la raison pour laquelle elle le fait. Possible que je
le perçoive, chacun perçoit ce qu'il veut, mais ce n'est pas
l'intention.
J'ajouterais à ce
titre que le projet de loi, malheureusement, risque de faire du foulard un
objet d'expression ostentatoire alors qu'il ne l'est pas en général, et il est
possible que de plus en plus de jeunes femmes musulmanes veuillent le porter
par signe d'opposition politique. Et je demande au gouvernement d'être très
prudent de ce côté-là.
D'autre
part, il est évident qu'un employé de l'État qui porterait un signe politique,
un macaron appartenant à un parti ou
à un autre, serait en effet, d'après moi, en position de conflit, parce que
le gouvernement en place a des pouvoirs très importants,
pouvoir coercitif, pouvoir de distribution de l'argent, pouvoir de prise de
décision sur la destinée des individus, sur
leur bien-être, et que les décisions politiques
doivent être laissées aux élus, et qu'un employé d'un État n'a pas à
prendre de position politique. Il peut soutenir un parti quand il vote, comme
citoyen, mais il n'a pas à faire de politique à ce titre-là. Il est là pour essayer de mettre
en oeuvre aussi bien que possible, avec autant de discernement que
possible les politiques du gouvernement qui ont été dictées par les élus, qui
ont été dûment élus par le peuple.
M. Tanguay :
M. Fischler, dernière question avant de laisser la parole à ma collègue. Donc,
on voit bien… vous résumez bien l'aspect tout à fait réducteur de cet argument, qui ne tient pas la route. J'aimerais citer,
parce que c'est bien dit… Jocelyn Maclure a écrit un texte — Jocelyn
Maclure est un professeur à l'UQAM… l'Université Laval, pardon,
professeur de philosophie — a
écrit un texte, Charte des valeurs et liberté de conscience,dans
Options politiques, en novembre 2013, et il parlait d'un concept clé qui
est tolérer, tolérer ce qui pourrait peut-être être pour moi un irritant, pour moi, Marc Tanguay, selon ce qui fait mon
identité, probablement, peut-être qu'il y a des irritants dans ce que je
vois, et, je vous dirais même plus, dans une société que l'on veut pluraliste
et dans une société que l'on souhaite et dont on s'enorgueillit d'être pluraliste. Et il disait la phrase suivante, je le
cite : «La liberté de conscience et de religion n'inclut pas, heureusement,
le droit de ne pas être exposé aux apparences et aux croyances qui nous
déplaisent.» Fin de la citation. J'aimerais vous entendre là-dessus,
M. Fischler.
M.
Fischler (Raphaël) : Bien,
écoutez, je suis d'accord, je suis d'accord avec vous que… En effet, je pense
qu'il faut vivre ensemble. Vous savez, il
est très difficile pour les pauvres de voir la richesse étalée autour d'eux.
Ça, c'est un vrai irritant. Ça, c'est
un irritant très profond. Quand une personne est démunie, dans la rue, ou a des
revenus extrêmement modestes, de voir toute la richesse au centre-ville
de Montréal, dans les galeries marchandes, dans les immeubles, ça fait très mal. Mais on n'est pas là pour essayer
de panser les sentiments des gens, malheureusement. Ce n'est pas notre boulot, ce n'est pas notre mandat de gouvernement,
de réconforter une personne qui a du chagrin, ou qui se sent mal à
l'aise, ou qui se sent irritée, ou qui se
sent menacée. Nous sommes là pour assurer le bien-être de la population, pour
essayer de viser au développement de tout le monde, pour donner des chances à
tout le monde.
Et je pense
qu'il y a en effet des problèmes de société importants. Je pense que le
gouvernement a raison de se soucier de la vie commune que nous avons,
d'essayer de veiller à ce que les différences ne soient pas des sources de conflit, mais je pense qu'il y a des manières
positives et constructives de le faire, je pense qu'il y a des manières qui
sont moins positives et moins constructives, et c'est surtout ça que je voulais
dire.
Le Président (M. Morin) :
Merci. Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil : Oui, merci. Merci,
M. le Président. Bienvenue, M. Fischler. Je veux vous dire que beaucoup de
vos propos, évidemment, résonnent avec ce que j'entends partout, partout,
partout, à Montréal, dans les milieux professionnels,
dans réseau de la santé, dans le milieu de l'éducation, chez les
universitaires, et il y a
une grande frustration par rapport à la façon que ce dossier a été mené.
À répétition depuis trois ans, ceux qui sont maintenant membres du gouvernement ont répété, et j'étais dans
le projet de loi n° 94 : On a marre des accommodements
raisonnables. Et c'était simple comme ça. Et même maintenant on a des
ministres qui vont répéter ça au lieu d'amener le débat de façon responsable et sensible. Il y a des
accommodements, mais la Commission des droits de la personne nous dit qu'il n'y
a pas de problème, ils n'ont pas de données
qui démontrent qu'il y a un problème. On a créé le service de conseil. On a
beaucoup dénigré le rapport Bouchard-Taylor, qui avait une mine de
recommandations extraordinaires. On a répété, répété et répété qu'on n'a rien fait suite aux recommandations. Moi, je peux vous dire,
on a fait beaucoup de choses. Notamment, on a créé ce service-conseil
qui fait l'envie de beaucoup, beaucoup de sociétés actuellement qui sont aux
prises avec des problèmes d'accommodement,
qui trouvent que c'est génial, absolument génial. Parce qu'il faut rassurer les
employeurs, et c'est surtout les entreprises
qui appellent, qui disent : J'ai besoin de conseils. Et, une fois que la
commission leur donne des conseils,
tout est réglé. Ils ont juste besoin d'éclairage, qu'ils prennent une bonne
décision. On a amené des mesures d'intégration en emploi parce que le
grand message, c'était ça.
Moi, aussi,
j'étais accompagnée, évidemment, des gens du ministère de la Justice. L'analyse
que vous faites sur, premièrement,
que le port d'un signe religieux fait partie de l'identité et qu'il n'envoie
pas un message de prosélytisme, évidemment,
si j'ai une connaissance dans ce domaine, je l'ai eue au ministère de la
Justice et au ministère de l'Immigration. Et évidemment je suis juriste,
donc je lis les opinions, mais c'est tout à fait en symbiose avec ce que l'État
québécois comprend et dont l'État québécois
fait la promotion depuis des années. Donc, ce qui dérange les gens, c'est la
rupture actuelle. Et, lorsqu'on dit :
Ah! le Barreau, c'est le statu quo, bien oui, le statu quo, c'est très bien, ça
protège les droits et libertés. Donc, je veux juste vous dire que, ce
que vous dites, je l'entends partout.
Mais je veux aller sur quelque chose de bien
important que vous avez dit, et on n'en parle pas assez, c'est la diversité qui est source d'innovation à Montréal.
Tout le monde le dit, tous les États s'arrachent les talents du monde,
on va chercher des gens de partout, et là on
lance un message complètement régressif, rétrograde, conservateur, de
fermeture parce qu'on ne veut pas la
diversité, on ne veut pas la voir, alors que jusqu'à date, la diversité, on
n'avait pas de problème avec ça, religieuse ou autres. Alors, j'aimerais
vous entendre sur ces talents, parce que vous êtes bien reconnu et... Oui, bon,
c'est ça. Alors, allez-y.
M.
Fischler (Raphaël) : Bien,
écoutez, moi, je pense qu'en effet il y a une réalité à Montréal qui est celle
de la pluralité. Je dirais aussi que
ce n'est pas une réalité récente. On nous dit que le pluralisme a émergé après
les années 60, qu'on s'en est
aperçu plus tard. Le pluralisme ou la pluralité de Montréal, c'est une réalité
depuis l'arrivée des Français en Nouvelle-France, il y a toujours eu des
gens multiples, divers depuis la fondation de la Nouvelle-France... Oui?
Mme Weil :
Tantôt, quand j'ai dit : C'est très bien, ce que je voulais dire par ça,
le statu quo, c'est que la règle de droit — c'est important que je
le spécifie parce que je vois le ministre qui prend des notes — ce
que c'est, là, c'est que, la règle de droit,
le Barreau, son rôle, c'est de protéger la règle de droit. C'est ça qui est
très bien, c'est de protéger la règle
de droit. C'est sûr que le droit évolue, c'est sûr que les tribunaux vont
interpréter les droits différemment selon un consensus. C'est important que le ministre le comprenne, parce que je
suis juriste, membre du Barreau, et je trouve ça insultant lorsqu'on dénigre la Commission des droits de la personne et
le Barreau. Évidemment, leur rôle, c'est de signaler le drapeau rouge
quand on vient enfreindre des droits. C'est ça qui est très bien, qu'ils jouent
ce rôle-là. C'est un rôle de protection fondamental.
J'ai pris votre temps, mais je veux que le
ministre ne sorte pas ici, dans le couloir, pour dire autre chose.
Le Président (M. Morin) : Mme
la députée de Notre-Dame-de-Grâce, c'est terminé pour vous.
Mme Weil : Très bien. Merci.
Le Président (M. Morin) : On
s'en va dans Montarville. Mme la députée de Montarville.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci, M. le Président.
M. Fischler, merci. Merci de votre présence, vous vous êtes
déplacé. Merci de votre mémoire.
Écoutez, moi, ce que j'aimerais entendre de
vous, c'est que vous me parliez de votre expérience en tant que Montréalais, en tant qu'enseignant et en tant que
membre de la communauté juive. Et ma question va être précise, mais je veux que me parliez avec votre coeur à cet
effet-là : Quelles seraient, selon vous, à titre personnel, les
conséquences sociales à Montréal de l'application telle quelle du projet
de loi n° 60?
• (18 heures) •
M.
Fischler (Raphaël) :
Écoutez, moi, je pense que, malheureusement, ce projet de loi a déjà eu des
effets négatifs sur la perception qu'ont certaines personnes de l'avenir
du Québec comme société tolérante, ouverte, où nous vivons ensemble de la manière la plus respectueuse
possible en maximisant les opportunités pour toutes et pour tous. Je n'ai
pas, évidemment, fait d'enquête sociologique
ou autres pour savoir si on parle de 10 %, de 50 %, le niveau
d'insatisfaction, le niveau de peur, mais il
est évident que, tout comme on me dit qu'une personne peut avoir des réflexes
négatifs en voyant un foulard, ou un hidjab, ou une burqa, évidemment,
il y a des gens qui ont des réflexes très négatifs en voyant un texte de loi comme celui-là qui a une approche,
malheureusement, qui est trop coercitive et trop négative à un problème
épineux qui a besoin de beaucoup de tact, de doigté et d'ouverture.
Je pense
qu'il n'y a sûrement pas unanimité parmi les universitaires. Je suis sûr qu'il
y en a qui sont pour pour certains aspects, il y a beaucoup de débats,
mais je vous dirais qu'en général, dans les universités — je
parle déjà à titre d'universitaire — il y a consensus que l'ouverture est une
chose positive et que la répression, la contrainte est une chose négative.
Alors, nous comprenons tous le rôle de la discipline, nous comprenons tous le
fait qu'il doit y avoir des balises, que
certains comportements ne sont pas admissibles, mais le fait que certains
enseignants… certaines personnes soient
exclues du monde professionnel pour une raison telle que le port du foulard et
de la kippa nous paraît absurde, nous paraît une perte immense pour le
Québec. Dès l'apparition de la loi, nos avons vu les publicités venant de
l'Ontario qui nous disaient — je m'excuse, je le cite en anglais :
«We don't care what's on your head, we care what's in your head.» Vous
pouvez porter un foulard. Si vous êtes une bonne infirmière, venez ici. Alors,
ça, c'est une chose.
Je ne sais
pas s'il y a unanimité dans la communauté juive, je ne peux pas parler au nom
de la communauté juive. J'ai écrit ce texte, écrit… Le mémoire que j'ai
soumis, je l'ai soumis aussi en tant que Juif pour vous parler de mon expérience,
de ce que ça veut dire de naître comme membre d'une minorité dans une majorité
chrétienne, catholique flamande, qui est
très similaire à celle que l'on voit au Québec, avec un héritage historique
très similaire, une importance énorme de l'Église dans la vie publique
et même dans la vie privée. Et je le disais : Toutes proportions gardées,
vous savez, être membre d'un pays qui se dit
ouvertement catholique, du moment qu'on me laisse en paix, qu'on me
laisse être Juif, c'est un accommodement
très raisonnable. Alors, c'est un petit peu une boutade, mais c'est pour
essayer de mettre l'accent justement sur le respect des libertés.
Le Président (M. Morin) :
M. Fischler, c'est terminé. Merci. M. le député de Blainville, vous avez
le mot de la fin.
M. Ratthé : M. le Président,
M. Fischler, bonsoir. Je vais aller directement à la première affirmation
que vous faites et je vais aller à la
conclusion. Je trouve qu'on n'a pas beaucoup parlé… Personne n'a, peut-être,
voulu évoquer ce point-là, mais c'est
un point important. Vous nous dites : C'est un projet de loi qui, d'une
certaine forme, divise, parce qu'il
exige qu'on demande aux communautés religieuses ou du moins aux gens qui ont
des croyances religieuses puis qui sont
minoritaires de faire fi de leurs démonstrations, alors qu'on laisse en place
tous les signes ostentatoires chrétiens. Et vous nous en donnez pour preuve que dans tout le paysage du Québec on
retrouve l'héritage catholique, que ce soit la croix sur le mont Royal,
les croix de chemin, les noms des municipalités. On pourrait en mettre. Et
votre conclusion, elle est… Et c'est
là-dessus que je voudrais vous entendre. Vous nous dites : Bien, c'est
soit un ou soit l'autre. Soit qu'on bannit tout, et vous nous dites
grosso modo : Je serais d'accord avec ce fait-là, soit qu'on ne bannit
rien, ou du moins qu'on tolère tout ce qui
est dans le paysage, mais qu'on accepte aussi… Et vous avez même… Et vous dites également, probablement avec raison, que, même dans la fonction
publique, les gens de confessionnalité
catholique ou chrétienne auront la possibilité de porter un signe, parce que, s'il est petit, par exemple, ils pourront le
dissimuler, ce que peut-être
d'autres communautés ne peuvent pas faire.
J'ajouterais à cela… Et je reprends des propos
du ministre ce matin, qui disait : La communauté juive a une longue histoire dans l'histoire du Québec. Il y a, je pense,
des édifices, en tout cas des marques de son historique religieux aussi
dans la communauté de Montréal et ailleurs au Québec. On pourrait parler de la communauté
grecque également.
Est-ce que
vous vous sentez heurté face à tout cela? Est-ce que c'est pour cette
raison-là que vous dites : Bien, je dois tolérer ces signes-là puis
je n'accepte pas… ou à l'inverse, bien, vous dites : Non…
M. Fischler
(Raphaël) : Non, non. Moi,
je voudrais dire une chose très clairement : Loin de moi l'idée d'exiger, de demander qu'on enlève quoi que ce soit. Moi, je
vis en paix parfaitement avec l'idée d'être Juif dans un milieu
chrétien.
M. Ratthé : Pourtant, vous le
soulevez, cette possibilité.
M. Fischler (Raphaël) : Mais la raison pour laquelle je parle de la question
de la présence du crucifix, c'est parce que le gouvernement soulève la question
de la présence d'autres religions dans la sphère publique. Je dis : Si le gouvernement
soulève cette question, qu'il y réponde d'une manière systématique, logique et,
je dirais, égalitaire. Que le gouvernement
nous dise : Vous savez, il est extrêmement important que les chrétiens,
que les catholiques québécois puissent vivre dans un milieu qui reflète leur
héritage, qu'ils puissent garder un drapeau, qu'ils portent la croix,
qu'ils puissent siéger dans une assemblée
qui a un crucifix au mur, c'est extrêmement important, je le respecte
entièrement. Il y a une société qui a été fondée ici. Je ne suis pas un
de ceux — et
il en existe — qui,
par exemple, aux États-Unis, exigeront une séparation entière de la religion,
qu'on ne puisse pas mettre de tableau de la loi, qu'on ne puisse pas mettre de crucifix, qu'on ne puisse pas réciter de
prière. Moi, je vis en paix avec le caractère chrétien du Québec. Mais
le gouvernement non seulement me demande
d'accepter ça, mais va me demander ou demander à mes coreligionnaires de
s'effacer, de se rendre plus discrets. C'est
ça qui est difficile. C'est pour ça que j'ai une réaction qui me fait
dire : Cela n'est pas correct,
cela n'est pas égalitaire. C'est pour ça que j'emploie le mot de
«discrimination», qui est un mot très fort, mais je pense que l'effet de
la loi est discriminatoire de cette manière-là.
M. Ratthé :
Mais certains diront que…
Le Président (M.
Morin) : Merci, M. Fischler.
M. Ratthé :
Merci, M. Fischler.
Le
Président (M. Morin) :
Donc, merci de votre présence ici, merci d'être venus à cette commission parlementaire. Bon retour à la
maison.
M. Fischler
(Raphaël) : Merci à vous. Je vous remercie.
Le Président (M. Morin) : Et nous sommes de retour vers 19 heures, je suspends les travaux
jusqu'à 19 heures.
(Suspension de la séance à 18
h 8)
(Reprise à 19 h 9)
Le Président (M.
Morin) : Mesdames messieurs, bonne soirée. La commission
reprend ses travaux. En cette soirée, nous entendrons M. André Baril et
M. Jean Simoneau.
Donc,
ça va me prendre votre consentement pour dépasser quelque peu le 21 heures qu'on devait finir. Ça vous va
pour tout le monde? Merci de votre consentement.
Donc,
M. Baril, à vous la parole, vous avez 10 minutes. Vous avez eu le
temps de prendre connaissance des lieux, ça va vous donner… Allez-y.
M. André Baril
M. Baril (André) : Merci, M. le Président. Je m'appelle André Baril. Je suis professeur de
philosophie, mais j'ai bifurqué depuis quelques années dans l'édition,
je suis éditeur auprès de l'Université Laval. Mais je me présente ce soir comme
simple citoyen. Je veux réfléchir avec vous sur la charte à partir, évidemment,
de la philosophie.
• (19 h 10) •
Alors,
comme vous savez, la philosophie est née dans la Grèce antique avec la
démocratie, et depuis 2 000 ans on pose toujours la même question : Sur quoi se guider? Quelle est ma
boussole, hein? Je veux comprendre ma conduite. Je ne veux pas dire aux gens où aller, mais il faut
savoir où est le nord pour aller au sud. Alors, mon propos, c'est d'essayer de montrer que la charte est
un repère pour la société.
La semaine dernière,
Mme Françoise David a posé une excellente question ici. Elle demandait aux
gens de la ligue nationale : Mais dites-moi donc comment que ça se fait
que depuis six mois, au Québec, on discute de signes ostentatoires, alors qu'il y a tellement d'autres choses qui pourraient nous
préoccuper et que nous sommes d'accord de toute façon sur la laïcité?
Alors, cette question m'a interpellé, et je me suis dit : Qu'est la
réponse?
En
fait, les signes ne sont jamais anodins pour l'être humain, l'humain s'est fait
vivre par les signes. Et quel est notre principal signe pour nous, les
croyants ou les non-croyants, les athées, les marxistes, les libéralistes?
C'est la parole. Notre principal signe,
c'est le signe de la parole. C'est là que s'exerce notre jugement. C'est là que
s'exercent et se partagent notre
vérité et notre fausseté. Alors, pour n'importe qui, l'important, c'est donc
cette parole-là, cette conscience, cette
pensée. Et le droit ne peut pas tout résoudre. Il faut qu'il y ait un débat et il faut qu'il y
ait une discussion, il faut
que l'humain exerce son jugement, et le droit pourra simplifier par la suite.
Alors, M. le
Président, je voudrais faire deux commentaires, un sur la forme puis un sur le
contenu.
Sur la forme du
projet, je me pose une question : Quelles sont les intentions du gouvernement,
bonnes ou mauvaises? Là, je fais référence un peu à l'actualité en même temps.
Imaginons que le gouvernement aurait des mauvaises
intentions — le
critère pour le juger, un État totalitaire. Bien, si c'était vrai, on bannirait
la religion. Or, ce n'est pas le cas. Il y a beaucoup d'écoles
confessionnelles et même des écoles qui sont subventionnées, le patrimoine est
conservé, etc., les gens continuent à croire, donc ce n'est pas le cas.
Peut-être que le
projet, c'est un repli identitaire, nationaliste, conservateur. Mais, si
c'était le cas, on voudrait instaurer une religion officielle, mais c'est le
contraire, on déconfessionnalise. Et puis, si je vois les signes de repli identitaire, il n'y en a pas. Notre
ministre de la Culture, c'est un immigrant. On est très, très loin, hein? On
est une des sociétés les plus libres, comme vous savez.
Alors, je regarde
ça : Est-ce que le gouvernement aurait de mauvaises intentions, peut-être
la démagogie, l'électoralisme, nous sommes
manipulés? Non. Encore là, il y a la liberté d'expression, on entend toutes sortes
de points de vue. Tu sais, c'est mépriser les gens de croire que
nous sommes manipulés. En fait, si on regarde ça sur la forme, on
dit : C'est un projet qui, au fond,
remonte à 2008. C'est pour ça que les gens, d'ailleurs, ont des positions assez
bien campées, ils ont eu le temps de réfléchir.
Et on arrive
à la question, évidemment, toujours sur la forme : Y a-t-il un motif pour faire
un projet comme ça? Bien, tout
projet… une loi, c'est positif et négatif. Et là on met beaucoup
l'accent sur le négatif, les interdits, mais mettons ça du point de vue
positif aussi. Le projet de la charte ne vise pas tant à interdire qu'à définir
l'espace commun. Il faut regarder ça aussi,
l'aspect positif. Toute loi, hein, je mets un réseau de… des feux de
signalisation pour empêcher le… Non,
pour permettre la circulation. Bien, c'est la même chose ici, là, c'est qu'il
faut un espace commun. Il faut que je puisse faire la distinction entre une école et un temple. Il faut que je fasse
la différence entre le citoyen et puis la communauté d'origine, ma
croyance.
Si l'État se
retirait, qu'est-ce qu'on aurait? On aurait des écoles confessionnelles,
certains diront, redeviendraient toutes
confessionnelles. Tous les groupes appartiendraient à des petits groupes. Non.
C'est ça, justement. Il faut un espace commun qu'on appelle
citoyen.
Bref, le
projet ne semble pas être l'oeuvre de démons. C'est un projet sensé qui, en fin
de compte, pourrait être bon pour la communauté.
Alors, passons au contenu. C'est l'essentiel de…
Le mémoire que je vous ai déposé, je l'ai fait sous forme de dilemmes : ou
bien, ou bien. Alors, je vais en aborder… — deux secondes — je
vais en illustrer deux ou trois.
Tout le monde veut être libre de croire ou de ne pas croire, mais comment y arriver?
Alors, j'ai posé le dilemme : Ou bien je me définis par rapport à
une communauté ou bien je me définis tout seul.
Alors, évidemment,
il n'y a personne qui se définit tout seul. On ne naît pas
seul, on naît d'une famille. Je ne suis pas né catholique, je suis né de parents catholiques, ma communauté
était déjà faite. Et il y a la communauté des chrétiens, la communauté des musulmans, la communauté, aussi,
politique, il y a les allégeances politiques, les conservateurs,
les libéraux, etc. Alors, tous ces gens-là, il faut qu'ils se réunissent, à un
moment donné, puis dire : Quel est notre espace commun à tous? C'est ça, l'affaire. C'est ce qu'on appelle... Comment
qu'on appelle ça, c'est la communauté politique. Il faut une communauté politique,
et vous, les élus, vous êtes nos principaux représentants, justement, de cette
fameuse communauté politique,
c'est ça qui fait la démocratie. Alors, comment voir cette
communauté politique? Comment la rendre visible, elle aussi? C'est aussi important de rendre notre
communauté politique visible que d'accepter toutes les
différences, et, parlant des différences,
différences hommes-femmes, différences hétéro-homo, différence des communautés,
différence des cultures, différence des
pensées, différence des allégeances, mais à un moment donné aussi il
faut revenir, dire : Oui, mais l'espace commun, c'est lequel?
Je passe à un
deuxième dilemme. Bon, on veut la laïcité, oui, mais quelle conception de l'État,
l'État libéral ou l'État démocratique? Quelle sorte d'État que je veux,
moi? C'est qui qui est l'État pour moi? Est-ce que c'est un État-gendarme, que
je veux, ou c'est un État-providence? Quel est le visage de mon État?
Alors, on
connaît… évidemment, c'est le policier que l'État-gendarme, c'est essentiel,
fondamental, mais ce n'est pas tout.
Nous, au Québec, on a eu la chance incroyable, il faut tout le temps se le rappeler… Avant les
années 80, avant le capitalisme
ou la mondialisation déchaînée, on a créé l'État-providence, l'État
démocratique providence, les programmes sociaux, l'État à visage humain. Alors, qui? Le policier, oui, mais la
technicienne en garderie, oui aussi. L'enseignante en première année,
oui, c'est elle que je veux qui représente l'État parce que c'est elle qui
accueille l'enfant. Et elle doit l'accueillir pas juste dans son appartenance,
mais elle doit l'accueillir comme un être en devenir, comme un être de parole,
comme un interlocuteur, comme un sujet de droit libre de toute appartenance et
qui va pouvoir, on l'espère, apparaître dans
le monde, devenir singulier dans le monde, véritablement incarner la
fameuse liberté dont tout le
monde rêve. Mais on ne naît pas seul et on ne naît pas libre. On naît dans une
communauté.
Le Président (M. Morin) :
Merci, M. Baril. Vous avez terminé votre temps. M. le ministre.
• (19 h 20) •
M.
Drainville : Merci,
M. le Président. M. Baril, vous pourrez
élaborer, si vous le souhaitez, à partir des questions que je vous
poserai. S'il y a des éléments importants que vous souhaitiez nous transmettre,
vous pouvez utiliser les questions que je vous poserai pour, dans le fond,
conclure votre exposé, je n'ai pas de difficulté avec ça.
Vous dites à
la page 35 de votre mémoire, et je cite : «Françoise David — je m'excuse, la députée de Gouin — peut dire à la télévision que "le voile n'est pas anodin" — entre guillemets, le voile n'est pas
anodin — et continuer
à vivre sa vie comme si tout allait bien. Pour Djemila Benhabib, ce
retour à la vie normale n'est pas possible. Une expérience vécue les sépare. À
qui tendre la main de la compréhension?»
J'aimerais
comprendre ce que vous voulez dire. Est-ce
que vous dites : Dans le fond, ce débat-là nous place devant un choix où il faut choisir notre
solidarité? Il faut soit accepter que le voile n'est pas anodin et puis, une
fois que la déclaration ou l'affirmation a
été faite, passer à autre chose ou est-ce
qu'il faut plutôt
se ranger du côté de quelqu'un
comme Mme Benhabib qui dit : Une fois qu'on a dit que le voile n'est pas
anodin, on ne peut pas juste passer à un autre appel, il faut tirer les
conclusions d'un tel énoncé, et donc, si le voile n'est pas anodin, il s'ensuit
des conséquences?
M. Baril
(André) : Exactement. Nous, au Québec, on est isolés d'une certaine
manière du monde, hein, on est un petit
peuple à l'extérieur, et donc notre expérience vécue, c'est minime par
comparaison à l'expérience mondiale. Et donc, quand les gens arrivent de l'extérieur, il faut être très
sensibles à ça, justement, aux immigrants qui nous arrivent et qui nous apportent une expérience, qui nous
disent… par exemple comme l'écrivaine Kim Thúy qui disait cette
semaine : Le Québec, c'est la société la plus libre
au monde. Alors, s'il y a une autre personne qui dit : Bien, faites
attention, O.K., peut-être qu'il y
a certains signes ostentatoires qui
sont plus politiques que religieux, bien je tends l'oreille, je tends
l'oreille et je tends la main aussi, évidemment. Donc, oui, Mme David, je
sais qu'elle est parfaitement consciente de tout ce phénomène-là, mais je pense
que, comme moi, elle n'en a pas une expérience vécue.
M. Drainville :
Dans votre mémoire, vous reprenez une citation du spécialiste de la laïcité, le
philosophe Peña-Ruiz…
M. Baril
(André) : Très belle citation.
M. Drainville :
…qui a écrit, je le cite, donc : «Les enfants ne viennent pas à l'école en
tant que musulmans, athées ou catholiques.
Ils viennent en tant qu'êtres humains. Il y a en eux un potentiel
d'universalité qu'il faut considérer par principe comme délié des
appartenances.»
Est-ce que,
dans votre esprit, de vivre, par
exemple, pendant toute une année
scolaire en présence d'une enseignante qui
affiche ouvertement sa conviction religieuse ou son appartenance religieuse
risque justement de porter atteinte à ce potentiel d'universalité? Parce
que la confession affichée et affirmée de l'enseignante marque le rapport
qu'elle aura nécessairement avec les élèves
ou marque le rapport que les élèves auront à elle, et ce rapport-là risque bien
évidemment de privilégier non seulement la
religion de l'enseignante, mais le code moral qui vient avec cette religion-là,
donc un certain nombre de valeurs, un
certain nombre de choix sur des questions d'éthique, sur des questions liées à
toutes sortes de facettes de la vie
en société. Est-ce que c'est ça que vous tentez de dire quand vous parlez de ce
potentiel d'universalité que les enfants
ont en eux? Est-ce que vous craignez que l'appartenance religieuse affichée et
affirmée puisse porter atteinte à ça?
M. Baril (André) : C'est ça, il faut que l'enfant soit mis en présence, justement, de la
diversité, donc de quelque chose qui est au-delà des appartenances
immédiates, donc des signes ostentatoires en particulier, et en particulier des
personnes qui ont une certaine influence.
Donc, on sait que
l'influence première, c'est les parents. La deuxième, c'est l'école. Alors,
c'est un rôle fondamental, et tout le monde
le sait. Alors, il faut préserver l'école de toutes les formes de contrôle ou
d'influence, qui évidemment, pour un enfant, sont des comportements, des
habillements. Ce n'est pas pour rien que dans les écoles privées, justement, à l'époque ils mettaient un
costume. C'était pourquoi qu'ils faisaient ça? Ce n'était pas anodin, ça
non plus, là, c'est encore des signes.
C'était pour essayer justement de dire : On s'occupe du potentiel de
l'enfant et non du symbole
qu'il pourrait projeter.
M. Drainville : Je ne sais pas si vous avez suivi les travaux de
la commission, mais il
y a certains intervenants… Puis, encore une fois, moi, je respecte leur point
de vue, là, mais je veux vous soumettre l'argumentaire. Leur point de
vue, donc, c'est de dire : Le symbole
religieux n'influence pas vraiment la personne qui le voit. Ou ça ne les
influence pas ou en tout cas
l'influence est si mineure qu'elle ne justifie pas l'interdit, l'interdiction
de porter le signe religieux. Et donc, à partir du moment où ces
personnes ou ces groupes diminuent l'impact que peut avoir le signe religieux
sur l'élève ou sur l'usager du système, à ce
moment-là ça leur permet de dire : Bien, comme ça, ce n'est pas tellement
important, ce qui est important, c'est la limitation que la personne qui
a une religion, qui a une croyance religieuse et qui doit donc et qui veut donc afficher cette conviction-là par le port
d'un signe… à ce moment-là, bien, cette restriction, cet interdit de
porter le signe devient l'élément
fondamental du débat, là, dans l'esprit de ceux qui soumettent cet
argument-là : Dans le fond, les usagers,
ça n'a pas vraiment d'impact ou ça en a si peu. Ça ne doit pas nous faire
perdre de vue que, pour celui ou celle qui souhaite porter un signe
religieux, ça, c'est fondamental. Si on lui interdit de le faire, c'est
vraiment une trop grande restriction sur sa liberté de religion. Réaction?
M. Baril
(André) : Bien, c'est que, si on éliminait… C'est pour ça qu'il faut
regarder : Est-ce que la société actuelle…
Le gouvernement actuel veut-il éliminer les signes religieux de la société? À
ma connaissance, c'est non. Là, on bannirait la religion. Ce n'est pas
ça qui est en jeu. Ce qui est en jeu, c'est de réussir à faire une séparation
minimale entre ce qui est commun ou, si vous
voulez, citoyen et ce qui est religieux, communautaire — appelez ça comme vous voulez — ethnospécifique,
confessionnel.
Alors,
c'est pour ça que le lieu, comme l'école, c'est un choix que la société a fait,
de dire : L'école sera publique. Alors,
il faut maintenir cette ligne-là. L'école est publique. Qu'est-ce que ça veut
dire? Bien, l'école est publique, l'école est laïque, et donc l'école ne
doit pas se définir par des communautés, quelles qu'elles soient, quelles
qu'elles soient.
M. Drainville :
…c'est très clair. Alors, ça m'amène à vous poser la question. Justement sur la
question des signes, si j'ai bien compris
votre mémoire, vous ne souhaitez pas interdire les signes religieux pour les
seuls agents avec pouvoir coercitif.
Est-ce que vous pouvez élaborer sur ce qui vous a amené à conclure qu'il ne
fallait surtout pas se limiter aux seuls agents coercitifs comme
certains le souhaiteraient, par exemple?
• (19 h 30) •
M. Baril (André) : Oui. Comme la commission… La commission Bouchard-Taylor, bon, avait
cette position-là. Je vais plus loin
parce que c'est dans le sens… Encore là, qu'est-ce que l'État, qu'est-ce que le
lieu commun, qu'est-ce que l'espace
public? Et là je me dis : Ça se peut-u que le seul représentant que nous
ayons de l'État, ce soit le gendarme? Bien non, ça ne se peut pas, parce que notre type d'État, c'est un État-providence.
C'est un État qui rend des services, c'est un État qui a des programmes sociaux universels, la santé, l'éducation,
puis on devrait continuer, d'ailleurs. C'est les garderies, puis les
garderies publiques et même privées, au fond, c'est le même souci.
Je
pense que toutes les personnes qui ont des enfants souhaitent que leur enfant
soit reconnu comme un citoyen et qu'il soit donc amené vers justement ce
qui est, c'est bizarre, un espace vide. On l'amène… Je n'aime pas le terme
«neutralité». Ça n'existe pas, la neutralité, en philo, hein, c'est la
neutralisation du jugement. Toute personne doit porter des jugements. Ils sont
vrais, ils sont faux, mais on n'a pas le choix, hein, on porte des jugements.
Alors, toute personne souhaite que son
enfant soit dans un milieu qui lui permet de s'épanouir sans le poids des
appartenances. Il me semble que c'est ça que je garde de tout mon
enseignement, des années…
Et, quand je
voyais tout à coup des jeunes — là, j'étais au cégep — je voyais des jeunes, si je peux illustrer cet exemple par un exemple, avoir d'autres
signes, le piercing par exemple, si je voyais un étudiant qui avait un piercing
dans la langue et puis… Bon, je vois,
Mme Weil, que vous réagissez, puis, bon, moi aussi, je réagissais
beaucoup. J'avais juste le goût
d'aller vers cette personne-là et lui dire : Mais qui qui t'a fait ça?
Mais qui qui t'a fait ça? Quel est le poids que tu as sur tes épaules, mon ami? C'est sérieux, c'est… Et comment,
justement, le libérer? Je ne suis pas capable, hein, mais on essaie de
notre mieux.
Donc, c'est
pour ça qu'il est toujours… il n'est jamais trop tôt pour éduquer un prince et
avec, comme vous le savez, les
personnes les plus universelles, les plus grands savants possible. Et au XIXe
siècle on disait : Mais ne soyez pas pressés pour éduquer les filles. Alors, nous, c'est le contraire,
actuellement. On veut la liberté, on veut
l'épanouissement des personnes. On n'a pas peur des différences, ça, c'est
faux. Les gens disent qu'on a peur des différences, ce n'est pas vrai.
Justement à cause de l'égalité hommes-femmes, on est une société, justement,
qui accepte les différences. Parce qu'historiquement,
dans l'humanité, d'où vient le respect des différences et quelle est la
première différence? On rencontre une femme qui est enceinte, on
dit : C'est-u un garçon? C'est-u une fille? On est tout le temps en train
de faire… Tout ce qu'on a comme réflexion sur les différences, c'est basé sur
une chose : la différence entre les hommes et les femmes. C'est ça qui est
le plus dur à accepter, mais c'est la question fondamentale de l'enfant.
M. Drainville : Vous avez
enseigné pendant combien d'années au cégep?
M. Baril (André) : 30 ans.
M. Drainville : Sur la
question du port des signes religieux, vous êtes au courant du fait qu'il y a
certaines personnes qui s'opposent à la
restriction dans les institutions collégiales et universitaires au nom de la
liberté académique et au nom de
l'autonomie également des institutions. J'aimerais vous entendre là-dessus.
Est-ce qu'à votre avis la liberté académique
doit justifier de traiter différemment les professeurs des cégeps et des
universités des enseignants, par exemple, de l'école primaire et
secondaire, à propos desquels vous avez déjà dit qu'il fallait… que vous
souhaitiez la neutralité religieuse, y compris dans l'apparence?
M. Baril
(André) : Ah! oui, oui. Oui,
j'irais jusqu'au cégep et à l'université, parce que la liberté
académique, c'est la liberté de parole,
c'est la liberté de recherche. L'important, pour un professeur, c'est qu'il
puisse avoir quelques heures pour faire de la recherche, pour qu'il
puisse lire et penser librement, et, si on l'empêche de publier, d'écrire, là
on lui enlève sa liberté fondamentale. Donc,
la liberté académique, c'est la liberté de recherche, c'est d'avoir un peu de
sous ou un peu de temps libre pour faire de
la recherche. Je ne crois pas que ça devienne une liberté fondamentale pour
cette personne-là, d'exprimer son
appartenance religieuse. Encore là, il pourrait être un croyant, il pourrait
étudier la théorie de l'évolution et être un croyant, aucun problème, et
il pourrait même, dans ses cours, poser aux étudiants cette réflexion-là, c'est
ça, sa liberté. Mais pourquoi faudrait-il qu'il ait en plus un signe? J'essaie
d'embarquer dans sa tête aussi puis dire : Pourquoi veut-il un signe
supplémentaire alors qu'il a la chance inouïe d'être payé pour avoir la liberté
de penser? Est-ce que je lui enlève quelque chose? Si je lui enlève sa liberté
de recherche, là je lui enlève quelque chose.
C'est pour ça qu'il faut voir, là, qu'est-ce qui
fait un vrai croyant. C'est ses convictions profondes, c'est son recueillement,
c'est sa capacité d'empathie.
M. Drainville : Vous devez
côtoyer encore, j'imagine, d'anciens collègues profs de cégep. Oui?
M. Baril (André) : Oui.
M.
Drainville : Comment ils réagissent? Est-ce qu'ils se sentent lésés par l'éventuelle restriction ou est-ce qu'ils se sentiraient lésés par
l'éventuelle restriction qui s'appliquerait?
M. Baril (André) : Je ne suis pas
capable de vous répondre, je ne le sais pas.
M. Drainville : Non?
M. Baril (André) : Aucune idée. Non,
je vous dis, je me présente comme citoyen. C'est un point de vue que j'ai réfléchi. J'ai été passionné par le projet
que vous avez déposé, il m'a envahi littéralement depuis septembre. Mais
j'ai très peu discuté avec les professeurs de cette question-là.
M. Drainville :
Et pourquoi il vous a envahi à ce point-là? Parce que vous n'êtes pas le seul à
nous dire ça, là, il y a beaucoup
de gens qui se sont sentis personnellement interpellés par le projet. Et ce
n'est pas seulement, je dirais, interpellés dans leur sens profond des valeurs, là. Déjà, ça, c'est beaucoup,
là, on a tous nos valeurs qui sont liées notamment à l'éducation qu'on a reçue, comme vous l'avez dit tout à l'heure, bon, mais, je pense, dans certains cas, ça dépasse ça, là. Ça
dépasse l'espèce de collision qu'on peut avoir lorsqu'on est confronté à un
projet comme celui-là, dans le questionnement que ça peut susciter chez
nous dans notre for intérieur. Mais il y a certaines personnes qui vont au-delà
de ça, là. Ça a comme suscité une espèce de réflexion ou même de bouillonnement
intellectuel chez beaucoup de gens, qui ne sont pas nécessairement même en faveur de la charte mais qui vont
dire : Merci pour le débat ou la discussion que vous nous permettez
d'avoir. Il y a des gens qui nous disent ça. Ils ne sont pas nécessairement,
encore une fois, pour la charte, mais… Merci pour le débat que vous nous
permettez d'avoir enfin comme société. Je pense que c'est un peu comme ça que
vous l'avez reçu. Oui?
M. Baril
(André) : Tout à fait, tout à fait. C'est la vie des signes. C'est un
débat sur la vie des signes.
M. Drainville :
Sur la quoi?
M. Baril
(André) : La vie des signes. Alors…
M. Drainville :
La vie, v-i-e?
M. Baril (André) : La vie, v-i-e, des signes, oui. La vie des signes dans la vie sociale,
vos cours de sémiologie.
M. Drainville :
O.K.
M. Baril
(André) : Ils sont loin?
M. Drainville :
On en reparlera, si vous permettez.
M. Baril (André) : La vie des signes, dans la vie sociale, c'est ça, c'est que les signes
ne sont pas anodins pour l'être humain. On s'est fait vivre par les
signes, par le signe de la parole. Et l'idée, c'est qu'on n'a pas de boussole extérieure, on ne peut pas dire : La nature,
c'est notre boussole, puis en même
temps je ne peux pas dire que mon
intérieur, c'est ma boussole, parce que
personne ne pourrait la voir. La boussole, elle est entre nous. C'est pour ça que les signes sont si
fondamentaux.
Et les seuls signes
qui nous relient… Et c'est pour ça que, dans le motif, si on veut, supérieur
évoqué par M. Bouchard, eh bien, il
donne toujours l'exemple de la loi 101, qui était justement le signe de la
langue. Comment faire une société ou
une communauté politique sans langue? C'est impossible. Alors, il faut que tu
commences par ça, tu établis la langue. Après ça, évidemment, tu fais le
Parlement, puis là le Parlement fait l'État de droit.
Je vais trop loin,
là, je suis désolé.
M. Drainville :
Non, mais, écoutez, comment je vous dirais… C'est la fin de la journée, et je
trouve que votre propos se prête plutôt bien à un atterrissage en
douceur de cette longue journée. Vous nous appelez à une certaine élévation philosophique, et puis moi, je reçois ça
très, très bien. Et, je pense, la députée collègue de Notre-Dame-de-Grâce
aussi semble être très heureuse.
Alors,
vous avez aussi… Dans votre mémoire, vous avez écrit : «Les opposants en
appellent uniquement aux règles du
droit, comme si le droit avait pour mission de sceller la discussion publique
avant même qu'elle n'ait lieu.» Et, je trouve, dans l'esprit de cette affirmation, vous rejoignez un peu ce que Benoît
Pelletier, l'ancien ministre dans le gouvernement de M. Charest, a
déclaré. Je ne sais pas si j'ai besoin de reprendre, là, le verbatim de sa
déclaration. Le souhaitez-vous?
M. Baril
(André) : Oui, parce que je ne l'ai pas entendu.
• (19 h 40) •
M. Drainville :
Oui? Bon, très bien. Alors, il dit, M. Pelletier, donc : «…on aurait
tort de trop se focaliser sur les enjeux juridiques [ou] constitutionnels que
[la charte des valeurs] soulève.» Il dit : «Ces [enjeux] ne doivent pas être invoqués — ces enjeux juridiques ou constitutionnels — comme
s'ils constituaient des obstacles incontournables à toute démarche législative ni comme s'ils nous dispensaient, en tant que société, de
débattre du sens — tiens,
de débattre du sens — qu'il convient de donner à la laïcité [ou] à
la neutralité religieuse de l'État québécois de nos jours. Ceux qui adoptent, à l'égard de la charte des valeurs, une
approche strictement légaliste commettent une erreur. Ils s'en remettent
d'une façon un peu trop fataliste et
volontaire à des juges qui, pour bien intentionnés qu'ils puissent être, n'en
sont pas moins dépourvus de
légitimité démocratique et n'ont, contrairement aux élus, aucun compte à rendre
à la population.»
J'ai
un petit problème avec son… Quand il parle qu'ils sont dépourvus de légitimité
démocratique, je ne suis pas tout à
fait sûr d'être d'accord avec ça. Moi, je pense que, la séparation des pouvoirs
étant un principe fondamental d'une démocratie comme la nôtre, les
juges, donc, ils ont un, comment dire… ils ont une légitimité dans leur domaine
de compétence, ils ont une légitimité. Mais
il a raison de dire qu'ils ne sont pas élus, donc qu'ils n'ont pas de compte à
rendre à la population. Et par ailleurs je suis
tout à fait d'accord avec lui quand il dit qu'il ne faut pas s'en tenir à une
approche strictement légaliste, qu'il faut se donner le droit de débattre, de
débattre et éventuellement de voter les lois, dans un Parlement comme le nôtre.
M. Baril (André) : Voilà. On peut dire : Le droit est médiateur entre l'éthique, nos
valeurs et le politique. Et le droit, pour la philo, c'est… Il y a des
débats, par exemple, sur l'avortement, sur l'euthanasie. C'est des débats qui nous prennent, c'est
éthique, il faut qu'ils aient lieu. Je ne peux pas sauter l'étape, je ne peux
pas escamoter ce débat-là, il faut qu'il ait lieu. Il peut prendre des
années. Et souvent même le droit décide de ne pas trop en régler; dans le cas
de l'avortement, justement, le moins possible d'intervenir.
Le
Président (M. Morin) : M. Baril, je suis obligé de vous
interrompre, le temps du côté ministériel est terminé. On se dirige du
côté du député de LaFontaine.
M.
Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup,
M. Baril, pour avoir pris le temps — puis je vois que vous avez beaucoup, beaucoup travaillé — d'avoir pris le temps de rédiger un mémoire
qui, on le constatera tous, fait 67 pages,
est très étoffé, avec notes de bas de page. On voit que vous y avez mis beaucoup
d'heures, je dirais. Je tiens à vous en féliciter, honnêtement…
M. Baril
(André) : Merci.
M. Tanguay :
…et, en ce sens-là, vous remercier également du temps que vous nous accordez
pour répondre à nos questions ce soir.
Vous avez dans votre
mémoire… Et je vais citer à la page 19. À la page 19, on peut lire le
début du premier paragraphe où vous faites
référence à la loi 101, vous dites : «Pour interdire le port de
signes ostentatoires dans la fonction publique,
le gouvernement a-t-il un "motif supérieur", un motif aussi fort…» Et
là vous donnez l'exemple de la loi 101. Un peu plus bas, donc
deuxième paragraphe : «Sans ce motif, nous serions mis au banc des
accusés. Ce serait la honte et l'humiliation,
ce que veulent éviter à tout prix les anciens chefs du Parti québécois et même
du Bloc québécois, MM. Parizeau, Bouchard, Landry et Duceppe, une belle
confrérie.» Fin de la citation.
Vous avez vu la
sortie très tôt, je dirais, dirions-nous, de M. Parizeau. Et je le cite,
là, quand il est sorti en octobre 2013, puis
j'aimerais avoir, par rapport à ça, vos commentaires lorsqu'il disait, et je le
cite, que ça va trop loin : «À ma
connaissance, c'est la première fois, au Québec, qu'on veut légiférer pour
interdire quoi que ce soit de religieux. Le Québec est devenu une société laïque, la séparation de l'Église et de
l'État s'est établie, de même que la neutralité de l'État à l'égard du religieux. Tout cela s'est fait
graduellement. [...]Je pense qu'il serait préférable de se limiter, dans la
charte, à l'affirmation des principes de la
séparation de l'Église et de l'État, et de la neutralité de l'État à l'égard
des religions.» Fin de la citation.
Donc,
j'aimerais vous entendre commenter par rapport à ce à quoi M. Parizeau, je
veux dire, qui n'est pas dans le débat
partisan, là… On peut le déplorer, il y a beaucoup de partisanerie dans ce
débat-là, et il y a une division là-dessus, sur les signes ostentatoires, l'interdiction. Donc, M. Parizeau, on ne
peut pas l'accuser ou le taxer de prendre pour un camp versus l'autre, même au contraire. Je dirais même
qu'il envoie des signaux aux gens du Parti québécois pour leur
dire : Vous allez probablement trop
loin, et c'est comme ça qu'il commence. J'aimerais vous entendre là-dessus, sur
cette déclaration.
M. Baril
(André) : D'abord, M. Parizeau, c'est ça, prenait la position
Bouchard-Taylor, donc il considérait... Mais,
si vous lisez toute son entrevue, il terminait en disant : Bon, on
avancera après. Il était pour des petits pas, justement. Et il ne manquait pas de jugement mais peut-être
de courage, je dirais, je ferais la nuance, parce qu'il est raisonnable, et je le comprends parfaitement, il
est raisonnable de protéger toutes les convictions sincères, donc toutes les
croyances religieuses sincères, mais ça ne
veut pas dire que toutes les religions sont automatiquement bonnes et surtout
que toutes les pratiques sont
excellentes, des religions, on ne peut pas dire ça. Alors, il est raisonnable
de protéger les religions, mais il est déraisonnable
de croire que le droit pourrait nous dispenser de porter un jugement politique,
qui est votre responsabilité. C'est
ça, la différence, c'est que le droit n'arrive pas avant la politique. Il
arrive pour simplifier une décision politique, des fois des décisions
politiques difficiles.
M. Tanguay :
Et en quoi cette position exprimée ici par Jacques Parizeau, qui a été reprise
par Lucien Bouchard, qui disait : «Ce
n'est pas bon pour le Québec, ni pour la perception de ce que [serait] un
Québec souverain, qui exercerait ses pouvoirs sans contraintes...»
Évidemment — fin
de la citation — ici
on fait sûrement référence au fait que la
charte québécoise est une loi qui peut être amendée. Certains, comme la
Commission des droits de la personne, diraient : Il y aurait
peut-être lieu de faire en sorte qu'elle soit amendée aux deux tiers. Je ne
veux pas rentrer dans la mécanique, là, des
choses avec vous, vous pouvez y aller, si vous voulez, mais autrement dit ça
fait écho d'un consensus social. Vous avez parlé tantôt de courage. Oui,
il y a une notion de courage mais une notion également à laquelle faisait
référence Parizeau lorsqu'il disait : Tout cela s'est fait graduellement.
Il y a — puis
j'aimerais vous entendre là-dessus — une certaine cohésion sociale surtout sur ce
qui est fondamental, a fortiori, que l'on ne devrait pas perdre, vous
croyez, dans le débat?
M. Baril (André) : Bien, le débat, c'est ça, on avance graduellement. Regardez, on est
partis avec des inquiétudes. Le Parti
libéral a fait la commission Bouchard, ça a été superbe, il y a eu une
réflexion énorme qui a été faite là. Et là on avance, justement. On continue à avancer, tranquillement, pas vite, pour
pouvoir prendre une position la plus éclairée possible.
Maintenant,
c'est de l'étapisme, hein? Il y en a qui marchent plus tranquillement, d'autres
qui marchent plus vite.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, M. Baril. Je ne sais pas si ma collègue a des questions.
Merci beaucoup pour votre temps.
Le Président (M. Morin) : Mme
la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil : Merci,
M. le Président. Merci beaucoup, M. Baril. En effet, vous avez mis beaucoup de
temps de réflexion dans votre mémoire.
J'aimerais
poursuivre dans cette même pensée que mon collègue. On a entendu juste avant
vous un professeur juif de l'Université McGill très, très connu, Raphaël
Fischler. Évidemment, son opinion est tout à fait à l'opposée, et lui nous décrit une injustice qu'il voit. Il
dit : Vous savez, moi, j'accepte bien de vivre dans une société chrétienne,
je vois la chrétienté partout autour
de moi, tous les signes. Vous parliez de signes, hein? Il décrit tous les
signes. Le crucifix qui est d'ailleurs
juste... la croix qui est juste derrière McGill, on la voit tous les jours, du
centre-ville on la voit tous les jours. En tout cas, il décrit les
signes autour de lui. Il dit : Moi, je vis très confortablement avec cette
réalité depuis longtemps, depuis que je suis
ici, mais là vous venez me jouer une injustice, me faire une injustice. Vous
êtes en train de dire aux gens comme
moi, aux minorités religieuses... Soudainement, vous voyez ce qu'on porte et
vous portez un jugement sur ce que je
porte et ce qu'on porte. Vous n'avez jamais fait ça avant, jamais, et
soudainement vous changez les règles du jeu, alors que nous, on accepte très bien de vivre dans une société
chrétienne, avec tous les symboles que vous avez, puis vous n'êtes pas en train de dire que vous allez
enlever... Et il est même allé jusqu'à dire : J'accepterais si vous
enlevez tous les signes chrétiens. Alors donc, ce qu'il nous dit :
C'est, comme beaucoup le disent, la catholaïcité.
Alors, j'aimerais
vous entendre sur ça, parce que c'est la première fois que j'entends quelqu'un
l'exprimer de cette façon.
• (19 h 50) •
M. Baril (André) : Bon, la communauté juive, il faut les considérer comme des exceptions
éternelles, il faut… Je le vois toujours
comme ça. C'est eux les premiers — c'est ça qui est le plus drôle — c'est eux les premiers qui ont brisé les signes, historiquement, hein? Nous sommes nés
du totémisme, nous sommes nés de l'adoration de l'animal totem, et c'est Moïse qui revient, peuple hébreu, qui
descend du mont Sinaï. Et qu'est-ce qu'il fait? Il voit les gens qui sont en
train d'adorer le veau d'or. Les tables de
la loi, c'est terminé, l'adoration de l'animal totem. Et là il nous place justement dans les religions monothéistes
mais, en détruisant l'animal totem, il détruit les appartenances. Et des fois
on se demande si l'humanité leur a pardonné ça.
Alors,
bon, la société québécoise, on est une terre d'accueil pour tous les groupes, y
compris les Juifs, et il n'est pas question qu'on les bannisse, loin de
là. Et, dans leur communauté, eux-mêmes, beaucoup, beaucoup de Juifs sont
devenus des Juifs laïques. Italo Calvino, le grand écrivain italien, ne savait
même plus qu'il était juif, en Italie. C'est Hitler
qui le lui a rappelé. Alors, il faut regarder ça avec un peu de regard
critique, en disant : Bon, vous devez faire une critique de votre propre religion, vous aussi,
n'est-ce pas? Il faut leur dire. Ils voient très bien… On voit toujours
dans le jeu de l'autre, mais il faut voir dans son propre jeu aussi.
Mme Weil :
Merci, M. Baril.
Le Président (M.
Morin) : Ça va? On est…
Mme Weil :
Moi, j'ai fini avec mes questions.
Le Président (M.
Morin) : Mme la députée de Montarville, je crois que c'est à
vous.
Mme
Roy
(Montarville) : Oui, merci beaucoup, M. le
Président. Merci, M. Baril. Merci pour votre mémoire. Je l'ai lu. Je dois vous avouer que la philosophie,
ce n'est pas ma grande force. Mais j'aimerais vous amener à la
page 15 de votre mémoire. Je vais vous
citer puis je vais voir si j'ai compris ce que vous disiez, mais là j'ai un
doute, là. Je vous cite, fin du premier paragraphe, page 15, vous
écrivez : «"Une complète neutralité de l'État, outre qu'elle soit
impossible, ferait de celui-ci un être désincarné, sans lien avec la culture et
l'histoire nationales."
«Ainsi,
quand nous parlons de [...] laïcité de l'État, nous devrions considérer la séparation
de l'État et des Églises, non pas la neutralité, notion illusoire.»
Ainsi
donc, si je vous lis bien, si je vous lis bien, la neutralité de l'État, ça ne
se peut pas. Est-ce que c'est ça que vous nous dites?
M. Baril (André) : C'est ça. La neutralité chez l'humain — et ça, c'est Charles Taylor — il est impossible d'être neutre
envers les exigences morales.
Mme Roy
(Montarville) :
Mais c'est l'État dont on parle, ce n'est pas la neutralité chez l'humain, là.
M. Baril (André) :
Oui, mais l'exigence morale ou l'exigence politique… L'humain ne peut pas être
neutre. Tout ce qu'il peut faire…
Mme Roy
(Montarville) :
Soit pour l'humain, mais je vous parle de la neutralité de l'État. Est-ce
qu'elle est possible?
M. Baril (André) : C'est ça. C'est pour ça que tout ce qu'il peut faire, c'est séparer,
réussir à séparer, non pas diviser
mais séparer, faire une différence entre une institution et une autre, ou entre
la vie privée et la vie publique, ou encore entre votre croyance
personnelle, votre conviction personnelle, et votre statut de citoyen.
Mme Roy
(Montarville) :
Donc, la laïcité de l'État, le but recherché du projet de loi ici, ça ne se
peut pas.
M.
Baril (André) : Voilà. Bien,
Charles De Koninck, déjà dans les années 60 on parlait… La laïcité de
l'État, ça veut dire «séparation de l'État
et des Églises», c'est ça que ça veut dire à l'origine. Le terme «neutralité»
est arrivé par le droit, mais le
terme premier, c'est… «laïcité» veut dire séparer ce qui est du domaine de
l'État, politique, et ce qui
est du domaine des croyances, des religions, des Églises, en réalité, des
Églises, c'est-à-dire des communautés constituées.
Mme Roy
(Montarville) :
Moi, je croyais que c'étaient deux notions, la laïcité en étant une et la
séparation de l'État et du religieux en étant une autre.
M. Baril
(André) : Non, c'est la même chose. C'est la définition, en réalité. La
séparation, là, c'est la définition de la laïcité.
Mme Roy
(Montarville) :
Je vous remercie beaucoup, M. Baril.
Le Président (M. Morin) : M.
le député de Blainville?
M. Ratthé : Bien sûr.
Le Président (M. Morin) :
Votre tour est arrivé plus vite que vous pensiez.
M. Ratthé :
C'est correct. Bonsoir, M. Baril. Je vous écoutais tantôt parler de
l'importance des signes. D'ailleurs, tout
le débat sur la charte porte sur les signes, la durée de vie des signes. Et je
vais vous paraphraser, parce que je ne peux pas reprendre exactement ce
que vous avez dit, mais vous nous avez dit quelque chose comme : On peut,
finalement, se départir des signes que l'on voit puis quand même garder cette
relation-là avec, je vais dire, le divin ou avec notre spiritualité, qu'en fait
les signes ne sont pas nécessaires ou, du moins, obligatoires.
Michel
Seymour, que vous connaissez sûrement, est venu nous dire un peu l'inverse,
Michel Seymour, parce que j'ai posé
souvent la question à des personnes au cours des dernières semaines passées,
pourquoi, pour elles, se départir de ce
signe ostentatoire, quel qu'il soit, était si difficile, et Michel Seymour nous
a dit : Écoutez, la société du Québec est partie de… graduellement, au cours de son évolution, au cours surtout
des 50 dernières années, a fait en sorte que, pour les Québécoises, les Québécois, maintenant, la
religion, c'est devenu personnel, ça se vit intérieurement, ce n'est pas
une chose publique, alors que, pour
d'autres, le signe, c'est une appartenance à une communauté, qu'ils doivent
absolument le faire savoir, ils existent, en
fait, ils se manifestent grâce à cette communauté-là — encore là je le paraphrase — et qu'on devrait respecter cette différence-là, qu'on devrait faire des
aménagements, qu'on devrait comprendre leurs difficultés. Alors, ça
vient un petit peu… Est-ce que ça vient un peu à l'inverse de ce que vous
dites?
M. Baril
(André) : Non, non, non.
Tout à fait, je suis tout à fait d'accord avec cet aspect-là. Lorsqu'on
maintient le culte, qu'est-ce qu'on protège? La liberté de conscience, mais on
protège aussi la liberté de culte, le lieu. C'est là, le recueillement.
M. Ratthé : Donc, pas dans la
fonction publique.
M. Baril
(André) : Bien, c'est ça,
mais il y a un lieu. Si je bannissais… C'est pour ça que j'y reviens. Je
serais une société totalitaire si je
bannissais les lieux de culte, mais le lieu du rassemblement, justement, de la
communauté, où a-t-il lieu, sinon à cet endroit-là? C'est lui qui est
essentiel, c'est là…
M. Ratthé : Oui. Ce que
M. Seymour nous disait, c'est que ça expliquait pourquoi les gens ne
voulaient pas, entre autres, se départir de leurs signes pendant les heures de
travail, parce que ce sentiment d'appartenance là ou de le démontrer était très
fort.
M. Baril (André) : Bien oui, mais, à
ce moment-là, s'ils font ça, c'est qu'ils font le plein, ils n'acceptent pas qu'il
y aurait un lieu… un espace vide, ils ne l'acceptent pas. Mais il faut
justement… C'est ça, l'affaire. Si on veut qu'il y ait un espace plein
religieux, il faut un espace vide, que les juristes appellent la neutralité.
M. Ratthé : O.K. Dans la…
M. Baril (André) : Tu sais, le petit
jeu, je ne sais pas si… Le petit jeu, pour pouvoir déplacer, il faut une case
vide.
M. Ratthé : Dans la
conclusion de votre mémoire, là, à l'évidence, et c'est très… clairement
explicité, vous êtes en faveur d'une charte.
M. Baril (André) : Oui.
M. Ratthé : Vous la comparez
même à l'adoption de la loi 101, en disant : Bien, l'État doit jouer
un rôle de médiateur pour les intérêts supérieurs du Québec. Et vous
dites : C'est pratiquement une suite logique que l'adoption de cette charte-là, qui
va guider, en fait, le droit éventuellement, parce qu'on parle beaucoup du
droit, là, mais l'adoption de cette
charte pourrait guider le droit dans ce que vous… d'assurer la protection des
rôles sociaux. Donc, pour vous, c'est primordial qu'on le fasse.
M. Baril
(André) : C'est ça. Voilà.
Les rôles sociaux de l'homme et de la femme, les protéger dans la vie
publique citoyenne mais en même temps sans
détruire, sans détruire aucunement les lieux de culte, la liberté de religion,
l'expression de la croyance. J'essayais de le montrer très bien dans mon
mémoire : si l'humanité existe, c'est sûrement grâce aux religions, parce que c'est elles qui ont été les
premières à faire l'écoute de la parole. Donc, elles sont essentielles
pour la compréhension historique de notre existence. Mais, depuis le XVIIe, et
encore plus aujourd'hui, les règles du jeu, c'est vous, les élus.
M. Ratthé : Merci beaucoup.
Ça complète, M. le Président.
Le
Président (M. Morin) : J'aurais peut-être un petit chicotement,
M. Baril. Qu'est-ce qu'on fait avec nos petites chapelles dans nos
CHSLD? Avez-vous un point de vue?
Une voix : …
Le Président (M. Morin) : Je
veux qu'il me le dise.
M. Baril (André) : Les chapelles?
Le
Président (M. Morin) : On a des petites chapelles dans nos
CHSLD. Est-ce que vous êtes d'avis que c'est un lieu de culte, qu'on
doit les conserver?
M. Baril (André) : Comme les
aumôniers, ceux qui circulent près des malades?
• (20 heures) •
Le Président (M. Morin) : Oui,
ça, il semblerait que c'est décidé qu'on les garde. Bien, il me semble que, le ministre,
je l'ai entendu dire ça.
Une voix : …
Le
Président (M. Morin) :
Oui, bon, c'est… Juste vous entendre. Parce
que vous parlez de lieux de culte.
Dans mes CHSLD en Côte-du-Sud, j'ai des petites chapelles, qui est un lieu de
culte.
M. Baril (André) : Je n'ai jamais
réfléchi à cet aspect-là. Désolé.
Le Président (M. Morin) : O.K.
C'est bien. Donc, M. Baril, merci. Je m'excuse d'être intervenu dans la
conversation.
M. Baril (André) : …si je peux dire
un dernier mot…
Le Président (M. Morin) :
Oui, je vous le permets.
M. Baril
(André) : Merci à tous les
élus qui depuis 47 ans maintiennent l'enseignement philosophique
obligatoire. On sait que l'UNESCO revendique
pour tous les peuples l'enseignement philosophique depuis des années, et le Québec
est une des rares sociétés au monde à le permettre. Merci beaucoup.
Le
Président (M. Morin) :
Merci, M. Baril. J'ai fait un
petit peu de philosophie de la
parole, point à la ligne. Merci beaucoup. Bon retour chez vous.
Je suspends pour quelques instants. Et nous
attendons M. Jean Simoneau, à se présenter. Je suspends.
(Suspension de la séance à 20 h 1)
(Reprise à 20 h 3)
Le Président (M. Morin) :
Nous reprenons nos travaux. Bonsoir, M. Simoneau. Donc, c'est à vous la
parole pour 10 minutes.
M. Jean Simoneau
M. Simoneau
(Jean) : Pour un débat rationnel et non purement émotif, la loi n° 60
devrait interdire le port de tous les signes
religieux chez tous les fonctionnaires de l'État grâce à la clause
«nonobstant». On doit, par
exemple, éliminer tous
les cours de/sur les religions avant le cégep, c'est-à-dire s'assurer que les
jeunes ont l'âge de décider par eux-mêmes
de ce qu'ils doivent penser. L'intégrité n'est pas que physique mais aussi
intellectuelle et morale. L'éducation doit
avoir comme premier but de conduire à l'autonomie personnelle et à une
conscience individuelle. Puisque le Québec a décidé d'avoir des écoles
linguistiques, aucune institution qui enseigne la religion ne devrait être
subventionnée. Les religions doivent cesser de bénéficier de privilèges.
La
loi n° 60 doit être le début d'une profonde réflexion
philosophique sur les valeurs qui doivent orienter ce que nous voulons
que le Québec de demain soit, par exemple être libre, démocrate, pacifique,
tolérant, honnête, généreux et respectueux de
la nature. Ces vertus pourraient être privilégiées quand viendra le temps de
créer une constitution de la république démocratique du Québec et de
définir la citoyenneté québécoise. Qui sommes-nous? Dans quel genre de pays voulons-nous vivre? Nous prendrions probablement conscience, à travers ce débat, que les valeurs canadiennes sont
loin d'être les mêmes que celles du Québec.
Évidemment,
les signes religieux occupent toute la place parce que des pays souffrent
encore de l'intolérance des religions,
qui donnent naissance à toutes sortes de discriminations et conduisent souvent
à des guerres locales. Le Web est une
bonne source d'information. Le voile a aussi pris toute la place à cause des
médias d'information, qui sont presque tous fédéralistes et se
font un vilain plaisir d'appuyer tout ce qui est contre la charte.
On pourrait dire que
ce problème ne concerne pas le Québec, mais le passé nous apprend comment les
pays européens se sont placés dans une situation intenable, car on n'avait pas
compris le fonctionnement de l'invasion religieuse,
qui se doit d'être très discrète si on ne veut pas la faire échouer. Il est
intéressant de voir comment la natalité et l'immigration furent
importantes dans la mise en place de ce problème en Europe. Comment peut-on s'intégrer
si on refuse les règles du pays d'accueil? Mais personne, et avec raison, n'est
contre l'immigration.
Il
serait intéressant que les Québécois soient informés sur ce qui se passe dans
le monde quant aux religions. On se
rendrait vite compte que les religions ne sont pas que des institutions
spirituelles mais des multinationales très riches et qui dominent grâce
à leur morale.
L'islam
n'est pas une religion mais un pouvoir politique qui kidnappe la religion
musulmane. L'islam désire, grâce à la
charia, dominer un jour le monde. Ce n'est pas un fait unique dans l'histoire
des religions. Les protestants existent parce que la Rome chrétienne abusait des reliques pour étendre son pouvoir et
nourrir son portefeuille. Les dieux romains ont avalé les dieux grecs
parce qu'ils étaient les conquérants. Chaque fois, ces guerres religieuses ont
été très sanglantes.
Les
femmes sont toujours des membres inférieurs dans toutes les religions. Bizarre
que l'on défende autant les religions quand on connaît leur histoire.
D'ailleurs, je
remarque que l'on parle toujours de l'égalité hommes-femmes, alors qu'on
devrait parler plutôt d'égalité hommes,
femmes et enfants, avec l'UNESCO, car les enfants ont aussi des droits
reconnus. Leur protection ne doit-elle pas s'étendre autant à leur
cerveau qu'à leur sexe?
Même là, le fédéral
nous a imposé la façon de voir en changeant l'âge de consentement de 14 à
16 ans, sans demander la permission au
Parlement québécois, voir si on voulait changer notre charte à nous.
Personnellement, je trouve insultant
que le fédéral et la Cour suprême se mêlent de tout… de ce qui ne les regarde
pas. Ce débat sur la laïcité appartient aux Québécois et à eux seuls, c'est eux qui… Si on est vraiment une
société distincte, nous devrions avoir, d'ailleurs, notre Cour suprême
du Québec.
En fait, le voile est
un symbole sexuel plutôt que religieux, car sa fonction est d'éliminer les
cheveux qui représentent le pubis féminin afin d'attirer l'oeil mâle. Une
pudeur excessive est un dérèglement émotif promu par les religions.
Nous sommes pris dans
le débat de l'habillement parce que nous confondons rites et religions,
religion et spiritualité. Toutes les religions ont leurs rites, leurs règles
pour influencer notre manière de vivre, mais ces rites sont des inventions humaines et non la foi et les
règles que Dieu — Allah,
Yahvé — nous
invite à vivre si on croit dans les religions. D'ailleurs, Dieu ne s'est
présenté et nommé qu'une seule fois et il a dit : Je suis.
Par exemple, pour
comprendre ce qu'est un rite, on allait en enfer si on touchait l'hostie.
Aujourd'hui, nous prenons l'hostie dans la
main pour communier. Je n'aimerais pas m'appeler saint Pierre pour départager
ceux qui iront au ciel de ceux qui
iront en enfer. Avec les religions, on se rend au ciel par un tout petit
sentier mais à l'enfer par autoroute. Pourquoi faut-il nécessairement
souffrir pour aller au ciel?
Être musulman est une
chose; être fidèle à l'islam en est une autre.
Quand je fus reçu chez les
musulmans — parce
que, pour comprendre mes enfants, j'avais lu deux fois le Coran et je pouvais en toute conscience répondre oui aux
questions d'initiation, si on peut dire ça ainsi — on m'a aussi offert de parfaire ma
connaissance au Pakistan, car on croyait que la France serait islamique dans
20 ans, et l'Europe, en 30. Ce qui se déroule en Europe se passe aussi
dans d'autres pays d'Afrique et d'Asie. Pourquoi serions-nous différents des
autres continents? L'islam tient son pouvoir
au nombre et doit démontrer sa force par l'apparence du corps ou avec ses
martyrs. Presque tous les mouvements d'islamisation sont appuyés par la très
riche Arabie Saoudite.
Personnellement, je
crois que toutes les religions doivent se vivre en chacun de nous et dans le
temple de notre choix. La religion est un
choix absolument privé et individuel. L'imposer aux autres directement ou par
des symboles, c'est manquer de respect pour les autres individus, qui ne
sont pas obligés de croire la même chose. On n'a qu'à se rappeler la force du
béret blanc chez les Témoins de Jéhovah pour en saisir la force symbolique.
D'ailleurs,
ce n'est pas parce qu'on ne vit pas selon toutes les règles d'une religion que
l'on ne fait pas partie de cette
religion. Combien sont catholiques et ne fréquentent plus l'église? Où est le
droit fondamental de la liberté de conscience?
• (20 h 10) •
Le
droit accordé aux religions vient de la peur du communisme. La
loi n° 60 s'en prend au prosélytisme passif ou non-verbal
religieux et non au droit de vivre sa religion. Éliminer certains rites
permettra une meilleure cohésion sociale. On pourra ainsi appeler un sapin de
Noël un arbre de Noël et non un arbre de vie.
Qu'arrivera-t-il quand on
commencera à revendiquer que Jésus n'est pas Dieu mais un prophète? Où cela
s'arrêtera-t-il?
Vouloir
priver les autres de leurs croyances parce
que celles-ci choquent la sienne,
c'est une forme d'irrespect par fanatisme pour une société qui veut
respecter toutes les religions. Je ne suis pas plus catholique parce que je
porte une croix et je ne suis pas une meilleure musulmane parce que je porte un
voile.
La religion comme la sexualité sont strictement
du domaine de la vie privée. Les rites religieux doivent être conformes aux
lois civiles du pays. Ces dernières doivent avoir préséance sur tous les rites
religieux.
Quant à
l'urgence d'agir, on n'a qu'à regarder l'espace que le présent débat occupe
alors qu'il n'a été provoqué que par quelques demandes d'accommodement
raisonnable pour voir ce qui arriverait s'il avait été tenu dans 15 ans. Ça
serait le bordel total, car les «de souche» seraient minoritaires et se
feraient imposer leur façon de vivre chez eux.
On doit
interdire la burqa, à mon sens, et le tchador sur le territoire
en tout temps et en tout lieu, pour des raisons de sécurité. Quant à
moi, le voile musulman ne me dérange absolument pas. Son interdit doit
strictement se limiter à la fonction publique pour bien faire valoir la
neutralité religieuse de l'État.
Quant à la barbe, c'est aussi un rite religieux
pour certains, mais on doit s'en remettre, comme au voile, à sa symbolique selon les circonstances. Pour certains, la barbe, c'est une
obligation religieuse, pour d'autres, une marque de révolution, et, pour les plus jeunes, c'est le
père Noël. Il faut donc apprendre la tolérance des interprétations dans
l'espace public, pourvu qu'un rite respecte les autres. La seule limite dans la
liberté doit être la violence.
Si la charte
est acceptée, il faudra à l'avenir que tous les immigrants et immigrantes,
avant de venir ici, connaissent exactement
là où on se situe dans nos valeurs au Québec. Pour ce qui est de l'application
de la charte, il serait sage de définir la tolérance et s'assurer qu'une
tolérance temporaire ne devienne pas permanente. Heureusement, en envisageant immédiatement la laïcité de l'État, la séparation
de l'Église de l'État, on a encore le temps de pouvoir changer les choses.
Je termine par une petite anecdote. Devant subir
une intervention chirurgicale, je pensais plutôt à la charte, un moyen de ne plus penser à mon mal à venir. J'ai
demandé à une infirmière ce qu'elle en pensait, car on m'avait dit qu'avec le voile le patient serait protégé pour
qu'il ne tombe pas un cheveu sur une blessure d'un malade, ce qui me
semble d'une logique absolue, mais cette infirmière m'a fait remarquer qu'en
ayant ainsi le même vêtement tout le temps le voile devient une forme de
transport en commun pour les virus et les bactéries. Cette image m'a bien fait
rigoler.
Finalement, je me demande quel parti politique
n'est pas par définition électoraliste. Et, après la dictature des religions,
je ne voudrais pas qu'on vive la dictature judiciaire.
Le Président (M. Morin) :
M. Simoneau, merci. Vous êtes arrivé pile dans votre 10 minutes.
Bravo! M. le ministre.
M. Simoneau (Jean) : J'ai beaucoup
travaillé pour...
Le Président (M. Morin) : Je
vois, je vois.
M.
Drainville : Merci,
M. Simoneau. Je vous ai bien entendu dire : Personne n'est contre
l'immigration, hein, c'est ça que vous avez dit?
M. Simoneau (Jean) : Oui.
M. Drainville : Bon, très
bien. Donc, pour…
M. Simoneau (Jean) : Et même au
contraire, je veux dire, c'est une nécessité au Québec.
M. Drainville : Donc, vous
êtes favorable à l'immigration.
M. Simoneau (Jean) : Sûrement.
M. Drainville : Très bien.
Par ailleurs, vous dites : Le voile musulman ne me dérange pas, ne me
dérange absolument pas, et vous ajoutez que
l'interdiction du port de signe religieux doit se limiter à la fonction
publique. Là, vous voulez dire à l'espace étatique, comme on l'a...
M. Simoneau (Jean) : Exactement.
M. Drainville : ...pour bien
faire valoir la neutralité religieuse de l'État. Donc, vous êtes d'accord pour
que les gens, une fois qu'ils sont arrivés
chez nous, ils puissent pratiquer leur religion, ils puissent afficher
ouvertement leurs convictions religieuses, mais vous acceptez, je
dirais, le postulat de base du projet de loi n° 60,
c'est-à-dire : Si tu travailles pour
tes concitoyens dans le service public, là tu dois accepter, par contre, la
neutralité religieuse, y compris dans ton apparence. Ça, vous êtes
d'accord avec ça.
M. Simoneau (Jean) : C'est ça.
Seulement là.
M. Drainville : Seulement là.
Très bien.
M.
Simoneau (Jean) : Dans
l'espace public, ce n'est pas pareil. Sauf que j'ai mis la burqa pour une
raison très simple. C'est que, dans
le fond, on dit que votre mémoire, il divise, mais ceux qui ont divisé, c'est
ceux qui ont commencé à porter des
burqas, et tout ça, où nous autres, on n'était pas habitués, et à un moment
donné on s'est sentis interpellés pour ça.
Comme je vous ai dit, j'ai été très longtemps...
mes enfants sont adoptés puis ils sont musulmans, et je sais que le voile n'est pas... parce que j'ai lu deux
fois le Coran. C'est vrai qu'il est écrit aussi en... le Coran est écrit... Tu
peux avoir la traduction française et tu peux avoir... Le vrai Coran est
toujours écrit en arabe. Je m'excuse, je ne mets pas les doigts dessus, parce que c'est aussi un rite, au niveau de la
religion musulmane, que tu ne mets pas les doigts sur l'écrit, parce qu'à ce moment-là tu touches aux paroles du
Prophète. Mais ce que je voulais dire, c'est que, le voile, en fait,
quand vous arrivez dans la maison chez vous
et que vous êtes musulman, la femme a le droit, s'il n'y a pas d'étranger, de
ne pas porter le voile. Alors, c'est déjà
une chose qui permet de penser qu'une fille qui veut travailler et qui veut
absolument son travail pourrait se permettre... Elle ne sera pas exclue de la
religion musulmane parce qu'elle n'a pas de voile.
La deuxième des choses : il faut aussi
savoir que, jusqu'en 2012, il y a des pays musulmans qui s'appellent la Turquie, la Tunisie et certains pays de l'ex-Union
soviétique où il y a des musulmans qui interdisent, jusqu'en 2012, le
voile. Là, je ne le sais pas, depuis ce temps-là.
Alors, c'est
ça, je veux dire, c'est qu'à un moment donné, pour arriver à ne pas créer de
problèmes et de remous dans la
société, je pense que demander un petit sacrifice de quelques heures à
quelqu'un, c'est effectivement quelque chose qui permettrait une
meilleure cohésion au niveau de l'État. C'est un premier pas. Ce n'est pas la
fin, c'est le début.
M.
Drainville : Mais vous comprenez, M. Simoneau, que le
projet de charte ne vise pas ou ne concerne pas qu'une seule religion.
Quand on parle de neutralité religieuse, on parle de la neutralité de...
M.
Simoneau (Jean) : Il faut se
remettre dans le contexte. J'ai écrit ça, je pense, c'était quasiment Noël,
dans le temps où on commençait à en débattre
vraiment. Et c'étaient des éléments que je trouvais qu'il
fallait apporter, parce qu'à mon sens arriver puis dire : Bien, écoute, la
fille va perdre sa job parce qu'à un moment donné elle ne porte pas le
voile, je regrette, c'est un choix qui est
personnel, parce que le Coran ne dit nulle part que tu dois porter le voile.
Cependant, si tu es avec l'islam, qui est un mouvement politique qui a
kidnappé la religion musulmane, à ce moment-là tu es plus fanatique un
peu — je
m'excuse, mais c'est ça — et
tu le portes. Mais, règle générale…
M. Drainville : L'islamisme, à
ce moment-là.
M. Simoneau (Jean) : L'islamisme,
là, politique, pas... Parce qu'il y a une différence.
M. Drainville : Il faut faire
la différence entre...
M. Simoneau (Jean) : Si les gens
faisaient la différence entre les musulmans et l'islam, probablement que
personne ne serait choqué nécessairement de voir des voiles ou n'importe quoi. Ça
fait partie d'un paysage… d'un changement qui est tout à fait normal, puisqu'on
a beaucoup d'immigration.
M. Drainville : Vous voulez
dire la différence entre les musulmans et les islamistes?
M. Simoneau (Jean) : C'est ça, c'est
ça.
M. Drainville : Parce que les
musulmans sont ceux qui pratiquent l'islam, qui ont pour religion l'islam.
M.
Simoneau (Jean) : C'est-à-dire que la religion musulmane, la religion, c'est… la religion musulmane
est plutôt attachée au Coran… Mais là c'est mon interprétation
personnelle, là, je ne suis pas imam. La religion musulmane est rattachée au
Coran, tandis que les islamistes comme tels, là, les plus radicaux, sont
attachés plutôt à la charia. Et la charia,
c'est une loi qu'on a voulu imposer à
un moment donné au Canada.
Il ne faut pas oublier que la charia dit que tu dois tuer des
homosexuels, tu dois couper les mains de ceux qui... Et l'argent le plus... où
c'est... J'ai appris ça. C'est qu'à un
moment donné, en Angleterre, on avait
énormément dans les écoles — des jeunes — des
livres qui étaient envoyés dans lesquels on montrait justement comment
opérer ces choses-là, et c'était subventionné surtout par l'Arabie saoudite.
Donc, à un moment donné, si on veut vivre dans une société, il faut s'arranger
pour qu'il n'y ait aucun signe… ou quelque chose ou un endroit où on va arriver
puis on va être capables de tous continuer à se parler et avoir confiance en
ceux qui sont là, donc l'État.
M. Drainville : O.K., oui.
• (20 h 20) •
M. Simoneau (Jean) : Et l'autre,
quand je parlais de la... À un moment donné, on disait : Bien, écoutez, ça
ne se peut pas que le gouvernement change la charte des droits, mais la charte
des droits, c'est une loi. Le rôle du gouvernement, c'est de faire des lois, et le rôle de la cour,
après, c'est de les appliquer. Et la Cour
suprême, c'est de voir qu'à un
moment donné il n'y a pas de… rien qui se contredit entre une et l'autre.
Et il ne faut pas oublier que… On parle des
droits, mais M. Harper, lui, avec sa loi C-10, a passé l'âge du consentement de 16 à 14 ans. Donc, les deux, là-dedans,
ils perdent des droits, eux autres. Tu n'as jamais entendu personne
crier contre ça.
M. Drainville :
Très bien. Merci beaucoup.
Le Président (M. Morin) : M.
le député de LaFontaine.
M. Tanguay : M. le Président,
M. Simoneau a déposé un mémoire, il a eu l'occasion d'en faire état. Merci
pour votre temps, M. Simoneau. Portez-vous bien.
Le Président (M. Morin) : Ça
va? Mme la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Écoutez, moi, je ferai de même. Je vous remercie. C'est très clair, votre
mémoire.
M. Simoneau (Jean) : C'est peut-être
un peu trop dur, mais c'est de même que je le sens.
Mme Roy
(Montarville) :
Bien, je trouve touchant le fait que vous disiez que vous avez des enfants qui
sont musulmans et que vous… De toute évidence, ce que je comprends, c'est que
vous avez voulu comprendre la religion. Alors, ça, c'est quelque chose que je
trouve très touchant. Et je vous remercie pour votre présentation de ce soir.
Le Président (M. Morin) : M.
le député de Blainville.
M. Ratthé : Merci, M. le
Président. M. Simoneau, merci de déposer ce mémoire. Effectivement, il y a
certains bouts que j'ai trouvés assez durs, je ne vais pas les répéter ici.
Mais je voulais un éclaircissement. Dans votre conclusion, à la dernière page, là, vous nous dites : «Pour ce qui
est de l'application de la charte, il serait sage de définir la tolérance et de s'assurer qu'une tolérance
temporaire ne devienne pas permanente.» Est-ce que vous faites référence
à, j'allais dire, une période d'application, est-ce que vous faites… Parce que…
M.
Simoneau (Jean) : C'est que,
si on donne, admettons, cinq ans pour être capable d'arriver à l'appliquer,
bien il ne faudrait pas que ça devienne 10, puis 15, puis 20. Il faut qu'à un
moment donné il y ait une fin à ça. C'est comme lorsqu'on parlait de l'emploi,
mettons, parce que tout le monde dit : Bien, écoute, si tu ne voudrais pas
enlever ton voile, tu perdrais ton emploi.
Je ne pourrais pas voir pourquoi ça ne pourrait pas se faire comme avec un
fonctionnaire quand il s'en va puis tu as
des changements politiques. Tu changes de job, tu t'en vas à une place où tu
n'as pas affaire au public. Ça pourrait être une des solutions.
Dans le fond,
moi, la charte, je la vois comme un premier pas vers une tentative d'essayer de
se comprendre, tout le monde. Il y a
des affaires… Je veux dire, même les musulmans, aller dire à une femme
musulmane : Tu n'es pas obligée de porter le voile, elle va t'obstiner, elle va dire : Bien non, parce
que leur imam leur dit tous les jours qu'il… pas à tous les jours, mais à toutes les fois qu'ils vont… Alors,
c'est d'essayer de trouver un moyen où tout le monde comprend qu'il faut
respecter l'autre dans sa limite de
qu'est-ce qui est… Tu sais, je veux dire, je ne peux pas voir… Ce n'est pas une
religion en particulier, c'est toutes les religions. Et c'est entre autres
toutes les religions qui mettent la femme dans un état inférieur.
Et là-dessus, justement, j'ai amené un petit
livre que moi, j'ai trouvé vraiment extraordinaire, qui s'appelle Pouvoirs de l'horreur, qui est écrit par une psychanalyste, une
psychiatre, et qui parle justement comment le patriarcat a réussi à
aliéner les femmes dans leur propre identité. C'est un livre assez
extraordinaire à lire.
M. Ratthé : Merci pour les
éclaircissements, M. Simoneau. Merci de vous être déplacé. Au revoir.
Le Président (M. Morin) :
M. Simoneau, on vous remercie. Bon retour à la maison.
Donc, je lève
maintenant la séance, et la commission ajourne ses travaux
au mercredi 22 janvier, 9 h 30. Bon retour à la maison, tout
le monde. Bonne fin de soirée. Dormez bien et revenez-nous en forme.
(Fin de la séance à 20 h 24)