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Version finale

40th Legislature, 1st Session
(October 30, 2012 au March 5, 2014)

Wednesday, January 15, 2014 - Vol. 43 N° 111

General consultation and public hearings on Bill 60, Charter affirming the values of State secularism and religious neutrality and of equality between men and women, and providing a framework for accommodation requests


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Table des matières

Auditions (suite)

M. Martin Laperrière

M. Fernand Morin

Mme Michelle Blanc

M. Michel Seymour

Coalition Laïcité Québec

Mme Andréa Richard

Ligue d'action nationale

Autres intervenants

M. Luc Ferland, président

M. Bernard Drainville

M. Marc Tanguay

M. Laurent Lessard

Mme Nathalie Roy

M. Daniel Ratthé

Mme Françoise David

Mme Kathleen Weil

Mme Rita de Santis

*          M. André Lamoureux, Coalition Laïcité Québec

*          Mme Leila Bensalem, idem

*          M. André Serra, accompagne Mme Andréa Richard

*          M. Denis Monière, Ligue d'action nationale

*          M. Robert Laplante, idem

*          Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats

(Neuf heures quarante-cinq minutes)

Le Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre! À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

La commission est réunie afin de tenir des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 60, Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodement.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Ouimet (Fabre) est remplacé par Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce) et M. Duchesneau (Saint-Jérôme), par Mme Roy (Montarville).

Le Président (M. Ferland) : Merci, Mme la secrétaire. Et, avant d'entendre notre premier témoin ce matin, nous avons déjà un retard, alors ça me prend le consentement pour dépasser l'heure prévue, c'est-à-dire 12 h 30.

M. Tanguay : …que l'on répartisse le temps pour terminer à 12 h 30, parce que tous, nous avons évidemment des horaires serrés. Puis on va essayer, ceci dit, moi le premier, d'être plus disciplinés pour arriver à l'heure.

Le Président (M. Ferland) : Bien, j'allais le mentionner. Moi, je n'ai aucun problème, je vais suivre les membres de la commission, vous savez comment je préside. Alors donc, je n'ai pas consentement. Mais vous faites bien — je vais vous faire la remarque également — d'essayer d'arriver à l'heure le plus possible parce que, quand on… parce qu'il y a des gens qui se déplacent, on est en audition, hein, il y a des gens qui se déplacent pour venir. À ce moment-là, on est obligés de couper dans le temps.

Auditions (suite)

Alors, sur ce, ce matin nous entendons notre premier témoin, M. Martin Laperrière, et nous entendrons également, cet avant-midi, M. Fernand Morin et Mme Michelle Blanc. Alors, M. Laperrière, la parole est à vous, en vous mentionnant que vous avez un gros 10 minutes, et après il y aura la période d'échange.

M. Martin Laperrière

M. Laperrière (Martin) : Merci, M. le Président. J'aimerais d'abord souhaiter une bonne année 2014 à tous les élus de l'Assemblée nationale, de quelque côté qu'ils soient, ainsi que les fonctionnaires qui les accompagnent de chaque côté, qui font un travail remarquable aussi. Même si certains ont peut-être des mots un petit peu durs des fois envers les fonctionnaires, je crois que les fonctionnaires de l'Assemblée nationale font un bon travail, puis ça méritait d'être souligné.

M. le Président, ça me fait… je voudrais remercier la commission de m'avoir accepté, parce que certains ont envoyé des mémoires et n'ont pas été retenus par les députés. Donc, je vous remercie beaucoup.

Dans un premier temps, il me semble que le projet de loi ne respecte pas l'arrêt Oakes de la Cour suprême du Canada portant sur le droit à la religion ainsi que l'arrêt Amselem aussi et à peu près une vingtaine aussi, là. Contrairement à ce que certains prétendent, la liberté de religion est un droit constitutionnel garanti par les deux chartes des droits et libertés de la personne, la canadienne et la québécoise. De plus, dans celle du Canada, le législateur a même prévu ceci : «Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit…» C'est fort. Même le législateur reconnaît que le Canada et le Québec sont bâtis sur la suprématie de Dieu.

Certains ou plutôt certaines ont voulu opposer le principe politique d'égalité hommes-femmes, principe qui n'est pas un droit constitutionnel reconnu par les deux chartes, sauf peut-être dans le préambule de la charte québécoise. C'est sous-entendu, mais ce n'est pas écrit clairement, noir sur blanc. À celles-ci, je les invite à venir faire un débat avec moi n'importe quand. C'est facile un peu d'insulter les autres et de dire n'importe quoi à la télévision lorsqu'on n'a pas d'opposition en face de soi. Je pense ici à Mme Benhabib — là, je veux bien prononcer son nom — qui avait, cet automne, quasiment un temps d'antenne gratuit à RDI.

Autre point que j'aimerais rajouter, M. le Président, à mon mémoire, c'est le suivant : certains ont avancé que la province est déjà laïque et areligieuse. Je suis d'accord avec ce point, mais en contrepartie le gouvernement devrait laisser aux citoyens le droit de pratiquer ou non leur religion comme ils l'entendent. C'est un peu la position de la Commission des droits de la personne du Québec, de Me Frémont que j'ai entendu cet automne.

Le fait que mon boucher soit juif et porte sa calotte juive ne me porte à moi aucun préjudice. Le fait qu'un policier de la SQ qui me donne une contravention porte sa croix de Saint-Louis dans le cou ne m'enlève aucun droit constitutionnel. En fait, je serais plutôt porté à contester devant les tribunaux la contravention plutôt que le fait que mon sergent de police préféré porte sa croix de Saint-Louis dans le cou. Je pense sincèrement que le gouvernement devrait agir avec sagesse et prudence dans le dossier, ce qui n'est pas le cas jusqu'à maintenant.

Finalement, quatre autres éléments ont retenu mon attention. Il fut mentionné par certains — et ce fut le cas de Mme Marois — que la France, une des rares démocraties sur la planète, a éliminé sur son territoire le droit à la religion. Eux, ils ont fait une charte de la laïcité. Mais la raison est fort simple pourquoi ça a réussi en France, c'est qu'eux, ils n'ont pas de charte des droits et des libertés. C'est d'ailleurs une aberration.

Mais ce que ne dit pas le gouvernement et qui est en réalité le vrai débat, c'est l'immigration. Certains qui appuient la charte sur la laïcité sont contre l'immigration, et l'inverse est aussi vrai.

D'ailleurs, le gouvernement, s'il serait réellement sérieux quant à son projet, il arrêterait de subventionner via la fiscalité les différents organismes religieux.

Aussi, le gouvernement pourrait régler la question, le débat via la tenue d'un référendum. C'est une des solutions qu'il peut utiliser à sa guise. Il y a aussi le renvoi — hier, je vous écoutais — il y a aussi le renvoi constitutionnel à sa cour suprême à lui, c'est-à-dire la Cour d'appel du Québec.

Merci beaucoup aux élus d'avoir lu mon mémoire et d'avoir pris le temps de le lire. Je vais être prêt à répondre aux questions, M. le Président.

• (9 h 50) •

Le Président (M. Ferland) : Merci. Merci, M. Laperrière. Maintenant, nous allons procéder aux échanges, alors je cède la parole à M. le ministre. À vous la parole.

M. Drainville : Oui. Merci, M. le Président. Bien, d'abord, merci pour votre présentation. Peut-être juste quelques commentaires, là. Notamment, dans votre mémoire, vous dites : «Ceux qui supportent le projet de loi n° 60 sont contre l'immigration et ceux qui sont pour…» C'est-à-dire : «Ceux qui supportent le projet de loi n° 60 sont contre l'immigration et ceux qui sont contre le projet [du] gouvernement sont pour l'immigration.» Ce n'est pas vrai, là. Vous disiez qu'il ne fallait pas laisser les personnes dire n'importe quoi, alors, si vous me permettez, je vais vous réitérer qu'au Parti québécois nous avons toujours été en faveur, évidemment, de l'apport extrêmement positif des nouveaux arrivants. On a toujours pensé que la diversité, c'était une valeur très importante au Québec. Puis je vous rappelle que la société québécoise a accueilli pendant toute son histoire des vagues de nouveaux Québécois, de nouveaux arrivants. Ça a commencé avec la Conquête, quand nombre de personnes d'origine écossaise, anglaise se sont installées sur notre territoire. Par la suite, il y a eu, bien sûr, la Grande Famine irlandaise qui nous a amené beaucoup, beaucoup de familles irlandaises, plusieurs d'entre elles se sont installées sur le territoire québécois. Puis, il y a eu des… la communauté juive s'est installée au Québec très, très, très rapidement. Je vous rappelle que le premier Parlement de l'Empire britannique à reconnaître les droits politiques de la communauté juive, ça a été le Parlement du Bas-Canada, lorsqu'on a permis à M. Ezekiel Hart de siéger au Parlement du Bas-Canada, c'était une première dans les Parlements de l'Empire britannique. Je vous rappelle également les vagues d'immigration qui ont eu lieu par la suite, notamment dans l'après-Deuxième Guerre, avec nombre de nos compatriotes italophones qui se sont installés chez nous, des Grecs. Lors de la chute de Saigon, beaucoup, beaucoup de Québécois d'origine vietnamienne se sont installés chez nous… enfin, nombre de Vietnamiens sont devenus des Québécois d'origine vietnamienne en s'installant chez nous. On peut parler des Haïtiens, on peut parler des Latinos. Plus récemment, il y a eu beaucoup de nouveaux arrivants qui sont venus de l'Afrique du Nord. Et la politique du gouvernement du Parti québécois, qui a d'ailleurs été réitérée récemment par ma collègue Mme De Courcy, à titre de ministre de l'Immigration, c'est de continuer à encourager l'immigration au Québec. Donc, je me garderais, si vous me permettez, de faire de tels raccourcis comme celui que vous avez fait dans votre mémoire.

Par ailleurs, je ne vais pas m'étendre sur vos affirmations, là, concernant la France, là. Je vous rappelle que c'est la France qui a adopté la Déclaration des droits de l'homme. Ça a été une déclaration qui a marqué l'histoire de l'humanité, en fait. Ça reste encore aujourd'hui, cette déclaration-là, un phare. Et la France est tenue de respecter un certain nombre de textes fondamentaux qu'elle s'est elle-même donnés ou encore que son adhésion à l'Europe lui a donnés.

Maintenant, vous parlez de restriction à la liberté de religion. Je comprends que vous considérez donc que cette restriction en matière de port de signe religieux constitue une négation de la liberté de religion. Ce n'est pas notre point de vue, hein? La liberté de religion, avec la charte, elle est plus que jamais protégée, et moi, je vous dirais que le fait d'affirmer que l'État est neutre sur le plan religieux, ça protège encore mieux la liberté de religion qu'elle ne l'est présentement, parce qu'en affirmant le fait que l'État est neutre sur le plan religieux on garantit, à ce moment-là, à chacune des religions un respect équitable, on garantit le même respect à toutes les religions parce qu'on dit justement : L'État est neutre parce qu'il doit respecter toutes les croyances. Alors, peu importe la croyance que vous décidez d'avoir, peu importe la religion à laquelle vous décidez d'adhérer, l'État doit vous respecter dans votre choix individuel, dans l'exercice de votre liberté de religion ou de votre liberté de conscience, et c'est pour ça, notamment pour ça qu'il faut faire la laïcité de l'État, qu'il faut adopter la neutralité religieuse, y compris en matière d'apparence, y compris dans l'image que vous renvoyez à vos citoyens. C'est justement par respect pour les autres que tu te dois, lorsque tu es dans le service public, de garder pour toi tes convictions religieuses et donc de ne pas les manifester d'une façon ostentatoire par le port d'un signe religieux.

Est-ce que vous êtes d'accord, vous, avec la neutralité politique de la fonction publique?

M. Laperrière (Martin) : Est-ce qu'on peut répondre? J'ai plusieurs choses, M. le Président, à répondre à M. le ministre.

Le Président (M. Ferland) : Vous pouvez répondre, vous pouvez répondre. C'est un échange.

M. Laperrière (Martin) : Premièrement, c'est que vous avez… concernant la France, c'est qu'eux n'ont pas un «bill of rights», c'est-à-dire une vraie charte des droits et des libertés, parce qu'eux, ils ont pu réussir votre… ce que vous voulez faire, vous, c'est-à-dire une charte de la laïcité, parce que l'État, un, ils n'ont pas de charte des droits et des libertés puis, deux, ils n'ont pas de cour suprême, contrairement aux Britanniques, ou aux Américains, ou à nous, parce qu'on a vraiment, nous, deux chartes des droits et des libertés.

Deuxièmement, vous, vous… C'est parce que c'est déjà le cas. C'est que l'État québécois… Bon, bien si M. le ministre veut… J'aimerais ça qu'il me regarde.

Le Président (M. Ferland) : Monsieur, là, écoutez…

M. Laperrière (Martin) : Merci beaucoup, M. le ministre. C'est que l'État québécois est déjà neutre. Comme dirait Me Frémont, c'est déjà neutre. En contrepartie, c'est que l'État québécois respecte la liberté de religion de tout un chacun, là. C'est déjà le cas, l'État est neutre au niveau religieux, là, l'État québécois est neutre. Il n'a pas de religion.

M. Drainville : Oui, mais vous savez que ce n'est…

M. Laperrière (Martin) : C'est que, là, vous faites quelque chose qui est déjà fait, là.

M. Drainville : C'est écrit où, ça, que l'État québécois est neutre?

M. Laperrière (Martin) : Bien, c'est… Il y a eu des avis juridiques puis… Il y a eu des avis juridiques de la Commission des droits de la personne. Me Frémont a été très clair là-dessus, c'est déjà le cas, il y a déjà la neutralité religieuse de l'État québécois. En contrepartie, l'État laisse au citoyen ce qu'il veut faire de sa religion, même ceux qui n'ont pas de religion, là.

Aussi, ce que j'ai regardé hier, et d'ailleurs plusieurs journalistes sont revenus cet automne là-dessus, c'est que votre projet de loi, il est inconstitutionnel, M. le ministre, en tout respect. C'est que vos propres avocats du ministère de la Justice vous ont donné un avis juridique, et cet avis juridique là est défavorable au gouvernement, c'est-à-dire que le projet, votre projet de loi, est inconstitutionnel. Je n'ai pourtant pas rêvé ça, là. Il y a même… Même le constitutionnaliste Me Brun, Henri Brun, qui est pourtant quelqu'un qui est favorable au Parti québécois, dit : Bien, ça va être très difficile, là, de passer ça devant la Cour suprême du Canada. À moins que ça serait plus facile avec la proposition de la CAQ? Là, à ce moment-là, ça sera plus difficile à des gens de challenger ça devant les tribunaux, mais, dans la forme actuelle que vous proposez, vous, ça ne passera pas devant les tribunaux.

M. Drainville : Est-ce que vous avez eu des discussions…

M. Laperrière (Martin) : C'est… Là, je mettais le cas aussi du policier…

Le Président (M. Ferland) : Excusez. On va régler ça tout de suite, là, O.K.?

M. Laperrière (Martin) : Excusez-moi, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Vous allez vous adresser à la présidence. Et, quand vous posez une question, peu importe que ça soit le ministre ou un autre parlementaire, vous leur permettez de vous répondre, s'il vous plaît. Sans ça, on est très mal partis. Alors, la réponse du ministre, s'il vous plaît.

• (10 heures) •

M. Drainville : Bien, d'abord, M. Laperrière, sur la question de la constitutionnalité, nous, on est confiants que le projet que nous proposons a de solides fondements juridiques. Je vous rappelle qu'une ancienne juge de la Cour suprême, Mme Claire L'Heureux-Dubé, qui, je pense, a une certaine expertise en la matière, appuie le projet de la charte; l'ancienne juge en chef de la Cour du Québec Mme Huguette St-Louis également.

Je ne sais pas si vous avez vu passer la déclaration de Roger Tassé, qui est un des pères, en tout cas, très certainement de la Charte canadienne des droits dont vous vous réclamez, qui était sous-ministre de la Justice au moment du rapatriement de la Constitution, de triste mémoire. M. Tassé a fait une sortie entre Noël et le jour de l'An pour dire qu'il était loin, loin, loin d'être évident que ce projet de la charte était inconstitutionnel. Il a parlé... Ses mots exacts, c'étaient «une atteinte modeste», je pense, c'étaient... En d'autres mots, lui considérait que cette charte... Oui. Alors, il a parlé de «minime» : «On parle d'une prohibition qui [est] en fin de compte [...] assez minime. Elle ne défend pas la pratique de la religion musulmane ou de toutes les autres religions, la religion catholique. Elle dit simplement : Lorsque vous occupez un poste dans une fonction gouvernementale qui sont décrites, bien vous ne pouvez pas vous présenter avec le voile ou des signes ostentatoires.» C'est Roger Tassé, ex-sous-ministre de la Justice au gouvernement fédéral qui tenait la plume au moment de la rédaction de la charte canadienne, qui le dit.

Alors, en tout respect pour votre point de vue et vos connaissances, je ne pense pas que vous puissiez déclarer d'une façon aussi péremptoire, aussi catégorique que la messe est dite, et que la cause est entendue, et que le projet de charte est inconstitutionnel d'emblée. Je pense qu'il y a un débat là-dessus. Et, nous, notre position, c'est que notre projet va passer la rampe et qu'il a de solides fondations sur le plan juridique et constitutionnel, alors permettez-moi d'avoir un désaccord avec vous là-dessus.

M. Laperrière (Martin) : C'est correct. M. le Président, j'aimerais répliquer. Je vais lire ceci, M. le Président. C'est Henri Brun, c'est un éminent juriste qui est quelqu'un qui est très proche du Parti québécois et qui dit ceci : «"Les chances que ça passe le test seraient plus grandes" si on limitait la restriction aux figures d'autorité — juge, procureur de l'État, gardien de prison, etc.» Je pense que M. Brun est un constitutionnaliste assez réputé, puis c'est quelqu'un qui est proche du Parti québécois.

Moi aussi, quand je donnais l'exemple du policier, c'est qu'il y a un arrêt que j'ai lu quand je suis allé sur le site de la Cour suprême du Canada, il y a un arrêt. Il y a un policier de la GRC qui a contesté une décision de relations de travail, M. le Président, avec son employeur, la GRC, et lui, c'était un hindou. Et, lui, l'employeur disait : Non, non, non, tu ne peux pas mettre ton petit chapeau hindou, là, sur ta tête quand tu travailles comme policier. Il lui dit : Moi, c'est mon droit à la religion et ça fait partie de ma religion. Il l'a contesté devant les tribunaux et il a eu gain de cause à la Cour suprême du Canada. Donc, un policier de la Sûreté du Québec, probablement, pourrait aussi challenger la loi n° 60, là.

Le Président (M. Ferland) : Allez-y, M. le ministre.

M. Drainville : M. Laperrière, ce n'est pas pour vous...

M. Laperrière (Martin) : Oui. Je ne voulais pas faire de débat avec M. le ministre aujourd'hui, là, mais bon...

Le Président (M. Ferland) : Non, écoutez...

M. Drainville : Il n'était pas question d'un...

M. Laperrière (Martin) : En tout respect.

M. Drainville : Non, mais c'est parce que ce n'est pas la Cour suprême, c'est la Cour fédérale, c'est la Cour fédérale qui a pris la décision ultime sur la question du turban. C'est Grant c. Canada, Cour fédérale d'appel, 1995.

Le Président (M. Ferland) : Alors, M. Laperrière.

M. Laperrière (Martin) : Ah, bien c'est parce que moi, j'en avais un autre, là. Mais c'est vrai que je suis d'accord avec vous qu'on peut restreindre, parce que tous droits, tous droits dans la Charte des droits et libertés peuvent être restreints si on peut prouver que c'est... Dans une société démocratique, c'est normal qu'on peut restreindre ce droit-là, mais le fardeau de la preuve revient à celui qui veut restreindre ce droit-là.

M. Drainville : Est-ce que je peux vous demander… Est-ce que vous jugez, vous, que... De mettre des balises en matière d'accommodement religieux, est-ce que vous êtes d'accord avec ça, vous, par exemple, pour éviter des cas comme celui de l'Université York, où très clairement la direction de l'institution a décidé que la liberté religieuse ou la conviction religieuse d'un élève avait préséance sur l'égalité entre les hommes et les femmes parce qu'il refusait d'être dans la même classe que des femmes? Est-ce que vous pensez que, pour éviter des cas comme ceux-là, il faudrait avoir des balises en matière d'accommodement, comme le prévoit la charte?

M. Laperrière (Martin) : Bien, si je peux répondre, M. le Président, moi, je vous conseillerais plutôt, en matière d'accommodement, d'aller faire un renvoi juridique devant la Cour d'appel du Québec, la cour suprême de la province, pour voir qu'est-ce qui serait réellement un droit religieux, qu'est-ce qui serait un caprice religieux, pour voir… C'est toujours du cas par cas, là, devant les tribunaux aussi, mais vous auriez un avis juridique de juristes de votre cour suprême à vous, M. le ministre, là. Eux pourraient vous dire : Ceci, c'est vraiment un accommodement raisonnable; ceci n'est pas un accommodement raisonnable, c'est plutôt un caprice religieux. Ça serait du cas par cas, là.

Le Président (M. Ferland) : M. le ministre.

M. Drainville : …vous ne pensez pas que ça appartient aux élus de l'Assemblée nationale de prendre une décision comme celle-là et de décider démocratiquement de se donner cette charte-là? Et les juges, évidemment, comme il se doit, feront leur travail par la suite, s'il y a lieu. S'il y a effectivement, comme certains l'annoncent déjà, une contestation de la charte, à ce moment-là les juges pourront se prononcer. Mais vous ne pensez pas que c'est d'abord et avant tout aux représentants de la population de décider du sort d'un document aussi fondamental que celui que nous proposons dans le projet de loi n° 60?

M. Laperrière (Martin) : Je peux répondre, M. le Président? Merci. Oui, d'abord aux élus de se prononcer, et par la suite aux différents juges, aux différents tribunaux de se prononcer. Ça va être… Moi, comme j'ai toujours dit, vous allez probablement avoir un deal avec la CAQ à la fin de la commission. Ce projet de loi là va passer parce que les gens de la CAQ vous appuieront avec des amendements, probablement que vous ferez aussi des amendements. Vous vous gardez une petite gêne, là, vous dites : Pas question de concéder quoi que ce soit, mais, à la fin du processus, probablement que vous allez vous entendre avec la CAQ. Entre personnes responsables… Moi, c'est ce que je ferais. Si j'étais à votre place, là, comme ministre, c'est ce que je ferais. Je m'assoirais avec les gens de la Coalition avenir Québec, je trouverais un compromis. Et ce compromis-là sera probablement amendé par la Cour suprême du Canada par la suite, peut-être dans deux, trois ans, là.

M. Drainville : La question du visage à découvert, êtes-vous d'accord avec ça, vous, le fait que quelqu'un qui donne un service à ses concitoyens, donc qui travaille comme agent de l'État, là, au sens très large, tel qu'on l'a défini dans le projet de loi… que cette personne-là donc qui est dans le service public donne son service à visage découvert et que la personne, le citoyen qui s'adresse à l'État, qui demande un service, doive le faire également à visage découvert? Est-ce que vous êtes d'accord avec ça?

M. Laperrière (Martin) : Moi… Merci, M. le Président. Moi, je vous répondrais qu'un fonctionnaire qui porte sa calotte juive ou une madame qui porte son foulard, je ne sais pas comment on appelle ça, islamique ou quoi que ce soit…

M. Drainville : Le hidjab.

M. Laperrière (Martin) : …ça ne m'enlève pas de droit à moi, là. Donc, ces gens-là peuvent pratiquer leur religion comme ils l'entendent, ça ne m'enlève aucun droit à moi, là.

M. Drainville : …d'accord avec le port du niqab?

M. Laperrière (Martin) : Ce n'est pas ce que je vous ai dit, M. le ministre.

M. Drainville : Mais ma question, c'était : Est-ce que vous êtes d'accord avec le fait que la personne…

M. Laperrière (Martin) : Mais normalement les gens… Là, ce que vous faites référence, là, c'est à la folie de Richard Martineau, ce petit journaliste raciste qui s'est… qui a mis son…

M. Drainville : Non, non, non!

Le Président (M. Ferland) : Excusez, non. Là, je vais vous arrêter.

M. Laperrière (Martin) : Excusez-moi.

Le Président (M. Ferland) : On est ici en auditions publiques, on est là pour vous écouter, vous venez vous faire entendre pour faire valoir votre opinion sur le projet de loi qui est déposé ici, mais, en ce qui a trait à des commentaires sur des individus, des journalistes, des politiciens, bien on peut… on repassera. Alors, je vous demanderais de demeurer dans le respect, s'il vous plaît. Allez-y.

M. Laperrière (Martin) : Oui. Je m'excuse, M. le Président, je n'ai jamais dit que M. le ministre était raciste. C'est un journaliste qui voulait se donner de l'importance et provoquer les gens, tout simplement.

M. Drainville : M. le Président, je m'excuse, là…

Le Président (M. Ferland) : Allez-y, M. le ministre.

M. Drainville : M. Laperrière, vous ne pouvez pas traiter qui que ce soit ici, dans cette enceinte, de raciste. Je n'accepterai pas ça, que ce soit pour un journaliste ou quelqu'un d'autre. Alors, je vous demanderais de retirer le mot que vous avez utilisé, s'il vous plaît.

M. Laperrière (Martin) : Je vais le retirer, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Alors, monsieur… Non…

M. Laperrière (Martin) : Je retire mes propos à votre demande, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Et voilà. Mais je vous réitère : Le ton, les mots utilisés, soyez un peu prudent. On est ici pour vous écouter, la commission a accepté de vous entendre parce qu'on est convaincus que vous avez vos opinions, votre mémoire, le temps que vous avez pris pour préparer votre document. Alors, on est là pour vous écouter. Et ce que vous allez dire aux membres de la commission, lorsque nous serons rendus à une autre étape qui s'appelle l'analyse détaillée article par article, les parlementaires considéreront ou prendront en considération toutes les personnes, les groupes qui sont venus se présenter, et c'est ce qui va nous permettre à nous ici, en cette enceinte, de faire en sorte que le projet de loi n° 60 soit le meilleur projet de loi pour l'ensemble des Québécois et des Québécoises. Alors, est-ce qu'il sera adopté ou pas? Est-ce qu'il sera appuyé par un parti ou l'autre? On n'est pas rendus à cette étape-là.

Alors, je vous cède la parole, M. Laperrière.

M. Laperrière (Martin) : Merci, M. le Président. Bien, j'ai répondu à votre question, M. le ministre. Ce que vous demandez, bien, normalement, les gens sont à visage découvert, là, à 99,9 %. Là, ce que vous parlez, M. le ministre, en tout respect pour vous, c'est un ou deux cas qui est arrivé dans la région de Montréal. À ce moment-là, ça sera probablement aux tribunaux de décider oui ou non, là, ce n'est pas à moi. Moi, je ne suis pas un juriste, je ne suis pas un avocat.

M. Drainville : Vous n'êtes pas juriste ni avocat?

M. Laperrière (Martin) : Non, je suis un simple citoyen. Je viens déposer un mémoire.

• (10 h 10) •

M. Drainville : Très bien. Mais nous, dans le projet de loi n° 60, on dit… Et c'est là-dessus que je voulais vous entendre. Ce n'était pas tellement sur le niqab ou la kippa, c'était sur l'obligation d'avoir le visage à découvert lorsqu'on donne le service de l'État ou lorsqu'on le reçoit. Est-ce que vous pensez que c'est une bonne idée de dire dans la loi : Si tu fais affaire avec l'État, tu dois le faire à visage découvert, et, lorsque tu donnes un service aux citoyens, tu dois le faire à visage découvert? C'était juste ça, ma question, M. Laperrière. Est-ce que vous pensez que c'est une bonne idée ou pas?

M. Laperrière (Martin) : Bien, normalement, oui. À 99 % du temps, l'ensemble des fonctionnaires sont à visage découvert. C'est parce que moi, je considérais un petit peu…

M. Drainville : Mais êtes-vous favorable à ce qu'on légifère là-dessus? Vous ne souhaitez pas que ce soit dans la loi et qu'on l'oblige, qu'on oblige les personnes qui travaillent pour les citoyens et aux citoyens eux-mêmes qui demandent un service de l'État… Vous ne croyez pas qu'on doit les…

Le Président (M. Ferland) : Malheureusement, c'est le temps qui était imparti pour la partie ministérielle. Je cède…

M. Laperrière (Martin) : Oui, toujours, M. le Président…

Le Président (M. Ferland) : Attendez. On va aller de l'autre côté, s'il vous plaît, si vous permettez. Alors, je cède la parole au député de LaFontaine.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, j'aimerais vous remercier pour le temps que vous avez pris, M. Laperrière, pour rédiger le mémoire et le temps que vous prenez ce matin pour venir répondre à nos questions. Donc, merci pour votre travail et votre temps ce matin.

Vous me permettrez, M. Laperrière… parce que j'ai des questions par rapport à l'arrêt Oakes, au processus, au questionnement qui doit nécessairement avoir lieu devant une cour de justice, parce qu'on parle beaucoup que, ce projet de loi là, évidemment, la ville de Montréal va contester, et plusieurs autres organismes, municipalités, établissements vont contester, si d'aventure la CAQ et le Parti québécois s'associent pour faire passer ce que l'on considère une violation de la liberté de conscience et de religion. Ceci dit, j'aimerais juste revenir… Avant de vous poser des questions en rafale sur Oakes et le processus, j'aimerais revenir sur un élément que le ministre vous a déclaré en vous… Il vous a posé une question : C'est écrit où que l'État est neutre? Il vous a posé cette question-là : C'est écrit où que l'État est neutre? Évidemment, vous n'êtes pas juriste, vous n'êtes pas constitutionnaliste, mais ce sont des documents, les chartes, charte québécoise et charte canadienne, lorsqu'on les lit, que tout le monde peut très, très bien comprendre, trois éléments pour affirmer qu'il y ait la neutralité religieuse de l'État et donc des fonctionnaires. Elles existent déjà. Le projet de loi n° 60 ne viendra que mettre par écrit une situation de fait qui existe déjà en venant préciser une réalité qui est déjà dans nos textes de loi. Trois éléments.

Premier élément, il y a la liberté de religion, que vous connaissez très bien, qui fait en sorte que personne ne peut imposer sa religion à un autre, et ça, ça s'applique au premier chef à l'État. La charte québécoise, c'est l'article 3. Charte canadienne, c'est l'article 2. Et de la liberté de religion découle la neutralité de l'État. L'État et la religion sont séparés, c'est un état de fait au Canada puis au Québec depuis plusieurs années.

Deuxième élément : le droit à l'égalité. On ne peut pas discriminer, puis les chartes québécoise et canadienne s'appliquent au premier chef, évidemment, à l'État… Le droit à l'égalité fait en sorte qu'on ne peut pas discriminer basé notamment sur la religion. La charte québécoise, c'est l'article 10. La charte canadienne, c'est l'article 15. Ce qui fait en sorte que l'État ne pourrait pas prendre une décision ou un fonctionnaire ne pourrait pas prendre une décision en disant : Bien, ma décision est différente parce que je discrimine ce citoyen-là basé sur la religion. Et c'est ce que l'on dit, nous, c'est que le gouvernement, avec le projet de loi n° 60, va discriminer tous les citoyens qui désireraient porter un signe parce que ça participe de leurs croyances, leurs convictions. Puis on a eu l'occasion de le dire, qu'un signe religieux, ça ne se compare pas à un macaron du PQ. Lorsque l'on dit : La neutralité politique, bien, si elle existe, pourquoi pas la neutralité religieuse?, quand on vous dit ça, M. Laperrière, là, dites-vous qu'on fait des raccourcis intellectuels assez extraordinaires!

Troisième et dernier point, encore plus précis : La Loi sur la fonction publique, qui existe déjà, précise à son article 10 la neutralité politique et à son… à son article 10, voilà, et, à son article 5, précise que chaque fonctionnaire agit de façon impartiale. Ça veut dire qu'il ne peut pas favoriser ou défavoriser qui que ce soit autre par rapport à sa religion ou à la religion, bien évidemment.

Une fois que l'on a dit ça, M. Laperrière… Et là j'ai des questions pour vous, parce qu'on peut dire… Et j'ai toujours trouvé ça, moi, fascinant de voir l'accessibilité au raisonnement de nos cours de justice. Autrement dit, souvent on va dire : Ah! bien moi, je ne suis pas avocat, je ne suis pas avocate. Les décisions des tribunaux, c'est compliqué, c'est de la jurisprudence, puis le citoyen ne se reconnaît pas là-dedans. Mais, lorsqu'on les lit… Et visiblement vous n'êtes pas constitutionnaliste, mais vous avez lu l'arrêt Oakes. Lorsqu'on lit cet arrêt-là, il est limpide quant au test, qu'on appelle, de raisonnabilité. Autrement dit, oui, il peut y avoir des limitations à nos droits et libertés, mais, lorsque l'on dit... Première question que toutes les cours vont vous dire, c'est : Est-ce qu'une loi vient limiter un droit? La réponse, c'est oui ou non. Si la réponse est non, bien, à ce moment-là, là s'arrête l'analyse, il n'y a pas d'infraction, il n'y a pas de violation d'un droit protégé par la charte. Si la réponse est oui, il y a une violation, ce que nous, là, on dit, il y a une violation avec le projet de loi n° 60, d'interdire le port de signe religieux il y a une violation de la liberté de conscience et de religion, là on embarque dans ce qu'on appelle, en jargon juridique, le test de Oakes. Et vous en faites état, et j'aimerais y aller avec vous. Ce n'est pas le questionnaire de Proust, mais c'est le test de Oakes.

Alors, allons-y avec le questionnaire de Oakes. On dit, première question lorsqu'il y a une violation, première question : Est-ce que l'objectif est important? La réponse est soit oui ou non. Si l'objectif n'est pas important, on arrête là, ça ne passe pas le test. Selon vous, est-ce que l'objectif...

Mais avant ça… avant ça, la règle de droit, avant ça, la règle de droit, l'on doit de façon claire dire ce que l'on vient limiter. Est-ce que, selon vous, lorsque l'on dit «un signe ostentatoire»… Est-ce que c'est suffisamment clair? Et je rappelle la sortie médiatique de ma collègue de la CAQ, qui disait : Ostentatoire? Est-ce que cette croix-là, elle est suffisamment petite ou trop grande pour être ostentatoire? Selon vous, est-ce que le terme «ostentatoire» est suffisamment défini pour dire : Oui, oui, ça, c'est clair, ça, cette grosseur de croix là, ça ne passe pas?

M. Laperrière (Martin) : Ça, ça veut dire… Quand on parle de signes ostentatoires, dans mon livre à moi, ça veut dire les signes religieux. Ça veut dire la petite calotte juive, le petit foulard islamique ou arabe. Bon, dans mon livre à moi, c'est ça. Là, le gouvernement dit : Bien, nous, on aimerait ça limiter ça puis on aimerait ça que nos fonctionnaires n'en aient pas. Est-ce que ça va passer le test? À l'heure actuelle, la réponse serait non. Ça ne passe pas le test des deux chartes des droits et libertés, en tout respect, M. le Président.

M. Tanguay : Oui, puis on est là pour entendre votre opinion. Et, selon vous, est-ce qu'il y aura un débat sur la grosseur de la croix? Est-ce que, vous, selon votre lecture, il y aurait un débat sur la grosseur de la croix avec le terme «ostentatoire»?

M. Laperrière (Martin) : D'après moi, non. Mais ce que je voulais dire aussi, M. le Président, parce que vous m'avez demandé tout à l'heure de vous adresser à vous, c'est que, pour moi, il y a des valeurs fondamentales. Les droits individuels et la justice sociale, pour moi, ce n'est pas négociable, et là le gouvernement dit : Bon, on va attaquer la Charte des droits et des libertés pour essayer d'avoir une petite majorité à la prochaine élection. C'est ce qu'on tente de faire du côté du Parti québécois, en tout respect. C'est de bonne guerre. Ils peuvent réussir ou pas, on ne le sait pas encore. C'est de bonne guerre, mais c'est ça qu'ils tentent de faire, c'est d'aller chercher les nationalistes de droite de la CAQ pour avoir une majorité. Ils ont le droit de le faire, mais, à l'heure actuelle, le projet de loi n° 60 ne passerait pas le test des deux chartes des droits et libertés.

• (10 h 20) •

M. Tanguay : Et juste pour préciser une chose, donc, vous, selon vous, il n'y aura pas de débat au niveau... donc ça ne passe pas le test, mais, même là, il n'y aurait pas de débat au niveau de la grosseur de la croix. Je laisserai le ministre préciser sa pensée, mais je crois que l'intention... Mais, voyez-vous, ça démontre quoi? C'est que ce n'est pas clair. Et on décode que l'intention du gouvernement, c'est de faire un débat sur la grosseur de la croix, parce qu'«ostentatoire» — et là je veux être honnête intellectuellement — ne ferait pas en sorte que ce seraient toutes les croix, il y en a qui passeraient le test puis il y en a qui ne le passeraient pas. Mais que l'on ne s'entende pas, vous et moi, sur la nature du test, je pense que ça dénote déjà là, au départ, que ce n'est pas clair. Et, de deux, s'il y a un débat sur la grosseur de la croix, ça sera un débat qui effectivement n'est pas clair. Et le premier élément du test de Oakes, ça paraît bien compliqué, mais c'est très simple, puis vous l'avez bien vu. C'est de savoir : Est-ce que la règle est claire? Est-ce que l'on sait si, oui ou non, on est ou pas dans l'interdiction?

Deuxième élément, l'on dit : Est-ce que l'atteinte… la mesure est proportionnelle à l'objectif? Autrement dit, est-ce qu'on essaie de tuer une mouche avec un canon? L'objectif est que, lorsque le gouvernement… Le ministre de la Sécurité publique dit : Écoutez, dans la police, il n'y en a pas, de problème, il n'y a pas de demande. Alors, que l'on vienne légiférer, exemple, sur le corps policier, il n'y aura pas de demande, demain matin ça ne règle rien, je veux dire, on n'a pas besoin d'interdire à tous les fonctionnaires. Parce que les cas sont extrêmement minimes. Il n'y a aucune étude à ce stade-ci — et on l'a souvent demandé — qui démontre combien, demain matin, de personnes seraient visées par ça, ce serait important de le savoir. Et, si au départ on n'est pas capable de dire combien de personnes seraient touchées par l'interdiction, ça veut dire que… êtes-vous d'accord avec moi qu'on n'a pas fait ses devoirs et que l'on essaie de régler un problème, dans le fond, qui n'existe pas? Qu'en pensez-vous, sur cet aspect du test?

M. Laperrière (Martin) : Bien, je suis parfaitement d'accord avec vous, M. le député. Je rajouterais même… Comme je disais à M. le ministre tout à l'heure, c'est que ses propres fonctionnaires au ministère de la Justice, les propres avocats qui conseillent le gouvernement du Québec, il y a plusieurs constitutionnalistes dans ce groupe-là qui disent : Bien, la décision que nous, on vous rend, MM. les ministres, c'est que ça serait inconstitutionnel, ça serait illégal en vertu des deux chartes des droits et des libertés, non seulement la canadienne mais aussi la québécoise. C'est ça que les juristes de l'État, qui sont des gens professionnels et très compétents, ont déclaré au Conseil des ministres l'automne passé.

M. Tanguay : Dernière question en ce qui me concerne, puis je vais laisser mon collègue, pour les cinq dernières minutes, les quatre dernières minutes, compléter. Vous dites dans votre mémoire… Vous dites que le gouvernement devrait agir avec sagesse et prudence. M. Laperrière, que voulez-vous dire par là?

M. Laperrière (Martin) : C'est-à-dire qu'avec sagesse et prudence un gouvernement qui est minoritaire n'embarquerait pas dans un débat comme ça sans avoir au moins des avis juridiques très solides, excusez-moi le terme anglophone, M. le Président, être «backbenché» bien comme il faut par ses propres juristes ou au moins un bon avis juridique de sa Cour d'appel à lui, là, la cour suprême du Québec, là. Et là il n'a rien de ça, là, à moins d'un deal avec un autre parti politique, probablement à la fin comme vous avez dit, M. le Président, à la fin du processus, en tout respect pour vous, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Oh, je n'ai aucun problème avec ça. Moi, je préside la commission, alors je vais laisser les partis s'entendre ou pas à la fin. Alors, je reconnais le député de Lotbinière-Frontenac.

M. Lessard : Merci, M. le Président. M. Laperrière, donc, il me reste trois minutes. Un, vous féliciter, donc, de la présentation de votre mémoire. Même si vous n'êtes pas juriste, vous n'êtes pas dépourvu d'intelligence puis de curiosité d'aller sur les différents sites pour donner votre opinion.

D'ailleurs, vous n'êtes pas seul à penser puis vous présenter, plus de 270… mais vous êtes supporté aussi dans vos demandes, dans vos questionnements par rapport au projet de loi qui est déposé. 66 professeurs et chargés de cours de l'Université de Sherbrooke ont déposé récemment un mémoire — d'ailleurs ils le rendent public en partie à travers leur revue de presse — alors 66 professeurs. Donc, il y a Maxime St-Hilaire, professeur adjoint à la Faculté de droit, Michèle Vatz-Laaroussi, professeure titulaire du Département de service social, et David Koussens, professeur adjoint à Faculté de théologie et des études religieuses. Ce qu'ils disent : Dans l'élaboration de ce projet de loi, il nous semble qu'on n'a pas tenu compte de toute l'expertise, des recherches, des éléments qui permettraient d'asseoir les choses de manière plus légitime que ce qu'il est actuellement. Alors, ils déplorent que le ministre n'a pas tenu compte de toutes ces expertises-là. Ils disent même : Tout le monde n'est pas expert, c'est normal, les experts doivent aussi donner leurs arguments et les rendre publics, et on pense que les gens comme vous aussi peuvent venir ici sans avoir toute l'expertise de la Cour suprême. Donc, le gros bon sens. Vous êtes venu ici au nom du gros bon sens, après avoir fait une certaine recherche.

Ils vous supportent en vous disant : Il y a trois ruptures. Donc, c'est des professeurs émérites. Il y a une rupture historique parce que la laïcité québécoise est historiquement la garantie de la liberté de conscience et de religion — donc ils supportent votre point de vue par rapport à ce que le ministre a déclaré — il y a une rupture juridique parce que, selon toute vraisemblance… alors ce n'est pas… il n'y a pas de monopole de vérité, mais eux pensent que ce serait inconstitutionnel, puis il y a une rupture sociale aussi parce que ça renie les acquis du passé dans le domaine de l'intégration, réveille des préjugés et des tendances racistes et xénophobes, légitime les peurs de l'autre et détruit le processus du vivre-ensemble. Alors, voyez-vous ce qui… Donc, ils supportent un peu tout ce que vous avez pu exprimer, même en excès. Vous-même, vous avez eu un certain excès en nommant quelqu'un. Ça réveille tout ça, ces préjugés-là. Ça dit même que ça a des conséquences sur l'immigration, des départs, des replis communautaires, la radicalisation de certains d'entre eux, la création d'une fracture entre locaux et immigrants, changement de l'image internationale.

Alors donc, pour vous dire que vous êtes venu présenter votre mémoire, on entend beaucoup de division actuellement. Le ministre veut régler des problèmes. Il n'a pas présenté ses études. Il ne se fonde sur rien, on ne le sait pas, ni juridique ni autres. Alors, vous n'êtes pas seul, donc, c'est un commentaire qui va dans le même sens. Je pense que ce que vous invoquez est tout à fait légitime, là, par rapport à cette commission-là.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le député. Malheureusement, c'était tout le temps, il est écoulé. Alors, je reconnais la députée de Montarville. À vous la parole.

Mme Roy (Montarville) : 4 min 30 s?

Le Président (M. Ferland) : Oui.

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président. Bonjour, M. Laperrière.

M. Laperrière (Martin) : Bonjour.

Mme Roy (Montarville) : Merci de vous être déplacé, merci pour votre mémoire. Écoutez, je vous écoutais parler puis je me dis : Si vous avez eu la chance de lire les avis juridiques du gouvernement, là, vous êtes privilégié, parce qu'on aurait aimé les lire puis on aurait aimé savoir ce qu'il y a dedans.

M. Laperrière (Martin) : Non, je ne les ai pas lus, malheureusement.

Mme Roy (Montarville) : Vous ne les avez pas lus? Nous non plus. On aurait aimé voir ce qu'il y a là-dedans. En tous les cas, éventuellement peut-être on va en savoir un petit peu plus long à cet égard-là.

Vous avez parlé, dans votre mémoire, de droit, des tribunaux et, pour préparer ce mémoire-là, vous avez aussi sûrement constaté qu'autant d'avocats, autant de positions divergentes, autant de jugements. Vous avez des juges majoritaires, minoritaires. Vous lisez leurs conclusions, leurs jugements, et des fois un côté comme l'autre ça se tient, alors c'est difficile de trancher.

Cependant, vous avez aussi probablement constaté qu'il est possible de limiter un droit individuel. Mon collègue de la première opposition en faisait mention tout à l'heure. Il y a des conditions, il y a des critères pour le faire, il faut respecter ça. Il est possible de faire cette limitation à un droit individuel. Donc, il faut respecter des conditions, et nous, à la Coalition avenir Québec, nous savons qu'il y a des critères à respecter, et c'est la raison pour laquelle nous croyons — il y a 12 juristes qui appuient également cette position — nous croyons… Notre position, à la coalition : En limitant le port de signes religieux aux employés de l'État en position d'autorité coercitive et également aux enseignants du primaire et du secondaire et des directions d'école, en limitant spécifiquement le port des signes religieux à ces gens-là, nous croyons que cette limitation-là au droit individuel se justifie au profit des droits collectifs. Naturellement, c'est un débat de juristes, c'est technique, mais nous ne sommes pas les seuls à penser ça. Et, cela dit, à la lecture de votre mémoire, je comprends que vous adoptez une position qui est différente.

Cependant, à la lecture des limitations — et mon collègue en faisait état tout à l'heure — lorsqu'on veut limiter un droit, il y a aussi quelque chose d'intéressant : il faut que cette limitation-là soit claire. On parlait justement des croix. Quand M. le ministre nous parle des objets religieux, des signes religieux ostentatoires, depuis le début, la fin de l'été, début de l'automne, je dis à M. le ministre : Simplifiez-vous la vie, puisqu'à partir du moment où on parle d'ostentatoire on crée des catégories. Alors, ça, ce n'est pas encore réglé. Nous croyons qu'il faut plutôt dire… limiter le port de signes religieux de façon très précise, qu'on ne les voie pas. On crée des catégories.

Cela dit, votre mémoire — et je reviens là-dessus, moi, j'ai bien, bien hâte de voir les avis juridiques du gouvernement — exprime une position, et quelle sera la position que prendront les tribunaux, si les tribunaux sont questionnés sur la question, ça reste à voir. Et je me demandais cependant… Et je vais revenir sur les signes religieux : Est-ce que vous croyez que le fait de parler de signes ostentatoires, ça vient compliquer les choses?

M. Laperrière (Martin) : Est-ce que je peux répondre, M. le Président?

Mme Roy (Montarville) : Oui, oui, oui.

M. Laperrière (Martin) : C'est que votre position, la position qui est la plus raisonnable, qui pourrait peut-être aider le gouvernement, c'est que M. Brun, qui est plutôt proche du Parti québécois, est un peu dans votre position à vous, à la CAQ, dit : Bien, ça va être plus difficile, à ce moment-là, de challenger devant les tribunaux. Un genre de restriction que lui propose, ce que vous aussi, vous proposez. Mais il y a un arrêt, là, il y a des arrêts que la Cour suprême dit : Pour les policiers, les policiers de la GRC ont le droit, en vertu du droit religieux, ont le droit de porter leurs signes religieux, là. Je pourrais toujours revenir, M. le Président...

Le Président (M. Ferland) : Le quatre minutes est terminé.

Mme Roy (Montarville) : Le temps est écoulé. Merci.

M. Laperrière (Martin) : O.K. Bon.

Le Président (M. Ferland) : Je dois reconnaître le député de Blainville, qui va vous questionner sûrement. Alors, M. le député.

M. Ratthé : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, M. Laperrière. Merci d'être présent avec nous ce matin.

M. Laperrière (Martin) : Merci.

• (10 h 30) •

M. Ratthé : Je trouve toujours intéressant d'entendre les opinions. Je pense que vous prenez le temps de venir nous voir. Vous dites : Je suis un simple citoyen, mais, bon, il y a beaucoup de personnes qui sont dans votre situation qui probablement pensent un peu comme vous, et je trouve que c'est quand même intéressant d'entendre... Ce qu'on constate aussi, c'est que, bon, vous arrivez avec une panoplie d'informations, là, qui... avec des personnes aussi très crédibles. On pourrait aussi, de l'autre côté, arriver, j'imagine — le ministre vous le faisait entendre — avec autant d'information de personnes tout aussi crédibles, ce qui montre en tout cas la nécessité, à mon sens, du débat.

J'ai une question très simple puis je ne veux pas parler trop longtemps, je veux plutôt vous entendre. Moi, ce qui m'a frappé, dans votre mémoire… Et je le disais hier, je suis beaucoup ici pour comprendre. Si on entend 200 personnes, c'est parce qu'on veut comprendre leurs points de vue puis nous aider peut-être à cheminer dans ces points de vue là. Et ce qui m'a frappé, c'est que vous dites que la charte enlève le droit de la religion, et brièvement je dirais, moi, que… le droit de pratiquer sa religion, pardon. Moi, en ce qui me concerne, pratiquer sa religion, c'est, dans le cas des catholiques, peut-être aller à l'église. Le culte, en fait, c'est de pouvoir peut-être arborer sur la rue différents, peut-être, signes qui vont faire savoir que je suis chrétien, catholique. Et c'est ça qui m'a frappé. Pourquoi pensez-vous que la charte enlève… Vous dites : «…le gouvernement devrait laisser aux citoyens le droit de pratiquer on non leur religion comme ils l'entendent.» Alors, moi, je voudrais comprendre, de votre point de vue, pourquoi, à votre sens, la charte empêche les gens de pratiquer leur religion, leur droit de pratiquer.

M. Laperrière (Martin) : O.K. Là, vous parlez du projet de loi n° 60, là, comme charte? O.K.

M. Ratthé : Bien sûr. C'est là-dessus qu'on est, oui. C'est dans votre mémoire.

M. Laperrière (Martin) : O.K. Bon. Parce que, là, là, vous étiez en train de me mêler, M. le député.

C'est qu'actuellement l'avis que la Commission des droits de la personne du Québec… que Me Frémont a donné, c'est qu'actuellement l'État québécois est neutre au niveau religieux, c'est-à-dire que le gouvernement, l'État n'a pas de religion, il est neutre envers tout le monde. En contrepartie, le citoyen peut pratiquer sa religion comme il l'entend. C'est un peu, là… c'est une sorte de statu quo, mais c'est ça, là, c'est déjà le cas. Là, le Parti québécois propose quelque chose qui existe déjà. Il est là, le problème.

M. Ratthé : Mais pourquoi vous dites qu'il enlève le droit de pratiquer? Pour vous, ce que veut dire… Puis c'est par pure compréhension. Ce que vous nous dites ce matin, c'est que le fait de ne pas pouvoir, par exemple, porter une croix visible aux yeux de tous, c'est un empêchement de pratiquer sa religion? C'est ce que vous nous dites?

M. Laperrière (Martin) : Bien, c'est un peu… Je donnais tout à l'heure l'exemple de la calotte juive ou du foulard. Ça fait partie d'une valeur culturelle, d'une valeur religieuse, c'est une sorte de pratique de la religion. Moi, ça ne m'enlève aucun droit constitutionnel puis aucun droit juridique, donc, moi, ça ne me dérange pas du tout.

M. Ratthé : O.K., mais c'est… Donc, si je comprends bien ce que vous nous dites, là…

M. Laperrière (Martin) : Ça ne m'offense pas, là, que…

M. Ratthé : Non, non, pas à vous personnellement, mais ce que vous dites, c'est que la charte vient enlever ce droit de pratique, si on peut l'appeler comme ça, là, de porter…

M. Laperrière (Martin) : Bien, si je comprends bien, là, le projet du Parti québécois, c'est que les fonctionnaires n'auraient pas le droit… quelqu'un, exemple un Juif d'Outremont qui travaillerait à Revenu Québec, dans les bureaux à Montréal, ne pourrait pas porter sa petite calotte juive, si je comprends bien, là, le projet de loi.

M. Ratthé : Vous comprenez bien, effectivement. Mais, pour vous, ça, c'est lié à la pratique de sa religion? C'est juste le point que je veux comprendre de votre part.

M. Laperrière (Martin) : Oui, bien, c'est ça.

M. Ratthé : Le fait de porter une kippa, un voile, c'est étroitement lié à la pratique de sa religion.

M. Laperrière (Martin) : Que le monsieur porte sa… un Juif porte sa calotte juive, pour moi, c'est tout à fait normal, là. Ça ne m'offusque pas du tout, du tout, du tout.

M. Ratthé : O.K. Merci beaucoup, M. Laperrière.

M. Laperrière (Martin) : Ça me fait plaisir.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le député. Je reconnais la députée de Gouin, présentement.

Mme David : Merci, M. le Président. Bonjour.

M. Laperrière (Martin) : Bonjour.

Mme David : D'abord, peut-être deux remarques. Je représente ici un parti qui est souverainiste. Vous comprendrez, à ce moment-là, que, même s'il y avait des problèmes constitutionnels avec l'État canadien par rapport au fait que le Québec veuille avoir une charte de la laïcité, bien on ne se laissera pas nécessairement arrêter par ça, puisque le Québec veut en toute connaissance de cause se donner des moyens d'avancer dans l'amélioration de sa société.

J'ai une question pour vous. Vous dites : «Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu…» Personnellement, je conteste l'existence de ce principe dans une constitution, j'espère qu'on aura un jour une constitution québécoise et qu'il n'y aura pas là-dedans de question religieuse, mais, vous, est-ce que vous considérez qu'il est normal que la Constitution canadienne qui nous influence encore aujourd'hui reconnaisse la suprématie de Dieu?

M. Laperrière (Martin) : Oui. Je peux répondre, M. le Président?

Le Président (M. Ferland) : M. Laperrière, oui.

M. Laperrière (Martin) : Personnellement, moi, je suis un athée, je ne crois pas que Dieu existe. Scientifiquement, Dieu n'existe pas. Mais, que les autres citoyens pratiquent leur religion comme ils l'entendent, moi, ça ne m'enlève aucun droit.

Aussi, ce que je voulais vous dire, c'est qu'en étant comme social-démocrate, au cours des trois dernières élections, bien j'ai voté deux fois sur trois pour votre formation politique. Mais, comme je vous ai dit tout à l'heure, moi, pour moi, il y a deux choses, il y a deux valeurs qui ne sont pas négociables pour moi, c'est les droits des citoyens, les droits individuels, et la justice sociale. Pour moi, ce n'est pas négociable. Et, pour moi, ce que je voulais rajouter — je fais rapidement, M. le Président — c'est que, pour moi, la justice sociale est plus importante que l'appel au drapeau ou la question nationale, si vous voulez, en tout respect, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Aucun problème pour le drapeau. Allez-y, Mme la députée de Gouin.

Mme David : Et je suppose, puisqu'on ne vous demandait pas de le révéler en public, mais, si vous dites que vous avez voté pour ma formation politique, vous êtes évidemment d'accord avec le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes, puisque vous en parlez dans votre mémoire.

M. Laperrière (Martin) : Oui. Moi, personnellement, oui. Mais ce que je redoute, c'est que ce n'est pas marqué clairement, c'est sous-entendu. Là, je n'ai pas le goût de refaire un débat. Je pense que c'est marqué, mais c'est sous-entendu. Mais ce n'est pas marqué clairement dans un article, autant dans la charte québécoise des droits et libertés que la charte canadienne, que les hommes et les femmes sont égaux en droits. Ce n'est pas noir sur blanc, ce n'est pas écrit. On le sous-tend, là.

Mme David : C'est maintenant, si je ne me trompe pas, M. le Président et mes collègues, inscrit dans le préambule de la charte québécoise des droits et libertés de la personne.

M. Laperrière (Martin) : Oui, c'est marqué dans la charte québécoise, comme j'ai dit dans mon mémoire.

Mme David : Alors… Est-ce qu'il me reste un petit peu de temps, M. le Président?

Le Président (M. Ferland) : Il reste à peu près 15 secondes, le temps de…

Mme David : Alors, je voudrais juste signifier, en terminant, que la vraie question, je pense, qu'on doit se poser ici, c'est celle que vous posez, c'est : Y a-t-il plus d'avantages que d'inconvénients à interdire le port de signes religieux chez les employés de l'ensemble des services publics? Je pense que c'est au coeur de la question.

Le Président (M. Ferland) : Alors, sur ce, Mme la députée, je vais vous remercier. Alors, merci, M. Laperrière, pour votre présentation.

M. Laperrière (Martin) : Merci beaucoup, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Alors, je vais suspendre quelques instants afin de permettre au prochain témoin de prendre place pour…

(Suspension de la séance à 10 h 36)

(Reprise à 10 h 37)

Le Président (M. Ferland) : Alors, la commission va reprendre ses travaux. Maintenant, nous allons entendre M. Fernand Morin, alors en vous mentionnant que vous disposez de 10 minutes pour présenter votre mémoire, et ensuite suivra une période d'échange avec les parlementaires. Alors, M. Morin, la parole est à vous.

M. Fernand Morin

M. Morin (Fernand) : Merci, M. le Président. En raison du temps imparti, 10 minutes… Je suis habitué à travailler… à faire des présentations de trois heures, depuis 35 ans, alors je vais essayer d'être plus bref et de me contenir.

Il importe de souligner au tout début, à mon avis, les difficultés d'ordre juridique à traiter des questions de nature spirituelle et qui réfèrent notamment à la conscience, aux diverses manifestations des croyances et des valeurs de chacun. En effet, l'encadrement juridique des divers moyens d'expression — je pourrais vous en donner des exemples — des croyances et des valeurs des citoyens demeure un défi sociopolitique certain, car l'action des uns et les réactions des autres à ces sujets sont toujours imprévisibles.

Depuis 1960, le Québec est devenu progressivement une société laïque puis a reconnu formellement les libertés fondamentales de chacun au moyen d'une charte qui est toujours, à mon avis, en vigueur. Maintenant, on entendrait, par le truchement d'une deuxième charte, articuler des voies et moyens juridiques en vue de manifester davantage notre laïcité. Par ce projet de loi n° 60, l'État prohiberait — je parle au conditionnel puisque c'est un projet — certaines pratiques individuelles plus ou moins religieuses et aménagerait divers processus de décision collective, notamment pour établir la mise en application de ce projet de loi.

• (10 h 40) •

Ainsi, près de 600 000 salariés, indirectement ou directement, y seraient visés. Il suffit de consulter le projet de loi n° 60 aux articles 40 et suivants pour constater que l'on se prépare à de nombreux débats au sein des municipalités et arrondissements, au sein des professeurs des collèges et des universités et entre le personnel des institutions de santé, ce qui fait une population assez importante. Il s'agit de multiples scrutins, tenus selon les articles 44 et 60, en vue d'obtenir ou non une prolongation des sursis de transition. S'il y eut, et c'est relativement frais à votre mémoire, j'en suis convaincu… S'il y eut récemment un printemps érable du seul fait de l'annonce d'une majoration de frais de scolarité, ces divers scrutins tenus en de multiples milieux de travail ne pourraient-ils pas donner aussi prise à d'autres saisons tumultueuses? Celui qui annonce le feu n'est pas en faveur de l'incendie, bien sûr.

En 2014, l'État québécois entend légiférer les manifestations personnelles des croyances des Québécois, alors que, depuis plus de 40 ans, la Charte des droits et libertés de la personne affirme la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, de réunion et d'association. Et, ces six facettes de la liberté, il faut savoir les conjuguer, elles ne sont pas des… ce n'est pas un club sandwich. Et, quel que soit leur employeur, ces six facettes s'appliquent, même si l'employeur est l'État.

Nous notons que l'article 3 du projet de loi précise que le salarié d'un organisme public doit faire preuve de neutralité religieuse et de réserve quant à l'expression de ses propres croyances religieuses. Au-delà de cette consigne sibylline en raison de ses effets pratiques, on ne saurait faire d'ignorer que ces 600 000 salariés visés demeurent néanmoins des citoyens à part entière. Il va de soi que ces mêmes six facettes des libertés affirmées s'appliqueraient également à tous ces fonctionnaires, et c'est pourquoi leur assimilation en vrac à titre d'agents personnels de l'État pourrait justifier pareille contrainte.

Quant au port de signes religieux, cette appréciation ou cette assimilation nous paraît exagérée au point d'y percevoir une atteinte aux droits fondamentaux de ces mêmes personnes. À tout le moins, il importerait de préciser que ces contraintes imposées, s'il faut vraiment les imposer, ne s'appliqueraient qu'au cours de l'exercice de leurs fonctions respectives, et jamais cette restriction, cette réserve qui est déjà dans la loi à deux reprises ne devrait être répétée à chacun des articles où il est question de ce point-là, compte tenu des interprétations souvent surprenantes ou de nos savants avocats et confrères ou des tribunaux.

En vue d'éviter quelque méprise, nous soulignons cependant que la question demeure d'une tout autre nature lorsqu'il s'agit de l'obligation du visage découvert à l'occasion de l'exercice notamment d'acte démocratique fondamental, telle la tenue d'un scrutin, et ce, en vue justement de s'assurer qu'il n'y ait pas d'usurpation de droit par quiconque. De même en est-il quant à la protection par voie législative des signes ostentatoires propres à notre passé, par respect de notre histoire. En ce domaine, on sait depuis longtemps que le présent d'une société qui serait dénudée de son passé mettrait en danger son propre avenir.

Quoi qu'il en soit, comment pourrions-nous valablement retenir une approche aussi radicale visant principalement et de fait les nouveaux Québécois, qui, eux aussi, ont un passé et une culture? À ce sujet, la tolérance et l'équité abordées par l'État s'imposeraient à titre de valeurs citoyennes. Autrement, la radicalité de l'État au sujet de semblables questions, qui peut faire plaisir à certains dans leur ego, ne pourrait que légitimer l'intolérance de bien des citoyens, notamment par un possible mimétisme du Big Brother. C'est-à-dire, si l'État le fait de façon radicale, pourquoi chacun, dans sa paroisse, dans son village, ne pourrait pas être aussi radical?

Que l'État s'affirme clairement laïque ne peut implicitement comprendre ni sous-entendre un blanc-seing pour imposer négativement une quelconque tenue vestimentaire sous prétexte que cette personne serait un salarié de l'État. Je soulignerais la déclaration initiale, dans le premier document du gouvernement, qui affirmait, dans ce document d'orientation, je cite, que «ce devoir de neutralité vise à assurer un mode de gouvernance indépendant et tolérant envers l'expression de la diversité des croyances, afin de n'en favoriser aucune et de traiter également toutes les personnes». Certes, des valeurs et des croyances peuvent être librement partagées par un grand nombre de citoyens mais sans qu'elles soient juridiquement métamorphosées en un dogme singulier… séculier, excusez-moi. L'uniformité formelle, c'est-à-dire par voie législative, du traitement des croyances et des valeurs nous paraît contradictoire à la liberté individuelle affichée et même garantie à l'article 3 que j'ai déjà souligné. Si au plan historique on a cru nécessaire et juste d'assurer le maintien de notre patrimoine culturel — je réfère à l'article 1 du projet de loi — comment alors pourrions-nous en toute équité demeurer indifférents à la situation que pourraient connaître les nouveaux salariés?

Est-ce que le port d'un simple signe religieux par un fonctionnaire ou assimilé à ce titre peut véritablement produire un effet réel de prosélytisme? Nous ne le croyons pas, car, à notre avis, un tel effet négatif, un tel jugement rapide ne seraient possibles que de la part d'une personne qui nourrisse déjà un préjugé à l'égard des croyants d'une autre religion que la leur. Le seul fait de porter un signe manifestant ses propres croyances et non pas un costume — c'est tout à fait différent aussi, et non pas un costume — demeure d'abord l'exercice des libertés garanties à la charte. Nous le réitérons : Comment en une deuxième charte provenant du même législateur pourrions-nous valablement effectuer de tels grignotages? Nous soumettons que le choix du port d'un signe religieux ne peut être, au Québec, que le fait d'une décision personnelle et libre, personnelle et libre… Oui?

Le Président (M. Ferland) : …conclure, monsieur.

M. Morin (Fernand) : Vous voulez que je conclue? Il me reste trois pages…

Le Président (M. Ferland) : Il vous reste une minute, oui.

M. Morin (Fernand) : Alors, j'y vais. La pratique de tolérance et de respect des croyances religieuses ou politiques du citoyen serait fort plus révélatrice de la part de l'État qui se voudrait neutre et démocratique que de prohiber au moyen d'une loi le port de tel ou tel signe que l'on qualifie, à tort ou à raison, à connotation religieuse. Je saute, bien sûr.

Disposant de ces affirmations des libertés publiques depuis 40 ans — 40 ans, c'est l'âge de la charte — pourquoi en 2014 devrions-nous nous doter d'une deuxième charte modulant d'une façon fort différente l'expression de nos croyances religieuses, et ce, d'une façon plus négative et répressive que positive? À cette fin, il nous paraît… de souligner quelques implications, juste à titre d'exemple, quelques implications. Vous avez à l'article 14 de la loi…

Le Président (M. Ferland) : Malheureusement, M. Morin, on va passer à la période d'échange, le 10 minutes étant écoulé, alors…

M. Morin (Fernand) : J'en profiterai pour faire mes pirouettes.

Le Président (M. Ferland) : Oui, mais vous allez avoir l'occasion de vous réexprimer à nouveau avec les questions qui vous seront adressées et les commentaires. Alors, je cède la parole à M. le ministre.

M. Drainville : Merci, M. le Président. Merci pour votre présentation, M. Morin. Merci beaucoup.

Juste avant de vous poser quelques questions, j'aimerais revenir sur les propos de mon estimé collègue de LaFontaine, là, que ça fait quand même deux ou trois fois, là, qu'il revient sur le fait que la neutralité religieuse existe déjà, à son avis. Je lui ai répondu déjà qu'elle n'est pas reconnue explicitement dans quelque texte de loi que ce soit et j'attends toujours le texte de loi qui reconnaît explicitement par les mots «neutralité religieuse» la neutralité religieuse en question. Je lui rappelle notamment les propos de M. Tassé, encore une fois, qui, sur cette question-là, sur la question en fait de la laïcité de l'État, a déclaré : «On ne le dit pas clairement dans la charte canadienne [ou] la charte québécoise. Donc, il peut y avoir un intérêt à ce que le législateur — là, on parle de législateur québécois — [le] dise clairement que l'État québécois est laïque.»

Moi, évidemment, j'ai tout le respect du monde pour mon collègue de LaFontaine, mais, si je dois comprendre ses propos, là, qu'il a répétés encore ce matin, ce que je comprends donc, c'est que, pour le Parti libéral, ce n'est pas nécessaire de reconnaître la neutralité religieuse dans la loi. Et, si c'est le cas, j'aimerais bien qu'il nous le dise, parce que, s'il continue à nous dire qu'à son avis la neutralité religieuse, M. le Président…

Une voix :

M. Drainville : M. le Président, je m'adresse à…

Le Président (M. Ferland) : Non, mais juste…

M. Drainville : Je m'adresse à vous, là.

• (10 h 50) •

Le Président (M. Ferland) : Oui, M. le ministre. Oui, c'est ça, mais juste être prudent un peu pour les… Je comprends, les remarques, là, qu'on aura l'occasion, lors des échanges sur l'analyse détaillée article par article, de faire part de ça. Je ne veux pas empêcher ça, mais juste d'être prudent quand même, parce que je ne veux pas qu'on tombe dans une discussion.

M. Tanguay : …appel au règlement.

Le Président (M. Ferland) : Oui. Allez-y, M. le député.

M. Tanguay : M. le Président, j'aimerais prendre le temps, parce que c'est important de ne pas mettre des propos…

Le Président (M. Ferland) : Question de règlement… Excusez. Si vous avez demandé une question de règlement, je ne veux pas de commentaire.

M. Tanguay : Question de règlement, l'article 36. Il nous impute des propos qui sont faux.

Le Président (M. Ferland) : O.K., parfait. C'est beau, donc, la question de règlement. Alors, M. le ministre.

M. Drainville : M. le Président, dans le fond, c'est une question, là, à laquelle il pourra répondre en temps et lieu, mais est-ce qu'effectivement l'opposition libérale est en faveur de la reconnaissance de la neutralité religieuse telle qu'elle est prévue dans le projet de charte? Si elle l'est, j'aimerais bien qu'on l'entende. Je croyais que c'était le cas, mais là j'ai l'impression qu'on recule là-dessus, parce qu'on semble dire… pas on semble dire, on affirme deux fois plutôt qu'une qu'elle existe déjà, cette neutralité religieuse. Et, si je comprends bien, ça ne semblerait pas être nécessaire de le dire explicitement.

Pour ce qui est de la question des avis juridiques, je veux juste être bien, bien clair, parce que j'ai l'impression que cette question-là va être soulevée à nouveau dans certaines des présentations qui pourraient survenir dans les prochains jours ou les prochaines semaines. Alors, je ne voulais pas, quand même, laisser le témoignage de M. Laperrière sur un malentendu, là. Je veux juste vous rappeler la déclaration de mon collègue ministre de la Justice, député de Chambly, le 2 novembre dernier. Je vais la citer parce que je pense que c'est important qu'on s'en… qu'elle nous éclaire pour la suite de nos travaux. Alors, je le cite, là, c'est le ministre de la Justice qui parle : «Personnellement, comme jurisconsulte du gouvernement, je ne dis même pas si j'ai reçu ou non un avis et encore moins qui aurait pu me faire un avis, sous quelle forme [il aurait] été fait et ce qu'il contient. C'est une règle que je suis depuis le départ. Je vous rappelle que, depuis des décennies, jamais un ministre de la Justice et jurisconsulte n'a révélé les avis juridiques qu'il a reçus pour éclairer le Conseil des ministres.» Ça comprend évidemment, M. le Président, les ministres de la Justice qui ont servi sous les gouvernements libéraux.

Maintenant, M. Morin, quelques questions d'abord sur votre présentation. Hier, on a entendu M. Réjean Parent, qui a été président de la Centrale des syndicats du Québec de 2003 à 2013, je suis sûr que vous devez le connaître. Il nous disait — et je reprends ses mots — qu'il était favorable à l'encadrement des demandes d'accommodement parce que — alors début de la citation — «cela [aurait] le mérite de cristalliser une grille d'analyse pour de futures demandes d'accommodement et de nous éloigner du traitement à la pièce en nous forçant à réinventer une roue qui existe déjà». Comment vous réagissez à ça?

Le Président (M. Ferland) : M. Morin.

M. Drainville : Pas sur le fait que ce soit M. Parent qui l'ait exprimé mais sur l'argument comme tel, sur le fond des choses.

M. Morin (Fernand) : Je vous dirai franchement que ma propre idée à ce niveau-là, c'est que ce projet de loi, bien sûr, s'il devient loi, c'est une porte battante qui va ouvrir de nombreux, nombreux, nombreux débats. Entre parenthèses, je me demande comment il se fait que vous n'ayez pas reçu une lettre de remerciement du Barreau, compte tenu de la charge de travail que bien des avocats auront au cours des prochaines années.

Ceci étant, je suis convaincu que la tenue de tant de scrutins à savoir… pour la suspension de l'application de la loi, ces tiraillements qu'il va y avoir à l'intérieur, à l'interne du personnel des collèges, des hôpitaux, etc., de toutes les institutions publiques va ne faire qu'alimenter, que nourrir le feu sur cette question-là, hein? Ce n'est pas pour rien que j'ai soulevé l'histoire de l'an passé, de l'augmentation, la légère augmentation des cotisations de scolarité. Il en faut peu pour allumer un feu, et c'est une question, je crois, qui va exiger beaucoup de…

Prenons un exemple. Pour reprendre votre témoin, prenons l'exemple de l'enseignement. Vous avez à l'article 5 la règle du premier manquement, le premier manquement d'un salarié, et c'est une mesure disciplinaire. Dans le cadre du processus ordinaire, ce qu'on appelle le principe de la progression des sanctions, en ouvrant une première sanction sur ce point-là, dans la mesure où c'est le premier manquement, bien, s'il y a une sanction et s'il y a récidive, nécessairement c'est la porte ouverte pour la progression des sanctions, et la progression des sanctions, pour un enseignant ou pour toute autre personne, ça veut dire, à deux ou trois étapes, un congédiement. Et c'est dans ce sens-là qu'une règle semblable — je le prends à titre d'exemple — une règle semblable, dire : Le premier manquement, c'est une mesure disciplinaire, c'est justement une porte ouverte à des débats, à des coûts énormes, des coûts non seulement financiers, mais surtout moral, professionnel et autres. C'est dans ce sens-là que je dirais… Ce n'est peut-être pas gentil de le dire, mais le projet de loi constitue un germe de dispute et de discorde. C'est dans ce sens-là que…

M. Drainville : Mais, si vous me permettez, M. Morin, ma question portait sur les règles devant encadrer les demandes d'accommodement. On pourra revenir, si vous le voulez bien, sur la question des…

M. Morin (Fernand) : Oui. Vous avez fait, dans le projet de loi, une synthèse de la jurisprudence, que je connais bien forcément, hein, ce n'est pas par plaisir. Par conséquent, il faut se rappeler : les règles d'accommodement, d'une part, il faut tenir compte… Qu'est-ce que c'est, un accommodement? C'est faire une exception, une adaptation à une situation particulière, compte tenu du respect des droits fondamentaux. C'est la base même. Nécessairement, ce qui est vrai dans un cas peut être erreur dans un autre, il y a des considérations de personne, de lieu, de temps qui sont en cause. Et, quand vous regardez votre projet de loi, les articles 15 et 16, il y a neuf critères possibles, neuf critères de jugement pour qu'un gestionnaire puisse légitimement, correctement et valablement, au plan juridique, refuser l'accommodement, et par conséquent c'est une série de débats. Moi, personnellement, je ne pourrais pas agir comme arbitre dans le domaine parce que je me commets devant vous, mon impartialité est bien sûr vidée de toutes pièces, mais ce n'est pas important. Et il y aura des débats nécessairement, c'est un exemple entre autres. Et ce qui est vrai par les scrutins, ce qui sera vrai dans un arrondissement de la ville de Montréal pourrait être faux de l'autre côté de la rue, dans un autre arrondissement, etc., donc des problèmes, des conflits internes.

Le Président (M. Ferland) : M. le ministre.

M. Drainville : Donc, vous dites, d'un côté, les critères… notamment les critères de raisonnabilité qui sont inscrits dans notre projet de charte reflètent l'état du droit, et vous ajoutez que ces critères qui sont déjà dans la jurisprudence sont sujets à interprétation nécessairement, hein, comme…

M. Morin (Fernand) : Pas à interprétation, à adaptation des circonstances de temps, de lieu et de personne.

M. Drainville : Mais vous ne pensez pas…

M. Morin (Fernand) : Et vous avez dans les articles 15 et 16 neuf conditions, neuf critères pour évaluer la qualité de l'accommodement demandé, et ces neuf critères sont autant d'excuses possibles pour les refuser.

M. Drainville : Oui, je veux bien. Mais, sur le fond des choses, est-ce que vous êtes d'accord avec les critères qui sont proposés?

D'abord, il faut, pour les gens qui nous écoutent, là, faire la part des choses. L'article 15 précise les quatre grands critères qui s'appliquent à toute demande d'accommodement qui serait faite à un organisme public. Donc, il faut d'abord qu'il y ait discrimination. S'il y a un potentiel de discrimination, la demande d'accommodement doit respecter l'égalité hommes-femmes. Par la suite, on passe au critère de raisonnabilité, donc pas de contrainte excessive eu égard au respect des droits d'autrui, santé et sécurité, bon fonctionnement, les coûts également. Et finalement, pour une demande d'accommodement qui est faite, donc, toujours à un organisme public, il faut que le principe de la séparation des religions et de l'État ainsi que la neutralité religieuse et la laïcité soient respectés. Ça, c'est les quatre grands critères qui vont s'appliquer, si la loi est votée, à des demandes d'accommodement des organismes publics.

Les points… L'article 16 compte effectivement cinq paragraphes, mais il faut bien préciser qu'on parle ici de l'encadrement des demandes de congé religieux. Je voulais juste préciser ça, là, parce que vous sembliez dire qu'il y avait neuf critères qui s'appliquaient à l'ensemble de demandes d'accommodement. Il faut être prudent. Les quatre premiers, effectivement à l'ensemble des demandes d'accommodement, et l'article 16, les cinq autres, dirions-nous, c'est spécifiquement pour la question des congés religieux.

Mais je veux juste revenir sur… Les gestionnaires que nous avons rencontrés, plusieurs d'entre eux dans tous les domaines, que ce soit hospitalier, dans le domaine des commissions scolaires, je vous dirais qu'il y a un assez fort consensus, en fait, M. Morin, y compris au sein de la classe politique, pour dire qu'il faut mieux baliser les demandes d'accommodement. Donc, vous vous inscrivez contre cette volonté de mieux baliser les demandes d'accommodement tel que nous le faisons dans le projet de loi?

• (11 heures) •

Le Président (M. Ferland) : M. Morin.

M. Morin (Fernand) : Non, c'est une... Je dirais que ce n'est pas comme ça, je pense, que c'est... C'est que, si un gestionnaire veut refuser, il peut très bien, à l'aide de ces critères, hein, refuser. Prenons… Il y a une question, par exemple... Il y a des domaines, des données que le salarié, comme tel, ne peut pas disposer nécessairement. Je vais prendre juste un exemple : l'absence. Est-ce qu'il est irremplaçable ou remplaçable, etc.? En raison des effets de son absence, hein… Que sait-il des besoins de l'ensemble du service et combien de personnes sont disponibles, peuvent être appelées en rescousse? Comment peut-il répondre à ça?

M. Drainville : Si vous me permettez, il y a la loi, et par la suite il y a l'application de la loi. Et ce n'est pas rare, vous savez, qu'on vote une loi puis après ça on se donne une réglementation qui va avec la loi. Vous avez travaillé dans le domaine du travail très longtemps, vous savez très bien qu'à un moment donné il faut se donner des règles internes qui découlent des principes qu'on se sera donnés.

Alors, nous, on prend la jurisprudence. En tout cas, pour ce qui est de la partie, là, des critères de contrainte excessive, on prend la jurisprudence, on la codifie par un texte législatif. Et ce qu'on dit également dans les politiques de mise en oeuvre, on dit : Une fois qu'on aura voté ces grands principes, ces grandes balises, il va falloir par la suite qu'il y ait des politiques de mise en oeuvre dans les ministères qui vont appliquer, donc, concrètement les balises qu'on se sera données. Et éventuellement il y aura dans les écoles, il y aura dans les universités, il y aura dans les hôpitaux des, comment dire… appelons ça le manuel d'application, mais ça, ça va se faire avec le temps, comme ça se fait pour toutes sortes d'autres législations. Avec le temps, on met en pratique la loi, on apprend à travailler avec cette loi-là sur le terrain et on se donne les règles plus précises, plus techniques, la mécanique d'application. Je ne vois pas en quoi c'est problématique, puisqu'on le fait déjà pour beaucoup d'autres législations.

Et je vous le dis encore une fois, là : Les gestionnaires, vous savez, ils ne se promènent pas avec la pile des jugements de la Cour suprême, les gestionnaires. Ils ont besoin, à un moment donné, qu'on les aide. Et actuellement... Vous voyez ce que les infirmières ont dit, la FIQ, tiens, principal syndicat des infirmières, qui sont favorables à la charte et qui disent : Ça prend des balises. Pourquoi? Parce que dans le tiers des cas c'est notre infirmière sur le plancher qui est obligée de prendre la décision au sujet de la demande d'accommodement. Elle ne monte pas au gestionnaire, c'est l'infirmière elle-même sur le terrain qui doit prendre cette décision-là, souvent dans des situations... vous comprenez, hein, dans le domaine de la santé c'est souvent des décisions qu'on doit prendre rapidement, situations de tension, parfois situations de fatigue. Alors, c'est les gens aussi sur le terrain, comme les enseignantes, d'ailleurs, qui nous demandent la même chose : Donnez-nous des balises, parce qu'actuellement la situation, elle n'est pas claire. Même si la jurisprudence, elle existe… Puis vous, vous êtes un spécialiste de la jurisprudence, puis c'est pour ça que vous venez partager avec nous vos connaissances, puis on l'apprécie énormément, mais les gens qui sont sur le terrain, ils demandent une sorte de manuel qui va clarifier les choses. Et donc je vous demande : Au-delà des difficultés que vous soulignez, sur le principe même de clarifier les règles, y compris les règles existantes, est-ce que vous êtes d'accord avec ça?

Le Président (M. Ferland) : M. Morin.

M. Morin (Fernand) : On ne peut pas être contre ce que vous dites actuellement, tel que vous le formulez, mais la transposition pratique, ça peut être une tout autre chose, et il s'agit d'un gestionnaire qui veut refuser l'accommodement, pour une raison ou pour une autre, qu'on lui donne nécessairement tout ce qu'il faut pour... Il y a un manuel ici pour refuser, pour refuser l'accommodement, c'est...

M. Drainville : Bon, on ne va pas...

M. Morin (Fernand) : …et quels que soient les rêves des gestionnaires que vous avez pu rencontrer.

M. Drainville : Mais vous avez raison de dire qu'il y aura toujours une part de la décision qui appartiendra au bon jugement et au bon sens, on s'entend là-dessus. Mais ça, si vous me permettez, c'est un principe qui s'applique à l'ensemble des affaires humaines.

Si vous me permettez, on va passer à un autre sujet. Il me reste combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Ferland) : Il reste quatre minutes.

M. Drainville : Oh boy! Bon. Alors, si je comprends bien votre mémoire… Enfin, je pense bien le comprendre. Au sujet de la neutralité religieuse et du caractère laïque des organismes d'État, vous dites, et je vous cite : «Il allait de soi d'apporter cette dernière précision, car autrement de multiples aspects de la configuration du Québec auraient été modifiés ou seraient susceptibles de l'être.» Donc, vous semblez d'accord avec la reconnaissance formelle dans la charte du caractère neutre de l'État québécois sur le plan religieux, sur le plan, donc, de sa laïcité.

Maintenant, à partir du moment, donc, où vous êtes d'accord, c'est ce que je crois comprendre de votre mémoire, vous êtes d'accord avec la reconnaissance de la neutralité religieuse de l'État, est-ce que, pour vous, ce serait acceptable d'interdire pour certains agents de l'État le fait de manifester ouvertement leurs convictions religieuses, par exemple pour les policiers, ou les gardiens de prison, ou les juges? Est-ce que, pour vous… Dans le prolongement de cette neutralité religieuse de l'État avec laquelle vous êtes d'accord, est-ce que vous êtes d'accord avec une restriction pour les agents coercitifs? J'ai bien compris que, pour l'ensemble des signes, là, tel que nous le proposons, ça, vous êtes contre ça, vous avez un problème avec ça, mais, pour les agents coercitifs, est-ce que vous seriez prêt à vivre avec ça ou même là-dessus vous trouvez... vous seriez opposé?

Le Président (M. Ferland) : M. Morin.

M. Morin (Fernand) : Oui. Je dirais que, pour ce qui est des policiers, je comprends très bien la question. Je comprends très bien que, compte tenu du moment où ils interviennent, il ne faut pas donner prétexte aux citoyens de réagir autrement en disant : Toi, parce que tu es de telle religion… etc., tu sais, une réaction semblable. Je comprends très bien que, comme policier… Je n'ai aucune, aucune difficulté.

Par ailleurs, mon seul point au niveau du port de signes, c'est la généralisation, la radicalisation du système pour tous. Faire assimiler chaque fonctionnaire à un représentant de l'État, ça me paraît une glissade trop rapide à ce niveau-là. Je pense qu'un fonctionnaire demeure un salarié, demeure une personne entière, et il ne perd pas son âme personnelle parce que de 9 à 5 il travaille pour l'État.

Le Président (M. Ferland) : M. le ministre.

M. Drainville : Je veux juste vous dire en terminant, parce que malheureusement il nous reste très peu de temps… Vous faites référence également, dans votre mémoire, à l'article 30, là, c'est-à-dire, dans le fond, la transposition dans la loi d'une directive qui existe déjà — et d'ailleurs qui a été adoptée sous le gouvernement précédent — et qui prévoit, disons, résumons ça comme ça, là, qui prévoit que, dans les garderies, CPE et les garderies privées subventionnées, on ne doit pas faire l'apprentissage de la religion aux enfants, on ne doit pas essayer... Bon, alors...

M. Morin (Fernand) : Ça, je suis tout à fait d'accord, monsieur…

M. Drainville : O.K., vous êtes d'accord. Parce que...

M. Morin (Fernand) : …mais sauf sur... Je fais une mention simplement sur le régime alimentaire.

M. Drainville : Oui, mais, sur le régime alimentaire, vous savez, ce n'est pas interdit actuellement dans une garderie, pour un papa ou une maman, d'arriver, par exemple, à la garderie puis de remettre à l'éducatrice, par exemple, ou à la direction, là, s'il y a un arrangement... de dire : Écoute, voici la nourriture que je voudrais que tu serves à mon enfant ce midi, là. Les garderies gèrent ça différemment, elles ont des... certaines gèrent ça d'une telle façon, d'autres le gèrent de d'autres façons, mais, moi, quand j'ai rencontré, par exemple, l'association des CPE, elles m'ont dit que certains de leurs membres accommodaient très bien les parents, qui ne leur… qui ne demandaient pas nécessairement un...

Le Président (M. Ferland) : Sur ce, M. le ministre, le 20 minutes étant écoulé, je dois malheureusement... Mais il y aura un autre tour tout à l'heure. Alors, je cède la parole au député de LaFontaine. M. le député.

M. Tanguay : Merci. Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, M. Morin, merci beaucoup pour le temps que vous avez pris pour rédiger le mémoire et aujourd'hui d'être présent et répondre à nos questions.

Vous me permettrez, M. Morin, juste rapidement de répondre à ce qu'a dit le ministre un peu plus tôt. Et vous avez vu un appel au règlement qui était... qu'il a occasionné...

• (11 h 10) •

M. Morin (Fernand) : ...ça, monsieur, là, je ne pourrai pas... Ce n'est pas de la sous-traitance que je fais, là, hein, vous ne me parlez pas pour...

M. Tanguay : Non, mais vous avez raison, vous avez tout à fait raison. Alors, je vous remercie beaucoup.

M. le Président, je pense qu'il est important de corriger les propos du ministre lorsqu'il essaie de nous faire dire des choses que l'on n'a pas dites. Il a dit hier, le ministre, que le Parti québécois, par le projet de loi n° 60, créait la neutralité religieuse de l'État, rien de moins. Les galées le démontreront, il a dit que le projet de loi n° 60 créait la neutralité religieuse de l'État. Or, elle existe déjà. Je n'ai pas besoin de revenir sur ce que j'ai fait hier et ce matin, la démonstration par A plus B qu'elle existe dans la liberté de religion, droit à l'égalité et, dans la Loi sur la fonction publique, l'impartialité. Donc, le Parti québécois ne crée pas, c'est une situation de droit et de fait.

Deuxième élément : Depuis le 5 septembre, sur le site du Parti libéral du Québec, plq.org, nous avons toujours clairement indiqué que nous souhaitons — et ça fait partie du très large consensus — que l'on inscrive à l'intérieur de la charte québécoise des droits et libertés le principe de neutralité de l'État. Et ça, ça fait partie du consensus très, très large, M. le Président. Et il est important de souligner que le projet de loi n° 94 en 2010, M. le Président, qui avait été déposé par ma collègue Kathleen… ma collègue députée, à l'époque ministre, inscrivait dès 2010 — ça, c'était un projet de loi libéral — le principe de la neutralité, venait reconnaître cet état de fait. Et l'on disait aux articles 10… À l'article 4, le principe de neutralité religieuse de l'État devait y être inscrit. À ce moment-là, M. le Président, il est important de souligner que malheureusement l'actuel ministre, qui était député à l'époque, a participé à bloquer ce projet de loi là.

Alors, quand on vient de voir le raccourci qui vient d'être fait, je pense qu'on fait écho à ce que disait Gérard Bouchard, La démagogie au pouvoir, M. le Président. Je pense que ce sont des propos qui viennent accréditer la thèse de Gérard Bouchard, lorsqu'on insinue de telles choses.

Le Président (M. Ferland) : Là-dessus, je vous inviterais…

M. Drainville : M. le Président, sur un rappel au règlement. Je pense que c'est important que je le fasse.

Le Président (M. Ferland) : Oui, monsieur. Oui, oui, et voilà, allez-y.

M. Drainville : J'étais président de la Commission des institutions à ce moment-là. Alors, je suis sûr que vous n'êtes pas en train de dire que j'ai utilisé mon siège de président de la Commission des institutions pour bloquer quoi que ce soit, je suis sûr que ce n'est pas ça que vous vouliez dire.

Le Président (M. Ferland) : Merci, M. le ministre. Oui, mais…

M. Tanguay : Je vous réponds? Question, simple question : Avez-vous participé au débat? Vous êtes-vous prononcé sur le projet de loi n° 94?

Le Président (M. Ferland) : Écoutez, on est… Non, je ne veux pas tomber…

M. Tanguay : Je vous le confirme.

Le Président (M. Ferland) : M. le député de LaFontaine, M. le député de LaFontaine!

M. Tanguay : Non, vous n'avez pas présidé tout le temps.

Le Président (M. Ferland) : Bien, écoutez… Sans ça, je vais suspendre quelques instants, si vous continuez dans cette veine-là, monsieur…

M. Tanguay : Alors, M. le Président, par respect pour M. Morin, continuons.

Le Président (M. Ferland) : Est-ce que je peux parler? Je préside encore cette réunion, laissez-moi au moins faire mon travail. Alors, je vous invite tout simplement à faire attention. Je n'empêcherai pas les échanges, les commentaires entre parlementaires sur vos opinions ou vos perceptions, au contraire, mais je vous invite à la prudence.

Et je vous rappellerais qu'il y a des gens comme M. Morin et d'autres… On a encore au-delà de 200 personnes qui vont venir, M. le député, qui ont pris la peine de présenter un mémoire. Alors, j'aimerais qu'on s'adresse à ces gens-là, qu'on les questionne et qu'on leur permette de commenter.

M. Tanguay : Parfait, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Allez-y, M. le député.

M. Tanguay : Je vous remercie beaucoup, M. le Président. Je le prends à mon compte, votre commentaire, qui est tout à fait justifié, et je suis sûr que tous les collègues, incluant le ministre, le prend à son compte. Mais on ne laissera jamais passer, M. le Président, des commentaires de cet ordre-là, de cet ordre-là.

Le Président (M. Ferland) : Je m'adressais à l'ensemble des parlementaires, je m'adressais à l'ensemble des parlementaires.

M. Tanguay : On va être vigilants, M. le Président. Ça, je vous l'assure.

Le Président (M. Ferland) : Allez-y, M. le député.

M. Tanguay : Alors, M. le Président, rapidement. M. Morin, merci beaucoup. Désolé pour cet échange. Deux points très précis, mes collègues ont des questions. Malheureusement, on n'a que 14 minutes. Le Code du travail, clairement, établit, et même la jurisprudence, l'obligation, pour un syndicat, de défendre ses membres. Vous avez été…

Une voix :

M. Tanguay : Oui, vous avez tout à fait raison. Lorsque l'on voit… Vous avez lu, vous avez commenté l'article 14 du projet de loi. Lorsque l'on parle d'une gradation de mesures disciplinaires, vous dites, et je vous cite… Vous trouvez ça un peu radical. Hier, il a été démontré effectivement qu'à un certain moment donné il y a… Et je voudrais vous entendre là-dessus, mon point, puis je vais vous laisser le temps de répondre. J'aimerais vous entendre étayer l'état de fait de l'article 14 du projet de loi n° 60. C'est que, de un, ultimement, mesure disciplinaire veut dire perdre son emploi. Et, de deux, deuxième volet, les syndicats… Là, on parlait de la FIQ, mais ce n'est que 60 % de ses membres. Autrement dit, ce n'est pas 100 %. 40 % sont contre, et même d'autres syndicats se sont dissociés de la FIQ. Le syndicat, de deux, a l'obligation de défendre ses membres, il ne peut pas dire : Ah! bien ils perdront leur job, puis ce sera… Comme les syndicats nous ont accoutumés, ils doivent défendre leurs membres bec et ongles. J'aimerais vous entendre là-dessus.

Le Président (M. Ferland) : M. Morin.

M. Morin (Fernand) : Oui, c'est une très belle question. Enfin, comme professeur d'université en droit du travail, j'aurais été très heureux qu'un élève, qu'un étudiant me pose une pareille question. Ce n'est pas arrivé.

Alors, ce que je veux dire, c'est que, cette règle, sans doute que monsieur l'a oubliée. L'article 47.2 est impardonnable sur ce point-là, c'est une obligation, ça fait partie du mandat même que… Par l'accréditation, c'est ce que demande… et c'est le pouvoir et l'obligation qu'a le syndicat, de représenter tous et chacun des salariés. Qu'il soit ou non d'accord sur le fond, il doit les représenter au plan juridique, représenter. Par conséquent, si jamais il ne le fait pas, le syndicat ne le ferait pas, il y aurait une plainte contre le syndicat, et aux frais du syndicat d'ailleurs, hein?

Le Président (M. Ferland) : Mme la députée de… Notre-Dame-de-Grâce, c'est ça, excusez. Allez-y.

Mme Weil : Merci, M. le Président. Oui, Me Morin, je voudrais vous dire dans un premier temps : On est très heureux de vous recevoir, vous êtes un juriste éminent. Mon seul regret, c'est qu'on n'a pas plus de temps avec vous, parce que vous avez un passage extraordinaire sur une étude article par article — j'espère que le ministre en tiendra compte si on arrive à l'étape d'article par article — qui est très éclairant et qui semble montrer beaucoup d'obstacles, beaucoup de difficultés, etc., parce que vous êtes beaucoup… Et vous connaissez bien, évidemment, l'arrêt Oakes et tout, mais je ne veux pas aller dans les détails techniques.

Comment vous, votre interprétation des expressions «libre et démocratique» tel qu'affirmé par le juge Dickson, le sens lorsqu'ils parlent d'une société libre et démocratique et lorsqu'on interprète des restrictions aux droits fondamentaux, les libertés fondamentales telle la liberté de religion… comment vous faites, comment dire, la conciliation entre ces paroles et cette vision et l'interdiction qui est édictée ou qui serait édictée dans ce projet de loi?

M. Morin (Fernand) : «Libre et démocratique», ce sont des principes au départ, hein, on allègue au niveau des principes le mode général d'une gestion, d'organisation, d'aménagement d'une société. Je pense qu'à ce moment-là il faut le transposer en plus à quelle occasion on peut mettre en relief ou on peut mettre en… discuter de cette question : Est-ce que l'acte, ou le geste, ou la situation est libre et démocratique? C'est dans ce sens-là.

Je pense que, si… Pour ma part, je dirais, et dans le domaine de la religion… C'est pour ça que j'ai commencé mon texte en disant que, lorsque le législateur touche aux questions de religion, aux questions de croyance, il ouvre une porte battante. Il ne sait pas comment la porte va se refermer, parce qu'il y a des éléments, des… on a une société… Et Québec, à ce niveau-là, je pense qu'il est très important de le considérer, dans ce cadre-là, qu'il y a une grande différence entre la ville de Québec et les environs et la situation de Montréal. Et c'est pour ça que je trouve que le projet de loi s'adresse davantage… dans les premières implications qu'il y aura en pratique, ce sera à Montréal. Et c'est dans ce sens-là que je trouve que, si une société respecte, par exemple, les principes fondamentaux, notre société respecte les principes fondamentaux de l'article 3 de la charte, toutes les six facettes de la dimension de liberté de conscience, d'expression, de religion, d'opinion, si on respecte ça et si la disposition que vous mettez en cause respecte ces six facettes, je trouve qu'à ce moment-là, démocratiquement, c'est notre mode de vie qu'on élabore, qu'on articule par un article de loi. À ce moment-là, je n'ai plus rien à dire, c'est la contrepartie de la règle démocratique. La règle démocratique, c'est la loi de la majorité, ce qui suppose, bien sûr, que ce qu'on espère — et Jean-Jacques Rousseau le soutenait, c'est ce qu'on espère — c'est une majorité éclairée. Et, la façon de l'éclairer, c'est ici à l'Assemblée nationale par les partis qu'on peut éclairer.

Le Président (M. Ferland) : Allez-y, Mme la députée.

Mme Weil : Je vous remercie. Je n'ai pas le temps, je vais laisser mes collègues… Mais j'aurai une autre question que je vous poserai après.

Le Président (M. Ferland) : Alors, je reconnais la députée de Bourassa-Sauvé. Allez-y.

Mme de Santis : Combien de temps?

Le Président (M. Ferland) : Il reste cinq minutes et… un petit peu moins. Cinq minutes, disons.

• (11 h 20) •

Mme de Santis : Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup. J'aimerais faire référence à un sujet qu'on a abordé hier, l'Hôpital Marie-Clarac. L'Hôpital Marie-Clarac, c'est un hôpital privé subventionné. J'aimerais aussi faire référence à l'article 10 du projet de loi n° 60. Et vous en faites vous-même… à la page 11 de votre mémoire, vous en faites référence. J'aimerais rappeler à tout le monde que cet article dit que «lorsque les circonstances le justifient, notamment en raison de la durée du contrat ou de l'entente, de sa nature ou des lieux de son exécution, un organisme public peut exiger de toute personne ou société avec laquelle il conclut un contrat de service [...] — etc. — de respecter un ou plusieurs des devoirs et obligations [qu'on retrouve] aux chapitres II et III».

Donc, il y a là la possibilité que l'Hôpital Marie-Clarac, où aujourd'hui la directrice générale, c'est une soeur, une religieuse… peut être sujet à ce projet de loi, n'est-ce pas? Et j'aimerais avoir votre opinion là-dessus et j'aimerais aussi que vous nous expliquiez dans des mots que tout le monde peut comprendre ce qu'implique cet article, parce que, pour moi, cet article va très loin parce que ce n'est pas seulement les 600… fonctionnaires de l'État qui sont couverts par le projet de loi, mais la possibilité va au-delà de ça.

Le Président (M. Ferland) : M. Morin.

M. Morin (Fernand) : C'est pourquoi je l'ai souligné. J'ai souligné l'importance de l'article 10, je me souviens très bien, parce que cette personne-là, cette entreprise est aussi employeur et que, par conséquent, si elle est soumise à la loi, elle sera… ses salariés devront également obtempérer aux directives. Et je pense qu'à ce moment-là ce n'est pas assez clair dans le projet de loi que cette obligation incombe, incombe, et je dirais qu'on doit l'ajouter probablement dans les règles de mise en transposition, en pratique. On doit préciser à un donneur d'ouvrage… Comme donneur d'ouvrage, l'État est donneur d'ouvrage à un entrepreneur. Par conséquent, on doit souligner, on devrait souligner dans le devis qu'il y aurait sujet à l'application de la charte, pour le fait que l'employeur ne change pas unilatéralement les conditions de travail des salariés, parce que, là, il va donner du travail à bien des arbitres puis à bien des syndicats.

Le Président (M. Ferland) : Merci. Je reconnais le député de Lotbinière-Frontenac. Il reste à peu près deux… pas tout à fait deux minutes.

M. Lessard : Oui, c'est parfait. Alors donc, Me Morin, merci. Donc, question : Vous parlez de la radicalisation, du fait qu'on étend l'obligation de ne pas porter de signe à tous les employés de l'État. Donc, exemple, un traducteur qui vient du ministère des Communications ne devrait pas le mettre. Un commis de département ne serait pas obligé… ne devrait pas le mettre. Le préposé à la balance à la Société de l'assurance automobile, le mécanicien de la STM, le technicien aux équipements audiovisuels, donc, dans l'idée du ministre, lorsque le technicien à la STM remplace les pneus puis qu'il porte un signe, il pense qu'il est en train d'induire les autres travailleurs mécaniciens de sa religion. Il pense que le commis qui transporte des colis d'un département à l'autre est en train de transmettre sa religion. Donc, est-ce que c'est bien ça que vous dites…

M. Morin (Fernand) : Exactement.

M. Lessard : …cette radicalisation qui dit que tout le monde qui porte un signe quelconque est en train d'induire n'importe qui dans sa religion, et c'est la raison première pour laquelle il le met?

M. Morin (Fernand) : On instrumentalise chaque personne, chaque salarié comme un agent de l'État pour l'habiller ou le déshabiller selon les prescriptions, et c'est ça qui m'apparaît important. Puis, je dirais, parfois négatives.

Compte tenu de mon âge, j'ai vécu, moi, 1960, hein, j'ai vécu… J'étais un jeune professeur à ce moment-là — parce que j'ai été jeune un temps — j'étais un jeune professeur aux Sciences de l'administration ici, à l'Université Laval. C'étaient des Frères des écoles chrétiennes qui l'avaient mise en place, la faculté. Il y avait beaucoup d'enseignants qui étaient en soutane. Jamais, jamais je n'ai entendu un étudiant ou un de mes collègues laïques critiquer le fait que l'autre, le mur à côté, était en soutane.

Le Président (M. Ferland) : Alors, M. Morin, je m'excuse, on doit aller maintenant au député de Blainville.

M. Ratthé : Merci beaucoup, M. le Président. Me Fortin, merci d'être là. Un mémoire très étoffé, qui va sûrement nous être utile, d'ailleurs, dans l'étude article par article, parce que vous êtes allé très précis sur des articles.

D'ailleurs, j'ai soulevé… Et je n'ai pas beaucoup de temps, en ce qui me concerne, à peu près quatre minutes. J'ai soulevé que vous aviez un questionnement sur toute la question de la période tampon, qui peut varier d'un organisme à un autre. Vous suggérez même peut-être qu'elle devrait être plus longue.

Est-ce que vous pensez qu'il devrait y avoir une période tampon pour l'ensemble de l'application de la loi? Est-ce qu'elle devrait être plus longue? J'aimerais vous entendre, là, prendre les deux, trois minutes que j'ai pour m'expliquer votre point de vue.

M. Morin (Fernand) : C'est ma crainte qu'en… Je pense qu'au niveau… Je peux comprendre la logique de fond de faire des scrutins point par point, par groupes de population visés directement, je peux comprendre ça, mais ce qui m'apparaît difficile, à ce moment-là, c'est qu'on entretient le feu, le feu possible d'un problème, on radicalise, on généralise le problème et on va toujours avoir une braise quelque part parce qu'il y aura des scrutins, des scrutins et des scrutins, etc. C'est dans ce sens-là que je trouve que c'est dangereux, et c'est dangereux parce qu'on ne sait pas quelles seront les conséquences, hein?

C'est pour ça que j'ai fait une pirouette, tout à l'heure, sur l'augmentation des frais de scolarité pour les étudiants et ce que ça a donné. Ce que je veux dire par là, c'est que ce qui serait mieux, à mon avis, ce serait d'avoir une période tampon règle générale avec une date de tombée radicale, si vous me permettez l'expression.

M. Ratthé : Et est-ce que vous recommandez une période tampon plus longue que celle qui est suggérée actuellement? Est-ce que vous aviez…

M. Morin (Fernand) : Bien, elle est de cinq ans possible.

M. Ratthé : Cinq ans, donc, pour vous, ça paraît suffisant?

M. Morin (Fernand) : Tout à fait.

M. Ratthé : Mais elle devrait être la même pour tous?

M. Morin (Fernand) : Oui. Et ce qui permettra, si vous voulez, aux différents ministres, aux différents responsables d'organisme de mettre au point, là, mettre au point le système et avoir une certaine uniformité, parce qu'au plan strictement de la mécanique vous allez avoir un ministre responsable chargé des choses, vous avez dans chaque secteur des ministres responsables, et par conséquent il y aura nécessairement… il devrait… il pourrait y avoir, je devrais dire, conflit entre les ministres. Et, selon la loi, c'est le ministre responsable qui départagerait les ministres. J'ai rarement vu ça au Québec, qu'un ministre pourrait départager. Il y a eu l'expérience sous le Parti québécois jadis, sous M. Marois, des superministres, mais ils étaient quand même limités à quelques ministres, et c'était… ils travaillaient en groupe, de toute façon.

M. Ratthé : Donc, c'est clair pour moi : période de cinq ans acceptable, mais uniforme pour tous, avec une date butoir.

M. Morin (Fernand) : Oui.

M. Ratthé : Ça me convient. Merci, M. Fortin.

Le Président (M. Ferland) : Merci, M. le député. Maintenant, je reconnais la députée de Gouin. À vous la parole.

Mme David : Merci, M. le Président. Une question que je vous adresse pour commencer.

Le Président (M. Ferland) : Oui, allez-y.

Mme David : La collègue de la Coalition avenir Québec n'ayant pas pris son temps de parole, est-ce que je dispose d'un peu plus de temps?

Le Président (M. Ferland) : Non, c'est… Vous avez trois minutes, on ne peut pas répartir le temps. Donc, vous disposez de trois minutes.

Mme David : Ça aurait été pourtant sympathique. Bonjour. Merci beaucoup d'être présent. J'ai deux questions pour vous, je vais les poser rapidement.

Vous avez parlé du rapport majorité-minorité. Vous avez dit : Ce genre de loi là va forcément être adopté par une majorité, que vous espérez éclairée. Moi, ce que je voudrais vous demander : Compte tenu de l'importance des changements induits par une charte de la laïcité, quelle devrait être une majorité acceptable? Au-delà des règles habituelles, quelle devrait être une majorité acceptable, à votre avis, sur le plan politique, sur le plan moral, sur le plan de l'avancement d'une société pour qu'il y ait réellement acceptation d'une charte de la laïcité?

M. Morin (Fernand) : Personnellement… Je ne suis pas très fort dans les chiffres, hein, alors je ne vous donnerai pas de chiffre. Je vous dirais que, personnellement, je souhaiterais qu'elle soit retenue à une très forte majorité pour qu'elle s'impose elle-même. C'est important qu'elle s'impose, et d'autant plus qu'on en fait une deuxième charte. Une deuxième charte, aussi, on élève le niveau au niveau pas seulement, je dirais, virtuel, mais au niveau hiérarchique de la législation, on l'élève en faisant une charte. Par conséquent, je pense que c'est important qu'elle soit bien martelée et bien soulignée par l'Assemblée nationale, qui est l'autorité suprême.

Mme David : Merci. Et j'ai le temps, je pense, pour une deuxième courte question. Je pense que, dans tout le débat sur la question du port des signes religieux, implicitement on fait référence au fait que les employés de l'État… On cite souvent la fonction publique, mais je rappelle avec vous effectivement que, là, on parle de 600 000 personnes. On est bien au-delà de la simple fonction publique, où il y a à peu près 80 000 personnes, mais c'est comme si on faisait de l'ensemble des employés de l'État des agents de l'État représentatifs. Et on en fait autant pour un certain nombre… en fait nombreuses entreprises privées qui en ce moment même et dans l'avenir contractent avec l'État.

Trouvez-vous raisonnable que ces 700 000 ou 800 000 personnes, finalement, soient considérées comme des agents de l'État?

M. Morin (Fernand) : Je pense que ma réponse est dans le texte. Pour moi, c'est… je ne dirais pas «déraisonnable», mais ce n'est pas objectif, ce n'est pas, je dirais, valable et c'est exagéré, c'est exagéré. Ça parle d'une idée comme si on voulait évangéliser, évangéliser la province…

Le Président (M. Ferland) : Alors, malheureusement, M. Morin, c'est tout le temps. Je dois reconnaître la députée de Montarville. À vous la parole.

• (11 h 30) •

Mme Roy (Montarville) : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, Me Morin. Merci pour votre mémoire, un mémoire étoffé. Vous nous expliquez et décortiquez les articles du projet de loi n° 60, et j'aimerais profiter de votre expertise, puisque vous êtes un éminent juriste, pour vous poser une question plus précise. On en parlait hier, d'ailleurs, avec le ministre. L'article 10 du projet de loi n° 60, et vous en parlez à la page 11 de votre mémoire, alors j'aimerais que vous nous expliquiez ce que l'article 10 du projet de loi n° 60 — vous en parlez à la page 11 de votre mémoire — signifie. Et, plus précisément, signifie-t-il que la charte pourra s'appliquer au secteur privé lors de contrats de services? Alors, j'aimerais que vous élaboriez sur ce que vous… sur vos enseignements sur l'article 10.

M. Morin (Fernand) : Oui. Bien, c'est ce qu'on a un peu soulevé tout à l'heure également. C'est qu'indirectement, parce qu'il y a un contrat, le donneur d'ouvrage — c'est ce qui est prévu — du fait de la nature du donneur d'ouvrage, l'entrepreneur, le sous-traitant aurait à ce moment-là l'obligation, hein, de la respecter.

C'est dans ce sens-là que je trouve que… Ce qui est important, pour moi, c'est que cette règle soit bien claire et précisée dans le devis, notamment pour passer à la transposition pratique, dans le devis, de manière à ce que l'entrepreneur, qui est employeur à l'égard de ses salariés, doit être capable de l'imposer et que le syndicat, s'il y en a un, ou que les salariés, s'il n'y a pas de syndicat, puissent penser qu'il modifie les conditions de travail. Parce que ce sont des conditions de travail, il y a déjà une jurisprudence à savoir que le vêtement est une condition de travail. Le port de tel, tel vêtement est une condition de travail, et ça pourrait faire un grief, etc. Et c'est important, je pense, que, si on veut l'application… Je ne suis pas contre l'article 10 comme tel, mais je pense que ce qui est important, c'est que le message porte, soit bien clair pour ce qui est du donneur d'ouvrage, que le sous-traitant puisse savoir qu'il est lié par cette disposition et de façon à ce qu'il puisse, lui aussi, lier ses salariés.

Mme Roy (Montarville) : Si je comprends bien, lorsqu'on parle du donneur d'ouvrage, donc l'État ou…

M. Morin (Fernand) : L'État, oui, ou un organisme.

Mme Roy (Montarville) : …aura, passera un contrat avec une société. Donc là, on parle d'une entreprise qui peut être une entreprise privée ou une personne. La charte pourra s'appliquer à cette entreprise.

M. Morin (Fernand) : Oui.

Mme Roy (Montarville) : Par exemple, une compagnie pharmaceutique qui fabriquerait des médicaments, qui vendrait ses médicaments à l'État, est-ce que ça pourrait s'appliquer?

M. Morin (Fernand) : Là, c'est juste une transaction, un achat. C'est une… Il n'y a pas de suite, hein? Je ne pense pas que ce soit le cas, on ne puisse pas considérer le fabricant de produits pharmaceutiques comme un entrepreneur. Un entrepreneur… Il n'y a pas eu un contrat d'ouvrage.

Mme Roy (Montarville) : D'accord. Alors, c'est vraiment le contrat de services. Tout sera dans le contrat, tout sera dans le lien qu'il y aura entre l'entreprise privée et le gouvernement.

M. Morin (Fernand) : C'est ça.

Mme Roy (Montarville) : Et ce n'est pas un lien qui est uniquement dans le lieu, si on comprend l'article 10. On parle de nature, on parle de temps. Ce n'est pas uniquement le lieu où le contrat serait effectué.

M. Morin (Fernand) : Non, pas du tout, pas du tout.

Mme Roy (Montarville) : Parfait. Je vous remercie. Ça clarifie quelque chose pour moi.

Également, au niveau du projet de loi n° 60, on parle de signes religieux ostentatoires, ostensibles. On définit la grandeur ou la grosseur des signes qui seront permis et non permis, parce que certains le seront s'ils ne sont pas ostentatoires ou ostensibles. Qu'est-ce que…

Le Président (M. Ferland) : Malheureusement, le temps est écoulé.

Mme Roy (Montarville) : Ça va vite. Merci, maître.

Le Président (M. Ferland) : Alors, je vous remercie, M. Morin, pour votre mémoire, le temps que vous avez pris pour préparer ça. Je suis convaincu que ça va éclairer les membres de la commission pour la suite des choses.

Alors, sur ce, je vais suspendre quelques instants pour permettre au prochain témoin de prendre place.

(Suspension de la séance à 11 h 34)

(Reprise à 11 h 37)

Le Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Nous allons maintenant entendre Mme Michelle Blanc, en vous mentionnant que vous disposez de 10 minutes pour présenter votre mémoire, et suivra après l'échange avec les groupes parlementaires. Alors, la parole est à vous, Mme Leblanc.

Mme Michelle Blanc

Mme Blanc (Michelle) : Bien, merci de me recevoir. Mon nom n'est pas Mme Leblanc, c'est bien Mme Blanc.

Le Président (M. Ferland) : Blanc? J'ai dit «Leblanc»?

Mme Blanc (Michelle) : Blanc.

Le Président (M. Ferland) : O.K. Excusez. J'ai ajouté un «le» sans… Allez-y, Mme Blanc.

• (11 h 40) •

Mme Blanc (Michelle) : C'était mon ancien nom dans une autre vie, puis ça m'a coûté assez cher de changer de nom, avant que justement les péquistes décident de faire une loi pour faciliter, justement, ce changement de nom là.

Écoutez, je suis vraiment émue d'être ici, je suis touchée. Je vous remercie de me recevoir, M. le Président, et Mmes les députées et MM. les députés. Je remarque d'ailleurs qu'il y a beaucoup de femmes. Merci à la Révolution tranquille pour ça.

Je sors de ma zone de confort et je vais vous parler un peu des aspects personnels qui font que je viens discuter de la charte avec vous aujourd'hui. Je sors de ma zone de confort, évidemment, je suis une spécialiste du numérique. J'aurais beaucoup aimé discuter d'un plan numérique pour le Québec, mais aucun de vos chefs n'a encore eu la vision de penser à ça. Pourtant, c'est plus que l'agriculture et l'énergie mis ensemble, mais c'est une autre histoire.

Donc, je viens vous parler à titre de femme, de grand-mère et de lesbienne. Je ne vous parlerai pas à titre de transsexuelle, puisque je n'ai pas d'existence légale au Canada. Vous le savez, le bill C-279 est encore en train de dormir au Sénat, donc je n'existe pas légalement. Et, comme je viens de vous le dire, bien j'ai déjà été un homme. J'ai vécu… Je sais c'est quoi, être quelqu'un de viril. Je sais c'est quoi, faire des jokes de cul. Je sais c'est quoi, avoir des femmes qui nous servent d'escortes, parce que j'ai fait le Collège militaire royal de Saint-Jean, puis on avait des «blind dates». C'était la seule occasion où les femmes avaient le droit de mettre les pieds, à l'époque, au Collège militaire royal. Et on faisait un concours «dog of the night», on mettait chacun 5 $ dans un chapeau, et, la moins avantagée par la nature, si l'élève-officier avait été gentleman avec elle jusqu'à la fin de la soirée, il remportait le chapeau. Donc, évidemment, j'ai quand même un cheminement qui est assez particulier et qui fait que j'ai une vision qui, je pense, vaut la peine d'être entendue.

Chaque jour, je suis victime de sexisme, de mépris, de rejet. J'apprends à vivre avec ça, merci à mes psys. Mais évidemment, si on parle de fait religieux, le mépris monte d'une coche, et, si on parle d'intégrisme, il monte d'une très grosse coche. Et, quand je parle d'intégrisme, je ne parle pas nécessairement de l'intégrisme musulman, je parle même de l'intégrisme religieux chrétien. On n'a qu'à se fier au ministre fédéral des religions pour comprendre que dernièrement il a décidé qu'on pourrait «basher» la communauté LGBT si c'était fait dans un cadre religieux. Puis on est au Canada encore.

Donc, évidemment, l'intégrisme n'est pas très, très gentil avec les LGBT. D'ailleurs, moi, quand je vois un voile, l'image mentale que je me fais, ce sont tous les gais qui se font pendre haut et court sur la place publique dans des pays de la... en tout cas certains pays arabes, et évidemment on invite les enfants à venir voir ça parce que c'est un show familial.

Et, vous savez, j'ai aussi eu la chance d'apprendre des cours de psychologie, des cours d'anthropologie culturelle, d'étudier les religions. Je comprends le phénomène culturel religieux. Je comprends aussi que la communication inclut du verbal et du non-verbal et que la puissance évocatrice des symboles non verbaux est assez forte. On n'a rien qu'à se souvenir d'un petit morceau de tissu qui était gros de même et qui était rouge, et la moitié du Québec se déchirait pour un petit symbole de rien, finalement. Alors, évidemment, quand on voit des grosses croix, quand on voit des voiles, quand on voit toutes sortes de symboles religieux, évidemment, ils sont très, très connotés.

On interdit de faire de la pub aux enfants parce que supposément ils sont susceptibles. Pourtant, il y en a qui seraient prêts à laisser des femmes voilées avec nos enfants mineurs à longueur de journée. Un enfant, évidemment, quand il est dans la phase du pourquoi, il va se poser des questions : Pourquoi tu portes le voile? Pourquoi les hommes n'en portent pas? Pourquoi, quand mon papa, il vient me chercher, tu ne lui donnes pas la main? Et finalement il va peut-être arriver chez eux, il va dire à sa mère : Maman, moi aussi, je veux porter le voile. Est-ce que c'est ce qu'on veut pour le Québec? Je suis loin d'être certaine de ça.

Après ça, bien on peut se dire aussi... Évidemment, vous êtes une jeune fille, vous avez 14, 15, 16 ans, vous vous ramassez à l'hôpital. Vous avez une maladie vénérienne à faire soigner, vous voulez avoir la pilule contraceptive ou encore vous voulez avoir un avortement. Est-ce que vous voulez subir le jugement moral d'un signe ostentatoire de votre médecin traitant ou de l'infirmière qui vous rencontre? Il me semble que non.

Pas plus tard que la semaine dernière, une dame qui est quand même assez respectée au Québec, qui s'appelle Lise Payette, révélait qu'elle était à l'hôpital, et qu'elle avait besoin de faire nettoyer ses organes génitaux, et que la dame voilée infirmière qui était là lui a dit qu'elle ne pouvait pas le faire, c'était contre sa religion. Il me semble qu'on serait dus pour renforcir la laïcité au Québec. On serait dus pour faire un «statement» et pour signifier aux nouveaux immigrants qui arrivent ici que l'homme est égal à la femme et que la communauté LGBT, ce n'est pas des freaks qui méritent qu'on leur crache dessus ou qu'on les batte. Il me semble.

Pourquoi la charte de la laïcité ne va pas assez loin? Je suis contente d'être ici, dans le salon rouge, parce que devant moi il y a ce super beau monument sculpté où il n'y a... et évidemment il y a M. le président aussi, mais juste au-dessus de M. le président je ne vois pas la croix de Duplessis...

Le Président (M. Ferland) : …allez-y, continuez, Mme Blanc.

Mme Blanc (Michelle) : Je ne vois pas la croix de Duplessis. Il y en a qui disent que la croix de Duplessis qui est dans le salon bleu, c'est une mémoire historique. Bien, moi, mon père, c'est un orphelin de Duplessis qui s'est fait abuser sexuellement et par les frères et par les soeurs, qui le cachaient quand venaient les parents pour adopter des enfants parce qu'ils ne voulaient pas perdre leur jouet sexuel, puis après ça, bien, ils l'ont envoyé dans un asile. Ça, ça fait partie de notre histoire. Et, quand on dit qu'on veut conserver la mémoire historique du crucifix à l'Assemblée nationale, il me semble que c'est une mémoire historique un petit peu scabreuse puis qu'on devrait peut-être le mettre dans un autre endroit. Il me semble.

Évidemment, il y a toute la question de l'exemption fiscale des organisations religieuses. On avait un monsieur qui s'appelait Raël qui ne payait pas de taxe, on a des gens qui font de la dianétique. On a toutes sortes de religions qui sont ici et qui ne paient absolument aucune taxe, que ce soient les religieux ou les organisations religieuses. Pourtant, on dit qu'on a des problèmes à aller chercher de l'argent. Il me semble que ça serait une belle occasion de revoir la fiscalité des organisations religieuses.

On a aussi un patrimoine architectural religieux assez extraordinaire qui est en train d'être brocanté au nom de l'Église catholique. Pourtant, ce patrimoine religieux là a été construit à la sueur et à l'argent des Québécois. Il me semble que, si l'Église catholique ne sait plus quoi faire de ces bâtiments-là, elle devrait le redonner à la société pour lui permettre de disposer de ces bâtiments-là comme bon lui semble. Il me semble qu'on pourrait peut-être ouvrir ce débat-là aussi.

Il me semble que, vous savez, la discrimination, moi, je connais ça, parce que je la vis sur une base quotidienne. Moi, je suis très, très ouverte. Je n'ai absolument aucun problème avec n'importe qui, qu'il vienne de quelque communauté culturelle que ce soit, quelle langue que ce soit. J'ai même appris à dire merci dans une dizaine de langues. Je ne ferai pas la démonstration, mais c'était quand même intéressant.

Pourtant, il n'y a pas si longtemps que ça, j'étais conférencière à un organisme qui s'appelle Média Mosaïque, qui favorise l'intégration des communautés culturelles dans les médias, et, quand c'était à mon tour de parler, je suis arrivée en avant…

Le Président (M. Ferland) : …pour conclure, Mme Blanc.

Mme Blanc (Michelle) : Pardon?

Le Président (M. Ferland) : À peu près une minute pour conclure.

Mme Blanc (Michelle) : Une minute? Quand je suis arrivée en avant, la moitié de la salle ostentatoire s'est vidée. Alors, tous ceux qui avaient des signes ostentatoires, quand je suis arrivée en avant, ils sont partis. Ce n'est pas moi qui est partie, là, c'est eux autres qui sont partis.

Moi, je veux intégrer tout le monde. J'aimerais ça que le monde me dise bonjour quand on se rencontre sur la rue, qu'ils ne crachent pas à terre quand ils marchent à côté de moi. Et la journée où on disait qu'il y a des femmes qui se faisaient violenter, cette même journée-là des femmes voilées qui se faisaient violenter, j'ai croisé deux femmes voilées, sur Ontario, qui ont craché à côté de moi en me croisant sur la rue. Alors, la violence faite aux LGBT par les orthodoxes, ça existe. Il me semble que ça aussi, c'est une réalité qu'on devrait parler.

Merci de m'avoir reçue, M. le Président. Et je suis prête à vos questions.

Le Président (M. Ferland) : Merci, Mme Blanc. Alors, maintenant, nous allons passer à l'étape des échanges avec les groupes parlementaires. Maintenant, je cède la parole au ministre. Alors, M. le ministre, la parole est à vous.

M. Drainville : Merci beaucoup. Merci, Mme Blanc, d'être parmi nous. J'ai lu votre mémoire avec beaucoup d'intérêt. Un des thèmes que je trouvais le plus porteur, le plus intéressant et sur lequel je voudrais vous entendre davantage, c'est sur la force du symbolique, la puissance d'un message symbolique ou la symbolique… la puissance du symbolique rattaché à un message, prenez-le comme vous voudrez, mais j'aimerais que vous nous… que vous élaboriez un petit peu plus là-dessus, c'est-à-dire que vous nous parliez un petit peu de comment vous recevez ça, vous, un signe religieux. Comment… De quelle façon est-ce que ça peut vous envoyer un message négatif sur votre orientation sexuelle, par exemple? Est-ce que ça nuit à la confiance du service que vous recevez aussi?

• (11 h 50) •

Mme Blanc (Michelle) : Écoutez, tout à fait. Tu sais, moi, je vais vous conter une anecdote. Évidemment, dans mon processus de changement de sexe, je suis allée pas mal dans les hôpitaux. Je suis allée surtout dans les hôpitaux privés, j'avais le moyen de me le payer. Mais, dans les hôpitaux publics, il est arrivé que… À l'époque, je n'avais pas encore changé mon nom et, M. le Président, je m'appelais M. Leblanc, à l'époque, et évidemment, bien, il y a un infirmier qui m'a appelée, quand j'étais à la salle d'attente, M. Leblanc. Alors, déjà, il y a un certain malaise de te lever devant tout le monde, traverser la salle en entier et d'être habillée en femme. Je lui ai signifié que j'apprécierais énormément s'il avait la délicatesse de m'appeler madame, ce qu'il a refusé de faire et ce qu'il a fait des efforts assez incroyables pour répéter M. Leblanc tout au long de l'examen que j'ai passé. C'est «rough», hein, on s'entend, là. Puis évidemment, si vous rajoutez à ça une symbolique religieuse, bien on s'entend que, la symbolique religieuse, il y a tout un code moral qui vient avec, et, ce code moral là, moi, je n'ai pas besoin de le vivre. Moi, quand je vois une grosse croix, bien tout de suite je vois les orthodoxes chrétiens qui sont au coin de Saint-Joseph et Saint-Laurent et qui militent par vents et marées contre l'avortement. Quand je vois le voile, je vois les gais qui sont assassinés, qui sont battus, je vois les femmes qui sont lapidées, je vois l'écart hommes-femmes. C'est ce que je vois.

Évidemment, c'est drôle, parce que je lisais un article de Vincent Marissal, qui évidemment était contre la charte, et, dans son article, c'était affublé d'une photo où on voyait une femme ici, à l'Assemblée nationale, voilée de la tête aux pieds, marchant cinq pieds derrière son mari. Alors, quand on dit qu'une femme sa vie vaut la moitié de celle d'un homme, quand on dit qu'une femme doit marcher cinq à 10 pieds en arrière de son mari, bien, moi, c'est quoi, la distance que je dois marcher? Et qu'est-ce que vaut ma vie? C'est des questions que je me pose, c'est des questions que je trouve difficiles et c'est des questions qu'avec les taxes que je paie je n'ai pas le goût de vivre quand je vais recevoir une prestation d'un service public.

Et la religion, bien, excusez-moi, là, mais, tu sais, s'il y a des gens qui disent que le monde s'est fait en six jours puis qu'on devrait enseigner ça dans nos écoles, s'il y a des gens qui disent qu'on devrait faire de la bouffe halal ou de la bouffe casher, moi, je pense que c'est le Guide alimentaire canadien qui devrait décider ce qu'on mange dans les cafétérias et je ne pense pas qu'une idée religieuse devrait avoir préséance sur la science, sur la philosophie ou sur l'éthique. D'ailleurs, c'est drôle, dans nos écoles on a arrêté d'enseigner la religion. Alors, pourquoi qu'on ne serait pas laïques jusqu'au bout?

Le Président (M. Ferland) : M. le ministre.

M. Drainville : Vous avez parlé de… Vous avez fait référence à quelques reprises à la communauté gaie, lesbienne, bisexuelle et transgenre. On sait qu'il y a des membres de votre communauté, la communauté gaie, lesbienne, transgenre et bisexuelle…

Mme Blanc (Michelle) : …si vous dites «LGBT», ça va…

M. Drainville : LGBT. Oui, mais c'est parce que, pour les gens qui nous écoutent, LGBT, ça…

Mme Blanc (Michelle) : Oui, c'est vrai que tout le monde ne le sait pas.

M. Drainville : C'est un peu un jargon, oui, effectivement.

Mme Blanc (Michelle) : Tout à fait. Vous avez raison.

M. Drainville : Il faut juste les mettre dans le bon ordre après ça.

Le Président (M. Ferland) : …population très nombreuse qui nous écoute, hein, M. le ministre.

M. Drainville : On a des bonnes cotes d'écoute, je suis sûr, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Très bon, oui.

M. Drainville : Vous savez qu'il y a des membres de la communauté LGBT — puis c'est très bien ainsi — qui ne partagent pas votre point de vue, hein? Ce n'est pas un bloc monolithique non plus, dans la communauté LGBT.

Comment vous avez réagi, justement, quand vous avez entendu d'autres représentants de la communauté LGBT dire : Bien, nous, la charte, on est contre parce que justement on pense que ça heurte nos valeurs profondes? Comment vous avez réagi?

Mme Blanc (Michelle) : Bien, l'argument qui a été présenté, justement, c'est qu'on disait que le gouvernement du Québec s'attaquait à une minorité puis que la prochaine minorité, ça serait peut-être les LGBT. Quand on sait l'historique du gouvernement du Québec, quand même, le gouvernement du Québec paie pour les chirurgies génitales, le gouvernement du Québec a fait nombre de lois favorisant la communauté LGBT, et on sait que les Québécois au fédéral sont ceux qui ont poussé notamment pour le bill omnibus et pour tous les autres avantages de reconnaissance des droits de la communauté LGBT. Ça fait que, quand on dit que le gouvernement frappe sur le dos des minorités…

D'abord, je me demande sur quelle minorité il frappe. Moi, je pense que la loi, là, on ne dit pas… on ne vise pas personne en particulier, on parle de laïcité. La laïcité, c'est un concept qui englobe tout le monde et qui ne vise personne en particulier. Maintenant, si on dit qu'on refuse les signes ostentatoires, bien on les refuse pour tout le monde, puis je ne vois pas qu'il n'y ait personne qui soit ciblé en particulier.

Maintenant, la religion, c'est un choix qui est personnel, mais évidemment le symbole religieux devient aussi un outil de propagande, et cet outil de propagande là est très, très chargé au niveau moral et très, très chargé au niveau des images qu'il renvoie. Puis évidemment je sais qu'une personne peut avoir une vision différente d'un symbole. Évidemment, moi, quand je vois un ananas, je pense tout de suite à un piña colada. Pourtant, au moment où on se parle, en France, quand on voit un ananas, on pense tout de suite à l'antisémitisme, et à Chaud ananas, et à toutes les choses qui sont entourées avec Dieudonné. Pourtant, ce n'est pas de la faute à l'ananas, on s'entend, mais il y a quand même une symbolique qui est assez forte au moment où on se parle, en France, associée à un fruit.

M. Drainville : Alors, c'était bien la puissance évocatrice des symboles. Tout à l'heure, je cherchais mes mots. C'est bien de ça, je trouve, dont il est question dans votre mémoire.

Là, à la page 9 de votre mémoire, vous parlez des enfants et de… Dans le fond, je pense que vous imaginez un scénario ou un dialogue qui pourrait… enfin, qu'un enfant, comment dire, pourrait rapporter à la maison. Vous citez un certain nombre de phrases, là, d'un enfant, par exemple, qui serait dans une classe, son enseignante porte un signe religieux, et là vous dites : Ces personnes qui portent un signe religieux se feront inévitablement demander : Pourquoi tu portes un foulard? Pourquoi ma maman ne porte pas de foulard, elle? Est-ce que tu me le prêtes, ton foulard? C'est qui, Allah? Pourquoi les hommes ne portent pas de foulard, eux, etc.? Puis l'inévitable : Pourquoi, maman, tu ne portes pas de foulard comme ma gentille gardienne? Maman, je veux porter un foulard, moi aussi.

Est-ce que c'est fondé sur une expérience personnelle, ça, ou est-ce que c'est…

Mme Blanc (Michelle) : Non, absolument pas. Évidemment, bien, je comprends la psychologie de l'enfant, puis c'était, dans le fond, une démonstration, parce que même… Puis, tu sais, moi, j'ai une belle-soeur qui est décédée, qui était d'origine bolivienne et qui était d'une extrême gentillesse avec les enfants. Je n'ai aucun doute que les gens qui viennent d'autres cultures peuvent avoir des compétences, le coeur et la passion de servir les enfants. Sauf que ma belle-soeur bolivienne n'avait pas de signe ostentatoire, la question ne se posait pas. Mais, si ma belle-soeur bolivienne avait eu un signe ostentatoire, inévitablement l'enfant qui est curieux va poser une question, puis, à un moment donné, tu as beau être le meilleur pédopsychologue de la planète, ça va être dur de répondre à des questions d'un enfant sans indirectement l'orienter dans une voie plutôt qu'une autre.

Moi, je serais très, très, très… Et je n'ai pas vu à date, là, de recherche là-dessus… ou les médias ne se sont pas intéressés à cette question-là, mais comment une femme voilée peut justifier à un enfant qu'elle porte le voile sans faire de prosélytisme? C'est quoi, l'argumentation qu'une dame en garderie qui porte le voile peut donner à un enfant, que l'enfant va comprendre, et que ça va couper court au prosélytisme? Je ne sais pas, vous, les membres du Parlement, si vous avez des réponses à cette question-là. Moi, je n'en ai pas. Je me pose des questions.

Puis moi, je vous dirais, c'est étrange, hein, j'ai resté à Outremont, qui est un haut fief de la religion juive très orthodoxe, hassidique. Je me souviens d'un moment où… Nous autres, on restait à un coin de rue d'une piscine publique, la piscine Kennedy, puis on restait à côté d'une école juive hassidique. D'ailleurs, c'est étrange qu'on permette aux jeunes Juifs hassidiques d'arrêter d'apprendre à l'école à partir de 12 ans et qu'ils ne soient que focussés sur la Torah. Bon. Mais, bref, on marchait sur le trottoir, et, à un moment donné, le prof hassidique, quand il a vu ma femme qui portait un paréo — elle n'était pas toute nue, là, elle était en paréo — il s'est dépêché de pousser les enfants dans l'autobus pour ne pas qu'ils soient contaminés par la vue de ma conjointe. Wow! Puis là les enfants, là, évidemment, dans l'autobus, il y avait des fenêtres. Qu'est-ce qu'ils faisaient? Ils regardaient par la fenêtre. Mais, pour lui, là, c'était tellement primordial que ces enfants-là ne croisent pas l'impure mécréante qu'était ma conjointe, au risque de blesser les enfants en les poussant dans l'autobus. Tu sais, ça m'a marquée, là.

Puis, ces mêmes Juifs hassidiques là, moi, je leur disais bonjour, puis ils me regardaient en pleine face, puis ils tournaient la tête, puis ils ne me répondaient pas. Et à cette époque-là je n'étais pas une transsexuelle, j'étais un homme. Et très souvent, quand on les rencontrait sur le trottoir, ils changeaient de trottoir. Alors, moi, je veux bien être ouverte puis essayer d'être gentille avec ces gens-là, mais là, à un moment donné, tu sais, tu leur dis bonjour, puis ils font comme si tu n'existes pas. C'est «rough».

Puis une société laïque, une société dont on fait la promotion à l'extérieur qu'on est une société laïque, qui met en évidence l'égalité des hommes et des femmes, bien je suppose que les gens qui vont venir ici vont le savoir puis qu'ils vont dire : Bien, coudon, on va aller là justement parce qu'on est tannés de se faire écoeurer par les diktats religieux dans nos pays puis enfin on peut avoir la liberté. Puis, moi, c'est cette liberté-là que je réclame pour tout le monde, qu'ils viennent d'où qu'ils soient. On est ici au Québec, on est une société laïque. Tu peux croire ce que tu veux, crois-le chez vous. Puis, quand on va être dans les espaces publics, on va tous être ensemble, on va tous être égaux, puis il n'y en aura pas qui vont être plus purs ou moins purs que d'autres, là. On sera égaux.

M. Drainville : Puis pourquoi ça passe… Cette égalité-là, cette laïcité-là, pourquoi passent-elles par le devoir de neutralité religieuse, y compris dans l'apparence, donc dans l'abstention de… ou l'interdiction d'afficher par un signe religieux sa conviction religieuse? Pourquoi, en d'autres… Parce que vous, vous êtes favorable à l'interdiction des signes religieux pour les agents de l'État?

Mme Blanc (Michelle) : Tout à fait. Pour tous les agents de l'État.

M. Drainville : Oui. Alors…

• (12 heures) •

Mme Blanc (Michelle) : Puis moi, je vois que c'est... on va y aller par étapes. Il y a un certain M. Lévesque qui disait «l'étapisme». Alors, la première étape, ça sera ça. L'autre, la prochaine étape, bien ça sera peut-être qu'on dira qu'on va commencer à revoir la fiscalité des organismes religieux.

Puis évidemment, bien, nous autres ici, moi, je suis très, très, très fière qu'il y ait plein de femmes autour de la table, je suis bien fière de ça, mais je sais qu'il y a bien des endroits dans le monde que, pour des raisons religieuses, c'est impensable, les femmes ne devraient pas être ici, elles devraient être dans une autre salle à côté, puis il devrait y avoir des signes distinctifs qui disent que toi, là, tu n'es pas un homme, tu es la moitié d'un homme, puis tu devrais marcher en arrière du monsieur. Regarde, je ne veux pas ça au Québec, là, puis je veux que ça se sache, puis je veux que ce soit reconnu étatiquement. Puis je veux que tout le monde ait une chance égale, qu'il vienne de quelque société que ce soit.

Si tu immigres au Québec, tu as le droit d'avoir de l'éducation. Moi, ce que je n'aime pas aussi... Il y a une petite citation qui vient de l'ONU sur le droit des enfants, je pense que ça vaut la peine que je vous la lise, la liberté de religion de l'enfant. Ça, ça vient du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme. Concernant l'enfant, la déclaration du 25 novembre 1981 de l'ONU stipulait, article 5, alinéa 1 : «Les parents ou, le cas échéant, les tuteurs légaux de l'enfant ont le droit d'organiser la vie au sein de la famille conformément à leur religion ou leur conviction [...] en tenant compte de l'éducation morale conformément à laquelle ils estiment que l'enfant doit être élevé.» Et alinéa 5 : «Les pratiques d'une religion ou d'une conviction dans lesquelles un enfant est élevé ne doivent porter préjudice ni à [la] santé physique ou mentale ni à son développement complet…» Il me semble que c'est clair. Il me semble que c'est ça que je voudrais pour le Québec puis il me semble que déjà on a un droit qui est différent, au Québec, en fonction que tu es un enfant de Québécois ou tu es un enfant d'immigrant. Si tu es un enfant de Québécois, puis qu'on appelle la DPJ, puis que tu es battu, on va faire une enquête pour voir si c'est motivé par la haine ou la violence, etc., et on va retirer l'enfant de la famille. S'il est dans une communauté culturelle et que c'est culturellement acceptable que l'enfant soit battu, bien l'enfant continue à se faire battre parce que, là, on va travailler sur la culture. Est-ce qu'on veut ça dans notre société pour les enfants? Est-ce qu'on veut deux régimes de droit pour les enfants? Moi, je ne pense pas.

Est-ce que c'est normal qu'une petite fille de six, sept, huit, neuf ans s'en aille à l'école avec un turban sur la tête? Moi, je pense que scientifiquement c'est prouvé que les enfants naissent sans religion mais que l'endoctrinement qui vient par la suite leur en donne une. On peut-u donner une chance à nos enfants de grandir, puis après ça ils se feront une idée puis ils choisiront la religion qu'ils veulent? Il me semble que ce serait bien. Il me semble que vous avez le devoir de vous assurer que c'est ça qui arrive. Puis c'est une des raisons pourquoi je suis touchée d'être ici aujourd'hui, parce que je suis grand-mère puis j'aimerais ça que mon petit-fils évolue dans un Québec qui va reconnaître l'égalité de tous et qui va reconnaître l'expression identitaire de tous d'une façon égale, qu'ils viennent d'ici ou qu'ils viennent d'ailleurs.

M. Drainville : Vous avez entendu ce qui s'est passé à l'Université York. Comment vous avez réagi…

Mme Blanc (Michelle) : …j'en ai même parlé hier aux Anglos à l'émission Power & Politics.

M. Drainville : Comment vous avez… Je n'ai pas compris ce que vous avez dit.

Mme Blanc (Michelle) : J'en ai justement discuté hier à CBC, à l'émission Power & Politics, avec quelqu'un qui… mon vis-à-vis de Québec inclusif. Alors, j'étais fière de démontrer au Canada anglais qu'on pouvait s'obstiner de façon civilisée à propos de la charte au Québec, j'étais fière de ça. Puis évidemment, bien, j'ai été assez rapide pour ramener l'exemple de York à Toronto et de dire au Canada anglais : Bien, peut-être que vous autres aussi, vous devriez commencer à penser qu'il faudrait mettre des barèmes, il faudrait dire… Mais évidemment on sait qu'au Canada anglais les conservateurs, ils sont particulièrement… Il y a la droite religieuse. On sait que le projet C‑279 dont je parlais dans mon préambule dort au Sénat. Notamment, il y a eu des bâtons dans les roues d'un certain Rob Anders, conservateur ultrareligieux de droite.

Ça fait que, tu sais, moi, quand je suis inquiète, là, de l'orthodoxie, là, je ne pense pas rien qu'aux musulmans, là, je pense à l'orthodoxie chrétienne, là, l'orthodoxie pentecôtiste, l'orthodoxie de toutes les religions. Tu sais, les religions, là, on s'entend, là, ça n'a pas été fait pour mettre l'homme puis la femme sur le même pied d'égalité, là. La religion, là, c'est l'homme qui contrôle la femme, la femme est en dessous. Puis les LGBT, bien, nous autres, on est encore pires, là. Nous autres, on est déjà à l'enfer, là, tu sais, on s'entend, là. Tu sais, moi, je suis déjà le diable, là, tu sais, puis on me le fait sentir, là, tu sais. Il me semble qu'au Québec au moins, là, on pourrait peut-être faire un espace laïque, on pourrait peut-être…

M. Drainville : Un espace laïque où on est tous égaux, peu importe notre origine, peu importe notre orientation sexuelle, peu importe notre langue, peu importe la couleur de notre peau, on s'entend, hein?

Mme Blanc (Michelle) : Tout à fait. C'est exactement ça, et c'est ça que donne la laïcité. La laïcité n'enlève pas quelque chose. Tu sais, les gens qui essaient de nous faire accroire que, ah, la laïcité, tu sais, il y a des gens qui vont être lésés, aïe, regarde, excuse-moi, là, si on faisait le compte, là, de ceux qui sont lésés par la religion, je pense que le chiffre serait pas mal plus gros. Ça fait que, si on se donne un espace de laïcité, là, bien, ce qu'on est en train de faire, on est en train de permettre à des gens d'arrêter de se faire taper dessus pour des raisons idéologiques religieuses, c'est ça qu'on est en train de faire. On est en train d'aider des gens à arrêter de se crisser des balles dans la tête. Vous savez, les transsexuels puis les gais, là, il y a un très haut taux de suicide. Entre autres, ce haut taux de suicide là est dû à cause des pressions culturelles et religieuses.

Moi, là, je sais que c'est dangereux pour ma vie de me promener dans plusieurs pays du monde, je sais que c'est dangereux pour mon intégrité physique de me promener dans certains quartiers de Montréal. Moi, j'avais le goût de demander à un poste de télévision de venir avec une caméra cachée puis de me suivre dans certaines rues de Montréal pour voir la réaction des gens autour quand il y a une trans qui se promène dans leur quartier, mais je vais vous avouer que, même si j'ai fait le Collège militaire royal puis que je suis capable de me défendre, j'ai quand même peur, tu sais, parce que je sais que ça va arriver. Ça fait que j'aimerais ça, là, être capable de me promener à la grandeur du Québec puis ne pas être inquiète, là, de recevoir des pierres. Puis regardez, là, ce n'est pas rien que les religieux, là, on s'entend qu'il y a des Québécois qui sont imbéciles aussi. Des imbéciles, il y en, là, il y en a partout, là, tu sais. Mais sauf que, quand on parle d'intégrisme religieux, on dirait que la misogynie, que l'homophobie, que la transphobie montent d'un méchant cran puis parce que, là, c'est justifié culturellement en plus.

Le Président (M. Ferland) : Rapidement, M. le ministre, oui.

M. Drainville : Il ne me reste plus de temps. Est-ce que vous seriez d'accord pour dire dans les mots de Yolande Geadah, je cite : «Le symbole religieux introduit [...] une barrière symbolique et une inégalité de fait entre les personnes qui le portent et les autres»?

Mme Blanc (Michelle) : Tout à fait. Bien oui, c'est ça, le but d'un symbole. Le but d'un symbole, c'est de signifier quelque chose qui…

Le Président (M. Ferland) : Merci, Mme Blanc. Malheureusement, le temps pour le ministre… Mais il en reste d'autre, là. Vous ne serez pas en reste, rassurez-vous. Alors, maintenant, je cède la parole au député de LaFontaine.

• (12 h 10) •

M. Tanguay : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, Mme Blanc, d'avoir pris le temps de rédiger un mémoire et pour votre temps ce matin pour venir répondre à nos questions. Je sais que mes autres collègues ont des questions aussi, alors je vais y aller rapidement. J'ai peut-être deux questions.

Évidemment, dans votre mémoire… Et je lis, je vous cite : «C'est une chose de voir le monde au travers d'une lentille, une autre d'agir comme si c'était la seule qui soit valable.» Autrement dit, évidemment, les convictions religieuses… Et très clairement, là, vous n'êtes pas contre les convictions religieuses, au contraire. Pour des gens — puis corrigez-moi si j'ai tort, là, je vais essayer d'y aller rapidement — pour des gens, évidemment, une conviction religieuse peut donner un sens à leur vie. Ce qui est important, évidemment, puis ce qu'on ne veut pas, c'est qu'il y ait de l'intolérance, des débordements. Et, pour une personne, vous reconnaissez évidemment puis vous ne contestez pas ça, c'est son choix de croire ou ne pas croire, de croire en la religion qu'elle veut ou de ne pas croire du tout, d'être athée. C'est son choix, à cette personne-là. Et, par exemple, une personne pourrait porter… un Juif pourrait porter la kippa, et c'est son choix, et des Juifs ne la portent pas, et ainsi de suite. Donc, l'importance de la tolérance.

Et j'aimerais vous citer rapidement une phrase parce que c'est bien dit, là, c'est la phrase écrite par Jocelyn Maclure dans un article, Options politiques. Jocelyn Maclure est un professeur à l'Université Laval, Faculté de philosophie, et il disait ceci, je le cite : «La liberté de conscience et de religion n'inclut pas, heureusement, le droit de ne pas être exposé aux apparences et aux croyances qui nous déplaisent.» Et il parlait de tolérer les irritants.

C'est sûr que, pour chacun d'entre nous, il y a des choses basées sur notre personnalité, sur ce que nous sommes, sur nos valeurs que, oh, ça, ça me dérange un peu plus, puis, pour d'autres, ça ne les dérangera pas, mais, pour d'autres, ça ne les dérangera pas du tout ou plus, ainsi de suite. Chacun est libre de penser ce qu'il veut, mais… Et, je pense, c'est important, votre témoignage. Il est important de faire preuve de tolérance en société.

Donc, j'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce que… Et évidemment, là, tous les exemples que vous avez donnés, là, on est tous d'accord là-dessus. Des exemples d'intolérance, là, il n'y a pas personne qui est en faveur de cela. On parlait de l'Université York, l'importance, évidemment, de baliser. C'est ce que l'on veut faire, il y a un large consensus, baliser les accommodements pour que ce soit raisonnable, et l'Université York nous donne un bon exemple de l'importance de baliser. Mais ma question — et je conclus là-dessus : Croyez-vous qu'il est important de reconnaître cette importance-là qu'on ne pense pas tous pareil, qu'on n'est pas tous pareils mais qu'on doit tolérer, et qu'un signe religieux — je mets de côté, là, l'extrémisme, les radicaux, ça, on est tous contre ça — n'est pas nécessairement du prosélytisme, n'est pas nécessairement une agression à l'autre pour dire : Bien, je suis Juif, j'aimerais ça que tu sois Juif, puis c'est la seule façon de vivre?

Mme Blanc (Michelle) : Je suis parfaitement d'accord avec vous puis je comprends évidemment… Puis, écoutez, je veux dire, moi, je suis en affaires, là, puis j'ai des clients de toutes origines. Puis, tu sais, à un moment donné j'avais même un client rabbin, et évidemment il avait ses signes ostentatoires, puis on allait manger dans des restaurants cashers. Puis c'est une des personnes avec qui j'aimais vraiment avoir des lunchs d'affaires parce qu'il était vraiment philosophique, puis je trouvais ça très, très, très enrichissant.

Écoutez, j'ai étudié en anthropologie culturelle. J'aime les autres cultures, j'aime la diversité. Malheureusement… Parce qu'il y a toutes sortes de diversités, mais malheureusement la religion, historiquement, bien, je veux dire, ça a créé la guerre. Malheureusement, la religion, ça a créé des femmes qui se font lapider. Malheureusement, la religion, ça a créé l'Inquisition. Ça a créé un paquet de problèmes, tu sais. La religion, je veux dire, tu sais, on est tous pour l'amour, mais au nom de la religion on se tape sur la gueule, tu sais.

Puis il me semble que, dans un État laïque… On a fait la Révolution tranquille, on s'est débarrassé de certains symboles religieux ostentatoires au Québec dans les années 1960, puis là, tout d'un coup, je ne sais pas pour quelle raison, mais là, tout d'un coup, on va laisser ça réapparaître? Parce qu'évidemment il y a une poussée des intégrismes partout sur la planète, là. De tous les intégrismes, là, je ne vise pas de religion en particulier, mais il y a une poussée des intégrismes. Nous autres, on s'est débarrassé de ça, puis là, tout d'un coup, là, on va dire : Non, non, non. Finalement, au nom de la diversité, on va laisser les religions se réinstaller au Québec puis… Non, regarde. Tu sais, oui pour la différence. Oui, pratique ce que tu veux. Oui, habille-toi comme tu veux. Mais, dans un contexte gouvernemental de prestation de services… Ce n'est pas grand-chose de demandé. Tu pourras croire ce que tu veux, tu pourras mettre ton signe ostentatoire, si tu veux, tu pourras aller faire du pied de grue au coin de Saint-Joseph et Saint-Laurent sur tes heures, mais, sur les heures de travail, refrène-toi.

Puis on demande déjà aux fonctionnaires de se restreindre d'exprimer et de présenter des symboles politiques et des opinions politiques. Ça fait que moi, je trouve que la religion, là, ça va de soi, là, c'est même… Puis même que, je veux dire, on a mis la politique au-dessus de la religion, au Québec, tu sais. C'est ça, là, tu sais, on a fait une séparation Église-État claire. Puis là, tout d'un coup, on va dire que, non, la religion, finalement, là, pour les signes ostentatoires, là, c'est plus important que la politique? Bien non, ça ne marche pas, là. Il faut être logique, là, tu sais.

M. Tanguay : Si vous me permettez, la seule dernière question que je me permets, parce qu'il nous reste moins de huit minutes, puis je sais que mes autres collègues veulent poser des questions.

Le Président (M. Ferland) : Allez-y, M. le député.

M. Tanguay : Dans ce contexte-là, comment… Parce qu'évidemment il y a plusieurs programmes, on en a fait état hier, de ce qu'on appelle… de discrimination positive, parce qu'au Québec, évidemment, le droit à l'égalité, tu ne peux pas discriminer sur l'orientation sexuelle, grossesse, religion, et ainsi de suite. Le fait de dire dans l'État… Et ce matin mon collègue citait des exemples, qu'une personne qui est grutier dans le fond d'un entrepôt pour la SAQ… que cette personne-là ne porte pas une croix ou une kippa parce qu'on aurait peur qu'il influence ses collègues, mais ne croyez-vous pas que, là, on vient carrément de jeter à terre tout ce concept au niveau appliqué de la représentativité dans notre fonction publique de différentes couches de la société, de différentes personnes, je devrais dire? On n'est pas tous pareils, on est différents, puis il ne faut pas dire : Bien, cette personne-là a telle couleur de peau, tel sexe, telle religion, telle orientation sexuelle. On va même les favoriser pour que ça soit représentatif de la société. Vous n'avez pas peur qu'au niveau de la fonction publique, ça, là, ce pan-là, au niveau de la discrimination religieuse, on vienne de le jeter à terre avec ça?

Mme Blanc (Michelle) : Au contraire, moi… Justement, il n'y a pas de discrimination religieuse. Au contraire, on dit : Regarde, on s'en fout, de ta religion, garde-la chez vous. Au contraire, on dit : Regarde, là, si toi, là, tu es tanné de vivre dans un État religieux qui brime tes droits, viens-t'en au Québec, parce qu'ici, au Québec, là, on accepte toutes les religions. Ici, au Québec, là, tu peux travailler au gouvernement, que tu sois de quelque race, de quelque culture que ce soit. La seule chose qu'on te demande : Pendant huit heures de temps, ne t'affuble pas de signes religieux ostentatoires, que ce soit en «front line» ou dans le back-store en arrière. Puis de toute façon, si c'est si important pour toi, ton signe ostentatoire, il y a plein d'employeurs au Québec, tu peux travailler ailleurs en plus.

Ça fait que, pour travailler au gouvernement, avec les taxes, nous autres, notre valeur, c'est l'égalité hommes-femmes puis la laïcité de l'État, ça fait qu'on met ça clair. Puis, je veux dire, c'est un choix, hein, c'est un choix personnel, là. Puis, si, toi, ta religion est tellement importante, bien là pourquoi qu'elle est importante à ce point-là, là, tu sais, puis c'est quoi, les autres valeurs morales, là, qui vont être si importantes, qui vont venir avec l'importance, là, de ça, là? C'est quoi, le corollaire, là, tu sais?

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci. Je reconnais la députée de Notre-Dame-de-Grâce. Il reste cinq minutes environ.

Mme Weil : Merci, M. le Président. D'abord, je voudrais vous saluer, M. Blanc. On se voit…

Une voix : Madame.

Mme Weil : Oui, madame, excusez-moi. On se voit chaque année.

Mme Blanc (Michelle) : Tout à fait. En Mauricie.

Mme Weil : Non.

Mme Blanc (Michelle) : Non, ce n'est pas en Mauricie?

Mme Weil : Au mois d'août, lors du défilé, fierté gaie.

Mme Blanc (Michelle) : Ah! C'est ça. O.K., O.K.

Mme Weil : Et donc je vous remercie aussi pour la générosité dont vous faites preuve, parce que non, mais, honnêtement, ce n'est pas évident, ce n'est pas facile, c'est des épisodes très, très pénibles de votre vécu. Et juste une petite anecdote. J'étais à la régie régionale pendant les années 90, et on avait souvent les représentants des enfants de Duplessis qui venaient nous faire des représentations sur le besoin de compensation, et donc j'étais très sensibilisée quand vous avez dit… C'est votre père, c'est bien ça, qui est…

Mme Blanc (Michelle) : Mon père, oui.

Mme Weil : Alors, on comprend. Et, lorsque… Ça fait plusieurs années quand même qu'on a ce débat sur la laïcité, l'expérience québécoise en particulier, puis il y a vraiment un groupe en particulier, ça revient beaucoup à l'Église catholique et le vécu que ces gens ont eu avec l'Église catholique. Et des fois c'est un peu… Je ne suis pas sûre si, le ministre, son intention de laïcité, c'est une condamnation des religions, hein? Alors, il faut essayer de faire la part des choses dans tout ça. Puis il y a deux points de vue sur la neutralité puis comment la neutralité s'exprime, c'est vraiment ça, là, au Québec. Il y a beaucoup de gens comme vous où la neutralité doit s'exprimer par l'interdiction, on ne porte pas de signe religieux. Pour beaucoup d'autres, notamment les juristes, les tribunaux, la neutralité, c'est qu'on est neutre face aux religions et l'expression des religions, donc on ne porte pas de jugement sur la religion de quelqu'un. Et toute la question est là.

Mais je veux en venir donc… parce que ça m'a fait penser parce qu'on se voit à chaque année au défilé. La Commission des droits de la personne, pour que le gouvernement arrive avec la politique contre l'homophobie et le plan d'action contre l'homophobie, on s'est beaucoup inspirés de l'étude et le rapport de la Commission des droits de la personne, Égalité de droit doit devenir égalité de fait. Et on est un peu dans tout ça. Puis, pour poursuivre un peu avec les questions de mon collègue, toute cette notion d'égalité de droit qui doit… on doit s'assurer qu'il y a une égalité de fait.

N'avez-vous pas une inquiétude que l'interdiction… Parce que, quand on parle de discrimination, ce n'est pas, comment dire… la discrimination est interprétée de façon très factuelle et pragmatique. S'il y a un impact discriminatoire, c'est de la discrimination. Donc, on a entendu des gens venir, le COR notamment, dire qu'il y a des femmes qui vont être obligées carrément — puis c'est une croyance sincère — de quitter leur emploi. Donc, il y a une perception des juristes, et la Commission des droits de la personne va venir le dire, ils l'ont dit, qu'il y aura discrimination, un impact discriminatoire. Donc, on va avoir l'effet inverse. On a l'égalité de fait en sorte… en ce qui concerne la liberté de religion, surtout dans l'espace gouvernemental, ces gens-là actuellement travaillent au gouvernement, et là on va inverser parce qu'on a une notion de droit qu'on veut importer de la France, d'une laïcité stricte, qui aura un impact discriminatoire. Vous n'avez pas une inquiétude? Et je pense que c'est peut-être l'inquiétude que j'ai comprise de Xavier Dolan et d'autres personnes de la communauté LGBT, de cet impact-là.

• (12 h 20) •

Mme Blanc (Michelle) : Mais justement c'est que moi, je vois la discrimination et je trouve qu'il y a deux côtés. Il y a le côté du donneur de la prestation de services, mais, du côté de celui qui reçoit le service, lui aussi, il peut être victime de discrimination. Puis, tu sais, on parle beaucoup des employés de l'État, là, mais on pourrait peut-être parler aussi des citoyens qui reçoivent les services des employés de l'État. Eux autres, là, ils ont-u le goût, ils ont-u...

Vous savez, l'exemple, tu sais, c'est quand même... Tu sais, je veux dire, toi, tu es un jeune, là — puis on va prendre un exemple fictif, là, O.K. — tu es un jeune Arabe, O.K., et tu as besoin de soutien psychologique parce que justement il s'avère que tu es gai. Tu n'es déjà pas très, très bien accepté dans ta communauté, tu as de la difficulté à en parler, tu t'en vas au CLSC, puis tout d'un coup la psychologue qu'on te présente, elle porte un voile. Toi, là, tu vas-tu te sentir capable d'exprimer ton besoin évident d'aide devant cette psychologue — qui peut être une excellente psychologue, elle s'adonne juste à avoir un voile? Toi, là, en tant que gai arabe, là, tu vas avoir une image mentale qui va se faire, là. On fait quoi de ces gens-là, là? On fait quoi de cette perception-là du côté usager?

Le Président (M. Ferland) : …malheureusement je dois passer la parole à la députée de Montarville. Alors, Mme la députée.

Mme Roy (Montarville) : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, Mme Blanc.

Mme Blanc (Michelle) : Bien, bonjour.

Mme Roy (Montarville) : Merci. Merci pour votre mémoire. Je comprends votre position. Je comprends fort bien aussi que vous êtes pas mal contre tout ce qui est symbole religieux, signe religieux et cet héritage religieux qui, pour vous, est pénible, et on le comprend. Cependant, là, j'aimerais vous demander votre opinion concernant la décision qui a été prise par le ministre de mettre dans sa charte, son projet de loi la décision d'interdire le port de signes religieux ostentatoires, ce qui signifie, il faut bien se le dire, qu'il va y en avoir quand même, des signes religieux, qui seront visibles et pas ostentatoires. Vous en pensez quoi, de cette nuance-là qui a été faite?

Mme Blanc (Michelle) : Bien, écoutez, moi, que quelqu'un, là, il ait une petite croix de David dans le cou, ça ne me dérange pas… ou un croissant de lune, là, bon, tu sais, on s'entend que, tu sais, tu peux avoir des boucles d'oreille avec des croissants de lune si tu veux, là, moi... avec une étoile dedans. C'est bien correct, là, tu sais. Mais évidemment, quand tu as une grosse croix dans le cou, là, tu sais, là il y a un malaise, là, tu sais, parce que, je veux dire, le symbole, là, il vient avec un jugement moral.

Puis, vous savez, je veux dire, bon, vous êtes sûrement beaucoup plus jeune que moi, mais...

Mme Roy (Montarville) : C'est encore drôle.

Mme Blanc (Michelle) : ...mais vous devez quand même vous souvenir, là, quand vous étiez jeune, là, de tout le poids de la religion sur les femmes. Écoutez, moi, je veux dire, je me souviens, là, tu sais, moi, j'ai été servant de messe, hein, j'ai été Jeunesse du monde, j'ai été bien, bien religieux, puis à un moment donné ma mère s'est divorcée, puis on n'était plus bienvenus à l'église, là, tu sais. Bien, je veux dire, ça, il y a ça aussi, là, tu sais. Bon.

Puis là, tu sais, quand je dis que je suis contre les symboles, je ne suis pas pour qu'on commence à enlever la croix du mont Royal puis, tu sais, je ne suis pas une talibane, là, comme ils ont fait exposer les deux géants, là. Bon, on ne s'en va pas jusque-là, là, j'espère, là. Tu sais, on a quand même une histoire, puis je suis pour la valorisation de l'histoire religieuse du Québec. D'ailleurs, on a un tourisme religieux qui est très, très, très bon, qui est très bon pour le Québec puis qu'on devrait continuer de valoriser à l'extérieur de la planète. Sauf que, pour les institutions, pour les travailleurs de l'État, pour le Québec, moi, je suis pour la laïcité. Puis regarde, là, si tu veux manger casher, pas de problème. Fais-toi un lunch puis amène-le, tu sais, bon, puis n'exige pas qu'on fasse de la bouffe cashère, là, dans les institutions. Puis les gars puis les filles, là, qu'on va séparer dans les piscines, là, pour des raisons religieuses, bien non, ça n'a pas de sens. O.K.?

Mme Roy (Montarville) : Pour revenir…

Mme Blanc (Michelle) : Si tu veux séparer les gars puis les filles, construis-toi ta piscine dans ta cour, puis ta fille ira se baigner toute seule, puis ton gars ira se baigner après.

Mme Roy (Montarville) : Et ça, c'est au chapitre des accommodements religieux, et on s'entend qu'il faut les encadrer. On s'entend parfaitement là-dessus.

Mme Blanc (Michelle) : Tout à fait.

Mme Roy (Montarville) : Cela dit, je reviens à ce que vous disiez sur... Vous dites : Une petite croix, ça ne me dérange pas, mais une grosse, là, ça commence à être symbolique, là, puis ça commence à dépasser. Mais pensez-vous qu'il y aurait une… qu'il y aura, si la loi devient réalité, une difficulté d'application? Parce qu'à partir de quel moment votre croix est considérée trop grosse ou pas assez grosse? Trouvez-vous que M. le ministre se complique la vie avec ça?

Mme Blanc (Michelle) : Écoutez, si on dit… Tu sais, c'est drôle, hein, parce qu'écoutez, tu sais, moi, je ne sais pas s'il y a une loi là-dessus, mais je n'ai jamais vu de fonctionnaire avec un mohawk sur la tête. Je n'en ai pas vu encore, O.K.? On n'a pas légiféré là-dessus. On pourrait légiférer là-dessus puis on dirait : On interdit aux fonctionnaires d'avoir un mohawk sur la tête. Puis là, bien, on va définir c'est quoi, un mohawk, à partir de quelle hauteur de cheveux puis combien de rasé que c'est un mohawk ou que ce n'est pas un mohawk, ou c'est ci, ou c'est ça. Je pense que c'est une question de principe, à un moment donné, là, tu sais. Puis je pense que, si on aurait légiféré pour dire que, si tu donnes un service gouvernemental, tu n'as pas le droit de mohawk, personne n'aurait pogné les nerfs avec ça, mais, quand on parle de religion, tout d'un coup c'est un sujet délicat, puis gna, gna, gna. Aïe! Regarde, on est une société laïque, puis il y a une idée...

Le Président (M. Ferland) : ...je dois céder la parole au député de Blainville. M. le député.

M. Ratthé : Merci, M. le Président. Mme Blanc, heureux de vous voir parmi nous. Vous êtes sûrement une des personnes qui, en tout cas je l'espère, j'en suis convaincu, pourra peut-être répondre à... Je veux apporter un angle différent...

Mme Blanc (Michelle) : Allez-y donc.

M. Ratthé : ...puis je pense que vous êtes une des seules, probablement, qui peut-être pourra répondre à cette question-là. En lisant votre mémoire, ce qui m'a beaucoup frappé, c'est toute la discrimination dont les LGBT font encore... sont encore victimes. Vous l'avez surtout souligné de la part de certains intégristes, puis j'ai bien compris que ce n'est pas, justement, musulmans, là.

Mme Blanc (Michelle) : Les Québécois aussi. Oui, oui.

M. Ratthé : Des fois, on est porté à tout cibler sur les musulmans. Je pense que c'est une erreur.

Mme Blanc (Michelle) : Tout à fait.

M. Ratthé : Jusqu'où devrait aller la neutralité de l'État? Puis je vous explique le fond de ma pensée. On vous a sûrement, dans votre... Et c'est ce que je veux entendre de vous. Peut-être, dans votre expérience passée, peut-être qu'on a voulu, sur vos lieux de travail, vous empêcher d'afficher, j'allais dire, votre différence. Ça a dû être assez difficile au départ, c'est ce que je comprends, là, pas juste sur la rue, peut-être en milieu de travail. Est-ce qu'encore aujourd'hui on exige ou est-ce que ça existe encore, des endroits, on pourrait dire, et même s'il y a une loi qui empêche la discrimination sexuelle… est-ce que ça existe encore que des employeurs vont dire : Bien, il faudrait être plus discret — par exemple à un transgenre — sur ton apparence? Et, si ça n'existe pas ou si ça existe, est-ce qu'on devrait aller plus loin dans la neutralité en général de l'État?

Vous avez donné un bon exemple, vous m'avez ouvert la porte sur les mohawks : Bon, est-ce qu'on est prêt à tolérer un mohawk? Est-ce que vous comprenez le sens de ma question?

Mme Blanc (Michelle) : Oui, mais…

M. Ratthé : Est-ce que la laïcité est le... Est-ce que c'est l'endroit où on devrait... Est-ce que c'est le plus loin qu'on devrait aller dans la laïcité religieuse, là, au niveau de la neutralité de l'État? Est-ce qu'on devrait aller encore plus loin?

Puis je vais sous-entendre une question, puis là je vous laisse me répondre : Est-ce que ça devrait s'appliquer aux députés? Parce que, dans la loi...

Mme Blanc (Michelle) : Est-ce que ça devrait s'appliquer au quoi?

M. Ratthé : À l'ensemble des députés. Parce qu'actuellement, dans la loi, ce n'est pas prévu.

Mme Blanc (Michelle) : Bien, écoutez, bon, je comprends que, pour les députés, là, il y a quand même la base de démocratie, puis, bon, à un moment donné, si tu es élu avec un signe religieux ostentatoire, tu mérites de siéger avec ton signe religieux ostentatoire. O.K.? Ça, je le comprends, tu sais, je suis assez démocrate pour ça. Par contre, pour les institutions en général, oui, la neutralité de l'État; oui, la laïcité; oui, l'ouverture à la différence.

Puis maintenant, dans mon lieu de travail, c'est difficile, pour moi, de vous répondre, parce que moi, je suis à mon compte. Je suis consultante puis je fais ce qu'on appelle du «pull marketing». Donc, ce n'est pas moi qui appelle les clients, c'est eux autres qui m'appellent. Puis, quand ils m'appellent, généralement ils savent un petit peu qui je suis, puis ça leur tente en maudit de travailler avec moi, puis ils sont contents de me faire des beaux chèques, ce qui est différent de venir vous rencontrer ce matin, mais bon.

Maintenant, par contre, je vous dirais que, dans les trois dernières années, j'ai eu trois menaces de mort, dont la dernière est encore analysée par la Sûreté du Québec. Justement parce que je suis un petit peu médiatisée, que j'ai une grande gueule et que j'exprime mes opinions, bien, évidemment, il y a des gens que ça ne fait pas leur affaire. Et, je vais vous dire, ce qui est assez étrange : quand je passe à la télévision comme une transsexuelle ou... là c'est correct, je suis une freak qui parle du fait qu'elle est freak, mais, quand je passe à la TV comme la grande experte du marketing Internet ou de l'économie numérique et qu'il n'y a pas un mot qui est dit sur le fait que je suis une transsexuelle, là, tout d'un coup, c'est comme si on normalisait le fait que je suis une freak, puis il y a du monde qui n'aime pas ça, et c'est là qu'il y a les menaces, la hargne et les insultes et que ça arrive. Donc, si je suis une fuckée, c'est correct, mais, si je suis une personne normale qui s'adonne à être transsexuelle, ah non, ça, ça ne marche pas, là, tu sais. Ça fait que ça, c'est la réalité un peu, là, tu sais.

M. Ratthé : Merci. Je vais conclure puis...

Le Président (M. Ferland) : Merci, M. le député. Je dois passer la parole à la députée de Gouin.

Mme David : Merci, M. le Président. Mme Blanc, bonjour. Et, bien évidemment, vous savez que je partage un certain nombre de vos points de vue, mais vous savez que je ne les partage pas tous non plus. C'est ça, la démocratie, hein?

Mme Blanc (Michelle) : Bien oui.

• (12 h 30) •

Mme David : Et ce que je partage énormément, c'est votre critique de l'intégrisme religieux. Ça, là-dessus, il n'y a aucun problème. Mais je veux juste vous soulever une couple de contradictions puis j'aimerais ça vous entendre là-dessus.

À l'article 12 du projet de loi n° 60, on prévoit que «les devoirs de neutralité et de réserve ne peuvent [pas] avoir pour effet d'empêcher l'application des règles déontologiques prévues par la loi permettant au médecin et au pharmacien de ne pas recommander ou de ne pas [servir] des services professionnels en raison de leurs convictions personnelles». Là, on ne parle pas de gens qui portent ou non des signes religieux, on parle, par exemple, d'un médecin qui refuserait de prescrire la pilule du lendemain. Et ça s'est déjà vu au Québec, par des Québécois de souche. Ils auraient donc le droit de continuer à ne pas prescrire la pilule du lendemain si ça va contre leurs convictions personnelles et probablement religieuses, l'article 12 de la loi le permet encore, l'article 12 du projet de loi qu'on est en train de regarder, là, mais d'un autre côté on dit : Il faut absolument éliminer tous les symboles qui nous montrent que telle personne employée de l'État a une appartenance religieuse parce que, là, cette personne-là, elle nous dit : Dans le fond, je ne suis pas neutre. Vous ne trouvez pas qu'il y a une contradiction?

Mme Blanc (Michelle) : Bien, je suis bien d'accord avec vous. C'est un bon point.

Mme David : Bon.

Mme Blanc (Michelle) : Effectivement, qu'on enlève les signes religieux puis qu'on dise aux gens, là : Regarde, là, tu as un code de déontologie, puis ce n'est pas tes valeurs personnelles, là, si tu es un médecin, là, c'est ton serment d'Hippocrate. Ton serment d'Hippocrate, tu dois soigner quelqu'un, soigne-le, que tu sois d'accord avec ou pas.

Mais évidemment il y a des points litigieux. Notamment, j'ai cité une étude de la commission des femmes musulmanes du Canada qui parle de l'excision, qui parle de tout… Puis on sait que ça se fait encore au Canada puis on sait que les médecins sur la carte d'assurance maladie, ils ont des problèmes moraux. Ou, la petite fille qui vient pour se faire exciser, il le fait lui-même, ou il ne le fait pas, puis elle lui revient au bout de son sang, puis que, là, il faut qu'il répare une excision qui a été mal faite avec un bout de verre, «whatever». Ça fait que, tu sais, c'est des questions délicates, parce qu'effectivement surtout les médecins, ils ont des problèmes moraux.

Vous savez, on discute de l'euthanasie, là, présentement, là, mais, moi, ma mère a été euthanasiée, O.K., devant moi, je lui tenais la main quand elle a été euthanasiée, puis, regarde, je n'irai pas poursuivre le médecin puis l'infirmière, là, on s'entend, là, tu sais. Donc, il y a des choses qui se font puis qu'on ne jase pas, tu sais. Moi, ma mère était atteinte du cancer, il lui restait trois jours à vivre, puis elle a dit au médecin : Moi, je ne veux pas souffrir, je ne veux pas souffrir. Ça fait qu'il est venu lui donner sa «shot» de morphine à peu près aux deux heures. Puis, à un moment donné, bien là elle souffrait, elle souffrait, elle souffrait. Bien là, ce n'était plus une «shot» de morphine, c'est deux «shots» de morphine, une dans chaque bras. Puis 30 secondes après elle était morte, et je lui tenais la main et j'étais très, très fier de ça.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci. Merci, Mme Blanc. Merci beaucoup. Merci pour votre mémoire, votre présentation, le temps que vous avez pris.

Et je mentionne aux parlementaires qu'ils peuvent… Vous pouvez laisser vos documents ici, la salle sera sécurisée pour l'heure du repas.

Et, sur ce, la commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 33)

(Reprise à 14 h 5)

Le Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre! À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre! La commission reprend ses travaux. Cet après-midi, nous entendrons M. Michel Seymour, la Coalition Laïcité Québec, Mme Andréa Richard et la Ligue d'action nationale.

J'invite donc M. Michel Seymour à nous présenter son mémoire, et en vous mentionnant que vous disposez d'une période de 10 minutes, suivi d'une période d'échange avec les parlementaires. Alors, M. Seymour, la parole est à vous.

M. Michel Seymour

M. Seymour (Michel) : Alors, tout d'abord, merci, M. le Président, M. le ministre, MM. et Mmes les députés, de m'avoir permis de prendre la parole ici parmi vous. Cet exercice m'apparaît plus qu'essentiel, et c'est à l'honneur de l'Assemblée nationale que d'ouvrir ses portes aux citoyens, aux intellectuels, aux groupes qui ont des avis concernant la charte, le projet de loi n° 60.

Je dois dire d'entrée de jeu que je m'accorde avec l'idée que le Québec doit se doter d'une charte de la laïcité. Je m'accorde aussi avec le fait que les employés de l'État doivent éviter le prosélytisme et oeuvrer à visage découvert pour des raisons de sécurité, d'identification et de communication.

Je suis en plus d'accord avec le fait de baliser les demandes d'accommodement. On pourrait créer en ce sens une commission des accommodements chargée d'informer toute personne ou organisme qui cherche à savoir comment et si une démarche… une demande d'accommodement doit être accordée. Je précise toutefois que les demandes d'accommodement ne doivent pas être seulement balisées par le droit à l'égalité hommes-femmes, mais aussi par la nécessité de ne pas comporter de mesure discriminatoire contre les groupes minoritaires en général, qu'ils soient des LGBT — lesbiennes, gais, bisexuels, transsexuels — des personnes handicapées, des minorités ethniques ou quelque groupe minoritaire que ce soit.

Mais le problème majeur de cette charte, de ce projet de loi n° 60, renvoie aux articles 5 et 10. L'interdit des signes ostentatoires dans la fonction publique ne peut se justifier en invoquant la laïcité, la neutralité et l'indépendance de l'État par rapport aux religions instituées, il ne peut être justifié de cette manière, car la laïcité, la neutralité et l'indépendance de l'État sont non seulement compatibles avec la diversité des signes religieux, on peut même dire que la diversité de ces signes est une preuve additionnelle de la laïcité, de la neutralité et de l'indépendance des institutions. En effet, la diversité des signes religieux témoigne du fait que des individus ayant des croyances très différentes peuvent néanmoins travailler au sein de ces institutions, et cela est une preuve de neutralité, de laïcité et d'indépendance de ces mêmes institutions.

• (14 h 10) •

L'interdit des signes religieux ostentatoires n'est pas neutre non plus et ne garantit pas l'indépendance de l'État par rapport à la religion pour au moins trois raisons. La première raison : par cet interdit, l'État échoue à réaliser l'objectif de neutralité parce qu'il outrepasse sa sphère de compétence qui concerne la laïcité des institutions en se mêlant de ce qui peut être appelé la sécularisation de la société. Le gouvernement ne doit pas s'engager dans un «social engineering», pour employer une expression en anglais. Il ne doit pas se mêler des débats concernant les habitudes de vie des gens, il n'a pas à forger les mentalités, à imposer un mode de vie particulier. Il ne doit pas se prononcer, je dirais, contre les Yvette ou pour les Janette. Ces débats sont des débats de société et mettent en jeu la société civile. Les habitudes de vie, les tenues vestimentaires concernent les gens de la société civile et non l'État. L'État ne doit pas entrer dans la chambre à coucher des gens, mais il ne doit pas non plus entrer dans leur garde-robe. Alors, c'est la première remarque que je voulais faire et qui démontre qu'en se mêlant de ces choses l'État se trouve à aller à l'encontre de son mandat, qui est la laïcité des institutions et non la sécularisation de la société.

En outre, en imposant l'interdit des signes religieux ostentatoires dans la fonction publique, l'État n'est pas neutre, car sa laïcité, comme plusieurs l'ont dit, est en fait une catholaïcité. Les règles qu'on cherche à imposer proviennent… conviennent parfaitement, en effet, aux chrétiens, qui peuvent avoir des signes religieux discrets ou absents, mais pas aux sikhs, aux Juifs et aux musulmans qui ont des signes ostentatoires.

Enfin, l'interdit imposé par l'article 5 ne tient pas compte du fait qu'il y a non seulement une diversité de religions, mais aussi une diversité de rapports à la religion, c'est-à-dire une diversité de façons de vivre l'expérience religieuse. Pour certains, la foi religieuse est essentiellement une affaire qui relève de leur liberté de conscience et qui se vit dans la sphère privée, mais, pour d'autres personnes, l'identité religieuse est intimement liée à une appartenance communautaire et elle se vit en groupe. Pour ceux-là, le port de signes ostentatoires devient un marqueur identitaire important car, en même temps qu'il sert à exprimer la foi religieuse, il indique une appartenance communautaire, l'appartenance à une communauté de religion. Ceux qui vivent l'expérience religieuse dans l'intimité de leur conscience n'ont pas besoin de signe extérieur pour l'exprimer, mais ceux qui vivent leur expérience en communauté ont besoin d'un signe extérieur pour manifester cette appartenance communautaire.

La dénonciation française des communautarismes, à la base de leur conception de la citoyenneté et de la laïcité, est en ce sens une marque d'intolérance à l'égard d'une certaine façon de vivre son rapport à la religion et ne devrait pas nous servir de modèle, car elle trahit une incapacité à prendre en compte le mode communautaire du rapport à la religion. Si les chrétiens sont, à notre époque, surtout — mais pas seulement — individualistes dans leur rapport à la religion, plusieurs musulmans, sikhs et Juifs, à l'opposé, sont surtout communautaires, communautariens dans leur façon de vivre la religion. Le respect par l'État de la diversité des religions doit donc être combiné au respect à l'égard de différentes façons de vivre la religion, et, si on respecte l'expérience religieuse de type communautaire, il faut alors respecter la liberté d'expression religieuse, y compris dans la fonction publique.

Alors, en conclusion, je demanderais à ce que nous ne fassions pas du corps des femmes un champ de bataille. Ne combattons pas l'imposition du voile par l'interdit du port du voile, laissons aux femmes le soin de décider. La lutte à l'intégrisme ne repose pas sur le port du voile, car on peut porter le voile sans être intégriste, et plusieurs intégristes ne portent pas le voile. N'excluons pas ces femmes qui ne demandent qu'à s'intégrer à la société québécoise, on ne leur facilite pas leur intégration en les excluant de la fonction publique. La très vaste majorité des femmes qui portent le voile ne sont pas intégristes. S'acharner contre elles est une erreur qui sème la division et l'exclusion.

Et je dirais donc en conclusion qu'à mon avis le Québec sera inclusif ou ne le sera pas. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Merci, M. Seymour, pour votre mémoire. Alors, maintenant, nous allons procéder aux échanges. Alors, M. le ministre, la parole est à vous.

M. Drainville : Merci, M. le Président. Merci, M. Seymour, de votre présentation, de votre mémoire.

Vous dites, et je vous cite : «…il se peut que certaines tenues vestimentaires religieuses à visage découvert doivent, elles aussi, être interdites. C'est ce qui se produirait si une tenue vestimentaire religieuse avait un sens univoque, ne pouvait être que d'une seule couleur [ou] était clairement le résultat d'une imposition par des autorités spécifiques.» Fin de citation. C'était à la page 4.

Et là vous donnez l'exemple du tchador dans votre mémoire. Comme vous le savez, évidemment, le tchador suscite beaucoup de débats. La députée libérale de La Pinière le considère comme la signature d'un intégrisme radical. Est-ce que vous pourriez nous expliquer en quoi le tchador est différent des autres types de voile, selon vous? Et pourquoi dites-vous que le tchador a un sens univoque?

M. Seymour (Michel) : Je ne dis pas que le tchador a un sens univoque, mais, avant de vous répondre plus précisément, je voudrais signaler qu'à mon avis cette question-là me fait penser un peu à la question posée par les auteurs du manifeste à Hérouxville : Sommes-nous pour la lapidation? Eh bien, à Hérouxville, il n'y avait pas de musulmane, il n'y avait pas de lapidation, mais il n'y avait même pas les cailloux pour les lancer, et donc on était un peu dans un débat théorique. Et là je comprends qu'il y a un débat politique qui oppose l'opposition officielle et le gouvernement, et alors ça nous traîne, ça nous force, nous, les intellectuels, à nous arrêter sur cette question, mais on doit s'y arrêter avec peu de données, peu d'information, peu de compréhension de la signification de cette tenue vestimentaire.

Les premières consultations que j'ai faites à ce sujet m'ont amené à me demander si, dans ce cas-là, il y avait toujours la même couleur de cette tenue vestimentaire. Est-ce que les personnes qui le portent viennent tous… toutes, plus exactement, de la même région? Et est-ce que dans les pays où on impose cette tenue vestimentaire on l'impose pour la même raison? Dans ce cas-là, avec peu de réappropriation du signe, une seule signification univoque associée à ce signe, un seul sens à donner, une seule origine. On pourrait alors penser qu'il n'y a, là, pas ambiguïté, pas réappropriation de multiples façons comme cela est totalement évident avec le foulard islamique. Le foulard islamique est porté par des tonnes de gens, avec des significations très différentes.

Dans le cas du tchador, je me suis posé la question, et, si vous retournez dans mon mémoire, vous voyez que je me demande si… Il se pourrait que, il se peut que, nous devons considérer la possibilité que. Je ne suis pas en train d'affirmer quoi que ce soit concernant le tchador. Je spécule un peu à voix haute pour faire avancer le débat, en étant totalement incertain, étant donné le peu d'information dont on dispose, des conclusions qu'il faut tirer.

Alors, je demanderais, premièrement, idéalement qu'on pose des questions sur d'autres sujets, même si je comprends bien que ça fait l'objet d'un débat politique. Et, deuxièmement, je demanderais à ce que le gouvernement s'arrange pour nous fournir de l'information et pas simplement des indications de son propre avis sur le sujet et de l'avis de l'opposition officielle sur le sujet. Pour moi, il est important d'avoir de l'information pour savoir si un signe a une signification univoque ou pas, s'il a une couleur ou pas, s'il est toujours porté comme, je ne sais pas, moi, le Ku Klux Klan. Il n'y a pas de l'ambiguïté longtemps avec cette tenue vestimentaire, elle a une signification univoque. Dans le cas du tchador, est-ce que c'est vrai qu'il a une signification univoque? Je ne sais pas si quelqu'un ici est capable de répondre à la question, mais moi, je refuse d'embarquer dans un débat politique en grande partie théorique, causé par un différend entre deux partis politiques.

M. Drainville : M. Seymour, je respecte tout à fait votre point de vue. Si vous n'aviez pas évoqué le tchador dans votre mémoire, je ne vous aurais pas posé la question. Alors, je...

M. Seymour (Michel) : Vraiment?

M. Drainville : Oui. Oui, oui, absolument. Vous pouvez vous fier sur moi pour ça.

Maintenant, vous dites, et je cite : «On peut envisager d'interdire aussi des signes ostentatoires pour les personnes en autorité qui ont un pouvoir coercitif et qui incarnent l'État.» Bon, normalement, cette recommandation sur les agents avec pouvoir coercitif repose sur le raisonnement que le port d'un signe religieux ostentatoire peut remettre en question le principe de la neutralité religieuse, normalement c'est là-dessus que ça s'appuie, et donc que l'apparence d'un agent de l'État qui porte un signe religieux — dans ce cas-ci, un policier ou un juge — pourrait remettre en question sa neutralité, dans le regard de l'autre du moins, la neutralité notamment de ses décisions.

Alors, est-ce que je vous comprends bien et est-ce que vous... Dans le fond, est-ce que vous admettez que, si vous êtes prêt à interdire le port de signe religieux ostentatoire pour les agents coercitifs, c'est que vous admettez donc que dans certains cas du moins le port du signe religieux peut remettre en question la neutralité religieuse de celui ou de celle qui le porte?

• (14 h 20) •

M. Seymour (Michel) : C'est surtout, comme je l'explique dans mon mémoire, pour tenir compte du fait que, lorsqu'on s'en remet à des autorités ayant un pouvoir coercitif, il faut probablement, dans ce cas-là, une confiance accrue dans les autorités, dans les personnes à qui on s'adresse. Ce n'est pas tellement pour répondre à la perception ennuyée des gens, c'est qu'il faut une croyance, une confiance accrue dans les autorités. Et, pour que ces personnes puissent disposer d'une confiance accrue et exercer leur pouvoir coercitif pleinement, on peut envisager, ai-je bien dit, cet interdit.

Néanmoins, même depuis cette époque, j'ai parlé à des juristes, qui me disent : Écoutez, là, même pour les juges, ça peut poser un problème assez important. Il y a l'indépendance des pouvoirs, et le pouvoir judiciaire doit avoir sa pleine autonomie, et on n'est pas en mesure de donner des directives concernant le port de signes ostentatoires et d'une tenue vestimentaire quelconque aux juges, ça serait déjà peut-être d'emblée anticonstitutionnel.

Alors, vous voyez comment la réflexion peut évoluer là-dessus. Moi, je ne suis pas certain, j'ai dit : On peut l'envisager. Et j'ai cherché un argument pour distinguer le cas des personnes qui sont en autorité. Ce n'est pas simplement le fait qu'ils soient en autorité, c'est qu'ils exercent avec cette autorité un pouvoir coercitif. Et le citoyen, pour accepter de donner plus de confiance à ces autorités-là qu'à n'importe quelle autre autorité, doit alors effectivement être en face de personnes qui, aux yeux du citoyen, ne posent aucun problème, et ça, c'est pour avoir plus de confiance en provenance du citoyen. Donc, il y a quelque chose qui serait une mesure exceptionnelle qui peut être comprise par une situation exceptionnelle. Mais, encore là, c'est ma réflexion qui avance, dans ce mémoire, et je suis de moins en moins certain que cet argument-là passe. Je pense…

M. Drainville : …de moins en moins certain que ce serait une bonne idée?

M. Seymour (Michel) : Que les arguments sur le caractère spécifique des interdits concernant, par exemple, les juges, il y a des problèmes constitutionnels, m'ont dit plusieurs juristes. Et moi, je suis un intellectuel, je suis philosophe, je me mêle de beaucoup de questions et j'ai des opinions arrêtées sur beaucoup de sujets, et notamment dans ce que je viens de vous lire, j'ai des opinions un peu arrêtées aussi, mais, sur la question de l'interdit appliqué aux juges, je pense qu'il y a probablement, selon les avis juridiques que j'ai entendus, je ne sais pas ce qu'il en est de votre côté… qu'il peut y avoir des problèmes constitutionnels importants à essayer d'imposer une tenue vestimentaire aux juges. Alors là, dans ce temps-là, on se dit : Est-ce que cet interdit peut fonctionner? Et là j'ai un doute additionnel que je n'avais pas au moment d'écrire ce mémoire parce que j'ai consulté des juristes depuis et je vois qu'il y a un enjeu constitutionnel autour des directives qu'on peut donner aux juges.

M. Drainville : O.K. Mais vous parlez de la question de confiance. Moi, je suis tout à fait d'accord avec vous, je pense qu'il faut la poser, la question de la confiance. Je vous pose… Je vous donne un autre exemple. Prenons une gestionnaire à qui on demande un accommodement de nature religieuse, O.K., une gestionnaire d'organisme public à qui on demande un accommodement religieux. Est-ce que vous croyez qu'une personne, une gestionnaire qui porte un signe religieux, le même signe religieux que la personne qui demande l'accommodement… Est-ce que vous ne craignez pas que l'impartialité de sa décision puisse être remise en doute?

M. Seymour (Michel) : Je ne pense…

M. Drainville : Est-ce qu'on peut avoir confiance, en d'autres mots, que la décision qui sera prise ne sera pas teintée de la conviction religieuse de la gestionnaire, donc, qui affiche ouvertement sa conviction religieuse et qui est de la même religion que la personne qui lui demande l'accommodement?

M. Seymour (Michel) : D'une manière générale, quand on parle d'accommodement, on rentre un peu dans l'autre logique que la logique de l'expression des signes religieux. Pour moi, la problématique de l'accommodement est un autre sujet complètement. Maintenant, si l'accommodement dont il est question, c'est un accommodement concernant le port de signe religieux, bien là je comprends qu'on est un peu dans le même sujet, là. Mais, d'une manière générale, l'important, c'est effectivement que les fonctionnaires n'aient pas de manifestation de prosélytisme et qu'ils exercent leurs fonctions correctement, et alors, dans ce contexte-là, je pense qu'en général ça ne pose pas de problème.

En général, cet interdit-là est injustifié, cet interdit des signes ostentatoires est totalement injustifié parce que ça viole un mode de rapport que plusieurs personnes ont à l'égard de la religion : ils la vivent en communauté. Et je suis pas mal certain que, cet argument-là, vous ne l'avez pas entendu encore souvent, et pourtant c'est effectivement de cette manière que les personnes sikhes, juives et musulmanes, très souvent, vivent leur rapport à la religion, c'est un mode de vie en communauté. Et, vu que c'est en communauté qu'ils vivent leur rapport religieux, à ce moment-là le signe religieux fait partie de leur appartenance communautaire religieuse et fait partie alors de leur identité.

Alors, avant d'interdire ça, il faut des arguments extrêmement solides. J'ai essayé d'examiner la plausibilité de ces arguments-là pour certains groupes en m'inspirant de Bouchard-Taylor, mais ma réflexion là-dessus n'est pas terminée. J'ai, pour cette raison, même dans mon mémoire, à l'époque, dit : On pourrait envisager, c'est matière à débat. C'est là où j'en étais. Maintenant, je suis encore beaucoup plus dubitatif concernant ce genre d'interdit. Il faut vraiment avoir beaucoup, beaucoup d'arguments pour justifier l'interdit pour les raisons que j'ai invoquées dans ma présentation tantôt.

M. Drainville : Je vous donne un ultime exemple, par la suite je vais passer à d'autres aspects de votre mémoire. Mme Michelle Blanc, qu'on a entendue juste avant vous, nous a dit : Le symbole religieux, il vient avec un jugement moral. Ce sont ses mots, le symbole vient avec un jugement moral. Elle parlait à un moment donné aussi de code moral. Et elle nous a donné l'exemple, elle dit : Est-ce qu'un jeune musulman homosexuel qui est rejeté par sa famille à cause de son orientation sexuelle va avoir confiance en une infirmière qu'il va voir parce qu'il a besoin d'aide si cette infirmière porte un hidjab?, et je trouvais que c'était un excellent exemple, justement, de la barrière que peut créer le symbole religieux entre, dans ce cas-ci, un patient ou, enfin, quelqu'un qui a besoin d'aide et l'infirmière dans ce cas-ci.

Est-ce que vous trouvez… Je ne vous demande pas de vous rallier, je ne vous ferai pas changer d'idée sur les signes religieux, M. Seymour, je vous respecte trop pour ça, là, mais est-ce que vous ne trouvez pas qu'il y a quand même… la question, elle se pose? Ça a du bon sens, ça, cet exemple-là. Je trouvais que c'était très parlant, moi. Je peux très bien comprendre qu'un jeune qui est rejeté de sa famille, un jeune musulman qui est rejeté de sa famille à cause de son orientation sexuelle se tourne vers le système de santé, veut voir quelqu'un pour l'aider, il se retrouve avec une infirmière qui porte le hidjab… Moi, je pense qu'il pourrait avoir un doute, il pourrait effectivement ne pas avoir confiance dans le service qu'il demande. Ça a du sens, ça, non?

M. Seymour (Michel) : Je vais répondre. Est-ce que je peux vous répondre?

M. Drainville : Bien oui, évidemment, mais… Et là je fais appel à votre sens logique de philosophe, là.

M. Seymour (Michel) : Tout à fait. Et moi, je vais faire appel à — pardonnez-moi de parler comme ça, M. le ministre — votre sens moral de ministre.

M. Drainville : Oui. O.K.

M. Seymour (Michel) : Ce jeune homme qui sera en face d'une personne portant le voile n'aura pas d'inquiétude quant au jugement de cette personne eu égard à son homosexualité si on ne fait pas l'association entre le voile et l'intégrisme et le voile et l'adhésion à l'ensemble des dogmes. Si, bien sûr, on entretient le préjugé que quelqu'un qui porte le voile est automatiquement quelqu'un qui souscrit à l'ensemble des dogmes les plus rétrogrades de l'islam…

M. Drainville : Je n'ai pas parlé d'intégrisme, je n'ai pas parlé d'intégrisme.

M. Seymour (Michel) : Non, mais…

M. Drainville : N'amenez pas la réponse sur ce plan-là. Ce que je vous dis, je vous parle d'un doute, c'est vous qui amenez la question de la confiance. Et je suis d'accord avec vous, la question de la confiance, elle est très importante.

À partir du moment où il y a un doute à cause de cette conviction religieuse que l'agent de l'État, que l'infirmière affiche, il me semble… il nous semble à nous que c'est une bonne raison, à ce moment-là, à tout le moins de poser la question. Nous, on apporte notre réponse. Vous, vous apportez une réponse différente, mais convenez avec moi que la question, elle est très légitime.

M. Seymour (Michel) : Le doute ne surgira dans son esprit que si on fait constamment l'association entre le port du voile et l'adhésion à une doctrine qui est contre les homosexuels. Si on dit qu'au contraire les gens qui portent le voile peuvent exprimer leur foi dans l'islam et vivre leur foi en communauté sans adhérer à ces doctrines, eh bien, le jeune homme en face de quelqu'un qui porte le voile ne tirera pas la conclusion, ne sera pas ennuyé, ne sera pas gêné, ne craindra pas de voir là un jugement homophobe parce qu'il aura été habitué dans une société qui sait faire les nuances entre des gens qui expriment des convictions religieuses et des gens qui endossent la totalité de tout ce qui a été dit au sein de l'islam par des mouvements notamment intégristes. Quand on dit : C'est ou bien la charte ou bien l'intégrisme, on favorise l'association entre le port du voile et l'ensemble des dogmes les plus rétrogrades associés à l'islam. Avec des perceptions comme ça, je comprends que le jeune homme aura des doutes, mais il faut lutter contre ces jugements-là parce que c'est des jugements erronés. Il faut respecter la liberté religieuse des gens et respecter leur façon de vivre leurs croyances religieuses sans leur imputer tous les crimes et toutes les idéologies rétrogrades associés à leur religion, sinon on ne pourrait pas être chrétiens, parce qu'on serait tous des complices de l'Inquisition. Alors donc, il faut éviter absolument de confondre la foi religieuse avec des variantes exagérées. Et, si on éduque la population en ce sens au lieu de faire les amalgames, je n'ai aucune crainte, ce jeune homme homosexuel face à une femme qui porte le voile ne tirera pas des conclusions et n'aura pas les inquiétudes.

• (14 h 30) •

Le Président (M. Ferland) : Merci. M. le ministre.

M. Drainville : Oui. M. Seymour, si je vous ai bien entendu, vous avez dit : Ou bien la charte ou bien l'intégrisme. C'est ça? Vous avez…

M. Seymour (Michel) : Si on entretient cette opposition-là.

M. Drainville : Si on dit ça. Si on entretient ça, oui. Bien, j'espère que vous ne me l'attribuez pas, là, parce que ce n'est pas ce que j'ai dit. Ce que j'ai dit, c'est que, si un parti comme le Parti libéral souhaite faire de l'intégrisme sa priorité, il devrait appuyer la charte, c'est ça que j'ai dit. Je veux juste faire une petite parenthèse, là. Je ne voudrais surtout pas qu'on entretienne un malentendu sur cette question-là.

Par ailleurs, dans votre mémoire toujours, vous dites : «…le rapport à la religion est une affaire d'appartenance communautaire. C'est la raison pour laquelle les signes sont requis. Ils marquent aux autres leur lien à une seule et même communauté d'appartenance.» Moi, je pense qu'on est au coeur de l'affaire, là, ici, parce que la question qui se pose, justement, c'est : À partir du moment où la personne affiche par son signe son appartenance communautaire, est-ce qu'il n'y a pas un risque, un danger, lorsqu'elle travaille pour l'État, que son appartenance communautaire ait préséance sur son appartenance citoyenne et donc que les décisions qu'elle prenne soient guidées davantage par son appartenance communautaire, marquée par le port de son signe, que par son service public?

M. Seymour (Michel) : Je ne crois pas. La vaste majorité des citoyens du Québec, qu'ils soient musulmans, sikhs, juifs ou chrétiens, sont d'accord avec le principe général de la laïcité qui implique l'indépendance de l'État par rapport à une orientation religieuse particulière. Ils sont d'accord avec la neutralité de l'État, ils sont d'accord avec un État laïque et ils sont d'accord, par conséquent, de fonctionner dans un État qui est gouverné par des règles laïques. Et en même temps, sur le plan non pas politique, sur le plan communautaire, dans leurs communautés, ils ont une communauté de religion, et il n'y a pas de raison que cet attachement à une communauté de religion entraîne une préséance sur les règles laïques de l'État. Je crois qu'il n'y a personne dans ceux à qui vous allez vous adresser et qui sont des représentants de la communauté musulmane qui vont dire : Nous sommes contre la laïcité. La vaste majorité, en tout cas, parce qu'il y a probablement effectivement des groupes qui voudraient bien que l'État ne soit pas laïque, mais la vaste majorité de ceux qui ont des croyances religieuses, y compris en vivant leur religion sur le mode communautaire, ces gens-là sont d'accord avec les règles laïques de l'État. Donc, je n'ai aucune crainte à cet égard.

Je pense que c'est davantage le fait que nous ne soyons pas habitués ou avons perdu l'habitude de ce rapport à la religion. Au Québec, nous avons évolué, entre guillemets — parce que c'est comme ça que nous percevons, nous, de notre point de vue, les choses — dans une vision de la religion qui se vit de moins en moins en groupe. Il n'y a pas la prière à CKAC, il n'y a pas… les gens se rassemblent beaucoup moins qu'avant dans les églises le dimanche, les jours fériés sont de plus en plus des jours de congé. Il n'y a pas une vie communautaire de la religion chrétienne. De plus en plus, la majorité des chrétiens vivent leur religion dans le privé, dans leur conscience, seuls avec eux-mêmes, alors le symbole devient facultatif…

Le Président (M. Ferland) : M. Seymour, je vais être obligé de vous arrêter, parce qu'on va passer du côté du parti de l'opposition officielle. Alors, je cède la parole au député de LaFontaine.

M. Tanguay : Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, M. Seymour, d'avoir pris le temps de rédiger le mémoire et de prendre le temps aujourd'hui de venir répondre à nos questions. C'est très, très apprécié.

Dans un débat, comme vous l'avez souligné, un débat qui est extrêmement délicat et divisif, sur la proposition du gouvernement, sur les cinq éléments, il y en a quatre, dont les accommodements raisonnables, la neutralité de l'État, et ainsi de suite, visage découvert, interdiction du prosélytisme, autrement dit de ne pas tenter par sa fonction ou via sa fonction de faire de nouveaux adeptes, demain matin on ferait avancer le Québec là-dessus. On a bien ciblé que, le débat, les 270 heures qui sont devant nous seront sur cette interdiction qui divise comme jamais le Québec.

Vous avez soulevé un point avec le ministre par rapport aux raccourcis intellectuels que certains emploient — et je fais entre autres référence à l'article, que vous avez peut-être lu, de Gérard Bouchard de vendredi dernier — des raccourcis intellectuels qui font en sorte qu'on se rappelle un peu, et ça, ce n'est pas très québécois… on se rappelle un peu la philosophie de George Bush, qui disait : «You're either with us or against us», sans aucune nuance, autrement dit un amalgame et une approche qui fait en sorte de dire un peu comme le disait le ministre : Si vous voulez lutter contre l'intégrisme, vous devez être pour la charte, un raccourci intellectuel qui fait en sorte de laisser de côté énormément de nuances mais également d'imposer un code vestimentaire. Et j'aimerais vous entendre là-dessus, M. Seymour, poser la question au niveau de l'importance pour une personne… qu'elle peut avoir de sa conviction religieuse, que les convictions religieuses peuvent avoir pour une personne quant à son identité. Et, lorsque l'on croit aux libertés individuelles comme nous le croyons, on ne peut pas commencer à mettre de côté des aspects identitaires d'une identité qui par ailleurs n'est pas de facto, automatiquement nocive à un rapport social qui est sain, constructif et duquel on peut évidemment sortir le mieux de chaque individu. Alors, j'aimerais vous entendre. Vous avez dit évidemment une phrase : L'État n'a pas à entrer dans la chambre à coucher des gens et n'a pas à entrer dans leur garde-robe. J'aimerais vous entendre, vous qui a beaucoup réfléchi sur la question, sur l'importance de ne pas acheter des arguments un peu à la George Bush, de dire : Bien, ce n'est pas compliqué, entre 9 heures à 5 heures vous pouvez mettre cette partie de votre identité dans le placard, vous reprenez cette partie de votre identité là à 5 heures.

M. Seymour (Michel) : Je pense que c'est, au fond, le coeur de la question, parce que, si on pense que les personnes devraient aisément être en mesure, pour quelques heures seulement, de retirer des symboles religieux, c'est parce qu'on pense que la religion, ça se vit privément, et c'est dans la liberté de conscience de l'individu que se vit le sentiment religieux. Une fois qu'on a cette vision de ce rapport à la religion, bien la manifestation extérieure de ça est facultative. Elle est utile, intéressante, mais on peut s'en départir. Et alors on pense que… Si on a affaire, au contraire, à quelqu'un qui ne veut pas s'en départir, eh bien, on lui donne alors une signification politique automatiquement, à ce signe religieux. On pense que, si on veut absolument le garder, c'est qu'on est engagé dans une sorte de bataille politique. Et c'est pourquoi plusieurs pensent que le port du voile dans la fonction publique, c'est une forme larvée de prosélytisme. On fait… Comme M. le ministre disait, Mme Blanc aurait signalé qu'il y a une sorte de jugement, il y a une intervention, il y a une prise de prise de position, il y a une propagande larvée qui se joue. Pourquoi? Parce qu'on donne au port du voile une signification politique. Quelle pourrait être autrement la raison de tenir absolument à ce signe?

Or, s'il y a une contribution que je veux faire à cette commission, c'est pour attirer l'attention sur le fait qu'il existe beaucoup d'individus qui vivent leur rapport à la religion en groupe, en communauté. C'est indissociable. Leur religion, ils la vivent en groupe. Ils se tournent vers La Mecque en même temps ou à peu près, et c'est la même sorte de prière. Il y a quelque chose qui… Ils savent qu'ils font partie d'une communauté, ils savent qu'ils font partie du même groupe. La religion, donc, se vit communautairement.

Quand la religion se vit communautairement, le signe religieux fait partie alors de l'identité religieuse des personnes. Et c'est pourquoi la jurisprudence semble aller de plus en plus de ce côté-là, de dire que la liberté de conscience et la liberté de religion va de pair avec la liberté d'expression de cette religion. Ce faisant, on tient compte de ceux qui ont un rapport à la religion qui est communautaire. Et avoir un rapport à la religion communautaire, ce n'est pas être engagé dans de la propagande, dans du prosélytisme et dans une lutte politique. C'est juste le mode d'être de notre rapport au religieux.

Le Président (M. Ferland) : Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Merci, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : À vous, oui, il reste encore neuf minutes à peu près, 8 min 30 s.

• (14 h 40) •

Mme Weil : Oui. Merci, M. Seymour. Alors, si le discours français, c'est de la musique aux oreilles de Mme Marois, votre discours, honnêtement, je dois vous dire, c'est de la musique à mes oreilles, parce que c'est tout ce que je connais, tout ce que j'ai appris autant ici, au gouvernement, que dans une vie antérieure, que dans ma formation, que dans mon vécu.

Alors, j'aimerais vous demander de revenir sur certains éléments où il y a beaucoup de confusion dans ce qu'on entend — et vous êtes un spécialiste, alors ce serait intéressant de vous entendre — à la page 8, lorsque vous dites : «En droit québécois [...] — donc vous le mettez vraiment ancré dans le droit québécois — la liberté de religion va de pair avec la liberté d'expression de sa foi religieuse, d'où la reconnaissance du signe religieux comme symbole ayant une portée identitaire.» Et vous dites en conclusion : «Il n'existe pas de droit [de] ne pas être exposé au particularisme identitaire des autres.» On l'a entendu beaucoup surtout des individus. Jamais les organismes, les groupes, les constitutionnalistes, mais certains individus. Donc, j'aimerais vous entendre sur cet aspect très juridique.

M. Seymour (Michel) : Alors, ce n'est pas à une juriste que je pourrai apprendre grand-chose. Et, si j'ai une expertise, ce n'est pas une expertise juridique me permettant de vous démontrer quoi que ce soit. Vous pourriez au contraire me démontrer beaucoup plus, étant donné votre propre expertise. Mais je voulais attirer l'attention sur le fait qu'il y a un danger de vouloir traduire en termes juridiques lorsqu'on affirme le droit de ne pas être exposé à… de traduire en termes juridiques ce qui, même si c'est involontaire, est une sorte d'intolérance, parce que, quand on est sensible à ce que j'ai dit depuis tantôt, qu'il y a un mode de rapport à la religion qui est communautaire et alors le signe religieux fait partie de l'identité religieuse, quand on est sensible à ce fait-là, eh bien, le respect de l'identité de ces gens-là commande de ne pas vouloir ériger son intolérance à l'égard de ce symbole en droit, en principe juridique.

Et là je fais très attention parce que je suis en même temps tout à fait sensible au fait qu'il existe dans notre société des femmes qui ont lutté pendant des décennies pour la liberté des femmes et qui voient, à tort ou à raison — et parfois, surtout à l'étranger, avec raison — une association entre certains symboles de ce genre et une sorte de mouvement politique qui vise à introduire des rapports profondément inégalitaires entre les hommes et les femmes. Alors, je suis très sensible à ces femmes qui ont beaucoup de difficultés à vivre ce rapport aux signes.

Mais ici, je dirais, un, effectivement, comme vous le soulignez, il y a un droit à la liberté de religion, et, au Québec et au Canada, ce qui semble être en train de se construire comme jurisprudence, d'après les informations que j'ai… Bien sûr, il y a le cas du kirpan qui a été jugé par la Cour suprême et où, là, s'il y a une sécurité absolue qui est assurée au kirpan, à ce moment-là c'est un symbole identitaire qu'on va respecter. Ça, ça a été déjà entré dans la jurisprudence. La cour fédérale d'appel a statué sur le port du foulard sikh, du turban sikh pour la Gendarmerie royale, et c'est un autre indice que la jurisprudence s'en va du côté d'associer l'expression du religieux avec la religion en tant que telle, le droit à la religion.

Dans ce contexte-là, il ne faut pas, à mon avis, faire entrer dans le droit le droit à ne pas être exposé à des signes religieux, d'une part. Et, d'autre part, ces femmes qui depuis des décennies, au Québec, luttent pour la liberté des femmes peuvent continuer ce débat dans la société civile. Si on comprend bien la séparation entre le rôle de l'État, qui est celui d'implanter la laïcité, et la sécularisation de la société, bien ces femmes-là qui veulent lutter contre le port du voile pour des raisons qui sont les leurs, eh bien, peuvent continuer à le faire, mais c'est un débat qui relève de la société civile, c'est un débat dans les mentalités. On change les mentalités avec des débats de société, l'État n'a pas à se mêler de ça. Et c'est pourquoi je dis : Je peux être tout à fait attentif aux craintes des femmes féministes de voir resurgir la religion dans la société et je les comprends, mais ce débat-là relève de la société et ne relève pas de l'État.

Mme Weil : Merci, M. Seymour.

Le Président (M. Ferland) : Alors, d'autres… Je reconnais la députée de Bourassa-Sauvé.

Mme de Santis : Merci, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : Il reste à peu près 3 min 30 s.

Mme de Santis : Combien?

Le Président (M. Ferland) : 3 min 30 s à peu près.

Mme de Santis : Merci. Merci, M. Seymour. Quand j'ai lu votre mémoire, j'ai mis partout «mon argument», «mon argument», parce que ça semblait refléter exactement les arguments auxquels j'adhère.

J'aimerais revenir à quelque chose que vous avez touché tout à l'heure. Vous parliez des signes religieux ostentatoires et que c'est facile pour un chrétien d'avoir une petite croix ou… et ce n'est pas la même chose pour un sikh qui doit cacher ses cheveux, ou pour un Juif, ou pour une femme qui porte le voile. Ça, on en a déjà parlé, mais il y a une autre chose dans le projet de loi que me trouble. C'est parce qu'on retrouve plus tard, à l'article 36, que le gouvernement veut, par règlement, préciser la portée de ce qui est ostentatoire. Là, ça me choque encore plus, parce qu'un règlement ne se fait pas… ne s'adopte pas comme une loi.

Quelle est votre opinion là-dessus? Parce que, je crois, comme vous je ne suis pas d'accord qu'on ne puisse pas porter un signe religieux. Et alors, quand en plus on dit qu'un gouvernement peut établir qu'est-ce qui est ostentatoire par règlement, je suis encore plus préoccupée.

M. Seymour (Michel) : Oui. Il y a plusieurs aspects à cette question, mais l'un d'entre eux m'apparaît pratico-pratique. On sait dans quelles difficultés on s'est engagés lorsqu'il a été question de la prédominance du français dans les signes. Et là on vit avec ça, et il est vrai que là-dessus ça a marché, on ne s'est pas mis à mesurer la grosseur des signes linguistiques, mais je ne voudrais pas qu'on se retrouve en train de mesurer l'importance des signes ostentatoires. Ça finit par être quelque peu dérisoire, surtout, là, qu'on touche à l'identité des gens.

Alors, toute cette entreprise m'apparaît vouée à l'échec, elle m'apparaît confrontée à des problèmes juridiques insurmontables. J'étais convaincu, pour ma part, que les avis de la Ligue des droits et libertés, les avis de la Commission des droits de la personne, les avis d'Aministie internationale, les avis de très nombreux juristes… Et ils vont venir défiler ici, là, en très grand nombre, là, la très vaste majorité des juristes vont nous dire que c'est, du point de vue constitutionnel, extrêmement problématique de s'engager là-dedans. Alors, a fortiori, déterminer ce qui est ostentatoire et ce qui ne l'est pas va s'avérer une entreprise plus que périlleuse.

À mon sens, il faut faire marche arrière dans ces mesures-là, il faut renoncer à cet aspect-là du projet de loi. Je l'ai dit, je suis pour une charte de la laïcité, et il y a des raisons profondes pour considérer que c'est important, une charte de la laïcité. Je ne peux pas les évoquer toutes ici, mais je suis profondément convaincu qu'on a besoin d'une charte de la laïcité. Mais cet aspect-là, c'est un dérapage qui, finalement, finit par avoir une portée historique.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. Seymour. Nous allons devoir passer au deuxième groupe d'opposition. Mme la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président.

Le Président (M. Ferland) : La parole est à vous.

Mme Roy (Montarville) : Merci. Bonjour, M. Seymour. Merci pour votre mémoire. C'est terriblement intéressant de vous écouter. Et d'ailleurs j'ai un collègue qui vient de m'écrire, me disant que nous sommes chanceux de vous avoir ici, qu'il vous a eu comme enseignant, professeur, et que c'est un privilège. J'aurais aimé vous avoir comme prof, c'est vraiment intéressant.

Et là vous n'avez pas eu le temps d'élaborer davantage. Parce que vous dites : Je crois qu'effectivement il est important d'avoir une charte de la laïcité. J'aimerais que vous élaboriez là-dessus. Pourquoi est-il important d'avoir une charte de la laïcité?

• (14 h 50) •

M. Seymour (Michel) : Écoutez, j'espérerais qu'effectivement, ici, c'est un lieu où on peut faire quelques nuances. Et je sais aussi que plusieurs personnes qui sont contre cet aspect du projet de loi en même temps considèrent qu'il n'y a pas de pertinence à avoir une charte de la laïcité. Moi, je vais vous dire franchement, en toute honnêteté, avec toute l'admiration la plus profonde que j'ai pour mes collègues Bouchard et Taylor, quand j'ai lu leur rapport, j'ai été, quelque part, déçu, parce qu'on parlait de la nécessité de l'interculturalisme, j'en suis, on parlait de la nécessité de la laïcité ouverte, je suis tout à fait d'accord, on parlait donc des accommodements raisonnables, et je suis pour ça, mais il y avait l'importance de prêter oreille au besoin d'affirmation nationale des Québécois, et une charte de la laïcité contribue à ça, et j'aurais aimé que MM. Bouchard et Taylor nous disent : Écoutez, pour répondre à ce besoin d'affirmation nationale, nous allons proposer une constitution. Interne au moins, parce qu'ils ne pouvaient pas s'entendre sur une constitution d'un Québec souverain. Il y en a un qui était souverainiste, l'autre était fédéraliste. Mais ils auraient pu tous les deux s'entendre pour dire : Nous recommandons qu'il y ait une constitution interne au Québec pour que le Québec s'affirme dans ses règles du vivre-ensemble.

Et c'est dans cette optique-là, avec cette sensibilité-là que je suis notamment d'accord avec l'idée d'une charte de la laïcité. C'est un pilier sur le chemin d'une charte… d'une constitution interne pour le Québec. Il devrait y avoir trois chartes, la Charte des droits et libertés, la Charte de la langue française et la charte de la laïcité, comme trois piliers d'une constitution interne pour le Québec. Alors, j'ai cette conviction-là. Et donc je suis quand même sensible aux besoins auxquels essaie de répondre le gouvernement en introduisant sa charte de la laïcité, mais je ne vais pas cacher que j'aime mieux la version avancée par Québec solidaire, dans ce débat, qui justement tient compte de ce besoin, est à l'écoute du besoin des Québécois de s'affirmer comme peuple et de formuler les règles du vivre-ensemble mais de le faire sans nécessairement empiéter sur les libertés individuelles fondamentales des personnes. Et c'est dans cet esprit-là que je veux montrer ma sensibilité à l'égard de l'autre façon de voir aussi et pas simplement être dans le dénigrement de quelque chose qui est inacceptable. Pour moi, la charte du Parti québécois, le projet de charte, c'est malheureusement, à cause de ce que nous discutons aujourd'hui, le port des signes ostentatoire, une mauvaise réponse à une bonne question.

Mme Roy (Montarville) : C'est intéressant de vous écouter. Vous mettez le doigt sur quelque chose de particulier aussi : Autant d'individus viendront nous livrer leurs opinions, leurs études et autant d'opinions vraies, sensées, logiques, mais comment tracer la ligne? Comment en arriver à cette charte de la laïcité qui soit la plus rassembleuse possible?

Le Président (M. Ferland) : En 30 secondes, monsieur.

M. Seymour (Michel) : D'accord. Encore une fois, j'ai déjà, il y a quelques secondes à peine, exprimé mon adhésion avec la position défendue par Québec solidaire. J'ai lu leur proposition de... leur projet de loi, j'ai lu quelle sorte de charte ils proposent. Ça m'apparaît tenir compte des sensibilités de chaque côté de cette Assemblée.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. Seymour.

M. Seymour (Michel) : Alors, mes 30 secondes sont écoulées.

Le Président (M. Ferland) : Malheureusement, je dois passer du côté du député de Blainville. Alors, M. le député.

M. Ratthé : Merci, M. le Président. M. Seymour, un plaisir de vous accueillir. J'ai lu votre mémoire avec grand intérêt, surtout, là, cette explication d'une religion qu'on considère de pratique privée. Et une explication différente de celle que j'ai eue hier, puis je ne dis pas que celle d'hier n'est pas valable, mais, quand on parle, par exemple, à une musulmane qui nous explique pourquoi elle doit porter son voile, je lui posais la question, c'était vraiment un rapport intrinsèque entre elle et sa religion, et vous apportez un angle différent peut-être en disant en partant : Bien, il y a cette appartenance à la communauté, il y a cette identité-là qu'on vit différemment, nous, en tout cas peut-être une majorité ou en tout cas, du moins, un très grand nombre de Québécois, depuis ce temps-là.

Et c'est un peu... je veux me faire un peu la voix de ces Québécoises et Québécois. J'entends beaucoup de commentaires. Ça ne reflète pas nécessairement mon opinion, mais j'aimerais vous entendre là-dessus. J'entends souvent que les communautés, justement, religieuses ont disparu du Québec graduellement, que leurs tenues vestimentaires ont été également abandonnées, que les signes religieux dans nos écoles sont aussi abandonnés, qu'on a déconfessionnalisé nos écoles pour en fait en arriver à un très grand nombre de Québécois… je n'ose pas dire «majorité», je n'ai pas de chiffre, là, mais qu'un très grand nombre de Québécois pensent que la religion, justement — ça fait le lien avec ce que vous dites — est devenue une affaire personnelle, hein, et que ce très grand nombre de Québécois là vit ici et se demande pourquoi, peut-être à la lueur de ce que vous dites, on devrait revenir ou du moins accepter une plus grande manifestation d'une religion dite communautaire ou d'une pratique de religion communautaire.

Alors, c'est un peu mon premier volet, j'aimerais vous entendre là-dessus. Pourquoi est-ce qu'on devrait le faire alors que peut-être un grand nombre dit : Non, c'est personnel?

Puis est-ce qu'on devrait, parce que je me demandais la question sans... Vous avez bien expliqué votre opinion sur le tchador, là, vous posez un doute. Est-ce qu'on devrait, à ce moment-là, plutôt cibler spécifiquement des signes ostentatoires? Alors, voilà les deux aspects de ma question.

M. Seymour (Michel) : Je pense que... Justement, ce témoignage m'apparaît extrêmement intéressant, parce que nous avons effectivement quitté progressivement, au Québec, un rapport communautaire à la religion. Je me rappelle, dans mon jeune temps, il y avait même la nécrologie à CKAC avec quelqu'un qui avait une voix nasillarde, particulièrement pénible. Et on rentrait de l'école de bonne humeur, puis, une demi-heure après avoir entendu ça, on ne savait pas pourquoi, mais on était de mauvaise humeur. Il y avait la prière à la radio, les gens allaient à la messe, les jours fériés étaient des jours religieux. Notre religion était tricotée serré. Nous ne sommes plus dans ça, et il faut respecter totalement ceux qui choisissent de vivre leur athéisme, leur agnosticisme ou alors leur rapport à la religion dans le caractère privé de leur conscience, et c'est parfaitement respectable, mais notre trajectoire historique n'est pas si lointaine. Nous avons été communautaires jusqu'à récemment dans nos écoles et nos commissions scolaires. Pouvons-nous respecter que des minorités ne vivent pas au même rythme que nous là-dessus et qu'il faille alors non seulement respecter les différentes religions, mais les différents rapports à la religion?

Et je suis très heureux de vos questions parce qu'elles me permettent de marteler ce point-là. Si j'ai quelque chose à dire d'original, je pense que c'est cette saisie-là qui explique pourquoi le signe religieux fait partie de leur identité. Ce n'est pas parce qu'ils sont politiquement engagés dans un militantisme pour nous convaincre d'adhérer à leur religion.

M. Ratthé : Est-ce à dire que les Québécois se sentent en péril face à ce mouvement communautaire ou ont peur peut-être intérieurement de retourner à… ou ont de mauvais souvenirs? Je ne sais pas comment vous l'expliquez, d'abord, qu'on soit peut-être… on veuille ici être si intolérants, comme vous le dites.

M. Seymour (Michel) : Bien, c'est ça, une fois qu'on a…

Le Président (M. Ferland) : Malheureusement, M. le député, il n'y aura pas de réponse, parce que je dois aller du côté de la députée de Gouin. Mais c'était très intéressant. Peut-être que la question sera reprise par Mme la députée de Gouin.

Mme David : Merci, M. le Président. M. Seymour, bonjour. Comme on n'a pas beaucoup de temps, je vais aller très rapidement. Non, je vais vous amener un petit peu sur un autre terrain.

Vous écrivez dans votre mémoire que «la charte défend un nationalisme conservateur», et vous écrivez aussi : «…on n'impose pas un nationalisme d'État qui lamine les différences.» Je sais que vous êtes souverainiste. J'aimerais que vous disiez ici comme je sais que vous l'avez dit ailleurs en quoi vous trouvez que le projet de charte, dans les aspects avec lesquels vous n'êtes pas d'accord… parce que je comprends comme vous qu'il y a des aspects avec lesquels vous êtes d'accord, mais, dans les aspects avec lesquels vous n'êtes pas d'accord, en quoi trouvez-vous qu'il s'agit d'un nationalisme conservateur? Et en quoi pensez-vous qu'à la limite ça nuit même à tout ce projet d'affirmation nationale du Québec?

M. Seymour (Michel) : Oui. Le nationalisme conservateur se révèle dans ce que j'ai appelé, parce qu'il ne faut pas employer des termes trop forts qui seraient inacceptables pour qualifier le projet… Il y a un repli identitaire, et le repli identitaire, c'est : on se rabat un peu sur seulement l'identité de la majorité, la majorité d'origine canadienne-française, on se rabat là-dessus et on essaie d'extirper ce qui est le multiculturalisme anglo-saxon, qu'on éloigne de soi pour s'en ramener seulement à un héritage francophone issu de France, avec une idée républicaine qui historiquement a laminé les différences constamment.

Nous avons eu, il me semble, dans notre histoire, une autre expérience historique. Le respect de la minorité anglo-québécoise, je crois que nous sommes marqués au fer rouge pour toujours à respecter les droits de cette minorité, et il faudrait que nous respections davantage — et nous avons commencé à le faire — les 11 peuples autochtones. Nous avons une expérience de la reconnaissance du pluralisme. C'est ça, notre expérience historique. Et là, quand on essaie de se sortir de ça… Parce que c'est du pluralisme, c'est une politique de pluralisme culturel que de respecter les droits de la minorité anglophone et les droits des 11 peuples autochtones. Alors, sur la même voie, il faut rester pluraliste. Et, quand on essaie de rejeter tout au nom d'une sorte de terme devenu complètement péjoratif, multiculturalisme anglo-saxon, au profit de l'approche francophone, française, eh bien, là, on se retire dans la majorité canadienne-française aux dépens des minorités, et c'est un repli identitaire : les régions contre Montréal, la population avec un discours parfois populiste contre les intellectuels, l'origine française contre le multiculturalisme anglo-saxon. Ce sont les manifestations d'un repli identitaire, et c'est ça qui donne la substance de ce qui m'apparaît être un nationalisme conservateur.

Et l'ultime argument en faveur de cela… Et c'est ainsi qu'en vous répondant j'essaie de répondre à la question antérieure. Quel est l'argument ultime? Mais c'est l'envahissement de…

Le Président (M. Ferland) : Et voilà. Excusez-moi.

M. Seymour (Michel) : Mais je ne pourrai pas le donner?

Le Président (M. Ferland) : Malheureusement, vous ne pourrez pas répondre au député de Blainville, le temps étant écoulé. Il me… qu'à vous remercier, M. Seymour, pour le mémoire.

M. Seymour (Michel) : J'aurai essayé quand même. Merci.

Le Président (M. Ferland) : Tout aura été tenté. Alors, merci pour votre mémoire.

Je vais suspendre quelques instants pour permettre au prochain groupe de prendre place. Merci, M. Seymour.

(Suspension de la séance à 14 h 59)

(Reprise à 15 h 1)

Le Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Maintenant, nous allons recevoir et entendre les porte-parole de la Coalition Laïcité Québec. Je vais vous demander de vous présenter ainsi que la personne qui vous accompagne, en vous mentionnant que vous disposez de 10 minutes pour la présentation du mémoire, suivi d'un échange avec les parlementaires. Alors, la parole est à vous.

Coalition Laïcité Québec

M. Lamoureux (André) : Bonjour, MM. et Mmes les députés. M. le ministre. Je suis André Lamoureux. Je suis politologue, chargé de cours actuellement en sciences politiques à l'Université du Québec à Montréal. Je tiens à préciser que j'ai quand même fait toute… J'enseigne à l'UQAM depuis 2006. J'ai fait ma carrière d'enseignement au niveau collégial, où j'ai occupé tour à tour le poste d'enseignant, coordonnateur de département, président de la commission des études, adjoint pour un certain temps à la commission des études. Donc, ce milieu, c'est vraiment le nôtre, et vous allez voir que ça va teinter aussi notre présentation. Et je vous présente madame.

Mme Bensalem (Leila) : Alors, je suis Leila Bensalem. Je suis enseignante dans une école secondaire à Montréal.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci beaucoup. Alors, je ne sais pas qui fait la présentation. Allez-y.

M. Lamoureux (André) : Alors, deux mots sur la Coalition Laïcité Québec. C'est une coalition, comme son nom l'indique, qui a été créée en 2010 de l'association d'un ensemble de groupes, mouvements et associations faisant la promotion de la laïcité au Québec et son élargissement dans le contexte, disons, des années que nous avons vécues, de la fin des années 2000. Et cette Coalition Laïcité Québec, je pense qu'il faut le préciser, c'est aussi elle qui a été à la base du lancement du Rassemblement pour la laïcité qui a été créé à la fin du mois d'août et qui a lancé une pétition qui a réuni quelque 63 000 signataires jusqu'à ce jour dans le cadre des débats entourant le projet de loi n° 60.

Dans la présentation, nous allons aborder les thèmes les plus controversés, à propos desquels nous pensons pouvoir apporter un éclairage utile, et l'examen des autres questions pourra être fait dans le cadre des discussions et des réponses que nous pourrons apporter à vos questions.

À propos du préambule de la charte, nous voudrions que la loi définisse et stipule dès ses premières lignes les contours de ce qu'est une véritable laïcité. Il faudrait, à notre sens, énoncer trois principes qui sont les suivants : la reconnaissance de la liberté de religion et de la liberté de conscience, la séparation des religions et de l'État de même que le principe d'universalité de la sphère publique, à savoir l'affirmation que tous les citoyens partagent un bien et un espace commun, les mêmes lois, les mêmes droits, les mêmes institutions publiques. La liberté de religion, la liberté de conscience, le respect des droits d'autrui, l'égalité entre les hommes et les femmes, voilà autant de principes qui doivent être respectés pour tous et toutes en vertu de règles communes établies et non pas en fonction des croyances particulières et arbitraires de chacun. L'insertion d'un tel article spécifiant les paramètres fondamentaux de la laïcité s'avère un impératif. Il serait structurant à la fois pour le législateur, les cours de justice, les gestionnaires et la population en général.

Nous voulons marteler l'importance d'une charte de la laïcité en précisant que celle-ci n'a rien à voir avec le fait que les Québécois seraient frileux vis-à-vis des cultures différentes ou des religions, qu'ils auraient tendance à se replier au plan identitaire, qu'ils seraient xénophobes, islamophobes ou racistes. Prétendre une telle chose, c'est faire preuve de mauvaise foi ou chercher à dénigrer malicieusement les partisans de la laïcité, sans aucune espèce de fondement.

Bien au contraire, ce projet de charte procède d'une question démocratique visant l'achèvement des fondements de la démocratie au Québec. Nous vous indiquons qu'en matière de laïcité il n'y a pas aucun principe ni règle établis dans la Constitution canadienne ni dans les lois du Québec. En considérant le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés, l'article 2, l'article 15 ainsi que l'article 27, il faut reconnaître qu'elle se révèle, cette charte canadienne, un point d'ancrage pour l'expression de pratiques et de symboles religieux dans les institutions publiques. Nous vous faisons remarquer aussi que, cette charte, les Québécois ne l'ont jamais adoptée et se la sont fait imposer en 1982. Je pense que les Québécois auraient peut-être mis autre chose s'ils l'avaient décidé eux-mêmes. C'est pourquoi les prescriptions de l'État en matière de laïcité doivent être institutionnalisées au Québec. Et seule cette laïcité parachevée et officialisée peut contrer le particularisme religieux et le communautarisme.

À propos des éléments emblématiques du patrimoine et le patrimoine culturel du peuple québécois, la coalition est d'accord sur l'essentiel des dispositions du projet de loi, sauf pour la présence du crucifix dans le salon bleu de l'Assemblée nationale. Nous appelons les députés de l'Assemblée nationale à une plus grande cohérence. Comment peut-on admettre qu'il eut fallu retirer les crucifix des écoles pour concrétiser le caractère laïque de celles-ci alors que ce crucifix serait maintenu dans le lieu où sont votées les lois? Par conséquent, à notre avis, la décision de retirer le crucifix ne peut être laissée à la discrétion du Bureau de l'Assemblée nationale, cela reviendrait à soumettre le sort de ce symbole religieux à un débat partisan. Il est préférable que la Loi de l'Assemblée nationale soit modifiée en spécifiant qu'aucun symbole ou signe religieux n'y soit autorisé.

Je passe la parole à Mme Bensalem.

• (15 h 10) •

Mme Bensalem (Leila) : Alors, bonjour. Je vais parler plus spécifiquement du port de signes religieux.

Alors, nous nous devons de mettre en évidence la force des symboles et des signes religieux ici, au Québec, comme ailleurs ainsi que l'importance de les interdire pour l'ensemble des personnels des organismes publics. Les symboles et signes religieux sont porteurs de sens, ils sont parlants. Il faut se rappeler que, jusqu'aux années 1950, 1960, les soutanes des frères et Jésuites ainsi que les coiffes des soeurs au Québec étaient porteurs d'un message obscurantiste : l'obligation de la prière, l'abstinence sexuelle, l'interdiction des relations sexuelles avant le mariage, la condamnation de l'homosexualité, le rejet de la modernité. Peu à peu, les Québécois ont voulu mettre fin à cette présence des symboles catholiques dans leurs institutions. Alors, pourquoi arrêter le combat quand il s'agit de l'islam, ou du judaïsme, ou de la religion sikhe?

 Il faut souligner ce problème aujourd'hui, notamment dans le contexte de la montée de l'intégrisme et de son impact au Québec. On peut prendre en exemple le port du turban chez les sikhs, qui renvoie immanquablement des messages intégristes assez clairs. L'Église sikhe s'oppose à l'homosexualité, qu'elle associe à une entorse de la nature. En 2005, elle a fait campagne contre la reconnaissance du mariage gai au Canada. Elle est également opposée au droit à l'avortement et aux relations sexuelles avant le mariage.

Dans les régimes islamiques, l'homosexualité est tout autant condamnée. Les gais et lesbiennes sont le plus souvent ostracisés, pourchassés et parfois même assassinés. Il en est de même du foulard islamique, qui est un symbole de l'intégrisme islamique.

Certains signes associés à la montée de l'intégrisme dans d'autres pays ne perdent pas leur connotation intégriste parce qu'ils sont portés au Québec, loin de là. Et je fais référence en particulier au voile islamique, symbole de ségrégation sexuelle et de soumission à l'homme. Il ne faut surtout pas oublier que ce même voile est le porte-étendard de l'islam politique.

Le libre choix et la démocratie n'ont jamais eu droit de cité dans les sociétés arabo-islamiques, et les femmes voilées en sont le pur produit. Celles qui prétendent le porter par conviction sont instrumentalisées, voire conditionnées, et sont complices de cet asservissement. Je vais vous citer ici un propos qu'a tenu Mme Wassyla Tamzali, c'est une féministe algérienne qui est venue donner plusieurs conférences ici, au Québec. Voici ce qu'elle dit concernant la thèse de ces voilées volontaires : Les intentions des jeunes filles et femmes voilées, aussi libres se croient-elles dans leur choix, ne peuvent gommer le fait qu'elles portent le signe d'une morale dont les codes les dépassent totalement et qui engendre une ségrégation des sexes.

Un autre petit commentaire, celui-ci qui a été donné par une personne dont vous avez peut-être entendu parler. C'est une réfugiée somalienne en Hollande qui s'appelle Ayaan Hirsi Ali et qui vit cachée, sous surveillance constante à cause de ses propos et de ses idées. Elle dit que le port du voile est le symbole de l'enfermement des femmes par une religion qui n'a malheureusement pas encore connu son siècle des Lumières.

Il est donc important d'interdire les signes religieux dans les organismes publics et chez le personnel des institutions d'enseignement, que ce soit dans les écoles publiques, dans les écoles privées subventionnées, au cégep ou à l'université. Il le faut au nom de la protection de la liberté de conscience des étudiants mais aussi celle des autres membres du personnel et de la clientèle qui fréquente les institutions publiques. L'obligation de réserve neutralise ainsi la propagation de doctrines religieuses à même les rouages de l'État.

La coalition soutient aussi la nécessité d'interdire tout autant les signes religieux dans les CPE en installation ou en milieu familial. Les centres de la petite enfance, à notre époque, sont des instruments de socialisation de premier ordre. Ils sont devenus aussi importants que les écoles au cours de la petite enfance.

Nous sommes d'accord avec l'obligation stipulée par le projet de loi à l'effet d'offrir ou de recevoir un service à visage découvert dans les écoles et institutions publiques, cela va de soi, mais aussi dans les institutions d'enseignement privées subventionnées, ainsi que dans les CPE en installation, comme j'ai déjà dit, et ceux en milieu familial, qu'ils soient subventionnés ou pas, tout comme dans le reste des institutions publiques. Je passe la parole à M. Lamoureux.

M. Lamoureux (André) : La coalition propose…

Le Président (M. Ferland) : Rapidement, monsieur…

M. Lamoureux (André) : Oui?

Le Président (M. Ferland) : J'ai laissé déborder, le ministre a accepté de le prendre sur son temps, mais si vous voulez conclure, peut-être.

M. Lamoureux (André) : Conclure tout de suite? On est passés… on est rendus à…

Le Président (M. Ferland) : Oui, déjà vous avez dépassé le temps de 10 minutes, oui, mais le ministre, dans sa grande générosité, a accepté de…

M. Lamoureux (André) : D'accord, d'accord, d'accord. Alors, je vais traiter de trois points très rapidement.

Le Président (M. Ferland) : Allez-y, oui.

M. Lamoureux (André) : Concernant le port de signe religieux pour les députés de l'Assemblée nationale, nous pensons que le droit de réserve… l'obligation de réserve devrait aussi, également, s'appliquer. On ne peut pas le demander aux employés des services publics, aux membres du personnel de l'Assemblée nationale et ne pas l'imposer aux députés de l'Assemblée nationale.

Concernant les demandes d'accommodement en matière religieuse, on est d'accord avec le projet de loi. Cependant, en ce qui concerne les étudiants de niveau collégial et universitaire, en fonction de la réalité de ces institutions d'enseignement supérieur, les objectifs d'apprentissage sont déterminés par les plans-cadres et des plans de cours et non pas par des projets d'école. Il faudrait donc ajouter deux critères spécifiques pour l'enseignement supérieur, tout d'abord le respect d'une règle d'équité entre les étudiants devant conduire à la prise de décision d'un accommodement. Le problème d'équité se pose pour les membres du personnel de ces institutions, mais il se pose également pour les étudiants qui le demandent. D'autre part, le respect du principe d'égalité entre les hommes et les femmes devrait aussi s'imposer, comme le démontre de façon éloquente la récente controverse survenue à l'Université de York.

Enfin, le dernier point sur lequel nous insistons énormément : trois motifs incitent la Coalition Laïcité Québec à demander au gouvernement du Québec de recourir à la clause «nonobstant».

Tout d'abord, la laïcité ou la séparation de l'Église de l'État sont des concepts étrangers à la charte canadienne et à la charte québécoise. Ils sont même contraires aux prescriptions de la Charte canadienne des droits et libertés et à la jurisprudence au Canada. Ce mur de la charte canadienne ferait en sorte qu'il deviendrait quasiment impossible, dans le cadre constitutionnel et législatif actuel, de restreindre le port de signe religieux.

Deuxièmement, la jurisprudence établie au Canada permet aussi le port signe ou de symbole religieux dans les organismes publics tout comme dans les entreprises privées dans la mesure où ils n'auraient prétendument pas d'effet de contrainte sur les autres personnes. La logique de la jurisprudence est assez claire à ce sujet. De l'autorisation du turban pour les agents de la GRC à l'acceptation du niqab pour un témoin en cour, ce qui est privilégié au Canada, c'est la règle de la neutralité dite bienveillante. Nous ne sommes pas d'accord avec ces interprétations des cours supérieures canadiennes, mais elles sont là.

Enfin, la dimension proprement politique est aussi capitale. Un échec de la charte de laïcité suite à des recours judiciaires longs et coûteux, allant immanquablement jusqu'à la Cour suprême, serait dévastateur pour le Québec. Tenter, après un revers plus que prévisible, de réintroduire par la suite une nouvelle charte avec le recours à la clause «nonobstant» représenterait une opération titanesque, difficilement franchissable et qu'il faut absolument éviter au peuple québécois. Les obstacles sont trop grands. Il se pourrait d'ailleurs qu'à la suite d'un tel échec il soit aussi trop tard pour agir.

Je termine en disant que nous avons huit recommandations dans le rapport. Vous remarquerez, dans le rapport, que nous avons aussi deux préoccupations que nous avons soulevées aux députés de l'Assemblée nationale, même si elles ne sont pas traitées dans la présente loi. Les deux préoccupations concernent le financement par l'État des écoles privées à vocation confessionnelle, et la deuxième préoccupation, c'est celle du port du voile par des jeunes filles dans les écoles primaires. C'est un réel problème, et je ne pense pas qu'elles le font par choix personnel. Merci.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci. Merci, M. Lamoureux, Mme Bensalem. Alors, nous allons à la période d'échange. M. le ministre, la parole est à vous.

M. Drainville : Oui, M. le Président, merci. D'abord, bienvenue. Et évidemment, comme je l'ai fait pour toutes les autres personnes qui sont venues à cette commission, je vous remercie pour le travail que vous avez accompli et votre présence parmi nous.

Je dois dire d'abord, Mme Bensalem… J'ai lu et j'ai écouté avec attention ce que vous avez dit. Je dois vous dire, comme élu, il a été… Moi, je pense qu'il y a des évidences en matière de signes religieux, il y a certains signes où le consensus est très clair, ils sont porteurs d'un message intégriste, et, de façon générale, il n'y a pas beaucoup de débats autour de la burqa, ou du niqab, ou même du tchador, c'est très, très clair. Je pense que vous m'avez déjà entendu dire sur le voile que je reconnaissais qu'il y avait un débat là-dessus, mais je ne suis pas prêt, mais alors là vraiment pas à dire que toute personne qui porte un voile le porte parce qu'elle se sent obligée, ou par soumission, ou par obligation. Je comprends que vous ayez une autre lecture de la situation, un autre point de vue là-dessus, mais je voulais juste marquer, si vous me le permettez, ma position là-dessus. Je pense qu'il y a un débat sur le voile, et certaines femmes, sans doute, le portent parce qu'elles se sentent obligées, pour des raisons de pressions familiales, par exemple, pressions communautaires, mais je pense aussi qu'il y en a d'autres qui le portent librement et qui exercent à ce moment-là, à travers ce port du voile, leur libre arbitre, leur liberté de religion et de conscience. Je ne vous demande pas de… Je ne veux pas engager un débat avec vous là-dessus parce qu'avec le temps qu'il me reste je pense qu'il faut aller un peu plus loin.

Par ailleurs, j'ai entendu votre commentaire également sur le port du turban par les sikhs. Je dois vous admettre que je suis un petit peu… je suis embêté par ça. J'ai rencontré, moi, des représentants de la communauté sikhe et je… ils ne m'ont pas fait l'effet d'être des gens marqués par une pensée intégriste. Alors, je pense que c'est important que je vous le dise également. J'ai eu une très bonne discussion avec eux puis je ne veux pas faire cette équation-là. En d'autres mots, je ne veux pas faire cette équation-là.

Maintenant, parlez-nous un peu… Vous êtes enseignante, je pense que c'est important que vous nous parliez à partir de votre expérience à vous. Comment un enfant ou un élève dans une classe reçoit-il le port d'un signe religieux par son enseignant ou par son enseignante? J'aimerais ça que vous nous fassiez cheminer un peu là-dessus. Quelles sont les questions qu'un enfant, qu'un élève va se poser lorsqu'il va voir une figure en autorité comme celle de son enseignant ou son enseignante porter pendant toute l'année scolaire un signe religieux? Qu'est-ce que… Aidez-nous un peu à comprendre ce que ça veut dire, ça.

• (15 h 20) •

Mme Bensalem (Leila) : Oui. Par rapport à l'école où j'enseigne actuellement et où j'ai toujours enseigné, on a eu seulement un ou deux exemples peut-être d'enseignantes qui portaient le voile et qui étaient dans notre école uniquement en remplacement. Je sais que les élèves se posent la question au début, bien ils se demandent ce que ça veut dire d'abord, et la réponse qu'on leur donne, bien sûr, automatiquement : C'est sa religion, c'est sa religion. Alors, vous savez, les adolescents, bon, ils vont prendre ça, mais il y en a qui vont continuer à se questionner, il y en a qui ne se questionnent plus.

Mais c'est sûr que moi, j'ai eu… on m'a rapporté certains propos, certains commentaires pas dans notre école mais dans d'autres écoles, parce qu'on est quand même en contact avec d'autres enseignants ailleurs. Ils ont des fois des réponses comme : Ma religion m'interdit de montrer mes cheveux à des hommes, ou alors : Je ne dois pas porter de tenues qui sont des vêtements qui me moulent, ou qui montrent mes formes, ou des choses comme ça. Donc, ils trouvent ça bizarre, les adolescents, qu'on ait à se cacher, ils ne comprennent pas ça.

Il y a des propos aussi chez les petits enfants. On m'a rapporté une conversation entre une petite fille et son éducatrice, et elle lui avait demandé pourquoi elle se cachait les cheveux. Elle avait remarqué aussi que cette dame-là refusait de serrer la main à son papa et elle avait posé des questions à cet effet, parce que les enfants sont quand même… On ne s'en rend pas tellement compte, mais ce sont de véritables éponges, hein, ils prennent, ils regardent, ils observent, ils remarquent. Et la dame lui avait répondu : C'est parce que le bon Dieu m'aime. Et elle était rentrée chez elle, la petite fille, puis elle avait dit à sa maman : Toi, le bon Dieu ne t'aime pas, hein, parce que tu n'es pas voilée.

Alors, on est face à… Bien sûr, ce sont des enfants ou des adolescents, mais ils se posent des questions. Ils ne comprennent pas, je pense, ils ne comprennent pas vraiment les enjeux parce qu'il n'y a pas vraiment… ils ne reçoivent pas vraiment d'explication qui leur permette de comprendre ce qui se passe et ce que ça veut dire, alors ça fausse un peu leur compréhension.

M. Drainville : Par ailleurs, j'aimerais vous poser une question un petit peu… On va faire un peu de coq à l'âne, là, parce que somme toute on n'a pas beaucoup de temps, il nous reste seulement huit minutes. M. Lamoureux, l'invité qui était là juste avant vous a dit : La charte procède d'un nationalisme de ressentiment. Il a utilisé… Dans son mémoire, c'était «nationalisme de ressentiment». Lors de son…

Une voix : M. Seymour.

M. Drainville : Je parlais de M. Seymour, oui, voilà. M. Seymour, donc, parlait de nationalisme de ressentiment dans son mémoire, et il a parlé de nationalisme conservateur tout à l'heure, en réponse aux questions.

Je tiens à dire encore une fois que je respecte tout à fait le point de vue de M. Seymour, là, je suis… Je pense qu'il faut que je sois… il faut que je prenne la peine de le dire, là, je veux garder ma ligne, là, là-dessus, là. Mais comment vous réagissez quand vous entendez ça, vous, que la charte de la laïcité que nous proposons procède d'un nationalisme de ressentiment ou un nationalisme conservateur?

M. Lamoureux (André) : Ça n'a rien à voir, ça n'a rien à voir. La revendication de… Une charte de laïcité procède d'une nécessité d'achever une oeuvre démocratique, les sociétés démocratiques les plus avancées sont fondées sur le principe de la séparation de l'Église et de l'État. Et ça n'a rien à voir non plus avec la xénophobie, il n'y a pas de repli identitaire.

Nous, nous travaillons avec le Rassemblement pour la laïcité. Nous avons 63 000 signataires de toutes origines. Nous avons des gens qui travaillent avec nous, comme en témoigne Leila à côté de moi, de toutes les communautés. Des Tunisiens sont pour la laïcité, des Algériens sont pour la laïcité, des Égyptiens sont pour la laïcité; les Turcs, des Français, des Belges qui travaillent avec nous. Donc, ce n'est pas une question de repli identitaire ou de nationalisme, ça n'a absolument rien à voir. Alors, les gens qui voient ça, c'est que je pense qu'ils font une mauvaise lecture de la réalité politique du Québec, qui est une société moderne.

Et j'ajouterais ceci : Les Québécois sont très ouverts à l'immigration et ont toujours été ouverts à l'immigration. Ce n'est pas une question des Québécois de souche avec une espèce de réflexe ethnocentrique versus les nouveaux arrivants, les Québécois l'ont toujours été, ouverts. Quand ce n'étaient pas les Européens qui arrivaient, ça a été les Latino-Américains dans les années 70. J'en avais plein dans mes classes, des Chiliens, j'en ai eu plein dans les années 70. Ensuite, ça a été les «boat people», Vietnam, ça a été les gens d'Asie centrale. Ensuite, ça a été l'immigration asiatique, du Maghreb.

Donc, je ne vois pas le lien entre le fait de défendre un nationalisme dit conservateur… Je me questionne même où est le conservatisme. De parachever la laïcité de l'État, c'est une oeuvre progressiste, c'est vraiment le cas, là. Ça n'a rien de réactionnaire, là, au contraire, parce que la seule façon de protéger les libertés des gens, c'est de faire cette complète séparation. Et, nous, ce que nous n'aimons pas, dans ce débat, c'est que la question de la liberté de conscience est trop prise à la légère dans le débat, la liberté de conscience des citoyens qui ne veulent pas... Les Québécois se sont battus 50 ans pour faire… procéder à la sécularisation du personnel dans les écoles, dans les hôpitaux. Ils ont le droit de maintenir cette situation, et ce que je voulais dire, c'est que, bon, cette histoire de combat pour la laïcité doit être préservée. Les Québécois demeurent ouverts, mais ils ne veulent pas empiéter sur ces questions.

Le port de signes dits religieux… Le port du voile n'est pas un signe religieux, rien dans le Coran ne l'oblige. Remarquez que toutes les sociétés islamiques qui prônent l'islamisme politique, la première chose qu'elles font, c'est qu'elles obligent les femmes à porter le voile, qui est en fait un signe religieux qui est une expression même de la ségrégation sexuelle des femmes.

Puis j'ajouterai ceci : Pensez, au Québec, pour parler du choix personnel, combien de dizaines de milliers de femmes... Je pense qu'on sous-estime, dans le débat, la force des religions et des idéologies. Et je vous rappelle que la religion est la première forme de l'idéologie, la forme primaire de l'idéologie, la force d'intériorisation des idéologies chez les individus. Même si les individus disent : Je fais mon choix personnel, il y a des doctrines, il y a des principes qui leur sont souvent inculqués, même inconsciemment. Il y avait des dizaines de milliers, peut-être des centaines de milliers de femmes qui pouvaient vous dire, dans les années 1930 au Québec, que leur rôle, ce n'était pas de voter, que leur rôle, c'était de rester à la maison, de rester fidèles à leur mari, d'aller à l'église, de ne pas se mêler de politique, et en vous répétant que c'était leur choix personnel, mais nous savons très bien que ce n'était pas leur choix personnel, que ces idées étaient martelées par l'Église catholique, les autorités ecclésiastiques et Duplessis en particulier. Nos mères... Ma mère portait un voile lorsqu'elle allait à l'église. Nous nous sommes battus contre elle. Entre guillemets, vous comprenez, on ne l'a jamais battue, là, mais on s'est battus. On était jeunes, dans les années 60, et on disait : Maman, pourquoi tu vas à l'église? Pourquoi tu portes ton voile? Pourquoi tu vas te cacher? Je ne veux pas offusquer le curé, c'est mon choix. Achalez-moi pas, achalez-moi pas, c'est mon choix. Mais ce n'était pas son choix, c'était un comportement qui était inculqué à l'époque par l'Église catholique, jusqu'au milieu des années 1960. Et finalement c'est sous la pression de la jeunesse que finalement ma mère a dit : Oui, finalement il faut que je me respecte, là, je l'enlève. Je ne le porterai pas, mon voile, et je vais y aller, à l'église, sans voile. Puis c'est ce que les femmes québécoises ont toutes fait à un moment donné. Alors, quand on parle des choix personnels : entre guillemets, n'est-ce pas? Ça, c'est notre opinion.

• (15 h 30) •

Le Président (M. Ferland) : Deux minutes environ, M. le ministre.

M. Drainville : Oui. Bien, écoutez, je veux juste vous dire — parce que, là, je suis obligé d'aller à l'essentiel — je veux juste vous dire... Sur la question du signe religieux porté par des élus, je veux juste que vous sachiez que nous, nous sommes prêts, comme élus du Parti québécois, à amender le règlement de l'Assemblée nationale pour faire en sorte que les élus, lorsqu'ils sont au salon bleu, lorsqu'ils jouent leur rôle de législateurs… nous sommes prêts, nous l'avons dit publiquement au moment où on a déposé le projet de loi, nous sommes prêts à amender le règlement de l'Assemblée nationale pour faire en sorte que les élus, lorsqu'ils jouent leur rôle de législateurs, lorsqu'ils sont au salon bleu ou en commission parlementaire comme ici… pour que nous renoncions donc au port de signe religieux. Et d'ailleurs notre formation politique a pris… est allée plus loin, a même dit qu'à l'avenir, lorsqu'un candidat ou une candidate se présentera pour notre parti, dans l'engagement du candidat, il ou elle devra renoncer à ce moment-là au port de signe religieux lorsqu'elle est au salon bleu.

Évidemment, pour pouvoir amender ce règlement, il faudrait que les élus des autres formations politiques soient d'accord. Alors, je ne sais pas ce que… Le Parti libéral, lui, a déjà dit qu'il n'était pas favorable à ce changement-là, je ne pense pas me tromper — si je me trompe, ça va vous faire plaisir, M. le député de LaFontaine, de me corriger, j'en suis certain. Je pense que les élus des autres formations politiques qui sont ici présents, y compris M. le député de Blainville, à ma connaissance, ne se sont pas prononcés sur cette question. Donc, je veux juste vous dire que le débat est encore ouvert dans la mesure où il y a un certain nombre de représentants des autres formations politiques ou d'autres députés qui ne se sont pas prononcés sur la question. Évidemment, à partir du moment où il y a un député ou une députée qui est contre, comme il faut l'unanimité pour ça, ça devient impossible de changer le règlement de l'Assemblée nationale. Alors, si effectivement les gens de l'opposition officielle sont contre, ça va…

Le Président (M. Ferland) : M. le ministre, je dois vous…

M. Drainville : …on ne sera pas capables de modifier le règlement.

Le Président (M. Ferland) : …malheureusement vous arrêter sur l'Assemblée nationale. Et je vais céder la parole au député de… LaFontaine, voyons, LaFontaine. Allez-y.

M. Tanguay : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Merci, M. Lamoureux et Mme Bensalem. Merci beaucoup pour votre présentation, pour le temps que vous avez mis à rédiger le mémoire et au temps également que vous prenez aujourd'hui pour répondre à nos questions.

Vous parlez, vers la fin de votre mémoire, de… vous parlez de la charte canadienne et évidemment le corpus que représente la charte canadienne, là, protection des libertés, liberté de conscience et de religion, et tout ça. Vous parlez des fois, rapidement par contre, et j'aimerais vous entendre là-dessus, de la charte québécoise. Est-ce que votre perception, vos études, votre analyse vous portent à conclure que la protection de la liberté de conscience et de religion par la charte québécoise est aussi forte que celle prévue par la charte canadienne?

M. Lamoureux (André) : Vous me posez la question à moi ou…

M. Tanguay : Je vous laisse…

M. Lamoureux (André) : O.K. Bien, je peux vous répondre. Regardez, dans la charte québécoise, la laïcité, les deux principes fondamentaux, les deux premiers principes sont deux corollaires. Dans une société démocratique, le premier principe, c'est qu'il doit y avoir reconnaissance de la liberté de religion, liberté de conscience également. Cependant, le deuxième principe, la séparation de l'Église et de l'État, il n'est pas présent dans la charte québécoise.

On a une déclaration au Québec, là, sur les valeurs communes, pour les immigrants, qu'ils signent depuis 2009. On leur dit dans la déclaration… Vous savez tous ça, vous êtes des députés. Vous savez comment ça fonctionne, là, maintenant, l'immigration, avec les discussions qu'on a eues dans les années 2000. Alors, les immigrants signent à l'effet qu'ils reconnaissent que le Québec est une société française, qu'il y a égalité des hommes et des femmes et que le Québec est une société laïque. Où ça? Où? Il n'y a aucun texte.

Donc, la faiblesse de la charte, c'est qu'elle ne dit pas — et c'est ça, une société démocratique, pour respecter la liberté de conscience — que la liberté de religion, au Québec, doit s'exercer dans le respect du principe de la séparation de l'Église et de l'État ou, si vous aimez mieux, des religions et de l'État. C'est la seule façon de respecter à la fois la liberté de religion et la liberté de conscience. De ce point de vue là, pour respecter ce principe, il faut absolument amender la Charte des droits et libertés. Et c'est ce que propose d'ailleurs le projet de loi n° 60, on est d'accord avec ça. Il faudrait qu'elle soit amendée pour que cette idée-là soit incluse dans la Charte québécoise des droits et libertés. Mais, au moment présent, telle qu'elle est rédigée, elle est, je dirais, incomplète, inachevée, il faudrait l'améliorer. C'est notre point de vue.

M. Tanguay : …avez-vous pris connaissance… Et ça, là-dessus, vous savez, on a eu l'occasion, je pense que c'est très clair dans le débat public présentement, de voir ce qui fait très large consensus et là où est l'écueil. L'écueil, vous l'avez bien noté, c'est l'interdiction complète de signe religieux ostentatoire chez les employés, public et parapublic. C'est réellement ça, le noeud du problème. Ce qui fait, là… Je pense que ça vaut la peine de prendre quelques secondes pour le rappeler. Ce qui fait très, très large consensus, c'est de préciser la neutralité des institutions de l'État dans la charte québécoise, de l'inscrire. Il peut y avoir une discussion sur les modalités, mais c'est un très large consensus, cet élément-là. Évidemment, balises aux accommodements pour qu'ils soient raisonnables et non au prosélytisme, ne pas utiliser sa fonction dans la fonction publique pour essayer de tenter de faire de nouveaux adeptes de sa religion. Et également le visage découvert, faire en sorte de pouvoir recevoir et donner les services de l'État à visage découvert.

Donc, réellement, au niveau de la protection de la liberté de conscience et de religion de la charte québécoise, vous avez été à même, je pense, de prendre connaissance des décisions des tribunaux. Est-ce que — et c'était surtout ça, ma question — vous y avez vu une distinction, une protection autre, de façon plus marquée quant à la charte québécoise versus la charte canadienne? Moi, mon analyse me porte à croire et à conclure… Force est de conclure qu'il y a une protection égale dans les deux chartes.

M. Lamoureux (André) : Sauf que peut-être dans le préambule… Le préambule sur l'égalité des hommes et des femmes a été ajouté au cours des dernières années, donc il y a un élément supplémentaire. Mais…

M. Tanguay : Sinon, allez-vous être d'accord avec moi sur…

M. Lamoureux (André) : Mais je dirais que, d'un certain point de vue, la charte québécoise est préférable à la charte canadienne, parce que la charte canadienne a le préambule sur la suprématie de Dieu, l'article 2 qui dit «liberté de religion» sans préciser qu'il y a un principe de séparation attaché à ça, de l'Église et de l'État, O.K., l'article 15 qui dit que personne ne peut être discriminé pour motif religieux et surtout l'article 27 qui dit qu'il est du devoir du Canada de valoriser et faire la promotion du multiculturalisme. Ça, c'est devenu un vecteur, depuis les années 90, pour de multiples communautés, particulièrement chez les intégristes, pour faire rentrer des référents religieux dans les institutions publiques. De ce point de vue là, la charte canadienne, à mon sens, là, est plus néfaste que la charte québécoise, mais la charte québécoise, néanmoins, à mon avis, est incomplète.

M. Tanguay : Sur…

M. Lamoureux (André) : Je ne sais pas si je me fais comprendre, là.

M. Tanguay : Oui, je vous suis. Sur la mention à Dieu dans la charte, dans la Constitution canadienne, corrigez-moi si j'ai tort, mais les tribunaux, justement, ne l'interprètent pas comme étant une non-séparation, tel quel, de l'Église et de l'État. Corrigez-moi si j'ai tort, mais au contraire les décisions récentes que j'ai lues la mentionnent pour dire que ça ne les influencera pas, là. Êtes-vous d'accord avec mon affirmation?

M. Lamoureux (André) : C'est-à-dire que, les tribunaux, ce qu'ils disent, c'est que la jurisprudence exprimerait le fait que le Canada est neutre par rapport aux religions, il ne cherche pas à en imposer une. Cependant, les jugements tendent à témoigner en quelque sorte que la position canadienne est à l'effet d'être neutre comme État mais de permettre en son sein l'expression des religions, notamment par les signes religieux. Les jugements… Et le jugement sur le niqab est quand même assez déterminant, là, celui qui a eu lieu au mois de décembre dernier, là, c'est quand même quelque chose, là, et même s'il y avait trois juges qui étaient dissidents, là. Et ça a passé à la Cour suprême, alors... Donc, qu'est-ce qu'on fait pour le droit des accusés, là? Est-ce que les droits des accusés sont protégés dans ce cas-là? C'est le gros questionnement qui a été posé en décembre dernier.

M. Tanguay : Est-ce que vous faites une distinction entre la décision et l'application des critères gouvernementaux par un fonctionnaire dans ses fonctions, qu'ils soient évidemment impartiaux, qu'il n'y ait pas de critère autre que ceux édictés par la loi, donc la qualité de la décision, qui doit être neutre de toute influence religieuse, versus le fonctionnaire qui, par conviction religieuse, porte un signe religieux, et qui comprend très bien son rôle, et qui ne fait pas de prosélytisme? Est-ce que, selon vous, il est possible pour un fonctionnaire ou impossible pour un fonctionnaire d'arborer un signe religieux, d'avoir des convictions, de ne pas faire de prosélytisme, de bien appliquer la loi ou, selon vous, dans tous les cas d'espèce ça ne pourra pas être possible, et il y aura là une attaque à la neutralité de l'État, des institutions de l'État?

M. Lamoureux (André) : Mme Bensalem va vous répondre.

• (15 h 40) •

Mme Bensalem (Leila) : Bien, en fait, ce que vous dites, ça me fait penser à plusieurs propos qui ont été tenus en ce qui concerne le port des signes religieux, par exemple, dans les hôpitaux, dans les centres de la petite enfance ou, comme vous venez d'en parler, par exemple en ce qui concerne des représentants de la loi. On n'a jamais dit, en fait, que les signes religieux allaient les empêcher de fournir leurs services comme il se doit puis d'être capables d'exécuter leurs tâches comme il faut. Moi, quand j'entends que des infirmières qui portent le voile travaillent très bien, puis qu'elles fonctionnent très bien, puis que le voile ne dérange en rien leur travail, on est parfaitement d'accord avec ça. Mais tous ces propos qui sont tenus de cette manière-là, en fait, évacuent l'essentiel, l'essence même, je pourrais dire, du problème que nous soulevons. Ces signes religieux transmettent et sont porteurs d'une idéologie, et, que les personnes qui les portent le veuillent ou non, il y a un sens, il y a une idéologie derrière ça. Alors, comme une femme voilée qui porte le voile, bon, elle va parler de choix et de… moi, depuis quelque temps, je n'emploie plus ce mot-là parce qu'il a perdu son sens. En fait, il ne s'agit plus de choix. En fait, ce sont des personnes qui sont conditionnées, d'une certaine manière, qui appartiennent à un mode de pensée, à un mode de vie et qui, par ce signe-là, bien elles montrent qu'elles adhèrent à tout ce système de pensée puis à ce code de valeurs, en fait. Et c'est ça qui est dérangeant.

M. Lamoureux (André) : Est-ce que je…

M. Tanguay : …à ma collègue. Il reste quatre minutes, juste vous poser une petite question rapide. Êtes-vous d'accord… Et je pense que vous avez vu quelque chose que le ministre n'a pas vu. Vous suggérez très fortement, pour que ça tienne la route, que la charte du Parti québécois contienne une clause «nonobstant», autrement dit qu'elle s'applique en mettant de côté, vous dites, la charte canadienne. Donc, êtes-vous d'accord avec l'affirmation du ministre que cette charte du Parti québécois respecte la charte canadienne? Force m'est de constater — mais je veux vous entendre là-dessus — que ce n'est pas votre lecture, là.

M. Lamoureux (André) : Non, ce n'est pas notre lecture. Elle est contradictoire avec les principes de la charte canadienne, et, pour cette raison-là, il faut qu'il y ait un recours à la clause «nonobstant».

Je vous rappelle… On rappelle dans le mémoire qu'en 1989, suite au jugement de la Cour suprême sur l'affichage, où l'affichage unilingue français a été déclaré inconstitutionnel, le gouvernement de Robert Bourassa a décidé d'utiliser cette clause «nonobstant». Le voulait-il, l'utiliser? Voulait-il utiliser la clause «nonobstant» au départ, lorsqu'il y a eu jugement? Je n'en suis pas sûr. Mais, quand il a vu déferler une manifestation de 50 000 personnes dans les rues pour la défense de la loi 101, je pense que, là, il s'est redressé le corps puis il s'est dit : On va utiliser notre clause «nonobstant» pour défendre la loi 101, selon son option à lui, qui était la primauté du français puis une autre langue ensuite, mais il a bien compris que, la viabilité ne serait-ce que d'une partie de ce qui était dans la loi 101 en matière d'affichage, pour protéger cette partie-là, il fallait utiliser la clause «nonobstant». Et, sans clause «nonobstant», la loi 101, là, le chapitre sur l'affichage sautait au complet, alors… Mais il a agi à rebours, le gouvernement libéral, avec un puissant mouvement de masse derrière lui. Je pense qu'il faut le mettre dans le contexte aussi.

Et moi, je rappelle une chose, là, puis je ne veux pas parler de l'histoire de ma vie, là, mais en 1983, là, j'étais directeur de grève dans un cégep, et puis on a eu la loi 111 qui a brisé notre grève. Ça a été difficile, dur, avec des menaces de congédiement et tout. Et la loi 111 a utilisé la clause «nonobstant», et personne n'a eu un mot à dire.

La clause «nonobstant» n'exige aucune justification au plan de la raisonnabilité de la loi et de la justification de cette loi concernant, là, l'aspect du principe d'une société libre et démocratique comme l'article 1 de la charte canadienne l'exige. Donc, lorsque l'Assemblée nationale vote la… utilise une loi et précise à la fin que cette loi s'applique nonobstant tel, tel, tel article de la charte, elle s'applique, point à la ligne, il n'y a pas de discussion, elle est renouvelable aux cinq ans, et je pense que le Québec ne devrait pas avoir honte d'utiliser la clause «nonobstant». Ce n'est pas le Québec qui a voté cette loi constitutionnelle, cette loi constitutionnelle lui a été imposée par Ottawa, mais, puisqu'elle existe, pour défendre ses propres positions sur la question de la laïcité… Et moi, je pense que c'est une caractéristique du peuple québécois. Le développement fort du mouvement de la laïcité depuis 50 ans, c'est une caractéristique distinctive du Parti québécois par rapport au reste du Canada et l'Amérique du Nord, ça fait partie de son identité comme peuple. Et le Québec ne doit pas avoir honte de l'utiliser, puisqu'elle est là. Puis même que le Québec ne l'a même pas choisie, cette clause, elle est là objectivement dans la Constitution canadienne.

Le Président (M. Ferland) : Alors, je sais que la députée de Bourassa-Sauvé avait une question, mais il reste 15 secondes.

Mme de Santis : Alors, je ne vais prendre seulement que 15 secondes. Vous avez dit que ça va être dévastatoire pour le Québec si...

Une voix : Dévastateur.

Mme de Santis : …pardon, dévastateur pour le Québec s'il n'y a pas de clause «nonobstant» et le Québec perd devant la Cour suprême du Canada. Pouvez-vous expliquer ça?

Le Président (M. Ferland) : Malheureusement, on n'a pas le temps d'expliquer parce que le temps est écoulé. Alors, je dois céder la parole à la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Ça passe très rapidement. Bonjour, monsieur. Bonjour, madame. Merci pour votre mémoire.

Nous sommes en faveur d'une charte de la laïcité, et j'aimerais particulièrement vous entendre dans le domaine de l'éducation, madame, entre autres. Vous dites que vous êtes enseignante. Vous avez étudié... Étudié! Pardon, la fatigue. Vous avez enseigné à quel niveau et sur quelle période?

Mme Bensalem (Leila) : Au secondaire. Ça fait 23 ans, toujours dans la même école.

Mme Roy (Montarville) : Et où enseignez-vous?  Sur l'île de Montréal, aux alentours?

Mme Bensalem (Leila) : À Montréal.

Mme Roy (Montarville) : À Montréal. Alors, je vais en profiter parce qu'on a une enseignante. Alors, j'aimerais vous faire parler de votre propre expérience au fil des ans.

Donc, ça fait déjà quelques années que vous êtes là, vous avez vu… Ou plutôt, je ne veux pas présumer, avez-vous vu le nombre d'enseignantes portant, arborant des signes religieux visibles se multiplier? Si oui, ça ressemble à quoi, cette progression-là, pour commencer, la première partie de ma réponse... de ma question? Ensuite, j'en ai une autre.

Mme Bensalem (Leila) : Parmi les enseignantes, pas vraiment. Tout à l'heure, j'en ai parlé, là, on en a eu deux ou trois, là, et puis en remplacement, ce n'étaient pas des enseignantes permanentes à l'école. Mais, bon, il y a d'autres personnes qui travaillent aussi dans les écoles à part les enseignantes, alors on a pu voir, oui, des voiles arriver parmi les secrétaires, parmi des techniciennes en laboratoire. Ça, on a ça. Ce sont des choses, moi, quand je suis arrivée, il y a 23 ans, à l'école, il n'y en avait pas, il n'y avait rien de tout ça.

Parmi les élèves également. On n'en parle pas, là, parce que ça concerne vraiment les employés de l'État, mais ça augmente à une vitesse galopante, hein?

Mme Roy (Montarville) : Ça ressemble à quoi? Par exemple, en avez-vous eu dans vos classes?

Mme Bensalem (Leila) : Des élèves?

M. Lamoureux (André) : Des élèves?

Mme Roy (Montarville) : Oui.

Mme Bensalem (Leila) : Ah! Bien oui!

M. Lamoureux (André) : Oui, oui, oui. Beaucoup, toujours.

Mme Bensalem (Leila) : Oui, lui aussi.

M. Lamoureux (André) : Dans toute ma… oui, dans ma carrière au cégep, puis j'ai fait 35 ans au cégep, mais surtout depuis les années 90, là. Puis à l'université il y en a aussi, également.

Mme Roy (Montarville) : Et, dans l'école, à l'école secondaire où vous enseignez, justement, de ces jeunes filles et jeunes garçons qui portent des signes religieux — parce qu'on ne veut pas en viser un plus que l'autre — est-ce que c'est effectivement différentes confessions ou il y en a surtout une ou deux qui se démarquent?

Mme Bensalem (Leila) : Eh bien, écoutez, les plus visibles, bien on parle toujours du voile, hein, il n'y a que ça, là. Il y a un élève dans notre école qui porte le... ce n'est pas vraiment un turban, mais c'est un élève sikh.

M. Lamoureux (André) : Une patka.

Mme Bensalem (Leila) : Non, c'est comme quelque chose sur la tête avec une petite boule au sommet, je ne sais...

M. Lamoureux (André) : C'est une patka, la patka.

Mme Bensalem (Leila) : O.K.

Mme Roy (Montarville) : Alors, je devine que vous êtes dans une école qui est très multiethnique, dans un secteur multiethnique de Montréal.

Mme Bensalem (Leila) : Très multiethnique. 105 pays.

Mme Roy (Montarville) : Bien, voilà. Ce qui explique...

Mme Bensalem (Leila) : Et les Québécois sont en minorité invisible.

Mme Roy (Montarville) : Si on parle des enseignants, vous dites qu'il y en a très peu dans…

Mme Bensalem (Leila) : Oui, oui, mais...

Mme Roy (Montarville) : Selon vous, selon votre connaissance, selon votre réseau de connaissances dans le milieu de l'éducation, pour ce qui est des enseignantes qui portent le voile, selon vous, quel serait le pourcentage de femmes qui choisiraient de l'enlever pour conserver leur emploi? Est-ce que ce serait facile à faire ou il y aurait beaucoup de réticence dans le milieu de l'éducation, là?

Mme Bensalem (Leila) : Écoutez, moi, j'ai entendu, bien, oui, plein de propos par rapport à ça. Je ne peux pas vous dire que ce sont des propos qui ont été tenus dans mon école, par contre, mais, si on parle de la commission scolaire en général, c'est quelque chose qui est perçu comme une offense, si on devait les obliger à enlever le voile. Mais j'ai entendu aussi d'autres...

Le Président (M. Ferland) : Malheureusement, madame, je dois vous interrompre, je dois aller du côté du député de Blainville. C'est un peu mon rôle plate, hein, c'est... Allez-y, M. le député.

M. Ratthé : Écoutez, je vais quand même permettre à madame peut-être de conclure. J'aurais...

Le Président (M. Ferland) : Oui, faites une tentative, M. le député allez-y.

M. Ratthé : Vous pouvez donc continuer sur votre lancée, puis j'aurai une question pour vous, parce que je trouvais intéressant ce que vous étiez en train de répondre.

Mme Bensalem (Leila) : Ah! O.K.

M. Ratthé : Donc, pour eux, c'est une... c'est difficile. C'est ce que vous dites?

• (15 h 50) •

Mme Bensalem (Leila) : Oui. Oui, mais j'ai aussi entendu… J'ai écouté une fois une entrevue à Radio-Canada, puis c'étaient deux jeunes filles musulmanes qui portaient le voile et qui ont dit tout simplement : Écoutez, si c'est la loi, on va se conformer, on va l'enlever, parce que ça concerne les heures de travail. Il n'y a pas de quoi en faire une montagne, finalement. Quand elles sortent du travail, bien elles remettront leurs voiles, tout bonnement. Et c'est ce qui est arrivé aussi en France par la même occasion, parce qu'au début on a fait peur aux gens, on leur a dit que, bon, il y aurait un exode et qu'elles iraient dans les écoles privées ou dans les écoles musulmanes, et il n'y a pas eu ça. En fait, les gens finissent par se conformer, mais il faut leur montrer qu'on se tient debout et qu'on ne recule pas, et c'est ce que le Parti québécois est en train de faire actuellement. Il faut être debout, il faut tenir à ses convictions puis montrer aux gens que, oui, c'est comme ça, et ce sont les choses auxquelles on croit, et c'est comme ça que ça doit se passer. À ce moment-là, les gens vont se conformer, c'est tout.

M. Ratthé : Vous m'avez… Merci. Vous m'avez entendu poser ma question à M. Seymour, puis, quand je lisais votre mémoire, j'avais l'impression de lire deux… en fait pas juste l'impression, je lis deux points de vue complètement différents. Tout en respectant les deux points de vue, je voudrais peut-être vous entendre pour quelques minutes, votre réaction à ce que M. Seymour disait : Oui, on doit respecter, être tolérant, on doit… c'est une manifestation d'une religion communautaire, on ne doit pas aller aussi loin, parce que vous dites un peu l'inverse, là. Vous réagissez comment à…

M. Lamoureux (André) : Bien, nous, à notre point de vue, le port du voile, ce n'est pas une obligation du Coran. Le port du voile procède d'une tradition dite religieuse mais qui a été imposée selon des règles wahhabites, salafistes et autres, là, on ne fera pas l'histoire de l'islam. Selon les régimes politiques, on a imposé des règles en fonction de la charia qui est imposée mais aussi aux femmes, aussi des comportements qui ont été imposés aux femmes. Et la majorité des musulmans au Québec ne portent pas de voile… les musulmans modernistes plutôt, excusez-moi. Donc, pour nous, le voile, c'est un signe religieux qui est propre à une tendance intégriste au sein de l'islam, et nous pensons que le Québec ne doit pas accepter de tels signes qui sont un symbole d'intégrisme.

Même chose pour le turban. Le turban est porté par une tendance intégriste au sein de la communauté sikhe, la majorité des sikhs ne portent pas de turban. Quand il y a eu le vote sur le mariage gai à la Chambre des communes, je ne sais pas si vous avez pris connaissance de ça, mais le leader spirituel du temple d'Amritsar a sommé les sept députés de la Chambre des communes à voter contre le mariage gai. Et il a lancé un message supplémentaire : il les sommait de combattre l'homosexualité également. Alors, quand une personne se fait arrêter… Moi, je n'étais pas d'accord avec le jugement de la Cour suprême là-dessus, la cour fédérale, là, mais, quand un homosexuel, disons, se fait arrêter par un agent de la GRC qui porte un turban, que voit-il devant lui, un sikh intégriste ou bien un agent de la GRC? C'est très important comme question. Si un étudiant écoute un professeur à l'université pendant trois heures avec un turban et qu'il est homosexuel, il peut se sentir mal à l'aise, et il a le droit de se sentir mal à l'aise, et il a droit à sa liberté de conscience, de ne pas se faire imposer ce signe religieux. Ça, c'est très important. Pour nous, c'est fondamental, et c'est pour ça que je vous disais que la liberté de conscience est le plus souvent oubliée là-dedans.

Le Président (M. Ferland) : Alors, malheureusement, M. Lamoureux, je dois mettre fin à la question. Je dois céder la parole à la députée de Gouin pour la dernière partie.

Mme David : Merci, M. le Président. Madame monsieur, merci. Bonjour. Je pense qu'on est tous d'accord ici dans cette Chambre, c'est très clair, pour qu'il y ait une charte de la laïcité au Québec. Ça ne fait aucun doute pour personne. Ça, je pense qu'il faut le dire dès le point de départ.

La deuxième chose que j'aimerais dire, et je pense qu'on va être aussi tous d'accord là-dessus, c'est que tous les enfants dans les écoles québécoises sont des enfants québécois, nés ici ou ailleurs.

Et en fait ce que je voudrais vous poser comme question, c'est la chose suivante : Que toutes les religions soient porteuses d'idéologies, on va en convenir très facilement, y compris la catholique, on va aussi s'entendre là-dessus. Trouvez-vous juste de congédier après quelque sanction disciplinaire une femme musulmane portant le voile qui enseigne dans une école primaire et qui ne veut pas se départir de son voile mais de garder à l'emploi son mari musulman, aussi de tendance conservatrice, portant la barbe, à qui on ne demandera, bien entendu, pas d'enlever sa barbe? Finalement, en bout de ligne, est-ce qu'il n'y a pas quelque chose de profondément injuste pour les femmes de largement s'en prendre à elles pendant que des conservateurs, voire parfois, oui, des intégristes peuvent exister aussi bien au sein de l'islam que parmi, par exemple, les nombreuses églises évangélistes qui pullulent au Québec mais où les gens ne portent pas de signe religieux?

Mme Bensalem (Leila) : Moi, quand vous parlez de barbe pour leurs maris, bien, écoutez, on ne peut quand même pas s'attaquer à l'intégrité physique de quelqu'un. Ça, c'est évident. Mais…

Mme David : Donc, ce n'est pas un signe religieux, pour vous?

M. Lamoureux (André) : Ce n'est pas un signe religieux, la barbe.

Mme Bensalem (Leila) : Bien, ce n'est pas un signe religieux, mais, savez-vous, ça, c'est comme… Ça a été lancé il y a assez longtemps en Afghanistan, quand ils ont commencé à porter la barbe, parce que — il y a toujours une raison à ça — c'étaient comme des nomades, ils étaient toujours à l'extérieur, sur des terrains en train de se battre, en train de faire exploser les bombes, et ils ne pouvaient pas se raser. Et c'est arrivé comme ça, mais il n'y a pas vraiment de signe religieux par rapport à ça.

Mais, les femmes, moi, ce que je voudrais dire par rapport à ça, quand on nous dit qu'on les discrimine, moi, d'abord, ce que je veux dire par rapport à ça, c'est qu'en portant le voile elles acceptent de s'autodiscriminer, parce qu'elles savent que ça les met en porte-à-faux par rapport aux valeurs existantes ici, par rapport au mode de pensée existant ici et en Occident, partout ailleurs. Si elles… D'abord, le port du voile, comme l'a dit M. Lamoureux, c'est déjà au départ une dérive intégriste, parce qu'en aucun temps dans le Coran on ne demande aux femmes musulmanes de se cacher la tête. Ça, il faut qu'on le comprenne une bonne fois pour toutes. Donc, il y a déjà, à ce niveau-là, une dérive intégriste. L'autre dérive intégriste, c'est que, si elles sont capables de mettre dans la balance leur emploi et leur salaire et ce qui leur permet de vivre avec leur voile, eh bien, c'est une autre dérive aussi, c'est ça.

Le Président (M. Ferland) : Malheureusement, Mme Bensalem, le temps est terminé. Alors, M. Lamoureux, Mme Bensalem, je vous remercie pour votre présentation et…

M. Lamoureux (André) : En vous remerciant de nous avoir écoutés. Merci.

Mme Bensalem (Leila) : Merci.

Le Président (M. Ferland) : …plaisir.

Alors, sur ce, je vais suspendre quelques instants pour permettre à l'autre témoin de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 15  h 57)

(Reprise à 16 h 2)

Le Président (M. Ferland) : Alors, la commission va reprendre ses travaux. Alors, maintenant, nous recevons et nous allons entendre Mme Andréa Richard. Et je vais vous mentionner que vous disposez de 10 minutes pour la présentation de votre mémoire, suivra un échange avec les groupes parlementaires. Et je vous demanderais peut-être de présenter la personne qui vous accompagne et ensuite de nous présenter votre mémoire. La parole est à vous, Mme Richard.

Mme Andréa Richard

Mme Richard (Andréa) : Je laisse celui qui m'accompagne se présenter.

M. Serra (André) : Oui. Je me nomme André Serra. Je suis au Québec, venant de France, depuis 1991. Les études que j'ai faites ont porté essentiellement sur la science politique, l'économie politique et le droit et la philosophie.

Le Président (M. Ferland) : Alors, la parole est à vous, Mme Richard.

Mme Richard (Andréa) : M. le Président, Mmes et MM. les ministres et députés, je vous remercie de l'attention que vous voudrez bien me porter pendant cet exposé.

En matière de religion, je pense pouvoir me considérer au nombre des personnes avisées, puisque j'ai été à l'intérieur même du système comme religieuse pendant 18 ans. J'ai toujours eu à coeur de savoir qu'est-ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas, donc ma réflexion d'aujourd'hui est le fruit de toute une vie.

Ce mémoire est aussi en quelque sorte un testament citoyen à l'adresse d'une société qui, nous avons pu le constater lors de la commission Charbonneau, veut la transparence, la vérité, l'honnêteté. S'il en est ainsi dans le domaine politique et le domaine des affaires, il doit en être encore plus ainsi dans le domaine des religions. C'est pourquoi je me permets d'affirmer que la pratique d'une religion dans laquelle on s'est engagé relève le plus souvent d'une foi naïve et ignorante basée sur un endoctrinement reçu et qui a été donné dans l'intention manifeste de se donner un pouvoir sur les peuples.

J'approuve la charte rigoureusement et consciencieusement élaborée par M. Drainville et je remercie le Parti québécois et tous ceux qui y ont contribué. J'approuve ce projet. Je les félicite et les remercie.

Il serait cependant souhaitable que cette charte s'avance encore plus loin dans ses exigences, malgré la prudence dont vous avez fait preuve. Personnellement, je recommande que tous les accommodements religieux accordés jusqu'ici soient abolis. C'est pourquoi j'ai concentré mon mémoire sur ces accommodements dits raisonnables et que je persiste à considérer qu'ils sont déraisonnables. Selon la formulation actuelle de la charte, des accommodements de nature religieuse continueront à être accordés parce que demandés, sinon exigés, alors que, pour soutenir un progrès de société allant vers la maturité du monde, on devrait, tout au contraire, les abolir. Auparavant, d'ailleurs, les accommodements n'étaient que pour les handicapés, justifiés. Ceux qui demandent aujourd'hui des accommodements de nature religieuse sont considérés de par leurs communautés mêmes comme fanatiques. Donc, en leur accordant ce qu'ils demandent, on ne contribue pas au progrès de la société.

Il faut être conséquents avec nous-mêmes. Nous ne pouvons parler de neutralité puisque l'accommodement demandé a précisément pour but d'obtenir une exception aux droits de tous, une faveur par rapport au reste de la société. Et au chapitre V de la charte, numéro 15.4°, il est écrit : «…que l'accommodement demandé ne compromet pas la séparation des religions et de l'État ainsi que la neutralité religieuse et le caractère laïque de celui-ci.» Eh bien, c'est contradictoire. Dans cette citation ainsi qu'au chapitre XI, numéro 42, on se contredit. Il est écrit : «Dans le cas d'un organisme de l'État, un accommodement ne doit pas compromettre la séparation des religions et de l'État ainsi que la neutralité religieuse et le caractère laïque de celui-ci.» Or, lorsqu'on accorde un accommodement, ce n'est pas neutre, cela prime sur la laïcité — vous voyez la contradiction, là — contrairement à ce que l'on dit vouloir. Tout accommodement religieux crée nécessairement une parenthèse indue au sein même de l'État et de la neutralité.

Aucune religion n'est neutre puisqu'elle postule des vérités non établies, sans aucun fondement justifié. Donc, accommoder les religions, c'est attribuer un privilège, enfreindre l'égalité des autres citoyens et par conséquent aussi les disqualifier en créant des lois d'exception. Loin de chercher à unir les citoyens, c'est, en définitive, multiplier les divisions.

Une charte des droits et libertés a pour essentiel objectif d'instaurer et respecter une absolue égalité entre les citoyens. Créer des différences entre eux, c'est créer des inégalités et aller à l'encontre de la démocratie. Cette charte, n'oublions pas, vise la protection des individus et non la protection des croyances. Accorder des accommodements religieux favorise le développement d'un communautarisme qui dissimulerait des visées intégristes et fondamentalistes, c'est là qu'est le danger. Notre devoir est donc de ne pas accommoder. Les religions veulent nous imposer leurs dogmes et leurs doctrines au nom d'un dieu illusoire, c'est donc usurper le pouvoir qui n'appartient qu'au peuple. L'accepter, c'est se rendre complice d'une erreur magistrale.

Donc, une prise de conscience s'impose. L'écart est énorme entre ce que nous faisons maintenant, abandonner, je dirais, le pouvoir aux religions entre les mains d'usurpateurs, alors qu'on devrait en pratique le dénoncer.

J'ai fait ma théologie. Je vous dirais que 80 %, c'est des hypothèses. Il faut se référer, écoutez, là, aux recherches sérieuses et historiques. Or, déjà, aux IIIe et IVe siècles, dans l'Église même, sous le règne de Julien byzantin, des désaccords profonds existaient en matière dogmatique, christologique, théologique et doctrinale entre les pères de l'Église. C'est là une preuve évidente de l'incertitude des certitudes. C'est pourquoi je trouve particulièrement éhonté que l'université, dont on s'attend qu'elle apporte la science et la vérité d'un savoir certain, enseigne la théologie et offre en ses murs des lieux de prière, alors qu'elle devrait être neutre en cette matière. Et ce matin même, dans le journal Le Nouvelliste, un étudiant nommé M. Jean-François Veilleux a écrit qu'il déplorait qu'à l'Universite de Trois-Rivières on refuse un signe politique que lui voulait apporter alors qu'on accepte les signes religieux.

Dans la charte aussi, au chapitre IV, numéro 11, il est pourtant indiqué que les personnes chargées de dispenser un enseignement de nature religieuse pourront se soustraire aux règles d'application. Je suis contre les exceptions. Les autorités, surtout gouvernementales et à l'université, devraient donner l'exemple.

Nous ne pouvons ignorer ces découvertes scientifiques, historiques, archéologiques et exégétiques d'aujourd'hui. Écoutez, là, au terme de cinq années d'études et de recherches sérieuses, deux historiens français, Gérard Mordillat et Jérôme Prieur, en arrivent à la conclusion que la Bible — ce n'est pas moi qui dis le mot, c'est eux — c'est de la fabrication. Et nous pourrions en dire autant de tous les livres saints des autres religions.

Malheureusement, le préambule de la Constitution canadienne commence lui-même par l'affirmation d'une stupidité : «Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit…» La combinaison «suprématie de Dieu» et «primauté du droit» rend juridiquement contradictoires les autres articles de la Constitution, comme l'article 2 donnant la liberté de conscience et de religion, et cette incohérence profite malheureusement aux demandeurs d'accommodements. Dans un procès opposant la religion et le principe de laïcité, la justice ne peut évoquer un dieu hypothétique, soyons sérieux! La province du Québec n'ayant pas endossé la Constitution canadienne, il me semble que légalement elle n'a pas à s'y conformer. Et ce que je déplore : c'est comme si que les lois étaient fondées dans le ciment, alors qu'on devrait s'adapter à notre temps et être souple.

Donc, il faut combattre l'obscurantisme, le fondamentalisme et l'intégrisme. Le fondement de toutes les religions repose sur un endoctrinement mensonger et erroné. Les dogmes ont été inventés, et les doctrines, erronées. Lorsque…

• (16 h 10) •

Le Président (M. Ferland) : Une minute pour conclure à peu près. Allez-y.

Mme Richard (Andréa) : J'achève. Lorsque nous… Accommoder des religions, c'est cautionner. Cautionner, c'est être complice. Et complice de quoi? De mensonges? Un dieu hypothétique, on va faire semblant qu'on croit à cela? Où est la logique? Eh bien, moi, je refuse d'en être complice. Je vous remercie de votre attention.

Le Président (M. Ferland) : Merci, Mme Richard. Alors, nous allons procéder à la période d'échange, et la parole est au ministre.

M. Drainville : Bonjour à vous deux. Merci d'être là. Merci pour la présentation du mémoire.

Mme Richard, j'ai ici un article du… du Nouvelliste, voilà, daté du… — mon Dieu, c'est difficile aujourd'hui! — 22 novembre 2011, voilà, et on fait référence à votre parcours. On dit que vous êtes devenue religieuse à l'âge de 16 ans. Vous êtes alors devenue petite soeur des pauvres, puis carmélite à Trois-Rivières. C'est ça?

Mme Richard (Andréa) : Carmélite en France et puis au Lac-Saint-Jean, à Dolbeau.

M. Drainville : Ah! O.K. Carmélite… Parce qu'ici c'est marqué carmélite à Trois-Rivières, mais, hein, je vais me fier sur vous.

Mme Richard (Andréa) : Oui.

M. Drainville : Et vous avez été cloîtrée, donc.

Mme Richard (Andréa) : J'ai été cloîtrée. Après, j'ai été petite soeur des pauvres, au service des pauvres. J'ai fait la quête dans les marchés de Paris parce que dans ce temps-là les personnes âgées n'avaient pas de pension pour les nourrir. Et, comme on n'avait pas le temps de penser et réfléchir, j'ai voulu connaître la spiritualité, alors je suis rentrée chez les carmélites, et c'est là que je me suis réveillée et je me suis dit : Non, non, non, ça, ça n'a pas de bon sens! Ça ne vient pas de Dieu, ça vient des hommes.

Et, monsieur, je suis rentrée à 16 ans. Je vais vous dire quelque chose d'important, qui est un témoignage. On dit, pour les femmes qui portent le voile dans les garderies et à l'école : Elles sont tellement bonnes pour les enfants, il faut les laisser. Oui, c'est vrai, tellement bonnes — c'est là le piège — qu'on leur fait confiance complètement. Ça a été mon cas, j'ai fait confiance à une religieuse voilée parce qu'elle était tellement bonne. Elle m'a endoctrinée à l'âge de 12 ans jusqu'à 14 ans, et c'est pour ça que j'ai perdu ma jeunesse en entrant chez les Petites Soeurs des pauvres, parce que, comme mon père me le disait bien — mon père était un ancien député libéral — mon père me le disait, on peut faire du bien dans le monde, on n'a pas besoin d'aller se cloîtrer religieuse pour faire du bien.

Le Président (M. Ferland) : M. le ministre.

M. Drainville : Oui. Parlez-nous-en, justement, de l'effet que peut avoir le port d'un signe ostentatoire par une employée de l'État ou un employé de l'État sur les citoyens à qui il ou elle donne un service.

Mme Richard (Andréa) : Bien, moi, ce que je déplore : on parle toujours que notre identité, c'est d'être religieux. Voyons donc! Mon identité, ce n'est pas être protestant, catholique, musulman. C'est d'abord citoyen, citoyenne, avec les mêmes privilèges et les mêmes devoirs.

Alors, les signes ostentatoires, l'effet que ça peut donner, je vous donne un exemple. Personnellement, je suis allée chez Bureau en Gros, quatre ans passés. Il y avait une femme voilée au comptoir; j'ai changé de comptoir parce que j'étais mal à l'aise. Je n'ai pas à savoir sa religion.

Et j'aimerais aussi donner la parole à… Mon collègue, M. André Serra, aurait quelque chose à dire justement sur le signe ostentatoire du voile.

M. Drainville : …c'est bien, allez-y.

Mme Richard (Andréa) : Et je reviendrai ensuite.

Le Président (M. Ferland) : Allez-y, M. Serra. La parole est à vous.

M. Serra (André) : Merci. Alors, ce que j'ai voulu approfondir dans ce que dit le mémoire de Mme Richard, que j'approuve en totalité, évidemment, c'est aller voir un petit peu ce que représente le voile réellement. Bon, depuis qu'au Québec on discute de la charte sur la laïcité de l'État et sur sa neutralité religieuse, une question lancinante revient sans arrêt dans les conversations à propos du voile porté par certaines musulmanes, considéré un peu comme un étendard de l'islam, et cette situation se traduit par la question suivante : Finalement, ce voile, est-il vraiment obligatoire, pour les femmes musulmanes, de le porter dès qu'elles sortent de chez elles? Alors, j'ai voulu éclaircir un petit peu ce sujet. Et, en vue de cette commission, d'ailleurs, j'ai fait, comment dirais-je, un test sur Internet où j'ai demandé à mon ami Google, comment dirais-je, ce qui s'était… à propos du voile, comment on pouvait en parler, qu'est-ce qu'on pouvait en dire.

Alors, j'ai trouvé un site qui s'appelle Oumma.com. Je pense que tout le monde sait ce que veut dire «oumma», c'est, comment dirais-je, la communauté des croyants. Donc, c'est un site qu'il me paraissait tout à fait opportun de consulter pour résoudre cette question. Alors, j'ai regardé les commentaires, j'en ai lu beaucoup, j'en ai retenu. J'ai retenu les 16 premiers et je les ai répartis en deux groupes : ceux qui affirmaient que porter le voile, pour les femmes, était strictement obligatoire — et il y en avait la moitié, c'est-à-dire huit — et, d'autre part, les commentaires qui affirmaient que c'était aux femmes qu'il appartenait de décider de porter le voile ou de ne pas le porter, car c'était un problème relevant seulement de la relation personnelle entre la femme musulmane et Allah. J'insiste sur le fait que les 16 commentaires étaient issus de noms musulmans, de noms arabes, et que, par conséquent, il n'y avait pas d'inférence avec d'autres personnes. Alors, j'ai constaté donc que les deux groupes étaient exactement égaux, il y en avait huit dans un camp et huit dans l'autre. Alors, ça m'a évidemment beaucoup frappé, car je m'attendais, en consultant ce site, que tous les croyants ou presque allaient dire à peu près la même chose. Eh bien, ce n'était pas vrai.

Alors, autre chose m'a frappé, ce fut le ton des réponses, qui s'ajoute à ce que je viens de dire, à savoir que, les uns comme les autres, autant ceux qui disaient qu'il était obligatoire de porter le voile que ceux qui disaient que, non, c'était aux femmes musulmanes de le décider, ces tons étaient extrêmement affirmatifs, comme si vraiment ils le savaient parfaitement dès leur naissance et qu'il n'y avait pas d'autre possibilité de répondre à cette question. Et ce qui était quelquefois étonnant, d'ailleurs, c'est que quelques-uns s'exprimaient en s'étonnant que l'on puisse poser une question aussi évidente pour eux que celle-là, alors qu'ils disaient des choses contradictoires.

Alors, le plus important encore, c'est qu'au début de ce site un blogueur demandait comment faire pour connaître cette réponse, c'est-à-dire est-ce que c'est obligatoire, est-ce que ce n'est pas obligatoire, et, sur les 16 commentaires que j'ai analysés, un seul, un seul fournissait le numéro de la sourate et du verset du Coran ici présents où l'on pouvait trouver la bonne réponse, c'est-à-dire la sourate 33 et le verset 59. Donc, à cette question particulièrement précise qui avait été posée, un seul répondant avait donc songé à fournir une réponse directement utilisable. Les autres n'en parlaient pas et, à mon avis, les autres n'avaient sans doute même pas pensé que l'on pouvait la trouver dans le Coran.

M. Drainville : M. Serra, si vous permettez, quelle est la réponse à la question selon vous? M. Serra.

M. Serra (André) : Oui?

M. Drainville : Ici.

M. Serra (André) : Ah! Excusez-moi.

M. Drainville : Quelle est la réponse à la question, alors?

M. Serra (André) : Ah! Bien, j'y viens.

M. Drainville : Ah! Voilà. O.K.

M. Serra (André) : J'y viens.

Le Président (M. Ferland) : Allez-y, M. Serra.

• (16 h 20) •

M. Serra (André) : Ah oui, d'accord. D'accord. Eh bien, écoutez, je suis allé tout simplement… Je saute donc un certain nombre d'éléments. Je suis tout simplement allé voir le verset 59 de la sourate 33. Je vous parlerai après, si j'ai le temps, du traducteur, qui est Malek Chebel, qui est parfaitement connu en France. Et sa traduction est parfaitement considérée comme la meilleure, en tout cas en français.

Alors, que dit le Coran à la sourate 33, verset 59? Je me permets de vous la lire, il y a quatre lignes : «Ô Prophète, demande à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de rabattre sur elles leur voilette. C'est le meilleur moyen qu'elles ont de se faire connaître et de ne pas être importunées. Allah est celui qui pardonne et qui est miséricordieux.»

Alors, je ne sais pas si, à cette lecture, vous avez fait une remarque. Moi, j'en ai fait une, c'est le verbe de la première phrase : «Ô Prophète, demande à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de rabattre sur elles leur voilette.» Le verbe, c'est «demande». Ça me paraît très important, parce que «demande», c'est quoi? Qu'est-ce que ça veut dire? C'est un conseil. Ce n'est pas un ordre, du moins en français.

Donc, pour moi, au fil des ans et des siècles, dans la bouche des imams et des wahhabites saoudiens, les sages paroles d'Allah dans l'original se sont durcies pour devenir des ordres. Et mon interprétation personnelle, c'est qu'effectivement le voile n'est pas obligatoire. Il est un conseil donné par, je dirais, un père de famille, quelqu'un qui donne un conseil à des femmes qui sont, comment dirais-je, attaquées par les hommes.

Bon, je vais laisser là, puisque vous me dites…

M. Drainville : Si vous me permettez, M. Serra, pour les personnes qui doutaient que cette commission serait source de réflexion, je pense que vous venez de faire la démonstration qu'elle sera source de réflexion…

M. Serra (André) : …de réflexion.

M. Drainville : …et donc elle a très certainement, là-dessus du moins mais, je pense, sur bien d'autres plans… elle aura très certainement son utilité. Madame, vous vouliez rajouter?

Mme Richard (Andréa) : Oui. J'ajouterais que… Vous y avez fait allusion, j'ai été carmélite. Donc, la vie intérieure… Vous parlez de signes ostentatoires. Pour mener sa vie de foi ou de religion ou vie intérieure, on n'a pas besoin de signe extérieur.

M. Drainville : Alors donc, c'est clair pour vous, là, qu'il faut que… Cette neutralité religieuse, y compris dans l'apparence, c'est clair pour vous qu'elle doit s'appliquer à toutes les personnes qui travaillent au service du citoyen. Ça, pour vous, là, c'est une certitude.

Mme Richard (Andréa) : Tout à fait. Et plus spécialement ceux qui sont en autorité, que ce soit à l'Assemblée nationale, ici, ou ailleurs. C'est à eux en premier à donner l'exemple, on ne peut pas demander au peuple ce qu'on ne fait pas soi-même.

M. Drainville : Il reste combien de temps?

Le Président (M. Ferland) : Il vous reste environ huit minutes, M. le ministre.

M. Drainville : Oui. Sur la question des accommodements, Mme Richard, je voulais juste vous dire qu'on n'avait pas tout à fait, vous et moi, la même opinion sur cette question-là. Ce n'est pas grave, ça, là, là, ça arrive, hein?

Mme Richard (Andréa) : …vous avez le droit et j'ai mon... nous avons le droit d'avoir des…

M. Drainville : Mais je voulais juste vous dire que le cadre que nous mettons en place sur la question des accommodements vise, je dirais, à décourager, à prévenir, à empêcher les accommodements déraisonnables, les accommodements religieux déraisonnables. Alors, c'est pour ça qu'on met en place un certain nombre de balises.

Ceci dit, ça ne va pas mettre fin à tous les accommodements. Ce qu'on fait, c'est qu'on met en place un cadre qui va, nous le pensons, filtrer, je dirais, les demandes qui sont clairement déraisonnables, par exemple celles qui remettent en question l'égalité entre les hommes et les femmes, etc. Mais, par exemple… Je vais vous donner des exemples d'accommodements qui, à mon avis, sont raisonnables et qui vont pouvoir continuer au terme de l'adoption de la charte. Je vous donne l'exemple, par exemple, de quelqu'un qui déciderait de prendre un congé religieux sur sa banque de congés personnelle. Alors, dans les commissions scolaires parfois, dans les conventions collectives, il y a des banques de congés personnelles ou un congé personnel. Alors, ce serait tout à fait raisonnable, nous semble-t-il, que quelqu'un décide à l'avenir de dire : Bien, écoutez, moi, je veux prendre un congé religieux, et de le prendre sur sa banque de congés personnelle. Moi, en tout cas, personnellement, je pense que ce serait tout à fait raisonnable et tout à fait équitable. Si tu veux prendre ton congé personnel pour une raison religieuse, c'est ta décision. Si tu veux le prendre pour une autre raison personnelle, c'est ta décision également, pour aller, je ne sais pas, moi, voir le médecin avec un enfant ou quoi que ce soit. C'est un exemple que je vous donne.

Je vous en donne un deuxième : un parent, par exemple, qui amène un repas halal ou un repas casher à la garderie pour que les éducatrices le fassent réchauffer lorsqu'arrivera l'heure du repas. Ça, moi, ça me semble tout à fait raisonnable, je ne vois pas de problème avec ça.

Troisième et dernier exemple que je vous donne : on est dans un hôpital où il y a déjà une chapelle catholique, alors on est, par exemple, dans un hôpital de la région de Montréal, et, au fur et à mesure où la clientèle devient de plus en plus multiethnique et multireligieuse, il y a des demandes d'autres confessions, donc des patients qui aimeraient pouvoir aller prier dans cet endroit-là et qui demandent que la chapelle soit transformée en lieu de prière multiconfessionnel. Et donc… Et ça se fait déjà, soit dit en passant, il y a un certain nombre de cas qu'on connaît déjà où une chapelle catholique ou chrétienne a été transformée en lieu de prière multiconfessionnel. Dans un cas, par exemple, on tire un rideau devant l'autel, et ça permet à quelqu'un d'une autre confession que la confession chrétienne ou catholique de pouvoir aller prier dans son intimité, sans, comment dire… sans être en contact visuel, disons, avec des symboles d'une autre religion. Et il me semble que, dans ce cas-là, c'est conforme, c'est cohérent avec le principe de neutralité religieuse qui vise justement le respect de toutes les religions. Alors, on prend une chapelle qui était dédiée à une religion et on dit : Bien, dorénavant… Le patient le demande, hein, c'est une demande d'accommodement. L'institution dit : Très bien, je vais vous accommoder et, au nom de la neutralité religieuse et au nom du respect de votre conviction, je vais m'organiser pour que ce lieu de prière devienne un lieu multiconfessionnel, pour permettre à vous, par exemple, vous, Québécois de confession musulmane, de pouvoir aller vous recueillir, de pouvoir aller prier.

Dans ces trois cas-là, il me semble que ce sont des accommodements qui sont tout à fait raisonnables. Est-ce que vous en convenez avec moi?

Mme Richard (Andréa) : Oui, j'en conviens avec vous, parce que ça, c'est plus… Comme par exemple le parent qui amène une… bien il ne demande pas, quand même, une cafétéria puis un menu spécial, donc ça, oui, c'est différent. Une chapelle, oui, parce que c'est déjà, je dirais, un droit acquis, mais pas à l'université, par exemple, parce que l'université, c'est tout à fait différent.

Je voudrais en profiter, puisqu'on a parlé des hôpitaux, de vous dire ceci. J'ai une nièce qui est chirurgienne à l'Hôpital Saint-Luc, à Montréal, et elle m'a dit qu'elle a reçu un musulman à son bureau avec sa femme et qu'il fallait qu'elle soit opérée d'un cancer de l'intestin — ma nièce est chirurgienne — et la dame ne parlait pas du tout, hein, il ne la laissait pas parler, et le monsieur a dit à ma nièce : Dr Richard, pouvez-vous m'assurer qu'il n'y aura pas d'homme à la salle d'opération? C'est vous dire simplement que ça se demande, hein, des accommodements dans les hôpitaux. Et il y a une infirmière, dans une réunion de PDF — PDF, c'est un groupe femmes d'ailleurs qui vont venir ici présenter leur mémoire la semaine prochaine, je crois — qui a dit qu'à tous les mois il y a des demandes d'accommodement dans les hôpitaux et qui sont irraisonnables. Donc, ce sera à faire attention, là, oui.

M. Drainville : On est… Oui?

Mme Richard (Andréa) : Mais, pour les cas que vous avez soulevés, évidemment, oui, je suis d'accord, excepté pour les universités.

M. Drainville : Mais, pour ce qui est du secteur de la santé, je l'ai déjà mentionné à quelques reprises, vous avez vu que le principal syndicat des infirmières a donné son appui à la charte après avoir consulté ses membres et après avoir voté à 80 %... Au moment du conseil général, là, ils étaient 600 délégués et ils ont voté à 80 % pour la charte. Et justement c'était fondé sur une enquête d'opinion qu'ils avaient faite auprès de leurs membres, qui démontrait qu'effectivement, dans le secteur de la santé, il y avait beaucoup de demandes d'accommodement de nature religieuse, et, dans le tiers de ces demandes-là, dans le tiers des cas, c'est les infirmières elles-mêmes qui doivent prendre la décision.

Mme Richard (Andréa) : …en question, là.

• (16 h 30) •

M. Drainville : Moi, j'ai trouvé ça fascinant, fascinant parce que les gestionnaires de la santé, eux, dans un sondage, ont déclaré à 100 % qu'ils n'avaient aucun problème avec les signes religieux et à 99 % qu'ils n'avaient aucun problème de demande d'accommodement religieux dans leurs institutions. Alors, les gestionnaires des établissements de santé disent sur les signes religieux à 100 %... Il n'y en a même pas un qui s'est levé pour dire : Bien, il y a peut-être une difficulté ou il y a peut-être une discussion à l'interne. Non, non, c'est l'unanimité, on n'a aucun problème. Et à 99 % les gestionnaires ont répondu à ce questionnaire en disant : Sur les accommodements, aucun problème, aucune difficulté, et alors que les infirmières, qui sont sur le terrain, elles, disent : Nous, on en a, et on en a souvent, et très souvent ça retombe sur nos épaules de décider quoi faire avec ces demandes.

Mme Richard (Andréa) : Vous voyez, cette pauvre femme là a été pénalisée. Son mari a dit à ma nièce : Eh bien, madame, elle ne sera pas opérée ici, nous allons aller essayer dans un autre hôpital, l'hôpital juif.

M. Drainville : Mais qui a dit ça, vous dites?

Mme Richard (Andréa) : Le mari de la femme qui devait être opérée. Il a refusé que sa femme soit opérée à l'Hôpital Saint-Luc parce que ma nièce ne pouvait pas lui assurer qu'il n'y aurait pas d'homme dans la salle d'opération. Alors, la femme a dû recommencer tout son dossier dans un autre hôpital. Donc, ça retardait et ça mettait sa vie en danger, parce que son cancer était très avancé. Lorsqu'on change de médecin et d'hôpital, il faut tout recommencer les examens, etc., ça retarde.

M. Drainville : Il doit rester, quoi…

Le Président (M. Ferland) : 30 secondes environ, et des poussières.

M. Drainville : Oui. Bien, je vais laisser ça à mes collègues de l'opposition, hein?

Le Président (M. Ferland) : Merci, M. le ministre. Maintenant, je cède la parole au député de LaFontaine. M. le député.

M. Tanguay : …laisser ma collègue… Rita, c'est toi qui prends la parole?

Le Président (M. Ferland) : Ah! la députée de Bourassa-Sauvé. Allez-y. On commence par Bourassa-Sauvé. Allez-y.

Mme de Santis : Merci beaucoup. Merci beaucoup, Mme Richard et M. Serra. J'aimerais revenir à certaines choses que vous avez dites quand vous avez fait votre présentation. D'après vous, vous ne croyez pas que la religion a une place dans la société parce que c'est fabriqué?

Mme Richard (Andréa) : C'est-à-dire, elle a une place dans les mosquées, dans les chapelles, dans la vie personnelle, mais c'est certain que les religions ne viennent pas de Dieu, sont fabriquées de toutes pièces et viennent des hommes qui veulent se donner un pouvoir sur la société, il n'y a pas de doute. Et c'est parce qu'on est une société pas assez évoluée, malheureusement, qu'on en est encore là.

Mme de Santis : J'ai compris — peut-être j'ai mal entendu — que vous dites que tous les accommodements raisonnables ou accommodements que vous caractérisez comme déraisonnables, même si peut-être d'autres personnes auraient pu les croire raisonnables, devraient être mis de côté. Alors, je viens à l'exemple suivant. Nous vivons au Québec, nous avons des fêtes. Je peux passer Noël, allons à Pâques. Pâques n'est pas la même date chaque année, la date de Pâques est basée sur un calendrier religieux, un calendrier religieux catholique, et nous demandons que tous les Québécois respectent ce calendrier-là. Vous ne trouvez pas raisonnable que quelqu'un qui ne soit pas catholique mais, disons, orthodoxe demande de prendre de ces banques, ces journées, banques de journées de vacances, un autre jour pour fêter sa Pâques à lui? Parce que notre société est bâtie de cette façon-là… ou est-ce que vous allez me dire qu'on devrait changer notre calendrier pour que Pâques soit… non, on ne l'appelle plus Pâques, mais on dit qu'il y a une journée qu'on prend de repos le mois d'avril à chaque année et le même jour?

Mme Richard (Andréa) : Il y a des droits acquis, nous sommes un pays… Comme par exemple la fête de Pâques, la fête de Noël, je ne verrais pas pourquoi qu'on changerait ça parce qu'une nouvelle religion arrive. Et ce n'est pas parce qu'une nouvelle religion arrive qu'il faut changer nos calendriers, selon moi.

Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter, M. Serra?

M. Serra (André) : Non, je ne crois pas, je ne crois pas. Ça devient traditionnel.

Mme Richard (Andréa) : Pardon?

M. Serra (André) : Ça devient traditionnel.

Mme Richard (Andréa) : Ça devient traditionnel.

M. Serra (André) : Pour le pays.

Mme Richard (Andréa) : Pour le pays, c'est ça.

Mme de Santis : Ce n'est pas que je propose qu'on change la date, mais ce que j'essaie de démontrer, c'est que dans la façon qu'on vit, dans notre calendrier de vacances, il y a certains jours que nous établissons, c'est des jours de vacances basés sur un calendrier catholique religieux, et qu'on veut imposer ça, d'une certaine façon, à tout le monde.

Maintenant, j'ai une autre question pour vous : Est-ce que, d'après vous, les arbres de Noël, les crèches à Noël, on ne devrait pas les avoir dans l'espace public?

Mme Richard (Andréa) : Non, c'est de la tradition, ça, c'est du patrimoine. Ce n'est pas la même chose, là.

M. Serra (André) : J'ai une autre réponse, si vous permettez. Je pense que c'est en fait d'après les calendriers religieux que ces dates existent. Pourquoi ne pas, comment dire, refiler cette question aux religions et puis les laisser entre elles décider d'un calendrier qui serait oecuménique?

Mme de Santis : Et quand… Alors, l'arbre de Noël, la crèche, pour vous, c'est une tradition.

J'aimerais faire référence à un article que vous avez écrit le 19 janvier 2010. C'est dans la Tribune libre de Vigile et c'est en réponse à Françoise David et Amir Khadir, c'est mardi le 19 janvier 2010, et je cite : «Choisir nos immigrants ne représente-t-il pas un droit? Pourquoi accepterions-nous ceux qui, nous le savons, ne veulent pas s'intégrer et adopter nos valeurs? Pourquoi prendre le risque de les voir nous imposer les leurs dans l'espoir qu'elles supplanteront les nôtres?» Pouvez-vous expliquer…

Mme Richard (Andréa) : C'est mis hors de contexte, là, il faudrait tout l'article pour… J'aimerais le voir parce que je ne me souviens pas, mais toujours est-il… c'est sûr que…

Mme de Santis : Est-ce que je… Vous permettez?

Le Président (M. Ferland) : …de la commission…

Mme Richard (Andréa) : Si je vous comprends bien, j'aurais écrit que nous avons une liberté, et ça, c'est toujours… je pense toujours ça, que nous avons une liberté de choisir. C'est… Bien oui, choisir nos immigrants ne représente-t-il pas un droit? Oui, c'est vrai, je suis persuadée que ça représente un droit, parce c'est comme dans une famille, on ne peut pas accueillir tout le monde, et, quelqu'un qui va venir chambarder, je dirais, nos traditions et nos valeurs, donc, c'est normal qu'on pourrait avoir un choix à faire. Si nous acceptons tous les intégristes et les fondamentalistes au Québec, eh bien, il ne faudra pas être surpris que nous aurons les mêmes problèmes qu'ils ont actuellement en France et entre autres à Bruxelles, en Belgique, où c'est vraiment problématique. Donc, prévenir, c'est guérir. Il faut contrer la montée du fondamentalisme.

Est-ce que vous savez qu'en Australie les fondamentalistes et les intégristes des religions qui ne veulent pas s'intégrer… Comme M. Serra est français, il s'est bien intégré. Mais, ceux qui ne veulent pas s'intégrer, les Australiens les mettent à la porte. C'est un jeune pays, ils ont moins de lois que nous. Ils les renvoient dans leur pays, alors…

Mme de Santis : J'ai seulement une autre question avant que je cède la parole à mon collègue. Vous avez parlé d'une bonne soeur qui a changé votre vie, une bonne soeur qui portait…

Mme Richard (Andréa) : C'est vrai, elle a changé ma vie, oui. Bien, en quelque sorte, oui.

Mme de Santis : Et vous avez dit que le fait qu'elle était une bonne soeur a changé votre vie, mais je ne crois pas que c'était simplement le fait qu'elle portait un voile. Je crois que peut-être elle vous a convaincue, il y a eu du prosélytisme qui a été fait…

Mme Richard (Andréa) : …fait confiance parce que…

Mme de Santis : …pour vous attirer à la vie que vous… qui peut-être n'était pas un choix libre et éclairé mais qui a été fait, le choix qui a été pris à ce moment-là. Donc, ce n'était pas le voile, c'était plutôt le prosélytisme.

Mme Richard (Andréa) : Ce n'est pas le voile, mais par contre… Oui et non, dans le sens qu'à ce moment-là…

Je vais vous donner un exemple. Les religieuses étaient considérées comme des modèles. Eh bien, de même, il paraîtrait, je n'ai pas la source sûre, que dans une garderie, justement, une petite fille a dit à sa mère qu'elle était une pute parce qu'elle ne portait pas un voile. Donc, pour la petite fille, le modèle, là, c'était la religieuse… c'était, pardon, le professeur, une musulmane qui portait le voile. Donc, ce n'est pas vrai que ça n'a pas d'impact, ce n'est pas vrai que ça n'a pas une influence. Et plus on est jeune, plus on est influençable.

Mme de Santis : Merci. Je vais céder la parole à mon collègue.

Le Président (M. Ferland) : Alors, M. le député de Lotbinière-Frontenac. Il reste six minutes environ.

• (16 h 40) •

M. Lessard : Alors, merci beaucoup, Mme Richard, merci de venir en commission ici. Donc, il n'y a pas que des experts, vous prenez la peine de venir ici exprimer… C'est un droit reconnu par l'Assemblée, alors merci de prendre le temps, vous deux, de venir le faire. Et puis ce n'est pas un tribunal non plus, vous n'avez pas à connaître tous les éléments de ça.

Mais je regardais dans votre mémoire. Vous dites, dans le projet de loi sur la charte, que vous approuvez totalement, méticuleusement, rigoureusement et consciencieusement ce qui a été élaboré, etc. Vous avez quand même vu qu'il y a un pouvoir de congédiement assez important pour ceux qui... On dit : «Lors du premier manquement à la restriction relative au port d'un signe religieux de la part d'un membre du personnel…» Là, l'organisme va s'asseoir avec puis il va appliquer des sanctions, des mesures de discipline. Donc, on rouvre un nouveau pan sur le code des relations de travail certainement et donc on vient dire aux 600 000 travailleurs de l'État : Premier manquement, là, ça va de la suspension jusqu'au congédiement. D'accord? Vous êtes consciente qu'au premier manquement, là, tu t'assois puis là tu vas...

Mme Richard (Andréa) : Bien non, mais pas du tout, je ne dirais pas qu'on va congédier une personne qui ne veut absolument pas enlever son voile. Je pense qu'il faut un dialogue avec elle avant pour voir le pourquoi et pour voir si vraiment... Parce que c'est facile de dire «une foi sincère», on peut faire croire bien des choses, hein, en prenant une petite attitude, là, bon.

M. Lessard : Mais vous avez vu que là-dedans...

Mme Richard (Andréa) : Oui, oui, oui. Alors, non, moi, je pense qu'il faut dialoguer avec elle. Il faut dire, nous autres ici, à Québec, le pourquoi on n'accepte pas le voile.

Mais cependant quelqu'un, comment dirais-je, là, qui est dans la peur, et qu'on soupçonne qu'il y a derrière un monsieur qui va la punir, si elle ne le porte pas, et que ça peut être dramatique pour la famille, eh bien, à ce moment-là, si elle le porte déjà, je lui donnerais un droit d'acquis et un peu… peut-être quatre ans ou cinq ans, je ne sais trop. Mais par contre une fois la loi appliquée, là c'est différent. Pour les nouveaux qui vont arriver, là, c'est pas de voile, on le sait, donc on a un choix de travail.

M. Lessard : D'accord. J'ai deux petites questions… Oui?

Mme Richard (Andréa) : Mais, si c'est déjà là, je considérerais que c'est un droit acquis. Si la personne ne peut vraiment pas, là, sous peine d'un drame...

M. Lessard : Parfait, O.K. La loi ne fait pas cette distinction-là, elle dit... Vous savez, là, pour des raisons d'incompétence, on a de la misère à congédier du monde parce qu'il y a un tribunal qui vient aussi les défendre, puis les syndicats font des griefs. Là, nécessairement, on se retrouve... c'est une nouvelle pénalité, et elle, elle est expéditive, c'est une mesure disciplinaire puis… à moins que le ministre me dise autrement, mais ça va sûrement de la suspension jusqu'au congédiement, donc, nécessairement.

Vous n'êtes pas seule à penser ce que vous approchez. La CSN, qui représente beaucoup de monde, elle s'est dit contre la charte puis elle dit : Ça n'a pas de bon sens de l'appliquer à tout le monde. Et elle parlait de droits acquis, donc ça a quand même été invoqué, là, je ne sais pas si le ministre en disposera.

Je vous amène sur un autre sujet avant. Est-ce que vous avez l'impression qu'avec cette loi-là il n'y aura plus de port de signe?

Mme Richard (Andréa) : Qu'il n'y aura plus de port de signe? Si j'ai l'impression qu'il n'y en aura plus si on passe la loi?

M. Lessard : Oui.

Mme Richard (Andréa) : Bien, si on passe la loi, ce n'est pas moi qui vais décider, ça va être le parti au pouvoir. Ce sera à eux de décider.

M. Lessard : O.K. Parce que vous dites que vous l'appuyez totalement…

Mme Richard (Andréa) : Donc, on ne le sait pas encore, ce qui va être. On ne peut pas prévoir, disons, ce qui va être.

M. Lessard : O.K. Donc, vous dites... Parce que vous approuvez totalement tout ce qui est dans la... mais en fait ça donne l'impression, avec cette charte-là, qu'il n'y en aura plus, de signe, alors qu'en réalité, ce que ça dit, il y en aura encore, sauf qu'il déterminera s'ils sont ostentatoires. La croix va rapetisser, ça, on le sent, là, la... On ne sait pas si c'est un pouce, un pouce et quart, un pouce et demi, en boucle d'oreille, en... on ne le sait pas. Là, le ministre va avoir à dire : Oui, attends un peu. Le kirpan, lui, il passe sur... personne ne va voir le kirpan, on ne le voit déjà pas, il est en dedans. Lui, le kirpan, il reste. Là, le ministre viendra nous le préciser. Après ça, le foulard, là, le ministre va regarder le foulard, il va dire : C'est-u ostentatoire ou pas? Il va dire : Hum! Le foulard sportif, là, comme les sportifs, au lieu de toute la tête puis le cou, là, il va dire : Peut-être juste la tête, peut-être qu'il va dire ça. Ça, ce ne serait pas ostentatoire. Après ça, le turban, là, il est obligé de le regarder, il est obligé de regarder le turban puis dire : Le turban, peut-être avec... on me dit qu'il y a un petit turban, peut-être qu'il y a ça. Voyez-vous? Il devra le faire pour chacun des signes religieux. Il va être obligé de faire un règlement pour dire : C'est-u ostentatoire, est-ce que ça invite à traduire sa religion de façon ostentatoire?, pour chacun des signes. Et là on peut continuer toute la liste, parce que la réalité, si la loi est adoptée, puis le ministre pourra le confirmer, c'est ça, l'exercice qu'il devra faire. Et donc il y aura encore des signes, moins visibles. Je ne sais pas si ça va être comme les lettres de la langue française qui vont être hautes de même puis en anglais un peu plus petit, mais il devra faire cet exercice-là pour tous les signes, pour toutes les religions qui se présenteront à la fonction publique. Alors, je ne voudrais pas laisser l'impression que cette charte-là va enlever tous les signes, mais il devra faire un travail fort important puis pour ne pas en pénaliser un au détriment des autres.

Le Président (M. Ferland) : Alors, sur ce, M. le député, je dois...

Mme Richard (Andréa) : M. le député…

Le Président (M. Ferland) : Malheureusement, il n'y a pas de temps pour répondre, je dois céder la parole à la députée de Montarville, parce que le temps est réparti entre chaque groupe parlementaire.

Mme Roy (Montarville) : Écoutez, je vais vous revenir, madame. Merci, M. le Président.

Une voix :

Le Président (M. Ferland) : Allez-y.

Mme Roy (Montarville) : Oui, je vais vous revenir, parce que mon collègue de la première opposition...

Mme Richard (Andréa) : ...mais c'est correct, il n'y a pas de problème.

Mme Roy (Montarville) : D'abord, merci d'être là. Merci de nous avoir fait partager votre expérience de carmélite. Je me souviens déjà d'avoir fait des reportages sur les carmélites, il y en a ici, à Montréal.

Cela dit, revenons au port de signe religieux, parce qu'on comprend que vous endossez la charte mais vous trouvez aussi qu'elle ne va pas assez loin, la charte de M. Drainville, puisque vous nous dites qu'il faudrait abolir les accommodements religieux.

Mme Richard (Andréa) : Oui.

Mme Roy (Montarville) : Et vous nous dites aussi, et là je vais vous citer à la fin de votre mémoire : «Selon moi, la règle la plus raisonnable à laquelle je puisse penser se situe dans la laïcisation du domaine public, dans les domaines [de l'État] comme dans toute aire publique…» Alors, pourriez-vous expliquer jusqu'où vous voudriez que cette laïcisation-là soit, si on peut employer l'expression du ministre, visible?

Mme Richard (Andréa) : Bien, dans un premier temps, tel que je l'ai dit, bien, à long, long terme, ce serait souhaitable aussi dans les magasins, comme dans les magasins, eh bien, c'est dans le public. C'est ce que j'ai voulu dire par là.

Mme Roy (Montarville) : Mais qui voulez-vous dire, les travailleurs ou les...

Mme Richard (Andréa) : Ce n'est pas des employés pour l'État, à ce moment-là, mais ce que je veux dire : Ce serait souhaitable à long terme mais pas dans un premier temps.

Mme Roy (Montarville) : Mais, cela dit, vous dites, dans les magasins — moi, je veux bien vous comprendre — les employés du magasin ou les clients du magasin?

Mme Richard (Andréa) : Les employés, c'est-à-dire ceux qui nous servent, les employés, mais pas quelqu'un... Tout le monde est libre de porter ce qu'ils veulent dans la rue et de venir au magasin habillés comme ils veulent, ça, c'est certain. Moi, je n'aime pas les extrêmes. Il y a une vertu du juste milieu, l'équilibre dont on parle. À l'école, pourquoi une petite fille ne pourrait pas venir en bikini alors qu'à l'autre extrême une petite va venir voilée?

Mme Roy (Montarville) : Donc, si je vous comprends bien, vous voudriez qu'on extensionne le projet de charte, le p.l. n° 60, au secteur... c'est ce qu'on appelle le secteur privé, l'entreprise privée. C'est ce que je comprends de votre exemple du magasin, par exemple.

Mme Richard (Andréa) : Oui.

Mme Roy (Montarville) : Cela dit, pour revenir aux signes religieux, vous êtes contre, naturellement, puisque vous endossez la charte, le port de signes religieux, mais moi, j'aimerais vous entendre parler sur le fameux qualitatif d'«ostentatoire», parce qu'effectivement, comme le disait mon collègue qui a scoopé ma question, qu'est-ce que vous pensez du fait qu'il va tout de même — et c'est écrit dans le projet de loi de M. Drainville — il va tout de même y avoir des signes religieux qui seront acceptés et qui seront visibles? Vous pensez quoi de ça?

Mme Richard (Andréa) : Bien, écoutez, ça dépend du signe. Comme j'ai dit, il y a un juste milieu, un équilibre. Moi, ça ne me dérange pas que quelqu'un ait une petite croix comme un petit bijou, là, mais du moment que ce n'est pas une grande croix comme ça, là, voyez-vous? Un petit signe discret, si vous voulez, qu'on pourrait appeler ça un petit signe discret, ça ne dérange personne, mais, lorsque c'est des gros signes, là, comme un voile sur la tête et puis une grande croix, là, comme ça, là, bien, c'est ostentatoire, ça va de soi. Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter? Non? Et puis il y a une chose aussi...

Mme Roy (Montarville) : Donc, il faudra tracer la ligne, là, il faudra trouver l'équilibre.

Mme Richard (Andréa) : Oui, oui. Puis il ne faut pas oublier, là, que, pour ceux qui ont peur qu'on perde leur religion, qu'on perde des valeurs, la religion, là, ce n'est pas vrai que c'est une valeur, c'est une doctrine. C'est dogmatique et doctrinal. Et, ceux qui ont peur qu'on perde ça, ce sera beaucoup mieux pour la société future qu'on enseigne dans les instituts scolaires des valeurs, la morale, une spiritualité laïque et lithique que des dogmes et des doctrines religieuses.

Mme Roy (Montarville) : Je vous remercie infiniment.

Mme Richard (Andréa) : Merci, madame.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci, Mme la députée. Maintenant, je reconnais le député de Blainville pour...

M. Ratthé : Merci, M. le Président. Mme Richard, M. Serra, bonjour.

Mme Richard (Andréa) : Bonjour.

M. Ratthé : Si vous me permettez, je vais adresser une question à M. Serra. Et, bien, je ne sais pas si vous serez en mesure de me répondre, à tout le moins peut-être me donner votre opinion, un avis… ou peut-être vous avez une expertise.

Vous êtes d'origine française. On a diverses opinions sur : Est-ce qu'on doit prendre exemple sur la France? La France a une forme de laïcité déjà bien implantée. Des gens hier nous disaient : On ne devrait pas prendre cet exemple-là parce que la France a colonisé des gens, alors qu'ici on reçoit des gens. Est-ce que vous avez une opinion, un avis, une expertise là-dessus?

M. Serra (André) : Ah oui! Tout à fait.

Mme Richard (Andréa) : Mets le micro plus proche.

M. Serra (André) : Oui, je pense qu'on entend.

M. Ratthé : Allez-y.

• (16 h 50) •

M. Serra (André) : Bien oui. C'est une opinion qui reflète d'ailleurs, je pense, une opinion qui est assez générale. La domination de la France dans certains domaines coloniaux il y a longtemps, si vous voulez, maintenant est combattue sur un plan historique. Ça a existé, tout à fait, et nous avons eu tort, c'est également mon avis. D'un autre côté, les choses sont passées, et nous avons laissé… nous, Français, nous avons quand même laissé dans nos colonies beaucoup de choses qui sont très positives. Il y a eu des choses dommageables et il y a eu aussi des choses très positives. Je pense qu'il n'est pas nécessaire de revenir sur le passé. Comme par exemple les Turcs qui refusent de reconnaître ce qui s'est passé avec les Arméniens, par exemple, je trouve ça anormal, je crois qu'il faut toujours reconnaître ce qu'on a fait. C'est vrai au plan personnel comme au plan collectif.

M. Ratthé : Mais, en matière de laïcité, est-ce qu'il y a des choses dont on devrait s'inspirer? Est-ce qu'on doit ignorer puis avoir notre propre recette? Qu'est-ce que…

M. Serra (André) : S'inspirer de ce qui se fait en France?

M. Ratthé : Oui.

M. Serra (André) : Bien, écoutez, je veux dire...

M. Ratthé : En matière de laïcité, là.

M. Serra (André) : Sur le plan de la laïcité, écoutez, nous avons eu en 1905, je crois, la suppression de, comment dirais-je… de l'enseignement scolaire par l'Église catholique, disons. Bon, je crois que ça s'est maintenu. C'est même revenu en arrière, puisque maintenant il y a des institutions privées, en France, catholiques, mais à un niveau extrêmement faible, et les subventions existent mais dans des proportions relativement moindres qu'avant. C'est-à-dire qu'avant il y avait vraiment une possession de l'éducation nationale par l'Église, comme vous avez eu ici d'ailleurs aussi. On est passés à un autre système, c'est ce que fait également le Québec.

Ça me paraît raisonnable, parce qu'effectivement nous avons là un exemple de... pas de signe ostentatoire, à proprement parler, mais c'est pire. Lorsque les prêtres enseignent et qu'en même temps ils enseignent la religion, c'est inadmissible et pour une raison essentielle, c'est que l'enfant... Il y a un texte qui est très bon sur ce point, c'est un texte de Freud, enfin, un texte... c'est un livre qui s'appelle L'avenir d'une illusion ou... oui, L'avenir d'une illusion, je crois, exactement, qui dit ceci en gros : Les enfants suivent leurs parents. Les parents eux-mêmes sont ostentatoires, je dirais, dans une certaine mesure, et évidemment on ne peut pas les supprimer, mais il est certain malgré tout qu'il y a eu une évolution sur ce plan dans la mesure où beaucoup de parents maintenant laissent un peu la bride sur le cou. Peut-être ont-ils d'ailleurs le tort de le faire sur tous les sujets, il y a peut-être des sujets sur lesquels ils devraient le faire. Et ce qui se passe, c'est que, finalement, les enfants qui sont pris dans une obligation d'aller à l'église, etc., de faire leur communion, ce qui a été mon cas... Moi, personnellement, pour donner mon exemple personnel...

Le Président (M. Ferland) : Alors, excusez-moi, M. Serra, mais je dois aller du côté de la députée de Gouin pour le dernier bloc. Allez-y, Mme la députée.

Mme David : Merci, M. le Président. M. Serra, je vais continuer un peu sur la foulée de ce que vous disiez, mais après j'aurai une question sur un autre sujet.

La France, c'est votre pays d'origine. C'est le mien aussi par ma mère, et donc j'ai regardé pas mal ce qui s'est passé ces dernières années. Il y a une chose qui me frappe, c'est que le modèle français, il n'est pas parfait, pas plus que n'importe quel autre, hein, et donc moi, je souhaite que le Québec fasse ses propres choix. Il peut s'inspirer des meilleurs modèles qui existent, ça peut être la France et puis ça peut être d'autres pays aussi.

Je soulignerai qu'il y a quand même certaines contradictions qui sont un petit peu amusantes, le fait, par exemple, que les écoles privées religieuses en France, au moment où on se parle, sont financées par l'État à hauteur de 85 %. Moi, je me plains déjà de notre 60 %, alors imaginez! Et la dernière grosse manifestation anti-mariage gai en France a été largement organisée par tout ce qu'il y avait d'Église catholique. Alors, c'est amusant de voir que la vie est une chose complexe, finalement.

Je reviendrais par contre sur la question de l'immigration, parce que ça, ça me turlupine un petit peu. J'avais assez oublié, je dois dire, cet échange que nous avons eu par lettres il y a quelques années, mais je me pose et je vous pose la question suivante : Le Québec choisit déjà 60 % de ses immigrantes et immigrants. Il les choisit largement en fonction de leurs qualifications et de la langue, hein, et ça, je pense que c'est très important pour le Québec. Est-ce que, dans le fond, dans les critères de choix, vous proposez qu'il y ait une sorte de critère moral, religieux? Vous savez que déjà les immigrants maintenant signent une déclaration qui établit les valeurs que nous avons adoptées au Québec, mais est-ce qu'on devrait, à votre avis, aller plus loin?

M. Serra (André) : Non. J'ai d'ailleurs un livre que j'ai édité, d'ailleurs, ce n'est pas moi qui suis l'auteur, d'Hassan Jamali, qui a écrit le livre Coran et déviation politique, et j'avais sélectionné… si j'avais eu le temps de vous donner ces quelques citations, mais il dit des choses qui sont très proches de ce que nous donnons, nous, et c'est un musulman, c'est un musulman. Il dit ceci : Bon, après avoir, comment dirais-je, étudié les principes fondamentaux de l'islam, il faut ensuite lui apprendre, à l'enfant, à respecter les diverses croyances selon le principe que Dieu n'appartient à personne et qu'aucune religion n'est supérieure à une autre; que tous les êtres humains, musulmans, chrétiens, Juifs, bouddhistes et même athées, ont droit à leurs opinions comme à leurs convictions; que les différences entre les religions ne proviennent pas de leurs principes de base mais des détails, qui sont souvent les oeuvres des humains. Bon, j'arrête là à cause du compteur.

Le Président (M. Ferland) : Alors, vous avez un très bon timing.

M. Serra (André) : Oui. Non, je finis la phrase, je finis la phrase. Ce que je voulais dire simplement en citant ceci…

Le Président (M. Ferland) : Ça met fin à la période d'échange. Alors, Mme Richard et M. Serra, je vous remercie pour votre présentation, votre mémoire.

Alors, sur ce, je vais suspendre quelques instants pour permettre au prochain groupe de prendre place.

(Suspension de la séance à 16 h 56)

(Reprise à 16 h 59)

Le Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Nous recevons maintenant les représentants de la Ligue d'action nationale. Alors, en vous mentionnant que vous disposez de 10 minutes pour présenter votre mémoire, je vous demanderais de vous présenter et présenter la personne qui vous accompagne.

Ligue d'action nationale

M. Monière (Denis) : Alors, Denis Monière. Je suis le président de la Ligue d'action nationale. Je suis accompagné par Robert Laplante, qui est le directeur de la revue L'Action nationale et aussi le directeur des Cahiers de lecture de L'Action nationale.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci. Alors, à vous la parole pour la présentation de votre mémoire.

• (17 heures) •

M. Laplante (Robert) : Alors, merci, M. le Président. Merci à tous les membres de la commission de nous consacrer cette période qui, j'imagine, doit puiser dans les réserves de tout le monde en fin de journée.

Je voudrais d'abord vous situer le rôle, la mission de la Ligue d'action nationale. La ligue a été créée et fondée en 1913 sous le nom, d'abord, de Ligue de défense des droits du français — c'était comme toujours le même combat — et elle a progressivement changé de nom pour devenir la Ligue d'action nationale. Et elle s'est donné en 1917 un organe de diffusion qui s'intitulait à l'époque L'Action française et qui est devenu au fil des années L'Action nationale, qui est la revue par et dans laquelle la ligue réalise sa mission qui est celle de contribuer à la définition, à la promotion et à la défense des intérêts nationaux du Québec. Et c'est dans le cadre de nos travaux que nous avons été appelés à examiner le projet de loi et à soumettre aux élus le commentaire que va vous livrer le président de la Ligue d'action nationale, M. Denis Monière.

M. Monière (Denis) : Merci, M. le Président. Merci à vous tous, députés, de nous accueillir cet après-midi. Comme vous l'avez constaté, nous avons une longue histoire. Nous allons probablement, j'espère en tout cas, fêter le 100e anniversaire de la revue dans quelques années, et je voudrais, en introduction, faire un rappel de l'histoire politique du Québec.

Le projet de loi n° 60, pour nous, est l'aboutissement d'une longue tradition démocratique qui remonte en fait au Parti patriote. Le principe de la séparation de l'Église et de l'État se retrouve à l'article 4 de la déclaration d'indépendance du Bas-Canada. Le programme du Parti rouge, ancêtre du Parti libéral du Québec, prônait, lui aussi, la laïcité au milieu du XIXe siècle. C'est donc une très longue tradition républicaine qui vise à instaurer un État laïque au Québec.

Malheureusement, à la suite de la Confédération de 1867 et du compromis victorien, la société québécoise a été dominée pendant un siècle par le pouvoir clérical. Vous savez tous que l'Église a exercé un contrôle sur la société civile, elle a encadré cette société par des organisations catholiques, pensons aux syndicats catholiques, aux coopératives catholiques, aux journaux catholiques, aux associations culturelles de toutes sortes. Donc, nous avons bien connu le cléricalisme et l'influence que la religion peut jouer sur l'évolution d'une société.

Lorsque le Québec est entré dans l'ère de la modernité, il y a eu un processus de décléricalisation et de déconfessionnalisation qui a été engagé, et ce processus aboutit aujourd'hui avec le projet de loi n° 60. Pourquoi, depuis 1960, le Québec a-t-il choisi la voie de la déconfessionnalisation? Parce qu'il y a eu des changements importants dans la composition ethnoculturelle de la population à la suite des différentes vagues d'immigration. Il y a eu aussi une diversification des croyances religieuses. Le plus grand changement qui est apparu dans la société québécoise à partir de la Révolution tranquille, ça a été la progression du groupe des sans-religion, qui est devenu le deuxième groupe en importance numérique après les gens qui appartiennent à la religion catholique. Nous avons donc, dans une société comme la nôtre, maintenant forte portion de la population qui se déclare sans religion. Voilà donc quelques éléments qui montrent pourquoi le Québec a besoin maintenant d'instaurer de nouvelles règles du jeu et surtout de prévoir que ses institutions politiques soient laïques et neutres.

Alors, comme mouvement intellectuel, la Ligue d'action nationale approuve dans l'ensemble, avec quelques restrictions que je présenterai tout à l'heure, le projet de loi n° 60 sur la laïcité et la neutralité. Nous estimons que la laïcité obéit à un vieux principe millénaire : Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu, ce qui implique que la sphère du privé doit être séparée de la sphère du public. Cette logique, à notre avis, prend tout son sens dans les sociétés pluralistes comme la nôtre où plusieurs religions coexistent. Nous pensons que chaque individu peut exprimer librement ses convictions, quelles qu'elles soient, mais, en raison de cette liberté et de la diversité d'opinions qui existe, les institutions publiques, parce qu'elles appartiennent à tous, doivent être neutres et ne pas manifester à travers leurs représentants d'allégeance particulière.

Ce principe essentiel à la vie démocratique a été acquis après des siècles de lutte pour mettre l'État au-dessus des factions, des partis et des groupes particuliers. Cela s'appelle le devoir de réserve, qui interdit à quiconque d'afficher ses convictions dans le cadre de la fonction publique pour respecter précisément la liberté des autres et ne pas entacher l'État du soupçon de partialité. Pourquoi alors l'identité religieuse des uns devrait-elle l'emporter sur le devoir de réserve des autres qui, eux, laissent leurs convictions à la maison pour venir servir chaque matin le bien public? Les citoyens doivent être égaux et, pour cette raison, ils doivent tous faire des compromis pour vivre avec les autres. Les allégeances religieuses ne doivent pas recevoir de prime de tolérance ou de traitement de faveur. Le respect de l'égalité des citoyens doit être intégral, et il serait inacceptable qu'on affiche ses allégeances religieuses dans la fonction publique alors que d'autres citoyens n'auraient pas le droit d'afficher leurs convictions politiques.

En conséquence, donc, nous sommes d'accord pour interdire le port des signes religieux, qui fait étalage de la différence, qui exprime un fossé qui sépare les différents membres de la communauté. Les signes religieux témoignent, bien sûr, d'une appartenance et ils disent essentiellement, c'est un message qui est porté : Je ne suis pas comme toi, je n'appartiens pas au même monde. Les symboles religieux ne sont pas seulement un facteur de différenciation, ils ont aussi une fonction stratégique et propagandiste et ils visent effectivement à influencer les gens que l'on côtoie. L'État ne doit donc pas faire le jeu des religions missionnaires. Il ne doit pas être le lieu du prosélytisme, même si celui-ci est passif. Donc, l'État doit interdire le port des symboles religieux pour incarner cette séparation entre le public et le privé. C'est la condition du respect mutuel que se doivent les membres d'une collectivité.

Voilà donc notre position de base. Maintenant, en ce qui concerne les réserves que nous avons, elles portent sur deux objets dans le projet de loi actuel.

Première réserve, ça concerne les articles qui traitent de l'Assemblée nationale, qui, dans le projet actuel, semble vouloir obtenir un statut particulier qui la met en dehors de la loi elle-même pour laisser aux députés le soin de régler ça entre eux. Ça nous apparaît un peu illogique, incohérent de mettre l'Assemblée nationale en dehors de l'application de cette loi.

La deuxième réserve, elle est un peu banale, c'est que le titre du projet de loi nous apparaît beaucoup trop long et peu pertinent, compte tenu de son contenu. Nous pensons qu'il serait opportun de le simplifier en disant tout simplement «la charte québécoise de la laïcité».

Alors, merci de votre attention. Et nous sommes à votre disposition pour répondre aux questions.

Le Président (M. Ferland) : Alors, merci beaucoup, merci pour votre présentation. Maintenant, nous allons à la période d'échange. Alors, M. le ministre, la parole est à vous.

• (17 h 10) •

M. Drainville : Merci, M. le Président. Merci beaucoup, messieurs, pour votre mémoire et votre présentation. Si vous me permettez, je vais prendre juste quelques instants pour clarifier certaines choses avec mon estimé collègue de Lotbinière… Lotbinière-Frontenac, voilà. Je voulais juste vous dire, M. le député, que c'est un gouvernement du Parti libéral qui a amendé la Charte de la langue française pour y prévoir… Alors, je vous lis l'article 93 qui avait été voté par M. le député d'Argenteuil et ministre alors, Claude Ryan, qui est un homme pour lequel j'avais beaucoup de respect. Et il a amendé la Charte de la langue française en 1993, écoutez ça, c'est fascinant. Le règlement… L'article 93 dit ceci : «Le gouvernement peut, outre les pouvoirs de réglementation prévus à la présente loi, adopter des règlements pour en faciliter la mise en oeuvre, y compris pour définir les termes et expressions qui y sont utilisés ou en préciser la portée.» Ça, c'est la loi, puis il a fait adopter dans le prolongement de la loi un règlement précisant la portée de l'expression «de façon nettement prédominante» pour l'application de la Charte de la langue française. Et donc il précisait là-dedans, dans le règlement qu'il a fait adopter, l'amendement à la loi de la charte qu'il avait fait voter et… là-dedans, donc, dans ce règlement, il expliquait le concept de «nettement prédominant». Alors, moi, je me dis, si on a été capables de le faire et si le gouvernement libéral a été capable de définir dans la loi ce qui était nettement prédominant dans l'affichage, je pense qu'on devrait être capables de définir le concept de signe ostentatoire.

Et d'ailleurs on s'est inspirés, M. le Président, on s'est inspirés… Dans notre loi, c'est ça qui est formidable, c'est qu'on s'est inspirés de la loi de M. Ryan pour reprendre essentiellement le même libellé. Alors, je suis sûr que vous devez être absolument ravis qu'on se soit inspirés de vous. Et on a donc dit à l'article 36 : «Le gouvernement peut adopter des règlements pour faciliter la mise en oeuvre de la présente charte, y compris pour définir les termes et expressions qui y sont utilisés ou en préciser la portée, notamment en déterminant les cas… un objet marque ostensiblement…» Alors, on reprend l'exemple de M. Ryan.

Alors, maintenant, je vais poser une question à nos invités…

M. Lessard : Juste question de règlement, monsieur…

M. Drainville : Il pourra réagir tout à l'heure, M. le Président.

M. Lessard : Non, c'est rien qu'une question de règlement.

Le Président (M. Ferland) : Oui, question de règlement, je peux accepter, oui. Mais pas une réponse, une question de règlement. Allez-y.

M. Lessard : Non, c'est ça. C'est parce que le ministre vient de dire qu'il était d'accord à ce que c'est par règlement qu'il va avoir à les définir un par un. Donc, je fais rien que vous dire qu'on est sur la même longueur d'onde.

Le Président (M. Ferland) : Je vais prendre juste…

Une voix :

Le Président (M. Ferland) : M. le ministre, je vais prendre quelques secondes. Je vous permets de répondre à l'intervention de tout à l'heure, mais, pour éviter les échanges, parce qu'on n'est pas en analyse détaillée, le député de Lotbinière-Frontenac pourra lorsque le parti d'opposition aura la parole, tantôt, répondre au ministre. Alors, c'est juste parce que je veux éviter les échanges entre parlementaires, parce qu'il y a des gens qui sont ici qui veulent échanger avec vous certainement.

M. Drainville : …on veut juste s'assurer qu'il n'y ait pas de malentendu. Bon, voilà.

Par ailleurs, juste pour continuer, là, pour préciser sur l'autre point qu'il a soulevé, le projet de loi prévoit une phase de dialogue qui prend place avant même que des mesures disciplinaires puissent intervenir, et par la suite il y aura progression des sanctions comme c'est toujours le cas. O.K.? Ça, tout ça, c'est très clair.

Alors, j'en reviens donc au mémoire de la Ligue d'action nationale. D'abord, j'ai pris acte, bien entendu, du parallèle que vous avez fait entre la neutralité politique et la neutralité religieuse et le fait que la neutralité politique prévoit l'interdiction du port de signes politiques. Et donc vous dites : Bien, écoutez, si c'est bon pour la neutralité politique, pourquoi est-ce que ce ne serait pas bon pour la neutralité religieuse? Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui vont vous dire : Ce n'est pas du tout la même chose. La neutralité politique, ça, c'est correct d'interdire le port des signes politiques par les fonctionnaires, mais on ne peut absolument pas aller dans cette direction-là pour la neutralité religieuse. Réponse?

M. Monière (Denis) : Dans notre esprit, la religion est comme une idéologie politique. La religion implique des relations de pouvoir. La religion ne doit pas avoir de statut particulier ou privilégié dans une société. La religion appartient aux individus, mais elle ne doit pas être valorisée par les institutions publiques, parce que ces institutions publiques appartiennent à une multitude d'appartenances, de groupes, de visions du monde. Donc, cet État doit, autant que possible, être au-dessus des allégeances particulières. C'est pour ça que c'est accepté sur le plan politique, mais, à notre avis, ça doit aussi être accepté sur le plan des religions, parce que les religions, c'est une appartenance, c'est une forme de loyauté, c'est une vision du monde qui a des implications dans les prises de décision, hein, on le sait.

Et, si on était vraiment logique, hein, puis on voulait reconnaître les religions dans le cadre de l'État, hein, admettons… Allons dans la voie de ceux qui disent : Donnons aux religions leur pleine représentation. Bien, alors, je comprendrais mal pourquoi on se contenterait de les reconnaître par des symboles, le port de symboles ostentatoires, et qu'on ne voudrait pas les reconnaître dans leurs pratiques religieuses. Pourquoi alors ne pas changer le Code criminel pour reconnaître les pratiques des groupes religieux, hein? On pense par exemple aux tribunaux islamiques, on peut penser à l'excision. Pourquoi on se limite uniquement aux symboles religieux?

Donc, pour éviter ce genre de question un peu théorique, il faut, à mon avis, ne pas mettre de dimension religieuse dans la vie des institutions politiques, il faut exclure toute dimension religieuse de la vie des institutions politiques. Ceci dit, bon, on est en société. Nous sommes des modérés. Par exemple, nous ne préconisons pas que, dans l'espace public, on interdise le port des symboles religieux. Pour l'instant, on n'est pas encore rendus à dire qu'il faut supprimer toutes les subventions à toutes les écoles religieuses, non. On se limite à l'État. Pour nous, l'État est le représentant de la collectivité et à ce titre il ne peut pas s'afficher avec des connotations, qu'elles soient religieuses ou politiques, et quelles que soient ces connotations religieuses. Le principe de la loi n'est absolument pas discriminatoire puisqu'il établit l'égalité de tous les citoyens face à l'État. Il n'y a pas de discrimination quand tout le monde peut… est sur un pied d'égalité. La discrimination vient quand on adopte une logique à géométrie variable, par exemple le port du voile ou des symboles religieux pour certains et pas pour d'autres, hein, comme…

M. Drainville : …ça m'amène à ma deuxième question. D'autres disent : Ah! O.K., on va faire un petit bout. On va interdire mais seulement pour certaines catégories d'agents de l'État, puis, pour les autres, c'est la pleine expression de la croyance religieuse pendant les heures de travail. Réactions?

M. Laplante (Robert) : Bien, on peut répondre sur plusieurs plans. Commençons d'abord par établir que les religions, en tant que systèmes de croyances dictant des pratiques, sont intrinsèquement toujours sur le bord de déborder dans le champ politique. Toute l'histoire de l'Occident, c'est une bataille pour contenir ces débordements, et la laïcité s'est établie justement dans la définition de paramètres pour s'assurer que ces débordements qui peuvent varier selon les systèmes de croyances, donc selon les confessions, soient le plus possible neutralisés dans l'expression de la définition du bien commun, tel que les institutions communes peuvent le faire.

D'autre part, sur un autre plan, dès lors qu'on commence à conférer à l'État le rôle de soupeser ces degrés-là on est inévitablement entraîné sur le procès d'intention. Pourquoi une croyance, pourquoi une pratique serait-elle jugée plus inoffensive qu'une autre, plus subversive qu'une autre, plus confrontante ou dérangeante qu'une autre? Ça place le rôle de l'État dans celui de l'Inquisition, une inquisition laïque qui devient absurde parce qu'effectivement elle place les croyants militants, puisqu'ils s'affichent, elle place les croyants dans la posture où eux-mêmes se sont placés il y a quelques siècles en avant de ceux qui ne professaient aucune croyance.

Alors donc, il est infiniment plus juste et équitable, pour la définition de l'égalité de tous devant la loi, de soumettre ou d'astreindre tout le monde aux mêmes codes et aux mêmes pratiques, et il est également plus réaliste de définir des principes qui permettent à l'État d'agir sur des paramètres formels plutôt que sur des débats de subjectivité concernant le caractère plus ou moins heurtant, plus ou moins subversif d'une pratique ou d'un symbole.

• (17 h 20) •

M. Drainville : Sur la question du port des signes religieux, maintenant, par les élus, vous avez un amendement que vous souhaiteriez apporter à cette loi-là, enfin, vous nous faites une suggestion d'amendement au projet de loi n° 60. Est-ce que vous pouvez nous le présenter un peu plus dans le détail? Parce que, bien, moi, je trouve ça intéressant, ce que vous proposez. Maintenant, comme vous le savez, ultimement, pour pouvoir appliquer, mettre en oeuvre l'interdiction de porter un signe religieux au sein de l'Assemblée nationale, là, dans le salon bleu, il va falloir amender le règlement de l'Assemblée nationale, et on ne peut l'amender que par l'unanimité des députés. Et donc j'essaie de voir comment on pourrait concilier cette nécessaire unanimité qu'il faut avoir, qu'il faut pouvoir obtenir avant d'amender le règlement avec la proposition d'amendement que vous faites.

M. Monière (Denis) : Là, je pense que, telle qu'elle est formulée actuellement, vous ne mettez pas à l'épreuve le processus. Autrement dit, vous retardez l'application de la loi n° 60 à l'Assemblée nationale tant et aussi longtemps qu'il n'y a pas eu une délibération entre les députés sur ce sujet. Et donc là vous dites : Bien, on a besoin de l'unanimité, et ce sera impossible, évidemment, à obtenir. Donc, nous, ce qu'on dit, c'est : Pourquoi reculer tout de suite? Pourquoi ne pas intégrer l'Assemblée nationale dans le cadre de la loi, après vous appliquez la loi et vous essayez d'établir l'application de cette loi à l'Assemblée nationale? Et là vous allez avoir évidemment des députés qui vont voter contre, mais au moins le gouvernement n'aura pas été incohérent dans sa démarche.

Donc, nous, c'est un souci essentiellement de cohérence qui nous amenait à proposer de soumettre l'Assemblée nationale à l'application de la loi. Mais on est conscients qu'il y a des blocages de type juridique qui vont empêcher que ça se réalise, mais au moins le gouvernement n'aura pas pris l'odieux sur son dos, l'odieux de mettre un principe illogique dans sa propre loi.

Évidemment, ça s'applique aussi, j'imagine, à la question du crucifix à l'Assemblée nationale. Bon. Donc, la même logique prévaut, c'est…

M. Drainville : Dans l'amendement que vous proposez là, vous dites… enfin, ce que vous souhaiteriez rajouter, c'est la phrase suivante, là, vous amenderiez l'article 9 de la Loi sur l'Assemblée nationale pour y ajouter : «Elle — l'Assemblée nationale — doit prendre les mesures qui s'imposent pour que la laïcité de l'État québécois soit effective et manifeste dans les locaux de cette Assemblée nationale.» Donc, dans votre esprit, cet amendement-là régirait à la fois la présence de signes religieux et la présence ou le port de signes religieux par les élus? Ça couvrirait les deux aspects dans votre esprit, hein? Oui?

M. Laplante (Robert) : M. le Président. C'est une question de cohérence et c'est une question d'exigence civique. Nul n'est au-dessus des lois, y compris les représentants du peuple.

Il y a quelque chose, d'ailleurs, d'un peu ironique à discuter de ça ici. Nous avons en face de nous Dieu et mon Droit, la couronne britannique, des lions impériaux puis le drapeau du Canada. On comprend que ça dresse toute une série de paramètres qui peuvent singulièrement réduire la marge de manoeuvre pour ce qui est de l'adoption d'une loi dont la logique intrinsèque est républicaine. Mais ça, c'est le lot de notre situation historique.

Le Président (M. Ferland) : …huit minutes à peu près.

M. Drainville : Là, on va s'éloigner un peu du texte de loi puis on va parler un peu du contexte, si vous me permettez. Vous êtes deux fins observateurs de l'actualité politique depuis très longtemps. Vous avez été également des participants, évidemment, vous avez joué des rôles divers. Comment vous… Qu'est-ce que vous pensez du débat à l'heure actuelle, là, des arguments, des principaux arguments en présence? Par exemple, tout à l'heure, on a M. Seymour qui est venu nous dire que le projet de loi, c'était un projet de loi qui portait un nationalisme de ressentiment. Il a utilisé également l'appellation «nationalisme conservateur». Moi, je ne me considère pas trop, trop conservateur, ça fait que ça me surprend toujours un peu de me faire qualifier de conservateur. Et il a parlé aussi, si je ne m'abuse, de repli. Moi, je ne me trouve pas trop trop replié, là, mais, je ne sais pas, comment vous réagissez quand vous entendez ça? Est-ce que vous vous considérez porteurs d'un nationalisme conservateur, vous? Est-ce que vous incarnez un repli identitaire, à votre avis, ou…

M. Monière (Denis) : Non, je pense que, là, il faut mettre les choses dans leur contexte. Ce que propose actuellement le projet de loi n° 60, c'est d'offrir la possibilité aux citoyens et aux élus de participer à une grande délibération sur la définition des valeurs communes qui animent notre société. Qu'est-ce que ça veut dire, faire société? Ça veut dire qu'on cherche des points de rencontre, de convergence, des idées qu'on puisse partager. Et donc, dans ce processus de discussion, effectivement, on est en train non pas de se replier sur le plan identitaire, on est en train de construire notre identité, on est en train de définir les balises de notre vivre-ensemble. C'est ça, une identité, un lieu où on se sent appartenir collectivement. Et donc il n'y a pas du tout de nationalisme de conservation là-dedans, c'est simplement qu'une société comme la nôtre doit... Et justement, comme on est dans une situation de paix sociale, c'est très intéressant d'avoir la liberté de débattre de valeurs fondamentales ou d'enjeux fondamentaux. Ce n'est pas quand il y a une crise qu'il faut aborder ces questions, ces vastes questions, c'est quand justement il y a une certaine sérénité et on peut en débattre librement, on n'est pas pressé par des problèmes concrets, pratiques à résoudre.

Donc, de notre point de vue, le Québec vit une situation de conflit identitaire, et, dans cette relation de conflit, ce que le Québec est en train de faire, c'est d'essayer de se définir, comme Robert Bourassa le voulait, comme société distincte. Qu'est-ce que ça veut dire, une société distincte, si c'est pour ressembler à toute l'Amérique du Nord? Donc, voilà. Ce n'est pas du tout une question de repli identitaire, ce n'est pas une question de nationalisme de conservation. C'est, l'enjeu fondamental, définir des balises, des valeurs communes qui permettent le vivre-ensemble.

M. Drainville : Alors, je dois vous dire que j'ai lu... Quand j'ai fait mon bac, j'utilisais beaucoup votre livre, M. Monière, sur les idéologies, alors je retrouve dans vos propos l'esprit de ce qui m'a alimenté intellectuellement lors de mes jeunes années.

Alors, si ça vous semble d'une telle évidence, si c'est progressiste, si c'est moderne, si c'est une avancée, comment on se retrouve, à ce moment-là, avec des qualificatifs comme ceux-là qui n'y voient absolument pas une avancée mais un repli, une régression, un recul, l'expression, dans certains cas, d'une xénophobie? C'est des termes extrêmement durs. Comment on arrive à ça, alors, si, pour vous, c'est tellement évident qu'on avance, qu'on va de l'avant, alors que, pour d'autres, qui sont des personnes, je le redis, là, que je respecte, c'est des gens qui réfléchissent, qui sont de beaux esprits, qui disent des choses tout à fait... mais, sur ce projet-là, c'est noir, c'est obscurantiste, diront-ils?

• (17 h 30) •

M. Laplante (Robert) : Bien, il faut sortir un peu des cadres de la province de Québec, là. Partout en Occident, le débat se pose dans ces termes-là, ce n'est pas propre au Québec. Pourquoi? Parce qu'essentiellement ce qui est en jeu derrière ces discussions, c'est : Quels sont les processus auxquels les citoyens adhèrent pour construire la nation? Construire la nation, ça fait trois siècles et demi qu'en Occident ça occupe la quête démocratique. Alors, ce qui est en cause, derrière la profusion des particularismes, ce qui est en cause derrière les revendications de segmentation et de différenciation de la communauté nationale, c'est précisément la remise en question de la nation comme cadre commun. Alors, bien entendu, les idéologies qui prônent la dissolution de la nation, des idéologies très fortement marquées par les adhésions à la globalisation, à la mondialisation, qui prônent le nivellement de tous les obstacles qui peuvent se dresser devant le commerce et qui, pour le reste, laissent aux citoyens le soin de se dépatouiller, bien évidemment ces idéologies-là qui s'expriment derrière un paradigme fondamental, diraient les intellectuels de la sociologie, c'est-à-dire le multiculturalisme, pour l'essentiel, regroupent une série de doctrines qui tentent de justifier le démantèlement des codes communs et leur relative inefficacité, on cherche à les rendre le moins contraignants possible. Or, il s'avère que, dans notre cas particulier, le multiculturalisme n'est pas seulement une idéologie parmi d'autres qui traversent les partis politiques, c'est un élément constitutif du régime «canadian». Le Canada non seulement adhère au multiculturalisme, mais il se gausse d'en être l'incarnation de la perfection. Bon, alors, évidemment, ça crée un contexte encore plus favorable pour des arguments antinationaux, parce que le Canada s'imagine porter le modèle du XXIe siècle, un modèle qui partout ailleurs craque et qui au Canada lui-même craque, mais qui a charrié avec lui son vocabulaire, ses catégories conceptuelles. Et, dans ce cadre-là, au Québec comme ailleurs, toute remise en cause du multiculturalisme est spontanément reportée derrière des procès de nationalisme.

Or, le débat prend une tournure tout à fait particulière en Angleterre, il a peu de choses en commun avec la manière dont il se présente en France, en Italie, au Danemark, en Suède, et à chaque fois on observe exactement le même type de corpus d'argument. Alors, il faut aller au-delà des effets de toge qu'il y a à brandir des épithètes comme ceux-là et bien comprendre que ce qui est en jeu, c'est la façon dont la démocratie s'exerce dans un régime qui reconnaît son fondement dans la nation. C'est compliqué pour nous parce que nous sommes dans un régime qui proclame la suprématie de Dieu et qui opère sur une constitution que nous n'avons pas signée et qui nous inflige une charte qui a été frauduleusement imposée pour limiter les pouvoirs de l'Assemblée nationale. Alors, évidemment, ça permet là le déploiement d'un registre d'injures, d'insultes et de procès d'intention extraordinaire, mais il faut, là-dessus, savoir garder son sang-froid et aller au-delà des épithètes pour voir qu'au fond nous n'avons aucune raison d'être défensifs sur ces sujets-là…

Le Président (M. Ferland) : Alors, sur ce, M. Laplante, je dois… le temps est épuisé.

M. Laplante (Robert) : Pour conclure, dire au ministre…

Le Président (M. Ferland) : Mais non, bien c'est parce qu'on a une période… je dois laisser la possibilité à tous les groupes parlementaires de vous questionner. Et peut-être qu'ils vous reposeront des questions qui vont vous permettre de faire un petit détour et… Alors, je reconnais la députée de Notre-Dame-de-Grâce.

Mme Weil : Merci, M. le Président. Merci, M. Plante, M. Monière. Je vais vous poser quelques questions plus techniques, juridiques, parce qu'en bout de ligne c'est ça, hein, il y aura des tests juridiques. Et donc le projet de loi n° 60 vient apporter un nouveau régime, un nouveau régime et donc qui touche directement des droits et libertés fondamentaux en vertu des chartes de droits et libertés. On a entendu la Commission des droits de la personne, on va entendre le Barreau, on va entendre toutes sortes de juristes qui vont venir dire pourquoi il y a un problème. On va entendre un ex-ministre de la Justice dire que ça prendrait une clause dérogatoire en prévention.

Un des tests importants qu'il faut passer, dans un premier temps, c'est l'objectif urgent et réel, réel qu'il faut régler. Donc, ça, c'est en quoi votre proposition ou cette proposition de laïcité… Et on va aller carrément sur l'interdiction, parce qu'il y a beaucoup de consensus sur la déclaration de neutralité religieuse de l'État, des accommodements, il y a vraiment deux tiers, sinon plus de ce projet de loi où on pourrait avoir un consensus, mais il y a cette interdiction qui cause des frictions et deux points de vue, deux points de vue qui se confrontent. Donc, dans un premier temps, quel est l'objectif urgent et réel? Mais c'est une question très pragmatique qui est posée, qu'on vise à régler en interdisant des signes religieux.

Et ensuite il y a le test de la proportionnalité, et, le test de la proportionnalité, je vous dirais que le troisième aspect de ce test, c'est que les effets préjudiciables de la mesure soient bien, comment dire… ne soient pas excessifs. Et c'est là que vraiment souvent, le test, les gouvernements peuvent avoir de la difficulté à passer cet élément du test. Je vous dis ça parce que… Et on pourra ensuite parler de : Est-ce que ça prend une clause dérogatoire en prévention?

M. Monière (Denis) : Là, vous parlez, j'imagine, là, du test vis-à-vis la Cour suprême. C'est bien ça que vous avez en tête?

Mme Weil : Qui est appliqué, oui, par les tribunaux.

M. Monière (Denis) : Oui, oui, d'accord. Bien, écoutez, il y a deux réponses à cela. Il y a celle de M. Tassé qui dit qu'il n'y a pas de problème, il y a le fait qu'il y a des juges de la Cour suprême qui ont dit que le projet de loi était parfait, et l'autre question, c'est que, pour nous, la Cour suprême n'a aucune légitimité pour définir le projet de société au Québec. C'est aux Québécois de décider de leur avenir, c'est aux Québécois de faire leurs choix de société. Je me rappelle encore Robert Bourassa, en 1991, qui nous a fait cette magnifique phrase, hein? Donc, la Cour suprême, elle fera bien ce qu'elle voudra, mais l'Assemblée nationale et le peuple québécois n'ont pas à se soumettre à un tribunal étranger qui a été adopté sans notre consentement. Alors, la question de l'urgence, c'est assez urgent dans la mesure où ça fait un siècle et demi qu'on attend, depuis 1838.

Mme Weil : Deuxième question. Il y a beaucoup d'intervenants qui sont venus qui sont d'accord avec votre point de vue, hein, on a vraiment les deux points de vue, mais ils sont très réfractaires à aller de l'avant s'il n'y a pas soit l'unanimité ou un consensus fort, parce que vous voyez la réaction. Je pense que vous ne pouvez pas être insensibles à la réaction de ceux qui sont contre, on le voit. Il y a beaucoup de groupes qui vont venir, Michel Seymour est venu nous dire… et ce point de vue est très fort, surtout les institutions, le domaine de la santé, les institutions universitaires, bon, etc. Donc, ce qu'eux, ils disent, il y a certains qui disent : Allez avec ce qui fait consensus, pour le reste ça prend des débats, il ne faudrait pas y aller aussi rapidement, il faudrait donner le temps de vraiment bien débattre ces questions pour que les gens puissent bien saisir, mais que c'est brutal — c'est le mot qui a été utilisé, je pense, ce matin — que c'est rapide, que c'est inattendu. On change les façons de faire parce que depuis toujours la diversité s'est exprimée par le port de signes religieux, mais tout le monde a compris que ce n'était pas du prosélytisme, que l'État et les religions sont bien séparés. D'ailleurs, c'est toujours ce que j'ai appris, même en tant que ministre de la Justice ici, au gouvernement du Québec, qu'on pouvait bien dire que de facto la neutralité existe, et jamais le port de signes religieux n'a été perçu comme du prosélytisme ou mettant en péril le caractère neutre de l'État québécois. Donc, c'est nouveau, cette idée que…

Qu'est-ce que vous dites sur cette question d'avoir plus de consensus pour éviter une fracture, pour éviter ce qu'on voit actuellement se manifester?

M. Laplante (Robert) : Deux éléments. D'abord, vivre, c'est choisir, premièrement. Alors, qui choisit exclut, qui exclut choisit nécessairement.

Deuxièmement, le débat démocratique, par définition, repose sur la division des opinions, alors il n'y a rien d'étonnant à constater que les gens ne soient pas d'accord, mais la règle n° 2, c'est qu'une fois qu'une loi est adoptée on s'y rallie, parce que nous sommes dans un État de droit et nous fonctionnons en respectant la loi. Donc, c'est, il me semble, essentiel de rappeler cet élément. On a entendu, ces derniers jours, des déclarations particulièrement inquiétantes de la part de personnes qui prétendent qu'elles peuvent, elles, décider qu'on ne va pas respecter la loi. Ce n'est pas comme ça qu'une société démocratique fonctionne et c'est inacceptable. Et ces propos-là sont pas mal plus dérangeants pour l'ordre public que les excès de langage des impolis et des grossiers.

D'autre part, il faut justement bien prendre note que, puisqu'il n'y a pas de crise imminente — là-dessus tout le monde s'entend — c'est l'occasion de faire une discussion de fond sur les principes, parce que c'est fondamentalement cette approche qui va nous permettre d'établir les règles que tout le monde pourra comprendre. Et là il y a là-dedans, et il faut le reconnaître, une différence de philosophies juridiques, c'est l'esprit cartésien du Code civil qui prévaut sur l'approche pragmatique et empiriste de la common law. Et là nous voulons des principes clairs, nous n'attendrons pas au cas par cas que les tribunaux nous orientent. D'autant plus que nous sommes dans un régime à double légitimité, on va arriver dans quelque chose qui sera véritablement le capharnaüm.

Donc, c'est sûr que l'adoption d'une loi change des choses, c'est pour ça que nous avons une Assemblée. C'est sûr également que, l'adoption d'une loi, c'est extrêmement rare qu'elle fasse l'unanimité, mais notre règle démocratique, c'est qu'une loi adoptée dûment par l'Assemblée nationale mérite le respect et doit être respectée par tout le monde, y compris par ceux qui l'ont combattue.

• (17 h 40) •

Le Président (M. Ferland) : Alors, la députée de Bourassa-Sauvé.

Mme de Santis : Merci, M. le Président. Merci, M. Monière et M. Laplante. J'aimerais revenir aux signes religieux à l'Assemblée nationale. Est-ce que vous considérez ce salon rouge partie de l'Assemblée nationale? Je vous pose la question. Oui?

Une voix : Bien sûr.

Mme de Santis : Il y a un médaillon là-haut qui dit Dieu et mon Droit. Est-ce que, d'après vous, cela ne devrait pas être là?

M. Monière (Denis) : …ça ne devrait pas être là, mais c'est inscrit dans le patrimoine culturel, c'est là, et donc on n'est pas pour renier l'histoire parce qu'on évolue, parce qu'on progresse et parce qu'on se modernise. Alors, c'est là et ça va rester là, j'imagine. Ce n'est pas un mobilier qu'on peut déplacer, donc… Le crucifix, ça, ça peut être déplacé facilement. Vous pourriez étendre votre question. Pourquoi il y a des croix sur la devanture du parlement, par exemple? Il y a plein de symboles religieux, effectivement, qui sont dans notre paysage, mais c'est un produit de l'histoire, et ce n'est pas nous, de la Ligue d'action nationale, qui allons dire qu'il faut éliminer le passé. Au contraire, le passé doit nous guider vers l'avenir, que voulez-vous, c'est notre héritage commun à nous.

Mme de Santis : O.K. Alors, vous avez répondu à ma question.

M. Monière (Denis) : Donc, on ne peut pas abolir ce qu'on a vécu pendant des siècles.

Mme de Santis : Vous avez dans votre mémoire… Je cite, vous écrivez : «En conséquence, nous approuvons l'interdiction du port des signes religieux dans la fonction publique parce que les symboles religieux divisent, font étalage de la différence, du fossé qui sépare des autres», etc. Quand vous faites cette déclaration, est-ce que vous parlez de tout signe religieux ou, comme fait le ministre, lui, il parle de signes religieux ostentatoires?

M. Monière (Denis) : Donc, bien sûr, c'est les signes religieux ostentatoires, bien sûr. C'est...

Mme de Santis : O.K. Alors, je veux revenir à une question qu'on pose à plusieurs groupes, on parle de l'égalité femmes-hommes : Qu'est-ce qu'on fait avec les barbes? Qu'est-ce qu'on fait...

M. Monière (Denis) : Les quoi? Les barbes?

Mme de Santis : Les barbes, oui, parce que, pour certaines personnes, la barbe, la façon que c'est... ce n'est pas une barbe comme la vôtre, mais c'est une barbe qui est constatée comme étant un signe religieux et c'est très ostentatoire. Qu'est-ce qu'on va faire avec les cheveux d'un sikh qui sont cachés dans son turban? Si on lui demande d'enlever son turban, qu'est-ce qu'on fait avec ses cheveux? Est-ce qu'on va lui demander de se mettre comme M. Duceppe… Parce que, s'il travaille à l'hôpital, il faut que... O.K., ça n'a aucun bon sens.

Une voix : Il mettra un bonnet.

Des voix : Ha, ha, ha!

Mme de Santis : Je m'excuse, M. Duceppe, vous êtes très bien. Je n'ai pas dit ça pour l'offenser du tout, sauf que c'est une image que nous avons.

Alors, qu'est-ce qu'on fait avec l'égalité hommes-femmes? Et on me dit ça, et ça, ça va.

M. Monière (Denis) : Bien, à mon avis, écoutez, on ne fait rien, on ne fait rien, parce qu'on a déjà eu l'expérience dans le passé, vous avez peut-être vécu la contre-culture des années 70, 80 où les gens portaient des barbes et des cheveux longs, et puis je pense que j'en ai vu dans la fonction publique, j'en ai vu en représentation diplomatique à Paris, des gens avec des cheveux très, très longs sur les épaules. Donc, la pilosité n'est pas un critère qui devrait automatiquement être conçu comme représentation religieuse.

Mme de Santis : Mais, quand ce l'est... Un foulard, moi, je peux venir ici porter un foulard parce que je suis à la mode, je me rappelle quand la femme d'un premier ministre de la Colombie-Britannique portait un «band» autour de sa tête, mais, pour d'autres personnes, si j'étais musulmane, ce foulard ne représente pas la même chose. Donc, votre barbe ne représente pas la même chose que pour une autre personne où ça représente quelque chose de religieux et c'est très ostentatoire.

M. Laplante (Robert) : Vous avez dans cette série d'anecdotes là une très, très belle illustration de la manière dont on peut noyer un débat de principe. Le mieux est l'ennemi du bien. On peut toujours trouver des exemples de ce type-là pour montrer que le système n'est pas parfait, que les règles peuvent toujours connaître des exceptions.

Mais imaginez le contraire. Imaginez que, comme le soutiennent beaucoup d'adversaires de cette proposition, l'État commence à accepter un certain nombre de signes religieux puis pas d'autres et qu'il commence à les accepter à tel niveau dans l'organigramme mais pas dans l'autre. Ça pourrait très bien arriver, j'ai entendu des gens le proposer. Soyons pratiques. Cette même personne assujettie au droit du travail et aux règles de la convention collective, qui pourra postuler pour un autre emploi pour lequel cette fois-là le signe n'est pas autorisé, va se retrouver dans quel genre de situation? On va se retrouver avec quel type de grief? Vous voyez, ça devient le capharnaüm absolu. C'est la raison pour laquelle il vaut mieux avoir une règle simple et claire qui prévoit la très grande majorité des cas.

Mais je peux vous dire en toute certitude qu'il va toujours y avoir des exceptions, mais le fait de l'exception, justement, doit confirmer la règle. On apprenait ça en grammaire. Je ne sais pas s'ils l'enseignent encore dans les écoles, mais moi, j'ai appris ça : L'exception confirme la règle. Alors, il n'y aura pas de système parfait, c'est sûr, mais on pourra toujours trouver chez les rastafaris un autre exemple qui va donner une autre signification à la chevelure, on peut multiplier à l'infini ces anecdotes-là, mais ça ne doit pas servir à obscurcir la compréhension générale des principes.

Mme de Santis : J'aurais d'autres questions, mais on n'a pas assez de temps. Je vais laisser la parole à mon collègue.

Le Président (M. Ferland) : Alors, le député de Lotbinière-Frontenac. Il reste environ deux minutes, M. le député.

M. Lessard : Oui, O.K., donc de façon courte. Merci beaucoup de la présentation, vous avez l'air à bien connaître votre sujet.

Le ministre, tout à l'heure, a fait référence qu'il serait capable, comme Robert Bourassa, de faire par règlement la définition de ce que sont les signes ostentatoires. Il en a fait la démonstration, que c'est par règlement qu'il va le faire. Donc, il faisait suite qu'il devra le faire.

Lui, il dit : Je vais relever le défi. Vous, vous semblez dire : Casse-toi pas la tête avec ça, enlève tout ça, tu ne seras pas capable de définir le gros, le petit, qu'est-ce qui est l'adaptation d'un hidjab, d'un... etc. Est-ce que c'est bien ça, votre pensée?

M. Laplante (Robert) : Non. Ce que je dis, c'est qu'il faut avoir la formulation la plus générale possible, celle qui couvre le plus grand nombre de cas, étant entendu qu'il y aura toujours quelqu'un pour soulever des exceptions, et c'est pour ça qu'on a un règlement, à ce moment-là.

M. Lessard : O.K. Deuxièmement, vous ne trouvez pas qu'il va trop loin quand il l'étend à tout le monde, incluant ceux qui font affaire avec l'État? Exemple, je vous donne un exemple : un office municipal d'habitation qui est subventionné par l'État, donc, à Montréal, devra se soumettre à ça. Le groupe des ressources techniques qui monte des plans et devis pour monter des programmes de logement communautaire, parce qu'il est subventionné par l'État, devra se soumettre à ça. Donc, vous ne trouvez pas que le ministre en peinture très, très, très large dans sa définition de rendre un État neutre selon sa définition de la neutralité?

M. Monière (Denis) : C'est parce que cette logique-là empêche toute discrimination puisqu'elle établit un principe d'égalité absolue entre tous les employés de la fonction publique. Autrement, si je suis votre raisonnement, il y en a qui auront le droit de porter des signes ostentatoires puis d'autres qui n'auront pas le droit. On aurait donc un mécanisme à géométrie variable. Ça veut donc dire que tous les individus ne seront pas soumis aux mêmes règles.

Écoutez, moi, je... Écoutez, il y a une autre solution au problème : on autorise tous les signes, religieux, politiques, etc...

Le Président (M. Ferland) : Merci, M. Monière. Je dois maintenant passer la parole à un autre parti qui a des questions à vous poser également. Alors, je cède la parole à la députée de Montarville.

Mme Roy (Montarville) : Merci, M. le Président. Vous piquez ma curiosité. Bonjour, messieurs. Merci pour votre mémoire. Vous dites qu'il y a une autre solution, j'aimerais entendre la suite de ce que vous disiez. Il y a une autre solution : accepter tous les signes religieux et...

M. Monière (Denis) : C'est une réflexion par l'absurde. C'est que, si on se met à faire de la géométrie variable, pourquoi… Nous, on cherche la simplicité des choses. Pourquoi, à ce moment-là, ne pas autoriser tous les signes ostentatoires, politiques, le niqab, la croix gammée, et l'État ne règle rien, hein? D'accord?

Mme Roy (Montarville) : O.K., c'est... Ah! Parfait. Je m'attendais à une solution, accommodements ou autres.

M. Monière (Denis) : Je ne préconise pas ça, mais je dis qu'en toute logique on pourrait envisager ce scénario.

• (17 h 50) •

Mme Roy (Montarville) : D'accord. C'était une logique par l'absurde, c'est beau. Excusez-moi, j'ai un temps tellement court.

Vous dites dans votre mémoire : «Le titre du projet de loi n° 60 est mauvais parce qu'il est trop long et inapproprié. Il se veut descriptif du contenu essentiel. Or, [ce n'est pas le cas]. [...]Nous proposons donc de remplacer le titre long et non pertinent par celui-ci : Charte de la laïcité québécoise.» Je suis tout à fait d'accord avec vous. D'ailleurs, nous avons déposé un projet de loi qui s'appelait simplement charte de la laïcité. C'est ce qu'on dit, c'est l'esprit de la loi.

Vous nous expliquez dans votre mémoire que l'esprit de la loi, c'est effectivement la laïcité de l'État, des employés de l'État. Alors, j'aimerais que vous me disiez ce que vous pensez de l'article 10 qui, lui, étend à laïcité aux entreprises privées qui feront affaire avec l'État, si vous vous êtes posé cette question-là, parce qu'on extensionne lorsqu'il y aura des contrats de services entre l'État et une société ou un particulier. Donc, on parle ici du service… du domaine privé, pardon, on extensionne l'application de la charte et des restrictions de port de signe religieux avec ces sous-contractants. Donc là, on est rendu dans le secteur privé. Alors, trouvez-vous qu'on s'éloigne de l'objet et de l'esprit de la loi?

M. Laplante (Robert) : Non, on ne s'éloigne pas dans la mesure où précisément on parle des relations de l'État avec ses fournisseurs, ses partenaires, ses sous-traitants. C'est une règle importante. Le cas des garderies, là, est assez patent. On ne peut pas tolérer que des CPE, que des gardes en milieu familial puissent se mettre à multiplier les critères de prestation de services en fonction des croyances religieuses ou en fonction, on pourrait même dire, des croyances politiques. Mais c'est important, là où les fonds publics sont au service de l'intérêt public, que les règles… qu'il y ait une continuité dans l'application des règles.

Mme Roy (Montarville) : Mais vous êtes d'accord avec moi que ces gens-là qui sont dans ces entreprises privées là ne sont pas des employés de l'État?

M. Laplante (Robert) : Ils ne sont pas des employés de l'État, mais ils sont payés par des fonds publics en partie. Alors, quand l'État consacre l'argent des contribuables à une entente de prestation de services, et que cette portion-là du financement de l'État soit variable ou pas, ça ne change rien, les fonds publics doivent servir les objectifs de l'intérêt public, et il n'y a pas de zone, il n'y a pas de latitude et d'arbitrage possible du privé sur le fonctionnement, et ça, c'est très important. Ça vaut dans l'application des critères de fonctionnement comme ça vaut dans la définition des autres types de relation de l'État avec ses partenaires. Quand l'État subventionne une entreprise, il pose ses conditions, il y a des exigences. L'entreprise ne peut pas dire, une fois que la subvention est encaissée : Je fais ce que je veux avec, ça ne marche pas comme ça. C'est la même chose dans ce cas-ci, le corpus de règles doit…

Le Président (M. Ferland) : Alors, sur ce, M. Laplante, je dois aller du côté du député de Blainville.

M. Ratthé : Bonjour, messieurs, M. Laberge et M. Monière. Vous nous proposez huit amendements. Moi, je me suis attardé un peu au huitième, que vous avez nommé plutôt H parce qu'ils sont en lettres, et je suis quand même étonné de voir ce que vous nous proposez, parce que déjà il y a des municipalités qui nous ont dit qu'elles n'allaient pas se conformer, hein, à la loi. Il y a des maires… Le maire de Montréal, entre autres, a dit qu'on n'avait pas à lui imposer des choix que l'on devait faire pour la ville de Montréal. Et vous nous proposez d'ajouter, en plus de tout le personnel de l'Assemblée nationale, là, qu'ils soient ministres… d'ajouter les maires et les présidents de commission scolaire.

Alors, je voudrais vous entendre là-dessus. Est-ce qu'il y a seulement les maires? Est-ce qu'après ça on étend ça aux conseils municipaux? Alors, est-ce que le maire, lui, ne porte pas de signe ostentatoire puis les conseillers municipaux en portent comme ils veulent? Si déjà les maires nous disent : Non, non, non, il n'en est pas question… Il y avait un groupe hier qui nous disait : Écoutez, vous devriez laisser aux municipalités le choix d'appliquer cette charte-là ou pas. Sous le principe que c'est un autre palier de gouvernement, il faudrait leur laisser un petit peu de latitude, ils connaissent mieux leur environnement. On ne peut pas faire du mur-à-mur entre Saguenay, je ne sais pas, moi, Percé et Montréal. Alors là, vous nous dites : On y va avec les maires puis les présidents de commission scolaire, alors je voulais avoir un peu votre pensée là-dessus, votre…

M. Monière (Denis) : Bien, la pensée est toujours la même : la cohérence. Les municipalités sont des créations de l'État et donc elles doivent suivre les mêmes règles que l'État, ce n'est pas plus compliqué de ça. La continuité de l'application des règles, c'est ça qui fait la cohérence d'une société. C'est notre objectif, la cohérence de notre société.

M. Laplante (Robert) : Le respect des lois ne peut pas être discrétionnaire. Qu'il s'agisse d'une commission scolaire, d'une université, d'un hôpital ou d'une municipalité, ce n'est pas vrai qu'on va suivre à la carte les lois, il n'y a pas de société qui puisse fonctionner comme ça. Et, quand une société fonctionne comme ça, ce n'est plus un État de droit.

M. Ratthé : Je vous suis dans votre raisonnement. Alors, pourquoi ne l'appliquer qu'aux maires et non pas aux conseillers municipaux? Ici, on pourrait dire : Bien, écoutez, on va l'appliquer au premier ministre et aux ministres, puis les autres députés ne le feront pas. J'essaie de comprendre pourquoi vous n'avez pas inclus, entre autres, les conseillers municipaux.

M. Monière (Denis) : Peut-être qu'on n'a pas été trop attentifs puis on a oublié.

M. Ratthé : Mais, dans votre esprit, je pense que ça…

M. Monière (Denis) : Bien, dans notre esprit, c'est les villes, c'est les villes.

M. Ratthé : C'est tout le monde?

M. Monière (Denis) : Ça s'applique à tout le monde, oui.

M. Ratthé : Donc, le personnel et autant les dirigeants, avec la même logique que vous nous avez démontrée pour ce qui est de l'Assemblée nationale.

M. Monière (Denis) : Tout à fait ça.

M. Ratthé : J'ai encore un peu de temps, M. le Président, ou…

Le Président (M. Ferland) : Il reste 1 min 20 s, là. Disons une minute, tiens, parce que le temps de vous interpeller, ça va prendre 20 secondes.

M. Ratthé : Oui. À un endroit dans votre mémoire, vous nous dites… en fait vous faites le lien entre l'intégration de l'immigration et cette loi sur la laïcité, alors que d'autres personnes sont venues nous dire : Au contraire… J'avais deux personnes hier, une personne qui disait : Moi, j'enseigne le français aux immigrants et je peux déjà vous dire que je donne beaucoup moins de cours, il y a moins de monde qui s'en viennent, puis, si vous adoptez cette loi-là, ils ne viendront plus. Et vous, vous nous dites l'inverse, vous dites : Non, non, écoutez, ça va venir faciliter l'immigration.

M. Monière (Denis) : On est toujours dans l'anecdotique. Moi aussi, je peux en ajouter. Moi, ma femme est immigrante, je vis plus avec les immigrants qu'avec les Québécois, et je peux vous dire que cette loi-là les réjouit, ceux qui fréquentent ma famille, parce qu'ils disent : Enfin, on sait où le Québec loge.

M. Ratthé : C'est clair. C'est net, précis.

M. Laplante (Robert) : Mais il faut ajouter que ce n'est pas qu'une affaire d'immigration, là. La laïcité concerne l'ensemble des citoyens, qu'ils soient nés sur le territoire hier ou qu'ils arrivent sur le prochain vol. Ça, c'est extrêmement important. Alors, c'est sûr que c'est plus sensible dans la question de l'intégration des immigrants parce que le processus est plus explicite, O.K., il est plus évident, mais tous les enfants qui naissent dans une société sont pris en charge par les institutions, et le modèle d'intégration doit être le même pour tout le monde. Ce n'est pas une affaire d'immigration. Mais historiquement et sociologiquement, on le sait par ailleurs, la diversité…

Le Président (M. Ferland) : Alors, sur ce, nous allons émigrer vers la députée de Gouin. Allez. Le dernier bloc, s'il vous plaît, Mme la députée.

Mme David : Oui, merci, M. le Président. Bonjour, messieurs. Écoutez, il me semble qu'il y a des dichotomies qu'on ne devrait pas faire. Le parti que je représente est, évidemment vous le savez, tout à fait pour la construction d'un État-nation et même d'un État national pour le Québec. Nous sommes tout à fait d'accord avec l'idée que cet État-nation doit se construire autour de valeurs communes, mais d'ailleurs je pense qu'il n'y a pas grand-monde ici, dans cette salle, qui n'est pas d'accord avec cette idée-là. Parmi les valeurs communes que nous partageons au Québec, il y en a un certain nombre, il y en a qui ne sont pas souvent mentionnées ici, mais la solidarité sociale en est une, le respect de l'environnement, l'égalité entre les hommes et les femmes et la laïcité de l'État et des institutions publiques. Pour moi, il ne fait aucun doute que ces principes sont largement partagés. Ce qui veut dire que ça n'explique pas tout, de dire : Il y en a peut-être qui croient à la construction de l'État-nation et d'autres qui n'y croient pas, pour expliquer le débat que nous avons. C'est peut-être que nous n'avons pas la même façon de percevoir qu'est-ce qui est structurant dans la construction de l'État-nation.

Et la question que je veux vous poser, c'est : Si on veut avancer dans la voie de la laïcité de l'État et de ses institutions, pourquoi est-ce qu'on met toutes nos énergies… Je sens qu'on va mettre énormément d'heures et d'énergies à discuter de port des signes religieux non seulement dans la fonction publique, mais dans l'ensemble des services publics et même de certaines entreprises privées, alors que nous pourrions tout à fait être en train de discuter de financement des écoles privées religieuses et des exemptions de taxes accordées par l'État. Pourquoi est-ce que cet objet, là, le port des signes religieux, à votre avis, est-il si central? Je me pose encore la question, sincèrement.

M. Monière (Denis) : Bien, il est central parce qu'on ne maîtrise pas le destin collectif, que c'est une cour étrangère qui gère nos valeurs et qu'il faut mettre les choses clairement au Québec, définir notre projet de société et les valeurs qui l'orientent, ce projet de société. Actuellement, notre projet de société est contrôlé par des acteurs externes, et je parle de la Cour suprême, je parle évidemment du Parlement fédéral et je parle aussi du système des médias. Je ne veux pas lancer le débat là-dessus, mais ça aussi, c'est un acteur important à la construction d'une identité nationale. Et donc il faut que le Québec se définisse par lui-même et non pas en fonction des attentes ou des préjugés des autres, et c'est pour ça que le débat est important.

• (18 heures) •

Mme David : On est d'accord là-dessus. Évidemment, on est d'accord là-dessus, il n'y a aucun problème, et il faut le faire, ce débat sur la laïcité. Mais je m'explique mal que, depuis six mois, en fait, ce débat sur la laïcité porte sur une question : le port ou le non-port de signes religieux. Et particulièrement le voile, il faut le nommer.

Le Président (M. Ferland) : Et, sur ce, Mme la députée de Gouin, malheureusement, je dois mettre fin à cette période, parce que l'heure étant… nous devons la respecter. Alors, je vous remercie, M. Monière et M. Laplante, pour votre présentation.

Et, sur ce, je lève maintenant la séance, et la commission ajourne ses travaux au jeudi 16 janvier, à 9 h 30. Alors, bonne fin de soirée.

(Fin de la séance à 18 h 1)

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