(Neuf heures quarante-cinq minutes)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre! À l'ordre,
s'il vous plaît! Ayant constaté le
quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la
salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones
cellulaires.
La commission est réunie afin de tenir des
auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 60, Charte
affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi
que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes
d'accommodement.
Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
La
Secrétaire : Oui, M. le Président. M. Ouimet (Fabre) est remplacé par Mme Weil (Notre-Dame-de-Grâce) et M. Duchesneau (Saint-Jérôme), par Mme Roy (Montarville).
Le
Président (M. Ferland) : Merci, Mme la secrétaire. Et, avant d'entendre notre premier témoin ce
matin, nous avons déjà un retard, alors ça me prend le consentement pour
dépasser l'heure prévue, c'est-à-dire 12 h 30.
M. Tanguay : …que l'on répartisse le temps pour terminer à
12 h 30, parce que tous, nous avons évidemment des horaires serrés. Puis on va essayer, ceci dit, moi
le premier, d'être plus disciplinés pour arriver à l'heure.
Le
Président (M. Ferland) : Bien, j'allais le mentionner. Moi, je n'ai aucun problème, je vais suivre les membres de
la commission, vous savez comment je préside. Alors donc, je
n'ai pas consentement. Mais vous faites bien — je
vais vous faire la remarque également — d'essayer
d'arriver à l'heure le plus possible parce
que, quand on… parce qu'il y a des gens qui se déplacent, on est en audition, hein, il y a
des gens qui se déplacent pour venir. À ce moment-là, on est obligés de couper
dans le temps.
Auditions (suite)
Alors, sur
ce, ce matin nous entendons notre premier témoin, M. Martin Laperrière, et
nous entendrons également, cet avant-midi, M. Fernand Morin et
Mme Michelle Blanc. Alors, M. Laperrière, la parole est à vous, en
vous mentionnant que vous avez un gros 10 minutes, et après il y
aura la période d'échange.
M. Martin Laperrière
M.
Laperrière (Martin) : Merci,
M. le Président. J'aimerais d'abord souhaiter une bonne année 2014 à tous les
élus de l'Assemblée nationale, de quelque
côté qu'ils soient, ainsi que les fonctionnaires qui les accompagnent de chaque
côté, qui font un travail remarquable aussi.
Même si certains ont peut-être des mots un petit peu durs des fois envers les
fonctionnaires, je crois que les
fonctionnaires de l'Assemblée nationale font un bon travail, puis ça méritait
d'être souligné.
M. le
Président, ça me fait… je voudrais remercier la commission de m'avoir accepté,
parce que certains ont envoyé des mémoires et n'ont pas été retenus par
les députés. Donc, je vous remercie beaucoup.
Dans un
premier temps, il me semble que le projet de loi ne respecte pas l'arrêt Oakes
de la Cour suprême du Canada portant
sur le droit à la religion ainsi que l'arrêt Amselem aussi et à peu près une
vingtaine aussi, là. Contrairement à ce
que certains prétendent, la liberté
de religion est un droit constitutionnel garanti par les deux chartes des
droits et libertés de la personne, la canadienne et la québécoise. De plus,
dans celle du Canada, le législateur a même prévu ceci : «Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui
reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit…» C'est fort.
Même le législateur reconnaît que le Canada et le Québec sont bâtis sur la
suprématie de Dieu.
Certains ou
plutôt certaines ont voulu opposer le principe politique d'égalité
hommes-femmes, principe qui n'est pas
un droit constitutionnel reconnu par les deux chartes, sauf peut-être dans le
préambule de la charte québécoise. C'est sous-entendu, mais ce n'est pas écrit clairement, noir sur blanc. À
celles-ci, je les invite à venir faire un débat avec moi n'importe quand. C'est facile un peu d'insulter les
autres et de dire n'importe quoi à la télévision lorsqu'on n'a pas d'opposition en face de soi. Je pense ici à
Mme Benhabib — là, je
veux bien prononcer son nom — qui avait, cet automne, quasiment un
temps d'antenne gratuit à RDI.
Autre point
que j'aimerais rajouter, M. le Président, à mon mémoire, c'est le
suivant : certains ont avancé que la
province est déjà laïque et areligieuse. Je suis d'accord avec ce point, mais
en contrepartie le gouvernement devrait laisser aux citoyens le droit de
pratiquer ou non leur religion comme ils l'entendent. C'est un peu la position
de la Commission des droits de la personne du Québec, de Me Frémont que
j'ai entendu cet automne.
Le
fait que mon boucher soit juif et porte sa calotte juive ne me porte à moi
aucun préjudice. Le fait qu'un policier de la SQ qui me donne une contravention
porte sa croix de Saint-Louis dans le cou ne m'enlève aucun droit
constitutionnel. En fait, je serais plutôt porté à contester devant les
tribunaux la contravention plutôt que le fait que mon sergent de police préféré porte sa croix de Saint-Louis dans le cou.
Je pense sincèrement que le gouvernement devrait agir avec sagesse et
prudence dans le dossier, ce qui n'est pas le cas jusqu'à maintenant.
Finalement,
quatre autres éléments ont retenu mon attention. Il fut mentionné par
certains — et ce
fut le cas de Mme Marois — que la France, une des rares démocraties sur
la planète, a éliminé sur son territoire le droit à la religion. Eux, ils ont fait une charte de la laïcité. Mais
la raison est fort simple pourquoi ça a réussi en France, c'est qu'eux, ils
n'ont pas de charte des droits et des libertés. C'est d'ailleurs une
aberration.
Mais
ce que ne dit pas le gouvernement et qui est en réalité le vrai débat, c'est
l'immigration. Certains qui appuient la charte sur la laïcité sont
contre l'immigration, et l'inverse est aussi vrai.
D'ailleurs,
le gouvernement, s'il serait réellement sérieux quant à son projet, il
arrêterait de subventionner via la fiscalité les différents organismes
religieux.
Aussi,
le gouvernement pourrait régler la question, le débat via la tenue d'un
référendum. C'est une des solutions qu'il
peut utiliser à sa guise. Il y a aussi le renvoi — hier, je
vous écoutais — il y a
aussi le renvoi constitutionnel à sa cour suprême à lui, c'est-à-dire la
Cour d'appel du Québec.
Merci
beaucoup aux élus d'avoir lu mon mémoire et d'avoir pris le temps de le lire.
Je vais être prêt à répondre aux questions, M. le Président.
• (9 h 50) •
Le
Président (M. Ferland) : Merci. Merci, M. Laperrière.
Maintenant, nous allons procéder aux échanges, alors je cède la parole à
M. le ministre. À vous la parole.
M. Drainville :
Oui. Merci, M. le Président. Bien, d'abord, merci pour votre présentation.
Peut-être juste quelques commentaires,
là. Notamment, dans votre mémoire, vous dites : «Ceux qui supportent le
projet de loi n° 60 sont contre l'immigration et ceux qui sont pour…» C'est-à-dire : «Ceux qui
supportent le projet de loi n° 60 sont contre l'immigration et ceux qui sont contre le projet [du]
gouvernement sont pour l'immigration.» Ce n'est pas vrai, là. Vous disiez qu'il
ne fallait pas laisser les personnes
dire n'importe quoi, alors, si vous me permettez, je vais vous réitérer qu'au
Parti québécois nous avons toujours
été en faveur, évidemment, de l'apport extrêmement positif des nouveaux
arrivants. On a toujours pensé que la diversité, c'était une valeur très
importante au Québec. Puis je vous rappelle que la société québécoise a accueilli pendant toute son histoire des vagues de
nouveaux Québécois, de nouveaux arrivants. Ça a commencé avec la
Conquête, quand nombre de personnes d'origine écossaise, anglaise se sont installées
sur notre territoire. Par la suite, il y a
eu, bien sûr, la Grande Famine irlandaise qui nous a amené beaucoup, beaucoup
de familles irlandaises, plusieurs d'entre
elles se sont installées sur le territoire québécois. Puis, il y a eu des… la
communauté juive s'est installée au Québec très, très, très rapidement.
Je vous rappelle que le premier Parlement de l'Empire britannique à reconnaître
les droits politiques de la communauté
juive, ça a été le Parlement du Bas-Canada, lorsqu'on a permis à M. Ezekiel
Hart de siéger au Parlement du
Bas-Canada, c'était une première dans les Parlements de l'Empire britannique.
Je vous rappelle également les vagues d'immigration qui ont eu lieu par
la suite, notamment dans l'après-Deuxième Guerre, avec nombre de nos compatriotes italophones qui se sont installés
chez nous, des Grecs. Lors de la chute de Saigon, beaucoup, beaucoup de Québécois d'origine vietnamienne se sont installés
chez nous… enfin, nombre de Vietnamiens sont devenus des Québécois d'origine vietnamienne en s'installant chez nous.
On peut parler des Haïtiens, on peut parler des Latinos. Plus récemment,
il y a eu beaucoup de nouveaux arrivants qui
sont venus de l'Afrique du Nord. Et la politique du gouvernement du Parti québécois, qui a d'ailleurs été réitérée
récemment par ma collègue Mme De Courcy, à titre de ministre de
l'Immigration, c'est de continuer à
encourager l'immigration au Québec. Donc, je me garderais, si vous me
permettez, de faire de tels raccourcis comme celui que vous avez fait
dans votre mémoire.
Par
ailleurs, je ne vais pas m'étendre sur vos affirmations, là, concernant la
France, là. Je vous rappelle que c'est la
France qui a adopté la Déclaration des droits de l'homme. Ça a été une
déclaration qui a marqué l'histoire de l'humanité, en fait. Ça reste encore aujourd'hui, cette
déclaration-là, un phare. Et la France est tenue de respecter un certain nombre
de textes fondamentaux qu'elle s'est elle-même donnés ou encore que son
adhésion à l'Europe lui a donnés.
Maintenant,
vous parlez de restriction à la liberté de religion. Je comprends que vous
considérez donc que cette restriction
en matière de port de signe religieux constitue une négation de la liberté de
religion. Ce n'est pas notre point de vue, hein? La liberté de religion,
avec la charte, elle est plus que jamais protégée, et moi, je vous dirais que
le fait d'affirmer que l'État est neutre sur le plan religieux, ça protège
encore mieux la liberté de religion qu'elle ne l'est présentement, parce qu'en affirmant le fait que l'État est neutre sur le
plan religieux on garantit, à ce moment-là, à chacune des religions un respect équitable, on garantit le
même respect à toutes les religions parce qu'on dit justement : L'État
est neutre parce qu'il doit respecter toutes
les croyances. Alors, peu importe la croyance que vous décidez d'avoir, peu
importe la religion à laquelle vous décidez
d'adhérer, l'État doit vous respecter dans votre choix individuel, dans
l'exercice de votre liberté de
religion ou de votre liberté de conscience, et c'est pour ça, notamment pour ça
qu'il faut faire la laïcité de
l'État, qu'il faut adopter la neutralité religieuse, y compris en matière
d'apparence, y compris dans l'image que vous renvoyez à vos citoyens. C'est justement par respect pour les autres que
tu te dois, lorsque tu es dans le service public, de garder pour toi tes convictions religieuses et
donc de ne pas les manifester d'une façon ostentatoire par le port d'un signe
religieux.
Est-ce que vous êtes
d'accord, vous, avec la neutralité politique de la fonction publique?
M. Laperrière (Martin) : Est-ce
qu'on peut répondre? J'ai plusieurs choses, M. le Président, à répondre à M. le
ministre.
Le Président (M.
Ferland) : Vous pouvez répondre, vous pouvez répondre. C'est un
échange.
M.
Laperrière (Martin) :
Premièrement, c'est que vous avez… concernant la France, c'est qu'eux n'ont pas
un «bill of rights», c'est-à-dire une
vraie charte des droits et des libertés, parce qu'eux, ils ont pu réussir
votre… ce que vous voulez faire,
vous, c'est-à-dire une charte de la laïcité, parce que l'État, un, ils n'ont
pas de charte des droits et des libertés puis, deux, ils n'ont pas de cour suprême, contrairement aux
Britanniques, ou aux Américains, ou à nous, parce qu'on a vraiment,
nous, deux chartes des droits et des libertés.
Deuxièmement,
vous, vous… C'est parce que c'est déjà le cas. C'est que l'État québécois… Bon,
bien si M. le ministre veut… J'aimerais ça qu'il me regarde.
Le Président (M. Ferland) :
Monsieur, là, écoutez…
M.
Laperrière (Martin) : Merci
beaucoup, M. le ministre. C'est que l'État québécois est déjà neutre. Comme
dirait Me Frémont, c'est déjà neutre.
En contrepartie, c'est que l'État québécois respecte la liberté de religion de
tout un chacun, là. C'est déjà le
cas, l'État est neutre au niveau religieux, là, l'État québécois est neutre. Il
n'a pas de religion.
M. Drainville : Oui, mais
vous savez que ce n'est…
M. Laperrière (Martin) : C'est que,
là, vous faites quelque chose qui est déjà fait, là.
M. Drainville : C'est écrit
où, ça, que l'État québécois est neutre?
M. Laperrière (Martin) : Bien,
c'est… Il y a eu des avis juridiques puis… Il y a eu des avis juridiques de la
Commission des droits de la personne. Me Frémont a été très clair
là-dessus, c'est déjà le cas, il y a déjà la neutralité religieuse de l'État québécois. En contrepartie, l'État laisse au
citoyen ce qu'il veut faire de sa religion, même ceux qui n'ont pas de
religion, là.
Aussi, ce que
j'ai regardé hier, et d'ailleurs plusieurs journalistes sont revenus cet
automne là-dessus, c'est que votre
projet de loi, il est inconstitutionnel, M. le ministre, en tout respect. C'est
que vos propres avocats du ministère de la Justice vous ont donné un avis juridique, et cet avis juridique là est
défavorable au gouvernement, c'est-à-dire que le projet, votre projet de
loi, est inconstitutionnel. Je n'ai pourtant pas rêvé ça, là. Il y a même… Même
le constitutionnaliste Me Brun, Henri Brun,
qui est pourtant quelqu'un qui est favorable au Parti québécois, dit : Bien,
ça va être très difficile, là, de
passer ça devant la Cour suprême du Canada. À moins que ça serait plus facile
avec la proposition de la CAQ? Là, à ce
moment-là, ça sera plus difficile à des gens de challenger ça devant les
tribunaux, mais, dans la forme actuelle que vous proposez, vous, ça ne
passera pas devant les tribunaux.
M. Drainville : Est-ce que
vous avez eu des discussions…
M. Laperrière (Martin) : C'est… Là,
je mettais le cas aussi du policier…
Le Président (M. Ferland) :
Excusez. On va régler ça tout de suite, là, O.K.?
M. Laperrière (Martin) :
Excusez-moi, M. le Président.
Le
Président (M. Ferland) : Vous allez vous adresser à la
présidence. Et, quand vous posez une question, peu importe que ça soit le ministre ou un autre
parlementaire, vous leur permettez de vous répondre, s'il vous plaît. Sans ça,
on est très mal partis. Alors, la réponse du ministre, s'il vous plaît.
• (10 heures) •
M.
Drainville : Bien,
d'abord, M. Laperrière, sur la question de la constitutionnalité, nous, on
est confiants que le projet que nous
proposons a de solides fondements juridiques. Je vous rappelle qu'une ancienne
juge de la Cour suprême, Mme Claire
L'Heureux-Dubé, qui, je pense, a une certaine expertise en la matière, appuie
le projet de la charte; l'ancienne juge en chef de la Cour du Québec
Mme Huguette St-Louis également.
Je ne
sais pas si vous avez vu passer la déclaration de Roger Tassé, qui est un des
pères, en tout cas, très certainement de
la Charte canadienne des droits dont vous vous réclamez, qui était
sous-ministre de la Justice au moment du rapatriement de la Constitution, de triste mémoire. M. Tassé a fait une sortie entre Noël et le
jour de l'An pour dire qu'il était loin, loin, loin d'être évident que ce projet de la charte était inconstitutionnel.
Il a parlé... Ses mots exacts, c'étaient «une atteinte modeste», je
pense, c'étaient... En d'autres mots, lui considérait que cette charte... Oui. Alors, il a parlé de
«minime» : «On parle d'une prohibition qui [est] en fin de compte
[...] assez minime. Elle ne défend pas la pratique de la religion musulmane ou de toutes les autres religions, la
religion catholique. Elle dit simplement : Lorsque vous occupez un poste dans une fonction gouvernementale qui sont
décrites, bien vous ne pouvez pas vous présenter avec le voile ou des signes
ostentatoires.» C'est Roger Tassé,
ex-sous-ministre de la Justice au gouvernement
fédéral qui tenait la plume au moment
de la rédaction de la charte canadienne, qui le dit.
Alors, en tout
respect pour votre point de vue et vos connaissances, je ne
pense pas que vous puissiez déclarer
d'une façon aussi péremptoire, aussi
catégorique que la messe est dite, et que la cause est entendue, et que le
projet de charte est
inconstitutionnel d'emblée. Je pense qu'il y
a un débat là-dessus.
Et, nous, notre position, c'est que notre projet va passer la rampe et qu'il a de solides
fondations sur le plan juridique et constitutionnel, alors permettez-moi
d'avoir un désaccord avec vous là-dessus.
M. Laperrière
(Martin) : C'est correct. M. le Président, j'aimerais répliquer. Je vais lire ceci, M. le Président. C'est Henri Brun, c'est un
éminent juriste qui est quelqu'un qui est très proche du Parti québécois et qui dit ceci : «"Les chances que ça passe le test seraient plus grandes" si on limitait
la restriction aux figures d'autorité — juge,
procureur de l'État, gardien de
prison, etc.» Je pense que M. Brun est un constitutionnaliste assez
réputé, puis c'est quelqu'un qui est proche du Parti québécois.
Moi aussi,
quand je donnais l'exemple du policier, c'est qu'il y a un arrêt que j'ai lu
quand je suis allé sur le site de la Cour suprême du Canada, il y a un
arrêt. Il y a un policier de la GRC qui a contesté une décision de relations de
travail, M. le Président, avec son
employeur, la GRC, et lui, c'était un hindou. Et, lui, l'employeur
disait : Non, non, non, tu ne
peux pas mettre ton petit chapeau hindou, là, sur ta tête quand tu travailles
comme policier. Il lui dit : Moi, c'est mon droit à la religion et
ça fait partie de ma religion. Il l'a contesté devant les tribunaux et il a eu
gain de cause à la Cour suprême du Canada.
Donc, un policier de la Sûreté du
Québec, probablement, pourrait aussi challenger la loi n° 60, là.
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y, M. le ministre.
M. Drainville :
M. Laperrière, ce n'est pas pour vous...
M.
Laperrière (Martin) : Oui.
Je ne voulais pas faire de débat avec M.
le ministre aujourd'hui, là, mais bon...
Le Président (M. Ferland) :
Non, écoutez...
M. Drainville : Il n'était
pas question d'un...
M. Laperrière (Martin) : En tout
respect.
M.
Drainville : Non, mais c'est parce que ce n'est pas la Cour
suprême, c'est la Cour fédérale, c'est la Cour fédérale qui a pris la décision ultime sur la question
du turban. C'est Grant c. Canada, Cour fédérale d'appel, 1995.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, M. Laperrière.
M.
Laperrière (Martin) : Ah,
bien c'est parce que moi, j'en avais un autre, là. Mais c'est vrai que
je suis d'accord avec vous qu'on peut restreindre, parce que tous
droits, tous droits dans la Charte des droits et libertés peuvent être
restreints si on peut prouver que
c'est... Dans une société démocratique, c'est normal qu'on peut restreindre ce
droit-là, mais le fardeau de la preuve revient à celui qui veut
restreindre ce droit-là.
M.
Drainville : Est-ce
que je peux vous demander… Est-ce que vous jugez, vous, que... De mettre des
balises en matière d'accommodement
religieux, est-ce que vous êtes d'accord avec ça, vous, par exemple, pour
éviter des cas comme celui de
l'Université York, où très clairement la direction de l'institution a décidé
que la liberté religieuse ou la conviction
religieuse d'un élève avait préséance sur l'égalité entre les hommes et les
femmes parce qu'il refusait d'être dans
la même classe que des femmes? Est-ce que vous pensez que, pour éviter des cas
comme ceux-là, il faudrait avoir des balises en matière d'accommodement,
comme le prévoit la charte?
M.
Laperrière (Martin) : Bien,
si je peux répondre, M. le Président, moi, je vous conseillerais plutôt, en
matière d'accommodement, d'aller
faire un renvoi juridique devant la Cour d'appel du Québec, la cour suprême de
la province, pour voir qu'est-ce qui
serait réellement un droit religieux, qu'est-ce qui serait un caprice
religieux, pour voir… C'est toujours
du cas par cas, là, devant les tribunaux aussi, mais vous auriez un avis
juridique de juristes de votre cour suprême à vous, M. le ministre, là. Eux pourraient vous dire : Ceci, c'est
vraiment un accommodement raisonnable; ceci n'est pas un accommodement
raisonnable, c'est plutôt un caprice religieux. Ça serait du cas par cas, là.
Le Président (M. Ferland) :
M. le ministre.
M.
Drainville : …vous ne pensez pas que ça appartient aux élus de
l'Assemblée nationale de prendre une décision comme celle-là et de décider démocratiquement de
se donner cette charte-là? Et les juges, évidemment, comme il se doit,
feront leur travail par la suite, s'il y a
lieu. S'il y a effectivement, comme certains l'annoncent déjà,
une contestation de la charte, à ce moment-là les juges pourront se
prononcer. Mais vous ne pensez pas que c'est d'abord et avant tout aux représentants de la population de décider du sort d'un document
aussi fondamental que celui que nous proposons dans le projet de
loi n° 60?
M.
Laperrière (Martin) : Je
peux répondre, M. le Président? Merci. Oui, d'abord aux élus de se
prononcer, et par la suite aux
différents juges, aux différents tribunaux de se prononcer. Ça va
être… Moi, comme j'ai toujours dit, vous allez probablement avoir un deal avec la CAQ à la fin de la commission. Ce projet de loi là va passer parce que les gens de la CAQ vous appuieront avec des amendements,
probablement que vous ferez aussi des amendements.
Vous vous gardez une
petite gêne, là, vous dites : Pas question de concéder quoi que ce soit, mais, à la fin du
processus, probablement que vous
allez vous entendre avec la CAQ. Entre personnes responsables… Moi, c'est ce
que je ferais. Si j'étais à votre place, là, comme ministre, c'est ce que je ferais. Je m'assoirais avec les
gens de la Coalition avenir Québec, je
trouverais un compromis. Et ce
compromis-là sera probablement amendé par la Cour suprême du Canada par la suite, peut-être dans deux, trois
ans, là.
M. Drainville :
La question du visage à découvert, êtes-vous d'accord avec ça, vous, le fait
que quelqu'un qui donne un service à
ses concitoyens, donc qui travaille comme agent de l'État, là, au sens très
large, tel qu'on l'a défini dans le
projet de loi… que cette personne-là donc qui est dans le service public donne
son service à visage découvert et que la personne, le citoyen qui
s'adresse à l'État, qui demande un service, doive le faire également à visage
découvert? Est-ce que vous êtes d'accord avec ça?
M. Laperrière (Martin) : Moi… Merci, M. le Président. Moi, je vous
répondrais qu'un fonctionnaire qui porte sa calotte juive ou une madame qui porte son foulard, je ne sais pas
comment on appelle ça, islamique ou quoi que ce soit…
M. Drainville :
Le hidjab.
M. Laperrière (Martin) : …ça ne m'enlève pas de droit à moi, là. Donc, ces
gens-là peuvent pratiquer leur religion comme ils l'entendent, ça ne
m'enlève aucun droit à moi, là.
M. Drainville :
…d'accord avec le port du niqab?
M. Laperrière
(Martin) : Ce n'est pas ce que je vous ai dit, M. le ministre.
M. Drainville :
Mais ma question, c'était : Est-ce que vous êtes d'accord avec le fait que
la personne…
M. Laperrière (Martin) : Mais normalement les gens… Là, ce que vous faites
référence, là, c'est à la folie de Richard Martineau, ce petit
journaliste raciste qui s'est… qui a mis son…
M. Drainville :
Non, non, non!
Le Président (M.
Ferland) : Excusez, non. Là, je vais vous arrêter.
M. Laperrière
(Martin) : Excusez-moi.
Le
Président (M. Ferland) : On est ici en auditions publiques, on
est là pour vous écouter, vous venez vous faire entendre pour faire valoir votre opinion sur le projet de loi qui est
déposé ici, mais, en ce qui a trait à des commentaires sur des individus, des journalistes, des politiciens,
bien on peut… on repassera. Alors, je vous demanderais de demeurer dans
le respect, s'il vous plaît. Allez-y.
M. Laperrière (Martin) : Oui. Je m'excuse, M. le Président, je n'ai jamais
dit que M. le ministre était raciste. C'est un journaliste qui voulait
se donner de l'importance et provoquer les gens, tout simplement.
M. Drainville :
M. le Président, je m'excuse, là…
Le Président (M.
Ferland) : Allez-y, M. le ministre.
M. Drainville :
M. Laperrière, vous ne pouvez pas traiter qui que ce soit ici, dans cette
enceinte, de raciste. Je n'accepterai
pas ça, que ce soit pour un journaliste ou quelqu'un d'autre. Alors, je vous
demanderais de retirer le mot que vous avez utilisé, s'il vous plaît.
M. Laperrière
(Martin) : Je vais le retirer, M. le Président.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, monsieur… Non…
M. Laperrière (Martin) :
Je retire mes propos à votre demande, M. le Président.
Le
Président (M. Ferland) : Et voilà. Mais je vous réitère :
Le ton, les mots utilisés, soyez un peu prudent. On est ici pour vous écouter, la commission a accepté
de vous entendre parce qu'on est convaincus que vous avez vos opinions, votre mémoire, le temps que vous avez pris pour
préparer votre document. Alors, on est là pour vous écouter. Et ce que
vous allez dire aux membres de la commission, lorsque nous serons rendus à une
autre étape qui s'appelle l'analyse détaillée article par article, les
parlementaires considéreront ou prendront en considération toutes les
personnes, les groupes qui sont venus se
présenter, et c'est ce qui va nous permettre à nous ici, en cette enceinte, de faire
en sorte que le projet de
loi n° 60 soit le meilleur projet de loi pour l'ensemble des
Québécois et des Québécoises. Alors, est-ce qu'il sera adopté ou pas?
Est-ce qu'il sera appuyé par un parti ou l'autre? On n'est pas rendus à cette
étape-là.
Alors, je vous cède la parole, M. Laperrière.
M.
Laperrière (Martin) : Merci,
M. le Président. Bien, j'ai répondu à votre question, M. le ministre. Ce que
vous demandez, bien, normalement, les
gens sont à visage découvert, là, à 99,9 %. Là, ce que vous parlez, M. le
ministre, en tout respect pour vous,
c'est un ou deux cas qui est arrivé dans la région de Montréal. À ce moment-là,
ça sera probablement aux tribunaux de décider oui ou non, là, ce n'est
pas à moi. Moi, je ne suis pas un juriste, je ne suis pas un avocat.
M. Drainville : Vous n'êtes
pas juriste ni avocat?
M. Laperrière (Martin) : Non, je
suis un simple citoyen. Je viens déposer un mémoire.
• (10 h 10) •
M.
Drainville : Très
bien. Mais nous, dans le projet de loi n° 60, on dit… Et c'est là-dessus
que je voulais vous entendre. Ce
n'était pas tellement sur le niqab ou la kippa, c'était sur l'obligation d'avoir le visage à découvert lorsqu'on
donne le service de l'État
ou lorsqu'on le reçoit. Est-ce que vous pensez que c'est
une bonne idée de dire dans la loi : Si tu fais affaire avec l'État, tu dois le faire à visage découvert, et, lorsque
tu donnes un service aux citoyens, tu dois le faire à visage découvert? C'était juste ça, ma question,
M. Laperrière. Est-ce que vous pensez que c'est une bonne idée ou pas?
M. Laperrière (Martin) : Bien, normalement,
oui. À 99 % du temps, l'ensemble des fonctionnaires sont à visage
découvert. C'est parce que moi, je considérais un petit peu…
M.
Drainville : Mais
êtes-vous favorable à ce qu'on légifère là-dessus? Vous ne souhaitez pas que ce
soit dans la loi et qu'on l'oblige,
qu'on oblige les personnes qui travaillent pour les citoyens et aux citoyens
eux-mêmes qui demandent un service de l'État… Vous ne croyez pas qu'on
doit les…
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, c'est le temps qui
était imparti pour la partie ministérielle. Je cède…
M. Laperrière (Martin) : Oui,
toujours, M. le Président…
Le
Président (M. Ferland) : Attendez. On va aller de l'autre côté,
s'il vous plaît, si vous permettez. Alors, je cède la parole au député
de LaFontaine.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, j'aimerais vous remercier pour le
temps que vous avez pris,
M. Laperrière, pour rédiger le mémoire et le temps que vous prenez ce
matin pour venir répondre à nos questions. Donc, merci pour votre
travail et votre temps ce matin.
Vous me
permettrez, M. Laperrière… parce que j'ai des questions par rapport à l'arrêt
Oakes, au processus, au questionnement
qui doit nécessairement avoir lieu devant une cour de justice, parce qu'on
parle beaucoup que, ce projet de loi
là, évidemment, la ville de Montréal va contester, et plusieurs autres
organismes, municipalités, établissements vont contester, si d'aventure la CAQ et le Parti québécois s'associent pour
faire passer ce que l'on considère une violation de la liberté de conscience et de religion. Ceci dit,
j'aimerais juste revenir… Avant de vous poser des questions en rafale sur
Oakes et le processus, j'aimerais revenir sur un élément que le ministre vous a
déclaré en vous… Il vous a posé une question :
C'est écrit où que l'État est neutre? Il vous a posé cette question-là :
C'est écrit où que l'État est neutre? Évidemment, vous n'êtes pas juriste, vous n'êtes pas
constitutionnaliste, mais ce sont des documents, les chartes, charte québécoise
et charte canadienne, lorsqu'on les lit, que tout le monde peut très, très bien
comprendre, trois éléments pour affirmer qu'il
y ait la neutralité religieuse de l'État et donc des fonctionnaires. Elles
existent déjà. Le projet de loi n° 60 ne viendra que mettre par écrit une situation de fait qui
existe déjà en venant préciser une réalité qui est déjà dans nos textes de loi.
Trois éléments.
Premier
élément, il y a la liberté de religion, que vous connaissez très bien, qui fait
en sorte que personne ne peut imposer sa religion à un autre, et ça, ça
s'applique au premier chef à l'État. La charte québécoise, c'est l'article 3. Charte canadienne, c'est l'article 2. Et de
la liberté de religion découle la neutralité de l'État. L'État et la religion
sont séparés, c'est un état de fait au Canada puis au Québec depuis
plusieurs années.
Deuxième élément : le droit à l'égalité. On
ne peut pas discriminer, puis les chartes québécoise et canadienne s'appliquent au premier chef, évidemment, à
l'État… Le droit à l'égalité fait en sorte qu'on ne peut pas discriminer basé
notamment sur la religion. La charte
québécoise, c'est l'article 10. La charte canadienne, c'est
l'article 15. Ce qui fait en sorte
que l'État ne pourrait pas prendre une décision ou un fonctionnaire ne pourrait
pas prendre une décision en disant : Bien, ma décision est différente parce que je discrimine ce citoyen-là
basé sur la religion. Et c'est ce que l'on dit, nous, c'est que le gouvernement, avec le projet de
loi n° 60, va discriminer tous les citoyens qui désireraient porter
un signe parce que ça participe de
leurs croyances, leurs convictions. Puis on a eu l'occasion de le dire, qu'un
signe religieux, ça ne se compare pas
à un macaron du PQ. Lorsque l'on dit : La neutralité politique, bien, si
elle existe, pourquoi pas la neutralité religieuse?, quand on vous dit ça, M. Laperrière, là, dites-vous
qu'on fait des raccourcis intellectuels assez extraordinaires!
Troisième et dernier point, encore plus
précis : La Loi sur la fonction publique, qui existe déjà, précise à son article 10 la neutralité politique et à son…
à son article 10, voilà, et, à son article 5, précise que chaque
fonctionnaire agit de façon
impartiale. Ça veut dire qu'il ne peut pas favoriser ou défavoriser qui que ce
soit autre par rapport à sa religion ou à la religion, bien évidemment.
Une fois que l'on a dit ça, M. Laperrière…
Et là j'ai des questions pour vous, parce qu'on peut dire… Et j'ai toujours trouvé ça, moi, fascinant de voir
l'accessibilité au raisonnement de nos cours de justice. Autrement dit, souvent
on va dire : Ah! bien moi, je ne suis
pas avocat, je ne suis pas avocate. Les décisions des tribunaux, c'est
compliqué, c'est de la jurisprudence, puis le citoyen ne
se reconnaît pas là-dedans. Mais, lorsqu'on les lit… Et visiblement vous n'êtes
pas constitutionnaliste, mais vous
avez lu l'arrêt Oakes. Lorsqu'on lit cet arrêt-là, il est limpide quant au
test, qu'on appelle, de raisonnabilité. Autrement dit, oui, il peut y
avoir des limitations à nos droits et libertés, mais, lorsque l'on dit... Première question que toutes les cours vont vous
dire, c'est : Est-ce qu'une loi vient limiter un droit? La réponse, c'est
oui ou non. Si la réponse est non, bien, à ce moment-là, là s'arrête l'analyse,
il n'y a pas d'infraction, il n'y a pas de violation
d'un droit protégé par la charte. Si la réponse est oui, il y a une violation,
ce que nous, là, on dit, il y a une violation avec le projet de loi n° 60, d'interdire le port de signe
religieux il y a une violation de la liberté de conscience et de religion, là on embarque dans ce qu'on appelle, en jargon
juridique, le test de Oakes. Et vous en faites état, et j'aimerais y aller
avec vous. Ce n'est pas le questionnaire de Proust, mais c'est le test de
Oakes.
Alors,
allons-y avec le questionnaire de Oakes. On dit, première question lorsqu'il
y a une violation, première question : Est-ce que l'objectif est
important? La réponse est soit oui ou
non. Si l'objectif n'est pas important, on arrête là, ça ne
passe pas le test. Selon vous, est-ce que l'objectif...
Mais
avant ça… avant ça, la règle de droit, avant ça, la règle de droit, l'on doit de façon
claire dire ce que l'on vient
limiter. Est-ce que, selon vous, lorsque l'on dit «un signe
ostentatoire»… Est-ce que c'est suffisamment clair? Et je rappelle la sortie médiatique de ma collègue de la CAQ, qui disait :
Ostentatoire? Est-ce que cette croix-là, elle est suffisamment petite ou trop grande pour être ostentatoire? Selon vous, est-ce que
le terme «ostentatoire» est suffisamment
défini pour dire : Oui, oui, ça, c'est clair, ça, cette grosseur de croix
là, ça ne passe pas?
M. Laperrière (Martin) : Ça, ça veut dire… Quand on parle de signes
ostentatoires, dans mon livre à moi, ça veut dire les signes religieux. Ça veut
dire la petite calotte juive, le petit foulard islamique ou arabe. Bon, dans
mon livre à moi, c'est ça. Là, le
gouvernement dit : Bien, nous, on aimerait ça limiter ça puis on aimerait
ça que nos fonctionnaires n'en aient pas. Est-ce que ça va passer le
test? À l'heure actuelle, la réponse serait non. Ça ne passe pas le test des
deux chartes des droits et libertés, en tout respect, M. le Président.
M.
Tanguay : Oui, puis on est là pour entendre votre opinion. Et,
selon vous, est-ce qu'il y aura un débat sur la grosseur de la croix? Est-ce que, vous, selon votre lecture, il y aurait
un débat sur la grosseur de la croix avec le terme «ostentatoire»?
M. Laperrière (Martin) : D'après moi, non. Mais ce que je voulais dire
aussi, M. le Président, parce que
vous m'avez demandé tout à l'heure de
vous adresser à vous, c'est que, pour moi, il y a des valeurs fondamentales.
Les droits individuels et la justice sociale,
pour moi, ce n'est pas négociable, et là le gouvernement dit : Bon, on va
attaquer la Charte des droits et des libertés pour essayer d'avoir une petite
majorité à la prochaine élection. C'est ce qu'on tente de faire du côté du Parti québécois, en tout respect. C'est de
bonne guerre. Ils peuvent réussir ou pas, on ne le sait pas encore. C'est
de bonne guerre, mais c'est ça qu'ils
tentent de faire, c'est d'aller chercher les nationalistes de droite de la CAQ
pour avoir une majorité. Ils ont le
droit de le faire, mais, à l'heure actuelle, le projet de loi n° 60
ne passerait pas le test des deux chartes des droits et libertés.
• (10 h 20) •
M.
Tanguay : Et juste pour préciser une chose, donc, vous, selon
vous, il n'y aura pas de débat au niveau... donc ça ne passe pas le test, mais, même là, il n'y aurait pas de débat au
niveau de la grosseur de la croix. Je laisserai le ministre préciser sa pensée, mais je crois que
l'intention... Mais, voyez-vous, ça démontre quoi? C'est que ce n'est pas
clair. Et on décode que l'intention
du gouvernement, c'est de faire un débat sur la grosseur de la croix, parce
qu'«ostentatoire» — et
là je veux être honnête
intellectuellement — ne
ferait pas en sorte que ce seraient toutes les croix, il y en a qui passeraient
le test puis il y en a qui ne le passeraient
pas. Mais que l'on ne s'entende pas, vous et moi, sur la nature du test, je
pense que ça dénote déjà là, au
départ, que ce n'est pas clair. Et, de deux, s'il y a un débat sur la grosseur
de la croix, ça sera un débat qui effectivement n'est pas clair. Et le premier
élément du test de Oakes, ça paraît bien compliqué, mais c'est très simple, puis vous l'avez bien vu. C'est de
savoir : Est-ce que la règle est claire? Est-ce que l'on sait si, oui ou
non, on est ou pas dans l'interdiction?
Deuxième élément,
l'on dit : Est-ce que l'atteinte… la mesure est proportionnelle à
l'objectif? Autrement dit, est-ce qu'on
essaie de tuer une mouche avec un canon? L'objectif est que, lorsque le
gouvernement… Le ministre de la Sécurité
publique dit : Écoutez, dans la police, il n'y en a pas, de problème, il
n'y a pas de demande. Alors, que l'on vienne légiférer, exemple, sur le corps policier, il n'y aura pas de demande,
demain matin ça ne règle rien, je veux dire, on n'a pas besoin
d'interdire à tous les fonctionnaires. Parce que les cas sont extrêmement
minimes. Il n'y a aucune étude à ce stade-ci — et on l'a souvent demandé — qui démontre combien, demain matin, de
personnes seraient visées par ça, ce serait important de le savoir. Et,
si au départ on n'est pas capable de dire combien de personnes seraient
touchées par l'interdiction, ça veut dire
que… êtes-vous d'accord avec moi qu'on n'a pas fait ses devoirs et que l'on
essaie de régler un problème, dans le fond, qui n'existe pas? Qu'en
pensez-vous, sur cet aspect du test?
M. Laperrière (Martin) : Bien, je suis parfaitement d'accord avec vous, M.
le député. Je rajouterais même… Comme je disais à M. le ministre tout à
l'heure, c'est que ses propres fonctionnaires au ministère de la Justice, les propres avocats qui conseillent le gouvernement du
Québec, il y a plusieurs constitutionnalistes dans ce groupe-là qui disent : Bien, la décision que nous, on vous
rend, MM. les ministres, c'est que ça serait inconstitutionnel, ça serait
illégal en vertu des deux chartes des
droits et des libertés, non seulement la canadienne mais aussi la québécoise.
C'est ça que les juristes de l'État,
qui sont des gens professionnels et très compétents, ont déclaré au Conseil des
ministres l'automne passé.
M. Tanguay :
Dernière question en ce qui me concerne, puis je vais laisser mon collègue,
pour les cinq dernières minutes, les
quatre dernières minutes, compléter. Vous dites dans votre mémoire… Vous dites
que le gouvernement devrait agir avec sagesse et prudence.
M. Laperrière, que voulez-vous dire par là?
M. Laperrière
(Martin) : C'est-à-dire qu'avec sagesse et prudence un gouvernement
qui est minoritaire n'embarquerait pas dans
un débat comme ça sans avoir au moins des avis juridiques très solides,
excusez-moi le terme anglophone, M. le Président, être «backbenché» bien
comme il faut par ses propres juristes ou au moins un bon avis juridique de sa Cour d'appel à lui, là, la cour
suprême du Québec, là. Et là il n'a rien de ça, là, à moins d'un deal avec
un autre parti politique, probablement à la
fin comme vous avez dit, M. le Président, à la fin du processus, en tout
respect pour vous, M. le Président.
Le
Président (M. Ferland) : Oh, je n'ai aucun problème avec ça.
Moi, je préside la commission, alors je vais laisser les partis
s'entendre ou pas à la fin. Alors, je reconnais le député de
Lotbinière-Frontenac.
M.
Lessard : Merci, M. le Président. M. Laperrière, donc,
il me reste trois minutes. Un, vous féliciter, donc, de la présentation de votre mémoire. Même si vous n'êtes
pas juriste, vous n'êtes pas dépourvu d'intelligence puis de curiosité
d'aller sur les différents sites pour donner votre opinion.
D'ailleurs,
vous n'êtes pas seul à penser puis vous présenter, plus de 270… mais vous êtes
supporté aussi dans vos demandes,
dans vos questionnements par rapport au projet de loi qui est déposé.
66 professeurs et chargés de cours de l'Université de Sherbrooke ont déposé récemment un mémoire — d'ailleurs ils le rendent public en partie à
travers leur revue de presse — alors 66 professeurs.
Donc, il y a Maxime St-Hilaire, professeur adjoint à la Faculté de droit, Michèle Vatz-Laaroussi, professeure titulaire du
Département de service social, et David Koussens, professeur adjoint à Faculté de théologie et des études religieuses.
Ce qu'ils disent : Dans l'élaboration de ce projet de loi, il nous semble
qu'on n'a pas tenu compte de toute l'expertise, des recherches, des éléments
qui permettraient d'asseoir les choses de manière
plus légitime que ce qu'il est actuellement. Alors, ils déplorent que le
ministre n'a pas tenu compte de toutes ces expertises-là. Ils disent
même : Tout le monde n'est pas expert, c'est normal, les experts doivent
aussi donner leurs arguments et les rendre
publics, et on pense que les gens comme vous aussi peuvent venir ici sans avoir
toute l'expertise de la Cour suprême.
Donc, le gros bon sens. Vous êtes venu ici au nom du gros bon sens, après avoir
fait une certaine recherche.
Ils
vous supportent en vous disant : Il y a trois ruptures. Donc, c'est des
professeurs émérites. Il y a une rupture historique parce que la laïcité québécoise est historiquement la
garantie de la liberté de conscience et de religion — donc ils supportent votre point de vue par rapport à ce que le ministre a
déclaré — il y a
une rupture juridique parce que, selon toute
vraisemblance… alors ce n'est pas… il n'y a pas de monopole de vérité, mais eux
pensent que ce serait inconstitutionnel, puis il y a une rupture sociale aussi parce que ça renie les acquis du
passé dans le domaine de l'intégration, réveille des préjugés et des tendances racistes et xénophobes,
légitime les peurs de l'autre et détruit le processus du vivre-ensemble.
Alors, voyez-vous ce qui… Donc, ils
supportent un peu tout ce que vous avez pu exprimer, même en excès. Vous-même,
vous avez eu un certain excès en nommant quelqu'un. Ça réveille tout ça, ces
préjugés-là. Ça dit même que ça a des conséquences
sur l'immigration, des départs, des replis communautaires, la radicalisation de
certains d'entre eux, la création d'une fracture entre locaux et
immigrants, changement de l'image internationale.
Alors
donc, pour vous dire que vous êtes venu présenter votre mémoire, on entend
beaucoup de division actuellement. Le
ministre veut régler des problèmes. Il n'a pas présenté ses études. Il ne se
fonde sur rien, on ne le sait pas, ni juridique ni autres. Alors, vous n'êtes pas seul, donc, c'est un commentaire qui
va dans le même sens. Je pense que ce que vous invoquez est tout à fait
légitime, là, par rapport à cette commission-là.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le député. Malheureusement, c'était tout le temps, il est écoulé.
Alors, je reconnais la députée de Montarville. À vous la parole.
Mme Roy
(Montarville) :
4 min 30 s?
Le Président (M.
Ferland) : Oui.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, M. le Président. Bonjour, M. Laperrière.
M. Laperrière
(Martin) : Bonjour.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci de vous être déplacé, merci pour votre mémoire.
Écoutez, je vous écoutais parler puis
je me dis : Si vous avez eu la chance de lire les avis juridiques du gouvernement, là, vous êtes privilégié, parce
qu'on aurait aimé les lire puis on aurait aimé savoir ce qu'il y a
dedans.
M. Laperrière
(Martin) : Non, je ne les ai pas lus, malheureusement.
Mme
Roy
(Montarville) : Vous ne les avez pas lus? Nous non plus. On aurait aimé voir ce qu'il y a
là-dedans. En tous les cas,
éventuellement peut-être on va en savoir un petit peu plus long à cet égard-là.
Vous avez
parlé, dans votre mémoire, de droit, des tribunaux et, pour préparer ce
mémoire-là, vous avez aussi sûrement
constaté qu'autant d'avocats, autant de positions divergentes, autant de
jugements. Vous avez des juges majoritaires, minoritaires. Vous lisez leurs
conclusions, leurs jugements, et des fois un côté comme l'autre ça se tient,
alors c'est difficile de trancher.
Cependant,
vous avez aussi probablement constaté qu'il est possible de limiter un droit
individuel. Mon collègue de la
première opposition en faisait mention tout à l'heure. Il y a des conditions,
il y a des critères pour le faire, il faut respecter ça. Il est possible de faire cette limitation à un droit
individuel. Donc, il faut respecter des conditions, et nous, à la
Coalition avenir Québec, nous savons qu'il y a des critères à respecter, et
c'est la raison pour laquelle nous croyons — il y a 12 juristes qui appuient également cette position — nous croyons… Notre position, à la
coalition : En limitant le port de signes religieux aux employés de l'État en position d'autorité
coercitive et également aux enseignants du primaire et du secondaire et des directions d'école, en limitant
spécifiquement le port des signes religieux à ces gens-là, nous croyons que cette limitation-là au droit individuel se
justifie au profit des droits collectifs. Naturellement, c'est un débat de
juristes, c'est technique, mais nous
ne sommes pas les seuls à penser ça. Et, cela dit, à la lecture de votre
mémoire, je comprends que vous adoptez une position qui est différente.
Cependant,
à la lecture des limitations — et mon collègue en faisait état tout à
l'heure — lorsqu'on
veut limiter un droit, il y a aussi
quelque chose d'intéressant : il faut que cette limitation-là soit claire.
On parlait justement des croix. Quand
M. le ministre nous parle des objets religieux, des signes religieux
ostentatoires, depuis le début, la fin de l'été, début de l'automne, je dis à M. le ministre : Simplifiez-vous la
vie, puisqu'à partir du moment où on parle d'ostentatoire on crée des catégories. Alors, ça, ce n'est pas
encore réglé. Nous croyons qu'il faut plutôt dire… limiter le port de signes
religieux de façon très précise, qu'on ne les voie pas. On crée des catégories.
Cela dit, votre
mémoire — et
je reviens là-dessus, moi, j'ai bien, bien hâte de voir les avis juridiques du gouvernement — exprime une position, et quelle sera la
position que prendront les tribunaux, si les tribunaux sont questionnés sur la question, ça reste à voir. Et
je me demandais cependant… Et je vais revenir sur les signes religieux :
Est-ce que vous croyez que le fait de parler de signes ostentatoires, ça vient
compliquer les choses?
M. Laperrière
(Martin) : Est-ce que je peux répondre, M. le Président?
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, oui, oui.
M. Laperrière (Martin) : C'est que votre position, la position qui est la
plus raisonnable, qui pourrait peut-être aider le gouvernement, c'est que M. Brun, qui est plutôt proche du
Parti québécois, est un peu dans votre position à vous, à la CAQ, dit :
Bien, ça va être plus difficile, à ce moment-là, de challenger devant les
tribunaux. Un genre de restriction que
lui propose, ce que vous aussi, vous proposez. Mais il y a un arrêt, là, il y a
des arrêts que la Cour suprême dit : Pour les policiers, les policiers de la GRC ont le droit, en vertu du droit
religieux, ont le droit de porter leurs signes religieux, là. Je
pourrais toujours revenir, M. le Président...
Le Président (M.
Ferland) : Le quatre minutes est terminé.
Mme Roy
(Montarville) :
Le temps est écoulé. Merci.
M. Laperrière
(Martin) : O.K. Bon.
Le
Président (M. Ferland) : Je dois reconnaître le député de
Blainville, qui va vous questionner sûrement. Alors, M. le député.
M.
Ratthé : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour,
M. Laperrière. Merci d'être présent avec nous ce matin.
M. Laperrière
(Martin) : Merci.
• (10 h 30) •
M.
Ratthé : Je trouve toujours
intéressant d'entendre les opinions. Je pense que vous prenez le temps de venir nous
voir. Vous dites : Je suis un simple citoyen, mais, bon, il y a beaucoup
de personnes qui sont dans votre
situation qui probablement pensent un peu comme vous, et je trouve que
c'est quand même intéressant d'entendre... Ce qu'on constate aussi, c'est que, bon, vous arrivez avec une panoplie
d'informations, là, qui... avec des personnes aussi très crédibles. On pourrait aussi, de l'autre côté, arriver,
j'imagine — le
ministre vous le faisait entendre — avec autant d'information de
personnes tout aussi crédibles, ce qui montre en tout cas la nécessité, à mon
sens, du débat.
J'ai
une question très simple puis je ne veux pas parler trop longtemps, je veux
plutôt vous entendre. Moi, ce qui m'a
frappé, dans votre mémoire… Et je le disais hier, je suis beaucoup ici pour
comprendre. Si on entend 200 personnes, c'est parce qu'on veut comprendre leurs points de vue puis nous aider
peut-être à cheminer dans ces points de vue là. Et ce qui m'a frappé, c'est que vous dites que la charte
enlève le droit de la religion, et brièvement je dirais, moi, que… le droit
de pratiquer sa religion, pardon. Moi, en ce qui me concerne, pratiquer sa
religion, c'est, dans le cas des catholiques, peut-être
aller à l'église. Le culte, en fait, c'est de pouvoir peut-être arborer sur la
rue différents, peut-être, signes qui vont faire savoir que je suis chrétien, catholique. Et c'est ça qui m'a
frappé. Pourquoi pensez-vous que la charte enlève… Vous dites : «…le gouvernement devrait laisser aux
citoyens le droit de pratiquer on non leur religion comme ils l'entendent.»
Alors, moi, je voudrais comprendre, de votre
point de vue, pourquoi, à votre sens, la charte empêche les gens de pratiquer
leur religion, leur droit de pratiquer.
M. Laperrière (Martin) : O.K. Là,
vous parlez du projet de loi n° 60, là, comme charte? O.K.
M. Ratthé :
Bien sûr. C'est là-dessus qu'on est, oui. C'est dans votre mémoire.
M. Laperrière (Martin) : O.K. Bon.
Parce que, là, là, vous étiez en train de me mêler, M. le député.
C'est
qu'actuellement l'avis que la Commission des droits de la personne du Québec…
que Me Frémont a donné, c'est
qu'actuellement l'État québécois est neutre au niveau religieux, c'est-à-dire
que le gouvernement, l'État n'a pas de religion,
il est neutre envers tout le monde. En contrepartie, le citoyen peut pratiquer
sa religion comme il l'entend. C'est un
peu, là… c'est une sorte de statu quo, mais c'est ça, là, c'est déjà le cas.
Là, le Parti québécois propose quelque chose qui existe déjà. Il est là,
le problème.
M. Ratthé : Mais pourquoi vous dites qu'il
enlève le droit de pratiquer? Pour vous, ce que veut dire… Puis c'est par pure compréhension. Ce que vous nous dites ce
matin, c'est que le fait de ne pas pouvoir, par exemple, porter une
croix visible aux yeux de tous, c'est un empêchement de pratiquer sa religion?
C'est ce que vous nous dites?
M.
Laperrière (Martin) : Bien,
c'est un peu… Je donnais tout à l'heure l'exemple de la calotte juive ou du
foulard. Ça fait partie d'une valeur culturelle, d'une valeur
religieuse, c'est une sorte de pratique de la religion. Moi, ça ne m'enlève
aucun droit constitutionnel puis aucun droit juridique, donc, moi, ça ne me
dérange pas du tout.
M. Ratthé : O.K., mais c'est…
Donc, si je comprends bien ce que vous nous dites, là…
M. Laperrière (Martin) : Ça ne
m'offense pas, là, que…
M. Ratthé :
Non, non, pas à vous personnellement, mais ce que vous dites, c'est que la charte
vient enlever ce droit de pratique, si on peut l'appeler comme ça, là,
de porter…
M.
Laperrière (Martin) : Bien,
si je comprends bien, là, le projet du Parti québécois, c'est que les
fonctionnaires n'auraient pas le
droit… quelqu'un, exemple un Juif d'Outremont qui travaillerait à Revenu
Québec, dans les bureaux à Montréal, ne pourrait pas porter sa petite
calotte juive, si je comprends bien, là, le projet de loi.
M. Ratthé :
Vous comprenez bien, effectivement. Mais, pour vous, ça, c'est lié à la
pratique de sa religion? C'est juste le point que je veux comprendre de
votre part.
M. Laperrière (Martin) : Oui, bien,
c'est ça.
M. Ratthé : Le fait de porter
une kippa, un voile, c'est étroitement lié à la pratique de sa religion.
M. Laperrière
(Martin) : Que le monsieur
porte sa… un Juif porte sa calotte juive, pour moi, c'est tout à fait
normal, là. Ça ne m'offusque pas du tout, du tout, du tout.
M. Ratthé : O.K. Merci
beaucoup, M. Laperrière.
M. Laperrière (Martin) : Ça me fait
plaisir.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci, M. le député. Je reconnais la députée de Gouin, présentement.
Mme David : Merci, M. le
Président. Bonjour.
M. Laperrière (Martin) : Bonjour.
Mme
David : D'abord, peut-être deux remarques. Je représente ici un
parti qui est souverainiste. Vous comprendrez, à ce moment-là, que, même s'il y avait des problèmes constitutionnels avec
l'État canadien par rapport au fait que le Québec veuille avoir une charte de la laïcité, bien on ne
se laissera pas nécessairement arrêter par ça, puisque le Québec veut en
toute connaissance de cause se donner des moyens d'avancer dans l'amélioration
de sa société.
J'ai une
question pour vous. Vous dites : «Attendu que le Canada est fondé sur des
principes qui reconnaissent la
suprématie de Dieu…» Personnellement, je conteste l'existence de ce principe
dans une constitution, j'espère qu'on aura
un jour une constitution québécoise et qu'il n'y aura pas là-dedans de question
religieuse, mais, vous, est-ce que vous considérez qu'il est normal que la Constitution canadienne qui nous
influence encore aujourd'hui reconnaisse la suprématie de Dieu?
M. Laperrière (Martin) : Oui. Je
peux répondre, M. le Président?
Le Président (M. Ferland) :
M. Laperrière, oui.
M.
Laperrière (Martin) :
Personnellement, moi, je suis un athée, je ne crois pas que Dieu existe.
Scientifiquement, Dieu n'existe pas.
Mais, que les autres citoyens pratiquent leur religion comme ils l'entendent,
moi, ça ne m'enlève aucun droit.
Aussi, ce que je voulais vous dire,
c'est qu'en étant comme social-démocrate, au cours des trois dernières
élections, bien j'ai voté deux fois
sur trois pour votre formation politique. Mais, comme je vous ai dit tout à
l'heure, moi, pour moi, il y a deux
choses, il y a deux valeurs qui ne sont pas négociables pour moi, c'est les
droits des citoyens, les droits individuels, et la justice sociale. Pour
moi, ce n'est pas négociable. Et, pour moi, ce que je voulais rajouter — je
fais rapidement, M. le Président — c'est que, pour moi, la justice sociale
est plus importante que l'appel au drapeau ou la question nationale, si vous
voulez, en tout respect, M. le Président.
Le Président (M.
Ferland) : Aucun problème pour le drapeau. Allez-y, Mme la
députée de Gouin.
Mme
David : Et je
suppose, puisqu'on ne vous demandait pas de le révéler en public, mais, si vous
dites que vous avez voté pour ma formation politique, vous êtes évidemment d'accord avec le principe de l'égalité entre les
hommes et les femmes, puisque vous en parlez dans votre mémoire.
M. Laperrière (Martin) : Oui. Moi, personnellement, oui. Mais ce que je
redoute, c'est que ce n'est pas marqué clairement, c'est sous-entendu.
Là, je n'ai pas le goût de refaire un débat. Je pense que c'est marqué, mais
c'est sous-entendu. Mais ce n'est pas marqué
clairement dans un article, autant dans la charte québécoise
des droits et libertés que la charte
canadienne, que les hommes et les femmes sont égaux en droits. Ce n'est pas
noir sur blanc, ce n'est pas écrit. On le sous-tend, là.
Mme
David : C'est maintenant,
si je ne me trompe pas, M. le
Président et mes collègues, inscrit
dans le préambule de la charte québécoise des droits et libertés de la
personne.
M. Laperrière
(Martin) : Oui, c'est marqué dans la charte québécoise, comme j'ai dit
dans mon mémoire.
Mme David :
Alors… Est-ce qu'il me reste un petit peu de temps, M. le Président?
Le Président (M.
Ferland) : Il reste à peu près 15 secondes, le temps de…
Mme
David : Alors, je
voudrais juste signifier, en terminant, que la vraie question, je pense, qu'on
doit se poser ici, c'est celle que
vous posez, c'est : Y a-t-il plus d'avantages que d'inconvénients à
interdire le port de signes religieux chez les employés de l'ensemble
des services publics? Je pense que c'est au coeur de la question.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, sur ce, Mme la députée, je vais vous remercier. Alors, merci,
M. Laperrière, pour votre présentation.
M. Laperrière
(Martin) : Merci beaucoup, M. le Président.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, je vais suspendre quelques instants afin de permettre au
prochain témoin de prendre place pour…
(Suspension de la séance à 10 h 36)
(Reprise à 10 h 37)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la commission va reprendre ses travaux. Maintenant,
nous allons entendre M. Fernand
Morin, alors en vous mentionnant que vous disposez de 10 minutes pour présenter
votre mémoire, et ensuite suivra une période d'échange avec les
parlementaires. Alors, M. Morin, la parole est à vous.
M. Fernand Morin
M. Morin (Fernand) : Merci, M. le Président. En raison du temps imparti, 10 minutes… Je
suis habitué à travailler… à faire
des présentations de trois heures, depuis 35 ans, alors je vais essayer
d'être plus bref et de me contenir.
Il
importe de souligner au tout début, à mon avis, les difficultés d'ordre
juridique à traiter des questions de nature spirituelle et qui réfèrent notamment à la conscience, aux diverses manifestations des
croyances et des valeurs de chacun. En effet, l'encadrement juridique
des divers moyens d'expression — je pourrais vous en donner des exemples — des croyances et des valeurs des citoyens demeure un
défi sociopolitique certain, car l'action des uns et les réactions des autres
à ces sujets sont toujours imprévisibles.
Depuis
1960, le Québec est devenu progressivement une société
laïque puis a reconnu formellement les libertés fondamentales de chacun au moyen d'une charte qui est toujours,
à mon avis, en vigueur. Maintenant, on entendrait, par le truchement d'une deuxième charte, articuler des
voies et moyens juridiques en vue de manifester davantage notre laïcité.
Par ce projet de loi n° 60, l'État prohiberait — je
parle au conditionnel puisque c'est un projet — certaines pratiques individuelles plus ou moins religieuses et
aménagerait divers processus de décision collective, notamment pour établir
la mise en application de ce projet de loi.
• (10 h 40) •
Ainsi, près de 600 000 salariés,
indirectement ou directement, y seraient visés. Il suffit de consulter le
projet de loi n° 60 aux
articles 40 et suivants pour constater que l'on se prépare à de nombreux
débats au sein des municipalités et arrondissements,
au sein des professeurs des collèges et des universités et entre le personnel
des institutions de santé, ce qui
fait une population assez importante. Il
s'agit de multiples scrutins, tenus selon les articles 44 et 60, en vue
d'obtenir ou non une prolongation des
sursis de transition. S'il y eut, et c'est relativement frais à votre
mémoire, j'en suis convaincu… S'il y
eut récemment un printemps érable du seul fait de l'annonce
d'une majoration de frais de scolarité, ces divers scrutins tenus en de multiples milieux de travail ne
pourraient-ils pas donner aussi prise à d'autres saisons tumultueuses? Celui
qui annonce le feu n'est pas en faveur de l'incendie, bien sûr.
En
2014, l'État québécois entend légiférer les manifestations personnelles
des croyances des Québécois, alors que, depuis plus de 40 ans, la
Charte des droits et libertés de la personne affirme la liberté de conscience,
la liberté de religion, la liberté
d'opinion, la liberté d'expression, de réunion et d'association. Et, ces six
facettes de la liberté, il faut
savoir les conjuguer, elles ne sont pas des…
ce n'est pas un club sandwich. Et, quel que soit leur employeur, ces six
facettes s'appliquent, même si l'employeur est l'État.
Nous notons que l'article 3
du projet de loi précise que le salarié d'un organisme public doit faire preuve
de neutralité religieuse et de réserve quant
à l'expression de ses propres croyances religieuses. Au-delà de cette consigne
sibylline en raison de ses effets pratiques,
on ne saurait faire d'ignorer que ces 600 000 salariés visés demeurent néanmoins des citoyens à part entière. Il va de soi que ces
mêmes six facettes des libertés affirmées s'appliqueraient également à tous ces fonctionnaires,
et c'est pourquoi leur assimilation en vrac à titre d'agents personnels de
l'État pourrait justifier pareille contrainte.
Quant
au port de signes religieux, cette appréciation ou cette assimilation nous
paraît exagérée au point d'y percevoir une
atteinte aux droits fondamentaux de ces mêmes personnes. À tout le moins, il
importerait de préciser que ces contraintes imposées, s'il faut vraiment les imposer, ne s'appliqueraient qu'au
cours de l'exercice de leurs fonctions respectives, et jamais cette restriction, cette réserve qui est
déjà dans la loi à deux reprises ne devrait être répétée à chacun des articles
où il est question de ce point-là, compte
tenu des interprétations souvent surprenantes ou de nos savants avocats et
confrères ou des tribunaux.
En vue d'éviter
quelque méprise, nous soulignons cependant que la question demeure d'une tout
autre nature lorsqu'il s'agit de
l'obligation du visage découvert à l'occasion de l'exercice notamment d'acte
démocratique fondamental, telle la
tenue d'un scrutin, et ce, en vue justement de s'assurer qu'il n'y ait pas
d'usurpation de droit par quiconque. De même en est-il quant à la protection par voie législative des signes
ostentatoires propres à notre passé, par respect de notre histoire. En ce domaine, on sait depuis longtemps
que le présent d'une société qui serait dénudée de son passé mettrait en
danger son propre avenir.
Quoi
qu'il en soit, comment pourrions-nous valablement retenir une approche aussi radicale
visant principalement et de fait les
nouveaux Québécois, qui, eux aussi, ont un passé et une culture? À ce sujet, la
tolérance et l'équité abordées par
l'État s'imposeraient à titre de valeurs citoyennes. Autrement, la radicalité
de l'État au sujet de semblables questions, qui peut faire plaisir à certains dans leur ego, ne pourrait que légitimer
l'intolérance de bien des citoyens, notamment par un possible mimétisme du Big Brother. C'est-à-dire,
si l'État le fait de façon radicale, pourquoi chacun, dans sa paroisse,
dans son village, ne pourrait pas être aussi radical?
Que
l'État s'affirme clairement laïque ne peut implicitement comprendre ni
sous-entendre un blanc-seing pour imposer
négativement une quelconque tenue vestimentaire sous prétexte que cette
personne serait un salarié de l'État. Je soulignerais la déclaration
initiale, dans le premier document du gouvernement, qui affirmait, dans ce
document d'orientation, je cite, que «ce
devoir de neutralité vise à assurer un mode de gouvernance indépendant et
tolérant envers l'expression de la diversité des croyances, afin de n'en
favoriser aucune et de traiter également toutes les personnes». Certes, des valeurs et des croyances peuvent être
librement partagées par un grand
nombre de citoyens
mais sans qu'elles soient
juridiquement métamorphosées en un dogme singulier… séculier, excusez-moi. L'uniformité formelle,
c'est-à-dire par voie législative, du
traitement des croyances et des valeurs nous paraît contradictoire à la liberté
individuelle affichée et même
garantie à l'article 3 que j'ai déjà souligné. Si au plan historique on a
cru nécessaire et juste d'assurer le maintien de notre patrimoine culturel — je réfère à l'article 1 du projet de
loi — comment
alors pourrions-nous en toute équité demeurer indifférents à la
situation que pourraient connaître les nouveaux salariés?
Est-ce que le port
d'un simple signe religieux par un fonctionnaire ou assimilé à ce titre peut
véritablement produire un effet réel de
prosélytisme? Nous ne le croyons pas, car, à notre avis, un tel effet négatif,
un tel jugement rapide ne seraient
possibles que de la part d'une personne qui nourrisse déjà un préjugé à l'égard
des croyants d'une autre religion que
la leur. Le seul fait de porter un signe manifestant ses propres croyances et
non pas un costume — c'est
tout à fait différent aussi, et non
pas un costume — demeure
d'abord l'exercice des libertés garanties à la charte. Nous le réitérons :
Comment en une deuxième charte provenant du
même législateur pourrions-nous valablement effectuer de tels grignotages?
Nous soumettons que le choix du port d'un
signe religieux ne peut être, au Québec, que le fait d'une décision personnelle
et libre, personnelle et libre… Oui?
Le Président (M.
Ferland) : …conclure, monsieur.
M. Morin
(Fernand) : Vous voulez que je conclue? Il me reste trois pages…
Le Président (M.
Ferland) : Il vous reste une minute, oui.
M. Morin (Fernand) : Alors, j'y vais. La pratique de tolérance et de respect des croyances
religieuses ou politiques du citoyen
serait fort plus révélatrice de la
part de l'État
qui se voudrait neutre et démocratique que de prohiber au moyen d'une
loi le port de tel ou tel signe que l'on qualifie, à tort ou à raison, à
connotation religieuse. Je saute, bien sûr.
Disposant
de ces affirmations des libertés publiques depuis 40 ans — 40 ans,
c'est l'âge de la charte — pourquoi en 2014 devrions-nous nous doter d'une deuxième charte modulant d'une façon fort différente l'expression de nos
croyances religieuses, et ce, d'une
façon plus négative et répressive que positive? À cette fin, il nous paraît… de
souligner quelques implications, juste à titre d'exemple, quelques
implications. Vous avez à l'article 14 de la loi…
Le
Président (M. Ferland) :
Malheureusement, M. Morin, on va passer à la période d'échange, le
10 minutes étant écoulé, alors…
M. Morin (Fernand) : J'en profiterai
pour faire mes pirouettes.
Le
Président (M. Ferland) : Oui, mais vous allez avoir l'occasion
de vous réexprimer à nouveau avec les questions qui vous seront
adressées et les commentaires. Alors, je cède la parole à M. le ministre.
M. Drainville : Merci, M. le
Président. Merci pour votre présentation, M. Morin. Merci beaucoup.
Juste avant de vous poser quelques questions,
j'aimerais revenir sur les propos de mon estimé collègue de LaFontaine, là, que ça fait quand même deux ou
trois fois, là, qu'il revient sur le fait que la neutralité religieuse existe
déjà, à son avis. Je lui ai répondu déjà
qu'elle n'est pas reconnue explicitement dans quelque texte de loi que ce soit
et j'attends toujours le texte de loi
qui reconnaît explicitement par les mots «neutralité religieuse» la neutralité
religieuse en question. Je lui
rappelle notamment les propos de M. Tassé, encore une fois, qui, sur cette
question-là, sur la question en fait
de la laïcité de l'État, a déclaré : «On ne le dit pas clairement dans la
charte canadienne [ou] la charte québécoise. Donc, il peut y avoir un intérêt à ce que le législateur — là, on parle de législateur québécois — [le] dise clairement que l'État
québécois est laïque.»
Moi,
évidemment, j'ai tout le respect du monde pour mon collègue de LaFontaine,
mais, si je dois comprendre ses propos, là, qu'il a répétés encore ce
matin, ce que je comprends donc, c'est que, pour le Parti libéral, ce n'est pas
nécessaire de reconnaître la neutralité
religieuse dans la loi. Et, si c'est le cas, j'aimerais bien qu'il nous le
dise, parce que, s'il continue à nous dire qu'à son avis la neutralité
religieuse, M. le Président…
Une voix : …
M. Drainville : M. le
Président, je m'adresse à…
Le Président (M. Ferland) :
Non, mais juste…
M. Drainville : Je m'adresse
à vous, là.
• (10 h 50) •
Le Président (M. Ferland) : Oui,
M. le ministre. Oui, c'est ça, mais juste être prudent un peu pour les… Je comprends, les remarques, là, qu'on aura
l'occasion, lors des échanges sur l'analyse détaillée article par article, de faire part de ça. Je ne
veux pas empêcher ça, mais juste d'être prudent quand même, parce que
je ne veux pas qu'on tombe dans une discussion.
M. Tanguay : …appel au règlement.
Le Président (M. Ferland) :
Oui. Allez-y, M. le député.
M. Tanguay : M. le Président, j'aimerais prendre le temps, parce que
c'est important de ne pas mettre des propos…
Le
Président (M. Ferland) : Question de règlement… Excusez. Si vous avez demandé une question
de règlement, je ne veux pas de commentaire.
M. Tanguay : Question de règlement,
l'article 36. Il nous impute des propos qui sont faux.
Le Président (M. Ferland) : O.K.,
parfait. C'est beau, donc, la question de règlement. Alors, M. le ministre.
M.
Drainville : M. le
Président, dans le fond, c'est une question, là, à laquelle il pourra répondre en temps et
lieu, mais est-ce qu'effectivement l'opposition libérale est en faveur
de la reconnaissance de la neutralité religieuse telle qu'elle est prévue dans le projet de charte? Si elle l'est, j'aimerais
bien qu'on l'entende. Je croyais que c'était le cas, mais là j'ai l'impression qu'on recule là-dessus, parce
qu'on semble dire… pas on semble dire, on affirme deux fois plutôt qu'une
qu'elle existe déjà, cette neutralité religieuse. Et, si je comprends bien, ça
ne semblerait pas être nécessaire de le dire explicitement.
Pour ce qui
est de la question des avis juridiques, je veux juste être bien, bien clair,
parce que j'ai l'impression que cette
question-là va être soulevée à nouveau dans certaines des présentations qui
pourraient survenir dans les prochains jours
ou les prochaines semaines. Alors, je ne voulais pas, quand même, laisser le
témoignage de M. Laperrière sur un malentendu, là. Je veux juste vous rappeler la déclaration de mon
collègue ministre de la Justice, député de Chambly, le 2 novembre dernier. Je vais la citer parce
que je pense que c'est important qu'on s'en… qu'elle nous éclaire pour la suite
de nos travaux.
Alors, je le cite, là, c'est le ministre de la Justice qui parle : «Personnellement,
comme jurisconsulte du gouvernement,
je ne dis même pas si j'ai reçu ou non un avis et encore moins qui aurait pu me
faire un avis, sous quelle forme [il
aurait] été fait et ce qu'il contient. C'est une règle que je suis depuis le
départ. Je vous rappelle que, depuis des décennies, jamais un ministre de la Justice et jurisconsulte n'a révélé
les avis juridiques qu'il a reçus pour éclairer le Conseil des ministres.» Ça comprend évidemment, M. le
Président, les ministres de la Justice qui ont servi sous les gouvernements
libéraux.
Maintenant,
M. Morin, quelques questions d'abord sur votre présentation. Hier, on a
entendu M. Réjean Parent, qui a
été président de la Centrale des syndicats du Québec de 2003 à 2013, je suis
sûr que vous devez le connaître. Il nous disait — et je
reprends ses mots — qu'il
était favorable à l'encadrement des demandes d'accommodement parce que — alors début de la citation — «cela [aurait] le mérite de cristalliser une
grille d'analyse pour de futures demandes d'accommodement et de nous éloigner du traitement à la pièce en
nous forçant à réinventer une roue qui existe déjà». Comment vous réagissez à
ça?
Le Président (M.
Ferland) : M. Morin.
M. Drainville :
Pas sur le fait que ce soit M. Parent qui l'ait exprimé mais sur
l'argument comme tel, sur le fond des choses.
M. Morin (Fernand) : Je vous dirai franchement que ma propre idée à ce niveau-là, c'est que
ce projet de loi, bien sûr, s'il
devient loi, c'est une porte battante qui va ouvrir de nombreux, nombreux,
nombreux débats. Entre parenthèses, je
me demande comment il se fait que vous n'ayez pas reçu une lettre de
remerciement du Barreau, compte tenu de la charge de travail que bien
des avocats auront au cours des prochaines années.
Ceci
étant, je suis convaincu que la tenue de tant de scrutins à savoir… pour la
suspension de l'application de la loi, ces
tiraillements qu'il va y avoir à l'intérieur, à l'interne du personnel des
collèges, des hôpitaux, etc., de toutes les institutions publiques va ne faire qu'alimenter, que nourrir le
feu sur cette question-là, hein? Ce n'est pas pour rien que j'ai soulevé
l'histoire de l'an passé, de l'augmentation,
la légère augmentation des cotisations de scolarité. Il en faut peu pour
allumer un feu, et c'est une question, je crois, qui va exiger beaucoup
de…
Prenons
un exemple. Pour reprendre votre témoin, prenons l'exemple de l'enseignement.
Vous avez à l'article 5 la règle
du premier manquement, le premier manquement d'un salarié, et c'est une mesure
disciplinaire. Dans le cadre du processus
ordinaire, ce qu'on appelle le principe de la progression des sanctions, en ouvrant une première sanction sur ce point-là, dans la mesure où c'est le premier
manquement, bien, s'il y a une sanction et s'il y a récidive, nécessairement c'est la porte ouverte pour la progression des sanctions, et la
progression des sanctions, pour un enseignant ou pour toute autre personne, ça veut dire, à deux ou trois
étapes, un congédiement. Et c'est dans ce sens-là qu'une règle semblable — je
le prends à titre d'exemple — une règle semblable, dire : Le
premier manquement, c'est une mesure disciplinaire, c'est justement
une porte ouverte à des débats, à des coûts énormes, des coûts non seulement financiers, mais surtout moral, professionnel et autres. C'est dans ce sens-là que je dirais… Ce n'est peut-être
pas gentil de le dire, mais le projet
de loi constitue un germe de dispute et de discorde. C'est dans ce
sens-là que…
M. Drainville :
Mais, si vous me permettez, M. Morin, ma question portait sur les règles
devant encadrer les demandes d'accommodement. On pourra revenir, si vous le
voulez bien, sur la question des…
M. Morin (Fernand) : Oui. Vous avez fait, dans le projet
de loi, une synthèse de la
jurisprudence, que je connais bien
forcément, hein, ce n'est pas par plaisir. Par conséquent, il faut se
rappeler : les règles d'accommodement, d'une part, il faut tenir compte… Qu'est-ce que c'est, un
accommodement? C'est faire une exception, une adaptation à une situation particulière,
compte tenu du respect des droits fondamentaux. C'est la base
même. Nécessairement, ce qui est vrai dans un cas peut être erreur dans un autre, il y a
des considérations de personne, de lieu, de temps qui sont en cause. Et, quand
vous regardez votre projet de loi, les articles 15 et 16, il
y a neuf critères possibles, neuf
critères de jugement pour qu'un gestionnaire puisse légitimement,
correctement et valablement, au plan juridique, refuser l'accommodement, et par
conséquent c'est une série de débats. Moi,
personnellement, je ne pourrais pas agir comme arbitre dans le domaine parce que je me commets devant vous, mon
impartialité est bien sûr vidée de toutes pièces, mais ce n'est pas important.
Et il y aura des débats nécessairement,
c'est un exemple entre autres. Et ce qui est vrai par les scrutins, ce qui sera
vrai dans un arrondissement de la
ville de Montréal pourrait être faux de l'autre côté de la rue, dans un autre
arrondissement, etc., donc des problèmes, des conflits internes.
Le Président (M.
Ferland) : M. le ministre.
M. Drainville :
Donc, vous dites, d'un côté, les critères… notamment les critères de
raisonnabilité qui sont inscrits dans
notre projet de charte reflètent l'état du droit, et vous ajoutez que ces
critères qui sont déjà dans la jurisprudence sont sujets à
interprétation nécessairement, hein, comme…
M. Morin
(Fernand) : Pas à interprétation, à adaptation des circonstances de
temps, de lieu et de personne.
M. Drainville :
Mais vous ne pensez pas…
M. Morin
(Fernand) : Et vous avez dans les articles 15 et 16 neuf
conditions, neuf critères pour évaluer la qualité de l'accommodement
demandé, et ces neuf critères sont autant d'excuses possibles pour les refuser.
M. Drainville : Oui, je veux bien. Mais, sur le
fond des choses, est-ce que vous êtes d'accord avec les critères qui
sont proposés?
D'abord,
il faut, pour les gens qui nous écoutent, là, faire la part des choses.
L'article 15 précise les quatre grands critères qui s'appliquent à toute demande d'accommodement qui serait
faite à un organisme public. Donc, il faut d'abord qu'il y ait discrimination. S'il y a un potentiel
de discrimination, la demande d'accommodement doit respecter l'égalité hommes-femmes. Par la suite, on passe au critère
de raisonnabilité, donc pas de contrainte excessive eu égard au respect des
droits d'autrui, santé et sécurité, bon
fonctionnement, les coûts également. Et finalement, pour une demande
d'accommodement qui est faite, donc,
toujours à un organisme public, il faut que le principe de la séparation des
religions et de l'État ainsi que la
neutralité religieuse et la laïcité soient respectés. Ça, c'est les quatre
grands critères qui vont s'appliquer, si la loi est votée, à des
demandes d'accommodement des organismes publics.
Les points…
L'article 16 compte effectivement cinq paragraphes, mais il faut bien
préciser qu'on parle ici de l'encadrement
des demandes de congé religieux. Je voulais juste préciser ça, là, parce que
vous sembliez dire qu'il y avait neuf
critères qui s'appliquaient à l'ensemble de demandes d'accommodement. Il faut
être prudent. Les quatre premiers, effectivement
à l'ensemble des demandes d'accommodement, et l'article 16, les cinq
autres, dirions-nous, c'est spécifiquement pour la question des congés
religieux.
Mais je veux juste revenir sur… Les gestionnaires
que nous avons rencontrés, plusieurs d'entre eux dans tous les domaines, que ce soit hospitalier, dans le domaine
des commissions scolaires, je vous dirais qu'il y a un assez fort consensus, en fait, M. Morin, y compris au sein de la classe politique, pour
dire qu'il faut mieux baliser les demandes d'accommodement. Donc, vous vous inscrivez contre cette volonté de
mieux baliser les demandes d'accommodement tel que nous le faisons dans
le projet de loi?
• (11 heures) •
Le Président (M.
Ferland) : M. Morin.
M. Morin (Fernand) : Non, c'est une... Je dirais que ce n'est pas comme ça, je pense, que
c'est... C'est que, si un gestionnaire
veut refuser, il peut très bien, à l'aide de ces critères, hein, refuser.
Prenons… Il y a une question, par exemple... Il y a des domaines, des données que le salarié, comme tel, ne peut pas
disposer nécessairement. Je vais prendre juste un exemple : l'absence. Est-ce qu'il est
irremplaçable ou remplaçable, etc.? En raison des effets de son absence, hein…
Que sait-il des besoins de l'ensemble
du service et combien de personnes sont disponibles, peuvent être appelées en
rescousse? Comment peut-il répondre à ça?
M. Drainville :
Si vous me permettez, il y a la loi, et par la suite il y a l'application de la
loi. Et ce n'est pas rare, vous
savez, qu'on vote une loi puis après ça on se donne une réglementation qui va
avec la loi. Vous avez travaillé dans le domaine du travail très longtemps, vous savez très bien qu'à un moment
donné il faut se donner des règles internes qui découlent des principes
qu'on se sera donnés.
Alors, nous, on prend
la jurisprudence. En tout cas, pour ce qui est de la partie, là, des critères
de contrainte excessive, on prend la
jurisprudence, on la codifie par un texte législatif. Et ce qu'on dit également
dans les politiques de mise en oeuvre, on dit : Une fois qu'on aura
voté ces grands principes, ces grandes balises, il va falloir par la suite qu'il y ait des politiques de mise en oeuvre dans
les ministères qui vont appliquer, donc, concrètement les balises qu'on se sera données. Et éventuellement il y aura dans
les écoles, il y aura dans les universités, il y aura dans les hôpitaux des,
comment dire… appelons ça le manuel
d'application, mais ça, ça va se faire avec le temps, comme ça se fait pour
toutes sortes d'autres législations.
Avec le temps, on met en pratique la loi, on apprend à travailler avec cette
loi-là sur le terrain et on se donne les règles plus précises, plus techniques,
la mécanique d'application. Je ne vois pas en quoi c'est problématique,
puisqu'on le fait déjà pour beaucoup d'autres législations.
Et je vous le dis
encore une fois, là : Les gestionnaires, vous savez, ils ne se promènent
pas avec la pile des jugements de la Cour
suprême, les gestionnaires. Ils ont besoin, à un moment donné, qu'on les aide.
Et actuellement... Vous voyez ce que
les infirmières ont dit, la FIQ, tiens, principal syndicat des infirmières, qui
sont favorables à la charte et qui
disent : Ça prend des balises. Pourquoi? Parce que dans le tiers des cas
c'est notre infirmière sur le plancher qui est obligée de prendre la décision au sujet de la demande
d'accommodement. Elle ne monte pas au gestionnaire, c'est l'infirmière elle-même sur le terrain qui doit
prendre cette décision-là, souvent dans des situations... vous comprenez, hein,
dans le domaine de la santé c'est souvent des décisions qu'on doit prendre
rapidement, situations de tension, parfois situations
de fatigue. Alors, c'est les gens aussi sur le terrain, comme les enseignantes,
d'ailleurs, qui nous demandent la
même chose : Donnez-nous des balises, parce qu'actuellement la situation,
elle n'est pas claire. Même si la jurisprudence, elle existe… Puis vous, vous êtes un spécialiste de la jurisprudence,
puis c'est pour ça que vous venez partager avec nous vos connaissances, puis on l'apprécie énormément,
mais les gens qui sont sur le terrain, ils demandent une sorte de manuel
qui va clarifier les choses. Et donc je vous
demande : Au-delà des difficultés que vous soulignez, sur le principe même
de clarifier les règles, y compris les règles existantes, est-ce que vous êtes
d'accord avec ça?
Le Président (M.
Ferland) : M. Morin.
M. Morin (Fernand) : On ne peut pas être contre ce que vous dites actuellement, tel que vous
le formulez, mais la transposition
pratique, ça peut être une tout autre chose, et il s'agit d'un gestionnaire qui
veut refuser l'accommodement, pour
une raison ou pour une autre, qu'on lui donne nécessairement tout ce qu'il faut
pour... Il y a un manuel ici pour refuser, pour refuser l'accommodement,
c'est...
M. Drainville : Bon, on ne va
pas...
M.
Morin (Fernand) : …et quels que soient les rêves des gestionnaires que
vous avez pu rencontrer.
M. Drainville :
Mais vous avez raison de dire qu'il y aura toujours une part de la décision qui
appartiendra au bon jugement et au bon sens, on s'entend là-dessus. Mais
ça, si vous me permettez, c'est un principe qui s'applique à l'ensemble des
affaires humaines.
Si vous me permettez,
on va passer à un autre sujet. Il me reste combien de temps, M. le Président?
Le Président (M.
Ferland) : Il reste quatre minutes.
M. Drainville :
Oh boy! Bon. Alors, si je comprends bien votre mémoire… Enfin, je pense bien le
comprendre. Au sujet de la neutralité
religieuse et du caractère laïque des organismes d'État, vous dites, et je vous
cite : «Il allait de soi d'apporter cette dernière précision, car
autrement de multiples aspects de la configuration du Québec auraient été modifiés ou seraient susceptibles de l'être.»
Donc, vous semblez d'accord avec la reconnaissance formelle dans la charte
du caractère neutre de l'État québécois sur le plan religieux, sur le plan,
donc, de sa laïcité.
Maintenant,
à partir du moment, donc, où vous êtes d'accord, c'est ce que je crois
comprendre de votre mémoire, vous
êtes d'accord avec la reconnaissance de la neutralité religieuse de l'État,
est-ce que, pour vous, ce serait acceptable d'interdire pour certains
agents de l'État le fait de manifester ouvertement leurs convictions
religieuses, par exemple pour les policiers,
ou les gardiens de prison, ou les juges? Est-ce que, pour vous… Dans le
prolongement de cette neutralité
religieuse de l'État avec laquelle vous êtes
d'accord, est-ce
que vous êtes d'accord
avec une restriction pour les agents coercitifs?
J'ai bien compris que, pour l'ensemble des signes, là, tel que nous le
proposons, ça, vous êtes contre ça, vous avez un problème avec ça, mais, pour les agents coercitifs, est-ce que
vous seriez prêt à vivre avec ça ou même là-dessus vous trouvez... vous seriez opposé?
Le Président (M.
Ferland) : M. Morin.
M. Morin
(Fernand) : Oui. Je dirais que, pour ce qui est des policiers, je
comprends très bien la question. Je comprends très bien que, compte tenu du
moment où ils interviennent, il ne faut pas donner prétexte aux citoyens de réagir autrement en disant : Toi, parce que
tu es de telle religion… etc., tu sais, une réaction semblable. Je comprends très bien que, comme policier… Je n'ai
aucune, aucune difficulté.
Par ailleurs, mon seul point au niveau du port de signes, c'est la généralisation,
la radicalisation du système pour tous.
Faire assimiler chaque fonctionnaire à un représentant de l'État,
ça me paraît une glissade trop rapide à
ce niveau-là. Je pense qu'un
fonctionnaire demeure un salarié, demeure une personne entière, et il ne perd
pas son âme personnelle parce
que de 9 à 5 il travaille pour l'État.
Le Président (M.
Ferland) : M. le ministre.
M. Drainville : Je veux juste vous dire en terminant, parce que
malheureusement il nous reste très peu de temps… Vous
faites référence également, dans votre mémoire, à l'article 30, là,
c'est-à-dire, dans le fond, la transposition dans la loi d'une directive qui existe déjà — et d'ailleurs qui a été adoptée sous le
gouvernement précédent — et qui prévoit, disons,
résumons ça comme ça, là, qui prévoit que, dans les garderies, CPE et les
garderies privées subventionnées, on
ne doit pas faire l'apprentissage de la religion aux enfants, on ne doit
pas essayer... Bon, alors...
M. Morin
(Fernand) : Ça, je suis tout à fait d'accord, monsieur…
M. Drainville :
O.K., vous êtes d'accord. Parce que...
M. Morin
(Fernand) : …mais sauf sur... Je fais une mention simplement sur le
régime alimentaire.
M. Drainville :
Oui, mais, sur le régime alimentaire, vous savez, ce n'est pas interdit actuellement
dans une garderie, pour un papa ou une
maman, d'arriver, par exemple, à la garderie puis de remettre à l'éducatrice, par exemple, ou à la direction, là, s'il y
a un arrangement... de dire :
Écoute, voici la nourriture que je voudrais que tu serves à mon enfant ce midi, là. Les garderies gèrent ça
différemment, elles ont des... certaines gèrent ça d'une telle façon, d'autres
le gèrent de d'autres façons, mais, moi,
quand j'ai rencontré, par exemple, l'association des CPE, elles m'ont dit que certains de
leurs membres accommodaient très bien les parents, qui ne leur… qui ne
demandaient pas nécessairement un...
Le
Président (M. Ferland) : Sur ce, M. le ministre, le 20 minutes étant écoulé, je dois malheureusement... Mais il y aura un
autre tour tout à l'heure. Alors, je cède la parole au député de LaFontaine. M.
le député.
M.
Tanguay : Merci. Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, M. Morin, merci beaucoup pour le temps
que vous avez pris pour rédiger le mémoire et aujourd'hui d'être présent
et répondre à nos questions.
Vous
me permettrez, M. Morin, juste rapidement de répondre à ce qu'a dit le ministre
un peu plus tôt. Et vous avez vu un appel au règlement
qui était... qu'il a occasionné...
• (11 h 10) •
M. Morin (Fernand) : ...ça, monsieur, là, je ne pourrai pas... Ce n'est pas de la
sous-traitance que je fais, là, hein, vous ne me parlez pas pour...
M. Tanguay :
Non, mais vous avez raison, vous avez tout à fait raison. Alors, je vous
remercie beaucoup.
M. le Président, je pense qu'il est important de corriger les propos du ministre
lorsqu'il essaie de nous faire dire des choses que l'on n'a pas dites. Il a dit hier,
le ministre, que le Parti
québécois, par le projet de loi n° 60, créait la neutralité religieuse de l'État, rien de moins. Les
galées le démontreront, il a dit que le projet de loi n° 60
créait la neutralité religieuse de l'État.
Or, elle existe déjà. Je n'ai pas besoin de revenir sur ce que j'ai fait hier
et ce matin, la démonstration par A plus B qu'elle existe dans la liberté de religion, droit à l'égalité et, dans
la Loi sur la fonction publique,
l'impartialité. Donc, le Parti québécois ne crée pas, c'est une
situation de droit et de fait.
Deuxième
élément : Depuis le 5 septembre, sur le site du Parti libéral du
Québec, plq.org, nous avons toujours clairement
indiqué que nous souhaitons — et ça fait partie du très large
consensus — que l'on
inscrive à l'intérieur de la charte
québécoise des droits et libertés le principe de neutralité de l'État. Et ça,
ça fait partie du consensus très, très large, M. le Président. Et il est important de souligner que le projet de
loi n° 94 en 2010, M. le Président, qui avait été déposé par ma collègue Kathleen… ma collègue députée, à
l'époque ministre, inscrivait dès 2010 — ça, c'était un projet de loi libéral — le principe de la neutralité, venait
reconnaître cet état de fait. Et l'on disait aux articles 10… À
l'article 4, le principe de
neutralité religieuse de l'État devait y être inscrit. À ce moment-là, M. le Président,
il est important de souligner que malheureusement l'actuel ministre, qui
était député à l'époque, a participé à bloquer ce projet de loi là.
Alors,
quand on vient de voir le raccourci qui vient d'être fait, je pense qu'on fait
écho à ce que disait Gérard Bouchard, La démagogie au pouvoir,
M. le Président. Je pense que ce sont des propos qui viennent accréditer la
thèse de Gérard Bouchard, lorsqu'on insinue de telles choses.
Le Président (M. Ferland) :
Là-dessus, je vous inviterais…
M. Drainville : M. le
Président, sur un rappel au règlement. Je pense que c'est important que je le
fasse.
Le Président (M. Ferland) :
Oui, monsieur. Oui, oui, et voilà, allez-y.
M.
Drainville : J'étais
président de la Commission des institutions à ce moment-là. Alors, je suis sûr
que vous n'êtes pas en train de dire
que j'ai utilisé mon siège de président de la Commission des institutions pour
bloquer quoi que ce soit, je suis sûr que ce n'est pas ça que vous
vouliez dire.
Le Président (M. Ferland) :
Merci, M. le ministre. Oui, mais…
M.
Tanguay : Je vous réponds? Question, simple question :
Avez-vous participé au débat? Vous êtes-vous prononcé sur le projet de
loi n° 94?
Le Président (M. Ferland) :
Écoutez, on est… Non, je ne veux pas tomber…
M. Tanguay : Je vous le
confirme.
Le Président (M. Ferland) :
M. le député de LaFontaine, M. le député de LaFontaine!
M. Tanguay : Non, vous n'avez
pas présidé tout le temps.
Le Président
(M. Ferland) : Bien, écoutez… Sans ça, je vais suspendre
quelques instants, si vous continuez dans cette veine-là, monsieur…
M. Tanguay : Alors, M. le
Président, par respect pour M. Morin, continuons.
Le
Président (M. Ferland) : Est-ce que je peux parler? Je préside
encore cette réunion, laissez-moi au moins faire mon travail. Alors, je vous invite tout simplement à faire
attention. Je n'empêcherai pas les échanges, les commentaires entre
parlementaires sur vos opinions ou vos perceptions, au contraire, mais je vous
invite à la prudence.
Et je vous
rappellerais qu'il y a des gens comme M. Morin et d'autres… On a encore
au-delà de 200 personnes qui
vont venir, M. le député, qui ont pris la peine de présenter un mémoire. Alors,
j'aimerais qu'on s'adresse à ces gens-là, qu'on les questionne et qu'on
leur permette de commenter.
M. Tanguay : Parfait, M. le
Président.
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y, M. le député.
M. Tanguay :
Je vous remercie beaucoup, M. le Président. Je le prends à mon compte, votre
commentaire, qui est tout à fait
justifié, et je suis sûr que tous les collègues, incluant le ministre, le prend
à son compte. Mais on ne laissera jamais passer, M. le Président, des
commentaires de cet ordre-là, de cet ordre-là.
Le
Président (M. Ferland) : Je m'adressais à l'ensemble des
parlementaires, je m'adressais à l'ensemble des parlementaires.
M.
Tanguay : On va être vigilants, M. le Président. Ça, je vous
l'assure.
Le Président (M.
Ferland) : Allez-y, M. le député.
M.
Tanguay : Alors, M. le Président, rapidement. M. Morin,
merci beaucoup. Désolé pour cet échange. Deux points très précis, mes collègues ont des questions.
Malheureusement, on n'a que 14 minutes. Le Code du travail, clairement, établit, et même la jurisprudence,
l'obligation, pour un syndicat, de défendre ses membres. Vous avez été…
Une voix :
…
M.
Tanguay : Oui, vous avez tout à fait raison. Lorsque l'on voit…
Vous avez lu, vous avez commenté l'article 14 du projet de loi. Lorsque l'on parle d'une
gradation de mesures disciplinaires, vous dites, et je vous cite… Vous trouvez
ça un peu radical. Hier, il a été démontré
effectivement qu'à un certain moment donné il y a… Et je voudrais vous entendre
là-dessus, mon point, puis je vais vous laisser le temps de répondre.
J'aimerais vous entendre étayer l'état de fait de l'article 14 du projet de loi n° 60. C'est que, de un,
ultimement, mesure disciplinaire veut dire perdre son emploi. Et, de deux, deuxième volet, les syndicats… Là, on
parlait de la FIQ, mais ce n'est que 60 % de ses membres. Autrement dit,
ce n'est pas 100 %. 40 % sont contre, et même d'autres syndicats se
sont dissociés de la FIQ. Le syndicat, de deux, a l'obligation de défendre ses membres, il ne peut pas dire : Ah!
bien ils perdront leur job, puis ce sera… Comme les syndicats nous ont
accoutumés, ils doivent défendre leurs membres bec et ongles. J'aimerais vous
entendre là-dessus.
Le Président (M.
Ferland) : M. Morin.
M. Morin (Fernand) : Oui, c'est une très belle question. Enfin, comme professeur
d'université en droit du travail, j'aurais été très heureux qu'un élève,
qu'un étudiant me pose une pareille question. Ce n'est pas arrivé.
Alors,
ce que je veux dire, c'est que, cette règle, sans doute que monsieur l'a
oubliée. L'article 47.2 est impardonnable sur ce point-là, c'est une obligation, ça fait partie du mandat même
que… Par l'accréditation, c'est ce que demande… et c'est le pouvoir et l'obligation qu'a le syndicat,
de représenter tous et chacun des salariés. Qu'il soit ou non d'accord sur le
fond, il doit les représenter au plan
juridique, représenter. Par conséquent, si jamais il ne le fait pas, le
syndicat ne le ferait pas, il y aurait une plainte contre le syndicat,
et aux frais du syndicat d'ailleurs, hein?
Le Président (M.
Ferland) : Mme la députée de… Notre-Dame-de-Grâce, c'est ça,
excusez. Allez-y.
Mme
Weil : Merci, M. le Président. Oui, Me Morin, je voudrais vous dire dans
un premier temps : On est très heureux de vous recevoir, vous êtes
un juriste éminent. Mon seul regret, c'est qu'on n'a pas plus de temps avec
vous, parce que vous avez un passage extraordinaire sur une étude article par
article — j'espère
que le ministre en tiendra compte si on arrive à l'étape d'article par
article — qui
est très éclairant et qui semble montrer beaucoup d'obstacles, beaucoup de difficultés, etc., parce que vous êtes
beaucoup… Et vous connaissez bien, évidemment, l'arrêt Oakes et tout,
mais je ne veux pas aller dans les détails techniques.
Comment
vous, votre interprétation des expressions «libre et démocratique» tel
qu'affirmé par le juge Dickson, le
sens lorsqu'ils parlent d'une société libre et démocratique et lorsqu'on
interprète des restrictions aux droits fondamentaux, les libertés fondamentales
telle la liberté de religion… comment vous faites, comment dire, la
conciliation entre ces paroles et cette vision et l'interdiction qui est
édictée ou qui serait édictée dans ce projet de loi?
M. Morin (Fernand) : «Libre et démocratique», ce sont des principes au départ, hein, on
allègue au niveau des principes le
mode général d'une gestion, d'organisation, d'aménagement d'une société. Je
pense qu'à ce moment-là il faut le
transposer en plus à quelle occasion on peut mettre en relief ou on peut mettre
en… discuter de cette question : Est-ce que l'acte, ou le geste, ou
la situation est libre et démocratique? C'est dans ce sens-là.
Je
pense que, si… Pour ma part, je dirais, et dans le domaine de la religion…
C'est pour ça que j'ai commencé mon
texte en disant que, lorsque le législateur touche aux questions de
religion, aux questions de croyance, il ouvre une porte battante. Il ne sait pas comment la porte va
se refermer, parce qu'il y a des éléments, des… on a une société… Et Québec, à ce niveau-là, je pense qu'il est très
important de le considérer, dans ce cadre-là, qu'il y a une grande différence
entre la ville de Québec et les environs et
la situation de Montréal. Et c'est pour ça que je trouve que le projet de loi
s'adresse davantage… dans les
premières implications qu'il y aura en pratique, ce sera à Montréal. Et c'est
dans ce sens-là que je trouve que, si une société respecte, par exemple,
les principes fondamentaux, notre société respecte les principes fondamentaux de l'article 3 de la charte,
toutes les six facettes de la dimension de liberté de conscience, d'expression,
de religion, d'opinion, si on respecte ça et
si la disposition que vous mettez en cause respecte ces six facettes, je trouve
qu'à ce moment-là, démocratiquement,
c'est notre mode de vie qu'on élabore, qu'on articule par un article de loi. À
ce moment-là, je n'ai plus rien à
dire, c'est la contrepartie de la règle démocratique. La règle démocratique,
c'est la loi de la majorité, ce qui
suppose, bien sûr, que ce qu'on espère — et Jean-Jacques Rousseau le soutenait, c'est
ce qu'on espère — c'est
une majorité éclairée. Et, la façon de l'éclairer, c'est ici à
l'Assemblée nationale par les partis qu'on peut éclairer.
Le Président (M.
Ferland) : Allez-y, Mme la députée.
Mme Weil :
Je vous remercie. Je n'ai pas le temps, je vais laisser mes collègues… Mais
j'aurai une autre question que je vous poserai après.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, je reconnais la députée de
Bourassa-Sauvé. Allez-y.
Mme de Santis :
Combien de temps?
Le Président (M.
Ferland) : Il reste cinq minutes et… un petit peu moins. Cinq
minutes, disons.
• (11 h 20) •
Mme
de Santis : Merci beaucoup, M. le Président. Merci
beaucoup. J'aimerais faire référence à un sujet qu'on a abordé hier, l'Hôpital Marie-Clarac. L'Hôpital
Marie-Clarac, c'est un hôpital privé subventionné. J'aimerais aussi faire
référence à l'article 10 du projet de
loi n° 60. Et vous en faites vous-même… à la page 11 de votre
mémoire, vous en faites référence.
J'aimerais rappeler à tout le monde que cet article dit que «lorsque les
circonstances le justifient, notamment en
raison de la durée du contrat ou de l'entente, de sa nature ou des lieux de son
exécution, un organisme public peut exiger de toute personne ou société avec laquelle il conclut un contrat de
service [...] — etc. — de respecter un ou plusieurs des
devoirs et obligations [qu'on retrouve] aux chapitres II et III».
Donc,
il y a là la possibilité que l'Hôpital Marie-Clarac, où aujourd'hui la directrice
générale, c'est une soeur, une religieuse… peut être sujet à ce projet de loi, n'est-ce pas? Et j'aimerais avoir votre opinion là-dessus
et j'aimerais aussi que vous nous
expliquiez dans des mots que tout le
monde peut comprendre ce qu'implique
cet article, parce que, pour
moi, cet article va très loin parce que ce n'est pas seulement
les 600… fonctionnaires de l'État qui
sont couverts par le projet de loi, mais la possibilité va au-delà de
ça.
Le Président (M.
Ferland) : M. Morin.
M. Morin (Fernand) : C'est pourquoi je l'ai souligné. J'ai souligné l'importance de l'article 10, je me souviens très bien,
parce que cette
personne-là, cette entreprise est aussi employeur et que, par conséquent, si
elle est soumise à la loi, elle sera…
ses salariés devront également obtempérer aux directives. Et je pense qu'à ce
moment-là ce n'est pas assez clair
dans le projet de loi que cette obligation incombe, incombe, et je dirais qu'on doit l'ajouter probablement dans les règles de mise en
transposition, en pratique. On doit préciser à un donneur d'ouvrage… Comme
donneur d'ouvrage, l'État est donneur d'ouvrage à un entrepreneur. Par conséquent, on doit souligner,
on devrait souligner dans le devis qu'il y aurait sujet à l'application de la charte, pour le fait
que l'employeur ne change pas unilatéralement les conditions de travail des
salariés, parce que, là, il va donner du travail à bien des arbitres puis à
bien des syndicats.
Le
Président (M. Ferland) : Merci. Je reconnais le député de Lotbinière-Frontenac. Il reste à peu près deux… pas tout
à fait deux minutes.
M.
Lessard : Oui,
c'est parfait. Alors donc, Me Morin, merci. Donc, question : Vous parlez de la radicalisation, du fait qu'on étend l'obligation de ne pas porter de signe à tous les employés de l'État.
Donc, exemple, un traducteur qui vient
du ministère des Communications ne devrait pas le mettre. Un
commis de département ne serait pas obligé… ne devrait pas le mettre. Le préposé à la balance à la Société de l'assurance automobile, le mécanicien
de la STM, le technicien aux
équipements audiovisuels, donc, dans l'idée du ministre, lorsque le technicien
à la STM remplace les pneus puis qu'il porte
un signe, il pense qu'il est en train d'induire les autres travailleurs
mécaniciens de sa religion. Il pense que le commis qui transporte des colis d'un département à
l'autre est en train de transmettre sa religion. Donc, est-ce que c'est bien ça
que vous dites…
M. Morin
(Fernand) : Exactement.
M.
Lessard : …cette radicalisation qui dit que tout le monde
qui porte un signe quelconque est en train d'induire n'importe qui dans
sa religion, et c'est la raison première pour laquelle il le met?
M. Morin (Fernand) :
On instrumentalise chaque personne, chaque salarié comme un agent de l'État
pour l'habiller ou le déshabiller selon les
prescriptions, et c'est ça qui m'apparaît important. Puis, je dirais, parfois
négatives.
Compte
tenu de mon âge, j'ai vécu, moi, 1960, hein, j'ai vécu… J'étais un jeune
professeur à ce moment-là — parce que j'ai été jeune un temps — j'étais
un jeune professeur aux Sciences de l'administration ici, à l'Université Laval.
C'étaient des Frères des écoles chrétiennes
qui l'avaient mise en place, la faculté. Il y avait beaucoup d'enseignants qui
étaient en soutane. Jamais, jamais je n'ai
entendu un étudiant ou un de mes collègues laïques critiquer le fait que
l'autre, le mur à côté, était en soutane.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, M. Morin, je m'excuse, on doit aller
maintenant au député de Blainville.
M.
Ratthé : Merci beaucoup, M. le Président. Me Fortin, merci
d'être là. Un mémoire très étoffé, qui va sûrement nous être utile,
d'ailleurs, dans l'étude article par article, parce que vous êtes allé très
précis sur des articles.
D'ailleurs,
j'ai soulevé… Et je n'ai pas beaucoup de temps, en ce qui me concerne, à peu
près quatre minutes. J'ai soulevé que
vous aviez un questionnement sur toute la question de la période tampon, qui
peut varier d'un organisme à un autre. Vous suggérez même peut-être
qu'elle devrait être plus longue.
Est-ce que vous
pensez qu'il devrait y avoir une période tampon pour l'ensemble de
l'application de la loi? Est-ce qu'elle
devrait être plus longue? J'aimerais vous entendre, là, prendre les deux, trois
minutes que j'ai pour m'expliquer votre point de vue.
M.
Morin (Fernand) : C'est ma
crainte qu'en… Je pense qu'au niveau… Je peux comprendre la logique de fond
de faire des scrutins point par point, par groupes de population visés
directement, je peux comprendre ça, mais ce qui m'apparaît difficile, à ce moment-là, c'est qu'on entretient le feu, le
feu possible d'un problème, on radicalise, on généralise le problème et on va toujours avoir une braise
quelque part parce qu'il y aura des scrutins, des scrutins et des scrutins,
etc. C'est dans ce sens-là que je trouve que c'est dangereux, et c'est
dangereux parce qu'on ne sait pas quelles seront les conséquences, hein?
C'est pour ça
que j'ai fait une pirouette, tout à
l'heure, sur l'augmentation des frais de scolarité pour les étudiants et ce que ça a donné. Ce que je veux dire par là, c'est que ce qui
serait mieux, à mon avis, ce serait d'avoir une période tampon règle
générale avec une date de tombée radicale, si vous me permettez l'expression.
M. Ratthé : Et est-ce que
vous recommandez une période tampon plus longue que celle qui est suggérée actuellement?
Est-ce que vous aviez…
M. Morin (Fernand) : Bien, elle est
de cinq ans possible.
M. Ratthé : Cinq ans, donc,
pour vous, ça paraît suffisant?
M. Morin (Fernand) : Tout à fait.
M. Ratthé : Mais elle devrait
être la même pour tous?
M. Morin
(Fernand) : Oui. Et ce qui
permettra, si vous voulez, aux différents ministres, aux différents
responsables d'organisme de mettre au
point, là, mettre au point le système et avoir une certaine uniformité, parce qu'au plan strictement de la mécanique vous allez avoir un ministre
responsable chargé des choses, vous avez dans chaque secteur des ministres
responsables, et par conséquent il y aura
nécessairement… il devrait… il pourrait y avoir, je devrais dire, conflit entre
les ministres. Et, selon la loi, c'est le
ministre responsable qui départagerait les ministres. J'ai rarement vu ça au
Québec, qu'un ministre pourrait
départager. Il y a eu l'expérience sous le Parti québécois jadis, sous
M. Marois, des superministres, mais ils étaient quand même limités
à quelques ministres, et c'était… ils travaillaient en groupe, de toute façon.
M.
Ratthé : Donc, c'est clair pour moi : période de cinq ans
acceptable, mais uniforme pour tous, avec une date butoir.
M. Morin (Fernand) : Oui.
M. Ratthé : Ça me convient.
Merci, M. Fortin.
Le
Président (M. Ferland) : Merci, M. le député. Maintenant, je
reconnais la députée de Gouin. À vous la parole.
Mme David : Merci, M. le
Président. Une question que je vous adresse pour commencer.
Le Président (M. Ferland) :
Oui, allez-y.
Mme David :
La collègue de la Coalition avenir Québec n'ayant pas pris son temps de parole,
est-ce que je dispose d'un peu plus de temps?
Le
Président (M. Ferland) : Non, c'est… Vous avez trois minutes,
on ne peut pas répartir le temps. Donc, vous disposez de trois minutes.
Mme David :
Ça aurait été pourtant sympathique. Bonjour. Merci beaucoup d'être présent.
J'ai deux questions pour vous, je vais les poser rapidement.
Vous avez
parlé du rapport majorité-minorité. Vous avez dit : Ce genre de loi là va forcément
être adopté par une majorité, que
vous espérez éclairée. Moi, ce que je voudrais vous demander : Compte tenu
de l'importance des changements induits
par une charte de la laïcité, quelle devrait être une majorité acceptable?
Au-delà des règles habituelles, quelle devrait être une majorité acceptable, à votre avis, sur le plan politique, sur
le plan moral, sur le plan de l'avancement d'une société pour qu'il y
ait réellement acceptation d'une charte de la laïcité?
M. Morin
(Fernand) : Personnellement…
Je ne suis pas très fort dans les chiffres, hein, alors je ne vous donnerai
pas de chiffre. Je vous dirais que, personnellement, je souhaiterais qu'elle
soit retenue à une très forte majorité pour qu'elle
s'impose elle-même. C'est important qu'elle s'impose, et d'autant plus qu'on en
fait une deuxième charte. Une deuxième charte, aussi, on élève le niveau
au niveau pas seulement, je dirais, virtuel, mais au niveau hiérarchique de la législation, on l'élève en faisant une charte.
Par conséquent, je pense que c'est important qu'elle soit bien martelée et
bien soulignée par l'Assemblée nationale, qui est l'autorité suprême.
Mme David :
Merci. Et j'ai le temps, je pense, pour une deuxième courte question. Je pense
que, dans tout le débat sur la question
du port des signes religieux, implicitement on fait référence au fait que les
employés de l'État… On cite souvent la fonction publique, mais je rappelle
avec vous effectivement que, là, on parle de 600 000 personnes. On est
bien au-delà de la simple fonction
publique, où il y a à peu près 80 000 personnes, mais c'est comme si on
faisait de l'ensemble des employés de
l'État des agents de l'État représentatifs. Et on en fait autant pour un
certain nombre… en fait nombreuses entreprises privées qui en ce moment
même et dans l'avenir contractent avec l'État.
Trouvez-vous
raisonnable que ces 700 000 ou 800 000 personnes, finalement, soient
considérées comme des agents de l'État?
M. Morin (Fernand) : Je pense que ma réponse est dans le texte. Pour
moi, c'est… je ne dirais pas «déraisonnable», mais ce n'est pas objectif, ce n'est pas, je dirais, valable et c'est
exagéré, c'est exagéré. Ça parle d'une idée comme si on voulait
évangéliser, évangéliser la province…
Le
Président (M. Ferland) : Alors, malheureusement, M. Morin,
c'est tout le temps. Je dois reconnaître la députée de Montarville. À
vous la parole.
• (11 h 30) •
Mme
Roy
(Montarville) : Oui. Merci beaucoup, M. le
Président. Bonjour, Me Morin.
Merci pour votre mémoire, un mémoire
étoffé. Vous nous expliquez et décortiquez les articles du projet de loi n° 60, et j'aimerais profiter de votre expertise, puisque vous êtes un éminent
juriste, pour vous poser une question plus précise. On en parlait hier, d'ailleurs, avec le ministre. L'article 10 du projet de loi n° 60, et
vous en parlez à la page 11 de votre mémoire, alors j'aimerais que
vous nous expliquiez ce que l'article 10
du projet de loi n° 60 — vous
en parlez à la page 11 de votre mémoire — signifie.
Et, plus précisément, signifie-t-il que la charte pourra s'appliquer au secteur
privé lors de contrats de services? Alors, j'aimerais que vous élaboriez sur ce
que vous… sur vos enseignements sur l'article 10.
M. Morin (Fernand) : Oui. Bien, c'est ce qu'on a un peu soulevé tout à l'heure également. C'est qu'indirectement, parce qu'il y a un contrat, le donneur d'ouvrage — c'est ce qui est prévu — du
fait de la nature du donneur d'ouvrage, l'entrepreneur, le sous-traitant
aurait à ce moment-là l'obligation, hein, de la respecter.
C'est
dans ce sens-là que je trouve que… Ce qui est important, pour moi, c'est que
cette règle soit bien claire et précisée
dans le devis, notamment pour passer à la transposition pratique, dans le
devis, de manière à ce que l'entrepreneur, qui est employeur à l'égard
de ses salariés, doit être capable de l'imposer et que le syndicat, s'il y en a
un, ou que les salariés, s'il n'y a
pas de syndicat, puissent penser qu'il modifie les conditions de
travail. Parce que ce sont des conditions de travail, il y a déjà une
jurisprudence à savoir que le vêtement est une condition de travail. Le port de
tel, tel vêtement est une condition de travail, et ça pourrait faire un grief, etc. Et c'est important, je pense, que,
si on veut l'application… Je ne suis
pas contre l'article 10 comme tel, mais je pense que ce qui est
important, c'est que le message porte, soit bien clair pour ce qui est du donneur d'ouvrage, que le sous-traitant puisse
savoir qu'il est lié par cette disposition et de
façon à ce qu'il puisse, lui
aussi, lier ses salariés.
Mme Roy
(Montarville) :
Si je comprends bien, lorsqu'on parle du donneur d'ouvrage, donc l'État ou…
M. Morin
(Fernand) : L'État, oui, ou un organisme.
Mme
Roy
(Montarville) : …aura, passera un contrat avec une société. Donc là, on parle
d'une entreprise qui peut être une entreprise privée ou une
personne. La charte pourra s'appliquer à cette entreprise.
M. Morin
(Fernand) : Oui.
Mme
Roy
(Montarville) : Par exemple, une compagnie pharmaceutique qui fabriquerait
des médicaments, qui vendrait ses médicaments à l'État, est-ce que ça
pourrait s'appliquer?
M. Morin (Fernand) : Là, c'est juste une transaction, un achat. C'est une… Il n'y a
pas de suite, hein? Je ne pense pas que ce soit le cas, on ne puisse pas considérer le fabricant de produits
pharmaceutiques comme un entrepreneur. Un entrepreneur… Il n'y a pas eu
un contrat d'ouvrage.
Mme
Roy
(Montarville) : D'accord. Alors, c'est vraiment le contrat de services.
Tout sera dans le contrat, tout sera dans le lien qu'il y aura entre l'entreprise
privée et le gouvernement.
M. Morin
(Fernand) : C'est ça.
Mme
Roy
(Montarville) : Et ce n'est pas un lien qui est uniquement dans le lieu, si on comprend
l'article 10. On parle de nature, on parle de
temps. Ce n'est pas uniquement le lieu où le contrat serait effectué.
M. Morin
(Fernand) : Non, pas du tout, pas du tout.
Mme Roy
(Montarville) :
Parfait. Je vous remercie. Ça clarifie quelque chose pour moi.
Également,
au niveau du projet
de loi n° 60,
on parle de signes religieux ostentatoires, ostensibles. On définit la
grandeur ou la grosseur des signes qui seront permis et non permis, parce que
certains le seront s'ils ne sont pas ostentatoires ou ostensibles. Qu'est-ce
que…
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, le temps est écoulé.
Mme Roy
(Montarville) :
Ça va vite. Merci, maître.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, je vous remercie, M. Morin, pour votre mémoire,
le temps que vous avez pris pour préparer ça. Je suis convaincu que ça
va éclairer les membres de la commission pour la suite des choses.
Alors, sur ce, je
vais suspendre quelques instants pour permettre au prochain témoin de prendre
place.
(Suspension de la séance à
11 h 34)
(Reprise à 11 h 37)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Nous allons maintenant
entendre Mme Michelle Blanc, en vous
mentionnant que vous disposez de 10 minutes pour présenter votre mémoire,
et suivra après l'échange avec les groupes parlementaires. Alors, la
parole est à vous, Mme Leblanc.
Mme Michelle Blanc
Mme Blanc (Michelle) : Bien, merci de me recevoir. Mon nom n'est pas
Mme Leblanc, c'est bien Mme Blanc.
Le Président (M.
Ferland) : Blanc? J'ai dit «Leblanc»?
Mme Blanc
(Michelle) : Blanc.
Le Président (M.
Ferland) : O.K. Excusez. J'ai ajouté un «le» sans… Allez-y,
Mme Blanc.
• (11 h 40) •
Mme Blanc (Michelle) : C'était
mon ancien nom dans une autre vie, puis ça m'a coûté assez cher de changer
de nom, avant que justement les
péquistes décident de faire une loi pour faciliter, justement,
ce changement de nom là.
Écoutez,
je suis vraiment émue d'être ici, je suis touchée. Je vous
remercie de me recevoir, M. le
Président, et Mmes les députées
et MM. les députés. Je remarque d'ailleurs qu'il y a beaucoup de femmes. Merci
à la Révolution tranquille pour ça.
Je
sors de ma zone de confort et je vais vous parler un peu des aspects personnels
qui font que je viens discuter de la
charte avec vous aujourd'hui. Je sors de ma zone de confort, évidemment, je suis une spécialiste du numérique. J'aurais beaucoup
aimé discuter d'un plan numérique pour le Québec, mais aucun de vos
chefs n'a encore eu la vision de penser à ça. Pourtant, c'est plus que l'agriculture
et l'énergie mis ensemble, mais c'est une autre histoire.
Donc, je viens vous
parler à titre de femme, de grand-mère et de lesbienne. Je ne vous parlerai pas
à titre de transsexuelle, puisque je n'ai
pas d'existence légale au Canada. Vous le savez, le bill C-279 est encore en train
de dormir au Sénat, donc je n'existe
pas légalement. Et, comme je viens de vous le dire, bien j'ai déjà été un homme.
J'ai vécu… Je sais c'est quoi, être
quelqu'un de viril. Je sais c'est quoi, faire des jokes de cul. Je sais c'est
quoi, avoir des femmes qui nous
servent d'escortes, parce que j'ai fait le Collège militaire royal de
Saint-Jean, puis on avait des «blind dates». C'était la seule occasion où les femmes avaient le droit de mettre les
pieds, à l'époque, au Collège militaire royal. Et on faisait un concours
«dog of the night», on mettait chacun 5 $ dans un chapeau, et, la moins
avantagée par la nature, si l'élève-officier
avait été gentleman avec elle jusqu'à la fin de la soirée, il remportait le
chapeau. Donc, évidemment, j'ai quand même
un cheminement qui est assez particulier et qui fait que j'ai une vision qui,
je pense, vaut la peine d'être entendue.
Chaque jour, je suis victime de sexisme, de
mépris, de rejet. J'apprends à vivre avec ça, merci à mes psys. Mais évidemment,
si on parle de fait religieux, le mépris monte d'une coche, et, si on parle
d'intégrisme, il monte d'une très grosse
coche. Et, quand je parle d'intégrisme, je ne parle pas nécessairement
de l'intégrisme musulman, je parle même de l'intégrisme religieux chrétien. On n'a qu'à se fier au ministre
fédéral des religions pour comprendre que dernièrement il a décidé qu'on
pourrait «basher» la communauté LGBT si c'était fait dans un cadre religieux.
Puis on est au Canada encore.
Donc,
évidemment, l'intégrisme n'est pas très, très gentil avec les LGBT. D'ailleurs,
moi, quand je vois un voile, l'image
mentale que je me fais, ce sont tous les gais qui se font pendre haut et court
sur la place publique dans des pays de
la... en tout cas certains pays arabes, et évidemment on invite les enfants à
venir voir ça parce que c'est un show familial.
Et,
vous savez, j'ai aussi eu la chance d'apprendre des cours de psychologie, des
cours d'anthropologie culturelle, d'étudier
les religions. Je comprends le phénomène culturel religieux. Je comprends aussi
que la communication inclut du verbal
et du non-verbal et que la puissance évocatrice des symboles non verbaux est
assez forte. On n'a rien qu'à se souvenir
d'un petit morceau de tissu qui était gros de même et qui était rouge, et la
moitié du Québec se déchirait pour un
petit symbole de rien, finalement. Alors, évidemment, quand on voit des grosses
croix, quand on voit des voiles, quand on voit toutes sortes de symboles
religieux, évidemment, ils sont très, très connotés.
On interdit de faire
de la pub aux enfants parce que supposément ils sont susceptibles. Pourtant, il
y en a qui seraient prêts à laisser des femmes voilées avec nos enfants mineurs
à longueur de journée. Un enfant, évidemment, quand
il est dans la phase du pourquoi, il va se poser des questions : Pourquoi
tu portes le voile? Pourquoi les hommes n'en portent pas? Pourquoi,
quand mon papa, il vient me chercher, tu ne lui donnes pas la main? Et
finalement il va peut-être arriver chez eux,
il va dire à sa mère : Maman, moi aussi, je veux porter le voile. Est-ce
que c'est ce qu'on veut pour le Québec? Je suis loin d'être certaine de
ça.
Après
ça, bien on peut se dire aussi... Évidemment, vous êtes une jeune fille, vous
avez 14, 15, 16 ans, vous vous ramassez
à l'hôpital. Vous avez une maladie vénérienne à faire soigner, vous voulez
avoir la pilule contraceptive ou encore vous voulez avoir un avortement. Est-ce que vous voulez subir le
jugement moral d'un signe ostentatoire de votre médecin traitant ou de
l'infirmière qui vous rencontre? Il me semble que non.
Pas plus tard
que la semaine dernière, une dame qui est quand même assez respectée au Québec,
qui s'appelle Lise Payette, révélait
qu'elle était à l'hôpital, et qu'elle avait besoin de faire nettoyer ses
organes génitaux, et que la dame voilée
infirmière qui était là lui a dit qu'elle ne pouvait pas le faire, c'était
contre sa religion. Il me semble qu'on serait dus pour renforcir la laïcité au Québec. On serait dus pour faire un
«statement» et pour signifier aux nouveaux immigrants qui arrivent ici que l'homme est égal à la femme
et que la communauté LGBT, ce n'est pas des freaks qui méritent qu'on
leur crache dessus ou qu'on les batte. Il me semble.
Pourquoi la
charte de la laïcité ne va pas assez loin? Je suis contente d'être ici, dans le
salon rouge, parce que devant moi il
y a ce super beau monument sculpté où il n'y a... et évidemment il y a M. le
président aussi, mais juste au-dessus de M. le président je ne vois pas
la croix de Duplessis...
Le Président (M. Ferland) :
…allez-y, continuez, Mme Blanc.
Mme Blanc
(Michelle) : Je ne vois pas
la croix de Duplessis. Il y en a qui disent que la croix de Duplessis qui
est dans le salon bleu, c'est une mémoire
historique. Bien, moi, mon père, c'est un orphelin de Duplessis qui s'est fait
abuser sexuellement et par les frères et par
les soeurs, qui le cachaient quand venaient les parents pour adopter des
enfants parce qu'ils ne voulaient pas
perdre leur jouet sexuel, puis après ça, bien, ils l'ont envoyé dans un asile.
Ça, ça fait partie de notre histoire.
Et, quand on dit qu'on veut conserver la mémoire historique du crucifix à
l'Assemblée nationale, il me semble
que c'est une mémoire historique un petit peu scabreuse puis qu'on devrait
peut-être le mettre dans un autre endroit. Il me semble.
Évidemment,
il y a toute la question de l'exemption fiscale des organisations religieuses.
On avait un monsieur qui s'appelait
Raël qui ne payait pas de taxe, on a des gens qui font de la dianétique. On a toutes sortes de religions qui sont ici et qui ne paient absolument aucune taxe,
que ce soient les religieux ou les organisations religieuses. Pourtant, on dit qu'on a des problèmes à aller chercher de
l'argent. Il me semble que ça serait une belle occasion de revoir la
fiscalité des organisations religieuses.
On a aussi un
patrimoine architectural religieux assez extraordinaire qui est en train d'être
brocanté au nom de l'Église
catholique. Pourtant, ce patrimoine religieux là a été construit à la sueur et
à l'argent des Québécois. Il me
semble que, si l'Église catholique ne
sait plus quoi faire de ces bâtiments-là, elle devrait le redonner à la société
pour lui permettre de disposer de ces
bâtiments-là comme bon lui semble. Il
me semble qu'on pourrait peut-être
ouvrir ce débat-là aussi.
Il me semble que, vous savez, la discrimination, moi, je
connais ça, parce que je la vis sur une base quotidienne. Moi, je suis très, très ouverte. Je n'ai
absolument aucun problème avec n'importe qui, qu'il vienne de quelque
communauté culturelle que ce soit,
quelle langue que ce soit. J'ai même appris à dire merci dans une dizaine de
langues. Je ne ferai pas la démonstration, mais c'était quand même intéressant.
Pourtant, il n'y a
pas si longtemps que ça, j'étais conférencière à un organisme qui
s'appelle Média Mosaïque, qui favorise l'intégration des communautés
culturelles dans les médias, et, quand c'était à mon tour de parler, je suis
arrivée en avant…
Le Président (M. Ferland) :
…pour conclure, Mme Blanc.
Mme Blanc (Michelle) : Pardon?
Le Président (M. Ferland) : À
peu près une minute pour conclure.
Mme Blanc
(Michelle) : Une minute?
Quand je suis arrivée en avant, la moitié de la salle ostentatoire s'est vidée.
Alors, tous ceux qui avaient des signes
ostentatoires, quand je suis arrivée en avant, ils sont partis. Ce n'est pas
moi qui est partie, là, c'est eux autres qui sont partis.
Moi, je veux
intégrer tout le monde. J'aimerais ça que le monde me dise bonjour quand
on se rencontre sur la rue, qu'ils ne crachent pas à terre quand ils
marchent à côté de moi. Et la journée où on disait qu'il y a des femmes qui se faisaient violenter, cette même journée-là des
femmes voilées qui se faisaient violenter, j'ai croisé deux femmes voilées,
sur Ontario, qui ont craché à côté de moi en me croisant sur
la rue. Alors, la violence faite aux LGBT par les orthodoxes, ça existe.
Il me semble que ça aussi, c'est une réalité qu'on devrait parler.
Merci de m'avoir reçue, M. le Président. Et je
suis prête à vos questions.
Le
Président (M. Ferland) : Merci, Mme Blanc. Alors, maintenant,
nous allons passer à l'étape des
échanges avec les groupes parlementaires. Maintenant, je cède la parole
au ministre. Alors, M. le ministre, la parole est à vous.
M. Drainville : Merci beaucoup. Merci, Mme Blanc, d'être parmi nous. J'ai lu
votre mémoire avec beaucoup d'intérêt.
Un des thèmes que je trouvais le plus porteur, le plus intéressant et sur
lequel je voudrais vous entendre davantage,
c'est sur la force du symbolique, la puissance d'un message symbolique ou la
symbolique… la puissance du symbolique
rattaché à un message, prenez-le comme vous voudrez, mais j'aimerais que vous
nous… que vous élaboriez un petit peu plus là-dessus, c'est-à-dire que vous nous parliez un petit peu de comment vous recevez ça, vous, un signe religieux. Comment… De quelle façon est-ce que
ça peut vous envoyer un message négatif sur votre orientation sexuelle, par exemple? Est-ce que ça nuit à la confiance du
service que vous recevez aussi?
• (11 h 50) •
Mme Blanc (Michelle) : Écoutez, tout
à fait. Tu sais, moi, je vais vous
conter une anecdote. Évidemment, dans mon processus de changement de sexe,
je suis allée pas mal dans les hôpitaux. Je suis allée surtout dans les hôpitaux
privés, j'avais le moyen de me le payer.
Mais, dans les hôpitaux publics, il est arrivé que… À l'époque, je
n'avais pas encore changé mon nom et,
M. le Président, je m'appelais M. Leblanc, à l'époque, et évidemment, bien, il y a un infirmier qui m'a appelée, quand j'étais à la salle d'attente, M. Leblanc.
Alors, déjà, il y a un certain malaise de te lever devant tout le
monde, traverser la salle en entier
et d'être habillée en femme. Je lui ai signifié que j'apprécierais énormément
s'il avait la délicatesse de m'appeler madame, ce qu'il a refusé de
faire et ce qu'il a fait des efforts assez incroyables pour répéter M. Leblanc tout au long de l'examen
que j'ai passé. C'est «rough», hein, on s'entend, là. Puis évidemment, si vous rajoutez à ça une
symbolique religieuse, bien on s'entend que, la symbolique religieuse, il y a
tout un code moral qui vient avec,
et, ce code moral là, moi, je n'ai pas besoin de le vivre. Moi, quand je vois
une grosse croix, bien tout de suite je vois
les orthodoxes chrétiens qui sont au coin de Saint-Joseph et Saint-Laurent et
qui militent par vents et marées contre l'avortement. Quand je vois le voile, je vois les gais qui sont
assassinés, qui sont battus, je vois les femmes qui sont lapidées, je
vois l'écart hommes-femmes. C'est ce que je vois.
Évidemment,
c'est drôle, parce que je lisais un article de Vincent Marissal,
qui évidemment était contre la charte, et, dans son article, c'était affublé d'une
photo où on voyait une femme ici, à l'Assemblée
nationale, voilée de la tête aux
pieds, marchant cinq pieds derrière son mari. Alors, quand on dit qu'une femme
sa vie vaut la moitié de celle d'un homme,
quand on dit qu'une femme doit marcher cinq à 10 pieds en arrière de son
mari, bien, moi, c'est quoi, la distance que je dois marcher? Et qu'est-ce
que vaut ma vie? C'est des questions
que je me pose, c'est des questions que je trouve difficiles et c'est des questions qu'avec les taxes que je paie je n'ai pas le
goût de vivre quand je vais recevoir une prestation d'un service public.
Et
la religion, bien, excusez-moi, là, mais, tu sais, s'il y a
des gens qui disent que le monde s'est fait en six jours puis qu'on devrait enseigner ça dans nos écoles, s'il y a
des gens qui disent qu'on devrait faire de la bouffe halal ou de la bouffe casher, moi, je pense que c'est le Guide
alimentaire canadien qui devrait
décider ce qu'on mange dans les cafétérias et je ne pense pas qu'une idée religieuse devrait avoir préséance sur la
science, sur la philosophie ou sur l'éthique. D'ailleurs, c'est drôle, dans nos écoles on a arrêté
d'enseigner la religion. Alors, pourquoi qu'on ne serait pas laïques jusqu'au
bout?
Le Président (M.
Ferland) : M. le ministre.
M. Drainville :
Vous avez parlé de… Vous avez fait référence à quelques reprises à la
communauté gaie, lesbienne, bisexuelle et
transgenre. On sait qu'il y a des membres de votre communauté, la communauté
gaie, lesbienne, transgenre et bisexuelle…
Mme Blanc
(Michelle) : …si vous dites «LGBT», ça va…
M. Drainville :
LGBT. Oui, mais c'est parce que, pour les gens qui nous écoutent, LGBT, ça…
Mme Blanc
(Michelle) : Oui, c'est vrai que tout le monde ne le sait pas.
M. Drainville :
C'est un peu un jargon, oui, effectivement.
Mme Blanc
(Michelle) : Tout à fait. Vous avez raison.
M. Drainville :
Il faut juste les mettre dans le bon ordre après ça.
Le Président (M.
Ferland) : …population très nombreuse qui nous écoute, hein, M.
le ministre.
M. Drainville :
On a des bonnes cotes d'écoute, je suis sûr, M. le Président.
Le Président (M.
Ferland) : Très bon, oui.
M. Drainville : Vous savez qu'il y a des membres de la communauté
LGBT — puis
c'est très bien ainsi — qui
ne partagent pas votre point de vue, hein? Ce n'est pas un bloc monolithique
non plus, dans la communauté LGBT.
Comment
vous avez réagi, justement, quand vous avez entendu d'autres représentants de la communauté LGBT dire :
Bien, nous, la charte, on est contre parce
que justement on pense que ça
heurte nos valeurs profondes? Comment vous avez réagi?
Mme Blanc (Michelle) : Bien, l'argument qui a été présenté, justement,
c'est qu'on disait que le gouvernement
du Québec s'attaquait à une minorité puis que la prochaine
minorité, ça serait peut-être les LGBT. Quand on sait l'historique du gouvernement du Québec, quand
même, le gouvernement du Québec paie pour les chirurgies génitales, le gouvernement du Québec a fait nombre de
lois favorisant la communauté LGBT, et on sait que les Québécois au fédéral
sont ceux qui ont poussé notamment pour le bill omnibus et pour tous les autres
avantages de reconnaissance des droits de la communauté LGBT. Ça fait que,
quand on dit que le gouvernement frappe sur le dos des minorités…
D'abord, je me demande sur
quelle minorité il frappe. Moi, je
pense que la loi, là, on ne dit pas…
on ne vise pas personne en
particulier, on parle de laïcité. La laïcité, c'est un concept qui englobe tout le monde et qui ne vise personne en
particulier. Maintenant, si on dit qu'on refuse les signes ostentatoires,
bien on les refuse pour tout le
monde, puis je ne vois pas qu'il
n'y ait personne qui soit ciblé en particulier.
Maintenant,
la religion, c'est un choix qui est personnel, mais évidemment le symbole
religieux devient aussi un outil de
propagande, et cet outil de propagande là est très, très chargé au niveau moral
et très, très chargé au niveau des images
qu'il renvoie. Puis évidemment je sais qu'une personne peut avoir une vision
différente d'un symbole. Évidemment, moi, quand je vois un ananas, je pense tout de suite à un piña colada.
Pourtant, au moment où on se parle, en France, quand on voit un ananas, on pense tout de suite à
l'antisémitisme, et à Chaud ananas, et à toutes les choses qui sont
entourées avec Dieudonné. Pourtant,
ce n'est pas de la faute à l'ananas, on s'entend, mais il y a quand même une
symbolique qui est assez forte au moment où on se parle, en France,
associée à un fruit.
M. Drainville : Alors, c'était bien la puissance évocatrice des symboles.
Tout à l'heure, je cherchais mes mots. C'est bien de ça, je trouve, dont
il est question dans votre mémoire.
Là,
à la page 9 de votre mémoire, vous parlez des enfants et de… Dans le fond,
je pense que vous imaginez un scénario
ou un dialogue qui pourrait… enfin, qu'un enfant, comment dire, pourrait
rapporter à la maison. Vous citez un certain
nombre de phrases, là, d'un enfant, par exemple, qui serait dans une classe, son enseignante porte un signe religieux,
et là vous dites : Ces personnes qui
portent un signe religieux se feront inévitablement demander : Pourquoi tu portes un foulard?
Pourquoi ma maman ne porte pas de foulard, elle? Est-ce que tu me le prêtes,
ton foulard? C'est qui, Allah? Pourquoi les hommes ne portent pas de foulard, eux, etc.?
Puis l'inévitable : Pourquoi, maman, tu ne portes pas de foulard comme
ma gentille gardienne? Maman, je veux porter un foulard, moi aussi.
Est-ce que c'est
fondé sur une expérience personnelle, ça, ou est-ce que c'est…
Mme Blanc (Michelle) : Non, absolument pas. Évidemment, bien, je
comprends la psychologie de l'enfant, puis c'était, dans le fond, une démonstration, parce que même… Puis, tu sais,
moi, j'ai une belle-soeur qui est décédée, qui était d'origine bolivienne et qui était d'une extrême gentillesse avec
les enfants. Je n'ai aucun doute que
les gens qui viennent d'autres cultures peuvent avoir des compétences,
le coeur et la passion de servir les enfants. Sauf que ma belle-soeur bolivienne n'avait pas de signe ostentatoire, la question
ne se posait pas. Mais, si ma belle-soeur bolivienne avait eu un signe ostentatoire, inévitablement l'enfant qui
est curieux va poser une question, puis, à
un moment donné, tu as beau être le meilleur pédopsychologue de la planète,
ça va être dur de répondre à des questions
d'un enfant sans indirectement
l'orienter dans une voie plutôt qu'une autre.
Moi,
je serais très, très, très… Et je n'ai pas vu à date, là, de recherche là-dessus…
ou les médias ne se sont pas intéressés
à cette question-là, mais comment une femme voilée peut justifier à un enfant
qu'elle porte le voile sans faire de prosélytisme? C'est quoi, l'argumentation
qu'une dame en garderie qui porte le voile peut donner à un enfant, que l'enfant va comprendre, et que ça
va couper court au prosélytisme? Je ne sais pas, vous, les membres du Parlement, si vous avez des réponses à
cette question-là. Moi, je n'en ai pas. Je me pose des questions.
Puis
moi, je vous dirais, c'est étrange, hein, j'ai resté à Outremont,
qui est un haut fief de la religion juive très orthodoxe, hassidique. Je me souviens d'un moment où… Nous autres, on
restait à un coin de rue d'une piscine publique, la piscine Kennedy,
puis on restait à côté d'une école juive hassidique. D'ailleurs, c'est étrange
qu'on permette aux jeunes Juifs hassidiques
d'arrêter d'apprendre à l'école à
partir de 12 ans et qu'ils ne
soient que focussés sur la Torah. Bon.
Mais, bref, on marchait sur le trottoir, et, à un moment donné, le prof hassidique, quand il a vu ma femme qui
portait un paréo — elle n'était pas toute nue, là, elle était
en paréo — il s'est
dépêché de pousser les enfants dans l'autobus pour ne pas qu'ils soient contaminés par la vue de ma
conjointe. Wow! Puis là les enfants, là, évidemment, dans l'autobus, il
y avait des fenêtres. Qu'est-ce qu'ils faisaient? Ils regardaient par la
fenêtre. Mais, pour lui, là, c'était tellement primordial que ces enfants-là ne croisent pas l'impure mécréante
qu'était ma conjointe, au risque de blesser les enfants en les poussant
dans l'autobus. Tu sais, ça m'a marquée, là.
Puis,
ces mêmes Juifs hassidiques là, moi, je leur disais bonjour, puis ils me
regardaient en pleine face, puis ils tournaient
la tête, puis ils ne me répondaient pas. Et à cette époque-là je n'étais pas
une transsexuelle, j'étais un homme. Et
très souvent, quand on les rencontrait sur le trottoir, ils changeaient de
trottoir. Alors, moi, je veux bien être ouverte puis essayer d'être gentille avec ces gens-là, mais là, à un moment
donné, tu sais, tu leur dis bonjour, puis ils font comme si tu n'existes
pas. C'est «rough».
Puis
une société laïque, une société dont on fait la promotion à l'extérieur qu'on
est une société laïque, qui met en
évidence l'égalité des hommes et des femmes, bien je suppose que les gens qui
vont venir ici vont le savoir puis qu'ils vont dire : Bien, coudon, on va aller là justement parce qu'on est
tannés de se faire écoeurer par les diktats religieux dans nos pays puis
enfin on peut avoir la liberté. Puis, moi, c'est cette liberté-là que je
réclame pour tout le monde, qu'ils viennent
d'où qu'ils soient. On est ici au Québec, on est une société laïque. Tu peux
croire ce que tu veux, crois-le chez vous.
Puis, quand on va être dans les espaces publics, on va tous être ensemble, on
va tous être égaux, puis il n'y en aura pas qui vont être plus purs ou
moins purs que d'autres, là. On sera égaux.
M. Drainville :
Puis pourquoi ça passe… Cette égalité-là, cette laïcité-là, pourquoi
passent-elles par le devoir de
neutralité religieuse, y compris dans l'apparence, donc dans l'abstention de…
ou l'interdiction d'afficher par un signe religieux sa conviction religieuse? Pourquoi, en d'autres… Parce que
vous, vous êtes favorable à l'interdiction des signes religieux pour les
agents de l'État?
Mme Blanc (Michelle) : Tout à fait.
Pour tous les agents de l'État.
M. Drainville :
Oui. Alors…
• (12 heures) •
Mme Blanc
(Michelle) : Puis moi, je vois que c'est... on va y aller par
étapes. Il y a un certain M. Lévesque qui disait «l'étapisme». Alors, la première étape, ça
sera ça. L'autre, la prochaine étape, bien ça sera peut-être
qu'on dira qu'on va commencer à revoir la fiscalité des organismes
religieux.
Puis évidemment,
bien, nous autres ici, moi, je suis très,
très, très fière qu'il y ait
plein de femmes autour de la table,
je suis bien fière de ça, mais je sais qu'il
y a bien des endroits dans le monde
que, pour des raisons religieuses, c'est impensable, les femmes ne devraient pas être ici, elles devraient être
dans une autre salle à côté, puis il devrait y avoir des signes distinctifs qui disent que toi, là, tu
n'es pas un homme, tu es la moitié d'un homme, puis tu devrais marcher en arrière du monsieur. Regarde, je ne veux pas ça
au Québec, là, puis je veux que ça se sache, puis je veux
que ce soit reconnu étatiquement.
Puis je veux que tout le monde ait une chance égale, qu'il vienne de quelque société
que ce soit.
Si tu
immigres au Québec, tu as le droit d'avoir de l'éducation. Moi, ce que je n'aime pas aussi... Il y a une petite citation qui vient de l'ONU sur le droit des
enfants, je pense que ça vaut la peine que je vous la lise, la liberté de
religion de l'enfant. Ça, ça vient du Haut Commissariat des Nations
Unies aux droits de l'homme.
Concernant l'enfant, la déclaration
du 25 novembre 1981 de l'ONU stipulait,
article 5, alinéa 1 : «Les parents ou, le cas échéant, les tuteurs
légaux de l'enfant ont le droit
d'organiser la vie au sein de la famille conformément à leur religion
ou leur conviction [...] en tenant compte de l'éducation morale conformément
à laquelle ils estiment que l'enfant
doit être élevé.» Et alinéa 5 : «Les pratiques d'une religion ou d'une conviction dans lesquelles un
enfant est élevé ne doivent porter préjudice ni à [la] santé physique ou
mentale ni à son développement complet…» Il me semble que
c'est clair. Il me semble que c'est
ça que je voudrais pour le Québec
puis il me semble que déjà on a un droit qui est différent, au Québec, en
fonction que tu es un enfant de Québécois ou
tu es un enfant d'immigrant. Si tu es un
enfant de Québécois, puis qu'on appelle la DPJ, puis que tu es battu,
on va faire une enquête pour voir si c'est
motivé par la haine ou la violence, etc., et on va retirer l'enfant de la
famille. S'il est dans une communauté
culturelle et que c'est culturellement acceptable que l'enfant soit battu, bien
l'enfant continue à se faire battre parce que,
là, on va travailler sur la culture. Est-ce
qu'on veut ça dans notre société
pour les enfants? Est-ce qu'on
veut deux régimes de droit pour les enfants? Moi, je ne pense pas.
Est-ce que
c'est normal qu'une petite fille de six, sept, huit, neuf ans s'en aille à
l'école avec un turban sur la tête? Moi,
je pense que scientifiquement c'est prouvé que les enfants
naissent sans religion mais que l'endoctrinement qui vient par la suite leur en donne une. On peut-u donner
une chance à nos enfants de grandir, puis après ça ils se feront une idée
puis ils choisiront la religion qu'ils
veulent? Il me semble que ce serait bien. Il me semble que vous avez le devoir
de vous assurer que c'est ça qui
arrive. Puis c'est une des raisons pourquoi je suis touchée d'être ici aujourd'hui, parce que je suis grand-mère puis j'aimerais ça que
mon petit-fils évolue dans un Québec qui va reconnaître l'égalité de tous et
qui va reconnaître l'expression identitaire de tous d'une façon égale, qu'ils
viennent d'ici ou qu'ils viennent d'ailleurs.
M. Drainville : Vous avez
entendu ce qui s'est passé à l'Université York. Comment vous avez réagi…
Mme Blanc (Michelle) : …j'en ai même
parlé hier aux Anglos à l'émission Power & Politics.
M. Drainville : Comment vous
avez… Je n'ai pas compris ce que vous avez dit.
Mme Blanc
(Michelle) : J'en ai
justement discuté hier à CBC, à l'émission Power & Politics,
avec quelqu'un qui… mon vis-à-vis de Québec inclusif. Alors, j'étais fière de démontrer au
Canada anglais qu'on pouvait s'obstiner de façon civilisée à propos de la charte au Québec, j'étais fière de ça.
Puis évidemment, bien, j'ai été assez rapide pour ramener l'exemple de York à Toronto et de dire au Canada
anglais : Bien, peut-être que vous
autres aussi, vous devriez commencer à penser
qu'il faudrait mettre des barèmes, il faudrait dire… Mais évidemment on sait
qu'au Canada anglais les conservateurs, ils sont particulièrement… Il y a la droite religieuse. On sait que le
projet C‑279 dont je parlais dans mon préambule dort
au Sénat. Notamment, il y a eu des bâtons
dans les roues d'un certain Rob Anders, conservateur ultrareligieux de droite.
Ça fait que,
tu sais, moi, quand je suis inquiète, là, de l'orthodoxie, là, je ne pense pas
rien qu'aux musulmans, là, je pense à
l'orthodoxie chrétienne, là, l'orthodoxie pentecôtiste, l'orthodoxie de toutes
les religions. Tu sais, les religions, là,
on s'entend, là, ça n'a pas été fait pour mettre l'homme puis la femme sur le
même pied d'égalité, là. La religion, là, c'est l'homme qui contrôle la femme, la femme est en dessous. Puis les LGBT, bien, nous autres, on est encore
pires, là. Nous autres, on est déjà à
l'enfer, là, tu sais, on s'entend, là. Tu sais, moi, je suis déjà le diable,
là, tu sais, puis on me le fait sentir,
là, tu sais. Il me semble qu'au Québec au moins, là, on pourrait peut-être
faire un espace laïque, on pourrait peut-être…
M.
Drainville : Un espace laïque où on est tous égaux, peu
importe notre origine, peu importe notre orientation sexuelle, peu
importe notre langue, peu importe la couleur de notre peau, on s'entend, hein?
Mme Blanc
(Michelle) : Tout à fait. C'est exactement ça, et c'est ça que donne la laïcité. La laïcité
n'enlève pas quelque chose. Tu sais, les gens qui essaient de nous
faire accroire que, ah, la laïcité, tu sais, il y a des gens qui vont être
lésés, aïe, regarde, excuse-moi, là, si on
faisait le compte, là, de ceux qui sont lésés par la religion, je pense que le
chiffre serait pas mal plus gros. Ça
fait que, si on se donne un espace de laïcité, là, bien, ce qu'on est en train
de faire, on est en train de
permettre à des gens d'arrêter de se faire taper dessus pour des raisons
idéologiques religieuses, c'est ça qu'on est en train de faire. On est en train d'aider des gens à arrêter de se
crisser des balles dans la tête. Vous savez, les transsexuels puis les gais, là, il y a un très haut taux de
suicide. Entre autres, ce haut taux de suicide là est dû à cause des
pressions culturelles et religieuses.
Moi, là, je sais que c'est dangereux
pour ma vie de me promener dans plusieurs pays du monde, je sais que c'est
dangereux pour mon intégrité physique de me promener dans certains quartiers de
Montréal. Moi, j'avais le goût de demander à
un poste de télévision de venir avec une caméra cachée puis de me suivre dans
certaines rues de Montréal pour voir la réaction des gens autour quand il y a
une trans qui se promène dans leur quartier, mais je vais vous avouer que, même si j'ai fait le Collège militaire royal
puis que je suis capable de me défendre, j'ai quand même peur, tu sais,
parce que je sais que ça va arriver. Ça fait que j'aimerais ça, là, être capable
de me promener à la grandeur du Québec
puis ne pas être inquiète, là, de recevoir
des pierres. Puis regardez, là, ce n'est pas rien que les religieux, là, on
s'entend qu'il y a des Québécois
qui sont imbéciles aussi. Des imbéciles, il y en, là, il y en a partout, là, tu
sais. Mais sauf que, quand on parle
d'intégrisme religieux, on dirait que la misogynie, que l'homophobie, que la
transphobie montent d'un méchant cran puis parce que, là, c'est justifié
culturellement en plus.
Le Président (M.
Ferland) : Rapidement, M. le ministre, oui.
M. Drainville : Il ne me reste
plus de temps. Est-ce que vous seriez d'accord pour dire dans les mots de
Yolande Geadah, je cite : «Le
symbole religieux introduit [...] une barrière symbolique et une inégalité de
fait entre les personnes qui le portent et les autres»?
Mme Blanc (Michelle) : Tout à
fait. Bien oui, c'est ça, le but d'un
symbole. Le but d'un symbole, c'est de signifier quelque chose qui…
Le
Président (M. Ferland) : Merci, Mme Blanc. Malheureusement, le temps pour le ministre… Mais il en reste
d'autre, là. Vous ne serez pas en reste, rassurez-vous. Alors, maintenant, je
cède la parole au député de LaFontaine.
• (12 h 10) •
M.
Tanguay : Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Merci
beaucoup, Mme Blanc, d'avoir
pris le temps de rédiger un mémoire
et pour votre temps ce matin pour venir répondre à nos questions. Je sais que
mes autres collègues ont des questions aussi, alors je vais y aller rapidement.
J'ai peut-être deux questions.
Évidemment,
dans votre mémoire… Et je lis, je
vous cite : «C'est une chose de voir le monde au travers d'une lentille, une autre d'agir comme si c'était la
seule qui soit valable.» Autrement dit, évidemment, les convictions
religieuses… Et très clairement, là,
vous n'êtes pas contre les convictions religieuses, au contraire. Pour des
gens — puis
corrigez-moi si j'ai tort, là, je
vais essayer d'y aller rapidement — pour des gens, évidemment, une conviction
religieuse peut donner un sens à leur vie. Ce qui est important,
évidemment, puis ce qu'on ne veut pas, c'est qu'il y ait de l'intolérance, des débordements. Et, pour une personne, vous
reconnaissez évidemment puis vous ne contestez pas ça, c'est son choix de
croire ou ne pas croire, de croire en la
religion qu'elle veut ou de ne pas croire du tout, d'être athée. C'est son
choix, à cette personne-là. Et, par
exemple, une personne pourrait porter… un Juif pourrait porter la kippa, et
c'est son choix, et des Juifs ne la portent pas, et ainsi de suite.
Donc, l'importance de la tolérance.
Et
j'aimerais vous citer rapidement une phrase parce que c'est bien dit, là, c'est
la phrase écrite par Jocelyn Maclure dans
un article, Options politiques. Jocelyn Maclure est un professeur à
l'Université Laval, Faculté de philosophie, et il disait ceci, je le cite : «La liberté de
conscience et de religion n'inclut pas, heureusement, le droit de ne pas être
exposé aux apparences et aux croyances qui nous déplaisent.» Et il
parlait de tolérer les irritants.
C'est
sûr que, pour chacun d'entre nous, il y a des choses basées sur notre
personnalité, sur ce que nous sommes, sur
nos valeurs que, oh, ça, ça me dérange un peu plus, puis, pour d'autres, ça ne
les dérangera pas, mais, pour d'autres, ça ne les dérangera pas du tout ou plus, ainsi de suite. Chacun est
libre de penser ce qu'il veut, mais… Et, je pense, c'est important,
votre témoignage. Il est important de faire preuve de tolérance en société.
Donc,
j'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce que… Et évidemment, là, tous les
exemples que vous avez donnés, là, on
est tous d'accord là-dessus. Des exemples d'intolérance, là, il n'y a pas
personne qui est en faveur de cela. On parlait de l'Université York, l'importance, évidemment, de baliser. C'est ce que
l'on veut faire, il y a un large consensus, baliser les accommodements pour que ce soit raisonnable,
et l'Université York nous donne un bon exemple de l'importance de baliser. Mais ma question — et je conclus là-dessus : Croyez-vous
qu'il est important de reconnaître cette importance-là qu'on ne pense pas tous pareil, qu'on n'est pas
tous pareils mais qu'on doit tolérer, et qu'un signe religieux — je mets de côté, là, l'extrémisme,
les radicaux, ça, on est tous contre ça — n'est pas nécessairement du
prosélytisme, n'est pas nécessairement une
agression à l'autre pour dire : Bien, je suis Juif, j'aimerais ça que tu
sois Juif, puis c'est la seule façon de vivre?
Mme Blanc (Michelle) : Je suis parfaitement d'accord avec vous puis je
comprends évidemment… Puis, écoutez, je
veux dire, moi, je suis en affaires, là, puis j'ai des clients de toutes
origines. Puis, tu sais, à un moment donné j'avais même un client rabbin, et évidemment il avait ses
signes ostentatoires, puis on allait manger dans des restaurants cashers.
Puis c'est une des personnes avec qui
j'aimais vraiment avoir des lunchs d'affaires parce qu'il était vraiment
philosophique, puis je trouvais ça très, très, très enrichissant.
Écoutez,
j'ai étudié en anthropologie culturelle. J'aime les autres cultures, j'aime la
diversité. Malheureusement… Parce
qu'il y a toutes sortes de diversités, mais malheureusement la religion,
historiquement, bien, je veux dire, ça a créé la guerre. Malheureusement, la religion, ça a créé des femmes qui se
font lapider. Malheureusement, la religion, ça a créé l'Inquisition. Ça a créé un paquet de problèmes,
tu sais. La religion, je veux dire, tu sais, on est tous pour l'amour, mais
au nom de la religion on se tape sur la gueule, tu sais.
Puis il me
semble que, dans un État laïque… On a fait la Révolution tranquille, on s'est
débarrassé de certains symboles
religieux ostentatoires au Québec dans les années 1960, puis là, tout d'un
coup, je ne sais pas pour quelle raison, mais là, tout d'un coup, on va laisser ça
réapparaître? Parce qu'évidemment il y a une poussée des intégrismes partout
sur la planète, là. De tous les intégrismes,
là, je ne vise pas de religion en particulier, mais il y a une poussée des
intégrismes. Nous autres, on s'est
débarrassé de ça, puis là, tout d'un coup, là, on va dire : Non, non, non.
Finalement, au nom de la diversité,
on va laisser les religions se réinstaller au Québec puis… Non, regarde. Tu
sais, oui pour la différence. Oui, pratique
ce que tu veux. Oui, habille-toi comme tu veux. Mais, dans un contexte
gouvernemental de prestation de services… Ce n'est pas grand-chose de demandé. Tu pourras croire ce que tu veux,
tu pourras mettre ton signe ostentatoire, si tu veux, tu pourras aller
faire du pied de grue au coin de Saint-Joseph et Saint-Laurent sur tes heures,
mais, sur les heures de travail, refrène-toi.
Puis on
demande déjà aux fonctionnaires de se restreindre d'exprimer et de présenter
des symboles politiques et des opinions politiques. Ça fait que moi, je trouve
que la religion, là, ça va de soi, là, c'est même… Puis même que, je veux dire, on a mis la politique au-dessus de la
religion, au Québec, tu sais. C'est ça, là, tu sais, on a fait une séparation
Église-État claire. Puis là, tout d'un coup,
on va dire que, non, la religion, finalement, là, pour les signes
ostentatoires, là, c'est plus important que la politique? Bien non, ça
ne marche pas, là. Il faut être logique, là, tu sais.
M. Tanguay :
Si vous me permettez, la seule dernière question que je me permets, parce qu'il
nous reste moins de huit minutes, puis je sais que mes autres collègues
veulent poser des questions.
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y, M. le député.
M. Tanguay :
Dans ce contexte-là, comment… Parce qu'évidemment il y a plusieurs programmes,
on en a fait état hier, de ce qu'on
appelle… de discrimination positive, parce qu'au Québec, évidemment, le droit à
l'égalité, tu ne peux pas discriminer
sur l'orientation sexuelle, grossesse, religion, et ainsi de suite. Le fait de
dire dans l'État… Et ce matin mon
collègue citait des exemples, qu'une personne qui est grutier dans le fond d'un
entrepôt pour la SAQ… que cette personne-là ne porte pas une croix ou
une kippa parce qu'on aurait peur qu'il influence ses collègues, mais ne croyez-vous pas que, là, on vient carrément de
jeter à terre tout ce concept au niveau appliqué de la représentativité dans
notre fonction publique de différentes
couches de la société, de différentes personnes, je devrais dire? On n'est pas
tous pareils, on est différents, puis
il ne faut pas dire : Bien, cette personne-là a telle couleur de peau, tel
sexe, telle religion, telle
orientation sexuelle. On va même les favoriser pour que ça soit représentatif
de la société. Vous n'avez pas peur qu'au niveau de la fonction publique, ça, là, ce pan-là, au niveau de la
discrimination religieuse, on vienne de le jeter à terre avec ça?
Mme Blanc
(Michelle) : Au contraire,
moi… Justement, il n'y a pas de discrimination religieuse. Au contraire,
on dit : Regarde, on s'en fout, de ta
religion, garde-la chez vous. Au contraire, on dit : Regarde, là, si toi,
là, tu es tanné de vivre dans un État
religieux qui brime tes droits, viens-t'en au Québec, parce qu'ici, au Québec,
là, on accepte toutes les religions.
Ici, au Québec, là, tu peux travailler au gouvernement, que tu sois de quelque
race, de quelque culture que ce soit.
La seule chose qu'on te demande : Pendant huit heures de temps, ne
t'affuble pas de signes religieux ostentatoires, que ce soit en «front line» ou dans le back-store en arrière. Puis de
toute façon, si c'est si important pour toi, ton signe ostentatoire, il
y a plein d'employeurs au Québec, tu peux travailler ailleurs en plus.
Ça fait
que, pour travailler au gouvernement, avec les taxes, nous autres, notre
valeur, c'est l'égalité hommes-femmes puis
la laïcité de l'État, ça fait qu'on met ça clair. Puis, je veux dire, c'est un
choix, hein, c'est un choix personnel, là. Puis, si, toi, ta religion est tellement importante, bien là pourquoi qu'elle
est importante à ce point-là, là, tu sais, puis c'est quoi, les autres valeurs morales, là, qui vont être si
importantes, qui vont venir avec l'importance, là, de ça, là? C'est quoi, le
corollaire, là, tu sais?
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci. Je reconnais la députée
de Notre-Dame-de-Grâce. Il reste cinq minutes environ.
Mme Weil : Merci, M. le
Président. D'abord, je voudrais vous saluer, M. Blanc. On se voit…
Une voix : Madame.
Mme Weil : Oui, madame,
excusez-moi. On se voit chaque année.
Mme Blanc (Michelle) : Tout à fait.
En Mauricie.
Mme Weil : Non.
Mme Blanc (Michelle) : Non, ce n'est
pas en Mauricie?
Mme Weil : Au mois d'août,
lors du défilé, fierté gaie.
Mme Blanc (Michelle) : Ah! C'est ça.
O.K., O.K.
Mme Weil : Et donc je vous
remercie aussi pour la générosité dont vous faites preuve, parce que non, mais,
honnêtement, ce n'est pas évident, ce n'est
pas facile, c'est des épisodes très, très pénibles de votre vécu. Et juste une
petite anecdote.
J'étais à la régie régionale pendant les années 90, et on avait souvent
les représentants des enfants de Duplessis qui venaient nous faire des représentations sur le besoin de
compensation, et donc j'étais très sensibilisée quand vous avez dit…
C'est votre père, c'est bien ça, qui est…
Mme Blanc (Michelle) : Mon père,
oui.
Mme Weil :
Alors, on comprend. Et, lorsque… Ça fait plusieurs années quand même qu'on a ce
débat sur la laïcité, l'expérience
québécoise en particulier, puis il y a vraiment un groupe en particulier, ça
revient beaucoup à l'Église catholique et
le vécu que ces gens ont eu avec l'Église catholique. Et des fois c'est un peu…
Je ne suis pas sûre si, le ministre, son intention de laïcité, c'est une condamnation des religions, hein? Alors,
il faut essayer de faire la part des choses dans tout ça. Puis il y a
deux points de vue sur la neutralité puis comment la neutralité s'exprime,
c'est vraiment ça, là, au Québec. Il y a
beaucoup de gens comme vous où la neutralité doit s'exprimer par
l'interdiction, on ne porte pas de signe religieux. Pour beaucoup d'autres, notamment les juristes,
les tribunaux, la neutralité, c'est qu'on est neutre face aux religions et l'expression des religions, donc on ne
porte pas de jugement sur la religion de quelqu'un. Et toute la question est
là.
Mais je veux en venir donc… parce que ça m'a fait
penser parce qu'on se voit à chaque année au défilé. La Commission des droits de la personne, pour que le gouvernement arrive
avec la politique contre l'homophobie et le plan d'action contre l'homophobie, on s'est beaucoup inspirés de l'étude et
le rapport de la Commission des droits de la personne, Égalité de droit doit devenir égalité de fait. Et on est un peu dans tout ça. Puis, pour
poursuivre un peu avec les questions de mon collègue, toute cette notion
d'égalité de droit qui doit… on doit s'assurer qu'il y a une égalité de fait.
N'avez-vous
pas une inquiétude que l'interdiction… Parce que, quand on parle de
discrimination, ce n'est pas, comment
dire… la discrimination est interprétée de façon très factuelle et pragmatique.
S'il y a un impact discriminatoire, c'est
de la discrimination. Donc, on a entendu des gens venir, le COR notamment, dire
qu'il y a des femmes qui vont être obligées
carrément — puis
c'est une croyance sincère — de quitter leur emploi. Donc, il y a une
perception des juristes, et la
Commission des droits de la personne va venir le dire, ils l'ont dit, qu'il y
aura discrimination, un impact discriminatoire. Donc, on va avoir l'effet inverse. On a l'égalité de fait en sorte… en
ce qui concerne la liberté de religion, surtout dans l'espace gouvernemental, ces gens-là actuellement
travaillent au gouvernement, et là on
va inverser parce qu'on a une notion
de droit qu'on veut importer de la France, d'une laïcité stricte, qui aura un
impact discriminatoire. Vous n'avez pas
une inquiétude? Et je pense que c'est peut-être l'inquiétude que
j'ai comprise de Xavier Dolan et d'autres personnes de la communauté
LGBT, de cet impact-là.
• (12 h 20) •
Mme Blanc
(Michelle) : Mais justement
c'est que moi, je vois la discrimination et je trouve qu'il y a
deux côtés. Il y a le côté du donneur de la prestation de services,
mais, du côté de celui qui reçoit le service, lui aussi, il peut être victime
de discrimination. Puis, tu sais, on parle beaucoup
des employés de l'État, là, mais on pourrait peut-être parler aussi des
citoyens qui reçoivent les services des employés de l'État. Eux autres, là, ils
ont-u le goût, ils ont-u...
Vous savez, l'exemple, tu sais, c'est quand même...
Tu sais, je veux dire, toi, tu es un jeune, là — puis on va prendre un
exemple fictif, là, O.K. — tu
es un jeune Arabe, O.K., et tu as besoin de soutien psychologique parce que justement
il s'avère que tu es gai. Tu n'es déjà pas très,
très bien accepté dans ta communauté, tu as de la difficulté à en parler, tu t'en vas au CLSC, puis tout d'un coup
la psychologue qu'on te présente, elle porte un voile. Toi, là, tu vas-tu te
sentir capable d'exprimer ton besoin évident
d'aide devant cette psychologue — qui peut être une excellente psychologue,
elle s'adonne juste à avoir un voile? Toi,
là, en tant que gai arabe, là, tu vas avoir une image mentale qui va se faire,
là. On fait quoi de ces gens-là, là? On fait quoi de cette perception-là
du côté usager?
Le Président (M. Ferland) :
…malheureusement je dois passer la parole à la députée de Montarville. Alors,
Mme la députée.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui. Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour, Mme Blanc.
Mme Blanc (Michelle) : Bien,
bonjour.
Mme Roy
(Montarville) : Merci. Merci pour votre mémoire. Je
comprends votre position. Je comprends fort bien aussi que vous êtes pas mal contre tout ce qui est symbole
religieux, signe religieux et cet héritage religieux qui, pour vous, est pénible, et on le comprend. Cependant,
là, j'aimerais vous demander votre opinion concernant la décision qui a
été prise par le ministre de mettre dans sa charte, son projet de loi la
décision d'interdire le port de signes religieux ostentatoires, ce qui signifie, il faut bien se le dire, qu'il va y en
avoir quand même, des signes religieux, qui seront visibles et pas
ostentatoires. Vous en pensez quoi, de cette nuance-là qui a été faite?
Mme Blanc
(Michelle) : Bien, écoutez,
moi, que quelqu'un, là, il ait une petite croix de David dans le cou, ça ne
me dérange pas… ou un croissant de lune, là,
bon, tu sais, on s'entend que, tu sais, tu peux avoir des boucles d'oreille
avec des croissants de lune si tu veux, là,
moi... avec une étoile dedans. C'est bien correct, là, tu sais. Mais
évidemment, quand tu as une grosse
croix dans le cou, là, tu sais, là il y a un malaise, là, tu sais, parce que,
je veux dire, le symbole, là, il vient avec un jugement moral.
Puis, vous savez, je veux dire, bon, vous êtes
sûrement beaucoup plus jeune que moi, mais...
Mme Roy
(Montarville) :
C'est encore drôle.
Mme Blanc (Michelle) : ...mais vous devez quand même vous souvenir, là,
quand vous étiez jeune, là, de tout le
poids de la religion sur les femmes. Écoutez, moi, je veux dire, je me
souviens, là, tu sais, moi, j'ai été servant de messe, hein, j'ai été Jeunesse du monde, j'ai été bien,
bien religieux, puis à un moment donné ma mère s'est divorcée, puis on
n'était plus bienvenus à l'église, là, tu sais. Bien, je veux dire, ça, il y a
ça aussi, là, tu sais. Bon.
Puis là, tu sais,
quand je dis que je suis contre les symboles, je ne suis pas pour qu'on
commence à enlever la croix du mont Royal
puis, tu sais, je ne suis pas une talibane, là, comme ils ont fait exposer les
deux géants, là. Bon, on ne s'en va
pas jusque-là, là, j'espère, là. Tu sais, on a quand même une histoire, puis je
suis pour la valorisation de l'histoire religieuse du Québec. D'ailleurs, on a un tourisme religieux qui est
très, très, très bon, qui est très bon pour le Québec puis qu'on devrait continuer de valoriser à
l'extérieur de la planète. Sauf que, pour les institutions, pour les
travailleurs de l'État, pour le
Québec, moi, je suis pour la laïcité. Puis regarde, là, si tu veux manger
casher, pas de problème. Fais-toi un
lunch puis amène-le, tu sais, bon, puis n'exige pas qu'on fasse de la bouffe
cashère, là, dans les institutions. Puis les gars puis les filles, là, qu'on va séparer dans les piscines, là, pour
des raisons religieuses, bien non, ça n'a pas de sens. O.K.?
Mme Roy
(Montarville) :
Pour revenir…
Mme Blanc (Michelle) : Si tu
veux séparer les gars puis les filles, construis-toi ta piscine dans ta cour,
puis ta fille ira se baigner toute seule, puis ton gars ira se baigner
après.
Mme
Roy
(Montarville) : Et ça, c'est au chapitre des
accommodements religieux, et on s'entend qu'il faut les encadrer. On
s'entend parfaitement là-dessus.
Mme Blanc
(Michelle) : Tout à fait.
Mme
Roy
(Montarville) : Cela dit, je reviens à ce que vous
disiez sur... Vous dites : Une petite croix, ça ne me dérange pas, mais une grosse, là, ça commence à
être symbolique, là, puis ça commence à dépasser. Mais pensez-vous qu'il y aurait une… qu'il y aura, si la loi
devient réalité, une difficulté d'application? Parce qu'à partir de quel moment
votre croix est considérée trop grosse ou
pas assez grosse? Trouvez-vous que M. le ministre se complique la vie avec ça?
Mme Blanc (Michelle) : Écoutez, si on dit… Tu sais, c'est drôle, hein,
parce qu'écoutez, tu sais, moi, je ne sais pas s'il y a une loi là-dessus, mais je n'ai jamais vu de fonctionnaire
avec un mohawk sur la tête. Je n'en ai pas vu encore, O.K.? On n'a pas légiféré là-dessus. On pourrait
légiférer là-dessus puis on dirait : On interdit aux fonctionnaires
d'avoir un mohawk sur la tête. Puis
là, bien, on va définir c'est quoi, un mohawk, à partir de quelle hauteur de
cheveux puis combien de rasé que
c'est un mohawk ou que ce n'est pas un mohawk, ou c'est ci, ou c'est ça. Je
pense que c'est une question de principe, à un moment donné, là, tu
sais. Puis je pense que, si on aurait légiféré pour dire que, si tu donnes un
service gouvernemental, tu n'as pas le droit
de mohawk, personne n'aurait pogné les nerfs avec ça, mais, quand on parle de
religion, tout d'un coup c'est un sujet délicat, puis gna, gna, gna.
Aïe! Regarde, on est une société laïque, puis il y a une idée...
Le Président (M.
Ferland) : ...je dois céder la parole au député de Blainville.
M. le député.
M.
Ratthé : Merci, M. le Président. Mme Blanc, heureux de
vous voir parmi nous. Vous êtes sûrement une des personnes qui, en tout cas je l'espère, j'en suis convaincu, pourra
peut-être répondre à... Je veux apporter un angle différent...
Mme Blanc
(Michelle) : Allez-y donc.
M. Ratthé :
...puis je pense que vous êtes une des seules, probablement, qui peut-être
pourra répondre à cette question-là. En
lisant votre mémoire, ce qui m'a beaucoup frappé, c'est toute la discrimination
dont les LGBT font encore... sont
encore victimes. Vous l'avez surtout souligné de la part de certains
intégristes, puis j'ai bien compris que ce n'est pas, justement,
musulmans, là.
Mme Blanc
(Michelle) : Les Québécois aussi. Oui, oui.
M. Ratthé :
Des fois, on est porté à tout cibler sur les musulmans. Je pense que c'est une
erreur.
Mme Blanc
(Michelle) : Tout à fait.
M.
Ratthé : Jusqu'où devrait aller la neutralité de l'État? Puis
je vous explique le fond de ma pensée. On vous a sûrement, dans votre... Et c'est ce que je veux entendre de vous.
Peut-être, dans votre expérience passée, peut-être qu'on a voulu, sur vos lieux de travail, vous empêcher
d'afficher, j'allais dire, votre différence. Ça a dû être assez difficile au
départ, c'est ce que je comprends, là, pas
juste sur la rue, peut-être en milieu de travail. Est-ce qu'encore aujourd'hui
on exige ou est-ce que ça existe
encore, des endroits, on pourrait dire, et même s'il y a une loi qui empêche la
discrimination sexuelle… est-ce que
ça existe encore que des employeurs vont dire : Bien, il faudrait être
plus discret — par
exemple à un transgenre — sur ton apparence? Et, si ça n'existe pas ou
si ça existe, est-ce qu'on devrait aller plus loin dans la neutralité en
général de l'État?
Vous avez donné un bon exemple, vous m'avez
ouvert la porte sur les mohawks : Bon, est-ce qu'on est prêt à tolérer un
mohawk? Est-ce que vous comprenez le sens de ma question?
Mme Blanc
(Michelle) : Oui, mais…
M. Ratthé :
Est-ce que la laïcité est le... Est-ce que c'est l'endroit où on devrait...
Est-ce que c'est le plus loin qu'on
devrait aller dans la laïcité religieuse, là, au niveau de la neutralité de
l'État? Est-ce qu'on devrait aller encore plus loin?
Puis je vais
sous-entendre une question, puis là je vous laisse me répondre : Est-ce
que ça devrait s'appliquer aux députés? Parce que, dans la loi...
Mme Blanc (Michelle) : Est-ce que ça
devrait s'appliquer au quoi?
M. Ratthé : À l'ensemble des
députés. Parce qu'actuellement, dans la loi, ce n'est pas prévu.
Mme Blanc
(Michelle) : Bien, écoutez,
bon, je comprends que, pour les députés, là, il y a quand même la base de démocratie, puis, bon, à un moment donné, si tu
es élu avec un signe religieux ostentatoire, tu mérites de siéger avec ton signe religieux ostentatoire. O.K.? Ça, je le
comprends, tu sais, je suis assez démocrate pour ça. Par contre, pour les
institutions en général, oui, la neutralité de l'État; oui, la laïcité; oui,
l'ouverture à la différence.
Puis
maintenant, dans mon lieu de travail, c'est difficile, pour moi, de vous
répondre, parce que moi, je suis à mon compte.
Je suis consultante puis je fais ce qu'on appelle du «pull marketing». Donc, ce
n'est pas moi qui appelle les clients, c'est
eux autres qui m'appellent. Puis, quand ils m'appellent, généralement ils
savent un petit peu qui je suis, puis ça leur tente en maudit de travailler avec moi, puis ils sont contents de me
faire des beaux chèques, ce qui est différent de venir vous rencontrer
ce matin, mais bon.
Maintenant,
par contre, je vous dirais que, dans les trois dernières années, j'ai eu trois
menaces de mort, dont la dernière est
encore analysée par la Sûreté du Québec. Justement parce que je suis un petit
peu médiatisée, que j'ai une grande
gueule et que j'exprime mes opinions, bien, évidemment, il y a des gens que ça
ne fait pas leur affaire. Et, je vais vous
dire, ce qui est assez étrange : quand je passe à la télévision comme une
transsexuelle ou... là c'est correct, je suis une freak qui parle du fait qu'elle est freak, mais, quand je passe à la
TV comme la grande experte du marketing Internet ou de l'économie numérique et qu'il n'y a pas un mot qui est dit sur le
fait que je suis une transsexuelle, là, tout d'un coup, c'est comme si on normalisait le fait que je suis
une freak, puis il y a du monde qui n'aime pas ça, et c'est là qu'il y a les
menaces, la hargne et les insultes et que ça
arrive. Donc, si je suis une fuckée, c'est correct, mais, si je suis une
personne normale qui s'adonne à être
transsexuelle, ah non, ça, ça ne marche pas, là, tu sais. Ça fait que ça, c'est
la réalité un peu, là, tu sais.
M. Ratthé : Merci. Je vais
conclure puis...
Le Président (M. Ferland) :
Merci, M. le député. Je dois passer la parole à la députée de Gouin.
Mme David :
Merci, M. le Président. Mme Blanc, bonjour. Et, bien évidemment, vous
savez que je partage un certain
nombre de vos points de vue, mais vous savez que je ne les partage pas tous non
plus. C'est ça, la démocratie, hein?
Mme Blanc (Michelle) : Bien oui.
• (12 h 30) •
Mme David : Et ce que je
partage énormément, c'est votre critique de l'intégrisme religieux. Ça,
là-dessus, il n'y a aucun problème. Mais je
veux juste vous soulever une couple de contradictions puis j'aimerais ça vous
entendre là-dessus.
À l'article 12 du projet de loi n° 60,
on prévoit que «les devoirs de neutralité et de réserve ne peuvent [pas] avoir
pour effet d'empêcher l'application des règles déontologiques prévues par la loi permettant au médecin et
au pharmacien de ne pas recommander
ou de ne pas [servir] des services professionnels en raison de leurs
convictions personnelles». Là, on ne
parle pas de gens qui portent ou non des signes religieux, on parle, par exemple, d'un médecin qui refuserait de
prescrire la pilule du lendemain. Et ça s'est déjà vu au Québec,
par des Québécois de souche. Ils auraient donc le droit de
continuer à ne pas prescrire la pilule du lendemain si ça va contre leurs
convictions personnelles et probablement religieuses,
l'article 12 de la loi le permet encore, l'article 12 du projet de loi qu'on est en train de regarder, là, mais d'un
autre côté on dit : Il faut
absolument éliminer tous les symboles qui nous montrent que telle personne
employée de l'État a une appartenance religieuse parce que,
là, cette personne-là, elle nous dit : Dans le fond, je ne suis pas
neutre. Vous ne trouvez pas qu'il y a une contradiction?
Mme Blanc (Michelle) : Bien, je suis
bien d'accord avec vous. C'est un bon point.
Mme David : Bon.
Mme Blanc
(Michelle) : Effectivement, qu'on enlève les signes religieux puis qu'on dise
aux gens, là : Regarde, là, tu as un code de déontologie, puis ce
n'est pas tes valeurs personnelles, là, si tu es un médecin, là, c'est ton
serment d'Hippocrate. Ton serment d'Hippocrate, tu dois soigner quelqu'un,
soigne-le, que tu sois d'accord avec ou pas.
Mais évidemment il y a des points litigieux. Notamment,
j'ai cité une étude de la commission des femmes musulmanes du Canada qui parle
de l'excision, qui parle de tout… Puis on sait que ça se fait encore au Canada
puis on sait que les médecins sur la
carte d'assurance maladie, ils ont des problèmes moraux. Ou, la petite fille
qui vient pour se faire exciser, il le fait lui-même, ou il ne le fait pas, puis elle lui
revient au bout de son sang, puis que, là, il faut qu'il répare une excision qui a été mal faite avec un bout de
verre, «whatever». Ça fait que, tu sais, c'est des questions délicates, parce
qu'effectivement surtout les médecins, ils ont des problèmes moraux.
Vous savez,
on discute de l'euthanasie, là, présentement, là, mais, moi, ma mère a été
euthanasiée, O.K., devant moi, je lui
tenais la main quand elle a été euthanasiée, puis, regarde, je n'irai pas
poursuivre le médecin puis l'infirmière, là, on s'entend, là, tu sais. Donc, il y a des choses qui se font puis
qu'on ne jase pas, tu sais. Moi, ma mère était atteinte du cancer, il lui restait trois jours à vivre,
puis elle a dit au médecin : Moi, je ne veux pas souffrir, je ne veux pas
souffrir. Ça fait qu'il est venu lui
donner sa «shot» de morphine à peu près aux deux heures. Puis, à un moment
donné, bien là elle souffrait, elle
souffrait, elle souffrait. Bien là, ce n'était plus une «shot» de morphine,
c'est deux «shots» de morphine, une dans chaque bras. Puis
30 secondes après elle était morte, et je lui tenais la main et j'étais
très, très fier de ça.
Le Président
(M. Ferland) : Alors, merci. Merci, Mme Blanc. Merci
beaucoup. Merci pour votre mémoire, votre présentation, le temps que
vous avez pris.
Et je
mentionne aux parlementaires qu'ils peuvent… Vous pouvez laisser vos documents
ici, la salle sera sécurisée pour l'heure du repas.
Et, sur ce, la commission suspend ses travaux
jusqu'à 14 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 33)
(Reprise à 14 h 5)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre! À l'ordre,
s'il vous plaît! À l'ordre! La commission
reprend ses travaux. Cet après-midi,
nous entendrons M. Michel Seymour, la Coalition Laïcité Québec,
Mme Andréa Richard et la Ligue d'action nationale.
J'invite donc
M. Michel Seymour à nous présenter son mémoire, et en vous
mentionnant que vous disposez d'une période
de 10 minutes, suivi d'une période d'échange avec les parlementaires.
Alors, M. Seymour, la parole est à vous.
M. Michel Seymour
M. Seymour
(Michel) : Alors, tout
d'abord, merci, M. le Président, M. le
ministre, MM. et Mmes les députés,
de m'avoir permis de prendre la parole ici
parmi vous. Cet exercice m'apparaît plus qu'essentiel, et c'est à l'honneur de
l'Assemblée nationale que d'ouvrir ses portes aux citoyens,
aux intellectuels, aux groupes qui ont des avis concernant la charte, le
projet de loi n° 60.
Je dois dire
d'entrée de jeu que je m'accorde avec l'idée que le Québec
doit se doter d'une charte de la laïcité. Je m'accorde aussi avec le fait que les employés de l'État doivent
éviter le prosélytisme et oeuvrer à visage découvert pour des raisons de
sécurité, d'identification et de communication.
Je suis en
plus d'accord avec le fait de baliser les demandes d'accommodement. On pourrait
créer en ce sens une commission des accommodements chargée d'informer toute
personne ou organisme qui cherche à savoir comment et si une démarche… une demande d'accommodement doit
être accordée. Je précise toutefois que les demandes d'accommodement ne
doivent pas être seulement balisées par le droit à l'égalité hommes-femmes,
mais aussi par la nécessité de ne pas comporter
de mesure discriminatoire contre les groupes minoritaires en général, qu'ils
soient des LGBT — lesbiennes,
gais, bisexuels, transsexuels — des
personnes handicapées, des minorités ethniques ou quelque groupe minoritaire
que ce soit.
Mais le problème
majeur de cette charte, de ce projet
de loi n° 60,
renvoie aux articles 5 et 10. L'interdit des signes ostentatoires dans la fonction publique ne peut se justifier en invoquant la laïcité, la neutralité et
l'indépendance de l'État par rapport aux religions instituées, il ne peut être
justifié de cette manière, car la laïcité, la neutralité et l'indépendance
de l'État sont non seulement compatibles
avec la diversité des signes religieux, on peut même dire que la diversité de
ces signes est une preuve
additionnelle de la laïcité, de la neutralité et de l'indépendance des
institutions. En effet, la diversité des
signes religieux témoigne du fait que des individus ayant des croyances très
différentes peuvent néanmoins travailler au sein de ces institutions, et cela est une preuve de neutralité, de
laïcité et d'indépendance de ces mêmes institutions.
• (14 h 10) •
L'interdit
des signes religieux ostentatoires n'est pas neutre non plus et ne garantit pas
l'indépendance de l'État par rapport à la religion pour au moins trois raisons. La
première raison : par cet interdit, l'État échoue à réaliser l'objectif de
neutralité parce qu'il outrepasse sa
sphère de compétence qui concerne la laïcité des institutions en se mêlant de
ce qui peut être appelé la
sécularisation de la société. Le gouvernement ne doit pas s'engager dans un
«social engineering», pour employer
une expression en anglais. Il ne doit pas se mêler des débats concernant les
habitudes de vie des gens, il n'a pas
à forger les mentalités, à imposer un mode de vie particulier. Il ne doit pas
se prononcer, je dirais, contre les Yvette ou pour les Janette. Ces débats sont des débats de société et mettent en
jeu la société civile. Les habitudes de vie, les tenues vestimentaires concernent les gens de la société
civile et non l'État. L'État ne doit pas entrer dans la chambre à coucher
des gens, mais il ne doit pas non plus
entrer dans leur garde-robe. Alors, c'est la première remarque que je voulais
faire et qui démontre qu'en se mêlant de ces choses l'État se trouve à
aller à l'encontre de son mandat, qui est la laïcité des institutions et non la
sécularisation de la société.
En outre, en
imposant l'interdit des signes religieux ostentatoires dans la fonction
publique, l'État n'est pas neutre, car
sa laïcité, comme plusieurs l'ont dit, est en fait une catholaïcité. Les règles qu'on cherche à imposer proviennent…
conviennent parfaitement, en effet, aux chrétiens, qui peuvent avoir des signes religieux discrets
ou absents, mais pas aux sikhs, aux Juifs et aux musulmans qui ont des
signes ostentatoires.
Enfin,
l'interdit imposé par l'article 5 ne tient pas compte du fait qu'il y a non seulement une diversité de religions, mais
aussi une diversité de rapports à la religion, c'est-à-dire une diversité de
façons de vivre l'expérience religieuse. Pour certains, la foi religieuse est essentiellement une affaire qui relève de leur liberté de
conscience et qui se vit dans la sphère privée, mais, pour d'autres personnes, l'identité religieuse est
intimement liée à une appartenance communautaire et elle se vit en groupe. Pour ceux-là, le port de signes
ostentatoires devient un marqueur identitaire important car, en même temps
qu'il sert à exprimer la foi religieuse, il
indique une appartenance communautaire, l'appartenance à une communauté
de religion. Ceux qui vivent
l'expérience religieuse dans l'intimité de leur conscience n'ont pas besoin de
signe extérieur pour l'exprimer, mais
ceux qui vivent leur expérience en communauté ont besoin d'un signe extérieur pour manifester
cette appartenance communautaire.
La
dénonciation française des communautarismes, à la base de leur conception de la
citoyenneté et de la laïcité, est en
ce sens une marque d'intolérance à l'égard d'une certaine façon de vivre son
rapport à la religion et ne devrait pas nous servir de modèle, car elle trahit une incapacité à prendre en
compte le mode communautaire du rapport à la religion. Si les chrétiens
sont, à notre époque, surtout — mais pas seulement — individualistes
dans leur rapport à la religion, plusieurs
musulmans, sikhs et Juifs, à l'opposé, sont surtout communautaires,
communautariens dans leur façon de vivre la religion. Le respect par l'État de la diversité des religions doit
donc être combiné au respect à l'égard de différentes façons de vivre la religion, et, si on respecte
l'expérience religieuse de type communautaire, il faut alors respecter la
liberté d'expression religieuse, y compris dans la fonction publique.
Alors, en
conclusion, je demanderais à ce que nous ne fassions pas du corps des femmes un
champ de bataille. Ne combattons pas l'imposition du voile par
l'interdit du port du voile, laissons aux femmes le soin de décider. La lutte à l'intégrisme ne repose pas sur le port du voile,
car on peut porter le voile sans être intégriste, et plusieurs intégristes ne
portent pas le voile. N'excluons pas ces femmes qui ne demandent qu'à
s'intégrer à la société québécoise, on ne leur facilite pas leur intégration en les excluant de la fonction publique. La très vaste majorité des femmes qui portent le voile ne sont
pas intégristes. S'acharner contre elles est une erreur qui sème la division et
l'exclusion.
Et je dirais
donc en conclusion qu'à mon avis le Québec sera inclusif ou ne le sera pas. Merci, M. le Président.
Le
Président (M. Ferland) : Merci, M. Seymour, pour votre mémoire. Alors, maintenant,
nous allons procéder aux échanges. Alors, M. le ministre, la parole est
à vous.
M. Drainville : Merci, M. le
Président. Merci, M. Seymour, de votre présentation, de votre mémoire.
Vous dites,
et je vous cite : «…il se peut que certaines tenues vestimentaires
religieuses à visage découvert doivent, elles aussi, être interdites. C'est ce qui se produirait si une tenue
vestimentaire religieuse avait un sens univoque, ne pouvait être que d'une seule couleur [ou] était clairement
le résultat d'une imposition par des autorités spécifiques.» Fin de citation.
C'était à la page 4.
Et là vous
donnez l'exemple du tchador dans votre mémoire. Comme vous le savez, évidemment,
le tchador suscite beaucoup de débats. La députée libérale de La Pinière le considère comme la signature d'un intégrisme radical. Est-ce que vous pourriez nous expliquer en quoi le
tchador est différent des autres types de voile, selon vous? Et pourquoi
dites-vous que le tchador a un sens univoque?
M. Seymour (Michel) : Je ne dis pas
que le tchador a un sens univoque, mais, avant de vous répondre plus précisément, je voudrais signaler qu'à mon avis
cette question-là me fait penser un peu à la question posée par les auteurs
du manifeste à Hérouxville :
Sommes-nous pour la lapidation? Eh bien, à Hérouxville, il n'y avait
pas de musulmane, il n'y avait pas de lapidation, mais il n'y avait même pas les cailloux pour les lancer, et donc on était un peu dans un
débat théorique. Et là je comprends qu'il y a
un débat politique qui oppose l'opposition officielle et le gouvernement, et alors ça nous traîne, ça
nous force, nous, les intellectuels, à nous arrêter sur cette question,
mais on doit s'y arrêter avec peu de données, peu d'information, peu de
compréhension de la signification de cette tenue vestimentaire.
Les premières consultations que j'ai faites à ce
sujet m'ont amené à me demander si, dans ce cas-là, il y avait toujours la même couleur de cette tenue
vestimentaire. Est-ce que les personnes qui le portent viennent tous… toutes,
plus exactement, de la même région?
Et est-ce que dans les pays où on impose cette tenue vestimentaire on l'impose
pour la même raison? Dans ce cas-là,
avec peu de réappropriation du signe, une seule signification univoque associée
à ce signe, un seul sens à donner,
une seule origine. On pourrait alors penser qu'il n'y a, là, pas ambiguïté, pas
réappropriation de multiples façons comme cela est totalement évident
avec le foulard islamique. Le foulard islamique est porté par des tonnes de
gens, avec des significations très différentes.
Dans le cas
du tchador, je me suis posé la question, et, si vous retournez dans mon
mémoire, vous voyez que je me demande
si… Il se pourrait que, il se peut que, nous devons considérer la possibilité
que. Je ne suis pas en train d'affirmer quoi que ce soit concernant le
tchador. Je spécule un peu à voix haute pour faire avancer le débat, en étant
totalement incertain, étant donné le peu d'information dont on dispose, des
conclusions qu'il faut tirer.
Alors, je demanderais, premièrement, idéalement
qu'on pose des questions sur d'autres sujets, même si je comprends bien que ça
fait l'objet d'un débat politique. Et, deuxièmement, je demanderais à ce que le
gouvernement s'arrange pour nous fournir de
l'information et pas simplement des indications de son propre avis sur le sujet
et de l'avis de l'opposition officielle sur le sujet. Pour moi, il est
important d'avoir de l'information pour savoir si un signe a une signification univoque ou pas, s'il a une couleur
ou pas, s'il est toujours porté comme, je ne sais pas, moi, le Ku Klux Klan.
Il n'y a pas de l'ambiguïté longtemps avec
cette tenue vestimentaire, elle a une signification univoque. Dans le cas du
tchador, est-ce que
c'est vrai qu'il a une signification univoque? Je ne sais pas si quelqu'un ici
est capable de répondre à la
question, mais moi, je refuse d'embarquer dans un débat politique en grande
partie théorique, causé par un différend entre deux partis politiques.
M. Drainville :
M. Seymour, je respecte tout à fait votre point de vue. Si vous n'aviez
pas évoqué le tchador dans votre mémoire, je ne vous aurais pas posé la
question. Alors, je...
M. Seymour
(Michel) : Vraiment?
M. Drainville :
Oui. Oui, oui, absolument. Vous pouvez vous fier sur moi pour ça.
Maintenant,
vous dites, et je cite : «On peut envisager d'interdire aussi des signes
ostentatoires pour les personnes en
autorité qui ont un pouvoir coercitif et qui incarnent l'État.» Bon,
normalement, cette recommandation sur les agents avec pouvoir coercitif repose sur le raisonnement que le port d'un signe
religieux ostentatoire peut remettre en question le principe de la neutralité religieuse, normalement c'est là-dessus que
ça s'appuie, et donc que l'apparence d'un agent de l'État qui porte un signe religieux — dans ce cas-ci, un policier ou un juge — pourrait remettre en question sa neutralité,
dans le regard de l'autre du moins, la neutralité notamment de ses décisions.
Alors,
est-ce que je vous comprends bien et est-ce que vous... Dans le fond, est-ce
que vous admettez que, si vous êtes
prêt à interdire le port de signe religieux ostentatoire pour les agents
coercitifs, c'est que vous admettez donc que dans certains cas du moins le port du signe religieux peut remettre en
question la neutralité religieuse de celui ou de celle qui le porte?
• (14 h 20) •
M. Seymour (Michel) : C'est surtout, comme je l'explique dans mon mémoire, pour tenir compte
du fait que, lorsqu'on s'en remet à des autorités ayant un pouvoir
coercitif, il faut probablement, dans ce cas-là, une confiance accrue dans les
autorités, dans les personnes à qui on s'adresse. Ce n'est pas tellement pour
répondre à la perception ennuyée des gens, c'est
qu'il faut une croyance, une confiance accrue dans les autorités. Et, pour que
ces personnes puissent disposer d'une
confiance accrue et exercer leur pouvoir coercitif pleinement, on peut
envisager, ai-je bien dit, cet interdit.
Néanmoins,
même depuis cette époque, j'ai parlé à des juristes, qui me disent :
Écoutez, là, même pour les juges, ça peut poser un problème assez
important. Il y a l'indépendance des pouvoirs, et le pouvoir judiciaire doit
avoir sa pleine autonomie, et on n'est pas
en mesure de donner des directives concernant le port de signes ostentatoires
et d'une tenue vestimentaire quelconque aux juges, ça serait déjà peut-être
d'emblée anticonstitutionnel.
Alors, vous voyez
comment la réflexion peut évoluer là-dessus. Moi, je ne suis pas certain, j'ai
dit : On peut l'envisager. Et j'ai
cherché un argument pour distinguer le cas des personnes qui sont en autorité.
Ce n'est pas simplement le fait
qu'ils soient en autorité, c'est qu'ils exercent avec cette autorité un pouvoir
coercitif. Et le citoyen, pour accepter de donner plus de confiance à ces autorités-là qu'à n'importe quelle autre autorité, doit alors effectivement être en face de personnes qui, aux yeux du citoyen, ne posent aucun problème, et ça, c'est pour
avoir plus de confiance en provenance du citoyen. Donc, il y a quelque
chose qui serait une mesure exceptionnelle qui peut être comprise par une situation
exceptionnelle. Mais, encore là, c'est ma
réflexion qui avance, dans ce mémoire, et je suis de moins en moins certain que
cet argument-là passe. Je pense…
M. Drainville :
…de moins en moins certain que ce serait une bonne idée?
M. Seymour (Michel) : Que les arguments sur le caractère spécifique des interdits concernant,
par exemple, les juges,
il y a des problèmes constitutionnels, m'ont dit plusieurs
juristes. Et moi, je suis un intellectuel, je suis philosophe, je me mêle de beaucoup de questions
et j'ai des opinions arrêtées sur beaucoup de sujets, et notamment dans ce que je
viens de vous lire, j'ai des opinions un peu
arrêtées aussi, mais, sur la question de l'interdit appliqué aux juges, je pense qu'il y a probablement, selon les
avis juridiques que j'ai entendus, je ne sais pas ce qu'il en est de votre
côté… qu'il peut y avoir des problèmes constitutionnels
importants à essayer d'imposer une tenue vestimentaire aux
juges. Alors là, dans ce temps-là, on se dit : Est-ce que cet interdit peut
fonctionner? Et là j'ai un doute additionnel que je n'avais pas au moment
d'écrire ce mémoire parce
que j'ai consulté des juristes depuis
et je vois qu'il y a un enjeu constitutionnel autour des
directives qu'on peut donner aux juges.
M. Drainville : O.K. Mais vous parlez de la question
de confiance. Moi, je suis tout à
fait d'accord avec vous, je pense qu'il faut la poser, la question
de la confiance. Je vous pose… Je vous donne un autre exemple. Prenons une gestionnaire à qui on demande un accommodement de
nature religieuse, O.K., une gestionnaire d'organisme public à qui on
demande un accommodement religieux. Est-ce
que vous croyez qu'une personne, une
gestionnaire qui porte un signe religieux,
le même signe religieux que la personne qui demande l'accommodement… Est-ce que
vous ne craignez pas que l'impartialité de sa décision puisse être
remise en doute?
M. Seymour
(Michel) : Je ne pense…
M. Drainville : Est-ce
qu'on peut avoir confiance, en
d'autres mots, que la décision qui sera prise ne sera pas teintée de la conviction religieuse de la
gestionnaire, donc, qui affiche ouvertement sa conviction religieuse et qui est
de la même religion que la personne qui lui demande l'accommodement?
M.
Seymour (Michel) : D'une
manière générale, quand on parle d'accommodement, on rentre un peu dans l'autre
logique que la logique de l'expression des
signes religieux. Pour moi, la problématique de l'accommodement est un autre sujet complètement. Maintenant, si l'accommodement dont il est question,
c'est un accommodement concernant le port de signe religieux, bien là je comprends qu'on est un peu dans le même
sujet, là. Mais, d'une manière générale, l'important, c'est effectivement que les fonctionnaires n'aient pas de
manifestation de prosélytisme et qu'ils exercent leurs fonctions correctement,
et alors, dans ce contexte-là, je pense qu'en général ça ne pose pas de
problème.
En général,
cet interdit-là est injustifié, cet interdit des signes ostentatoires est totalement
injustifié parce que ça viole
un mode de rapport que plusieurs personnes ont à l'égard de la religion : ils
la vivent en communauté. Et je suis pas mal certain que, cet
argument-là, vous ne l'avez pas entendu encore souvent, et pourtant c'est effectivement
de cette manière que les personnes sikhes,
juives et musulmanes, très souvent, vivent leur rapport à la religion, c'est un
mode de vie en communauté.
Et, vu que c'est en communauté qu'ils vivent leur rapport religieux, à ce moment-là le signe religieux fait partie de leur appartenance communautaire
religieuse et fait partie alors de leur identité.
Alors, avant
d'interdire ça, il faut des arguments extrêmement solides. J'ai essayé
d'examiner la plausibilité de ces
arguments-là pour certains groupes en m'inspirant de Bouchard-Taylor, mais ma
réflexion là-dessus n'est pas terminée. J'ai, pour cette raison, même dans mon mémoire, à l'époque, dit :
On pourrait envisager, c'est matière à débat. C'est là où j'en étais. Maintenant, je suis encore beaucoup
plus dubitatif concernant ce genre d'interdit. Il faut vraiment avoir beaucoup,
beaucoup d'arguments pour justifier l'interdit pour les raisons que j'ai
invoquées dans ma présentation tantôt.
M.
Drainville : Je vous
donne un ultime exemple, par la suite je vais passer à d'autres aspects de
votre mémoire. Mme Michelle
Blanc, qu'on a entendue juste avant vous, nous a dit : Le symbole
religieux, il vient avec un jugement moral. Ce sont ses mots, le symbole vient avec un jugement moral. Elle parlait
à un moment donné aussi de code moral. Et elle nous a donné l'exemple, elle dit : Est-ce qu'un jeune musulman
homosexuel qui est rejeté par sa famille à cause de son orientation sexuelle va avoir confiance en une
infirmière qu'il va voir parce qu'il a besoin d'aide si cette infirmière porte
un hidjab?, et je trouvais que c'était un
excellent exemple, justement, de la barrière que peut créer le symbole
religieux entre, dans ce cas-ci, un patient ou, enfin, quelqu'un qui a
besoin d'aide et l'infirmière dans ce cas-ci.
Est-ce que
vous trouvez… Je ne vous demande pas de vous rallier, je ne vous ferai pas
changer d'idée sur les signes religieux,
M. Seymour, je vous respecte trop pour ça, là, mais est-ce que vous ne
trouvez pas qu'il y a quand même… la question, elle se pose? Ça a du bon
sens, ça, cet exemple-là. Je trouvais que c'était très parlant, moi. Je peux
très bien comprendre qu'un jeune qui est
rejeté de sa famille, un jeune musulman qui est rejeté de sa famille à cause de
son orientation sexuelle se tourne
vers le système de santé, veut voir quelqu'un pour l'aider, il se retrouve avec
une infirmière qui porte le hidjab…
Moi, je pense qu'il pourrait avoir un doute, il pourrait effectivement ne pas
avoir confiance dans le service qu'il demande. Ça a du sens, ça, non?
M. Seymour (Michel) : Je vais
répondre. Est-ce que je peux vous répondre?
M. Drainville : Bien oui,
évidemment, mais… Et là je fais appel à votre sens logique de philosophe, là.
M. Seymour
(Michel) : Tout à fait. Et
moi, je vais faire appel à — pardonnez-moi de parler comme ça, M. le
ministre — votre
sens moral de ministre.
M. Drainville : Oui. O.K.
M. Seymour
(Michel) : Ce jeune homme
qui sera en face d'une personne portant le voile n'aura pas d'inquiétude
quant au jugement de cette personne eu égard
à son homosexualité si on ne fait pas l'association entre le voile et
l'intégrisme et le voile et
l'adhésion à l'ensemble des dogmes. Si, bien sûr, on entretient le préjugé que
quelqu'un qui porte le voile est automatiquement quelqu'un qui souscrit
à l'ensemble des dogmes les plus rétrogrades de l'islam…
M. Drainville : Je n'ai pas
parlé d'intégrisme, je n'ai pas parlé d'intégrisme.
M. Seymour (Michel) : Non, mais…
M.
Drainville : N'amenez
pas la réponse sur ce plan-là. Ce que je vous dis, je vous parle d'un doute,
c'est vous qui amenez la question de
la confiance. Et je suis d'accord avec vous, la question de la confiance, elle
est très importante.
À partir du
moment où il y a un doute à cause de cette conviction religieuse que l'agent de
l'État, que l'infirmière affiche, il me semble… il nous semble à nous
que c'est une bonne raison, à ce moment-là, à tout le moins de poser la question. Nous, on apporte notre réponse. Vous,
vous apportez une réponse différente, mais convenez avec moi que la
question, elle est très légitime.
M. Seymour (Michel) : Le doute ne
surgira dans son esprit que si on fait constamment l'association entre le port du voile et l'adhésion à une doctrine qui est
contre les homosexuels. Si on dit qu'au contraire les gens qui portent le voile peuvent exprimer leur foi dans l'islam et
vivre leur foi en communauté sans adhérer à ces doctrines, eh bien, le jeune homme en face de quelqu'un qui porte le
voile ne tirera pas la conclusion, ne sera pas ennuyé, ne sera pas gêné,
ne craindra pas de voir là un jugement
homophobe parce qu'il aura été habitué dans une société qui sait faire les
nuances entre des gens qui expriment
des convictions religieuses et des gens qui endossent la totalité de tout ce
qui a été dit au sein
de l'islam par des mouvements notamment intégristes. Quand on dit : C'est
ou bien la charte ou bien l'intégrisme, on favorise l'association entre le port du voile et l'ensemble des
dogmes les plus rétrogrades associés à l'islam. Avec des perceptions
comme ça, je comprends que le jeune homme aura des doutes, mais il faut lutter
contre ces jugements-là parce que c'est des
jugements erronés. Il faut respecter la liberté religieuse des gens et
respecter leur façon de vivre leurs croyances
religieuses sans leur imputer tous les crimes et toutes les idéologies
rétrogrades associés à leur religion, sinon on ne pourrait pas être chrétiens, parce qu'on serait tous des complices de
l'Inquisition. Alors donc, il faut éviter absolument de confondre la foi religieuse avec des variantes
exagérées. Et, si on éduque la population en ce sens au lieu de faire les
amalgames, je n'ai aucune crainte, ce jeune homme homosexuel face à une femme
qui porte le voile ne tirera pas des conclusions et n'aura pas les inquiétudes.
• (14 h 30) •
Le Président (M. Ferland) : Merci.
M. le ministre.
M.
Drainville : Oui. M. Seymour, si je vous ai bien entendu,
vous avez dit : Ou bien la charte ou bien l'intégrisme. C'est ça?
Vous avez…
M. Seymour (Michel) : Si on
entretient cette opposition-là.
M.
Drainville : Si on dit ça. Si on entretient ça, oui. Bien,
j'espère que vous ne me l'attribuez pas, là, parce que ce n'est pas ce que
j'ai dit. Ce que j'ai dit, c'est que, si un parti comme le Parti libéral souhaite faire de l'intégrisme sa priorité, il devrait appuyer la charte, c'est ça que j'ai dit. Je veux
juste faire une petite parenthèse, là. Je ne voudrais surtout pas qu'on
entretienne un malentendu sur cette question-là.
Par ailleurs, dans votre mémoire toujours, vous dites : «…le rapport à la religion est
une affaire d'appartenance communautaire.
C'est la raison pour laquelle les signes sont requis. Ils marquent aux autres
leur lien à une seule et même communauté
d'appartenance.» Moi, je pense qu'on est au coeur de l'affaire, là, ici, parce
que la question qui se pose, justement,
c'est : À partir du moment où la personne affiche par son signe son
appartenance communautaire, est-ce qu'il n'y a pas un risque, un danger, lorsqu'elle travaille pour l'État, que
son appartenance communautaire ait préséance sur son appartenance citoyenne et donc que les décisions
qu'elle prenne soient guidées davantage par son appartenance communautaire,
marquée par le port de son signe, que par son service public?
M. Seymour
(Michel) : Je ne crois pas. La vaste majorité des citoyens du Québec, qu'ils soient musulmans, sikhs, juifs ou chrétiens, sont d'accord
avec le principe général de la
laïcité qui implique l'indépendance de l'État par rapport à une orientation religieuse particulière. Ils
sont d'accord avec la neutralité de l'État, ils sont d'accord avec un État
laïque et ils sont d'accord, par
conséquent, de fonctionner dans un État qui est gouverné par des règles
laïques. Et en même temps, sur le
plan non pas politique, sur le plan communautaire, dans leurs communautés, ils
ont une communauté de religion, et il
n'y a pas de raison que cet attachement à une communauté de religion entraîne
une préséance sur les règles laïques de l'État. Je crois qu'il n'y a personne dans ceux à qui vous allez vous
adresser et qui sont des représentants de la communauté musulmane qui vont dire : Nous sommes contre
la laïcité. La vaste majorité, en tout cas, parce qu'il y a probablement
effectivement des groupes qui voudraient
bien que l'État ne soit pas laïque, mais la vaste majorité de ceux qui ont des
croyances religieuses, y compris en vivant
leur religion sur le mode communautaire, ces gens-là sont d'accord avec les règles
laïques de l'État. Donc, je n'ai aucune crainte à cet égard.
Je pense que
c'est davantage le fait que nous ne soyons pas habitués ou avons perdu
l'habitude de ce rapport à la religion.
Au Québec, nous avons évolué, entre guillemets — parce que c'est comme ça que nous percevons,
nous, de notre point de vue, les
choses — dans une
vision de la religion qui se vit de moins en moins en groupe. Il n'y a pas la
prière à CKAC, il n'y a pas… les gens
se rassemblent beaucoup moins qu'avant dans les églises le dimanche, les jours
fériés sont de plus en plus des jours
de congé. Il n'y a pas une vie communautaire de la religion chrétienne. De plus
en plus, la majorité des chrétiens vivent leur religion dans le privé,
dans leur conscience, seuls avec eux-mêmes, alors le symbole devient
facultatif…
Le
Président (M. Ferland) : M. Seymour, je vais être obligé de
vous arrêter, parce qu'on va passer du côté du parti de l'opposition
officielle. Alors, je cède la parole au député de LaFontaine.
M. Tanguay :
Merci beaucoup, M. le Président. Merci beaucoup, M. Seymour, d'avoir pris
le temps de rédiger le mémoire et de prendre le temps aujourd'hui de
venir répondre à nos questions. C'est très, très apprécié.
Dans un
débat, comme vous l'avez souligné, un débat qui est extrêmement délicat et
divisif, sur la proposition du
gouvernement, sur les cinq éléments, il y en a quatre, dont les accommodements
raisonnables, la neutralité de l'État, et ainsi de suite, visage découvert,
interdiction du prosélytisme, autrement dit de ne pas tenter par sa fonction ou
via sa fonction de faire de nouveaux
adeptes, demain matin on ferait avancer le Québec là-dessus. On a bien ciblé
que, le débat, les 270 heures qui sont devant nous seront sur cette
interdiction qui divise comme jamais le Québec.
Vous avez
soulevé un point avec le ministre par rapport aux raccourcis intellectuels que
certains emploient — et
je fais entre autres référence à l'article,
que vous avez peut-être lu, de Gérard Bouchard de vendredi dernier — des raccourcis intellectuels qui font
en sorte qu'on se rappelle un peu, et ça, ce n'est pas très québécois… on se
rappelle un peu la philosophie de George Bush, qui disait : «You're either
with us or against us», sans aucune nuance, autrement dit un amalgame et une approche qui fait en sorte de dire
un peu comme le disait le ministre : Si vous voulez lutter contre l'intégrisme,
vous devez être pour la charte, un raccourci
intellectuel qui fait en sorte de laisser de côté énormément
de nuances mais également d'imposer un code
vestimentaire. Et j'aimerais vous entendre là-dessus, M. Seymour, poser la
question au niveau de l'importance pour une personne… qu'elle peut
avoir de sa conviction religieuse, que les convictions religieuses
peuvent avoir pour une personne quant à son identité. Et, lorsque l'on croit
aux libertés individuelles comme nous le croyons,
on ne peut pas commencer à mettre de côté des aspects identitaires d'une
identité qui par ailleurs n'est pas de facto, automatiquement nocive à un rapport social qui est sain,
constructif et duquel on peut évidemment sortir le mieux de chaque individu. Alors, j'aimerais vous entendre. Vous avez dit évidemment
une phrase : L'État n'a pas à entrer dans la chambre à coucher des gens et n'a pas à entrer
dans leur garde-robe. J'aimerais vous entendre, vous qui a beaucoup
réfléchi sur la question,
sur l'importance de ne pas acheter des arguments un peu à la George Bush, de
dire : Bien, ce n'est pas compliqué,
entre 9 heures à 5 heures vous pouvez mettre cette partie de votre
identité dans le placard, vous reprenez cette partie de votre identité
là à 5 heures.
M. Seymour
(Michel) : Je pense que
c'est, au fond, le coeur de la question,
parce que, si on pense que les
personnes devraient aisément être en
mesure, pour quelques heures seulement, de retirer des symboles religieux, c'est parce qu'on pense que la religion, ça se vit privément, et c'est dans la liberté de
conscience de l'individu que se vit le sentiment religieux. Une fois qu'on a cette vision de ce rapport à la
religion, bien la manifestation extérieure de ça est facultative. Elle est utile,
intéressante, mais on peut s'en départir. Et
alors on pense que… Si on a affaire, au contraire, à quelqu'un
qui ne veut pas s'en départir, eh
bien, on lui donne alors une signification politique automatiquement, à
ce signe religieux. On pense que, si
on veut absolument le garder, c'est qu'on est engagé dans une sorte
de bataille politique. Et c'est pourquoi plusieurs pensent
que le port du voile dans la fonction
publique, c'est une forme larvée de
prosélytisme. On fait… Comme M. le
ministre disait, Mme Blanc aurait signalé qu'il y a une sorte de
jugement, il y a une intervention, il y a une prise de prise
de position, il y a une propagande larvée qui se joue. Pourquoi? Parce qu'on
donne au port du voile une signification politique. Quelle pourrait être
autrement la raison de tenir absolument à ce signe?
Or, s'il y a
une contribution que je veux faire à cette commission, c'est pour attirer
l'attention sur le fait qu'il existe beaucoup d'individus qui vivent leur rapport à la religion
en groupe, en communauté. C'est indissociable. Leur religion, ils la vivent en groupe. Ils se tournent vers
La Mecque en même temps ou à peu
près, et c'est la même sorte de
prière. Il y a quelque chose
qui… Ils savent qu'ils font partie d'une communauté, ils savent qu'ils font
partie du même groupe. La religion, donc, se vit communautairement.
Quand la religion se vit communautairement, le
signe religieux fait partie alors de l'identité religieuse des personnes. Et c'est pourquoi la jurisprudence
semble aller de plus en plus de ce côté-là, de dire que la liberté de
conscience et la liberté de religion
va de pair avec la liberté d'expression de cette religion. Ce faisant, on tient
compte de ceux qui ont un rapport à
la religion qui est communautaire. Et avoir un rapport à la religion
communautaire, ce n'est pas être engagé dans de la propagande, dans du prosélytisme et dans une lutte politique.
C'est juste le mode d'être de notre rapport au religieux.
Le Président (M. Ferland) :
Mme la députée de Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil : Merci, M. le
Président.
Le Président (M. Ferland) : À
vous, oui, il reste encore neuf minutes à peu près, 8 min 30 s.
• (14 h 40) •
Mme
Weil : Oui. Merci, M. Seymour. Alors, si le discours
français, c'est de la musique aux oreilles de Mme Marois, votre discours, honnêtement, je dois vous dire,
c'est de la musique à mes oreilles, parce que c'est tout ce que je connais,
tout ce que j'ai appris autant ici, au
gouvernement, que dans une vie antérieure, que dans ma formation, que dans mon
vécu.
Alors,
j'aimerais vous demander de revenir sur certains éléments où il y a beaucoup de
confusion dans ce qu'on entend — et vous êtes un spécialiste, alors ce serait
intéressant de vous entendre — à la page 8, lorsque vous dites : «En droit
québécois [...] — donc
vous le mettez vraiment ancré dans le droit québécois — la liberté de religion va de pair avec la liberté d'expression de sa foi religieuse, d'où
la reconnaissance du signe religieux comme symbole ayant une portée identitaire.» Et vous dites en conclusion :
«Il n'existe pas de droit [de] ne pas être exposé au particularisme identitaire
des autres.» On l'a entendu beaucoup
surtout des individus. Jamais les organismes, les groupes, les
constitutionnalistes, mais certains individus. Donc, j'aimerais vous
entendre sur cet aspect très juridique.
M. Seymour (Michel) : Alors, ce
n'est pas à une juriste que je pourrai apprendre grand-chose. Et, si j'ai une expertise, ce n'est pas une expertise juridique me
permettant de vous démontrer quoi que ce soit. Vous pourriez au contraire
me démontrer beaucoup plus, étant donné votre propre expertise. Mais je voulais attirer l'attention sur le fait
qu'il y a un danger
de vouloir traduire en termes juridiques lorsqu'on affirme le droit de ne pas
être exposé à… de traduire en termes juridiques
ce qui, même si c'est involontaire, est une sorte d'intolérance, parce que,
quand on est sensible à ce que j'ai dit depuis tantôt, qu'il y
a un mode de rapport à la religion
qui est communautaire et alors le signe religieux fait partie de l'identité religieuse, quand on est sensible à ce
fait-là, eh bien, le respect de l'identité de ces gens-là commande
de ne pas vouloir ériger son intolérance à l'égard de ce symbole en
droit, en principe juridique.
Et là je fais
très attention parce que je suis en
même temps tout à fait sensible au fait qu'il existe dans notre société des femmes qui ont lutté pendant des décennies
pour la liberté des femmes et qui voient, à tort ou à raison — et
parfois, surtout à l'étranger, avec
raison — une
association entre certains symboles de ce genre et une sorte
de mouvement politique qui vise à
introduire des rapports profondément inégalitaires entre les hommes et les
femmes. Alors, je suis très sensible à ces femmes qui ont beaucoup de
difficultés à vivre ce rapport aux signes.
Mais ici, je dirais, un, effectivement, comme vous le soulignez, il y
a un droit à la liberté de religion,
et, au Québec et au Canada, ce qui semble être en train de se construire
comme jurisprudence, d'après les informations que j'ai… Bien sûr, il y a le cas du kirpan qui a été jugé par la Cour suprême et où, là, s'il y a une sécurité
absolue qui est assurée au kirpan, à ce moment-là c'est un symbole
identitaire qu'on va respecter. Ça, ça a été déjà entré dans la jurisprudence.
La cour fédérale d'appel a statué sur le
port du foulard sikh, du turban sikh pour la Gendarmerie royale, et c'est un
autre indice que la jurisprudence s'en va du côté d'associer
l'expression du religieux avec la religion en tant que telle, le droit à la
religion.
Dans
ce contexte-là, il ne faut pas, à mon avis, faire entrer dans le droit le droit
à ne pas être exposé à des signes religieux,
d'une part. Et, d'autre part, ces femmes qui depuis des décennies, au Québec,
luttent pour la liberté des femmes peuvent
continuer ce débat dans la société civile. Si on comprend bien la séparation
entre le rôle de l'État, qui est celui d'implanter
la laïcité, et la sécularisation de la société, bien ces femmes-là qui veulent
lutter contre le port du voile pour des
raisons qui sont les leurs, eh bien, peuvent continuer à le faire, mais c'est
un débat qui relève de la société civile, c'est un débat dans les mentalités. On change les mentalités avec des débats
de société, l'État n'a pas à se mêler de ça. Et c'est pourquoi je dis : Je peux être tout à fait
attentif aux craintes des femmes féministes de voir resurgir la religion dans
la société et je les comprends, mais ce débat-là relève de la société et
ne relève pas de l'État.
Mme Weil :
Merci, M. Seymour.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, d'autres… Je reconnais la députée de
Bourassa-Sauvé.
Mme de Santis :
Merci, M. le Président.
Le Président (M.
Ferland) : Il reste à peu près 3 min 30 s.
Mme de Santis :
Combien?
Le Président (M.
Ferland) : 3 min 30 s à peu près.
Mme de Santis :
Merci. Merci, M. Seymour. Quand j'ai lu votre mémoire, j'ai mis partout
«mon argument», «mon argument», parce que ça semblait refléter exactement les
arguments auxquels j'adhère.
J'aimerais revenir à
quelque chose que vous avez touché tout à l'heure. Vous parliez des signes
religieux ostentatoires et que c'est facile
pour un chrétien d'avoir une petite croix ou… et ce n'est pas la même chose
pour un sikh qui doit cacher ses
cheveux, ou pour un Juif, ou pour une femme qui porte le voile. Ça, on en a
déjà parlé, mais il y a une autre
chose dans le projet de loi que me trouble. C'est parce qu'on retrouve
plus tard, à l'article 36, que le gouvernement veut, par règlement, préciser la portée de ce qui
est ostentatoire. Là, ça me choque encore plus, parce qu'un règlement ne
se fait pas… ne s'adopte pas comme une loi.
Quelle
est votre opinion là-dessus? Parce que, je crois, comme vous je ne suis pas
d'accord qu'on ne puisse pas porter
un signe religieux. Et alors, quand en plus on dit qu'un gouvernement peut
établir qu'est-ce qui est ostentatoire par règlement, je suis encore
plus préoccupée.
M. Seymour (Michel) : Oui. Il y a plusieurs aspects à cette question,
mais l'un d'entre eux m'apparaît pratico-pratique. On sait dans quelles difficultés on s'est engagés
lorsqu'il a été question de la prédominance du français dans les signes.
Et là on vit avec ça, et il est vrai que là-dessus ça a marché, on ne s'est pas
mis à mesurer la grosseur des signes linguistiques,
mais je ne voudrais pas qu'on se retrouve en train de mesurer l'importance des
signes ostentatoires. Ça finit par être quelque peu dérisoire, surtout,
là, qu'on touche à l'identité des gens.
Alors,
toute cette entreprise m'apparaît vouée à l'échec, elle m'apparaît confrontée à
des problèmes juridiques insurmontables.
J'étais convaincu, pour ma part, que les avis de la Ligue des droits et
libertés, les avis de la Commission des
droits de la personne, les avis d'Aministie internationale, les avis de très
nombreux juristes… Et ils vont venir défiler ici, là, en très grand nombre, là, la très vaste majorité des juristes
vont nous dire que c'est, du point de vue constitutionnel, extrêmement problématique de s'engager là-dedans.
Alors, a fortiori, déterminer ce qui est ostentatoire et ce qui ne l'est
pas va s'avérer une entreprise plus que périlleuse.
À
mon sens, il faut faire marche arrière dans ces mesures-là, il faut renoncer à
cet aspect-là du projet de loi. Je l'ai
dit, je suis pour une charte de la laïcité, et il y a des raisons profondes
pour considérer que c'est important, une charte de la laïcité. Je ne peux pas les évoquer toutes ici, mais je suis profondément
convaincu qu'on a besoin d'une charte de la laïcité. Mais cet aspect-là,
c'est un dérapage qui, finalement, finit par avoir une portée historique.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. Seymour. Nous
allons devoir passer au deuxième groupe d'opposition. Mme la députée de
Montarville.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci, M. le Président.
Le Président (M.
Ferland) : La parole est à vous.
Mme Roy
(Montarville) : Merci. Bonjour, M. Seymour. Merci pour
votre mémoire. C'est terriblement intéressant de vous écouter. Et d'ailleurs j'ai un collègue qui vient de m'écrire,
me disant que nous sommes chanceux de vous avoir ici, qu'il vous a eu comme enseignant, professeur,
et que c'est un privilège. J'aurais aimé vous avoir comme prof, c'est
vraiment intéressant.
Et
là vous n'avez pas eu le temps d'élaborer davantage. Parce que vous
dites : Je crois qu'effectivement il est important d'avoir
une charte de la laïcité. J'aimerais que vous élaboriez là-dessus. Pourquoi
est-il important d'avoir une charte de la laïcité?
• (14 h 50) •
M. Seymour (Michel) : Écoutez, j'espérerais qu'effectivement, ici, c'est un lieu où on peut
faire quelques nuances. Et je sais
aussi que plusieurs personnes qui sont contre cet aspect du projet de loi en
même temps considèrent qu'il n'y a pas de pertinence à avoir une charte
de la laïcité. Moi, je vais vous dire franchement, en toute honnêteté, avec
toute l'admiration la plus profonde que j'ai
pour mes collègues Bouchard et Taylor, quand j'ai lu leur rapport, j'ai été,
quelque part, déçu, parce qu'on
parlait de la nécessité de l'interculturalisme, j'en suis, on parlait de la
nécessité de la laïcité ouverte, je suis
tout à fait d'accord, on parlait donc des accommodements raisonnables, et je
suis pour ça, mais il y avait l'importance de prêter oreille au besoin d'affirmation nationale des Québécois, et
une charte de la laïcité contribue à ça, et j'aurais aimé que MM. Bouchard et Taylor nous disent : Écoutez,
pour répondre à ce besoin d'affirmation nationale, nous allons proposer une constitution. Interne au moins, parce qu'ils
ne pouvaient pas s'entendre sur une constitution d'un Québec souverain.
Il y en a un qui était souverainiste,
l'autre était fédéraliste. Mais ils auraient pu tous les deux s'entendre pour
dire : Nous recommandons qu'il y
ait une constitution interne au Québec pour que le Québec s'affirme dans ses
règles du vivre-ensemble.
Et
c'est dans cette optique-là, avec cette sensibilité-là que je suis notamment
d'accord avec l'idée d'une charte de la laïcité. C'est un pilier sur le
chemin d'une charte… d'une constitution interne pour le Québec. Il devrait y
avoir trois chartes, la Charte des droits et
libertés, la Charte de la langue française et la charte de la laïcité,
comme trois piliers d'une constitution interne pour le Québec. Alors, j'ai
cette conviction-là. Et donc je suis quand même sensible aux besoins auxquels essaie de répondre le gouvernement en
introduisant sa charte de la laïcité, mais je ne vais pas cacher que j'aime
mieux la version avancée par Québec
solidaire, dans ce débat, qui justement tient compte de ce besoin, est à
l'écoute du besoin des Québécois de s'affirmer comme peuple et de
formuler les règles du vivre-ensemble mais de le faire sans nécessairement
empiéter sur les libertés individuelles fondamentales des personnes. Et c'est
dans cet esprit-là que je veux montrer ma
sensibilité à l'égard de l'autre façon de voir aussi et pas simplement être
dans le dénigrement de quelque chose
qui est inacceptable. Pour moi, la charte du Parti québécois, le projet de
charte, c'est malheureusement, à cause de ce que nous discutons
aujourd'hui, le port des signes ostentatoire, une mauvaise réponse à une bonne
question.
Mme
Roy
(Montarville) : C'est intéressant de vous écouter. Vous mettez le doigt sur quelque chose de particulier aussi :
Autant d'individus viendront nous livrer leurs opinions, leurs études et autant
d'opinions vraies, sensées, logiques, mais comment tracer la ligne?
Comment en arriver à cette charte de la laïcité qui soit la plus rassembleuse
possible?
Le Président (M.
Ferland) : En 30 secondes, monsieur.
M. Seymour
(Michel) : D'accord. Encore une fois, j'ai déjà, il y a quelques
secondes à peine, exprimé mon adhésion avec
la position défendue par Québec
solidaire. J'ai lu leur proposition de... leur projet de loi, j'ai lu quelle sorte de charte ils
proposent. Ça m'apparaît tenir compte des sensibilités de chaque côté de cette
Assemblée.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci, M. Seymour.
M. Seymour
(Michel) : Alors, mes 30 secondes sont écoulées.
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, je dois passer du côté du député de Blainville.
Alors, M. le député.
M.
Ratthé : Merci, M. le Président. M. Seymour, un plaisir de vous accueillir.
J'ai lu votre mémoire avec grand intérêt, surtout, là, cette
explication d'une religion qu'on considère de pratique privée. Et une
explication différente de celle que j'ai eue hier, puis je ne dis pas que
celle d'hier n'est pas valable, mais, quand on parle, par exemple, à une
musulmane qui nous explique pourquoi elle doit porter son voile, je lui posais
la question, c'était vraiment un rapport intrinsèque
entre elle et sa religion, et vous apportez un angle différent peut-être
en disant en partant : Bien, il
y a cette appartenance à la communauté, il y a
cette identité-là qu'on vit différemment, nous, en tout cas peut-être
une majorité ou en tout cas, du moins, un très grand nombre de Québécois,
depuis ce temps-là.
Et c'est un peu... je
veux me faire un peu la voix de ces Québécoises et Québécois. J'entends
beaucoup de commentaires. Ça ne reflète pas
nécessairement mon opinion, mais j'aimerais vous entendre là-dessus. J'entends
souvent que les communautés,
justement, religieuses ont disparu du Québec graduellement, que leurs tenues
vestimentaires ont été également
abandonnées, que les signes religieux dans nos écoles sont aussi abandonnés,
qu'on a déconfessionnalisé nos écoles
pour en fait en arriver à un très grand nombre de Québécois… je n'ose pas dire
«majorité», je n'ai pas de chiffre, là, mais qu'un très grand nombre de
Québécois pensent que la religion, justement — ça fait le lien avec ce que
vous dites — est devenue une affaire personnelle, hein,
et que ce très grand nombre de Québécois là vit ici et se demande pourquoi,
peut-être à la lueur de ce que vous dites,
on devrait revenir ou du moins accepter une plus grande manifestation d'une
religion dite communautaire ou d'une pratique de religion communautaire.
Alors,
c'est un peu mon premier volet, j'aimerais vous entendre là-dessus. Pourquoi
est-ce qu'on devrait le faire alors que peut-être un grand nombre
dit : Non, c'est personnel?
Puis est-ce
qu'on devrait, parce que je me demandais la question sans... Vous avez bien
expliqué votre opinion sur le tchador, là, vous posez un doute. Est-ce
qu'on devrait, à ce moment-là, plutôt cibler spécifiquement des signes
ostentatoires? Alors, voilà les deux aspects de ma question.
M.
Seymour (Michel) : Je pense que... Justement, ce témoignage m'apparaît
extrêmement intéressant, parce que nous
avons effectivement quitté progressivement, au Québec, un rapport communautaire
à la religion. Je me rappelle, dans
mon jeune temps, il y avait même la nécrologie à CKAC avec quelqu'un qui avait
une voix nasillarde, particulièrement pénible.
Et on rentrait de l'école de bonne humeur, puis, une demi-heure après avoir
entendu ça, on ne savait pas pourquoi, mais
on était de mauvaise humeur. Il y avait la prière à la radio, les gens allaient
à la messe, les jours fériés étaient des jours religieux. Notre religion était tricotée serré. Nous ne sommes
plus dans ça, et il faut respecter totalement ceux qui choisissent de
vivre leur athéisme, leur agnosticisme ou alors leur rapport à la religion dans
le caractère privé de leur conscience, et c'est parfaitement respectable, mais
notre trajectoire historique n'est pas si lointaine. Nous avons été communautaires
jusqu'à récemment dans nos écoles et nos commissions scolaires. Pouvons-nous
respecter que des minorités ne vivent pas au
même rythme que nous là-dessus et qu'il faille alors non seulement respecter
les différentes religions, mais les différents rapports à la religion?
Et
je suis très heureux de vos questions parce qu'elles me permettent de marteler
ce point-là. Si j'ai quelque chose à
dire d'original, je pense que c'est cette saisie-là qui explique pourquoi le
signe religieux fait partie de leur identité. Ce n'est pas parce qu'ils sont politiquement engagés dans un militantisme pour
nous convaincre d'adhérer à leur religion.
M.
Ratthé : Est-ce à dire que les Québécois se sentent en péril
face à ce mouvement communautaire ou ont peur peut-être intérieurement de retourner à… ou ont de mauvais souvenirs? Je
ne sais pas comment vous l'expliquez, d'abord, qu'on soit peut-être… on
veuille ici être si intolérants, comme vous le dites.
M. Seymour
(Michel) : Bien, c'est ça, une fois qu'on a…
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, M. le député, il n'y
aura pas de réponse, parce que je dois aller du côté de la députée de Gouin. Mais c'était très intéressant. Peut-être
que la question sera reprise par Mme la députée de Gouin.
Mme
David : Merci, M. le Président. M. Seymour, bonjour. Comme
on n'a pas beaucoup de temps, je vais aller très rapidement. Non, je
vais vous amener un petit peu sur un autre terrain.
Vous
écrivez dans votre mémoire que «la charte défend un nationalisme conservateur»,
et vous écrivez aussi : «…on
n'impose pas un nationalisme d'État qui lamine les différences.» Je sais que
vous êtes souverainiste. J'aimerais que
vous disiez ici comme je sais que vous l'avez dit ailleurs en quoi vous trouvez
que le projet de charte, dans les aspects avec lesquels vous n'êtes pas d'accord… parce que je comprends comme
vous qu'il y a des aspects avec lesquels vous êtes d'accord, mais, dans
les aspects avec lesquels vous n'êtes pas d'accord, en quoi trouvez-vous qu'il
s'agit d'un nationalisme conservateur? Et en
quoi pensez-vous qu'à la limite ça nuit même à tout ce projet d'affirmation
nationale du Québec?
M. Seymour (Michel) : Oui. Le nationalisme conservateur se révèle dans ce que j'ai appelé,
parce qu'il ne faut pas employer des
termes trop forts qui seraient inacceptables pour qualifier le projet… Il y a
un repli identitaire, et le repli identitaire,
c'est : on se rabat un peu sur seulement l'identité de la majorité, la
majorité d'origine canadienne-française, on se rabat là-dessus et on essaie d'extirper ce qui est le
multiculturalisme anglo-saxon, qu'on éloigne de soi pour s'en ramener seulement à un héritage francophone issu
de France, avec une idée républicaine qui historiquement a laminé les
différences constamment.
Nous avons eu, il me
semble, dans notre histoire, une autre expérience historique. Le respect de la
minorité anglo-québécoise, je crois que nous
sommes marqués au fer rouge pour toujours à respecter les droits de cette
minorité, et il faudrait que nous
respections davantage — et nous avons commencé à le faire — les 11 peuples autochtones. Nous
avons une expérience de la reconnaissance du
pluralisme. C'est ça, notre expérience historique. Et là, quand on essaie
de se sortir de ça… Parce que c'est du
pluralisme, c'est une politique de pluralisme culturel que de respecter les
droits de la minorité anglophone et
les droits des 11 peuples autochtones. Alors, sur la même voie, il faut
rester pluraliste. Et, quand on
essaie de rejeter tout au nom d'une sorte de terme devenu complètement
péjoratif, multiculturalisme anglo-saxon, au profit de l'approche francophone, française, eh bien, là, on se
retire dans la majorité canadienne-française aux dépens des minorités, et c'est un repli
identitaire : les régions contre Montréal, la population avec un discours
parfois populiste contre les
intellectuels, l'origine française contre le multiculturalisme anglo-saxon. Ce
sont les manifestations d'un repli identitaire, et c'est ça qui donne la
substance de ce qui m'apparaît être un nationalisme conservateur.
Et
l'ultime argument en faveur de cela… Et c'est ainsi qu'en vous répondant
j'essaie de répondre à la question antérieure. Quel est l'argument
ultime? Mais c'est l'envahissement de…
Le Président (M.
Ferland) : Et voilà. Excusez-moi.
M. Seymour
(Michel) : Mais je ne pourrai pas le donner?
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, vous ne pourrez pas
répondre au député de Blainville, le temps étant écoulé. Il me… qu'à
vous remercier, M. Seymour, pour le mémoire.
M. Seymour
(Michel) : J'aurai essayé quand même. Merci.
Le
Président (M. Ferland) : Tout aura été tenté. Alors, merci pour
votre mémoire.
Je vais suspendre
quelques instants pour permettre au prochain groupe de prendre place. Merci,
M. Seymour.
(Suspension de la séance à 14
h 59)
(Reprise à 15 h 1)
Le Président (M.
Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Maintenant,
nous allons recevoir et entendre les porte-parole de la Coalition Laïcité Québec. Je vais vous demander de vous présenter ainsi
que la personne qui vous accompagne,
en vous mentionnant que vous disposez de 10 minutes pour la présentation
du mémoire, suivi d'un échange avec les parlementaires.
Alors, la parole est à vous.
Coalition Laïcité Québec
M. Lamoureux (André) : Bonjour, MM. et Mmes les députés. M. le ministre. Je suis André Lamoureux. Je suis politologue, chargé de cours actuellement en sciences politiques à l'Université du Québec à Montréal. Je tiens à préciser que j'ai quand même
fait toute… J'enseigne à l'UQAM depuis 2006. J'ai fait ma carrière
d'enseignement au niveau collégial, où j'ai
occupé tour à tour le poste d'enseignant, coordonnateur de département,
président de la commission des études,
adjoint pour un certain temps à la commission des études. Donc, ce milieu, c'est vraiment
le nôtre, et vous allez voir que ça va teinter aussi notre présentation.
Et je vous présente madame.
Mme Bensalem (Leila) : Alors, je suis Leila Bensalem. Je suis
enseignante dans une école secondaire à Montréal.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci beaucoup. Alors, je ne sais pas qui
fait la présentation. Allez-y.
M. Lamoureux (André) : Alors, deux mots sur la Coalition Laïcité Québec.
C'est une coalition, comme son nom l'indique, qui a été créée en 2010 de
l'association d'un ensemble de groupes, mouvements et associations faisant la promotion de la laïcité au Québec
et son élargissement dans le contexte, disons, des années que nous avons
vécues, de la fin des années 2000. Et
cette Coalition Laïcité Québec, je pense qu'il faut le préciser, c'est aussi
elle qui a été à la base du lancement
du Rassemblement pour la laïcité qui a été créé à la fin du mois d'août et qui a
lancé une pétition qui a réuni quelque 63 000 signataires jusqu'à
ce jour dans le cadre des débats entourant le projet de loi n° 60.
Dans
la présentation, nous allons aborder les thèmes les plus controversés, à propos
desquels nous pensons pouvoir apporter
un éclairage utile, et l'examen des autres questions pourra être fait dans le
cadre des discussions et des réponses que nous pourrons apporter à vos
questions.
À propos du préambule
de la charte, nous voudrions que la loi définisse et stipule dès ses premières
lignes les contours de ce qu'est une véritable laïcité. Il faudrait, à notre
sens, énoncer trois principes qui sont les suivants : la reconnaissance de la liberté de religion et de la
liberté de conscience, la séparation des religions et de l'État de même que
le principe d'universalité de la sphère
publique, à savoir l'affirmation que tous les citoyens partagent un bien et un
espace commun, les mêmes lois, les
mêmes droits, les mêmes institutions publiques. La liberté de religion, la
liberté de conscience, le respect des
droits d'autrui, l'égalité entre les hommes et les femmes, voilà autant de
principes qui doivent être respectés pour
tous et toutes en vertu de règles communes établies et non pas en fonction des
croyances particulières et arbitraires de
chacun. L'insertion d'un tel article spécifiant les paramètres fondamentaux de
la laïcité s'avère un impératif. Il serait structurant à la fois pour le
législateur, les cours de justice, les gestionnaires et la population en
général.
Nous
voulons marteler l'importance d'une charte de la laïcité en précisant que
celle-ci n'a rien à voir avec le fait que
les Québécois seraient frileux vis-à-vis des cultures différentes ou des
religions, qu'ils auraient tendance à se replier au plan identitaire, qu'ils seraient xénophobes, islamophobes ou
racistes. Prétendre une telle chose,
c'est faire preuve de mauvaise foi ou chercher à dénigrer malicieusement
les partisans de la laïcité, sans aucune espèce de fondement.
Bien
au contraire, ce projet de charte procède d'une question démocratique visant
l'achèvement des fondements de la
démocratie au Québec. Nous vous indiquons qu'en matière de laïcité il n'y a pas aucun principe ni règle établis dans
la Constitution canadienne ni dans les lois
du Québec. En considérant le préambule de la Charte
canadienne des droits et libertés, l'article 2, l'article 15 ainsi que l'article 27, il faut reconnaître
qu'elle se révèle, cette charte canadienne, un point d'ancrage pour l'expression de pratiques et de symboles religieux
dans les institutions publiques. Nous vous faisons remarquer aussi que, cette charte, les Québécois
ne l'ont jamais adoptée et se la sont fait imposer en 1982. Je pense
que les Québécois auraient peut-être mis autre chose s'ils
l'avaient décidé eux-mêmes. C'est pourquoi les prescriptions de l'État en matière de laïcité doivent être
institutionnalisées au Québec. Et seule cette laïcité parachevée et
officialisée peut contrer le particularisme religieux et le
communautarisme.
À propos des
éléments emblématiques du patrimoine et le patrimoine culturel du peuple
québécois, la coalition est d'accord sur l'essentiel des dispositions du
projet de loi, sauf pour la présence du crucifix dans le salon bleu de l'Assemblée nationale. Nous appelons les députés
de l'Assemblée nationale à une plus grande cohérence. Comment peut-on admettre qu'il eut fallu retirer les crucifix des
écoles pour concrétiser le caractère laïque de celles-ci alors que ce crucifix
serait maintenu dans le lieu où sont votées
les lois? Par conséquent, à notre avis, la décision de retirer le crucifix ne
peut être laissée à la discrétion du
Bureau de l'Assemblée nationale, cela reviendrait à soumettre le sort de ce
symbole religieux à un débat partisan. Il est préférable que la Loi de l'Assemblée
nationale soit modifiée en spécifiant qu'aucun symbole ou signe
religieux n'y soit autorisé.
Je passe la parole à Mme Bensalem.
• (15 h 10) •
Mme Bensalem (Leila) : Alors,
bonjour. Je vais parler plus spécifiquement du port de signes religieux.
Alors, nous nous devons de mettre en évidence la
force des symboles et des signes religieux ici, au Québec, comme ailleurs ainsi que l'importance de les
interdire pour l'ensemble des personnels des organismes publics. Les symboles
et signes religieux sont porteurs de sens,
ils sont parlants. Il faut se rappeler que, jusqu'aux années 1950, 1960, les
soutanes des frères et Jésuites ainsi
que les coiffes des soeurs au Québec étaient porteurs d'un message
obscurantiste : l'obligation de
la prière, l'abstinence sexuelle, l'interdiction des relations sexuelles avant
le mariage, la condamnation de l'homosexualité, le rejet de la modernité. Peu à peu, les Québécois
ont voulu mettre fin à cette présence des symboles catholiques dans leurs
institutions. Alors, pourquoi arrêter le combat quand il s'agit de l'islam, ou
du judaïsme, ou de la religion sikhe?
Il faut
souligner ce problème aujourd'hui, notamment dans le contexte de la montée de
l'intégrisme et de son impact au
Québec. On peut prendre en exemple le port du turban chez les sikhs, qui
renvoie immanquablement des messages intégristes
assez clairs. L'Église sikhe s'oppose à l'homosexualité, qu'elle associe à une
entorse de la nature. En 2005, elle a
fait campagne contre la reconnaissance du mariage gai au Canada. Elle est
également opposée au droit à l'avortement et aux relations sexuelles
avant le mariage.
Dans les
régimes islamiques, l'homosexualité est tout autant condamnée. Les gais et
lesbiennes sont le plus souvent ostracisés, pourchassés et parfois même
assassinés. Il en est de même du foulard islamique, qui est un symbole de
l'intégrisme islamique.
Certains
signes associés à la montée de l'intégrisme dans d'autres pays ne perdent pas
leur connotation intégriste parce
qu'ils sont portés au Québec, loin de là. Et je fais référence en particulier
au voile islamique, symbole de ségrégation sexuelle et de soumission à l'homme. Il ne faut surtout pas oublier que
ce même voile est le porte-étendard de l'islam politique.
Le libre choix et la démocratie n'ont jamais eu
droit de cité dans les sociétés arabo-islamiques, et les femmes voilées en sont le pur produit. Celles qui
prétendent le porter par conviction sont instrumentalisées, voire conditionnées,
et sont complices de cet asservissement. Je vais vous citer ici un propos qu'a
tenu Mme Wassyla Tamzali, c'est une féministe
algérienne qui est venue donner plusieurs conférences ici, au Québec. Voici
ce qu'elle dit concernant la thèse de
ces voilées volontaires : Les intentions des jeunes filles et femmes
voilées, aussi libres se croient-elles dans leur choix, ne peuvent gommer le fait qu'elles portent le
signe d'une morale dont les codes les dépassent totalement et qui engendre
une ségrégation des sexes.
Un autre
petit commentaire, celui-ci qui a été donné par une personne dont
vous avez peut-être entendu parler. C'est une réfugiée somalienne en Hollande qui s'appelle Ayaan Hirsi Ali
et qui vit cachée, sous surveillance constante à cause de ses propos et de ses idées. Elle dit que le port du voile est
le symbole de l'enfermement des femmes par une religion qui n'a malheureusement
pas encore connu son siècle des Lumières.
Il est donc important
d'interdire les signes religieux dans les organismes publics et chez le personnel des institutions d'enseignement, que ce soit dans les écoles
publiques, dans les écoles privées subventionnées, au cégep ou à l'université.
Il le faut au nom de la protection de la
liberté de conscience des étudiants mais aussi celle des autres membres du personnel et de la clientèle qui fréquente les institutions publiques. L'obligation de réserve neutralise ainsi la propagation de
doctrines religieuses à même les rouages de l'État.
La coalition
soutient aussi la nécessité d'interdire tout autant les signes religieux dans
les CPE en installation ou en milieu
familial. Les centres de la petite enfance, à notre époque, sont des
instruments de socialisation de premier ordre. Ils sont devenus aussi
importants que les écoles au cours de la petite enfance.
Nous sommes
d'accord avec l'obligation stipulée par le projet de loi à l'effet d'offrir ou
de recevoir un service à visage découvert dans les écoles et institutions publiques, cela va de soi, mais aussi dans les institutions d'enseignement privées subventionnées, ainsi que dans les CPE en
installation, comme j'ai déjà dit, et ceux en milieu familial, qu'ils soient
subventionnés ou pas, tout comme dans le reste des institutions publiques. Je
passe la parole à M. Lamoureux.
M. Lamoureux (André) : La coalition
propose…
Le Président (M. Ferland) :
Rapidement, monsieur…
M. Lamoureux (André) : Oui?
Le
Président (M. Ferland) : J'ai laissé déborder, le ministre a accepté de le prendre sur son temps, mais si vous voulez conclure, peut-être.
M. Lamoureux (André) : Conclure tout
de suite? On est passés… on est rendus à…
Le
Président (M. Ferland) : Oui, déjà vous avez dépassé le temps de 10 minutes,
oui, mais le ministre, dans sa grande générosité, a accepté de…
M. Lamoureux (André) : D'accord,
d'accord, d'accord. Alors, je vais traiter de trois points très rapidement.
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y, oui.
M. Lamoureux (André) : Concernant le port de signe religieux pour les députés de l'Assemblée nationale, nous pensons que le droit de réserve… l'obligation de
réserve devrait aussi, également, s'appliquer. On ne peut pas le demander
aux employés des services publics, aux
membres du personnel de l'Assemblée nationale et ne pas l'imposer aux députés
de l'Assemblée nationale.
Concernant
les demandes d'accommodement en matière religieuse, on est d'accord avec le
projet de loi. Cependant, en ce qui concerne
les étudiants de niveau collégial et universitaire, en fonction de la réalité
de ces institutions d'enseignement supérieur,
les objectifs d'apprentissage sont déterminés par les plans-cadres et des plans
de cours et non pas par des projets d'école.
Il faudrait donc ajouter deux critères spécifiques pour l'enseignement
supérieur, tout d'abord le respect d'une règle d'équité entre les étudiants devant conduire à la prise de
décision d'un accommodement. Le problème d'équité se pose pour les membres du
personnel de ces institutions, mais il se pose également pour les étudiants qui
le demandent. D'autre part, le respect du principe d'égalité entre les
hommes et les femmes devrait aussi s'imposer, comme le démontre de façon
éloquente la récente controverse survenue à l'Université de York.
Enfin,
le dernier point sur lequel nous insistons énormément : trois motifs
incitent la Coalition Laïcité Québec à demander au gouvernement du
Québec de recourir à la clause «nonobstant».
Tout
d'abord, la laïcité ou la séparation de l'Église de l'État sont des concepts
étrangers à la charte canadienne et à
la charte québécoise. Ils sont même contraires aux prescriptions de la Charte
canadienne des droits et libertés et à la jurisprudence au Canada. Ce mur de la charte canadienne ferait en sorte
qu'il deviendrait quasiment impossible, dans le cadre constitutionnel et
législatif actuel, de restreindre le port de signe religieux.
Deuxièmement,
la jurisprudence établie au Canada permet aussi le port signe ou de symbole
religieux dans les organismes publics
tout comme dans les entreprises privées dans la mesure où ils n'auraient
prétendument pas d'effet de
contrainte sur les autres personnes. La
logique de la jurisprudence est assez claire à ce sujet. De l'autorisation du turban pour les agents de
la GRC à l'acceptation du niqab pour un témoin en cour, ce qui est privilégié
au Canada, c'est la règle de la neutralité dite bienveillante. Nous ne sommes pas d'accord
avec ces interprétations des cours supérieures canadiennes, mais elles
sont là.
Enfin,
la dimension proprement politique est aussi capitale. Un échec de la charte de
laïcité suite à des recours judiciaires
longs et coûteux, allant immanquablement jusqu'à la Cour suprême, serait dévastateur pour le Québec. Tenter, après
un revers plus que prévisible, de réintroduire par la suite une nouvelle charte
avec le recours à la clause «nonobstant»
représenterait une opération titanesque,
difficilement franchissable et qu'il
faut absolument éviter au peuple québécois.
Les obstacles sont trop grands. Il se pourrait d'ailleurs qu'à la suite d'un
tel échec il soit aussi trop tard pour agir.
Je
termine en disant que nous avons huit recommandations dans le rapport. Vous remarquerez, dans le
rapport, que nous avons aussi deux préoccupations que nous avons soulevées aux députés de l'Assemblée nationale, même si
elles ne sont pas traitées dans la
présente loi. Les deux préoccupations concernent le financement par l'État
des écoles privées à vocation
confessionnelle, et la deuxième préoccupation, c'est celle du port du voile par des jeunes
filles dans les écoles primaires. C'est un réel problème, et je ne pense
pas qu'elles le font par choix personnel. Merci.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci. Merci, M. Lamoureux, Mme Bensalem. Alors, nous
allons à la période d'échange. M. le ministre, la parole est à vous.
M. Drainville : Oui, M.
le Président, merci. D'abord,
bienvenue. Et évidemment, comme je l'ai fait pour toutes les autres personnes qui sont venues à cette commission, je vous remercie pour le travail que vous avez accompli et votre
présence parmi nous.
Je
dois dire d'abord, Mme Bensalem… J'ai lu et j'ai écouté avec
attention ce que vous avez dit. Je dois vous dire, comme élu, il a été…
Moi, je pense qu'il y a des évidences en matière de signes religieux, il y a
certains signes où le consensus est très
clair, ils sont porteurs d'un message intégriste, et, de façon
générale, il n'y a pas beaucoup de débats autour de la burqa, ou du niqab, ou même du tchador, c'est très, très
clair. Je pense que vous m'avez déjà entendu dire sur le voile que je reconnaissais qu'il y avait un débat là-dessus, mais je ne suis pas prêt, mais alors là vraiment
pas à dire que toute personne qui porte un voile le porte parce qu'elle
se sent obligée, ou par soumission, ou par obligation. Je comprends
que vous ayez une autre lecture de la situation, un autre point de vue là-dessus, mais je voulais juste marquer, si vous me le permettez, ma position là-dessus.
Je pense qu'il y
a un débat sur le voile, et certaines
femmes, sans doute, le portent parce
qu'elles se sentent obligées, pour
des raisons de pressions familiales, par
exemple, pressions communautaires,
mais je pense aussi qu'il y en a d'autres qui le portent librement et qui exercent à ce moment-là, à travers ce port du voile, leur
libre arbitre, leur liberté de religion et de conscience. Je ne vous demande
pas de… Je ne veux pas engager un débat avec vous là-dessus parce
qu'avec le temps qu'il me reste je pense qu'il faut aller un peu plus loin.
Par
ailleurs, j'ai entendu votre commentaire également sur le port du turban par
les sikhs. Je dois vous admettre que
je suis un petit peu… je suis embêté par ça. J'ai rencontré, moi, des représentants
de la communauté sikhe et je… ils ne
m'ont pas fait l'effet d'être des gens marqués par une pensée intégriste.
Alors, je pense que c'est important que je vous le dise également. J'ai eu une très bonne discussion avec eux puis
je ne veux pas faire cette équation-là. En d'autres mots, je ne veux pas
faire cette équation-là.
Maintenant,
parlez-nous un peu… Vous êtes enseignante, je pense que c'est important que
vous nous parliez à partir de votre
expérience à vous. Comment un enfant ou un élève dans une classe reçoit-il le
port d'un signe religieux par son
enseignant ou par son enseignante? J'aimerais ça que vous nous fassiez cheminer
un peu là-dessus. Quelles sont les questions
qu'un enfant, qu'un élève va se poser lorsqu'il va voir une figure en autorité
comme celle de son enseignant ou son enseignante porter pendant toute
l'année scolaire un signe religieux? Qu'est-ce que… Aidez-nous un peu à
comprendre ce que ça veut dire, ça.
• (15 h 20) •
Mme Bensalem (Leila) : Oui.
Par rapport à l'école où j'enseigne actuellement et où j'ai toujours enseigné,
on a eu seulement un ou deux exemples
peut-être d'enseignantes qui portaient le voile et qui étaient dans notre école
uniquement en remplacement. Je sais
que les élèves se posent la question au début, bien ils se demandent ce que ça
veut dire d'abord, et la réponse qu'on leur donne, bien sûr,
automatiquement : C'est sa religion, c'est sa religion. Alors, vous savez,
les adolescents, bon, ils vont prendre ça,
mais il y en a qui vont continuer à se questionner, il y en a qui ne se
questionnent plus.
Mais
c'est sûr que moi, j'ai eu… on m'a rapporté certains propos, certains
commentaires pas dans notre école mais
dans d'autres écoles, parce qu'on est quand même en contact avec d'autres
enseignants ailleurs. Ils ont des fois des réponses comme : Ma religion m'interdit de montrer mes cheveux à
des hommes, ou alors : Je ne dois pas porter de tenues qui sont des vêtements qui me moulent, ou qui
montrent mes formes, ou des choses comme ça. Donc, ils trouvent ça bizarre,
les adolescents, qu'on ait à se cacher, ils ne comprennent pas ça.
Il y a des propos
aussi chez les petits enfants. On m'a rapporté une conversation entre une
petite fille et son éducatrice, et elle lui avait demandé pourquoi elle se
cachait les cheveux. Elle avait remarqué aussi que cette dame-là refusait de serrer la main à son papa et elle
avait posé des questions à cet effet, parce que les enfants sont quand même…
On ne s'en rend pas tellement compte, mais
ce sont de véritables éponges, hein, ils prennent, ils regardent, ils
observent, ils remarquent. Et la dame lui avait répondu : C'est
parce que le bon Dieu m'aime. Et elle était rentrée chez elle, la petite fille,
puis elle avait dit à sa maman : Toi, le bon Dieu ne t'aime pas, hein,
parce que tu n'es pas voilée.
Alors,
on est face à… Bien sûr, ce sont des enfants ou des adolescents, mais ils se
posent des questions. Ils ne comprennent
pas, je pense, ils ne comprennent pas vraiment les enjeux parce qu'il n'y a pas
vraiment… ils ne reçoivent pas
vraiment d'explication qui leur permette de comprendre ce qui se passe et ce
que ça veut dire, alors ça fausse un peu leur compréhension.
M. Drainville :
Par ailleurs, j'aimerais vous poser une question un petit peu… On va faire un
peu de coq à l'âne, là, parce que
somme toute on n'a pas beaucoup de temps, il nous reste seulement huit minutes.
M. Lamoureux, l'invité qui était
là juste avant vous a dit : La charte procède d'un nationalisme de
ressentiment. Il a utilisé… Dans son mémoire, c'était «nationalisme de
ressentiment». Lors de son…
Une voix :
M. Seymour.
M. Drainville :
Je parlais de M. Seymour, oui, voilà. M. Seymour, donc, parlait de
nationalisme de ressentiment dans son mémoire, et il a parlé de
nationalisme conservateur tout à l'heure, en réponse aux questions.
Je
tiens à dire encore une fois que je respecte tout à fait le point de vue de
M. Seymour, là, je suis… Je pense qu'il faut que je sois… il faut que je prenne la peine de le dire, là, je veux
garder ma ligne, là, là-dessus, là. Mais comment vous réagissez quand
vous entendez ça, vous, que la charte de la laïcité que nous proposons procède
d'un nationalisme de ressentiment ou un nationalisme conservateur?
M. Lamoureux (André) : Ça n'a rien à voir, ça n'a rien à voir. La revendication
de… Une charte de laïcité procède d'une nécessité d'achever une oeuvre
démocratique, les sociétés démocratiques les plus avancées sont fondées sur le principe de la séparation de l'Église et de
l'État. Et ça n'a rien à voir non plus avec la xénophobie, il n'y a pas de
repli identitaire.
Nous,
nous travaillons avec le Rassemblement pour la laïcité. Nous avons 63 000
signataires de toutes origines. Nous
avons des gens qui travaillent avec nous, comme en témoigne Leila à côté de
moi, de toutes les communautés. Des Tunisiens
sont pour la laïcité, des Algériens sont pour la laïcité, des Égyptiens sont
pour la laïcité; les Turcs, des Français, des Belges qui travaillent
avec nous. Donc, ce n'est pas une question de repli identitaire ou de
nationalisme, ça n'a absolument rien à voir. Alors, les gens qui voient ça,
c'est que je pense qu'ils font une mauvaise lecture de la réalité politique du
Québec, qui est une société moderne.
Et
j'ajouterais ceci : Les Québécois sont très ouverts à l'immigration et ont
toujours été ouverts à l'immigration. Ce n'est pas une question des Québécois
de souche avec une espèce de réflexe ethnocentrique versus les nouveaux arrivants,
les Québécois l'ont toujours été, ouverts. Quand ce n'étaient pas les Européens
qui arrivaient, ça a été les Latino-Américains
dans les années 70. J'en avais plein dans mes classes, des Chiliens, j'en
ai eu plein dans les années 70. Ensuite,
ça a été les «boat people», Vietnam,
ça a été les gens d'Asie centrale. Ensuite, ça a été l'immigration asiatique,
du Maghreb.
Donc,
je ne vois pas le lien entre le fait de défendre un nationalisme dit
conservateur… Je me questionne même où
est le conservatisme. De parachever la laïcité de l'État,
c'est une oeuvre progressiste, c'est vraiment le cas, là. Ça n'a rien de réactionnaire, là, au contraire, parce que la seule façon de
protéger les libertés des gens, c'est de faire cette complète séparation. Et, nous, ce que nous n'aimons pas,
dans ce débat, c'est que la question de la liberté de conscience est trop
prise à la légère dans le débat, la liberté
de conscience des citoyens qui ne veulent pas... Les Québécois
se sont battus 50 ans pour
faire… procéder à la sécularisation du personnel dans les écoles, dans les hôpitaux. Ils ont le droit de maintenir cette
situation, et ce que je voulais dire, c'est
que, bon, cette histoire de combat pour la laïcité doit être préservée. Les
Québécois demeurent ouverts, mais ils ne veulent pas empiéter sur ces
questions.
Le port de signes
dits religieux… Le port du voile n'est pas un signe religieux, rien dans le
Coran ne l'oblige. Remarquez que toutes les sociétés islamiques qui prônent
l'islamisme politique, la première chose qu'elles font, c'est qu'elles obligent les femmes à porter le voile, qui est en fait un signe religieux qui est
une expression même de la ségrégation sexuelle des femmes.
Puis j'ajouterai ceci : Pensez, au Québec,
pour parler du choix personnel, combien de dizaines de milliers de femmes... Je pense qu'on sous-estime, dans le
débat, la force des religions et des idéologies. Et je vous rappelle que la
religion est la
première forme de l'idéologie, la forme primaire de l'idéologie, la force
d'intériorisation des idéologies chez
les individus. Même si les individus disent : Je fais mon choix personnel,
il y a des doctrines, il y a des principes qui leur sont souvent
inculqués, même inconsciemment. Il y avait des dizaines de milliers, peut-être
des centaines de milliers de femmes qui
pouvaient vous dire, dans les années 1930 au Québec, que leur rôle, ce
n'était pas de voter, que leur rôle,
c'était de rester à la maison, de rester fidèles à leur mari, d'aller à
l'église, de ne pas se mêler de politique, et en vous
répétant que c'était leur choix personnel, mais nous savons très bien
que ce n'était pas leur choix personnel, que ces idées étaient martelées par l'Église catholique, les autorités
ecclésiastiques et Duplessis en
particulier. Nos mères... Ma mère portait un voile lorsqu'elle allait à l'église. Nous nous sommes battus contre elle. Entre guillemets, vous comprenez, on ne l'a jamais battue, là, mais on s'est battus.
On était jeunes, dans les années 60, et on disait : Maman, pourquoi
tu vas à l'église? Pourquoi tu portes ton voile? Pourquoi tu vas te
cacher? Je ne veux pas offusquer le curé, c'est mon choix. Achalez-moi pas,
achalez-moi pas, c'est mon choix. Mais ce n'était pas son choix, c'était un
comportement qui était inculqué à l'époque
par l'Église catholique, jusqu'au milieu des années 1960. Et finalement c'est
sous la pression de la jeunesse que
finalement ma mère a dit : Oui,
finalement il faut que je me respecte, là, je l'enlève. Je
ne le porterai pas, mon voile, et je
vais y aller, à l'église, sans voile. Puis c'est ce que les femmes québécoises
ont toutes fait à un moment
donné. Alors, quand on parle des choix personnels : entre guillemets, n'est-ce
pas? Ça, c'est notre opinion.
• (15 h 30) •
Le Président (M. Ferland) :
Deux minutes environ, M. le ministre.
M.
Drainville : Oui. Bien, écoutez, je veux juste vous dire — parce que, là, je suis obligé d'aller à
l'essentiel — je
veux juste vous dire... Sur la question du
signe religieux porté par des élus, je veux juste que vous sachiez que nous, nous sommes prêts, comme élus du Parti
québécois, à amender le règlement
de l'Assemblée nationale pour faire en sorte que les élus, lorsqu'ils sont au salon bleu, lorsqu'ils
jouent leur rôle de législateurs… nous sommes prêts, nous l'avons dit
publiquement au moment où on a déposé le projet de loi, nous sommes prêts à
amender le règlement de l'Assemblée nationale pour faire en sorte que les élus,
lorsqu'ils jouent leur rôle de législateurs, lorsqu'ils sont au salon bleu ou
en commission parlementaire comme ici… pour que nous renoncions donc au port de
signe religieux. Et d'ailleurs notre formation politique a pris… est allée plus
loin, a même dit qu'à l'avenir, lorsqu'un candidat ou une candidate se présentera
pour notre parti, dans l'engagement du candidat, il ou elle devra renoncer à ce
moment-là au port de signe religieux lorsqu'elle est au salon bleu.
Évidemment,
pour pouvoir amender ce règlement, il faudrait que les élus des autres formations politiques soient d'accord.
Alors, je ne sais pas ce que… Le Parti
libéral, lui, a déjà dit qu'il
n'était pas favorable à ce changement-là, je ne pense pas me tromper — si
je me trompe, ça va vous faire plaisir, M. le député de LaFontaine,
de me corriger, j'en suis certain. Je
pense que les élus des autres formations
politiques qui sont ici présents, y
compris M. le député de Blainville,
à ma connaissance, ne se sont pas prononcés
sur cette question. Donc, je veux juste vous dire que le débat est encore
ouvert dans la mesure où il y a
un certain nombre de représentants des autres formations politiques ou
d'autres députés qui ne se sont pas
prononcés sur la question. Évidemment, à partir du moment où il y a
un député ou une députée qui est contre, comme il faut l'unanimité
pour ça, ça devient impossible de changer le règlement de l'Assemblée nationale.
Alors, si effectivement les gens de l'opposition officielle sont contre, ça va…
Le Président (M. Ferland) : M.
le ministre, je dois vous…
M. Drainville : …on ne sera
pas capables de modifier le règlement.
Le
Président (M. Ferland) : …malheureusement vous arrêter sur l'Assemblée nationale. Et je
vais céder la parole au député de… LaFontaine, voyons, LaFontaine.
Allez-y.
M. Tanguay : Oui. Merci
beaucoup, M. le Président. Merci, M. Lamoureux et Mme Bensalem. Merci beaucoup pour votre présentation, pour le temps que vous avez mis à rédiger le
mémoire et au temps également que vous prenez aujourd'hui pour répondre
à nos questions.
Vous parlez,
vers la fin de votre mémoire, de… vous parlez de la charte canadienne et évidemment
le corpus que représente la charte
canadienne, là, protection des libertés, liberté de conscience et de religion,
et tout ça. Vous parlez des fois, rapidement
par contre, et j'aimerais vous entendre là-dessus, de la
charte québécoise. Est-ce que votre perception, vos études, votre analyse vous portent à conclure
que la protection de la liberté de conscience et de religion par la charte
québécoise est aussi forte que celle prévue par la charte canadienne?
M. Lamoureux (André) : Vous me posez
la question à moi ou…
M. Tanguay : Je vous laisse…
M.
Lamoureux (André) : O.K.
Bien, je peux vous répondre. Regardez, dans la charte québécoise,
la laïcité, les deux principes fondamentaux, les deux premiers principes
sont deux corollaires. Dans une société démocratique, le premier principe, c'est qu'il doit y avoir
reconnaissance de la liberté de religion, liberté de conscience également.
Cependant, le deuxième
principe, la séparation de l'Église et de l'État, il n'est pas présent dans la
charte québécoise.
On a une
déclaration au Québec, là, sur les valeurs communes, pour les
immigrants, qu'ils signent depuis 2009. On leur dit dans la déclaration…
Vous savez tous ça, vous êtes des députés. Vous savez comment ça fonctionne,
là, maintenant, l'immigration, avec les discussions qu'on a eues
dans les années 2000. Alors, les immigrants signent à l'effet qu'ils reconnaissent que le Québec
est une société française, qu'il y a égalité des hommes et des
femmes et que le Québec est
une société laïque. Où ça? Où? Il n'y a aucun texte.
Donc,
la faiblesse de la charte, c'est qu'elle ne dit pas — et
c'est ça, une société démocratique, pour respecter la liberté de conscience — que
la liberté de religion, au Québec, doit s'exercer dans le respect du principe de la
séparation de l'Église et de l'État
ou, si vous aimez mieux, des religions et de l'État. C'est la seule façon de
respecter à la fois la liberté de
religion et la liberté de conscience. De ce point de vue là, pour
respecter ce principe, il faut absolument amender la Charte des droits et libertés. Et c'est ce que propose d'ailleurs le projet de loi n° 60, on est d'accord avec ça. Il faudrait qu'elle soit amendée pour que cette idée-là soit
incluse dans la Charte québécoise des droits et libertés. Mais, au moment présent, telle qu'elle est rédigée, elle est, je
dirais, incomplète, inachevée, il faudrait l'améliorer. C'est notre point de vue.
M.
Tanguay : …avez-vous
pris connaissance… Et ça, là-dessus, vous savez, on a eu l'occasion, je
pense que c'est très clair dans le
débat public présentement, de voir ce qui fait très large consensus
et là où est l'écueil. L'écueil, vous
l'avez bien noté, c'est l'interdiction complète de signe religieux ostentatoire
chez les employés, public et parapublic. C'est réellement ça, le noeud du problème. Ce qui fait, là… Je pense que
ça vaut la peine de prendre quelques secondes pour le rappeler. Ce qui fait très,
très large consensus,
c'est de préciser la neutralité des institutions de l'État dans la charte québécoise,
de l'inscrire. Il peut y avoir une discussion sur les modalités, mais c'est un
très large consensus, cet élément-là. Évidemment, balises aux
accommodements pour qu'ils soient raisonnables et non au prosélytisme, ne pas
utiliser sa fonction dans la fonction publique pour essayer de tenter de faire de nouveaux adeptes de sa religion. Et également
le visage découvert, faire en sorte de pouvoir recevoir et donner les
services de l'État à visage découvert.
Donc,
réellement, au
niveau de la protection de la liberté
de conscience et de religion de la charte québécoise, vous avez été à même, je pense,
de prendre connaissance des décisions des tribunaux. Est-ce que — et
c'était surtout ça, ma question — vous
y avez vu une distinction, une protection autre, de façon plus marquée quant à
la charte québécoise versus la
charte canadienne? Moi, mon analyse me porte à croire et à
conclure… Force est de conclure qu'il
y a une protection égale dans
les deux chartes.
M. Lamoureux (André) : Sauf que peut-être
dans le préambule… Le préambule sur
l'égalité des hommes et des femmes a été ajouté au cours des dernières
années, donc il y a un élément supplémentaire. Mais…
M. Tanguay :
Sinon, allez-vous être d'accord avec moi sur…
M. Lamoureux (André) : Mais je dirais que, d'un certain point de vue, la charte québécoise est préférable à la charte canadienne, parce
que la charte canadienne
a le préambule sur la suprématie de Dieu, l'article 2 qui dit «liberté
de religion» sans préciser qu'il y a
un principe de séparation attaché à ça, de l'Église et de l'État, O.K., l'article 15
qui dit que personne ne peut être
discriminé pour motif religieux et surtout l'article 27 qui dit
qu'il est du devoir du Canada
de valoriser et faire la promotion du
multiculturalisme. Ça, c'est devenu un vecteur, depuis les années 90, pour
de multiples communautés, particulièrement chez les intégristes, pour
faire rentrer des référents religieux dans les institutions publiques. De ce point de vue là, la charte canadienne,
à mon sens, là, est plus néfaste que la charte québécoise, mais la
charte québécoise, néanmoins, à mon avis, est incomplète.
M. Tanguay :
Sur…
M. Lamoureux
(André) : Je ne sais pas si je me fais comprendre, là.
M.
Tanguay : Oui, je
vous suis. Sur la mention à Dieu dans la charte, dans la Constitution canadienne,
corrigez-moi si j'ai tort, mais les
tribunaux, justement, ne l'interprètent pas comme étant une
non-séparation, tel quel, de l'Église et de l'État. Corrigez-moi si j'ai
tort, mais au contraire les décisions récentes que j'ai lues la mentionnent
pour dire que ça ne les influencera pas, là. Êtes-vous d'accord avec mon
affirmation?
M. Lamoureux (André) : C'est-à-dire que, les tribunaux, ce qu'ils disent, c'est que
la jurisprudence exprimerait le fait
que le Canada est neutre par rapport aux religions, il
ne cherche pas à en imposer une. Cependant, les jugements tendent à témoigner en quelque
sorte que la position canadienne
est à l'effet d'être neutre comme État mais de permettre en son sein l'expression des religions, notamment par les signes
religieux. Les jugements… Et le jugement sur le niqab est quand
même assez déterminant, là, celui qui
a eu lieu au mois de décembre dernier, là, c'est quand même quelque chose, là, et même s'il y avait trois juges qui étaient dissidents, là. Et ça a passé à la Cour suprême, alors... Donc, qu'est-ce qu'on
fait pour le droit des accusés, là? Est-ce
que les droits des accusés sont protégés dans ce cas-là? C'est le gros
questionnement qui a été posé en décembre dernier.
M.
Tanguay : Est-ce que vous faites une distinction entre la
décision et l'application des critères gouvernementaux par un fonctionnaire dans ses fonctions, qu'ils
soient évidemment impartiaux, qu'il n'y ait pas de critère autre que ceux
édictés par la loi, donc la qualité de la
décision, qui doit être neutre de toute influence religieuse, versus le
fonctionnaire qui, par conviction
religieuse, porte un signe religieux, et qui comprend très bien son rôle, et
qui ne fait pas de prosélytisme? Est-ce
que, selon vous, il est possible pour un fonctionnaire ou impossible pour un
fonctionnaire d'arborer un signe religieux, d'avoir des convictions, de ne pas faire de prosélytisme, de bien
appliquer la loi ou, selon vous, dans tous les cas d'espèce ça ne pourra
pas être possible, et il y aura là une attaque à la neutralité de l'État, des
institutions de l'État?
M.
Lamoureux (André) : Mme Bensalem va vous répondre.
• (15 h 40) •
Mme Bensalem (Leila) : Bien, en fait, ce que vous dites, ça me fait
penser à plusieurs propos qui ont été tenus en ce qui concerne le port des signes religieux, par exemple, dans les
hôpitaux, dans les centres de la petite enfance ou, comme vous venez d'en parler, par exemple en ce
qui concerne des représentants de la loi. On n'a jamais dit, en fait, que
les signes religieux allaient les empêcher
de fournir leurs services comme il se doit puis d'être capables d'exécuter leurs tâches comme il faut. Moi,
quand j'entends que des infirmières qui portent le voile travaillent très bien,
puis qu'elles fonctionnent très bien,
puis que le voile ne dérange en rien leur travail, on est parfaitement d'accord
avec ça. Mais tous ces propos qui
sont tenus de cette manière-là, en fait, évacuent l'essentiel, l'essence même,
je pourrais dire, du problème que nous soulevons. Ces signes religieux
transmettent et sont porteurs d'une idéologie, et, que les personnes qui les
portent le veuillent ou non, il y a
un sens, il y a une idéologie derrière ça. Alors, comme une femme
voilée qui porte le voile, bon, elle
va parler de choix et de… moi, depuis quelque temps, je n'emploie plus ce
mot-là parce qu'il a perdu son sens. En fait, il ne s'agit plus de choix. En fait, ce sont des
personnes qui sont conditionnées, d'une certaine manière, qui appartiennent
à un mode de pensée, à un mode de vie et
qui, par ce signe-là, bien elles montrent qu'elles adhèrent à tout ce système
de pensée puis à ce code de valeurs, en fait. Et c'est ça qui est
dérangeant.
M. Lamoureux
(André) : Est-ce que je…
M.
Tanguay : …à ma collègue.
Il reste quatre minutes, juste vous poser une petite question
rapide. Êtes-vous d'accord… Et je pense que vous avez vu quelque chose que le ministre n'a pas vu. Vous suggérez très fortement, pour
que ça tienne la route, que la charte du Parti québécois contienne une clause «nonobstant», autrement dit qu'elle
s'applique en mettant de côté, vous
dites, la charte canadienne. Donc, êtes-vous d'accord avec l'affirmation du
ministre que cette charte du Parti québécois respecte la charte canadienne? Force m'est de constater — mais
je veux vous entendre là-dessus — que
ce n'est pas votre lecture, là.
M. Lamoureux (André) : Non, ce n'est pas notre lecture. Elle est
contradictoire avec les principes de la charte canadienne, et, pour
cette raison-là, il faut qu'il y ait un recours à la clause «nonobstant».
Je
vous rappelle… On rappelle dans le mémoire qu'en 1989, suite au jugement de la Cour suprême sur l'affichage, où
l'affichage unilingue français a été déclaré inconstitutionnel, le gouvernement de Robert Bourassa a décidé d'utiliser cette clause «nonobstant». Le voulait-il, l'utiliser? Voulait-il
utiliser la clause «nonobstant» au départ, lorsqu'il y a eu jugement? Je n'en suis pas sûr. Mais, quand il a
vu déferler une manifestation de 50 000
personnes dans les rues pour la défense
de la loi 101, je pense que, là, il s'est redressé le corps puis il s'est
dit : On va utiliser notre clause
«nonobstant» pour défendre la
loi 101, selon son option à lui, qui était la primauté du français
puis une autre langue ensuite, mais il a bien compris que, la viabilité ne serait-ce que d'une partie de ce qui
était dans la loi 101 en matière d'affichage, pour protéger cette partie-là,
il fallait utiliser la clause «nonobstant». Et, sans clause «nonobstant», la
loi 101, là, le chapitre sur l'affichage
sautait au complet, alors… Mais il a agi à rebours, le gouvernement libéral, avec un puissant mouvement de masse
derrière lui. Je pense qu'il faut le mettre dans le contexte aussi.
Et
moi, je rappelle une chose, là, puis je ne veux pas parler de l'histoire de ma
vie, là, mais en 1983, là, j'étais directeur
de grève dans un cégep, et puis on a eu la loi 111 qui a brisé notre grève.
Ça a été difficile, dur, avec des menaces de congédiement et tout. Et la
loi 111 a utilisé la clause «nonobstant», et personne n'a eu un mot à
dire.
La
clause «nonobstant» n'exige aucune justification au plan de la raisonnabilité
de la loi et de la justification de cette loi concernant, là, l'aspect
du principe d'une société libre et démocratique
comme l'article 1 de la charte canadienne l'exige. Donc, lorsque l'Assemblée nationale vote la…
utilise une loi et précise à la fin que cette loi s'applique nonobstant tel,
tel, tel article de la charte, elle
s'applique, point à la ligne, il n'y a pas de discussion, elle est renouvelable
aux cinq ans, et je pense que le
Québec ne devrait pas avoir honte d'utiliser la clause «nonobstant». Ce n'est pas le Québec qui a voté cette loi constitutionnelle, cette loi
constitutionnelle lui a été imposée par Ottawa, mais, puisqu'elle existe, pour défendre ses
propres positions sur la question de la laïcité… Et moi, je pense que c'est une caractéristique
du peuple québécois. Le développement fort du mouvement de la laïcité depuis 50 ans, c'est une caractéristique
distinctive du Parti québécois
par rapport au reste du Canada et l'Amérique
du Nord, ça fait partie de son
identité comme peuple. Et le Québec ne doit pas
avoir honte de l'utiliser, puisqu'elle est là. Puis même que le Québec
ne l'a même pas choisie, cette clause, elle est là objectivement dans la Constitution canadienne.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, je sais que la députée de
Bourassa-Sauvé avait une question, mais il reste 15 secondes.
Mme
de Santis : Alors, je ne vais prendre seulement que
15 secondes. Vous avez dit que ça va être dévastatoire pour le
Québec si...
Une voix :
Dévastateur.
Mme
de Santis : …pardon, dévastateur pour le Québec
s'il n'y a pas de clause «nonobstant» et le Québec perd devant la Cour
suprême du Canada. Pouvez-vous expliquer ça?
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, on n'a pas le temps
d'expliquer parce que le temps est écoulé. Alors, je dois céder la
parole à la députée de Montarville.
Mme
Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Ça
passe très rapidement. Bonjour, monsieur. Bonjour, madame. Merci pour
votre mémoire.
Nous sommes
en faveur d'une charte de la laïcité, et j'aimerais particulièrement vous
entendre dans le domaine de
l'éducation, madame, entre autres. Vous dites que vous êtes enseignante. Vous
avez étudié... Étudié! Pardon, la fatigue. Vous avez enseigné à quel
niveau et sur quelle période?
Mme Bensalem (Leila) : Au
secondaire. Ça fait 23 ans, toujours dans la même école.
Mme Roy
(Montarville) :
Et où enseignez-vous? Sur l'île de Montréal,
aux alentours?
Mme Bensalem (Leila) : À Montréal.
Mme Roy
(Montarville) : À Montréal.
Alors, je vais en profiter parce
qu'on a une enseignante. Alors,
j'aimerais vous faire parler de votre propre expérience au fil des ans.
Donc, ça fait
déjà quelques années que vous êtes là, vous avez vu… Ou plutôt,
je ne veux pas présumer, avez-vous vu
le nombre d'enseignantes portant, arborant des signes religieux visibles se
multiplier? Si oui, ça ressemble à quoi, cette progression-là, pour
commencer, la première partie de ma réponse... de ma question? Ensuite, j'en ai
une autre.
Mme Bensalem (Leila) : Parmi les
enseignantes, pas vraiment. Tout à l'heure, j'en ai parlé, là, on en a eu deux ou trois, là, et puis en remplacement, ce
n'étaient pas des enseignantes permanentes à l'école. Mais, bon, il y a
d'autres personnes qui travaillent
aussi dans les écoles à part les enseignantes, alors on a pu voir, oui, des
voiles arriver parmi les secrétaires,
parmi des techniciennes en laboratoire. Ça, on a ça. Ce sont des choses, moi,
quand je suis arrivée, il y a 23 ans, à l'école, il n'y en avait
pas, il n'y avait rien de tout ça.
Parmi les
élèves également. On n'en parle pas, là, parce que
ça concerne vraiment les employés de l'État, mais ça augmente à
une vitesse galopante, hein?
Mme Roy
(Montarville) :
Ça ressemble à quoi? Par exemple, en avez-vous eu dans vos classes?
Mme Bensalem (Leila) : Des élèves?
M. Lamoureux (André) : Des élèves?
Mme Roy
(Montarville) :
Oui.
Mme Bensalem (Leila) : Ah! Bien oui!
M. Lamoureux (André) : Oui, oui,
oui. Beaucoup, toujours.
Mme Bensalem (Leila) : Oui, lui
aussi.
M.
Lamoureux (André) : Dans
toute ma… oui, dans ma carrière au cégep, puis j'ai fait 35 ans au cégep,
mais surtout depuis les années 90, là. Puis à l'université il y en
a aussi, également.
Mme Roy
(Montarville) :
Et, dans l'école, à l'école secondaire où vous enseignez, justement,
de ces jeunes filles et jeunes
garçons qui portent des signes religieux — parce
qu'on ne veut pas en viser un plus
que l'autre — est-ce que c'est effectivement
différentes confessions ou il y en a surtout une ou deux qui se démarquent?
Mme
Bensalem (Leila) : Eh bien, écoutez,
les plus visibles, bien on parle toujours du voile, hein, il n'y a que ça, là. Il
y a un élève dans notre école qui porte le... ce n'est pas vraiment un turban,
mais c'est un élève sikh.
M. Lamoureux (André) : Une patka.
Mme
Bensalem (Leila) : Non,
c'est comme quelque chose sur la tête avec une petite boule au sommet, je ne
sais...
M. Lamoureux (André) : C'est une
patka, la patka.
Mme Bensalem (Leila) : O.K.
Mme Roy
(Montarville) : Alors, je devine que vous êtes dans une
école qui est très multiethnique, dans un secteur multiethnique de
Montréal.
Mme Bensalem (Leila) : Très
multiethnique. 105 pays.
Mme Roy
(Montarville) :
Bien, voilà. Ce qui explique...
Mme
Bensalem (Leila) : Et les Québécois sont en minorité invisible.
Mme Roy
(Montarville) :
Si on parle des enseignants, vous dites qu'il y en a très peu dans…
Mme Bensalem
(Leila) : Oui, oui, mais...
Mme
Roy
(Montarville) : Selon vous, selon votre
connaissance, selon votre réseau de connaissances dans le milieu de l'éducation, pour ce qui est des enseignantes
qui portent le voile, selon vous, quel serait le pourcentage de femmes qui
choisiraient de l'enlever pour conserver
leur emploi? Est-ce que ce serait facile à faire ou il y aurait beaucoup de
réticence dans le milieu de l'éducation, là?
Mme Bensalem (Leila) : Écoutez, moi, j'ai entendu, bien, oui, plein de
propos par rapport à ça. Je ne peux pas vous dire que ce sont des propos qui ont été tenus dans mon école, par
contre, mais, si on parle de la commission scolaire en général, c'est quelque chose qui est perçu
comme une offense, si on devait les obliger à enlever le voile. Mais j'ai
entendu aussi d'autres...
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, madame, je dois vous
interrompre, je dois aller du côté du député de Blainville. C'est un peu
mon rôle plate, hein, c'est... Allez-y, M. le député.
M. Ratthé :
Écoutez, je vais quand même permettre à madame peut-être de conclure.
J'aurais...
Le Président (M.
Ferland) : Oui, faites une tentative, M. le député allez-y.
M.
Ratthé : Vous pouvez donc continuer sur votre lancée, puis
j'aurai une question pour vous, parce que je trouvais intéressant ce que
vous étiez en train de répondre.
Mme Bensalem
(Leila) : Ah! O.K.
M. Ratthé :
Donc, pour eux, c'est une... c'est difficile. C'est ce que vous dites?
• (15 h 50) •
Mme Bensalem (Leila) : Oui. Oui, mais j'ai aussi entendu… J'ai écouté
une fois une entrevue à Radio-Canada,
puis c'étaient deux jeunes filles musulmanes
qui portaient le voile et qui ont dit tout
simplement : Écoutez,
si c'est la loi, on va se conformer,
on va l'enlever, parce que ça concerne les heures de travail. Il n'y a
pas de quoi en faire une montagne, finalement. Quand elles sortent du travail, bien
elles remettront leurs voiles, tout bonnement. Et c'est ce qui est arrivé
aussi en France par la même
occasion, parce qu'au début on a fait
peur aux gens, on leur a dit que, bon, il y aurait un exode et qu'elles iraient dans les écoles privées ou
dans les écoles musulmanes, et il n'y a pas eu ça. En fait, les gens finissent
par se conformer, mais il faut leur montrer
qu'on se tient debout et qu'on ne recule pas, et c'est ce que le Parti
québécois est en train de faire actuellement. Il
faut être debout, il faut
tenir à ses convictions puis montrer aux gens que, oui, c'est comme ça, et ce sont les choses auxquelles on
croit, et c'est comme ça que ça doit se passer. À ce moment-là, les gens
vont se conformer, c'est tout.
M.
Ratthé : Vous m'avez…
Merci. Vous m'avez entendu poser ma question à M. Seymour, puis, quand je lisais votre mémoire, j'avais l'impression de lire deux… en fait pas
juste l'impression, je lis deux points
de vue complètement différents. Tout en
respectant les deux points de vue, je voudrais peut-être vous entendre pour
quelques minutes, votre réaction à ce
que M. Seymour disait : Oui, on doit respecter, être tolérant, on
doit… c'est une manifestation d'une religion communautaire, on ne doit pas aller aussi loin, parce que vous dites un
peu l'inverse, là. Vous réagissez comment à…
M. Lamoureux (André) : Bien, nous, à notre point de vue, le port du
voile, ce n'est pas une obligation du Coran. Le port du voile procède d'une tradition dite religieuse mais qui a été
imposée selon des règles wahhabites, salafistes et autres, là, on ne fera pas l'histoire de l'islam.
Selon les régimes politiques, on a imposé des règles en fonction de la charia
qui est imposée mais aussi aux femmes, aussi des comportements qui ont été
imposés aux femmes. Et la majorité des musulmans
au Québec ne portent pas de voile… les musulmans modernistes plutôt,
excusez-moi. Donc, pour nous, le voile,
c'est un signe religieux qui est propre à une tendance intégriste au sein de
l'islam, et nous pensons que le Québec ne doit pas accepter de tels
signes qui sont un symbole d'intégrisme.
Même
chose pour le turban. Le turban est porté par une tendance intégriste au sein
de la communauté sikhe, la majorité
des sikhs ne portent pas de turban. Quand il y a eu le vote sur le mariage gai
à la Chambre des communes, je ne sais
pas si vous avez pris connaissance de ça, mais le leader spirituel du temple d'Amritsar a sommé les sept députés de la Chambre
des communes à voter contre le mariage gai. Et il a lancé un message
supplémentaire : il les sommait de combattre l'homosexualité également. Alors, quand une
personne se fait arrêter… Moi, je n'étais pas d'accord avec le jugement de la
Cour suprême là-dessus, la cour fédérale,
là, mais, quand un homosexuel, disons, se fait arrêter par un agent de la GRC
qui porte un turban, que voit-il devant lui,
un sikh intégriste ou bien un agent de la GRC? C'est très important comme
question. Si un étudiant écoute un
professeur à l'université pendant trois heures avec un turban et qu'il est
homosexuel, il peut se sentir mal à
l'aise, et il a le droit de se sentir mal à l'aise, et il a droit à sa liberté
de conscience, de ne pas se faire imposer
ce signe religieux. Ça, c'est très important. Pour nous, c'est fondamental, et
c'est pour ça que je vous disais que la liberté de conscience est le
plus souvent oubliée là-dedans.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, malheureusement,
M. Lamoureux, je dois mettre fin à la question. Je dois céder la
parole à la députée de Gouin pour la dernière partie.
Mme David :
Merci, M. le Président. Madame monsieur, merci. Bonjour. Je pense qu'on est
tous d'accord ici dans cette Chambre,
c'est très clair, pour qu'il y ait une charte de la laïcité au Québec. Ça ne
fait aucun doute pour personne. Ça, je pense qu'il faut le dire dès le
point de départ.
La deuxième
chose que j'aimerais dire, et je pense qu'on va être aussi tous d'accord
là-dessus, c'est que tous les enfants dans les écoles québécoises sont
des enfants québécois, nés ici ou ailleurs.
Et en fait ce
que je voudrais vous poser comme question, c'est la chose suivante : Que
toutes les religions soient porteuses d'idéologies, on va en convenir
très facilement, y compris la catholique, on va aussi s'entendre là-dessus. Trouvez-vous juste de congédier après quelque
sanction disciplinaire une femme musulmane portant le voile qui enseigne
dans une école primaire et qui ne veut pas
se départir de son voile mais de garder à l'emploi son mari musulman, aussi de tendance conservatrice, portant la barbe, à qui on
ne demandera, bien entendu, pas d'enlever sa barbe? Finalement, en bout de ligne, est-ce qu'il n'y a pas quelque chose de
profondément injuste pour les femmes de largement s'en prendre à elles pendant que des conservateurs, voire parfois, oui,
des intégristes peuvent exister aussi bien au sein de l'islam que parmi,
par exemple, les nombreuses églises
évangélistes qui pullulent au Québec mais où les gens ne portent pas de signe
religieux?
Mme
Bensalem (Leila) : Moi,
quand vous parlez de barbe pour leurs maris, bien, écoutez, on ne peut quand
même pas s'attaquer à l'intégrité physique de quelqu'un. Ça, c'est
évident. Mais…
Mme David : Donc, ce n'est
pas un signe religieux, pour vous?
M. Lamoureux (André) : Ce n'est pas
un signe religieux, la barbe.
Mme
Bensalem (Leila) : Bien, ce
n'est pas un signe religieux, mais, savez-vous, ça, c'est comme… Ça a été lancé
il y a assez longtemps en Afghanistan, quand
ils ont commencé à porter la barbe, parce que — il y a toujours une raison à ça — c'étaient comme des nomades, ils étaient
toujours à l'extérieur, sur des terrains en train de se battre, en train de
faire exploser les bombes, et ils ne
pouvaient pas se raser. Et c'est arrivé comme ça, mais il n'y a pas vraiment de
signe religieux par rapport à ça.
Mais, les femmes, moi, ce que je voudrais dire
par rapport à ça, quand on nous dit qu'on les discrimine, moi, d'abord, ce que
je veux dire par rapport à ça, c'est qu'en portant le voile elles acceptent de
s'autodiscriminer, parce qu'elles savent que
ça les met en porte-à-faux par rapport aux valeurs existantes ici, par rapport
au mode de pensée existant ici et en
Occident, partout ailleurs. Si elles… D'abord, le port du voile, comme l'a dit
M. Lamoureux, c'est déjà au départ une dérive intégriste, parce qu'en aucun temps dans le Coran on ne
demande aux femmes musulmanes de se cacher la tête. Ça, il faut qu'on le comprenne une bonne fois pour
toutes. Donc, il y a déjà, à ce niveau-là, une dérive intégriste. L'autre
dérive intégriste, c'est que, si elles sont
capables de mettre dans la balance leur emploi et leur salaire et ce qui leur
permet de vivre avec leur voile, eh bien, c'est une autre dérive aussi,
c'est ça.
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, Mme Bensalem, le
temps est terminé. Alors, M. Lamoureux, Mme Bensalem, je vous
remercie pour votre présentation et…
M. Lamoureux (André) : En vous
remerciant de nous avoir écoutés. Merci.
Mme Bensalem (Leila) : Merci.
Le Président (M. Ferland) :
…plaisir.
Alors, sur ce, je vais suspendre quelques
instants pour permettre à l'autre témoin de prendre place. Merci.
(Suspension de la séance à 15
h 57)
(Reprise à 16 h 2)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la commission va reprendre ses travaux. Alors, maintenant,
nous recevons et nous allons entendre Mme Andréa Richard. Et je
vais vous mentionner que vous disposez de 10 minutes pour la présentation de votre mémoire, suivra
un échange avec les groupes parlementaires. Et je vous demanderais peut-être
de présenter la personne qui vous
accompagne et ensuite de nous présenter votre mémoire. La parole est à vous,
Mme Richard.
Mme Andréa Richard
Mme Richard (Andréa) : Je laisse
celui qui m'accompagne se présenter.
M. Serra
(André) : Oui. Je me nomme
André Serra. Je suis au Québec, venant de France, depuis 1991. Les études
que j'ai faites ont porté essentiellement sur la science politique, l'économie politique
et le droit et la philosophie.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, la parole est à vous, Mme Richard.
Mme
Richard (Andréa) : M. le Président, Mmes et MM. les ministres et députés,
je vous remercie de l'attention que vous voudrez bien me porter pendant
cet exposé.
En matière de religion, je pense pouvoir me
considérer au nombre des personnes avisées, puisque j'ai été à l'intérieur même du système comme religieuse
pendant 18 ans. J'ai toujours eu à coeur de savoir qu'est-ce qui est vrai
et ce qui ne l'est pas, donc ma réflexion d'aujourd'hui est le fruit de toute
une vie.
Ce mémoire
est aussi en quelque sorte un testament citoyen à l'adresse d'une société qui,
nous avons pu le constater lors de la
commission Charbonneau, veut la transparence, la vérité, l'honnêteté. S'il en
est ainsi dans le domaine politique et
le domaine des affaires, il doit en être encore plus ainsi dans le domaine des
religions. C'est pourquoi je me permets d'affirmer que la pratique d'une religion dans laquelle on s'est engagé
relève le plus souvent d'une foi naïve et ignorante basée sur un endoctrinement reçu et qui a été
donné dans l'intention manifeste de se donner un pouvoir sur les peuples.
J'approuve la charte rigoureusement et
consciencieusement élaborée par M. Drainville et je remercie le Parti
québécois et tous ceux qui y ont contribué. J'approuve ce projet. Je les
félicite et les remercie.
Il serait
cependant souhaitable que cette charte s'avance encore plus loin dans ses
exigences, malgré la prudence dont
vous avez fait preuve. Personnellement, je recommande que tous les
accommodements religieux accordés jusqu'ici soient abolis. C'est pourquoi j'ai concentré mon mémoire sur ces
accommodements dits raisonnables et que je persiste à considérer qu'ils sont déraisonnables. Selon la
formulation actuelle de la charte, des accommodements de nature religieuse
continueront à être accordés parce que
demandés, sinon exigés, alors que, pour soutenir un progrès de société allant
vers la maturité du monde, on
devrait, tout au contraire, les abolir. Auparavant, d'ailleurs, les
accommodements n'étaient que pour les
handicapés, justifiés. Ceux qui demandent aujourd'hui des accommodements de
nature religieuse sont considérés de
par leurs communautés mêmes comme fanatiques. Donc, en leur accordant ce qu'ils demandent, on ne contribue pas
au progrès de la société.
Il faut être conséquents avec nous-mêmes. Nous
ne pouvons parler de neutralité puisque l'accommodement demandé a précisément pour but d'obtenir une exception aux droits de
tous, une faveur par rapport au reste de la société. Et au chapitre V de la charte,
numéro 15.4°, il est écrit : «…que l'accommodement demandé ne
compromet pas la séparation des
religions et de l'État ainsi que la neutralité religieuse et le caractère
laïque de celui-ci.» Eh bien, c'est contradictoire. Dans cette citation ainsi qu'au chapitre XI,
numéro 42, on se contredit. Il est écrit : «Dans le cas d'un
organisme de l'État, un accommodement
ne doit pas compromettre la séparation des religions et de l'État ainsi que la
neutralité religieuse et le caractère
laïque de celui-ci.» Or, lorsqu'on accorde un accommodement, ce n'est pas
neutre, cela prime sur la laïcité — vous
voyez la contradiction, là — contrairement
à ce que l'on dit vouloir. Tout accommodement religieux crée nécessairement une parenthèse indue au sein
même de l'État et de la neutralité.
Aucune
religion n'est neutre puisqu'elle postule des vérités non établies, sans aucun
fondement justifié. Donc, accommoder
les religions, c'est attribuer un privilège, enfreindre l'égalité des autres
citoyens et par conséquent aussi les disqualifier
en créant des lois d'exception. Loin de chercher à unir les citoyens, c'est, en
définitive, multiplier les divisions.
Une charte des droits et libertés a pour
essentiel objectif d'instaurer et respecter une absolue égalité entre les citoyens. Créer des différences entre eux, c'est créer
des inégalités et aller à l'encontre de la démocratie. Cette charte, n'oublions pas, vise la protection des individus
et non la protection des croyances. Accorder des accommodements religieux
favorise le développement d'un
communautarisme qui dissimulerait des visées intégristes et fondamentalistes,
c'est là qu'est le danger. Notre
devoir est donc de ne pas accommoder. Les religions veulent nous imposer leurs
dogmes et leurs doctrines au nom d'un
dieu illusoire, c'est donc usurper le pouvoir qui n'appartient qu'au peuple.
L'accepter, c'est se rendre complice d'une erreur magistrale.
Donc, une
prise de conscience s'impose. L'écart est énorme entre ce que nous faisons maintenant,
abandonner, je dirais, le pouvoir aux religions entre les mains
d'usurpateurs, alors qu'on devrait en pratique le dénoncer.
J'ai fait ma
théologie. Je vous dirais que 80 %,
c'est des hypothèses. Il faut se référer, écoutez, là, aux recherches sérieuses et historiques. Or, déjà, aux IIIe et
IVe siècles, dans l'Église même, sous le règne de Julien byzantin, des
désaccords profonds existaient en
matière dogmatique, christologique, théologique et doctrinale entre les pères
de l'Église. C'est là une preuve
évidente de l'incertitude des certitudes. C'est pourquoi je trouve
particulièrement éhonté que l'université, dont on s'attend qu'elle apporte la science et la vérité d'un savoir certain,
enseigne la théologie et offre en ses murs des lieux de prière, alors qu'elle devrait être neutre en
cette matière. Et ce matin même, dans le journal Le Nouvelliste, un
étudiant nommé M. Jean-François
Veilleux a écrit qu'il déplorait qu'à l'Universite de Trois-Rivières on refuse
un signe politique que lui voulait apporter alors qu'on accepte les
signes religieux.
Dans la
charte aussi, au chapitre IV, numéro 11, il est pourtant indiqué que
les personnes chargées de dispenser un
enseignement de nature religieuse pourront se soustraire aux règles
d'application. Je suis contre les exceptions. Les autorités, surtout
gouvernementales et à l'université, devraient donner l'exemple.
Nous ne
pouvons ignorer ces découvertes scientifiques, historiques, archéologiques et
exégétiques d'aujourd'hui. Écoutez,
là, au terme de cinq années d'études et de recherches sérieuses, deux historiens
français, Gérard Mordillat et Jérôme
Prieur, en arrivent à la conclusion que la Bible — ce n'est pas moi qui dis le mot, c'est
eux — c'est de
la fabrication. Et nous pourrions en dire autant de tous les livres
saints des autres religions.
Malheureusement, le préambule de la Constitution
canadienne commence lui-même par l'affirmation d'une stupidité : «Attendu que
le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la
suprématie de Dieu et la primauté du droit…»
La combinaison «suprématie de Dieu» et «primauté du droit» rend juridiquement
contradictoires les autres articles de la Constitution, comme l'article 2
donnant la liberté de conscience et de religion, et cette incohérence profite malheureusement aux demandeurs d'accommodements. Dans un procès opposant la religion et
le principe de laïcité, la justice ne peut évoquer un dieu hypothétique, soyons sérieux! La
province du Québec n'ayant pas endossé la Constitution canadienne, il me semble que légalement elle n'a pas à s'y conformer. Et
ce que je déplore : c'est comme si que les lois étaient fondées
dans le ciment, alors qu'on devrait s'adapter à notre temps et être souple.
Donc, il faut
combattre l'obscurantisme, le fondamentalisme et l'intégrisme. Le fondement de
toutes les religions repose sur un
endoctrinement mensonger et erroné. Les dogmes ont été inventés, et les
doctrines, erronées. Lorsque…
• (16 h 10) •
Le Président (M. Ferland) :
Une minute pour conclure à peu près. Allez-y.
Mme Richard
(Andréa) : J'achève. Lorsque
nous… Accommoder des religions, c'est cautionner. Cautionner, c'est être complice. Et complice de quoi? De
mensonges? Un dieu hypothétique, on va faire semblant qu'on croit à cela?
Où est la logique? Eh bien, moi, je refuse d'en être complice. Je vous remercie
de votre attention.
Le
Président (M. Ferland) : Merci, Mme Richard. Alors, nous allons procéder à la période
d'échange, et la parole est au ministre.
M. Drainville : Bonjour à
vous deux. Merci d'être là. Merci pour la présentation du mémoire.
Mme Richard,
j'ai ici un article du… du Nouvelliste, voilà, daté du… — mon
Dieu, c'est difficile aujourd'hui! — 22 novembre
2011, voilà, et on fait référence à votre parcours. On dit que vous êtes
devenue religieuse à l'âge de 16 ans. Vous êtes alors devenue
petite soeur des pauvres, puis carmélite à Trois-Rivières. C'est ça?
Mme Richard (Andréa) : Carmélite en
France et puis au Lac-Saint-Jean, à Dolbeau.
M.
Drainville : Ah! O.K.
Carmélite… Parce qu'ici
c'est marqué carmélite à Trois-Rivières, mais, hein, je vais me fier sur vous.
Mme Richard (Andréa) : Oui.
M. Drainville : Et vous avez
été cloîtrée, donc.
Mme
Richard (Andréa) : J'ai été
cloîtrée. Après, j'ai été petite soeur des pauvres, au service des pauvres.
J'ai fait la quête dans les marchés
de Paris parce que dans ce temps-là les personnes âgées n'avaient pas de pension pour les nourrir. Et, comme on n'avait pas le temps de penser et réfléchir, j'ai
voulu connaître la spiritualité, alors je suis rentrée chez les carmélites, et c'est là que je me suis
réveillée et je me suis dit : Non, non, non, ça, ça n'a pas de bon sens! Ça ne
vient pas de Dieu, ça vient des hommes.
Et, monsieur,
je suis rentrée à 16 ans. Je vais vous dire quelque chose d'important, qui
est un témoignage. On dit, pour les
femmes qui portent le voile dans les garderies et à l'école : Elles sont
tellement bonnes pour les enfants, il
faut les laisser. Oui, c'est vrai, tellement bonnes — c'est
là le piège — qu'on
leur fait confiance complètement. Ça a été mon cas, j'ai fait confiance à une religieuse voilée parce qu'elle était tellement bonne. Elle m'a endoctrinée à l'âge de 12 ans jusqu'à 14 ans,
et c'est pour ça que j'ai perdu ma jeunesse en entrant chez les Petites Soeurs
des pauvres, parce que, comme mon père me le disait bien — mon
père était un ancien député libéral — mon
père me le disait, on peut faire du bien dans le monde, on n'a pas
besoin d'aller se cloîtrer religieuse pour faire du bien.
Le Président (M. Ferland) : M.
le ministre.
M.
Drainville : Oui. Parlez-nous-en, justement, de l'effet que
peut avoir le port d'un signe ostentatoire par une employée de l'État ou
un employé de l'État sur les citoyens à qui il ou elle donne un service.
Mme
Richard (Andréa) : Bien,
moi, ce que je déplore : on parle toujours
que notre identité, c'est d'être
religieux. Voyons donc! Mon identité,
ce n'est pas être protestant, catholique, musulman. C'est d'abord citoyen,
citoyenne, avec les mêmes privilèges et les mêmes devoirs.
Alors, les
signes ostentatoires, l'effet que ça peut donner, je vous donne un exemple. Personnellement, je suis allée chez Bureau en
Gros, quatre ans passés. Il y avait une femme voilée au comptoir; j'ai changé de
comptoir parce que j'étais mal à l'aise. Je n'ai pas à savoir
sa religion.
Et j'aimerais
aussi donner la parole à… Mon collègue, M. André Serra, aurait quelque chose à dire justement sur le signe ostentatoire du voile.
M. Drainville : …c'est bien,
allez-y.
Mme Richard (Andréa) : Et je
reviendrai ensuite.
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y, M. Serra. La parole est à vous.
M. Serra
(André) : Merci. Alors, ce
que j'ai voulu approfondir dans ce que dit le mémoire de Mme Richard,
que j'approuve en totalité, évidemment, c'est aller voir un petit peu ce
que représente le voile réellement. Bon, depuis qu'au Québec on discute de la charte sur la laïcité
de l'État et sur sa neutralité religieuse, une question lancinante revient
sans arrêt dans les conversations à propos
du voile porté par certaines musulmanes, considéré un peu comme un étendard
de l'islam, et cette situation
se traduit par la question suivante : Finalement, ce voile, est-il vraiment
obligatoire, pour les femmes
musulmanes, de le porter dès qu'elles sortent de chez elles? Alors, j'ai voulu
éclaircir un petit peu ce sujet. Et, en vue de cette commission, d'ailleurs, j'ai fait, comment dirais-je, un test sur Internet où j'ai demandé à mon ami Google,
comment dirais-je, ce qui s'était… à propos du voile, comment on pouvait en
parler, qu'est-ce qu'on pouvait en dire.
Alors, j'ai
trouvé un site qui s'appelle Oumma.com. Je pense que tout le monde sait
ce que veut dire «oumma», c'est, comment dirais-je, la communauté des
croyants. Donc, c'est un site qu'il me paraissait tout à fait opportun de consulter pour résoudre cette question. Alors,
j'ai regardé les commentaires, j'en ai lu beaucoup, j'en ai retenu. J'ai retenu
les 16 premiers et je les ai répartis en deux groupes : ceux qui
affirmaient que porter le voile, pour les femmes, était strictement obligatoire — et il y en avait la moitié, c'est-à-dire
huit — et,
d'autre part, les commentaires qui affirmaient que c'était aux femmes qu'il appartenait de décider de porter le voile
ou de ne pas le porter, car c'était un problème relevant seulement de la relation personnelle entre la
femme musulmane et Allah. J'insiste sur le fait que les 16 commentaires
étaient issus de noms musulmans, de
noms arabes, et que, par conséquent, il n'y avait pas d'inférence avec d'autres
personnes. Alors, j'ai constaté donc
que les deux groupes étaient exactement égaux, il y en avait huit dans un camp
et huit dans l'autre. Alors, ça m'a
évidemment beaucoup frappé, car je m'attendais, en consultant ce site, que tous
les croyants ou presque allaient dire à peu près la même chose. Eh bien,
ce n'était pas vrai.
Alors, autre
chose m'a frappé, ce fut le ton des réponses, qui s'ajoute à ce que je viens de
dire, à savoir que, les uns comme les
autres, autant ceux qui disaient qu'il était obligatoire de porter le voile que
ceux qui disaient que, non, c'était aux femmes musulmanes de le décider,
ces tons étaient extrêmement affirmatifs, comme si vraiment ils le savaient
parfaitement dès leur naissance et qu'il n'y avait pas d'autre possibilité de
répondre à cette question. Et ce qui était quelquefois
étonnant, d'ailleurs, c'est que quelques-uns s'exprimaient en s'étonnant que
l'on puisse poser une question aussi évidente pour eux que celle-là,
alors qu'ils disaient des choses contradictoires.
Alors, le
plus important encore, c'est qu'au début de ce site un blogueur demandait
comment faire pour connaître cette
réponse, c'est-à-dire est-ce que c'est obligatoire, est-ce que ce n'est pas
obligatoire, et, sur les 16 commentaires que j'ai analysés, un seul, un seul fournissait le
numéro de la sourate et du verset du Coran ici présents où l'on pouvait trouver
la bonne réponse, c'est-à-dire la
sourate 33 et le verset 59. Donc, à cette question particulièrement
précise qui avait été posée, un seul
répondant avait donc songé à fournir une réponse directement utilisable. Les
autres n'en parlaient pas et, à mon avis, les autres n'avaient sans
doute même pas pensé que l'on pouvait la trouver dans le Coran.
M. Drainville : M. Serra, si
vous permettez, quelle est la réponse à la question selon vous? M. Serra.
M. Serra (André) : Oui?
M. Drainville : Ici.
M. Serra (André) : Ah! Excusez-moi.
M. Drainville : Quelle est la
réponse à la question, alors?
M. Serra (André) : Ah! Bien, j'y
viens.
M. Drainville : Ah! Voilà.
O.K.
M. Serra (André) : J'y viens.
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y, M. Serra.
• (16 h 20) •
M. Serra
(André) : Ah oui, d'accord.
D'accord. Eh bien, écoutez, je suis allé tout simplement… Je saute donc un certain nombre d'éléments. Je suis tout
simplement allé voir le verset 59 de la sourate 33. Je vous parlerai
après, si j'ai le temps, du
traducteur, qui est Malek Chebel, qui est parfaitement connu en France. Et sa
traduction est parfaitement considérée comme la meilleure, en tout cas
en français.
Alors, que
dit le Coran à la sourate 33, verset 59? Je me permets de vous la lire, il y a
quatre lignes : «Ô Prophète, demande
à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de rabattre sur elles
leur voilette. C'est le meilleur moyen qu'elles
ont de se faire connaître et de ne pas être importunées. Allah est celui qui
pardonne et qui est miséricordieux.»
Alors, je ne sais pas si, à cette lecture, vous
avez fait une remarque. Moi, j'en ai fait une, c'est le verbe de la première phrase : «Ô Prophète, demande à tes
épouses, à tes filles et aux femmes des croyants de rabattre sur elles leur
voilette.» Le verbe, c'est «demande». Ça me
paraît très important, parce que «demande», c'est quoi? Qu'est-ce que ça
veut dire? C'est un conseil. Ce n'est pas un ordre, du moins en français.
Donc, pour
moi, au fil des ans et des siècles, dans la bouche des imams et des wahhabites saoudiens,
les sages paroles d'Allah dans
l'original se sont durcies pour devenir des ordres. Et mon interprétation
personnelle, c'est qu'effectivement
le voile n'est pas obligatoire. Il est un conseil donné par, je dirais, un père
de famille, quelqu'un qui donne un conseil à des femmes qui sont,
comment dirais-je, attaquées par les hommes.
Bon, je vais laisser là, puisque vous me dites…
M. Drainville : Si vous me permettez,
M. Serra, pour les personnes qui doutaient que cette commission serait
source de réflexion, je pense que vous venez de faire la démonstration qu'elle
sera source de réflexion…
M. Serra
(André) : …de réflexion.
M. Drainville :
…et donc elle a très certainement, là-dessus du moins mais, je pense, sur bien
d'autres plans… elle aura très certainement son utilité. Madame, vous
vouliez rajouter?
Mme Richard
(Andréa) : Oui. J'ajouterais que… Vous y avez fait allusion, j'ai été
carmélite. Donc, la vie intérieure… Vous
parlez de signes ostentatoires. Pour mener sa vie de foi ou de religion ou vie
intérieure, on n'a pas besoin de signe extérieur.
M. Drainville :
Alors donc, c'est clair pour vous, là, qu'il faut que… Cette neutralité
religieuse, y compris dans l'apparence,
c'est clair pour vous qu'elle doit s'appliquer à toutes les personnes qui
travaillent au service du citoyen. Ça, pour vous, là, c'est une
certitude.
Mme Richard (Andréa) : Tout à fait. Et plus spécialement ceux qui sont
en autorité, que ce soit à l'Assemblée nationale,
ici, ou ailleurs. C'est à eux en premier à donner l'exemple, on ne peut pas
demander au peuple ce qu'on ne fait pas soi-même.
M. Drainville :
Il reste combien de temps?
Le Président (M.
Ferland) : Il vous reste environ huit minutes, M. le ministre.
M. Drainville :
Oui. Sur la question des accommodements, Mme Richard, je voulais juste
vous dire qu'on n'avait pas tout à fait,
vous et moi, la même opinion sur cette question-là. Ce n'est pas grave, ça, là,
là, ça arrive, hein?
Mme Richard
(Andréa) : …vous avez le droit et j'ai mon... nous avons le droit
d'avoir des…
M. Drainville :
Mais je voulais juste vous dire que le cadre que nous mettons en place sur la
question des accommodements vise, je dirais,
à décourager, à prévenir, à empêcher les accommodements déraisonnables, les
accommodements religieux déraisonnables. Alors, c'est pour ça qu'on met
en place un certain nombre de balises.
Ceci
dit, ça ne va pas mettre fin à tous les accommodements. Ce qu'on fait, c'est
qu'on met en place un cadre qui va,
nous le pensons, filtrer, je dirais, les demandes qui sont clairement
déraisonnables, par exemple celles qui remettent en question l'égalité
entre les hommes et les femmes, etc. Mais, par exemple… Je vais vous donner des
exemples d'accommodements qui, à mon avis,
sont raisonnables et qui vont pouvoir continuer au terme de l'adoption de la
charte. Je vous donne l'exemple, par
exemple, de quelqu'un qui déciderait de prendre un congé religieux sur sa
banque de congés personnelle. Alors,
dans les commissions scolaires parfois, dans les conventions collectives, il y
a des banques de congés personnelles ou un congé personnel. Alors, ce
serait tout à fait raisonnable, nous semble-t-il, que quelqu'un décide à l'avenir de dire : Bien, écoutez, moi, je veux
prendre un congé religieux, et de le prendre sur sa banque de congés personnelle. Moi, en tout cas, personnellement, je
pense que ce serait tout à fait raisonnable et tout à fait équitable. Si tu veux
prendre ton congé personnel pour une raison religieuse, c'est ta décision. Si
tu veux le prendre pour une autre raison personnelle, c'est ta décision également, pour aller, je ne sais pas, moi, voir le médecin
avec un enfant ou quoi que ce
soit. C'est un exemple que je vous donne.
Je
vous en donne un deuxième : un parent, par exemple, qui amène un
repas halal ou un repas casher à la garderie pour que les éducatrices le fassent réchauffer lorsqu'arrivera l'heure du repas. Ça, moi, ça me
semble tout à fait raisonnable, je ne vois pas de problème avec ça.
Troisième
et dernier exemple que je vous donne : on est dans un hôpital où il y a
déjà une chapelle catholique, alors
on est, par exemple, dans un hôpital de la région de Montréal, et, au fur et à
mesure où la clientèle devient de plus en plus multiethnique et
multireligieuse, il y a des demandes d'autres confessions, donc des patients
qui aimeraient pouvoir aller prier dans cet
endroit-là et qui demandent que la chapelle soit transformée en lieu de prière
multiconfessionnel. Et donc… Et ça se fait déjà, soit dit en passant, il
y a un certain nombre de cas qu'on connaît déjà où une chapelle catholique ou
chrétienne a été transformée en lieu de prière multiconfessionnel. Dans un cas,
par exemple, on tire un rideau devant l'autel, et ça permet à quelqu'un d'une
autre confession que la confession chrétienne ou catholique de pouvoir aller prier dans son intimité, sans,
comment dire… sans être en contact visuel, disons, avec des symboles d'une
autre religion. Et il me semble que, dans ce
cas-là, c'est conforme, c'est cohérent avec le principe de neutralité
religieuse qui vise justement le
respect de toutes les religions. Alors, on prend une chapelle qui était dédiée
à une religion et on dit : Bien,
dorénavant… Le patient le demande, hein, c'est une demande d'accommodement.
L'institution dit : Très bien, je vais
vous accommoder et, au nom de la neutralité religieuse et au nom du respect de
votre conviction, je vais m'organiser pour
que ce lieu de prière devienne un lieu multiconfessionnel, pour permettre à
vous, par exemple, vous, Québécois de confession musulmane, de pouvoir
aller vous recueillir, de pouvoir aller prier.
Dans
ces trois cas-là, il me semble que ce sont des accommodements qui sont tout à
fait raisonnables. Est-ce que vous en convenez avec moi?
Mme
Richard (Andréa) : Oui, j'en
conviens avec vous, parce que ça, c'est plus… Comme par exemple le parent
qui amène une… bien il ne demande pas, quand
même, une cafétéria puis un menu spécial, donc ça, oui, c'est différent.
Une chapelle, oui, parce que c'est déjà, je
dirais, un droit acquis, mais pas à l'université, par exemple, parce que
l'université, c'est tout à fait différent.
Je voudrais
en profiter, puisqu'on a parlé des hôpitaux, de vous dire ceci. J'ai une nièce
qui est chirurgienne à l'Hôpital
Saint-Luc, à Montréal, et elle m'a dit qu'elle a reçu un musulman à son bureau
avec sa femme et qu'il fallait qu'elle
soit opérée d'un cancer de l'intestin — ma nièce est chirurgienne — et la dame ne parlait pas du tout, hein, il
ne la laissait pas parler, et le
monsieur a dit à ma nièce : Dr Richard, pouvez-vous m'assurer qu'il
n'y aura pas d'homme à la salle d'opération? C'est vous dire simplement
que ça se demande, hein, des accommodements dans les hôpitaux. Et il y a une infirmière, dans une réunion de
PDF — PDF,
c'est un groupe femmes d'ailleurs qui vont venir ici présenter leur mémoire la semaine prochaine, je crois — qui a dit qu'à tous les mois il y a des
demandes d'accommodement dans les hôpitaux et qui sont irraisonnables.
Donc, ce sera à faire attention, là, oui.
M. Drainville : On est… Oui?
Mme
Richard (Andréa) : Mais, pour les cas que vous avez soulevés,
évidemment, oui, je suis d'accord, excepté pour les universités.
M.
Drainville : Mais,
pour ce qui est du secteur de la santé, je l'ai déjà mentionné à quelques
reprises, vous avez vu que le
principal syndicat des infirmières a donné son appui à la charte après avoir
consulté ses membres et après avoir voté
à 80 %... Au moment du conseil général, là, ils étaient 600 délégués
et ils ont voté à 80 % pour la charte. Et justement c'était fondé sur une enquête d'opinion qu'ils
avaient faite auprès de leurs membres, qui démontrait qu'effectivement, dans le secteur de la santé, il y avait beaucoup
de demandes d'accommodement de nature religieuse, et, dans le tiers de
ces demandes-là, dans le tiers des cas, c'est les infirmières elles-mêmes qui
doivent prendre la décision.
Mme Richard (Andréa) : …en question,
là.
• (16 h 30) •
M.
Drainville : Moi,
j'ai trouvé ça fascinant, fascinant parce que les gestionnaires de la santé,
eux, dans un sondage, ont déclaré à
100 % qu'ils n'avaient aucun problème avec les signes religieux et à
99 % qu'ils n'avaient aucun problème de demande d'accommodement
religieux dans leurs institutions. Alors, les gestionnaires des établissements
de santé disent sur les signes religieux à
100 %... Il n'y en a même pas un qui s'est levé pour dire : Bien, il
y a peut-être une difficulté ou il y
a peut-être une discussion à l'interne. Non, non, c'est l'unanimité, on n'a
aucun problème. Et à 99 % les gestionnaires ont répondu à ce questionnaire en disant :
Sur les accommodements, aucun problème, aucune difficulté, et alors que les
infirmières, qui sont sur le terrain, elles, disent : Nous, on en a, et on
en a souvent, et très souvent ça retombe sur nos épaules de décider quoi faire
avec ces demandes.
Mme
Richard (Andréa) : Vous
voyez, cette pauvre femme là a été pénalisée. Son mari a dit à ma nièce :
Eh bien, madame, elle ne sera pas opérée ici, nous allons aller essayer
dans un autre hôpital, l'hôpital juif.
M. Drainville : Mais qui a
dit ça, vous dites?
Mme Richard (Andréa) : Le mari de la
femme qui devait être opérée. Il a refusé que sa femme soit opérée à l'Hôpital Saint-Luc parce que ma nièce ne pouvait
pas lui assurer qu'il n'y aurait pas d'homme dans la salle d'opération. Alors, la femme a dû recommencer tout son dossier
dans un autre hôpital. Donc, ça retardait et ça mettait sa vie en danger,
parce que son cancer était très avancé.
Lorsqu'on change de médecin et d'hôpital, il faut tout recommencer les examens,
etc., ça retarde.
M. Drainville : Il doit
rester, quoi…
Le Président (M. Ferland) :
30 secondes environ, et des poussières.
M. Drainville : Oui. Bien, je
vais laisser ça à mes collègues de l'opposition, hein?
Le Président (M. Ferland) :
Merci, M. le ministre. Maintenant, je cède la parole au député de LaFontaine.
M. le député.
M. Tanguay : …laisser ma collègue…
Rita, c'est toi qui prends la parole?
Le
Président (M. Ferland) : Ah! la députée de Bourassa-Sauvé. Allez-y. On commence par Bourassa-Sauvé. Allez-y.
Mme de Santis : Merci
beaucoup. Merci beaucoup, Mme Richard et M. Serra. J'aimerais revenir à certaines
choses que vous avez dites quand vous
avez fait votre présentation. D'après vous, vous ne croyez pas que la religion
a une place dans la société parce que c'est fabriqué?
Mme Richard
(Andréa) : C'est-à-dire, elle a une place dans les mosquées, dans les
chapelles, dans la vie personnelle, mais
c'est certain que les religions ne viennent pas de Dieu, sont fabriquées de
toutes pièces et viennent des hommes
qui veulent se donner un pouvoir sur la société, il n'y a pas de doute. Et
c'est parce qu'on est une société pas assez évoluée, malheureusement,
qu'on en est encore là.
Mme de Santis :
J'ai compris — peut-être
j'ai mal entendu — que
vous dites que tous les accommodements raisonnables
ou accommodements que vous caractérisez comme déraisonnables, même si peut-être
d'autres personnes auraient pu les
croire raisonnables, devraient être mis de côté. Alors, je viens à l'exemple
suivant. Nous vivons au Québec, nous
avons des fêtes. Je peux passer Noël, allons à Pâques. Pâques n'est pas la même
date chaque année, la date de Pâques est basée sur un calendrier
religieux, un calendrier religieux catholique, et nous demandons que tous les Québécois
respectent ce calendrier-là. Vous ne trouvez pas raisonnable que quelqu'un qui
ne soit pas catholique mais, disons, orthodoxe
demande de prendre de ces banques, ces journées, banques de journées de
vacances, un autre jour pour fêter sa
Pâques à lui? Parce que notre société est bâtie de cette façon-là… ou est-ce que vous allez me dire qu'on devrait
changer notre calendrier pour que
Pâques soit… non, on ne l'appelle plus Pâques, mais on dit qu'il y a une
journée qu'on prend de repos le mois d'avril à chaque année et le même
jour?
Mme
Richard (Andréa) : Il y a
des droits acquis, nous sommes un pays… Comme par exemple la fête de Pâques, la fête de Noël, je ne verrais pas pourquoi qu'on
changerait ça parce qu'une nouvelle religion arrive. Et ce n'est pas parce
qu'une nouvelle religion arrive qu'il faut changer nos calendriers, selon moi.
Est-ce que vous avez quelque chose à ajouter,
M. Serra?
M. Serra (André) : Non, je ne crois
pas, je ne crois pas. Ça devient traditionnel.
Mme Richard (Andréa) : Pardon?
M. Serra (André) : Ça devient
traditionnel.
Mme Richard (Andréa) : Ça devient
traditionnel.
M. Serra (André) : Pour le pays.
Mme Richard (Andréa) : Pour le pays,
c'est ça.
Mme de Santis :
Ce n'est pas que je propose qu'on change la date, mais ce que j'essaie de
démontrer, c'est que dans la façon
qu'on vit, dans notre calendrier de vacances, il y a certains jours que nous
établissons, c'est des jours de vacances
basés sur un calendrier catholique religieux, et qu'on veut imposer ça, d'une
certaine façon, à tout le monde.
Maintenant,
j'ai une autre question pour vous : Est-ce que, d'après vous, les arbres
de Noël, les crèches à Noël, on ne devrait pas les avoir dans l'espace public?
Mme Richard (Andréa) : Non, c'est de
la tradition, ça, c'est du patrimoine. Ce n'est pas la même chose, là.
M. Serra
(André) : J'ai une autre réponse, si vous permettez. Je pense que c'est en fait d'après les calendriers
religieux que ces dates existent. Pourquoi
ne pas, comment dire, refiler cette question aux religions et puis les laisser
entre elles décider d'un calendrier qui serait oecuménique?
Mme de Santis :
Et quand… Alors, l'arbre de Noël, la crèche, pour vous, c'est une tradition.
J'aimerais
faire référence à un article que vous avez écrit le 19 janvier 2010. C'est
dans la Tribune libre de Vigile et
c'est en réponse à Françoise David et Amir
Khadir, c'est mardi le 19 janvier
2010, et je cite : «Choisir nos immigrants ne représente-t-il pas un droit? Pourquoi accepterions-nous ceux qui,
nous le savons, ne veulent pas s'intégrer et adopter nos valeurs? Pourquoi prendre le risque de les
voir nous imposer les leurs dans l'espoir qu'elles supplanteront les nôtres?»
Pouvez-vous expliquer…
Mme
Richard (Andréa) : C'est mis
hors de contexte, là, il faudrait
tout l'article pour… J'aimerais le voir parce que je ne me souviens pas,
mais toujours est-il… c'est sûr que…
Mme de Santis : Est-ce
que je… Vous permettez?
Le Président (M. Ferland) :
…de la commission…
Mme Richard (Andréa) : Si je vous
comprends bien, j'aurais écrit que nous avons une liberté, et ça, c'est toujours…
je pense toujours ça, que nous avons une liberté de choisir. C'est… Bien oui,
choisir nos immigrants ne représente-t-il pas un droit? Oui, c'est vrai, je
suis persuadée que ça représente un droit, parce c'est comme dans une famille, on ne peut pas accueillir tout le monde,
et, quelqu'un qui va venir chambarder, je dirais, nos traditions et nos valeurs,
donc, c'est normal qu'on pourrait avoir un
choix à faire. Si nous acceptons tous les intégristes et les fondamentalistes
au Québec, eh
bien, il ne faudra pas être surpris que nous aurons les mêmes problèmes qu'ils
ont actuellement en France et entre autres
à Bruxelles, en Belgique, où c'est vraiment problématique. Donc, prévenir,
c'est guérir. Il faut contrer la montée du fondamentalisme.
Est-ce que vous savez
qu'en Australie les fondamentalistes et les intégristes des religions qui ne
veulent pas s'intégrer… Comme M. Serra
est français, il s'est bien intégré. Mais, ceux qui ne veulent pas s'intégrer,
les Australiens les mettent à la porte. C'est un jeune pays, ils
ont moins de lois que nous. Ils les renvoient dans leur pays, alors…
Mme
de Santis : J'ai seulement une autre question avant
que je cède la parole à mon collègue. Vous avez parlé d'une bonne soeur
qui a changé votre vie, une bonne soeur qui portait…
Mme Richard
(Andréa) : C'est vrai, elle a changé ma vie, oui. Bien, en quelque sorte,
oui.
Mme
de Santis :
Et vous avez dit que le fait qu'elle était une bonne soeur a changé votre vie,
mais je ne crois pas que c'était simplement le fait qu'elle portait un
voile. Je crois que peut-être elle vous a convaincue, il y a eu du prosélytisme
qui a été fait…
Mme Richard
(Andréa) : …fait confiance parce que…
Mme
de Santis :
…pour vous attirer à la vie que vous… qui peut-être n'était pas un choix
libre et éclairé mais qui a été fait, le choix qui a été pris à ce
moment-là. Donc, ce n'était pas le voile, c'était plutôt le prosélytisme.
Mme Richard (Andréa) : Ce n'est pas le voile, mais par contre… Oui et non, dans le sens qu'à
ce moment-là…
Je
vais vous donner un exemple. Les religieuses étaient considérées comme des modèles.
Eh bien, de même, il paraîtrait, je
n'ai pas la source sûre, que dans une
garderie, justement, une petite fille a dit à sa mère qu'elle était une pute
parce qu'elle ne portait pas un voile. Donc, pour la petite fille, le modèle,
là, c'était la religieuse… c'était, pardon, le professeur, une musulmane qui portait le voile. Donc, ce n'est pas vrai
que ça n'a pas d'impact, ce n'est pas vrai que ça n'a pas une influence.
Et plus on est jeune, plus on est influençable.
Mme de Santis :
Merci. Je vais céder la parole à mon collègue.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, M. le député de Lotbinière-Frontenac. Il
reste six minutes environ.
• (16 h 40) •
M.
Lessard : Alors, merci beaucoup, Mme Richard, merci de venir en commission ici. Donc, il n'y a
pas que des experts, vous prenez la
peine de venir ici exprimer… C'est un droit reconnu par l'Assemblée, alors merci de prendre le temps,
vous deux, de venir le faire. Et puis ce n'est pas un tribunal non plus, vous
n'avez pas à connaître tous les éléments de ça.
Mais
je regardais dans votre mémoire. Vous dites, dans le projet de loi sur la charte, que vous approuvez totalement, méticuleusement, rigoureusement et
consciencieusement ce qui a été élaboré, etc. Vous avez quand même
vu qu'il y a un pouvoir de
congédiement assez important pour ceux qui... On dit : «Lors du premier
manquement à la restriction relative au
port d'un signe religieux de la part d'un membre du personnel…» Là, l'organisme
va s'asseoir avec puis il va appliquer des
sanctions, des mesures de discipline. Donc, on rouvre un nouveau pan sur le
code des relations de travail certainement
et donc on vient dire aux 600 000 travailleurs de l'État : Premier
manquement, là, ça va de la suspension jusqu'au congédiement. D'accord? Vous
êtes consciente qu'au premier manquement, là, tu t'assois puis là tu vas...
Mme Richard (Andréa) : Bien non, mais pas du tout, je ne dirais pas qu'on
va congédier une personne qui ne veut
absolument pas enlever son voile. Je pense qu'il faut un dialogue avec elle
avant pour voir le pourquoi et pour voir si vraiment... Parce que c'est facile de dire «une foi sincère», on peut
faire croire bien des choses, hein, en prenant une petite attitude, là,
bon.
M.
Lessard :
Mais vous avez vu que là-dedans...
Mme Richard (Andréa) : Oui, oui, oui. Alors, non, moi, je pense qu'il
faut dialoguer avec elle. Il faut dire, nous autres ici, à Québec, le
pourquoi on n'accepte pas le voile.
Mais
cependant quelqu'un, comment dirais-je, là, qui est dans la peur, et qu'on
soupçonne qu'il y a derrière un monsieur
qui va la punir, si elle ne le porte pas, et que ça peut être dramatique pour
la famille, eh bien, à ce moment-là, si elle le porte déjà, je lui donnerais un droit d'acquis et un peu…
peut-être quatre ans ou cinq ans, je ne sais trop. Mais par contre une fois la loi appliquée, là c'est
différent. Pour les nouveaux qui vont arriver, là, c'est pas de voile, on le
sait, donc on a un choix de travail.
M.
Lessard :
D'accord. J'ai deux petites questions… Oui?
Mme Richard (Andréa) : Mais,
si c'est déjà là, je considérerais que c'est un droit acquis. Si la personne ne
peut vraiment pas, là, sous peine d'un drame...
M.
Lessard : Parfait,
O.K. La loi ne fait pas cette distinction-là, elle dit... Vous savez, là, pour
des raisons d'incompétence, on a de la
misère à congédier du monde parce qu'il y a un tribunal qui vient aussi les
défendre, puis les syndicats font des griefs. Là, nécessairement, on se retrouve... c'est
une nouvelle pénalité, et elle, elle est expéditive, c'est une mesure disciplinaire puis… à moins que le
ministre me dise autrement, mais ça va sûrement de la suspension jusqu'au
congédiement, donc, nécessairement.
Vous
n'êtes pas seule à penser ce que vous approchez. La CSN, qui représente
beaucoup de monde, elle s'est dit contre la charte puis elle dit : Ça n'a
pas de bon sens de l'appliquer à tout le monde. Et elle parlait de droits
acquis, donc ça a quand même été invoqué, là, je ne sais pas si le
ministre en disposera.
Je
vous amène sur un autre sujet avant. Est-ce que vous avez l'impression qu'avec
cette loi-là il n'y aura plus de port de signe?
Mme Richard (Andréa) : Qu'il n'y aura plus de port de signe? Si j'ai
l'impression qu'il n'y en aura plus si on passe la loi?
M.
Lessard :
Oui.
Mme Richard (Andréa) : Bien, si on passe la loi, ce n'est pas moi qui
vais décider, ça va être le parti au pouvoir. Ce sera à eux de décider.
M.
Lessard :
O.K. Parce que vous dites que vous l'appuyez totalement…
Mme Richard (Andréa) : Donc, on ne le sait pas encore, ce qui va être.
On ne peut pas prévoir, disons, ce qui va être.
M.
Lessard : O.K. Donc, vous dites... Parce que vous approuvez
totalement tout ce qui est dans la... mais en fait ça donne l'impression, avec cette charte-là, qu'il
n'y en aura plus, de signe, alors qu'en réalité, ce que ça dit, il y en aura
encore, sauf qu'il déterminera s'ils sont
ostentatoires. La croix va rapetisser, ça, on le sent, là, la... On ne sait pas
si c'est un pouce, un pouce et quart,
un pouce et demi, en boucle d'oreille, en... on ne le sait pas. Là, le ministre
va avoir à dire : Oui, attends
un peu. Le kirpan, lui, il passe sur... personne ne va voir le kirpan, on ne le
voit déjà pas, il est en dedans. Lui,
le kirpan, il reste. Là, le ministre viendra nous le préciser. Après ça, le
foulard, là, le ministre va regarder le foulard, il va dire : C'est-u ostentatoire ou pas? Il va
dire : Hum! Le foulard sportif, là, comme les sportifs, au lieu de toute
la tête puis le cou, là, il va
dire : Peut-être juste la tête, peut-être qu'il va dire ça. Ça, ce ne
serait pas ostentatoire. Après ça, le turban,
là, il est obligé de le regarder, il est obligé de regarder le turban puis
dire : Le turban, peut-être avec... on me dit qu'il y a un petit turban, peut-être qu'il y a ça.
Voyez-vous? Il devra le faire pour chacun des signes religieux. Il va être
obligé de faire un règlement pour
dire : C'est-u ostentatoire, est-ce que ça invite à traduire sa religion
de façon ostentatoire?, pour chacun
des signes. Et là on peut continuer toute la liste, parce que la réalité, si la
loi est adoptée, puis le ministre pourra le confirmer, c'est ça, l'exercice qu'il devra faire. Et donc il y aura
encore des signes, moins visibles. Je ne sais pas si ça va être comme les lettres de la langue française qui
vont être hautes de même puis en anglais un peu plus petit, mais il devra
faire cet exercice-là pour tous les signes,
pour toutes les religions qui se présenteront à la fonction publique. Alors, je ne voudrais pas laisser l'impression que cette charte-là va enlever tous
les signes, mais il devra faire un travail fort important puis pour ne pas en pénaliser un au détriment des
autres.
Le Président (M.
Ferland) : Alors, sur ce, M. le député, je dois...
Mme Richard
(Andréa) : M. le député…
Le
Président (M. Ferland) : Malheureusement, il n'y
a pas de temps pour répondre, je dois
céder la parole à la députée de Montarville, parce que le temps est
réparti entre chaque groupe parlementaire.
Mme Roy
(Montarville) :
Écoutez, je vais vous revenir, madame. Merci, M. le Président.
Une voix :
…
Le Président (M.
Ferland) : Allez-y.
Mme Roy
(Montarville) :
Oui, je vais vous revenir, parce que mon collègue de la première opposition...
Mme Richard
(Andréa) : ...mais c'est correct, il n'y a pas de problème.
Mme
Roy
(Montarville) : D'abord, merci d'être là. Merci de nous avoir fait
partager votre expérience de carmélite. Je me souviens déjà d'avoir fait
des reportages sur les carmélites, il y en a ici, à Montréal.
Cela
dit, revenons au port de signe religieux, parce qu'on comprend que vous
endossez la charte mais vous trouvez aussi
qu'elle ne va pas assez loin, la charte de M. Drainville, puisque
vous nous dites qu'il faudrait abolir les accommodements religieux.
Mme Richard
(Andréa) : Oui.
Mme
Roy
(Montarville) : Et vous nous dites aussi, et là je vais vous citer à la fin de votre mémoire : «Selon moi, la règle la plus raisonnable à laquelle je puisse
penser se situe dans la laïcisation du domaine public, dans les domaines [de l'État] comme dans toute aire publique…»
Alors, pourriez-vous expliquer jusqu'où vous voudriez que cette laïcisation-là
soit, si on peut employer l'expression du ministre, visible?
Mme Richard (Andréa) : Bien, dans un
premier temps, tel que je l'ai dit, bien, à long, long terme, ce serait
souhaitable aussi dans les magasins, comme dans les magasins, eh bien, c'est
dans le public. C'est ce que j'ai voulu dire par là.
Mme Roy
(Montarville) :
Mais qui voulez-vous dire, les travailleurs ou les...
Mme
Richard (Andréa) : Ce n'est
pas des employés pour l'État, à ce moment-là, mais ce que je veux dire :
Ce serait souhaitable à long terme mais pas dans un premier temps.
Mme
Roy
(Montarville) : Mais, cela dit, vous dites, dans les
magasins — moi, je
veux bien vous comprendre — les employés du magasin ou les clients du magasin?
Mme
Richard (Andréa) : Les
employés, c'est-à-dire ceux qui nous servent, les employés, mais pas
quelqu'un... Tout le monde est libre
de porter ce qu'ils veulent dans la rue et de venir au magasin habillés comme
ils veulent, ça, c'est certain. Moi,
je n'aime pas les extrêmes. Il y a une vertu du juste milieu, l'équilibre dont
on parle. À l'école, pourquoi une petite fille ne pourrait pas venir en
bikini alors qu'à l'autre extrême une petite va venir voilée?
Mme Roy
(Montarville) : Donc, si je vous comprends bien, vous voudriez
qu'on extensionne le projet de charte, le
p.l. n° 60, au secteur... c'est ce qu'on appelle le secteur privé,
l'entreprise privée. C'est ce que je comprends de votre exemple du
magasin, par exemple.
Mme Richard (Andréa) : Oui.
Mme Roy
(Montarville) : Cela dit, pour revenir aux signes religieux,
vous êtes contre, naturellement, puisque vous endossez la charte, le
port de signes religieux, mais moi, j'aimerais vous entendre parler sur le
fameux qualitatif d'«ostentatoire», parce
qu'effectivement, comme le disait mon collègue qui a scoopé ma question,
qu'est-ce que vous pensez du fait
qu'il va tout de même — et c'est écrit dans le projet de loi de M. Drainville — il va tout de même y avoir des signes
religieux qui seront acceptés et qui seront visibles? Vous pensez quoi de ça?
Mme
Richard (Andréa) : Bien,
écoutez, ça dépend du signe. Comme j'ai dit, il y a un juste milieu, un
équilibre. Moi, ça ne me dérange pas
que quelqu'un ait une petite croix comme un petit bijou, là, mais du moment que
ce n'est pas une grande croix comme
ça, là, voyez-vous? Un petit signe discret, si vous voulez, qu'on pourrait
appeler ça un petit signe discret, ça
ne dérange personne, mais, lorsque c'est des gros signes, là, comme un voile
sur la tête et puis une grande croix, là,
comme ça, là, bien, c'est ostentatoire, ça va de soi. Est-ce que vous avez
quelque chose à ajouter? Non? Et puis il y a une chose aussi...
Mme Roy
(Montarville) :
Donc, il faudra tracer la ligne, là, il faudra trouver l'équilibre.
Mme
Richard (Andréa) : Oui, oui.
Puis il ne faut pas oublier, là, que, pour ceux qui ont peur qu'on perde leur
religion, qu'on perde des valeurs, la
religion, là, ce n'est pas vrai que c'est une valeur, c'est une doctrine. C'est
dogmatique et doctrinal. Et, ceux qui
ont peur qu'on perde ça, ce sera beaucoup mieux pour la société future qu'on
enseigne dans les instituts scolaires
des valeurs, la morale, une spiritualité laïque et lithique que des dogmes et
des doctrines religieuses.
Mme Roy
(Montarville) :
Je vous remercie infiniment.
Mme Richard (Andréa) : Merci,
madame.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, Mme la députée.
Maintenant, je reconnais le député de Blainville pour...
M. Ratthé : Merci, M. le
Président. Mme Richard, M. Serra, bonjour.
Mme Richard (Andréa) : Bonjour.
M. Ratthé :
Si vous me permettez, je vais adresser une question à M. Serra. Et, bien,
je ne sais pas si vous serez en
mesure de me répondre, à tout le moins peut-être me donner votre opinion, un
avis… ou peut-être vous avez une expertise.
Vous êtes d'origine française. On a diverses
opinions sur : Est-ce qu'on doit prendre exemple sur la France? La France a une forme de laïcité déjà bien
implantée. Des gens hier nous disaient : On ne devrait pas prendre cet
exemple-là parce que la France a
colonisé des gens, alors qu'ici on reçoit des gens. Est-ce que vous avez une
opinion, un avis, une expertise là-dessus?
M. Serra (André) :
Ah oui! Tout à fait.
Mme Richard (Andréa) : Mets le micro
plus proche.
M. Serra (André) : Oui, je pense
qu'on entend.
M. Ratthé : Allez-y.
• (16 h 50) •
M. Serra
(André) : Bien oui. C'est
une opinion qui reflète d'ailleurs, je pense, une opinion qui est assez
générale. La domination de la France
dans certains domaines coloniaux il y a longtemps, si vous voulez, maintenant
est combattue sur un plan historique.
Ça a existé, tout à fait, et nous avons eu tort, c'est également mon avis. D'un
autre côté, les choses sont passées,
et nous avons laissé… nous, Français, nous avons quand même laissé dans nos
colonies beaucoup de choses qui sont
très positives. Il y a eu des choses
dommageables et il y a eu aussi des choses très positives. Je pense
qu'il n'est pas nécessaire de revenir
sur le passé. Comme par exemple les Turcs qui refusent de reconnaître ce qui
s'est passé avec les Arméniens, par exemple, je trouve ça anormal, je crois qu'il faut toujours
reconnaître ce qu'on a fait. C'est vrai au plan personnel comme au plan
collectif.
M. Ratthé : Mais, en
matière de laïcité, est-ce qu'il y a des choses dont on devrait s'inspirer? Est-ce qu'on doit ignorer puis avoir notre propre recette? Qu'est-ce que…
M. Serra (André) : S'inspirer de ce
qui se fait en France?
M. Ratthé : Oui.
M. Serra (André) : Bien, écoutez, je
veux dire...
M. Ratthé : En matière de
laïcité, là.
M. Serra
(André) : Sur le plan de la
laïcité, écoutez, nous avons eu en 1905, je crois, la suppression de, comment dirais-je…
de l'enseignement scolaire par l'Église catholique, disons. Bon, je crois que
ça s'est maintenu. C'est même revenu
en arrière, puisque maintenant il y a des institutions privées, en France,
catholiques, mais à un niveau extrêmement faible, et les subventions existent mais dans des proportions
relativement moindres qu'avant. C'est-à-dire qu'avant il y avait vraiment une possession de l'éducation nationale
par l'Église, comme vous avez eu ici d'ailleurs aussi. On est passés à un
autre système, c'est ce que fait également le Québec.
Ça me paraît raisonnable, parce qu'effectivement
nous avons là un exemple de... pas de signe ostentatoire, à proprement parler, mais c'est pire. Lorsque les
prêtres enseignent et qu'en même temps ils enseignent la religion, c'est
inadmissible et pour une raison essentielle,
c'est que l'enfant... Il y a un texte qui est très bon sur ce point, c'est un
texte de Freud, enfin, un texte...
c'est un livre qui s'appelle L'avenir
d'une illusion ou... oui, L'avenir d'une illusion, je crois,
exactement, qui dit ceci en gros : Les enfants suivent leurs parents. Les
parents eux-mêmes sont ostentatoires, je dirais, dans une certaine mesure, et évidemment on ne peut pas
les supprimer, mais il est certain malgré tout qu'il y a eu une évolution
sur ce plan dans la mesure où beaucoup
de parents maintenant laissent un peu la bride sur le cou. Peut-être
ont-ils d'ailleurs le tort de le faire sur tous les sujets, il y a peut-être
des sujets sur lesquels ils devraient le faire. Et ce qui se passe, c'est
que, finalement, les enfants qui
sont pris dans une obligation d'aller à l'église, etc., de faire leur
communion, ce qui a été mon cas... Moi, personnellement, pour donner mon
exemple personnel...
Le
Président (M. Ferland) : Alors, excusez-moi, M. Serra, mais je dois aller du côté de la députée de
Gouin pour le dernier bloc. Allez-y, Mme la députée.
Mme David : Merci,
M. le Président. M. Serra, je
vais continuer un peu sur la foulée de ce que vous disiez, mais après
j'aurai une question sur un autre sujet.
La France, c'est
votre pays d'origine. C'est le mien aussi par ma mère, et donc j'ai regardé pas
mal ce qui s'est passé ces dernières
années. Il y a une chose qui me frappe, c'est que le modèle
français, il n'est pas parfait, pas plus que n'importe quel autre, hein, et donc moi, je souhaite que le Québec
fasse ses propres choix. Il peut s'inspirer des meilleurs modèles qui
existent, ça peut être la France et puis ça peut être d'autres pays aussi.
Je
soulignerai qu'il y a quand
même certaines contradictions qui
sont un petit peu amusantes, le fait, par exemple, que les écoles privées religieuses en France, au moment où on se parle,
sont financées par l'État à hauteur de 85 %. Moi, je me plains déjà de notre 60 %, alors
imaginez! Et la dernière grosse manifestation anti-mariage gai en France a été largement organisée par tout ce qu'il y avait
d'Église catholique. Alors, c'est amusant de voir que la vie est une chose
complexe, finalement.
Je reviendrais par contre sur la question de
l'immigration, parce que ça, ça me turlupine un petit peu. J'avais assez oublié, je dois dire, cet échange que nous
avons eu par lettres il y a quelques années, mais je me pose et je vous pose
la question suivante : Le Québec
choisit déjà 60 % de ses immigrantes et immigrants. Il les choisit largement
en fonction de leurs qualifications
et de la langue, hein, et ça, je pense que c'est très important pour le Québec.
Est-ce que, dans le fond, dans les critères de choix, vous proposez
qu'il y ait une sorte de critère moral, religieux? Vous savez que déjà les immigrants maintenant
signent une déclaration qui établit les valeurs que nous avons adoptées au
Québec, mais est-ce qu'on devrait, à votre avis, aller plus loin?
M. Serra (André) : Non. J'ai
d'ailleurs un livre que j'ai édité, d'ailleurs, ce n'est pas moi qui suis
l'auteur, d'Hassan Jamali, qui a écrit le
livre Coran et déviation politique, et j'avais sélectionné… si j'avais
eu le temps de vous donner ces quelques citations, mais il dit des
choses qui sont très proches de ce que nous donnons, nous, et c'est un musulman, c'est un musulman. Il dit ceci :
Bon, après avoir, comment
dirais-je, étudié les principes fondamentaux de l'islam, il faut ensuite lui apprendre, à l'enfant, à respecter les
diverses croyances selon le principe que Dieu n'appartient à personne et
qu'aucune religion n'est supérieure à une autre; que tous les êtres humains,
musulmans, chrétiens, Juifs, bouddhistes et
même athées, ont droit à leurs opinions comme à leurs convictions; que les
différences entre les religions ne
proviennent pas de leurs principes de base mais des détails, qui sont souvent
les oeuvres des humains. Bon, j'arrête là à cause du compteur.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, vous avez un très bon timing.
M. Serra
(André) : Oui. Non, je finis
la phrase, je finis la phrase. Ce que je voulais dire simplement en citant ceci…
Le
Président (M. Ferland) : Ça met fin à la période d'échange.
Alors, Mme Richard et M. Serra, je vous remercie pour votre présentation, votre mémoire.
Alors, sur ce, je vais suspendre quelques
instants pour permettre au prochain groupe de prendre place.
(Suspension de la séance à 16 h 56)
(Reprise à 16 h 59)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, la commission reprend ses travaux. Nous recevons maintenant
les représentants de la
Ligue d'action nationale. Alors, en vous mentionnant que vous disposez de
10 minutes pour présenter votre mémoire, je vous demanderais de vous présenter et
présenter la personne qui vous accompagne.
Ligue d'action
nationale
M. Monière
(Denis) : Alors, Denis
Monière. Je suis le président de la Ligue d'action nationale. Je suis
accompagné par Robert Laplante, qui est le directeur de la revue L'Action
nationale et aussi le directeur des Cahiers de lecture de L'Action
nationale.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci. Alors, à vous la parole pour la présentation de votre mémoire.
• (17 heures) •
M. Laplante (Robert) : Alors, merci,
M. le Président. Merci à tous les membres de la commission de nous consacrer
cette période qui, j'imagine, doit puiser dans les réserves de tout le monde en
fin de journée.
Je voudrais
d'abord vous situer le rôle, la mission de la Ligue d'action nationale. La
ligue a été créée et fondée en 1913
sous le nom, d'abord, de Ligue de défense des droits du français — c'était
comme toujours le même combat — et
elle a progressivement changé de nom pour
devenir la Ligue d'action nationale. Et elle s'est donné en 1917 un organe de diffusion qui s'intitulait à l'époque L'Action
française et
qui est devenu au fil des années L'Action
nationale, qui est la revue par
et dans laquelle la ligue réalise sa mission qui est celle de contribuer à la
définition, à la promotion et à la défense
des intérêts nationaux du Québec. Et c'est dans le cadre de nos travaux que
nous avons été appelés à examiner le projet de loi et à soumettre aux
élus le commentaire que va vous livrer le président de la Ligue d'action nationale,
M. Denis Monière.
M. Monière
(Denis) : Merci, M. le
Président. Merci à vous tous, députés, de nous accueillir cet après-midi. Comme
vous l'avez constaté, nous avons une longue
histoire. Nous allons probablement, j'espère en tout cas, fêter le 100e anniversaire
de la revue dans quelques années, et je voudrais, en introduction, faire un
rappel de l'histoire politique du Québec.
Le projet de
loi n° 60, pour nous, est l'aboutissement d'une longue tradition
démocratique qui remonte en fait au
Parti patriote. Le principe de la séparation de l'Église et de l'État se
retrouve à l'article 4 de la déclaration d'indépendance du Bas-Canada. Le programme du Parti rouge,
ancêtre du Parti libéral du Québec, prônait, lui aussi, la laïcité au milieu
du XIXe siècle. C'est donc une très longue tradition républicaine qui vise
à instaurer un État laïque au Québec.
Malheureusement,
à la suite de la Confédération de 1867 et du compromis victorien, la société
québécoise a été dominée pendant un
siècle par le pouvoir clérical. Vous savez tous que l'Église a exercé un
contrôle sur la société civile, elle a encadré cette société par des
organisations catholiques, pensons aux syndicats catholiques, aux coopératives
catholiques, aux journaux catholiques, aux associations culturelles de toutes
sortes. Donc, nous avons bien connu le cléricalisme et l'influence que la
religion peut jouer sur l'évolution d'une société.
Lorsque le Québec est entré dans l'ère de la
modernité, il y a eu un processus de décléricalisation et de déconfessionnalisation qui a été engagé, et ce
processus aboutit aujourd'hui avec le projet de loi n° 60. Pourquoi,
depuis 1960, le Québec a-t-il choisi
la voie de la déconfessionnalisation? Parce qu'il y a eu des changements
importants dans la
composition ethnoculturelle de la population à la suite des différentes vagues
d'immigration. Il y a eu aussi une diversification
des croyances religieuses. Le plus grand changement qui est apparu dans la
société québécoise à partir de la
Révolution tranquille, ça a été la progression du groupe des sans-religion, qui
est devenu le deuxième groupe en importance numérique après les gens qui appartiennent à la religion catholique.
Nous avons donc, dans une société comme la nôtre, maintenant forte
portion de la population qui se déclare sans religion. Voilà donc quelques
éléments qui montrent pourquoi le Québec a
besoin maintenant d'instaurer de nouvelles règles du jeu et surtout de prévoir
que ses institutions politiques soient laïques et neutres.
Alors, comme mouvement intellectuel, la Ligue
d'action nationale approuve dans l'ensemble, avec quelques restrictions que je présenterai tout à l'heure, le
projet de loi n° 60 sur la laïcité et la neutralité. Nous estimons que la
laïcité obéit à un vieux principe
millénaire : Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui
appartient à Dieu, ce qui implique
que la sphère du privé doit être séparée de la sphère du public. Cette logique,
à notre avis, prend tout son sens dans
les sociétés pluralistes comme la nôtre où plusieurs religions coexistent. Nous
pensons que chaque individu peut exprimer
librement ses convictions, quelles qu'elles soient, mais, en raison de cette liberté et de la
diversité d'opinions qui existe, les institutions publiques, parce qu'elles appartiennent à tous, doivent être neutres et ne
pas manifester à travers leurs représentants d'allégeance particulière.
Ce principe
essentiel à la vie démocratique a été acquis après des siècles de lutte pour
mettre l'État au-dessus des factions,
des partis et des groupes particuliers. Cela s'appelle le devoir de réserve,
qui interdit à quiconque d'afficher ses convictions dans le cadre de la fonction publique pour respecter
précisément la liberté des autres et ne pas entacher l'État du soupçon de partialité. Pourquoi alors
l'identité religieuse des uns devrait-elle l'emporter sur le devoir de réserve
des autres qui, eux, laissent leurs
convictions à la maison pour venir servir chaque matin le bien public? Les
citoyens doivent être égaux et, pour
cette raison, ils doivent tous faire des compromis pour vivre avec les autres.
Les allégeances religieuses ne
doivent pas recevoir de prime de tolérance ou de traitement de faveur. Le
respect de l'égalité des citoyens doit être intégral, et il serait
inacceptable qu'on affiche ses allégeances religieuses dans la fonction
publique alors que d'autres citoyens n'auraient pas le droit d'afficher leurs
convictions politiques.
En
conséquence, donc, nous sommes d'accord pour interdire le port des signes
religieux, qui fait étalage de la différence,
qui exprime un fossé qui sépare les différents membres de la communauté. Les
signes religieux témoignent, bien
sûr, d'une appartenance et ils disent essentiellement, c'est un message qui est
porté : Je ne suis pas comme toi, je n'appartiens pas au même
monde. Les symboles religieux ne sont pas seulement un facteur de
différenciation, ils ont aussi une fonction
stratégique et propagandiste et ils visent effectivement à influencer les gens
que l'on côtoie. L'État ne doit donc
pas faire le jeu des religions missionnaires. Il ne doit pas être le lieu du
prosélytisme, même si celui-ci est passif.
Donc, l'État doit interdire le port des symboles religieux pour incarner cette
séparation entre le public et le privé. C'est la condition du respect
mutuel que se doivent les membres d'une collectivité.
Voilà donc
notre position de base. Maintenant, en ce qui concerne les réserves que nous
avons, elles portent sur deux objets dans le projet de loi actuel.
Première
réserve, ça concerne les articles qui traitent de l'Assemblée nationale, qui,
dans le projet actuel, semble vouloir
obtenir un statut particulier qui la met en dehors de la loi elle-même pour
laisser aux députés le soin de régler ça entre eux. Ça nous apparaît un peu illogique, incohérent de mettre
l'Assemblée nationale en dehors de l'application de cette loi.
La deuxième
réserve, elle est un peu banale, c'est que le titre du projet de loi nous
apparaît beaucoup trop long et peu
pertinent, compte tenu de son contenu. Nous pensons qu'il serait opportun de le
simplifier en disant tout simplement «la charte québécoise de la
laïcité».
Alors, merci de votre attention. Et nous sommes
à votre disposition pour répondre aux questions.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci beaucoup, merci pour
votre présentation. Maintenant, nous allons à la période d'échange.
Alors, M. le ministre, la parole est à vous.
• (17 h 10) •
M.
Drainville : Merci,
M. le Président. Merci beaucoup, messieurs, pour votre mémoire et votre
présentation. Si vous me permettez,
je vais prendre juste quelques instants pour clarifier certaines choses avec
mon estimé collègue de Lotbinière… Lotbinière-Frontenac, voilà. Je
voulais juste vous dire, M. le député, que c'est un gouvernement du Parti libéral qui a amendé la Charte de la langue
française pour y prévoir… Alors, je vous lis l'article 93 qui avait été
voté par M. le député d'Argenteuil et
ministre alors, Claude Ryan, qui est un homme pour lequel j'avais beaucoup de
respect. Et il a amendé la Charte de
la langue française en 1993, écoutez ça, c'est fascinant. Le règlement…
L'article 93 dit ceci : «Le
gouvernement peut, outre les pouvoirs de réglementation prévus à la présente
loi, adopter des règlements pour en faciliter
la mise en oeuvre, y compris pour définir les termes et expressions qui y sont
utilisés ou en préciser la portée.» Ça,
c'est la loi, puis il a fait adopter dans le prolongement de la loi un
règlement précisant la portée de
l'expression «de façon nettement
prédominante» pour l'application de la Charte de la langue française. Et donc il précisait là-dedans, dans
le règlement qu'il a fait adopter, l'amendement à la loi de la charte qu'il
avait fait voter et… là-dedans, donc, dans ce règlement,
il expliquait le concept de «nettement prédominant». Alors, moi, je me dis, si
on a été capables de le faire et si
le gouvernement libéral a été capable de définir dans la loi ce qui était
nettement prédominant dans l'affichage, je pense qu'on devrait être
capables de définir le concept de signe ostentatoire.
Et d'ailleurs
on s'est inspirés, M. le Président, on s'est inspirés… Dans notre loi, c'est ça
qui est formidable, c'est qu'on s'est
inspirés de la loi de M. Ryan pour reprendre essentiellement le même
libellé. Alors, je suis sûr que vous devez être absolument ravis qu'on se soit inspirés de vous. Et on a donc dit à
l'article 36 : «Le gouvernement peut adopter des règlements
pour faciliter la mise en oeuvre de la présente charte, y compris pour définir
les termes et expressions qui y sont utilisés ou en préciser la portée, notamment en déterminant les
cas… un objet marque ostensiblement…» Alors, on reprend l'exemple de M.
Ryan.
Alors, maintenant, je vais poser une question à
nos invités…
M.
Lessard : Juste
question de règlement, monsieur…
M. Drainville : Il pourra
réagir tout à l'heure, M. le Président.
M.
Lessard : Non,
c'est rien qu'une question de règlement.
Le
Président (M. Ferland) : Oui, question de règlement, je peux accepter, oui. Mais pas une réponse, une
question de règlement.
Allez-y.
M.
Lessard : Non, c'est ça. C'est parce que le ministre
vient de dire qu'il était d'accord à ce que c'est par règlement qu'il va avoir à les définir un
par un. Donc, je fais rien que vous dire qu'on est sur la même longueur d'onde.
Le Président (M. Ferland) :
Je vais prendre juste…
Une voix : …
Le
Président (M. Ferland) : M. le ministre, je vais prendre quelques secondes. Je vous
permets de répondre à l'intervention
de tout à l'heure, mais, pour éviter les échanges, parce qu'on n'est pas en analyse détaillée, le
député de Lotbinière-Frontenac pourra
lorsque le parti d'opposition aura la parole, tantôt, répondre au ministre.
Alors, c'est juste parce que je veux
éviter les échanges entre parlementaires, parce qu'il y a des gens qui sont ici
qui veulent échanger avec vous certainement.
M. Drainville : …on veut
juste s'assurer qu'il n'y ait pas de malentendu. Bon, voilà.
Par ailleurs,
juste pour continuer, là, pour préciser sur l'autre point qu'il a soulevé, le
projet de loi prévoit une phase de
dialogue qui prend place avant même que des mesures disciplinaires puissent
intervenir, et par la suite il y aura progression des sanctions comme
c'est toujours le cas. O.K.? Ça, tout ça, c'est très clair.
Alors, j'en
reviens donc au mémoire de la Ligue d'action nationale. D'abord, j'ai pris
acte, bien entendu, du parallèle que vous avez fait entre la neutralité
politique et la neutralité religieuse et le fait que la neutralité politique
prévoit l'interdiction du port de signes politiques. Et donc vous dites :
Bien, écoutez, si c'est bon pour la neutralité politique, pourquoi est-ce que ce ne serait pas bon pour la
neutralité religieuse? Qu'est-ce que vous répondez à ceux qui vont vous dire : Ce n'est pas du tout la même chose. La
neutralité politique, ça, c'est correct d'interdire le port des signes
politiques par les fonctionnaires,
mais on ne peut absolument pas aller dans cette direction-là pour la neutralité
religieuse. Réponse?
M. Monière
(Denis) : Dans notre esprit,
la religion est comme une idéologie politique. La religion implique des relations de pouvoir. La religion ne doit pas
avoir de statut particulier ou privilégié dans une société. La religion
appartient aux individus, mais elle ne doit pas être valorisée par les
institutions publiques, parce que ces institutions publiques appartiennent à une multitude d'appartenances, de
groupes, de visions du monde. Donc, cet État doit, autant que possible, être au-dessus des allégeances particulières.
C'est pour ça que c'est accepté sur le plan politique, mais, à notre avis, ça
doit aussi être accepté sur le plan des
religions, parce que les religions, c'est une appartenance, c'est une forme de
loyauté, c'est une vision du monde qui a des implications dans les
prises de décision, hein, on le sait.
Et, si on
était vraiment logique, hein, puis on voulait reconnaître les religions dans le
cadre de l'État, hein, admettons… Allons dans la voie de ceux qui
disent : Donnons aux religions leur pleine représentation. Bien, alors, je
comprendrais mal pourquoi on se contenterait
de les reconnaître par des symboles, le port de symboles ostentatoires, et
qu'on ne voudrait pas les reconnaître dans
leurs pratiques religieuses. Pourquoi alors ne pas changer le Code criminel
pour reconnaître les pratiques des groupes
religieux, hein? On pense par exemple aux tribunaux islamiques, on peut penser
à l'excision. Pourquoi on se limite uniquement aux symboles religieux?
Donc, pour
éviter ce genre de question un peu théorique, il faut, à mon avis, ne pas
mettre de dimension religieuse dans
la vie des institutions politiques, il faut exclure toute dimension religieuse
de la vie des institutions politiques. Ceci
dit, bon, on est en société.
Nous sommes des modérés. Par exemple, nous ne préconisons pas que, dans l'espace
public, on interdise le port des
symboles religieux. Pour l'instant, on n'est pas encore rendus à dire qu'il
faut supprimer toutes les subventions à toutes les écoles religieuses, non. On se
limite à l'État. Pour nous, l'État est le représentant de la
collectivité et à ce titre il ne peut
pas s'afficher avec des connotations, qu'elles soient religieuses ou politiques,
et quelles que soient ces
connotations religieuses. Le principe de la loi n'est absolument
pas discriminatoire puisqu'il établit l'égalité de tous les citoyens
face à l'État. Il n'y a pas de discrimination quand tout le monde peut… est sur
un pied d'égalité. La discrimination vient quand on adopte une logique à
géométrie variable, par exemple le port du voile ou des symboles religieux pour
certains et pas pour d'autres, hein, comme…
M.
Drainville : …ça m'amène à ma deuxième question. D'autres
disent : Ah! O.K., on va faire un petit bout. On va interdire mais seulement pour certaines
catégories d'agents de l'État, puis, pour les autres, c'est la pleine
expression de la croyance religieuse pendant les heures de travail.
Réactions?
M.
Laplante (Robert) : Bien, on peut répondre sur plusieurs plans.
Commençons d'abord par établir que les religions,
en tant que systèmes de croyances dictant des pratiques, sont
intrinsèquement toujours sur le bord de déborder dans le champ politique. Toute l'histoire de
l'Occident, c'est une bataille pour contenir ces débordements, et la laïcité
s'est établie justement dans la définition
de paramètres pour s'assurer que ces débordements qui peuvent varier selon les
systèmes de croyances, donc selon les confessions, soient le plus possible
neutralisés dans l'expression de la définition du bien commun, tel que
les institutions communes peuvent le faire.
D'autre
part, sur un autre plan, dès lors qu'on commence à conférer à l'État le rôle de
soupeser ces degrés-là on est
inévitablement entraîné sur le procès d'intention. Pourquoi une croyance,
pourquoi une pratique serait-elle jugée plus inoffensive qu'une autre, plus subversive qu'une autre, plus
confrontante ou dérangeante qu'une autre? Ça place le rôle de l'État dans celui de l'Inquisition, une
inquisition laïque qui devient absurde parce
qu'effectivement elle place les croyants militants, puisqu'ils s'affichent, elle place les croyants dans la
posture où eux-mêmes se sont placés il y a quelques siècles en avant de
ceux qui ne professaient aucune croyance.
Alors donc, il est
infiniment plus juste et équitable, pour la définition de l'égalité de tous
devant la loi, de soumettre ou d'astreindre
tout le monde aux mêmes codes et aux mêmes pratiques, et il est également plus
réaliste de définir des principes qui
permettent à l'État d'agir sur des paramètres formels plutôt que sur des débats
de subjectivité concernant le caractère plus ou moins heurtant, plus ou
moins subversif d'une pratique ou d'un symbole.
• (17 h 20) •
M. Drainville :
Sur la question du port des signes religieux, maintenant, par les élus, vous
avez un amendement que vous
souhaiteriez apporter à cette loi-là, enfin, vous nous faites une suggestion
d'amendement au projet de loi n° 60. Est-ce que vous pouvez nous le présenter un peu plus dans le détail?
Parce que, bien, moi, je trouve ça intéressant, ce que vous proposez. Maintenant, comme vous le savez,
ultimement, pour pouvoir appliquer, mettre en oeuvre l'interdiction de porter un signe religieux au sein de l'Assemblée
nationale, là, dans le salon bleu, il va falloir amender le règlement de l'Assemblée
nationale, et on ne peut l'amender que par l'unanimité des députés. Et donc
j'essaie de voir comment on pourrait concilier cette nécessaire unanimité qu'il
faut avoir, qu'il faut pouvoir obtenir avant d'amender le règlement avec la proposition
d'amendement que vous faites.
M. Monière (Denis) : Là, je pense que, telle qu'elle est formulée actuellement, vous ne mettez pas à l'épreuve le
processus. Autrement dit, vous retardez l'application de la loi n° 60
à l'Assemblée nationale tant et aussi longtemps qu'il n'y a pas eu une délibération entre les députés sur ce
sujet. Et donc là vous dites : Bien, on a besoin de l'unanimité, et ce sera impossible, évidemment, à obtenir. Donc, nous, ce qu'on dit, c'est : Pourquoi reculer tout de suite? Pourquoi ne pas intégrer l'Assemblée nationale dans le cadre de la loi, après vous appliquez la
loi et vous essayez d'établir l'application
de cette loi à l'Assemblée nationale? Et là vous allez avoir évidemment
des députés qui vont voter contre, mais au moins le gouvernement n'aura
pas été incohérent dans sa démarche.
Donc,
nous, c'est un souci essentiellement de cohérence qui nous amenait à proposer de
soumettre l'Assemblée nationale
à l'application de la loi. Mais on est conscients qu'il y a
des blocages de type juridique qui vont empêcher que ça se réalise, mais au moins le gouvernement n'aura pas pris l'odieux sur son dos, l'odieux de mettre un principe
illogique dans sa propre loi.
Évidemment, ça
s'applique aussi, j'imagine, à la question du crucifix à l'Assemblée nationale.
Bon. Donc, la même logique prévaut, c'est…
M. Drainville : Dans l'amendement que vous proposez là, vous dites… enfin, ce que
vous souhaiteriez rajouter, c'est la
phrase suivante, là, vous amenderiez l'article 9 de la Loi sur l'Assemblée nationale pour y ajouter : «Elle — l'Assemblée nationale — doit prendre les mesures qui s'imposent pour que
la laïcité de l'État québécois soit effective et manifeste dans les locaux de cette Assemblée nationale.» Donc, dans votre esprit, cet amendement-là
régirait à la fois la présence de
signes religieux et la présence ou le port de signes religieux par les élus? Ça
couvrirait les deux aspects dans votre esprit, hein? Oui?
M. Laplante (Robert) : M. le Président. C'est une question de cohérence et c'est une question
d'exigence civique. Nul n'est au-dessus des lois, y compris les représentants
du peuple.
Il y a quelque chose, d'ailleurs, d'un peu ironique à discuter de ça ici. Nous
avons en face de nous Dieu et mon Droit, la couronne britannique, des lions impériaux puis
le drapeau du Canada. On comprend que ça dresse toute une série de
paramètres qui peuvent singulièrement réduire la marge de manoeuvre pour ce qui
est de l'adoption d'une loi dont la logique intrinsèque est républicaine. Mais
ça, c'est le lot de notre situation historique.
Le Président (M.
Ferland) : …huit minutes à peu près.
M. Drainville :
Là, on va s'éloigner un peu du texte de loi puis on va parler un peu du
contexte, si vous me permettez. Vous êtes
deux fins observateurs de l'actualité politique depuis très longtemps.
Vous avez été également des participants, évidemment, vous avez joué des
rôles divers. Comment vous… Qu'est-ce que vous pensez du débat à l'heure actuelle, là, des arguments, des principaux arguments en présence? Par exemple, tout à l'heure, on a M. Seymour qui est venu nous dire que le projet de loi, c'était un projet de loi qui portait un nationalisme de ressentiment. Il a
utilisé également l'appellation
«nationalisme conservateur». Moi, je ne me considère pas trop, trop
conservateur, ça fait que ça me
surprend toujours un peu de me faire qualifier de conservateur. Et
il a parlé aussi, si je ne m'abuse, de repli. Moi, je ne me trouve pas trop trop replié, là, mais, je ne
sais pas, comment vous réagissez quand vous entendez ça? Est-ce que vous
vous considérez porteurs d'un
nationalisme conservateur, vous? Est-ce
que vous incarnez un repli
identitaire, à votre avis, ou…
M. Monière (Denis) : Non, je pense
que, là, il faut mettre les choses dans leur contexte. Ce que
propose actuellement le projet
de loi n° 60, c'est d'offrir la possibilité aux citoyens et aux élus de participer à une grande
délibération sur la définition des
valeurs communes qui animent notre société. Qu'est-ce que ça veut dire,
faire société? Ça veut dire qu'on cherche des points de rencontre, de convergence, des idées qu'on
puisse partager. Et donc, dans ce processus de discussion, effectivement, on est en train non pas de se replier sur le plan
identitaire, on est en train de construire notre identité, on est en train de définir les balises de notre
vivre-ensemble. C'est ça, une identité, un lieu où on se sent appartenir
collectivement. Et donc il n'y a
pas du tout de nationalisme de conservation là-dedans, c'est simplement qu'une
société comme la nôtre doit... Et justement, comme on est dans une situation
de paix sociale, c'est très intéressant d'avoir la liberté de débattre de valeurs fondamentales ou d'enjeux fondamentaux.
Ce n'est pas quand il y a une crise qu'il faut aborder ces questions, ces vastes questions,
c'est quand justement il y a une certaine sérénité et on peut en débattre
librement, on n'est pas pressé par des problèmes concrets, pratiques à
résoudre.
Donc,
de notre point de vue, le Québec vit une situation de conflit identitaire, et, dans cette relation
de conflit, ce que le Québec
est en train de faire, c'est d'essayer de se définir, comme Robert Bourassa le
voulait, comme société distincte. Qu'est-ce que ça veut dire, une société distincte, si c'est pour ressembler à toute l'Amérique du Nord? Donc, voilà. Ce n'est pas du
tout une question de repli identitaire, ce n'est pas une question
de nationalisme de conservation. C'est, l'enjeu fondamental, définir des
balises, des valeurs communes qui permettent le vivre-ensemble.
M. Drainville :
Alors, je dois vous dire que j'ai lu... Quand j'ai fait mon bac, j'utilisais beaucoup
votre livre, M. Monière, sur les
idéologies, alors je retrouve dans vos propos l'esprit de ce qui m'a alimenté
intellectuellement lors de mes jeunes années.
Alors, si ça vous
semble d'une telle évidence, si c'est progressiste, si c'est moderne, si c'est
une avancée, comment on se retrouve, à ce moment-là, avec des qualificatifs comme ceux-là qui n'y voient absolument
pas une avancée mais un repli, une
régression, un recul, l'expression, dans certains cas, d'une xénophobie? C'est des termes extrêmement durs. Comment on arrive à ça, alors, si, pour
vous, c'est tellement évident qu'on avance, qu'on va de l'avant, alors que,
pour d'autres, qui sont des personnes, je le
redis, là, que je respecte, c'est des gens qui réfléchissent, qui sont de beaux
esprits, qui disent des choses tout à fait... mais, sur ce projet-là, c'est
noir, c'est obscurantiste, diront-ils?
• (17 h 30) •
M. Laplante (Robert) : Bien, il faut sortir un peu des cadres de la
province de Québec, là. Partout en Occident, le débat se pose dans ces termes-là, ce n'est pas propre au Québec.
Pourquoi? Parce qu'essentiellement ce qui est en jeu derrière ces discussions, c'est : Quels sont
les processus auxquels les citoyens adhèrent pour construire la nation?
Construire la nation, ça fait trois
siècles et demi qu'en Occident ça occupe la quête démocratique. Alors, ce qui
est en cause, derrière la profusion
des particularismes, ce qui est en cause derrière les revendications de
segmentation et de différenciation de la communauté nationale, c'est précisément la remise en question de la
nation comme cadre commun. Alors, bien entendu, les idéologies qui
prônent la dissolution de la nation, des idéologies très fortement marquées par
les adhésions à la globalisation, à la mondialisation, qui prônent le
nivellement de tous les obstacles qui peuvent se dresser devant le commerce et
qui, pour le reste, laissent aux citoyens le soin de se dépatouiller, bien
évidemment ces idéologies-là qui s'expriment
derrière un paradigme fondamental, diraient les intellectuels de la sociologie,
c'est-à-dire le multiculturalisme, pour
l'essentiel, regroupent une série de doctrines qui tentent de justifier le
démantèlement des codes communs et leur relative inefficacité, on cherche à les rendre le moins contraignants
possible. Or, il s'avère que, dans notre cas particulier, le
multiculturalisme n'est pas seulement une idéologie parmi d'autres qui
traversent les partis politiques, c'est un élément
constitutif du régime «canadian». Le Canada non seulement adhère au multiculturalisme,
mais il se gausse d'en être
l'incarnation de la perfection. Bon, alors, évidemment, ça crée un contexte
encore plus favorable pour des arguments antinationaux, parce que le Canada s'imagine porter le modèle du
XXIe siècle, un modèle qui partout ailleurs craque et qui au Canada
lui-même craque, mais qui a charrié avec lui son vocabulaire, ses catégories
conceptuelles. Et, dans ce cadre-là, au
Québec comme ailleurs, toute remise en cause du multiculturalisme est
spontanément reportée derrière des procès de nationalisme.
Or,
le débat prend une tournure tout à fait particulière en Angleterre, il a peu de
choses en commun avec la manière dont
il se présente en France, en Italie, au Danemark, en Suède, et à chaque fois on
observe exactement le même type de corpus
d'argument. Alors, il faut aller au-delà des effets de toge qu'il y a à brandir
des épithètes comme ceux-là et bien comprendre
que ce qui est en jeu, c'est la façon dont la démocratie s'exerce dans un
régime qui reconnaît son fondement dans
la nation. C'est compliqué pour nous parce que nous sommes dans un régime qui
proclame la suprématie de Dieu et qui opère sur une constitution que
nous n'avons pas signée et qui nous inflige une charte qui a été
frauduleusement imposée pour limiter les
pouvoirs de l'Assemblée nationale. Alors, évidemment, ça permet là le
déploiement d'un registre d'injures,
d'insultes et de procès d'intention extraordinaire, mais il faut, là-dessus,
savoir garder son sang-froid et aller au-delà des épithètes pour voir
qu'au fond nous n'avons aucune raison d'être défensifs sur ces sujets-là…
Le Président (M.
Ferland) : Alors, sur ce, M. Laplante, je dois… le temps
est épuisé.
M. Laplante
(Robert) : Pour conclure, dire au ministre…
Le Président (M.
Ferland) : Mais non, bien c'est parce qu'on a une période… je
dois laisser la possibilité à tous les groupes parlementaires de vous
questionner. Et peut-être qu'ils vous reposeront des questions qui vont vous
permettre de faire un petit détour et… Alors, je reconnais la députée de
Notre-Dame-de-Grâce.
Mme Weil : Merci,
M. le Président. Merci, M. Plante, M. Monière. Je vais vous poser
quelques questions plus techniques,
juridiques, parce qu'en bout de ligne c'est ça, hein, il y aura des tests
juridiques. Et donc le projet de loi n° 60 vient apporter un nouveau régime, un nouveau
régime et donc qui touche directement des droits et libertés fondamentaux
en vertu des chartes de droits et libertés.
On a entendu la Commission des droits de la personne, on va entendre le
Barreau, on va entendre toutes sortes
de juristes qui vont venir dire pourquoi il y a un problème. On va entendre un
ex-ministre de la Justice dire que ça prendrait une clause dérogatoire
en prévention.
Un
des tests importants qu'il faut passer, dans un premier temps, c'est l'objectif
urgent et réel, réel qu'il faut régler. Donc, ça, c'est en quoi votre proposition ou cette proposition de
laïcité… Et on va aller carrément sur l'interdiction, parce qu'il y a beaucoup de consensus sur la déclaration
de neutralité religieuse de l'État, des accommodements, il y a vraiment
deux tiers, sinon plus de ce projet de loi où on pourrait avoir un consensus,
mais il y a cette interdiction qui cause des frictions
et deux points de vue, deux points de vue qui se confrontent. Donc, dans un
premier temps, quel est l'objectif urgent
et réel? Mais c'est une question très pragmatique qui est posée, qu'on vise à
régler en interdisant des signes religieux.
Et
ensuite il y a le test de la proportionnalité, et, le test de la proportionnalité,
je vous dirais que le troisième aspect de
ce test, c'est que les effets préjudiciables de la mesure soient bien, comment
dire… ne soient pas excessifs. Et c'est là que vraiment souvent, le test, les gouvernements peuvent avoir de la
difficulté à passer cet élément du test. Je vous dis ça parce que… Et on
pourra ensuite parler de : Est-ce que ça prend une clause dérogatoire en
prévention?
M. Monière (Denis) : Là, vous parlez, j'imagine, là, du test vis-à-vis la Cour suprême.
C'est bien ça que vous avez en tête?
Mme Weil :
Qui est appliqué, oui, par les tribunaux.
M. Monière (Denis) : Oui, oui, d'accord. Bien, écoutez, il y a deux réponses à cela. Il y a
celle de M. Tassé qui dit qu'il
n'y a pas de problème, il y a le fait qu'il y a des juges de la Cour suprême
qui ont dit que le projet de loi était parfait,
et l'autre question,
c'est que, pour nous, la Cour suprême n'a aucune légitimité pour définir le projet de
société au Québec.
C'est aux Québécois de décider de leur avenir, c'est aux Québécois
de faire leurs choix de société. Je me rappelle encore Robert Bourassa, en 1991, qui nous a fait cette magnifique
phrase, hein? Donc, la Cour suprême, elle fera bien ce qu'elle voudra, mais l'Assemblée
nationale et le peuple québécois
n'ont pas à se soumettre à un tribunal étranger qui a été adopté sans notre consentement. Alors, la question
de l'urgence, c'est assez urgent dans
la mesure où ça fait un siècle
et demi qu'on attend, depuis 1838.
Mme
Weil : Deuxième question.
Il y a beaucoup d'intervenants qui sont venus qui sont d'accord
avec votre point de vue, hein,
on a vraiment les deux points de vue, mais ils sont très réfractaires à aller
de l'avant s'il n'y a pas soit l'unanimité ou un consensus fort, parce que
vous voyez la réaction. Je pense que vous ne pouvez pas être insensibles à la réaction de ceux qui sont contre, on le voit. Il y a beaucoup
de groupes qui vont venir, Michel Seymour est venu nous dire… et ce point de vue est très fort,
surtout les institutions, le
domaine de la santé, les institutions universitaires, bon, etc. Donc, ce qu'eux, ils disent, il
y a certains qui disent : Allez
avec ce qui fait consensus, pour le
reste ça prend des débats, il ne
faudrait pas y aller aussi rapidement, il faudrait donner le temps de vraiment
bien débattre ces questions pour que les
gens puissent bien saisir, mais que c'est brutal — c'est le mot qui a été utilisé, je pense, ce
matin — que
c'est rapide, que c'est inattendu. On
change les façons de faire parce que depuis toujours la diversité s'est
exprimée par le port de signes religieux,
mais tout le monde a compris que ce n'était pas du prosélytisme, que l'État et
les religions sont bien séparés. D'ailleurs,
c'est toujours ce que j'ai appris, même en tant que ministre de la Justice ici,
au gouvernement du Québec, qu'on pouvait
bien dire que de facto la neutralité existe, et jamais le port de signes
religieux n'a été perçu comme du prosélytisme ou mettant en péril le
caractère neutre de l'État québécois. Donc, c'est nouveau, cette idée que…
Qu'est-ce
que vous dites sur cette question d'avoir plus de consensus pour éviter une
fracture, pour éviter ce qu'on voit actuellement se manifester?
M. Laplante (Robert) : Deux éléments. D'abord, vivre, c'est choisir,
premièrement. Alors, qui choisit exclut, qui exclut choisit
nécessairement.
Deuxièmement, le
débat démocratique, par définition, repose sur la division des opinions, alors
il n'y a rien d'étonnant à constater que les
gens ne soient pas d'accord, mais la règle n° 2, c'est qu'une fois
qu'une loi est adoptée on s'y rallie,
parce que nous sommes dans un État de droit et nous fonctionnons en respectant
la loi. Donc, c'est, il me semble, essentiel
de rappeler cet élément. On a entendu, ces derniers jours, des déclarations
particulièrement inquiétantes de la part
de personnes qui prétendent qu'elles peuvent, elles, décider qu'on ne va pas
respecter la loi. Ce n'est pas comme ça qu'une société démocratique fonctionne et c'est inacceptable. Et ces
propos-là sont pas mal plus dérangeants pour l'ordre public que les
excès de langage des impolis et des grossiers.
D'autre
part, il faut justement bien prendre note que, puisqu'il n'y a pas de crise
imminente — là-dessus
tout le monde s'entend — c'est l'occasion de faire une discussion de
fond sur les principes, parce que c'est fondamentalement cette approche qui va nous permettre d'établir les
règles que tout le monde pourra comprendre. Et là il y a là-dedans, et il
faut le reconnaître, une différence de philosophies juridiques, c'est l'esprit
cartésien du Code civil qui prévaut sur l'approche
pragmatique et empiriste de la common law. Et là nous voulons des principes
clairs, nous n'attendrons pas au cas
par cas que les tribunaux nous orientent. D'autant plus que nous sommes dans un
régime à double légitimité, on va arriver dans quelque chose qui sera
véritablement le capharnaüm.
Donc, c'est
sûr que l'adoption d'une loi change des choses, c'est pour ça que nous avons
une Assemblée. C'est sûr également que, l'adoption d'une loi, c'est extrêmement rare qu'elle fasse
l'unanimité, mais notre règle démocratique, c'est qu'une loi adoptée dûment par l'Assemblée nationale
mérite le respect et doit être respectée par tout le monde, y compris par ceux
qui l'ont combattue.
• (17 h 40) •
Le Président (M. Ferland) :
Alors, la députée de Bourassa-Sauvé.
Mme
de Santis :
Merci, M. le Président. Merci, M. Monière et M. Laplante.
J'aimerais revenir aux signes religieux à l'Assemblée nationale. Est-ce que
vous considérez ce salon rouge partie de l'Assemblée nationale? Je vous
pose la question. Oui?
Une voix : Bien
sûr.
Mme
de Santis :
Il y a un médaillon là-haut qui dit Dieu et mon Droit. Est-ce que,
d'après vous, cela ne devrait pas être là?
M. Monière (Denis) : …ça ne devrait pas être là, mais c'est inscrit dans le patrimoine
culturel, c'est là, et donc on n'est
pas pour renier l'histoire parce
qu'on évolue, parce qu'on progresse et parce qu'on se modernise. Alors, c'est là et ça va
rester là, j'imagine. Ce n'est pas un mobilier qu'on peut déplacer, donc… Le
crucifix, ça, ça peut être déplacé facilement. Vous pourriez étendre votre question. Pourquoi
il y a des croix sur la devanture du parlement, par exemple? Il y a
plein de symboles religieux, effectivement, qui sont dans notre paysage, mais c'est un
produit de l'histoire, et ce n'est
pas nous, de la Ligue d'action nationale, qui allons dire qu'il faut éliminer
le passé. Au contraire, le passé doit nous guider vers l'avenir, que
voulez-vous, c'est notre héritage commun à nous.
Mme de Santis :
O.K. Alors, vous avez répondu à ma question.
M. Monière
(Denis) : Donc, on ne peut pas abolir ce qu'on a vécu pendant des
siècles.
Mme
de Santis :
Vous avez dans votre mémoire… Je cite, vous écrivez : «En conséquence, nous approuvons l'interdiction
du port des signes religieux dans la fonction
publique parce que
les symboles religieux divisent, font étalage de la différence, du fossé qui sépare des autres», etc. Quand vous
faites cette déclaration, est-ce
que vous parlez de tout signe
religieux ou, comme fait le ministre, lui, il parle de signes religieux
ostentatoires?
M. Monière
(Denis) : Donc, bien sûr, c'est les signes religieux ostentatoires, bien
sûr. C'est...
Mme
de Santis :
O.K. Alors, je veux revenir à une question qu'on pose à plusieurs
groupes, on parle de l'égalité femmes-hommes : Qu'est-ce qu'on fait
avec les barbes? Qu'est-ce qu'on fait...
M. Monière
(Denis) : Les quoi? Les barbes?
Mme
de Santis :
Les barbes, oui, parce que, pour certaines personnes, la barbe, la façon que
c'est... ce n'est pas une barbe comme
la vôtre, mais c'est une barbe qui est constatée comme étant un signe religieux
et c'est très ostentatoire. Qu'est-ce
qu'on va faire avec les cheveux d'un
sikh qui sont cachés dans son turban? Si on lui demande d'enlever son turban, qu'est-ce
qu'on fait avec ses cheveux? Est-ce qu'on va lui demander de se mettre comme M. Duceppe… Parce que, s'il travaille à l'hôpital, il
faut que... O.K., ça n'a aucun bon sens.
Une voix :
Il mettra un bonnet.
Des voix :
Ha, ha, ha!
Mme
de Santis :
Je m'excuse, M. Duceppe, vous êtes très bien. Je n'ai pas dit ça
pour l'offenser du tout, sauf que c'est une image que nous avons.
Alors, qu'est-ce
qu'on fait avec l'égalité hommes-femmes? Et on me dit ça, et ça, ça va.
M. Monière (Denis) : Bien, à mon avis, écoutez, on ne fait rien, on ne fait rien, parce qu'on a déjà eu l'expérience dans
le passé, vous avez peut-être vécu la contre-culture des années 70, 80 où
les gens portaient des barbes et des cheveux longs, et puis je pense que j'en ai vu dans la fonction publique, j'en ai vu en représentation diplomatique à Paris, des gens avec des cheveux très, très longs sur les
épaules. Donc, la pilosité n'est pas un critère qui devrait automatiquement être conçu comme représentation religieuse.
Mme
de Santis : Mais, quand ce l'est... Un foulard,
moi, je peux venir ici porter un foulard parce que je suis à la mode, je me rappelle quand la femme d'un premier
ministre de la Colombie-Britannique portait un «band» autour de sa tête,
mais, pour d'autres personnes, si j'étais
musulmane, ce foulard ne représente pas la même chose. Donc, votre barbe ne
représente pas la même chose que pour une
autre personne où ça représente quelque chose de religieux et c'est très
ostentatoire.
M.
Laplante (Robert) : Vous
avez dans cette série d'anecdotes là une très, très belle illustration de la
manière dont on peut noyer un débat de principe. Le mieux est l'ennemi
du bien. On peut toujours trouver des exemples de ce type-là pour montrer que
le système n'est pas parfait, que les règles peuvent toujours connaître des
exceptions.
Mais imaginez le contraire. Imaginez que, comme le
soutiennent beaucoup d'adversaires de cette proposition, l'État commence à accepter un certain nombre de signes religieux puis
pas d'autres et qu'il commence à les accepter à tel niveau dans l'organigramme mais pas dans l'autre. Ça
pourrait très bien arriver, j'ai entendu des gens le proposer. Soyons
pratiques. Cette même personne assujettie au
droit du travail et aux règles de la convention collective, qui pourra postuler
pour un autre emploi pour lequel cette
fois-là le signe n'est pas autorisé, va se retrouver dans quel genre de situation?
On va se retrouver avec quel type de grief? Vous voyez, ça devient le
capharnaüm absolu. C'est la raison pour laquelle il vaut mieux avoir une
règle simple et claire qui prévoit la très grande majorité des cas.
Mais je peux vous dire en toute certitude qu'il
va toujours y avoir des exceptions, mais le fait de l'exception, justement,
doit confirmer la règle. On apprenait ça en grammaire. Je ne sais pas s'ils l'enseignent encore dans les écoles, mais moi, j'ai appris ça : L'exception
confirme la règle. Alors, il n'y aura
pas de système parfait, c'est sûr, mais on pourra toujours trouver chez
les rastafaris un autre exemple qui va donner une autre signification à la
chevelure, on peut multiplier à l'infini ces anecdotes-là, mais ça ne doit pas
servir à obscurcir la compréhension générale des principes.
Mme de Santis :
J'aurais d'autres questions, mais on n'a pas assez de temps. Je vais laisser la
parole à mon collègue.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, le député de Lotbinière-Frontenac. Il reste environ deux minutes, M. le député.
M.
Lessard : Oui, O.K.,
donc de façon courte. Merci beaucoup de la présentation, vous avez l'air à bien connaître votre
sujet.
Le ministre,
tout à l'heure, a fait référence qu'il serait capable, comme
Robert Bourassa, de faire par règlement
la définition de ce que sont les signes
ostentatoires. Il en a fait la démonstration, que c'est par règlement qu'il va
le faire. Donc, il faisait suite qu'il devra le faire.
Lui, il
dit : Je vais relever le défi. Vous, vous semblez dire : Casse-toi
pas la tête avec ça, enlève tout ça, tu ne seras pas capable de définir le gros, le petit, qu'est-ce qui est
l'adaptation d'un hidjab, d'un... etc. Est-ce que c'est bien ça, votre
pensée?
M.
Laplante (Robert) : Non. Ce
que je dis, c'est qu'il faut avoir la formulation la plus générale possible,
celle qui couvre le plus grand nombre
de cas, étant entendu qu'il y aura toujours quelqu'un pour soulever des
exceptions, et c'est pour ça qu'on a un règlement, à ce moment-là.
M.
Lessard :
O.K. Deuxièmement, vous ne trouvez pas qu'il va trop loin quand il l'étend à
tout le monde, incluant ceux qui font affaire avec l'État? Exemple, je vous
donne un exemple : un office municipal d'habitation qui est subventionné
par l'État, donc, à Montréal, devra se
soumettre à ça. Le groupe des ressources techniques qui monte des plans et
devis pour monter des programmes de
logement communautaire, parce qu'il est subventionné par l'État, devra se
soumettre à ça. Donc, vous ne trouvez
pas que le ministre en peinture très, très, très large dans sa définition de
rendre un État neutre selon sa définition de la neutralité?
M. Monière (Denis) : C'est parce que
cette logique-là empêche toute discrimination puisqu'elle établit un principe
d'égalité absolue entre tous les employés de la fonction publique. Autrement,
si je suis votre raisonnement, il y en a qui
auront le droit de porter des signes ostentatoires puis d'autres qui n'auront
pas le droit. On aurait donc un mécanisme à géométrie variable. Ça veut
donc dire que tous les individus ne seront pas soumis aux mêmes règles.
Écoutez,
moi, je... Écoutez, il y a une autre solution au problème : on autorise
tous les signes, religieux, politiques, etc...
Le
Président (M. Ferland) : Merci, M. Monière. Je dois
maintenant passer la parole à un autre parti qui a des questions à vous
poser également. Alors, je cède la parole à la députée de Montarville.
Mme Roy
(Montarville) : Merci, M. le Président. Vous piquez ma
curiosité. Bonjour, messieurs. Merci pour votre mémoire. Vous dites qu'il y a une autre solution, j'aimerais
entendre la suite de ce que vous disiez. Il y a une autre
solution : accepter tous les signes religieux et...
M. Monière
(Denis) : C'est une
réflexion par l'absurde. C'est que, si on se met à faire de la géométrie
variable, pourquoi… Nous, on cherche
la simplicité des choses. Pourquoi, à ce moment-là, ne pas autoriser tous les
signes ostentatoires, politiques, le niqab, la croix gammée, et l'État
ne règle rien, hein? D'accord?
Mme Roy
(Montarville) : O.K., c'est... Ah! Parfait. Je m'attendais à
une solution, accommodements ou autres.
M. Monière
(Denis) : Je ne préconise
pas ça, mais je dis qu'en toute logique on pourrait envisager ce scénario.
• (17 h 50) •
Mme Roy
(Montarville) : D'accord.
C'était une logique par l'absurde, c'est beau. Excusez-moi, j'ai un temps
tellement court.
Vous dites
dans votre mémoire : «Le titre du projet de loi n° 60
est mauvais parce qu'il est trop long et inapproprié. Il se veut descriptif du contenu essentiel. Or,
[ce n'est pas le cas]. [...]Nous proposons donc de remplacer le titre long et
non pertinent par celui-ci :
Charte de la laïcité québécoise.» Je
suis tout à fait d'accord avec vous. D'ailleurs, nous avons déposé un projet de loi qui s'appelait simplement
charte de la laïcité. C'est ce qu'on dit, c'est l'esprit de la loi.
Vous nous expliquez dans
votre mémoire que l'esprit de la loi, c'est effectivement la laïcité de l'État,
des employés de l'État.
Alors, j'aimerais que vous me disiez ce que vous pensez de l'article 10
qui, lui, étend à laïcité aux entreprises privées qui feront affaire
avec l'État, si vous vous êtes posé cette question-là, parce qu'on extensionne lorsqu'il y aura des contrats de services entre
l'État et une société ou un particulier. Donc, on parle ici du service… du
domaine privé, pardon, on extensionne
l'application de la charte et des restrictions de port de signe religieux avec
ces sous-contractants. Donc là, on est rendu dans le secteur privé.
Alors, trouvez-vous qu'on s'éloigne de l'objet et de l'esprit de la loi?
M.
Laplante (Robert) : Non, on
ne s'éloigne pas dans la mesure où précisément on parle des relations de l'État
avec ses fournisseurs, ses partenaires, ses
sous-traitants. C'est une règle importante. Le cas des garderies, là, est assez
patent. On ne peut pas tolérer que des CPE,
que des gardes en milieu familial puissent se mettre à multiplier les critères
de prestation de services en fonction des croyances religieuses ou en fonction,
on pourrait même dire, des croyances politiques.
Mais c'est important, là où les fonds publics sont au service de l'intérêt
public, que les règles… qu'il y ait une continuité dans l'application des
règles.
Mme Roy
(Montarville) : Mais vous êtes d'accord avec moi que ces
gens-là qui sont dans ces entreprises privées là ne sont pas des
employés de l'État?
M. Laplante (Robert) : Ils ne sont pas des employés de l'État, mais ils
sont payés par des fonds publics en partie. Alors, quand l'État consacre l'argent des contribuables à une entente de
prestation de services, et que cette portion-là du financement de l'État
soit variable ou pas, ça ne change rien, les fonds publics doivent servir les
objectifs de l'intérêt public, et il n'y a
pas de zone, il n'y a pas de latitude et d'arbitrage possible du privé sur le
fonctionnement, et ça, c'est très
important. Ça vaut dans l'application des critères de fonctionnement comme ça
vaut dans la définition des autres types de relation de l'État avec ses
partenaires. Quand l'État subventionne une entreprise, il pose ses conditions,
il y a des exigences. L'entreprise ne peut pas dire, une fois que la subvention est encaissée : Je
fais ce que je veux avec, ça ne marche pas comme ça. C'est la même chose
dans ce cas-ci, le corpus de règles doit…
Le
Président (M. Ferland) : Alors, sur ce, M. Laplante, je
dois aller du côté du député de Blainville.
M. Ratthé : Bonjour, messieurs, M. Laberge et
M. Monière. Vous nous proposez huit amendements. Moi, je me
suis attardé un peu au huitième, que vous
avez nommé plutôt H parce qu'ils sont en lettres, et je suis quand même
étonné de voir ce que vous nous
proposez, parce que déjà il y a des municipalités qui nous ont dit qu'elles n'allaient pas se
conformer, hein, à la loi. Il y a
des maires… Le maire de Montréal, entre
autres, a dit qu'on n'avait pas à lui
imposer des choix que l'on devait
faire pour la ville de Montréal. Et vous nous proposez d'ajouter, en plus de tout
le personnel de l'Assemblée
nationale, là, qu'ils soient ministres… d'ajouter les maires et les présidents
de commission scolaire.
Alors, je voudrais vous entendre là-dessus.
Est-ce qu'il y a seulement les maires? Est-ce qu'après ça on étend ça
aux conseils municipaux? Alors, est-ce que
le maire, lui, ne porte pas de signe ostentatoire puis les conseillers municipaux en portent comme ils veulent? Si déjà les maires nous
disent : Non, non, non, il n'en est pas question… Il y avait un groupe
hier qui nous disait : Écoutez,
vous devriez laisser aux municipalités le choix d'appliquer cette charte-là ou pas.
Sous le principe que c'est un autre
palier de gouvernement, il faudrait leur laisser un petit peu de latitude, ils connaissent mieux leur environnement. On ne peut pas faire du mur-à-mur entre
Saguenay, je ne sais pas, moi, Percé et Montréal. Alors là, vous nous dites : On y va avec les maires
puis les présidents de commission
scolaire, alors je voulais avoir un
peu votre pensée là-dessus, votre…
M. Monière (Denis) : Bien, la pensée est toujours
la même : la cohérence. Les municipalités sont des créations de l'État et donc
elles doivent suivre les mêmes règles que l'État, ce n'est pas plus compliqué
de ça. La continuité de l'application des
règles, c'est ça qui fait la cohérence d'une société. C'est notre objectif,
la cohérence de notre société.
M.
Laplante (Robert) : Le respect des lois ne peut pas être
discrétionnaire. Qu'il s'agisse d'une commission scolaire, d'une université,
d'un hôpital ou d'une municipalité, ce n'est pas vrai qu'on va suivre à la carte les
lois, il n'y a pas de société qui puisse fonctionner comme ça. Et, quand une société
fonctionne comme ça, ce n'est plus un État de droit.
M. Ratthé : Je vous suis dans votre raisonnement. Alors,
pourquoi ne l'appliquer qu'aux maires et non pas aux conseillers municipaux? Ici, on pourrait
dire : Bien, écoutez, on va l'appliquer au premier ministre et aux ministres, puis les
autres députés ne le feront pas.
J'essaie de comprendre pourquoi vous n'avez pas inclus, entre autres, les
conseillers municipaux.
M. Monière (Denis) : Peut-être qu'on
n'a pas été trop attentifs puis on a oublié.
M. Ratthé : Mais, dans votre
esprit, je pense que ça…
M. Monière (Denis) : Bien, dans
notre esprit, c'est les villes, c'est les villes.
M. Ratthé : C'est tout le
monde?
M.
Monière (Denis) : Ça s'applique à tout le monde, oui.
M.
Ratthé : Donc, le
personnel et autant les dirigeants, avec la même logique que vous nous avez
démontrée pour ce qui est de l'Assemblée nationale.
M. Monière
(Denis) : Tout à fait ça.
M. Ratthé :
J'ai encore un peu de temps, M. le Président, ou…
Le
Président (M. Ferland) : Il reste 1 min 20 s, là. Disons une minute, tiens, parce que
le temps de vous interpeller, ça va prendre 20 secondes.
M.
Ratthé : Oui. À un
endroit dans votre mémoire, vous nous dites… en fait vous faites le lien entre
l'intégration de l'immigration et cette loi sur la laïcité, alors que
d'autres personnes sont venues nous dire : Au contraire… J'avais deux personnes hier, une personne qui
disait : Moi, j'enseigne le français aux immigrants et je peux déjà
vous dire que je donne beaucoup moins de cours, il y a moins de monde
qui s'en viennent, puis, si vous adoptez cette loi-là, ils ne viendront plus.
Et vous, vous nous dites l'inverse, vous dites : Non, non, écoutez, ça va
venir faciliter l'immigration.
M. Monière
(Denis) : On est toujours dans l'anecdotique. Moi aussi, je peux en
ajouter. Moi, ma femme est immigrante, je
vis plus avec les immigrants qu'avec les Québécois, et je peux vous
dire que cette loi-là les réjouit, ceux qui fréquentent ma famille, parce
qu'ils disent : Enfin, on sait où le Québec loge.
M. Ratthé :
C'est clair. C'est net, précis.
M. Laplante
(Robert) : Mais il faut ajouter que ce n'est pas qu'une affaire
d'immigration, là. La laïcité concerne
l'ensemble des citoyens, qu'ils soient nés sur le territoire hier ou qu'ils
arrivent sur le prochain vol. Ça, c'est extrêmement important. Alors, c'est sûr que c'est plus sensible dans la
question de l'intégration des immigrants parce que le processus est plus explicite, O.K., il est plus évident, mais
tous les enfants qui naissent dans une société sont pris en charge par
les institutions, et le modèle d'intégration doit être le même pour tout le
monde. Ce n'est pas une affaire d'immigration. Mais historiquement et
sociologiquement, on le sait par ailleurs, la diversité…
Le
Président (M. Ferland) : Alors, sur ce, nous allons émigrer
vers la députée de Gouin. Allez. Le dernier bloc, s'il vous plaît, Mme
la députée.
Mme
David : Oui, merci, M. le Président. Bonjour, messieurs.
Écoutez, il me semble qu'il y a des dichotomies qu'on ne devrait pas faire. Le parti que je représente est, évidemment
vous le savez, tout à fait pour la construction d'un État-nation et même d'un État national pour le
Québec. Nous sommes tout à fait d'accord avec l'idée que cet État-nation
doit se construire autour de valeurs
communes, mais d'ailleurs je pense qu'il n'y a pas grand-monde ici, dans cette
salle, qui n'est pas d'accord avec
cette idée-là. Parmi les valeurs communes que nous partageons au Québec, il y
en a un certain nombre, il y en a qui
ne sont pas souvent mentionnées ici, mais la solidarité sociale en est une, le
respect de l'environnement, l'égalité
entre les hommes et les femmes et la laïcité de l'État et des institutions
publiques. Pour moi, il ne fait aucun doute que ces principes sont
largement partagés. Ce qui veut dire que ça n'explique pas tout, de dire :
Il y en a peut-être qui croient à la
construction de l'État-nation et d'autres qui n'y croient pas, pour expliquer
le débat que nous avons. C'est peut-être que nous n'avons pas la même
façon de percevoir qu'est-ce qui est structurant dans la construction de
l'État-nation.
Et la question que je
veux vous poser, c'est : Si on veut avancer dans la voie de la laïcité de
l'État et de ses institutions, pourquoi
est-ce qu'on met toutes nos énergies… Je sens qu'on va mettre énormément
d'heures et d'énergies à discuter de
port des signes religieux non seulement dans la fonction publique, mais dans
l'ensemble des services publics et
même de certaines entreprises privées, alors que nous pourrions tout à fait
être en train de discuter de financement des écoles privées religieuses et des exemptions de taxes accordées par
l'État. Pourquoi est-ce que cet objet, là, le port des signes religieux,
à votre avis, est-il si central? Je me pose encore la question, sincèrement.
M. Monière (Denis) : Bien, il est central parce qu'on ne maîtrise pas le destin collectif,
que c'est une cour étrangère qui gère
nos valeurs et qu'il faut mettre les choses clairement au Québec, définir notre
projet de société et les valeurs qui l'orientent,
ce projet de société. Actuellement, notre projet de société est contrôlé par
des acteurs externes, et je parle de la Cour suprême, je parle évidemment du Parlement fédéral et je parle aussi
du système des médias. Je ne veux pas lancer le débat là-dessus, mais ça aussi, c'est un acteur important à la
construction d'une identité nationale. Et donc il faut que le Québec se définisse par lui-même et non pas en
fonction des attentes ou des préjugés des autres, et c'est pour ça que le
débat est important.
• (18 heures) •
Mme
David : On est d'accord
là-dessus. Évidemment, on est d'accord là-dessus, il n'y
a aucun problème,
et il faut le faire, ce débat sur la laïcité.
Mais je m'explique mal que, depuis six mois, en fait, ce débat sur la laïcité
porte sur une question : le port ou le non-port de signes
religieux. Et particulièrement le voile, il faut le nommer.
Le
Président (M. Ferland) : Et, sur ce, Mme la députée de Gouin,
malheureusement, je dois mettre fin à cette période, parce que l'heure étant… nous devons la respecter. Alors, je
vous remercie, M. Monière et M. Laplante, pour votre
présentation.
Et, sur ce,
je lève maintenant la séance, et la commission ajourne ses travaux au jeudi
16 janvier, à 9 h 30. Alors, bonne fin de soirée.
(Fin de la séance à 18 h 1)