(Dix heures cinq minutes)
Le
Président (M. Ferland) : Alors, à l'ordre, s'il vous
plaît! Je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la
salle de bien vouloir fermer la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
La commission se réunit afin de procéder à l'interpellation
du député de Fabre au ministre de la Justice sur le sujet suivant : Le refus du gouvernement péquiste de rendre publics
tous les avis juridiques concernant les orientations gouvernementales
sur son projet de charte des valeurs québécoises.
Mme la secrétaire, y a-t-il des remplacements?
La Secrétaire : Oui, M. le
Président. Mme Roy (Montarville) remplace M. Duchesneau (Saint-Jérôme).
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci. Je vous rappelle brièvement le déroulement de l'interpellation.
Dans un premier temps, l'interpellateur, le
député de Fabre, aura un temps de parole de 10 minutes, suivi de M. le ministre pour également 10 minutes. Par la
suite, des périodes de cinq minutes seront allouées selon la séquence suivante : d'abord, un député de l'opposition
officielle, ensuite le ministre, puis un député du groupe formant le
gouvernement, et ainsi de suite.
Toutefois, je comprends qu'il y a une entente à l'effet que la députée du
deuxième groupe d'opposition entreprendra,
lors de la troisième et sixième série d'interventions... interviendra,
c'est-à-dire, excusez, lors de la troisième et sixième série d'interventions.
20 minutes avant midi, j'accorderai 10 minutes de conclusion à M. le ministre
et un temps de réplique égal à M. le député de Fabre.
Enfin, je
vous rappelle que le débat ne peut, à moins d'un consentement, dépasser midi.
Alors, ainsi, comme la séance a débuté à 10 h 5, y a-t-il
consentement pour poursuivre nos travaux au-delà de midi, soit jusqu'à
12 h 5?
Des voix : ...
Le Président (M. Ferland) :
Alors, il y a consentement. Sur ce, M. le député de Fabre, vous avez la parole
pour 10 minutes.
Exposé du sujet
M. Gilles Ouimet
M.
Ouimet
(Fabre) : Merci, M. le Président. Alors, bonjour à tous. On a
eu l'occasion de se voir quand même pas mal cette semaine, la Commission des institutions étant une commission
très dynamique, et je suis heureux ce matin qu'on ait l'occasion de se
pencher sur ce qui est, à mon point de vue, un aspect important du débat qui
occupe la société québécoise depuis quelques mois déjà, c'est-à-dire la
consultation sur un éventuel projet de charte des valeurs du gouvernement
péquiste.
C'est
important, je pense, M. le Président, de rappeler le contexte dans lequel
l'interpellation de ce matin a lieu, et cette interpellation qui vise... ce n'est pas le débat sur la charte des
valeurs ce matin, c'est le principe de
la transparence dont se vante le gouvernement du Québec, le gouvernement
péquiste. Et la raison de
l'interpellation de ce matin, c'est que ce qu'on demande au gouvernement, c'est de faire preuve de... de jouer franc jeu,
et de divulguer tous les avis juridiques, et de ne pas jouer à la
cachette ou de faire des choix dans ce qu'on choisit de divulguer à ce
chapitre.
Ceci dit, je
pense qu'il est important de rappeler comme toile de fond que cette consultation de projet de charte des
valeurs soulève de nombreuses questions. Mais il y a des aspects de cette
charte qui comportent des aspects qui font consensus dans l'ensemble de la société
québécoise, et je pense que c'est
important de le rappeler parce que nous, on l'a clairement indiqué. Par
exemple, la question de baliser l'exercice des accommodements raisonnables, tout
le monde s'entend là-dessus.
L'égalité entre les hommes et les femmes comme principe fondamental dans notre société,
également tout le monde s'entend là-dessus, et il
n'y a pas de débat sur cette idée de
le reconnaître et de le réaffirmer, ce principe
de l'égalité entre hommes et femmes, et aussi que les accommodements
raisonnables ne peuvent pas miner ou nuire à ce principe d'égalité. Également, la neutralité religieuse de l'État,
c'est un autre aspect de ce débat qui fait consensus. Enfin, la notion
de services de l'État, ou auprès de l'État, à visage découvert, c'est également
un aspect qui fait consensus.
Là où il y a
un problème, et c'est la raison du débat de ce matin, c'est la question de
l'interdiction du port des signes religieux ostentatoires, ce qui met en
cause directement, M. le Président, la liberté de religion et qui, selon
certains avis qui ont été rendus publics, porte atteinte à notre Charte des
droits et libertés.
• (10 h 10) •
De notre point de vue, M. le Président, pour l'opposition
officielle, le projet de charte du ministre
des Institutions démocratiques, c'est la mauvaise solution au vrai
problème. Cette charte-là ne s'attaque pas, ne pose aucune vraie solution au vrai problème
qui est celui de l'intégrisme religieux. On en a parlé encore cette semaine, lorsque
le Conseil du statut de la femme a rendu son avis sur les crimes d'honneur, qui
est une manifestation de ce problème de l'intégrisme religieux. Et c'est
à ça qu'il faut s'attaquer. Et le projet de charte des valeurs ne fait rien d'autre
que de proposer un code vestimentaire qui
risque de nuire et de miner la Charte des droits et libertés de la personne,
notre charte, que nous avons adoptée
en 1975. Alors, la question évidemment qui se pose quand on regarde... et il est
intéressant de regarder le déroulement
de ce débat. C'est qu'il y a eu... Le gouvernement a choisi de procéder par une série de fuites
contrôlées. Au départ, on a eu l'article
de Mme Lajoie dans LeJournal
de Montréal, LeJournal de Québec, qui lançait le débat, et ensuite on a eu, le 7 septembre, l'avis de Me Henri Brun,
qui a été mandaté par le gouvernement pour fournir un avis juridique. Et là on a
eu l'occasion de lire cet avis dans... d'apprendre qu'il y avait eu un avis
juridique demandé à Me Henri Brun, un avocat à l'externe, de la part du gouvernement.
On a lu ça dans le journal. Et là ensuite on a eu le document de consultation,
on a eu de nombreuses personnes qui se sont prononcées.
La question de ce matin, M. le Président, ce n'est
pas uniquement une question juridique, ce n'est pas uniquement une question de
débat sur les limites, la portée du secret professionnel. Ce n'est pas ça qui
est le coeur du débat. Ce qui est le coeur
du débat, M. le Président, c'est la transparence, c'est cette idée
que le gouvernement devrait
jouer franc jeu face à la population et présenter l'ensemble des avis qu'ils
ont obtenus, parce que, et c'est la raison de l'interpellation dirigée au ministre
de la Justice, c'est la responsabilité du ministre de la Justice et Procureur
général que d'obtenir ces avis, de les fournir,
ces avis. Et, M. le Président, il y a une chose qu'il est important de rappeler,
c'est que nous avons, au sein de notre État, de
notre administration publique, un contentieux composé de formidables experts
en la matière. Des gens qu'on envoie à la Cour suprême du Canada à toutes les semaines plaider des questions
constitutionnelles sont les juristes de l'État,
des juristes qui sont apolitiques et qui rendent des services exceptionnels à l'État québécois. Le ministre de la Justice
le sait bien, puisqu'il est le directeur, le chef de ce contentieux. Il
travaille quotidiennement avec ces personnes. Et je suis persuadé, M. le
Président, que le ministre a pleine confiance en ses juristes.
Mais la question,
c'est : Pourquoi le gouvernement a-t-il choisi non seulement d'aller à l'extérieur de ce contentieux pour aller chercher un avis — ça, c'est
la première question intéressante qu'on va débattre ce matin — mais
l'autre question intéressante qu'il faut débattre, c'est : Pourquoi le gouvernement
a-t-il choisi de révéler qu'il était allé à l'extérieur chercher cet avis
juridique? Et je suis convaincu que le ministre va nous le dire en long et en
large, va nous rappeler les principes fondamentaux qui entourent la protection du secret
professionnel de l'avocat-client. Et c'est une valeur, c'est une protection constitutionnelle, ça, M. le Président. On
n'a même pas le droit, comme avocat, de révéler qu'on a été consulté,
encore moins de révéler le contenu de l'avis juridique qu'on a donné, à moins
que notre client nous autorise à le faire.
Connaissant la réputation de Me Henri Brun et son expérience, je ne peux
croire, M. le Président, que Me Brun a violé son secret professionnel en
donnant son entrevue au journaliste du Toronto Star, cet avis qui a été…
entrevue qui a été publiée le 7 septembre 2013.
Alors, la
conclusion irrésistible à laquelle on est en droit d'arriver, c'est que le
gouvernement a choisi d'autoriser Me Brun à révéler qu'il avait été
consulté, à révéler le sujet de cette consultation et surtout à révéler le contenu de son avis. Évidemment, et nous l'avons
tous lu, Me Brun qui semblait plutôt favorable, même s'il reconnaissait
les pièges et les défis de la position gouvernementale, semblait soutenir que
cette question était plaidable devant les tribunaux.
Alors, ça faisait évidemment l'affaire du gouvernement. Mais le gouvernement ne
peut pas se cacher derrière le principe fondamental du secret
professionnel dans le débat d'aujourd'hui parce que le gouvernement a choisi d'autoriser
Me Brun à divulguer son avis juridique.
Ce que nous demandons au ministre de la Justice,
c'est de faire la chose honorable en tant que ministre de la Justice et Procureur général, d'exercer ses
fonctions de jurisconsulte du gouvernement mais aussi de l'exercer, tel
que le reconnaît la jurisprudence, avec toute l'indépendance que ça requiert.
Et cette indépendance… et le ministre en avait fait preuve lorsqu'il avait
rappelé à l'ordre la première ministre et ses collègues du Conseil des
ministres lorsque, malheureusement, la première
ministre était intervenue dans les
travaux de la commission Charbonneau. Je vous rappelle, M. le Président, lorsqu'on
avait évoqué, lors des audiences de la commission
Charbonneau, certains incidents
impliquant M. Chevrette, la première ministre avait fait des commentaires et était intervenue
auprès de la commission Charbonneau,
ce que, à juste titre, le ministre de la Justice avait dénoncé, et il l'avait
rappelée à l'ordre.
Alors,
j'implore le ministre de la Justice de faire preuve de la même indépendance, à la
hauteur de son rôle de jurisconsulte et de Procureur général, et de
divulguer à la population du Québec tous les avis juridiques qu'il devait
obtenir sur le projet de charte des valeurs. Et j'en suis convaincu, M. le
Président, qu'il a obtenu ces avis. Alors, nous demandons, au niveau de la transparence dont il se réclame, de ce… gouvernement se réclame, de divulguer tous ces avis juridiques. Merci, M. le
Président.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le député de Fabre. Je cède maintenant la parole à M. le ministre de la Justice
pour un temps de 10 minutes. M. le ministre.
Réponse du ministre
M. Bertrand St-Arnaud
M. St-Arnaud : Oui. Bonjour, M.
le Président. Heureux de vous retrouver à nouveau aujourd'hui. On me permettra de saluer les députés qui
m'accompagnent : la députée de Mirabel, le député de Sherbrooke. Je salue également
la députée qui représente la deuxième opposition, la députée de Montarville, et
finalement, M. le Président, le député qui m'interpelle aujourd'hui, mon ami le
député de Fabre.
Vous savez, M. le Président, l'estime que j'ai pour le député de Fabre, que je connais depuis
plus d'un quart de siècle et qui est
reconnu par tous pour sa compétence en droit. D'ailleurs, j'ai souvent, sur le
coin de mon bureau, M. le Président,
le Code criminel annoté, qui a été écrit par le député de Fabre en
collaboration avec un autre juriste, que nous connaissons bien, le juge Guy Cournoyer. Mais, honnêtement,
ce matin, M. le Président, je ne le reconnais pas. Honnêtement, j'ai beaucoup de difficultés en fait à croire que c'est lui, que c'est le
député de Fabre qui a décidé du sujet d'interpellation de
ce matin. Parce que ce matin le député de Fabre m'interpelle, je pense que c'est
bon de lire le sujet de l'interpellation d'aujourd'hui : Le refus du gouvernement péquiste de rendre publics tous les avis
juridiques concernant les orientations gouvernementales sur son projet
de charte des valeurs québécoises.
Le refus du gouvernement
de rendre publics des avis juridiques, voilà le sujet qui nous amène ici ce
matin, M. le Président.
Je
ne peux croire que c'est le député de Fabre qui a choisi ce sujet parce qu'il sait très bien qu'aucun
gouvernement au Québec, au Canada ou
ailleurs à l'étranger, aucun gouvernement ne rend publics ses avis juridiques.
Et les précédents, si on se concentre
sur la situation québécoise, sont, à cet effet, très nombreux parce qu'il est
arrivé souvent que des députés d'opposition, peu importe le parti, demandent
au gouvernement de révéler ses avis juridiques. Mais toujours, et je vous donnerai durant la matinée un certain nombre
d'exemples, M. le Président, toujours, le ministre de la Justice ou la ministre de la Justice, dans certains cas, le ou
la jurisconsulte du gouvernement a toujours eu la même réponse qui est
conforme à la doctrine, qui est conforme à la jurisprudence, qui est conforme à
la coutume : aucun gouvernement, aucun gouvernement ne rend publics les
avis juridiques.
• (10 h 20) •
Alors,
je trouve dommage, M. le Président, que, sur une question très claire comme
celle-ci, le député de Fabre nous interpelle pour un débat de deux
heures. Pour sa première interpellation en matière de justice, depuis qu'on est
ici, dans cette législature, M. le Président, depuis 13 mois et
demi… pour cette première interpellation en matière de justice depuis un
an, le député a choisi cette question pourtant très clairement tranchée quand
on consulte la doctrine, la jurisprudence, la coutume et les nombreux précédents.
Il y aurait pourtant, M. le Président, eu tant
d'enjeux importants en matière de justice à débattre pendant deux heures.
On le sait, on n'a pas souvent des interpellations en matière de justice, c'est
la première, M. le Président, en 13 mois et demi, mais c'est un beau forum pour
justement, pendant deux heures, débattre d'enjeux importants. On aurait pu débattre, M. le Président, d'un enjeu important en
matière de justice : l'accessibilité à la justice, comment notre
système de justice peut être plus accessible,
moins lourd, moins coûteux, plus rapide; enjeu fondamental, M. le Président,
sur lequel on aurait pu débattre. Et je suis sûr qu'avec mes collègues
qui, pour la plupart, sont membres du Barreau on aurait eu un débat intéressant. Et, quand on parle
d'accessibilité à la justice, par exemple, M. le Président, on aurait pu
débattre des seuils d'admissibilité à
l'aide juridique, comment faire en sorte que plus de personnes soient
admissibles à l'aide juridique. Vous
le savez, M. le Président, vous suivez avec attention tout ce qui concerne la
Commission des institutions, j'ai annoncé, il y a une dizaine de jours ou il y a quelques semaines... trois
semaines, j'ai annoncé la plus importante réforme des seuils d'admissibilité
à l'aide juridique depuis 40 ans. Les seuils admissibilité à l'aide juridique,
M. le Président, vont augmenter, le 1er
janvier prochain, de 15,3 % et d'un autre 16 % ou 17 % dans 18
mois pour faire en sorte que, pour la première
fois depuis 20 ans, une personne qui travaille à temps plein au salaire minimum
sera admissible à l'aide juridique gratuite.
500 000 personnes, M. le Président. On aurait pu débattre de ça
aujourd'hui, parce que c'est un des éléments, l'augmentation des seuils
d'admissibilité à l'aide juridique, c'est un des éléments qui fait partie de ce
grand débat sur l'accessibilité à la justice, tout comme on aurait pu débattre
d'un autre sujet fort important : Comment on peut aider et soutenir
davantage les victimes d'actes criminels? Autre
débat important. On a eu l'occasion, M. le Président, d'effleurer cette
question en étudiant des projets de loi, dont le projet de loi
n° 22, mais quel débat important! On aurait pu essayer de travailler
ensemble pendant deux heures pour voir comment on peut aider et soutenir
davantage les victimes d'actes criminels.
On
aurait peut-être pu aussi parler, M. le Président, du processus de nomination
des juges, tel que suivi par l'actuel gouvernement du Parti québécois,
qui est à des années-lumière de celui qui était suivi par l'ancien gouvernement
Charest. Vous vous rappelez, M. le Président,
les fameux post-it, le fameux scandale des post-it, qui a amené
éventuellement une commission d'enquête? Je peux vous dire, M. le Président, on
a changé la façon de faire, sous l'actuel
gouvernement, et on est à des années-lumière de la façon de faire qui a été
suivie pendant la quasi-totalité des neuf années du gouvernement
Charest, du gouvernement libéral.
Alors M. le
Président, je suis déçu. Et je pourrais continuer sur des sujets dont on aurait
pu débattre pendant deux heures. Je suis déçu parce que le député de Fabre sait
très bien que le sujet qu'il amène ce matin est un sujet pointu sur lequel la doctrine, la jurisprudence,
les précédents, la coutume est très claire. Aucun gouvernement ne révèle
les avis juridiques qu'il reçoit, pour différentes raisons, notamment, M. le
Président, pour respecter le caractère sacré, secret des délibérations du
Conseil des ministres et, bien entendu, pour respecter le secret professionnel.
Et,
M. le Président, je tiens à dire une chose. Au cours des dernières semaines, il
est exact que plusieurs médias ont largement fait état de ce qu'on l'on
qualifiait, de ma part, de refus de rendre publics des avis juridiques, mais, je
pense, M. le Président, qu'il
ne faut pas voir là un caprice de ma
part ou encore une volonté, comme je l'ai encore entendu ce matin, une volonté de manquer de transparence, M. le Président. Ce n'est pas de ça du tout dont il est question.
Il ne s'agit pas d'un caprice, là,
ou d'une volonté de manquer de transparence.
Bien au contraire, M. le Président, ce que j'ai fait depuis dans
le dossier précis de la charte des valeurs québécoises, comme je l'ai
fait dans tous les autres dossiers depuis 13 mois et demi, je n'ai fait
qu'assumer les responsabilités qui incombent à mes fonctions de ministre de la
Justice et de Procureur général.
J'aurai
l'occasion, M. le
Président, au cours de la matinée, de
vous expliquer davantage les raisons fondamentales qui expliquent, M.
le Président, pourquoi aucun gouvernement ne révèle les avis juridiques qu'il
reçoit, que ce soit dans
le dossier de la charte des valeurs québécoises ou dans tous les dossiers, tous
les autres dossiers depuis des décennies, et j'aurai l'occasion de
donner des exemples, des exemples, M. le Président, en me référant notamment au
ministre de la Justice libéral Gil Rémillard
ou à la ministre de la Justice du gouvernement du Parti québécois de Lucien
Bouchard Linda Goupil, d'autres exemples. M.
le Président, ce n'est pas un caprice, ce n'est pas manquer de transparence,
c'est respecter nos institutions, c'est assumer les fonctions de ministre de la
Justice, de jurisconsulte du gouvernement, de premier conseiller juridique du
gouvernement. Et il y a des raisons fondamentales pourquoi aucun gouvernement
au Québec, au Canada ou à l'étranger ne révèle ses avis. J'aurai l'occasion d'élaborer
là-dessus. Mais essentiellement, M. le
Président, c'est principalement pour respecter le caractère confidentiel des
délibérations au Conseil des ministres et pour assurer aussi le respect
du secret professionnel.
Or, M. le Président,
j'aurai l'occasion, sur chacun de ces éléments, à la fois le rôle du ministre
de la Justice, pour bien l'expliquer au
député… J'ai bien l'impression, M. le Président, qu'il le sait déjà, mais je
vais lui expliquer parce que ça sera porté à l'attention de tous, de
tous ceux qui nous écoutent, qui peut-être se posent des questions et qui peut-être ont cru le député de Fabre lorsqu'il dit :
C'est un manque de transparence, c'est épouvantable, c'est grave, le
ministre de la Justice fait preuve d'un manque transparence. Je vais expliquer
à tous, à la lumière de la doctrine, de la jurisprudence, des précédents, que
ce n'est pas un caprice de ma part, que ce n'est pas un manque de transparence
du gouvernement. Au contraire, M. le
Président, c'est le respect des principes fondamentaux qui sous-tendent notre
démocratie et qui font en sorte que de tout temps, au Québec, au Canada ou à l'étranger,
aucun gouvernement ne révèle ses avis juridiques, pour toute une série de
raisons.
Et
j'aurai l'occasion, M. le Président, tout au long de la matinée, de vous
expliquer le rôle du jurisconsulte et de vous expliquer pourquoi le jurisconsulte ne révèle pas les avis
juridiques. Ce n'est pas le député de Chambly et ministre de la Justice
actuel, c'est le cas de ses 20 prédécesseurs au Québec et de tous ceux qui
occupent la même fonction au Canada et à l'étranger, M. le Président.
Argumentation
Le Président (M.
Ferland) : Alors, merci. Merci, M. le ministre. Nous allons maintenant
entamer la période d'échange. M. le député de Fabre, vous avez la parole pour
un maximum de cinq minutes.
M.
Ouimet (Fabre) : Merci, M. le Président. M. le Président, je suis un peu déçu. Quand j'écoute le ministre de la Justice nous dire que le
débat de ce matin est sans importance, qu'on avait tellement d'autres sujets
sur lesquels on pouvait débattre, je me faisais la réflexion, je croyais que,
pour le gouvernement du Parti québécois, la charte des valeurs était importante. Et, à voir l'énergie que son collègue le
ministre des Institutions démocratiques y consacre, et tous les débats,
et tout ce qu'on lit, je pense que c'est un débat qui est très important pour
la population du Québec.
Ceci
dit, quant aux nombreuses questions en matière de justice, à mon point de vue,
ce n'est pas un sujet de débat parce que nos travaux en commission
parlementaire, en Commission des institutions, démontrent à quel point nous travaillons en collaboration pour faire avancer le monde de la justice. Et je
ne voudrais pas prendre du temps d'interpellation pour susciter des débats là où il n'y en a pas. Nous travaillons tous pour l'accès à la justice et, je le réitère,
M. le Président, au ministre
de la Justice, nous allons continuer à le faire comme nous le faisons depuis le
début de la 40e législature.
Ceci dit, je trouve
ça très habile de la part du ministre de faire dévier le débat sur la question
de la protection du secret professionnel.
Mais ce n'est pas ça, l'enjeu. Je vais simplement le rappeler pour le dire clairement, que je partage tout à fait le point de vue du ministre sur la
discussion théorique de la portée du secret professionnel. Le secret professionnel, c'est un droit qui comporte une…
qui est protégé par notre constitution. La Cour suprême l'a répété à
de nombreuses reprises, il faut
protéger de façon quasi absolue le secret professionnel de l'avocat
et du client. Ceci dit, il y a un point très important que les gens doivent
savoir : ce droit est à l'avantage du client, pas de l'avocat. Et aussi
un point très important — et
le ministre de la Justice le sait : le client, la personne qui bénéficie
de l'avis, a le droit de renoncer au privilège,
à la protection du secret professionnel. D'ailleurs, et je référerai à
un article le ministre s'il veut, Me Judith Sauvé, juriste de l'État,
à l'occasion de la 12e Conférence des juristes de l'État, rappelait que même le
gouvernement peut, à l'égard de ces avis juridiques, comme client, renoncer aux
avis.
• (10 h 30) •
Et
c'est ce qui m'amène au coeur du débat de ce matin. Donc, ce n'est pas la
protection. Ce n'est pas son existence, de la protection du secret
professionnel. Ce qui est au coeur du débat de ce matin, c'est le choix du
gouvernement, qui a été fait, de renoncer à
la protection du secret professionnel à l'égard de l'avis de Me Henri Brun,
avis dont nous avons pris
connaissance. On a pris connaissance de l'existence de l'avis juridique de Me
Brun, fourni au gouvernement, dans un article publié dans un journal le
7 septembre dernier.
Vous savez, M. le
Président, même l'existence de la consultation juridique est couverte par le
secret professionnel. Et la seule façon dont
on a pu prendre connaissance du fait que le gouvernement avait mandaté Me
Henri Brun pour travailler sur le projet de charte des valeurs, la seule façon,
c'est que le gouvernement l'a autorisé à le révéler,
à moins que le ministre de la Justice nous dise ce matin que Me Henri Brun a
violé son secret professionnel et évidemment qu'il s'est empressé de
déposer une plainte au Barreau pour dénoncer cette violation grave du rôle de l'avocat, de ce que Me Brun a fait, en plus d'être
une violation contractuelle, et donc que le Procureur général s'est
empressé de poursuivre Me Brun, ce que
personne ne croirait ce matin, M. le Président, parce que la réalité, c'est que
le gouvernement a autorisé Me Brun à parler aux journalistes. Le
gouvernement a autorisé Me Brun à révéler qu'il avait été consulté, qu'il avait
été consulté sur un projet de charte des valeurs. Et on apprend que ça a été
même au mois de mars, avril qu'il a aidé le Parti québécois à rédiger ce projet
de loi controversé. C'est ce que le journal du Toronto Star nous dit
dans son édition du 7 septembre 2013.
Alors,
la question, M. le Président, c'est : Le gouvernement ayant choisi de
renoncer au privilège dont il bénéficiait à l'égard de l'avis de Me Brun, ce qu'on demande au gouvernement, c'est
de jouer franc jeu et de faire la même chose à l'égard des avis
juridiques que le ministre de la Justice a sûrement, sûrement. Parce que je
sais qu'il fait son travail comme… il prend son travail au sérieux… de
Procureur général. Il a tenté d'obtenir des avis des juristes de l'État.
Ce qu'on
demande, c'est de jouer franc jeu et de divulguer également ces avis
juridiques. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci, M. le député. Je cède maintenant la parole à M. le ministre. La
parole est à vous.
M.
St-Arnaud : …M. le Président. Alors, M. le Président, je le
répète, il ne faut pas voir dans ce refus de ma part de rendre publics
tous les avis juridiques, tel que demandé par le sujet de l'interpellation, il
ne faut pas voir là un caprice ni un manque de transparence. Au contraire, M.
le Président, comme je vous le disais tantôt, au cours des dernières semaines,
en disant que nous ne rendrions pas publics les avis juridiques, je n'ai fait
qu'assumer les responsabilités qui incombent à mes fonctions de ministre de la
Justice, de Procureur général.
Et, M. le
Président, il peut être intéressant pour les gens qui nous écoutent de rappeler
qu'au Québec les dimensions du rôle de ministre de la Justice et de
Procureur général sont multiples. Conformément à la Loi sur le ministère de la Justice, le ministre de la Justice est d'office le
Procureur général, le notaire général et le registraire du Québec. À
titre de ministre de la Justice, il joue également, et peu de gens le savent,
le rôle de jurisconsulte du gouvernement. Ce rôle de jurisconsulte, c'est un rôle de conseiller juridique, et il est au
coeur, M. le Président, de mes fonctions. À ce titre, je suis appelé à
donner des opinions juridiques, que ce soit verbalement ou, encore, par écrit,
à l'égard de toutes les sphères d'activité
se rapportant à l'administration des affaires publiques, que ce soit au Conseil
exécutif, au Conseil des ministres, ou aux différents ministres du
gouvernement. Pour ce faire — le député y a fait référence — je
suis assisté par des juristes de l'État, des juristes spécialisés qui
conseillent le gouvernement dans ses actions. Et on me permettra de saluer, M. le Président, cette équipe
exceptionnelle, que nous avons, au gouvernement du Québec, de juristes de
l'État. Les conseils juridiques peuvent notamment porter sur les obligations
qui incombent aux différents ministres en vertu des lois qu'ils administrent.
Ils sont également donnés lors de l'élaboration des lois et des règlements.
C'est de
cette façon, M. le Président, que le ministre de la Justice, jurisconsulte du
gouvernement, s'assure du respect de la règle de droit. Pour certains
sujets précis, à l'occasion, nous pouvons également requérir l'opinion de
juristes externes qui possèdent une expertise particulière. Ensemble, nous
voyons à nous assurer de la cohérence des lois et des règlements du Québec.
De façon
générale, M. le Président, je peux vous dire que je reçois des avis juridiques,
chaque semaine, sur de très nombreux sujets. Et, compte tenu de mes
fonctions, M. le Président, visant à guider les différentes actions de l'État, ses décisions et la défense de ses intérêts, il
n'est même pas approprié de vous dire quels sont ces avis ou même si j'en
ai reçu et encore moins sur quels sujets ou par qui. Cela est vrai non
seulement dans le dossier de la charte des valeurs québécoises, mais également dans tous les autres dossiers. Et c'est ce
que je dis, M. le Président, depuis que ce débat de la charte des
valeurs québécoises est dans l'actualité. Je dis la même chose depuis des mois.
Je ne confirme même pas avoir reçu des avis
sur cette question. Je n'ai même pas dit, si tel était le cas, si c'étaient des
avis oraux ou écrits, encore moins par qui et encore moins, si avis il y
a, sur quoi ils portent et quelles sont leurs conclusions. Et, comme je l'ai
dit dans mon introduction, il y a des raisons fondamentales à ça. Et, en ce
sens-là, M. le Président, je m'en tiens aux contours de mes fonctions, qui sont
très clairs.
Et pourquoi je fais ça? Pas par caprice, pas par
caprice, pas par manque de transparence, M. le Président. J'assume mes
responsabilités de ministre
de la Justice, de Procureur général, de jurisconsulte du gouvernement. Et il
y a des raisons fondamentales à ça, je le répète : le caractère
confidentiel des délibérations du Conseil des ministres et le secret professionnel.
Sur le secret
professionnel — je
vois que le temps file, M. le
Président — comme je l'ai mentionné, le ministre de la Justice agit... Je peux peut-être commencer par le secret des délibérations du Conseil des ministres, ce sera plus rapide.
Une voix : …
M. St-Arnaud : Ah! Alors, M.
le Président, on peut amorcer sur le secret professionnel.
Comme je l'ai
mentionné, le ministre de la Justice agit comme l'avocat du gouvernement. Il est essentiel que le gouvernement puisse bénéficier du respect du droit au secret professionnel
au même titre d'ailleurs que toute personne qui a recours aux
services d'un avocat.
Ainsi, pour
jouer pleinement leur rôle, les avocats qui donnent des services
juridiques à l'État doivent exercer ce rôle de manière libre
et en toute franchise. Cela leur permet de donner un avis éclairé et objectif, par
exemple, sur la légalité de l'action gouvernementale ou, encore, sur une question de droit. Si les avis juridiques étaient rendus
publics, les avocats pourraient faire preuve
d'une certaine retenue dans l'expression de leurs opinions. Par exemple, ils pourraient s'abstenir de dévoiler les forces et les
faiblesses de la légalité des actes et des décisions que le gouvernement s'apprête
à prendre. En agissant ainsi, ils ne joueraient pas pleinement leur rôle de
conseillers juridiques.
J'aurai l'occasion, M. le Président, de revenir plus
tard pour bien expliquer les deux raisons fondamentales...
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci. Merci, M. le ministre.
M. St-Arnaud : ...le secret professionnel
et le caractère secret des délibérations du Conseil des ministres.
Le
Président (M. Ferland) : Le temps étant écoulé — merci,
M. le ministre — je
passe maintenant la parole au député de Sherbrooke pour un temps de cinq
minutes.
M.
Cardin :
…M. le Président. C'est avec plaisir que je me retrouve ici ce matin.
C'est ma première
expérience de rencontre comme ça, d'interpellation, et donc je suis, à ce
moment-là, l'égal du député de Fabre. C'est
la première fois et la mienne aussi. Par contre, lui, c'est l'interpellant.
Nous, nous sommes les interpellés. Et
on voit qu'effectivement, comme disait le ministre tantôt, on ne reconnaît plus
le député de Fabre. Vous savez, avec
le temps où depuis on siège ensemble sur la Commission des institutions, j'ai
l'occasion bien sûr de regarder attentivement les gens, les députés et
puis j'ai appris à lire passablement votre langage non verbal, et puis de vous voir ici ce matin, ce n'est pas réellement,
d'après moi, dans votre nature. Mais, quoi qu'il en soit, vous nous avez,
d'entrée de jeu, dit formellement que ce n'est pas le débat sur la charte des
valeurs, mais par contre nous sommes d'accord avec
le fait de baliser avec l'égalité des hommes, des femmes, il y a consensus avec
les accommodements raisonnables, neutralité
de l'État, services à visage découvert. Donc, vous êtes d'accord à une, deux,
trois, quatre, cinq... cinq éléments sur six. Et l'autre, le port des objets ostentatoires, bien là vous
prétendez qu'il va à l'encontre des droits et libertés individuelles
et/ou religieuses. Donc, vous savez qu'au niveau du rôle des conseillers, des
avocats, des comptables le secret professionnel
est un droit fondamental qui peut être demandé par les clients et qui doit
l'être aussi, exigé des clients que chacun
des ordres professionnels peut avoir. Vous savez, M. le député de Fabre, je ne
suis pas avocat. Donc, c'est quand même utile, sur une commission comme
les institutions, d'avoir l'opinion des gens qui ont une certaine distance des
éléments de droit qui sont souvent défendus dans cette commission-là.
Et
donc nous analysons aussi, quand même, avec, j'imagine, un gros bon sens, les situations. Et donc, quand je vous… Quand, M. le Président — excusez-moi, je dois
m'adresser au président — je
vois le député de Fabre qui nous dit : Ce n'est pas le débat sur la charte des valeurs,
mais ce qui est au coeur du débat, c'est la transparence, là j'ai des
doutes. J'ai des doutes et je me dis, M. le Président, qu'il doit confondre avec l'apparence. Ce que je veux dire : Que
l'attention est attirée sur autre chose. Et, compte tenu de la situation,
parce que, comme avocat, j'imagine que souvent toutes les interpellations qu'il peut avoir envers des
clients et/ou des personnes qui seraient poursuivis pour quelque fait que ce soit… il faut avoir plus qu'une
apparence, il faut quand même être certain de ce qui se passe.
Et
donc il demande d'avoir tous les avis, tous les avis qui sont confidentiels, il
demande parce qu'il prétend ou il croit qu'il y a eu une
renonciation.
Donc,
à ce moment-là, je crois que la demande est farfelue. La responsabilité du jurisconsulte ou du Procureur général du Québec, qui a comme
clients, oui, bien sûr différents ministères et/ou en premier lieu la population
du Québec… Donc, dans la préparation des projets
de loi, je vois mal qu'un ministre
de la Justice aille livrer tous les avis qu'il a pour préparer ses lois
et ses règlements. Je ne suis pas comptable… je ne suis pas avocat. Je suis
comptable et j'ai eu aussi des expériences
où évidemment notre Code des professions nous oblige au respect
du secret professionnel. Et c'est
mieux comme ça aussi pour l'ensemble de la population et des clients.
C'est comme si j'avais un plan
d'affaires à faire pour un client et que son principal compétiteur qui est
situé en face me demandait quels sont les avis que j'ai donnés à mon client
parce qu'il a entendu dire que la situation était excellente et puis il
voudrait savoir les éléments.
M. le Président, je
dois m'arrêter là, mon temps est terminé, mais je vais revenir.
• (10 h 40) •
Le
Président (M. Ferland) : Merci, M. le député. Malheureusement,
le temps étant écoulé, je cède maintenant la parole au député de Fabre
pour un temps de cinq minutes. M. le député, la parole est à vous.
M.
Ouimet (Fabre) : Merci, M. le Président. Ah! J'écoutais le
ministre, M. le Président, et, la seule chose qui m'apparaissait
évidente, et je suis convaincu que c'est évident pour tout le monde qui nous
écoute, le ministre nous offre un bel exposé théorique qui est complètement à
côté de la question.
J'ai
noté que, dans toute l'intervention du ministre et même dans l'intervention du
député de Sherbrooke, que je salue ce matin, on n'a pas dit un mot sur
ce qui est au coeur de la question qu'on débat depuis tantôt, c'est le fait que
le gouvernement a autorisé Me Brun à révéler les détails de son contrat, son
avis juridique, qu'il a fourni. Le ministre pourra
bien nous répéter les principes théoriques, les rôles du jurisconsulte,
l'importance du secret professionnel, des avis qu'il doit donner au Conseil des ministres. Et, sur ce point-là, M. le
Président, il n'y en a pas, de débat, il faut absolument préserver cet
aspect, ce rôle-là.
Le problème, M. le
Président, et c'est de ça qu'il est question, le gouvernement a accepté de
révéler le… a libéré Me Brun de son secret
professionnel, et Me Brun… et évidemment l'avis de Me Brun, qui rejoignait la position
gouvernementale, comme on dit, ça s'adonne. Mais, pour tous les autres avis
juridiques, que, je suis convaincu, le ministre a obtenus de la part de ses juristes, les
juristes de l'État… et je vais revenir là-dessus. Je l'ai dit d'entrée de
jeu et je vais le souligner, parce que, quand j'étais bâtonnier du Québec, M.
le Président, il y a eu un conflit. On a connu, malheureusement, un conflit
entre le gouvernement et les juristes de l'État. Et, quand j'étais
bâtonnier, j'ai défendu, j'ai défendu
les juristes de l'État parce que, pour moi, je crois en l'expertise de ces
juristes. Mais, malheureusement, M.
le Président, le ministre nous dit qu'il les salue et il salue leur travail,
mais par son comportement, par l'attitude du gouvernement, on mine l'expertise
des juristes de l'État parce que… et c'est le point sur lequel il faut parler
de la transparence, c'est-à-dire que la population du Québec bénéficie des services des juristes de l'État qui
sont apolitiques. Ces professionnels,
ces spécialistes du droit, puis, plus particulièrement le débat
qu'on a ce matin, les spécialistes du
droit constitutionnel au sein de l'équipe, de la formidable équipe du ministère
de la Justice, ces gens-là font preuve d'un dévouement
à l'égard de l'intérêt public, et il n'y a personne qui doute du fait qu'ils
sont au-dessus de la mêlée politique.
Et c'est la raison pour laquelle il serait très
intéressant que la population ait accès à ce regard apolitique sur ce débat que nous menons, qui nous occupe, à
l'initiative du ministre des Institutions démocratiques, depuis deux
mois.
Mais,
sur cette question-là, M. le Président, et le ministre va avoir l'occasion de
revenir, là, que le ministre lâche le débat
théorique et qu'il nous parle du cas concret qui est devant nous. On n'est pas
en train de dire que, pour le reste des temps, le ministre de la Justice
devra divulguer tous les avis juridiques. Ce n'est pas ça, la question. Le
ministre l'a bien compris, M. le Président,
la question, c'est : Dans le cas qui nous occupe, le gouvernement a obtenu
des avis juridiques, le gouvernement du Québec a choisi de divulguer un
avis juridique, celui de Me Brun, l'avis juridique qui faisait son affaire. Le gouvernement a renoncé au privilège
dont il bénéficie, comme c'est son droit. Ce qu'on demande au gouvernement,
c'est de faire preuve de cette transparence,
de renoncer au privilège des autres avis juridiques ou que le ministre de la
Justice nous dise : Je n'ai pas fait mon travail, je n'ai pas demandé d'avis
juridique, j'ai laissé mon collègue le ministre des Institutions démocratiques
agir à sa guise, et là, à ce moment-là, on va savoir que le ministre de la
Justice n'aura pas fait son travail de jurisconsulte, comme il nous le
rappelle.
Je sais très
bien, M. le Président, que le ministre a à coeur de remplir ses fonctions de
jurisconsulte et n'en laisserait pas passer, comme il n'en a pas laissé
passer quand la première ministre s'est mêlée des travaux de la commission
Charbonneau. Je suis convaincu que le ministre ne laisse pas passer cette
affaire-là. Maintenant, le ministre, à ce moment-là, doit nous expliquer
pourquoi le gouvernement a accepté de libérer Me Brun de son secret
professionnel.
Qu'il lâche le discours théorique, qu'il nous
parle du débat qui nous occupe, à savoir le débat entourant la charte des
valeurs. Merci, M. le Président.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le député. Je cède
maintenant la parole au ministre pour cinq minutes. M. le ministre.
M.
St-Arnaud : Oui, M. le Président. Alors, j'étais rendu à vous
dire que ce n'est pas un caprice, ce n'est pas un manque de transparence, ça s'appuie, M. le
Président, sur les principes fondamentaux de notre démocratie, et c'est
pour ça que tous mes prédécesseurs n'ont
jamais rendu… d'avis juridique. Et mon prédécesseur immédiat, le chef parlementaire de l'opposition officielle, le député
de Saint-Laurent, n'a jamais rendu des avis juridiques. Par
exemple, sur la loi n° 78,
M. le Président, qui a été adoptée, eu égard au conflit
étudiant, la loi spéciale n° 78, il
n'y en a pas eu, de publication
d'avis juridique, et il n'y en a pas eu sur aucun dossier depuis des décennies.
Alors, je
vous le disais, il y a des raisons à ça : le secret professionnel, M. le Président, parce que, comme je l'ai dit, le ministre de la
Justice agit comme l'avocat du gouvernement et, pour jouer son rôle, il
consulte des conseillers juridiques, et ses
avocats donnent des services juridiques et ses avocats doivent donner des
services juridiques de façon
libre et en toute franchise, M. le Président. Cela leur permet de donner un avis éclairé, objectif, avec les pour,
les contre. S'il fallait, M. le Président, que le gouvernement révèle
ces avis juridiques, où on retrouve souvent les pour, les contre, imaginez, M.
le Président, ces avis seraient
rendus publics, et les gens pourraient attaquer le gouvernement, les lois de l'Assemblée
nationale en fonction de l'avis juridique rendu public par le gouvernement et qui révélait
que, oui, il y avait des pour, mais, oui, il y avait des faiblesses,
c'étaient les faiblesses x, y, z, M.
le Président. Les avocats qui donnent
des services juridiques doivent
exercer ce rôle de façon libre, en toute franchise. Ça leur
permet de donner un avis éclairé, objectif, par exemple, sur la légalité
de l'action gouvernementale ou sur une question de droit. Ils font valoir les
différents points de vue, ils font valoir
les différents éléments, et c'est pour ça qu'on ne rend pas ça public, M. le
Président. Sinon, les juristes eux-mêmes
pourraient faire preuve de retenue en disant : Bien là, si c'est pour être
rendu public, là je vais faire attention à ce que j'écris dans mon avis juridique. Et, comme je viens de le dire,
M. le Président, les conseillers pourraient dire aussi, sachant qu'ils travaillent pour le
gouvernement : Bien, je vais faire attention, je vais m'abstenir de
dévoiler les forces et les faiblesses de la légalité des actes et des
décisions que le gouvernement s'apprête à prendre, parce que je travaille pour
le gouvernement, puis là, si je dis qu'il y a des faiblesses à tel ou tel
endroit puis c'est rendu public... Bien, vous voyez le problème, M. le
Président?
• (10 h 50) •
Et ça, ça
s'applique, là, dans tous les dossiers. Je préside le comité de législation, M. le Président. Sur chaque projet de loi, les juristes
sont là pour dire aux membres du comité de législation : Bon, bien, ça, il
y a peut-être un problème là, il faudrait y
voir. S'il fallait que tout ça soit rendu public, M. le Président, je pense qu'à ce moment-là les juristes qui nous font des
conseils s'abstiendraient probablement de dire certaines choses, et, en ce
sens-là, ils ne joueraient pas pleinement leur rôle de conseillers juridiques.
Et, si les autorités gouvernementales n'avaient pas la garantie qu'elles pouvaient consulter les avocats en toute confidentialité, bien elles pourraient choisir de ne plus le faire dans certains
dossiers, et, ce faisant, le ministre de la Justice se trouverait privé d'éléments
essentiels à l'exercice de son rôle de gardien de la règle de droit, que lui a
confié le législateur. Et tout cela irait à l'encontre de l'intérêt public et
du principe du bon gouvernement. Et l'intérêt public ne serait donc pas servi, M. le Président, si le gouvernement s'abstenait de demander des avis juridiques par crainte de les voir rendus
publics. Et je pourrais citer, M. le
Président, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Blank
contre Canada, [2006] 2 RCS 319, qui établit très clairement au paragraphe 26°
ce que je viens de dire sur le secret professionnel.
Et, M. le Président, la deuxième raison, c'est bien
sûr le caractère confidentiel des
délibérations du Conseil des ministres,
parce qu'au-delà de la question du
secret professionnel, M. le Président, il y a aussi le fait qu'à titre de
membre du Conseil des ministres, comme ministre de la Justice, jurisconsulte,
Procureur général, je participe bien sûr aux discussions du conseil. Ces
discussions se font dans un contexte de très grande confidentialité, et cette
garantie de confidentialité des délibérations au sein du Conseil des ministres
est une règle bien établie qui tire son origine du système parlementaire britannique. Alors, M. le
Président, les séances du conseil
sont l'occasion pour les membres de discuter de tout sujet
d'intérêt pour le gouvernement, dont les orientations législatives envisagées,
et la garantie de confidentialité des délibérations au Conseil des ministres
est le gage de discussions libres et franches. Dans le cas contraire,
si la réflexion gouvernementale et les débats au sein du Conseil des ministres
étaient révélés, bien, M. le Président, ce serait notre démocratie elle-même
qui s'en trouverait affaiblie.
Et ce
principe, il est consacré dans les usages constitutionnels, il est aussi
protégé dans l'ensemble des législatures du Canada et il est appliqué dans tous les États qui ont adopté le
système de Westminster comme forme d'organisation démocratique : la
Grande-Bretagne, l'Australie, la Nouvelle-Zélande. Et la Cour suprême du
Canada, dans Babcock, M. le Président, qui
est un arrêt de 2002, Babcock contre Procureur général du Canada, [2002] Cour
suprême du Canada 57, aux pages 15 et 16, rappelle cette tradition, M.
le Président, importante de notre démocratie.
Alors, c'est
pour toutes ces raisons que jamais un procureur général, un jurisconsulte du
gouvernement ne révèle, en raison de ces principes fondamentaux, pas par
caprice et par manque de transparence, mais en raison de ces principes
fondamentaux de notre démocratie…
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci, M. le ministre. Je cède…
M. St-Arnaud : …qu'on ne
révèle pas les avis juridiques, M. le Président.
Le
Président (M. Ferland) : Le temps est écoulé, M. le ministre.
Alors, je cède la parole à la députée de Mirabel pour un temps de cinq
minutes.
Mme
Beaudoin :
Merci, M. le Président. J'aimerais à mon tour vous saluer, saluer M. le
ministre et toute son équipe ainsi que mes collègues qui sont ici en ce
1er novembre.
Je dois dire
que, quand j'ai su que le député de Fabre demandait une interpellation sur ce
sujet, j'étais consternée, je n'arrivais pas à croire qu'un juriste,
ex-bâtonnier, membre de la Commission des institutions, ait demandé cette interpellation-là pour exiger du ministre de la
Justice, qui est à la fois Procureur général et jurisconsulte, de divulguer
tous les avis juridiques concernant le projet de loi sur la charte des valeurs
québécoise, un projet de loi qui n'est même pas déposé.
En tant qu'avocate moi-même, j'ai pratiqué
pendant plus de 20 ans et je suis membre également de cette commission-là, j'ai eu affaire à travailler avec
le député de Fabre et je me suis posé beaucoup de questions. Comment se
fait-il qu'il puisse demander une telle chose? Je me suis demandé aussi :
Où est la députée de Notre-Dame-de-Grâce, ex-ministre
de la Justice? J'aimerais bien savoir ce qu'elle en pense, M. le Président.
J'ai eu l'occasion de travailler dans un mandat précédent avec l'ex-ministre de la Justice et je sais très bien
qu'en aucun temps elle n'a divulgué des avis juridiques. Et je sais très
bien, puisque je suis députée depuis 2003, que les ex-ministres de la Justice
seraient d'accord avec moi que c'est inacceptable. Ça va de soi.
Alors, de dire que je suis heureuse ce matin d'être
ici, non. Je suis déçue, M. le Président, très, très déçue.
Le Président (M. Ferland) : On
ne peut souligner l'absence…
Mme
Beaudoin : Oui, M.
le Président.
Le Président (M. Ferland) :
…d'un député, Mme la députée.
Mme
Beaudoin : Je
voulais simplement dire que j'aurais aimé avoir son opinion.
Et on sait
dans tout le domaine juridique que le secret professionnel est essentiel. C'est
un droit fondamental. Et, ce droit fondamental là, on sait qu'il faut
vraiment, vraiment avoir cette protection-là.
Que nous disent les principes comme tels et sur
quoi on se base? D'abord, le Code des professions. La section 60.4 du Code des
professions est très claire à ce sujet-là : «Le professionnel doit
respecter le secret de tout renseignement de nature confidentielle qui vient à
sa connaissance dans l'exercice de sa profession. Il ne peut être relevé du secret professionnel qu'avec
l'autorisation de son client ou lorsque la loi l'ordonne ou l'autorise par une
disposition expresse. Le professionnel peut
en outre communiquer un renseignement protégé par le secret
professionnel, en vue de prévenir un acte de
violence, dont un suicide, lorsqu'il a un motif raisonnable de croire qu'un
danger imminent de mort ou de blessures graves menace une personne ou un
groupe de personnes idenfiable.»
Est-ce que nous sommes devant un cas comme
celui-ci? Non, M. le Président.
L'exemple qui précède démontre aussi que, même
dans une circonstance où il y a un risque de danger, le professionnel doit
prendre des précautions nécessaires. Et je pense à ce moment-ci que, si un ministre
de la Justice divulguait tous les avis
juridiques, bien ce serait dangereux, mais pas dans le même sens. Je ne sais
pas ce que le député de Fabre veut prouver, s'il veut faire
jurisprudence en demandant une telle chose à un ministre. Pour moi, c'est
presque une hérésie, là, c'est inacceptable,
complètement inacceptable. Aussi,
j'aimerais mentionner que la Loi sur le Barreau, à l'article 131, nous
parle aussi, là, du secret professionnel, et M. le député de Fabre, qui est
ex-bâtonnier, connaît très bien cette loi.
Alors, «l'avocat doit conserver le secret absolu des confidences qu'il reçoit
en raison de sa profession. Cette obligation
cède toutefois dans le cas où l'avocat en est relevé expressément ou
implicitement par la personne qui lui a fait ces confidences ou lorsque
la loi l'ordonne ou l'autorise par une disposition expresse.»
Est-ce que nous sommes devant un cas comme celui-ci?
La réponse est simple, M. le Président, c'est non.
Que nous dit
le Code civil, à l'article 2858, une des lois les plus importantes du Québec?
Et je sais que le député de Fabre la connaît très bien et je cite :
«Le tribunal doit, même d'office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans
des conditions qui portent atteinte aux
droits et libertés […] et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer
l'administration de la
justice. Il n'est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu'il s'agit d'une violation
du droit au respect du secret professionnel.»
Enfin, même
la loi qui vise à favoriser l'accès aux documents des organismes publics
reconnaît, à l'article 31, l'importance de maintenir le secret
professionnel.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci, Mme la députée. Je cède maintenant la parole à la députée de Montarville, du deuxième groupe d'opposition, pour
un temps de cinq minutes. Alors, Mme la députée, à vous la parole.
Mme Roy
(Montarville) : Merci beaucoup, M. le Président. Bonjour à
vous. Bonjour, M. le ministre, collègues du gouvernement et de la
première opposition.
Écoutez, je
ne vous ferai pas de plaidoirie, ce matin, sur le secret professionnel, nous
avons des éminents juristes ici qui
le font, secret professionnel, soit dit en passant, qui a sûrement, je suppose,
dû être levé pour que Me Brun parle de l'avis qu'il leur a donné, au
gouvernement. Cela dit, tirez-en vos propres conclusions à cet égard, mais j'aimerais
parler de transparence.
M. le
Président, le gouvernement s'est fait élire en promettant plus de transparence
aux citoyens, mais, depuis qu'il est en poste, force est de constater qu'il
y a certains gestes qui ont été posés qui vont à l'encontre de cette promesse.
Entre autres, ce qui est intéressant, c'est que la première ministre a déclaré
pas plus tard que cette semaine que son gouvernement
allait dire la vérité aux Québécois. Alors, j'applaudis à ça, soit, mais les
exemples de manque de transparence sont nombreux, et j'aimerais rappeler
un certain nombre de ces exemples en cette Chambre.
Le gouvernement a, premièrement, renié sa
promesse solennelle de créer — et rappelez-vous-en, là — un poste de directeur parlementaire du budget. Je
vous rappelle que la première ministre était alors chef de l'opposition,
ça se passait en février 2012, et elle avait
proposé la création de ce poste, et là je la cite. Elle dit : «…nous
créerons un poste de directeur
parlementaire du budget. Ce directeur aura comme mandat de présenter annuellement
à l'Assemblée nationale une analyse
indépendante sur l'état de nos finances publiques, ce qui nous permettra de
tenir des débats plus éclairés sur notre avenir financier, et, en particulier dans le cadre d'une élection
générale, nous saurons exactement à quoi nous en tenir avant de nous
retrouver en élection sur le cadre financier avec lequel nous aurons par la
suite à composer.» Excellente idée.
Et, voyez-vous, quelques mois plus tard après
les élections, le ministre Drainville a, malheureusement, fait volte-face dans ce dossier et s'oppose maintenant
à l'ajout de ce poste. En date du 17 octobre 2013, le PQ refuse d'appeler
le projet de loi de la CAQ pour créer ce poste de directeur parlementaire du
budget.
• (11 heures) •
Une voix : …
Le Président (M. Ferland) : …oui.
Mme
Beaudoin : On doit
interpeller un député pas par son nom de famille.
Le
Président (M. Ferland) : O.K. Vous avez entièrement raison. Alors, il faut
être prudent de ce côté-là; par les titres et non les noms, Mme la
députée.
Mme Roy
(Montarville) :
Parfait.
Le Président (M. Ferland) :
Allez-y.
Mme Roy
(Montarville) :
Alors, il s'agit là, ce que je viens de vous dire de cette volte-face, d'un
exemple concret où la volonté politique du gouvernement aurait pu se
traduire, là, par plus de transparence pour les citoyens, mais aussi pas juste
les citoyens, les parlementaires, les journalistes. Malheureusement, on a
changé d'idée à cet égard.
Deuxième
exemple de manque de transparence, M.
le Président. On parle, là, de cette
charte. Le gouvernement a dévoilé les résultats d'une consultation en
ligne sur son projet de charte des valeurs. Le ministre des Institutions démocratiques était bien heureux d'affirmer que 26 000 répondants avaient participé à la
consultation. Or, par la même occasion,
le ministre a refusé de dévoiler le contenu des dizaines de milliers de
commentaires qu'il a reçus, en prétextant qu'il ne veut pas dévoiler l'identité des auteurs. Bien, le ministre se
cache ici derrière un argument purement technique, car ce serait assez
facile, là, de caviarder les données personnelles des auteurs pour protéger
leur identité. Le ministre invoque aussi le
fait que, même en caviardant les noms, il pourrait être possible de découvrir
l'identité, là, des auteurs avec des éléments factuels présents dans
leurs commentaires. Alors, encore une fois, là, il s'agit d'un argument technique qui pourrait être résolu en retirant ces
commentaires qui permettent trop facilement d'identifier une personne.
Je pense que ça aurait aidé tout le monde dans le débat. Mais encore une fois
on nous cache ces commentaires dont on est si fier, pourtant.
D'ailleurs,
le 10 septembre dernier, le ministre déclarait et annonçait : «…j'en
appelle aux Québécois […] je leur dis : Mettez-vous sur le
téléphone, si vous êtes d'accord, appelez [votre député], peu importe la
formation politique, et dites-leur : On est d'accord, on veut que ça
marche, on veut que ce soit adopté.» Soit, nous aimerions, et nous aimerions
toujours, et nous aurions aimé savoir ce qu'il y avait dans ces courriels et
ces appels téléphoniques.
Bref, aujourd'hui, le
gouvernement refuse de rendre publics les avis juridiques concernant les
orientations gouvernementales sur son projet
de charte des valeurs québécoises. C'est dommage. C'est dommage parce qu'on en
a eu des petits bouts, avec ce qui a glissé
dans les journaux, avec les propos de Me Brun. Bien, c'est dommage de ne pas
avoir tout le
portrait, car ces avis auraient permis de mettre en contexte les propositions,
que nous jugeons radicales, contenues dans la charte des valeurs
québécoises, charte qui n'existe toujours pas. Nous attendons la loi.
Alors,
c'est étrange aussi, M. le Président, de constater que, dans d'autres dossiers
qui sont toujours à l'étude, le gouvernement, à l'occasion, est plus
transparent. Il faut leur lever le chapeau pour ça. Par exemple, dans le projet
de loi n° 14… Eh bien, je vois que j'y reviendrai tout à l'heure.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, Mme la députée. Le temps
étant écoulé, je cède maintenant la parole à M. le ministre pour cinq
minutes.
M.
St-Arnaud : Oui. Merci, M. le Président. M. le Président, moi,
je suis assez fier de notre Parlement et je suis assez fier de notre
gouvernement, au-delà des partis politiques, quant à la transparence.
Honnêtement,
M. le Président, quand j'ai été reçu avocat, savez-vous mon premier emploi a
été où? Il a été ici, à l'Assemblée nationale. J'étais assis à cette
table, M. le Président, il y a 30 ans. Donc, je m'étais fait une spécialité en droit public, en droit parlementaire. Et j'ai eu l'occasion de visiter certainement une quinzaine de Parlements
dans le monde, une vingtaine peut-être, et d'étudier ça assez, et même d'enseigner.
Imaginez-vous, M. le Président, que j'ai même enseigné,
à l'Université du Québec, le droit parlementaire. Alors, c'est vous dire que je connais un peu ça,
les systèmes parlementaires, le fonctionnement des gouvernements, le fonctionnement des Parlements. Et, honnêtement, je le dis avec respect pour la députée, je
pense qu'on a un gouvernement parmi les plus transparents au monde et un Parlement
parmi les plus transparents au monde.
Est-ce qu'il y a place à amélioration par rapport
à des expériences qui se déroulent ailleurs, qui peuvent se dérouler, dans certains cas, au Parlement canadien, comme un
directeur du budget, comme d'autres, des expériences qui peuvent se dérouler dans différents Parlements? Moi, je crois
qu'il y a encore place à amélioration. Il faudrait être le meilleur.
Puis si on ne l'est pas encore, puis s'il y
a des idées ailleurs pour plus de transparence, on devrait effectivement
pousser là-dessus. Et en ce
sens-là... Mais je pense que... Je voyais hier mon collègue des Finances
déposer les comptes publics. C'est quand même assez élaboré. Dans quelques semaines, il va déposer une mise à
jour économique. Ici, on a 200 heures de crédits parlementaires chaque
printemps, où les députés d'opposition peuvent poser toutes les questions qu'ils
veulent au ministre. On peut, et on l'a vu encore ces jours-ci, M. le
Président, on peut convoquer un ministre en commission parlementaire, on peut
l'interpeller ici le vendredi. Je pense qu'on a, au plan de la transparence, et
c'est au-delà de la partisanerie, M. le
Président, un Parlement, et c'est l'Assemblée nationale du Québec, et un
gouvernement, le gouvernement du
Québec, qui sont parmi les plus transparents au monde, mais, oui, il y a
peut-être place à amélioration, et j'enregistre certaines des suggestions qui sont faites par la députée, en lui disant
cependant qu'on est au gouvernement depuis 13 mois. On ne peut pas tout
faire en 13 mois, elle le sait très bien. Et le député de Fabre le sait aussi,
puisque j'ai déposé sept projets de loi, mais il y en a seulement deux d'adoptés,
M. le Président, parce que c'est long, puis parce qu'il y en a un qui a 830 articles, et puis parce que la
démocratie se vit ainsi. Moi, si c'était juste de moi, j'aimerais bien ça qu'on
aille plus vite des fois. Mais c'est la démocratie, et il faut respecter ça.
Alors,
M. le Président, tout ça pour vous dire qu'en matière de transparence je pense
que nous sommes transparents et je pense qu'au-delà des partis
politiques on a un gouvernement qui est transparent.
Cela
dit, eu égard à la question qui nous occupe aujourd'hui, ce n'est pas une
question de transparence, c'est une question de principes fondamentaux.
Et, M. le Président, l'usage et la coutume sont bien établis au Québec, que le gouvernement ne dépose pas les avis juridiques du
jurisconsulte devant l'Assemblée nationale. À plusieurs reprises, cette
coutume a été rappelée et appliquée par des ministres du gouvernement, que ce
soient des gouvernements formés par le Parti
libéral ou des gouvernements formés par le Parti québécois. M. le Président,
nos recherchistes nous en ont sorti un pouce
d'épais. Je ne vous donnerai pas tous les exemples parce qu'on en aurait
jusqu'à demain matin. Mais c'est de bonne guerre souvent pour l'opposition,
et je pense qu'on l'a même fait, M. le Président, quand on était dans l'opposition,
que de dire : Oui, mais, sortez les
avis juridiques. Je pense qu'on l'a fait sur la loi n° 78, vous savez,
cette fameuse loi, M. le Président, sur le conflit étudiant. Je pense qu'on
a dit au gouvernement : Sortez les avis juridiques, parce qu'on avait eu la Commission des droits de la personne
qui avait dit que la loi était contraire aux chartes, on avait eu le
Barreau qui avait dit au gouvernement
Charest que sa loi était contraire aux chartes, était contraire aux droits
fondamentaux. Et on était dans
l'opposition, puis c'est de bonne guerre, M. le Président. Ça revient, c'est
comme un... Ça revient constamment dans les débats parlementaires depuis
40 ans, que l'opposition demande les avis juridiques, mais la coutume, elle est
bien établie. Et, quand on veut aller
au-delà de la partisanerie politique, il faut bien convenir que cette règle,
elle est là. Et elle n'est pas là pour rien, comme j'ai eu l'occasion de
l'expliquer.
Je
pourrais vous donner plusieurs exemples, M. le Président. Je vois qu'il me
reste à peine une minute. J'aurais pu vous
donner l'exemple du ministre Gil
Rémillard, un de nos grands ministres de la Justice depuis 40 ans, qui, le 30 avril 1992, alors qu'il était
ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, lors d'une
interpellation sur le droit de veto du Québec, sur le nombre de
sénateurs, avait refusé et disait ceci — un
extrait : «Vous savez bien que je
ne peux pas vous la déposer. S'il fallait que je la dépose, ça ne serait pas
dans l'intérêt du Québec, vous le savez. Je ne vous donne pas d'opinion
juridique. Je peux vous dire que c'est des opinions solides.» Il était, M.
Rémillard, dans cet échange du 30 avril 1992, dans la droite ligne de
la préservation du droit, du secret professionnel. Je pourrais vous donner d'autres exemples, M. le Président :
Linda Goupil, le 17 novembre 1999; Thomas Mulcair, lorsqu'il était
ministre, en décembre 2005, le 5 décembre 2005.
Je
pourrais multiplier les exemples, M. le Président, qui vous confirment qu'un ministre
de la Justice ne rend pas publics ses avis juridiques, de tout temps, M.
le Président.
Le Président (M.
Ferland) : Merci, M. le ministre, de ces… Alors, je cède
maintenant la parole au député de Sherbrooke pour un temps de cinq minutes. M.
le député.
• (11 h 10) •
M.
Cardin :
Merci, M. le Président. M. le Président, on pourrait croire que le secret
professionnel a un statut quasi absolu, mais je ne prétendrai pas cela.
Il existe des exceptions, M. le Président, et puis je crois que le député de
Fabre n'en est pas une.
Mais
laissez-moi aller un petit peu plus loin, parce qu'on sait que
traditionnellement les tribunaux ont reconnu que le secret professionnel revêtait un caractère quasi absolu, considérant
que… Et je cite un extrait, M. le Président, de la décision de la Cour suprême du Canada, l'affaire
Blank versus Canada, c'est-à-dire le ministre de la Justice, à l'époque.
Donc, je
cite, M. le Président : «…la force du système de justice dépend d'une
communication complète, libre et franche
entre ceux qui ont besoin de conseils juridiques et ceux qui sont les plus
aptes à les fournir. La société a confié aux avocats la tâche de
défendre les intérêts de leurs clients avec la compétence et l'expertise
propres à ceux qui ont une formation en
droit. Ils sont les seuls à pouvoir [s'attaquer] efficacement de cette tâche…»
S'acquitter, pardon, «efficacement de
cette tâche, mais seulement dans la mesure où ceux qui comptent sur leurs
conseils ont la possibilité de les consulter en toute confiance. Le
rapport de confiance qui s'établit alors entre l'avocat et son client est une
condition nécessaire et essentielle à
l'administration efficace de la justice.» Dans ces circonstances, M. le
Président, il est normal qu'on ne puisse passer outre au secret
professionnel que dans des circonstances exceptionnelles et extrêmement rares.
Si certains voulaient prétendre, comme le député de Fabre, que nous sommes dans
une situation exceptionnelle, voici quelques exemples qui vont suivre, qui vont
vous convaincre que ce n'est pas le cas.
Je vous cite
un extrait d'un article signé par MM. Jamal et Lussier, intitulé Le secret
professionnel de l'avocat : ce que tout avocat doit savoir,
selon la Cour suprême du Canada.
Je cite, M.
le Président : «Le secret professionnel de l'avocat devrait être écarté
dans de rares circonstances, comme au nom le l'intérêt de la sécurité
publique, les cas où les faits font réellement craindre qu'une personne ou un
groupe identifiable soit exposé à un danger
imminent de mort ou de blessures graves; pour protéger la sécurité nationale;
lorsque l'innocence de l'accusé est en jeu et que la divulgation est nécessaire
pour assurer une défense pleine et entière; lorsque des questions fondamentales
touchant la culpabilité ou l'innocence de l'accusé sont en cause; ou s'il y a
un risque véritable qu'une déclaration de culpabilité injustifiée soit
prononcée.» Fin de la citation, M. le Président.
On voit que
les exemples qui sont cités démontrent que, lorsqu'on parle de situation
exceptionnelle, on parle de la possibilité qu'une personne innocente
soit condamnée si l'information protégée par le secret professionnel n'était
pas révélée. On parle également d'une situation où une personne est dans un
danger imminent et que la révélation de l'information
privilégiée permettrait d'éviter ce danger. Même dans ce cas, la Loi sur le
Barreau précise, à l'article 131.3, et je cite, M. le Président :
«L'avocat peut en outre communiquer un
renseignement protégé par le secret professionnel, en vue de prévenir un acte
de violence, dont un suicide, lorsqu'il a un motif raisonnable de croire qu'un
danger imminent de mort ou de blessures
graves menace une personne ou un groupe de personnes identifiable. Toutefois,
l'avocat ne peut alors communiquer ce renseignement qu'à la ou aux
personnes exposées à ce danger, à leur représentant ou aux personnes
susceptibles de leur porter secours. L'avocat ne peut communiquer que des
renseignements nécessaires aux fins poursuivies par la communication.»
Donc, ainsi,
même dans les situations de danger immédiat, l'avocat doit aussi suivre des
règles. Mais clairement, M. le
Président, nous ne sommes pas dans une situation où nos collègues d'en face
sont en danger de mort, où qu'ils ont besoin
de notre assistance. Tout ce qu'ils ont besoin, M. le Président, c'est de la
couverture médiatique pour justement réaliser leurs intérêts à court ou
moyen terme.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le député. Alors, je
cède maintenant la parole au député de Fabre pour cinq minutes.
M.
Ouimet
(Fabre) : Merci, M. le Président. Ah! Je suis déçu, M. le
Président, d'entendre les commentaires de mes collègues du gouvernement
parce que j'ai trop de respect pour leur intelligence, leurs compétences, leur
rôle de parlementaires pour penser une seconde qu'ils n'ont pas compris la
question, qu'ils tentent très habilement… Et je salue, M. le Président, l'habileté de mes collègues du côté
gouvernemental, des parlementaires aguerris qui, depuis de nombreuses minutes maintenant, nous font un bel
exposé théorique sur la portée du secret professionnel, ses fondements,
ses limites, les exceptions, comment il est central dans notre société de
droit.
Et tout cela
est très intéressant, M. le Président, mais je n'ai pas entendu un seul mot de
la part du gouvernement sur le problème de départ que j'ai soulevé, qui
est la raison pour laquelle j'interpelle le ministre de la Justice ce matin, à savoir : Comment se fait-il que le
gouvernement a autorisé Me Henri Brun à divulguer son avis juridique et que par
la suite on nous sert le discours de
l'importance du secret professionnel? Pas un seul mot, de la part du gouvernement,
sur les commentaires publics de Me Henri Brun. Et j'ai tenu pour acquis que
tout le monde ici, à la Commission des institutions,
de même que ceux qui nous écoutent, tout le monde était au courant des
déclarations de Me Brun, mais je pense
qu'il est important de rappeler que, le 7 septembre, dans l'édition du Toronto
Star — j'ai la
version électronique — on lisait ceci — vous me permettrez de le
citer, M. le Président, c'est en anglais : «But Brun said that, when he
was under contract to the Québec government in March and April, it was these
very scenarios that he was asked to puzzle over.»
Et on faisait évidemment référence, là, aux différentes dimensions de la
charte des valeurs. Et Me
Brun… l'article poursuit en disant ceci,
«quote»: «Is the ban on religious symbols destined to be condemned, to be
judged invalid by the courts? My legal advice is that it's not at all
obvious.» Fin de la citation.
Me
Brun a révélé l'avis juridique qu'il a été mandaté de donner au gouvernement sur ce sujet. Et depuis maintenant 1 h 15 min que nous débattons de cette question, M. le Président, et le ministre de la Justice n'a même pas… même évoqué cet avis de la
part de Me Brun, avis rendu public.
Alors, quand
le ministre nous dit : Belle question
théorique, beaux principes fondamentaux, le rôle du jurisconsulte, le privilège avocat-client, le secret des
délibérations du Conseil des
ministres, les avis des 20 ministres
de la Justice… ou 19, qui l'ont précédé, qui n'ont jamais… et qu'on ne
devrait jamais révéler, le problème, M. le Président, c'est que, là, le gouvernement du Québec a autorisé Me Henri Brun à révéler un avis
juridique sur un sujet qui intéresse la population. Et tout ce qu'on demande, et c'est la seule question…
et je serais heureux si, d'ici la fin de l'interpellation, le ministre de la Justice reconnaisse au moins
que, dans ses beaux principes, nous avons là, pour le sujet qui nous intéresse
et pas pour les lois et les questions
d'intérêt public d'ici la fin des temps… La question,
c'est le débat entourant la charte des valeurs, le gouvernement du Québec
a mandaté un avocat à l'externe, et il y a évidemment des questions de coût qui
se rattachent à ça, mais j'aurai l'occasion sûrement, à l'étude des crédits, d'interpeller
le ministre responsable sur cette question-là. Le ministre
de la Justice, et jurisconsulte, et Procureur général, gardien des privilèges, gardien de la règle de droit, reste muet face au fait que l'avocat
mandaté par le gouvernement du Québec aurait violé son secret professionnel. Je dis «aurait», M. le Président, parce que
je ne peux pas croire une minute que Me Brun, en avocat compétent qu'il est,
aurait violé son secret professionnel.
Le gouvernement du Québec a autorisé Me Henri Brun à révéler aux journalistes
le contenu de son avis juridique; c'est ça qui est au coeur de l'interpellation
de ce matin. Et j'interpelle le ministre de la Justice. Qu'il réponde! Pourquoi le gouvernement
l'a fait dans le cas de Me Henri Brun? Pourquoi ne le fait-il pas avec les
juristes de l'État? Merci, M. le Président.
Le
Président (M. Ferland) : Merci, M. le député. Je cède
maintenant la parole à M. le ministre pour cinq minutes.
• (11 h 20) •
M. St-Arnaud : M. le
Président, j'ai le privilège d'occuper la fonction de ministre de la Justice,
de Procureur général, de jurisconsulte du gouvernement du Québec depuis
maintenant 13 mois et demi, et sur aucun dossier je n'ai révélé même l'existence
d'avis juridiques.
J'ai toujours dit, et je m'en suis tenu à ça
parce que c'est mon rôle, que je ne confirmais ni l'existence ni la non-existence d'avis juridiques sur quelque sujet
que ce soit, et encore moins, M. le Président, vous l'aurez compris, si ces avis sont verbaux ou écrits, si ces avis
portent sur le dossier x, y ou z et s'ils sont rendus par l'avocat X, Y ou Z
et s'ils… et encore moins ce qu'ils contiennent.
Alors, c'est
la ligne que j'ai depuis le début, M. le Président, de dire… de ne pas
commenter l'existence même d'avis juridiques. Ceci étant, M. le
Président… et donc encore moins de les divulguer, si ces avis existent. Et, si
je ne les divulgue pas, ce n'est pas un
caprice, ce n'est pas un manque de transparence, comme j'ai entendu ce matin, c'est que j'assume mes fonctions, M. le Président, de la façon dont elles doivent être assumées en démocratie et de la
façon dont mes 20 prédécesseurs… Depuis Claude Wagner, en 1965, jusqu'au
chef parlementaire de l'opposition officielle, plus récemment, en 2012, mes 20 prédécesseurs ont assumé ces fonctions à
l'intérieur de ce cadre, et je continue dans la foulée de mes 20 prédécesseurs, M. le Président, en ne révélant pas, en ne déposant pas d'avis juridique et même en ne
révélant pas s'il y a des avis juridiques, et encore moins par qui ils ont été
écrits, et encore moins ce qu'ils contiennent, et encore moins sous quelles
formes on les a reçus, si on en a reçu.
Il me semble
que c'est clair, et c'est l'usage, c'est la coutume. C'est la doctrine, c'est
la jurisprudence, c'est les précédents qui nous disent d'agir ainsi, M.
le Président. Et, comme je l'ai dit tantôt, cette coutume, elle a été rappelée
et appliquée par des ministres tant de gouvernements du Parti libéral que de
gouvernements du Parti québécois et même, M. le Président, à une époque antérieure à la nôtre, par des ministres de la Justice de l'Union nationale. Vous vous rappelez de ça, l'Union nationale, M. le Président? Peut-être pas, vous êtes trop jeune. Mais même les quelques
ministres de l'Union nationale qui ont
occupé cette fonction… je pense à Rémi Paul, député de Maskinongé,
M. le Président, et à Jean-Jacques
Bertrand, qui était premier ministre du Québec et qui assumait en même temps le travail de ministre de la Justice et de Procureur général. Et, M. le Président, là, je vous l'ai dit tantôt, je ne veux pas
commencer à vous donner tous les précédents, là, à partir de Claude
Wagner, de Rémi Paul, de Jean-Jacques Bertrand, de Jérôme Choquette, de
Marc-André Bédard, de Pierre Marc Johnson, de Herbert Marx, de Gil Rémillard,
de Paul Bégin, de Serge Ménard, de Linda Goupil, de Normand Jutras, hein, et du
député de Vaudreuil, de la députée de Notre-Dame-de-Grâce, du député de Saint-Laurent.
M. le Président, je ne peux pas vous donner tous les précédents, ils ont tous agi comme
moi. Alors, que voulez-vous que je
vous dise? Ils ont tous les 20 agi comme moi parce qu'ils comprenaient de quelle façon que cette fonction de ministre de la Justice, Procureur général et
jurisconsulte du gouvernement, conseiller juridique principal du
gouvernement, du Conseil des ministres, M.
le Président, s'exerçait. Et d'ailleurs Mme Goupil, Linda Goupil, qui était
députée de Lévis et ministre de la Justice et jurisconsulte sous le
gouvernement Bouchard, disait en 1999, le 17 novembre, que le jurisconsulte ne déposait pas les avis juridiques
du gouvernement à l'Assemblée nationale. Et d'ailleurs, M. le Président,
c'est intéressant, vous savez qu'il y a une
loi fédérale qui dit que le… qu'il y a une loi fédérale qui dit que le ministre
de la Justice doit déposer un avis à la Chambre des communes eu égard à
la conformité des lois aux chartes. Bien, c'est contesté devant les tribunaux,
parce que le jurisconsulte doit conseiller le Conseil exécutif mais n'a pas à
répondre devant l'Assemblée nationale des
avis juridiques qu'il donne au gouvernement. C'est présentement devant les
tribunaux, à la Cour fédérale. C'est très intéressant parce que le
fédéral avait dit à un moment donné : Il devrait y avoir une loi. Puis
c'est contesté parce que le jurisconsulte, il ne travaille pas pour l'Assemblée
nationale, il n'est pas le conseiller juridique de l'Assemblée nationale, il
est le conseiller juridique du gouvernement et, ses avis, il les donne au
gouvernement, au Conseil
des ministres, dans le secret des délibérations du Conseil des ministres, en
regardant le dossier sous tous ses angles, M. le Président, et justement
pour des raisons de démocratie.
Alors,
j'allais vous citer, M. le Président, Linda Goupil, mais je vois que le temps
est déjà écoulé. Alors, ce sera pour le prochain cinq minutes, M. le
Président.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le ministre. Je cède
maintenant la parole à la députée de Mirabel pour un temps de cinq
minutes.
Mme
Beaudoin :
Merci, M. le Président. Je suis contente d'entendre le ministre de la Justice
actuel nous parler des anciens ministres de la Justice.
Comme je l'ai
dit précédemment, j'ai eu l'occasion,
depuis 2003, de côtoyer certains ministres
de la Justice, et évidemment ils ne seraient pas d'accord
avec les interprétations… ou l'interpellation demandée par le député de Fabre aujourd'hui,
puisque, comme on l'a invoqué, c'est surprenant d'un ex-bâtonnier de demander
que les avis juridiques soient divulgués.
Comme le ministre de la Justice l'a mentionné,
les anciens ministres ont toujours invoqué la règle du secret professionnel
pour préserver et garantir le sain cheminement des décisions des différentes
actions gouvernementales. Et je suis convaincue que, dans le
futur, les futurs ministres de la Justice vont penser de même. Dans les autres
pays, c'est la même chose. Il faut quand même une sécurité à cet effet.
Et je tiens à
mentionner aussi que la Charte des
droits et libertés de la personne, à l'article
9, prévoit sur le même sujet que
«chacun a droit au respect du secret professionnel. Toute personne tenue par la loi au secret professionnel
et tout prêtre ou [tout] autre ministre du culte ne peuvent, même en justice,
divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison
de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui
leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.» C'est très important. Moi, dans ma pratique, j'ai
rencontré plusieurs clients. J'ai été
l'avocate des expropriés de Mirabel. C'étaient des dossiers très, très
importants, très litigieux. Et, s'il avait fallu que je divulgue un secret professionnel,
parce qu'on avait les actions avec le gouvernement fédéral, eh bien, je
pense qu'on n'aurait pas obtenu gain de
cause concernant tout le rachat des terres expropriées. Le secret
professionnel, c'est ce qui a tenu
beaucoup de clients parce qu'ils avaient confiance en leurs avocats, avocates. Et ici
on parle du ministre de la Justice, ce n'est pas n'importe qui. Les gens
qui nous écoutent aujourd'hui, là, si on décidait, du jour au lendemain, que
tous ces avis juridiques seraient publics de
la part du ministre de la Justice, bien je pense que, là, on aurait
beaucoup de plaintes, il y a beaucoup de juristes qui interviendraient, et je
ne sais pas ce que l'ex-bâtonnier, le député de Fabre, pourrait répondre à ces
juristes-là, pourrait répondre à tous les commettants qui seraient inquiets,
inquiets, M. le Président.
La position
du ministre de la Justice actuel, c'est une question de transparence, c'est une
règle de droit à laquelle on tient
absolument à conserver. Je ne sais pas si le député de Fabre veut créer une
jurisprudence, mais je crois que, s'il veut créer une jurisprudence, ce
n'est pas tout à son honneur.
Les tribunaux
ont abondamment traité de la question. Même la Cour suprême, pour sa part, dans
l'arrêt Société d'énergie Foster Wheeler ltée contre Société
intermunicipale de gestion et d'élimination des déchets inc., mentionne que la disposition la plus importante sur le
secret professionnel se retrouve maintenant dans la Charte des droits et
libertés de la personne. En effet, son article 9 place le secret parmi les
droits fondamentaux de la personne. Et aujourd'hui on demande à un ministre de la Justice de ne pas se conformer à la charte?
C'est une aberration. Comme je l'ai mentionné tantôt, quand j'ai su que le député de Fabre voulait changer cette règle
de droit, puisque c'est ce qu'il demande, il demande que tous les avis
juridiques soient divulgués non seulement par le ministre de la Justice… Mais
il agit comme Procureur général et comme jurisconsulte. M. le ministre tantôt a expliqué… c'est un rôle très, très
important. Alors, il faudrait peut-être
que le député de Fabre comprenne qu'il faut donner l'exemple et
que nous, de l'opposition, on va se battre pour maintenir cette
règle de droit à laquelle on tient abondamment.
Alors, ceci
dit, il y a aussi d'autres arrêts que je pourrais mentionner — le temps m'échappe, là — mais je tiens à mentionner l'arrêt Descôteaux contre Mierzwinsky,
en 1982, Cour suprême, qui nous enseigne que «toute communication faite par un client à son avocat dans le but
d'obtenir des conseils juridiques est protégée par le privilège avocat-client».
On parle de la Cour suprême, on ne peut pas aller plus haut.
Et enfin la
même cour, dans un arrêt de Smith contre Jones, indique que «le privilège du
secret professionnel»…
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, Mme la députée, c'est
terminé. Je cède maintenant la parole au député de Fabre pour cinq
minutes.
• (11 h 30) •
M.
Ouimet
(Fabre) : Merci, M. le Président. En fait, je peux rassurer la
députée de Mirabel, je connais bien ces décisions-là, alors pas besoin
de me les citer, peut-être pour le bénéfice de nos auditeurs.
Ceci dit, en fait le supplice de mes collègues
du gouvernement achève, M. le Président, il ne leur reste plus que deux blocs à
couvrir en essayant de patiner, de faire des saltos pour éviter d'aborder le
point qui est le fait que Me Brun a révélé un avis juridique qu'il a donné au
gouvernement.
Et en fait je
trouve ça intéressant. Il y a plusieurs aspects, quand j'écoutais mes
collègues, qui m'interpellaient. La députée de Mirabel me dit : Que
ferait le député de Fabre dans cette situation-là? Vous savez ce que j'aurais
fait, M. le Président, si j'avais été
ministre de la Justice et que j'avais constaté que Me Brun avait violé son
secret professionnel? Le matin même de
cette… j'aurais appelé le syndic du Barreau pour dénoncer Me Brun et, puisqu'il
s'agissait manifestement d'une violation du contrat, j'aurais entrepris
des procédures judiciaires contre Me Brun. Évidemment, le
Procureur général n'a pas fait ça parce que le Procureur général était d'accord,
parce que Me Brun a été autorisé à divulguer son avis juridique. Ceci dit, il
est important… Parce que j'écoutais attentivement les remarques de mes collègues et j'ai bien compris le ministre de la
Justice, tout en évitant soigneusement de faire référence à la question
qui est devant nous ce matin, la divulgation
de l'avis de Me Brun et le refus de divulguer les autres avis portant sur le
projet de charte des valeurs, nous parler de
tous les précédents en la matière et que jamais les ministres de la Justice ne
divulguent des avis juridiques.
Je vous
avoue, M. le Président, que je suis un peu étonné d'entendre ça parce que,
mardi dernier, alors que nous siégions en Commission des institutions,
le ministre de la Justice a déposé un avis juridique pour nous convaincre qu'il
ne fallait pas amender un article du projet de loi n° 28, un avis
juridique qui a convaincu tous les membres de la Commission des institutions. Alors, à ce chapitre-là, M. le Président,
j'apprécierais, de la part de… qu'on respecte, à tout le moins, un
minimum, au minimum, mon intelligence, les valeurs que je défends depuis 25
ans.
Le secret
professionnel est un principe fondamental, mais le secret professionnel est à
l'avantage du client, dans ce cas-ci, le gouvernement. Le gouvernement a
choisi de révéler un avis juridique qu'il a sollicité. Le gouvernement, en ce moment, va à l'encontre de la transparence
dont il se vante. Pas plus tard que mardi dernier — encore une fois, mardi, c'est une grosse journée pour le
gouvernement — la
première ministre disait ceci, à la période de questions, dès le début de la période de questions, en réponse à… C'était,
je pense, en réponse à la première question qui lui était posée. Elle
disait : «Je rassure le chef parlementaire de l'opposition officielle
quant à la transparence de notre gouvernement, M. le Président. Nous allons
dire la vérité aux Québécois.»
Et cette même
transparence dont se réclamait le ministre des Institutions démocratiques
qui, le 8 février 2013, disait ceci devant notre commission, M. le
Président, alors qu'on procédait à l'examen du rapport sur la Commission d'accès à l'information… alors, il disait
ceci : «Mais je pense qu'il faut développer davantage, M. le Président, la
démocratie de participation, et je pense
que, par la Loi d'accès, on peut y arriver. Évidemment, M. le Président, ce
n'est pas toujours évident. Ayons
l'honnêteté de […] reconnaître [qu'il] y a de vieilles habitudes qui ont été
prises, il y a des plis qu'il faut
défaire. Alors, c'est sûr qu'il va y avoir des arbitrages à faire, il va y
avoir des discussions. Mais moi, je pense, M. le Président, que c'est
inéluctable, qu'on n'a pas le choix de s'en aller vers des gouvernements qui
sont toujours plus transparents. C'est ce
que les citoyens exigent. Nos citoyens sont de plus en plus éduqués. Ils sont
déjà, en quelque part, rendus là où nous ne sommes pas encore allés.» Et
c'est ce qu'on demande au gouvernement, c'est d'agir conformément à ces beaux
principes qu'il prêche. Ils l'ont fait parce que ça faisait leur affaire de
divulguer l'avis juridique obtenu de Me Brun sans le dire.
Ce qu'on
demande au gouvernement, ce qu'on demande au ministre ce matin, M. le
Président, c'est, à tout le moins, reconnaître
que Me Brun a divulgué son avis juridique, de reconnaître que le gouvernement
l'a autorisé à le faire. Et, par la suite, la seule chose honorable,
digne de la fonction de ministre de la Justice, c'est de divulguer tous les
autres avis juridiques obtenus sur le projet de charte des valeurs de son
gouvernement. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Ferland) :
Merci, M. le député. La parole est maintenant au ministre pour un temps de cinq
minutes, M. le ministre.
M.
St-Arnaud : Ah, M. le Président! Franchement, M. le Président.
Le député nous dit qu'on ne répond pas à la question, alors je vais la relire, la question. Je vais le relire, le
sujet de l'interpellation. Le sujet de l'interpellation, M. le
Président : Le refus du gouvernement péquiste de rendre publics tous les
avis juridiques concernant les orientations gouvernementales sur son projet de
charte des valeurs québécoises.
M. le
Président, je l'ai dit depuis une heure… plus de 1 h 30 min. M.
le Président, il n'y a pas un gouvernement dans l'histoire du Québec qui a révélé tous les avis juridiques sur un
dossier quelconque ou sur un projet de loi quelconque. Ça ne se fait
pas, en vertu de nos principes de démocratie, en vertu de nos principes
démocratiques. Ce n'est pas une question de
manquer de transparence, M. le Président. Il me semble que je l'ai expliqué,
pourquoi tous mes prédécesseurs, Claude Wagner, Jean-Jacques Bertrand,
Rémi Paul, Jérôme Choquette, Gérard D. Levesque, Marc-André Bédard, Pierre Marc Johnson, Herbert Marx, Gil Rémillard,
Paul Bégin, Linda Goupil, Serge Ménard, Normand Jutras, le député de
Vaudreuil, la députée de Notre-Dame-de-Grâce, le chef parlementaire de l'opposition
et député de Saint-Laurent et mon ex-collègue avec qui j'ai eu des dizaines d'heures
de débat, Jacques Dupuis… Aucun de mes prédécesseurs n'a révélé d'avis
juridique sur un projet de loi ou sur un dossier. Ce n'est pas parce qu'ils
manquaient de transparence, M. le Président, c'est parce qu'ils respectaient
nos principes démocratiques. Ce n'est pas plus compliqué que ça.
Mais je
comprends. Vous savez, M. le Président, je vous l'ai dit dès le départ, j'ai
beaucoup de respect pour le député, mais il est membre d'un groupe
parlementaire, d'un groupe parlementaire dans un Parlement puis il est dans l'opposition. Ça fait qu'il fait ce qu'à
peu près tous les parlementaires porte-parole en
matière de justice ont fait
depuis 40 ans, c'est de se lever sur un dossier puis demander les avis
juridiques.
D'ailleurs, c'est amusant, M. le Président, je
relisais…Le 5 décembre 2005, Thomas Mulcair — on connaît bien Thomas Mulcair, qui était à ce moment-là ministre du Développement
durable, de l'Environnement et des Parcs — qui se faisait demander par l'opposition
de l'époque, du Parti québécois de donner l'avis juridique… et Thomas Mulcair avait répondu, M. le Président : «Je
comprends la réaction de mon collègue de Lac-Saint-Jean parce que c'était la
mienne quand j'étais assis dans
l'opposition.» Alors, Thomas Mulcair disait carrément : Je comprends que
le député me demande les avis
juridiques sur mon dossier parce que, moi, quand j'étais leader adjoint de
l'opposition officielle, c'est ça que je faisais, de demander les avis juridiques au gouvernement péquiste. Et il
complétait : «Mais ce n'est pas dans l'intérêt du public que les
avis juridiques du Procureur général, qui risquent de compromettre la capacité
de notre jurisconsulte de faire son travail, soient déposés.» Ce que j'ai
fait — puis
il peut relever les transcriptions, je vais donner tous les éléments qui étaient pertinents pour l'étude — c'est plus qu'assez pour lui de se faire une
idée. Sinon, il peut regarder ce que
d'autres intervenants ont eu à dire sur ce dossier. Et effectivement, M. le
Président, on parle d'un dossier, il n'y a même pas de projet de loi. Un jour, il y aura un projet de loi, puis les gens
viendront s'exprimer en commission parlementaire puis ils viendront donner... tous les juristes du monde
pourront venir donner leurs avis sur le projet de loi, là, M. le
Président.
Alors, aujourd'hui, ce que fait le député, il
pose une question dont il sait la réponse. Il demande par son interpellation que le gouvernement péquiste rende
publics tous les avis juridiques sur un dossier précis. Il sait que ça
ne se fait pas. Il sait que les 20 ministres
de la Justice qui m'ont précédé au Québec depuis 1965, depuis la création du
ministère, n'ont pas fait ça parce que ça ne se fait pas. Mais, aujourd'hui, il
est député d'opposition, il est député libéral, il est porte-parole de l'opposition en matière de justice, alors il veut faire
un spectacle politique sur cette question-là en disant : Mais c'est épouvantable! Parce que c'est vrai, M.
le Président, que les gens qui nous écoutent, des fois, qui ne
connaissent pas toutes les subtilités de
notre régime démocratique, peuvent dire : Bien, comment ça se fait, donc,
qu'il ne veut pas dévoiler les avis
juridiques? Ça ne se fait pas, personne ne l'a fait. Mais c'est de la bonne
petite politique que de dire : Mais c'est épouvantable, quel manque
de transparence, c'est épouvantable, M. le Président, le gouvernement manque de
transparence, le gouvernement n'est pas
franc envers la population. C'est de la petite politique, c'est de la
politique. Et le député… ça me
déçoit, parce que, depuis 13 mois qu'on travaille ensemble, on ne fait pas
souvent de politique, on est sur des
grands dossiers, et, franchement, ce matin j'aurais préféré, M. le Président,
qu'il m'interpelle sur des grands enjeux en matière de justice. Plutôt
que de débattre d'une question comme celle-ci, on aurait pu débattre de l'accessibilité
à la justice, de l'accessibilité à l'aide juridique gratuite, avec l'annonce
que j'ai faite il y a deux semaines, qui va faire en sorte que 500 000
personnes de plus vont être admissibles à l'aide juridique gratuite, M. le
Président, d'ici 18 mois, la plus importante réforme de l'aide juridique depuis
40 ans.
On aurait pu parler des victimes d'actes
criminels. On aurait pu parler du processus de nomination des juges.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci...
M. St-Arnaud : Je trouve
dommage que le député fasse de la petite politique.
Le Président (M. Ferland) :
Merci, M. le ministre. Le temps étant écoulé, je cède la parole au député de
Sherbrooke pour un temps de cinq minutes. M. le député.
M.
Cardin :
Merci, M. le Président. Et je rajouterais aux propos du ministre : On aurait pu prendre deux heures de plus au
comité des institutions pour parler du Code civil.
Une voix : …
• (11 h 40) •
M.
Cardin : Et, parce
qu'on sait que... Peut-être
qu'il n'était pas pressé pour ça. Ce n'est pas ça. M. le Président, tantôt, je parlais des
exceptions qu'il y a dans la loi, que ce soit la Cour suprême, que ce soient
les cours au Québec. Ils ne sont pas nombreux.
Ils ne sont pas nombreux, les éléments ou les situations
qui apparaissent dans la loi, qui fait qu'il y a des exceptions. Puis tantôt je le disais en fin de... des propos que j'ai
tenus… Au dernier droit de parole que j'ai eu, je disais : Nous ne
sommes pas dans une situation où nos collègues d'en face sont en danger de
mort, où qu'ils ont besoin de notre
assistance. Je crois que le seul danger qui plane au-dessus de la tête du député de Fabre et de la
deuxième opposition, c'est un
difficile chemin dans la prochaine campagne électorale. Et puis, utilisant la
charte pour faire les demandes qu'il fait présentement, bien on sait
très bien qu'il est conscient que la charte est un excellent projet de loi. Et
il prétend aussi pouvoir en revoir l'ensemble, des avis, pour pouvoir bien sûr
se donner des munitions pour faire accroire que le gouvernement ne fait pas son
travail convenablement.
M. le
Président, notre responsabilité, au gouvernement, est effectivement de répondre
aux besoins de la population et aux aspirations de la population. Moi,
je n'en ai pas demandé, d'avis juridique, mais j'ai demandé l'avis de mes concitoyens. Ils sont majoritairement… grandement
majoritairement d'accord avec ce que nous faisons présentement et ils sont aussi grandement majoritaires de déplorer
la façon dont l'opposition officielle se comporte. On le voit particulièrement
pendant les périodes de questions et on le
voit encore aujourd'hui. Parce qu'il y a... Je crois que l'attitude et la
demande du député de Fabre sont un peu, je dirais, un tantinet, teintées de
prétention parce qu'il sait, et il l'a dit tantôt d'emblée, que le secret professionnel, c'est quelque chose
auquel on ne touche pas. Mais, sous prétexte qu'à un moment donné il croit… parce que, je veux dire, c'est un avocat,
il le sait, il s'imagine qu'il y a eu un début et il veut la totalité. Mais,
si le secret professionnel existe, il existe dans son ensemble, M. le
Président. Et, dans ce sens-là, le ministre de la Justice, c'est lui qui détient les avis et c'est lui qui
nous a dit et redit tout au cours de cet échange qu'il n'est pas question de
passer outre du secret professionnel. Et, M.
le Président, bien je considère que ce n'est qu'une situation parmi tant
d'autres, qu'on voit chez l'opposition officielle, une attitude
arrogante, de peur… met en garde la population contre des choses qui sont des affirmations gratuites, comme de quoi le
gouvernement est incompétent et, je dirais... pas «menteur», mais qui ne
dit pas toujours la vérité. C'est pour ça que je prends garde à ce que je dis,
M. le Président.
Mais
présentement, là, c'est une précampagne électorale du Parti libéral, de peur,
et maintenant il nous accuse d'avoir
un manque de transparence parce que nous sommes dans notre plein droit de
refuser de donner des avis juridiques sur un dossier qui est en
préparation, sur un dossier dont le gouvernement doit avoir le plus d'informations
possible justement pour répondre aux besoins de la population, et non seulement
aux besoins de la population, mais ses aspirations aussi.
Donc,
je pense que c'est une bien mauvaise façon que le député
de Fabre a utilisée pour prétendre qu'on manque de
transparence.
Le Président (M. Ferland) :
Alors, merci, M. le député. Je cède maintenant la parole à la députée de…
Une voix : …
Le
Président (M. Ferland) : …et voilà, Montarville, pour un temps d'une minute, malheureusement. Allez-y.
Mme Roy
(Montarville) :
…c'est court, hein? Bon. Écoutez, je vais juste revenir à ce que je disais.
Je vous parlais du
p.l. n° 14 dans lequel le gouvernement a déposé justement une étude
commandée par le CIRANO. Alors, dans
certains cas, on dépose des études et puis dans d'autres, bien comme ici, lorsqu'on
parle de la charte, eh bien, là, on n'a pas toutes les informations. Je pense que nous gagnerions tous, collectivement, en tant
que députés, en tant que citoyens,
à avoir plus d'informations et, oui, des avis juridiques sur cette charte,
cette charte que nous attendons tous.
D'ailleurs, je reviens sur la question de la transparence,
puisque c'était dans le programme du Parti
québécois que de mettre sur la table
une charte de la laïcité. C'est comme ça qu'on l'appelait en 2012. En cours de
route, ça a changé de nom. C'est rendu une charte des valeurs.
Comment peut-on
colliger et réglementer, légiférer des valeurs? C'est une question qu'on se
pose également. Écoutez, si le gouvernement voulait vraiment la déposer, cette charte, eh bien,
il le ferait. On l'attend depuis des mois. L'effeuillage a commencé au
mois d'août. Nous avons nous-mêmes, le deuxième groupe d'opposition, déposé un projet
de loi…
Le Président (M.
Ferland) : …le temps étant écoulé.
Mme Roy
(Montarville) :
Merci.
Conclusions
Le Président (M.
Ferland) : Nous en sommes… j'avais perdu… alors que nous en
sommes maintenant aux dernières interventions. M. le ministre de la Justice,
vous avez un maximum de 10 minutes.
M. Bertrand St-Arnaud
M. St-Arnaud :
Oui, M. le Président. Je vais essayer de ne pas être très long.
D'abord, je veux dire à la députée de Montarville pour qui j'ai le plus grand respect — il faut que je fasse attention, M. le Président, c'est ma députée, puisque je
réside dans sa circonscription : Mais moi, je suis tout à fait favorable à
ce qu'on donne le plus d'études possible et
qu'on ait le gouvernement le plus transparent possible. Et effectivement,
comme je l'ai dit tantôt, si on peut faire
plus… Et il y a effectivement, dans le programme de notre formation politique…
il y avait, dans notre plateforme
électorale, des éléments, il y a des choses que nous avons faites, mais il y en
a d'autres à faire. Et puis maintenant on est au gouvernement depuis 13
mois, mais je pense qu'il y a des pistes, dans ce qu'a mentionné la députée, qui doivent être effectivement regardées
de près pour voir, dans les prochaines années, si on ne peut pas rendre notre gouvernement encore meilleur. Je pense qu'on
a un gouvernement et un Parlement particulièrement transparents, mais je
pense qu'on peut aller plus loin et, en ce sens-là, je la retrouve.
Où je diverge un peu
d'opinion, c'est qu'il ne faut pas confondre tout cela avec les avis juridiques
que reçoit le gouvernement. Ça, je pense que
le gouvernement demande des avis juridiques, et ces avis juridiques, M. le
Président, doivent servir, sont visés par le
secret professionnel et doivent viser à éclairer le Conseil des ministres dans
les décisions qu'il prend sur des
projets de loi ou sur des dossiers. Et ça, je pense que c'est la règle depuis
toujours pour… Ce n'est pas un manque de transparence, c'est une règle
fondamentale que le gouvernement ne peut pas commencer à divulguer, pour toutes
sortes de raisons que j'ai mentionnées tantôt, les avis juridiques qu'il
reçoit.
Quant au Parlement cependant, quand arrive un projet de loi,
la coutume s'est bien établie. Et mon collègue de Fabre souvent nous
demande des consultations particulières, en commission parlementaire, sur des
projets de loi, et effectivement, dans les
prochains jours, semaines, je présume que mon collègue de Marie-Victorin et
ministre responsable des Institutions démocratiques va déposer un projet
de loi qui va découler de son document d'orientation qu'il a déposé en septembre, et il y aura une commission
parlementaire, il y aura des consultations. Et la commission, à ce
moment-là la Commission de l'Assemblée
nationale, pourra entendre tous les juristes qu'elle veut. D'ailleurs, je suis
convaincu, M. le Président, que le Barreau
du Québec va venir témoigner sur ce projet de loi, je suis convaincu que la
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse va venir
témoigner sur ce projet de loi et je suis convaincu aussi qu'il y a plusieurs juristes éminents qui vont
venir donner leurs points de vue sur
tel aspect ou sur tel autre, probablement, dans certains cas, vont
soutenir le gouvernement, dans d'autres vont dire : Non, le gouvernement
fait erreur.
C'est le
processus démocratique, et
l'Assemblée nationale a cette possibilité. Le législatif a cette possibilité
de tenir des consultations et d'entendre des experts, notamment des experts
juridiques, et ce sera vraisemblablement le cas.
Mais il faut distinguer entre le législatif, qui
fait son travail, et l'exécutif qui fait le sien. Et, au niveau de l'exécutif, celui qui conseille l'exécutif, qui
conseille le Conseil des ministres, c'est le jurisconsulte, c'est le ministre
de la Justice qui requiert des avis juridiques. Mais, si on veut que tout ça se
fasse d'une manière qui soit appropriée, il ne peut, non
pas par manque de transparence, mais par respect pour nos principes
démocratiques, il ne peut révéler ces avis
juridiques. Il me semble, M. le Président, que ce n'est pas compliqué. Et ce
n'est pas un caprice, ce n'est pas un manque de transparence, mais c'est la façon de faire, dans un gouvernement
démocratique, que de ne pas révéler les avis juridiques. Parce qu'on le sait, dans ces avis juridiques, il
y a toutes sortes de choses, M. le Président, et certains pourraient se
servir des propres avis juridiques du
gouvernement pour attaquer en cour, devant les tribunaux, certains projets de
loi déposés par le gouvernement, en se basant sur des arguments qui ont
été développés par les avocats du gouvernement.
• (11 h 50) •
Et, si les
avocats du gouvernement savaient qu'on rend publics éventuellement ces avis
juridiques, bien ils feraient peut-être
attention à ce qu'ils disent plus, alors que, là, ils sont, M. le Président...
ils savent qu'ils peuvent s'exprimer, ils savent qu'ils peuvent faire des commentaires au gouvernement, qu'ils
peuvent faire valoir des commentaires qui vont dans le sens de ce que le gouvernement veut faire. Ils
savent aussi qu'ils peuvent avoir la liberté de dire des choses qui vont
à l'encontre de ce que le gouvernement veut faire, en lui faisant remarquer un
certain nombre d'éléments à caractère juridique, en sachant que leurs conseils,
que leurs avis ne seront pas sur la place publique.
Alors, voilà,
M. le Président. Voilà pourquoi, moi, comme ministre de la Justice, comme
Procureur général, comme jurisconsulte
du gouvernement, comme conseiller juridique principal du gouvernement du
Québec, j'ai adopté l'attitude, depuis
le tout début… Et en cela je m'en suis... Vraiment, vous ne trouverez pas, M.
le Président, une ligne où je sors de ce que je viens de dire, parce que
les journalistes savent à quel point je suis prudent, M. le Président, et à
quel point, pour reprendre l'expression, à
quel point je ne sors pas de mon carré de sable quand j'ai à répondre à des
questions. Parce que, quand on est
ministre de la Justice, il faut faire attention à ce qu'on dit, chaque mot est
important. Des fois, une petite phrase pourrait amener la démission du
ministre de la Justice, alors il faut faire très, très attention, M. le
Président. Et je pense que j'ai assumé cette fonction depuis 13 mois et demi de
cette façon-là et j'en suis très fier.
Alors, tout
ce que j'ai dit sur les avis juridiques, à chaque fois qu'on m'a posé des
questions, depuis 13 mois et demi,
sur un dossier quelconque : Avez-vous des avis juridiques?, j'ai toujours
répondu la même chose. Je ne commencerai pas aujourd'hui à vous dire si
j'ai des avis juridiques sur le projet ou sur le dossier x, y ou z et encore
moins de vous dire, s'il y en a, à qui on
les a demandés, sous quelle forme, orale ou écrite, et qu'est-ce que... et
encore moins ce que ça contient.
C'est bien de valeur, ce n'est pas un manque de transparence, M. le Président,
c'est la façon dont j'assume mes fonctions
de ministre de la Justice, Procureur général et jurisconsulte du Québec. Et
c'est la façon dont mes 20 prédécesseurs, depuis Claude Wagner en 1965,
ont exercé cette fonction.
Alors, en
conclusion, M. le Président, ne pas rendre publique une opinion juridique, quel
qu'en soit le sujet, c'est une
décision responsable, une décision responsable de la part d'un ministre de la
Justice et Procureur général du Québec soucieux à la fois du respect du
secret professionnel de l'avocat — vous aurez compris, M. le Président, que
c'est un élément important — et
du caractère confidentiel des délibérations au sein du Conseil des ministres.
Ce sont des
principes qui sont consacrés, qui sont consacrés… j'allais dire «depuis la nuit
des temps», ce serait peut-être exagéré, M. le Président, mais qui sont
consacrés depuis des siècles et qui sont appliqués ici, au Québec, depuis des décennies. Ce n'est pas un caprice, ce
n'est pas un manque de transparence. Au contraire, moi, je suis pour la plus grande transparence possible, puis, en ce
sens-là, je rejoins la députée de Montarville : si on peut faire plus, on
va faire plus, M. le Président. Mais sur les
avis juridiques, cependant, ce n'est pas une question de manque de
transparence, c'est une question de respecter, d'assumer ses fonctions quand on
est ministre de la Justice et jurisconsulte. Et c'est une façon de respecter
ces grands principes démocratiques qui sont au coeur de notre démocratie.
Alors, M. le
Président, je termine en vous disant : Je suis, moi aussi, comme le député
de Sherbrooke l'a dit tantôt, un peu triste. Ce n'était pas
inintéressant, M. le Président, mais, honnêtement, je pense qu'on aurait pu, ce
matin, discuter d'enjeux importants en
matière de justice. Je trouve dommage que, pour sa première interpellation de
sa vie de parlementaire, sa première
interpellation, depuis plus d'un an, en matière de justice, le député ait
choisi un sujet très pointu sur lequel il sait déjà la réponse, M. le
Président — et
je sais qu'il sait déjà la réponse — pour faire de la politique.
Alors, je
trouve ça un peu dommage parce qu'en justice on travaille, depuis un an, M. le
Président, ensemble, on a des beaux
dossiers, on a des bons échanges, et ici ça aurait été un… C'est un beau
moment, l'interpellation. On aurait pu aborder…
Comme je vous l'ai dit précédemment, M. le Président, on aurait pu aborder
l'accessibilité à la justice, comment on peut rendre notre système de
justice moins lourd, plus rapide, moins coûteux, plus accessible à plus de
monde. Et on aurait pu parler effectivement
de la réforme de l'aide juridique, que j'ai annoncée il y a trois semaines, qui
est la plus importante réforme de l'aide… des seuils d'admissibilité de
l'aide juridique depuis 40 ans, qui va faire en sorte que, pour la première fois depuis 30 ans, une personne
qui travaille au salaire minimum va être admissible à l'aide juridique, comme elle l'était lorsque le ministre Jérôme
Choquette a créé l'aide juridique et comme elle l'était lorsque Marc-André
Bédard était ministre de la Justice de René Lévesque. On aurait pu parler de
comment on peut aider et soutenir davantage
nos victimes d'actes criminels. C'est un dossier majeur, M. le Président. On
l'a, oui, on l'a effleuré en étudiant des
projets de loi, mais, comment on peut faire mieux pour nos victimes d'actes
criminels, moi, ça me préoccupe, c'est une de mes priorités. J'aurais
aimé ça qu'on débatte de ça, qu'on échange.
Et on aurait pu
échanger sur plein d'enjeux importants en matière de justice, que le député de
Fabre connaît bien. Il a choisi ce matin de
faire de la politique. Bon, je ne peux pas le blâmer, M. le Président, on est
aussi politiciens, mais ça fait
contraste avec les travaux qu'on fait en commission parlementaire, où on étudie
des vrais projets et on discute de vrais enjeux. Ce matin, bon, il a
choisi de prendre le moyen qu'est l'interpellation pour faire de la politique
et comme Thomas Mulcair le disait en 2005,
comme à peu près tous les porte-parole en justice ont fait au fil des
décennies, parce que ça donne… c'est payant, tu sais, ça donne l'impression que
le gouvernement cache quelque chose, qu'il manque de transparence, alors que ce n'est pas ça pantoute, M. le Président. Les
gens sérieux le savent, c'est un respect des principes fondamentaux d'une
démocratie que de faire en sorte que le ministre de la Justice ne révèle pas les
avis juridiques qu'il reçoit comme jurisconsulte du
gouvernement et c'est ce que tout le monde a fait. Ce n'est pas un manque de
transparence, c'est un principe fondamental.
Alors,
M. le Président, ça se conclut là-dessus. Je vous remercie. Je remercie la
députée de Mirabel, le député de Sherbrooke, qui m'ont accompagné ce
matin, et nous nous retrouverons lundi après-midi pour poursuivre l'étude du
nouveau Code de procédure civile du Québec.
Le
Président (M. Ferland) : …je suis impatient de revenir lundi.
Alors, merci, M. le ministre. Je cède maintenant la parole au député de
Fabre pour un temps de 10 minutes. M. le député
M. Gilles Ouimet
M.
Ouimet (Fabre) : Merci, M. le Président. Alors, si je n'ai
pas le temps, je tiens à remercier les collègues de ce matin d'avoir
pris la peine de se déplacer. Merci aux gens qui accompagnaient le ministre.
Et le ministre a
réussi, M. le Président, avec ses collègues du côté gouvernemental, à passer au
travers de l'interpellation, deux heures de
débat, sans même une seule fois évoquer l'avis juridique de Me Brun. Alors, je
pense que ça mérite des
félicitations. C'est un exercice qui n'était pas facile. Je comprends le ministre
d'avoir été, disons, peu empressé à l'idée
de faire cette interpellation-là, la tâche était difficile, mais, en habile
politicien qu'il est, il a réussi à éviter de parler de la question qui
nous amenait ici, de même évoquer le point de départ, c'est-à-dire cet avis
juridique de Me Brun.
Ceci dit, si le ministre
n'en parle pas, les journaux, eux, ne se sont pas gênés pour en parler. Je vais
en citer quelques-uns, parce que,
s'il fallait que je cite tous ceux qui en ont parlé, ça me prendrait deux heures.
Mais Denis Lessard, le 9 septembre,
dans La Presse, écrivait : Le constitutionnaliste de l'Université Laval, Henri Brun, a été «consulté par le Conseil exécutif» et concluait, après avoir cité l'avis de Me Brun, qui
avait fait une entrevue à La Presse : «C'est avec cette
opinion en poche que la première ministre […] a pu conclure que son projet
respecterait [la charte] canadienne et québécoise des droits [et libertés].» De même, le 14
septembre 2013… et là je cite au hasard, là, Paul Journet, qui disait,
de son côté : «Dans une entrevue
accordée à La Presse mardi, le ministre responsable du projet de charte a répété que
son projet serait constitutionnel.» Et, un peu plus dans l'article, on lit — citant
le ministre des Institutions
démocratiques : «On a obtenu également des avis indépendants, comme celui
de M. Brun.» Et enfin, le vendredi 13 septembre, le chroniqueur Yves Boisvert disait ceci, ce qui est très
intéressant : «M. Brun, délivré du secret professionnel, peut s'exprimer
publiquement pour défendre tant bien que mal
la validité du projet. Tandis que les juristes du ministère de la Justice sont tenus par le
secret professionnel et leur avis ne peut être rendu public.»
Il est là, le
problème, M. le Président. Le gouvernement choisit de révéler ce qui fait son
affaire. L'avis de Me Brun faisait l'affaire
du gouvernement, le gouvernement a décidé de le révéler. Les autres avis, que je
ne connais pas… et c'est la raison de l'interpellation, ce qu'on dit au gouvernement,
c'est : Arrêtez de vous vanter de faire preuve de transparence et agissez. Vous
avez obtenu des avis du ministère de
la Justice, j'en suis convaincu.
Révélez ces avis de sorte que la population
ait le portrait complet sur ce projet de consultation, la charte des
valeurs. Et c'est ça qui est l'enjeu. Le
gouvernement choisit de révéler ce qui fait son affaire et
évite le sujet, et l'interpellation de ce matin est la plus belle démonstration qu'on pouvait espérer de cette façon
qu'a le gouvernement d'éviter de parler des vraies affaires, de
dire les choses telles qu'elles sont. Et on nous a livré un très bel exercice
théorique sur le secret professionnel, complètement déconnecté de la réalité.
• (12 heures) •
La société québécoise
vit, depuis le mois d'août, un débat, qui divise, sur la charte des valeurs. Je
l'ai dit d'entrée de jeu, M. le Président, cette question de la charte des valeurs, il y a
des points qui font consensus. Et, si on voulait aider la société sur la base des points qui font consensus,
on réglerait ça tout de suite. L'égalité hommes-femmes, les balises sur les accommodements
raisonnables, la neutralité religieuse de l'État et le fait d'avoir des
services à visage découvert auprès de l'État, ces points font consensus
pour toutes les formations politiques. Si on voulait régler la question, si on
voulait aider la société, on l'aborderait.
Qu'est-ce
que fait le gouvernement? Et j'écoutais les représentants du gouvernement et le
ministre parler de petite politique
et me reprocher, à moi, de faire de la petite politique. Quand on regarde les
faits, je pense que, la petite politique, on voit bien qui en fait. Et
le choix stratégique du gouvernement, parce que c'est carrément ça dont il est
question, le choix stratégique du gouvernement de révéler ce qui fait son
affaire et de dissimuler en invoquant des beaux grands principes, tel le secret
professionnel, c'est un choix stratégique, et la population n'est pas dupe de
ces stratégies.
L'interpellation
de ce matin, M. le Président, visait à dénoncer ce choix stratégique, cette
façon de présenter la réalité, parce
qu'on nous parle de tous les avis des juristes qui seront entendus
éventuellement sur le projet de loi. Il y a une chose que le ministre de
la Justice minimise par ses propos en disant ça, il minimise l'expertise des juristes
de l'État, des spécialistes de droit
constitutionnel dont il est fier. Et je le sais, qu'il est fier de ces
juristes. Je suis fier des juristes de l'État. Ces gens, ces hommes et
ces femmes, qu'on envoie devant les tribunaux quotidiennement pour plaider ces questions-là sont des gens en qui la population du
Québec peut avoir confiance, entre autres, au-delà de leur expertise professionnelle, parce qu'ils sont apolitiques.
Ils ne prêchent pour aucun parti, ils défendent l'intérêt public, et c'est
ça qui est l'intérêt de divulguer leurs avis
sur le projet de consultation tel qu'il est parce que ça donne un éclairage
apolitique. Malheureusement pour Me Henri Brun, pour qui j'ai le plus grand
respect comme juriste, les gens peuvent se dire : Puisqu'il a été mandaté, puisqu'on lui a donné un contrat, peut-être que
son avis, le seul que le gouvernement a choisi de divulguer, peut-être
que son avis est, malheureusement, intéressé. Et le gouvernement gagnerait en
crédibilité. Et c'est que Gilbert Lavoie
dénonçait dans Le Soleil il y a quelques jours : le ministre…
je pense que le titre de son article, c'était
Le ministre culotté, parce que le ministre des Institutions
démocratiques avait choisi de révéler l'avis de Me Brun mais se cachait ou évidemment évitait même de
reconnaître les autres avis qui pouvaient ne pas être favorables à son
projet.
Alors,
il est là, le problème, M. le Président. Et c'est un principe fondamental.
Autant le secret professionnel est une valeur fondamentale dans notre
société, ce que j'ai plaidé pendant 25 ans devant les tribunaux, c'est un droit
protégé par notre Constitution et c'est au
coeur de notre société de droit. Maintenant, quand on décide de révéler des
avis, comme gouvernement, on ne peut
pas jouer avec la vérité, on ne peut pas révéler certaines choses et en cacher
certaines autres. Ça, c'est nier l'engagement qu'on a pris de faire
preuve de transparence.
Je l'ai
répété, la première ministre, en cette Chambre, a, mardi dernier, affirmé que
son gouvernement faisait preuve de
transparence et qu'elle dirait la vérité aux Québécois. Je pense qu'il est
temps, M. le Président, forte de cet engagement solennel qu'elle a pris en cette Chambre, qu'elle accepte de divulguer
les avis des juristes de l'État, qui ont été fournis, sur ce projet de
consultation de charte des valeurs, parce qu'à l'heure actuelle l'avis le plus
percutant par une de nos institutions les
plus importantes, la Commission des droits de la personne du Québec… Je le dis,
que c'est une institution importante,
et le ministre de la Justice le rappelle tout le temps parce
que nous choisissons... L'Assemblée nationale désigne le président de cette institution, et nous l'avons fait au mois de juin dernier, à l'unanimité, lorsqu'on a nommé Me Jacques
Frémont. Alors, cette institution importante, il faut qu'on l'écoute.
Pour
l'instant, c'est le seul avis apolitique qu'on a eu. Et la Commission des
droits de la personne a taillé en pièces le projet de consultation du
ministre des Institutions démocratiques en soulignant, et ça vaut la peine de
le rappeler, de dire... et le débat porte exclusivement, et tout le monde
s'entend… c'est sur la question de la limite raisonnable de l'atteinte à la liberté de religion. Et la
Commission des droits de la personne du Québec a frappé le clou sur la tête,
comme on dit, en soulignant que l'objectif poursuivi peut difficilement être
qualifié d'urgent au point d'enfreindre la Charte des droits et libertés. On se base davantage sur des perceptions, des impressions que sur la
réalité. Le véritable problème auquel
il faut s'attaquer comme société, c'est l'intégrisme religieux. Il est là, le
problème. Et il faut avoir des mesures concrètes
pour s'attaquer à ça. C'est ce à quoi nous voulons nous attaquer. Arrêtons de
vouloir imposer un code vestimentaire, arrêtons de diviser les Québécois,
adoptons une charte sur laquelle… les points qui font consensus et attaquons-nous à l'intégrisme religieux, qui est
le véritable fléau qui confronte toutes les sociétés du monde. Et c'est
à ça, M. le Président, que je nous convie.
Ceci dit, en
terminant, je déplore encore une fois que le gouvernement ait choisi de manquer
à son engagement de transparence. Merci, M. le Président.
Le
Président (M. Ferland) : Alors, merci, M. le député. Je lève
donc la séance. Et la commission, ayant accompli son mandat, ajourne ses
travaux au lundi 4 novembre 2013, à 14 heures, afin de poursuivre l'étude
détaillée du projet de loi n° 28.
Et, sur ce, je vous souhaite une excellente fin
de semaine et à lundi. Bon week-end à tous.
(Fin de la séance à 12 h 6)