(Onze heures vingt-deux minutes)
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, nous allons débuter nos travaux. Donc, ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Et, si vous avez des cellulaires, bien vouloir les fermer, ou tous les bidules qui pourraient nous distraire.
Donc, je vous rappelle: le mandat de la commission est de procéder à des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements.
M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
Le Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Beaudoin (Mirabel) est remplacée par M. Kotto (Bourget) et Mme Hivon (Joliette) est remplacé par M. Charette (Deux-Montagnes).
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, je vous souhaite la bienvenue et bon matin à tous. Mme la députée de Rosemont, oui?
Mme Beaudoin (Rosemont): Est-ce que je peux poser une question en préalable?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Bien oui.
Mme Beaudoin (Rosemont): À vous?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Bien sûr, si ce n'est pas indiscret.
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Beaudoin (Rosemont): Non, ce n'est pas indiscret. Avant d'enchaîner justement avec la journée d'aujourd'hui, comme ce n'est pas terminé -- il restait encore beaucoup de mémoires à entendre, là, la journée d'aujourd'hui ne... ça ne peut pas se terminer, les auditions ne se termineront pas avec la journée d'aujourd'hui -- est-ce que je peux avoir une indication, M. le Président, de quand nous allons continuer à entendre, donc, les mémoires qui ont été déposés, depuis le mois de mai dernier, à cette commission, pour ce projet de loi?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Bien, en fait, Louise, c'est jusqu'au jeudi 21 octobre 2010, jusqu'à 18 heures.
Mme Beaudoin (Rosemont): Oui, mais ça ne peut pas être terminé.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Pardon? Oui, Mme la ministre.
Mme Weil: J'ai reçu des informations. On m'a confirmé aujourd'hui qu'on est en train de chercher des dates. Alors, on va poursuivre. Ça sera des lundis, peut-être des vendredis, je ne sais pas, mais ils vont nous trouver des dates.
Mme Beaudoin (Rosemont): Vous n'allez pas dans votre comté, vous, les lundis et vendredis?
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Weil: En tout cas, ils vont nous trouver des dates.
Mme Beaudoin (Rosemont): O.K. Donc, on en cherche.
Mme Weil: Oui, absolument.
Mme Beaudoin (Rosemont): Vous confirmez qu'il y aura d'autres...
Mme Weil: Oui. Et il y aura des discussions, évidemment, entre les leaders.
Mme Beaudoin (Rosemont): Entre leaders.
Mme Weil: C'est ça.
Mme Beaudoin (Rosemont): Très bien.
Mme Weil: Donc, la volonté, évidemment, est là de poursuivre, mais il y a un agenda législatif assez important.
Mme Beaudoin (Rosemont): Très bien.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, effectivement, et nous souhaitons tous que ce ne soient pas les lundis ni les vendredis, bien sûr, parce que nos comtés, nos électeurs requièrent notre présence, compte tenu de notre grande responsabilité. M. le député de Deux-Montagnes, vous serez d'accord avec moi. Je vous souhaite la bienvenue. M. le député de Bourget, bienvenue à notre commission. C'est toujours un plaisir de vous revoir. M. le député de Rouyn-Noranda--Témiscamingue, c'est un privilège de vous avoir avec nous aujourd'hui. Mme la députée de Gatineau, Mme la ministre, bienvenue ce matin.
Auditions (suite)
Donc, puisqu'on parlait de l'ordre du jour, donc je vous rappelle l'ordre du jour d'aujourd'hui. Nous entendrons: d'abord, l'organisme pour la communication, l'ouverture et le rapprochement interculturel; M. Gérard Lévesque; à 15 heures, nous poursuivrons avec Mme Irène Doiron et M. Pierre Layraud; Mme Diane Guilbault ainsi que M. Sheldon Keith.
Et je vous rappelle... Bonjour, mesdames. Vous êtes les bienvenues à notre commission. Beaucoup de palabres, mais sincèrement je sais que vous avez fait beaucoup... Vous venez de Montréal, si je ne m'abuse, donc vous avez fait beaucoup de millage ce matin, très tôt ce matin. Merci d'être avec nous. Vous avez 10 minutes pour votre présentation, et il y aura une période d'échange de 50 minutes. Donc, au nom de tous mes collègues, je vous souhaite la bienvenue à la Commission des institutions. Donc, à vous la parole, mesdames.
Organisme de communication
pour l'ouverture et le
rapprochement culturel (COR)
Mme Laouni (Samira): Merci. Alors, je vais commencer par vous remercier de nous donner cette opportunité, cette chance pour vous faire part de nos réflexions et aussi pour vous faire part de nos appréhensions par rapport à tout ce débat-là d'aujourd'hui. Je m'appelle Samira Laouni et je suis la fondatrice présidente du COR, Organisme de communication, ouverture et rapprochement interculturel. C'est un organisme sans but lucratif.
Grâce à notre travail sur le terrain, à nos échanges avec les intervenants sociaux, avec les chercheurs, avec les féministes, nous comprenons très, très, très bien, je dirais, la donne et puis ce qui se passe aujourd'hui, actuellement, au Québec. Mais, nous, nous ne sommes pas toujours d'accord avec certaines appréhensions de nos citoyennes et citoyens... de nos concitoyennes et concitoyens, excusez-moi. Nous constatons et déplorons le manque de relations entre les communautés, cause de beaucoup d'incompréhension, et c'est pourquoi nous avons fondé justement le COR.
En fait, le COR a pour mission de réduire certaines méconnaissances, certains préjugés et stéréotypes entourant les femmes musulmanes, entre autres, de construire des ponts solides de communication et d'échange, et de se placer comme un interlocuteur privilégié dans les débats sur la cause des néo-Québécoises.
Notre réflexion, en fait, porte sur la québécisation de la communauté musulmane. Pour nous, il est bien évident que le projet de loi n° 94 n'aurait pas été formulé s'il n'y avait pas eu les récents flux d'immigration actuels, entraînant l'augmentation de la communauté musulmane, bien entendu, parce que c'est une communauté francophone, de surcroît. Par un extrême malheur, des tragédies internationales qui ne dépendent pas de nous ont amené certains de nos concitoyens à regarder cette communauté d'un oeil suspicieux, et cette suspicion nuit à l'embauche. Or, l'intégration, de notre point de vue, c'est une question qui est désirée par toutes et tous, c'est une question, d'abord et avant tout, de l'emploi, d'intégration par l'emploi.
Donc, les vrais problèmes auxquels il faudrait s'attaquer, à notre avis, ne sont-ils pas d'ordre... d'abord, l'égalité économique et sociale entre les femmes et les hommes, et entre les nouveaux arrivants et les anciens, les, comment dirais-je, vieux arrivés, et puis aussi l'intégration de toutes et tous à notre société? Or, l'intégration passe d'abord par l'emploi. À quand des mesures efficaces pour donner accès à l'emploi à tous, particulièrement aux immigrants, mais encore plus particulièrement aux femmes immigrantes?
En somme, la menace à l'égalité des femmes avec les hommes ne provient pas de l'immigration, ni d'un quelconque code vestimentaire, ni de la présence ou non de religion; elle provient d'autres causes, comme il est démontré dans ce mémoire que les membres du COR vous présentent.
Donc, nous tenons d'abord à bien préciser notre position par rapport au projet de loi n° 94. Nous tenons à faire part de nos réflexions. Nous sommes sensibles au fait que le gouvernement libéral, sous la direction de M. Charest, ait pris position en faveur d'une laïcité ouverte. Nous reconnaissons qu'il faut des balises, nous le reconnaissons très, très bien et nous le soulignons, qu'il faudrait des balises quant à la sécurité, la communication et l'identification. Et il nous paraît par ailleurs illogique d'interdire quoi que ce soit sous prétexte de défendre la liberté.
**(11 h 30)** Ce projet de loi contribuera-t-il réellement à régler les problèmes auxquels font face ou sont confrontées les femmes en général, celles issues de l'immigration en particulier et, encore plus particulièrement et plus spécifiquement, celles qui sont issues des minorités visibles?
De quelle égalité hommes-femmes parlons-nous? À mon avis, nous sommes totalement en faveur de l'égalité hommes-femmes, ça, c'est clair, mais contre la hiérarchisation des droits qui empêchent l'application du principe d'égalité entre les hommes et les femmes ainsi que les femmes entre elles.
Mais nous allons parler ici, et je tiens absolument vraiment à vous mentionner, à vous faire part de notre inquiétude... c'est les problèmes réels et très sérieux que rencontrent toutes les femmes du Québec et qui sont d'ordre économique, d'ordre politique et institutionnel et d'ordre social, comme d'ailleurs l'a bien souligné la féministe et historienne, Mme Micheline Dumont.
Donc, si on prend l'équité salariale, elle n'est pas encore complètement atteinte. On en est encore à 68,6 % que prend une femme par rapport au salaire de l'homme. Pourtant, une loi fut votée il y a déjà 14 ans. Donc, cela concentre davantage la pauvreté et la précarité au féminin.
La parité d'ordres politique et institutionnel. Malgré toute la bonne volonté du gouvernement Charest, on n'en est pas encore arrivés à la vraie parité. On en est à 28,8 % de femmes députées et puis, pour parler des villes, il y a à peine 17 % de mairesses au Québec.
Donc, sur le plan social, on voit la violence faite aux femmes sous toutes ses formes qui perdure et demeure encore d'actualité. Il suffit de voir ce qui se passait le week-end dernier avec l'assassinat de la dame à Montréal-Nord.
L'absence de places en garderie subventionnées et l'inexistence des services de garde dans les institutions politiques. Même ici, dans le parlement, il n'y a pas d'institution de service de garde pour les femmes députées, pour qu'elles puissent être à l'aise et faire leurs jobs comme elles veulent.
Ainsi, pour nous, la liberté et la justice, l'égalité et l'équité sont des valeurs que nul ne doit utiliser de façon réductrice et surtout pas à des fins partisanes. Ces valeurs doivent être non seulement préservées mais surtout intégrées dans notre vie quotidienne afin de fournir cette quiétude et cet épanouissement tant convoités par toutes et tous.
Considérons maintenant la dure réalité des femmes immigrantes au Québec. En 2006, elles représentaient plus de 50 % de l'immigration. 75 % d'entre elles avaient moins de 35 ans, et 19 % d'entre elles avaient un diplôme universitaire versus 13 % au Québec. Je vous fais fi des autres chiffres; vous les avez dans les mémoires que nous vous avons déposés.
Le taux de chômage des immigrants arrivés très récemment au Québec est trois fois plus élevé que celui des femmes nées au Québec. 50 % des femmes immigrantes qui détiennent un emploi travaillent dans des secteurs atypiques dont le salaire moyen est de 16 000 $ -- voilà les réels problèmes -- contrairement à ce qu'elles vivaient avant de s'établir au Québec. En effet, de façon générale, les femmes immigrantes sont dans des emplois où elles sont souvent surqualifiées et sous-payées. Elles sont très peu présentes dans les postes décisionnels et dans la fonction publique, qui pourrait leur offrir des conditions de travail avantageuses tout en donnant ainsi l'exemple par excellence au secteur privé du Québec. Pour ce qui est de l'intégration des immigrants en général, elle se fait par une égalité des chances à l'emploi, à la scolarisation, aux soins de santé, etc.
Quelques pistes de solution, d'après nous. D'abord, il faudrait plus d'organismes qui favoriseraient une meilleure conscience du milieu de l'emploi au Québec et les différentes stratégies pour y accéder. D'autre part, il faut contrer les embûches posées par les ordres professionnels à faciliter les stages, afin que les immigrants puissent connaître les façons de faire dans leurs milieux professionnels au Québec et acquérir leur première expérience de travail québécois. Et, hors frontières, à l'extérieur, il faut aussi accomplir un travail majeur au moment de sélectionner les candidats à l'immigration: il faut leur fournir de véritables statistiques sur leurs chances de trouver du travail dans leurs domaines et sur le taux de chômage des personnes des mêmes champs de compétence au Québec et la reconnaissance des diplômes et des compétences à même les pays d'origine. D'ailleurs, ça a été notre revendication lors de la Marche mondiale des femmes 2010.
Donc, l'intégration, à notre sens, ce n'est pas une question vestimentaire, c'est une question vraiment d'intégration à l'emploi. Si ce n'est pas le cas, le danger, c'est un danger d'un repli communautariste.
Dans les années soixante-dix, on sait que les immigrants venant du Maghreb, du Moyen-Orient étaient vraiment... Je dirais, à cette époque, l'intégration était plus facile grâce à l'accès au marché du travail. La volonté d'intégration était réelle et l'aspiration à l'appartenance, très forte. Du côté de la population québécoise, la prestation était positive et encore dénuée de préjugés à l'égard des immigrants musulmans.
Malheureusement, des nuages gris ont commencé à se former sur le Québec. L'image des musulmans du Québec s'est trouvée façonnée par ce qui se passe sur la scène internationale et qui n'est pas du tout de notre fait: le 11 septembre, le Moyen-Orient, le Golfe, etc. Il n'en demeure pas moins que les musulmans d'ici, qui ne représentent environ que 2,5 %, d'après les dernières statistiques, en sont directement et injustement affectés. Une communauté en plein désarroi ne comprend pas ce qui lui arrive, devient la cible de certains médias, de certains intellectuels. Inévitablement, sa perception de son entourage change et entraîne une détérioration de son sentiment d'appartenance. En effet, ce sentiment, pour être réel, doit être réciproque. Les musulmans auront beau vouloir s'intégrer, ils n'y parviendront pas s'ils sont désormais rejetés.
En guise de conclusion, le Québec est choyé à bien des égards, et j'en suis très consciente. Mais il donne parfois l'impression de s'inventer des problèmes et de les exagérer avec le débat émotif et émotionnel qu'on a actuellement. Des médias peu scrupuleux, des intellectuels en mal de notoriété et des politiciens malheureusement opportunistes s'ingénient à faire peur au monde, selon une expression populaire. La communauté musulmane se trouve donc, bien malgré elle, au coeur d'un psychodrame regrettable. Elle espère que son appel à la raison sera entendu pour éviter les drames et les souffrances que pourrait causer la pseudo-menace montée de toutes pièces à partir d'incidents somme toute mineurs et isolés, on en conviendra tous et toutes.
Ils ne sont pas venus pour y reproduire leur société d'origine -- si on est parti de chez nous, ce n'est pas pour refaire la même chose -- mais, pour s'intégrer dans une société qui leur garantit des droits et des libertés et un avenir prometteur pour leurs enfants. Les musulmans du Québec aiment ce pays -- et je peux en témoigner -- que nous avons choisi. Ils veulent y vivre en toute sécurité et en toute justice. Ils veulent contribuer à bâtir l'avenir de leur pays d'adoption. Ils sont venus avec leurs racines qu'ils ont plantées dans cette terre d'accueil. Ils ont besoin d'air, de soleil, de terre pour donner d'excellents fruits. Est-ce que c'est ce que nous sommes en train de faire?
Je vous remercie et je suis à votre disposition... Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions. Merci.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Mme Laouni. C'est possible de présenter vos deux collègues, s'il vous plaît, pour les bénéfices de ceux qui vous écoutent?
Mme Laouni (Samira): Alors, Mme Marie-Andrée Provencher, membre de notre organisation, le COR, et Mme Carmen Chouinard, aussi membre du COR et, derrière, M. Maallah Abderrahim, membre du COR aussi.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci beaucoup pour votre présentation. Donc, la période d'échange, Mme la ministre.
Mme Weil: Oui. Alors, bienvenus à notre commission, Mme Laouni et vos collègues. Je sens beaucoup de passion chez vous et une certaine... une grande inquiétude, grande inquiétude, et je vous comprends, et je pense qu'on est ici pour écouter tous les points de vue.
Avant de vous poser des questions, je pense qu'il faut quand même situer tout le débat qu'on a sur la place de la religion dans la société québécoise un peu dans une optique beaucoup plus historique que vous le faisiez et puis, si vous aviez entendu des groupes, ces derniers jours, c'est tout un vécu, je vous dirais, beaucoup avec l'Église catholique ici, au Québec, et je vous dirais que la passion des Québécois sur cette question de la place de la religion, ça va bien au-delà des événements du 11 septembre.
Il faut le mettre dans ce contexte-là. Donc, la volonté d'avoir un État laïque... le débat est vraiment: Qu'est-ce que ça veut dire, ça, un État laïque? Qu'est-ce que ça veut dire, la neutralité? Comment s'exprime la neutralité? Et on est en train d'entendre les points de vue sur cette question-là. On avait l'organisme qui représente les Juifs orthodoxes, d'ailleurs, qui ont bien souligné... Ils ont aussi des préoccupations. Pourtant, c'est une communauté qui est ici depuis plus de 100 ans. C'est des Québécois. Ils l'ont bien souligné et ont aussi les mêmes genres de préoccupations.
Alors, je vais vous amener sur les éléments essentiels. Finalement, c'est un projet de loi qui est tout petit, mais avec des articles qui ont beaucoup d'impact et beaucoup de... qui peuvent remuer beaucoup de sentiments, je pense, dans la société en général. Et j'aimerais peut-être qu'on aille un peu plus loin et ensuite vous poser des questions sur l'intégration et les stratégies, peut-être, que vous voyez.
Sur la question de la laïcité, vous dénommez ça, comme nous, la «laïcité ouverte», c'est-à-dire qu'un employé puisse porter un signe religieux tout en maintenant... et que le fait de permettre un signe religieux ne vient pas compromettre la neutralité de l'État. Êtes-vous d'accord avec ce principe-là, de l'enchâsser dans cette loi, de faire ce choix? L'idée... Lorsqu'on a fait l'annonce, le premier ministre l'a bien dit: Là, on fait un choix sur cette question de laïcité. Certains voudraient qu'on le définisse plus spécifiquement, mais le choix, c'est ce qu'on appelle la «laïcité ouverte», mais c'est dans le sens qu'on permet des signes religieux sans brimer la neutralité de l'État.
**(11 h 40)**Mme Laouni (Samira): Bien, tout à fait. À ce propos-là, justement, je l'ai bien souligné, nous sommes en faveur d'une laïcité ouverte, d'une neutralité de l'État, mais pas des individus, parce qu'il y a une différence, je pense, à mettre entre les institutions et les individus. Les individus sont libres d'être comme ils choisissent d'être, sans pour autant faire de prosélytisme, mais en même temps l'État, lui, doit être laïque, doit être neutre dans ce sens où il ne favorise ni religion ni non-religion. Donc, notre position est bien claire là-dessus.
Mme Weil: Très bien. Maintenant, je vais vous amener sur l'article 6. Alors, on a eu un groupe aussi représentant la communauté musulmane -- je n'ai pas le nom du groupe, je pense que c'était la Fédération des Canadiens musulmans -- et, en parlant de l'article 6, si je me souviens bien, ils ont dit: Oui, c'est vrai que, dans la société, c'est une pratique normale d'être à visage découvert. Et donc, vous voyez bien le langage de l'article 6, on l'amène sur un terrain très pragmatique, hein, même si c'est dans un projet de loi sur les accommodements. Eux, ils nous poussaient dans le sens d'essayer de trouver un langage. Ils comprenaient, ils étaient d'accord avec ce principe, et d'ailleurs ça se fait, hein, les gens vont se dévoiler souvent devant un fonctionnaire pour avoir leur permis de conduire, etc. Ils ont compris les objectifs de sécurité, donc identification et communication, mais voudraient qu'on trouve un langage pour faire en sorte de ne pas cibler une communauté en particulier. Donc, est-ce que vous serez d'accord avec cette position?
Mme Laouni (Samira): C'est tout à fait ce qu'on a écrit, ce qu'on a mentionné dans notre mémoire justement en termes de communication, d'identification, de sécurité. Dès lors qu'il est question de ces trois critères là ou un de ces trois critères, la femme devrait se dévoiler le visage. Mais, encore là, il faudrait bien préciser; je pense que toutes les terminologies, actuellement, de nos jours, sont galvaudées à toutes les sauces et que c'est très difficile de comprendre. Parce qu'on parle de femmes voilées, moi, je pense que je porte un foulard, je ne suis pas voilée. Donc, c'est très important de faire la distinction entre le niqab, le voile intégral, et le foulard, c'est deux choses complètement différentes. Et, dans ce sens-là, oui, dès lors qu'il est question de communication, d'identification ou de sécurité, la femme doit enlever son foulard, son niqab, le voile intégral, et je pense que c'est ce qui se faisait d'ailleurs même avant, ça n'a jamais posé de problème.
Ce qui un petit peu me... nous, nous déplorons, en fait, c'est le fait que, par exemple, une femme portant un voile intégral, qu'elle aille chercher des soins, par exemple, et que là ce n'est pas une question, ni de sécurité, ni donc... à part l'identification, O.K. mais, à part ça, il n'y a aucune autre question ou cause pour qu'elle se dévoile et qu'elle soit obligée ou qu'on lui refuse le soin. Ça, ça veut dire, à mon avis, remettre cette femme-là dans un isolement déjà qu'elle a choisi et davantage l'isoler.
Nous sommes sur le terrain en train de travailler à sortir ces femmes de leur cuisine, pas seulement sur le plan socioéconomique pour qu'elles aient une intervention, je dirais, et une intégration par l'emploi. Ce que nous faisons sur le terrain, c'est de sortir les femmes même sur le plan politique et citoyen: une participation par le bénévolat, une participation dans les débats, etc. Donc, quand on entend parler d'interdire, ça vient tout de suite nous casser notre travail, notre élan, pour dire à ces femmes-là: Oui, vous avez tout à fait raison, allez-y, dans vos ghettos, il n'y a pas de problème. Mais je comprends et je suis tout à fait d'accord, j'approuve qu'en termes de communication, de sécurité et d'identification il faille enlever son voile intégral.
Mme Weil: Merci. Là, je vais vous amener, évidemment, sur votre rôle, en tant qu'organisme, sur l'intégration. Je suis curieuse de vous entendre parce que, moi, c'est mon rôle aussi, en tant que ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles, de voir à l'intégration. Le Québec réussit bien l'intégration, mais quelles sont toutes les stratégies? Vous, évidemment... J'aimerais savoir, par rapport aux femmes qui seraient complètement voilées... Et vous avez parlé d'intégration en emploi, l'importance. Et, moi, je vous dis que c'est prioritaire pour le gouvernement du Québec, des nouvelles stratégies, d'ailleurs, qu'on a implanté, depuis quelques années, pour vraiment réussir cette intégration en emploi, parce que l'emploi, c'est vraiment peut-être le facteur le plus important dans l'intégration, la langue et l'emploi.
Qu'est-ce que vous faites? J'aimerais savoir les stratégies... Je sais qu'il n'y en a peut-être pas tant, de femmes comme ça, qui auraient le voile intégral, qui seraient vraiment cloisonnées. Nous, évidemment, l'article 6, c'est un premier geste, le projet de loi est un premier geste vers l'intégration. Comment vous faites pour essayer d'encourager, justement en emploi, une personne qui porte le voile intégral. Quelles sont vos stratégies?
Mme Laouni (Samira): Nos stratégies, c'est la sensibilisation, c'est par donner des exemples, c'est en donnant des exemples sur le terrain, en donnant des exemples de réussite, d'apport positif de l'immigration, de dire: Oui, elle est capable de faire. D'ailleurs, je ne me suis pas impliquée pour rien du tout en politique, en 2008. Je suis la candidate voilée dont tous les médias ont parlé, en 2008, et ce n'est pas pour rien. Je l'ai fait dans un sens de vraiment dire à mes semblables que c'est possible de le faire. Ce n'est pas parce qu'on porte un foulard que l'on ne peut pas jouer un rôle citoyen, politique, sur le terrain.
On est à part entière, des citoyennes à part entière. Je refuse d'être une citoyenne de second ordre. Donc, c'est par la...
Mme Weil: Je vous parle plus du niqab, là.
Mme Laouni (Samira): Le niqab, c'est par la sensibilisation, parce que je le vois justement, j'en parle avec quelques-unes d'entre elles et, plus c'est par l'interdiction, il y a comme une barrière complète qui s'installe contre la communication et puis l'échange, alors que, si on est dans une stratégie de communication, de sensibilisation, on peut les amener à enlever leur niqab pour s'intégrer à l'emploi.
Mme Weil: Très bien.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Mme Chouinard.
Mme Chouinard (Carmen): Oui. J'enseigne, à l'Université de Montréal, l'Islam. Je développe le féminisme religieux tant au niveau des religions abrahamiques, chrétiennes... religions abrahamiques, c'est-à-dire juive, chrétienne et musulmane et je travaille au sein des communautés musulmanes pour, en tout cas, amener l'argumentaire même en utilisant les écrits pour montrer, pour mettre en perspective le fait que le niqab n'est pas un fait religieux mais un fait de tradition.
Donc, même au sein de nos communautés, on a un propre travail à faire de façon à démonter cette image-là qu'ils ont. Bien sûr, la question est de comprendre pourquoi elles le portent, mais, si elles me disent que c'est pour une raison religieuse, aussi d'amener l'argumentaire pour montrer que, religieusement parlant, ça ne s'explique pas. Vous voyez?
Donc, ça, même... Et là, moi, je me dis: Ce n'est pas en mettant un interdit qu'on va changer les choses. Au contraire, c'est d'amener les gens, au sein de leur propre communauté, à démobiliser finalement, à démanteler, si on peut dire, l'argumentaire qui amène les femmes à le porter, mais ça, dans le respect aussi du choix de cette femme-là.
Alors, je ne pense pas que le fait d'interdire va changer quoi que ce soit, mais on a, nous-mêmes... En tout cas, au sein de ma propre communauté, je travaille pour ça.
Mme Weil: Pour l'instant, je n'ai pas d'autre question. Merci beaucoup.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. Mme la députée de Trois-Rivières.
Mme St-Amand: Il nous reste combien de temps, M. le Président?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): 10 minutes.
Mme St-Amand: 10 minutes? Alors, bonjour, bienvenue. Écoutez, j'aimerais ça vous entendre... Vous avez parlé tantôt de votre crainte que vous aviez de ces femmes qu'on va retourner dans leurs ghettos, qui n'oseront plus sortir. Vous semblez faire un travail assez exceptionnel, et évidemment on a une forte préoccupation de cet isolement des femmes présentement.
J'aimerais ça vous entendre sur c'est quoi, vos actions, les gestes que vous posez dans votre organisme.
**(11 h 50)**Mme Laouni (Samira): Alors, les gestes qu'on pose dans notre organisme sont à différents niveaux. D'abord, on donne des formations, des ateliers, des tables rondes, des déjeuners-causerie sur, par exemple, le féminisme en Islam, parce qu'il y a une sorte de féminisme en Islam, sur l'apport positif de l'immigration, tout l'apport... à tous azimuts, en fait. On fait aussi des formations. Par exemple, on donne des formations sur l'Islam, ici, ailleurs, hier et aujourd'hui. C'est très, très différent. C'est vraiment très diversifié. Donc, de par ces choses-là et puis au sein même de la communauté, on essaie d'amener les femmes à avoir une réflexion sur elles-mêmes que, oui, il y a des lois, oui, il y a des droits, oui, il y a des devoirs aussi, et que, parmi les devoirs que nous avons... Ce n'est pas seulement parce qu'on n'a pas trouvé un travail, parce qu'on n'a pas un salaire qu'on doit s'isoler et rester chez soi.
C'est mon cas, personnellement: j'ai un doctorat en économie internationale de la Sorbonne et je n'ai pas d'emploi, en termes d'emploi, mais je travaille. Je travaille des fois 60 heures semaine, que je fais de bénévolat, parce que je refuse d'être isolée, je refuse de rester encloîtrée entre mes murs et je refuse que tout ce que j'ai acquis comme connaissances ne servent pas, ne servent pas là où je suis. D'autant plus que j'ai vécu quand même 16 ans, avant de venir ici, en France, et j'ai vu la montée de la droite, comment elle s'est faite, et j'ai vu tout le processus par lequel ils sont passés -- la loi Pasqua en 1993, 1995, etc. -- et c'est ça qui a fait que j'ai pris ma décision, avec mon mari, de venir ici nous établir ici, au Québec, un pays de droits et de libertés, de francophonie, donc... C'est ces choses-là.
Donc, quand on voit, là, le résultat actuel, par exemple en France, les banlieues françaises, on se pose des questions. Est-ce que c'est vers ça qu'on veut partir? Je me considère la génération sacrifiée et je n'ai pas de problème avec ça, parce que je sais que justement... Tout à l'heure, Mme Kathleen Weil, vous parliez des orthodoxes, ils sont là, ça fait très longtemps, mais ils ont eu aussi leur vague de génération sacrifiée. Les Italiens aussi, les Chinois, les Turcs, les Grecs, chaque communauté a eu... Chaque vague d'immigration a eu son lot de problèmes, et je n'ai pas de problème avec ça, je l'accepte, je n'y vois pas de problème.
Par ailleurs, je refuse que mes enfants aient à payer ce prix-là que, moi, j'ai choisi: le prix de mon choix. Et, même si, moi, je ne le refuse pas, eux-mêmes, ils le refuseront parce qu'ils sont nés ici. Ils sont nés à l'Hôpital Sacré-Coeur. Donc, c'est des Québécois. Donc, on ne peut pas leur dire: Non, non, non, vous n'êtes pas intégrés, vous ne nous ressemblez pas, allez-vous-en chez vous. Ce n'est pas possible, ils sont d'ici.
Donc, c'est ça, ce que notre organisme essaie de faire, c'est d'essayer vraiment de rapprocher le plus possible les gens des communautés issues de l'immigration et aussi les Québécois qui sont ici depuis toujours et qui ont fait la Révolution tranquille et qui ont fait tout ce qui s'est passé. Parce que je comprends -- et je le disais tout au début de ma présentation -- totalement le cheminement que la femme québécoise a fait pour en être là où elle en est.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va?
Mme St-Amand: Madame...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Mme Provencher, vous auriez quelques éléments à nous dire?
Mme Provencher (Marie-Andrée): Oui. Vous nous avez demandé ce qu'on faisait dans le COR. Eh bien, moi, ma part, c'est d'aider des nouveaux arrivants à préparer les examens professionnels de français. Alors, j'aide des gens à préparer soit les examens de l'Office québécois de la langue française ou encore des enseignants diplômés à l'étranger à préparer les examens du ministère de l'Éducation et le SEL ou le CEFRANC que tous les enseignants au Québec doivent réussir. Alors, bien sûr que je suis en contact avec des nouveaux arrivants de tous les horizons: quelques-uns qui se considèrent francophones mais dont le français écrit n'est pas à la hauteur des attentes, et d'autres qui sont arrivés ici avec pas un seul mot de français, qui ont suivi, bien sûr, des cours de francisation, que ce soit du ministère de l'Éducation ou de l'Immigration, et que j'aide à franchir la dernière étape pour s'intégrer professionnellement en réussissant leurs examens professionnels de français.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Mme Provencher. Si vous le permettez, chers collègues, j'ai une ou deux questions à poser à Mme Chouinard. Merci pour la présentation du mémoire, madame, avec vos collègues.
Mme Laouni nous a parlé, à juste titre, que l'intégration passait par l'intégration de l'emploi. Et l'intégration, ça veut dire un élément important pour l'ensemble des communautés qui viennent à être accueillies au Québec, ici. Est-ce que vous pensez que le port du voile est la démonstration d'une volonté d'intégration de la société québécoise, Mme Chouinard?
Mme Chouinard (Carmen): Je m'excuse, je n'ai pas bien compris.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Est-ce que vous pensez que le port du voile...
Mme Chouinard (Carmen): Oui.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...est une démonstration de l'intégration ou de la volonté d'intégration de la société québécoise?
Mme Chouinard (Carmen): Quel voile?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Celui que vous portez aujourd'hui.
Mme Chouinard (Carmen): O.K. Je suis québécoise. Je suis née ici. J'ai vécu dans le Bas-Saint-Laurent pendant les 15 premières années de ma vie. Est-ce que j'ai l'air de quelqu'un qui n'est pas intégré?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Non, la question... Moi, je ne porte de jugement là-dessus. Je fais simplement poser des questions.
Mme Chouinard (Carmen): Non, non, bien, c'est ça, c'est ma réponse, c'est ma réponse. Je ne vois pas en quoi mon foulard est un signe de non-intégration. Et, si, pour reprendre les propos de quelqu'un que j'ai admiré pendant de nombreuses années, en disant que l'intégration, ça passe par la laïcité, je m'excuse, l'intégration, ça passe par l'emploi. Et mon emploi, ma compétence n'a rien à avoir avec ma tenue vestimentaire, que j'aie une crête sur la tête, plein de piercings, ça n'enlève rien ni à ma compétence ni à ma capacité de remplir un emploi. Donc, oui, selon moi, ce n'est pas un obstacle.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): O.K. Merci. J'aurais une autre petite question très pratique. À la polyvalente, dans plusieurs des polyvalentes, je vais vous parler celle de Le Boisé à Victoriaville, il y a des gens, il y a des familles qui sont arrivées de l'extérieur et puis, à l'intérieur de la polyvalente, on défend... D'ailleurs, il y a plusieurs gens qui sont venus témoigner du fait que le code vestimentaire était un élément d'intégration sociale important. Vous, vous semblez dire que ce n'est pas un élément déterminant, et je comprends bien ça. À l'intérieur de la polyvalente, le code vestimentaire, par contre, est un élément important d'intégration, c'est leur conviction, je la respecte aussi donc.
Et je me dis, dans une situation comme celle-là où, vous, vous ne pensez pas que le code vestimentaire est nécessairement un élément d'intégration et une institution, comme une polyvalente par exemple, interdit le port -- pour vous donner cet exemple-là, parce que ça nous a été donné en commission -- par exemple, de la casquette à l'école, comment vous interprétez ça lorsque des gens se présentent avec un voile ou comment on peut travailler dans des conditions comme celles-là?
Mme Laouni (Samira): Cette question nous a été déjà posée lors de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables, à savoir, par exemple, une juge qui porterait un foulard. Et là ma réponse était claire, et je maintiens toujours ma réponse, même s'il y a quelques années qui se sont écoulées là-dessus. C'est qu'il y a tellement d'emplois à faire et dans lesquels nos compétences ne seront pas du tout remises en cause qu'il ne faudrait pas aller chercher... Par exemple, je n'irai jamais aller chercher de devenir un gendarme ou une policière parce que je sais qu'il y a une tenue, un uniforme à respecter. Dès lors qu'il est question d'uniforme, je ne vois pas pourquoi est-ce que j'irais chercher ça.
Une voix: ...
Mme Laouni (Samira): Mais, par ailleurs, il y a les turbans pour les Sikhs. Mais, déjà, moi, je suis encore plus poussée dans ma réflexion là-dessus. Je dis que, dès lors qu'il est question d'uniforme, je respecte et je m'en tiens aux autres métiers, et il y en a tellement dans lesquels je pourrais travailler et dans lesquels je pourrais être compétente.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, dans un esprit de respect, vous prendriez quelle position à l'intérieur d'une polyvalente comme celle-là? Parce que les jeunes, eux, vous savez, les jeunes de la société québécoise en général, pour eux, l'élément d'intégration est très lié au code vestimentaire parce que le code vestimentaire leur permet d'intégrer, par exemple, un groupe, une gang, comme on dit, ou simplement un groupe social. À l'intérieur d'une polyvalente, il y a différents groupes, on les reconnaît avec leur code vestimentaire. Eux, ils ont l'air à accorder beaucoup d'importance avec ça, vous, non.
Mme Laouni (Samira): Non, pas du tout parce que, moi, je trouve que, si on devait se ressembler tous et toutes, je pense qu'on serait allés vers un système de clonage où tout le monde aurait les mêmes yeux, les mêmes cheveux, la même taille et la même largeur d'épaule.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Je comprends. Je comprends ce que vous dites, oui, oui.
Mme Laouni (Samira): Non, non. C'est très important pour moi. Pour moi, les individus sont tellement différents dans leur façon d'être et leur façon de se présenter, et l'important, ce qui nous unit, je pense, c'est nos valeurs, la langue et les choses qu'on est en train de faire. Nous sommes ici unis aujourd'hui pour discuter d'un projet de loi entre nous, ce n'est pas pour autant que nous partageons toutes les idées et que nous partageons tous les points de vue ensemble de la même manière.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme Chouinard.
Mme Chouinard (Carmen): ...en disant que, justement, les jeunes dans les polyvalentes veulent se distinguer par leur code vestimentaire. Alors, pourquoi les jeunes femmes musulmanes portant le foulard ne se distingueraient pas puisqu'il faut parler de distinction? Quel est le problème?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Non, c'est intéressant, votre réponse, très intéressant. Merci beaucoup, Mme Chouinard. Mme la députée de Rosemont.
**(12 heures)**Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. Merci. Merci beaucoup. Alors, bonjour et bienvenue. Alors, vous connaissez notre position. Je n'essaierai certainement pas de vous en convaincre, mais vous ne me convaincrez pas de la vôtre non plus. Ceci étant, on peut avoir une discussion...
Mme Chouinard (Carmen): ...discussion d'aujourd'hui?
Mme Beaudoin (Rosemont): Bien, écoutez, à échanger, à échanger quand même. Mais, au bout de la ligne, je serais... Je dis...
Mme Chouinard (Carmen): C'est un dialogue de sourds, donc.
Mme Beaudoin (Rosemont): Hein?
Mme Chouinard (Carmen): C'est un dialogue de sourds, donc.
Mme Beaudoin (Rosemont): Bien, écoutez, je pense qu'on a chacun des positions. Vous connaissez la mienne, la vôtre, vous nous l'avez évoquée, et je vous dis tout simplement: Vous ne m'en ferez pas changer. Mais je veux bien la comprendre, cependant. Je veux bien la comprendre. C'est une autre chose. Parce qu'il y a des choses sur lesquelles on peut être d'accord justement, et c'est celles-là sur lesquelles je voulais revenir en disant: Il y a deux choses sur lesquelles je suis absolument, totalement en désaccord et qui...
Ce midi d'ailleurs, je rencontre Wassyla Tamzali, qui vient ici, à l'Assemblée nationale, et qui est une Algérienne, comme vous le savez sans aucun doute, et qui a écrit un livre, là, Féministes, je vous écris d'Alger, et qui a écrit un article... En fait, il y avait une entrevue avec elle, dans Le Devoir, cette semaine. Donc, elle vient. Alors, je comprends que la position, je comprends ça parfaitement bien... Parce que, quand Françoise David est venue, on a dit: Le mouvement féministe québécois est divisé sur cette question, divisé sur cette question.
Cet après-midi, il y aura Diane Guilbault, qui vient du mouvement Sisyphe, là, qui est un site et puis, bon, qui a écrit un livre qui s'appelle Démocratie et égalité des sexes. Alors, j'ai convenu, en effet, avec Françoise David... On a pu se parler quand même, là, je veux dire. Puis Québec solidaire n'a pas la même position que le Parti québécois et que le Conseil du statut de la femme, qui est là pour conseiller le gouvernement... n'a pas la même position que la Fédération des femmes. Pas pires amis, je veux dire, mais, bon, on a chacune des positions assez claires, assez claires sur ces questions-là.
Et je crois que c'est une des choses qui nous, justement, divise avec le Parti libéral. Il faut quand même qu'en démocratie il y ait des choses sur lesquelles on ne s'entende pas. Il y a donc des partis politiques différents, qui portent des positions différentes. Le Parti libéral porte cette position de laïcité ouverte. Nous portons cette position de laïcité tout court. Alors, c'est bien qu'en démocratie on puisse... Donc, non seulement on est souverainistes, ils sont fédéralistes, mais qu'il y ait autre chose qui distingue les partis politiques... Québec solidaire se dit féministe, souverainiste aussi, Québec solidaire. Et donc, on n'a pas ces mêmes points de vue.
Mais ce sur quoi je voulais revenir, c'est que, concernant l'intégration en emploi, sur cette question-là, sur la reconnaissance des diplômes, bon, vous le savez, on a voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale une loi reconnaissant donc la mobilité professionnelle avec la France, avec une reconnaissance des diplômes. Et ça, ça nous a beaucoup intéressé, à l'opposition officielle. Ça a été voté à l'unanimité. Ça a été présenté par le ministre, à l'époque, des Relations internationales, Pierre Arcand.
Et donc, nous, ce qu'on a écrit dans notre proposition principale, c'est qu'il va falloir étendre ce genre d'ententes de mobilité professionnelle et de reconnaissance des diplômes -- vous y avez fait un peu allusion -- avec d'autres pays de la francophonie. Et, pour moi, les pays de la francophonie les plus intéressants à cet égard sont les pays d'où proviennent l'immigration au Québec, donc essentiellement l'Algérie, la Tunisie, le Maroc. Bon.
Et ça, on a donc écrit qu'on souhaitait conclure donc de nouvelles ententes en ces matières-là, parce qu'avec la France, dans le fond, c'est bien d'avoir commencé avec la France, parce que c'était le plus facile, en quelque sorte, étant donné les relations France-Québec, étant donné l'historique, 50 ans de relations directes et privilégiées, mais qu'il faut aller au-delà de ça avec des pays francophones, et vous l'avez dit.
Quand de ces pays proviennent des nouveaux arrivants, des néo-Québécois, c'est... Un des éléments dans la grille, c'est justement la langue française. Ça donne un certain nombre de points dans la grille. Vous disiez, Mme Provencher donc, que vous alliez encore plus loin, parce que... pour le français écrit puis justement pour les ordres professionnels. Et on dit aussi par rapport à ça que les professions réglementées... On sait très bien qu'il y a une grosse résistance de la part de l'Office des professions par rapport... Parce que, moi, dans mon bureau de comté dans Rosemont, là, ce que je vois, c'est des gens qui me disent: Je suis ingénieur, je suis ceci ou cela et je n'arrive pas, justement, à percer le mur des ordres professionnels.
Alors, là-dessus, donc, on peut au moins s'entendre là-dessus, à moins que vous ne soyez pas d'accord avec ça, mais, nous, ça nous semble deux mesures intéressantes et qu'on a inscrites dans notre proposition principale.
Et je voudrais terminer en disant que tout le processus de sécularisation du Québec que vous avez justement aussi indiqué que vous compreniez, là, où les femmes québécoises, enfin, certaines d'entre elles, pouvaient en être rendues... Il est sûr que, depuis 50 ans, il y a eu un processus de sécularisation et que toute la question de la place de la religion dans l'espace que j'appelle civique, moi, pas dans l'espace public... Je pense qu'il y a trois espaces qu'il faut distinguer: l'espace privé, l'espace public, qui est celui des parcs, qui est celui du marché, qui est celui de la rue, etc., puis qu'il n'est pas question, dans notre esprit, de réglementer ou toucher de quelque façon que ce soit, que ce soit pour la burqa d'ailleurs ou que ce soit pour quelque tenue vestimentaire, et puis il y a l'espace civique, qui est celui, en effet, de la relation entre le citoyen, et l'État, et les agents de l'État, et c'est là qu'est notre grande, grande divergence, comme vous le savez, avec Guy Rocher, avec d'autres, quand même, qui ont réfléchi aussi à ça, à l'Université de Montréal, et qui nous disent qu'en effet l'agent et l'État ne se distinguent pas et que l'agent ne peut pas se dissocier de l'État, que la structure n'existe pas par elle-même, mais qu'elle est incarnée, cette structure, par des agents, etc., et que, par conséquent... Vous connaissez notre position sur le port des signes religieux.
Alors, je voulais quand même vous signaler qu'il pouvait y avoir des points de convergence entre nous tous -- parce que je pense que là on peut dire «entre nous tous» -- mais c'est vrai qu'il y a des points de divergence, je les ai signalés.
Et je voulais tout simplement terminer en vous... Vous connaissez certainement notre vice-présidente ici, à l'Assemblée nationale, Mme Fatima Houda-Pepin, qui a écrit des textes qui sont extrêmement intéressants sur ces questions-là. Et, moi, je ne connais pas bien l'Islam, c'est vrai, je veux dire, bon, je ne suis pas une spécialiste, je suis une citoyenne, bon, qui essaie du mieux possible, bon, de faire son travail. Mais elle a écrit des textes, dont un qui est assez clair, hein, qui s'intitule: Les femmes musulmanes ne sont pas un groupe monolithique. Je pense qu'on va en convenir, de la même façon que les féministes ne sont pas un groupe monolithique, ça, c'est clair. Et puis elle en a écrit un autre qui est extrêmement intéressant, en 2007, dans La Presse, donc c'est public, là, je ne dévoile pas de secret: «...le Canada apparaît comme le ventre mou de l'Occident à cause des libertés fondamentales dont les extrémistes eux-mêmes jouissent.» Et c'est un texte intéressant qui...
Mme Chouinard (Carmen): ...d'extrémistes, madame.
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Beaudoin (Rosemont): Pas du tout, mais je dis... Pas du tout. Mais elle parle là-dedans du voile, entre autres, et je vous dis tout simplement: Lisez ce texte-là parce que...
Mme Chouinard (Carmen): ...
Mme Beaudoin (Rosemont): Ah! vous l'aviez lu? O.K.
Mme Chouinard (Carmen): Je me tiens à jour, quand même.
Mme Beaudoin (Rosemont): Mais oui. Mais alors, ce que je veux dire, c'est qu'il peut y avoir... Alors, vous m'agressez, là, depuis tantôt, ça commence à m'énerver, là! Bon. Alors, je vous dis que la vice-présidente de l'Assemblée nationale a une opinion différente de la vôtre et puis que je peux la partager, cette opinion-là, sans que vous m'agressiez. Voilà.
Mme Chouinard (Carmen): Désolée de vous avoir agressée, madame, ce n'était pas du tout mon intention.
Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. Bien, en tout cas.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Est-ce qu'il y a... Oui, M. le député de Rosemont... Que dis-je! M. le député de Deux-Montagnes. Excusez-moi, Mme la députée de Rosemont.
**(12 h 10)**M. Charette: Merci, M. le Président. Mesdames, ce fut un plaisir de vous entendre. Il y a une question que j'ai posée hier et que je vais prendre plaisir à vous poser de nouveau, parce que, pour moi, c'est une préoccupation, et ça fait suite au témoignage que vous avez fait. Vous avez mentionné, à juste titre, et les statistiques le démontrent, que la communauté musulmane, bien qu'elle ne soit pas monolithique, on l'a aussi mentionné, éprouvait un certain nombre de difficultés au niveau de l'emploi. Et c'est d'autant plus inexplicable, sinon inexcusable, que c'est une des communautés les plus qualifiées en termes de formation, formation qu'elle soit d'ici ou d'ailleurs. Donc, c'est une situation qui a toutes les raisons de nous préoccuper.
Et je suis d'accord avec vous lorsque vous dites que le débat sur les accommodements raisonnables a été amplifié. Je suis d'accord avec vous lorsque vous mentionnez que, depuis les événements du 11 septembre, cette réticence s'est aussi exacerbée, d'où mon inquiétude à l'égard du projet de loi actuel. Il y a un certain nombre de préjugés qui sont tenaces, et, à mon sens, ce projet de loi là ne fait que les renforcer en ce sens que le seul exemple qui est donné comme pratique qui devra être modifiée au niveau des accommodements raisonnables est celui du port d'un signe vestimentaire qui n'est pas propre à la religion musulmane, mais qui essentiellement associé à la religion musulmane.
Moi, ça m'inquiète, on envoie, selon moi, un mauvais signal lorsque l'on dit: On veut régler la question des accommodements raisonnables, et le seul élément distinctif que l'on mentionne, c'est celui du voile intégral. Comment c'est perçu chez vous? Est-ce qu'il n'y a pas danger d'alimenter encore davantage -- et ce serait fort malheureux -- un certain nombre de préjugés à l'égard de la foi musulmane, de la religion musulmane?
Mme Laouni (Samira): Alors, je pense que le projet de loi est bienvenu dans le sens où il stipule bien la laïcité ouverte, il est bienvenu dans le sens où il balise par rapport à la sécurité, à l'identification, et puis, comment dirais-je, à la communication. Donc, sur ces deux points-là, je suis complètement d'accord et je serai la première à défendre, je dirais, ce projet de loi.
Par ailleurs, oui, il y a une amplification, je dirais, du problème autour des musulmans, alors que l'immigration n'est pas un fait musulman. Malheureusement, là, maintenant, l'immigration, parce qu'on cherche les francophones, on va aller les chercher dans le nord d'Afrique, et dans le nord d'Afrique, bien entendu, comme a dit Mme Beaudoin, c'est les Algériens, les Tunisiens et les Marocains qu'on fait venir. Ces pays-là sont majoritairement musulmans, quoique, par exemple, au Maroc, nous avons aussi des Juifs marocains donc, mais c'est majoritairement musulman. Certainement que ça va amplifier la situation, mais c'est pourquoi justement on est là pour discuter, pour dire: Attention! Attention au dérapage, attention à cette pente glissante qui pourrait nous faire arriver... C'est simple, moi, je le vois comme ça. Franchement, je suis peut-être pessimiste, mais c'est comme ça que je le vois, qu'on a les yeux bandés et qu'on rentre direct dans un mur de béton, là, avec tout ce qui se passe, le débat actuel.
Je ne dis pas qu'il ne faille pas de débat, j'aime les débats, j'aime les débats publics, mais les débats publics sereins, sains. Là, on a vu juste un exemple tout de suite, il y a eu comme un sentiment d'agression, d'agressivité, etc., et c'est cette émotivité-là, moi, que je dis: Attention! Ne rentrons pas dans l'émotivité, ne rentrons pas dans l'émotion. Oui, il y a certains médias qui amplifient, oui, il y a certains politiciens aussi qui profitent de la manne, oui, il y a certains intelligents qui... ou intellectuels, excusez-moi, qui veulent de la notoriété et puis qui vont chercher, je dirais, des crédits sur le dos de personnes qui ne désirent qu'une seule chose, c'est de s'intégrer et de vivre, et de vivre pas seulement de vivre, de vivre en harmonie et en paix.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...
M. Charette: Il y a un élément de votre réponse... J'entends bien ce que vous nous dites, mais il y a un élément de votre réponse qui, moi, vient m'interpeller ou est une source de préoccupation. Tout comme, dans votre introduction, vous avez mentionné que le débat actuel fait suite à certains flux migratoires, et notamment une augmentation de l'immigration en provenance des pays musulmans, à mon sens, là n'est pas du tout, du tout le débat, et c'est même inquiétant, et on l'a souligné, et sans rancune à l'égard de la ministre de l'Immigration, que nous aimons bien au demeurant, mais pour nous, ce n'est pas une question d'immigration, ce n'est pas non plus une question d'une croissance supplémentaire de gens qui nous arrivent de pays musulmans. Au contraire, ce sont des gens que nous aimons, qui sont les bienvenus, qui peuvent grandement profiter à la société et contribuer à la société québécoise. Mais, en associant la ministre de l'Immigration au dossier du projet de loi et à travers vos propos à vous, je suis inquiet.
Le projet de loi à la base ne vise qu'une seule chose: déterminer sur quelles bases nous voulons reconnaître un État laïc et une certaine neutralité à l'État. Donc, y ajouter un élément relatif à l'immigration, à mon sens, ça vient encore nuire à l'intégration des gens, qu'ils soient de pays musulmans ou d'ailleurs. Il faut faire attention, dans nos échanges, pour ne pas du tout associer le dossier des accommodements raisonnables à celui de l'immigration. Du moins, c'est une préoccupation que nous avons, du côté de l'opposition officielle.
Mme Laouni (Samira): Tout à fait. C'est notre position aussi. Et puis, si je comprends bien, Mme Kathleen Weil était la ministre de la Justice, ça ne fait pas longtemps qu'elle est devenue la ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles. Je situe bien la problématique, mais ce que je veux dire... ça me fait plaisir de vous entendre dire que vous ne voulez pas que cet amalgame existe et qu'il soit là. Malheureusement, il l'est, et justement c'est votre rôle, en tant que politiciens, c'est votre rôle en tant que représentants de la société civile de dire haut et fort que l'intégration, ce n'est pas un fait vestimentaire, mais, quand on entend dire que, non... Et je l'ai entendu sur cette tribune même, le mois de mai dernier, parce que j'ai suivi les audiences, quand j'ai entendu, par exemple, la présidente du Syndicat de la fonction publique du Québec dire que celles qui portent quelque chose doivent l'enlever avant de rentrer dans le bâtiment public, c'est grave ça. Ça veut dire qu'il faut que monsieur et madame qui arrivent de n'importe où ou qui sont d'ici, pour ressembler à tout le monde, doivent s'assimiler. C'est une politique d'assimilation que je vois ici. Donc, c'est grave. C'est grave comme politique et c'est justement ce que nous venons pour dire: Attention de ne pas dévier à l'assimilation.
M. Charette: Juste une réponse à ce que vous venez d'avancer. Là-dessus, je dois avouer, le désaccord est maintenu en ce sens. Je reprends les propos de cette dame que vous citez et je reprends notre position à nous: l'État ne peut pas être désincarné. Un fonctionnaire, une fonctionnaire incarne l'État dans le service qu'il offre, dans le rôle qu'il joue, et c'est à la base de notre réflexion. L'État n'est pas désincarné, il est la représentation ou il est la somme de tous les fonctionnaires, de tous les gens qui oeuvrent à son service. Mais là n'était pas l'objet de ma dernière question.
Une dernière question, en ce qui me concerne. Vous avez mentionné, à juste titre, et j'y ai fait référence aussi, aux difficultés au niveau de l'intégration et j'admets volontiers -- là, je déborde largement le cadre du projet de loi qui nous réunit -- on a rencontré beaucoup de gens justement en provenance du Moyen-Orient qui ont un français impeccable, que j'envie, que j'aimerais moi-même maîtriser, tellement, la nuance, elle est fine, tellement le degré de maîtrise est important. Et ces gens-là, malgré leurs qualifications, de belles qualifications et souvent même des qualifications acquises ici, au Québec, nous disent: Malgré tout, on ne trouve pas d'emploi parce que dorénavant l'exigence qui nous est faite, c'est de parler l'anglais. Donc, on recrute sur la base du français, on va chercher chez les gens qui nous arrivent d'ailleurs de belles qualifications et, à leur arrivée, oh, surprise! ils en sont les premiers surpris, on nous dit: Non, on n'est pas en mesure de trouver l'emploi qui nous convient en fonction de nos compétences parce que, dorénavant, on ajoute cette autre exigence, qui est souvent sans aucun lien avec l'emploi qui est sollicité, celui de l'anglais. N'est-ce pas un problème qui est aussi extrêmement préoccupant?
Mme Laouni (Samira): Mais, justement, c'est ce que je disais tantôt: qu'il y avait un travail à accomplir au niveau des politiques de l'immigration, à savoir les organismes qui favoriseraient une meilleure connaissance du milieu du travail, de l'emploi au Québec, et puis aussi enlever les embûches. Mais, au-delà de tout ça, il y a aussi cette question linguistique et je pense que, là, tout le monde, toutes et tous, on va être d'accord qu'il y a comme une... je dirais, comment...
Une voix: ...
Mme Laouni (Samira): ...un double langage entre le recrutement des immigrants et la réalité sur le terrain. C'est vrai, je vous l'accorde totalement.
Par ailleurs, je voudrais revenir sur un petit point que vous avez mentionné tout au début de votre question, c'est quand vous disiez que la fonction publique incarne et représente tout le monde. Bien, c'est très bien qu'elle représente tout le monde. Le visage du Québec, c'est celui-là d'aujourd'hui: il est diversifié, il est de couleurs différentes, il est de religions et de nonreligion, il est de codes vestimentaires différents, et donc, dans ce sens-là, il doit être représentatif, justement.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, très rapidement, M. le député. Allez-y, M. le député de Bourget.
**(12 h 20)**M. Kotto: Très, très rapidement. Très, très brièvement. J'aimerais juste comprendre que vous êtes consciente du fait que la société d'accueil, le Québec, a une histoire et une histoire qui s'articule depuis récemment -- parce qu'une quarantaine d'années, c'est récent -- dans une logique de Révolution tranquille et qui notamment s'est délesté des chaînes de l'emprise de l'Église catholique dans l'inconscient collectif. Et cette révolution, contrairement à ce que beaucoup de gens disent, elle n'est pas finie, elle continue. Et tout ce qui est manifestation ostentatoire au plan de l'expression religieuse heurte, et c'est ce qui, inévitablement, va engendrer des crises, des conflits, des attitudes xénophobes et autres. Nous sommes dans un réalité. Est-ce que, de votre perspective des choses, la proposition, le projet de loi que nous avons sur la table aujourd'hui viendrait régler ces tensions, ces problèmes?
Mme Laouni (Samira): Comme je l'ai dit tout à l'heure, je comprends, et je l'ai bien précisé, et je voudrais le ressouligner, je comprends totalement et parfaitement le cheminement que les Québécoises et Québécois ont pris depuis les années, je dirais, soixante jusqu'à aujourd'hui pour en arriver là où nous en sommes tous et toutes -- parce que je me considère complètement Québécoise aujourd'hui. Mes enfants sont tous faits ici, et puis mon fils est enterré à Laval, donc je ne peux plus ne pas être d'ici. Je fais partie d'ici.
Donc, pour revenir à la question, je comprends que ça heurte, je comprends que ça fasse peur, je comprends. Mais je demande à cette personne-là, qui se sent heurtée ou qui a peur, qu'elle me parle et je suis prête à lui expliquer, moi aussi, ma révolution à ma manière, parce que je ne suis pas obligée de faire la même révolution qu'elle elle a faite. Moi aussi, j'ai dû faire une révolution. Moi aussi, j'ai dû dire au patriarcat que, non, tu n'as pas le droit de me diriger comme, toi, tu le veux. Moi, je te parle avec... -- au patriarcat, pas à vous, M. le député, donc c'est pourquoi je tutoie. Je parle au patriarcat en lui disant: Non, je refuse ta façon de me dire... Et avec le même langage, la même terminologie, je suis prête à te parler et à me libérer.
Et donc, en ce sens-là, par ailleurs, je voudrais revenir sur une terminologie que vous aviez utilisée, le mot «ostentatoire». Et je pense que c'est très important de définir les terminologies et, je l'ai dit tantôt, on galvaude tellement les terminologies et les mots qu'on n'y comprend plus rien du tout. Qu'est-ce que ça veut dire, «ostentatoire»? «Ostentatoire», c'est pour se donner de l'ostentation, pour se faire voir. Moi, ce que je fais, mon foulard sur ma tête, ce n'est pas pour me faire voir. Mon foulard sur ma tête, c'est mon éthique vestimentaire, c'est ma façon d'être et de me sentir humble, et bien dans ma peau, et épanouie, et heureuse comme je suis. Donc, c'est là, la différence. C'est la différence de conception des terminologies et comment on peut les expliquer. Il faudrait s'asseoir peut-être, définir les mots qu'on veut utiliser et, en fonction de ça, commencer à parler et faire de la sensibilisation, surtout publique, parce que je pense que ça en prend, de la sensibilisation publique.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Bien, nous avons déjà commencé ensemble à le faire puisque nous avons pris le temps de vous écouter et d'échanger. Malheureusement, c'est tout le temps dont nous disposons. Ça a été un plaisir de vous recevoir. Merci infiniment de vous être présentées, Mme Chouinard, Mme Laouni et Mme Provencher. Bon retour chez vous.
Mme Laouni (Samira): M. le Président, Mme la ministre, MM. et Mmes les députés, merci beaucoup de nous avoir donné cette chance-là.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci. Je vais suspendre quelques instants.
(Suspension de la séance à 12 h 23)
(Reprise à 12 h 27)
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Donc, nous allons reprendre nos travaux. Donc, c'est fort intéressant, puisque ça suscite le débat même chez nous, et c'est ce qu'il faut. C'est ce qu'il faut.
Donc, M. Lévesque, je suis convaincu que vous allez aussi contribuer à notre réflexion et au débat que nous avons entrepris et, surtout, à l'écoute que nous allons vous offrir aujourd'hui et à l'échange que nous allons faire avec vous.
Donc, je vous souhaite la bienvenue. Merci d'avance d'avoir présenté, au nom de mes collègues, un mémoire à cette commission. Donc, je vous rappelle la façon de procéder. Donc, il y a 10 minutes pour l'écoute de votre mémoire, puis à peu près 50 minutes d'échange, là, pour mieux comprendre le sens de vos propos. Donc, à vous la parole, M. Lévesque.
M. Gérard Lévesque
M. Lévesque (Gérard): Alors, un mot d'abord pour remercier Mme la ministre, Mmes et MM. les députés, de bien vouloir me recevoir. Je me présente brièvement en vous disant tout simplement que j'ai été professeur de philosophie pendant plus de 30 ans dans un cégep de la région et que, étant maintenant, depuis quelques mois, ou quelques années, à la retraite, cela me donne un peu plus de loisirs pour réfléchir aux enjeux de société, d'où la présentation du mémoire que j'ai déposé à la commission.
En guise de préambule, avant d'entrer directement dans le mémoire comme tel, j'aimerais indiquer que le contenu de mon mémoire ne porte pas, ni proprement ni directement, sur le projet de loi n° 94. Il a été préparé, ce mémoire, avant même que je connaisse le projet de loi. Son contexte est beaucoup plus large, par conséquent, que le projet de loi n° 94, puisqu'il porte sur la laïcité et qu'il cherche à éclairer le plus possible cette notion tout à fait fondamentale.
Je dirais que mon mémoire correspond davantage à ce que M. Jean Charest affirmait, nous dit-on dans Le Devoir à la une du mois de mars 2010, par une mise en page assez accrocheuse qui nous, donc, faisait porter l'attention sur les propos de notre premier ministre, qui disait:
«Le premier ministre Jean Charest s'est engagé, hier, à régler pour longtemps l'enjeu des accommodements raisonnables et de la laïcité de l'État québécois.
«Beaucoup plus que de simples directives[...], c'est d'une position beaucoup plus ambitieuse dont a parlé Jean Charest dans une entrevue au Devoir.» De sorte que mon mémoire porte davantage sur cette problématique de la laïcité comme cadre de référence aux accommodements raisonnables, au port de signes religieux et autres problèmes connexes.
**(12 h 30)** J'ai quand même cru bon de présenter le mémoire à la commission pour deux raisons. La première, c'est qu'il va inévitablement falloir qu'un jour ou l'autre le gouvernement, le Québec, se penche sur cette réflexion d'ensemble qu'est la laïcité et les autres notions connexes. Et, ayant réfléchi à la question, je me suis dit: C'est peut-être un dépôt à faire sur cette question plus large qui, un jour, devra être considérée de façon plus attentive. Et je me suis dit, deuxième raison, que, puisque ça déborde largement, en apparence du moins, le projet de loi n° 94, je ferais contre mauvaise fortune bon coeur puisque le projet n° 94 a été considéré à juste titre comme plutôt restreint.
Comme l'un d'entre vous l'a dit, c'est un premier pas, certains diraient malicieusement un petit pas, mais je ne suis pas certain que ça soit mauvais. Alors, je me suis dit qu'il est possible qu'en tenant compte du projet de loi n° 94 on puisse quand même déboucher sur certaines considérations concernant la laïcité qui pourraient aider à mieux comprendre l'objet du projet de loi n° 94 et même peut-être lever certaines ambiguïtés qu'il pourrait comporter, pour ne pas dire certaines incongruités. De sorte que mon attention va surtout porter sur le coeur, me semble-t-il, du projet n° 94, qui sont le chapitre II, les alinéas quatre, cinq et six, et je les mettrai un peu en rapport avec le contenu de mon mémoire.
Alors, ce rapport n'est pas comme tel dans mon mémoire, ce rapprochement que j'ai fait, je l'ai fait dernièrement et il n'est donc pas inclus dans le mémoire que j'ai remis au mois de mai.
Pour essayer de clarifier la notion de laïcité, mon mémoire se penche sur la notion de neutralité et essaie de voir en quoi la neutralité a un lien avec la laïcité, chose extrêmement difficile, notion extrêmement difficile à manipuler. On l'a vu dans une question que l'un -- l'une plus particulièrement -- d'entre vous posait à Mme Françoise David en lui demandant: Quelle est la différence que vous faites entre «laïcité» et «neutralité»? Et je pense que la différence que Mme David y voyait était de plus en plus ténue et de moins en moins satisfaisante pour la personne qui posait la question. Donc, nous sommes en présence de concepts difficiles, et c'est la raison pour laquelle mon mémoire s'attarde à la question de la neutralité.
Et, pour vous faire ressortir le lien qu'on peut faire avec le projet de loi n° 94, je soulève les trois questions suivantes. Première question. L'alinéa quatre du projet de loi n° 94 affirme textuellement que cette législation se fonde sur le principe de la neutralité religieuse de l'État et il précise en plus ce qu'il faut entendre par cette neutralité en disant qu'il s'agit, selon ses termes, du «principe [...] selon lequel l'État ne favorise ni ne défavorise une religion ou une croyance particulière».
Quant à l'alinéa six, il stipule que les personnes qui dispensent les services gouvernementaux et celles qui les reçoivent doivent être à visage découvert. En d'autres termes, le projet de loi n° 94 interdit le port du voile intégral ou le niqab auxquels des personnes de croyance musulmane allouent une très grande importance. C'est d'ailleurs parce que cette interdiction frappe de plein fouet les convictions religieuses de certaines personnes que certains affirment, comme Québec solidaire, je pense, que cette interdiction va empêcher l'intégration des femmes musulmanes à la vie civique du Québec. Il ne s'agit donc pas d'une interdiction qu'on doit considérer comme banale.
Alors, la question que cela soulève, si on met en rapport l'alinéa quatre et l'alinéa six, c'est la suivante: N'y a-t-il pas une contradiction entre le fait de ne favoriser ni ne défavoriser aucune religion et le fait d'interdire une tenue vestimentaire qui se rattache à une religion et qui s'y rattache de façon très étroite? En d'autres termes, n'y a-t-il pas une contradiction et une incompatibilité entre l'alinéa n° 4 et l'alinéa n° 6, contradiction entre le principe de neutralité religieuse et l'interdiction du voile islamique? Est-ce qu'il n'y a pas là une contradiction assez flagrante?
Deuxième question, toujours tirée de la même section du projet de loi n° 94. Le fait d'accorder un accommodement pour motif religieux, comme le permet l'alinéa cinq du projet de loi, est-ce là un fait qui découle de la neutralité qui ne favorise ni ne défavorise la religion ou une religion en particulier ou, au contraire, ne doit-on pas considérer que le fait d'accommoder favorise la religion en cause en permettant la mise en place de mesures pouvant satisfaire les exigences de certaines croyances? Dans ce cas-là, est-ce qu'on ne favorise pas et, par le fait même, est-ce qu'on ne va pas à l'encontre de la neutralité qui dit qu'on ne devrait ni favoriser ni défavoriser?
Troisième question et non des moindres. Si on dit, comme plusieurs le font et comme plusieurs l'ont dit ici, que la laïcité au Québec doit reconnaître certaines valeurs, dont le principe de l'égalité hommes-femmes, est-ce que cela est conforme à la neutralité religieuse ou, au contraire, doit-on reconnaître que, par ce principe d'égalité, on veut favoriser certaines valeurs à la défaveur de certaines croyances ou coutumes religieuses? Bref, n'y a-t-il pas de contradiction à l'intérieur même de l'alinéa n° 4, contradiction entre une charte qui reconnaîtrait le principe d'égalité hommes-femmes et qui reconnaîtrait en même temps le principe de la neutralité religieuse de l'État?
Il me semble que ces questions devraient suffire pour indiquer que la question de la pertinence ou non de la neutralité s'impose ainsi qu'une analyse sérieuse de ce concept, car nous sommes en présence d'un dilemme bien réel. Faut-il conserver le principe de la neutralité que retient le projet de loi et alors rejeter la possibilité d'accommodements de même que le parti pris en faveur de l'égalité hommes-femmes et une balise qui interdit le voile islamique?
Est-ce qu'on doit conserver le principe de la neutralité et rejeter tout le reste ou, au contraire, faut-il rejeter plutôt le principe de la neutralité et retenir la possibilité d'accommodement, la possibilité du parti pris en faveur de l'égalité hommes-femmes ainsi que la prescription de la défense du voile et donc de la prescription du visage... à visage découvert? On est en face de ce dilemme. Ce dilemme, il est posé par les alinéas quatre, cinq et six du projet de loi n° 94. On pourrait dire que le fait de poser ces questions, c'est presque y répondre.
Entre les deux dilemmes, entre les deux alternatives, il semble bien que le rejet du principe de la neutralité pour retenir les possibilités d'accommodement et ainsi du reste soit l'avenue la meilleure en raison de ses conséquences pratiques. Mais il serait plus complet et plus rationnel si on pouvait arriver à dire qu'il faut mettre de côté le principe de la neutralité, si on pouvait le montrer sur une base rationnelle et théorique, et c'est ce que, je pense, peut permettre, en partie du moins, le mémoire que je présente à la commission.
Il me semble que le contenu du mémoire permet de sortir du dilemme en question.
**(12 h 40)**Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci beaucoup, M. Lévesque, pour ce propos.
M. Lévesque (Gérard): Oh! Un instant. Je n'ai pas encore touché à mon mémoire; je suis en train de dire que le contenu du mémoire peut répondre au dilemme.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): O.K. Mais...
M. Lévesque (Gérard): Il se peut que l'on ne saisisse pas le dilemme.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, mais, M. Lévesque, en toute équité, je suis obligé de vous dire que le temps que vous aviez à votre disposition est terminé. Vous avez déjà... la présidence a déjà accordé trois minutes supplémentaires, sincèrement. Donc, pour la bonne marche de nos travaux, je suis obligé de vous demander de réserver l'intégral de votre mémoire pour la partie échange, si ça, ça peut vous convenir, parce que, compte tenu du temps, il ne sera pas permis, là, d'aller un peu plus loin là-dedans. Donc, à la partie échange, je vous propose de faire en même temps, là, écho de votre mémoire. Donc, je vais céder la parole à Mme la ministre.
Mme Weil: Oui, merci beaucoup. Alors, on vous reçoit avec beaucoup d'intérêt, M. Lévesque, et évidemment c'est des discussions qui sont fort intéressantes et complexes.
Je vais vous poser des questions, parce que j'essaie de comprendre. Il faut dire que ce projet de loi vient consacrer des principes bien reconnus, et un autre philosophe, Charles Taylor, évidemment, ça reflète beaucoup sa vision, c'est-à-dire que l'État est neutre et ne porte pas de jugement par rapport aux religions qui se présentent devant lui. Alors, l'expression est la liberté de conscience, et la liberté de religion existe dans la société, mais l'État ne fait pas de prosélytisme. L'État est neutre, mais ne porte pas de jugement. Il ne porte pas de jugement et ne rentre pas dans le cadre des religions pour porter jugement sur l'égalité hommes-femmes: est-ce qu'on est d'accord, pas d'accord? L'État reste à l'écart de ça.
Et donc, lorsqu'on parle d'égalité hommes-femmes, c'est vraiment dans le cadre très, très connu de la jurisprudence sur les accommodements raisonnables. Je donne souvent l'exemple, pour que les gens comprennent, j'exagère un peu, mais, s'il y avait... bon, on va à la SAAQ -- et c'est la Commission des droits de la personne qui avait bien expliqué ce concept -- et qu'il y avait une foule de demandes en une semaine de personnes qui demandaient l'accommodement, qui ne voulaient pas que la personne qui passe le test de conduite avec... soit une femme et que finalement l'employeur dise: Écoute, excuse-moi, Jocelyne, ou excuse-moi, Isabelle, je n'ai vraiment plus d'emploi pour toi parce que tout le monde demande toujours des hommes, alors elle perd son emploi, c'est ça, c'est ça, l'accommodement raisonnable, c'est-à-dire que... et ça, ce serait déraisonnable. Alors, l'égalité hommes-femmes est vraiment brimée de façon très claire et nette. L'État ne rentre pas... ne porte pas de jugement sur les religions. Et, bon, on peut espérer que la société évolue.
Alors donc, le projet de loi est très restreint dans le terrain qu'il souhaite couvrir, c'est-à-dire, on dit: Bon, c'est une laïcité ouverte, dans le sens qu'on permet, on permet à la personne qui travaille derrière le comptoir de porter le voile, de porter une croix, ça ne vient pas brimer la neutralité du service de l'État, c'est le choix que, nous, on a fait, en tant que gouvernement, c'est le choix qu'on trouve là. Et ce que, vous, vous dites, si je comprends bien, c'est que ce choix-là est contradictoire, ce concept de neutralité, avec le principe de respecter l'égalité hommes-femmes, ou est-ce que j'ai mal compris?
M. Lévesque (Gérard): Je suis, moi aussi, d'accord avec la présence d'accommodements raisonnables, et d'ailleurs il semble bien qu'on lise parfois les mêmes auteurs. Ce que je dis, c'est que la notion d'accommodement ne peut pas se fonder sur la notion de neutralité. Elle doit se fonder sur une notion autre. Alors, dans mon mémoire, je commence à montrer pourquoi il ne peut pas se fonder sur la notion de neutralité. C'est en raison de la définition même de la neutralité et de ce qu'elle est. Le dictionnaire nous dit: La neutralité, d'abord, étymologiquement, le mot «neutre» vient du mot latin «neuter» qui veut dire «ni l'un ni l'autre». Une auto est neutre: elle n'avance pas, elle ne recule pas. La question de neutralité, c'est de ne pas prendre partie. Et, quand on se demande: Mais alors, pourquoi être en faveur de la neutralité quand on voit que les conséquences dont je parlais tout à l'heure font en sorte qu'il y a incompatibilité entre le fait d'accorder des accommodements et d'être neutre... Quand on accorde des accommodements, on n'est pas neutre, on favorise.
Donc, il y a une incompatibilité entre les accommodements, avec lesquels on est d'accord, tous les deux, semble-t-il, et le fait de dire: On va fonder ça sur le concept de neutralité.
Alors, on est amenés à se demander... Alors, quand on prend conscience de cette contradiction et de cette incompatibilité, on est amenés à se demander: Mais alors, pourquoi est-on favorables à la neutralité? Et il n'y a personne d'autre qui a répondu à la question d'une façon aussi claire que les deux philosophes Charles Taylor et Jocelyn Maclure.
Ils ont dit ceci de façon très claire. D'abord, ils ont dit que les notions de neutralité, de laïcité, ça posait beaucoup de problèmes parce qu'elles sont nouvelles puis elles ont rarement été précisées de façon suffisamment satisfaisante. Alors, pourquoi est-on en faveur de la neutralité quand on voit toutes les conséquences pratiques désagréables qu'ils ont? Alors, l'idée, c'est celle-ci que je retrouve à la page 4 de mon mémoire: Être neutre, c'est souvent perçu comme une façon d'être juste. La position de Taylor et de Maclure en faveur de la neutralité est justement clairement dite comme étant motivée par le souci de justice à l'égard des citoyens qui ont des convictions religieuses ou profanes diversifiées. C'est à cet idéal de neutralité auquel l'État, disent-ils, doit aspirer s'il veut traiter les citoyens de façon juste.
Et, à la page 5, je rapporte l'extrait qu'ils transmettent d'une autre spécialiste, Micheline Milot, qui dit: La laïcité est «un aménagement [...] du politique en vertu duquel la liberté de religion et de conscience trouvent, conformément à une volonté d'égale justice pour tous, garanties par un État neutre à l'égard des différentes conceptions de la vie bonne qui coexistent dans la société». Donc, on est amenés à être en faveur de la neutralité parce qu'on y voit une façon d'être juste pour l'État à l'égard de la diversité des conceptions séculières ou religieuses des citoyens.
Or, quand on s'arrête à cela, on s'aperçoit que la notion de neutralité n'est aucunement fondée par cela parce qu'elle est beaucoup plus large que ça: on peut être neutre pour des raisons tout à fait autres que le fait d'être juste, hein? On peut éviter de se prononcer sur un point de vue où il y a diversité d'opinions parce qu'on est incertains, on n'a pas approfondi l'étude et donc on ne veut pas se tromper, tout simplement, puis on ne veut pas dire de sottises; on est neutre. Mais ça n'a rien à voir avec la justice.
Mais, argument plus fort, je pense, c'est que, pour être juste, il ne faut pas être neutre. Et le plus bel exemple ou la plus belle preuve de cela, c'est le cas du juge: le juge doit prendre partie, il ne peut pas être neutre. Dans un litige où des parties s'opposent, il doit prendre partie de façon impartiale et objective, mais la justice exige qu'il ne soit pas neutre.
Et autre point, c'est que la neutralité, si on se fie à notre expérience, elle est, en pratique, impossible, là. C'est ce que je développe à la page 8 de mon document. La condition humaine fait que la plupart du temps les individus et leurs sociétés ne sont pas neutres. Ils ne doivent pas l'être non plus. La vie individuelle, tant sociale qu'individuelle, exige de faire des choix. C'est là une obligation implacable. Être ou ne pas être... Pas possible d'être neutre, il faut choisir. On pourrait même dire: Choisir de ne pas choisir, c'est déjà choisir de ne pas être neutre.
Les choix individuels et collectifs que l'on fait ne se fondent pas sur la neutralité, ils se fondent inévitablement sur des conceptions que nous avons, parfois ou assez souvent inconscientes, sur certaines philosophies de la vie, sur une certaine conception du monde, sur une certaine vision de l'être humain dans ce qu'il est comme tel et dans ses rapports. Tout cela est un background, est un fondement sur lequel on se fonde; il n'y a rien de neutre là-dedans. Il y a une prise de position plus ou moins rationnelle mais qui est présente quand même. Et l'État, qu'il soit laïc ou pas laïc, ne peut pas se permettre d'être neutre. Pourquoi? Parce que, comme je le dis à la page 8, l'État laïc a, comme tout État, l'obligation de choisir et d'avoir un parti pris en faveur des conceptions et des valeurs qui favorisent le bien commun de la cité et de ses citoyens.
**(12 h 50)**Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Si vous permettez, M. Lévesque, je pense que Mme la ministre aurait besoin d'éclaircissements.
Mme Weil: Bien, je ne sais pas combien de temps...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Très rapidement, peut-être. Très peu de temps.
Mme Weil: Bien, c'est-à-dire, j'aimerais revenir sur l'article 4, votre concept de laïcité, s'il faut le définir. Il y a certains qui nous ont dit: Bien, pourquoi vous ne définissez pas «laïcité» ou «neutralité»? Évidemment, il faut savoir que c'est un langage issu de la jurisprudence, pas nécessairement de la philosophie. Donc, évidemment, il y a une compréhension de ce que veut dire «neutralité», et ça va dans le sens que les tribunaux... Ils vont voir si la personne exprime une... si la liberté de religion que la personne veut voir respectée est sincère. Ils vont jusque-là. Mais, au-delà de ça, les tribunaux se restreignent, ils disent: Bon, ce n'est pas à nous d'aller évaluer finalement cette religion. Et c'est comme ça que les gens comprennent la neutralité. Donc, le langage qui a été utilisé ici, et évidemment c'est des gens du droit public du ministère de la Justice, des gens qui sont très connaissants en la matière, donc c'est vraiment issu de ce corpus jurisprudentiel, doctrine.
Je sens que vous voulez nous amener sur peut-être des concepts philosophiques qui peut-être vont au-delà de ça. Mais je ne sais pas si, vous, vous comprenez ce que je dis, là, quand je dis que ce concept de neutralité... on se comprend. C'est-à-dire que, dans l'interprétation des chartes des droits et libertés, tous les tribunaux, l'exercice des accommodements raisonnables, ce concept de neutralité est compris comme ça.
Mais pour vous poser une question: Est-ce que, vous, vous pensez qu'il serait utile de définir «la laïcité» et, si oui, de faire ce choix avec une définition de «laïcité», comment vous le définiriez?
M. Lévesque (Gérard): C'est sûr que je trouve qu'il serait utile et même nécessaire de faire cette étude, et de donner cette définition, et d'y arriver au moins sommairement. Et mon mémoire le prouve puisqu'il est une recherche de clarifier cette notion de laïcité et de neutralité.
Quant à votre remarque concernant le fait qu'il s'agit de concepts juridiques et non philosophiques, je ne la partage pas. Et j'aurais pu vous le montrer par un article qui a paru dans une revue, de mon propre chef, là, sur justement, là, la pensée des deux philosophes, Taylor et Maclure, où je me sers de ce que Micheline Milot dit de ce qu'est la laïcité. Et elle donne l'étymologie du mot «laïcité», qui remonte chez les Grecs et qui est un concept tout à fait de sens commun, que le droit peut s'être servi par la suite, mais qui est autre que juridique.
Il en est de même de la notion d'accommodement. La notion d'accommodement n'est pas une notion juridique. S'accommoder, ça se retrouve dans les dictionnaires communs. Et, à mon avis, on doit partir de ce langage commun pour arriver à définir les choses. Et ce que je suis en train de faire, c'est de vous montrer que, si on se fie à notre expérience de la vie et du sens commun, l'État, même s'il est laïc, ne peut pas être neutre. C'est ça que je suis en train d'essayer de montrer.
Je sais que ce n'est pas facile, parce que je suis en train d'aller à l'encontre de ce que l'on pense communément et je suis en train d'essayer de renverser la vapeur en soulevant des doutes sur la pertinence de ce concept-là, en en montrant les inconvénients pratiques.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, M. Lévesque. Mme la ministre.
Mme Weil: Est-ce que le temps est fini?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): En terminant, oui.
Mme Weil: Bien, juste... Donc, comment est-ce que l'État va exprimer... Quand vous dites: Il ne peut pas être neutre face aux religions qui veulent s'exprimer devant lui, comment l'État réagit? C'est quoi, sa responsabilité en tant qu'État laïc, sinon d'être neutre? Vous le remplacez par quel concept?
M. Lévesque (Gérard): O.K. Une première remarque d'abord pour dire que le concept de neutralité, il est très ambigu. Il veut dire différentes choses selon les personnes qui l'utilisent, et c'est là une idée qui est expliquée dans un volume de Guy Durand sur la laïcité. Le sens qu'on lui donne très souvent, c'est celui de la séparation des Églises et de l'État. Mais là il ne s'agit pas d'un comportement neutre à l'égard des religions comme telles en général, il s'agit tout simplement de dire que l'État, le gouvernement, doit prendre des décisions en fonction de critères humains de sens commun et non religieux, parce que le but de la religion, ce n'est pas de déterminer le bien commun, c'est d'établir la relation du fidèle, du croyant à Dieu. C'est un autre monde. Et donc il s'agit, à ce moment-là, non pas de neutralité, mais d'autonomie étatique, de séparation de l'Église et de l'État qui permet cette autonomie.
Pour aborder davantage votre question: Si on rejette la notion de neutralité, par quoi doit-on la remplacer?, bien, on doit la remplacer par l'objectif que l'on poursuit quand on est en faveur de la neutralité, qui est la recherche de la justice de l'État à l'égard de ses citoyens de convictions religieuses, séculières diverses. Donc, on doit la remplacer par un concept qui est proche de la question de la justice.
Par rapport à cela, on sait qu'il y a deux formes de justice, il y a la justice qui est tout à fait stricte et élémentaire, qui se ramène à un traitement égal. Remarquez le lien, hein: neutralité, traitement égal pour tout le monde. Si on dit: C'est être neutre...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. M. Lévesque...
M. Lévesque (Gérald): ...c'est aussi être juste d'une façon limitée et stricte.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Je vais devoir vous interrompre, M. Lévesque. Peut-être poursuivre, là, avec un consentement de nos collègues d'en face.
M. le député de Deux-Montagnes? Oui, M. le député de Bourget, avant de vous céder la parole, je vais vous demander le consentement pour aller au-delà de l'heure qui est permise, c'est-à-dire 13 heures. Est-ce que ça vous va?
M. Kotto: Oui.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Consentement? Allez-y, M. le député de Bourget.
M. Kotto: C'était intéressant. Je pense qu'on va continuer l'élaboration. Vous avez été interrompu parce que le temps était...
**(13 heures)**M. Lévesque (Gérald): Merci bien de me le permettre. La justice stricte dont on parle, traitement égal pour tout le monde, a comme pour effet d'être injuste. Exemple: un parent qui donnerait à son adolescent le même montant d'argent de poche qu'il donne à son enfant de 5 ans serait injuste à l'égard de son adolescent. C'est pourquoi on dit: Trop de justice conduit à l'injustice, et c'est la raison pour laquelle on a besoin d'une forme supérieure de justice qu'on appelle l'équité. Et là je rejoins le concept par lequel, me semble-t-il, il faut remplacer le concept ou le principe de neutralité. Et la plus belle façon de montrer ce lien qu'on doit faire dans le projet de loi n° 94 entre les alinéas quatre, cinq et six, donc entre non pas «neutralité», mais entre «équité», «accommodement» et le reste, cette meilleure preuve, on peut la tirer de ce qu'on doit entendre par «accommodement».
La notion d'accommodement est une concrétisation tout à fait contemporaine de la notion d'équité, qui est une notion qui, à travers le temps, depuis l'Antiquité grecque, a traversé la façon de percevoir la justice. Et, pour le voir, je vais prendre la définition qu'on donne des accommodements, qu'est-ce qu'un accommodement, et quand on s'y arrête, on retrouve, dans l'accommodement, ce que c'est que l'équité. L'équité, c'est d'être juste, mais en tenant compte des circonstances particulières, de sorte que l'équité a comme effet non pas le traitement égal pour tout le monde, mais un traitement différencié selon les circonstances, selon la situation des personnes, ou un traitement ajusté. Et, ce qui est intéressant, le mot «ajusté» contient le mot «juste».
Alors, si on prend ce que c'est qu'un accommodement... Vous avez ça plus particulièrement à la page 12 de mon mémoire. Je prends la définition qu'en donne Charles Taylor dans l'ouvrage auquel se référait Mme la ministre tout à l'heure. Il dit ceci: L'obligation juridique... Là, c'est tout un paragraphe. Je m'excuse s'il est long, mais il finit par un mot important, le mot «équité». Donc, il fait l'association de l'accommodement avec la notion non pas de neutralité mais d'équité.
«[L']obligation juridique d'accommoder des croyances ou des pratiques religieuses minoritaires [...] provient de la constatation que des normes d'application générales légitimes peuvent, dans certaines circonstances, s'avérer discriminatoires à l'endroit de personnes possédant des caractéristiques particulières, dont l'état physique, [...]l'ethnicité, la langue [et] la religion. [...]Il est normal, par exemple, que les règles dans un milieu de travail donné soient conçues en fonction de la majorité des travailleurs. [...]Il se peut toutefois, ce faisant, que la femme enceinte, la personne vivant avec un handicap physique ou celle dont la foi est source d'obligations spécifiques [...] ne puisse continuer à exercer sa profession si son horaire ou ses conditions de travail ne sont pas aménagés en fonction de ses caractéristiques particulières. [...]C'est ainsi que l'équité exige parfois des mesures d'accommodement.» Donc, Charles Taylor et Jocelyn Maclure expliquent la pertinence des accommodements par la notion d'équité. Exemple d'accommodement qui est rattaché à l'équité: on accepte qu'un non-voyant soit accompagné par un voyant lorsqu'il va dans l'isoloir pour voter. C'est ça, l'équité. L'équité, ce n'est pas: la même loi pour tout le monde, la même façon de procéder pour tout le monde. L'équité, il s'agit de tenir compte des circonstances particulières pour faire en sorte que le droit que la personne a puisse s'exercer de façon convenable compte tenu de sa situation. C'est ça, l'équité. Ce n'est pas la neutralité, ça, c'est l'équité. Une justice. C'est une façon de rendre justice d'une façon tout à fait convenable et supérieure.
La même preuve peut être donnée, qui consiste à montrer que la question des accommodements rejoint la question d'équité, par les définitions que donne de l'accommodement la commission de la personne et de la jeunesse ainsi que la commission Bouchard-Taylor.
La commission Bouchard-Taylor définit l'accommodement comme étant un «arrangement qui [...] vise à assouplir l'application d'une norme en faveur d'une personne menacée de discrimination en raison de particularités individuelles protégées par la loi». Alors, cette définition met l'accent sur le fait que l'accommodement ne relève pas d'un traitement uniforme de la justice au sens strict, mais relève plutôt de l'équité, c'est-à-dire la recherche de conditions permettant l'exercice d'un droit, compte tenu de situations particulières, dont, entre autres, les croyances religieuses, mais non pas... celles-là, bien sûr.
La commission de la personne et de la jeunesse définit de façon suivante l'accommodement: «L'obligation d'"accommodement" signifie l'obligation de prendre des mesures en faveur de certaines personnes présentant des besoins spécifiques, afin d'éviter que des règles en apparence neutres n'aient pour effet de compromettre l'exercice d'un droit...» Donc, alors que la définition de Bouchard-Taylor insistait sur le fait, tout à l'heure, qu'on ne doit pas donner un traitement uniforme, ce que la neutralité voudrait qu'on fasse, cette définition de la commission de la personne dit: Il faut trouver des mesures équitables pour permettre l'exercice d'un droit. Donc, ce qu'on doit entendre par «accommodement» se rattache manifestement à la notion d'équité et au devoir d'équité que l'État doit avoir à l'égard des citoyens de conditions diverses et de croyances différentes. De sorte que, pour faire une recommandation qui m'apparaît fort pertinente, je dirais qu'à l'alinéa quatre du projet de loi, il faut remplacer le principe de neutralité de l'État par le principe d'obligation d'équité de l'État.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: M. Lévesque, un réel plaisir de vous entendre. On a une contrainte implacable par contre, celle du temps.
Deux questions. Vous avez cité à plusieurs reprises le philosophe Taylor, qui a apporté effectivement une contribution réelle dans ce... non pas débat mais dans cette réflexion. Du temps de la commission, lui et M. Bouchard ont fait une recommandation très, très forte qu'ils ont réitérée par la suite, celle de définir, à travers un livre blanc, cette notion de laïcité. Vous avez aussi mentionné que le présent projet de loi était un pas, vous ne l'avez pas qualifié, à savoir petit, à savoir s'il était bon, à savoir s'il était mauvais, mais c'était un pas dans la réflexion à tout le moins.
Est-ce qu'il serait sage, pour nous, dans ce projet de loi là, si jamais il devait être adopté, de clairement indiquer que c'est une procédure évolutive, que l'État québécois, par exemple, s'engagerait, dans une étape future mais convenue dans le temps, de poursuivre cette réflexion à travers un livre blanc, notamment, sur la laïcité?
M. Lévesque (Gérard): Oui, je pense qu'il faut se dire que c'est là une oeuvre à faire éventuellement. Et, pour faire un rapprochement avec Bouchard-Taylor, je dirais que la réflexion doit aboutir sur la façon dont, au Québec, on doit vivre la laïcité et donc l'équité. Le précepte de laïcité s'accommode... dire, est lié à la question d'équité. On sait que, lors des forums qu'a organisés la commission Bouchard-Taylor, il s'est manifesté une grande réserve à l'égard des accommodements. La commission Bouchard-Taylor, à mon avis, n'a pas suffisamment tenu compte de ces tensions et de ces réserves, et je pense que c'est la raison pour laquelle on a mis un peu de côté le rapport, comme on dit, sur la tablette, et aussi le fait que ce rapport n'a pas été bien perçu par la population, une bonne partie de la population générale, en raison d'une trop grande ouverture, semble-t-il, à l'égard des accommodements.
Pourquoi y a-t-il, dans la population du Québec, une réserve à l'égard des accommodements? C'est que, je pense, compte tenu de notre situation linguistique, culturelle, géographique et ainsi de suite, le peuple du Québec, son tissu social est lié a l'insécurité. On a beau dire à quelqu'un: N'aie pas peur, n'aie pas peur de l'étranger, n'aie pas peur du différent, ça ne règle rien. Il faut mettre en place des conditions requises pour qu'il n'ait pas peur, autrement dit des conditions qui sont de nature à le sécuriser, à entretenir en lui un sentiment de sécurité à l'égard des valeurs identitaires qui sont les siennes.
Et je pense qu'un livre blanc ou que toute réflexion sur la laïcité et sur les accommodements devrait prendre des mesures pour rassurer la nation québécoise concernant la protection de ses valeurs identitaires.
Il y a diverses façons de le faire. Je proposais dans... Je propose ici, dans mon mémo, une déclaration officielle, solennelle que pourrait faire le gouvernement, je ne sais pas trop par quelle forme de document juridique, mais une déclaration solennelle qui dirait que tout accommodement ne peut être acceptable et raisonnable que s'il ne compromet pas les valeurs identitaires auxquelles les Québécois s'identifient.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...oui, M. Lévesque.
**(13 h 10)**M. Lévesque (Gérard): À défaut de le faire à l'intérieur d'une déclaration officielle, moi, je pense qu'à l'intérieur même du projet n° 94 on pourrait indiquer davantage un lien entre le caractère... l'équité et les accommodements en disant que l'accommodement est accordé non pas simplement, en termes abstraits, parce qu'il est raisonnable, mais parce qu'il est équitable. C'est la raison pour laquelle il peut être raisonnable: parce qu'il est équitable.
Et on pourrait ajouter qu'un accommodement n'est accordé que s'il n'attribue pas les... que s'il n'entrave pas les valeurs communément admises au Québec. Et on pourrait ajouter qu'il est accordé à plus forte raison si le fait de tenir compte des circonstances particulières permet de mieux satisfaire les valeurs communément admises au Québec.
Et c'est là de nature à rassurer la population à l'égard des accommodements en plus que d'indiquer la finalité des accommodements. On accorde des accommodements pour être juste et équitable, mais pour faire en sorte ultimement que les valeurs admises au Québec soient intégrées à travers l'ensemble de la population, quelle que soit la diversité des croyances religieuses ou séculières.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci infiniment, M. Lévesque, pour votre présentation. Et, sur ce, je vais suspendre les travaux jusqu'à la reprise... jusqu'à 15 heures. Merci beaucoup.
(Suspension de la séance à 13 h 11)
(Reprise à 15 h 5)
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Nous allons reprendre nos travaux.
Donc, je vous rappelle que nous sommes réunis avant de terminer la semaine et afin de procéder à des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale du projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements.
Nous entendrons cet après-midi: Mme Irène Doiron et M. Pierre Leyraud; ensuite, Mme Guilbault et M. Keith. J'espère que je le prononce comme il faut; il va sûrement me reprendre quand il va arriver.
Donc, bienvenue, madame. Bonjour, monsieur. Vous êtes les bienvenus à notre commission. Je salue les membres de la commission qui ont joint nos rangs et ceux qui étaient là aussi ce matin. Donc, sans plus tarder, nous sommes à votre écoute, messieurs, mesdames.
Mme Irène Doiron et M. Pierre Leyraud
Mme Doiron (Irène): M. le Président, Mme la ministre Kathleen Weil, Mmes et MM. les députés, bonjour. Nous vous remercions de nous accueillir, cet après-midi, ici.
Un peu d'eau a coulé sous les ponts depuis le dépôt de notre mémoire, et de l'encre aussi, sur du papier journal. C'est pour ça que vous allez trouver sur votre table l'article à la rédaction duquel j'ai contribué avec, entre autres, Marie-Andrée Bertrand, criminologue, Mme Andrée Lajoie, constitutionnaliste. Mon conjoint ici présent, Pierre Leyraud, l'a cosigné. Il reviendra lui-même sur certains aspects de ce texte, en particulier sur les accommodements pour motifs religieux, puisque le texte publié dans Le Devoir le 27 septembre propose de ne faire aucun de ces accommodements. Mais ici nous n'engageons évidemment que nous-mêmes dans la présentation que nous faisons.
Dans notre mémoire, nous soulignons que, compte tenu de la structure juridique particulière qui est la nôtre, la porte est très étroite quand le Québec veut légiférer, puisque les interprétations de la Cour suprême nous renvoient à la Charte canadienne, partie intégrante de la Constitution canadienne à laquelle le Québec n'a jamais souscrit comme... je ne vous l'apprends pas, évidemment. C'est pourquoi nous proposons, dans le texte que nous distribuons, le texte du Devoir, et à l'instar de plusieurs groupes, dont le MLQ, l'AFEAS, avant-hier, Guy Rocher, Me Julie Latour et Daniel Baril, Québec solidaire, pour ne nommer que ceux-ci... Donc, nous demandons que la laïcité soit inscrite dans la Charte québécoise des droits et libertés, ce qui serait alors une valeur qui forcerait l'interprétation des lois québécoises à la Cour suprême.
Plusieurs groupes ont proposé plutôt une charte de la laïcité, mais une telle charte subirait sans aucun doute le même sort que la loi 101, qui est régulièrement torpillée. Des lois ensuite devraient compléter, bien sûr, le dispositif législatif pour concrétiser cette laïcité suite à un large débat que tous réclament.
Mmes et MM. les députés, nous espérons qu'il sera tenu compte de ce que les citoyennes et citoyens viennent dire à cette commission parlementaire. Ce sont des individus, groupes et organismes, qui représentent près de 2 millions de Québécoises et de Québécois, qui sont venus affirmer leur attachement à certaines valeurs fondamentales du Québec, dont l'égalité entre les hommes et les femmes, la démocratie et la primauté de la langue française, et ces personnes demandent aussi que ces valeurs aient préséance dans le conflit de droit qui surgit régulièrement entre le respect de ces valeurs et le respect de la liberté de conscience et de religion.
Le Conseil du statut de la femme, dans son avis de 2007, indiquait qu'il ne faut en aucun cas que l'invocation de croyances religieuses soit le biais pour faire régresser notre société. Certes, le projet de loi n° 94 formule clairement la neutralité de l'État en matière religieuse, mais le mot «laïcité» n'y apparaît aucunement. Il devrait y apparaître sans épithète, évidemment.
Au sujet de la nécessité d'avoir le visage découvert pour dispenser ou recevoir des services de l'État, tel que le propose le projet de loi n° 94, nous pensons que ce projet de loi va dans la bonne direction. Nous nous en réjouissons donc, mais nous pensons que cette exigence devrait s'étendre à tout l'espace public, y compris dans les commerces privés. Il en va de la sécurité publique. Chacun peut faire la différence entre les moments où les déguisements sont en vogue comme le soir du 31 octobre ou lorsqu'il fait très froid et que les cagoules s'imposent et le port d'un masque qui recouvre le visage. Nous reprenons à notre compte l'affirmation de Mme Élisabeth Badinter à l'effet qu'il n'y a pas de vêtement pour le visage, il n'y a que des masques. Quand une personne refuse de se découvrir le visage, elle porte atteinte au sentiment de sécurité, car, si certaines personnes sont de bonne foi, si j'ose dire, nous ne pouvons jamais savoir qui est dessous cet accoutrement, de par sa nature même.
D'autre part, le port du voile intégral, puisque c'est de cela qu'il s'agit au fond, est une atteinte au principe d'égalité de droits entre tous les membres de la société. La personne qui dérobe son visage à autrui s'autorise un droit, voir le visage de l'autre, qu'elle refuse à celles et à ceux qui se trouvent sur son chemin, comme le soulignait également Mme Badinter dans son intervention à la commission française qui a traité du même sujet.
**(15 h 10)** Non seulement nous pensons que le voile intégral devrait être interdit partout, sauf évidemment dans les lieux de culte et les maisons privées, mais nous pensons que le port de tous les signes religieux devrait être prohibé dans tout l'espace civique, c'est-à-dire dans tous les emplois où l'autorité de l'État est engagée.
Un employé qui porte de tels signes se présente d'abord comme un ou une croyante et manque au devoir de réserve qui devrait être le sien, pensons-nous, au même titre qu'on exige d'eux un devoir de réserve quant à leurs options politiques. Les non-croyants ou les athées n'ont pas de signes distinctifs, et ce n'est que par un discours explicite qu'ils peuvent s'afficher ainsi. Tolérerait-on qu'à l'école, par exemple, un professeur arbore un macaron affichant: «Dieu n'existe pas»? À coup sûr, cela choquerait. On parlerait sans doute de prosélytisme. Or, une personne qui porte un signe ostentatoire religieux affiche l'inverse et fait aussi du prosélytisme.
D'autre part, que pensera un élève du principe d'égalité à qui on interdit la casquette, alors qu'une jeune fille, voire une professeure, pourrait porter un hidjab ou, un autre, la kippa ou un turban? N'est-ce pas là donner au religieux une préséance dans une société où le pluralisme existe chez les usagers et usagères?
Comment, par exemple, pourrait se sentir une femme juive malade et hospitalisée si elle était soignée par une infirmière portant le hidjab, alors qu'un autobus vient de sauter à Tel-Aviv du fait d'un kamikaze palestinien? Comment se sentirait un musulman soigné par un hindou portant le turban, alors qu'une mosquée vient de brûler en Inde du fait d'intégristes hindous?
En ce qui nous concerne, comme je l'ai indiqué dans mon texte de mai 2009, Cachez cette chevelure que je ne saurais voir, qui était joint à notre mémoire, quand je requiers un service de l'État, c'est un citoyen que je veux rencontrer, pas un adepte de telle ou telle religion. L'État n'est pas un objet désincarné, comme le rappelait à nouveau Guy Rocher avant-hier, c'est à travers ses représentants et ses employés en chair et en os que les citoyens rencontrent l'État réel neutre.
Nous avons entendu récemment des discours sur le respect de la liberté individuelle en ce qui concerne, par exemple, l'accès aux écoles. Or, nous savons tous et toutes que la liberté n'est pas absolue, dans aucune société. Nous avons des devoirs, des obligations, et ce n'est pas du totalitarisme que d'exiger un minimum de règles permettant le vivre-en-commun. Par exemple, en 1982, une loi a été promulguée ici obligeant les femmes mariées à conserver leur nom, quitte à y adjoindre le nom de leur conjoint si elles le désirent. On estimait que la valeur sous-jacente était suffisamment importante pour restreindre une certaine liberté. Nous devons donc reconnaître qu'il y a des limites à la liberté, y compris à la liberté religieuse, surtout que, la plupart du temps, les religions sont peu porteuses elles-mêmes de liberté, comme l'affirmait, hier soir, Wassyla Tamzali, une Algérienne, dans une conférence à l'Université de Montréal, Mme Tamzali, qui est ici et qui veut intervenir ce soir à Québec, je crois.
D'autre part, si nous pensons qu'aucune femme ne devrait être obligée de porter le hidjab et le voile intégral, pour celles qui voudraient se libérer de cette contrainte, il n'y a pas d'autre moyen que de leur permettre de le faire, donc de se soustraire à une obligation de leur entourage, au moins dans l'espace civique, sauf peut-être aller dans les chaumières casser la gueule à ceux qui obligent une femme à le porter. Personne ne préconiserait évidemment cette manière forte.
Le projet de loi, cependant, pourrait prévoir des sanctions sévères pour toute personne qui contraint une femme à porter le voile intégral, comme le prévoit la loi récemment adoptée en France à ce sujet. Prétendre, comme certains, que ce fait est minoritaire ne peut jamais être une raison pour ne pas légiférer. Qu'en serait-il si nous attendions que ce soit très répandu?
Le Manifeste pour un Québec pluraliste, publié en février 2010, affirmait qu'interdire le port de signes religieux contribuerait à pénaliser davantage certains groupes religieux qui ont des prescriptions religieuses plus strictes, y compris vestimentaires. Doit-on alors conclure que la laïcité ouverte prônée par les rédacteurs du manifeste vise à favoriser les groupes les plus régressifs sur le plan social, en particulier quant aux rapports entre les hommes et les femmes? Ce n'est pas instrumentaliser le principe d'égalité entre les hommes et les femmes, comme nous avons entendu de la part de certains rédacteurs de ce manifeste, que de s'opposer à des pratiques discriminatoires, fussent-elles commandées par des croyances religieuses.
Le gouvernement, enfin, a la charge de la paix civile. Cette paix civile ne peut être maintenue que si l'ensemble des citoyens et citoyennes, quelles que soient, par ailleurs, leurs opinions politiques et leurs options philosophiques et religieuses, respectent les valeurs communes de la société. Si, pour notre part, nous ne lions pas l'immigration à l'intégrisme religieux... L'intégrisme religieux n'est ni de spécificité musulmane ni immigrante. Il y en a bien de chez nous, j'en ai dans ma famille. Certains parents d'obédience protestante, par exemple, ne veulent plus envoyer leurs enfants à l'école, pour éviter une certaine contamination. Donc, il est vrai que, depuis quelques années, nous assistons à une réaction parfois épidermique, liée aux accommodements de nature religieuse, au port du hidjab, mais aussi à certaines exigences formulées par des intégristes religieux, les hassidiques en particulier.
Rappeler par un dispositif législatif les valeurs fondamentales est un impératif si nous voulons éviter que se développent au Québec des mouvements d'extrême-droite comme en Europe, où certains de ces mouvements augmentent régulièrement le pourcentage de votes aux élections et certains étant entrés dans les Parlements. Il faut à tout prix éviter que des groupes minoritaires soient stigmatisés en raison de pratiques et d'accommodements de la part d'une infime minorité qui jette ainsi le discrédit sur l'ensemble de leurs coreligionnaires.
Si l'ouverture aux autres doit être encouragée, cela est valable pour tous, y compris les adeptes de croyances religieuses ou pratiques sociales parfois discutables. Des immigrants venant de pays où l'intégrisme religieux musulman s'est développé nous disent qu'ils ne veulent pas retrouver ici ce qu'ils ont fui. Il est donc nécessaire de proclamer clairement la laïcité comme valeur fondamentale permettant le pluralisme. Et je passe la parole à Pierre Leyraud.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, allez-y, M. Doiron.
M. Leyraud (Pierre): Pierre Leyraud. Bonjour et merci de nous accueillir aujourd'hui. Dans le texte du 27 septembre paru dans le journal Le Devoir, texte que j'ai cosigné, il est clairement indiqué que nous demandons la fin des accommodements raisonnables pour des motifs religieux. Par les temps qui courent, cette position va sans doute sembler radicale. Pourtant, à y regarder de plus près, elle est plutôt raisonnable si on se souvient que ce qualificatif renvoie à ce que peut justifier la raison et donc à ce que tout le monde devrait pouvoir comprendre, sinon accepter. Permettez-moi de m'expliquer.
Dans ce texte, nous indiquons les conséquences négatives de ces accommodements, et, si, en ce qui concerne les coûts et les inconvénients qu'ils engendrent, le mot «raisonnable» peut encore, du moins du point de vue logique, s'appliquer, il ne faut cependant pas oublier que ces accommodements placent leurs demandeurs dans une situation de privilège par rapport à la loi commune. Et je me permets de rappeler que «privilège» vient du latin «privata lex», loi particulière.
D'autre part, il est quand même surprenant que, lorsqu'on parle d'accommodements raisonnables, le terme «raisonnable» semble s'appliquer uniquement à leurs effets ou à leurs conséquences et non pas aux motifs de la demande. Bien entendu, me direz-vous, comment peut-on mesurer un croyance religieuse à l'aune de la raison? Impossible. Mais alors sur quoi les demandes d'accommodement pour des motifs religieux se fondent-elles? Les personnes qui les reçoivent et qui les examinent doivent-elles à leur tour faire, en quelque sorte, un acte de foi, croire les demandeurs sur parole? Les demandes ne peuvent être qu'individuelles, et, quand on lit les décisions rendues par la Cour suprême du Canada, on constate qu'en effet, bien souvent, on ne prend même pas la peine de faire appel à une autorité religieuse reconnue pour s'assurer minimalement que la demande faite correspond bien à une pratique ou à une prescription religieuse. À cet effet, enfin, le livre de Pierre Joncas est très clair sur ce point que je viens de soulever.
On peut facilement imaginer que la multiplication des demandes d'accommodement pour motifs religieux pourrait rapidement rendre la situation invivable. Il nous semble donc important de souligner avec force que, de par leur nature même, privilèges sans fondements raisonnables, les accommodements pour des motifs religieux ne peuvent pas être conciliables avec le principe d'égalité de tous devant la loi et que, de fait, autoriser de tels accommodements revient à donner à la religion la préséance sur toute considération de droit.
Enfin, accorder des accommodements raisonnables pour des motifs religieux revient aussi à demander d'une façon à peine voilée, si j'ose dire, à la société tout entière de respecter les croyances religieuses. C'est là une demande tout à fait déraisonnable. Et permettez-moi, à cet effet, de citer le philosophe Jacques Bouveresse, qui, dans son livre Peut-on ne pas croire? écrit: «Demander à quelqu'un de respecter une croyance que son intellect considère comme stupide et/ou sa conscience comme moralement répugnante revient sûrement à exiger de lui une chose tout à fait abusive et, de toute façon, probablement au-dessus de ses forces.» Et, plus loin, il poursuit: «Le sceptique et l'incroyant ont évidemment le droit d'exiger, eux aussi, que l'on fasse preuve d'une certaine civilité à leurs égards et que l'on s'abstienne autant que possible d'offenser leur absence de certitude par des manifestations ostentatoires et agressives de croyances qu'ils considèrent comme tout à fait infondées et indéfendables.» Il nous semble avoir montré que les accommodements pour des motifs religieux sont, de par leur nature même, philosophiquement non raisonnables, qu'ils reviennent à faire une demande de devoir moral excessive pour la société tout entière. Peuvent-ils quand même être politiquement raisonnables? Cette dernière question, si elle a un sens, reste bien entendu ouverte.
Permettez-moi, pour conclure, de faire le lien avec ce qu'a dit Mme Doiron. Dans toute démocratie, il faut que l'exercice des différents droits fondamentaux soit compatible et se fasse harmonieusement. C'est ce qu'on appelle la paix civile. Pourtant, il existe des tensions inévitables entre certains droits. Il en est ainsi du droit à l'égalité de tous devant la loi, qui s'oppose à tout ce qui singularise les individus et les groupes, et du droit à la liberté de croyances et de religions, qui les différencie.
Il me semble donc que le législateur doit, tout en respectant les différents droits, favoriser tout ce qui peut contribuer à diminuer cette tension permanente. Une laïcité ouvertement déclarée de l'État, véritable attribut de ce dernier, va dans ce sens, comme l'a dit Mme Doiron. Et la fin des accommodements raisonnables pour motifs religieux ne peut, elle aussi, qu'aller dans le même sens. Je vous remercie.
**(15 h 20)**Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci infiniment, M. Leyraud. Donc, je vais céder la parole à... Je vous avais débaptisé, hein, Mme Doiron. Désolé pour cet impair. Mme la ministre, donc, pour la période d'échange.
Mme Weil: Oui. Bonjour et bienvenue, Mme Doiron, M. Leyraud. Votre position est claire. Votre position est claire. Je ne pense pas que j'ai trop de questions de clarification. Ça ressemble beaucoup à la position, peut-être... le projet de loi qu'on a vu en France, dans le sens de l'espace public, pour ce qui est du port du voile intégral?
Mme Doiron (Irène): Oui.
Mme Weil: D'accord. Ce matin, juste avant... Je pense, c'était vers 13 heures, on avait un philosophe qui est venu nous parler de tout ce concept de laïcité, neutralité, et il a introduit une notion, une nouvelle notion: que l'État a une obligation d'équité, d'équité envers tous qui se présentent devant lui. Finalement, lui, il trouvait que, bien qu'il est d'accord que le concept de neutralité existe, ce n'était pas très utile dans la loi, mais que la laïcité de l'État fait en sorte que l'État a quand même une obligation d'équité -- c'est-à-dire, lorsqu'un citoyen fait une demande, basée sur la liberté de religion, liberté de conscience, l'État doit en tenir compte parce que c'est son souci, toujours, d'équité -- et que, finalement, oui, il était d'accord avec la jurisprudence, la doctrine qui dit: l'État -- et les tribunaux l'ont souvent confirmé -- n'a pas le droit, finalement, de remettre en question la sincérité invoquée par la personne, en autant que l'État reste laïque.
Alors, cette notion d'équité... Et d'ailleurs, il nous a dit, l'accommodement, c'est un terme juridique qui a évolué avec le temps, là, avec la jurisprudence, mais que, finalement, c'est une action humaine, que, de tout temps -- c'est un mot qu'on trouve dans le dictionnaire -- c'est de toujours trouver des solutions, d'accommoder dans le sens de trouver l'équilibre dans une société, et que la liberté de religion, évidemment, c'est... l'accommodement raisonnable touche à beaucoup d'autres enjeux, mais je pense qu'on est vraiment dans cette question-là, et que la liberté de conscience, de religion fait partie de ces demandes, qui sont faites de façon sincère, et que l'État n'a pas le choix d'en tenir compte.
Mais, vous, vous dites que, par souci de laïcité, si l'État en tient compte, ça vient affecter son caractère purement laïque. Est-ce que je comprends bien?
Mme Doiron (Irène): Puis-je avoir le nom du philosophe dont vous parlez?
Mme Weil: Bien, philosophe, un prof de philosophie.
Mme Doiron (Irène): Un prof de philosophie.
Mme Weil: Un prof de philosophie. Mais il nous a amenés sur une nouvelle piste, qui était l'équité. M. Lévesque. Et le prénom... Gérard Lévesque.
Mme Doiron (Irène): O.K.
Mme Weil: Mais, bon, il avait toute une thèse là-dessus, mais j'ai quand même trouvé cette notion d'équité intéressante parce que, c'est vrai, l'État, devant tous ses citoyens... C'est sûr qu'il y a le droit à l'égalité. Que ça soit la Charte canadienne, la charte québécoise, qu'il n'y ait aucune charte, de toute façon, l'État public a toujours l'obligation envers ses citoyens d'avoir ce souci, hein?
Donc, ce n'est pas des chartes qui sont des carcans. Les chartes sont là pour protéger les minorités. On le sait bien, c'est le droit international, c'est toutes les sociétés évoluées démocratiques. Donc, j'aimerais vous entendre sur cette notion de l'obligation de l'État, finalement, de traiter les gens équitablement et pas... Et, ce qu'il dit, faites attention, ça veut dire dans le sens d'équité.
Donc, les gens ont certains besoins particuliers, la personne qui est handicapée, par exemple, et que la religion... c'est exactement à cette même enseigne que la demande est faite. L'État n'a pas à se questionner sur la sincérité, finalement, de son désir d'être respecté par rapport... et d'accommoder... Bien qu'il trouve que le mot a pris tout un sens disproportionné à cause des débats, mais il a bien souligné que c'est un principe, un mot, un exercice fondamentalement humain que d'accommoder. Bon. Alors, j'aimerais vous entendre sur ça.
Mme Doiron (Irène): Oui. Sur la notion d'équité, je suis entièrement d'accord avec ce que vous rapportez des propos de M. Lévesque. Effectivement, parfois, il faut que le droit soit inégal pour qu'il y ait égalité entre les citoyens. On est d'accord avec ça. Les programmes d'accès à l'égalité en emploi pour les femmes, par exemple, les personnes qui ont subi des discriminations, les Noirs, entre autres, aux États-Unis, j'ai travaillé sur ce dossier-là au début de ma carrière professionnelle... Donc, pour parfois que l'équité existe, il peut y avoir une inégalité. Je pense que c'est en 1975 ou en 1985 que la notion d'accommodement raisonnable a été introduite dans le droit au niveau canadien et qu'il y a obligation pour les employeurs, les entreprises, les gouvernements, etc., d'accorder.
Le problème n'est pas cette notion d'équité, mais c'est la préséance que prend, dans l'application de ces accommodements, le religieux. C'est sûr qu'il est hors de notre intention de faire subir aux croyants ce que les croyants, dans le passé, ont fait subir à l'humanité. Donc, on est prêts à accorder, de ce point de vue là... Je pense que la réforme protestante a été un progrès dans l'histoire de l'humanité dans la mesure où le rapport avec son Dieu était quelque chose de plus intime, de plus individuel, même si, dans les régimes protestants, il peut y avoir de la discrimination, et John Locke, dans son Traité sur la tolérance, faisait valoir qu'il était important d'accepter d'autres croyances, sauf si les gens fomentent contre l'État.
Donc, il était contre... parce qu'il faut dire qu'on est en train d'occire les catholiques, à l'époque, en Angleterre. Donc, dans son Traité sur la tolérance, bien qu'il n'aimait pas beaucoup les catholiques, personnellement, il était d'accord pour qu'il y ait ce principe de tolérance.
Le problème avec la préséance des religieux, c'est qu'il y a tout un tas d'autres accommodements qu'on ne fera pas, et on donne comme un statut particulier à la croyance religieuse basée sur quelque chose qu'on ne peut pas... Moi, j'ai vécu... Je suis originaire du Nouveau-Brunswick. J'ai été élevée dans la religion catholique. Je suis allée à la messe tous les jours de l'âge de 5 ans à 17 ans, et, apparemment, je suis assurée d'aller au ciel, donc, si vous êtes trop vertueux, vous allez avoir affaire à moi pour l'éternité, hein, alors, je vous préviens.
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Doiron (Irène): Donc, cette notion d'équité, il faut l'appliquer, mais une femme qui demande un accommodement raisonnable parce qu'elle a des enfants et qu'elle ne peut pas travailler le soir et donc imposer à ses collègues de travailler le soir plutôt, est-ce qu'on a cette même attitude aussi? Donc, ce qu'on dénonce, ce n'est pas le fait qu'il y ait des accommodements raisonnables, mais c'est que les accommodements pour motifs religieux, ceux dont on a entendu parler récemment, étaient des accommodements, peut-être pas pour la question d'aller travailler le samedi ou le dimanche, mais c'étaient des accommodements qui remettaient en cause d'autres valeurs.
Quand, à la SAAQ, par exemple, on demande d'être servi pour un homme par un homme, une femme par une femme, pour moi, c'est clair que, peu importe qu'il y ait un homme ou pas disponible dans la salle, c'est une atteinte à la dignité des femmes. Ça m'est déjà arrivé qu'on refuse de me serrer la main parce que j'étais une femme.
Mme Weil: Donc, vous acceptez la notion qu'il y a raisonnable et déraisonnable et qu'il peut y avoir des accommodements pour des motifs religieux, mais il y a le raisonnable et déraisonnable, et si je comprends bien, dans le mémoire, que jamais ça ne pourrait brimer, évidemment, le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes. Est-ce que c'est bien ça?
Mme Doiron (Irène): Bien, c'est-à-dire, dans le texte que j'ai cosigné et à la rédaction duquel j'ai participé, on demande la fin des accommodements pour motifs religieux.
Mme Weil: Ah, O.K., complètement.
**(15 h 30)**Mme Doiron (Irène): Oui. Et mon conjoint a expliqué pourquoi. Et c'est-à-dire que les gens qui... Il y a un retour du religieux dans les sociétés. Il y a des intégristes. C'est dans un contexte international qu'on se situe également et qu'on analyse cette question-là, et on pense qu'accorder des... faire des accommodements pour motifs religieux, ça devient inapplicable. Nous étions dans l'enseignement au collégial tous les deux. Alors, si vous avez ceux qui, à cause du Ramadan, l'autre parce que c'est un jour de jeûne, etc., qui nous demandent de reporter leur examen, ça devient strictement inapplicable.
Je sais que, dans la loi, il y a l'idée qu'il y ait des contraintes. Il ne faut pas qu'il y ait une contrainte excessive, que ce soit trop coûteux, etc., bien sûr. Mais on peut penser qu'il y a des accommodements entre employés qui peuvent... Et, même là, pourquoi quand...
Mme Weil: J'essaie de comprendre, parce que, bon, il y a deux notions différentes que vous introduisez. Dans un cas, c'est presque a priori: on ne peut pas accommoder, et ensuite vous semblez indiquer que, des fois, ils sont déraisonnables. Mais est-ce qu'il y a un vice en soi dans la religion, selon vous?
M. Leyraud (Pierre): Oui. D'une part, je voudrais quand même mentionner le fait que, lorsqu'on lit les comptes rendus de la Cour suprême du Canada, la religion est toujours présentée comme étant une obligation que subit la personne. On oublie totalement que la personne a le libre choix d'y adhérer ou non.
Alors, partant du fait que la personne subit cette religion-là, on se retrouve évidemment dans la situation d'un handicap où la personne subit quelque chose. Donc, il y a, de la part de la Cour suprême, déjà une perversion de ce qu'est la religion. On oublie, on met de côté le libre arbitre de la personne. Alors, évidemment, si la personne subit quelque chose, on va dire: Bien, elle subit ça, comme d'autres subissent un handicap mental ou autre, donc on devrait les mettre sur le même pied, alors qu'il me semble quand même que n'importe quel handicap est visible, testable, peut être intersubjectivement constaté. Alors que la religion, ça fait référence uniquement à la parole de la personne, et ce qui est d'ailleurs même... et c'est pour ça que je le mentionne: Dans les comptes rendus de la Cour suprême, on ne fait pas appel à tel ministre pour dire: Est-ce que ce que la personne... c'est vrai que ça se pratique? Non, non. On ne prend même pas cette peine-là. On dit carrément: On vous fait confiance.
Donc, ça veut dire qu'il y a déjà, à la base, un vice, et c'est la raison pour laquelle je considère les accommodements raisonnables pour motifs religieux comme étant des privilèges sans fondements raisonnables. Et c'est la nature même de la religion, ça.
Mme Weil: Je vous entends, puis on a beaucoup de discussions depuis quelques jours sur la place de la religion dans la société québécoise et on sent vraiment une réaction beaucoup à ça, bon, parce que beaucoup de gens dans la société québécoise rejettent cette notion de présence de religions, parce qu'ils veulent vraiment une société laïque à 100 %. Mais qu'est-ce que vous dites... Le Québec, si jamais le Québec allait dans ce sens-là, ça ne ressemble à aucun autre... Je veux dire, le débat est lancé, hein, le débat en Europe de l'Est. Mais de ne pas accepter la présence de religions lorsque les gens... Moi, j'ai eu beaucoup de réactions lorsqu'on a déposé notre projet de loi. Alors, j'ai fait des entrevues un peu partout. La plupart des sociétés démocratiques acceptent qu'il y ait une expression de religion, la liberté de religion.
Une voix: ...
Mme Weil: Non, mais ça va jusqu'au code vestimentaire. Si quelqu'un vient recevoir des services, les gens se disent: Mais en quoi ça vient brimer les droits des uns ou des autres? Alors, par exemple, un employé de l'État qui porterait un signe religieux, mais qui, par ailleurs, donne un service impeccable pour recevoir votre permis de conduire, hein, la réaction de beaucoup de gens, c'est: En quoi -- et beaucoup de groupes qui sont venus ici -- ça vient déranger qui que ce soit? C'est sûr qu'il y a des gens qui n'aiment pas la religion, puis qui sont athées, puis, bon, c'est leurs croyances personnelles, mais en quoi la croyance de l'autre vient entacher, ou affecter, ou nuire à la personne qui vient recevoir ces services? Dans quel sens ça peut affecter la neutralité du service qui est rendu?
Mme Doiron (Irène): Quelqu'un qui a une croyance religieuse ne me nuit pas. Ça ne me pose aucun problème que des gens aient des croyances religieuses. Cependant, quand je demande des services de l'État, je veux que cette personne... je ne veux pas savoir qu'est-ce qu'elle croit, ni sur le plan politique, ni sur le plan religieux. J'ai donné des exemples comment ça peut nuire dans les services. Moi, à la veille de mourir à l'hôpital, je préfère ne pas connaître les conceptions religieuses de la personne qui va venir me soigner. Ça créerait chez moi un malaise que je ne veux pas avoir à subir dans ces instants-là.
Donc, l'autre chose, c'est que les religions, elles ne sont pas neutres. Elles établissent des hiérarchies entre les humains. Si vous prenez le hidjab, les deux endroits apparemment dans le Coran -- je ne suis pas une spécialiste, mais d'après ce que j'ai pu lire de ceux qui le connaissent davantage -- il y a: Tu cacheras ta poitrine, tu te voileras, sauf devant tes oncles, tes frères, ton mari, etc. Et, dans un autre, on dit: Tu te voileras et, comme ça, on te reconnaîtra comme musulmane et on te respectera.
Qu'est-ce que ça veut dire pour les femmes qui ne portent pas le voile dans ce cas-là, qui ne porte pas le hidjab? Elles ne sont pas respectables? C'est cette hiérarchie qui est établie dans les religions.
Je vous ai dit tout à l'heure, j'avais des voisins juifs, quand la grand-mère est décédée, un jeune qui... Alors que le grand-père acceptait de me faire la bise qui, pour un Juif de son âge, de 84 ans, était quand même quelque chose -- à condition qu'il n'y ait pas d'autres Juifs autour, bien sûr -- son petit-fils a refusé de me donner la main parce que je suis une femme. C'est une atteinte à ma dignité comme être humain.
Donc, si c'était uniquement, comme le font les protestants, le rapport intime -- ils lisent la bible, ils ne boivent pas d'alcool ou ils respectent... -- ça ne me pose aucun problème. Ça ne me pose aucun problème que les gens... Mais c'est le fait de vouloir s'afficher comme tel dans la société, et s'afficher comme tel, c'est porteur d'un message aussi. C'est un porteur de message qui m'atteint, moi, comme humaine, comme femme, parce que la plupart des religions, en tout cas, les trois relions monothéistes, sont très discriminatoires à l'égard des femmes.
M. Leyraud (Pierre): Si vous permettez, je voudrais aussi quand même rajouter qu'afficher un symbole religieux, c'est autre chose qu'envoyer un message religieux. Quand on sait que les religions ont des positions très claires sur des points comme l'avortement, comme les égalités entre les hommes et les femmes, donc, on a en face de soi une personne... Ce n'est pas faire un procès d'intention de penser que peut-être cette personne-là a, elle aussi, par ce biais-là, affiché des préférences idéologiques ou politiques.
Et, dans les points qui ont été mentionnés par Mme Doiron, que penserait-on si tous les athées se promenaient avec des gros macarons, avec clairement affichés: «Dieu n'existe pas» ou alors comme ça s'est fait sur les autobus dans une certaine ville du Québec?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Pas d'autres questions? Mme la députée de Rosemont.
**(15 h 40)**Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, merci, M. le Président. Alors, Mme Doiron, M. Leyraud, bonjour. Bienvenue à notre commission. Alors, vous imaginez bien que, moi, je suis assez d'accord avec votre mémoire, et j'avais lu, en effet, le document, là, qui est paru dans LeDevoir.
Alors, ces discussions-là, on les a, donc, en effet, au Québec, là, maintenant, depuis un certain temps. Nous pensons, nous, que le projet de loi ne dit pas grand-chose, dans le fond, et puis ne fait que codifier, plus ou moins, la situation existante parce que, même quand on parle de recevoir ou de donner des services à visage découvert, on prévoit, malgré tout, déjà, des exceptions ou des accommodements dans le paragraphe qui suit.
Alors, nous, là où on en est, je ne peux pas dire que je signerais votre mémoire sans poser de questions... Parce que la première distinction peut-être qu'on peut faire, c'est que, en tout cas, nous, au Parti québécois, dans l'opposition officielle, on fait un peu la distinction entre trois espaces: l'espace privé où, en effet, chacun peut pratiquer et afficher, disons, son appartenance religieuse, l'espace public et puis l'espace civique. Nous, ce qui nous intéresse, c'est cet espace civique, c'est-à-dire, vous l'avez évoqué vous-même, cette relation entre l'État et le citoyen, et là nous pensons comme vous, très carrément, qu'il ne doit pas y avoir, pour les raisons que vous avez évoquées l'un et l'autre, de... qu'on ne puisse afficher de façon visible, disons, son appartenance religieuse quand on est un agent de l'État, un agent d'un État qui, en principe, doit être neutre, qui doit être laïque, mais qui, dans le fond, avec la laïcité ouverte, souvent je me demande s'il l'est vraiment, tu sais.
D'ailleurs, on va poser la question, à un moment donné, quand on va arriver à l'article par article. On va proposer des amendements qui vont aller dans le sens de ce que vous dites. Et, moi, j'ai été convaincue -- je suis une récente convertie à cette idée -- de passer par la Charte des droits et libertés pour un certain nombre, donc, d'amendements, mais un amendement principal, en effet, concernant l'affirmation de la laïcité de l'État.
Cependant, je me suis posée des questions quand j'ai entendu Françoise David, de Québec solidaire, nous dire qu'elle était d'accord avec ça, d'amender la Charte des droits et libertés pour affirmer cette laïcité de l'État. Je me suis dit: On n'en tire pas les mêmes conséquences, Québec solidaire et nous. On n'en tire pas les mêmes conséquences, visiblement. Alors, il faudra aller en effet plus loin puis qu'il y ait d'autres lois, et on verra sous la forme d'une charte, en effet, qu'on a commencé à... non pas à élaborer telle quelle, mais dans un document qu'on a rendu public au mois de juin dernier en disant que nous élaborerions donc une charte québécoise de la laïcité qui affirmerait, bien sûr, que le Québec est un État laïque, que la liberté de religion -- et ça, pour moi, c'est fondamental dans ce qu'on a écrit -- ne peut être invoquée pour enfreindre le droit à l'égalité entres les hommes et les femmes...
Et là on revient à quelque chose de fondamental dont vous avez parlé puis dont on discute souvent. Je ne sais pas si c'est écrit dans le testament d'Adam et Ève, là, mais c'est comme si les droits ne pouvaient pas être hiérarchisés. Je l'ai dit à quelques reprises dans cette commission. Moi, j'ai milité, là, pendant le temps où je me suis reposée de la politique. J'ai milité, entre 2003 et 2008, dans des mouvements altermondialistes où on réclamait à cor et à cri une hiérarchisation des droits en disant: Ce n'est pas vrai que les droits humains doivent être soumis à la constitution de l'humanité qui est, en principe, là, d'après enfin plusieurs, l'Organisation mondiale du commerce. En d'autres termes, est-ce que les droits humains doivent être soumis aux droits commerciaux?
Et c'est pour ça que je me suis battue pour une convention sur la diversité culturelle, croyant que c'était un droit qui était certainement aussi important que les droits commerciaux. Il fallait donc sortir la culture des accords commerciaux internationaux. Je donne un exemple qui est pris dans un tout autre secteur.
Alors, pour moi, c'est clair qu'il faut qu'il y ait une hiérarchisation des droits et que l'égalité hommes-femmes doit avoir préséance. On me dit: Les chartes ne disent pas ça. Eh bien, on peut au moins amender la charte québécoise. Il reste, bien sûr... Mais vous connaissez ma solution par rapport à la Charte canadienne des droits et libertés, et puis à la suprématie de Dieu qui est inscrite dans la charte canadienne, et puis dans la Constitution canadienne, et puis à ce principe du multiculturalisme aussi que l'on retrouve dans la Constitution canadienne. Bon.
Je pense que, si, comme Québécois, on veut vivre ensemble d'une certaine façon puis qu'on réussit à avoir... on n'aura jamais l'unanimité, mais disons un consensus par rapport, je dirais, à cette valeur ajoutée du vivre-ensemble et non pas juxtaposée côte à côte et puis sans trop se mélanger -- au contraire, je crois beaucoup aux valeurs du métissage -- bien, pour ça, il faut vivre ensemble. Alors, je pense que ça, c'est extrêmement important, ce qu'on a écrit là et qui fera partie, je l'espère, de notre programme.
On a dit aussi des choses importantes concernant les centres à la petite enfance puis les écoles privées, disons, qui sont axées essentiellement sur l'enseignement de la religion et dont les admissions, par exemple, sont fondées sur l'appartenance confessionnelle. Ça, pour nous, ça serait terminé, ça. En tout cas, pas de subvention de l'État. Et la même chose pour l'enseignement religieux dans les services de garde éducatifs. Là-dessus, on a eu une motion unanime de l'Assemblée nationale, et la ministre de la Famille doit nous revenir avec une directive concernant... Bon. C'est ça aussi, le processus de laïcisation dans lequel nous sommes impliqués, je veux dire, comme société.
Mais, moi, si je comprends bien, vous autres, vous allez quand même un peu plus loin quand vous parlez de l'espace public. Bon, alors, qu'est-ce que, vous, vous souhaiteriez? Puis comment vous voyez cet espace public? Est-ce que ça ne concerne que la burqa et le niqab ou est-ce que ça concerne... Oui, parce que... Bon, oui? Alors, oui.
Mme Doiron (Irène): En ce qui concerne l'espace public, pour nous, les gens peuvent s'habiller comme ils veulent, sauf le voile intégral. C'est une pratique antémusulmane, je pense, d'après les spécialistes, des sociétés tribales, en Arabie saoudite, où les hommes ne voulaient pas que leurs épouses soient vues par d'autres hommes. L'idée en dessous de ça, c'est l'appropriation des femmes par les hommes.
La seconde idée, c'est que les femmes ne sont vues qu'à travers leurs corps et donc ne sont vues qu'à travers les pulsions qui seraient incontrôlables chez des bêtes animales que seraient les hommes, et les femmes ne peuvent susciter que ça. Mais, cela dit, qu'une femme veuille porter un hidjab, un sarin -- comment ça s'appelle? pas «sarin», ça, c'est un gaz très nuisible -- des femmes hindoues, ça ne me pose absolument aucun problème. Ce qui me pose problème, pour les raisons que j'ai expliquées, c'est une atteinte à la dignité humaine. La femme n'est plus un être humain, celle qui porte le voile intégral. Elle n'existe plus, c'est un sac. On voit les deux yeux.
La première fois que j'ai vu ça, c'est en 1985, à Neuilly. Alors là, c'était... Elle avait des gants en plus, et il y avait juste un trou pour un oeil, ce n'était même pas les deux yeux. J'avais été très choquée.
Quand tu as dit qu'on doit faire sa règle de telle sorte qu'elle pourrait être étendue à l'ensemble de l'humanité, c'est comme ça aussi, Sartre l'a dit d'une autre manière: Ce que chaque humain fait engage l'ensemble de l'humanité. Moi, comme femme, ça me gêne. De la même manière que je pense que chacun d'entre vous ici ne pourrait pas supporter de savoir qu'un voisin aurait un esclave chez lui, de la même manière, moi, comme personne humaine, je ne peux pas supporter que des femmes... qu'elles le fassent comme servitude volontaire ou que ça lui soit imposé. Ça me choque profondément. Bien sûr, d'autres vont dire: Ça me choque que des femmes se promènent avec la poitrine un peu dégagée, et tout, c'est sûr. Mais là on n'est plus dans une obligation dans ce cas-là, on est dans la liberté.
Et le hijab qui est utilisé... Mme Tamzali disait qu'en Algérie -- mon conjoint a vécu en Algérie -- il n'y avait presque pas de femmes qui étaient voilées en 1970. En 1962, Mme Tamzali nous a dit, on s'est dévoilés. Ça a été utilisé, je pense, comme symbole anticolonialiste; il fallait que les femmes manifestent qu'est-ce qui les distinguait des Occidentaux, mais, par la suite, elles se sont dévoilées. Et maintenant c'est 65 % des femmes, nous dit-on, qui sont voilées en Algérie. C'est-à-dire, il ne faut jamais voir le phénomène religieux comme quelque chose de statique mais comme quelque chose qui peut faire régresser les sociétés. Et c'est ce dont je m'inquiète actuellement, et c'est pour ça que cette préséance accordée au religieux me pose problème comme citoyenne.
Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. Alors, à moi aussi. Alors, je suis d'accord avec vous. Et, quand j'ai rencontré... Et je l'avais dit ce midi, j'ai rencontré Mme Tamzali aussi qui s'en va -- bonjour -- ...et que cette régression en effet, dans un pays comme l'Algérie, c'est extrêmement inquiétant. Et, à chaque fois que je rencontre justement des femmes, des femmes extraordinaires, comme Mme Tamzali, qui viennent nous voir et qui viennent nous dire: Faites attention à ce que vous faites parce que ça a des répercussions internationales, parce qu'après ça tous les intégristes de tout poil disent: «Ah! mais au Canada, au Québec, tout ça est permis, c'est génial. Pourquoi, ici, bon, vous ne vous voilez pas? Là-bas, les femmes se voilent, elles peuvent se voiler», et puis, bon, que ce signal-là est un très mauvais signal et qu'il est instrumentalisé dans les pays où les femmes meurent parce qu'elles se battent pour leurs droits... Alors, moi, je n'arrive pas non plus à comprendre que l'émancipation de la femme, ça ne soit pas une valeur universelle, disons.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. Allez-y, Mme Doiron.
Mme Doiron (Irène): Je voudrais poser une question à Mme Weil. D'ailleurs, vous portez un nom prédestiné pour avoir introduit ce projet-là, si on enlève un V ou W.
Mme Weil: ...il y a deux Simone Weil, et la première, qui a écrit La condition ouvrière, Simone Weil...
Mme Doiron (Irène): La philosophe.
Mme Weil: La philosophe.
Mme Doiron (Irène): La jeune femme, en Ontario, qui a été tuée par son père et son frère parce qu'elle ne voulait pas porter le voile, pensez-vous que, s'il y avait eu un espace où cela était interdit, où elle aurait pu dire à son père: «Papa, je n'ai pas le droit, je n'ai pas le droit de le porter à l'école, c'est interdit, comprends-tu, là?», ça aurait fait au moins un espace où elle aurait pu le faire? Et, moi, je pense qu'il faut l'envoyer... Elle a été tuée, elle est morte, cette femme, cette jeune fille. Je n'ai pas réussi à retrouver son nom cette nuit lorsque je terminais mon texte.
**(15 h 50)**Mme Weil: ...tous ces sujets, évidemment, on est tous... je pense que tout le monde est affecté, les uns comme les autres, hein? Il y a des tragédies comme ça. Il y a ce qu'on appelle les crimes d'honneur. Et je répète souvent: Dans le Code criminel du Canada, il n'y a pas de crime d'honneur, il y a juste des crimes. Et tout ça est inacceptable.
On avait un groupe qui représentait les femmes musulmanes aujourd'hui qui était d'accord avec l'idée du visage découvert, au moins ça, et qu'ils font beaucoup d'efforts sur l'intégration. Et je leur ai posé la question: Quand vous voyez des femmes qui sont vraiment... qui portent la burqa -- il n'y en a pas beaucoup au Québec, hein, il y en a très peu, mais, quand même, il y en a, et elles les connaissent -- qu'est-ce que vous faites pour les intégrer? Comment vous faites pour les aider? On a eu quelques groupes qui sont venus nous expliquer... Il y a une femme extraordinaire qui est prof à Concordia... Simone-De Beauvoir, l'Institut Simone-De Beauvoir, une autre grande Simone, et qui a expliqué évidemment... Elle, son approche est très différente de votre approche, mais son approche va beaucoup plus par l'intégration, par des discussions, parce que c'est des femmes quand même qui portent des libertés, même si on n'est pas d'accord avec ce... avec le code vestimentaire qu'elles ont puis on voit tous là des signes de répression, mais que la meilleure façon d'aller les chercher, c'est par la discussion. Et c'est la façon de beaucoup de sociétés libres et démocratiques. C'est une autre façon d'intégrer.
C'est vraiment juste... Je pense qu'en bout de ligne c'est deux stratégies différentes pour aller vers le même but, c'est d'avoir une société égalitaire.
Je ne sais pas le dicton de la American Civil Liberties Association qui dit quelque chose dans le sens que: Je ne suis peut-être pas d'accord avec vous, mais je lutterai jusqu'à la fin pour protéger votre droit, votre liberté d'expression. Et je vous dirais que la tradition plus des sociétés libérales, démocratiques, etc., ou de beaucoup de gens, c'est justement par cette approche-là.
Maintenant, il y a une impatience, et je le comprends, hein, il y a une impatience surtout... et ce n'est pas juste les femmes, et toutes les femmes le sentent quand on voit ces comportements, et quand on voit ce vêtement particulier, la burqa, le niqab, mais la question, c'est toujours: Comment évoluer, faire évoluer la société en harmonie mais en se montrant toujours quand même ouverte. Et donc, il y a deux points de vue là-dessus. C'est tout ce que je peux vous dire, là.
Alors, nous, on amène... Avec notre projet de loi, on fait un pas. Certains disent peut-être un demi-pas. Mais c'est un pas, un pas dans la bonne direction, qui est quelque chose premièrement qui passe les tests. Parce que, veux veux pas, on vit dans une société de droit, hein, on n'en a pas trop parlé, mais j'ai des juristes derrière moi, et le Québec n'a pas le choix que d'agir en vertu des règles de droit qu'on a. Et ce n'est pas juste la Constitution canadienne, c'est notre propre Charte des droits et libertés. On ne change... on ne modifie pas les chartes dès qu'on n'aime pas une disposition ou un comportement. Les chartes sont là pour être éternelles, finalement, pour protéger les droits.
Alors, la question que vous posez, elle est pertinente, je n'ai pas de réponse, évidemment. En France, je pense que leur approche, il y a beaucoup de gens qui ont aimé ça, leur approche, lorsqu'ils ont annoncé que, bon, les enfants ne pouvaient pas porter de voile à l'école parce que ça a éliminé ce problème-là. Ceci étant dit, ça ne veut pas dire que toute la solution est là, hein? Parce que cette fille, elle peut vivre beaucoup d'autres choses aussi. Donc, il faut une approche beaucoup plus cohérente, et globale, et englobante, et continuelle d'intégration.
Donc, je pense qu'à quelque part c'est qu'il n'y a pas de solution facile. Et on n'arrivera pas par des solutions faciles. Et d'ailleurs c'est de reconnaître la complexité qui va faire en sorte qu'on va vraiment y aller pour évoluer... faire évoluer la société. Donc, ce n'est pas parce que le gouvernement ne veut pas s'adresser à ces choses-là, c'est qu'il veut au contraire poser des gestes pour aller dans la bonne direction. Alors, je comprends le cas que vous mentionnez, je n'ai pas de réponse magique à ça, mais...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Peut-être en terminant, Mme Doiron. Oui.
Mme Doiron (Irène): Oui. Très rapidement. On peut ne pas avoir la même option que Mme Beaudoin, mais il y a quand même la clause dérogatoire qui existe, dans la Constitution... dans la Charte des droits et libertés, et, cette clause dérogatoire, ce n'est pas le Québec qui l'a demandée, c'est l'Ouest du pays, et puis ça correspond plus à la tradition du Commonwealth, qui est que ce sont les assemblées délibérantes qui devraient avoir le dernier mot.
Sur la Charte des droits et libertés québécoise, je l'ai enseignée, j'ai enseigné Éthique et politique pendant des années, et j'expliquais aux étudiants comment il était important que des valeurs universelles soient reconnues pour éviter toute dérive totalitaire dans un pays, sachant que c'est la loi de base. Donc, ça, je suis parfaitement convaincue.
Le problème, c'est qu'il y a des conflits entre les différentes libertés: les fumeurs, les non-fumeurs, etc. Pour la religion, c'est la même chose. Et il y a des impératifs que des gens ressentent comme étant... comme venant de Dieu mais qui servent les intérêts des hommes comme groupe sexuel, dans leur rapport d'oppression qui peut exister entre les deux. Et donc, c'est ça qu'il faut concilier, et je pense qu'il faut faire des lois pour que la paix civile... Je pense que les pays européens légifèrent rapidement. Certaines villes en Espagne, en Belgique... En Hollande, on sait les conditions qu'a posées le mouvement d'extrême-droite pour participer au gouvernement. Je veux éviter qu'on vive ça ici et qu'on fasse les pas pour éviter que cela se développe et qu'on soit obligés, après, de légiférer à toute... parce qu'il y a du racisme qui se développe.
Mme Weil: On adhère aussi à des conventions internationales. Alors, on peut avoir des clauses dérogatoires, il n'y a rien qui fait qu'on échappe à ces... Vous les connaissez bien, donc, ces engagements. Alors...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Donc, merci infiniment, Mme Doiron et M. Leyraud, de vous être présentés en commission, d'y avoir présenté votre mémoire. Au plaisir de vous revoir et bon retour chez vous.
Je vais suspendre les travaux quelques instants, le temps de permettre à Mme Guilbault de prendre place.
(Suspension de la séance à 15 h 56)
(Reprise à 15 h 58)
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Nous allons donc reprendre nos travaux. Donc, nous accueillons Mme Diane Guilbault. Bonjour, Mme Guilbault, vous êtes la bienvenue à cette commission.
Mmes Diane Guilbault,
Micheline Carrier et Élaine Audet
Mme Guilbault (Diane): M. le Président...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. S'il vous plaît, messieurs, mesdames. Allez-y, Mme Guilbault.
Mme Guilbault (Diane): Oui. Merci. Alors, M. le Président, Mme la ministre, messieurs, mesdames de cette commission parlementaire, je veux vous remercier de nous recevoir et féliciter quand même l'initiative qui a été prise de donner aux citoyens l'occasion de se prononcer sur un sujet qui est quand même... et de prendre... d'avoir l'audace de laisser parler les citoyens. J'ai vu l'ensemble des mémoires qui ont été déposés, ceux qui ont été rendus publics, et ça va dans plusieurs directions, et donc je salue cette initiative.
Je ne suis pas accompagnée par mes coauteurs, c'est-à-dire Micheline Carrier et Élaine Audet, qui sont vraiment très importantes dans la rédaction de ce mémoire. Malheureusement, elles étaient prises par des engagements antérieurs. Et je suis donc ici à titre de collaboratrice à Sisyphe, qui est un site féministe d'information, et ce site est animé principalement par Micheline Carrier et Élaine Audet, qui dirigent aussi une maison d'édition qui publie des livres synthèses sur des sujets sociaux et politiques qui touchent la condition des femmes.
Nous sommes toutes les trois engagées dans une démarche en faveur de la reconnaissance officielle de la laïcité du Québec dans une charte. Nous avons lancé, en mai 2009, un appel pour une charte de la laïcité dont j'ai apporté ici une copie. Ce n'est pas vrai, je ne l'ai pas apportée, je l'ai laissée à la maison, mais elle a été déposée ici, à l'Assemblée nationale, au mois de juin dernier par Mme Beaudoin. Cet appel en faveur d'une charte de la laïcité a été signé par des milliers de personnes et, je le souligne, de toutes origines.
Alors, comme vous avez pu prendre connaissance du mémoire, je ne vais pas le lire, je vais m'attarder à deux points qui nous semblent essentiels.
D'abord, je vais aborder la question des services publics à visage découvert, puis la notion des accommodements religieux, et enfin je terminerai sur la nécessaire clarification sur les exigences de la laïcité.
**(16 heures)** Mais je dois d'abord vous mentionner mon étonnement, qui n'est pas unique, devant le décalage entre le texte du projet de loi n° 94 et les propos qui ont été tenus par le gouvernement au moment de l'annonce du projet. Donc, le premier ministre, vous, Mme Weil, même le nouveau ministre de la Justice, tout le monde a réitéré, en déposant le projet de loi, que le gouvernement, avec ce projet de loi, avait clairement choisi la laïcité ouverte.
Normalement, dans mon expérience, l'objet réel d'un projet de loi est mentionné dans un texte, dans le texte de loi, et, idéalement, il est défini. Alors, il n'y a aucune mention du mot «laïcité» dans le projet de loi. Alors, c'est assez étonnant de voir cette coloration que le gouvernement veut donner à un projet de loi qui, en principe, si on se fie à son titre, traite de la notion générale des accommodements raisonnables, accommodements qui, normalement, s'appliquent à tous les motifs prévus à la charte, comme le sexe, l'orientation sexuelle, l'âge, le statut civil. Ce sont des éléments qui n'ont pas tellement à voir avec la laïcité, vous en conviendrez.
La proposition gouvernementale semble vouloir régler deux choses différentes, mais sans le faire clairement. Je pense que le projet de loi et les intentions annoncées du gouvernement illustrent la difficulté de bien différencier les notions de laïcité et de liberté religieuse, qui ne sont pas synonymes mais qui peuvent tout à fait cohabiter. En fait, ce sont justement les règles de cette cohabitation que la population québécoise réclame, d'où sont immense déception, en tout cas pour plusieurs, face au projet de loi n° 94.
Mais revenons d'abord à ce qui a été le déclencheur, en tout cas ce qui semble avoir été le déclencheur de ce projet de loi. On se rappelle tous et toutes l'épisode de l'étudiante qui exigeait le respect de son niqab, une tenue pourtant jugée comme étant une atteinte à la dignité des femmes par l'ensemble de la planète, à quelques exceptions près. Il faut dire que, jusqu'à récemment, ce niqab n'était porté que dans des pays où les droits des femmes sont inexistants. Alors, de déclarer ce niqab comme étant une atteinte à la dignité des femmes, ça envoyait le message à des femmes qu'on ne rencontrait jamais; maintenant qu'elles sont à côté de nous, on a du mal à le dire.
Alors, nous saluons quand même cette volonté gouvernementale d'avoir choisi de manifester sa réprobation face à cette tenue sexiste et dégradante pour toutes les femmes, car on ne peut pas ici parler d'un simple vêtement. Il faut analyser le discours sous-jacent à cette tenue. Mme Doiron en a parlé précédemment, ce message qui est lancé par ces vêtements, ces voiles intégraux, c'est qu'une femme ne doit pas être vue dans l'espace public. Imaginons un seul instant que cette interdiction d'être vu dans l'espace public soit imposé aux personnes qui ont un handicap, qui devraient se cacher pour être autorisées à sortir dans la rue: ce serait dénoncé, ce serait inacceptable. L'ordre public, c'est une condition du vivre-ensemble, et notre société vit à visage découvert.
Il a fallu un jour, il n'y a pas si longtemps, une quinzaine d'années, criminaliser les mutilations génitales. C'était une pratique qui était inexistante dans notre société, qui est arrivée, et on a attendu, on a discuté un peu, mais finalement on a trouvé que c'était inacceptable dans notre société. Je crois qu'il ne faut pas craindre de dire non de nouveau à une pratique qui est venue d'ailleurs mais qui est contraire à nos règles et à nos valeurs.
Et on parlait de conventions internationales tout à l'heure. J'aimerais rappeler la CEDEF, dont on ne parle jamais, la convention de l'ONU pour l'élimination des discriminations à l'égard des femmes; c'est justement ce genre de pratique que la convention visait. Pourquoi, en 2010, les gouvernements -- et je parle autant... dans l'ensemble des gouvernements et celui-ci -- ne sentent-ils pas liés par son engagement pris au début des années quatre-vingt à l'endroit des femmes? C'est l'article 2f qui dit que les États s'engagent à lutter contre les pratiques discriminatoire à l'endroit des femmes. Sur une base culturelle, on lutte contre ces pratiques.
Cependant, si on appuie la volonté d'encadrer la question des visages découverts, des services à visage découvert, nous sommes préoccupés par le deuxième paragraphe, qui laisse penser qu'il pourrait y avoir des situations où la tenue masquée -- je n'ai pas d'autres mots -- serait tolérée au nom de l'obligation d'accommodements. Moi, à part le cas d'une personne blessée ou brûlée dont les pansements protégeraient la peau, je peux me demander dans quelles circonstances cet accoutrement devrait être toléré.
Par ailleurs, est-ce qu'il faudra qu'un jour la Commission des droits de la personne statue que la protection de la charte ne peut pas s'appliquer à des pratiques discriminatoires? Je pense qu'il faudra peut-être en venir là.
Et aussi, rappelons-nous, dans le secteur privé, si cette pratique du visage découvert est jugée essentielle dans les services publics, on se demande pourquoi le gouvernement ne juge pas qu'elle devrait l'être aussi ailleurs? Pourquoi un employeur privé devrait-il subir la présence d'employés masqués dans son entreprise? Pourquoi un commerçant devrait-il être obligé de répondre à une cliente masquée?
Et vous n'êtes pas sans savoir, Mme Tamzali nous l'a répété hier... Et il y avait beaucoup de personnes algériennes dans la salle de l'Université de Montréal qui nous ont rappelé que les employeurs sont de plus en plus frileux à embaucher des personnes originaires des pays nommément musulmans ou, en tout cas, où la religion domine. Pourquoi? C'est qu'ils n'ont aucun outil pour répondre à l'extrémisme religieux. Et ça, c'est Mme Rachida Azdouz, qui était membre de la commission Bouchard-Taylor, qui l'a rappelé au terme, aussi, de la commission Bouchard-Taylor, soulignant qu'on n'avait pas réussi à trouver réponse à cette question qui était, en fait, le coeur du problème.
Alors, nous demandons au gouvernement d'étendre au secteur privé le droit de refuser le port d'un masque par une cliente ou par un employé, par une employée, tout comme il lui serait possible, je crois, de le faire pour un client ou pour un employé qui se présenterait masqué.
Le titre du projet de loi, maintenant, si on revient aux accommodements, semble indiquer que le texte de loi s'applique à toutes les formes d'accommodements. Il est cependant clair qu'il s'agit d'un effort d'encadrement pour les accommodements demandés pour motifs religieux, les seuls qui posent problème. D'ailleurs, le gouvernement a inscrit sa démarche, je l'ai dit tout à l'heure, dans le cadre d'une affirmation de la laïcité ouverte. Donc, implicitement, ce sont les accommodements religieux que le gouvernement dit vouloir baliser, et il aurait peut-être été utile de le préciser d'entrée de jeu.
Rappelons que la commission... la population est largement favorable à l'accommodement consenti à une personne qui, à cause d'un handicap temporaire ou momentané, réclame un tel accommodement. Le problème créé par l'obligation d'accommodement -- et, je répète, «par l'obligation d'accommodement» -- accordé pour des motifs religieux ou sur la base de lois religieuses est réel. Et je dois dire, quand même souligner que le gouvernement a fait plusieurs efforts pour essayer de répondre partiellement ou de façon détournée au problème, d'abord en créant la commission Bouchard-Taylor qui, malheureusement, s'est égarée dans son mandat, puis en déposant le projet de loi n° 16 à l'automne 2009 et, maintenant, en déposant ce projet de loi n° 94.
Mais aucune de ces réponses n'aborde le problème de front, à savoir: Que fait-on face à des personnes qui réclament que l'État leur applique des lois religieuses? Que fait-on de la séparation du pouvoir religieux et du pouvoir politique? L'obligation d'accommodement créée par la jurisprudence, et non pas de façon démocratique par le gouvernement et par nos représentants comme citoyens, l'obligation d'accommodement, dis-je, n'a jamais été analysée de façon sérieuse, avec un certain recul, hein? Depuis 1985 que ça existe, on n'a pas fait d'étude sur le sujet. Pourtant, compte tenu des enjeux, il serait plus que temps, me semble-t-il, qu'avant de fixer l'obligation d'accommodement dans un texte législatif, on réfléchisse aux conséquences de ces accommodements accordés à la pièce, surtout dans les cas où la revendication repose sur des choix d'une personne et non pas sur un état.
De plus, les accommodements demandés sur une base religieuse viennent à s'appliquer à toute une communauté et, de ce fait, sortent de l'orbite de l'intention de la cour qui, au départ, était de permettre à un individu une dérogation spécifique à sa personne. Quand toute une communauté bénéficie d'un aménagement particulier de la société automobile du Québec, peut-on parler d'accommodement individuel? Quand une personne demande à une institution publique de discriminer sur la base du sexe ou de l'appartenance religieuse, n'est-on pas en train d'aller complètement à l'encontre de l'intention du législateur, qui voulait bannir ces discriminations?
Les discriminations contre les femmes sont malheureusement inscrites dans des lois religieuses. La Charte des droits et libertés de la personne, pourtant... les chartes ont été adoptées en toute connaissance de cause malgré ces prescriptions religieuses. Et je dirais même, particulièrement aux femmes qui siègent ici, n'eut été de l'opposition aux lois religieuses, mesdames, vous n'y seriez pas, parce qu'on n'avait pas le droit de vote. Et c'est contre les églises, c'est contre les pouvoirs religieux que les femmes ont obtenu le droit de devenir des citoyennes. Alors, pourquoi, 30 ans après l'adoption des chartes, veut-on retourner en arrière sous prétexte de liberté religieuse? Le législateur a-t-il décidé que certaines personnes étaient exemptées de respecter la loi en raison de leur appartenance religieuse?
Alors, compte tenu des conséquences sociales importantes de l'obligation d'accommodement, nous demandons au gouvernement, avant de légiférer sur ces accommodements, de se doter d'analyses sérieuses et objectives sur les conséquences qu'ont eus jusqu'à présent les accommodements, en distinguant les motifs d'accommodement, par exemple la race, le handicap, le statut civil, l'appartenance religieuse, et, à la lumière de ces études, la population du Québec et ses représentants seraient beaucoup mieux outillés pour prendre des décisions en la matière.
**(16 h 10)** Alors, comme bien d'autres l'ont dit avant nous, il est urgent, avant que la situation ne se dégrade, que le gouvernement statue clairement et officiellement sur son caractère laïque, et je fais une petite parenthèse. C'est assez étrange que la mention du caractère laïque de l'État québécois se trouve dans le site de votre ministère, Mme Weil, Immigration et Communautés culturelles, comme si la laïcité n'intéressait que les immigrants. Elle ne se trouve pas sur le portail du gouvernement du Québec ou encore au ministère de la Justice, alors qu'on dit que c'est une valeur commune, et on s'adresse exclusivement aux immigrants. Alors, les gens qui ne veulent pas immigrer ne vont... -- à part des zélées comme moi, là -- sur les sites du gouvernement voir si ces valeurs, elles sont affichées, mais il me semble que c'est là une mise à l'écart qui n'a pas lieu d'être et qui serait très simple à régler. Et c'est aussi étrange -- mais là vous étiez la porteuse du dossier avant, Mme Weil, j'imagine que c'est pour ça que vous continuez de porter le dossier -- que ce soit la ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles qui porte ce dossier encore. Ça donne un étrange signal quand même sur les personnes qui sont visées par ce projet de loi.
Malheureusement, pour cette clarification sur la laïcité, ce n'est pas le projet de loi n° 94, selon moi, qui apporte les clarifications nécessaires, et, avant d'aller plus loin avec une consécration des droits religieux via l'obligation d'accommodement, il faut, je le répète, une étude sérieuse, des études sérieuses qui prennent en considération aussi les engagements internationaux comme la CEDEF et une étude qui examine les conséquences de cette prépondérance des lois religieuses dans l'espace civique. Et, comme ceux qui m'ont précédée, je répète qu'il faut une déclaration officielle de la laïcité et une loi ou une charte qui en définisse les paramètres. Alors, je vous remercie de votre attention.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): C'est nous qui vous remercions, Mme Guilbault. Donc, la période d'échange, en commençant par Mme la ministre.
Mme Weil: Bonjour, Mme Guilbault. Bienvenue.
Donc, vous dites: On devrait avoir une définition, mais je vous dirais qu'on a vraiment deux points de vue, hein, sur la laïcité, comment la définir: beaucoup qui vont dans la tradition du Québec, honnêtement, la tradition du Québec et de nos lois, etc., qui est ce qu'on appelle cette «laïcité ouverte»; et donc d'autres qui voudraient une laïcité qui...
Bien, d'ailleurs, je dirais, cet après-midi, on a même entendu que, même dans l'espace public, partout, certains vêtements comme la burqa et le niqab devraient être prohibés. Alors ça, je pense, c'est la première fois qu'on avait entendu ça, mais ça montre qu'il y a une réaction par rapport à la religion et il y a une réaction par rapport à certains symboles d'oppression. Bon.
Évidemment, l'État est limité dans ce que l'État peut faire. Premièrement, il faut avoir des consensus pour avancer dans les... puis on n'a pas de consensus sur jusqu'où l'État peut aller, et il y a des tribunaux, puis il y a des chartes, et tout ça qui empêchent l'État d'aller plus loin que l'État peut aller pour contrôler le comportement des uns et des autres.
Maintenant, vous parlez de l'oppression de cette burqa, et tout, et, si ça représente l'oppression de la femme, est-ce que l'État ne pourrait pas... Dans votre logique, là, pourquoi l'État se limiterait juste à l'espace civique? Si c'est l'oppression, telle une femme battue... Si on sait qu'une femme est violentée, l'État ne se gêne pas pour aller rescaper cette femme. Alors, dans votre logique, comment ça se fait que l'État doit s'arrêter juste là, l'espace civique, alors que vous dites que c'est un symbole d'oppression et, plus qu'un symbole, c'est l'oppression? Moi, je vous dis: C'est parce que l'État... il y a la liberté de religion puis il y a la ligne... Il y a des couches de liberté, il y a juste... Le gouvernement peut aller jusqu'à un certain point pour s'ingérer dans la vie des gens, comme une... Je veux dire, je ne veux pas comparer une femme qui vit certaines situations, mais, vous le savez, il y a des limites jusqu'où l'État peut aller pour aller sauver cette femme, hein?
Alors, pour un gouvernement, il faut... Évidemment, c'est pour ça qu'on a des tribunaux, c'est pour ça qu'on a des lois, c'est pour ça qu'on a les chartes: pour justement faire en sorte qu'on garde certaines libertés. Sinon, on bannirait toutes les églises, bien, les lieux de culte, parce que l'égalité hommes-femmes... Je veux dire, hein, les soeurs qui portaient des vêtements qui étaient aussi... Bon. Je vous dis, on a entendu beaucoup de choses. Vous avez suivi les discussions. Je vous dirais, ce n'est pas juste une église ou... Je vous dirais qu'il y a des réactions par rapport à tout comportement religieux, qu'on a entendu. Pas tout le monde.
Et il y a l'autre, évidemment, l'autre point de vue qui dit: Il faut permettre aux gens d'exprimer leur liberté de religion. Et l'État ne peut pas... et donc on est là, on est là. Le gouvernement ne peut pas être tranché dans ces choses-là. Il y aurait des limites à ce qu'un gouvernement pourrait faire. Même si on arrivait à trouver un consensus, il y a quand même... Alors donc, l'évolution de la société, elle se fait à son rythme et il y a des protections. Il y a des protections pour les libertés. Et la liberté de religion, c'est une de ces libertés importantes.
Mais une chose qu'on dit évidemment, puis on le souligne, puis je l'ai répété, il n'y a pas de compromis sur l'égalité hommes-femmes. Et l'État ne fera pas de compromis là-dessus. Alors, on l'a dit. On a eu des réactions aussi par rapport à ça, un groupe représentant... Je vous dirais que les Juifs orthodoxes, je pense que leur point, l'argument qu'ils nous présentaient, c'est: Faites attention qu'on n'interprète pas toute demande comme venant a priori brimer l'égalité hommes-femmes. Je pense qu'il y avait prudence... C'était plus une invitation à la prudence là-dessus.
Mais, je vous dis, nous, c'est pour ça qu'on le souligne dans l'article... C'est 4, je pense, c'est peut-être l'article 4. Mais en tout cas on le souligne comme notamment on veut le souligner. Même s'il y a eu des amendements à la Charte des droits et libertés pour inclure l'égalité hommes-femmes à deux reprises, dans le préambule et l'article 50.1, on le réitère encore une fois.
Puis on a voulu, on a voulu le mettre dans cet exercice d'accommodement, car veux veux pas, c'est un exercice légitime, démocratique, et qui se fait et qui va continuer à se faire, je crois, tant que l'homme ou l'humanité sera là. Je pense que l'accommodement, c'est vraiment un exercice tout à fait humain, et je pense que l'important pour nous, donc, c'était de confirmer sa neutralité.
Maintenant, vous dites: Définir la laïcité, ce serait utile, mais ce ne serait peut-être pas la même définition que, vous, vous aurez. Mais vous dites: Au moins, définissez-la. Ça irait mieux que la neutralité, la neutralité, ce n'est pas assez, d'exprimer cette...
Mme Guilbault (Diane): ...
Mme Weil: Oui, mais pas la même chose. Sauf que les gens ne s'entendent pas sur «laïcité», hein, il faut comprendre, là.
Mme Guilbault (Diane): Justement, c'est pour ça que cette clarification du vocabulaire serait des plus urgentes.
Mme Weil: Mais c'est un dossier sur les accommodements raisonnables en général. Ce n'est pas un dossier sur juste la laïcité et la liberté de... Donc, on parle de ce qui découle de la Charte des droits et libertés parce que tout ça, c'est l'exercice d'accommodement généralement. Ce projet de loi, c'est sur les accommodements. C'est sûr que le débat porte beaucoup sur la liberté de religion, mais c'est quand même... L'important d'avoir tout ça dans un projet de loi, c'est...
Parce qu'on a eu la question: Pourquoi vous ne dites pas que c'est juste sur la question des libertés de religion? C'est qu'on pourrait avoir une jurisprudence qui se développerait différemment, et ce ne serait pas utile d'avoir des interprétations différentes de ces dispositions, dépendant des libertés, des égalités des droits à l'égalité qu'on ciblerait dans un cas particulier. C'est pour ça que c'était important, selon les juristes, le ministère de la Justice, le gouvernement, de mettre tout ça dans un projet de loi. Alors, de mettre l'accent sur la laïcité, alors que ce n'était pas vraiment... C'était, pour nous, plus important de souligner ce qui découle de la Charte des droits et libertés, dont la neutralité. Alors, c'est de là que ça vient, cette notion de ne pas avoir défini «laïcité».
Maintenant, j'entends des groupes qui nous disent qu'il faudrait le définir mais on ne voudrait pas déformer ce projet de loi non plus pour que... l'interprétation pourrait amener une jurisprudence différente. Alors, peut-être, ma question, c'est ça: Vous, vous pensez qu'il faudrait le définir?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme Guilbault, oui.
Mme Guilbault (Diane): Oui, merci. Bien, en fait, vous le soulignez vous-même, vous dites: Ce n'est pas un projet de loi sur la laïcité, mais pourtant c'est comme ca que le gouvernement, vous l'avez présenté, sur la laïcité, en disant: Nous faisons, avec ce projet de loi, une affirmation solide, réelle du choix pour la laïcité ouverte.
Mme Weil: Mais, juste avant ça, on a dit qu'on a mis, on amène des balises autour de l'exercice d'accommodement, ce qui est raisonnable, ce qui n'est pas raisonnable. Donc, on vient inclure dans le corpus législatif des règles autour de ça.
Par ailleurs, oui, on fait un choix. Parce que beaucoup de demandes sont sur la liberté de religion ou d'accommodement, autour de ça, et ça fait quand même plusieurs choses en même temps.
**(16 h 20)**Mme Guilbault (Diane): Alors, je reviens à la nécessité de préciser les termes. Bon, vous savez, on est en plus un petit îlot francophone dans un monde anglo-saxon. Le mot «laïcité» n'existe pas en anglais, hein, le concept n'existe pas.
Donc, déjà, on a un malentendu parce qu'on ne parle pas de la même chose quand on compare nos droits. En plus, on a un système juridique différent. Je ne suis pas juriste, là, mais, quand même, je suis capable de savoir qu'on a un système juridique différent avec la common law. Donc, on a des heurts avec la marée humaine qui nous entoure, qui est donc surtout anglo-saxonne.
Et la nécessité de préciser ce qu'on entend par «laïcité» me semble impérative justement pour qu'on sache finalement de quoi on parle. Et tout à l'heure... on parle... ces libertés religieuses, accommodements. Moi, je pense qu'il y a une cohabitation à organiser pour les institutions publiques, et c'est ça, la laïcité, ce n'est pas la rue, c'est le service public, les institutions publiques qui devraient, pour moi, appliquer des règles qui ont été choisies par le peuple -- la démocratie, c'est le peuple pour le peuple -- donc des règles que le peuple se donne via vous, via nos élus. Et c'est ça qui devrait servir à gérer la cité, les citoyens, les citoyennes.
Donc, on doit s'entendre et on n'a pas la même tradition que la France, non, et on est en Amérique du Nord, on a donc des traditions différentes. Et je pense que le Québec peut développer un modèle de laïcité qui lui soit propre, qui réponde à ses valeurs, à son histoire et qui soit tourné vers le futur aussi.
Moi, je pense que, quand on a un tronc commun qui est clair, les gens... bon, les gens peuvent être contre, mais au moins on sait de quoi on parle et on ne se dispute pas sur des malentendus, on clarifie les choses auxquelles on croit. Et je pense que c'est la responsabilité de nos élus de faire ce travail, de proposer aux citoyens des façons d'agir entre citoyens et non pas entre paroissiens, hein? L'État gère des citoyens. Les paroisses s'occupent des paroissiens, des liens communautaires, religieux. Mais l'État, son travail, c'est la cité.
Et, tout à l'heure, vous parliez de la tradition du Québec qui était une tradition ouverte, de laïcité ouverte, moi, là-dessus, j'ai une vision différente. Moi, je crois que le véritable geste décisif qui a été fait sur ce sujet, c'est celui de l'amendement constitutionnel, quand on a décidé de déconfessionnaliser le système scolaire. Les décisions antérieures de 1995 sur le port des signes religieux dans les écoles, à la fois du Conseil du statut de la femme et de la Commission des droits de la personne, c'était avant la déconfessionnalisation du système scolaire. Et donc, on ne pouvait pas interdire des signes religieux, alors que les autres l'étaient. Et il ne faut pas non plus venir à une situation où là tous les crucifix sont interdits, mais tous les autres signes religieux sont permis.
Donc, moi, je pense que le geste décisif, celui qui marque l'évolution du Québec, c'est cet amendement qui dit: Dorénavant, l'appartenance religieuse n'a pas sa place à l'école, dans le système scolaire. Et ça, pour moi, ce n'est pas un geste de laïcité ouverte, c'est un geste de laïcité, carrément.
Tout à l'heure, on parlait aussi d'espace public. Je pense que c'est très important de voir qu'il n'est pas question de bannir les églises. Quand on parle de laïcité, c'est la gestion des citoyens par les institutions publiques. Pourquoi? Parce que les institutions publiques appartiennent aux citoyens, à tous les citoyens, peu importe leur appartenance religieuse, leurs convictions politiques, leur âge, leur grosseur, leur handicap. C'est vraiment... Donc, ils doivent rendre compte de la façon la plus neutre possible, y compris du point de vue des religions, des services à l'ensemble des citoyens dont ils sont les mandataires. Il ne faut pas oublier ça. Ils ne sont pas les mandataires d'un groupe en particulier; ils sont les mandataires de l'ensemble des citoyens.
Donc, pour moi, la laïcité, c'est quand même dans un espace très précis. Je pense qu'il manquerait les municipalités, là, dans la liste, mais ça m'avait quand même plu que le projet de loi fasse état, là, des différents milieux où on voulait que ce projet de loi s'applique.
Enfin, la question de l'oppression. C'est sûr que, moi, je pense que, si on donnait... Si la Commission des droits de la personne, si elle pouvait revenir à la vision émancipatrice des chartes... Il me semble que c'est contradictoire que la charte puisse être invoquée pour protéger des pratiques discriminatoires, fussent-elles basées sur la religion. Et ça, il me semble que, si la commission déclarait qu'une pratique qui est discriminatoire ne peut pas être protégée par la charte, on aurait avancé d'un grand pas. Et, à ce moment-là, les employeurs ne seraient pas obligés d'accommoder une personne qui arrive avec un niqab. Et la personne... Et, moi, je ne prendrais pas la même stratégie que Mme Doiron, avant moi. Mais je pense que, si l'ensemble de la société, les employeurs, les commerçants, avaient moyen de se défendre, de réagir poliment, hein, mais quand même de dire: Écoutez, j'ai besoin de voir votre visage pour faire la transaction, déjà, on aurait un outil. Et je pense que ces personnes... C'est un mouvement très sectaire, hein, on s'entend. On s'entend même dans la communauté musulmane, c'est une secte, si je peux me permettre. Et je pense que ces personnes ont besoin d'être accompagnées et qu'on doive viser non pas l'état des institutions... Mais il y a des organisations communautaires qui accompagnent les femmes qui sont victimes de violence ou qui ont besoin d'aide pour...
On l'a eu, dans les années soixante-dix, les années soixante, pour émanciper les Québécoises qui étaient nées ici. On a fait beaucoup de travail d'accompagnement pour arriver à une participation pleine et entière et en toute égalité des femmes. Je pense que c'est un travail qui doit se poursuivre. Et, bon, et je pense que la question de cette oppression... Je suis sûre que, si, aujourd'hui, nous avions tous et toutes un niqab sur la tête puis que nous essayions de prendre notre verre d'eau, on verrait que ce n'est quand même pas naturel, là, comme tenue. Je pense qu'il faudrait imaginer ça un peu en été, peut-être encore plus, pour voir qu'on est quand même, là, dans une autre dimension, là, de la liberté religieuse. Je n'ose pas appliquer ça, je pense que c'est faire offense à la religion que de penser que ça puisse être imposé par un dieu. Alors, voilà.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Merci, Mme la ministre. M. le député de Laurier-Dorion.
M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Bon après-midi, Mme Guilbault. Merci pour votre présence. Merci pour votre présentation et votre contribution.
J'ai trois petites questions que je veux aborder avec vous, juste pour essayer de suivre et tester un petit peu le raisonnement, évidemment, comme nous avons l'obligation et le devoir de faire.
Nous sommes à la Société de l'assurance automobile du Québec. Il y a une femme qui est dans la file. Elle attend d'être servie pour faire son examen, passer son examen de conduite. Son tour arrive, puis il y a un évaluateur masculin, un homme, qui est là, qui l'attend. Madame dit: Non, je préfère attendre. Elle regarde en arrière d'elle. Elle laisse passer la personne qui était en arrière d'elle, qui passe avant elle. L'évaluateur homme, c'est moi. Je me demande qu'est-ce qui se passe. Madame dit: Je ne veux pas rentrer dans le véhicule avec vous. L'examen... Je ne veux pas. Moi, je dis: Pourquoi, madame? Elle me dit: J'ai subi une agression récemment aux mains d'un homme avec qui j'étais seule, et je ne suis pas à l'aise.
Moi, je dis à la madame: Madame, regardez-moi bien, je n'étais pas l'agresseur. Je suis un homme, oui, mais je n'étais pas votre agresseur. Vous êtes en train de discriminer, en me mettant dans une catégorie avec votre agresseur juste parce que je suis un homme. Est-ce qu'on devrait accommoder la madame ou est-ce qu'on devrait refuser de l'accommoder, parce que je ne suis bien évidemment pas son agresseur?
Aussi rapidement que possible, pour que je puisse vous poser les autres questions.
Mme Guilbault (Diane): Oui. Deux petits points là-dessus.
M. Sklavounos: Oui.
Mme Guilbault (Diane): Deux éléments. Le premier, c'est: moi, j'ai parlé tantôt de l'obligation d'accommodement, et je n'ai pas dit que j'étais contre les accommodements. C'est deux choses tout à fait différentes. Et ce qui est embêtant, c'est cette obligation d'accommodement où les gens finalement répondent tout de suite sans même réfléchir parce qu'ils n'ont pas le choix, il faut que... ils sont obligés. Et c'est cette obligation d'accommodement que je remets en question.
Ceci dit, l'autre élément, c'est que, dans le cas de la communauté hassidim, c'était un arrangement qui avait été négocié, donc une communauté qui négocie une discrimination basée sur le sexe. Et ça, pour moi, c'est vraiment contraire à la charte. Alors, on est dans deux... c'est deux éléments différents. Et je reviens, je fais une différence importante, fondamentale, parce que, oui, il peut y en avoir, des accommodements, oui, on peut se... C'est l'obligation d'accommodement qui est imposée à des employeurs, à des institutions, et qui là fait qu'il y a des demandes qui ne peuvent pas être discutées. Et c'est ça. La personne qui a un handicap a beaucoup plus de mal à obtenir un accommodement. Ça lui prend des fois un document du docteur, etc., alors que c'est réel, c'est vérifiable.
M. Sklavounos: Si, à force d'arrangements, on arrive, puis ça se passe comme je vous l'ai mentionné, on arrive, on regarde devant nous, on laisse passer quelqu'un d'autre, la personne en arrière nous dit: Merci, je vais finir avant, est-ce qu'il y a un problème?
Mme Guilbault (Diane): Là, il n'y a pas de problème.
M. Sklavounos: O.K. Il y a une dame qui arrive dans un centre local d'emploi pour se faire servir. Elle porte un t-shirt. Elle arrive au comptoir, l'employé en arrière du comptoir voit sur le t-shirt: Je suis soumise à mon mari; mon mari, c'est le boss. Est-ce que vous voyez un problème avec ça?
Mme Guilbault (Diane): Pas du tout. C'est la cliente qui arrive au comptoir, elle peut s'habiller comme elle veut, là.
M. Sklavounos: Est-ce que madame...
Mme Guilbault (Diane): La citoyenne n'a pas un devoir de réserve.
**(16 h 30)**M. Sklavounos: O.K. Un autre exemple. Vous allez vous faire servir au même comptoir. En arrière du comptoir, il y a une personne, il porte une petite croix comme épinglette sur son lapel de veston. Évidemment, vous voyez la croix, vous... c'est le symbole de la religion chrétienne, mais vous ne connaissez pas les points de vue de la personne. Je veux dire comment qu'il croit, c'est très personnel: s'il est d'accord avec toutes les déclarations du pape, du cardinal, etc., s'il est ouvert à l'avortement, pas ouvert. De l'autre côté, est-ce que la personne ou vous qui êtes au comptoir, est-ce qu'il y a un droit... Lui, la personne qui arrive, qui porte la petite croix invoque sa liberté religieuse pour porter la croix. De l'autre côté, on invoque quoi comme droit sur lequel il y a... on pourrait essayer de faire un équilibre, ou demander la primauté d'un ou l'autre, ou engager un débat. Quel est le droit de la personne qui arrive au comptoir? On le formule comment?
Mme Guilbault (Diane): Bien, moi, je pense qu'en tant que citoyen le citoyen a droit à des services publics neutres. Pour moi, je le dis: Les services publics sont mandataires des citoyens. Donc, c'est l'ensemble des citoyens qui permettent à des gens de rendre des services à l'ensemble de la population. Et je pense que le citoyen a le droit de venir à un service public sans être... Parce que qu'est-ce que c'est...
Bon, on va dire deux choses. Un symbole, qu'est-ce que c'est un symbole? C'est un discours, hein, on le sait. Il y a des dessins, là, qui sont interdits. La croix nazie, on ne met pas ça dans les écoles. Bon. Pourquoi? C'est juste un dessin, on pourrait dire. C'est un symbole. C'est un discours, hein? Le M de McDonald, là, ce n'est pas juste un M. Il y a toute une chose en dessous de ça. Donc, ce n'est pas anodin, ce n'est pas muet. Ça parle.
Et il y a l'autre mot aussi, quand on parle des signes ostentatoires. Qu'est-ce que ça veut dire «ostentatoire»? Pour être vu, hein? C'est évident que, si la personne porte une petite croix en dessous de sa chemise, je ne la vois même pas, il n'y a pas de problème, ce n'est pas fait pour être vu.
Dans un cas où quelqu'un porterait un petit signe comme ça, moi, c'est sûr que je m'adresserais à son supérieur en disant: Écoutez, je ne trouve pas ça normal de recevoir un message religieux quand je viens pour mon permis de conduire.
M. Sklavounos: Et, vous, quelqu'un qui porte une épinglette, alors que vous ne connaissez pas du tout les détails de sa croyance, parce que c'est quand même un contenu qui est personnel... Mettons, c'est personnel. Il s'affiche...
Mme Guilbault (Diane): Bien oui.
M. Sklavounos: Il s'affiche. Je veux dire, il ne se cache pas.
Mme Guilbault (Diane): Il s'affiche. Vous l'avez bien dit.
M. Sklavounos: Il s'affiche, mais vous ne connaissez pas le contenu de sa pensée exacte. Je veux dire, il y a certains enseignements religieux avec lesquels il n'est peut-être pas d'accord. Est-ce que, pour vous, ça remet en cause immédiatement la neutralité de la personne?
Mme Guilbault (Diane): Absolument. Je trouve que cette personne... On parle dans les services publics, hein? On n'est pas...
M. Sklavounos: Oui, oui.
Mme Guilbault (Diane): D'accord, dans les services publics. Cette personne, je ne veux pas savoir pour qui elle vote. Je ne veux pas le savoir. Je ne veux pas savoir quelle âge elle a, même si on peut juger là-dessus, mais je ne veux pas savoir non plus quelles sont ses opinions religieuses ou même si elle en a une. Je n'ai pas à savoir ça. Comme citoyen, ce n'est pas mon rapport. Je n'ai pas un rapport personnel avec cette personne. Elle n'a pas à me transmettre cette information qui la concerne. Ça ne me concerne pas. Moi, je ne veux pas ça. Ce n'est pas ça que je viens chercher quand je vais chercher mon service public.
M. Sklavounos: Et vous vous basez sur quels droits? Si je peux vous demander de formuler le droit, il y a-tu un droit en quelque part où vous dites: J'invoque ça pour...
Mme Guilbault (Diane): Bien, je pense que c'est difficile dans la... parce qu'actuellement comme la laïcité n'a pas été déclarée, effectivement, le citoyen est handicapé pour vraiment exiger. C'est pour ça que tout à l'heure j'ai dit: Moi, je m'adresserais à son patron et non pas à la Commission des droits de la personne, parce que je pense qu'effectivement, tant et aussi longtemps que la laïcité de l'État n'a pas été officiellement déclarée, je suis effectivement sans droit.
M. Sklavounos: Alors, si on pouvait créer le droit, c'est-à-dire je vous... vous dites que vous êtes handicapée en ce moment, je vous aide, on crée un droit, puis une interprétation du droit serait que ce droit-là vous permet de ne pas voir affichée nulle part la religion dans ce qui est espace... appareil gouvernemental.
Mme Guilbault (Diane): La religion des...
M. Sklavounos: Une interprétation de ce droit, ce serait le droit de ne pas voir devant moi, devant nous, aucune manifestation visible d'une croyance. Ça, ça serait le droit? Bien, une interprétation du droit.
Mme Guilbault (Diane): Oui, oui. Mais vous parlez que j'étais handicapée. Mais, même si je ne le suis pas, je le réclame pareil, là, hein?
M. Sklavounos: Non, non. Parce que vous avez dit le citoyen, il est handicapé parce qu'on n'a pas un droit, parce qu'on n'a pas reconnu la laïcité.
Mme Guilbault (Diane): Ah! Dans ce sens-là, d'accord. Oui. O.K.
M. Sklavounos: Alors, je vous aide, je vous dis: Je crée un droit sur mesure pour vous.
Mme Guilbault (Diane): Ah oui! Non, ce n'est pas ce que je veux, moi.
M. Sklavounos: Est-ce qu'une interprétation du droit serait le droit de ne pas venir en contact visuel avec aucun signe religieux? Ce serait une interprétation...
Mme Guilbault (Diane): Non, moi, j'appellerais ça le droit à des services publics neutres, voilà, laïques, donc à un État laïque.
M. Sklavounos: Parfait. Merci.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Alors, merci, M. le député. Mme la députée de Rosemont.
Mme Beaudoin (Rosemont): Oui, merci, M. le Président. Mme Guilbault, bonjour. Je veux aussi signaler que Mme Guilbault a écrit un livre très intéressant, tout petit livre qui se lit... Même, je l'ai lu pendant les vacances, alors c'est pour dire que c'est un livre qu'on peut même lire pendant les vacances, pas sur la plage, chez soi, mais en vacances. Il s'intitule Démocratie et égalité des sexes, hein? C'est très intéressant.
Moi, j'aimerais faire deux petits commentaires avant d'en effet vous poser une question. La ministre nous dit souvent: Les pactes internationaux... Je ne sais pas desquels -- dans le fond, elle nous le dira éventuellement -- pactes internationaux elle parlait. Vous, vous avez parlé d'un pacte international qu'on aurait avantage à évoquer, à invoquer, évoquer.
Et j'imagine... parce que, moi, mon problème avec ce que dit la ministre, je ne sais pas ce que vous en pensez, c'est que j'imagine qu'il y a plusieurs pays qui ont signé ces pactes internationaux puis qu'il y a des pays qui se sont déclarés laïques et qui respectent les pactes internationaux tout en étant laïques et tout en faisant en sorte que les conséquences de la laïcité de l'État se manifestent.
Alors, Mme Latour, d'ailleurs, nous en a un peu parlé, Me Latour, en disant que des pays très différents puis qui ont une attitude très différente par rapport à la laïcité ont signé les mêmes pactes internationaux et ne les ont pas transgressés en les signant. Alors, j'aimerais ça que, vous, vous commentiez là-dessus.
Mais, avant de le faire, je voudrais dire aussi que je ne voudrais pas que, du côté de nos amis d'en face, on pense que la position de la laïcité que l'on défend de ce côté-ci, ce soit parce qu'on n'aime pas les religions ou parce que... C'est vrai qu'on a entendu ici des personnes qui sont venues nous dire qu'ils avaient vécu des expériences épouvantables avec la religion catholique au Québec, puis j'étais quasiment obligée de défendre la religion catholique en disant que ce n'était pas tout mauvais, tout méchant, puis que, bon, on pouvait s'en être distanciés, puis ceux qui continuaient à pratiquer leur religion la pratiquaient sans aucune difficulté dans le Québec d'aujourd'hui. On ne pouvait pas parler comme il y a 50 ans alors que l'Église contrôlait l'ensemble du Québec.
Alors, ce n'est pas pour ça qu'on est laïques, ce n'est parce qu'on n'aime pas les religions. Je dirais, comme Guy Rocher l'a dit quand il est venu ici, que c'est au nom du respect de la diversité religieuse et au nom aussi de la liberté de conscience, qui a préséance sur la liberté de religion. La liberté de conscience, c'est dire: Je crois ou je ne crois pas, c'est ça, la liberté. Alors, qu'on puisse l'exercer correctement, ça me semble effectivement important.
Et j'ajouterai comme dernier commentaire que, quand on dit «la hiérarchisation des droits, ce n'est pas possible, c'est impossible, etc.», bien, en fait, quand les cours prennent une décision, elles hiérarchisent. Il y a une hiérarchie des droits de fait qui se manifeste, puisque souvent c'est deux droits qui s'entrechoquent et puis donc les cours décident si c'est plutôt...
Et, moi, c'est sûr que je pense que la liberté de religion ne doit pas être un droit aussi fondamental que l'égalité hommes-femmes, c'est tout. C'est ma conviction personnelle. Ce qu'on pourra faire dans la charte québécoise... En tout cas, nous, si, à un moment donné, on a cette opportunité-là, on va d'ailleurs le proposer sans aucun doute.
Je pense que c'est important de faire ces quelques remarques là parce que, je ne sais pas, la religion, pour moi, je veux dire, c'est très personnel, justement. Puis je pense que le député de Bourget nous faisait remarquer l'autre jour, c'est sûr, la vie se termine à un moment donné, la mort, bon, le sens de nos vies, chacun peut donner une réponse à ça qui soit différente, et puis donc c'est une croyance. Et puis, bon, moi, on me dit: Peut-être que Dieu n'existe pas, en effet, il n'y a rien qui me prouve que Dieu existe, mais peut-être qu'il existe, finalement, je n'en sais rien, tu sais. Je n'en sais rien. Mais donc ce n'est pas là-dessus, je veux dire...
Bon. Le problème, c'est ce que vous avez dit, c'est-à-dire, nous sommes des citoyens, et c'est à partir d'une approche citoyenne... et puis que l'appartenance religieuse, c'est une autre chose, et puis que l'État n'a pas, justement, à, je dirais, agir ou interagir par rapport à l'appartenance religieuse. Alors, voilà.
Mais, sur les pactes internationaux, j'aimerais ça vous entendre. Est-ce que se déclarer laïque dans la charte québécoise des droits et libertés ferait du Québec, je ne sais pas, moi, un ovni sur le plan international?
**(16 h 40)**Mme Guilbault (Diane): Écoutez, je ne suis pas une juriste, alors c'est beaucoup plus facile pour une non-juriste de faire des critiques comme ça parce qu'en fait on n'est pas des spécialistes et on ne fait pas l'analyse de toute la jurisprudence internationale pour vous donner une réponse. Alors, c'est une réponse de citoyenne. Et, moi, je pense que la laïcité, c'est un mode de fonctionnement politique des institutions publiques qui ne va pas à l'encontre d'aucun droit.
Personnellement, je pense que la France a adopté son régime laïque très tôt, et récemment la Cour européenne a validé de toute façon ses lois qui ont été adoptées et qui sont plus strictes que celles qu'on a ici. Je pense que le Québec et le Canada sont quand même, en termes de droits de la personne, des terres qui ont été longtemps des modèles, et je pense que le Québec a été un modèle en particulier sur les droits des femmes -- c'est un sujet que je connais mieux.
Et je dirais aussi, je vais faire la parenthèse, ajouter en disant que je pense que les pactes internationaux -- et avec la CEDEF -- on a beaucoup de justifications pour agir pour les droits des femmes.
Et je voudrais rappeler ici à vous tous que, quand le Québec s'est prononcé... en fait, a déposé son projet de loi, il y a eu un tollé des éditorialistes anglo-saxons mais un appui incroyable de la population du Canada. Et le Québec fait bouger l'ensemble de la population canadienne sur ces questions parce que justement on arrive avec une approche différente, une vision différente.
Et, récemment, le Globe and Mail a commis un éditorial incroyable sur le multiculturalisme qui devait s'en aller, pour dire qu'il ne faut pas se gêner pour dire aux immigrants quels sont nos traits communs, nos forces communes, nos valeurs communes. Et c'est très intéressant, ce Globe and Mail qui avait appuyé le tribunal de la charia pourtant. Alors, on est, je pense, au Québec, parce qu'on discute beaucoup... Hein, on discute beaucoup? Des fois, c'est long, la margarine, ça prend 30 ans, mais on discute.
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Guilbault (Diane): Mais c'est un privilège de pouvoir discuter, c'est un signe de santé démocratique aussi. Et je pense qu'on fait évoluer le droit et on fait évoluer le droit au Canada aussi parce qu'on influence nos concitoyens, nos concitoyennes, et je pense que ça, c'est tout à l'honneur de l'Assemblée nationale, ici, je tenais à le dire.
Mme Beaudoin (Rosemont): Merci.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: Merci, M. le Président. Ce fut un plaisir de vous entendre avec des propos certainement éclairants à bien des égards.
On a eu l'occasion, à travers les consultations, d'exprimer un certain nombre de réserves, réserves au niveau de l'aide qu'on offre aux immigrants, ou aux pratiquants, ou aux tenants de certaines religions de bien intégrer le marché du travail, l'argumentaire étant que l'absence de balises vient les pénaliser en alimentant un certain nombre de préjugés qui malheureusement sont encore trop présents dans notre société. Ça, c'est le volet emploi, mais il y a certainement d'autres conséquences aussi à une absence de balise, soit celle de l'intégration des femmes ou du moins de la reconnaissance de leurs droits.
On s'est fait dire à plusieurs reprises, que ce soit à travers les travaux de la commission aussi ou à travers des rencontres que l'on a tenues à l'extérieur, que, pour plusieurs d'entre elles, venir au Québec a été l'occasion ou à tout le moins l'espoir d'une certaine émancipation avec le rejet de certaines pressions qu'elles pouvaient vivre dans leurs pays d'origine. Et plusieurs de ces femmes, aujourd'hui, nous disent être menacées ou sinon désillusionnées par rapport à l'espoir qu'elles alimentaient.
Est-ce que ce sont aussi des discours que vous entendez? Est-ce que nous avons les raisons ou des raisons de croire que, pour ce principe qui est cher à la société québécoise et qui a fait l'objet de luttes d'ailleurs, celui de l'émancipation des femmes, la pleine reconnaissance de leurs droits... Est-ce qu'il y a lieu de s'inquiéter pour ces dames qui se sont jointes à la société d'accueil, donc la société québécoise, et qui, aujourd'hui, sont peut-être déçues face aux ouvertures qu'on leur propose?
Mme Guilbault (Diane): On se le fait dire très, très souvent. Moi, j'organise plusieurs conférences sur la laïcité. Bon. Moi, je n'aime pas personnellement lier laïcité et personnes immigrantes parce que je trouve qu'on leur fait porter la responsabilité de cette difficulté d'atterrir. Et les personnes immigrantes, ce n'est pas la caractéristique commune des revendicateurs d'accommodements religieux. La caractéristique commune, c'est la pratique religieuse, une adhésion souvent assez fondamentale ou fondamentaliste à une religion.
Ceci dit, oui, les gens qui viennent... Et on sélectionne -- ça, c'est, je pense, la plus grande injustice, une des plus grandes qu'on commet au Québec, et au Canada mais au Québec, que je connais mieux -- des personnes hyperscolarisées, hyperéduquées, formées, mais du haut de gamme, qui prennent des années, qui abandonnent famille, emploi, maison, amis, tout. Elles viennent ici et on leur reconnaît la pratique folklorique, à des collègues ou des coreligionnaires, mais, leur diplôme, on ne le reconnaît pas.
Et tout le monde, tout le monde nous dit: Si vous voulez vraiment aider les immigrants, ce n'est pas en nous campant dans une vision stéréotypée de l'immigrant religieux, c'est en reconnaissant nos diplômes pour lesquels et par lesquels vous nous avez choisis, et ça, je pense que, là-dessus, on a un examen de conscience très important à faire, parce qu'on crée effectivement des illusions, des espoirs en tout cas, des espoirs chez des gens, et chez les femmes en particulier qui fuient la terreur, qui fuient des dominations culturelles ancestrales, qui arrivent ici avec la certitude que c'est un pays avancé et moderne et qui finalement sont laissées à elles-mêmes et même se rendent compte -- et encore hier soir il y a quelqu'un qui l'a dit, je pense que c'est Mme Tamzali, mais il y a une dame dans la salle qui a dit la même chose: Faut-il être voilée pour être vue?
Les médias ont une grande responsabilité. Quand ils veulent faire état de personnes musulmanes, on va prendre celles-ci. Moi, j'en connais plein qui sont prêtes à aller parler, mais: Non, non, vous n'êtes pas voilée; vous n'êtes pas une vraie musulmane, vous n'êtes pas voilée. Donc, on accentue les stéréotypes, et là les femmes se disent: Mais qu'est-ce que... Ils veulent qu'on soit voilées? On trahit des engagements. Et je pense que, si on avait une déclaration claire de la laïcité, une charte de la laïcité, on serait en mesure d'informer les personnes qui viennent, en disant: Écoutez, si vous voulez travailler dans la fonction publique, par exemple, vous ne pourrez pas travailler avec un signe religieux ostentatoire. Voilà.
Mais là on ne peut pas le dire parce que c'est permis. On est entre deux eaux, on est dans la confusion. Moi, je ne pense pas que de la confusion naisse toujours la création formidable. Je pense que, des fois, de la confusion naît le chaos plus grand, et je ne pense pas que ce soit un service à rendre à l'ensemble des citoyens, puis en particulier aux nouveaux arrivants, qui finalement ne savent plus sur quel pied danser. Ils entendent toutes sortes de discours, mais le discours clair sur le caractère laïc des institutions publiques n'est pas encore clair, il n'est pas clarifié.
Et, d'autre part, la responsabilité de l'État qui les a fait venir ne se rend pas au bout du chemin. Je sais que vous travaillez très fort, mais il y a vraiment un problème fondamental sur cette question de reconnaissance des compétences et des diplômes, et je pense que c'est ça, c'est ça, le véritable enjeu pour les personnes immigrantes; ce n'est pas la laïcité. Et la laïcité ne contrevient pas aux droits des personnes immigrantes. Elles sont d'ailleurs plus nombreuses, proportionnellement, à être non croyantes et non pratiquantes que la population native. Alors, voilà.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, M. le député de Deux-Montagnes. M. le député de Bourget.
M. Kotto: Merci, M. le Président. Bonjour, madame. Ma courte expérience de vie m'apprend une chose qui est à l'effet que les religions s'abreuvent à la source de la peur de la mort. On est dans l'irrationnel.
Ma question: De votre perspective des choses, est-ce que l'État a compétence en matière de gestion de l'irrationnel?
**(16 h 50)**Mme Guilbault (Diane): Je vais me censurer d'abord, parce que, des fois, on pense que l'État prend des décisions irrationnelles, mais, non, je pense que l'État n'a pas matière à juger des croyances ou des... des croyances des gens; ça appartient à la personne. Et, contrairement à la Cour suprême, qui dit... parce que le tribunal n'a pas à juger les... ne connaît pas les croyances et il les accepte toutes, moi, je dis: On n'a pas la compétence pour juger toutes les croyances, alors ça devrait donner... on ne devrait pas s'en occuper, ça ne devrait pas être une matière dans la gestion du vivre-ensemble civique.
Alors, je ne pense pas qu'il appartienne à l'État de faire faciliter la diffusion des discours... n'importe quel discours idéologique, là, y compris celui des croyances religieuses; ça appartient aux églises, aux gens religieux, aux communautés religieuses de faire l'information sur les croyances. Et, comme l'a soulignée Mme Beaudoin, je pense que la religion, c'est... les religions sont des réponses aux questions les plus fondamentales que se pose l'être humain, hein, on s'entend. Ce n'est pas cet appel spirituel qui cause problème dans la sphère publique, c'est l'ensemble des règles, des règlements, des lois religieuses qui viennent en confrontation avec les lois qu'on s'est choisies démocratiquement. Et la dimension spirituelle est très souvent évacuée du débat parce qu'en fait, si c'est spirituel, ce n'est pas sur la place publique. Alors donc, on... Mais c'est ça, en fait, la vraie liberté de conscience, la vraie liberté religieuse, c'est de pouvoir croire et d'avoir cette réponse... se donner des réponses sur les questions les plus fondamentales de la vie humaine.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Merci, M. le député de Bourget. Mme Guilbault, merci infiniment de vous être présentée en commission.
Mme Guilbault (Diane): Merci à vous.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Vous saluerez vos collègues de notre part.
Mme Guilbault (Diane): Certainement, je vais faire le message.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci. Bon retour chez vous. Je vais suspendre les travaux quelques instants, le temps de permettre à M. Keith de prendre place.
(Suspension de la séance à 16 h 51)
(Reprise à 16 h 55)
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Nous allons donc reprendre nos travaux. J'ai notre invité devant toi... devant moi, pardon, devant moi. Et là vous allez m'éclairer sur la façon de prononcer votre nom, monsieur. Je n'ose même plus le prononcer. Donc, si c'est possible de vous présenter, s'il vous plaît.
M. Keith Sheldon
M. Keith (Sheldon): Oui. Je m'appelle Sheldon Keith.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ah! C'est bien.
M. Keith (Sheldon): Oui?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Je suis content de vous entendre. Alors, je suis bien heureux de vous entendre, puis je veux vous souhaiter la bienvenue au nom de mes collègues et puis de l'ensemble des gens qui représentent leur formation politique ici. Et vous avez 10 minutes pour présenter votre mémoire. Et nous allons vous poser quelques questions, là, pour s'assurer qu'on a bien compris. Donc, à vous la parole.
M. Keith (Sheldon): Merci. Bonjour, mesdames et messieurs. Je vous remercie de m'avoir accueilli parmi nous aujourd'hui, surtout à l'heure tardive, là. Mais, peut-être, je peux apporter une perspective anglo-saxonne, hein?
Je peux résumer mes représentations au sujet du projet de loi n° 94 en quatre points, hein? Premièrement, oui, nous avons une culture bien à nous, que nous voulons préserver, ici, au Québec. Deuxièmement, oui, le port du voile peut aller à l'encontre de cet objectif. Troisièmement, nous avons une instance bien compétente, ça veut dire la Commission des droits de la personne, pour trancher des différends qui en ressortent, de ces problèmes-là. Donc, quatrièmement, de faire autrement va miner notre façon de vivre ensemble, de manière à contrer la culture que nous voulons préserver en fin de compte.
Donc, premier point, Oui, nous avons une culture bien à nous, que nous voulons préserver. Alors, dans Le Devoir, au chapitre de l'expulsion d'un cours de francisation d'une femme d'origine égyptienne qui refusait d'enlever son niqab, on a entendu que la dualité entre homme et femme pourrait être remise en cause au nom de droits à la liberté de religion. Il y a une majorité au Québec qui se retrouve, donc, dans une situation néfaste où il faut renoncer à ces valeurs fondamentales pour se plier à la volonté d'une minorité qui porte le voile. Grâce à ces chartes de droits qui servent à leur porter assistance, c'est un glissement, une régression vers une société qui n'est plus la nôtre. Donc, en quoi consistent ces valeurs fondamentales?
Au Québec, notre cadre de vivre-ensemble se fonde sur le respect de certains principes communs, c'est-à-dire le respect des droits humains, la démocratie et une langue commune. Par conséquent, une culture ne s'impose pas, hein? La référence commune -- ou bien culture publique commune -- est composée d'une identité nationale forte déjà constituée qui se renforce d'un pluralisme des convictions, des appartenances, des idéologies et des associations. Donc, tout ça, c'est bien abstrait, hein? En tant qu'intellectuel, des fois, il faut expliquer un peu plus. Donc, ça veut dire quoi, au juste, valeurs fondamentales?
Il y a quelques années, Éric Plourde, à l'Université de Montréal, a fait une analyse du doublage en français de quelques épisodes de l'émission Les Simpsons, une des rares téléséries américaines doublées en France et destinée à un public français, mais aussi doublée au Québec, utilisant le français québécois, hein? Dans la version française, le doublage est un outil à l'uniformisation de la langue. Les personnages parlent soit un français standard ou soit, chez les deux personnes minorisées, un français non standard, point à la ligne, hein?
Dans la version québécoise, le doublage sert, tout comme notre culture publique commune, à attacher l'histoire à un territoire spécifique. Les élites dans l'émission parlent un français international ou bien standard. D'autres parlent de façon populaire, surtout des bons vivants. Les personnes minorisées parlent un français non standard. Et, en plus, il y a quelques cons avec un accent régional, qui parlent en français de France, hein? Donc, en fin de compte, il y a plusieurs façons d'être Québécois. On n'est plus en France, hein?
Il n'est pas surprenant alors que la discussion au sujet de notre modèle de vivre ensemble devienne axée sur la citoyenneté -- ou bien règles de participation à la culture publique commune. Mais l'interaction continue entre l'interprétation de l'égalité des droits et les normes de citoyenneté aboutit à une culture civique des droits qui, dans le contexte québécois, possède ses propres référents historiques, politiques, sociaux et économiques. En effet, on a une culture des droits qui se détache à sa façon d'une identité ethnique spécifique.
**(17 heures)** Deuxièmement, oui, le port du voile peut aller à l'encontre de notre culture de droits. On a tous le choix, tout en respectant quelques balises établies, d'appartenir au territoire québécois et à sa culture à notre façon. Selon notre culture de droits, le respect d'autres façons d'être Québécois est, pour la plupart, volontaire et ne peut miner aucun des droits protégés des chartes, en l'occurrence l'égalité entre hommes et femmes. Oui, l'exercice de la liberté religieuse peut être restreint afin de maintenir les libertés et droits fondamentaux d'autrui.
Or, il serait très difficile de démontrer dans tous les cas qu'une expression de foi comme le port du voile porte atteinte à la démocratie, à la sécurité, à la communication, à l'identification, à l'ordre ou à la morale. D'ailleurs, l'expression de foi dans l'espace public ne comporte pas nécessairement un sens religieux, et il appartient à la personne qui porte le voile de lui conférer un sens ou non. L'État n'a pas à dicter le style vestimentaire des individus. Nous avons inventé la démocratie et ses institutions connexes pour régler tout ça cas par cas.
Troisièmement, alors, nous avons une instance bien compétente, la commission des droits des personnes, pour trancher les différends qui en ressortent. Entre les faits et l'interprétation des faits, il y a justement de l'interprétation. Dans le débat présent, notre culture de droits à nous s'efface comme culture, mais son interprétation fait quand même l'objet de contestations politiques, surtout, comme on voit ici, au sujet de la tolérance de la différence. Autrement dit, les comportements acceptables de quelqu'un qui appartient au territoire québécois se discutent. Mais la culture de droits qui en découle est civique, neutre, juste et surtout apolitique, au moins à nos yeux, hein?
Selon les critiques, le port du voile fait partie d'une idéologie politique qui se cache derrière une culture: à l'encontre de nous autres, l'individu issu de l'autre culture est prisonnier de cette culture-là. Cette essence le rend incapable de voir les dangers que la pratique de sa culture, en l'occurrence le port du voile, pose aux Québécoises. Selon cette perspective, toute personne issue de l'autre culture qui s'identifie par le port du voile fait partie d'un bloc homogène de personnes-robots qui ont de la difficulté à s'intégrer à nos moeurs.
On peut attribuer des traits généralisés à l'autre par le biais de leur culture: Ce n'est pas leur faute, c'est leur culture. Et, dans ce schéma, le respect de la différence, la force primordiale de notre modèle de vivre-ensemble et qui nous démarque de plusieurs autres pays d'accueil au monde, se transforme en problématique à surmonter: le port du voile mine l'égalité des femmes parce que la culture dont il est issu ne respecte pas l'égalité des femmes. La culture de l'autre, la personne et sa nation s'assimilent; tout adhérent de la culture en question se comporte de la même façon. Cela nous permet de taxer son attitude d'intolérance envers nos valeurs fondamentales. Et, par le biais de la loi n° 94, nous voulons maintenir l'égalité entre hommes et femmes. La vulnérabilité de cette égalité exige que nous la protégions.
Par contre, la reconnaissance des droits et libertés de chacun sans hiérarchie entre eux tranche carrément avec l'idée que la défense d'un droit se fait nécessairement au détriment d'un autre, surtout dans le cas où une même personne pourrait être victime de discrimination pour plusieurs motifs à la fois, comme le sexe et la religion.
Sur tous ces plans, la question de comment adapter les institutions et structures existantes pour combler les besoins indiqués des personnes immigrantes issues d'origines de plus en plus diverses reste un défi de taille.
Il faut l'avouer, la majorité des Québécois n'est pas du même avis au sujet des frontières entre la vie publique et la vie privée que le port du voile représente chez la personne musulmane. La Commission des droits de la personne a pour mission de veiller sur les recours prévus en cas d'atteinte aux droits. La commission devient en fin de compte un tribunal pour les plus marginalisés de la société d'expliquer leurs gestes, et de cette manière les personnes minorisées, par le biais de leur questionnement de notre tolérance, deviennent les successeurs véritables de notre démocratie.
Point quatre. Somme toute, certains ont identifié le port du voile comme néfaste à l'égalité entre femmes et hommes. Nous attribuons cette intolérance de nos valeurs fondamentales à toutes celles qui portent le voile, parce que, soyons honnêtes, notre débat ici rejaillit sur l'ensemble des personnes qui s'habillent de même. Alors, en délimitant le recours possible au tribunal de la Commission des droits de la personne en cas de discrimination à l'emploi, par exemple à cause de sa façon d'exprimer sa foi, nous portons atteinte à l'égalité entre une spécifique minorité socioculturelle et la société québécoise.
D'ailleurs, nous nous donnons le droit de lui enlever la possibilité de suivre des cours de francisation qui, en fin de compte, rend plus problématique l'exercice du droit de participer à une démocratie francophone. Donc, au nom de l'égalité entre femmes et hommes, nous allons taire, politiquement parlant, une minorité spécifique de femmes.
Limiter l'exercice du droit de s'exprimer dans une démocratie sur la base d'une essence qu'on lui attribue nous rappelle les arguments du passé qui ont nié le suffrage aux femmes. Dans une démocratie, comme Benjamin Franklin a dit: Il faut aimer vos ennemis, ils sont vos meilleurs critiques. Invoquer le droit à la liberté, c'est du coup affirmer qu'on est libres devant d'autres personnes libres. Une minorité qui n'est pas en dialogue avec sa société d'appartenance se retrouve alors en combat avec le marasme démocratique d'une société qui met un terme au dialogue au moyen d'une loi-bâillon tel que le projet de loi n° 94.
L'autorité, dans le cas du Québec, touche à sa survie en tant que nation socioculturelle. Dans un contexte de rareté et de mobilité de la main-d'oeuvre, la société a l'intérêt de se soucier du bien-être de ses immigrants et de voir à la création de milieux de travail stimulants qui profitent de possibilités d'élévation que l'inclusion de populations diverses peut apporter.
En changeant la règle du jeu à notre gré, selon des critères qui visent une minorité socioculturelle spécifique, nous minons notre crédibilité en tant que pays tolérant, nous perdons notre avantage concurrentiel dans l'attraction des meilleurs. Merci de votre attention.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, M. Keith. Mme la ministre.
Mme Weil: Merci, merci beaucoup, M. Keith, de venir partager votre opinion avec nous. Évidemment, votre opinion est très différente des opinions qu'on a entendues cet après-midi mais ressemble un peu à des opinions qu'on a entendues ce matin. Mais donc c'est pour ça que c'est important que les citoyens viennent s'exprimer parce qu'il n'y a pas un consensus parfait, là, sur c'est quoi, la laïcité, mais les gens le demandent parce qu'ils veulent un guide, un guide de vie.
Mais vous dites que vous avez des problèmes avec le projet de loi n° 94. Je voudrais y aller plus précisément. Donc, dans le projet de loi n° 94, on exprime... lorsqu'on l'a exprimé, c'est qu'on respecte la neutralité religieuse de l'État, c'est-à-dire que les gens peuvent exprimer et avoir des accommodements pour des motifs religieux. On vient finalement codifier la jurisprudence et l'intégrer dans la loi.
Le Barreau du Québec trouvait que c'était un exercice pédagogique, et sain, et important, et d'autres ont répété aussi que c'est bon parce qu'il y a beaucoup de confusion autour de cet exercice d'accommodements raisonnables, au point où il y avait une certaine crainte que cet exercice fondamental d'une société libre et démocratique perde sa légitimité. Donc, il trouvait important de dire quelles sont ces règles, qu'on peut faire cette demande pour différents motifs mais qu'il y a des contraintes, c'est-à-dire que, si c'est des contraintes excessives, ce n'est plus raisonnable. Et donc on vient décrire tout ça. Est-ce que vous avez un problème à ce qu'on vienne inclure dans un projet de loi des règles autour de l'accommodement raisonnable?
M. Keith (Sheldon): Oui, de trancher de façon noir sur blanc, oui, c'est un problème.
Mme Weil: ...actuellement.
M. Keith (Sheldon): Oui. Mais la façon de s'intégrer à la société aussi bien que la façon qu'on voit le citoyen, des règles d'appartenance qui sont toujours en mutation...
**(17 h 10)**Mme Weil: Oui, mais, je veux dire, ça, c'est des règles qui existent en vertu des chartes et des tribunaux qui disent: Bon... Alors, il n'y a pas de proscription, c'est tout simplement voici les règles et comment vous allez agir, puis il y aura des directives dans les ministères pour dire comment... Parce qu'il y a de la confusion et une certaine pression aussi sur les décideurs qui ont ces demandes.
Par ailleurs, c'est vrai, il y a beaucoup d'exagération par rapport à l'aspect onéreux de cet exercice. Pour la plupart des cas, ça se règle très bien, très, très bien. Il y a un service-conseil à la Commission des droits de la personne, mais les gens en ont fait vraiment tout un plat, là, autour de ça. Mais, nous, ce qu'on dit, c'est que la plupart des cas, ça se règle très bien, que les gens sont très heureux, très heureux d'accommoder parce que finalement c'est un exercice sain, dans une démocratie, de faire ça.
Mais certains décideurs, surtout autour de l'expression de la liberté de religions... qu'ils voulaient des «guidelines» là-dessus. Alors, nous, donc, avant d'arriver à l'article 6... Mais, vous, d'entrée de jeu, de venir codifier ou de venir intégrer ces règles-là qui existent en vertu du droit et des chartes, vous ne trouvez pas ça utile.
M. Keith (Sheldon): L'utilité, bien, je n'utilise pas le mot «l'utilité», là, mais on a des chartes déjà en place. On a une compétence très forte, qui est la Commission des droits de la personne, pour décider des problèmes qui sortent de l'accommodement. Il y a une bonne expression en français, c'est: L'ennemi du bien, c'est le mieux, là, hein?
Donc, si on veut améliorer... La raison pour laquelle, peut-être, je peux vous dire, personne n'a osé, depuis la mise en place de politiques d'intégration des immigrants au Québec, depuis 1981, je pense... 1991, excuse... Il y a une raison pour ça: c'est dangereux de trancher une fois pour toutes. On a déjà une charte, on a déjà un endroit pour régler des problèmes. Pourquoi on va aller plus loin?
Mme Weil: Mais ce qu'on dit: on clarifie aussi par rapport à l'égalité hommes-femmes, parce qu'il y avait beaucoup, là aussi, une crainte de brimer ou de nuire à ce droit-là. Donc, on clarifie, dans ce projet de loi, que tout accommodement devra respecter les chartes, et donc notamment l'égalité hommes-femmes, pour amener plus de clarté à cet exercice. Parce que, là aussi, en effet, c'est sûr qu'il y a la Commission des droits de la personne, le Tribunal des droits de la personne, il y a des tribunaux, il y a des chartes, et tout, mais avec le débat qui va... ça fait depuis plusieurs années qu'on est dans ce débat-là, il y avait une pression, il y a une pression, hein, que les gouvernements vivent, une pression qui vient... Et le gouvernement ne peut pas rester insensible à cette volonté de clarifier ces choses-là des décideurs qui, au quotidien, ont des décisions à prendre sur les accommodements. Alors, c'était la volonté du gouvernement.
Sur l'article 6, vous le lisez comme étant une prohibition, l'article 6, et non dans le cadre de l'accommodement raisonnable. C'est comme ça que vous lisez l'article?
M. Keith (Sheldon): Oui. Ça délimite les possibilités.
Mme Weil: Parce que, ce matin, il y avait un groupe de femmes qui s'appelait C-O-R, COR, qui s'occupe beaucoup d'intégration des femmes musulmanes dans la communauté. On leur a posé des questions. Elles, elles étaient d'accord avec le choix qu'on avait fait sur ce qu'on appelle la laïcité ouverte. Parce qu'il y a un autre courant qui dit: «Non, pas d'accommodement pour les motifs religieux» et que l'État devrait être tout à fait laïque... bien, «tout à fait laïque», une laïcité tout court. C'est comme ça que Mme la députée de Rosemont l'exprime, c'est-à-dire qu'un employé ne pourrait pas porter un signe religieux s'il veut travailler dans la fonction publique ou dans l'espace civique, comme elle l'appelle, travailler au gouvernement, pas de hidjab.
Nous, on fait un autre choix. Nous, notre choix, c'est de dire: Non, en autant que l'État demeure neutre, le fait de porter un signe religieux ne vient pas compromettre la neutralité du service. Alors, ça aussi, je veux dire, les gens veulent peut-être qu'on soit plus clairs, mais on le dit -- là, c'est dans l'article 4. Je ne sais pas si vous l'avez vu, ce choix-là qui est là. Mais il y a deux visions qui existent. Est-ce que vous avez des commentaires à faire sur ça?
M. Keith (Sheldon): Oui. C'est bon d'avoir beaucoup de perspectives sur le même alinéa des lois. Mais je pense, pour moi, le problème, dans le fond, c'est: on a déjà une panoplie d'exceptions, d'exclusions des institutions de l'État qui se soustraient des pouvoirs des commissions des droits de la personne. Et peut-être que je peux vous poser la question: Avez-vous de la misère avec le travail des commissions des personnes, des droits?
Mme Weil: Non. Mais j'étais, moi, à la SAAQ récemment et évidemment, moi, je fais toujours mes sondages, je pose des questions, et les gens me reconnaissent, ils veulent en parler. Des décideurs, des gens qui sont derrière les comptoirs. C'est sûr que c'est aidant pour eux qu'il y ait une certaine clarté autour de certaines choses, et finalement, et c'est ce que le groupe a dit ce matin, les femmes vont se dévoiler, ils comprennent le motif.
Et d'ailleurs cet organisme qui a représenté les femmes musulmanes, il trouvait très raisonnable l'article 6. Ils ont dit: Oui, en effet, pour des raisons de communication, pour des raisons d'identification et de sécurité, oui, c'est bien, et les femmes vont le faire. Et l'impact de ça, c'est de calmer le jeu. Moi, je vous dirais que c'est ça. Il y a des gens qui ont dit: Ça peut avoir l'effet contraire. Les discussions que j'ai beaucoup, là, depuis six mois, sur le terrain, avec des gens qui sont là vraiment dans ces services, c'est que ça calme les choses parce que les gens voient plus... les gens comprennent de part et d'autre comment agir.
Et, nous, on a dit, l'expression qu'on a utilisée, c'est qu'il est d'application générale, la pratique voulant que, bon, les gens se traitent à visage découvert. Et il y a beaucoup de gens, je vous dirais, beaucoup... Vous parlez d'Anglo-Saxons, j'ai rencontré beaucoup, beaucoup de gens des deux communautés, francophone et anglophone, ailleurs au Canada et au Québec, il y a beaucoup de gens qui disent: «It's common sense.» Je vous dis, là, c'est un commentaire qui revient souvent. Je comprends ce que, vous, vous dites par rapport aux chartes, je ne suis pas du tout insensible à ce que vous dites. Mais ils ont trouvé la formulation de l'article 6 très pratico-pratique et pragmatique, qui ne porte pas de jugement mais qui dit: Bon, pour se comprendre, pour se voir, pour transiger, il faut être à visage découvert. C'est un geste. Alors, ils voient ça comme un geste dans la bonne direction pour essayer d'avoir un consensus sur comment... et que les gens le gèrent bien, finalement. Alors donc... Mais, vous, vous le voyez... Moi, j'ai l'impression que vous avez vu ça comme une prohibition complète et totale au lieu d'un geste d'ouverture finalement aussi.
M. Keith (Sheldon): Bien, tout d'abord, je peux vous dire qu'on n'a pas besoin d'une loi pour se dévoiler, là, hein? Si le monde veut se dévoiler, on n'a pas besoin d'une loi pour ça.
Non, je ne vois pas une prescription mais je le vois dans une succession de limitations au comportement de certaines minorités au lieu de quelque chose qui est ouvert à tout le monde. Et je trouve aussi, et c'est certain, que ce qu'on fait ici, ça va rabattre sur tous les immigrants, hein, et ça va limiter, par exemple, la possibilité d'emploi pour certaines femmes. Même si elles portent le voile, c'est juste un foulard, là, pour couvrir les cheveux, c'est certain, ça va porter atteinte à leurs possibilités aussi de trouver un emploi. Donc, c'est juste ça, c'est l'idée que ça fait partie d'une succession d'interdictions que je n'aime pas.
Mme Weil: Juste pour vous dire, le fait qu'on ait fait le choix qu'ils peuvent porter le voile, ce qu'ils nous disent, c'est le contraire de ce que vous dites, c'est que c'est sain, ça donne un signal qu'ils peuvent intégrer l'institution la plus importante dans une société, qui est le gouvernement, le gouvernement qui doit refléter sa société, et que le gouvernement fasse le choix que, oui, ces gens-là puissent porter le voile, c'est le meilleur symbole pour eux d'acceptation. C'est beaucoup le commentaire que je reçois. Mais, vous, vous ne le voyez pas comme ça.
M. Keith (Sheldon): Mais la façon dont vous parlez, vous parlez déjà comme c'est une bonne affaire qu'ils se dévoilent, ce n'est pas une exigence religieuse. S'ils sont libres, ils peuvent se dévoiler, mais c'est un choix personnel, hein? C'est un choix personnel de faire ça, c'est un choix personnel d'afficher ses couleurs comme ils veulent, donc je ne vois pas la raison pour laquelle...
Mme Weil: Mais je ne parle pas de l'article 6, là.
M. Keith (Sheldon): O.K.
Mme Weil: Je parle de 4.
M. Keith (Sheldon): Oui.
**(17 h 20)**Mme Weil: C'est-à-dire qu'on respecte les chartes des droits et liberté, la neutralité religieuse de l'État et ce qui découle de ça. Parce que beaucoup de la discussion qu'on a eu depuis plusieurs jours... certains qui disent: Non, si on travaille pour le gouvernement, on ne peut pas porter de signes religieux. Nous, notre argument, c'est que l'intégration... et l'outil d'intégration le plus important, c'est le gouvernement, c'est vraiment le visage de la société, et qu'on ne brime pas la neutralité parce qu'on permet à quelqu'un de porter un signe religieux et de travailler derrière le comptoir, que son service sera toujours neutre.
Mais, vous, je suis surprise par votre réaction, que vous ne trouvez pas ça comme... Parce que, moi, il me semble, avec votre philosophie, que vous trouveriez que c'est un pas dans la bonne direction que le gouvernement se prononce là-dessus.
M. Keith (Sheldon): Non. Parce que je ne suis pas d'accord que l'intégration passe par l'État, ça passe par l'emploi, là.
Mme Weil: Bien, tout. C'est un symbole, le gouvernement.
M. Keith (Sheldon): Oui, oui, oui, je suis... Mais c'est aussi... C'est l'idée...
Mme Weil: Bien, l'emploi au gouvernement. C'est l'emploi au gouvernement.
M. Keith (Sheldon): Oui, mais là-dessus, hein, ce n'est pas joli, les intentions de l'État depuis un bon bout, là.
Mme Weil: Non, non, je suis d'accord, mais il faut aller dans ce sens-là. Mais en tout cas.
M. Keith (Sheldon): Dans ce sens-là, depuis l'adoption des chartes, l'État québécois a une obligation proactive d'accommoder les personnes d'autres minorités dans la fonction publique. Et je sais bien, hein, qu'il y a des personnes qui travaillent très fort à ça, de trouver des moyens pour les accueillir, pour les intégrer à la fonction publique, mais franchement, là, ça n'a pas marché, hein? On a établi, voilà 20 ans, une cible de 12 % de personnes minorisées dans la fonction publique, on l'a atteint auprès des personnes occasionnelles mais pas des personnes permanentes.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va. Merci, Mme la ministre. M. le député de Deux-Montagnes.
M. Charette: Merci, M. le Président. M. Keith, ce fut un plaisir de vous entendre. Plusieurs des gens reçus commencent par une petite présentation nous disant qui ils sont, s'ils représentent une organisation. Je ne sais rien de vous. Je suis curieux de nature. Sans que ce soit une longue présentation, peut-être nous dire quels sont vos intérêts personnels. Est-ce que vous oeuvrez dans un domaine en lien avec le projet de loi ou est-ce que c'est uniquement en tant que citoyen? Je suis simplement curieux de savoir qu'est-ce qui vous a incité à faire ce travail de réflexion et à venir nous le présenter aujourd'hui.
M. Keith (Sheldon): Je suis doctorant en relations industrielles à l'Université Laval. Donc, mes études portent sur la discrimination systémique. Je suis bien content que vous intéresse mon cheminement professionnel. Vous allez m'offrir un emploi?
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Charette: Vous savez, on a bien peu de moyens, hein, encore moins pour des doctorants. Vous savez que les gens sont souvent surqualifiés pour les emplois qu'ils occupent, donc... Non, blague à part, non, c'est intéressant de savoir un petit peu qu'est-ce qui vous motivait à vous présenter devant nous, et c'est un plaisir de vous entendre.
Et notre rôle, c'est de cerner l'opinion de tous et chacun pour pouvoir en tenir compte au moment des délibérations, au moment de l'étude article par article du projet de loi.
Si vous aviez le choix, est-ce que vous diriez que votre premier choix serait le statu quo? Est-ce que la façon dont les accommodements sont gérés actuellement, c'est une façon qui vous apparaît convenable? Est-ce que le statu quo pourrait être satisfaisant pour la société québécoise?
M. Keith (Sheldon): Non, je pense, on devait allouer plus de ressources à la Commission des droits de la personne pour faire la tâche qui est la leur.
M. Charette: Vous avez soulevé ce point-là à quelques reprises au moment de faire votre représentation, et c'est intéressant. On a eu le plaisir de recevoir la Commission des droits de la personne l'année dernière, ma foi, sensiblement à la même période, mais dans le cadre de l'étude d'un autre projet de loi, qui est le projet de loi n° 16, qui avait des objectifs similaires, sans que l'objet lui-même ne soit le même. Et je me souviens avoir interrogé le président de la commission, lui demandant est-ce qu'il se sentait suffisamment outillé pour répondre à toutes ces demandes-là ou si des balises encore plus claires, plus précises ne lui seraient pas utiles comme instances. Et clairement ce fut sa réponse: Oui, on souhaite aussi, du côté de la commission, d'avoir des balises plus précises pour permettre justement à leurs fonctionnaires, à leurs répondants, de mieux faire leur travail. Et c'est un petit peu le défi, je vous dirais, de la société québécoise aussi.
J'aime bien l'image de la patinoire; on vit dans une société où le hockey joue une place ou occupe une image prépondérante. Et, sur une patinoire, on a des règles, et, ces règles-là, elles sont connues, et c'est en reconnaissant ces règles-là qu'on arrive tous à jouer le même sport qui est le hockey. Et actuellement c'est peut-être ce qui fait défaut, une précision des règles, une précision des balises. Donc, non seulement, comme société, c'est difficile de dire à un tel ou une telle: Bien, voici les règles avec lesquelles nous jouons... Et pour la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, c'est aussi difficile... Ils n'ont qu'un seul outil actuellement, qui est la Charte québécoise des droits de la personne, et elle a ses limites.
Donc, est-ce que des balises plus précises vous semblent utiles? Est-ce qu'elles vous semblent nécessaires?
M. Keith (Sheldon): À l'intérieur de ce contexte-là, oui. Mais je peux répondre aux propos des personnes chez la commission, là. Leur responsabilité aussi, c'est d'être proactif. Ils n'ont pas les ressources pour faire ça. Donc, les balises plus précises pour faire la tâche à moindre coût, oui, je comprends, là, c'est toujours plus facile si tout est décidé.
Par les temps qui courent, par exemple, dans le cadre d'autres programmes qu'ils gèrent, par exemple, de placer des personnes minoritaires en emploi, le seul recours qu'ils se servent maintenant, c'est de faire la honte sur le site Web des organisations qui ne respectent pas leurs obligations envers la proactivité de leurs activités. Donc, c'est dans ce sens-là que, je trouve, c'est un peu malheureux, hein, d'entendre ces propos.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. Merci, M. le député de Deux-Montagnes. M. le député de Bourget.
M. Kotto: Merci, M. le Président. Quelques courtes questions. Bienvenue. De votre point de vue, est-ce que les facteurs ou plutôt le facteur «accommodement religieux» est un facilitateur d'intégration ou un obstacle? Première question.
M. Keith (Sheldon): Facilitateur ou obstacle? Les accommodements eux-mêmes, bien, ça facilite l'intégration, parce qu'on trouve un terrain d'entente pour donner l'occasion à la personne de se réaliser.
M. Kotto: Ça, c'est dans l'absolu, c'est dans l'idéal. Je vous ramène à la réalité, parce que ce qui a initié ce projet de loi, c'est ces crises, ces tensions et ces réactions vives, émotionnelles dont nous avons tous été témoins depuis 2006 même. Il y a une succession d'événements que je ne vais pas rappeler ici, c'est assez exhaustif. Considérant tout ce qui s'est passé avec, entre-temps -- la mise sur pied de la commission Taylor-Bouchard, qui a émis des recommandations, réponses à ces recommandations, ce projet de loi -- est-ce que vous pensez qu'on va régler la source de ce projet de loi... c'est-à-dire ces tensions, ces conflits qui, parfois même, peuvent engendrer et discrimination, et stigmatisation, et exclusion, parfois même développer des sentiments de racisme?
Je parle en tant qu'immigrant, parce que j'ai vécu au sein de ces milieux-là qui subissent énormément de préjugés justement à cause de la disponibilité de l'État à accorder ou à, disons, laisser faire un certain nombre d'accommodements ou à laisser aller. Certes, on vient, ou on veut, ou on a l'intention de baliser, avec le projet de loi n° 94, mais, de votre point de vue, considérant l'aspect indigeste, entre guillemets, de la part de la majorité, de la part de la société d'accueil, de la pratique des accommodements, est-ce que vous pensez sincèrement qu'un tel projet de loi viendra, disons, rapprocher les communautés ou plutôt creuser considérablement l'écart entre elles?
**(17 h 30)**M. Keith (Sheldon): Bien, c'est difficile de prévoir l'avenir, là, toujours. Si on savait l'avenir, on serait tous riches. Mais ailleurs, dans un autre contexte par exemple... Parce que les accommodements raisonnables, l'exemple que vous avez donné, c'est un principe qui existe dans mon domaine à moi. Ça veut dire une convention collective, où on fait des griefs...
M. Kotto: Je parle précisément des accommodements religieux.
M. Keith (Sheldon): Oui.
M. Kotto: Les accommodements raisonnables, c'est plus large.
M. Keith (Sheldon): Oui, oui.
M. Kotto: Parce que ça touche à d'autres vecteurs, comme les handicaps, et tout ça. Mais je m'arrête spécifiquement sur les accommodements religieux. Est-ce que vous pensez que la société dans laquelle nous vivons aujourd'hui va encaisser, digérer un projet de loi qui vient consacrer ce qui, hier, était encore rejeté?
M. Keith (Sheldon): Bien, je pense, quand on essaie de circonscrire quelque chose, on crée toujours une catégorie de bon et de moins bon, hein? La teneur de votre question, c'est que cette discussion, c'est un problème à régler. Ce n'est pas un problème à régler. Le problème à régler, que... ailleurs, hein? Si on a une instance de composer avec des problèmes qui ressortent de temps en temps, c'est possible de maintenir, d'avoir des principes qui s'en viennent, au cours... au fil des ans, avec des décisions, et tout ça. C'est juste que... Donc, la réponse tout court, c'est non. Mais c'est normal qu'il y ait toujours de la bisbille entre les communautés et à l'intérieur des communautés.
M. Kotto: Je vais repréciser une autre question que je vous ai posée au préalable, et là je vais dans le concret. Un musulman pratiquant versus un, disons, chrétien non pratiquant de souche nord-américaine qui postulent pour le même emploi nous donnent toujours un résultat, disons 7 sur 10: le nord-américain chrétien non pratiquant, qui prend... qui obtient l'emploi versus le musulman pratiquant. Savez-vous pourquoi les témoins convergent dans ce sens-là? Parce que l'employeur ne sait pas toujours à quoi s'attendre avec le musulman pratiquant sur le plan des accommodements. Et c'est la raison pour laquelle je vous posais la question à savoir si c'est un facteur facilitateur d'intégration. Vous parliez de l'intégration par l'emploi, c'est vrai. Est-ce que c'est un facteur facilitateur d'intégration ou un obstacle? Je voulais vous entendre là-dessus au début.
M. Keith (Sheldon): Vous avez raison. C'est un des problèmes qui sortent dans les sondages des employeurs à propos de l'intégration des personnes venues d'ailleurs. C'est la peur d'avoir des problèmes avec. C'est pour ça. C'est peut-être plus facile de ne pas les embaucher pour éviter les problèmes. Oui, c'est certain.
Mais, l'autre côté de la médaille, il y a aussi un gros problème: que le monde se désiste de postuler pour les emplois parce qu'ils pensent que ça va être un problème aussi. J'oublie votre question.
M. Kotto: Non. Vous y avez répondu, en somme. Oui, oui.
M. Keith (Sheldon): C'est l'idée, oui, que ça... Ce n'est pas certain qu'en réglant des choses une fois pour toutes ça va améliorer la situation.
M. Kotto: Mais on ne peut pas empirer les situations, vous comprenez.
M. Keith (Sheldon): Aussi.
M. Kotto: Vous en conviendrez.
M. Keith (Sheldon): Oui.
M. Kotto: O.K. Merci.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Alors, merci beaucoup, M. le député de Bourget. M. Keith, merci infiniment de vous être présenté si tard. Je vous souhaite un bon retour chez vous, à tous et à toutes.
Donc, je mets fin à la séance d'aujourd'hui et je lève la séance. Et la commission ajourne ses travaux au lundi 25 octobre, à 10 heures, où elle entreprendra un autre mandat. Bon retour chez vous, messieurs, mesdames.
(Fin de la séance à 17 h 34)