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Version finale

39th Legislature, 1st Session
(January 13, 2009 au February 22, 2011)

Wednesday, October 6, 2010 - Vol. 41 N° 90

Mandat d'initiative - Audition de M. Pierre Marc Johnson concernant les orientations formulées par le gouvernement du Québec auprès du gouvernement fédéral au sujet du projet d’accord de libre-échange entre le Canada et l’Union européenne, ainsi que sur l’état actuel des négociations et les enjeux que soulève ce projet


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Table des matières

Exposé de M. Pierre Marc Johnson

Discussion générale

Autres intervenants

 
M. Bernard Drainville, président
M. Claude Bachand, vice-président
M. Gerry Sklavounos
Mme Louise Beaudoin
M. Michel Matte
M. Nicolas Marceau
Mme Stéphanie Vallée
M. Daniel Bernard
M. François Bonnardel
M. Yves-François Blanchet

Journal des débats

(Quinze heures neuf minutes)

Le Président (M. Drainville): Alors, À l'ordre, s'il vous plaît! Ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Je demande à toutes les personnes dans la salle de bien vouloir éteindre la sonnerie de leurs téléphones cellulaires.

Le mandat de la commission est de procéder à l'audition de M. le premier ministre Pierre Marc Johnson concernant les orientations formulées par le gouvernement du Québec auprès du gouvernement fédéral au sujet du projet d'accord de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne ainsi que sur l'état actuel des négociations et les enjeux que soulève ce projet. J'en profite pour souhaiter la bienvenue à M. Johnson.

M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

**(15 h 10)**

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Beaudoin (Mirabel) est remplacée par M. Blanchet (Drummond); Mme Hivon (Joliette) est remplacée par M. Marceau (Rousseau); et Mme Roy (Lotbinière) est remplacée par M. Bonnardel (Shefford).

Le Président (M. Drainville): Alors, la séance débutera par une présentation de M. Pierre Marc Johnson, puis nous allons procéder à une période d'échange avec les membres de la commission. Je tiens à souligner que le député de Shefford ne pourra pas siéger avec nous jusqu'à la fin de la séance. M. Deltell, du... oui, excusez-moi, le député de Chauveau se joindra à nous dans la deuxième partie de cette séance pour le deuxième groupe d'opposition, et je vous demanderais si on peut d'ores et déjà s'entendre que M. Deltell pourra à ce moment-là participer à la séance pour le deuxième groupe d'opposition. Est-ce qu'il y a consentement?

Des voix: ...

Le Président (M. Drainville): Consentement. Merci beaucoup. Alors, sans plus tarder, M. Johnson, je vous invite donc à présenter les gens qui vous accompagnent et à procéder à votre présentation. La parole est à vous.

Exposé de M. Pierre Marc Johnson

M. Johnson (Pierre Marc): Merci beaucoup, M. le Président. D'abord, laissez-moi vous remercier personnellement de votre invitation à venir faire ce que je souhaite être une contribution, si modeste soit-elle, aux réflexions que vous faites en tant qu'élus autour de ces grands enjeux.

Laissez-moi d'abord vous présenter les personnes qui sont avec moi: à ma droite, le directeur de la politique commerciale au ministère du Développement économique, de l'Innovation et de l'Exportation, M. Patrick Muzzi; à sa droite, M. Jocelyn Savoie, qui est directeur des politiques commerciales pour les accords internationaux au même ministère et qui est en fait le coordonnateur de la négociation; à ma gauche, Me Véronique Bastien, de mon cabinet, qui m'assiste dans la gestion de l'information. Je ne parle pas ici des revues de presse, on n'a qu'à consulter le site de l'Assemblée nationale pour les retrouver, mais je parle surtout de l'ensemble considérable d'informations qui circulent dans le cadre d'une négociation comme celle-là où il y a de nombreux chapitres, une multitude d'enjeux.

Ce qui m'amène aussi immédiatement à faire des réserves, si vous permettez. Nous sommes en négociation depuis plus d'un an avec l'Union européenne, et ce qui se dit ici est public, mais ce qui se dit à une table de négociation ne l'est pas. Non plus que les mandats que je détiens du Conseil des ministres, et je vais trouver à travers tout ça ce qui est possible de faire valoir sans pour autant nuire ni aux intérêts stratégiques du Québec ni aux intérêts d'un certain nombre de groupes, que ce soient des entreprises, des milieux culturels ou d'autres qui ont des enjeux très spécifiques à défendre dans cette négociation. Et c'est ce qui expliquera parfois ma réserve, un peu la langue de bois et, ma foi, peut-être même le silence sur certains objets, et je suis convaincu que vous comprenez pourquoi.

Je vous remercie donc de me permettre de vous faire cette présentation. Je ne sais pas si vous avez un écran devant vous ou... je présume que vous en avez un? Ah! voilà. Alors, je vais procéder par un diaporama assez rapide.

Première, merci. Essentiellement, pour l'Union européenne, qu'est-ce que c'est, le Canada? Le Canada, pour les Européens, c'est leur quatrième investisseur en importance; c'est leur troisième destination en importance pour l'investissement; et nous sommes, pour l'Europe, leur 11e partenaire commercial. Par contre, pour le Canada, l'Union européenne, c'est son deuxième partenaire commercial après les États-Unis et son deuxième investisseur en importance après les États-Unis également. Il y a eu donc au cours des années un certain nombre d'efforts qui ont faits, de rapprochement, et qui n'ont jamais donné lieu à une entente qui ait un caractère, je dirais, obligatoire, donnent un cadre assez définitif aux échanges commerciaux et à la façon de gérer ces échanges commerciaux, ni à coopérer d'une façon qui soit connexe aux intérêts de nature commerciale ou de développement économique.

Deuxièmement, le Québec connaît depuis quelques années un renversement extrêmement important, un tournant majeur dans le portrait de ses exportations. Après avoir crû de façon phénoménale dans l'année qui a précédé la conclusion de l'ALE, c'est-à-dire l'Accord de libre-échange avec les Américains, cette progression a continué au cours de l'ALENA et elle a duré jusqu'à l'an 2000, où nous avions atteint, dans le cas du Québec, 63 milliards d'exportation vers les États-Unis.

Or, en 2009, nous sommes à 40,3 milliards. Donc, non seulement ça a atteint un plateau, comme on le voit sur cela, qui n'a pas duré très longtemps, mais on est déjà en phase de déclin relatif de nos exportations vers les États-Unis, au point d'ailleurs où nos exportations vers les États-Unis représentent maintenant seulement 69 % de nos exportations, alors qu'elles représentaient 81 % de nos exportations en 2004.

Pourquoi et pourquoi je le mentionne, même si on parle ici d'Europe? Parce que l'Europe devient un endroit qui, pour l'économie du Québec, sera inévitable et important, et je reviendrai là-dessus dans quelques minutes. Pourquoi est-ce que ça va moins bien avec les Américains? Il y a la question, évidemment, reliée à la conjoncture actuelle, la crise économique qui a atteint l'économie américaine, une reprise, mais très, très lente, et qu'on anticipe comme devant être probablement assez lente sur le plan de la consommation, mais également les tracasseries frontalières intervenues à compter du 12 septembre 2001, dès le lendemain de ce qui s'est passé à New York, on s'en souviendra, à cet événement tragique de 2001. Depuis ce temps, on vit des tracasseries administratives importantes aux douanes américaines, de différents degrés, cela va de soi.

Deuxièmement, la Chine et l'Inde sont venues occuper une part importante du marché de la consommation aux États-Unis. Et, troisièmement, il y a évidemment l'effet de devise, hein? Le dollar canadien, tant et aussi longtemps qu'il valait 66, 67 sous américains ou même 75 sous américains, donnait un avantage compétitif, comparatif phénoménal à nos entreprises, qui pouvaient vendre des produits sur le marché américain à un prix beaucoup moindre que leurs concurrents américains. Maintenant que nous sommes à quasi-parité, il est évident que ça a un effet sur notre économie. Suivant.

Il faut se retourner un peu maintenant vers l'Europe, pour constater que les entreprises québécoises, que l'économie du Québec s'est graduellement retournée dans une partie de ses exportations vers l'Europe, au point où nous avons une croissance annuelle, depuis 2004, qui excède évidemment celle... la croissance de nos exportations aux États-Unis, qui, elles, sont en déclin, mais d'une façon substantielle. On a perdu près de 6 % par année de nos exportations aux États-Unis, alors qu'on a gagné en moyenne, depuis 2004, près de 8,5 % de nos exportations vers le marché européen, qui représente -- et j'y reviendrai tout à l'heure probablement, dans la période de discussion -- un marché d'une envergure considérable: 500 millions de consommateurs. Il faut avoir à l'esprit que ce qui va se passer au niveau de l'ancienne Europe de l'Est ou de l'ancienne Europe centrale va être extrêmement intéressant sur le plan de la consommation des biens et qu'il y a là des sociétés qui sont en train de se rebâtir comme des sociétés de consommation où nous pourrons probablement gagner.

Cependant, les entreprises québécoises, malgré le caractère relativement fluide de nos échanges avec les Européens, connaissent un certain nombre d'obstacles. On continue de payer bon an, mal an entre 120 et 150 millions par année de tarifs quand on exporte des produits vers l'Europe. Il y a de nombreux obstacles non tarifaires, c'est-à-dire l'application de règles, de procédures, au niveau de la douane comme dans la réglementation des États européens ou de l'Union européenne, qui ralentissent la fluidité des biens. Et il s'agit pour nous, dans cette perspective, de gagner, dans le cadre d'une discussion avec les Européens, l'accès à un marché de 500 millions de personnes. Suivant.

**(15 h 20)**

Rapidement, cette négociation a lieu parce que des gens en parlent depuis 2007. Le premier ministre du Québec, entre autres, y a joué un rôle important à l'occasion de Davos. Il y a eu deux études très importantes: une première étude pour évaluer ce que seraient les impacts d'un libre-échange entre les États-Unis... entre l'Union européenne et le Canada, et une deuxième qu'on a appelée l'étude de périmétrage, un mot trouvé par l'Office de la langue française pour traduire le «scoping exercise» et qui l'explique fort bien. Cette étude de périmétrage, qui a été publiée donc l'an dernier, a permis ensuite que soit lancée cette négociation par le premier ministre canadien à Prague le 6 mai 2009.

Il faut avoir à l'esprit que c'est la première grande négociation depuis l'ALENA dans laquelle le Canada se lance, bien que le Canada ait eu des négociations avec le Pérou, la Jordanie et même l'Association européenne de libre-échange, qui regroupe des petites juridictions, mais néanmoins trois d'entre elles sont en situation économique exceptionnelle: la Norvège, le Lichtenstein et la Suisse, et aussi l'Islande. Pour le Canada, il s'agit donc d'un projet d'accord bilatéral qui est le plus important depuis l'accord négocié avec les États-Unis en 1985-1989. Et l'ALENA aussi par la suite, on se comprend bien, qui était une adaptation peut-être un peu complexe du premier.

Par ailleurs, l'Union européenne, elle, a négocié avec un certain... est déjà en amorce avec des pays comme l'Inde, la Malaisie, elle a conclu un accord de libre-échange avec la Corée du Sud, non sans difficulté et sans heurt. Et c'est la première fois cependant que l'Union européenne, elle, s'engage dans une discussion avec un pays développé. Parce qu'il faut comprendre qu'il y a neuf pays, dont le Canada, qui n'ont pas accès préférentiel au marché européen. Et donc c'est la première fois que l'Europe négocie avec un pays de l'OCDE.

Le rôle du Québec -- rapidement -- dans cette négociation, c'est d'être présent de différentes façons, et j'y reviendrai dans quelques minutes, aux tables de négociation qui intéressent des sujets qui touchent le Québec, à cause de ses juridictions institutionnelles... ses juridictions constitutionnelles. Par ailleurs, le gouvernement fédéral, lui, il faut se rappeler, a la juridiction de base en matière de négociation de commerce extérieur et, deuxièmement, applique à ses domaines de juridiction le principe de la consultation qu'il appliquait dans le passé, mais d'une façon, cette fois, beaucoup plus systématique, beaucoup plus rigoureuse et où, encore une fois, les provinces sont vraiment à la table et n'apprennent pas en général à la dernière minute ce qui se passera. Cela dit, on n'est à l'abri de rien dans les négociations, on le sait, c'est des assemblages complexes, c'est des puzzles, si vous me passez... des casse-tête et même des casse-pieds dans certains cas, et on s'attend à ce que le rythme de la négociation s'accélère dans les mois qui viennent et qu'évidemment les intérêts des uns et des autres à travers le Canada doivent donner lieu, devront donner lieu à des compromis, à des alliances stratégiques et à l'exercice du rapport de force qu'on peut exercer dans de telles circonstances.

La participation des provinces est assurée par, d'abord, une participation directe aux négociations en tant que membres de la délégation canadienne, ce qui n'existait pas dans les autres négociations, par la présence de l'équipe du Québec lors des séances de négociation portant sur les sujets de juridiction provinciale, nous sommes présents dans ces salles, la consultation systématique du Québec sur des sujets qui relèvent des compétences fédérales, comme je l'ai évoqué, et finalement l'accès à l'ensemble des textes qui nous concernent. Suivant.

Parmi les grands objectifs et les intérêts du Québec dans cette négociation, il y a évidemment les tarifs. Que ce soit sur des sujets comme l'aluminium, l'aluminium transformé, les véhicules récréatifs, un certain nombre d'espèces maritimes, ou des produits et des richesses naturelles, ou encore des dérivés immédiats dans le secteur de la métallurgie, il y a pour nous des intérêts à voir les lignes tarifaires modifiées. Il y en a 15 000, hein. Je vous le dis rapidement, là, les douaniers, quand un produit canadien arrive, là, ils ouvrent leurs bouquins, maintenant il regardent leur informatique, il y a 15 000 lignes tarifaires. Il s'agit d'en arriver à un minimum de lignes tarifaires, en espérant que, dans un monde idéal, il n'en resterait qu'à peu près 10 %.

La mobilité de la main-d'oeuvre... Pardon! Avec ce sujet des tarifs, il y a aussi les règles d'origine. Je m'explique rapidement. Pour qu'un produit soit l'objet d'un exemption tarifaire, il faut qu'il soit considéré comme européen ou canadien, selon la frontière qu'il traversera. Et là intervient tout un processus qui s'appelle les règles d'origine. Comme vous savez, au Québec, nous assemblons et nous donnons une valeur ajoutée à de nombreux produits de nature industrielle que nous exportons par la suite, mais ces produits souvent sont des composites de produits faits ici, faits aux États-Unis, faits en Amérique latine. Il s'agit de s'assurer, dans cette négociation, que l'Union européenne nous donnera une certaine souplesse au niveau de cette analyse des règles d'origine, pour la bonne et simple raison qu'on peut négocier l'abolition de tous les tarifs, mais, si l'essentiel de ce qu'on produit est qualifié de «non canadien», ce n'est pas très pratique. Donc, c'est une dimension très importante de cette négociation que l'analyse des règles d'origine, et l'entente qu'on parviendra à consolider éventuellement.

La mobilité de la main-d'oeuvre, c'est un sujet que beaucoup d'entre vous connaissez. La mobilité de la main-d'oeuvre, c'est de nombreuses choses. C'est le permis de séjour temporaire. J'ai entendu des gens me dire qu'ils sont heureux d'avoir beaucoup d'amis en Europe parce que ça leur permet, quand ils traversent la frontière, de dire qu'ils vont chez des amis, ce qui est vrai, ce qui ne les empêche pas par ailleurs de lorgner du coin de l'oeil s'il n'y a pas des occasions d'affaires possibles. Et ça, c'est la problématique des professionnels et des gens qui sont dans le secteur industriel et qui veulent faire des séjours temporaires, parfois des séjours temporaires prolongés.

Deuxièmement, la dimension de la reconnaissance des qualifications. Je pense que je n'ai pas à vous expliquer ce dont il s'agit, puisque vous avez été saisis à plusieurs reprises, ici ou dans d'autres comités, de cette question reliée aux accords entre la France et le Québec en matière de reconnaissance de la qualification. Il est difficile de concevoir qu'on puisse exporter le modèle conclu entre le Québec et la France au niveau de l'ensemble de l'Union européenne, pour toutes sortes de raisons sur lesquelles je reviendrai tout à l'heure dans nos échanges, mais nous pensons qu'il est possible que l'accord entre la France et le Québec soit une source d'inspiration dans ce que nous verrons en termes de reconnaissance des qualifications, si nous pouvons l'aborder avec une certaine profondeur avec les Européens.

En matière d'investissement, je dirais que la problématique est relativement simple. Nous avons un immense territoire. Pour le développer, ça prend du capital. Nous avons peu de population. L'équation est simple: ça prend du capital qui vient de l'extérieur. Ce n'est même pas un choix idéologique, c'est un choix de gros bon sens. Et il faut remarquer que la quantité de capitaux investis qui sont d'origine canadienne en Europe est presque aussi importante que la quantité de capitaux investis par les Européens au Canada, alors qu'ils sont 12,5 fois plus nombreux que nous, au Canada. C'est quand même remarquable que 500 millions de personnes ou... et un PIB 12,5 fois plus élevé que le nôtre donnent lieu à des investissements qui ne sont pas supérieurs à ceux que le Canada investit en Europe. Il faut comprendre cependant qu'une des raisons pour cela c'est tout le secteur minier, où l'expertise non seulement sur le plan de l'exploration et de l'exploitation du secteur minier vient largement du Canada, dans beaucoup d'installations minières européennes, mais le capital et la mise en forme des systèmes de financement du capital pour l'exploitation minière.

La protection de la propriété intellectuelle, je crois qu'on aura l'occasion d'y revenir un peu plus tard.

Finalement, les questions reliées à la coopération. Alors, le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada ont dit qu'ils souhaitaient que cet accord... et l'Europe aussi, l'Union européenne, que cet accord soit plus qu'un simple accord de libre-échange. Et cela signifie, entre autres, qu'on regarde les mesures non tarifaires d'une façon plus approfondie même que nous ne l'avons fait avec les Américains, mais aussi que nous élaborions des systèmes de coopération à la fois sur ces questions directement reliées aux dimensions purement économiques de mouvements des personnes, des biens et des capitaux, mais aussi dans d'autres secteurs, comme la recherche et l'innovation, le développement durable, le travail, l'environnement, le développement nordique, les ressources naturelles et possiblement la culture. Et je sais que nous aurons l'occasion d'en discuter dans quelques minutes, dans le cas de la culture.

**(15 h 30)**

Le calendrier de négociation, rapidement. Il y a eu jusqu'à maintenant quatre rondes de négociations formelles. La cinquième s'amorce le 18 octobre à Ottawa, la suivante aura lieu au mois de janvier à Bruxelles, et la septième aura lieu au mois d'avril à Ottawa également. Il y aura ensuite, au printemps, quelque part entre mai et la fin juin, peut-être même au-delà de ça, le sommet Canada Union européenne, au cours duquel on peut souhaiter que la table sera suffisamment mise pour que les chefs d'État européens et le Canada constatent qu'une entente est possible et probablement sur le point d'arriver. Les perspectives de négociation étaient des perspectives de négociation, dès le début, pour deux ans, et je crois que nous sommes toujours sur ce calendrier, il ne reste qu'une année cependant.

En fin de course, je dirai que cet accord vise, dans le fond, à affirmer assez clairement la volonté des partenaires de mettre en commun leurs connaissances, leurs intérêts et de s'ouvrir les uns aux autres sur le plan économique et dans des domaines de coopération; deuxièmement, d'affirmer que la prospérité passe par le commerce. C'est une affirmation que certains qualifieraient d'idéologique, mais néanmoins c'est une affirmation de conviction qu'il est difficile de concevoir -- la prospérité, particulièrement pour une économie comme la nôtre qui a démontré qu'elle était exportatrice -- sans chercher des règles claires, prévisibles, avec une règle de droit claire et des règles qui soient bien encadrées en matière d'un commerce extérieur. C'est une perspective pour le développement du Québec.

La recherche du développement, aussi, du territoire québécois, en essayant d'y attirer des intérêts européens de toute nature, et les assises d'un développement en matière, donc, d'environnement, de développement durable, de travail et aussi d'innovation, qui, à mon avis, rendraient cet accord un peu étrange s'il ne contenait pas des dispositions en termes de coopération dans le secteur de l'innovation, c'est-à-dire ce passage de la recherche de nature universitaire ou de la recherche pure à ses applications sociétales ou économiques. C'est ça, tout le noeud de l'innovation se situe là. Il est possible de coopérer avec les Européens, d'autant plus que, quand on regarde les 8,5 milliards exportés par le Québec et quand on regarde l'ensemble de ce que nous importons de l'Europe, une forte proportion de cette relation commerciale est autour des... non pas des technologies, non pas des moyennes technologies, mais des hautes technologies, plus qu'avec les États-Unis, ce qui en surprend parfois quelques-uns, en tout cas ce qui, moi, m'a surpris quand j'ai eu l'occasion de prendre connaissance de ces études.

Voilà, M. le Président, ma présentation. Je suis maintenant prêt à répondre à vos questions et celles de vos collègues.

Le Président (M. Drainville): Merci, M. Johnson. Alors, nous allons débuter la période des échanges, mais, juste avant ça, j'aurais besoin de votre consentement pour qu'on respecte le calendrier que nous nous étions donné. Donc, si vous n'avez pas d'objection, nous allons terminer nos travaux à 18 h 10 afin justement de pouvoir permettre, là, à tous les députés qui veulent prendre la parole de pouvoir le faire selon le calendrier que nous nous étions donné.

Discussion générale

Alors, sans plus tarder, le premier bloc de 20 minutes appartient à la partie gouvernementale, et c'est le député de Laurier-Dorion qui prendra la parole. M. le député.

Nature de la participation
du Québec aux négociations

M. Sklavounos: Alors, merci, M. le Président. D'abord, en commençant, j'aimerais souhaiter la bienvenue à M. Johnson, dire à quel point c'est un honneur et un privilège de le retrouver ici avec nous, d'avoir pris le temps pour faire... pour être présent ici aujourd'hui, faire cette présentation, répondre à nos questions.

Je commencerais tout de suite avec ma première question, qui est un petit peu plus générale; j'ai d'autres questions plus spécifiques. M. Johnson a bien fait la pédagogie au début de sa présentation, expliquant en quelque sorte qu'au niveau international la personnalité juridique, si vous voulez, appartient au gouvernement fédéral, pour négocier, évidemment. Nous savons évidemment... et ça, c'est mon cours de droit constitutionnel, qui commence à dater mais dont je me souviens quand même assez, qui nous dit que la mise en oeuvre de tout traité qui touche les questions de compétence provinciale sont de responsabilité provinciale. Alors, il y a toujours eu cette tension, si vous voulez, dans le droit et dans notre situation constitutionnelle au niveau international.

Et évidemment, pour mettre les choses dans le contexte historique, le Québec a toujours revendiqué, depuis très, très longtemps en tout cas, une pleine participation à des négociations de ce genre-là. Ça a été articulé à maintes reprises et de différentes façons. On pense tout de suite à la doctrine Gérin-Lajoie, qui évidemment a été reprise et répétée à maintes reprises depuis qu'il l'a annoncée.

Évidemment, M. le Président, notre premier ministre a été un des premiers à faire la promotion de cette négociation-là. Et évidemment aussi il a été un de ceux qui a insisté pour que les provinces puissent avoir un rôle prépondérant dans ces négociations, et surtout pour les dossiers qui sont de notre compétence mais également dans les autres dossiers qui nous touchent par ricochet, veux veux pas.

On nous dit évidemment, M. le Président, que ce serait la première fois que le Québec a acquis ce qu'on appelle la pleine participation, la première fois. On nous le dit. Mais évidemment il y a des négociations. M. Johnson a bien mentionné au début: Les négociations se déroulent en secret, en quelque sorte. Il y a des gens qui se sont plaints d'un manque de transparence, mais je pense qu'on est tous habitués à voir des négociations de ce genre-là se dérouler à l'intérieur de portes closes, pour des raisons qui sont évidentes.

Par contre, je pense que ça serait bien d'approfondir un petit peu sur ce que M. Johnson est venu un petit peu... dans sa présentation, concernant le rôle du Québec. Je pense que les citoyens veulent être rassurés. Je crois que le Québec ne joue pas simplement un rôle d'observateur glorifié, si vous voulez, si je peux inventer une expression, dans ce qui se passe. M. Johnson a mentionné très rapidement un petit peu comment ça fonctionne. J'aimerais s'il pourrait aller un petit peu plus en détail, nous dire, pratico-pratique, sans évidemment... il saura où tracer les limites pour ne pas dévoiler les éléments qui sont de nature confidentielle, mais juste nous dire, pratico-pratique, comment ce rôle-là de pleine participation est assumé par le Québec dans ces négociations.

Le Président (M. Drainville): M. Johnson.

M. Johnson (Pierre Marc): Oui, je vous remercie. Je l'ai évoqué rapidement tout à l'heure dans la présentation, d'abord, l'ensemble des représentants des intérêts québécois, gouvernementaux, sont présents et sont membres de la délégation canadienne, ce qui veut dire que, quand il y a des séances de négociation avec les négociateurs européens, nous sommes dans le même édifice, dans la même salle de plénière, quand il y a des plénières en présence des provinces. Nous sommes dans les salles, nos représentants, nos fonctionnaires sont dans les différentes salles des sujets qui nous concernent, et ils peuvent interagir avec le négociateur canadien. Ils entendent tout ce que les Européens disent. Il leur arrive de temps en temps même de passer des billets doux aux négociateurs canadiens pour s'assurer qu'ils n'oublient pas des dimensions qui sont fondamentales. Et tout le travail préparatoire que cela nécessite avec les négociateurs des autres provinces et du fédéral est en fait la clé du succès de ce qui se passe dans les salles de négociation.

Donc, cette présence est une présence active sur les contenus, constamment, d'une façon itérative, et je parle ici des contenus de juridiction provinciale, où nous faisons valoir notre point de vue constamment, au fur et à mesure que se déroule la négociation. Où on le fait? En dehors des salles de négociation, il y a aussi les couloirs. Dans des négociations de cette nature, ce qui se passe dans les couloirs est d'une extrême importance. Je regarde mon ancienne collègue, l'ancienne ministre des Relations internationales, elle sait très bien que, dans les négociations internationales, puisqu'elle a participé à celles de la convention de l'UNESCO, ce qui se passe dans les couloirs est souvent aussi important que ce qui se passe dans les salles. Alors, on est présents dans ces couloirs.

Et ce n'est pas un rôle de second plan. Moi, j'ai été témoin d'un rôle de second plan dans les provinces, dans certaines négociations antérieures, et je peux vous dire qu'il y a un monde de différence, et c'est également ce que me disent les fonctionnaires québécois qui ont participé à ce type de négociations.

**(15 h 40)**

Il y a aussi des rencontres bilatérales avec les Européens, alors, qui se font essentiellement au niveau des chefs négociateurs. J'ai eu l'occasion de rencontrer, en présence du négociateur fédéral, M. Petriccione à quelques reprises, mais aussi j'ai eu des tête-à-tête avec lui sept fois depuis le début de cette négociation, où nous avons pu aborder un certain nombre d'éléments, disons, plus sensibles, plus typiquement d'intérêt du Québec, en même temps que des préoccupations d'un ordre général, quant à la participation de l'ensemble des provinces au processus. Parce qu'il faut comprendre que tout le monde à travers le Canada n'a pas le même... nécessairement le même enthousiasme, le même engouement ou même les mêmes ressources à consacrer.

Permettez-moi ici de faire une parenthèse pour souligner la qualité absolument exceptionnelle de l'appui que j'ai, comme négociateur en chef, des fonctionnaires: le coordonnateur, Jocelyn Savoie, qui est comme un chef d'orchestre, qui est obligé de faire jouer de la bombarde en même temps que du violoncelle à un orchestre parfois un peu cacophonique. Quand on regarde l'ensemble puis la disparité des intérêts qu'on doit représenter, la complexité des dimensions techniques des textes, tout ça exige un travail extrêmement discipliné, et, derrière les deux personnes que vous voyez à ma droite... il y en a au moins une quarantaine, dans le gouvernement du Québec, là, qui travaillent régulièrement à ce dossier. Il y a un regroupement des sous-ministres qui s'est réuni formellement, je crois, trois fois jusqu'à maintenant, il y a un regroupement des sous-ministres adjoints qui implique au-delà de 12 ministères et organismes gouvernementaux. Donc, le travail de préparatifs à l'interne est d'autant plus efficace et intéressant que nous savons que nous avons un impact réel dans cette négociation.

Je pense avoir fait le tour quant au mode de participation. Reste à définir pour l'avenir comment tout ça va atterrir, hein, parce que -- permettez-moi l'expression -- c'est un peu un «work in progress», hein, la présence des provinces dans une négociation fédérale. Et il se joue parfois des parties assez dures où il faut qu'on exerce notre rapport de force, et il faut qu'on fasse des alliances avec d'autres intérêts, et il faut qu'en fin de course ça soient les alliances qui nous coûtent le moins cher possible. Il reste donc la question... Les questions à régler seront reliées à la mise en place des dispositions qui permettent l'application, évidemment, de l'entente, et le règlement des différends, c'est-à-dire: en cas de litige, que se passe-t-il si le litige touche une mesure provinciale, une mesure qui vient d'un État provincial au Canada? Et ça, ces problèmes-là, je vous le dis franchement, ne sont pas réglés, et on ne s'attend pas à ce qu'ils se règlent complètement rapidement.

M. Sklavounos: Si vous me permettez, M. le Président, une autre question.

Le Président (M. Drainville): Bien sûr. M. le député de Laurier-Dorion.

Impact sur les relations
avec les États-Unis

M. Sklavounos: Merci, M. le Président. M. Johnson a également mentionné en début de présentation les États-Unis, notre relation avec les États-Unis, qui demeure malgré tout importante. J'aimerais... Peut-être, ce n'est pas... Ça déborde un petit peu du sujet, mais je serais curieux de savoir, M. Johnson, comment vous voyez les États-Unis à l'intérieur de cette négociation-là. Maintenant, vous me comprenez, ils ne sont pas partie à cette négociation, ils ne sont pas en négociation, mais évidemment notre relation est importante, nous ne voulons pas non plus nuire à notre relation. En même temps, dans ma lecture des choses, un petit peu de recherche que j'ai faite, les Européens aussi ne veulent pas non plus, de leur côté, permettre aux États-Unis de participer, en quelque sorte, à un accord de libre-échange qui existerait entre le Canada et l'Union européenne. J'aimerais savoir votre point de vue là-dessus: Comment vous voyez ce que nous faisons ici en ce moment avec les Européens impacter en quelque sorte nos relations avec les États-Unis? Et comment répondez-vous à la question qui est posée par certains sur le fait que les États-Unis essaieraient de «piggybacker», si vous voulez, sur notre relation éventuelle avec l'Europe pour essayer de devenir partie indirectement à un accord? Est-ce que vous avez des commentaires à formuler sur ces deux sujets?

M. Johnson (Pierre Marc): D'abord, un, on est dans un monde, un peu, de spéculation quand on aborde cette question; deux, ce sont des choses qui intéressent d'abord et avant tout les Américains que leurs propres réactions; et, trois, nous sommes conscients d'un certain nombre de réalités de base. Les États-Unis demeurent, pour des raisons même au-delà du commerce, notre principal partenaire et le demeureront toujours, y compris pour des raisons géographiques. Il y a quand même un océan qui nous sépare de l'Europe, et nous avons une frontière commune absolument phénoménale avec les Américains. Ils ont accès à un certain nombre de richesses et de ressources au Canada et au Québec, auxquelles ils tiennent: qu'on pense ici à l'hydroélectricité, qu'on pense au gaz et au pétrole. Tout ça, ça solidifie des relations de façon fondamentale.

Est-ce qu'un accord entre le Canada et l'Europe va venir déranger cette relation avec les États-Unis? En tout cas, je peux vous dire que, moi, je n'en ai pas entendu parler jusqu'à maintenant. J'ai même posé la question récemment à un diplomate canadien qui connaît très, très bien les États-Unis, puis il m'a dit: Il n'y a personne qui s'intéresse à ça. Et il faut comprendre que parfois le Congrès américain puis le Sénat américain, qui ont un rôle extrêmement important à jouer en matière de commerce... Pourquoi? Parce que les traités doivent être approuvés par deux tiers du Sénat américain. Donc, si tu n'es pas capable d'aller chercher tes 67 votes, oublie ça. Tu n'as pas de traité. Et les sénateurs ont autre chose à fouetter en ce moment que de se préoccuper d'un traité éventuel avec l'Europe à travers le Canada. Alors, je dirais que, dans l'immédiat, non.

Cela dit, il est évident que, si cet accord devait s'étendre à des objets plus, je dirais, plus politiques, en matière de sécurité, en matière de dissémination d'armes nucléaires, en matière d'immigration et de renseignement, il est sûr que, si, dans ces dimensions qui relèvent plus de la sécurité nationale et de la défense, si le Canada décidait un rapprochement avec l'Europe d'une certaine façon, je suis convaincu qu'à Ottawa quelqu'un analysera les conséquences de cela sur la relation avec les Américains.

Je vous dirais finalement qu'en termes de perspectives je suis convaincu que, du côté européen, on voit cette entente potentielle avec le Canada comme étant peut-être un des socles sur lesquels ils devront s'appuyer si, un jour, ils doivent penser à faire un accord de libre échange entre les... ce qui sont en ce moment les deux plus grandes économies développées du monde. Et en ce sens-là on est conscients que c'est peut-être une perspective, mais je vous dirais que pour le moment je n'ai vu aucune influence immédiate de l'opinion qu'auraient les Américains de ce que nous faisons dans la poursuite et la conduite des négociations.

M. Sklavounos: Je dispose de combien de temps, M. le Président?

Le Président (M. Drainville): M. le député, vous avez encore un bon six minutes.

M. Sklavounos: Six minutes. Très rapidement, juste sur la question... Évidemment, notre économie et l'économie américaine sont... la relation est très, très étroite. Sur la question de savoir est-ce qu'il y a des craintes au niveau des Européens que les Américains pourraient profiter, parce que nos économies sont tellement intermélangées, si vous voulez, pour profiter indirectement de cet accord-là, est-ce que vous avez eu des réactions de ce genre-là ou des mises en garde de la part des Européens pour nous dire, par exemple, sur ce qui est un produit local ou un... Parce que, là, États-Unis--Canada, des fois ce n'est pas clair de toujours départager ce qui est à nous et ce qui et à eux.

Alors, je me demande, du côté des Européens, est-ce qu'ils prévoient... Est-ce qu'on voit ça comme une potentielle intrusion à l'intérieur de notre accord? Est-ce qu'il y a eu des échanges à ce niveau-là?

**(15 h 50)**

M. Johnson (Pierre Marc): Les Européens veulent négocier avec le Canada; ils veulent un traité de libre-échange qui permet une plus libre circulation des biens, du capital et peut-être des personnes entre le Canada et l'Europe. Et, s'ils veulent le faire avec les Américains, c'est avec les Américains qu'ils vont le faire. Donc, ils sont, je vous dirais, préoccupés, c'est évident, autour de cette question des règles d'origine de ce qu'est un produit canadien. Si vous pensez à l'industrie automobile américaine, américaine et canadienne, on se rend compte, là, qu'il y a une intégration à peu près parfaite sur le plan de l'industrie automobile. Et ce n'est pas pour rien d'ailleurs que 60 % des lignes tarifaires touchent -- défensives du Canada -- touchent le secteur automobile. Bon.

Alors, il est évident que le fait que nous soyons une économie relativement intégrée oblige à tenir compte, à la fois pour nous comme pour les Européens, dans les intérêts offensifs et défensifs, de cette dimension d'intégration économique. Je vais vous donner un exemple d'intérêt défensif pour nous: les régimes de subvention à l'industrie, chez nous, au Canada, se font dans un contexte de compétitivité nord-américaine, et on peut difficilement concevoir que nous accepterions des règles en matière de subvention qui proviennent de préoccupations européennes et qui collent à leurs réalités à elles mais qui ne collent pas nécessairement à nos réalités à nous. Et c'est pour ça que toute cette première année de négociation a été un échange en grande profondeur entre toutes les équipes de négociation, pas seulement au niveau des négociateurs en chef, mais autour de toutes les équipes, des dizaines... En fait, littéralement, il y a près de 125 personnes, là, quand il y a une réunion complète de l'ensemble des négociateurs européens et canadiens, là. La dernière fois, c'était à Bruxelles, je pense qu'il y avait 125 personnes, puis on était au mois de juillet. Alors, imaginez-vous, si on avait été au mois d'octobre!

Alors, à tous les niveaux, il y a des préoccupations qui relèvent d'une connaissance des préoccupations de l'autre. Et, tant et aussi longtemps qu'on n'est pas parvenu à cette connaissance fine des préoccupations et des contraintes des autres, il n'y a pas vraiment moyen de faire une entente. Et c'est pour ça qu'on se livre souvent à des exercices qu'on appelle des exercices de signalement, c'est-à-dire qu'on... avant de déposer les offres, ce que nous n'avons pas fait encore, sauf sur une partie du secteur tarifaire, nous essayons de voir comment l'autre pourra peut-être réagir, de telle sorte que, quand on déposera les offres, de part et d'autre, il n'y ait pas trop de surprises.

En même temps, c'est pour ça qu'on entend et que vous entendez le ministre fédéral dire: Il faut que les offres soient ambitieuses. Parce que c'est facile de défendre le statu quo. Et c'est ce qui vient d'ailleurs naturellement aux intervenants, hein? Je dois vous dire que les intérêts défensifs émergent de plus en plus au fur et à mesure qu'on avance dans cette négociation. Et un des défis pour les négociateurs, c'est d'amener à la fois les ministères et les intérêts privés à nous faire part de leurs intérêts offensifs, pas seulement défensifs, de telle sorte qu'en bout de ligne on ait une offre qui soit la plus substantielle possible de part et d'autre.

M. Sklavounos: M. Johnson... c'est juste parce qu'il reste une minute, M. le Président...

Le Président (M. Drainville): Exact.

Contrat de renouvellement des
voitures du métro de Montréal

M. Sklavounos: Très rapidement, je sais que vous avez probablement été abordé à ce sujet-là à l'extérieur, par les journalistes, et je sais que mes collègues vont certainement vous poser la question. Vous parlez d'intérêts défensifs. Hier, il y a eu décision prise par le gouvernement du Québec dans un dossier bien connu, le dossier du métro de Montréal, des voitures du métro. Je suis convaincu que vous allez avoir la question. Il y a... c'est peut-être que ça exhibe ou c'est un exemple d'une certaine tension qui existe pour n'importe quel gouvernement qui veut à la fois ouvrir ses marchés et avoir accès à d'autres marchés et en même temps pouvoir stimuler sa propre économie, protéger ses travailleurs, et aider à la reprise économique dans son propre pays: Dites-nous, comment voyez-vous l'impact de cette décision-là? Je suis convaincu que vous avez déjà eu la question. Juste pour le bénéfice de ceux qui nous suivent et ceux et celles autour de la table: Comment voyez-vous cette décision-là? Quel impact?

M. Johnson (Pierre Marc): D'abord, il y a un impact médiatique considérable et au Québec. Bon. Deux, je suis convaincu qu'il y a des gens en France qui sont très heureux de ça, les gens d'Alstom. Trois, il est clair que l'entreprise espagnole qui aurait espéré être dans un appel d'offres n'est pas seulement déçue, est très, je dirais, un peu enragée, même, de ce qu'il se passe.

Quant au gouvernement espagnol, c'est une autre paire de manches. Le gouvernement espagnol, lui, est un peu déçu de cette situation, qui ressemble à des situations nombreuses qu'ont connues des entreprises canadiennes sur les marchés européens, où il était très difficile pour des compagnies d'origine québécoise et canadienne de soumissionner sur des contrats de grande envergure en matière d'infrastructures. Et je pourrais vous donner des exemples, que je ne peux pas vous donner pour des raisons commerciales, mais, moi, j'ai rencontré, je ne sais pas, moi, au-delà d'une quarantaine d'industries, de représentants de certaines industries, et je me suis fait dire souvent: C'est très difficile, les marchés publics européens, pour nous. Bon. La réciproque semble vraie dans le cadre actuel.

À ma connaissance cependant et à ma conviction, selon ce que j'ai pu en voir de la documentation depuis hier, aucune règle de l'OMC n'a été violée dans cette décision du gouvernement du Québec, aucune règle, même, dans le cadre nord-américain n'a été violée. Quant aux règles de l'accord du commerce interprovincial, à toutes fins pratiques, c'est inapplicable, dans la mesure où il n'y a pas personne qui aurait pu soumissionner, du reste du Canada, et que tout ça s'est fait dans le cadre des activités qui mettent en présence des intérêts, des tensions, des choix importants sur le plan des impacts. Et le renouvellement de la flotte des métros de 1968, et non pas de 1973, à ce que j'ai bien compris, a fait l'objet de pourparlers entre le consortium avec qui le gouvernement a choisi de finaliser la négociation, bien avant la notion d'un éventuel appel d'offres international, et que le gouvernement n'a pas pris comme objet de cette décision l'ensemble du renouvellement des flottes de métro, mais bel et bien la flotte de métro de 1968, c'est-à-dire de 342 trains avec une option sur 126 autres.

Donc, je vous dirais que, pour le moment, tout en reconnaissant que le gouvernement espagnol a été quelque peu ennuyé par cette question, a manifesté son... je reprends une expression que j'ai entendue par un diplomate espagnol qui s'exprimait, «the highest concern» de cette décision, je crois que l'accord est suffisamment vaste, suffisamment complexe, suffisamment riche de contenu et de perspectives pour que cette seule décision ne vienne pas le mettre en cause.

Le Président (M. Drainville): Alors, le bloc du député de Laurier-Dorion ayant dépassé de trois minutes le temps prévu, nous allons le soustraire sur le temps imparti à la partie gouvernementale. Je cède sans plus tarder la parole à la représentante de l'opposition et députée de Rosemont.

Disponibilité et langue
des textes en discussion

Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, M. le Président, merci. Oui, M. Johnson, bonjour. Bonjour aussi à ceux qui vous accompagnent, M. Muzzi particulièrement, que je connais bien puisqu'il était au ministère des Relations internationales quand j'étais ministre. Non pas il y a 25 ans, puisque, M. Johnson, il y a exactement 25 ans, vous étiez premier ministre du Québec et vous m'aviez convaincue de revenir de Paris, où je coulais des jours heureux comme déléguée générale, pour me présenter avec vous. Alors, je voudrais...

M. Johnson (Pierre Marc): Pour être ministre.

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui, c'est vrai, ministre non élue. Alors, M. le Président, je voudrais poser un certain nombre de questions relativement courtes en espérant justement avoir des réponses relativement courtes, de telle sorte que pendant les 20 minutes on pourra échanger sur des thèmes que je vais vous donner immédiatement, M. Johnson: bien sûr, les marchés publics, je veux revenir là-dessus; la culture; et puis le déficit démocratique.

Je vais commencer par le déficit démocratique. Je crois qu'il est profond dans ce cas-ci. Et personnellement je le regrette beaucoup, parce que nous avons demandé... la commission d'ailleurs a demandé au gouvernement d'envoyer aux membres de cette commission, pour qu'on puisse savoir de quoi l'on parle, un certain nombre de documents. On en a reçu, mais les principaux. on ne les a pas reçus.

Alors, le principal était bien sûr le projet d'accord le plus récent concernant tous les sujets de négociation en cours, l'état de la négociation, la liste des points d'accord, de points de désaccord, bon, en tout cas, il y avait ces documents-là que l'on ne recevra pas.

Et, si je vous dis ça, M. Johnson, c'est parce qu'au moment de la négociation de la Zone de libre-échange des Amériques, en 2001, au moment du Sommet des Amériques, j'étais ministre des Relations internationales, et nous avions eu le document, et nous l'avions rendu public. Le gouvernement canadien, Pierre Pettigrew, je dois dire, avait accepté que ce document, qui était en cours de négociation, soit rendu public. Parce que je crois, moi, sincèrement qu'au-delà des gens d'affaires la société civile a le droit de savoir ce qui se discute et que c'est un manque de transparence puis un déficit démocratique effectivement que je constate et que je regrette. Je vais vous dire que le dernier document que l'on a eu via la société civile, justement, parce qu'il y a eu une fuite, hein, «draft consolidated text», et c'était, je crois, au mois de février dernier. Il s'est passé beaucoup, beaucoup de choses depuis, on voit ça comme ça.

Ce qui m'amène aussi à vous poser une sous-question: Coudon, la langue de la négociation, c'est-u que l'anglais? Parce que là je vois, là, que ce document-là était qu'en anglais, alors qu'avec la Zone de libre-échange des Amériques M. Pettigrew nous avait assurés que les quatre langues des Amériques étaient utilisées, c'est-à-dire l'espagnol, bien sûr, le portugais, l'anglais et le français, puis il avait fait traduire l'équivalent de ce «draft»-là.

Alors donc, mes deux questions: Pourquoi on ne peut pas avoir le document, alors que, pour la ZLEA, on l'avait eu, en 2001? Et pourquoi, donc, que tout est en anglais, alors qu'il y a 14 pays qui sont membres de la francophonie en Europe? Ça ne paraît pas toujours, là, dont le plus grand et le plus important d'entre eux, bien sûr, qui est la France, mais il y en a 14 qui sont membres de la francophonie. 55 pays membres de la francophonie, 14 qui sont européens, puis tout nous arrive en anglais, puis le Québec, puis le Canada, tu sais, ça devrait être au moins dans les deux langues officielles du pays auquel nous appartenons.

**(16 heures)**

Le Président (M. Drainville): M. Johnson.

M. Johnson (Pierre Marc): Alors, sur le déficit démocratique, rapidement, il est exact que les textes dont j'ai connaissance, et dont nos équipes ont connaissance, ne sont pas rendus publics. C'est un choix qui est fait par les équipes de négociation de part et d'autre. Les Européens l'exigeant, et, je dirais, aussi du côté fédéral, il y a une tradition de ne pas rendre ça public très rapidement.

Il faut comprendre que ce qu'on appelle le texte de négociation, c'est le texte sur la base duquel on sait qu'on va discuter dans les dernières phases de la négociation pour dire: Je te consens ça si tu me consens telle phrase, j'enlève celle-là si tu enlèves l'autre. Donc, la nature de ce document touche des contenus différents mais n'est pas nécessairement... ne signifie pas nécessairement que ce sont les positions des parties qu'on y voit. On y voit des positions, et le texte est relativement neutre. Tant et aussi longtemps qu'on ne s'est pas entendus sur les libellés, ça demeure un texte de travail. Et c'est pour ça qu'en général les négociateurs sont extrêmement hésitants à les faire circuler, surtout globalement. Je sais cependant par expérience que dans certains cas des extraits de texte, au fur et à mesure que la négociation avance, peuvent être rendus publics pour les fins de recueillir des opinions. Et puis, dans certains cas, il y a des gens qui font des ballons avec ça.

Deux. Sur la langue, c'est l'Union européenne qui a choisi de faire de l'anglais la langue de communication dans cette négociation, parce qu'ils ont des équipes, je crois, qui viennent d'une quinzaine... ou 17 pays, je ne sais plus, sur un total de 27 en Europe, et la langue commune de travail de ces gens, c'est bel et bien l'anglais et non le français, comme ça l'a déjà été. Cela dit, mes conversations avec Mauro Petriccione, le négociateur en chef de l'Europe, se sont toujours conduites en français et... mon italien n'étant pas tellement bon. Mais son français et son anglais étant impeccables.

Le Président (M. Drainville): Mme la députée de Rosemont.

Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. Bon, alors, on s'adressera à l'Union européenne en temps et lieu, mais c'est quand même étonnant, parce qu'à l'Union européenne normalement il y a un certain nombre de langues qui sont officielles et qui sont des langues de travail, d'ailleurs, de l'Union européenne, dont bien sûr le français, à la Commission européenne. Mais ça ne parait pas beaucoup; je conçois ça, je comprends ça.

Mais je veux quand même revenir sur cette idée que... pourquoi la population, pourquoi la société civile ne pourrait-elle pas, même si les positions justement ne sont pas arrêtées, même si les libellés ne sont pas définitifs, on sait que tout ça s'échange... Il me semble, en tout cas, que c'est le genre de chose qui fait en sorte que la population se sent de plus en plus éloignée des décisions qui se prennent en son nom derrière des portes closes dans des négociations internationales et que, pour la démocratie puis la vitalité démocratique de nos sociétés, il me semble qu'on devrait tous être inquiets de ces façons de faire, parce que ça éloigne le citoyen, qui se sent de plus en plus impuissant et puis qui n'a plus confiance ensuite dans ces institutions. En tout cas, moi, c'est ce que je constate, M. Johnson.

M. Johnson (Pierre Marc): Je suis sensible à ce que vous dites, d'autant plus que j'ai commis quelques écrits sur ces questions il y a quelques années, à l'époque des négociations multilatérales, la participation de la société civile à ces négociations. Je ne veux pas me... Je ne veux pas me cacher derrière l'aspect extraordinairement technique de ces textes, mais c'est un fait que ces textes sont extrêmement techniques. Deux, il y a dans ces textes parfois des ballons à l'autre partie pour voir comment elle réagira dans la prochaine version du texte. Donc, encore une fois, ces textes ne représentent pas nécessairement la position des parties, elle n'est qu'une des formes sous laquelle on voit quels sont les enjeux.

Sur le plan de la consultation, par ailleurs, la consultation est assez ouverte. Nous avons rencontré, sur le plan des consultations, non seulement des entreprises, non seulement des coalitions comme la coalition culturelle, nous avons rencontré des associations industrielles, j'ai été exposé à, je dirais, moi, une douzaine de publics depuis le début de cette négociation, au Québec, où j'ai eu l'occasion de tenter de répondre à des préoccupations et surtout de prendre note des priorités, des objectifs ou des craintes ou des appréhensions de beaucoup de groupes. Et je crois que le processus démocratique, il se fait plus par là. Pour les parlementaires, il y a deux moyens: il y a celui qu'on a aujourd'hui, tout limité que soit mon couloir de révéler des choses qui ne doivent se dire seulement qu'à une table, mais aussi, je crois que les chefs des partis de l'opposition le savent, le premier ministre m'a autorisé à répondre à des questions, à des personnes que désignerait l'opposition, dans un contexte qui est in camera, et je suis prêt à une conversation peut-être un peu plus ouverte sur certains enjeux, dans un contexte où ce n'est pas public, comme je suis tout à fait prêt, avec l'autorisation du premier ministre, à rencontrer l'ensemble du caucus du Parti québécois ou du deuxième parti d'opposition.

Mme Beaudoin (Rosemont): Bon, très bien.

Le Président (M. Drainville): Mme la députée de Rosemont.

Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, M. le Président. Non, c'est la première fois, honnêtement, que j'entends parler de ça, là. Alors donc, on y reviendra sûrement. Je veux quand même dire que c'est un outil essentiel, là, dont on aurait eu besoin aujourd'hui, là, on en est restés aux textes donc du mois de février. Et je veux aussi dire, en terminant sur ce sujet-là, que la question de la langue, quand même, que le gouvernement du Québec, le gouvernement canadien aient accepté cette exigence européenne sans... sans dire... sans rien dire me déçoit. Point. Bon.

Réglementation des marchés publics

Les marchés publics, maintenant. Je pense que c'est important d'en discuter. La vraie question, M. Johnson, pour moi, c'est que: Est-ce que, s'il y a, comme tout le monde le souhaite, là, visiblement, un accord Canada-Europe, est-ce que le Québec va pouvoir procéder, disons, adopter, comme il le fera d'ici deux jours, semble-t-il, donc une loi spéciale pour exclure une entreprise européenne dans un marché public? Parce qu'on sait très bien, mon collègue l'a dit, que les marchés publics, c'est beaucoup ce qui est visé par les Européens et que, contrairement donc à l'OMC, aux règles de l'OMC, ces marchés publics vont viser donc non seulement le niveau fédéral, mais aussi les provinces et les municipalités, dont dépend, par exemple, la Société de transport de Montréal. Alors, la vraie question pour moi, c'est: Est-ce que ce sera encore possible après la signature d'un accord de libre-échange Canada-Union européenne?

M. Johnson (Pierre Marc): Bien, ça dépendra de l'accord qui est signé, évidemment.

Mme Beaudoin (Rosemont): Voilà. Oui, mais est-ce que ça s'en va... c'est-u vers ça que ça s'en va?

**(16 h 10)**

M. Johnson (Pierre Marc): C'est clair qu'un des objectifs importants de l'Union européenne, et ils ne s'en cachent pas, ils l'ont dit, c'est pour ça que je peux vous le dire ici, parce qu'ils l'ont dit publiquement, un de leurs intérêts dans cette négociation avec le Canada, c'est beaucoup plus les marchés publics que le marché de la consommation. Pourquoi? Parce qu'à la quantité de population qu'on est ici, alors qu'ils ont un marché interne de 500 millions de personnes, c'est un peu moins intéressant. Ce qui ne veut pas dire que, dans certains secteurs industriels, ce n'est pas particulièrement intéressant, ce l'est, notamment dans des secteurs de haute technologie. Cependant, l'essentiel de leur appétit va se manifester autour des marchés publics.

Il est donc évident que nous devrons répondre à ces préoccupations au cours de la négociation, de la même façon que nous nous attendons à ce que l'Europe, de son côté, réponde à nos préoccupations, que ce soit dans ce secteur ou dans d'autres, notamment en matière tarifaire. Je dirais, de façon générale, qu'il y a déjà un accès à certains marchés publics. Il y a, à l'intérieur du Canada, des reconnaissances de plus en plus spécifiques quant aux accès aux marchés publics, mais que la grande nouveauté de l'accord avec l'Union européenne, à cause de son intérêt pour les marchés publics, c'est précisément cette participation des provinces, qui représentent des marchés publics d'envergure. Les marchés publics, au Québec, là, c'est à peu près 11,9 milliards par année. C'est beaucoup, ça. Ça comprend le secteur municipal, ça comprend les secteurs gouvernementaux et paragouvernementaux dans leur ensemble, qui s'approvisionnent en biens et services à même un marché qui est parfois international, parfois domestique, parfois pancanadien, parfois nord-américain.

Les Européens souhaitent cadrer cette relation de façon très précise en matière d'accès aux marchés publics, et nous sommes parfaitement conscients qu'il faudra, dans notre offre, répondre tout au moins en partie à ces préoccupations.

Le Président (M. Drainville): Mme la députée de Rosemont.

Mme Beaudoin (Rosemont): Bon. Alors, dans le fond, c'est sûr, vous me dites: Bon, ça dépendra de ce qu'il y aura dans l'accord. C'est pour ça que ça nous intéresserait de savoir, au fur et à mesure, ce qu'il y a dans l'accord, peut-être qu'on pourrait se faire une idée plus précise. Mais vous reconnaissez quand même que c'est un des enjeux importants, l'accès aux marchés publics des...

M. Johnson (Pierre Marc): Central.

Mme Beaudoin (Rosemont): Central.

M. Johnson (Pierre Marc): C'est un enjeu central pour les Européens.

Mme Beaudoin (Rosemont): C'est ça. Alors donc, on peut quand même présupposer qu'à ce moment-là, bon, il pourrait y avoir des problèmes dans l'avenir si on veut exclure des entreprises européennes d'offres internationales ou d'offres publiques, là, comme on est en train de le faire. On peut quand même supposer ça, étant donné, je dirais, la dynamique même et la raison même de cet accord.

Le Président (M. Drainville): M. Johnson.

M. Johnson (Pierre Marc): Non. Moi, je dirais que la raison même de cet accord, d'un point de vue du Québec, c'est l'accès au large marché de 500 millions de personnes en Europe, et cet accès par les tarifs... par la diminution des barrières non tarifaires, la reconnaissance de règles d'origine adéquates, un régime d'investissement réciproque plus fluide. Ça, pour moi, c'est le coeur. Pour les Européens, tout cela fait partie de la négociation, mais on sait très bien qu'ils sont très attachés à la pénétration des marchés publics, notamment parce que, sur le plan de leurs structures, ils ont un certain nombre de très grandes entreprises qui sont des spécialistes des marchés publics.

J'ai demandé récemment au président d'une société québécoise d'une certaine envergure dans le secteur de l'informatique s'il était inquiet de cet accord avec l'Europe, puis il m'a dit: Pas du tout! Pas du tout! Parce qu'il considère qu'il peut donner un meilleur produit à un prix qui soit le meilleur. Et, pour lui, c'est une ouverture. Et ça dépend donc comment on voit le développement économique.

Moi, je suis de ceux qui pensent que le commerce international favorise la prospérité, particulièrement entre des sociétés qui ont des filets de sécurité sociale importants, et c'est le cas de l'Europe et c'est le cas du Québec et du Canada, où on n'est quand même pas dans des sociétés où on maintient les gens dans la marginalité comme c'est le cas d'un certain nombre... où on voit des gens qui ont été maintenus dans la marginalité, dans un certain nombre de pays en voie de développement. C'est une bête un peu particulière que de négocier avec l'Europe, comme c'était une bête un peu particulière que de négocier avec les Américains.

Et je vous dirais que ce qu'il y a derrière ça, c'est le refus du protectionnisme comme principe au coeur des accords qu'on a. Et, une fois qu'on a conclu ces accords, sur la base de ces principes, on s'est donné des règles du jeu qui sont claires, et qui sont prévisibles, et qui sont dotées de mécanismes d'adjudication et de règlement des différends qui sont acceptés par tous. Tant et aussi longtemps qu'on n'a pas ces règles-là, il ne faut pas se surprendre de voir les joueurs jouer comme ils font en ce moment.

Mme Beaudoin (Rosemont): Bien, en tout cas, ça nous intéressera de voir jusqu'où justement la capacité du Québec sera... elle sera restreinte, jusqu'à un certain point, on verra jusqu'où. Moi, personnellement, mon impression à ce moment-ci, c'est qu'on ne pourra plus faire ce qu'on est en train de faire aujourd'hui, je dirais, de façon ironique et paradoxale, au moment même où vous êtes présent.

Exemption à l'égard des
biens et produits culturels

Ma dernière question, M. Johnson, va concerner la culture. C'est une question très simple: Est-ce qu'il y aura dans le corps de l'entente, pas à côté, je le sais, qu'il est question d'une entente... d'une annexe concernant la coopération culturelle, ce que je veux savoir, c'est: Est-ce qu'il y aura, comme il y a eu dans d'autres ententes, des clauses d'exception culturelle, comme le Canada en a négocié avec Israël, le Chili, le Costa Rica, le Pérou et même dans l'ALENA, est-ce qu'il y aura cette clause large d'exemption culturelle et est-ce que l'on s'entend avec les Européens sur la définition d'«industrie culturelle»? C'est extrêmement important, parce qu'on sait très bien que l'Europe a toujours eu une vision plus restreinte et plus réduite, même s'ils ont tous signé, là, de la main droite sans savoir ce que la main gauche faisait, peut-être, la convention sur la diversité culturelle, que, dans leurs accords de commerce international, ils ont une définition plus restrictive, qui rejoint sensiblement les... les services audiovisuels, en tout cas le secteur audiovisuel, alors que, pour nous, c'est beaucoup plus large que ça. Ma question, donc: Est-ce qu'il y aura une exemption culturelle large dans l'accord?

M. Johnson (Pierre Marc): Oui. C'est ce que nous défendons comme point de vue auprès du gouvernement fédéral. C'est ce que nous croyons que le gouvernement fédéral fait, dans la mesure où on... il y a un peu de flottement en ce moment autour de ce que pourrait être un protocole à côté. Et le fait qu'il y ait du flottement quant à ce que pourrait être un protocole a amené un certain nombre de personnes à douter du fait qu'il y aurait une exemption culturelle dans l'accord. Il n'est pas question de soumettre le monde de l'édition, le monde de l'audiovisuel, qui sont des lieux d'expression extrêmement importants pour la culture, à l'accord commercial lui-même.

Mme Beaudoin (Rosemont): Alors...

M. Johnson (Pierre Marc): Et c'est la position que nous défendons.

Mme Beaudoin (Rosemont): Très bien. Alors donc, c'est votre position, c'est la position du gouvernement québécois, la position du gouvernement canadien, que le protocole qui pourrait être annexé ne sera pas un substitut à l'exemption elle-même à l'intérieur de l'accord et que l'exemption serait large, telle que définie par le Canada dans ses propres accords commerciaux internationaux.

M. Johnson (Pierre Marc): C'est ça. Et c'est la position du gouvernement du Québec et du gouvernement canadien. Je dois dire que... avec une certaine surprise, j'ai accueilli des propos du côté européen, et encore une fois à un stade où on essaie de se comprendre plutôt que de négocier du texte, j'ai accueilli avec une certaine surprise certains des propos européens qui désiraient pénétrer dans certains domaines de la culture et les voir soumis à l'accord. Je pense que tout ça fait l'objet d'un débat important à l'intérieur de l'Europe, cependant. Vous connaissez d'ailleurs mieux que moi, je présume, la délégation... la DG, la Direction générale de la culture en Europe, et vous savez comme moi que, dès qu'il est question de culture, la DG Culture ne laissera pas ces choses être prises en charge par la DG Commerce.

Alors, on assiste donc en ce moment à une sorte de flottement autour de tout ça, mais qui... Quant à la position canadienne, elle n'a rien fait changer. Nous défendons l'exception culturelle, que vous connaissez et que vous avez vue dans certains textes. Mme Beaudoin (Rosemont): Merci.

Le Président (M. Drainville): Merci, M. Johnson, Mme la députée. Nous allons passer à la partie gouvernementale avec le député de Portneuf

Bénéfices attendus d'une entente

M. Matte: Merci, M. le Président. M. Johnson, c'est un honneur et un privilège que j'ai aujourd'hui de pouvoir vous interpeller et vous questionner.

Je vous ai écouté dans votre préambule, dans votre exposé, puis effectivement vous avez mis en lumière que la récente crise économique que nous avons subie... tu sais, on a mis en relief que le Québec est axé vraiment sur les exportations. Mais ce qu'aussi j'ai constaté, c'est quand vous avez mentionné que l'Union européenne, c'est 500 millions de consommateurs. Donc, ça représente un gros marché pour le Québec, puis c'est important.

Sauf que, M. puis Mme Tout-le-monde puis moi aussi, on se questionne beaucoup, à savoir: Quelles sont les répercussions réelles d'un tel accord, tu sais, que ce soit sur le plan de la création de la richesse ou de l'emploi. Ce qu'on veut savoir, puis la population en général, lorsqu'on parle d'accord, c'est que c'est que ça va donner, qu'est-ce que ça va rapporter au Québec, un accord comme ça.

**(16 h 20)**

M. Johnson (Pierre Marc): Bien, ça va donner de la croissance économique. Et, avec la croissance économique, souvent viennent les emplois. Pas toujours, on le sait. Notamment dans le mouvement des capitaux qui ne sont pas, qui ne sont pas reliés à des dépenses de capital mais qui sont des mouvements de capitaux dans le cadre des acquisitions, par exemple, etc., mais ça va donner de la croissance économique.

Et on estime que, dans le cas de l'impact qu'un traité de libre-échange aurait avec l'Europe, que l'impact serait de 0,77 % d'augmentation du produit intérieur brut. Disons 3/4 de 1 % du produit intérieur brut en croissance. Quand on connaît des années maigres où c'était 2 %, c'est quelque chose, 3/4 de 1 % ajouté à 2 %. Donc, on peut penser que la croissance économique qui va découler d'une plus grande circulation des biens, du capital ou des personnes entre l'Europe et le Canada et le Québec devrait être positive.

Deuxièmement, vous savez, à l'expérience, quand on a négocié avec les Américains pour le traité de libre-échange, puis ensuite avec les Mexicains pour l'ALENA, il y a eu un bourdonnement d'activité dans l'année qui a précédé ces deux traités. Pourquoi? Parce que c'est comme si les vannes s'ouvraient, et les milieux d'affaires, qui sont les microdécideurs de chaque décision d'entreprise: J'investis à tel endroit, je vais faire fabriquer telle chose à tel endroit, se mettent à s'intéresser au territoire qui va maintenant être inclus dans l'entente.

Dans le cas de l'Europe, pour nous, c'est fascinant, tu sais, c'est 27 pays, c'est, encore une fois, 500 millions de personnes, un produit intérieur brut qui de façon générale, de façon moyenne, ressemble à peu près au nôtre, mais en pleine croissance, particulièrement dans les pays de l'Est; et ça, ca veut dire qu'il y a des occasions d'affaires extraordinaires pour nos gens, pas seulement dans les produits, mais aussi dans les services.

Et une des choses sur lesquelles on veut ouvrir dans cette entente, c'est aussi la facilitation, notamment par la mobilité des gens, la facilitation des services, donc des commerces en matière de services.

Hier, j'étais à Montréal, à un colloque organisé par le journal Les Affaires où il y avait des tables rondes, et puis j'avais à côté de moi quelqu'un qui est dans un domaine très, très précis de services qui sont reliés au maintien à domicile, non pas dans la santé, mais ce qu'on appelle souvent en Europe, au moment de la retraite, des gens qui ont besoin de services d'appoint. Et j'ai découvert qu'il y a une entreprise au Québec, ici, qui est la plus importante au Canada dans ce secteur-là et qu'ils fonctionnent sur la base de franchisage, qu'ils ont un encadrement absolument impeccable de comment se fait ce boulot de support ou d'entretien ménager, dans certains cas, auprès des personnes, par opposition aux entreprises, et ils voient le marché européen comme étant un marché extrêmement intéressant pour eux. Bon.

Ça ne veut pas dire que ça va se faire demain matin, parce qu'en pratique, quand on parle de l'Europe, on parle d'une série de pays, puis il faut aller dans un pays, puis il faut s'installer, puis ensuite communiquer dans ces réseaux près, dans l'autre pays. Dans le cas des biens, c'est plus facile; dans le cas des services, c'est un peu plus compliqué. Mais, pour nous, c'est des occasions d'exportation d'expertises, d'entrée de capitaux, de profits ici et de générer un certain nombre d'activités industrielles et commerciales qui vont donner des emplois au Québec. Et sans compter, à mon avis, toute la dimension de la collaboration en matière d'innovation et de sciences et technologies, que je souhaite, moi, vivement voir apparaître à l'occasion de cette négociation, c'est-à-dire que le secteur privé, les universités et les gouvernements puissent, de part et d'autre de l'Atlantique, s'entendre sur un certain nombre de priorités à financer pour l'innovation, c'est-à-dire le passage de l'invention universitaire à son application de société ou économique. Et ça, c'est difficile à faire en dehors d'une entente comme celle qu'on veut faire, et ça, ça a des impacts extraordinaires sur le plan de l'innovation, c'est-à-dire la capacité de notre économie de se maintenir à flot en termes de la qualité des emplois qu'elle offre à sa main-d'oeuvre.

Finalement, je dirais que la dernière dimension, c'est que les Européens ont, comme nous, des défis qui sont différents des défis qu'ont les Américains. On partage bien des choses avec les Américains, on en partage aussi beaucoup avec les Européens. Notamment... nous, on a un problème de population assez sérieux au Québec, là. On ne réussira pas à remplir les emplois... l'offre d'emplois de façon adéquate au cours des années qui viennent si on n'a pas ou une transformation importante d'une partie de la main-d'oeuvre ou, simultanément à cela, une entrée de main-d'oeuvre spécialisée dans certains secteurs. Et les Européens ont exactement le même problème, et c'est pour ça qu'il y a une immigration importante qui vient de pays qui ne font pas partie des 27, y compris de pays qui sont à la périphérie dans le bassin méditerranéen. C'est des problèmes communs.

Deux, on a des régimes de sécurité sociale dont les coûts sont en train d'exploser. Les Européens ont le même problème. On a une fiscalité relativement lourde comparé aux États-Unis; les Européens ont le même type de situation, à peu près dans l'ensemble des pays.

On a évidemment la problématique du financement de nos déficits. C'est vrai pour le Canada, c'est vrai pour le Québec et c'est vrai pour de nombreux pays européens. Les États-Unis aussi, il faut bien le dire, ont ce problème-là, et il n'est pas petit. Donc, il y a un intérêt à créer non seulement un instrument qui facilite l'exportation de nos biens en Europe, l'importation, à la limite, de main-d'oeuvre temporaire, de la facilitation de la circulation des gens dans des projets très précis, la fluidité du capital, mais également de collaborer pour qu'ensemble on trouve des solutions à ce qui ont été essentiellement des social-démocraties dans des pays de régimes qui souvent sont des régimes de démocratie parlementaire comme le nôtre, à quelques exceptions près dont la France, qui n'est quand même pas petite.

Il y a plein d'affinités avec les Européens, et, pour les gens d'ici, ça veut dire plus de richesse, ça veut dire plus de potentiel pour ce qu'ils font, une meilleure reconnaissance de ce qu'ils font sur des marchés plus larges et une possibilité de circuler de façon professionnelle, en dehors du simple tourisme, entre ici et l'Europe d'une façon qui soit beaucoup plus fluide et plus intéressante. C'était un peu long, je suis désolé.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Portneuf.

Conformité d'une entente aux principes
de l'Organisation mondiale du commerce

M. Matte: Merci, M. le Président. J'ai été surpris de voir qu' à aucun moment dans votre exposé il n'y a pas eu de questions qui ont été soulevées concernant l'OMC. Écoutez, souvent on entend parler de l'Organisation mondiale du commerce puis qu'ils se sont prononcés. J'aimerais savoir, dans le cadre de vos négociations, O.K., j'imagine que ça doit respecter les principes et les objectifs de l'Organisation mondiale du commerce, sinon on en aurait entendu parler. Alors, j'aimerais vous entendre, là, dans le cadre de vos négociations: Est-ce que... L'accord que vous êtes en train de négocier, est-ce que ça respecte les objectifs puis le principe de l'OMC?

**(16 h 30)**

M. Johnson (Pierre Marc): Oui. Mais c'est tout à fait conforme à l'esprit de l'OMC, et pas seulement qu'à l'esprit de l'OMC. L'OMC prévoit qu'il faut favoriser des ententes régionales bilatérales. Ça va dans le sens, dans le fond, de l'économie de marché, d'une plus grande fluidité des capitaux, des biens puis des personnes, comme je le disais tout à l'heure, et de leur circulation. Et ce n'est pas antinomique, hein? Ce n'est pas contraire à l'OMC.

Cependant, il faut bien constater que l'OMC est comme au neutre un peu sur le plan de son efficience et de son efficacité depuis quelques années. Ça n'avance pas beaucoup, l'accord multilatéral, global, mondial autour de la libéralisation des conditions de circulation des biens en particulier et des services.

Et des initiatives bilatérales sont de plus en plus importantes et occupent de plus en plus les ministères, hein? Il ne faut pas s'imaginer qu'à Québec, là, on a trois équipes comme celle que j'ai, là. Alors, on a une équipe, elle est exceptionnelle, puis il ne faudrait pas ouvrir un deuxième front demain matin, parce que M. Muzzi nous demanderait encore beaucoup de budget, je présume, il me dirait qu'il ne peut pas produire sans que son ministre donne beaucoup de budget. Puis c'est la même chose à Ottawa, hein, il n'y a pas cinq équipes de négociation pour le commerce. Il y en a peut-être deux ou trois, en termes d'effectif, notamment parce que c'est leur juridiction, et ils consacrent plus de ressources là-dedans, ce qui est normal.

Mais, en bout de ligne, négocier avec l'Europe, c'est un gros morceau pour le Canada, un énorme morceau. Pensez juste à des chiffres de base, là, tu sais, on est 27 millions... 32, pardon, 32 millions, dépendant des... Ils sont, de l'autre côté, 500? Il y a 27 juridictions; ici, il y en a 12, mais disons qu'elles sont un peu plus petites, ont moins d'influence dans bien des cas. Et, malgré tout, cette négociation progresse, avance. Pourquoi? Parce que c'est dans notre intérêt, puis les Européens y voient leur intérêt. Et c'est la jonction de cet intérêt dans des textes très complexes qui fondamentalement, cependant, obéiront à quelques principes simples. Et je vous les donne: le Canada et l'Union européenne vont s'entendre sur le fait que la circulation des biens, des personnes, du capital, c'est une bonne chose. Ensuite, ils vont s'engager, y compris les provinces, à modifier leur législation pour faciliter ça, puis ensuite ils vont négocier 2 000 pages d'exceptions aux deux premiers principes. C'est ça qu'on est en train de faire. Et la perspective de ça, c'est de rapprocher les économies, et même les personnes, et même les projets, notamment autour d'ambitions des Européens sur le plan de l'accès aux ressources au Canada, auxquelles ils tiennent beaucoup.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Portneuf, il vous reste encore sept minutes.

M. Matte: Sept minutes. Je vous remercie, M. le Président. Oui, j'aurais une question. M. Johnson, je suis en mesure de constater que vous êtes un bon négociateur, mais vous seriez aussi un excellent enseignant. Votre rhétorique et aussi votre langage, qui est visuel. J'aurais une...

M. Johnson (Pierre Marc): ...d'ailleurs. C'est-à-dire, j'enseigne, je n'ai pas pris le qualificatif, mais j'enseigne.

Cycle de Doha

M. Matte: J'aurais une question qui est beaucoup plus... à deux volets, mais qui est plus technique, là. Lorsqu'on parle du Cycle de Doha, j'aimerais ça que vous puissiez vulgariser qu'est-ce que ça comprend. Puis, si jamais, aussi, que la non-conclusion du Cycle de Doha, là, quels seraient les impacts, là, sur le bénéfice de l'accord?

M. Johnson (Pierre Marc): Le Cycle de Doha, c'est dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, qui implique que l'ensemble, à peu près l'ensemble des pays de la planète sont autour d'une table puis essaient de s'entendre justement sur des règles de circulation des biens, des services et du capital. Le Cycle de Doha, comme le Kennedy Round, a pris son nom à partir d'un événement, parce que des gens s'étaient réunis au Moyen-Orient, puis une des conférences a eu lieu là, puis on a dit: On va appeler ça le Cycle de Doha, puis on va mettre une douzaine de sujets à l'ordre du jour. Bon. Et le Cycle de Doha, bien il est toujours suspendu, il n'y a pas d'aboutissement, comme dans beaucoup de ces négociations.

Mme Beaudoin tout à l'heure évoquait... la députée de Rosemont évoquait tout à l'heure l'accord des Amériques, mais il n'y en a pas eu, d'accord des Amériques, hein? Il y eu a un gros effort pour en avoir un, et puis ça n'a pas marché. C'est peut-être pour ça que c'était plus facile de laisser aller les textes. Dans la mesure où les gens...

Des voix: Ha, ha, ha!

Mme Beaudoin (Rosemont): ...il a été élu après le Sommet des Amériques.

Le Président (M. Drainville): Mme la députée de Rosemont.

Mme Beaudoin (Rosemont): Excusez!

Le Président (M. Drainville): Je sais que vous êtes interpellée, mais on va laisser M. Johnson.

M. Johnson (Pierre Marc): Alors donc, ce n'est pas parce qu'une négociation commerciale commence qu'elle garantit qu'elle va finir avec un succès. Nous, on pense que celle-ci est extrêmement intéressante, elle est... l'intérêt des Européens est évident, les intérêts du Canada sont manifestes, et ça progresse. Il n'est pas dit qu'il n'arriverait pas quelque externalité de catastrophe économique mondiale qui ne remettrait pas ça en question; ce n'est pas inconcevable. Cependant, je dirais qu'il n'y a pas beaucoup de chances que ce soit le processus au niveau des chefs d'État qui fasse que c'est enterré. Il va y avoir possiblement un certain nombre de difficultés dont il faudra anticiper de l'importance au niveau du Parlement européen.

Il faut comprendre que l'Europe vit, depuis un an, la mise en place d'une nouvelle constitution, enfin, le traité de Lisbonne, et que les pouvoirs du Parlement, par opposition aux pouvoirs de la Commission et du Conseil de l'Europe, les trois structures, ne sont pas tout à fait clairs et éclaircis à nouveau, parce qu'ils n'ont pas été éprouvés, sauf dans l'accord de la Corée où on a vu, alors que la Commission avait négocié, on s'est retrouvé avec un certain nombre de difficultés devant le Parlement européen autour de quelques enjeux parce que des intérêts, notamment ceux du secteur automobile, en Europe, se sont mis à hurler devant cet accord.

Donc, il y a toujours une marge d'incertitude. Je vous dirais que, quand je regarde la ronde de Doha de l'OMC, puis je regarde notre projet, je pense qu'on a plus de chances de se rendre à terme que dans la ronde de Doha. Et c'est pour ça que je trouve que c'est une bonne idée de persister.

M. Matte: Merci.

Le Président (M. Drainville): Merci beaucoup, M. le député de Portneuf. Je vais maintenant céder la parole pour un bloc de 22 minutes au député de Rousseau.

Considérations environnementales

M. Marceau: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Johnson. Merci d'être là. M. Savoie, que j'ai connu, moi aussi, à une autre époque, l'époque de la Commission sur le déséquilibre fiscal; et M. Muzzi et Mme Bastien, bonjour. Bienvenue.

Alors, j'ai, de mon côté aussi, plusieurs sujets que je voudrais aborder, j'en ai quatre et je vais commencer par un sujet qui... pour vous mettre dans le bon état d'esprit, je vais vous lire une citation du président français, qui déclarait en septembre 2009 qu'il y a des pays qui ne respectent aucune des règles environnementales que nous imposons à nos entreprises. Eh bien, ces pays paieront à ce moment-là, dans le cadre de la taxe carbone que nous aurons, une taxe qui est parfaitement normale. Alors, dans le fond, M. Sarkozy réagissait au jugement... ou enfin à l'étude de l'OMC qui, d'une certaine façon, autorise l'Union européenne à imposer des droits spéciaux lors de l'importation de biens en provenance de pays n'ayant pas atteint les objectifs de réduction des gaz à effet de serre prévus au Protocole de Kyoto. En gros, c'est ça.

Et vous savez évidemment que le Québec a une meilleure performance environnementale, en tout cas certainement une meilleure performance, sur le plan de la réduction des gaz à effet de serre, que plusieurs autres provinces canadiennes. Alors, moi qui m'inquiète de l'accès des entreprises québécoises au marché européen -- donc, je suis en mode offensif, là -- j'aimerais savoir si cette question-là a été discutée à la table, s'il est envisagé de tenir compte, dans le cas où l'Europe persisterait à vouloir aller dans cette direction, s'il est envisagé de tenir compte des bilans différenciés des différentes provinces sur le plan environnemental.

Le Président (M. Drainville): M. Johnson.

**(16 h 40)**

M. Johnson (Pierre Marc): Alors, la réponse, c'est que cette chose-là n'a pas été discutée à la table de façon spécifique, à ma connaissance. Il arrive que les négociateurs principaux se parlent de temps en temps, mais, à ma connaissance, il n'y a pas eu de discussion de la notion d'une taxe sur le carbone. J'ai cependant entendu cela venant de personnes du secteur privé en Europe. Il faut comprendre qu'au moment de l'adoption du Protocole de Kyoto les pays européens, dans la négociation, ont comme un peu tassé les États-Unis dans un coin. Nos voisins du Sud n'aiment pas beaucoup cela, ils ne sont pas habitués à se faire faire ça souvent. Et les Européens ont, en adoptant Kyoto, un peu forcé dans la gorge d'un certain nombre de pays qui n'étaient pas d'accord avec eux les objectifs fixés dans Kyoto. Les Européens ont en partie répondu à cela, pas tous.

Et ils vivaient une époque où ils savaient qu'ils fermaient les charbonnières. Ils savaient qu'ils auraient recours au nucléaire. Ils étaient en train de développer un certain nombre de ressources hydrauliques qui n'étaient pas déjà exploitées ou très peu, il faut bien le dire, et ils avaient entrepris de façon extraordinaire les modes d'économie d'énergie pour le bâtiment, pour l'automobile et pour l'ensemble des processus industriels.

Arrive l'écoulement du temps. Les États-Unis, la Chine, le Brésil, l'Indonésie, le Nigeria, le Canada, des pays qui ont des émissions considérables, ne seront pas au rendez-vous de Kyoto, comme un certain nombre de pays européens, encore une fois, ne le sont pas, mais, entre eux, à l'intérieur de l'Union, ils peuvent se faire cette compensation. Dans le cas du Canada, ce n'est un secret pour personne, on a une performance ici qui est... même si, dans le secteur du parc automobile, ce n'est pas fameux, on a une performance, malgré tout, à l'égard de la diminution des gaz à effet de serre qui est extrêmement enviable et qui, on comprend bien, n'a rien à voir avec celle de l'Alberta, qui, elle, développe des sables bitumineux, et ils émettent plus de gaz à effet de serre... À eux seuls, ils sont pour l'essentiel responsables, à cause des procédés industriels d'extraction des gaz à effet de serre... des sables bitumineux, ils sont responsables de l'augmentation de l'ensemble des gaz à effet de serre dans l'économie canadienne, la réalité canadienne, depuis une douzaine d'années.

Il est bien évident qu'autour de cette question nous avons des préoccupations. Mais nous n'avons pas en ce moment à traduire ça dans quelque texte que ce soit, à ma connaissance, et nous n'avons pas en ce moment non plus à répondre à quelque geste que ce soit en matière de taxe au carbone imposée à la frontière. La potentialité de cela, la menace de cela est peut-être présente, mais il n'y a pas pour le moment, à ma connaissance, de législation qui est présentée devant le Parlement européen, au Conseil de l'Europe ou de réglementation de la Commission européenne qui prévoit que les biens seront taxés en fonction de l'empreinte carbone qu'ils représentent. C'est cependant une façon pour les Européens de forcer ce débat, pendant que les Américains ont par ailleurs pris un leadership extraordinaire autour de la Convention sur les changements climatiques, et on se retrouve avec ceux qui sont en position de leadership qui sont les plus grands émetteurs de carbone, c'est-à-dire les États-Unis, avec le Brésil, la Chine, le Nigeria, le Mexique et quelques autres, et le leadership de ce qui se passe sur le plan international est en ce moment assumé par ceux qui ont le plus à faire. Et le Canada, là-dedans, est une sorte de témoin plus ou moins actif selon les secteurs; dans le cas du Québec, très actif, dans le cas de l'Ontario, de plus en plus active, et dans le cas de l'Ouest canadien, des enjeux considérables à cause de la nature de leur économie extractive de sables bitumineux.

Le raisonnement était assez simple pour savoir pourquoi, là, ils émettent beaucoup de gaz à effet de serre. C'est parce que, pour extraire du pétrole du sable bitumineux, il faut utiliser de l'énergie pour créer de la pression, pour augmenter la température de l'eau. C'est le processus industriel qui, lui, a besoin de pétrole pour être capable de produire d'autre pétrole. Puis on dit, en gros, un baril sur quatre ou cinq. En d'autres termes, tu produis cinq barils, bien tu en as utilisé un. Mais c'est sûr que, si tu produis des millions de barils par semaine, tu viens de faire beaucoup d'émissions. C'est une problématique considérable pour l'Alberta et c'est une problématique considérable... J'ai toujours dit, moi, que, si j'avais été ministre fédéral, je n'aurais pas voulu être ministre de l'Énergie, parce que c'est probablement le plus grand casse-tête qu'il y a dans la fédération canadienne, entre les intérêts de l'Ouest autour du pétrole et du gaz, les intérêts de l'Ontario autour du nucléaire -- puis regardez certains groupes environnementaux qu'on connaît -- puis les intérêts du Québec, qui est essentiellement largement hydroélectrique, et réconcilier tout ça n'est pas toujours simple. On n'a pas à le réconcilier en ce moment.

M. Marceau: O.K. Parfait.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Rousseau.

M. Marceau: Oui, merci. Merci pour votre réponse. Il me semble que, si cette taxe carbone se matérialisait, le Québec serait perdant sur tous les plans. Il serait perdant à la fois sur le plan de... évidemment par le fait que les biens produits par nos entreprises auraient un accès moins facile au marché européen, et évidemment on n'aurait pas la reconnaissance à l'intérieur du Canada du fait que nous nous comportons en bon émetteur, enfin nous faisons attention.

Maintenant, ce que je suggérerais, ou ce que je... à la lumière de ce que vous avez dit, je suggère que peut-être vous pourriez envisager des mesures offensives, c'est-à-dire de vous assurer que ce type de mesure défensive là ne sera pas mis en place par l'Europe.

Gestion de l'offre en matière
de produits agricoles

Maintenant, j'aimerais, si vous le permettez... enfin, vous... vous me répondrez si vous le voulez bien, mais je voudrais passer à un deuxième sujet tout de suite parce que malheureusement le temps passe, et je voudrais vous parler d'agriculture.

Et en fait, dans ce cas-ci, ça va être très, très simple. On nous dit que les Européens sont intéressés par le marché alimentaire canadien et qu'ils ont des demandes... ils ont des demandes quant à la gestion de l'offre, quant aux... Enfin, ils voudraient que, si c'est possible, que notre gestion de l'offre ne soit plus en vigueur. Enfin, ils voudraient voir disparaître la gestion de l'offre. Et encore une fois je suis inquiet sur... je suis inquiet quant à la position canadienne dans ce dossier-là, parce que je me rappelle ce qui s'est passé dans le cas de l'Accord sur le commerce intérieur, qui avait été un très clair révélateur des dissensions qu'il y a l'échelle canadienne sur ces questions-là. Vous savez que l'Ouest, évidemment, n'est pas particulièrement friande de la gestion de l'offre, que l'Ouest, non plus, n'était pas particulièrement friande de normes d'étiquetage ou de règles d'étiquetage ou de normes quant à la composition des aliments. Toutes ces choses-là avaient fait l'objet de débats, je pense, assez serrés dans le cadre de l'ACI, et, sachant cela, je suis inquiet de savoir que les Européens sont en demande sur ce front-là. Et je me demande quelle est la position canadienne, là, lorsque les Européens nous arrivent avec ces demandes-là.

Le Président (M. Drainville): M. Johnson.

M. Johnson (Pierre Marc): Alors, le ministre Van Loan, dans une... le 20 août... ce qu'on retrouve dans La Presse Affaires, déclarait, et je cite: «Tous les enjeux sont sur la table, a rappelé M. Loan, mais nous ne serons pas gênés de défendre la gestion de l'offre parce que c'est important pour nous. Je ne pense pas que cette question nous empêchera de signer un accord de libre-échange, parce que nous avons réussi à en conclure avec les États-Unis, la Colombie, le Pérou, entre autres, sans avoir à sacrifier la gestion de l'offre.»

La position du gouvernement du Québec est claire là-dessus: elle défend le système de gestion de l'offre, et le monde agricole québécois n'a pas à s'inquiéter de, je dirais, de la force avec laquelle nous exprimons cette préoccupation auprès du gouvernement fédéral, qui est celui qui a la juridiction de négocier la clé de la gestion de l'offre que sont les tarifs.

Je ne sais pas si vous voulez que je prenne deux minutes pour expliquer comment ça fonctionne, la gestion de l'offre, pour celles et ceux qui seraient moins familiers. Essentiellement, nous avons un modèle, au Québec et au Canada, qui s'applique à l'Ontario, à l'ensemble du pays, et où l'essentiel de tout ça se fait au Québec puis en Ontario, là. En matière de produits laitiers, par exemple, c'est applicable aux oeufs, c'est applicable à la volaille, mais, en matière de produits laitiers, on permet de maintenir un mode de vie en monde rural, des revenus raisonnables, une sécurité d'approvisionnement sur le plan de la nourriture ou des éléments reliés au lait, à partir d'une forme de protection. En Europe, c'est 56 milliards d'euros de subventions au monde agricole de la part de la Commission européenne. Au Canada, c'est la gestion de l'offre.

**(16 h 50)**

La différence entre les deux, c'est qu'ici on dit aux producteurs: Vous allez négocier le tout, surveillés et intermédiés par la Régie des marchés agricoles; vous allez avoir un quota que vous allez vendre aux transformateurs. Et les transformateurs, qui font du fromage, du lait, de la crème 35 %, de la crème glacée, de plus en plus d'autres produits raffinés autour de cela, amènent ça, paient le producteur à partir d'un prix qui est établi et qui est discuté à la Régie des marchés agricoles.

Pour que ce système-là fonctionne, il ne faut pas en importer, hein? Parce que, le jour où on en importe, tout ça saute. Alors, qu'est-ce qu'on a choisi de faire, on a choisi d'être relativement autarciques dans ces productions-là. Je dis «relativement» parce qu'on permet quand même qu'un certain nombre de produits venant de l'étranger dans le secteur... vous pouvez acheter du Brie français, pas seulement du Brie de Portneuf ou un fromage, un autre, la Sauvagine, ou un autre; il y a d'excellents fromages au Québec, mais il y a aussi des fromages européens qui pénètrent le marché. Et ils pénètrent le marché dans une des deux conditions: on leur donne un quota maximum, maximum, auquel ils ont droit, sur lequel ils paient un tarif à peu près raisonnable, puis, n'importe quoi au-dessus de ça, ils paient un tarif qui n'est pas raisonnable, jusqu'à 300 %. Donc, ça veut dire qu'il n'y a pas d'incitatif pour les Européens d'essayer d'aller au-delà du quota qu'on leur permet de mettre sur le marché ici, du contingent, qu'on appelle, tarifaire, de le mettre sur le marché ici. Pour que le système fonctionne, il faut donc maintenir ces tarifs très élevés.

Et le gouvernement du Canada, jusqu'à maintenant, qui a fait part des offres en matière tarifaire, comme les Européens, dans le 10 %, sur lequel on n'a pas bougé, bien il y a le secteur des produits laitiers, des produits dérivés des oeufs et de la volaille. Donc, jusqu'à maintenant, malgré les inquiétudes que certains ont eues, ont manifestées, elles doivent comprendre que le gouvernement du Québec a et va continuer de défendre le maintien du régime de l'offre.

La raison pour laquelle on n'a pas parlé beaucoup, on peut être francs et candides à ce moment-ci: on s'est tous promis qu'on discuterait ça vers la fin. C'est un peu comme des tabous, hein? Pensez-vous vraiment que l'Europe va abolir ses 56 milliards de subventions à la classe agricole? Et pensez-vous vraiment qu'ils s'attendent à ce qu'on renonce à maintenir les régimes de protection de la classe agricole? Et la réponse m'apparaît s'imposer, mais je ne peux pas la donner, parce qu'on s'est promis d'en parler seulement plus tard. Et ça, ça s'appelle du signalement.

Le Président (M. Drainville): Oui, mais c'est dit dans des termes très diplomatiques, d'ailleurs. M. le député de Rousseau, il vous reste à peu près 5 min 30 s.

Création d'une commission
nationale des valeurs mobilières

M. Marceau: Merci, M. le Président. Bon, bien merci pour cette réponse. Je vais aborder maintenant un sujet qui n'est pas un tabou et qui fait en fait l'objet d'un vaste débat public au Canada, et c'est la question de la réglementation du marché des valeurs mobilières au Canada.

Dans le document de la Commission européenne et du gouvernement du Canada dans lequel on faisait l'évaluation des coûts et des avantages, on a... enfin, il est question des restrictions qui s'appliquent et qui limitent la capacité des entreprises européennes de services financiers, là, à accroître leurs activités sur le marché canadien. Et apparemment que donc les Européens seraient en demande et voudraient, préféreraient que le Canada se dote d'une commission nationale des valeurs mobilières, tel que le prévoit actuellement le gouvernement conservateur, évidemment contre le gré du Québec et contre le gré d'autres provinces, en particulier de l'Alberta.

Alors, ma question, elle est toute simple. Évidemment, moi, j'ai de la misère à comprendre l'entêtement du gouvernement fédéral, tout comme j'ai de la misère à comprendre l'entêtement de l'Union européenne, si c'est vrai qu'ils sont en demande sur ce sujet-là. Parce que j'ai entendu souvent dans la même phrase des gens dire: Le Canada a passé à travers la crise grâce à son système bancaire, le plus merveilleux du monde, grâce à son secteur financier, le plus merveilleux du monde, et dire par ailleurs: Il faudrait donc le changer puis mettre en place une commission nationale des valeurs mobilières. Alors, dans la même phrase, là, on met ces deux blocs-là. Et les Européens, qui n'ont de cesse de vanter le système financier canadien, apparemment donc seraient en demande du côté d'une commission nationale des valeurs mobilières.

Alors, je veux savoir ce qu'il en est: Est-ce qu'il est vrai donc que nous avons à craindre de ce côté-là? Est-ce que l'Europe est véritablement un allié du gouvernement fédéral dans ce dossier-là?

M. Johnson (Pierre Marc): Bon. Il y a au moins trois choses dans ce que vous évoquez: il y a la volonté affirmée par le gouvernement fédéral, dans le dossier des valeurs mobilières, d'avoir un système centralisé, il y a, deuxièmement, l'alliance entre Québec et l'Alberta, qui ont décidé d'amener cette question devant les tribunaux et possiblement éventuellement devant la Cour suprême... Et ce qui est intéressant, c'est l'alliance Québec-Alberta, hein? Des fois, on a des différences assez importantes, des fois on s'allie sur certains sujets; c'est ça, une négociation de partenaires multiples. Et, troisièmement, il y a cette question de l'intérêt que les Européens auraient pour un marché unifié.

Alors, sur un et deux, je n'ai pas en parler, parce que c'est de nature domestique. Mais, dans le cas des Européens, j'ai entendu effectivement le négociateur européen se questionner sur le fait qu'il trouvait étonnant qu'au Canada il n'y ait pas vraiment un marché unifié dans certains secteurs, y compris le secteur financier. Et je lui ai fait part un peu de l'historique et de l'intérêt que représente, en particulier pour le Québec, d'avoir sa propre commission des valeurs mobilières. Et je ne peux pas reprocher aux Européens de se poser des questions, hein? Il n'y en aurait pas, de négociations, si les gens ne se posaient pas de questions. Alors, ultimement, comme disent les Français à l'Académie: «The proof of the pudding is in the eating», hein, puisqu'on parle de négociations en langue anglaise. Alors, la preuve de ce qui se passera, ce sera quand on arrivera à l'entente.

Et c'est vrai que les... Et je dois vous dire: C'est vrai que les Européens ont manifesté le fait que, dans ce domaine comme dans d'autres, ils trouvent que le marché canadien est fractionné. Et on leur répond: Oui, mais il est fractionné chez vous aussi dans d'autres. Ce n'est pas vrai que c'est si facile que ça parfois de faire circuler un produit donné d'un pays à l'autre. Alors, ce n'est pas l'intégration parfaite, puis, le Canada, on sait que n'est pas parfait. C'est vrai que c'est un marché très segmenté, même pour les produits dans certains secteurs. Et cette négociation, à la limite, permettrait peut-être aussi qu'on prenne conscience du fait que ça peut être plus fluide. Pourquoi pas?

Cela dit, ce n'est pas un enjeu de la négociation que de parler de la commission des valeurs mobilières du Canada ou du Québec. Ça ne fait pas partie de cette négociation, les Européens étant parfaitement conscients qu'ils peuvent se demander pourquoi, mais ils ne peuvent pas obtenir de réponse par un traité.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Rousseau, c'est à toutes fins pratiques terminé. Malheureusement, il reste 30 secondes. Il vaut mieux le... À moins que vous souhaitiez conclure?

M. Marceau: Bien, peut-être je vais faire, en deux secondes, une dernière question, puis...

Le Président (M. Drainville): C'est parce que c'est le temps que vous allez...

M. Marceau: ...ça laisserait 48...

Le Président (M. Drainville): Vous allez prélever le temps sur votre...

Une voix: ...oui.

M. Johnson (Pierre Marc): Alors, ça va être plus facile pour moi.

Le Président (M. Drainville): Vous allez... vous risquez de prélever du temps sur votre collègue.

M. Marceau: Bien, O.K. Bien, écoutez, merci.

Le Président (M. Drainville): Merci.

M. Marceau: Merci pour vos réponses.

Le Président (M. Drainville): Je vais maintenant céder la parole à la députée de Gatineau. On m'indique par contre qu'il est possible que nous soyons appelés pour un vote. Si c'est le cas, nous irons voter, bien entendu, et par la suite nous reprendrons nos travaux, et on devra ajuster le temps à ce moment-là. Mais, en tout cas, là, on est... on voit ça en direct ici, là, ça semble continuer en Chambre. Donc, Mme la députée de Gatineau, vous avez la parole.

Reconnaissance des
qualifications professionnelles

Mme Vallée: Merci, M. le Président. Alors, M. Johnson, merci beaucoup de prendre ce temps dans votre horaire chargé pour échanger avec nous, parce que, comme on le voit, il y a énormément de sujets qui sont d'intérêt pour nous, pour aussi les gens qu'on représente et pour l'ensemble de la communauté.

Vous avez tout à l'heure soulevé la question du déficit démographique, vous avez soulevé les besoins de main-d'oeuvre auxquels nous feront face éminemment. Il y a eu un accord quand même historique qui a été conclu récemment entre le Québec et la France sur la mobilité de la main-d'oeuvre, sur la mobilité des travailleurs, la reconnaissance des qualifications professionnelles. Vous avez fait référence un petit peu à tout ça dans votre présentation. L'entente entre la France et le Québec, ça connaît un franc succès, c'est une fierté du premier ministre, de M. Charest, et du gouvernement. Je considère que c'est une avancée extraordinaire au niveau des relations entre la France et le Québec.

Est-ce que vous croyez, dans le cadre des relations... des échanges que vous avez actuellement, qu'il serait intéressant d'inclure à l'intérieur de l'accord global entre le Canada et l'Union européenne une forme de reconnaissance des qualifications professionnelles des travailleurs?

**(17 heures)**

M. Johnson (Pierre Marc): D'abord, merci d'évoquer cette question que j'ai évoquée, mais très rapidement, dans la présentation. Regardons d'abord l'accord Québec-France. Il fonctionne très bien, il y a déjà 54 professions et métiers où le corps réglementé, la corporation des plombiers, des électriciens, des arpenteurs géomètres, les avocats, les infirmières, les infirmiers, où déjà des corporations ont signé avec leurs vis-à-vis français. Ça veut dire quoi? Ça veut dire qu'une personne qui viendra de France, dans ces professions, moyennant les conditions réciproques conclues entre la France et le Québec, pourra pratiquer son métier, obtiendra un permis de pratique. C'est ça qu'on appelle la reconnaissance des qualifications. Ce n'est pas la reconnaissance d'un diplôme, c'est la reconnaissance des qualifications professionnelles, qui peut inclure une partie des études et ce qui est couvert ou pas, mais qui aussi tient compte de l'expérience réelle et du caractère pertinent de cette expérience à la pratique de ce métier ici.

Alors, c'est un succès dans la mesure où, en moins de deux ans, il y a déjà 54 professions; il y a un potentiel, je crois, d'une centaine, métiers réglementés où cela pourrait se faire. Pourquoi c'est fait? Bon, ça ne présuppose pas que les gens vont se mettre à circuler entre la France et le Québec à la vitesse grand V, ça va se faire graduellement en fonction des besoins des marchés de l'un et l'autre, à partir d'activités spécifiques d'une entreprise, par exemple, québécoise qui va en Europe ou d'une entreprise française qui vient au Québec.

Est-ce que cela peut être utile dans la négociation que nous faisons avec l'Union européenne? La réponse, c'est oui. La grande différence cependant, c'est que l'Union européenne n'accorde pas de permis de pratique; à la limite, le gouvernement du Québec non plus, hein, c'est l'ordre professionnel qui accorde le permis. Et ce que nous voulons éviter, et nous avons eu l'occasion d'en discuter amplement à la fois avec le gouvernement fédéral et les collègues des autres provinces, ce que nous voulons éviter, c'est qu'on ait un accord où à toutes fins pratiques on prenne des organismes nationaux qui collaborent dans le but de et qu'on se retrouve avec rien en bout de ligne parce que ce n'est pas ceux qui signent les permis qui s'entendent.

Et ça a été une démarche assez compliquée, expliquer ça à tout le monde, parce que la perception était, chez certains négociateurs, que dans le fond les associations nationales au Canada, c'est ça qui décidait ça. Non, non, c'est les corporations professionnelles dans chaque province qui décident, puis les corporations de métiers dans chaque province qui décident. Et, en Europe, c'est un peu la même chose. Dans certains cas, c'est l'État qui émet le permis parce que c'est considéré comme un privilège, dans d'autres, c'est vraiment une corporation professionnelle.

Alors, nous, ce que nous souhaitons, c'est que l'entente, d'abord, ait un chapitre sur la mobilité de la main-d'oeuvre, sa facilitation, et la reconnaissance des qualifications; deuxièmement, que ce chapitre renvoie une responsabilité première aux émetteurs de permis de conclure des ententes de réciprocité. Et, une fois que c'est fait, à quelques exceptions près, la personne qui aura un permis, qui est originaire de France, par exemple, et qui a un permis de pratique au Québec peut à ce moment-là circuler à travers le Canada à cause de l'accord interprovincial. Et de la même façon le Québécois qui se rendra en Europe, en France, à cause de la réglementation européenne, aura, à quelques conditions près, dans certains cas, dans certains métiers, la possibilité de circuler à l'intérieur de l'Union européenne.

On pourrait projeter tout ça dans un monde idéal, où l'Alberta fait des accords de réciprocité avec les corps professionnels en Irlande, l'Ontario avec l'Angleterre, le Québec avec un pays francophone, et là se concluent une série d'accords comme ceux qu'on voit entre les corps professionnels, et soudainement ces personnes deviennent mobiles à l'intérieur du Canada et à l'intérieur de l'ensemble de l'Europe. C'est assez intéressant comme mécanique. Cependant, ce n'est pas dans le domaine immédiat d'autorité de la Commission européenne que de voir à la question de la mobilité à travers la frontière de l'Europe, c'est-à-dire du Canada vers l'Europe. Donc, ce à quoi ils peuvent s'engager -- c'est ce que nous souhaitons -- c'est de mettre sur pied un mécanisme qui favorise ce que je viens d'expliquer, c'est-à-dire des ententes par corporation professionnelle, comme on le fait dans le cas du Québec et qui est un succès, il faut le dire, assez remarquable. Puis on comprend qu'il y a des proximités entre le Québec et la France qui existent depuis très longtemps et qui ont rendu le succès possible parce qu'il y a une... il y avait une détermination politique, mais pas une contrainte politique. Parce qu'en bout de ligne, là, ce n'est pas un traité qui a été signé entre la France et le Québec, c'est une poussée par les chefs de gouvernement sur leurs organismes professionnels pour dire: Vous allez conclure, comme cela vous est permis, des ententes de réciprocité en termes de reconnaissance de qualifications, et ça a fonctionné très bien. Souhaitons que ça fonctionne avec d'autres pays d'Europe et surtout que la Commission européenne s'engage à stimuler ce genre d'encadrement.

Le Président (M. Drainville): Il nous reste encore du temps pour la députée de Gatineau.

Mme Vallée: Donc, si je comprends bien, le travail qui s'est fait vise à obtenir une entente générale ou une reconnaissance générale de l'importance pour les différents pays et pour les différentes provinces de conclure ce type d'entente là, ce type de relation là, sans mettre de côté les compétences respectives des États et surtout la juridiction des ordres professionnels qui oeuvrent dans chaque pays, dans chaque province?

M. Johnson (Pierre Marc): Et effectivement, vous avez raison, ni le gouvernement fédéral ni même les gouvernements des provinces, dans bien des cas, ne peuvent se substituer aux ordres professionnels. Il faudrait que le gouvernement du Québec décide d'adopter une législation dans laquelle il donne le droit de délivrer un permis à l'État, alors que l'État a délégué ce droit-là aux corporations professionnelles. Je ne vois pas le jour où on se mettrait à faire le contraire. Et c'est la même chose dans un certain nombre de pays européens. Dans certains pays européens, le permis est considéré comme un privilège d'État, mais ce n'est pas la règle. La règle, vraiment, c'est que c'est les corporations professionnelles qui décident.

Qu'est-ce qu'on peut faire dans le cadre de cette entente? D'abord, il y a un effort de conscientisation considérable qui a été fait à travers le Canada. Quand on leur a présenté l'entente Québec-France, on leur a expliqué, on a passé je ne sais plus combien d'heures à expliquer ça aux délégués provinciaux et envoyer nos spécialistes de ce secteur-là dans différentes réunions où il y avait des spécialistes de ce secteur-là dans les autres provinces. Les gens ont mordu à ça, l'Ontario est extrêmement intéressée, l'Alberta est intéressée au plus haut point. Pourquoi? Parce que c'est le problème du déficit de main-d'oeuvre, même s'il est temporaire. Et en ce sens-là je dirais qu'on a là la... on a formulé, du côté canadien, une demande et une volonté de parvenir à quelque chose de substantiel, dans cette entente, qui reconnaisse les principes que je viens d'évoquer. Restera à voir jusqu'où l'Union européenne peut y aller. Merci.

Mme Vallée: Merci. Je sais que mon...

Le Président (M. Drainville): Mme la députée de Gatineau, vous voulez céder la parole...

Mme Vallée: Mon collègue semble...

Le Président (M. Drainville): De Rouyn-Noranda?

Mme Vallée: Oui.

Le Président (M. Drainville): Avec plaisir, avec plaisir.

Processus de certification
de biens et services

M. Bernard: Merci. Merci, M. le Président. M. Johnson, merci de vous rencontrer, et tous ceux qui vous ont... qui vous rencontrent. Je veux revenir sur quelques questions rapides de base. Vous avez fait un grand survol, mais je voulais revenir sur les défis qui attendent nos entreprises. Puis, dans ce contexte-là, parce qu'on a parlé précédemment, vous l'avez bien souligné, que notre grand marché était vers les États-Unis, mais toutefois on veut rentrer puis s'en aller du côté européen.

Alors, je me demandais, par exemple, quels étaient les défis qui allaient les attendre. Je pense, entre autres, en termes -- bien, vous en avez brièvement parlé -- exigences de contenu, mais je pense, entre autres, de normes de fabrication. Pour eux, est-ce que les contraintes de passage, par exemple, en économie, au dollar américain vers le dollar européen, en termes de défi, en même temps de label environnemental... On en a parlé en termes de GES, mais aussi je regarde du côté des marchés financiers et autres, il y a beaucoup de fonds verts européens qui se mettent en place et qui émettent des exigences beaucoup en termes d'entreprises.

Alors, je voulais voir, pour nos entreprises, quels étaient les grands défis qui allaient les attendre?

**(17 h 10)**

M. Johnson (Pierre Marc): Prenons les biens plutôt que les services, parce que c'est plus simple. Alors, une entreprise qui fait un bien, une chaise en plastique de jardin qui est intéressante sur le plan du design, qui est fabriquée en Beauce ou en Abitibi, et qui pense qu'elle a un marché d'exportation, en général, souvent va le tester vers les États-Unis, et là on découvre quoi? On découvre les règles qui s'appliquent, on découvre l'importance ou pas d'avoir un distributeur, on découvre la problématique des financements puis du rapatriement des fonds. Il s'agit... Donc, qu'est-ce qu'on fait? On apprend comment fonctionne... d'abord, on sait c'est quoi, son marché puis son créneau. Deuxièmement, on apprend comment fonctionnent les règles de mise sur le marché d'un produit donné, qui peuvent varier. Et, dans le cas de l'Europe, ça peut varier. Pourquoi? Parce qu'en Europe tout produit nouveau qui est mis sur le marché en Europe doit passer un programme qui s'appelle le programme REACH. Et ce programme a comme fonction... je vous donnerai... je vous donne l'acronyme, qui est en anglais. Encore une fois, Louise... Mme Beaudoin, le programme REACH vise à évaluer les produits en fonction de leur possible toxicité pour les gens ou pour l'environnement.

C'est un processus long, ardu et qui parfois donne lieu à des blocages, théoriquement basés sur des considérations scientifiques. Mais est-ce qu'on se comprend qu'un produit qui est sur le marché au Canada, il y a de bonnes chances qu'il soit bon pour être sur le marché européen? On n'est pas exactement dans une situation dans laquelle... je ne serai pas spécifique pour ne pas blesser des gens d'autres pays, là, mais il y a un certain nombre de pays qui mettent sur le marché parfois un produit qui est inacceptable ici. Puis, aux États-Unis, il y a un exemple très récent, là, des gens qui ont construit des maisons avec un produit importé, qui ont été obligés de sortir de leur maison, qui ont perdu leur maison, qui ne sont même pas capables de trouver quelqu'un, en termes de responsabilité financière, pour le faire.

On se comprend qu'entre le Canada puis l'Europe je ne pense pas que ça existe, ça. En gros, on a à peu près les même normes. On est préoccupés par la santé puis l'environnement, tout le monde. On ne met pas sur le marché des affaires toxiques, on protège les consommateurs. Il s'agit pour nous, dans le cadre du CETA, de trouver des moyens qui vont permettre d'accélérer la venue de nos biens, des biens de nos entreprises sur le marché européen. Parce que ce n'est parce qu'un produit répond à une norme internationale que ça veut dire qu'automatiquement il peut être mis sur le marché là-bas.

Parmi ces choses-là, il y a des réglementations. Je donne toujours l'exemple qui m'a été donné par un entrepreneur. Lui, il fabrique des panneaux pour faire des maisons mobiles. Et ces deux-par-quatre qui soutiennent le haut et le bas du panneau sont situés à 30 cm l'un de l'autre, et la réglementation européenne, c'est qu'il faut que ça soit à 28. Donc, c'est un empêchement pour lui de mettre son produit sur le marché. Et ce qu'on vise dans le cadre de cette entente, c'est de trouver deux choses: d'une part, de faciliter l'harmonisation de ces réglementations, qui souvent sont basées sur des préoccupations de nature protectionniste, chez nous comme chez eux, il faut bien se le dire; deuxièmement, de trouver s'il est possible d'avoir des organismes de certification communs ou de reconnaître nos organismes de certification de façon réciproque.

Quelqu'un qui fabrique quelque chose au Québec et qui veut le mettre sur le marché en Europe est obligé de le faire certifier, il peut être amené à prendre l'avion quatre fois, c'est des dépenses énormes pour les petites entreprises en amont de la mise en marché, puis le résultat final, c'est peut-être qu'il ne sera jamais en marché, alors que, s'il va au CRIQ, au Centre de recherche industrielle du Québec, il peut obtenir une certification de son produit qui dans le fond est sûrement de même valeur que celle qui pourrait lui être décernée dans un des grands laboratoires européens qui sont... dont la fonction, c'est de faire cette certification.

Alors, nous souhaitons non pas... nous souhaiterions non pas l'abandon des préoccupations de certification, mais une reconnaissance réciproque des certifications, ce qui sauverait beaucoup d'argent à nos gens d'affaires. Jusqu'où on y parviendra et dans combien de secteurs, il reste à voir.

Contexte économique mondial

M. Bernard: Oui. Dans ce contexte-là... Vous parlez des négociations puis justement un peu de protectionnisme. Dans un contexte économique actuel où qu'on sort d'un ralentissement économique, même, dans certains cas, d'une récession, avoir des discussions de cette nature-là de traité doit être beaucoup difficile que si c'était dans une période de croissance?

M. Johnson (Pierre Marc): Oui, je comprends ce que vous voulez dire. Le réflexe humain, social et souvent idéologique qui vient devant la difficulté économique, c'est l'autarcie, c'est dire: Dans le fond, on va se débrouiller entre nous, puis... Bon. Maintenant, regardez un portrait de l'économie du Québec. Ici, le jour où on se met à faire ça, c'est fini; on n'en aura plus, de croissance économique, on ne peut pas être autarcique, on n'a pas ces moyens-là.

À la limite, l'Europe aurait plus les moyens de faire ça à cause de la diversité de ses productions puis de l'importance de son marché intérieur. C'est donc la géographie, la population et ce qu'ont fait nos industries depuis, je dirais, la Deuxième Guerre mondiale qui a fait de nous des commerçants. Il faut donc être agressif et ne pas s'attendre à ce que les gens viennent chercher nos produits pour nos beaux yeux, parce qu'ils nous aiment bien ou parce qu'on parle la même langue, ou parce qu'on a les mêmes régimes de sécurité sociale ou qui y ressemblent.

Et c'est pour ça que, nous, dans le contexte actuel, en dépit de la crise économique, qui a affecté beaucoup plus les Américains que les Européens, bien qu'en Europe on n'anticipe pas des croissances énormes dans les années qui viennent, et puis ils ont leurs problèmes dans un certain nombre de pays, c'est pour ça que, nous, on a des objectifs très agressifs en matière tarifaire, de mesures non tarifaires et de règles d'origine. Ils nous voient venir. La réponse normale, disons les choses franchement: Pourquoi est-ce que l'Europe s'intéresserait à nous longtemps, alors que la Malaisie, alors que l'Inde, avec plus de 1 milliard de population, est en pleine expansion sur le plan économique, alors que l'Indonésie, avec 100 millions de personnes, sont là, là, sont des marchés en émergence? Pourquoi ils s'intéressent au Canada? Ils s'intéressent au Canada parce qu'on leur a fait signe qu'on était intéressés. Deuxièmement, ils s'intéressent au Canada parce que c'est intéressant pour eux de voir ce qu'on peut faire entre pays développés. Dans un accord de ce type-là, c'est la première fois qu'ils le font, au niveau de la Commission européenne, avec un pays non européen qui est un pays de l'OCDE. Troisièmement, parce que c'est tâter le marché nord-américain de façon intéressante pour eux et pour un certain nombre de leurs entreprises. Quatrièmement, parce qu'ils savent que nos marchés publics, qui, dans le seul réseau parapublic, représentaient, je le disais tout à l'heure, 11 milliards, puis si j'additionne à ça l'ensemble du gouvernement, les municipalités, etc., c'est 26 milliards, c'est intéressant comme marché pour eux. En échange de quoi, nous, il faut tirer notre épingle du jeu à partir du type d'économie qu'on a.

Ce que je sais, moi, c'est que notre économie ne pourrait pas survivre à des réflexes autarciques. Ça m'apparaît évident quand je regarde les chiffres puis la quantité de choses qu'on exporte, et que nos exportations aux États-Unis ont diminué de près de 20 % en 2009. Puis il faut quelque part trouver des substituts, surtout qu'on nous dit que l'économie américaine ne remontera pas très rapidement. Je comprends qu'il y a une partie de ça qui est reliée au bois d'oeuvre, mais en dépit de ça il faut quelque part composer avec ce marché en émergence qui est juste l'autre côté de l'Atlantique pour nous. C'est un peu moins loin que la Chine.

**(17 h 20)**

Le Président (M. Drainville): C'est terminé, malheureusement. Je suis désolé, je... Vous avez écoulé votre temps, M. le député de Rouyn-Noranda. Votre temps étant celui de la partie gouvernementale, nous allons maintenant céder la parole au deuxième groupe d'opposition et au député de Shefford.

Contrat de renouvellement des
voitures du métro de Montréal (suite)

M. Bonnardel: Merci, M. le Président. M. le premier ministre Johnson, Me Bastien, M. Muzzi, M. Savoie, bienvenue. J'aimerais ça, M. Johnson, vous amener sur trois dossiers, si j'ai assez de temps, le dossier qui est d'actualité au gouvernement du Québec, Alstom et CAF, les enjeux de nos ressources naturelles et, si on a le temps aussi, les négociations entre Union européenne, Canada et le Québec.

Vous êtes assurément, dans un contexte, une des personnes qui aura une influence les plus grandes pour nos marchés dans les prochaines années, si cet accord de libre-échange est signé dans les prochains mois. Bon, il y a un échéancier, début 2011, c'est assez serré, mais, dans ce contexte, vous êtes une personnalité qui aura un rôle important à jouer, à faire entendre la voix du Québec au Canada, mais aussi dans le monde entier.

Rapidement, vous le savez, on vient de... le gouvernement a signé donc un contrat gré à gré, sans appel d'offres, avec Bombardier, Bombardier-Alstom, et on apprend aujourd'hui qu'il y a une personne qui a été importante dans les négociations avec Hatch MacDonald, ce que je crois, et le gouvernement, parce qu'on a exclu la STM dans les dernières semaines, c'est le premier ministre Lucien Bouchard lui-même. Est-ce que, vous, dans ce contexte -- oui, tout à fait -- vous, dans ce contexte où vous avez eu à préparer donc et à participer à des entretiens à huis clos dans les derniers mois pour faire la place du Québec autant au Canada que dans le monde entier, est-ce que le premier ministre Lucien Bouchard a communiqué avec vous pour vous demander des avis sur vos négociations que vous aviez présentement avec les autres provinces canadiennes ou l'Union européenne?

M. Johnson (Pierre Marc): Non.

M. Bonnardel: Parfait.

M. Johnson (Pierre Marc): Vous vouliez des questions...

M. Bonnardel: Oui, rapides.

M. Johnson (Pierre Marc): Et réponses rapides.

M. Bonnardel: C'est vrai que je m'attendais... je m'attendais à un oui ou à un non. Est-ce que...

M. Johnson (Pierre Marc): Je me suis déjà entretenu avec M. Bouchard il y a quelques mois, mais...

M. Bonnardel: Pas dans ce contexte.

M. Johnson (Pierre Marc): ...il n'a pas communiqué avec moi sur cette question.

M. Bonnardel: Pas dans ce contexte-là. Est-ce que le gouvernement lui-même ou la STM vous ont demandé des avis suite au...

M. Johnson (Pierre Marc): Non.

M. Bonnardel: ...suite aux négociations qui ont achoppé dans les derniers mois ou...

M. Johnson (Pierre Marc): Je vous dirais que la... la possibilité d'une décision de revenir au contrat initial négocié de gré à gré sur la base des 342 véhicules de la flotte de 1968 a circulé, si je me souviens bien, même avant les vacances de l'été, il me semble que j'ai entendu parler de ça un peu. J'ai eu l'occasion d'exprimer quelques opinions à des personnes qui tournaient autour de ce dossier qui étaient des personnes au bureau du premier ministre. Ça a été très bref. Et je pense que c'est au gouvernement à décider ce qu'il a à décider dans ces choses-là.

Moi, je représente un point de vue d'un négociateur. Bon. J'ai un mandat du gouvernement du Québec et je vais le défendre jusqu'au bout. Je considère que le gouvernement est absolument légitimé dans la décision qu'il a prise dans ce cas-là compte tenu du fait qu'il y avait déjà... qu'on n'a pas les règles du jeu avec l'Europe encore, c'est ça qu'on est en train de négocier, et que bien des gens, à l'occasion de négociations, adoptent des approches qu'ils anticipent comme peut-être pouvant être mises en péril plus tard. Donc, ils profitent de la légalité existante au cas où elle puisse être différente, ce qui ne veut en aucun cas dire qu'elle sera différente au bout de cette négociation.

Pourquoi? Parce qu'il faudra bien s'entendre avec les Européens sur cette question comme sur d'autres. On ne peut pas être les seuls à faire des concessions, même sur les marchés publics, et ils le savent. Et je vous dirais que, oui, ça fait du bruit, beaucoup ici, un peu moins en Europe, honnêtement, là, ça n'a pas fait la première page des journaux puis des bulletins à tous les jours. En fait, beaucoup moins, hein, pour tout dire. Et, ici, ça nous préoccupe, puis il ne faudrait quand même pas donner une ampleur qui n'est pas nécessaire à ce dossier.

Je peux vous dire que ça n'a pas modifié la qualité de l'échange et du niveau d'échange. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec le responsable des affaires commerciales d'Espagne hier, et il a manifesté le fait que le ministre du Commerce espagnol était préoccupé de cette question. Il m'a dit pourquoi; je lui ai expliqué quelle était la décision. Il y avait des éléments d'information essentiels dans cet échange. Ces échanges sont toujours de nature purement rationnelle, je dirais, un peu froide même, difficile pour un tempérament irlandais, mais néanmoins ces échanges sont purement rationnels. Et ça n'empêche pas qu'en fin de course on souhaite se revoir bientôt, quand je le verrai à Ottawa, dans quelques jours, pour la négociation. Et je suis sûr que j'irai prendre un repas avec les Espagnols.

Cela dit, je ne suis pas sûr que j'irai prendre un repas avec le président de la société qui se considère lésée. L'intérêt commercial puis l'intérêt d'État ne peut pas toujours être le même. L'intérêt commercial, c'est l'intérêt commercial de société, ici, Bombardier, en France, Alstom, ensemble, Bombardier-Alstom, ça, ça fait des gens contents, je présume. Bon. Et puis l'autre société, la société espagnole, qui, elle, n'est pas très heureuse que le processus ne soit pas allé plus loin. Puis, au-delà de ca, bien il y aura les États qui regardent le moyen puis le long terme, puis c'est ça notre boulot. Puis, même si ça fait un peu de bruit pendant un certain temps, on garde le cap.

M. Bonnardel: Donc, vous nous confirmez avoir quand même donné des avis, sans être des avis légaux, avoir donné des avis à certaines personnes... à certaines personnes qui sont proches du gouvernement sur...

M. Johnson (Pierre Marc): J'ai exprimé quelques opinions, mais ce n'est pas...

M. Bonnardel: C'est ça. O.K. Les médias internationaux, pour ce que vous en dites, certains ont commencé, sur des sites de presse internationaux, M. le Président, comme Reuters, les échos AFP, à parler de ce contrat, et je vous lis juste un titre sur celui de Reuters qui est daté d'hier, ça se lit, en anglais: Québec legislation will skirt regular bidding process. Quand le premier ministre du Québec, je peux dire, peut-être désavoue une entreprise internationale comme CAF, puis je ne prends pas la défense de CAF ici aujourd'hui, mais, quand on voit le contrat qui a été signé en l'espace de quelques jours en négociation, que le prix autant de Bombardier ait baissé de près de 600 millions et que celui de CAF aussi ait baissé, et que le premier ministre se dise surpris que CAF ait été capable, eux aussi, de baisser le prix, mais Bombardier aussi l'a fait dans le contexte de concurrence, j'imagine que, comme vous le disiez tantôt, vous ne trouvez pas ça un peu difficile, dans les négociations que vous avez avec les pays européens, de voir qu'une entreprise aussi importante, qui a fait des trains partout dans le monde, ait à se faire désavouer par le premier ministre du Québec lui-même?

M. Johnson (Pierre Marc): Vous me mettez dans une position un peu, je dirais, étrange, inhabituelle. Moi, j'ai un mandat de négociation.

M. Bonnardel: Oui.

M. Johnson (Pierre Marc): Je considère, encore une fois, que le gouvernement n'a rien fait d'illégal, il était parfaitement en légitimité... il était en toute légitimité en position de prendre cette décision. Il l'a prise, et la négociation s'accommodera de cette question et intégrera cette question. Et, non, je n'ai pas eu d'écho encore, peut-être, qui aille au-delà de cet échange très cordial, très poli et très clair avec le représentant du gouvernement espagnol. Mais je vous dirais encore une fois que je ne peux pas revenir sur les dimensions domestiques, sinon que de vous dire, pour avoir pris connaissance de la documentation et des analyses qui sont faites au ministère, ici, au MDEIE et ailleurs, que le gouvernement du Québec a pris une décision qui était légitime et qui n'est pas odieuse, là. Ce n'est pas comme une expropriation sans indemnité, là. On se comprend? Ça, disons que c'est un peu plus à l'est que ça s'est déjà fait.

M. Bonnardel: Oui, oui. Merci.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Shefford...

M. Bonnardel: Alors, vous serez sûrement un de nos... un des bons négociateurs pour apaiser les marchés européens sur la décision.

Le Président (M. Drainville): M. le député de Shefford, juste avant de vous laisser continuer...

M. Bonnardel: Oui.

Le Président (M. Drainville): ...j'aimerais vous saluer, M. Johnson, je dois malheureusement quitter. Je vais laisser ma place à mon confrère d'Arthabaska, le vice-président de la commission. Ça a été un honneur de présider cette audition. Je vous retourne la parole, M. le député de Shefford. Merci.

M. Johnson (Pierre Marc): Je vous remercie, M. Drainville.

Accès aux marchés des
ressources naturelles

M. Bonnardel: Si je peux... si je peux y aller maintenant sur l'accès aux ressources naturelles, M. le premier ministre Johnson. Dans le contexte, c'est certain que, dans vos négociations, est-ce que les Européens vont demander à accès à certaines de nos ressources? On va parler du Québec nécessairement. Quand on voit la situation des gaz de schiste présentement, Hydro-Québec, notre eau; on pourrait même parler du monopole, aussi, que Gaz Métro a pour... qu'ils viennent de signer pour les 30 prochaines années à desservir le gaz naturel. Est-ce que les Européens veulent avoir accès à ces ressources pour ouvrir... Le monde des télécommunications: Qui ne se souvient pas que Bell Canada avait un monopole voilà 15-20 ans pour une ligne téléphonique, et il n'y a personne ici qui n'avait pas un téléphone, puis c'était Bell. Le marché s'est ouvert énormément, la concurrence est arrivée. Est-ce que, dans ce contexte, nos ressources naturelles aussi pourraient être... Hydro-Québec pourrait même être... en arriver à être concurrencée, ou gaz... le gaz, ou même des entreprises européennes pourraient venir exploiter peut-être les gaz de schiste à long terme?

**(17 h 30)**

M. Johnson (Pierre Marc): Il y a un certain nombre d'éléments dans votre question qui touchent... Dans le fond, c'est en gros, là, c'est la question du traitement national, hein? Si on dit: Personne n'a le droit d'exploiter l'hydroélectricité, sauf ceux mentionnés dans la loi d'Hydro-Québec ou d'une autre, dans le cas de ceux qui ont des droits historiques, autour de l'Alcan et de quelques autres, bien ça, c'est applicable pour les gens ici puis c'est applicable pour les gens de l'extérieur qui viennent ici. On traite tout le monde sur un pied d'égalité, c'est ça, le principe de base. Une fois qu'on a ouvert les marchés, c'est de ne pas, entre guillemets, discriminer contre quelqu'un du fait qu'il provient de l'autre territoire. Mais, comme je le disais tout à l'heure, tu sais, on affirme ces principes-là, puis après ça on fait des listes d'exceptions.

Alors, les listes d'exceptions, il y en a, par exemple, dans le cas d'Hydro-Québec, Hydro-Québec a un monopole partiel; on ne peut pas dire que c'est un oligopole, parce qu'il n'y a personne qui a vaguement la dimension de l'Hydro, à part d'Hydro-Québec, hein; il y a quelques petits producteurs qui fournissent leur énergie dans le réseau de transport vers les réseaux de distribution d'Hydro-Québec. Cette situation-là n'a pas à changer, à moins que le gouvernement décide de changer le statut d'Hydro-Québec; c'est une autre paire de manches. Il ne faut pas confondre l'accès, non plus, au marché public de ces monopoles du fait qu'ils sont des monopoles et qu'ils demeurent des monopoles. Je vous dirais que le monopole d'Hydro-Québec n'est pas mis en cause.

Et il est sûr que beaucoup d'entreprises européennes auraient les moyens d'être plus que de simples fournisseurs dans de grands secteurs économiques au Québec et au Canada. Pensez, par exemple, à l'énergie nucléaire en Ontario. Ils connaissent ça un peu, l'énergie nucléaire, aussi, hein, en Europe. Une des plus grandes au monde, AREVA, est française. Entre être un fournisseur de services puis être celui qui opère, qui exploite, qui transporte et distribue, ce n'est pas tout à fait la même chose, fournisseur de biens ou de services.

Alors, je vous dirais que jusqu'à maintenant, s'il y a eu des manifestations de préoccupations quant à certains monopoles au Canada, notamment dans le secteur de l'alcool, les Européens ne semblent pas vouloir se substituer aux monopoles qu'il y a au Canada.

Marchés monopolistiques

M. Bonnardel: Donc, vous sécurisez aussi la SAQ là-dedans, quand vous parlez d'un autre monopole qui est celui de l'alcool?

M. Johnson (Pierre Marc): Bien, je vous dirais que les Européens ont des préoccupations quant à certaines pratiques.

M. Bonnardel: Parce que, excusez-moi, on vient de signer une entente, là, avec la CSN et la FTQ pour aller voir les marchés internationaux, être capables de jouer encore plus... d'être un joueur encore plus majeur. Alors, j'imagine que, de ce côté-là aussi, ils vous ont posé des questions.

M. Johnson (Pierre Marc): Mais tous les monopoles, dans le monde entier, agacent ceux qui négocient des accords de libre-échange. Pourquoi? Parce qu'ils occupent une place de marché qui est exclusive. Puis, une fois qu'ils occupent ça, ils imposent leurs règles à ceux qui sont dépendants d'eux. Alors, vous pouvez penser que, notamment en matière de distribution de l'alcool, des gens qui sont habitués au régime américain, où c'est, État par État, légiféré à peu près aussi compliqué qu'ici, mais souvent des endroits où il n'y a pas de monopole, donc il y a un accès plus diversifié, moins complexe, moins de négociations entre les intérêts, parfois, diraient-ils, moins de bureaucratie, mais ça, c'est autre chose, c'est une question d'appréciation... alors, tous les monopoles agacent ceux qui s'intéressent au libre-échange et ceux qui croient à la liberté de marché.

Alors, c'est sûr que l'accord qu'on veut conclure avec l'Europe, c'est un accord qui est basé sur des principes de base des lois du marché. Cependant, est-ce qu'on se comprend qu'ils savent c'est quoi, un monopole, eux aussi, hein? Alors, ce n'est pas une invention canadienne ou québécoise que les monopoles, et que tout le monde a dans sa soupe un certain nombre de choses qu'il voit chez l'autre, et ça s'adonne qu'eux aussi ont des monopoles, nous aussi, on a des monopoles. Et je pense que, sur ces questions, l'équilibre sera atteint peut-être sans trop de drames. Cela dit, c'est une bonne occasion pour les monopoles de remettre en cause leur mode de fonctionnement, et de voir et de réapprécier dans quelle mesure ils peuvent bénéficier de la multiplication des fournisseurs pour être capables de donner des meilleurs prix en fin de course aux consommateurs.

M. Bonnardel: ...parce que... Merci...

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): M. le député de Shefford, très rapidement.

M. Bonnardel: Ça, c'est une... Ça, c'est une bonne question, à la fin, que vous m'ameniez, mais...

Nature de la participation du
Québec aux négociations (suite)

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): On y reviendra. M. Johnson s'est d'ailleurs proposé pour revenir nous voir de temps à autre. À ce sujet-là, M. Johnson, permettez-moi de vous saluer. Avec la permission de mes collègues, même si je n'outrepasse pas mes droits, puisque j'ai des droits, comme vous, mes chers collègues, j'aimerais vous poser quelques questions, M. Johnson, mais en introduction simplement vous dire que cette commission a des privilèges, celui de vous recevoir, bien sûr, parce que les invités qui sont reçus à notre commission sont invités pour un paquet de raisons: parce qu'ils sont très compétents, parce qu'ils ont une excellente réputation, par conviction inébranlable, et j'ose croire et j'ai le plaisir de croire que c'est pour toutes ces raisons-là que vous êtes ici avec nous aujourd'hui. Donc, bienvenue à notre commission, vous êtes un invité de marque, et je voulais le souligner.

Je suis particulièrement interpellé et surtout intéressé par le rapport que vous voulez établir, l'approche de négociation que vous voulez établir avec l'Union européenne. Dans cet esprit-là, ça m'intéresse sincèrement de savoir, là, dans... Même si vous en avez parlé, puis vous l'avez dit à plusieurs reprises, il y a des raisons pour lesquelles l'Union européenne est intéressée à faire un accord avec le Canada. Vous avez nommé certain éléments, comme par exemple celui de tâter les marchés, d'en connaître un peu plus, celui aussi d'avoir une entente avec un pays développé comme le Canada. Mais, dans l'organisation des négociations, il y a éventuellement un rapport de force qu'il va falloir établir, là, un rapport -- et je ne le dis pas de façon péjorative, là -- et ça, vous en avez parlé un peu, comment vous voulez l'instituer, ce rapport-là, puis pas nécessairement... Et là je le redis, là, ce n'est pas péjoratif de le dire, il faut créer, en négociation, un certain rapport, vous êtes le mieux placé pour le savoir. J'aimerais connaître un peu plus votre façon de travailler à ce niveau-là. Et vous savez que vous avez... Ils sont de rudes adversaires, là, l'Union européenne, pour le travail qu'ils font en négociation, ils l'ont prouvé avec la négociation qu'ils font avec l'OMC. Comment vous vous y prenez pour vous assurer que ce rapport de force là sera établi et qu'éventuellement il vous servira dans le futur?

M. Johnson (Pierre Marc): Ce serait intéressant d'entendre ce que Steve Verheul, le négociateur fédéral, a à dire là-dessus, puisqu'il a négocié, lui, pendant près de 10 ans à Genève sur les questions agricoles, un dossier, vous le savez, qui n'est pas un dossier facile pour le Canada à cause de la gestion de l'offre, parce que le Canada a été marginalisé avec quelques autres pays autour de cette question, puisque le choix, en général, de la plupart des pays, c'est de subventionner le monde agricole au lieu de leur donner un système comme celui de la gestion de l'offre. Alors, M. Verheul, je peux vous dire, connaît pas mal ça, le rapport de force, tu sais, parce qu'il en avait 10 de son côté puis 75 contre lui pendant 10 ans. Alors, je pense qu'il y a des habiletés, là, du côté de M. Verheul qui sont rassurantes pour les Québécois, notamment sur la question de la gestion de l'offre et la connaissance intime qu'il a de ce dossier.

Le rôle du Québec dans ce dossier, c'est de faire prévaloir les orientations, dont certaines que j'ai pu évoquer ici assez clairement, auprès du gouvernement fédéral et aussi parfois directement auprès des Européens, mais dans un contexte où nous cherchons toujours, je dirais, une attitude appropriée dans cette négociation complexe. Il ne faut surtout pas permettre que le Canada parle de trois, quatre, huit, 12 voix séparées, alors que l'Europe parle d'une seule voix unifiée. Eux ont à régler leurs problèmes de régie interne à travers un organisme où sont présents les représentants des États, et, nous, on fait la même chose, mais pas à travers un organisme ou une institution reconnue, mais à travers une pratique qui est en train de se mettre sur pied. Et cette pratique-là nous permet de faire des alliances avec certaines provinces sur certains sujets, faire des alliances avec d'autres sur d'autres sujets.

**(17 h 40)**

De temps en temps... Moi, par exemple, je quitte pour la Belgique à la fin de la semaine. J'irai rencontrer, sans la présence de M. Verheul mais grâce aux bons offices de la Délégation du Québec à Bruxelles, dirigée par M. Sirros, et la collaboration des autorités fédérales auprès de la Commission européenne, j'irai rencontrer des gens d'un certain nombre de directions générales pour parler des sujets qui ne sont plus... je dirais, plus sensibles, dans certains cas. Seront présents dans ces réunions très peu de gens du côté du Québec. Et j'ai invité mon collègue M. Bitran, d'Ontario, de participer à cette tournée. Et là vous avez 75 %, Québec, Ontario confondus, du commerce entre l'Europe et le Canada. Et, quand, M. Bitran et moi, on va pouvoir s'entretenir en présence de représentants fédéraux à certains auditoires... devant certains auditoires, et, à une ou deux exceptions près, nous aurons l'occasion de montrer, d'une part, qu'il y a une volonté très précise et du Québec et de l'Ontario d'aller de l'avant, alors que c'est ça, le doute, depuis le début dans l'esprit de beaucoup d'Européens, c'est dans le fond: Est-ce que l'Ontario puis les autres provinces sont là ou est-ce que c'est seulement le Québec? Bien, l'Ontario est là. Et on a livré puis on va démontrer que ça intéresse aussi l'Ontario à un très haut niveau, ce qui se passe, notamment dans les questions de coopération.

Alors, ce que vous appelez le rapport de force, oui, on l'exerce, mais on l'exerce dans un cadre, je dirais, assez discipliné, avec prudence et en espérant que d'autres y trouvent leur intérêt autant que nous. C'est un peu ce qu'on va faire dans la mission qu'on fait en Belgique.

Impact d'une entente sur les
relations avec d'autres pays

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, dans la conclusion de ce rapport de force là, on devrait signer une entente dans les deux prochaines années. J'ai envie de vous demander quelles seront nos obligations, au Canada entre autres et au Québec, sur la relation qui existe avec d'autres partenaires de l'ALENA, par exemple. En quoi on va être... on peut être liés par les décisions qui vont être négociées à l'intérieur de cette nouvelle entente là? Et d'autres pays avec lesquels on a d'autres ententes?

M. Johnson (Pierre Marc): En principe, ce n'est pas tout à fait des silos, mais théoriquement ce sont des silos. On a une entente avec les États-Unis et le Mexique qui s'appelle l'ALENA. Il y a des règles qui sont prévues là-dedans. Il y a des concessions qui ont été faites de part et d'autre sur différents sujets. Et cette entente-là, elle est là puis elle est assez figée dans le ciment. Puis là on est en train d'en négocier une autre, qui peut être différente, avec les Européens. Pourquoi? Parce que les concessions ne seront pas les mêmes, parce que les gains qu'on recherche ne sont pas nécessairement les mêmes. Compte tenu de notre économie, compte tenu du type de tarif qui s'applique, compte tenu des appétits européens pour certaines choses par opposition à d'autres, il est clair que cette entente ne sera pas la même que celle de l'ALENA.

Là où la dimension problématique pourra se poser, ce sera plus sur les règles d'origine de part et d'autre. Dans quelle mesure nous laissons pénétrer des produits européens sur notre territoire, qui voudront ensuite, eux, s'en aller vers les États-Unis? Parce que, s'ils veulent aller vers les États-Unis, dans le cadre du libre-échange, il va falloir qu'ils respectent les règles d'origine qui sont prévues dans l'accord de l'ALENA. Et la même chose pour nous. Alors, c'est pour ça qu'on essaie de négocier des règles d'origine les plus souples possible. Les Européens savent notre intérêt pour ça. Ils connaissent en même temps l'intérêt pour eux à très long terme, si ce n'est pas à long terme que d'avoir une relation commerciale de plus en plus dense avec l'Amérique du Nord en passant par nous.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Et va pour la règle d'origine, mais pour la clause de la nation la plus favorisée, dans un traité comme celui-là?

M. Johnson (Pierre Marc): Le... je m'excuse, je n'ai pas entendu le début de la phrase.

Clause de la nation la plus favorisée

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): La règle de l'origine, c'est compréhensible de la défendre, mais, sur la clause de la nation la plus favorisée lors d'un échange, par exemple, ou d'une entente commerciale avec...

M. Johnson (Pierre Marc): La clause de la nation la plus favorisée joue de façon bilatérale, elle ne joue pas de façon plurilatérale. Alors, on donne la clause de la nation la plus favorisée aux Américains sur un certain nombre de choses qui sont qualifiées, conditionnelles, décrites, avec ou sans exceptions, puis on fait la même chose avec les Européens.

Alors, en cours de route, jusqu'où est-ce qu'on aura accordé à l'un ou à l'autre ce qui lui permet... enfin, jusqu'où est-ce qu'on aura accordé aux Européens des conditions qui vont devoir permettre aux Américains... qui vont permettre aux Américains d'avoir plus facilement accès à nos marchés? ce sont des choses qui vont se déterminer dans le temps en fonction de chacun des sujets. Dans le cas des tarifs, c'est un peu plus simple que dans le cas des services, que dans le cas de l'accès aux marchés publics, qui font l'objet d'un troc très différent de qu'on fait entre les États-Unis et le Canada puis entre l'Union européenne et le Canada.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci beaucoup, M. Johnson. M. le député de Abitibi-Témiscamingue, il nous reste quelques minutes.

Segmentation d'une éventuelle entente

M. Bernard: O.K. Merci, M. le Président. Bien, en fait, M. Johnson, je vais continuer sur cette lancée-là, parce que je regarde, depuis le début, depuis que les travaux sont lancés, il semble qu'il y a une volonté ferme de part et d'autre d'arriver à des ententes. Toutefois, vous avez très bien souligné dans vos derniers échanges qu'il y a des secteurs où ça risque d'être plus problématique. Je regarde, par exemple, vous avez parlé plus tôt, au niveau de l'agriculture, de la gestion de l'offre, mais vous avez parlé, entre autres, de tout qu'est-ce qui est organismes de certification, d'appellation, et autre, que, je pense, est très complexe.

Alors, est-ce qu'on peut envisager, dans l'échéancier que vous vous étiez fixé, d'arriver avec une entente qui touche, entre autres, tout ce qui est services, haute technologie, donc produits à valeur ajoutée, tout qu'est-ce qui est un peu une économie très, très... comme on a ici, du côté européen, et par la suite de se faire un horaire de négociation pour les enjeux qui retouchent plus les biens, pour permettre, plus tard, de tout aplanir les difficultés tarifaires et non tarifaires?

M. Johnson (Pierre Marc): D'abord, tout ce qui touche les produits, ça passe par les tarifs, hein. Bon. Et c'est une énorme négociation, puis qui a commencé au tout début, puis il y a eu même des offres qui ont été faites assez rapidement. C'est le seul secteur où il y a eu des offres qui ont été déposées entre les parties. Ce qui ne veut pas dire que le résultat final, c'est ce que chacun a mis sur la table, parce qu'il y en a... chacun qui s'est protégé. Nous, on s'est protégés notamment sur la gestion de l'offre.

Donc, nous revoyons les 15 000 lignes tarifaires. Disons que je n'ai pas à les revoir une par une. Il y a heureusement des services à Ottawa qui s'occupent de ça, et les équipes du ministère les voient en fonction des secteurs industriels, et il y a une connaissance approfondie du développement de ces secteurs-là au Québec, au ministère. Et on voit dans l'offre canadienne ce qu'on souhaite voir modifier ou, dans l'offre européenne, ce qu'on souhaite voir modifier.

Ce qui permet, en cours de négociation, même de faire des consultations. Ces consultations, même informelles, hein... Je demandais récemment à quelqu'un qui est dans un domaine hyperspécialisé en technologie, dans les nouvelles technologies, là, qui s'annoncent dans le secteur énergétique: Toi, as-tu un problème? Il dit: Non, non. Puis, le lendemain, il m'envoie un courriel, tu sais. Elle dit: C'est vrai, nos produits sont tarifés à 2,5 % quand ils arrivent en Angleterre. On ne sait pas, nous, nécessairement ce que ça représente pour tout le monde tout le temps, à moins qu'ils nous le disent. Et c'est pour ça que le fédéral, dont c'est le juridiction, en matière tarifaire, a organisé des consultations extrêmement vastes avec les secteurs industriels, et, nous, on a alerté un certain nombre de nos secteurs qui ont des intérêts offensifs vers l'Europe de le faire.

Du côté défensif, à part du secteur de la gestion de l'offre où... disons que c'est assez coulé dans le béton, puis les gens le savent, le reste est ouvert à du quiproquo puis de l'échange. Alors ça, ça va se régler là, et on peut penser que ça va se faire dans les nouvelles technologies.

**(17 h 50)**

Je rencontrais récemment, dans la consultation... pas récemment, il y à peu près six mois, j'ai rencontré le représentant d'une association que je ne peux pas identifier ici mais qui représente une industrie qu'on voyait comme une industrie dite traditionnelle. J'ai dit: Vous, vous êtes protégé par tel tarif. On dit: Ça ne nous intéresse pas. Pourquoi? Parce qu'on n'en fait plus vraiment, de ça. Le marché s'est ainsi segmenté que, nous, on fait ce produit-là dans ses caractéristiques les plus solides, les plus fiables, et puis tel pays européen les fait plus par le design, puis ça intéresse des clientèles puis des marchés différents, donc, nous, on n'est pas intéressés à ce que vous nous protégiez avec ça, mais, s'il vous plaît, voulez-vous faire abolir par le Canada le tarif qui met ces machines industrielles qui viennent d'un pays que je ne peux pas nommer et dont on se sert pour faire nos produits? Alors, lui, son intérêt c'est que le Canada abaisse ses tarifs pour être capable d'importer une machine qu'on ne fabrique pas ici, pour être capable de faire l'objet dont je vous parle, que j'aimerais bien donner, parce que je viendrais de vous identifier la consultation, je n'ai pas le droit. Mais j'ai remarqué quelques hochements de tête, je pense qu'il y a des gens qui savent de quoi je parle comme produit. Et c'est ça. Les découvertes de l'adaptation d'une société à la technologie, ça se fait aussi par ça.

Quand j'étais au gouvernement, il y a 25 ans, plus que ça comme membre du Conseil des ministres, il y avait un énorme débat autour à la fois de la protection de l'industrie du textile, des vêtements, de la chaussure... j'essaie de m'en souvenir, il m'en manque un, et ces industries, pour qui l'Accord de libre-échange et l'ouverture, à cause de l'OMC, sur des produits provenant des pays en voie de développement se sont ultimement adaptées. Et ça, ça veut dire qu'il faut que tu intègres le changement. Et, quand j'ai vu cette personne, qui venait d'un de ces secteurs, venir me dire ça, j'ai dit: Eux, ils ont gagné. Ces industries-là ont vraiment gagné. Ils sont devenus parmi les plus performants au monde dans leurs secteurs, puis là ils veulent être capables d'aller chercher des machines en Europe à moindre prix en abolissant le tarif. Et ils voient cette négociation-là comme étant remarquable pour être capables de sensibiliser les gens à l'existence de leurs produits et les réseaux de distribution qu'ils pourront trouver en Europe.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va, M. le député de... Oui, M. le député de Drummond.

Propriété intellectuelle

M. Blanchet: Merci, M. le Président. Messieurs, madame, M. Johnson, bonjour. Je ne peux pas m'empêcher d'avoir une réflexion à l'effet que ça a l'air absolument fascinant comme exercice et j'essaie d'imaginer comment ce serait encore plus fascinant si on le faisait juste pour le Québec!

Cela dit, vous avez une liste de sujets... il y a une liste de sujets qui nous ont été mentionnés, et, à certains endroits, le Québec est présent aux séances de négociation et, sur certains autres sujets, le Québec n'est pas présent aux séances de négociation. J'en relève quelques-uns qui sont pertinents pour les milieux et les industries culturels. Celui... le sujet général des subventions, j'assume que les industries culturelles sont protégées par l'exception culturelle, dont vous nous avez dit qu'elle est couverte dans l'exercice et que ça n'en fera pas partie.

Par contre, je vois, dans les autres sujets, le sujet de la propriété intellectuelle. Donc, la propriété intellectuelle serait sur la table, serait parmi les sujets qui sont objets de discussion, et vous n'êtes pas sans savoir l'extrême importance que la question de la propriété intellectuelle et du droit d'auteur a sur l'ensemble des industries culturelles: cinéma, littérature, télévision, musique, jeux vidéo. Et je veux savoir, autant que faire se peut: Quelle est la position du Canada sur ces questions-là et quelles sont les représentations que vous faites, au Canada, sur ces questions-là pour le meilleur intérêt des industries culturelles québécoises?

M. Johnson (Pierre Marc): Alors, la propriété intellectuelle, la notion qui est évoquée là couvre trois aspects. Il y a évidemment la question des droits d'auteur qui pourra être soulevée, mais, dans la mesure où il y a une exception culturelle, une exemption culturelle, ça ne devrait pas être un problème.

Il y a, deuxièmement, les marques de commerce, la protection d'un nom, d'un «branding», si vous me passez l'expression, et ça, il y a une problématique un peu particulière dans le cas du Canada. Le Canada est un des rares pays développés ou à forte croissance à ne pas avoir adhéré à ce qu'on appelle le protocole de Madrid. Le protocole de Madrid permet à quelqu'un qui invente un produit et qui lui donne un nom d'inscrire ce nom et de le réserver dans l'ensemble des pays qui font partie du protocole de Madrid simplement en envoyant en envoyant au secrétariat de la convention le nom des pays où il veut que son nom soit protégé, et payer une somme relativement minime, là, on parle de même pas 100 $. Pour profiter de ça, les industries du Québec auraient besoin que le Canada adhère, parce que le Canada n'a pas adhéré à la convention de Madrid. Ce qui veut dire, en réciproque, que toute entreprise européenne qui veut ici enregistrer une marque de commerce doit faire affaire avec une filière très spécifique. Elle ne peut pas se protéger en envoyant ça au secrétariat à Genève -- je pense que c'est à Genève, si je me souviens bien -- et est obligée d'engager des avocats qui vont faire le boulot. Bon. Mais c'est la même chose pour un Québécois qui veut le faire ailleurs, il est obligé de se trouver un agent local qui va enregistrer son nom. Alors ça, je dirais, c'est la toile de fond qu'il faut avoir à l'esprit en matière de marques de commerce.

La troisième dimension de la propriété intellectuelle, ce sont les brevets. Ça, c'est une autre paire de manches, et ça, c'est l'invention et la protection pas seulement sur le nom, mais sur le contenu de l'invention, et la capacité pour d'autres de reproduire cette invention. On pense évidemment aux inventions de molécules dans le secteur pharmaceutique et de bien d'autres, et ça va aller en s'accélérant, dans le secteur biotechnologique, à vitesse grand V. Et, là-dessus, il y a des enjeux assez complexes, hein, au Canada, parce que notre industrie pharmaceutique, longtemps, encore heureusement, grâce à un certain nombre d'appuis, je présume, est un endroit où on développe beaucoup des nouvelles molécules, alors qu'il y a plus d'industries en Ontario dans le secteur pharmaceutique qui, elles, font ce qu'on appelle les génériques, donc qui n'attendent que la fin du brevet pour être capables de reproduire. Et voilà un bel exemple où les intérêts ne sont pas tout à fait les mêmes entre les groupes.

Quant aux Européens, leur position est plus près de la position américaine puis, je vous dirais quasiment, de la nôtre, au Québec, en termes des intérêts; c'est une position assez radicale sur la protection des brevets. Les Américains, là-dessus, sont très, très exigeants, y compris... Moi, ma grande découverte de ça, c'est, il y a une vingtaine d'années, aux États-Unis, j'étais allé, j'avais un mandat d'un groupe ici pour les représenter auprès d'un groupe scientifique, et j'ai rencontré des inventeurs, et j'ai rencontré la personne qui avait inventé les petits morceaux de caoutchouc mousse qu'on met sur ça pour que ça soit un peu plus ergonomique. Je me suis rendu compte qu'il y avait un brevet protégé pour 15 ans. Et ce qu'il faisait, c'est qu'il vendait des petits morceaux de caoutchouc mousse que je pouvais découper, moi, à la maison, là.

L'approche sur la propriété intellectuelle et le brevet est une approche qui est fondamentale dans l'évolution de nombreux pays et qui est fondamentale autour du concept d'innovation. Le gouvernement canadien connaît nos préoccupations sur cette question et les connaîtra de plus en plus au fur et à mesure de la négociation. Nous sommes conscients que, là-dessus, on a des intérêts qui sont différents d'un certain nombre d'autres ou à l'égard desquels d'autres sont indifférents au pays. Et nous verrons tout ce que cela peut produire dans les mois qui viennent.

En ce qui concerne le secteur culturel, je vous dirais que je ne vois pas en quoi -- ou peut-être savez-vous des choses, là, que je n'ai pas vu passer -- je ne vois pas en quoi, sur le plan des droits d'auteur, il y aurait des préoccupations à l'égard de l'accord.

M. Blanchet: La préoccupation pourrait être relativement précise en ceci, que chaque État doit mettre en place... met en place des mesures de protection du droit d'auteur en particulier compte tenu du phénomène du piratage, et les États ont pris des mesures plus ou moins sévères. Il pourrait y avoir une incidence. Cela dit, si vous interprétez ou si vous comprenez que l'exception culturelle inclut cet aspect du droit d'auteur de façon ferme, on est peut-être en relative sécurité.

Propriété des entreprises
de télécommunications

Un autre aspect, par contre, qui est une autre table à laquelle que le Québec ne participe pas activement, c'est sur la propriété des entreprises de télécommunications, qui est aussi un enjeu majeur au Canada en général et en particulier au Québec, d'autant plus...

C'est d'autant plus exact que, si on revient à la notion de la nation la plus favorisée, l'ALENA contient une clause de la nation la plus favorisée, et on peut donc supposer que, si, dans une entente avec l'Europe, le gouvernement fédéral, qui n'est pas du tout un chaud protecteur de la propriété canadienne des entreprises de télécommunications, on le saura, s'il fallait qu'il y ait des compromis de faits là-dessus, immédiatement les États-Unis invoqueraient la clause de la nation la plus favorisée, et la propriété canadienne des entreprises de télécommunications risquerait d'être sérieusement menacée. Et je voudrais savoir comment vous interprétez ou vous lisez cette situation-là.

**(18 heures)**

M. Johnson (Pierre Marc): Oui. Je ne pense pas que la clause de la nation favorisée, dans l'ALENA, permettrait ça, mais c'est peut-être un débat inutile, là. Jusqu'à maintenant, la... D'abord, la position du Québec, c'est de dire qu'il faut protéger la propriété canadienne d'un certain nombre de choses, et ça comprend le secteur de la radio-télévision, donc les contraintes qu'on impose, le nombre... le contrôle du conseil d'administration, le contrôle du capital votant, etc., ce qui est pris notamment dans le secteur de la radio-télévision.

Le gouvernement canadien, dans le discours du trône, le dernier ou l'avant-dernier discours du trône, a laissé entendre que le Canada pourrait s'ouvrir à la propriété étrangère, et je dois vous dire que je n'ai pas vu, dans la négociation, de traduction de ce que j'ai entendu dans le discours du trône. Pour le moment, ce que je vois, c'est la position traditionnelle de sauvegarde du secteur de la radio-télévision. Et, en fait, par le biais de la définition de c'est quoi, la culture -- ça aide, merci! -- comme ça peut se faire au niveau des investissements, mais dans la mesure où on peut définir la radio-télévision comme faisant partie de l'exemption culturelle, ça en serait donc sorti.

Et c'est la position que nous défendons. Et, encore une fois, je vous dirai que, sur le plan des négociateurs, jusqu'à maintenant, c'est ce qu'il semble avoir prévalu. Mais je suis bien conscient que derrière ça il y a un geste politique, là, qui a été posé dans un discours du trône il y a un certain nombre de mois et dans lequel on disait qu'on ouvrirait. Alors, je ne sais pas si le gouvernement fédéral entend modifier les mandats de ses négociateurs. S'il entend faire ça, bien il va voir que, du côté du Québec et probablement de l'Ontario, il va avoir une résistance assez solide à ça, et peut-être aussi dans le cas des Maritimes; c'est moins clair.

Je suis convaincu, moi, que, dans le cas de l'Ontario, pour des raisons tout à fait similaires, hein... Nous, on défend le caractère spécifique du Québec notamment autour de la langue. En Ontario, ils défendent le caractère spécifique de l'Ontario à l'égard des Américains en disant il y a une telle chose qu'une culture canadienne qui parle anglais, et puis, nous, on se sent menacés par les Américains. Ils ont développé tout un discours qui a permis la Convention de l'UNESCO, entre autres, où Mme Beaudoin a eu des appuis solides venant du Canada anglais sur cette question.

Et je me dis que probablement que, dans le secteur radio-télévision, on pourrait voir ce même mouvement, mais, encore une fois, jusqu'à maintenant, la question ne s'est pas posée.

Accès aux marchés des
ressources naturelles (suite)

M. Blanchet: Je vais aller sur un tout autre sujet mais qui va repartir encore de la question de la clause de la nation la plus favorisée: au niveau des ressources naturelles. Je n'imagine pas des containers d'eau partir pour l'Europe, mais les Américains trouvent que notre eau est bien séduisante pour l'avenir à long terme. Si d'aventure une entente de libre-échange avec l'Europe ne couvrait pas explicitement ou n'excluait pas explicitement l'eau, ça ne changerait pas le désir des Européens d'en avoir, trop complexe, mais ça créerait le précédent et ça ouvrirait la porte pour que les Américains invoquent la clause de la nation la plus favorisée pour augmenter l'intensité d'un débat qui a déjà cours par rapport au désir à moyen terme qu'ils auront de s'approprier l'eau souterraine canadienne.

Donc, est-ce que c'est une préoccupation, ne serait-ce qu'à titre de mesures préventives, parce que je suis pas convaincu que les silos dont vous parliez soient très étanches?

M. Johnson (Pierre Marc): Je trouve ça un cas de l'eau, hein? Ça fait de l'osmose pas mal! D'abord, il faut dire une chose, il n'est pas question de privatisation des réseaux de distribution d'eau, dans cette négociation. L'ouverture des marchés publics ne signifie pas le changement et le mode d'exécution par les municipalités. S'il y a des municipalités qui ont consenti à des PPP ou encore au secteur privé la gestion de l'eau, bien ils pourront continuer de le faire. Mais ce n'est pas l'enjeu de la négociation. Ce n'est pas de dire: Dorénavant, toutes les municipalités devront ouvrir leur système de gestion de l'eau aux entreprises. Pas du tout. Dans bien des cas, c'est le monopole de la municipalité, puis elle décide de le garder. Donc, les règles ne changent pas par ça.

Deux, le gouvernement du Québec s'est donné une loi-cadre sur l'eau; je ne vois pas en quoi cette négociation viendrait la modifier autrement que si elle discrimine de façon spécifique contre des intérêts européens. Je ne pense pas qu'elle discrimine. Et le but de la négociation n'est pas de changer le cadre qu'on s'est donné quant à la gestion de l'eau de façon générale au Québec.

M. Blanchet: Malgré ça...

M. Johnson (Pierre Marc): Et, quand vous parlez de l'eau, là, est-ce que vous parlez de l'eau embouteillée ou de l'eau en vrac?

M. Blanchet: Je parle de l'eau en grand volume. Parce que ce que vous dites, le raisonnement que vous faites est tout à fait applicable avec les États-Unis aussi dans le cadre de l'ALENA. Or, pourtant, les pressions sont de plus en plus considérables pour que l'eau en vrac, si je peux m'exprimer ainsi, soit considérée comme un bien, comme une ressource naturelle et soit accessible, si on veut, à travers les pressions qu'ils vont exercer. Je comprends que ça ne s'en ira pas en vrac en Europe, mais je comprends qu'il y a le risque du précédent par une simple mention.

M. Johnson (Pierre Marc): Non. Si on parle d'embouteillage, par contre, d'eau de source, peut-être... Je ne vois pas pourquoi, si on a des entreprises au Québec ou même des américaines ou d'autres, pourquoi il n'y aurait pas d'européennes qui utilisent l'eau de source, dans la mesure où la législation du Québec est respectée et dans la mesure où on considère, oui, il y a un acteur de marché privé dans le secteur de l'embouteillage et la distribution de l'eau en bouteille. Bon. C'est de ça qu'on parle.

Sur l'eau en vrac, non, les Européens n'ont pas, à ma connaissance, pas manifesté d'intérêt. Puis, comme vous dites, ce serait un peu étrange, là, de s'imaginer qu'on va, je ne sais pas, remplir les pinardiers d'eau pour que ça...

M. Blanchet: ...l'enjeu serait le précédent.

M. Johnson (Pierre Marc): C'est ça. Alors, moi, non, je pense qu'il n'y a pas d'inquiétude. L'inquiétude que j'entends là comme un bruit de fond, pas chez vous, mais que j'ai entendue comme un bruit de fond dans d'autres milieux, c'est l'appréhension que soudainement on privatise tous les systèmes de distribution d'eau, et ce n'est pas ça, l'objet de la négociation. Voilà.

M. Blanchet: J'aurais une dernière question, si le temps... Oui?

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, le temps vous le permet, M. le député...

Craintes possibles à l'égard
d'une éventuelle entente

M. Blanchet: Le temps me le permet. Écoutez, elle est très, très, très générale. On a passé près de trois heures à en parler, et j'ai l'impression qu'il faudrait qu'on sorte d'ici en disant: Mais c'est merveilleux, c'est la plus belle invention depuis le pain tranché! Il n'y a pas de... il n'y a pas de coté négatif, il n'y a pas de danger, il n'y a pas de risque, il n'y a pas de secteurs qui sont d'une quelconque façon menacés par cette merveilleuse créature en train de se déployer devant nous. Il devrait y avoir quelque chose dont il faudra qu'on se méfie un peu plus, que ça vienne des aspirations européennes ou que ça vienne des différences d'intérêt entre le reste du Canada et le Québec. Pouvez-vous me dire si vous en avez identifié?

**(18 h 10)**

M. Johnson (Pierre Marc): Je disais tout à l'heure -- je vous remercie de cette question -- je disais tout à l'heure que, dans le fond, on est dans un univers de raison pure, dans ces négociations-là; il n'y a pas beaucoup de place pour l'émotion, il n'y a pas beaucoup de place pour les qualificatifs de nature émotive. C'est ça, c'est ça. C'est blanc, c'est noir. Non, ça va être gris. Très bien. Ce n'est pas «pourquoi ça va être gris», c'est: Non, ça va être gris. Maintenant, définissons la gamme de gris. Bon.

Donc, je trouve, moi, que, le jour où il y aura un accord, il y aura de quoi célébrer. Parce que, si on parvient à un accord, c'est-à-dire qu'on y trouve notre intérêt. Notre intérêt dépend des orientations que le Conseil des ministres donne aux négociateurs et du bilan que le gouvernement fera de ce qu'il a devant lui.

Qu'est-ce qu'il aura devant lui? Il aura devant lui des échanges de concessions. Il n'y a pas de changement sans concessions, il n'y a pas d'augmentation pour nous d'accès au marché européen sans concessions de notre part sur un certain nombre d'appétits européens. Mais, une entente satisfaisante, c'est celle qu'on pense qu'on va en ressortir gagnants, comme nous sommes ressortis gagnants de l'ALENA, comme nous sommes sortis gagnants de l'accord de libre-échange avec les Américains avant l'ALENA. Et nous en sommes sortis gagnants.

Pourquoi en sommes-nous sortis gagnants? Nous en sommes sortis gagnants parce que nous avons accepté le changement. Et il n'y a rien de plus difficile pour une société que d'évoquer le concept de changement. Pourquoi? Parce que ça présuppose que tout le monde peut se sentir menacé dans sa position, là où il est, dans son niveau de croissance, dans ses appétits de développement -- je parle ici essentiellement du secteur commercial. Je pourrais parler d'autres secteurs aussi qui pourraient se sentir menacés, mais en bout de ligne il appartiendra, pas aux négociateurs, mais à l'État, avec les moyens qu'il a, y compris les consultations parlementaires auxquelles il voudra bien s'adonner, de dire: Oui, très bien. On a ici un cadre qui est satisfaisant, et, oui, on va le mettre en vigueur. Parce qu'il faut aussi, évidemment, que le Québec qui participe à cette négociation en influençant la conduite, parfois en décidant d'un certain nombre de choses, en participant en des réunions formelles comme informelles à l'élaboration des positions canadiennes, il faudra à un moment donné accepter aussi que nous assumons le responsabilité des conséquences d'un traité de commerce qui va s'appliquer au Québec et que, dans certains cas, on modifie des lois en fonction de cela, parce qu'on aura choisi de le faire et qu'on accepte qu'il y ait de nouveaux acteurs de marché. Pourquoi? Parce qu'on pense que ça va offrir une plus grande diversité de produits aux citoyens sur le plan des produits ou des services, que ça va permettre une meilleure concurrence et l'acquisition des biens et des services à un meilleur prix dans un contexte de qualité.

C'est les règles de base de l'économie de marché. Ce qui ne veut pas dire que c'est abandonner le rôle de l'État, qui, lui, a à aller chercher une partie de la richesse générée par ces accords pour la redistribuer en société en fonction des lois que ce Parlement adopte. Et ça, ça ne changera pas.

Le Président (M. Bachand, Arthabaska): M. Johnson, sur ces mots inspirants, je veux, au nom de mes collègues, vous remercier pour votre grande disponibilité, et vous savez que vous êtes toujours le bienvenu à notre commission.

Et, sur ce, je lève donc la séance de la commission, ajourne ses travaux au mardi 19 octobre 2010, à 10 heures, où elle poursuivra un autre mandat.

(Fin de la séance à 18 h 13)

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