(Onze heures trente minutes)
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, je vous souhaite bonjour à tous et à toutes, mesdames messieurs. Si vous voulez bien prendre place.
Et donc, ayant constaté le quorum, je déclare la séance de la Commission des institutions ouverte. Donc, si vous avez des cellulaires ou des appareils électroniques qui pourraient nuire aux travaux, s'il vous plaît les fermer.
Donc, le mandat de la commission est de procéder à des audiences publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement et d'Administration gouvernementale et dans certains établissements.
M. le secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?
Le Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Drainville (Marie-Victorin) est remplacé par Mme Poirier (Hochelaga-Maisonneuve).
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, je vous rappelle rapidement notre ordre du jour, qui est le suivant: on va entendre, premièrement, la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec ainsi que M. André Drouin; et, à 15 heures, nous allons poursuivre avec le Mouvement laïque québécois, l'Institut Simone-De Beauvoir et Mme Marie-Claire Belleau. Et voici.
Donc, je me permets, M. Roy, une fois de plus et pour les nombreuses fois que je l'ai fait avec plaisir, de vous resaluer. Vous êtes, bien sûr, les bienvenus à notre commission, vous ne savez pas à quel point. Je vais aussi saluer Mme la députée de Joliette, madame... M. le député de Lac-Saint-Jean et Mme la députée de Rosemont, Mme la députée de Hull et de Gatineau et Mme la ministre, bien sûr. C'est un plaisir de vous voir ici. Et il y a aussi Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve. Aurais-je créé un impair? J'en serais désolé, si fût été le cas. Donc...
Auditions (suite)
Mais, compte tenu que ce ne l'est pas, M. Roy, donc je vous salue. Vous connaissez très bien nos règles: 10 minutes pour la présentation de votre mémoire, et, de part et d'autre, il y aura un échange qui nous permettra de mieux comprendre. Donc, à vous la parole, M. Roy.
Fédération des travailleurs et
travailleuses du Québec (FTQ)
M. Roy (René): Oui, merci, M. le Président. Et merci de votre invitation. Je suis accompagné d'Atïm Léon, qui est conseiller à la FTQ, à la recherche, et spécialiste de la laïcité.
Aujourd'hui, mon intervention sera courte, car il y a beaucoup à dire sur la laïcité mais bien peu de choses sur ce projet de loi n° 94. Pour bien situer la FTQ dans ce débat, rappelons que, dès le début du XXe siècle, les syndicats qui l'ont fondée étaient... avaient la laïcité des institutions publiques comme position commune, ce qui les distinguait clairement des syndicats catholiques, qui ont par la suite fondé la CSN. Ce n'est donc pas un thème nouveau pour nous. Au contraire, la nécessité de laïciser nos institutions publiques est une cause chère à la FTQ depuis sa fondation.
Alors, contrairement à cette époque pas si lointaine, la laïcité, ou la séparation des pouvoirs religieux et politique, est devenue un des grands principes qui organisent notre vie collective. Mais, malheureusement, c'est un principe encore non écrit, il ne figure pas encore dans les grands textes constitutionnels qui nous gouvernent, sauf, bien entendu, si on aime penser que la laïcité se résume à protéger la liberté de religion des individus. Ce n'est évidemment pas notre point de vue.
C'est donc cette absence de texte que cherche à combler le projet de loi n° 94, mais de façon bien incomplète. En effet, ce projet de loi ne répond pas à une foule de questions sur l'aménagement concret de la laïcité québécoise, les questions qui se posent quotidiennement dans les écoles, les hôpitaux et autres institutions publiques.
Dans la première partie du mémoire que nous avons soumis, nous expliquons clairement les raisons pour lesquelles, à notre avis, ce projet de loi est pertinent mais nettement insuffisant. Il est pertinent dans la mesure où il est devenu important de clarifier dans la loi les limites concrètes que notre société souhaite imposer à la liberté de religion des individus, et, dans le cas présent, il s'agit de clarifier qu'un service public s'offre et se reçoit à visage découvert, quelle que soit la conviction religieuse des personnes. Nous sommes tout à fait en accord avec cette limite à la liberté de religion.
Le texte précise aussi quelle est la définition que l'on doit avoir du concept juridique d'accommodement raisonnable. C'est bien, mais on ne voit pas en quoi la pratique actuelle des tribunaux s'en trouverait changée. Le gouvernement, d'ailleurs, n'a pas encore pris la peine de l'expliquer ni de la faire publier... ni de faire publier des analyses juridiques pertinentes. Or, c'est précisément parce qu'il se contente d'inscrire dans la loi ce que les tribunaux font déjà que ce projet de loi est insuffisant. Il n'aidera en rien à résoudre les tensions qui apparaissent au sujet de la laïcité des institutions publiques. Par exemple, de quelle façon ce projet de loi répondra-t-il aux inquiétudes des directions d'école qui sont aux prises avec des demandes d'accommodement sur les vêtements, les repas, les horaires, l'exemption des cours, etc.? De plus, n'en déplaise à l'Assemblée nationale... représente... De plus, n'en déplaise à l'Assemblée nationale... représente souverainement la volonté du peuple, on peut d'ores et déjà s'interroger sur la force qu'aura ce texte, s'il est adopté, lorsqu'il sera interprété par un tribunal qui aura le mandat de faire respecter les chartes des droits de la personne.
C'est pourquoi la deuxième partie de notre mémoire propose au gouvernement d'avoir le courage de tenir le débat public qui s'impose et de le faire à l'aide d'un livre vert sur la laïcité. Cela offrirait à ce gouvernement la chance historique de faire oublier l'échec de la commission Bouchard-Taylor, à laquelle il avait confié un mandat empoisonné qui mêlait le débat sur la laïcité avec celui de l'intégration des personnes immigrantes, deux sujets qui doivent être débattus séparément, comme l'ont finalement recommandé les deux commissaires.
Ce débat public est nécessaire parce que l'approche du Québec en matière de laïcité n'est pas le produit d'un consensus politique soutenu par la population, mais plutôt d'une série d'interprétations jurisprudentielles. Or, les juges ne peuvent trancher toutes les questions difficiles que pose le devoir de vivre ensemble en harmonie. Inévitablement, notre société doit donner une réponse politique à la question suivante: De quelles façons concrètes doit-on équilibrer le respect de la liberté de religion et celui de la neutralité, ou laïcité, des institutions publiques?
Chacun des éléments de notre laïcité doit être réexaminé à l'aune de la neutralité religieuse que nous attendons des institutions publiques. Par exemple, que faire du financement public des institutions scolaires confessionnelles? Que faire de la présence d'un crucifix au-dessus du siège présidentiel de l'Assemblée nationale? Que faire de la possibilité ou non pour les fonctionnaires de l'État d'afficher des signes d'appartenance religieuse? Que faire de l'attribution à l'école québécoise d'une mission d'accompagnement spirituel des élèves, article 14 de la Loi sur l'instruction publique? S'agissant de questions aussi importantes, il serait mal venu de la part du gouvernement d'imposer d'emblée son point de vue sur le débat par le dépôt d'un livre blanc, pour lequel le débat soit... Pour que le débat soit démocratique, il est préférable que le gouvernement actuel le laisse se faire avant de le trancher.
C'est pourquoi, et je termine là-dessus, la FTQ demande au gouvernement de déposer à l'Assemblée nationale dans les meilleurs délais un livre vert sur la laïcité qui exposerait l'ensemble de la problématique, les principes et les définitions de la laïcité, les implications concrètes des différents modèles possibles, les moyens qui peuvent être mis en oeuvre, sans indiquer l'option que le gouvernement privilégie; et finalement de prévoir des moyens suffisants et de quoi pour qu'une consultation publique sur la base de ce livre vert puisse avoir lieu. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, M. Roy. Je ne vous ai pas donné l'opportunité de présenter la personne qui vous accompagne.
M. Roy (René): Alors, je suis accompagné de M. Atïm Léon, qui est conseiller à la recherche au bureau de la FTQ et spécialiste sur le point, sur la question.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, M. Roy. Donc, pour la période d'échange, Mme la ministre.
Mme Weil: Oui. Bonjour. Merci de votre participation à cette commission. Alors, peut-être un retour, dans un premier temps, sur la loi et l'intention de la loi. C'est: Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements. C'était vraiment la volonté du gouvernement. C'était d'amener des balises dans tout l'espace gouvernemental par rapport à l'accommodement, suite à beaucoup de décisions qui ont été prises, et d'incorporer des règles de jurisprudence dans le corpus législatif, qui a été bien reçu par plusieurs groupes et pas par d'autres, qui veulent une charte de la laïcité. Donc, c'est vraiment... On voit les deux opinions.
Pour ce qui est de ceux qui sont pour, c'est... D'amener des règles claires et d'incorporer ces règles qui ont été établies par la jurisprudence, plus que pédagogique, vient rendre légitime l'exercice d'accommodement et d'accommodement raisonnable. Hier, on a entendu la CSN qui a parlé de cet exercice, évidemment qui est tout à fait dans votre domaine, qui est l'intégration en emploi, et toute l'origine de l'accommodement, de l'exercice d'accommodement. Ils nous ont dit par ailleurs que ça va très bien, l'accommodement. J'aimerais vous entendre sur votre expérience et votre point de vue sur l'accommodement, l'accommodement raisonnable. Comment vous le vivez quotidiennement?
**(11 h 40)**M. Roy (René): D'abord, la FTQ, on est dans le secteur privé en grande partie, secteur manufacturier. Et on est beaucoup à Montréal. Et, Montréal étant la porte d'entrée des travailleurs immigrants, alors on est justement confrontés à de nombreux problèmes d'accommodement, exactement comme vous... comme vous le savez.
Ça se vit assez bien, malgré tout. On a des endroits... on ne citera pas de noms de compagnies, mais on a des compagnies où est-ce qu'on avait 1 500 travailleurs, et on a dû faire un bulletin de vote pour ratifier la convention collective en huit langues. Et ce n'était pas suffisant. On a dû avoir des rencontres séparées, parce que je pense qu'on avait une quinzaine de dialectes dans l'usine en question. Alors, c'est pour ça qu'on force beaucoup, on travaille énormément avec la Commission des partenaires et Emploi-Québec pour la francisation des travailleurs et travailleuses dans les milieux de travail, pour casser... pour casser les ghettos en question, casser les ghettos pour que les gens puissent se comprendre et puissent travailler ensemble.
Sur les accommodements religieux, il reste que c'est difficile parce que les conventions collectives sont rigides. Les conventions collectives ne sont pas souples sur les congés. Les congés sont samedi, sont le dimanche. Les journées fériées sont dans les conventions collectives. La fête de Noël, Pâques, etc., c'est des conventions, c'est normalisé, c'est conventionné, c'est dans la convention collective. Alors, il n'y en a pas énormément. Il reste que, souvent, des travailleurs de d'autres religions sont fort heureux de travailler à Noël, avec les compensations monétaires qui s'y rajoutent, à triple compensation, etc. Mais il reste quand même que, souvent, ça cause des problèmes d'horaire, des gens qui ne peuvent pas, par leur religion, travailler le vendredi, ou des gens qui ne peuvent pas travailler... Par exemple, dans la religion juive, ils ont des fêtes religieuses qui sont différentes des nôtres. Alors, il y a toutes sortes d'accommodements qui se font sur les horaires de travail. S'il y a compensation...
C'est un peu comme ça que ça se passe, Mme la ministre, on le fait au jour le jour dans les milieux de travail. Ça ne va pas si mal. Je pense qu'il y a des accrochages de temps en temps. Ça fait des griefs de temps en temps. Mais on réussit à s'en débattre, oui.
Mme Weil: ...recours au Service-conseil de la Commission des droits de la personne? Avez-vous déjà eu...
M. Roy (René): Oui. Ça arrive qu'il y a des dossiers qui vont devant la Commission des droits de la personne. On demande des... On demande des opinions juridiques, et on demande des opinions et même des médiations, des fois, dans certains dossiers, employeurs, syndicats et les travailleurs en question, pour médier cette question-là. Les endroits de prière, souvent, ce n'est pas un grand problème, parce qu'il y a beaucoup d'espaces qui peuvent être dégagés pour permettre aux gens de pratiquer leur religion sans nuire au fonctionnement des manufactures. Mais, dans les conventions collectives, j'imagine que, dans les prochaines années, on devra un peu trouver de la flexibilité, entre autres sur les horaires.
Mme Weil: Donc, comme vous dites, c'est surtout dans le secteur privé, et donc l'exercice d'accommodement va toujours exister. C'est un peu beaucoup ce que beaucoup confirment, autant les syndicats que les spécialistes. C'est un exercice, dans une société démocratique, qui tient compte des chartes de droits et libertés. Et, pour vous amener donc dans l'espace public, ou des services gouvernementaux, l'exercice d'accommodement, vous voyez ça aussi de la même façon, comme un exercice incontournable dans une société démocratique? J'aimerais vous entendre sur ça, dans le secteur public, des services gouvernementaux.
M. Roy (René): Dans le secteur public, la FTQ a toujours défendu que le service devrait être laïque. Les gens... L'identification religieuse ne devrait pas exister. L'accommodement religieux devrait être à son minimum. Les gens ne devraient pas être confrontés à des signes religieux... à des pratiques religieuses lorsqu'ils reçoivent leurs services de l'État. Pour nous, un policier, contrairement à d'autres pays, dans l'exercice de ses fonctions, devrait avoir l'air d'une police et pas de n'importe quoi d'autre. La même chose dans les services hospitaliers. Peut-être qu'Atïm, tu pourrais en rajouter un peu là-dessus?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, M. Léon.
M. Léon (Atïm): Bien, non.
Mme Weil: ...clarifier. Parce qu'il y a le port des signes religieux, c'est une chose. Mais l'exercice d'accommodement, ça peut être, par exemple, dans un centre d'hébergement, pour la communauté juive, les repas qui sont servis respectent la religion juive, et ça, c'est quelque chose qui se fait depuis très, très, très longtemps. Est-ce que vous dites que ce genre d'accommodement, vous êtes mal à l'aise avec ça?
M. Roy (René): Pas jusque-là. On n'est pas rendus là, là, on n'a pas...
Mme Weil: Donc, c'est le port, c'est plus le port de signes religieux?
M. Roy (René): On n'est pas... Exactement, on veut que le service, le service de... la personne qui travaille pour l'État, la personne qui travaille pour l'État ne soit pas identifiée à aucune religion. Maintenant...
Mme Weil: O.K., d'accord. Alors donc, vous... vous, ce que vous... J'essaie de bien comprendre votre position. Donc, vous, votre argument, c'est que le port de signes religieux vient affecter ce qu'on appelle la neutralité du service de l'État vis-à-vis le citoyen, ou vice versa?
M. Roy (René): Tout à fait. Puis on met de l'avant la... avant la liberté religieuse, évidemment tout le principe de l'égalité des femmes et des hommes, là-dedans, pour rendre... pour donner ou... donner le service aux citoyens. Ça, pour nous, c'est vraiment prioritaire, c'est vraiment quelque chose qui va avant toute liberté religieuse. Quoique la liberté religieuse, vous savez, est défendue dans la charte, et votre loi sur... la loi que vous proposez ici va être évidemment en bas de la charte. Alors, la liberté religieuse va prôner sur la loi que vous avez déposée.
Mme Weil: Mais qu'est-ce que vous ferez dans votre charte de laïcité, par rapport à la Charte des droits et libertés?
M. Roy (René): Bien, nous, on n'a pas encore... On ne s'est pas encore prononcés pour une charte sur la laïcité, là, on s'est prononcés... On est entre la laïcité ouverte puis la laïcité républicaine, si vous voulez, on est encore en réflexion, à la FTQ. On pense, on déclare, on soutient, nous autres, que l'État, l'État et la religion, toute la question religieuse, doivent être séparés, et on tient à recevoir le service... Les services de l'État doivent être dispensés sans identification religieuse. Alors, c'est notre point de vue actuellement.
Maintenant, une charte, une charte sur la laïcité ou une charte sur... On sait qu'une charte, ça passe au-dessus des autres lois. Alors, c'est un débat. C'est pour ça qu'on demande, Mme la ministre, le livre vert. On ne demande même pas un livre blanc, on ne veut pas avoir votre position au départ. On veut avoir un livre vert pour mettre tout ça sur la table.
Mme Weil: Mais, juste pour revenir, parce qu'il y a le fonctionnaire, d'une part, et la personne qui demande, donc, la personne qui demande un service, en quoi sa demande d'accommodement pour des raisons religieuses vient affecter la neutralité du service de l'État?
M. Roy (René): Je vais laisser M. Léon...
M. Léon (Atïm): Je vais juste...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, M. Léon.
M. Léon (Atïm): Oui, merci, M. le Président. Je vais juste spécifier peut-être quelque chose. Le point de vue de la FTQ, c'est que l'outil juridique des accommodements raisonnables est nécessaire, mais ça ne peut pas être le seul outil, au Québec, qui va encadrer le régime de la laïcité. Ça ne peut pas être le seul outil juridique qu'on va utiliser pour déterminer quelle est la place de la religion dans l'espace public, et c'est simplement ça. Donc, on dit: Il manque d'encadrement, ça veut dire: il nous manque un outil juridique plus large que le simple accommodement raisonnable, parce que c'est un outil qui permet d'agir au cas-par-cas et qui ne donne pas un cadre global, disons.
Et donc on soutient qu'il est nécessaire maintenant de faire un débat plus large, public, si possible encadré par un livre vert... ou initié par un livre vert, pardon, et qui atterrira où il atterrira, mais, dans tous les cas, ce sera une position soutenue par la population, contrairement à ce qu'on a aujourd'hui, qui n'a jamais été le fruit d'un consensus dans la population au Québec, qui est le fruit d'une évolution décidée par les tribunaux.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, M. Léon. Mme la porte-parole de l'opposition officielle en matière d'immigration.
**(11 h 50)**Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, M. le Président. Alors, M. Roy, M. Léon, que je connais bien, ça fait longtemps, ça fait plaisir de vous saluer.
C'est une position, donc, intéressante. Je voudrais revenir sur le livre vert que vous proposez. Parce que la commission Bouchard-Taylor proposait donc un livre blanc, n'est-ce pas? C'était il y a deux ans, quand ils ont remis leur rapport. Depuis, effectivement, il n'y a pas eu de livre blanc. Il y a eu, si on peut dire, trois projets de loi: un premier projet qui a amendé la charte québécoise des droits et libertés dans une dimension bien particulière, qui n'a évidemment pas tout réglé, puisque tout ça a continué à cheminer. Il y a eu le projet de loi n° 16, qui est, en principe, en théorie, devant nous mais qui n'a pas été rappelé à ce moment-ci, dans le cours de cette session-ci, mais qui a été déposé l'automne dernier, et qui touche justement à cette idée: Comment l'Administration doit-elle s'adapter à la nouvelle... à cette diversité -- pas si nouvelle, mais en tout cas très présente -- diversité québécoise? Et là... Donc, on ne sait pas ce qui va arriver de ce projet de loi n° 16, puisque, comme je vous le dis, là, il est dans les limbes au moment où l'on se parle.
Il y a donc maintenant le projet de loi n° 94. Alors, il y a, session après session, des tentatives de la part du gouvernement de nous présenter, je dirais, à la pièce un certain nombre de choses. Vous, vous dites, dans le fond... Il y a un livre blanc qui était proposé, mais le livre blanc, il serait trop, si je comprends bien, trop... il serait en fonction des opinions ou des options, disons, que le gouvernement retiendrait. Ça fait longtemps que je n'ai pas entendu parler d'un livre vert, c'est pour ça. Il me semble que, la dernière fois qu'il y a eu un livre vert... je ne sais pas c'est quand, mais, il me semble, ce n'est pas récent. Alors, j'aimerais que vous me parliez de cette idée, donc, d'un livre vert, et qu'est-ce que ça contiendrait ou qu'est-ce que ça devrait contenir, selon vous.
M. Roy (René): On a, Mme la députée, dans la forêt... Avant l'adoption de la loi n° 57 sur la forêt, on a commencé...
Mme Beaudoin (Rosemont): Sur la forêt?
M. Roy (René): Oui. Toute la question de la forêt, on a eu un livre vert qui a déclenché les discussions sur toute la question de la forêt. Et c'est un grand dossier qui pose énormément de questions dans... au Québec, vous savez, cette question de la forêt, là, tout le respect des écosystèmes quand vous intervenez en forêt, les normalisations, etc. Alors, ici, on demande un... Il a été suivi par un livre blanc, puis il a été suivi par un projet de loi, puis il a été suivi par une loi, et puis on n'est pas encore contents.
Alors, vous trouvez qu'on n'est pas faciles à contenter, hein? Mais ici on pense que les questions sont tellement... il y a tellement de questions qui se posent, ne serait-ce que savoir la question du crucifix, on en a parlé, à l'Assemblée nationale, ne serait-ce que savoir... la question que Mme la ministre a soulevée sur la question de la nourriture qui doit être servie, la question des lieux de prière qui doivent être... Puis là on parle même... On est rendus dans le secteur privé, Mme la députée, puis il y a toute la question du financement des écoles, les confessionnelles. Vous avez eu des débats ici, à l'Assemblée nationale, qu'on a suivis.
Alors, pour nous, il y a beaucoup d'opinions... il y a beaucoup d'opinions contraignantes, en tout cas qui s'opposent dans la population. Et je ne pense pas qu'on soit rendus à l'étape du livre blanc, parce que le livre blanc, c'est vraiment la structure de la loi assez cadrée et qui est déjà là. Je pense que le livre vert nous permettrait d'avoir des échanges plus grands, si vous voulez.
Mme Beaudoin (Rosemont): Parce que ce que je... M. le Président, oui. Ce que je comprends de votre position, vous dites: On est encore en réflexion sur un certain nombre de choses, en effet. Je ne sais pas si vous avez une position, vous autres, sur justement le financement public des écoles privées confessionnelles? Je ne sais pas si vous en avez une, mais vous en avez une, en tout cas, sur le port de signes religieux, disons, ostentatoires dans l'administration publique. Si j'ai bien compris, là, vous dites globalement non, bon, parce que le service et les agents doivent refléter cette laïcité et cette neutralité de l'État. Mais, par exemple, justement sur les écoles privées confessionnelles, c'est quoi, votre réflexion à vous? Parce que vous l'avez évoqué, à ce moment-ci, concernant... à partir du moment où on affirmerait: après le livre vert, le livre blanc, le projet de loi, dans la loi. Mais, vous, actuellement qu'est-ce que vous dites là-dessus, sur ces écoles privées confessionnelles?
M. Roy (René): Ah! c'est une position, Mme la députée, qui remonte à de nombreuses années. On a toujours été contre le financement des écoles privées confessionnelles. On a toujours été pour un système public laïque financé par l'État. Et, si des écoles privées existent, les écoles privées devraient se financer d'eux-mêmes.
Mme Beaudoin (Rosemont): Est-ce que vous pensez que ça découle, justement, nécessairement d'une prise de position par rapport à la laïcité de l'État? À partir du moment où on dit... Là, on l'infère. Pour l'instant, c'est écrit, la neutralité de l'État, dans le projet de loi, mais ça s'infère, si j'ai bien compris, des jugements des tribunaux et ça ne se retrouve pas dans la Charte des droits et libertés, au moment où on se parle, que cette notion de la laïcité de l'État. Mais est-ce que vous pensez qu'à partir du moment où l'État se déclare formellement laïque que...
Je vous dis ça parce que vous savez très bien qu'en France, par exemple, qui est l'État laïque par excellence, il y a eu... il y a des écoles qui sont, dans le fond, libres, qu'on appelle libres, bon, alors par rapport à pas libres, ce qui est un peu curieux, ça veut dire que le système public... Mais en tout cas c'est comme ça. Depuis 1905, là, ils ont fait ce débat-là, puis, le jour où le président François Mitterrand avait décidé de couper les subventions à ces fameuses écoles libres, il a reculé rapidement, et puis son ministre de l'Éducation a démissionné. Puis ils se sont retrouvés au point mort, et les écoles libres existent toujours, avec du financement qui, me dit-on, avoisine 80 %, donc, dans un État qui est vraiment laïque, là, où c'est dans la constitution de l'État. Donc, pour vous, c'est deux questions différentes ou c'est relié?
M. Roy (René): Ils ont leurs paradoxes, eux autres aussi, en France. Parce que, oui... Moi, j'avais le chiffre 85 %, peut-être que c'est 80 %, mais je sais qu'ils financent leurs écoles publiques... leurs écoles confessionnelles indépendantes. Et on a regardé ce qui se passe dans différents pays, et c'est assez curieux qu'il n'y ait pas personne qui ait trouvé la solution magique, je pense, pour gérer tout ça. Quand je regarde la Suède, avec... qui était très confessionnelle jusqu'en 2000 puis très peu religieuse, et puis les États-Unis, qui sont laïques par leur constitution, qui sont... qui ont toujours le mot «bon Dieu» dans la bouche, à toutes les fois qu'ils parlent, et puis je regarde la Turquie qui, eux autres, sont laïques mais qui donnent des ordres à l'Église -- alors c'est l'inverse, eux autres -- interviennent directement pour donner des ordres à l'Église... Alors, c'est pour ça que je pense que le livre vert... Je pense que, si on avait un livre vert pour essayer de trouver un peu toutes les tendances puis en trouver une qui irait à la bonne place, ça irait mieux de même, je pense. Veux-tu rajouter quelque chose?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, M. Léon.
M. Léon (Atïm): Merci, M. le Président. En fait, la question de Mme la députée me fait penser: Est-ce que vous êtes en train de dire que, si on adopte le principe de neutralité de l'État tel qu'il est écrit dans le projet de loi, cela pourrait ouvrir la porte à ce qu'on remette en question le financement public des écoles confessionnelles au Québec?
Mme Beaudoin (Rosemont): Non, je ne crois pas. Non, je ne crois pas, parce que j'ai l'impression que ça ne veut pas dire grand-chose. C'est pour ça que je dis: Si formellement... Parce que là c'est par la bande, hein, c'est clair que c'est par la bande et que, dans la Charte des droits et libertés québécoise, il n'y a rien qui affirme ce principe de laïcité, mais tout ça s'infère des jugements des tribunaux. Je ne dis pas ça... au contraire, je pense que ça ne veut rien dire, personnellement. Non, mais je posais la question, parce que je pense qu'il faut une solution québécoise en effet et que des États laïques, vous l'avez dit, M. Roy, qui, même dans leurs constitutions, ont cette déclaration de la laïcité ont des solutions donc différentes. Et puis, comme vous le dites, chacun vit avec ses paradoxes ou avec ses contradictions. Mais c'était votre position qui m'intéressait.
Moi, je veux juste vous dire en terminant: Je pense qu'il va falloir -- peut-être, ça devrait être dans un livre vert ou à quelque part -- distinguer entre trois espaces. Il y a un espace civique, me semble-t-il, puis c'est celui dont on parle quand on parle de l'administration publique, bon; l'espace public, qui est celui, je veux dire, même des entreprises privées, etc.; et puis l'espace privé, parce que c'est différent. Et puis on peut imaginer des comportements puis des codes qui ne sont pas les mêmes si on est dans l'espace public en général, privé ou civique. Et c'est cet espace civique qui nous intéresse ici. Est-ce que vous êtes d'accord avec des distinctions?
M. Roy (René): Ah! tout à fait. Tout à fait, absolument. C'est notre position. Et puis on n'est absolument pas contre les religions ni contre ceux qui pratiquent leur religion, mais on dit que la religion doit se pratiquer en dehors, en dehors de l'appareil, de l'appareil de l'État. C'est simplement ça qu'on dit.
Mme Beaudoin (Rosemont): Très bien, merci.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Mme la députée de Rosemont. Mme la ministre.
**(12 heures)**Mme Weil: Je voudrais revenir sur cette question de port de signes religieux et intégration en emploi, parce qu'on a eu... On en a discuté pas mal hier, les barrières que peuvent représenter une laïcité trop fermée, qui ferait en sorte que les gens qui souhaiteraient travailler pour la fonction publique qui porteraient... qui doivent... ou qui portent, de par leur liberté de conscience, par exemple, le voile, hein, pas le voile intégral, mais le voile, que... ou le kippa... et que la préoccupation de tous ceux qui travaillent dans le domaine des droits humains, c'est que ça devient... tous ceux qui ont travaillé dans le domaine des accommodements et d'intégration en emploi, intégration dans la société, des formules trop rigides de ce genre ne tiennent pas compte de la Charte des droits et libertés et de la liberté de conscience et empêchent l'intégration en emploi.
Hier, le député de Jacques-Cartier a fait un plaidoyer assez passionné pour l'intégration des minorités, qui ne se retrouvent pas dans la fonction publique. On voit très, très peu de diversité dans le visage général de la fonction publique, et qu'une mesure de ce genre viendrait fermer la porte encore plus. On a entendu des groupes représentant des communautés musulmanes, aussi, qui sont pour ce qu'eux et beaucoup appellent la laïcité ouverte, c'est-à-dire une position mitoyenne qui permet aux personnes de porter que ça soit la croix ou que ça soit le voile, dans la fonction publique, pour refléter... et que finalement ça n'affecte pas leur capacité de rendre un service neutre. Et ça, je vous dirais que c'est vraiment la vision des constitutionnalistes.
Actuellement, c'est l'état du droit... C'est la règle de droit qui existe actuellement. J'aimerais vous entendre là-dessus, sur... plus par votre perspective de syndicat qui a cette préoccupation des droits des travailleurs et d'intégration. Que ça soit dans le domaine privé ou public, j'imagine que vous avez cette même préoccupation. Qu'est-ce que vous dites de ça? Comment concilier ces deux visions?
M. Roy (René): Oui. Vous avez là une très bonne question. En tous les cas, je pense que tout le monde se la pose. Jusqu'où l'État doit aller pour légiférer sur les tenues vestimentaires? Je pense qu'il faut être très prudent. Je ne pense pas qu'il faut aller à l'extrême. Moi, je pense qu'il y a une différence entre une croix que portait un moine et puis une petite croix que quelqu'un a après une oreille; je pense qu'il y a une différence à quelque part, là, qui est... qui est... À un moment donné, là, dans le pratico-pratique... Alors, on n'a pas... C'est difficile, hein? Dans le secteur privé, les gens portent leur identification religieuse.
On est d'accord, on l'a dit, avec le projet de loi, là. Quelqu'un ne doit pas se présenter dans les services de l'État avec un visage voilé. En tous les cas, on est d'accord sur cette partie du projet de loi là. Mais, même quelqu'un qui rentrerait à la banque avec un masque... dans les banques avec... voilé ou... Dans les banques, là, c'est privé, quand même, puis ça pourrait devenir problématique, alors, pour leur sécurité et celle des autres autour.
Alors, dans ça, vous savez, c'est pour ça qu'on vous demande peut-être un livre vert pour cette question-là. On n'a pas de... on n'est pas tranchés... mais on n'est pas tranchés au couteau en disant qu'il faut aller dans une position extrémiste là-dessus. Mais, quand on revoit... quand on voit le crucifix au-dessus de l'Assemblée nationale, pour nous, le crucifix, c'est le plus haut emblème de la chrétienté. Alors, c'est assez clair que celle-là, elle n'est pas difficile à reconnaître de quelle religion l'Assemblée nationale se prétend, en ayant ce signe-là. Mais on sait que c'est une culture judéo-chrétienne. Je pense que c'est comme ça que l'Assemblée nationale l'a adoptée à date. Alors, c'est des questions semblables.
On n'est vraiment pas... on n'a pas rendu notre réflexion assez loin pour vous dire: On doit arrêter la longueur du crucifix à un pouce ou bien à six pouces. On n'est pas rendus là. Mais, le voile sur la tête, l'habillement des hommes et des femmes, c'est toujours fort délicat d'aller toucher à ça, effectivement.
Mme Weil: Merci.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Mme la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Bienvenue à vous, messieurs. Alors, nous poursuivons nos échanges, qui sont fort intéressants, avec tous les groupes qui étaient... qui sont venus. Hier, nous avons reçu les représentantes de la CSN, et Mme Carbonneau, lors de sa présentation, nous mentionnait que souvent les employeurs hésitaient à embaucher des personnes issues des communautés culturelles par crainte d'être confrontés à des demandes d'accommodement. J'aimerais avoir votre opinion au sujet de cette affirmation-là.
M. Roy (René): Ça doit être vrai, mais on n'a pas d'études qui sont faites, on n'a pas de... vraiment de statistiques. On pourrait en demander peut-être à Emploi-Québec, ils sont capables de nous sortir toutes les statistiques qu'on veut. Mais, vous savez, le taux de chômage chez les travailleurs immigrants est à peu près à 17 %, 18 %, quand la population est à peu près à 7 %, 8 %. Mais, encore là, est-ce que c'est la raison? Vous savez, ils arrivent au Québec, alors, pour une période de temps, avant qu'ils soient placés, c'est certain qu'ils se ramassent à... sans emploi en question. Alors, je ne sais pas.
Mais, moi, là, dans le secteur privé, je vais vous dire, ça ne semble pas être le problème. Les employeurs ont besoin de travailleurs, ils ont besoin de travailleuses. Ça ne semble pas être un obstacle important actuellement à l'embauche de ces gens-là. Peut-être que... Je vis dans la grande région de Montréal. Peut-être qu'ailleurs c'est différent un peu, mais ça ne me semble pas être le cas.
Mme Gaudreault: J'aurais une autre petite question pour vous. Puisque nous discutons justement de la place des accommodements dans l'administration publique, ce même groupe, hier, nous mentionnait que, bon, peut-être pour les membres de la fonction publique qui sont en relation directement avec les citoyens, eux ne seraient pas autorisés à porte aucun signe ostentatoire, mais les employés qui sont plus à l'écart, qui sont dans les bureaux, et tout ça, eux pourraient peut-être être dispensés de cette règle-là. Qu'est-ce que vous pensez de ça?
M. Léon (Atïm): Bien, c'est... Oui, je peux... Merci, M. le Président. La FTQ, c'est une grande famille, hein? Au-delà de 35 syndicats autour de la table, avec des opinions parfois différentes. On cherche le consensus, et c'est la raison pour laquelle on n'a pas encore tranché toutes les discussions là-dessus. Mais ce serait dommage de concentrer toutes les discussions qu'on doit avoir collectivement sur la laïcité uniquement sur la question du port de signes religieux. Ce qu'on essaie de dire, c'est que c'est beaucoup plus large que ça et que la documentation, disons, les analyses pertinentes ne sont pas sur la table. On ne peut pas vraiment faire le débat pour l'instant. Alors, c'est un peu ça.
Et puis, je vous dirais, autour de la table, à la FTQ, vous allez avoir, par exemple, des gens -- je reviens sur la question de l'intégration -- qui vont vous dire: Bien, écoutez, si on veut mettre toutes les chances du côté de l'intégration, justement, par exemple du côté de la communauté musulmane, ayons un règlement clair qui interdit le port de signes, parce que c'est la meilleure formule pour justement éviter le phénomène dont vous parlez, c'est-à-dire que l'employeur soit secrètement méfiant parce qu'il a peur que, si c'est une pratiquante musulmane, par exemple, qu'il veut embaucher, qu'elle fasse une demande d'accommodement qui, lui, ne lui conviendra pas.
Et c'est exactement... Puis là je... C'est très rare que je tombe dans l'anecdotique, là, mais, la semaine dernière, j'ai fait une rencontre, une sorte que groupe focus, là, avec 10 personnes d'origine maghrébine, de pays musulmans, et c'est exactement le message qu'ils m'ont transféré. Ils m'ont dit: Vous n'allez même pas assez loin. Protégez-nous. Et je pense que, par exemple dans le cas français, la question du respect de la liberté et la volonté d'intégration étaient les deux raisons, paradoxalement, pour interdire le port du tchador à l'école par les écolières adolescentes. Ce sont les deux mêmes raisons qui sont invoquées ici, de ce bord-ci de l'Atlantique, pour dire, par exemple à la FFQ, la Fédération des femmes: Il faut le permettre parce que ça va permettre l'intégration, et puis en plus on protège leur liberté de religion. C'est quand même paradoxal.
Donc, il faut avoir un débat, là, intelligent là-dessus. Il faut se documenter un peu plus, je crois, collectivement, comme société.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Je vous remercie, Mme la députée de Hull.
Mme Gaudreault: Merci.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme la députée de Rosemont.
Mme Beaudoin (Rosemont): Je vais laisser la parole à mes collègues.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Bonjour. Bienvenue. En fait, je comprends de votre mémoire et de ce que vous nous dites aujourd'hui que vous estimez en fait que le projet de loi n'est pas mauvais en soi mais qu'il ne va pas assez loin, dans le sens qu'en fait ce qu'on dit, à l'article 4, c'est que les accommodements doivent respecter la charte, ce qui est le cas à l'heure actuelle, les accommodements s'inscrivent évidemment dans le contexte de la charte, et donc qu'il n'y a pas de réponse concrète aux questions qui peuvent se poser au cas-par-cas, que vous ne voyez pas en quoi la pratique pourrait se trouver changée, parce qu'on ne fait que codifier dans une loi, mettre dans une loi, en fait, les développements de la jurisprudence.
Ce que je comprends aussi, c'est que vous dites que le projet de loi, en fait, il... peut-être qu'il fait l'économie -- vous me corrigerez si ce n'est pas... si je vous mets des mots dans la bouche -- mais qu'il fait peut-être l'économie d'une première réflexion, je dirais, fondatrice, sur ce qu'on veut comme vivre-ensemble, comme philosophie du vivre-ensemble dans la société québécoise. Parce que vous dites: Les accommodements raisonnables, en soi, ça ne peut pas être une philosophie ou notre philosophie du vivre-ensemble. Il faut qu'il y ait quelque chose qui vienne comme précurseur, après, de savoir comment on vit ensemble, et que ça ne peut pas être les accommodements raisonnables qui soient cette philosophie-là, ce geste fondateur là.
Mais là, quand vous nous dites que votre choix n'est pas fait... Et là vous le libellez ainsi, vous dites «entre laïcité ouverte et laïcité républicaine». Je pense que c'est plus heureux, d'ailleurs, que «laïcité fermée», parce que la laïcité, c'est la laïcité, en fait, là, et c'est plutôt... Peut-être qu'enfin la laïcité ouverte est une forme, je dirais, réduite de laïcité, mais on pourrait avoir un grand débat là-dessus. Donc, vous dites, d'une part, que le choix de la FTQ n'est pas fait, que vous ne vous êtes pas positionnés. Mais par ailleurs, là, si je vous ai bien compris, vous dites que les services doivent être rendus sans identification religieuse. Donc, j'essaie de réconcilier... «Sans identification religieuse», pour vous, ça veut dire sans identification religieuse outrancière, ostentatoire? Est-ce que c'est ça qui fait en sorte que vous dites: On ne s'est pas campés à savoir laïcité ouverte ou républicaine, mais quand même ce qu'on veut dire, c'est qu'il ne doit pas y avoir de reflet de la religion dans les services?
**(12 h 10)**M. Roy (René): Bien, vous avez pas mal tout dit ce qu'on dit, puis, en même temps que vous le dites, vous vous posez les mêmes questions que nous, et jusqu'où que ça va quand on donne le service... l'État donne le service et qu'on dit: Il ne doit pas y avoir... la religion ne doit pas être mêlée aux services rendus par l'État. Alors, jusqu'où ça va?
Moi, je suis venu au monde dans la région de Québec, où est-ce que les services étaient donnés, dans les hôpitaux, par des religieuses, des religieux. Alors, c'était très clairement identifié religieux à ce moment-là. Moi, je pense que pour éviter les frictions avec les citoyens de toutes les religions... Puis n'oubliez pas que la religion, là... la liberté religieuse est dans la charte, hein? Elle peut passer par-dessus beaucoup de lois, y compris la loi qu'on adopte aujourd'hui, là, bien la loi que le gouvernement veut adopter, là, et j'ai l'impression qu'il pourrait être contesté devant les tribunaux, même cette loi-là pourrait être contestée.
Alors, jusqu'où on doit aller? Bien, il y a un point... De ce côté-là, on est presque en faveur d'une laïcité républicaine, vous savez. Nous, le service de l'État, ça doit être... ça ne doit pas... la religion ne doit pas faire partie de ça, tu comprends. On va essayer de prendre les mots comme on les... comme on veut les dire, là. On doit donner ça sans apparence religieuse. Si quelqu'un rentre dans un hôpital, qu'il soit Juif, musulman ou catholique, il ne doit pas se sentir à la mauvaise place. Il doit se sentir chez lui au gouvernement, il doit se servir dans un service de l'État, puis il n'y a aucune contrainte à cause de telle ou telle religion. Alors, lui, il est citoyen, il arrive là, puis c'est ça. C'est comme ça qu'on le voit.
Vous savez, on dit... Moi... nous autres, on a toujours déploré que le Canada ait accepté, par exemple, que des policiers au Canada aient des... portent d'autres sortes de vêtements que le vêtement de policier pour servir la population. On est contre ça. Alors, on veut que l'État soit... On est presque républicains là-dessus.
Par contre, quand vous tombez dans le secteur privé, vous savez, comme je disais à Mme la ministre, la longueur de la croix après une oreille, ça devient-u une identification religieuse? Un voile sur la tête, moi, quand j'étais jeune, c'était la mode, les gens... les femmes avaient des voiles sur la tête. Je ne sais pas si c'était religieux ou pas; en tout cas, j'imagine que ça l'était; moi, j'étais trop jeune pour le savoir. Mais il y a différentes manières de s'habiller, il y a différentes modes. Alors, c'est là qu'on dit: Où est-ce que ça s'arrête, là? Où est-ce que ça s'arrête? C'est quoi, le vêtement qui identifie la religion, qui ne l'identifie pas? C'est un peu là qu'on est dans une zone grise, là, nous.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Mme la députée de Rosemont.
Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. Une question. C'est très intéressant, parce que vous... J'aime beaucoup votre idée de laïcité républicaine, beaucoup plus que laïcité fermée, qui à mon avis est absolument non pertinente, sinon impertinente, justement. «Républicaine», ça veut dire quelque chose. On sait ce que ça signifie. Donc, cette idée-là, vous nous permettrez peut-être de vous l'emprunter à l'occasion, parce que ce qu'on veut dire, c'est ça.
Alors, j'aimerais juste revenir un instant avec M. Léon. Est-ce que vous avez objection à nous parler un peu plus de votre «focus group», là? C'est très, très intéressant. Qu'est-ce qu'ils vous demandaient, justement, expressément? J'ai bien compris qu'on peut, de façon paradoxale, invoquer les mêmes arguments pour arriver à des conclusions divergentes, mais qu'est-ce qu'on vous dit sur ces questions-là de la relation, je dirais, entre l'État et puis la religion, là? Comment... Parce qu'en ce qui concerne -- je vais terminer, M. Roy, là-dessus -- en ce qui concerne le secteur privé, moi, je le dis et je le répète, cet espace public... C'est pour ça qu'il faut distinguer les espaces. Nous, on parle, dans le fond, de l'espace civique, et, dans l'espace civique, vous dites: C'est la laïcité républicaine qui doit être mise en oeuvre. Alors, M. Léon, peut-être quelques mots, sans révéler de secret d'État.
M. Léon (Atïm): Oui. Non, non. Et de plus c'était tout à fait informel, c'est pour ça que je parlais de... d'anecdotique. Bien, en fait, ils disaient tous qu'ils étaient partis de leurs pays en grande partie à cause de la montée de l'intégrisme religieux. Et ça m'a fait poser la question suivante, je me suis dit: Finalement, ce projet de loi, il pose la question à l'Assemblée nationale, la question suivante: Quel est le signal qu'on veut donner à ces gens-là? Quel est le signal qu'on veut donner à ces gens-là par rapport... Puisque, on va le dire franchement, il est question de la burqa, hein, ce n'est pas d'autre religion. En tout cas, jusqu'à maintenant, il n'y a pas de pratique religieuse autre, là, qui propose de voiler intégralement le visage. Et, eux, leur réponse est très claire: Vous devez envoyer le signal à tous nos compatriotes qui veulent venir ici qu'ici ils trouveront la société qui les protégera de cet intégrisme-là, qui fera une différence claire entre justement ce que vous avez appelé l'espace civique, où, là, on est entièrement à l'abri de cet intégrisme-là, et le reste.
Le reste, le communautaire, bien je ne pense pas que ce soit à l'État d'intervenir là-dedans, mais, en tout cas, en ce qui concerne l'état... l'espace civique, moi, le message que j'ai entendu la semaine dernière, c'était très clair: Vous devez envoyer un signal. Parce que, les gens qui choisissent de venir ici, vous êtes en train de leur dire: Est-ce que vous venez ici parce que c'est l'espace de liberté pour toutes les religions et tous les extrémismes -- ce qui était finalement, au XIXe siècle, le message des États-Unis aux immigrants quakers et autres -- c'est le pays où vous pourrez aller jusqu'au bout de votre intégrisme, finalement, et... Est-ce que c'est le message qu'on veut envoyer ou bien c'est un autre message?
Mme Beaudoin (Rosemont): Très bien. Merci.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci infiniment de vous être présentés à notre commission, pour votre collaboration aussi et votre contribution.
Donc, sur ce, je vais suspendre les travaux quelques instants, le temps que M. André Drouin et M. Ghislain Paquet puissent prendre place.
(Suspension de la séance à 12 h 18)
(Reprise à 12 h 20)
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...nous allons reprendre nos travaux. Donc, M. Drouin, qui est à ma gauche, donc à votre droite, M. Paquet, bienvenue à notre... M. Paquet, c'est bien ça?
M. André Drouin
M. Parent (Ghyslain): Malheureusement, je... des fois, je me prends pour un autre, mais rarement pour M. Paquet. Mon vrai nom, c'est M. Parent.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Bien, moi, je ne veux pas vous débaptiser aujourd'hui, là. Je n'en ai pas...
M. Parent (Ghyslain): Ghyslain Parent.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...je n'en ai pas l'autorité. Je vais vous donner la chance de vous présenter, de toute façon. Mais, avant même de vous permettre de vous présenter, je vais vous souhaiter la bienvenue et vous dire que votre contribution est importante pour cette commission. Vous êtes à votre commission. Vous avez 10 minutes pour présenter votre mémoire. Et il va y avoir une période d'échange pour mieux comprendre l'essence de vos propos. Donc, sur ce, à vous de vous présenter et de faire votre présentation, messieurs.
M. Parent (Ghyslain): O.K. Je me présente: Ghyslain Parent. Je suis professeur à l'Université du Québec à Trois-Rivières. Il y a trois ans à peu près ou presque quatre ans maintenant, j'ai commencé à réfléchir sur la problématique des accommodements raisonnables. Je l'ai fait d'une drôle de façon. C'était, tenez-vous bien, par amour pour les immigrants. J'étais en contact avec des immigrants, et j'ai été proche d'eux, et je trouvais dommage que ces personnes-là n'avaient pas accès à l'emploi parce qu'elles se trouvaient avec des problématiques. Des employeurs n'oseront peut-être pas vous le dire de vive voix, mais ces employeurs-là refusaient de les engager parce qu'ils avaient des craintes de vivre ce qu'on appelle les accommodements raisonnables à caractère religieux. Et j'ai commencé à réfléchir comment on pouvait faciliter leur intégration.
Et il est très clair... Tout ce qui arrivait dans mes recherches avait tendance à me prouver que le Québec était de plus en plus laïque. Il ne reste que quelques éléments de notre vie, quotidiennement... Nous vivons à peu près à 95 %, dans notre quotidien, la laïcité au Québec.
Et je reviendrai un peu plus tard pour vous expliquer pourquoi j'ai décidé d'investir dans le domaine de l'inclusion des personnes et de favoriser, pour utiliser une expression qui n'a pas été utilisée tantôt, une laïcité pure.
M. Drouin (André): André Drouin, Hérouxville. Je ne me présenterai pas... Est-ce qu'on m'entend bien, là?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, très bien, M. Drouin.
M. Drouin (André): O.K. C'est moi qui ne m'entends pas.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Pourvu que vous vous compreniez!
M. Drouin (André): J'ai débuté le combat que vous connaissez ou du moins que vous semblez connaître, tout le monde ici, autour de la table, en janvier 2007, et puis je ne l'ai pas encore terminé. Alors, je suis même surpris d'encore une fois me présenter ici, à Québec, dans une autre commission de... les accommodements, puis etc.
Comme ouverture, je souhaite ardemment qu'un jour ou l'autre de nos politiciens et de nos politiciennes au Québec disent: Voici où la ligne commence, laquelle il ne faut pas traverser.
Alors, avec qu'est-ce que je vais vous lire... Probablement que vous avez le document. Je vais le lire, tout simplement, parce que je pense qu'on peut se servir de ça comme outil de discussion, là, dans la période qui suivra.
Le fait que nos élus semblent vouloir proposer les services offerts par les organismes de l'État... se fassent à visage découvert, autant de la part du fournisseur que du client, relève du génie -- vous allez certainement apprécier mon sens de l'humour à l'occasion. D'ailleurs, plusieurs pays ne se proposent-ils pas déjà la même chose, en y ajoutant ce qui suit: ...doivent aussi déambuler à visage découvert sur la place publique en tout temps et en tout lieu. Pour ceux qui ne lisent pas les journaux, les nouvelles internationales, la Belgique, la France, la Hollande, le Danemark et l'Angleterre très bientôt.
Je suis très surpris qu'au Québec on débatte le fait que peut-être qu'on pourrait se promener à visage couvert, ou visage fermé, ou visage... appelez ça comme vous vous voulez, n'importe où dans la place publique. Dernièrement, je suis allé dans une banque à Toronto, puis on m'a demandé d'enlever mes lunettes fumées parce que les caméras ne me voyaient pas suffisamment. Alors, de l'autre côté, on a des ministres, des députés qui débattent le fait: est-ce qu'on doit se promener à visage découvert sur la rue ou pas.
Dans l'éventualité... Il y a des questions à se poser ici, là. La première partie, je dis donc: Il y a 95 % des Québécois qui sont 100 % d'accord avec le fait qu'on devrait se voir la figure en tout temps et en tout lieu, plus ou moins, encore plus dans les services de la fonction publique. La deuxième partie du projet 94, c'est celle-là qui m'intéresse le plus ou qui m'inquiète le plus.
Dans l'éventualité où les solutions aux normes d'amendement pour... d'accommodement pour motifs religieux... Remarquez bien, ici, j'utilise le mot ou les mots «accommodement pour motifs religieux». Je trouve totalement imbécile que, trois ans et demi plus tard, on parle encore d'«accommodement raisonnable». Le mot «accommodement raisonnable», c'est un terme juridique. Alors, c'est assez surprenant que... Je serais assez surpris qu'un jour on s'accommode de choses déraisonnables... alors, accommodement pour motif religieux continuerait de relever du cas-par-cas... Alors, je serais assez surpris que la ministre de l'Immigration, qui n'est pas ici ce matin, ait le temps de poser son veto sur chacun de ces cas-là dans les années qui vont venir. Je vous donne une couple d'exemples à réfléchir. On parle de la rencontre d'un client, payeur d'impôt ou de taxes, avec un fonctionnaire du Québec qui est l'autre bord du comptoir et qui offre le service, la relation client-fournisseur.
Un client étant homosexuel reçoit les services d'un employé de l'État qui, par son accoutrement, affiche sa religion, laquelle, à la connaissance du client, propose de pendre les homosexuels sur la place publique. Comment se sentira ce client payeur de taxes?
Deuxième scénario ou deuxième potentiel... Puis, avant d'écrire ça, j'ai rencontré plusieurs personnes pour jaser avec ces gens-là, en particulier des homosexuels, des femmes et toutes sortes de personnes. Deuxième scénario, un nouvel employé est embauché au ministère des Transports -- on en voit tous les jours sur la route -- où le port d'un casque de sécurité est obligatoire. Selon un dogme de sa religion, ce nouvel employé là, le port d'un tel équipement de sécurité lui est interdit. Que doit faire alors le directeur de ce service? 1 800 accommodement ou peut-être autre chose? Et, si cet employé obtient une dérogation aux lois de la sécurité, quelle sera la réaction de ses confrères et consoeurs de travail? Puis, pour votre information, ça se produit déjà.
Troisième scénario -- ça, c'est les questions à se poser avant que vous réfléchissiez à savoir est-ce qu'on donne des accommodements dans la fonction publique ou pas -- une femme adepte d'une religion se présente comme cliente dans un bureau gouvernemental. La préposée au service arbore des signes ostentatoires confirmant sa religion. La cliente sait que cette religion juge comme impures et impudiques les femmes qui laissent voir leurs cheveux. Comment se sent cette cliente payeur d'impôt?
Quatrième scénario... J'en ai seulement cinq, là. J'avais pensé en mettre une soixantaine, mais j'ai dit: Ça va être trop long! Un immigrant récemment arrivé se présente -- puis ça, d'ailleurs, ça, c'est un immigrant qui m'a proposé celle-là -- un immigrant récemment arrivé se présente comme client pour recevoir des services de l'État. L'employé de service arbore fièrement les signes identifiant une religion donnée. Que ce soient des petits signes, des moyens signes ou des gros signes, ce n'est pas ça qui dérange le monde, c'est un signe, tout court. Or, il appert que des gens de cette religion ont massacré sa famille, de ce client, dans le pays qu'il vient de fuir. Comment peut-on qualifier la zone de confort de ce client aussi payeur d'impôt et de taxes?
Cinquième scénario -- et c'est le dernier -- un employé du ministère de la Justice demande et obtient des périodes de repos plus fréquentes pour prier, ainsi que des journées supplémentaires de congé pour adorer l'Être invisible qui gouverne sa vie par dogmes. Quelle sera la réaction des autres employés du ministère, qui n'ont pas droit à ces congés-là, puis ces fêtes-là, puis tout ce que vous voulez?
Alors, je conclus avec une petite phrase de résumé. Entre nous, se souvenant que gérer un problème ne mène nulle part -- et c'est ce qu'on fait au Québec depuis au minimum cinq ans dans ce domaine-là, on gère le problème -- ne serait-il pas plus simple de légiférer pour qu'aucun signe religieux ne puisse identifier un employé de l'État comme appartenant à une quelconque religion?
Depuis maintenant trois ans, je n'ai pas rencontré un seul Canadien ni un seul Québécois en désaccord avec les quelques phrases suivantes.
**(12 h 30)** Phrase n° 1 -- et d'ailleurs, ici, ça s'applique autant du côté québécois que du côté canadien et, dans certains cas, de certains pays européens: Nous demandons présentement -- ça, c'est la situation actuelle, là -- nous demandons présentement à la société de se torturer l'esprit pour accommoder les différentes religions et essayer de faciliter notre vivre-ensemble. Il serait beaucoup plus simple et efficace -- c'est le mot «efficace» qui est important ici -- de demander aux êtres invisibles gouvernant les religions d'accommoder leurs fidèles pour qu'ils puissent vivre dans notre société moderne et démocratique.
Deuxième phrase -- je n'ai pas rencontré personne, encore une fois, qui est en désaccord avec cette phrase-là: Tous doivent obéir aux mêmes lois, peu importe la religion de chacun.
Troisième phrase: Au Canada -- et je mets en parenthèses «au Québec» -- toutes les croyances, tels horoscope, astrologie, tarot, cartes, lignes de la main, feuilles de thé, numérologie et autres religions, sont permises. Je n'ai aucun problème avec ça, on est libre. On est libre de rentrer en religion, et il faudrait aussi être libre d'en sortir. Cependant, certaines restrictions quant à leurs pratiques dogmatisées peuvent et doivent s'appliquer pour assurer l'harmonie et la cohésion sociale. Référence, le dernier livre de Robert Putnam, aux États-Unis.
Quatrième phrase: La liberté nous accorde le droit de faire ce que les lois nous permettent de faire.
Dernière phrase: Dans notre démocratie, aucune religion n'a le pouvoir d'imposer quoi que ce soit à qui que ce soit, ni en aucun temps, à l'intérieur de notre modèle du vivre-ensemble.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...demander de conclure, M. Drouin, s'il vous plaît.
M. Drouin (André): Pardon?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Je vais vous demander de conclure, si c'est possible.
M. Drouin (André): Ah! O.K. C'est beau. Ah! vous posez... vous pourriez poser des questions après, puis je vais en profiter pour passer d'autres paragraphes, monsieur.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, mais c'est une bonne façon de procéder.
M. Drouin (André): Il faudrait donc que nos élus sachent bien représenter l'opinion des gens qui les portent au pouvoir, étant donné, présentement au Québec, qu'il y a 80 % à 85 % des gens qui sont en défaveur de toute forme d'accommodement religieux, étant donné que, présentement au Québec, il y a le dernier sondage Angus Reid, 95 % des Québécois veulent que les gens se promènent à visage découvert. Ainsi va une démocratie. Vous êtes des élus, organisez-vous pour que ça fonctionne.
Merci de m'avoir écouté, même si des fois ça risque d'être ennuyant parce que ça fait trois ans et demi que je répète la même chose.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Non, mais ce n'était pas ennuyant pour nous, M. Drouin, parce que vous êtes toujours le bienvenu à notre commission. Je vous rappelle que vous êtes notre invité.
M. Drouin (André): J'espère que je ne reviendrai pas!
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): C'est votre choix. Mme la ministre.
Mme Weil: Donc, vous, vous... Parce que, dans le projet de loi, il y a trois éléments. Vous avez identifié un élément, mais, pour ce qui est de ce que, nous, on appelle une confirmation de la neutralité de l'État vis-à-vis les religions... Parce que, vous savez, on a une charte des droits et libertés, tous ceux qui vivent au Québec sont soumis à cette charte. Donc, les querelles de leur pays, peut-être leur pays natal, ils laissent ça derrière eux. Mais, vous, vous avez une vision un peu pessimiste, j'ai l'impression, des citoyens qui vivent ici. Qu'ils portent un signe religieux, ils semblent transporter un certain bagage avec eux. Et donc l'espoir qu'on a ici, et je pense que c'est pour ça qu'on a des chartes de droits et libertés, c'est que, par l'éducation, la sensibilisation, les gens vont comprendre qu'on est tous égaux, et on a des droits, et qu'il faut faire valoir ces droits. Mais les exemples que vous donnez semblent dire que, dès que quelqu'un affiche quelque chose, tout de suite la personne qui le voit va présumer d'un préjudice envers lui. Alors, moi, je...
Nous, ce qu'on propose dans le projet de loi, c'est qu'en fait la liberté de religion, qui est une des libertés qui est perçue comme un des droits les plus importants, hein, à cause de l'histoire de l'humanité... Et c'est ce qu'on voit dans toutes les conventions internationales de l'homme. C'est pour ça que l'Europe est aux prises beaucoup avec ces questions-là, parce que, la liberté de religion, il y a eu beaucoup de guerres qui ont été menées au nom de la religion. Et je vous dirais que c'est une de ces... c'est un de ces droits qui... Évidemment, toujours, il y a toujours cette nécessité d'accommoder. Et, nous, on dit qu'on ne doit jamais brimer, dans l'article 4, et on doit toujours respecter la charte, notamment l'égalité hommes-femmes. On veut mettre l'accent là-dessus. On ne peut pas faire en sorte de respecter la liberté de religion tout en brimant le droit de l'égalité hommes-femmes.
Et, vous, vous semblez dire que tout signe de religion vient tout de suite, comment dire, porter atteinte à la personne qui le voit...
M. Drouin (André): Écoutez, madame, je ne veux pas...
Mme Weil: ...ou pourrait, pourrait porter atteinte, pourrait être perçu comme un affront à la personne qui le verrait. J'aimerais vous entendre là-dessus. Et est-ce que vous... Donc, votre conclusion, c'est qu'on ne peut pas permettre de signes de religion, au moins dans l'espace de l'administration gouvernementale, de part et d'autre ou de celui qui fournit le service? J'aimerais vous entendre un peu plus là-dessus.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): M. Drouin.
M. Drouin (André): Lorsque nous sommes un employé du gouvernement du Québec... Ma définition de la laïcité, elle n'est pas compliquée comme celles que j'ai entendues ce matin, où certaines personnes, là: Est-elle ouverte, est-elle fermée, est-elle au milieu, à gauche, à droite, en haut, en bas, républicaine? Lorsqu'on est un employé du gouvernement du Québec, on n'arbore aucun signe religieux. C'est tout. Vous nommerez ça comme vous voulez.
Ensuite, lorsque vous touchez le fait que... est-ce qu'ailleurs on peut en avoir ou pas, je vous rappelle... J'imagine que vous avez lu les documents que je vous ai envoyés, là, moi, je suis plus habile dans le sens de définir un problème, après ça trouver les causes du problème, puis après ça identifier des solutions potentielles, puis après ça choisir une solution qu'on va mettre en place pour, devinez quoi, solutionner le problème qu'on avait au départ. Or, ce que je vois au Québec présentement, puis en grande partie au Canada, là, c'est que la cause... ou les causes -- hein, c'est ça qui est important, là, les causes -- de la situation présentement sont les suivantes... Clairement identifiées. Je ne me suis pas levé un matin pour avoir pensé à ça, là; j'ai réfléchi longtemps puis analysé les différents scénarios. Au Canada -- puis il n'y a pas personne au Canada qui m'a dit le contraire, présentement -- les causes sont les suivantes.
La Charte canadienne des droits et libertés, vous en avez parlé vous-même, madame, à chaque fois qu'on vient pour faire quelque chose, il y a quelqu'un qui nous dit: On n'a pas le droit, à cause de la charte. Donc, ça doit être vrai. Et, ce qu'il y a de très particulier, dans la Charte canadienne des droits, ce n'est pas la première fois que je le dis, à quelque part il y a un paragraphe, dont j'oublie le numéro, qui dit: «Nous reconnaissons la suprématie de Dieu», et, de l'autre côté, les mêmes politiciens qui viennent nous faire le discours le lendemain: «L'État est séparé de la religion.» Puis, en lisant la charte, j'apprends que ce sont les êtres invisibles qui gouvernent mon pays. Alors, c'est assez inquiétant! Alors, la cause profonde... une des causes profondes, je viens de la nommer, c'est la Charte canadienne des droits.
D'ailleurs, on a beaucoup d'exemples au Québec qu'on pourrait corroborer. L'histoire du kirpan est probablement la plus importante. Il n'y a aucune cour au Québec, que ce soit la haute cour, la moyenne cour ou la basse-cour, avec ses juges et ses avocats, qui a admis qu'on devrait avoir un kirpan à l'école. Et puis, tout à coup, il y a des juges, en haut tout à fait, de la Cour suprême, en interprétant la Charte canadienne des droits, ils disent quoi? Dieu, l'invisible, ou Guru Nanak dans le cas actuel, c'est lui qui dicte la loi canadienne.
La deuxième chose, c'est l'idéologie, et je répète le mot «idéologie», l'idéologie du multiculturalisme. C'est -- je vais balancer mes propos un petit peu, là -- une chose qui est inatteignable. Et je ne suis pas le seul à le dire, là. Moi, vous savez, je suis un ingénieur, j'ai l'habitude d'analyser -- et puis c'est peut-être un défaut, là -- mais il n'y a aucun pays au monde présentement, hein... J'analyse 21 pays, puis il n'y a aucun pays au monde qui a réussi à atteindre cette partie-là de l'idéologie du multiculturalisme. Dans tous les pays démocratiques, c'est les cas de l'Europe, de l'Australie, du Canada, qui ont essayé ça, ils sont en train de voir qu'est-ce que ça donne. Donc, la deuxième cause fondamentale, c'est le multiculturalisme, ou son idéologie, ou de la façon qu'on veut bien le mettre en place. Ce sont des intellectuels, il me semble, qui ont rêvé de ça, c'est à peu près... C'est mon discours, là.
Et la troisième, puis c'est probablement aussi une des causes peut-être... aussi importantes les unes que les autres, mais, dans certains cas, cette cause-là est un corollaire des deux autres ou relève des deux autres que je viens de nommer, ce sont nos politiques d'immigration et surtout notre processus d'immigration, qui semble inexistant. J'ai posé beaucoup de questions à des gens qui sont passés autour de la table, là, mais... de vos ministères respectifs, soit du gouvernement du Québec ou du Canada, puis, lorsque je leur demande: Elle est où, la charte du processus?, ils partent à rire. Ils n'en ont pas, de ça. Donc, ces trois causes-là, ce sont les causes fondamentales qui font que nous accordions des accommodements religieux ou pour motif religieux au Québec, au Canada et ailleurs.
Alors, tant que vous n'aurez pas solutionné, ou au moins faire une approche pour solutionner, ces causes-là, vous allez débattre encore beaucoup d'années, parce que, tant qu'on n'apporte pas les causes ou les solutions aux causes qui causent un problème, bien ça tourne en rond. Alors, ceci étant dit, j'imagine que ça répond à votre question, Mme la ministre.
**(12 h 40)**M. Parent (Ghyslain): Moi, j'aimerais... Mme la ministre, j'aimerais aller même un peu plus loin. Mon collègue... Et, même dans votre question et même la teneur du projet de loi, c'est à l'effet... dans l'espace gouvernemental. Moi, je vais encore plus loin, je pense que c'est dans l'espace public. Les employeurs à l'extérieur sont confrontés aux mêmes problèmes et n'ont pas nécessairement les mêmes ressources que le gouvernement pour prendre la décision. Ils ne savent pas comment faire.
Je n'ai qu'à vous rappeler l'employé qui portait un gaminet, à Granby -- vous connaissez certainement -- qui portait un tee-shirt sur lequel était écrit «Dieu n'existe pas», et qui avait été congédié, et qui, à la surprise de beaucoup de personnes au Québec, a dû être réengagé quelques mois plus tard. Probablement que cet employé-là, s'il y avait des règles très précises sur lesquelles on lui disait: Monsieur, on n'a pas à afficher notre foi... Vous avez droit... Moi, je vais me battre toujours et longtemps pour que les gens aient leur liberté de croyance, ça, je suis très d'accord, mais à deux endroits: dans leur maison ou dans les lieux de culte. Les autres endroits, ça n'a pas d'affaire là, O.K.? On a... Et je pense que... Si les employeurs, au lieu d'être isolés et être pris avec le problème, avaient des règles strictes par une loi, je suis convaincu que les employés s'y conformeraient.
Moi, j'ai discuté il y a quelques temps avec des jeunes filles qui arrivaient d'autres pays, pour le voile, pas le voile intégral, le voile. Elles disaient: On est venues au Québec, on n'en veut pas. Mon copain, ou mon conjoint, ou mon chum ne veut pas que je porte de voile. Déjà bien, déjà bien! Son conjoint et elle, ça faisait deux. Mais elle dit: S'il y a des lois qui ne nous protègent pas, le père de mon conjoint va faire de la pression, pas sur moi comme femme, mais il va en faire sur mon conjoint pour que je porte le voile. Ça fait que... Et elles nous ont demandé, ces filles-là, d'agir pour les soutenir et les protéger là-dedans.
Moi, j'ai commencé... Je suis à peu près comme M. Drouin, on a commencé, sans se connaître, à quelques semaines ou à quelques heures... il y a trois ans, à commencer à réfléchir sur les accommodements dits religieux, et, moi, j'étais convaincu que ça se réglerait en 15, 20 minutes. Je pense, on ne peut pas être à moitié enceinte, on est laïque ou on ne l'est pas. Ça fait qu'il est très clair pour moi... On doit affirmer ce que... Les discours qu'on entend des politiciens: Ah! il y a la séparation entre l'État et l'Église, j'ai hâte de le voir. J'ai hâte que ce soit inscrit officiellement dans des documents qui vont confirmer ça.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci beaucoup, M. Parent. M. le député de Lac-Saint-Jean.
M. Cloutier: Merci, M. le Président. Alors, bonjour, messieurs. Bienvenue à cette commission. Puisque nous discutons de laïcité, je vais commencer avec ça. Vous dites... Vous souhaitez avoir un État, vous qualifiez, laïque pur. Donc, je comprends que c'est «anti-Étatal». Le gouvernement du Québec prétend que le projet de loi qui est devant nous, c'est de la laïcité ouverte. À mon sens, on peut dire que la laïcité ouverte, c'est de la fermeture sur la laïcité. Vous, vous dites... Vous préférez la laïcité pure.
D'abord, juste pour qu'on clarifie les choses, est-ce que vous pensez que le projet de loi aborde la question de la laïcité de l'État, ou de la neutralité, outre que celle déjà définie par l'état actuel du droit? Est-ce que ça vient changer quelque chose finalement?
M. Drouin (André): ...à l'inverse de la laïcité.
M. Cloutier: Bon, à l'inverse de la laïcité.
M. Drouin (André): Bien, totalement. Vous discutez de donner des accommodements religieux, faites la connexion, quelqu'un, je ne sais pas, là!
M. Parent (Ghyslain): Moi, j'aurais un fait à raconter. Il y a à peu près un mois, j'étais à l'Université du Québec à Trois-Rivières -- où je gagne mon pain, du pain non casher probablement aussi, là -- et, à un moment donné, juste à la cafétéria, il y avait une personne, un Maghrébin, un étudiant maghrébin, sympathique et tout, qui était juste en avant de moi, et, lorsqu'on est arrivés devant le comptoir, il y avait un mets qui semblait plus appétissant que l'autre, celui que j'ai pris, et lui voulait prendre la même chose, et là le cuisinier est arrivé: Hé! monsieur, monsieur, monsieur! il y a du jambon là-dedans. Probablement que, si on ne lui avait jamais dit qu'il y avait du jambon, il l'aurait mangé puis il l'aurait trouvé aussi bon que je l'ai trouvé. Cependant, parce qu'on nous mettait la pression, on avait été au-delà de l'accommodement raisonnable.
Et c'est ce qui se fait présentement des fois. Les gens disent: Hé! je suis mieux de donner l'accommodement, là, l'accommodement, parce que, si je ne le donne pas, il va aller le demander, et ça risque de me coûter cher devant le tribunal. Ça fait que qu'est-ce que je peux prévoir d'avance? Quand j'écoutais l'autre monsieur, avant nous, qui parlait puis qui disait: «On a rencontré des personnes», on en rencontre. M. Drouin en a rencontré. J'en ai rencontré. On ne rencontre même pas les mêmes, et pourtant plusieurs viennent nous dire: On s'est en venus au Québec, on pratique, on a nos activités religieuses, on est capables de les faire, mais on est capables vivre dans le Québec purement laïque.
M. Drouin (André): Puis, peut-être mieux que ça, si je peux me permettre... Quand je dis «mieux», c'est comme ajouter, étant donné que j'aimerais partager avec vous tous un petit peu l'expérience des trois, quatre dernières années. Je n'ai pas le chiffre des gens qui sont venus chez nous, là -- moi, je demeure dans le fond d'une forêt -- et surtout de femmes et de groupes de femmes musulmanes, juives, sikhes, hindoues, j'en oublie, des mormons, aussi, qui vivaient la polygamie, puis dire: Il faut absolument que tout cela cesse au pays. Il faut que les religions soient totalement séparées de l'État. Et j'ai souvent demandé à ces dames-là, là, qui sont très nombreuses: Permets-moi, je prends le téléphone, puis la télévision va venir chez nous, là. Ça, non, ils n'osent pas. Ils ont tous peur pour leur vie.
L'autre... Quand... Lorsque vous parlez de séparation d'Église et des religions ou... de l'État, il y a un petit point, puis, encore là, j'ai pris la peine de l'écrire dans le document: à quelque part, il faudrait le signifier, que c'est bien vrai. Puis, une des choses qui me tient beaucoup à coeur -- et ça, c'est parce que les premières études que j'ai faites dans ce domaine-là remontent au tout début de 2002, là, fin 2001 -- lorsque le politicien ou la politicienne affirme: l'Église... ou les religions sont séparées de l'État, et qu'en même temps vous avez des lois fiscales qui disent: si vous donnez une contribution à l'Église, l'État va vous en rembourser une partie, à cause des déductions fiscales... Alors, les groupes avec lesquels j'ai travaillé initialement en Europe, ils vont être très satisfaits de voir ce que j'ai écrit ici, là, parce qu'on demande -- je souhaite de tout coeur et je ne suis pas le seul à le souhaiter -- que l'État cesse de faire ces choses-là.
Je n'ai rencontré aucune personne autour de la table mais plusieurs de vos collègues, hommes ou femmes, députés ou ministres, de différents partis politiques au Québec et au fédéral, pour leur demander pourquoi que c'est fait de même. Bien, à ma grande surprise, il n'y a pas personne qui le sait. Il n'y a pas personne qui est capable de dire pourquoi on donne des déductions fiscales aux Églises, aux religions, tout ça. Puis on vient de passer un budget du Québec, M. Bachand, M. Charest -- j'ai pris une couple de minutes pour écouter ça -- qui disaient: On est... -- excusez l'expression, là, O.K.? Non, non, je vais changer mon mot: Ça va de plus en plus mal. Donc, on va demander aux citoyens, aux citoyennes de faire leur part, on va demander à l'État 60 %, si ma mémoire est bonne, de faire sa part, et on va demander aux entreprises de faire leur part.
Alors, il y a une chose qui, pour moi, est extrêmement claire, puis je ne suis pas le seul à penser de même -- je comprends d'ailleurs que ça peut être offusquant à l'occasion pour des gens, mais des fois la vérité est offusquante -- les religions... Pensez-y comme il faut, là, soyons neutres. Moi, je suis complètement neutre, je ne fais aucune partie de religion. Encore bien mieux que ça, mesdames et messieurs: aucun parti politique. Alors, c'est encore mieux, ça! Et puis je crois qu'une religion, de la façon que ça fonctionne -- j'ai passé ma vie dans ce domaine-là -- une religion, c'est une multinationale. Elle a un marché, puis, tu sais, au lieu de vendre, je ne sais pas, moi, un poêle, un frigidaire, on vend la foi. Et puis, pour la vendre, bien on fait peur au monde. Tu sais, là, tu es vivant, penses-y, tu n'as pas besoin, mais, quand tu vas être mort, là, c'est à ça qu'il faut que tu penses. Alors, le principe de base de toutes les religions -- puis je ne veux pas essayer de dire que les religions, ce n'est pas bon, non -- il faut l'analyser.
Et puis ces religions-là, catholique, nommez-les toutes, là, c'est toutes le même principe. Dans plusieurs pays... Au Canada, si ma mémoire est bonne, il y en a 64, là, je peux me tromper parce qu'il y a beaucoup de sectes aussi. Puis même que, dans certains pays... Ce qui est une religion dans un pays, dans l'autre religion, c'est une secte. Le plus bel exemple de ce qui se discute, la scientologie, présentement. La scientologie, il est brillant, le bonhomme: «Je vais te vendre des livres pour dire quoi faire», puis il n'y a pas d'impôt pour personne, comprenez-vous?
Puis, une des sources de base... Puis, si jamais vous étiez intéressés, téléphonez-moi, je vais vous en faire parler par... les gens connaissent ça bien mieux que moi. Je suis... Je travaille avec ces gens-là au niveau mondial. Une des sources de base du financement mondial du terrorisme, il est là, là. C'est nous qui finançons ça, comprenez-vous? Alors... Puis, moi, je ne comprends pas que l'État dise, les politiciens disent: L'État est séparé de la religion, mais par contre, M. Parent, si vous donnez un 100 $ aux mormons, bien mettez ça sur votre rapport d'impôt, puis on va contribuer aussi notre part. Alors ça, Mme la ministre, c'est une partie très importante.
Puis on a vu des échos dernièrement au Québec, là. Je n'ai pas... Malheureusement, je n'ai pas pu tout suivre, mais, sans blâmer le parti politique, peu importe, là, il y a quelqu'un qui finançait des garderies, des garderies. Au Pakistan, ils appellent ça des «madrasas». On enseignait la Torah puis l'islam. C'est l'État qui finançait ça. Ça n'a aucune allure, comprenez-vous? Puis je ne blâme pas le parti qui était responsable de ça, là. Heureusement, je pense, c'est arrêté. Mais, des exemples comme ça, je peux vous en donner pendant une demi-heure, mais on n'a pas le temps.
Alors, je vous demande: Pensez-y. Puis je demande aussi publiquement, là -- c'est public, là, cette affaire-là, ici: Si jamais l'État... quand je dis «l'État», les partis politiques, là, ne sont pas capables de dire: Demain matin, il n'y a plus de subventions aux organismes religieux, j'aimerais que quelqu'un prenne la responsabilité de nous dire, au peuple, pourquoi. Ce n'est rien que ça que je demande. Parce qu'après avoir rencontré plusieurs de vos collègues il n'y a pas personne qui est pas capable de me le dire. On ne le sait pas.
**(12 h 50)**M. Parent (Ghyslain): Il y a quelques années, j'avais fait une recherche justement et je suis allé vérifier sur le terrain si les gens étaient prêts à ce que les organismes religieux ne soient plus déductibles d'impôt, et la population, de façon générale... Je suis allé sonder surtout auprès des jeunes, et les gens m'avaient répondu: Oui, on est d'accord avec ça, on ne pense pas qu'il appartient à l'État de financer d'une façon indirecte différentes sectes ou religions, ou autres. Il y avait quelqu'un qui me disait, il dit: Moi, si je donne 100 $ à ma nièce qui est malade ou à ma grand-mère qui est malade, ce 100 $ là n'est pas déductible d'impôt, alors que, si je le donne à une personne invisible, ça va être déductible d'impôt. Il est convaincu que la personne invisible va être capable s'occuper d'elle-même, alors que la nièce et la grand-mère auraient peut-être besoin. Et je pense que, si on regarde les efforts qui sont faits et que, vous, mesdames et messieurs, vous allez faire et vous allez devoir faire pour couper dans les budgets, ce serait une façon d'aller chercher plusieurs millions de dollars... de réfléchir à ce scénario-là, de le mettre sur la table. On vous le met sur la table. Et il y a...
En même temps, on a écrit, ici, un document qui s'appelle -- où on reprend notre mémoire qu'on a présenté -- Pour que toutes les femmes marchent librement. C'était lors du 8 mars, il y a eu une manifestation à Trois-Rivières où des femmes ont décidé de contester. Elles se sont présentées -- et des hommes les ont accompagnées -- devant la cathédrale de Trois-Rivières pour dire qu'il était temps désormais qu'il y ait la séparation entre le gouvernement et les religions. Et en plus la pierre angulaire de ce débat-là était l'égalité hommes-femmes. Et les gens, les personnes... Pour la majorité, c'étaient des femmes qui ont écrit dans ce document, les femmes nous disaient: Il n'y a aucune religion qui ne reconnaît l'égalité hommes-femmes, alors qu'on reconnaît que c'est un principe, alors que la loi n° 94, que Mme la ministre me disait tantôt, c'était un principe qui était reconnu dedans. Il faudrait y réfléchir pour savoir comment on s'y prend pour que ce principe-là soit vraiment la pierre angulaire pour laquelle les immigrants vont probablement venir au Québec.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, M. le député. Merci, M. Parent. Mme la ministre.
Mme Weil: Peut-être juste avant de céder la parole à mes collègues, juste pour vous dire un peu sur tout le domaine du droit de la charité, parce que c'est un domaine que je connais bien, ça date de siècles et de siècles. Il y avait trois grands domaines où le... qui sont reconnus en droit de la charité, c'est l'avancement de la religion, le soulagement de la pauvreté et l'avancement de l'éducation. Et le droit fiscal vient refléter la possibilité aux citoyens de supporter donc ces trois grands champs de la charité. Et les agents de soulagement de pauvreté, évidemment c'étaient beaucoup les religieuses et les ordres religieux, qui ont fondé des écoles, qui ont fondé les hôpitaux ici, au Québec, donc.
Et je vous dirais qu'actuellement au Canada et encore plus au Québec plus de 50 % des dons vont dans le secteur de la religion. Donc, de couper la capacité de ces gens-là de donner, ça serait assez difficile. Et on ne fera pas le débat, mais je dois vous dire qu'au niveau de Revenu Canada il y a une vérification très, très rigoureuse de tout ce qui concerne le terrorisme et de la légitimité des organismes qui sont enregistrés comme des organismes de bienfaisance, incluant les Églises. Donc, pour vous rassurer dans ce sens-là, c'est beaucoup Revenu Canada évidemment qui est le gardien, là. Mais c'est... Donc, c'est une histoire de plus de 400 ans, ce domaine de la charité. Mais là je céderais la parole à mes collègues.
M. Parent (Ghyslain): ...je peux vous dire que la charité, la vraie charité se balance d'être déductible d'impôt, et de un. Et de deux, il faut faire confiance aux gens, parce que je pense que les gens doivent donner plus en raison de leur foi et leur grande générosité d'âme qu'en vertu d'être déductibles d'impôt.
M. Drouin (André): Ça fait que, si je vous ai bien comprise, Mme la ministre, vous annoncez clairement, précisément, officiellement que l'État va continuer de subventionner les religions. Ou j'ai mal compris, là.
Mme Weil: Subventionner les?
M. Drouin (André): Les religions.
Mme Weil: Bien, c'est le droit fiscal, hein, c'est au-delà de ma juridiction, là, on parle du droit fiscal.
M. Drouin (André): Oui, mais changez-le, madame, si vous trouvez que ça n'a pas d'allure, le droit fiscal, changez-le.
Mme Weil: Non. Je vous explique tout simplement d'où vient votre questionnement, là. Je vous explique tout simplement le droit, sans vous dire les intentions du gouvernement fédéral dans ce domaine, ou du gouvernement provincial.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Mme la députée de Gatineau ou... Mme la députée de Gatineau.
Mme Vallée: Merci, M. le Président. Alors, merci, messieurs, pour votre présentation. J'aimerais... On s'est écartés un petit peu du projet de loi n° 94. Je comprends votre préoccupation, vous avez livré un message très clair sur votre positionnement face à la laïcité de l'État et dans quelle mesure, pour vous, vous souhaitez, et surtout pourquoi vous souhaitez, voir la laïcité de l'État vraiment affirmée.
Maintenant, aujourd'hui et cette semaine, nos travaux portent sur le projet de loi n° 94. On a une étape. Vous disiez tout à l'heure, M. Drouin: Je suis venu dans le passé. Oui, vous êtes venu dans le passé, vous avez participé à nos travaux parlementaires. Vous avez participé, si je me souviens bien, en 2008, je crois, lorsque nous avions inclus le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes à l'intérieur de la charte, le projet de loi n° 63, je pense. À ce moment-là, vous aviez également participé à la consultation publique.
Et ces consultations-là sont toujours importantes. Nous, on ne souhaite pas nécessairement que les gens viennent nous voir pour une dernière fois avec un message. C'est toujours important d'avoir des citoyens qui s'intéressent à la chose publique, qui échangent, même si on n'est pas toujours d'accord sur la façon dont les... L'important -- je m'excuse, je reviens -- c'est d'abord un échange d'idées. C'est-à-dire, il y a une position, le gouvernement apporte un projet sur la table, vous avez une vision, et on échange. Parce que tout ça bénéficie au processus législatif. Pour les élus qui seront appelés éventuellement à regarder le projet de loi, bien on pourra prendre en considération ce que vous nous avez dit, ce que Mme Pelchat, du Conseil du statut de la femme, nous a dit, ce que les gens de la FTQ nous ont dit tout à l'heure.
Alors, il ne faut pas que vous voyiez votre présentation comme étant: bon, j'espère que c'est la dernière fois. Vous avez des opinions très claires, bien franches, et j'imagine, peut-être, qu'il y aura d'autres projets de loi, dans les années à venir, qui sauront vous interpeller, et vous pourrez, bien ouvertement et bien librement, nous faire part de votre philosophie, de votre état d'âme sur ce projet de loi là, c'est important. Et c'est important que les citoyens soient engagés et viennent partager le résultat de leur réflexion comme vous le faites aujourd'hui.
M. Parent (Ghyslain): ...que je vous informe tout de suite que ça va me faire très plaisir de revenir vous voir lorsque vous allez élaborer une charte de la laïcité.
Mme Vallée: On en prend bonne note. Mais, ceci étant dit, j'aimerais... Parce qu'on peut interpréter vos propos et les remettre dans le contexte du projet de loi n° 94, mais, j'imagine, vous en avez pris connaissance, vous l'avez étudié. Comment vous... Qu'est-ce que vous en pensez? Qu'est-ce que... Comment vous voyez, entre autres, l'article... la portée de l'article 4? Comment vous voyez l'article 4 -- pardon, je... -- qui mentionne que «tout accommodement doit respecter la Charte des droits et libertés de la personne, notamment le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes et le principe de la neutralité religieuse de l'État selon lequel l'État ne favorise ni ne défavorise une religion ou une croyance particulière»? Comment vous vous situez face à cet article-là?
**(13 heures)**Le Président (M. Bachand, Arthabaska): M. Drouin.
M. Drouin (André): Ça, je trouve ça génial, là. Mais de quelle façon on va en arriver à cette conclusion-là un jour ou l'autre? Ça va être encore avec des juges, des avocats, et sans arrêt. Et c'est ça qui est totalement... Puis je ne suis pas le seul, hein? Vous savez qu'il y a beaucoup de gens qui m'écrivent, tout ça, là. Puis parfois j'ai l'impression de parler en leur nom. Pourquoi il n'y a pas quelqu'un qui est capable de dire... Puis j'ai pris la peine de le faire -- madame, je vous ai souscrit... ou remis le document qui s'appelle Dans mon pays -- j'ai fait l'analyse de tous les accommodements religieux qui ont été demandés dans le... des cas acquis, au Canada, depuis 1998. Alors, écrivez un document, là, signé de la main du ministre ou du premier ministre -- je ne connais pas ces détails-là -- puis dire: Au Canada, c'est de même que ça fonctionne. Alors, s'il y a quelqu'un qui vient d'un autre pays... D'ailleurs, ce serait bon de lui faire donner ce document-là bien avant qu'il arrive chez nous pour que lui ou elle... C'est une liberté, ça, de choisir un pays, là. Ce n'est pas un droit, de rentrer dans un pays, là, hein? Le pays donne le privilège aux gens de venir vivre ici, puis on leur dit: C'est de même que ça fonctionne ici.
Or, miracle ou miracle, je comprends que c'est un petit peu simpliste, là, ce que je vais vous dire, mais, lorsque nous avons une loi claire, nette, précise, elle ne s'interprète pas. Un exemple, puis... Oui, je vois vos signes, là, mais justement c'est ça que je veux en arriver. Mettez-la claire, puis elle ne s'interprétera pas.
Je vais vous donner des exemples. J'écoutais le monsieur, c'était la FTQ, ça, avant nous autres, là, si ma mémoire est bonne, celui qui était assis là, là, il avait l'air d'en connaître un peu plus que les autres, lui. Moi, là, j'ai vécu dans... depuis deux ans et demi, si je n'ai pas fait 200 entreprises, au Québec, privées, là -- je ne parle pas du gouvernement, là -- privées, si je n'en ai pas fait 200, je n'en ai pas fait pas une, puis je n'ai pas vu une entreprise -- je ne parle pas d'Hérouxville, là, on n'a pas ces problèmes-là encore, je le répète encore -- mais, allez dans les grands centres, je n'ai pas vu une entreprise qui n'a pas eu un problème avec ce type d'accommodement du motif... Je n'en ai pas vu, pas un.
Puis, j'en ai vu qui en ont eu des gros puis... Parce que je peux téléphoner des fois à des journalistes, je dis... Je pense que je l'ai dit tantôt pour un autre domaine. Ah! non, non, non, ça, je ne veux pas parler de ça aux journalistes. L'image de mon entreprise... Je peux être poursuivi. Tout le monde marche, excusez l'expression, les fesses serrées, là-dedans. Mettez... Puis je vous le rappelle. Puis là je parle, puis ça me fait plaisir... Je leur avais promis, ça, ce matin, là. Tous les employeurs que j'ai rencontrés, j'ai dit: Je vais aller parler pour vous autres, comprenez-vous?
Mettez une loi claire et précise. Mettez-la claire et précise pour les fonctionnaires, et puis vous allez voir que l'entreprise privée va être bien heureuse d'essayer de vous copier. C'est ça qu'ils attendent présentement. Puis, lorsqu'il y a des gens qui vous disent qu'il n'y a pas de problème dans les entreprises, méfiez-vous, hein? Vous avez le temps des fois, j'imagine, là. Allez les visiter puis serrez-leur la main, la porte fermée, vous allez voir ce qu'ils vont vous dire!
M. Parent (Ghyslain): Moi, je regarde l'article 4. Vu que vous êtes ouverts au dialogue, voici comment je le réécrirais: «Il n'y aura pas d'accommodement à caractère religieux, parce que nous voulons respecter la Charte des droits et libertés de la personne, notamment le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes, le principe de la neutralité religieuse de l'État selon lequel l'État ne favorise ni ne défavorise une religion ou une croyance particulière.» Il n'y a pas de problème. C'est du domaine privé. On respecte... Si vous m'invitez chez vous, et que vous voulez faire une cérémonie religieuse, et que j'ai le goût d'y participer, je vais être curieux d'y aller, Mme la ministre. Je suis très ouvert aux gens. Je suis ouvert à tout genre d'expérience. Mais je pense que c'est de la dynamite. Je pense qu'on ne peut pas mêler les cultes religieux, parce que ce sont des dogmes qui sont à la base. Et il est très clair, lorsqu'on mêle des dogmes... Est-ce que mon bon Dieu est plus fort que ton bon Dieu? Est-ce qu'Allah est plus fort qu'un autre? Est-ce que ce que mon Ami invisible m'a dit est meilleur que ce que ton Ami invisible t'as dit, à toi? À ce moment-là... alors que c'est tellement agréable de vivre tous les autres aspects du multiculturalisme.
Je suis très ouvert aux danses, peu importe la culture. Je suis très ouvert à la cuisine. Si on réussit à faire un pâté chinois, marocain et allemand, je vais être ouvert. Il aura huit étages. Je serai très heureux là-dessus. Mais je pense que, dans le domaine des religions, le Québec est rendu là, mesdames, messieurs. Le Québec est rendu là. On est prêts.
M. Drouin (André): Non seulement le Québec, mais regardez ce qui...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Je vais... on... je vais... Vous allez avoir la parole, M. Drouin, il n'y a pas de problème, mais je vais devoir céder la parole au député de Lac-Saint-Jean.
M. Cloutier: Merci, M. le Président. J'ai peut-être... j'ai quelques questions. Je vais essayer d'être le plus rapide possible pour pouvoir toutes vous les poser. D'abord, vous n'avez pas l'impression qu'on tourne en rond avec ce projet de loi là? Tu sais, il me semble qu'on recommence tout le temps les mêmes discussions. Le projet... Le gouvernement du Québec nous a dit: Bon, on va régler les accommodements raisonnables, on va légiférer. Ils nous présentent un projet de loi puis ils disent: Accommodements raisonnables, on va régler ça une fois pour toutes, on dépose un projet. Là, on lit ce projet de loi là, puis ce que, nous, on réalise, c'est que c'est le même cas-par-cas. On codifie l'état actuel du droit puis on dit aux Québécois: Bien, si vous n'êtes pas contents, allez devant les tribunaux, puis vous vous adresserez aux gens qui sont prêts à vous écouter. Avez-vous la même compréhension que nous, que finalement ça ne change rien?
M. Drouin (André): Monsieur, je l'ai dit dans d'autres mots tantôt, hein? Au tout début, si ma mémoire est bonne, j'ai dit: J'espère que je n'aurai pas à me représenter ici un jour ou l'autre pour parler encore d'accommodements religieux, hein?
M. Cloutier: Oui, mais, à votre avis, là, avec la lecture que vous faites du projet de loi, c'est évident que vous...
M. Drouin (André): Bien, c'est... Il n'y a absolument... il n'y a pas... il n'y a rien de fait. C'est du tournage en rond. Puis, lorsque je travaillais avec les Japonais, c'est un exemple que je vais vous donner rapidement, il y avait un slogan, là, quelque chose qu'ils disaient, là: Si tu tournes en rond trop longtemps, hein, tu creuses un trou puis, à un moment donné, tu ne seras plus capable de sortir du trou. Bien, c'est ça que le gouvernement du Québec est en train de faire avec la population nationale du Québec: on tourne en rond sans arrêt.
Je vous le répète, allez visiter les hôpitaux à Montréal puis à Québec -- bien, à Québec, on est ici aujourd'hui, là -- les gros, là, il y a des problèmes, là, qui sont phénoménaux. Puis je ne parle pas de la liste d'attente, là, je parle de gens qui sont couchés puis qui disent: Moi, je vois une femme, puis elle ne peut pas me soigner, la femme. Il y en a des centaines, de ça. Puis d'un autre côté j'entends les ministres puis les députés de notre gouvernement qui disent: L'homme puis l'égal... c'est-à-dire, l'homme et les femmes sont égaux au Québec. Puis il y a quelqu'un qui va dire, dans l'hôpital: Aïe! il faut lui trouver un homme parce que, lui, il ne veut pas se faire soigner par une femme.
Allez voir les 1 200 policières de la ville de Montréal avec M. Francoeur, le président du syndicat, puis allez demander à ces femmes-là si elles sont heureuses à l'ouvrage, madame. Allez leur demander... puis messieurs, hein? Ils ne sont plus capables de savoir s'ils peuvent-u toucher à ce gars-là...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui... Oui... Monsieur... M. Drouin.
M. Drouin (André): ...parce qu'il y en a qui disent: Une femme ne peut pas donner d'ordre.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Allez-y, monsieur.
M. Cloutier: Merci, M. le Président. Nous, comme formation politique, on pense qu'au Québec on a le droit de se donner une définition de la laïcité, on a le droit de décider, comme société, de donner une orientation à la laïcité qu'on juge appropriée pour la nation québécoise. Le gouvernement du Québec nous répond: Oui, mais c'est dans la charte. C'est dans la charte, la neutralité de l'État. Nous, on pense, au Québec, comme c'est le cas en Europe, comme c'est le cas dans la Convention européenne des droits de la personne, qu'on a le droit de donner une orientation à la laïcité de l'État, on a le droit de la définir de manière commune, ensemble, en dialoguant avec la population, en entendant les intervenants comme à peu près tous ceux et celles qui sont venus nous voir jusqu'à maintenant. Est-ce que vous êtes d'accord avec nous que, oui, il y a la charte, mais que, oui, aussi on est capables de se donner nous-mêmes une propre définition de la laïcité?
M. Drouin (André): Je l'ai écrit, monsieur. Je l'ai écrit. J'ai dit: Tant que vous ne changerez pas, vous ne modifierez pas la Charte canadienne des droits, le multiculturalisme canadien puis l'immigration, les politiques, il n'y a rien qui va se passer.
M. Cloutier: Bien, vous ne pensez pas aussi qu'au-delà du multiculturalisme canadien, puis le Canada fera bien ce qu'il voudra, mais qu'ici, au Québec, nous, on en a une, charte, là... Il y a la Charte canadienne, je veux bien, mais on a notre charte québécoise. Nous, ici, on est législateurs québécois, on a le droit de... de... Nous, on propose, par exemple, de modifier la charte québécoise pour y inclure des valeurs, dont la laïcité de l'État. Est-ce que vous seriez d'accord avec ça?
M. Parent (Ghyslain): Je saute au plafond.
Une voix: Quand il y a des élections, on va voter.
M. Parent (Ghyslain): Je veux juste revenir à ce que vous nous disiez au sujet de ce document-là, ici. Moi, j'ai été élevé dans la religion catholique, où on a tous passé une enfance à l'eau bénite, ceux de mon âge, et on nous demandait toujours de penser au prochain. Et c'est ce que je fais aujourd'hui. Je pense au prochain projet de loi, O.K.? Parce que celui-là me déçoit beaucoup. Il n'apporte aucune solution.
Je suis un tenant... Je vais expliquer à tous les jours, lorsque je donne mes cours à l'université... Je travaille dans le domaine de l'adaptation scolaire. Je forme les gens à faire des accommodements raisonnables. Pour moi, c'est très important pour permettre l'inclusion des personnes ayant des différences physiques, intellectuelles et autres. Je suis très ouvert à la différence et à l'accommodement raisonnable. C'est la pierre angulaire. Cependant, à caractère religieux, c'est non, c'est très clair.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. M. le député de Lac-Saint-Jean.
M. Cloutier: Juste... Pouvez-vous me faire plaisir? Moi, je suis député de Lac-Saint-Jean, je représente une région. Trouvez-vous que, les gens des régions, on est plus fermés que les gens qui habitent en ville? Trouvez-vous que c'est nous autres qui ne comprenons rien, dans les régions, puis que c'est donc les gens des régions, là, qui sont bouchés, puis qui ne sont pas ouverts sur le monde, puis qui sont donc fermés, là, sur la différence?
M. Drouin (André): Je pense que la meilleure...
Une voix: ...
M. Drouin (André): Excuse.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, M. Drouin.
M. Drouin (André): La meilleure personne pour répondre à ça, là, elle est ici, hein? Ça fait deux ans et demi que je fais des conférences un peu partout, dans l'Ouest canadien en particulier, mais aussi à Montréal puis aussi à Québec, et il n'y a pas de différence, O.K.?
M. Cloutier: Merci.
M. Drouin (André): Il n'y en a pas, de différence. Les gens... Comme, dimanche prochain, on s'en va à La Tuque faire une conférence. Je pense qu'il va y avoir 200 personnes. À La Tuque! C'est dans le fond de la forêt, ça, là. Les gens comprennent puis ils voient clair.
Mais ce qui m'a surpris le plus... Parce qu'au début je suivais les journaux. On disait que Montréal était différente. La majorité des gens à Montréal, si je prends au Québec, n'est pas beaucoup différente, sauf qu'on ne les entend pas parler.
**(13 h 10)**Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, M. Parent, vous vouliez ajouter quelque chose? Non, ça va? Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.
Mme Poirier: Merci, M. le Président. Dans votre document, vous avez inclus une lettre ouverte à Jean Charest... au premier ministre du Québec, excusez, dans laquelle vous demandez une motion.
M. Drouin (André): En septembre 2009... août 2007.
Mme Poirier: C'est ça. Et je vais lire la motion que vous proposez et j'aimerais que vous m'expliquiez. Parce que j'ai un peu de misère à comprendre votre motion, là, et votre propos en tant que tel.
Alors, vous demandez «que l'Assemblée nationale du Québec retire à tout individu, groupe ou association la possibilité d'obtenir un accommodement de type religieux sur son territoire». Qu'est-ce que c'est «son territoire»?
M. Drouin (André): La province de Québec.
Mme Poirier: O.K. Donc, pour vous, c'est aucun accommodement religieux, mais qu'importe l'espace, donc que ce soit dans... à l'État... On parlait d'espace civique, d'espace privé et d'espace public.
M. Drouin (André): Le territoire, madame, hein? Lorsque j'ai fait un discours sur ce sujet-là en Europe, les gens ont applaudi. Il doit y avoir une maudite bonne raison, hein?
Ce qu'on est en train de faire présentement... Puis là je ne parle pas comme un politicien, puis un juge, puis un avocat, là. Je ne m'y connais pas en politique, dans ces domaines-là. Je parle comme un analyste, hein? Présentement, nous vivons dans une démocratie. Lorsque je dis «nous», c'est le Québec puis le Canada, mais je fais aussi référence à tous les pays, que vous connaissez, dans ce domaine-là. Nous vivons dans une démocratie. Et, parce que nous avons une charte canadienne, le multiculturalisme, l'immigration, puis pas de processus, là, comme je le disais tantôt, les gens rentrent ici -- en l'occurrence, cette année, M. Kenney disait qu'il va en entrer 500 000, un demi-million -- puis là il y a des religions, puis on dit: On va donner des accommodements religieux. L'accommodement religieux, là, c'est un outil -- là, je parle comme un analyste -- c'est un outil pour essayer de fonder ensemble ou de «merger», en anglais, là, la théocratie, hein -- puis il y a des pays qui en ont, de ça, là, si vous ne le savez pas, je peux vous en parler -- puis la démocratie.
Puis ça, là, ça, là, vous le voyez dans le monde entier, depuis 15 ans en particulier, puis c'est en mode d'accélération, c'est un mélange explosif. On ne peut pas mélanger, surtout de nos jours, là, une théocratie, les religions, et puis la démocratie. Ça ne peut pas fonctionner, comprenez-vous?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.
Mme Poirier: Moi, ce qui m'interpelle dans votre motion, c'est le mot «retirer». On est sous la Charte canadienne, et les gens ont des droits. La ministre nous a répondu à plusieurs reprises que les droits étaient égaux entre eux, il n'y avait pas de hiérarchisation des droits. Et retirer un droit, en tant que tel, semble -- en tout cas, moi, non, moi, je ne suis pas une juriste non plus -- semble quelque chose de pas possible. Alors, moi, je veux vous entendre là-dessus. Parce que ce que mon collègue tenait comme propos tout à l'heure, c'est à l'effet de dire: Nous, au Québec, on peut modifier notre charte à nous. Ce que vous nous dites, c'est que, oui, mais il y a la Charte canadienne. Alors, comment vous voyez ça, là, l'arbitrage, là, en tant que tel, que, nous, au Québec, on se donne des droits, des valeurs, des principes, dans le fond, de fonctionnement, une charte, ou introduire le mot «laïcité» dans la charte? Comment vous voyez ça, là, la mécanique? Moi, c'est vraiment de la mécanique que je veux que vous me parliez.
M. Parent (Ghyslain): Moi, la mécanique, c'est drôle, je...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...monsieur... Oui, je vais vous donner la parole. En une minute, s'il vous plaît.
M. Parent (Ghyslain): O.K. C'est drôle, pour moi, la mécanique, je la laisse au législateur. Je pense, moi, mon travail, c'est de réfléchir, c'est d'apporter des éléments, des pistes. On en a dressé 12 dans ce document-là qui vous a été remis. On pense... Moi, je suis... Quand on parlait des espaces, je crois et je défendrai toujours que, dans les espaces privés, les gens ont le droit de faire presque ce qu'ils veulent. Il y a quand même des limites dans les lieux privés. Les espaces, par exemple, de fin de vie pourraient être, d'après moi, des espaces privés où la personne pourrait avoir un accommodement. C'est à peu près le seul endroit où est-ce que je vois. Le restant, les gens sont capables de s'accommoder à la réalité québécoise. Et les gens, je pense que, si on leur envoie des balises, je leur fais confiance, ils sont aussi intelligents que vous et moi et ils vont être capables de l'accepter et de définir...
Pour l'instant, il y a des gens qui font de la publicité en arrière du Québec, où on leur... loin du Québec, en leur disant: Venez au Québec. C'est extrêmement ouvert. Vous allez avoir le droit de faire ce que vous voulez et d'imposer et d'exiger vos demandes à caractère religieux. On leur dit... J'ai des gens... J'ai donné des cours à des étudiants qui avaient comme responsabilité d'accueillir des immigrants, et je lisais dans les documents ce qu'on leur disait: Le Canada exige que vous défendiez votre culture en arrivant au Québec, exige que vous gardiez votre identité culturelle. Probablement que ces gens-là seraient ouverts aussi à venir faire des expériences québécoises et canadiennes.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, M. Parent. Merci, M. Drouin. Et merci pour votre contribution à cette commission. Bon retour chez vous.
Donc, compte tenu de l'heure, je suspends les travaux jusqu'à 15 heures. Vous pouvez laisser vos choses ici, il n'y a personne qui va...
(Suspension de la séance à 13 h 16)
(Reprise à 15 h 4)
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, nous allons reprendre nos travaux. Je vous rappelle que nous sommes réunis afin de procéder à des auditions publiques dans le cadre de la consultation générale sur le projet de loi n° 94, Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement dans l'Administration gouvernementale et dans certains établissements.
Nous entendrons cet après-midi le Mouvement laïque québécois, qui a déjà pris place, si je comprends bien -- bonjour, mesdames, nous aurons l'occasion de vous saluer; et l'Institut Simone-De Beauvoir; et Mme Marie-Claire Belleau. Donc, Mme Marie-Michelle Poisson et M. Daniel Drouin, c'est bien ça?
Mme Poisson (Marie-Michelle): C'est bien ça.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Bienvenue, messieurs mesdames, à notre commission en ce beau jour d'été, hein? Été ou de printemps? D'été, hein? D'été. En tout cas, il fait très beau.
Une voix: ...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça, c'est indéniable. Donc, nous vous souhaitons la bienvenue. Simplement vous rappeler à quel point on est heureux de vous voir à notre commission et que vous êtes les bienvenus, que vos propos sauront sûrement nous inspirer.
Sur ce, je vous rappelle les règles: il y a 10 minutes pour votre présentation, puis il y aura un échange de la part des parlementaires du côté ministériel et du côté de l'opposition. Ça vous va? Donc, à vous la présentation, monsieur, madame. Peut-être vous présenter encore une fois pour être bien sûr que je n'ai pas fait d'erreur.
Mouvement laïque québécois (MLQ)
Mme Poisson (Marie-Michelle): Oui. Alors, bonjour, M. le Président, Mme la ministre, MM., Mmes les députés. Nous sommes heureux d'être ici présents pour vous exposer notre point de vue sur la laïcité de l'État. Nous vous remercions chaleureusement de nous avoir si gentiment reçus dans votre Assemblée.
Je vous présente M. Daniel Drouin, qui est juriste et qui siège au conseil national du Mouvement laïque québécois. Je suis Marie-Michèle Poisson, la présidente du Mouvement laïque québécois.
Alors, je vais procéder à la lecture, qui, je l'espère, entrera dans les délais de 10 minutes, et en espérant aussi que les questions permettront de développer cet exposé assez succinct. Alors, je vous lis le mémoire du Mouvement laïque québécois sur le projet de loi n° 94.
Alors, le Mouvement laïque québécois, MLQ, est un organisme sans but lucratif dont la raison d'être est la... est la défense de la liberté de conscience, la séparation des religions et de l'État et la laïcisation des institutions publiques, depuis 25 ans. La laïcité mise de l'avant par le MLQ est concordante avec la liberté d'opinion et de croyance, qui toutefois doit s'exercer dans les limites et le respect des lois civiles.
La lutte pour la déconfessionnalisation du système scolaire et l'instauration d'écoles laïques sur l'ensemble du territoire québécois demeure l'un des principaux objectifs du Mouvement laïque québécois. Le MLQ est également actif dans d'autres dossiers où la liberté de conscience est concernée. Il est intervenu dans le débat sur l'avortement, sur l'élargissement de l'accès au mariage civil ainsi que dans le dossier de la prière dans les assemblées municipales. Le MLQ a notamment remporté, en 2006, un procès l'opposant à ville de Laval devant le Tribunal des droits de la personne, à l'issue duquel la ville a dû renoncer à la récitation de la prière en vertu des articles 3 et 10 de la charte québécoise des droits et libertés de la personne. Le MLQ est solidaire des luttes qui visent à défendre et à promouvoir les droits et libertés de la personne.
Le projet de loi n° 94, résultat du parti pris avoué du gouvernement libéral en faveur de la laïcité ouverte aux accommodements religieux, ne règle rien. Elle maintient l'introduction... pardon, l'intrusion du religieux dans les institutions publiques, institue l'arbitraire et le cas-par-cas, ouvre la porte à la multiplication des contestations judiciaires et menace ainsi la cohésion sociale. De manière plus fondamentale, nous pensons que le projet de loi n° 94 est incompatible avec plusieurs dispositions importantes de la charte québécoise des droits et libertés de la personne et doit par conséquent être abandonné.
Par contre, il est nécessaire que la laïcité soit affirmée comme valeur publique de la nation québécoise. Nous avons la conviction qu'une laïcité authentique, exigeant que l'État garantisse un espace civique exempt de toute expression religieuse et refusant toute exception religieuse dans l'application des lois, est une condition essentielle au renforcement de la cohésion sociale et de la vie démocratique. J'aimerais bien qu'on me pose des questions un peu plus tard sur l'impact de ce régime d'exception, ou de facilitation des exceptions, sur la vie démocratique.
À cette fin, le MLQ propose un projet de loi prévoyant deux amendements à la charte québécoise des droits et libertés. Nous sommes d'avis qu'une fois ces amendements intégrés dans la Charte des droits et libertés le législateur devra compléter la législation en adoptant... par l'adoption d'une charte de la laïcité prévoyant la mise en oeuvre du principe de laïcité de l'État dans les institutions publiques et l'ensemble de l'action gouvernementale.
Remarques préliminaires. En fait, ce n'était qu'un résumé de nos positions, en espérant que je puisse avoir le temps de détailler, mais vous avez quand même eu droit au résumé. Quelques remarques préliminaires. Nous tenons à souligner que la nature exclusivement religieuse des accommodements visés par le projet de loi n° 94 n'est pas explicitement mentionnée. En passant aussi, on utilise inconsidérément l'expression «accommodement raisonnable», alors que ce n'est pas le libellé qui est prévu dans la loi. Donc, il manque de rigueur ici, et on va désormais... Cette omission laisse dans l'ombre une dimension importante du débat sur ce projet de loi. C'est pourquoi nous emploierons, partout dans ce document, l'expression «accommodement religieux», car c'est bien de ça dont il est question et c'est de ça dont... qui fait problème justement dans la société. Et peut-être que Mme Weil aura envie de me reposer la question concernant la nature religieuse de ces accommodements, qui pose en soi problème.
Notre analyse se limitera à la prise en compte de la charte québécoise des droits et libertés de la personne. Quant à la Charte canadienne des droits et libertés, qui fait partie de la Loi constitutionnelle de 1982 et à laquelle aucun gouvernement, aucun gouvernement québécois n'a accepté d'adhérer à ce jour, elle constitue un obstacle majeur à l'affirmation de la laïcité, notamment par son article 27. Me Drouin serait en mesure, bien sûr, de vous donner plus d'explications sur l'analyse juridique.
**(15 h 10)** Nous pensons que l'ensemble des considérants de la charte québécoise ainsi que ses articles 9.1, 3, 10 et 52, entre autres, offrent des balises utiles mais non suffisantes pour circonscrire la présence religieuse dans l'espace civique et qu'ils contredisent même les principales dispositions du projet de loi n° 94. Les considérants de la charte québécoise constituent une affirmation et une définition on ne peut plus claires de l'humanisme -- et j'ajoute ici «universelles» -- qui anime la charte. Par conséquent, nous avons des raisons de penser que, selon l'esprit de la charte, ces principes devraient prévaloir.
L'article 9.1 réaffirme la nécessité de protéger certains droits collectifs comme garantie de l'exercice des libertés individuelles. Ce faisant, l'article 9.1 pose des limites claires et objectives à la liberté d'expression religieuse, qui doit toujours s'exercer «dans le respect des valeurs démocratiques, de l'ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec».
Les articles 3 et 10 ont été retenus dans un jugement du Tribunal des droits de la personne dans une cause opposant la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse à ville de Laval au sujet de la récitation de la prière lors des séances du conseil municipal. Et je prends le soin de citer ici une partie du jugement. La cour a jugé que «la récitation de la prière impose un climat et un ton religieux qui opère une forme de coercition contraire à l'esprit de la Charte des droits et libertés de la personne et à la dignité des personnes non croyantes [et] des personnes qui n'adhèrent pas à cet idéal religieux. Un tel objectif est incompatible avec l'objectif de la Charte des droits et libertés de la personne lorsqu'il est question de l'exercice et [de] la reconnaissance, en pleine égalité, du droit à la liberté de [la] religion et de conscience protégé par les articles 10 et 3.» Je trouve important de citer cet extrait du jugement parce que -- regardez la suite -- nous estimons que la multiplication d'accommodements religieux dans l'espace civique, tel que permise par le projet de loi n° 94, susciterait des recours similaires pour les mêmes motifs de la part de personnes non croyantes ou qui n'adhèrent pas à cet idéal religieux. Nous croyons que ces recours seraient tout à fait justifiés de la part de personnes ayant à subir régulièrement l'opprobre de la plupart des discours religieux officiels, à savoir les femmes, les homosexuels et les apostats. Et j'aurais pu ajouter aussi les gens de d'autres confessions, c'est-à-dire des confessions adverses ou contraires.
Donc, quand on nous demande en quoi la nature religieuse des accommodements est problématique, vous en avez une partie de la réponse ici. Les discours religieux officiels sont souvent difficiles à supporter pour certaines catégories de personnes nommément visées par les discours religieux, qui sont à juste titre particulièrement sensibles, on le comprendra, ce ne sont pas tous les citoyens, mais il y en a qui sont sensibles à la symbolique morale et politique très forte, j'insiste ici, des signes religieux ostentatoires dans l'espace civique. Et, en ce sens, l'exemple du jugement de Laval peut servir à démontrer en quel sens la présence accrue de symboles religieux dans l'espace civique devient discriminatoire et porte atteinte à la liberté d'expression.
Je pense que je n'aurai pas le temps d'aller dans l'analyse très sommaire que nous avions quand même proposée ici. Je vais aller directement à la position du Mouvement laïque, c'est une petite page qui me reste à lire. Position du Mouvement laïque sur le projet de loi n° 94. Le projet de loi n° 94 est l'expression juridique du...
Une voix: ...
Mme Poisson (Marie-Michelle): ... -- oui? O.K. -- politique du gouvernement actuel en faveur de la laïcité ouverte. En facilitant la multiplication des accommodements religieux, ce projet de loi conférerait à la liberté de religion un caractère quasi absolu -- on a beaucoup parlé de hiérarchisation des droits ici, c'est ce qu'on croit, nous aussi, il y a une préférence, une prépondérance pour la liberté religieuse qui est manifeste dans ce projet de loi -- et les autorités administratives seraient sans cesse interpellées afin d'assurer la suprématie de la liberté de religion au détriment des autres libertés. S'il était adopté, le projet de loi n° 94 serait sans nul doute un facteur de division sociale. On ferait bien de se rappeler que la commission Bouchard-Taylor a été instituée en raison même de l'insatisfaction quasi généralisée des Québécois envers les accommodements religieux.
Le MLQ estime que la mise en oeuvre de la laïcité ouverte aux accommodements religieux encouragerait l'expression de divers intégrismes religieux au sein de l'État et de ses institutions. Les privilèges incessants accordés aux religions iraient à l'encontre de l'article 9.1 de la charte québécoise, qui protège nos valeurs démocratiques, l'ordre public et le bien-être de la population.
Voilà pourquoi... voilà pourquoi, plutôt que de conférer préséance à la liberté de religion sur les autres libertés et créer ainsi un périlleux déséquilibre sur les rapports sociaux, le MLQ opte pour la laïcité authentique, facteur de cohésion sociale et de cohérence nationale. Il convient de renforcer la portée de l'article 9.1 en amendant la charte québécoise des droits et libertés de la personne de manière à y affirmer explicitement et fermement la laïcité de l'État du Québec.
Nous soumettons donc à la commission parlementaire une résolution, votée par les instances du MLQ, appelant à la reconnaissance formelle de la laïcité par un projet de loi qui ajouterait deux éléments à la Charte des droits et libertés. Nous appelons les citoyens et les élus de l'Assemblée nationale à appuyer notre initiative. D'ailleurs, en passant, plusieurs intervenants, en fait au moins deux ou trois depuis hier, ont repris certaines de nos propositions, et intégralement le projet de loi que nous proposons sera repris aussi... a été repris par les Intellectuels pour la laïcité.
Le projet de loi que nous proposons va comme suit, alors: La loi visant à affirmer la laïcité comme valeur publique de la nation québécoise. Le Parlement du Québec décrète ce qui suit: Le préambule de la Charte des droits et libertés est modifié par l'insertion, après le quatrième alinéa, de l'alinéa suivant: «Considérant qu'il y a lieu de reconnaître la laïcité comme valeur publique et source de cohésion sociale.» Donc, on rajouterait un «considérant» de plus pour faire valoir la laïcité comme valeur publique de source de cohésion sociale.
Et le deuxième amendement qu'on proposerait, ce serait: La charte est modifiée afin d'ajouter l'article 9.2, qui se lirait comme suit: «L'État, ses institutions, l'action gouvernementale et celle des agents de l'État sont laïques. Nul ne peut porter atteinte au caractère de neutralité de l'État, de ses institutions et des services publics.» Et, bien sûr, on espérait que la présente loi entre en vigueur le jour même de sa sanction.
Bien, voilà, je ne sais pas si j'ai encore beaucoup de temps, mais j'aurai dit l'essentiel. Je pourrais revenir sur des aspects d'analyse un peu plus pointus. Est-ce qu'il me reste du temps?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. Bien, en fait, par consentement, on pourrait prendre quelques minutes pour terminer votre mémoire. En deux ou trois minutes, pensez-vous vous rendre à votre conclusion, Mme Poisson?
Mme Poisson (Marie-Michelle): En fait, la conclusion, bien c'était de vous lire en fait la proposition concrète que nous faisons ici d'amender la charte, une proposition qui va aussi dans le sens de ce qui a déjà été proposé par le Parti québécois. Quoique, nous, on insiste pour que ce soit vraiment le terme «laïcité» qui soit inscrit et qu'on fasse valoir la laïcité comme un principe de cohésion sociale, donc, plutôt que de reconnaître un caractère peut-être patrimonial à la laïcité... à l'expression du religieux. C'est-à-dire, on ne serait pas tout à fait ouverts à ce genre d'exception là pour l'acceptation du religieux sous forme de patrimoine. Même ça, on n'est pas d'accord, parce que ça ouvre la porte à la persistance de signes religieux comme, bien sûr, pour des raisons patrimoniales, le fameux crucifix, qui est toujours présent à l'Assemblée nationale. Ce serait un danger. Ce serait un danger aussi de laisser une porte ouverte aux maires des municipalités qui s'entêtent à toujours vouloir faire, malgré les jugements des tribunaux, des prières en début de conseil, donc, pour des raisons patrimoniales, comme M. Tremblay était venu vous l'expliquer tout récemment.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Ça complète votre présentation, Mme Poisson?
Mme Poisson (Marie-Michelle): Oui.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, ça va. Merci beaucoup pour votre présentation. Mme la ministre, pour la période d'échange.
Mme Weil: Très généralement, là, bon, les États-Unis se déclarent, par leur constitution, État laïque, et, je vous dirais... moi, j'ai fait des entrevues sur ce projet de loi sur les accommodements raisonnables, je vous dirais que la liberté de religion, ça va encore plus loin que nous. La France, de par leur loi, s'est déclarée État laïque. Vous voyez le débat qu'ils ont. En quoi vous pensez que le mot «laïque» peut résoudre les questions que vous avez concernant l'exercice de la liberté de religion?
Parce que je comprends que tous les groupes qui viennent ici veulent le bien de la société, mais c'est par où passer. Il y a des conventions internationales, qu'est-ce que vous faites, dans votre société laïque, des conventions internationales qui reconnaissent la liberté de religion? Il y a la charte québécoise, il y a la Charte canadienne, mais on est quand même adhérents à des conventions internationales de droits. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qu'est-ce que vous en faites? ...peut-être commencer par me décrire l'exercice des droits dans cette société laïque que vous voyez et comment vous faites pour contourner ces chartes et ces pactes internationaux.
Parce qu'on voit aux États-Unis, on voit en France, on voit en Europe, partout, on a à peu près... on a des instruments juridiques un peu différents, mais c'est les mêmes grands principes. Et la liberté de religion en est une en autant qu'on ne vient pas brimer d'autres. Et là je vais en venir à l'article 9.1 parce que je veux vraiment comprendre votre affirmation que, l'exercice du droit enchâssé dans la charte, l'article 10 vient... l'exercice de la liberté de religion vient brimer les valeurs démocratiques, l'ordre public et le bien-être général des citoyens du Québec. J'essaie de comprendre ce que vous affirmez là.
Mme Poisson (Marie-Michelle): En fait, il y avait au moins trois questions dans ce que vous m'avez dit...
Mme Weil: On va commencer avec les pactes internationaux, là. Qu'est-ce...
**(15 h 20)**Mme Poisson (Marie-Michelle): ...je vais choisir dans l'ordre, peut-être. Laïcité, bien sûr que le mot «laïcité» ne suffit pas. D'ailleurs, on peut faire toutes sortes d'acrobaties avec le mot «laïcité», parfois même parler de laïcité ouverte aux accommodements religieux sans sourciller. Donc, la mention de la laïcité dans la charte serait déjà un grand pas, parce que ça serait la mention explicite de cette laïcité qu'on souhaite tous, mais elle devra être assortie, bien sûr, de lois, de règlements et évidemment, probablement, d'une charte de la laïcité qui détaillera quelle forme prendra cette laïcité.
Et bien sûr que ce débat-là n'est pas encore fait. Quoi que décrètent plusieurs instances paragouvernementales et gouvernementales, le modèle québécois de laïcité n'a pas été défini. Et, lorsqu'on affirme péremptoirement que le modèle québécois en est un de laïcité ouverte, je me demande bien où on a pu prendre ça, si ce n'est pas des officines... si ne vient pas, par exemple, d'officines du ministère de l'Éducation, nommément le Secrétariat aux affaires religieuses, qui a travaillé activement à la définition de ce principe de laïcité ouverte, surtout aux accommodements religieux et aux privilèges des catholiques, qu'on veut maintenir à tout prix grâce à l'application de ce principe-là. Donc, c'est clair qu'autour du principe... du nom, du mot, du vocable «laïcité», il y a tout un débat sémantique à faire.
Mme Weil: Vous avez lu...
Mme Poisson (Marie-Michelle): Ça, c'était une première question, mais mon envolée m'a fait oublier le reste.
Mme Weil: Mais c'est-à-dire que... je ne sais pas... On a tellement d'instruments de droit et, dans... C'est tous les juristes, là, qui ont été consultés sur la question. Je ne sais pas si vous avez eu l'occasion de lire ce livre-là sur, justement, la laïcité ouverte, là, qui est bien décrit, et le... c'est celui de Charles Taylor, parce que vous faites référence à la commission Bouchard-Taylor, mais...
Mme Poisson (Marie-Michelle): ...de ceux qui ont travaillé activement...
Mme Weil: Bouchard-Taylor.
Mme Poisson (Marie-Michelle): ...à imposer le modèle québécois de laïcité ouverte, et c'est une philosophie politique très particulière, cette approche de laïcité là et...
Mme Weil: Mais... Non, mais, très concrètement donc, votre... Parce que vous avez des opinions, vous les déclarez, je pense que vous serez capable de me donner des éléments de votre société laïque. Surtout, je veux vous entendre sur... Parce que vous semblez rejeter l'accommodement pour des motifs religieux, qui irait à l'encontre des chartes de droits et libertés et, au-delà de ça, de pactes, du pacte international. J'essaie de voir comment vous feriez, parce que ce n'est pas facile comme tâche.
Mme Poisson (Marie-Michelle): Oui. Bon. Vous brandissez des pactes internationaux qui nous empêcheraient d'enfreindre, ou de limiter, ou d'encadrer la liberté religieuse, en tout cas de façon assez catégorique. J'aimerais bien qu'on me dise quoi au juste. La liberté religieuse n'est pas un absolu. La liberté religieuse s'arrête là où les droits de la personne sont menacés. Et je crois que quelqu'un...
Mme Weil: C'est sur ça que je veux...
Mme Poisson (Marie-Michelle): Plusieurs personnes vous ont dit que les libertés des uns s'arrêtent là où les libertés des autres commencent.
Mme Weil: Mais c'est ça que j'essaie de comprendre. Parce que vous dites que ça viendrait à l'encontre de l'article 9.1, l'ordre public, le droit des autres, mais en quoi? J'essaie de comprendre.
Mme Poisson (Marie-Michelle): En quoi? O.K., je vais vous donner un exemple très précis: le refus de prestation de services dans un...
Mme Weil: Dans le projet de loi, là, dans le projet de loi n° 94.
Mme Poisson (Marie-Michelle): Oui, un exemple qui va quand même illustrer bien des choses. Un prestataire de services se présente à l'hôpital, ou dans un CLSC, ou quoi que ce soit, et refuse d'être servi par quelqu'un... pour des raisons uniquement religieuses, par quelqu'un qui n'est pas du même sexe que lui. Ce faisant, il vient d'enfreindre toutes sortes de processus démocratiques qu'on a mis en place pour donner ces services-là. Premièrement, la personne qui était prête à offrir des services et dont on vient péremptoirement de refuser ce service, elle était instruite, qualifiée, diplômée, expérimentée, et tout cela a été sanctionné. La personne qui était prête à donner des services de même que l'institution avaient fait tout un processus démocratique pour sélectionner cette personne-là, l'encadrer, lui offrir de la formation supplémentaire, et ainsi de suite, tout ça de façon démocratique, en respectant d'autres règles démocratiques que sont les conventions collectives et autres directives, d'ordre professionnel ou autre. Et...
Mme Weil: Je comprends votre point, mais est-ce que vous...
Mme Poisson (Marie-Michelle): ...et ce qui se produit quand quelqu'un intervient avec une demande motivée uniquement par la religion, elle arrive, elle refuse de se faire servir, elle refuse que cette personne-là puisse poser son acte professionnel. Vous savez que...
Mme Weil: Non, mais je comprends votre point, mais est-ce que...
Mme Poisson (Marie-Michelle): ...cette personne-là est atteinte dans sa dignité et dans son droit d'exercer sa profession.
Mme Weil: Oui, je comprends tout à fait. Mais est-ce que vous voyez des situations où on peut... Vous semblez rejeter toute notion d'accommodement.
Mme Poisson (Marie-Michelle): Je vous donne un exemple parce qu'après je vais pouvoir vous faire la... finir la démonstration. Ce faisant, sur simple demande, qui n'est pas justifiée par des actes professionnels fautifs, sur une demande qui pourrait être fondée sur une soi-disant impureté ou un péché à être en contact avec une personne de sexe différent, il n'y a pas eu d'acte répréhensible commis par la personne qui était qualifiée pour donner le service, c'est comme si on envoyait à la figure de cette personne-là une claque à la figure, on lui dit: Tu ne peux pas exercer ton métier pour lequel tu t'es formé, pour lequel on a reconnu tes compétences. L'institution ne peut pas cautionner ce genre de chose, c'est comme un désaveu de son employé, c'est le désaveu aussi de sa propre action en tant qu'institution.
Mme Weil: Mais est-ce que vous voyez des situations où l'accommodement serait possible?
Mme Poisson (Marie-Michelle): Bien, les accommodements sont tous un peu à cette image-là.
Mme Weil: Mais, par exemple, le port d'un signe religieux.
Mme Poisson (Marie-Michelle): C'est-à-dire que, dans la société démocratique et moderne, normalement un refus de service doit être modifié soit par une mauvaise pratique ou par un mauvais comportement d'ordre sexuel. Effectivement, s'il y a eu harcèlement ou agression, la personne serait justifiée, il y a des recours pour ça. Maintenant, que ça se fasse simplement sur la base d'une croyance qui veut qu'on suppose qu'il y ait impureté ou péché à être en contact, ça ne peut pas être recevable, on ne peut pas cautionner ce genre de chose là. On a des processus démocratiques rationnels. On se base sur l'expertise des gens.
Mme Weil: Mais l'accommodement reconnaît tout ça, c'est-à-dire les contraintes excessives, on ne peut pas brimer un autre droit, tout ça est inclus dans la jurisprudence.
Mme Poisson (Marie-Michelle): Mais êtes-vous...
Mme Weil: Est-ce que le port d'un signe religieux, pour vous, aussi c'est un problème pour l'individu qui vient se faire servir?
Mme Poisson (Marie-Michelle): Oui.
Mme Weil: Est-ce que c'est un problème si la personne porte un signe religieux?
Mme Poisson (Marie-Michelle): Bien, c'est pour ça que je vous ai cité le cas du jugement de la prière, à Laval. Le Tribunal des droits de la personne a reconnu, en vertu des articles 3 et 10, qu'il y avait atteinte à la liberté de conscience et liberté d'expression de quelqu'un qui était soumis malgré elle à l'expression religieuse.
Mme Weil: Le port de signes religieux.
Mme Poisson (Marie-Michelle): Et le port du signe religieux serait un cas, j'imagine, qu'on pourrait plaider de façon similaire. On ne sait pas quel est le vécu de chaque personne qui aura à fréquenter un service public. Il y a des personnes qui ont des très bons rapports avec le religieux, mais d'autres personnes qui en ont subis. Et je vous en ai nommé. Je ne prends pas ça en leurre, je vous... je fais référence au discours officiel des trois monothéismes les plus connus. Aucune de ces religions-là ne reconnaît l'égalité hommes-femmes. Aucune de ces religions-là ne reconnaît des droits égaux aux gais et lesbiennes. Et aucune de ces religions-là ne fait un sort très heureux aux gens qui décident de quitter leur religion, c'est-à-dire les apostats. Et, les personnes, les individus, on peut supposer qu'à chaque fois qu'il y aura présence du religieux de la part d'un représentant de l'État il est possible qu'elle entre en contact avec une de ces personnes qui n'ont pas nécessairement un bon rapport au religieux. Quelle sera la possibilité pour cette personne, obligée d'être en rapport avec ce fonctionnaire de l'État, d'exprimer son mécontentement, sa dissidence ou son malaise? Il n'y en a pas, à moins de recourir, comme Mme Danielle Payette l'a fait, au tribunal, à la Commission des droits de la personne, qui lui a donné raison dans un premier temps, et ensuite au tribunal, parce que le maire ne voulait pas obéir à l'avis de la commission, au Tribunal des droits de la personne, une procédure qui a duré cinq ans, madame, cinq ans, une enseignante qui a fait ça en plus de son travail à temps plein et qui voulait tout simplement faire valoir sa liberté d'expression et sa liberté de conscience.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Merci, Mme la ministre. Mme la porte-parole de l'opposition officielle.
Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, M. le Président. Alors, Mme Poisson, M. Drouin, bonjour, bonjour. Alors, deux, trois choses. Je voudrais revenir sur justement un cas dont on a discuté chez... je pense, c'était... je me... à la Ligue des droits et libertés, tiens, avec la Ligue des droits et libertés, j'ai fait état du cas de M. Robitaille. Vous vous souvenez de ce citoyen qui est arrivé devant un guichet, là, d'un organisme parapublic et puis qui n'avait pas envie de se faire servir, au nom de sa liberté de conscience, bon, par quelqu'un qui portait un signe religieux ostentatoire. Et puis il est allé à la Commission des droits de la personne, et puis on lui a dit: Vous, votre liberté de conscience, ça n'a pas d'intérêt. Ce qui est intéressant, c'est la liberté religieuse, et puis celle-là doit être assumée.
Est-ce que, pour vous, ça va dans les deux sens? En d'autres termes, quand vous... Parce que vous donniez un certain nombre d'exemples, là. Est-ce que vous pensez qu'un citoyen qui... peut se sentir lésé, étant donné sa conscience à lui, et qu'à quelque part dans les chartes, aujourd'hui, ça, c'est protégé? Il ne le... Il ne semble pas. Moi, ça m'a beaucoup étonnée, je veux dire, qu'on dise à ce citoyen: Eh bien, non, c'est la liberté religieuse, dans le fond, du fonctionnaire qui a préséance sur votre liberté de conscience, et puis, vous, refaites la file et puis attendez votre tour pour trouver le fonctionnaire qui vous conviendra. Est-ce que ça vous... C'est normal ou ça ne devrait pas, d'après ce que, vous, vous pensez et ce que vous dites dans votre mémoire, se produire?
**(15 h 30)**Mme Poisson (Marie-Michelle): En fait, cette personne-là a... Dans ce cas-là, il y a une différence majeure entre le refus de service de la part de quelqu'un qui le ferait pour des motifs religieux, sans fondement rationnel ni factuel, et la personne qui le fait au nom d'un principe démocratique de laïcité et de neutralité, qui, semble-t-il, était déjà dans la jurisprudence mais qui vient d'être ajouté, «neutralité de l'État», bon, mais trop vague, semble-t-il, pour avoir donné raison à ce monsieur.
Donc, les gens qui plaident comme quoi ce projet de loi ne fait que conforter ce qui existe déjà en fait de principe de neutralité de l'État se trompent, puisque la... il n'y avait rien qui... ou en tout cas la Commission des droits de la personne n'a pas été en mesure de trouver, dans l'état du droit, quelque chose qui permettait de donner raison à la plainte... de donner suite à la plainte de monsieur, qui pourtant, lui, faisait une plainte en vertu d'un principe qui devrait être ou qui semblait être reconnu, celui de la neutralité de l'État en regard des religions. Donc là, il y a un vrai paradoxe.
Et puis ce monsieur ne faisait pas cette demande de façon gratuite. Il invoquait un principe qu'il considérait important. Je continue à dire que les accommodements religieux sont gratuits, du fait que la nature même des croyances religieuses, c'est de ne pas être rationnelles, de ne pas être démontrables. Et là on est obligé de se rabattre sur la sincérité de la personne qui fait la demande. C'est très difficile à vérifier. Les autres sortes d'accommodement, les accommodements pour handicap ou situation particulière, comme une femme enceinte, ou autre, sont des accommodements qui vont toujours demander la caution d'un expert. On va vous faire faire les tests pour vérifier si c'est vrai que vous avez vraiment mal au dos, que vous êtes vraiment sourde, que vous nécessitez des ressources supplémentaires.
Comment peut-on vérifier qu'il n'y a pas opportunisme dans le cas d'une demande religieuse, qu'il n'y a pas volonté politique ou morale cachée derrière cette demande soi-disant légitime ou sincère? Très difficile. C'est laissé à la discrétion du juge, et c'est pourquoi ça sape l'autorité des lois, aussi. C'est-à-dire qu'on institue un système de cas-par-cas où on... c'est presque un chèque en blanc qu'on donne à l'avance. On dit: Bon, bien, O.K., il va y avoir une facilitation de tous les cas d'exception possibles, laissée à la discrétion de tous les gestionnaires que vous énumérez.
D'ailleurs, c'est une des critiques qu'on fait à l'article 2, là, de votre projet de loi -- c'est-à-dire, c'est à l'article 2, ça ou à...
Une voix: ...
Mme Poisson (Marie-Michelle): ... -- à 7, à 7, où ce sont les différents directeurs des différents services qui vont, eux, rendre les décisions au cas-par-cas, chacun dans leurs services de... chacun de leur côté. Donc, il n'y a pas de cohérence et il y a finalement un relativisme de la règle qui s'instaure, un cynisme aussi envers la règle, la règle de droit, qui peut s'instaurer. C'est ça, le danger pour la démocratie.
Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, M. le Président, oui. Quand vous parlez, justement, des amendements que l'on devrait faire à la Charte des droits et libertés, bon, bien, je trouve ça quand même intéressant parce que vous formulez quand même des amendements, vous prenez la peine d'en formuler.
Je vais vous dire, moi, que je suis tout à fait d'accord avec vous, que c'est le mot «laïcité» qu'il faut employer et que... Il se retrouvait d'ailleurs, vous vous souviendrez peut-être, dans le projet n° 195 du Parti québécois. C'était le mot «laïcité». Alors, je ne sais pas pourquoi ça... Mais personnellement, en tout cas, je vais plaider pour que l'on revienne, dans nos amendements éventuels à la Charte des droits et libertés, au mot «laïcité», parce qu'il dit bien ce qu'il veut dire puis il était déjà, d'ailleurs, dans un projet de loi que nous avions déposé. Alors...
Mais ma question concerne... Vous dites, bon: Il faut amender la charte et éventuellement il faudra avoir un autre instrument, un autre outil. Comment vous les voyez? L'un avant l'autre? En même temps? En parallèle? Et qu'est-ce que cette... Parce que là vous dites: Ça pourrait être une charte, effectivement, de la laïcité, qui viendrait comme en appui ou en tout cas... et j'aimerais comprendre un peu la façon dont vous voyez ça.
M. Drouin (Daniel): Bien, c'est-à-dire que l'amendement à la charte est global. Il insère le principe de la laïcité de l'État au coeur de la charte. Cela fait, le global doit se particulariser, et la particularisation survient par l'analyse par le législateur d'une loi particulière qui établira quels sont les éléments que l'on retient pour qu'il y ait laïcité des institutions et des agents de l'État. Alors, c'est la particularisation qui suit le principe global initié par les amendements à la charte, un amendement au préambule et un amendement à 9.2.
Mme Poisson (Marie-Michelle): Mais, ceci dit, c'est un chantier énorme. On vous l'a dit, et plusieurs intervenants syndicaux l'ont mentionné. Ils souhaitent ce débat de fond sur ce que devrait être une charte de la laïcité, mais ça devra être un débat très large dans la société. On fait intervenir tout le monde. Et c'est plus que la fonction publique, on vous l'a dit. Bon. D'ailleurs, on ne mentionnait pas les municipalités. Ça serait très important de l'inclure.
Mais ça peut être tout le milieu du travail. On vous l'a très bien expliqué ce matin, le représentant de la FTQ l'a fait, les employeurs privés sont aux prises avec la même loi d'accommodement, et c'est ce qui... si on regarde dans les médias, c'est ce qui posait aussi beaucoup problème. Et ce qui... cette menace de l'obligation de l'accommodement, pour un gestionnaire, un employeur, les rend, et c'est notre conviction, très frileux à engager des gens dont ils soupçonnent, peut-être même à tort, d'être des éventuels demandeurs d'accommodement.
Et c'est rendre un très, très mauvais service, on vous l'a dit, d'associer systématiquement les demandes d'accommodement à l'immigration ou encore les demandes d'accommodement aux communautés ethniques et culturelles. Là, il y a eu des amalgames incroyables qui ont été perpétués par la commission Bouchard-Taylor, et c'est le plus grand tort que je leur reproche personnellement, c'est d'avoir perpétué ces amalgames. Mais c'est aussi d'avoir non pas calmé le jeu, mais attisé l'inquiétude de plusieurs acteurs sociaux envers ces demandes d'accommodement raisonnable, qu'on ne peut pas empêcher de voir se multiplier si un projet de loi comme celui-là se produit.
Et c'est... quand on dit que c'est un facteur de paix sociale, bien c'est justement... la laïcité permettrait d'établir vraiment les limites de ce qui est permis, et de ce qui peut être demandé et exigé de la part d'un employé, ce qui peut être demandé et exigé de la part d'un employeur, mais aussi qui établit clairement ce qui ne pourra jamais être exigé ni par un employé ni par un employeur. Et là, les règles du jeu étant clairement établies, je crois bien que beaucoup d'employeurs seraient ravis d'avoir dans leurs équipes des gens de toutes provenances. Ils auraient des gens prêts à travailler dans des conditions bien précises, et puis je crois bien qu'on n'en entendrait plus parler.
Mme Beaudoin (Rosemont): Alors, c'est très intéressant, parce que vous dites dans le fond que la charte de la laïcité, bon, qui viendrait particulariser ou enfin expliciter, décliner, en quelque sorte, ce principe général qui serait donc inclus dans la Charte des droits et libertés, que cette charte de la laïcité doit aller, de votre point de vue, bien au-delà de l'espace civique, «civique» entendu au sens, justement, d'institutions publiques et parapubliques. Mais vous parlez donc des entreprises et puis donc du milieu du travail dans le secteur tout autant privé que public. C'est ce que vous dites.
Mme Poisson (Marie-Michelle): Oui. Oui, parce que l'État légifère au niveau des normes du travail, et, s'il y a des problématiques religieuses non résolues dans ce secteur-là, comme dans le secteur de la justice ou la fiscalité, on l'a évoqué ce matin... La fiscalité, ça va vous chercher loin dans le privé, ça, d'une certaine façon. Mais bien sûr que, s'il y a des problématiques, des injustices ou des iniquités par rapport aux groupes religieux, il faudra aussi revoir ça. C'est pour ça que je vous dis: C'est un énorme chantier, la laïcité. En fait, tous les ministères y passent, à la... au niveau de... même le ministère de la Justice. Il y a des vieilles lois, comme la loi contre le blasphème... Ça, c'est un exemple du fédéral, mais il faudrait y voir aussi.
Mme Beaudoin (Rosemont): La loi contre le blasphème?
Mme Poisson (Marie-Michelle): Au fédéral, mais...
Mme Beaudoin (Rosemont): Au fédéral. Ah! Bon.
Mme Poisson (Marie-Michelle): Oui, hein, c'est ça?
Une voix: ...
Mme Poisson (Marie-Michelle): Oui. Alors, oui, il y a toutes sortes de choses qui sont tombées dans l'oubli mais qu'il ne faudrait pas réactiver. Et puis, si on ne prend pas la peine d'y voir, eh bien, avec la recrudescence des intégrismes religieux, cette loi qui dort depuis des années au niveau fédéral aurait pu être réactivée, et on l'a craint au moment de l'incident sur les caricatures de Mahomet. Elle aurait pu être invoquée par un groupe avisé par un avocat avide de procès. Oui.
**(15 h 40)**Mme Beaudoin (Rosemont): Moi, je constate en effet comme vous que c'est un immense, immense chantier et je vous soumets qu'il va falloir commencer à quelque part. Parce que ce que vous dites là, si l'ensemble, donc, de la société doit être touché, cette charte de la laïcité, ça va être long et compliqué. Mais je ne sais pas. En tout cas, je réfléchis tout haut, là, mais il me semble que, si on commençait par un certain nombre de choses qui toucheraient l'espace civique, c'est-à-dire donc tout ce qui concerne l'État, les institutions publiques et parapubliques, on aurait peut-être fait un bout de chemin parce que c'est le consensus social.
Moi, en tout cas, ce que je vois actuellement -- je peux me tromper, là, mais, disons que ce qu'on a entendu puis ce que... je regarde un peu toute cette question-là depuis peut-être quelques mois -- c'est qu'il y a un consensus social qui est en train de se construire puis qui existe vraiment en ce qui concerne l'espace civique. En tout cas, moi, je vois ça beaucoup, beaucoup. Et, même hier, avec la... Oui, même hier, avec la fédération canadienne des musulmans, quand on a discuté... D'abord, je pense qu'ils veulent des règles claires. Puis d'autre part, quand le jeune Atïm Léon, ce matin, est venu nous dire qu'il faisait aussi des «focus groups» et qu'il y a beaucoup de gens qui... des communautés culturelles ou des nouveaux arrivants, mais qui disaient: Ce qu'on veut, c'est des règles claires, puis on ne veut pas revivre nécessairement, justement, toutes sortes de situations qu'on a fuies en venant ici pour trouver justement autre chose... En tout cas, il est sûr que qui trop embrasse mal étreint. Alors, je me pose tout simplement la question et je vous la pose.
Mme Poisson (Marie-Michelle): Oui, un vaste chantier. Moi, j'aimerais revenir aussi sur les finances publiques. C'est-à-dire, l'expérience qu'on a, nous, le simple incident des prières au conseil de ville, ça a fait l'objet de cinq avis de la Commission des droits de la personne. Je ne sais pas à combien se détaille chaque avis rendu par la Commission des droits de la personne, mais, faites la facture, on paie collectivement assez cher pour ce genre de chose là. Cinq avis qui vont dans le même sens.
Dans le cas de Laval, il n'a pas été honoré, procès aux frais du Tribunal des droits de la personne. Ce procès-là se rejoue présentement à Saguenay. Le maire de Saguenay est venu vous en... plaider sa cause devant vous. Nous, on ne le fera pas. Mais encore 10 séances qui se sont jouées, cette fois à Saguenay. Donc, le tribunal s'est déplacé 10 jours de temps, avec les frais de transport, d'hôtel, etc. À Laval, le maire avait engagé 250 000 $, près de... un quart de million de frais municipaux pour des experts et des avocats. Et il a dû en plus payer, aux frais de la ville, les dépenses de ce procès-là, qu'il a perdu.
On poursuit le maire de Saguenay, nous, pour 150 000 $, pour dommages et abus de droit. Et lui-même a engagé des frais au nom de sa municipalité sans avoir jamais consulté personne. Le cas-par-cas voudrait qu'on recommence le processus sans doute dans chacune des municipalités, où la saine gestion des affaires publiques demanderait qu'on légifère sur la question de la prière et du décorum des assemblées civiles pour qu'enfin cesse cette comédie qui finit par être assez rocambolesque, là, si on pense à Saguenay. Bon. Voilà. Donc, c'est des choses aussi pragmatiques que ça aussi.
Nous, au Mouvement laïque, on pourrait aussi vous détailler notre facture. Heureusement, on a gagné dans le cas de Laval, mais on engage quand même beaucoup de frais, et ça, c'est toujours pour faire valoir des droits qui toujours nous sont reconnus. Donc, en ne donnant pas suite à des jugements des tribunaux des droits de la personne, qui ont rendu quand même... qui ont quand même statué que les droits des plaignants avaient été enfreints, on est en train de perpétuer l'affront envers ces citoyens-là qui sont allés jusqu'au bout d'un processus qui leur a donné entièrement raison, et on ne légifère pas.
Mme Louise Hubert, qui était présente ici ce matin, qui vient de Trois-Rivières, est aux prises avec une plainte pour harcèlement. Elle veut faire une plainte... elle est en train de faire une plainte au... Commission des droits de la personne. Elle a gagné l'avis de... contre la prière au conseil de ville de Trois-Rivières, cette fois, et elle a eu maille à partir -- là, je vous parle de paix sociale -- avec une partie de l'assemblée publique, qui l'a invectivée, qui l'a même bousculée, pour ses opinions personnelles, O.K.? La commission lui avait donné raison une première fois. Là, on attend la décision pour savoir est-ce qu'il y a vraiment eu harcèlement du maire et d'une partie de l'assistance.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci... Je...
Mme Poisson (Marie-Michelle): Et, en ne donnant pas suite par une loi à tous ces incidents-là et en réglant une fois pour toutes la question de la prière au conseil de ville, bien on perpétue les brimades envers des citoyens qui ont eu gain de cause, je le répète.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Mme Poisson. Nous aurons l'occasion d'y revenir, de toute façon. Merci, Mme la députée de Rosemont. M. le député de Laurier-Dorion.
M. Sklavounos: Merci, M. le Président. D'abord vous souhaiter la bienvenue, Mme Poisson, Me Drouin. Il me fait plaisir de vous avoir avec nous. On a fait référence à M. Atïm Léon, que j'ai manqué ce matin. C'est une personne que je connais bien. C'est le président du PQ dans mon comté. Il était ici représentant la Fédération des travailleuses et travailleurs du Québec. Je lui parle souvent à travers des journaux locaux. C'est dommage que je l'aie manqué, ça m'aurait fait plaisir de mettre un visage sur le nom.
J'ai une couple de questions pour vous. Je suis avec attention votre présentation depuis le début. Je vais vous poser une couple de questions en rafale. Vous pouvez prendre le temps pour répondre. La première question, vous parlez du projet de loi n° 94 comme un projet de loi qui instaurerait la suprématie de la religion. À vous écouter parler, c'est comme si on était en train, avec le projet de loi n° 94, d'instaurer une théocratie au Québec. J'aimerais que vous me dites quel article, ou quelle lecture, ou où vous trouvez ça, dans le projet de loi, qu'on est en train d'établir la suprématie de la religion. Je ne le vois pas. J'ai fait la lecture, j'ai regardé la version, même, anglaise, tout à l'heure pour savoir où on instaure une théocratie style iranienne, ou je ne sais pas trop quoi, je ne l'ai pas trouvé. Vous pouvez m'aider avec ça une fois que vous allez avoir la parole.
La charte de la laïcité, de ce que je comprends, éliminerait le cas-par-cas parce qu'on abolirait toute manifestation, dans le domaine civique et dans le domaine public, de symboles religieux. C'est aussi simple que ça. Si vous n'êtes pas d'accord avec moi, vous pouvez le dire, mais c'est la lecture que je fais. La seule façon d'abolir le cas-par-cas, c'est de tout abolir, c'est d'éliminer tout symbole religieux dans le domaine civique, mais vous parlez aussi, plus généralement, dans le public, dans les entreprises, etc.
Je vous demande aussi de me faire un petit peu la lecture, si je vous dirais, je vous parlerais -- vous êtes juriste, Me Drouin -- une conjugaison entre la liberté de religion et la liberté d'expression, pour une personne qui désire entrer à quelque part portant une petite croix. Moi, je porte une petite croix autour du cou, et je l'ai autour du cou, principalement parce que c'est ma marraine qui me l'a donnée, des raisons très personnelles, moins que religieuses. J'aimerais savoir quelle interprétation vous donnerez, parce qu'il me semble que c'est une interprétation, somme toute, très restrictive de la liberté de religion conjuguée à la liberté d'expression, qui m'empêcherait de porter une croix qui serait visible.
J'ai un autre point. Vous avez utilisé les exemples des homosexuels, les apostats et les femmes. J'essaie de comprendre le lien. Honnêtement, je comprends qu'il y a certaines personnes qui parlent au nom de certains groupes religieux, qui font des déclarations, mais j'aimerais savoir comment qu'on peut extrapoler à partir d'une position de l'Église. La religion est quelque chose de très personnel, je pense, pour la plupart des personnes. On peut croire à notre manière, à notre façon jusqu'à temps qu'on soit excommunié, là. Mais j'aimerais savoir en quoi vous faites... comment vous utilisez l'exemple des homosexuels. Je suis peut-être d'accord avec vous concernant certaines positions des religions, mais je veux savoir, en tant qu'individu, un croyant, comment on peut extrapoler, à partir d'un symbole, que, moi, j'appuie ces positions peut-être de ma propre Église. J'ai le droit d'être en désaccord avec certaines choses. Puis je ne vous conterai pas tous mes péchés, mais j'ai le droit d'être... désaccord avec certaines positions. Je veux vous entendre là-dessus.
Je veux savoir aussi si, pour vous, il existe... il n'existe pas de possibilité de voir la neutralité religieuse de l'État comme étant un petit peu différente de la neutralité religieuse des individus qui font partie de l'appareil étatique.
Et, dernièrement, vous parlez... vous avez demandé à la ministre tout à l'heure d'où elle sort ce concept de la laïcité ouverte. J'ai lu attentivement l'annexe 2 de votre mémoire, à la page 12. Vous dites, au dernier paragraphe: «Nous considérons donc que le projet de loi n° 94 fait la promotion du maintien et de la valorisation du patrimoine multiculturel canadien, et ce, à l'encontre de la volonté de la population québécoise.» Maintenant, je ne sais pas si vous parlez de votre membership, là, c'est peut-être le cas, là, ou si vous parlez du sondage du Journal de Montréal fait sur l'Internet, là, qui... suite à certains accommodements, mais je me demande d'où, vous, vous prenez ça pour sortir ça comme principe général. Et qui vous mandate exactement de parler au niveau de la population québécoise en général? Je ne sais pas, je pense que vous parlez pour votre membership. Mais ça, c'est-u le sondage du Journal de Montréal? Parce qu'il y en a eu, je suis d'accord. Je vais vous laisser la parole...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. M. Drouin...
Une voix: ...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Allez-y.
Mme Poisson (Marie-Michelle): Oui, bien, qui nous mandate? Bien, il y a quand même des sondages assez frappants, où 95 % des gens étaient contre le port du voile intégral, 85 % à 75 % des gens sont contre la multiplication des accommodements religieux. Et on peut supposer que, dans ces 95 % et 75 % de la population, il n'y a pas que des Blancs, Québécois de souche, là. Il doit comme y avoir une très bonne proportion, en proportions égales, d'immigrants et de gens de communautés culturelles, là. Quand on approche le 95 % de gens d'accord, là, ça va chercher pas mal toute la population.
Une voix: ...
Mme Poisson (Marie-Michelle): Bien, ça ne dépend pas des cultures, rendu là, là.
Et puis là vous invoquez la majorité, monsieur, alors que, pas plus tard que... je pense que c'était lundi dernier où c'était le Barreau qui... vraiment à vous jeter par terre, où on disait que la majorité était nécessairement la loi du plus fort et que la loi du plus fort était la loi de la jungle. Qu'est-ce que ça veut dire, cette idée que la majorité serait toujours quelque chose qui persécuterait les gens, hein? Vous êtes élus à majorité. Vous êtes en train de discréditer la majorité politique en invoquant la majorité sociologique. Il y a des amalgames incroyables qui se font dans ce débat-là, ce n'est pas possible.
La majorité, c'est toujours et encore la façon de trancher dans les sociétés démocratiques. Alors, oui, je crois bien que, si on faisait des sondages... Et curieusement il n'y en a pas beaucoup sur la question, mais je pense qu'il mériterait d'y en avoir de très sérieux sur... et peut-être même en détaillant d'après les origines ethniques et même les confessions des gens, si c'est possible de sonder les gens de cette façon-là sans enfreindre les droits. Mais il faudrait en avoir le coeur net.
Et je crois bien qu'effectivement, quand on entend parler des... quand on voit intervenir des grands syndicats, des grandes associations, comme l'association des retraités, qui ont fait des «focus groups», des sondages internes, et qu'à peu près tout le temps ça va dans le même sens, de dire: Une majorité de nos membres, ceux qui ont fait le débat, ceux qui ont fait l'exercice, là... Il y en a qui ont dit qu'ils attendaient pour le faire, mais, bon, écoutez, il y a quand même un consensus qui se dégage, assez net, et on ne va pas le discréditer parce que c'est le consensus... ou c'est la majorité... à partir du moment où c'est la majorité, c'est la loi... c'est la loi du plus fort, et c'est la loi de la jungle, et qu'on opprime les minorités. Non. Là, si c'est la majorité, on ne la reconnaît pas, et puis... En tout cas, je ne sais pas, il y a toutes sortes de jeux qui se font autour de cette notion, et je crois bien que de toute façon il y a un consensus ou une certaine cohésion sociale qui se dégage dans ce sens-là.
**(15 h 50)**Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, M. Drouin.
M. Drouin (Daniel): Écoutez, notre proposition ne vise pas à réprimer l'expression religieuse des citoyens. Notre proposition vise à circonscrire cette liberté religieuse. Et l'article 9.2, dans notre proposition, dit que «l'État, ses institutions, l'action gouvernementale et celle des agents de l'État sont laïques». Alors, la perspective n'est pas de dire que, dans un restaurant x, monsieur qui se promène et qui affiche sa croyance religieuse, bien on va lui interdire.
J'irai même vous donner un exemple. Par exemple, à Montréal, un groupe religieux décide de vouloir tenir un concert de musique sacrée, et ils vont magasiner des salles de spectacle, présentent leur volonté à l'administrateur propriétaire de la salle. Celui-ci lui dit: Non, on n'accepte pas que vous puissiez exprimer votre foi de la sorte et on vous interdit la location. Nous estimons que ça serait de la discrimination, et l'État aurait même obligation et devoir de faire respecter cette liberté de religion.
C'est qu'il y a une distinction nette qui doit s'opérer entre l'Église et l'État. Et je crois que même le premier ministre Charest l'affirmait lors du... au moment où il a initié la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. Une autre intervention, M. le député? Allez-y.
M. Sklavounos: Dans votre conception à vous, s'il y avait une touriste, on pourrait prendre un exemple, une touriste égyptienne qui viendrait visiter le Québec, et qui serait habillée en niqab ou en... -- on ne va pas prendre le niqab, on va le laisser de côté -- en hidjab, et elle rentrait dans un bureau de Tourisme Québec pour obtenir des renseignements parce qu'elle cherche, je ne sais pas, le mont Royal, est-ce que l'employé qui est en poste pour Tourisme Québec pourrait refuser de lui donner des renseignements parce que ça... parce que servir une personne qui a un symbole religieux qui offusque ses propres croyances serait...
Mme Poisson (Marie-Michelle): ...je vais vous interrompre tout de suite...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): ...juste laisser le député terminer. Ça va me faire...
Mme Poisson (Marie-Michelle): Ah! Excusez.
M. Sklavounos: Là, je pose une question, là, je ne donne pas la réponse. Je veux votre réponse, mais je vous donne un exemple. Dans votre conception des choses, est-ce que le droit de la personne qui travaille de ne pas voir quelque chose qu'il n'aime pas... Parce que vous utilisez ces exemples dans votre argumentation. Ça fait mal aux yeux d'un homosexuel, selon vous, de voir une croix parce que la religion chrétienne parle en mal des homosexuels. Donc, moi, la personne peut être... mettons, qui est en arrière du comptoir, il a des idées sur l'islam ou il a lu une partie du Coran qu'il n'aime pas, est-ce qu'il pourrait refuser de servir la madame sous prétexte que ça viole ses droits à lui? Je veux... Je vous pose une question.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme Poisson? Monsieur... Monsieur... Non, mais... M. Drouin ou Mme Poisson? Faites-moi signe.
M. Drouin (Daniel): Pas du tout. L'exemple que je viens de vous donner, qui précède, là, hein, c'est l'expression de notre position à l'égard de la non-discrimination à l'égard des religions. Notre principe, c'est la séparation de l'État et des religions quant à l'exercice du pouvoir public, de l'administration de l'État et de ses institutions. Ce n'est pas de régir le trottoir et de savoir qu'une personne porte le hidjab. Elle peut le faire. Et je dirais même que...
Mme Poisson (Marie-Michelle): ...c'est dans le cadre de prestataires de services et ceux qui offrent les services. Les fonctionnaires, eux, sont tenus au devoir de réserve. On l'a dit pour la politique. On voudrait, de la même façon que les fonctionnaires sont venus vous l'expliquer... le syndicat des fonctionnaires sont venus vous l'expliquer, extensionner ce devoir de réserve à la réserve quant aux opinions religieuses ou la manifestation du religieux. Ça, c'est le devoir du professionnel, du fonctionnaire ou du représentant de l'État. Mais celui qui vient chercher les services, le prestataire de services, n'est pas tenu au même devoir de réserve. Ça se comprend, là.
M. Sklavounos: Ça, je comprends. C'est clair. Merci beaucoup. J'inverse un petit peu les faits. La personne qui porte le hidjab, c'est la personne qui travaille pour Tourisme Québec. Vous êtes d'accord avec moi qu'il y a très peu à voir avec... entre le tourisme et la religion, comme tel. Je pourrais voir d'autres exemples où peut-être une manifestation des croyances religieuses serait peut-être un facteur dans un litige ou à quelque part, où on pourrait voir un lien. Mais, s'il y avait une jeune femme portant un hidjab qui voudrait donner des informations sur le tourisme au Québec, est-ce que, selon vous, elle ne devrait pas pouvoir occuper le poste de préposée au comptoir de Tourisme Québec parce qu'elle porte un hidjab, selon votre conception des choses?
Mme Poisson (Marie-Michelle): Oui, bien, moi, je vais vous retourner la question: Selon vous, pourquoi une jeune fille devrait avoir la volonté de porter le hidjab pendant son travail? On ne répond jamais à cette question-là. Pourquoi elle... Elle dit qu'elle est libre de le porter. On dit tous que cette religion-là n'offre aucune contrainte aux femmes, qui sont libres, qui sont féministes et qui sont libres de le porter. Et pourquoi décide-t-elle, malgré quand même les réserves de l'employeur, malgré les règlements, de vouloir le porter sur son lieu de travail? Est-ce qu'on lui a demandé pourquoi? Parce qu'on connaît très bien de ses consoeurs de même religion, non moins pieuses et vertueuses, qui ne le portent pas, qui décident de ne pas le porter.
M. Sklavounos: Puis, moi, moi, je vous retourne la question. Le fardeau...
Mme Poisson (Marie-Michelle): ...lui appartient.
M. Sklavounos: Le fardeau est à vous, lorsqu'elle est majeure et vaccinée et qu'elle décide de venir en hidjab, de prouver que ce n'est pas sa volonté et sa liberté de porter un hidjab. Vous êtes en train de dire qu'une femme, parce qu'elle porte un hidjab, est, quoi, moins habile au niveau juridique, elle a moins de capacité de décider, moins de discernement qu'une autre personne? Pourquoi vous... Pourquoi cette présomption? Je vous pose la question.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Me Drouin...
Mme Poisson (Marie-Michelle): C'est...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme Poisson. Faites-moi signe parce que...
Mme Poisson (Marie-Michelle): En fait, c'est assez... Ah! excusez-moi.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Je veux vous donner le droit de parole. Je ne veux surtout pas intervenir là-dedans, mais c'est parce que M. Drouin m'avait demandé la parole.
Mme Poisson (Marie-Michelle): Ah! je l'avais tout simplement... Excusez-moi.
M. Drouin (Daniel): Monsieur, je vais vous donner l'exemple des articles 10, 11, 12 de la Loi sur la fonction publique. Écoutez, je pense que les fonctionnaires respectent leur devoir de réserve à l'égard de la partisanerie politique, et ils admettent ça. Ils comprennent qu'il y a 168 heures dans une semaine, qu'ils en travaillent à peu près 35 ou 40 et qu'il leur en reste 128 pour exprimer leur liberté politique d'expression. C'est tout à fait compris et ça ne renverse pas le monde. Et on ne dira pas de cette liberté qu'est la liberté d'expression politique qu'elle est subalterne à la liberté d'expression religieuse. C'est ça qui fait l'enjeu du débat. C'est-à-dire qu'on hiérarchise la liberté religieuse comme étant une liberté suprême.
M. Sklavounos: Je comprends bien ce que vous dites. C'est juste que ma carte du Parti libéral est facile à laisser et à mettre de côté lorsque je travaille. Une personne qui porte quelque chose par conviction religieuse, là, c'est un petit peu différent de demander à cette personne-là de laisser sa kippa ou son hidjab à l'extérieur du travail, et à quelqu'un de ne pas afficher son épinglette du Parti libéral ou sa carte. Ce n'est pas la même chose. Je ne sais pas, selon ma conception des choses, ce n'est pas la même chose. Il y a une partie de ces symboles religieux qui est intégrale à la personnalité de la personne, alors que, la carte du parti politique, on peut la laisser de côté, ne pas l'afficher. Vous ne voyez pas de distinction dans...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Bien, Mme Poisson, je veux absolument vous donner le droit de réplique, là.
Mme Poisson (Marie-Michelle): Bien sûr qu'il y a une distinction. En fait, vous êtes en train d'essentialiser, de réifier cette religion. Il y a encore un cas... Là, vous êtes en train de faire la démonstration que vous hiérarchisez les droits. Parce que, bien sûr, la liberté d'expression religieuse de cette femme-là ou de cette personne-là -- on va dire «une personne», on ne va pas dire que c'est un homme, une femme, ou n'importe quelle religion -- mais de cet individu qui voudrait présenter sa religion dans l'espace public... Oui, il a son droit individuel versus le droit collectif, qui pourrait être défendu, d'avoir des institutions neutres. Et en quoi son droit individuel prévaudrait sur cette décision commune qu'on aurait prise d'avoir des institutions neutres? Voilà.
Donc là, quand on parle de non-hiérarchisation, bien, vous, faites-moi la démonstration que vous n'êtes pas, ce faisant, en train de prioriser la liberté d'expression tout individuelle versus la... quand même une... un principe qui se défend très bien en démocratie pour des raisons de paix sociale et de cohésion sociale. On peut vouloir collectivement donner priorité à l'expression individuelle pour préserver quelque chose de plus précieux à nos yeux, à savoir une neutralité garante de paix sociale.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Mme Poisson. Mme la députée de Rosemont.
**(16 heures)**Mme Beaudoin (Rosemont): Merci, M. le Président. Alors, on y revient à peu près à chaque fois puis avec chaque groupe, où il y a, entre le parti ministériel puis l'opposition officielle, un genre de ligne de fracture. Parce que, moi, je crois aussi que la laïcité de l'État, c'est le meilleur garant et... de la cohabitation religieuse, c'est le meilleur garant de la cohésion sociale, c'est le meilleur garant finalement de l'inclusion du cadre citoyen dans lequel on doit se retrouver. Ce cadre citoyen... Moi aussi, je crois que, 35 heures ou 40 heures par semaine, on peut se retrouver comme citoyens égaux d'une démocratie et que ça ne brime pas la liberté d'expression, ou de quoi que ce soit, de quiconque. Ça me semble, en tout cas, à partir du moment où on l'affirme, évidemment, à partir du moment où on le décide collectivement par une loi, en amendant la charte ou en faisant une charte de la laïcité ou autre chose, à partir du moment où, comme législateurs, en effet... Et vous savez qu'il y a justement la convention... La convention des droits de la personne, en Europe, avec tous les tribunaux afférents, a déclaré, puis il y a beaucoup de jugements là-dessus, donc il y a des... qui... et ça peut... qu'un État peut en décider ainsi qu'étant neutre, étant laïque, eh bien, le port de signes religieux ostentatoires n'est... ne brime pas la liberté et que l'État peut le faire et peut se permettre d'en décider ainsi en autant que c'est la volonté collective et celle des législateurs et des assemblées nationales dans un cadre démocratique.
Ce qui veut dire qu'il peut y avoir, je dirais, d'autres systèmes juridiques, là, ce n'est pas... il n'y en a pas qu'un dans l'humanité, depuis Adam et Ève, qui aurait décidé que ces droits-là, bon, ont cours et qu'on ne peut pas déterminer la laïcité de l'État, etc., il y a d'autres systèmes juridiques qui le permettent et qui ont décidé, de par les jugements de leurs propres tribunaux, que c'était possible, valable, et qu'il n'y avait pas... Je regrette que le député de Laurier-Dorion ne soit pas là, parce que c'est... Ça se fait ailleurs, donc ça doit être parce que... ailleurs, dans des pays aussi démocratiques que le Québec et que le Canada, là. Il n'y a pas qu'un exemple de démocratie au monde, elle se décline quand même de différentes façons. Et la laïcité de l'État peut en effet différencier certaines démocraties par rapport à d'autres. Alors, je pense que, là-dessus, il y a vraiment un point de divergence important.
Alors, moi, votre article 9.2, moi, je l'aime bien, quand vous dites: «L'État, ses institutions, l'action gouvernementale et celle des agents de l'État sont laïques. Nul ne peut porter atteinte au caractère de neutralité de l'État, de ses institutions et de ses services publics.» Moi, ça me plaît assez. Alors donc, c'est sûr qu'il peut y avoir beaucoup de discussions là-dessus, mais c'est donc quelque chose, un principe qui, moi, en tout cas, ne me heurte pas, au contraire, qui emporte mon adhésion. Alors, oui, M. Drouin, est-ce que vous vouliez réagir là-dessus?
M. Drouin (Daniel): Non, c'était pour répondre à Mme Weil un peu plus tard. Je vous laisse terminer.
Mme Beaudoin (Rosemont): O.K., très bien. Alors, non, c'était tout simplement pour dire ça, parce qu'on en discute beaucoup. Et je comprends bien que la laïcité, c'est beaucoup plus large que ça, mais, quand je disais: Il faut commencer à quelque part, c'est sûr que ce quelque part, c'est d'abord l'État et ses institutions, bon, publiques, les réseaux publics et parapublics, et que cette relation entre les droits collectifs et les droits individuels... Et je cite souvent, parce que, comme je ne suis pas juriste, j'essaie de trouver des exemples dans la vie, quoique la Charte de la langue française... Et puis je suis sûre, sûre et certaine... Et je serais curieuse de retrouver dans les débats de l'Assemblée nationale, en 1977, à l'été 1977... Et je suis sûre qu'on avait les mêmes débats sur: liberté individuelle, liberté collective, etc. Et évidemment le Parti libéral, à ce moment-là, avait voté contre la loi 101, il était absolument opposé à la loi 101. Justement, je pense, au nom des droits individuels. Je serais curieuse de retourner dans le verbatim, là, de nos prédécesseurs, il y a 30 ans. Et ces questions-là, dans une société, se reposent beaucoup.
Mais, je l'ai dit hier et je le répète pour vous, ce que je trouve le plus extraordinaire dans la Charte de la langue française 30 ans plus tard, alors que là ça fait, disons, relativement l'unanimité telle qu'elle est... Moi, en tout cas, je pense qu'il faut l'amender sérieusement, là, pour que ça donne de bons résultats. Mais l'acquis de 30 ans de loi 101, c'est d'avoir désethnicisé la langue française au Québec et d'en avoir fait une langue citoyenne. Alors, mutatis mutandis, je me dis: Un grand projet pour le Québec, après celui de la Charte de la langue française il y a 30 ans, ça peut être celui du vivre-ensemble et vivre ensemble mieux. Et mieux vivre ensemble, pour moi, ça passe par la laïcité, effectivement.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Me Drouin, vous aviez...
M. Drouin (Daniel): Alors, Mme Weil, votre projet de loi, selon moi, plutôt que protéger l'ordre public, organise le désordre public. Je vous donne un exemple. Un citoyen se retrouve à Montréal, sur le boulevard René-Lévesque, et s'en va à l'édifice Guy-Favreau; il sera régi par les règles de la Charte canadienne des droits et libertés. Il traverse l'autre côté, au complexe Guy-Favreau, s'en va au ministère du Revenu, il sera régi par la loi n° 94 pour... par votre projet de loi n° 94, dont on espère qu'il ne sera jamais adopté. Et il se dirige vers la ville de Montréal, et là il sera régi par la Charte de la Ville de Montréal, parce que votre projet de loi ne parle même pas des municipalités, des villes, il ne les intègre pas dans un projet de loi sur la laïcité ouverte.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Me Drouin. Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Merci, M. le Président. Merci d'être ici. En fait, simplement, d'entrée de jeu, nous, on l'a évoqué quand le projet de loi a été déposé, on a été très surpris parce qu'on pensait que c'était un projet de loi... Et, quand on lit le titre, c'est «établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement», on a été surpris parce que, un, on n'a pas trouvé les balises, sinon que de codifier la jurisprudence actuelle. Mais surtout c'est quand on a dit dans le discours... Et vous le notez, je pense, dans votre annexe, quand le gouvernement a déposé le projet de loi, on a parlé de laïcité ouverte. Et donc, soudainement... Et ceci faisant fi du concept de laïcité ouverte qui, je pense, effectivement n'est en fait plus de la laïcité, parce qu'une laïcité, en soi, c'est une laïcité totale, c'est la laïcité. Mais c'est comme si c'était venu dire: Bien, le projet de loi, finalement il porte ce titre-là, mais par la bande on vient régler la question de la laïcité, puis on vient faire le choix de la laïcité ouverte. Ça fait que je pense que, nous aussi, on a été très surpris.
Et on dirait que ça, c'est appuyé sur l'article 4. Puis je veux vous amener sur l'article 4, là, on va aller peut-être un petit peu plus dans le projet de loi comme tel. L'article 4, en fait, c'est que, nous... Et plusieurs des groupes qui sont venus disent que ça n'apporte absolument rien de nouveau, malgré ce que certains voudraient prétendre, parce que ça dit carrément qu'en fait un accommodement va devoir respecter la Charte des droits et libertés -- donc, je pense qu'il n'y a rien de nouveau jusqu'à maintenant -- notamment -- donc des droits qui sont déjà à la charte -- le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes et le principe de la neutralité religieuse de l'État. Or, on sait que le principe de la neutralité religieuse de l'État, c'est un petit peu drôle de l'avoir libellé comme ça, il n'est pas écrit noir sur blanc dans la charte, il s'infère par interprétation jurisprudentielle de la liberté de religion.
Et là je veux bien comprendre, parce qu'à peu près la très grande majorité des groupes partagent cette interprétation-là, sauf le Conseil du statut de la femme, qui, lui, voit une grande avancée dans le fait qu'il y a la neutralité, et s'opposent à l'interprétation de la ministre, qui dit que ça ne change rien pour ce qui est du port de signes religieux. Eux disent que ça pourrait changer quelque chose. Puis là je lis votre mémoire, et, vous, vous dites... -- oui -- vous dites que ça ajoute une règle d'interprétation à la charte québécoise. À l'article 4, vous semblez voir une nouveauté. Par ailleurs, à la page 7, vous dites: «[Cette] définition de la neutralité religieuse [...] n'est pas une affirmation de la laïcité mais plutôt l'officialisation d'un laisser-faire particulièrement hasardeux», quant à ses conséquences à long terme.
Je veux juste bien comprendre, compte tenu qu'il y a une espèce de petit litige, si, vous, votre position, c'est que l'article 4 ne fait que mettre dans une loi le statu quo ou si vous y voyez quelque chose de nouveau.
Mme Poisson (Marie-Michelle): Bien, le statu quo renforcé, c'est-à-dire on réaffirme que... Bien, en fait, on l'a présenté, le projet de loi, bien sûr, en disant que c'était le modèle conforme à la laïcité ouverte. Et cette fameuse idée de favoriser... c'est tordu, quand même... L'article 4, je n'ai pas le libellé de la loi, mais de... O.K., «ne favorise ni ne défavorise». Bon, la multiplication des négations dans une même phrase, ce n'est jamais bon pour la compréhension, mais ce que ça veut dire, c'est qu'on ne fait rien, c'est le laisser-faire. Et c'est ce que préconise la laïcité ouverte, justement, c'est-à-dire un espace toujours ouvert à toute forme de manifestation du religieux. Même dans des endroits où ça ne devrait plus se faire, c'est-à-dire le système d'enseignement, réputé déconfessionnel... déconfessionnalisé, eh bien, la laïcité ouverte, où la facilité... la non-intervention de l'État permettrait, encore une fois, l'expression du religieux dans ces milieux-là. Et donc c'est un statu quo, oui, renforcé par cette réaffirmation que l'État ne fera rien. Mais ne fera rien, mais crée un état de fait qui favorise les religieux.
L'analogie qui me vient toujours à l'esprit, je ne peux pas me l'enlever de la tête, mais je pense que Catherine Kintzler, une théoricienne de la laïcité, l'avait utilisée, c'est... c'est à peu près l'état où on était il y a quelques années, quand on n'intervenait pas sur la question du tabagisme dans les espaces publics, on favorise... on favorise les fumeurs. Mais, de fait, dès que quelqu'un allumait une cigarette, il envahissait l'espace, l'espace public, par sa fumée. Bon.
Alors, on laisse faire, mais de fait ça laisse la priorité à ceux qui prennent le plus d'initiatives, qui manifestent le plus activement leur présence religieuse. Et ce n'est pas un hasard si certains groupes de lobbys religieux s'intitulent eux-mêmes Présence musulmane, ou autre. Donc, l'initiative serait donc que... C'est donc une disposition qui laisse le champ libre à tous ceux qui voudraient investir ou surinvestir le champ public...
**(16 h 10)**Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci.
Mme Poisson (Marie-Michelle): ...comme les fumeurs le faisaient abondamment tant qu'on n'a pas légiféré pour qu'il n'y ait pas d'abus de leur part.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, Mme Poisson, pour votre... Merci pour votre présentation puis votre présence en commission, M. Drouin aussi. Bon retour chez vous.
Je vais suspendre les travaux quelques instants, le temps que l'Institut Simone-De Beauvoir prenne place.
(Suspension de la séance à 16 h 11)
(Reprise à 16 h 15)
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Donc, nous allons reprendre nos travaux. Mme Namaste, bienvenue à notre commission. Vous avez pu assister aux travaux de ceux qui les ont présentés juste avant vous, peut-être, un peu. Donc, vous avez 10 minutes pour la présentation de votre mémoire, puis il y aura des échanges de part et d'autre. Donc, merci d'emblée de votre présentation, et je vous donne la parole à vous, madame.
Institut Simone-De Beauvoir
Mme Namaste (Viviane): Merci beaucoup. Donc, merci, M. le Président, Mme la ministre, messieurs dames. Je suis supercontente d'être ici, et on vous remercie de votre invitation. Et on vous félicite aussi, parce que justement la consultation dans ce dossier est superimportante. Et je vais revenir sur ce principe-là lors de ma présentation.
Je vais commencer avec une mise en contexte de l'Institut Simone-De Beauvoir de l'Université Concordia et je vais énumérer quelques principes qui justifient notre opposition à ce projet de loi tel qu'il est présenté à l'heure actuelle. Donc, juste pour un peu une mise en contexte, donc, l'Université Concordia, comme vous le savez, c'est une université au centre-ville à Montréal. Il y a à peu près 40 000 étudiants qui étudient à l'université, aux trois cycles, et les communautés culturelles sont évidemment bien représentées, la communauté musulmane arabe, mais aussi des communautés juives. Donc, il y a toute une diversité au sein de l'institution.
Il y a également plusieurs experts au niveau des communautés musulmanes. Donc, je pense, par exemple, à la Pre Homa Hoodfar, qui travaille au Département de sociologie et anthropologie à l'Université Concordia et qui, elle, est responsable pour un projet qui s'appelle Women Living Under Muslim Laws, qui en fait fait des ponts entre des groupes féministes dans le monde musulman.
Il y a aussi Lynda Clarke, qui est un prof au Département de religion, qui, elle, était responsable pour ce qu'elle appelle un Muslim Marriage Contract Kit. C'est comme un genre d'entente qui a été développée avec les femmes musulmanes, lorsqu'on entre dans un contrat de mariage. Il y a également un programme d'études iraniennes au Département de religion.
Il y a aussi des initiatives assez intéressantes de la part des étudiants. Concordia, c'est quand même un milieu qui bouge et assez dynamique. Donc, les étudiants de Concordia ont mis sur pied une compagnie, qui s'appelle Muslim Gear, qui est responsable pour la fabrication et la diffusion, la distribution des vêtements destinés à une communauté musulmane et non musulmane. Donc, des pantalons, des tee-shirts, des chandails, des choses comme ça.
Plus précisément, à l'Institut Simone-De Beauvoir, on existe depuis 1978. Notre mission, évidemment, c'est l'enseignement au niveau de la situation de la femme. Nous sommes le premier programme d'études féministes au Canada. Donc, on a tout un honneur par rapport à ça. Et on a une longue histoire, et des actions, et des réflexions sur les questions non seulement des femmes, mais la diversité au niveau des femmes. Donc, depuis les années quatre-vingt, par exemple, à l'institut, on a donné des cours au niveau des femmes provenant des communautés culturelles, on offre des cours, par exemple: Les femmes au sein du monde musulman. Les femmes sudasiatiques, c'est un autre cours. On offre aussi un cours qui s'appelle Féminismes dans la francophonie, c'est un cours qui se donne en français, même si nous sommes une institution anglophone.
On est impliqués aussi au niveau de plusieurs conférences, activités, donc l'implication du 8 mars avec la coalition de femmes de diverses origines. On joue des rôles dans les conférences. On a eu une conférence, en 2008, au niveau des femmes musulmanes dans le domaine du sport, par exemple. Donc, on a été impliqués dans ça. Et, comme aujourd'hui, on présente des fois lorsqu'il y a des projets de loi qui nous interpellent. On a soumis un mémoire aussi à la commission Bouchard-Taylor, et je vous ai donné des copies de notre déclaration par rapport à cette commission-là. Donc, tout ça juste pour vous donner le contexte.
Donc, on s'oppose à ce projet de loi tel qu'il est articulé à l'heure actuelle, et on s'y oppose en tant que féministes. Donc, je pense que ça va être un débat assez intéressant, justement. Mais ça va poursuivre un peu les réflexions, hein? Et c'est le rôle des chercheurs, c'est le rôle des universitaires de pousser nos réflexions, justement, «right»? Donc, plusieurs principes.
**(16 h 20)** Donc, en premier, on s'y oppose au niveau des questions d'accès aux services de santé, accès aux services sociaux. Donc, pour nous, les prévisions dans le projet de loi qui veulent interdire l'accès aux services pour une femme qui porte le niqab ou le burqa sont inacceptables d'un point de vue féministe parce que ça veut dire que ça va de facto refuser des services aux femmes, hein? Donc, si on croit le discours, mettons, que ces femmes arabes qui portent le niqab ou la burqa sont tellement opprimées dans une culture patriarcale -- je ne dis pas que j'accepte ce discours-là, mais je dis c'est ça, le discours qui est là, «right»? -- il faudrait penser... Mais alors, s'il y a des femmes dans cette situation qui sont victimes de violence conjugale, est-ce qu'on va leur obliger alors d'enlever le niqab pour chercher des services à une maison d'hébergement, par exemple, ou à l'hôpital? Donc, on pose ça comme question.
Aussi, je trouve, c'est important, en tant que féministe, de souligner qu'en fait... que les féministes ont soulevé beaucoup de questions importantes au niveau du traitement inégalitaire des femmes devant la loi ou dans le domaine juridique. Je pense notamment aux cas d'agression sexuelle et de viol, hein? Et, il n'y a pas longtemps, dans les années soixante et soixante-dix, la tenue vestimentaire de la femme rentrait en ligne de compte dans le procès, hein, et, les féministes, nous avons fait beaucoup de travail pour dire: Non. Peu importe si la femme a porté une jupe courte, là, elle n'a pas demandé d'être violée, elle n'a pas mérité l'agression sexuelle. Donc, pour nous, ça, c'est... ça fait partie de l'héritage féministe, en fait, hein? Ça fait partie de nos contributions. Donc, on ne va pas retourner dans un contexte juridique qui dit: On devrait accorder l'accès aux institutions... on devrait accorder... On devrait, oui, accorder l'accès aux institutions en fonction de la tenue vestimentaire.
On s'y oppose aussi au niveau de l'autonomie. Donc, pour nous, la question d'autonomie -- ça a été discuté tantôt, cet après-midi -- c'est le libre choix aux femmes de décider ce qu'elle veut porter. Donc, de façon claire, nette et précise, telle est notre position. Et, qu'une femme porte le niqab, qu'elle porte une chemise de Winners, qu'elle fait son magasinage au Simons ou ailleurs, elle a le droit d'étudier à l'université, elle a le droit d'aller chercher des services de santé. Ça va aussi dans l'esprit énuméré dans le rapport final Bouchard-Taylor, une orientation générale qui permettra l'expression des différences dans l'espace public, hein? Donc, voilà.
On s'y oppose aussi, à ce projet de loi, parce que ça s'insère... Bon, évidemment, il y a le projet de loi, mais il y a aussi tout le contexte autour, hein? Et des fois c'est difficile lorsqu'on en parle, il y a des enjeux qui sont plus particuliers au niveau du contexte, il y a d'autres éléments qui sont plus particuliers au niveau du projet de loi. Mais, lorsqu'on parle, justement, du contexte général, on parle d'une question du symbole, hein? C'est toujours le symbole de l'hidjab ou le symbole du niqab ou de la burqa, hein? Et, dans le discours public des féministes, tel qu'annoncé par le Conseil du statut de la femme, par exemple, le niqab ou la burqa, en soi, ça représente l'oppression de la femme, hein? Donc, leur discours est assez clair là-dessus, et c'est pour ça qu'on peut dire que le Conseil du statut de la femme dit: Ce projet de loi prône l'égalité des sexes, parce que ça va faire en sorte qu'il n'y aura pas de ça, hein? Donc, tout tourne autour de la question du symbole.
Mais en fait la question du symbole est assez intéressante, hein, et en général, là. Donc, on peut penser pas nécessairement au niveau du niqab ou de la burqa, mais même au niveau de la fleur de lis, hein? C'est un symbole qu'on voit sur notre drapeau ici, au Québec. On le voit sur le tapis aussi ici, dans cette salle. On le voit sur le mur, hein? Ce n'est pas une coïncidence. Dans le contexte québécois, ça fait recours, ça nous interpelle par rapport à notre nation, hein, et on est fiers, «right»? Dans le contexte français, il y a toute une tradition. Évidemment, le symbole québécois est lié à ça aussi, hein, lié à cette histoire de colonialisme. Dans le contexte français, ça a émergé autour du XIIe siècle, hein, à peu près. La monarchie française, il y a des choses qui diffèrent. Il y en a qui disent: C'était Louis VI, d'autres qui disent: c'était Louis XVI. Mais c'était pour représenter la monarchie française, hein?
Mais, lorsqu'on arrive dans le contexte d'Angleterre, dans le XIVe siècle, les rois d'Angleterre, tel qu'Édouard III, et vous avez des exemples clairs, je pense, justement, de son armoirie, ont mis la fleur de lis pour dire: Mais, nous, nous avons un droit à la France, hein? C'était, bon, toute une histoire. Je ne vais pas vous donner la leçon d'histoire aujourd'hui, mais c'est toute une histoire au niveau de la succession, «right»? Donc, ce que ça voulait dire, la fleur de lis, lorsque ça a été utilisé par les Anglais, n'était pas exactement la même chose que ce que ça veut dire, la fleur de lis utilisée ici aujourd'hui, au Québec, hein? Ou bien, le dernier exemple que vous avez comme appui visuel, c'est justement un exemple du drapeau et de la représentation du peuple bosniaque, hein? Donc, la fleur de lis qui n'a aucun rapport avec la France, qui n'a aucun rapport avec le Québec?
Donc, ce que ça veut dire, un symbole, ça varie selon le contexte, «right»? Donc, revenons justement au niveau de la position. Mais le niqab, c'est l'oppression de la femme. Mais selon qui? Comment est-ce qu'on peut dire ça? Selon quelle étude? Quelle consultation a été faite?
Et justement c'est une question pointue qu'on pose au Conseil du statut de la femme. Est-ce que le Conseil du statut de la femme a fait une consultation auprès des femmes qui portent le niqab ou qui portent la burqa par rapport à ce projet de loi, hein? Et, pour nous, vous savez, c'est très important au niveau de... au niveau du savoir féministe. Justement, le féminisme, comme mouvement mais aussi au sein de l'université, ça a émergé parce qu'on s'est dit: Le savoir que nous avons ne tient pas compte de la réalité des femmes, il faut nous consulter. Ça prend une position pour consulter les femmes, hein?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme Namaste, c'est fort intéressant, mais je vais devoir vous interrompre parce que... si on veut donner la place à la période d'échange. Peut-être terminer très, très rapidement, si vous avez une conclusion, là.
Mme Namaste (Viviane): Oui, tout à fait. Donc, voilà, je voulais juste soulever ça comme enjeux. Et je souligne aussi, justement, là, toute l'histoire que l'institut féministe... que l'Institut Simone-De Beauvoir a de collaboration avec les communautés féministes musulmanes par rapport à ça.
Je vais énumérer de façon... très brièvement l'autre principe...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Madame... Désolé, je vais devoir vous interrompre. Je pensais que vous pouviez passer très rapidement à votre conclusion. Vous aurez l'occasion de...
Mme Namaste (Viviane): Est-ce que je peux résumer ça en 30 secondes?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): En 30 secondes?
Mme Namaste (Viviane): On peut en discuter après.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Est-ce qu'il y a consentement?
Des voix: ...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. Allez-y, Mme Namaste.
Mme Namaste (Viviane): Merci beaucoup. Donc, c'est juste une opposition qui est établie des fois dans le discours: égalité des sexes et liberté religieuse, hein? Donc, on a tendance des fois, lorsqu'on parle de ces questions-là, à dire: Mais, la laïcité, ça garantit l'égalité des sexes, hein? Mais on sait très bien que justement ce n'est pas le cas. Et, ici, nous sommes en accord avec le Conseil du statut de la femme qui prend position contre le projet de ticket modérateur dans le domaine de la santé. Donc, je vais conclure là-dessus, et on aura une belle discussion et échange, je pense.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va. Merci infiniment pour votre présentation. Mme la ministre.
Mme Weil: Merci beaucoup. C'était intéressant de vous entendre, parce qu'il y a tellement des visions opposées.
Avant d'arriver à la clause, qui ne touche pas un code vestimentaire, en particulier l'article 6, mais vraiment quelque chose de très pragmatique, parce qu'il y a eu des cas de visage découvert, mais, avant d'arriver là, j'aimerais vous entendre... On a entendu beaucoup de groupes, surtout les syndicats, des groupes... le Mouvement laïque, et des questions de l'opposition, qui verraient une société laïque où l'expression religieuse, on dirait, n'a pas sa place et que l'accommodement... Il y a des groupes, même, qui allaient très loin, qu'il faudrait refuser tout accommodement basé sur la liberté de religion. Même la députée de Rosemont allait jusqu'à... Parce qu'il y a cette question où quelqu'un viendrait à un comptoir, puis la personne porterait le hidjab, que ça pourrait être un affront -- c'était le commentaire qu'on a eu d'un groupe -- à la liberté de religion de la personne, alors qu'on parle carrément, selon la Commission des droits de la personne... Si la personne demande: Non, je ne veux pas être servi par cette personne, c'est de la discrimination. Ce n'est pas un accommodement, là, c'est carrément de la discrimination. J'aimerais vous entendre, parce qu'il y a des notions, des choses qu'on a entendues, là, qui m'inquiètent, qui m'inquiètent en tant que société qui a toujours cru à sa Charte des droits et libertés.
Et on ne sait pas trop ce qu'il y aurait dans cette charte de laïcité. Nous, on a... le gouvernement a choisi, malgré que l'opposition ne semble pas vouloir le voir, la neutralité religieuse de l'État. Et c'est une expression qui a plein de sens, et... c'est-à-dire qu'on peut porter le hidjab et garantir la neutralité du service vis-à-vis la personne qui souhaiterait d'autre... qui souhaiterait un service. Mais il y a beaucoup de gens qui sont venus ici pour dire que, bon... et des questions de l'opposition, qui semble dire que, bon, ce n'est pas... c'est rien, ça. De faire un choix comme ça, c'est rien. On a besoin d'un grand débat, puis on a besoin de changer toute la société québécoise, là, pas juste dans les services gouvernementaux, puis on va créer un genre de société où la religion... je ne sais pas où elle serait, là, mais on ne la verrait pas. Là, ça vient brimer des droits des uns et des autres. J'aimerais ça vous entendre là-dessus. Puis, basé sur la Charte des droits et libertés, comment vous voyez justement l'application des chartes et ces demandes? Parce que ça, c'est l'autre chose, que les demandes d'accommodement mêmes semblent poser problème et que les signes religieux semblent poser un problème. J'aimerais vous entendre là-dessus.
**(16 h 30)**Mme Namaste (Viviane): Je pense que j'invoquerais en fait le rapport final de la commission Bouchard-Taylor, qui dit justement: Ça se peut... ça prendrait des solutions ou des pistes juridiques, mais ça prendrait aussi des voies de citoyenneté, hein, parce qu'une des choses qui est en jeu justement lorsqu'on dit: Mais quelqu'un ne peut pas porter le hidjab, par exemple, pour avoir accès aux services ou pour offrir un service comme fonctionnaire, mettons, comme exemple, «right»?, un des enjeux, c'est justement: Est-ce qu'il y a la même compréhension de la situation, hein? On a, dans le discours public véhiculé par le Conseil du statut de la femme... que le port de la burqa égale l'oppression de la femme, et c'est quelque chose qu'on retrouve partout dans les médias maintenant, hein? Donc, on dit: Ah! mais ça prendrait justement des initiatives comme ça, parce que sinon ce sera les femmes opprimées, hein, ça serait oppression de la femme.
Nous, on voit justement le cadre énuméré dans le rapport final de la commission Bouchard-Taylor, qui émet... qui donne un peu une laïcité ouverte, mais dans laquelle le port de signes religieux -- il faudrait avoir une autre discussion: signes religieux ostentatoires ou pas, parce que ça, c'est tout un autre enjeu -- est tout à fait acceptable et cohérent avec la pluralité et avec l'intégration aussi. Je pense que justement un des défis de la société québécoise et un des défis de la loi, c'est de pouvoir intégrer ces citoyens. Donc, ça prendrait un projet de loi qui veut justement intégrer des gens, donc assurer que, oui, les femmes qui portent le hidjab, oui, les femmes qui portent la burqa, oui, les femmes qui portent le niqab peuvent étudier à l'université.
Mme Weil: Mais est-ce que vous êtes d'accord... Parce que vous semblez dire que vous n'êtes pas d'accord avec le projet de loi n° 94. Mais il y a quand même ce choix-là qui est dans l'article 4, c'est-à-dire de permettre l'intégration de ces personnes en emploi, dans la fonction publique, par exemple, qui portent certains signes religieux. Vous êtes d'accord avec ce choix-là?
Mme Namaste (Viviane): Oui, tout à fait. Il y a tout un débat au niveau de l'interprétation de ça, je pense, mais, oui.
Mme Weil: O.K.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, M. le député de Laurier-Dorion.
M. Sklavounos: Merci, M. le Président. Alors, Pre Namaste, merci. Bienvenue. Très intéressants, vos commentaires. Vous êtes très impressionnante. Je pense que vous avez impressionné tout le monde autour de la table avec votre analyse. Et j'aurais aimé vous entendre davantage. Le temps ne le permet pas. J'ai beaucoup aimé ce que vous avez dit, lorsque vous avez posé la question sur ceux qui prétendent parler pour les femmes musulmanes, qui peut-être même se qualifieraient comme des féministes mais qui adoptent, quant à moi, une position qui est à... qui est carrément paternaliste, pour venir protéger des femmes majeures, libres, malgré elles, malgré elles-mêmes. Je trouve ça bizarre un petit peu. Je pense que vous avez touché le point. Je trouve ça très intéressant.
La question que je veux vous poser, par exemple, n'est pas là-dessus. Ma lecture de la... ma lecture du projet de loi, évidemment, parle du visage découvert. Et j'utilisais hier, lorsqu'on a rencontré... -- le nom exact m'échappe en ce moment, mais c'est un groupe représentant le conseil... représentant les musulmans -- concernant le fait que, quant à moi, c'était en quelque sorte une disposition qui était quand même neutre au niveau sexe puis neutre au niveau religion. Parce que j'utilisais l'exemple que, si jamais, moi, pour exprimer quelconque croyance ou opinion politique, je décidais de couvrir mon visage et de me présenter à quelque part, je suis ni femme ni musulman, quelqu'un pourrait, en vertu de ce projet de loi, me demander de me dévoiler le visage pour des raisons d'identification ou de sécurité. Alors, il y a évidemment communication, puis le Barreau nous a dit: Écoutez, ça, «communication», peut-être qu'on devrait regarder le libellé, peut-être c'est «prestation de services». Et je vois que vous êtes peut-être d'accord avec ça, parce que vous avez utilisé l'exemple. Et je vous saisis bien, puis, faites-moi confiance, c'est noté, à ce niveau-là.
Mais vous êtes quand même d'accord que, dans une société libre et démocratique, il y a une obligation de s'assurer, pour des raisons très légitimes, de l'identification des personnes qui sont devant elle. Que ça soit pour voter ou pour émettre des permis, des licences, n'importe quoi, il y a une obligation d'identifier. Vous êtes d'accord que, pour des raisons de sécurité, ça pourrait devenir nécessaire de pouvoir identifier la personne, assurer de l'identité d'une personne.
Et on peut imaginer des exemples. Vous n'êtes peut-être pas d'accord avec le cours de français, et je saisis ça de votre... où une prestation, au niveau de la communication, serait rendue difficile ou pas praticable à cause d'une couverture du visage. Est-ce que vous êtes d'accord avec moi que c'est quand même des balises qui sont quand même raisonnables, dans... et en vertu de la charte et dans n'importe quelle société démocratique, de pouvoir favoriser cette prestation de services et cette... pour les motifs de cette identification, sécurité ou communication? Évidemment, c'est un cas de fait, évidemment, dans chaque cas. C'est pour ça que je suis aussi méfiant de ceux qui viennent nous dire qu'on va régler tout avec un projet de loi sans avoir à regarder l'effet à l'avenir. C'est dangereux, vous convenez.
Mais je veux vous entendre sur ces points-là. Est-ce que ce n'est pas légitime de baliser de cette façon-là? Moi, je vois dans ça quelque chose de neutre, au niveau sexe, je vous dis. Je me mets en exemple, je suis un anarchiste, je décide de me déguiser; on me demande d'enlever ça. Je ne suis ni femme, je ne suis ni musulman. Comment vous voyez ce commentaire?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme Namaste.
Mme Namaste (Viviane): La fédération canadienne musulmane ne s'est pas opposée, si j'ai bien compris, par rapport ni à la sécurité ni à l'identification. Voilà. Donc, on aurait une position pareille. La question de communication est plus difficile parce que plus délicate, hein, et c'est justement un des enjeux qui est ici, sur la table, comment est-ce qu'on parle, comment est-ce qu'on conçoit, comment est-ce qu'on réfléchit, au niveau de la communication interculturelle.
M. Sklavounos: Et vous êtes d'accord avec moi que ce serait peut-être... Veux veux pas, on est pris avec une certaine analyse de cas-par-cas. Veux veux pas. On ne peut pas avoir un projet... Vous êtes d'accord parce que... Vous êtes professeure, vous voyez beaucoup... vous avez affaire avec la loi. Qu'est-ce que vous répondez aux personnes qui vous demandent un projet de loi parfait, qui pourra répondre à toutes les questions d'avance et qu'on pourrait juste déposer sur le bureau d'un fonctionnaire, qui pourra l'ouvrir puis aller au bon paragraphe, au bon alinéa, bon article, puis trouver une réponse? Qu'est-ce que vous répondez à ces gens-là?
Mme Namaste (Viviane): Bien, vous le savez aussi bien que moi, la loi et le domaine juridique, c'est toujours une question d'interprétation. Donc, oui, il va falloir aller un peu cas par cas. Mais, quand même, je pense qu'il faut poser des questions: Où est-ce... Comment est-ce qu'on met des balises, hein? Et, pour nous, l'interdiction à l'accès à l'institution d'enseignement, par exemple, pour quelqu'un qui porte le niqab ou la burqa, va contre une position féministe. Pour nous.
M. Sklavounos: Concernant ce qui a été également mis de l'avant par certains, une hiérarchisation des droits... Et je ne sais pas depuis quand vous suivez nos travaux, mais j'ai posé des questions à d'autres témoins concernant le danger de rouvrir les chartes à chaque fois que ça nous tente, à chaque fois que la majorité est d'accord. Parce que justement je trouvais... Et c'est un principe, que les chartes veulent surtout protéger les minorités, parce que c'est les majorités qui ont le pouvoir de faire des lois, donc ils ne nécessitent pas de facto aucune protection, ils sont la majorité. Cette hiérarchisation des droits, que certains estiment... clarifierait, aiderait le débat ou éviterait l'analyse cas par cas, quelle position prenez-vous là-dessus?
Mme Namaste (Viviane): Justement, on est informé par une analyse féministe qui essaie de comprendre comment les inégalités se concordent et se renforcent davantage. Donc, justement, de ne pas primer, de ne pas dire: Ah! c'est l'inégalité entre les sexes qui est la chose la plus importante, et toutes les autres inégalités qui existent dans le monde découlent de ça. Il y en a, des positions féministes qui disent ça. Ce n'est pas la nôtre. Donc, pour nous, c'est inacceptable d'établir une hiérarchisation, oui, des inégalités.
**(16 h 40)**Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va?
M. Sklavounos: Merci.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci... merci, M. le député de... Mme la députée de Rosemont.
Mme Beaudoin (Rosemont): Merci. Bonjour. Bonjour. Bienvenue à notre commission. Par votre intermédiaire, je vais quand même répondre un peu à la ministre, qui m'a étonnée tout à l'heure, parce qu'habituellement elle est élégante à la fois dans son expression et dans sa...
Mme Weil: ...compris la question que vous avez eue la dernière fois, là, sur la demande, et puis vous êtes revenue sur moi, puis c'est... ça m'a inquiétée, votre commentaire.
Mme Beaudoin (Rosemont): Alors, on en reparlera ensemble, on aura cette discussion-là.
Mme Weil: ...interprétation de mon opinion.
Mme Beaudoin (Rosemont): Bon. Alors donc, on réglera ça...
Une voix: ...
Mme Beaudoin (Rosemont): Oui, c'est ça, on va interpréter ça. Mais je veux tout simplement lui dire que, quand même, que ce soit clair, qu'il y ait une chose qui soit claire, nous, quand on parle de tout ça, on parle d'espace civique, on ne parle pas d'espace public. Je me suis tuée à dire 10 fois que je faisais la distinction entre trois espaces: privé, public, civique. Alors, au moins ça! Je veux dire, rendez-moi... rendez à César ce qui appartient à César. Alors...
Et je voudrais quand même dire... -- vous avez parlé, et la ministre aussi, du rapport Bouchard-Taylor -- rappeler à tout le monde que les premiers qui ont eu l'idée d'un livre blanc sur la laïcité, c'est Bouchard-Taylor. C'est une des principales recommandations de Bouchard-Taylor, et qui n'a pas été mise en oeuvre. Alors, peut-être qu'on ne serait pas ici aujourd'hui si on avait commencé par ce commencement qui, il y a deux ans, nous interpellait et qui n'a pas été fait. Alors...
Et, moi, je voudrais vous... quand même vous dire une chose. Je pense que, toutes les deux, on est féministes, il n'y a pas de problème. On n'est pas de la même mouvance, disons, hein, je pense qu'on peut dire ça sans se tromper, on n'est pas de la même mouvance. Moi, j'ai lu Simone de Beauvoir, j'avais 12 ans. J'étais à Jésus-Marie, ici, à Québec, un collège de filles confessionnel et religieux, et j'ai compris, à 12 ans, ce que disait Simone de Beauvoir, et j'ai tout lu Simone de Beauvoir, tout ce qui s'est écrit sur elle puis tout ce qu'elle a écrit elle-même. L'indépendance financière de la femme, c'était par là, je veux dire, que la femme existait, s'affirmait et sortait du patriarcat et, disons, de l'asservissement par rapport aux hommes, et que c'était cette indépendance financière qui était fondamentale. J'ai retenu ça. J'en ai 64 aujourd'hui et je pense exactement la même chose, et ma vie a été très, je dirais, influencée par les écrits de Simone de Beauvoir.
Alors, je ne sais pas ce qu'elle penserait aujourd'hui. On ne fera pas penser... dire... on ne fera pas parler les morts. Je déteste quand on me dit: René Lévesque, René Lévesque aurait pensé ceci ou cela. Je n'en sais rien. Simone de Beauvoir aussi, je n'en sais rien. Mais tout ce que je peux vous dire, c'est que je suis devenue féministe en lisant Simone de Beauvoir.
Alors, vous dites: Les féministes... Parce qu'en effet il y a eu la Chaire Claire Bonenfant qui est venue ici aussi et que... Vous savez, il y a 28 professeures féministes de l'Université Laval qui ont dit des choses très différentes de ce que vous avez dit. Il y a donc dans le mouvement féministe... C'est très normal qu'il soit éclaté, qu'il soit fragmenté. Il y a peut-être eu un moment d'unanimité dans l'histoire du mouvement féministe, mais ce moment-là est bien passé, parce que le Conseil du statut de la femme a une vision des choses, et puis il y a des mouvements féministes, donc, un peu partout à travers le monde, qui sont très opposés sur un certain nombre de questions.
Vous dites cependant -- puis là je vous... -- vous dites: «Nous nous opposons à cette loi...» Et vous dites que c'est une loi... Et là, je dois dire... «Le projet de loi n° 94 est chauviniste...» Alors là, c'est... Et ce que le député -- je suis rarement d'accord avec lui -- mais de Laurier-Dorion a essayé de vous démontrer, c'est que ça valait pour tout le monde, ce projet de loi. Alors, vous allez m'expliquer pourquoi vous pensez, s'il vous plaît, que ce projet de loi est chauviniste.
Et je vais terminer par deux de vos citations qui sont un peu étonnantes. Dans votre petit document, à l'article 5, vous dites: «En tant que féministes, nous devons refuser d'être complices de la violence envers les femmes que perpétue l'État, soit par ses rapports coloniaux avec les peuples autochtones -- effectivement, on peut avoir une discussion là-dessus -- soit par son emploi de la femme voilée comme justification de la guerre et de l'occupation impérialiste en Afghanistan.» Vous m'auriez dit «en Irak»... Ce n'était pas au nom de la femme voilée, c'était au nom d'autre chose, du pétrole. Mais l'occupation impérialiste et la guerre impérialiste en Irak, ça, pour moi, ça veut dire quelque chose, ça a une résonance. En Afghanistan, disons que ça m'a un petit peu, quand même, étonnée. C'est quand même un autre contexte, et puis il y a eu quand même, en tout cas vaguement, des instances internationales qui ont avalisé plus ou moins tout ça.
Et là, après ça, en 6, vous dites, et je vais terminer là-dessus: «Parce que recourir à la laïcité, supposément garante de l'égalité des sexes, sert dans les faits à promouvoir une norme chrétienne et à faire des musulmans les boucs émissaires du sexisme, masquant ainsi les formes laïques de sexisme.» Pas qu'il n'y a pas de la forme laïque du sexisme, mais la norme chrétienne... Et... Et donc j'aimerais avoir vos commentaires sur ces quelques points. Vous n'avez pas besoin de revenir sur Simone de Beauvoir, c'était très personnel, ce que j'ai dit, ce n'était pas...
Mme Namaste (Viviane): ...que je peux brièvement...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Madame... Oui, allez-y, madame...
Mme Namaste (Viviane): M. le Président dit: «Brièvement, madame.»Le Président (M. Bachand, Arthabaska): C'est à... Non, absolument pas. C'est à vous la parole.
Mme Namaste (Viviane): Merci. Donc, merci pour vos commentaires sur tout, mais surtout sur Simone de Beauvoir. Mais l'étude de Simone de Beauvoir, c'est vrai, elle apprenait l'indépendance de la femme par une autonomie financière. Mais en fait son oeuvre et sa contribution, ça se situe dans un cadre existentialiste aussi, hein, c'est-à-dire: Qui suis-je, qui sommes-nous? Et toute son oeuvre, c'est par rapport à la question de l'autre et comment les femmes, au cours de l'histoire, au cours de la politique, au cours du savoir, ont été positionnées comme des autres. Il me semble que c'est un cadre très intéressant pour comprendre les enjeux de ce qui se passe aujourd'hui. C'est-à-dire: Est-ce qu'il y a certaines personnes qui sont considérées, par le port d'une tenue vestimentaire quelconque, qui sont positionnées comme autres? Et justement ça va comme, justement, me permettre à répondre aux questions soulevées.
Dans nos déclarations, on soulève des questions au niveau de l'encadrement du débat, hein? Donc, on dit, par exemple... on disait, justement, souvent dans les médias: Mais il fallait intervenir en Afghanistan parce que les femmes afghanes étaient tellement opprimées, elles portent la burqa, hein? Encore une fois, on voit justement l'invocation de ce symbole, mais sans avoir demandé la parole de ces femmes-là: Mais qu'est-ce que ça veut dire pour vous, porter la burqa?, sans prendre connaissance des organismes féministes qui travaillent sur le terrain pour faire l'éducation des femmes et des filles en Afghanistan. Donc, on se dit: Dans le cadre... C'est trop simple. C'est trop simple. Donc... Et, oui, on a fait ça de façon un peu provocatrice. Ça fait partie aussi, justement, de susciter un débat, hein?
La laïcité, au niveau de la... est-ce que ça «promouvoit»... ou est-ce que des fois ça... on invoque la laïcité, mais dans le fond on prône une norme chrétienne. Mais le débat, justement, au niveau de la croix à l'Assemblée nationale illustre ce point-là pour nous, hein? C'est-à-dire, on a toute une discussion au niveau du port du hidjab, ou de la burqa, ou du niqab, «right»? C'est comme: Wo! c'est «too much», il faudrait avoir une laïcité, un État laïque, mais la croix à l'Assemblée nationale, non, ça, ça passe. Il y a le mot «Dieu» qui se trouve devant moi. Ça, ça passe.
Une voix: ...
Mme Namaste (Viviane):Dieu et mon droit, voilà.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): En fait, il est partout, donc...
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Namaste (Viviane): Voilà!
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme Namaste, vous avez toujours la parole. Est-ce que vous avez terminé votre...
Mme Namaste (Viviane): Non, je pense que je vais terminer là-dessus. Donc, voilà, on soulève des questions au niveau de l'encadrement du débat, hein? Et on dit justement: Il y a souvent une invocation de la laïcité, mais est-ce que c'est vraiment ça et est-ce que, par exemple... Là, je vais citer. Je disais tantôt: Nous sommes en accord avec la position du Conseil du statut de la femme au niveau du ticket modérateur dans le domaine de la santé, et on trouve... Mais c'est fascinant. Ils ont dit: Mais voici une proposition, mais ça va toucher surtout les femmes, hein, parce que nous vivons plus longtemps, parce que nous avons une santé gynécologique particulière, na, na, na, «right»? De belles raisons. L'argumentation était vraiment bonne. Mais, ceci dit, lorsque le Conseil du statut de la femme a avancé ça, on n'a pas dit: Mais, vous voyez, ça, ce sexisme-là, ça découle de la laïcité, il faut rejeter la laïcité. Ils n'ont pas dit ça. Ils ont dit: Mais non, ce n'est pas parfait comme projet, donc il faut revoir. Le problème, dans le contexte actuel et le débat, c'est que, lorsqu'on parle de l'oppression de la femme dans les communautés culturelles, dans les communautés musulmanes ou par la religion, c'est... l'oppression de la femme vient toujours comme une fonction de la culture ou de la religion, hein? Donc, on dit: Ça vient de là, il faut rejeter la religion et la culture, hein?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme la députée de Rosemont, oui.
**(16 h 50)**Mme Beaudoin (Rosemont): En fait, ce que beaucoup de féministes pensent, c'est que les religions -- prenons les religions monothéistes parce que c'est plus facile, on se l'est fait dire d'ailleurs ici à quelques reprises -- les trois grandes religions monothéistes ont plutôt tendance, disons, à, sinon opprimer les femmes, tout au moins à les considérer de manière pas tout à fait égale, et j'en veux pour preuve qu'une femme ne peut pas être pape, ce qui me pose un vrai problème. Pourquoi une femme ne peut pas être cardinal à la place du cardinal, archevêque, primat de Québec, ici? Pourquoi une femme ne peut pas être pape à la place de Benoît XVI? Il me semble qu'il y a là, de façon patente, une inégalité. Bon, à ce que je sache, dans les trois grandes religions... Je parle de celle que je connais le mieux puisque j'ai élevée dans cette religion-là, j'ai été chez les soeurs assez longtemps pour comprendre un certain nombre de choses, mais il me semble que, dans les trois grandes religions monothéistes, en général c'est ce que l'on dit. Et c'est plutôt... Moi, c'est pour ça que... C'est plutôt les trois grandes religions, je veux dire, qui finalement ne mettent pas sur un même pied... et qui en principe ont le même discours sur, justement, l'homosexualité, aussi, le même discours.
Écoutez, là encore, prenons le discours catholique. Bon, récemment encore, le pape Benoît XVI... Ça fait... Je ne le lis pas particulièrement, mais enfin je vois quand même dans les journaux, où il a dit: L'homosexualité, ce n'est pas bien... Et j'ai vu même qu'il y a un homosexuel québécois qui est allé, accueilli par une communauté catholique à Montréal, dimanche dernier, prêcher la compassion, demander la compassion dans une église. C'est beau, ça. Ça, c'est beau. Mais le pape venait tout juste de dire, justement: Mais non, vous êtes rejetés de l'Église. Alors...
En tout cas, pour les femmes, est-ce que vous ne pensez pas que les trois grandes religions ont cette attitude générale par rapport aux femmes, et elles ne sont pas vraiment égalitaires?
Mme Namaste (Viviane): On ne dit pas, ni dans nos déclarations ni dans notre présentation aujourd'hui, qu'il y a une égalité totale entre les hommes et les femmes dans toutes les religions sur la planète. Ceci dit, vous parlez de... l'inégalité ou d'un statut différent accordé aux hommes et les femmes au sein des trois grandes religions, hein? C'est... D'accord. Invoquer la laïcité n'est pas nécessairement la solution. Invoquer la laïcité ne veut pas dire qu'il y aura une égalité de facto entre les hommes et les femmes. L'un ne découle pas de l'autre. Ça propose un autre modèle, et nous sommes partantes, mais ça ne garantit pas l'égalité entre les hommes et les femmes. Donc, nous avons beaucoup de travail à faire ensemble.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Nous y reviendrons, Mme Namaste. Mme la ministre.
Mme Weil: C'est tellement intéressant, je pense, qu'on pourrait parler des heures, parce qu'on arrive vraiment au noyau du problème. Et, moi, c'est drôle, mon expérience avec ce projet de loi... Évidemment, au ministère de la Justice, il fallait qu'on arrive quelque part au centre. On voit les opinions de part et d'autre, et c'est le sujet le plus difficile, hein, qu'on peut avoir dans une société, puis on ne peut pas faire une révolution, en quelques années, d'une société. Alors, on est arrivés avec quelque chose qu'on considère qui est au centre, qui reflète la société telle qu'on la connaît actuellement, qui respecte la liberté de religion, donc qui va permettre, donc, une laïcité, qu'on appelle ça ouverte ou neutralité religieuse de l'État, qui vient confirmer cet état du droit mais qui le dit plus clairement et, dans le processus d'accommodement, qui va reconnaître que les fonctionnaires de l'État puissent porter des signes religieux.
Pour la question du visage découvert, j'ai fait beaucoup d'entrevues, j'ai fait aux États-Unis, j'ai fait au Canada anglais, le jour... bien, dans les jours qui ont suivi le dépôt de ce projet de loi et dans... j'ai beaucoup réfléchi, un peu, à la réaction du Canada anglais multiculturel, qui prône beaucoup le multiculturalisme. Je vous dirais que c'est exactement pareil aux États-Unis. Tantôt, on entendait des gens qui parlaient du multiculturalisme canadien. Malgré le melting-pot aux États-Unis, ils sont à peu près au même endroit, et leur incompréhension face à notre geste, et en particulier l'article 6...
Et, moi, je vois... Et la raison, moi, je pense, pour... la raison pour laquelle on a eu une réception aussi positive ici, au Québec, par rapport à ça, c'étaient les Québécois, qui sont capables de dire: Nous, là, on est capables de poser un geste. Et c'est peut-être... Pour moi, c'était la première fois que j'ai vraiment, vraiment saisi ce concept d'interculturalisme. C'est mon petit vécu avec cette notion, comparée à la notion du multiculturalisme canadien. C'est qu'on vient dire: Voilà qui nous sommes. Et on est capables de dire qui nous sommes. On le fait. C'est peut-être un petit geste dans un premier temps, mais c'est un geste. Et les gens ont dit: On aime ce geste. Moi, c'est ce qu'on me dit. On aime que vous êtes capables de dire: Voici qui nous sommes, mais vous ne le faites pas de façon agressive.
Maintenant, on a essayé, on a tenté de le faire de façon pragmatique, mais de dire... C'est compliqué, pour le fonctionnaire de l'État, d'être toujours obligé d'essayer de négocier: On veut juste voir qui vous êtes. Est-ce que vous pourriez enlever votre voile pour qu'on puisse vous servir? C'est fait de façon respectueuse, et ça sera important que ce soit fait de façon respectueuse. J'imagine qu'il y aura, dans beaucoup d'instances, des questions de médiation qui devront se faire, et tout. Mais à quelque part est-ce qu'une société ne peut pas dire: Bien, voici qui nous sommes, et d'inviter ceux qui vont se joindre à cette société, de dire, comme on le fait avec... On parlait de la langue, de la langue française. Bon, on a parlé de l'historique de la langue: Voici qui nous sommes. Et donc c'est ça un peu, pour le législateur, l'importance d'écouter et de refléter la volonté de la société d'avancer et en même temps de respecter tous ces droits.
Alors donc, le député de Dorion a mentionné, donc, pour des raisons de sécurité, parce que c'est beaucoup ça, hein, c'est... de communication. Il ne faudrait pas non plus le... comment dire, l'amoindrir, c'est-à-dire, c'est... c'est-à-dire que... l'importance de la communication. D'ailleurs, il y a eu Julius Grey qui s'est prononcé là-dessus, et d'autres.
J'aimerais vous entendre un peu plus là-dessus, sur cette volonté d'une société de dire: Bon, voici comment on va intégrer la société, mais elle ne se veut pas, comment dire, exclusive. Mais au contraire on vous invite dans notre société, mais selon cette vision, si vous voulez.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme Namaste.
Mme Weil: ...ça pose.
Mme Namaste (Viviane): Pardon? Je n'ai pas compris.
Mme Weil: Et le défi que ça pose.
Mme Namaste (Viviane): Oui, tout à fait. Merci. Voilà, c'est tout un défi. En fait, je vais commencer de répondre en citant le contexte institutionnel de Concordia. Parce que le contexte est assez intéressant, et je suis contente de vous entendre invoquer justement le modèle interculturel, parce que je trouve le modèle très intéressant. C'est tout un défi d'enseignement qui me confronte, parce que, bon, c'est un contexte... c'est une université anglophone, à peu près 25 % à 30 % des étudiants sont francophones, donc, quand même une belle mixité. Mais, quand même, il y a des gens qui viennent du Canada anglais qui ne connaissent pas nécessairement le contexte du Québec. Donc, lorsqu'on parle de ces enjeux-là, il faut expliquer: Tu sais, lorsqu'on parle des accommodements raisonnables, on ne parle pas du modèle multiculturel du Canada anglais, «right»?
Ceci dit, et vous l'avez mentionné, le modèle interculturel prôné par Bouchard et Taylor, qui nous semble très intéressant, ça dit: D'abord et en premier, il faut s'échanger, hein, s'échanger pour... échanger pour se faire entendre, je pense, hein? Ce que nous disons par rapport à ce projet de loi, c'est qu'il n'y a pas eu d'échange au niveau de ce projet de loi et des femmes directement concernées, qui portent le niqab et qui portent la burqa. Et justement nous avons assez de confiance dans la société québécoise que, pas juste pour ce projet, mais que pour n'importe quel projet, on va consulter la population la plus concernée par rapport à un certain projet de loi, hein? On ne pourrait pas imaginer un projet de loi qui concerne ou qui vise surtout des femmes en région sans les consulter. On veut exactement la même chose.
Donc, oui, c'est tout un défi, oui, la communication est très difficile, mais nous avons aussi, comme Québécois et Québécoises, un travail à faire, à démontrer une bonne volonté d'écoute aussi. On aime... on aurait voulu voir plus de démonstration de cette écoute-là dans ce projet de loi.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): D'autres... Oui, Mme la députée de Hull.
**(17 heures)**Mme Gaudreault: Merci beaucoup, M. le Président. Bienvenue à vous. Vous êtes presque une... non, vous êtes comme une bouffée d'air frais dans cette commission. Depuis le début, on entendait plutôt des messages qui se rejoignaient beaucoup, et, vous, vous... vraiment, vous venez nous présenter un tout autre regard sur la complexité de ce projet de loi.
J'aimerais vous entendre... Vous nous avez présenté un petit document ici avec toutes sortes d'affirmations, et on parlait de communication, et tout ça. Vous parliez de l'Université Concordia, avec cette mixité parmi les étudiants. Mais vous avez mentionné la place des médias francophones dans le débat, parce que, d'après vous, ils couvrent les débats de manière à légitimer un protectionnisme de l'identité québécoise et de la langue française qui autorise la peur de l'autre et le racisme au nom de la sauvegarde d'une culture distincte. J'aimerais que vous élaboriez un peu sur cette affirmation, s'il vous plaît.
Mme Namaste (Viviane): Justement, ça tourne autour d'une volonté d'intervenir dans le débat public, hein? Parce que, lorsqu'on a fait ça, c'était comme un peu comme pour intervenir dans le débat public au niveau de la tenue de la commission Bouchard-Taylor, et on s'est dit: Le cadre médiatique, en fait, c'était un cadre dans lequel c'étaient «nous, les Québécois» et comment nous allons dealer avec ça. Mais, si on pose la question autrement, si on se pose... si on commence en posant la question: Mais qui est ce «nous»? Hein? ces femmes qui portent les hidjab mais qui sont citoyennes, elles font partie du «nous». Donc, ce qu'on voulait dire justement, c'était comme: Mais qui est ce «nous», hein? C'était notre inspiration de Mme de Beauvoir. Est-ce que ça répond?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): D'autres interventions? Ça va? Mme Namaste, merci infiniment pour votre contribution à cette commission. Oui? Il nous reste un bloc? Désolé, excusez-moi. Vous avez encore la possibilité de rester avec nous, là. J'allais vous envoyer chez vous, là, ce n'est pas du tout le cas. Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.
Mme Poirier: Merci, M. le Président. Ouf! on a passé proche. J'aimerais vous entendre parler de l'espace civique versus l'espace public. Ce que je comprends bien de l'expression que vous nous faites depuis le début de votre présentation, pour vous, l'article 6 vient stigmatiser les femmes d'une communauté. Ça, pour moi, c'est clair, là, dans votre propos. Mais je veux qu'on reprenne cet article 6 là en l'interprétant avec la notion d'espace civique et d'espace public, entre le fonctionnaire de l'État qui donne une prestation de service et le citoyen qui reçoit.
Selon vous, est-ce que tant un que l'autre qui sont dans un espace civique... ce que nous dit le projet de loi, c'est à visage découvert, versus l'espace public, qu'on a défini comme la rue depuis le début de nos travaux, pour lequel il n'y a rien dans le projet de loi, et l'espace privé, qui est vraiment à la maison. J'aimerais vous entendre, là... Pour vous, votre lecture, là, de l'application, si on extrapolait l'article 6, un peu comme la France. Je veux avoir votre opinion là-dessus.
Mme Namaste (Viviane): Nous ne voulons pas que l'accès à l'espace civique soit déterminé à une fonction de la tenue vestimentaire d'une femme. De façon claire, nette et précise, c'est ça, notre position. Parce que l'histoire nous démontre que ce n'est pas les femmes qui vont gagner avec un tel contexte juridique.
Mme Poirier: Alors, je vous remets dans un modèle très précis: une femme juge avec une burqa. Qu'est-ce que vous pensez de ça?
Mme Namaste (Viviane): C'est intéressant. On n'a pas pris une position officielle de l'Institut Simone-De Beauvoir au niveau justement de la distinction. Parce qu'il y a une distinction importante quand même faite dans le rapport Bouchard-Taylor au niveau des gens dans une position d'autorité. Donc, je ne peux pas vous donner la réponse officielle.
Je dirais, avant d'arriver à une loi ou même un projet de loi, il faudrait avoir une discussion collective au niveau de qu'est-ce que ça veut dire. Parce que les gens comprennent mal qu'est-ce que ça veut dire, la burqa. En fait, c'est assez drôle, parce que, si on écoute les femmes musulmanes, elles disent: Mais, écoute, moi, je n'ai pas envie d'enlever le niqab. C'est comme si je vous demandais, madame, d'enlever vos vêtements. C'est une question de modestie. Alors qu'il y a d'autres féministes, comme le Conseil du statut de la femme, qui travaillent sur des dossiers comme l'hypersexualisation des femmes. Donc, on pourrait même voir un genre de concertation possible, c'est-à-dire des féministes d'origine québécoise, canadienne française, et des féministes musulmanes, qui oeuvrent peut-être de façon différente sur la question de modestie, hein?
Je dis ça juste pour dire: Il faudrait avoir une discussion. Qu'est-ce que ça veut dire? Parce que mes propos, tantôt, au niveau d'un symbole, visaient à nous faire réfléchir qu'un symbole, ça ne veut pas dire une chose, hein? Donc, est-ce que nous sommes prêts à définir, comme société québécoise, mais la burqa, ça veut dire ça? Moi, je dis, d'abord, d'abord, il faut demander aux femmes qui portent la burqa, le niqab qu'est-ce que ça veut dire pour elles. Et justement je pense que la société québécoise, elle est assez ouverte et assez pluraliste pour écouter.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Mme la députée.
Mme Poirier: Cependant, ce que vous venez de dire là, c'est que la société doit se prononcer sur un concept religieux du Coran qui se nomme la modestie. Je ne pense pas que, comme société, on doive avoir un propos sur des modalités d'une religion, en tant que tel, ce que vous nous amenez. Le Conseil du statut de la femme a fait, il y a quelques années, une table ronde avec les femmes, et les femmes de tous les groupes, en est venu à une position publique qui était le rejet des signes religieux ostentatoires dans la fonction publique. Ça a été leur position. Et il y avait des femmes, la Fédération des femmes du Québec, à ce moment-là, à la table, il y avait des femmes de communautés culturelles, de plusieurs communautés, en tant que tel, et c'est le consensus... probablement pas unanime, mais c'est le consensus qui s'en est dégagé à cette époque-là. Donc, quand vous me dites: Il faudrait avoir une discussion sur la modestie, moi, je ferais juste attention, la modestie est un concept du Coran qui est appliqué même par les femmes musulmanes de façon tout à fait différente. Certaines le prennent très, très au texte, et d'autres le prennent par l'interprétation de leur imam. Alors, moi, je ferais bien attention à avoir un débat là-dessus.
Cependant... Et, quand je vous posais la question: une femme juge avec une burqa, on a vu il y a quelques années une femme faire tout le processus pour accéder à un poste de gardienne de prison. Elle n'avait aucun signe religieux ostentatoire, aucun signe religieux, point. La première journée où elle se présente à son travail, on lui remet un costume et, durant toute sa formation, on lui explique que ce costume-là devra être ce qu'elle devra porter. À sa première journée de travail, elle arrive avec le costume mais avec un hidjab, ce qu'elle n'avait jamais porté avant. Est-ce que vous croyez que cette femme-là a fait un choix cette journée-là? Est-ce que c'est un geste provocateur? Est-ce que c'est un geste de choix? Est-ce qu'on pense qu'une gardienne de prison avec un hidjab, c'est dangereux? Ce qui a été la décision, puis finalement elle n'a pas eu l'emploi. Elle a choisi de porter son hidjab.
J'aimerais vous entendre, là. Dans ce type de processus là... Tout à l'heure, on nous parlait du processus des gens qui sont dans des hôpitaux, qui se sont fait reconnaître une formation et qui là doivent faire face à des choix de clients.
Mme Namaste (Viviane): C'est bien. Je vais juste préciser, au niveau de la première partie de votre intervention, juste parce que... Mes commentaires, c'était plus... pas avoir un débat au niveau de qu'est-ce que ça veut dire, la modestie, mais qu'est-ce que ça veut dire, ce symbole, hein? Donc... Parce que l'exemple que vous avez invoqué impliquait une femme juge qui porte la burqa. Je dirais justement: Il faudrait demander à cette femme-là pourquoi elle a posé ce geste-là.
Mme Poirier: ...droits de la personne présentement.
Mme Namaste (Viviane): Voilà. Et, à partir de là, on peut avoir une discussion plus éclaircie.
Mme Poirier: Mais est-ce que vous ne croyez pas qu'il y a quelque chose un peu comme un processus un peu étrange à l'effet que cette personne-là n'affiche aucun signe, et, au moment où elle entre à son poste, elle se décide à l'afficher là, tout en sachant que, dans le costume prescrit, il n'est pas prévu? Alors, quand on regarde le contexte global d'«aucun signe religieux dans la fonction publique», ce phénomène-là pourrait arriver encore. Et la ministre nous a dit lors du lancement que les signes religieux... les signes religieux seraient permis dans la fonction publique. Alors, exemple, un modèle d'une femme gardienne de prison pourrait-elle porter un hidjab?
**(17 h 10)**Mme Namaste (Viviane): Je réponds avec un exemple. Je suis chercheuse dans le domaine du VIH-sida. J'ai une chaire de recherche en VIH-sida, santé sexuelle, et mes recherches se portent surtout au niveau de la prévention et l'accès aux services de santé. Je mène un projet de recherche qui s'appelle Projet Polyvalence, qui porte sur les hommes et les femmes qui ont des rapports sexuels et avec des hommes et avec des femmes, donc une population... on va appeler ça bisexuelle, juste pour clarté. Une population qui est présente dans la littérature épidémiologique, mais on fait très peu d'études là-dessus. Et on a demandé aux gens: Qu'est-ce que ça vous prend, hein? On ne veut pas... On ne veut rien savoir au niveau de vos comportements, qu'est-ce que vous avez fait, est-ce que vous avez eu des rapports avec un condom ou pas. On veut savoir qu'est-ce que vous aimeriez avoir au niveau de l'information, qu'est-ce que... comment est-ce que vous avez... comment est-ce que vous allez avoir accès aux informations.
Et les gens nous répondent en racontant des histoires. Et les femmes surtout disaient: Mais, vous savez, je n'ai pas eu... je n'ai pas réussi à avoir des informations pertinentes adaptées à ma réalité de vie sexuelle, c'est-à-dire quelqu'un qui a des rapports et avec des hommes et avec des femmes. Quand je suis allée voir mon médecin, il m'a dit: Mais, non, je ne peux pas t'aider. Quand je suis allée au CLSC, on m'a dit: Non, non, non, mais il y a des groupes communautaires pour ça, va voir Séro Zéro. Quand je suis allée voir Séro Zéro, c'est un groupe pour les hommes gais, on m'a donné un dépliant destiné aux hommes en disant: Bien, c'est à peu près pareil, là, adapte-toi, «right»? C'est ça, le contexte 2006 à Montréal,.
Et là on demande à cette personne-là: Ah! comment tu fais? Et les gens, justement au cours des entretiens que nous avons faits -- et on a fait 87 entretiens -- les gens étaient assez créatifs pour chercher des informations qu'il fallait, pour poursuivre et pour présenter une certaine image pour pouvoir avoir accès aux services, hein? Donc, c'est-à-dire, par exemple, des fois, une femme, on voyait comme un genre de stratégie, une femme allait comme chercher des informations au niveau des relations avec des hommes dans un CLSC. Il n'y a pas de problème. Mais elle allait peut-être se pointer à un groupe de lesbiennes pour essayer de voir: est-ce qu'il y a des informations au niveau de la transmission des maladies transmissibles sexuellement entre femmes, hein? Donc, les gens sont en fait, selon mes recherches, très stratégiques au niveau de comment on va négocier les institutions. Donc, c'est ma réponse un peu nuancée et complexe.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Cette fois-ci, Mme Namaste, on doit se séparer de vous, et là c'est vrai. Merci infiniment pour votre présentation.
Et je vais suspendre les travaux quelques instants, le temps que Mme Marie-Claire Belleau puisse prendre place.
(Suspension de la séance à 17 h 13)
(Reprise à 17 h 16)
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Nous allons reprendre nos travaux. Nous avons le privilège de recevoir Mme Marie-Claire Belleau, professeure de la Faculté de droit de l'Université de Laval... non, de l'Université Laval, pardon. Donc, bienvenue chez nous, bienvenue chez vous aussi, à l'Assemblée nationale. Vous avez 10 minutes pour votre présentation, et il y aura une période d'échange ensuite pour mieux comprendre vos propos. Donc, allez-y, Mme Belleau.
Mme Marie-Claire Belleau
Mme Belleau (Marie-Claire): Merci beaucoup. Alors, bonjour. Merci d'avoir accepté de m'inviter à échanger au niveau des idées sur les accommodements raisonnables, un sujet qui suscite de véritables débats sociaux et qui soulève une question, à mon avis, d'accessibilité à la justice.
Alors, je me nomme Marie-Claire Belleau. Je suis professeure à la Faculté de droit à l'Université Laval.
Je vais vous présenter brièvement quatre points et insister plus longuement sur le quatrième. Alors, première partie, le principe de la neutralité religieuse de l'État et la charte québécoise; la deuxième partie, sur la tenue d'une commission d'experts sur la neutralité religieuse et la laïcisation de l'État; une troisième partie, sur les limites des recours traditionnels aux tribunaux judiciaires dans les cas de litige; et, dans un quatrième temps, la création d'un bureau en matière d'accommodements raisonnables.
Alors, première partie: le principe de la neutralité religieuse de l'État et la charte québécoise. L'article 4 du projet de loi n° 94 étonne. Il énonce: «Tout accommodement doit respecter la Charte des droits et libertés de la personne, notamment le droit à l'égalité entre les femmes et les hommes et le principe de la neutralité religieuse de l'État selon lequel l'État ne favorise ni ne défavorise une religion ou une croyance particulière.» Il est juste d'affirmer que la charte protège le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes, puisque le préambule et l'article 50.1 de la charte québécoise protègent ce droit et que les accommodements raisonnables doivent le respecter. Toutefois, tel que libellé, l'article 4 laisse présumer que tout accommodement doit respecter la charte québécoise, dont notamment le principe de la neutralité religieuse de l'État. Or, si la charte québécoise prévoit plusieurs droits et protections en matière religieuse, elle n'énonce nulle part un tel principe. L'article 4 porte à confusion en laissant supposer que le principe de la neutralité religieuse de l'État en est un qui est actuellement enchâssé dans la charte québécoise, instrument législatif qui jouit d'une autorité supérieure par rapport aux autres lois dans le contexte du droit québécois. Si la charte doit être modifiée pour y inclure le principe de la neutralité religieuse de l'État, qu'elle le soit directement et non par le biais du projet de loi n° 94.
Deuxième partie: la neutralité... la nécessité d'une analyse du principe de la neutralité religieuse et de la laïcisation de l'État. Le projet de loi n° 94 affirme, pour la première fois dans une loi, le principe de la neutralité religieuse de l'État, alors qu'un véritable débat n'a pas été engagé à ce sujet. Un travail d'analyse sur la question de la laïcisation de l'État s'avère nécessaire pour fournir aux tribunaux des critères interprétatifs lui permettant d'appliquer le projet de loi n° 94 en harmonie avec les valeurs sociales et avec la charte québécoise.
Je soumets respectueusement que, dans les circonstances actuelles où la question de la portée de la laïcisation de l'État reste entière, les tribunaux ne constituent pas le forum approprié pour débattre de ces questions. Il serait opportun de continuer le travail entamé par la commission Bouchard-Taylor en réunissant des experts issus de différentes disciplines au sein d'une commission mandatée pour étudier le principe de la neutralité religieuse et de la laïcisation de l'État, pour comparer les modèles de laïcité étatique existants, pour faire une analyse de leur compatibilité avec la société québécoise et pour proposer les paramètres d'une approche susceptible de correspondre à ces valeurs. Les modèles sont nombreux. Or, au sujet de la laïcité, la commission Bouchard-Taylor, dans son rapport, ne mentionne que le cas de la France. Une commission sur la laïcisation devrait évidemment comparer un éventail d'exemples beaucoup plus vaste. La société québécoise sera appelée à faire des choix ou encore à inventer un modèle sur mesure. Les échanges publics autour des travaux de la commission auraient vocation pédagogique auprès des citoyens et citoyennes préoccupés par ces enjeux. Ils permettraient également aux intéressés de faire valoir leurs points de vue par le biais de différents forums médiatiques. Il appartiendrait alors à vous, les élus, forts de cet éclairage, d'identifier les paramètres de la neutralité religieuse et de la laïcisation qui doivent gouverner nos institutions et nos sociétés.
**(17 h 20)** Troisième partie, je désire vous mettre en garde contre la cristallisation, le danger de cristallisation par le droit. Le projet de loi n° 94 ne prévoit pas de voie de mise en oeuvre propre aux accommodements raisonnables. En conséquence, les tribunaux seront appelés à trancher les litiges liés à son application. Or, les modèles traditionnels de résolution de conflit ne constituent pas un moyen approprié pour dégager des pratiques en matière d'accommodements raisonnables. En effet, le système de justice contradictoire québécois d'origine britannique repose, entre autres, sur la règle du précédent. Elle implique la réitération de décisions dans le temps parce qu'elles ont été tranchées précédemment par des tribunaux supérieurs dans la hiérarchie du système judiciaire.
La détermination d'accommodement raisonnable s'attache à une situation factuelle et nécessite évidemment une analyse de cas-par-cas, une analyse de cas particuliers prenant assise sur un jugement éclairé. Comme le démontre l'expérience, les pratiques d'accommodement raisonnable sont appelées à être modifiées au fur et à mesure de l'acclimatation ou de l'apprivoisement à d'autres cultures et d'autres traditions. Si les tribunaux excellent dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire, ils sont généralement peu aptes à rendre des décisions qui s'adaptent à des situations et à des contextes sociaux changeants parce qu'ils s'estiment liés par des décisions antérieures.
Enfin, il me semble, et ce point m'apparaît d'une importance capitale, que le recours traditionnel aux tribunaux ne constitue pas une option réaliste, puisqu'il n'est tout simplement pas accessible aux individus, à moins qu'ils soient extrêmement bien nantis.
Alors, quatrième proposition, une suggestion qui se veut constructive, je propose d'élargir la mission déjà existante du Service-conseil en matière d'accommodements raisonnables, qui est rattachée à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec. Afin de distinguer le service-conseil de ma proposition, je vais parler du bureau des accommodements raisonnables. Ce bureau, qui relèverait toujours de la commission, aurait pour mandat ou pour mission d'abord de recueillir des exemples et des statistiques au sujet des nombreuses pratiques en accommodement raisonnable qui sont actuellement en usage à la grandeur du territoire du Québec dans plusieurs institutions tels que les hôpitaux, les commissions scolaires, les milieux... différents milieux comme les hôpitaux. Nous avons déjà une vaste expertise à exploiter. Ensuite, son personnel aurait ensuite comme mandat d'analyser ces pratiques à la lumière des principes mais également de la jurisprudence de la charte.
Le bureau devrait sensibiliser le public et rendre disponible son expertise afin que les personnes et les institutions puissent se l'approprier. Le bureau devrait assumer la gestion des aménagements mais également établir la procédure à mettre en oeuvre pour répondre aux demandes d'accommodement raisonnable dans leur milieu respectif. Enfin, le bureau devrait assurer un suivi afin de vérifier que les accommodements raisonnables s'avèrent réalistes et viables pour ses principaux protagonistes.
Ultimement, le bureau favoriserait l'adoption de nouvelles pratiques lorsque l'acclimatation des cultures entre elles le justifierait. Cette fonction de vérification et d'adaptation devrait se faire par le biais de modes de prévention et de règlement des différends, telles la facilitation et la médiation. Ces approches seraient plus susceptibles de permettre la communication, le dialogue et une meilleure compréhension des différences culturelles. Elles participeraient aussi également à la fonction éducative du bureau.
Enfin, le bureau deviendrait un forum accessible non seulement pour les institutions et les employeurs, mais également pour les individus. Le bureau des accommodements raisonnables participerait ainsi à une plus grande accessibilité à la justice dans le domaine fondamental des droits de la personne. En somme, le bureau pourrait devenir un forum de communication dans un contexte interculturel, multiculturel offrant une variété de pratiques en constante évolution pour répondre aux besoins sociaux changeants.
Un mérite du bureau serait également de résoudre plus rapidement les situations litigieuses que ne peuvent le faire les tribunaux. Dans ce domaine, la célérité éviterait souvent que les conflits ne s'enveniment.
L'appel à un bureau serait également une option qui me semble supérieure à l'article 7 du projet de loi, selon lequel il appartient à la plus haute autorité administrative d'un ministère, d'un organisme ou d'un établissement d'y assurer le respect des prescriptions de la présente loi. Dans les cas simples et courants, cette solution demeure efficace, mais, pour toutes les situations complexes, les risques de dérapage et d'incohérence d'une instance à l'autre sont très élevés. Les personnes dirigeantes de ministère et d'organisme ne disposent pas de l'expertise et des connaissances très spécialisées requises en la matière. Si chacune des administrations se trouve dans l'obligation d'abord de développer sa propre expertise et que le gouvernement doive créer un réseau entre ces équipes pour assurer un minimum de cohérence, les coûts en seront certainement supérieurs à ceux requis pour le fonctionnement efficace d'un bureau en matière d'accommodements raisonnables. Évidemment, pour remplir sa mission, le bureau doit disposer d'une infrastructure et de ressources humaines et financières appropriées.
Cela dit, le développement de bonnes pratiques en matière d'accommodements raisonnables n'est pas une panacée. Il faut donc prévoir, pour éviter certains dérapages potentiels, des mesures de protection. Premièrement, le rattachement du bureau à la commission devrait se poursuivre pour permettre que les pratiques soient en harmonie avec l'évolution de l'application de la charte québécoise. Deuxièmement, il ne s'agit pas simplement de réitérer des bonnes pratiques parce qu'il en a toujours été ainsi, mais plutôt de remettre en question la jurisprudence du bureau en rapport avec les besoins et les intérêts des individus, donc la dépasser, cette expertise-là, la remettre en question de façon régulière. Prévoir un droit de révision, d'abord à la commission, puis au Tribunal des droits de la personne. Puis ensuite, dans un dernier temps, évidemment, une infrastructure qui aurait les ressources nécessaires, financières et humaines.
En conclusion...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): J'allais vous le demander. Allez-y, madame.
Mme Belleau (Marie-Claire): D'accord. Alors, en conclusion, le projet de loi ne devrait être adopté sans des changements importants. Dans un premier temps, je mets en garde le législateur contre la confusion à laquelle conduit l'article 4, qui affirme la neutralité religieuse de l'État comme si c'était un principe qui était actuellement enchâssé dans la charte québécoise. Deuxièmement, je préconise une approche qui, sans exclure le recours aux tribunaux, vise à leur fournir des instruments d'interprétation et à les faire intervenir selon leur véritable mission, en dernier recours. Puis, pour ce faire, je suggère d'abord la tenue d'une commission d'experts sur les questions qui nous intéressent. Et en dernier lieu évidemment la création d'un bureau des accommodements raisonnables. Le bureau viserait à développer une approche qui... une justice de proximité, hein, qui la rendrait plus accessible aux citoyens et citoyennes, mais également pour développer des pratiques qui seraient revues, transformées, adaptées et qui seraient réalistes et viables, en harmonie avec la charte québécoise des droits et libertés de la personne. Merci beaucoup pour votre attention.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): C'est nous qui vous remercions, Mme Belleau, pour votre présentation. Donc, Mme la ministre.
Mme Weil: Oui. Alors, juste pour revenir sur cette question de neutralité. Évidemment, les opinions juridiques qu'on a, c'est que ce principe nous dit que nulle part c'est enchâssé...
Mme Belleau (Marie-Claire): Bien, on...
Mme Weil: C'est un principe qui combine... Évidemment, ça découle de la liberté de religion, de deux... des décisions Big M Drug Mart, et puis il y a aussi la décision Bruker contre Marcowitz, des décisions de la Cour suprême, et qui disent que ça découle des deux chartes. Donc, ça découle d'un ensemble de jurisprudences et de chartes finalement, ce principe, qui est reconnu. Mais, vous, vous dites qu'il faudrait le spécifier dans une ou deux des chartes ou...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Mme Belleau.
Mme Belleau (Marie-Claire): Écoutez, Mme la ministre, c'est sûr que la jurisprudence le reconnaît. Et, dans l'expérience de la législation, évidemment, un rôle du législateur, c'est d'enchâsser dans ses lois des principes jurisprudentiels, de les réaffirmer. C'est une chose quand c'est des questions, par exemple, comme l'enrichissement sans cause, qui était un développement jurisprudentiel qu'on a mis dans le Code civil du Québec. Ce que je trouve plus problématique, c'est qu'un principe aussi fondamental que celui-ci... Puis j'ai eu la chance... Parce que j'arrive, jeudi, à 5 heures, de regarder les débats auxquels vous avez été soumis et je réalise que... je réalise... C'est évident que, question de la laïcisation, laïcité, neutralité de l'État, c'est loin d'être des fondements sur lesquels... pour lesquels le sens est déterminé.
La difficulté que j'ai, c'est que, dans les circonstances actuelles, d'aller mettre, pas dans la charte, mais dans un document législatif autre un principe fondateur sans avoir la chance, à mon sens, de bénéficier de l'expertise puis des connaissances d'une multiplicité de modèles, c'est risqué. Parce que je trouve qu'il y aurait un avantage à ce qu'il y ait des échanges, à mon avis, par des experts, vous informer, puis ensuite prendre une décision sur comment le présenter, mais avec des paramètres. Je vois mal comment les tribunaux sont équipés pour essayer de déterminer qu'est-ce que la neutralité puis la laïcisation ouverte, ou fermée, ou appelez-la comme vous voulez. Dans les circonstances actuelles, regardez la variété des débats que vous avez eus. Alors, pour moi, le forum approprié, c'est les législateurs.
**(17 h 30)**Mme Weil: C'était... Juste pour... C'est parce que... précisément parce que c'était dans le cadre d'un projet de loi qui vient baliser les accommodements dans l'administration gouvernementale, donc ça se voulait très précisément dans ce cadre-là, et que l'interprétation que feraient les tribunaux... On ne demande pas de régler tous les problèmes de la société, là, et tous les conflits de droit qu'il pourrait y avoir, mais, dans le cadre de ce projet de loi, on vient reconnaître un principe jurisprudentiel et qui découle des chartes.
Ce que, vous, vous proposez pourrait être beaucoup plus risqué, parce qu'on n'est pas... Est-ce qu'on peut se projeter dans 50 ans, dans quelle vision de la société on évolue? Comme disait Voltaire: Le mieux est l'ennemi du bien. Et on est vraiment... D'après tout ce que j'ai entendu, ça me revient constamment, ces mots de Voltaire. Et il faut avancer. Si à chaque fois on nous dit: Il faut faire un grand débat, qui pourrait nous prendre encore deux, trois ans, on ne va jamais avancer, alors que la population nous demande d'amener des balises par rapport aux accommodements dans l'administration gouvernementale. C'est ça qu'on vit depuis quelques années. Et donc d'être trop ambitieux... C'est ça, c'est là où je me dis: Quel est vraiment le risque, dans une loi qui balise les accommodements...
Mme Belleau (Marie-Claire): Bien, écoutez...
Mme Weil: ...de reconnaître ce principe? Parce que le Barreau, au contraire, contrairement à vous et d'autres, disait que justement c'était une très bonne chose -- le Conseil du statut de la femme, peut-être parce qu'ils y voyaient justement un pas dans la bonne direction -- d'incorporer dans notre législation ce principe et tout... et les règles, les multiples règles qu'on a vues autour de l'accommodement. Je comprends ce que vous dites, mais j'essaie de voir comment fait-on pour avancer finalement.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme Belleau.
Mme Belleau (Marie-Claire): Écoutez, je vous entends, puis je vous comprends, puis je vois ce que vous me dites. Ce que j'ai trouvé choquant, c'est de lire l'article 4 comme si le principe était déjà là. Vous me dites: L'interprétation jurisprudentielle en fait un principe. Mais, la jurisprudence, ça se change, et les juges sont... C'est un forum de juges qui peut changer des perspectives. Ce que je trouve problématique, c'est lorsqu'on a dans une loi comme la loi n° 94, le projet de loi... d'avoir, dans l'article 4, l'idée que le principe serait déjà enchâssé. Il ne l'est pas, alors mettez-le, mais pas comme étant enchâssé dans la charte québécoise.
Mme Weil: Est-ce que vous pourriez imaginer... Si vous aviez une recommandation à faire par rapport à... mais à la lumière de ce qu'on essaie de faire ici, c'est-à-dire des accommodements dans l'administration gouvernementale, pour le préciser davantage, le contextualiser, je pense que c'est peut-être ça que... et de le rattacher justement à cette notion de liberté de religion, que ça découle de ce principe, est-ce que vous pouvez... Parce que vous êtes... Je n'ai pas vu d'amendement, à moins que je l'aie... Vous n'avez pas fait de suggestion dans ce sens-là?
Mme Belleau (Marie-Claire): Bien, écoutez, vous allez me trouver frustrante, mais j'estime que je n'ai pas l'expertise de légiste pour le faire.
Mme Weil: O.K. Ça va, ça va. Je vous comprends. Mais quelque...
Mme Belleau (Marie-Claire): Mais je vous mets en garde, c'est simplement... mettez que «notamment» le droit de religion, d'où découle... par la jurisprudence.
Mme Weil: D'accord. Je comprends.
Mme Belleau (Marie-Claire): Mais n'allez pas dire que le principe est dans la charte.
Mme Weil: D'accord. Je comprends ce que vous dites. Maintenant, j'aimerais qu'on aille sur... Vous êtes vraiment la première personne... peut-être, vous allez être la seule qui évoquez quelque chose d'intéressant. Moi, j'avais vu ça dans un premier temps comme quelque chose qui se compare à de la médiation un peu. Et, moi, d'ailleurs, j'aurais vu d'autres groupes venir nous faire des propositions dans ce sens-là, mais je n'en ai pas vu, parce que... Et celle qui était ici avant vous, elle l'a évoqué aussi un peu, cette discussion, ce débat, cet échange, mais éventuellement médiation. Donc, ce que vous verriez éventuellement, à part l'obligation de sensibiliser les gens, faire de l'éducation autour des droits, mais qui aurait peut-être ce rôle de médiation. Pourriez-vous peut-être... Dans le contexte de ce projet de loi, comment vous le verriez appliqué?
Mme Belleau (Marie-Claire): Bien, écoutez, mon expertise vient de ce qu'on appelle la justice participative, c'est-à-dire cette justice où les gens participent à trouver les solutions à leurs conflits ou à leurs différends -- on utilise même «différends» parce que souvent c'est un problème de communication -- et c'est de cette perspective-là que j'ai approché le projet de loi n° 94. Comme il n'y a pas de mesure, d'après ce que je comprends, de mesure d'application, ça s'en va vers les tribunaux. Et, moi, je trouve que, d'abord, c'est trop long, c'est trop coûteux. Puis je ne pense pas que les individus ont les moyens d'aller faire valoir leurs droits, puis ça ne sera pas leur priorité.
Alors, moi, je considère que vous avez un service-conseil, des bureaux en matière d'accommodements raisonnables... Vous l'avez déjà, c'est annexé à la commission. Je me suis fait dire que ce n'était pas tellement utilisé. Lorsque j'ai regardé l'information, parce que j'ai l'avantage d'être une prof à l'université qui n'a absolument rien à voir avec la Commission des droits et libertés de la personne, alors je peux parler, et j'ai l'avantage de... Alors, j'ai été voir qu'est-ce qu'il y avait comme services. J'ai remarqué que c'est des services qui sont pour les institutions ou pour les employeurs. Et, moi, je pense que c'est les citoyens, les individus qui ont besoin de savoir: Qu'est-ce que je peux faire? Je suis dans une situation difficile, on...
Je trouve ça très intéressant de voir les débats autour de la... auxquels vous avez assisté. Je vous trouve très chanceux, parce qu'on parle toujours... Il y a des gens qui ne veulent pas le cas-par-cas, alors qu'ils ont... je devrais... je ne veux pas être condescendante. Donc, ce n'est pas une question... C'est que le droit à l'égalité, c'est un droit général. Quand on l'applique, il y a des effets qui sont d'inégalité. Les accommodements raisonnables visent simplement à redonner un droit à l'égalité à une personne qui ne l'a pas parce que c'est appliqué de façon générale. C'est par définition du cas-par-cas.
Puis, moi, je trouve qu'on a intérêt à se parler, à échanger, à discuter. Je pense que certaines pratiques seraient moins offensantes si on savait d'où elles venaient. Et je trouve que c'est fondamental de donner la chance aux gens d'échanger, de mieux se connaître puis de leur demander de ne pas évoluer du jour au lendemain. Alors, ce que j'envisage, c'est un processus de médiation, même de facilitation -- la facilitation, c'est simplement d'avoir des places pour échanger -- où progressivement les gens s'adaptent à de nouvelles pratiques, puis on les invite à remettre en question ces pratiques-là dans un an, dans deux ans, puis voir: Est-ce que ça a fonctionné ou ça n'a pas fonctionné pour vous?
Je sais que ça va avoir l'air extrêmement utopiste, mais ça ne l'est pas, parce que je pense que ça peut être facile à appliquer dans un ensemble de milieux parce qu'on l'a déjà, l'expertise, mais allons la chercher. Arrêtons d'inventer la roue à chaque fois qu'on est confrontés à une situation qui a été étudiée dans toutes sortes d'autres contextes. Puis, dans chaque milieu, au lieu d'essayer d'avoir une règle qu'on applique à tout le monde de la même façon, essayons de voir où on est prêts à aller. Mais, au lieu de s'arrêter là, remettons-la en question dans un an, deux ans ou dans un délai avec une clause crépusculaire, qui nous permettrait de dire: Est-ce qu'on est à la même place ou est-ce qu'on peut changer? Est-ce que ça correspond à nos besoins? Alors, moi, je suis profondément persuadée on atteindrait un interculturalisme si on avait des forums pour échanger à petites mesures par les individus.
Puis, les tribunaux, j'étudie les tribunaux depuis plusieurs années, j'ai eu la chance de travailler avec certains juges, puis ce n'est pas accessible, ce n'est pas vrai que les gens peuvent aller devant les tribunaux. J'ai eu la chance d'entendre mes collègues du Barreau, d'entendre mes collègues de la... plusieurs de mes collègues, puis, quand on dit «le recours aux tribunaux», je trouve que ce n'est pas réel, ce n'est pas la... ce n'est pas ça qui se passe.
Alors, prenons un service-conseil, donnons-lui un peu plus de... de... peut-être de ressources humaines, de ressources, faisons de l'éducation mais aussi de la sensibilisation, puis, lorsqu'ils sont confrontés à des difficultés... Puis, moi, je dirais même: Laissons-les trouver leurs propres solutions. S'ils ont besoin d'aide, que le service-conseil soit là.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va. Merci, Mme Belleau. Merci, Mme la ministre. Mme la députée de Joliette.
Mme Hivon: Oui. Bonjour, Mme Belleau. Vraiment, je suis très heureuse de vous entendre. Vous apportez un point de vue différent, qu'on n'a pas eu, et vous êtes dans le concret des accommodements raisonnables, et dans la mécanique, et dans le processus. Puis, la ministre l'a fort bien dit, mais effectivement, je pense, ça va être un point de vue assez unique, puis, pour nous, c'est très précieux, parce que c'est le but même, je pense, de la démarche initiale qui était de proposer des balises en matière d'encadrement. Et je pense que c'est ça que la population, en matière d'accommodements, souhaite beaucoup avoir.
**(17 h 40)** Et je veux peut-être juste faire un commentaire aussi en matière de... Quand quelqu'un dépose une plainte à la Commission des droits, on l'oublie parfois, mais les gens n'ont pas le droit de saisir directement, par exemple, le Tribunal des droits de la personne. Il faut que la plainte soit admise par la commission pour qu'ensuite ils prennent fait et cause. Et donc ce n'est pas simple, effectivement. C'est beau en théorie de dire, dans le grand monde de la justice: Nous allons devant les tribunaux, et justice sera faite, mais le fait est que, je dirais, à part en droit criminel parce qu'on est contraint de... il y a d'énormes problèmes d'accès à la justice. Donc, quand on pense que tout va se décider au cas-par-cas devant les tribunaux, je pense, c'est totalement illusoire. Et c'est même, je dirais, un peu méprisant pour la population, parce que cette population-là qui pourrait vivre des problèmes risque de ne pas pouvoir y avoir de solution de cette manière-là. D'où l'importance, je pense, de trouver des mesures et des processus qui vont simplifier la vie des gens. Pour moi, c'est ça, la vraie justice. Alors, je trouve ça bien intéressant.
Et je voudrais commencer par l'article 4, parce que, nous aussi, l'article 4, quand le projet de loi a été déposé et qu'on l'a lu, là, on ne comprenait pas, et je suis... et là, depuis... depuis deux jours qu'on siège, depuis le début de la semaine, on voit que... bien on est rassurés parce qu'on voit qu'effectivement il y a beaucoup de gens qui font la même lecture que nous de l'article 4, c'est-à-dire qu'il n'apporte rien de nouveau, mais surtout qu'il fait... Je pense que le hic, là, c'est comme s'il dit qu'il apporte quelque chose de nouveau en disant que le principe de la neutralité, à cause du truchement du «notamment», est dans la Charte des droits, mais on a beau lire et relire, comme vous le dites, il n'est pas là, le principe de neutralité. Alors, moi, je veux comprendre.
Selon vous... Parce que vous dites effectivement que, bon, la jurisprudence s'est développée, et tout ça, et que la jurisprudence n'est peut-être pas quelque chose, aussi -- c'est un autre point intéressant -- qui est très flexible, qui est facile de tourner quand l'évolution de la société, les cultures, les... les mélanges se font. Comme... Est-ce que vous pensez que le fait que dans l'article 4 on vienne dire, on vienne comme inférer que la neutralité serait déjà présente dans la Charte des droits, c'est quelque chose qui pourrait avoir une influence dans le comportement et les décisions des tribunaux?
Mme Belleau (Marie-Claire): Bien, écoutez, j'ai répondu à la ministre au sujet de mon inconfort. Je ne suis pas spécialiste en matière des droits de la personne, puis loin de moi l'idée de trop me prononcer sur ce... Alors, je me sens mal à l'aise... Le libellé me heurtait parce que je trouvais que ça disait quelque chose qui n'est pas dans la charte. C'est dans la jurisprudence, c'est vrai, mais je trouve que... Pour quelque chose d'aussi important, j'aurais préféré le voir...
Moi, si c'était «notamment» et «le droit de religion», je dirais: Oui, je le sais où il est, le droit de religion, dans la charte. Je trouve ça plus difficile, le principe de la neutralité religieuse, qui est une inférence du droit de religion et de certains droits qui sont ensuite repris par les tribunaux pour vouloir dire le principe de la neutralité religieuse de l'État, surtout dans une société comme la nôtre. Si vous avez assisté aux débats publics puis observé les débats publics de la commission Bouchard-Taylor, vous savez jusqu'à quel point les gens arrivent à... avec toutes sortes de conceptions. Alors, pour moi, le danger, ce n'est pas... c'est que les tribunaux vont être mal pris avec cette notion-là dans une société où c'est une conception qui est encore... qui l'est dans toutes les sociétés, problématique, hein, je ne veux pas dire qu'on est les seuls. Mais il y a beaucoup, beaucoup de questions autour de ça.
Alors, j'aurais préféré, moi, avoir des... donner... Alors, je parle de paramètres interprétatifs aux cours. Je voudrais leur donner des instruments pour pouvoir mieux déterminer ce que ça peut vouloir dire. Mais, comme je vous le dis, je... Or, la compétence commence par la reconnaissance de son incompétence. Alors, je me limite.
Mme Hivon: C'est pour ça qu'on vous pose des questions, parce qu'on reconnaît d'emblée notre incompétence, nous aussi, et c'est pour ça qu'on entend des gens quand on veut légiférer le mieux possible pour le bien commun. Alors...
Bien, moi, en fait je pense qu'il y aurait eu une nouveauté, mais encore une fois ça aurait été un peu plus d'apparence que d'autre chose, si on avait dit: «Tout accommodement doit respecter la charte -- mais ça, ça va de soi, là, évidemment, dans le cadre actuel, déjà les accommodements doivent respecter la charte -- notamment...» ou si on avait dit: «particulièrement le droit à l'égalité entre les hommes et les femmes», point. Puis: Le principe de la neutralité religieuse, exemple, est affirmé. Là on aurait comme... On serait venus, dans la loi, l'affirmer. Ça n'aurait rien changé, parce qu'il est subordonné de toute façon à la charte, qui, elle, la charte, ne le prévoit pas. Ce qu'elle prévoit, c'est la liberté de religion, et on infère la neutralité. Mais effectivement, moi, en tout cas, je trouve... Moi aussi, j'ai un gros, gros inconfort, et on l'a mentionné le jour un du dépôt, c'est que ça dit quelque chose ou ça laisse entendre quelque chose qui n'est pas.
Ceci étant dit, vous savez comme nous que le titre du projet de loi, c'est Loi établissant les balises encadrant les demandes d'accommodement, et, moi, je sens vraiment chez vous un intérêt, une compréhension des demandes de la population, des gens, des services administratifs pour avoir des balises. Selon vous, est-ce que, dans le projet de loi tel qu'il est libellé, il y a des balises qui pourraient aider ou c'est le maintien du statu quo et donc la référence essentiellement à la jurisprudence?
Mme Belleau (Marie-Claire): Les balises. Les... Moi, je crois que c'est du cas-par-cas. Alors, il y en a, des balises, dans ce document, comme il y en a dans la jurisprudence, il y en a, des balises. Est-ce que... Mais je pense que c'est illusoire de penser qu'elles pourront être très spécifiques et très fermes puis que... Ça irait contre l'essence de ce que sont des accommodements raisonnables. Ce sont des accommodements au cas-par-cas. Alors, je vois mal comment un instrument législatif pourrait offrir des balises suffisantes pour satisfaire les gens, parce qu'on n'en aura pas, de règles très précises. Je crois que ça, c'est illusoire.
Moi, ce que je voudrais voir, c'est des mesures qui permettent une réelle utilisation des accommodements raisonnables pour répondre aux besoins des gens. Je me demandais qu'est-ce qui m'avait possédée d'écrire un mémoire pour venir vous voir. Puis c'est quand j'ai entendu les membres du Barreau -- qui sont mes collègues, que je connais très bien -- que j'ai réalisé pourquoi je le faisais. C'est l'accessibilité à la justice. J'ai ça dans ma colonne vertébrale. Et je pense que, quand j'ai vu le projet, je me disais: Mais qu'est-ce que les gens vont faire? C'est un projet de loi de, quoi, 10 articles? Ils vont aller devant les tribunaux? Non, ce n'est pas vrai. Puis ils vont penser que la Commission des droits va pouvoir les aider, puis ça ne sera pas le cas non plus nécessairement. Mais qu'est-ce qu'ils vont faire? Vous... Je ne sais pas. Peut-être que Monsieur... Vous n'avez pas le droit de parole tout de suite. Mais qu'est-ce que les gens vont faire?
Puis, moi, ce que je voudrais voir, c'est utiliser l'expertise qu'on connaît, qu'on... la centraliser pour donner des ressources aux institutions, aux employeurs, aux personnes dans des milieux, pour leur dire: Voici la panoplie de possibilités. J'ai confiance, votre... La personne qui me précédait disait: Les gens sont créatifs, les gens ont de l'imagination. Moi, je suis médiatrice, j'en fais, de la médiation, dans... aux Petites Créances, en familial, dans toutes sortes de domaines. Les gens, ils en ont plein, de solutions. Faites-leur confiance. Mais donnez-leur des éléments, des endroits où aller chercher des idées. Je ne réponds pas à votre question, mais...
Mme Hivon: Ah oui! Moi, je trouve ça vraiment intéressant, là. Et ce que je trouve intéressant, c'est que je trouve que vous reconnaissez le cas-par-cas, mais vous y apportez un plus. C'est parce que depuis le début la ministre, quand les groupes viennent, elle... elle semble un peu frustrée -- et je pense que ça peut être normal, parce qu'on essaie de légiférer, tout ça -- puis elle dit aux groupes: Mais qu'est-ce que vous proposez? Parce que les groupes disent: Il faut éviter le cas-par-cas, tout ça, puis elle dit: Mais qu'est-ce que vous proposez comme balises?
Puis, vous, je pense que, franchement, vous proposez quelque chose de très concret. Vous dites: Utilisons les gens qui les premiers... autant administrateurs que citoyens, qu'employés qui vivent la situation et donnons-leur un forum pour trouver la solution à leur problème en étant accompagnés. Puis je trouve que c'est une... quelque chose d'intéressant, en tout cas, à regarder parce que c'est, je dirais, à mi-chemin, selon moi, entre des balises formelles et du cas-par-cas pur. C'est du cas-par-cas, mais encadré et qui pourra, au fur et à mesure, aider les organismes à ne plus toujours avoir à se référer, aussi. Et, dans ce contexte-là, je me demandais: Est-ce que vous voyez cette espèce de forum, ce bureau, cette entité-là accompagné aussi d'un processus d'élaboration de directives plus formelles ou plus encadrantes, ou aucunement, vous, c'est le forum?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme Belleau, vous allez sûrement avoir l'occasion de répondre à cette question, puisque la ministre est sûrement intéressée de vous entendre. Mme la ministre, peut-être, à vous la parole.
**(17 h 50)**Mme Weil: Beaucoup de discussions. Mais on va reconfirmer vraiment la valeur juridique de l'article 4, là. Mais on aura le temps de l'expliquer éventuellement, mais c'est bien confirmé. Il y a plusieurs façons de le dire, mais ça a été confirmé par les tribunaux que ça découle de la charte, et ça, c'est un principe qui semble être réécrit dans beaucoup, beaucoup de textes.
Pour la... Ce que le Barreau disait, c'était qu'en fait, savez-vous, au sein du gouvernement, les accommodements, ça se passe tous les jours et ça se passe très bien. Les balises sont là pour éviter que les gens soient obligés, à gauche et à droite, justement d'aller devant la Commission des droits de la personne. Donc, ce n'est pas vrai de dire... Et ce n'est pas ce que le Barreau disait. Il disait: En fait, c'est pédagogique d'une part, c'est utile de l'incorporer, mais ça va faire en sorte d'avoir de la clarté. Et, les décideurs, ça va faciliter la tâche, un peu, dans le sens que vous dites, parce qu'actuellement c'est ces décideurs, une fois qu'évidemment les directives, partout au sein du gouvernement, qu'ils vont regarder, dépendant des services qu'ils fournissent... Ça serait impossible, dans une loi, de mettre tous les organismes gouvernementaux, tel que demande l'opposition. C'est impossible. Il y aura des directives, et on le voit dans l'article 7, pour donner corps et âme à ce projet de loi.
Donc, ce que le Barreau disait: Ça va déjudiciariser -- c'est le contraire de ce que vous dites -- et donc ce qui va faire en sorte que... Et comme ça se passe actuellement, en fait, parce qu'il y a déjà beaucoup de vécu, mais là il y aura des orientations claires et avec... par rapport... dépendant des services qui sont offerts par chacun de ces organismes, la nature, d'ailleurs, du ministère ou organisme de baliser, qui fera en sorte que les gens ne seront pas obligés de faire valoir leurs droits.
Maintenant, pour revenir à la question de médiation, et tout, il y a ce service-conseil qui est là, il est utilisé, il est apprécié. Mais, avant d'avoir recours à ça, il y a quand même... Au sein du gouvernement, il y a des gens qui... Moi, j'ai vu des documents extraordinaires sur les... Je veux dire, ce n'est pas partout, mais il y a déjà une bonne expérience. Donc, je pense... Mais je trouve quand même votre idée intéressante et je trouve que c'est quelque chose éventuellement à regarder. Et je suis d'accord avec vous qu'il...
Premièrement, c'est sûr, le cas-par-cas, ça, c'est un autre commentaire qui est toujours fait par l'opposition. C'est sûr que l'accommodement raisonnable, il y a toujours... la personne doit faire la demande d'accommodement; on est inévitablement dans un cas particulier. Alors, il va le démoniser, ce concept de cas-par-cas, mais c'est la nature même... Ce n'est pas tout le monde de l'opposition, mais... la députée de Joliette qui revient toujours là-dessus. Mais évidemment il y a... et pour... D'ailleurs, la Commission des droits de la personne le dit, on ne peut pas avoir d'accommodement, à moins qu'il y ait une demande. Donc, ça commence toujours par un individu qui fait la demande. Donc, vous avez tout à fait raison. Mais ça ne veut pas dire qu'un cas-par-cas, c'est néfaste. C'est ça qui me préoccupe dans son commentaire, c'est que ce n'est pas néfaste en soi, c'est très bon, ça veut dire que la société démocratique fonctionne très bien. Que les gens sont capables d'accommoder les gens, moi, je ne vois rien de négatif là-dedans. Mais ce qu'il faut éviter, c'est le manque de clarté, la confusion, et c'est ça, l'intention de ce projet de loi.
Maintenant, on est là pour écouter, on est là pour... pour écouter ce que les gens disent. Évidemment, il y en a qui sont... qui voudraient autre chose, et non... et, moi, j'essaie de ramener les gens sur l'objectif de ce projet de loi, qui est vraiment dans l'administration gouvernementale. Ceux qui voudront aller plus loin éventuellement, dans d'autres zones, d'autres sphères, d'autres... Bon. Et l'objectif de ce projet de loi, c'est ça. Donc, je n'ai pas vraiment de question spécifique, je voulais juste... Oui?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui. Allez-y, Mme Belleau.
Mme Belleau (Marie-Claire): Sur le cas-par-cas, je suis en parfait accord avec vous, c'est vraiment des cas particuliers puis ça part de l'individu.
Sur la question de la déjudiciarisation, mentionnée par le Barreau, j'ai une méfiance par rapport à la question de la déjudiciarisation, dans le sens que, si vous regardez les statistiques des cours dans les dernières années, c'est catastrophique: la descente de demandes d'individus est extrêmement, extrêmement ténue, et de plus en plus on voit des corporations, mais très, très peu d'individus. La déjudiciarisation, je ne sais pas si... pardon?
Mme Weil: En accommodement?
Mme Belleau (Marie-Claire): Dans tous les domaines.
Mme Weil: O.K. Non, mais en... oui, mais...
Mme Belleau (Marie-Claire): Les individus n'ont pas recours aux tribunaux.
Mme Weil: Mais la Commission des droits de la personne, c'est vraiment la première instance.
Mme Belleau (Marie-Claire): Mais la Commission des droits de la personne n'est plus capable de rendre les décisions dans des délais raisonnables, c'est trop long, c'est difficile. Les enquêtes n'en finissent plus. Moi... Je veux dire, on a des cas, par exemple, où des appels de la commission à la Cour d'appel, c'est des attentes extrêmement longues.
Mme Weil: ...ils vont venir, bon, je pense, c'est au mois d'août, là, mais on aura l'occasion de leur poser la question. Merci.
Mme Belleau (Marie-Claire): Ce serait important.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, M. le député de Laurier-Dorion.
M. Sklavounos: Alors, Pre Belleau, merci beaucoup. Vos commentaires sont très intéressants. Et j'ai juste quelques commentaires puis, après ça, quelques questions. Je suis étudiant du droit civil mais également de la common law, alors vous m'avez piqué un petit peu lorsque vous avez parlé des précédents comme étant quasiment un frein à l'avancement. Je ne peux qu'exprimer un profond désaccord avec vous -- et, je vais vous dire, en tout respect, on s'entend bien. Et vous êtes aussi, surtout, familière avec cette expression de la Chambre des lords, qui parlait de la Constitution comme étant une plante vivante qui...
Une voix: Un arbre qui grandit.
M. Sklavounos: Oui, un arbre, un arbre qui grandit, qui fait en sorte qu'évidemment il y a une évolution naturelle, et les moeurs et les temps font en sorte que notre... l'état de notre droit évolue. Ce qui est perçu comme étant égalité aujourd'hui n'était pas l'égalité d'il y a 30 ans et l'égalité d'il y a 40 ans, et ainsi de suite. Alors, je pense, à ce niveau-là, de dire qu'à cause des précédents c'est un empêchement à l'avancement et à la reconnaissance de ce qu'est la société aujourd'hui, je suis en profond désaccord. Je ne sais pas si j'ai mal saisi ce que vous avez essayé de dire, mais je vous fais ce commentaire-là.
J'ai beaucoup apprécié le fait que la ministre mentionne également qu'il y a beaucoup d'accommodements raisonnables -- et d'ailleurs ils sont raisonnables -- qui ont lieu à tous les jours -- on n'en entend pas parler -- ce qui veut dire qu'à quelque part quelque chose fonctionne, parce que des gens très raisonnables sont au bout de ces accommodements, et ça fonctionne très bien. Et, malheureusement, c'est juste les cas, qui se retrouvent dans les médias, où les gens ont été incapables de se mettre d'accord que les médias décident de mettre de l'avant puis évidemment attirer l'attention du public.
Concernant la neutralité religieuse de l'État, si vous voulez ma conception des choses -- et j'ai pratiqué sept ans devant les tribunaux, j'ai plaidé beaucoup la charte -- moi, quant à moi, la neutralité religieuse est évidente de par l'interprétation qu'on doit donner au droit à l'égalité. On ne pourrait pas présumer d'un État qu'il n'a pas de neutralité à cause du droit à l'égalité, qui prohibe toute discrimination sur les facteurs que vous connaissez, que je connais, qui sont inclus dans les chartes. Donc, veux veux pas, lorsqu'on est égaux devant l'État, et la religion est comprise comme motif sur lequel... pour lequel on n'a pas le droit de discriminer, veux veux pas, c'est la neutralité religieuse de l'État.
Je comprends qu'on n'a pas écrit nulle part «neutralité religieuse de l'État», mais c'est l'interprétation même du droit à l'égalité devant l'État, sur les motifs de la religion, qui existe, qui est codifiée, qui assure la neutralité de l'État. Maintenant... religieuse de l'État. Maintenant, on peut parler de modalités de cet exercice, concernant les épinglettes, les croix, le hidjab, et tout le reste, mais, comme résultat, l'État doit donner un résultat qui est neutre de toute religion quand les gens qui ont affaire avec l'État sont devant l'État.
Évidemment, je comprends ce que vous dites et je suis très heureux que vous parliez du cas-par-cas et que vous l'avez dit cinq fois. J'ai l'impression que ça a passé la barrière entre nous et l'opposition officielle, parce qu'ils ont dit: Ah! finalement c'est bien, ça, le cas-par-cas, on vous comprend. Mais il y a autre chose, vous me dites qu'on devrait passer par la médiation, donc il y a un nouveau... J'ai l'impression... Au début, quand vous n'étiez pas là, on parlait vraiment du fait qu'il fallait limiter... éliminer ce cas-par-cas. Là, vous venez, ils disent: Ah! oui, peut-être, vous avez raison, le cas-par-cas, mais on devrait procéder différemment. J'ai l'impression qu'on veut juste être à l'encontre du projet de loi n° 94, de l'autre côté. Le cas-par-cas, à quelque part, lorsqu'il y a des faits... N'importe quel accommodement nécessite... Comme vous l'avez dit, veux veux pas, ça demande... ça présuppose une demande de la part de quelqu'un qui invoque ce droit... Il n'y a plus de temps?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Malheureusement, non, et je vais devoir prendre vos commentaires comme étant une question éventuellement non répondue, parce que...
M. Sklavounos: Bien, allez-y comme vous...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Bien... Non.
Mme Belleau (Marie-Claire): Non? Non?
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Alors, très, très rapidement, parce qu'on a vraiment... Allez-y, madame, très rapidement, s'il vous plaît.
Mme Belleau (Marie-Claire): Bien, écoutez, tout ce que je voulais vous dire, c'est: L'arbre qui grandit, c'est le Person's Case, hein, qui reconnaît que les femmes sont des personnes au sens de la Constitution canadienne. Alors, ce n'est pas n'importe où que ça vient. Puis je me suis... Le précédent, la règle du précédent, je suis aussi une personne formée en common law, et évidemment, vous le savez, il y a le paradoxe droit, il faut que le droit soit sécuritaire, il faut savoir qu'est-ce qu'il dit puis il faut qu'il évolue, mais la règle du précédent se place généralement plus du côté de la sécurité que de l'évolution. Pas toujours, mais beaucoup.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Merci, madame. Mme la députée de Nicolet.
Une voix: ...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Bien sûr que vous avez la parole... Encore Nicolet? Non, de Joliette.
Mme Hivon: Il me débaptise.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça arrive à l'occasion.
Mme Hivon: Oui, si vous voulez, peut-être rapidement y aller sur le fait que, pour vous, c'est un forum unique, un bureau, et ça ne s'accompagne pas. Je comprends qu'il y a une mission importante, qui serait une mission d'information, pas juste de résolution de différends, et tout ça, mais il n'y aurait pas un processus, à côté, d'élaboration, par exemple, de directives, ou tout ça. C'est vraiment le bureau qui viendrait régler les cas via la médiation ou un processus comme ça.
Mme Belleau (Marie-Claire): Je le vois de différentes façons. D'abord, je ne vois pas... Je suis vraiment une adepte de la justice participative. Je veux que ce soient les gens qui prennent des décisions dans leurs contextes. Donc, je vois le bureau comme un endroit où on peut leur dire: Dans des cas similaires, voici la variété des pratiques. Les gens décident d'eux-mêmes. S'ils ne peuvent pas arriver à une solution, ensuite qu'ils viennent au bureau pour avoir de l'aide. Mais je ne vois pas cette solution-là comme nécessairement le bureau qui leur dise quoi faire. Alors, des directives, pour moi, c'est problématique.
**(18 heures)**Mme Hivon: Vous avez dit -- je vais essayer de faire ça vite parce que ma collègue a une question -- vous avez dit tout à l'heure... Vous savez, vous nous avez entendus, vous, vous êtes beaucoup sur la question des accommodements, qui, je pense, était plus le coeur de ce que le projet de loi voulait faire, là, mais qui nous a surpris, parce que, quand il a été déposé, on a parlé... la ministre a parlé de laïcité, le premier ministre a parlé de laïcité, laïcité ouverte, comme si ça venait régler la question, là. Et ça, je pense qu'il y a à peu près unanimité pour dire que ça ne vient pas régler et qu'on ne peut pas faire l'économie d'un débat sur la laïcité.
Je veux bien comprendre. Tantôt, vous avez dit, en référence à l'article 4, que, bon, la neutralité, comme telle, ce n'était pas un principe qui était inscrit dans la charte, qu'il faudrait l'inscrire. Ce que vous souhaitez voir inscrit dans la charte, pour qu'il y ait quelque chose de clair, est-ce que c'est le principe de la neutralité ou la laïcité, dans la charte?
Mme Belleau (Marie-Claire): Bien, la réponse est très simple, je veux une commission d'experts qui se penche à savoir quels sont les modèles, et les modèles très variés, qui proposent des solutions, puis qu'à partir de ces solutions, vous, les élus, vous preniez des décisions. Alors, loin de moi l'idée de me prononcer sur qu'est-ce que je veux.
Mme Hivon: Vous êtes un peu dans la mouvance, je dirais, assez généralisée de demander, par exemple, un livre blanc, un livre vert sur la laïcité, un débat sur une éventuelle charte de la laïcité, quelque chose qui viendrait définir un concept qui pourrait être enchâssé dans la charte. C'est... Je vous lis correctement?
Mme Belleau (Marie-Claire): Dans la charte ou dans un autre instrument. Mais, pour moi, c'est... l'idée... J'ai pensé à une commission publique, mais le problème de la commission publique, c'est que ça va donner lieu à une foire d'empoigne, à toutes sortes de choses. Alors, j'ai pensé qu'une commission d'experts qui donnerait peut-être des balises mais qui ferait... Je suis formée en droit comparé, alors je trouve qu'il y a une valeur à comparer puis à regarder, mais un ensemble de modèles, hein? Alors...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Madame... Merci, Mme la députée de Joliette. Mme la députée d'Hochelaga-Maisonneuve.
Mme Poirier: Merci, M. le Président. Mme Belleau, plusieurs se sont exprimés depuis mardi en disant qu'il fallait que les accommodements raisonnables passent par le biais... par le prisme de l'égalité hommes-femmes. Je ne vous ai pas entendue là-dessus... et comme étant comme un passage obligé. Ce que vous avez exprimé tout à l'heure, c'est à l'effet que les accommodements raisonnables, même s'ils passent par l'égalité hommes-femmes, devront être analysés par des sous-catégories après. Mais, à partir du moment où l'accommodement passe par le prisme de l'égalité hommes-femmes, est-ce qu'il... et que cette égalité hommes-femmes là est remise en question par un autre droit, comment vous le voyez?
Mme Belleau (Marie-Claire): Écoutez, moi, je trouve que c'est une fausse dichotomie. Les femmes ne sont pas que des femmes, elles sont religieuses, elles sont issues de races, elles ont des orientations sexuelles différentes. C'est un ensemble. Alors, moi, je suis une adepte de ce qu'on appelle l'intersectionnalité, c'est-à-dire que, quand on regarde seulement qu'une partie, une forme de discrimination, et qu'on exclut les autres, le danger, c'est d'exclure toutes ces personnes qui appartiennent aux deux catégories, et il faut faire attention.
Alors, par exemple, quand on regarde la catégorie des femmes puis la catégorie des Noirs, alors... ou des personnes de couleur ou des personnes de différentes races, il y a des endroits, puis je peux vous citer le cas de Harvard Law School, où, en ayant deux catégories pour l'embauche des personnes, on n'a engagé pendant des années que des hommes de différentes races et on n'a engagé que des femmes blanches, parce que les femmes de couleur ne tombaient ni dans une catégorie... par l'effet du sexisme dans une et l'effet du racisme dans l'autre. Si on fait abstraction de... On ne peut pas parler de l'égalité des femmes sans parler des femmes musulmanes.
Alors, il me semble que c'est une erreur de dire que les femmes sont femmes avant tout. Elles sont femmes et membres de toutes sortes de communautés et de toutes sortes d'appartenances. Alors, le concept d'intersectionnalité nous aide à essayer de parler des femmes, et pas de la femme, et d'essayer de voir qu'il y a plusieurs formes d'identité. Alors, je trouve ce débat souvent réducteur. Puis pensez à vous-même. Vous faites partie d'un ensemble. Alors, il faut faire attention avec ces critères-là. J'ai beaucoup de difficultés à...
Mme Poirier: Je poursuis sur qu'est-ce que vous me dites. Effectivement, les femmes sont femmes et autre chose, versus... femmes et autre chose, versus la neutralité de l'État. Si la conception de neutralité de l'État fait en sorte qu'il n'y a pas de signe ostentatoire, par exemple, comment vous le conjuguez, à ce moment-là?
Mme Belleau (Marie-Claire): Écoutez, lorsqu'il y a eu la commission Bouchard-Taylor, on a eu toutes sortes de comités dans les universités, dans toutes sortes d'organismes, puis on a réussi à s'entendre, puis on a signé à 60, etc. Quand on est arrivé avec le projet de loi n° 94, on a essayé de s'asseoir puis d'arriver à autant de signatures. Les comités du Barreau... Moi, je fais partie de plusieurs des comités du Barreau, de plusieurs communautés intellectuelles de toutes sortes, puis on n'arrive pas à s'entendre. Alors, je suis profondément convaincue que mon opinion personnelle n'est pas importante.
Ce qui est important, c'est de voir qu'est-ce qui est viable et réaliste dans le vécu des individus. Puis arrêtons d'essayer de faire des règles générales. Donnons la chance aux gens de prendre des décisions pour eux-mêmes. Puis donnons-leur de l'expertise, donnons-leur des forums, donnons-leur de l'accompagnement. Mais les gens sont capables de prendre des décisions pour eux.
Alors, j'ai beaucoup de difficultés avec l'idée de dire quel droit doit avoir plus d'importance que l'autre, je pense, pour la même raison que l'exemple que je vous donnais d'intersectionnalité. Laissons la chance, dans différents contextes, aux gens de trouver ce qui est viable dans leur situation, puis reposons-leur la question: Est-ce que c'est encore viable? Est-ce que ça correspond à vos besoins? Alors, ce n'est pas satisfaisant, mais c'est...
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Oui, Mme la députée de Rosemont. Oui, deux minutes exactement.
Mme Beaudoin (Rosemont): Oui. À ce moment-là, par rapport au projet de loi lui-même, vous proposez donc des amendements ou vous proposez d'enlever quelques articles et puis de revenir à ce... Parce que c'est un concept très, très particulier que celui justement de la médiation. Et vous appelez ça comment? L'inter quelque chose?
Mme Belleau (Marie-Claire): L'intersectionnalité.
Mme Beaudoin (Rosemont): Sectionnalité.
Mme Belleau (Marie-Claire): Oui, c'est la... c'est...
Mme Beaudoin (Rosemont): Bon, c'est un nouveau mot. C'est un néologisme? Non? Ça existe dans le dictionnaire?
Mme Belleau (Marie-Claire): Je ne sais pas.
Mme Beaudoin (Rosemont): Vous l'avez inventé? En tout cas, c'est bien.
Mme Belleau (Marie-Claire): Non, non, je ne l'ai pas inventé.
Mme Beaudoin (Rosemont): Non. Alors, est-ce que vous proposez de refaire complètement le projet de loi en disant: Bien, dans le fond, la loi elle-même, la loi... le chemin législatif qui a été suivi, qui... et la loi qu'on a devant nous et qui va amener... Moi, je fais souvent des blagues. C'est sûr que les avocats, ils aiment ça, les recours devant les tribunaux, non? C'est, il me semble, c'est intrinsèque à leur nature, c'est dans leur ADN, ils aiment ça. Alors... Peut-être pas tous, c'est pour ça qu'on trouve ça rafraîchissant de voir une avocate hors ligne du Barreau. Mais est-ce que, donc, vous le referiez complètement autrement? Dans le fond, c'est ça, ma question.
Mme Belleau (Marie-Claire): Bien, écoutez, si j'étais la législatrice... La première chose, c'est que je suis inconfortable avec l'article 4, je dois l'admettre, puis, vous verrez dans mon mémoire, je suis très inconfortable avec une partie de l'article 6 également.
Non, je pense qu'il y a une valeur à avoir une loi sur les accommodements raisonnables. Je pense que les citoyens et citoyennes sont inconfortables. Puis il y a... la valeur pédagogique que certains décrient, moi, je la trouve utile, je la trouve importante. Mais c'est certain que, moi, je voudrais voir un mode d'application concret et je voudrais qu'on donne la chance aux gens de prendre des décisions pour eux-mêmes. Donc, je voudrais que dans la loi on prévoie différents mécanismes, et je reconnais qu'il y a certainement beaucoup d'expertise au niveau du gouvernement, dans les organismes, mais vos organismes que vous couvrez sont très larges. Il y en a, hein... Puis on vous a même demandé d'ajouter les municipalités. Il y en a beaucoup, et c'est vrai qu'il y a de l'expertise. Le problème, c'est que je vois mal pourquoi on demanderait à tout le monde de développer cette expertise qui, à mon sens, est complexe et qui peut, à mon avis, donner lieu à des incohérences.
Alors, je ne pense pas nécessairement que le bureau réglerait toutes les incohérences, mais on aurait un forum. Alors, j'ai de la difficulté avec l'idée de se fier à des organisations qui doivent... qui vont devoir développer partout des mesures. C'est vrai qu'on n'en entend pas parler, parce que ça fonctionne, puis je crois que c'est vrai qu'en général les gens trouvent des solutions. On vous le disait, les gens sont créatifs dans le concret. Mais, quand il y a vraiment une difficulté, souvent la difficulté qu'on voit, qui se... qui montre son visage de façon peut-être horripilante... ça, là, c'est généralement... il y a, en dessous, des choses qui se passent, il y a des inconforts. Il y a des cas où qu'on voit... très médiatisés, mais généralement c'est parce que derrière il y a des inconforts qu'il faut essayer de trouver... pour lesquels il faut essayer de trouver des solutions. Il y a des communautés qui n'ont probablement pas leurs solutions. Ce n'est que le «tip of the iceberg», hein, c'est... Alors, essayons de trouver des solutions puis prenons-la au sérieux, cette manifestation peut-être plus extrême, parce que souvent elle nous fait voir qu'il y a des inconforts réels. On vit dans une société multiculturelle, interculturelle, qui ne va aller qu'en devenant plus multi et plus inter. Alors, essayons de se parler.
**(18 h 10)**Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Mme Belleau, j'ai une petite question très, très rapide de la députée de Joliette.
Mme Hivon: Je voulais juste savoir... je voulais juste que vous précisiez rapidement... On revient au juridique, là, mais vous dites dans votre mémoire qu'il y a même une contradiction, selon vous, entre l'article 4 et 6. Pouvez-vous expliciter?
Mme Belleau (Marie-Claire): Bien, je trouve ça... Mais, écoutez, encore là, je... c'est un inconfort, pour moi, réel. Je ne comprends pas comment on peut définir le principe de la neutralité religieuse de l'État comme ne favorisant et ne défavorisant aucune pratique et aller mettre une pratique religieuse exercée par des femmes. Je sais qu'on peut dire que... appartenance à un groupe politique, on se met à s'habiller... Mais actuellement, dans la société dans laquelle on vit, il n'y a que des femmes d'une religion avec ces formes différentes de manifestation, ces dénominations, et c'est clairement cette question-là qu'on voit.
L'autre élément qui me met mal à l'aise, c'est que les accommodements raisonnables, ce n'est pas seulement pour la religion, c'est pour un ensemble d'autres facteurs qui... Puis, la conciliation travail-famille, laissez-moi vous dire, ça va être des vraies réalités, là. Ça l'est déjà. Donc, moi, je trouve ça problématique de l'identifier spécifiquement, de le dire spécifiquement. Ça m'inquiète. Puis j'en vois, une contradiction, parce que la neutralité, pour moi... ce n'est pas neutre, à l'article 6, de parler du visage découvert. Il n'y a rien de neutre là-dedans. Alors, mon inconfort est dans ce que je vois comme une contradiction.
Le Président (M. Bachand, Arthabaska): Ça va? Merci infiniment, Mme Belleau. Bon retour chez vous.
Et, à tous les parlementaires, je vous souhaite un bon retour dans vos comtés et puis un bon long congé. Profitez-en. Reposez-vous bien.
Cela met donc fin à notre séance d'aujourd'hui. Je lève la séance de la commission et ajourne au vendredi 21 mai 2010, où nous entreprendrons un autre mandat.
(Fin de la séance à 18 h 12)