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Version finale

37th Legislature, 1st Session
(June 4, 2003 au March 10, 2006)

Wednesday, January 14, 2004 - Vol. 38 N° 21

Consultations particulières sur le projet de loi n° 35 - Loi modifiant la Loi sur la justice administrative et d'autres dispositions législatives


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Table des matières

Journal des débats

(Neuf heures trente-cinq minutes)

Le Président (M. Simard): Nous allons commencer immédiatement nos travaux. Alors, je vous rappelle que le mandat de la commission est d'entendre des groupes concernant... à l'intérieur d'une consultation particulière sur le projet de n° 35, qui est la Loi modifiant la Loi sur la justice administrative et d'autres dispositions législatives.

Nous allons demander d'abord au secrétaire s'il a à annoncer des remplacements.

Le Secrétaire: Oui, M. le Président. J'informe cette commission que M. Whissell (Argenteuil) sera remplacé par M. Mercier (Charlesbourg); que M. Létourneau (Ungava) sera remplacé par M. Côté (Dubuc); et enfin que Mme Papineau (Prévost) sera remplacée par M. Bédard (Chicoutimi).

Le Président (M. Simard): Merci beaucoup. Alors, je veux prévenir la commission que, à la suite de l'audition du premier témoin de ce matin qui est Me Cyr, Me Michel Cyr, que j'invite d'ailleurs entre temps à venir nous joindre à la table, nous ferons une pause d'un minimum de 15 minutes. Nous interromprons nos travaux; le ministre a une rencontre importante. Et vous comprendrez qu'en fonction des événements actuels il est important qu'il participe à ces rencontres. Alors, vous comprendrez que ce n'est pas parce qu'il veut retarder nos travaux.

Nous serons donc... Nous demanderons donc à l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux d'être patients quelques minutes et... ils se joindront à nous ensuite.

Auditions (suite)

Alors, Me Cyr, veuillez prendre place. La commission vous connaît, puisque vous vous êtes fait entendre sur le projet de loi n° 4 l'automne dernier. Alors, vous connaissez nos règles: nous allons vous entendre une vingtaine de minutes, à la suite de quoi le parti ministériel et l'opposition vous poseront des questions et discuteront avec vous. Alors, nous vous écoutons.

M. Michel Cyr

M. Cyr (Michel): Alors, bonjour, Mmes et MM. membres de la commission. Il me fait plaisir une fois de plus d'avoir à venir présenter, d'être invité à venir présenter mes commentaires concernant cet important projet de loi présenté par le gouvernement et par le ministre de la Justice, qui est celui que j'ai attendu personnellement, comme bon nombre de membres de la communauté juridique, et espéré fortement depuis au moins une trentaine d'années. Je me rappelle à l'époque une décision ? je sors du texte, je ne lirai pas le texte du mémoire que j'ai déposé, qui malheureusement est arrivé hier matin, mais tout de même, heureusement que je crois être en mesure de dire que vous l'avez reçu. Et, en ce sens-là, je me rappelle une décision de la Cour suprême, vers 1982, peut-être 1983, dans Noémie Tremblay, qui concernait la Commission des affaires sociales et qui exposait à quel point le tribunal devait être indépendant.

Et cette question-là, cette quête-là, je dirais ? je ne m'intéresse pas uniquement qu'aux questions de droit, qui ne doivent pas être théoriques, mais aux questions également plus politiques ? cette quête, je le sais, a été celle, toute sa vie, du ministre, et je tiens à le souligner et je le félicite. Et je l'admire pour cette démarche d'avoir su, toute sa vie, combattre pour la justice administrative indépendante et, face aux abus de l'administration, d'essayer de faire en sorte de permettre aux membres des tribunaux administratifs d'avoir la distance nécessaire pour rendre les décisions qui doivent l'être, pour contrôler des décisions de l'administration.

Or, je regrette, dans ce projet de loi, je ne retrouve pas les éléments suffisants pour créer une justice administrative indépendante, d'une part. Et, par ailleurs, je considère encore plus regrettable, dangereux, le fait que ce projet de loi, derrière les éléments que veut nous offrir le ministre pour nous permettre d'obtenir une justice administrative indépendante, laisse comme arrière-goût, au fond, que l'administration, que l'on entend ainsi contrôler, prendra d'autant plus de pouvoir que l'autre volet, le plus important de ce projet de loi, est celui qui permettra à la SAAQ, qui est le pire des organismes au Québec... Alors, je remercie Mme Payette de nous l'avoir donné à l'époque ? mais ce qu'en ont fait les fonctionnaires de la SAAQ est une horrible bureaucratie qui brise les citoyens et qui est devenue un organisme beaucoup plus pire que celui qu'est la CSST, et ce n'est pas peu dire.

Alors, quand on veut ici donner plus de pouvoir à l'administration et que l'on ne donne pas l'édifice complet qui doit être celui d'une justice administrative indépendante, on ne peut pas, à mon avis, s'associer à ce projet de loi. Et le statu quo, aussi insupportable qu'il puisse être pour les citoyens actuellement, vaudrait mieux, à mon avis, que ce projet de loi, parce que, en toute bonne foi, on le présume, on n'a pas pu nous donner le projet de loi que nous avons souhaité. Voici pourquoi.

n (9 h 40) n

Il y a, comme je le mentionnais, deux axes, deux volets dans ce projet de loi: structurer une justice administrative indépendante, s'assurer de donner les attributs, les éléments de reconnaissance d'une justice administrative indépendante, et encadrer la révision à laquelle procède l'administration publique face aux demandes des citoyens.

Dans le premier cas, et si on y va article par article, du moins concernant les deux thèmes principaux que je compte aborder, on peut d'abord s'arrêter aux questions relatives à la justice administrative. Or, à l'article premier de la loi, on abolit le Conseil de la justice administrative. Comme je l'ai mentionné dans le mémoire, je suis contre l'abolition du Conseil de la justice administrative, remplacé par un comité qui dépendra du gouvernement. Je comprends que le Conseil de la justice administrative actuel dépend à certains égards du gouvernement et je considère même qu'il, par analogie à un Conseil de la magistrature, si on veut donner ses lettres de noblesse à la justice administrative, ne devrait plus dépendre du gouvernement, mais ne devrait surtout pas être aboli pour laisser encore plus de place au pouvoir exécutif. Il y a quelque chose de contradictoire dans ce projet, dans le sens où, si on déborde immédiatement, on reconnaît, on souligne et on remercie le ministre de nous offrir la fusion des organismes. Au-delà des questions purement économiques, les citoyens, à notre avis, seront favorisés par la fusion des organismes de la CLP et du TAQ actuel en un seul tribunal administratif. Toutefois, à notre avis, la distance, telle que mentionné, qui doit être reconnue face au gouvernement n'est pas introduite et n'est pas conservée par ce projet de loi.

Alors, par exemple, à l'article 2 du projet de loi ? on y reviendra, si on veut, un peu pour éviter de faire du coq-à-l'âne, retenir les articles du projet de loi tels qu'ils se présentent. À l'article 2, on introduit finalement, face à la révision que l'on devait abroger, le pouvoir de révision des organismes que l'on devrait abroger, on comprend qu'elle est maintenue mais qu'elle est facultative, pour permettre ? et on va voir comment elle va s'articuler ? pour permettre à l'administration, et je suis à la première page, page 3 de mon mémoire, dernier paragraphe: Les administrés pourront communiquer avec l'administration pour obtenir de l'information et, le cas échéant, pour examiner la possibilité de modifier la décision. Éventuellement, il pourra y avoir une révision, et à ce moment-là on verra comment ça s'articule face au pouvoir du nouveau Tribunal administratif du Québec, puisque l'on imposera en plus, s'il y a une modification, même une révision partielle, on imposera aux gens, aux citoyens, aux travailleurs, aux gens qui à cette étape seront seuls devant l'administration, on leur imposera de devoir informer l'administration pour que leurs recours soient maintenus, faute de quoi ils seront censés s'en être désistés. Alors, ça, c'est évidemment tout à fait inacceptable.

Mais, surtout, ce qui est majeur pour moi dans ce projet de loi là ? je devrais m'arrêter sur le fait qu'on fusionne les deux tribunaux, je devrais m'arrêter au fait que le ministre accorde et reconnaît que les membres seront nommés durant bonne conduite ? mais je ne peux pas m'empêcher de m'arrêter au fait que ce qui est majeur, ce sont les nouveaux pouvoirs donnés à tous les organismes publics avec cette petite phrase innocente, puisque le législateur ne parle pas pour rien dire, que de dire: Le citoyen, l'administré pourra communiquer avec l'administration... On y reviendra, parce qu'il y a des modifications concernant chacune des lois sectorielles: SAAQ, CSST, Régie des rentes, IVAC, et on verra... on examinera la possibilité de les modifier. Or, quand on examine cette question-là, sachant que le ministre voulait abolir la révision et qu'elle devient facultative, qu'est-ce que peut bien vouloir dire «modifier»? Et là, évidemment, étant donné le temps qui nous est imparti, on verra, si vous insistez ou si on a un peu plus de temps, je retiens ce que M. Simard nous mentionnait tout à l'heure, à cause de toutes sortes d'autres contingences, je ne prendrai pas le temps, article par article, de vous les commenter, je pense que vous avez pu avoir le projet de loi, je veux plutôt insister sur le fait de ce qui manque comme attribut de la justice administrative dans un premier volet, pour m'arrêter à ce que je trouve tout à fait inacceptable et qui semble constituer, au fond, la face cachée ou le volet le plus important de ce projet de loi là, soit les nouveaux pouvoirs exorbitants donnés à l'administration, qui déjà abuse des citoyens et qui d'aucune façon ne mérite de se voir attribuer et reconnaître de nouveaux pouvoirs. Je m'explique.

Le ministre de la Justice, le gouvernement, nous donne les attributs suivants au niveau de la justice administrative: fusion des tribunaux, nommés durant bonne conduite, mais, par contre, encadre les membres pour décider ce que sera la bonne conduite, évaluer leur bonne conduite, et qui relèvera du président de l'organisme, donc du gouvernement, et d'un comité, alors que actuellement l'évaluation des membres relevait bien sûr du Conseil de la justice administrative, éventuellement, suite à l'évaluation des membres, et surtout suite à toutes les modifications que nous avons connues et qui ont fait l'objet de bien des commentaires, qui ont fait couler beaucoup d'encre et auxquelles s'était objecté aussi le ministre à l'époque, et je le comprends, étant donné la requête du Barreau du Québec contre le TAQ et le suivi avec la décision de la Cour supérieure, de la Cour d'appel et le refus de la Cour suprême d'entendre l'appel des membres du Tribunal administratif du Québec.

Alors, si on encadrait les membres... et si la Cour supérieure, le juge Rochon, a donné gain de cause au Barreau, si la Cour d'appel ne nous a pas satisfaits dans sa décision, avec respect, concernant les garanties d'impartialité et d'indépendance données aux membres du tribunal, le ministre, voulant nous les donner, nous l'avons applaudi. Or, ici, on les encadre non plus dans le règlement, mais on les encadre directement dans la loi, à l'article 75, 3°, article 23 du projet de loi, référant à l'article 75, alinéa 3°, on ajoute des pouvoirs dans la loi pour évaluer le comportement, la productivité, les compétences, etc., des membres, à l'intérieur même de la loi, sachant que le président, donc éventuellement le gouvernement, et le comité vont évaluer ces mêmes membres que l'on nomme durant bonne conduite. Alors, ça, c'est inadmissible, parce que ça contredit le statut que l'on veut donner à ces membres.

Et on considère également que ce qui est inadmissible... de ne pas reconnaître que les membres seront des juges administratifs. Puisque c'est là un des éléments majeurs... les citoyens, la communauté juridique, les avocats qui se présentent devant ces tribunaux souhaitaient que les membres des tribunaux administratifs soient des juges administratifs, pour donner ses lettres de noblesse à la justice administrative. Il y a selon nous, avec respect pour le Tribunal administratif du Québec, une culture malsaine qui fait ? et je le dis haut et fort devant cette Assemblée ? le citoyen, en matière d'affaires sociales, en matière d'accidents d'automobile plus particulièrement, pour l'expérience que j'en ai, n'est pas le bienvenu au Tribunal administratif du Québec, bien souvent.

Alors, cette situation-là, qui est le statu quo, qui est insupportable pour nous, ne serait pas, à notre avis, améliorée par le projet de loi actuel. À notre avis, la Société de l'assurance automobile continuerait de se sentir chez elle devant le Tribunal administratif du Québec, et il faudrait continuer à être en mesure de s'opposer ? mais je le dis presque les poings fermés, au sens symbolique ? devant tout ce que nous devons endurer devant le Tribunal administratif du Québec lorsque nous désirons représenter un citoyen. C'est vraiment une catastrophe et, à notre avis, c'est ce qui devrait être corrigé pour donner à ce tribunal la distance face à l'administration, l'indépendance.

Ne l'oublions pas, la structure actuelle... la SAAQ comme la CSST financent leurs tribunaux respectifs, les membres étaient nommés selon bon plaisir, renouvelables avec des mandats de cinq ans, que l'on évaluait, ce qui a créé une structure malsaine. Les ministres sectoriels étaient responsables de ces organismes; et, même en matière d'accidents du travail et maladies professionnelles, la situation était encore pire, puisque c'était le ministre du Travail, responsable du BEM, responsable de la CSST, financée par les milliards des employeurs, qui devait... qui était responsable de la Commission des lésions professionnelles, financée par la CSST, donc avec l'argent des employeurs, etc.

n (9 h 50) n

Au niveau des transports, la SAAQ finançait et finance toujours le Tribunal administratif du Québec, et les membres étaient nommés selon bon plaisir. Aujourd'hui, ils seront nommés durant bonne conduite, mais en les encadrant et en ne leur reconnaissant pas, entre autres pour des raisons monétaires, mais qui sont, à notre avis, vraiment pas... qui sont insignifiantes monétairement, qui représentent peu de chose... En fait, ce que l'on ne veut pas, c'est reconnaître une justice indépendante d'un gouvernement, de l'État, quel qu'il soit, peu importe les partis au pouvoir, à mon avis, et les membres doivent être reconnus comme étant des juges administratifs. Et je suis à l'aise d'en parler, je ne suis pas membre. Je crois, comme avocat qui représente des citoyens, que les membres qui nous entendent devraient être des juges administratifs, qu'ils devraient être nommés durant bonne conduite devant un tribunal intégré et qui devraient, par analogie, être évalués par un conseil éventuellement comme celui de la justice administrative, mais indépendant du gouvernement et du ministre, même pour les objectifs de gestion, comme on le voit dans la loi. Il est insupportable que, à notre avis, des directives de gestion, donc des directives politiques, soient données au président du tribunal, donc aux membres, avec les conséquences que l'on connaît dans le quotidien.

Par exemple, nous vivons ce que l'on appelle des conférences de gestion, au Tribunal administratif du Québec. C'est une horreur administrative, décidée par des membres du tribunal, des vice-présidents ou même le président lui-même, pour des motifs souvent que nous questionnons et où on impose aux citoyens des déboursés importants pour se présenter à plusieurs reprises devant le tribunal, alors que la Société de l'assurance automobile, par exemple, a tous les moyens, avec les ressources que lui donnent les citoyens qui n'ont pas été victimes d'accident, bien sûr, de se présenter contre les citoyens déjà au niveau de la conférence de gestion, en leur faisant perdre un temps énorme, alors que toutes ces questions, comme en matière d'accidents de travail, pourraient être réglées aisément par téléphone. Mais c'est ce que nous vivons actuellement. Cette situation, cette culture qui est malsaine, qui est contre les citoyens se devrait d'être corrigée. Or, ce que vous nous offrez ? et j'en ai souligné les éléments importants au niveau des attributs de la justice administrative ? est contradictoire et insuffisant pour nous permettre d'y arriver.

Je ne voudrais pas passer sous silence avant d'oublier et de tourner la page sur ce sujet et de parler de la révision... Concernant la nomination des membres, j'ai noté, au niveau des mesures transitoires, à l'article 203 ou 208 ? j'y vais de mémoire ? quelque chose d'inacceptable. Il me semble que je me suis présenté ici, face au projet de loi n° 4 que j'ai supporté, pour expliquer les problèmes que nous avions lorsque nous étions entendus par un quorum composé de deux membres, au-delà des questions bien pragmatiques, monétaires, permettant au tribunal d'entendre plus de causes en siégeant seul ? et ça, on en est: il est nécessaire que ce soit un juriste. Et je ne le dis pas par corporatisme, mais, simplement au niveau des règles de droit, je l'ai expliqué durant le projet de loi n° 4, où j'ai présenté un mémoire verbal, si on veut, n'ayant pas eu l'occasion de le faire par écrit... Il me semblait que c'était clair et net: les membres médicaux ne doivent pas siéger. Ils sont d'une hostilité généralement incroyable face aux citoyens, étant donné la culture médicale, de la certitude scientifique recherchée, et on ne doit pas leur permettre, comme dans le projet de loi, de siéger seuls; les citoyens en seront d'autant plus lésés qu'ils ne le sont présentement, alors que déjà ils siègent accompagnés d'un membre juridique, avocat ou notaire. C'est vraiment incroyable de retrouver réintroduit, après que nous soyons venus ici dans le cadre du projet de loi n° 4, de retrouver ici cet article qui permettrait aux membres du TAQ, en matière médicale, d'être entendus de nouveau, c'est-à-dire de siéger seuls pour entendre les citoyens, n'ayant pas ni la culture juridique, ni la formation, ni encore moins... Parce que, on doit bien se le dire, la Cour d'appel a pourtant signalé souvent ? et je ne veux pas répéter ici ce que j'ai mentionné dans le cadre du projet de loi n° 4 ? mais la Cour d'appel a donné clairement les lignes à suivre aux membres du TAQ, et particulièrement aux membres médicaux: On ne doit pas rechercher, face aux citoyens, la certitude scientifique; on prive les citoyens de leurs droits, on n'applique pas les droits.

Alors, ou clairement ? et je vois les membres ici, que je connais, de l'administration ? ou on fait vivre les lois ou on les abolit. Ne soyons pas hypocrites face aux citoyens pour qui ces lois existent, on ne doit pas empêcher ces lois de s'appliquer. On doit bien sûr s'assurer qu'il y a une bonne gestion, que l'on est contre la fraude et l'abus. Mais la fraude et l'abus, à ma connaissance après bientôt 30 ans, devient un alibi facile face aux citoyens pour les combattre, alors que la fraude est, selon tous les présidents d'organismes que j'ai pu entendre au cours des différentes commissions parlementaires dans ma vie, ne représente que 2 % et moins des citoyens ou des travailleurs voulant vraiment s'y prêter. Donc, ça doit être contrôlé, mais ça ne doit pas servir d'alibi pour priver les citoyens de leurs droits et empêcher les lois de vivre.

Maintenant, le volet qui m'intéresse le plus dans ce projet de loi. Si la justice ne peut pas être véritablement indépendante, que va-t-il se passer avec les nouveaux pouvoirs donnés à l'administration? On pourrait dire: Écoutez, on comprend mal ce que vous dites. Mais je peux vous dire, pour avoir étudié ? c'est le mot ? m'être intéressé à la culture bureaucratique depuis bientôt 30 ans, que ce soit, bien sûr, à cause de mes fonctions ou à cause de mes premières études aussi en science politique, je me suis rendu compte que ce type de pouvoir n'est jamais insignifiant. Ou le ministre pouvait abolir la révision ou la maintenir. Mais, s'il maintenait la révision, il ne pouvait pas en plus se donner d'autres types de pouvoirs sans que ça ne veuille rien dire. Alors, les pouvoirs qui sont donnés ici de modifier, avec le citoyen, la décision, qu'est-ce que ça peut signifier d'autre, quand on connaît, sur le plan statistique, les résultats de ces organismes de révision de rejeter les demandes des citoyens à plus de 85 %, 90 %, selon les organismes et les années? Est-ce qu'on va, cette fois-ci, en modifiant les décisions, leur donner raison? Non. On va conclure avec eux, en dépit de l'ordre public, comme on le fait actuellement, des règlements monétaires alors qu'on est seuls avec eux. C'est à ça qu'on veut en venir, et ça, c'est vraiment laid. Mais je reconnais là l'administration.

Le Président (M. Simard): Je suis obligé de vous demander de conclure à ce moment-ci. Nous allons donc nous tourner vers la partie ministérielle et le ministre, qui sans doute a une première question à poser.

M. Bellemare: Alors, merci, Me Cyr, et, encore une fois, on doit admirer votre courage et la qualité de votre travail, qui est de toute évidence fondé sur une expérience très concrète et très engagée également en matière de justice administrative. On vous connaît pour vos écrits et vos conférences et votre expérience comme plaideur, mais aussi ? et c'est, je crois, la première fois que je vous ai rencontré ? quand vous étiez commissaire. Vous avez agi comme commissaire à la CALP, la Commission d'appel...

M. Cyr (Michel): Et j'ai démissionné pour des raisons d'indépendance de justice administrative.

M. Bellemare: Bon. Alors, vous avez agi à la CALP et pendant quelques années comme juge administratif ? comme commissaire, à l'époque ? et j'aimerais que vous nous disiez si, à votre avis, le paritarisme, qui fait l'objet de préoccupations importantes et sur lesquelles j'insisterai pour que tous les intervenants puissent s'exprimer, si le paritarisme, c'est-à-dire la présence sur le banc même qui entend la cause d'un représentant syndical et d'un représentant patronal, comme il existe à la Commission des lésions professionnelles depuis 1998, est acceptable à vos yeux?

M. Cyr (Michel): Bon. Ça n'a pas fait l'objet... Je vais répondre à votre question. Ça n'a pas fait... Comme vous l'avez vu dans mon mémoire, je l'ai abordé... Je ne sais même pas, je ne pense pas l'avoir abordé directement ou clairement, peut-être parce que personnellement je suis bien au courant de la question, mais j'ai considéré que les membres... Je vais faire un détour, si vous permettez, pour répondre à cette question-là.

J'étais contre la loi, la nouvelle Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, je le dis à la dernière page ou une des deux dernières pages de mon mémoire, en 1998, parce qu'elle donnait lieu aux mêmes abus que j'ai expliqués dans mon mémoire, et des abus qui se vivent toujours contre les accidentés, à cause des liens médicaux de l'administration et des médecins des victimes. Donc, j'étais contre ce projet de loi là, et, en abolissant le Bureau de révision paritaire, qui est une mauvaise chose, puisque ça nous donnait 85 % de gains, si on y mettait les efforts, on savait que le modèle calqué allait être celui du service de la révision de la SAAQ et que les chiffres inverses seraient ceux qu'on obtiendrait, c'est-à-dire 85 % d'échecs des citoyens plutôt que 85 % de succès. Alors, les membres paritaires qui étaient au Bureau de révision, je pense que, pour le simple calcul politique, on a accepté, sur un tribunal d'appel, de transférer ce Bureau de révision et faire de la CLP actuelle un gros bureau de révision. C'était parfaitement inutile, et on comprend que c'est une question politique, mais je ne crois pas que ça ajoutait rien au droit, et je n'ai pas d'objection à ce que le paritarisme à la CLP disparaisse complètement. D'autant plus que, si le tribunal était indépendant... Parce que, bon, au-delà des corporatismes ? mon propos est loin d'être antisyndical, au contraire ? mais je pense qu'il y a certaines positions syndicales qui peuvent trahir, particulièrement en ce qui concerne un tribunal, un corporatisme qui n'a pas sa place, et c'était le cas face à la CLP.

Si le tribunal était indépendant et que les parties voulaient y consacrer les argents suffisants, on pourrait ne pas avoir d'objection, mais, encore là, ça poserait des problèmes de droit, à mon avis. Par contre, dans le cadre d'un tribunal, à plus forte raison, qui ne l'était pas, d'avoir la pression des membres qui s'exerçait sur les adjudicateurs, à plus forte raison, étant donné qu'il n'était pas décisionnel, je pense que le paritarisme au niveau de la CLP doit être aboli, si on me pose la question clairement. Je n'y ai jamais cru. Je n'avais pas une objection féroce, mais je n'y ai jamais cru, et c'était inutile, et je serais en faveur s'il était aboli.

n (10 heures) n

M. Bellemare: Me Cyr, on sait qu'il y a des problèmes de délai en matière de justice administrative, je pense que c'est un secret de polichinelle que les citoyens souhaitent être entendus plus rapidement par les juges parce qu'ils vivent des litiges ou des conflits avec l'administration publique. Il faut tout mettre en oeuvre pour leur permettre d'être entendus le plus rapidement possible, tout en maintenant les impératifs de qualité, c'est bien certain. J'ai été un petit peu surpris hier, quelques intervenants sont venus nous dire que le problème de délais était souvent, en partie et même en totalité, attribuable au citoyen lui-même, ce n'était pas nécessairement les machines ou les tribunaux administratifs qui étaient responsables des problèmes de délais. Avez-vous une opinion là-dessus?

M. Cyr (Michel): Bien, écoutez, bon, le citoyen peut faire preuve de laxisme, bien sûr. Son procureur peut faire preuve de laxisme, bien sûr. Sauf que, dans la réalité, il y a des éléments plus objectifs, c'est qu'il y a... Les deux organismes les plus importants au Québec, la CSST et la SAAQ, par exemple... si le citoyen, qui à mon avis n'a pas intérêt à faire preuve de laxisme s'il a un droit important à faire valoir, se représente seul ou fait appel à un procureur ou, malheureusement, dans certains cas, à un représentant ? vous avez voulu corriger cette situation dans le projet de loi ? généralement, il n'y aura pas de laxisme.

Il y a la structure des lois, à notre avis, leur application, le personnel administratif qui causent problème. Par exemple, au niveau des délais, à la CSST, la structure actuelle de la loi, des intervenants, nous permet de vous dire que ça se passe assez bien en termes de délais, même s'il y a des remises souvent pour s'assurer que toutes les questions importantes soient liées. Alors qu'au niveau de la Société de l'assurance automobile la structure de la loi est tellement abominable, l'absence de personnel et la culture bureaucratique tellement inadéquate et malsaine que l'on n'arrive pas. Et c'est vrai, effectivement... la faute du pire organisme au Québec qu'est la SAAQ si les délais sont aussi longs. Par contre, au niveau de la CSST, on y arrive quand même, dans un délai d'un an, à être entendu par le tribunal sur une question, par exemple: y a-t-il eu un accident ou non, une rechute ou non, un droit de réadaptation ou non, à moins que l'on désire... d'autres questions importantes. Et, non, ce n'est pas le citoyen qui est responsable, c'est souvent la structure des lois, souvent l'absence de personnel requis et souvent une culture bureaucratique malsaine, méprisante pour le droit des gens.

M. Bellemare: Merci.

Le Président (M. Simard): Mme la députée d'Anjou m'a signifié son intention de poser une question. Alors, Mme la vice-présidente, nous vous écoutons.

Mme Thériault: Merci, M. le Président. Bonjour, Me Cyr. Merci d'être avec nous ce matin. Hier, nous avons eu Me Lippel, qui est une professeure-chercheure, qui est venue déposer un mémoire, et elle nous mentionnait qu'il y avait un déséquilibre assez important entre le citoyen et l'État lorsqu'une contestation était levée. Nous savons que le taux de représentation des citoyens tourne aux alentours de 66 %, à peu près, et que c'est assez bas, évidemment.

Alors, moi, j'aimerais savoir si vous avez des propositions pour que le taux de représentation augmente chez les citoyens.

M. Cyr (Michel): Bien, la seule réponse que j'ai ou que j'aurais à cet effet-là, c'est l'assurance juridique, que l'on voit, là, que l'on tente de populariser auprès des citoyens, pour, dans le fond, des sommes modiques, avoir une espèce d'assurance permettant aux citoyens de faire appel à un procureur.

Mais il y a tout aussi... Comment dire? Lorsque les gens se présentent, tous les délais que ça leur occasionne, qu'ils soient seuls ou avec un procureur, les découragent souvent de poursuivre. On le constate tous les jours quand ils s'adressent à nous, ils ont des craintes fondées quant aux délais. Et, évidemment, je rejoins aussi l'autre question du ministre à ce sujet, c'est un autre élément important. Par contre, je n'ai pas pris connaissance du mémoire de Me Lippel.

Mme Thériault: Merci.

Le Président (M. Simard): Merci. D'autres questions du côté ministériel? Alors, je me tourne vers le député de Dubuc qui sûrement a quelques questions à vous poser.

M. Côté: Merci, M. le Président. Alors, bienvenue, Me Cyr, à cette commission. J'ai eu l'occasion de prendre connaissance de votre mémoire et je peux vous dire que les propos que vous y tenez, je pense, reflètent des propos d'un homme qui est sur le terrain. Et on voit que vous avez une grande expertise, et, en ce sens-là, vos propos, votre mémoire est, pour des membres de cette commission, qui sommes des législateurs et qui avons à légiférer, qui ne sommes pas, en plus, des spécialistes en justice administrative... Je pense que, en ce sens-là, votre mémoire est un apport important aux travaux de cette commission et je vous en félicite.

Je pense que vous avez... vous soulevez deux grands volets dans votre mémoire, celui de l'indépendance des juges et tout le volet de l'administration versus le justiciable. Je voudrais peut-être vous parler du volet... premièrement, du volet de l'indépendance du Tribunal administratif, notamment lorsque vous abordez l'aspect des règles d'évaluation et que vous dites que ça peut être un frein justement, ça porte atteinte à cette indépendance. Toutefois, vous n'avez pas parlé, dans votre mémoire, de la modification qu'on a à l'article 34 du projet de loi qui, lui, modifie l'article 82.5 de la Loi sur la justice administrative et qui oblige à faire un rapport au ministre, à faire un rapport annuel au ministre sur les formations... au gouvernement sur les formations des bancs.

Est-ce que vous ne croyez pas que ce rapport, justement, pourrait aller dans le même sens de cette... porter atteinte à cette indépendance de l'administration? En ce sens que, par exemple, je vous donne un exemple, dans le contexte d'une restriction budgétaire, par exemple, où le gouvernement pourrait dire, le ministre pourrait dire: Bien, écoutez, vérifiez comme il faut avant de... justifiez-moi davantage pourquoi vous exigez deux juges plutôt qu'un. Alors, en ce sens-là, j'aimerais vous entendre.

M. Cyr (Michel): Oui, oui. Alors, j'ai répondu non pas simplement au dépôt du mémoire, mais plutôt au pouvoir de gestion, des objectifs de gestion conférés au ministre et conservés. Je citais, je référais à Me Denis Lemieux, à son ouvrage, à la page 8, premier et deuxième paragraphes et paragraphes suivants, où on mentionnait... Déjà, Me Lemieux, comme auteur reconnu et spécialiste en droit administratif à Québec, si ma mémoire est bonne, nous disait, face au Tribunal administratif actuel, que ce n'était pas acceptable ou recommandable, puisque déjà il nous disait que ça va bien plus loin que l'ensemble des autres tribunaux et qu'un seul tribunal se retrouvait dans la même situation.

Par conséquent, le mémoire... ou le rapport annuel n'est qu'une illustration des résultats du tribunal, avec une certaine tangente, là, peu importe, même si c'est de bonne foi, qu'on donne par rapport à des objectifs de productivité, donc de gestion, donc... dans un contexte politique, de compressions budgétaires ou non, face à une situation politique, donc visant des objectifs ou des décisions de nature politique. Oui, ça va dans le même sens. Si le rapport annuel était isolé... C'est comme si la Cour supérieure, demain matin, produisait un rapport pour le Conseil de la magistrature, ou pour l'attention du Barreau, ou les citoyens, peu importe, il n'y aurait pas de problème, parce qu'on dirait: Voici combien de causes, avec les effectifs que nous avons, nous avons pu entendre. Mais personne ne les contrôlerait.

Alors, c'est que ça s'articule par rapport à l'ensemble des autres questions. Si vous donnez au ministre un pouvoir de gestion et de regard, bien sûr que le rapport annuel va servir, outre les autres moyens, à donner aussi des directives de gestion, donc des directives politiques.

M. Côté: Concrètement, pour une meilleure indépendance, pas de rapport annuel, l'évaluation, vous la feriez faire comment, par le Conseil?

n (10 h 10) n

M. Cyr (Michel): Oui, parce que, en fait, elle n'aurait pas lieu. Ou, par analogie, si on veut une justice administrative un peu comme celle qui existe, par exemple, dans certains pays d'Europe, puis j'y référais dans... On le sait, en France, par exemple, il y a un éclat donné à la justice administrative, une reconnaissance aussi importante sinon plus que la justice judiciaire privée, si on veut. Alors, par conséquent, il y aurait une chambre de la justice administrative et un conseil de la justice administrative, qui est maintenu mais auquel on donne les pouvoirs, un peu, par analogie, au Conseil de la magistrature, pour que ses membres ne soient...

Une voix: ...

M. Cyr (Michel): ...leur évaluation, il n'y aurait pas d'évaluation. Ils auraient à respecter un code de déontologie, tout simplement, et non pas à être évalués par le gouvernement. Parce que, si je vous dis: vous êtes nommé durant bonne conduite, mais j'évalue votre bonne conduite selon les objectifs de gestion à tous les ans, ça revient au même. Et, dans le fond, on pourra aussi démettre des gens ? comme on les démet rarement, mais comme on le fait aussi de temps à autre ? lors des renouvellements.

Donc, les attributs de la justice administrative, ce sont de conférer à leurs membres le fait d'être nommés durant bonne conduite, de leur conférer et reconnaître le titre de juge administratif sur ce tribunal unifié, au-delà des objectifs très, très corporatistes puis inacceptables, à mon avis... Et, je le dis, je le déclare, je suis favorable au mouvement syndical, je proviens de ce mouvement-là, mais je ne suis pas lié par certains abus corporatistes. Et un tribunal doit être indépendant de tous les corporatismes, à mon avis, et le tribunal doit être unifié, la justice administrative doit être reconnue pour ce qu'elle est puis être indépendante du pouvoir exécutif et du gouvernement et, surtout, de l'administration dont elle doit contrôler les décisions, pour ne pas que l'on vive quotidiennement ce que l'on vit là. Aïe! Il faut vraiment, pour résister devant le Tribunal administratif aux pressions que l'on fait, directes et indirectes, au procureur qui représente des citoyens face à l'administration... il faut avoir aimé le combat, pour ne pas dire plus, parce que c'est une situation invivable, et seule une justice administrative indépendante doit pouvoir corriger cette situation-là.

M. Côté: Je vais revenir sur toute la déontologie, là, sur... Bien, l'évaluation, non, parce que vous dites: Ils n'ont pas besoin d'être évalués. Mais le ministre en a souligné hier. Ne croyez-vous pas que le Conseil de la magistrature pourrait faire ce rôle vis-à-vis les juges administratifs?

M. Cyr (Michel): Je ne me suis jamais posé la question. Par analogie peut-être, sauf qu'il pourrait aussi y avoir... Parce qu'on parle de justice administrative, il y a déjà un Conseil de la justice administrative. Voyons sa composition, assurons-nous qu'il ne relève pas, comme selon certains articles actuels, du gouvernement, comme c'est le cas dans la loi actuelle...

M. Côté: ...dans la loi.

M. Cyr (Michel): Oui, je sais, mais j'en désire le maintien. Dans mon mémoire, je suggère le maintien, pour, par analogie au Conseil de la magistrature, dire: Il y aura un organisme indépendant du gouvernement, qu'il n'est même pas d'ailleurs déjà assez présentement, ce Conseil de la justice administrative, mais qui pourrait l'être davantage et qui pourrait être un peu le pendant du Conseil de la magistrature.

M. Côté: Ma deuxième question ? M. le Président, merci ? vous mentionnez également dans votre mémoire, à la page... ? je pense que c'est à la page 8, je crois ? que les représentants... Au sujet des représentants des... Lorsque vous parlez des représentants qui n'ont pas les compétences requises ou qui n'exécutent pas de façon responsable les devoirs de cette tâche, est-ce que... Vous dites que cette façon de faire est condamnable. Est-ce que vous auriez des suggestions, dans le projet de loi, qu'on pourrait inclure comme amendements justement pour éviter cet état de choses?

M. Cyr (Michel): Écoutez, je pense que le tribunal, déjà... Le code de déontologie des avocats prévoit déjà ? je pense que je le mentionne dans le texte ? que l'on ne doit pas pactiser et partager des honoraires avec n'importe qui d'autre qui n'est pas de la profession, dans les dossiers. Alors, ce à quoi l'on assiste... Puis on est d'accord avec ce que le ministre a proposé, de faire en sorte d'empêcher les avocats radiés, mais, à un moment donné, entre un avocat radié et une vingtaine de représentants qui sévissent... Parce qu'il y a des gens bien là-dedans, mais généralement ce qu'on voit, et c'est connu, les administrations les connaissent, et ce qui me... Je ne pourrai pas m'empêcher de dire ceci: Les administrations ? pour répondre à votre question, je dois faire cette digression ? doivent rendre justice aux citoyens et doivent bien gérer, ils ont un mandat de bien gérer, mais souvent aussi un mandat d'ordre public. Et, comme je le dis dans mon mémoire, ils n'ont aucune gêne, eux, à pactiser avec tous les représentants, qu'ils décrient et qu'ils décrivent de tous les noms, parce qu'on questionne vraiment leur intégrité et leur honnêteté face aux citoyens qui se présentent avec eux, mais ça ne les empêche pas de régler, pour des sommes vraiment ridicules, avec ces gens-là.

Et ça, ça vaut pour la CSST. À la SAAQ et devant le TAQ, je le décrie ici ? et ce n'est pas moi qui le dis ? il y a des décisions célèbres. Il y en a une de Me Yves Tardif, à la CLP, puis il y en a une d'un quorum du TAQ, dont je ne me rappelle pas le nom, qui a tout expliqué la mécanique du fonctionnement des représentants, alors soit de l'avocat radié, dans un cas, ou soit du représentant qui, par l'intermédiaire d'un avocat qui a un mandat d'aide juridique, va dire à un citoyen: Vous me donnez 2 000 $, 3 000 $, je ne peux pas parler en votre nom à la SAAQ, parce que je ne suis pas avocat, mais vous allez aller chercher un mandat d'aide juridique. Vous ne rencontrerez jamais le client, vous ne le verrez jamais, et, le jour de l'audience, vous présenterez. Et, malheur à lui, cette fois-ci, il était en retard, et les membres du tribunal ont pu dire au citoyen: Qui vous représente? Avez-vous déjà rencontré votre avocat? Alors, il dit: Mon avocat est M. Untel. M. Untel n'est pas avocat. Ah bon! Mais oui, mais là il y a un autre avocat au dossier qui est Me Untel. Alors, oui, mais il n'est pas là. Alors, évidemment, lorsqu'il s'est présenté avec un mandat d'aide juridique, n'ayant jamais rencontré cette personne-là, mais, lui ayant été référée par l'autre avocat radié qui... Bon, toute cette mécanique-là, on sait bien que l'avocat qui s'y est prêté n'a pas le droit, parce que c'est dans son code de déontologie.

Est-ce que c'est simplement au tribunal d'appliquer ceci? Parce que ça se passe uniquement devant le TAQ, cette formule-là, puisqu'il faut être avocat devant le TAQ, alors qu'en matière d'accidents du travail, maladies professionnelles, ce qu'a proposé le ministre va permettre au tribunal, s'il le veut, d'écarter des représentants dont il sait, là ? ils ont la liste bien en tête ? qu'ils abusent les citoyens. Alors, devant le TAQ, c'est la même chose. Les membres du TAQ ou du nouveau TRAQ, peu importe le nom que portera le tribunal, pourront faire en sorte de s'assurer d'une certaine façon qu'il n'y ait pas de lien et que le code de déontologie... Mais encore faut-il que ce soit connu, comme dans le cas que je vous mentionne, que la situation est celle que l'on décrit. Je n'ai pas d'autre suggestion, malheureusement. Je ne dis pas qu'il n'en existe pas, mais je ne voulais pas déborder non plus en disant: On doit éviter, par un corporatisme à rebours, là, toute représentation, par exemple, du monde patronal et syndical. Je ne crois pas que ce soit nécessaire, les gens peuvent être compétents puis, bon, dans certaines matières administratives, et je pense que c'est reconnu par le législateur. C'est un peu ma réponse à votre question.

M. Côté: Est-ce qu'il me reste du temps?

Le Président (M. Simard): Oui, il vous reste un peu de temps, alors vous pouvez continuer.

M. Côté: Bon, je peux peut-être poser une autre question, puis ensuite on...

Le Président (M. Simard): Il vous reste huit minutes, M. le député de Dubuc.

M. Côté: Non, je ne prendrai pas huit minutes. Je voudrais simplement, Me Cyr, peut-être partager avec vous. Lorsqu'on a mis en place toute cette justice administrative, c'est que le gouvernement avait des grands objectifs: l'accessibilité davantage pour le citoyen et les coûts moindres, une justice moins lourde, plus facile d'accès, et vous portez dans votre mémoire un jugement qui, en tout cas, m'apparaît généralisé lorsque vous dites que, l'administration étant à la fois juge et partie face au citoyen qui, lui, est seul devant cette administration... Et vous semblez généraliser pour tout le domaine de la justice administrative, alors que nous avons quand même certains rapports, nous avons quand même certains états qui nous prouvent qu'il y a des choses qui vont bien en matière de justice administrative. Vous avez souligné le problème de l'assurance automobile, qui est un petit peu... la fameuse SAAQ, qui est un petit peu plus... c'est peut-être plus difficile pour le citoyen, mais, lorsque je dis que vous généralisez, je ne sais pas si je suis...

M. Cyr (Michel): J'ai hâte de vous répondre.

M. Côté: Pardon?

M. Cyr (Michel): J'ai hâte de vous répondre.

M. Côté: Oui, bon, bien, écoutez, c'est ça, mon questionnement, c'est que comment pouvez-vous affirmer une telle chose, alors que dans la réalité ce n'est pas tout à fait le cas?

M. Cyr (Michel): Bien voici, je vais vous répondre ce que j'ai souvent dit à l'époque à M. Matthias Rioux, qui à mon avis s'était associé à Clément Godbout et Pierre Shedleur pour trahir les accidentés, comme pourraient l'être aujourd'hui les citoyens. Si vous n'êtes pas gravement blessé, au Québec, tout ira bien, que ce soit un accident du travail ou de la route. Mais, si vous êtes blessé gravement, la seule chose que vous pouvez souhaiter, c'est de partir d'un point a et de vous rendre à un point b le plus rapidement sans qu'on vous en empêche. C'est la meilleure réponse que j'ai pu faire durant les 20 ou 30 dernières années.

C'est-à-dire, lorsque vous êtes blessé gravement, si vous êtes blessé mais que... Parce qu'on s'est un peu obstiné avec l'administration, là, durant les 25 dernières années, où, contrairement à nous, ils ont le temps, les ressources d'envoyer la personne qui s'occupe du marketing de la boîte ? je devrais dire «des relations publiques» ? venir dire: Bien, écoutez, là, nous, on indemnise majoritairement les citoyens, oui, sauf s'ils sont gravement blessés. Là, c'est la guerre. Alors, si c'est la guerre avec le citoyen qui est gravement blessé parce qu'il devient un ennemi de la machine, il est supposément, dans la culture administrative, un menteur et un fraudeur, il faut s'assurer qu'à ce moment-là la victime parte d'un point a pour se rendre à un point b, et très rapidement, sinon on connaîtra toutes les conséquences que l'on connaît.

Parce que de quoi parlons-nous ici? Je lis, comme vous, les rapports annuels et je sais très bien que l'administration va toujours nous dire: La majorité des gens sont indemnisés dans un délai assez rapide, et ils le sont en majorité. Vous avez raison.

Alors, s'il se tient des commissions parlementaires, si on veut améliorer la situation, c'est toujours pour l'ensemble des gens à qui l'on refuse le bénéfice de la loi et qui sont obligés de contester. On l'avait démontré avec une émission, une émission d'affaires publiques, à Enjeux, en 1996, qui était le Bureau d'évaluation médicale, le BEM, l'ancien arbitrage médical. Avec succès, on avait démontré que ces gens-là donnaient une opinion médicale défavorable aux victimes et que, si l'on contestait et que l'on avait le temps et l'énergie ? eux surtout ? de se présenter à la CLP, on arrivait à faire casser leur opinion, majoritairement. Alors, quelque part dans la machine, c'est que, aussitôt qu'une personne était contestée, on allait s'assurer qu'elle perde ses droits, surtout s'il s'agissait d'un cas lourd.

n (10 h 20) n

Alors, ça, on l'a vu durant... Parce qu'on présume déjà que les blessures guérissent. Et ça, la médecine, c'est une certaine médecine, c'est une médecine d'assureurs ? je le dis pour les gens derrière ? une médecine d'assureurs, une médecine de compagnies. Et, la médecine ne répond pas à ce genre d'impératif, la médecine n'est pas une médecine... n'est pas faite pour les assureurs, pour les compagnies d'assurance ou les compagnies, elle est faite... Elle évolue, elle est une science inexacte et elle n'est pas plus faite pour encourager la fraude et l'abus, mais ni non plus les politiques larges qui permettent de pénaliser les citoyens lorsqu'ils sont blessés gravement.

On pourrait vous en parler beaucoup plus largement, mais je pense que, si je voulais résumer l'ensemble de ce que l'on entend et ce que l'on dit nous-mêmes depuis de très nombreuses années, je pense que je pourrais, en termes simples, vous résumer ça de cette façon-là. Merci beaucoup.

Le Président (M. Simard): Alors, merci, M. le député de Dubuc. M. le député de l'Acadie m'a signifié son intention de poser une question.

M. Bordeleau: ...M. le Président. J'aimerais vous entendre sur un des volets du projet de loi n° 35 qui est celui de la régionalisation. Bon, nous nous avez parlé tout à l'heure que vous étiez d'accord avec la fusion, là, des deux... la CLP et du TAQ. Qu'est-ce que vous pensez de la régionalisation?

M. Cyr (Michel): Je suis tout à fait favorable, parce que, si on prend l'exemple de la CLP, par exemple, la régionalisation est favorable à toutes les parties, autant aux employeurs qu'aux travailleurs eux-mêmes pour qui existe la loi. Alors, évidemment, si on étend cette régionalisation à tous les citoyens en matière sociale ou pour tous les volets sur lesquels le Tribunal administratif aura à entendre les citoyens, je pense que c'est vraiment un élément favorable du projet et que l'on encourage, bien sûr.

M. Bordeleau: Est-ce que vous pourriez nous donner un peu plus d'information sur, à partir de votre perception, les avantages de la régionalisation pour les citoyens comme tels?

M. Cyr (Michel): Bien, les avantages de la régionalisation, c'est qu'effectivement ils seront, à peu de frais, entendus près de chez eux. Malheureusement, des fois, à cause de la rareté des experts, il doit y avoir certains déplacements. Mais, tout de même, ils sont entendus souvent, à cause des ressources, plus rapidement et sans avoir à connaître des déplacements importants, Val-d'Or?Montréal, par exemple, des choses semblables. Alors, je pense que c'est favorable aux citoyens.

M. Bordeleau: Parfait. Merci.

M. Cyr (Michel): M'est-il permis d'ajouter quelque chose?

Le Président (M. Simard): Oui, je m'excuse?

M. Cyr (Michel): Je demandais simplement s'il m'était permis d'ajouter quelque chose en commentaire à une question posée précédemment.

Le Président (M. Simard): Oui, vous avez toujours la possibilité de le faire.

M. Cyr (Michel): D'accord. Alors, peut-être un commentaire supplémentaire à la question que vous me posiez. Juge et partie, curieusement, l'administration pourrait l'être en partie actuellement. Même si nous arrivons à obtenir pour les citoyens des décisions favorables, c'est souvent dans un contexte difficile et laborieux à cause de tout l'édifice de la justice administrative et des problèmes d'indépendance que ça pose.

Mais, dans le projet de loi actuel, la situation s'aggraverait, à mon avis, parce que, au moment où le citoyen est seul face à l'administration puis que vous lui avez déjà dit non, si vous l'invitez ? et c'est comme un rapport personnel que vous avez avec votre voisin ? si vous êtes en rapport, en position de force et que vous dites: Non, mais je vous invite, si vous vouliez bien accepter une autre solution, je pourrais considérer de modifier ma décision, eh bien non seulement je suis juge et partie, mais je suis dans une position de force inacceptable. Et peut-être que le nouveau tribunal, avec ces attributs que l'on veut donner aux citoyens, bien, vous ne pourrez jamais vous y rendre. Et c'est ça qui est important, vous ne pourrez pas vous y rendre, parce qu'il y aura eu un règlement monétaire en échange de droits, souvent, de toute une vie.

Le Président (M. Simard): Alors, nous revenons au processus habituel. J'invite le député de Trois-Rivières à poser la prochaine question. Ce sera la dernière, en fait.

M. Gabias: Bonjour, Me Cyr. Merci de votre contribution aux travaux de la commission. J'aimerais revenir sur la présence du tribunal dans toutes les régions du Québec. Et non pas de régionalisation, mais bien d'une présence partout. Je suis d'une région autre que Montréal et Québec, et vous avez mentionné tout à l'heure qu'effectivement vous voyez dans le projet de loi une meilleure présence dans toutes les régions. Selon vous, est-ce que ça vient corriger une situation qui est inacceptable et déplorable pour les citoyens sur le territoire du Québec dans son entier?

M. Cyr (Michel): Je suis d'accord, la... Je suis...

M. Gabias: Puis, si vous pouviez peut-être montrer à quel point la situation de cette absence de présence là dans toutes les régions du Québec est dommageable pour les citoyens du Québec.

M. Cyr (Michel): Bien, on a tous en tête l'idée du Tribunal administratif du Québec, toujours, bien sûr, qui... où on se trouve dans la situation où les membres se déplacent, nous entendent en région même dans bien des cas, mais où ils se sont eux-mêmes déplacés dans des situations difficiles, et vraiment au point où on sent que c'est difficile même pour ces membres-là de voyager autant et que ça peut avoir un impact sur l'écoute, sur la disponibilité des membres qui nous entendent et sur aussi le moment où on est entendu, par rapport aux dates d'audience, etc. On nous appelle souvent pour nous dire: Écoutez, pourrions-nous être entendus... Pourrions-nous changer la date, etc.? On comprend que les gens veulent retourner. Ce n'est pas favorable dans la justice actuellement, et, bien sûr, si les gens pouvaient... si le tribunal pouvait être décentralisé pour avoir une structure ? je vous dis ça de cette façon-là, je pense que c'est comme ça qu'on le voit ? un peu analogue à celle de la CLP actuelle, qui dessert vraiment toutes les régions, à ma connaissance, par exemple, ou les 12 ou 16 régions administratives, je pense que ça favoriserait les citoyens, toutes les parties.

M. Gabias: Est-ce que ça va... Excusez, est-ce que ça va, selon vous, à non seulement une présence d'un bureau ou d'un greffe, mais aussi d'avoir des juges administratifs qui sont localisés dans chacune des régions du Québec?

M. Cyr (Michel): Localisés, oui, mais je ne suis pas le spécialiste pour répondre à cette question-là. Tout ce qu'on peut dire de l'extérieur, c'est que parfois on voit qu'il est nécessaire... Autant pour les membres, les parties, les gens qui se présentent devant le tribunal, il y a une certaine rotation qui se fait, mais il peut y avoir des gens qui sont stables. Par exemple, il y a des gens... Au greffe, il peut y avoir des gens qui sont coordonnateurs, qui sont plus stables. Il y a certains décideurs, même ? puis je fais tout simplement, encore une fois, l'analogie avec la CLP ? qui peuvent être là de façon plus permanente même s'il y a une certaine ouverture à la rotation.

M. Gabias: Je vous remercie.

Le Président (M. Simard): M. le député de Dubuc a demandé à vous poser une toute petite question très rapide. À condition que ça se termine à 11 h 30 tel que prévu, ça va... À 10 h 30, plutôt.

M. Côté: Oui, bien, ça va être vite. Je voudrais simplement revenir sur la représentation auprès du justiciable. Qu'est-ce que vous pensez de fonds spéciaux, de fonds dédiés, comme il y a à l'extérieur du Québec, là, dans différentes provinces canadiennes, qui serviraient justement à représenter les justiciables? Ce n'est pas l'aide juridique, là, c'est complètement différent de l'aide juridique.

M. Cyr (Michel): On peut juste être favorable à une telle initiative, j'ai l'impression, qui pourrait permettre aux gens d'avoir d'autres sources pour favoriser leur représentation, assurer leur représentation.

Le Président (M. Simard): Très bien, merci. Alors, il reste du temps à la partie ministérielle, et le ministre voudrait vous poser d'autres questions. Alors, on se donne sept ou huit minutes avant de terminer. C'est bien ça? M. le ministre... Ou M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Moreau: Merci, M. le Président. Alors, Me Cyr, merci. Vous avez, par votre exposé, tout le monde l'aura noté, des mots très durs à l'égard notamment de la partie de la justice administrative qui traite de la compensation monétaire des préjudices physiques.

M. Cyr (Michel): ...

M. Moreau: Pardon?

M. Cyr (Michel): Je me suis retenu.

M. Moreau: Et je pense que tous les membres de la commission auront pris bonne note des propos que vous avez tenus compte tenu de l'expérience particulière que vous avez dans ce domaine.

J'aurais deux volets de questions. La première... Et je ne veux pas réduire l'exposé que vous avez fait, mais je pense qu'on peut certainement tenir la proposition suivante: Pour vous, à tout le moins à l'égard de ce volet-là, la justice administrative serait mieux servie par une plus grande indépendance des décideurs, des juges administratifs. Vous avez, en ce sens-là, émis une désapprobation quant à l'idée d'abolir le Conseil de la justice administrative. Je vous pose la question suivante: Est-ce que, selon vous, par exemple, un élargissement des pouvoirs du Conseil de la magistrature et une référence déontologique au Conseil de la magistrature pourrait être un équivalent ou un palliatif intéressant à l'abolition du Conseil de la justice administrative?

M. Cyr (Michel): Bien que je n'aie pas examiné cette situation-là, elle pourrait s'avérer être une avenue intéressante. La seule réserve que j'avais tout à l'heure, c'est plus quant à l'harmonisation. L'ensemble des attributs que l'on veut reconnaître à la justice administrative, si tel était le cas... Je comprends que ce que l'on veut assurer ici, c'est une question de contrôle de qualité. Je vous dirais qu'on doit aussi le faire face aux juges, puis même s'il y a des éléments subjectifs qui président à leur nomination.

n (10 h 30) n

M. le ministre, récemment ? je le lisais dans le journal du Barreau ? invite les gens à vouloir devenir juges de la Cour du Québec. Alors, il y a des critères qui nous guident pour retenir les candidatures de ces juges, et ils devraient être aussi élevés en matière de justice administrative. On aurait moins de craintes d'établir un Conseil de la justice administrative avec des pouvoirs qui peut-être... Je dis bien «peut-être», comme dans le mémoire. Je ne suis pas spécialiste de ces questions-là où c'est pointu, comme le sont les experts Lemieux, Ouellet, Pépin et autres, mais je dirais que, si, par exemple, il y a un contrôle des tribunaux, soit un appel direct à la Cour du Québec, un pouvoir de contrôle de la Cour supérieure, des décisions du Conseil de la justice administrative, tout en maintenant l'édifice complet de la justice administrative, en parallèle au judiciaire privé, on aurait la reconnaissance et l'éclat souhaités de la justice administrative. Mais votre suggestion pourrait aussi en être une qui est à être examinée, assurément. Ce serait ma réponse.

Le Président (M. Simard): M. le ministre, pour une dernière question.

M. Bellemare: Alors, Me Cyr, je reviens sur un point très important qui a été soulevé par le député de Dubuc, la question de la représentation et des représentants qui ne sont pas avocats, etc. Bon, on sait que le projet de loi... l'immense majorité des représentants font un excellent travail, je pense que vous en conviendrez. Bon, les avocats sont assujettis à un code de déontologie, ils sont assurés. Alors, bon, si, à la limite, il y a une erreur ou qu'il y a des abus, bien, le citoyen mal représenté a un recours contre l'avocat. Les syndicats qui agissent en matière de lésions professionnelles, eux aussi sont généralement assurés. Donc, s'ils font des erreurs, le citoyen a un recours, à la limite, en dommages, si jamais sa cause est perdue à cause de fraude ou d'incurie majeure.

Les gens, les consultants, les aviseurs, les associations, bon, font également, à mon avis, un excellent travail, et ils sont importants, et leur présence est déterminante sur le terrain, c'est bien évident, les associations, Montréal, Québec, puis en région. Il y a, malheureusement ? bon, les avocats radiés, je pense qu'on élimine le problème avec le projet de loi ? il y a, malheureusement, les consultants, qui émergent un peu partout au Québec, qui disent: Voici, moi, je vais représenter des employeurs, moi, je vais représenter des accidentés. On n'a aucune idée sur leur formation, on n'a aucune idée... ils n'ont pas d'expérience particulière, ils ne sont pas assurés, ils ont pignon sur rue une semaine; la semaine suivante, on ne les retrouve plus. Et ça existe, il y a des histoires d'horreur qui sont très connues. Et je ne sais pas si c'est à cette problématique que référait le député de Dubuc, mais il vous demandait: Avez-vous des propositions ou avez-vous une suggestion meilleure? Parce que ce qu'on a prévu dans le projet de loi, c'est de permettre au commissaire, s'il est devant un abus manifeste, un cas clair où le représentant est complètement dans le champ, incompétent, puis que le travailleur est en train de se faire carrément avoir, c'est de permettre au commissaire de disqualifier un représentant. Il y en a qui nous disent: Oui, mais là, vous savez, ça donne de l'autorité au commissaire sur la compétence; à la limite, il pourrait profiter de ça pour sortir un représentant qui ferait par ailleurs un bon travail. On pense qu'on a la meilleure solution ? ce n'est pas facile ? permettre la représentation par tout le monde, mais en même temps permettre au citoyen qui est abusé d'avoir un recours contre quelqu'un qui aurait abusé de lui. Avez-vous des idées là-dessus?

M. Cyr (Michel): Écoutez, je peux juste référer... Avec l'ancien gouvernement, on avait travaillé avec le sous-ministre, Me Desalliers, je crois, sur cette question-là, avec le Barreau, Me Sauvé, et le sous-ministre, Louis Borgeat, aussi, également, sur cette question-là, et ce qu'ils avaient suggéré à l'époque, c'est-à-dire... Puis il y a eu un refus pour des raisons de principe, à l'époque, du monde syndical, dire: Écoutez, on va reconnaître la représentation syndicale et patronale, elle va être encadrée, outre celle des avocats, mais tous les autres devront agir à titre gratuit.

Alors, ça, c'était une proposition qui avait été amenée, qui était délicate en termes de droits et libertés peut-être, et n'avait peut-être pas été approfondie. Est-ce que c'était la meilleure solution? Parce qu'on sait véritablement d'où vient le problème. Bon, il y avait des avocats radiés, mais il y avait aussi un certain nombre de représentants, et vous soulignez, exemple, l'excellent travail, je pense ? pourtant je suis libre, je ne suis pas associé à cet organisme ? l'UTTAM, à Montréal, pour n'en nommer qu'un seul, bon, etc. Il y a du laxisme, des fois, un manque de compétence, mais c'est honnête et c'est bien fait, puis je ne parle pas de cet organisme-là quand je dis ça, mais il y a beaucoup de bonnes choses qui se font.

Mais, vous le savez comme moi, comment ? le législateur aussi avait la même difficulté ? comment encadrer... Bien sûr, on parle des prochains représentants, qui poussent comme des champignons, mais il y en a toujours ? c'est arbitraire, mon chiffre, mais vous le savez comme moi très bien ? environ une vingtaine de personnes qui sévissent face aux gens, qui les abusent et qui abusent donc tout le monde par le fait même, l'administration autrement, environ une vingtaine de personnes. Si on ne peut pas légiférer de façon aussi dure, de dire: Toute personne devra agir gratuitement s'il n'est pas un représentant autorisé du mouvement syndical, des associations patronales ou qui n'est pas avocat, comment est-ce que le tribunal... Puis je comprends aussi ce que vous soulignez quand vous dites qu'il y a peut-être une pression qui peut s'exercer par le tribunal ou perçue comme telle face à un représentant, parce qu'on sait très bien quelle relation et comment ça peut dégénérer facilement. Quoique je vous dirais que ces gens-là souvent ne se présentent pas devant les tribunaux, ils ne peuvent pas plaider les causes, ils ne les plaident pas, et ce qu'ils font, c'est des règlements monétaires, comme ceux que je dénonçais et que je prévois qui seront souhaités ici, à mon avis, par la SAAQ et la CSST.

Mais, outre les règlements monétaires ? je le dis dans mon mémoire d'ailleurs, je n'improvise pas ? les représentants font souvent et généralement des règlements monétaires avec l'administration et ne vont pas plaider les causes. Alors, ceux qui se retrouvent souvent, c'étaient des avocats radiés, devant le tribunal. Et, dans le cas des représentants, je vous avoue modestement que je n'ai pas songé à d'autres dispositions qui pourraient permettre... que celle que vous avez amenée; je ne dis pas que ça n'existe pas... qui permettent de façon large au tribunal de se donner une règle de conduite, de se donner certaines... pas directives, justement, mais d'identifier qu'est-ce qui est inacceptable dans le cadre de la représentation des citoyens. Mais ça va être très difficile de juger, puisque ces gens-là, tous ceux auxquels je réfère, n'ont aucune formation dans quoi que ce soit. Alors, c'est votre oncle, c'est votre beau-frère qui a décidé qu'il...

Le Président (M. Simard): Me Cyr, je suis obligé à ce moment-ci de vous interrompre et de vous remercier d'avoir pris tout le temps de rédiger ce mémoire, de nous l'avoir présenté, d'avoir, pour la deuxième fois en quelques mois, eu cette discussion en commission parlementaire.

Nous allons suspendre nos travaux jusque vers 11 heures et nous reprendrons ensuite avec l'Ordre des travailleurs sociaux. Alors, merci.

(Suspension de la séance à 10 h 36)

 

(Reprise à 11 h 4)

Le Président (M. Simard): Alors, nous reprenons nos travaux et nous recevons à ce moment-ci, en les remerciant de leur patience, les représentants de l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec. Alors, il s'agit de M. Claude Leblond, président, et de M. Yvon Belley, travailleur social, membre de l'Ordre professionnel évidemment, qui vont nous présenter leurs considérations, enfin une synthèse de leur mémoire. Et ensuite ? vous connaissez nos règles ? nous allons... Évidemment, nous avons pris du retard et nous avons une journée très chargée, alors, si, au niveau des commentaires, on pouvait économiser quelques minutes de part et d'autre ? ce n'est pas une obligation évidemment ? ce serait apprécié. Nous vous écoutons maintenant.

Ordre professionnel des travailleurs
sociaux du Québec (OPTSQ)

M. Leblond (Claude): Bonjour. Alors, je vous remercie, M. le Président, et je remercie M. le ministre et les membres de la commission de nous avoir invités à cette commission parlementaire. Nous avons remis ? en s'excusant, là, de l'avoir remis seulement ce matin ? notre mémoire concernant le projet de loi n° 35.

Alors, peut-être rappeler que ça a pris plus de 30 ans et cinq rapports qui ont été nécessaires avant d'aboutir à la Loi sur la justice administrative, mise en vigueur au printemps 1998, et, à peine ou déjà cinq ans plus tard, M. le ministre de la Justice désire apporter des modifications importantes et a déposé à cet effet deux projets de loi. On se souviendra qu'en juin 2003 le projet de loi n° 4 a été déposé et qui visait essentiellement à établir que les recours portés devant le Tribunal administratif du Québec soient inscrits et décidés par un membre seul, généralement avocat ou notaire, sauf disposition particulière. Le projet de loi que nous étudions pour le moment, le projet de loi n° 35, qui modifie la Loi sur la justice administrative et d'autres dispositions législatives, reprend cette même visée mais dans le cadre d'une réforme plus globale et définie de façon plus spécifique.

Cependant, le projet de loi n° 4 apparaît toujours au feuilleton. De l'avis de l'Ordre des travailleurs sociaux et de plusieurs intervenants entendus lors des consultations particulières tenues en septembre dernier, ce projet de loi compromet le caractère spécialisé et multidisciplinaire du Tribunal administratif et attaque les fondements mêmes de la justice administrative sans y apporter, nous semble-t-il, d'améliorations notables. Nous demandons donc au ministre de retirer le projet de loi n° 4.

Le projet de loi n° 35 propose de nombreuses modifications à la Loi sur la justice administrative actuelle. Entre autres, il regroupe deux organismes, la Commission des lésions professionnelles et le Tribunal administratif du Québec, en un seul. Ce nouveau découpage des sections fait en sorte que désormais la section des affaires économiques, la section des affaires sociales et la section des lésions professionnelles formeraient le Tribunal des recours administratifs. Divers mécanismes visant une diminution des délais et une plus grande accessibilité de la justice administrative pour les citoyens dans leurs régions sont également visés.

Soucieux de préserver les intérêts du public, particulièrement ceux des personnes les plus vulnérables et les plus démunies de notre société, certaines modifications proposées retiennent notre attention. Essentiellement, nos représentations couvrent la modification des formations appelées à entendre les recours, et nous ferons également part de nos observations en regard de la révision administrative et des interrogations soulevées par les dispositions transitoires en lien avec le statut des membres du tribunal.

Alors, concernant les modifications des formations, l'article 34 du projet de loi n° 35 instaure comme règle que les recours portés devant le tribunal sont, sauf disposition contraire, instruits et décidés par un membre seul qui est avocat ou notaire. Une telle mesure entraîne à toutes fins pratiques la disparition de la multidisciplinarité et de la collégialité au sein des formations, en plus de porter atteinte aux objectifs mêmes de la justice administrative. Elle attaque sa spécificité, compromet sa qualité et son accessibilité et démontre peu de souci des droits fondamentaux des administrés.

Néanmoins, nous tenons à souligner que, tout comme dans le projet de loi n° 4, le ministre a pris soin de préserver la composition des formations habilitées à entendre les recours en matière de protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui, soit trois membres: un avocat ou notaire, un psychiatre et un travailleur social.

Nous constatons bien sûr un certain assouplissement comparativement au projet de loi n° 4. Le président du tribunal peut, s'il l'estime utile ? plutôt que nécessaire ? en raison de la nature d'une affaire et des faits soulevés, prévoir une formation de deux membres, sauf à la section des lésions professionnelles.

Selon la section, le deuxième membre est alors un spécialiste de la matière concernée par le litige. À la section des affaires sociales, l'autre membre peut notamment être médecin, travailleur social ou psychologue. L'Ordre applaudit à cette mention spécifique mais suggère que la protection du public serait davantage assurée par le fait que le deuxième membre doive être un médecin, travailleur social ou psychologue, alors de remplacer le terme «peut» par le terme «doit».

Le président devra cependant faire appel dans son... fera état, excusez-moi, dans son rapport annuel des décisions modifiant les formations fixées par la loi, ce qui se révèle plutôt dissuasif et réitère que la règle établie par la loi est celle du membre seul et non celle de la formation multidisciplinaire.

Nous convenons qu'un certain nombre de recours, sans pouvoir le quantifier, puissent être entendus par un juriste seul, notamment les questions relatives à la gestion des recours. Cependant, selon les dispositions actuelles de la loi, le président peut déjà prévoir des formations d'un seul membre lorsqu'il le juge nécessaire dans ces cas-ci. Au besoin, de nouvelles balises pourraient l'encadrer et encadrer davantage l'usage de cette disposition.

n (11 h 10) n

Bien que la spécialisation du tribunal puisse sembler partiellement préservée, nous réitérons que seule la formule actuelle protège le caractère unique et spécialisé du tribunal par la multidisciplinarité des formations, la collégialité et la parité juridictionnelle. Nous savons que le caractère spécialisé du tribunal ne tient pas au seul fait qu'il comporte des sections spécialisées ni au fait que l'on regroupe au sein de la même section les compétences d'une même nature ou qui font appel au même type d'expertise. Afin d'actualiser la dimension de la spécialisation du tribunal, les membres disposant des compétences spécifiques doivent inscrire des recours dont la teneur fait appel à leur expertise et pouvoir non seulement exprimer leur opinion à titre consultatif, mais avoir une voix décisionnelle et l'opportunité de rendre décision.

L'une des particularités de la justice administrative réside dans le fait que les litiges opposent le citoyen et l'État, alors que, devant les autres tribunaux, ce sont habituellement des parties privées qui s'affrontent. Il va sans dire que, l'État disposant de moyens plus substantiels que le simple citoyen pour faire valoir son point de vue, il est important d'équilibrer... l'importance des formations du banc sont d'autant plus pertinentes.

À la section des affaires sociales, le Tribunal administratif est le seul et dernier recours possible pour le citoyen. Comme on le disait en septembre dernier, ce recours implique souvent la reconnaissance des droits humains fondamentaux, la satisfaction des besoins de base et des répercussions sur l'ensemble de la vie des personnes. Nous sommes en matière de droit social, et la gravité des situations mérite un traitement humanisé, qu'un expert du domaine social y porte un regard professionnel et ait voix au chapitre décisionnel.

Ainsi, une formation de deux membres, un spécialiste du droit et un spécialiste de la matière en cause, assure au citoyen une compréhension plus complète, plus globale de sa situation. Ce dernier est habituellement rassuré d'exposer son litige devant une telle formation et gagne le sentiment d'avoir été bien entendu, compris et que la décision rendue sera éclairée et la meilleure possible tant au point de vue du droit que de la spécialité touchée.

En effet, les décisions rendues par la section des affaires sociales du tribunal sont finales et sans appel, ce qui constitue un avantage certain mais en accroît également l'importance pour le citoyen. À ce titre, la décision rendue par deux membres est un gage de qualité de la justice pour le citoyen en raison de la clairvoyance que cela suppose, des échanges, de la qualité d'analyse de la preuve qui en résulte et de la double vérification que cela impose. D'ailleurs, devant les tribunaux judiciaires, l'importance des décisions à rendre se traduit souvent par une augmentation du nombre de décideurs appelés à entendre et disposer du recours. Alors, que l'on pense à la gradation entre la Cour supérieure, la Cour d'appel et la Cour suprême.

À cet égard, c'est justement le caractère spécialisé du Tribunal administratif qui le distingue des tribunaux de droit commun et favorise la retenue des tribunaux supérieurs lorsqu'il s'agit d'exercer leur pouvoir d'intervention. Ces derniers hésitent à renverser des jugements rendus par une instance composée de plus d'un décideur, dont, de surcroît, un expert de la matière en cause. Alors, si le tribunal devait perdre son caractère spécialisé, on pourrait assister éventuellement à une augmentation des recours en révision devant diverses instances, à une augmentation des coûts et des délais et, par conséquent, à une diminution de l'accessibilité pour le citoyen.

Concrètement ? et c'est tout à fait hypothétiquement ? ça pourrait signifier que l'administration d'un régime, insatisfaite d'une décision rendue par la section des affaires sociales du tribunal, dépose successivement des appels tentant d'obtenir raison. Pendant ce temps, le citoyen est privé de l'exécution de la décision qui lui était favorable, les délais s'allongent au fil des procédures et il risque de s'essouffler tant financièrement que moralement. L'accessibilité de la justice se trouverait alors compromise pour les plus vulnérables de notre société.

À la section des affaires sociales, nous croyons que le modèle actuel qui clôt le débat en matière administrative par l'audition du recours devant le Tribunal administratif par un juriste et un spécialiste s'avère tout à fait adéquat.

Finalement, nous ne saurions passer sous silence l'apport spécifique des travailleurs sociaux en tant que membres décideurs à la section des affaires sociales du tribunal. Nous vous avons d'ailleurs exposé les particularités de leur contribution lors des consultations tenues sur le projet de loi n° 4. À cette occasion également, les organismes qui représentent les principaux intéressés en matière de sécurité du revenu vous ont clairement exprimé leur désir d'être entendus par des formations de deux membres, soit un juriste et un travailleur social. Un tel quorum décisionnel permet la collaboration étroite du droit et du social, condition préalable en toute circonstance à la solution adéquate des problèmes légaux rencontrés par les plus démunis de la société.

En effet, le membre avocat est le spécialiste, le maître du droit, et la fonction première des décideurs du tribunal est de trancher un litige par l'application des règles du droit. En matière de droit social, il faut aussi s'assurer de l'apport de la dimension sociale, soit la prise en considération des connaissances, normes, expertises, résultats d'études et de recherches dans les domaines des sciences humaines et sociales. Et c'est au travailleur social, comme membre spécialiste, d'apporter cette contribution spécifique. Cet apport de l'une et de l'autre discipline, en interrelation, cet ajout de la perspective sociale à la pensée juridique contribuent à la spécialisation et à la spécificité des tribunaux administratifs en favorisant la congruence et la qualité de la justice administrative.

Alors, les travailleurs sociaux ont les formations... c'est-à-dire, la présence des travailleurs sociaux sur les formations témoigne de l'intérêt que l'État porte à la qualité de la justice dont bénéficient ses plus démunis, de l'importance accordée aux arguments humains en matière de justice et de droit social et de son souci d'instaurer une administration équitable des divers programmes sociaux mis en place, peu importe la région habitée. De même, l'implication des travailleurs sociaux tout au long du processus décisionnel assure au citoyen que les dimensions psychosociales propres à sa situation seront prises en considération. Cela a pour effet de majorer la confiance du public dans l'institution, de soutenir une image positive et humaine de la justice administrative, d'en élever la qualité et de témoigner des efforts visant à rendre la justice plus accessible au citoyen.

Concernant les modalités de révision et de conciliation. Alors, dans la perspective de s'attaquer aux délais, le projet de loi n° 35 abolit la révision administrative obligatoire. Quel effet cela aura-t-il? Assisterons-nous à une recrudescence des dossiers ouverts au tribunal? Y aura-t-il judiciarisation des litiges jusque-là réglés par le processus de révision?

Tel que mentionné lors des consultations particulières concernant le projet de loi n° 4, notamment par le Front commun des personnes assistées sociales du Québec et par l'Association des juristes en droit social, le processus de révision administrative actuel serait plutôt profitable. Le processus de révision tel qu'il existe actuellement permet de solutionner un bon nombre de litiges, de façon globale ou régionale, dans un contexte administratif plutôt que judiciaire et à moindre coût pour l'État. La modalité est accessible au citoyen, les règles de fonctionnement sont simples, les prestataires se représentent souvent eux-mêmes, entre eux ou avec l'aide d'organismes. Les décisions sont généralement rendues dans des délais plutôt courts. De plus, l'étape de la révision a pour avantage d'informer le citoyen sur les méandres administratifs, de lui permettre de prendre connaissance des forces et des lacunes de sa requête et de se préparer plus adéquatement s'il décide d'en appeler devant le tribunal.

Alors, dans la perspective d'encourager une justice de proximité, il serait opportun de perfectionner les mécanismes de la révision administrative, d'en encadrer rigoureusement les délais et d'accroître le pouvoir décisionnel des réviseurs et représentants de l'administration à divers paliers. Et, pour des raisons similaires, la conciliation fait partie de la panoplie des mécanismes de résolution des litiges à privilégier. L'invitation systématique à une séance de conciliation, dirigée par des conciliateurs experts, dans le cadre d'un service structuré, s'inscrit également dans la philosophie d'une justice accessible pour le citoyen.

Je vais maintenant vous entretenir un peu concernant les dispositions transitoires et déontologiques. Alors, avec les articles 18 et 19 du projet de loi n° 35, l'indépendance des membres du tribunal trouve enfin certaines garanties par l'abolition des mandats de cinq ans et de la procédure du renouvellement. Désormais, le tribunal serait composé de membres nommés par le gouvernement, qui en détermine le nombre en tenant compte des besoins du tribunal.

Les dispositions transitoires prévues notamment à l'article 198 du projet de loi font en sorte que tous les membres actuels du Tribunal administratif du Québec, tant juristes que spécialistes, deviendraient membres du nouveau tribunal et seraient réputés avoir été nommés. C'est avec un certain soulagement effectivement que les membres actuels accueillent cet article et la reconnaissance de leur véritable rôle et statut d'adjudicateur indépendant.

L'article 203 prévoit même que ses membres qui ne sont pas avocats ou notaires pourraient instruire et décider seuls de recours. Rappelant qu'il s'agit d'un tribunal, l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec, partisan de la collégialité et de la multidisciplinarité, n'a jamais privilégié cette alternative, mais, si le ministre et le gouvernement décidaient d'aller de l'avant vers cette voie, les travailleurs sociaux effectivement vont le faire et auraient les habiletés et expertises nécessaires.

n (11 h 20) n

Néanmoins, l'avenir nous préoccupe, car certaines dispositions du projet de loi soulèvent des interrogations et prêtent à interprétation quant au statut des futurs spécialistes au sein du tribunal. Précisons d'emblée que le maintien de la procédure actuelle de recrutement et de sélection des membres, procédure connue, formelle, transparente et comportant l'exigence d'une période de 10 ans d'expérience pertinente à l'exercice des fonctions au tribunal, favorise la protection du public.

Cependant, l'article 36 du projet de loi mentionne que les experts, les conciliateurs et les membres du personnel du tribunal sont nommés suivant la Loi sur la fonction publique. Le gouvernement peut aussi nommer, pour un mandat de cinq ans renouvelable, des experts, notamment médecins, psychiatres, travailleurs sociaux, psychologues et évaluateurs agréés. Pourtant, l'article 19 du projet de loi abroge en totalité les dispositions relatives à la durée et au renouvellement des mandats. On se demande: Qu'en est-il exactement? Doit-on comprendre que dans l'avenir les spécialistes au Tribunal administratif n'auront pas le statut de membre mais plutôt celui d'expert ou de conciliateur? Seront-ils toujours décideurs ou seulement consultants? auquel cas cela signifie la disparition de la multidisciplinarité à court terme par attrition des membres spécialistes actuels, ce que nous désapprouvons. Si les spécialistes à venir ne sont pas des membres nommés, selon quelles règles seront-ils renouvelés? Voilà plusieurs questions soulevées par des imprécisions de la loi, imprécisions que nous demandons au ministre de dissiper afin qu'aucune ambiguïté ne subsiste concernant le rôle et le statut des futurs spécialistes du tribunal.

Notons finalement que, par l'article 52 et suivants, il y a abolition du Conseil de la justice administrative, introduction d'un code de déontologie décrété par le gouvernement et mise en place d'un mécanisme officiel de traitement des plaintes et d'enquêtes concernant les membres du tribunal dont la responsabilité relève du président. Nous ne possédons pas en soi les éléments pour nous prononcer sur l'abolition dudit Conseil. Toutefois, soucieux de la protection du public et des intérêts du public, l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec approuve la prévision des mécanismes énoncés précédemment, sans pouvoir en apprécier la portée réelle des changements proposés.

J'ajouterais, à titre de président, de membre d'un ordre professionnel, qu'une structure externe indépendante, à l'exemple de celle prévue au système professionnel ou au Conseil de la magistrature, par exemple, nous apparaît intéressante à regarder, plutôt peut-être que l'abolition du Conseil de la justice administrative, et d'inclure toutes lesdites responsabilités à l'interne.

Alors, en conclusion, dans une perspective de justice spécialisée et à la portée de tous, en raison de la nature et de la diversité des litiges soumis, les caractéristiques intrinsèques de spécialisation et de multidisciplinarité de la justice administrative sont essentielles et doivent être préservées. La multidisciplinarité et la collégialité sont le fruit de longues réflexions en matière de justice administrative et ses atouts premiers. Tel que mentionné par Me Jean-François Gosselin, président fondateur de la Conférence des juges administratifs du Québec et actuellement juge à la Cour du Québec, «la contribution de spécialistes de diverses origines professionnelles ? la multidisciplinarité ? qui entendent ensemble la même cause ? la collégialité ? ne peut qu'enrichir le processus décisionnel, chacun mettant son expertise et son expérience au service des justiciables qui comparaissent devant lui».

Le projet de loi n° 35 apporte des rectifications à certaines lacunes de l'actuelle Loi sur la justice administrative. Nous reconnaissons également l'effort de mise en oeuvre du ministre à l'égard de certaines recommandations formulées antérieurement par l'Ordre des travailleurs sociaux du Québec. Cependant, dans la perspective de protection des intérêts du public et plus particulièrement des plus démunis de notre société et afin que l'actuel projet de loi entraîne un réel avancement de la justice administrative, nous demandons essentiellement au ministre de revoir sa position quant à la multidisciplinarité et de reconduire, pour le moins à la section des affaires sociales, les dispositions voulant que les recours soient instruits et décidés par des formations multidisciplinaires, composées d'au moins deux décideurs, soit un juriste et un membre spécialiste de la matière concernée; deux, de s'assurer que les dispositions législatives préservent à long terme le caractère spécialisé du tribunal par le maintien de la multidisciplinarité, de la collégialité et de la parité juridictionnelle des formations appelées à disposer des recours. Également, nous demandons au ministre d'établir l'exigence de la présence des travailleurs sociaux sur les formations de décideurs dans les matières où ils en ont les compétences et devraient occuper une place réservée, et également de promouvoir une justice de proximité pour le citoyen en bonifiant l'efficacité de la révision administrative et de la conciliation.

Alors, sur ce, l'Ordre professionnel des travailleurs sociaux vous remercie de lui avoir permis de s'exprimer devant vous et de l'attention apportée à notre message.

Je céderai la parole, s'il reste encore quelques minutes, à mon collègue, M. Belley, travailleur social, et qui a été longtemps au tribunal.

Le Président (M. Simard): J'aurais bien aimé entendre M. Belley, et nous l'entendrons sûrement dans le dialogue qui va maintenant s'instaurer, mais le temps qui vous était accordé est terminé. Alors, j'invite maintenant la partie ministérielle, je crois que c'est le ministre qui va poser la première question.

M. Bellemare: Alors, merci, M. Leblond, et bienvenue, M. Belley aussi, à cette commission parlementaire où vous avez, je crois bien, déjà comparu, n'est-ce pas, en septembre dernier.

Alors, nous avons, comme vous l'avez souligné, apporté, en tout cas proposé un certain nombre d'amendements au projet de loi n° 4 pour favoriser la double expertise, en permettant au président, lorsqu'il l'estime utile et non plus nécessaire, de... compte tenu de la complexité du cas et de la nature du cas, qu'il y ait une double expertise. Et nous avons précisé aussi, et ça se retrouve dans le projet de loi, ce qui deviendrait 82.2, une double expertise qui serait composée de médecin, travailleur social ou psychologue. Et vous suggérez qu'on remplace le «peut» par un «doit» pour s'assurer que ce serait une de ces trois compétences-là qui serait retenue comme double expertise. Le «peut», dans la disposition telle qu'élaborée, ne signifie pas que ce soit facultatif. Ce n'est pas dans le but de donner une discrétion additionnelle au président, c'est dans le but de permettre à d'autres experts... parce qu'il y a les médecins, il y a les travailleurs sociaux, bien sûr, mais il peut y avoir également d'autres experts dans d'autres secteurs. Et, à notre avis, il est souhaitable que d'autres experts puissent être adjoints.

Avez-vous une objection à ce que... Est-ce que vous convenez finalement qu'il puisse y avoir, exemple, une cause de surpayé, de surcompensation, une cause où des questions constitutionnelles sont soulevées, qui font appel à des notions économiques, par exemple, ou des notions de discrimination systémique... est-ce que vous convenez qu'il puisse y avoir dans certains cas des experts qui relèvent d'autres spécialités que les trois qui sont mentionnées là? Parce que c'est pour ça, le «peut», là, c'est pour permettre d'avoir accès à d'autres expertises.

M. Leblond (Claude): Je vais demi répondre, ensuite laisser la parole à mon collègue à ce niveau-là. Tout ce pour quoi nous insistions sur le «doit» plutôt que le «peut», c'est pour effectivement... Nous voyons un apport important donné par le système professionnel par rapport à la protection du public et nous croyons qu'effectivement, à ce moment-là, le fait d'avoir nommé le «doit» en nommant trois professions qui sont reconnues par le système professionnel est un bénéfice supplémentaire et oblige à ce moment-là le tribunal à s'assurer des services de professionnels dûment... en tout cas qui répondent à la fois à un code de déontologie, mais également à toutes les possibilités de poursuite en vertu du système professionnel. Et également, ça nous semble être les trois types de professionnels qui ont les plus grandes expertises en matière, avec les causes qui sont entendues à la section des affaires sociales.

Maintenant, est-ce qu'on doit avoir un expert économiste, là, qui viendrait dans certains litiges? Je ne suis pas en mesure d'apprécier et de pouvoir vous donner cet élément-là. Peut-être mon collègue, là.

M. Bellemare: Parce qu'il y a 40 et quelques ordres professionnels au Québec, 47, je crois, qui sont tous accrédités et qui ont tous une expertise, une compétence. Et, dans le monde où on vit, bien, évidemment, les litiges évoluent, leur complexité évolue également. Les tribunaux civils bénéficient beaucoup de cette expertise-là, ils sont en mesure de reconnaître l'expertise de plusieurs spécialistes dans toutes sortes de domaines. Et il m'apparaît que, pour l'avenir, on doit permettre au tribunal de s'adjoindre des experts dans à peu près tous les secteurs. On a précisé ces trois formations-là, mais c'est dans le but de donner davantage d'importance et de reconnaître de façon très spécifique l'apport et la compétence des travailleurs sociaux. Mais, si on veut permettre que d'autres experts puissent être retenus, à mon avis, si on met «doit», bien là on se limite puis on limite ça aux trois expertises en question. Vous ne pensez pas que c'est préférable de laisser une certaine latitude au tribunal?

M. Leblond (Claude): Je pourrais dire, M. le ministre, que, là, à ma compréhension, on parle de composition des bancs. Et, à la section des affaires sociales, ce qu'on rencontre le plus couramment relève particulièrement de la compétence des travailleurs sociaux, des psychologues et des médecins. Et je pense que ces bancs-là peuvent souhaiter, s'ils souhaitent avoir un apport d'un expert par rapport à un élément dont ils doivent tenir compte dans le litige, j'ai l'impression qu'ils peuvent y faire appel effectivement. Mais là on est plus dans la composition des bancs. Et, à cet égard-là, pour l'Ordre des travailleurs sociaux, il nous semble pertinent de vous faire cette recommandation du «doivent».

n (11 h 30) n

M. Bellemare: O.K. Concernant la multidisciplinarité, je veux vous dire tout de suite que, quant à nous, il n'est pas question de remettre en cause la multidisciplinarité du tribunal, il faut la maintenir. Elle existe déjà, il faut la maintenir. Il faut, par contre, également tenir compte du fait que certains litiges, de par leur nature, nature, n'exigent pas qu'il y ait deux membres. Et ça, je pense que c'est clair pour tout le monde. Les médecins sont même venus nous le dire au mois de septembre: les questions qui ne sont pas de nature médicale, on n'a pas besoin d'être là. Et il suffit, dans bien des cas, qu'il y ait un seul décideur, un seul membre.

Et je crois que, si je lis bien le deuxième paragraphe de la page 4, où je retrouve le passage suivant, et je cite: «Nous convenons qu'un certain nombre de recours puissent être entendus par un juriste seul, notamment toutes les questions relatives à la gestion des recours. Cependant, selon les dispositions actuelles, le président peut déjà prévoir des formations d'un seul membre lorsqu'il le juge nécessaire», bon, ce n'est pas tout à fait évident qu'actuellement le président peut diminuer les bancs de deux à un. Il peut le faire à l'heure actuelle, selon la compréhension qu'on a, que le tribunal en a de l'article 82, dans les cas de gestion seulement.

Mais est-ce que vous convenez avec moi qu'il existe des cas ? et ça semble être ce que vous dites à la page 4 ? il y a des cas où le litige peut être entendu par un seul membre dans la mesure où il n'y a pas de dimension sociale, par exemple, au problème? Un cas de surpayé, un simple cas de calcul, est-ce que... Par exemple, le travailleur... la personne sur l'aide sociale a reçu des prestations. J'en ai vu personnellement, des litiges de cette nature-là. Elle a reçu des prestations d'un autre organisme pendant la même période. Est-ce que, en droit, le ministère de la Solidarité sociale a le droit de récupérer le surpayé? Bon, il y en a beaucoup, de questions, qui ne sont pas nécessairement des questions de gestion, qui sont des questions de fond mais qui n'ont rien à voir avec le volet social ou qui ne présentent pas de dimension sociale.

M. Leblond (Claude): Je vais laisser mon collègue, qui a été juge à la Commission des affaires sociales et ensuite au tribunal, vous informer là-dessus.

Le Président (M. Simard): ...la possibilité et le plaisir d'entendre M. Belley.

M. Belley (Yvon): Vous êtes bien gentil, M. le Président. Je me doutais bien que j'aurais la chance puis en même temps la... d'y revenir.

Mes commentaires peuvent être circonscrits par le fait que, moi, j'ai déjà pris ma retraite. Je suis à la retraite actuellement, ça fait six ans. Alors, je ne connais pas tout ce qui se passe actuellement en adjudication au Tribunal administratif. Mais disons que j'ai suivi une séance de récupération ces derniers jours pour me préparer, et, qu'on le veuille ou pas, ça reste, tu sais, je veux dire, ça revient assez rapidement.

Essentiellement, M. le ministre, ce qu'on veut s'assurer, c'est que les bancs ou les formations soient arrangés de telle sorte que la formation, que la dimension sociale soit préservée et soit là. Vous savez, ce n'est pas si... Et, dans le projet tel qu'il est fait ? peut-être qu'on le comprend mal ? moi, ce que je vois, je vois un risque, pour des raisons administratives, financières ou autres, de ne pas avoir cette garantie-là. Parce que, si c'est trop facile à faire, peut-être qu'à ce moment-là on va avoir des travailleurs sociaux qui vont se retrouver, je ne sais pas, moi, en attente d'une assignation quelconque et qui, à toutes fins pratiques, seront sur une marche ou un palier de perron ou sur une marche d'escalier à ne pas se demander quoi faire, parce qu'il y a de l'ouvrage.

Moi, je ne suis pas inquiet, à la Commission puis au tribunal. Mais vous admettrez que, pour la dimension collégialité, ce n'est pas facile et puis ce n'est pas non plus très motivant que d'être là en attente, et surtout pour des questions qui nous concernent vraiment, parce que nous avons, on pense, une expertise dans le domaine social qui cadre très bien avec l'adjudication qu'on voit au tribunal.

Et par là je veux dire, et ce que je voulais passer comme message tantôt, si vous me permettez, je veux dire qu'on n'est pas là comme travailleur social en train de faire de l'intervention ou en train, je ne sais pas, moi, de faire de l'évaluation psychosociale ou autre. Mais notre formation, je pense, nos milieux de travail aussi qu'on a en service social, les différentes problématiques qui s'adressent aux travailleurs sociaux ? c'est un secteur qui touche plusieurs types de clientèles ? nous préparent à faire ce travail et à aider le juriste et faire en sorte que le tribunal, par sa formation, rende une décision correcte.

Donc, pour être plus précis, ça ne veut pas dire qu'on ne doit pas avoir la possibilité de nommer des gens ou d'autres personnes pour faire des travaux aussi, pour entendre des causes, mais on ne voudrait pas que la règle générale devienne... ou que la règle particulière devienne la règle générale. C'est ça qu'il faut... qui est, je pense, l'essentiel de notre mémoire. En tout cas, je ne veux pas... Si mon collègue président trouve que je vais trop loin, qu'il le dise, qu'il se sente bien à l'aise, mais, moi, comme ayant fait cette expérience-là, je vous dis que ce serait une garantie, hein, une garantie d'avoir une décision de qualité, une décision qui tienne compte ? parce que généralement c'est ça ? des deux dimensions importantes. Le droit, ce n'est pas rien, c'est fait pour ça, c'est sûr, on est au centre du tribunal, mais la dimension sociale est très importante. Mais ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas d'autres expertises ou d'autres disciplines.

Mais voyez-vous ce que je veux dire? C'est que... Et c'est vous seul qui pouvez répondre à ça, là, en pratique, parce que vous êtes ministre puis vous savez comment ça se passe. Est-ce que c'est possible d'avoir cette garantie? Je ne vous demande pas de répondre tout de suite, là, mais...

M. Bellemare: Bien, écoutez, la part des travailleurs sociaux est importante, je le sais, je l'ai constaté à des centaines de reprises quand j'ai moi-même plaidé devant la division des affaires sociales, matière... sous-section aide sociale. La question est bien sûr complexe. Et il faut essayer de trouver un équilibre là-dedans.

Vous dites: Il faut se prémunir contre des problèmes budgétaires, qui pourraient à un moment donné amener un président à dire: Bien là on va réduire le nombre de travailleurs sociaux ? si j'ai bien compris, c'est un peu votre préoccupation ? réduire le nombre de travailleurs sociaux parce qu'on n'a pas d'argent cette année, puis on va réduire la double expertise, etc. C'est tout à fait louable comme préoccupation et c'est loin d'être irréaliste, mais, en même temps, là, on se trouve à être dans une situation où on va exiger toujours deux personnes au cas où le président aurait des problèmes financiers. Je pense qu'il faut essayer de trouver une mécanique qui va permettre aussi au président du tribunal, dans des cas vraiment où ça n'a rien à voir, où une personne seule peut fort bien rendre la décision, de pouvoir le faire pour libérer les rôles, faire en sorte bien sûr que les citoyens soient entendus aussi plus rapidement.

Parce que le temps que vous travaillez à deux sur un dossier, bien, vous n'entendez pas deux causes, et vous le savez. Et il m'est arrivé dans ma pratique à quelques reprises de me faire dire par des travailleurs sociaux et également des médecins: J'ai 15 causes en délibéré, là, que je dois rédiger, puis je suis sur une cause, là, où j'ai l'impression que je perds mon temps. Et c'est une réalité. Il y a des litiges où véritablement les membres eux-mêmes sur le banc concèdent qu'un seul pourrait faire le travail. Et c'est ça, je pense, qu'il faut essayer de régler comme problème, permettre de faire en sorte, dans les cas où ce n'est pas nécessaire qu'il y ait deux personnes, qu'une seule puisse le faire et, en même temps, donner des garanties que la double expertise va être respectée. C'est à ce défi-là qu'on est conviés finalement, à mon avis.

M. Belley (Yvon): ...juste d'ajouter, là, M. le Président, c'est que... Prenons un exemple bien simple, là, un besoin spécial en matière de dentier. Tu sais, je veux dire, il n'y a pas grand-chose d'autre. Prenons encore quelque chose de plus... qui pourrait, en tout cas, qui... la personne qui a un programme de formation, qui peut... et qui a un besoin spécial mais qui décide d'aller à l'université, mais, y allant, évidemment, perd son droit, le droit qu'elle avait à la mesure spéciale, à titre d'exemple. Bon. Alors là, à prime abord, ça a l'air relativement facile à régler. La question, aussi, de besoin spécial a l'air facile à régler.

Ce que je veux vous dire, c'est qu'il y a des dimensions où, à l'étude du dossier, à sa face même, ce n'est pas évident, d'une part. Des fois, ça l'est, puis ce n'est pas ça qui se passe du tout, vous le savez, vous l'avez vécu, vous avez été devant nous à la commission. En tout cas, il faut se garder, je pense, d'aller... de trop faire d'ouverture, parce qu'on risque de perdre cette dimension-là. C'est tout ce que je veux ajouter.

M. Bellemare: Mais je dois vous dire que ? et je parle à l'Ordre des travailleurs sociaux, bien sûr ? si vous avez des hypothèses, même des hypothèses de texte, à la limite... nous avons d'excellents légistes, mais on n'est jamais contre le fait qu'on puisse nous suggérer des textes, des propositions de texte qui pourraient nous permettre de rallier ces deux dimensions-là, la double expertise dans les cas où c'est utile et, en même temps, éviter que deux personnes, deux ressources, deux juges administratifs ne soient tenus d'entendre une affaire qui pourrait par ailleurs, de par sa simplicité, très facilement être entendue par un seul juge; ce qui permet bien sûr de libérer l'autre pour entendre un autre citoyen qui végète sur nos listes d'attente, pendant actuellement une vingtaine de mois, dans la division des affaires sociales, tout simplement. Alors, j'aurais terminé pour l'instant, M. le Président.

Le Président (M. Simard): M. le député de l'Acadie.

n (11 h 40) n

M. Bordeleau: Oui, juste pour enchaîner, une question très courte. Je comprends très bien de par ma formation personnelle, disons, l'importance que vous accordez à la dimension sociale. Mais est-ce que vous ne reconnaissez pas que dans certains cas les problèmes peuvent être des problèmes strictement d'interprétation de droit ? on a fait référence tout à l'heure à la charte, à des problèmes de discrimination, à la récupération de surcompensation, qui sont strictement des questions d'interprétation de droit ? et qu'un légiste est peut-être... est sûrement le mieux placé pour interpréter cette loi-là, par rapport à une personne qui a une expertise au niveau psychosocial et une expertise qui est importante? Mais, comme le mentionne le ministre, il y a un équilibre à trouver, et, je ne sais pas, si la double expertise est nécessaire dans certains cas, dans la réalité des choses, il doit y avoir des cas où une personne seule avec une formation de juriste peut régler le problème parce qu'il s'agit d'un problème juridique. Alors, est-ce que ça n'existe pas aussi, cette réalité-là?

M. Belley (Yvon): Oui, c'est possible que ça existe, mais on pourrait inverser la chose, je veux dire, à la limite, là, à la limite, moi, je pourrais... j'aurais pu siéger et avec des... pas strictement des questions de droit, mais, je veux dire, il y a moyen d'avoir... les avocats qui viennent devant nous, ce sont des experts, évidemment ils connaissent leur affaire, ils peuvent soumettre des mémoires, etc., mais ce n'est pas l'idéal. Moi, je pense que c'est mieux, en général, mais c'est des questions d'ordre... Par exemple, la charte, ce type de recours là, on n'est sûrement pas, je pense, les travailleurs sociaux, les mieux placés pour ça, je veux dire, ce n'est pas notre domaine spécifique. On a des choses à dire cependant, mais ce n'est pas notre domaine spécifique. Ça, moi, ça m'apparaît ne pas être là, tu sais, comme expérience.

M. Bordeleau: Je vous remercie.

Le Président (M. Simard): Alors, M. le député de Chicoutimi, c'est à votre tour.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Je vous remercie. Je m'excuse de mon retard ce matin. J'ai eu quelques événements qui ont fait en sorte que je n'ai pu entendre le premier groupe, et je tiens à m'en excuser auprès de la commission, auprès de vous, M. le Président. Mais mon collègue ? je ne dirais pas adjoint, mais on travaille tous les deux ensemble sur ce dossier ? a très bien pris la relève, comme il le fait habituellement dans des dossiers relatifs à la justice. Donc, je le remercie, et je salue évidemment M. Leblond et M. Baril qu'on a eu l'occasion d'entendre lors du projet de loi n° 4...

Une voix: Belley.

M. Bédard: Belley? Ah, pardon! Belley. Ils avaient plaidé avec beaucoup d'à-propos l'importance de la multidisciplinarité, et ils reprennent un peu aujourd'hui ces éléments, et vous faites ressortir... Et, comme la discussion du ministre et du député ministériel a porté là-dessus, je vais peut-être m'avancer aussi dans le débat et vous faire un peu les constatations, et vous me direz si vous êtes... si cela correspond, là, aux représentations que vous avez faites, au-delà, bon, du fond, que vous plaidez bien: l'utilité d'avoir des travailleurs sociaux sur des bancs lors de l'étude de dossiers. On s'entend tous qu'il y a des dossiers simples qui ne méritent pas... des dossiers strictement de nature juridique portant sur des éléments, comme le disait le ministre, bon, je ne sais pas, de délais, qui ne comportent pas de dimension psychosociale ou d'autre nature, où la compétence médicale ou sociale d'un individu serait nécessaire, évidemment, je vous dirais, où la vérité peut être trouvée à partir d'un seul membre qui est de compétence juridique.

Or, le ministre le reconnaît lui-même, il le dit: Nous sommes d'accord, et nous croyons à cet apport des travailleurs sociaux dans le rôle au niveau du tribunal, dans la prise de décision, de faire ressortir l'aspect de vos compétences dans les prises de décision, et qui fait que l'organisme a une vision non plus strictement juridique, mais avec vraiment des connotations beaucoup plus sociales, et ce qui fait en sorte, je pense, que les gens... le citoyen, lui, se sent plus près de la vérité, plus compris par le tribunal.

Le ministre dit: Oui, c'est vrai, et d'ailleurs vous allez pouvoir continuer à le faire. Or, ce que, vous, vous dites, c'est: Oui, mais, vous savez, dans le projet de loi n° 4, c'était une mort rapide, on nous excluait, alors que là, maintenant, c'est une mort lente. Tranquillement, les membres qui sont devant le tribunal vont perdre, vont tout simplement, bon, prendre leur retraite, être renouvelés, et cette expertise va être perdue. Pourquoi? Parce que les nouvelles nominations, elles, ne seront que du domaine juridique, elles ne seront qu'avocats ou notaires, donc ce qui va faire en sorte qu'à plus ou moins court terme, disons, moyen terme, la compétence des travailleurs sociaux, comme celle des médecins, comme celle d'autres, sauf les évaluateurs agréés, plutôt, va se perdre comme expertise et comme spécialité au sein du Tribunal administratif. Est-ce que j'ai bien résumé l'ensemble de vos constatations relativement à la multidisciplinarité?

M. Leblond (Claude): Vous traduisez bien une inquiétude fondamentale que nous avons et dont on parle dans le mémoire, par rapport... à la section sur les dispositions transitoires, quel sera le statut. En tout cas, nous posons des questions, parce que ça ne nous semble pas clair, là, dans le projet de loi, nous posons des questions par rapport au statut des membres spécialistes qui seront nommés à ce moment-là. Est-ce que ce sera... est-ce qu'ils auront un statut d'adjudicateur?

M. Bédard: Ça, c'est l'autre question.

M. Leblond (Claude): Oui.

M. Bédard: Et là... Mais, sur le fond, si on parle de... Parce que leur statut n'est pas clair, et c'est pour ça que je vais vous demander un peu votre éclairage, de l'analyser. Mais, par rapport aux membres du tribunal, puisqu'on parle de Tribunal administratif, pas d'experts, mais de membres du tribunal, comme travailleurs sociaux, on s'entend qu'à moyen terme le projet de loi condamne les travailleurs sociaux finalement à disparaître, s'il n'y a pas d'amendement, comme vous le suggériez, de permettre que les travailleurs sociaux continuent à être nommés, finalement, comme membres du tribunal. C'est ce que vous souhaitez comme amendement? C'est ce que j'ai compris?

M. Leblond (Claude): Tout à fait, et qu'on précise... Mais ce n'est pas uniquement... vous savez, ce n'est pas uniquement pour les travailleurs sociaux, là, on n'a pas... Il y a 5 500 travailleurs sociaux au Québec, là, il n'y en a pas 2 000 au Tribunal administratif, là. Vous savez, on parle d'un petit nombre, mais d'un petit nombre d'experts qui rendent aux citoyens des services qui sont fondamentalement importants, et c'est là-dessus qu'on a voulu insister. Et je ne fais pas des représentations devant la commission pour garantir des emplois aux travailleurs sociaux; l'intérêt de notre présentation est de focusser et de rappeler à l'État son mandat quant aux décisions prises au Tribunal administratif et à l'importance de la part des spécialistes du social dans ces décisions prises, particulièrement à la section des affaires sociales.

Et on ne fait pas de demande, là, d'augmenter le nombre de travailleurs sociaux à la section qui touche plus l'habitation, ou les municipalités, ou quoi que ce soit. Ce qu'on dit, c'est que les travailleurs sociaux ont une voix, ils doivent avoir une voix, de même parité, au niveau de la section des affaires sociales, et qu'il en va de la justice qui est rendue aux citoyens. Parce qu'on se retrouve essentiellement ? et je ramène certains éléments ? dans des litiges qui opposent le citoyen et l'État. On n'est pas... il n'y a pas une troisième partie, là, dans ces litiges-là, c'est le citoyen et l'État. Et il y a des choses que le président du tribunal, quel qu'il soit et avec toute la bonne volonté qu'il aura, ne pourra pas à prime abord voir comme étant utiles pour le citoyen de faire siéger un travailleur social sur cette cause-là, et qui se révèle à la fois par l'étude du dossier, mais également en cours de route, et qui est beaucoup plus complexe que ce qu'on peut penser.

Moi, en soi, je ne suis pas un juge au Tribunal administratif, M. le ministre me l'a rappelé en septembre, mais je suis capable d'entendre mes collègues qui siègent au Tribunal administratif et de saisir effectivement en quoi leur apport est essentiel pour le citoyen.

M. Bédard: Effectivement. Sur l'aspect du... Et le projet de loi, comme pour s'amender ou plutôt pour prévoir justement cet aspect de spécialisation, arrive avec une disposition qui est assez particulière. Et j'aimerais peut-être vous entendre sur l'étude que vous en avez fait, là, vous en faites rapidement état dans votre mémoire. À l'article 36, on modifie l'article 86 par l'insertion, bon, des mots et par le remplacement du deuxième alinéa:

«Toutefois, le gouvernement peut nommer, pour un mandat de cinq ans renouvelable, des experts ? et là, des experts ? notamment des médecins, psychiatres, travailleurs sociaux, psychologues et évaluateurs agréés.» Bon, avec les autres...

«En outre, le président du tribunal peut, pour la bonne expédition des affaires [...] nommer des experts à vacation ou à titre temporaire et déterminer leurs honoraires.»

Bon, d'après vous, là, est-ce que ces gens vont... Il y a plusieurs questions qui se posent: Quel va être le statut réel de ces gens? Est-ce que ça va demander l'accord des parties? Quelle va être leur indépendance? Comment va-t-on les renouveler? Ont-ils simplement le titre d'expert? Mais pourquoi? C'est comme si on reconnaissait finalement ? je vais vous dire un peu mon analyse ? l'apport nécessaire des travailleurs sociaux, des médecins, des psychiatres, des psychologues, on tente de s'amender, mais d'une façon qui me semble particulière. Mais j'aimerais peut-être avoir votre point de vue là-dessus. Vous le voyez comment, cet article?

n(11 h 50)n

M. Leblond (Claude): Bon, d'une part, l'autre élément que j'ajouterais à vos questionnements, parce qu'on avait ces questionnements-là, mais également on se demandait... Bien, en soi, je ne suis pas juriste, alors ça m'est peut-être plus difficile d'interpréter le sens des divers articles, mais, quant à l'article 19, on abroge en totalité les dispositions relatives à la durée et au renouvellement des mandats, alors qu'on parle de mandats. Moi, en tout cas, j'ai un peu de difficultés à suivre, mais, moi, je suis travailleur social, alors ça amène des limites au plan de la lecture juridique. Mais c'est peut-être seulement ça, le problème, là, peut-être qu'il n'y en a pas en soi.

Mais, effectivement, on saisit mal quel sera le statut des gens qui vont être nommés. Et, si la volonté est d'en faire des experts conciliateurs ou des conciliateurs mais non plus des membres à part entière des bancs, dans notre première... quand nous sommes venus, en septembre, nous vous avons également dit que nous désapprouvions, en tout cas, cette orientation donnée aux tribunaux administratifs et de faire siéger... c'est-à-dire de ne donner qu'un rôle d'expert aux travailleurs sociaux mais non plus un rôle de décideur et d'intervenant tout au long du processus. Et peut-être que M. Belley pourrait vous ajouter des éléments, là, comme personne ayant siégé effectivement... qu'est-ce qu'il pense de la différence de l'un et l'autre comme impact sur ce citoyen-là.

M. Bédard: Allez-y, M. Belley.

M. Belley (Yvon): Sur le citoyen, c'est sûr qu'il y a un impact, parce que je pense qu'on est perçus par les appelants non pas comme des juristes, mais des gens d'une autre discipline. Ça doit paraître, ça transpire par nos formations, ça, c'est évident. Et je n'ai rien contre les juristes, moi, là, ce n'est pas ça, le problème, la question n'est pas là. Et je pense que, comme c'est dit dans le mémoire, ça les rassure de voir que là... alors, ils savent que là la dimension sociale va être prise en considération, et ça joue, ça joue beaucoup en fait.

L'autre question, c'était quoi déjà? C'était quoi donc, votre autre question? Excusez-moi, j'ai manqué...

M. Bédard: C'était finalement sur l'apport des travailleurs sociaux au niveau du statut qu'ils ont.

M. Belley (Yvon): Très bien. Oui, très bien.

M. Bédard: Vous avez l'expérience... Et là on vient de leur conférer, finalement on leur retire le pouvoir, mais pas tout à fait, parce que le ministre a dit tantôt: Oui, moi, je suis d'accord aussi, les travailleurs sociaux ont une contribution à apporter, mais il n'y en aura plus dorénavant. Ceux qui sont là vont demeurer, et par la suite ce sera terminé. Par contre, comme ils sont importants, je vais quand même les nommer, mais là ils ne seront plus à être nommés. Il n'y aura plus, finalement, de bancs de deux. Et pourquoi il n'y en aura plus? Parce qu'on ne peut pas nommer deux avocats dans un banc de deux. Alors, on nomme un banc de deux pourquoi? Parce que ça prend un avocat, souvent un notaire, avec un travailleur social, un médecin.

Mais, à partir du moment où ces gens vont quitter tranquillement ? et c'est normal ? ils ne seront pas renouvelés, bien, les bancs de deux vont disparaître. Et là on dit: On va contribuer... on va plutôt refaire des bancs de deux, mais pas des vrais bancs de deux. C'est ce que je comprends de l'article, mais c'est pour ça que je veux voir avec vous si vous le comprenez comme ça. Et là la personne... le tribunal va décider, il va y avoir un expert que lui-même va décider de nommer. Est-ce que ça va être une demande d'une partie? Je ne le crois pas, à la lecture. Est-ce que le rapport... Est-ce qu'il va être là lors des délibérations? Est-ce que les gens vont pouvoir lui poser des questions? Est-ce qu'il va pouvoir pallier à une absence de preuve ou plutôt compléter la preuve? Est-ce qu'il va... C'est assez nébuleux, là.

M. Belley (Yvon): Ce n'est pas évident et c'est pour ça qu'on demande des explications, des précisions additionnelles. Mais, pour ce qui est de l'expertise ou du résultat final, moi, je pense qu'il faut... c'est dur de se juger soi-même. Mais le fait qu'on soit là, qu'on le veuille ou non, là, ça...

D'abord, permettez un préambule. Le fait d'être deux sur un tribunal, sur une formation, c'est déjà beaucoup, parce que, travailleur social ou pas, là, partons de là, c'est beaucoup parce que, lorsqu'on est deux, on peut plus facilement gérer l'audition, hein, la présider. Puis avoir quelqu'un d'autre qui voit comment ça se passe, qui observe un peu plus loin, qui intervient en temps utile et qui permet la délibération après et forcément une meilleure décision. Quand c'est un travailleur social, parce qu'il y a une dimension sociale, elle est là, c'est évident que c'est bien meilleur. Moi, je pense que c'est évident en théorie puis en pratique aussi.

Et les juristes, qui n'ont pas de prétention, là, au niveau ? je ne sais pas, moi ? de leur intervention ou de leur formation comme telle, ils sont assez honnêtes pour reconnaître qu'on peut apporter quelque chose de valable; bon, le citoyen aussi, je pense. Puis, nous, quand on se regarde, bien on dit: Oui, ça fait une meilleure décision, parce qu'on a discuté ensemble, on a entendu le délibéré ensemble, hein, forcément, on est intervenus, on n'est pas là passifs à voir comment ça se passe, hein, on intervient et on va chercher... on espère aller chercher les dimensions dont on a besoin, les matières dont on a besoin, les éléments dont on a besoin pour rendre une meilleure décision. C'est une question de qualité. Est-ce qu'on n'en veut pas, de ça? Est-ce que ça coûte trop cher, ou je ne sais pas trop quoi? Mais, là-dessus, j'aimerais faire remarquer à M. le ministre que le fait d'avoir deux adjudicateurs, deux membres, là, ce n'est pas nécessairement si dispendieux que ça, je pense, là. Je ne suis pas capable d'analyser, je ne veux pas me prononcer catégoriquement. Mais on est quand même deux décideurs, là, qui vont rendre des décisions, là. Alors, moi, si je suis là, je ne ferai pas la décision de mon collègue juriste, puis il ne fera pas la mienne. Et puis on apprend à travailler ensemble aussi, on sait comment s'y prendre quand les gens veulent travailler. On a l'air de dire que ce n'est pas... c'est très important.

Par ailleurs, je voudrais mentionner que ce n'est pas facile de siéger à deux ? moi, je n'ai aucun embarras à vous dire ça ? parce que, après un certain temps, des fois on se tombe sur les nerfs, c'est évident. Mais, au-delà de la capacité ou de l'efficacité, là, c'est une opération difficile, délicate, et, que ce soient des avocats ou des travailleurs sociaux, c'est la même affaire. Il y a des gens qui sont plus portés à travailler seuls, qui prennent beaucoup de place, etc., et qui n'acceptent pas de travailler avec d'autres, il faut reconnaître ça aussi, qui pensent peut-être que, s'ils peuvent faire le travail tout seuls, il est mieux fait. Mais ça...

Mais, malgré tout ça, hein ? puis tout le monde passe par là dans les tribunaux, vous savez ? malgré tout ça, moi, je maintiens, selon mon expérience ? et c'est pour ça que je suis ici, là, je l'ai vécu pendant 13 ans ? je maintiens que c'est une opération extrêmement importante, valable et que le citoyen en a des bénéfices. Mais là, évidemment, c'est ma parole, c'est mon expérience. Je n'ai pas envie de défendre mon ordre professionnel comme... J'y tiens bien, là, c'est ma... Mais je n'ai rien à défendre de spécial, parce que, moi, je suis retraité, là, puis je suis venu ici ce matin pour vous dire: Bien là, voici ce que je pense, voici, moi, ce que j'ai aimé faire puis voici ce que je pense qui est valable. Mais ça ne m'enlève rien, là.

M. Bédard: Vous me rassurez. Si vous étiez le seul à le prétendre, je dirais: Bon, bien, peut-être que vous faites un peu de chauvinisme. Mais, lors de l'étude du projet de loi n° 4, on avait aussi des associations d'assistés sociaux ? et on va en entendre d'autres aussi ? qui aussi réclamaient la présence de travailleurs sociaux, parce qu'ils croyaient effectivement que cela servait la justice et servait surtout ceux et celles qui se présentent devant les tribunaux, donc. Et c'est pour ça, je vous dirais, que nous avons aussi revendiqué et mis beaucoup de pression pour qu'on maintienne ce caractère multidisciplinaire du tribunal, parce qu'on pensait que c'était effectivement, et on le pense encore ? je l'ai dit d'entrée de jeu au ministre ? que c'était une amélioration de la qualité de la justice rendue, tout simplement. Ce n'est pas que les membres juridiques ? on n'est pas strictement juridique dans sa vie ? n'ont pas une compétence à apporter et que ce n'est pas nécessaire, mais, dans les cas où cela est utile, oui, effectivement, la présence de travailleurs sociaux, comme c'est le cas pour les médecins, comme c'est le cas pour les autres spécialistes, enrichit le Tribunal administratif du Québec et d'ailleurs consacre son caractère de tribunal spécialisé, je pense. C'est une façon encore plus éloquente de démontrer qu'il est spécialisé, c'est par les membres qui le composent.

Vous faites aussi le tour, dans votre mémoire, de plusieurs aspects, et je vous en remercie, je ne veux pas les reprendre. Vous faites mention que vous êtes favorables à la conciliation. Évidemment, vous pensez que c'est une voie qui est utile. Avez-vous des commentaires à faire? Parce qu'on a eu quand même un mémoire assez... presque surprenant, et, comme vous êtes travailleurs sociaux... Une spécialiste qui est en train de faire des recherches sur le comportement des gens, l'aspect humain, disons, des litiges, particulièrement devant les tribunaux administratifs, elle nous disait que, de façon préliminaire, ce qui était un des éléments les plus traumatisants pour les gens, c'était l'aspect de la conciliation. C'était Mme Lippel, effectivement, de l'UQAM, et qui mentionnait que souvent les gens se trouvaient dans des situations où ils étaient encore plus stressés que lorsqu'ils sont devant le tribunal, où on les mettait souvent entre l'arbre et l'écorce, où ils se retrouvaient à finalement ne pas prendre les décisions qu'ils devraient prendre ou qu'ils ou qu'elles auraient dû prendre.

Comme travailleurs sociaux, vous avez vu de la conciliation, vous avez accompagné des gens. Quelle est votre vision par rapport, je vous dirais, aux comportements qu'ont les gens lorsqu'ils se retrouvent en conciliation? Est-ce que vous avez eu de ce type de comportements ou de frustrations vécues par les gens?

n(12 heures)n

M. Leblond (Claude): Personnellement, moi, je ne fais pas de conciliation ni de médiation mais effectivement on peut s'attendre que se retrouver dans un cadre différent... Quand on fait une démarche pour aller au tribunal, on s'attend effectivement à ce que ça se passe d'une façon x: on va se retrouver face à quelqu'un qui va prendre une décision par rapport à un litige entre deux ou trois personnes. C'est plus formel, et on le fait de culture, on le connaît de culture. La conciliation, c'est un nouveau mécanisme, le public n'en a pas la même connaissance, et effectivement je pense que se retrouver dans un cadre différent avec une quasi-obligation d'arriver à une entente alors qu'on n'est pas toujours sûr que nos droits sont respectés peut avoir un impact, là, au niveau effectivement de comment de sentent les personnes et comment le stress est vécu. Mais je ne suis pas un expert en conciliation. Je ne sais pas, peut-être qu'Yvon aurait des choses, là.

M. Bédard: D'où l'importance de bien encadrer, et je pense que vous le faites bien ressortir.

M. Leblond (Claude): Tout à fait.

M. Bédard: C'est quand même diffus comme exercice. S'il n'est pas encadré, il peut amener à des abus autant qu'à des mauvaises décisions, je vous dirais.

M. Leblond (Claude): Me semble-t-il en tout cas, d'autant plus que c'est un mécanisme qui est assez récent et que le public connaît moins, là.

M. Bédard: Je vous remercie. Il me reste quelques secondes, seulement vous remercier aussi d'avoir attiré notre attention sur l'article concernant la nomination des experts. Alors, nous sommes à une première étape du projet de loi, je suis convaincu que tout le monde... l'ensemble des membres de la commission ont pris ça en note. Alors, je vous remercie, tous les deux.

Le Président (M. Simard): Alors, merci beaucoup, M. le député de Chicoutimi. Le ministre de la Justice aimerait faire une dernière remarque avant que nous terminions cette partie de nos travaux.

M. Bellemare: Oui. Je pense qu'il faut ici faire une mise au point. D'abord, je vous dirai d'entrée de jeu que l'article 40 de la Loi sur la justice administrative, qui a été introduit en 1998 par le précédent gouvernement, prévoit ? et il est maintenu par le projet de loi n° 35, j'imagine que vous l'avez constaté ? et il précise ceci: «À la section des affaires sociales, au moins dix membres doivent être médecins, dont au moins quatre psychiatres, et au moins deux autres doivent être des travailleurs sociaux.» L'article 40 est maintenu par le projet de loi n° 35. Il a été introduit en 1998, il semble faire l'affaire. Le plus du projet de loi n° 35, c'est de donner une inamovibilité aux travailleurs sociaux qui sont déjà membres. Ce n'est quand même pas un recul, là.

Deuxièmement, dans le contexte du projet de loi n° 35, nous créons un nouveau tribunal d'appel qui va réunir la Commission des lésions professionnelles et le Tribunal administratif du Québec. Dans la section des lésions professionnelles, il y a un décideur et il y a des assesseurs qui sont nommés actuellement pour cinq ans et qui n'ont pas de pouvoir décisionnel. Ils sont assesseurs, donc conseillers du commissaire qui rend la décision. Nous avons introduit la disposition dont vous parliez tantôt ? je pense que c'est 86 ? nous avons introduit la disposition dont vous avez parlé tantôt.

Une voix: 36, alinéa 2°.

M. Bellemare: 36, alinéa 2°, qui dit: «Toutefois, le gouvernement peut nommer, pour un mandat de cinq ans renouvelable, des experts, notamment des médecins, psychiatres, travailleurs sociaux, psychologues et évaluateurs agréés.» Il faut que vous sachiez que cette disposition-là a été prévue pour permettre que les travailleurs sociaux agissent comme assesseurs dans d'autres divisions. C'est ça, le... Il ne faut pas confondre, là, nous ajoutons... nous améliorons considérablement le statut des membres travailleurs sociaux actuellement. Nous les gardons et, par l'article 40, nous conservons l'assurance qu'il y en aura toujours. Et, par l'article 36, on permet aux travailleurs sociaux d'agir comme assesseurs dans d'autres divisions.

Alors, sur les trois plans, là, avec respect, nous marquons des points majeurs pour les travailleurs sociaux du Québec, sur les trois plans: le statut, l'assurance qu'il y aura toujours des travailleurs sociaux comme membres et, dans les autres divisions, qu'il y en aura dorénavant. Et, à mon avis, c'est important, parce que les assesseurs en matière de lésions professionnelles actuellement sont des médecins. Là, on va ajouter les travailleurs sociaux. C'était important pour moi de... Est-ce que ça vous satisfait... Est-ce que ça vous satisferait si c'était le cas?

Le Président (M. Simard): Très rapidement.

M. Leblond (Claude): M. le ministre, ça répond à certaines de mes questions, et effectivement c'est intéressant. Il faudra l'analyser en fonction effectivement des autres éléments qu'on voyait, là, sur...

M. Bellemare: C'est difficile de faire mieux, quant à moi, là. Si vous avez d'autres suggestions, dites-moi-les, mais, à partir de ce que je viens de vous dire, là...

M. Leblond (Claude): Oui.

Le Président (M. Simard): Écoutez, nous avons encore plusieurs semaines de travail, et il y aura un processus, ensuite, d'étude article par article. Alors, si vous avez d'autres propositions, d'autres commentaires à faire, vous savez que cette commission peut vous servir d'intermédiaire, ou vous pouvez faire affaire directement avec l'entourage du ministre pour faire valoir vos points de vue.

Alors, je vous remercie, MM. Leblond et Belley, de votre participation et j'invite immédiatement le groupe suivant, l'Association des juges administratifs du Tribunal administratif du Québec, à se joindre à nous très rapidement, puisque nous sommes passablement en retard.

(Changement d'organisme)

Le Président (M. Simard): Alors, je vais demander immédiatement ? je ne veux pas changer les règles du jeu, mais, par consentement, on peut tout faire ou presque ? à cause du retard...

M. Moreau: ...

Le Président (M. Simard): Ce n'est plus vrai, M. le député de Marguerite-D'Youville, ça peut aussi être fait. Alors, par consentement, on pourrait réduire un petit peu le temps de... Il y a une réunion du comité directeur de la commission à midi. Il y a besoin, je pense, normal de manger pour les membres de la commission, alors je vous propose que les questions qui suivront la présentation ne dépassent pas 15 minutes et se rapprochent peut-être plus de 10, si c'est possible de concentrer vos propos. Et je demanderai, si nos invités peuvent le faire, d'être encore un petit peu plus concis que d'habitude. Alors, je vous cède tout de suite la parole. Nous avons avec nous donc M. le président, M. Beaudoin, qui va nous présenter les gens qui l'accompagnent et nous présenter évidemment votre mémoire.

Association des juges administratifs du Tribunal
administratif du Québec (AJATAQ)

M. Beaudoin (Christian): Alors, merci, M. le Président. Merci aux membres de la commission et à M. le ministre de nous donner la parole directement. Alors, je suis avocat. Je vous présente le vice-président de notre association, Me Lucien Leblanc, et un autre vice-président de notre association, M. Mathieu L'Écuyer, qui est évaluateur agréé.

Alors, je n'ai pas l'intention de lire le mot à mot de notre mémoire. Les membres de cette commission pourront y référer au besoin si ce n'est déjà fait. J'aimerais cependant tout d'abord formuler deux remarques préliminaires. Premièrement, l'apport que notre association veut produire devant cette commission, c'est celle de l'expérience des membres du tribunal, qui cumulent plusieurs centaines d'années d'expérience, et notre point de vue, qui diffère de celui des plaideurs, celui des justiciables et même de celui de la direction du tribunal. Nous voulons apporter le point de vue des gens qui savent, qui ont l'expérience de comment les choses se déroulent, je dirais, en coulisses, ce qui se passe lors du délibéré, qui généralement est complètement secret. Deuxièmement, nous voulons poser, rappeler que, lors de l'étude du projet de loi n° 4, nous avions compris et exprimé le désir que ce projet de loi n° 4 constituait un prélude uniquement à une réforme qui devait venir plus tard. Alors, il est évident que nos croyons encore que d'aucune façon le projet de loi n° 4 ne devrait être considéré seul.

Alors, le Tribunal administratif qui est envisagé dans le projet de loi n° 35 constituera une institution importante dans la vie de nombreux citoyens, cela va sans dire. C'est l'organisme auquel on confie la tâche de ramener et de maintenir l'harmonie dans les rapports entre l'administration gouvernementale et les citoyens administrés, d'où, selon nous, la très grande importance de la confiance des citoyens envers ce tribunal et, par voie de conséquence, la priorité qui doit être attribuée à la crédibilité de ce dernier. Nous mettons donc l'accent sur deux éléments qui constituent selon nous la base de la confiance et de la crédibilité du tribunal: a, l'impartialité; b, la compétence.

n(12 h 10)n

L'impartialité. C'est la caractéristique essentielle, inévitable, primordiale de tout tribunal qui se veut crédible. Un tribunal qui n'est pas perçu ? je mets le relief sur le mot «perçu» ? comme complètement impartial perd de son autorité et perd le respect des gens qui lui sont soumis ou qui y sont soumis. La garantie d'impartialité d'un tribunal passe par l'indépendance, indépendance et du tribunal en tant qu'institution et l'indépendance des membres du tribunal en tant que juges. Il s'agit là d'une règle de justice naturelle inscrite au coeur de tous les humains. L'Association des juges administratifs du TAQ est donc enthousiaste dans son appui à ce qui, selon elle, constitue la principale réforme introduite par le projet de loi n° 35: les nominations suivant bonne conduite.

Enfin ? je m'adresse au ministre ? quelqu'un qui admet le problème et qui veut y remédier. Cette seule disposition justifie, selon nous, la réforme. Nous devons cependant soulever ce qui constitue, je dirais, plus qu'une crainte. Premièrement, c'est le devoir que l'on impose, par l'article 38, au président d'effectuer, suivant les règles établies par le gouvernement, donc sur ordre de l'exécutif, une évaluation des juges administratifs.

Tout d'abord, établissons que, selon nous, le président a toujours non seulement le pouvoir, mais le devoir de surveiller le degré de compétence de ses juges. D'ailleurs, l'article 75 lui en fait devoir. Il a le pouvoir et le devoir d'imposer... ou de leur imposer, à ces juges, la formation qui lui paraît appropriée. Si un juge refusait de suivre la formation prescrite par son président, il y aurait matière à déontologie, de sorte que l'évaluation pour fins de formation, elle est permise... non seulement permise, mais elle est requise du président. Elle ne requiert pas, selon nous, de disposition spéciale telle que proposée dans le projet de loi, et surtout ? et c'est là qu'est le danger ? il n'y a pas place pour quelque intervention que ce soit de la part de l'exécutif. L'exécutif demeure une partie dans les litiges devant le tribunal, et toute intrusion directe ou indirecte dans le contenu des décisions ne peut être tolérée. Or, qui dit évaluation de la compétence ne peut pas ou peut très difficilement passer à côté du contenu des décisions. Est-ce que l'on peut laisser une partie, le gouvernement, dicter au président quand évaluer, qui évaluer et suivant quels critères?

Nous pensons qu'une telle disposition est ou bien inutile parce que faisant partie des pouvoirs ancillaires du président ou elle est inacceptable parce qu'elle constitue une intrusion dans l'indépendance institutionnelle du tribunal. Une évaluation au point de vue déontologique ? si un membre refusait de se plier à ses devoirs déontologiques ? une évaluation au point de vue déontologique nous apparaît également inutile. Pourquoi répéterait-on à intervalle à un membre qui est nommé suivant bonne conduite: Votre conduite est bonne, votre conduite est bonne? Il suffit, je pense, qu'une procédure soit ouverte, pour le président, ou pour le ministre, ou quiconque en autorité, d'instituer des procédures lorsque l'on juge que la conduite d'un membre constitue un manquement à la déontologie. Alors, cette disposition nous semble ou bien inutile ou bien non avenue.

Un autre point qui nous chicote, c'est que l'article 38 ne mentionnera plus les mots «indépendants» et «impartiaux». Notre question est: Pourquoi enlever des mots si importants? Je prévois une certaine réponse qui dit: Bien, si les membres sont nommés suivant bonne conduite, ils sont automatiquement impartiaux et indépendants. Il y a, premièrement, le fait qu'on dit que le législateur ne parle pas pour ne rien dire. Donc, s'il enlève les mots, qu'est-ce qu'il a voulu dire? C'est une question qui sera soulevée éventuellement, sûrement. Et, deuxièmement, c'est que la fonction publique est remplie de gens qui sont nommés suivant bonne conduite mais dont le travail et les décisions sont soumis aux directives du gouvernement. Alors, selon nous, la seule mention «suivant bonne conduite» ne semble pas tout régler à elle seule. Nous suggérons fortement de conserver ces mots, «indépendants» et «impartiaux».

En somme, les autorités administratives du tribunal disposent de tous les pouvoirs nécessaires pour assurer une contribution pleine et entière de chaque juge administratif. C'est à eux qu'il faut demander des comptes et ne pas laisser une partie, le gouvernement, intervenir auprès des juges administratifs ni exercer quelque contrôle que ce soit sur l'activité juridictionnelle de ces derniers.

Je passe au point 2, celui de la compétence. Un citoyen qui s'adresse au tribunal sera en confiance s'il sait qu'il s'adresse à des gens compétents qui non seulement le comprennent, lui, mais qui peuvent tenir avec brio leur bout dans un échange avec les experts du gouvernement. Le citoyen n'a pas toujours les moyens du gouvernement pour s'engager des experts, mais, s'il perçoit que les juges indépendants et impartiaux devant qui il comparaît s'y connaissent autant que l'expert du gouvernement, alors il est rassuré. Ce qui nous amène évidemment à la question de la multidisciplinarité.

Nous comprenons fort bien que les amendements ou les changements de position proposés par le ministre dans la loi font qu'il y a ouverture à des formations de deux membres, d'où l'énoncé que la multidisciplinarité est sauvée. Entendons-nous bien, nous sommes d'accord avec quiconque pour dire qu'il y a des cas spéciaux où une formation d'un seul membre est suffisante. Et, la loi doit prévoir ? elle le prévoit présentement d'ailleurs ? des formations d'un seul membre, la question est de savoir où est le principe et où l'exception. Tous reconnaissent ? ou pratiquement tous ? que pour un tribunal administratif la spécificité réside dans la multidisciplinarité. Je pense que le principe devrait demeurer le même, un banc de deux, un banc multidisciplinaire. Évidemment, il y a eu lieu, j'en conviens, d'élargir la possibilité de créer des bancs d'un seul membre et de rendre la chose possible au président sur simple perception d'utilité, et non pas en faire une nécessité, et qu'on n'ait pas à demander des comptes au président là-dessus. Je pense que, si on recherche l'efficacité du tribunal, bien, en demandant au président du tribunal d'être efficace avec son organisme, on aura solutionné la question de toute façon.

Alors, nous maintenons malgré tout... Je dois reconnaître qu'au point de vue pratique ce qui est proposé dans le projet de loi ne semble pas changer, à court terme, grand-chose. Je dois le reconnaître. Cependant, nous croyons, pourquoi changer les principes pour arriver à à peu près la même chose? D'autant plus qu'à plus long terme il y aura une influence en quelque part. Si le principe est que c'est un banc de un, il faut justifier le banc de deux. Peut-être pas le justifier devant le gouvernement, ou devant le ministre, ou devant qui que ce soit, mais le président devra se justifier à lui-même, et ça va inverser la vapeur. Alors, pourquoi jouer avec les principes? Pourquoi jouer avec le feu lorsqu'on n'a rien à faire cuire? Ce qu'on a à cuire, ce serait quoi? La question de délais, nous y reviendrons. Je ne pense pas que ce soit l'arme, que ce soit l'instrument pour venir à bout des délais.

n(12 h 20)n

Il y en a une, question, qui a été soulevée lors de l'étude du projet de loi n° 4, et c'était, je pense, l'introduction par les gens qui n'étaient pas de discipline juridique... l'introduction de quelque chose qui s'appelait la certitude scientifique, plutôt que la prépondérance de la preuve. Car voilà un problème. Puis je ne pense pas que la solution soit l'amputation du membre qui a mal... Et, je ne veux pas faire de mauvais jeu de mots, je ne crois pas qu'il faille amputer le membre handicapé. Pour avoir fait 20 ans à la direction d'un tribunal administratif, le Bureau de révision de l'évaluation foncière, je puis affirmer à cette commission que le premier défi et le principal défi d'un président de tribunal, c'est la formation des membres. La loi réclame qu'un membre... Pour devenir membre du tribunal, il faut au moins 10 ans de pratique. C'est-à-dire qu'on va chercher un praticien, et on voudrait que du jour au lendemain le praticien enlève son chapeau de praticien et mette un chapeau d'adjudicateur? C'est se leurrer. Ça demande énormément de travail et de formation. Or, ce que j'en ai connu, moi, au TAQ, ça n'a pas été fait. Ce sera fait.

Mais, là est le problème, ce n'est pas facile pour un praticien de partir de la certitude scientifique et tomber dans des règles de prépondérance de la preuve. Mais, ça peut être fait, nous l'avons fait. Nous avions un système de parrainage, nous... Il y a une formation à faire. Or, lorsqu'on a introduit la conciliation, on a donné de la formation aux membres qui allaient concilier, on en a donné à tous les membres, mais, lorsqu'on va chercher un praticien et qu'on en fait un membre, on ne lui donne pas une seconde de formation pour le préparer à ça. Je pense que là était le problème et là est la solution.

Le troisième point important pour nous, qui concerne la confiance du public, c'est celui de la déontologie. La question déontologique est au coeur de la confiance des citoyens. Il existe présentement un code de déontologie qui a été accepté par les membres du tribunal. Il en vaut un autre, mais nous pensons que le gouvernement pourrait au moins proposer des amendements, au moins adopter ce code de déontologie; ce serait réglé. Et, à partir de là, la seule exigence, si on veut parler d'exigence, la seule représentation que notre association fait, c'est que tout forum dans lequel sera décidée ou discutée une question de déontologie d'un membre ou d'un juge administratif... tout forum devrait être constitué majoritairement de pairs. Je pense que déontologie égale pairs. Qu'il y ait des représentants du public ou des représentants du Barreau, aucun problème, mais je pense que et nous soutenons que la majorité devrait toujours être détenue par les pairs. Alors, qu'il y ait un représentant de chacune des sections sur une liste, à partir d'une liste fournie par les membres, qu'il y ait un représentant du Barreau ou un représentant du public, nous n'avons pas d'objection, il suffit que la majorité demeure chez les pairs.

À partir de là, sur la question du Conseil de justice administrative, nous pensons qu'il revient à vous ou au gouvernement de choisir la structure qui lui semble la plus légère ou la plus susceptible de rendre justice à des coûts qui sont acceptables.

Sur les mesures transitoires, évidemment nous sommes très heureux de constater que le projet de loi maintient en poste les juges actuels. Ceci semble, pour le moment, sauvegarder le principe de multidisciplinarité. Nous voulons tout simplement souligner qu'avec l'attrition naturelle, évidemment, nous ne pouvons assurer par cette disposition la pérennité de la multidisciplinarité à l'intérieur du tribunal.

Sur la question de la régionalisation, évidemment, c'est un choix qui appartient au législateur. Nous le respectons. Nous y voyons, nous, de notre côté, un instrument formidable pour améliorer l'efficacité du tribunal. Pourquoi? Parce que régionalisation, avec un membre coordonnateur qui sera en mesure de gérer les dossiers, nous avons quelqu'un qui sera en mesure de maximiser le temps des membres ou des juges administratifs. Et c'est par la maximisation du temps des juges administratifs que nous allons trouver le plus grand pourcentage d'efficacité du tribunal. Toute décision passe par la tête d'un membre et par son temps, évidemment. Les erreurs qui ont pu être commises, c'est justement qu'on confiait à un système, à un ordinateur le soin de choisir les causes qui allaient être convoquées. Évidemment, un système est un système, n'est pas un humain, il ne connaît rien des problèmes des avocats, il ne connaît rien des problèmes des experts, qui sont souvent en conflit d'horaire et en conflit d'agenda pour venir devant le tribunal. Alors, si on convoque au hasard ou quasi au hasard des causes, il est évident qu'après ça la sélection se fait via des remises, d'où le pourcentage énorme de remises, qui a été mentionné et souligné par plusieurs personnes. Le remède à ce problème s'appelle appel de causes, il s'appelle gérance des dossiers, il s'appelle membre coordonnateur. Et voilà, nous disons, l'instrument formidable qui est introduit dans la loi pour régler cette question. Et là, nous pensons, réside la solution totale à la question des délais.

Nous voulons tout simplement mettre un caveat. Le caveat est le suivant: Le membre coordonnateur, ou le membre résident, ou appelons-le comme on voudra, en région devrait, selon nous, limiter son apport à la gérance des dossiers. Parce que, si l'on confie à une personne, toujours la même ou quasi la même, le fond des dossiers ou l'audition des causes, au fond, eh bien, à ce moment-là nous introduisons un danger d'avoir une jurisprudence régionale, nous introduisons un autre danger peut-être ? je dis «peut-être» seulement ? d'avoir un certain copinage qui n'est pas bon. Alors, notre applaudissement, si je peux dire, se résume ou se restreint à la question de la gérance des dossiers. Conciliation, oui, ça semble bon. L'histoire nous dira le restant. Et j'ai terminé.

Le Président (M. Simard): Vous vous êtes plié avec bonne grâce à nos exigences de temps. Nous allons poursuivre évidemment dans les limites qui étaient prévues et qui sont prévues au règlement. J'annonce tout de suite que nos travaux reprendront plus tard cet après-midi. De consentement des deux parties, nous reprendrons nos travaux à 2 h 30. Alors, ça décalera tout le monde un petit peu, mais c'est la meilleure façon, je pense, de faire face à la réalité. Et j'invite immédiatement le ministre de la Justice à faire part de ses premiers commentaires.

M. Bellemare: Alors, tout d'abord, merci pour votre présence très, très, très importante à cette consultation particulière sur le projet de loi n° 35. D'abord, il est heureux que les juges administratifs du TAQ se soient regroupés en association, première bonne idée. Deuxième bonne idée, de venir nous parler aujourd'hui, parce que je crois que vous étiez absents des consultations particulières de septembre sur le projet de loi n° 4. Si je ne fais pas erreur, il me semble que vous n'étiez pas présents.

Alors, je veux qu'on parle de la bonne conduite. La nomination selon bonne... vous dites que c'est un bon point. Je pense que, là-dessus, on est d'accord et je pense que la majorité des citoyens du Québec vont en bénéficier grandement. Les justiciables démunis qui sont appelés à présenter leurs prétentions à un juge administratif doivent s'assurer du fait qu'il est véritablement indépendant, et la nomination selon la bonne conduite, qui est le même processus et la même notion d'indépendance que les juges de la Cour du Québec, c'est difficile de faire mieux.

Nous avons entendu hier matin l'Association des avocats de province et la Conférence des juges administratifs, que vous connaissez sans doute très, très bien, qui sont venus nous dire que le problème des mandats de cinq ans tels qu'ils existent actuellement n'est pas uniquement un problème de perception. Il y a bien sûr un problème de perception pour le justiciable, qui se demande toujours si le juge va véritablement être en mesure de lui donner raison même si c'est susceptible de soulever des grosses problématiques dans les cabinets ministériels en fonction du renouvellement de mandat, mais, au-delà de ça, on nous a donné hier matin certains exemples du fait qu'effectivement il y a eu d'abord des juges administratifs qui n'ont pas été renouvelés, pour des raisons qui n'ont jamais été expliquées publiquement. Est-ce que c'est vrai? Est-ce que ça existe? Et est-ce que vous êtes au fait, là, de problèmes véritables, réels, reliés au mandat de cinq ans actuellement, quant à la précarité du statut des juges?

n(12 h 30)n

M. Beaudoin (Christian): Réponse: Oui, il y a eu des cas, au commencement du tribunal, de non-renouvellement pour des raisons encore obscures, parce qu'on a dit à ces membres: D'une part, vous êtes très compétents. Et, d'autre part, c'est qu'on n'a plus besoin de vous. On applique la clause des besoins du tribunal, fort bien. Sauf que, la semaine d'après ? pas le mois d'après, la semaine d'après ? on allait chercher, on allait emprunter des membres dans une autre section pour faire le travail de la personne qui n'avait pas été renouvelée.

Alors, la question des besoins du tribunal, selon nous, est une question qui doit avoir un horizon beaucoup plus long qu'une semaine. Ce n'est pas de dire: Je n'ai pas besoin de vous ce matin, alors, demain matin, si on a besoin de quelqu'un, on va prendre quelqu'un d'autre. Je pense qu'il faut avoir un horizon beaucoup plus vaste, et ça a été un problème effectivement. Est-ce qu'il y a encore des problèmes? Réponse: oui, réponse... Nous avons eu connaissance de membres qui étaient très mal à l'aise, il en reste même certains, je pense, qui ont refusé de rendre... d'entendre des causes ou de rendre des décisions tant et aussi longtemps que la question de leur renouvellement n'était pas réglée.

Et il faut s'imaginer, il faut s'imaginer, la loi exige 10 ans de pratique par-dessus un diplôme universitaire, ça veut dire que les gens qui ne sont pas nommés au bout de 10 ans, les gens arrivent au tribunal, les membres arrivent au tribunal dans la quarantaine, 40, 45 ans, premier mandat, cinq ans, 50 ans, à 50 ans. Et on exige, on dit: On vous nomme et on exige de vous que vous ne fassiez pas d'autre chose. Vous devez vendre vos vaches, cochons, vous devez vous occuper uniquement... Votre cabinet de pratique, vous le vendez, vous vous consacrez uniquement à nous. Fort bien! Mais, au bout de cinq ans, on a 50 ans. À 50 ans, les enfants sont grands, ils sont à l'université ou ils sont au cégep, l'hypothèque n'est pas finie de payer, etc. Alors, nous avons une personne qui est dans son plus vulnérable, et on nous dit: Il y a une possibilité qu'on ne vous renouvelle pas. Je comprends, ça ne s'est pas produit souvent, mais il y a une possibilité. Quelqu'un qui se fait opérer, et on dit: Monsieur, il y a seulement 3 % des patients qui subissent cette opération-là qui meurent. Est-ce qu'il croit possible qu'il soit dans le 3 %? C'est la même chose pour un membre qui passe en renouvellement, c'est très stressant, c'est très difficile, ça met quelqu'un complètement dans la vulnérabilité la plus complète.

Et on voudrait que cette personne-là ait la sérénité d'esprit, ait l'impartialité, et on rend la justice. On fait perdre le gouvernement facilement, comme ça, c'est faux. Si on fait perdre le gouvernement, s'il y a un membre qui est en renouvellement qui décide que le gouvernement a tort, il le fait en faisant sacrifice, dans sa tête et dans son coeur, de son renouvellement. Et ça, c'est, je pense, demander beaucoup, beaucoup de courage à une personne pour faire uniquement son devoir. Alors, oui, il y a un problème réel, beaucoup plus qu'un problème théorique.

M. Bellemare: On a parlé tantôt de... Vous nous avez parlé plus tôt, tantôt, des bancs à deux, des bancs à un, là. Actuellement, la loi prévoit que c'est deux dans tous les cas dans la section des affaires sociales, peu importent la double expertise et le statut qu'on exige, la compétence qu'on exige du deuxième expert. Et vous disiez que la loi permet à l'heure actuelle, là, bon, ou que ce serait mieux peut-être plutôt que de prévoir, comme on l'a fait dans le projet de loi n° 4, un, et dans les cas exceptionnels, deux, de prévoir deux, mais, si le président le juge, un, au fond, ce serait... ça reviendrait à peu près au même, mais il y aurait comme un signal politique, législatif à l'effet que ce serait en principe deux, peut-être une façon de rédiger qui tendrait davantage à rassurer les gens quant au fait que la double expertise est souhaitable.

À l'heure actuelle, l'article 82 permet au président dans la section des affaires sociales de réduire les bancs de deux à un, mais c'est lorsqu'il y a lieu de décider de mesures relatives à la gestion des recours seulement ou de questions incidentes et non pas sur les questions de fond. Alors, si on gardait 82 et qu'on le modifiait simplement en permettant au président de réduire de deux à un même pour les questions de fond, c'est-à-dire pour entendre un litige, vous seriez favorable à cette mesure-là?

M. Beaudoin (Christian): Oui, exactement.

M. Bellemare: Ça va. Alors, je vais laisser mes collègues...

Le Président (M. Simard): Le député de l'Acadie m'a déjà fait savoir son intention de poser une question.

M. Bordeleau: Merci, M. le Président. Je voudrais... Vous y avez fait référence rapidement à la fin de votre intervention, M. Beaudoin, et je voudrais revenir, à la page 13 de votre mémoire, et je vais me permettre de lire le paragraphe pour que ce soit très clair, là. C'est sur la question de la régionalisation. Vous nous dites: «L'association émet des réserves quant à l'assignation continuelle d'un même membre dans une région donnée pour entendre des affaires. D'une part, il faut éviter qu'un phénomène de complaisance ne s'installe au fil du temps à cause des rapports sociaux du membre du tribunal avec ses concitoyens immédiats; d'autre part, il faut éviter de créer des jurisprudences régionales qui feraient en sorte que les citoyens d'une région pourraient se croire moins bien traités que les citoyens de la région voisine.»

Je vous avoue, M. le Président, que j'ai été assez surpris de cette perception qui, à mon avis, est assez négative par rapport aux capacités des régions de pouvoir assurer que la justice qui serait rendue en région par des gens des régions, issus des régions, serait moins bonne que celle qui pourrait être rendue par quelqu'un de Montréal ou de Québec qui irait en région. Il me semble que ça va à l'encontre d'abord de ce qui existe, et, dans les différentes cours, il y a des juges qui sont assignés dans des régions, qui sont souvent des juges qui sont issus même de ces régions: on n'a jamais pensé que la justice était mal rendue parce qu'elle était rendue par des juges qui vivaient dans ces régions-là.

Il me semble qu'on a l'expérience de la CLP, qui exerce la justice, au fond, par des gens qui vivent dans des régions, et qu'on en vienne, disons, ici à suggérer qu'on ne favorise pas la régionalisation, alors qu'au fond... La question de la régionalisation... et je pense que... Moi, je suis député de la région de Montréal, mais je suis issu d'une région ? il y a de mes collègues ici qui sont de régions, je pense qu'ils sont peut-être à même de décrire un peu plus les besoins ? mais les espoirs des régions, c'est d'avoir des services auxquels ils ont droit rendus dans leurs régions dans les meilleures conditions possibles. Et on l'a vu dans le domaine de la médecine avec des médecins itinérants, bon, et c'est la solution d'urgence pour régler le problème à court terme, mais... Et ça, je pense que c'est un droit tout à fait correct, les gens de régions, de vouloir être servis en région, et je ne comprends pas du tout que la justice serait moins bien rendue et qu'on risquerait d'avoir dans ce cas-là, comme vous dites, un phénomène de complaisance.

Et il me semble qu'une justice rendue à proximité des citoyens, qui tient compte du contexte, qui tient compte des réalités régionales, parce que ces gens-là vivent les mêmes réalités, il me semble que c'est un apport qui est non négligeable. Il me semble aussi que la disponibilité des juges qui vivent sur place est plus grande qu'un juge qui part de Montréal, qui s'en va, je ne sais pas, moi, en Abitibi ou en Gaspésie et qui doit reprendre son vol à 6 heures, et que là il s'aperçoit que ça étire un peu: Est-ce qu'on pourrait accélérer un peu le processus, parce que mon dernier vol est à 6 heures? Je ne comprends pas, là, votre position là-dessus et je vous avoue que je suis surpris. Vous êtes le seul groupe à date, je pense, à moins que je me trompe, qui est venu ici, qui a des réserves par rapport à la régionalisation. Alors, j'aimerais vous entendre à ce niveau-là.

M. Beaudoin (Christian): Je regrette que ça ait été...

Le Président (M. Simard): Permettez-moi juste... je pense que personne ne va... de peut-être un peu compléter la ? ça me permettra de faire valoir un point de vue ? la question extrêmement pertinente du député de l'Acadie. Il faut bien comprendre que, si le projet de loi s'appliquait demain matin, ça veut dire que tout le monde accepte d'aller dans les régions. Et on a entendu hier la présidente de l'Association des avocats de province, et c'est ça qui est demandé, hein, c'est... Pour qu'à Sept-Îles la justice soit vraiment rendue, enfin, les avocats, ce qu'on nous dit, et c'est la même chose dans l'Abitibi, c'est la même chose au Saguenay, c'est qu'il faut qu'il y ait une justice disponible et que des juges administratifs, le Tribunal administratif puisse vraiment rendre justice sur place.

n(12 h 40)n

M. René Lévesque avait l'habitude de dire que c'était plus facile, dans les questions de régionalisation, parfois d'amener le poisson à Québec que le fonctionnaire à Gaspé. Il faut bien comprendre, là, qu'il va falloir que les juges qui sont membres de votre association, les juges administratifs, acceptent ce principe que cette loi implique une véritable régionalisation des services, qui est souhaitée de part et d'autre ici.

M. Beaudoin (Christian): Il y a plusieurs choses. Je regrette d'abord, il n'y a rien dans ce que nous pouvons écrire, dans ce que nous pouvons penser qui va imaginer que des gens de provinces ou des gens en région peuvent rendre une moins bonne justice que des gens de Québec ou de Montréal. Personnellement, je suis un «small town lawyer», j'ai pratiqué pendant 13 ans à Thetford-Mines. Alors, je connais les régions, j'ai plaidé à Arthabaska, Thetford-Mines, Saint-Joseph-de-Beauce plus qu'ailleurs. Alors, je sais ce que c'est que travailler en région.

Maintenant, nous sommes en droit administratif, première différence avec un tribunal de droit commun. Et, dans le temps où je pratiquais, le juge attitré en région était changé à tous les deux ans par le juge en chef, soit dit en passant. Mais ici nous sommes en droit administratif. Lorsqu'un citoyen plaide contre un autre citoyen et que le juge déclare: Voici, vous allez payer une pension alimentaire de tant à votre épouse, ce n'est pas demain matin où tous les maris vont se mettre à divorcer, vont se mettre à payer une pension alimentaire semblable. Mais, en droit administratif, oui, lorsque le Tribunal administratif déclare que dans telles circonstances le ministère devra faire telle chose parce que le citoyen a tel droit ou le citoyen n'a pas droit à telle chose, eh bien, le lendemain matin, l'organisme visé par la décision change toutes ses décisions conformément à la décision du tribunal. Je ne parle pas des appels, etc. Mais, en droit administratif, le devoir de cohérence est beaucoup, beaucoup, beaucoup plus fort, beaucoup, beaucoup plus impératif qu'en droit commun, justement à cause de cette cohérence, sinon ? et j'ai vécu la chose au tribunal, au BREF, à un moment donné, il y avait une disposition dans la loi qui disait que pour calculer la valeur locative il fallait inclure telle, telle ou telle chose. Le ministère donne des instructions aux évaluateurs municipaux, qui l'appliquent, le tribunal, le BREF dit: Non, ce n'est pas comme ça qu'on va interpréter. On transporte toutes les choses de l'autre côté de la clôture. Arrive un autre banc du tribunal qui dit: Non, c'était correct auparavant. On transporte toutes les choses de l'autre côté et, à ce moment-là, plus personne ne sait où il va. Donc, il y a, multiplié par un certain facteur, cette nécessité de cohérence dans les décisions d'un tribunal administratif. Ce que nous disons ici, c'est qu'il faut éviter tout d'abord des jurisprudences régionales.

Alors là il y a quelque chose à voir, il faut mêler... Je ne dis pas que... nous ne disons pas qu'il ne faut pas qu'un juge administratif d'une région siège sur une cause, loin de là, mais il faut mêler les gens. Il faudrait que le juge administratif de la région de Sherbrooke aille siéger quelquefois à Granby ou aille siéger quelquefois à Drummondville, et c'est cette chose-là que nous voulons dire. Nous disons: Il ne faut pas que le membre... ? comment est-ce qu'on dit ça? «Il faut éviter de créer des jurisprudences régionales qui feraient en sorte que les citoyens d'une région pourraient se croire moins bien traités que les citoyens de la région voisine.» Nous émettons des réserves quant à l'assignation continuelle d'un même membre dans une région donnée.

Maintenant, il y a la question de la complaisance, c'est un... Pourquoi tenter le diable? Je veux dire, nous sommes en matière de justice, c'est très important, et il y a quand même un danger. Je ne dis pas et nous ne disons pas que les gens de régions sont plus portés vers la chose que les juges des grands centres comme Québec et Montréal, mais, à Québec et Montréal, les dangers sont beaucoup moindres. Alors, ce que nous disons: Oui, quelqu'un de la région pour gérer les dossiers, qui connaît les experts.

Je vous donne un exemple. Nous voulons convoquer une cause pour telle date. Il y a un avocat qui n'est pas trop pressé et puis qui dit: Non, à cette date-là, j'ai telle cause. Si on ne sait pas, on ne connaît pas la région, bien on dit: Oui, c'est vrai, on va reculer la date. Mais, si vous avez un membre coordonnateur qui connaît la région, il va dire: Non, telle cause, elle a été réglée, ou elle est en voie de se régler, ou tu l'as réglée et tu peux facilement procéder telle date. Et c'est là qu'est le grand apport d'un membre coordonnateur, qui peut aller chercher le maximum d'efficacité de la part du tribunal. Mais, pour le reste, et nous disons: Tenons-nous en, en grande majorité, à la gérance, qu'un membre de région siège sur les causes ou sur le fond des causes, c'est bien, mais que ce ne soit pas toujours le même.

Le Président (M. Simard): Alors, je vous interromps, là, parce que la réponse a été très longue, pour permettre au député de Trois-Rivières de poser sa question, et je vous invite à peut-être un peu plus de concision dans vos réponses.

M. Gabias: Merci, M. le Président. Bonjour, messieurs. Je continue sur la question de la présence régionale, qui m'apparaît, en tout cas ? et je ne pense pas que d'autres collègues... ? fort importante, et je réfère encore au dernier paragraphe de la page 13 de votre mémoire. Et, moi, ce que je comprends de l'article 30 du projet de loi, c'est évidemment d'assurer une présence régionale, et, peut-être un peu pour faire une comparaison avec des juges de tribunaux communs, exemple la Cour du Québec, un juge va être nommé avec résidence dans le district de Chicoutimi, et à l'occasion des juges du district de Québec iront siéger à Chicoutimi afin de bénéficier des grands talents des avocats du district de Chicoutimi. C'est bon, c'est bien, mais il y a présence de juges résidents. Vous mentionnez, à la page 13 de votre... et là je ne relirai pas le texte qu'a lu tout à l'heure mon collègue de l'Acadie, mais vous avez ajouté préalablement, en parlant de, vous dites, d'un phénomène de complaisance, vous avez même ajouté «copinage». Et ? j'ai dit tout à l'heure «ne pas tenter le diable» ? j'imagine ou je conçois très bien que les juges administratifs sont tous de bons diables, et je n'ai pas beaucoup de craintes là-dessus.

Mais ce que je vais vous demander... Je vais lire, par contre, un passage dans le mémoire de l'Association des avocats et des avocates de province. Et vous êtes trois, vous pourrez former un banc de trois, vous pourrez vous consulter, peut-être rendre une décision sur division, mais je vais vous demander de choisir ou d'identifier le plus grand danger entre ce que vous avez identifié, vous, et ce qu'identifie l'Association des avocats et avocates de province. On nous dit, à la page 8 de leur document: «La pratique en région nous démontre que la saison estivale est plus propice au déplacement des tribunaux administratifs dans les régions éloignées. Il est en effet très rare que les tribunaux administratifs siègent en région éloignée pendant les mois d'hiver, et ce, au détriment d'une justice qui est rendue avec célérité. Par "mois d'hiver", il faut entendre décembre, janvier, février, mars et même avril. C'est presque la moitié de l'année de calendrier qui n'est pas utilisée en région.

«Plusieurs praticiens qui travaillent en région ont dénoncé les iniquités qui résultent de cette pratique de certains tribunaux administratifs de ne siéger en région que de façon saisonnière. Il arrive que des audiences soient carrément fixées à la mi-juillet, alors que, de toute évidence, les témoins ne seront pas disponibles. Cette situation cause de nombreux inconvénients non seulement aux praticiens, mais aussi aux justiciables, qui doivent composer avec les problèmes de disponibilité des témoins, des experts et des parties elles-mêmes, compte tenu des périodes de vacances.» Et là on conclut, on dit: «Même en région, les gens ont l'habitude de prendre leurs vacances en été!»

Le Président (M. Simard): Je vais vous demander de conclure, le temps étant déjà...

M. Gabias: Je conclus. Ce que je vous demande, c'est peut-être d'identifier l'inconvénient le pire. Est-ce que c'est ce que dénonce l'Association des avocats et avocates de province ou si c'est ce que vous mentionnez à la page 13 de votre mémoire, à savoir... je vais résumer en disant «de ne pas tenter le "yâbe"»?

Le Président (M. Simard): Je ne vais même pas vous autoriser à répondre, parce que le temps est épuisé depuis un certain temps. Mais vous aurez... vous pourrez vous consulter...

M. Beaudoin (Christian): J'étais personnellement assigné à Sept-Îles la semaine prochaine. La cause s'est réglée hier.

Une voix: Et en Gaspésie aujourd'hui.

Le Président (M. Simard): Bon. Alors, c'est votre réponse, elle fut rapide. Je vais maintenant passer la parole à quelqu'un qui vient justement d'une région, le député de Chicoutimi...

M. Bédard: Une belle région, oui.

Le Président (M. Simard): ...une belle région, d'ailleurs. C'est ma ville d'origine, de naissance et d'éducation.

M. Bédard: Oui, effectivement. Merci, M. le...

Le Président (M. Simard): Alors, M. le député de Chicoutimi.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Alors, merci, messieurs: Me Beaudoin, M. L'Écuyer, Me Leblanc. Alors, je vais tout d'abord évidemment vous remercier de votre mémoire, des éléments que vous y mentionnez. Je vais revenir évidemment sur l'aspect plus... de la régionalisation en vous disant évidemment, en vous exprimant, moi aussi... et on va échanger peut-être un peu plus sur la fin, parce que j'ai d'autres points, mais évidemment mon total désaccord par rapport à la situation que vous avez exprimée, en vous expliquant le mieux que je le peux de la façon que je vois les choses, tant en termes de cohérence que de, je pense, de saine administration de la justice, et peut-être aussi en vous faisant part des problématiques vécues par différents plaideurs en régions plus éloignées.

n(12 h 50)n

Je vous dirais aussi que je suis content de voir un des aspects importants... Et le ministre a fait une belle ouverture, et je peux vous dire que je la prends au bond immédiatement, celle au niveau de la multidisciplinarité, où, bon, une certaine vision qui était par rapport à... qui était proposée par le ministre, qui était celle de, je vous dirais, d'éviter, dans les cas où on n'en a pas besoin finalement, les bancs de deux juges, et celle des autres, de la vôtre, mais aussi de d'autres groupes, celle de maintenir, dans les cas où c'est utile, la multidisciplinarité, le ministre a fait une belle ouverture, celle de modifier l'article 82 qui... et j'ai refait la lecture par rapport au projet de loi n° 4, et effectivement qui portait sur les questions plus d'organisation. Or, on peut l'amender de façon à remplacer le critère de nécessité, comme vous le proposez, par le critère de l'utilité, de maintenir le principe et de sortir simplement de l'aspect procédural, mais de l'inclure dans l'ensemble des compositions des bancs des tribunaux. Et je dis tout de suite au ministre que, s'il choisit cette voie, il a totalement mon appui quant à l'adoption de cet article. Et si on peut... si on le scelle... Souvent on règle un dossier quand il est chaud. Évidemment, je ne demanderai pas l'accord immédiat du ministre, mais je tenais quand même à lui faire part que l'ouverture...

Une voix: ...

M. Bédard: ...oui, vous êtes peut-être mieux de le prendre tout de suite! Ha, ha, ha!

Une voix: ...

M. Bédard: Oui. Mais, si vous voulez... si c'est le cas et si la proposition que vous avez faite est acceptée, je peux vous dire que, de notre côté, effectivement, c'est la voie, je pense, qui va atteindre les deux objectifs partagés par le ministre, et ceux que vous avez mentionnés et que d'autres groupes ont mentionnés, c'est celui du maintien, mais pour évidemment les cas utiles, la multidisciplinarité. Alors, si c'est le cas, je suis convaincu que nos travaux vont être animés d'une façon très, je pense, intéressante pour la... comme ça a été le cas d'ailleurs depuis le début des travaux de cette commission, mais cette ouverture nous semble tout à fait intéressante, et je tiens à vous remercier d'avoir proposé finalement la meilleure des solutions, je pense, qui combine des intérêts, la rapidité, en même temps la célérité, mais aussi la qualité de la justice. Alors... Et je comprends que ça...

82, si je comprenais bien ? et c'est ce que le ministre a dit ? à la lecture effectivement, on pouvait en conclure cela, qu'il ne servait finalement ? la composition de un ou deux ? que sur des questions plus relativement à l'administration du tribunal, et pas à la composition des bancs, relativement aux dossiers qui sont devant eux. C'est ce que j'ai compris, et c'était la bonne interprétation. Alors... Et cet accord arriverait à de bons résultats pour vous, comme pour l'ensemble des contribuables.

Sur l'abolition du Conseil de la justice administrative, il y a une petite phrase, vous dites, bon, par rapport au code de déontologie, mais c'est quand même assez succinct dans votre mémoire. Or, on a plusieurs représentants qui sont venus, je vous dirais, émettre beaucoup de réserves quant à... même à ce qui touche l'indépendance institutionnelle, entre autres par rapport au code de déontologie, le fait qu'il soit approuvé par le gouvernement. Actuellement, le tribunal a son propre code, et, dans la plupart des instances, souvent il le propose lui-même, même au niveau des tribunaux judiciaires, et le gouvernement ne fait qu'approuver. Or, il semble que le projet de loi fait un pas en arrière de ce côté-là, dans le sens qu'il prévoit que le gouvernement lui-même va adopter et va rédiger finalement le code. Est-ce que vous pensez qu'il s'agit là d'un recul et peut-être même d'une intrusion peut-être inconstitutionnelle quant à...

M. Beaudoin (Christian): Oui, oui. Nous ne sommes pas d'accord à ce que le gouvernement dicte à 100 % la conduite déontologique des membres. La déontologie est une question de pairs. Cependant, nous serions d'accord pour que le gouvernement approuve, cela va de soi, un code de déontologie. Ce que nous disons, c'est ? voilà pourquoi c'est succinct ? c'est que ce travail-là a déjà été fait de la part des membres du tribunal, et il y a un code de déontologie, qui a été discuté à fond, quelque chose de très sérieux, qui a été proposé au gouvernement qui est là. Peut-être que le gouvernement aurait certains amendements à proposer, je n'en sais rien, mais nous croyons, nous, qu'il s'agit d'un code de déontologie qui est très sérieux, qui est là, et, s'il était approuvé demain matin, la question serait réglée. Alors, voilà. Il ne faut pas aller plus loin dans les discussions.

M. Bédard: Mais, du côté institutionnel... Et là, au-delà du code réel, vous savez que si... La procédure finalement est celle que le législateur peut lui-même, finalement, bon, adopter votre code mais par la suite l'amender. Donc, ça pourrait convenir pour un temps. Mais, au niveau institutionnel, l'aspect est regardé par les tribunaux souvent sous l'aspect évidemment pas de la réalité vécue, mais plus du principe.

Mais, si vous me dites que, vous, vous êtes à l'aise avec ça quand même, je vais le prendre, et ce n'est pas dans l'objectif d'avoir une réponse mais pour bien éclairer et éviter finalement que le tribunal se fasse... comme il est arrivé à l'occasion, où des plaideurs plaident l'inconstitutionnalité pour ces motifs... Si vous me dites, vous, vous êtes à l'aise, et, d'un point de vue juridique, vous pensez que ça passerait le test de l'indépendance... Je veux simplement avoir votre opinion.

M. Beaudoin (Christian): Non, nous ne sommes pas à l'aise. Le code de déontologie, je me suis mal exprimé tout à l'heure, mais c'est quelque chose qui origine des membres. C'est une question de pairs, la déontologie. Alors, ça origine des membres, mais nous n'avons pas objection à ce que ce soit approuvé par le gouvernement. Voilà ce qui est notre position.

M. Bédard: Et le Conseil? L'abolition du Conseil, vous avez peu de mots là-dessus. Vous dites, vous faites une référence au code, mais là peut-être aller plus loin. Est-ce que...

M. Beaudoin (Christian): C'est dans le contexte de la remarque préliminaire que j'ai faite, c'est une question d'expérience que nous voulons apporter à cette commission et à l'Assemblée nationale. Et notre expérience ou du moins nos convictions sont à l'effet que dans toute question, dans tout forum qui s'adresse à la déontologie, les pairs devraient avoir la majorité. Partant de là, je veux dire, il y a plusieurs formules qui sont possibles. Il y a des formules qui coûtent extrêmement cher, il y a des formules qui coûtent moins cher, etc., mais, dès que nous avons la majorité, évidemment majorité à partir de listes de membres qui sont fournies par les membres ou par les juges administratifs, dès que nous avons satisfaction sur ce point, je pense qu'il appartient aux élus de décider de la formule qu'ils veulent avoir, et, si on veut alléger la structure actuelle qui peut sembler lourde, si on veut transférer certaines juridictions du Conseil de la justice administrative, je ne crois pas que nous ayons, nous, à nous prononcer là-dessus. Je pense que ça appartient aux élus.

M. Bédard: Donc, du côté institutionnel, pour vous, ça ne pose pas de problème.

M. Beaudoin (Christian): Non.

M. Bédard: Parce qu'on avait des commentaires ce matin d'un avocat, mais d'autres émettent des opinions contraires. Effectivement, il n'y a pas d'absolu, mais, vous, ça vous semble effectivement plus relever du pouvoir politique et n'intervient pas finalement dans... Ce que je veux éviter finalement, c'est ce qu'on nous a dit ce matin ? je n'étais pas présent, mais j'ai lu le mémoire ? un pas en avant, un pas en arrière, sur l'indépendance institutionnelle, genre, on donne selon bonne conduite, ce qui peut être effectivement... qui va dans le sens que tous souhaitent, mais, par contre, on enlève cette conférence. Est-ce que c'est un pas en arrière? Si vous me dites non, c'est clair ou, du moins, ce n'est pas majeur par rapport à l'avancée.

M. Beaudoin (Christian): Tel que les choses se présentent présentement dans le projet de loi n° 35, vous avez le gouvernement qui adopte le code de déontologie, vous avez le gouvernement qui édicte les règles au président pour faire une évaluation probablement déontologique, on n'en sait rien, ce n'est pas clair, et vous avez le président qui porte les accusations, et le président qui nomme le comité, et le président qui applique les sanctions. Alors ça, c'est quelqu'un... on confie à une même personne la police, le tribunal et on le nomme geôlier de prison. Alors, je pense que c'est trop de choses concentrées entre les mêmes mains. Nous disons, nous, la partie jugement, laissez-là aux pairs. Ce sont les pairs qui peuvent décider, je pense, avec le plus d'éclairage de la conduite déontologique d'un juge.

M. Bédard: Merci. Sur peut-être un point que j'ai oublié tantôt, sur la multidisciplinarité, si nous adoptons... si le ministre donne suite à sa volonté, évidemment, croyez-vous qu'il va devoir aussi... que nous devrons proposer des amendements aussi par rapport à la nomination? Autrement dit, actuellement, nous avons des gens qui... je conviens du projet de loi, mais le ministre m'a détrompé tantôt, ils sont issus de la communauté juridique, c'est ce que prévoit le projet de loi, sauf en matière d'évaluation, quant à la composition du banc, mais... et affaires sociales donc, mais de prévoir effectivement, dans les nominations, que ça peut être des gens autres qu'issus de la communauté juridique, les nouvelles nominations.

M. Beaudoin (Christian): Je vais faire la même lecture que le ministre, je pense que l'article 40 n'a pas été touché.

M. Bédard: Le permet. Je voulais seulement être sûr. O.K. Je dois être cohérent dans mon approche.

M. Beaudoin (Christian): Il y a cette question de la nomination d'experts aux cinq ans, j'imagine que ça s'adresse à la section de la CLP éventuellement, parce que: quoi faire avec ces experts, autrement? Je n'en sais rien, mais c'est ce que nous avons cru.

M. Bédard: C'est plus à la CLP effectivement...

M. Beaudoin (Christian): Voilà.

M. Bédard: ...d'autant plus que, si le tribunal conserve le pouvoir de nommer une personne qui a une spécialité, bien, évidemment, ça ne s'adresse pas à votre...

M. Beaudoin (Christian): Nous assurons alors la pérennité de la multidisciplinarité au tribunal.

M. Bédard: Nous l'améliorons, même, à la limite, là, je pense.

M. Beaudoin (Christian): Voilà, oui.

n(13 heures)n

M. Bédard: Pour en revenir à la régionalisation, pour bien comprendre, et là sans vouloir, là, partir en grand débat, là, on peut avoir des visions totalement opposées et ne pas... certains nous disaient, et là ça m'a inquiété: on n'a pas de statistiques, et souvent c'est des impressions qui peuvent être détrompées ? vous êtes plus au courant, vous avez vu aller de quelle façon les rôles ont été faits, là ? mais on nous disait que dans certaines régions, entre autres les régions très éloignées, plus éloignées, je vous dirais, même que ma propre région, il arrivait qu'il soit difficile, voire parfois même impossible, de citer des causes dans les mois d'hiver, les grands mois d'hiver, là, genre des journées comme aujourd'hui, et quand on est face à de plus grands voyages où il était difficile pour les plaideurs d'avoir des dates à ces périodes, il était plus facile, par contre, d'avoir des dates pendant les périodes plus estivales. Est-ce que cela repose, selon vous, sur une réalité?

M. Beaudoin (Christian): Bien, mon expérience se limite à ce que j'ai connu en tant que président d'un tribunal administratif et un petit peu à ce qui se passe au Tribunal administratif présentement. Et, comme je l'ai dit tout à l'heure, personnellement, j'ai été assigné, pour la semaine prochaine, à Sept-Îles. Je devais entendre une cause à Sept-Îles la semaine prochaine qui... Me Leblanc a été assigné en Gaspésie.

M. Leblanc (Lucien): J'aimerais peut-être répondre à cette question. C'est assez surprenant, cette assertion, cette allégation, parce que je peux dire, et on le vit, que nous sommes dans les régions 12 mois par année. C'est absolument, absolument faux de prétendre qu'on n'y va que durant les mois d'été, et même, j'ai même entendu hier, j'ai entendu qu'on avait parlé: surtout dans la période du homard! Bien, je peux vous dire que je n'ai pas mangé de homard souvent dans mes voyages ou dans les fois que j'ai siégé à l'extérieur. Le Tribunal administratif siège régulièrement dans toutes les régions du Québec, et on siège, en passant, aussi dans... quand je parle des régions, on siège dans des lieux qui sont généralement, très généralement à moins de 100 km du lieu de résidence de la personne qui... du requérant.

Alors, cette affirmation... Je suis très, très surpris d'entendre ça, parce que ce n'est absolument pas le cas. L'année dernière, je suis allé quatre fois en région en plein hiver, en Gaspésie et sur la Côte-Nord. D'autres collègues l'ont fait tout aussi régulièrement. Alors, c'est inexact.

M. Bédard: Est-ce qu'il pourrait arriver quand même, et ça... et je ne pense pas que ça arrive jamais, effectivement, là... hier, il y avait des exemples, mais je ne pense pas que ça arrive jamais. Mais est-ce qu'on pourrait quand même tirer une ligne à l'effet de dire qu'il est possible que cela entraîne des délais supplémentaires dans les régions éloignées dû au fait qu'évidemment le tribunal se déplace, que ce n'est pas comme à Montréal, où on peut avoir un délai, ou à Québec, où on peut avoir un délai très rapide? Les plaideurs sont présents, il n'y a pas les délais de transport pour fixer la cause et il n'y a pas, même, moins de possibilités de report qu'il peut y en avoir en région. Parce que, si vous vous déplacez en région, il y a une tempête ou il y a des événements particuliers qui amènent et qui font en sorte que souvent les délais peuvent être plus longs. Parce qu'on nous disait, entre autres, et ça, je vous dirais que j'avais peut-être tendance à être un peu plus sympathique, on nous disait: Vous savez, moi, dans tel district, ça me prenait à peu près sept mois avoir... ou huit mois, alors qu'on m'offrait une cause avec, si je déplaçais tous mes témoins à Québec, dans un mois, un mois et demi.

M. Beaudoin (Christian): Ça peut arriver, là, je suis incapable de contredire ça. Ça me surprend, ça me surprend énormément. Mais, à la question: Est-ce que c'est susceptible de rallonger les délais parce que c'est en région? la réponse est non. Il n'y a pas de raison. Et si ça se produit, et si ça se produit, et ça ne veut pas dire que ça se produit au Tribunal administratif, il y en a, des tribunaux, d'autres tribunaux administratifs, si ça se produit. Ce que nous disons dans notre mémoire, c'est: il faut poser des questions au président et à la direction. Il n'y a pas de membre qui a refusé une assignation en région l'hiver. Et je parle de la semaine prochaine, je parlerai que, l'hiver passé, au mois de janvier, j'ai fait trois semaines d'auditions à Roberval et j'en ai fait au mois de février à New-Richmond.

M. Bédard: Mais, moi, ce n'est pas vous personnellement, là, qu'on vise.

M. Beaudoin (Christian): Non, mais, si, moi, j'ai cette expérience, Me Leblanc a cette expérience et M. L'Écuyer, à qui...

M. L'Écuyer (Mathieu): Je peux vous parler de la mienne aussi, je peux même vous dire, si vous me permettez, M. le Président, qu'aussi surprenant que ça puisse vous paraître, même si je ne suis qu'un spécialiste au sein du TAQ, je suis aussi associé d'une certaine façon à la gestion, alors j'ai procédé à des appels de rôle par voie téléphonique et je peux vous dire que mon expérience personnelle, c'est que j'ai plus de difficultés à trouver des avocats qui sont prêts à plaider en juillet que j'en ai à en placer en janvier, ou en février, ou en mars. Alors, peut-être que le problème qu'il y a moins d'activités judiciaires pendant l'été ne dépend pas, en tout cas pour autant que je le sache, là... moi, je suis associé à la section des affaires immobilières, puis je vois d'assez près la gestion de ces choses-là. Si l'assignation de mon collègue Beaudoin a été annulée à Sept-Îles pour la semaine prochaine, celle que j'avais en décembre dernier, elle, ne l'a pas été, annulée, puis l'affaire a été entendue et instruite au palais de justice. Alors, je pense qu'il faut faire attention, comme on ne peut pas attester de ce qui se passe dans l'ensemble des tribunaux administratifs. C'est évident aussi qu'il y a les tribunaux spécialisés qui ont leurs petites habitudes, là. Quand le Tribunal administratif du Québec a repris les choses qui ont été laissées pendantes par des compétences qui se sont vu enlever ces compétences-là ? je nommerais, par exemple, pour fins de mémoire, les questions d'expropriation ? bien, on avait des milliers de causes en retard, en expropriation, en Abitibi, pour ne pas la nommer, et puis ce n'est plus... Je mets, je peux mettre n'importe qui au défi maintenant d'examiner ce qui se passe en cette matière-là au tribunal. Puis, ça ne s'est pas fait seulement pendant l'été, là, rattraper ce retard-là...

M. Bédard: Ce n'est pas le cas, alors...

M. L'Écuyer (Mathieu): ...ça, je peux vous le dire.

M. Bédard: Il y a des impressions qui se dégagent, mais il n'y a pas de mauvaise foi puis il n'y a pas de... Mais, quand même, où je suis déçu un peu, je vous dirais, c'est votre résistance. La CLP est un organisme décentralisé, les tribunaux de droit commun sont décentralisés, et je vous dis, personnellement, effectivement, je pense que la justice y gagne, le justiciable y gagne et les juges aussi y gagnent. Les gens qui sont nommés en région sont contents d'exercer la justice sur place, d'être des membres résidents, pas simplement des membres coordonnateurs, mais vraiment des membres résidents. Et il n'y a pas, je vous dirais, avec tout le respect, il n'y a pas de jurisprudence régionale. La justice, elle s'applique de la même façon, et, comme il n'y a pas de jurisprudence métropolitaine, bien qu'il y ait un, ou trois, ou cinq membres, et ça, j'ai plus de misère, là... Pour avoir plaidé devant la Cour supérieure, où il y a moins de juges en Cour supérieure en région, je peux vous dire qu'il n'y a pas de jurisprudence régionale. La Cour d'appel va rarement casser une... n'a jamais cassé une décision sous cet aspect-là.

Quant à la cohérence, vous savez, l'apanage d'un tribunal administratif... pas l'apanage, mais il est arrivé souvent dans l'histoire qu'on ait beaucoup de difficultés quant à la cohérence, et c'est normal, il y a beaucoup de membres, et c'est la dernière instance. Personne ne peut prétendre avoir l'autorité par-dessus un autre juge. Même le président du tribunal ne peut pas dire à un juge: On s'en va par là, comme dans le temps de l'article 45 au niveau des relations de travail, l'interprétation, la vraie, c'est celle-là, et vous l'appliquez, c'est comme ça. Il n'y a pas de ratio decidendi. Ce qui fait que la cohérence des tribunaux administratifs a souvent été mise en cause, et c'est normal. Même que la Cour supérieure a refusé, refuse... la Cour d'appel, la Cour suprême refusent des motifs de révision sous l'aspect qu'il y a incohérence des tribunaux administratifs. Et ça, ce n'est pas dû à l'aspect régional, je vous dirais, et en tout respect encore, c'est dû tout simplement au fait que les gens décident en dernière instance, et il arrive effectivement que, face à une situation, bien que les situations soient rarement identiques, mais qui peuvent s'apparenter... Il peut y avoir effectivement deux types de décision, et c'est une réalité avec laquelle il faut vivre avec nos tribunaux administratifs. Donc, sans vouloir vous convaincre, là, et...

Le Président (M. Simard): Je vais d'ailleurs interrompre votre plaidoyer, M. le député. Le temps est épuisé.

M. Bédard: Je pense que nous avons tout à gagner à avoir des membres résidents, vous, comme, je pense, l'ensemble des régions du Québec, mais peut-être voir un mécanisme pour éviter, dans les cas où il y a moins de dossiers, peut-être de prévoir des, je ne sais pas, moi, deux ou trois régions où il y ait effectivement une possibilité que...

Une voix: ...

M. Bédard: Effectivement, et que, bon, chacun des juges puisse être résident finalement dans deux ou trois districts quand il y a un nombre moins important, peut-être pour éviter qu'un seul décideur juge de toutes les causes.

Le Président (M. Simard): Je ne vous permettrai pas, vous m'en excuserez, parce que l'heure est très tardive et que nous avons épuisé notre temps. Évidemment, je vous remercie de votre collaboration, je pense que l'échange a été fructueux, et nous nous retrouvons, je le rappelle, à 14 h 30.

(Suspension de la séance à 13 h 9)

 

(Reprise à 14 h 35)

Le Président (M. Simard): Il est déjà 2 h 35. Alors, nous reprenons nos travaux.

Le prochain groupe que nous recevons est un habitué des commissions parlementaires, mais habituellement sur d'autres sujets que la justice administrative. On les voit davantage à la commission des affaires sociales pour discuter de questions de santé et santé publique, de lois concernant la santé. Alors, nous avons le plaisir de recevoir avec nous le président du Collège des médecins, M. Yves Lamontagne, et il va nous présenter ceux qui l'accompagnent, nous présenter l'essentiel de son mémoire. Il dispose d'une vingtaine de minutes, et il connaît la façon dont nous travaillons en commission parlementaire, donc je ne le réexplique pas. Et je vous écoute, Dr Lamontagne.

Collège des médecins du Québec (CMQ)

M. Lamontagne (Yves): Merci, M. le Président. Je voudrais vous présenter d'abord les gens qui m'accompagnent: à ma droite, le Dr André Garon, qui est directeur général et secrétaire général du Collège; à ma gauche, le Dr Yves Robert, qui est directeur général adjoint; et également, à ma droite ? on s'est armé un peu dans ce nouveau ministère ? Me Linda Bélanger, qui nous a soutenus dans la rédaction du mémoire.

Alors, M. le Président, M. le ministre, Mmes, MM. les parlementaires, je vous remercie d'abord de nous permettre de vous présenter le résultat de nos réflexions relativement au projet de loi n° 35. Et d'entrée de jeu je vous dirai qu'évidemment nous ne sommes pas des avocats mais davantage des médecins, je l'espère; notre point de vue sera donc sans aucun doute teinté de cette vision beaucoup plus médicale que légale, avec le souci de protéger le public, qui est, comme vous le savez, la mission du Collège des médecins du Québec, comme tous les ordres professionnels.

Nous avions déjà d'ailleurs eu l'occasion de vous rencontrer le 11 septembre 2003 au sujet du projet de loi n° 4. À cette occasion, nous avions formulé quelques suggestions dont les principales étaient de maintenir et non de diminuer la diversité et la compétence de l'expertise qui caractérise et justifie l'existence d'un tribunal administratif, de favoriser la médiation et la conciliation, d'accorder au président du Tribunal administratif du Québec une plus grande flexibilité dans l'assignation de ses membres, permettant d'en assigner plus d'un, notamment un médecin, lorsque la teneur du dossier à l'étude s'y prête, d'adjoindre aux juges administratifs, au moment de l'analyse initiale du dossier, des professionnels experts qui sont aptes à permettre aux juges d'avoir un portrait rapide, précis et de grande qualité du dossier, et enfin de revoir les procédures administratives afin d'assurer une plus grande efficacité des audiences.

J'exprime d'abord notre satisfaction de constater, dans le présent projet de loi, que ces suggestions ont été prises en compte, témoignant d'un cheminement intéressant et prometteur entre les deux projets de loi et confirmant que nous nous rejoignons dans notre objectif commun d'assurer aux citoyens et aux citoyennes du Québec des services professionnels de qualité de la façon la plus efficace et la plus efficiente possible.

J'identifierai maintenant les points qui nous paraissent particulièrement intéressants, et nous vous recommandons trois précisions qui, croyons-nous, faciliteront la compréhension et l'application de la loi.

Premièrement, la composition du tribunal. L'article 34 introduisant des modifications aux articles 82 et 83 de la Loi sur la justice administrative nous apparaît particulièrement important.

Nous notons que notre suggestion de laisser plus de flexibilité au président du tribunal dans la formation du tribunal a été retenue dans le premier alinéa de l'article 82.2 en lui laissant la possibilité, et je cite, «s'il l'estime utile en raison de la nature d'une affaire et des faits soulevés, d'office ou sur demande d'une partie, de prévoir une formation de deux membres», ce deuxième membre pouvant être notamment «un médecin, un travailleur social ou un psychologue», fin de la citation. D'avoir changé le terme «nécessaire» par le terme «utile» nous apparaît être une amélioration notable par rapport au projet de la loi n° 4.

Cette flexibilité que la Loi sur la justice administrative accorde permettra au médecin d'obtenir des données médicales pertinentes à l'audience, d'améliorer l'analyse de la preuve et d'apporter un certain support au requérant non représenté, facilitant ainsi sa démarche. Cette disposition, sans aucun doute, méritait d'être soulignée. Toutefois, parce que le médecin est le seul professionnel habilité à poser un diagnostic, nous considérons qu'il a un rôle unique à jouer dans l'évaluation et l'analyse des litiges à caractère médical impliquant bien sûr un diagnostic et ses conséquences. Il est le professionnel qui est le mieux formé pour apprécier à leur juste valeur les opinions qui sont émises par ses collègues, en déterminer la cohérence et la pertinence et, le cas échéant, formuler un pronostic.

n(14 h 40)n

Voilà pourquoi, de la même façon que le deuxième alinéa de l'article 82.2 prévoit la nomination obligatoire d'un évaluateur agréé comme membre du tribunal lorsqu'il y a recours en matière immobilière relevant de la section des affaires économiques, il nous apparaît, et c'est l'objet bien sûr de notre première recommandation, qu'un médecin doit être nommé membre du tribunal lorsque le litige à l'origine d'un recours implique un diagnostic. Cette disposition devrait être incluse au deuxième alinéa de l'article 82.2. Autant nous souhaitions un pouvoir discrétionnaire accordé au président du tribunal dans la nomination des membres des tribunaux, autant nous croyons utile de le baliser de cette manière afin d'assurer la qualité, l'efficacité et l'efficience du processus judiciaire et assurer ainsi une meilleure protection du public et de ses droits.

Ainsi, le deuxième alinéa de l'article 82.2 pourrait se lire comme suit, j'ouvre les guillemets: «La formation est composée d'un seul avocat. À la section des affaires sociales, l'autre membre peut notamment être un médecin, un travailleur social ou un psychologue; toutefois, quand le litige à l'origine d'un recours implique un diagnostic, l'autre membre doit être un médecin. En ce qui concerne les recours en matière immobilière relevant de la section des affaires économiques, il doit être un évaluateur agréé.»

Par ailleurs, lorsque viendra le temps d'appliquer la loi, parce que le premier alinéa de l'article 82.2 prévoit qu'un deuxième membre peut être nommé «sur demande d'une partie», il serait souhaitable autant pour le citoyen que la citoyenne non représenté et bien sûr susceptible de ne pas connaître ce droit d'en être informé le plus tôt possible dans sa démarche au moyen d'une mesure administrative.

Deuxièmement, le droit de questionner pour le médecin expert. Les articles 83.1 et 83.2 traitent de la composition des tribunaux en matière de lésions professionnelles. L'article 83.2 prévoit la possibilité d'adjoindre au membre du tribunal un ou plusieurs experts selon la nature de la cause. Nous comprenons que cet expert jouerait un rôle similaire à l'assesseur du régime actuel. Nous constatons, d'autre part, qu'il est prévu à l'article 83.1 que ces deux personnes, l'une représentant l'employeur et l'autre représentant le syndicat, peuvent être désignées pour siéger auprès du membre du tribunal et le conseiller. De plus, le deuxième alinéa accorde à ces personnes le pouvoir de «poser des questions lors de l'instruction d'une affaire et exprimer au membre leur opinion au moment du délibéré». Même si l'usage actuel permet au médecin expert d'exercer de façon implicite ce même pouvoir, il nous apparaîtrait utile de le préciser de façon explicite dans la loi, d'autant plus qu'il est reconnu à chacun des représentants ci-haut mentionnés.

Ainsi, notre deuxième recommandation vous demande de reproduire intégralement, dans un deuxième alinéa de l'article 83.2, le deuxième alinéa de l'article 83.1.

Troisièmement, il nous apparaît essentiel de rappeler que le médecin psychiatre est souvent confondu avec d'autres professionnels de la santé mentale, dont les psychologues, entre autres. Depuis plusieurs années, pour clarifier dans l'esprit du public que la psychiatrie est une spécialité médicale reconnue, le terme «psychiatre» a maintenant été remplacé par le terme «médecin psychiatre».

Voilà pourquoi notre troisième recommandation vise à remplacer, à l'article 82.1 de l'article 34, le terme «psychiatre» par le terme «médecin psychiatre» et à supprimer le terme «psychiatre» dans l'énumération du premier alinéa de l'article 36. Cette énumération se lirait donc comme suit: «...notamment des médecins, des travailleurs sociaux», etc., puisque le psychiatre est un médecin.

En ce qui a trait aux autres articles, nous croyons que la constitution d'un groupe d'experts, prévue à l'article 36, nommés par le gouvernement est sans aucun doute une bonne chose.

Nous sommes aussi très satisfaits de l'article 47 introduisant l'article 119.6 qui favorise clairement, comme nous le suggérions, la médiation et la conciliation plutôt que le recours judiciaire. Nous comprenons également que cet article permet, dans ce processus de faire appel à un médecin, qu'il soit expert ou membre du tribunal.

Il n'est pas inutile de souligner aussi que la déontologie exigée des membres du tribunal qui pourraient être des médecins et énoncée à l'article 54 est compatible avec celle du code de déontologie des médecins, que nous avons récemment révisé.

L'article 56 soulève, quant à lui, la question de règles concernant le maintien des compétences des membres du tribunal dans l'exercice de leurs fonctions. En tant qu'ordre professionnel soucieux du maintien de la compétence de ses membres, c'est avec un très grand intérêt que nous suivrons l'élaboration et la mise en application de ces règles.

Le deuxième alinéa de l'article 65.2, introduit par l'article 85, prévoit de la souplesse dans les délais d'obtention d'une expertise médicale mais fixe de façon pertinente et appropriée un délai maximal de 180 jours pour réduire les délais qui sont indus au processus judiciaire.

Enfin, les mesures prévues aux articles 198, 199 et 203 relativement à la nomination des membres du Tribunal des recours administratifs du Québec à partir du personnel actuel du Tribunal administratif du Québec et de la Commission des lésions professionnelles devraient permettre une transition harmonieuse vers le régime proposé.

En conclusion, en ce qui concerne les éléments du projet de loi qui relèvent de notre mission et de nos compétences, nous sommes agréablement surpris du résultat du cheminement qui a été effectué depuis le dépôt du projet de loi n° 4. Nous croyons que nos trois recommandations, à savoir, de façon brève: la nomination d'un médecin comme membre du tribunal ou expert lorsque l'origine d'un litige implique un diagnostic, la consolidation du pouvoir du médecin expert, dans la section sur les lésions professionnelles, à questionner et émettre une opinion et bien sûr l'utilisation appropriée du terme «médecin psychiatre» permettront de bonifier et d'ajouter des précisions utiles à la bonne compréhension et à l'interprétation du projet de loi.

M. le Président, vous m'avez rappelé d'entrée de jeu que les consignes qui prévalaient à propos de la répartition du temps... je pense que j'ai été très bref et que j'ai utilisé une partie du temps alloué, et je dois vous avouer que, après en avoir informé les bureaux respectifs du ministère de la Justice et du critique de l'opposition officielle en matière de justice, j'aimerais, si vous me le permettez, que vous me donniez le consentement et avoir le consentement des membres de la commission pour utiliser les quelques minutes qu'il me reste pour vous sensibiliser tous à une attente du Collège des médecins dans une autre matière législative; en fait, il s'agit du pouvoir légal dont nous avons absolument besoin pour protéger le public.

Le Président (M. Simard): Je tiens à ce moment-ci à vous dire que vous êtes maître des 20 minutes qui vous sont accordées, et nous vous écouterons, quelle que soit la... Même si nous pouvons peut-être trouver que la pertinence est assez éloignée, vous êtes responsable de vos propos.

M. Lamontagne (Yves): Bien, vous êtes bien gentil. C'est rare que je me retrouve maître de la situation.

Eh bien, je vous dirai, Mmes, MM. les parlementaires, à ce sujet-là... je dois vous dire qu'à quelques reprises au cours des dernières années ? et la plus récente était en date du 28 octobre 2003 ? nous avons requis du gouvernement que la Loi médicale soit modifiée afin de confier au Collège des médecins du Québec le pouvoir de suspendre d'urgence ou de limiter sans délai le droit d'exercice d'un médecin qui est jugé inapte à pratiquer sa profession, à exercer sa profession, et ce, principalement pour des raisons de santé. À ce jour, je vous avouerai que le Collège n'a malheureusement pu obtenir satisfaction à cet égard. Aujourd'hui, nous persistons à croire que le Collège des médecins du Québec doit obtenir du législateur ce pouvoir d'urgence applicable lorsque l'état de santé du médecin est vraisemblablement incompatible avec l'exercice de la médecine, étant donné le risque évidemment qu'il représente.

Vous savez, dans les établissements de santé, ce pouvoir est d'ailleurs déjà reconnu par le législateur à l'article 251 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, et cette disposition édicte ce qui suit: «En cas d'urgence, le directeur des services professionnels, le président du conseil des médecins, dentistes et pharmaciens, le chef du département clinique concerné ou, en cas d'absence, d'empêchement ou à défaut d'agir de ces personnes, le directeur général, peuvent suspendre les privilèges d'un médecin ou d'un dentiste exerçant dans le centre.»

n(14 h 50)n

Ce pouvoir, évidemment, a toujours été utilisé avec beaucoup de jugement et de parcimonie pour protéger les patients d'un hôpital. Le problème, c'est: Qu'advient-il du public en général? Qu'arrive-t-il des patients qui ne sont pas hébergés dans un centre de santé? Comment agir pour faire cesser temporairement un médecin d'exercer la médecine en cabinet privé, alors qu'il a dû cesser de le faire en établissement, s'il le faisait en même temps en établissement et en bureau privé, pour des motifs d'inaptitude ou de santé? Voilà le problème. Et, à l'instar de tous les ordres professionnels, je dois vous avouer que les seuls moyens dont on dispose actuellement sont soit de demander des examens à des experts, ce qui peut prendre des mois, ou encore de loger évidemment une requête en radiation provisoire auprès du comité de discipline, de faire alors la preuve que l'intérêt public est en jeu, de permettre une défense en fait et en droit et d'attendre bien sûr que les instances disciplinaires rendent la décision motivée. Vous voyez également tout le temps que ceci peut prendre. En cas d'urgence, évidemment, vous voyez comme moi que ce sont des moyens qui sont très longs et inefficaces pour protéger le public.

Alors, nous croyons qu'en s'inspirant de ces pouvoirs qui sont confiés par la Loi sur les services de santé et les services sociaux aux autorités des établissements de santé le Collège devrait se voir également confier des pouvoirs analogues qui tiennent compte des dispositions, évidemment, des chartes des droits et libertés.

Je dois vous avouer, par contre, qu'il y a moins d'une semaine, après des discussions, nous avons reçu de l'Office des professions une contre-proposition visant à modifier non pas la Loi médicale, mais le Code des professions à cet effet, et je dois vous dire qu'on est absolument d'accord avec cette proposition, car, des professionnels inaptes à exercer, vous serez d'accord avec moi, il n'y en a pas uniquement en médecine, il peut y en avoir dans toutes les professions, et ça peut sûrement être utile à tous les ordres professionnels. Donc, si cette espèce de pouvoir dont nous avons besoin pour utiliser, de façon rarissime, espérons-le... peut servir à d'autres, tant mieux, évidemment à la condition qu'on puisse tous l'obtenir bientôt.

Donc, nous souhaitons pouvoir compter sur l'appui des deux côtés, je dirais, de la présente commission parlementaire et de l'Assemblée nationale pour accepter cette modification qui serait faite au Code des professions et ainsi, je pense, accorder aux ordres professionnels une protection du public qui serait encore plus grande et plus efficace.

Alors, je vous remercie de m'avoir permis d'aborder ce sujet et évidemment aussi de nous avoir permis de vous exprimer nos idées sur le projet de loi n° 35. Et, bien sûr, nous sommes disponibles pour répondre à vos questions.

Le Président (M. Simard): Merci, Dr Lamontagne. Je ne sais pas si les parlementaires ici réunis relèveront vos propos de la dernière partie dans la discussion qui va suivre, c'est leur liberté aussi, mais vous avez abordé évidemment, puisque c'était d'abord pour ça que vous êtes venu, la loi n° 35. Donc, déjà, je demande au ministre de bien vouloir intervenir auprès de vous. Si d'autres membres de la majorité ministérielle veulent le faire, ils pourront le faire dans les minutes qui suivent.

M. Bellemare: Alors, merci beaucoup pour la présentation de ce mémoire et merci pour votre assiduité aussi, vous étiez là... Dr Lamontagne, je crois que vous étiez remplacé en septembre. C'est un bonheur de vous retrouver aujourd'hui, ainsi que vos collègues, les Drs Garon, Robert, et Me Bélanger également, je crois, qui est ici pour... qui n'était pas là en septembre non plus, je crois bien. Alors, bienvenue et merci pour ce mémoire succinct mais très important aussi. Le caractère succinct du mémoire est important, comme vous le savez, non pas qu'on n'a pas le temps de lire, mais, quand on a un document complet et facile d'accès comme celui que vous avez confectionné, bien, ça rend toujours la tâche plus facile.

Je commencerai par répondre à votre dernière proposition, concernant le pouvoir de suspendre un médecin pour cause d'incapacité physique ou psychique. La semaine dernière, j'ai rencontré le ministre Couillard là-dessus. On s'est parlé, on a regardé la proposition. Il y a même un texte précis qui avait été acheminé par le Collège; nous l'avons analysé, et il est en cheminement actuellement. On regarde la possibilité de donner suite à vos recommandations de la meilleure façon possible. Le texte semblait convenir, mais, évidemment, on ne peut pas présumer non plus de l'assentiment du Conseil des ministres, qui devra ultimement se pencher sur cette proposition. Parce que le pouvoir que vous réclamez exige évidemment un amendement à la Loi médicale, donc Conseil des ministres... préalablement un comité bien sûr, Conseil des ministres et, éventuellement, présentation de projet de loi peut-être à la session du printemps, dès le 9 mars. Mais, évidemment, nous sommes conscients de l'importance d'agir, de l'urgence d'agir dans l'intérêt bien sûr des patients du Québec, qui ont à obtenir et à maintenir toujours la certitude que le médecin qui les soigne est un médecin qui possède non seulement la compétence, mais aussi des aptitudes physiques et psychiques qui sont absolument essentielles compte tenu du rôle important que le médecin joue dans notre société. Alors, simplement pour vous dire que c'était déjà sur la planche à dessin, nous travaillons là-dessus, et mon collègue Couillard et moi sommes en contact à peu près hebdomadaire sur la question.

En ce qui concerne le projet de loi n° 35, nous savons qu'il existe bien sûr une dimension très médicale dans plusieurs cas qui sont abordés par le Tribunal administratif du Québec dans sa section des affaires sociales et par la Commission des lésions professionnelles. Le projet de loi prévoit la réunion, l'unification de ces deux tribunaux pour n'en faire qu'un seul, pour permettre bien sûr, comme certains intervenants, hier matin, l'on dit, la synergie, favoriser les déplacements des membres et également, si on peut le faire, des experts ou des spécialistes au sein même du tribunal.

Moi, je suis d'une école plus ancienne, j'ai plaidé beaucoup devant la Commission des affaires sociales entre 1979 et 1985, et la Commission, à l'époque, était composée de divisions, comme la division des accidents du travail, les victimes d'actes criminels et l'assurance automobile. On avait cette espèce de synergie qui existait à l'époque. Et, à l'époque, les bancs étaient composés de deux avocats et d'un médecin dans tous les cas, bien que ça ait changé au début des années quatre-vingt pour devenir un avocat et un médecin, pour des raisons d'efficacité, et les médecins se promenaient d'une division à l'autre, on les voyait dans à peu près toutes les sections de la Commission des affaires sociales.

Alors, ma question est de savoir si vous avez une opinion concernant la possibilité ou l'avantage, à la limite, qui pourrait découler du fait que le médecin, parce qu'il y a des membres médecins, bien sûr, au TAQ actuellement et qu'il y a des assesseurs médecins à la Commission des lésions professionnelles... Voyez-vous d'un bon oeil que les médecins puissent agir dans la division des lésions professionnelles du nouveau tribunal ainsi que dans la division des affaires sociales? Par exemple, une semaine, que le médecin agisse dans des causes d'accidents de travail puis, la semaine suivante, dans des causes d'assurance auto, ou si vous croyez qu'il devrait y avoir une étanchéité totale entre les médecins qui agissent dans un secteur puis d'autres qui agissent dans d'autres?

M. Lamontagne (Yves): Une chance que j'ai amené des gens avec moi qui me conseillent bien.

M. Bellemare: Oui.

M. Lamontagne (Yves): Dr Garon me fait remarquer que, dans un cas, l'un est expert et l'autre est comme cojuge.

M. Bellemare: Vous avez raison, il y a... je suis conscient du fait qu'il y a peut-être une problématique de statut. Mais mon propos, c'est dans l'intérêt bien sûr des citoyens puis aussi dans l'intérêt des médecins, parce que je sais que, professionnellement, les conférences de juges sont favorables au fait qu'il puisse y avoir un déplacement.

Hier, la Conférence des juges administratifs nous disait: Bien, on verrait d'un bon oeil qu'on puisse agir dans toutes les divisions, pour des raisons professionnelles, des raisons d'intérêt, à condition bien sûr que le juge administratif ait la compétence et la formation pour pouvoir agir partout. Mais... Bon, alors, on se demandait, et je me demandais personnellement si, du côté des médecins, c'était la même chose, s'il y aurait un avantage à ce que les médecins puissent circuler?

M. Lamontagne (Yves): Bien, moi, j'aurais tendance, avant de passer la parole à mes collègues, à vous dire que je n'ai pas d'inconvénient à ça. Vous savez, j'ai toujours le même principe, par contre; c'est qu'il faut être efficace, perdre le moins de temps possible et donner le meilleur service à la clientèle. Quand ça regarde soit des lésions professionnelles, des choses qui regardent vraiment la médecine, je pense qu'il est toujours utile d'avoir un médecin à quelque part; et ça, je ne dis pas ça de façon protectionniste, ou quoi que ce soit. Je disais à mes collègues en m'en venant ici: Je ne me sens pas très à l'aise ici, parce que je suis dans le milieu du droit. Et je présume que les avocats, quand ils sont dans le milieu de la médecine, ne devraient pas être plus à l'aise non plus. Mais que, si on travaille en synergie, ensemble, et que, moi, je veux bien que les avocats m'expliquent quand ça regarde le droit, mais j'aime bien également leur expliquer quand ça regarde la médecine. Et je pense que, ensemble, comme ça, c'est peut-être la meilleure façon de rendre la meilleure justice aux malades, en tout cas, quand c'est les cas de consultation. Alors, que ce soit d'un côté ou de l'autre.

Par contre, en même temps, je vous dirais, pour l'avoir déjà fait, en rapport avec la CSST, où j'avais été engagé un peu comme assesseur, et c'est un peu le même principe, hein, il y a un avocat habituellement qui est le président du tribunal, une partie syndicale, une partie patronale, et, moi... c'était juste en psychiatrie, les deux psychiatres venaient exprimer leur opinion, et, quand eux partaient, les gens me disaient: Bien, qu'est-ce que tu en penses, là, des deux qui ont dit ça, là, qu'est-ce que tu penses qu'on devrait faire avec ça? Moi, je trouvais ça certes fort intéressant, et, s'il n'y avait pas de question à poser, évidemment, je partais tout de suite. Mais je pense que, eux aussi, ayant peu connaissance et faisant face à deux experts, évidemment un qui est d'un côté puis l'autre de l'autre côté, bien je pense que je leur servais au moins à leur donner certaines notions ou un peu l'heure juste, pour rendre, eux, le meilleur jugement possible face au patient qui se retrouvait devant eux.

n(15 heures)n

Alors, moi, je vous dirais, ce n'est pas une question de mettre des docteurs partout, c'est une question que la médecine, c'est une profession, on ne peut pas remplacer ça par n'importe quoi, et, quand il s'agit d'un diagnostic et d'un traitement, jusqu'à maintenant en tout cas, le seul qui a vraiment l'expertise pour faire ça, parce qu'il a fait les études pour le faire, ça demeure encore le médecin. Donc, quand il s'agit des choses comme ça, moi, je pense que le médecin devrait être une partie participante, en tout cas, à ce niveau-là, et je pense que, sans faire perdre de temps ? il faut quand même... il faut que ça roule, là, il ne faut pas que ça appesantisse toute la machine ? je pense que ça peut, au contraire, accélérer le règlement dans certains cas ou au moins éclairer de façon très pertinente le tribunal. Et, à ce niveau-là, je vous ajoute juste aussi... d'où l'importance parfois d'accorder au médecin qui serait là de, lui aussi, pouvoir poser des questions. Parce qu'on a beau être dans la même spécialité que nos confrères, bien, des fois, de part et d'autre, il y a quelque chose qui leur a peut-être échappé et que, nous, on pourrait poser, si vous voulez, comme experts ou comme conjoints au tribunal ? appelez ça comme vous voulez, là ? et à ce moment-là ça pourrait nous permettre, en tant que rattachés à ça, d'avoir l'heure beaucoup plus juste à ce moment-là. Je ne sais pas si je réponds bien à votre question ou si mes collègues ont des choses à ajouter là-dessus.

M. Garon (André): M. le ministre, simplement pour vous dire que la polyvalence, vous le savez, a ses avantages, la spécialisation aussi. C'est sûr que, en matière de lésions professionnelles, c'est tout un monde, hein, qui a sa propre dynamique. Cela dit, il peut être avantageux... Bien sûr, il y a une question de masse critique qu'il faut regarder, là, mais il est peut être avantageux, entre guillemets, de «pooler» tout ce monde-là et de les affecter au besoin à une section ou à l'autre, tenant compte des statuts différents. Peut-être qu'il y en a qui seraient moins à l'aise, toutefois, il faut se le dire tout de suite. Partir du Tribunal administratif puis aller à ce qu'on appelait la Commission des lésions professionnelles, appelés à siéger comme experts à cette section-là, il y en a peut-être qui auraient besoin d'initiation un petit peu, là. Enfin, je pense qu'il y a des avantages et des limites à tout.

M. Bellemare: C'est ça, parce que, si on prévoit la possibilité de le faire, c'est parce qu'on pense que dans certains cas ça peut aider. Quand on amende la loi ou qu'on prévoit une disposition législative, ce n'est pas toujours parce qu'on croit qu'il y a des milliers de cas qui sont visés, ça peut être quelques cas.

Mais je vous donne l'exemple des traumas crâniens. En assurance auto, il y en a quotidiennement; en accidents de travail, il y en a beaucoup moins. Mais il se produit des cas ? et je l'ai vécu personnellement ? où des traumatismes crâniens d'importance interviennent chez des accidentés du travail. Les accidentés du travail victimes sur la route sont touchés par la CSST, et on se disait spontanément que c'était un cas de SAAQ, c'est-à-dire que c'est un cas qui normalement se retrouve au Tribunal administratif du Québec. Puis je me posais la question cette semaine: Qu'arriverait-il de ce cas s'il se présentait devant un tribunal unifié comme celui qu'on projette d'implanter? Est-ce qu'on pourrait demander à un médecin qui est plus versé dans les cas de traumas crâniens d'agir dans la section des lésions professionnelles pour un cas semblable? On peut penser à de multiples cas qui pourraient être analysés, dans certains cas, de façon beaucoup plus avantageuse par des médecins qui sont dans d'autres sections, puis là on se retrouverait devant un tribunal où ce ne serait pas possible. Je trouverais ça choquant, puis je me demandais si vous pensiez qu'on pouvait au moins s'y attarder.

M. Lamontagne (Yves): Vous savez, je pense qu'on parle beaucoup de réingénierie, puis je pense qu'il faut en faire. Je ne vous raconterai pas ici, là, ma perception quand j'ai déjà fait ça pendant un petit bout de temps, mais je trouve que c'est complètement pénible, inefficace, ça ne finit plus, puis il faut arriver à des solutions qui soient beaucoup plus rapides et beaucoup plus efficaces. Et autant le patient va être ou satisfait ou pas satisfait ? parce que, en bout de ligne, ça arrive à ça ? mais, au moins, on ne le fera pas traîner pendant des mois sinon parfois des années, à ne plus finir. Et ça coûte cher non seulement en effectif ? parce que le patient, lui, il ne sort toujours pas, pendant ce temps-là, de son trou, si vous voulez ? et, au niveau économique, au niveau de la société, laissez-moi vous dire que ça va coûter bien moins cher que ce que ça nous coûte actuellement. En tout cas, moi, c'est la perception que j'ai de ça, et j'espère que c'est vers ça que vous visez.

M. Bellemare: Merci.

M. Robert (Yves): Pour renchérir sur ce que mes collègues disent, j'aurais tendance à dire que, dans les critères qu'on devrait prendre, c'est d'abord le souci du bien du patient, et ensuite la compétence du médecin qui est capable de donner le meilleur service possible. Donc, il faudrait lever les barrières administratives qui nous empêcheraient d'avoir accès au médecin qui aurait la meilleure compétence, pour donner le meilleur service possible au citoyen.

M. Bellemare: O.K. Quant à vos trois demandes, la première, sur la nomination d'un médecin quand un diagnostic est impliqué, j'imagine que vous parlez de la détermination d'un diagnostic? Parce que, dans presque toutes les causes médicales, il y a des diagnostics, mais j'imagine que c'est quant à la détermination d'un diagnostic que vous souhaitez que...

M. Garon (André): Oui, M. le ministre, c'est surtout ça. Effectivement, quand c'est le diagnostic qui est en cause, qui est à l'origine du litige, il faut que quelqu'un en mesure de poser ce diagnostic-là vienne donner son opinion. La loi n° 90, que vous connaissez et qui a été adoptée il y a quelques mois, est venue permettre un partage d'activités entre professionnels. Toutefois, elle est venue également centrer le noyau dur de l'exercice de la médecine sur trois objets: le diagnostic d'abord, la détermination d'un plan de traitement et l'accomplissement de procédures invasives. Alors, c'est ça, pour l'essentiel. La médecine, il y a bien d'autres choses, mais ça, ce n'est pas partageable.

M. Bellemare: O.K. Alors, je comprends qu'on parlerait de cas où il s'agirait de déterminer: est-ce qu'il y a hernie ou entorse? est-ce qu'il y a commotion ou pas? par exemple.

M. Garon (André): Tout à fait.

M. Bellemare: O.K. Deuxième recommandation, la consolidation du pouvoir du médecin expert dans la section des lésions professionnelles à questionner et émettre une opinion. Moi, j'ai vu aller la Commission, la CALP, de 1985 à 1998, et la CLP depuis. Dans tous les dossiers importants, il y a des médecins. J'ai toujours pensé que les médecins étaient très à l'aise de questionner et d'émettre des opinions. Ils le font allègrement au quotidien dans ces causes-là. Est-ce que votre crainte, ou, en tout cas, votre demande de le préciser dans la loi provient d'une difficulté vécue? Est-ce que vous avez déjà été saisis de situations où le médecin avait été gêné ou limité, pour une raison quelconque, dans son pouvoir de poser des questions et d'émettre des opinions?

M. Lamontagne (Yves): Bien, remarquez...

M. Bellemare: Pour qu'on puisse le prévoir, c'est que ça doit répondre à...

M. Lamontagne (Yves): Oui. Moi, je pense que c'est important. Me Bélanger va peut-être vous dire quelque chose là-dessus. Mais je voudrais vous dire, M. le ministre... Puis c'est intéressant, parce que ? je vais être candide avec vous ? ce n'est pas moi qui l'ai écrit, le texte, c'est évident, mais vous me donnez l'occasion quand vous soulevez ça... Moi, je peux vous dire, quand je l'ai fait, déjà, il y avait des gens qui m'avaient averti. C'est sûr, ça dépend c'est qui qui... pas le président du tribunal, mais le membre qui a la cause, et, moi, je me suis déjà fait dire par un des membres, quand il y avait le syndicat puis le patronat: Écoute, fais attention. Ne pose pas de questions. Attends qu'ils te demandent s'ils veulent savoir des questions, parce que, sans ça, tu vas avoir l'air ou de prendre le bord du syndicat ou du patronat. Puis, si je te fais un clin d'oeil, là, tu iras, mais, si je ne t'en parle pas, ne va pas sauter là-dedans, parce que tu peux choquer du monde. Bien, il y a un grand bout où je restais tranquille, qu'est-ce que vous voulez que je vous... puis j'aurais eu le goût, mais ce n'était pas marqué à nulle part. Je ne pouvais pas dire: Non, j'ai le droit. Alors, vous voyez, juste pour prendre cet exemple-là...

Puis c'est intéressant que vous souleviez ça, parce que ça me rappelle un peu cette histoire-là qui m'est arrivée. Bon. Ils disent que je ne peux pas parler, je ne parle pas, s'ils me disent de ne pas parler; puis, s'ils me disent de parler, je vais parler. Mais, quand c'est clair, à ce moment-là, je vous dirais: Si ça avait été clair, autant le patronat que le syndicat auraient su que, un, j'avais le droit de poser des questions parce que j'étais le docteur qui était assis avec eux autres, puis que peut-être que la question que j'aurais posée, ça allait les aider à l'autre bout, et non pas de dire: Ah! Bien, tu es antisyndical, ou tu es antipatronat, si vous voulez. Ça aurait été clair, si tu veux, tu es comme au même milieu qu'eux autres. Mais c'est intéressant que vous souleviez ça, parce que ça me rappelle cette anecdote-là. Me Bélanger.

Mme Bélanger (Linda): Par ailleurs, en matière de clarté, puisque ça a déjà été prévu dans votre projet de loi que, en matière de lésion professionnelle, la personne nommée par l'employeur et celle de la partie syndicale peuvent poser des questions et peuvent intervenir, pourquoi ne pas le mentionner expressément en ce qui concerne les experts qui pourraient assister le tribunal dans ces dossiers-là? Ça éviterait la confusion et ce serait clair pour tout le monde.

M. Bellemare: Et ça m'apparaît plein de bon sens, tout à fait sensé. D'ailleurs, les trois recommandations m'apparaissent tout à fait fondées. Tout simplement de savoir s'il y avait déjà eu des problèmes.

Mais, la situation à laquelle vous référez, Dr Lamontagne, je ne suis pas sûr qu'elle serait corrigée par un changement à la loi. Au fond, il y a une dynamique qui s'installe dans un banc à deux ? puis, à quatre, encore plus ? où des fois on se fait dire: Bien là, pose donc telle question, ou ne parle donc pas, ou... hein, c'est... Et le fait de permettre de pouvoir poser des questions ne veut pas dire que, dans la même situation, le... Mais je ne pense pas, non plus, que l'absence d'une disposition spécifique dans la loi vous a empêché de poser des questions, parce que je suis convaincu que, cette fois-là, vous en avez posé quand même.

M. Lamontagne (Yves): Mais je vais vous répondre deux choses là-dessus. Vous savez, je ne suis pas trop timide dans la vie, mais je respecte l'autorité, et, quand j'étais arrivé là, moi, je ne sais pas comment ça marche, là. Alors, si quelqu'un me dit: Écoute, c'est comme ça que ça se passe ici, bien, j'ai écouté. Et c'est sûr que, même si plus tard, avec un peu d'expérience, j'avais le goût, bien, il y avait toujours ça qui me revenait, en me disant: Je vais-tu me planter contre le syndicat? Je vais-tu me planter contre le patronat? Puis c'est quoi, cette affaire-là? On n'est pas ici, là, pour savoir si ça tire d'un bord ou de l'autre bord, on est ici pour essayer de rendre le meilleur service possible.

n(15 h 10)n

Mais, comme je ne l'avais pas, un des deux côtés aurait bien pu me dire: Bien, O.K., on vous aime bien, là, mais ce n'est pas marqué dans le livre, là, vous n'avez pas d'affaire à poser de questions. Alors que, si ça avait été écrit dans le livre, moi, le premier... Parce que des fois, vous savez, il y a du verbal puis du non-verbal là-dedans, aussi, l'autre qui te regarde avec des yeux gros de même, en voulant dire: Qu'est-ce que tu fais là? Mais, quand c'est écrit, tu as beau me regarder de même, j'ai le droit de poser cette question-là, c'est marqué dans le livre. Alors, c'est... Et les gens qui vont travailler, que ce soient des médecins, et certains qui sont là actuellement, qui ont déjà de l'expérience, bien, à un moment donné, il va y en avoir d'autres qui auront moins d'expérience et qui vont rentrer dans ce système-là aussi. Et donc, tout cet apprentissage-là... Sans vous parler qu'il y a des gens qui sont plus timides que moi, aussi, là.

Le Président (M. Simard): Il y en a plusieurs, Dr Lamontagne. Alors, ça met fin à... Le temps est utilisé déjà. Je vais demander au député de Chicoutimi et critique en matière de justice de poser les questions et d'entreprendre le dialogue avec nos amis du Collège des médecins.

M. Bédard: Merci, M. le Président. Alors, merci, Dr Lamontagne, Drs Garon, Robert et Me Bélanger. Merci de votre présentation. Vous disiez que l'Assemblée, ici, c'est comme le droit pour vous, alors vous n'êtes pas à l'aise. Alors, je vous répondrais que, si j'ai la même... pour moi, la médecine, effectivement, c'est un phénomène que je connais moins, mais, si j'ai votre habileté en médecine comme vous l'avez en droit, eh bien, je pourrais être engagé par l'Hôpital de Chicoutimi, je pense bien, à court terme, parce que vous maîtrisez bien nos institutions et la façon justement d'apporter votre point de vue, et je tiens à vous remercier.

Je voulais voir avec vous deux petites choses, ce ne sera pas très long. D'abord, la première, sur le dernier point que vous avez mentionné. Évidemment, il y aura ma collègue aussi qui est responsable des ordres professionnels, mais évidemment on a eu certains contacts et nous attendons les propositions qui semblent... qui vont émaner du gouvernement afin de pallier à la problématique et aux adaptations que vous souhaitez, et je peux vous assurer la collaboration, en termes de rapidité, là, aux propositions qui émaneront de la partie gouvernementale, avec tout le souci que doit avoir l'opposition à s'assurer, comme le fait le gouvernement d'ailleurs, du contenu des textes juridiques. Mais, sur le principe, nous attendons évidemment la proposition, mais a priori ma collègue vous a quand même fait part, je pense, de son intérêt et de sa collaboration.

Relativement au dossier, plus particulièrement le projet de loi actuel, vous avez trois recommandations: la première, M. le ministre le disait tantôt, semble faire l'objet d'un accord, ou plutôt le gouvernement souhaite y donner suite. Ce matin, nous avons exploré la possibilité d'aller de l'avant avec la possibilité de modifier le projet de loi de façon à conserver le principe de la multidisciplinarité, donc que la formation est de deux, mais en donnant un pouvoir beaucoup plus accru au président du tribunal de déterminer, dans les cas où ils sont utiles, qu'il y ait finalement un seul lorsque les cas sont plus simples, lorsque les cas souvent relèvent simplement d'une question juridique, donc qui ne feront pas appel à des expertises autres que celles juridiques. Et donc, le ministre s'est montré très ouvert à cette proposition d'amender finalement le projet de loi actuel et la loi actuelle, l'article 82, pour permettre une plus grande latitude au président du tribunal tout en conservant le fondement, soit la multidisciplinarité.

L'association, il y a quelques heures encore, ce matin plutôt, l'association des juristes, plutôt, des juges de droit administratif s'est montrée tout à fait favorable à cette proposition. J'aimerais voir si elle rencontrerait les attentes que vous avez quant à la proposition que vous avez faite, à votre première proposition.

M. Lamontagne (Yves): Moi, je vous dirais oui, tout à fait. Vous savez, au fond, ce que vous dites, c'est que, quand vous n'avez pas besoin d'experts ou de médecins, que c'est purement administratif ou légal... on est d'accord avec vous, les juristes sont très capables d'arranger ça. On n'a pas d'affaire là. Mais je pense que, quand il y a des choses qui regardent la médecine, je pense que ça a du bon sens qu'il y ait quelqu'un qui a une expertise médicale pour pouvoir conseiller ou, si vous voulez, se concerter pour arriver, pour trouver, pour la personne qui est devant nous, la meilleure justice possible compte tenu de son état physique ou psychologique. Mais, quand il n'y a pas de trucs qui sont directement reliés à la médecine, moi, je n'ai aucun problème avec ça, ça va juste être plus efficace et plus rapide.

Quand on parle de diagnostic, puis vous m'avez fait penser à ça, M. Bédard, au niveau de la médecine physique, ce n'est pas tellement compliqué, à mon avis, parce qu'on sait qu'il y a des spécialités. C'est quand on va arriver dans les troubles de santé mentale que, là, c'est un peu plus complexe, avec les médecins psychiatres, les psychologues puis les travailleurs sociaux. Mais je pense que, encore là, on est capable de comprendre aussi qu'à un moment donné un suivi psychologique, ce n'est pas la même chose que faire un diagnostic de schizophrénie, c'est là, la nuance, puis que placer un enfant, ou je ne sais pas quoi, ou un adulte, ou... quand le travailleur social vient pour ça, bien je pense que son premier rôle, à lui, c'est de régler ce problème-là; ce n'est pas son rôle, à lui, de décider si c'est un dépressif ou un maniacodépressif. Comprenez-vous? Alors, c'est... Mais, au niveau de la santé mentale, je vais être franc avec vous, on est plus dans le mou, là. En santé physique, une fracture du crâne, bien, ce n'est pas compliqué, c'est le neurochirurgien ou le neurologue, il n'y en a pas 52, spécialités. Alors là on est un peu dans le mou, par contre. Il faut que je sois honnête aussi.

M. Bédard: Très bien, oui, oui, c'est très clair. L'autre aspect concerne... Sur la spécialisation, il faut bien préciser... Le ministre a fait état... Oui, il pourrait y avoir, bon, possiblement, afin d'être plus, je vous dirais, efficace dans l'administration du tribunal, possiblement que certains membres de ce Tribunal administratif pourraient avoir certaines compétences, pourraient avoir différentes spécialisations finalement. Ce que j'ai compris de vos propos, parce qu'il y a plusieurs, je vous dirais... il semble y avoir plusieurs versions, il y a plusieurs appréciations différentes. On a eu un commentaire, ce matin, plus ouvert de gens qui disaient... ou plutôt hier, la Conférence des juges qui disait: Écoutez, c'est les gens qui déterminent leurs aptitudes, plutôt. Si je me sens apte à juger dans un domaine précis de spécialisation, eh bien, qu'on me laisse finalement, je suis capable de déterminer si je suis apte ou non; théorie avec laquelle je vous avouerais que j'ai un peu de problèmes. L'aptitude, comme je le disais, s'évalue souvent avec la confiance, et la confiance n'est pas un synonyme de compétence, et ce qui ferait en sorte que les gens qui pourraient se déclarer aptes n'auraient pas nécessairement les connaissances mais auraient une très grande confiance, ce qui arrive souvent dans notre vie de tous les jours.

D'autres, par contre, disent: Écoutez, il faut être plutôt prudents là-dedans et plutôt envisager celle de la formation. Oui, il peut y avoir différentes compétences, mais à chaque fois ça doit être assorti d'une obligation ou d'une formation, d'une vérification, pour ne pas se retrouver face à des gens qui ne s'improviseraient pas de façon... avec de mauvaises intentions, mais qui seraient des cas où il n'y aurait pas la compétence qui est requise. Quelle est votre position plus précise par rapport à ça?

M. Lamontagne (Yves): Bon, brièvement, je vous dirais évidemment que j'ai enseigné 25 ans à l'université, je suis très, très pour la formation. La compétence, ça ne s'apprend pas sur le tas; ça aide, on peut avoir un mentor, hein, l'artisan et le maître, etc., c'est très bien. Mais, ça, c'est comme dans la phase 2, maintenant, là, on n'est pas au XVIIe siècle. Donc, je pense qu'effectivement, qu'on soit dans le milieu public ou dans le milieu privé, il y a cette tendance à la formation pour obtenir les compétences nécessaires, qui seraient théoriques dans un premier temps, puis après ça vous arrivez, un peu comme nous autres en médecine, hein, au côté pratique après. Donc, il y a deux types de formation qui sont importants. Mais, je suis tout à fait d'accord avec vous, on ne s'invente pas compétent, on ne devient pas compétent du jour au lendemain. On peut avoir acquis une certaine compétence parce qu'on est impliqué dans différentes affaires, mais peut-être qu'on n'est pas bon non plus.

Alors, moi, c'est sûr que, dans quoi que ce soit, je pense qu'une formation est toujours adéquate, évidemment qui peut dépendre, selon ce que vous faites, de la longueur de la formation. Et c'est comme dans l'enseignement aussi. Le formateur et l'élève, vous savez comme moi qu'il y a des élèves qui sont doués puis qu'il y a des élèves qui sont beaucoup plus lents, et que nécessairement, bien, ça aussi, ça peut jouer dans la formation. Au moins, que chacun ait une formation de base. Je pense que c'est très, très valable.

n(15 h 20)n

M. Bédard: Sur l'indépendance, plusieurs... Bon, les gens, en général, ont des commentaires favorables au fait que, vous avez vu, les membres du tribunal vont être jugés... vont être plutôt... vont être membres jusqu'à bonne conduite, au lieu d'auparavant où c'était... Bon, il y avait des renouvellements quinquennaux, mais qui étaient quand même assez... où il était plutôt rare que les gens n'étaient pas renouvelés, mais, quand même, je pense que c'est un pas de plus vers la stabilité, l'indépendance, c'est celui de confirmer, selon bonne conduite, les membres de ce tribunal. J'imagine que vous êtes favorable à ce positionnement? Ou peut-être vous me direz le contraire?

Par contre, je lis... Dans le projet de loi, vous dites que vous êtes en faveur de l'article 36 qui prévoit, vous l'avez vu, qui prévoit la nomination d'experts qui vont conseiller le tribunal. Il faut peut-être m'éclairer aussi: de quelle façon vous voyez ce rôle plus précis, mais eux auront des mandats qui vont être quinquennaux, qui vont être renouvelables selon des balises qu'on connaît moins... Est-ce que vous pensez que... sans dire qu'on peut parler des deux côtés de la bouche, là, mais quel rôle réel ces experts vont-ils jouer, quel rôle leur voyez-vous? S'ils ont un rôle déterminant ? et on plaide pour l'indépendance ? est-ce que c'est un peu, je vous dirais, là... ce n'est pas d'une logique à toute épreuve que de prétendre que, dans un des cas, le juge aurait un statut et l'autre aurait un statut qui est moins important, mais dont l'importance en termes de réflexion, pour le tribunal, a aussi, je pense, tout son intérêt, donc qui serait plus perméable, si on veut, à la pression, entre guillemets, gouvernementale ou d'agents extérieurs quant aux décisions du tribunal?

M. Garon (André): Écoutez, je comprends que ce que vous dites, c'est...

M. Bédard: C'est long, hein?

M. Garon (André): Ce que vous dites, c'est: Quelles sont les précautions finalement qui vont être prises pour identifier et nommer des experts? C'est un peu ce que je comprends...

M. Bédard: Oui.

M. Garon (André): ...et quelles sont les précautions qui vont être de nature à favoriser l'indépendance de ces gens-là?

M. Bédard: Bien voilà! Est-ce que vous êtes à l'aise avec ça?

M. Garon (André): Bien, il est sûr qu'un expert qui va aller travailler là, il faut favoriser qu'il soit indépendant. Quelles seront les précautions, les conditions de ces nominations-là? Je ne les connais pas, je ne sais pas si c'est le genre de choses qu'on doit retrouver dans un projet de loi. Mais nommer des gens compétents là-dedans qui vont avoir la distance, le recul nécessaire pour avoir un jugement éclairé, être le plus objectifs possible, c'est ce qu'on souhaite. Je vous comprends de poser la question. Fort probablement, je vous dirais, si vous étiez de l'autre côté, c'est l'autre qui poserait la même question. Parce que celui qui nomme, c'est celui qui est au gouvernement.

M. Bédard: Ce n'est pas bon, dans le cadre de la justice administrative, on le sait. Il faut se garder une distance pour éviter que le citoyen ait la perception finalement que... et d'autant plus devant les tribunaux administratifs, où celui qui rend la décision qui implique le gouvernement, donc que sa décision va être teintée par rapport à celui qui le nomme, qui est, en plus, une des parties. Alors, soit on est en faveur de l'indépendance, ou d'une plus grande indépendance, ou soit...

M. Garon (André): On ne peut pas être contre l'indépendance professionnelle de ces gens-là. On peut être pour ou contre des modalités qui vont la favoriser. On ne les connaît pas, les modalités. Il faudra voir comment ce sera fait.

M. Robert (Yves): Vous me permettrez peut-être de vous rappeler que, dans le cas des médecins, nous avons des dispositions dans notre nouveau code de déontologie qui font précisément allusion au rôle du médecin lorsqu'il doit agir en tant qu'expert, où il a une obligation déontologique d'être le plus objectif et le plus impartial possible. Donc, ça, c'est un élément qui est peut-être propre au médecin et à son code de déontologie, dans un premier temps.

Dans un deuxième temps, ce que je comprends, moi, de l'article 36, c'est qu'on va constituer un genre de, entre guillemets, banque d'experts qui vont être renouvelables et qui va faire en sorte qu'on va maintenir cette banque de compétences. Et ce n'est pas nécessairement, dans ma compréhension, une mauvaise chose qu'il soit nommé pour cinq ans, parce que ça peut éviter justement qu'il ait tendance à donner toujours les mêmes avis. Donc, qu'il y ait un renouvellement de cette banque d'experts n'est pas nécessairement une mauvaise chose a priori, compte tenu du fait que les médecins aussi, comme je le disais, dans leur code de déontologie, doivent respecter l'obligation déontologique d'impartialité et d'indépendance.

M. Lamontagne (Yves): Pour ajouter dans le sens du Dr Robert ? je pense que c'est une très bonne question que vous posez ? moi, j'aurais tendance, c'est peut-être mes restants de psychiatre dans ma vie d'autrefois... l'indépendance d'une personne vis-à-vis ce qu'elle a à faire, à mon avis, on ne peut pas régler ça par des lois, des règlements, c'est entre les deux oreilles. Vous avez les gens qui ont beau n'avoir aucun règlement, ils vont être indépendants, puis il y en a qui vont être dépendants pareil. Alors, c'est dans le choix des experts, je pense, qu'il est minutieux de prendre des personnes vraiment qui ont la compétence, qui ont la bonne tête sur les épaules pour être capables d'être au-dessus de la volée; et ça, il y en a, des gens comme ça, premièrement.

Deuxièmement, vous avez mentionné justement ces nominations de cinq ans. Pour aller dans le sens du Dr Robert, moi, je crois aussi que, à la longue, si vous voulez, d'être trop longtemps dans le même processus, ça use, et que donc des experts, je vous dirais, pour avoir côtoyé certaines gens aussi, des experts qui sont experts à la même place depuis 20 ans, là, moi, j'avoue que je ne crois pas à ça du tout. Moi, je pense qu'il devrait y avoir un pool d'experts. Vous donnez à quelqu'un la chance de dire: Je te donne un contrat de cinq ans, et, quant à moi, ce serait non renouvelable. Et, idéalement, je pense, en plus, je vais plus loin que ça, il y a des experts qui devraient être nommés experts aussi, mais, une de mes conditions pour les nommer experts, il faudrait qu'ils soient encore impliqués en clinique au moins à demi-temps. Moi, des experts que je vois que ça fait 20 ans qu'ils n'ont pas mis les pieds dans un hôpital, là, je vous avoue que j'ai de la misère à croire ça.

M. Garon (André): Vous permettez, M. le Président?

Le Président (M. Simard): Oui, oui, oui.

M. Garon (André): C'est sûr que quelqu'un qui est expert pendant 15 ans, il devient expert de la procédure. Ce n'est pas ça que vous attendez de lui.

M. Lamontagne (Yves): Je ne suis même plus sûr s'il connaît le malade, par ce temps-là.

M. Bédard: Oui, oui. Effectivement. Il y en a qui sont spécialistes et qui deviennent aussi spécialistes en droit, plus spécialistes en droit qu'en médecine. Mais vous savez un peu que c'est ce qui va arriver, hein. Quand on nomme selon bonne conduite, évidemment, le membre peut se retirer, mais ça veut dire que normalement la personne... Je comprends qu'on n'entre pas au Tribunal administratif comme médecin à 25 ans, là. D'abord, on finit la formation autour de 30 ans, mais cette personne-là va rester jusqu'à ce que... pas jusqu'à ce que mort s'ensuive, là, jusqu'à la retraite, donc autour de la soixantaine. Donc, ça veut dire qu'il va être expert, donc il va être membre du tribunal une longue période. Donc, il va... Et c'est pour ça qu'il faut être... comme c'est le cas actuellement d'ailleurs. Il devient membre du tribunal, mais il a son expertise. Mais je veux simplement vous dire en même temps que ce membre-là va vivre cette réalité-là comme ça arrive actuellement.

M. Lamontagne (Yves): Moi, M. Bédard, je parlais plus au niveau des experts ou des gens qui vont élire le membre du tribunal.

M. Bédard: Qui viennent plus...

M. Lamontagne (Yves): C'est ça.

M. Bédard: Voilà. O.K.

M. Lamontagne (Yves): Évidemment, comme membre du tribunal, bien, je vous dirais, c'est des choix de carrière, c'est des choix de vie finalement. Il y a fort probablement certains médecins pour qui, au niveau de la carrière, ça devrait les intéresser. Moi, je vous dirai que je ferai tout en mon possible pour essayer de les garder dans les hôpitaux et dans les cliniques, quand on en manque 2 000.

Le Président (M. Simard): C'est ce que le Dr Couillard prétend aussi.

M. Bédard: Moi aussi, je vous dirais, effectivement.

M. Lamontagne (Yves): C'est ça. Alors, moi, je vais essayer de... Je ne parlerai pas pour votre paroisse, certainement, là-dessus. Par contre, au niveau de l'expertise, comme je vous disais, j'ai le malheur de voir parfois des gens qui vivent à plein temps de l'expertise et qui ne sont plus présents dans le système de santé. Et l'expertise, ça peut être payant, ça peut être intéressant, tout ça, mais, moi, je pense que quelqu'un qui fait de l'expertise pendant un bout de temps et qui quitte la pratique, il va être déphasé après quatre, cinq ans. Puis j'ai l'impression que, vous savez, pour avoir la notion du malade, là, il faut continuer à en voir, ne jamais perdre cette idée-là que c'est un humain qu'on a en avant de nous autres. Puis, quand on voit l'humain à travers un dossier après quatre, cinq ans, je suis loin d'être sûr qu'on voit l'humain au bout du dossier. C'est bien personnel, ce que je vous dis là, mais je ne suis pas le seul à penser comme ça.

M. Bédard: Effectivement. Merci.

Le Président (M. Simard): Alors, ça met fin à nos échanges. Je vous remercie beaucoup, Dr Garon, Dr Lamontagne, Dr Robert, Me Bélanger. Ce fut extrêmement intéressant. Alors, nous allons suspendre quelques minutes et nous allons recevoir ensuite le Réseau des avocats et des avocates de l'Union des travailleurs et travailleuses accidentés de Montréal. Merci.

(Suspension de la séance à 15 h 28)

 

(Reprise à 15 h 33)

La Présidente (Mme Thériault): Puisque tous les membres sont présents, nous allons reprendre les travaux de la commission et nous accueillons le Réseau des travailleurs et avocates de l'Union des travailleurs et travailleuses accidentés de Montréal. Donc, nous avons le plaisir d'avoir Me Marco Montemiglio et Me Claude Bovet. Donc, la parole est à vous, messieurs.

Réseau des avocats et des avocates
de l'Union des travailleurs et travailleuses
accidentés de Montréal

M. Montemiglio (Marco): Merci, Mme la Présidente. M. le ministre, membres de la commission, dans un premier temps, nous tenons à vous remercier d'avoir accepté de nous inviter afin de vous faire part de notre point de vue sur le projet de loi n° 35. Je tiens également à remercier plus précisément Me Breault qui, en un très court laps de temps, nous a permis de nous présenter ici.

Le réseau des avocats et des avocates de l'UTTAM est constitué actuellement de huit avocats et avocates aptes, spécialisés en matière de lésions professionnelles. Les clients que nous représentons sont en très grande majorité non syndiqués.

Notre présentation d'aujourd'hui ne visera que la partie, évidemment, du projet de loi visant les modifications à l'égard de notre domaine d'expertise, soit l'impact sur le régime d'indemnisation en matière de santé et sécurité du travail.

Notre présentation de cet après-midi se divisera en deux parties. Dans un premier temps, l'allocution de Me Bovet portera sur les quatre points que vous retrouvez à la page 4 de notre mémoire, c'est-à-dire la nomination des membres du TRAQ, l'affectation et la mobilité de ceux-ci, la tarification des frais afférents aux recours devant le TRAQ et le caractère public des décisions du TRAQ. Et également la disparition du Conseil de la justice administrative. Et, par la suite, je reviendrai à la toute fin afin de vous entretenir sur le pouvoir de reconsidération de la CSST et le processus de contestation. Alors, je vais laisser la parole à Me Claude Bovet.

M. Bovet (Claude): Merci. Bonjour, tout le monde. Je vais commencer par énumérer les modifications auxquelles nous donnons notre assentiment. Alors, tout d'abord, nous sommes d'accord avec la proposition selon laquelle le Tribunal des recours administratifs du Québec ne relève pas du même ministère que la CSST, soit celui du Travail, mais du ministère de la Justice.

Nous sommes d'accord également avec la proposition selon laquelle le gouvernement nomme les membres du tribunal non pas pour des mandats renouvelables de cinq ans, mais durant bonne conduite.

Nous sommes également d'accord avec la proposition voulant que le délai de contestation devant le tribunal soit non plus de 45 jours, comme c'est le cas actuellement dans la Commission des lésions professionnelles, mais de 90 jours.

Nous sommes également d'accord avec la proposition voulant que les personnes qui sont issues des associations syndicales et patronales ne soient plus présentes que dans les causes dont le litige porte sur la reconnaissance d'une lésion professionnelle autre qu'une récidive et seulement si le président ou le vice-président le juge utile ou si une partie en fait la demande.

Maintenant, je vais aborder la question des modifications avec lesquelles nous sommes en désaccord. Je vais traiter seulement de la partie que nous avons intitulée Les modifications portant sur des sujets divers. Alors, tout d'abord, la question de la nomination des membres du tribunal. Je rappelle qu'actuellement les candidats aux postes de commissaires doivent, en principe, être notaires ou avocats... avocats ou notaires, et ils doivent avoir une expérience pertinente de 10 ans à l'exercice des fonctions de la Commission des lésions professionnelles. Je rappelle que, avec la complicité du gouvernement de l'époque, la commission a réussi à faire nommer comme commissaires plusieurs de ses fonctionnaires qui ne possédaient pas les qualités prévues à la loi pour exercer des fonctions à la Commission des lésions professionnelles. Il s'agit du décret 1048-98 du 12 août 1998.

Les nominations que le gouvernement a faites conformément à la loi et celles qu'il a faites en y contrevenant font en sorte que la Commission des lésions professionnelles est, depuis sa création, composée majoritairement d'anciens fonctionnaires de la commission, de la CSST, ayant ou non présidé des bureaux de révision paritaire. Alors, à notre avis, cela mine dangereusement l'indépendance et l'impartialité que doit avoir un tribunal de dernière instance comme la Commission des lésions professionnelles actuelle.

Malheureusement, le projet de loi risque de perpétuer cette incongruité parce qu'il prévoit que les commissaires de la Commission des lésions professionnelles en fonction deviennent membres du tribunal et sont réputés avoir été nommés durant bonne conduite. De plus, le projet de loi prévoit que les candidats aux postes de membres du tribunal doivent avoir une expérience pertinente de 10 ans à l'exercice des fonctions du tribunal, sans toutefois préciser que cette expérience doit avoir été acquise dans la section à laquelle ils sont affectés. Alors, en matière de lésions professionnelles, on considère que ça pose un certain problème.

Et, pour faire en sorte que les justiciables aient accès ou aient droit d'être entendus par un tribunal compétent, on estime qu'il est nécessaire que le ministre comble cette lacune. De plus, pour faire en sorte que les justiciables aient accès à un tribunal indépendant et impartial, il nous semble que les commissaires nommés à la Commission des lésions professionnelles depuis 1998 ne devraient pas devenir automatiquement des membres du tribunal mais se soumettre à un processus de sélection auquel sont assujettis normalement les candidats.

Deuxième point que j'aborde, l'affectation et la mobilité des membres du tribunal. Actuellement, étant donné que la Commission des lésions professionnelles n'a que deux divisions, soit celle du financement et celle de la prévention et de l'indemnisation des lésions professionnelles, et que les commissaires de ce tribunal peuvent siéger dans l'une ou l'autre des divisions, la mobilité des commissaires est, somme toute, réduite et ne représente pas un frein à la spécialisation de ces derniers en matière d'indemnisation des lésions professionnelles.

n(15 h 40)n

Le projet de loi prévoit que le président affecte un juge administratif à une seule section. Bon. Toutefois, le président peut affecter temporairement ce membre du tribunal auprès d'une autre section. À notre avis, une telle affectation doit absolument être balisée, car une affectation trop longue ou des affectations répétées dans une autre section risquent, selon nous, de freiner ou même de compromettre la nécessaire spécialisation que doit acquérir un membre d'un tribunal administratif pour jouer pleinement son rôle. Et ça nous apparaît d'autant plus vrai encore une fois en matière de lésions professionnelles.

J'aborde un troisième point, la tarification des frais afférents aux recours devant le tribunal. Actuellement, la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ne contient aucune disposition conférant au gouvernement le pouvoir d'édicter un règlement qui détermine le tarif des droits, honoraires et autres frais afférents aux recours instruits devant la Commission des lésions professionnelles. La loi prévoyant l'intégration de la Commission des lésions professionnelles au tribunal rend possible l'imposition de tels droits. Or, selon nous, une imposition comme celle-là serait inacceptable, car elle aurait pour effet de réduire l'accès à la justice.

J'aborde un quatrième point, le caractère public des décisions du tribunal. Actuellement, la Commission des lésions professionnelles doit constituer une banque de jurisprudence, et celle-ci a un caractère public. Elle doit également publier un recueil de décisions qu'elle a rendues, et ces décisions publiées ont, elles aussi, un caractère public.

Le projet de loi prévoit qu'à l'instar du TAQ, ou du Tribunal administratif du Québec, le tribunal, le nouveau tribunal doit constituer une banque de jurisprudence et s'assurer, en collaboration avec SOQUIJ, de l'accessibilité de tout ou partie de l'ensemble des décisions. Toutefois, le projet de loi ne prévoit pas que cette banque de jurisprudence et que les décisions du tribunal qui sont rendues accessibles ont un caractère public. Alors, le fait que le tribunal n'ait pas l'obligation de constituer une banque de jurisprudence à caractère public ni celle de publier périodiquement un recueil de décisions à caractère public a, selon nous, pour effet de restreindre sérieusement l'accès à la connaissance de l'application et de l'interprétation que fait de la loi le tribunal de dernière instance. En matière de lésions professionnelles, cela constitue pour nous un recul inacceptable.

Maintenant, j'aborde un cinquième point qui est l'abolition du Conseil de la justice administrative. C'est que, actuellement, les commissaires de la Commission des lésions professionnelles qui font l'objet d'une plainte pour un manquement au code de déontologie voient le Conseil de la justice administrative procéder à l'examen de cette plainte, et le projet de loi prévoit l'abolition de ce Conseil et son remplacement par un comité que le président du tribunal constitue, qui est composé d'un membre du tribunal, d'une personne issue du milieu juridique et d'une autre issue des groupes socioéconomiques.

Selon nous, le comité ne nous semble pas suffisamment indépendant du tribunal pour statuer sur les plaintes des justiciables produites à l'encontre des membres de ce tribunal-là. On considère que ce serait plutôt à un Conseil de la justice administrative allégé ? parce qu'on reconnaît, là, qu'il y a une certaine lourdeur dans ce Conseil-là ? on considère que ce serait un tel conseil allégé qui serait plus approprié, là, pour... qui garantirait suffisamment d'indépendance pour statuer sur les plaintes faites à l'encontre des membres du tribunal sur les questions de déontologie.

Je laisse maintenant la parole à Me Montemiglio.

M. Montemiglio (Marco): Merci. En introduction, j'aimerais souligner qu'il faut se rappeler que le processus décisionnel et d'adjudication en matière de lésions professionnelles implique trois parties. Contrairement aux autres divisions du TRAQ, vous avez, d'une part, le cotisant, soit l'employeur, la victime de la lésion professionnelle ainsi que la CSST. Je crois que c'est un trait distinctif que nous devons prendre en considération lorsqu'on regarde ou lorsqu'on examine les propositions du projet de loi n° 35 en ce qui concerne les pouvoirs de reconsidération de la CSST ainsi que le processus de contestation d'une décision de la CSST.

Donc, ma présentation se divisera en deux parties. Je parlerai dans un premier temps du pouvoir de reconsidération de la CSST. Actuellement, comme vous le savez, la CSST a un pouvoir de reconsidération qui est limité par un délai de 90 jours et par le fait que la décision n'ait pas fait l'objet d'une révision administrative.

Le projet de loi, à son article 97, propose de modifier le pouvoir de reconsidération pour corriger toute erreur tant que le recours au TRAQ n'est pas formé. Donc, on abolit ici le délai de 90 jours de la prise de la décision ou de la connaissance d'un fait nouveau ou d'un fait essentiel. Donc, la proposition contenue au projet de loi n° 35 a pour effet d'abolir ce délai de 90 jours qui encadre et limite actuellement le pouvoir de reconsidération de la CSST, et c'est une proposition qui est inacceptable, à notre avis, car elle confère à la CSST un pouvoir de reconsidération exorbitant, qui est incompatible avec deux principes fondamentaux du droit administratif, soit celui du dessaisissement, soit le functus officio, que l'on connaît, voulant qu'une instance qui a épuisé sa compétence en rendant une décision dans une affaire doit généralement se dessaisir de celle-ci, et également le principe de la stabilité des décisions, voulant qu'une décision valablement rendue soit généralement irrévocable, surtout lorsque celle-ci reconnaît des droits à un justiciable. Et, comme je le vous disais en début, c'est d'autant plus important que ce pouvoir de reconsidération là soit encadré dans le cas des matières... en matière de lésions professionnelles, où le litige implique trois parties.

La deuxième partie de mon allocution sera sur le processus de la contestation des décisions de la CSST, qui se divisera en trois parties, soit l'abolition d'un palier de révision, le pouvoir de prolongation des délais par le tribunal et le pouvoir de la CSST de rendre une décision révisée alors qu'un recours contre la décision est déposé au TRAQ.

Le projet de loi propose l'abolition pure et simple de la révision administrative que l'on connaît actuellement en matière de lésions professionnelles et remplace... en fait, ne le remplace pas, mais établit un recours, une possibilité de décision révisée lorsqu'un administré conteste une décision de l'administration, soit la CSST dans ce cas-ci. Dans les 90 jours qui suivent la réception de la copie de la requête introductive du recours devant le TRAQ, la CSST peut ainsi réviser sa décision, à moins que celle-ci ne porte sur un... les sujets qui ne peuvent faire l'objet d'une révision. De plus, la CSST et le requérant qui a introduit son recours au TRAQ peuvent convenir de prolonger ce délai de 90 jours pour une période d'au plus 90 jours en vue de permettre la production d'une expertise médicale. Et, enfin, en notifiant la décision révisée, la CSST va accorder... on accordera, autrement dit, au travailleur ou au requérant un délai supplémentaire de 30 jours pour que celui-ci dise s'il entend maintenir son recours devant le tribunal ou s'en désister.

À l'instar du réviseur de la DRA ou de la CLP, le TRAQ pourra relever une personne des conséquences de son défaut de respecter notamment le délai de 90 jours pour contester une décision de la CSST si cette personne démontre qu'elle n'a pu agir plus tôt pour des motifs sérieux et légitimes. Toutefois, le TRAQ ne pourra pas prolonger ce délai au-delà de 90 jours. C'est l'article 106 de l'actuelle Loi sur la justice administrative.

n(15 h 50)n

Nous considérons... Le réseau des avocats et avocates de l'UTTAM considère que le maintien du processus à deux paliers est toujours aussi primordial pour les victimes de lésions professionnelles. Tant que la CSST agira comme juge et partie, et tant que les employeurs jouiront des pouvoirs de contestation qu'ils ont depuis longtemps, et tant que le combat que mènent nos clients pour faire valoir leurs droits restera aussi inégal, l'étape de la révision par un organisme compétent, impartial et indépendant de la CSST restera souhaitable et utile. Utile parce que, contrairement à ce que certains ont laissé entendre, les audiences qui se tenaient devant les bureaux de révision paritaire entre 1985 et 1997, comme vous le savez, n'étaient pas, du moins pour les travailleurs et leurs procureurs, une étape préparatoire, c'était vraiment un endroit, une étape où on gagnait près de 40 % des dossiers, donc une instance qui avait son utilité et qui était également assez rapide, surtout lors des derniers mois d'opération. Et, en plus, les deux tiers de leurs décisions n'étaient pas portées en appel.

Maintenant, en ce qui concerne le pouvoir du TRAQ pour la prolongation des délais, nous trouvons inconcevable, inacceptable que le TRAQ ne puisse prolonger un délai au-delà de 90 jours, car, selon nous, un motif sérieux et légitime ne perd pas sa qualité en raison du seul écoulement du temps. Ce n'est pas parce qu'on a dépassé 90 jours que le motif ne devient plus sérieux et légitime.

Une autre observation, sur l'intégration d'un pouvoir de révision de la CSST aux recours devant le TRAQ. C'est-à-dire que, lorsque le travailleur accidenté ou la partie requérante a introduit un recours au TRAQ, la CSST conserve son droit de réviser une décision. C'est un droit discrétionnaire, et, selon nous, ce nouveau pouvoir, qui est tout à fait inédit, dont on n'a jamais vu, est inacceptable d'abord et avant tout parce que, même au stade de la dernière instance, la CSST n'a toujours pas épuisé sa compétence, est toujours saisie du dossier, ce qui va toujours à l'encontre du principe du dessaisissement et de la stabilité des décisions juridiques.

De plus, le pouvoir de révision est inacceptable, car la prolongation des délais de révision de 90 à 180 jours pour permettre la production d'une expertise médicale nous fait craindre que la CSST ne cherche par là qu'un moyen de faire fi des conclusions du BEM et sera une espèce de période tampon pour permettre des négociations et des transactions.

Enfin, ce pouvoir de révision est inacceptable parce qu'il crée une présomption de désistement en cas de silence du requérant, alors qu'une présomption du maintien du recours dans ce cas serait beaucoup plus appropriée à une loi à caractère social, comme la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles.

Par ailleurs, en ce qui concerne le statut et l'effet juridique de la décision révisée, le projet de loi est fort imprécis et soulève beaucoup plus de questions qu'il ne répond à une certaine efficacité. En fait, on se posait la question, à savoir: La décision révisée, quel sera son statut et son effet juridique? Une fois que, par exemple, un travailleur accidenté qui se voit refuser sa réclamation introduit un recours au TRAQ, survient par la suite une décision révisée de la Commission de la santé et sécurité au travail qui accepte la réclamation, le travailleur, donc, se désiste ou ne maintient pas son appel, est-ce que l'employeur pourra contester cette décision révisée? Et, si oui, est-ce qu'on repart tous les délais prévus à l'article 359? Donc, cette question nous semble inacceptable. Si c'est le cas, c'est inacceptable, parce qu'on va prolonger les délais indéfiniment, on sera dans un cercle de contestations sans fin. Et, si c'est une décision finale, bien, à ce moment-là, la partie qui voudrait contester la décision révisée n'aura pas eu l'occasion de se faire entendre lors de la requête introductive au TRAQ.

La Présidente (Mme Thériault): Sur ces propos, je devrais vous interrompre, puisque le temps qui vous était imparti est écoulé. Et je suis convaincue que les membres de la commission vous donneront l'opportunité de pouvoir peut-être tirer vos conclusions. Donc, je passerais maintenant la parole au ministre.

M. Bellemare: Alors, permettez-moi tout d'abord de vous souhaiter la bienvenue et de vous remercier, Me Montemiglio et Me Bovet, pour cette présentation impressionnante qui, encore une fois, montre bien que vous en savez beaucoup sur le secteur des lésions professionnelles et, j'imagine, aussi un peu peut-être ? pas autant, mais très certainement ? dans les autres secteurs médico-légaux, comme l'IVAC et l'assurance auto.

O.K. Votre préoccupation à la base, en bas de la page 12, concernant le délai, vous trouvez inconcevable que le tribunal d'appel ne puisse prolonger au-delà de 90 jours un délai. On a, dans le secteur des lésions professionnelles, la notion de motif raisonnable, qui a été introduite, je crois, en 1985, je pense, avec la CALP. Et, au Tribunal administratif, on a encore la vieille notion d'impossibilité d'agir, qui, comme on le sait, est extrêmement difficile à satisfaire. Est-ce que vous verriez d'un bon oeil qu'on prévoie le motif raisonnable dans tous les cas et qu'on élimine le délai de 90 jours, c'est-à-dire que le tribunal pourrait prolonger le délai, peu importe le temps?

On a déjà vu des extensions de délai de trois ans, surtout dans des cas d'incapacité mentale d'agir ou de refus... pas de refus, mais de... une personne qui ne reçoit pas sa décision. On a vu neuf ans d'extension de délai parce que la personne n'avait jamais reçu la décision. C'est vrai que 90 jours, ce n'est pas fondé comme tel, au plan rationnel, là. On le retrouvait quand même dans d'autres dispositions législatives, puis c'est pour ça qu'on l'a mis dans le projet de loi n° 35. Mais vous seriez d'accord s'il n'y avait pas de délai et qu'on prévoyait le motif raisonnable, qui est, au fond, la notion la plus généreuse qu'on puisse trouver?

M. Montemiglio (Marco): Selon les recherches... Parce que, évidemment, vous comprendrez que, compte tenu du court laps de temps, nous avons eu peu de temps pour préparer ce mémoire, et rédiger ce mémoire, et consulter nos membres, mais, selon certaines recherches préliminaires, effectivement, le motif... c'est-à-dire que le motif sérieux et l'impossibilité d'agir prévue à la Loi sur la justice administrative a été également aussi interprété par le tribunal de différentes façons, et, effectivement, le fait d'introduire le motif raisonnable et de ne pas restreindre ce motif raisonnable là à un délai de 90 jours serait tout à fait acceptable.

M. Bellemare: Autre question, concernant la mobilité des membres. J'ai eu de la difficulté à comprendre votre raisonnement concernant la mobilité des membres. Vous estimez qu'il serait souhaitable que le pouvoir de déplacer un membre d'une division à l'autre ou d'une région à l'autre puisse être balisé. Expliquez-moi ce que vous souhaitez, là. Qu'est-ce que vous pensez qu'on devrait faire? D'abord, êtes-vous d'accord sur la question de mobilité d'une division à l'autre? Et, si oui, comment... qu'est-ce qu'on peut faire pour favoriser la mobilité?

M. Bovet (Claude): Bien, écoutez, ce que nous comprenons du projet de loi, c'est que, en principe, un membre du tribunal est affecté à une section, bon, que le président peut l'affecter temporairement à une autre section. Là, ce qu'on dit, c'est que... On n'est pas, en soi, contre le fait que le président du tribunal puisse affecter un membre à une autre section. Toutefois, on dit que ce pouvoir-là du président devrait être, selon nous, balisé.

Pourquoi? Parce qu'on sait très bien, par exemple, qu'en région, compte tenu du faible volume de contestations ? en tout cas, du fait que le volume de contestations en région est beaucoup moins important que dans les grands centres ? bien c'est certain que le président du tribunal peut être tenté d'affecter pour des périodes... pour une période assez longue ou peut être tenté d'affecter un membre du tribunal de façon répétée dans d'autres sections que celle pour laquelle il a été nommé. Et c'est là qu'on pense que ça risque de poser un certain problème, parce que ce membre-là ne pourra peut-être pas acquérir la spécialisation qu'il devrait acquérir comme membre affecté, par exemple, à la section des accidents de travail ou des lésions professionnelles. Tout ce qu'on dit, c'est qu'on souhaiterait que ce pouvoir-là du président du tribunal d'affecter un membre d'une section à une autre soit balisé, parce qu'on voit un certain risque. C'est tout ce qu'on dit.

M. Bellemare: Merci. Je pense que Charlesbourg...

La Présidente (Mme Thériault): M. le député de Charlesbourg, maintenant.

M. Mercier: Merci, Mme la Présidente. Bonjour, messieurs. Bienvenue dans cette noble enceinte. À la lecture de votre mémoire, à la page 3 de votre mémoire, il y a certaines modifications auxquelles vous donnez votre assentiment, notamment au paragraphe 4, vous dites ? et je tiens à vous citer: «Celle voulant que les personnes issues des associations syndicales et patronales ne soient plus présentes que dans les causes dont le litige porte sur la reconnaissance d'une lésion professionnelle autre qu'une rechute, récidive ou aggravation et seulement si le président ou le vice-président le juge utile ou si une partie en fait la demande.»

Alors, évidemment, vous faites référence à la notion du processus ou l'étape dite paritaire, le paritarisme. Vous nous en avez parlé tout à l'heure très brièvement, et j'aimerais vous entendre là-dessus, à savoir quelle est votre opinion plus précisément.

n(16 heures)n

M. Bovet (Claude): Nous, nous sommes d'accord avec cette proposition-là du ministre dans la mesure où il s'agit d'un premier pas qui pourrait mener éventuellement à l'abolition complète du paritarisme. Un peu plus loin dans notre mémoire, on a parlé du fait que nous tenions au maintien d'une instance de révision. On a parlé de l'ancien Bureau de révision paritaire. Ce n'était pas pour défendre le caractère paritaire des anciens bureaux de révision, c'était tout simplement pour dire que nous croyons que, compte tenu du déséquilibre des forces en présence en matière des lésions professionnelles, nous croyons qu'une instance de révision, comme on l'a connue depuis 1977, qu'une instance de révision est nécessaire. Évidemment, on n'est pas d'accord et on n'a jamais été d'accord avec la révision administrative qui existe depuis 1998, la direction ou la commission... la Direction de révision administrative, on n'est pas d'accord avec ça, parce qu'on avait prévu déjà, à l'époque, que cette révision administrative là n'allait pas donner de résultats très probants compte tenu du fait que... pas parce que ce n'était pas paritaire, mais tout simplement parce que la personne qui rend la décision n'est pas indépendante de la CSST. Bon. Et le résultat, c'est que finalement, après quelques années, on s'aperçoit que 90 % des décisions sont maintenues par la Direction de la révision administrative.

Sauf que, pour nous, ce n'est pas parce que la Direction de la révision administrative a été, selon nous, un échec qu'il faut se débarrasser de l'instance de la révision telle qu'on la connaît. Et ce qu'on a toujours soutenu, c'est qu'un système de contestation à deux paliers était, pour nous, primordial, encore une fois à cause du déséquilibre des forces. Ce qu'il faut savoir, c'est que le travailleur accidenté, il doit faire face non seulement à la CSST, mais il doit faire face également à son employeur, dans la plupart des cas. Et, moi, je peux vous dire par expérience qu'un système à deux paliers, dans ces conditions-là, ce n'était pas un luxe. C'est notre position depuis très longtemps. Mais, sur la question du paritarisme, encore une fois, nous n'avons jamais été d'accord avec le paritarisme et nous ne pensons pas que ça ajoute quoi que ce soit à la justice administrative. Et nous sommes d'accord avec la position du ministre, mais en autant que ce soit un premier pas, parce qu'on n'aurait aucune objection à ce que ce premier pas là mène à l'abolition complète du paritarisme.

M. Mercier: Alors, vous rejoignez l'ensemble des groupes qui vous ont précédés à ce niveau, et évidemment cette modification est dans le bien du présent projet de loi. Mais, également, est-ce que, vous, vous voyez, dans un futur immédiat, certaines problématiques à l'effet d'abolir le paritarisme? C'est-à-dire, est-ce que vous voyez, dans un avenir... d'ici cinq ans, compte tenu de divers litiges qu'il pourrait y avoir à ce niveau, une certaine problématique? Parce que je vous ai entendu évidemment sur le positivisme de la chose, mais est-ce que vous voyez certaines problématiques éventuellement à cet effet?

M. Bovet (Claude): Sur la question du paritarisme?

M. Mercier: Oui.

M. Bovet (Claude): Pas du tout.

M. Mercier: Pas du tout?

M. Bovet (Claude): Non.

M. Mercier: Je vous remercie.

La Présidente (Mme Thériault): Merci bien. Avant de passer la parole au porte-parole de l'opposition officielle, je rappellerai aux gens qui sont dans notre salle de fermer leurs téléphones cellulaires ou de les mettre en mode de vibration. Donc, M. le député de Chicoutimi, la parole est à vous.

M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Alors, je vous remercie à nouveau à mon tour de votre présentation. Vous attirez l'attention..., certains éléments ont été mentionnés en discussion avec le ministre puis avec mon collègue. Vous attirez aussi l'attention de la commission sur des éléments plus précis qui se retrouvent dans le projet de loi qui n'avaient pas été soulevés jusqu'à maintenant et qui d'ailleurs seront un peu soulevés d'ici la fin, mais qui, je pense, ont toute leur importance. Entre autres, peut-être nous parler de la tarification des frais afférents, là, aux recours devant le TRAQ, devant le TRAQ ou le TAQ. Donc, effectivement, que vous vous opposez, parce que vous trouvez effectivement que c'est un frein et que ça va à l'encontre même, j'imagine, du principe de la justice administrative, qui se veut d'ailleurs à peu de frais accessible, et j'imagine que ce sont les prétentions que vous avez.

M. Bovet (Claude): Exactement, c'est exactement la...

M. Montemiglio (Marco): C'est la prétention que nous avons, et d'autant plus que nous savons que déjà l'accès à la justice est difficile pour des travailleurs non représentés, particulièrement, ou les travailleurs non syndiqués. Donc, c'est d'autant plus important.

M. Bédard: Parfait. Et un autre élément, vous n'êtes pas les seuls à le soulever, mais, un peu plus tôt, ou hier, une autre avocate nous l'a mentionné, le caractère public des décisions du TAQ, et qui est assez fondamental quant à... Elle fait état du déséquilibre, elle nous faisait état, plutôt, du déséquilibre qui existe entre le citoyen versus l'État souvent dans les décisions... qui l'opposent finalement à l'État, et en plus, quant à ce déséquilibre de moyens, s'ajoute celui de l'accessibilité des décisions, donc de la source même; ça fait en sorte que ce déséquilibre est accentué. Donc, vous plaidez avec beaucoup de ferveur qu'effectivement on permette finalement à ceux et celles qui représentent, et c'est ce que vous faites, c'est ce que je comprends, c'est votre association qui représente des gens, qu'ils aient au moins accès à cette source nécessaire, utile et, je dirais même, indispensable pour les plaideurs des décisions du tribunal.

M. Bovet (Claude): Bien, écoutez, j'ai parlé récemment à quelqu'un qui fait de la recherche en matière d'accidents d'automobile, en matière également d'accidents de travail, de lésions professionnelles, et elle me disait que les recherches étaient nettement plus laborieuses en matière d'assurance automobile qu'en matière d'accidents de travail, justement parce que, dans un cas, il y a une banque de jurisprudence qui a un caractère public et que la loi impose également au tribunal, notamment à la Commission des lésions professionnelles, de publier régulièrement un recueil de décisions qui a, lui aussi, un caractère public... Alors que ce n'est pas le cas en matière d'assurance auto, ou en tout cas que c'est... c'est beaucoup plus difficile. Elle me disait que la recherche était énormément plus compliquée en matière d'assurance auto.

M. Bédard: Vous, comme plaideur, j'imagine... évidemment, l'instance qui plaide contre vous, parce que, évidemment, vous représentez les citoyens, elle a accès à cette banque, parce qu'elle plaide souvent. Donc, est-ce que ça vous est arrivé personnellement? Pour que tout le monde comprenne bien l'importance de ça, du déséquilibre que ça crée, la personne qui arrive avec 10 causes de jurisprudence, puis, toi, tu arrives avec toute ta bonne foi de l'interprétation, là.

M. Bovet (Claude): En général, les procureurs, par exemple, de la CSST ou encore les procureurs de la Société de l'assurance automobile arrivent, la plupart du temps, ou déposent des décisions, là, très, très, très, très récentes auxquelles on peut difficilement avoir accès.

M. Bédard: Et ça crée un déséquilibre.

M. Bovet (Claude): Mais c'est encore plus vrai en matière d'assurance auto qu'en matière d'accidents de travail.

M. Bédard: Alors, souhaitons que vos recommandations seront bien entendues. Je peux vous dire effectivement que nous sommes fort sympathiques à ces représentations.

D'une façon plus globale, encore une fois, la même avocate nous faisait part de... là je veux le tester avec vous, vous pratiquez dans le domaine. C'est Me Lippel qui nous a apporté des statistiques assez étonnantes par rapport plus particulièrement à l'aspect de la CLP, des maladies professionnelles et des accidents de travail. En général, si on compare le Québec à d'autres juridictions, par exemple la Colombie-Britannique où le nombre de dossiers est à peu près semblable, peut-être à 20 000 près, nous avons en appel environ quatre fois plus de dossiers, qui sont portés en appel, donc les décisions émanant de ces instances sont contestées quatre fois plus, pour à peu près le même nombre de dossiers. En Ontario, il y a, je vous dirais, grosso modo, deux fois plus de dossiers et il y a trois fois moins de dossiers portés en appel.

Elle me disait, et sans dire que... à la blague, on disait: ce n'est sûrement pas une culture du litige ou un trait de notre société, mais elle disait: Peut-être que c'est dû à des choses... bon, elle identifiait des éléments, entre autres celui des délais. Elle disait: Dans les autres instances, en général, les gens n'ont pas des délais aussi, je vous dirais, aussi courts pour contester, ce qui fait en sorte que, dans tous les cas, les gens, les avocats comme les autres, et d'ailleurs je faisais la réflexion moi-même comme député, à l'époque comme avocat mais encore plus, je vous dirais, comme député, je vous dirais, le réflexe, c'est de dire: Conteste, on va regarder après. Alors, elle nous faisait référence que dans d'autres juridictions ça pouvait aller à six mois, six mois de contestation, et même parfois un an de possibilité de contester, là. Est-ce que vous pensez que ce serait une amélioration que de faire en sorte que les délais soient un peu plus longs qu'ils ne le sont actuellement, en termes de...

n(16 h 10)n

M. Montemiglio (Marco): Votre question m'amènera à vous répondre sur deux points principalement. Je pense qu'il y a une question, dans un premier temps, au niveau de la décision de première instance... il y a un délai, là, qui est quand même assez important. Ce qu'on voit, nous, dans notre pratique, c'est qu'un travailleur qui dépose une réclamation peut avoir une décision de la CSST dans les trois à six mois suivant sa réclamation. Donc, là, ici, on a un délai qui est assez important. Et également la question de la qualité des décisions de première instance. Très souvent, on voit des décisions qui sont mal fondées ou à tout le moins mal motivées, qui vont amener des contestations de façon quasi automatique.

La question des délais que vous me posez, effectivement, parfois, en tant que procureurs, nous allons contester certaines décisions afin de protéger des droits des travailleurs et travailleuses que nous représentons. Ces décisions-là, par contre, parfois se désistent en bout de ligne, mais effectivement ça va nous amener, compte tenu des délais qui nous sont impartis... ils vont nous amener à contester ces décisions-là pour conserver des droits, effectivement. Et, si ces délais étaient plus longs, ça nous permettrait aussi de vérifier ou à tout le moins de voir si les droits sont conservés, dans une autre décision qui touche de façon corollaire à la décision que nous contestons.

M. Bédard: Parce que, dans un même dossier, il peut y avoir une multitude de décisions...

M. Montemiglio (Marco): Tout à fait.

M. Bédard: ...et tu contestes à chaque fois finalement, alors que, si les délais étaient plus longs, une décision peut emporter toutes les décisions et, bon, on conteste une fois. Ça pourrait peut-être éviter bien des litiges théoriques aussi, là.

M. Montemiglio (Marco): C'est-à-dire que vous avez tout à fait raison à l'effet que, dans un dossier, on peut avoir plusieurs contestations; par exemple, un dossier qui est rendu en réadaptation, et qu'en cours de réadaptation survient une rechute, récidive ou aggravation, il y aura deux dossiers, deux décisions. La décision sur la réadaptation sera, si vous voulez, tributaire de la décision qui sera rendue en ce qui concerne la rechute, récidive ou aggravation. Donc, effectivement, dans un seul et même dossier, il peut y avoir plusieurs décisions côte à côte, là, contestées.

M. Bédard: Autre élément. Vous faites aussi mention du vide qui se retrouve face à la décision révisée, et c'est assez particulier. Effectivement, on l'a discuté ? je crois que c'est hier qu'on a discuté de ça, oui ? et ça nous a paru... Au début, j'ai dit: non, il a dû y avoir... et je le relisais encore hier soir, effectivement. Donc, le statut de la décision révisée, en termes légaux, ce n'est pas très clair, hein?

M. Montemiglio (Marco): C'est très préoccupant, même. C'est-à-dire que, pour nous, soit que c'est une décision qui est encore une fois contestable en vertu de 359 de la loi ou sera une décision finale. Et, dans les deux cas, ça nous amène à des conséquences qui vont à l'encontre de la volonté du ministre de faire en sorte que la justice administrative procède assez rapidement et, d'autre part, d'empêcher des parties de faire valoir leurs droits. Alors, effectivement, c'est une préoccupation fort importante et un questionnement très important aussi. Lorsque nous avons vu ça, nous avons évidemment épluché le projet de loi à plusieurs reprises pour essayer de voir... avoir une réponse à ça, et on n'en a pas eu.

M. Bédard: Bien, il me semble, jusqu'à maintenant, nous n'en avons pas. Alors, je vous rassure, parce que des fois on dit: ça doit être ailleurs, mais, dans ce cas-ci, il peut arriver des fois... on est bien intentionné, mais il semble qu'il y ait eu un petit oubli. Alors, je vous remercie. Je sais que mon collègue a d'autres questions, puis je vous remercie des précisions que vous nous avez apportées et des commentaires pour le projet de loi. Merci.

M. Bovet (Claude): Je voudrais juste rajouter quelque chose, si vous le permettez.

M. Bédard: Allez-y.

La Présidente (Mme Thériault): Allez-y, oui.

M. Bovet (Claude): C'est juste sur la question de la révision, le pouvoir de révision que le projet de loi accorde à la commission après le dépôt d'une requête introductive d'instance. On en a parlé, mais, honnêtement, là, j'ai beaucoup de difficultés à comprendre comment on peut accorder un tel pouvoir à la commission. Je trouve ça très, très grave, parce que, au fond, le justiciable qui introduit un recours au tribunal s'attend à être entendu par le tribunal. Cette personne-là est sortie, a l'impression d'être sortie des griffes de la commission, et là, en produisant un tel recours, il dépose son recours, sa requête, introduction du recours, et là il s'aperçoit que la commission peut, après le dépôt de la requête, réviser sa propre décision, ce qui risque de l'entraîner à revenir entre les... je vais utiliser le mot, entre les pattes de la commission. Et je ne sais pas si certains d'entre vous ont déjà eu l'expérience d'avoir affaire avec la commission, mais, moi, je peux vous dire que... ça fait déjà plus de 15 ans que je pratique dans ce domaine-là, je peux vous dire que ça rend fou, de faire affaire avec la commission. Ça rend fou. Il y a beaucoup de... Au début de ma pratique, je voyais très peu de gens... il y en avait, mais j'en voyais moins, de gens qui devenaient... qui avaient des problèmes, je dirais même psychiques, en tout cas au moins psychologiques, qui étaient aggravés et entretenus par le simple fait d'être en relation avec les agents de la commission. Et là on en voit, je peux vous dire qu'on en voit de plus en plus. Alors, il y a un problème de culture à la commission. Il y a une culture à la commission; c'est une culture qui est souvent basée sur la présomption de mauvaise foi.

M. Bédard: Mais, de culture, je vous dirais... Et vous avez raison, je partage vos inquiétudes. Mais, en même temps, il faut que vous fassiez attention. Vous traitez des mauvais cas. Comme moi, comme député, les mauvais cas qui arrivent chez nous, c'est des mauvais cas. Je n'ai pas tous les cas où tout le monde est content puis c'est le bonheur, le bonheur dans les prés. C'est rare que les gens vont aller voir les avocats en leur disant: Écoutez, ce matin, maître, une bonne décision de la CSST, merci. Alors, c'est pour ça que je vous dis: Vous avez raison. On gère les cas où il y a comme une rupture de la confiance entre la CSST et l'individu qui fait en sorte que, plus il reste dans ce cercle-là, plus effectivement il devient... C'est obsédant. Et je vous dirais ? même de l'autre côté, je suis convaincu aussi ? l'agent va développer une certitude que la personne soit est mal intentionnée, alors que souvent ce n'est pas le cas. Ça peut arriver, là, mais souvent ce n'est pas le cas. Et la même chose, l'individu va être convaincu qu'il y a un complot contre lui et que tout l'appareil joue contre lui. Et, vous, vous êtes dans le milieu, et je comprends, après 15 ans, ça doit être difficile. Mais, moi-même, je l'ai vécu comme député, plus comme député, parce que ce n'était pas mon domaine de pratique avant. Mais, effectivement, tu sens qu'il faut presque le sortir, et quand tu décides de le sortir ? c'est ce que vous dites ? quand on le sort, s'il vous plaît, ne nous le ramenez pas dans quelque chose qui a contribué même à l'affaissement moral.

M. Bovet (Claude): C'est ça. Et ce qu'on craint, c'est qu'avec cette procédure-là de révision, ce qu'on craint, c'est que finalement la commission veuille, essaie de faire fi de l'avis du BEM, qui la lie. Bien, on prévoit dans le projet de loi qu'elle peut faire faire une expertise. Mais faire faire une expertise pourquoi? Elle est liée par l'avis du BEM, du Bureau d'évaluation médicale. Pourquoi faire faire une expertise? Pourquoi prolonger le délai de 90 jours pour faire faire une expertise si ce n'est pas pour justement arriver à se permettre elle-même de faire fi de l'avis du BEM puis de négocier une transaction? Honnêtement, là, je n'ai aucunement confiance dans ce mécanisme-là, aucunement confiance.

M. Bédard: Merci. Il y a mon collègue...

La Présidente (Mme Thériault): Donc, M. le député de Dubuc.

M. Côté: Merci, Mme la Présidente. Alors, messieurs, bienvenue à cette commission. Merci pour votre travail, qui est un apport important pour les travaux de cette commission.

J'aimerais peut-être vous permettre de terminer sur un sujet que vous n'aviez pas parlé tout à l'heure, la conciliation, dont vous faites mention d'ailleurs dans votre mémoire. Vous vous prononcez d'abord clairement sur la conciliation, par plusieurs énoncés, et vous n'êtes pas les seuls, parce que, hier, nous avons eu quelqu'un devant cette commission, je pense que c'est Me Lippel effectivement, qui est venue nous dire que la conciliation pouvait être catastrophique pour le justiciable. Elle a même été jusqu'à nous dire que ça pouvait être pire, la conciliation, que l'audience même pour la personne, ce qui m'a surpris énormément. Et je vous le dis, parce que j'ai toujours cru au mécanisme de la conciliation, j'ai toujours pensé que par ce mécanisme-là on déjudiciarisait le système et on permettait au justiciable d'avoir une justice beaucoup plus proche, moins lourde, etc. Et là vous nous dites... bien, peut-être pas dans les mêmes termes, mais sensiblement la même chose que Me Lippel.

Je veux simplement, là, reprendre un petit peu des affirmations que vous dites et peut-être vous demander un petit peu comment vous verriez, dans le projet de loi, des amendements à ce système, à ce processus de conciliation, ou si vous préférez le statu quo, ou si vous... qu'il y a actuellement dans la loi. Parce que, lorsque vous dites que ça peut être utile dans certains cas... par contre, nommer n'importe qui pour présider une séance de consultation, bien, pour vous, c'est inadmissible; elle ne doit pas être obligatoire: «Nous croyons que c'est un mécanisme qui doit être libre et volontaire.» Au-delà de ça, au-delà de votre évaluation, parce que c'est une évaluation que vous faites, est-ce qu'il y aurait des amendements précis qui pourraient être apportés à ce projet de loi pour baliser davantage pour la nomination de conciliateurs avec une expertise certaine? Et comment on pourrait justement tout mettre ça ensemble, concilier tout ça?

n(16 h 20)n

M. Bovet (Claude): De façon globale, je pense que les dispositions quant à la conciliation qui existent déjà dans la Loi sur les accidents du travail et qui régissent la conciliation à la Commission des lésions professionnelles, de façon générale, l'ensemble de ces dispositions-là nous apparaissent plus justes que les dispositions qui sont dans le projet de loi.

M. Côté: Mais vous ne nous parlez que d'une loi, là, la Loi des accidents du travail.

M. Bovet (Claude): C'est ça. C'est que la mécanique, tout le processus de conciliation ou les principes qui sont énoncés dans cette loi-là nous apparaissent plus justes que ceux qui sont énoncés à la Loi sur la justice administrative

M. Côté: Oui, mais pour quelles raisons? Pour quelles raisons vous nous dites ça?

M. Bovet (Claude): Bien, pour toutes les raisons dont vous venez de parler. Peut-être... tu pourrais peut-être y aller.

M. Montemiglio (Marco): En fait, ce que nous proposons au niveau de la conciliation, ce qui est sûr, c'est que ce n'est pas la panacée à tous les maux. C'est-à-dire, ce n'est pas ça qui va tout solutionner. Cependant, on est convaincus que certains dossiers se prêtent bien à la conciliation. Cependant, cette conciliation-là doit être faite par des gens compétents et qui sont assujettis à un code de déontologie également. Et, entre autres, le pouvoir, dans le projet de loi actuel, au niveau de la contraignabilité du conciliateur, cette disposition dans le projet de loi n'est pas suffisamment sévère, si vous voulez, c'est-à-dire qu'elle empêche la contraignabilité de ces conciliateurs-là. Cependant... en tout cas, ce n'est pas clair. Est-ce que le conciliateur, de son propre chef, pourrait aller témoigner? C'est une possibilité qui nous est apparue, selon la rédaction faite dans le projet de loi n° 35.

Ce que nous proposons, c'est de conserver l'article actuel 429.48 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, qui interdit au conciliateur de divulguer toutes les informations qu'il a eues dans le cours de la séance de conciliation. Donc, une séance, une conciliation qui est encadrée et qui ne se fait pas n'importe quand et par n'importe qui non plus, c'est très important, parce qu'on va se retrouver dans un processus constant de négociation. Et c'est plus particulièrement important, M. le député, lorsque les gens sont peu ou mal représentés. Les justiciables qui vont se retrouver devant le TRAQ sans représentant, qui vont se trouver confrontés à un processus de conciliation, je ne pense pas que ça fasse une conciliation très, très de qualité. Et nous voyons très souvent des travailleurs et travailleuses qui aboutissent dans nos bureaux avec des transactions qu'ils ont signées alors qu'ils n'étaient pas représentés et qui sont tout à fait effroyables.

M. Côté: Il me reste juste 30 secondes peut-être pour... Je comprends que, comme avocats, comme procureurs pour les travailleurs accidentés du travail, je comprends votre position, mais je voudrais aussi que vous compreniez aussi que la conciliation peut s'appliquer aussi ailleurs, dans d'autres domaines de la justice administrative, et qu'il faut aussi prévoir ce mécanisme-là qui est un mécanisme qui peut être avantageux pour le justiciable. Mais je comprends que, dans votre domaine à vous, là, vous avez vraiment des bémols à mettre sur la façon dont c'est libellé présentement dans le projet de loi.

M. Montemiglio (Marco): Tout à fait. Et ce que nous préconisons, c'est une conciliation encadrée et précise dans le temps également, pas n'importe quand et par n'importe qui.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, il reste 10 minutes au parti ministériel. Le ministre veut faire une intervention. Après ça, il y aura le député de Charlesbourg et le député de Marguerite-D'Youville.

M. Bellemare: Concernant la procédure de révision, le délai est de 90 jours actuellement et... c'est-à-dire dans le projet de loi. Et on propose peut-être de permettre de le doubler, si le travailleur y consent. Et, hier, on en a discuté, de la procédure de révision, avec un groupe d'employeurs qui s'est adressé à la commission en après-midi, et on pensait, par exemple, à la possibilité d'annuler le deuxième délai de 90 jours en matière d'accidents de travail et de permettre que les décisions rendues suite à un avis du BEM, du Bureau d'évaluation médicale, puissent être contestées directement au tribunal.

Parce que, à la différence des autres régimes d'indemnisation, en matière d'accidents de travail, tout le volet médical est traité par le Bureau d'évaluation médicale. Il n'y a pas vraiment d'utilité d'aller en révision de ça. De toute façon, on sait que les révisions actuellement, c'est purement académique, ils ne font rien, c'est juste un palier inutile. Alors, un appel direct au tribunal d'appel de la... en provenance d'une contestation à l'encontre d'une décision du BEM, et compte tenu que les questions médicales passent par le Bureau d'évaluation médicale, bien, annuler le deuxième délai de 90 jours, seriez-vous ouvert à cette possibilité-là?

M. Montemiglio (Marco): Bien, écoutez...

M. Bellemare: Dans l'hypothèse où on maintenait un mécanisme de révision comme celui-là. Je comprends que vous souhaitez qu'il n'y en ait pas, mais, s'il y en avait un, est-ce que vous croyez nécessaire qu'on prévoie, dans la section des lésions professionnelles, compte tenu de toute la procédure d'évaluation médicale spécifique aux cas de lésions professionnelles, est-ce que vous croyez nécessaire qu'on prévoie une possibilité de deuxième délai de 90 jours?

M. Montemiglio (Marco): Écoutez, ce qui... ça m'amène... Effectivement, comme vous le dites, nous ne sommes pas d'accord avec le processus de révision tel que mentionné au projet de loi... tel que proposé par le projet de loi n° 35. Maintenant...

M. Bellemare: Subsidiairement, subsidiairement.

M. Montemiglio (Marco): Subsidiairement. Si vous me le permettez, il est évident que, pour les travailleurs accidentés, il est très difficile d'obtenir les services de médecins experts. On ne fait pas affaire avec de firmes comme telles, on fait affaire avec des médecins experts, des spécialistes qui, très souvent, avant même de pouvoir voir le travailleur accidenté, ça nous prend un délai de six mois avant d'obtenir un rendez-vous. Donc, le délai entre le dépôt de la requête introductive du recours et l'audience va nécessairement prendre du temps, et je suis convaincu que, même si on met un délai de 90 jours ou un autre délai de 90 jours, ça va prendre probablement six mois avant d'être entendu, j'en suis presque convaincu, dans les cas où il est nécessaire d'obtenir une expertise médicale, dans les cas de BEM, par exemple, où c'est essentiellement médical.

De notre côté, notre expérience fait en sorte que, obtenir des expertises en deux semaines, c'est rarement des expertises de qualité, c'est des expertises faites très rapidement, et très souvent, plus souvent qu'autrement, les spécialistes auxquels on fait affaire ? et on sait qu'il y a une pénurie, en plus, au niveau des médecins experts ? ça prend beaucoup de temps avant d'obtenir un rendez-vous. Donc, ce délai de 90 jours supplémentaire, à mon avis, la question ne se pose même pas, parce qu'on va avoir besoin d'un délai avant d'être entendu devant le TRAQ, c'est évident, si on reçoit un travailleur accidenté, lors de la requête introductive du recours.

M. Bellemare: Mais le délai de 90 jours additionnel, c'est pour la révision seulement. Mon hypothèse était que les cas de BEM iraient directement au tribunal d'appel et que les autres cas, qui iraient en révision, seraient réglés dans les 90 jours. On n'aurait pas le 90 jours additionnel dans les cas qui iraient en révision, les cas non médicaux, là.

M. Bovet (Claude): Ce serait un moindre mal, c'est sûr. Mais le problème de fond, selon moi, c'est l'existence de la révision à ce stade-là, au stade...

M. Bellemare: ...souhaiter l'abolition complète.

M. Bovet (Claude): Bien oui, bien oui.

M. Bellemare: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): D'accord. Donc, ce n'était pas le député de Charlesbourg qui voulait faire une intervention mais plutôt le député de Trois-Rivières.

M. Gabias: Merci, Mme la Présidente. Il y a un silence dans votre mémoire sur lequel, en fait, je veux vous forcer un petit peu à parler; je vais le faire en vous énonçant une hypothèse. Si les membres du tribunal étaient nommés ou, du moins, avaient résidence dans le district de Chicoutimi, l'ensemble des membres, est-ce que vous verriez un problème? Autrement dit, vous comprenez que ça amènerait une obligation de voyager, que ces gens-là aillent une fois de temps en temps dans la région de Montréal pour entendre vos causes. Est-ce que vous verriez un problème là-dedans?

M. Bovet (Claude): Bien oui.

M. Gabias: Je ne vous ai pas entendu.

M. Bovet (Claude): Oui, c'est sûr.

M. Gabias: Pourquoi?

M. Bovet (Claude): Bien, si je comprends bien le sens de votre question, c'est que vous souhaiteriez... j'imagine que... Idéalement, il serait souhaitable que les gens, les membres du tribunal soient répartis équitablement sur tout le territoire.

M. Gabias: Une présence régionale et, entre autres, à Montréal. O.K.

La Présidente (Mme Thériault): Ça va, M. le député?

M. Gabias: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Oui. M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Moreau: Merci, Mme la Présidente. J'enchaîne sur un sujet qu'a soulevé mon collègue le député de Dubuc, sur la conciliation, et je ne suis pas certain de suivre le raisonnement que vous faites là-dedans, dans la mesure où le projet de loi n° 35 ne modifie pas la section IV de la Loi sur la justice administrative, les articles 120 à 124, et qui me semblerait de nature à répondre à certaines questions, peut-être pas à toutes, mais à certaines questions que vous avez soulevées quant à la nature de la conciliation. Notamment, vous parliez de la contrainte du conciliateur. L'article 123 prévoit la confidentialité de ce qui a été divulgué ou révélé durant la conciliation. L'article 121.1 prévoit qu'elle est tenue en présence des parties et que peuvent y participer les personnes dont la présence est considérée utile au règlement du litige par le conciliateur ou les parties.

n(16 h 30)n

Je vais vous avouer que, comme le député de Dubuc, j'ai été très surpris hier, moi, d'entendre... Et je pense que personne ici ne considère que le mécanisme de conciliation est la panacée à tous les problèmes, là, ce n'est pas l'idée, mais de dire que ça devient un exercice traumatisant au point d'être pire qu'une confrontation devant un tribunal, je vous avoue très sincèrement que ça m'a surpris. Et, dans la mesure où la conciliation fait l'objet d'une section, qui n'est pas modifiée, dans la Loi sur la justice administrative et, que je sache, il n'y avait pas eu de représentation semblable lorsque ces dispositions-là ont été mises en vigueur, pourriez-vous peut-être expliquer davantage votre position là-dessus? À moins que je l'aie mal comprise.

M. Bovet (Claude): Notre position, là, notre point de départ, quand on parle de la situation actuelle, c'est la situation actuelle prévalant en matière de lésions professionnelles. Donc, notre point de départ, ce sont l'ensemble des dispositions qui encadrent... qui définissent et qui encadrent la conciliation dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Bon. Alors, ce qu'on constate, c'est que, si on compare l'ensemble de ces dispositions-là... On a comparé ces dispositions-là avec les dispositions qu'il y a dans la Loi sur la justice administrative, et, de notre point de vue, les dispositions qu'il y a dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles nous apparaissent plus justes que celles qui apparaissent dans la Loi sur la justice administrative.

M. Moreau: Donnez-nous un exemple concret, là, de...

M. Bovet (Claude): Un exemple concret, celui qui me vient le plus rapidement à l'esprit, c'est que, en matière de lésions professionnelles, le juge ou le membre du tribunal ne peut pas agir comme conciliateur. Ça, c'est la situation qui prévaut actuellement en matière de lésions professionnelles, alors qu'en matière de justice administrative ? en tout cas, selon la loi actuelle, et les amendements ne changent rien à ça ? c'est que le membre du tribunal peut changer de chapeau en cours de route et devenir conciliateur.

M. Moreau:«121.2. Le membre du tribunal qui préside une séance de conciliation peut, s'il le juge nécessaire, modifier le calendrier des échéances.

«Il ne peut cependant, si aucun accord n'intervient, entendre par la suite aucune demande relative au litige.»

Il ne peut pas être conciliateur dans une cause et entendre cette cause-là, la loi le prévoit déjà.

M. Bovet (Claude): En tout cas, ce n'est pas... En tout cas, je ne sais pas, il y a peut-être eu une erreur, là. Honnêtement, là, je... Mais, en tout cas, pour nous, ce qui est très, très important, là, c'est que le juge ne puisse pas devenir, à un moment donné, conciliateur. Ça, pour nous, c'est absolument inadmissible. Et, il y a d'autre chose d'important, dans la loi actuelle, en tout cas, il nous semblait que le régime prévalant en matière de lésions professionnelles nous apparaissait plus correct que celui prévalant dans la Loi sur la justice administrative.

M. Moreau: Ça va.

La Présidente (Mme Thériault): Oui, ça va, M. le député?

M. Moreau: Oui, merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci. Donc, merci à Me Bovet, merci à Me Montemiglio d'être venus nous rencontrer. Et nous allons suspendre les travaux pour une période de 10 minutes avant d'entendre l'Ordre des évaluateurs agréés.

(Suspension de la séance à 16 h 34)

 

(Reprise à 16 h 47)

La Présidente (Mme Thériault): Puisque nous avons quorum, nous allons redébuter les travaux de la commission et nous allons accueillir avec nous l'Ordre des évaluateurs agréés. Donc, je vous demanderais de vous identifier, de présenter vos membres et de nous présenter votre mémoire. Vous avez 20 minutes pour le faire.

Ordre des évaluateurs agréés
du Québec (OEAQ)

M. Raymond (Michel): Merci, Mme la vice-présidente. Alors, à mes côtés, Mme Céline Viau, secrétaire générale de l'Ordre des évaluateurs agréés du Québec, et Mme Émilie Giroux-Gareau, coordonnatrice aux affaires juridiques de l'Ordre.

Alors, merci, Mme la vice-présidente. M. le ministre, merci. Chers membres de la Commission des instituions, merci de nous recevoir aujourd'hui. Vous vous rappelez sûrement de nous, on s'est vus en septembre dernier, dans une position qui nous apparaissait un peu plus difficile que celle d'aujourd'hui.

Alors, aujourd'hui, nous sommes ici pour vous faire quelques recommandations. On vous a remis copie de notre mémoire, on vous a remis un résumé dudit mémoire, et, à l'intérieur de notre mémoire, vous pourrez voir que nous y allons avec 11 recommandations, 11 recommandations de deux natures: une, de nature plus importante, en ce qui concerne la pratique et, si on veut, la bonne marche du tribunal et une deuxième quant aux aspects administratifs et aux aspects de fonctionnement administratif dudit tribunal. Alors, nous sommes ici d'abord pour assurer un suivi, d'abord, de notre démarche que nous avions faite dans le cadre du projet de loi n° 4, et aussi assurer un suivi quant aux engagements gouvernementaux déjà proposés, et aussi pour vous faire certains autres commentaires. Pourquoi je dis «certains engagements gouvernementaux»? En fait, suite à la commission liée au projet de loi n° 4, certains amendements législatifs... ou certains amendements avaient été déposés ou présentés à la commission, dont, entre autres, celui qui réintroduisait l'article 33 à la Loi sur la justice administrative.

Alors, entre autres, vous vous souviendrez que notre présentation dans le cadre du projet de loi n° 4 insistait beaucoup sur la présence des évaluateurs agréés au Tribunal administratif du Québec, tels qu'ils l'avaient été aussi... cette présence au Bureau de révision de l'évaluation foncière. On comprend bien ? et vous comprenez aussi bien que moi ? que, lorsqu'on parle des évaluateurs agréés au Tribunal administratif du Québec, on parle exclusivement de la section des affaires immobilières dans la division économique. Sur cet aspect-là, que l'on regroupe aujourd'hui dans le projet de loi la section des affaires immobilières dans la division économique, on est tout à fait d'accord, c'est un naturel, je vous dirais, qui va de soi, puisque nos évaluateurs agréés ont nécessairement d'abord une formation à caractère économique.

n(16 h 50)n

Quand je vous dis qu'on est ici pour faire un suivi, vous vous rappelez de notre position, qui n'a pas changé, vous le comprendrez, à l'effet de dire que, à la section des affaires immobilières, ce que l'on traite, ce sont davantage et principalement des choses relevant de la valeur immobilière, ce sont des recours instruits en fonction de la valeur immobilière. Que ce soit en fonction de la fiscalité municipale ? contestations d'évaluation ? ou encore en regard de l'expropriation, de l'ancienne Loi de l'expropriation, alors ce sont des choses qui s'apparentent donc à la valeur des immeubles.

Nous vous avions aussi parlé de l'importance de la parité juridictionnelle. Alors, vous savez, les membres du Tribunal administratif actuel ont tous une parité juridictionnelle à la section des affaires immobilières, comme dans plusieurs autres sections, et ça a fait, cette parité juridictionnelle là, une des forces du tribunal. Pourquoi? Parce que effectivement le Tribunal administratif est considéré par plusieurs autres tribunaux d'appel comme étant un tribunal spécialisé. Alors, plusieurs des tribunaux, que ce soit la Cour supérieure ou la Cour d'appel et même la Cour suprême, ont reconnu l'importance de la multidisciplinarité au Tribunal administratif du Québec et, entre autres, je vous dirais, principalement à la section des affaires immobilières, puisqu'on retrouve là les spécialistes du droit immobilier et les spécialistes de la valeur immobilière. Alors, nécessairement que c'est ce que nous vous avions fait valoir. Nous vous avions aussi fait valoir l'importance de la multidisciplinarité, bien sûr, et l'importance aussi de l'échange professionnel entre les différentes connaissances, c'est-à-dire tant juridiques qu'économiques, liées à la valeur.

Alors, nécessairement, ce qu'on rencontre dans la pratique actuelle... On a recensé les 100 dernières décisions qui ont été rendues entre l'automne et janvier 2004, et, à l'intérieur de ces 100 décisions là, la majorité sont en lien avec la valeur des immeubles et la majorité sont entendues par des bancs de plus de un. Alors, ce sont des causes à caractère parfois plus complexe, et vous conviendrez qu'en expropriation il y a des questions de droit et il y a des questions d'indemnité et de mesure d'indemnité. Alors, bien entendu que c'est ce que nous vous avions fait valoir à l'époque, c'est à l'effet qu'il y avait un gain dans le fait d'introduire et de conserver dans la loi le fait d'avoir des bancs de plus de deux et des bancs présentant la multidisciplinarité.

Aujourd'hui, ce qui nous agace un peu dans le projet de loi n° 35, c'est que les amendements qui avaient été présentés ne figurent pas. Là, vous comprendrez que nous ne sommes pas des spécialistes de l'Assemblée. Alors, que fait-on quand un projet de loi est présenté, et il y en a un second? Là, je pense qu'aujourd'hui peut-être que vous, les membres de la commission, vous pourrez nous informer de la technicalité, mais, nous, on en est ici tout simplement à vous rappeler notre position qui était celle dans le cadre du projet de loi n° 4, à savoir de dire: On ne peut pas enlever les évaluateurs agréés de la section des affaires immobilières du Tribunal administratif. Alors, c'est ce qui est encore prévu dans le projet de loi n° 35. On comprend que c'est peut-être des questions de particularités liées à la gestion législative, mais peut-être qu'on aura un éclaircissement qui pourra nous être rendu un peu plus tard, là, dans nos échanges de tout à l'heure. Alors, vous comprendrez qu'on tient toujours à l'importance de la présence des évaluateurs agréés au Tribunal administratif du Québec.

Je n'ai pas besoin, je pense, de vous faire une grande démonstration de la pertinence liée à la complexité des causes. Alors, la première fois, nous vous avions parlé de causes importantes. Vous savez qu'en fiscalité municipale, entre autres, le législateur a introduit il n'y a pas tellement d'années une révision administrative, révision administrative avec laquelle tous les utilisateurs sont d'accord et veulent qu'elle soit toujours en place. Et ça infère donc que, devant le Tribunal administratif, on retrouve maintenant davantage de causes complexes que de causes simples. Alors, bien entendu que, lorsque, comme praticiens, on se présente devant le Tribunal administratif, on attend des membres du tribunal une très grande compétence de leur part et on s'attend d'avoir des décisions qui ont une suite logique, je vous dirais, dans le... on a appelé ça le corpus juridictionnel, alors dans une suite logique de décisions. Alors, vous comprendrez qu'il y a une importance à cet égard-là.

Et pourquoi je vous parle de ce corpus juridictionnel? C'est qu'on voit apparaître dans le projet de loi n° 35 la notion d'assesseur. On nous avait questionnés à l'époque sur le principe d'assesseur, auquel on n'était pas tout à fait d'accord. Vous comprendrez que, de notre expérience dans la Loi sur l'expropriation, à la Chambre d'expropriation, jadis, il y avait cette notion d'assesseur, et on avait cru bon... on a cru bon, lors de la création du Tribunal administratif du Québec, de dissoudre la Chambre d'expropriation pour rapatrier cette juridiction-là au Tribunal administratif et de nommer comme membres à part entière les 10 assesseurs qui étaient là à l'époque. Alors, c'était un plus considéré, à ce moment-là, dans le traitement des dossiers aux affaires immobilières. Alors, nécessairement qu'on voyait, par cette introduction des membres qui étaient des assesseurs comme membres à plein droit, une amélioration de la qualité des décisions qui étaient rendues, et aussi une meilleure célérité, et une meilleure efficacité, une meilleure continuité.

Ce qu'on remarque aussi au projet de loi n° 35, entre autres, ce qui nous agace aussi un petit peu, c'est de dire, entre autres, que, pour des bancs composés de plus de deux membres, les autres membres seront des juristes. Or, nécessairement, je vous rappelle toujours qu'on parle ici strictement de spécialités immobilières. Alors, quand on fait référence à des spécialités immobilières, on comprendrait davantage, nous, que, s'il y a un banc composé de plus de deux membres, que ce soient des membres qui soient tant des juristes ou, bien sûr, des évaluateurs agréés, si la problématique de la cause complexe, bien entendu, est davantage liée à un point spécifique d'évaluation. Alors, il y en a eu dans le passé, des causes de cette nature-là, entre autres, par exemple, lorsqu'on avait tenté d'estimer quelle était la désuétude liée à un immeuble qui était affecté par la mousse d'urée formaldéhyde. Alors, quelle était la perte de valeur applicable à ce tel immeuble, bien c'étaient davantage des spécialistes de l'évaluation immobilière qui étaient à mesurer cette perte de valeur là plutôt que des juristes.

Alors, on voit ici apparaître dans le projet de loi n° 35 une connotation à dire: Pour des bancs de plus de deux, ça devrait nécessairement n'être que des juristes. Alors, nous, on vous dit qu'il y a une réserve à faire à cet égard-là. Je pense qu'on devrait laisser la liberté au président de dire: Dépendant de la nature du litige, les bancs de plus de deux devraient être formés soit d'avocats, notaires ou d'évaluateurs agréés, dépendant, comme je vous le dis, de la nature du litige. Il y a eu des causes effectivement pour lesquelles c'était principalement des juristes, et je vous citerais le dossier de l'Université Laval, qui avait un impact important, à l'intérieur duquel c'étaient majoritairement des juristes, et il y avait un évaluateur agréé. Mais, essentiellement, je ne vous dis pas: Nommez tout le temps des évaluateurs agréés, je pense qu'on devrait laisser le soin au président du tribunal de nommer les autres membres en fonction du litige qui est présenté.

Alors, en ce qui nous concerne, c'est, je vous dirais, sur le fonctionnement des affaires, les deux principales recommandations qu'on veut vous adresser, à l'effet ? je me répète ? de dire: Ça prend nécessairement la présence des évaluateurs agréés à la section des affaires immobilières. Il faut, par un assouplissement, je vous dirais, du projet de loi, faire en sorte qu'il y ait une spécificité particulière à cette section-là et il faut donc assurer aux justiciables la présence de spécialistes qui vont bien mesurer la pertinence des propos tenus par les deux parties. Et, ensuite de ça, je pense aussi qu'il faut assurer aussi à ces justiciables que, dans des causes complexes, il faut avoir une présence de spécialistes en plus grand nombre.

n(17 heures)n

D'autres aspects du projet de loi sur lesquels on veut vous faire certains commentaires viennent principalement du vécu tant du Bureau de révision de l'évaluation foncière que du Tribunal administratif du Québec, entre autres la notion de nommer les membres durant bonne conduite. Alors, on a compris, nous ? vous comprenez que nous ne sommes pas des juristes ? on a compris qu'en voyant disparaître la notion d'impartialité et d'indépendance cela pouvait créer une certaine problématique. On a compris aussi que nommer durant bonne conduite, ça enlevait l'épithète de «contrat». Alors, toute la notion «contractuel, cinq ans», disparaissait, et nécessairement que, en faisant disparaître cette notion-là, on augmente, à notre avis, toute la notion d'indépendance. Alors, le membre est davantage indépendant.

Est-ce que c'est de bon aloi d'enlever aussi l'indépendance et l'impartialité? Dans la mesure, nous, on dit: Si le président est assujetti à davantage de responsabilités, il faut aussi assurer aux membres plus d'impartialité et d'indépendance non pas en regard de l'appareil administratif ? oui, par la bonne conduite ? mais aussi par rapport à son comportement comme membre face aux décisions qu'il a à rendre, que ce soient des décisions à caractère administratif ou des décisions à caractère davantage lié à une interprétation doctrinale, par exemple, en lien avec certaines notions de valeur. Alors, sur cet élément-là, on est d'accord avec le projet de loi, de dire «durant bonne conduite», c'est un acquis intéressant dans le cadre du projet de loi. Nous irions plus loin en disant: Durant bonne conduite, avec bien sûr indépendance et impartialité, pour assurer le lien total du membre et sa totale indépendance.

Quant à la gestion des recours, on voit aussi apparaître dans le cadre du projet de loi que seuls les avocats ou notaires pourraient gérer les recours. On comprend bien que le projet de loi est rédigé dans l'orientation d'une régionalisation, sauf qu'on revient toujours avec la spécificité de la section des affaires immobilières. On comprend que, par exemple, dans les secteurs... à Gaspé, ce n'est pas toujours évident d'envoyer des membres évaluateurs agréés. On comprend aussi, par la régionalisation, en englobant la CALP, en englobant les autres commissions, qu'il y a un gain en productivité de la part du fonctionnement du tribunal. Nous, ce qu'on dit, par contre, c'est qu'il ne faudrait pas, au détriment d'une célérité davantage accrue, faire en sorte qu'on enlève toute notion de connaissance, toute notion de professionnalisme, toute notion de connaissance professionnelle. Alors, c'est à faire attention; il y a, disons, un ajustement à faire entre les deux positions. Nous, ce qu'on dit aussi, c'est que, dans des litiges importants liés à des valeurs importantes, il n'y a jamais eu de contrainte des membres actuels à se déplacer en région. Alors, il y a peut-être un ajustement de compréhension à faire à cet égard-là.

Au niveau du Comité des plaintes, on voit apparaître que, entre autres, le Conseil de la justice disparaît pour introduire ce pouvoir-là en déontologie et en plaintes au président du tribunal. Nous, ce qu'on vous propose, c'est de dire, lorsqu'il y aura composition d'un comité pour entendre ladite plainte, qu'un des membres du comité soit de l'origine de l'ordre professionnel ou du milieu professionnel dans lequel le membre qui se trouverait à être sanctionné, disons, pourrait faire l'objet. Alors, pour une question de bonne compréhension.

Question aussi de gestion. Je vous dirais, historiquement, que le vice-président aux affaires immobilières a toujours été un évaluateur agréé. Or, on ne voit pas aussi pourquoi est-ce que le poste de président du tribunal ou du vice-président serait réservé exclusivement aux membres avocats ou notaires. Je pense qu'il faut être plus ouvert, dans le cadre d'une loi, et venir dire que les nominations du président et des vice-présidents se feront à l'intérieur des membres du tribunal. Alors, on ne voit pas pourquoi... Je pense que ce serait peut-être un perte d'efficacité, mais, encore là, dans le cadre de la régionalisation, il y a une dynamique peut-être différente aussi qui s'installe.

Un dernier point sur lequel aussi nous voulions attirer votre attention. Bien sûr, dans cette forme de régionalisation dans laquelle on aligne la Loi sur la justice administrative, on a une certaine crainte, comme évaluateurs agréés, de voir disparaître le nombre de membres spécialistes au sein du Tribunal administratif du Québec ayant la compétence d'évaluateur agréé. Or, cette crainte-là vient du fait que davantage... en regroupant l'ensemble des disciplines, bien entendu, ça devient un tribunal davantage de droit. Alors, le gros des causes ou des recours seront nécessairement des recours en lésions professionnelles en Commission des accidents du travail. Bon, les autres, je ne les connais pas trop. Mais, essentiellement, je vous dirais que ce ne sera plus 10 % ou à peine 10 % des affaires qui seront des affaires immobilières. Alors, nécessairement que, comme gestionnaire, le président sera davantage intéressé à recruter des avocats ou des notaires que des évaluateurs agréés. On le comprend.

Alors, pour assurer une certaine présence des évaluateurs agréés pour, à tout le moins, entendre les causes de la section des affaires immobilières, ce qu'on propose au ministre, c'est de s'aligner un peu avec l'article 40 actuel de la Loi sur la justice administrative pour déterminer un certain nombre ou une certaine proportionnalité de membres qui seraient des évaluateurs agréés, question d'assurer la pérennité non pas de la profession, mais d'assurer la pérennité de la présence des évaluateurs agréés pour assurer aux utilisateurs du tribunal qu'il y ait toujours une présence des spécialistes pour les entendre.

Alors, essentiellement, c'est ce que nous avions à vous communiquer aujourd'hui. Dans les grandes lignes, alors, l'importance de la présence des évaluateurs au tribunal et, pour les bancs complexes, d'avoir... de laisser la liberté au président du tribunal de désigner qui des avocats, notaires ou des évaluateurs agréés devrait faire partie de ce banc complexe. Alors, à moins que ma collègue...

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. Raymond. Malheureusement, votre temps est écoulé. Donc, merci pour votre contribution aux travaux de la commission. Et je vais passer la parole au ministre pour débuter les échanges. M. le ministre.

M. Bellemare: Alors, merci et bienvenue à la Commission des institutions. Alors, je suis, encore une fois, très content de voir que votre ordre professionnel participe aux travaux. C'est important, parce qu'on parle beaucoup des affaires sociales, on parle un petit peu moins des affaires immobilières. Mais, à la satisfaction de mon adjoint parlementaire qui est friand des questions d'affaires immobilières, bien sûr, vous êtes tout à fait les bienvenus dans le cadre des travaux de la commission.

Et vous nous parlez de l'article 40, et, vous avez raison, il n'y a pas de clause, de disposition dans les lois actuellement qui garantisse un minimum de membres évaluateurs agréés. Avez-vous une idée du nombre ou de la mesure? Parce que, à l'article 40, on avance un certain nombre de membres. Remarquez bien que je ne sais pas pourquoi on avait fixé des minima, parce que ça peut évidemment varier selon les années, là. Je ne sais pas.

M. Raymond (Michel): Présentement, ils sont 12...

M. Bellemare: Ils sont 12 évaluateurs actuellement.

M. Raymond (Michel): ...évaluateurs agréés au sein du Tribunal administratif du Québec. Alors, nous, ce qu'on dit: Est-ce que c'est suffisant? Dans le cadre de la régionalisation, je pense que, à force de voir les besoins, il y aura peut-être besoin d'un plus grand nombre, et ainsi de suite. Mais, à tout le moins, c'est de dire: Bien, compte tenu des délais actuels, bien, c'est un minimum, je pense, que les 12 membres qui devraient être là, alors, si on veut améliorer la question des délais.

n(17 h 10)n

M. Bellemare: O.K. En ce qui concerne l'appartenance au Tribunal administratif du Québec, je sais que, quand le TAQ a été créé, en avril 1998, il y avait une volonté gouvernementale de créer un tribunal d'appel avec différentes divisions, puis là on a aboli le Bureau de révision de l'évaluation foncière, notamment, puis on a intégré ça au TAQ.

Il y en a, à l'époque, qui disaient: Oui, mais là, l'évaluation municipale puis les questions médicales, il n'y a aucun lien, ça va faire un drôle de tribunal avec... Il y avait des réticences à l'époque, et aujourd'hui, bien, il semble que tout le monde apprécie bien le fait d'appartenir à une institution qui est crédible et qui est considérée au Québec, le Tribunal administratif du Québec, malgré la grande disparité entre les différentes missions puis les différentes juridictions dans chacune des sections.

Le projet de loi n° 35 vise à intégrer le volet lésions professionnelles dans la structure d'appel, au sein du tribunal d'appel, pour en faire un tribunal unifié, un peu comme était la Commission des affaires sociales avant 1985. Et est-ce que, même si je sais que ce n'est pas votre champ d'expertise nécessairement, tout le volet médical, mais est-ce que vous voyez un problème à ce que le secteur lésions professionnelles soit intégré au Tribunal administratif du Québec, ou au TRAQ, ou peu importe le nom qu'on peut lui donner? Est-ce que vous vous sentez menacés d'une quelconque façon comme évaluateurs face au contexte d'une... à la perspective d'une intégration de la CLP?

M. Raymond (Michel): Deux choses. D'abord, il faut dire que, même dans les cinq dernières années d'expérience du Tribunal administratif du Québec, certains de nos membres évaluateurs agréés ont aussi siégé à la section des affaires sociales; alors, c'est un acquis de multidisciplinarité. Alors, on a aussi, dans ce cadre-là, une question de respect des compétences. Alors, je pense que cela était la donne principale. Alors, les membres qui ont été sollicités à entendre des causes aux affaires sociales, ils se sont questionnés à savoir s'ils avaient les compétences et sur la nature des causes qu'ils ont été aussi invités à entendre. Alors, nécessairement qu'il y a eu ces deux aspects-là.

Alors, je pense que c'est un acquis intéressant pour le nouveau Tribunal administratif du Québec de se voir doter d'un plus grand champ d'action. Pour les membres du tribunal, je pense que c'est un acquis d'efficacité, je vous dirais, alors nécessairement qu'il y aura un plus grand champ d'intervention qui pourra se faire, mais avec la réserve de dire: en respect des compétences de chacun. Nécessairement que c'est un acquis, oui, mais, comme disait tout à l'heure le Dr Lamontagne, dans le respect des compétences.

Lorsqu'on parle d'affaires immobilières, bien, nécessairement que ça devient plus difficile pour un médecin qui serait de la Commission des lésions professionnelles, par exemple, d'entendre une cause liée à la valeur, je ne sais pas, moi, d'une aluminerie; je comprends que ce n'est pas le président qui va le placer là. Mais, pour une affaire simple, parce qu'on parle toujours d'affaires simples, pour accélérer le processus, je pense qu'il y a toujours une question de respect des compétences, comme le faisait remarquer Dr Lamontagne. C'est une question aussi de formation et d'expérience. Alors, ce n'est pas parce qu'on est membre qu'on a nécessairement la formation, la compétence et l'expérience. Mais je pense que c'est un acquis, oui, tel qu'il est présenté dans le cadre du projet de loi n° 35, de regrouper davantage de sorte qu'on a un plus grand bassin de spécialistes avec qui on peut faire affaire.

M. Bellemare: Parce qu'on a vu des avocats, des membres avocats du TAQ, comme vous le dites, qui étaient initialement affectés à la section immobilière, en évaluation, siéger dans la section des affaires sociales puis entendre des causes d'assurance automobile avec beaucoup de compétence et beaucoup de tact. On l'a vu, ça, en pratique, et ça a donné des bons résultats.

Parce que, évidemment, les besoins peuvent varier d'une section à l'autre et, s'il n'y a pas d'intégration et qu'à la section des lésions professionnelles à un moment donné il y a un boom, il y a un besoin plus important d'effectif judiciaire, de juges administratifs, s'il n'y a pas possibilité de transférer les compétences, on doit aller en recrutement absolument. Alors, on pourrait se retrouver dans une situation où, en lésions professionnelles, il y aurait un besoin qui inciterait au recrutement, alors qu'il y aurait dans d'autres sections du tribunal des surplus, des excédents, c'est-à-dire des sections où il y aurait une baisse de volume importante qui ferait en sorte que certains juges administratifs trouveraient le temps long.

Et je pense que ce que les juges administratifs, hier, la Conférence des juges, appelaient la synergie et la multidisciplinarité; bien, si on va vraiment au bout de la notion de multidisciplinarité, bien, normalement, on devrait être favorable à ce que les juges puissent aller d'une section à une autre, en autant bien sûr qu'ils sont compétents. C'est ce qui relève, j'imagine, de l'autorité du président, de vérifier la compétence des juges qu'il va assigner à d'autres sections. Je ne sais pas si vous me suivez là-dessus?

Mme Viau (Céline): Si vous me permettez, je suis ni avocate ni évaluateur agréé. Je n'ai pas de défaut!

M. Bellemare: Vous avez tous les talents.

Mme Viau (Céline): Mais ce que je comprends, c'est que, dans l'ensemble des recours qui peuvent être instruits, il y a des recours qui sont plus simples ou qui font appel à des notions, je ne sais pas, moi, de recevabilité ou de... et qui ne procèdent pas sur le fond, si on veut. Je pense que ce qu'il faudrait protéger, c'est que, quand il y a des recours qui appellent une expertise particulière, lorsqu'on procède sur le fond, il faudrait s'assurer que l'administration y assigne les meilleures personnes, les meilleures compétences, en termes de compétences spécifiques. Alors, c'est peut-être ça qu'il faut protéger, et je ne pense pas... Et, dans la perspective... Je sais que, dans votre discours de présentation, vous parliez des différents bureaux en région. Alors, dans la perspective ou le fait que les lésions professionnelles soient intégrées au TRAQ, ça ajoute un bassin de personnes. Il ne faudrait pas penser non plus que, parce qu'il y aura une personne dans chaque région, qu'on va avoir quelqu'un bon en tout partout, là. Donc, il faut assurer un minimum de qualité aux citoyens.

M. Bellemare: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Oui. M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Moreau: Merci, Mme la Présidente. Le ministre ayant indiqué mon engouement pour les matières immobilières, je m'en voudrais de ne pas intervenir cet après-midi, certainement, de passer sous silence et de ne pas saluer M. Raymond, Mme Viau et Me Giroux-Gareau.

Et j'enchaîne sur la même question. Vous avez indiqué effectivement que la régionalisation, quoiqu'elle puisse être une excellente chose... que, bon, il faut faire attention à ce qu'on puisse retrouver les compétences en région. Mais, ce matin, je pense que c'était l'Association des juges administratifs qui nous disait: Écoutez... et qui a lancé une suggestion, à savoir qu'on puisse avoir des coordonnateurs résidents qui ne sont pas des experts de toutes les matières mais qui, tout à fait de façon comparable à ce qui existe à la Cour du Québec alors qu'on a des juges en résidence dans les différents districts judiciaires ou à la Cour supérieure... que ce juge coordonnateur puisse justement faire appel à des membres du tribunal, du nouveau Tribunal administratif du Québec, qu'il puisse avoir, dans les matières relevant de l'évaluation foncière, de la fiscalité municipale, des compétences.

Et, à l'heure actuelle, ma compréhension, je regardais... Lorsque vous êtes passés dans le cadre du projet de loi n° 4, on voyait que dans ce domaine-là les délais n'étaient pas exorbitants. Il n'y avait pas de question de délai. Donc, il y a une certaine célérité due notamment au fait que, dans bien des causes qu'on appelle les «causes simples» mais qui, dans votre cas, par l'article 33, sont définies par règlement, vous pouvez siéger seul, là. Ce qu'on appelle, nous, dans notre jargon... dans mon ancienne vie, ce que j'appelais les «cas de bungalow». On ne se met pas trois sur le banc pour entendre ça. Par contre, quand on a des alumineries, bien là on peut être un peu plus nombreux.

Alors, ma question: Est-ce que vous croyez que le fait d'avoir un membre coordonnateur en région, bien que ce ne soit pas un spécialiste de l'évaluation foncière, mais qu'il puisse faire appel à des spécialistes que sont les évaluateurs, est-ce que c'est de nature à vous rassurer sur la possibilité d'avoir une justice administrative dans votre domaine de compétence qui soit équivalente partout au Québec?

M. Raymond (Michel): Bien, nécessairement que, oui, c'est une bonne chose. Ce qu'il faut faire attention avec ce membre coordonnateur tel qu'on l'appellerait, c'est que... toujours pour les causes complexes, parce que c'est en région que sont les grosses causes. Il y en a quelques-unes à Montréal, je vous dirais, quelques-unes à Québec, mais, en fiscalité municipale, en expropriation, c'est souvent le lot des régions. Alors, Reynolds à Arvida, et ainsi de suite, alors il y a beaucoup de causes en région. Alors, le membre coordonnateur, ce qu'il faut faire attention, c'est que les spécialistes, les experts viennent souvent des grands centres.

Alors là la problématique est inversée. C'est-à-dire que, là où on va instruire la cause, c'est en région, mais les spécialistes viennent des grands centres. Alors, la problématique devient inversée, mais elle ne devient pas, pour le moment, réglée en même temps. C'est que le membre coordonnateur qui se trouverait à Jonquière, par exemple, va se retrouver face à un expert qui va être de Montréal, avec son avocat de Montréal, et un autre expert, peut-être un avocat de Chicoutimi, avec un évaluateur de Québec, disons.

Alors, c'est une problématique dans les grosses causes, ce qu'il faut faire attention. Je pense que le coordonnateur, en bon coordonnateur, s'il l'est, devrait référer à un membre qui aurait cette compétence-là, spécialisée en fiscalité ou à la section des affaires immobilières, pour bien faire la déférence, là.

M. Moreau: Le ministre tantôt montrait...

Mme Viau (Céline): Vous permettez? Juste ajouter quelque chose.

M. Moreau: Oui, oui, Mme Viau.

Mme Viau (Céline): L'autre nuance que j'apporterais, c'est que, dans notre esprit, l'expert, comme vous l'appelez, reste un membre à part entière. Pour nous, c'est important aussi, là.

M. Moreau: Oui. Ma question, c'était justement: le membre du tribunal ou le juge administratif dont l'expertise particulière est celle visée par l'Ordre des évaluateurs agréés du Québec. Oui, c'est bien de faire la précision.

n(17 h 20)n

Vous avez parlé de la recommandation n° 8 tantôt, où le ministre vous posait quelques questions sur l'équivalence, qui est l'article 40 de la Loi sur la justice administrative, dans la section des ? attendez un peu ? des affaires sociales, je pense... des affaires sociales, exact. Et vous avez lancé le chiffre de 12. Dois-je comprendre que c'est l'enthousiasme qui vous faisait parler, puisque la recommandation n° 8 prévoit 10 membres, dans votre mémoire? Alors...

Mme Viau (Céline): ...l'inflation.

M. Moreau: C'est l'inflation ou l'heure tardive.

M. Raymond (Michel): Au contraire, on veut tellement l'obtenir qu'on est prêts à baisser. En fait, ce que je vous dis, c'est que présentement ils sont 12. Et ce qu'on dit, c'est que, pour assurer un fonctionnement minimal de cette section-là, ça devrait être un minimum de 10. Ou une règle quelconque administrative.

Je comprends aussi, de la part gouvernementale, qu'on ne peut pas statuer sur un quantum établi arbitrairement année par année. Alors, il y a, à notre avis, une fonctionnalité à trouver pour assurer la pérennité.

M. Moreau: Merci. Pour l'instant, ce sera tout, Mme la Présidente.

La Présidente (Mme Thériault): C'est beau. Merci, M. le député de Marguerite-D'Youville. Je vais passer maintenant la parole au porte-parole de l'opposition officielle, le député de Chicoutimi.

M. Bédard: Merci, Mme la Présidente. Alors, merci à vous trois encore de votre apport à la commission. Comme la première fois d'ailleurs, dans le projet de loi n° 4, on se souvient, vous avez eu une présence assez percutante sinon déterminante quant à la suite du projet de loi. Je me souviens, les arguments étaient très convaincants. Et ça permet, je pense, aujourd'hui d'avoir un projet de loi qui est plus équilibré, mais on met des ouvertures par rapport à la multidisciplinarité, que vous avez fort bien défendue à cette époque-là. Et, encore aujourd'hui, on a des ouvertures... Évidemment, votre domaine est mieux protégé... pas protégé en termes, je vous dirais, professionnels, mais protégé en termes, pour le public, d'avoir accès justement à des ressources, lorsqu'il est devant le tribunal, qui ont toutes les connaissances et les compétences requises. Il semble qu'on s'en va vers une solution plus adaptée à ce niveau-là.

Pour les autres corps que sont... bon, que ce soient les psychologues, les médecins ou autres qui peuvent apporter un éclairage ou une meilleure qualité finalement à la justice administrative, je pense que tout le monde peut être content, là, il y a comme un chemin qui a été trouvé entre la position de départ et celle qui était défendue et l'arrivée.

Vous avez... Vous proposez plusieurs... D'ailleurs, votre mémoire, encore une fois, est très bien fait. Même, il a des côtés très juridiques, vous développez vraiment des spécialités particulières; je vois des amendements bien travaillés, chacun des articles. Vous avez le principe, mais, après ça, vous y allez sur chacun des points, c'est bien fait, pour en conclure que... Je ne sais pas si c'est un membre, un évaluateur agréé, mais il a sûrement ses lettres de noblesse en termes juridiques, il est passé à travers la loi et, vraiment, chacun des amendements est pensé, réfléchi et cohérent par rapport à ce que vous proposez.

Je vois que vous aspirez, et c'est légitime, au fait d'avoir accès finalement... Étant donné que vous dites: On est membres à part entière de ce Tribunal administratif, on peut aussi accéder... ou plutôt avoir des responsabilités administratives relativement à ce tribunal. Et là je vous pose la question. Je trouve ça légitime, vous dites «vous», mais est-ce qu'on peut mettre les autres corps aussi, ceux finalement à qui on consentirait le fait d'être permanents, qu'il y ait des membres permanents, que ce soient les médecins, les évaluateurs... pas les évaluateurs, mais les psychologues. Dans la même logique, les amendements que vous proposez pourraient aussi valoir, par exemple, pour les postes de présidence, vice-présidence ou toute fonction administrative dans le Tribunal administratif. Est-ce que vous pensez qu'on pourrait l'adapter aussi aux autres professionnels?

M. Raymond (Michel): Absolument.

M. Bédard: Vous êtes altruiste. Parfait. Je m'attendais à cette réponse, mais j'ai dit: Peut-être que, comme vous avez mis seulement «évaluateurs agréés»... Mais, aussi, le contexte était différent, puisqu'on a ouvert sur les autres accords, mais vous me dites effectivement qu'il n'y a pas matière à garder exclusivement ces postes à ceux qui ont la formation d'avocat ou notaire.

M. Raymond (Michel): Vous comprendrez que je vous réponds «absolument». J'écoute souvent les débats à l'Assemblée, je n'ai pas osé dire oui, parce que c'est rare que j'entends une réponse aussi directe que «oui».

M. Bédard: Même moi, d'ailleurs, je suis resté un peu surpris.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Raymond (Michel): Mais il reste qu'on comprend aussi que ce ne sont pas tous les autres ordres professionnels qui revendiquent la parité juridictionnelle. Alors, si certains ordres demandent et se satisfont du principe d'assesseur, alors, à ce moment-là, ils n'en demandent peut-être pas autant. Nous, cette recommandation-là, on la fait dans le cadre d'historicité de la présence des évaluateurs agréés autant au BREF qu'au TAQ.

M. Bédard: Parfait. Non, non, et là je vous parlais vraiment effectivement de membres à part entière, là, pas de...

M. Raymond (Michel): Oui. Absolument.

M. Bédard: De membres du tribunal et pas d'assesseurs, parce que ce serait compliqué de...

Vous avez aussi des éléments... Vous avez soulevé des éléments très précis, qui ont été soulevés par d'autres groupes, l'ajout d'impartiaux indépendants, là, je vois, effectivement, que vous n'êtes pas les seuls à avoir relevé ces aspects-là. Il y a un élément plus particulier ? et je me demande... bon, vous l'amenez, il est quand même très précis, je vous dirais, dans le cadre de la loi actuelle, qui n'est pas dans les amendements, mais vous dites: Tant qu'à amender la loi, rendons-la meilleure, finalement, donc ? et c'est votre recommandation 10, qui est de supprimer l'article 60 qui permet à ce que des gens du public impliqués dans un débat avec l'État ne soient jamais dans l'inquiétude de se retrouver devant un décideur... finalement d'abroger l'article 60 qui, lui, prévoit que le fonctionnaire nommé membre du tribunal cesse d'être assujetti à la Loi sur la fonction publique pour tout ce qui concerne sa fonction de membre. Il est, pour la durée de son mandat et dans le but d'accomplir les devoirs de sa fonction, en congé sans solde total. Faut bien expliquer, là, le fait d'enlever cet article, vous visez finalement... Est-ce que c'est le retour que vous visez d'empêcher ou d'enlever toute ambiguïté dans l'esprit de ceux et celles qui vont se présenter devant cette personne qui est issue de la fonction publique, finalement?

M. Raymond (Michel): Le retour.

M. Bédard: C'est le retour.

M. Raymond (Michel): Oui. Parce qu'on considère que, si on veut vraiment faire un tribunal impartial et indépendant, le membre qui a à entendre une cause impliquant l'administration, par exemple, se verrait parfois dans des problématiques litigieuses s'il avait à rendre une décision contre l'administration, s'il avait à y retourner. Alors, par exemple, dans le dossier de l'Université Laval, si on était avec un membre qui siège pour cinq ans au Tribunal administratif et qui rend une décision contre le gouvernement, et que son mandat se termine dans un mois, puis qui doit réintégrer un poste au sein de l'appareil gouvernemental, ça pourrait créer des litiges. Alors, nous, on dit: Lorsque vous êtes fonctionnaire et que vous êtes nommé au tribunal, on devrait couper tout lien d'emploi à la fonction publique en fonction de la Loi sur la fonction publique.

M. Bédard: Et est-ce que c'est un argument supplémentaire, le fait que maintenant, si les articles sont adoptés tels quels, les gens qui seront nommés maintenant, ce ne seront plus des mandats de cinq ans, ce sera selon, tout simplement, bonne conduite? Est-ce que ça renforce votre demande?

M. Raymond (Michel): Oui, effectivement, je pense que, pour les nommer pour bonne conduite, c'est un plus, c'est ce qu'on disait tout à l'heure à la question qui était posée. C'est un plus, mais, pour assurer toute indépendance, je pense qu'on devrait aussi enlever l'article 60.

M. Bédard: Est-ce que vous pensez, tant qu'à aller plus loin ? et là je réfléchis avec vous ? qu'il faudrait aussi empêcher ? parce que ce qui est vrai pour le public, effectivement, on pourrait le penser pour le privé ? empêcher tout contrat qui donnerait un avantage à quelqu'un qui pourrait retourner dans un domaine de pratique? Par exemple, il arrive des fois ? j'ai déjà vu ça auparavant ? des gens qui quittent et qu'il est déjà prévu en cas de retour, par exemple, que vous avez le droit... bon, après x années, vous aurez droit à tel montant d'argent si vous revenez pratiquer dans notre domaine ou... Bon, ce qui est vrai pour les avocats doit être vrai pour d'autres domaines de pratique. Est-ce que vous pensez qu'on doit donc obliger finalement chacun des membres d'un tribunal de n'avoir aucun de ces liens présumés, tant pour le public... Vous me disiez que, pour le public, c'était plus particulier, mais aussi pour le privé, donc, de couper toute espèce de lien, et incluant même les avantages lors du retour, du retour éventuel.

M. Raymond (Michel): Bien là je ne pense pas qu'on irait... qu'on pourrait aller jusque-là, ce serait peut-être contre la Charte, d'abord. Deuxièmement, ce serait aussi d'introduire des notions de bonne conduite, ce serait à vie. Il faudrait...

M. Bédard: De bonne conduite, là, vous savez, c'est à vie, dans le sens... tant que ça ne va pas trop mal, plus que ça, je veux dire, tant qu'on se comporte bien, il n'y a pas de motif qui permet de révoquer. C'est des motifs graves, ce n'est pas des motifs légers, là. Des motifs graves. Donc, c'est selon la bonne conduite, où il y a... Vous avez vu, bon, il y a des processus, il peut y avoir des processus de formation, d'évaluation, mais que la personne n'est pas face à un processus qui la remet en cause à tous les cinq ans, à tous les 10 ans, à tous les 20 ans, et jusqu'à... Si elle fait bien son travail, bien, elle reste en place.

n(17 h 30)n

Mme Viau (Céline): En fait, le principe qu'il y a derrière notre recommandation, c'est d'assurer de toutes les façons possibles l'impartialité et l'indépendance des membres du bureau. Donc, évidemment, c'est des cas particuliers, qu'on ne connaît pas nécessairement, mais l'idée qu'il y a derrière, c'est ça. Maintenant, à savoir comment ça s'applique à chaque type de cas...

M. Bédard: Parfait.

M. Raymond (Michel): Présentement, il y a un lien de dépendance. Alors, vous êtes dans la fonction publique, vous accédez au tribunal. Ce qu'on dit, c'est que ce lien-là devrait être brisé par l'article 60, qui devrait disparaître. Par contre, on n'empêchera pas personne qui serait, par exemple... qui déciderait de se retirer du tribunal pour des raisons personnelles puis qui voudrait réintégrer... non pas réintégrer, mais intégrer la fonction publique, je ne vois pas qu'est-ce qu'on pourrait faire contre une telle décision. Alors, c'est strictement de couper un lien potentiel qui pourrait être jugé face à une situation d'impartialité.

M. Bédard: Parce que c'est spécial de retrouver une telle disposition dans la loi, je ne l'avais jamais remarqué, je vous avouerais, puis ça doit avoir une explication vraiment... sûrement historique, là. D'ailleurs, c'est en 1996, donc j'imagine, là... On posera les questions à qui de droit.

Alors, je vous remercie de vos représentations encore et je vous invite à continuer à suivre d'ailleurs les débats, parce que vous allez avoir un peu le résultat, là, dans un délai assez bref. Je vois que vous vous intéressez à tous les aspects du projet de loi, pas seulement ce qui concerne l'évaluation, donc je vous remercie d'être des auditeurs attentifs à nos débats. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Merci, M. le député de Chicoutimi. Il y a le député de Marguerite-D'Youville qui aurait une intervention.

M. Moreau: Oui. Sur cette dernière question de l'article 60. En fait, vous... dans une des recommandations que vous formuliez, là, juste avant, la recommandation n° 9, vous dites qu'on devrait quand même conserver les mots «impartiaux et indépendants». Bon, je vous fais simplement le commentaire suivant. Si les membres du Tribunal administratif sont nommés durant bonne conduite, c'est l'équivalent de la nomination, par exemple, des juges de la Cour du Québec, qui, eux, le sont en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires, et ce vocable de «nomination durant bonne conduite» amène l'impartialité et l'indépendance. Et la Loi sur les tribunaux judiciaires ne prévoit pas que les juges de la Cour du Québec sont indépendants et impartiaux, mais personne ne pose de questions à cet égard-là, personne ne remet cette situation-là en question. En réalité, la nomination durant bonne conduite vient pallier la question de l'indépendance et de l'impartialité.

Mais je reviens sur l'autre élément, qui est l'article 60, et là vous dites: Bon, bien, là, on voit que ces gens-là qui sont issus de la fonction publique sont considérés en congé sans solde. J'avoue que la lecture fait en sorte qu'on a un juge ou, en fait, on a un membre d'un tribunal qui est un gars en congé ou une femme en congé, là. N'utilisons pas le masculin ou le féminin, là, allons-y de façon générale. Je comprends que la formulation est un peu étrange, mais, au-delà de ça, est-ce qu'on ne doit pas voir derrière l'article 60, sans égard à l'impartialité ou l'indépendance, le fait que, si on modifie cet article-là, on va retirer des droits acquis à certains individus non pas en raison du statut qu'il acquiert subséquemment de membre d'un tribunal administratif, mais du fait qu'à un moment donné dans sa vie il a été membre de la fonction publique? Et, si on éliminait ça, quelqu'un qui est membre de la fonction publique qui devient juge administratif ou membre du Tribunal administratif et qui, pour une raison ou pour une autre, cesse ses fonctions, même de façon volontaire, perdrait, au moment d'une nouvelle intégration de la fonction publique, toute l'ancienneté qu'il a pu accumuler dans le passé? Est-ce que ce ne serait pas une mesure punitive à l'égard de quelqu'un qui a un cheminement de carrière différent, là?

M. Raymond (Michel): Si tel est le cas et que cela cause un préjudice à certains des membres, moi, je vous dirais de libeller plutôt 60 en disant: Tout nouveau membre verrait son lien d'emploi avec la fonction publique cesser.

M. Moreau: Et créer une situation particulière pour ceux qui sont déjà dans cette situation-là.

M. Raymond (Michel): Alors, ça éviterait, là, de créer des problématiques.

M. Moreau: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Ça va, M. le député? Oui? Il y a le député de Dubuc qui voudrait faire une petite intervention. M. le député.

M. Côté: Une simple petite question bien, bien courte, c'est sur votre recommandation n° 11, que vous proposez qu'elle ne soit pas abrogée, le Conseil de la justice administrative. J'aimerais que vous me donniez des raisons pour lesquelles vous proposez cette recommandation. Et dans le cas où le ministre acquiescerait à votre demande, est-ce que vous croyez que le Conseil de la justice administrative dans sa forme actuelle, dans sa composition actuelle, devrait rester comme il est présentement ou pourrait peut-être être allégé? J'aimerais vous entendre sur ça.

M. Raymond (Michel): En fait, notre position sur l'abrogation du Conseil vient du fait que, de par nos coutumes d'ordres professionnels, on est habitués du jugement par les pairs. Or, chez nous, c'est le syndic qui porte les plaintes et c'est le comité de discipline, formé d'avocats et d'évaluateurs agréés, qui les entend. Alors, on appelle ça le jugement par les pairs. Dans la mesure où le comité qui serait créé pour entendre les plaintes est composé d'un membre du milieu professionnel, du membre qui fait l'objet de la plainte, alors là ça nous satisfait en partie à tout le moins, parce que là on pourrait assurer un jugement par les pairs.

Alors, nous, on dit: Il ne faudrait pas abolir le Conseil sans s'assurer que qu'un membre qui subira une plainte soit jugé au moins par un de ses pairs.

M. Côté: Merci.

La Présidente (Mme Thériault): Oui, M. le député de Marguerite-D'Youville.

M. Moreau: Sur cette dernière question là, ce que vous estimez être un pair, dans votre réponse, là, ce n'est pas un évaluateur, ce serait un juge ou un membre d'un tribunal administratif, parce que, hypothèse que ce soit, par exemple, je ne sais pas, moi, le Conseil de la magistrature qui se voie donner des pouvoirs élargis et qui doive décider des cas déontologiques des membres du Tribunal administratif dans sa nouvelle version... si le Conseil de la magistrature se voit enrichi de la présence d'un membre du Tribunal administratif nouvelle version, est-ce que vous considéreriez, dans ce contexte-là, que ça équivaut à un jugement par les pairs ou si vous iriez aussi loin que de dire: Bien, quand le membre du Tribunal administratif est un psychiatre, bien, ça devrait être un psychiatre qui soit également sur le banc, ou, quand c'est un évaluateur, ça devrait être un évaluateur qui est sur le banc? Est-ce que le seul fait... parce que là on parle de la déontologie dans le contexte de sa fonction de décideur administratif, est-ce qu'on peut penser que, dans ce contexte-là, le pair, c'est un autre décideur administratif, quel que soit son domaine d'expertise?

M. Raymond (Michel): La façon dont on a compris le comité qui serait formé pour entendre les plaintes de la déontologie, c'est le président qui se forme un comité. Alors, est-ce que ? ça, c'est une compréhension qu'on n'a pas ? est-ce que vous entendez créer un comité parmi les membres qui sont présents ou un comité formé de spécialistes externes auxquels le président s'associe? À ce moment-là, nous, on vous dit: Dans la mesure où il vient du même milieu professionnel.

M. Moreau: Alors, dans le contexte des comités dont parle le projet de loi n° 35, là, votre réponse, c'est dire: Un pair, c'est, pour nous, un évaluateur, dans votre cas?

M. Raymond (Michel): Oui.

M. Moreau: Oui, je comprends. O.K., ça va. Merci.

La Présidente (Mme Thériault): D'accord. Donc, merci, M. Raymond, merci, Mme Viau et Me Giroux-Gareau. Le temps imparti à nos travaux étant écoulé, je suspends donc... j'ajourne les travaux à demain matin, 9 h 30, jeudi le 15 janvier. Merci.

(Fin de la séance à 17 h 39)

 

 


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