(Onze heures vingt-huit minutes)
Le Président (M. Landry, Bonaventure): À l'ordre, mesdames et messieurs! Nous allons débuter nos travaux. Je rappelle le mandat de la commission: procéder à des consultations particulières et tenir des auditions publiques sur la déclaration de Calgary, notamment en ce qui a trait à une future entente-cadre sur l'union sociale, et ce, en regard des droits et compétences de l'Assemblée nationale, du gouvernement du Québec et des revendications historiques de ces derniers.
M. le secrétaire, pourriez-vous nous annoncer les remplacements, s'il vous plaît?
Le Secrétaire: M. Fournier (Châteauguay) remplace Mme Houda-Pepin (La Pinière).
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Très bien. Alors, nous allons maintenant prendre connaissance de l'ordre du jour. Notre première présentation ce matin, Me André Tremblay, pour la première heure de nos délibération. Ensuite, nous entendrons Mme Andrée Lajoie. Nous suspendrons nos travaux à 13 h 28, compte tenu que l'ordre des travaux vient de nous être donné. Nous reprendrons nos travaux à 15 heures et nous entendrons M. Yves Vaillancourt, et, à 16 heures, M. Patrice Garant. Et nous ajournerons à 17 heures.
Organisation des travaux
M. Fournier: Une question de précision, si vous me le permettez, avant d'entendre Me Tremblay. À juste titre, vous avez entamé sur l'ordre que j'avais, je pense qu'il date de jeudi dernier, où il y avait Me François Chevrette. Est-ce que vous êtes en train de me dire que nous assistons à un autre désistement? Ce qui nous porterait à 13, donc près de la moitié des experts qui se sont désistés? Est-ce que c'est le cas?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. Chevrette ne pourra pas être ici.
M. Fournier: Ah! Il y en a donc un treizième, là. Très bien. Merci.
M. Brassard: Non, non, non. Un instant, M. le Président. Ce n'est pas un treizième. Ça, c'est un désistement, j'en conviens. Il avait été invité et il avait accepté. Là, pour des raisons qui lui appartiennent, il ne peut pas être présent cet après-midi. Mais les autres, ce n'est pas des désistements. C'est simplement qu'ils n'ont pas répondu à l'invitation. Ils ne se sont pas désistés. Pour se désister, il faut avoir dit oui avant.
M. Fournier: Je pense, M. le Président, que tout le monde aura compris ce que je suis en train de mettre en lumière. C'est qu'il y en a un treizième qui ne vient pas participer à cette commission, probablement pour les raisons que l'on connaît. Même si le ministre essaie de leur faire dire ou d'imputer des motifs au fait qu'ils ne soient pas là, il reste que cette commission-là est entachée d'un vice de forme dès le départ quand la moitié des témoins que le gouvernement lui-même a identifiés décident de ne pas venir à cette commission bidon.
M. Brassard: L'imputation de motifs, là, c'est...
(11 h 30)
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Nous revenons à l'ordre du jour et j'invite...
M. Brassard: M. le Président, il reste que M. Chevrette a quand même déposé un mémoire dont la commission peut prendre connaissance. Alors, donc, il y avait chez lui...
M. Fournier: Le mémoire, M. le Président, moi, je ne l'ai pas eu. Ah! Non, il n'a pas déposé de mémoire. Je pense que le ministre dit maintenant comme moi qu'il y a effectivement, clair et net, désistement. Clair et net, désistement. M. Ryan explique que cette commission est bidon, comme la moitié des autres qui ne viennent pas. C'est tout.
M. Brassard: M. Ryan parle abondamment de la déclaration de Calgary.
M. Fournier: Oui. Et il vous précise que le forum que vous avez créé est bidon et partisan.
Auditions
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Sur ce, messieurs, puisque nous avons un invité à la commission qui est déjà prêt, je pense, à faire sa présentation, nous allons maintenant l'entendre. Alors, Me Tremblay, bienvenue à la commission des institutions. Vous disposez d'une période de 20 minutes pour la présentation de votre mémoire, à la suite de quoi nous pourrons échanger avec vous.
M. André G. Tremblay
M. Tremblay (André G.): Très bien, M. le Président. M. le Président, MM. et Mmes les membres de l'Assemblée nationale, je vais faire une présentation abrégée de mon mémoire, mais je serai plus spécifique sur la question de l'entente-cadre sur l'union sociale.
J'ai toujours pensé que le développement du Québec était mieux assuré à l'intérieur de l'ensemble fédéral, à la condition que celui-ci fasse droit aux légitimes revendications du Québec pour plus d'espace, d'autonomie et de reconnaissance de spécificité. Pour moi, le régime fédéral était mieux en mesure de procurer à mes concitoyens la liberté et la sécurité qu'ils attendent de l'organisation politique.
Au cours des 40 dernières années, tous les gouvernements qui se sont succédé pour gouverner l'État québécois ont échoué dans leur tentative de changer le statu quo constitutionnel. La presque totalité de nos revendications ou initiatives pour revoir nos conditions d'adhésion au pays canadien est demeurée sans réponse. Je suis foncièrement convaincu que les besoins de changement et de réforme du cadre constitutionnel canadien restent essentiels et incontournables; ils sont toujours pressants et nous interpellent aujourd'hui aussi fortement qu'autrefois. La reconnaissance formelle de la spécificité québécoise et la dévolution des pouvoirs essentiels à la protection et à la promotion de cette spécificité restent des conditions sine qua non du membership québécois dans la fédération canadienne.
La question est de savoir aujourd'hui si la déclaration de Calgary répond aux aspirations historiques, traditionnelles et légitimes du Québec et peut contribuer à régler le lourd contentieux qui marque nos rapports avec le Canada anglais. La réponse est claire, la déclaration de Calgary est pire que le statu quo et pire que rien et renferme les germes susceptibles d'affaiblir la Charte de la langue française et nos compétences législatives. Elle constitue une base de discussion qui passe à cent lieues de la réalité québécoise. Son contenu imaginé par et pour l'autre partenaire canadien javellise, aseptise et ratatine le statut du Québec.
J'ai beaucoup de peine à cacher ma déception et mon irritation devant ce document ridicule, déshonorant et inacceptable qui suggère aux fédéralistes québécois, qui ont loyalement et sincèrement essayé de modifier l'ordre constitutionnel canadien, qu'il n'y a plus rien à espérer.
Je comprends la réaction de plusieurs qui estiment que l'on perd un précieux temps en étudiant en commission parlementaire une feuille inconnue et qui mériterait de le rester, d'autant qu'il n'y a dans la population aucun intérêt pour le sujet. C'est comme si la commission était dépourvue d'objet et étudiait une coquille vide ou le néant. Mais démocratie oblige, et il me semble convenable d'examiner à froid, dans l'enceinte de notre Parlement, le plan A du Canada anglais sur l'unité canadienne destiné à contrer la souveraineté du Québec.
Dans notre société québécoise, il est de bon usage, en effet, en matière constitutionnelle, de soumettre à l'analyse de ce Parlement les initiatives et les options du gouvernement et de l'opposition. On a pratiqué cette nécessaire façon de faire à l'occasion de Meech, avant et après la signature de l'accord. On l'a fait aussi de façon fort utile avec la création, en 1991, d'une commission d'étude des questions afférentes à l'accession du Québec à la souveraineté.
C'est donc normal et sain pour le débat démocratique que tous les partis politiques représentés dans ce Parlement expliquent clairement au peuple québécois leurs positions, réactions et attentes par rapport à cette nouvelle offre du Canada anglais.
Personnellement, je n'ai aucune objection à la tenue d'une telle commission même si elle invite les libéraux à dire ce que ferait un gouvernement libéral avec la déclaration de Calgary. Est-ce qu'ils négocieraient sur le base de la déclaration? Le citoyen a le droit de savoir ce que pensent précisément les libéraux québécois de cette déclaration. Quelle est leur politique constitutionnelle? Croient-ils encore aux revendications traditionnelles du Québec? Acceptent-ils un document dont le fondement est l'égalité des provinces? Le citoyen a le droit de savoir comment les libéraux pourraient s'y prendre pour réformer le fédéralisme canadien.
Un processus d'étude parlementaire sur une question encore importante ne devient pas une perte de temps ou d'argent parce qu'il pourrait être embarrassant pour une formation politique. Refuser de discuter de questions constitutionnelles pour donner, à l'instar de Jean Chrétien, priorité exclusive à l'emploi et à l'économie me semble tout à fait incompatible avec la philosophie et les intérêts du Parti libéral du Québec. Pour celui-ci, la stabilité économique ne devrait pas se concevoir sans stabilité constitutionnelle, c'est-à-dire sans un règlement honorable de la question québécoise et sans la réintégration du Québec dans le giron constitutionnel canadien. Vouloir à tout prix exclure la Constitution de nos débats politiques provient d'une lecture sommaire des intérêts supérieurs du Québec.
La déclaration de Calgary s'impose donc normalement à la considération de l'Assemblée nationale, que l'on aime ou non ce type d'exercice. Comme son nom l'indique, il s'agit d'une simple déclaration qui renferme le cadre de discussions à partir duquel le Canada anglais serait disposé à revoir la structure constitutionnelle canadienne et à offrir une solution alternative à la démarche québécoise vers la souveraineté. Elle ne comporte aucune portée légale, aucun poids constitutionnel, mais pourrait éventuellement servir de base à une véritable initiative du Parlement fédéral ou d'une Assemblée législative provinciale en vue de modifier formellement la Constitution du Canada.
J'ai écrit, quelques jours après la publication de la déclaration, que l'initiative du Canada anglais ne répond pas aux principales questions des fédéralistes québécois relatives à la nature de la fédération canadienne, à la place du Québec dans le Canada et aux pouvoirs du Québec comme entité fédérée. Je précisais que la déclaration se situe bien en-deça de la reconnaissance du Québec que nous proposait l'accord du lac Meech et je précisais aussi que toutes les mesures avaient été prises pour encadrer la société unique québécoise et pour l'assujettir à tant d'autres valeurs et concepts, qu'il y avait menace réelle d'affaiblissement de notre compétence législative en matière linguistique.
(11 h 40)
Personne ne contestera que la déclaration place la barre de l'offre canadienne au plus bas qu'on soit jamais allé dans les discussions constitutionnelles. L'offre est en dessous des cinq conditions minimales de Meech, inférieure à l'accord de Charlottetown, plus faible que le programme du Parti libéral. Si on enclenchait des négociations à partir de la déclaration, on courrait à la catastrophe: le cadre de discussion ne peut conduire qu'à l'échec. Il s'y trouve trop d'hypothèques, de préalables, de conditions «canadian» uniformisatrices pour que le Québec puisse faire autre chose que reculer. La reconnaissance du caractère unique de la société québécoise comporte l'obligation de souscrire à des valeurs et principes qui, à la limite, affaibliraient notre compétence en matière de langue et renforceraient les pouvoirs du Parlement fédéral en matière sociale.
Selon la déclaration, la fédération canadienne constitue essentiellement une union de provinces foncièrement égales où règne la Charte canadienne des droits ainsi que la diversité canadienne, cette diversité comprenant les peuples autochtones, le dynamisme du bilinguisme et le multiculturalisme. Dans ce régime fédéral voué primordialement au respect de la diversité, de l'égalité des provinces et de l'unité canadienne, le caractère unique de la société québécoise, constituée notamment de sa majorité francophone, de sa culture et de sa tradition de droit civil, est fondamental pour le bien-être du Canada.
Par conséquent ou, si vous préférez, dans cette perspective, c'est-à-dire à la condition que le Québec respecte la diversité dont le dynamisme de la langue anglaise fait partie intégrante, l'Assemblée législative et le gouvernement ont un rôle de protéger le caractère unique de la société québécoise au sein du Canada et d'en favoriser l'épanouissement.
D'une part, il est clair, selon le texte, que les mesures de protection et de développement de la société unique doivent se déployer au sein du Canada et respecter l'égalité, égalité des citoyens et des provinces, doivent respecter l'unité canadienne ainsi que la diversité, peuples autochtones, bilinguisme et multiculturalisme.
D'autre part, le rôle de protéger et de favoriser le caractère unique de la société québécoise comprend forcément celui de protéger et de promouvoir la minorité anglophone du Québec qui constitue certainement, selon la déclaration, un élément de la société unique. S'il y a une majorité anglophone, il existe aussi une minorité anglophone... S'il y a une majorité francophone, je reprends, il existe aussi une minorité anglophone et cette dernière fait partie du caractère unique.
La déclaration de Calgary établit manifestement une hiérarchisation de valeurs au profit de l'unité canadienne, de la diversité, de l'égalité et du bilinguisme. Elle présente donc une menace d'affaiblissement de notre compétence législative en matière de langue, d'autant que, contrairement aux accord de Charlottetown et de Meech, elle ne propose aucune clause de sauvegarde en cette matière. On ne saurait évidemment souscrire à un document susceptible de faire disparaître la Charte de la langue française.
Sans m'attarder à la terminologie un peu loufoque du caractère unique, je me dois d'insister sur un point qui devrait être clair: la société distincte de Meech et de Charlottetown et le caractère unique de Calgary n'ont pas valeur égale et ne sont pas des notions interchangeables.
Il faut rappeler que le texte de l'accord de Charlottetown comportait des modifications substantielles par rapport au texte établi le 7 juillet 1992 par le forum multilatéral, et je m'explique. Relativement à ce texte final de l'accord de Charlottetown, d'une part, le rôle du Québec de protéger et de promouvoir sa spécificité apparaissait dans un texte constitutionnel séparé et distinct des huit valeurs qui devaient servir à l'interprétation de la Constitution. D'autre part, l'Accord prévoyait dans le texte relatif à la dualité linguistique que les Canadiens et leur gouvernement étaient attachés, «committed», à la vitalité et à l'épanouissement des collectivités minoritaires de langues officielles.
Ainsi, le libellé final de l'accord de 1992 proposait d'insérer dans la Loi constitutionnelle de 1867, une clause Canada qui, dans un premier temps, exigeait de faire concorder l'interprétation de toute la Constitution, y compris la Charte canadienne, avec huit caractéristiques fondamentales, dont la dualité canadienne, l'égalité des provinces et la spécificité du Québec, et qui, dans un deuxième temps, confirmait à l'intérieur d'un paragraphe distinct le rôle du Québec et de la législature du Québec, de protéger et de promouvoir la société distincte.
À l'intérieur de cette clause Canada qui aurait eu valeur interprétative, la spécificité du Québec représentait une valeur fondamentale parmi les huit qui y étaient affirmées, et c'était la seule à être renforcée par le rôle de protection et de promotion confié à notre législature et à notre gouvernement. Elle était cependant mise en concurrence avec sept autres caractéristiques. Mais la hiérarchisation qui avait été établie dans l'accord du lac Meech au profit de la dualité canadienne et qui avait exigé la clause de sauvegarde en matière linguistique n'était pas maintenue.
La dualité ou le bilinguisme n'était plus, en 1992, une valeur fondamentale dominante, mais faisait l'objet d'une disposition spécifique qui parlait de l'attachement des Canadiens et de leur gouvernement à l'épanouissement et au développement des communautés minoritaires de langues officielles dans tout le pays. L'Accord ne prévoyait plus de rôle pour le Parlement et les législatures de voir à la protection de la dualité canadienne.
Personnellement, même si la clause de la société distincte de Charlottetown se comparait bien avec sa cousine de Meech, je préférais cette dernière parce que la reconnaissance du Québec dans Meech était le principe générateur des autres conditions et aussi, selon le gouvernement du Québec, l'assise constitutionnelle principale sur laquelle il a jeté les bases de son avenir dans le cadre de la fédération canadienne.
Force est donc de constater que l'approche de la déclaration de Calgary, sa méthode, sa terminologie, ses paramètres sont, concernant la société unique ou la société distincte, tellement différents des accords de Meech et de Charlottetown, tellement réducteurs de la société québécoise, et tellement préoccupants, que le statu quo déjà inacceptable est de beaucoup préférable.
On est, en effet, bien loin de la notion d'égalité foncière des deux peuples fondateurs dont parlait le premier ministre Johnson en 1968. Et le Québec, maintenant, avec la déclaration de Calgary, est devenu un aspect parmi d'autres de la diversité canadienne dont il faudrait faire la promotion.
Évidemment, si d'aventure le Canada anglais décidait de transformer en modification constitutionnelle la déclaration de Calgary, le Québec n'aurait probablement pas d'autre choix que de se retirer de l'offre de la déclaration de Calgary et de se servir de l'article 38 de la loi constitutionnelle, et de pratiquer l'«opting out», opter hors d'une telle modification dérogatoire aux compétences, droits et privilèges de notre législature. Ce serait fort ironique que de devoir se retirer de l'offre canadienne faite au Québec, en se prévalant d'une constitution que le Québec n'a pas ratifiée et qu'on voudrait nous faire accepter.
(11 h 50)
Il y aurait aussi une autre raison supplémentaire, M. le Président, de se retirer de l'offre canadienne. Un autre aspect fort troublant de la déclaration concerne les politiques sociales. Le texte, à cet égard, énonce que «la population canadienne désire que ses gouvernements oeuvrent de concert, tout particulièrement en matière de prestation des programmes sociaux». Le texte que je viens de citer présente une étrange similitude avec le communiqué de mars 1998 du conseil fédéral-provincial territorial sur la refonte des politiques sociales. Comme vous le savez, le conseil s'est réuni en mars 1998 pour entamer son travail d'élaboration d'une entente-cadre sur l'union sociale du Canada, et, dans ledit communiqué subséquent à la réunion, on trouve la phrase suivante et je cite: «À leur réunion de décembre 1997, les premiers ministres ont reconnu l'importance qu'attachent les Canadiens aux programmes sociaux et ont convenu que les gouvernements doivent travailler de concert pour répondre aux besoins des Canadiens sur le plan des services sociaux.» Fin de la citation. C'est presque le mot-à-mot de la déclaration de Calgary.
Ce qu'ont ces textes en commun, c'est l'objectif, M. le Président - je termine, ça ne sera pas très long - de réaliser une entente-cadre sur l'union sociale du Canada. En clair, le texte de la déclaration de Calgary encourage l'élaboration d'une entente-cadre sur l'union sociale canadienne qui m'apparaît incompatible avec les intérêts supérieurs du Québec.
Je m'explique rapidement. L'entente-cadre sur l'union sociale signifie la mise en place d'un processus intergouvernemental décisionnel qui va conduire à l'uniformisation des politiques sociales, processus dans lequel le Québec est minoritaire et qui ouvre la porte à l'imposition de normes nationales dans des secteurs qui relèvent de nos responsabilités exclusives et normes qui seront intégrées dans des lois fédérales et qui deviendront les conditions d'octroi du financement fédéral. Cette entente-cadre légitimera évidemment l'exercice du pouvoir fédéral de dépenser dans nos champs de compétence, conduira au fractionnement de nos compétences et consacrera la continuation des chevauchements et aussi du fédéralisme prédateur.
Destinée à servir l'unité nationale, l'élaboration d'une telle entente-cadre implique pour nous la violation continue de la Constitution canadienne et l'isolement du Québec. Or, on le sait, Québec a toujours voulu rester maître de ses choix et de ses priorités en matière sociale. Il a toujours voulu définir les orientations et les modalités des programmes sociaux et en assumer la gestion. Le Québec ne saurait donc souscrire à cet égard ni à la déclaration de Calgary ni à l'élaboration de cette entente-cadre qui implique, je l'ai dit tout à l'heure, diminution de nos compétences, imposition de normes nationales et reconnaissance du pouvoir fédéral de dépenser dans nos sphères de compétence exclusives.
Personnellement, je n'ai pas, a priori, d'objection au concept d'une union sociale canadienne dans la mesure où l'intégrité de nos compétences est protégée. C'est-à-dire dans la mesure où, primo, il y a évacuation par le fédéral de nos champs de compétences et, secundo, dans la mesure où il y a pour toutes les provinces un droit de retrait avec compensation de tout programme fédéral de dépenses dans le domaine des programmes sociaux. Sans ce droit de retrait, la reconnaissance du caractère unique de la société québécoise n'a aucune espèce de signification.
M. le Président, j'ai déjà dépassé mon 20 minutes, vous avez extrêmement gentil de ne pas m'interrompre, vous m'avez fait un signe, mais permettez-moi, à la fin, simplement, de dire que je retrouve ici, dans la déclaration de Calgary, le langage des opposants au lac Meech, et je n'inclus pas ici les membres du Parti québécois ni les membres du Parti libéral présents.
Je regrette que le camp fédéraliste se retrouve les mains vides pour renouveler la fédération canadienne et que le camp fédéraliste n'a d'autre choix véritable que de refuser la déclaration de Calgary.
Et je constate, à regret aussi, la fin de non-recevoir non équivoque du Canada anglais à ce qui s'appelle une réforme de la constitution. Le choix doit se faire maintenant entre la déclaration de Calgary, qui est pire que rien, et la souveraineté du Québec avec tous les inconnus et les problèmes qu'elle suscite.
Pour l'heure, je me permets de suggérer fortement à tous les partis politiques qui siègent à l'Assemblée nationale de rejeter la déclaration de Calgary.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le ministre.
M. Brassard: M. le Président, M. Tremblay, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de la commission pour venir échanger avec les membres de cette commission sur la déclaration de Calgary.
Votre présence nous rappelle certaines époques de l'histoire du Québec où vous avez joué un rôle auprès de l'ancien premier ministre, M. Bourassa, auprès de M. Rémillard également, vous étiez conseiller constitutionnel à l'époque de Meech, à l'époque de Charlottetown également, à l'époque aussi des deux commissions parlementaires mises en place par la loi 150. Et je pense que, à ce titre-là, effectivement, vous étiez peut-être le mieux placé pour interpeller l'opposition officielle puis interpeller le Parti libéral du Québec, compte tenu de votre feuille de route et du rôle important que vous avez joué auprès du gouvernement libéral de M. Bourassa.
Et, quand vous posez des questions au Parti libéral, je pense que ce sont des questions pertinentes: Est-ce qu'il négocierait sur la base de la déclaration? Le citoyen a le droit de savoir ce que pensent précisément les libéraux québécois de cette déclaration. Quelle est leur politique constitutionnelle? Croient-ils encore aux revendications traditionnelles du Québec? Je pense que ce sont toutes des questions tout à fait pertinentes.
Et, évidemment, quand nous, on les pose, vous comprendrez que c'est jugé tout à fait partisan, et donc à rejeter. Mais je pense que quand, vous, vous les posez, c'est dans ce sens-là que je dis que vous êtes peut-être le mieux placé pour interpeller le Parti libéral du Québec, maintenant dirigé par un nouveau chef, M. Charest, mieux que nous, en tout cas, mieux que nous.
Poser ces questions-là, on les a déjà posées, le premier ministre les a posées, mais c'est perçu ou présenté comme de la partisanerie de bas étage; je pense que, vous, en les posant, ça met en relief davantage leur pertinence. Et j'espère et je souhaite que le Parti libéral du Québec réponde à ces questions parce que je pense que ça m'apparaît essentiel pour un grand parti politique, une formation politique majeure dans la société québécoise, que de répondre à ces questions tout à fait pertinentes.
(12 heures)
Vous dites également, c'est là-dessus que je veux vous interroger, encore une fois, compte tenu aussi de votre expérience dans les diverses rondes constitutionnelles de l'histoire du Québec, vous dites également, je vous cite parce que je pense que c'est important: «Si on enclenchait des négociations - dites-vous - à partir de la déclaration, on courrait à la catastrophe. Le cadre de discussions ne peut conduire qu'à l'échec. Il s'y trouve trop d'hypothèques, de préalables, de conditions "canadian" uniformatrices pour que le Québec puisse faire autre chose que reculer.» Fin de la citation.
Compte tenu de votre expérience, est-ce que, au fond, ce que vous nous dites, c'est que dans les négociations constitutionnelles qui ont eu lieu dans l'histoire du Québec - puis Dieu sait qu'il y a eu plusieurs rondes et vous étiez présent à plusieurs de ces rondes constitutionnelles, je pense à Meech, je pense à Charlottetown - est-ce que vous diriez que, au fond, dans ces négociations constitutionnelles, la base de départ des discussions n'a jamais connu ou ne connaît jamais d'enrichissement? Que compte tenu de la dynamique du régime, compte tenu de l'opinion publique aussi au Canada anglais, quand on prend connaissance d'une base de discussion ou d'un document servant à une négociation constitutionnelle, on peut être assuré qu'au bout du processus il n'y aura pas enrichissement; c'est plutôt le contraire, il pourra y avoir régression, réduction de la portée du document de départ de la négociation constitutionnelle?
Est-ce que je dois comprendre que les propos que je viens de vous citer s'expliquent par cela? À partir du moment où on enclencherait des négociations constitutionnelles sur la base de la déclaration de Calgary qui est déjà inacceptable, on peut être sûr, compte tenu encore une fois de l'histoire, qu'il n'y aura d'aucune façon un enrichissement de cette déclaration pour mieux répondre aux revendications dites traditionnelles ou historiques du Québec, qu'au mieux ça va rester tel quel, mais qu'il pourrait aussi fort bien se produire une réduction encore davantage inacceptable de la portée de cette déclaration? Est-ce que je vous interprète bien?
M. Tremblay (André G.): M. le ministre, vous avez suivi de très près les dossiers constitutionnels, et je sais que votre expérience de parlementaire, votre riche expérience de parlementaire me fait croire que vous connaissez généralement la réponse à la question que vous posez. Et vous avez donc raison de poser cette question. Et vous me demandez si ce que j'écris s'est trouvé une ancre dans la réalité. La réponse est affirmative. Il est évident que la base de discussion proposée par le Canada anglais ne peut pas ou peut difficilement s'enrichir, peut difficilement se bonifier. C'est presque du «take it or leave it».
Et vous savez sans doute que nous avons connu en 1992 une situation comparable. Vous vous souvenez que le gouvernement avait boycotté la Table des discussions constitutionnelles, et que les discussions constitutionnelles avaient repris en mars 1992, et que ces discussions constitutionnelles ont donné le résultat auquel je faisais référence tout à l'heure, l'accord de juillet 1992, ce qu'on appelait l'accord du forum multilatéral. Et c'est après juillet que le gouvernement Bourassa avait décidé de réintégrer la Table. Et il fut en pratique difficile, très difficile - je pense que je ne trahis aucun secret - il fut en pratique extrêmement difficile de hausser la barre. La barre a été modifiée. On a réussi à changer, entre juillet 1992 et octobre 1992, de façon substantielle le texte relatif à la société distincte.
D'autres textes aussi ont été changés. Mais, dans l'ensemble, la barre n'a pas connu de hausse significative. La table était mise, et il fallait consommer les aliments qu'on nous proposait. Et on n'a pas préparé un menu spécial parce qu'on a réintégré la table.
Alors, moi, je crois que le texte doit être pris pour ce qu'il est. C'est une base de discussion qui indique les paramètres des futures négociations constitutionnelles et qui indique, pour le Canada anglais, le point d'arrivée des négociations constitutionnelles. Pour le Canada anglais, comprenons-nous bien, la déclaration de Calgary est fort intéressante et rejoint leurs préoccupations d'unité canadienne. Mais, pour le Québec, je pense que, si on rentre dans une salle de négociations constitutionnelles avec ces paramètres-là, moi, je suis convaincu, à partir de mon expérience, qu'on est perdants. On est perdants.
Moi, M. le Président, permettez-moi, au départ, je pense qu'on a dans notre discours, vous, le gouvernement en particulier, et moi, et peut-être le discours de bien d'autres intervenants, on s'est tous trompés. On pensait que Calgary était une coquille vide. On disait tous: Il n'y a rien là-dedans. Mais ce qu'on ne disait pas, ce que vous n'avez pas dit, c'est ce que j'ai dit ce matin: C'est pire que rien. C'est pire que le statu quo. C'est pour ça que je dis: Si on négocie sur cette base-là, on va le regretter parce que, sur cette base-là, je dis que c'est la Charte de la langue française qui est menacée et puis c'est l'arrivée massive des normes nationales en matière sociale. C'est ça que ça veut dire, cette affaire-là.
M. Brassard: M. le Président, au fond, pour reprendre votre image culinaire, en matière constitutionnelle, quand la table est mise, il n'y a qu'une table d'hôte. Il n'y a pas de choix. Il faut manger ce qui est prévu à la table d'hôte, sinon on se retire de la table. Il n'y a rien d'autre qui vient par la suite.
Mais vous avez raison aussi de dire que peut-être qu'on a trop dit, le gouvernement, là-dessus, sans doute - je prends le blâme, si vous me permettez - on a peut-être trop dit que c'était une coquille vide, que c'était un texte insignifiant alors qu'il peut être insignifiant dans certaines de ces parties, mais dans d'autres vous avez raison de mettre en lumière les dangers ou les risques pour le Québec et pour les compétences du Québec.
(12 h 10)
Moi, je voudrais vous poser une dernière question. À l'époque de Meech, à l'époque de Charlottetown, vous le savez très bien, les fédéralistes québécois, M. Rémillard était probablement leur porte-étendard le plus représentatif, disaient: Le choix doit se faire entre la souveraineté, la souveraineté du Québec, le courant souverainiste, il y a des partis souverainistes, d'une part et, d'autre part, entre le renouvellement en profondeur du régime fédéral. C'était ça, le choix qui était présenté dans les années quatre-vingt, les années quatre-vingt-dix, à l'époque de Meech. Puis Bélanger-Campeau aussi a repris tout cela. Le choix à faire, c'est entre, d'une part, la souveraineté et, d'autre part, une révision, une transformation en profondeur du régime fédéral pour évidemment prendre en compte les aspirations du Québec. Votre dernier paragraphe m'incite à croire que ce choix-là n'existe plus vraiment et que le choix, c'est maintenant entre un régime tel qu'il est, puis on peut l'accepter avec enthousiasme ou s'y résigner, le régime tel qu'il est, tel qu'il fonctionne, et la souveraineté. C'est ce qui fait que, à la fin, vous dites que vous êtes un fédéraliste comme Léon Dion, fatigué et même désespéré.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Me Tremblay.
M. Tremblay (André G.): C'est vrai que je suis un fédéraliste fatigué, désespéré et c'est vrai que je ne crois plus au renouvellement du fédéralisme canadien. Et j'en suis venu à penser que, si on est capable de sauver, de protéger le statu quo, c'était déjà bien. Parce que le statu quo est préférable, nettement préférable à ce que nous propose la déclaration de Calgary. Or, tous les gouvernements qui ont précédé, au Québec, n'ont jamais accepté, jamais, aucun gouvernement du Québec ne peut accepter le statu quo constitutionnel. Mais là, ce qu'on nous propose, je le répète, c'est pire que le statu quo.
Pour revenir à votre première phrase, «on prend ce qu'on nous sert à la table, c'est la table d'hôte», oui, mais vous savez, ça dépend un peu du premier ministre qui vient manger. Et M. Bourassa a pu se faire servir certains aliments spéciaux, mais il n'y a pas eu de modifications majeures à la table d'hôte. Écoutez, le Canada anglais n'a pas donné à M. Bourassa le lac Meech qu'il méritait. Alors, moi, je ne crois pas que dans l'avenir on nous propose un lac là. Je ne pense même pas qu'on ait une mare à canards.
M. Brassard: Pas le lac Saint-Jean.
M. Tremblay (André G.): Pardon?
M. Brassard: Pas le lac Saint-Jean, sûrement.
M. Tremblay (André G.): Certainement pas.
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Châteauguay.
M. Fournier: Merci, M. le Président. Nous avons Me Tremblay qui est devant nous. Je ne peux m'empêcher d'abord de faire remarquer, au début de cette journée, ce que je notais tantôt que, avec le désistement annoncé ce matin de Me François Chevrette, qui était sur notre liste, nous sommes maintenant rendus à 13 témoins qui se sont désistés de cette opération, 13 témoins qui ont suivi les conseils de Jacques Parizeau et de nombreux observateurs: Donald Charette, qui parlait de détournement d'institution, Chantal Hébert, qui parlait d'un exercice bidon, et Pierre Gravel, qui parlait d'un piège grossier, piège dans lequel - et je vais y revenir - Me Tremblay, vous semblez avoir mis les deux pieds très profondément en choisissant de considérer ce qui était encore - j'écoutais ça hier - une ouverture au dialogue comme étant une offre finale, globale, terminée, et qu'il n'y avait plus rien à en dire.
Alors, je pense qu'il faut au moins noter où on en est aujourd'hui, à cette avant-dernière journée. S'il y a un consensus qui va sortir de cette commission, c'est - et ça, je pense qu'on peut faire ce consensus-là entre nous: il y a la moitié des témoins qui sont venus, puis il y a la moitié des témoins qui ont cru bon de ne pas venir. Je pense que c'est le seul consensus qu'on pourra faire à la fin de cette opération.
Vous parlez de mains vides. Je sais que vous en êtes informé, je vous rappelle - je pense que c'est bon de le montrer - un programme qui s'appelle Reconnaissance et interdépendance , qui est le programme du Parti libéral du Québec. Je trouve que de ne pas en avoir dit un mot dans votre mémoire me semble avoir coupé, peut-être, les coins un peu ronds. J'ai été étonné cependant, dans une partie de votre mémoire - je dois avouer que ça, ça m'a étonné un petit peu - la page 10 sur... et vous en avez reparlé tantôt: «Un autre aspect fort troublant - le mot que vous avez choisi, c'est "troublant" - de la déclaration concerne les politiques sociales. Le texte énonce que - et vous ouvrez les guillemets et vous l'avez recité dans un autre texte du printemps - "la population canadienne désire que ses gouvernements oeuvrent de concert tout particulièrement en matière de programmes sociaux".»
Je dois vous dire que - évidemment, ça dépend de l'angle qu'on le prend - moi, je suis convaincu que la population canadienne, incluant les Québécois, souhaite que les gouvernements travaillent de concert. Vous prétendez que c'est troublant qu'il y ait une telle concertation, moi, je prétends que tout le monde souhaite ça.
Il y a Lucien Bouchard qui disait le 18 juin 1993 - à l'époque, il était en campagne électorale au fédéral, il était chef du Bloc - il disait, et je cite: «Je suis de ceux qui croient que le Canada, ce n'est pas rien que des échecs. On n'a pas vécu ensemble pendant 125 ans pour ne faire que des erreurs. Et l'une des grandes réussites canadiennes, c'est qu'on s'est soucié des démunis et qu'on a essayé de partager la richesse. On a créé des programmes sociaux qui comptent parmi les meilleurs au monde, et ça il faut le préserver.»
Je pense que c'est important de préserver dans notre mémoire le fait que ces programmes existent, que le premier ministre actuel considère qu'ils sont bons et qu'il faut les préserver, et, dans le fond, travailler de concert, comme le souhaitent les premiers ministres des provinces, qui signifie d'aménager le partage de la richesse créée à la grandeur du Canada dans le respect des compétences des provinces, je ne vois pas ce qu'il y a de troublant là-dedans.
À telle enseigne que je pourrais vous citer les rapports des provinces. Je suis sûr que vous en avez eu connaissance maintenant. Mais je vais vous citer ce que le ministre qui est devant nous disait, pas plus tard que la semaine dernière, à propos du libellé sur l'encadrement du pouvoir fédéral de dépenser dont vous n'avez dit aucun mot dans votre présentation, ni dans votre texte. Je déplore malheureusement. Le ministre disait, à l'égard de l'encadrement du pouvoir de dépenser, qu'il y a un libellé sur la table. Il dit: «Oui, c'est vrai, il y a un libellé sur la table. Il y a un libellé sur la table qui semble faire l'affaire d'un bon nombre de provinces et qui se rapproche, je l'ai dit, de la position qui est très proche de la position historique du Québec en cette matière.»
Moi, je regarde ce que les premiers ministres des provinces disent. Ils disent: Il faudrait qu'on travaille de concert dans le respect des compétences, d'ailleurs qui est indiqué à la clause en question, vous avez omis de le dire. D'ailleurs, on a eu un témoin la semaine dernière qui est venu dire qu'il fallait lire cette phrase-là pour comprendre le texte et que ça voulait dire dans le respect des compétences.
Donc, travailler de concert, s'assurer qu'il y ait un libellé qui répond aux demandes du Québec. Comme le ministre dit: Oui, c'est vrai, il y en a un qui est proche. Je ne vois pas comment on peut alors faire le saut que vous faites que c'est pire que le statu quo. À moins que vous ayez d'autres intentions que de ne pas voir qu'il y a en ce moment des discussions auxquelles le gouvernement du Québec considère qu'il y a des bons libellés sur la table, dit-il, lui-même, le gouvernement du Parti québécois, mais qu'il refuse de faire entendre sa voix pour, avec une vraie stratégie d'alliance, être capable de marquer le point et de défendre véritablement les intérêts du Québec.
Ma première question va porter sur la page 3 de votre mémoire. Deux phrases que je tire. Premier paragraphe: «Mais, démocratie oblige, il me semble convenable d'examiner à froid dans l'enceinte de notre Parlement la réponse du Canada anglais adressée aux Québécois à la suite de la quasi victoire du camp du Oui au dernier référendum de 1995 sur la souveraineté.» Bon.
Premier volet de cette première question: J'aimerais ça que vous m'expliquiez pourquoi la démocratie oblige qu'on considère la quasi victoire, alors que le gouvernement, lui, ne respecte pas, démocratie oblige, le fait que le Non ait gagné, donc que le Québec n'est pas séparé, donc que le Québec est encore dans le Canada, et que pour défendre les intérêts des Québécois dans le Canada, il faut occuper une chaise, il faut se présenter, il faut développer des stratégies d'alliance avec les autres provinces plutôt que de faire ce que le ministre fait, c'est-à-dire la politique de la rupture, de l'isolement, ne parle à aucun de ses homologues des autres provinces. Premier volet.
(12 h 20)
Deuxième volet. Je continue une autre phrase, deuxième paragraphe: «On me permettra de rappeler - je vous cite - que la démocratie repose sur la circulation libre des idées et de l'information.» Vous qui êtes, je pense - à moins de me tromper - fondateur, ou membre fondateur, ou avec d'autres, de Pro-Démocratie, qui avez eu la chance de recevoir 300 000 $ de ce gouvernement, je ne vous ai entendu rien dire sur le plan O. Le plan O, je vous rappelle, est un plan de sauvetage de 20 000 000 000 $ que le gouvernement du Parti québécois cachait dans sa valise pendant qu'on nous disait que voter oui, c'était l'eldorado. Et, pour l'instant, je suis à la Commission d'accès à l'information - j'y serai encore vendredi de cette semaine - pour essayer de faire comprendre à ce gouvernement que, lorsqu'on demande aux Québécois de voter, ils devraient avoir toute l'information. Or, on leur a caché que ce gouvernement, ce ministre savait que, lorsqu'il prétendait à l'eldorado, dans le fond, c'était une chute de 20 000 000 000 $ de nos valeurs québécoises qu'on était en train de connaître, c'est ce qui était préparé par le plan O. D'ailleurs, le gouvernement a refusé qu'on puisse entendre Jacques Parizeau là-dessus.
Alors, je vous entends, je vous lis sur la démocratie. J'ai un peu de misère sur le fait que, pour vous, c'est la quasi victoire du Oui puis qu'il ne faudrait pas tenir compte du fait que c'est le Non qui a gagné. Puis j'ai un peu de misère à vous donner de la crédibilité quand vous me parlez de l'information, le droit à l'information, alors que vous avez fait une bataille à l'égard de la Cour suprême, mais qu'à l'égard du plan O vous n'êtes jamais intervenus pour rappeler à l'ordre le gouvernement et dire: Lorsque le peuple exerce son droit à l'autodétermination, le minimum, c'est qu'il ait toute l'information.
M. Tremblay (André G.): M. le Président, je crois qu'il faut lire et comprendre mes propos à partir de la terminologie que j'emploie. Je ne viens pas ici tomber dans un piège en comparaissant devant les élus du peuple et en me livrant, comme vous, à un exercice normal, un exercice sain en démocratie, et je crois que, là-dessus, je n'ai pas à ajouter beaucoup à mon mémoire, M. le Président. Il ne me viendrait jamais, il ne peut pas me venir à l'esprit que l'étude d'un document à connotation constitutionnelle par l'Assemblée nationale constitue une invitation à un piège. C'est un exercice normal. Et on étudie, en commission parlementaire, on l'a fait dans le passé, ici même, tant les initiatives du gouvernement que les projets de l'opposition et, ici, présentement, on étudie un quasi-projet de l'opposition, en tous les cas, un document qui est considéré par l'opposition comme étant un signal. Alors, on étudie le signal, et c'est normal d'étudier, en commission parlementaire, des signaux envoyés par nos partenaires canadiens.
Vous avez employé le mot «troublant» pour désigner mon propos, ça vous a troublé sans doute que je parle ainsi de l'union sociale canadienne. Moi, je crois que mon propos là-dessus devrait être tout à fait intelligible pour un spécialiste du dossier des affaires intergouvernementales. Je pense que vous avez plus d'informations que moi sur ce dossier, et vous savez très bien de quoi je parle, vous savez très bien ce que signifie présentement le processus d'élaboration d'une entente-cadre sur l'union sociale canadienne. Si vous manquez d'informations là-dessus, il me fera plaisir de vous donner des documents pertinents, et les documents pertinents, pour ceux qui veulent les lire, démontrent clairement que le processus qui a été mis en place est un processus fédéral, provincial, territorial, décisionnel qui va suggérer des normes uniformisatrices en matière de programmes sociaux: en santé, en éducation, en services sociaux, en services juridiques, en programmes pour emplois, et je peux en mettre si vous voulez.
C'est ça que ça veut dire, ce processus intergouvernemental, et ce processus intergouvernemental va proposer, au fond, des normes qui vont se retrouver dans les lois fédérales, et ces normes fédérales vont devenir des conditions d'octroi ou d'obtention des fonds fédéraux. C'est ça que ça veut dire le processus en cours, et ça veut dire l'invasion, ça veut dire le ravage de nos compétences, de nos champs de compétences législatives. Je pense que là-dessus je peux donner beaucoup d'explications, mais le temps me manque et M. le représentant de l'opposition sait très bien de quoi je parle.
Démocratie oblige, je l'ai dit, M. le Président, démocratie oblige de parler d'initiative constitutionnelle dans cette Chambre et mon propos, ici, porte sur la déclaration de Calgary. Il ne porte pas sur des débats probablement, par ailleurs, valides au plan démocratique que le Parti libéral peut vouloir entretenir au sujet du plan O, mais, moi, je ne m'attendais pas, ce matin, à répondre à des questions relatives à la validité de la démarche du Parti libéral concernant le plan O. Écoutez. Je ne me suis pas fait une tête sur ce sujet-là, mais, moi, en démocratie, je suis porté plutôt à favoriser le dialogue et la discussion. Alors, je serais porté probablement à vouloir continuer le dialogue avec vous.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup.
Une voix: Une dernière...
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député, vous avez utilisé votre temps. C'est au député de Rivière-du-Loup.
M. Dumont: Merci, M. le Président. Ma question va porter... Bon, j'ai reçu vos affirmations sur l'entente de Calgary, et venant de celui qui a tenté de me convaincre que l'entente de Charlottetown, c'est ce qu'il y avait de plus extraordinaire pour le Québec, je comprends que, si vous dites ça de Calgary, c'est que c'est vraiment un recul.
Je veux plutôt parler de votre conclusion. Vous dites que vous êtes un fédéraliste tanné, fatigué, presque désespéré. Par contre, vous nous renvoyez dans votre conclusion, un peu, à la position qui est celle du Parti québécois, vous ne le dites pas comme celle-là, mais vous laissez entendre qu'un autre référendum sur la souveraineté serait nécessaire puis serait la solution.
Il y a un autre fait. C'est qu'il y a un paquet de gens, incluant des gens qui ont voté oui au dernier référendum, qui sont tout aussi tannés des référendums à répétition, qui sont tannés des gens qui tiennent des référendums sans, le lendemain, tenir véritablement compte des résultats, qui sont tannés des approches dogmatiques d'un parti qui, parce qu'il a dans son programme la souveraineté dans l'article 1, se retrouve dans une position, au lendemain d'un référendum, où il n'est pas vraiment mandaté pour défendre l'intérêt du Québec, ou, en tout cas, il refuse de se voir mandaté par le non du référendum pour défendre l'intérêt du Québec.
Puis surtout il y a, je pense, une génération, probablement une deuxième qui apparaît puis qui est tannée de l'absence de résultats, qui constate que, là, il y a deux gangs qui sont en place depuis 25-30 ans, qui parlent d'autonomie du Québec chacun avec son refrain, un sur le référendum sur la souveraineté comme solution ultime, l'autre par le fédéralisme, la réforme du fédéralisme comme solution ou comme approche de solution, puis que les deux présentent comme résultat un gros zéro, puis des reculs. En bout de ligne, s'il y a un résultat à ça, c'est zéro en termes de gain d'autonomie, puis des reculs en 1982.
Alors, ma question est bien simple: Est-ce que vous ne pensez pas, et vous ne faites pas allusion à ça dans votre conclusion, que les gens qui sont fatigués, comme vous le dites - et j'en ai été, en 1992, quand j'ai quitté le Parti libéral je pouvais sûrement être décrit comme un fédéraliste tanné - vous ne pensez pas qu'il faudrait sortir des sentiers battus? Plusieurs participants témoins à la commission nous ont dit: Il faut sortir des sentiers battus, il faut sortir des ornières qui ont été tracées par les autres pour arriver à des approches de solutions plus pratiques, plus constructives, mais qui puissent nous mener vers des résultats, vers quelque chose d'autre que des échecs.
(12 h 30)
M. Tremblay (André G.): M. le Président, je suis profondément convaincu que, malgré la quasi-hostilité qu'on ressent présentement dans la population pour la tenue d'un référendum, l'on ne peut pas passer à côté du nécessaire règlement de la question québécoise. Et, sans un règlement adéquat de la question québécoise, sans qu'il y ait, je dirais, une redéfinition, une définition de nos liens avec le Canada, on ne pourra pas atteindre cette stabilité économique, on ne pourra pas sortir des ornières. Ça fait 40 ans que la question constitutionnelles est sur la table. Elle est encore sur la table, et on ne peut pas vouloir, comme par magie, se débarrasser de la question et de la mettre sous le tapis. Elle est là, elle nous interpelle, et il faudra qu'on trouve soit à l'intérieur de la Constitution soit en dehors de la Constitutionnel un règlement quelconque. C'est incontournable.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, Me Tremblay, de votre participation à cette commission des institutions.
J'inviterais maintenant Me Andrée Lajoie. Bienvenue Me Lajoie à la commission des institutions. Me Lajoie vous disposez d'une période de 20 minutes pour la présentation de votre exposé, à la suite de quoi nous pourrons échanger avec vous.
Mme Andrée Lajoie
Mme Lajoie (Andrée): Je vous remercie, M. le Président. Et j'espère pouvoir m'en tenir à mes 20 minutes, d'autant plus qu'un certain nombre de choses que j'avais à dire viennent de l'être. Alors, ça simplifiera les choses.
En vous remerciant de cette invitation, je voudrais faire trois remarques préalables, comme toujours, dans ce genre de forum. La première, c'est que la frontière entre le droit, en particulier le droit constitutionnel et la politique, n'est jamais étanche, mais elle révèle encore mieux ici sa porosité. Et je pense que, dans un lieu comme celui-ci, c'est un énoncé qui se passe de commentaires, surtout après les échanges que nous venons d'entendre.
Je n'apprendrai rien à personne en disant que cette déclaration aurait pu relever du droit constitutionnel si elle ne s'en était pas exclue elle-même par le statut qu'elle se donne. Nous sommes donc d'abord devant un document politique.
Je voudrais aussi parler d'un autre lieu, plus métaphorique, qui est celui d'où je pars, et tout à fait dans un autre sens, pour rappeler à la fois mon indépendance et mon indépendantisme, mon indépendance des partis politiques. Je n'ai jamais appartenu à aucun d'entre eux, et ce n'est pas en entendant les débats de ce matin que je changerai d'avis. Mon indépendantisme, par ailleurs, auquel je suis venu à travers l'étude du droit constitutionnel canadien qui donne amplement de quoi se convaincre de cette position.
Tout cela pour conclure sur l'ambiguïté du statut d'expert dont on nous fait cadeau. Dans une situation comme celle-ci, je ne crois pas que l'on puisse faire de l'ingénierie sociale et déduire d'analyses constitutionnelles les positions politiques à prendre. Je ne crois pas qu'on puisse être un expert sur l'opportunité d'adopter ou de ne pas adopter des déclarations comme celle-ci, ce qui n'est pas dire qu'on ne peut pas éclairer à partir d'une position constitutionnelle, d'une analyse constitutionnelle du document des positions à prendre éventuellement.
C'est donc dans cette perspective non neutre et dans ce statut d'expert à portée très limitée que je m'adresse à vous, et je voulais l'indiquer d'entrée de jeu.
Pour cerner le sens et l'utilité éventuelle de la déclaration de Calgary, il faut, je pense, la replacer dans son contexte, c'est-à-dire au petit bout d'un entonnoir à la fois politique et juridique, au bout du goulot d'étranglement où sont coincées les revendications du Québec. Et dans mon texte je reviens sur les propositions de Meech et puis sur celles de Charlottetown, et même sur celles qui s'intitulaient «Bâtir le Canada ensemble» et qui constitutionnalisait le programme du Parti conservateur fédéral, et qui sont mortes après 48 heures, il y a déjà quelques années.
Mais André Tremblay, qui m'a immédiatement précédé, est revenu lui aussi sur à la fois Meech et Charlottetown et il a fait tout ce trajet dont vous allez m'être reconnaissante de vous l'exempter, d'autant plus que nous sommes, ou vous êtes, en tout cas, ou nous sommes tous en retard sur l'horaire et que certains d'entre vous doivent déjà vouloir aller déjeuner.
Mais, si, moi, j'avais commencé par Meech aussi, ce n'est pas, comme André Tremblay, parce que j'étais pas d'accord avec Meech. Nous en avons même, dans ce cadre, lui et moi discuté ici - je pense que M. Brassard était présent et d'autres députés aussi, on s'en souviendra - parce que, pour moi, Meech n'était pas un plancher acceptable, déjà, à la fois parce que sur le plan du partage des compétences il n'y avait pas là de quoi répondre aux demandes traditionnelles du Québec, et il n'y avait pas non plus l'élimination du pouvoir de dépenser, mais sa constitutionnalisation... avec des conditions, j'en conviens, mais on le constitutionnalisait déjà dans Meech. Et, pour ces deux raisons, je n'étais pas d'accord avec ce plancher-là.
Alors, à plus forte raison, maintenant, vous dirais-je, comme André vient de le montrer, il y a eu une descente constante jusqu'aux propositions de Calgary, auxquelles on arrive et auxquelles j'estime en conséquence que ni le gouvernement ni l'opposition ne sauraient consentir sans renoncer à ce qui a été ce plancher minimum posé par Bourassa à Meech.
Alors je vous dispense du chemin que j'avais fait à travers Meech et Charlottetown pour passer directement à la déclaration de Calgary qui ne touche qu'à l'un des points. Il y avait cinq points dans Meech: il y avait le veto, il y avait la nomination des juges à la Cour suprême, il y avait la question de l'immigration et la limitation du pouvoir de dépenser. Eh bien, de tout cela, la seule choses qui est touchée par les accords de Calgary, c'est le premier qui apparaissait dans Meech, c'est-à-dire la société distincte qui devient maintenant cette société à caractère - qu'est-ce que c'est déjà, qu'est-ce que c'est ce caractère... Le mot est tellement insignifiant qu'il m'échappe.
(12 h 40)
Au lieu de cela, donc, au lieu de s'aventurer sur ce terrain miné, la déclaration de Calgary fait quelques propositions, quelques-unes sont inutiles, une autre est pitoyablement naïve et la dernière que j'ai retenue constitue un gros mensonge.
Alors, les déclarations inutiles: l'égalité des Canadiens devant la loi, qui apparaît à l'article 1. C'est une égalité qui est beaucoup mieux protégée et beaucoup mieux énoncée dans la Charte canadienne des droits et libertés. Il était inutile de la répéter là. Quant à l'énoncé du multiculturalisme et du bilinguisme comme composantes de la diversité canadienne, ça n'apprend rien à personne et ça n'a de conséquence autre que symbolique. C'est donc évidemment, pour moi, des affirmations tout à fait inutiles.
Pitoyablement naïf, l'article 3: «La diversité, la tolérance, la compassion et l'égalité des chances qu'offre le Canada sont sans pareilles dans le monde.» Comment peut-on énoncer une phrase semblable sans rire?
Enfin, l'égalité des provinces, ça, c'est un gros mensonge. Un gros mensonge parce que, déjà dans les faits concrets, les provinces sont inégales quant à leur territoire, quant à leur population, quant à leurs richesses, même quant à leur députation, mais ça, j'admets qu'on peut avoir d'autres conceptions de l'égalité sur ce plan-là. Mais, ce qui est plus grave, c'est que c'est aussi sur le plan constitutionnel que déjà les provinces sont inégales dans la Constitution actuelle. Si on écarte des mesures transitoires de 1867, qui n'ont plus d'importance aujourd'hui, il reste encore qu'à l'article 94 le Québec est excepté des mesures d'uniformisation du droit privé qui sont appliquées aux autres provinces. À l'article 93.2, dont on connaît le caractère symbolique, on avait constitutionnalisé les commissions scolaires religieuses, et cette disposition a été récemment amendée pour changer ces garanties confessionnelles pour des garanties linguistiques.
Enfin, le bilinguisme parlementaire n'était énoncé que pour l'État fédéral, et, pour le Québec, il l'a été plus tard par des actes spéciaux ajoutés pour le Manitoba et le Nouveau-Brunswick. Mais, ce qui est intéressant, c'est que cette inégalité, la déclaration de Calgary elle-même y ajoute, par les différences qu'elle fait, et c'est amusant, ça arrive souvent, ça, dans les textes fédéraux, entre la version anglaise et la version française de la déclaration. On parle, par exemple, de toutes les provinces égales à l'article 2, en français, sans aucun qualificatif. En anglais, c'est un peu plus restrictif, on parle de «equality of status». À l'article 4, c'est amusant, le français est mentionné avant l'anglais, dans la version française, mais l'anglais est curieusement mentionné avant le français dans la version anglaise, c'est un mécanisme qui est fréquent parmi les politiciens canadiens que de tenir un langage au Québec et un autre ailleurs, on le voit à l'oeuvre ici.
Mais, ce qui est plus sérieux, c'est le rôle qui est dévolu au Québec de «protéger le caractère unique de la société québécoise au sein du Canada et d'en favoriser l'épanouissement», sans qualificatif, et donc pas à l'intérieur du Canada nécessairement. On peut donc laisser penser aux Québécois qu'ils ont un rôle international et qu'ils pourront favoriser l'épanouissement du Québec autrement qu'au sein du Canada, ce qui pourrait avoir toutes sortes de sens. En anglais, la phrase se lit: «and develop the unique character of Québec society within Canada». Là, le tout est à l'intérieur du Canada. «Ah! - dit Tartuffe - cachez-moi ce sous-texte que je ne saurais voir.» N'est-ce pas? Il y a là presque de la duplicité.
C'est donc un recul par rapport à toutes les propositions antérieures, et notamment par rapport à la société distincte, mais ce caractère unique - je cherchais le mot tout à l'heure - ce caractère unique vient parce que, sans doute, la société distincte paraissait trop précise au rédacteur du texte. Pourtant, Jean Betz à l'époque, qui était juge à la Cour suprême à l'époque où la société distincte avait été proposée dans Meech, avait dit: Si on me demande de l'interpréter, je dirai: Ba, be, bi, bo, bu. Alors, il doit bien se tourner dans sa tombe, et je me demande ce qu'il dirait si on lui proposait le caractère unique.
Mais ce qui est important, c'est que la définition étroite qu'on en donne et qui reprend peu ou prou celle de Charlottetown est restreinte par le contexte de la déclaration de Calgary, le contexte de l'union sociale, justement, dont on a trop longuement discuté il y a quelques minutes pour que j'y revienne, sauf pour dire que je suis assez d'accord avec la plupart des propos qu'André Tremblay a tenus là-dessus.
Mais s'agissant de culture, qui est un des éléments de la définition, mon Dieu, est-ce que tous les choix d'une collectivité font partie de sa culture? Qu'en serait-il, justement, des choix en matière sociale et des choix en matière d'enseignement universitaire? Est-ce qu'ils seront dictés par des normes fédérales? Est-ce qu'on peut, en même temps, avoir une liberté d'affirmer les valeurs culturelles du Québec et se soumettre à l'union sociale? Parlant du droit civil qu'on donne aussi comme un des éléments, est-ce que ça veut dire que, si le Québec, un jour, décidait de régler son droit privé sur un modèle socialiste, la déclaration l'aurait figé dans la tradition antérieure du droit civil libéral? C'est plein de pièges et c'est plein de contradictions.
C'est une régression donc au plan du contenu et non seulement au plan du contenu, mais évidemment au plan du statut parce que ce texte-là n'est pas un texte qui se donne comme constitutionnel. Au mieux, c'est un engagement de la classe politique du reste du Canada. Mais ça ne peut pas avoir l'effet de forcer les législatures à l'adopter. Ça ne peut pas avoir l'effet de modifier la Constitution, ni même les convictions de la population canadienne. Et les juges de la Cour suprême, à chaque matin quand ils se lèvent, modifient davantage la Constitution canadienne que ne la modifierait cette déclaration.
Je sais bien que, à cette objection, on répond généralement qu'il s'agit d'un premier pas, d'une main tendue, et que, éventuellement, il pourrait y avoir une constitutionnalisation d'un accord, si tel était le cas. Mais ce n'est pas nécessaire de voir l'étapisme à l'oeuvre pour douter de ses vertus, n'est-ce pas? Et à faire des trop petits pas trop lentement, on finit par s'endormir. Et pensant à la déclaration de Calgary, en voiture ce matin pour venir à Québec, c'est ce qui a failli m'arriver. J'ai respecté tout au long les limites de vitesse et je pensais à la déclaration de Calgary. J'avais discuté avec mon collègue Frémont hier, avant de partir. Je l'avais félicité de sa belle métaphore sur la carte de Noël, et il me disait: J'ai pensé à ça en m'en allant à Québec, dans la voiture. Alors, je me suis dit: Si je pense aussi, peut-être vais-je trouver quelque chose de brillant? Et bien, non. J'ai failli m'endormir en pensant à la déclaration de Calgary. Et je pense que si le gouvernement s'y engage, il risque lui aussi de déraper. Et c'est extrêmement dangereux. Je vous remercie.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, Me Lajoie. M. le ministre.
(12 h 50)
M. Brassard: Je voudrais vous remercier d'abord, Mme Lajoie, d'avoir accepté l'invitation de la commission. Votre témoignage, je pense, est très précieux pour une meilleure compréhension de la déclaration de Calgary. Je vous signale qu'il n'est peut-être pas inutile de mentionner en passant, d'entrée de jeu, que, si l'accord du lac Meech était fort modeste en termes de contenu - ce qui fait d'ailleurs que, vous et moi, nous nous y étions opposés, pour à peu près les mêmes raisons - il y avait trop peu, dans l'accord du lac Meech. Il y avait cinq conditions seulement: le concept de société distincte; le droit de veto sur les amendements constitutionnels futurs, comme vous le dites dans votre texte; le retrait conditionnel et compensé des programmes conjoints; le maintien du statu quo en matière d'immigration; nomination des juges à la Cour suprême.
Il est peut-être intéressant de noter qu'à l'égard de ces cinq conditions fort modestes, M. Bourassa a même réussi finalement à dire, à un moment donné, en réponse à nos questions que c'était minimal, Meech c'était minimal. On ne pouvait pas aller en dessous de ça.
Il est peut-être intéressant de noter que, quand on compare Meech à la déclaration de Calgary, que les cinq conditions, c'est zéro dans Calgary. C'est zéro condition. Il n'y en a pas une des cinq qui apparaît dans la déclaration de Calgary. Alors, je pense que vous avez raison, comme M. Tremblay aussi, de dire qu'il y a une régression constante de Meech à Calgary.
Moi, je voudrais surtout vous interroger sur l'union sociale parce que, tout à l'heure, le député de Châteauguay m'a cité de nouveau. Il me cite souvent, sauf qu'il ne complète pas la citation. Parce que, s'il est vrai qu'il y a certaines provinces qui sont d'accord avec un libellé un peu plus musclé relatif au pouvoir de dépenser et au droit de retrait avec compensation financière des programmes fédéraux mis en oeuvre par le gouvernement fédéral, c'est un fait, il est aussi vrai - et ça je le dis également, mais il arrête là la citation - de dire que le gouvernement fédéral n'a donné aucun aval à ce libellé et que, pour le moment, il n'y a pas de réponse officielle du gouvernement fédéral. Mais il y en a une en réalité. Il y a eu une réponse qui n'a pas été donnée à la table où se discute un accord-cadre sur l'union sociale. Elle a été donné au Parlement dans le cadre du projet de loi sur les bourses du millénaire.
Le gouvernement du Québec, l'Assemblée nationale, de façon unanime, réclamait des amendements pour, de façon pratique, permettre au Québec d'exercer son droit de retrait en matière d'aide financière aux étudiants, comme c'est le cas depuis 1964. On sait que le gouvernement fédéral s'est refusé à tout amendement. Par conséquent, il n'a peut-être pas répondu encore, le gouvernement fédéral, à la table de discussions et de négociation sur l'union sociale, mais, en réalité, on connaît maintenant sa réponse. Sa réponse, il l'a donnée à l'occasion de l'adoption par la Chambre des communes du projet de loi sur les bourses du millénaire. C'est non. Il n'est pas question d'aucune façon, pour le gouvernement fédéral, d'accepter un quelconque droit de retrait avec compensation financière. Il n'est pas question pour lui de baliser ou d'encadrer avec un peu plus de rigueur son pouvoir de dépenser.
Je pense que vous avez raison de dire, comme M. Tremblay aussi, que la déclaration de Calgary, on y retrouve - je pense que c'est ça le point 7 - exactement la base des discussions qui ont lieu présentement autour de l'union sociale. Il y a un lien à faire, je pense. C'est un peu ça le sens de ma question: Est-ce que vous constatez un lien entre l'article 7 de la déclaration de Calgary, qui porte sur l'union sociale et qui constitue une sorte de reconnaissance du rôle et des responsabilités du gouvernement fédéral en ces matières, qui sont pourtant de compétence exclusive du Québec... Il y a un lien à faire entre le point 7 et ce qui se passe présentement autour de la table de négociation portant sur un éventuel accord-cadre sur l'union sociale, et que les dangers dans la déclaration de Calgary sont les mêmes qu'on retrouve dans les documents qui servent de base à la discussion sur un accord-cadre sur l'union sociale.
Mme Lajoie (Andrée): Bien, je pense que la comparaison des deux libellés le montrent à l'envi, mais ma position est plus radicale que celle-là. Moi, j'estime que, non seulement Calgary est pire que Meech, mais Meech était pire que le statu quo en matière de pouvoir de dépenser. Je l'ai dit ici lors des auditions sur Meech, je l'ai dit à Bélanger-Campeau, je l'ai écrit partout, le pouvoir de dépenser n'est pas reconnu dans la constitution canadienne actuellement, et, au jour où je vous parle, il ne l'a pas été non plus par des décisions, par le ratio de décisions judiciaires de la Cour suprême. Il n'est donc pas là. Si on l'inscrit, on recule. Voilà. C'était vrai à Meech, c'est encore vrai maintenant.
M. Brassard: Cependant, est-ce que vous iriez jusqu'à dire que, si on reconnaissait formellement un véritable droit de retrait avec pleine compensation financière et un droit de retrait inconditionnel avec pleine compensation financière pour tout programme, pas seulement cofinancé, mais tout programme, même financé à 100 % par le gouvernement fédéral, un droit de retrait donc pleinement reconnu avec compensation financière de façon inconditionnelle, est-ce que ça, à tout le moins, ça constituerait, je dirais, un moyen efficace de baliser ou d'encadrer convenablement le pouvoir fédéral de dépenser?
Mme Lajoie (Andrée): Ça l'encadrerait, mais je pense qu'il vaut mieux ne pas l'avoir.
M. Brassard: Donc, ce que vous dites, au fond, c'est qu'il faudrait, plutôt que de chercher...
Mme Lajoie (Andrée): Il faudrait plutôt se défendre sur le plan politique que d'accepter un recul, voyons, il me semble que c'est clair.
M. Brassard: Il faudrait plutôt revendiquer ou reconnaître formellement, ou interdire formellement, c'est ça au fond, interdire formellement au gouvernement fédéral de dépenser de l'argent dans des champs de compétence des provinces.
Mme Lajoie (Andrée): Voilà. En émettant des normes, autrement, le mot «exclusives» dans «compétences exclusives», je soumets qu'il est privé de sens.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Châteauguay.
M. Fournier: Bonjour. Peut-être, comme première remarque, de rappeler au ministre des Affaires inter de rappeler son premier ministre à l'ordre, lui qui voit dans la proposition du Reform un pouvoir exclusif du fédéral de faire des normes nationales et qui, semble-t-il, approuve les démarches, alors peut-être qu'il serait utile de rappeler son premier ministre à l'ordre là-dessus.
Je vous ai entendue dire: Je l'ai dit à Meech, je l'ai dit à Bélanger-Campeau, je le dis encore, et vous avez bien raison, vous l'avez toujours dit. Me Lajoie est reconnue pour être d'une cohérence exemplaire, elle est contre le pouvoir fédéral de dépenser, elle le dit, elle est indépendantiste, elle ne veut rien savoir du partage de la richesse créé au Canada pour s'assurer de programmes sociaux qui pourraient être à l'avantage - que moi je juge - des Québécois, elle juge que non. Ça, je dois avouer que là-dessus... Je vous ai déjà entendue tenir le discours que vous entendez aujourd'hui. D'ailleurs, je ne suis pas inquiet que ça a milité pour qu'on puisse vous réentendre à nouveau.
J'ai, parmi les éléments dont je veux discuter avec vous, à la page 6, et vous l'avez redit tantôt, c'est en bas de texte, en bas de page: «Une affirmation pitoyablement naïve ensuite - dites-vous - à l'article 3, qu'il faut citer texto : "La diversité, la tolérance, la compassion et l'égalité des chances qu'offre le Canada sont sans pareilles dans le monde ." - et vous dites - J'ai italisé, mais je n'ai rien inventé, je le jure...» Et tantôt, vous avez ajouté, je pense, que c'était insignifiant, ou je ne sais pas trop.
Je dois avouer que j'ai trouvé un petit peu surprenant que vous soyez à ce point catégorique et utilisez de tels qualificatifs à propos d'une phrase comme celle-là qui, on en a déjà parlé la semaine passé, est plutôt dans le ton positivisme, si on veut, mais, de là à la descendre de façon si catégorique, ça m'a un peu surpris
(13 heures)
D'ailleurs, ça m'a rappelé ce projet de loi, et là je ne parle pas d'un texte avec des principes pour discussion avec les populations de toutes les provinces, je parle d'un projet de loi. Si vous voulez avoir un encadrement juridique, là, il est plus dans le projet de loi n° 1. Et là-dedans il y a un préambule, il y a un préambule du projet de loi n° 1 dont vous êtes, si je ne me trompe pas... Vous avez participé à la rédaction de ce préambule. Je vous en offre quelques passages et vous me direz, après ça, si vous trouvez toujours que c'est pitoyablement naïf, l'article 3.
«Voici venu le temps de la moisson dans les champs de l'histoire». Je ne lis pas tout. Je n'en prends que des extraits. C'est plutôt long.
«Voici que naît pour nous, ancêtres de demain, le temps de préparer pour notre descendance des moissons dignes des travaux du passé.» J'imagine que plusieurs pourraient, plusieurs collectivités pourraient trouver que les travaux du passé les amènent à espérer un avenir meilleur.
«Parce que nous y avons créé une manière de vivre, de croire et de travailler originale». Je ne sais pas si nous sommes les seuls comme ça.
«Notre culture nous chante, nous écrit et nous nomme à la face du monde. Elle se colore et s'accroît de plusieurs apports. Il nous importe de les accueillir pour que jamais ces différences ne soient considérées comme menace ou objet d'intolérance.» Parlez-en à Jacques Parizeau.
«Gens de ce nouveau pays, nous nous reconnaissons des devoirs moraux de respect, de tolérance et de solidarité les uns envers les autres.» On n'est pas loin de l'article 3. «Réfractaires à l'autoritarisme et à la violence, respectueux de la volonté populaire, nous nous engageons à garantir la démocratie et la primauté du droit.» Un clin d'oeil à Stéphane Dion, sans doute.
«Le combat contre la misère et la pauvreté, le soutien aux jeunes et aux aînés sont essentiels à notre projet.» Projet de loi n° 186. «Le partage équitable des richesses étant notre objectif, nous nous engageons à promouvoir le plein-emploi et à garantir les droits socioéconomiques, notamment le droit à l'éducation, le droit aux services de santé ainsi qu'aux autres services sociaux.» Quand on voit ce qui se passe au Québec actuellement, on se dit: Oh! Que de mots!
«Nous entendons - et je termine là-dessus - oeuvrer pour la coopération, l'action humanitaire, la tolérance et la paix.»
Je ne mets pas en doute le fait que vous ayez collaboré. Je sais que vous avez collaboré à ça. Je ne mets pas en doute que le fait que des gens de bonne volonté puissent écrire des choses comme celles-là. Je trouve dommage qu'il n'y ait qu'une seule vision et qu'on dise, quand c'est écrit par, dans votre cas, l'autre, puisque vous êtes indépendantiste, par l'autre, là, ça devient naïf, ça n'a pas d'affaire dans un texte, on ne devrait pas mettre ça, c'est vous qui l'avez dit, c'est insignifiant, et que, lorsque c'est le temps de promouvoir l'indépendance, là, on se fait des supposés projets de société, Le coeur à l'ouvrage , ou je pourrais vous en citer bien d'autres. On se fait des préambules, d'ailleurs dont le député de Rivière-du-Loup est un fervent supporter, puisqu'il a appuyé ce projet de loi là et le gouvernement.
Honnêtement, là, c'est ma première question, parce que j'en ai une autre, j'espère que j'aurai du temps, sinon je vais mettre les deux volets tout de suite. Ma première question: Est-ce que vous ne trouvez pas qu'il y a un petit peu deux poids, deux mesures...
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Il vous reste 10 minutes, incluant sa réponse.
M. Fournier: Il me reste 10 minutes? Formidable. Ma première question: Est-ce que vous ne trouvez pas qu'il y a deux poids, deux mesures un peu dans votre attaque?
Mme Lajoie (Andrée): Alors, je vous dirai que, dans le cas du préambule, il s'agissait d'un engagement à l'égard d'un projet futur. Ce qui est naïf dans la phrase que nous avons ici, c'est le ton descriptif. Ce n'est pas un engagement. Ce n'est pas: le Canada promet à l'avenir d'être tolérant et plein de compassion à l'égard... y compris du Québec. Non, non, non, non! C'est la diversité, la tolérance, la compassion, l'égalité des chances sont sans pareilles. Non, mais c'est... Hein? Elles sont sans pareilles dans le monde. C'est différent d'une déclaration d'intention.
M. Fournier: En tout cas, évidemment, on peut toujours avoir nos points de vue.
Mme Lajoie (Andrée): Voilà!
M. Fournier: J'ai cité ce qui est le préambule, la déclaration de souveraineté qui vous avez rédigé avec d'autres pour le spectacle du Grand Théâtre. Je vais vous dire: Moi, je trouve qu'il y avait là-dedans beaucoup d'élans qui devraient mériter peut-être, si vous avez la même grille d'analyse, les mêmes qualificatifs que vous appliquez pour les autres. Et si vous dites: Voilà, il y a une différence parce que, nous, c'était une promesse, eh bien, je peux vous dire que ce genre...
Mme Lajoie (Andrée): Vous pouvez penser que la promesse était naïve. Ça, ça vous regarde, mais...
M. Fournier: Je fais juste... J'essaie autant que possible d'appliquer un même jugement ou un même équilibre entre deux options. C'est vous qui avez dit que c'était naïf, l'article 3; ce n'est pas moi. Et je comprends que vous avez rédigé pour un projet de loi, un projet de loi et non pas une déclaration pour discussion...
Mme Lajoie (Andrée): Je dis qu'il était naïf de l'affirmer, M. le député.
M. Fournier: Je trouve que c'est pas mal dans les mêmes eaux. Je reviens ensuite à la deuxième question parce que je sais que je n'aurai peut-être pas le temps de terminer. Vous parlez du juge Dickson. D'ailleurs, vous ne citez pas de texte, vous dites que c'est en privé. Moi, je vais vous citer un écrit. C'est au moins ça. Société distincte, bon, je sais bien que vous étiez contre. Je le savais dès l'époque. Vous allez l'être encore aujourd'hui, mais je pense que c'est important qu'on remette les pendules à l'heure parce que, si les gens nous écoutent, ils vont dire: Voilà quelqu'un qui arrive et qui dit: Il y a un juge de la Cour suprême qui pense que ça ne donnait aucun résultat.
Alors, je rappelle ce que j'ai déjà cité. Christian Dufour d'abord, qui disait à propos de la clause de société distincte de Meech: «On eut une bonne démonstration de ce phénomène en décembre 1988 à l'occasion du jugement de la Cour suprême sur la loi 101. On décida alors que le Québec avait la possibilité d'imposer la nette prédominance du français à la condition que l'on ne brime pas l'anglais. Peu de gens notèrent que ce jugement correspondait à l'esprit d'un accord du lac Meech ne faisant pourtant pas partie de la Constitution canadienne.»
Ce que Christian Dufour essayait de dire à ce moment-là, c'est que le guide d'interprétation que constituait la clause interprétative, même s'il n'était pas encore constitutionnalisé, était un guide que suivait la Cour. Là, un premier pas qu'il fallait noter à l'époque, donc qui est déjà là dans le droit comme guide d'interprétation qui est suivi et qui donc doit être vu pour ce qu'il est.
J'ajoute ce passage de Brian Dickson. Je cite La Presse du 27 juillet 1996. Là, on est plus d'un an avant Calgary. Je lis ce passage: «Parmi ces changements - il parle des changements au Canada - certains nécessiteront éventuellement une forme quelconque d'enchâssement constitutionnel. C'est le cas notamment de la reconnaissance du caractère unique du Québec au sein du Canada. Permettez-moi de dire tout de go - je le cite - que je suis très à l'aise avec ce concept. En fait, les tribunaux interprètent déjà la Charte des droits et la Constitution en tenant compte du rôle distinctif du Québec dans la protection et la promotion de son caractère francophone. Conséquemment, dans la pratique, l'enchâssement de la reconnaissance formelle du caractère distinct du Québec dans la Constitution ne nous éloignerait pas beaucoup des pratiques actuelles de nos tribunaux.»
Je considère utile de rappeler ces propos du juge Dickson pour au moins servir de contrepoids à la prétention que vous faites qu'il n'y a absolument rien là-dedans, alors qu'il y a déjà là un politologue tout au moins et un juge de la Cour suprême, soit-il à la retraite, qui dit avant le texte même, qui dit «unique», «distinct». L'important, c'est qu'il y ait une clause qui permet de - et je recite les propos d'un expert qui est venu la semaine passée - fédéraliser la charte, de rappeler le concept qu'il y a une particularité très distinctive au Québec. Alors, je vous laisse là-dessus.
Mme Lajoie (Andrée): Ça va vous étonner, mais je pense que nous sommes en partie d'accord. Les tribunaux n'ont absolument pas besoin qu'on écrive quoi que ce soit, ni dans le préambule ni ailleurs, pour dire ce qui leur plaît. Ils l'ont bien montré récemment dans la dernière décision sur l'indépendance des juges, sur l'indépendance du pouvoir judiciaire, à propos de la référence sur le salaire des juges.
Qu'on écrive «distinct», qu'on écrive l'autre qualificatif, un troisième encore, ils l'interpréteront toujours avec la discrétion qui est la leur et qui trouve ses limites moins dans le texte constitutionnel que dans les bases de sa légitimité. Les tribunaux, comme le Parlement, savent généralement assez bien jusqu'où ils peuvent aller trop loin. Quand ils ne le savent pas, ils se le font rappeler; ils perdent leur crédibilité.
(13 h 10)
Je pourrais vous donner des exemples. Là, vous m'entraînez dans un autre domaine de mes recherches. Je pense que, qu'on écrive ou qu'on n'écrive pas, le caractère unique, la société unique, ou n'importe quoi d'autre, c'est l'acceptation par les adressataires du droit qui va situer les limites de la discrétion judiciaire. Et le problème à propos de clauses comme celle dont on discute, si elles devenaient des clauses constitutionnelles, c'est que les adressataires ne sont pas les mêmes partout au Canada. Ce que le Québec est prêt à accepter, le reste du Canada n'est pas nécessairement prêt à l'accepter, que ce soit des juges ou que ce soit d'une entente constitutionnelle, et c'est ce qui complique la tâche de la cour, je crois.
M. Fournier: J'ai encore du temps?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Il vous reste deux minutes, M. le député.
M. Fournier: Deux minutes. Oui, ça en dit long sur ce que serait, j'imagine, le partenariat, parce que ce que vous allez me dire, c'est que les textes ne sont pas importants.
Mme Lajoie (Andrée): Pardon? Que...
M. Fournier: Ce que vous allez me dire, c'est que les textes ne sont pas importants.
Mme Lajoie (Andrée): Non, qu'ils sont moins importants que les conditions concrètes de la légitimité des tribunaux et de la crédibilité des juges.
M. Fournier: On parlait, tantôt, dans votre...
Mme Lajoie (Andrée): Si vous voulez faire de la théorie du droit, on peut en faire, là, on peut parler d'herméneutique, mais je ne pense pas que ça intéresse la commission.
M. Fournier: La commission ne s'intéresse qu'à une chose, comme vous le savez...
Mme Lajoie (Andrée): À la politique.
M. Fournier: ...c'est celle de tout faire pour que les journaux soient remplis de Calgary et le moins possible de santé; essentiellement, c'est à peu près ça, l'objectif de cette commission. Alors, pour ce qui est du reste... Mais je reviens sur le préambule du projet de loi n° 1 que vous avez rédigé, sur la primauté du droit. Ce droit-là, ma foi, il y a aussi de l'écrit, j'espère qu'on va s'entendre là-dessus, et à peu près tout le monde... Bon, je peux bien convenir que, lorsqu'on est... j'en conviens, là, je ne veux pas mettre ça de côté, si on est séparatiste et qu'on ne veut pas que le Québec soit dans le Canada, je comprends que tout ce qui peut aménager à ce qu'un Québécois qui se sent aussi canadien puisse se sentir complètement à l'aise qu'on se dise: Bien, ça, ce n'est pas important, c'est insignifiant, ce qu'il faut, c'est qu'on ait nos propres affaires chez nous. Je comprends ça, je comprends.
Mais, admettons l'hypothèse que nous sommes dans une période où les Québécois ont envoyé le signal qu'ils ne voulaient pas se séparer et qu'il y a lieu de défendre leurs intérêts, donc, là où ils sont, dans le cadre canadien. Prenons cette hypothèse qui peut vous paraître irréaliste mais qui est pourtant la vérité. C'est la réalité, ça s'est produit il n'y a pas longtemps. Les Québécois ont dit: On va rester dans le Canada. Parce qu'ils ont dit: Non, on ne se sépare pas. Donc, on reste dans le Canada forcément, et là il y a lieu d'améliorer. Et vous faites tout un rappel historique sur les périls que nous aurions courus si telle chose avait été concrétisée, si bâtir le Canada, puis si, si, si, mais vous omettez de parler de l'évolution qu'il y a dans les autres provinces, sur le désir qu'elles partagent avec le Québec d'encadrer le pouvoir de dépenser. Le ministre nous dit, et je termine...
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Châteauguay, vous avez épuisé le temps.
M. Fournier: ...le ministre nous dit: Le fédéral ne veut pas. Mais, justement, si on se battait avec ceux qui partagent nos objectifs, peut-être qu'on ferait des gains dans le cadre canadien. Parce que c'est le souhait de la population. Démocratie oblige, disait Me Tremblay.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Brièvement, Me Lajoie.
Mme Lajoie (Andrée): Bien, vous voulez m'entraîner sur le terrain politique, et je n'irai pas.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup.
M. Dumont: Merci, M. le Président. Alors, je ne peux pas m'empêcher de commenter le pont qu'a fait le député de Châteauguay entre le préambule au projet de loi sur l'avenir du Québec et l'article 3 de la déclaration de Calgary. Je ne sais pas s'il veut insinuer que Jean-François Lisée agirait maintenant à temps partiel comme consultant pour le gouvernement fédéral, mais, si tel est le cas, son prochain livre va sûrement être des plus intéressant.
Sur votre document, j'ai été un peu intrigué par un passage, à la page 6, où vous entamez la discussion sur Calgary avec les comparatifs avec Meech. Vous contestez, entre autres, le silence de la déclaration de Calgary concernant ce que vous appelez les pouvoirs coloniaux de Londres, les pouvoirs hérités du système. Vous parlez des incidents qui ont entouré la nomination des deux derniers lieutenants-gouverneurs comme étant un enjeu en matière constitutionnelle. Ma question est bien simple: Est-ce que vous ne pensez pas que ça relève davantage de - comment appeler ça - l'indélicatesse ou la maladresse du premier ministre du Canada, comme c'est quelque chose qui peut arriver à tout le monde, incluant au premier ministre du Québec - on a vu le cas des menaces au Protecteur du citoyen, qui est pourtant nommé par l'Assemblée nationale, on a vu la nomination du Directeur général des élections, le premier officier, donc, des officiers d'importance qui, dans leur nomination, peuvent parfois faire l'objet de maladresse de la part d'un premier ministre - et est-ce que vous voyez vraiment là un enjeu constitutionnel qu'il serait nécessaire de traiter, advenant une éventuelle entente?
Mme Lajoie (Andrée): Ce que je dis ici, c'est que, s'agissant non pas du pouvoir de dépenser, mais des autres pouvoirs, et notamment du pouvoir de désaveu, on pourrait penser que, si Calgary n'en parle pas, c'est parce que c'est devenu désuet et que ça n'a pas été utilisé. Et simplement, ce que je dis ici, c'est que ce n'est peut-être pas aussi désuet qu'on aurait cru que ça le soit.
Je dirais la même chose à propos du pouvoir déclaratoire. On a cru longtemps que c'était complètement mort, puis, tout à coup, dans le débat de Petro-Canada, il y a quelques années, Marc Lalonde, qui était alors ministre fédéral, a ressorti ça. Tant que c'est là, ça peut être utilisé. C'est un texte.
Évidemment, il y a la limite de la légitimité dont on a parlé tout à l'heure, et c'est cette limite de la légitimité qui a fait que, justement, ils n'ont pas utilisé le pouvoir déclaratoire à propos de la question de Terre-Neuve. Mais la même chose pourrait se poser à propos du pouvoir de désaveu.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mme la députée de Pointe-aux-Trembles.
Mme Léger: Oui. Bonjour, Mme Lajoie. Les interventions que vous avez menées depuis 1987 à la commission parlementaire des institutions, à l'époque de l'accord du lac Meech puis à celle sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec à la commission Bélanger-Campeau en 1990, demeurent cohérentes à votre pensée d'aujourd'hui.
Vous n'en avez pas parlé aujourd'hui tel quel, mais votre mémoire l'exprimait. En 1987, vous vous opposiez à la reconnaissance dans l'accord du lac Meech du pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compétence provinciale. Seul un droit de retrait inconditionnel aurait pu empêcher le fédéral d'atteindre les priorités législatives de Québec. Le ministre vous a interpellée à ce niveau-là tout à l'heure.
En 1990, vous jugiez donc que la seule façon pour le Québec de demeurer une société distincte était d'exercer de façon exclusive toutes les compétences qui constituent la souveraineté d'un État. Et maintenant, en 1998, vous nous dites que vous ne voyez rien dans la déclaration de Calgary qui pourrait permettre au Québec d'acquérir des pouvoirs supplémentaires. Et le silence de la déclaration de Calgary au sujet du partage des compétences et de la limitation des pouvoirs de l'exécutif fédéral est plus grave que la définition restrictive du caractère unique.
Et maintenant qu'on y parle d'une union sociale sans toucher la Constitution, ce n'est plus d'acquérir des pouvoirs supplémentaires, ce sont des pouvoirs de juridiction qui sont mis en cause, des champs de compétence. Alors, je me questionne et je vous questionne.
En quoi la déclaration de Calgary permet-elle au moins de faire respecter ces compétences en matière sociale? Et une union sociale est-elle possible, alors? Le Québec peut-il y trouver sa part, tout en respectant son cheminement historique et ses revendications antérieures? S'il n'obtient pas le retrait inconditionnel comme une possibilité, quelle possibilité a-t-il de faire respecter ses champs de compétence? Vous dites que le statu quo est mieux. Le statu quo ne semble pas vraiment l'avenue choisie actuellement par les autres provinces.
Mme Lajoie (Andrée): Je parle du statu quo juridique et pas du statu quo politique. Ce que je dis, c'est qu'actuellement, bien sûr, sur le plan concret, sur le plan politique, il y a des programmes conjoints partout avec des normes fédérales partout, et elles ne vont pas en diminuant, notamment pas dans le domaine de l'enseignement supérieur, comme ça s'en va là, et certainement pas dans le domaine de la santé et des services sociaux, si le document qui est en discussion était adopté.
Mais sur le plan juridique, ce que je dis, c'est qu'actuellement il n'y est pas. Le pouvoir de l'exécutif fédéral de dépenser dans les champs de compétence provinciale, surtout en posant des conditions, ne doit pas être lu dans la Constitution canadienne, et les tribunaux ne l'ont pas encore lu de façon formelle dans la ratio d'aucune décision.
Alors, je dis, sur le plan juridique, puisque, là, on discute de l'adoption de textes éventuellement juridiques et constitutionnels, sur le plan juridique, il ne faut pas reconnaître le pouvoir de dépenser. Il faut énoncer une prohibition pour l'État fédéral de dépenser dans les champs de compétence exclusive - ça ne fait pas de sens - des provinces.
Mme Léger: Mais sur l'union sociale telle quelle, est-ce qu'elle est possible, cette union sociale là?
Mme Lajoie (Andrée): Dans quel contexte?
Mme Léger: Concernant tous nos champs de compétence.
Mme Lajoie (Andrée): Actuels?
Mme Léger: Ce qu'on propose dans la déclaration de Calgary, c'est quand même une union sociale. Est-ce qu'elle est possible, cette union sociale là, actuellement?
Mme Lajoie (Andrée): Elle est possible si on modifie la Constitution et qu'on admet le pouvoir de dépenser. Elle ne l'est pas autrement, non.
(13 h 20)
Mme Léger: Merci.
M. Brassard: ...quelques minutes?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Oui, il vous reste huit, sept...
M. Brassard: Mme Lajoie, je voudrais vous poser une question. Je l'ai posée à quelques experts à l'occasion. Ça porte évidemment sur l'article 6 de la déclaration de Calgary qui prévoit: «Si une future modification constitutionnelle devait attribuer des pouvoirs à une province, il faudrait que ces mêmes pouvoirs soient accessibles à toutes les provinces.» Ça porte sur la dévolution de pouvoirs. Évidemment, au départ, je le dis et je le répète, il faut que le gouvernement fédéral soit d'accord pour se départir d'un de ses pouvoirs ou d'une de ses compétences, ce qui est loin d'être sûr, loin d'être assuré. Mais faisons l'hypothèse.
Est-ce que dans cette perspective-là, dans la perspective de l'article 6, il faut que tout transfert de pouvoir du gouvernement fédéral vers le Québec passe par un amendement constitutionnel en vertu de la formule d'amendement elle-même, la loi constitutionnelle, c'est-à-dire l'accord non seulement du Parlement fédéral, mais aussi de sept provinces représentant 50 % de la population, donc la formule d'amendement qu'on connaît? Et on peut penser aussi que s'ajoutera la loi fédérale sur les vetos régionaux de même qu'un certain nombre de référendums dans des provinces qui sont prévus en cas de modification constitutionnelle. Donc, est-ce que vous pensez que cet article 6 est assujetti à la formule d'amendement assez compliquée qu'on a introduite dans la Constitution en 1982?
Mme Lajoie (Andrée): Bon. D'abord, ce n'est pas un article; ça ne se présente pas comme un document constitutionnel, la déclaration de Calgary. Ce que vous me dites, c'est, si le texte de l'article 6 devenait une disposition constitutionnelle... Est-ce que vous me demandez si, pour l'introduire dans la Constitution, il faut le mode d'amendement ou bien si vous me demandez s'il est déjà inscrit dans la Constitution, par hypothèse, est-ce qu'il empêche de faire des dévolutions autrement que par lui-même, par le mode qu'il propose?
M. Brassard: Les deux. Pour l'inclure dans la Constitution...
Mme Lajoie (Andrée): Alors, pour l'introduire...
M. Brassard: ...est-ce que c'est l'unanimité qu'il faut ou la formule 7-50?
Mme Lajoie (Andrée): Ou la formule de 7-50.
M. Brassard: Et une fois inclus, est-ce que la procédure, sa mise en oeuvre exige aussi...
Mme Lajoie (Andrée): Bon, bien, répondons à la deuxième question en premier. Je réfléchis pendant ce temps-là à l'autre. Une fois qu'il est inscrit, il se trouve à modifier le 7-50 pour cette question. Là il y aurait incompatibilité entre la formule d'amendement actuelle et celle qu'il propose pour la dévolution aux provinces.
M. Brassard: Donc, c'est une modification de la formule d'amendement?
Mme Lajoie (Andrée): C'est une limite à la portée des amendements. Ce n'est pas une modification à la formule, c'est une limite à la portée des amendements qui peuvent être apportés. Ils seront faits par le même processus, mais ils ne pourront pas faire, dans leur contenu, qu'il y ait des différences entre les provinces.
Maintenant, pour l'adopter, j'aimerais mieux y réfléchir et vous répondre par écrit ultérieurement.
M. Brassard: Donc, pour l'adopter là, vous n'êtes pas certaine...
Mme Lajoie (Andrée): Entre l'unanimité ou le 7-50.
M. Brassard: ...si c'est l'unanimité au 7-50?
Mme Lajoie (Andrée): J'aimerais mieux y réfléchir et vous répondre par écrit.
M. Brassard: Merci.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Alors, notre temps étant passé, nous allons donc suspendre nos travaux jusqu'à 15 heures. Et, Me Lajoie, je vous remercie de votre contribution.
Mme Lajoie (Andrée): Merci, M. le Président.
(Suspension de la séance à 13 h 25)
(Reprise à 15 h 3)
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Nous allons débuter nos travaux. Je rappelle, en introduction, le mandat de la commission: procéder à des consultations particulières et tenir des auditions publiques sur la déclaration de Calgary, notamment en ce qui a trait à une future entente-cadre sur l'union sociale, et ce, en regard des droits et compétences de l'Assemblée nationale, du gouvernement du Québec et des revendications historiques de ces derniers.
Nous recevons immédiatement M. Yves Vaillancourt. M. Vaillancourt, bienvenue à la commission des institutions. Vous disposez d'une période de 20 minutes pour la présentation de votre exposé, et, tel que convenu avec vous, à cinq minutes de la fin de votre présentation, je vous indiquerai de la main vos cinq minutes restantes. Bienvenue.
M. Yves Vaillancourt
M. Vaillancourt (Yves): Merci, M. le Président. Alors, M. le Président de la commission des institutions, MM. les ministres, Mmes, MM. les députés, j'indique que j'ai préparé une annexe de quatre pages qui comble la lacune de mon texte concernant le développement à venir sur l'union sociale canadienne. Je pense que ça va être distribué dans quelques minutes.
Je ne suis pas un juriste spécialisé en droit constitutionnel. Je suis un politologue qui suit de près les dossiers de politiques sociales au Québec et au Canada depuis 27 ans, et c'est à ce titre que je m'intéresse à la déclaration de Calgary. Cette déclaration est courte. Néanmoins, le dossier des politiques sociales y occupe une place de choix.
Ce n'est pas nouveau. Depuis la conférence fédérale-provinciale de la reconstruction de l'après-guerre, les questions de politiques sociales n'ont jamais cessé d'apparaître inextricablement liées aux questions de relations fédérales-provinciales. Au cours des 60 dernières années, les tentatives de réforme constitutionnelle au Canada finissent toujours, à un moment ou l'autre, par se transformer en débat sur les réformes des politiques sociales et vice-versa.
Au Canada, la question des politiques sociales, c'est comme un test qui permet de passer du discours à la pratique en matière de fédéralisme canadien. À cet égard-là, c'est intéressant de voir la déclaration de Calgary comme une pièce parmi d'autres sur le plan du discours, mais d'être très attentif en même temps aux pratiques initiées par les différents paliers de gouvernement dans les dossiers de politiques sociales pour voir la concordance ou les contradictions entre le discours sur la vision du fédéralisme et la pratique.
Concernant la déclaration de Calgary, un cadeau ficelé pour qui? J'éprouve beaucoup de difficulté à interpréter la déclaration de Calgary comme si elle était le signe d'une main tendue au Québec par le reste du Canada. Je précise. Dans le contexte actuel, à ce moment-ci de l'histoire, après 10 ans d'épisodes, en termes de tentative de réforme... Il se pourrait que, dans un autre contexte, à un autre moment, la signification puisse être autre, mais il est difficile de lire les textes sans aller au contexte.
À l'heure ou le gouvernement de Jean Chrétien se refuse à faire un suivi postréférendaire avec de la substance par rapport aux attentes du peuple québécois, comment voir dans la déclaration de Calgary autre chose qu'une initiative parmi d'autres qui vise à aplatir et à banaliser la différence québécoise dans l'ensemble canadien? Comment y voir autre chose qu'un cadeau ficelé à l'intention du Parti libéral du Québec dans le but de l'aider pour les prochaines élections? Et le plus drôle, c'est que quelques mois après la livraison du cadeau, le nouveau chef du Parti libéral du Québec ne sait pas encore s'il doit le faire sien.
En soi, la préférence au caractère unique de la société québécoise pourrait très bien valoir l'expression société distincte. Mais, si ce qu'on vise vraiment en utilisant une ou l'autre de ces deux expressions, c'est d'éviter de reconnaître le Québec en tant que peuple pour mieux le ramener à la portion congrue de province comme les autres, c'est là que l'ouverture commence à ressembler à un piège pour le Québec.
Et, justement, c'est le sens négatif qui se dégage lorsque le caractère unique du Québec, à peine affirmé, est entouré de piquets tout le tour, avec des formules pour inviter à réaffirmer que toutes les provinces sont égales - au paragraphe 2 - et à affirmer que, si une modification constitutionnelle devait attribuer des pouvoirs à une province, il faudrait que ces mêmes pouvoirs soient accessibles à toutes les provinces. Dans un autre moment historique et un autre contexte, l'expression caractère unique pourrait sans doute être interprétée positivement. Mais, à ce moment-ci, c'est plus difficile.
Dans ma lecture de la déclaration de Calgary et mes commentaires d'aujourd'hui, c'est le paragraphe 7 qui m'intéresse le plus et qui se lit comme suit: «Le Canada est un régime fédéral dans le cadre duquel les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux travaillent de concert, tout en respectant leurs compétences respectives. Les Canadiens et les Canadiennes souhaitent que les rapports entre leurs gouvernements soient marqués par la coopération et la souplesse pour faire en sorte que la fédération fonctionne efficacement. La population canadienne désire que ses gouvernements oeuvrent de concert, tout particulièrement en matière de prestation des programmes sociaux. Les provinces et les territoires réaffirment leur volonté de collaborer avec le gouvernement du Canada afin de mieux répondre aux besoins des Canadiens et des Canadiennes.»
(15 h 10)
À mes yeux, ce paragraphe contient deux lacunes graves. D'une part, il laisse entendre qu'au moment actuel les divers paliers de gouvernement travaillent de concert tout en respectant leurs compétences respectives, ce qui n'est pas le cas au moins pour le gouvernement fédéral des dernières décennies et d'aujourd'hui, du moins dans le domaine des politiques sociales. D'autre part, ce paragraphe est silencieux sur la nécessité d'encadrer le pouvoir de dépenser du fédéral et sur la manière de le faire.
Alors, il y a des sections de mon mémoire que je vais, en quelque sorte, laisser à votre lecture attentive. Exemple, la section qui suit sur les origines du fédéralisme canadien. Je la trouve importante parce qu'elle fait la distinction entre le choix qui aurait pu être fait, il y a 125 ans, entre un modèle politique unitaire puis un modèle vraiment fédéral.
Et il y a une citation que je trouve extraordinairement riche et significative de John A. Macdonald, empruntée à un discours qu'il a fait au moment des origines de la fédération canadienne, en 1865, avant les origines, et cet extrait qui a été ressorti par Alain Noël dans un texte récent sur le principe fédéral m'apparaît particulièrement intéressant à méditer et à le mettre en perspective pour, par la suite, évaluer la théorie du fédéralisme qui est présentée dans cette vision d'un des fondateurs et la pratique du fédéralisme, surtout à partir des années où il y a eu des croisements entre la dimension constitutionnelle puis la dimension des politiques sociales.
Je passe vite, aussi, sur le fait que, dans la constitution de 1867, le partage des pouvoirs, il est plus nébuleux sur un certain nombre d'enjeux, mais il est assez clair sur certains dossiers majeurs de politiques sociales dans lesquels on peut ajouter l'éducation, la santé, le bien-être, les services sociaux, qui sont vraiment de juridiction provinciale exclusive.
Et c'est en ayant cette division des pouvoirs en tête et même à la reconnaissance de cette division des pouvoirs par le gouvernement fédéral lui-même qu'on peut comprendre les raisons pour lesquelles le pouvoir de dépenser est devenu, à partir d'une certaine époque que je qualifierais de l'époque où on a commencé à entrer dans la phase de l'État providence, c'est-à-dire la fin de la crise des années trente, le point tournant étant le rapport Rowell-Sirois, à partir de cette époque où, du côté de l'État fédéral, il y a eu, finalement, une nouvelle perspective qui le rendait, finalement, extraordinairement intéressé aux dossiers de politiques sociales. Et on peut s'apercevoir que le pouvoir de dépenser a été, en quelque sorte, utilisé de façon de plus en plus systématique pour favoriser des interventions.
Parce que l'histoire des politiques sociales, on peut la distinguer en grandes périodes, donc, j'ai indiqué que, peut-être pendant une soixantaine d'années, au début de la Constitution, il n'y a pas tellement d'exemples qu'on peut trouver pour photographier les interventions du gouvernement fédéral dans les dossiers de politiques sociales, et les dossiers de politiques sociales occupent une importance à la marge pour tous les gouvernements.
Mais, à partir, finalement, des années quarante plus particulièrement, là, on entre dans une étape que je distingue, ici, dans mon mémoire, de l'étape de la Révolution tranquille parce que, dans l'étape des années quarante à soixante, le gouvernement fédéral est à une étape où il a une perspective keynésienne, donc il est fébrile sur les dossiers de politiques sociales. Et, pour intervenir, il cherche ou bien à intervenir dans des domaines où des modifications de la Constitution peuvent permettre d'avoir une permission constitutionnelle dûment obtenue, ce qui fut le cas pour l'assurance-chômage en 1940, ou bien il utilise la voie des programmes à frais partagés, comme on les appelait à l'époque. Ça a été le cas pour l'assurance-hospitalisation, un très important programme fédéral en 1957, ça a été le cas, aussi, pour l'assistance-chômage qui a été, dans le domaine de l'aide sociale, une initiative extraordinairement importante au milieu des années cinquante.
Mais, dans ces années-là, le Québec du gouvernement de Duplessis était peut-être épisodiquement allergique à des intrusions du fédéral, comme nous le savons. Mais c'était une époque où le gouvernement du Québec ne critiquait pas les interventions du fédéral, en ayant lui-même une posture que je qualifierais de bien planifiée, et de cohérente, et de moderne par rapport aux dossiers de politique sociale.
C'est pour ça que les tensions constitutionnelles et les batailles sur les dossiers de politique sociale vont commencer avec la Révolution tranquille où on entre dans une étape extraordinairement riche d'enseignements. Et je dirais, pour les députés de tous les partis qui sont ici, que la période de 1964 m'apparaît riche d'enseignements parce qu'elle peut nous inviter à oublier un peu les lignes partisanes qui nous rattrapent, j'imagine, quand on discute, ces années-ci, dans le sens où l'héritage de ces batailles que le gouvernement de Jean Lesage a menées de manière très éclairée puis impressionnante pour revendiquer une maîtrise d'oeuvre des dossiers de politique sociale, et ça, avec, finalement, une perspective fédéraliste, mais une perspective fédéraliste qui était très attentive à la recherche d'une façon de respecter la société distincte qu'était le Québec avec son identité à plusieurs égards.
On est donc dans une période qui est riche d'enseignements dans la mesure où Jean Lesage... que le gouvernement fédéral de Lester B. Pearson pensait devoir être un gouvernement avec lequel il aurait plus de facilité à traiter parce qu'on disait: «Jean Lesage is coming from our home house.» C'était ça, l'expression des fédéraux à Ottawa. Il venait du Parti libéral fédéral.
Mais Jean Lesage, dans une chaise de premier ministre québécois, avec une équipe qui était celle du Conseil des ministres de l'époque, a mené la bataille pour que le Régime des rentes soit à Québec plutôt qu'un morceau succursale d'un régime de plan de pension canadien, ça vous le savez, mais il a mené une bataille qui a été oubliée par trop de politiques, de journalistes, d'intellectuels, la bataille de l'«opting out» de 1964. Et c'est la seule bataille qui a été une bataille où le gouvernement fédéral a reculé parce que le Québec est arrivé avec une argumentation qu'on était en matière de juridiction provinciale, que le pouvoir de dépenser était utilisé abusivement, et la proposition de Jean Lesage, c'était de demander de reculer par rapport à des espaces qui avaient été occupés dans les années antérieures et de laisser cette maîtrise d'oeuvre au gouvernement du Québec qui voulait finalement s'en servir pour mieux répondre aux besoins de la société québécoise. Et en retour de cet «opting out», ce que le gouvernement de Jean Lesage demandait, ce n'était pas une compensation financière, c'était une compensation fiscale sous forme de points d'impôt.
Alors, je dirais qu'on peut dire que le Québec, depuis 1965, de facto, a eu un statut particulier au sein des paiements de transfert fédéraux aux provinces. Toutefois, ce statut particulier, illustré par les points d'impôt plus nombreux que dans les autres provinces, contribue à différencier le Québec des autres provinces, sans pour autant lui octroyer une marge de manoeuvre politique plus grande pour contrôler les programmes sociaux qui sont pourtant tellement de juridiction provinciale.
(15 h 20)
Ainsi, la maîtrise d'oeuvre, par contre, qui avait été escomptée par le Québec dans les années soixante et qu'il avait quasiment obtenue en 1964, lui a été en quelque sorte ravie partiellement dans les années ultérieures. Et on peut comprendre que la position politique du gouvernement fédéral vers 1994 va devenir... Bon, par contre, je suis prêt à passer assez vite vers 1994. Je vous dirais qu'il y a une section des pages 10 à 12 de mon mémoire qui porte justement... qui est une capsule sur le pouvoir de dépenser à l'époque de l'«opting out» et je la laisse à votre lecture pour m'arrêter plus dans la période actuelle où on a toujours, comme à l'époque de l'histoire de l'État providence, un croisement entre les débats constitutionnels et les débats pour réformer les politiques sociales, mais ces débats se font dans un contexte où il y a une crise de l'État providence et puis des réformes pour transformer le dispositif de politique sociale. C'est à l'ordre du jour dans tous les pays du monde et dans tous les gouvernements, chez tous les gouvernements qui sont au Canada. Et je considère que le budget Martin de 1995 est plein d'enseignement parce que c'est peut-être là que se trouve le plan de match d'une réingénierie à la fois pour les politiques sociales et pour l'enlignement constitutionnel, sauf que le plan de match pour la reconfiguration des politiques sociales a été davantage mis en oeuvre depuis 1995, selon les annonces faites au budget Martin de 1995, tandis que le plan de match pour revenir à un fédéralisme de type plus flexible et dynamique et respectueux des champs de compétence des provinces, lui, il a été abandonné quelques mois plus tard, c'est-à-dire qu'il avait été annoncé avant le référendum et il a été abandonné après le référendum.
Mais dans le plan de match pour aller vers l'assainissement des finances publiques et aller vers le déficit zéro au fédéral, il faut rappeler que les deux éléments qui ont vraiment permis au fédéral d'accéder sa poursuite de l'objectif du déficit zéro: ça a été la transformation de l'assurance-chômage et ça a été la coupure des paiements de transfert pour les dépenses sociales aux provinces, avec 7 000 000 000 $ de coupures en deux ans par rapport à un ensemble de 19 000 000 000 $ de dépenses que c'était avant les coupures pour l'ensemble du Canada. Et, à cet égard, le Québec est touché, mais on ne cherchera pas ici à dire qu'il est plus touché ou moins touché que d'autres provinces.
Mais l'entente de Calgary, pour aller vers une conclusion, c'est que, pendant que, finalement, on a annoncé les deux transformations, en 1995, on se retrouve, trois ans plus tard, en 1998, en contexte post-déclaration de Calgary, avec finalement des paiements de transfert qui ont été drastiquement et dramatiquement coupés pour les provinces, et ça veut dire que le fédéral a coupé les vivres aux provinces à partir des interventions indirectes, mais, d'un autre côté, depuis deux ans, on découvre de nouvelles utilisations du pouvoir de dépenser, de nouvelles initiatives pour faire des interventions à partir du pouvoir de dépenser. Et c'est le sens de ma conclusion que le pouvoir de dépenser est utilisé de façon nouvelle depuis un certain nombre de mois.
Avec des projets comme les bourses du millénaire, on se trouve à avoir une intrusion dans un champ de compétence provinciale, mais ce n'est pas via une méthode d'intervention indirecte. C'est par une méthode d'intervention quasi directe. C'est quand même assez surprenant. Et il y a une série d'autres initiatives dans le domaine des prestations fiscales pour enfants, des subventions pour des recherches dans la santé, des projets pour faire des choses dans les services à domicile, des projets pour le fonds d'adaptation pour la recherche sur la santé. Il y a quand même, à partir du moment où le gouvernement fédéral est en position de sortir de la lutte au déficit, des enlignements qui jettent un éclairage troublant sur la signification de l'entente de Calgary.
Si vous me permettez, M. le Président, juste de commenter la petite annexe que je vous mets sur la table, le rappel de certaines dates clés pour l'union sociale. Et le fil conducteur, c'est que le débat sur l'union sociale a commencé en 1995 à l'intérieur d'une dynamique de relations interprovinciales, et, dans les quelques mois qui ont suivi, le rapport Courchene a comme encouragé un certain nombre de gouvernements du Canada à y aller dans une dynamique interprovinciale. Mais, en cours de route, ce que cette chronologie nous permet de constater, c'est qu'on passe d'une dynamique interprovinciale à une dynamique fédérale-provinciale. Le débat pour trouver un cadre pour une entente sur l'union sociale est, au moment où se parle, un débat qui se fait dans une dynamique fédérale-provinciale et avec une possibilité assez grande de fédéralisme unilatéral qui va fixer finalement les normes et standards dont il est question. Alors, c'est tout autre chose qu'il y a trois ans, une réflexion entre des représentants des différentes provinces pour définir des règles du jeu qui seraient importantes dans les dossiers de réforme des politiques sociales, à l'époque, finalement, de la réforme des transferts fédéraux qu'on a connus avec transferts canadiens pour la santé et les politiques sociales. Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, M. Vaillancourt. M. le vice-premier ministre.
M. Landry (Verchères): J'ai combien de temps?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): On a une période de 20 minutes du côté ministériel, une période de 20 minutes pour les représentants de l'opposition.
M. Landry (Verchères): M. le Président, d'abord, je voudrais remercier le professeur Vaillancourt non seulement de sa contribution d'aujourd'hui, mais du dernier quart de siècle d'observations pertinentes de la société québécoise en matière de politiques sociales et de développement social et des nombreuses interventions écrites et parlées dont notre société a pu bénéficier au cours de ces quelques décennies, sans parler des services immenses qu'il rend à une institution non moins respectable, qui est l'Université du Québec à Montréal qui a développé d'ailleurs, en matières sociales, je crois, des vues particulièrement intéressantes parmi toutes les universités du Québec.
Le premier thème pour lequel j'aimerais entendre sa réaction, c'est le plus général de ceux qu'il a abordé dès le début. Il a parlé de société distincte, et de société unique, et de peuple, de nation. Ce que j'aimerais vous demander, professeur Vaillancourt: Est-ce que les Québécois et les Québécoises qui nombreux ont baptisé eux-mêmes le Québec de société distincte ou de société unique - il n'y en a pas beaucoup qui sont les tenants de cette notion, mais société distincte, ça a eu son heure de gloire - est-ce que ce n'était pas d'une certaine manière tromper nos interlocuteurs du reste du Canada sur notre identité? La plupart des Québécois et des Québécoises savent bien que nous formons un peuple et une nation. Le jour où on se présente soi-même sous un angle réducteur, pour des raisons difficiles à comprendre, il ne faut pas se surprendre que notre interlocuteur nous réduise aussi.
Si vous vous présentez pour ce que vous n'êtes pas et que vous jurez vos grands dieux que vous êtes de bonne foi, bien on va vous prendre pour ce que vous n'êtes pas. Est-ce que le fond du débat ce ne serait pas d'éclaircir cette notion centrale que les Québécois et les Québécoises, suivant tous les critères que l'on puisse trouver, c'est toutes les écoles de sociologie et de politique, forment un peuple et une nation? Est-ce que, en même temps, quand on a évoqué société distincte ou société unique, on n'a pas provoqué une régression chez notre interlocuteur du Canada anglais qui, naguère, avait tendance à nous reconnaître comme une nation?
Lester Pearson, premier ministre du Canada, qui n'était pas né à Shawinigan, il n'était même pas né au Canada, il était né en Grande-Bretagne, disait: «Québec is a nation within a nation.» Un de ses opposants conservateurs, quelques années plus tard, Robert Stanfield, un homme de l'est, de l'Atlantique, disait, il y a au Canada: «Two nations», donc le Canada binational. Les formations politiques plus à gauche, notamment le Nouveau Parti démocratique, reconnaissaient aussi d'emblée à cette époque que le Québec formait une nation et que le Canada était formé de deux nations.
Est-ce qu'on ne va pas éternellement travailler sur une base de fausses prémisses tant que l'une des deux parties sera déguisée aux yeux de l'autre? Et est-ce qu'on n'ira pas d'une frustration à l'autre, d'abord par une erreur de vocabulaire qui entraîne des erreurs conceptuelles? Il me semble que tout ça serait bien plus clair, comme je le lisais dans une entrevue de Mme Maude Barlow en fin de semaine dans Le Devoir , que vous avez peut-être lue, une femme dont je ne partage pas toutes les idées mais qui semblait, sur ces notions d'identité, avoir des idées claires, disant que le Canada qui devrait être reconstruit - et son association s'appelle le Council of Canadians, si j'ai bien compris - devrait l'être en considérant qu'il y a trois nations: les anglophones, le Québec et les aborigènes.
(15 h 30)
Est-ce que si on avait eu, dès le départ de ces discussions contemporaines, en matière sociale comme en matière de politique plus large, un vocabulaire adéquat, est-ce qu'on n'aurait pas été moins frustré par les résultats?
M. Vaillancourt (Yves): Je vais vous répondre en collant quand même à mon expertise dans les dossiers de politiques sociales. Et votre intervention me donne le goût de revenir à cette période historique particulièrement éclairante des années soixante, plus particulièrement la période de 1964-1965 avec l'«opting out», parce que ça renvoie à une période au cours de laquelle, de façon très concrète, le Québec, avec un certain nombre de dossiers de politiques sociales, était capable d'expliquer à sa population et d'expliquer à la population de l'ensemble du Canada ça voulait dire quoi, concrètement, que d'avoir une identité culturelle et une identité sociale qui lui donnait, finalement, le goût de se prévaloir du partage des pouvoirs dans la Constitution et d'utiliser le levier qu'était l'État québécois pour développer un certain nombre de projets dans le domaine de l'économie, dans le domaine de la culture et dans le domaine social qui lui permet de faire respirer, de faire s'exprimer à travers des institutions un dispositif de politiques sociales qui collait à son identité de société particulière, à cause de son histoire.
Je pense qu'on est plusieurs à pouvoir en convenir ici, à un moment ou l'autre dans les débats, peut-être, que les mots pourraient être rechargés de signification positive, y compris, à mon avis, le mot «caractère unique» et le mot «société distincte», si on était capable de les utiliser en renvoyant à des épisodes de notre histoire où ils prennent une densité puis une concrétude extraordinairement éclairantes. Exemple, quand le Québec a dit au gouvernement fédéral: Nous avons notre propre plan pour bâtir le Régime des rentes, et c'est un plan que nous avons conçu à partir d'un travail très systématique pour tenir compte de notre société et qu'on veut avoir notre propre Caisse de dépôt et placement pour avoir un levier économique pour développer nos choses à notre manière, dans ces périodes-là, je pense qu'il y a une signification. Si certains veulent dire... On a vu, à cette époque-là, que le Québec était une société unique, était une société distincte.
D'abord que l'utilisation de ces expressions n'est pas mise de l'avant à l'intérieur d'une stratégie défensive, c'est-à-dire pour banaliser puis pour aplatir cette différence. Si on utilise le mot «caractère unique» et «société distincte» pour faire s'épanouir la différence, je me sens plus à l'aise que si on utilise l'expression «caractère unique», comme dans la déclaration de Calgary, pour tout de suite s'empresser de l'encadrer d'un certain nombre de dispositions qui vont rendre le caractère unique le plus possible insignifiant et le plus possible Québec province comme les autres, ce qu'on retrouve...
Alors moi, je parle de la période des années soixante parce que le Québec était inspirant dans ces années-là. Il était contre l'intrusion du gouvernement fédéral, mais il avait dans ses cartons, un nombre de projets impressionnants pour faire du développement. C'était plus que du discours contre les intrusions du gouvernement fédéral. C'était un discours pour nous laisser, nous-mêmes, utiliser nos leviers pour réaliser un certain nombre de plans qui nous permettaient de faire avancer notre société.
Dans les années actuelles, ce n'est peut-être pas toujours aussi clair qu'en 1964-1965, quoiqu'on peut retrouver avec, finalement, le dossier de l'assurance-médicaments, avec nos initiatives dans le domaine de l'économie sociale puis dans le domaine du soutien à la prévention dans les CLSC, un certain nombre d'ingrédients de société distincte ou de caractère unique qui renvoient, pour moi, au fait qu'on est un peuple et que, si un peuple, dans un système fédéral qui respecte le principe fédéral, peut respirer, bien, ce peuple peut utiliser un certain nombre de leviers pour faire aller son développement en tenant compte de ses besoins puis de ses attentes à lui.
Alors, c'est peut-être dans ce contexte-là que je trouve qu'actuellement on a un certain nombre de projets et, à partir du moment où on nous enlève les ressources qui viennent par les paiements de transferts pour réaliser ces projets-là dans le domaine de l'éducation, dans le domaine de la santé puis dans le domaine de la sécurité du revenu, je trouve ça un petit peu cynique qu'on nous coupe les vivres par le moyen des interventions indirectes et qu'en même temps on se permette de faire des interventions directes souvent dans les mêmes secteurs.
M. Landry (Verchères): Professeur Vaillancourt, après avoir éclairci des notions un peu plus immatérielles, je voudrais vous entraîner sur un champ vraiment très matériel et très matérialiste qu'est celui des flux d'argent en direction du Québec vers Ottawa et retour, pour mettre en lumière une chose assez désolante. On dirait que l'histoire évolue à rebours.
Vous avez fait allusion à cette époque des entretiens Lesage-Pearson, qui étaient marqués d'un certain respect, il faut le dire, et qui ont donné naissance, par exemple, à certaines formules de retrait avec compensation et à la Caisse de dépôt et placement. Mais cette époque a été de courte durée.
On avait vu un premier flux centralisateur à l'occasion de la Deuxième Guerre mondiale en termes de fiscalité, des ressources énormes convergent vers Ottawa et doivent revenir. Elles reviennent sous forme de programmes à frais partagés, 50-50, ce qui était une façon d'attirer un homme comme Robert Bourassa, par exemple, dans les programmes conjoints de santé.
Jean-Jacques Bertrand, un an avant, les avait refusés. Vous vous souvenez de ça, vous avez suivi tout cet historique. Jean-Jacques Bertrand les avait refusés, prétendant que même 50, le Québec, ne pourrait pas, à terme, véritablement - il a eu peur - assumer sa part.
Bourassa, un peu plus audacieux, a accepté le 50. Et qu'est-il advenu de ce 50? Il s'est replié peu à peu vers 45, 40, 35, il s'en va vers 15 en laissant les programmes en place, par ailleurs, et la responsabilité du Québec en place, suivant des normes nationales et des tentatives de plus en plus fermes d'homogénéisation qui ont été préconisées même par des conservateurs d'Ottawa, il n'y a pas si longtemps, des normes nationales en matière de santé et en matière d'éducation.
M. Brassard: Des normes pancanadiennes.
M. Landry (Verchères): Pardon?
M. Brassard: Des normes pancanadiennes.
M. Landry (Verchères): Des normes pancanadiennes. Donc, un flux et un reflux. Mais là, qui vient d'atteindre - vous avez mentionné le mot cynisme - un degré de cynisme incroyable, parce que l'argent s'est replié vers Ottawa de nouveau et là se redéploie dans des champs de juridiction purement québécoise, purement provinciale, si on veut que le mot s'applique à tout le Canada.
Ça fait très étrange qu'après un référendum en 1980, où presque la moitié des Québécois francophones votent oui, ce qui fait 40 % pour l'ensemble, un autre, en 1995, où 60 % des Québécois francophones votent oui, donc une vaste majorité de francophones pour un 50-50 à peu près équilibré, ce qui devrait, dans tout corps politique qui a l'instinct de conservation, déclencher des désirs de réformes, or, ce qui nous est annoncé comme usage des surplus fédéraux bâtis à même ce reflux, c'est plus grossièrement interventionniste que ce qui existait avant.
Ce qui a été proposé à Robert Bourassa, c'était un programme à frais partagés, 50-50. Ce qui est proposé aujourd'hui, je vais vous en énumérer une série, professeur Vaillancourt. C'est dans votre spécialité. Vous connaissez ça mieux que moi. Il y en a qui sont des projets, d'autres sont déjà en voie de réalisation.
(15 h 40)
Le surplus fédéral, gagné sur notre dos au cours des dernières années, servira maintenant à la bonification de la prestation, entre guillemets, nationale pour enfant, domaine purement social; création du fonds de transition pour les sciences de la santé, santé, programme national, entre guillemets, d'assurance-médicaments, santé et double emploi; programme de soins à domicile et de soins communautaires, santé et affaires sociales; accroissement des sommes consacrées au Programme d'action communautaire pour les enfants et au programme canadien de nutrition prénatale. Alors, bien sûr, social, enfance, mais là, en plus, ça jouxte le ridicule. Le septième pays du Groupe des Sept, qui se prétend être une fédération, va s'occuper de nutrition prénatale. C'est le contraire du bon sens là; c'est d'une ignorance politique grandiose, comme si jamais le principe de subsidiarité n'avait été évoqué au gouvernement du Canada. C'est pousser à l'absurde l'abnégation de ce principe.
Je continue par les célèbres bourses du millénaire où là, intrusion grossière en matière d'éducation, double emploi, gaspillage, le gouvernement du Québec, comme vous l'avez dit, ayant depuis longtemps un programme alternatif meilleur que celui qui est proposé, qui fait que nos étudiants et nos étudiantes sont moins endettés. Je ne peux m'empêcher d'ailleurs de déplorer, au passage, en tout respect pour l'individu qui est un des grands gestionnaires québécois que nous ayons, M. Monty qui accepte - le président de BCE, une entreprise construite sur l'empire du téléphone, donc sur un monopole qui a exercé son activité 75 ans au Québec et en Ontario - dans une symbolique tout à fait néfaste, à mon avis, de cautionner de son prestige la gestion de ces bourses. Ça veut dire que la ministre de l'Éducation du Québec va devoir aller discuter avec un grand patron du secteur privé. Une élue, membre du Conseil exécutif, va aller parler au nom du peuple avec un grand patron du secteur privé qui va administrer notre argent dans un domaine de notre juridiction par un détour hypocrite d'une fondation.
Je continue. Élargissement de la stratégie emploi jeunesse. Est-ce qu'on ne vient pas dire que l'emploi, ça relève du Québec et que les questions de jeunesse sont apparentées aux questions sociales en matière d'emploi? Création de la Fondation canadienne de l'innovation, donc octroi aux universités, aux laboratoires. Commission canadienne du tourisme, passe encore là, c'est une zone grise, mais c'est très lié quand même au territoire. Et, enfin, culture, aide à l'édition, 20 000 000 $, c'est ce qui nous est annoncé ou ce qui est en voie d'être fait. Après deux référendums et après un demi-siècle de discussions, après le rapport Castonguay, après la conférence de Victoria, après Meech, après Charlottetown, après les objurgations sur le pouvoir fédéral de dépenser, on est en face d'une des offensives les plus carabinées de l'histoire. En d'autres termes, n'est-il pas désespérant de penser que le Canada peut se réformer, ne serait-ce que dans le sens d'une vraie fédération? Parce que là on tourne le dos à la fédération. Alors, si on tourne le dos à la fédération quand on se dit fédéraliste, qu'est-ce qu'on peut attendre comme capacité de réforme d'un tel système?
M. Vaillancourt (Yves): Évidemment, M. Landry, en soulevant ces questions-là en présence d'un spécialiste des politiques sociales, vous me faites plaisir, mais vous touchez peut-être une aire de questions qui m'angoissent personnellement assez régulièrement. Je suis surpris moi-même que ces questions-là ne fassent pas plus de bruit puis de discussions publiques à l'intérieur de notre société ces années-ci. Et j'ose penser qu'il n'est pas exact que seule une personne qui est spécialisée dans le domaine des politiques sociales aurait le droit de s'intéresser à ces enjeux-là puis à ces questions-là. Il m'arrive souvent de me demander de quelle façon plus d'acteurs dans la société québécoise pourraient additionner des moyens pour aider nos citoyens et nos citoyennes à suivre ces enjeux, à les décortiquer, à les comprendre en faisant parfois, quand c'est nécessaire, un retour historique.
C'est sûr que notre discussion porte sur le pouvoir de dépenser au moment actuel, mais ce qu'on peut peut-être mettre en relief, c'est que l'usage du pouvoir de dépenser emprunte des formes qui changent d'une décennie à l'autre. Avec les exemples que vous avez donnés, on peut dire qu'il y a eu une première étape avant les années soixante-dix où le pouvoir de dépenser dans le domaine des politiques sociales était utilisé avec la formule des programmes à frais partagés qui permettait sans doute à l'État fédéral d'avoir une influence sur le développement des programmes sociaux des provinces. Mais l'influence qu'il exerçait avait deux inconvénients: un, elle n'était pas très visible, elle n'avait pas une visibilité politique adéquate, et, deux, le fédéral était obligé de mettre 50-50, ce que vous avez évoqué tout à l'heure dans le partage des coûts.
Mais la deuxième étape nous renvoie aux années soixante-dix, c'est la trouvaille des programmes per capita, le financement des programmes établis où, là, c'est une intervention indirecte du partage des coûts des programmes provinciaux. Tu peux leur suggérer des champs de développement en particulier, et l'avantage pour le fédéral, c'est que, là, tu n'es pas obligé de mettre 50-50, c'est à partir de ce moment-là qu'il y a eu des retraits unilatéraux pour, finalement, mettre une contribution financière qui devenait de plus en plus éloignée de la moitié des coûts des dépenses provinciales en matière de santé et d'éducation.
Et puis, troisième étape, l'étape actuelle est effectivement une étape où on utilise le pouvoir de dépenser mais en prenant, finalement, la voie des interventions directes. Au moins, quand on utilisait le pouvoir de dépenser, on se sentait obligés d'y aller indirectement soit avec des programmes à frais partagés soit avec des programmes de «block founding», de financement per capita. Mais là c'était frustrant quand même un peu. Avec le programme des bourses du millénaire, on a une formule inédite, c'est qu'on utilise le pouvoir de dépenser pour trouver une façon d'envoyer directement ces chèques à des étudiants et à des étudiantes du Québec. Ça, à mon sens, c'est une étape nouvelle par rapport à la formule antérieure qui invitait toujours à y aller par détours.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Châteauguay.
M. Fournier: Merci. Bonjour M. Vaillancourt. Je vais revenir sur l'annexe que vous nous avez déposée. Je dois vous dire que je suis content de voir qu'il y a quelqu'un qui suit le dossier du pouvoir fédéral de dépenser. Tous les témoins qui sont passés devant nous, à commencer par Me Frémont qui a reconnu, dans son témoignage, qu'il n'était pas au courant de ces discussions-là, qu'il n'était pas au courant des documents qui étaient préparés par les provinces, à d'autres, comme Me Duplé qui nous a dit que ce n'était pas le but de son propos de parler de ça, vous êtes le premier qui vient faire un tour d'horizon, je vais en parler.
Vous dites que vous déplorez qu'il n'en soit pas plus question. Je vais vous dire: Il en est parfois question. Je prends, à titre d'exemple, le fonds canadien de l'innovation, où il en avait été question. Grand, grand déploiement, on a assisté au déchirage de chemises habituel du gouvernement du Parti québécois et, par la suite, on a eu un petit correctif apporté par le ministre qui est avec nous, qui a dit: Bon, bien pour le fonds canadien de l'innovation, Québec fait un pas en arrière. C'est dans le Journal de Québec du 17 décembre dernier, où le ministre dit essentiellement ceci: On va s'organiser pour. Je dis ceci: Les partenaires de la santé, du secteur hospitalier, du secteur universitaire sont d'accord avec la démarche adoptée par le gouvernement, ça consiste, pour les organismes de recherche du Québec à transmettre leurs projets au gouvernement québécois. Donc, le gouvernement québécois sert de transition, de filtre, et c'est comme ça que l'entente s'est réglée.
Je prends au passage les propos du ministre des Finances et vice-premier ministre que je salue à cette première occasion qu'il vient nous rejoindre à cette commission, qui en a profité pour tirer un petit coup sur le gouvernement fédéral, soit-il libéral ou conservateur. Je ne sais pas s'il visait son premier ministre duquel il est le vice...
M. Brassard: ... du député avant la fin.
M. Fournier: ...lequel premier ministre duquel il est le vice, donc disait ceci - il est peut-être important de lui rappeler, c'était en 1993, à l'époque où il n'était même pas conservateur, il était chef du Bloc... Alors, c'est pour dire. Mais, quand même il disait, à ce moment-là, le premier ministre actuel, je le répète: «Je suis de ceux qui croient que le Canada ce n'est pas rien que des échecs - je pense que vous allez finir par le savoir, à la fin, M. le ministre, par exemple - je suis de ceux qui croient que le Canada ce n'est pas rien que des échecs. On n'a pas vécu ensemble pendant 125 ans pour ne faire que des erreurs et l'une des grandes réussites canadiennes - ce n'est pas moi qui parle, là, c'est premier ministre duquel le ministre des Finances est le vice - réussites canadiennes, c'est qu'on s'est souciés des démunis et qu'on a essayé de partager la richesse. On a créé des programmes sociaux qui comptent parmi les meilleurs au monde et ça, il faut le préserver.»
(15 h 50)
Je tiens juste, d'entrée de jeu, puis je vais revenir ensuite à la première question qui a été posée, on concluera sur le pouvoir de dépenser, je tiens simplement à rappeler que, lorsqu'on parle des programmes sociaux, le premier ministre actuel, alors chef du Bloc, se faisait un des grands défenseurs de cette grande réussite que sont les programmes sociaux canadiens. Alors, il ne faut quand même pas commencer à profiter de cette commission pour faire peur au monde.
J'aborde le premier sujet que le vice-premier ministre a abordé, celui du peuple, de la société. Puis il nous a dit: Est-ce qu'on n'est pas en train d'utiliser... Je le cite: «...erreur de vocabulaire qui risque d'entraîner des erreurs conceptuelles.» D'abord, pour faire un point, préciser quelque chose, il est toujours bon de rappeler ce passage que, moi, j'apprécie beaucoup, Christian Dufour qui est venu nous voir, qui avait écrit dans La Rupture tranquille : «Utilisée, développée, enrichie, cette notion - celle de société - sèche et froide sera davantage porteuse de pouvoir politique pour le Québec que les appellations plus émotivement valorisantes de peuple ou de nation non seulement dans le contexte canadien, mais aussi sur le plan international.»
Il y a une école de pensée, dont celle de M. Dufour, qui, je dirais - je résume peut-être, je ne veux pas non plus dénaturer son propos - mais qui veut remplacer le nationalisme civique, disons, lui trouver un concept. Ce serait celui de société, concept qui semble rattraper tout le monde, recevoir l'adhésion de tous, celui du nationalisme civique. Évidemment, il est divisé sur une base linguistique par le vice-premier ministre qui nous l'a encore rappelé tantôt. Mais ça, c'est ce que disait M. Dufour à l'égard des différences entre peuple et société.
Je profite de l'occasion pour rappeler dans le domaine du «unique» que vous avez apporté dans votre mémoire, où vous dites, bon: Unique et distinct, il n'y a pas des années-lumière de distance. Je tiens à rappeler, encore une fois, le juge Dickson qui, le 27 juillet 1996, donc avant Calgary, disait ceci: «Parmi ces changements, certains nécessiteront éventuellement une forme quelconque d'enchâssement constitutionnel. C'est le cas notamment de la reconnaissance du caractère unique du Québec au sein du Canada. Permettez-moi de dire tout de go que je suis très à l'aise avec ce concept. En fait, les tribunaux interprètent déjà la Charte des droits et la Constitution en tenant compte du rôle distinctif du Québec.»
Simplement pour mentionner qu'à cet égard il y a donc entre «unique» et «distinct»... il y a un juge de la Cour suprême, à la retraite me direz-vous, mais qu'il est utile de rappeler. Dans la différence entre «unique» et «distinct», on est loin de la comparaison avec les Blue Jays de Toronto, ou je ne sais trop, que le premier ministre avait utilisée au lendemain de Calgary. Je me rapproche tranquillement du propos.
Alors, le ministre des Finances nous dit que l'erreur de vocabulaire peut peut-être tromper le partenaire et que ça peut nous causer des problèmes. Bien, je vais lui dire, il s'agit de savoir quelle est l'intention qui se cache devant celui qui parle. Si, aujourd'hui, le ministre est sérieux, comment peut-il expliquer, par exemple, que - et c'est assez facile d'accès - sur la page Internet, ce qu'on appelle le site officiel du premier ministre du Québec - il y a même sa photo d'ailleurs - il n'y a pas de référence au peuple?
On fait référence que le Québec est une société moderne et ouverte. C'est au concept de société qu'on fait référence. Je vais citer... je vais vous montrer un document qui s'appelle Le Québec actuel . Et je ne parle pas du site Internet où on peut toujours se dire: La personne qui l'a tapé a commis une erreur. Le Québec actuel , ça, c'est un document qui a été produit par le gouvernement du Québec. En fait, soyons plus juste, c'est le ministère des Relations internationales qui publie ce document. En fait, c'est le visage que le Québec veut refléter, ce qu'on veut que le monde sache de nous, soit-il de l'Ontario ou d'un autre pays, comment on veut se nommer, ni plus ni moins, comment le gouvernement du Parti québécois se nomme.
Alors, je vais vous citer des passages. Je lis quelques passages: «Le Québec est une société moderne et dynamique, et son niveau de vie se situe parmi les meilleurs au monde.» Je lis un peu plus loin: «Le Québec regroupe plus de 7 000 000 d'habitants qui forment une société majoritairement francophone, une société francophone sur un continent nord-américain.» Je continue: «La société québécoise est jeune, mais son Parlement est très vieux.» Ça, c'est le message qu'on envoie aux partenaires, en ce sens que le Parti québécois envoie aux partenaires. «En 100 ans, le Québec a connu une croissance importante, passant d'une société rurale et manufacturière à une société moderne hautement industrialisée.» Un peu plus bas: «En plus de bénéficier d'un environnement remarquable, de vivre dans une société ouverte et paisible, les Québécois...» Et ça continue: «Si les Québécois discutent souvent de l'importance des impôts, ils acceptent pourtant de payer le prix pour vivre au sein d'une société afin de faciliter leur intégration à la société...» Et je continue sur d'autres pages: «La société québécoise possède un système de soins de santé et sécurité sociale très développé...» Encore que, là-dessus, on constate récemment que ça s'en va plutôt à la baisse. Et on continue encore plus loin, toujours dans le même document: «Le Québec est une société nord-américaine mais aussi la principale société francophone.»
Zéro «peuple», 12 «société» dans votre document. Moi, je vous dis, M. le Président, ce que l'on voit - et c'est le document du Parti québécois - c'est que là on veut faire une récupération, on veut essayer de dire que «société», là, ça serait plus bon. Mais, si on s'arrête à ces documents-là, on constate que ce que le Québec envoie comme message, c'est que nous formons une société.
Christian Dufour dit: «Société, c'est plus porteur». Je partage son point de vue et je pense que le mot «société» était bien choisi. Il englobe tout le monde; les gens s'y sentent partie prenante. Et en termes de nationalisme civique qui, semble-t-il, nous regroupe tous, eh bien, voilà un terme qui est utile, qui a été reconnu, et même que le gouvernement du Parti québécois utilise.
Alors, je vous pose la question en même temps que je souhaite que le vice-premier ministre ait au moins lu les propres documents de son parti. Je vous demande: «Société» ou «peuple», est-ce que pour vous c'est si grave que le Parti québécois se nomme «société»?
M. Vaillancourt (Yves): Je profite de votre question pour dire que c'est très intéressant que la commission parlementaire nous permette de discuter de ces questions-là au Québec. Au moment où on se parle ici, comme intellectuel, je suis content d'être parmi d'autres qui ont été invités. Je considère que les questions que vous soulevez gagneraient à être discutées dans l'ensemble de la société québécoise, et il y a d'autres personnes que des intellectuels comme moi qui peuvent faire des apports. Je considère que la déclaration de Calgary, qui est supposée nous ficeler une réponse par rapport à nos attentes au Québec...
M. Fournier: C'est ça le piège, c'est le piège.
M. Vaillancourt (Yves): ...devrait être examinée très attentivement par nous, au Québec, au moment où dans neuf provinces on a instauré, favorisé une discussion publique par rapport à ce qui est au Québec.
Alors, donc, je profite de votre question - je ne sais pas si vous êtes intéressé à ma réponse - pour...
M. Fournier: Après le message, je l'attends.
M. Vaillancourt (Yves): ...effectivement exprimer le souhait que la commission parlementaire actuelle ne soit que le point de départ d'une discussion québécoise par rapport à une pièce qui n'est pas épaisse et très dense mais qui nous concerne de façon importante et qui est discutée partout ailleurs au Québec.
Y a-t-il une différence entre «unique», «distincte» puis «un peuple»? Moi, je vous ai indiqué dans mon mémoire que, sur le plan purement sémantique, peut-être que les différences ne sont pas si épaisses que ça toujours, mais que l'important, c'est de passer du discours à la pratique et de mesurer le poids réel d'un concept à partir des pratiques qui lui donnent sa pleine signification. Et, moi, ma réponse, c'est de vous dire qu'on évite de parler du mot «peuple» depuis un certain nombre de temps dans plusieurs endroits, que l'expression «société distincte» ou «caractère unique» pourrait être rechargée d'une signification positive et respectueuse par rapport à notre identité québécoise, mais que ce qui va me convaincre le plus personnellement, c'est que, dans les dossiers de politique sociale, on sorte un petit peu de la situation cynique que j'ai essayé d'évoquer, laquelle se résume par le fait que, depuis trois ans, les coupures qui ont été faites pour les interventions dans les paiements de transfert sont au-dessus de 30 % au moment où le gouvernement fédéral s'est imposé des coupures trois fois moins grandes pour le reste de ses propres dépenses. Et ces coupures-là nous font mal au Québec comme elles font mal à d'autres provinces qui essaient d'assainir leurs finances publiques et de faire des coupures qui sont obligatoires dans les dossiers de santé et de services sociaux, d'éducation et autres.
(16 heures)
Et pendant que cette situation est créée, le fédéral réussit à dégager une marge de manoeuvre où il fait des interventions, cette fois-ci, directes dans des champs de juridiction provinciale. Je vous dis que ça, on est loin de respecter notre société distincte, unique ou notre peuple québécois. Et j'espère que les personnes de différents partis politiques, ici, à l'Assemblée nationale, peuvent au moins faire alliance pour contribuer à dénoncer ce qui est inacceptable. C'est inacceptable pour quelqu'un qui se rappelle ce qui a été fait par le Parti libéral de Jean Lesage en 1964, 1965 et qui s'en inspire pour se placer sur l'échiquier politique et des dossiers de politiques sociales actuelles. Je vais vous dire que, moi, ça m'étonne qu'on puisse ne pas reprendre la même orientation et critiquer sévèrement ce qui n'est pas respectueux de nos prérogatives.
M. Fournier: Voyez-vous, ce qui est très dommage, c'est que ce qu'il faut voir dans tout ça... D'abord, pour ce qui est de la réponse à ma question, j'imagine que je vais l'attendre encore un peu, mais vous tournez sur le pouvoir fédéral de dépenser et sur cette commission. Bon, voyez-vous, le gouvernement qui est devant nous a décidé, et l'a dit plus d'une fois d'ailleurs, que, lui, ce n'était pas son rôle d'améliorer le fédéralisme, d'améliorer le Canada, ce n'était pas son rôle, ce n'était pas son mandat et qu'il ne le ferait pas.
Alors, dès le départ, c'est un petit peu bidon de venir ici pour analyser des choses qui visent à améliorer... Vous parlez du pouvoir de dépenser. Vous vous étonnez de ce qui se passe, de ce qui se fait, et pourtant ce gouvernement-là, ça ne l'intéresse pas de l'améliorer. Ça ne l'intéresse pas de l'encadrer. Ce serait améliorer le Canada. Ce n'est pas bon pour lui, pour son option politique. Alors, il ne faut pas s'étonner que le ministre ne rencontre aucun de ses homologues, qu'il n'y a aucune stratégie d'alliance avec ses homologues des autres provinces.
Vous avez fait un tour d'horizon. Juste pour vous parler, le 16 août 1996, vous parlez du rapport Courchene.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): En terminant, M. le député.
M. Fournier: Oui, je termine. Ça fait deux ans que je demande au ministre d'avoir l'avis du SAIC sur le rapport Courchene. Savez-vous ce qu'il me dit? Vous ne l'aurez pas, c'est secret, c'est caché.
Il n'y en a pas de stratégie d'alliance. C'est la chaise vide. Les autres provinces partagent des souhaits que nous avons, au Québec, formulés depuis longtemps, et vous avez raison, sur un certain nombre de points, et formulés depuis longtemps. Si on avait un gouvernement qui décidait de se battre pour les Québécois, pour les intérêts des Québécois plutôt que pour sa cause, parce que, lui, s'il fait des échecs, c'est bon pour sa cause. Mais les Québécois, là-dedans, ce n'est pas tous des membres du PQ. Si on se battait pour eux, peut-être que, autour de la table, on ferait des gains.
Je ne vous ai pas entendu... Je sais que vous allez me répondre et que vous allez me dire que c'est de notre faute à nous. J'ai vu votre texte. Votre texte vise essentiellement le Parti libéral du Québec. Vous n'avez pas dit un mot de ce que le Parti québécois fait au gouvernement, pas un mot de l'absence dans des tables où pourtant, vous le notez vous-même, des provinces disent la même chose que le Québec depuis longtemps. Pourquoi avoir omis de parler de l'isolement, du silence de la rupture qu'a déjà entamée le gouvernement du Parti québécois?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. Vaillancourt, brièvement.
M. Vaillancourt (Yves): Si vous avez lu mon texte, je dirais qu'un fil conducteur de mon texte permet à un fédéraliste de se sentir confortable. Je vous dirais que mon texte permet à un fédéraliste qui tient compte du Québec comme société distincte, comme peuple distinct, qui tient compte des enseignements des années soixante, entre autres, en rapport avec la maîtrise d'oeuvre des politiques sociales que le Québec a lutté pour obtenir, je crois que mon mémoire est très compatible, sur le plan théorique, avec une position fédéraliste, mais, vous conviendrez avec moi, une position fédéraliste qui, pour respecter l'identité du Québec, doit être un fédéralisme asymétrique, un fédéralisme qui est accueillant par rapport à un statut particulier que devrait avoir le Québec. Parce que, si à partir de 1964, le gouvernement fédéral s'est reviré de bord pour essayer, finalement, de ne pas accommoder les attentes de l'«opting out» pour qu'elles permettent au Québec d'avoir un statut particulier, c'est que, à partir de 1964, il y a eu une résistance farouche, à partir de 1966 surtout, lorsque Trudeau est arrivé, et compagnie, une résistance farouche à tout ce qui pouvait être fédéralisme asymétrique et statut particulier.
Encore une fois, mon mémoire est compatible avec une position fédéralisme asymétrique, mais, comme le fédéralisme asymétrique a été mis à l'épreuve au cours des 30 dernières années, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi plusieurs Québécois se tournent vers un appétit plus grand pour la souveraineté.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup.
M. Dumont: Merci, M. le Président. Je repars un peu des conclusions communes auxquelles vous êtes arrivé avec le vice-premier ministre concernant ce que le vice-premier ministre a appelé un reflux de centralisation parce que je partage moi aussi cette... enfin, on n'a pas à la partager ou pas, on la constate, ces initiatives du gouvernement fédéral, dans toutes sortes de domaines où, bon, après s'être retiré du financement pour éliminer son déficit, il recommence à dépenser. Il veut voir apparaître son drapeau sur le coin d'un certain nombre de chèques. Je veux juste poser une question par rapport à ça.
Le premier flux où c'est arrivé, vous nous dites: C'est pendant la guerre. Parce que la guerre a créé des circonstances exceptionnelles, place donc les provinces un peu en position de faiblesse par rapport au gouvernement fédéral. Le gouvernement fédéral, sous l'impulsion de la guerre en profite. Il y a une logique. Mais, si, aujourd'hui, après un référendum où 49,5 % des gens ont voté comme ils ont voté, le gouvernement fédéral se sent la capacité politique de le faire, ça veut dire quelque chose. Ça veut dire qu'au Québec notre stratégie est pourrie. Ça veut dire que notre gouvernement n'a pas joué ses cartes correctement. Ça veut dire que l'opposition officielle, de par sa position - bien, vous avez eu l'occasion de décrire vous-même - ça veut dire que l'ensemble de la stratégie des partis est une stratégie d'affaiblissement, hein?
Le député de Châteauguay se fait fort, régulièrement, de citer Christian Dufour, et je trouve ça sage de sa part parce que, si les prémisses de Christian Dufour, comme il les décrit, sont bonnes, on peut croire que les conclusions de Christian Dufour sont bonnes, et ce qu'il est venu dire à la même commission, c'est que, présentement, les partis qui sont là ont placé le Québec en position de faiblesse puis ont laissé une marge beaucoup plus grande à Ottawa que ce qui aurait dû être le cas au lendemain du référendum. Je vous passe sous silence la conclusion de Christian Dufour qui arrive, comme conclusion, que l'Action démocratique s'est donné une stratégie qui présente des analogies avec la sienne puis qu'en matière de défense des intérêts du Québec on a hérité d'une crédibilité perdue par le Parti libéral en 1992.
Mais je veux vous entendre là-dessus, parce que, bon, vous êtes préoccupé particulièrement par la question des politiques sociales et que vous nous avait dit que vous étiez inquiet de la tournure des événements. Moi, il me semble qu'il y a des cartes qui ne sont sûrement pas bien jouées, il y a sûrement une stratégie qui n'est pas gagnante. Ce n'est pas dur de voir les cartes qui ne sont pas bien jouées. Qui sont les chiens de garde du gouvernement? On a un gouvernement qui a une option radicale mais qui n'a pas assez long de laisse parce qu'il n'a pas l'appui de la population puis que rien ne nous démontre qu'il va être susceptible de l'avoir avec l'option qu'il défend, qu'il n'a pas assez long de laisse pour aller mordre, puis on a une opposition qui n'a pas de dents. Donc, le gouvernement fédéral sent toute la légitimité d'aller de l'avant.
M. Vaillancourt (Yves): C'est sûr que dans les interrogations qui sont miennes ces mois-ci par rapport à l'union sociale, entre autres, c'est: Qu'est-ce qui pourrait être fait à partir d'une perspective québécoise pour jouer des meilleures cartes dans une situation qui n'est pas facile? Je ne voudrais pas être nécessairement dans la position de certaines personnes qui sont ici, là, mais, entre autres, il y a la question de comment on doit se positionner à partir d'une position québécoise lorsqu'il y a des invitations pour aller discuter de l'union sociale, que l'invitation soit faite à la conférence des premiers ministres qui avait eu lieu en 1995, c'était la première où c'était arrivé. M. Parizeau était resté pour une partie de la conférence des premiers ministres, il était parti dans l'autre partie.
C'est sûr que j'ai écrit à maintes reprises et que j'ai dit publiquement à maintes reprises, sans vouloir faire la leçon à personne, que la politique de la chaise vide n'est pas payante, à mon sens, dans ces enjeux-là. Il faut trouver une façon d'éviter la politique de la chaise vide. Je ne dis pas qu'à l'heure actuelle, c'est la politique de la chaise vide. Je trouve qu'à l'heure actuelle, c'est souvent la politique qu'on met un pied dans le portique. Québec essaie, quand même, parce que le gouvernement actuel s'aperçoit qu'il y a des enjeux importants...
Une voix: ...chaise pliante.
M. Vaillancourt (Yves): J'appelle ça la politique du portique, là, d'aller au moins à la conférence fédérale-provinciale ou à une rencontre des ministres des dossiers de politique sociale. Je pense qu'il y en a eu une à Toronto, il y a peu de temps, où le ministre, ici présent, a pris le temps de préparer, quand même, un document sur la position du Québec.
(16 h 10)
Je ressens un certain inconfort par rapport au fait que les autres gouvernements, à l'heure actuelle, sont souvent en alliance avec le gouvernement fédéral, même s'il y a des différences entre les positions des différents gouvernements provinciaux. On l'a vu à l'occasion du rapport Courchene, c'était un épisode extrêmement rocambolesque parce qu'on a dit, comme M. Tobin avait dit, à l'époque: Courchene - «Courchine», c'est comme ça qu'ils prononcent là-bas - «has been thrown out the train». Parce que le premier ministre du Québec allait à la conférence de Jasper, il se rendait directement à Jasper, mais les neuf autres premiers ministres provinciaux avaient pris le train entre Edmonton puis Jasper. Et ce qui s'est passé dans le train était peut-être plus important en termes de préparation d'un consensus que ce qui s'est discuté officiellement un petit peu plus tard dans la rencontre des premiers ministres. Je pense que c'est une question que... Parce que le Parti libéral a pratiqué la chaise vide aussi au temps de post-Meech, n'est-ce pas? On sait que ce n'est pas facile, que plusieurs partis qui ont été au gouvernement ont été obligés de faire ce choix-là à un moment donné ou de faire la politique de la demi-chaise vide. Moi, je répète publiquement - et ça, je pense que ça touche le parti ministériel autant que les autres - que la politique de la chaise vide a des inconvénients et qu'il faudrait trouver des moyens peut-être plus astucieux dans les prochains mois pour être davantage partie prenante de certains débats qui ont lieu sur l'union sociale.
Moi-même, je suis invité par l'Université de Kinsgton à faire partie de tables d'universitaires pour aller débattre de l'union sociale et je sens le malaise qui est ressenti par des politiciens qui sont invités dans des rencontres pareilles. Mais je crois qu'avant de dire non il faut y penser à deux fois. Les mois qui s'en viennent sont très importants, et, pour que le public au Québec en discute plus, pour que des journalistes s'y intéressent, il faut quelque part que notre société puis le gouvernement soient proactifs dans ces débats-là même si on ne respecte pas nos champs de compétence dans la manière de les faire.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, M. Vaillancourt. C'est là tout le temps, on a même excédé un peu. Alors, j'inviterais maintenant Me Patrice Garant à venir nous présenter son mémoire.
(Changement d'intervenant)
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Alors, Me Garant, si vous voulez prendre place. Me Garant, bienvenue. Vous disposez d'une période de 20 minutes pour la présentation de votre mémoire. Alors, lorsqu'on aura 15 minutes, je vous ferai un signe de la main pour vous inviter éventuellement à synthétiser sur la fin de votre présentation, si nécessaire. Alors, nous vous écoutons.
M. Patrice Garant
M. Garant (Patrice): M. le Président, je suis Patrice Garant de la faculté de droit de l'Université Laval. Je m'intéresse à la question constitutionnelle depuis de très nombreuses années. Quand j'ai pris connaissance de cette déclaration de Calgary, évidemment, j'étais découragé. Cependant, comme il pourrait s'agir d'une relance du dialogue constitutionnel, je crois qu'il faut s'y intéresser, et c'est un peu dans cet esprit que j'ai accepté l'invitation de venir ici. Et je crois que le gouvernement a bien fait de tenir un forum où ces questions peuvent être débattues. C'est une occasion peut-être de pécher par opportunisme ou pessimisme, mais comme je suis plutôt optimiste, je crois qu'il est tout de même important de revenir, de remettre sur le métier, ne fût-ce qu'une vingtième ou une trentième fois, ces questions constitutionnelles.
En 1992, à la suite de l'échec de Charlottetown, on m'avait demandé de faire une petite chronique dans ce qu'on appelle le Grand Larousse universel , le livre de l'année 1992, et je terminais cette chronique à la page 100, en disant que le fédéralisme canadien se cherche et que son horizon paraît bloqué. Et c'était ce qu'on pensait tous, surtout du côté fédéraliste, à la fin de 1992.
Je me demandais: Est-il atteint de ce mal canadien qui paraît incurable mais dans lequel il faut vivre une vie qui n'est peut-être pas un enfer?
Comme on est obligé d'expliquer, dans les forums internationaux, la crise du fédéralisme canadien, c'est pénible pour nous. C'est peut-être moins bien perçu de l'extérieur, mais, enfin, il faut y travailler, et il y aura une réforme un jour qui se fera à l'intérieur du cadre constitutionnel actuel ou en marge de ce cadre-là. Parce qu'on sent bien que les Québécois sont favorables à une forme de fédéralisme ou de partenariat de nature confédérale. Les Québécois sont partagés en cela, mais, un jour, ça débouchera vers quelque chose.
La déclaration de Calgary est étonnante parce qu'on peut se demander à quoi pensent leurs auteurs, et surtout leurs conseillers, quand on voit, par exemple, quelles sont les préoccupations des constitutionnalistes actuels à travers le monde.
J'avais dans mes papiers des programmes récents de rencontres de constitutionnalistes. On voit... Par exemple, je voyais, au mois d'avril, à São Paulo, au Brésil, une table ronde de constitutionnalistes d'Amérique latine; on voyait que les termes centraux de leurs préoccupations, c'était l'État fédéral et les États décentralisés, le fédéralisme asymétrique et également le fédéralisme et l'Union européenne. Voilà à quoi pense les constitutionnalistes, ce qui préoccupe les constitutionnalistes à travers le monde.
Et bientôt, au mois de juillet, il y aura, comme à chaque année, les assises de l'Académie internationale de droit constitutionnel de Tunis. Et cette année, on voit encore, parmi les préoccupations des constitutionnalistes, des thèmes comme: constitution et représentation extérieure des collectivités fédérées; constitution et autonomie constitutionnelle; suprématie de la constitution et transfert de souveraineté. Voilà des thèmes, évidemment, qui sont importants, tant du côté fédéraliste, chez nous, que du côté souverainiste.
Évidemment, la déclaration de Calgary est décevante à bien des égards, surtout après les efforts considérables qui ont été faits dans la collectivité canadienne au moment du lac Meech et au moment de Charlottetown.
Ce qui frappe surtout, dans cette déclaration, c'est cet espèce d'hymne à l'égalité. On parle d'égalité à de nombreuses reprises. On en parle pour les individus, mais on en parle surtout pour les provinces. L'idée d'égalité des provinces semble - comme je vous l'écris dans mon texte - être devenue pour eux, pour ceux qui se sont réunis à Calgary, une véritable obsession.
Quand on étudie et qu'on analyse cette déclaration, on voit qu'on y parle de l'égalité des personnes, de l'égalité des provinces, mais aussi on y parle de diversité, diversité culturelle à l'intérieure de laquelle on parle des peuples autochtones, du bilinguisme et du biculturalisme. Il y a, évidemment, l'affirmation du caractère unique du Québec et il y a aussi cette volonté de concertation entre les provinces, les territoires et le fédéral dans le cadre de ce qu'on est convenu d'appeler maintenant l'union sociale.
Qu'en est-il, tout d'abord, de l'égalité des personnes? Évidemment, il n'y a rien de neuf dans la déclaration, puisque déjà, dans la Charte constitutionnelle de 1982, on y consacre le droit à l'égalité des individus. Et, même si l'Assemblée nationale n'a pas adhéré à cette Charte, les Québécois l'ont invoquée régulièrement devant les tribunaux, aussi bien les cours supérieures, d'appel que suprême, de telle sorte qu'on peut considérer que ça fait partie du droit québécois.
Quant à l'égalité des chances, l'article 36 - comme vous le savez - de la Constitution de 1982 la consacre constitutionnellement, et il est difficile de voir comment on pourrait imaginer un texte qui irait plus loin.
L'égalité des provinces maintenant. Évidemment, dans une constitution fédérale, proclamer l'égalité des individus, c'est une chose, surtout dans des situations où il y a des chartes constitutionnelles des droits, mais parler de l'égalité des composantes d'une fédération, c'est autre chose.
(16 h 20)
Les composantes de la fédération canadienne, actuellement, sont les provinces au premier titre, mais, également, il faut y ajouter les territoires qui ne bénéficient certes pas d'une égalité absolue quant à leur statut et leurs obligations, etc., mais qui sont présents dans le paysage constitutionnel canadien. Et il y a aussi - et nous en traiterons un peu plus loin - les peuples autochtones. Et, hélas, la déclaration de Calgary fait très peu état de la situation des peuples autochtones, des territoires autochtones.
En ce qui me concerne, le fédéralisme canadien a toujours été asymétrique et devrait l'être davantage. Je pense que la fédération de 1867, dans l'esprit des Pères de la Fédération, a été conçue et est née dans l'asymétrie, et les conditions du pacte de 1867 en sont le reflet éclatant. Et puis se sont joints à la fédération d'autres composantes à statuts fort variables. Et puis, depuis quelques décennies, on a valorisé la situation des territoires - on parle de la création d'un troisième territoire, le Nunavut - et on tend de plus en plus à considérer ces trois territoires comme des composantes véritables de la Fédération. D'ailleurs, à la fin de la déclaration de Calgary, pour l'union sociale, on mentionne expressément, comme composante de cette union, les territoires.
Et il y a aussi, enfin, les peuples autochtones qui revendiquent, eux, non seulement un statut de gouver-nement, d'autonomie gouvernementale, de «self-government», mais aussi une véritable constitutionnalisation de ce statut à titre de composante effective de la Fédération. D'ailleurs, ce sont les conclusions, comme vous le savez, bien connues du rapport de la commission Eramus-Dussault.
Et puis il y a le Québec, composante unique, suivant la déclaration de Calgary, de cette Fédération: société distincte suivant l'accord du lac Meech, suivant l'accord de Charlottetown. Québec, société ou peuple, si vous voulez, qui n'a jamais accepté et qui n'acceptera jamais, à moins d'un renversement radical de l'opinion, d'être considérée comme une composante à statut égal.
Le fédéralisme canadien... et d'ailleurs le fédéralisme constitutionnel peut être considéré, en principe, comme symétrique, en ce sens que les États membres d'une fédération, dans une juste proportion, sont égaux quant à leur statut et leurs obligations, etc. Mais également le fédéralisme en soi peut être asymétrique, et ce n'est pas contraire au principe fédéral que de le consacrer dans le texte de la Constitution. D'ailleurs, d'autres constitutions fédérales, dans l'histoire, ont reconnu authentiquement cette asymétrie. L'essentiel du fédéralisme, c'est de créer des États fédérés et un État fédéral, un super État, et de répartir les compétences étatiques. Il n'est pas dit, dans cette définition du fédéralisme, que cette répartition de même que le statut des composantes doivent être d'une égalité absolue.
Évidemment, je mentionne dans le texte qu'il faut tout de même distinguer entre l'asymétrie constitutionnelle, celle qui est consacrée dans le texte de la Constitution, et l'asymétrie qui ne serait pas constitutionnelle, qui serait produite par tout simplement l'évolution des situations.
Le fédéralisme asymétrique peut concerner le statut des membres de la fédération, des composantes de la fédération, il peut concerner leurs obligations et leur suggestions, il peut concerner leurs devoirs et il peut concerner également les compétences. Or, dans le texte que je vous ai préparé, j'ai fait tout de même une analyse pour constater que ceux qui sont offusqués à l'idée que le fédéralisme canadien est et puisse être carrément asymétrique, il y a dans notre histoire, dans notre évolution, un démenti formel de cette affirmation. L'asymétrie quant au statut, déjà en 1867, dans les conditions initiales d'entrer dans la Fédération, on voit apparaître des conditions qui sont variables suivant les provinces de l'époque. Et puis, plus tard, apparaissent les territoires. Déjà on en parle à l'article 37 de la Constitution de 1867. On en parle également dans la Constitution de 1982, dans plusieurs dispositions. On parle des territoires, et il n'est nulle part question d'un statut qui soit égal à celui des provinces. Je crois que c'est manifeste.
L'accord de Charlottetown pousse plus loin la reconnaissance constitutionnelle des territoires comme composantes de la Fédération. De nombreuses dispositions à l'accord de Charlottetown en traitent. Donc, incontestablement, ce sont des composantes à statut différent des provinces mais des composantes importantes de la Fédération.
Puis les peuples autochtones, les autochtones ont des droits collectifs qui sont consacrés par la Constitution de 1982, article 35.1, et l'accord de Charlottetown, comme vous savez, poussait encore plus loin cette reconnaissance d'un véritable statut constitutionnel des peuples autochtones.
Donc, je pense que considérer les peuples autochtones comme une composante à part entière de la Fédération est quelque chose d'incontournable dans l'état actuel de l'évolution politique du Canada. Il y a quelque chose donc d'irréversible dans cette idée de reconnaître un statut juridique et politique non seulement aux territoires, mais aux peuples autochtones, qui en feront des composantes véritables mais à statut différent des provinces, donc de la Fédération.
Les amis de Calgary ont eu l'air d'ignorer complètement cela. On parle ici et là un peu des territoires, des peuples autochtones, mais il me semble que c'est quelque chose qui, à mon point de vue, est absolument inadmissible dans l'état actuel de l'évolution de la fédération canadienne que d'écrire ce qu'ils ont écrit.
L'asymétrie, maintenant, quant aux obligations et suggestions. Là, évidemment, je vais vous faire un rappel de choses bien connues. Le fédéralisme canadien, à cet égard, est carrément asymétrique. L'article 133 de la Constitution, qui consacre le bilinguisme au fédéral et Ottawa en matières législatives et judiciaires, est carrément asymétrique. Certes, le Manitoba se retrouve dans la même situation et, depuis 1982, le Nouveau-Brunswick, mais, voilà, il s'agit ici de situations vraiment asymétriques. Toutes les provinces ne sont pas égales à cet égard.
L'article 93 de la Constitution de 1867 créait, pour le Bas et le Haut-Canada, des obligations spéciales en matière de confessionnalité scolaire, et, après 1867, cela a été étendu au Manitoba, l'Alberta, la Saskatchewan et à Terre-Neuve. Donc, toutes les provinces n'ont pas un statut égal à cet égard. Puis ce statut d'ailleurs se modifie. Actuellement, comme nous le savons, Québec et Terre-Neuve ont consenti à que ce statut constitutionnel soit modifié de telle sorte que le Québec n'est plus assujetti, comme vous savez, mais l'Ontario reste assujetti en vertu de l'article 93. Donc, il n'y a pas d'égalité entre les provinces.
L'asymétrie quant aux droits et privilèges. Évidemment, l'asymétrie ici est comme moins frappante, mais, quand on gratte, on voit bien qu'il y a des éléments d'asymétrie. Par exemple, en ce qui concerne la répartition des sièges du Sénat. Dans la théorie classique du fédéralisme, les composantes d'une fédération ont une représentation en principe égale à la seconde Chambre. Au Canada, les Pères ont voulu vraiment se démarquer du fédéralisme américain à cet égard. L'article 22 de la Constitution de 1867 répartit les sièges au Sénat de façon non égalitaire manifestement. D'ailleurs, dans les textes qui, subséquemment, ont voulu réformer le Sénat, jamais personne n'a voulu vraiment s'alligner sur une conception purement symétrique de la représentation au Sénat.
On peut constater également, dans le texte de la Constitution, aussi bien qu'elle soit de 1867 que de 1982, d'autres dispositions qui créent de l'asymétrie, l'article 59 de la Constitution de 1982, par exemple, quant à la mise en oeuvre de la fameuse clause Canada au Québec.
(16 h 30)
Il y a également la situation de la représentation du Québec à la Cour suprême. Certes, on pourrait dire que la Constitution n'en parle pas. C'est la loi de la Cour suprême qui confère ce droit particulier au Québec, mais cependant, quand on regarde de près... On pourrait parler peut-être d'une convention constitutionnelle qui s'est établie à l'effet que le Québec a actuellement un espèce de droit constitutionnel quant à la représentation particulière à la Cour suprême. Mais l'article 41 de la constitution de 1982 prévoit la règle de l'unanimité pour amender la Constitution quant à la composition de la Cour suprême. Or, c'est la loi de la Cour suprême qui traite de cette composition-là, de sorte que, finalement, on pourrait conclure que l'article 41 se trouve à conférer véritablement au Québec un statut particulier quant à la composition de la Cour suprême. Le Québec pourrait s'objecter à ce qu'on modifie la constitution de la Cour suprême à moins qu'on ait l'unanimité, un amendement suivant l'article 41 de la loi constitutionnelle de 1982. Donc, voilà, je pense, un élément important de statut particulier de nature constitutionnelle pour le Québec. D'ailleurs, dans l'accord de Meech et de Charlottetown, cet aspect devait être constitutionnalisé.
Quant aux compétences, il s'agit naturellement de la répartition des compétences législatives, des compétences dites matérielles. Et c'est intéressant de voir comment les Pères de la Fédération voyaient l'asymétrie: le fameux article 94 de la Constitution qui est devenue désuet mais qui était un élément de centralisation extraordinaire qui aurait fait en sorte que... même les trois provinces qui étaient visées par l'article 94 quant à l'uniformisation des lois en ce qui concerne la propriété des droits civils dans les provinces. Cet article est intéressant parce qu'on voit dans l'esprit des Pères de la Fédération l'idée d'une véritable asymétrie, surtout entre les provinces anglophones et le Québec. Il n'a jamais été question d'inclure. De toute façon, Québec est exclus de l'article 93. Mais l'article 94 était vraiment conçu pour accentuer l'asymétrie dans la Fédération canadienne, d'autant plus qu'il portait sur une compétence qui était vraiment la prunelle des yeux des Pères québécois de la Fédération, c'est-à-dire la propriété de droits civils, l'alinéa 13 de l'article 92. Dieu sait s'il a joué un rôle important dans l'évolution de la jurisprudence constitutionnelle.
Et cette idée d'ailleurs que le Québec n'est pas une province de «common law», une province de tradition, une société de tradition de droit civil a été naturellement répétée tellement de fois. Déjà, le Conseil privé, en 1884, dans sa jurisprudence, en parle, et, subséquemment, ça a été reconnu: lac Meech, accord de Charlottetown. Dans la déclaration de Calgary, on considère que c'est un des éléments essentiels des traits distinctifs de cette société unique qu'est le Québec. On pourrait même dire que, depuis 1774 - il y a une erreur dans mon texte - l'Acte de Québec, qui est tout de même un texte de nature constitutionnelle, c'est devenu un trait distinctif de la société québécoise, et deux siècles plus tard - évidemment il y a eu le Code civil du Bas-Canada en 1866, juste avant la Fédération - en 1994, le nouveau Code civil du Québec proclame qu'il est le droit commun en territoire québécois. C'est quelque chose de fondamental. On dit même: En ces matières, il constitue le fondement des autres lois. Le Code civil, c'est presque un texte mi-constitutionnel, vous voyez, qui est une caractéristique fondamentale de la société québécoise. Et la déclaration de Calgary en fait aussi un élément fondamental du Canada, que le Québec soit unique par sa tradition de droit civil, par sa langue et par sa culture. C'est quelque chose de fondamental pour le Canada. On pourrait mentionner d'autres éléments de statut particulier. Il y en a, des articles 94, 95, 96 et 97 de la Constitution où on voit des éléments de statut particulier.
La diversité culturelle. En un mot, la proposition 4 de la déclaration de Calgary est décevante parce qu'elle n'ajoute rien à la situation constitutionnelle actuelle et, même, elle est, à certains égards, dangereuse et rétrograde. Pour les autochtones, il y a déjà beaucoup plus dans l'article 135 de la Constitution de 1982. Et même certains constitutionnalistes pourraient voir dans cette disposition-là le germe d'une consécration de l'autonomie gouvernementale constitutionnalisée.
L'affirmation du dynamisme des langues française et anglaise comme élément de la diversité n'apporte vraiment rien aux dispositions linguistiques de la Fédération. Le multiculturalisme, il est déjà mentionné.
Le caractère unique du Québec. En deux mots, il me semble qu'il y a une espèce de contradiction dans l'effet de considérer que le Québec est vraiment unique, mais que tous les pouvoirs qu'il pourrait revendiquer pour affirmer son rôle - on lui donne un rôle - non seulement affirmer mais promouvoir, développer ce caractère unique du Québec, tous les pouvoirs qu'il pourrait revendiquer devraient être accessibles aux autres provinces. Un peu comme si les autres provinces pouvaient revendiquer cette même caractéristique. Il y a quelque chose qui me paraît absurde dans cette déclaration de Calgary, un peu contradictoire, de refuser au Québec quant à ses pouvoirs un statut particulier qui serait justifié pour l'affirmation et le développement de son caractère unique qui est, comme dit la déclaration de Calgary, fondamental pour le Canada. Ce n'est pas juste fondamental pour le Canada. Ce n'est pas juste fondamental pour le Québec. S'ils sont honnêtes en reconnaissant que c'est fondamental pour le Canada, il me semble qu'il y a quelque chose, là, d'incompatible et qu'il faudrait vraiment clarifier.
Enfin, la concertation, probablement que vous allez m'en poser des questions, comme vous avez fait pour l'intervenant avant, la concertation, au regard de la construction d'une union sociale, ce qu'il est intéressant de constater, c'est que, même dans un cadre confédéral comme l'Union européenne, on parle beaucoup d'union sociale, mais ça se fait sur une base de concertation véritable. On parle de concertation ici, mais on voit la façon dont elle s'est enclenchée depuis un an ou deux, comment le gouvernement fédéral, d'un côté, et avec la complicité de certaines provinces, ne semble pas vraiment croire à cette concertation.
J'ai été frappé, aujourd'hui, de voir, dans le journal, que les sénateurs conservateurs, peut-on dire libéraux-conservateurs à Ottawa, le sénateur Bolduc et le sénateur Beaudoin, sont d'accord avec l'Assemblée nationale dans l'affirmation, la déclaration d'il y a un an, dans les conditions apposées pour cette union sociale. C'est tout de même assez extraordinaire que ce soit le Sénat canadien, là, et l'Assemblée nationale qui se concertent pour vraiment affirmer quelles sont les conditions essentielles auxquelles le Québec tient pour adhérer à cette union sociale.
Je m'arrête là-dessus, M. le Président.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, Me Garant. Alors, je sais qu'on vous a un peu précipité sur la fin de votre présentation, mais je pense que vous allez pouvoir vous reprendre dans les échanges avec les membres de la commission. M. le ministre.
M. Brassard: M. le Président, je voudrais d'abord remercier le professeur Garant d'avoir accepté de venir nous rencontrer. Je sais que ce n'est pas la première fois, je pense qu'on pourrait dire que c'est un intellectuel qui considère comme un peu un devoir de répondre aux invitations que l'Assemblée nationale lui fait pour venir échanger et exprimer sa vision des choses. Ça a été le cas à Bélanger-Campeau, je me souviens, dans d'autres circonstances aussi. Je pense que la commission sur les questions afférentes à la souveraineté, vous étiez venu également.
Vous avez longuement parlé d'asymétrie et de fédéralisme asymétrique, en vous référant surtout, évidemment, à l'Acte de l'Amérique britannique du Nord, 1867, puis vous avez raison. Je pense qu'il y a un certain nombre d'éléments, d'asymétrie dans ce texte constitutionnel qui octroient, d'une certaine façon, un statut qu'on pourrait qualifier de particulier au Québec. Mais, manifestement, ce statut particulier, issue de l'Acte de l'Amérique britannique du Nord de 1867 n'était sûrement pas satisfaisant pour le Québec, puisque, depuis 30 ans ou 40 ans, sans répit, le Québec a exprimé des revendications de nature constitutionnelle, particulièrement en ce qui a trait aux compétences, aux pouvoirs, au partage des pouvoirs et qui allaient toutes dans le sens d'un statut spécial, d'un statut particulier accordé au Québec.
Or donc, l'asymétrie, oui, elle existe, on peut l'identifier, c'est ce que vous avez fait d'ailleurs avec beaucoup d'intérêt, mais, manifestement, ça ne contente pas ou ça ne satisfait pas le Québec, puisque depuis 30 ans, sans cesse, le Québec, sous tous les gouvernements, réclame davantage de pouvoirs. D'abord, réclame le respect de ces compétences qui sont les siennes et puis réclame de nouveaux pouvoirs de façon spécifique, sans que ces nouveaux pouvoirs soient nécessairement accordés ou octroyés aux autres provinces.
(16 h 40)
Alors, c'est dans cette perspective que j'ai lu votre mémoire et vos remarques concernant la déclaration de Calgary, et je suis un peu perplexe. Alors, je vais vous demander de clarifier certaines choses. Par exemple, votre conclusion, j'y réfère, parce qu'elle est assez particulière. Le dernier paragraphe en particulier. Au dernier paragraphe, vous dites que peut-être que la proposition 5, vous allez même jusqu'à dire que ça pourrait être une consécration constitutionnelle du rôle particulier du Québec, et un appel, un appel.
Et là vous dites: «Dites-nous, Québec - c'est ça, l'appel - ce qu'il vous faut pour jouer pleinement ce rôle unique dans la Fédération? On est prêt à en discuter. Ces pouvoirs que vous réclamerez n'ont pas à être accessibles à toutes les provinces ou autres composantes de la Fédération parce que vous seul, Québec, avez à jouer ce rôle constitutionnel.»
Alors donc, vous considérez la déclaration de Calgary, particulièrement dans son article 5, comme un appel positif et une ouverture pour le Québec dans ses revendications de nouveaux pouvoirs, mais, en même temps, vous avez indiqué - à propos, toujours, du même paragraphe 5 et du paragraphe 6 aussi qui parle de la dévolution de pouvoirs - qu'un tel raisonnement conduit à une absurdité avec pour résultat que «jamais le Québec ne réussira à convaincre qui que ce soit qu'il doit avoir des pouvoirs particuliers ou une immunité particulière pour protéger son caractère unique ou en favoriser l'épanouissement».
Là, j'ai un peu de misère à concilier à la fois votre conclusion qui dit: Voilà un appel positif. Il y a une possibilité, une ouverture pour que le Québec se voit attribuer des pouvoirs particuliers, et rien que, lui, ce qui lui donnerait un statut particulier en matière de partage des compétences. Et, en même temps - évidemment, comme beaucoup d'experts qui sont venus ici devant nous - vous dites quand vous analysez la proposition 5 et la proposition 6, vous en arrivez à dire: Bien, voilà, c'est impossible. C'est impossible parce qu'il y a toujours, évidemment, le carcan de la formule d'amendement.
Vous avez beaucoup parlé de l'asymétrie issue de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, mais il y a eu quelque chose qui s'est passé, en 1982, qui s'appelle la Loi constitutionnelle de 1982 et qui comporte une formule d'amendement compliqué, un véritable carcan qui, à mon avis, moi, est un empêchement, à toutes fins pratiques, de voir apparaître quelque statut particulier que ce soit pour le Québec en matière de compétence et de pouvoir.
Alors, j'aimerais que... Comment concilier votre conclusion et vos remarques et votre analyse des points 5 et 6 de la déclaration de Calgary?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Me Garant.
M. Garant (Patrice): Merci, M. le ministre. Effectivement, mes propos concernant la proposition 6 relativement à l'accessibilité de toutes les provinces sont très pessimistes parce que, effectivement, une des raisons pour lesquelles on ne voudrait pas donner une compétence particulière, c'est le fait que toutes les provinces pourraient revendiquer - qu'elle soit justifiée ou non - une même compétence. Et, de ce fait, on pourrait craindre une certaine dislocation de la Fédération plutôt que de reconnaître franchement que le Québec, ayant une mission particulière, doit, pour réaliser cette mission, avoir des compétences particulières, ce qui est un peu ma conclusion.
Vous allez me dire: J'ai changé un peu de ton dans le corps du texte où je suis assez pessimiste, et pensant aussi, comme vous, à la formule d'amendement. Effectivement, il faut convaincre sept provinces représentant 50 % de la population que telles compétences - prenez en matière de communication, de télécommunication ou d'autres compétences - sont absolument nécessaires au Québec pour la réalisation de sa mission unique. Peut-être que, dans le corps du texte, j'étais pessimiste en pensant à tout cela puis, à la toute fin, bien, je me dis: Malgré tout, peut-être, d'un autre côté, ne pourrait-on pas voir, dans cette déclaration de Calgary...
Récemment, j'écoutais, enfin, les ministres des autres provinces se dire: C'est peut-être un point de départ, une ouverture. Quand M. Romanow est venu ici, à l'Université Laval, je me souviens, il était tellement gentil, adorable, etc. Évidemment, on n'a pas fait de débat devant lui. On le recevait, mais... Recommençons, reprenons le bâton du pèlerin! Et c'est un peu dans ce sens-là que je dis: Bien, il y a peut-être là un appel, mais est-ce que c'est trop d'optimisme? Enfin! Voilà, c'est un peu comme ça que je pourrais expliquer l'apparente contradiction qu'il y a dans le ton de mon texte, au milieu et à la fin.
M. Brassard: Vous dites qu'il faudrait convaincre sept provinces. Ça représente 50 % de la population, et c'est vrai. Mais aussi il faudrait convaincre le Parlement fédéral...
M. Garant (Patrice): Le fédéral.
M. Brassard: ...ce qui n'est pas rien, pour que le Québec puisse se voir octroyer une compétence spécifique particulière. Alors, c'est vrai que plusieurs des premiers ministres, plusieurs des signataires de la déclaration de Calgary ont utilisé cette expression-là, le Parti libéral aussi a utilisé cette expression-là, M. Charest: C'est un premier pas. Mais il faut voir que c'est un petit pas. D'après tout ce que les témoins qui ont défilé devant nous ont dit, c'est un petit pas, et on se demande pourquoi les premiers ministres des provinces n'ont pas jugé utile ou pertinent d'aller plus loin, puisqu'ils connaissaient déjà, forcément depuis longtemps, les aspirations et les revendications du Québec en matière de réforme constitutionnelle. Pourquoi se sont-ils contentés d'un si petit pas? Certainement pas par ignorance des revendications et des aspirations du Québec en matière constitutionnelle. Alors, il y a certainement une explication. Est-ce que vous ne pensez pas finalement que, si on fait uniquement ce petit pas, c'est parce qu'ils ne voulaient pas en faire plus et aussi qu'ils ne pouvaient pas en faire plus, compte tenu, encore une fois, de l'état de leur opinion publique?
M. Garant (Patrice): Probablement que ce serait là la véritable réponse. Ils ont peut-être voulu s'ajuster à l'état de leur opinion publique, se rendant compte, par exemple, après l'échec de Meech et l'échec de Charlottetown, que l'opinion publique, pour des raisons variables suivant les régions du pays, ne suit pas les leaders politiques, et que certains d'entre eux seraient prêt à aller plus loin. Et là ils veulent s'ajuster peut-être pour amener peu à peu, faire évoluer leur opinion publique. C'est peut-être une explication qui pourrait être...
Vous avez mentionné par ailleurs, tout à l'heure, un aspect - disons - positif de l'asymétrie, soit la revendication pour le Québec de compétences particulières. Il y a l'autre aspect, qui est l'aspect peut-être défensif dans l'asymétrie, à savoir que le Québec a besoin de protection contre notamment le fameux pouvoir fédéral de dépenser qui, naturellement, s'est développé surtout... On parlait tout à l'heure de la fédération de 1867. Mais la raison pour laquelle, depuis 30 ans, le Québec revendique, c'est qu'il s'est développé, du côté fédéral, des compétences presque indéfiniment extensibles, comme on l'a dit, notamment le fameux pouvoir fédéral de dépenser qui a permis au fédéral des intrusions dans les champs de compétence législative proprement provinciale, et c'est le Québec qui l'a le plus ressentie, cette invasion de ses compétences provinciales, pour des raisons très, très justiciables. Et la raison fondamentale, c'est qu'il a une mission particulière à remplir, il a un projet de société à réaliser.
D'ailleurs, à cet égard - je le mentionne dans mon texte - quand on parle du caractère unique, il n'y a pas que la langue, la culture et la tradition de droit civil dans le caractère unique du Québec, il y a d'autres éléments qui, hélas, ne sont pas mentionnés: il y a les institutions puis il y a aussi cette idée d'un projet de société qui un peu découle des quatre premiers éléments et qui fait en sorte que le Québec est toujours sur la défensive en ce qui concerne les questions de l'union sociale, par exemple, les grands programmes sociaux, etc. Puis ça, ce n'est pas nouveau. Il n'y a pas que le gouvernement actuel: les gouvernements libéraux qui l'ont précédé ont toujours eu le même discours. Il faut protéger l'intégrité des compétences québécoises pour défendre le Québec. Et, ça, le fédéral a l'air de le mal comprendre.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Châteauguay.
(16 h 50)
M. Fournier: Oui, merci, M. le Président. Me Garant, bonjour. D'abord, je voudrais peut-être rappeler au ministre qu'il ne faudrait pas tirer de conclusions comme il a essayé de le faire sur les témoignages qu'on a entendus. Il faut quand même noter, et je tiens à le rappeler pour le bénéfice de ceux qui se joignent à nous, qu'il y a quand même la moitié des témoins... Aujourd'hui, il y en avait un treizième sur 30 qui se désistait probablement dans la foulée de ce que Jacques Parizeau avait lancé en qualifiant cette commission. Alors, il faut quand même rappeler qu'il ne faudrait pas tirer de conclusions de ce que l'on a entendu ici sans s'apercevoir qu'il y en a beaucoup qui ne se sont pas fait entendre dû au fait du type de consultations qui étaient faites. Je pense que c'est important de le dire.
Vous parlez d'asymétrie. Je pensais à vous ce matin. J'ai lu votre mémoire au cours du week-end et, ce matin, j'étais en Chambre, au salon bleu, juste de l'autre côté, et le ministre responsable des Relations avec les citoyens et de l'Immigration procédait à une déclaration ministérielle. Nous, on ne les connaît jamais les déclarations ministérielles. On en prend connaissance lorsqu'on est assis puis on écoute ce qui se passe. J'ai demandé à un page de m'apporter la copie pour pouvoir simplement partager ça avec vous et renchérir, si c'est possible, sur la liste des nuances que vous apportez dans votre rapport et la nomenclature de ce qui est asymétrique.
Le ministre donc du Parti québécois, forcément, disait ceci ce matin: «Il y a un peu plus d'un an, je vous annonçais que le Québec devenait seul maître d'oeuvre du parrainage collectif des personnes en situation de détresse se destinant à son territoire. Je vous informe aujourd'hui que des modifications aux réglementations fédérales entrées en vigueur le 1er mai dernier sont venues confirmer ce pouvoir exclusif du Québec.»
Simplement pour mentionner, évidemment, qu'à l'égard de l'immigration on sait bien le rôle spécifique que joue le Québec, et c'est normal considérant le fait que nous sommes une société d'accueil à majorité francophone. Je n'ai rien contre le fait qu'on soulève parfois les irritants qui se posent. Notamment on parlait des bourses du millénaire. C'est l'opposition officielle qui a fait avancer le débat avec des motions déposées en Chambre. Lorsqu'il y a des irritants, on les soulève puis on essaie de se battre, de marquer un point pour les Québécois. Par pour nous, pour le Québec. Quand ça va dans le sens des intérêts concrets des étudiants, des universités... Bon. Tout ça.
Par exemple, il ne faut pas omettre non plus... Et je profite de votre passage puis du fait que vous avez parlé de l'asymétrie pour rappeler de façon très claire ce qui passe dans une déclaration ministérielle, qui peut paraître très, très rapide. L'immigration, il y a vraiment un rôle particulier que joue le Québec. On peut bien toujours dire que le fédéral essaie de nous mettre à genoux - c'est souvent les propos que tient le ministre - mais il serait intéressant, des fois, que lorsqu'on voit... Il y a des modifications aux réglementations fédérales qui donnent la possibilité au Québec de jouer son rôle, donc, c'est une ouverture qui est faite là. Ça joue dans le contexte, ça aussi. On doit en tenir compte.
J'ai pensé à vous ce matin quand j'ai entendu le ministre dire ça et démontrer finalement que, si, oui, il y a parfois des problèmes, bien, dans quelle fédération n'y en a-t-il pas, et dans quel régime, même unitaire, n'y a-t-il pas de tensions entre les régions et le centre. Alors, oui, il y a des tensions, puis il faut s'assurer qu'elles soient colmatées, je dirais, réglées, mais, en même temps, il faut aussi donner la juste mesure et dire: Bien, dans d'autres cas, ça fonctionne.
Il faut être capables, je pense, de voir ce qui fonctionne. Parce qu'une des erreurs qu'on peut commettre, c'est de ne regarder que ce qui ne fonctionne pas. À partir du moment où on ne regarde que ce qui ne fonctionne pas, dans un but valable, soit disant pour y trouver une solution, ce qui est constructif, mais, si on ne fait que ça, on finit par conclure qu'il n'y a que des problèmes. Alors, à l'occasion, il me semble normal et utile pour tout le monde qu'on puisse préciser qu'il y a aussi des choses qui fonctionnent. Alors, je profite du fait pour vous parler un peu de l'immigration.
Vous parlez du pouvoir de dépenser et des propositions qu'on retrouve... Je vais citer un passage de la page 13 de votre mémoire où on dit ceci: «Pour ce qui est de l'union sociale, elle est certes souhaitable. Même dans les régimes plutôt confédéraux comme l'Union européenne, on parle d'union sociale. La concertation s'impose pour en arriver à des normes communes, des programmes cohérents.» Je dois vous dire que je suis content de lire un texte comme celui-là.
Ce matin, Me Tremblay nous disait que c'était troublant, je pense. D'autres ont eu d'autres commentaires. Le mot concertation semble causer de nombreux problèmes à des gens qui, bon, évidemment, de toute évidence, ne veulent pas partager une appartenance canadienne. Je peux comprendre, mais il me semble que s'il y a des programmes sociaux qui devaient être mis sur pied, profiter... aménager le partage de la richesse créée à la grandeur du Canada pour le bénéfice des gens que l'on représente. Nous, on n'est que des représentants ici. Il n'y en a pas de dogmes ou de valises partisanes à transporter tout le temps. On a un mandat de représenter nos citoyens qui se demandent, dans la santé, dans l'éducation, où on s'en va. Il s'agit d'aménager une richesse qui est crée a plus grande envergure dans l'ensemble canadien qu'au Québec seulement. C'est de voir comment on peut partager ça.
Vous continuez, à la page 11, sous le thème de la concertation... puis je vous félicite de parler de concertation. Je pense que les citoyen québécois, comme l'ensemble des citoyens canadiens, souhaitent que les gouvernements travaillent ensemble et règlent le problème plutôt que de toujours se chicaner et de créer le problème, parfois, de l'inventer. Ils paient assez cher. Ils disent: Faites ça comme il faut, et vous parlez de concertation.
Vous dites: «La proposition n° 7 est, à la fois, intéressante et surprenante. Elle est intéressante, parce qu'elle réaffirme que le Canada est un régime fédéral dont les composantes sont les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux.» Vous dites: «Elle est intéressante, par ailleurs, dans la mesure où elle affirme que cette concertation doit respecter les compétences respectives des différents ordres de gouvernement.» Voilà! Je pense que c'est très important. Vous parlez, par la suite, du fait qu'elle est silencieuse sur les mécanismes.
Et je joins les deux ensemble, parce que, dans ces mécanismes-là, et dans le respect des différents ordres de gouvernement, je sais que, de l'autre côté, on n'aime pas que j'utilise ces documents-là, mais il y a quand même des documents que les provinces ont écrits qui sont sur la table, qui sont la position des provinces et la discussion, je dirais, la réflexion que les provinces ont faites. Je vous le soumets, puis c'est le premier volet de mon questionnement.
Les provinces écrivaient ceci, en avril 1997. Je vous écoutais tantôt dire: Le Québec est le seul qui cherche à encadrer le pouvoir fédéral de dépenser. Assez étonnamment, on dirait qu'on a perdu de vue toute l'évolution qui se faisait ailleurs. C'est les provinces, sauf le Québec, qui parlent: «Au Canada, le pouvoir fédéral de dépenser a contribué tantôt à unifier le pays tantôt à susciter des tentions au sein de la Fédération - on peut difficilement dire que ce n'est pas vrai, ça; ça a l'air bien vrai - Ainsi, des problèmes surgissent lorsque le gouvernement fédéral conclut des ententes de financement avec les provinces et les territoires pour, ensuite, retirer ou réduire son financement, obligeant les provinces à maintenir les programmes ou à restructurer les services.» Ce n'est pas le Québec qui parle; les partenaires des autres provinces.
«En outre, l'utilisation du pouvoir fédéral de dépenser dans des secteurs de compétences provinciales ne correspond pas toujours aux priorités provinciales et territoriales - en effet. Le gouvernement suscite également des tensions lorsqu'il définit et interprète unilatéralement des principes nationaux. Il est vital, disent les provinces - autres que le Québec - d'adopter des nouvelles modalités concernant le recours au pouvoir fédéral de dépenser.» Ah! On n'est pas le seul, au Québec, à soulever ce problème-là; les autres provinces en parlent.
Qu'est-ce qu'ils disent? «Le rapport du Conseil des ministres sur la réforme et la refonte des politiques sociales, qui soulignait que le gouvernement fédéral ne doit agir dans les domaines de responsabilités exclusivement provinciales qu'après avoir consulté les provinces et avoir obtenu leur assentiment sur la façon dont les dépenses fédérales peuvent être efficacement affectées, la nouvelle formule devra comprendre des règles régissant l'indemnisation des provinces ou des territoires qui se prévalent de l'option de retrait.» L'option de retrait dont on parlait au Québec, on se demandait: Est-ce que les autres suivent? Bien, les autres ont devancé.
Les autres provinces disent que les règles d'indemnisation des provinces qui se prévalent de l'option de retrait peuvent comprendre l'indemnisation inconditionnelle ou l'indemnisation conditionnelle avec, bon, la formule de Meech, qu'on connaît.
Simplement pour rajouter à votre mémoire, le fait qu'au niveau de la concertation, qu'au niveau du respect des compétences il y a une réflexion qui s'est produite dans les autres provinces, qui doit être amenée sur la table, et je pense que celui qui vous a précédé, tantôt, souhaitait que l'on en parle plus. Moi, je souhaite qu'on en parle plus. Je souhaite que la pression soit suffisamment grande sur le gouvernement du Parti québécois pour qu'il révise la stratégie qu'il a depuis le départ de M. Parizeau, à Terre-Neuve, en 1995, sur l'heure du midi, quand le sujet s'est mis sur la table, pour constater que nous avons des partenaires qui partagent nos priorités, qui visent la même direction que nous. Alors, oui, quand il y a une porte qui s'ouvre et que la destination est celle que nous visons, il n'y a pas à être frileux. Il faut s'engager là-dedans.
Je disais souvent: On a le choix. Aujourd'hui, dans ce monde d'interdépendance et de compétitivité, il y a plus d'expression de regarder passer le train; ça n'existe plus. Vous êtes toujours dans le train. Soit que vous êtes dans le wagon de queue puis vous suivez les autres ou vous êtes dans la locomotive à partager avec les autres le choix de la destination.
Moi, je pense qu'on est bien mieux dans le wagon de train à identifier avec les autres, en concertation, où on s'en va, que de faire le jeu et de dire: Bien, je me mets dans le wagon de queue, peu importe où ils s'en vont, je m'en plaindrai tantôt. Moi, j'espère que le gouvernement saura réviser ça. Ça, c'est un premier volet sur lequel je voudrais vous entendre.
(17 heures)
Deuxième volet, c'est celui des dispositions que vous faites, de l'analyse que vous faites sur «unique et distinct». Je souhaiterais vous entendre sur ce passage-là. Je comprends que vous dites que ça n'a pas la même valeur que Meech et Charlottetown, ce n'est pas un texte constitutionnel. Évidemment, ça n'a pas une portée constitutionnelle, puisque ce sont des principes à discuter avec la population. Mais le juge Dixon, le juge en chef de la Cour suprême du Canada, à la retraite, disait ceci, le 27 juillet 1996, en parlant des changements constitutionnels: «Parmi ces changements certains nécessiteront éventuellement une forme quelconque d'enchâssement constitutionnel. C'est le cas notamment de la reconnaissance du caractère unique - on est en 1996 - du Québec au sein du Canada. Permettez-moi de dire tout de go que je suis très à l'aise avec ce concept. En fait, les tribunaux interprètent déjà la Charte des droits et la Constitution en tenant compte du rôle distinctif du Québec.» Voyez-vous? Il a mis «unique» et «distinctif», c'est sur le même pied, en disant que, donc, les tribunaux l'interprètent déjà dans ce sens-là... «[...] dans la protection et la promotion de son caractère francophone. Conséquemment, dans la pratique, l'enchâssement de la reconnaissance formelle du caractère distinct du Québec dans la Constitution ne nous éloignerait pas beaucoup des pratiques actuelles de nos tribunaux.»
J'aimerais vous entendre sur ces deux éléments là que soulève le juge Dixon, le fait que la reconnaissance est déjà, en pratique, appliquée, qu'on a déjà fédéralisé, si on prend l'expression de certains qui sont venus ici, on a déjà fédéralisé par la cour la Charte, d'une part, et, d'autre part, sur le lien que Dixon fait, avant Calgary, plus d'un an avant, entre le «unique» et le «distinct».
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Alors, brièvement, Me Garant.
M. Garant (Patrice): Sur votre deuxième question, il me paraît évident... Je déplore que, comme tel, ce n'est pas une consécration formelle, mais ça pourrait très facilement déboucher vers une consécration formelle pour en faire un principe d'interprétation, et, si ça ne se fait pas, vous avez absolument raison, ce sera la Cour suprême qui le fera, qui utilisera de plus en plus dans sa jurisprudence cette clause de société unique, de société distincte, pour interpréter la Constitution de sorte que, finalement, on en arrivera à peu près aux mêmes résultats.
Mais, en plus de cela, ce qui me paraît plus important, c'est plutôt le dynamisme, l'aspect dynamique de cette mission essentielle, cette mission unique du Québec qui est au coeur même de l'esprit de notre Constitution et qui permet constamment au Québec de revendiquer ce qui lui convient, ce dont il a besoin pour réaliser cette mission en termes notamment de compétences.
Je me souviens, dans les années soixante-dix, lorsqu'on discutait de cette question-là, mon ami le sénateur Beaudoin qui, effectivement, est d'accord avec l'Assemblée nationale du Québec, suivant le journal d'aujourd'hui - le sénateur Beaudoin, y a-t-il plus fédéraliste que Gérald Beaudoin - disait que ce qui est important dans cette reconnaissance, c'est les pouvoirs, évidemment, c'est les pouvoirs. Parler juste en termes de reconnaissance symbolique, c'est une chose, mais ce dont le Québec a besoin, c'est des pouvoirs pour réaliser cette mission unique.
En ce qui concerne la concertation, vous avez dit beaucoup de choses, et je pense que je dois, comme on dit à la Cour suprême, concourir avec l'exposé que vous avez fait. La concertation paraît absolument essentielle quand on voit l'évolution des fédérations et des régimes confédéraux à travers le monde. La concertation, c'est quelque chose. Maintenant, l'ensemble des mécanismes, on en a des mécanismes et des habitudes, des pratiques de rencontres interministérielles, intergouvernementales au Canada, il faut continuer dans cette voie-là et rechercher vraiment une concertation pour faire en sorte que les citoyens aient l'ensemble des services auxquels ils ont besoin, indépendamment des chicanes de clochers entre partis, etc.
Donc, moi, en fin de compte, en bout de ligne et comme conclusion, je dirais que, dans la déclaration de Calgary, il y a des éléments intéressants, et, surtout, ça permet de réaffirmer une chose qui me paraît fondamentale à savoir que, si le fédéralisme canadien doit survivre, ce sera dans l'asymétrie qu'il survivra, sinon on va s'en aller vers d'autres formes de partenariats qui seront de nature confédérale. Merci.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup.
M. Dumont: Oui. Merci, M. le Président. D'abord, je souhaite la plus cordiale bienvenue à Me Garant. Je dois dire que je me suis un peu reconnu, j'ai un peu reconnu dans votre mémoire, surtout vers la fin, des éléments de ma première, première réaction après l'entente de Calgary, c'est-à-dire que ma première réaction avait été... Je me sentais comme un devoir d'avoir une réaction favorable face au processus que je considérais que, bien que du point de vue des contenus, ce n'était pas très impressionnant, en tout cas, pour des gens au Québec qui pataugent dans la Constitution, dans des revendications dites traditionnelles, on ne reconnaissait certainement pas là des grands pans de nos revendications, il n'en demeurait pas moins que, sans que le Québec soit là, il y a neuf premiers ministres qui avaient suffisamment reconnu l'existence d'un problème pour se réunir puis essayer de mettre ensemble des éléments, de trouver une formulation, quelle qu'elle soit, sur l'unicité du caractère du Québec, ou son caractère distinct, ou peu importe, mais qui ont essayé de le formuler. Et, en tout cas, avant d'analyser le contenu, article par article, avant même d'aller voir les implications juridiques potentielles d'éventuels accords qui pourraient en découler, j'avais eu une réaction très semblable à la vôtre sur ce que vous déclarez être une démarche d'ouverture à un nouveau dialogue.
Je veux revenir cependant sur le dernier élément dont vous avez parlé. Je suis généralement d'accord avec ça aussi, qu'au-delà de toutes les formulations, les reconnaissances symboliques, souvent le caractère unique ou distinct, le caractère spécial du Québec, c'est à travers des pouvoirs qu'il doit s'exprimer. C'est-à-dire que, si on est pour faire des choses d'une façon distincte, il faut avoir les pouvoirs législatifs pour le réaliser, et je serais curieux d'entendre votre réaction de ce point de vue là, ce qui est présenté par l'opposition officielle à Ottawa, qui n'est pas parfait, qui met mal à l'aise le représentant de l'opposition officielle. On le comprend, il s'aperçoit que le chef du Reform Party, de l'opposition officielle à Ottawa est prêt à en offrir plus que son propre chef est prêt à en demander, mais qui, du point de vue - puis il y a des éléments avec lesquels je ne suis pas nécessairement en accord ou certains des principes - du partage des compétences, met sur la table un élément nouveau, et certainement l'écho au rapport Allaire le plus clair, le plus surprenant - pour prendre ce terme-là - qu'on ait pu voir. Vous parlez d'asymétrie, vous parlez de l'importance des compétences, est-ce que vous pensez qu'il n'y aurait pas là un filon, qui n'est pas une solution du jour au lendemain mais qui pourrait nous amener vers un système d'une nature un peu plus confédérale? Puis, peut-être que, si, du point de vue des affaires symboliques, on a de la misère à s'entendre, qu'il y aurait moyen que, du point de vue pratique, on puisse régler un certain nombre de choses qui fassent avancer tout le monde?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Me Garant.
M. Garant (Patrice): Bien, je pense que la conception de la décentralisation dans la politique du Reform n'est pas vraiment le type confédéral. Ça peut peut-être se rapprocher, comme vous le mentionnez, de certaines propositions du rapport Allaire. Il y a tout de même un élément important. C'est que le point de départ, malgré tout, du Reform, ce n'est pas du tout l'asymétrie, c'est plutôt l'égalité absolue des provinces. Ça, c'est un dogme du Reform. Et, ce dont le Québec a besoin, ce n'est pas tellement d'une décentralisation, d'ailleurs dont ne veulent pas un grand nombre de provinces, surtout un certain nombre de provinces plus faibles. Mais je pense que le Québec a plutôt intérêt à regarder du côté de la symétrie constitutionnelle pour revendiquer les compétences dont il a besoin lui-même, sans nécessairement penser en termes d'égalité de toutes les provinces qui revendiqueraient ces mêmes compétences.
Je doute que les propositions du Reform en ce qui concerne la décentralisation aient l'agrément d'un certain nombre de provinces, surtout les plus petites provinces, les provinces de l'Atlantique notamment.
M. Dumont: Donc, vous dites qu'il faudrait que ces propositions-là soient complémentées d'une asymétrie, un peu selon ce que nous dit l'article 6 de Calgary, qui est plus ou moins bien formulé mais qui nous dit: Un pouvoir peut être disponible, mais que ceux qui le veulent bien l'exercent. En d'autres termes, que le gouvernement fédéral puisse devenir, pour des provinces, une espèce de - pardonnez-moi le terme - guichet multiservices pour des provinces trop petites pour dire: Bon, bien nous, on va s'associer pour cette affaire-là. Il y a deux, trois, quatre provinces ou une, dans certains cas, qui veut s'en occuper. Bingo! c'est permis. Mais nous, on choisit délibérément de s'associer en cette matière-là. Notre outil d'association est le gouvernement à Ottawa, et on lui envoie notre argent. C'est dans ce sens-là qu'une asymétrie pourrait permettre des arrangements?
M. Garant (Patrice): Oui. À cet égard-là, l'accessibilité de toutes les provinces pourrait nous amener davantage vers une plus grande asymétrie. Ça pourrait être une des conséquences de cela.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Bourget.
(17 h 10)
M. Laurin: Merci, M. Garant, pour la qualité de votre mémoire. Il est bien évident, après vous avoir entendu, que les auteurs de la déclaration de Calgary visent un fédéralisme symétrique: égalité des provinces et ainsi de suite. Et pourtant vous dites que ça ne correspond pas à la réalité de la Fédération qui est un fédéralisme asymétrique et vous en avez donné plusieurs exemples.
Quelqu'un de vos collègues disait d'ailleurs, cet après-midi, que ce fédéralisme symétrique est un grand mensonge. L'égalité des provinces, c'est un grand mensonge. Ça ne correspond pas à la réalité.
Maintenant, dans un des articles, où vous trouvez que l'énumération des éléments qui font le caractère unique du Québec vous paraît très limitatif, et je vous entendais, tout à l'heure, dire que ce n'est pas seulement la langue, la culture et le droit civil, mais c'est aussi les institutions, et c'est même un projet de société.
Estimeriez-vous important que, dans les discussions qui pourraient avoir lieu sur l'accord de Calgary, on ajoute, pour définir le caractère unique du Québec, ces éléments que vous venez de mentionner, institutions et projet de société ou peut-être autre chose que vous avez en tête, puisque vous dites que c'est trop limitatif.
M. Garant (Patrice): Je suis absolument d'accord avec vous là-dessus. Si le Québec veut être beau joueur et veut participer à ce nouveau dialogue constitutionnel, bien, voilà, peut-être certains voudront dire que c'est peut-être un peu d'un optimisme, disons, exagéré, mais il reste que si le dialogue est ouvert, voilà, c'est comme dans une négociation, il faut arriver avec des éléments constructifs et dire: Bien voilà! Vous faites un bout de chemin. Faites-en un petit peu plus puis peut-être qu'on se rejoindra.
M. Laurin: Maintenant, je vais plus loin, je vais reprendre un peu la question du député de Rivière-du-Loup. C'est bien beau de déclarer quelque chose dans une proposition, mais, comme vous l'avez dit à plusieurs fois, dans votre mémoire, une déclaration sans les pouvoirs pour l'affirmer, pour la concrétiser, ça ne vaut pas grand-chose.
Donc, ça voudrait dire que langue, culture et droit civil, et on ajoute institutions et droit de société, il faudrait que, dans la déclaration de Calgary, on puisse prévoir des pouvoirs qui permettront au Québec d'affirmer, de concrétiser ce caractère unique. Mais là je reprends un peu la question de mon collègue ministre, ça me paraît, tel qu'elle est rédigée, et c'est peut-être le maximum de ce que le Canada anglais veut, ça me paraît difficile de voir que les autres provinces consentiraient que le gouvernement fédéral, le pouvoir fédéral y consentirait, étant donné les vetos régionaux, les référendums auxquels serait soumis tout amendement constitutionnel, et je dirais la même chose aussi pour le pouvoir de dépenser.
Vous dites qu'à l'article 7, peut-être qu'on pourrait envisager que ça apporte une ouverture à consacrer ce qui n'est pas dans la Constitution actuelle, le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. Donc, comment peut-on véritablement prendre au sérieux une déclaration où les pouvoirs particuliers qui seraient nécessaires pour que le caractère unique, tel que défini, langue, culture, droit civil, institutions, projet de société, puisse être vraiment concrétisé dans les faits.
M. Garant (Patrice): Bah! Il y a une certaine logique dans ce dialogue constitutionnel. On pose un certain nombre de bases, c'est ce qu'ils nous ont dit: Écoutez, bien, sur ces bases-là, on en déduit que, par exemple, pour cette mission unique du Québec, bien, il y a des compétences qui sont nécessaires en ce qui concerne le pouvoir fédéral de dépenser qui n'est pas dans le texte formel de la Constitution, mais il a été tout de même consacré par la jurisprudence constitutionnelle. Ça existe.
Alors, le Québec a besoin d'une protection à cet égard, et d'ailleurs la déclaration de l'Assemblée nationale de l'autre jour l'explicite très, très clairement. Il faut que le Québec soit protégé contre des interventions intempestives du gouvernement fédéral dans le cadre de ses compétences exclusives qui lui sont propres et qui sont nécessaires à la protection de ce nouvel élément du caractère unique, son projet de société, sa façon différente de voir les choses. Alors, tout ça peut se tenir et puis, bien, on peut continuer le discours en en mettant sur la table. C'est un peu comme ça que je vois les choses.
M. Laurin: Ces pouvoirs devraient comporter, évidemment, un pouvoir de retrait...
M. Garant (Patrice): Absolument!
M. Laurin: ...avec l'indemnisation compensatoire ou même l'imposition de points d'impôt de la part du Québec, puisque, quand on parle de projet de société, évidemment, ça veut dire qu'on va avoir besoin de pouvoirs fiscaux, de pouvoirs d'imposition pour pouvoir concrétiser cette réalité.
M. Garant (Patrice): Je suis absolument d'accord avec vous, effectivement. Il y a une logique inhérente à la discussion constitutionnelle quand on pose comme base des... Il me semble, c'est un peu comme ça qu'on nous l'a expliqué, quand Romanow est venu, il n'a pas dit: Bien, écoutez, voilà, c'est coulé dans le béton. Ça, c'est un point de départ. Bien, si c'est un point de départ, allons-y!
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Alors, Me Garant, c'est là tout le temps dont nous disposons. Nous vous remercions de votre contribution à la commission des institutions et nous allons suspendre nos travaux. La commission des institutions reprendra un autre mandat à 20 heures ce soir. Merci.
(Fin de la séance à 17 h 16)