(Onze heures vingt et une minutes)
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Nous allons débuter la séance. Je rappelle le mandat de la commission des institutions: procéder à des consultations particulières et tenir des auditions publiques sur la Déclaration de Calgary.
M. le secrétaire, pourriez-vous nous annoncer les remplacements?
Le Secrétaire: Oui, M. le Président. Pour la séance, M. Fournier (Châteauguay) remplace Mme Houda-Pepin (La Pinière) et, selon l'article 130, pour la durée de l'affaire, M. Baril (Berthier) remplace Mme Leduc (Mille-Îles); Mme Caron (Terrebonne), M. Lelièvre (Gaspé); M. Facal (Fabre), Mme Papineau (Prévost); M. Laurin (Bourget), M. Paquin (Saint-Jean); Mme Léger (Pointe-aux-Trembles) M. St-André (L'Assomption); Mme Malavoy (Sherbrooke), Mme Signori (Blainville).
Organisation des travaux
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Alors, aujourd'hui, l'ordre du jour, nous avons la présentation des remarques préliminaires. À 12 heures, nous recevons M. Jacques Frémont. Nous suspendons les travaux vers 13 heures, mais, compte tenu du décalage que nous avons au début de la séance, je demanderai votre consentement pour que nous prolongions jusqu'à 13 h 20. À 15 heures, nous reprenons les travaux. Nous recevons M. Jean Allaire. À 16 heures, nous recevons M. Simon Langlois et à 17 heures, Mme Nicole Duplé. Nous ajournerons nos travaux à 18 heures.
Alors, compte tenu qu'on a décalé le début des travaux de vingt minutes, je demanderais votre consentement pour que nous puissions poursuivre jusqu'à 13 h 20.
M. Fournier: Dans la mesure où on suit l'horaire de la session de la session intensive, je peux rester là jusqu'à minuit, M. le Président, il n'y a aucun problème.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Parfait.
M. Fournier: Donc je comprends que nous allons suivre l'horaire de la session intensive et que nous allons siéger jusqu'à minuit?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Non. Aujourd'hui, nous avons donné l'ordre du jour pour les travaux de la Commission.
M. Fournier: Et là vous nous demandez de prolonger jusqu'à 13 h 20?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Compte tenu qu'on a débuté à 11 h 20. Normalement, nous devions débuter à 11 heures et nous avons débuté à 11 h 20. Alors, nous prolongeons de 20 minutes sur la période de...
M. Fournier: Vous savez que je pourrais et je me doute que, si le Parti québécois occupait les banquettes de l'opposition, il vous ferait tout une guerre de procédurite pour vous dire et dénoncer le fait que l'horaire de la session intensive, c'est bon pour les autres commission, mais, pour celle-ci, ça va toujours arrêter à 6 heures à tous les jours, et on va s'assurer d'avoir trois ou quatre personnes pas plus et qu'on ne va pas courir tout le chemin en une seule ou deux journées.
Je sais qu'ils le feraient, et ce n'est pas l'envie qui me manque de le faire, M. le Président. Je vais essayer de jouer le jeu d'un parlementaire le plus respectueux de la présidence, de cette institution. Je vais accorder mon consentement à ce que nous prolongions jusqu'à 13 h 20 en vous disant que je suis outré de voir que vous ayez à me demander un consentement pour prolonger de 20 minutes alors que vous acceptez de siéger, de présider à une commission où on omet, c'est la seule commission, où on omet de suivre le même régime qu'il y a dans les autres commissions, c'est-à-dire de siéger jusqu'à minuit, comme ça se fait partout ailleurs. Mais je considère que c'est un...
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Je tiens à vous rappeler là-dessus, M. le député de Châteauguay, que la...
M. Fournier: ...un scénario de propagande et de théâtre que le gouvernement a décidé de mettre sur pied. Donc, je vous donne ce consentement, M. le Président, mais je suis outré de la façon dont le gouvernement a décidé de faire tout un scénario de sa propagande durant cette commission.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mais il n'est pas question de scénario ici, M. le député de Châteauguay, la commission des institutions siège ce soir, de 20 heures à 24 heures, sur l'étude d'un autre projet de loi. Alors...
M. Fournier: Bien, elle pourrait siéger là-dessus, M. le Président. Vous comprenez ça, j'espère que vous comprenez ça, M. le Président?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Le consentement est accordé. Nous allons donc poursuivre jusqu'à 13 h 20. J'inviterais maintenant monsieur le...
M. Fournier: Est-ce que je peux poser une question, M. le Président? Si vous me permettez, M. le Président, juste une question avant les remarques préliminaires, un point de détail sur l'horaire. J'imagine que c'est un horaire approximatif ou préliminaire que vous nous avez fait parvenir, à savoir que nous siégerons aujourd'hui, le 3, le 4, le 9, le 10 et le 11. Maintenant que vous êtes avisés que le Parti libéral du Québec, qui est appelé pour le 10, ne sera pas présent comme témoin à vos travaux, est-ce que je crois comprendre que le 11, qui avait été réservé uniquement pour un seul parti politique, soit le Parti québécois, sera reporté à la place du Parti libéral du Québec, le 10?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): On n'a pas reçu encore l'avis formel du Parti libéral du Québec, M. le député de Châteauguay, à la commission des institutions. Habituellement, ceux qui refusent de participer, en avise le secrétaire; or, le secrétaire de la commission n'a pas encore reçu d'avis formel à l'effet que le Parti libéral ne présentera pas de mémoire.
M. Fournier: Si je comprends bien, vous êtes en train de me dire que sur les autres participants - on sait qu'il y en a 13 qui se sont désistés sur 30 - vous nous donnez donc une liste, il est possible qu'il y ait d'autres désistements dans la liste de ceux qui sont là?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Ceux que nous avons ont été confirmés.
M. Fournier: Ceux qui sont là sont confirmés.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): En principe...
M. Fournier: Alors, je vous pose la question: Advenant...
Le Président (M. Landry, Bonaventure): ...sauf le Parti libéral.
M. Fournier: ...que le Parti libéral vous fasse parvenir ce qui est comme une renommée, tout le monde sait, tous ceux qui lisent les journaux, que le Parti libéral du Québec ne sera pas là, est-ce que je crois comprendre que la journée du 11 sera reportée à celle du 10, qu'on mettra le Parti québécois, non pas une seule journée pour lui, pour faire son spectacle, mais qu'il pourra prendre la place du Parti libéral du Québec le 10?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Ça, M. le député de Châteauguay, nous aviserons lorsque nous aurons les informations.
M. Fournier: Non, je vous pose la question, vous le savez, je pose la question: Est-ce que ça va être le 10?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Je n'ai pas à vous donner...
M. Fournier: Autrement dit...
Le Président (M. Landry, Bonaventure): ...réponse à une question qui, pour l'instant, est hypothétique, mais...
M. Brassard: Vous aurez la réponse en temps et lieu, au moment opportun.
M. Fournier: Vous savez, des fois, quand on donne des consentements...
M. Brassard: Il n'y a pas urgence, là, c'est la semaine prochaine, ça.
M. Fournier: ...et qu'on s'aperçoit qu'on est les seuls à jouer le jeu du parlementarisme, des fois, on est déçu, M. le Président.
Remarques préliminaires
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Sur ce, nous allons entreprendre les remarques préliminaires. J'inviterais M. le ministre des Affaires intergouvernementales à prendre la parole. M. le ministre.
M. Jacques Brassard
M. Brassard: Merci, M. le Président. D'abord, je remercie le député de Châteauguay pour sa grande générosité, d'avoir accordé son consentement pour qu'on prolonge jusqu'à 13 h 20; en plus, il était outré, outré mais généreux. Bon, ceci étant dit, M. le Président, je veux, d'entrée de jeu, vous indiquer que, contrairement à ce que certains laissent circuler, cette commission n'entraîne aucun coût supplémentaire pour l'Assemblée nationale. C'est une commission permanente qui siège dans le cadre du budget régulier et des crédits réguliers de l'Assemblée nationale.
M. le Président, le 26 mai dernier, le Parlement de l'Ontario adoptait la déclaration de Calgary. Il devenait ainsi le huitième Parlement à le faire. Il ne manque plus que l'adoption de cette résolution par la législature de la Nouvelle-Écosse, adoption qui devrait se faire avant la fin du mois, pour que toutes les provinces du Canada anglais aient manifesté officiellement, de façon non équivoque, leur appui au contenu de ce qu'il convient d'appeler l'offre du Canada anglais au Québec. Tout en reconnaissant que les Québécois sont fortement et légitimement préoccupés d'emploi, d'économie et de santé, et même si le gouvernement du Québec considère cette offre, à bien des égards, comme insignifiante, il serait pour le moins irresponsable, pour nous, parlementaires, de ne pas nous y intéresser, puisqu'elle interpelle directement le Québec. Car nous intéresser au contenu de la déclaration de Calgary, c'est aussi nous intéresser à l'avenir des programmes sociaux. Elle est également porteuse d'enjeux financiers importants par la reconnaissance du pouvoir fédéral de dépenser qu'on y retrouve de façon diffuse dans le paragraphe relatif à l'éventuelle entente-cadre sur l'union sociale.
(11 h 30)
En effet, la déclaration de Calgary porte en son sein les germes de futurs changements constitutionnels; j'y reviendrai plus loin.
Informer les Québécois et Québécoises au sujet de cette offre du Canada, c'est une simple question de respect envers nos concitoyens. En effet, cette déclaration les concerne au premier chef non seulement à cause de l'inclusion du caractère unique comme vocable décrivant la spécificité du Québec, mais dans le contexte plus large des pouvoirs de l'Assemblée nationale dans la promotion de ses institutions. Il faut s'y intéresser pour éviter le moment venu, un réveil brutal.
En ce sens, la présente commission est le forum idéal, et les experts que nous recevrons au cours des prochains jours sauront, j'en suis sûr, nous donner l'éclairage nécessaire à une meilleure compréhension des enjeux de cette déclaration.
Se pencher sur la déclaration de Calgary, c'est aborder encore une fois la question constitutionnelle, une question qui accompagne depuis au moins 40 ans le cheminement du Québec dans la fédération canadienne. Ce cheminement est intimement lié au sentiment d'appartenance qu'ont développé les Québécois et les Québécoises au cours de nombreux débats qui ont animé largement notre vie politique, un sentiment qui se trouve aujourd'hui au coeur de l'identité du peuple québécois.
La protection, voire même le renforcement de l'autonomie québécoise dans le cadre fédéral canadien, a toujours constitué une position commune aux différents gouvernements du Québec. Dès le début de la Confédération - dois-je rappeler Honoré Mercier, le «Rendez-nous notre butin» de Maurice Duplessis, la commission Tremblay - plusieurs luttes menées pour obtenir une plus grand marge de manoeuvre se sont heurtées à un gouvernement fédéral de plus en plus centralisateur. Ces luttes politiques souvent ardues ont été marquées par l'exigence de conserver, au Québec, l'espace d'autonomie gagné en 1867.
Avec la Révolution tranquille, il apparaissait essentiel que le Québec jouisse d'une plus grande autonomie au sein de la fédération, une autonomie qui lui permettrait de se développer pleinement et de mettre en oeuvre les choix de société qui sont les siens. Le Québec s'est mis à revendiquer, auprès du reste du Canada, des changements constitutionnels majeurs à la fédération.
Au centre de ces revendications s'inscrit la demande de pouvoirs spécifiques pour le Québec ou, plus généralement, le désir d'obtenir pour le Québec un statut politique qui s'accorde à la volonté d'affirmation du peuple québécois. Les Québécois se considèrent, à raison, tout à fait capables de prendre en charge leur propre développement.
À partir de la fin des années soixante, la volonté d'affirmation québécoise s'incarnera par l'intermédiaire de deux courants politiques: d'une part, le courant fédéraliste, où l'on croit en l'épanouissement de la collectivité québécoise et en la réalisation des objectifs fondamentaux d'autonomie mais à l'intérieur du cadre de la fédération canadienne, d'autre part, le courant souverainiste, auquel participe le présent gouvernement, animé par la conviction que l'accession du Québec à la souveraineté est la seule solution possible pour que celui-ci dispose enfin des moyens lui permettant de réaliser ses objectifs fondamentaux.
Le Québec a investi beaucoup d'efforts dans la réforme de la fédération canadienne, et avec quels résultats? Le rapatriement constitutionnel de 1982, sans l'accord de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec, a changé, de façon irrévocable, l'ordre constitutionnel canadien. Ce geste entraîna une diminution du statut du Québec dans la fédération canadienne, le bris d'un pacte aux origines de cette fédération. Ce geste unilatéral fut d'autant plus triste qu'il constituait la suite donnée aux promesses du premier ministre du Canada de renouvellement constitutionnel fait au peuple québécois pour qu'il vote non au référendum du 20 mai 1980. Depuis, aucun gouvernement du Québec n'a adhéré à cette Loi constitutionnelle de 1982, et les fédéralistes québécois attendent toujours réparation.
Comme vous le savez, il y a eu plusieurs tentatives visant à corriger la situation. En premier lieu, par l'accord du lac Meech qui a échoué en juin 1990, même en version édulcorée, grâce au soutien actif de l'actuel premier ministre fédéral et principalement en raison de la crainte que la reconnaissance du Québec comme société distincte ne lui confère un quelconque statut particulier. En second lieu, par l'entente de Charlottetown rejetée en 1992, tant par le reste du Canada dans un référendum fédéral que par les Québécois et Québécoises dans leur propre exercice référendaire. De ces échecs constitutionnels, le reste du Canada a particulièrement démontré sa vive opposition à toute forme de reconnaissance du Québec comme société distincte.
En 1991, la commission Bélanger-Campeau s'est penché sur les raisons de l'échec de l'accord du lac Meech ressenti au Québec comme un nouveau rejet de son identité propre par le reste du Canada. On constatait dans le rapport de la commission qu'il y avait, au centre de l'impasse, un conflit des visions, des aspirations et des identités nationales et que le rapatriement de 1982 avait joué un rôle important à cet égard. Le rapport identifiait trois grands principes politiques du reste du Canada s'avérant problématiques eu égard aux revendications québécoises. D'abord, le principe d'une égalité des citoyens canadiens et, par conséquent, d'une seule société canadienne; le principe d'une égalité des cultures et des origines culturelles qui s'incarnent dans un multiculturalisme, étranger à l'idée d'un statut ou d'aménagements constitutionnels particuliers pour la langue française et la culture francophone; enfin, le principe de l'égalité des dix provinces canadiennes, principe réfractaire à l'idée d'un statut spécial pour le Québec.
On craignait que toute décentralisation n'affaiblisse le gouvernement fédéral parce que les transferts de pouvoirs ne pourraient être, selon cette théorie, que symétriques. Ces principes évacuent désormais le pacte des deux peuples fondateurs. Cette façon de concevoir la fédération canadienne a contribué au choc ressenti dans le reste du Canada lors des résultats du référendum du 30 octobre 1995, car il s'agissait là du geste d'affirmation d'un peuple exerçant son droit de disposer librement de son avenir politique.
Malgré les promesses de Jean Chrétien à Verdun, ce choc a plutôt amené le gouvernement fédéral à mettre en oeuvre la stratégie dite du plan B à laquelle appartient le renvoi politique effectué devant la Cour suprême du Canada. C'est la stratégie de la course à obstacles consistant à multiplier les entraves quant à l'exercice libre et démocratique du droit du peuple québécois de décider de son avenir politique.
Certains leaders fédéralistes étaient cependant conscients des dangers du plan B. Au Québec, plusieurs voix se sont élevées, dénonçant cette radicalisation qui heurte la primauté du principe démocratique. Des représentations sont alors faites pour que soit ajouté un autre volet à la réponse canadienne au référendum du 30 octobre 1995.
Pour sa part, la réponse du fédéral aux préoccupations politiques du Québec s'est traduite par l'adoption à la Chambre des communes d'une résolution reconnaissant de façon symbolique la société distincte du Québec et d'une loi accordant un droit de veto aux cinq régions canadiennes. L'incapacité du gouvernement fédéral à surmonter la résistance du Canada anglais au concept de société distincte, devenu tabou, l'amène à passer le relais aux provinces. Le 14 septembre 1997, les premiers ministres des neuf provinces du reste du Canada se sont réunis à Calgary pour mettre au point ce qui devait être aussi une proposition répondant au désir de changement clairement exprimé par le peuple québécois. Cette réunion s'est terminée par l'adoption de la déclaration de Calgary, un document révélateur de la vision, dans le reste du Canada, de la place du Québec dans la fédération canadienne. Le gouvernement fédéral, pour sa part, a prestement donné son appui à l'initiative et pourrait éventuellement modifier sa résolution parlementaire sur la société distincte. Il faut constater que cette résolution n'a eu aucun effet sur les politiques, gestes ou décisions du gouvernement fédéral concernant le Québec. Sa conduite dans le dossier de la Fondation des bourses du millénaire est éloquente et exemplaire à cet égard.
La déclaration de Calgary comprend un cadre de discussion en sept points sur l'unité canadienne. Ce cadre de discussion et les principes qu'elle met de l'avant n'ont pas, à l'heure actuelle, valeur constitutionnelle. Le gouvernement fédéral et certaines provinces associées à l'exercice présentent néanmoins la déclaration comme devant déboucher sur des négociations constitutionnelles.
Parmi les sept points de ce cadre, il y en a un qui concerne spécifiquement le Québec. Il porte sur le caractère unique de la société québécoise en tant qu'élément fondamental pour le bien-être du Canada. Cet aspect de la déclaration a souvent été présenté sous l'angle d'une volonté de reconnaissance du Québec. Mais les concepts ont évolué. L'idée de société distincte a été rejetée par le reste du Canada. Devant la persistance de l'opposition à la société distincte, les leaders fédéralistes et certains membres du patronat canadien ont cherché de nouvelles expressions. Les Paul Martin, Preston Manning, Thomas d'Aquino, Jean Charest et Stéphane Dion se sont donc mis d'accord sur un nouveau vocable pour définir la spécificité québécoise. Le caractère unique est né de ces cogitations.
C'est notamment pour cette raison que je déplore l'absence du nouveau chef du Parti libéral, M. Charest, aux travaux de cette commission. Sa contribution à la rédaction de la déclaration de Calgary, sa volonté empressée, il y a quelques mois seulement, à l'effet de constituer un comité de la Chambre des communes visant à étudier cette déclaration, son insistance sur l'importance d'un leadership fédéral dans le dossier de l'unité canadienne lui auraient permis de nous donner un éclairage des plus intéressants et auraient permis aux Québécois de mieux comprendre où il se situe par rapport aux enjeux que sous-tendent cette offre du Canada. Ceci étant dit, je prends acte de la présence d'un parlementaire du parti de l'opposition officielle. Je m'en réjouis, même si j'estime qu'ils accomplissent là leur plus élémentaire devoir.
(11 h 40)
La déclaration de Calgary contient donc plusieurs principes sur lesquels il faut s'attarder. La notion d'égalité, particulièrement celle d'égalité des provinces, occupe une place centrale dans le cadre de discussion. L'égalité et la diversité tiennent lieu d'introduction au concept de caractère unique. Enfin, on y précise que si une future modification constitutionnelle devait attribuer des pouvoirs à une province, il faudrait que ces mêmes pouvoirs soient accessibles à toutes les provinces. Ces insistances sur l'égalité ont sûrement des implications importantes quant aux revendications historiques du Québec.
L'accord du Lac Meech qui portait sur les conditions considérées minimales par le gouvernement du Québec de l'époque devait être suivi d'une deuxième ronde consacrée au partage des pouvoirs. Le gouvernement de M. Bourassa voyait la reconnaissance de la société distincte comme le principe générateur de l'ensemble des conditions alors présentées par le Québec. Témoignant des besoins particuliers du Québec, cette reconnaissance aurait sûrement été invoquée au soutien des revendications québécoises dans le cadre d'une éventuelle deuxième ronde.
Cette vision se retrouve-t-elle dans la déclaration de Calgary? Ses auteurs affirment qu'il ne saurait être question de statut spécial ou de pouvoirs particuliers pour le Québec, aussi unique soit-il. M. Harris a dit, et je cite: «Je crois que le Manitoba est unique de par le nombre de peuples autochtones qu'il compte par rapport à d'autres régions et que la Colombie-Britannique est très unique en raison du chinook et du saumon de la côte ouest.»
De plus, le président de la conférence lui-même, M. McKenna, déclarait: «Nous ne sommes pas ici pour discuter ou même considérer un statut particulier pour une province. Cela n'est pas acceptable, et, de toute manière, nous ne sommes pas préparés à cela. Le Québec n'obtiendra rien que les autres provinces ne peuvent obtenir.»
Enfin, le dernier point mais non le moindre du cadre de discussion doit aussi être débattu par cette commission. Après un énoncé général sur la coopération intergouvernementale, on y traite des gouvernements oeuvrant de concert, tout particulièrement en matière de prestation des programmes sociaux. C'est une référence directe aux négociations fédérales-provinciales en cours sur le projet d'entente-cadre sur l'union sociale, un exercice que le gouvernement du Québec refuse de cautionner tant que ses vis-à-vis ne lui garantiront pas un droit de retrait avec pleine compensation dans les programmes qui relèvent de ses compétences.
Nous sommes au coeur des enjeux économiques et financiers pour tout gouvernement québécois, car nous sommes confrontés à une éventuelle reconnaissance formelle du pouvoir fédéral de dépenser. Une telle reconnaissance aurait un impact majeur sur la capacité et la liberté actuelles du Québec dans ses choix quant à l'élaboration, la planification et la gestion des programmes sociaux sur son territoire. Cette reconnaissance permettrait au gouvernement fédéral d'établir des normes pancanadiennes dans les champs de compétence des provinces. Dans ce contexte, la position historique du Québec fondée sur un droit de retrait avec compensation financière se retrouve en porte-à-faux avec la vision du Canada anglais.
Les provinces ont toutefois adopté la déclaration de Calgary sans y suggérer de changements fondamentaux, sauf en ce qui concerne la Colombie-Britannique. En effet, l'histoire récente nous enseigne qu'à l'approche des négociations formelles les gouvernements provinciaux voudront sans doute ajouter des revendications concurrentes. Certains groupes d'ailleurs décideront de faire mettre de l'avant leurs propres demandes constitutionnelles. C'est déjà le cas en ce qui concerne les principales organisations autochtones pancanadiennes qui ont soumis aux premiers ministres associés à la déclaration de Calgary, lors d'une réunion tenue à Winnipeg le 18 novembre 1997, leur propre cadre de discussion sur les relations entre les gouvernements et les autochtones. D'autres viendront sans doute à la charge du côté de l'Ouest avec le projet de réforme du Sénat.
Au fil des ratifications, la déclaration de Calgary devient une offre du reste du Canada en vue d'un nouveau processus constitutionnel. Elle propose un cadre de discussion qui fixe les paramètres à l'intérieur desquels l'on est prêt à discuter avec le Québec. Il est donc important de se pencher sur ce texte, de voir ce qu'il propose et ce qu'il exclut, pour que les Québécoises et les Québécois soient mieux informés de son contenu et de ses implications.
Ne pas regarder la déclaration de Calgary à ce moment-ci, ne pas répondre au questionnement que soulève cette déclaration alors qu'elle est porteuse de changements constitutionnels éventuels, serait un comportement contraire aux traditions historiques de cette Assemblée. Il est important de savoir ce que les experts invités et les partis politiques représentés à l'Assemblée nationale pensent de cette initiative, quelle est leur analyse au sujet du caractère unique de la société québécoise comme un élément fondamental pour le bien-être du Canada, quelles en sont les implications potentielles compte tenu des nombreuses références à l'égalité au sein du cadre de discussion.
Comment faut-il interpréter la référence à une possible dévolution de pouvoirs aux provinces avec la formule d'amendement de la Constitution qui prévoit que tout transfert de pouvoirs doit recevoir l'appui du Parlement fédéral et d'au moins sept provinces représentant 50 % de la population, la loi fédérale sur les vetos régionaux et la tenue de référendums dans certaines provinces comme préalable à tout changement constitutionnel? Quel est l'effet de la déclaration sur le pouvoir fédéral de dépenser? Comment peut-on concilier le projet d'entente-cadre sur l'union sociale avec la position historique du Québec en matière de respect de ses compétences eu égard à ce pouvoir fédéral de dépenser? Que faut-il conclure de cette initiative du point de vue des revendications historiques du Québec? Voilà autant de questions fondamentales que les membres du parti ministériel entendent soulever lors des travaux de cette commission. Les auditions que nous entreprenons aujourd'hui, M. le Président, permettront, je l'espère, de répondre à plusieurs de ces questions. Ces réponses permettront d'informer les parlementaires et la population québécoise des enjeux et des implications pour le Québec de la déclaration de Calgary. Je vous remercie.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, M. le ministre. M. le porte-parole de l'opposition officielle.
M. Jean-Marc Fournier
M. Fournier: Merci, M. le Président. Quelque remarques préliminaires pour rappeler que c'est avec un profond malaise que nous participons à cette commission. Normalement, des consultations parlementaires, vous le savez, M. le Président, visent à prendre le pouls de la population ou d'intervenants privilégiés pour orienter les décisions. Ce ne sera pas le cas ici. Le but du Parti québécois n'est pas d'apprendre à cette commission, le but du Parti québécois est de faire de la propagande de cette commission. Comme au temps des études Le Hir, les témoins doivent cautionner ce qui au mieux peut être qualifié de farce et au pire de honte. Ce n'est pas étonnant que près de la moitié des témoins se soient désistés. L'astuce est pourtant claire, le ministre l'a d'ailleurs annoncé, dès le départ, en point de presse, le but de cette commission, c'est de débusquer Jean Charest, de débusquer le Parti libéral du Québec. Si on voulait débusquer quoi que ce soit, il n'y avait qu'à lire notre programme, M. le ministre. Vous allez trouver les réponses à vos questions là-dedans.
Jacques Parizeau est venu ajouter sa voix: C'est une farce, dit-il, cette commission. Il ne faut pas prendre ça au sérieux. J'écoutais le ministre parler tantôt. Il avait l'air d'être très sérieux. Jacques Parizeau nous rappelle qu'il ne faut pas prendre le ministre au sérieux. Jacques Parizeau a dit: «On ne s'en va pas là pour étudier les voies d'avenir du fédéralisme. Je ne m'attends pas à ce que le Parti québécois fasse quelque chose de positif pour améliorer le sort des Québécois.»
Le premier ministre qui voit que M. Parizeau a trop parlé, qui a montré toutes ses cartes, le premier ministre prend ses distances. Il dit maintenant que Jacques Parizeau ne parle pas au nom du Parti québécois, il ne parle pas au nom du gouvernement. Mais le premier ministre tente de nous leurrer quand il dit ça parce que Jacques Parizeau a simplement répété la position du gouvernement péquiste, une position qui est d'ailleurs à la base de notre accusation de mascarade à l'égard de cette commission.
Je vous rappelle pour mémoire ce que le ministre actuel disait, le 16 octobre 1996 alors que nous parlions du projet de loi n° 15, il disait ceci, le projet de loi n° 15 sur le commerce interprovincial: «C'est une chose que de travailler à faire sauter les verrous, si vous me permettez l'expression, à abolir les obstacles et à rendre encore plus fluides et plus libres les échanges commerciaux entre le Québec et le reste du Canada; c'en est une autre que de souhaiter que le gouvernement s'engage dans des changements au système fédéral ou des changements au régime fédéral.»
Le 30 avril 1996, à l'étude des crédits, le ministre qui est devant moi, qui a pris la parole très sérieusement tantôt, disait: «Le premier ministre a rappelé, encore récemment - en parlant du premier ministre actuel - que pour le gouvernement qu'il dirige, la seule solution au problème de l'avenir politique du Québec, c'est la souveraineté, qu'en conséquence il y aura référendum sur la souveraineté à la suite d'une élection générale qui le maintiendrait au pouvoir et qu'une offre de partenariat serait faite au Canada au lendemain d'un oui à la souveraineté.
«J'ai pour ma part, en plusieurs circonstances, été amené à rappeler que nous n'avons pas le mandat de nous engager de quelque façon que ce soit dans un processus de renouvellement du fédéralisme. Notre gouvernement a été porté au pouvoir sur la base d'un programme qui était axé, on le sait, sur l'objectif de la réalisation de la souveraineté politique. Le 30 octobre, les Québécoises et les Québécois, à quelques milliers de voix près, ne nous ont pas autorisés à nous engager maintenant sur la voie de l'accession à la souveraineté et ils ne nous ont pas pour autant donné un quelconque mandat de renouvellement du fédéralisme.
(11 h 50)
«J'ai toujours été en désaccord profond avec le gouvernement qui refusait de respecter le choix référendaire des Québécois qui, s'ils disaient non à la séparation, devait forcément vouloir dire que nous restions dans le Canada. Et alors, pourquoi ne pas défendre les intérêts du Québec à l'intérieur du Canada.»
C'est d'ailleurs ce qu'un gouvernement péquiste, avant celui-ci, avait tiré comme leçon en 1985, quand on voyait le Parti québécois tirer ses grandes orientations électorales le 26 octobre 1985 et qui disait: «Il implique en premier lieu de respecter le choix de la population. Or, le mandat que le gouvernement a demandé en mai 1980 ne lui fut pas accordé. Le 19 janvier dernier, le Parti québécois, après un débat démocratique, a donc pris ses responsabilités et résolu de ne pas faire de la souveraineté l'enjeu des prochaines élections.»
Le gouvernement du Parti québécois actuel est obsédé par la séparation au risque de faire payer le prix à l'ensemble des Québécois.
Comment vouloir, M. le Président, nous faire avaler que ce gouvernement du Parti québécois veut étudier sérieusement la déclaration de Calgary? Non seulement le PQ a refusé de discuter d'améliorer le Canada à St. Andrews, il a boudé la réunion la réunion de Calgary où personne, personne, par la faute de ce gouvernement, ne représentait les Québécois et les Québécoises. Ce régime péquiste a bâillonné les Québécois à Calgary et, maintenant, il veut se plaindre que le Québec n'a pas été entendu. Ce régime péquiste pratique l'autoflagellation pour ensuite se plaindre des marques laissées par ses propres coups. Malheureusement, pour les Québécois, ce régime péquiste confond Québec et Parti québécois. Si pratiquer l'autoflagellation et inventer des chicanes sert la cause du PQ, cela nuit au Québec. Cette politique fait reculer le Québec.
J'accuse le Parti québécois d'avoir abandonné le Québec, d'avoir refusé de représenter les Québécois, d'avoir refusé de faire rayonner la vision québécoise. Et l'évolution du débat sur l'union sociale illustre combien le Parti québécois a abandonné le Québec. Je vous rappelle la déclaration ministérielle du ministre qui annonçait ces travaux, où le ministre nous disait ceci: «Or, les discussions sur l'entente-cadre sur l'union sociale entrent dans une phase cruciale. Il y a quelques semaines, avaient lieu à Toronto, les premières discussions formelles des ministres responsables de ce dossier sur le pouvoir fédéral de dépenser. J'y ai fait entendre la voix du Québec.»
M. le Président, c'était il y a un mois, trois semaines, un mois à peu près, qu'on avait cette déclaration ministérielle qui nous annonçait qu'on tiendrait une commission, celle qui se tient actuellement. Il nous disait, il y a quelques semaines, les premières discussions formelles commençaient. «J'y ai fait entendre la voix du Québec.» Il voulait nous faire croire qu'il représentait le Québec.
La vérité, M. le Président, c'est que ces discussions sur l'union sociale et sur le pouvoir fédéral de dépenser ont commencé, on s'en souviendra, à Terre-Neuve, en 1995. Elles ont commencé sur l'heure du dîner, heure à laquelle Jacques Parizeau a quitté la réunion des premiers ministres des provinces parce qu'il ne voulait pas représenter le Québec dans ces discussions. Elles se sont continuées en 1995. Je n'ai rapporté ici que les années 1996 et 1997, mais au ministre qui disait qu'il avait fait entendre la voix du Québec, au mois d'avril dernier lorsque ça avait commencé, force est de lui rappeler qu'il tente de nous induire en erreur.
Le 2 octobre 1996, il y avait une réunion à Calgary. Le Québec de ce régime péquiste était absent. Les 26 et 27 novembre 1996 à Toronto, où était le gouvernement péquiste? Absent. Le 29 janvier à Toronto, toujours sur le même sujet, en 1997, le gouvernement du Parti québécois est absent des réunions. Le 10 juin à Calgary, pour représenter la vision québécoise, qui délègue le gouvernement du Parti québécois? Personne. Le 6 octobre 1997, à Saint-Jean, Terre-Neuve? Personne. Le 9 janvier 1998 à Toronto? Personne. Le 19 janvier à Toronto? Personne. Le 18 février à Toronto? Personne. Le 27 février, le 13 mars de cette année? Encore une fois, personne. C'est la chaise vide. On a bâillonné le Québec. On a refusé de représenter les Québécois.
Pourtant de ces discussions, certains documents ont découlé, M. le Président, dont le rapport que l'on retrouve, daté du 29 avril 1997, du Conseil provincial territorial sur la réforme des politiques sociales pour un renouvellement de l'union sociale canadienne. Je vous lis un extrait de la page 8 de ce document: «Au Canada, le pouvoir fédéral de dépenser a contribué tantôt à unifier le pays, tantôt à susciter des tensions au sein de la fédération. Ainsi, des problèmes surgissent lorsque le gouvernement fédéral conclut des ententes de financement avec les provinces et les territoires pour ensuite retirer ou réduire son financement, obligeant les provinces à maintenir les programmes ou à restructurer les services. En outre, l'utilisation du pouvoir fédéral de dépenser dans des secteurs de compétence provinciale ne correspond pas toujours aux priorités provinciales et territoriales. Le gouvernement suscite également des tensions lorsqu'il définit et interprète unilatéralement des principes nationaux.»
Les premiers ministres des provinces, sauf le Québec qui est absent, qui refuse de faire rayonner notre vision, disent que la nouvelle formule devra comprendre des règles régissant l'indemnisation des provinces ou des territoires qui se prévalent de l'option de retrait à l'égard du pouvoir fédéral de dépenser. Parmi les propositions que les provinces font, sauf le Québec qui est absent de la table, on dit que ces règles pourraient comprendre le droit de retrait avec indemnisation inconditionnelle, le droit de retrait avec indemnisation conditionnelle s'il y a des consentements concernant certains programmes. Autrement dit, il y a des propositions qui sont sur la table. Où est le Québec? Absent.
Aurait-il pu travailler? Aurait-il pu susciter des alliances avec d'autres provinces pour aller chercher ce que les Québécois veulent? Oui, si le ministre responsable des Affaires intergouvernementales avait décidé de ne pas s'isoler et avait décidé de créer des alliances avec les partenaires des autres provinces. Je lui ai demandé à l'étude des crédits en 1997, étudiés en 1996-1997, s'il avait rencontré ses homologues des autres provinces, combien de fois, quels homologues, quel avait été le sujet de discussion.
Le ministre m'a répondu qu'il avait rencontré un ministre d'une province, le Nouveau-Brunswick, Bernard Richard, une fois, le 10 octobre à Moncton. Le ministre responsable des relations intergouvernementales ne fait pas de relations intergouvernementales, ne défend pas les intérêts du Québec, ne plaide pas la cause des Québécois.
L'année d'après, je lui repose la question pour l'année 1997-1998. Grande amélioration, il a maintenant rencontré deux ministres, une seule journée. Les deux le même jour, ils étaient au même endroit. Dianne Cunningham de l'Ontario, Bernard Thériault du Nouveau-Brunswick, au même endroit. Il n'y a pas de stratégie d'alliance. Il n'y a aucune stratégie pour faire en sorte que ce que l'on retrouve dans les documents des provinces, qui est utile aux Québécois, ne puisse progresser. Rien! Le vide absolu. Non seulement la chaise vide, la renonciation au dialogue avec les autres pour construire pour le Québec.
Pourquoi, M. le Président? Pour éviter de servir le Québec, parce que servir le Québec dessert le Parti québécois. J'accuse le régime du Parti québécois d'avoir trahi le Québec, d'avoir bâillonner le Québec pour éviter que ça marche, pour éviter le progrès du Québec. Au soutien de cette accusation, je dépose en preuve toutes ces absences lors des rencontres sur le pouvoir fédéral de dépenser et ce refus du dialogue, ce refus d'avancer une action stratégique avec les autres provinces, ce choix de l'isolement qu'a fait ce gouvernement du Parti québécois.
C'est ce régime péquiste, coupable de trahir les Québécois, qui convoque cette commission sur Calgary qu'il a boudé, sur l'union sociale et le pouvoir de dépenser qu'il a boudé, et sur les revendications historiques du Québec dont aucune ne le satisfait parce que, pour ce régime, il n'y a que la séparation. Alors, oui, M. le Président, Jacques Parizeau a raison, c'est une farce.
(12 heures)
J'accuse ce régime péquiste de propagande. J'accuse ce régime péquiste de détournement d'institutions. J'accuse ce régime péquiste de camouflage. Camouflage, M. le Président, parce qu'on a choisi délibérément, qu'on choisit délibérément de refuser à la population et aux gouvernants de savoir ce qui se passe dans ce qui est la priorité des Québécois. Et je voudrais bien en voir un ici, au sein de cette commission, qui va nier que la préoccupation primordiale au Québec actuellement, c'est la santé. C'est le «derby» de démolition auquel on a assisté dans la santé. Nous avons présenté à de nombreuses reprises une motion pour tenir une commission parlementaire sur la santé, qui aurait l'utilité d'informer ce gouvernement qui pense que le système de santé va bien, aurait permis de les informer sur ce que pense la population. Et c'est pourquoi nous avons aujourd'hui démontré où nous logions, nous du Parti libéral du Québec, démontré clairement à l'ensemble des Québécois que, pendant que ce gouvernement veut recommencer, continuer devrais-je dire, la création de chicanes, pendant ce temps-là, qui s'occupe des vraies priorités?
Et, comme disait le chef du Parti libéral du Québec, M. le Président, au moment même où le régime du Parti québécois dépense notre argent pour une commission sur la déclaration de Calgary qu'il qualifie lui-même de pas sérieuse et de farce, notre système de soins de santé est en pleine crise, nos enfants manquent de livres dans les écoles, notre économie stagne, le niveau de pauvreté augmente. Voilà suffisamment de raisons pour ne pas se prêter à cette manoeuvre purement partisane.
À quoi servira réellement cette commission, si ce n'est de démontrer à quel point ce régime est débranché des intérêts et des priorités des Québécois? M. le Président, cette commission ne sert à rien d'autre qu'à camoufler ce qui est en même temps un aveu d'échec, camoufler la piètre performance de ce régime en matière de santé et d'éducation, alors que le premier ministre du Québec actuel disait, il y a un an, qu'il fallait mettre de la chair autour du squelette du partenariat et que ça se ferait à l'interne, M. le Président. C'était dans Le Soleil du 20 juin, à une époque où on respectait peut-être un peu plus les institutions parlementaires. Le débat, le premier ministre voulait le faire à l'interne. Qu'il ne l'ait pas fait ou qu'il le fasse à l'avenir au sein de son conseil national, c'est son affaire au Parti québécois. C'est son conseil national. Mais, à cette époque-là, le gouvernement du Parti québécois avait quelque respect pour les institutions parlementaires.
Aujourd'hui, avec cette commission, c'est terminé. Il n'y a plus de respect. C'est un détournement d'institutions d'utiliser des commissions comme celle-ci pour faire sa propagande, avec des membres de la commission auxquels on a cru bon d'ajouter bon nombre de ministres pour être sûrs que le message qu'on veut aux nouvelles, le soir, puisse bien passer, parce qu'on veut faire sa propagande. Pas parce qu'on veut s'informer, M. le Président, oh que non. Les témoins se désistent. Le but de la commission est connu. Même l'horaire nous laisse perplexes.
Comment se fait-il que, lorsque, comme hier soir, c'est le temps de la Loi sur le tabac ou, la semaine dernière, lorsqu'on faisait venir des groupes à propos de l'aide sociale, des gens les plus démunis de notre société, comment se fait-il que, là, ah oui, on siège jusqu'à minuit? Mais quand c'est le temps de faire le «clip» pour la T.V., quand c'est le temps de faire sa petite propagande partisane, on va utiliser les institutions et vous utiliser, M. le Président, pour scénariser tout un théâtre partisan. Je dois le dire, oui, je suis outré. Et, lorsqu'on prend même la peine de dire à l'opposition: Est-ce que vous consentez à ce qu'on donne 20 minutes de plus? et que l'opposition dit: Est-ce que le Parti québécois va renoncer à ce traitement privilégié qui lui est donné, une journée entière pour faire son spectacle? À ça, on nous répond qu'on n'est pas prêts à donner sa réponse.
Je trouve qu'il y a un manque de «fair play» qui est clair, qui est flagrant, et qu'encore une fois le seul mobile qui se cache derrière cette politique, c'est celui d'une propagande honteuse, d'une petite politique. Et c'est d'être bien petits politiciens que d'agir ainsi. En tout cas, ce n'est certainement pas de travailler pour l'ensemble des Québécois. Et ce que je dénonce à l'égard de cette commission, M. le Président, ce que je dénonce, c'est qu'elle est l'illustration qu'à chaque occasion où il est possible de faire un quelconque progrès que ce soit pour le Québec, cela n'est jamais suffisant pour le PQ, et qu'au contraire le PQ doit prouver qu'il n'y a pas de progrès. Donc, le PQ, pour faire son point, doit engendrer l'échec. Cette commission, comme l'inaction de ce ministre eu égard aux relations intergouvernementales, comme toutes les décisions qui ont été prises, ne servent en rien les intérêts des Québécois, mais ne sont dévouées qu'à une seule cause: l'option de la séparation du Parti québécois.
J'espère, M. le Président, et je termine là-dessus, j'espère qu'au plus tôt possible les Québécois sauront libérer le Québec de ce gouvernement qui dessert l'intérêt de tous les Québécois, comme déjà, hier, une étape a été franchie dans ce sens, que des élections générales au plus tôt nous permettent de redonner un gouvernement qui va travailler pour l'ensemble des Québécois et non pas simplement pour le membership du Parti québécois.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup.
M. Mario Dumont
M. Dumont: M. le Président, il y a sept ans dans la même enceinte, un peu plus de sept ans, on avait la Commission Bélanger-Campeau qui siégeait et qui devait arriver à trouver des solutions pour essayer d'unir les Québécois parce qu'on se disait: On vient d'avoir l'échec de Meech puis on aimerait bien ça, d'échec en échec, régler quelque chose.
Notre rôle comme parlementaire, c'est supposé d'essayer de faire avancer les choses. Et on est encore une fois réunis, sept ans plus tard, et les deux partis qui ont gouverné depuis cette commission-là se présentent devant la population avec un échec. Ils n'ont rien réglé. Ça faisait 30 ans, ça fait sept ans de plus qui s'ajoutent, ces gens-là n'ont rien réglé. Plus de chicanes, plus de commissions, beaucoup de papier, beaucoup de drapeaux, beaucoup de chicanes, mais rien réglé. On est encore aujourd'hui au même point qu'on était. Et, comme on juge un arbre à ses fruits, on devrait juger des gens en matière constitutionnelle sur les progrès. On juge la force du cheval au progrès qu'il a fait faire à la charrette. Mais là la charrette, elle est au même point qu'elle était. Donc, le cheval, il ne tire pas. Alors, résultat, c'est zéro. Le progrès qu'ils ont fait faire au Québec, ces gens-là, du Parti libéral comme du Parti québécois, c'est zéro en 30 ans.
Et toutes ces chicanes-là n'ont pas fait de gagnant. En fait, il y a quelques gagnants, avec tout le respect que j'ai pour les experts en matière constitutionnelle qui vont défiler devant nous, qui sont sûrement parmi cette infime minorité de la population qui sort gagnant de l'étirement du débat constitutionnel parce que c'est leur industrie. Mais dans la population, il y a juste des perdants. Il y a juste des gens qui voient des gouvernement se succéder, puis avoir moins de temps à mettre à moderniser l'économie, puis à avoir moins de temps à mettre à moderniser le système d'éducation, parce qu'ils sont concentrés sur la chicane constitutionnelle. Alors, dans la population, c'est des perdants qu'on fait.
Alors, on est devant l'entente de Calgary. On va avoir l'occasion de la commenter. Ce n'est pas très long à commenter. C'est un gros communiqué de presse, dans le fond. Ce n'est pas une entente constitutionnelle très, très compliquée. Mais, quand on l'analyse, son sens, le plus gros bon sens par rapport à ce qui est l'histoire récente du Québec, on sait que ça ne règle rien. Je ne connais pas personne au Québec qui va penser qu'adopter Calgary, c'est mettre de côté le débat constitutionnel, puis qu'il y a une large majorité de Québécois qui vont être satisfaits de ça, et que le débat va être clos le lendemain.
Et ce qu'on a vu à travers l'épisode de Calgary, c'est que les extrêmes ne mènent nulle part. On se trouve avec un gouvernement qui ne s'est pas présenté aux tables de négociations parce qu'il propose un autre référendum dans des conditions historiques qui vont être à peu près les mêmes, mais qui nous dit: On a fait un référendum, on a consulté la population et dans quatre ans on va la reconsulter, ou dans deux ou trois ans on va la reconsulter sur la même affaire, puis on va obtenir le même résultat pour faire un autre tour en rond.
De l'autre côté, on a un Parti libéral qui a été finalement le requérant de l'entente de Calgary, et c'est lui qui a fixé la barre. C'est le Parti libéral qui a fixé la barre, qui a finalement défendu - je ne sais pas... - présenté les positions du Québec pour Calgary ou ses positions en demandant aux autres provinces d'offrir quelque chose, et là, bien là, il boycotte à moitié. Il se présente, il en se présente pas. Il se présente juste assez pour questionner mais pas assez pour eux autres d'être obligés de dire ce qu'ils pensent. C'est peut-être parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils pensent.
(12 h 10)
Puis, ce que je remarque du Parti libéral, c'est que, chaque fois que vient le temps de parler de l'intérêt du Québec, de la défense des intérêts du Québec, des positions en matière d'avenir du Québec, ça n'adonne jamais. Les commissions sur l'avenir du Québec, c'est le forum, c'est la manière que c'est organisé. Moi, quand j'ai des idées à exprimer, je sais ce que je veux pour l'avenir du Québec, je peux l'exprimer n'importe où: dans un casse-croûte, dans un dépanneur, au parlement, dans une commission qui... Il me semble que quand on a quelque chose à dire, on a quelque chose à offrir, on est capable de le dire n'importe où. Avec la commission, un format ou un autre, il me semble que, quand ce n'est jamais la bon format, c'est peut-être parce qu'on n'a rien à dire, c'est peut-être parce qu'on est gêné de notre capacité de défendre l'intérêt du Québec, c'est peut-être parce qu'on gêné de notre bilan. Parce qu'on avait un programme comme le rapport Allaire il y a quelques années. Là, on l'a mis de côté, puis, depuis ce temps-là, on traîne dans la vase, puis on ne sait pas trop où on s'en va. Ça ressemble beaucoup plus à ça, M. le Président. Mais les extrêmes, d'un côté comme de l'autre, le fédéralisme à genoux, comme la répétition des référendums, ça ne règle rien. C'est prôné par des gens qui, depuis plusieurs années, depuis des décennies, n'ont rien réglé.
Ma génération, vous leur parlez du débat constitutionnel, ce qu'ils voient, c'est des échecs, c'est du monde qui se chicane, c'est du monde qui s'obstine puis c'est du monde qui n'ont rien réglé. C'est du monde qui ont à livrer comme résultat un plateau vide. Ça a servi des gens, ça a permis des fois de mettre d'autres débats en dessous du tapis pendant un bout de temps, mais ça n'a rien réglé.
Alors, s'il y a une voix à faire entendre ici, c'est peut-être la voix de deux Québécois sur trois qui voudraient que ça se règle, qui voudraient qu'on trouve une solution. Puis là on peut nous dire: Mais, on ne peut pas trouver de solution, les Québécois sont divisés. On l'a vu au référendum, les Québécois sont divisés. Comment ça? Ce n'est pas vrai. Les Québécois ne sont pas divisés. On divise les Québécois. Des partis, pour des intérêts partisans, décident de diviser les Québécois en se cantonnant dans des positions où ils savent très bien que ça n'ira pas chercher une majorité claire.
Qu'on consulte demain matin les Québécois sur le rapport Allaire, qu'on leur offre une option centriste, demain matin, je suis convaincu qu'il y aura une majorité de Québécois qui seraient prêts à aller de l'avant avec une position comme celle-là, qu'on pourrait enfin unir les Québécois, peut-être régler quelque chose, trouver une solution. Puis, si cette commission-là dans laquelle on est réuni sert juste à faire une avancée de plus dans les mêmes ornières, si on ne sort pas des vieilles ornières, si le PQ en sort toujours convaincu qu'on tient un autre référendum, puis les libéraux en sortent pas de position constitutionnelle puis essaient de tenir le temps un petit peu plus pour arriver aux élections pour que les gens en sachent le moins possible sur ce que Charest pense vraiment, on n'aura pas avancé, on va avoir fait un autre tour de roue qui va nous amener au même point. C'est qu'il n'y aura rien de réglé, Québec ne sera pas en mesure d'avancer, de se retrouver dans une position plus confortable, puis on n'aura pas fait de progrès.
Pourtant, il me semble qu'il y a des signaux, il y a au moins des signaux qu'on pourrait accrocher. Là, on s'aperçoit qu'il y a quand même des éléments de surprise qui devraient nous inspirer. C'est rendu que le Reform est prêt à en mettre plus sur la table que Jean Charest, un chef politique du Québec en demande. Il y a des signaux, il y a quand même des choses qui se passent qui sont intéressantes mais qui devraient questionner les Québécois aussi sur la capacité des gens qui veulent les représenter, les défendre véritablement.
Mais, pour moi, l'enjeu de cette commission-là, oui, c'est sûr, c'est de jeter un coup d'oeil sur l'entente de Calgary. Il ne faut pas deux semaines là-dessus. C'est un communiqué de presse sur des principes dont on entend parler depuis des années puis qu'on sait très bien, on sait très, très bien que, si les Québécois ont voté non à Charlottetown, ils voteraient non encore plus massivement à Calgary. On ne sait même pas encore aujourd'hui, s'il y avait un référendum demain matin sur Calgary, dans quel camp le Parti libéral du Québec se logerait.
Mais, au-delà de l'entente de Calgary, je pense qu'il faut regarder... Est-ce qu'il n'y a pas moyen, sans se relancer dans les chicanes, sans repartir la machine référendaire que personne ne veut voir repartir sauf les extrémistes de part et d'autre, est-ce qu'il n'y a pas moyen de trouver une solution pour unir les Québécois, pour les rassembler? On l'a dit mille et une fois, le Québec n'est jamais aussi fort que lorsqu'il est uni, jamais aussi faible que lorsqu'il est divisé. Et peut-être en arriver éventuellement à régler quelque chose. Et ce qu'on sait, c'est que la première étape pour régler quelque chose, c'est d'arrêter de diviser les Québécois dans des options qui ont déjà été testées, qui ont déjà été discutées mille et une fois et qui ne livrent pas la marchandise. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mme la députée de Terrebonne.
Mme Jocelyne Caron
Mme Caron: Merci, M. le Président. Alors, M. le Président, les Québécois et les Québécoises auront à juger selon les actes et non seulement selon les paroles. Qui désire faire le plus de propagande? Un parti politique qui se paie une page de publicité la journée où nous présentons notre commission? Un député de Châteauguay offusqué d'avoir à nous donner un consentement pour prendre 20 minutes de plus, puisque nous avons commencé 20 minutes en retard, alors que lui-même était en train de monopoliser les médias à ce moment-là, donc pour faire sa propre propagande, M. le Président?
Depuis son origine, l'Assemblée nationale constitue l'endroit, le lieu par excellence où l'on doit étudier et saisir toute question qui revêt une importance majeure pour l'avenir du peuple québécois. Même le gouvernement Bourassa, le gouvernement libéral, l'avait compris, M. le Président. Après Meech jusqu'à la proposition de Charlottetown, le gouvernement Bourassa a été absent de toute table fédérale-provinciale et a mis sur pied deux commissions parlementaires, une pour étudier les questions afférentes à la souveraineté et une pour étudier toute offre qui serait faite par le gouvernement fédéral.
Nous avons aujourd'hui, M. le Président, un document devant nous, qui se présente à nous sous la forme d'une déclaration, la déclaration de Calgary. Celle-ci constitue en sorte une réponse, la réponse que formule le reste du Canada au désir profond de changement que les Québécoises et les Québécois ont exprimé clairement lors du référendum de 1995. Il est de notre devoir de mener à bien ces travaux afin d'éclairer la population sur cette déclaration, tant par rapport à son contenu que par rapport à sa portée sur le plan juridique et constitutionnel. Plusieurs questions sont soulevées par le texte même de la déclaration. Nous devons trouver réponse. Pour y arriver, les connaissances et le savoir des personnes dont nous avons sollicité la présence ici seront d'un apport précieux et de premier plan dans le cadre de nos travaux. Et je tiens, M. le Président, à remercier celles et ceux qui ont accepté notre invitation, remercier aussi celles et ceux qui souhaitaient participer à nos travaux mais qui n'ont pu se présenter en raison d'engagements déjà préparés et auxquels ils avaient déjà donné réponse. Remercier aussi M. Ryan qui a refusé de venir à nos travaux mais qui nous a quand même fait parvenir un texte qui exprime clairement sa position sur la déclaration de Calgary, chose que le Parti libéral n'a pas fait jusqu'à ce jour.
En nous faisant partager leur expertise, ils participent à un processus démocratique qui consiste à informer la population. Les principes incontournables de Calgary, mon collègue, le ministre responsable, nous les a présentés tantôt, je n'y reviendrai point, mais nous devons évidemment évaluer les conséquences réelles, dans la vie quotidienne des Québécois et des Québécoises, de ces principes. Nous devons aussi examiner les consensus et les divergences qui sont apparus au Canada anglais au sujet de la portée et de l'interprétation qu'on doit accorder à la déclaration de Calgary. Pour l'Ontario, l'Alberta et la Colombie-Britannique, des appréhensions et des oppositions sont soulevées quant à la notion de caractère unique. La déclaration de Calgary n'est pas un arrangement spécial pour le Québec, selon la Saskatchewan. La Colombie-Britannique, l'Alberta, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick ne souhaitent pas que la notion de caractère unique confère un statut spécial ou se traduise par l'obtention de pouvoirs spéciaux pour le Québec.
Le principe de l'égalité des personnes devra prévaloir sur le principe du caractère unique du Québec en cas de conflit, pour la Nouvelle-Écosse. Le Nouveau-Brunswick craint que le retrait éventuel du gouvernement fédéral dans certains domaines, tels la santé, l'éducation et les services sociaux, puisse entraîner des pertes énormes pour les programmes sociaux. Pour toutes les provinces, M. le Président, qui se sont prononcées, l'égalité des provinces est un principe sacré et acquis qui ne doit pas être sacrifié pour accommoder le Québec. Selon le Manitoba et la Nouvelle-Écosse, le gouvernement fédéral doit demeurer central et fort pour favoriser l'unité nationale et le maintien de l'offre des services publics. Enfin, M. le Président, pour la Nouvelle-Écosse, on craint que le gouvernement du Québec tente d'utiliser le caractère unique de la société québécoise pour justifier une discrimination à l'endroit des non-francophones du Québec et insiste sur l'indivisibilité du Canada.
Comme nous pouvons le constater, il est loin d'être acquis que toutes les provinces s'entendent entre elles sur le sens à donner aux principes énoncés et partagent la même vision quant aux objectifs poursuivis par la déclaration de Calgary. Il apparaît cependant évident que pour la grande majorité des provinces, la notion de caractère unique ne doit pas se traduire par de nouveaux pouvoirs pour le Québec. L'égalité des provinces et des individus doit primer sur l'ensemble des autres principes, donc, sur celui de la société unique. M. le Président, après plus de 30 ans de revendications historiques du Québec et de débats constitutionnels, après l'échec de Meech et de Charlottetown, la tenue de deux référendums, comment doit-on interpréter ces consensus et ces divergences?
(12 h 20)
Si elle devait se traduire par une offre de règlement constitutionnel en bonne et due forme de la part du reste du Canada à l'endroit du Québec, la déclaration de Calgary serait-elle acceptable, répondrait-elle, dans sa forme actuelle, aux demandes traditionnelles du Québec? Qu'en pense le Parti libéral?
Compte tenu des différentes interprétations données au sens de la déclaration par les provinces et les citoyens du reste du Canada, peut-on espérer une bonification éventuelle de cette déclaration afin de la rendre compatible aux demandes historiques du Québec, incluant l'obtention de nouveaux pouvoirs et la limitation du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral?
Concernant l'union sociale, quelle est la réponse du gouvernement fédéral aux demandes actuelles des autres provinces? Voici quelques pistes de réflexion et quelques questions auxquelles, je pense, les Québécoises et les Québécois doivent trouver réponse. Pour ce faire, nous disposons de points de repère très précis pour nourrir nos réflexions: Victoria, référendum de 1980, rapatriement de 1982, Meech, Bélanger-Campeau, loi 150, Charlottetown et le référendum de 1995 où la volonté de changement des Québécoises et des Québécois a été clairement exprimée. Ces points de repère sont là et constituent de véritables jalons historiques. Des faits véridiques constituant en quelque sorte un instrument de mesure et d'analyse valable et objectif qui ne trompe pas. C'est à partir de ces points de repère que doit être évaluée la déclaration de Calgary. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci. M. le député de Fabre, il reste cinq minutes au groupe parlementaire.
M. Joseph Facal
M. Facal: Merci, M. le Président. Je vais m'en tenir simplement à deux seuls points. Le premier concerne cette idée selon laquelle les Québécois seraient tellement préoccupés par la santé, l'éducation et l'emploi, pas par la Constitution, et que, conséquemment, ce serait complètement oiseux, futile, irresponsable et déconnecté de consacrer quelques heures à étudier Calgary. Et le deuxième point que je voudrais commenter, c'est cette attitude du nouveau chef du Parti libéral qui consiste à dire: Puisque M. Parizeau a dit que ce n'était pas opportun et que le gouvernement, lui, a décidé que Calgary, c'était insignifiant, je ne participerai donc pas à cet exercice et je ferai connaître mes vues plus tard, dans un contexte mieux choisi.
Je veux simplement commenter ça pendant quelques minutes. Prenons le premier point. C'est vrai que la santé ou l'emploi ont davantage de résonnance quotidienne chez nos concitoyens que les discussions sémantiques sur le sens des mots «distinct» ou «unique». Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que les questions constitutionnelles ont ceci de crucial que ce qui semble être une discussion sur le sens des mots est en fait un débat pour savoir qui contrôle quoi. Qui va prendre les décisions qui, elles, touchent les gens dans leur quotidien? En fait, les questions constitutionnelles sont une bataille pour le contrôle du coffre à outils avec lequel on peut attaquer ensuite nos problèmes d'emploi, de santé et d'éducation.
Alors, on peut donc dire de la Constitution ce qu'on dit souvent de la politique en général: Si on ne s'occupe pas d'elle, elle va finir par s'occuper de nous. Ceux qui disent qu'il faut séparer l'économie et la Constitution sont des faux naïfs, des faux réalistes qui font semblant de croire ce qu'ils disent. Et je me rappelle que quelques jours après l'échec de l'accord de Charlottetown, Daniel Johnson, que vous avez bien vite enterré, avait devant un parterre de gens d'affaires, en 1992, au Cercle canadien, dit, je cite: «On entend maintenant dire qu'il faut enfin commencer à s'occuper d'économie et cesser de parler de Constitution. C'est là un diagnostic erroné doublé d'un souhait qui ne sera pas exaucé. C'est s'illusionner de croire que la Constitution n'a plus son importance et son intérêt. La pause souhaitée ne peut être que temporaire tant que le Québec n'aura pas adhéré formellement à la Constitution canadienne.» Ça, c'était votre chef jusqu'à il y a quelques semaines.
Est-ce que vous avez depuis changé d'avis? Si oui, prévenez-nous parce que, nous, on n'a pas été prévenus. Et quand on a vu vos pleines pages de publicité ce matin, l'impression qu'on a eue c'est que vous trouviez encore la Constitution assez importante pour y mettre de l'argent.
Quant à la santé, si vous trouvez qu'on n'en parle pas assez, vous devez avoir une dépendance ou une addiction ou alors peut-être que l'opposition a dû manquer quelques périodes de questions. Parce que, moi, le sentiment que j'ai, c'est qu'on ne parle que de ça depuis quelques semaines, de même que dans tous les journaux et à toutes les chaînes de télévision.
Passons maintenant au deuxième point. M. Charest nous dit qu'il ne viendra parce qu'il estime qu'il perdrait son temps. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, quand il était dans les rideaux de la Chambre des communes, il trouvait la question tellement importante qu'il n'arrêtait pas de presser M. Chrétien de mettre sur pied un comité mixte, Sénat-Chambre des communes, pour en parler. Pourtant, M. Charest trouvait ça tellement important jusqu'à tout récemment que, dans sa lettre à M. McKenna datée du 8 septembre 1997, M. Charest écrit, je cite: «Je suis l'un de ceux qui estiment que les premiers ministres provinciaux doivent faire preuve de leadership pour que puisse progresser le débat sur l'unité.» Alors, à sa première occasion de faire preuve de leadership, il choisit de ne pas venir. Plus loin dans sa lettre, il donne même aux autres premiers ministres des suggestions sur ce que devrait contenir la déclaration de Calgary. Et là, tout d'un coup, quand vient le moment de se faire entendre, il n'est plus là.
Ensuite, évidemment, il nous dit un peu plus loin, en réponse lui-même à son propre député qui dit que la Constitution, ce n'est pas important, je cite: «La Constitution est la loi suprême de l'État, la loi des lois transcendant toute autre loi. Les Canadiens devraient y voir les valeurs communes que nous partageons et les buts communs qui nous font partager le même destin, mais, avant tout - écoutez ça - notre Constitution est un miroir dans lequel nous devons être capables de capter notre reflet.» Et là, tout d'un coup, ce n'est plus important, la Constitution. Alors, j'avoue ne pas comprendre.
M. Fournier: Miroir déformant.
M. Facal: Nous, on a toujours dit la même chose, que Calgary est à des années-lumière des positions traditionnelles du Québec, et nous demeurons souverainistes, comme dirait quelqu'un que vous aimez bien, avant, pendant et après les élections. Mais huit législatures l'auraient toutes approuvée, et, nous, on n'aurait plus rien à dire là-dessus. En d'autres termes, si je comprends bien, tous les parlementaires de toutes les législatures du Canada, tous l'étudieraient et se prononceraient, sauf ceux du Parti libéral du Québec. Ça, c'est une abdication de nos responsabilités parlementaires.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Votre temps est...
M. Facal: Oui, une dernière phrase. M. Charest nous dit qu'il s'exprimera dans un meilleur contexte, oui, un congrès du Parti libéral, où on ne posera pas de questions embarrassantes, ou une campagne électorale. Des parlementaires, c'est au Parlement que ça travaille. Ne pas venir, c'est rabaisser, c'est rapetisser l'Assemblée nationale. Et on aurait pu s'attendre à un comportement plus honorable de la part de quelqu'un qui aspire aux plus hautes fonctions.
Auditions
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Nous recevons maintenant Me Jacques Frémont. Bienvenue, Me Frémont. Vous disposez d'une période de 20 minutes pour la présentation de vos réflexions, et, à la suite de quoi, nous pourrons échanger avec vous.
M. Jacques Frémont
M. Frémont (Jacques): Alors, merci de me donner la parole, M. le Président. Je remercie la commission de son invitation. Je viens d'entendre ce qui s'est dit autour de cette table. Je suis un des seuls profiteurs de l'industrie de cette commission, il faut croire. Je ne sais pas comment j'en profite. Ça me coûte une journée, en tout cas, de travail, que j'aurais bien mise ailleurs.
Alors, je vous avouerai que j'ai hésité avant d'accepter l'invitation qui m'a été faite. Pourquoi? Parce que l'utilité de cette commission a été mise en cause. Et moi aussi, je partage certains doutes, je ne vous le cacherai pas. Mais pourquoi? Surtout parce que la déclaration de Calgary, pour moi, est totalement inutile. C'est une perte de temps grossière que cette déclaration, en tout cas par rapport certainement aux demandes traditionnelles du Québec.
Pourquoi j'ai accepté néanmoins? Peut-être pour deux raisons. La première raison, c'est que je crois profondément dans le respect des institutions démocratiques. Je n'ai pas à juger des décisions qui ont mené à la convocation de cette commission. Cependant, le seul fait qu'elle existe, qu'on fasse appel à des témoins, en tout cas les professeurs d'université qui sont déjà payés par les payeurs de taxes, ça me paraît tout à fait normal qu'on aille chercher leur expertise. D'autre part, lorsque la Cour suprême s'est saisie du renvoi récemment sur la souveraineté, j'étais un des rares qui a dit que le Québec aurait peut-être dû se présenter pour défendre sa cause, et je le pense aussi, parce que c'est une question de respect des institutions.
(12 h 30)
Aussi, deuxième raison, au-delà du respect des institutions, je pense que peut-être est-ce que cette occasion - je ne suis pas sûr que c'est bien parti - pourrait être l'occasion d'un dialogue. Vous savez, le dialogue, ce n'est pas moi... il y a plusieurs philosophes qui le disent, et comment dire, la philosophie contemporaine actuellement, à partir surtout de Habermas, on dit que les démocraties, avant tout, ce qui les caractérise, c'est la communication, c'est le dialogue. Et je pense qu'il est important que cette communication ait lieu, aussi mauvaise soit-elle, aussi agressive soit-elle, aussi inutile soit-elle dans certains cas. L'essence de la démocratie, c'est précisément de maintenir les canaux de communication ouverts.
Je voudrais aussi vous dire, d'un point de vue plus personnel, que j'étais à Calgary cette journée de septembre. Il faisait froid. Je commentais cet événement-là pour la Société Radio-Canada. Et j'étais un peu... En me rendant là, je me suis dit: C'est inutile. En prenant l'avion - il fallait quand même se rendre là-bas, en revenir - je me suis dit: Je perds mon temps. Et c'était le sentiment que j'ai eu le lendemain évidemment quand je suis revenu en me disant: J'ai perdu mon temps. C'est le sentiment que j'ai aujourd'hui. Croyez-moi, les constitutionnalistes, et on se connaît pas mal tous, on en a parfois ras-le-bol. Si la population en a ras-le-bol des débats, les constitutionnalistes aussi l'ont. Et je dois dire que notre pain quotidien, ce n'est surtout pas le genre de débat que l'on va faire, que cette commission va faire. Ce qui nous intéresse, ce qui bouge, ce n'est pas ces débats qui sont creusés dans des ornières. Mon Dieu! C'est décourageant, des ornières qui semblent inextricables.
Alors, là-dessus, je tiens à dire - en tout cas, je parle en mon nom personnel et non pas au nom des constitutionnalistes, des autres que je ne représente pas - mais certainement que ça serait le fun, à un moment donné, que le débat parte autrement.
Ceci étant dit, on me permettra... J'ai soumis une déclaration écrite, un document qui, je pense, a été distribué aux membres de la commission. Et je ne compte pas reprendre ce document ce matin. Il était là pour alimenter, je pense, la discussion. Je vais plutôt limiter mes commentaires à trois points: tout d'abord, sur la valeur juridique de la déclaration, ensuite sur la clause, je l'appelle malgré moi de la société distincte, pardon! du caractère unique du Québec, et, enfin, quelques mots sur les présupposés fédéralisants de la déclaration de Calgary.
Tout d'abord, sur la valeur juridique d'une telle déclaration, je pense qu'il va y avoir un consensus. Il y a un consensus partout. Il n'y a aucun mépris de possible. Cette déclaration est uniquement une déclaration au plan constitutionnel. Au plan juridique, il n'y a personne qui va être surpris d'apprendre que ça n'a aucune valeur. Ça a exactement la même valeur que si les premiers ministres avaient déclaré que Jacques Villeneuve devrait gagner le Grand Prix le prochain week-end ou que les Québécois ont le droit d'avoir de l'électricité sans interruption 12 mois par année au Québec.
Alors, voilà, et c'est bête à dire, c'est carrément... Il n'y a aucun effet juridique. Je me suis demandé, en relisant la déclaration l'autre jour: Comment est-ce que, si j'étais un légiste, j'imagine au fédéral, puisque c'est le fédéral qui, semble-t-il, a rédigé en tout cas une bonne partie cette déclaration, du moins c'est ce qu'on avait cru comprendre à Calgary, comment est-ce qu'un légiste pourrait mettre ça sous forme juridique? Parce qu'on se souvient que Meech, par exemple, il y a plusieurs années, il y avait eu une déclaration comme ça, mais qui avait été mise en forme juridique par la suite. Et, si je me souviens bien, la commission parlementaire s'était penchée sur les termes de la déclaration et non pas la mise en forme juridique de Meech en 1987. Et j'avoue que j'ai beaucoup de difficulté. Si on prend les articles les uns après les autres, tout d'abord, le premier qui dit que tous les Canadiens et les Canadiennes sont égaux et leurs droits sont protégés par la loi, bien, ça, c'est déjà dans la Constitution. Alors, on ne peut pas vraiment le répéter. C'est déjà à l'article 15 de la Charte.
Après on dit: «malgré les caractéristiques propres à chacune, toutes les provinces sont égales». Ça effectivement, ça n'y est pas. On pourrait le dire, mais on peut certainement dire que ça serait de répéter ce qui est une compréhension du milieu juridique que, effectivement, au Canada, les provinces sont égales.
Après ça, trois et quatre, je ne les lis pas. Mais on parle de diversité, tolérance et compassion des Canadiens sont sans pareil dans le monde. On n'est pas pour mettre ça dans une constitution.
Les peuples autochtones, etc., sont des éléments dont est constituée la riche diversité du Canada. On va en convenir. Mais, encore une fois, c'est assez difficile de mettre ça dans une constitution.
Il y a l'article 5 qui, lui, on voit, a été rédigé de façon assez serrée - j'y reviendrai - et qui, lui, pourrait éventuellement se prêter à une constitutionnalisation.
L'article 6, lui aussi pourrait, certains diront que ça pourrait être constitutionnalisé. Maintenant, il y a un problème, là, je dirais - si ça vous intéresse, je répondrai à des questions - il y a un problème de théorie du droit là-dessus. Je pense que l'amendement constitutionnel ne pourrait tout simplement pas avoir lieu ou qu'il serait probablement invalide si on essayait de faire dire ça à la Constitution du Canada.
Enfin, le paragraphe 7, on parle de l'amour, de l'eau chaude et de la tarte aux pommes, on dit qu'on serait mieux si tout le monde se parlait et collaborait. Tout le monde en convient, mais c'est un peu, encore une fois, difficile de mettre ça dans une constitution.
Ça me fait penser, et l'image n'est pas mauvaise... Quelqu'un a dit, je ne me souviens pas qui, que ça ressemblait à une carte de Noël qu'on avait envoyée au Québec. Une carte de Noël, on ne les sollicite pas, les cartes de Noël, ça arrive dans le courrier, puis on dit: Ah! C'est le fun, un tel pense à moi ou une telle ne m'a pas oublié complètement. En général, ce ne sont pas les intimes qui envoient des cartes de Noël. Alors j'ai l'impression qu'on a reçu une carte de Noël, et ça a sans doute, avec respect, la valeur d'une carte de Noël.
Ce qui est sûr, c'est que, si on pose la question - puis ça va revenir, j'ai l'impression, de façon régulière au cours des prochaines heures: Quelle est la comparaison avec Meech? Bien, il n'y en a pas de comparaison possible avec Meech. Meech, je vous le rappelle, il y avait quand même cinq conditions qui avaient été mises de l'avant par le Québec, qui étaient des conditions de substance: société distincte, immigration, Cour suprême, compensation complète dans la formule d'amendement et limitation du pouvoir fédéral de dépenser, et c'étaient des conditions préalables. Je pense que ça a été rappelé tout à l'heure à une deuxième phase qui était une véritable phase de réintégration du Québec au sein du giron canadien.
Ici, on a une clause, finalement, à toutes fins pratiques, c'est la clause n° 5, du caractère unique de la société québécoise, puis cette clause-là, on peut peut-être en parler, c'est une clause qui est, ma foi, dans sa rédaction actuelle, une évolution très claire par rapport aux clauses semblables, qui était à la fois dans l'accord du lac Meech et dans l'accord de Charlottetown qui, vous vous souvenez, a repris une partie de la clause du lac Meech.
Qu'est-ce qu'elle nous dit, cette clause n° 5? Rapidement, bon, peut-être que je devrais la relire. Tout d'abord, on encadre la clause, on dit: «Dans ce régime fédéral - je présume qu'on fait référence au régime canadien - où le respect pour la diversité et l'égalité est un fondement de l'unité - là, on dit - le caractère unique de la société québécoise - et là on dit - constituée notamment de sa majorité francophone, de sa culture et de sa tradition de droit civil.»
Alors, «constituée notamment de sa majorité francophone, de sa culture et de sa tradition de droit civil», ça, c'est tiré de l'accord de Charlottetown, ce sont des mots qui étaient dans Charlottetown, on tient à identifier, certes, de façon ouverte, mais à identifier en quoi le Québec avait un caractère distinct, maintenant, aurait un caractère unique: sa langue, majoritairement francophone, sa culture et son système de droit civil.
On dit que ça, toujours dans le cadre du régime fédéral, c'est fondamental pour le bien-être du Canada. Là, j'avoue que je me suis un peu interrogé. Le bien-être du Canada, en anglais on parle «for the well being of Canada», c'est certainement une nouvelle notion en droit constitutionnel. Je pensais que ça référait davantage aux lois sociales ou aux droits sociaux, le bien-être des individus. On parle désormais du bien-être d'un pays, alors c'est certainement inédit, en tout cas, on ne sait pas trop ce que ça veut dire.
Et c'est là que vient la conséquence: «Par conséquent, l'Assemblée législative et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger le caractère unique». Ils ont le rôle de protéger, mais, pour la première fois, on n'a pas accompagné le mot «protéger» des mots «promouvoir». Dans Meech et dans Charlottetown, à chaque fois, le rôle de cette Assemblée du gouvernement était de protéger et de promouvoir, donc il y avait à la fois un aspect défensif, un aspect passif et un aspect offensif. Quand on a le rôle d'effectuer la promotion, il faut faire davantage que de protéger ses plates-bandes. Alors, clairement, là-dessus, il y a un recul absolument considérable par rapport à la terminologie qui était utilisée dans Meech et dans Charlottetown.
(12 h 40)
Et on dit, donc, que «l'Assemblée législative et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger le caractère unique de la société québécoise - et attention, on dit - au sein du Canada et d'en favoriser l'épanouissement». Ce «au sein du Canada» est quand même, je pense, important, c'est-à-dire qu'on pourrait interpréter ça en disant: Si le Québec veut s'appuyer sur son caractère unique pour faire la promotion de son caractère unique, il ne peut le faire qu'au sein du Canada, de ses institutions et du régime parlementaire canadien, ce qui le délégitimiserait, par exemple, dans ses actions sur la scène internationale, puisque son action internationale n'est pas au sein du Canada, mais est à l'extérieur du Canada. Et on pourrait l'interpréter aussi, éventuellement, comme signifiant que toute action, par le gouvernement ou ses assemblées, qui ne se situerait pas intellectuellement dans le sens du Canada pourrait aller à l'encontre de cette clause.
Alors, on se retrouve donc avec beaucoup de points d'interrogation. J'imagine que vous aurez l'occasion, dans les prochains jours, d'en discourir. Ce qui est clair, c'est qu'il faudrait aussi voir quelle sorte de forme la constitutionnalisation prendrait. S'agirait-il d'un préambule des lois constitutionnelles, s'agirait-il d'une clause interprétative comme c'était le cas dans Charlottetown, est-ce que ça s'appliquerait uniquement aux droits fondamentaux, est-ce que ça s'appliquerait aussi au partage des compétences législatives? Bref, il faudrait voir. Il y a moyen, autrement dit, de donner des dents plus ou moins longues à une clause de cette nature.
Enfin, si vous prenez connaissance du document que j'ai fourni à cette commission, vous verrez que j'ai de sérieuses réserves sur, comment dire, les modes d'évolution du fédéralisme canadien actuellement. Je suis conscient qu'une bonne partie de ce mémoire déborde du mandat immédiat de cette commission. Néanmoins, ça constitue, je pense, la toile de fond, c'est-à-dire que le régime fédéral canadien et son évolution constituent la toile de fond en vertu de laquelle on peut et on doit comprendre toute proposition d'amendement. Ce que j'ai tenté de démontrer dans ce mémoire, c'est que le fédéralisme canadien, en dépit de ce que l'on en dit, a évolué et a évolué de façon considérable depuis 15 à 20 ans. C'est une évolution non pas virtuelle, c'est une évolution non pas officielle, c'est une évolution par le biais, entre autres, des jugements que la Cour suprême du Canada a rendus, et la Cour suprême n'a pas décidé d'elle-même d'être saisie de ces affaires, je le rappelle, ce sont des individus qui ont soulevé des arguments constitutionnels devant elle.
Ce qui est clair, c'est que la Constitution canadienne, la lecture qu'on en fait actuellement, recèle un potentiel centralisateur tout à fait inédit, et c'est beaucoup plus grand comme potentiel que ce que l'on en comprend en général, ce que le milieu politique et journalistique en comprend. Je ne pense pas dramatiser en disant qu'il y a même un danger de municipalisation des compétences provinciales au Canada actuellement, et ce, surtout en matière économique, pour ce qui concerne l'union économique canadienne. Ce qui est remarquable, d'autre part, vous verrez dans ce texte, c'est que le fédéral a plus de pouvoirs que ceux qu'il n'utilise. Ce qui est clair, c'est que selon, je pense, une lecture conservatrice de cette nouvelle redistribution du partage des compétences législatives, le fédéral pourrait, massivement et unilatéralement, légiférer, par exemple, en matière d'institutions financières provinciales, si on pense aux compagnies d'assurances, si on pense aux valeurs mobilières, si on pense aux caisses populaires. Il pourrait aussi légiférer en matière de commerce interprovincial; on n'aurait pas besoin de l'Accord interprovincial, le fédéral pourrait y aller unilatéralement.
Voilà, me semble-t-il, comment dire, la réalité n'a pas rejoint la théorie du partage des compétences actuellement, ce qui nous mène à l'existence d'un sérieux paradoxe. Le Canada, sur la scène internationale, dit que la compétitivité, que la concurrence doit être la règle du jeu. Or, le fédéral, par son comportement actuellement, tente d'éliminer cette compétitivité entre les provinces. Au lieu que le fédéralisme canadien tire sa force de provinces fortes et en concurrence les unes avec les autres, le fédéral tente d'aplanir et de diriger l'économie canadienne et, en tout cas, certainement, de la réglementer. La déclaration de Calgary fait référence à deux principes à l'égard du fédéralisme.
Le principe de l'égalité des provinces. J'en parle très rapidement, mais tout simplement pour dire que ce principe-là, pour moi, ce n'est pas un principe qui est terriblement important ni même dangereux pour le Québec, c'est un principe que j'appellerais insignifiant pour le Québec, mais potentiellement dangereux aussi, c'est-à-dire qu'il y a moyen d'interpréter l'égalité.
Lorsqu'on parle d'égalité entre les personnes, l'égalité entre les personnes, ce n'est pas de traiter toutes les personnes également, c'est de tenir compte des caractéristiques de chaque personne. Parce que, par exemple, une personne handicapée, si on veut la traiter de façon égale, il faut construire des rampes pour cette personne-là. Donc, on ne peut pas traiter les gens quand le point de départ est différent, certainement les règles doivent être différentes, et ce sont les enseignements constants des tribunaux. Et je ne vois pas pourquoi est-ce que les tribunaux géreraient cette question d'égalité des provinces de façon différente. Alors, j'ai l'impression qu'une clause d'égalité avec une clause qui aurait de l'allure, de société distincte ou de caractère unique, ou appelez-la comme vous voulez, j'ai l'impression que ça, le Québec s'en tirerait relativement bien devant les tribunaux.
Maintenant, pour ce qui est de la déclaration, au point 7, que les gouvernements au Canada s'aiment tous et désirent travailler de concert tout en respectant leurs compétences respectives, moi, je défie bien quiconque au Canada de me tracer l'état des lieux en matière de partage des compétences actuellement. Ça change, ça change rapidement, et même une chatte ne retrouverait pas ses petits dans ce secteur.
Si j'avais eu deux minutes, je vous aurais parlé de l'attitude du fédéral à l'égard du pouvoir de dépenser, M. le Président. Je serai bien sûr disponible à répondre aux questions des membres de cette commission.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, Me Frémont. M. le ministre.
M. Brassard: Oui, M. le Président. Je voudrais vous remercier, M. Frémont, de votre participation aux travaux de cette commission. Je voudrais faire une remarque d'abord relativement à votre mémoire et dire que toute la partie de votre mémoire qui porte sur cette dynamique centralisatrice qui est en cours actuellement, particulièrement depuis la loi de 1982, et qui est largement soutenue par les décisions de la Cour suprême du Canada, je pense que c'est une réalité vraiment fondamentale depuis un certain nombre d'années au Québec et je pense que vous avez parfaitement raison de la mettre en lumière, cette réalité. Ça va d'ailleurs, d'une certaine façon, à l'encontre du point 6 de la déclaration de Calgary qui évoque ce que vous appelez de la dévolution de pouvoirs du fédéral vers les provinces via des modifications constitutionnelles. La réalité est en contradiction avec cette intention ou cette expression d'intention qu'on retrouve dans la déclaration de Calgary.
Je dirais aussi que la dynamique centralisatrice, elle se manifeste aussi, depuis quelque temps, en particulier par toutes sortes d'initiatives du gouvernement fédéral dans des champs de compétences du Québec, initiatives favorisées par l'apparition de surplus budgétaires à Ottawa.
Ma première question, évidemment, porte sur... Vous avez dit tantôt que vous étiez présent à Calgary comme commentateur avec M. Derome, je m'en souviens, et ma première question est la suivante: Est-ce que... Parce que, actuellement, depuis la déclaration de Calgary, depuis un certain nombre de mois, il y en a plusieurs qui prétendent ou affirment que c'est un premier pas, que c'est une amorce intéressante relativement aux aspirations du Québec, laissant ainsi entendre que, puisque c'est un premier pas, il y en aurait d'autres et que, si on peut identifier des lacunes dans la déclaration de Calgary, on peut espérer que ces lacunes seraient comblées, puisque c'est un premier pas. Moi, ma question est très simple: Est-ce que, compte tenu de la connaissance que vous avez des visions et des aspirations du Canada anglais, est-ce que, selon vous, la déclaration de Calgary, c'est vraiment le maximum que puisse offrir le Canada anglais au Québec ou si on peut légitimement et de façon réaliste la considérer comme un premier pas, donc comme une déclaration qui pourrait être enrichie?
M. Frémont (Jacques): Écoutez, j'ai l'impression que les gens qui ont fait cette déclaration, pour eux, c'était significatif, ça l'est encore. J'ai l'impression, on regarde ça province par province, il y a une telle nervosité quand vient le temps de faire approuver, encore en Ontario la semaine dernière, ces déclarations, on a l'impression d'assister à un arrachage de dents.
(12 h 50)
Dans chaque capitale provinciale, je pense que mes amis, en tout cas, au Canada anglais, diraient: Oui, c'est un premier pas. Vous savez, j'ai de la misère, les comparaisons sont toujours mauvaises, mais j'ai comme l'impression que, à un moment donné, le Québec a dit: On a faim, on a soif, servez nous à manger, donnez nous à boire - dans Meech - puis après on va aller quelque part. Et on revient 10 ans plus tard en disant: À l'époque, on ne t'a pas donné à manger puis à boire, tu t'es débrouillé tout seul, mais là, si tu veux un verre d'eau, je vais te le donner, mais c'est ça, je vais te le donner. Or, tu n'as pas soif. Ce n'est plus le temps. C'était le temps de le donner il y a 10 ans.
On ne réécrira pas l'histoire, on ne réécrira pas Meech, mais, autrement dit, j'ai l'impression qu'il y a une certaine bonne foi de la part du Canada anglais là-dessus. J'ai l'impression qu'il y a une incompréhension profonde de là où est le Québec actuellement et quelles sont les aspirations, elles aussi profondes, du Québec à l'égard, pour ceux qui croient encore au fédéralisme au Québec, de où le régime fédéral devrait aller. Et, ma foi, vous m'excuserez, je ne veux pas être partisan, mais je comprends la position délicate du Parti libéral du Québec là-dessus parce que je pense qu'il n'y a pas un fédéraliste québécois qui peut dire que c'est satisfaisant. Ça ne l'est pas.
M. Brassard: À partir du moment où un fédéraliste québécois dit que ce n'est pas satisfaisant, qu'est-ce qui arrive si les fédéralistes québécois de bonne foi, après analyse de la déclaration de Calgary, c'est peut-être à ça que M. Charest travaille présentement, qu'est-ce qui arrive si les fédéralistes québécois de bonne foi disent: Voici ce qui manque à Calgary, voici ce qu'il faut y ajouter de plus pour que ça devienne satisfaisant pour les fédéralistes québécois, je ne parle pas des souverainistes, est-ce que cette démarche-là, comment cette démarche-là va être accueillie au Canada anglais? Et parmi les gouvernements et les parlements qui ont adopté la déclaration de Calgary?
M. Frémont (Jacques): Bien là je pense que votre question est intéressante, et c'est précisément, comment dire, le défi des fédéralistes québécois, c'est de faire repartir le débat dans une direction autre que les directions des sociétés distinctes puis du caractère unique du Québec et qui ne mène absolument nulle part. Ce sont des symboles qui, ni dans Meech, ni dans Charlottetown, ni dans Calgary, vont donner quoi que ce soit.
Je pense que, si les fédéralistes québécois ont de l'allure, ils vont essayer de trouver un principe informateur. Ils vont essayer de dire: Où est-ce qu'on veut aller? Ils vont essayer peut-être de se démarquer des revendications traditionnelles du Québec et de dire: Où est-ce qu'on veut que le québécois soit dans 20 ans, dans 40 ans? Qu'est-ce qu'on veut que l'union économique canadienne donne et comment veut-on que ça fonctionne? Et ce principe directeur, par exemple, il y en a une couple dont je parle dans mon texte, ça pourrait être le principe de la subsidiarité, de dire on a besoin de mettre de l'ordre dans le fonctionnement, la façon avec laquelle le fédéralisme canadien fonctionne. Donnons leurs responsabilités aux niveaux de gouvernement les plus aptes à mieux remplir les fonctions. Faisons le ménage et proposons une, comment dire, je m'excuse... mais un Québec qui a de l'allure dans un Canada uni. C'est certainement la position, et j'imagine, que les fédéralistes québécois vont dire et vont mettre de l'avant. Et c'est pour ça que Calgary n'est même pas le début du premier pas d'une réponse satisfaisant pour les fédéralistes québécois.
M. Brassard: Une dernière question, je dirais plus pointue, qui s'adresse plus particulièrement à l'expert constitutionnaliste. Ça porte sur le point 6 de la déclaration qui prévoit, comme on le sait, qu'une future modification constitutionnelle devait attribuer... Si une future modification constitutionnelle devait attribuer des pouvoirs à une province, il faudrait que ces mêmes pouvoirs soient accessibles à toutes les provinces.
Je suppose que, quand on parle de modification constitutionnelle de cette nature, relative aux compétences, ça implique le recours à la formule d'amendement, donc d'un accord et du parlement fédérale et d'au moins sept provinces représentant 50 % de la population.
M. Frémont (Jacques): Oui, mais ce qui arrive, c'est que, si on voulait faire un amendement constitutionnel pour dire que, quand on fera des amendements constitutionnels, il faudrait que ce qui est offert au Québec soit offert à tous, à ce moment-là, certainement, un, c'est la formule d'amendement. Il faut y recourir. On peut se demander s'il ne faudrait pas que ce soit situé au sein même de la procédure de modification de la formule d'amendement, ce qui prendrait l'unanimité. Mais, selon moi, j'ai l'impression que techniquement ça serait impossible d'avoir une modification comme ça parce que le constituant ne peut pas se lier pour le futur, pas plus que cette Assemblée, l'Assemblée nationale du Québec ne peut dire: Je m'empêche de modifier une loi pour les huit prochaines années. Parce qu'il découle du principe de la souveraineté législative, de la souveraineté parlementaire qu'on ne peut pas se lier pour le futur. Si c'est vrai pour le pouvoir législatif, c'est certainement vrai pour le constituant. Alors, j'ai l'impression qu'il y a une technicalité logique, il y a un empêchement logique d'enchâsser une clause de cette nature dans la Constitution canadienne.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Très bien, M. le député de Châteauguay.
M. Fournier: Est-ce que la partie ministérielle se trouve à avoir épuisé son temps, M. le Président?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Non.
M. Fournier: Est-ce qu'on souhaite terminer son temps de ce côté-là, puis ensuite je prendrai mon temps?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): On procède par alternance.
M. Fournier: Par alternance, alors je suis aussi bien de me garder un peu de temps. M. Frémont, bonjour.
M. Frémont (Jacques): Bonjour.
M. Fournier: Je vais reprendre la dernière partie de la réponse sur la question posée par M. le ministre. La souveraineté du Parlement me faisait penser à la loi sur le Canada adoptée par Londres et qui donne la Loi constitutionnelle de 1982. Si je comprends bien votre raisonnement, Londres pourrait rappeler la Loi constitutionnelle de 1982 sur le même prétexte de la souveraineté du Parlement.
M. Frémont (Jacques): Vous n'avez pas suivi mon cours, mais c'est un exemple que je donne toujours, à Montréal, à mes étudiants: Qu'est-ce qui se passerait si Londres, demain matin, abrogeait la loi sur le Canada de 1982? Alors, évidemment, c'est là, comment dire... Et on revient à des problèmes du style de ceux dont sont saisis la Cour suprême. À un moment donné, la réalité dépasse le droit, on ne peut pas tout voir sous le prisme du droit.
M. Fournier: Et j'imagine que le même principe s'appliquerait donc à la question qui est posée: Si 6 se trouvait être constitutionnalisé, peut-être que la réalité se trouverait à rattraper le droit. Possiblement, d'ailleurs, si vous me permettez - puis M. le ministre en a fait mention tantôt - un peu comme vous le mentionnez, dans l'ensemble de votre document, je dirais, c'est le point majeur que vous essayez d'étayer, le courage jurisprudentiel, la marge de manoeuvre donnée au gouvernement fédéral, une marge de manoeuvre que le gouvernement fédéral, notez-vous, n'utilise pas. Encore une fois il y a là ce décalage entre la réalité et ce qui semble, pour vous en tout cas, être un espace de droit. Je dois avouer qu'à la lecture du document je me suis demandé si vous ne faisiez pas là une motion de félicitation au gouvernement fédéral pour s'être refusé de bulldozer les compétences législatives du Québec. En tout cas, à tout le moins, vous avez noté qu'il y avait un espace que le gouvernement fédéral avait refusé d'utiliser pour ne pas empiéter sur les compétences des provinces, en tout cas, qui étaient déterminées par ça.
M. Frémont (Jacques): Sur une compréhension traditionnelle des compétences des provinces, oui, tout à fait.
M. Fournier: Nous saurons, comme commission, faire état de vos félicitations aux autres partenaires de la...
M. Frémont (Jacques): Je tiens à dire qu'il n'y a aucune félicitations dans mon mémoire, là-dessus. J'ai tout simplement dit que c'était probablement un acte de «real» politique, c'est-à-dire de pragmatisme, pour ne pas mettre le feu aux poudres davantage qu'il ne l'est là. Cependant, vous aurez remarqué qu'il y a quand même eu un projet de loi qui a traîné à Ottawa, par exemple, pour l'établissement d'une commission nationale sur les valeurs mobilières, et que c'est un des signes biens concrets de cette évolution des choses.
M. Fournier: Incidemment, puisque vous embarquez sur ce sujet - j'aurais parlé d'autre chose, mais je vais revenir - vous en faites mention, dans votre mémoire, de la commission des valeurs mobilières. Je n'ai vu nulle part la mention que c'était sur assentiment provincial, et donc, si Québec voulait y participer, il aurait pu, mais ça ne forçait pas Québec d'y participer.
M. Frémont (Jacques): C'est là où je pense qu'on rentre dans le pragmatisme du fédéralisme actuel. C'est-à-dire que, si le fédéral voulait, je pense, combiner les décisions en matière de pouvoirs économiques avec les décisions sur la prépondérance, le fédéral pourrait carrément, probablement, écarter la compétence québécoise en la matière. Maintenant, il a choisi de ne pas le faire. C'est une décision politique, et c'est ce que mon mémoire tentait de bien démontrer, qu'il y a effectivement un écart. Les règles du jeu ont changées, ça ne veut pas dire que les acteurs se comportent tout à fait... et occupent tous les espaces qu'ils pourraient occuper. Mais il est clair que, effectivement, et ça me paraît tout à fait sage de dire, dans un cas comme ça: Bien, nous autres, si on va de l'avant, au moins on va laisser le Québec continuer à respirer. Ce qui ne veut pas dire qu'en cas de coups durs il n'y a pas moyen d'écarter les choses.
(13 heures)
M. Fournier: Ce que je déplore un peu de votre document, c'est le fait que vous mentionnez les risques, mais vous ne notez pas la pratique de façon concrète. Par exemple, vous avez omis, dans votre document, de mentionner que la démarche fédérale était sur l'assentiment provincial, donc qu'il y avait là un souhait formulé par le gouvernement fédéral - moi, je l'ai noté comme ça, en tout cas, puis je le vois bien dans les documents, c'est ça qui est là, vous n'en parlez pas dans le document - qu'il y a un respect de la volonté des gouvernements provinciaux. Et je pense que si vous regardez le paragraphe 7 de Calgary, dont vous parliez tantôt, peut-être que c'est ce qu'on est en train d'essayer de dire, qu'il faut respecter l'opinion des autres. Incidemment, vous faites une grosse référence au rapport Macdonald, vous parlez donc de la Commission des valeurs mobilières - je viens d'en parler - vous parlez aussi de l'article 121. Et on se souvient que longtemps, dans les années quatre-vingt, le début de quatre-vingt-dix, lorsqu'il y avait Bélanger-Campeau et les autres commissions qui ont suivi, il y avait dans l'air un désir du gouvernement fédéral d'agir unilatéralement à l'égard de l'union économique. Je m'en souviens très bien. Tout le monde disait, il me semble, qu'on devrait agir plutôt avec le consentement des provinces.
Ce que je note, d'ailleurs, c'est que, là aussi, vous avez omis d'en parler dans votre document, du fait que ce qui s'est passé dans la foulée de ce désir... D'ailleurs, c'était mondial; on a rien qu'à regarder l'Europe où c'est une centralisation. J'y reviendrai. Dans votre document, vous semblez dire que le Canada est un peu particulier, mais ce qui se passait, c'était un désir de renforcer l'union économique. Ils avaient le choix soit d'y aller de façon unilatérale ou en essayant de développer des consentements.
En 1994, il y a eu un accord sur le commerce interprovincial que le gouvernement libéral de l'époque avait signé. On se souviendra que le Parti québécois était contre. Mais, une fois qu'ils sont devenus au pouvoir, le ministre qui est là, en face de moi, a déposé le projet de loi n° 15 pour, disait-il - ce n'était pas obligatoire de passer une loi là-dessus - mais il a dit: C'est important de donner du symbolisme parce que c'est important, l'accord sur le commerce interprovincial. C'est très bon pour le Québec, puis on veut que l'Assemblée nationale donne un symbole.
Le ministre s'en souvient très bien. Alors, il y a eu le projet de loi n° 15 qui s'est passé. À St. Andrews - et ça non plus, vous n'en parlez pas dans votre document - l'été passé, les provinces se sont réunies - pas le fédéral, il n'était pas là - les premiers ministres des provinces se sont réunis, et, dans ce cas-là, le gouvernement du Québec a donné son accord pour l'approfondissement de l'union économique. Autrement dit, ce dont vous ne parlez pas dans votre rapport, c'est le fait que le choix qui est en ce moment en train de se passer, c'est d'agir, je dirais, en codécision, d'aller chercher l'assentiment des provinces, notamment sur l'union économique. Cela me semble clair. Et je vous pose la question: Pourquoi vous avez choisi d'omettre la partie, je dirais, pratique, la réalité qui se produit en ce moment pour ne parler que de risques potentiels qui pourraient arriver?
M. Frémont (Jacques): Bon, je pense que c'est une excellente question. Pour une raison bien simple: c'est que tout ce que vous dites est une réalité. C'est la réalité du fédéralisme. C'est celle où, comment dire, les gens ont accès à ça. Les observateurs informés ont accès à ça. Ce à quoi les observateurs ont moins accès, c'est aux décisions de la Cour suprême et à l'état théorique de l'évolution du partage des compétences. Et ce qu'on ne comprend pas, c'est l'écart entre les deux, ce qui est compris dans les officines gouvernementales clairement, au ministère de la Justice du Québec. Et ça fait une différence si vous négociez et que la personne avec laquelle vous négociez a un «gun» sur la table ou un «bat» de baseball. Ça rend les arguments de la personne de l'autre bord un peu plus convaincants.
Alors, ce qui est clair - et ce que vous me dites, je le partage tout à fait - c'est-à-dire le fédéral a choisi, alors qu'il pouvait choisir la voie unilatérale depuis quelques années, dans certains secteurs, entre autres les secteurs économiques, a choisi la voie multilatérale, entre autres par l'accord interprovincial. C'est très clair comme choix, mais ce que je suis en train de dire, c'est que la Constitution permet au fédéral d'y aller unilatéralement, et ça, à ma connaissance, ça n'a pas tellement été dit dans le grand public.
Alors, le but de mon mémoire, c'était d'éclairer - comment dire? - le grand public, d'éclairer cette commission des institutions sur quand même l'autre aspect, c'est-à-dire le «bat» de baseball. Mais ce qui est clair, c'est que, si on veut comprendre le portrait, il faut l'avoir au complet, tout simplement.
M. Fournier: Je suis content que vous confirmiez ma lecture de la pratique. Vous dites que tout le monde a accès à ça. Je dois vous dire qu'autour de cette table, pour votre information, surtout ceux d'en face, ne partagent pas le point de vue que vous et moi on partage quant à l'action qui a été menée par les différents intervenants des provinces et surtout à la demande des provinces. C'est ça qui s'est développé récemment. C'est l'interprovincialisme qui a pris de plus en plus de place et qui a amené ce développement.
M. Frémont (Jacques): Mais il faudrait peut-être nuancer parce qu'on pourrait peut-être... Dans le domaine économique, je vous suis. Dans le domaine social, je commence à avoir pas mal plus de misère.
M. Fournier: Alors, justement, j'y arrive. Alors, on a réglé la question économique. Ça me semble intéressant. Parlons de l'approche sociale. Je prends votre mémoire, à la page 15, dernière page. Je lis cette phrase: «Si les provinces signataires de la déclaration avaient été sérieuses dans leur effort de réflexion - on parle ici d'union sociale, de pouvoir de dépenser, là - elles auraient plutôt mis de l'avant une approche qui mène à une véritable redéfinition de leurs responsabilités vis-à-vis de la population et par conséquent de celles correspondantes du Parlement fédéral. C'était sans doute trop demander.»
J'ai une question pour vous. Vous qui suivez ça de près, qui connaissez ça, là, plus que ceux qui suivent les médias en général, semble-t-il: Quelle est votre lecture des récents événements à l'égard, justement, de la réflexion que les provinces ont mené sur l'union sociale et le pouvoir fédéral de dépenser? Est-ce que vous êtes au courant de rencontres qu'elles ont pu avoir, de positions qu'elles ont pu prendre?
M. Frémont (Jacques): Malheureusement, il faut lutter pour avoir accès à cette information, le rapport que, je pense, vous avez cité tout à l'heure. Non, je ne l'ai pas lu. Ce qui est clair, c'est que je suis au courant qu'il y a des discussions. Je suis au courant que ça bouge de ce côté-là. Ce qui me paraît clair aussi, c'est que là-dessus le pouvoir de dépenser demeure la question la plus cruciale du fédéralisme canadien et une des questions les plus difficiles, une question qui, selon moi, aussi soulève des problèmes démocratiques assez profonds parce que, tant que le fédéral prélève de l'argent pour le retourner aux provinces, on peut se demander si ce n'est pas «Taxation without imputability, without responsibility». Et vous le savez, c'est un principe démocratique très clair que, si on a le pouvoir de taxer, on doit répondre de notre pouvoir de taxation.
Et les pistes que vous citiez dans ce paragraphe, les inquiétudes sont des inquiétudes réelles. Je pense qu'on le sait, les salles d'attente dans les hôpitaux, c'est une manifestation bien concrète des effets du pouvoir de dépenser du fédéral.
M. Fournier: Je trouve intéressant, quand même, que vous me disiez ne pas connaître ce document. J'ai cité tantôt, vous étiez là pour les remarques préliminaires. Honnêtement, c'est ce que je trouve incroyable. Depuis 1995 - je vais vous en informer, puisque vous n'êtes pas au courant - il y a des rencontres des provinces. C'est les provinces qui ont décidé de monter le dossier à l'exclusion du fédéral. Ça a commencé à Terre-Neuve. On était quelques mois avant le référendum. M. Parizeau avait décidé de claquer la porte. Il y a eu de nombreuses rencontres où le Québec - c'est cela ce que je dénonce - a été absent. C'est peut-être pour ça d'ailleurs qu'il n'en a pas été beaucoup question. Et il y a eu des documents qui sont sortis de ces rencontres-là, dont notamment ce document de discussion accessible sur Internet: «Pour un renouvellement de l'union sociale canadienne, Document de discussion, avril 1997», donc, il y a déjà un an, qui se trouve à être la matière avec laquelle les provinces travaillent en ce moment.
Alors, je relis votre phrase, là. Vous vous désolez, dans votre document, que les provinces n'ont pas fait d'effort sérieux de réflexion. Je suis obligé de vous dire que je suis en désaccord avec vous, probablement parce que j'ai l'information et que vous ne l'avez pas, mais je serais heureux de vous en fournir une copie parce que c'est le coeur du débat. C'est le coeur du débat, voyez-vous. Dans ce qu'est la proposition des provinces, on veut amener - puis, tantôt, je lisais un texte, vous l'avez entendu, sur le pouvoir de dépenser - un constat qui est fait dans d'autres provinces - ce n'est pas le Québec qui dit ça - qui est exactement le constat qu'on fait au Québec depuis longtemps, que vous faites, que nous faisons, que tout le monde fait au Québec. Et on cherche à trouver des formules pour régler ça. Et en ce moment, il y a du monde qui travaille là-dessus. Moi, je trouve que c'est déjà un bon pas...
M. Frémont (Jacques): Non, mais...
M. Fournier: ...de constater, si vous permettez, qu'il y a des provinces qui travaillent sur les mêmes enjeux que ce que le Québec demande depuis longtemps.
Dans les formules qui sont proposées, il y a notamment des règles régissant l'indemnisation des provinces ou des territoires qui se prévaleraient de l'option de retrait. Et, parmi celles-là, il y a le retrait avec indemnisation inconditionnelle ou le retrait avec indemnisation conditionnelle dans les domaines des priorités, des choses comme ça.
Ce qui m'étonne, d'abord de lire que vous affirmiez que les provinces n'ont rien fait de sérieux, alors que, moi, je considère qu'il y a eu cette approche qui est quand même assez sérieuse et, ce que je voudrais savoir de vous, c'est: Est-ce que vous trouvez que, s'il y a ce genre de discussions depuis bientôt trois ans, il est normal que le Québec soit absent pour faire entendre sa voix, si tant est que le pouvoir fédéral de dépenser est un enjeu important et qu'il faille essayer de l'aménager pour que les citoyens québécois aient de meilleurs services en santé, en éducation? Est-ce que vous trouvez qu'on devrait faire entendre notre voix dans le cadre de débats comme ceux-là?
M. Frémont (Jacques): Merci pour votre question. Avant d'y répondre directement, je voudrais quand même remettre les pendules à l'heure. Il y a peut-être eu des discussions qui ont été là, mais parlons-nous deux minutes de la Fondation canadienne de l'innovation. Moi, je suis un universitaire, monsieur. Je suis directeur d'un centre de recherche. O.K.? Je suis directeur d'un centre de recherche où, depuis des années, on a un gouvernement du Québec qui, parfois, ne nous donne pas toutes les subventions qu'on voudrait, mais qui, par le biais de son Fonds FCAR soutient la recherche au Québec et a donné un modèle original de recherche au Québec par rapport à ce qui se passe par ailleurs en Amérique du Nord.
(13 h 10)
Le fédéral arrive avec la Fondation canadienne de l'innovation avec certainement une intention louable qui est de fournir, entre autres, des équipements pour soutenir les centres de recherche. Bon, alors, le fédéral arrive, ils mettent l'argent sur la table et ils passent par-dessus la tête des provinces. Ça ne fait rien à mes confrères, à mes collègues de l'Ontario, ça ne les dérange pas en Alberta. Pourquoi? Parce que leur gouvernement ne les a jamais soutenus. Mais voilà un exemple très clair où le fédéral se prépare à utiliser son pouvoir de dépenser pour contourner les priorités de recherche qui ont été établies, et là, pas rien par le gouvernement du Québec ou le fonds FCAR, mais en collaboration avec la communauté scientifique québécoise. Voilà un petit élément de «distinctivité», O.K., de caractère distinct où le Québec avait peut-être, lui aussi, ses priorités en matière d'enseignement postsecondaire et en matière de recherche.
Je pense que la recherche qui se fait au Québec - en tout cas, moi, dans mon secteur - est une recherche de très haut niveau international; j'ai des raisons de croire que c'est la même chose ailleurs, et ce n'est pas venu par accident. Le gouvernement du Québec, les gouvernements libéraux, péquistes successifs ont soutenu la recherche au Québec. Le fédéral, c'est un cas très clair, sous un prétexte technique, dit: C'est une fondation. Alors, ça ne passera pas par les... Sous un prétexte technique fallacieux, il est en train, précisément, de ne pas se comporter de la façon avec laquelle le document des provinces, sur le pouvoir de dépenser, dit qu'il devrait le faire.
Alors, je m'excuse, c'est vrai que le fédéralisme canadien, dans certains secteurs, comment dire, est plutôt modéré; c'est vrai que, dans d'autres secteurs, il y a des tendances lourdes depuis quelques mois. Alors que le déficit fédéral semble maté, il commence à y avoir des tendances lourdes en matière de garderies, en matière de recherche, peut-être en matière de prêts et bourses - on pourra en parler - d'intervention unilatérale où on ne tient pas compte, comment dire, des priorités provinciales qui sont bien réelles et, je pense, où ça fait une différence dans le milieu.
Maintenant, pour ce qui est de s'abstenir ou non, je pense que c'est un jugement politique. Je pense que le malheur, c'est qu'il semble y avoir tout le reste du Canada qui a son agenda à lui. Je pense que ces questions-là sont cruciales. Je vous avoue qu'on regarde un peu ça de l'extérieur actuellement au Québec; même les fédéralistes semblent plutôt mal à l'aise par rapport à ce qui se passe actuellement, disant: Oui, on devrait peut-être être là. Mais quel mandat a-t-on? Qu'est-ce qui se passe? Il y a une politique qui est là. Je vous avoue que, moi, j'aurais plutôt tendance à y aller, si c'était moi, mais c'est un choix que je reconnais tout à fait à ce gouvernement de ne pas y aller.
M. Fournier: Je vous remercie pour les commentaires, et je vais parler de la Fondation canadienne de l'innovation.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Votre temps est utilisé, M. le député.
M. Fournier: Ah! mon temps. Peut-être juste pour vous dire que, dans la Fondation canadienne de l'innovation, le ministre pourra vous dire qu'il a fait une sortie le 17 décembre 1997 - le ministre qui est là - dans laquelle le ministre nous dit que le problème est réglé; ils ont déchiré leurs chemises, mais ça s'est réglé après. Il a expliqué, le ministre, que les partenaires de la santé du secteur hospitalier et du secteur universitaire sont d'accord avec la démarche et la stratégie adoptées par le gouvernement. Alors, ça va passer par le gouvernement et via le gouvernement vers Ottawa, ce qui fait qu'on a trouvé, dans le cadre de la Fondation canadienne de l'innovation, un aménagement utile qui satisfait le monde de la recherche...
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Très bien. Votre temps est écoulé.
M. Fournier: ...le gouvernement du Parti québécois et le gouvernement fédéral, comme quoi c'est peut-être possible de s'entendre, et, en finissant la phrase jusqu'au bout, on finit par avoir une vérité complète. Merci.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup, et vous disposez d'une période d'échange de cinq minutes.
M. Dumont: Oui. Merci, M. le Président. Je vous souhaite la bienvenue, en étant bien conscient que c'est de par votre générosité que vous vous présentez devant nous. Vous avez dit quelque chose dans vos... Je ne veux pas revenir sur les points techniques, et je pense que l'analyse point par point que vous avez faite de Calgary, ça me paraît, en tout cas, en termes très, très pédagogiques, être conforme à ce qu'on entend un peu partout, et vous l'avez très bien fait.
Je veux plus parler des commentaires que vous avez faits au début avec un ton un peu pessimiste, quand vous avez dit: Il faudrait qu'on sorte des ornières. Vous avez dit: Le débat constitutionnel au Québec, dans son ensemble, est pris un peu dans des fils inextricables. Et, un peu plus tard, vous avez parlé de pistes qui devraient inspirer ceux qui veulent des résultats - parce que c'est les remarques préliminaires que j'ai faites tout à l'heure, de dire: On a beau avoir toutes les options, tous les dogmes, comme toutes les grandes ambitions, toutes les marches de la Saint-Jean, il reste que dans le concret, il n'y a pas de résultats. Il y a une évolution du fédéralisme que vous décrivez de par la Cour suprême, mais au Québec, les gouvernements n'ont pas livré de résultats.
Alors, je voudrais vous entendre là-dessus. Quand vous parlez de subsidiarité, est-ce que vous êtes en train de dire qu'il faudrait davantage essayer d'amener le reste du Canada vers une véritable confédération, un peu comme les pistes que le rapport Allaire, il y a quelques années, lançaient, pour respecter les compétences et s'en tenir vraiment à des changements, des évolutions qui, dans le concret, vont redonner au Québec ses pouvoirs et empêcher qu'on ne se marche un peu sur les pieds? Je veux vous entendre parler de l'expression «sortir des ornières». Qu'est-ce que vous entendez par ça?
M. Frémont (Jacques): C'est tout un programme. Non, ce que je voudrais entendre dans le débat, c'est qu'on discute, on picosse dans les petits dossiers, il y a des gouvernements qui ont leurs agendas, mais il n'y a jamais de place pour la discussion des grandes orientations. O.K.? Et les grandes orientations, en matière entre autres d'union économique canadienne, je pense, sont cruciales. Et ça, je dirais, peu importe l'avenir constitutionnel du Québec, il y a moyen de mettre en place actuellement des structures, des façons de fonctionner qui font que «rain or shine», qu'il y ait indépendance ou fédéralisme, il va y avoir une façon de fonctionner en Amérique du Nord qui va être une façon correcte, qui va être une façon optimale pour le Québec, et, j'ose l'espérer, pour l'Ontario et les autres provinces, l'Alberta.
Ce qui est clair, d'autre part, c'est qu'il existe actuellement une communauté d'intérêts, entre autres entre le Québec, la Colombie-Britannique et l'Alberta, une communauté d'intérêts objective sur le sens qu'il convient de donner à leurs compétences au sein du régime canadien. Or, pour toutes sortes de raisons, on a de la difficulté à bâtir sur cette espèce d'alliance, une alliance objective sur ces questions-là, pour dire comment est-ce qu'on peut véritablement fonctionner. Je pense que, si le Canada était intelligent comme pays, il se donnerait des principes directeurs, des principes qui doivent guider sa réforme. Je pense que l'Europe fait un effort qui est absolument admirable à cet égard. Tout n'est pas parfait, loin de là, mais il y a un effort intégrateur et en même temps il y a un effort pour départager ce qui doit aller à Bruxelles, ce qui doit rester au niveau national et ce qui doit aller au niveau régional et au niveau municipal.
Donc, en théorie du moins et en pratique jusqu'à un certain point, l'ascenseur se promène dans les deux bords, et je pense que c'est ça. Si nos politiciens au Canada acceptaient de ne pas avoir de chasse-gardée sacrée, de dire qu'on a un problème, comment est-ce qu'on va le résoudre de façon efficace, je pense qu'il y aurait moyen d'aller quelque part.
Certes, il y a des embryons de ça, la discussion sur l'union sociale, mais on n'est pas là. On n'est pas là, et je ne suis pas sûr qu'on puisse s'attendre à ce que le Québec soit là dans les circonstances actuelles. On ne peut pas faire comme si 1982 s'était pas passé et comme si 1987 s'était pas passé. Ça fait partie de notre histoire. Il faut qu'à quelque part il y ait un symbole assez puissant pour repartir le processus. Et, malheureusement, ce n'est pas ça. Est-ce que ça peut être autre chose? Est-ce que ça peut être une crise provoquée au lendemain du jugement de la Cour suprême? Je ne le sais pas. Mais ce qui est clair, c'est que les discours, de part et d'autre, s'enferrent. La réaction du Canada au 49,5 % de votes pour le Oui a été une modeste loi fédérale ou résolution fédérale. Ils ne sont pas là, ce n'est pas ça qui se passe et ce n'est pas ça qui est attendu au Québec.
Alors, tant qu'on va se faire croire au Canada anglais que Calgary, plus ce que le fédéral a fait, ça règle le problème, je pense qu'on se bâtit des châteaux en Espagne. Alors donc, je dirais: Soyons à la recherche de principes directeurs. Et là je me dis: Peut-être est-ce que c'est la classe intellectuelle qui ne fait pas sa job; peut-être que c'est Frémont et d'autres qui ne proposent pas d'alternatives intéressantes; peut-être est-ce que la voix de Courchesne et d'autres n'a pas été suffisamment entendue; et peut-être est-ce qu'on n'a pas assez de lieux pour discuter de ces questions.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Bourget.
M. Laurin: D'abord, merci pour votre mémoire très éclairant. À la fin de ce mémoire, vous disiez que vous auriez aimé avoir quelques minutes de plus pour énoncer vos idées sur ce que contient ou ne contient pas la déclaration de Calgary sur le droit de dépenser. Ma question porterait précisément là-dessus. Vous connaissez, comme tous les Québécois connaissent, l'insistance que met le Québec depuis 30 ans sur l'encadrement du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, puisque c'est par ce biais que ce gouvernement, de plus en plus centralisateur, comme vous l'avez dit, vient s'emparer et envahir les compétences du Québec, établir des normes communes, ensuite des budgets. Il se retire à sa guise, quand il le veut, laissant quand même la responsabilité aux provinces d'assumer les frais des compétences qu'il avait envahies auparavant.
(13 h 20)
Je remarque en tout cas que, dans la déclaration de Calgary, on ne fait pas mention directe du pouvoir de dépenser. Il y a peut-être une implication dans l'article qui traite de l'union sociale, mais il faut aller vraiment la chercher. Ma question, c'est: D'après vous, est-ce que c'est un oubli, ou une méconnaissance, ou une démission devant l'incapacité de définir ou de baliser ou, au contraire, une opposition à cet encadrement du pouvoir de dépenser, puisque, on le sait maintenant, certaines provinces tiennent beaucoup à ce qu'il ne soit pas balisé et à ce que le pouvoir fédéral l'assume, tel qu'il le pratique actuellement, vous en avez donné plusieurs exemples?
M. Frémont (Jacques): Le pouvoir de dépenser est au coeur, vous le savez, du fonctionnement du fédéralisme canadien. Pour moi, ce n'est pas un oubli, j'ai l'impression qu'il y a toujours eu des discussions, ça continue. Ils ont choisi de ne pas mettre ça dans la carte de Noël, premièrement, sans doute parce qu'ils n'avaient rien à dire là-dessus. Parce que c'est une question extrêmement délicate, et, entre autres, c'étaient les provinces. Et le pouvoir de dépenser, par définition, certes, il y a un pouvoir de dépenser provincial, mais, avant tout, on parle du pouvoir de dépenser fédéral.
Ce qui est clair, il y a quelques années, longtemps avant que je sois à l'université, à un moment donné, j'ai fait partie du «road show» fédéral-provincial et je me souviens encore d'une réunion où on discutait, à l'époque, c'était du financement dans les programmes établis, puis il y avait le ministre fédéral qui était là puis la ministre de la Santé de l'Ontario, puis elle dit: Si vous êtes si fin que ça, prenez-les, les hôpitaux. Alors, là, c'était M. Joyal, je pense, qui était à titre de secrétaire d'État, il avait dit: Non, non, non, écoutez, il n'est pas question de ça. Alors, elle dit: Prenez le postsecondaire, prenez les universités. Et là, encore une fois, le ministre fédéral avait dit: Il n'est pas question qu'on les prenne. Bien, alors, elle dit: Sacrez-nous patience.
Mais, je pense que, et sous une boutade, pour l'Ontario, les universités et les hôpitaux, c'est un dossier au même titre que les routes et que les ressources naturelles, la pêche dans les lacs, ce n'est pas plus, alors que je pense, certainement pour nous, l'enseignement et la santé jusqu'à un certain point, parce que je pense qu'on l'aborde de façon différente du reste du Canada, pour nous, comment dire, c'est le joyau, c'est au coeur de ce qu'on considère être notre identité fédéraliste, ça fait partie de ce qu'on dit.
Quand on est rendu à se faire tasser en matière d'éducation puis de santé, il y a quand même une menace. On a payé pour ça, on continue à payer pour ça. Pour moi, ce n'est pas un oubli, le dossier n'était pas mûr. J'ai l'impression, un des problèmes qu'on a au Québec, c'est qu'on se fait croire qu'on peut encadrer le pouvoir de dépenser, le pouvoir fédéral de dépenser. À partir de ce moment-là, il va falloir se plier à des conditions. Moi, je vous avoue que c'est probablement dans la logique d'un régime fédéral que le régime impose certaines conditions, certains principes dits nationaux. Je pense que ce n'est pas illogique dans la logique d'un pays.
Là où je pense qu'il faut faire attention, c'est: Est-ce que ces principes nationaux doivent se traduire par des dollars et des cents? Parce qu'à partir de ce moment-là on distorsionne complètement la souveraineté législative des provinces, en autant est qu'elle existe. Si on dit, comme l'Ontario puis d'autres: Bien, on n'y tient pas tant que ça. À ce moment-là, il n'y a pas de problème. Si on dit comme les Maritimes: On en a besoin, c'est grâce à ça qu'on survit. À ce moment-là, il n'y a pas de problème non plus. Mais, il est clair que, pour le Québec, toute tentative ou de même encadrer le pouvoir de dépenser, comme dans Meech, comme dans Charlottetown, ça constituera certainement un recul sur ces positions traditionnelles, certainement, très certainement.
Alors, là, on se retrouve dans une situation comme on l'a été constitutionnellement depuis les 30 dernières années, depuis que François-Albert Angers, fin les années cinquante, l'a contesté. On est peut-être mieux d'être dans un «no man's land» et puis de continuer à se battre pour en arriver à des ententes acceptables que de reculer sur cette question-là.
Maintenant, je pense, moi, et je suis un pragmatique, je pense que si, des travaux du fédéral, il y a quelque chose d'intéressant, si on y gagne, si véritablement on gagne des assurances pour éviter que le fédéral distorsionne systématiquement nos programmes sociaux, distorsionne systématiquement nos institutions postsecondaires, entre autres, c'est des dossiers que je connais un peu mieux, bien, peut-être est-ce qu'il faudra voir, ce sera à la population de voir. Mais, pour le moment, on n'est pas là, on n'est carrément pas là. Il n'y a rien sur la table, à ma connaissance. Et, le fédéral, je suis au courant qu'il y a eu une entente pour la Fondation d'innovation, mais, encore une fois, c'était une entente... Ça a mis les universités dans une position absolument invraisemblable où il y avait de l'argent que les payeurs de taxes du Québec avaient payé et qui allait nous passer par dessus la tête. Ça allait aller partout au Canada, sauf chez nous, et alors qu'il y a un besoin si criant.
Mais alors, en même temps, on se disait: On n'a pas envie de se faire distorsionner nos priorités de recherche. C'est trop important pour ça, la compétitivité du Québec. La formation des jeunes en dépend.
Et c'est un exemple où je pense, oui, il y a eu du pragmatisme, oui, il y a eu une entente. Je peux vous dire que, moi, venant du secteur des sciences humaines et des sciences sociales, c'est une entente qui est inacceptable parce qu'on a évacué le secteur des sciences sociales et des sciences humaines qui a, Dieu sait, besoin d'infrastructures et de recherche aussi, pour maintenir ça uniquement du niveau médical et scientifique. Alors, ça ne serait pas passé comme ça si cet argent-là avait été remis simplement au Québec et que le Québec avait géré ça par le biais de son fonds FCAR. Et c'est tout simplement une illustration patente des difficultés bien pratiques du pouvoir de dépenser.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Me Frémont, c'est malheureusement tout le temps dont nous disposions pour vous entendre. Alors, je vous remercie de votre présentation et des éclairages que vous avez fournis.
Sur ce, nous suspendons nos travaux jusqu'à 15 heures précises.
(Suspension de la séance à 13 h 27)
(Reprise à 15 h 3)
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Si vous voulez prendre place, nous allons reprendre nos travaux. Alors, je vous rappelle que cet après-midi nous recevons, immédiatement, Me Jean Allaire. À 16 heures, nous recevrons M. Simon Langlois et, à 17 heures, Mme Nicole Duplé. Me Allaire, bienvenue à la commission des institutions. Vous disposez d'une période de 20 minutes pour la présentation de votre exposé à la suite de quoi nous aurons des échanges d'une durée de 40 minutes avec les parlementaires présents.
M. Jean Allaire
M. Allaire (Jean): Merci, M. le Président. En premier lieu, je désire m'excuser de ne pas avoir un texte écrit. Les délais ont été assez courts, et j'ai des problèmes de secrétariat suite à des restrictions budgétaires, etc. Alors, vous m'excuserez de ne pas avoir soumis d'avance un texte par écrit.
Je vais expliquer très brièvement pourquoi je suis ici. Premièrement, il n'y a pas trop d'occasions où les simples citoyens peuvent s'adresser directement aux élus pour laisser passer celle qui était offerte aujourd'hui. Ça, c'est le premier point. Deuxièmement, selon la déclaration elle-même, chaque province décide - et là, entre guillemets - de la portée ou envergure de la consultation ainsi que des mécanismes qu'il convient d'adopter. Le mécanisme adopté démocratiquement est une commission parlementaire, ce qui est prévu par le parlementarisme actuel et ses règlements. Qu'on soit d'accord ou non ne change rien au fait qu'on ne doit pas écarter un des moyens démocratiques prévus par notre société alors que des millions de personnes dans le monde sont prêtes à risquer leur vie pour avoir un tel privilège.
Enfin, en disant cela, je ne veux juger personne. À chacun ses raisons ou ses motivations. Quant à moi, je veux m'exprimer non pas comme un expert constitutionnel, que je ne suis pas - je ne prétends pas l'être - je veux parler comme un simple citoyen qui s'intéresse à la chose publique et qui s'intéresse également à la Constitution alors qu'on sait que la population en général ne voit pas très bien la relation qu'il peut y avoir entre la Constitution et les pouvoirs, la vie de tous les jours, l'économie, etc., etc.
Il y a un fait, je pense, qui est très connu, c'est que cette déclaration ne soulève pas un enthousiasme délirant, pour toutes sortes de raisons. La population ne lui donne pas beaucoup d'importance et s'en désintéresse à peu près complètement. Donc, encore une fois, il y a une dichotomie de la pensée politique, c'est-à-dire une différence entre la pensée politique des élus et la pensée politique de la population pour, entre autres, les raisons suivantes.
Premièrement, ce n'est qu'une déclaration qui est vague et non un texte légal qu'on peut analyser et qui ressemble beaucoup plus à un communiqué de presse.
Deuxièmement, le gouvernement central ne s'y est pas joint, ce qui est majeur.
Troisièmement, les termes employés sont très généraux et ne sont pas définis.
Quatrièmement, la signification de certains mots peut être très différente pour nous, du Québec, et le reste du Canada. Je donne seulement deux exemples.
On parle, dans la déclaration de Calgary, d'un terme qui n'existe pas ici légalement, c'est-à-dire on parle de l'Assemblée législative, alors qu'il s'agit de l'Assemblée nationale. C'est un exemple.
Il y a un autre qui est beaucoup plus grave, c'est le mot culture. La signification du mot culture dans le reste du Canada - et je m'en suis aperçu il y a quelques années alors que j'ai eu l'occasion, dans d'autres circonstances, d'aller un peu partout au Canada et de répondre à certaines questions - on donne une définition complètement différente de la culture, de celle qu'on lui donne ici et qu'on devrait lui donner également. Je m'explique.
Dans le reste du Canada, le mot culture veut dire quelque chose de très vague, des choses de l'esprit, des arts, la pensée, etc., tandis qu'ici le mot culture, à mon avis, veut dire et englobe les faits et gestes de la vie quotidienne, ce qui va même jusqu'à l'économie.
Vous vous surprendrez que je prétende ceci? Quand j'ai commencé à réfléchir à cette définition de la culture, j'ai pris la peine d'aller voir dans des dictionnaires. Et le premier dictionnaire, pour ne pas me faire accuser de regarder seulement dans des dictionnaires français, je suis allé voir le Webster .
Dans le Webster , on donne deux significations de la culture, deux définitions qui collent réellement à la réalité du Québec. Je vous donne la première: «The sum total of ways of living built up by a group of human beings and transmitted from generation to another», c'est-à-dire l'ensemble total, au complet, des façons de vivre qui ont été «built up», mises sur pied ou, enfin disons, bâties - c'est une mauvaise traduction - par un groupe d'êtres humains et qui sont transmises de génération en génération.
Deuxième définition, toujours dans le Webster : «The behaviors and beliefs characteristics of a particular social ethnic or aged group», ce qui colle également à la réalité du Québec, c'est-à-dire les comportements, les croyances caractéristiques d'un groupe social particulier, ethnique, ou un groupe d'un certain âge. On voit immédiatement...
Et le reste des définitions dans différents dictionnaires, que ça soit Le Robert ou le Dictionnaire du Français Plus ou autres dictionnaires sont à l'avenant.
Lorsqu'on parle de la culture de quelqu'un, c'est une évaluation qu'on fait, tandis que, lorsqu'on parle d'une culture de société, d'une nation, d'un peuple ou d'une province, c'est une constatation. Ça ne s'évalue pas de la même façon que pour des individus. Alors, le mot culture, à mon avis, lorsqu'il s'agit des choses de l'esprit, c'est une évaluation chez un individu, tandis que dans l'autre, c'est une constatation qu'on voit immédiatement. Je vous donne l'exemple du Japon. On sait immédiatement qu'ils ont une culture qui est différente et, lorsqu'on parle de culture pour le Japon, on parle de toutes les façons de vivre de tous les jours d'une société qui englobe évidemment le côté économique. Il ont leur façon de faire, leur façon de penser, de réagir, de faire des affaires avec les difficultés que tout le monde rencontre d'ailleurs, et c'est une culture. On ne parle pas de la culture de l'esprit, on parle d'une culture de peuple, et je crois que ça doit s'adresser au Québec. Donc, je suis absolument contre le fait qu'on donne une signification étriquée ou réduite au mot culture.
(15 h 10)
Cinquième raison pour laquelle les gens se désintéressent de cette déclaration de Calgary. On nie la dualité du Canada qui, pour une très grande partie du Québec, est un fait historique et fait partie de l'imaginaire collectif politique depuis toujours et on banalise ainsi le Québec.
Sixièmement. On s'attache à des mots, on aligne des mots plutôt qu'à la réalité derrière chaque mot et leur signification profonde. À cet égard, l'article 3 de la déclaration de Calgary, lorsqu'on parle de tolérance, je reste songeur. Et je pense qu'on n'a pas réfléchi lorsqu'on a mis ce mot, et les événements des dernières semaines nous l'ont prouvé encore une fois. Les événements, également, qui se sont passés après le référendum de 1995 alors qu'on nous aimait beaucoup avant et pendant. Et, par après, on a parlé de plan B constamment, avec des déclarations ministérielles également qui n'étaient pas très, pour employer le mot, très tolérantes.
Septièmement. Le reste du Canada ne s'y intéresse pas, sauf pour une minorité qui l'approuve à la condition que cela ne donne rien au Québec. Vous regardez en Ontario, le choix qu'ils ont fait démocratiquement est une consultation par écrit, 1 % de réponses dans la province la plus populeuse du Canada. Et, dans les autres, ça ne dépasse pas 5 %. Alors, imaginez-vous, quand le 95 % ou 99 % des autres citoyens va se réveiller!
Huitièmement. Dans le reste du Canada, les gens sont fatigués d'entendre parler du Québec et, au Québec, les gens ne veulent plus parler. Ils veulent parler d'autres choses. En fait, ce qu'ils nous signifient, c'est qu'on ne peut pas maintenir une population ou des citoyens sur les barricades constamment. Ça ne se fait pas dans l'armée, ça se fait encore moins dans la population civile. Et les citoyens ne connaissent pas cette déclaration et ne veulent pas la connaître. C'est aussi brutal que ça.
Neuvièmement. Autre raison pour s'en désintéresser. Tous savent que des amendements constitutionnels litigieux sont maintenant impossible depuis 1982 et sont donc des exercices futiles, et personne ne répond au «comment» on pourrait faire les amendements en question. Vous allez me dire que je suis négatif? Non, je pense que je suis réaliste, pour les raisons suivantes. Premièrement, cette déclaration, dans sa forme actuelle et selon tous les experts - et je le répète, je n'en suis pas un, je ne prétends pas en être un - est moins que Meech et Charlottetown.
Deuxièmement, la Charte des droits de 1982 est maintenant sur l'autel de la patrie canadienne comme l'arche d'alliance et un nouvel évangile et elle sert, cette Charte, à cristalliser, peu à peu, une opposition de plus en plus solide aux revendications du Québec, en niant la dualité du Canada, ce qui est répété d'ailleurs à l'article 4 de la déclaration de Calgary, et en permettant la diminution des pouvoirs du Québec: langue, éducation, les intrusions du fédéral, etc.
Troisièmement, cette charte a fait naître la conviction et l'illusion de l'égalité absolue des provinces contre la réalité géopolitique et économique. Et donc, il n'y a aucune souplesse contrairement à d'autres fédérations qui, elles, montrent beaucoup de souplesse, comme l'Espagne, en particulier, qui, malgré des troubles profonds avec trois de ses provinces, a réussi avec un fédéralisme asymétrique à avoir une certaine paix et à avoir au moins la population de son côté, même contre les gens qui ont employé la violence à cet endroit.
Quatrièmement, je suis réaliste, car l'article 7 de la déclaration de Calgary dit exactement le contraire de la réalité. L'article 7 parle de respecter les compétences respectives des gouvernement fédéral et provinciaux. S'il y a quelque chose qui est plus contraire à la réalité que ça, je ne la connais pas. En fait, le reste du Canada semble accepter les intrusions du fédéral dans les pouvoirs provinciaux: éducation, programmes sociaux, par exemple, santé. Et la souplesse dont il est question, toujours à cet article 7, souplesse entre guillemets, et qu'on semble désirer est celle unilatérale des provinces qui acceptent ces intrusions du fédéral, faisant peu à peu du Canada non plus une fédération, mais un État unitaire où tout l'essentiel est décidé centralement à Ottawa, et ce, pour, entre autres, les raisons suivantes.
Il y a des raisons à ça, j'en vois trois. La première, c'est que les autres provinces - et c'est une raison importante dont on ne réalise pas l'importance et dont on ne parle pas souvent - n'ont pas, en général, comme le Québec, les structures administratives suffisantes pour exercer tous leurs pouvoirs constitutionnels comme le Québec les possède.
La deuxième raison: elles laissent donc l'administration de ces pouvoirs à Ottawa et elles en dépendent financièrement, pour beaucoup d'entre elles, et pas seulement administrativement. Je donne juste un exemple: la collection des impôts. Le Québec est organisé, les autres provinces, non. Même l'Ontario, je crois, ne l'est pas encore même s'il y a quelques années elle était venue chercher de l'inspiration ici au Québec pour les structures en question.
Troisième raison: il y a un consensus qui s'est développé peu à peu dans le reste du Canada qui accepte comme absolument naturelles les normes nationales, entre guillemets, les normes nationales d'Ottawa qui sont des intrusions incontestables du fédéral dans les pouvoirs des provinces et qui leur laissent seulement l'administration et l'application à la petite semaine de leurs pouvoirs ainsi balisés et banalisés. Je suis réaliste quand je vois le sort et l'opposition agressive à un rapport bien fait - on peut être d'accord ou non avec lui - d'un expert modéré du reste du Canada, Thomas Courchene de l'Ontario, et qui faisait un rapport à l'Ontario pour renouveler le Canada. Il y a eu une réaction comme un coup de fouet à l'encontre des propos modérés de Thomas Courchene.
Sixièmement, réaliste je le suis quand je vois l'opposition féroce à toutes mesures prises par le Québec pour se protéger et favoriser son épanouissement, dont on parle dans la déclaration de Calgary, contrairement à ce qu'on écrit dans l'article 5 de cette déclaration.
(15 h 20)
Septièmement, réaliste je le suis quand je vois la volonté claire d'Ottawa de venir nous dire et nous imposer des programmes sociaux qui sont des pouvoirs provinciaux clairs selon la Constitution. Le Québec ne peut pas accepter de se faire dicter des normes par les autres dans un champ provincial si vaste et si important comme la famille par exemple, et qui est une partie importante de cette culture que la déclaration de Calgary veut que l'on protège, mais qu'on nous enlève en même temps et sur laquelle on ne s'entend pas quant à la signification. On renoncerait ainsi à une partie importante de la souveraineté que nous a confiée la Constitution de 1867 dans certains pouvoirs, ce qui a toujours été combattu vigoureusement et jalousement par tous les gouvernements qui se sont succédés au Québec.
Il y a également, dans la déclaration de Calgary, une opposition au quatrième paragraphe de la déclaration, au tout début, quand on dit qu'il faut également des formules pratiques à caractère non constitutionnel pour renouveler la Fédération, et on parle en-dessous de la refonte des politiques sociales. Eh bien, si ce n'est pas un amendement à la Constitution de 1867 que cette refonte des politiques sociales, je ne vois ce qu'il peut en être. Il y a donc là une opposition dans la pensée de ce paragraphe.
Même chose, on répète en bas: la refonte des politiques sociales et travailler de concert avec le fédéral pour les provinces dans les domaines des soins de santé et du chômage. Encore une fois, comme je vous ai dit, c'est du domaine provincial.
Trois points positifs. C'est peut-être, et je dis peut-être, entre guillemets, le début d'une réflexion dans le reste du Canada qui laisse une porte ouverte à une amélioration de cette déclaration.
Deuxièmement, tout nouveau pouvoir provincial doit être offert à toutes les provinces. On ne peut pas s'objecter à ça. C'est positif. C'était déjà dans le rapport du Parti libéral du Québec, le rapport de son Comité constitutionnel de 1991, en rajoutant cependant que ça devait être offert à tout le monde mais que les provinces pouvaient y renoncer et laisser le fédéral continuer l'administration des pouvoirs.
Troisièmement, l'opposition officielle à Ottawa, c'est un point positif, je pense, en présentant son avant-projet de loi sur le nouveau Canada, veut aller plus loin que la déclaration de Calgary et elle y fait référence. Et je pense qu'il s'agit d'un effort d'un parti politique au niveau fédéral pour sortir le Canada de son bourbier constitutionnel dans lequel on patauge allégrement, et ce - et là je mets des bémols - malgré des divergences profondes sur certains points et je mentionnerai, par exemple, les normes nationales, société distincte qui n'y est pas mentionnée, etc. Mais il faut tout de même rendre à César ce qui est à César et voir qu'il y a un effort de ce côté-là. C'est un début et c'est le seul parti fédéral qui parle d'un renouvellement du Canada avec un projet de loi écrit.
En conclusion, replacée dans son contexte global actuel, cette déclaration de Calgary pourrait être un truc électoral peut-être pour les prochaines élections provinciales, c'est-à-dire donner un semblant d'argument pour les fédéralistes à tout prix. Je crois aux actes et non aux paroles qui s'envolent et je n'ai pas vu de tels actes venant d'Ottawa. Je croirai quand je verrai un texte en langage clair et sous forme légale. Je croirai, M. le Président, quand on répondra à ma question: Comment, eu égard à l'amendement à la Constitution actuelle? Je croirai, M. le Président, quand le reste du Canada nous acceptera non pas asservi à leur volonté et leurs normes, mais libres de nos choix et dans une vraie fédération et non un pays de plus en plus unitaire. Je croirai, M. le Président, quand le bourbier constitutionnel actuel dans lequel on piétine sera recouvert d'un nouveau pont avec le reste du Canada pour réparer celui qui a été détruit par le rapatriement forcé de 1982.
Cependant, cependant, comme nous sommes toujours partie du Canada, il faut rester ouverts à toute initiative sérieuse dans ce sens. On n'a pas le droit de se fermer les oreilles. La majorité démocratique du référendum de 1995 nous le dicte. Et il faut s'en souvenir. Les efforts bien qu'imparfaits de l'opposition officielle à Ottawa pourraient présenter un début, mais la déclaration de Calgary elle-même ne passe pas le test à cet égard. La population le sent très bien et s'en désintéresse complètement.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, Me Allaire. M. le ministre.
M. Brassard: M. le Président, je voudrais remercier M. Allaire d'avoir accepté l'invitation de la Commission de venir nous faire part de ses points de vue et de ses remarques à l'égard de la Déclaration de Calgary.
Nous savons tous quel rôle vous avez joué dans le long cheminement politique du Québec pour obtenir une plus large autonomie ou obtenir ce qu'on appelait, ce qu'on appelle toujours un statut spécial, un statut particulier pour le Québec, donc plus de pouvoir et plus de compétences au sein du régime fédéral, et le rapport qui porte votre nom et qui continue de le porter, même si ça a cessé d'être la position du Parti libéral du Québec, le rapport qui porte votre nom constitue, je pense, une étape majeure dans ce long cheminement du peuple québécois vers une plus grande autonomie. Et on sait cependant quel sort le Parti libéral lui a réservé à ce rapport à l'occasion d'un certain congrès où ce rapport a été carrément répudié. Vous connaissez cette partie de l'histoire du Québec mieux que moi, sans aucun doute.
Ce que vous nous dites, au fond, c'est très différent de ce que le député de Châteauguay essayait de nous décrire en matinée. Un régime extraordinaire marqué par la co-décision, l'interprovincialisme, la coopération entre les gouvernements. Il a juste oublié certains éléments. Sa mémoire est sélective. Le député de Châteauguay retient bien ce qu'il veut seulement. Il a oublié en particulier ce qui s'est passé relativement aux bourses du millénaire, où là on a un bel exemple flagrant, je pense, de la part du gouvernement fédéral d'utiliser pleinement et sans vergogne son pouvoir de dépenser pour s'ingérer dans des champs de compétence qui sont pourtant réservés, de par la Constitution, de façon exclusive aux provinces, et donc au Québec.
Ce que vous nous dites, au fond, c'est qu'il y a une impasse entre les attentes des Québécois, les aspirations des Québécois, les revendications qu'on qualifie historiques aussi des Québécois, et ce que le reste du Canada est prêt à offrir.
Ce matin, M. Frémont nous expliquait que l'État fédéral devient de plus en plus centralisateur, et vous avez même dit, vous, tout à l'heure, que l'État canadien se dirige de plus en plus vers un État unitaire. Il est en train de se transformer de plus en plus, en État unitaire. M. Frémont parlait, lui, d'un État de plus en plus centralisateur et avec la complicité de la Cour suprême qui, par ses décision, cautionne et entérine cette évolution.
Alors, ma question bien simple: Dans ce contexte, M. Allaire, est-ce que le Québec peut espérer, sur la base de la Déclaration de Calgary, obtenir des pouvoirs supplémentaires, ce qu'il a toujours réclamé, et ce qu'on retrouvait également dans le rapport qui porte votre nom, qui a été pendant un certain temps la position officielle du Parti libéral du Québec? Est-ce que le Québec peut espérer, sur la base de la Déclaration de Calgary, obtenir des pouvoirs et des compétences pour répondre ainsi aux aspirations historiques et traditionnelles du Québec? Est-ce que cette impasse que vous avez décrite est appelée à persister? Et est-ce que la Déclaration de Calgary est en mesure d'apporter une réponse à cette revendication du Québec d'avoir plus de compétence, plus de pouvoir, plus de capacité de gérer lui-même ses propres affaires?
(15 h 30)
M. Allaire (Jean): La Déclaration de Calgary en soi, je ne crois pas, à moins qu'elle soit très améliorée. Cette possibilité est dans le texte, mais... enfin. Mais j'ai de forts doutes. Et je serais heureux de voir un début, si, par exemple, on remettait les pouvoirs de 1867 aux mains des provinces, ce qui n'est pas le cas, et on empiète constamment dedans, et dans les pouvoirs qui représentent des domaines extrêmement importants pour les provinces, mais encore plus pour le Québec. Alors, je parle de l'éducation, je parle de la santé, je parle des programmes sociaux, c'est immense. Ce sont des empiétements qui, de la part du fédéral, en tout cas, ne laissent présager rien de bon.
L'espérance que je peux avoir, l'espoir, un petit espoir, c'est que ce sont maintenant les autres provinces qui sont en train de ruer dans les brancards et qui font des revendications qui vont peut-être surprendre le fédéral. Et je ne me surprendrais pas que l'Ontario, qui est un gouvernement dans le gouvernement à cause de son importance, soit la province qui revendiquera le plus après le Québec et qui va peut-être en venir à revendiquer même plus.
Vous savez également les revendications de la Colombie-Britannique, et là, maintenant, vous avez l'opposition officielle qui a déposé au mois de mai, tout récemment, un projet de loi, un texte légal. C'est du jamais vu à date. Quel sort va être réservé à ça? Je ne le sais pas. Avec toutes ces imperfections. Et cependant la discussion reste ouverte, surtout alors qu'il y a un texte qui est déposé.
Personnellement, je doute, mais il faut, je pense, écouter également la population qui, par une mince marge, très mince mais une majorité tout de même, nous a dit, ni plus ni moins, qu'il fallait écouter. Et nous sommes toujours dans la Constitution canadienne. Il faut essayer d'en tirer le meilleur parti possible, je crois, et c'est une obligation que nous avons, une obligation démocratique, c'est d'écouter ce qui se fait, de lire ce qui nous est présenté, et d'en discuter, ce que nous faisons à l'heure actuelle.
M. Brassard: Mais, quand vous dites, M. Allaire, qu'il faudrait que l'on revienne, en quelque sorte, en matière de partage des compétences, à l'esprit de 1867, au fond, c'est un peu ça que vous dites... Pardon?
M. Allaire (Jean): Comme première étape.
M. Brassard: Comme première étape, oui. Est-ce que vous convenez que même la déclaration de Calgary ne va pas dans cette direction, parce que vous l'avez indiqué tout à l'heure, le point 7, en matière de programmes sociaux, constitue une espèce de consécration, de la part des provinces, du rôle et de la responsabilité du gouvernement fédéral dans un champ de compétence qui est pourtant réservé exclusivement aux provinces, celui des programmes sociaux, de la santé, de l'éducation?
M. Allaire (Jean): C'est un fait, c'est un fait, je l'ai dit tout à l'heure et j'ai parlé également de cristallisation d'une certaine pensée dans le reste du Canada. Le reste du Canada, surtout, je pense, depuis les problèmes qu'ils ont avec le Québec, se cherche une nouvelle identité nationale, non plus en opposition avec les États-Unis et avec la possession du Québec, possession qu'ils estimaient, eux, tranquille, et là, maintenant, avec le Québec, ils sont en quelque sorte déstabilisés et ils sont obligés de penser autrement pour se faire une nouvelle identité nationale. Et cette identité nationale repose en grande partie sur les programmes sociaux, ce qui les différencie de bien d'autres pays, dont les États-Unis, mais de bien d'autre pays aussi.
Alors, je ne sais pas, est-ce que c'est cristallisé à ce point que plus rien n'est possible? Est-ce que cette cristallisation fait en sorte qu'un fédéralisme asymétrique est absolument impossible? C'est fort possible que ce soit le cas. Mais je pense qu'il faut écouter la population, elle nous a dit: On est encore dans la Constitution, on est encore dans le Canada, alors il faut écouter et essayer d'en tirer le meilleur parti possible, dans les circonstances.
M. Brassard: Mais vous reconnaissez, M. Allaire, que la déclaration de Calgary, telle que rédigée, va à l'encontre de toute forme d'asymétrie possible?
M. Allaire (Jean): Oui, sauf peut-être les nouveaux pouvoirs qui seraient offerts aux provinces. Et certaines provinces diraient: Oui, on s'est fait offrir ce pouvoir-là, mais on préfère... Ils ne diront pas qu'ils n'ont pas les moyens de monter des structures ou qu'ils n'ont pas les structures. Ils vont dire: Non, on va laisser ça à Ottawa comme avant. Et ça, c'est différent. Ça peut être différent, mais le reste ne l'est pas. Ça ne donne rien de plus.
M. Brassard: Sauf que ces nouveaux pouvoirs, il y a un certain nombre de conditions à remplir. La première, c'est qu'il faut que le fédéral accepte de se départir d'un pouvoir.
M. Allaire (Jean): Exact.
M. Brassard: Et deuxièmement, pour que les provinces puissent recevoir, accueillir ce nouveau pouvoir, vous convenez que c'est la formule d'amendement qui doit s'appliquer?
M. Allaire (Jean): Oui. Je suis d'accord, parce que...
M. Brassard: Ce qui est assez compliqué.
M. Allaire (Jean): Oui, parce que, si on veut - et je l'ai souligné tout à l'heure - amender la Constitution sans l'amender... On veut l'amender par des mesures administratives, mais des mesures administratives, ça peut l'amender, mais d'une façon temporaire, et on est toujours comme des oiseaux sur la branche finalement.
Et comment peut-on prétendre amender la Constitution et ne pas l'amender en même temps? J'ai de la difficulté avec ça.
M. Brassard: Merci.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Châteauguay.
M. Fournier: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Allaire. Je vais me permettre de faire quelques remarques pour peut-être ramener les pendules à l'heure sur certains points et peut-être pour rappeler aussi... Je pense que c'est digne de la stratégie maintenant très habituelle - il n'y a plus de surprise là-dedans - du Parti québécois.
Aujourd'hui, on salue le rapport qui porte votre nom. Quand il est sorti, ce rapport-là, on avait, c'était dans Le Soleil : Le grand éclat de rire de Jacques Parizeau. Alors, quand ça avance, ce n'est pas bon, quand c'est sorti, ce n'est pas bon, puis, après ça, là, c'est merveilleux. Meech, ça a été la même chose. Le Parti québécois...
M. Brassard: M. Parizeau?
M. Fournier: Qu'est-ce que vous voulez, c'est la relève du PQ, c'est bien sûr qu'on en parle. Meech, ça a été la même chose. Le PQ était contre. Ils ont tout fait pour que ça dérape puis, après ça, ils disent qu'ils s'en plaignent. Alors, ceci étant, on fait juste constater une habitude.
On a eu l'occasion de parler, ce matin, de la Fondation canadienne pour l'innovation. Encore une fois, le ministre tente de dénaturer les propos, de me faire dire des choses.
J'ai pris la peine, ce matin, de compléter les phrases de Me Frémont, avec son consentement, parce qu'il avait arrêté l'histoire. Et, lorsque je lui ai rappelé que le ministre lui-même avait trouvé une solution qu'on avait appelée de nos voeux les plus forts, bien là: Oui, c'est vrai. Ça s'était réglé, finalement.
Ceci étant, on se souviendra que le Parti libéral avait fait une sortie pour demander qu'il n'y ait pas de chicane là-dessus et s'assurer que ça puisse fonctionner. Alors, nous, ce qu'on veut, c'est servir les intérêts du Québec. De la même façon, d'ailleurs, que pour... Parce que j'ai entendu le ministre nous parler des bourses du millénaire. Il ne faudrait pas créer de mythe non plus, là. Je sais que c'est ce qu'on tente de faire, créer des mythes. Il reste que le premier ministre du Canada, même si... Moi, dès le départ, on a pris position sur les bourses du millénaire puis on s'est dit: Pourquoi se causer ce genre de problématique? On sait très bien que l'éducation relève des provinces, et il me semble que ça devrait aller de soi.
Ceci étant, on a travaillé à ce qu'on puisse bénéficier de la plus grande souplesse, que ça réponde à nos préoccupations puis qu'on puisse bénéficier de la répartition de la richesse créée à la grandeur du Canada. Alors, on a amené des formules par motion, des motions qui ont été adoptées des deux côtés de la Chambre. Autant le Parti québécois que le Parti libéral a voté pour ces motions à l'égard de positions sur les bourses du millénaire.
Or, le premier ministre du Canada a écrit au premier ministre du Québec la semaine dernière. Il lui dit ceci: «Néanmoins, nous avons examiné très attentivement la motion adoptée le 14 mai 1998 à l'Assemblée nationale ainsi que celle déposée par l'opposition officielle le 7 mai dernier.
«L'étude de celle-ci nous amène à conclure qu'il s'agit d'une position très valable et positive dont les objectifs rejoignent d'ailleurs l'esprit du projet de loi C-36. Le projet de loi C-36 donnera donc à la Fondation toute la souplesse désirée et toutes les obligations nécessaires pour lui permettre de conclure des ententes spécifiques avec le gouvernement du Québec, et ce, dans l'esprit de la motion du 14 mai que votre gouvernement lui-même a entérinée.»
Alors, je veux bien qu'on essaie d'inventer un autre mythe que ça ne fonctionne pas, mais il y a une motion adoptée par les deux partis. De l'autre côté, on dit: On veut respecter cette motion-là, puis là ça ne fait plus l'affaire. Là, ils sont déçus d'avoir voté la motion. Alors, c'est toujours bien embêtant d'avoir ces deux poids, deux mesures.
(15 h 40)
Je reviens à vous, M. Allaire, excusez-moi d'avoir dû reprendre le ministre un peu. Vous parlez d'amendement constitutionnel, de l'impossibilité. J'essaie juste, là, de rappeler des éléments parce qu'il ne faut pas limiter tout ça à ce qui se passe, puis vous avez très bien fait de le dire, il y a du mouvement. Vous avez parlé des provinces, je vais y revenir, vous avez parlé du Reform, je vais y revenir. Vous voyez du mouvement qui se passe dans le reste du Canada, et je pense que c'est important de regarder tous ces mouvements-là, les processus de changement et les changements déjà effectués, notamment de rappeler - les gens ne s'en souviennent pas - qu'il y a eu un amendement constitutionnel à l'égard des commissions scolaires linguistiques, et c'était donc impossible. Pourtant, il y a eu une modification constitutionnelle qui a été adoptée.
Je comprends, le ministre va me dire: C'était bilatéral. Bon, on peut banaliser l'événement, mais après avoir dénoncé durant tant d'années qu'il était impossible d'amender la constitution, au moins, on peut tous faire l'aveu qu'il y a eu un amendement constitutionnel, ça me semble important de rappeler ça.
Vous avez parlé de Courchene, vous avez bien raison. Je suis content que vous parliez de Courchene, je suis déçu que Me Frémont n'en ait pas parlé ce matin. Courchene, un et deux, tel qu'il est convenu d'appeler parce, comme vous savez, M. Allaire, dans Courchene, il y a deux volets, ce que je pourrais appeler le fédéral-provincial et l'inter-provincial. Vous dites: Bon, ça a été abandonné. Au contraire, Courchene, volet un, est en application en ce moment dans les discussions entre les autres provinces et maintenant, d'ailleurs, avec le fédéral. Évidemment, si nous étions autour de la table, ça aiderait pour faire valoir nos idées, et, encore une fois, je vous rejoins quand vous dites: Il faut être à l'écoute et il faut qu'on se défende.
Un mot sur le rapport que vous faites avec la consultation dans les autres provinces. Vous dites - je ne sais pas si j'ai bien compris, là, je vais finir mes remarques, et vous me reprendrez par la suite - vous laissez entendre que la consultation dans les autres provinces aurait été minime, pour ne pas dire minimale. Vous avez parlé de l'Ontario, je pense, à 1 %, et dans les autres provinces, pas plus que 5 %, si je ne me trompe pas, de la consultation qui avait eu lieu. À titre juste de comparaison, il me semble important de le soulever, il faut se rappeler l'exercice des commissions de la souveraineté organisé par le gouvernement du Parti québécois dans la campagne préréférendaire. Vous savez, ces commissions qui ont fait le tour du Québec, les commissions régionales, exercice duquel Jacques Parizeau, toujours le même, disait que c'était un des plus grands exercices démocratiques en Occident. Il avait les formules un peu ronflantes, mais il disait que c'était le plus grand exercice démocratique en Occident, ces commissions régionales. Or, il y a eu 50 000 Québécois qui ont participé à ça, donc, moins de 1 %.
Alors, si on veut faire des comparaisons, moi, je n'ai pas de problème, je pense qu'on partage le même point de vue, qu'il y a des gens qui s'intéressent à d'autres choses, et c'est peut-être pour ça que la hauteur de la participation n'est pas énorme et peut-être qu'ils participeraient plus si c'était sur la santé ou sur l'éducation. Mais reste que gardons la mesure de comparaison, c'était comparable à ce qui se passait au Québec, et dont Jacques Parizeau disait que c'était un des plus grands exercices démocratiques.
Vous avez mentionné qu'il y avait du mouvement au Canada en parlant de l'opposition officielle à Ottawa, le Reform notamment. Je sais que c'est une position, celle que vous avez à l'égard d'être intéressé par ce mouvement et de regarder ce qui se passe. C'est un intérêt que partage le Bloc québécois. J'ai lu dernièrement que le Bloc s'intéresse à ça aussi. Je ne sais pas pour ce qui est du gouvernement du Québec, mais je pense que tout processus de réflexion qui se fait avec nos partenaires actuels me semble important, comme vous le dites, d'être écouté. Vous ajoutez même cette dimension, voyant l'évolution du dossier depuis quelques années, où les provinces... et notamment la déclaration de Calgary était une initiative provinciale, de la même façon que les discussions sur le pouvoir de dépenser et l'union sociale sont des initiatives provinciales, vous dites: Les provinces ruent dans les brancards, et qu'il y a donc un mouvement là.
Et, moi, je suis tout à fait d'accord avec vous là-dessus. Et c'est pourquoi je considère que ce qui est peut-être le plus grave, dans les choix qu'a fait le gouvernement du Parti québécois, c'est de refuser de planifier, d'organiser, de mettre en action une stratégie d'alliance avec les autres provinces, notamment l'Ontario, l'Alberta, la Colombie-Britannique, des partenaires que nous avons et avec qui on pourrait faire cause commune. Je sais, le ministre m'a déjà dit que ce n'était pas là-dedans qu'il était, lui, il était dans la séparation, la souveraineté, puis qu'il ne voulait pas améliorer le Canada. Je le sais, il me l'a déjà dit. Mais il me semble que, pour avoir les intérêts du Québec à coeur et qu'on voie ses mouvements, on devrait en tenir compte.
Maintenant, j'ai une question pour vous, M. Allaire. C'est important de remettre les pendules à l'heure quand on entend ce que dit le ministre.
M. Brassard: Je pensais que vous ne vouliez pas qu'il parle.
M. Fournier: J'ai une question pour vous et je me demande... J'imagine que vous avez... Je ne sais pas si vous parlez au nom de l'ADQ, je sais qu'on aura l'ADQ plus tard.
M. Allaire (Jean): C'est en mon nom personnel.
M. Fournier: Vous-même, en votre position qui était connue dans le passé... Et vous pouvez me dire: Ce n'est pas une question hypothétique, vous pourrez me répondre ça aussi. Si, d'aventure, le Parti québécois prenait le pouvoir à la prochaine élection - ça ne sera probablement pas le cas de l'ADQ quand on regarde les résultats d'hier - et qu'il faisait ce qu'il annonce, qu'il refaisait un référendum sur la souveraineté, est-ce que vous seriez de l'autobus de la souveraineté, est-ce que vous seriez de ce clan-là?
M. Allaire (Jean): Premièrement, dans l'autobus, je ne suis jamais embarqué, dans l'autobus dont vous parlez. Nous avions des moyens beaucoup plus modestes. C'est une question sûrement hypothétique, et je ne sais même pas s'il ferait le référendum. On verra à ce moment-là. Moi, je suis du même avis que l'ADQ, à l'effet que la population est fatiguée dans le moment, et on ne peut pas tenir la population sur les barricades constamment, et c'est la raison pour laquelle on l'a dit publiquement. Moi, je l'ai dit publiquement, je ne m'en cache pas, c'est qu'il vaut mieux remettre une discussion ou un référendum qui, s'il était perdu à nouveau, affaiblirait le Québec.
Maintenant, j'aimerais vous parler, relever certaines des remarques que vous avez faites. Vous en avez faites plusieurs. Quand vous parlez de mouvement, ce n'est pas un tourbillon, hein, et quand vous parlez de mouvement dans le reste des provinces, c'est surtout le vent d'une tortue qui avance dans une course, et très lentement. La Constitution, qui a été amendée pour l'enseignement religieux, je vous fais remarquer que ce n'est pas un très, très bon exemple parce que ça a été fait après les amendements qui avaient été accordés à Terre-Neuve, et dans un domaine qui ne regardait non pas toutes les provinces, mais qui ne concernait que le Québec et Terre-Neuve...
Quant à la consultation par écrit que vous avez mentionnée, ils ont choisi ce moyen-là dans les autres provinces. Je ne querelle pas ça, je n'ai pas d'objection à ça. Ils avaient le droit de le faire. Mais, quand on sait que pour qu'une consultation ou des demandes d'opinion par écrit, pour être satisfaisantes, doivent recevoir au moins 10 % de réponses dans le domaine du marketing, à ce moment-là, vous tirez vos propres conclusions.
Quant aux discussions avec les autres, je crois qu'elles sont très difficiles dans le moment. C'est comme si on était dans une espèce de no man's land, une espèce de... on patauge, on patauge littéralement dans un bourbier où, de temps en temps, quelqu'un lève la main, proteste, retire la main parce que ça pourrait donner une chance au Québec ou un avantage quelconque, et là ils refont le front commun contre le Québec. Moi, ce que j'ai dit, c'est que ça bouge, mais ça bouge d'une façon chaotique pour qu'il y ait quelque chose de fait, mais le monde ne sait pas exactement quoi. Et ça grogne contre le fédéral parce que le régime fédéral, dans le moment, ne fonctionne pas. Et, quand vous voyez une province comme l'Ontario aller jusqu'à des menaces, et même la Colombie-Britannique qui dit: Moi, écoutez, je ne crache pas sur la souveraineté non plus. Ça fait longtemps qu'il font affaire, eux autres, avec l'Asie et que leur commerce est nord-sud. Ils ont compris bien avant nous. Nous, on essaie encore de faire du commerce est-ouest, alors que... je parle des trains et tout ça. Les trains pour aller en Ontario, ce n'est pas ça qu'il faut faire. Il faut aller où il y a de la population, en bas, mais, enfin, c'est un autre problème.
(15 h 50)
Mais tout ça fait que c'est chaotique, et il n'y a pas d'idée commune qui les joint à l'heure actuelle. Sauf qu'ils endurent les empiétements du fédéral et puis, après ça, ils se plaignent. Alors, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas, là-dedans. Et ne me demandez pas, moi, de régler leurs problèmes. On a assez de consulter nos problèmes ici puis d'y penser.
Mais, non, je ne vois pas, moi, comment on pourrait facilement en arriver à quelque chose dans le moment alors qu'elles ne s'entendent même pas entre elles. Ils ont eu toutes les misères du monde à s'entendre sur un document comme Calgary, qui ne dit pas grand-chose, admettez-le, et qui n'est pas en langage légal non plus. Imaginez-vous quand ça va être en langage légal! Je vous dis que, là, les manches vont se retrousser. Il va y avoir des discussions à n'en plus finir. Et je ne crois pas, moi, à ce moment-là, qu'ils vont s'entendre. Ils vont commencer à parler des points-virgules, des significations, etc. Alors, quand vous parlez des discussions avec les autres, il ne faut pas refuser la discussion.
Mais, il me semble que la balle est dans leur camp. On a exprimé nos idées, nous autres, depuis plusieurs années, au Québec. Alors, qu'ils ne viennent plus nous dire qu'est-ce qu'on veut. Ils savent qu'est-ce qu'on veut. Ils savent en gros qu'est-ce que c'est qu'on veut et ils ne sont pas d'accord avec ça. Si à un moment donné, ils peuvent être d'accord sur certains points, sur certaines choses, la balle est dans leur camp.
Il y a un début de petite réponse dans ce que j'ai dit, dans l'avant-projet de loi qui a été déposé. Qu'est-ce qui va arriver de ça? Je ne le sais pas. Et, encore une fois, je vais mettre des bémols à ça parce que, dans cet avant-projet, il y a des choses qu'on ne peut absolument pas accepter ici au Québec. Mais cela étant dit, il faut constater quand même qu'il y a eu quelque chose.
M. Fournier: Peut-être une dernière...
Le Président (M. Landry, Bonaventure): ...
M. Fournier: Très, très rapidement. Vous nous dites qu'il faut être à l'écoute, il faut savoir ce qu'on veut, la balle est dans leur camp. Ce qui est clair, c'est que, lorsqu'il y a un référendum, il y a deux camps. C'est le oui ou c'est le non à la séparation. Vous, qu'est-ce qui est clair? Dans quel camp seriez-vous s'il y avait, vous parlez de moratoire, vous parlez qu'il ne faut pas en parler, mais s'il y en avait un, dans quel camp seriez-vous?
M. Allaire (Jean): C'est le genre de question, comme vous le savez, parce que vous êtes avocat, vous aussi, qu'on n'a pas le droit de poser en cour parce que c'est une question hypothétique, et en politique à plus forte raison, alors que la politique évolue quelquefois à la vitesse de l'éclair, d'autres au pas de tortue que j'ai mentionnés tout à l'heure. Alors, je ne sais pas quelle va être la situation dans six mois, juste dans six mois ou un an, alors je ne répondrai sûrement pas à cette question-là, même pas d'une façon hypothétique en disant: S'il n'y avait pas telle affaire, etc. Je ne répondrai pas à ça.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup.
M. Dumont: Oui, merci, M. le Président. Je veux revenir, je pense que le député de Châteauguay vient de m'ouvrir la porte, sur ce qui a été présenté par l'opposition officielle à Ottawa parce que, s'il y en a un qui a une expérience de ce que ça peut être dans le reste du Canada, que de parler de réaménagement majeur des compétences, c'est bien vous avec l'expérience que vous avez connue. Vous avez eu à aller leur parler, écouter les premières réactions quand le rapport qui porte votre nom a été déposé. Vous l'avez défendu ce rapport-là jusqu'à la limite de vos convictions.
C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles je suis ici aujourd'hui. Mais j'ai le sentiment, puis je ne vous accompagnais pas dans ces tournées-là, qu'il y a quand même aujourd'hui des gens, sept ans plus tard, qui commencent à repenser le partage des compétences vers une véritable Confédération, dans le sens juste du terme et non pas dans le sens qui a été déformé ici. Il commence à y avoir des gens qui voient, un, la valeur logique de ça, au-delà d'être pour ou contre le Québec ou d'aimer ou pas le Québec. Je ne suis pas sûr qu'il y ait bien des réformistes qui sont en amour avec le Québec, mais, d'un simple point de vue de logique, de comment ça coûte ce système-là, d'arrêter les chicanes, les empiétements, il commence à y avoir des gens qui réalisent des choses et qui veulent des arrangements pratico-pratiques. J'aimerais que vous nous fassiez une comparaison sur ce que vous avez entendu à ce moment-là versus aujourd'hui sur cette question-là surtout du partage des compétences.
Et, si je dis que le député de Châteauguay m'ouvre la porte, c'est le deuxième volet de ma question, si on veut faire évoluer les choses dans ce sens-là, comment le gouvernement du Québec devrait se positionner? Ça, c'est la deuxième question. Parce que, tant qu'on va être au Québec dans une dynamique fermée, vous pouvez quasiment mettre en guillemets, absurde, comme l'a présenté le député de Châteauguay en disant: Il y a une option, un absolu, puis tu es pour ou tu es contre, il n'y a pas un ensemble de compétences, il n'y a pas un ensemble de réalités, il y a un absolu, puis tu es pour ou tu es contre, tu divises le monde. La population est divisée 50-50, ah! on est menotté, on ne peut rien faire, alors que, dans la réalité, la vie est pas mal plus compliquée que ça, la vie est pas mal plus nuancée que ça, et il y a des façons très claires de rallier une très forte majorité de Québécois qui sont prêts pour une solution d'affirmation nationale un peu plus modérée et qui donnerait au Québec la force politique de faire peut-être bouger des choses.
M. Allaire (Jean): Bon. Je pense qu'il y a deux questions principales. La première est celle que vous venez de poser. La première, vous demandez quelle différence je peux faire entre la perception ou, enfin, l'opinion dans le reste du Canada. Pour vous expliquer - puis vous verrez que je n'ai pas besoin d'aller plus loin là-dedans - quand le rapport a sorti, j'ai été sur des lignes ouvertes de Vancouver à Halifax et je m'apercevais que les gens n'avaient même pas lu le rapport, mais on tirait à boulets rouges dessus parce que ça venait du Québec. Et ça a été, bon, une avalanche de protestations. Et ça, j'ai été à même de constater ce fait très souvent: on ne connaissait pas le contenu du rapport, mais on en parlait abondamment contre. Depuis ce temps, il y a peut-être un certain éveil, comme par exemple de la part des hommes d'affaires du Canada qui ont pris certaines initiatives mais qui, eux-mêmes, sont dans cette espèce de glu qui se développe de plus en plus, une espèce de... j'appelle ça un bourbier, des opinions qui se cristallisent quant au pouvoir à peu près absolu que le fédéral devrait avoir. Ça, ça me trouble profondément. Ils se réveillent à une réalité qu'ils ont toujours niée, mais ils se réveillent d'une drôle de façon et ils sont prêts à accepter à peu près n'importe quoi.
Je dois dire cependant qu'il y a certaines personnes, surtout chez les intellectuels du reste du Canada, qui seraient prêtes à accepter un fédéralisme asymétrique, mais ils sont noyés sous un concert de protestations. Ça, c'est la perception, enfin, moi, c'est ma perception des choses. Est-ce que ça a beaucoup avancé depuis le temps où j'y allais assez souvent, en 1991? Dans certains milieux, oui. Beaucoup se sont aperçus également que Meech a été une erreur fondamentale, une erreur extraordinaire; ils ont laissé passer quelque chose. Je ne sais pas si je réponds à votre question.
La deuxième, en quelques mots, la répéteriez-vous juste pour être...
M. Dumont: Le gouvernement du Québec, s'il veut provoquer des choses suite à ça?
M. Allaire (Jean): Oui. Bon, moi, je pense que le gouvernement du Québec, s'il veut provoquer des choses, doit dire que la porte est entrouverte, la balle est dans le camp. Si la balle est dans le camp, il faut que les autres sachent qu'on est capable d'en discuter et qu'on est prêt à en discuter, comme on le fait aujourd'hui, là. Même si on parle de manoeuvres puis tout ça, ce n'est pas des manoeuvres que de tenir, en tout cas, à mon avis, une commission parlementaire sur un document comme celui-là et de demander aux politiciens, et en particulier à l'opposition, qu'est-ce qu'ils en pensent. Ce n'est pas des manoeuvres politiques, c'est tout simplement une façon de savoir ce que la population a le droit de savoir. Et, moi, je pense que c'est ça. Le Québec ne peut pas encore une fois s'avancer et proposer des choses au reste; on a proposé pas mal de choses. Il y a eu du partenariat, etc. Bon, on ne parle plus du partenariat. Mais c'est drôle, c'est un autre parti, l'opposition officielle à Ottawa, qui parle de partenariat. Nous, on n'en parle pas; ça a été rejeté en 1995.
Alors, est-ce que c'est une lueur d'espoir? Est-ce que c'est une perception différente? Je me le demande. J'ai des doutes, mais j'ai un doute qui est un petit peu positif. On verra, on verra! Mais je pense que c'est à peu près le plus loin qu'on peut aller.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mme la députée de Sherbrooke.
Mme Malavoy: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Allaire.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): En trois minutes.
(16 heures)
Mme Malavoy: Trois minutes? Mon Dieu! Ça fond à vue d'oeil. Je voulais, M. Allaire, comme point de départ, peut-être, le début de votre raisonnement, ce que j'ai pu capter tout à l'heure, et puis ensuite m'arrêter sur un élément d'explication du manque d'intérêt des gens et essayer de poser deux questions rapidement. Vous partez du fait que la déclaration de Calgary ne suscite pas beaucoup d'enthousiasme chez les gens, et la réflexion que cela m'inspire, c'est que, un des problèmes, je pense, dans tout le débat constitutionnel, c'est que nous arrivons difficilement et avec certainement un manque de succès à faire le lien entre le débat constitutionnel et la vie des gens. Je pense que c'est notre responsabilité d'arriver à faire ce lien parce que je pense qu'il y en a un. Mais c'est un fait que les gens ne le perçoivent pas beaucoup.
Une des raisons que vous invoquez pour dire: Cette déclaration, c'est une déclaration insuffisante, c'est - j'ai beaucoup aimé ce passage-là - quand vous dites: Ça tient au sens que l'on donne aux mots et, entre autres, au mot culture. Et je pense que vous avez bien fait de rappeler que, quand nous parlons de culture québécoise, ce n'est pas simplement une culture folklorique, c'est vraiment la culture au sens profond de notre façon de voir le monde, englobant nos institutions et englobant aussi notre économie.
Alors, la question que je vous pose, les deux questions que je vous pose: Est-ce que vous croyez que, depuis 1867, on n'a pas finalement, malgré bien des tentatives, reculé par rapport à ce qui était, au point de départ, conçu comme étant un modèle de Confédération? Et est-ce que vous croyez qu'il y a moyen d'imaginer un fédéralisme qui soit capable de concilier deux façons différentes de voir la culture: celle du reste du Canada et la culture québécoise, au sens fort, au sens où vous l'avez rappelé tout à l'heure?
M. Allaire (Jean): Premièrement, quand on a parlé en 1867, bien, enfin, ça a commencé en 1864, au point de vue historique, vous vous souviendrez, et ça a abouti en 1867. On parlait d'une confédération, et ça n'a jamais été une confédération parce qu'une confédération, c'est une certaine alliance, entente entre des pays souverains. Donc, le Canada n'a jamais été une confédération. Ça a été une fédération - et le Canada l'est de moins en moins en fait de fédération - où il y a partage de pouvoirs et une certaine souveraineté ou une souveraineté complète dans les pouvoirs qui sont dévolus par exemple aux provinces.
Je crois qu'il y a eu des reculs marqués depuis 1867 et surtout depuis que nous n'avons plus de recours au Conseil privé de Londres qui, la plupart du temps, a donné raison aux revendications des provinces au point de vue légal, et on a annulé le recours au Conseil privé de Londres, comme vous le savez, pour le donner uniquement à la Cour suprême du Canada. Il est arrivé ce qu'on a vu par la suite.
Quant à la culture, j'ai abordé une seule fois je crois en public, lors d'une rencontre des Barreaux du Québec et de l'Ontario, il y a déjà quelques années, trois ou quatre ans, je pense, le point de vue en question, c'est-à-dire la différence marquée qu'il y a entre la signification du mot culture dans le reste du Canada, ou du moins culture qu'ils voient quant au Québec, et la signification qu'on lui donne, nous, et qu'on doit lui donner également, sinon le mot culture ne veut plus rien dire. Et, à la fin, c'était un «Oxford debate», un débat à la mode de Oxford, et celui qui était un de mes opposants est venu me dire: Si vous pensez que le mot culture veut dire ce que vous avez dit, je ne vois pas comment on peut s'entendre avec vous. Ça m'a marqué profondément et ça me trouble également. Je crois que c'est fondamental que de s'entendre sur les mots qu'on va employer, sinon les quiproquos vont se suivre, et nous serons toujours en guerre les uns avec les autres. Il faut commencer à s'entendre sur les mots et la vraie signification des mots, ce qu'il y a derrière chaque mot, qu'on ne peut pas utiliser n'importe comment, comme je l'ai souligné tout à l'heure pour le mot tolérance.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, Me Allaire. Ça termine le temps d'échange que nous avions de prévu à notre horaire. Je vous remercie de cette présentation, de ces échanges.
J'inviterais maintenant M. Simon Langlois.
(Changement d'organisme)
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. Langlois, vous disposez d'une période de 20 minutes pour nous présenter votre réflexion sur la déclaration de Calgary.
M. Simon Langlois
M. Langlois (Simon): Merci, M. le Président. Alors, M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les députés, mesdames, messieurs, il me semble important que l'Assemblée nationale du Québec, examine en commission parlementaire la déclaration de Calgary. Les Canadiens des autres provinces y ont explicité leur vision du Canada, et les Québécois, quelles que soient leurs options constitutionnelles, se doivent d'expliquer aux Canadiens anglophones quels sont les aspects avec lesquels ils sont en accord et quels sont les aspects avec lesquels ils sont en désaccord.
Cette déclaration de Calgary est une initiative des provinces canadiennes anglophones à laquelle ni le gouvernement du Québec ni le gouvernement fédéral n'ont participé. Elle révèle l'existence de l'insatisfaction des provinces canadiennes vis-à-vis le gouvernement central, insatisfaction qui porte principalement sur deux objets: les programmes sociaux et la question constitutionnelle aussi, puisque le groupe qui a amorcé cette réflexion qui a débouché sur la déclaration de Calgary est d'abord parti de cette insatisfaction vis-à-vis du traitement de la question constitutionnelle avant et après le référendum.
Alors, les premiers ministres provinciaux acceptent de plus en plus mal que le gouvernement fédéral modifie presque unilatéralement les règles du jeu en matière de financement des programmes sociaux, l'assurance emploi et le financement des soins de santé étant les dossiers les plus chauds. Alors, ce n'est sans doute pas par hasard que le préambule de la déclaration et son article 7 mettent beaucoup d'insistance sur le respect des compétences respectives des gouvernements provinciaux et fédéral et marquent la nécessité d'oeuvrer de concert.
Les premiers ministres provinciaux ont aussi exprimé de nombreux griefs sur la façon dont le gouvernement central est intervenu avant et immédiatement après le deuxième référendum sur la souveraineté du Québec. Alors, cette déclaration propose une sorte de cadre général de discussion à venir en matière constitutionnelle, sans avancer, cependant de réforme concrète sur les institutions ni sur le partage des pouvoirs.
Alors, parce qu'elle est l'initiative des seules provinces à majorité anglophone, cette déclaration est un document important non pas pour les solutions qu'elle propose à la crise canadienne, mais plutôt pour la position du problème qu'elle contient et les postulats sur lesquels elle repose. On y trouve, en fait, une lecture de la société canadienne qui aide à comprendre les sources de l'impasse actuelle entre le Québec et le Canada anglophone.
Alors, il faut comprendre, ça a été mon approche, ce document à partir du point de vue d'où il a été rédigé, c'est-à-dire le point de vue de ce que j'appelle ici un nouveau Canada anglophone. Une approche plus classique eut été de rappeler les mutations du Québec afin de voir comment cette déclaration de Calgary les prenait en compte. J'ai plutôt essayé de montrer comment la déclaration de Calgary reflète, en fait, de nouvelles caractéristiques de la société canadienne. Et en adoptant cette perspective, nous entendons faire ressortir que la déclaration répond d'abord aux besoins propres du nouveau Canada anglophone qui s'est radicalement transformé depuis l'après-guerre.
Plus largement, cette déclaration peut être considérée comme un discours qui explicite une nouvelle définition du pays en continuité avec les mutations sociologiques qu'il a connues en dehors du Québec, mais en rupture avec la dualité linguistique qui a toujours caractérisé le Canada.
Cette déclaration, je l'ai dit, est d'abord un discours identitaire. Elle définit le Canada mais aussi le Québec du point de vue du Canada. Alors, comme tout discours identitaire, cette déclaration procède par choix d'aspects jugés centraux et par sélection de ce qu'on pourrait appeler les acteurs qui ont un rôle à jouer. Alors, quels sont ces acteurs? Eh bien, sont mentionnés les peuples autochtones, les provinces, le gouvernement fédéral, je cite: «Une population issue de toutes les régions du monde», les Canadiens et les Canadiennes.
Alors, nulle part la déclaration ne mentionne l'existence du fait national canadien-français ni les communautés francophones et acadiennes, comme on les appelle maintenant. Le document parle plutôt du «dynamisme des langues française et anglaise» dans l'article 4. Et, par ailleurs, la société québécoise est définie dans la déclaration comme étant unique par sa majorité francophone, sa culture, sa tradition de droit civil. Alors, la société québécoise ne serait-elle qu'une entité statistique, comme le donne à penser le mot majorité?
(16 h 10)
J'ai, dans mon texte, essayé d'analyser - soyez sans crainte, je ne résumerai pas cette partie - les mutations morphologiques du nouveau Canada afin d'essayer d'expliquer cette vision des choses que je viens de présenter bien sommairement. Si le Québec a bien changé depuis 40 ans, le Canada aussi, de son côté, a bien changé. Or, ce sont ces changements qui expliquent l'orientation du cadre de discussion proposé à Calgary.
J'ai identifié, dans le texte, cinq changements. Le premier, c'est l'accentuation de l'immigration. Il faut comprendre qu'en moins de 50 ans environ 7 500 000 personnes se sont établies au Canada. C'est l'équivalent d'un pays au complet comme la Suisse ou l'Autriche qui y aurait déménagé. Ce changement est considérable.
Compte tenu de sa taille, le Canada est, en ce moment, de tous les pays industrialisés, celui qui est le plus ouvert à l'immigration et il affiche le plus fort taux de croissance démographique des pays comparables. Le Canada est maintenant un pays de 30 000 000 d'habitants, c'est-à-dire la moitié du Royaume-Uni, la moitié de la France ou la moitié de l'Italie, ce qui est considérable. C'est à peine 10 000 000 de moins que l'Espagne.
Alors, parallèlement à cette augmentation de l'immigration, nous avons assisté à une très forte polarisation linguistique et à une régression du fait français dans le reste du Canada. Le Canada est devenu maintenant un pays polarisé sur le plan linguistique, et c'est là une tendance lourde et une nouvelle réalité sociologique.
Je ne décrirai pas plus avant cette polarisation. J'ai pris la peine de mettre plusieurs tableaux - dont certains sont tirés du dernier recensement - qui illustrent très bien que les francophones se concentrent davantage au Québec, que la place relative des francophones dans le reste du Canada régresse même si leur nombre absolu augmente, et la place des francophones dans les provinces de l'Ouest en particulier est devenu à peu près équivalente à celle de la plupart des autres groupes dits ethniques qui ont peuplé ces provinces.
J'insiste aussi, dans le texte, sur la mutation de l'équilibre régional. Les deux provinces les plus à l'ouest du Canada, l'Alberta et la Colombie-Britannique, représentent maintenant à peu près le même poids démographique que le Québec. Et, même si deux Canadiens sur trois vivent en Ontario et au Québec, c'est sans contredit une tendance importante de la société canadienne que de voir un déplacement vers l'Ouest.
À ces changements importants s'ajoute ce qu'on pourrait appeler un continentalisme accru - je ne sais pas si le mot est français, mais c'est un mot accepté dans les sciences sociales canadiennes - le continentalisme étant considéré, dans les années soixante et soixante-dix, comme étant, en quelque sorte, la négation même de l'identité canadienne. Rappelez-vous, par exemple, les commissions mises de l'avant par le gouvernement Trudeau pour filtrer les investissements étrangers, notamment américains, par crainte d'une trop forte emprise sur l'économie canadienne. Cette crainte vis-à-vis le continentalisme s'est complètement estompée avec la négociation, d'abord, de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis puis avec le Mexique. Le Canada, maintenant, est bien intégré dans l'économie nord-américaine.
Enfin, le Canada, c'est aussi un pays caractérisé par une forte économie postindustrielle qui la place au rang des pays les plus développés.
Alors, voilà donc pour le contexte. Et je pense que ce contexte était, au début des travaux de cette commission, important à rappeler parce que ça nous aide à comprendre la dynamique des relations entre Québec et Canada, ou encore, l'impasse qui caractérise ces relations en ce moment.
Il se dégage de ces changements qu'une nouvelle construction nationale et en émergence au Canada. Une nouvelle identité, une nouvelle représentation de soi a émergée qui a aussi donné lieu à l'émergence d'un nouveau sentiment national.
J'emploie à dessein l'expression «sentiment national», concept qui ne doit pas être confondu avec le nationalisme, pour bien marquer la distinction à faire entre ce qu'on pourrait appeler une idéologie, dans le bon sens du terme, d'un groupe, et la représentation sociale qui exprime le sentiment d'appartenance partagé par les individus, qu'on appelle le sentiment national.
Le «One Canada» rêvé par John Diefenbaker est maintenant, à toutes fins pratiques, un fait acquis en dehors du Québec. C'est une construction nationale qui a reçu une impulsion majeure avec l'adoption de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette loi a en quelque sorte reconnue dans l'ordre juridique les transformations sociologiques à l'oeuvre depuis l'après-guerre.
Alors, de nouvelles valeurs ont émergé qui marquent la représentation de lui-même que le nouveau Canada entend se donner. Ces valeurs sont connues, vous le savez. L'égalité entre les individus, l'égalité entre les provinces sont sans doute celles qui reviennent le plus souvent dans les discours et qui reviennent aussi dans la déclaration de Calgary, à laquelle il faut ajouter la recherche du bien-être des citoyens et la promotion du bilinguisme au niveau institutionnel pancanadien.
Le Canada s'est doté en 1982 d'une Charte des droits et libertés qui a acquis une énorme importance symbolique dans la culture canadienne. La référence aux droits de la personne a changé cette culture politique et probablement contribué plus que tout autre facteur à la confection d'une identité nouvelle. Les cours de justice sont de plus en plus souvent appelées à régler des conflits entre un groupe ou citoyens qui, autrement, auraient dû trouver une solution par voie de négociation. Faire valoir son point de vue par juges interposés, voilà le trait marquant de ce que le juge Dickson a appelé «la démocratie constitutionnelle».
La deuxième idée-force, c'est celle de l'égalité entre les provinces, elle apparaît dans au moins trois articles de la déclaration de Calgary. En fait, autour de ces idées que je résume plus longuement dans le texte, on assiste à la consolidation d'une identité canadienne nouvelle, d'une représentation de soi comme totalité, comme «communauté imaginée», pour reprendre l'expression d'un écrivain connu, Anderson.
Alors, les immigrants nouvellement installés au Canada, les 7 000 000 notamment que j'ai évoqués tout à l'heure, c'est-à-dire l'équivalent d'un pays complet qui aurait déménagé ici, ne pouvaient pas se définir comme Canadiens anglais ni comme Canadiens français, n'étant pas de souche britannique ni francophone. Ils se sont tout simplement identifiés comme Canadiens en dehors du Québec dans le reste du Canada et comme Québécois pour certains d'entre eux ou comme francophones au Québec. Et ils ont appris l'anglais, je parle toujours en dehors du Québec, pour participer à la société civile de leur nouveau pays. En 1998, les trois premiers ministres des provinces des Prairies étaient tous des citoyens, sont tous, devrais-je dire, des citoyens de souche récente non britannique et ils se définissent, eux-mêmes, comme Canadiens, sans trait d'union, comme le font une partie grandissante de leurs compatriotes.
Alors, dans ce contexte nouveau, les francophones en dehors du Québec sont parvenus à réconcilier leur identité propre de francophones avec cette identité canadienne en se définissant comme Canadiens bilingues et non plus, explicitement, comme Canadiens français, reconnaissant dans les faits l'importance de l'anglais au même titre que le français comme référent de leur nouvelle identité. En fait, trois composantes marquent les contours de la nouvelle identité francophone en dehors du Québec: l'appartenance régionale, le statut minoritaire et l'appartenance à l'un des grands groupes linguistiques du Canada.
Alors, reste le Québec, dont les citoyens de langue française, qu'ils soient fédéralistes ou souverainistes, ont aussi développé un fort sentiment national qui leur est propre, une nouvelle identité qui se présente comme identité nationale et non pas ethnique, ouverte à l'intégration des immigrants. Cette identité québécoise qui, soit dit en passant, est pour plusieurs citoyens tout à fait conciliable avec leur sentiment d'appartenance au Canada.
Émerge donc, en ce moment, non seulement un nouveau sentiment national canadien, mais aussi un nouveau nationalisme canadien. Il y a dans tout nationalisme, vous le savez, deux grandes forces à l'oeuvre: l'affirmation de soi mais aussi la crainte de l'autre et le ressentiment. Or, nous constatons en ce moment la montée d'une certaine intolérance dans plusieurs milieux canadiens envers le Québec. La montée, même, d'un ressentiment envers les Québécois souverainistes mais aussi envers les Québécois fédéralistes qui n'acceptent pas le nouveau cadre identitaire canadien que je viens de décrire. Pensons au conflit interne qui caractérisent en ce moment le milieu d'Alliance Québec, qui illustre très bien ce que je viens de dire.
Ce ressentiment s'est exprimé dans l'élaboration de ce qu'on a appelé «le plan B», malheureusement alimenté par certains discours enflammés de plusieurs politiciens et il s'exprime aussi avec force dans la presse anglophone du Canada anglais. La presse anglophone a joué un rôle clé dans l'élaboration de ce nouveau nationalisme canadien. Mais elle alimente aussi, plus souvent qu'autrement, en ce moment, le discours du ressentiment.
Le multiculturalisme est devenu l'un des principaux marqueurs dans l'identité canadienne. En adoptant le multiculturalisme, le Canada s'est donné une politique adaptée à ces changements morphologiques que j'ai décrits tout à l'heure.
(16 h 20)
Le multiculturalisme est certainement une composante essentielle de la nouvelle définition officielle que les Canadiens anglophones se donnent d'eux-mêmes et donnent de leur pays. Certains analystes ont reproché à cette politique de promotion de la diversité d'enfermer les communautés dans leurs différences. Cette critique est cependant restée sans grand écho parce que les individus s'intègrent de fait dans la société d'accueil qui est principalement de culture anglophone en dehors du Québec, comme l'ont montré les travaux de plusieurs sociologues que je cite dans le texte, notamment John Conway et Reginald Bibby, deux sociologues de l'Ouest canadien. Le sociologue de la Colombie-Britannique, Ian Angus, a proposé récemment une analyse assez nouvelle du multiculturalisme canadien, que je résume brièvement dans mon texte. Pour lui, la notion de multiculturalisme prend trois sens: c'est d'abord une donnée sociologique qui reflète les mutations qui traversent nos sociétés; c'est aussi une politique publique adoptée par certains États pour intégrer et accueillir une diversité grandissante d'immigrants; et enfin c'est une philosophie ou une idée sociale qui implique une nouvelle définition d'un nous collectif. Le multiculturalisme ne s'oppose pas à la nation, contrairement à ce qu'on laisse entendre parfois. Le multiculturalisme et l'appartenance nationale ne sont pas conflictuels, puisqu'ils ne sont pas en compétition sur le même plan. Le multiculturalisme canadien affirme la diversité qui prend place dans un cadre unilingue, national, pluriculturel, toujours selon Angus. Le multiculturalisme ne remet pas en cause l'adoption de l'anglais comme langue commune en dehors du Québec ni les institutions d'origine britannique. Il n'est donc pas destructeur des bases historiques sur lesquelles est fondé le Canada anglais. Le ciment, l'unité vient du commun accord à partager la même langue, à vivre dans un cadre unilingue anglais au Canada, et français au Québec, pourrions-nous ajouter.
En fait, au lieu de se référer à une mythique souche commune, une longue histoire à partager, les individus font valoir de plus en plus maintenant qu'ils viennent de divers horizons, tout en partageant de vouloir vivre ensemble, à commencer par une langue commune et l'adhésion à une charte qui protège leurs droits en tant qu'individus.
Entre-temps, comme vous le voyez, le multiculturalisme se justifie comme politique publique à condition qu'il s'accompagne d'une culture publique commune, pour reprendre un concept mis de l'avant par Gary Caldwell ou le père Julien Harvey, qui vient de décéder, et qui avaient proposé cette philosophie il y a déjà quelques années, philosophie qui est maintenant bien connue.
L'enjeu des prochaines années au Québec nous semble être le suivant: le Québec n'aura pas le choix de faire un jour ce que fait en ce moment le Canada, c'est-à-dire que l'immigration sera sans doute importante dans les 50 prochaines années compte tenu du faible taux de natalité. Il est donc aussi légitime pour la société québécoise de chercher à intégrer les nouveaux arrivants à la majorité francophone que ce l'est pour le reste du Canada de les intégrer à la majorité anglophone. Les immigrants qui n'accepteraient pas cette politique ont bien sûr le choix d'émigrer ailleurs. Ce faisant, n'oublions pas que le Québec accepte aussi de se transformer lui-même de l'intérieur, comme ce fut le cas pour le reste du Canada. Loin d'être le réflexe frileux d'une société incapable de se reproduire, les lois linguistiques marquent plutôt la volonté d'intégrer les nouveaux arrivants. Charles Taylor et d'autres ont maintes fois montré que ces lois et l'obligation de fréquentation scolaire sont tout à fait compatibles avec le respect des droits fondamentaux des citoyens protégés par les chartes. Les Québécois n'ont donc pas à se défendre de vouloir intégrer les nouveaux arrivants. Ils doivent expliquer ce qu'ils entendent faire, soit, mais non pas s'en excuser.
Alors, c'est précisément sur ce point que la déclaration de Calgary pose problème. Pour arriver à intégrer à l'avenir les immigrants qu'il ne manquera pas de recevoir, le Québec a besoin d'institutions, de pouvoirs et de moyens. Sans eux, sans les lois linguistiques, sans la volonté exprimée d'intégrer les nouveaux arrivants à la majorité francophone, les francophones du Québec deviendraient vite un gros groupe ethnoculturel de souche française, comme les Acadiens ou les Louisianais, puisque la force d'attraction de l'anglais attirerait sans doute une forte majorité des immigrants - regardez le tableau 5 de mon rapport pour le voir.
Les Québécois, souverainistes comme fédéralistes dans la tradition de Claude Ryan ou de Robert Bourassa, reconnaissent que c'est là la voie à suivre pour que le Québec se développe comme société d'accueil francophone. N'est-ce pas là la condition non pas de la survie, mais plutôt du développement et du dynamisme de la face francophone du Canada dont l'avenir se joue en ce moment au Québec?
Alors, en conclusion, la constitution d'un pays reflète les idéaux collectifs partagés par ses citoyens, mais elle doit aussi s'ajuster aux nouvelles réalités sociologiques. Les nouvelles valeurs qui sont présentées dans la déclaration de Calgary reflètent précisément cette diversité accrue de la société canadienne, puisqu'on insiste sur la diversité, la tolérance, la compassion, l'égalité des chances, sans oublier l'égalité entre les individus et l'égalité entre les provinces.
Mais qu'en est-il des mutations que j'ai évoquées plus haut et notamment de cette polarisation que nous observons entre francophones et anglophones, francophones au Québec, anglophones dans le reste du Canada? L'article 4 reconnaît explicitement les peuples autochtones. Il parle du caractère multiculturel d'une population issue de toutes les régions du monde. Mais cet article est muet sur le Canada-français historique. Les rédacteurs passent directement de la référence aux premiers habitants du pays à la référence aux nouveaux habitants venant de toutes les régions du monde dont le nombre a augmenté après les changements aux lois discriminatoires qui régissaient l'émigration au Canada jusqu'aux années cinquante. Fort bien, mais entre les deux, n'y a-t-il donc rien eu? Quelques millions de Canadiens-français n'ont-ils pas contribué à façonner aussi le pays?
Plus largement, le document ne prend pas en compte les changements qui ont marqué la dualité linguistique historique du Canada. Mis à part la référence au dynamisme des langues française et anglaise à l'article 4 et à la majorité francophone du Québec à l'article 5, on ne parle pas des langues officielles ni des groupements qui les parlent, communautés, nations ou sociétés, appelons-les comme on veut, selon les perspectives. La déclaration insiste sur l'égalité entre les individus et l'égalité entre les provinces, mais non sur l'égalité entre les groupes linguistiques.
Alors, comment considérer la place des francophones dans la Constitution canadienne? Quelles modifications devrait-on y apporter, si l'on adopte une logique fédéraliste, pour y reconnaître les nouvelles réalités sociologiques? Alors, répondre à ces questions exige de considérer le cas des communautés francophones hors Québec et celles du Québec.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. Langlois, je vous inviterais à conclure. On a déjà dépassé le 20 minutes, mais vous pourrez revenir au moment de l'échange sur d'autres aspects que vous n'avez pas eu le temps de traiter à date.
M. Langlois (Simon): Très bien. Alors, permettez que je réponde à la question que je viens de poser. Au fond, les grands oubliés de cette déclaration, je pense, sont précisément les communautés francophones canadiennes et le Québec, tel qu'il s'est transformé au fil des dernières années.
J'ai ici le rapport du groupe de travail du Manitoba sur l'unité canadienne, dans lequel on rappelle très bien les revendications des groupes francophones de cette province, aussi, les revendications des groupes autochtones. Mais, assez curieusement, ce rapport ne reprend dans ses attendus que les revendications des groupes autochtones, passant complètement sous silence les revendications des groupes francophones.
Alors, pour moi, c'est un indicateur, justement, qui illustre très bien ce changement ou cette prise de distance par rapport à la réalité nouvelle des francophones au Canada, qui, aussi, n'est pas reconnue dans le cas du Québec dans le sens qu'on ne fait pas référence aux institutions propres ou encore au cadre législatif qui lui permettrait de jouer le rôle de société d'accueil qui est le sien, tout comme le Canada joue de son côté le rôle de société d'accueil pour les anglophones. Alors, je vous remercie et il me fera plaisir de répondre à vos questions.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, M. Langlois. M. le ministre.
M. Brassard: M. le Président, je voudrais remercier M. Langlois d'avoir accepté de venir nous rencontrer pour échanger avec nous. En prenant connaissance de son mémoire, je me suis rappelé, évidemment, l'un des éléments clés du rapport de la commission Bélanger-Campeau quand, dans ce rapport, on faisait référence à ce qu'on a appelé le choc des identités, le choc des visions et le choc des aspirations nationales.
Je constate cependant que depuis la commission Bélanger-Campeau - ce n'est pas un reproche que je vous fais - votre pensée a évolué, d'une certaine façon, à l'égard du Canada parce que, à cette époque-là, vous avez témoigné devant la commission, en 1990, et vous écriviez alors que le Canada est un pays sans identité propre. C'est ce que vous nous disiez à l'époque. Et là, évidemment, quelques années plus tard, vous nous dites... Je ne le conteste pas. Pour un intellectuel et un universitaire et un sociologue, c'est tout à fait normal d'abord de penser puis, quand la réalité change, de modifier son point de vue, mais là, maintenant, ce que vous constatez, c'est l'émergence d'une nouvelle identité canadienne dont les valeurs se refléteraient dans la déclaration de Calgary.
(16 h 30)
Vous rejoignez aussi M. Allaire qui tout à l'heure nous indiquait que le Canada est à la recherche de son identité et que, dans cette perspective-là, les programmes sociaux, par exemple, sont perçus comme un élément déterminant de cette identité qui, selon vous, est en train d'émerger.
La question que je vous poserais dans cette perspective-là, c'est: Est-ce que l'émergence d'une nouvelle identité canadienne dont vous avez longuement parlé est compatible avec la reconnaissance de l'identité nationale québécoise? La Constitution du Canada peut-elle refléter l'existence simultanée, je dirais, de deux cultures publiques communes, pour employer l'expression de M. Matthews que vous avez reprise? Théoriquement, peut-être, mais concrètement et pratiquement, est-ce qu'il y a, selon votre analyse de la réalité, une incompatibilité entre ces deux identités nationales?
M. Langlois (Simon): Alors, sur le premier point, je pense qu'il est faux de dire que le Canada n'a pas d'identité. Au contraire, le Canada s'est donné une identité et il l'affirme maintenant avec de plus en plus de force. J'ai essayé d'en dégager les contours dans le texte.
M. Brassard: C'est parce que j'évoquais qu'en 1990 vous aviez, à ce moment-là, devant la commission Bélanger-Campeau, plutôt plaidé que, à cette époque-là, le Canada n'avait pas d'identité bien définie.
M. Langlois (Simon): C'est-à-dire que c'était une identité incertaine...
M. Brassard: Oui.
M. Langlois (Simon): ...une identité - comment dire? - qui était à la recherche d'elle-même.
M. Brassard: Quelques années plus tard, vous nous dites qu'elle est en train de se préciser.
M. Langlois (Simon): C'est-à-dire: elle s'est précisée...
M. Brassard: Oui.
M. Langlois (Simon): ...et, je pense, très fortement au cours des dernières années. Au fond, la dernière décennie a été très marquante parce qu'on a vu maintenant les effets de 1982 s'affirmer avec plus de force, si on veut. La Loi constitutionnelle de 1982 a donné beaucoup de légitimité aux grandes idées nouvelles qui fondent le Canada, c'est-à-dire l'égalité entre les individus, l'égalité entre les provinces, l'égalité entre des gens qui viennent de partout et qui forment une nouvelle communauté identitaire.
Ceci dit - et c'est ça qui est le sens de mon texte - au fond, il y a deux évolutions au Canada qui se sont faites en parallèle avec cette polarisation linguistique que j'ai évoquée au départ, c'est-à-dire un Canada anglophone qui est maintenant beaucoup plus sûr de lui-même dans sa propre identité, qui s'affirme comme une communauté anglophone, si on veut. C'est-à-dire: en dehors du Québec, c'est l'anglais qui est la langue commune, c'est l'anglais qui est la langue d'intégration des nouveaux arrivants. Et cette intégration se fait aussi autour d'idées centrales comme l'égalité, l'égalité protégée par une charte des droits.
Or, ce qui est difficile dans ce cadre-là, c'est de reconnaître l'existence d'une autre société d'accueil qui a aussi besoin d'institutions propres, qui a aussi besoin d'une reconnaissance que c'est une finalité aussi légitime que de vouloir intégrer, au fait, à la majorité francophone les nouveaux arrivants, que c'est légitime pour le reste du Canada de le faire de son côté, si on veut.
Or, je pense qu'effectivement on voit s'affronter maintenant deux sentiments nationaux et même, dans certains cas, deux nationalismes aussi. Parce que n'oublions pas qu'il y a un nationalisme canadien maintenant qui s'affirme et qui, à l'occasion de la nomination, par exemple, d'un directeur à l'hôpital d'Ottawa ou encore à d'autres occasions, eh bien, manifeste cet aspect du nationalisme que j'ai appelé tantôt le ressentiment ou la crainte de l'autre, parce que dans tout nationalisme, je l'ai dit, il y a toujours ces deux faces, si on veut, et ça vaut aussi pour le nationalisme canadien.
Alors, c'était en fait la conclusion de mon texte que je n'ai pas eu le temps de rappeler, mais, au fond, ce que nous avons devant nous, c'est la nécessité d'aménager sur le plan constitutionnel l'existence de deux sociétés d'accueil différentes: l'une qui sera française au Québec et l'autre, au fond, qui s'affirme comme communauté de langue anglaise dans le reste du Canada.
M. Brassard: Mais je comprends que ce n'est pas ce qu'on retrouve dans la déclaration de Calgary. À cet égard, une question très simple: Selon vous, dans cette perspective-là, de deux identités nationales, deux sociétés d'accueil distinctes, le fait qu'à Calgary les premiers ministres du Canada anglais aient décidé de retirer le terme «d'institution» dans la définition du caractère unique du Québec, est-ce que ça vous apparaît révélateur, signifiant?
M. Langlois (Simon): Oui, tout à fait, parce que le mot «institution», tout comme la capacité de légiférer sur ces questions-là, est fondamental pour que cette société d'accueil puisse effectivement fonctionner. Par exemple, s'il n'y avait pas de loi 101 au Québec, on pourrait difficilement imaginer que les nouveaux arrivants puissent s'intégrer, si on veut, à la majorité francophone. Alors, la loi 101, l'obligation de fréquentation du système scolaire québécois francophone, c'est un élément central de cette politique d'accueil et d'intégration des immigrants. Alors, effectivement, si le Québec perdait cet instrument, ça mettrait en question sa capacité même, au fond, de survie dans le prochain siècle, dans les 50 ou 100 prochaines années, en tant que société francophone.
M. Brassard: Par conséquent, la déclaration de Calgary ne vient pas, d'aucune façon, renforcer la capacité d'intégration de la société d'accueil québécoise.
M. Langlois (Simon): C'est-à-dire qu'elle est muette là-dessus. On dit: Le Québec, c'est unique. Bon, très bien, mais encore il faut maintenant attendre de savoir quel contenu on va donner. Mais les indices que nous avons dans cette déclaration qui insiste constamment sur l'égalité entre les provinces, M. Ryan l'a rappelé en disant qu'à trois endroits, dans trois articles, il y avait cette insistance qu'il trouvait un peu lourde. Eh bien, je pense qu'on a là un indice que la reconnaissance d'institutions spécifiques va être sans doute difficile.
M. Brassard: Merci.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Châteauguay.
M. Fournier: Oui, je vais prendre au vol où on en est, justement à propos des valeurs et de l'égalité, parce que je lisais: «La déclaration...» page 25 - bonjour, d'abord - de votre mémoire où on dit: «La déclaration retient un ensemble de valeurs privilégiées par les Canadiens: diversité, tolérance, compassion et égalité des chances.» Je pense bien qu'on peut dire que les Canadiens incluent les Québécois là-dedans, dans ce genre de valeurs. Et je pense qu'il ne faut pas oublier, - je pense que vous avez raison de le mentionner, ce qu'a déclaré M. Ryan - ceci étant, il faut aussi remettre en relief et ne pas oublier le concept d'égalité des chances qui se retrouve dans la déclaration de Calgary.
D'abord, parce qu'elle permet de comprendre, autant au niveau de l'égalité des individus que de l'égalité des provinces, que égalité ne veut pas dire uniformité. C'est malheureux que, ce matin, Me Frémont ne se soit par arrêté là-dessus ou d'autres ne se soient pas arrêtés. Je note que vous l'avez vu dans la déclaration, ce concept de l'égalité des chances qui, avec la notion de diversité qui revient aussi dans la déclaration, nous permet de comprendre que, ce que les premiers ministres des provinces ont tenté de dire, j'imagine, c'était qu'il y avait une égalité de statut, comme Me Frémont le disait, qui était normale dans un système fédéral, mais que cette égalité ne signifiait pas identique et qu'il pouvait y avoir... D'ailleurs, un des paragraphes, on en a parlé tantôt, Me Allaire répondant au ministre disait qu'effectivement, à partir du paragraphe 6, on peut y dénoter une asymétrie potentielle, donc, forcément, il ne s'agit pas d'une égalité dans l'identité, mais une égalité qui doit être obtenue, notamment via l'égalité des chances.
(16 h 40)
Je m'attarde à ces valeurs-là parce que je veux juste revenir sur un autre point dont on a déjà entendu parler durant la journée, le ministre vient d'en parler encore, puis je veux juste inscrire ce qui me semble être un consensus, mais je ne veux pas qu'on le mette en opposition. À l'égard des programmes sociaux, je ne pense pas que ce soit uniquement les Canadiens à l'extérieur du Québec qui valorisent les programmes sociaux et je vais citer ce que je cite assez régulièrement, mais pour le ramener puis qu'on le garde dans notre tête tout au long de ces délibérations, on n'aura pas à revenir là-dessus. C'est Lucien Bouchard lui-même, le premier ministre, excusez-moi, dans le temps qu'il était Lucien Bouchard, en 1993, donc, il était chef du Bloc, il s'en allait en élections à Ottawa et il disait ceci pour les élections qui s'en venaient en 1993 à Ottawa: «Je suis de ceux qui croient que le Canada, ce n'est pas rien que des échecs - a-t-il enchaîné dans la verve qui lui est caractéristique, c'était dans, Le Devoir du 18 juin - on n'a pas vécu ensemble pendant 125 ans pour ne faire que des erreurs, et l'une des grandes réussites canadiennes, c'est qu'on s'est souciés des démunis et qu'on a essayé de partager la richesse. On a créé des programmes sociaux qui comptent parmi les meilleurs au monde, et ça, il faut le préserver.»
Alors, juste noter ici qu'il y a une espèce de communauté de valeurs qui existe donc, à l'intérieur du Canada, Québécois et Québec inclus, notamment à l'égard des programmes sociaux. Et je pense qu'il faut ne jamais oublier, ne jamais perdre de vue que, autant pour la diversité, la tolérance, la compassion, l'égalité des chances, il y a aussi cette communauté de valeurs avec les programmes sociaux.
Ma première question que je veux vous poser se rapporte à un passage que je lis à la page 19 de votre mémoire, c'est en bas de page, où vous nous dites qu'«une identité québécoise qui, soit dit en passant, est pour plusieurs citoyens tout à fait conciliables avec leur sentiment d'appartenance au Canada. Jocelyn Létourneau propose même l'idée que l'ambivalence, la double appartenance est un trait constitutif propre de l'identité québécoise francophone qu'il faut reconnaître comme telle.» Vous l'écrivez, là, vous parlez de Jocelyn Létourneau. Est-ce que vous partagez ce point de vue là, est-ce que vous croyez que cette double appartenance - vous l'écrivez, j'imagine que vous le croyez, mais vous citez quelqu'un d'autre - constitue un trait constitutif de l'identité québécoise francophone?
M. Langlois (Simon): Oui, il faut voir que, pour beaucoup de Québécois, et je pense même pour tous les Québécois, le Canada, c'est le pays qu'ils ont construit et que leurs ancêtres ont construit. Je pense qu'il y a un consensus là-dessus. Ce qui déçoit beaucoup de personnes et ce qui inquiète, disons, beaucoup de personnes, c'est de voir que le Canada lui-même se transforme de son côté et oublie de manifester clairement l'existence de cette dualité. Regardons ce qui passe avec les minorités francophones hors Québec. On en parle nulle part dans le document. Et j'ai bien montré dans mon texte qu'il fallait distinguer entre minorité ethnique et minorité nationale. Or, les minorités francophones hors Québec sont des minorités nationales qui, finalement, ont des droits dans la Constitution aussi, nous le savons, mais qui ne sont pas rappelées comme acteurs importants de la Constitution, enfin, du pays, si on veut. Tous les acteurs y sont - je l'ai dit dans mon texte - les peuples autochtones sont identifiés comme tels, comme peuples autochtones, on parle de personnes qui viennent de partout dans le monde, on parle de provinces, du gouvernement fédéral, des Canadiens et des Canadiennes, mais, en réalité, il n'y a pas cette référence à la dualité linguistique constitutive.
Alors, cette dualité, elle a évolué de deux façons - je l'ai, je pense, assez bien caractérisé dans le texte. Il y a eu un fractionnement du Canada français qui, en dehors du Québec, se définit plutôt comme des minorités nationales qui acceptent une part dans la définition d'eux-mêmes d'être Canadiens. Et, au Québec, eh bien, au fond, le Québec a plutôt élaboré de son côté, je pense, une identité propre, une identité québécoise qui, par définition, se veut ouverte à l'intégration de nouveaux arrivants, si on veut. Or, on le voit, dans les deux cas, je pense qu'il serait possible de concilier ces identités avec l'appartenance canadienne, mais le problème, c'est qu'il faudrait aussi que, de l'autre côté, il y ait la reconnaissance, qu'il y ait même, dans des énoncés de principe comme la déclaration de Calgary, des propositions à cet effet. Or, moi, ce qui me frappe, c'est que la seule référence à cet aspect, c'est la majorité québécoise, ce qu'on appelle la majorité francophone, et, pour moi, majorité, c'est bien plus un concept statistique, si on veut, une entité statistique, qu'une reconnaissance sociologique.
M. Fournier: Je comprends que vous êtes passé de la dualité d'appartenance d'un individu, d'un Québécois, comme vous citez vous-même, Jocelyn Létourneau qui parle de cette double appartenance pour un individu comme étant un trait constitutif propre de l'identité québécoise francophone, donc quelqu'un qui se sent et Québécois et Canadien, et là vous m'avez parlé de la dualité canadienne - je vais y revenir - et de la reconnaissance de ce fait-là. Il me semblait important de noter que... Je pense que vous avez raison.
Nous avons un programme, Reconnaissance et interdépendance , que vous avez peut-être vue, qui parle, qui s'appuie sur cette double appartenance. Nous croyons que c'est un fort sentiment majoritaire au Canada, au Québec, c'est double appartenance. Et, moi, je prétends que choisir la séparation, par exemple, c'est s'enlever un des éléments de ce trait constitutif, c'est d'enlever une de ces appartenances forcément. Et si on veut trouver une solution concrète pour l'avenir, ce n'est pas en s'enlevant un de nos traits constitutifs.
Je vous bien que, tout au moins, c'est la perception de Jocelyn Létourneau que vous nous citez.
M. Langlois (Simon): Oui, mais la question, c'est de savoir comment aménager cette double appartenance, à ce moment-là. Est-ce que, dans la déclaration de Calgary, par exemple, nous avons des instruments qui vont permettre de le faire? Et la démonstration que j'ai essayé de faire, c'est que la réponse est plutôt négative, à ce moment-là.
M. Fournier: D'accord. Je comprends votre point de vue.
M. Langlois (Simon): Et la réponse est négative pour une raison aussi que j'ai essayée d'expliquer. C'est que le Canada, maintenant, se donne une définition de lui-même beaucoup plus unitaire, prend ses distances par rapport à la dualité historique.
C'est donc vraiment - comment dire - un problème qui va se poser aux Québécois des deux grandes options, si on veut, parce que les fédéralistes vont avoir de plus en plus de difficulté à faire valoir, peut-être, le point de vue traditionnel qu'ils ont toujours défendu, mais de l'autre côté aussi il ne faut pas se faire d'illusion, que le partenariat qui est souhaité va aussi être difficile à négocier.
M. Fournier: Le simple point - je n'étais pas encore rendu à Calgary, j'y arrive - que je faisais, c'est qu'à partir de votre document il faut quand même constater que vous envisagez, vous voyez cette réalité qui est la double appartenance. Et je fais un premier constat qui est celui de dire: Dans une des options, qui est celle du gouvernement en place, l'option de la séparation, c'est quand même de s'enlever une de ses appartenances. Il faut bien le constater.
Maintenant, passons à l'autre point, celui où vous dites: Qu'est-ce qu'on retrouve dans Calgary qui permet d'aménager? Et vous faites des passages, notamment à la page 20, sur ce sentiment national québécois qui n'est cependant pas reconnu dans le nouveau Canada qui émerge. Alors, je vous demande, si ce sentiment national québécois était reconnu: Est-ce que ce serait un progrès?
M. Langlois (Simon): Oui, ce serait un progrès dans le sens que le Canada reconnaîtrait la réalité telle qu'elle est. C'est certain que ce serait un progrès. Maintenant, est-ce que ça serait acceptable pour tous les Québécois? Ça serait à eux de voter ou d'en juger, si on veut.
M. Fournier: Ce serait un progrès.
M. Langlois (Simon): Mais je pense qu'en ce moment ce qui m'a inquiété, c'est plutôt de voir un recul par rapport à l'histoire, par rapport à notre histoire commune.
Vous savez comme moi que le castor, c'est le symbole par excellence du Canada. Vous savez aussi que ce symbole est aussi celui qui est le plus répandu dans le parlement où nous sommes, plus que la fleur de lys d'après ce qu'on m'a dit. Alors, ça montre très bien qu'il y a eu dans notre propre histoire ici - comment dire - une composante canadienne très forte.
Mon argument, c'est de voir que le Canada, de son côté, évolue différemment, et en particulier l'immigration joue un rôle central dans cette évolution, de sorte que la dualité n'apparaît plus dans les discours officiels canadiens comme constituant l'identité du Canada.
Alors, que reste-t-il, à ce moment-là? Bien, il reste, au fond, à aménager la coexistence de ce que M. Ryan a appelé deux sociétés d'accueil différentes et à trouver une façon de les aménager, soit dans une nouvelle fédération asymétrique que propose M. Allaire, soit dans une confédération que d'autres proposent, soit dans un partenariat entre deux entités souveraines. Nous avons à peu près trois options, je pense, qui, toutes les trois, au fond, reconnaissent cette dualité.
M. Fournier: Je vous posais...
M. Langlois (Simon): Et vous savez qu'un politicologue canadien qui s'appelle Alan Cairns a écrit récemment qu'il serait sans doute plus facile pour le Canada d'accepter de négocier - le nouveau Canada dont je parle - un partenariat avec le Québec ou une séparation éventuelle que de négocier des aménagements à cette dualité rêvée par ceux qui se veulent les successeurs d'André Laurendeau.
Alors, ça décrit très bien, justement, cette mutation que le Canada connaît et qui rend plus difficile cet aménagement souhaité dans cette grande tradition fédéraliste québécoise dualiste.
M. Fournier: Je vous posais la question sur la reconnaissance du sentiment national québécois, s'il était reconnu par le nouveau Canada, si c'était un progrès, vous m'avez répondu que oui. Je ne vous poserai pas l'autre question parce que je vais manquer de temps.
L'autre question qui était - peut-être pourriez-vous y répondre tantôt: Si c'est un progrès, est-ce que vous considérez que le gouvernement du Québec devrait travailler à cette reconnaissance, devrait travailler à ce progrès, ou s'il devrait rester absent et ne pas se présenter, ne pas faire entendre sa voix à l'égard de cette reconnaissance?
(16 h 50)
Je vous pose la question comme ça, là. J'en ai une autre que je veux poser tout de suite. Mais ce que j'essaie de dire ici, c'est que, si cette reconnaissance est importante pour éviter de perdre une partie de notre appartenance, que vous notez vous-même, il me semble qu'un gouvernement qui a à coeur les intérêts du Québec devrait prendre le bâton du pèlerin et faire de la pédagogie là-dessus. Là je constate que le gouvernement du Parti québécois est non seulement absent, mais n'a aucune stratégie d'alliance pour y arriver - un commentaire que je fais en passant. Vous parlez de...
M. Langlois (Simon): La question qu'on doit se poser, c'est: Est-ce que c'est possible dans le cadre actuel? Et c'est justement une réponse que j'ai essayé de donner. Ce qui est inquiétant, c'est de voir que la démarche que vous souhaitez, elle est devenue très problématique et même très difficile dans le contexte actuel. Le cas de Calgary justement nous donne une réponse là-dessus en nous disant: Si vous voulez vous engager dans cette voie, il faudra accepter le Canada tel qu'il s'est transformé...
M. Fournier: Mais vous savez comme moi que Calgary...
M. Langlois (Simon): ...et sans la référence à la dualité.
M. Fournier: Permettez-moi, M. Langlois! Vous savez comme moi - oui, évidemment dernière - que lorsque cette discussion a eu lieu, le Québec était absent. Et vous parlez de société d'accueil. Je vous réfère à un programme, celui du Parti libéral du Québec, dans Reconnaissance et interdépendance , qui fait mention de la société d'accueil. Vous avez parlé des francophones. Moi, j'ai eu l'occasion, à l'extérieur du Québec, un peu partout au Canada, de parler justement de la déclaration sur l'aspect de la francophonie, parce que ce n'est pas la dynamique des langues, c'est la dynamique des communautés. J'ai eu l'occasion de parler de la société d'accueil et de cette évolution qu'on a connue au Canada. Et ce que j'essaie de vous dire, ce n'est pas en restant à la maison en regardant les autres aller qu'on peut ensuite se dire: Ah! mais c'est problématique de faire avancer le point. C'est en se faisant entendre, en expliquant comment, nous, on se voit, en expliquant notre vision québécoise de l'avenir qu'on peut faire des gains.
Alors, le simple point que je veux faire, c'est que je regarde votre document, il me semble aller dans des directions très intéressantes lorsqu'il reconnaît qu'il y a une double appartenance, lorsqu'il reconnaît qu'il y a des sociétés d'accueil. Ce que je me dis, c'est: Est-ce que, avec moi, vous ne trouvez pas que nous sommes un peu trop silencieux au Québec sur cette évolution à faire connaître, cette reconnaissance à aller chercher comme progrès, et que, si nous avions un gouvernement du Québec qui travaillait au progrès, peut-être que nous ferions des avancées beaucoup plus importantes?
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Brièvement, M. Langlois, et ensuite, M. le député de Rivière-du-Loup.
M. Langlois (Simon): Oui, mais vous tenez un discours un peu curieux. Parce que, justement, je suis venu, moi, à cette commission pour essayer d'expliquer la situation canadienne et québécoise telle que je la vois, et vous le savez que d'autres personnes ont refusé justement de venir à l'Assemblée nationale pour participer à cet effort de discussion que vous soulignez. Et, précisément, je note, parmi les absents, le Parti libéral aussi. Au fond, est-ce que, si on poursuit votre logique, vous vous trouvez à critiquer vous-même la stratégie de votre propre parti?
M. Fournier: Non, pas du tout. Ce que j'essaie de vous dire...
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup.
M. Fournier: Vous allez me permettre de faire un petit commentaire là-dessus parce qu'on était visé directement ici.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mais vous êtes en train de prendre le temps du député de Rivière-du-Loup.
M. Fournier: Ce que je disais, c'est que le forum, ici, n'était pas approprié, mais que le gouvernement, lui, le gouvernement du Québec devrait travailler à cette reconnaissance. Ce n'est pas ici à la commission des institutions que nous allons faire entendre la voix du Québec ailleurs. Il faut travailler à faire comprendre ce qu'est ce concept de société d'accueil dont vous parlez. Cette double appartenance dont vous parlez, pourquoi le gouvernement choisit de ne pas la défendre, de ne pas travailler pour le progrès? Enfin, je m'étonne de votre position.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup.
M. Dumont: Oui. Merci, M. le Président. On comprend que quand les choix de son chef sont mis en cause, le député de Châteauguay a de la misère à souffrir en silence.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Dumont: Je veux revenir. Vous venez, dans une de vos réponses, d'ouvrir sur les solutions que vous qualifiez, je pense, de légitimes ou d'appropriées à moyen terme pour faire cohabiter la dualité qui existe, même si elle n'est plus reconnue dans le fait canadien aujourd'hui. Et vous dites les trois options, si je vous ai bien retenu, fédéralisme asymétrique, une véritable confédération ou un partenariat qui suivrait un référendum sur la souveraineté.
Ma question... J'ai compris dans d'autres de vos propos que le fédéralisme asymétrique, comme sociologue, votre lecture du reste du Canada, c'est que ça va être difficile de faire accepter ce modèle-là. Est-ce que vous avez l'impression - parce que l'autre modèle, le partenariat qui suivrait un référendum sur la souveraineté implique que ce référendum-là sur la souveraineté aille chercher une adhésion des Québécois puis, si possible, une adhésion qui soit claire et significative, il vient d'y avoir un référendum il y a deux ans - est-ce que vous avez le sentiment, comme sociologue, qu'il y a des faits de société marquants, transformants, qui fassent que, s'il y avait un autre référendum dans un an, dans un an et demi, le résultat, là, serait complètement différent?
Parce que, moi, je considère que, si le résultat a été complètement différent en 1995 de 1980, c'est qu'il y a eu des faits d'histoire, l'échec de Meech. Il y a eu des grands tournants historiques, des grandes constatations qui ont amené des changements majeurs. Et je serais curieux de savoir: Est-ce que vous voyez que ça, c'est susceptible, d'ici un an, de se produire au Québec, qu'il s'est passé des choses au Québec qui fassent que ce qui était vrai... les votes qui ont été mis dans les boîtes en octobre 1995, là, ce n'est plus vrai aujourd'hui, ça aurait changé?
M. Langlois (Simon): Ça, c'est très difficile de dire. Ce que j'ai essayé de faire, c'est de montrer que l'évolution se fait, maintenant, vers une accentuation des distances de part et d'autre.
Le Canada semble se transformer, selon sa propre logique, en suivant sa propre voie, construire une société multiculturelle autour de la langue anglaise, etc., à l'extérieur du Québec. Et le Québec, de son côté, cherche, lui aussi, à construire une société d'accueil francophone en faisant la promotion du fait français. Et, effectivement, dans les deux cas, se développe ou se greffe à ça, ce que j'ai appelé un sentiment national. Ce sentiment national, il était déjà et il est encore bien articulé au Québec, et on observe, en ce moment, qu'il se développe et s'articule aussi dans le reste du Canada, y compris avec ses aspects plus inquiétants que j'ai évoqués tout à l'heure.
Alors, je ne sais pas quoi répondre à votre question, mais je peux cependant répondre que la distance et l'évolution des deux sociétés continuent de se faire en parallèle, si on veut, ou en conflit parfois. Et ce qui rend de plus en plus difficile, finalement, de trouver des aménagements à l'intérieur du cadre fédéral actuel.
M. Dumont: Donc, vous réglez le premier cas. Vous dites: Le fédéralisme asymétrique ou toute forme de fédéralisme devient de plus en plus difficile. Donc, la solution que vous retenez, vous nous dites: Il y en a trois. J'essaie de procéder par élimination. Si je suis votre raisonnement, il nous reste une véritable Confédération comme option qui puisse amener le mariage forcé des identités ou des collectivités telles que vous les définissez.
M. Langlois (Simon): Ou encore le partenariat, etc. Mais, le problème...
M. Dumont: Bien, c'est pour ça que je vous demandais, pour le partenariat, ça prend un référendum sur la souveraineté. Et là je me demandais: Est-ce que vous pensez qu'à l'intérieur de la société québécoise il y a des transformations majeures qui vont s'être opérées entre octobre 1995 qui fassent que l'année prochaine, ce qui a été voté en octobre 1995, ne serait plus vrai? Le résultat serait radicalement différent. C'est pour ça que je vous demandais ça. Sinon, il nous reste une option, c'est une véritable Confédération.
M. Langlois (Simon): Mais ça, c'est une question très hypothétique, c'est bien difficile d'y répondre. Vous savez que c'est...
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Berthier.
M. Baril (Berthier): M. Langlois, merci pour votre exposé. On sait que, depuis le début de la Confédération, le système fédéral canadien a barouetté pas mal à la fois le peuple canadien, canadien français, québécois, à travers un concept et un autre. On est passé du concept de peuple fondateur à communauté linguistique à société distincte jusqu'au plus petit dénominateur unique qui est identique.
Il y a une autre question, aussi, qui nous interpelle. C'est qu'on vit maintenant dans cette fin de siècle à l'ère de la globalisation des marchés. Alors, on sait que ceux et celles qui y survivront, c'est-à-dire les peuples, sont ceux qui auront réussi à se donner une identité ou une personnalité nationale et culturelle forte avec des outils politiques et économiques qui les supportent.
Alors, on entre, en fin du compte, dans l'ère de la pertinence des peuples et de leur culture. Calgary, en fin de compte, nous confine aux principes réducteurs de recherche de l'égalité avec les autres provinces, par exemple, avec la minuscule Île-du-Prince-Édouard ou avec la sympathique province du Nouveau-Brunswick.
(17 heures)
Alors, ma question est la suivante: Est-ce que l'idée de caractère unique de la société québécoise qui est, disons-le, subordonnée aux principes de l'égalité des provinces par la déclaration de Calgary vient confirmer le fait que les provinces anglophones considèrent les Québécois comme un simple groupe parmi d'autres, et on le voit par la définition unique et identique, ou nous considèrent-ils comme un peuple?
M. Langlois (Simon): La reconnaissance du peuple québécois n'est pas dans la déclaration de Calgary. La déclaration de Calgary reconnaît explicitement les peuples autochtones. On emploie d'ailleurs cette expression-là pour les caractériser. Et, ce qui m'a frappé dans cette déclaration, c'est de voir qu'il n'y avait pas de référence à l'entité québécoise comme telle qu'on décrit comme une majorité et qui, je pense, devrait être beaucoup mieux décrite comme un peuple justement qui cherche à se donner des instruments de développement, y compris en reconnaissant la minorité anglophone qui est sur son territoire, qui fait partie du peuple québécois aussi.
Le peuple, c'est la communauté des citoyens soumis aux mêmes lois, ne l'oublions pas. C'est la définition la plus classique qu'on peut donner d'un peuple. Quand on parle de la démocratie, qui est l'élection du gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple, on renvoie à cette entité qui partage un territoire et qui se définit comme une communauté partageant les mêmes lois, si on veut.
Je pense que l'enjeu, ici, c'est de trouver des aménagements qui donneraient au Québec des institutions ou des pouvoirs pour justement réaliser et développer davantage cette entité francophone qui ne peut pas se faire sans cet apport d'institutions ou sans le support de lois à cet effet. La loi 101 étant le meilleur exemple, les lois linguistiques ou, encore, l'existence d'un système scolaire et le contrôle d'un système scolaire.
Et, dans l'histoire, nous avons vu aussi que le Québec, par ses institutions, la Caisse de dépôt, Hydro-Québec, etc., a su se donner des instruments collectifs de développement qui ont été importants pour l'avenir économique, mais aussi pour le développement social du Québec.
M. Baril (Berthier): Ce que vous dites, la déclaration de Calgary est prête à reconnaître les peuples aborigènes mais pas le peuple québécois.
M. Langlois (Simon): Mais, moi, je pense que cette déclaration, effectivement, ne reconnaît pas la dualité, et cette dualité, maintenant, elle s'exprime de la façon que vous décrivez, je crois, oui. Elle devrait s'exprimer par la reconnaissance d'un peuple québécois qui veut continuer à vivre en français et tout en respectant, bien sûr, les droits de ces minorités autochtones et anglophones sur son territoire, mais se donner une langue commune qui sera le français et qui assurera son avenir.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Alors, M. Langlois, ça met fin à la période de présentation de votre mémoire. Nous vous remercions de votre participation à cette commission.
M. Langlois (Simon): Je vous en prie.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): J'inviterais maintenant Mme Nicole Duplé.
(Changement)
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Bienvenue, Mme Duplé, à cette commission des institutions. Vous disposez d'une période de 20 minutes pour la présentation de votre exposé, à la suite de quoi nous échangerons avec vous.
Mme Nicole Duplé
Mme Duplé (Nicole): Je vous remercie, M. le Président, et je remercie les membres de cette commission de m'avoir invitée à partager mon point de vue avec eux relativement à cette déclaration de Calgary.
Je ne perdrai pas de temps, puisqu'il est limité, à situer dans le contexte constitutionnel cette déclaration de Calgary. Très rapidement, je dirai qu'elle est destinée, après les échecs de Meech et de Charlottetown, à répondre aux attentes constitutionnels du Québec, aux espérances et modifications constitutionnelles.
Globalement, elle comprend deux points, ce que je traiterai successivement, bien entendu. Le premier est celui que l'on pourrait désigner comme la société unique, la clause de la société unique, qui stipule que le Québec constitue au sein du Canada une société unique, mais, au sein du Canada, toutes les provinces sont égales. Ce premier concept, eh bien, je l'explorerai.
En second lieu, cette déclaration de Calgary contient un point important sur lequel je désirerais insister aussi. Il fait état de la volonté commune d'établir les bases d'un fédéralisme coopératif et fonctionnel en mettant de côté pour cela - et on comprend très bien pourquoi - les règles contraignantes de la Constitution canadienne qu'on ne peut pas modifier et qui sont perçues comme étant contraignantes.
Alors, je vais explorer d'abord cette idée que le Québec constitue, au sein du Canada, une société unique, mais qui ne peut pas détenir des pouvoirs différents des autres provinces. Vous le savez, la société québécoise a connu ce que j'appelle des avatars, pour faire référence au sort qui a été réservé à Vishnou dans la religion hindoue. Il s'est beaucoup transformé, la société québécoise aussi. Elle est passée de société distincte dans Meech et puis dans Charlottetown à la société unique. Et puis il faut évidemment essayer de circonscrire la portée des changements.
Alors, un tout petit rappel de ce qui se passait dans Meech serait peut-être utile. Dans Meech, la clause avait une portée extrêmement limitée et elle ne prétendait pas être plus que ce que l'on en disait, c'est-à-dire une clause interprétative. Et la société distincte, dans Meech, c'était une société qui se distinguait des autres sociétés provinciales en ce que la majorité s'exprimait en français et avait une culture qui se basait sur l'utilisation de cette langue majoritaire, et la minorité parlait la deuxième langue officielle, c'est-à-dire l'anglais. Et, partout ailleurs au Canada, c'était l'inverse.
Ce qui était intéressant, dans Meech, ce n'était pas la clause de la société distincte. Pour moi, elle m'a toujours paru secondaire. Être ou ne pas être reconnu au Canada comme société distincte, voulez-vous bien me dire ce que ça peut changer pour le Québec quand ça n'est accompagné d'aucun pouvoir législatif susceptible de permettre de développer le caractère distinct? En conséquence, l'intérêt de Meech, pour moi - et je l'ai beaucoup défendu, cet accord, en raison de cette importance que j'y trouvais et qui n'était pas dite, vraiment - c'est qu'il permettait d'effacer d'abord - comme je l'ai dit dans le texte que je vous ai soumis - la tache du rapatriement sur l'ardoise constitutionnelle. Ça permettait au Québec de s'asseoir à une table de négociation et de négocier, comme l'avait dit le premier ministre du Canada à l'époque, dans l'honneur et l'enthousiasme des modifications constitutionnelles subséquentes.
Alors, le danger de Meech - celui qui a été perçu par ses détracteurs, qui se sont employés à le faire sombrer - c'est que Meech ouvrait la porte à l'établissement d'un statut particulier pour le Québec, puisque, si on devait négocier des pouvoirs subséquents, eh bien, on l'aurait fait sur la base de la reconnaissance préalable du fait que Québec était société distincte. Alors, mettre le doigt dans l'engrenage, il valait mieux faire semblant de ne pas comprendre ce que signifiait la société distincte et de la dénigrer pour faire échouer l'accord.
Dans Charlottetown, qu'est-ce qui s'est passé? Dans l'accord de Charlottetown, d'abord, on a inclus la clause de la société distincte dans une clause Canada, la disposition Canada, et cette disposition Canada établissait les caractéristiques du Canada. Alors, c'était très bien. Le problème, c'est que, dans ce contexte-là, le Québec était bien déclaré société distincte, mais ses traits distinctifs n'étaient que des traits distinctifs parmi tous les autres critères qui caractérisaient le Canada. On avait noyé la clause de la société distincte dans un galimatias absolument incroyable, ce qui fait que le rôle de l'Assemblée nationale de promouvoir cette société distincte devait tenir compte de tous les autres facteurs.
(17 h 10)
L'accord de Charlottetown a échoué. Voyons maintenant ce que nous avons avec la déclaration de Calgary. Il faut quand même situer, je crois, la déclaration de Calgary dans cette continuité historique. Je suis juriste. Alors, ça veut dire que, par formation - et puis d'aucuns diront: par déformation - je m'attache beaucoup aux mots. Je crois qu'ils disent quelque chose et, dans cette déclaration - que moi, je suis loin de trouver insignifiante - il faut faire très attention aux mots. Cette déclaration, elle traite de la société unique en faisant précéder la clause de quelques énoncés qui contiennent des postulats qui sont curieux parce que, par exemple, lorsqu'on lit que tous les Canadiens et Canadiennes sont égaux et leurs droits sont protégés par la loi, on se demande bien ce que ça vient faire dans un contexte où l'on doit répondre aux aspirations d'une collectivité. Pourquoi parler des individus? Ah, je pense que ce n'est pas dépourvu de signification.
Le deuxième article stipule que, malgré les caractéristiques propres à chacune, toutes les provinces sont égales. Alors, je crois qu'on ne comprend véritablement ces deux articles que si on les amalgame. Ça veut dire tout simplement que, dans l'ensemble, il s'agit de rassurer l'ensemble des Canadiens et Canadiennes, n'est-ce pas, sur un point fondamental. Quels que soient les termes subséquents de la déclaration, il doit être clairement compris que les Québécois en tant que personnes et les Québécoises, hein, bien entendu, n'auront pas plus de droits, au sein de la fédération canadienne, que les citoyens des autres provinces, et qu'en tant que province le Québec ne pourra, de quelque manière que ce soit, prétendre jouir de pouvoirs distincts que lui conférerait un statut particulier au sein du Canada. Le Québec est unique au sein du Canada mais identique aux autres provinces à tous les autres égards.
Le troisième article, que l'on va retrouver dans la déclaration, il va énoncer un credo, il va stipuler que la diversité, la tolérance, la compassion et l'égalité des chances qu'offre le Canada sont sans pareil dans le monde. Ah, bien sûr, l'épisode Levine nous laisse entendre que peut-être il s'agit là d'un mythe, mais enfin...
Le quatrième article précise la nature de quelques éléments qui constituent la riche diversité du Canada. Et il faut comprendre, sans doute, que ce sont là les éléments les plus notables. Ce paragraphe se lit comme suit: «Les peuples autochtones, avec leur culture, le dynamisme des langues française et anglaise et le caractère multiculturel d'une population issue de toutes les régions du monde sont des éléments dont est constituée la riche diversité du Canada.» Or, voici le contexte dans lequel le Québec est déclaré constituer une société unique, et il importe, par conséquent, de voir quelles sont les implications concrètes de cette reconnaissance. Alors, en premier lieu, la première implication de cette reconnaissance du fait que le Québec constitue une société unique au sein de ce Canada que l'on vient de décrire, c'est la suivante.
D'abord, on peut constater que la déclaration de Calgary reprend le même procédé que celui qui avait été utilisé dans l'entente de Charlottetown, c'est-à-dire que les autorités québécoises se voient certes reconnaître le droit de protéger le caractère unique de la société québécoise au sein du Canada et le rôle de favoriser l'épanouissement de cette société, cependant, compte tenu des termes mêmes de l'article 5 où il est dit «dans ce régime fédéral», que l'on s'est appliqué à décrire dans les quatre articles précédents, donc, c'est dans ce régime fédéral et en tenant compte des éléments qui ont été identifiés dans les autres articles qui précèdent l'article de la société unique, c'est dans ce contexte-là que l'Assemblée nationale aura le pouvoir de protéger cette société unique et d'en développer les caractéristiques.
Alors, ça veut dire que ce pouvoir de l'Assemblée nationale, qui jusqu'à maintenant n'est pas circonscrit - et j'expliquerai tout à l'heure pourquoi - désormais, l'Assemblée nationale s'engage politiquement, avec cette déclaration, ou s'engagerait politiquement à tenir compte des éléments suivants: tous les Canadiens sont égaux, on le sait déjà, la Charte canadienne nous l'assure; deuxièmement, la tolérance la compassion et l'égalité des chances font que le Canada est, lui aussi, unique; troisièmement, en adoptant les mesures de protection et de promotion, les autorités québécoises ne devront pas, s'engagent à ne pas interférer avec la culture des peuples autochtones - on n'a jamais eu l'intention, je crois, de le faire - et pas davantage avec le caractère multiculturel du Canada.
Alors, l'entente de Calgary prévoit non seulement des balises pour contenir la promotion du caractère unique du Québec, mais elle assigne, de plus, une finalité précise à ladite promotion. Cette finalité, elle est bien stipulée dans l'article 5, c'est d'assurer le bien-être du Canada. Le texte de l'article 5 est sans équivoque sur ce point. On y dit: «Le caractère unique de la société québécoise est fondamental pour le Canada. Par conséquent - alors, il y a un lien de cause à effet, de conséquence - l'Assemblée législative et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger le caractère unique de la société québécoise.» La relation de cause à effet, comme je viens de le dire, entre la protection de la société québécoise et le bien-être du Canada est ainsi établie clairement et sans vergogne aucune, je pense.
Alors, je crois que, sur ce point, sur cette clause du caractère unique du Québec, je me permets d'affirmer la chose suivante: C'est qu'en appuyant la déclaration de Calgary le Québec s'engagerait tout simplement à ne pas exercer les compétences législatives qu'il possède à l'heure actuelle si cet exercice ne sert pas le bien-être du Canada. Depuis 1867, la Législature du Québec dispose des pouvoirs législatifs nécessaires pour protéger et promouvoir la langue et la culture de la majorité, et cela, sans avoir à se poser la question de savoir si ça fait ou ne fait pas le bonheur des Canadiens hors Québec. Ce n'est pas que je ne veuille pas du tout que l'on fasse le bonheur des Canadiens hors Québec, mais, enfin, on a la possibilité actuellement de poser des gestes législatifs que nous nous engagerions peut-être à ne pas pouvoir poser.
Les seules limites de ce pouvoir sont établies par le partage des compétences, à l'heure actuelle, et par la Charte canadienne des droits et libertés. En endossant la déclaration de Calgary, le Québec prendrait un engagement politique - comme je viens de le dire - consistant à renoncer à exercer la plénitude de ses compétences en matière de langue et de culture, c'est-à-dire à renoncer à suivre l'ordre de ses propres priorités dans ces domaines si vitaux pour lui, et, en ce qui concerne la protection de sa tradition de droit civil, une remarque identique doit être faite. Le droit civil québécois a pu se développer en 1867 et devenir ce qu'il est en raison du fait que la Loi constitutionnelle de 1867 donnait aux provinces la maîtrise législative à la propriété des droits civils.
Reconnaître que le Québec est unique en raison de son système de droit civil n'ajoute strictement rien aux pouvoirs de l'Assemblée nationale. Mais endosser la déclaration selon laquelle l'Assemblée nationale a pour rôle de protéger sa tradition de droit civil dans la mesure où elle est essentielle au bien-être du Canada revient à accepter de réduire la compétence législative du Québec en ce qui a trait au développement, à la modification, au remodelage de son droit civil. Alors, je crois pouvoir affirmer que les autorités québécoises, avec tout le respect que je leur dois, n'ont pas de mandat pour effectuer de telles renonciations.
Quelles sont les implications du principe de l'égalité des provinces? Et bien, on sait très bien que toutes les provinces, au sein d'une fédération, ne se situent pas de manière identique par rapport au pouvoir central. La meilleure fédération, dans l'idéal, ce serait une fédération dans laquelle le partage des compétences pourrait être rééquilibré constamment, de telle manière qu'il refléterait constamment ce rapport de force entre le fédéral et les provinces. Et malheureusement, au Canada, on sait que, pour des raisons qui tiennent à cette formule d'amendement impossible à utiliser pratiquement, le partage des compétences est plus ou moins figé.
Il est bien évident que, avec cette formule d'amendement, qui requiert une cohésion provinciale incroyable pour que des amendements au partage des compétences puissent être apportés, il faut au minimum sept provinces sur dix, qui représentent, à elles confondues, 50 % de la population, et au maximum l'unanimité. Alors, il est peu probable que l'on puisse arriver à négocier un statut particulier pour le Québec. Et, de toute façon, avec l'idée que toutes les autres provinces doivent pouvoir accéder à ces pouvoirs législatifs si on les concédait au Québec, il y a l'idée que toutes les provinces doivent participer aux négociations, et ça veut dire que, concrètement, il vaut mieux renoncer à toute modification constitutionnelle, purement et simplement.
Alors, en appuyant les principes de la déclaration de Calgary, le Québec renoncerait à contester la légitimité de la formule d'amendement qui a été introduite sans son consentement dans la Constitution canadienne, et son adhésion aux principes de la déclaration équivaudrait de plus à renoncer en pratique à toute modification constitutionnelle que les autres provinces ne souhaitent pas.
Le deuxième point de la déclaration de Calgary, c'est celui qui concerne le renforcement de l'unité canadienne et l'établissement et l'instauration d'un fédéralisme coopératif un peu plus facile, qui n'a pu être pratiqué auparavant, parce qu'on mettrait de côté tout ce qui est ennuyeux. On procéderait à base d'arrangements administratifs et on mettrait de côté tout ce qui empêche la Fédération d'évoluer, c'est-à-dire partage des compétences et formule d'amendement.
(17 h 20)
Alors, en premier lieu, on s'aperçoit que l'article 7 de la déclaration, qui traite du fédéralisme coopératif, a pour vocation d'établir un consensus sur deux points. En premier lieu, les provinces sont invitées à accepter le postulat selon lequel la coopération entre les gouvernements est inhérente au fédéralisme canadien; et, en second lieu, avec la déclaration de Calgary, les provinces qui endossent cette déclaration réaffirment leur volonté de collaborer avec le gouvernement fédéral pour mieux répondre aux besoins des Canadiens et des Canadiennes.
Alors, examinons chacun de ces points et la manière dont ils sont formulés. La coopération intergouvernementale à l'heure actuelle, elle existe et elle existe principalement à travers les accords à frais partagés, à participation conjointe. Évidemment, je ne ferai pas l'historique de ces accords intergouvernementaux, de ces ententes. On sait que le fédéral au fil des ans s'est retiré financièrement, sa participation a diminué de plus en plus, et, corrélativement, il a fallu que les provinces augmentent la leur pour continuer à offrir les mêmes services que ceux auxquels elles s'étaient engagées envers la population. Ça a donné lieu à des frustrations immenses, et on comprend très bien que le pouvoir de dépenser du Parlement fédéral ait été au coeur des préoccupations; il l'était dans Meech. On a voulu essayer de le baliser, c'était très timide, mais, enfin, c'était quand même un bon début. Moi, je trouvais que c'était quand même au moins ça. Dans Charlottetown, on avait essayé de le baliser également. Qu'est-ce qui se passe dans le cadre de la déclaration de Calgary?
Alors, là, pas du tout, on ne cherche pas du tout à le baliser; au contraire, on va lui donner une assise encore plus solide que celle qu'il a actuellement. Parce que, à l'heure actuelle, il faut bien dire que le pouvoir de dépenser est très contesté, bien entendu. Mais sur le plan juridique, il y a très peu de choses à dire. Sur le plan juridique, on constate qu'il n'y a, dans la Constitution canadienne, aucune disposition qui permette de limiter ce pouvoir de dépenser. On ne peut pas dire qu'il s'agit pour le Parlement fédéral d'envahir des domaines de compétence provinciaux en établissant le principe des programmes à frais partagés ou même par le mécanisme des subventions dites conditionnelles. On ne peut pas dire que ce soit un envahissement juridique des champs de compétence provinciaux, pour des raisons que j'explique dans mon mémoire d'ailleurs.
Mais, on sait très bien que, politiquement, c'est une situation qui est intenable, et que les provinces considèrent que ce sont des intrusions illégitimes, et que le Québec a toujours contesté ce pouvoir de dépenser et l'utilisation qui en est faite par le Parlement fédéral. Or, la déclaration de Calgary ne limite nullement ce pouvoir de dépenser. Elle ne le limite nullement, elle ne pense même pas à le baliser. Elle émet un postulat. Le postulat, c'est le suivant: le pouvoir de dépenser est utilisé de manière compatible avec le partage des compétences. Alors, c'est vrai peut-être, n'est-ce pas, mais on ne fait absolument pas état du caractère illégitime de cette utilisation de pouvoir de dépenser. Et en signant la déclaration de Calgary, que ferait Québec? Ni plus ni moins que lui donner une assise beaucoup plus solide que celle qu'il a maintenant. Alors, je ne suis pas sûre, hein, je suis même sûre du contraire, je crois pouvoir encore affirmer une fois que les institutions québécoises n'ont pas de mandat pour renoncer à cette revendication qu'on peut considérer comme étant traditionnelle des gouvernements québécois qui se sont succédé et qui ont tous contesté ce pouvoir de dépenser. Et là, alors, on lui donnerait une assise vraiment solide en le reconnaissant et en légitimant son utilisation. Moi, je crois que c'est inacceptable.
Alors, vous m'avez fait signe, M. le Président, qu'il ne me restait plus de temps...
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Il ne vous reste qu'une minute.
Mme Duplé (Nicole): Donc, je voudrais insister aussi sur le fait qu'on demande au Québec, finalement, de fonctionner dans la coopération mais surtout sans amendement constitutionnel. Et vous avez remarqué que, dans la déclaration de Calgary, il n'est surtout aucunement question d'amendements constitutionnels. Mais, pratiquement, il faut bien le constater, c'est notre dernier espoir. Ce sont les seules modifications auxquelles, d'ici bien des années... D'ailleurs, y en a-t-il une modification? Il n'y en a pas. Il n'y en a pas, de modification. On gèle la situation actuelle, on dit: Fonctionnons sans tenir compte de la Constitution elle-même parce qu'elle est trop difficile à amender, elle est trop difficile à modifier. Elle est trop difficile à modifier, pourquoi? Parce que, en 1982, on y a introduit une formule d'amendement auquel on n'a pas invité les Québécois à y adhérer; au contraire, ils ont manifesté leur opposition très nette à cette formule d'amendement. Alors, aujourd'hui on leur dit: On a introduit une formule d'amendement. Vous n'en vouliez pas, mais, à cause d'elle, vous ne pourrez pas avoir les modifications constitutionnelles que vous aimeriez voir introduire dans la Constitution. Alors, voilà. C'est tout ce que nous avons à vous donner. Acceptez-la et soyez contents. Voilà.
Alors, je crois que, pour ma part, cette déclaration de Calgary, elle est loin d'être insignifiante même si ce qu'elle donne au Québec est insignifiant, parce que c'est nul. Mais elle signifie quelque chose. Et j'espère avoir assez dit que le Québec ne devrait pas l'accepter. Merci.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Merci, Mme Duplé. M. le ministre.
M. Brassard: M. le Président, je voudrais remercier Mme Duplé pour son témoignage. Voilà une analyse rigoureuse de la déclaration de Calgary et, en même temps, lumineuse. J'espère que ça va éclairer le Parti libéral du Québec qui, jusqu'à maintenant, n'a pas jugé utile d'exprimer la moindre opposition sur cette déclaration de Calgary.
C'est éclairant parce que vous faites état de cette espèce de dilution progressive en matière de reconnaissance du Québec. Meech, Charlottetown, Calgary.
Meech, vous le dites avec raison, ça pouvait ouvrir, ça devait ouvrir sur une deuxième ronde qui, elle, était consacrée ou aurait été consacrée au partage des compétences. Et comme vous l'avez dit en 1990 devant la commission Bélanger-Campeau, ça contenait, en germe, un fédéralisme asymétrique. Donc, on pouvait espérer une sorte de statut spécial pour le Québec, des pouvoirs particuliers pour le Québec. C'était ça, Meech. C'est peut-être pour ça a été finalement rejeté. C'est parce qu'on a finalement perçu cette perspective.
Charlottetown, vous avez raison, il y a eu une régression aussi, avec Charlottetown. Puis nous voilà face au caractère unique de Calgary. Vous en avez parlé tout à l'heure, ce qui est intéressant dans votre analyse, c'est que vous nous dites que le caractère unique - et j'avoue que c'est un élément nouveau - vous mettez en lumière le fait que le caractère unique comporte des risques pour les compétences et les pouvoirs que nous détenons actuellement dans le sens... Et je veux bien vous comprendre.
Ce que vous dite, c'est que le critère du bien-être du Canada, pour le bien-être du Canada, ce critère-là, si c'était constitutionnalisé - c'est ça que je comprends - ça pourrait être invoqué, à ce moment-là, pour réduire ou même en arriver à empêcher le gouvernement du Québec, l'Assemblée nationale du Québec, d'exercer des pouvoirs exclusifs qui lui sont reconnus actuellement, particulièrement, disons, par exemple, en matière de langue et de culture.
Mme Duplé (Nicole): Oui. Vous connaissez l'importance des mots quand ils sont inscrits dans une constitution. Mais même sans aller jusque là, n'est-ce pas, sans les voir inclure dans la Constitution, on peut dire quand même qu'une déclaration politique qui se veut un document appuyé par toutes les provinces, c'est quand même quelque chose d'important, au Canada.
On sait très bien que les conventions constitutionnelles ne naissent pas autrement, c'est-à-dire qu'elles naissent d'une entente parmi des acteurs, n'est-ce pas, qu'elle va régir. Et il s'en dégage une règle qui est perçue comme obligatoire sans être une règle juridique.
Donc, les mots que l'on va utiliser pour justement cristalliser le consensus, bien ces mots-là, ils prennent autant d'importance que s'ils étaient écrits dans une constitution. Alors, qu'ils y soient écrits ou qu'ils n'y soient pas, moi, je crois que les mots signifient quelque chose.
(17 h 30)
Écoutez, je suis peut-être soupçonneuse par métier, mais je crois que j'ai raison de l'être. On a des kilos de littérature juridique qui émane de la Cour suprême, qui est là pour nous dire à quel point les mots ont de l'importance dans une constitution, dans un contexte constitutionnel. Alors, je crois effectivement que, quand on désigne le Québec comme société unique dans un Canada, que le Québec est unique parce qu'il est essentiel au bien-être du Canada, je pense que quand on dit: Par conséquent, l'Assemblée nationale a tel pouvoir, bien, c'est, par conséquent, dans la mesure où c'est unique, où ça répond au bien-être collectif des Canadiens, ça limite.
Moi, je n'ai jamais cru qu'il fallait absolument être reconnu comme société distincte ou unique parce que nous avions une tradition de droit civil, par exemple, ou parce qu'au Québec notre majorité est francophone. Ce n'est pas le reconnaître, ça n'empêchera pas le fait, ça n'apporte rien de nouveau. Ce qui est important, c'est d'avoir les pouvoirs, de vivre notre caractère distinct, de vivre notre spécificité. Alors, on en a fait un symbole que l'on a brandi comme ça, comme un hochet, pour faire oublier à un enfant qu'il a mal aux dents, vous savez, mais ça n'enlève pas le mal aux dents. Voilà.
M. Brassard: D'autre part, vous signalez avec raison que la déclaration de Calgary est tout à fait muette sur le pouvoir fédéral de dépenser...
Mme Duplé (Nicole): Oui.
M. Brassard: ...et sur l'encadrement de ce pouvoir, ce qui est exact, ce qui est vrai, alors qu'on sait pourtant que ce pouvoir fédéral de dépenser, au cours de... je pense qu'on peut dire de toute l'histoire du Canada, a été largement utilisé par le gouvernement fédéral, justement, pour envahir, s'ingérer, empiéter dans des domaines qui relevaient exclusivement du Québec.
Je suis content de voir, j'espère que le député de Châteauguay vous a entendue également quand vous dites qu'il n'y a pas un seul gouvernement du Québec qui pourrait accepter le point 7, c'est-à-dire qui pourrait accepter de reconnaître au gouvernement fédéral un rôle et des responsabilités dans un domaine qui est de compétence exclusive du Québec, pas un seul gouvernement pourrait le faire. C'est d'ailleurs pour cette raison que le gouvernement du Québec n'est pas partie du processus visant à négocier et à conclure un accord-cadre sur l'union sociale parce qu'il y a comme postulat, à la base même de ce processus, j'espère que le député de Châteauguay va finalement comprendre, à la base de ce processus, il y a une reconnaissance du rôle et de la responsabilité du gouvernement fédéral en matière d'union sociale, ce qui va à l'encontre évidemment du partage des compétences, et c'est pour cette raison-là qu'on n'est pas partie prenante du processus.
Mme Duplé (Nicole): Si je peux me permettre d'ajouter quelque chose, le fait que juridiquement on ne puisse pas le contester... D'ailleurs ça a échoué en Cour suprême quand on a soulevé la validité de l'envahissement fédéral dans les champs de compétences provinciaux, la Cour suprême a dit: Non, non. Ce n'est pas ça, ce n'est pas une question de pouvoir juridique. Donc, on n'en parle pas en droit. C'est un pouvoir de fait, c'est le pouvoir de celui qui a de l'argent sur ceux qui ont besoin d'argent. Alors, c'est tout simple. Et on ne peut pas davantage contester le fait que le gouvernement fédéral peut se retirer d'un programme à frais partagés. Il a pris des engagements, mais ses engagements ne valent rien devant un tribunal. On ne peut pas le forcer à maintenir sa participation. Alors, voilà le problème.
M. Brassard: Juste une dernière remarque. Sauf, Mme Duplé, qu'actuellement, depuis quelque temps...
Mme Duplé (Nicole): Oui, il y a un droit de retrait.
M. Brassard: ...ce ne sont plus des programmes à frais partagés...
Mme Duplé (Nicole): Non.
M. Brassard: ...ce sont des programmes financés à 100 % par le gouvernement fédéral étant donné que, comme on le sait, il y a des surplus budgétaires qui sont apparus de l'autre côté de l'Outaouais.
Mme Duplé (Nicole): Voilà. Mais il y a aussi eu une profonde mutation de ces programmes à frais partagés par rapport à ce qu'ils étaient à l'origine. Évidemment, il y a eu une déperdition constante, constante, constante en défaveur des provinces, et ça, c'est vraiment... et on se retrouve vraiment dans une situation assez déplorable.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Châteauguay.
M. Fournier: Merci, M. le Président. Je m'excuse de casser le party de la réunion de famille. J'écoutais... Bonjour, Mme Duplé.
Mme Duplé (Nicole): Bonjour.
M. Fournier: J'écoutais vos propos et je ne peux pas éviter de commencer en encadrant - je parlais tantôt du pouvoir de dépenser et de l'encadrement - votre présentation, en rappelant que, bien sûr, vous avez milité pour la souveraineté - je pense que c'est votre étalon de comparaison - et que j'avais avec moi une citation de vous-même du 25 septembre 1995 - donc, durant cette campagne sur la séparation du Québec - où vous disiez: «Il est faux de dire que l'on veut se séparer du Canada. On veut bâtir un Québec souverain et négocier une nouvelle union enfin librement consentie.» J'imagine que, depuis que vous avez lu, peut-être, le grand jeu de Jacques Parizeau, vous vous êtes aperçue que vous étiez le homard dans la trappe et qu'il n'y avait pas de réelle possibilité à cette union, qu'il y avait une déclaration unilatérale d'indépendance et que, Oui, ça voulait dire la séparation. Enfin, je pense que c'est important de l'encadrer - je ne veux pas faire porter le débat là-dessus, c'est un débat qui est terminé - simplement, peut-être, pour qu'on situe où nous sommes présentement au sein de cette commission, et le rôle que chacun occupe, que ça soit très clair sur le sens des propos que vous tenez.
Peut-être une remarque, parce que je sais que le ministre a bien aimé, probablement de la musique à ses oreilles, l'argumentation que vous faites concernant... ce que vous dites, là: «est fondamental pour le bien-être du Canada». Vous y avez lu dans ce qui est finalement un cadre de discussion qui n'est pas en forme juridique, je suis sûr que vous en convenez. Je lisais d'ailleurs dans Meech où on disait que «la reconnaissance de la société distincte constitue une caractéristique fondamentale du Canada». Ici, ils ont choisi de dire qu'il était fondamental pour le bien-être du Canada. Ce sont des mots pour la discussion, ce ne sont pas des mots de texte juridique, à moins que vous considérez que ce soit un texte juridique, je ne le pense pas.
Personnellement, j'ai lu et relu votre texte. Je vous ai écoutée et je dois vous dire que j'ai hâte de voir, de le tester, c'est de valeur qu'on ne l'ait pas testé avec Me Frémont, ce matin. J'ai bien de la misère à voir que, parce qu'il y a des canadiens, des premiers ministres des autres provinces qui ont dit que «le caractère unique de la société québécoise est fondamental pour le bien-être du Canada» et considèrent que c'est important pour le Canada, vous disiez que ça soit un recul. Je dois vous avouer que là-dessus, je trouve que c'est pas mal coloré.
Moi, je pense que ce qu'il faut comprendre des propos des premiers ministres des provinces, c'est: Dans le Canada de demain, on voudrait faire une place au Québec. Moi, c'est comme ça que je l'interprète, et vous avez votre interprétation. Cependant, j'ai compris ce que vous avez dit tantôt: société distincte, caractère unique, vous n'êtes pas là-dedans, vous n'en souhaitez pas de cette reconnaissance, vous n'en avez pas besoin. Très bien. Ce qui est important pour vous - et ça, là-dessus vous avez raison - c'est le partage des pouvoirs, le respect de ce partage de pouvoirs et donc le pouvoir fédéral de dépenser. Et vous me dites, vous dites à tous: Il n'y a rien dans Calgary là-dedans. Et, je vous pose la question: Est-ce qu'il y a quelque chose ailleurs que dans Calgary qui se passe actuellement depuis quelque temps au Canada à propos du pouvoir fédéral de dépenser?
Mme Duplé (Nicole): Est-ce que je peux répondre? D'abord, est-ce que je peux contester le cadre que vous avez tracé?
M. Fournier: Dans la mesure où vous répondrez à cette question.
Mme Duplé (Nicole): Oui? Alors, le cadre que vous avez tracé. D'abord, vous avez dit que je casse la réunion de famille. Il n'y a aucune réunion de famille ici parce que je n'appartiens à aucun parti. J'ai milité pour la souveraineté en 1995 parce que je pense qu'effectivement c'était la seule voie possible et j'ai milité sous le chapeau des partenaires pour la souveraineté. Alors, c'est déjà l'option opposée à celle que vous avez défendue. Elle est très respectable, la vôtre aussi. Cependant, ici, je suis à titre universitaire et je puis vous assurer qu'à titre d'universitaire je n'ai jamais confondu les choses. Et, ce que je viens de vous dire ici, j'y ai mis toute mon attention et toute mon honnêteté intellectuelle. Maintenant, vous êtes tenu de le croire ou de ne pas le croire. Moi, je vous dis que c'est ça.
(17 h 40)
Maintenant, je voudrais aussi discuter de ce que vous avez dit. Vous avez dit: «Ce ne sont que des mots, ce n'est pas important les mots.» Mais, si ce n'est pas important, les mots, pourquoi on ne dit pas n'importe quoi? Alors, pourquoi on ne dit pas: Le Québec est un peuple. Les Québécois sont un peuple. Pourquoi est-ce qu'on ne dit pas: Bienvenue, nous vous donnerons tout ce que vous voudrez. Non, non, on ne dit pas ça. On utilise des mots dans une déclaration qui est destinée à être comprise de la même façon par tout ceux qui sont invités à y adhérer, tous ceux que l'on invite à appuyer cette déclaration. Les mots ont une importance. Alors, quand on dit, justement, dans l'article 5... Je m'excuse parce que dans mon texte je cherche, et puis vous n'avez pas la même pagination que moi. Je vais relire cet article 5. Les mots et les constructions grammaticales ont une importance. Quand on dit que le Québec, voilà, «Dans ce régime fédéral - n'est-ce pas - que l'on a décrit précédemment», pourquoi pas «au Canada»? Non, «Dans ce régime fédéral que l'on a décrit précédemment, où le respect pour la diversité et l'égalité est un fondement de l'unité, le caractère unique de la société québécoise - je vais dire, quoi, je passe sur ces éléments consécutifs - est fondamental pour le bien-être du Canada.» Donc, la société unique pour le bien-être du Canada. Alors, écoutez, je ne veux même pas contester la bonne volonté. Je ne me mets pas à la place des premiers ministres provinciaux, de ceux qui ont rédigé cette déclaration. Je ne sais pas, je ne suis pas dans leur tête ni dans leur coeur. Je m'en doute un peu de ce qu'ils pensent après ce qu'ils ont produit.
Mais je lis les mots et je leur donne une signification, celle que n'importe quelle grammaire française leur donnerait. Et ensuite on dit: «Par conséquent...» «Par conséquent», qu'est-ce que ça veut dire «par conséquent»? Ça veut dire qu'on établit un lien de conséquence. Le Québec est unique, d'accord, il est essentiel. Son caractère unique est fondamental pour le bien-être du Canada. Par conséquent, parce qu'il est unique et fondamental pour le bien-être du Canada, l'Assemblée nationale a le rôle de promouvoir ce caractère distinct. Et, en même temps, on limite, on circonscrit politiquement, puisque ça n'est qu'un texte politique, mais c'est quand même un engagement politique à resserrer ses priorités pour qu'elles satisfassent au bien-être du Canada.
Alors, c'est plus, je pense, que ce que la Constitution actuelle impose du Québec. Chaque province est maîtresse chez elle.
M. Fournier: Je vous pose ma question sur l'union sociale, sur le pouvoir de dépenser de l'union sociale. Qu'est-ce que vous connaissez des développements récents?
Mme Duplé (Nicole): Sur le pouvoir de dépenser?
M. Fournier: Oui. Vous avez dit que, sur le pouvoir de dépenser, il n'y avait rien dans Calgary.
Mme Duplé (Nicole): Bien, dans Calgary, il n'y a rien.
M. Fournier: Très bien, très bien. Permettez-moi de clarifier ma question.
Mme Duplé (Nicole): Oui.
M. Fournier: Est-ce que vous savez s'il y a des discussions entre les provinces là-dessus...
Mme Duplé (Nicole): Mais bien entendu je sais.
M. Fournier: ...sur le pouvoir fédéral de dépenser? Pouvez-vous nous en parler? Qu'en est-il du débat?
Mme Duplé (Nicole): Alors, justement, c'est que les autres provinces, elles aussi, se plaignent du pouvoir de dépenser. Cependant, quand le premier ministre est allé proposer justement, notre premier ministre, une limitation du pouvoir, des balises... Il est question dans des discussions subséquentes de le baliser, mais comment? On vient nous dire avec cette déclaration de Calgary que l'on postule ce pouvoir de dépenser de toute façon - c'est fait pour quelque chose, la déclaration de Calgary, c'est fait pour l'avenir. Il sera. On postulera qu'il est conforme au partage des compétences.
Alors, ça, je suis prête à vous l'accorder, parce que je suppose que vous être prêt à vous y accrocher aussi, je suis d'accord pour dire que le Parlement fédéral n'a pas de limite dans sa faculté de décider de dépenser l'argent qu'il prélève en trop. Il n'y en a pas dans la Constitution. Mais on a toujours trouvé ça illégitime. La déclaration, elle, elle vient établir les bases d'une nouvelle légitimité. Puisque ça ne modifie pas la Constitution, si ça n'est pas ça, ça ne sert à rien.
M. Fournier: Si je vous disais qu'au-delà de Calgary il y a d'autres choses qui se passent au Canada.
Mme Duplé (Nicole): Ah! Si ça ne transpire pas dans les journaux ou dans l'actualité, si personne n'en parle, je ne peux pas le savoir.
M. Fournier: Permettez-moi de vous dire que vous êtes ici comme expert. Vous portez un jugement, et, moi, je vous dis que ce qui est connu, qui ne paraît peut-être pas dans les premières pages des journaux...
Mme Duplé (Nicole): Mais de quoi parlez-vous exactement?
M. Fournier: Je vous parle de ce débat sur l'union sociale.
Mme Duplé (Nicole): Ah, mais c'est évident que je parle de ça, moi!
M. Fournier: Je n'ai lu nulle part dans votre document le positionnement des provinces à l'égard du pouvoir de dépenser.
Mme Duplé (Nicole): Mais c'est bien connu, on attrape ça sur Internet, M. Fournier. Franchement! J'imagine que vous êtes au courant. Je ne suis pas là pour vous apprendre des chose.
M. Fournier: Non, mais Me Frémont, lui, a appris. Moi, je l'ai ici; Me Frémont, il ne le savait pas.
Mme Duplé (Nicole): Mais ce n'est pas parce que Me Frémont le dit que je dois le répéter.
M. Fournier: Mais je peux vous poser la question.
Mme Duplé (Nicole): Oui.
M. Fournier: Laissez-moi au moins quelques secondes.
Mme Duplé (Nicole): Oui.
M. Fournier: Il y a dans ce document un cadre pour le pouvoir fédéral de dépenser, un cadre qui propose entre autres que les règles d'indemnisation pour les provinces, les territoires qui se prévalent d'un droit de retrait à l'égard du pouvoir fédéral de dépenser, le droit de retrait avec indemnisation inconditionnelle ou celui avec indemnisation conditionnelle, dépendamment des priorités et autres.
Je vous pose la question. Vous me dites que vous connaissez ce documents. Vous connaissez les discussions qu'il y a là-dessus...
Mme Duplé (Nicole): Bien, j'ai reçu...
M. Fournier: Pardon?
Mme Duplé (Nicole): Oui, pardon, allez-y, continuez.
M. Fournier: Pourquoi n'en parlez-vous pas dans votre document?
Mme Duplé (Nicole): Bien, parce que je pense que c'est quand même des choses bien connues. C'est comme je n'ai pas cru bon de parler de tout. J'ai 20 minutes. Je n'ai quand même pas cru bon de raconter tout, tout, tout, tout ce qui entourait la déclaration de Calgary.
M. Fournier: Vous comprenez, c'est quoi, le problème? C'est que, moi, je suis assis ici...
Mme Duplé (Nicole): Non, monsieur, je ne comprends pas ce qu'est le problème.
M. Fournier: ...puis je vous écoute et vous me dites: Il n'y a rien dans Calgary, l'article 7, qui permet d'encadrer le pouvoir de dépenser. Moi, je vous dis...
Mme Duplé (Nicole): Non.
M. Fournier: ...si on comprenait que Calgary est un élément d'un ensemble...
Mme Duplé (Nicole): Oui.
M. Fournier: ...et que, dans l'ensemble des changements et des processus de changements, il y a aussi cette discussion avec les provinces sur le pouvoir de dépenser, comment ça se fait que, quelqu'un qui est expert, qui vient nous parler du pouvoir de dépenser, n'est pas capable de nous dire qu'il y a une fenêtre qui existe en ce moment, une discussion à laquelle, bien sûr, le Québec est absent, mais qui est intéressante pour les revendications du Québec?
Mme Duplé (Nicole): Mais M. Fournier, entendons-nous bien. Je suis venue témoigner sur la déclaration de Calgary, d'accord?
M. Fournier: Et l'union sociale.
Mme Duplé (Nicole): Et l'union sociale, d'accord. Mais l'union sociale, là, elle n'est pas réalisée encore. Les discussions sont en cours, d'accord?.
M. Fournier: Mais Calgary non plus.
Mme Duplé (Nicole): Pardon?
M. Fournier: Et Calgary non plus. C'est un cadre de discussion.
Mme Duplé (Nicole): Bien, on nous présente la déclaration avec...
M. Fournier: C'est un cadre de discussion.
Mme Duplé (Nicole): Moi, j'ai choisi des points à discuter. J'ai choisi...
M. Fournier: Pas tous.
Mme Duplé (Nicole): Je ne sais pas du tout... Tout ce que je peux voir dans cette déclaration de Calgary, c'est l'intention de ne pas modifier, justement. Quand on dit dans l'article 7 de la déclaration de Calgary - quand même, j'ai des yeux pour voir et vous aussi, puis je ne voudrais pas quand même que cette discussion tourne à une empoignade, parce que je ne suis pas venue pour ça, M. Fournier... Bon, alors, sur le pouvoir de dépenser, à l'article 7: «Le Canada est un régime fédéral dans le cadre duquel les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux travaillent de concert, tout en respectant leurs compétences respectives», alors, j'ai choisi de traiter du pouvoir de dépenser et de cette affirmation. Si vous vouliez me voir traiter d'autre chose, de l'union sociale, j'aurais traité de l'union sociale.
M. Fournier: Bien, ça fait partie du mandat.
M. Duplé (Nicole): Mais moi, j'ai dit que j'avais choisi de traiter de la clause...
M. Fournier: Ah, bon...
Mme Duplé (Nicole): ...de la société unique et de ces articles de la déclaration de Calgary.
M. Fournier: Très bien.
Mme Duplé (Nicole): Alors, je ne sais pas ce qui va se passer. Si, effectivement, les provinces décident de circonscrire un pouvoir de dépenser de façon satisfaisante qui permette au Québec d'avoir un droit... D'ailleurs, le droit de retrait, il existe déjà, dans un certain...
M. Brassard: Il faut que le fédéral accepte.
Mme Duplé (Nicole): Pardon?
M. Brassard: Encore faut-il que le fédéral accepte. Ce que dit le député de Châteauguay...
Mme Duplé (Nicole): Encore faut-il que le fédéral accepte, bien entendu.
M. Brassard: ...ne concerne que les provinces. Le fédéral n'a pas donné son aval, d'aucune façon, à cette formulation et à ce libellé sur le pouvoir de dépenser.
Mme Duplé (Nicole): Non.
M. Fournier: M. le Président, ce qui est le débat ici, permettez-moi de - je ne sais pas si mon temps est terminé - de clore là-dessus, une minute.
Mon but n'est pas de virer à l'empoignade. Mon but est simplement de vous montrer ceci. Si on voulait informer valablement la population et qu'on veut lui dire que Calgary, c'est une offre finale complète, qu'il ne faut pas regarder ce qui se passe ailleurs, moi, je pense qu'on est en train de les tromper.
Je pense... Si vous me permettez...
Mme Duplé (Nicole): Oui.
M. Fournier: Je pense qu'il se passe des choses. Je vous ai lu un document. Vous n'en parlez pas...
Mme Duplé (Nicole): Oui, je sais!
M. Fournier: Vous me dites que vous le connaissez. Vous n'en parlez pas. Pourtant, ce document est en pleine vie. Le ministre nous dit: Le fédéral ne voudra pas.
Est-ce qu'il fait une stratégie d'alliance avec les autres provinces pour s'assurer que ça marche? Non, on est toujours absent. Il n'y a aucune discussion avec les autres ministres.
Mon point, c'est le suivant: Si on voulait informer les Québécois, on leur dirait ceci: Oui, il y a une déclaration de Calgary. Oui, il y a du mouvement avec le pouvoir de dépenser. Oui, on a approfondi l'union économique. Oui, on a eu la main-d'oeuvre. Oui, on a eu les commissions scolaires linguistiques.
Je veux bien qu'on dise que tout est noir, mais de temps en temps, on pourrait peut-être dire aussi qu'il y a des choses qui sont en évolution, plutôt que d'être silencieux là-dessus. C'est le seul point. Ce n'est pas de virer à l'empoignade. C'est juste de dire: Est-ce qu'on ne pourrait pas avoir, des fois, un peu plus que juste la moitié de la phrase et nous donner le portrait complet? Voilà, c'est tout.
Mme Duplé (Nicole): Mais écoutez, je suis bien d'accord qu'il y a des discussions actuellement sur le pouvoir de dépenser. C'est bien évident. C'est l'objet même de l'entreprise qu'ont entrepris les premiers ministres. Ils veulent discuter du pouvoir de dépenser. J'ai dit tout à l'heure, même, dans mon témoignage qu'ils avaient tout à en craindre et qu'ils l'ont exprimée, cette crainte, et qu'ils veulent le... C'est à ça que je faisais référence.
Mais moi, j'ai voulu mettre l'accent sur cette déclaration de Calgary, qui est un texte, qui est quand même plus solennel que cette intention de dignité. Alors, ce texte...
Bien, oui! puisque c'est ça qu'on nous demande d'appuyer.
M. Fournier: Bien, oui. Moi, ce que je vous demande, c'est...
Mme Duplé (Nicole): Alors, ce texte-là, tel qu'il est, écoutez, faites en sorte qu'on le modifie, puis on refera l'exercice. Mais pour l'instant, il est insatisfaisant, et, à mon avis, on ne peut pas y adhérer.
M. Fournier: J'ai mon voyage!
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le député de Rivière-du-Loup.
(17 h 50)
M. Dumont: Oui, merci, M. le Président. Je vais essayer de vous poser des questions pour avoir un éclairage non partisan, à l'invitation du député de Châteauguay qui nous a, en commençant nos travaux, ce matin, l'invitation à être non partisans dans nos approches.
M. Fournier: ...que vous autres. Des fois, ça vous insulte, là, mais c'est comme ça.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): C'est le député de Rivière-du-Loup qui a la parole.
M. Dumont: Donc, vous avez dit, dans votre exposé, en étant assez ferme sur la valeur de tous les concepts - société distincte, unique, quelles que soient les clauses interprétatives - que ces clauses interprétatives là, mises dans la balance avec le partage de pouvoir, elles ne tenaient pas le coup. Dans le fond, ce qu'il faut pour le Québec, c'est des moyens, des pouvoirs législatifs qui, concrètement, vont permettre d'exprimer la société distincte ou unique, ou peu importe, beaucoup plus que de l'exprimer comme telle. Est-ce que je dois en conclure que vous êtes donc plus favorable à l'approche qui était, entre autres, préconisée par le Parti libéral, à l'époque où il y avait un programme, dans le rapport Allaire qui trouve écho, on le voit, dans l'opposition officielle, à Ottawa, qui travaille, en tout cas, sur des projets de partage de pouvoirs, comme étant davantage une voie pour le Québec?
Mme Duplé (Nicole): Bien, ça constitue une alternative, au moins, à la souveraineté beaucoup plus souhaitable que ce qui est actuellement en cours. C'est bien évidemment que, dans la mesure où le Québec est insatisfait dans la fédération et où, réellement, il a des frustrations du côté de ses pouvoirs, il n'y a pas 36 choix, hein. J'écoutais, tout à l'heure, les questions qui ont été adressées à Me... à Simon Langlois - qui n'est pas du tout maître - à M. Langlois, et les modalités que ça peut prendre, les changements, il y a deux grandes voies, hein: il y a la souveraineté avec tout ce qu'il peut y avoir autour et il y a l'adhésion au principe fédératif avec des modifications, ou alors on suppose que le Québec veut renoncer à tout ce à quoi il a tenu dans le passé.
Alors, les modifications des pouvoirs, ça me paraît être effectivement important. Justement, la limitation du pouvoir de dépenser, déjà ça serait un bon point. Mais, dans Meech, il y avait quand même autre chose, il y avait des modifications constitutionnelles auxquelles ce n'était pas strictement des pouvoirs, mais on y tenait et on y tenait beaucoup. De quoi est-il question maintenant? Est-ce qu'il en est question, de ça? Plus jamais! On ne nous a plus jamais reparlé de modifications constitutionnelles. On nous a dit: Soyez contents, vous êtes une société distincte, avec Charlottetown. Ça ne va pas? Ah bon! Alors, dans la déclaration de Calgary: Vous êtes une société unique. Mais toujours pas de négociations pour une reconfiguration - j'utilise un mot moderne là - la reconfiguration de la Constitution, non, c'est fini, on n'en parle plus.
Et c'est ça que je trouve épouvantable, parce que, si 49,6 % ont opté pour rester dans le Canada, en 1995, eh bien, au moins, ceux-là, on ne peut quand même pas déduire que, parce qu'ils veulent rester dans la fédération, ils ont abandonné toute prétention à toute modifications. Moi, je ne crois pas ça. Alors, qu'est-ce qu'on en fait? Eh bien, moi, je crois que même le Parti libéral ne devrait pas les laisser tomber, ces gens-là.
M. Dumont: Dernière petite question sur... Vous êtes une experte en matière de droit constitutionnel. Depuis la première fois que j'ai lu l'entente de Calgary, l'article 3, je me demandais: Est-ce qu'il y a d'autres pays, d'autres endroits dans le monde qui ont ce genre de rédaction-là dans leur constitution ou dans leurs documents d'ordre constitutionnel, parce que n'est pas des termes constitutionnels, qui s'autodéclarent que leur diversité et leur tolérance, leur compassion et l'égalité des chances qu'ils offrent sont sans pareils dans le monde? Si tous les pays mettent ça dans leur... Ha, ha, ha!
Mme Duplé (Nicole): Non, c'est évident, c'est évident. C'est une profession de foi, puis, comme je le dis dans mon texte, ça n'exige pas une preuve scientifique, hein, heureusement. Mais, non, c'est une profession de foi, puis je crois que c'est beaucoup moins anodin que ça n'y paraît. Vous savez que, pendant Meech, moi, j'ai entendu des histoires d'horreur quand j'allais dans des réunions pseudo-scientifiques où l'on devait établir les tenants et les aboutissants de la clause de la société distincte. Alors j'ai entendu des choses horribles. Il paraît que la législature québécoise allait se livrer aux pires exactions et sauter sur le pauvre monde en virant dans le fascisme plus outrancier et puis...
Alors, là je crois qu'on a voulu faire taire les craintes, et puis on rassure le reste des Canadiens avec la déclaration de Calgary, et notamment cet article 3: Ne vous inquiétez pas, tout va se faire très bien, le Québec est une société unique, mais on lui rappelle que, justement, le caractère multiculturel, etc., et puis, précisément, ces grands principes que vous venez d'évoquer. Alors, je trouve ça un peu insultant, mais disons que c'est ce qu'il y a de plus naïf dans la déclaration.
Et là, on est obligé de supposer des intentions, vous savez, mais elles ne sont pas belles, si on les suppose.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Madame, merci. Mme la députée de Pointe-aux-Trembles.
Mme Léger: Merci, M. le Président. Alors, merci, Mme Duplé, de nous donner votre point de vue, et je pense qu'il faut le rappeler aussi à nos citoyens et citoyennes du Québec qui ont l'opportunité, par cette commission parlementaire, d'écouter les réflexions et les prises de position d'experts et d'expertes telles que vous, madame, qui ont écrit un mémoire, donc développé une expertise et développé une réflexion plus pointue et plus spécifique. Et je pense que ça donne ainsi l'opportunité à toute la population du Québec de mieux comprendre cette déclaration.
Même si vous n'en avez pas parlé spécifiquement, j'aimerais revenir, moi, sur la Cour suprême du Canada. Compte tenu que vous êtes constitutionnaliste, alors, peut-être que j'apprécierais votre opinion à l'égard du Québec qui dénonce, depuis plusieurs années et même depuis plusieurs décennies, la tendance centralisatrice de la Cour suprême du Canada. Selon vous, dans la déclaration de Calgary, est-ce qu'on reconnaît ce problème, ou peut-on y trouver quelques dispositions ou réponses qui peuvent permettre de régler ce contentieux?
Mme Duplé (Nicole): Je pense que, au contraire, ça accentue la centralisation, mais c'est vraiment une déclaration qui destine dans son ensemble à renforcer l'union canadienne, renforcer les pouvoirs des gouvernements canadiens et à les faire coopérer.
Ça ne change rien au partage des compétences, mais ce que ça change, c'est que politiquement, ça limite le potentiel législatif du Québec en l'insérant dans une finalité. Vous savez, il faut que ça fasse le bonheur des Canadiens. Ça, c'est un peu dangereux, c'est même très dangereux. Et, qui plus est, ça légitime le pouvoir de dépenser. Maintenant, ça ne touche pas au pouvoir.
Alors, la Cour suprême, si ce n'est pas modifié, cette constitution à la lettre, la déclaration d'intention des gouvernements dans la déclaration de Calgary, ce ne sera qu'un document politique. La Cour suprême nous dira ce qu'elle nous a dit au moment du rapatriement: Il faut distinguer la constitution juridique et la constitution politique. La constitution juridique, eh bien, elle est toujours ce qu'elle est, et la Cour suprême dira ce qu'elle en a toujours dit. Voilà!
Alors, votre réponse, elle appelait une distinction entre le volet politique et puis le volet juridique, j'espère que j'ai répondu adéquatement.
Mme Léger: Merci.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): M. le ministre, une autre question?
M. Brassard: M. le Président, il reste quelques minutes pour apporter une précision relativement au pouvoir fédéral de dépenser. Tout à l'heure, le député de Châteauguay brandissait un document, c'est celui portant sur un projet d'entente-cadre sur l'union sociale, qui est un processus qui est en cours depuis un certain nombre de mois. Et il parlait précisément du pouvoir fédéral de dépenser. C'est vrai qu'il y a actuellement sur la table un texte qui aurait pour effet d'encadrer le pouvoir fédéral de dépenser et qui reconnaîtrait le droit de retrait avec compensation financière pour les provinces lorsqu'il y aurait des initiatives ou des programmes fédéraux dans les champs de compétence des provinces. Cependant le fédéral n'a jamais donné jusqu'à maintenant son accord et son aval à ce libellé, jamais.
Et on peut dire concrètement que la réponse du fédéral à ce libellé portant sur le droit de retrait, elle est venue de façon très concrète dans le dossier des bourses du millénaire où, là, le gouvernement du Québec, l'Assemblée nationale, d'une même voix, réclamait des modifications législatives à la loi fédérale sur les bourses du millénaire, précisément pour en arriver concrètement à reconnaître le droit de retrait du Québec avec compensation financière. Les amendements qu'on proposait avaient cette portée-là. Le fédéral s'y est refusé, a fait adopter sa loi sans amendement, donc sans d'aucune façon reconnaître le droit de retrait du Québec avec compensation financière.
(18 heures)
Alors, la réponse du fédéral est maintenant connue. Elle est survenue à l'occasion, justement, du dossier des bourses du millénaire. Alors, c'est bien beau de dire... Oui, c'est vrai, il y a un libellé sur la table. Il y a un libellé sur la table qui semble faire l'affaire d'un bon nombre de provinces et qui se rapproche, je l'ai dit, de la position... qui est très proche de la position historique du Québec en cette matière. Cependant, le fédéral, d'aucune façon, n'a donné son aval à ce libellé. Son comportement dans le dossier des bourses du millénaire nous laisse présager évidemment qu'il n'est pas question pour lui de reconnaître d'aucune façon ce droit de retrait et d'accepter un encadrement assez rigoureux de son pouvoir de dépenser.
Mme Duplé (Nicole): Si je peux terminer avec ça, je dirais que le pouvoir de dépenser, c'est vraiment, je crois, au coeur des modifications que le Québec a toujours voulu apporter. C'est vraiment le problème majeur. Ce sont des inquiétudes que les autres provinces ont partagées, mais peut-être probablement avec moins d'acuité que nous parce que nous avons toujours dénoncé ces intrusions du fédéral.
Le problème, c'est que pour arriver, en quelque sorte, à circonscrire ce pouvoir de dépenser, il faudrait lui donner des balises, mais des balises aussi juridiques. Parce que rien n'empêchera, avec le pouvoir de taxer quasiment illimité du fédéral, le Parlement fédéral de prélever de l'argent en quantité beaucoup plus élevée que ce que nécessite l'exercice de ses propres compétences ou même l'article 36, la péréquation. Alors, il va continuer à prélever beaucoup d'argent et à utiliser son pouvoir de dépenser qui n'est pas circonscrit juridiquement.
Alors, qu'on le fasse politiquement, c'est important, certes, mais encore faut-il qu'ils soient d'accord, comme vous le disiez, M. le ministre, pour vraiment adhérer à un accord qui va le lier, lui, politiquement, alors que juridiquement il ne l'est pas. Je ne suis pas sûre que ça va arriver.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Mme Duplé, nous vous...
M. Brassard: Je souhaiterais que pour la suite des choses, M. le Président, on fasse preuve de courtoisie à l'égard de nos invités qui ont accepté de venir témoigner devant nous.
M. Fournier: M. le Président, je pense que les parlementaires, surtout lorsqu'ils se voient dans la situation à laquelle ils sont confrontés, ont le droit de rappeler des événements et ont le droit de faire état de leur mécontentement. Je comprends que, des fois, la position du témoin peut plaire à un parti ministériel. Il s'adonne qu'au Québec il y en a qui ne pensent pas tous comme les membres du Parti québécois, comme le Parti québécois, comme le ministre, et ces gens-là aimeraient qu'on mette sur la table ce que le ministre vient de dire.
À la toute fin, il dit: Oui, c'est vrai, les provinces travaillent; oui, on est près d'un encadrement du pouvoir de dépenser. Voilà ce que j'aurais voulu voir dans votre mémoire. C'est ce que je vous ai dit. Maintenant, on a cette lumière-là à la fin de la journée. Je pense que, ça, c'est au moins un point qu'il était important de dire, et le ministre nous l'a dit.
Mme Duplé (Nicole): M. le Président, j'ai déjà dit, d'entrée de jeu, que je discuterais de la déclaration de Calgary, pas de l'entente sociale, des articles de la déclaration de Calgary. J'avais 20 minutes, j'ai choisi. C'est tout.
M. Fournier: Je comprends. Moi, j'étais déçu qu'on ne touche pas à ça.
Mme Duplé (Nicole): Ah! Mais, la prochaine fois, vous m'enverrez la liste de ce qu'il faut que je traite. Je le ferai volontiers.
M. Fournier: Mais le mandat était aussi sur l'union sociale. Moi, je voudrais qu'on fasse la lumière au complet et non pas juste mettre de l'ombre.
Mme Duplé (Nicole): Oui, mais quand... Bon. Ça va.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Maintenant, moi, je veux vous remercier, Mme Duplé, de votre participation à la commission. Avant de lever, M. le député de Châteauguay, j'aimerais vous rappeler que, même si on peut poser toutes les questions qu'on veut et qu'on a le droit de ne pas tous partager les mêmes opinions, ça ne nous dispense pas cependant d'un certain respect qu'on doit manifester à l'égard des témoins qui viennent en commission.
Mme Duplé (Nicole): Je ne me suis pas senti insultée, M. le Président.
Le Président (M. Landry, Bonaventure): Alors, je tiens à souligner qu'on essaie de garder le débat dans les règles de la civilité.
Sur ce, nous allons suspendre nos travaux. La commission reprendra sur un autre mandat à 20 heures.
(Fin de la séance à 18 h 4)