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Version finale

35th Legislature, 2nd Session
(March 25, 1996 au October 21, 1998)

Thursday, October 31, 1996 - Vol. 35 N° 42

Étude détaillée du projet de loi n° 130 - Loi sur la justice administrative


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Table des matières

Étude détaillée


Intervenants
M. Roger Paquin, président
M. Paul Bégin
M. Thomas J. Mulcair
M. Jean-Marc Fournier
M. Guy Lelièvre
M. Roger Lefebvre
* M. Gaston Pelletier, ministère de la Justice
*Témoin interrogé par les membres de la commission

Journal des débats


(Dix heures sept minutes)

Le Président (M. Paquin): Alors, la séance est ouverte. La commission est réunie afin de poursuivre l'étude détaillée du projet de loi n° 130, Loi sur la justice administrative.

Est-ce qu'il y a des remplacements?

Le Secrétaire: Non, M. le Président, il n'y a pas de remplacements.

Le Président (M. Paquin): Alors, je rappelle l'état des travaux lors de l'ajournement d'hier. Ont été adoptés avec amendements les articles 1 à 6, mais pas 6.1 et 6.2, qui sont sur notre table à ce moment-ci, où nous en sommes rendus d'ailleurs; le premier alinéa de l'article 13; l'article 16; les articles 53 à 120; 122 à 188, tels qu'amendés, sont également adoptés.

Sont en suspens, donc, les articles 6.1, 6.2, où nous en sommes, et jusqu'à 12; le deuxième alinéa de l'article 13 tel qu'amendé; les articles 14, 15; 17 à 52; l'article 121 tel qu'amendé; les annexes 1 à 5; les chapitres, les intitulés de chapitres et les sections tels qu'amendés.

Il serait également nécessaire d'adopter une motion de renumérotation à la fin, et une question demeure en délibéré par le président de la commission.

Alors, nous en sommes donc à la discussion sur les articles 6.1 et 6.2. Je comprends que vous voulez en débattre simultanément. Est-ce que vous préférez qu'on les discute séparément ou simultanément?

M. Mulcair: Moi, je pense que, de notre côté, on est prêts à les scinder. Et, s'il y a assez de différence entre le 6.1 et le 6.2, on peut les faire séparément, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): D'accord.

M. Bégin: M. le Président.

Le Président (M. Paquin): M. le ministre.

M. Bégin: Est-ce qu'il serait possible d'avoir une copie, lors d'un prochain amendement qui devra être photocopié, de ce que vous venez de lire, de l'état de l'adoption des articles? Ça nous permettrait...

Le Président (M. Paquin): Vous en avez la liste.

M. Bégin: Je ne l'ai pas eue, moi, c'est pour ça que je la demande. En tout cas, ne faites pas un spécial; lors d'un prochain amendement à photocopier, on pourra l'avoir.

Deuxièmement, c'est pour le fonctionnement de la commission. Est-ce que c'est à ce stade-ci qu'on pourrait parler pour la séance de ce soir, de manière à permettre à chacun d'organiser son agenda en conséquence d'un changement qu'on pourrait proposer? Mon collègue a des raisons, je pense, importantes d'être absent ce soir. On serait consentants à...

Le Président (M. Paquin): Bien, je pense que ça...

M. Bégin: Non, mais le dire tout de suite peut permettre à ce que les gens...

Le Président (M. Paquin): De façon à ce qu'on puisse organiser son emploi du temps...

M. Bégin: Exact.

Le Président (M. Paquin): ...je pense qu'il peut seoir de le faire dès maintenant.

M. Bégin: Alors, on conviendrait, si tout le monde est d'accord, de ne pas procéder ce soir, mais d'ajourner au moment où on déterminera, à 18 heures. Ça convient?

M. Mulcair: D'accord avec ça.

Le Président (M. Paquin): Ça convient des deux côtés de cette table?

M. Bégin: Parfait.

Le Président (M. Paquin): Alors, à 18 heures, donc, nous procéderons officiellement à cet ajournement, et d'ici là chacun pourra organiser son emploi du temps conséquemment.

M. Bégin: M. le Président, on me dit que de toute façon il y a des gens qui avaient l'intention de sacrer leur camp. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bégin: Je parlais évidemment pour des collègues en face. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Paquin): Alors, on vient d'avaliser ce comportement.

(10 h 10)


Étude détaillée


Règles propres aux décisions qui relèvent de l'exercice d'une fonction administrative (suite)

Alors, si nous pouvions maintenant entreprendre le débat sur l'article 6.1. Je comprends que la reformulation a été faite par le ministre. C'est bien cela? Alors, M. le ministre.

M. Bégin: Excusez-moi.

Le Président (M. Paquin): Puisque la reformulation est de vous, est-ce que vous désirez prendre la parole à ce moment-ci?

M. Bégin: Non, M. le Président. Nous avons énoncé hier... Je pense que je demanderais peut-être au député de Chomedey quelle est sa réaction face à cette rédaction.

Le Président (M. Paquin): Ah! Je sens par son hochement de tête qu'il est fébrile.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Lors de nos discussions ici, en commission parlementaire, hier et lors d'un ajournement qui nous a permis d'échanger dans un cadre moins formel avec le ministre, on a réussi à cerner là où étaient les principales différences qui nous séparaient dans notre analyse du projet de loi. J'ai même eu l'occasion, M. le Président, de référer à nos interventions en commission du mois de mai 1995 et de février 1996, de prendre le temps de relire toutes nos remarques pour s'assurer que c'était cohérent. En gros, il y avait un certain nombre de choses sur lesquelles il y avait des problèmes et on a réglé un des gros problèmes, hier, à notre satisfaction, c'est la question de l'évacuation possible des règles de la «common law» dans le projet de loi. Alors, je le dis d'emblée aujourd'hui, on est très satisfaits de voir que cette possibilité-là d'interprétation du projet de loi n° 130, comment évacuer la règle de la «common law» en dehors de tout ce qui était codifié ici, ça a été réglé à notre satisfaction.

Il reste quelques autres questions tout aussi importantes, deux questions principales, c'est la question des appels et la question de la reconduction des membres, parce que la nomination, le mode est relativement limpide, mais on y arrivera. Pour nous, la question de la reconduction et le manque d'appels, ce sont des questions qui sont reliées et ont un effet au niveau constitutionnel, possiblement.

Finalement, il y a le droit d'être entendu. Depuis le début de nos travaux sur le projet de loi n° 130 et toutes nos discussions à ce sujet, l'opposition officielle a toujours pris comme position que toute réforme devrait avoir comme première préoccupation d'accroître la protection du public et l'intérêt de la population. Alors, celui qui était assis à votre place hier, M. le Président, le député de Gaspé... de Bonaventure – j'étais dans la bonne région, mais pas dans la bonne circonscription – nous a posé une question, à un moment donné, parce qu'on s'était objecté à un problème à l'article 6 et on voulait enlever la notion de «présenter ses observations», ce qui est 6.1 dans le texte actuel, et le remplacer par «se faire entendre», et le député de Bonaventure, qui présidait alors nos travaux hier, disait: Oui, mais, à l'article 5, ce qui est devenu l'article 5.3°, vous avez conservé «présenter ses observations». Je commencerai ce matin, M. le Président, notre analyse de cette situation avec justement un bref rappel de 5.3° pour situer le contexte dont on s'apprête à discuter ce matin.

Rappelons qu'à l'article 5 on a commencé en disant: «L'autorité administrative ne peut rendre une ordonnance de faire ou de ne pas faire...» On se rappelle l'exemple qui a été donné par notre collègue hier. Il a donné l'exemple de l'ordonnance d'un fonctionnaire, d'un officier de l'environnement ou de l'agriculture qui dirait: Écoutez, il faut que vous détruisiez votre rucher, il y a des problèmes qui risquent d'affecter l'ensemble.

Je me permets de dire en partant que je trouve que la rédaction est un peu lousse. C'est peut-être la «common law» en moins... qui aurait préféré voir une définition d'«ordonnance», comme on voit au début des lois dans les provinces de «common law» – une ordonnance comprend tout ordre, arrêté, décision, etc. – mais je suis absolument convaincu que ça va faire le bonheur de l'avocat qui aura un jour à plaider, savoir si l'invitation faite par tel ou tel officier est en fait une ordonnance. Je suis sûr que c'est pour compenser autre chose, qu'on veut redonner du travail ici sur la notion d'ordonnance.

«Ou une décision défavorable portant sur une indemnité, une prestation, un permis ou une autre autorisation de même nature, sans au préalable – avoir fait trois choses: avoir informé l'administré de son intention...» Oh oui! Juste un autre mot, M. le Président, sur un terme assez flou. On est content de voir le mot «défavorable» ici plutôt que de voir «ou une décision refusant une indemnité» ou quelque chose comme ça. Parce que, même si on accorde une indemnité, elle peut être défavorable si elle n'accorde pas tout ce qu'on a demandé. Alors, ça ouvre la porte quand même à ces obligations-là. C'est un bon choix de terme, en termes rédactionnels, pour ce qui nous concerne.

Alors, on dit, dans ces cas-là: «Avoir informé l'administré de son intention ainsi que des motifs sur lesquels celle-ci est fondée.» Crucial. Crucial de dire qu'on doit donner des motifs, on doit donner des raisons. Deuxièmement: «Avoir informé celui-ci, le cas échéant, de la teneur des plaintes et oppositions qui le concernent.» Ça aussi, c'est une question de ce qu'on appelle en anglais «fairness». Troisièmement: «Lui avoir donné l'occasion de présenter ses observations et, s'il y a lieu, de produire des documents pour compléter son dossier.»

Maintenant, rappelons que tout cela, avec la modification qui a été acceptée de part et d'autre hier, se fera «sous réserve des autres règles de droit qui lui sont applicables». Quand on a quitté hier soir, on avait dit au ministre qu'on voulait avoir du temps – puis on apprécie de l'avoir eu – pour analyser le fait de son acceptation de ce bout de phrase là: «Sous réserve des autres règles de droit qui lui sont applicables», et ce qui s'annonçait comme un refus de retirer l'article 6.2 a été refondu dans un nouvel article 6.1 dont on est en train de discuter ce matin.

Parce que, pour nous, M. le Président, c'est correct, ça va avec la notion de déjudiciarisation. On demande ça plus rapide parce qu'il y a toujours, vous me passez encore l'expression anglaise, un «trade-off», il y a toujours du donnant, donnant. On veut que les choses aillent plus vite. Les gens se plaignent que ces décisions-là ne sortent pas assez rapidement, que c'est trop embourbé. Mais, si on veut que quelque chose sorte plus rapidement, il faut, toujours en respectant les droits, essayer de faire en sorte que ça ne s'embourbe pas par d'autres règles, d'autres procédures trop judiciarisées.

Alors, c'est un peu ce qui est visé à 5, et avec lequel on était d'accord, et c'est pour ça qu'on a conservé ici la simplicité de «présenter ses observations» plutôt que l'obligation plus lourde de «se faire entendre», à l'article 5 troisième paragraphe, parce que ça se fait «sous réserve des autres règles de droit qui lui sont applicables». Donc, à moins qu'une règle de la «common law» nous donne le droit d'être entendus, l'article 5, troisième paragraphe, nous limite à cette simple occasion de présenter des observations.

Donc, déjudiciarisation, on amincit la tâche, on rend les choses un peu plus rapides; intérêt pour le justiciable, il ne perd pas ses droits aux termes de la «common law», parce que c'est sous réserve d'une autre règle de droit qui est applicable. Donc, on était d'accord avec cette simplification à l'article 5, troisième paragraphe.

Là est venu l'article 6, et, après discussion hier, on a reconfiguré l'article et on a dit: «L'autorité administrative est exceptionnellement dispensée de ces obligations préalables – 5.1°, 5.2°, 5.3° – lorsque l'ordonnance ou la décision est rendue dans un contexte d'urgence ou en vue d'éviter que ne soit causé un préjudice irréparable – terme consacré dans la jurisprudence, on connaît tout ça du domaine des injonctions, le préjudice irréparable à l'administré ou à la population, parce que, même s'il s'agit d'un rucher ou d'une rivière, c'est un tort indirect à la population – et que la loi l'autorise à la réviser ou à réexaminer la situation.» Ça, c'est intéressant, parce que ce qu'on est en train de dire là, c'est que, même lorsque c'est grave, que c'est urgent, même si c'est pour éviter un préjudice irréparable, on ajoute «et que la loi l'autorise à la réviser ou à réexaminer». Donc, on se met quand même à l'abri de quelque chose de purement discrétionnaire et arbitraire, peut-être même abusif, parce que c'est «et que la loi l'autorise à la réviser ou à réexaminer». Donc, on était d'accord avec cette reformulation puis on l'a adoptée. Encore une ensemble.

Arrive le 6.1 – et là on vient de dire que c'est quand l'autorité administrative est autorisée à réviser ou réexaminer: «L'autorité administrative est également dispensée de ces obligations – 5.1°, 5.2°, 5.3° – préalables lorsque la décision concerne une indemnité ou une prestation et que la loi l'autorise à la réviser.»

Nous, on a de la difficulté à comprendre pourquoi on aurait besoin de cet article-là parce que tout ce qui est prévu à 5.3°, c'est l'obligation de donner l'occasion de présenter ses observations et de produire, s'il y a lieu, des documents pour compléter son dossier. Alors, je me rappelle de ce qu'a dit Rod Macdonald, de l'Université McGill, lors du forum et lorsqu'il est venu ici en commission parlementaire – c'est un propos qui a trouvé écho dans l'intervention du Protecteur du citoyen: L'important, c'est de travailler la décision de première instance, la première décision.

(10 h 20)

Alors, si à la première instance, concernant une indemnité ou une prestation, même si on est autorisé à la réviser, on trouve que c'est une bonne concession à la réalité que de dire: Non, pour cette première décision, pour une indemnité ou une prestation, il n'y a pas de problème, si c'est défavorable, tu dois au moins lui donner l'occasion de produire des documents. Et là, si on acceptait le 6.1 tel que proposé, même cette obligation-là, au moins laisser la personne présenter ses observations, serait relevée parce que la loi l'autoriserait à réviser. Pour nous, ça diminue des droits; pour nous, ça expose le contribuable, le justiciable à l'aléatoire, à un abus possible du discrétionnaire pur. Puis le temps que son point de vue soit entendu, le tort risque d'être fait.

Comme plusieurs autres de mes collègues autour de cette table, j'ai déjà eu à plaider des causes d'indemnité – Commission des affaires sociales. Ce sont des cas souvent fort complexes, les détails sont souvent de nature médicale, on a souvent nous-mêmes besoin de se faire expliquer en long et en large de quoi ça retourne, mais j'ai aussi vu de très nombreux cas où le simple défaut d'avoir le bon document ou d'avoir pu au moins dire: Mais non, ce n'est pas ça, il y a aussi ça, parce que la personne a mal compris le document qui lui a été demandé.

Nous, on se dit: Pourquoi, sur la simple foi du fait qu'on est autorisé à la réviser, on se priverait de l'occasion, dès la première instance, de permettre à la personne de déposer son document ou de faire ses observations? On est en train de déjudiciariser.

Le ministre dit depuis le début, avec raison, que ça doit être un des buts et des objectifs de la réforme, sinon ce n'est pas la peine de la faire, la réforme. Mais on déjudiciarise déjà à 5.3° parce qu'on ne donne plus, à moins que la «common law» l'exige, un droit d'être entendu; on donne un droit de présenter ses observations.

Alors, c'est pour ça qu'on ne peut pas, nous, être d'accord avec un article 6.1 qui évacuerait ça parce qu'on ne comprend pas le besoin de le faire; on ne comprend pas l'intérêt pour la population de le faire. Et on dit que c'est un exemple où, malheureusement, la proposition pourrait avoir comme effet de diminuer des droits.

On reviendra sur certains aspects de notre présentation lorsque viendra le temps de discuter du nouveau 6.2, M. le Président. Mais, comme entrée en matière, on tenait à exposer notre point de vue sur le 6.1 nouvellement proposé pour que le ministre puisse y réagir.

Le Président (M. Paquin): M. le ministre.

M. Bégin: Alors, je comprends très bien l'argumentation que vient de soulever le député de Chomedey, parce que c'est le coeur de l'ensemble de la réforme et qu'effectivement, comme il l'a dit, nous visons principalement à faire en sorte que les décisions soient rendues de manière la plus claire, la plus limpide possible. Je me souviens d'avoir mentionné ici que la qualité de la première décision peut faire en sorte qu'on évitera d'être, par exemple, en appel d'une décision. Parce que, si le citoyen a été bien traité, s'il a été entendu, s'il a pu déposer ses documents, etc., généralement, ça va faire varier. Je suis donc d'accord avec l'idée, l'approche qui est là.

La nuance qui nous sépare est la suivante. D'une part, il y a – et ça, c'est un état de fait – un volume extrêmement considérable de décisions à rendre; il y a une multitude de décisions qui peuvent être rendues favorablement et rapidement en faveur d'un administré sans qu'il ait à prendre tous les moyens qu'on peut mettre à sa disposition dans l'ensemble des situations. Donc, beaucoup de décisions peuvent être rendues favorablement sans problème, sans avoir à écouter ou à rencontrer la personne, parce que, à la face même du document ou des renseignements qui sont au dossier, elle y a droit. Donc, c'est une question de volume. Si on crée l'obligation, ça veut dire qu'on est obligé de le faire à chaque coup. Et là on tombe devant un problème d'engorgement et on détruit un peu ce que l'on veut faire par le procédé que nous élaborons dans ce projet de loi.

Alors, c'est une espèce d'équilibre entre comment la qualité de la première décision se retrouve et le fait qu'on ne soit pas non plus engorgé en bonifiant cette première décision. Ce qui fait que le processus de révision obligatoire qui est là pour être capable de bénéficier de l'exemption de 6 fait en sorte que la révision qui est encore de la nature de la première décision, ce n'est pas une nouvelle décision, c'est encore dans l'exercice de la première décision, l'obligation de 6.2, qu'on ne peut pas oublier, là, qui se lit comme suit: Lors du réexamen d'une situation ou de la révision d'une décision, à la demande de l'administré, l'autorité administrative lui donne l'occasion de présenter ses observations et, s'il y a lieu, de produire des documents pour compléter son dossier.

Donc, nous sommes toujours au première stade, au niveau de la première décision et non pas au moment de l'appel. Et là les règles de présenter ces observations plutôt que l'amendement qui a été proposé qui est d'être entendu, que l'on resituera plutôt plus loin dans le processus lorsqu'on sera au niveau de l'appel et qu'on aura les règles qui s'appliqueront de l'article 8 et suivants, à ce moment-là, je pense qu'on concilie à la fois la capacité de rendre rapidement des décisions qui sont bonnes pour l'administré, tout en lui permettant, si jamais pour une raison x la décision ne lui plaît pas, mais toujours au premier stade, de présenter ses observations et d'appliquer ce que l'on retrouve dans 5.1°, 5.2°, 5.3°.

Alors, M. le Président, c'est une espèce d'équilibre qu'on cherche entre la bonification de la première décision et la rapidité de ça. Parce que les deux éléments sont importants, ils ne peuvent pas être dissociés. On ne peut pas avoir une excellente décision, mais prendre huit mois pour rendre la décision. On va tomber dans l'absurde. Par contre, on peut avoir une multitude de bonnes décisions rendues rapidement et pour lesquelles, dans certains cas, il y aura un réexamen à faire, une révision à faire, mais toujours au stade premier, avant de passer avec l'artillerie lourde au niveau de l'appel. C'est ça, M. le Président, que 6.1, 6.2, avec 5, cherchent à faire.

Là, évidemment, on peut comprendre qu'il y ait des points de vue différents, mais cette discussion entre la rédaction et la fonctionnalité, je dirais, du processus a été vérifiée auprès des différents organismes, des différents ministères pour s'assurer qu'on atteignait à la fois la qualité de décision et la célérité de décision. C'est un équilibre difficile à établir, on en convient, mais je pense que nous y arrivons avec ce qu'on a là.

M. Mulcair: Je sais que mes autres...

Le Président (M. Paquin): M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Oh! Pardon, monsieur. Je sais que mes autres collègues ont des observations à faire là-dessus aussi, mais je tiens à remercier le ministre pour ce texte, exposé très clair de sa position. Puis, comme il le dit si bien, c'est vraiment le noyau. Et c'est le premier point sur lequel on se rend compte qu'il y a vraiment une différence de points de vue. En rappelant que ce n'est pas le fait qu'il y ait un volume important de décisions à prendre qui devrait nous empêcher de rendre une décision de qualité en première instance. Il ne faut pas non plus que cette tendance, cette vision de la machine soit une excuse pour faire une réforme par la machine pour la machine. Il faut absolument retenir ce que tous les experts, notamment le Protecteur du citoyen qui connaît ça mieux que quiconque dans la province, nous ont dit: Travaille la première décision.

On n'est pas en train, M. le Président, de faire des observations qui visent à introduire à 5.3° le droit de se faire entendre. On comprend l'intérêt, voire même la nécessité de dégraisser le système, de déjudiciariser jusqu'à un certain point, sans – on le rappelle à chaque fois – jamais mettre en péril les droits des citoyens et, bien entendu, sans les diminuer. On est content, avec l'ajout du début de l'article 5, de la notion de «sous réserve des autres règles de droit». On est donc prêt à vivre avec 5.3°, qui parle simplement de présenter ses observations et non pas du droit d'être entendu. On est capable de comprendre qu'il peut y avoir des contextes d'urgence ou des situations où il peut y avoir un préjudice irréparable et, à ce moment-là, on peut passer outre à ça, tant et aussi longtemps qu'on a la capacité de réviser ou de réexaminer. Mais à 6.2, ce n'est pas juste ça; à 6.2 on est en train de dire: On peut évacuer 5.1°, 5.2°, 5.3° dès qu'il y a la possibilité qu'il y ait une révision.

Alors, on fait deux remarques. D'abord, le ministre a dit dans ses remarques auxquelles je suis en train de répondre maintenant: Bien, écoutez, il y a beaucoup de décisions qui se rendent favorablement. Je lui rappelle amicalement que les trois obligations de l'article 5 n'entrent pas en jeu s'il s'agit d'une décision favorable. Le début de l'article 5 parle seulement d'une décision défavorable. Alors, toutes les décisions favorables, il n'y a pas d'obligation, pas besoin d'offrir le choix de présenter des observations ou de produire des documents. La personne a ce qu'elle veut, alors le problème est réglé. Donc, ce n'est pas un facteur à prendre en considération.

(10 h 30)

Pour nous, il y a aussi une autre clé là-dedans, c'est qu'on ne peut pas trouver confort dans le seul fait, à l'article 6.1, qu'on est en train de discuter, qu'on a le droit, qu'on est autorisé à réviser, parce qu'il n'y a absolument aucun délai qui existe pour réviser; il n'y a pas de délai uniforme. Et très souvent, aux termes de la loi, même si on commence à parler de 30 ou de 60 jours, ce n'est jamais considéré comme étant un délai de rigueur, ça ne joue jamais en faveur du justiciable ou de l'administré, et on ne peut pas, donc, se permettre de dire: Bien, on va venir à ça, on va réviser. C'est le ministre lui-même qui plaide l'énorme volume de décisions.

Alors, si, pour toutes les décisions qui sont refusées... On a le droit d'être refusé, c'est toujours le même volume, ça ne change rien. Et, si on donne, ce que lui proposerait à 6.2, le droit de présenter des observations – comme il le dit si bien, on est toujours en première instance, on n'est pas en appel, donc il ne faut pas sortir l'artillerie lourde, comme il l'appelle... Mais on n'est pas en train de dire qu'il faut sortir l'artillerie lourde, on n'est pas en train de dire qu'il faut avoir le droit d'être entendu avec tout ce que cela implique en termes juridiques. On est en train simplement de dire: Donne au moins au justiciable, à l'administré, le droit de présenter des observations et de produire un document. C'est ça que le Protecteur du citoyen nous a dit de faire. Il nous a dit: Tu ne peux pas passer par-dessus ça, tu dois au moins permettre ça dès la première instance.

Si encore, pour accélérer les choses, on était en train de parler... Si on parle d'une prestation ou d'une indemnité pour quelqu'un... Mettons un accidenté de la route qui ne peut pas travailler, qui a son hypothèque à payer, et tout le reste, ou une personne qui a souffert d'un accident de travail. Si le but était de lui apporter une aide urgente temporaire, je comprendrais, et si on disait: Sous réserve de la révision, on peut faire tout ça, mais ce n'est pas ça qu'on est en train de dire ici. Ce n'est pas vu du bout de la lorgnette qui intéresse l'administré, c'est toujours vu du bout qui intéresse l'administration, la machine. Et c'est pour ça que c'est le premier point sur lequel on doit vraiment marquer un temps d'arrêt avec le gouvernement et dire: Écoutez, on ne peut pas être d'accord là-dessus, ça diminue des droits, ce n'est pas dans l'intérêt de la population.

Alors, j'espère que j'ai réussi à faire comprendre à mon collègue le ministre de la Justice que, malgré ce qu'il vient de dire, ça ne concilie rien du tout, ce qui est proposé là, et on est en train de diminuer des droits. C'est pour ça qu'on est en désaccord avec la proposition qui est faite ici.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Châteauguay.

M. Fournier: Merci, M. le Président. J'ai écouté ce que le ministre nous a dit, nous a exposé sur les modifications, j'ai écouté aussi mon collègue de Chomedey, et je vais essayer de suggérer la compréhension que j'en ai eue, quitte à ce qu'on me clarifie ce qu'on veut dire; il est possible que j'interprète mal. Mais ce que j'ai compris du nouvel article 6.1... D'abord, je dois vous dire que, lorsque je regarde le libellé du nouvel article 6, qui contient un 6, 6.1, 6.2, ce que je vois tout de suite qui est assez apparent – et on le verra ensuite avec l'interrelation avec l'article 5, évidemment – à l'article 6, c'est qu'on prend soin, et je pense que c'était approprié, de dire que ce qu'on amène à 6 suite à 5, c'est exceptionnel. Alors, à 6, on prend le soin de le dire, et je pense que c'était ce qu'il fallait faire pour donner un signal que la règle qui s'applique, la règle qui est générale, c'est la règle de l'article 5.

Parce qu'on a beau, disons, faciliter ou rendre la justice plus rapide tout en l'améliorant – parce que c'est les deux qui doivent être visés en même temps – il ne s'agit pas de la rendre plus rapide, mais de lui enlever une valeur qualitative. Il faut aussi l'améliorer, il faut aussi faire en sorte que le justiciable sente qu'il a son compte dans le système qu'on lui propose. Alors, à 5, on crée donc une espèce de mécanique qui permet de protéger des droits, parce qu'il y a des obligations à respecter, et donc, à 6, on dit que c'est exceptionnel.

J'arrive à 6.1, et tout de suite ce qui est très, très apparent, avant même de regarder l'article 5, c'est de voir dans la proposition, entre 6 et 6.1, l'absence à 6.1 du terme «exceptionnel». Alors, là on se dit: Ce que le gouvernement tente de me dire, c'est que 6.1 n'est pas une exception. Et, lorsque je vais lire l'article 5, je pense que je comprends ce qu'il veut dire: l'article 5 n'est plus la règle et le 6.1, tel qu'il est rédigé, devient maintenant la règle au-dessus de l'article 5.

La question, évidemment, qu'on se pose, c'est: Si maintenant, lorsqu'on a pris soin de dire... Parce que, à 5, on dit: «L'autorité administrative ne peut rendre une [...] décision défavorable portant sur une indemnité, une prestation [...] sans au préalable...» Alors, on laisse entendre qu'à l'égard des indemnités et des prestations il y a des obligations préalables et, à 6.1, on vient nous dire le contraire: à l'égard des décisions concernant indemnités et prestations, il n'y en a pas, de dispense. Je comprends qu'on viendra me dire qu'il y a aussi la condition que la loi autorise la révision, mais, puisque le ministre nous a parlé de la première décision, intéressons-nous, disons, au premier volet de la première décision, puisque j'ai compris que, dans l'esprit du ministre, une première décision peut avoir plusieurs volets, c'est-à-dire qu'il y a une première décision et la révision de cette décision est encore une première décision.

Je vais vous dire bien franchement, les gens à qui je parle, chez moi, là, lorsqu'il y a une première décision, c'est une première; lorsqu'il y a une révision, c'est une deuxième; lorsqu'il y a un appel, c'est une troisième. Eux autres, ils comptent ça comme ça. C'est comme... Le vrai monde compte ça. C'est assez normal. La première fois, on vous dit oui, c'est oui; la deuxième fois, on vous dit non, c'est non. Ça fait deux décisions. Ce n'est pas la même, là. C'est oui et non.

Je sais bien qu'on peut être habitué, de l'autre côté, de dire oui et non, noir et blanc dans la même journée et se contredire assez rapidement, mais le monde qui regarde ça, M. le Président, lui, il analyse ça comme la vraie vie. Et, s'il y a une première décision, c'est la première. Alors, ce qu'il faut, c'est améliorer la première décision. Moi, je pense que les mots du ministre sont très importants là-dessus et je partage cet avis-là: il faut améliorer la première décision.

Or, 6.1 vient nous proposer que l'amélioration de la première décision à l'égard des indemnités et des prestations, c'est d'enlever les obligations préalables que doit respecter l'autorité administrative. Alors, vous me demandez: Qui est dispensé de respecter des obligations? Bien, c'est l'autorité. Qui est-ce que ça favorise? Ce n'est pas le citoyen que ça favorise, cette affaire-là; ça favorise l'autorité administrative, ça favorise la machine.

Et l'autre question que je me suis posée, on m'y a répondu: Admettons qu'en théorie on peut dire que, de temps en temps, il est bon aussi que l'administration soit favorisée dans certains cas, possibles en théorie. Est-ce que ça doit être généralisé? Est-ce que ça doit arriver souvent qu'il y ait ce facteur qui favorise l'administration qu'on dispense de respecter des obligations? Tout le monde va répondre tout de suite, M. le Président, vous avec moi, j'en suis certain, tout le monde va répondre: Bien, le moins souvent possible. C'est assez simple, parce que les citoyens ne sont pas là pour servir la machine, c'est la machine qui est là pour servir les citoyens. Alors, lorsqu'on favorise la machine, il faut se demander: Est-ce que ça favorise les citoyens?

Dans ce cas-ci, on voit bien que non. C'est un contre l'autre, c'est dans un litige. Alors, si on favorise la machine, on défavorise le citoyen, on enlève des obligations que la machine doit respecter. Est-ce que ça doit arriver souvent, ces cas-là? Je peux bien admettre qu'en théorie on puisse l'imaginer. Est-ce que, en pratique, ça peut arriver souvent? Le ministre nous a... Je ne sais pas si je dois reprendre les chiffres, parce que probablement qu'il y avait... On a parlé de 600 000, à un moment donné, et de 6 000 décisions, 600 000... je ne sais plus combien, mais il nous a dit: Beaucoup, énormément. C'est parce qu'il y en a trop qu'il faut alléger, qu'il faut rendre ça plus rapide.

On est donc dans une logique où on cherche, je pense, et je pense qu'on se trompe, à faciliter la prise de décisions, mais on risque d'y perdre – en termes de qualité de décisions lorsqu'on prend comme base, la raison – le fondement du changement législatif: le fait qu'il va y en avoir trop. C'est un peu... Ça me faisait penser un peu à ce que le gouvernement nous a proposé, vous savez, en campagne électorale. Le gouvernement du Parti québécois, M. le Président, nous avait fait des publicités sur les listes d'attente dans les hôpitaux. Et le truc qu'ils ont trouvé pour éliminer les listes d'attente, c'est qu'ils ont fermé les hôpitaux. Alors, c'est évident qu'à cet hôpital donné là il n'y avait plus de liste d'attente. Tu sais, c'est formidable, il n'y a plus d'hôpital!

(10 h 40)

C'est exactement la même chose qu'on fait ici. On fait la même chose, ici. Il y a un problème de surnombre de causes, ça complique la justice, enlevons donc le facteur de justice. Ça va être beaucoup plus simple. Il va y avoir moins de décisions, oui. À la fin de l'année, on va pouvoir dire: Voyez le beau bilan qu'on a; ça va beaucoup plus vite. Mais est-ce que les citoyens, les justiciables, les gens qui ont droit normalement de se faire entendre... Il me semble que ça a bien de l'allure. Il est tout seul contre la grosse machine... Je ne sais pas si quelqu'un autour de la table l'a déjà représenté ou a déjà été dans une situation où il devait faire face à la machine. Parce que ça a l'air de ça, M. le Président, quand vous allez devant... peu importe quel organisme, de la première décision à la dernière, en passant par les révisions et les appels et les rétractations, puis nommez-en, il y en a.

De l'autre côté, ceux qui représentent l'administration, ils font ça à temps plein. Ils connaissent tous les trucs, ils connaissent toute la jurisprudence, ils savent ce qui va se passer. Et le citoyen arrive là. Souvent, il se représente seul. Il n'a pas les moyens, il est dans une situation délicate. Et là il dit: Mais ça n'a pas d'allure. Et là on veut favoriser l'administration. Moi, je dis non seulement une lumière jaune, mais une lumière rouge. On ne doit pas amener une situation ou d'une règle générale qu'on voit à l'article 5...

On fait semblant, à l'article 5, qu'il y a une règle générale puis, à 6.1, on la défait. Puis ça a l'air d'être... Ça suit 6 où il y a «exceptionnel». Là, il n'y a plus d'exception, c'est en tout temps. Qu'est-ce que tu veux? S'il y a une décision qui concerne une indemnité, une prestation, ça, c'est important pour le monde. Souvent, ils sont en manque, ils ont besoin de cette indemnité, ils y ont droit. On a décidé, comme organisation sociale, qu'on voulait donner ces indemnités et ces prestations. Là, on dit: Bien, dans ce cas-là, l'administration va en être dispensée.

Mon collègue parlait tantôt de certaines personnes qui se sont fait entendre au colloque du Barreau. Il y avait le professeur Mcdonald qui avait dit que, lui, ce qu'il voyait dans cette réforme-là, c'était une préoccupation beaucoup plus du côté des structures que du côté du citoyen. Même commentaire qui a été fait par la professeure Ouellette. Puis ce n'est pas des gens qui arrivent dans le dossier des tribunaux administratifs à la dernière minute. Ils sont là-dedans depuis très longtemps. Il faut se poser la question: Qu'est-ce qu'on cherche à faire?

Parce que, moi, je veux bien comprendre que la réforme des tribunaux administratifs, ça fait longtemps qu'on chipote puis qu'on tripote là-dedans; puis il faudrait qu'on arrive à une solution, puis qu'on la fasse, qu'elle soit effective. Moi, je suis d'accord avec ça à 100 %. Mais je ne voudrais pas que, sous le titre «Réforme des tribunaux administratifs», on soit en train de me passer «Effacement de la justice». Je ne voudrais pas que ce qui se cache derrière ce titre dans la loi soit: Maintenant, l'État prend les décisions; vous autres, en arrière, vous suivez. Si c'est ça, la réforme des tribunaux administratifs, on est en train de dénaturer ce après quoi le législateur court depuis très longtemps. Et on ne me fera pas passer le fait qu'il est important qu'on aboutisse à une réforme des tribunaux administratifs après laquelle on court depuis si longtemps sous prétexte qu'on veut léser les citoyens dans leurs droits.

Parce que, dans ce cas-ci, lorsqu'il est question d'indemnité et de prestation, c'est de ça dont il est question, M. le Président. On est en train de se donner... Qu'il y ait un «fast track» dans certains secteurs pour des cas d'urgence, puis pour... Mon collègue de Chomedey, je pense qu'il a fait oeuvre utile d'abord en ajoutant «exceptionnel», puis je pense qu'il a bien démontré que... Puis, de notre côté, ce qu'on fait, c'est constructif. Qu'il y ait un «fast track» dans certains secteurs, lorsqu'il y a un fondement, O.K. Il peut y avoir un critère facilitant pour l'administration s'il y a un fondement, s'il y a quelque chose qui le permet, qui peut justifier ça. Mais, lorsqu'on arrive à un «fast track» qui, dans le fond, est l'abolition, l'oubli, la possibilité pour l'administration de prendre des décisions unilatéralement – parce que c'est bien de ça dont il est question... Moi, si le ministre tient à son 6.1, je lui propose au moins d'être clair. Qu'il m'enlève 5 puis qu'il le réécrive pour que le monde comprenne que l'administration n'a pas d'obligation préalable lorsqu'il est question d'indemnité.

Il ne faut pas me dire, à moi comme à tous les justiciables, M. le Président: L'administration aura des obligations préalables avant de prendre une décision, puis, à 6, me dire: Je vous ai dit qu'elle en avait, mais elle n'en a plus. Je veux dire, on «va-tu» finir par arrêter de se contredire? On assiste à ça constamment, et c'est à dénoncer, cette façon de faire, quand c'est dans les discours publics, parce que ça amène une confusion totale. Mais, lorsque c'est dans des pièces législatives, M. le Président, ça devient des décisions, ça devient des mécaniques, ça devient des façons d'opérer qui sont abominables. Il faut dénoncer le fait qu'on nous propose comme pièce législative des libellés qui se suivent un après l'autre et qui se contredisent de façon aussi aberrante.

Alors, ou bien il y en a, des obligations, ou bien il n'y en a pas. Et, lorsqu'il y en a, comme on le dit à 5, il y en a, et, ma foi, elles ont été aménagées de telle sorte que la justice soit respectée, que le citoyen y trouve son compte et que l'administration puisse évoluer aussi, lorsqu'on regarde l'ensemble... Parce que là on parle de l'administration. Je ne veux pas non plus qu'on parle juste de la machine. L'administration, c'est aussi des représentants de l'ensemble de la population. Alors, c'est de balancer, d'équilibrer – le ministre le disait tantôt – le collectif et l'individuel. Alors, il faut tenir compte aussi, là, du caractère pour l'administration, de ce que ça peut représenter comme ampleur de système à faire fonctionner.

Alors, moi, je veux bien qu'on joue le jeu; et c'est ça, le but d'une réforme des tribunaux administratifs, c'est d'aller voir comment on peut venir alléger, tant en protégeant... Ça, ça doit rester toujours le dénominateur commun. Il n'est pas question d'utiliser une réforme pour affaiblir les règles de justice, pour retirer des droits aux citoyens. Si c'est ça, qu'on le dise, on sera démasqué et on sera jugé pour ce qu'on fait vraiment. Mais, lorsqu'on s'en va dans des pistes contradictoires, normalement, nous, M. le Président, notre rôle, ce serait de présumer, en tant qu'opposition, que le gouvernement veut nous en passer une. Moi, j'aime autant, à ce moment-ci, présumer la bonne foi du gouvernement et me dire qu'ils vont sûrement en arriver à me dire: Écoutez, là, le vrai principe de base, c'est d'améliorer la justice, de ne pas affecter les droits des citoyens. Bon, si on me dit ça, puis que c'est clair, puis que je vois qu'il n'y a pas de contradiction entre 5 et 6, qu'on réaménage tout ça, moi, ça va m'aller, mais pas dans l'état actuel, je ne peux pas dire que c'est ça dans l'état actuel.

On doit tenir compte de ce facteur de contradiction qui nous amène à comprendre que, si à 5 on réussit à le faire correctement en équilibrant l'aspect individuel et l'aspect collectif, à 6.1 on vient débalancer cet équilibre qu'on venait de se donner pour aller renforcer l'aspect collectif au détriment de l'individu, au détriment du citoyen. Et, à ce compte-là, 5 est mal écrit; l'intention véritable, ce n'est plus de protéger les droits des citoyens, c'est d'alléger, au prix et à la charge des citoyens, le fardeau de l'administration.

Donc, ma conclusion, c'est: si je comprends bien ce qu'on fait à 6.1 – et, après avoir entendu mon collègue de Chomedey, après avoir entendu le ministre, la balance des probabilités va certainement du côté de mon collègue de Chomedey – il me semble très clair qu'il y a une contradiction, que 6.1 prend le dessus, devient la règle générale, au détriment du citoyen, et donc que cette réforme des tribunaux administratifs porte un nom que l'on connaît, pour une opération qui existe depuis longtemps, et qu'on partage tous le souhait qu'elle arrive à terme.

Mais, malgré qu'elle ait le nom en commun avec une opération qui existe depuis longtemps, elle n'en a pas la substance, M. le Président, elle n'en a pas la philosophie qui accompagnait ceux qui ont travaillé avec ardeur à cette réforme-là. Maintenant, elle a été dénaturée. Maintenant, ce que vise cette réforme – et ça me semble assez apparent, à regarder 5 et 6.1 – ce que l'on vise, c'est simplement à alléger la tâche de l'État sur le dos du citoyen qui, lui, est toujours, rappelons-le... Ici, on est toujours à Québec, à la petite bulle de Québec, mais le Québec, c'est plus que la capitale puis c'est plus que le parlement. Il y a du monde qui a des droits, que nous avons, comme société, décidé qu'il avait, qu'il fallait faciliter l'accession à ces droits, l'obtention de ces droits et de ces indemnités et prestations, et qu'on ne fera pas ici, aujourd'hui, l'inverse de ce que la société québécoise a bâti depuis des générations. On ne fera pas ça aujourd'hui, M. le Président, on ne commencera pas ce virage-là. Et je suis sûr que le ministre ne voudrait pas être celui qui aurait arraché un titre d'une réforme attendue par plusieurs et dénaturé cette réforme pour amener un effet le plus pernicieux qui soit sur les individus que nous avons à coeur, qui sont aujourd'hui, en ce moment, en file d'attente derrière des agents, des bureaux de révision, qui sont en rétractation, qui sont en... C'est à eux qu'il faut penser, ceux qui sont là aujourd'hui, ceux qui attendent leurs auditions, ceux qui ont eu leur décision la veille, qui se demandent encore comment ça se fait qu'ils ont eu cette décision-là et qui se disent: Il doit y avoir justice, on doit m'entendre, je dois avoir le moyen de me défendre. Si on enlève et si on facilite les obligations à respecter et qu'on me dit: Il y a un équilibre, je dis oui. Mais, si on me défait l'équilibre et que le citoyen constate... Et nous allons constater avec lui, si jamais le ministre persiste dans son obstination, nous allons devoir constater que cette réforme ne s'est pas faite pour faciliter le bien commun et aider les gens, mais qu'elle se sera bien plus faite sur le dos des citoyens qui seront pénalisés.

(10 h 50)

Alors, lorsqu'on regarde... Et on y reviendra ensuite, à 6.2, M. le Président, probablement un peu plus tard. Moi, je veux bien que 6.2 soit une réponse à 6. Est-ce que 6.2 devient une réponse à 6.1? Est-ce qu'on peut constater que 6.2 s'applique à tout? Est-ce que c'est écrit pour que je puisse en tirer une telle conclusion? Ce n'est pas si évident, dans mon cas, M. le Président. J'ai l'impression qu'il peut y avoir beaucoup d'interprétations qui sont faites, ne serait-ce que dans la disposition du texte. Alors, on reviendra là-dessus et on reviendra sur ce que mon collègue disait, la différence qu'il y a entre... Même si on voulait ici confondre première décision à premier volet, deuxième volet, troisième volet... Quand ça fait six fois qu'on vous change d'idée: c'est oui, c'est non, c'est oui, c'est non, mais que ce serait toujours la même décision... Le monde va se perdre. À un moment donné, il va dire: Arrêtez, là.

La première décision, c'est quand on dit: C'est oui ou c'est non. La deuxième, c'est quand on change d'avis ou qu'on confirme. Ça, c'est deux décisions même si c'est le même palier. Ah! le même palier, ça peut être d'autre chose, mais la même décision, je pense qu'on confond.

Alors, l'important, c'est que le justiciable là-dedans s'y retrouve, qu'il n'ait pas l'impression que la machine tente de l'absorber, mais qu'au contraire la machine n'est pas son opposant. La machine, elle est là pour l'accompagner, pour faire en sorte que ses droits – il n'est pas question d'abus, s'il y a un abus, il sera opposé... que la machine soit là pour faciliter, nous, notre travail ici aujourd'hui. Lorsqu'on analyse ça et qu'on regarde les amendements qui sont proposés, je pense que mon collègue de Chomedey avait bien raison de regarder le texte original et de dire, du texte original à 6, deuxièmement, qu'on ne pouvait pas aller remettre une règle générale après un règle générale et de voir et de constater qu'entre les deux règles générales il y en avait une qui était vraiment générale, parce que là c'est 5 qui devient l'exception à 6 plutôt que 6 l'exception à 5.

Je comprends qu'il faut le lire un petit peu pour s'en rendre compte, mais ça, c'est le truc qui est utilisé pour en passer une petite vite. Bon, bien, nous, on est là pour dire: Il n'y aura pas de petite vite aujourd'hui. Et le ministre va le comprendre, va l'accepter et il va revenir, je pense, à la fonction qu'il occupe et aux responsabilités que cette fonction-là lui donne. C'est-à-dire qu'il ne s'agit pas, comme ministre de la Justice, d'aller... et de prendre prétexte de la déjudiciarisation pour enlever des éléments de justice. Ah non! Ça doit être facilité en respectant les droits, en respectant ce à quoi les citoyens s'attendent de leur société. Et il trouvera, M. le Président, certainement toujours l'opposition pour démasquer les manoeuvres qu'on retrouve dans le texte. Mais, encore une fois, je ne veux pas présumer. J'ai l'impression que le ministre n'a pas réalisé qu'il venait de faire de 6 – et vous m'indiquez que mon temps s'achève, je termine là-dessus – la règle générale, c'est-à-dire venir faire de 6 le droit à l'administration de n'avoir aucune obligation à respecter. Lorsqu'il l'aura constaté, sans doute se rangera-t-il du côté des arguments de l'opposition et il retirera cet élément. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): D'autres éléments sur le même sujet? Alors, l'article 6.1...

M. Bégin: M. le Président.

Le Président (M. Paquin): M. le ministre.

M. Bégin: M. le Président, je proposerais une suspension des travaux pour quelques minutes, s'il vous plaît.

Le Président (M. Paquin): Pour quelques minutes?

M. Bégin: Oui.

Le Président (M. Paquin): Alors, d'accord. Nous suspendons nos travaux momentanément.

(Suspension de la séance à 10 h 55)

(Reprise à 11 h 39)

Le Président (M. Paquin): La commission reprend ses travaux qui avaient été interrompus à la demande du ministre. Alors, la parole est au ministre.

M. Bégin: Merci, M. le Président. Effectivement, j'avais demandé qu'on suspende, parce que j'ai écouté très attentivement les arguments apportés par mon collègue de Chomedey de même que par celui de Châteauguay relativement aux articles 6.1, 6.2.

Je dois vous avouer que j'ai été impressionné par la qualité de cette argumentation-là, au point que j'ai demandé qu'on suspende un peu et qu'on puisse – il faut le prendre quand ça passe, M. le député...

M. Fournier: Je vais faire laminer la déclaration.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bégin: Je me charge de faire laminer les vôtres à un moment ou l'autre.

Donc, j'ai écouté avec attention et je pense qu'effectivement il y a quelque chose d'important qui a été dit à l'égard de ces dispositions-là, au point que j'ai rencontré mes collègues, et on en a discuté et on est d'accord pour dire que ces deux dispositions-là devraient être retirées. J'ai dit à mon collègue, le député de Chomedey, cependant, que je gardais une petite porte ouverte pour voir s'il n'y aurait pas lieu de proposer quelque chose de différent. Mais, pour le moment, c'est clair, là, que les deux dispositions seraient retirées. On avisera éventuellement de la suite des choses, mais fondamentalement, là, il n'est pas question d'aller plus loin dans l'étude de ces deux articles-là, et je les retire – avec la permission, bien sûr, de la commission.

(11 h 40)

Le Président (M. Paquin): Alors, les éléments 6.1 et 6.2 appartenant à la commission, est-ce que la commission est d'accord pour qu'ils soient retirés? Alors, ils sont retirés.

Alors, l'article 6, tel que modifié et amputé maintenant de 6.1 et 6.2, est-il adopté?

M. Bégin: Adopté.

Le Président (M. Paquin): Adopté. Est-ce que nous sommes prêts à passer à l'article 7?

Une voix: Oui.

Le Président (M. Paquin): Alors, l'article 7 est appelé. M. le ministre.

M. Bégin: Alors, c'est une disposition relativement simple qui prévoit qu'une décision défavorable est motivée, donc doit être motivée, et qui indique, le cas échéant, les recours autres que les recours judiciaires qui sont prévus par la loi ainsi que les délais à l'intérieur desquels les recours doivent être exercés. Autrement dit, on doit motiver une décision négative et on doit informer l'administré des recours et des délais à l'intérieur desquels il doit les exercer.

Alors, c'est court, c'est simple, mais c'est, je pense, très important.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Oui. Effectivement, malgré le fait que d'aucuns puissent dire que c'est exiger beaucoup de la machine, je pense que c'est la moindre des choses, lorsqu'on s'apprête à dire non, de dire pourquoi. Quand on doit se battre contre une décision, il faut savoir contre quoi on se bat.

Pour l'avoir déjà vu dans le cas de la Commission d'appel sur la langue d'enseignement, où les gens, après un long exposé, souvent à l'aide d'un avocat, se faisaient tout simplement dire littéralement, en une ligne: Vous n'êtes pas admissible, je pense qu'on a raison de donner ça comme règle générale. Et je partage entièrement le point de vue du ministre là-dessus.

Le Président (M. Paquin): Alors, vous savez que l'article 7 avait déjà été amendé et que nous en sommes à son adoption tel qu'amendé. Est-ce que je dois comprendre qu'il y a d'autres interventions? Oui, M. le député de Gaspé.

M. Lelièvre: Oui, M. le Président. En ce qui a trait à l'article 7, je sais que, dans la pratique, l'autorité administrative motive déjà, dans la plupart des organismes, une décision favorable, dans le sens que, lorsqu'on dit, par exemple à un prestataire de la sécurité du revenu: Le montant de votre prestation sera de 500 $ par mois, on lui dit pourquoi. Par exemple, à la Société de l'assurance automobile, on lui dit: Oui, on vous donne une indemnité de tel montant, puis on la détaille. Et je ne voudrais pas... Ma crainte, c'est – puis je me pose la question en même temps – que l'article 7 fasse en sorte que cet aspect-là disparaisse de la pratique administrative.

M. Bégin: M. le Président, vous comprenez que ce n'est pas l'objectif visé. Mais de s'assurer que, dans le cas d'une décision défavorable – et ça peut être un rejet comme une décision qui n'accorde pas en totalité la demande... Alors, si je demande telle affaire, mettons 100 $, et que j'obtiens 80 $, ce n'est pas une décision favorable, c'est une décision défavorable parce qu'on a rejeté 20 %. Donc, c'est une décision où on n'a pas accordé 100 % de la réclamation. Si on avait dit: Une décision qui rejette, là on aurait été très limitatif, en disant: Ce n'est que les décisions qui sont totalement rejetées qui sont des décisions défavorables.

M. Mulcair: Justement. M. le Président...

Le Président (M. Paquin): M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: ...je pense que ça peut aider. Je partage la préoccupation de mon collègue de Gaspé. Il soulève un excellent point, mais ça renvoie à notre discussion de ce matin sur le paragraphe liminaire de l'article 5. Le paragraphe liminaire de l'article 5 dit: «L'autorité administrative ne peut rendre une ordonnance de faire ou de ne pas faire ou une décision défavorable...»

Puis on avait commenté ce matin que le choix des termes était heureux parce que ça ne disait pas «une décision refusant une indemnité ou une prestation». Ça, c'est une décision négative, «refusant», mais une décision défavorable, comme vient de le dire le ministre, notre compréhension de ça et la compréhension qu'on avait lors de notre analyse, c'est: vous demandez une indemnité de 1 000 $ et vous recevez 500 $. C'est défavorable à votre demande. Et donc, les recours et les droits qui sont prévus naissent à ce moment-là.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: M. le Président, avant que le député de Gaspé soulève ce questionnement-là, je voulais justement le faire. Est-ce qu'on doit comprendre du texte que, dès le moment où une décision est favorable, elle ne sera d'aucune façon motivée et ça se limitera à quelque chose d'aussi simple que: Accueille la demande du requérant, point à la ligne?

Je comprends qu'à première vue, là, on veuille expliquer pourquoi le requérant, le justiciable perd sa cause. Si on veut employer et utiliser le langage que les justiciables utilisent: J'ai perdu ma cause puis je sais pourquoi, on me l'a expliqué. Mais ça arrive aussi qu'on veuille savoir pourquoi on a gagné. Et il me semble que c'est couper court que de se limiter à motiver, à expliciter un peu. Aussi, dans le même sens que le député de Chomedey, si un requérant fait une réclamation de 1 000 $, en espérant, lui, obtenir 500 $ ou 700 $, puis, parce qu'on ne lui accorde pas le montant total de sa demande, ce sera considéré comme une décision défavorable. Donc, parce qu'elle est défavorable, elle sera motivée, explicitée et on expliquera au requérant quels sont ses recours suite à cette décision-là...

Est-ce que ça veut dire – puis c'est une question que je pose à M. le ministre – que ce sera aussi coupé, aussi tranché que ce qu'on est en train de dire et que, dès le moment où la décision sera favorable, ce sera très sec, pas de commentaires, aucune explication de la décision – c'est ça que je veux entendre, M. le ministre – et, de façon générale, sans exception?

Le Président (M. Paquin): D'autant plus si on accorde plus que ce qui est demandé, par exemple. M. le ministre.

M. Bégin: Bien, évidemment, ce n'est pas une invitation qui est donnée à l'administration, qui déjà motive sa décision. Puis, lorsqu'on motive une décision favorable, on dit: Voici ce qui en est, puis c'est l'explication technique, là, de la conclusion à laquelle on arrive. Je pense que ce qu'on doit chercher à faire, c'est s'assurer, lorsqu'une décision est rendue négativement – de façon défavorable, plutôt – que la personne sache pourquoi. Que la personne qui reçoit exactement ce qu'elle a demandé, rarement peut-on se plaindre d'avoir... J'ai demandé quelque chose, je l'ai obtenu et je suis mécontent. Donc, il y a un problème là. Je pense qu'il faut qu'on considère que l'administration...

Parce que là, il y a un problème de volume aussi qui va exister. C'est que, s'il faut qu'on donne une motivation... Motiver positivement, c'est difficile. Vous m'avez fait une demande, je vous l'accorde, est-ce que c'est suffisamment motivé? Quand c'est négatif, on dit: Bon, bien, écoutez, vous avez demandé telle affaire, nous ne l'accordons pas parce que, et là le «parce que» a un sens. Mais, dans une décision favorable, je ne vois pas ce qu'on va ajouter en disant: Vous avez demandé et vous avez obtenu.

M. Lefebvre: M. le Président, il y a plusieurs avocats ici, autour de cette table, d'un côté comme de l'autre, à votre gauche et à votre droite, puis ça nous a tous... On a tous vécu la situation suivante: d'avoir une décision favorable, mais pour d'autres motifs que ceux qu'on avait soulevés. Et c'est le juge, ultimement, qui décide. Il peut décider de faire gagner le demandeur pour d'autres raisons, et plein d'autres raisons, que celles soulevées par son procureur. Ça, on a tous vécu ça. Et, dans ce sens-là... Et mon collègue de Chomedey me soufflait à l'oreille qu'il y a la jurisprudence aussi. Sans obliger les juges, entre guillemets, à motiver autant une décision favorable que non favorable, il me semble, M. le Président, qu'on doit être extrêmement prudent lorsqu'on décide d'imposer au tribunal administratif la seule contrainte de motiver la décision défavorable. C'est, quant à moi, un virage qui peut constituer, jusqu'à un certain point, un danger, pour le précédent, pour la jurisprudence, pour plein d'autres raisons, là. Parce qu'il y a une jurisprudence qui va s'établir, qui va se continuer. D'ailleurs, ce n'est pas parce qu'on regroupe ces différents tribunaux là que la jurisprudence tombe en 1996. Il devrait y avoir une continuité, il devrait y avoir des virages. Que la décision soit favorable ou défavorable, il m'apparaît qu'on doive à tout le moins expliciter l'essentiel de la décision, même favorable.

Le Président (M. Paquin): M. le ministre.

M. Bégin: M. le Président, je pense que l'intervention du député de Frontenac serait tout à fait pertinente au niveau du TAQ lui-même, mais là on se situe avant la décision du TAQ, on se situe au niveau de la décision administrative de première ligne. C'est la personne qui dit: Je demande l'aide sociale, on lui donne l'aide sociale. Ce n'est pas au moment où une personne a demandé l'aide sociale, s'est vu refuser l'aide sociale, et qui est en appel, là, auquel cas je suis entièrement d'accord avec lui qu'il faut qu'on sache les pourquoi et les comment. Mais, au niveau de la première décision, lorsque j'ai demandé la chose et que je l'obtiens, il me semble que, même si on peut dire: Vous aviez demandé 150 $, on vous donne 150 $, je ne crois pas qu'on ait à motiver. Il ne faut pas non plus, sous des motifs d'améliorer les choses, les empirer, faire en sorte qu'il y ait un poids administratif considérable. Imaginez-vous la situation qui serait la suivante: une personne a obtenu ce qu'elle a demandé et elle irait en appel parce qu'elle dirait que ce n'est pas pour les bons motifs. Imaginez-vous, là: on n'en sortirait plus.

(11 h 50)

M. Lefebvre: Non, non. M. le Président...

M. Bégin: Non, mais, à la limite, c'est ça que ça veut dire. Moi, je pense que...

M. Lefebvre: Souvent, M. le Président, la décision, l'explication de la décision, la motivation, ça peut être important pour d'autres personnes que le requérant. Il n'y a pas que le requérant qui est en cause, là.

Le Président (M. Paquin): M. le ministre.

M. Bégin: Juste... Le député de Frontenac, je l'invite peut-être à regarder à l'article 12: «Toute décision rendue par l'organisme doit être communiquée en termes clairs et concis aux parties et aux autres personnes indiquées dans la loi.»

Le Président (M. Paquin): M. le député de Gaspé.

M. Bégin: Et ensuite... Excusez, j'ai lu seulement le premier paragraphe. «La décision terminant une affaire doit être écrite et motivée, même si elle a été portée oralement à la connaissance des parties.» Là, cette obligation dont il parle est importante et on la retrouve formulée dans les termes qu'il souhaite. Mais, au niveau de la décision administrative, je ne crois pas qu'on doive avoir la même obligation.

M. Lefebvre: Une question au ministre, M. le Président...

Le Président (M. Paquin): S'il vous plaît...

M. Lefebvre: ...très rapidement...

Le Président (M. Paquin): ...M. le député de Gaspé.

M. Lefebvre: Comment... Non, c'est parce qu'il me réfère à 12. Je veux savoir comment il concilie...

Le Président (M. Paquin): D'accord.

M. Lefebvre: ...7 et 12.

Le Président (M. Paquin): Alors, brièvement là-dessus.

M. Lefebvre: Juste, très rapidement, s'il n'y voit pas une contradiction, entre 7 et 12.

Le Président (M. Paquin): M. le ministre.

M. Bégin: Non. Moi, ça va.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Gaspé.

M. Lelièvre: Merci, M. le Président. M. le Président, j'avais soulevé la question, l'interrogation que je me faisais, non pas pour tout chambarder et qu'on s'y accroche, à cet article-là, de façon à mêler les principes qui gouvernent les tribunaux de droit commun, les tribunaux administratifs et les organismes administratifs. La question que je me posais – et c'est une réflexion que j'ai faite à cette commission pour que tout le monde en bénéficie et qui va peut-être nous permettre de continuer dans l'étude plus avant du projet de loi – est de regarder quelles sont les mesures pour qu'on puisse s'assurer qu'on ne fera pas en sorte que l'appareil administratif ne réduira pas, en fin de compte, ses façons de... sa clarté, sa limpidité dans la prise de la décision initiale.

Je regarde le projet de loi et je pense que, dans le fond, on a des prises quelque part. «L'administration doit agir équitablement», on retrouve ça dans le projet de loi et, à mon avis, déjà là... c'est déjà quand même, si on l'applique au niveau de la décision de première instance, un élément qui peut les aider. D'autre part, je suis convaincu qu'avec ce qui s'est dit ce matin en ce qui a trait à l'article 6, 6.1 et 6.2 et qui a conduit au retrait de 6.1 et de 6.2 l'administration devra agir équitablement et, d'autre part, motiver adéquatement en plus de fournir l'occasion à un administré de compléter son dossier. Donc, ma réflexion était à l'effet de tout simplement amener une interrogation, mais non pas de faire en sorte qu'on puisse amorcer une discussion qui, dans le fond, dépasse le cadre d'une simple interrogation.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: M. le Président, je suis surpris d'entendre le député de Gaspé essayer de rattraper un questionnement très légitime qu'il avait soulevé.

M. Lelièvre: Oui, il est là.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: Je suis surpris, et j'ai demandé à M. le ministre, tout à l'heure, qui me répondait en me suggérant de lire l'article 12. Évidemment, on ne fera pas un plat de tout ça, là, sauf que je demeure convaincu que c'est important que les justiciables sachent pourquoi on leur donne raison. Et évidemment c'est encore plus évident, lorsqu'on leur donne tort, qu'ils doivent comprendre, parce que, éventuellement, on peut décider d'aller en appel.

Mais est-ce que le ministre ne voit pas une contradiction entre – c'est une question que je lui pose, là – 7 et 12? Il m'a référé à 12, que j'ai lu. C'est une réponse à l'argumentation qu'on a soulevée à 7, «l'autorité administrative [...] décision défavorable»; 12 laisse entendre que toutes les décisions, dans les faits, seront motivées: «Toute décision rendue par l'organisme doit être communiquée en termes clairs et concis...» Alors, autrement dit, il avait raison de me référer à 12, mais là je lui réponds en disant: Il me semble qu'il y a une contradiction entre 12 et 7.

M. Bégin: M. le Président, je considère que les explications que je pouvais fournir sur l'article 7 sont énoncées, là. Je serais prêt, en ce qui me concerne, à procéder à l'adoption de l'article.

Le Président (M. Paquin): De l'article tel quel? Alors, d'autres commentaires ou remarques?

M. Lefebvre: Quand on reviendra à 12, M. le Président, je dirai au ministre qu'il est contredit, à 12, par son article 7.

Le Président (M. Paquin): Alors, nous y reviendrons donc.

M. Lefebvre: On ne sera pas plus avancé.

Le Président (M. Paquin): Alors, est-ce que l'article 7...

M. Lefebvre: ...à ce moment-là. Parce que je n'aime pas ça, voir des contradictions dans des textes. Lorsqu'on a le ministre en face de nous et qu'il trouve ça drôle plutôt que de nous répondre...

M. Bégin: Non, non...

M. Lefebvre: ...bien, il s'expose à ce qu'on fasse une maudite bataille lorsqu'on arrivera à l'article auquel il m'a référé pour répondre à mon interrogation de l'article 7. Alors, on reprendra le débat à l'article 12.

M. Bégin: M. le Président, je tiens à dire...

M. Lefebvre: Ça va être la semaine prochaine.

M. Bégin: ...que je ne riais pas de ce que disait le député.

M. Lefebvre: Non, non, non.

M. Bégin: Mon collègue à côté a fait une blague, et je la riais, mais je m'en excuse s'il a pu penser que je riais de son intervention. Mais, je l'ai dit tantôt, l'article 7, d'après moi, n'est pas en contradiction avec l'article 12, mais couvre, à deux étapes différentes, des situations qui se ressemblent, et on a un comportement différent dans une comme dans l'autre, même si elles sont similaires en termes d'approches. C'est juste ça.

Le Président (M. Paquin): Alors, nous y reviendrons. D'autres commentaires sur l'article 7 tel qu'amendé? Alors, l'article est-il adopté?

M. Bégin: Adopté.

Le Président (M. Paquin): Excusez, je n'ai pas compris. Est-ce que c'est sur division?

Une voix: Adopté.

Le Président (M. Paquin): Adopté. Donc, c'est adopté. Alors, j'appelle l'article 8.


Règles propres aux décisions qui relèvent de l'exercice d'une fonction juridictionnelle

M. Bégin: Alors, M. le Président, nous changeons, en fait, de sphère, puisque nous passons, là, à l'ordre des décisions... Pardon. Je m'excuse, je retire ce que je viens de dire. On procède au niveau de la fonction juridictionnelle au lieu de la fonction administrative. On a, dans cette disposition, une obligation à l'effet que, comme pour un tribunal, l'organisme ou le tribunal doit trancher un litige entre des parties et un litige dans lequel le décideur n'est pas lui-même une partie; deuxièmement, que ces parties sont, d'une part, un administré et, d'autre part, une autorité administrative, c'est-à-dire un ministère ou un organisme d'administration et non pas uniquement les organismes gouvernementaux au sens de l'article 3. Ensuite, on a une autorité décentralisée, c'est-à-dire une municipalité, un établissement du réseau public et de la santé et des services sociaux.

En fait, la disposition impose l'obligation aux organismes juridictionnels de l'ordre administratif d'agir de façon impartiale. Et ça, je pense que c'est absolument important qu'on reformule, dans cette disposition, des règles que l'on retrouve, jusqu'à ce jour, ailleurs, c'est-à-dire non pas formulées dans un texte de loi, mais plutôt dans la jurisprudence, dans la doctrine, et qui forment un corpus que les gens qui sont des spécialistes de la question connaissent, même si elles se, comment je dirais, chicanent – ce n'est peut-être pas le bon mot – mais elles ne partagent pas nécessairement toujours le même point de vue sur chacune des questions. En fait, c'est un domaine du droit qui est relativement neuf. Il y a 30 ans, quelqu'un qui parlait de droit administratif, qui parlait des règles de justice naturelle, du devoir d'agir équitablement... Ils étaient particulièrement rares parmi les auteurs, et c'étaient plutôt quelques décisions qui permettaient de constituer vraiment le corpus juridique.

Maintenant, avec l'article 8, je pense qu'on retrouve là, vraiment formulées de manière très claire, des règles qui sont connues, mais qui ne sont pas formulées. Et vous connaissez notre façon de faire au Québec, c'est une approche différente de la «common law» ou du monde juridique anglo-saxon, qui préfère élaborer le droit au fur et à mesure de chacune des décisions qui sont rendues, alors que les civilistes ont tendance à vouloir, une fois que certaines règles sont assez bien cernées et connues, les formuler dans des règles précises que l'on retrouve sous forme, par exemple, de l'article 8. Alors, je pense que c'est une des dispositions importantes de ce projet de loi, M. le Président.

(12 heures)

Le Président (M. Paquin): Je voudrais, à ce moment-ci, rappeler que nos travaux sont prévus pour n'être ajournés qu'à 12 h 30. Alors, c'est simplement au cas où certains l'ignoreraient. Le débat, donc, sur l'article 8 tel qu'amendé se poursuit. M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Oui. Merci, M. le Président. Alors, quelques questions de clarification avant d'y aller avec deux propositions: une qui est vraiment d'ordre rédactionnel, l'autre qui est un peu plus substantielle.

La question s'est posée lors du forum qui s'est tenu à l'Université de Montréal, c'est l'emploi ici du terme «ordre administratif». Il y avait des intervenants qui trouvaient que c'était difficile de cerner exactement ce qui était visé par ça. Et un autre terme qui nous chicote un peu dans cet article 8, c'est la notion d'autorité décentralisée, qui, rappelons-le, revient notamment à l'article 13, paragraphe 2, mais qui n'est pas définie non plus. Ce sont des notions avec lesquelles sans doute des experts ont l'habitude de travailler, mais, comme je viens de le mentionner, même dans le cas d'experts, la notion d'ordre administratif était considérée par certains intervenants, notamment par un professeur, Daniel Mockle, de l'Université du Québec à Montréal, comme étant vraiment difficile à saisir dans ce contexte.

Alors, c'est pour ça que, dans un premier temps, on aimerait demander au ministre qu'il nous donne sa compréhension de la notion d'ordre administratif tel qu'utilisé à l'article 8, et ensuite, s'il peut nous donner une indication de sa compréhension d'«autorité décentralisée» utilisée à 8 et aussi à 13.2, s'il peut nous référer à une source qui nous permet de comprendre la notion d'autorité décentralisée aux même termes que lui et s'il ne pense pas que c'est opportun de peut-être amplifier un peu à l'intérieur de la loi...

Je sais que la tendance, M. le Président, au Québec, c'est d'éviter la tradition qui existe dans les lois d'autres provinces et dans le reste de l'Amérique du Nord d'avoir une longue liste de définitions au début, mais ça peut parfois aider. Même si on ne donne pas au début de la loi la clé, bien peut-être donner ici un petit peu plus d'indications, à moins qu'on l'ait manquée. On aimerait bien savoir exactement à quoi on est en train de référer ici pour ces deux termes-là à l'article 8.

Le Président (M. Paquin): M. le ministre.

M. Bégin: Oui. M. le Président, je vais commencer par l'autorité décentralisée. On sait, par exemple, qu'en matière d'évaluation foncière nous avons dans chaque MRC ou dans chaque ville un organisme chargé de faire l'évaluation des immeubles et qu'une décision est prise par cette personne chargée de faire l'évaluation: il décide que la propriété x vaut tel ou tel montant. Ça peut être une évaluation foncière, ça peut être en matière de valeur locative ou autre matière semblable, mais, essentiellement, une décision est prise. Vous avez, à ce moment-là, un litige qui peut naître entre l'administré qui voit sa propriété portée au rôle à une valeur, imaginons, de 100 000 $, alors qu'il pense que sa propriété devrait être évaluée, mettons, à 80 000 $ pour diverses raisons.

Donc, on a un litige qui est né entre l'administration, qui n'est pas l'administration gouvernementale, mais qui est une administration décentralisée – dans le cas actuel, c'est déjà existant, ce n'est pas une invention, on est en présence d'une autorité décentralisée, la municipalité, qu'elle soit locale ou régionale, dépendamment des situations... Ce litige doit être tranché, et actuellement on a le Bureau de révision de l'évaluation foncière qui deviendra une section du TAQ. Donc, on est, je pense, devant un cas semblable. Et, en matière de droit administratif, de dire qu'on est en présence d'une autorité décentralisée ne crée pas, je pense, d'ambiguïté. Si jamais il n'y avait pas une familiarité avec l'expression, elle va se définir dans le sens que je viens de mentionner, je pense, de manière assez évidente.

Voilà donc un cas pour expliquer ce qui est une autorité décentralisée par rapport à une autorité administrative ou, l'expression qu'on a utilisée à l'article 2 ou 3, des organismes... à l'article 13.2, l'administration gouvernementale.

Alors, une autorité administrative – c'était la deuxième expression que vous me demandiez d'expliquer, je pense, hein? Alors, une autorité administrative...

Une voix: L'ordre administratif.

M. Bégin: Ah! L'ordre administratif. Bon. De fait, il n'y a pas actuellement, je crois, dans nos lois, une expression qui est «ordre administratif». Mais, comme je l'ai dit, j'ai plaidé toute ma vie professionnelle dans le domaine du droit administratif et, pour moi, même si je n'ai jamais eu de texte qui parlait de l'ordre administratif, c'est une expression qui se comprend très bien quand elle s'oppose à l'ordre judiciaire. Pourtant, c'est une expression qui n'est pas non plus nécessairement utilisée fréquemment, mais on l'utilise. C'est deux concepts qui font que, d'un côté, on a l'ordre administratif et, de l'autre côté, on a l'ordre judiciaire. C'est l'ensemble du système judiciaire, si vous le prenez... C'est comme le mot «système», est-ce que c'est un mot qui a été utilisé à date ou qui est défini? Non, on va parler de la magistrature, on va parler du mode de nomination, on va parler de la Loi des tribunaux judiciaires, mais on ne parlera pas du système judiciaire. Pourtant, tout le monde connaît l'expression «dans le système judiciaire». Alors, l'ordre administratif est un petit peu plus précis que ça, que le mot «système», mais, quand il se compare à l'ordre judiciaire il se comprend très bien.

Voilà, moi, je pense, en tout cas, une explication qui couvre cette réalité qui est nouvelle. Mais, pour qu'on ait un concept, il faut l'utiliser, il faut l'inscrire et, à un moment donné, il est cerné soit par une décision judiciaire, soit par la doctrine, soit par l'usage, mais graduellement les mots prennent leur sens. Si on trouve que, finalement, ce n'est pas celui qu'on voulait avoir, il y a la possibilité d'amender éventuellement la loi. Mais je pense que pour ce mot-là, il n'y a pas de problème à cet égard-là.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Châteauguay.

M. Fournier: Oui. Pour que je comprenne comme il faut, dans la suite des questions de mon collègue de Chomedey, peut-être des précisions sur «autorité décentralisée», pour que je comprenne de qui on parle, et avec des exemples d'autorités décentralisées – qu'on en nomme trois ou quatre pour que je puisse saisir l'esprit – et est-ce qu'on pourra dire de ces trois, quatre exemples qu'ils ne se qualifient pas d'«autorité administrative»? Parce que, évidemment, il y a vraiment une division entre les termes, il faut que l'autorité décentralisée soit autre chose qu'une autorité administrative. Alors, dans les exemples qu'on...

M. Bégin: Autre chose que décentralisée.

M. Fournier: L'autorité décentralisée doit être autre chose qu'une autorité administrative. On doit donc être capable de voir, à partir des exemples, qu'on parle de deux secteurs différents là, parce que, si «autorité décentralisée» peut être comprise dans l'expression «autorité administrative», de mettre les deux, il y a quelqu'un qui va se creuser la tête et qui va essayer de dire: Ça veut dire autre chose, le législateur l'a mis.

M. Bégin: Non. Je pense que, quand on regarde... Il y a l'article 3, je pense, auquel on doit se référer – tantôt je cherchais, mais là il m'est arrivé – on dit: «L'Administration gouvernementale est constituée des ministères et organismes gouvernementaux dont le gouvernement ou un ministère nomme la majorité des membres et dont le personnel est nommé et rémunéré suivant la Loi...» On a une définition, pour les fins de la loi, de ce qu'est un organisme gouvernemental, hein. C'est clair. Alors, ceux qui sont des organismes, mais qui ne rencontrent pas cette définition, qui ne sont pas non plus ce que je dirais qui est une autorité décentralisée après, ce sont des autorités administratives.

Alors, on a le ministère, l'organisme gouvernemental au sens de l'article 3; on peut aussi avoir des organismes administratifs qui ne sont pas tout à fait ça – donc il y a d'autres organismes qui ne rencontrent pas les critères, je fais les distinctions – et il y a l'organisme décentralisé ou l'autorité décentralisée, qui, elle, est une municipalité ou encore un établissement du réseau public de la santé et des services sociaux. Il peut y en avoir d'autres, je ne les ai peut-être pas, peut-être qu'on pourrait y réfléchir, mais il y en a d'autres.

Je pense que le cas du BREF, c'est le cas idéal pour expliquer ce qu'est une autorité décentralisée, où il y a un litige qui naît entre l'administré et l'administration puis qui nécessite qu'on puisse trancher ce qui est né entre eux, de litige, dans un forum qui est, par exemple, le TAQ.

M. Fournier: Vous avez parlé des organismes gouvernementaux tels que compris dans la loi, est-ce que ce sont eux, les autorités administratives? Parce que, ici, il n'y a pas «organisme gouvernemental», on parle d'«autorité administrative» ou d'«autorité décentralisée» et vous me référez à une définition d'«organisme gouvernemental» aux termes de la loi...

M. Bégin: Qui est à 3.

M. Fournier: Est-ce que l'organisme gouvernemental auquel vous référez est synonyme d'«autorité administrative», signifie autre chose qu'«autorité administrative»? Et, si ça signifie autre chose qu'«autorité administrative», là, je commence à être perdu parce que j'ai trois expressions qui veulent dire trois choses différentes.

M. Bégin: Bien, on peut avoir trois réalités différentes et avoir trois mots pour le dire.

M. Fournier: Alors donc, le peu d'organismes gouvernementaux, au sens de 3, ne sont pas visés à 8? Parce que, si ça veut dire trois choses différentes et que «organisme gouvernemental» ne se trouve pas à 8, ça veut donc dire qu'il est exclu de 8 et que j'envisage deux réalités différentes, ce qui fait que les «organismes gouvernementaux» aux termes de 3 ne sont pas dans 8. C'est ce que vous me dites?

(12 h 10)

M. Bégin: On peut imaginer qu'«autorité administrative» soit plus large et compréhensive qu'«organisme gouvernemental», donc comprendre à la fois l'autorité gouvernementale et l'autorité administrative qui n'est pas une autorité gouvernementale.

M. Fournier: Good. Alors, une fois qu'on a dit ça... Là, vous me dites que «autorité décentralisée» signifie autre chose que «organisme gouvernemental» tel que défini à l'article 3 et tel que non décrit à 3.

M. Bégin: Il est plus large.

M. Fournier: Qu'«autorité décentralisée».

M. Bégin: C'est plus large, ce qui fait qu'on peut avoir des dispositions qui sont – je pense que ma compréhension est bonne – à l'article 8 qui pourraient à la limite être applicables à d'autres organismes qui ne sont pas devant le TAQ par exemple.

M. Fournier: Là, ça veut dire que l'article 8 s'applique à des gens qui ne savent peut-être pas que ça s'applique à eux. «C'est-u» ça?

M. Bégin: Excusez. Quoi?

M. Fournier: Êtes-vous en train de me dire que l'article 8 peut s'appliquer... Parce que, comme vous avez de la difficulté à imaginer à qui ça peut s'appliquer...

M. Bégin: Ah non! Je n'ai pas de misère, moi.

M. Fournier: On est en train de dire que l'article 8 peut s'appliquer à des gens qui se savent pas que ça va s'appliquer à eux. Je veux dire que, quand on a de la misère, M. le Président, à être capable de comprendre ce que ça veut dire, «organismes gouvernementaux» au sens de l'article 3 ou au sens de ce qui est exclu par 3, «autorité administrative» ou «autorité décentralisée», il y a des gens qui vont être touchés et...

M. Bégin: Étant donné que, là, on a des textes qui sont assez, et même, je dirais, très spécialisés, compte tenu aussi que je ne veux pas m'engager dans un débat qui fera en sorte qu'on serait à la fin plus confus qu'au départ, je pense que M. Pelletier peut nous donner toutes ces distinctions-là, avec toutes les nuances qui s'imposent, et je l'inviterais, si vous me permettez, à faire les distinctions que vous souhaitez recevoir.

Le Président (M. Paquin): Me Pelletier.

M. Pelletier (Gaston): À l'article 8, il s'agit de la compétence d'un tribunal qui entend un litige entre deux parties: l'une des parties étant l'administrée et l'autre étant un des organismes – je vais prendre une expression qui n'est pas dans la loi – de l'administration publique en général. Dans l'administration publique, il y a des ministères et des organismes gouvernementaux, autrement dit ceux qui sont à l'article 3; il y a aussi différents autres organismes, comme des municipalités, des commissions scolaires, des services de santé et services sociaux. Or, dans l'ensemble de la législation, il y a des appels de prévus des décisions de certains de ces organismes décentralisés, soit au BREF, soit à la CAS, soit au Tribunal d'appel en matière de protection du territoire agricole. Or, l'article 8 vise à viser l'ensemble des appels qui sont prévus dans la législation, ce qui fait que ce sont des décisions prises par un organisme, une autorité administrative – c'est l'expression la plus lâche qu'on puisse trouver – ou par une autorité décentralisée.

M. Fournier: Mais, entre vous et moi, petite question – je vais laisser mon collègue de Chomedey, qui a fait un commentaire qui me semble judicieux... Vous venez de me dire que l'autorité administrative, c'est – je suis d'accord avec vous – très large. Moi, je pensais que l'autorité décentralisée, elle était comprise dans l'autorité administrative, puisque cette autorité décentralisée sera par ailleurs une autorité administrative. Alors, si l'autorité administrative est large et contient dans les concepts qu'on échange ensemble l'autorité décentralisée et qu'on maintient la façon dont c'est écrit, il y a quelqu'un à quelque part qui va dire: Le législateur a mis l'autorité administrative très large et il a ajouté un autre terme, «autorité décentralisée»; il voulait dire quelque chose, donc.

M. Pelletier (Gaston): Je comprends bien votre question. Certains auteurs vont vous dire qu'une autorité décentralisée – et là je le prends vraiment au mot – n'est pas une autorité administrative, parce que l'autorité, par exemple la municipalité, est un corps élu. Alors, certains voient un petit accroc. Est-ce que c'est vraiment une autorité administrative? C'était par souci... Mais je pense que l'expression «autorité administrative» étant tellement large... Mais je vous fais état du débat, là.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Juste sur la première chose. On parlait brièvement de la question de l'ordre administratif. Je comprends l'intervention du ministre, et on a déjà eu une discussion sur ce sujet. Je dois juste dire que – à moins que je trahisse la pensée ou le propos du professeur Mockle, de l'Université du Québec à Montréal – il est en train de dire que la notion de l'ordre administratif s'appliquerait, par exemple, à une situation telle qu'elle existe en France, où on a effectivement un ordre de tribunaux judiciaires avec une première instance, un appel, un ultime appel. Et il a parlé de la même chose dans le domaine du droit administratif: on commence avec une première audience, on peut formuler un appel, on monte en haut, il y a toujours un dernier décideur, je pense qu'il avait parlé du Conseil d'État.

Ici, un des aspects qui nous préoccupent le plus de ce projet de loi, c'est qu'on parle d'une décision d'un tribunal administratif du Québec qui engloberait les choses qui étaient auparavant décidées à de très nombreux endroits, qu'il était erroné, au plan de la terminologie juridique, de parler de l'ordre administratif. C'est difficile de savoir à quoi on réfère. Alors, je tenais à faire ce point-là ici, aujourd'hui.

Mais, plus généralement, M. le Président – et ça, ce n'est pas une discussion d'orientation sur ce que devrait faire ou ne pas faire le Tribunal administratif, il y a des préoccupations là-dessus, mais on n'est pas là pour l'instant – le ministre, il a dit tantôt: Bon, vous savez, à un moment donné, il y a un litige qui peut naître. Ce qui nous préoccupe, c'est qu'on a peur que, plutôt que de prendre nos obligations ici aujourd'hui, ou demain, ou un autre jour pour dire: Bon, on sort notre plume d'oie, on ouvre notre encrier et on essaie d'écrire ce qui est visé... Le ministre est en train de dire: Bien, on utilise une nouvelle terminologie, et, pour savoir ce à quoi ça va s'appliquer, bien, il y aura de la jurisprudence. C'est peut-être encore une fois une intention de donner un petit peu plus de travail à nos confrères et consoeurs. Je pense que c'est notre obligation, comme législateurs, d'essayer d'utiliser ce forum ici pour le clarifier. J'ai écouté Me Pelletier tantôt quand il a dit: Non, non, quand on dit «autorité administrative», c'est l'administration publique. Bien, c'est peut-être ça qu'il faudrait dire. Je ne sais pas.

Me Pelletier parle des municipalités, ce sont des corps élus. Même si les ordres professionnels relèvent encore de l'Office des professions et qu'il y a des appels formés auprès du Tribunal des professions, on l'a bien vu, il y a plusieurs groupes et organismes, notamment dans le domaine des assurances, qui ont une législation entièrement calquée sur le Code des professions et dont le droit administratif et le droit disciplinaire vont être dits par ce nouveau Tribunal administratif du Québec dans une large mesure.

Et, oui, j'ai vu qu'il y avait certaines modifications qui s'en venaient, mais, quoi qu'il en soit, la question peut néanmoins se poser. Lorsqu'on dit: «l'ordre administratif également institué pour trancher les litiges opposant un administré à une autorité administrative ou à une autorité décentralisée», est-ce qu'il n'y a pas des choses qui vont rentrer là-dedans auxquelles on n'a pas pensé? Est-ce qu'il n'y a pas des ambiguïtés qui peuvent justement naître par la terminologie et la fluidité de la terminologie qu'on a préconisée ici à l'article 8? C'est la préoccupation qu'on est en train de mettre sur la table.

Il y a peut-être une manière – puis on va y venir sans doute cet après-midi parce qu'on a une première modification à proposer qui est d'ordre sémantique... Mais je pense qu'on a, comme législateurs, un devoir de clarifier autant que faire se peut cet article 8, les notions et la terminologie qui y sont utilisées, parce que, si on ne le fait pas maintenant, on est effectivement en train de condamner les tribunaux à faire le travail pour nous à travers de nombreuses décisions dans les années à venir. C'est sûr qu'il va y avoir de la jurisprudence de toute façon. C'est sûr qu'il va y avoir des litiges de toute façon. Mais, dans les mesures où le ministre, très candidement, est capable de nous dire: Bien, on utilise une nouvelle terminologie, puis ça va être obligé de se définir... Ce n'est pas parce qu'on a cette nouvelle tendance dans notre législation d'éviter complètement les définitions qu'on devrait accepter une terminologie qui a autant d'ambiguïté. Je pense qu'on ne fait pas le travail pour lequel, nous, on a été placés ici.

Bon, ça, c'est sur ces deux premières questions, et je vais arriver sur une troisième maintenant, parce que les deux premières on va tenter d'y pallier cet après-midi avec une suggestion qu'on ferait. Mais, pour le moment, il y a un autre problème d'ordre sémantique qu'on aimerait soulever qui se retrouve à l'article 8.

L'article 8 est une seule phrase et elle se lit comme suit: «Les procédures menant à une décision prise par le Tribunal administratif du Québec ou par un autre organisme de l'ordre administratif également institué pour trancher des litiges opposant un administré à une autre autorité administrative ou à une autorité décentralisée, sont conduites, de manière à permettre un débat loyal, dans le respect du devoir d'agir de façon impartiale.» Donc, codification jusqu'à un certain point de règles bien connues de la «common law» dans ces cas-là.

Maintenant, il y a un problème d'ambiguïté avec le mot «également». Je reprends une phrase ou deux tirées des textes préparatoires du forum sur le projet de loi n° 130: «L'article 8 soulève une autre question. En précisant que les règles de procédure en cause s'appliquent aux organismes institués pour trancher les litiges entre un particulier et une autorité administrative, le législateur veut-il nous dire que des organismes qui exercent accessoirement une telle fonction des pouvoirs – point d'interrogation – juridictionnels ne sont pas touchés par la réforme proposée?» Je suis sûr que Me Pelletier a eu le temps de parcourir les questions posées dans ce document-là. Puis j'ajouterais que, pour ma part, même l'utilisation du terme «également» peut porter à une certaine controverse. Je m'explique.

(12 h 20)

On dit: «...prise par le Tribunal administratif du Québec ou par un autre organisme de l'ordre administratif également institué pour trancher les litiges...» Est-ce qu'on veut dire «également» dans le sens institué de la même manière que le Tribunal administratif du Québec pour trancher des litiges, ou est-ce qu'on veut dire institué par ailleurs pour trancher les litiges? C'est cette possibilité d'interprétation que l'on veut éviter. Alors, nous, ce qu'on voudrait faire, si c'est bien la deuxième qui est visée, c'est de proposer de modifier le projet de loi n° 130 par le remplacement du premier alinéa de l'article 8. Dans ce premier alinéa, on remplacerait les mots «également institué pour trancher» par «qui tranche». Et on pense, par exemple, à quelque chose comme le Conseil des services essentiels, qui est constitué pour faire d'autres choses largement, mais qui, par ailleurs, tranche. Alors, on va vous faire cette proposition-là, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): Donc, il s'agit de remplacer les mots «également institué pour trancher» par les mots «qui tranche». On l'a par écrit.

M. Bégin: Oui, mon collègue a énoncé précédemment qu'il aurait d'autres modifications. Pour la compréhension, pour voir comment ça peut avoir d'effet, est-ce qu'on pourrait avoir les autres pour mieux saisir? Parce que ça peut changer la perspective.

M. Mulcair: Ce n'est pas encore rédigé selon une forme définitive, mais ça me fait plaisir d'annoncer déjà nos couleurs et de permettre au ministre et à ses proches collaborateurs et collaboratrices de jeter un coup d'oeil là-dessus, oui.

Pour pallier les problèmes d'interprétation inévitables, à notre point de vue, qui surgiront avec la rédaction actuelle de l'article 8, on va proposer quelque chose cet après-midi qui se lirait à peu près comme suit: Le projet de loi est modifié par l'ajout, après le premier alinéa de l'article 8, du suivant: Le Conseil de la justice administrative détermine par règlement les organismes visés par le premier alinéa. Ce règlement est soumis, avec la recommandation du Conseil, au gouvernement, qui peut l'approuver avec ou sans modifications.

Ça, on pique un peu une notion qui existe déjà aux termes du Code des profession: l'Office recommande, et le gouvernement approuve avec ou sans modifications.

Deuxième alinéa: Lors de la publication du règlement à la Gazette officielle du Québec , le gouvernement doit identifier, le cas échéant, les modifications apportées par rapport au projet de règlement soulevé par le Conseil.

Alors, ce serait pour nous un peu le pendant de ce qu'on avait proposé hier, qui avait été accepté, qu'on dresse une liste de ce qui est visé. C'est un peu la même chose ici. Ça serait peut-être la meilleure manière d'enlever toute ambiguïté. Parce que c'est une chose d'avoir des discussions entre initiés et experts et dire: Bien, «ordre administratif», il n'y a rien là; «autorité décentralisée», il n'y a rien là.

Mais je pense que, si on veut faire une loi où le monde, même pas juste... Parce que ce n'est pas vrai que le commun des mortels, le contribuable passe son temps à lire les lois, mais très souvent les groupes communautaires, les associations d'entraide, les gens qui sont là sur le terrain, qui sont souvent l'intermédiaire entre le particulier et l'appareil d'État, ces gens-là vont pouvoir au moins lire le texte de loi et savoir ce qu'il y a là-dedans sans être nécessairement formés comme juristes ou avocats. Et je vous avoue que, comme juriste et avocat, je ne suis toujours pas convaincu que je comprends ce qui est visé absolument par «autorité décentralisée» et «ordre administratif». Alors, ça va être un peu le pendant de ce qu'on a discuté hier, dire: O.K...

M. Bégin: Répétez quand même, là.

M. Mulcair: Oui, oui, avec grand plaisir, comme je vous le dis, ça va être à peu près quelque chose comme ceci: Le Conseil de la justice administrative détermine par règlement les organismes et autorités visés par le premier alinéa. Ce règlement est soumis, avec la recommandation du Conseil, au gouvernement, qui peut l'approuver avec ou sans modifications.

Deuxième alinéa: Lors de la publication du règlement à la Gazette officielle du Québec , le gouvernement doit identifier, le cas échéant, les modifications apportées par rapport au projet de règlement soumis par le Conseil.

Il n'y a rien, par ailleurs, M. le Président, qui nous empêcherait, dans ce cas-là... Encore une fois, je suis en train d'emprunter quelque chose au Code. Il existe une annexe au Code des professions lui-même qui, par exemple, donne l'énumération des ordres professionnels. Il y a aussi une annexe qui a fait couler beaucoup d'encre lors de l'arrêt Blaikie 2. Il y a aussi une annexe à la Charte de la langue française qui énumère les organismes gouvernementaux. On se souvient que, dans l'arrêt Blaikie 2, c'était une question de savoir si tout ce qui découlait de ces municipalités et de tous ces organismes-là devait être traduit.

Alors, c'est possible de faire cet exercice-là. Même si on ne veut pas avoir une section «Définitions» dans le corps de la loi, ça peut être par règlement, ça peut être par annexe. C'est pour ça que je dis au ministre: Ça va ressembler à quelque chose comme ça. On va prendre le temps de notre break pour travailler un peu cette question-là. Mais on lui donne un peu le sens de ce qu'on veut: c'est de dire au monde ce qui est visé. C'est essentiel pour nous.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Chomedey, avant de donner la parole au ministre, je voudrais poser une sous-question.

M. Mulcair: Allez-y.

Le Président (M. Paquin): Hier, on l'avait fait, le pendant que vous faites, en ajoutant un article pas d'interprétation, mais de complément à l'article 3.

M. Mulcair: Oui.

Le Président (M. Paquin): Parce que l'article 3 donnait l'espèce de principe et l'article 3.1, à ce moment-là, disait: En conséquence, on fera un répertoire. Dans la formulation que vous visez à ce moment-ci, est-ce que c'est le même effet que vous visez? Auquel cas...

M. Mulcair: C'est le même effet qui est visé, mais ce n'est pas le même monde.

Le Président (M. Paquin): ...je suggérerais que vous fassiez plutôt un article 8.1.

M. Mulcair: O.K.

Le Président (M. Paquin): Je vous soumets cette remarque. Et je donnerai la réplique, donc, au ministre sur votre intervention.

M. Mulcair: Oui, c'est bon.

M. Bégin: Bien, là, à ce stade-ci, je comprends que le député de Chomedey veut déposer les amendements qu'il entend faire sur l'article 8, n'attendant pas de ma part une réaction de fond, mais plutôt qu'il ait l'occasion, lui, de l'exposer préalablement et, moi, de mon côté, de réfléchir sur la question.

Cependant, je dois vous avouer que j'aurais une première réaction spontanée, quitte à la revoir, concernant la deuxième proposition. Je vous avoue que j'ai un peu de difficulté à concevoir, d'abord, que ça soit au Conseil de la justice administrative de déterminer ce qui sera assujetti ou pas assujetti. Il m'apparaît que c'est plutôt une question qui appartient au gouvernement ou encore qui découle de la loi elle-même. Je comprends qu'on peut avoir un désir de connaître le plus précisément possible, mais aussi on doit prévoir qu'une loi doit être la plus expressive possible. Et, quand on a une règle qui dit: Un organisme qui rencontre tel critère, il est assujetti, c'est rapidement connu que ça l'est ou que ça ne l'est pas. Je ne crois pas qu'il soit essentiel d'avoir une liste établie par qui que ce soit pour dire: Cet organisme-là le sera ou ne le sera pas. Mais l'usage va l'établir et on le saura pour longtemps.

Alors, en tout cas, je donne une première réaction à cet égard-là, et je ne vois pas ce qu'on apporte vraiment à la loi en ajoutant une telle liste.

M. Mulcair: M. le Président, je me permets...

Le Président (M. Paquin): M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: ...de référer à nouveau le ministre aux deux exemples que... Non. Le meilleur exemple, c'est vraiment, si ma mémoire est bonne, l'annexe A de la Charte de la langue française, chapitre C-13 des Lois refondues du Québec, qui vient énumérer ce qui est visé quand on parle des orgnismes de l'administration. C'est vraiment exhaustif, et, à ma connaissance, il n'y a jamais eu un problème, outre celui que j'ai mentionné tantôt suite à la décision dans l'affaire Blaikie n° 2. Mais, sans l'arrêt Forest, les affaires du Manitoba, et Blaikie 1, et Blaikie 2 – ça, c'est une question assez technique... Mais, pour savoir si ça couvrait tout, puis si c'était bon, puis ça y est...

Pour ce qui est de savoir qui le fait, je rappelle que l'idée que l'on a ici, c'est que le Conseil de la justice administrative donnerait une idée, mais c'est le gouvernement qui déciderait, avec ou sans modifications. Je rappelle juste au ministre que c'est lui-même qui nous a dit qu'il ne voulait pas que ce Conseil-là soit juste une instance disciplinaire. Il veut que ce soit une sorte de lieu de réflexion pour la justice administrative. Alors, quoi de mieux que, pour bâtir cette expertise-là... On peut faire quelque chose de transitoire et dire: La première liste vient du gouvernement, je ne sais pas quoi. Mais, si on veut qu'ils continuent à réfléchir à qui ils sont et ce qu'ils font, «why not», pourquoi ne pas laisser ça à eux autres comme responsabilité?

En tout cas, comme le dit le ministre, c'est sa réaction première, c'est aussi, de notre côté, une tentative de bonne foi de lui dire ce qui est visé par l'amendement que l'on va proposer quand on reviendra. En tout cas, on laisse ça là pour l'instant.

Le Président (M. Paquin): Alors, personne ne demandant la parole et les annonces étant faites pour le menu de l'après-midi, allons au menu du midi. Nous suspendons jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 30)

(Reprise à 14 h 36)

Le Président (M. Paquin): Alors, la commission reprend ses travaux. Elle est réunie afin de poursuivre l'étude détaillée du projet de loi n° 130, Loi sur la justice administrative. Nous sommes à l'étude de l'article 8 et plus particulièrement d'une proposition d'amendement à l'article actuel tel que modifié. Je rappelle la proposition d'amendement: Le projet de loi n° 130 est modifié par le remplacement, au premier alinéa de l'article 8, des mots «également institué pour trancher» par «qui tranche».

Alors, lors de notre dernière intervention, la parole était au ministre, je crois.

M. Bégin: M. le Président, j'aurais l'idée de proposer un sous-amendement, et j'aimerais avoir la réaction de mon collègue là-dessus. Au lieu de dire «ou par un autre organisme de l'ordre administratif», et là, actuellement, c'est «également institué pour trancher», mon collègue propose de remplacer ces mots-là par «qui tranche»... Pour atteindre l'objectif qui était derrière «également institué pour trancher», si on disait «ou par un autre organisme de l'ordre administratif chargé de trancher un litige»?

M. Mulcair: Bien, la seule question pour nous, M. le Président... Le ministre a bien compris ce qu'on visait tantôt; j'avais donné l'exemple d'un organisme ou d'un conseil des services essentiels. Est-ce que le ministre peut nous redonner son dernier bout de phrase?

M. Bégin: Alors, ce serait, à la quatrième ligne: «le Tribunal administratif du Québec ou par un autre organisme de l'ordre administratif chargé de trancher des litiges opposant un administré» – je laisserais le texte tel quel pour le moment, là – au lieu de... Vous, vous proposiez: «ou par un autre organisme de l'ordre administratif qui tranche des litiges»; moi, je dis «chargé de trancher des litiges».

M. Mulcair: Bien là...

M. Bégin: C'est parce qu'il y a eu...

M. Mulcair: Si on est en train de dire ce que, nous, on veut, je veux bien, mais ça me semble flou encore. Est-ce qu'on peut dire «chargé, exclusivement ou non, de trancher des litiges»? Est-ce que ça atteindrait le but?

M. Bégin: Là, je ne comprends pas bien, mais je voudrais...

M. Mulcair: Bien...

M. Bégin: ...peut-être expliquer pourquoi je mettrais...

M. Mulcair: O.K.

M. Bégin: ...«chargé» plutôt que «qui tranche». O.K.?

M. Mulcair: O.K.

M. Bégin: On dit: «un organisme de l'ordre administratif qui tranche», donc on constate un état de fait...

M. Mulcair: O.K.

M. Bégin: ...alors que, quand on dit: «chargé de trancher un litige», on a quelqu'un qui a reçu, dans sa loi constitutive, le mandat ou l'obligation de trancher les litiges, autrement dit qui est vraiment, par le législateur, désigné comme étant celui qui doit trancher les litiges. Et c'est ça, la nuance qui est apportée.

M. Mulcair: M. le Président, on suit le ministre là-dessus. Si ça atteint l'objectif qu'on semble viser tous les deux...

M. Bégin: Oui.

M. Mulcair: ...on va être d'accord. Mais la seule chose qui nous inquiète, c'est que... si un organisme est chargé de trancher les litiges et de donner des opinions au gouvernement...

M. Bégin: On en a un qu'on connaît tous les deux très bien: la CAI. Il a deux volets. Très bien. Il est chargé de trancher des litiges en matière d'accès à l'information. Lorsqu'une personne qui est préposée – j'oublie toujours le terme – le responsable à l'accès dit: Non, monsieur, madame, vous n'aurez pas accès, il y a appel devant la Commission d'accès à l'information. Alors, cet organisme, qui est la Commission d'accès, a ce volet de trancher le litige et est chargé, en vertu de la loi, de trancher le litige.

(14 h 40)

Mais, dans son autre volet, qui est celui de conseiller le gouvernement – si, oui ou non, en vertu de la loi, vous faites quelque chose qui est acceptable – quand on lui demande, en fait, de venir devant la commission parlementaire pour donner une opinion, là il n'est plus chargé de trancher les litiges, il est un conseiller – permettez-moi ce mot très vague et très général pour résumer l'autre aspect du volet du mandat.

M. Mulcair: M. le Président, on dit que les écrits restent. Ici, dans les commissions parlementaires, on a l'avantage que même nos paroles restent. Si le ministre est convaincu que ça atteint l'objectif et qu'on vise le même objectif...

M. Bégin: Je pense.

M. Mulcair: ...il faut effectivement, dans certains cas, écouter les experts qui ont vu ça dans d'autres domaines et se fier à leur bon jugement. C'est ce que nous ferons, de notre côté, cette fois-ci, M. le Président. On a peut-être vu d'autres manières de le faire, mais, si le ministre est convaincu, on va se ranger de son côté pour cette modification-là.

Le Président (M. Paquin): On a le choix de faire un sous-amendement ou alors là de faire un nouvel amendement.

M. Mulcair: C'est plus simple de retirer notre amendement.

Le Président (M. Paquin): Alors, moi, je pense... Oui, c'est ça, j'allais le suggérer. Donc, est-ce qu'il y a consentement pour retirer l'amendement du député de Chomedey?

M. Bégin: Oui, consentement.

Le Président (M. Paquin): Alors, il y a maintenant un nouvel amendement qui se lit: Remplacer les mots «également institué pour trancher» par «chargé de trancher», proposé par le ministre. Ça va?

M. Bégin: Oui.

Le Président (M. Paquin): Des questions, commentaires là-dessus?

M. Mulcair: Ça va.

Le Président (M. Paquin): L'amendement est...

M. Bégin: Adopté.

Le Président (M. Paquin): ...adopté.

M. Bégin: Il y avait un autre amendement...

Le Président (M. Paquin): Nous en sommes maintenant à la proposition telle qu'amendée. Oui... Un autre amendement?

M. Bégin: Peut-être, M. le Président. Je suggérerais qu'on enlève... «opposant un administré à une autre autorité», de remplacer «autre», tout simplement, de supprimer, en fait, le mot «autre».

M. Mulcair: À quel endroit?

Le Président (M. Paquin): Sixième ligne.

M. Bégin: Dans la sixième ligne, oui. Alors, je vais expliquer, si vous permettez.

Le Président (M. Paquin): Donc, ça se lirait: «chargé de trancher des litiges opposant un administré à une autorité administrative» au lieu de «à une autre autorité». C'est ça, votre...

M. Bégin: C'est ça.

Le Président (M. Paquin): ...proposition? M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Oui. Est-ce que c'est parce qu'on avait peur que... Le «autre», j'imagine que c'était par opposition au Tribunal lui-même.

M. Bégin: Voilà. C'est justement ça qui n'est pas... C'est le réflexe qu'on a. Mais, quand on lit attentivement le texte, ce n'est pas ça qu'on veut dire. Parce que l'autre autorité administrative, c'est une autre autorité administrative que celles – pluriel, les autorités administratives – qui tranchent un litige au niveau initial dans un premier temps et qui, elles, vont devant le TAQ.

Prenons notre exemple qu'on vient de prendre, même s'il est inadéquat parce que le responsable de l'accès à l'information dans une municipalité... Oublions un instant que c'est une autorité décentralisée, disons que c'est une autorité administrative. Lorsqu'il refuse... Actuellement, tel que le projet de loi est constitué, la Commission d'accès n'est pas dans le TAQ. Donc, on dit que l'organisme, qui est la CAI, serait chargé de trancher un litige opposant un administré à une autorité administrative, qui est, dans notre cas, le fonctionnaire municipal. Mais ce n'est pas le TAQ qui est là, c'est le fonctionnaire. C'est la décision de premier niveau dont on fait appel, et non pas devant la CAI, et non pas par opposition au TAQ.

Je sais que ce n'est pas nécessairement évident, mais c'est en travaillant le texte, ce midi, que... Ça permet, à mon point de vue, d'éviter... Puis ce qui est bon, c'est que votre réflexe a été exactement celui qu'on a naturellement, puis on se rend compte que ce n'est pas ça, la réalité.

M. Mulcair: On comprend puis on accepte l'explication. On est d'accord.

Le Président (M. Paquin): Donc, l'amendement visant à retrancher le mot «autre», à la sixième ligne, est adopté?

M. Bégin: Adopté.

M. Mulcair: Adopté.

Le Président (M. Paquin): Adopté. Alors, est-ce qu'il y a autre chose sur l'article 8?

M. Bégin: Là, il y avait l'amendement...

Le Président (M. Paquin): Oui?

M. Bégin: Il y avait mon collègue qui proposait d'ajouter quelque chose, là.

M. Mulcair: Bien, nous... M. le Président, nous, ce qu'on proposait, c'était un autre... un 8.1. À votre suggestion, ce qu'on vous proposait d'ajouter à 8 deviendrait un 8.1.

Ce que je me permets de proposer à mon collègue le ministre de la Justice, c'est que – maintenant, on sait, on a vu les modifications que vous voulez apporter à 8 – on s'abstienne pour l'instant d'adopter l'article 8 et qu'on analyse cet autre aspect, parce que, si le ministre...

M. Bégin: D'accord.

M. Mulcair: ...est d'accord avec nous qu'il est possible de faire la nomenclature de ce qui est visé par la loi, ce qui, pour nous, semble évident... c'est presque une boutade, M. le Président, sinon on peut nous reprocher littéralement de ne pas savoir de quoi on parle, littéralement. Alors, nous, si c'est un 8.1 qui vient le clarifier, on n'aura pas besoin d'autres modifications à 8. Mais, si, par contre, l'idée de faire la liste devait être repoussée, bien, à ce moment-là, il faut commencer à travailler le texte de 8. Alors, on préfère suspendre l'adoption du 8 et commencer sur le 8.1.

Le Président (M. Paquin): Alors, s'il n'y a pas d'objection, c'est ce que nous allons faire.

M. Bégin: Je suis d'accord pour procéder de cette façon-là.

Le Président (M. Paquin): Donc, nous suspendons 8, le temps de discuter d'un nouvel article: 8.1.

M. Mulcair: Oui. Bon, je ferais de brefs prolégomènes, M. le Président. C'est que, effectivement, comme on l'a vu ce matin, le problème avec l'article 8, c'est que c'est intéressant comme discussion entre experts – et on en a plein ici, dans la salle, pour nous guider et nous aider – et que c'est loin d'être évident, ce qui est visé. Et, comme c'est vraiment le noyau de la loi, ce qui est visé, nous, on s'est dit qu'il y avait d'autres modèles, d'autres exemples qui existaient dans la législation.

J'ai référé le ministre ce matin à la Charte de la langue française où, dans une annexe, on avait donné une définition très exhaustive des organismes de l'administration pour les fins de l'article qui dit que, si un organisme de l'administration offre ses services à des personnes en majorité d'une langue autre que le français, il pouvait bénéficier d'une certaine reconnaissance lui permettant d'utiliser le bilinguisme, par exemple, dans l'affichage. Alors, cette liste-là... Personne n'a jamais réussi à trouver une faille, ou un problème, ou un défaut avec la liste en tant que telle, comme côté exhaustif.

Nous, ce qu'on propose, c'est quelque chose de relativement simple, qui pourrait être travaillé, comme on l'a dit ce matin, quelque chose qui viendrait dire, en quelque sorte: Bon, voici... Quelqu'un serait responsable de dresser la liste. Une première liste pourrait toujours être dressée par l'État, parce que souvent, lorsqu'il y a question transitoire comme ça, on doit le faire une première fois, quitte à déléguer à une autre autorité la mise à jour constante de cette liste-là. L'autorité à laquelle, nous, on avait pensé spontanément, c'est le nouveau Conseil de la justice administrative, qui, en plus de s'occuper de questions disciplinaires à l'égard de juges du Tribunal administratif du Québec qui auraient éventuellement des problèmes de cet ordre-là, se veut aussi le lieu, le locus de détermination, d'élaboration et d'analyse du droit administratif. On s'est dit: Pourquoi pas? C'est la meilleure place. Alors, on revient à peu près avec ce qu'on avait ce matin, en toute modestie, parce que... S'il y a d'autres ajouts que l'on veut faire, on est très ouvert. Mais je tenais à faire cette brève introduction pour que les gens comprennent le sens.

Alors, je le relis brièvement, on l'a déjà lu ce matin: Le projet de loi n° 130 est modifié par l'ajout, après le premier alinéa de l'article 8, du suivant:

«8.1 Le Conseil de la justice administrative détermine par règlement les organismes et autorités visés par le premier alinéa de l'article 8. Ce règlement est soumis avec la recommandation du Conseil au gouvernement, qui peut l'approuver avec ou sans modification.

«Lors de la publication du règlement à la Gazette officielle du Québec , le gouvernement doit identifier, le cas échéant, les modifications apportées par rapport au projet de règlement soumis par le Conseil.»

Le Président (M. Paquin): Il faudrait référer à l'article 8 et non pas au premier alinéa de l'article 8.

M. Mulcair: Vous avez raison, M. le Président, il n'y a plus d'autre paragraphe dans l'article 8.

Le Président (M. Paquin): Donc: «Le Conseil de la justice administrative détermine par règlement les organismes et autorités décentralisés visés par l'article 8. Ce règlement est soumis avec la recommandation du Conseil au gouvernement, qui peut l'approuver avec ou sans modification.

«Lors de la publication du règlement à la Gazette officielle du Québec , le gouvernement doit identifier, le cas échéant, les modifications apportées par rapport au projet de règlement soumis par le Conseil.»

On va faire des copies, il y a quand même deux paragraphes.

M. Bégin: Mais, si on n'a pas d'objection, je serais prêt quand même à commenter. Ça va?

Le Président (M. Paquin): Je vous en prie. Alors, M. le ministre.

(14 h 50)

M. Bégin: O.K. Moi, je partage tout à fait l'objectif visé par le député de Chomedey en proposant l'ajout de l'article 8.1. J'oublie la terminologie, mais je regarde: l'objectif qui est visé est de faire en sorte que le citoyen qui n'est pas un avocat mais qui veut savoir ses droits puisse facilement savoir si, oui ou non, dans telle domaine ou dans tel champ de compétence, c'est tel organisme qui est responsable. Donc, je partage ça assez bien.

Il nous a référés ce matin à la Charte de la langue française où il y avait une annexe qui parlait de ça. Je dois dire que j'ai fait sortir cette annexe-là et je soumets respectueusement que ça ne permet pas d'atteindre l'objectif. Si vous me permettez, juste vous faire une lecture, que je ne voudrais pas exhaustive, mais elle commence comme suit: Annexe A. L'Administration. 1. Le gouvernement et ses ministères. 2. Les organismes gouvernementaux: «Les organismes dont le gouvernement ou un ministre nomme la majorité des membres, dont la loi ordonne que les fonctionnaires...» Alors, là je fais la liste et on retombe à notre article 3 de ce matin. Je vais à 3 de cette annexe, et on dit: «Les organismes municipaux et scolaires: a) les communautés urbaines – et là on a une liste des communautés urbaines – b) les municipalités», puis on dit les corporations de ville. Et 4, «Les services de santé et services sociaux – puis là on dit: Les établissements au sens de la Loi sur les services de santé et les services sociaux...»

Je vois que, dans cette technique, à mon point de vue, pour le citoyen moyen, là, on n'a rien gagné parce qu'on a à peu près le même niveau de difficulté. J'ai fait ressortir de quelle façon on avait fonctionné par rapport à l'article 8 et la proposition que le député de Chomedey faisait, et j'avais soupçonné qu'on avait une réponse qui se trouvait dans l'avant-projet de loi sur l'application de la Loi sur la justice administrative, qui est le pendant du projet de loi qu'on étudie. Et l'on retrouve, dans les dispositions modificatrices de chacune des lois qui seront dorénavant dans le même giron que la Loi sur la justice administrative, des dispositions spécifiques.

Par exemple, sur la Loi sur l'assurance automobile, on voit, à l'article 30 de l'avant-projet de loi: L'intitulé du chapitre IX du titre II de cette loi est modifié par le remplacement du mot «appel» par les mots «recours devant le Tribunal administratif du Québec». Donc, dans cette loi-là, quelqu'un qui lit la loi qui concerne la préoccupation immédiate du citoyen – oublions que ce n'est pas un avocat, c'est un citoyen ordinaire – retrouve donc, dans cette loi, à quel endroit il y a un appel.

Si on va... J'ai trois exemples, là, uniquement pour fins d'illustration, je ne prétends pas être exhaustif. On a ici, dans la Loi sur la protection du consommateur... Non, ce n'est pas ça. La loi de la protection du territoire agricole... Non, ce n'est pas ça non plus. Recours devant le Tribunal administratif du Québec, c'est la loi... Excusez, mais je n'arrive pas à retrouver le titre du chapitre, c'est 2.1... Ce serait la Loi sur la protection du territoire agricole: «Une personne intéressée peut contester une décision ou une ordonnance de la Commission devant le Tribunal administratif du Québec dans les 60 jours de sa notification.»

On retrouve éventuellement aussi maintenant... Excusez, mais on n'a pas fait la bonne... On n'a pas indiqué la flèche, mais on a une autre disposition exactement du même ordre, ici...

On a ici, dans le cas de l'article 44 de cette loi: Modifié par le remplacement, dans les sixième et septième lignes du premier alinéa, des mots «par requête sommaire s'adresser à la Commission des affaires sociales» par les mots «dans un délai de 60 jours de la notification du refus, s'adresser au Tribunal administratif du Québec». Donc, loi après loi, dans ce projet de loi, dans l'avant-projet de loi, on retrouve qu'il y a un appel en la matière concernée par la loi devant le Tribunal administratif du Québec.

Bien sûr que, si on se dit: Est-ce que je suis capable de faire la somme immédiate de tous les organismes dont il y a appel devant le TAQ au moment où on se parle?, la réponse, si j'essaie d'être savant, la réponse, c'est non. Je vais dire: Je dois prendre chacune des lois pour m'assurer ce qui en est. Bon, ce n'est pas en soi un drame, mais ce n'est pas, pour certains esprits, suffisant. Mais il m'apparaît que l'objectif visé par l'amendement que vous proposez se retrouve dans la loi d'application, où, loi après loi, on dit: Il y aura appel d'une décision rendue par cet organisme devant le TAQ. S'il n'y a pas de telles dispositions, donc il n'y a pas d'appel devant le TAQ.

On me fait une suggestion, ici; peut-être qu'on pourrait la mesurer. Par exemple, l'objectif étant d'informer les gens, qu'est-ce qui nous empêcherait de dire que le Conseil de la justice administrative, pour reprendre votre idée, pourrait publier une liste comme ça, disant: Voici les organismes qui sont là? La différence fondamentale, c'est qu'elle est très informative, mais elle n'est pas liante, en ce sens que, si on a oublié de faire une modification ou une publication, ça n'a aucun effet, mais, par contre, on a une liste exhaustive, autant que possible, qui peut être revue périodiquement. En fait, c'est pour dire qu'on est d'accord avec l'objectif, c'est la technique qui n'est peut-être pas satisfaisante. Et, si le Conseil de la justice administrative est un bon organisme, pourquoi pas? Pourquoi pas?

M. Mulcair: Est-ce que... Oui, je trouve ça. Effectivement, on est peut-être pas mal plus proche que ce que je ne pensais au début. Est-ce que le ministre est en train de nous dire que c'est sa compréhension que seulement les choses, les lois, les organismes, les entités mentionnées dans la loi d'application peuvent être couverts par l'article 8? En d'autres mots, malgré la fluidité que, nous, on perçoit dans sa rédaction, est-ce que l'article 8 est en quelque sorte endigué par la loi d'application? Parce que, si ça ne se retrouve pas dans la loi d'application, il n'y aura pas de problème d'interprétation de l'article 8.

M. Bégin: Je soumets que... Prenons un scénario simple: la loi d'application est entrée en vigueur, la Loi sur la justice administrative est également en vigueur, et tout à coup le gouvernement crée un nouvel organisme et il dit, dans cette loi: Il y aura appel de la décision devant le TAQ.

M. Mulcair: Oui...

M. Bégin: Non, non, mais je veux le dire, là, l'article 8 continue à parler...

M. Mulcair: Oui, oui.

M. Bégin: ...la loi nouvelle...

M. Mulcair: On s'entend.

M. Bégin: ...on s'entend. Par contre, on dit: Le Conseil de la justice administrative, mettons, n'aurait pas publié la liste. Ça ne change rien pour moi.

M. Mulcair: C'est plus simple.

M. Bégin: Inversement, et c'est là que... Si on met un carcan, une formulation qui dit: La publication dans le journal, la prépublication, les avis, etc., et que ça prend quatre mois, est-ce que l'organisme ne pourra pas fonctionner avant que les quatre mois de la publication de l'avis auront joué? Je pense que là on a un problème technique, administratif, qui n'est pas celui qu'on vise à solutionner.

M. Mulcair: Justement, on ne veut pas créer un problème. Ça me rappelle un peu l'argument que le ministre avait utilisé au début, lorsqu'on avait proposé le 3.1 et qu'il s'est rangé à nous cette fois-là. On veut faire preuve de la même compréhension et souplesse et on va juste s'assurer qu'on est sur la même longueur d'onde. Je persiste à croire qu'on n'est pas si loin.

Le ministre dit, avec raison, qu'il ne veut pas avoir un empêchement à l'adoption d'une nouvelle loi sur la régie de «whatever», dont les décisions seraient appelables devant le Tribunal administratif du Québec. Il ne voudrait pas que tout ça, ce soit à la remorque de la publication d'une liste, de la vision par le truc... D'accord, on se comprend. Lorsque je disais, tantôt, que c'est endigué parce qu'il est contenu dans la loi d'application, je parlais pour ce qui était existant.

Laissez-moi peut-être, M. le Président, poser la question d'une autre manière: Est-ce que le ministre est juste en train de nous dire que, pour ce qui est de la situation existante, c'est ce qui est déjà dans la loi d'application et que, dans l'avenir, il n'y a rien qui pourrait être visé par le 8, à moins qu'un texte de loi ne vienne l'indiquer? En d'autres mots, est-ce que le 8... Ce qui nous préoccupe avec le 8 tel que rédigé, c'est qu'on ne sache pas ce à quoi ça s'applique. Si le ministre est en train de nous dire: Le 8 s'appliquera à ce qui est prévu dans la loi d'application et dans toute autre loi où ce serait très clairement indiqué, et qu'il nous propose qu'on inscrive à un 8.1 qu'il y aura... le Conseil publie la liste des organismes visés par le TAQ...

M. Bégin: Moi, je...

M. Mulcair: ...nous, on n'a pas de problème avec ça.

M. Bégin: ...le mettrais plutôt dans une disposition, dont je n'ai pas le numéro, qui serait dans un des pouvoirs du Conseil de la magistrature de dire...

M. Mulcair: Pas de problème avec ça non plus.

M. Bégin: ...entre autres choses: Il publie la liste de tous les organismes qui sont là. Il le fait périodiquement dans la Gazette officielle , ou je ne sais pas, là, mais, peu importe, on formulera le texte comme ça et on le mettra à la bonne place.

M. Mulcair: Le ministre comprend que notre questionnement et notre objection tombent...

M. Bégin: Je comprends, le citoyen.

M. Mulcair: ...si c'est toujours dans une loi que l'applicabilité de l'article 8 va être décidée.

M. Bégin: C'est ça. Alors, 166, on pourrait le mettre là. Je sais qu'on l'a adopté, mais rien ne nous empêche de le rouvrir et de...

M. Mulcair: Exact.

M. Bégin: ...le reformuler. Moi, en tout cas, il m'apparaît, M. le Président, que ce serait une façon d'atteindre l'objectif, que je partage, du député de Chomedey, en le mettant ailleurs, mais sans avoir les contraintes négatives qu'il avait par son type d'amendement.

M. Mulcair: Oui...

M. Bégin: On se comprend.

M. Mulcair: ...elles sont bien exprimées, M. le Président, mais ce que nous... On veut juste avoir une réponse à cette question-là: Est-ce que le ministre est d'accord, donc, pour dire... Est-ce que notre interprétation est valable? Lorsqu'il nous dit qu'il ne veut pas avoir de contraintes pour l'avenir, il ne veut pas être assujetti à cette obligation et que l'existence d'une nouvelle entité en dépend, il est, par la même occasion – et c'est ça, la partie la plus importante de notre question... Est-ce que le ministre est en train de nous dire que c'est seulement par le biais d'une loi que l'on attribue, par exemple, un recours devant le TAQ et que le 8 est, à ce moment-là, surtout explicatif de ce qu'on veut que le TAQ fasse? Mais il n'y aura pas des choses qui existent et qui ne soient pas dans la loi d'application ou ailleurs et que, tout d'un coup, quelqu'un va dire: Bien, il faudrait que ça commence à émaner de là.

M. Bégin: Moi, je pense que ce que l'on vise, c'est que la loi d'application couvre sans oubli, je l'espère, de lois auxquelles l'article 8 pourrait être applicable. Que, par ailleurs, dans le futur, effectivement, les organismes, qui pourront être assujettis, dépendent – lorsque l'on veut référer au TAQ, évidemment...

M. Mulcair: ...loi.

M. Bégin: Il faut qu'on le mette dans la loi.

M. Mulcair: D'accord.

M. Bégin: Sinon on n'avancera pas.

M. Mulcair: D'accord. Donc, on est sur la même longueur d'onde: on comprend le 8 comme étant une sorte de déclaration générale d'intention...

(15 heures)

M. Bégin: Exact.

M. Mulcair: ...et que c'est par des lois individuelles, par après, qu'on attribuerait réellement la juridiction. Alors, à ce moment-là, que l'on mette à l'article 166 l'obligation de publier une telle liste, on n'a aucune objection. On retire notre amendement, si tout le monde est d'accord, et on pourra la reformuler plus tard.

M. Lefebvre: M. le Président...

M. Bégin: Moi, je suggère, M. le Président...

Le Président (M. Paquin): Avant, il y a le député de Frontenac...

M. Bégin: Ah! Excusez-moi.

Le Président (M. Paquin): ...qui désire faire une intervention depuis un bon moment déjà.

M. Lefebvre: Très rapidement... Mon intervention, c'est plus ou moins il y a quatre ou cinq minutes que je voulais la faire. Entre-temps, M. le ministre, en échangeant avec mon collègue, nous indique qu'il est d'accord avec l'objectif visé par 8.1, mais ce qui l'agaçait, c'était la lourdeur du mécanisme, à savoir la réglementation. Il suggère d'y aller avec un ajout à 166 qui serait très simple, et ça satisfait mon collègue. Alors, ça me satisfait, moi.

M. Bégin: Et j'ajouterais peut-être – et M. le député de Chomedey pourrait regarder, de même que le député de Frontenac – si, ce matin, le mécanisme qu'on a introduit à 3.1... Il m'apparaîtrait, à moins d'erreur de ma part, qu'on aurait avantage à utiliser la même technique et de le localiser à la même place parce que... On est dans les pouvoirs, là, et il me semble que, pour alléger les premiers articles, pour garder vraiment les concepts plutôt que l'aménagement de la cuisine, j'enverrais tout ça au Conseil de la magistrature.

Le Président (M. Paquin): Est-ce que vous en avez une écriture?

M. Bégin: Non, malheureusement. Je viens de – nécessité fait loi, là – faire l'amendement, mais on pourrait suspendre et tout mettre ça, et 3.1 que vous avez suggéré ce matin et ce qu'on vient de discuter, envoyer ça dans un pouvoir, à 166, qui relèverait du Conseil de la magistrature, et là vous rencontrez l'objectif que vous visiez ce matin en disant: On va augmenter la responsabilité.

Le Président (M. Paquin): Avant de suspendre à cette fin, je pense qu'on serait mûr pour 8.1, mais je ne suis pas certain pour 3.1. J'aimerais qu'on ait une opinion du critique de l'opposition là-dessus.

M. Mulcair: Avec l'accord des deux côtés, on va prendre cinq minutes pour réétudier la question.

Le Président (M. Paquin): D'accord.

M. Bégin: Bon.

Le Président (M. Paquin): Alors, on suspend pour cinq minutes.

(Suspension de la séance à 15 h 4)

(Reprise à 15 h 6)

Le Président (M. Paquin): Nous reprenons nos travaux. M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: M. le Président, si le ministre veut mettre le changement, le 3.1 pour le mettre à 166, prendre le 8.1 et le mettre à 166, préparer avec ses proches collaborateurs les papiers qu'il faut, nous, on va être d'accord.

M. Bégin: O.K.

M. Mulcair: On pourrait peut-être suspendre cinq minutes, le temps qu'il prépare tout ça pour les fins du secrétariat, et...

M. Bégin: On pourrait suspendre l'étude. Ou voulez-vous arrêter quelques minutes? On peut arrêter cinq minutes. O.K. Correct.

Le Président (M. Paquin): Nous suspendons.

M. Bégin: Ça va.

(Suspension de la séance à 15 h 7)

(Reprise à 15 h 19)

Le Président (M. Paquin): Suite aux différentes suggestions qui ont été faites, la proposition d'article 8.1 est retirée. Ça va? Alors, adopté.

Maintenant, il y a une nouvelle proposition qui est en deux points:

1° ajouter, après l'article 167, le suivant:

«167.1 Le Conseil publie annuellement, à la Gazette officielle du Québec , la liste des ministères et des organismes qui constituent l'administration gouvernementale au sens de l'article 3, de même que les organismes et autorités décentralisés visés par l'article 8.»;

2° retirer l'article 3.1 qu'on avait adopté.

Alors, ça va? M. le ministre.

M. Bégin: M. le Président, ça m'apparaît conforme à nos discussions. Je ne sais pas si mon collègue de Chomedey en pense autant, mais ça m'apparaît tout à fait correct. C'est fort bien rédigé.

Le Président (M. Paquin): La gestuelle m'indique que c'est le cas. Ha, ha, ha!

M. Mulcair: Oui, ça va. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Paquin): Oui. M. le député de Châteauguay.

(15 h 20)

M. Fournier: Juste une question, comme ça. On avait parlé de le mettre à 166, et là on va à 167 et 167.1. Pourquoi on a choisi de le mettre après 167 plutôt qu'après 166? Il doit y avoir une raison, puisqu'on parlait de 166 au début.

M. Bégin: Je comprends. Je n'ai pas l'explication, mais je vois qu'à l'article 167 on dit: «Le Conseil peut, par règlement, édicter des règles...» Donc, on est sorti de certaines fonctions plus générales.

M. Lefebvre: Il me semble, M. le Président, que l'amendement cadre mieux avec l'objectif de 166. Il me semble.

M. Bégin: Oh!

M. Fournier: Et moi aussi. C'est vrai qu'on est du même côté...

M. Bégin: Alors, 166.1?

M. Fournier: Oui.

M. Bégin: L'article 166.1? Est-ce que ça vous conviendrait?

M. Fournier: Oui.

M. Bégin: Alors, 166.1, M. le Président, c'est une erreur de frappe. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Paquin): Alors, c'est une erreur qui me frappe.

M. Bégin: C'est comme ça qu'on disait devant les cours.

M. Lefebvre: Une erreur de frappe, mais, M. le Président, je veux indiquer au ministre qu'on avait déjà inscrit «article 166», puis on l'a rayé. Ha, ha, ha! On était correct puis on a décidé de changer d'idée.

Le Président (M. Paquin): Alors, disons que... Je corrige ainsi le texte que j'ai sous les yeux: je remplace les «7» par des «6», et ça fait: Ajouter, après l'article 166, l'article 166.1, et le texte reste le même. Est-ce que ça va pour tout le monde, ça?

M. Bégin: Ça va, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): Bon. Alors, est-ce que l'amendement, tel qu'ajusté, est adopté?

Des voix: Adopté.

Le Président (M. Paquin): Alors, c'est adopté. Maintenant...

M. Bégin: Ça nous ramène à l'article 8, je pense.

Le Président (M. Paquin): C'est exactement ce que j'allais dire. Maintenant, je vous rappelle que nous n'avons pas disposé de l'article 8 tel qu'amendé. Y a-t-il des commentaires ou des questions à ce moment-ci?

M. Bégin: Adopté.

Le Président (M. Paquin): Ça va?

M. Mulcair: Ça va.

Le Président (M. Paquin): Alors, adopté. Nous passons à l'article 9. M. le ministre.

M. Bégin: M. le Président, c'est une disposition qui m'apparaît fondamentale. C'est qu'on doit donner aux parties l'occasion d'être entendues. Non pas de faire des observations, mais d'être entendues.

Deuxièmement, vous remarquerez que le deuxième alinéa reprend l'idée que l'on retrouvait au deuxième alinéa de l'article 8 antérieurement. On disait: «Toutefois...» C'est-à-dire à la fin du premier alinéa, on disait «et en audience publique», puis on avait un deuxième alinéa qui disait: «Toutefois, le huis clos peut être ordonné dans l'intérêt de la morale ou de l'ordre public.»

Nous avons entendu, en commission, M. Rodolphe Morissette, qui nous a fait des représentations concernant le huis clos et les audiences publiques. À moins d'erreur, ce que l'on retrouve dans le deuxième alinéa maintenant, c'est que les audiences sont publiques et le huis clos peut être ordonné, mais lorsque c'est nécessaire pour préserver l'ordre public. Et on m'a indiqué que c'était là l'état de la jurisprudence, c'est-à-dire les concepts les plus neufs, les plus modernes. Je ne peux pas en témoigner personnellement, mais on me dit que c'est le cas.

Donc, deux concepts très importants dans cet article: l'obligation de donner aux parties l'occasion d'être entendues et, deuxièmement, que les audiences sont publiques et que le huis clos devient véritablement une exception, que ce soient des bonnes raisons qui justifient qu'on le fasse à huis clos. Alors, M. le Président, je pense que c'est un article clé dans ce projet de loi.

M. Mulcair: M. le Président, on n'a aucune raison de mettre en doute ce que le ministre vient de nous dire en ce qui concerne l'état de la jurisprudence. Je peux juste dire qu'en ce qui concerne l'état de la législation il y a d'autres modèles et exemples qui existent. Je pense notamment à la règle générale de l'ouverture des audiences des comités de discipline des ordres professionnels, une énumération assez exhaustive de cas. Si ma mémoire est bonne, lorsque c'est nécessaire pour protéger la vie privée des gens ou des choses comme ça, on donne plusieurs exemples. Est-ce que le ministre est en train de nous dire que, selon sa compréhension de la jurisprudence, la notion large générale d'ordre public permet d'englober toutes les autres choses?

M. Bégin: C'est ce qu'on m'indique.

M. Mulcair: Parce qu'il y a des obligations, en termes de la Charte, de garder ça public. Je ne suis pas convaincu que...

M. Bégin: Évidemment, comme me dit Mme Longtin, la vie privée est déjà protégée par des dispositions de la Charte. On n'a pas besoin de les reproduire. Elles sont là et elles doivent être tenues en compte. Il y a la loi d'accès également.

Mais là on est en présence du concept de l'audience publique et avec des motifs de ne pas être entendu en public, mais plutôt en privé. Et, me dit-on, c'est ce qu'il y aurait de mieux. Maintenant, je ne sais pas, je pourrais faire faire une vérification rapide par rapport à ce que vous dites concernant le Code des professions.

M. Mulcair: Non. M. le Président, comme le ministre le dit si bien, Me Longtin rédige toutes les autres lois. Je n'ai aucune raison de croire qu'elle et son service n'ont pas vérifié l'état actuel de la jurisprudence. J'ai juste peur que, d'un côté, ce soit trop large quand on dit «ordre public» et que ça puisse exclure des choses que l'on voudrait continuer à garder ouvertes, et, d'un autre côté, bien, je tenais juste à m'assurer que... Lorsqu'un individu se présente, par exemple, avec ses dossiers médicaux, des choses comme ça, devant un régisseur, presque de son propre chef, ça devrait être exclu par le Tribunal.

Le Président (M. Paquin): D'autres commentaires?

M. Mulcair: Bien, juste sur ce dernier point, avant de procéder à l'adoption, parce qu'on n'a préparé aucune modification à ce texte-là. Je tenais juste à demander au ministre s'il est d'avis que... Prenons l'exemple que je donnais tantôt: on est en train de débattre devant le Tribunal, c'est une question d'indemnité, ça concerne une personne qui se dit atteinte d'impuissance suite à un accident. Ce n'est pas nécessairement quelque chose que l'on veut voir étaler à tout le monde. On dit qu'on a droit à la protection de sa vie privée. Mais est-ce que ça ne vaudrait pas la peine de dire que, toutefois, le huis clos peut être ordonné lorsque cela est nécessaire pour préserver l'ordre public, et doit être ordonné lorsque cela est nécessaire de protéger la vie privée des gens, ou quelque chose comme ça? Est-ce qu'on ne peut pas songer à mettre l'obligation sur le Tribunal de l'ordonner?

Mettons que la personne ne le demande pas, ou n'y pense pas, ou ne sait pas qu'elle a le droit de le demander, est-ce qu'on ne devrait pas dire qu'ils vont l'ordonner de leur propre chef?

M. Bégin: Moi, j'avais pris deux notes quand vous parliez: proprio motu, puis soulevé d'office, qui sont deux façons de dire la même chose. Ce que vous voulez dire, c'est: Est-ce que le Tribunal ne devrait pas, de lui-même... À supposer qu'une partie ne soit pas consciente – et ça peut arriver qu'une personne n'en soit pas consciente – qu'elle aurait le droit de bénéficier d'un avantage, est-ce qu'il devrait le faire d'office? C'est une question qui m'apparaît intéressante. Généralement, la cour ne soulève pas d'office des choses. Il y a quelques cas, qui ne me viennent pas à l'esprit, où elle doit le faire: la prescription, par exemple. Le juge doit soulever d'office la prescription...

M. Mulcair: O.K.

M. Bégin: ...il me semble.

Une voix: C'est à l'article 142.

M. Bégin: À l'article 142 du Code des professions, on a quelque chose qui dit: «Toute audition est publique. Toutefois, le comité de discipline peut, d'office ou sur demande, ordonner le huis clos ou interdire la publication ou la diffusion de renseignements ou de documents qu'il indique, dans l'intérêt de la morale ou de l'ordre public, notamment pour assurer le respect du secret professionnel ou la protection de la vie privée d'une personne ou de sa réputation.»

M. Mulcair: Si ma mémoire est bonne, ça a été ajouté en 1993, ça, justement.

M. Bégin: En 1986. Ici, l'amendement, 1986. «Se rend coupable – parce que le dernier amendement est de 1986 – d'outrage au tribunal, toute personne qui, par son acte ou son omission, enfreint une ordonnance de huis clos, de non-publication ou de non-diffusion.» Moi, je pense que ça vaudrait la peine, M. le Président, qu'on regarde effectivement si on ne devrait pas recenser un certain nombre de cas où il serait utile que le Tribunal, d'office, soulève ces...

Alors, est-ce qu'une formule style: Dans les cas où la loi assure une protection à la vie privée, ou quelque chose comme ça, et qu'on est pour le soulever ou pour le révéler, à ce moment-là le Tribunal doit d'office... quelque chose... Est-ce qu'on pourrait formuler quelque chose de ce genre-là?

M. Mulcair: Oui, tout à fait le style, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): Je regardais le libellé: le tribunal peut, dans un cas, et pourrait devoir, dans l'autre cas.

M. Bégin: Maintenant, ces questions-là pourraient être inscrites là, comme elles pourraient aussi se retrouver au niveau des règles de preuve – encore une fois, je n'ai pas les numéros, là – pour être mieux à la bonne place, autrement dit, dans la loi. C'est quoi, les articles sur la preuve? Direction et administration du tribunal, 78; le fonctionnement, 102... Attendez un peu.

M. Mulcair: Il ne faut pas oublier, M. le Président, que les règles de preuve dont parle le ministre s'appliquent seulement au TAQ, alors que l'article 9 peut s'appliquer à d'autres instances que le TAQ.

M. Lefebvre: M. le Président...

Le Président (M. Paquin): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: ...au paragraphe 3° de l'article 11, l'organisme est tenu, «si nécessaire, d'apporter à chacune des parties, lors de l'audience, un secours équitable et impartial...» Un secours équitable, il me semble qu'il y a une ouverture là pour...

M. Bégin: Oui, mais je ne crois pas...

M. Lefebvre: ...décréter, s'il le juge nécessaire, par équité pour une des deux parties, le huis clos.

M. Bégin: L'équité revêt ce concept, mais couvre, à mon point de vue, plus large que ce que vous dites là.

M. Lefebvre: Oui, oui, je comprends. Oui, oui...

M. Bégin: Mais ce n'est pas sûr qu'on aurait toujours la couverture que l'on recherche. Vous avez raison sur l'approche, mais je ne crois pas que ce soit suffisant pour rencontrer toutes les situations.

(15 h 30)

À 102, on dit: «Le présent chapitre édicte des règles de base qui complètent les règles générales du chapitre II du titre I propres aux décisions qui relèvent de l'exercice d'une fonction juridictionnelle.» Pas du TAQ, d'une fonction juridictionnelle. Chapitre II – Ah! attendez un peu – titre I, c'est ça. Alors, le chapitre II du titre I, c'est: «Règles propres aux décisions qui relèvent de l'exercice d'une fonction juridictionnelle», où se trouve notre article 9, et c'est donc les règles qui s'appliquent non seulement au TAQ, mais aux organismes rendant des décisions de nature semblable. Donc, on pourrait, si c'est bon, l'ajouter à 102, ou à 103, ou peu importe, là, mais dans ce concept-là plutôt que d'en faire... C'est une règle de procédure, quand même, mais c'est un grand principe aussi.

Si vous permettez, M. le député, on pourrait, là-dessus encore, l'adopter puis trouver à quel endroit on va mettre le concept, là...

(Consultation)

M. Mulcair: M. le Président, peut-être qu'une manière d'atténuer cette petite difficulté là, ce serait d'adopter l'article 9, premier paragraphe, et on laisse le deuxième en... Non, le deuxième a été adopté, c'est l'article qu'il faut adopter maintenant. Je commence à avoir des problèmes existentiels.

Le Président (M. Paquin): Oui. Disons que ce dont vous n'avez pas disposé à ce moment-ci... Si vous désirez en faire un élément de principe, il siérait de l'inclure à l'article 9, et, si c'est une modalité de fonctionnement, à ce moment-là, il siérait de le mettre à un autre endroit, peut-être à l'article 102 ou ailleurs.

Mais, avant d'adopter l'article 9 conditionnellement à l'adoption de ce sur quoi vous semblez être d'accord comme élément supplémentaire, j'aimerais savoir ce que vous décidez de faire.

M. Bégin: Moi, M. le Président, je pense qu'on adopterait 9. Il est complet en lui-même. On peut ajouter un 9.1, comme on peut... Et j'attire l'attention du député de Chomedey sur l'article 92. Si vous regardez votre projet de loi n° 130, on dit: «Malgré l'article 9 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, seule une personne autorisée par le Tribunal a droit d'accès, pour cause, à un dossier de la section des affaires sociales contenant des renseignements relatifs à la santé...» On retrouve déjà ici une notion de ce concept de protection, puis il relève de l'autorité du Tribunal. Alors, je pense qu'on devrait rechercher, si c'est à 9, alentour de 92 ou encore dans 102 et suivants, comme je le voyais tantôt, pour énoncer ce concept-là.

D'autre part, sur 142 que j'ai lu tout à l'heure, qui vient du Code des professions, il semblerait qu'il y ait des critiques qui soient adressées à cette façon de formuler l'affaire. Parce que, quand on utilise la formule du «notamment», on atteint certains effets qui sont bénéfiques, mais des fois aussi on atteint des effets inverses, et je pense que la formulation devrait aller plus dans le sens qu'on a là, quitte à la bonifier.

M. Mulcair: Bien, moi, je veux donner raison au ministre dans sa formulation de tantôt et je vais me permettre, à brûle-pourpoint, comme ça, de lui proposer quelque chose en ce qui concerne le deuxième paragraphe: Les audiences sont publiques, toutefois le huis clos peut être ordonné, même proprio motu, lorsque cela est nécessaire pour préserver l'ordre public.

Tout ce qu'on ajouterait dans le deuxième paragraphe de l'article 9, c'est: «même proprio motu».

M. Bégin: Oui, peut-être reprendre «même d'office», parce que «proprio motu», c'est notre jargon à nous, on le connaît bien, mais...

M. Mulcair: «Même d'office», oui, d'accord. «Même d'office», c'est ça, on ajouterait ça. Vendu.

Le Président (M. Paquin): Donc, on insérerait après les mots «ordonner» et avant «lorsque», «, même d'office,».

M. Bégin: O.K. Ça convient.

Le Président (M. Paquin): Alors, on se comprend bien sur les mots et sur l'effet. Des questions ou des commentaires, à ce moment-ci, là-dessus? Est-ce que cet amendement est adopté?

M. Mulcair: Adopté.

Le Président (M. Paquin): Adopté. Est-ce que l'article 9, tel qu'amendé, est adopté?

M. Mulcair: Adopté.

M. Bégin: Adopté.

Le Président (M. Paquin): Adopté. Article 10 tel que modifié.

M. Bégin: Alors, M. le Président, c'est un texte particulièrement intéressant, puisqu'il dit: L'organisme est maître, dans le cadre de la loi, de la conduite de l'audience – donc on reprend ce concept dans le cadre de la loi. Il doit mener ces débats avec souplesse et de façon à faire apparaître le droit puis en assurer la sanction. C'est donc l'article 10.

Par ailleurs, ce même organisme est maître de «la recevabilité des éléments et des moyens de preuve et il peut, à cette fin, suivre les règles de la preuve en matière civile. Il doit – et ça, je pense que c'est important de le souligner, et c'est drôle parce qu'on retrouve l'expression que notre collègue de Chomedey vient de nous dire – toutefois, même d'office – je ne sais pas si c'est ça qui l'a inspiré ou bien si c'était un hasard – rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l'utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. L'utilisation d'une preuve obtenue par la violation du droit au respect du secret professionnel est réputée déconsidérer l'administration de la justice.»

Je ne connais pas personnellement des cas où on pourrait utiliser cet article-là, parce que je n'ai pas plaidé devant ces organismes parce qu'on procédait de façon quasi judiciaire ou judiciaire, mais il est évident que des preuves obtenues dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux... Je pense qu'on ne peut pas être contre une telle disposition, qui vise à assurer que, en tout temps, la preuve qui sert à convaincre le juge a été obtenue selon des règles de droit, que ça ne soit pas quelque chose qu'on a pris soi-même, soit par une enquête personnelle, mais toujours aussi dans le respect d'une conduite correcte devant un tribunal, une preuve basée sur des éléments obtenus selon la Charte des droits et libertés, je dirais, démocratiquement, par opposition à une autre manière incorrecte.

Là, je pense que c'est quelque chose de nouveau, assez nouveau, qui tente de cadrer assez bien de quelle façon on veut procéder de manière qui ressemble à une procédure quasi judiciaire, mais en même temps avec plus de souplesse et en respectant les droits fondamentaux. Voilà.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Est-ce que le ministre peut nous dire si lui et ses proches collaborateurs ont pris connaissance des commentaires formulés par Me Lussier, de l'étude Desjardins, Ducharme, à Montréal, lors du forum?

M. Bégin: Nous avons les commentaires de M. Lussier. Je ne sais pas si vous référez à un commentaire en particulier, là, il ne me vient pas à l'esprit.

M. Mulcair: Bien, en ce qui concerne l'article 10 notamment... Il a eu plusieurs commentaires à formuler en ce qui concerne les règles de preuve, mais, sur l'article 10, il a critiqué la manière de procéder. Il a dit que, par exemple, l'article 10 pourrait faire en sorte que le TAQ n'accepterait pas nécessairement la règle de l'interdiction du ouï-dire ou de la contestation d'un écrit valablement fait, et ce, en dépit du fait que le TAQ ait juridiction sur des causes où les montants en jeu sont énormes, par exemple en matière d'évaluation foncière.

M. Bégin: Je n'ai pas ce deuxième volet dans ce dont j'ai pris connaissance. Ce n'est pas...

M. Mulcair: Bien, il est en train de dire: Hourra pour la souplesse et la flexibilité...

M. Bégin: C'est ça qu'il... Oui.

M. Mulcair: ...mais il y a des règles de preuve en matière civile... Par exemple, il y a une règle voulant qu'on n'accepte pas le ouï-dire, sauf certaines exceptions, ou qu'on ne puisse pas en certaines matières contester un écrit valablement fait. Il est en train de dire qu'il y a des domaines, par exemple l'évaluation foncière, où les sommes en jeu vont être énormes. Est-ce que ça veut dire que des règles de preuve acceptées et admises dans notre système de droit comme la règle contre le ouï-dire, la règle concernant les écrits valablement faits, cette même souplesse risque de faire en sorte que, même lorsqu'il s'agirait de centaines de milliers de dollars dans une matière d'évaluation, on pourrait évacuer des règles aussi bien établies? C'est ça, son inquiétude.

M. Bégin: Là, on est entre deux pôles.

M. Mulcair: O.K.

M. Bégin: Ou introduire tout à fait les règles complètes en matière civile, sans distinction aucune, avec les avantages qu'elles comportent, mais aussi certains de leurs inconvénients: la rigidité et la judiciarisation au sens le plus large du terme. Le texte qui est là...

M. Lefebvre: J'aurais une question, M. le ministre.

M. Bégin: Oui.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Peut-être... Pour qu'on puisse avoir une discussion la plus utile possible, est-ce que l'objectif du ministre est d'assouplir ou de rendre encore plus rigoureuse la preuve devant les organismes? Dépendamment de ce qu'il souhaite, ce n'est pas certain qu'on atteigne l'objectif.

Moi, je comprends le paragraphe 2 de l'article 10 comme étant une obligation au justiciable d'offrir une preuve encore plus étanche, solide. La preuve qu'il devra fournir sera plus exigeante que celle qu'on peut accepter aujourd'hui. Lorsqu'on fait référence à des règles ordinaires de la preuve en matière civile – et, dans ce sens-là, je rejoins mon collègue – ça oblige et ça obligera le justiciable à respecter le principe de la règle de la meilleure preuve. Ça, c'est très contraignant dans certaines circonstances pour le justiciable qui se présentera devant l'organisme sans avocat, ne sachant pas qu'il est soumis à la règle de la meilleure preuve, puisqu'on fait référence aux règles ordinaires de la preuve en matière civile. Alors, ça voudrait dire que la preuve par témoin, M. le Président, n'est pas acceptable parce qu'elle ne respecte pas la règle de la meilleure preuve, qui est le document. Alors, je ne sais pas si c'est l'objectif du ministre.

(15 h 40)

M. Bégin: Non. Très intéressante question parce que la réponse dépend du point de départ qu'on a. Le texte de loi qui est là doit se mesurer par rapport à la situation qui prévaut actuellement. Ce qui prévaut actuellement est beaucoup plus souple...

M. Lefebvre: Large.

M. Bégin: ... – large, le meilleur mot est large et non pas souple – que maintenant. Autrement dit, on veut resserrer un petit peu les règles pour pas que n'importe quoi soit là. Et on a aussi utilisé un mot que l'on retrouve au deuxième alinéa, à la deuxième ligne, qui est: «il peut». Autrement dit, il n'est pas obligé. On dit: «Il décide de la recevabilité des éléments et des moyens de preuve et il peut, à cette fin...» Donc, il n'est pas obligé, mais il peut. C'est resserré un petit peu par rapport à n'importe quoi qu'on a dans certains endroits – je n'irai pas plus loin dans mon commentaire, mais vous comprenez ce que je veux dire – mais on ne veut pas non plus entrer le Tribunal avec toutes ses règles et toutes ses obligations. Vous venez de donner un exemple parfait: Un individu qui n'est pas représenté, la meilleure preuve pour lui, il ne sait pas ce que c'est et il va être vraiment mal pris si on doit suivre strictement toutes ces règles-là. Donc, introduire les règles de matière civile serait préjudiciable dans certaines situations, nombreuses en tout cas.

M. Lefebvre: Vous laissez au président du Tribunal...

M. Bégin: Exact, le soin d'apprécier...

M. Lefebvre: Dépendamment des circonstances.

M. Bégin: ...compte tenu des circonstances, de mesurer le poids de chacun des éléments qui sont là et de permettre... On n'est pas pour dire «en matière civile», «en matière commerciale», «la preuve par témoin» ou «pas de preuve par témoin», «tel montant en matière civile par rapport à une autre», et ainsi de suite, ou en matière commerciale. Donc, il faut qu'on ait de la part du Tribunal une obligation de suivre des règles quand même assez bien précises, mais, d'autre part, qu'on lui permette de s'ajuster à la situation qui est devant lui et à la personne qui est devant lui.

Alors, c'est ça qu'on tente... C'est pour ça que je dis qu'on part du point qu'on connaît actuellement. Ce n'est pas arbitrairement ou in abstracto qu'on fait ça, mais par rapport à une situation réelle. Donc, mon commentaire va à partir de là.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Frontenac, ça va?

M. Lefebvre: J'ai l'explication, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): Alors, d'autres questions ou commentaires sur le texte de l'article 10 tel que modifié?

M. Bégin: Adopté.

Le Président (M. Paquin): Adopté. Alors, c'est adopté. L'article 11. M. le ministre.

M. Bégin: Alors, évidemment, on comprend plusieurs éléments dans cet article, plusieurs paragraphes, mais ils visent tous à faire en sorte que l'organisme s'assure que le débat ait lieu dans le meilleur format possible, si vous me permettez cette expression. Donc, à la fois donner l'occasion aux parties de prouver les faits qui sont au soutien de leurs prétentions, de faire le débat là-dessus, d'apporter, aussi de la part du Tribunal l'aide qu'une des parties... et là ça rejoint ce que M. le député de Frontenac disait tantôt quand il parlait du secours équitable. On voit que l'individu qui n'est pas représenté par avocat a besoin d'aide beaucoup plus que celui qui est représenté. Si l'administration, entre autres, par exemple, est représentée par un avocat et le citoyen est seul, un secours équitable et impartial, bien, il faut qu'on aide le citoyen, mais, d'un autre côté, il ne faut pas non plus rendre le fardeau de la preuve pour l'administration impossible à faire.

Le paragraphe 4° est fondamental, je pense que le Barreau y tient: «de permettre à chacune des parties d'être assistée ou représentée par les personnes habilitées par la loi à cet effet.» Donc, on n'a ni rétréci ni élargi. On a gardé, comme je l'ai dit au forum du Barreau le 17 octobre, le 18 octobre, le statu quo.

Donc, il y a aussi, dans le premier paragraphe de 11, un élément important: «de prendre des mesures pour délimiter le débat et, s'il y a lieu, de favoriser le rapprochement des parties.» C'est un peu ce qu'on a introduit plus loin. Je n'ai encore une fois pas le numéro par coeur, mais je tombe pile dessus, à 121.1°, qui est la conciliation. Donc, on veut faire en sorte qu'on évite autant que possible la confrontation, si on est en mesure de le faire, mais sans brimer les droits de la partie. Donc, encore une fois, des concepts qui sont un peu codifiés. Ce n'est pas des choses tout à fait neuves, mais il y a des concepts qui, eux, sont peut-être un peu nouveaux, comme on dit: «un secours équitable et impartial», ce n'est pas une expression qu'on retrouve dans notre législation.

Je pense qu'on connaît et qu'on comprend maintenant à peu près le sens général de cette disposition. Au fur et à mesure que le temps va avancer, le Tribunal aura l'occasion de se pencher dessus et de mieux cerner le concept pour que tout le monde sache exactement à quoi ça réfère, tout en étant convaincu aujourd'hui que c'est suffisamment clair pour aider le Tribunal à se comporter, de même que les parties...

Le Président (M. Paquin): Est-ce qu'on prend les paragraphes un par un ou si on les prend dans l'ensemble?

M. Bégin: S'il y a des commentaires par paragraphe, moi, je pense qu'on pourrait les faire un par un.

M. Mulcair: Nous, on peut y aller dans l'ensemble, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): Dans l'ensemble, d'accord, on parlera sur l'ensemble.

M. Mulcair: Ça va, M. le Président, on n'a pas de suggestions ou de modifications à l'article 11.

Le Président (M. Paquin): Alors...

M. Mulcair: Pardon, excusez-moi, mon collègue le député de Frontenac...

Le Président (M. Paquin): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Est-ce que, selon le ministre, le sous-paragraphe où on parle de «secours équitable et impartial», ça pourrait aller jusqu'à permettre et même obliger le président du Tribunal – selon ce que le ministre a à l'esprit et veut suggérer par 11.3°, le législateur ne parlant pas pour ne rien dire – dans certains cas, à suspendre l'audience, à indiquer à un des requérants justiciables qu'il y aurait lieu pour lui ou pour elle de retourner à la maison et de parfaire sa preuve et reporter l'audience à plus tard? «Si nécessaire, d'apporter à chacune des parties, lors de l'audience, un secours équitable et impartial», c'est énorme, ça, comme... pas obligation qu'on crée au président du Tribunal, mais c'est presque une obligation, M. le Président, d'amener le président du Tribunal à agir comme conseil au requérant justiciable, et, dans certains cas, ça pourrait vouloir dire suspendre l'audience, remettre l'audition à plus tard. Est-ce que ça pourrait aller jusque-là, selon l'interprétation que le ministre veut donner au sous-paragraphe 3° de l'article 11, «secours équitable»?

M. Bégin: Bien, moi, je pense que, si, effectivement, le président du Tribunal constate qu'il pourrait y avoir une preuve adéquate qui serait présentée...

M. Lefebvre: Plus complète.

M. Bégin: ...et que la personne, de toute évidence, n'est pas prête ou n'a pas les renseignements qu'il faut, n'a pas, à la limite, le témoin, mais qu'on sent – le Tribunal va le juger – qui serait disponible si on accordait un ajournement, je pense que, sans qu'on tombe dans des abus, il devrait, dans cette situation-là, dire: Monsieur, j'ajourne, je vous donne trois jours, une semaine, je ne sais pas combien de temps, pour permettre de compléter votre preuve, d'apporter, entre autres, tel document, tel document ou tel témoin, de vous informer. Je pense que ça va assez loin, ces questions-là. Parce que, ce que l'on veut, c'est que la personne ait une audition impartiale, mais où on a aussi toutes les chances du monde. Ce n'est pas parce qu'on a choisi de ne pas être représenté par un avocat qu'on ne doit pas non plus avoir justice devant le Tribunal.

Bien sûr que ça alourdit un peu le fonctionnement, mais les tribunaux sont habitués à aider les parties qui ne sont pas représentées. Là, vous posez un problème un peu plus loin. Devant les tribunaux judiciaires, je vois mal comment ça pourrait fonctionner, mais devant un tribunal administratif, il me semble que ça peut aller jusque-là, oui. Mais il ne faut pas, dans tous les cas...

M. Lefebvre: Je pense que le ministre s'inspire un petit peu de ce qui peut se passer, entre autres, devant la Cour des petites créances, où le juge est en même temps président du tribunal et conseille et au demandeur et au défendeur. Son objectif, l'objectif du juge, c'est que la justice soit rendue.

M. Bégin: C'est ça. Donc, je pense que ça va jusque-là. Évidemment, il ne faudrait pas que ce soit une pratique journalière.

M. Lefebvre: Non, non, je comprends. Ça va.

M. Mulcair: M. le Président, il est intéressant de noter au paragraphe 1° de l'article 11 que le ministre vise justement à encourager et même à favoriser le rapprochement des parties, que toute forme de médiation existe et devrait exister à plusieurs endroits. Je rappelle amicalement au ministre qu'il existe une loi sur la médiation familiale qui dort sur les tablettes dans son ministère, qui dort tranquillement avec les 10 000 000 $ qui ont déjà été prélevés à même les fonds publics pour voir à son application. Alors, j'espère que cet élan d'intérêt pour le rapprochement des parties et la médiation va se poursuivre et qu'on verra bientôt l'entrée en vigueur de cette importante loi, sans laquelle beaucoup de gens, dans des moments très difficiles et vulnérables de leur vie, sont malheureusement la proie de personnes qui n'ont pas nécessairement leur intérêt à coeur.

M. Bégin: Alors, je vois que nous partageons les mêmes objectifs. Et je réfère à 976 du Code de procédure civile, et ça, c'est intéressant: «Le juge, qui procède lui-même à l'interrogatoire – et là on donne un guide au juge – apporte à chacun un secours équitable et impartial de façon à faire apparaître le droit et à en assurer la sanction.» On voit que ça s'inspire de concepts, mais là on dit: C'est le devoir du juge et de... telle affaire, hein. Pas d'autres commentaires, M. le Président.

M. Lefebvre: Le droit, c'est le gros bon sens.

Le Président (M. Paquin): Alors, est-ce que ça va pour l'article 11?

M. Bégin: Adopté.

M. Mulcair: Adopté.

Le Président (M. Paquin): Adopté. Article 12: «Toute décision rendue par l'organisme doit être communiquée en termes clairs et concis aux parties et aux autres personnes indiquées dans la loi.

(15 h 50)

«La décision terminant une affaire doit être écrite et motivée, même si elle a été portée oralement à la connaissance des parties.»

M. Bégin: Bien, on a déjà eu un peu l'occasion de parler de cet article, M. le Président. Je pense qu'il est important qu'une partie qui a été dans un litige ait une décision claire, qu'elle peut comprendre, qui n'est pas un roman-fleuve de 90 pages, qui est bien structurée, pour que la personne sache de quoi il s'agit. Elle doit être écrite et ça doit être motivé. Et ça n'est pas la prétention que, parce que la personne, oralement au Tribunal par exemple, aurait dit spontanément: La demande est rejetée, que c'est suffisant pour dire qu'elle a été bien informée. Il faut qu'elle ait l'occasion d'avoir toute la motivation qui justifie la décision. Et ça, c'est un processus fondamental et, comme je le disais au député de Frontenac ce matin, c'est le pendant de l'article 7 – c'est ça, je le rappelle – où on doit, encore une fois, se comporter de façon à ce que le justiciable ait toute l'information requise qui le concerne. Voilà.

M. Lefebvre: M. le Président.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: Je comprends. Ce matin, on avait un peu badiné lorsqu'on faisait le parallèle entre 7 et 12. Je comprends qu'à 7 on parle d'autorité administrative et qu'à 12 on parle d'organisme, alors ce n'est pas le même pouvoir, sauf que, au-delà de ça, on est dans le même secteur d'activité, là, de justice administrative au sens large. Il me semble que, si on dit à 7 que l'autorité administrative motive une décision défavorable, laissant entendre qu'on ne motive pas la décision favorable, et qu'à 12, parlant là de l'organisme, on motive toutes les décisions, favorables comme non favorables... Bien, c'est ce que je lis: «Toute décision rendue par l'organisme doit être communiquée en termes clairs et concis aux parties.» «Termes clairs et concis aux parties», moi, dans mon esprit, ça veut dire «motivée».

M. Bégin: Oui, mais vous auriez raison, M. le député de Frontenac, si on ne retrouvait pas au deuxième alinéa: «La décision terminant une affaire doit être écrite et motivée...» Donc, si on a pris la peine de dire au deuxième alinéa qu'une décision qui termine une affaire doit être écrite et motivée, implicitement ça veut dire que l'obligation n'existe pas à l'égard d'une décision qui serait autre, quoiqu'elle doive être en termes clairs et concis.

M. Lefebvre: Qui n'est pas finale... «Qui termine une affaire».

M. Bégin: «Qui termine», à mon point de vue, ce n'est pas une décision incidente.

M. Lefebvre: Non appelable.

M. Bégin: Par exemple, on accepte ou on rejette la preuve, on accepte...

M. Lefebvre: Une décision sur le fond.

M. Bégin: C'est une décision sur le fond, donc «terminant une affaire doit être écrite et motivée»... Alors, toute décision rendue par l'organisme, qui ne termine pas une affaire, mais aussi qui est favorable, doit être écrite et motivée, même si elle a été portée oralement à la connaissance des parties. Je pense que c'est là qu'on doit avoir la motivation.

M. Lefebvre: Mais, M. le Président, ça ne répond pas à mon questionnement. La décision terminant une affaire, qu'elle soit ou non favorable, implicitement doit être écrite et motivée, alors qu'à 7 c'est la décision défavorable seulement qui est motivée. La seule nuance, la seule réponse que peut me donner le ministre, si on se réfère à son texte, c'est qu'à 7 on parle d'autorité administrative et à 12 on parle d'organisme.

M. Bégin: Dans le...

M. Lefebvre: Alors, parce que l'autorité est différente, le principe...

M. Bégin: Non, c'est parce que ce n'est pas la même situation. Lorsque l'administration rend une décision, elle est par le fait même informée, et il y a une seule partie qui est en cause, c'est la partie autre, qui est le citoyen. Dans le cas actuel, on a trois personnes: il y a le Tribunal et deux parties. Par hypothèse, il y en a un qui gagne puis il y en a un qui perd. C'est ça qui est le lot des décisions, qu'elles soient administratives ou judiciaires. Mais là il y a une partie qui perd et, à ce moment-là...

M. Lefebvre: Ça change quoi, ça? Ça change quoi, ça?

M. Bégin: Bien, c'est qu'il y en a une qui est une décision défavorable à l'égard d'une personne, donc qui doit être motivée.

M. Fournier: Si je peux juste me permettre, M. le Président. Je ne veux pas empêcher mon collègue de Frontenac...

M. Lefebvre: Non, non, allez-y.

Le Président (M. Paquin): M. le député de Châteauguay.

M. Fournier: J'écoutais mon collègue de Frontenac parler d'autorité administrative à l'article 7, puis, à l'article 12, il y a l'organisme, et je me souvenais qu'à l'article 8 il y avait l'organisme de l'ordre administratif. Donc, avec les articles 7, 8 et 12, on les a tous; ils sont tous regroupés là. Et je me souvenais qu'à l'article 8 aussi on avait enlevé le «autre autorité administrative» parce qu'on voulait mentionner que ça pouvait être cumulé. Donc, il n'y aurait pas nécessairement trois parties à l'article 12, comme le ministre vient de nous le dire, vu qu'on a enlevé le...

M. Bégin: Pas trois, deux.

M. Fournier: Alors, il y a deux parties aussi à 7. Il y a autant de parties à l'article 7...

M. Bégin: Non. C'est ça qui est la différence, justement.

M. Fournier: Le justiciable est tout seul.

M. Bégin: Me permettez-vous?

M. Fournier: Oui.

M. Bégin: Quand je me présente pour demander de l'aide sociale, il y a quelqu'un qui dit: Non. C'est qui? C'est l'administration, O.K. Mais là on n'est pas devant un tiers qui rend une décision, c'est l'administration elle-même. Elle est nécessairement informée, automatiquement. L'individu, l'administré, lui, il reçoit une décision favorable ou défavorable. On dit: Si elle est défavorable, elle doit être motivée. Ça, c'est au niveau administratif.

Lorsqu'on monte au niveau des articles 8 et suivants, on est dans une autre situation, on est devant soit le TAQ ou un autre organisme semblable au TAQ. Et là il y a deux personnes qui s'affrontent, un demandeur et un défendeur et l'administration et l'administré. Nécessairement, il y a une des deux parties qui a une décision qui lui est défavorable. Cette partie doit nécessairement avoir une décision motivée. C'est pourquoi, dans tous les cas, quand tu es devant le Tribunal, il y a toujours une décision motivée parce qu'il y a toujours une partie qui perd et on doit toujours motiver une décision défavorable.

M. Fournier: À moins que je n'aie pas compris lorsqu'on a touché l'article 8 sur la proposition du ministre qui demandait d'enlever le mot «autre». Si j'ai bien compris le ministre à propos de l'article 8, il disait: On enlève le «autre» parce que ça faisait sous-entendre qu'il y avait une troisième partie et que, parfois, les deux parties initiales – c'était l'administration avec un volet, disons, juridictionnel qui pouvait être de la même organisation administrative qui...

M. Bégin: Non, non, ce n'était pas ça. Il y avait une ambiguïté sur ce à quoi référait le mot «autre». Le réflexe du député de Chomedey a été de dire: C'est le Tribunal. Quand on le lit avec le mot «autre», on pense tout de suite au TAQ, alors que ce n'est pas à ça que ça réfère. Donc, il faut l'enlever parce que, dans l'article 8, il y a le TAQ, mais il y a aussi, prenons un exemple, la Commission d'accès à l'information qui siège en appel d'une décision d'un responsable de l'accès à l'information qui a refusé à un citoyen l'accès, donc à ce moment-là elle agit comme le TAQ dans d'autres domaines, et ça, c'est une autorité administrative. Mais le «autre» qui était là semblait référer au Tribunal, puis ce n'était pas ça. Alors, il fallait dire – là, je ne me rappelle plus de l'expression qu'on a dite: «...institué pour trancher des litiges opposant un administré à une autorité administrative...» Mais ce n'est pas par opposition à l'autorité administrative qui est le TAQ ou la CAI, c'est l'autorité administrative qui rend la décision de première ligne.

M. Fournier: Qui peut être de la même administration; qui peut être de la même machine.

M. Bégin: Ce n'est pas la même chose. Je m'excuse, peut-être que ce n'est pas évident, mais...

M. Fournier: Non, non. Justement, j'ai l'impression que – c'est ce que je veux conclure de l'article 12 – lorsqu'on dit: «aviser aux parties», vous avez laissé entendre que la différence entre les articles 12 et 7 était qu'à l'article 12 il y avait forcément une des parties qui n'allait pas être informée de la décision défavorable.

M. Bégin: Non. Il y aura toujours une des parties qui recevra une décision défavorable, soit l'administration qui aura perdu ou l'administré qui aura perdu. Mais, dans les deux cas, il y aura quelqu'un qui aura une décision défavorable. Donc, comme on doit justifier une décision défavorable ou la motiver, automatiquement, dans l'article 12, il y aura toujours une décision motivée et écrite.

Le Président (M. Paquin): Est-ce que ça va, M. le député de Châteauguay?

M. Fournier: Je ne voudrais pas paralyser les travaux de la commission, je vais compléter mon analyse et...

M. Bégin: Faites un acte de foi, M. le député.

M. Lefebvre: Vous continuerez à réfléchir en fin de semaine.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Paquin): Ce que j'en ai compris, moi, c'est que, sur la base du fait qu'il y a toujours un perdant, on va toujours motiver.

(16 heures)

M. Fournier: Oui, je comprends, M. le Président, mais c'est parce que, si on suivait cette logique-là, il faut bien se dire qu'à l'article 7 il y a aussi un perdant. C'est l'administration qui dit: Je rends une décision favorable à l'administré. Elle est défavorable à elle-même dans ça. C'est la même logique qui s'applique si on suit ça.

M. Bégin: Ha, ha, ha! Non, non.

M. Lefebvre: M. le Président, au caucus on est habitué: il faut répéter, avec lui.

M. Bégin: Le député de Châteauguay se surpasse.

Le Président (M. Paquin): Alors, concernant l'article 12, d'autres commentaires ou questions? L'article est-il adopté?

M. Mulcair: Sur division, M. le Président.

M. Bégin: Adopté.

Le Président (M. Paquin): Adopté sur division. J'appelle maintenant – et je le nuancerai – le deuxième alinéa de l'article 13. Alors, je vais m'expliquer un peu, là. Je vous demande d'être attentifs parce que le deuxième alinéa de l'article 13 contient deux alinéas. J'y vais lentement. L'article 13 initial avait deux alinéas. Le premier a été adopté le 3 septembre. Le deuxième alinéa a été amendé et remplacé par un texte qui en contient deux mais n'a pas été adopté. Alors, nous en sommes donc à ce deuxième alinéa qui contient deux parties: le sous-alinéa un et le sous-alinéa deux dont on peut débattre avant d'adopter l'ensemble de l'article. Si c'est bien clair, M. le ministre, la parole est à vous.

M. Bégin: Donc, l'article 13 vise à constituer ou à instituer le Tribunal administratif du Québec. Le deuxième alinéa dit les fonctions que ce Tribunal aura dans l'avenir, et on dit «dans les cas prévus par la loi». Donc, comme on en a déjà discuté dans des articles antérieurs et en parlant de la liste entre autres, on sait que ce sera là qu'il y aura l'attribution de juridiction, et je pense que ça couvre les cas. Ensuite, bien sûr qu'il exerce sa compétence, ce Tribunal-là, à l'exclusion de tout autre tribunal ou organisme juridictionnel. Donc, la loi qui attribue la juridiction dit que c'est une juridiction exclusive, et c'est donc cet organisme qui se voit attribuer le pouvoir de décider, finalement, de chaque cas qui lui est soumis en vertu de la loi constitutive.

Alors, je ne me rappelle pas les commentaires que mon collègue avait faits, les objections pour lesquelles il avait demandé de suspendre. Peut-être pourrait-il alimenter le débat en reprenant ce qu'il avait dit. Moi, je vous dis la compréhension que j'ai du texte, mais là il y avait ses réserves, que j'ai oubliées, malheureusement.

Le Président (M. Paquin): En fait, l'amendement qui a donné naissance à ce nouvel alinéa visait à remplacer le deuxième alinéa de l'article 13 initial, ce qui fait qu'il nous faut parler de l'ensemble. L'amendement est adopté. Il nous reste à adopter la proposition, mais on peut encore débattre de l'ensemble de ces deux sous-alinéas si on veut. M. le député de Chomedey.

M. Mulcair: Merci, M. le Président. Je pense que, effectivement, il faut parler de l'ensemble. Ça nous renvoie à nos discussions du début, hier, parce qu'il reste deux problèmes fondamentaux avec notre approche ici, et, à notre sens, les deux sont interreliés.

On a eu, à plusieurs reprises, l'occasion de mentionner, et ce, depuis 1995, lorsqu'on a commencé à regarder les premières propositions de reforme, qu'il fallait faire attention, d'un côté, de ne pas créer un tribunal si large qu'on allait créer une masse critique qui aurait suffisamment de gravité pour attirer l'application des règles énoncées par la Cour suprême dans l'arrêt Valente.

Par ailleurs, d'autres commentateurs – et on partage leurs craintes – ont déjà exprimé leurs préoccupations concernant l'applicabilité possible de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, et, encore une fois, d'après les auteurs et la doctrine, les deux sont reliés. Je m'explique. Dans un article paru dans La Revue du Barreau , le numéro de novembre-décembre 1995, Gilles Pépin, illustre auteur et professeur, à plusieurs reprises, attire notre attention sur le danger qui nous guette avec l'adoption de l'article 13 et avec l'adoption d'un tribunal qui aura de tels pouvoirs. Dans l'article, il recense la jurisprudence la plus récente, notamment la cause MacMillan Bloedel, qui venait d'être rendue par le Cour suprême du Canada. Rappelons que, dans la cause MacMillan Bloedel, il s'agissait d'un jeune de 17 ans qui avait été pris une deuxième fois en train d'enfreindre une ordonnance du tribunal qui interdisait de faire des protêts dans la forêt. Il y avait une législation provinciale qui disait que toute cause concernant un mineur devait être entendue par un tribunal inférieur. La question était de savoir si, lorsqu'il s'agissait d'enfreindre une ordonnance de la Cour supérieure, la personne pouvait être condamnée pour outrage au tribunal ex facie, c'est-à-dire en dehors de la présence du tribunal, malgré cette exclusion pour les causes concernant les mineurs qui devaient être entendues dans ce tribunal inférieur. Il a été décidé par une majorité de la Cour suprême qu'on ne pouvait pas saper les caractéristiques intrinsèques d'un tribunal supérieur, telles qu'édictées en vertu de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Ça, c'est fondamental dans notre Constitution, M. le Président, parce qu'on veut créer des organismes, des tribunaux qui peuvent décider des choses à un certain niveau, et ce, d'une manière pancanadienne. Il y a d'autres jurisprudences qui disent qu'une province peut déléguer à ces tribunaux-là tous les pouvoirs qu'elle veut. Même si les membres sont nommés et rémunérés par le fédéral, le législateur provincial peut dire que telle ou telle chose va être décidée par la Cour supérieure dans notre cas – ça s'appelle autrement selon la province. Ça, c'est de la jurisprudence, notamment en provenance des Maritimes, qui vient nous dire ça.

Mais, plus spécifiquement, vers la fin de son très intéressant article, le professeur Pépin nous dit ceci aux pages 608 et 609: «La capacité des tribunaux administratifs d'exercer des compétences judiciaires au sens de l'article 96, y compris des juridictions historiquement du ressort des "cours de 96", ne peut qu'attirer l'attention sur la question – et ça, c'est son terme, pas le mien, M. le Président – cosmique du statut de leurs membres. Convient-il que des personnes n'offrant pas des garanties minimales d'indépendance puissent, à l'instar des juges des cours supérieures et inférieures, exercer de semblables responsabilités? La Cour suprême a commencé à s'intéresser à cet important sujet en janvier 1995, dans un arrêt Bande indienne de Matsqui. L'Assemblée nationale du Québec a pris les devants en 1975 en adoptant l'article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne, un texte de valeur quasi constitutionnelle. L'article 23 reconnaît à une personne le droit d'être jugée par un "tribunal indépendant", lorsque ce tribunal "détermine des droits et obligations". Il serait intéressant de passer au crible de l'article 96 certains articles du projet de Loi sur la justice administrative déposé à l'Assemblée nationale, le 15 décembre 1995», ce dont on parle aujourd'hui, M. le Président.

Il continue en disant... Bien, il donne des exemples à l'intérieur de la loi. Il donne l'article 132, à l'époque, comme exemple «pour ne citer qu'un autre texte, porte que: "Toute partie peut présenter tout moyen pertinent de droit de ou de fait pour la détermination de ses droits et obligations".» Donc, il est en train de nous montrer qu'on a vraiment créé quelque chose qui peut être perçu comme étant à l'intérieur de 96. «Plusieurs seraient peut-être enclins à penser que le tribunal, formé de juristes et non-juristes, exercerait une juridiction d'appel de novo, une expression...» Bon, il continue, donne une analogie avec ce qui se passe en France. Il donne une comparaison surtout. Il continue en disant: «Si l'article 13 du projet de loi n° 130 avait pour objet de confier par la bande [...] de telles responsabilités – le tribunal supérieur – au Tribunal administratif du Québec, son numéro 13 serait probablement un présage du sort qui lui serait réservé lorsqu'il serait passé au crible de l'article 96.» Il fait évidemment référence au fait que le numéro 13 est censé être un numéro malchanceux.

M. Bégin: On va renuméroter. Ha, ha, ha!

Le Président (M. Paquin): C'est l'ancien ou le nouveau libellé?

M. Mulcair: Il s'agissait à l'époque de l'ancien libellé, mais le problème demeure entier, à notre sens, parce que, lors du forum auquel on a fait référence à plusieurs reprises, plusieurs intervenants sont venus expliquer que, effectivement, la tendance jurisprudentielle assez constante, c'est que, à chaque fois que quelqu'un essayait de dire qu'un juge d'un tribunal administratif n'avait pas suffisamment de garanties d'autonomie et d'indépendance, les tribunaux qui avaient analysé ça avaient tendance à dire: Un instant! Il y a une différence fondamentale entre ce que fait un tribunal administratif qui relève d'un ministère et qui s'occupe d'un domaine archispécialisé... Le niveau des garanties d'autonomie et d'indépendance en matière de nomination et de reconduction n'est pas du tout la même chose que pour un tribunal proprement dit, créé aux termes de la loi ou de la constitution et qui vise à protéger des droits autrement plus fondamentaux.

(16 h 10)

Donc, la nécessité, par exemple... Parce que, ça aussi, ça se retrouve dans la Constitution canadienne. Pour ce qui est des juges au niveau fédéral, aux articles 100 et 101, si ma mémoire est bonne, il y a d'autres articles qui traitent de ça; puis au provincial les mêmes garanties ressortent par l'article 23, par exemple, de la Charte québécoise, qui dit qu'on a le droit d'être entendu par un tribunal indépendant. Donc, ces garanties-là se retrouvent dans les deux autres constitutions, provinciale et fédérale.

Mais toujours est-il que, en créant quelque chose qui émule à ce point-là le système des tribunaux judiciaires – et ça, c'est un propos qu'on tient depuis le début dans ce débat – en calquant la structure des tribunaux de droit commun, en érigeant un système qui fait en sorte que le Tribunal administratif du Québec n'est pas un tribunal administratif qui juge de quelque chose d'une manière ponctuelle et déterminée à l'intérieur d'un domaine précis et propre, mais bel et bien... Et son titre le dit si bien, le Tribunal administratif du Québec, nonobstant le fait que, effectivement, il y a des choses qui lui échappent ça et là, ça devient effectivement le Tribunal administratif du Québec. Ça va être au moins aussi gros que la Cour du Québec, sinon plus gros, en termes de structure, de personnel et de tout ce que cela va impliquer. Ça va certainement être plus gros que les cours municipales, qui... Encore une fois, la Cour suprême a eu à regarder cette question des cours municipales, a donné certaines limites, et dit: Ce n'est pas tout à fait la même chose parce que ce qui est en cause n'est pas aussi important.

Mais ce qui est en cause ici, ce sont des choses, pour certaines d'entre elles, qui étaient déjà décidées par la Cour du Québec avec cette garantie d'autonomie et d'indépendance. Alors, quand on dit que la question des appels est intimement reliée à la question de l'autonomie et de l'indépendance, c'est parce que, du moment que tu dis que tu ne peux pas aller ailleurs pour faire valider ce qui s'est passé devant le Tribunal administratif du Québec, tu es en train d'ajouter un élément de plus qui milite en faveur de l'octroi d'une garantie d'autonomie et d'indépendance qui est au même niveau que les garanties qui doivent être données aux tribunaux judiciaires et qui sont expliquées en long et en large par la Cour suprême dans l'arrêt Valente. Quelques exemples: inamovibilité, pensions de retraite, conditions de travail adéquates, salaires avec lesquels on ne commencerait pas à jouer pour ne pas affecter l'autonomie et l'indépendance. Voilà donc, en quelques phrases seulement, le point sur lequel ça achoppe à l'heure actuelle à l'égard de l'article 13 et à l'égard de l'approche du ministre là-dedans.

On a eu l'agréable occasion de discuter tantôt à huis clos – c'était demandé d'office – de certains sujets, et je vous avoue, M. le Président, que je ne me souviens plus si ça a été dit ici, «on the record», ou lors d'une de nos discussions informelles, mais j'ai référé à l'article de 1995 de Gilles Pépin. Je peux aussi référer le ministre au fait que le Barreau lui a soulevé ça dans sa lettre au cours de l'été dernier. Cette question de l'autonomie et de l'indépendance des membres, c'est une question qui est sur la table depuis un bon moment, et, juste pour la citer, la lettre du Barreau disait, à la page 5, en ce qui concerne la juridiction du Tribunal: «C'est en prenant connaissance de l'avant-projet de loi d'application qu'on est en mesure d'apprécier l'étendue de la juridiction du Tribunal proposé. Fait à noter, plusieurs dispositions de l'avant-projet de loi d'application affectent les pouvoirs généraux du Tribunal prévus à l'article 14 du projet de loi.» Et ils nous renvoient en note infrapaginale, par exemple, aux articles 65, 270 et 585 de l'avant-projet de loi, qui écartent spécifiquement, en partie, l'article 14 du projet de loi n° 130. «D'autres dispositions de l'avant-projet de loi d'application affectent les pouvoirs du Tribunal administratif du Québec sans toutefois faire mention de l'article 14 du projet de loi. C'est le cas, par exemple, des articles 25, 114 et 157 de l'avant-projet de loi.» Ils continuent en disant: «Le Barreau reviendra d'ailleurs sur ce sujet dans son mémoire concernant l'avant-projet de loi d'application.» Et là c'est cette phrase, surtout, qu'il faut retenir: «L'importance de l'étendue de la juridiction du Tribunal a-t-elle pour effet de faire de celui-ci une Cour supérieure au sens de l'article 96 sur la Loi constitutionnelle de 1867 dont les membres doivent être nommés par le gouvernement fédéral? Beau débat constitutionnel en perspective!»

Je tiens aussi à dire que, lors de nos différentes discussions avec le ministre, on lui a rappelé qu'on avait déjà mis certains éléments de solution ou pistes de solution sur la table lorsqu'on a discuté de ça en 1995 et plus tôt cette année. On avait parlé – c'était une suggestion – de voir si, pour assurer une plus grande indépendance lors de renominations, on n'enlèverait pas certains aspects aléatoires en faisant en sorte qu'il y aurait une sorte d'appel devant la commission des institutions de l'Assemblée nationale. Ce serait bipartite. Quelqu'un qui recevrait une recommandation de non-reconduction aurait quand même le droit de venir en quelque sorte plaider sa cause ou décider de ne pas plaider sa cause, mais il y aurait une sorte de manière externe d'assurer un oeil vigilant des élus sur ça, ce qui pourrait accroître les garanties d'impartialité et d'indépendance.

Dans son article auquel je viens de faire référence, Me Pépin rappelle la pratique qui a cours dans d'autres provinces et qui consiste à déposer certaines décisions en Cour supérieure, ce qui a pour effet de les mettre à l'abri d'une contestation de cette nature-là, et je réfère en particulier aux pages 580 et 581 de son article. Il réfère, par exemple, à la cause United Nurses of Alberta. Alors, il dit: «Dans un arrêt United Nurses of Alberta, de 1992, la Cour suprême a confirmé la validité de la technique législative qui permet, par un simple dépôt au greffe, de revêtir de l'autorité de jugements des cours supérieures des décisions prises par des cours inférieures ou des tribunaux administratifs, même si les juges des cours supérieures n'ont pas examiné ou approuvé ces décisions. Cette technique, qui facilite l'exécution sous contrainte des décisions, n'est pas incompatible avec l'article 96. En l'espèce, la violation d'une ordonnance d'une commission des relations de travail, simplement déposée au greffe de la Cour supérieure, a entraîné une condamnation pour outrage en matière criminelle, condamnation prononcée par un juge de la Cour supérieure. La Cour peut évidemment exercer son pouvoir de surveillance sur la validité de la décision déposée à son greffe; car cette décision n'est pas la sienne même si elle est revêtue de l'autorité d'un jugement de cour supérieure à des fins d'exécution forcée.» Voilà une autre piste de solution qui pourrait s'avérer intéressante.

Il y a une autre chose qui nous préoccupe, et le ministre a exprimé une certaine ouverture là-dessus, c'est le fait que les règles de nomination et de reconduction sont à ce point aléatoires qu'elles sont comprises non pas dans le texte de la loi elle-même, mais au contraire dans un règlement, ce qui, à notre sens, est apte à nouveau à amenuiser la confiance du public sur le plan pratique et, sur le plan juridique, à diminuer la viabilité du nouveau Tribunal administratif du Québec à l'égard d'une contestation fondée ou sur l'article 96 ou sur un manque d'autonomie et d'indépendance, que ce soit aux termes de la Charte québécoise ou de règles analogues au niveau fédéral. C'est pour ça qu'on dit depuis le début qu'il faut, d'un côté, assurer que les règles n'amoindrissent pas les droits... et je dois dire tout de suite, M. le Président, que je suis persuadé que le travail qu'on fait depuis deux jours dans cette commission a fait en sorte que la plupart de nos préoccupations en ce qui concerne la diminution possible des droits par interprétation ont été dissipées. On remercie le côté gouvernemental pour leur excellent travail et collaboration à cet égard-là. Je pense que tout le public en sort gagnant.

(16 h 20)

Ce qui nous inquiète avec 13, et c'est notre entrée en matière pour exprimer cette inquiétude, c'est que, si on ne fait rien pour bonifier le projet de loi ou les règles de nomination et de reconduction, on est en train d'exposer ce beau nouveau Tribunal administratif du Québec à une contestation qui risque de lui être fatale. Les seuls perdants là-dedans, ce n'est pas les membres du Tribunal. Eux, ils vont continuer à recevoir leur salaire et à avoir leur bureau. Les seuls perdants là-dedans vont être les contribuables, les administrés, les justiciables, les gens qui sont devant. Il y a des décisions qui risquent d'être renversées. Il y a de l'incertitude qui risque de s'instaurer. La dernière chose dont on a besoin dans un domaine comme celui-ci, c'est l'incertitude. C'est pourquoi, nous, on plaide avec le ministre pour qu'il démarre le Tribunal administratif du Québec sur une base solide, sur des fondations solides.

Et on revient, et c'est pour ça que c'est relié à la question des appels parce que, s'il y a un appel, s'il y a plus de garanties, c'est moins évident qu'on va attirer ou l'application de l'article 96 ou l'application des règles dans l'arrêt Valente. Et c'est pour ça qu'on dit que, peut-être en ajoutant la possibilité d'un appel à la Cour du Québec sur demande, c'est-à-dire sur permission d'appel, on pourrait faire d'une pierre deux coups: on augmente les droits des citoyens et on diminue les chances que la loi soit contestée avec succès.

On a eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, mais ça vaut la peine de le rappeler aujourd'hui: il est presque ironique que, à un moment où les membres de cette Assemblée nationale sont en train de débattre de cet important projet de loi, de la création d'une institution propre au droit québécois, on soit en train de faire en sorte que c'est seulement des juges nommés par le gouvernement fédéral, soit des juges de la Cour supérieure, qui vont avoir un mot à dire là-dessus par le biais d'une évocation en vertu de leur pouvoir de surintendance et de réforme.

Alors, j'arrêterai là pour l'instant, M. le Président. Je pense que le ministre est assez sensibilisé à notre préoccupation et à nos craintes à cet égard-là, et on aimerait juste savoir si, lui, il a des choses à nous suggérer ou à nous dire en ce qui concerne sa propre réflexion et son cheminement en cette matière.

Le Président (M. Paquin): M. le ministre.

M. Bégin: Alors, M. le Président, j'ai bien écouté ce que le député de Chomedey avait à dire là-dessus parce que je pense que ça ramène le débat aux derniers éléments qui peuvent être l'objet d'une discussion de fond et que ça rejoint aussi ce que je disais il y a 15 jours devant le forum qui a été fait par le Barreau sur le projet de loi sur la justice administrative. Je mentionnais dans ce discours qu'il y avait quatre débats, en principe, qui, au moment où on se parlaient, n'avaient pas été réglés: entre autres, il y avait celui de l'appel; celui du mode de nomination; il y avait la CALP; et il y avait également – j'ai un trou – les chartes, voilà.

Alors, je disais que, en ce qui concerne les chartes, le problème avait été résolu, puisque, suite à l'audition devant la commission parlementaire, j'avais décidé de retirer des dispositions qui modifiaient 23 et 56 de la Charte. Donc, ça constituait un problème réglé. En ce qui concerne la CALP, je pense que l'opposition est d'accord avec la décision que nous avons prise à cet égard de ne pas garder la forme que revêtait la CALP, c'est-à-dire un décideur accompagné de deux autres aviseurs qui participaient à la décision, donc le paritarisme. Et je pense que, là-dessus, ça allait assez bien.

Restaient donc les deux autres décisions, appel, et non pas le mode de nomination parce qu'il y avait eu entente. Je comprenais de la part, entre autres, du Barreau que dorénavant ils ne critiquaient plus le mode de nomination. Ils étaient d'accord avec la nouvelle façon de faire qui était inscrite dans le règlement, mais il restait cette question du renouvellement des mandats. Je rappelle à cet égard que, sous le renouvellement des mandats, j'avais initialement, dans le projet de loi, prévu qu'il n'y avait que deux renouvellements possibles après la nomination. Donc, c'était un maximum de 15 ans. En cours de route – je ne me rappelle pas la date – j'ai renoncé à cette limitation dans les mandats qui avait été demandée par de nombreuses personnes.

Donc, le député de Chomedey vient de reprendre en liant deux ou trois éléments pour parler de ce qui reste comme problèmes. Il a parlé de l'appel et du renouvellement en prenant le biais de l'article 96 de la Constitution de 1867. Pour ceux qui nous entourent qui ne sont pas avocats, l'article 96, c'est un mystère. Mais il faut savoir que c'est là qu'on attribue, dans le partage des pouvoirs entre les provinces et le fédéral, qui aura juridiction pour le tribunal de droit commun, celui qui est chargé en plus du pouvoir de surveillance et de contrôle de tous les autres organismes judiciaires ou quasi judiciaires à l'intérieur d'une province. Donc, l'article 96, c'est dire jusqu'où une province peut donner compétence à un tribunal qui relève de lui. Pour bien comprendre, il y a un exemple facile, c'est ce qui s'est passé en 1965 lorsque le Québec a fait passer la la juridiction de la Cour du Québec de 200 $ à 500 $. À ce moment-là, ça ne s'appelait pas la Cour du Québec, ça s'appelait la Cour provinciale.

M. Mulcair: Cour du magistrat.

M. Bégin: «C'était-u» encore «magistrat» à ce moment-là? Oui, je pense que vous avez raison, Cour du magistrat. C'est après, la Cour provinciale. La Cour du magistrat, donc, qui donnait une juridiction à ce qui est aujourd'hui la Cour du Québec, portait de 200 $ à 500 $. Donc, c'est un écart considérable. Il s'est posé la question de savoir: Est-ce que ça, c'est aller à l'encontre de l'article 96 de la Constitution, puisque, en faisant passer de 200 $ à 500 $, on élargit le nombre de dossiers, le type de causes, possiblement, qui seront entendues dorénavant par la Cour du magistrat? Alors, cette question a été portée jusqu'à la Cour suprême du Canada, qui a rendu une décision disant: Non, c'est parfait. C'est correct. On peut élargir la juridiction de la Cour du magistrat de 200 $ à 500 $.

Par la suite, s'inspirant de cette décision et avec l'évolution dans le temps, la juridiction est passée jusqu'à 15 000 $ au moment où je suis arrivé au poste de ministre de la Justice. Et, pour ceux et celles qui étaient là déjà, à l'époque, vous vous rappellerez qu'un des premiers sinon le premier projet de loi que j'ai présenté à l'Assemblée nationale, c'était le projet de loi 41, qui visait, entre autres choses, à augmenter la juridiction de la Cour – maintenant, qui est devenue la Cour provinciale – de 15 000 $ à 30 000 $. C'était un écart, et mon collègue, à l'époque, le député de Chomedey, nous avait dit à tout le monde que cette façon de faire entraînerait des contestations de mon article ou des dispositions que j'avais ajoutées à la loi en vertu de l'article 96 et que tout cela serait déclaré inconstitutionnel. Je le rappelle parce que c'était une approche qui n'est pas dénuée de sens, en ce sens que c'est un débat qui a cours depuis des dizaines et des dizaines d'années au Québec, mais aussi au niveau canadien. Je ne me rappelle plus de la fameuse décision, mais c'est la Commission des relations de travail versus... – ça date de 1949 si ma mémoire est fidèle – qui a traité pour la première fois de façon précise de cette question de l'article 96 – en tout cas, d'une manière moderne par opposition à ce qui a pu se passer au début du siècle – pour contester, et il y a eu une série de décisions qui ont porté là-dessus.

Bien sûr que nous avons, avant de faire ce que nous faisons, vu qu'on touche à des questions de juridictions, regardé si, oui ou non, on était en train de faire en sorte qu'on donnerait la possibilité à la cour d'invalider le Tribunal que nous créons. Donc, c'était une préoccupation et c'est pour ça que je rejoins le député en disant: Oui, c'est vrai, c'est une préoccupation légitime de savoir si, oui ou non, en agissant de la manière que l'on fait, on n'est pas en train de mettre en péril ce que nous désirons faire. Mais la conclusion à laquelle nous en sommes arrivés est à l'effet inverse de celle que tire le député de Chomedey, à l'effet qu'il n'y avait pas de danger.

Je dois dire que, oui, c'est vrai que, dès le point de départ, il a soulevé cette question devant cette commission, mais je dois dire que ça n'a été repris par personne d'autre que M. Pépin. Antérieurement, à ma connaissance, le mémoire a été rédigé par M. Pépin, alors c'est bien sûr que, quand je dis M. Pépin, il exprime deux fois la même affaire, mais c'est deux fois la même personne qui parle. À ce titre-là, quand M. Pépin rédige le mémoire du Barreau, alors vous le prenez comme mémoire du Barreau, M. Pépin, mais il est évident qu'il n'est pas deux personnes, là, hein? Dans ce sens-là, c'est une seule personne qui parle. M. Pépin est d'avis, avec le Barreau, que c'est comme ça.

Mais je vous fais remarquer que nous avons entendu à date 40 groupes avant de commencer les audiences publiques. On a eu 31 mémoires en 1995. Nous avons entendu 49 mémoires en février 1996. Nous en avons entendu 22 autres depuis. Alors, au total on a entendu 142 mémoires. C'est beaucoup de monde, ça, et je dois dire que...

Une voix: ...

M. Bégin: C'est ça. Alors, 141 au lieu de 142. Donc, on a entendu beaucoup de monde, et je dois dire que, à moins d'erreur de ma part, ça n'a pas fait l'objet de débats. Et Dieu sait, pourtant, qu'il y en a eu des bons, des clairs, des précis, pointus, larges. En fait, il y en a eu de tous les genres. Et il me semble que ça n'a pas fait l'objet des préoccupations de tous les avocats qui sont venus à titre individuel. Je pense à Denis Lemieux, à Jean-François Gosselin, à Bellemare. Il y a eu le Protecteur du citoyen, la Commission des droits de la personne à plusieurs reprises...

(16 h 30)

Une voix: Le professeur Garant.

M. Bégin: ...le professeur Garant lui-même, donc beaucoup de monde s'est prononcé là-dessus et personne n'a soulevé cette question-là. Ça ne veut pas dire qu'ils ont raison, mais ça veut dire que ce n'est pas une préoccupation aussi forte que celle que soulève le député de Chomedey. Je soumets que nous pouvons procéder sans avoir de crainte à l'égard de l'article 96 comme tel.

Ce qui nous ramène aux deux questions de fond qu'il soulève – qu'il reliait, lui, à 96 – qui sont: Est-ce que, oui ou non, il doit y avoir un appel des décisions rendues par le TAQ? Et est-ce que le mode de nomination ou de renouvellement des personnes doit ou non être modifié? Je pense que c'est peut-être l'occasion de traiter de ces questions-là et de voir s'il n'est pas possible de trouver des manières de fonctionner qui permettraient... peut-être sans être convaincu totalement que c'est parfait, mais au moins s'assurer qu'on a atteint probablement l'objectif que l'on visait.

L'appel. L'appel, il faut savoir qu'actuellement il y a trois organismes qui seront incorporés au TAQ dont les décisions sont appelables. L'un, le Tribunal de l'expropriation, c'est directement à la Cour d'appel. Il faut comprendre que c'est normal qu'il en soit ainsi, puisque les membres du Tribunal de l'expropriation sont des juges de la Cour du Québec et qu'il paraîtrait curieux qu'on en appelle devant le même tribunal d'une décision rendue par les membres du Tribunal de l'expropriation. Donc, l'appel se fait devant la Cour d'appel du Québec.

Le Bureau de révision de l'évaluation foncière, dont un membre célèbre est ici présent, qui assiste à nos débats, Me L'Écuyer... pas maître, excusez-moi. M. L'Écuyer, depuis longtemps... Ha, ha, ha! L'évaluateur. Il ne faudrait pas confondre. C'est lui faire injure, il ne faudrait pas lui faire injure.

M. Lefebvre: Vous l'aviez vexé en l'appelant maître.

M. Bégin: C'est ça. Alors, c'est pour ça que je corrige, là.

M. Lefebvre: Je l'ai vu sourire lorsque vous vous êtes excusé. Ha, ha, ha!

M. Bégin: J'essaie de me rattraper, mais, des fois, on fait plus de gaffes en ce faisant. Mais j'ai quand même tenté de le faire. Donc, les décisions du Bureau de révision de l'évaluation foncière, communément appelé le BREF, sont appelables devant la Cour du Québec et appelables également à la Cour d'appel, et ainsi de suite. J'ai eu le privilège de suivre ce chemin jusqu'à la Cour suprême du Canada.

Enfin, il y a le TAPTA, le Tribunal d'appel en matière de protection du territoire agricole, dont il y a appel à la Cour du Québec.

Les autres, CAS, CALP, il n'y a pas d'appel nulle part, ce sont des décisions finales. La CAS, on l'a vu ce matin, je ne sais pas si ça a été mentionné ici ouvertement, publiquement, mais c'est au-delà de 800 000 décisions par année.

M. Mulcair: 800 000?

M. Bégin: Oui, 800 000.

M. Mulcair: Ça a augmenté de 200 000 depuis ce matin. Ha, ha, ha!

M. Bégin: Non. Ah! J'ai peut-être parlé de la Sécurité du revenu. Mais, si je me trompe – là-dessus, même si on me disait que je me trompe, ça ne serait pas un grief – je parle d'ordre de grandeur.

M. Lefebvre: C'est le Sommet. C'est le Sommet, ça, M. le ministre.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bégin: Non, moi, je ne suis pas au sommet.

M. Mulcair: Il annonce des jobs. Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: Il en a annoncé 200 000, boum! Ha, ha, ha!

M. Bégin: Bref, il y a 2 400 000 décisions administratives rendues par année. Alors, prenez-en la grande majorité à la CAS et à la CALP, c'est le gros du volume, et on a notre résultat. Donc, ces décisions-là sont finales et sans appel. Je rappelle là-dessus – et quand on regarde l'appel – que les tribunaux supérieurs, depuis une vingtaine d'années, ont eu une attitude très variable, mais de plus en plus précise de leur rôle. Et, quand je dis les tribunaux supérieurs, je réfère à la Cour supérieure, à la Cour d'appel et à la Cour suprême du Canada, qui ont été sollicitées pour rendre des décisions pour casser, annuler, changer les décisions rendues par les organismes dont il n'y avait pas d'appel devant les tribunaux. C'est la procédure, qu'on appelle dans notre jargon d'avocats, du bref d'évocation, de l'évocation maintenant de la révision judiciaire, où on dit: La décision n'est pas appelable, mais il y a une erreur tellement grave dans la décision que, vous, la Cour supérieure, qui a, comme je l'ai dit tantôt, le pouvoir de surveillance et de contrôle sur tous les organismes inférieurs dans la province, vous devez vous saisir du dossier, casser, annuler, remplacer la décision qui a été rendue. Et, évidemment, par la suite, il y a appel de cette décision parce que, là, c'est automatique: de la Cour supérieure à la Cour d'appel et de la Cour d'appel avec permission d'aller en Cour suprême.

Dans un premier temps, les tribunaux supérieurs ont beaucoup accepté de telles requêtes ou de brefs d'évocation et ont beaucoup changé de décisions. Mais, peu à peu, au cours des années, les cours supérieures ont dit: Non, non, non, nous refusons de telles sortes... Et vous vous rappelez l'intervention de Me Bellemare, qui nous avait donné des statistiques pour dire qu'il y avait eu 263 demandes de révision qui avaient été accordées sur – je ne me rappelle plus le total, mais c'était assez impressionnant – demandes de bref d'évocation. Il y avait eu 263 cas où on l'avait accordé, ce qui avait été, pour certains, beaucoup; pour d'autres, très peu. Les avocats, en général, considèrent que c'est très peu parce qu'il y a seulement 263 appels, à toutes fins pratiques, qui sont formés puis il n'y en avait pas beaucoup qui étaient acceptés, il y en avait un lot moindre.

Donc, ce que je retiens de tout ça, c'est que des tribunaux supérieurs ont de plus en plus rétréci le nombre de dossiers dans lesquels ils acceptaient d'intervenir à partir de ce qu'on soumettait en disant que les tribunaux s'étaient trompés. Donc, un peu comme un appel. De telle sorte que, aujourd'hui, au moment où on se parle, obtenir une évocation, c'est un tour de force parce qu'il faut qu'on prouve à toutes fins pratiques que le tribunal inférieur s'est comporté de manière tout à fait aberrante, sans aucun bon sens. On est en face d'une décision que personne avec une tête sur les épaules n'aurait rendue. Je charrie un peu, mais je donne un peu l'image qui en est. De telle sorte que les avocats...

Et vous avez entendu le Barreau le dire: On ne veut pas d'évocations parce qu'il n'y en a plus qui sont accordées par les tribunaux. Si les tribunaux supérieurs ne révisent plus les décisions où il n'y a pas d'appel, c'est parce qu'ils calculent – et ils le disent – qu'ils ne doivent pas intervenir, le législateur ayant choisi de laisser à ces tribunaux le soin de décider, finalement, ce qui était bon, puisque ces organismes, ces tribunaux sont des organismes spécialisés et où la compétence se trouve. Ce n'est donc pas aux tribunaux supérieurs, qui n'ont pas cette expérience, de réviser ce qui a été rendu par d'autres.

Et ça va plus loin, la Cour suprême et la Cour d'appel ont même dit: Écoutez, quand il y a des chicanes qui se produisent à l'intérieur d'un organisme, il y a des courants jurisprudentiels qui s'établissent. Ne venez plus nous voir pour trancher entre la théorie a et la théorie b pour savoir lequel des deux a raison. On ne veut plus en entendre parler. C'est à l'organisme à trouver à l'intérieur une manière de solutionner ses propres conflits.

Ce que je retiens de tout ça, c'est que, dans le fond, les tribunaux supérieurs, les tribunaux canadiens – et là je le dis sans aucune référence politique – ont dit: Nous acceptons la façon de faire de rendre finales et sans appel les décisions en matière d'organisme administratif. Une fois ceci dit, ça veut dire que ce n'est pas une aberration de dire qu'une décision est finale et sans appel au niveau du TAQ. C'est donc même, je dirais, si je regarde la jurisprudence que je viens de mentionner, l'évidence. C'est ce que les tribunaux supérieurs veulent. Je comprends que le Barreau – dont les membres sont des avocats, et un avocat, c'est quelqu'un qui veut avoir tous les outils et toute la panoplie de moyens et de recours pour bien représenter son client – dit: On nous enlève la possibilité d'aller en appel et, en conséquence, on le demande. Je comprends ça, c'est légitime. Un avocat, s'il y avait possibilité, après la Cour suprême, de monter devant la Cour suprême de la Cour suprême de la Cour suprême, il le ferait jusqu'à temps qu'il ait gagné parce que, par essence, il n'accepte pas généralement que...

M. Lefebvre: C'est comme le référendum, ça.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Bégin: Ha, ha, ha!

M. Lefebvre: Un référendum à tous les deux ans jusqu'à temps qu'on gagne.

M. Bégin: Maudit! Et vlan! Mais redevenant sérieux...

Une voix: Ils sont convaincus...

M. Bégin: Il a réussi à me faire oublier ma phrase. Les avocats, donc – c'est normal, je le dis vraiment sans ironie – cherchent toujours à voir s'ils ne peuvent pas aller plus loin. C'est inhérent à la fonction d'un avocat de le penser comme ça, mais ça ne veut pas dire, parce qu'il le pense, qu'il a nécessairement raison et qu'il est nécessaire de lui donner raison.

Dans ce cas précis, jusqu'à aujourd'hui, j'ai mentionné que je comprenais assez bien – et je l'avais dit aux juges de la Cour du Québec qui étaient venus se présenter – que c'est vrai que, en tribunal de l'expropriation, en matière de révision d'évaluation foncière et en matière de protection du territoire agricole, il y avait déjà des appels historiquement prévus et que, là, on les enlevait. Moi, je n'achète pas l'argument de mon collègue le député de Chomedey à l'effet que, s'il y a appel, on a moins de risque de contestation – je l'ai mentionné tantôt – mais, par contre, je suis peut-être un peu plus sensible à l'argumentation de savoir si, oui ou non, on devrait, au cours de la réforme, garder les appels déjà existants plutôt que de les enlever. J'ai fait part privément au député de Chomedey que j'étais quand même ouvert à regarder cette possibilité, non pas de façon générale, mais plutôt de manière limitée comme ça.

(16 h 40)

J'étais content tantôt d'entendre le député de Chomedey parler de cette possibilité de transférer du règlement à la loi la question du mode de renouvellement. Il nous en avait fait part déjà, dans le passé, au tout début – et là-dessus d'autres le rejoignaient – en disant que ça créait une certaine insécurité de retrouver dans un règlement la manière dont les choses se tiendraient, que ça atténuerait considérablement les inquiétudes – je ne veux pas aller au-delà de ce qu'il pense, puis, en tout cas, d'autres l'ont dit comme ça – si, au lieu d'être inscrites dans le règlement, ces dispositions qui visent à décrire le processus, comment ça fonctionnerait... ça rendrait les choses beaucoup plus acceptables. Je ne dis pas que c'est le bonheur parfait, mais quelque chose qui est substantif et possible.

Moi, si c'était la façon d'arriver à dire que, sans que ce soit parfait, sans qu'on soit nécessairement tout à fait d'accord ou que ce ne soit pas la manière qu'on l'aurait fait soi-même, c'est une manière acceptable, moi, je pense que ça pourrait être pensable. Et, là-dessus, moi, je pense qu'il serait peut-être sage que, ayant exprimé chacun notre point de vue sur ces questions-là, on prenne quelques minutes peut-être pour parler, échanger et voir si des choses peuvent être regardées de façon différente.

M. Mulcair: C'est quoi, votre expression, M. Bégin? Ça me sied. Ha, ha, ha!

M. Bégin: Ça me sied. Ça me sied.

M. Mulcair: Ça m'agrée. Si vous êtes d'accord aussi, M. le Président.

Le Président (M. Paquin): Il y a quand même le député de Frontenac qui a demandé la parole.

M. Lefebvre: Oui.

Le Président (M. Paquin): Disons, sous réserve de la lui accorder, je serais ouvert à ça.

M. Lefebvre: Je n'ai pas l'intention, M. le Président, d'utiliser le 20 minutes auquel j'ai droit.

Évidemment, comme mon collègue de Chomedey, d'autres députés de notre formation et d'autres observateurs au Québec, on regarde le ministre de la Justice aller, fonctionner et, moi, je trouve assez inquiétant et questionnable... Le ministre de la Justice nous donne l'impression que, si le Barreau est en désaccord avec ses intentions, le ministre est correct. On l'a vu dans la réforme de l'aide juridique: le Barreau est contre, le ministre dit: Je suis correct. La réforme de la justice administrative: le Barreau est contre, le ministre dit: Je suis correct. Puis, le Barreau, c'est rien que 18 000 juristes, M. le Président.

Quand le Barreau du Québec parle, il parle au nom de 18 000, plus ou moins, avocats et avocates au Québec qui, sauf exception, dans leur quotidien, s'occupent des choses de la justice au Québec. Leur rôle, leur responsabilité, ce n'est pas de faire de la plomberie, c'est de voir à protéger les intérêts des Québécois et des Québécoises devant les tribunaux, tous les tribunaux. C'est couper trop court que de dire: Bien, les avocats veulent protéger leurs intérêts. Bien oui, ça a tout le temps été, M. le Président, la double mission du Barreau du Québec. On en a toujours... Ce n'est pas la première fois qu'on soulève ça. La responsabilité du Barreau, c'est de protéger les intérêts du public puis de protéger en même temps les intérêts de ses membres. Ce n'est pas contradictoire, ça ne s'affronte pas, mais il y a des fois où ça peut en donner l'impression. Mais il m'apparaît que c'est le groupe d'hommes et de femmes dont l'avis doit être reçu avec le plus d'ouverture, le Barreau du Québec.

En matière de justice, je pense que le ministre va être d'accord avec moi, je l'espère, s'il y a un secteur d'activité où il faut rechercher le consensus, c'est bien en matière de justice, parce que la justice, essentiellement, c'est de protéger tous les Québécois et toutes les Québécoises chez nous et de protéger la masse, de protéger la population globalement et collectivement; population qui ne vient pas toujours s'exprimer devant le ministre. Même si on me dit qu'il y a une centaine de groupes qui sont venus faire part de leurs appréhensions et de leurs revendications, ce n'est pas les 6 000 000 de Québécois et de Québécoises qui se sont exprimés.

Alors, le ministre de la Justice, au nom de son gouvernement, a la responsabilité de rechercher le consensus et, à date, les consensus, on n'a pas été trop, trop habitués à cette réalité. Avec le ministre, c'est tout le contraire. Il me répondra: Si on cherche le consensus parfait, on ne bougera pas. «Consensus», ça ne veut pas dire «unanimité».

Lorsque le projet de loi n° 130, M. le Président, est attaqué par des observateurs aussi crédibles que ceux qui se sont exprimés, le 18 octobre, au colloque organisé par le Barreau, des observateurs, des juristes, des sommités en droit au Québec, qui n'ont aucun intérêt personnel... On pourrait jusqu'à un certain point suivre le ministre qui nous dit: Le Barreau – je ne veux pas le caricaturer, là – veut protéger ses poches. Mais le professeur Macdonald, puis le professeur Comtois de l'Université de Sherbrooke... Macdonald, on sait de qui on parle, hein, M. le Président: rapport 1991 sur le groupe de travail de l'accès à la justice; c'est lui, ça. Pas trop d'intérêt personnel, lui. Ça reste que son objectif, M. le Président, c'est d'éclairer le ministre, c'est d'éclairer le gouvernement, c'est de chercher de la façon la plus objective et correcte possible de protéger l'intérêt des justiciables. C'est son seul objectif et son seul but.

Et on peut parler de la même façon de Mme Lemieux, qui est la présidente du Conseil des services essentiels; du professeur Mockle, de l'Université du Québec à Montréal; du professeur Villaggi, de l'UQAM; de Me Lussier; de Me Ouellette; de Me Chénard: tous des experts en droit qui, pour plusieurs, sont carrément contre le projet de loi n° 130 et, pour d'autres, M. le Président, sont contre des éléments tellement importants que l'on retrouve dans le projet de loi qu'à toutes fins pratiques ils sont contre le projet de loi. Moi, là, ça me ferait réfléchir.

Quand le professeur Macdonald dit au ministre: Vous savez, M. le ministre, votre réforme se préoccupe plus des structures et des procédures que du citoyen; votre poursuite de l'objectif de rendre la justice plus efficace et rapide est louable, mais le projet de loi n'y parviendra jamais; lorsque le professeur Macdonald dit – puis ce n'est pas un avocat en pratique privée, à ce que je sache, il ne cherche pas, lui, à plaider devant le plus de tribunaux possible au Québec, puis il ne cherche pas à aller trois fois devant le Cour suprême dans le même dossier, dans le même mois – que le projet de loi ne s'attaque pas aux vrais problèmes, qu'il s'attaque plutôt aux symptômes qu'à la cause du problème, ça me ferait réfléchir.

Quand le professeur Comtois, de l'Université de Sherbrooke, dit, M. le Président – ce n'est pas un praticien, c'est un juriste, c'est un professeur de droit: Le projet de loi a pour effet de judiciariser encore davantage les instances plutôt que l'inverse, moi, je vais vous dire franchement... C'est notre collègue de Chomedey qui, au caucus, nous résume les grandes législations, les grands projets de loi qui sont sur la table du ministre, il fait un travail excellent, puis on l'écoute avec grande attention. Moi, je suis particulièrement intéressé à ces questions-là, pour des raisons évidentes, et je me dis: Bien, peut-être que le député de Chomedey fait comme moi dans d'autres dossiers, il biaise un petit peu, il travaille pour l'opposition, il essaie de façon, règle générale, très objective, de soulever les failles dans le projet de loi. Mais mon collègue de Chomedey est appuyé pas par n'importe qui, par des sommités qui rejoignent essentiellement, M. le Président, des remarques, des critiques, des constats que faisait le député de Chomedey avant le colloque d'octobre 1996.

Quand Mme Lemieux, la présidente du Conseil des services essentiels, dit ceci: L'effet le plus pernicieux de la réforme se situe au niveau de la nomination des membres du Tribunal, ça me ferait réfléchir. Puis ça, c'est, M. le Président, un sujet qu'on n'abordera probablement pas aujourd'hui, les nominations. Ça, on est dans le coeur du débat, on est dans le coeur du débat.

Professeur Mockle: Le Tribunal administratif du Québec est ou serait une mégastructure où sont confondus première instance et appel, et ce, uniquement pour des considérations budgétaires.

(16 h 50)

On parle de justice, M. le Président, on parle d'une mission, quant à moi la mission la plus fondamentale de l'État avec la santé et l'éducation, mais, en tête de liste, moi, je place toujours la justice et la sécurité publique. Alors, lorsqu'on attaque le projet de loi n° 130 de façon aussi sévère en disant qu'essentiellement ce qui motive le gouvernement et son ministre, c'est des questions budgétaires, je trouve ça dur comme attaque. Ça me fait réfléchir, M. le Président.

Le professeur Villaggi, de l'UQAM, est contre cette uniformisation des règles de procédure pour divers secteurs spécialisés. Par exemple, il souligne que les causes actuellement entendues par la CAS n'ont rien à voir avec les causes entendues par la Cour du Québec. Ça rejoint en cela une opinion fréquemment exprimée par des praticiens de ce dernier domaine, lors des consultations du printemps 1996, qui s'opposaient à ce que ce domaine soit confié au Tribunal administratif du Québec. Et ça continue, M. le Président.

Me Ouellette, auteur du rapport du même nom en 1987 – il n'a pas d'intérêt personnel, lui – s'attaque au processus de nomination et, très sévèrement, questionne le projet de loi en disant: On se demande à qui ou à quoi répond le Tribunal administratif, sûrement pas aux besoins des citoyens. Le projet de loi pose plus de problèmes qu'il n'en règle. C'est dur, ça. Il souligne que le projet de loi n° 130 ne réussit même pas à régler de façon satisfaisante le seul véritable problème qu'on lui ait demandé de régler, soit celui de la sélection, de la nomination et du renouvellement des membres. M. le Président, le ministre est très ambitieux, il a voulu régler plein de choses, mais il ne règle même pas ce pourquoi on a commencé à questionner le regroupement de ces tribunaux administratifs au Québec, entre autres la nomination de ses membres, même pas ce volet-là de la question, selon Me Ouellette, on ne le règle d'aucune façon.

Me Chénard souligne qu'il est illusoire de penser que le projet de loi n° 130 amènera une quelconque déjudiciarisation. C'est à la mode, puis c'est bien. On parle de déjudiciarisation, on veut protéger le citoyen, on veut qu'il ait accès à un système de justice rapide, pas coûteux, juste. Je fais de la redondance, un système de justice juste, comme les gens disent en prenant une bonne bière dans une taverne: Que la justice soit juste. On veut déjudiciariser, mais encore faut-il qu'on prenne les bons moyens pour y arriver. Il souligne qu'il est illusoire de penser que le projet de loi n° 130 amène une quelconque déjudiciarisation.

M. le Président, ce sont des commentaires très sévères à l'encontre du projet de loi n° 130, et, je me répète, pour plusieurs de ces experts en droit, on reprend ce qui avait été soulevé par mon collègue à plusieurs reprises et dans différents forums. Alors, l'opposition officielle, le Barreau du Québec et d'éminents juristes disent au gouvernement: Vous faites fausse route. Et surtout, quant à moi, la condamnation la plus sévère, c'est lorsqu'on dit qu'essentiellement l'objectif du gouvernement, c'est de récupérer des sous sur quelque chose d'aussi fondamental.

Tout comme d'ailleurs la réforme de l'aide juridique, ce qui guide essentiellement le gouvernement puis son ministre, c'est les sous. On est en matière de justice et on vit actuellement, au Québec comme ailleurs, des périodes extrêmement difficiles, troublantes et, dans des moments comme ceux-là, celui qui a la responsabilité de protéger les justiciables se doit d'être encore plus vigilant, se doit de lever les bras devant son ministre, le président du Conseil du trésor, puis de dire: Cette mission qu'est la justice, ce n'est pas d'abord et avant tout une question de piastres. Ça, c'est, quant à moi, M. le Président, une des condamnations les plus sévères que reçoit le projet de loi n° 130 et son auteur, le ministre de la Justice, que de dire que ce qui guide le ministre, c'est essentiellement des questions d'ordre budgétaire.

Et aussi qu'on ne réussisse même pas à régler le volet de la nomination qui apparaissait au départ comme étant quelque chose de très, très, très facile à régler dans l'opinion du ministre. Mais le projet de loi n° 130 ne dispose pas de cette question-là et fait fausse route sur plein d'autres sujets, plein d'autres sujets, M. le Président.

Alors, moi, je ne sais pas comment le ministre va... Évidemment, on l'a vu à date, il a le pouvoir de «bulldozer» le Parlement. En commission parlementaire, on va, évidemment avec l'éclairage du député de Chomedey, faire tout ce qu'on doit faire pour éclairer, essayer de parfaire, parce que, à moins d'une surprise, on ne fera pas reculer le ministre sur le projet de loi comme tel, mais on va essayer à tout le moins de le bonifier.

Moi, je conclus en invitant M. le ministre, ses conseillers et ses conseillères à lire avec grande attention le très, très rapide résumé que j'ai fait d'opinions d'éminents juristes au Québec qui disent que, finalement, essentiellement, dans ce projet de loi n° 130, on ne retrouve rien de ce qu'on voulait à l'origine faire, M. le Président. Merci.

Le Président (M. Paquin): Alors, est-ce que la suggestion est toujours valide? Alors, nous suspendons nos travaux pour quelques moments.

(Suspension de la séance à 16 h 57)

(Reprise à 17 h 11)

Le Président (M. Paquin): Alors, la commission reprend ses travaux. M. le ministre.

M. Bégin: Alors, M. le Président, nous avons pris quelques minutes pour discuter, le critique de l'opposition et moi-même. De nos derniers échanges, on pense qu'il y a des choses intéressantes qui ont été dites et qui mériteraient, de chaque côté, qu'on reparle avec nos groupes parlementaires. Nous pensons que, pour aujourd'hui, on aurait fait le travail que la commission peut avantageusement accomplir et nous procéderons, la semaine prochaine peut-être, à des discussions informelles. On pourrait à ce moment-là savoir à quel moment nous pourrions reprendre nos travaux de la façon la plus avantageuse possible.

Alors, si tout le monde est d'accord, on pourrait ajourner nos travaux pour aujourd'hui, quitte à ce que le leader nous fixe une autre date pour procéder à la suite des choses.

Le Président (M. Paquin): Sans adopter l'article 13?

M. Bégin: Exactement.

Le Président (M. Paquin): Alors, pour que les choses soient bien claires, le deuxième alinéa de l'article 13, tel que modifié, demeure en suspens, et nous ajournons nos travaux à un jour à préciser, donc sine die.

(Fin de la séance à 17 h 12)


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