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(Vingt heures sept minutes)
Le Président (M. LeSage): À l'ordre, s'il vous
plaît! Je déclare ouverte la séance de la commission des
institutions. Je vous rappelle le mandat de cette commission, qui est de
procéder à une consultation générale et de tenir
des auditions publiques sur la protection de la vie privée eu
égard aux renseignements personnels détenus dans le secteur
privé. Est-ce qu'il y a des remplacements, Mme la secrétaire?
La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Camden
(Lotbinière) remplace M. Gauvin (Montmagny-L'Islet), et M. Bourdon
(Pointe-aux-Trembles) remplace Mme Harel (Hochelaga-Maisonneuve).
Le Président (M. LeSage): Merci, Mme la secrétaire.
Je vous rappelle également l'ordre du jour pour ce soir. Nous entendrons
en premier lieu l'Ordre des arpenteurs-géomètres du
Québec. Vous aurez 20 minutes pour faire votre exposé, et suivra
par la suite une période de questions et réponses pour 40
minutes. Nous entendrons, à 21 heures, M. Yves Boulet: encore 20 minutes
pour l'exposé et 40 minutes pour la période de questions. De
sorte qu'à 22 heures nous ajournerons nos travaux.
Si vous voulez vous présenter, madame ou monsieur, ainsi que la
personne qui vous accompagne.
Ordre des arpenteurs-géomètres du
Québec
Mme Jacques (Suzanne): Alors, M. le Président, je me
présente, Suzanne Jacques, vice-présidente de l'Ordre des
arpenteurs-géomètres. Et j'ai avec moi M. Gilles Legault,
directeur général de l'Ordre des
arpenteurs-géomètres.
Le Président (M. LeSage): Bienvenue chez nous. La parole
est à vous, pour 20 minutes.
Mme Jacques: Merci. Alors, j'aimerais profiter de l'occasion pour
remercier la commission de nous laisser passer notre message de vive voix.
Alors, M. le Président, M. le ministre Cannon, membres de la commission,
dans le cadre de la consultation générale concernant la
protection de la vie privée eu égard aux renseignements
personnels détenus dans le secteur privé, l'Ordre des
arpenteurs-géomètres du Québec désire donner son
opinion sur ce sujet.
Les arpenteurs-géomètres sont des officiers publics. Le
législateur a délégué aux arpenteurs-
géomètres des pouvoirs spécifiques tels que décrits
aux articles 34 et 35 de la Loi sur les arpenteurs-géomètres. La
mission de l'Ordre des arpenteurs-géomètres du Québec
consiste à faire le nécessaire pour assurer la protection du
public. À cet effet, l'Ordre a le devoir de prendre les moyens
préventifs et correctifs requis pour assurer que ses membres pratiquent
la profession dans le respect des standards les plus élevés de
qualité et d'intégrité. Sa mission consiste
également à assurer un sain développement de la
profession, afin que la nature et la qualité des services rendus par les
arpenteurs-géomètres soient adaptées à
l'évolution de la société québécoise.
Les arpenteurs-géomètres sont des pionniers en
matière de développement de systèmes d'information
relativement aux données foncières. Nos activités
professionnelles nous conduisent à agir à la fois comme agents
associés à la collecte, au traitement et à la diffusion de
cette information. L'informatisation des moyens de diffusion des
données, concrétisée par l'arrivée sur le
marché d'appareils modernes comme les ordinateurs, les
télécopieurs et les modems, nous oblige à
réfléchir sur le transfert de nos informations. La
rentabilité est aussi un paramètre essentiel de nos jours
à la production d'un document d'arpenteur-géomètre. Ces
aspects sont des plus importants pour la protection des renseignements
détenus par les arpenteurs-géomètres au profit de leurs
clients. Alors, aujourd'hui, on transforme en bits non pas seulement des
textes, mais aussi des plans, des images, des photographies. C'est l'ère
de l'imagerie électronique.
Nous nous sommes donc penchés sur certains aspects de la question
et nous analyserons la notion de confidentialité, les droits d'auteur et
la qualité de l'information transmise et de son utilisation
ultérieure. Ces aspects constituent l'ensemble des
éléments du problème. Les éléments de
solution passeront par l'établissement de règles strictes
régissant ceux qui font la cueillette des informations et ceux qui en
font la diffusion par la suite. Il nous est possible, à partir de notre
expérience professionnelle, d'aborder plusieurs thèmes eu
égard aux renseignements personnels détenus dans le secteur
privé: problèmes, par exemple, associés à la
collecte de l'information par les organismes privés, au traitement de
cette information et à sa diffusion, autant sur le plan national
qu'international. Cependant, notre intervention se limitera à illustrer
certaines difficultés liées au secret professionnel des membres
de notre profession et au respect des droits d'auteur sur les
documents qu'ils produisent.
La notion de confidentialité. Dans l'exercice de ses fonctions,
l'arpenteur-géomètre se doit en tout temps de respecter le secret
professionnel qui le lie à son client. Cette contrainte fait partie de
sa vie quotidienne. Il y a donc lieu d'évaluer l'impact de la
transmission des données sur la pratique professionnelle. Les
contraintes légales lui sont dictées par l'article 62 de la Loi
sur les arpenteurs-géomètres et les articles 3.06.01 à
3.06.05 du Code de déontologie. Je n'en ferai pas la lecture, mais
j'aimerais seulement lire les deux principaux. "3.06.01
L'arpenteur-géomètre doit respecter le secret de tout document ou
renseignement de nature confidentielle obtenu dans l'exercice de sa
profession." "3.06.02 L'arpenteur-géomètre ne peut être
relevé du secret professionnel qu'avec l'autorisation écrite de
son client ou lorsque la loi l'ordonne."
Nous constatons, à la lecture de ces articles, l'obligation du
respect du secret professionnel pour l'arpenteur-géomètre. Par
exemple, lorsqu'une municipalité exige d'un propriétaire une
copie de son certificat de localisation, c'est dans le but avoué de
vérifier la conformité de la position de la maison avec les
règlements municipaux. Si elle l'utilise à d'autres fins, telles
que la mise à jour de sa cartographie, de son rôle
d'évaluation, de sa matrice graphique, de sa rénovation
cadastrale, ou pour le mettre à la disposition de personnes
désireuses d'en connaître le contenu, elle l'utilise à
d'autres fins que le but avoué.
Ce n'est pas le seul exemple. Si on prend pour exemple les plans de
travail que nous bâtissons, il y a généralement, sur nos
plans de travail un surplus d'informations et il y a aussi plusieurs
hypothèses de solution, parce qu'on travaille par la méthode
d'essais et d'erreurs continuellement. On va essayer des solutions, voir le
résultat, comment ça se répercute sur d'autres terrains.
Lorsqu'on parie de subdivision aussi, ça devient important. On retarde
souvent l'émission d'un permis de lotissement tant que les
coordonnées ne sont pas remises à la municipalité. Alors,
ça fait un moyen de pression supplémentaire indu sur les payeurs
de taxes qui désirent développer certains terrains. Lorsqu'on
regarde des projets de lotissement, ce sont des ébauches,
généralement, et on en a plusieurs pour un même projet.
Alors, le meilleur exemple que je peux donner pour tout le monde ici dans la
salle c'est, par exemple, une maison où vous avez une vue
illégale. Vous découvrez que vous avez une vue illégale en
ayant un certificat de localisation. Votre certificat de localisation, si on le
remet à la municipalité et qu'elle en distribue des copies, au
lieu d'avoir peut-être une solution de bons voisins, vous allez
peut-être vous retrouver avec une poursuite et avec un surplus financier
parce que les gens vont probablement avoir mal interprété la
solution possible de régler.
Alors, en exigeant de tels documents des propriétaires qui
réalisent de nouvelles constructions ou des rénovations
importantes, les municipalités se font remettre une opinion sur la
situation et la condition générale d'un bien-fonds. Cette opinion
contient beaucoup plus de renseignements que les municipalités en ont
besoin pour vérifier la conformité de la nouvelle construction.
Cette opinion contient des renseignements sur les empiétements
exercés et soufferts par rapport aux titres et au cadastre.
L'arpenteur-géomètre doit souvent apporter des commentaires sur
les conséquences de ces empiétements en regard des droits des
personnes concernées et des moyens à prendre pour
régulariser la situation. Tous ces renseignements et opinions sont de
nature privée et leur divulgation peut avoir des conséquences sur
la valeur de l'Immeuble, détériorer les relations de bon
voisinage ou empêcher de solutionner un problème à
l'amiable. (20 h 15)
Le certificat de localisation est un document personnel
préparé par un arpenteur-géomètre pour le seul
bénéfice de son client. Il contient des renseignements nominatifs
et techniques. Conséquemment, la municipalité, avant de
l'intégrer à une base de données et d'en faire la
diffusion, devrait suivre les procédures prévues aux articles 25
et 49 de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur
la protection des renseignements personnels. Cette procédure n'est
actuellement pas respectée et nous croyons qu'il est nécessaire
que les créateurs de bases de données soient tenus de respecter
les procédures concernant l'intégration et la diffusion des
renseignements contenus au certificat de localisation.
De façon générale, il y a actuellement une tendance
déplorable de la part d'organismes publics à utiliser leur
pouvoir de réglementation pour des documents qui contiennent des
informations confidentielles. Ces informations doivent demeurer confidentielles
en vertu des règles du secret professionnel. Ces organismes copient
intégralement, dans des bases de données, les documents qu'ils
obtiennent. Les renseignements ainsi obtenus sont alors susceptibles
d'être diffusés, utilisés ou interprétés par
les différents services internes de l'organisation qui s'est vu remettre
les documents. Ces informations seront, par la suite, utilisées dans un
contexte qui n'a généralement rien à voir avec les fins
pour lesquelles les informations ont été recueillies en premier
lieu. Le meilleur exemple qu'on peut voir, c'est le suivant: Je suis un
organisme et je décide d'acheter la banque de données de mon
vendeur de pizza, de ma pharmacie - on peut en nommer plusieurs comme
ça. On peut avoir comme résultat... Ils vont connaître mon
numéro de téléphone, mon adresse, le nom, le plan des
appartements, le contrat d'achat, le chemin pour se rendre chez moi, le
nombre de résidents, les films que j'ai loués, les maladies que
j'ai eues. Alors, on se retrouve un peu devant l'ordinateur que le grand saint
Pierre va avoir peut-être quand on va aller au ciel et qui va nous
permettre peut-être d'accéder ou de ne pas accéder au
ciel.
Par la suite, en vertu d'une interprétation douteuse des
dispositions de la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics
et sur la protection des renseignements personnels, des copies du même
document seront transmises à quiconque en fait la demande. Le nouveau
détenteur pourra, à son tour, utiliser cette information, la
recopier intégralement ou partiellement, l'intégrer dans d'autres
systèmes d'information et la traiter sans aucun contrôle; elle est
même susceptible d'être utilisée à rencontre des
intérêts mêmes de celui qui a payé pour la faire
colliger. Elle peut être utilisée à des fins fiscales,
commerciales, politiques, juridiques ou autres. Très peu de gens sont
conscients des dangers associés à ces pratiques. Dans tous les
cas il y a violation du secret professionnel, ce qui a pour conséquence
de ruiner la relation de confiance entre le professionnel et ses clients.
Le droit d'auteur. À la lecture de la Loi sur le droit d'auteur,
on retrouve, entre autres, les définitions suivantes: l'oeuvre
artistique, qui comprend les graphiques, les cartes géographiques et
marines et les plans et l'oeuvre littéraire, qui s'adresse aux
programmes d'ordinateur. Le droit d'auteur est défini comme étant
le droit de produire ou de reproduire une oeuvre, une partie importante de
celle-ci sous une forme matérielle quelconque. Est aussi inclus dans la
définition du droit d'auteur le droit exclusif d'autoriser ces actes.
Quiconque, sans le consentement du titulaire du droit d'auteur, exécute
un acte que seul le titulaire a la faculté d'exécuter, porte
atteinte au droit d'auteur. Dans le cadre de cette loi, il est interdit de
faire la transformation sous forme numérique de plans ou de cartes sans
l'autorisation préalable de l'auteur. Actuellement, certaines
municipalités utilisent les documents préparés à
des fins légales par les arpenteurs-géomètres pour mettre
à jour leur cartographie. Ils passent ainsi outre aux obligations de la
Loi sur le droit d'auteur. La transmission d'un document à un organisme
public ne lui donne pas le droit d'en faire des copies, même lorsque la
transmission se fait par des moyens informatiques. Les protections actuelles de
la Loi sur le droit d'auteur peuvent sembler suffisantes pour empêcher le
plagiat par des entreprises qui commercialiseraient les banques de
données; ce n'est pas toujours le cas. Il faudrait, toutefois, beaucoup
d'énergie et d'argent si un arpenteur-géomètre
décidait de se prévaloir de ses droits et il ne devrait pas en
être ainsi. Le législateur québécois doit faire en
sorte que la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics et sur
la protection des renseignements personnels s'harmonise avec la Loi sur le
droit d'auteur.
La qualité de l'information transmise et de son utilisation
ultérieure. Dans le domaine de l'informatique, il est très facile
de mélanger les unes aux autres les informations de différentes
provenances, de qualités diverses et de précisions variables.
L'apparence de l'information transmise est semblable, mais le résultat
de l'intégration à une base de données pourra donner
quelquefois des résultats surprenants. Les
arpenteurs-géomètres procèdent à des levés
topographiques pour différents buts et selon des méthodes
variables et adaptées au besoin de chacun des mandats. La
précision du résultat diffère selon les mandats. Le
proverbe qui dit "garbage in, garbage out" est toujours vrai et restera
toujours vrai. Les arpenteurs-géomètres produisent, selon les
besoins, des plans de haute précision et aussi des croquis
préliminaires à un projet. La précision varie selon chaque
mandat. La numérisation de ces plans et croquis donnera en informatique
un produit d'apparence semblable où il est impossible de déceler
sa valeur intrinsèque. Nous devons contrôler la qualité des
renseignements à verser dans les banques de données et
contrôler l'utilisation ultérieure qui en sera faite. Si nous ne
contrôlons pas l'utilisation de l'information transmise, comment
pourrons-nous assurer que son interprétation ne sera pas
complètement erronée? Notre responsabilité professionnelle
d'auteur de cette information nous oblige à une très grande
prudence en fournissant ces informations à d'autres qu'à notre
client.
La loi devra s'attarder à limiter le pouvoir des diffuseurs de
l'information. Le législateur ne devra pas laisser à
l'arpenteur-géomètre l'odieux de faire respecter les lois
existantes ou à venir dans ce domaine. Les règles
édictées pour contrôler la saisie et la diffusion des
données devront être nombreuses et strictes. Cela procurera au
citoyen l'assurance du respect de la confidentialité des renseignements
mis à la disposition de ceux qui font la saisie et la diffusion des
informations. Les contrôles, comme je le répète encore,
doivent être nombreux et efficaces. La grande facilité et la
grande rapidité de transmission des données vous obligent
à prendre ces précautions. Alors, je vous remercie de votre
attention.
Le Président (M. LeSage): Merci, Mme Jacques, pour cette
présentation. M. le ministre.
M. Cannon: Oui. Merci, M. le Président. Merci, Mme
Jacques, de même que M. Legault, d'avoir bien voulu participer à
nos travaux, à la consultation et aux auditions publiques sur la
protection de la vie privée. J'ai noté dans votre mémoire
que vous faites l'exemple de décisions qui sont prises par une
municipalité à d'autres fins que l'intention des autorités
d'une municipalité. Vous parlez du certificat de localisation qui,
tantôt, peut servir de vérification sur le plan cadastral
pour voir l'emplacement de la propriété - si la maison, la
bâtisse ou les dépendances sont bien placées - mais que, en
même temps, on s'en sert pour des rénovations cadastrales et
d'autres fins. Dites-moi: Est-ce que, à votre connaissance, il y a eu
des plaintes qui ont été apportées par des citoyens
à l'égard de cette chose-là et, si oui, est-ce qu'elles
ont été adressées à la Commission d'accès
à l'information, puisqu'on traite ici, évidemment,
d'éléments du secteur public?
Mme Jacques: Je ne peux pas répondre de façon
très stricte, à savoir s'il y a eu des plaintes ou pas. Je ne
crois pas que, dans ma région, il y ait eu nécessairement des
plaintes, mais je ne pense pas que le public soit conscient de l'utilisation
qu'on fait du document, une fois qu'ils en ont remis la copie à la
municipalité, et je pense que c'est ça qui est important. On
l'utilise vraiment pour mettre à jour le rôle d'évaluation,
on l'utilise à peu près à toutes les sauces. Il y a
même certaines municipalités où on peut se
présenter, sans être le propriétaire de la
résidence, et demander à voir s'il y a une copie du certificat de
localisation, et la personne qui est en arrière du comptoir va la sortir
et la lui présenter sans poser aucune question. Et c'est ça qui
est grave.
M. Cannon: À l'exception, évidemment, des cas que
vous citez ici, c'est-à-dire la mise à jour de sa cartographie ou
de sa rénovation cadastrale, elle l'utilise à d'autres fins, et
vous avez mentionné tout à l'heure, dans votre première
réponse, qu'il s'agissait d'autres fins. Vous me donniez l'exemple d'une
personne qui pourrait se présenter, alléguant je ne sais trop
quoi, et obtenir d'un employé de la municipalité une copie du
certificat de localisation qui a été fourni par le
propriétaire du terrain. À votre connaissance, avec cet
exemple-là, est-ce qu'il y a d'autres choses qui pourraient survenir
à l'occasion de la transmission de ces renseignements? Bref, est-ce
qu'il y a d'autres exemples que vous pourriez nous donner d'une autre
finalité que l'intention initiale?
Mme Jacques: Si, par exemple, vous avez M. Legault qui se
présente pour aller voir le certificat de localisation de ma
propriété et, dessus, il y a un empiétement que, moi, je
veux essayer de régler à l'amiable, ça peut envenimer les
relations de bon voisinage en ayant accès à l'information
à laquelle il n'aurait pas accès... Si, par exemple, il se
présentait au bureau de l'arpenteur-géomètre, il ne
pourrait jamais avoir accès à ce document-là sans
l'autorisation de celui qui a demandé, celui qui a payé pour
l'information, ou ses ayants droit. Alors, c'est un moyen
détourné d'obtenir de l'information qui, de façon normale,
ne serait pas disponible.
M. Cannon: Sans doute, vous savez que si, demain matin, je me
présente au bureau d'enregistrement, et vous habitez la
municipalité ou la corporation municipale de
Saint-Augustin-de-Desmaures, - je prends ça comme exemple puisque c'est
proche de chez nous et c'est dans mon comté - vous habitez le lot
148-16, et je dis: Mme Jacques habite là, je voudrais voir au bureau
d'enregistrement toutes les transactions qui ont été faites sur
cette propriété-là, moyennant un montant d'argent, je peux
aller chercher ces informations-là. Est-ce que là aussi vous
trouvez qu'il y a vraiment une infraction ou, enfin, une intervention directe
auprès des informations privées d'un individu?
Mme Jacques: Les informations qui sont disponibles au bureau
d'enregistrement ne contiennent pas nécessairement nos certificats de
localisation. Elles ont trait aux actes, aux transactions qui s'adressent
à une propriété. Vous ne trouverez pas les certificats de
localisation. Vous allez peut-être trouver une mention dessus...
M. Cannon: Non. Ça, je comprends... Mme Jacques:
O.K.
M. Cannon: ...sauf que, là aussi, je suis capable d'aller
chercher des renseignements, notamment sur la propriété: qui
détient l'hypothèque, à quelle banque, etc. Est-ce que,
selon vous, c'est également une pratique qui est condamnable en soi et
qui mériterait que nous examinions une action quelconque?
Mme Jacques: Lorsqu'on le fait à l'échelle d'une
propriété, c'est raisonnable. Mais, lorsque des moyens
électroniques nous permettent de le faire pour l'ensemble, de dire, par
exemple. L'ordinateur, pesez sur un petit bouton, je veux avoir toutes les
propriétés de M. Malenfant. Si vous le faites manuellement,
ça va prendre beaucoup plus de temps et vous risquez d'en oublier et
là on donne accès à une information très facilement
et pas nécessairement utile ou utilisable de façon
généralement adéquate. Pourquoi permettre, via
l'informatique, de donner accès plus rapidement à une information
que, normalement, on prendrait des mois à colliger?
M. Cannon: O.K. Avez-vous eu l'occasion d'examiner les
recommandations du comité interministériel qui ont trait au
rapport "Vie privée: zone à accès restreint"? Est-ce que
vous avez eu l'occasion de voir...
Mme Jacques: Est-ce que ça faisait partie des documents?
Si c'est le document qui nous a été remis, oui.
M. Cannon: Oui. Pouvez-vous me dire ce
que vous en pensez en gros?
Mme Jacques: J'émets certaines restrictions quant aux
normes très générales. J'aimerais mieux voir des normes
très spécifiques, parce que là on peut amasser de
l'information de façon rapide et vertigineuse sur une personne. Et c'est
ça qui m'effraie. C'est ça qui m'effraie en tant que citoyenne,
qu'on puisse avoir accès à tant d'informations sur moi.
M. Cannon: Peut-être juste une dernière question
avant de céder la parole à mon collègue. Je reviens
toujours avec le cadastre ou, enfin, le certificat de localisation. À
votre connaissance, les renseignements personnels relatifs aux données
foncières contenus dans le certificat de localisation sont-ils
utilisés par le secteur privé, notamment les institutions
financières ou des choses semblables, les bureaux de crédit ou
des organismes qui sont intéressés et qui exploitent, à
toutes fins pratiques, une matière première qui s'appelle
l'individu et qui sont en mesure de colliger ces renseignements? D'après
vous, est-ce que ces banques-là pourraient servir à colliger ces
renseignements-là?
Mme Jacques: Pour reprendre votre question, pour être
sûre que je comprends bien, c'est si, par exemple, une banque distribue
l'information qu'elle a obtenue à partir d'un certificat de
localisation?
M. Cannon: C'est-à-dire, non. Une municipalité...
Vous avez indiqué dans votre document que plusieurs municipalités
se servent des renseignements personnels contenus dans les certificats de
localisation préparés par
l'arpen-teur-géomètre...
Mme Jacques: Oui. (20 h 30)
M. Cannon:... pour les bénéfices du client. Et je
vous demande si, à votre connaissance, une municipalité qui a en
sa possession le certificat de localisation de même que les
renseignements sur l'individu ou les propriétaires... Est-ce que vous
avez connaissance de situations, ou est-ce que vous avez déjà vu
une situation selon laquelle une institution financière pouvait aller
auprès de la municipalité cueillir ces renseignements qui sont,
comme vous l'avez mentionné, privés et personnels et ainsi
colliger des renseignements sur l'individu?
Mme Jacques: Je ne peux pas parler au nom des institutions
financières, je regrette. Je peux vous parler de mon expérience
en tant qu'arpenteur-géomètre. Alors, je ne peux pas avancer quoi
que ce soit du côté des...
M. Cannon: Non, mais c'est juste dans votre expérience, si
vous êtes au courant, ou si vous pensez ou vous avez une idée que
ça s'est déjà fait, ou si quelqu'un vous a
approchée pour dire: Comment ça se fait qu'en faisant... Par
exemple, si vous êtes mon arpenteur-géomètre et que je vais
à la banque chercher un prêt personnel et je m'aperçois
qu'il y a telle information, que je vous avais donnée ou que vous aviez
colligée au moment où je me suis porté propriétaire
d'une propriété, qui se retrouve dans mon dossier de
crédit. Alors, vous interrogeant, je m'aperçois que ça ne
vient pas de vous et comme le seul organisme à qui je l'ai
donnée, c'est à une municipalité ou à la
communauté urbaine, je me dis: Bon, bien, la fuite vient de là.
Alors, c'est pour ça que je vous demande si vous avez déjà
eu des représentations d'individus qui vous ont dit cette
chose-là?
Mme Jacques: Non. M. Cannon: O. K.
Mme Jacques: Pas dans ma très courte expérience,
non.
M. Cannon: O. K. Merci. M. le Président.
Le Président (M. LeSage): M. le député de
Pointe-aux-Trembles.
M. Bourdon: Alors, Mme Jacques, je veux d'abord vous remercier
pour votre mémoire qui est d'une très bonne qualité. Vous
dites dedans: "Les règles édictées pour contrôler la
saisie et la diffusion de données devront être nombreuses et
strictes. " De quelles règles parlez-vous là? Vous dites
"nombreuses et strictes", mais est-ce que vous avez des exemples?
Mme Jacques: Le principal problème que je vois, c'est
qu'on s'aperçoit que plusieurs données sont collectées et
emmagasinées et qu'on n'évalue pas au moment de la collecte,
généralement, la qualité de cette
information-là.
L'exemple que je peux vous donner, c'est lorsqu'on fait un relevé
topographique pour un bord de l'eau ou pour établir une limite
cadastrale, on ne fera pas nécessairement le même relevé de
la ligne de l'eau parce que la ligne qui va compter, dont on va se servir pour
le cadastre, ça va être la limite des hautes eaux, et
peut-être pour notre relevé topographique, ça va être
tout simplement la ligne de végétation. La qualité n'est
pas la même. Les besoins ne sont pas les mêmes. Et vous pouvez, par
exemple, avoir un relevé que je vais faire pour l'aménagement
paysager d'une propriété, je vais aller relever les arbres pas de
la même façon que, par exemple, pour déterminer la
superficie d'un boisé. La qualité de l'information n'est pas la
même. Alors, si toutes ces informations-là se retrouvent dans la
même banque de données, vous n'aurez pas un résultat
homogène en tant que qualité. Et
c'est là le danger. Et il faut prévoir des
mécanismes pour ne pas que n'importe qui emmagasine n'importe quoi,
n'importe comment.
M. Bourdon: Mais, à ce moment-là, est-ce que vous
songez à ce que l'organisme ou l'entreprise qui prend des données
obtienne l'autorisation de la source de ces données-là avant d'en
faire usage?
Mme Jacques: Elle devrait toujours. Il y a des droits d'auteur
sur ces données-là. Et on ne le fait pas, de pratique courante,
on ne semble pas le faire.
M. Bourdon: Et, à votre avis, si une loi contrôlait
l'accès à ces renseignements-là, quel organisme devrait se
charger de faire respecter cette loi-là? Est-ce que vous avez
étudié cette partie-là du débat?
Mme Jacques: Je n'ai malheureusement pas étudié cet
aspect-là. Je m'attachais plutôt à la qualité des
informations qui seraient emmagasinées, qui est ma principale
préoccupation.
M. Bourdon: D'accord. Je vous remercie.
Le Président (M. LeSage): Merci, M. le
député de Pointe-aux-Trembles. M. le député
d'Orford.
M. Benoit: Une courte question, Mme Jacques. Je reviens à
une question que le ministre a commencé à vous poser. Je voudrais
continuer. Je me suis réveillé un bon matin, lors d'une
convention dans mon propre parti, où un adversaire est allé au
bureau d'enregistrement, a mis la main sur l'achat d'un condo que j'avais fait,
le montant que j'avais payé, etc., a photocopié ça et a
distribué ça à 700 ou 800 personnes dans le comté.
Il n'y avait rien de pas correct là-dedans, si ce n'est que ce n'est pas
très agréable que la moitié d'un comté sache
combien vous avez payé pour votre résidence, etc. Je dois
admettre que c'est une des premières fois dans ma vie où je me
suis senti persécuté dans de l'information personnelle. Ça
ne m'était jamais arrivé et je ne pensais pas que ça
m'ar-riverait un bon jour. Et la question que je vous pose, le ministre a
commencé à vous la poser: Jusqu'où doit-on aller dans le
contrôle de cette information, particulièrement au bureau des
enregistrements? Au niveau de l'hôtel de ville, on m'a dit... Parce que,
suite à cet incident, j'ai vérifié avec mon arpenteur,
j'ai vérifié avec mon notaire, qui m'ont dit: Non, tu peux
être assuré que ce n'est pas nous qui avons filtré
l'information. Et c'était assez rapide de comprendre que c'était
au bureau d'enregistrement, que c'est de là que l'information
venait.
Jusqu'où doit-on aller dans le... Empêcher les citoyens,
d'une part, d'avoir cette information et, d'autre part, je me suis senti
brimé dans un droit fondamental d'avoir une résidence et ce
n'était pas évident que tout le monde devait savoir ce que
j'avais payé pour cette résidence-là. Je comprends que
vous êtes arpenteur, ce n'est peut-être pas... Mais vous avez
dû penser un peu à ces dynamiques-là avant aujourd'hui.
Mme Jacques: Moi, ce qui me fait le plus peur actuellement, c'est
justement la rapidité avec laquelle on pourra aller chercher
l'information sur votre propriété et, après ça, la
diffuser pour faire plus de mal que de bien. Actuellement, le système
d'enregistrement, tel qu'il est, c'est pour publiciser certains droits ou
certaines charges sur un lot. Je pense que c'est nécessaire de le faire
parce que moi, je ne voudrais pas acheter une propriété dont vous
n'êtes pas le propriétaire.
Il est vrai que je peux m'assurer auprès de mon notaire, lui
dire: Bon, bien, fais les recherches nécessaires. Mais, quand
même, si je ne veux pas me servir des services du notaire, je veux
être capable d'aller vérifier si ce que j'achète, c'est
bien ce dont vous êtes propriétaire, pour ne pas avoir des
problèmes après. Je pense qu'il y a une utilité, mais
là où il faut faire attention, c'est que l'organisme a
été créé à un moment où la
transmission des données ne se faisait pas en une fraction de seconde.
Alors, il y a peut-être lieu de l'améliorer, mais je pense qu'il
faut prendre les moyens pour protéger les citoyens de façon
rapide parce que là il n'y a pas de normes et on s'aperçoit qu'il
y a plusieurs organismes qui vendent de l'information et qu'elle est
intégrée partout...
Je suis sûre que vous avez déjà appelé votre
vendeur de pizza et qu'il a dit: Ah oui, bonjour monsieur! Vous avez
commandé une végétarienne, la dernière fois. Est-ce
que c'est la même chose? Et moi, ça me dérange beaucoup
quand je vois ça. Alors, je suis en partie d'accord avec votre
problème et il y a des endroits où j'en mettrais encore plus, de
façon à ce que ces choses-là ne se...
M. Benoit: Est-ce qu'on pourrait penser que, dans un bureau
d'enregistrement, seuls les professionnels certifiés et
agréés pourraient avoir accès à cette
information-là, qu'un simple citoyen comme moi devrait passer par un
arpenteur ou un notaire, et que je ne pourrais pas obtenir autrement cette
information-là? Est-ce qu'on peut penser à des mesures comme
celles-là?
Mme Jacques: Je suis sûre que ça va faire plaisir
à plusieurs professionnels parce que vous allez augmenter leur volume
d'ouvrage, si vous voulez le voir comme ça.
M. Benoit: Est-ce qu'on brimerait la société d'un
certain nombre de libertés fondamentales, à
ce moment-là, ou...
Mme Jacques: J'imagine, j'imagine, oui. Parce que, moi, je suis
peut-être un professionnel, mais je suis aussi capable de faire mes
recherches au bureau d'enregistrement et je suis capable d'aider ma famille si
elle en a besoin. Alors, oui, il y a une partie des droits qui serait
brimée. Mais c'est l'utilisation qu'on ne contrôle pas, c'est
ça qui est dangereux.
Le Président (M. Camden): M. le député de
Hull.
M. LeSage: Merci, M. le Président. Mme Jacques, j'aimerais
qu'on revienne au plan de localisation. Dans votre exposé, vous avez
mentionné que c'était un document qui était fait pour
votre client et que son utilité en était personnelle. Bien
entendu, un plan de localisation, il n'y a pas un propriétaire qui va
s'en faire faire un de lui-même. Ce n'est que si la banque le lui demande
pour un prêt ou pour une vente. Et vous faites toujours allusion aux
droits de la personne, c'est-à-dire cet intérêt particulier
qu'une personne peut avoir pour son propre plan de localisation et ses droits
à elle. Mais la personne qui est la voisine dont vous parliez
tantôt et avec laquelle vous vouliez entretenir de bonnes relations,
elle, si elle ne voit pas votre plan de localisation, elle ne saura
probablement jamais qu'il peut y avoir un empiétement, à moins
qu'elle ne se fasse faire, elle aussi, un certificat de localisation. Elle
devra payer des honoraires en plus. Ça, c'est pour un
empiétement. S'il y a des constructions qui ne sont pas
légales... Un droit de vision qui ne serait pas légal peut
être apparent, mais si la propriété est trop près,
ce n'est pas toujours apparent et ce n'est pas toujours évident. Il faut
que quelqu'un aille mesurer. Et vous ne le laisserez pas aller sur votre
terrain ou votre voisin ne vous laissera pas venir sur son terrain. Pourquoi
vous objectez-vous à ce qu'un voisin puisse faire les
vérifications? La municipalité a toutes les coordonnées
à son rôle d'évaluation. Est-ce que c'est tout simplement
pour faire en sorte que le voisin s'engage un arpenteur lui aussi et qu'il le
découvre par lui-même? Le droit, est-ce que c'est seulement pour
vous? Est-ce que ça s'applique également pour le voisin?
Mme Jacques: La municipalité n'a pas toutes les
informations et l'expert de la mesure, c'est
l'arpenteur-géomètre, ce n'est pas M. Jos Tout-le-Monde. Je
regrette. Et il y a des façons, il y a des méthodes par
lesquelles on peut vérifier rapidement et facilement et avoir une
opinion sur la limite d'une propriété. C'est une opinion, encore
une fois. Et je regrette, là, mais s'il y a un problème et que
moi je découvre que j'ai un problème sur mon lot, je voudrais
bien être capable d'essayer de le régler avec le moins de dommage
possible parce que ça peut être une propriété que
j'ai achetée et ce n'est pas de mon propre fait que j'ai des
problèmes. Alors, je vais essayer de prendre les moyens les moins
dommageables et aussi de conserver des bonnes relations avec mon voisin. Je
vais vivre avec lui tous les jours à côté de moi. C'est
vrai que je peux déménager, mais ce n'est pas une solution
très rentable. Et c'est ça qu'il faut protéger. Il faut
protéger nos relations de bon voisinage et ne pas créer de
conflits inutilement.
M. LeSage: Vous ne pensez pas, Mme Jacques, que, justement, pour
maintenir de bonnes relations, si j'ai un doute et si je vais vous en parler
à vous comme ma voisine, on peut envenimer un peu nos relations? Si je
peux aller quelque part comme à l'hôtel de ville et qu'ils ont
l'information et qu'elle me satisfasse, il n'y a pas de problème, vous
ne le saurez jamais et on va encore avoir des bonnes relations. Vous ne pensez
pas?
Mme Jacques: Je ne pense pas que les personnes en arrière
du comptoir d'une municipalité soient habilitées à donner
des renseignements qui vont faire que mon voisin va ressortir de là avec
une paix et dire: Oui, tout est beau, tout est conforme, là, je n'ai pas
de problème. Je regrette, le professionnel a toujours sa place et c'est
au professionnel de rassurer et de bien renseigner les deux parties.
M. LeSage: Alors, une dernière question, M. le
Président. Si je comprends bien ce que vous dites, c'est que les
renseignements ne devraient pas être à l'hôtel de ville, et
si quelqu'un veut les avoir, il devrait aller voir un professionnel qui serait,
entre autres, un arpenteur. C'est ça que vous me dites?
Mme Jacques: Actuellement, c'est ce qu'on voudrait voir parce que
les municipalités ne nous disent pas l'utilisation qu'elles vont en
faire. Et c'est là que ça crée des conflits. Et les
conflits vont résulter beaucoup plus de la situation que vous avez
proposée plutôt que de relations avec un professionnel.
M. LeSage: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Camden): M. le ministre.
M. Cannon: Peut-être en guise de conclusion, madame. Comme
vous le savez, la loi d'accès à l'information rend responsable et
crée une obligation auprès de la municipalité qui a ces
renseignements-là, qui est propriétaire ou qui détient les
renseignements dont vous avez expressément parlé tout à
l'heure, notamment le certificat de localisation. Il est donc de la
responsabilité, en vertu de la loi, que le préposé ou la
municipalité obtienne l'autorisation de celui
qui est propriétaire du terrain, donc de celui qui a fourni le
certificat de localisation, avant même de le transmettre. Et si tel
était le cas, si l'autorisation avait été fournie,
ça serait tout à fait légal. Mais, dans le cas contraire,
le propriétaire peut porter plainte auprès...
Mme Jacques: En autant...
M. Cannon: ...de la Commission d'accès à
l'information et la Commission d'accès à l'information a
l'obligation de faire une enquête et de restaurer le mal ou le tort qui a
été créé. Dans ce sens-là, je pense que,
déjà, la loi existe dans des cas semblables. Je tiens à
vous rassurer là-dessus. Si jamais, madame, des situations comme celles
que vous nous avez décrites ce soir se produisaient, je vous invite...
Parce que les municipalités doivent, compte tenu de l'application de la
loi, se conformer à l'esprit et non seulement à l'esprit, mais
à la lettre de la loi. Dans ce sens-là, je tiens à vous
rassurer. Si jamais il y a des cas qui se produisent de cette nature-là,
je vous invite à communiquer immédiatement avec les gens de la
loi sur l'accès à l'information, ou bien à demander
à l'individu de porter plainte le plus rapidement possible.
Mme Jacques: Vous me rassurez avec ce que vous dites, sauf que
ces faits-là ne viennent pas de mon imagination, ils existent.
M. Cannon: Ah non. Je n'ai pas la prétention...
Mme Jacques: Et le citoyen ne connaît pas
nécessairement la diffusion qui est faite de l'information qu'il
fournit, et c'est là le principal problème.
M. Cannon: Ah non. Je ne mets pas en cause, madame, ce que vous
nous avez expliqué ce soir dans votre mémoire. La seule chose que
je tiens à vous dire, c'est que c'est déjà couvert.
Quant à moi, j'ai terminé mon questionnement. Je tiens
à vous remercier, au nom des gens de la commission, d'avoir bien voulu
prendre le temps de préparer votre mémoire et de venir livrer
évidemment vos renseignements, vos préoccupations sur ce sujet et
je vous souhaite un bon retour. Merci.
Mme Jacques: Merci beaucoup.
Le Président (M. Camden): Je remercie les
représentants de l'Ordre des arpenteurs-géomètres du
Québec de nous avoir présenté leur mémoire. Afin de
permettre à la prochaine personne de prendre place, soit M. Yves Boulet,
je suspends momentanément les travaux de la commission.
(Suspension de la séance à 20 h 48)
(Reprise à 20 h 49)
Le Président (M. Camden): M. Boulet, d'abord, on vous
souhaite la bienvenue devant cette commission. Je vous rappelle que vous avez
20 minutes pour présenter votre exposé et que, pendant les 40
minutes qui suivront, le temps sera réparti entre les deux formations,
afin de formuler des questions. Alors, nous sommes disposés à
vous entendre pour les 20 prochaines minutes.
M. Yves Boulet
M. Boulet (Yves): Merci. Bonsoir, messieurs, bonsoir, mesdames.
Je vous remercie d'abord de m'accorder votre attention ce soir. Je veux
préciser, au départ, que le mémoire que je vous ai
envoyé a été envoyé à titre personnel et non
pas pour le Mouvement Desjardins, même si je travaille pour le Mouvement
Desjardins. Donc, à titre personnel, j'ai pris quelques heures de mon
été pour creuser quelques idées, les mettre sur papier. Je
suis une personne curieuse de nature et je suis une personne qui aime discuter
un peu de tous les sujets. Alors, je me suis dit: Pourquoi pas?
La présentation que je vais vous faire ce soir vise à
compléter le mémoire que je vous ai présenté en
abordant trois sujets qui n'ont été qu'effleurés dans le
mémoire. D'abord, le premier point, que j'ai appelé ma
société utopique, ma société idéale,
c'est-à-dire l'image à laquelle je vais me rattacher pour ensuite
essayer de mieux comprendre comment doit cheminer l'information. Le
deuxième point, le comportement éthique des organisations, et le
troisième point, les droits du citoyen.
La plupart des mémoires que vous avez reçus et qui
tiennent mordicus à avoir une loi très contraignante sont
fondés sur le droit à la vie privée. Je ne conteste pas le
droit à la vie privée, au contraire, c'est un droit que je
respecte et qui est important. Toutefois l'État n'a pas à faire
la promotion de la vie privée, ne doit pas promouvoir la vie
privée, seulement en promouvoir le respect. Sinon, ça risque de
nuire à l'échange d'informations et, partant de là, au
développement social.
C'est un peu gros ce que je viens de vous dire. Alors, je m'explique
d'une façon plus précise. Lorsque deux personnes se rencontrent
pour la première fois, le territoire de leur vie privée est
immense; elles ne se connaissent pas. Je ne connais pas l'autre personne,
l'autre personne ne me connaît pas. Donc, le territoire de la vie
privée est très vaste. Les premières paroles qui vont
être échangées vont donc être très
générales, très peu implicantes. On va parler de
météo, on va parler de hockey, on va parler des
événements qui sont dans l'actualité. Au fur et à
mesure qu'il y a échange d'informations, la confiance augmente, les
sujets de conversation
s'ouvrent de plus en plus sur la vie de l'un et de l'autre. Ça va
être des questions qui sont un petit peu implicantes et ça
commence par: Dans quel coin de la ville est-ce que tu habites? Est-ce que vous
êtes amateur de ceci ou de cela? Bon, on va commencer à y aller
sur des choses plus pointues. L'échange d'informations fait que le
territoire de la vie privée rapetisse quand la confiance augmente entre
deux personnes, quand l'échange d'informations permet cette
confiance-là. Lorsque la confiance s'installe, s'installe aussi une
capacité d'entraide qui est plus grande parce que, pour pouvoir aider
quelqu'un, aider une personne, il faut connaître ses besoins, il faut
connaître ses préoccupations, il faut connaître ses
goûts, ses buts. Et ça, c'est vrai autant dans les relations
interpersonnelles qui sont plus intimes... Pour aider quelqu'un qui a de la
peine d'avoir perdu un être cher, il faut le savoir. Pour aider quelqu'un
qui a une peine d'amour, il faut le savoir, il faut avoir une certaine relation
d'intimité, une relation de confiance avec cette personne-là. Et
c'est aussi vrai pour les relations professionnelles. Un médecin va
pouvoir poser un bon diagnostic, pas juste s'il connaît, je dirais, la
plomberie, c'est-à-dire juste à faire un diagnostic du corps
humain. Un bon diagnostic doit aussi s'appuyer sur la connaissance de son
patient, de ses comportements, de son rythme de vie, etc.
Donc, j'opposerais jusqu'à un certain point la capacité
d'entraide d'une société et le développement social
à l'étendue du territoire des vies privées. Et le lien
entre les deux ou le pont entre les deux, entre vie privée et
capacité d'entraide, c'est la confiance, et la confiance ne peut se
bâtir qu'avec de l'échange d'informations. Ma
société utopique, c'est donc la société qui se
parle, c'est celle qui fait de plus en plus confiance à autrui et c'est
celle qui s'entraide ultimement. Avec ça, on est peut-être un
petit peu loin du sujet qui vous préoccupe. Alors, j'essaie d'y
revenir.
Lorsqu'il est question de faire une nouvelle loi et de créer un
organisme, peut-être, on dit aux citoyens: Pour vous protéger, on
va encadrer et on va limiter le comportement des entreprises en matière
d'échange d'informations. Mais, par conséquent, on va aussi
restreindre l'échange d'informations; on va aussi le limiter et on va
aussi se prononcer ou limiter aussi le type d'information qui va être
échangé. Ça va restreindre la capacité d'entraide
d'une société. Je m'oppose donc à toute forme de
restriction dans l'échange et le stockage d'informations entre deux
personnes consentantes, deux personnes librement consentantes, que ces
personnes travaillent pour une entreprise ou que ce soit dans les relations
interpersonnelles.
Ce que ça aura pour conséquence... Entre autres, dans le
document de préparation qui a été envoyé et aussi
dans le mémoire de la Commission d'accès à l'information
du Québec, on donne une définition du droit à la
confidentialité ou de la confidentialité. Et, lorsqu'on pose des
contraintes du type de ne stocker que l'information strictement
nécessaire à la relation d'affaires, on vient de mettre un
contrôle sur le type d'information qui va être
véhiculé entre deux personnes consentantes. Et ce
contrôle-là, sur ce que, moi, je dis à une autre personne,
ça me fait peur. C'est un peu la vision du "Big Brother", d'Orwell.
C'est l'État qui se mêle de mes relations. Quand je parle
d'Orwell, je ne veux pas faire du drame où il n'y en a pas. Je suis bien
conscient que les gens qui proposent d'avoir une définition aussi
restrictive de la confidentialité n'ont pas de mauvaise volonté,
sauf que je constate que, en cette matière-là, de donner trop de
pouvoirs, trop de dents à la confidentialité, c'est créer
un enfer qui va être pavé de bonnes intentions.
Je reprends ça par un autre exemple. Je trouve que c'est toujours
important pour une personne de se faire interpeller par quelque chose qu'elle
aime, quelque chose qui la fait vibrer. Et ça, c'est vrai si, par
exemple, un citoyen est membre d'un mouvement social. Je ne sais pas, je suis
membre de Greenpeace, un militant de Greenpeace, ou je suis syndicaliste.
Pourquoi est-ce que mon médecin, pourquoi est-ce que mon dentiste,
pourquoi est-ce que n'importe quel autre professionnel avec qui je travaille ne
pourrait pas m'interpeller sur ces questions-là, ne pourrait pas me
demander des nouvelles sur mes activités syndicales, si c'est quelque
chose, si c'est un sujet que j'aime, dans lequel je m'épanouis et que je
veux être contagieux avec mon environnement? Pourquoi ces gens-là
ne pourraient pas s'informer et pourquoi ces gens-là ne pourraient pas
stocker cette information-là, c'est-à-dire se prendre une note
sur le coin d'un papier? C'en est une forme de stockage d'information. La
rentrer dans la machine, l'ordinateur, c'en est une autre, mais c'est
fondamentalement le même geste. Quand je dis à mon médecin
que je pars en Floride le mois prochain, pourquoi il ne se prendrait pas une
note et, à ma prochaine visite, m'en parler: "Pis, comment ça a
été, ton voyage en Floride?" Ce n'est pas strictement
nécessaire pour la relation d'affaires, mais pourquoi il ne le ferait
pas, puisque c'est entre deux personnes consentantes qui ont une relation de
confiance?
C'est sûr qu'on peut rétorquer que, si les entreprises
abusent de l'information qu'elles détiennent, la confiance qu'a le
citoyen dans les entreprises va prendre une débarque, que les citoyens
ne voudront plus confier de l'information aux entreprises parce qu'ils vont
avoir peur, et à bon droit. C'est là qu'on se rend compte que
finalement c'est un équilibre fragile qui existe entre les droits des
entreprises, les droits et devoirs des entreprises et les droits et devoirs du
citoyen. Les tenants d'une loi contraignante et d'une loi qui serait la plus
envahissante
possible semblent penser que les entreprises ont trop de poids, qu'elles
sont dangereuses. (21 heures)
Mon deuxième propos de ce soir est de vous dire que l'entreprise
n'est pas si dangereuse, n'est pas si pesante que ça dans la balance au
point de l'encarcaner dans toutes sortes de contraintes. Le
déséquilibre n'est pas si grand. Beaucoup d'entreprises ont
utilisé de l'information de façon abusive dans le passé.
Vous avez entendu des exemples, j'en suis sûr, devant cette commission.
J'en connais aussi. J'irai même plus loin. Les entreprises ont souvent eu
des comportements qui brimaient la personne humaine, ont souvent eu des
comportements qui ont même aliéné les personnes humaines,
et ça, depuis longtemps. Elles ont été des bourreaux pour
leurs employés, très souvent, elles le sont quelquefois encore,
et elles ont aussi, souvent, été inconscientes de leurs
responsabilités face aux consommateurs.
Par contre, le dossier noir des entreprises a plusieurs causes
historiques. J'aimerais vous en citer deux qui m'apparaissent plus importantes.
D'abord, les débuts de la révolution industrielle. On se situe au
début du XIXe siècle: progrès scientifiques et techniques
immenses, machine à vapeur, machine à explosion,
électricité, chemin de fer et tout ce qui s'ensuit. Ces
découvertes-là vont exiger une attention considérable des
gestionnaires, des propriétaires d'entreprises qui ont à mettre
tellement d'efforts pour mieux comprendre et mieux gérer la machine et
le capital que ça représente, qui ont tellement d'efforts
à mettre pour que l'humain puisse bien faire fonctionner ces
machines-là qu'ils en oublient peut-être leurs autres
responsabilités face aux consommateurs et face au mieux-être de
leurs employés. Et ça, ça m'apparaît être un
événement majeur qui, sur des décennies et des
décennies, va expliquer beaucoup le dossier noir des entreprises dans le
passé. D'autant plus qu'en ce même début de XIXe
siècle, milieu du XIXe, va aussi se passer une concentration
extraordinaire du capital. Peu de gens vont avoir beaucoup d'argent, et le
corollaire est aussi malheureusement vrai, beaucoup de personnes vont
être dépossédées, vont avoir très peu de
moyens. Le libéralisme économique, à cette
époque-là, en est à ses premiers balbutiements. Et, pour
survivre, c'est tellement contraignant, cette concentration, c'est tellement
inhumain ce que ça peut faire à la population que vont commencer,
à peu près à cette période, tous les mouvements
syndicaux. Coopératisme, communisme vont naître à peu
près dans ces moments-là. Le libéralisme économique
va aussi se donner un nouvel outil qui va lui permettre de déconcentrer
le capital. C'est la société par actions, un nouvel outil
juridique de propriété.
Quelles que soient les causes qui expliquent le dossier noir
passé des entreprises... Je vous ai parlé de la révolution
industrielle et de la concentration du capital. Il y en a sûrement
d'autres. Ce que je constate, par contre, c'est que l'histoire récente
démontre bien une amélioration du comportement des entreprises.
Il y a un comportement éthique des entreprises qui s'installe de plus en
plus. Premier courant de pensée qui attire mon attention: le marketing.
Depuis les années cinquante, le marketing professe, sans relâche,
que la raison d'être d'une entreprise, c'est de satisfaire le
consommateur. Les principes de marketing qui sont nés à peu
près au début du siècle, de ce siècle, vont
être enseignés auprès de tous les nouveaux gestionnaires,
particulièrement en Occident, ce qui va faire tranquillement changer des
choses. De nouveaux gestionnaires se font dire que leur raison d'être,
c'est de servir le consommateur et de le respecter.
Plus récemment, le marketing va prendre un nouveau visage, celui
de la qualité totale, celui de la qualité du service, dont on
entend même parler dans la fonction publique depuis quelques mois.
L'entreprise, dit-on, doit faire la bonne chose au bon moment pour satisfaire
le consommateur. Ce n'est que la reprise du discours qu'avait initié le
marketing, mais qui s'en va encore plus profondément dans le
comportement des entreprises modernes.
Qu'est-ce qui va suivre la qualité totale? Il y aura sans doute
d'autres concepts, mais je m'essaie avec un: l'approche relationnelle.
L'approche relationnelle qu'on verra probablement de plus en plus
présente dans les prochaines années, c'est de faire passer
l'ensemble de la qualité d'une relation humaine faite de bons services
et de confiance avant l'importance d'une vente momentanée dans le temps,
qu'elle ait été de qualité totale ou non. C'est donc de
faire passer la relation humaine avant la vente immédiate, la relation
de l'entreprise avec le client. Et c'est, dans le fond, l'approche
relationnelle, la relation d'affaires qui a toujours existé dans les
petits villages du Québec, celle où les gens se connaissent bien
et vont mettre la relation humaine avant la relation d'affaires.
Marketing, qualité totale, approche relationnelle et quoi encore?
Certains n'y voient que des modes. Moi, je préfère y voir une
lente évolution du comportement éthique de l'entreprise, de
l'humanisation des entreprises et de l'humanisation de notre système
économique. Il n'y a donc pas pour moi matière à
légiférer à outrance. La plupart des entreprises ont une
bonne volonté. Une loi supplémentaire ne ferait que restreindre
l'échange d'informations et réduire les possibilités
d'entraide d'une société.
Ce que j'ai voulu faire, c'est vous dire que l'entreprise n'est pas si
méchante que ça, ou qu'elle s'améliore de plus en plus,
rétablir l'équilibre un peu. Il reste encore, je pense, un petit
équilibre, un petit tour de roue à donner, pour donner aux
consommateurs, aux citoyens un petit peu plus de droits. Et ce
moyen-là
pourrait être le Code civil, qui est une loi statutaire que le
Québec se donne, dans le droit français, une loi statutaire qui
ne devrait donc pas nous inciter à créer d'autres lois
statutaires. Le Code civil qui énonce déjà les grands
principes du droit à la vie privée, et qui organise
déjà l'échange d'informations, qui le balise d'une
façon qui semble suffisante, y aborde le droit d'accès, le droit
de rectification et le droit à l'information.
Une seule lacune qui m'apparaît devoir être corrigée,
c'est que le Code civil, du moins dans la partie qui est abordée dans le
document de consultation - je ne suis pas juriste, faites attention - c'est le
droit de consentement qui n'est pas très explicite dans le Code civil
actuellement, c'est-à-dire la reconnaissance qu'un citoyen est le seul
décideur de l'information et le tout premier décideur de
l'information qui le concerne. C'est une question qui m'apparaît
importante. C'est un principe qui devrait même ne souffrir aucune
exception. Et, j'insiste là-dessus, parce que même le
mémoire de la Commission d'accès à l'information autorise
certaines exceptions du droit de consentement. Par exemple, une petite
entreprise qui ne vend pas souvent des banques de données pourrait le
faire sans le consentement de ses clients, pourrait vendre une banque de
données sans consulter ses clients. Je pense que cette
exception-là ne devrait même pas être tolérée.
Si je prends de l'information d'un client et que je la vends à quelqu'un
d'autre, ce client-là doit être mis au courant tout le temps. Que
ce soit une PME, ou que ce soit un organisme à but non lucratif, aucune
exception au droit de consentement. Je ne vois même pas même pas
pourquoi un tiers, qui pourrait être par exemple la Commission
d'accès à l'information ou toute autre commission, aurait
à se prononcer sur ce sujet-là. Ça ne regarde que deux
personnes, le client et l'entreprise, les deux personnes qui sont en relation
de confiance. L'amélioration du droit de consentement dans le Code civil
vient rétablir l'espèce d'équilibre entre citoyen et
entreprise, et apporte une confiance suffisante pour avoir des relations de
confiance et des relations d'entraide.
Je termine en vous laissant sur le message que si vous décidez de
légiférer, de faire une nouvelle loi, une nouvelle commission, ce
qui n'est pas mon opinion, ce qui n'est pas ce que je souhaite, mais si vous en
arrivez là, je vous demande de considérer cette dernière
nuance qui n'est peut-être pas habituelle, mais qui me semble quand
même importante. La responsabilité d'obtenir, d'emmagasiner,
d'utiliser de l'information ne devrait pas relever d'une entreprise ou d'une
corporation, qui est une personne morale, mais devrait toujours relever d'une
personne humaine, physique qui soit, par exemple, un employé ou un
représentant de l'entreprise: celui qui tantôt sera assis face
à son client, celui qui tantôt établira une relation de
confiance avec son client. Un peu à l'image de la responsabilité
professionnelle de l'avocat ou du médecin, qui a toujours une
responsabilité qui est individuelle, qui est personnelle, toujours
basée sur le fait qu'une relation de confiance s'établit entre
deux responsables de l'information: ce sont les deux personnes qui
échangent cette information-là. Merci de votre attention.
Le Président (M. Camden): Alors, je vous remercie M.
Boulet. J'invite donc maintenant le ministre des Communications à vous
adresser quelques questions.
M. Cannon: J'ai été un petit peu saisi, un petit
peu étonné que vous m'indiquiez que le nouveau Code civil est
suffisant pour protéger convenablement la vie privée, mais que
dans un deuxième souffle vous reconnaissiez la nécessité
de renforcer la question de consentement. J'en suis avec vous là-dessus,
mais une des raisons pour lesquelles on s'est réunis ici, c'est parce
que nous avons aussi décidé que la sanction était aussi
importante que la notion de recours. Et c'est principalement la raison pour
laquelle nous nous retrouvons ici en commission parlementaire, pour davantage
travailler ces aspects-là.
Au début de votre mémoire, vous nous avez parlé de
la vie privée comme de la panacée des sociétés
modernes. J'aimerais savoir ce qui vous fait émettre cette
opinion-là. Pourquoi nous dites-vous cela?
M. Boulet: C'est le fait des grandes villes de laisser plus de
liberté, plus de territoire à la vie privée et c'est une
chose qui a été... Les grandes villes, c'est un fait de notre
société moderne. Et c'est une chose qui a été
très courue par plusieurs citoyens, par plusieurs personnes, d'aller
chercher ce petit côté de la vie privée. Lorsque je dis que
l'État ne doit pas encourager la promotion de la vie privée,
c'est simplement que l'État, son rôle est davantage de promouvoir
des valeurs communautaires, des valeurs d'entraide, des valeurs de
solidarité, d'implication sociale, que de promouvoir un cloisonnement
des individus, une non-communication des individus. Ce qui n'enlève pas
l'importance de respect du droit à la vie privée,
c'est-à-dire que moi, comme personne, vous devez me respecter dans mon
rythme, ou tout citoyen, vous devez le respecter dans son rythme de se
dévoiler à autrui, de se dévoiler et de faire confiance de
plus en plus à la société. C'est important de respecter ce
rythme-là du citoyen, ce que j'appelle le droit à la vie
privée, mais ce n'est pas le rôle de l'État de promouvoir
la vie privée, d'en augmenter la...
M. Cannon: J'ai de la misère à saisir, là.
Vous dites que ce n'est pas le rôle de l'État de promouvoir la vie
privée, mais comment l'État
doit-il procéder pour faire en sorte que vous, comme citoyen,
votre droit à la vie privée, il puisse être promu?
M. Boulet: O.K. Je vous donne un exemple, là. Lorsque
l'État précise ce qu'est la confidentialité et dit: Entre
tel citoyen et tel professionnel, vous ne pouvez vous échanger que tel
type d'information, l'État dit c'est quoi la vie privée, il
l'encadre, il en fait la promotion, il aide la vie privée à se
développer, puisqu'il empêche deux personnes de communiquer, de
mieux se connaître, de se faire confiance.
M. Cannon: Et, dans la mesure où il y a consentement de
part et d'autre, vous dites qu'il n'y a pas d'empêchement. J'essaie de
suivre votre réflexion.
M. Boulet: Oui, oui, vous avez raison.
M. Cannon: Je pense que ce qu'on tente de faire ici, et ce qui a
été démontré dans plusieurs mémoires, l'une
des choses que je retiens, moi, c'est que l'information que je consens à
vous fournir comme individu ou comme institution, etc., je le fais librement,
sans aucune espèce de restriction quant à ma personne. Mais je
m'attends par ailleurs à ce que les informations que je vous transmets
à vous personnellement, puisque vous voulez me donner un service pour
que je puisse vous fournir ces renseignements-là, je m'attends à
ce que ces renseignements-là, par contre, demeurent, chez vous,
confidentiels. Et lorsque, entre deux personnes, il y a ce respect mutuel, nous
faisons la promotion de la vie privée. Mais que faites-vous de ces
milliers de Québécois et de Québécoises qui, sans
avoir préalablement donné le consentement dont nous parlons ici
comme prémisse de base, qui, sans l'avoir donné, se retouvent
fichés dans des institutions financières ou auprès
d'entreprises qui se spécialisent dans la transmission de données
et de renseignements personnels? Comment pouvons-nous, comme
société, tolérer une chose semblable? (21 h 15)
M. Boulet: Vous avez raison, c'est intolérable. C'est ce
que moi, j'appelle... C'est l'importance que je mets à renforcir le
droit de consentement. C'est-à-dire que l'information que vous donnez
à une entreprise ne concerne que vous et l'entreprise. L'entreprise n'a
pas à la donner ou à la vendre à quelqu'un d'autre sans
mon consentement à moi. Et, sur le premier volet de votre question, je
suis aussi tout à fait d'accord avec vous. Ce que vous me dites, ou ce
qu'un citoyen dit à un professionnel ou à une entreprise, lorsque
c'est une relation libre et consentante, ils peuvent se dire tout ce qu'ils
veulent, la seule limite, c'est la confiance mutuelle qu'il va y avoir. Ce
contre quoi j'en ai, c'est d'affirmer, par exemple - et là je cite le
document de consultation, lorsqu'on définit le droit à
l'information et qu'on dit: "La cueillette de données devrait être
limitée à ce qui est strictement nécessaire et pertinent
à la réalisation des fins légitimes de l'entreprise."
C'est que je ne veux pas qu'on soit restrictif au point de dire que, si je vais
chez le médecin, je ne peux lui dire que ce qui est santé et ce
qui est hors santé, ça n'entre dans aucun fichier, je n'ai pas
à le lui dire.
M. Cannon: Je ne pense pas que l'intention du législateur
soit de restreindre ce que vous voulez dire, au contraire. Ce n'est pas
ça.
M. Boulet: Être fiché.
M. Cannon: Parce qu'il y a toujours la Charte des droits et
libertés qui est là. Ce que nous voulons restreindre, c'est ce
que vous et moi nous venons d'aborder ensemble. Je ne veux pas restreindre,
moi... S'il y a quelqu'un qui est prêt à donner de l'information,
ça va, mais dans la mesure où, évidemment, cette
information-là sert la cause. Vous faites quoi, par exemple, pour
l'Individu... Et je pense qu'on a discuté l'autre jour ici en commission
des cas où, visiblement, la Charte des droits de l'homme était en
cause. Par exemple, le député de Pointe-aux-Trembles, si je suis
son employeur, je lui pose une série de questions qui n'ont ni queue ni
tête par rapport à l'emploi qu'il postule, mais parce que je veux
avoir d'autres renseignements. Il me les donne de crainte, peut-être, de
ne pas avoir l'emploi. Je viens de commettre une infraction grave contre ses
droits à lui. Mais ça, c'est couvert par un autre comité,
ou enfin par une autre loi qui gouverne ça. Nous, ici, nous voulons voir
comment on peut restreindre la circulation de ces informations là. C'est
les seules précisions que je voulais vous apporter et je demande
à mon collègue de continuer au niveau du questionnement.
Le Président (M. Camden): M. le député de
Pointe-aux-Trembles.
M. Bourdon: Oui. Dans votre mémoire vous dites: "Dans le
cas qui nous intéresse, l'ampleur d'un problème social n'est pas
évidente. L'utilisation reprehensible de renseignements personnels n'est
pas dommageable au point de justifier une loi supplémentaire." Une femme
victime de violence conjugale, par exemple, qui doit appeler son ancien
conjoint et à qui l'afficheur apprend le numéro de
téléphone où il peut la rejoindre. Ou un conjoint qui,
recevant un appel d'une clinique, apprend que sa conjointe a une MTS, ou bien
est allée à une clinique pour se faire avorter. Il me semble,
moi, que c'est suffisamment grave pour que le gouvernement songe à
intervenir et doive, quant à nous de l'Opposition, intervenir. Parce que
le monde que vous décrivez
est un monde presque idéal, champêtre. Les villages sont
tous transformés en villes et vous parlez de relations de confiance et
d'entraide entre les personnes et vous dites: L'État viendrait
empêcher cette entraide-là entre les personnes en
protégeant la vie privée. Mais, dans le fond, vous dites
quasiment: La vie privée, c'est l'égoïsme individuel. Mais,
dans notre société, il y a des relations de dépendance
aussi. Il y a quelqu'un qui veut emprunter et qui donne son consentement
à ce que l'institution financière fouille passablement dans sa
vie privée, pas parce qu'il a envie de donner le renseignement, mais
parce qu'il a besoin du prêt. Ou une personne veut prendre une
assurance-vie parce qu'elle craint pour la survie de ses dépendants, de
son enfant, de sa conjointe ou de son conjoint, advenant son
décès. Ou une personne sollicite un emploi. Ce que je veux dire,
c'est que je ne disconviens pas qu'il pourrait exister un monde idéal
tel que vous le voyez, mais dans le vrai monde ce n'est pas comme ça que
ça se passe et les intrusions dans la vie privée sont de plus en
plus nombreuses, précises et peuvent être dramatiques. Prenez
juste l'afficheur téléphonique... Et je m'excuse de
développer un peu longuement, mais ça m'apparaît
fondamental. C'est supposé que l'afficheur téléphonique a
pour but d'empêcher que des femmes, par exemple, reçoivent des
appels obscènes, alors qu'à l'évidence, c'est le
répondeur téléphonique qui peut filtrer les appels
obscènes. Le répondeur téléphonique est un plus
dans la protection de la vie privée parce qu'il permet de filtrer les
appels qui rentrent chez soi. Si c'est un importun, on peut laisser faire le
répondeur et ne pas lui rendre son appel. Mais l'afficheur, lui, a pour
but direct, obligé, nécessaire qu'une personne apprend sur
l'autre personne un renseignement que l'autre personne n'a pas consenti
à lui donner. Là, on en vient à dire - je reviens à
la téléphonie -que pour ne pas être affiché, il
faudrait payer. Pourquoi au juste faudrait-il payer pour ne pas divulguer des
renseignements? Alors, moi, la question que je vous pose, c'est la suivante:
Pourquoi l'État, par une intervention législative, viendrait-il
enlever des possibilités de relation de confiance et d'entraide et
qu'une entreprise qui a des renseignements sur, mettons, 3 000 000 ou 4 000 000
de Québécois, elle, son action irait dans le sens de la relation
d'entraide ou de confiance? Je vous avoue que je ne vous suis pas à cet
égard.
M. Boulet: Quand vous parlez de différents exemples
où il y a eu des manquements au respect de la vie privée, je vous
suis tout à fait. Je ne vous dis pas qu'il n'y en a pas et je ne vous
dis pas qu'il ne faut rien faire. Sauf que, quand il est question de loi, je me
dis: À la lecture, il me semble que le Code civil est suffisant. Il me
semble qu'il couvre tout ce qui est traité dans le document de
consultation et dans tout ce qui semble toucher le respect de la vie
privée et l'échange d'informations, les balises qu'on doit donner
à l'échange d'informations. Donc, je me dis: Oui, une loi, mais
il y en a déjà une loi statutaire qu'il s'agira peut-être
juste de renforcer à certains endroits, dont le droit de
consentement.
Il y a un autre moyen qui peut être utilisé aussi, et je
pense qu'on n'en a pas fait beaucoup usage, c'est la sensibilisation des
entreprises. Les banques d'informations, les banques de données, c'est
quelque chose de nouveau, l'échange de banques d'informations et la
plupart des gens qui vendent et qui manipulent ces informations-là ne
sont pas conscients souvent des manquements au respect de la vie privée
qu'ils vont faire. Et, d'après moi, une sensibilisation avec une loi
minimum pourrait très bien faire le travail.
M. Bourdon: Maintenant, je me permets de vous faire observer...
Vous parlez de la loi statutaire et vous faites sans doute allusion au Code
civil, mais les dispositions en cause n'ont pas été
promulguées encore, depuis trois ans. Avant de les renforcer, il
faudrait peut-être leur donner effet. Il y a un autre inconvénient
majeur à se borner à dire que le Code civil, si on promulguait
l'article que l'Assemblée nationale a voté il y a trois ans,
ça serait suffisant pour protéger les citoyens. Là,
après ça, pour exercer le droit, au cas où une personne a
à se plaindre, il faut avoir le moyen d'ester en justice, d'embaucher un
avocat et de se défendre, alors qu'une loi de portée
générale quant à l'intention et spécifique quant
aux moyens donnerait, par hypothèse, à un organisme qui est
facile d'accès et qui ne coûte rien, le pouvoir de faire respecter
les dispositions de la loi. Parce que, à cet égard-là, il
y a comme une impossibilité. Et la question que j'ajoute à
ça... Déjà la Loi sur la protection du consommateur donne
au citoyen le droit de consulter sa fiche de crédit, entre autres. Les
dirigeants d'Équifax qu'on a rencontrés nous ont donné des
chiffres de consultation de fiches de crédit, qui sont de l'ordre de 30
000 $ par année pour à peu près 4 000 000 de personnes
fichées. Est-ce que vous ne pensez pas que tout ça montre qu'il
ne faut peut-être pas une intervention de l'État qui soit
tatillonne, mais qui énonce des principes généraux et qui
donne aux citoyens un recours réel pour faire respecter leur vie
privée?
M. Boulet: La réponse va venir davantage des travaux de
votre commission et des travaux de l'Assemblée nationale, à
savoir les moyens à mettre en place pour faire respecter les grands
principes et les lois qui seront édictés. L'idée de mettre
des tribunaux administratifs parce que ça accélère ou
facilite le recours et que ça accélère le traitement... Je
suis d'accord que les tribunaux administratifs dans les dernières
années ont
grandement aidé l'administration de la justice. Cependant, pour
moi, c'est régler un problème en en créant un autre,
c'est-à-dire l'encombrement des tribunaux. En faisant des tribunaux
administratifs, ça ne fait qu'augmenter le volume de lois qu'on peut
passer, ça ne fait qu'engourdir davantage la société dans
différentes lois, dans des lois plus envahissantes, plus pointues et
plus redondantes. Bien sûr, c'est un moyen qu'on peut prendre, mais c'est
aussi un moyen qui a son prix sur une longue échelle quand on constate
une accumulation des lois. Ça me fait penser juste à une anecdote
que j'ai lue dans le mémoire de la Commission d'accès à
l'information, où on dit que le citoyen ne s'y retrouve plus dans les
lois lorsqu'il veut faire appel à un manque de respect à la vie
privée. Je me dis, oui, c'est vrai que le citoyen ne se retrouve plus
face à un paquet de lois et un paquet de tribunaux et, pour
remédier à ça, on va faire une autre loi et un autre
tribunal. Il me semble que c'est le moyen que vous avez, qu'on connaît
actuellement, mais je me dis: II y aurait moyen d'être créatif et
d'essayer de regarder d'autres avenues.
M. Bourdon: Mais, dans le fond, c'est qu'il y a dans nos
sociétés trop de relations qui sont unilatérales. Par
exemple, je demande un prêt à une institution financière,
je lui consens par écrit le droit de vérifier des choses à
mon sujet. Elle obtient des renseignements - il y a maintenant beaucoup de
banques de données où elle peut les obtenir - elle les lit et
elle sait sur moi des choses que je ne sais pas qu'elle sait. Ça ne
serait pas très compliqué, très bureaucratique que de dire
que l'institution qui obtient des renseignements sur une personne doit les
photocopier et les remettre à la personne ou les mettre à la
poste. Un exemple: les institutions financières, quand on contracte un
emprunt nous font toujours parvenir par la poste après la copie du
contrat avec les conditions qui y sont contenues. Pourquoi il n'y aurait pas
là-dedans les renseignements que cette institution-là a obtenus,
pour que la citoyenne ou le citoyen sache ce qui est dit et qu'un tiers peut
voir? Ça peut être anodin. Il peut n'y avoir rien de reprehensible
dans les renseignements qui auraient été obtenus. La personne
serait rassurée que ce qui circule sur elle dans les banques de
données est exact, est conforme et ne contient rien de mauvais. Sinon,
quel est son droit de faire corriger ou de faire rajouter si elle ignore
même ce qui circule à son sujet? C'est là-dessus, je pense,
que notre commission cherche des moyens de mieux garantir le droit à la
vie privée. Je vous soulignerai qu'en matière d'assurance-vie le
consentement qui est donné par la personne va loin, parce que le
consentement porte sur des renseignements de nature médicale,
confidentiels, auxquels la société d'assurances peut avoir
accès. Donc, moi, je pense que dans un monde idéal vous avez
peut- être raison dans ce que vous dites, mais ce n'est pas ça que
je vois dans le monde où on vit.
M. Boulet: Ce n'est pas ça que je vois moi non plus. La
solution que vous proposez se défend. La solution que je propose, c'est
d'y aller avec les dispositions qui sont déjà prévues au
Code civil et qui me semblent suffisantes, sauf le droit de consentement, et
une campagne de sensibilisation qui éduquerait les citoyens à
utiliser leur droit à l'information, par exemple, pour aller
requérir ce qui est fiché à leur sujet auprès d'une
institution financière. C'est des moyens qui se valent.
Le Président (M. Camden): Est-ce qu'il y a d'autres
questions? M. le ministre. (21 h 30)
M. Cannon: Tantôt, on refusait évidemment de dire
que la société s'en va dans le "Big Brother", d'Orwell. Mais,
vous avez sans doute, et je voudrais juste peut-être connaître
votre commentaire là-dessus, fait l'acquisition de produits dans des
magasins de toutes sortes. Et je présume que vous n'êtes pas
différent des autres Québécois et des autres personnes sur
la planète. Vous avez probablement une petite carte de plastique que
vous remettez au préposé qui, évidemment, fait le total de
tout ça, vous fait signer la copie et, en bas, vous dit: Voulez-vous
inscrire votre numéro de téléphone? Je me suis toujours
demandé pourquoi inscrire mon numéro de téléphone.
D'abord, s'ils prennent ma carte de crédit puis qu'ils viennent de la
passer dans la machine, il y a de fichues de bonnes chances que, parce que
c'est marqué "autorisé", on va autoriser le paiement en bout de
piste. Mais, pourquoi le numéro de téléphone? Parce que,
peut-être, si ça ne passe pas avec la compagnie American Express
ou avec une autre, on va pouvoir me rejoindre. Ou est-ce que c'est pour
d'autres fins, de dire: Bien oui, il consomme ici régulièrement,
il s'achète tel type de produits et peut-être
qu'éventuellement on pourrait, à l'aide de son numéro de
téléphone, connaître son adresse et lui envoyer des
produits, ou je ne sais pas trop? En tout cas. Mais vous, comment voyez-vous
ça? Moi, je n'ai pas consenti. Je vais vous dire bien franchement que,
quand ils me demandent mon numéro de téléphone, je ne
rouspète pas, mais je marque n'importe quel numéro de
téléphone - 289-4595 - puis, habituellement, plutôt que de
mettre sept chiffres, j'en mets huit et ça passe tout le temps comme un
couteau dans le beurre.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Boulet: Ils ne s'en aperçoivent pas.
M. Cannon: Ça, c'est ma petite façon de faire ma
petite révolution à moi. Mais, d'après vous, comment
est-ce que vous voyez ça?
M. Boulet: Pour moi, ça rentre dans la relation de
confiance que vous avez avec l'entreprise avec laquelle vous faites affaire. Si
on parle d'institutions financières, par exemple, des cartes de
crédit, si, moi, j'ai de l'information comme quoi cette
entreprise-là ne me respecte pas ou ne respecte pas l'information me
concernant, la diffuse à tout un chacun, je change de compagnie tout
simplement. C'est la même chose si, par exemple... Bon, un exemple qui
m'est arrivé aussi: Je donne à un organisme sans but lucratif, ne
sachant pas que cet organisme sans but lucratif fait partie d'un pool de six
organismes sans but lucratif qui ont donc ma fiche, et là, je me fais
téléphoner à toutes les trois semaines par ce même
"pool". Moi, je n'ai accordé ma confiance qu'à un organisme, pas
à six. Il l'a perdue, ma confiance; il n'y a plus d'argent maintenant
quand il me rappelle, cet organisme-là. Et, plus loin que ça, si
le droit de consentement était mieux spécifié dans la loi,
je l'utiliserais, c'est sûr. Je trouve que c'est un manquement à
la relation de confiance qui s'établit entre une entreprise et un
individu. Le droit de consentement, pour moi, c'est sacré, et ne souffre
d'aucune exception.
Lorsque je parlais d'Orwell, de "Big Brother", ce n'est pas tant dans la
quantité d'informations qu'une entreprise va avoir sur moi, parce que
c'est moi, toujours, qui la lui donne, cette information-là, c'est
davantage sur l'information qui va être échangée librement
entre moi et l'autre personne. Vous me rassuriez tantôt lorsque vous
disiez que l'État ne regardera pas du tout ce qui va être
échangé entre deux personnes consentantes. Vous me rassuriez
parce que... Tantôt, j'ai cité le document de consultation. Je
regarde aussi le mémoire de la Commission d'accès à
l'information. Et, quand elle dit: "La collecte de renseignements personnels
doit répondre à des impératifs précis et
sérieux, elle doit se limiter aux seules données indispensables
aux fins d'une démarche précises et aux exigences d'une loi",
j'ai encore peur par un énoncé comme ça, qu'on dise: Tu
peux dire ça à ton professionnel ou à l'entreprise avec
laquelle tu fais affaire, et tu ne peux pas dire ça.
M. Cannon: Je pense que ce qui est important, c'est que nous
n'interdisions pas le consentement, l'échange d'informations entre deux
personnes qui sont consentantes. C'est de limiter après, compte tenu de
la finalité pour laquelle cette information-là a
été obtenue et consentie, donc fournie; c'est de limiter
après.
M. Boulet: Oui. Qu'elle ne se promène pas partout.
M. Cannon: Voilà!
M. Boulet: Et, là-dessus, je vous suis totalement et vous
me rassurez beaucoup quand j'entends ça.
M. Cannon: Oui. Ça, c'est comme une autre affaire ici. Ce
soir, quand vous êtes arrivé ici... Vous portez un petit macaron
là?
M. Boulet: Oui.
M. Cannon: Bon. Et, lorsque vous êtes arrivé ici,
vous avez sans doute, volontairement ou pas... Parce que, quand vous êtes
arrivé à l'Assemblée nationale, vous vous êtes dit:
C'est la maison des députés, c'est la maison du peuple.
Probablement que je peux entrer dans cette maison-là sans être
obligé de fournir des renseignements. Mais, effectivement, vous avez
fourni des renseignements ce soir.
M. Boulet: Oui.
M. Cannon: On vous a demandé une série de questions
en entrant ici.
M. Boulet: Oui.
M. Cannon: Est-ce que, d'après vous, dans une
société libre, ouverte et démocratique, on devrait
être obligé de faire ça?
M. Boulet: Je ne vous suis pas. Faire quoi? Demander des
renseignements?
M. Cannon: Transmettre des informations comme celles-là
dans la maison qui est une maison vouée à la
démocratie.
M. Boulet: Ah oui, oui! Si vous les demandez et que, moi, je vous
fais confiance, je vous les donne. Si je ne vous fais pas confiance, je n'entre
pas ici.
M. Cannon: Mais, justement, c'est ça. Vous étiez
appelé à témoigner ici ce soir. Et si vous aviez dit au
préposé à la sécurité: Non, je ne consens
pas a vous donner ni mon adresse ni mon âge - et je ne sais pas trop
quelle autre information qui est exigée - c'est quoi qui se serait
produit? Vous n'auriez pas pu rentrer ici. Mais, alors que vous aviez soumis
volontairement un mémoire et que vous veniez rencontrer des
parlementaires, des élus du peuple, pour donner des renseignements, on
vous a fait passer à travers un tamis en premier. Curieuse situation,
n'est-ce pas?
M. Boulet: Mais, pour moi, je ne vois pas où il y a un
problème.
M. Cannon: Mais c'est parce que... Comment on concilie ça
avec un milieu où, évidemment, dans une... Parce que j'essaie de
suivre votre mémoire et on parle un petit peu d'une utopie où
tout devrait être beau. Mais ça, c'est la vraie
vie. Vous entrez ici et, évidemment, pour des raisons de
sécurité, on ne vous connaît pas, on vous demande de
fournir ces renseignements-là. Mais, comment on arbitre ça dans
notre société? Qu'est-ce qu'on fait pour... Est-ce que vous
êtes d'accord avec cette pratique?
M. Boulet: Absolument! Dans la mesure où, moi, je suis
libre d'y adhérer ou pas. L'échange d'informations se fait entre
deux personnes consentantes. Entre deux personnes qui ne sont pas consentantes,
il ne se fait pas. C'est d'autant plus vrai dans le champ privé: si je
ne vais pas à une place, je peux aller ailleurs. Quand vous parlez de la
maison du peuple, du parlement, c'est évident que, si je ne me fais pas
entendre auprès de vous ce soir, il n'y a pas grand place où je
peux faire valoir mon point de vue.
M. Cannon: C'est parce que vous êtes obligé de
rencontrer une condition.
M. Boulet: C'est ça. Et vous avez le monopole de la...
M. Cannon: Puis, si vous n'aviez pas voulu rencontrer cette
condition-là, vous ne seriez pas devant nous ce soir. C'est ça,
le point que j'essaie de mettre en évidence.
M. Boulet: Oui. Et comme vous avez le monopole de ce genre de
pratique-là, ça va un peu moins bien que dans le secteur
privé où c'est en libre concurrence. Si un médecin exige
de moi une information que je trouve non justifiée et que je ne suis pas
prêt à lui livrer, compte tenu de ma relation de confiance avec
lui, je peux aller en voir un autre. Je suis libre à ce
niveau-là.
M. Cannon: O.K. Ça va. M. Boulet: Merci.
Le Président (M. Camden): M. le député de
Pointe-aux-Trembles.
M. Bourdon: Mais, en passant, vous parlez de la relation avec un
médecin, par exemple. Mais, il n'y a rien de simple. Par exemple, si
votre employeur vous envoie voir son médecin, vous pouvez être
tenu de le voir, de vous confier à lui. Il n'est pas lié au
secret professionnel et, en arbitrage, il peut être appelé
à témoigner contre vous. Si vous changez de médecin, c'est
parce que vous convenez de changer d'employeur. Par les temps qui courent, ce
n'est pas un choix que bien des gens se décident à faire. Et la
plupart des gens qui vont voir le médecin désigné par leur
employeur ignorent qu'il n'est pas du tout tenu au secret professionnel. Je ne
dis pas ça sur un ton dénonciateur. C'est comme ça. Il y a
des clini- ques médicales nombreuses, rentables, profitables, où
les médecins qui y sont n'ont jamais soigné personne de leur vie.
Ils ont juste cumulé des renseignements sur l'état de
santé de personnes afin d'être partie éventuellement
à un litige entre l'employeur et l'employé. Je vous dis que
l'exemple que vous donnez... Rendu là, et là, je vous livre mon
expérience, le conseil que j'ai déjà donné à
des personnes, c'est de parier le moins possible. Vous n'êtes pas
obligé de révéler des choses. Et quand le médecin
auquel l'employeur vous réfère est un psychiatre et qu'il vous
questionne sur votre sexualité, ce n'est pas simple. Vous êtes
violenté dans votre vie privée. Puis, pour revenir à votre
exemple, pour changer de médecin, il faut changer d'employeur. S'il n'y
a pas d'autre employeur, on ruse.
M. Boulet: Je suis bien conscient que ce n'est pas une situation
simple, qu'il n'y a que des situations complexes dans notre
société, mais, pour le restant des travaux, je vous fais
confiance.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Bourdon: On vous remercie.
M. Cannon: Merci de votre présence ce soir.
M. Boulet: Ça me fait plaisir.
Le Président (M. Camden): Je vous remercie, M. Boulet. Sur
ce, les travaux de la commission des institutions prennent fin. J'ajourne donc
les travaux au mercredi 6 novembre, à 20 heures.
(Fin de la séance à 21 h 40)