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(Dix heures onze minutes)
Le Président (M. Dauphin): Mesdames et messieurs, le
quorum étant constaté, je déclare donc ouverte la
séance de la commission des institutions qui a pour mandat, aujourd'hui,
d'examiner l'opportunité de maintenir ou, le cas échéant,
de modifier la date d'expiration du délai prévu au premier
alinéa do l'article 42 de la Loi modifiant le Code civil du
Québec et d'autres dispositions législatives afin de favoriser
l'égalité économique des époux. Mme la
secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements au niveau des membres de
la commission?
La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Brassard
(Lac-Saint-Jean) est remplacé par Mme Carrier-Perreault (Les
Chutes-de-la-Chaudière).
Organisation des travaux
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup. Alors, à
ce stade-ci, j'aimerais vous donner lecture de l'ordre du jour qui est devant
nous. Tout d'abord, nous aurons, évidemment, la déclaration
d'ouverture de la ministre déléguée à la Condition
féminine et responsable de la Famille; ensuite, la déclaration
d'ouverture de la porte-parole de l'Opposition officielle qui, en l'occurrence,
est, je crois, Mme la députée des Chutes-de-la-Chaudière.
Nous aurons également cinq minutes pour un député
indépendant, M. le député de Westmount, qui m'a fait part
qu'il aurait quelques, remarques préliminaires.
Nous aurons ensuite, bien sûr, comme premier groupe, le Barreau du
Québec - auquel, au nom des membres de la commission, je souhaite la
bienvenue - avec la bétonnière, Me Borenstein, Me Vadboncoeur qui
est une habituée des commissions parlementaires et, également, Me
Grassby. Ensuite, nous aurons le Conseil du statut de la femme. Il est
prévu une suspension. Après, nous avons la
Confédération des organismes familiaux du Québec, pour
poursuivre ensuite avec l'Association féminine d'éducation et
d'action sociale (AFEAS); ensuite de ça, nous avons la Chambre des
notaires du Québec et, après le dîner, nous avons la
Fédération des associations des familles monoparentales du
Québec et, ensuite, les allocutions de fermeture.
Alors, je demande maintenant à la ministre
déléguée à la Condition féminine et
responsable de la Famille de procéder à ses remarques
préliminaires.
Remarques préliminaires Mme Violette
Trépanier
Mme Trépanier: Merci, M. le Président. Chers
collègues de la commission, si nous sommes réunis aujourd'hui,
c'est pour donner suite à la motion adoptée par
l'Assemblée nationale, le 22 juin dernier, à l'effet de tenir une
commission parlementaire restreinte pour examiner l'opportunité de
maintenir ou de modifier la date d'expiration du délai prévu dans
la loi favorisant l'égalité économique des époux.
Ce délai, qui s'adresse seulement aux époux mariés avant
le 1er juillet 1989, devait leur permettre, si les deux y consentaient, de
renoncer à l'application des dispositions sur le partage du patrimoine
familial. Cet examen devait se faire, comme le souligne le Journal des
débats du 22 juin, à la lumière des informations
recueillies sur la performance de cette disposition transitoire.
Dans les quelques minutes qui me sont allouées ce matin,
j'aimerais d'abord faire un bref rappel des principes qui ont incité le
gouvernement à inclure cette disposition transitoire dans la loi.
Ensuite, je m'attarderai davantage sur l'objet exclusif de cette commission,
qui est de fournir à l'Assemblée nationale l'assurance que tous
les moyens ont été pris pour bien faire connaître la loi
favorisant l'égalité économique des époux et la
disposition transitoire.
Le patrimoine familial est constitué d'un ensemble de biens dont
la valeur est partageable, à part égale, au moment de la rupture.
La toi permet cependant aux époux de renoncer à leurs droits dans
le patrimoine familial au moment où naît le droit au partage,
c'est-à-dire à la dissolution de l'union. Ce n'est, en effet,
qu'à ce moment-là que les parties sont en mesure d'évaluer
leurs droits et de décider d'un partage inégal, si telle est leur
volonté. Permettre aux époux de renoncer d'avance,
c'est-à-dire au moment du mariage, à une application future de la
loi aurait enlevé à cette mesure tout son sens.
Par ailleurs, le législateur s'est montré sensible aux
arguments en faveur d'une plus grande souplesse à l'égard des
époux déjà mariés. Dans cette veine, et sans tous
les exclure automatiquement de l'application des dispositions de la loi, il a
introduit une mesure transitoire leur permettant de se soustraire en tout ou en
partie à l'application de la loi, pourvu que cette renonciation se fasse
avant le 31 décembre 1990. Un temps de réflexion de 18 mois avait
alors été jugé nettement suffisant. J'ai aujourd'hui le
même sentiment, d'autant plus que, pendant toute
cette période, organismes gouvernementaux et du milieu et
regroupements professionnels ont mené de nombreuses activités de
communication pour faire connaître la loi, rétablir un sentiment
de sécurité et de confiance en regard des changements qu'elle
apportait et informer les couples mariés de leur possibilité de
renoncer.
J'aimerais donc vous faire part maintenant des actions de communication
qui ont été menées par divers ministères et
organismes gouvernementaux depuis l'entrée en vigueur de la loi. Nous
allons, en même temps, vous distribuer des tableaux qui montrent le
niveau de pénétration des moyens déployés pour
rejoindre la population. À la lumière de ces données, il
est très clair que la population du Québec aura été
rejointe d'ici le 31 décembre 1990 et, par conséquent, qu'il n'y
a pas lieu de modifier la date d'expiration du délai.
Dès l'adoption de la loi 146, en juin 1989, plusieurs
ministères et organismes ont collaboré pour développer une
stratégie d'information. Les objectifs poursuivis par cette campagne
étaient: informer le grand public sur la loi favorisant
l'égalité économique des époux afin qu'il comprenne
bien ses éléments essentiels et les modifications qu'elle apporte
au Code civil; s'assurer que les couples mariés et ceux qui
prévoient se marier comprennent bien l'impact des nouvelles
dispositions, entre autres, sur leur régime matrimonial et leur
testament. Les objectifs étaient également d'apporter les
correctifs appropriés aux diverses interprétations de la loi qui
ont été véhiculées dans les journaux par des
éditoriaux ou des lettres d'opinion durant le processus de consultation
et lors de la commission parlementaire.
Les clientèles visées étaient les avocats, les
notaires, les juges, les groupes de femmes, les professeurs et les
étudiants en droit, les prêtres et curés de paroisse, les
services de préparation au mariage, les services de pastorale, les
services de médiation, les organismes familiaux, la
Fédération des CLSC, les directeurs des centres de services
sociaux, l'Association coopérative d'économie familiale, les
organismes sociaux tels les clubs Rotary et Kiwanis, les clientèles du
ministère des Communautés culturelles et de l'Immigration, les
journalistes, l'appareil gouvernemental et le grand public. Afin d'intervenir
efficacement auprès de ces clientèles, des outils de
vulgarisation de la loi ont été développés et ont
été mis à contribution, journaux, revues grand public ou
spécialisées, radio, télévision, services de
renseignements, salons, tribunes publiques.
Il me fait plaisir, M. le Président, de déposer à
cette commission un cahier qui regroupe l'ensemble des outils de vulgarisation
qu'ont développés les ministères et organismes. On y
retrouve un exemplaire de la fiche questions-réponses produite par le
Secrétariat à la condition féminine à
l'été 1989 et tirée à 65 000 exemplaires, dont 10
000 en anglais. On retrouve également un exemplaire du numéro
spécial du bulletin du Secrétariat à la condition
féminine, "À la une au gouvernement", diffusé en
août 1989 et distribué depuis à plus de 30 000 personnes;
des trois dépliants de la série "Droit au but", soit
"Séparation et divorce", "Le testament" et "Le mariage", mis à
jour à l'automne 1989 et tirés chacun à 85 000 exemplaires
en français et 15 000 en anglais. Vous y retrouverez également
l'article de 11 feuillets, intitulé "Patrimoine familial: ne signez rien
les yeux fermés", paru dans le numéro de novembre-décembre
de La Gazette des femmes, le magazine du Conseil du statut de la femme
tiré à 100 000 exemplaires. Je rappelle que cet article a aussi
fait l'objet d'un tiré à part produit en 50 000 exemplaires. Je
vous laisse aussi les huit articles sur les différentes modalités
de la loi, accompagnés d'exemples pertinents en regard de la
clientèle agricole, parus dans la revue La Terre de chez nous au
cours de l'automne 1989.
C'est bien connu, on ne retient de l'information qui inonde les
médias tous les jours que ce qui nous touche personnellement. C'est
pourquoi les ministères et organismes qui ont développé la
stratégie d'information ont tout mis en oeuvre pour favoriser une forte
pénétration de l'information au niveau régional. Par
l'intermédiaire de Communication-Québec, dont je tiens ici
à souligner la grande collaboration et la qualité des
interventions, des plans régionaux de communication ont
été développés en août 1989 et mis en oeuvre
au cours de l'automne de la même année Tous ces plans reposaient
sur les relations de presse, les services de renseignements, le soutien
à l'organisation de sessions d'information ou de conférences et
la diffusion des outils d'information consacrés à la loi.
Comme vous pourrez le voir à la lecture des tableaux qui vous
seront distribués, à l'automne 1989, à travers le
Québec, les hebdomadaires régionaux ont consacré des
chroniques à la loi. les stations radiophoniques ont diffusé des
capsules d'information ou tenu des lignes ouvertes, des stations de
télévision régionales ou communautaires ont parlé
de la loi à leurs bulletins de nouvelles ou dans le cadre
d'émissions d'actualité. En outre, chaque direction
régionale de Communication-Québec, qui produit un bulletin
régional d'information à l'intention des responsables
d'organismes régionaux, a consacré une chronique à la loi
et même, dans deux cas, produit un numéro du bulletin
entièrement consacré à la loi.
De plus, il faut souligner la tournée du Conseil du statut de la
femme dans toutes les régions du Québec. Plus de 400
représentants ou représentantes de groupes ou d'organismes du
milieu et plus de 1000 personnes, pour la majorité, des gens
mariés âgés entre 45 et 55 ans, ont assisté à
ces conférences. De cet organisme, il faut également retenir
qu'il a fourni des renseignements téléphoniques a plus de
1635
personnes durant la période de juin à décembre
1989. Les quelques bureaux régionaux de Communication-Québec qui
ont fait une compilation des demandes de renseignements établissent ce
nombre à près d'une centaine par mois.
Par ailleurs, les amendements apportés à la loi de 1989
ont nécessité la mise en oeuvre d'une seconde campagne de
communication. La stratégie adoptée se devait d'être
différente, étant donné les informations contradictoires
qui avaient circulé dans les médias au cours de la
dernière année. Les moyens retenus pour informer la population
ont été choisis parce que, compte tenu des ressources
disponibles, ils étaient les plus aptes à atteindre les objectifs
fixés pour cette seconde campagne, à savoir: faire comprendre le
bien-fondé de la loi et les avantages qu'elle procure aux deux
époux en assurant l'équité dans le partage de la valeur de
ce qu'ils ont bâti ensemble; replacer la loi dans le contexte de la
complémentarité des réformes du Code civil touchant le
droit de la famille; faire comprendre que la loi est en conformité avec
nos droits juridiques fondamentaux relatifs à la liberté de
contracter et de tester et qu'elle n'annule pas les contrats déjà
existants entre les époux.
Elle avait pour but également de faire admettre
l'impossibilité qu'une loi d'ordre général puisse
régler tous les cas particuliers, d'amener chacun à comprendre
l'impact de la loi sur sa situation personnelle et, le cas
échéant, l'inciter à apporter les modifications
nécessaires. Elle avait pour but d'expliquer également et de
faire comprendre que le droit à la renonciation est accessible à
tous, seul le moment diffère; d'expliquer et de faire comprendre
l'importance de faire ou refaire son testament, ainsi que celle d'une bonne
planification financière et, enfin, d'expliquer et de faire comprendre
que la notion du patrimoine familial profite à tous les membres de la
famille.
Les clientèles visées par cette campagne de communication
étaient les mêmes qu'en 1989. Toutefois, compte tenu des objectifs
de cette seconde campagne, il était important de mieux cibler, parmi la
population en général, les gens mariés, les futurs
époux et ceux qui envisagent un second mariage.
Je rappelle que cette campagne a été conçue pour se
dérouler en deux phases. La première a eu lieu dès
l'adoption du projet de loi 47 pour mettre à profit les modifications et
les clarifications qu'il apportait. Elle a eu lieu sous le thème "Mythes
et réalités". La seconde, qui a débuté les premiers
jours d'octobre, devait permettre d'approfondir les sujets de
préoccupation les plus souvent portés à notre attention.
Le budget disponible était de près de 300 000. $. Les moyens de
communication qui ont été privilégiés sont: le
placement publicitaire dans les grands quotidiens et les revues d'affaires; la
production d'articles pour les médias et la participation à des
émissions radiophoniques et télévisées; la
révision de certains des outils d'information développés
en 1989, afin de tenir compte des modifications apportées; des envois
personnalisés à des relayeurs d'information. L'installation d'une
ligne INWATS a permis, en outre, au Secrétariat à la condition
féminine d'assurer, avec Communication-Québec et le Conseil du
statut de la femme un service de renseignements gratuit à toute la
population du Québec.
Quels sont les résultats de cette campagne? Le 30 juin 1990, dans
tous les quotidiens français et anglais du Québec a paru une page
publicitaire intitulée "Le patrimoine familial: Mythes et
réalités". Présentée sous forme de six
questions-réponses, cette publicité visait à corriger
certaines interprétations de la loi et à mettre en lumière
les bonifications apportées par le projet de loi 47. Cette page a permis
de rejoindre une population estimée à plus de 3 500 000. Il faut
souligner également que cette publicité a paru dans le journal
Les Affaires du 7 juillet dernier, dans le journal Finance du 14
juillet et dans le numéro de septembre du magazine Justice, ce
qui a permis de rejoindre plus spécifiquement quelque 450 000 personnes
des milieux juridiques, des affaires et de l'administration.
Le samedi, 6 octobre dernier, un encart de quatre pages,
inséré dans les mêmes journaux, a fourni à plus de 4
000 000 de lecteurs et lectrices une information complète sur la loi, sa
portée et ses effets potentiels sur leur situation personnelle. Dans la
semaine qui avait précédé la parution de l'encart, une
capsule radiophonique de 30 secondes avait invité les gens à lire
et à conserver l'encart de fin de semaine dans leur quotidien. Cette
capsule a été diffusée par plusieurs stations
radiophoniques à travers tout le Québec, à
différentes heures de la journée, ce qui a permis de rejoindre
près de 2 500 000 auditeurs et auditrices différents. On estime
que 64 % des gens de 18 ans et plus qui vivent sur le territoire de diffusion
des stations radiophoniques retenues ont entendu le message trois fois ou
plus.
La parution de ces messages publicitaires a suscité de nombreuses
demandes de renseignements depuis le début de l'été.
Ainsi, le Secrétariat à la condition féminine a
reçu, à lui seul, quelque 500 appels téléphoniques
entre le 3 juillet et le 22 août 1990. Ce sont en majorité des
femmes qui se sont adressées au Secrétariat, mais le pourcentage
d'hommes s'établit à quelque 40 %. Par ailleurs, le groupe
d'âge le plus représenté par rapport à son
pourcentage de la population a été celui des 55 ans et plus, sort
38 %. À l'été 1990, la principale préoccupation des
gens concernait les effets du patrimoine familial sur la clause testamentaire
"Au dernier vivant les biens". Rus de 32 % des demandes de renseignements
avaient trait à cet aspect, alors que 14 % concernaient la question de
la renonciation. (10 h 30)
Grâce à cette relation directe avec ta population, il a
été possible de produire, pour octobre, un encart publicitaire
qui réponde davantage aux interrogations qui subsistaient encore par
rapport à la loi. Depuis cette parution d'octobre, soit pour une
durée de moins de trois semaines, soit quatorze jours ouvrables, quelque
800 appels ont été logés au Secrétariat. L'effet de
la loi sur les testaments, bien qu'encore une préoccupation majeure,
avait cédé sa place aux questions sur les régimes
privé et public de pension. Les dispositions concernant la renonciation
ne sont que dans de rares cas l'objet principal des demandes.
En conclusion, quel que soit le domaine où, une nouveauté
est introduite, elle soulève toujours des questions. Dans le cas de la
création d'un patrimoine familial, c'est une innovation qui oblige
chaque époux à réfléchir sur les aspects aussi bien
personnels qu'économiques de sa vie, et à en évaluer les
impacts sur sa propre situation. Il ne faut donc pas s'étonner que
l'institution d'un patrimoine familial ait suscité tant de controverse
depuis sa création. Grâce aux campagnes d'information
menées par le gouvernement, mais aussi par les organismes du milieu,
dont quelques-uns sont ici aujourd'hui pour en faire toi, on peut affirmer que
les gens connaissent maintenant la loi et ses effets sur leur situation,
personnelle. Je vous remercie.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup, Mme la ministre
pour votre déclaration d'ouverture. Je demanderais maintenant à
la porte-parole de l'Opposition officielle, Mme la députée des
Chutes-de-la-Chaudière, de procéder à sa
déclaration d'ouverture.
Mme Denise Carrier-Perreault
Mme Carrier-Perreault: Merci, M. le Président, Mme la
ministre, Mmes et MM, les députés. Je voudrais aussi saluer et
souhaiter la bienvenue aux représentants des différents groupes
qui ont bien voulu venir travailler avec nous aujourd'hui.
Cette consultation est un moment privilégié qui permettra
de faire le point après 16 mois, d'application de cette loi constituant
un patrimoine familial partageable. Il s'agira surtout de tenter de savoir s'il
est nécessaire de maintenir ou de modifier la date d'expiration du
délai, prévu à l'article 42 de la loi 146, c'est à
dire le délai permettant aux époux mariés avant le 1er,
juillet 1989 de renoncer au partage du patrimoine familial. Les propos des
spécialistes de cette question, des gens qui ont à expliquer
cette loi, ainsi que les personnes qui ont, en quelque sorte, à vivre
avec cette loi, viendront certainement aider le gouvernement à prendre
une bonne décision.
Avant de procéder, il est cependant important de faire un rappel
des faits afin de comprendre que la loi 146 a été le fruit de
quelques années de réflexion. Si on remonte en janvier 1987, on
se rappellera qu'il y a eu la création, du comité sur les droits
économiques des conjoints, formé de représentants du
ministère de la Justice, du Secrétariat à la condition
féminine et du Secrétariat à la politique familiale. En
août 1987, le rapport du comité fut déposé chez Ie
ministre de la Justice. Il portait sur les sujets suivants: protection de la
résidence familiale, prestation compensatoire, régimes
matrimoniaux, régimes de rentes.
En juin 1986, la ministre déléguée à la
Condition féminine et le ministre de la Justice déposent un
document de consultation portant sur les droits, économiques des
conjoints. Ce document introduisait la notion de patrimoine familial. À
l'automne 1988, une consultation publique; se déroule, entre le 12 et le
20 octobre 1988 plus précisément. Une vingtaine d'organismes et
d'individus se présentant devant les membres de la commission des
institutions, la Chambre des notaires est le seul organisme à s'opposer
à. l'adoption d'un tel projet. Le projet de loi 146, Loi modifiant le
Code civil du, Québec et d'autres dispositions législatives afin
de favoriser l'égalité économique des époux, est
présenté à l'Assemblée nationale te 15 mai 1989,
adopté le 21 juin et sanctionné le 22 juin. La loi entre en
vigueur le 1er juillet 1989.
À la, suite de l'adoption de la loi 146, un vent de
mécontentement a soufflé sur cette loi, cela, malgré les
objectifs louables de cette loi. Il serait peut-être d'ailleurs
intéressant de les rappeler, aujourd'hui, ces objectifs. L'un des
premiers objectifs était de consacrer le mariage comme institution de
partenariat entre les époux. En second lieu, il s'agissait de
concrétiser, sur le plan économique, les principes
d'égalité juridique des époux qu'inscrits dans le Code
civil. Il s'agissait aussi; de corriger la situation d'injustice vécue
par certaines femmes, séparées ou divorcées, qui se
retrouvent démunies de tout bien après avoir contribué par
leur travail au bien-être de leur famille. Rappelons que les femmes sont
économiquement pénalisées au moment du divorce. Les
statistiques révèlent que le niveau de vie moyen des hommes
divorcés augmente de 42 % dans l'année suivant le divorce alors
que celui des femmes divorcées et de leurs enfants diminue de 73. %.
Afin de corriger certaines lacunes dans le texte de la, loi 146 et
d'apporter quelques changements jugés nécessaires après un
an d'application de cette loi, le projet de loi 47 était adopté
le 22 juin, dernier. Il venait spécialement, clarifier toute la question
de la plus-value des biens acquis et payés avant le mariage, ainsi que
des biens reçus par succession, legs ou donation. Cela répondait
à une certaine critique-formulée depuis l'adoption de la loi.
146.
Lors de l'adoption de la loi 19. au printemps dernier et en juin encore,
au moment de l'adop-tion de la loi 47, l'Opposition insistait pour
qu'une vaste campagne publicitaire destinée à informer
tous les Québécois et toutes les Québécoises du
contenu de la loi 146 soit mise en place. À ce moment-là, nous
croyions qu'une telle campagne permettrait de démontrer que les
commentaires négatifs entendus depuis plusieurs mois concernant la loi
146 étaient plutôt le résultat d'une information
déficiente que d'une mauvaise loi. Nous croyions également qu'il
était urgent de faire cette campagne publicitaire, puisque les couples
mariés devaient tous être informés des dispositions de
cette loi avant que le délai accordé par l'article 42 ne soit
échu, c'est-à-dire le 31 décembre 1990.
Puisque le gouvernement s'est rendu à la demande de l'Opposition
et qu'une vaste campagne d'information a été faite
récemment, nous devons maintenant en mesurer l'impact. Je suis heureuse
que l'Opposition ait aussi obtenu la tenue de cette commission parlementaire
pour entendre les groupes intéressés par la possibilité de
prolonger le délai accordé par l'article 42. Souhaitons que nos
invités seront en mesure de nous dire si la campagne a été
suffisante pour éclairer les Québécois et les
Québécoises, ou si d'autres actions s'avèrent
nécessaires.
En résumé, M. le Président, nous tenterons
d'obtenir des réponses aux questions suivantes. Les
Québécois et les Québécoises mariés avant le
1er juillet 1989 se sont-ils prévalus de la disposition leur permettant
de renoncer au partage du patrimoine et, si oui, l'ont-ils fait en connaissance
de cause? Le gouvernement a-t-il suffisamment informé tous les citoyens,
peu importent leurs conditions socio-économiques, du contenu de la loi
146 et des conséquences de leur renonciation au partage? Le gouvernement
doit-il maintenir ou modifier la date d'expiration du délai et, si oui,
quels seraient les avantages de ce nouveau délai? C'est à peu
près le genre de questions auxquelles nous tenterons, aujourd'hui,
d'obtenir des réponses, et j'espère que l'éclairage qui
nous sera donné sera d'une grande aide pour la prise de décision.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): Alors, merci beaucoup, Mme la
députée des Chutes-de-la-Chaudière. Je sais que, selon
l'entente qui a été prévue et signée entre le
président et le vice-président de la commission, vous aviez droit
à 15 minutes. Est-ce qu'il y a d'autres membres de votre groupe qui
aimeraient prendre quelques minutes?
Mme Harel: Avec plaisir, M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): Alors, je vais maintenant
reconnaître Mme la députée...
Mme Harel: Si vous me l'offrez, je vais en profiter.
Le Président (M. Dauphin):... de Hochelaga-
Maisonneuve.
Mme Louise Harel
Mme Harel: Merci. Oui, en fait, je voudrais
réfléchir un peu avec les membres de la commission sur l'exercice
que nous entreprenons ce matin. Nous avons déjà eu l'occasion
d'échanger là-dessus. Je suis également porte-parole de
l'Opposition en matière de justice et responsable, pour l'Opposition, du
dossier de la réforme du Code civil. Évidemment, ce n'est pas
étranger, ce que nous faisons, à toute cette remise en question
de notre Code civil.
Je vous rappelle que cette réforme avait été
décidée il y a maintenant 30 ans, lors de la mise en oeuvre de
l'Office de révision du Code civil, et entreprise, il y a 20 ans, en
1979, avec la législation modifiant le droit de la famille. C'est
très important, je pense, qu'on se resitue dans un contexte pour essayer
de comprendre le sens de ce que nous faisons avec cette législation qui
est devant nous et qui est de type inédit, parce que c'est une
législation qu'on pourrait appeler proactive, c'est-à-dire une
législation qui prend parti en faveur de dispositions d'action
positive.
Moi, je constate qu'il n'y a aucun changement qui s'est fait sans heurts
dans notre société. Je pense, entre autres, à tout ce
grand ménage qui s'est fait dans les dispositions sexistes que
contenaient nos législations. il faut se rappeler que le Code civil
contenait des dispositions qui considéraient comme incapables, sur le
plan juridique, les femmes mariées. Alors, il y a eu des grands
ménages juridiques qui se sont faits ici dans le Parlement et qui ont
suscité également, il faut se le rappeler, de l'effervescence
dans l'opinion publique. Je me rappelle, entré autres, tout le
débat autour de la société d'acquêts. Je ne sais pas
si vous vous rappelez la guerre d'usure que la Chambre des notaires avait
faite, à cette époque, en 1972, contre l'adoption de la
société d'acquêts, mais c'est à peu près
rien, ce qu'on constate présentement. On regarde ce qui s'est fait il y
a maintenant 18 ans et on voit l'évolution des choses, parce que la
Chambre des notaires est tellement réconciliée avec la
société d'acquêts que, maintenant, elle invoque que ce
n'est pas nécessaire d'introduire le patrimoine familial, étant
donné qu'il y a la société d'acquêts qu'elle
combattait il y a deux décennies maintenant. Alors, on voit qu'il y a
une évolution intéressante des esprits et peut-être, dans
quelques années, assisterons-nous à la même
réconciliation, il faut l'espérer. Mais tout ça
m'amène finalement à constater que ces changements se sont faits
avec l'appui de l'opinion publique, parce qu'il s'agissait, essentiellement,
d'introduire des mesures d'égalité juridique.
Mais, voyez-vous - et c'est ça qui fait la nouveauté de la
législation qui est devant nous, et c'est un paradoxe qu'on ne peut pas
ne pas
examiner - c'est au moment où les femmes ont eu le plus de droits
qu'elles sont les plus pauvres. C'est vraiment un paradoxe dans notre
société, qui devrait interpeller tous ceux qui sont dans les
gouvernements: Comment se fait-il que les femmes n'ont jamais eu autant de
droits et qu'elles n'ont jamais été aussi pauvres? Parce que la
pauvreté se conjugue au féminin. Ce qu'il faut introduire, ce
sont des mesures qui reconnaissent la différence, et pas simplement
l'égalité. Essentiellement, la différence repose sur la
maternité. Ce sont là des législations d'action positive.
C'est sûr qu'elles bouleversent notre façon de voir les choses
introduite il y a 20 ans en termes d'égalité, parce qu'on
introduit une mesure qui peut apparaître, d'une certaine façon,
comme faisant de la discrimination, mais cette discrimination est introduite
parce que justement, à rebours, il y a, dans la réalité de
la vie économique et sociale, une discrimination qui est faite aux
femmes.
C'étaient les quelques remarques que je voulais faire, M. le
Président. Je vous remercie.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Mme la
députée. Je vais maintenant reconnaître, tel que
prévu à l'entente, M. le député de Westmount pour
cinq minutes.
M. Richard B. Holden
M. Holden: Merci, M. le Président. Mesdames du Barreau, M.
le Président, vous savez, j'avais un grand-père qui était
avocat et un grand-père qui était notaire. Aujourd'hui, je me
range du côté de mon grand-père notaire.
Nous sommes réunis aujourd'hui afin d'étudier la
possibilité de modifier et de prolonger le délai permettant aux
couples québécois de se soustraire aux dispositions de la loi
146. Le gouvernement semble être d'avis qu'une telle prolongation de
délai accorderait aux couples plus de temps pour se renseigner et
décider en toute connaissance de cause s'ils désirent se
prévaloir de cette disposition exceptionnelle.
Je crois que c'est un pas dans la bonne direction, car l'on doit
craindre qu'un délai aussi court, soit le délai de 18 mois,
pourrait être une source de consentement trop vite fait. Je suis d'accord
avec le gouvernement pour prolonger ce délai, mais je suis d'avis et je
recommande à la commission que l'on aille un peu plus loin. Si l'on ne
fait que prolonger le délai permettant de se soustraire aux dispositions
de la loi, nous ne nous penchons pas sur le libellé discriminatoire de
l'article 42 envers les couples qui se sont mariés après
l'adoption de la loi, il y a un an. Je propose donc que la commission aille un
peu plus loin, en suggérant un amendement à la loi, de sorte que
tous les couples, qu'ils se soient mariés avant ou après le 1er
juillet 1989, puissent se soustraire à la loi à tout moment, tant
que dure leur union.
En conclusion, M. te Président, je voudrais souligner à la
commission, sans reprendre tout le débat sur la légitimité
de la loi, que la loi, sous le prétexte de corriger une situation, ne
règle que le problème d'une minorité au détriment
et en pénalisant le reste de la population. La conjoncture d'aujourd'hui
est tout autre. Les dispositions de la loi 146 n'ont presque plus d'application
et vont même à rencontre des mouvements d'émancipation des
femmes et de l'idée d'égalité entre les sexes. Les femmes
d'aujourd'hui, sans exclure celles qui accèdent au poste de ministre,
doivent avoir accès à l'autonomie financière et avoir
pleine maîtrise sur leur patrimoine. Le couple d'aujourd'hui doit donc
avoir le droit de se soustraire à la loi 146, en tout temps. Merci, M.
le Président.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup, M. le
député de Westmount Ceci étant la fin des
déclarations d'ouverture, je vais maintenant demander à la
porte-parole du Barreau du Québec, Me Sylviane Borenstein, qui est
bétonnière du Québec, de nous faire la joie de nous
présenter les personnes qui l'accompagnent.
Mais, juste avant, j'aimerais prendre 30 secondes pour vous
présenter rapidement les membres de la commission, parce que, bien
souvent, on passe une journée ensemble et vous ne savez jamais avec qui
vous faites affaire, ni quels sont les députés qui sont membres
de la commission. Alors, je commence à ma droite, rapidement: M. Kehoe,
député de Chapleau; M. Benoit, député
d'Orford...
Une voix: Qui est avocat.
Le Président (M. Dauphin):.. qui est avocat: M. Fradet,
qui est député de Vimont et qui siège pour la
première fois avec nous, c'est un nouveau membre de la commission des
institutions, bienvenue, M. Fradet M. Houde, qui est député de
Berthier, et Mme la ministre, évidemment, qui nous présentera les
deux personnes qui l'accompagnent. À mon extrême gauche, M. le
député de Westmount, M. Holden; le vice-président de la
commission des institutions, M. Trudel, député de
Rouyn-Noranda-Témiscamingue, qui me remplacera tantôt - je tiens
à m'excuser tout de suite - puisque j'ai une autre réunion
à la commission Bélanger Campeau; Mme la députée de
Hochelaga-Maisonneuve, Mme Harel; Mme Caron, députée de
Terrebonne; Mme Carrier-Perreault, des Chutes-de-la-Chaudière, Me
Rousseau, qui est recherchiste pour l'Opposition, la secrétaire, Me
Lucie Giguère, et je crois qu'il y a la directrice de cabinet de Mme la
ministre... (10 h 45)
Mme Trépanier: Mme Francine Boivin qui est
secrétaire générale associée à la Condition
féminine et, par intérim, à la Famille.
Auditions
Le Président (M. Dauphin): Alors, bienvenue à tout
le monde. Me Borenstein, c'est à vous la parole.
Barreau du Québec
Mme Borenstein (Sylviane): Merci, M. le Président. Je vais
m'excuser d'avance, également, car je vais devoir partir bientôt.
D'ailleurs, c'est pourquoi j'ai avec moi Me Miriam Grassby, qui fait partie du
comité du Barreau sur les droits économiques des conjoints et qui
est également vice-présidente de la section
québécoise du Comité de la famille du Barreau canadien, et
Me Suzanne Vadboncoeur, qui est directrice du Service de recherche et de
législation du Barreau du Québec, qui pourront répondre
aux questions, même après mon départ.
Avant tout, je dois vous dire que la position du Barreau,
exprimée à travers les membres de son comité sur les
droits économiques des conjoints, est unanime sur la question. Le
Barreau du Québec s'oppose catégoriquement à toute
prolongation du délai. Je dois vous dire qu'à l'origine, lorsque
nous discutions du projet de loi 146, le Barreau était contre la
création d'un délai. Mais nous avons compris qu'il y aurait
délai, nous avons demandé qu'il soit le plus court possible, et
le délai a été mis à 18 mois. Nous étions
contre, à l'époque, le fait qu'il y en ait un et vous comprendrez
donc que nous sommes contre le fait que ce délai soit prolongé,
pour plusieurs raisons.
Premièrement, la loi 146 étant une loi remédiatrice
d'application générale, on ne saurait prolonger indûment la
période pendant laquelle les époux peuvent s'y soustraire sans
remettre en question le fondement même de cette loi. Or, je pense que le
but de la commission, aujourd'hui, n'est pas de discuter du fondement de la
loi, mais, tout simplement, de l'opportunité de prolonger le
délai.
Les raisons qui ont été soulevées pour une
éventuelle prolongation sont, entre autres: est-ce qu'il y a eu
information adéquate de (a population? Je pense que Mme la ministre a
fait la démonstration qu'il y avait eu information adéquate de la
population. Au nom du Barreau, je peux vous dire que les commentaires des
avocats sont qu'il y a eu information adéquate.
Nous pensons qu'il y aurait un effet extrêmement négatif
à une prolongation car, étant une mesure transitoire, nous ne
voudrions pas que cette prolongation, s'il y avait lieu, soit un moyen
déguisé de traduire un changement de la volonté politique,
en permettant toutes les exclusions possibles sans que cela n'y paraisse
trop.
Aussi, le législateur ne peut pas se permettre d'adopter une
solution qui soit de nature à alimenter l'insécurité car,
si on décidait, aujour- d'hui, de le prolonger pour n'importe quelle
période, il y aurait l'insécurité de savoir: S'il y a
déjà eu une prolongation, pourquoi pas une deuxième?
Pourquoi pas une troisième, etc. ?
De plus, ia prolongation du délai aurait un effet pervers chez
les couples eux-mêmes. J'arrive d'une tournée où je suis
allée à Rouyn, Amos, Val-d'Or, Rimouski, Sept-îles et
Baie-Comeau. Dans chaque ville, j'ai rencontré les avocats et je leur ai
posé la question, en préparation à ma venue, ce matin.
C'était unanime, il y aurait un danger à ce qu'il y ait une
prolongation car, déjà, on voit des tordages de bras, on voit de
la violence physique contre l'époux, pour essayer de l'amener à
s'exclure. Alors, je pense qu'il y a un danger, même physique, à
une prolongation.
Il y a un autre élément qui est significatif, et c'est
qu'il y a quand même eu 16 mois d'écoulés, pendant lesquels
la population avait l'opportunité de s'exclure de cette loi. Durant ces
16 mois, moins de 2% des couples qui auraient pu s'exclure l'ont fait. Je pense
qu'ici les chiffres parlent par eux-mêmes. Pourtant, il y a eu
énormément de publicité négative contre la loi dans
les médias, dans les journaux, jusqu'à ce qu'elle soit
corrigée et que les gens comprennent enfin quelle était la vraie
portée de cette loi. Malgré toute cette publicité
négative, moins de 2 % des couples se sont exclus. Alors, je pense que,
certainement, il n'y a pas lieu de prolonger le délai.
En conclusion, en plus de constituer une politique législative
douteuse et un précédent dangereux, la décision de
prolonger le délai de renonciation pourrait donner l'impression que le
gouvernement regrette d'avoir adopté une telle loi. Il y aurait une
période d'incertitude et d'insécurité déjà
troublante pour les justiciables. Si, comme le Barreau, le gouvernement croit
à la justesse des principes de la loi 146, il serait bien avisé
de ne pas la modifier, même pour en prolonger le délai de
renonciation. Je vous remercie.
Je demanderais maintenant à Me Grassby si elle a...
Mme Grassby (Miriam): J'aurais peut-être quelques
commentaires à ajouter, qui viennent de mon expérience comme
praticienne, dans les derniers 18 mois. Il est clair que j'étais
impliquée et j'étais très intéressée
à ce que la loi passe, parce que comme praticienne, je voyais
énormément de problèmes financiers dans les couples au
moment du divorce. Moi, mon grand-père n'était pas notaire, il
était avocat, et je pense que les notaires voient les couples heureux,
et les avocats, peut-être, voient les couples qui sont moins heureux,
à des moments plus difficiles.
Depuis que la loi est en vigueur, j'ai eu l'occasion, à plusieurs
reprises, en parlant avec des confrères et dans mon propre bureau,
de
rencontrer des gens qui m'ont raconté des histoires assez
pénibles par rapport à cette possibilité de renoncer
à la loi. Il y a eu une occasion où j'ai trouvé ça
très dur, où justement un homme, un époux est venu un peu
en panique pour un rendez-vous à la dernière minute, et, quand il
est venu me voir, je me suis rendu compte qu'il était contre la loi et
qu'il avait essayé de convaincre son épouse de renoncer. Et, il
m'a décrit tout ce processus. Enfin, je lui ai dit: Mais c'est quoi, le
problème? Parce qu'il me décrivait comment il était contre
la loi et comment il avait essayé de faire renoncer sa femme. Le
problème, m'a-t-il dit après une heure, c'est que ma femme, je
pense, va divorcer. Parce que, dit-il, pendant ce processus-là, je pense
que j'y suis allé un peu trop fort. Alors, c'est quoi? Bon,
peut-être qu'à quelques reprises je l'ai frappée. Mais,
vous savez, j'avais pris un petit coup. C'est un homme qui, finalement... C'est
une situation qui ne devrait pas exister. C'est une situation dont on entend
les confrères dire que ça existe ailleurs. Ça fait une
pression dans une maison qui n'a pas... On n'a pas besoin d'une période
d'extension de ce genre de pression.
Il y a aussi dans d'autres maisons une espèce... On voit
ça même chez les gens où il n'y a pas une question
physique. C'est que, souvent, l'époux qui a plus que l'autre... Et
même il y a des ménages où il y a beaucoup d'avoirs. J'ai
déjà vu une famille où le monsieur avait plus de 1 000 000
$ et il n'y avait qu'une question de maison, une maison d'une pas si grosse
valeur, et d'un fonds de pension à diviser, et il lui resterait
énormément. Et ça peut aussi, facilement, être la
femme qui ne veut pas partager, mais il y a une énorme pression. On en
discute le samedi soir. On en discute en couple. Et ça fait des moments
très, très difficiles pour un couple. Parce que je
soupçonne que, lorsqu'on découvre que notre époux ne veut
pas partager, ce manque de générosité, ce manque de
reconnaissance de valeur, ça ne peut qu'avoir un effet sur la relation
de couple.
Et je pense que c'est vraiment unanime chez les praticiens que, oui, il
y a des gens qui sont venus nous voir pour avoir des renseignements, mais que
c'est plutôt source de problèmes maintenant, dans les couples,
cette question. Parce que, si on est d'accord, on renonce. Si on n'est pas
d'accord, ce n'est pas une pression ou une période plus longue qui va
amener une renonciation. J'ai des clients qui m'apportent des informations que
le gouvernement a données dans la dernière période et je
constate qu'il y a une information populaire qui a atteint beaucoup de monde.
Et, soit qu'on est d'accord, soit qu'on n'est pas d'accord. Mais ce n'est pas
une période supplémentaire qui va aider les gens à se
mettre d'accord, dans le couple, pour renoncer.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Me
Grassby. Me Vadboncoeur.
Mme Vadboncoeur (Suzanne): Oui, M. le Président,
peut-être juste un petit détail à ajouter, parce que,
déjà, a peu près tout a été dit en ce qui
concerne la position du Barreau... Je voudrais aussi souligner aux membres de
la commission que non seulement ça n'ajouterait rien de prolonger le
délai de renonciation, mais il ne faut pas oublier aussi que les couples
qui auront vécu 10, 15, 20, 25 ans de vje commune pourront adopter, lors
de la rupture, lors d'un divorce éventuel, des conventions qui
satisferont leur situation propre. C'est peut-être un détail que
les gens oublient trop souvent et que je trouvais important de souligner.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Me Vadboncoeur. Me
Borenstein, merci beaucoup. Nous allons maintenant procéder à la
période d'échanges et je vais reconnaître Mme la
ministre.
Mme Trépanier: Merci, M. le Président Avant de
m'adresser au Barreau, je voudrais faire une correction concernant des propos
que le député de Westmount nous a énoncés tout
à l'heure. Il a dit que le mandat de la commission était de
prolonger le délai. Je voudrais rectifier tout de suite pour dire que le
mandat de cette çommission-ci, comme l'a mentionné te leader du
gouvernement le 22 juin, est bien d'examiner l'opportunité de maintenir
ou, le cas échéant, si on jugeait que l'information avait
été insuffisante, de modifier la date d'expiration du
délai. Alors, je ne voudrais pas qu'on commence cette journée
avec cette ambiguïté. Je me devais de la rectifier.
M. Holden: Mes espoirs m'ont suggéré cette
expression-là.
Des voix: Ha, ha, ha!
Le Président (M. Dauphin): Mme la ministre, la parole est
à vous. (11 heures)
Mme Trépanier: M. le Président, permettez-moi de
souhaiter la plus chaleureuse des bienvenues aux gens du Barreau, à la
bâtonnière, Me Borenstein, à Me Vadboncoeur et à Me
Grassby, et de tes remercier pour leur collaboration de tous les instants
depuis tes débuts de l'élaboration de cette loi sur
l'égalité économique des conjoints. Maintenant, on parle
en nombre d'années, depuis la commission parlementaire sur
l'avant-projet, et vous ayez toujours été d'un précieux
secours. Je trouve tout à fait normaux les propos de Me Grassby, qui est
avocate., qui a un père avocat; elle est - je peux dire entre guillemets
- l'une des mères de ta loi 146, parce qu'elle était membre d'un
comité qui s'appelait...
membre du Projet-partage qui est à l'origine de cette loi 146. Sa
fonction d'avocat n'est sûrement pas étrangère... Vous
aviez raison de dire que vous, vous voyez les couples lorsqu'ils ont des
problèmes, alors que d'autres corporations les voient quand c'est beau
et rose, au début du mariage. Alors, vous avez une vision
différente des choses.
Je suis tout à fait d'accord, également, avec les propos
de la députée de Hochelaga-Maison-neuve, quand elle nous a dit
que les droits sont de plus en plus importants pour les femmes, mais - question
curieuse - elles sont aussi de plus en plus pauvres. Nous considérons
que l'un des objectifs à long terme de cette loi sur
l'égalité des conjoints doit être de faire diminuer cette
pauvreté qui reste à la dissolution d'un couple; trop souvent, et
dans la majorité des cas, les femmes qui. font l'objet d'une rupture se
retrouvent plus démunies et plus pauvres que lors de leur union.
Me Borenstein, vous avez fait de l'information, je pense, auprès
de vos membres, un peu partout. Je voudrais, un, que vous nous expliquiez
quelle est la teneur de l'information que vous avez faite à vos membres
et, deuxièmement, je reviendrai sur une question au niveau
régional.
Mme Borenstein: Nous avons publié plusieurs rapports,
depuis 1987, sur le partage du patrimoine. Nous avons eu des articles
constamment dans le Journal du Barreau, qui est un journal envoyé
à tous les avocats, à chaque deux semaines. Il y a eu toute une
série d'articles constamment au cours des années pour informer
sur la teneur de la loi 146, la teneur de la loi 47, la consultation avant de
se prononcer. Nous avons également eu, dans le magazine
Maîtres, plusieurs reportages qui interviewaient plusieurs avocats
et avocates sur le patrimoine familial. Nous avons eu de la formation
permanente, des cours donnés aux avocats à maintes reprises,
ainsi qu'au congrès du Barreau. Les avocats sont très bien
informés sur la loi et sur sa portée.
Mme Trépanier: Me Borenstein, est-ce que vous avez
également de l'information qui a été faite des avocats
à leurs clients? Est-ce que vous avez eu des séances
d'information face aux clients ou si, vous, votre information se fait au niveau
des avocats principalement?
Mme Borenstein: Certainement. Partout à travers la
province et dans les grandes villes, des membres du Barreau ont
été tenir des séances d'information sur la foi 146
auprès de différents groupes. Je sais que Me Grassby, par
exemple, en a fait énormément. Nous en avons fait auprès
des chambres de commerce; nous en avons fait auprès de certains
groupements de femmes, ainsi de suite.
Mme Trépanier: Vous nous avez dit, tout à l'heure,
que vous terminiez une tournée régionale. Vous avez, je pense,
fait presque le tour du Québec. Est-ce que vous avez perçu des
disparités ou des fluctuations dans la perception des gens face à
cette loi, en région? Est-ce que la perception est un peu la même
partout ou si vous avez trouvé des perceptions différentes d'une
région à l'autre?
Mme Borenstein: Je dois vous dire que les réactions
étaient assez unanimes dans ces villes que je viens de visiter.
Même les avocats qui, à l'origine, étaient contre la loi
146 me disent qu'ils se rendent à l'évidence, que c'est une bonne
loi, que ça produit de bons règlements, que ça produit des
jugements équitables et que, dans le fond, c'est quelque chose de
très utile.
Mme Trépanier: Alors, vous nous dites, d'une part, que,
d'après vous, l'information concernant la loi est suffisante et qu'il
n'y aurait pas lieu d'extensionner le délai. D'autre part, nous lisons,
ce matin, dans les journaux, un sondage CROP qu'aurait commandé l'autre
corporation, qui n'est pas du même avis que vous concernant cette loi, et
ça devient des informations contradictoires. Est-ce que, d'une part,
vous avez eu vent de ce sondage-là et, d'autre part, pouvez-vous nous
dire ce que vous en pensez?
Mme Borenstein: Premièrement, la première fois que
j'ai eu vent de ce sondage, c'est en lisant Le Devoir ce matin.
Deuxièmement, je pense qu'on peut faire dire ce que l'on veut à
un sondage, ça dépend des questions que l'on pose. Je dis
ça pour n'importe quelle matière. Si on. veut un sondage qui dise
ce que l'on veut qu'il dise, on n'a qu'à poser les bonnes questions.
Alors, je n'ai pas vu le sondage, je n'ai pas vu les questions qui ont
été posées, mais je pourrais vous citer un sondage de 1986
qui disait que 75 % des Québécois, autant hommes que femmes,
étaient tout à fait d'accord pour partager le patrimoine. Je
pense que sondage pour sondage, c'est celui-là auquel je prêterais
attention.
Mme Trépanier: Mme la bâtonnière, je pourrais
me permettre de vous dire que nous aurions sensiblement les mêmes
résultats aujourd'hui, à la lecture des mémoires et des
commentaires des groupes. Préalablement à cette commission, nous
en venons à la conclusion qu'encore 80 % des gens sont toujours aussi
satisfaits et n'ont pas changé d'idée face aux objectifs et face
à cette loi.
Alors, quant à moi, ce sera tout pour les questions. Je vous
remercie de votre présence et de votre collaboration, je dirais, presque
quotidienne idans l'élaboration de ce projet. Si nous avons
réussi, je pense, à adopter, en juin, des amendements à
cette loi qui ont pu être adoptés
unanimement de part et d'autre de la Chambre, y compris de la part des
gens du Parti Égalité, c'est grâce, entre autres, à
la très grande collaboration que nous avons eue du Barreau et des autres
organismes dans cette loi. Merci, madame.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Je vais
maintenant...
M, Holden: M. le Président, une question de
règlement, s'il vous plaît. J'ai réexaminé mes
propos, Mme la ministre. J'ai dit; "Nous sommes réunis aujourd'hui afin
d'étudier la possibilité de modifier et de prolonger le
délai permettant, etc. " C'est exactement ce que le mandat dit.
Le Président (M. Trudel): La mise au point étant
faite et Mme la ministre...
M. Hôlden: Je l'ai dit exactement comme ça, je l'ai
lu.
Lé Président (M. Trudel): Très bien, M. le
député de Westmount. La mise au point étant faite et la
remarque de Mme la ministre étant également faite, nous pouvons
maintenant reconnaître Mme Carrier-Perreault, députée des
Chutes-de-la-Chaudière et porte-parole officielle de l'Opposition en
matière de condition féminine. Mme la députée.
Mme Carrier-Perreault: Merci, M. le Président. À
mon tour de vous remercier et de remercier les membres du Barreau qui nous ont
préparé ce mémoire. Il a le mérite, en tout cas,
d'être très clair C'est pour ça qu'après les
questions de Mme la ministre je vais en avoir peut-être un petit peu
moins parce que, effectivement, votre avis est très clairement
exprimé dans votre mémoire. J'aurais quand même une couple
de petites questions. Si je me réfère à la page 7 de votre
mémoire, vous faites référence à un jugement
récent du juge Gauthier, où on a invoqué la Charte
canadienne des droits et libertés pour soulever la discrimination faite
à ceux qui ne pourront plus s'exclure de la loi. À votre
connaissance, est-ce qu'il y a plusieurs contestations judiciaires,
présentement, concernant la loi?
Mme Vadboncoeur: En ce qui concerne la loi elle-même, non,
il n'y a pas tellement de contestations. Il n'y en a surtout pas beaucoup sur
l'article 42. Ce jugement, dont je cherche l'extrait paru dans Jurisprudence
Express, d'ailleurs, c'est un jugement qui a été retenu pour
publication dans lès recueils judiciaires du Québec. Mais, II n'y
a pas beaucoup de contestations, à l'heure actuelle, en ce qui concerne
l'article 42. Là-dedans, on invoquait la discrimination de l'article 42,
parce que... Il ne s'agissait pas, en fait, exactement du même cas qui
nous occupe. Ce n'était pas une question de prolongation de
délai. C'était une question de convention qui avait
été faite avant la date, avant le 15 mai 1989. Les époux,
enfin, contestaient ce fameux article 42.
Mais, à ma connaissance, il n'y a pas tellement de contestations
judiciaires face à cet article 42. C'est la raison pour laquelle,
d'ailleurs, j'ai un petit peu, pas analysé, mais, enfin, j'ai fait part,
dans le mémoire, de ce récent jugement, parce qu'il y en a
très peu sur cet article. Maintenant, il y a un peu de contestations
judiciaires par rapport au fond même de la loi, c'est-à-dire dans
quelles circonstances y a-t-il lieu d'avoir un partage inégal, des
choses comme ça. Mais, sur ce qui fait l'objet de la présente
commission, c'est-à-dire la prolongation du délai ou le
caractère discriminatoire du délai ou de l'article 42, il n'y en
a pas beaucoup.
Mme Carrier-Perreault: D'ailleurs, toujours à la
même page, quand vous parlez de trois scénarios, entre autres,
vous parlez de maintenir le statu quo; ce que vous privilégiez,
finalement, c'est de prolonger le délai de renonciation ou de permettre
à tous, sans exception, de s'exclure. On sait que c'est le propos d'un
groupe qu'on aura à entendre, éventuellement, dans le courant de
la journée. C'est aussi le propos d'une lettre que vous avez
reçue, comme nous l'avons reçue, finalement, de plusieurs femmes
de différents milieux et qui parle aussi que, bon, tes époux
peuvent, en tout temps, par contrat de mariage et par acte notarié
à cet effet, renoncer à leurs droits dans le patrimoine familial.
C'est une demande qui existe et que vous avez reçue aussi.
Ce que j'aimerais savoir, pour ce qui est de permettre la renonciation,
tout en faisant référence à une décision judiciaire
ou à une argumentation juridique, c'est qu'est-ce que vous pensez de la
légitimité de cette option de pouvoir sortir en tout temps, et
tout ça? J'aimerais vous entendre là-dessus.
Mme Grassby: Je pense que ça serait terrible. Je veux dire
que ça irait contre l'esprit de la loi de pouvoir s'exclure en tout
temps. Ça serait créer une situation dans tes maisons, qui ferait
qu'il pourrait y avoir une pression, un harcèlement, une discussion de
ces questions de façon quotidienne.
Je pense aussi qu'il faut, à un moment donné, qu'on prenne
nos responsabilités comme société, et je pense qu'on a
pris une responsabilité en décidant cette loi. Nous disons qu'on
va faire certains choix et ces Ghoix, c'est que certaines personnes ne seront
pas pauvres après un mariage et qu'on va voir à ce qu'il y ait un
certain partage. On n'a pas décidé de tout partager, mais on a
décidé de partager certaines choses. Je pense que, souvent, pour
des individus, une épouse, un époux, c'est peut-être plus
complexe pour eux d'analyser toutes les
questions qui sont attachées à leur situation
économique, mais je pense que, comme société, on a fait
des choix et il ne faut pas permettre... On est en train, avec cette loi, de
décider des questions qui vont... On veut essayer, en partie, de
régler cette question de pauvreté et c'est une décision de
société de le faire. Et laisser au couple la possibilité
de s'exclure d'une façon permanente. Je considère que ça
va à rencontre de la loi et de l'espril de la loi. Peut-être que
Me Vadboncoeur...
Mme Vadboncoeur: Bien oui. En fait, on l'a dit à maintes
reprises dans les mémoires antérieurs du Barreau, et dans
celui-ci aussi: II y a eu quand même une volonté politique que je
crois unanime face à l'adoption de la loi 146 et du projet de loi 47 qui
l'a amendée. L'article 42, donc le délai de renonciation,
était, je pense, dans l'esprit de tous, une mesure transitoire. Et,
comme Mme la bâtonnière l'a dit au début, nous, au Barreau,
on était même contre, au tout début, le fait qu'il y ait un
délai de renonciation.
Quand on pense à diverses lois qui se veulent
remédiatrices, elles sont, par hypothèse, d'application
immédiate. Je ne parle pas nécessairement d'application
rétroactive, il y a une nuance à faire, mais d'application
immédiate. Ça a été le cas, notamment, quand la
réforme du droit de la famill est arrivée en 1981. Du jour au
lendemain, avec les divorces, les donations à cause de mort consenties
par contrat de mariage tombaient. On n'a demandé l'opinion de personne,
on n'a pas demandé l'avis de personne. C'était comme ça
et, pourtant, des clauses librement consenties dans un contrat de mariage fait
devant notaire tombaient. C'est l'essence même d'une loi
remédiatrice que de s'appliquer de façon immédiate et
universelle. (11 h 15)
Donc, c'est déjà beau qu'il y ait un délai de
renonciation de 18 mois. Pour régulariser certaines situations, on peut
comprendre ça. Mais, de là à ouvrir la porte à tout
le monde pour pouvoir se soustraire à cette loi, ça
enlèverait complètement toute la philosophie qui est à la
base même de cette loi, qui est de corriger une situation d'injustice.
Justement, le harcèlement qu'on peut constater à l'heure actuelle
- le harcèlement verbal, psychologique, physique, enfin, toutes les
formes de harcèlement auxquelles vous pouvez penser - serait encore pire
si on continuait, de façon perpétuelle, la possibilité de
renoncer.
Mme Grassby: II ne faut pas oublier, aussi, que, dans d'autres
lois où il y a possibilité de renoncer, par exemple, en Ontario,
avant de pouvoir renoncer, il faut avoir des conseillers légaux
indépendants. Il faut vraiment agir en connaissance de cause. C'est
quelque chose qu'on a choisi de ne pas mettre dans notre loi et, justement, on
a prévu une période qui n'est pas si courte, parce que 18 mois,
quand même, ça a permis une énorme sensibilisation des
gens, et ceux qui le veulent, le peuvent; ils ont encore du temps, mais,
à un moment donné, il faut que ce soit fini.
Mme Carrier-Perreault: Justement, vous venez de faire allusion
aussi au harcèlement et déjà, dans votre mémoire,
vous en parlez beaucoup, vous en parlez abondamment. Tout à l'heure, Me
Borenstein nous a parlé aussi que ça pouvait même aller
jusqu'à être un prétexte de plus à la violence
conjugale. Moi, j'aimerais savoir, par rapport à ce que vous êtes,
est-ce qu'il y a moyen de mesurer l'ampleur de ce harcèlement, parce
qu'on dit qu'il y a beaucoup de cas? Il y a quelques cas. Ça veut dire
quoi, ça? Y a-t-il possibilité de mesurer ce
phénomène? Est-ce qu'on peut dire que c'est marginal ou si c'est
vraiment...
Mme Grassby: C'est extrêmement difficile de répondre
à ça. Certainement, je ne pourrais pas vous donner une
idée en pourcentage, mais ça ne serait pas la première
fois que quelqu'un ne peut pas donner une idée en pourcentage, de la
violence conjugale, parce qu'on s'est drôlement trompés dans le
passé, toujours à la baisse. Je pense que c'est clair que, si une
personne y tient beaucoup et que l'autre personne ne veut pas, si la personne
qui veut renoncer ne lâche pas, alors, il y a harcèlement. C'est
quelque chose. On doit mettre un terme à ce genre de choses, mais je ne
peux pas vous donner une idée. Je sais que moi, comme je l'ai
mentionné, j'ai eu quelques clients qui m'en ont parlé, ainsi
qu'à d'autres avocats. C'est assez régulier que des avocats aient
chacun une histoire à raconter. Alors, ça nous permet de voir que
c'est problématique.
Mme Carrier-Perreault: D'accord. Disons qu'il n'était pas
question de vous demander de mettre un pourcentage, c'est que je voulais savoir
à peu près l'ampleur. Est-ce que c'est très important ou
si c'est plus ou moins marginal?
Mme Grassby: Le harcèlement est très important,
quant à moi. Sur la question de la violence conjugale, je ne pourrais
pas vous répondre.
Mme Carrier-Perreault: D'accord.
Mme Vadboncoeur: Si vous me le permettez, il y a des nuances
à faire, comme le dit Mme Grassby. Ce n'est pas nécessairement
tous des batteurs de femmes, on n'est pas dans un contexte de violence physique
épouvantable pour se soustraire à la loi 146, mais le
harcèlement peut se faire sous différentes formes. C'est
difficile de vous donner, encore une fois, une proportion de harcèlement
psychologique par
rapport au harcèlement physique ou à la violence physique,
sauf que la bâtonnière, au début de la tournée
qu'elle a faite en Abitibi, Côte-Nord, Bas-Saint-Laurent-Gaspésie,
a constaté quand même que plusieurs avocats qu'elle a
rencontrés là-bas, et dans toutes et chacune des régions,
tui ont exprimé cette expérience qu'ils avaient vécue avec
leurs clients, femmes ou hommes. Donc, c'est un phénomène qui
existe et je pense que c'est un phénomène social qu'on ne peut
pas se permettre.
Mme Grassby: Je ne pense pas qu'on puisse dire, par exemple - il
faut faire attention - que dans tous les couples il y a du harcèlement,
parce qu'il y a beaucoup de couples qui acceptent la loi. On parle d'une
minorité, mais c'est quand même important qu'on règle le
problème pour cette partie de la population où un des membres du
couple n'accepte pas la loi ou ne veut pas l'accepter.
Mme Carrier-Perreault: Je vous remercie. Je sais que ma
collègue de Hochelaga-Maisonneuve, Mme Harel, aurait...
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la
députée. Je vais maintenant reconnaître Mme ta
députée de Hochelaga-Maisonneuve et porte-parole de l'Opposition
en matière de main-d'oeuvre et de sécurité du revenu, de
formation professionnelle et de justice. Mme la députée.
Mme Harel: Oui. Merci, M. le Président. Après la
lecture de votre mémoire, me revenaient en tête vos positions, que
vous rappelez d'ailleurs dans votre mémoire, sur la question de la
réserve héréditaire. Vous rappeliez que c'est à
l'occasion finalement de tout ce débat lors de l'adoption de la loi 20
portant sur le droit des personnes et des biens que s'était fait ce
débat sur la réserve héréditaire versus la
créance alimentaire et que vous aviez suggéré que soient
soustraites toutes ces dispositions qui portaient sur la réserve et la
créance, de manière à envisager d'une façon plus
globale l'égalité économique des conjoints pas simplement
au moment du décès, mais au moment de la vie commune.
Deux ou trois questions, parce que c'est une toile de fond
derrière le débat de la prolongation, Pour en parler clairement,
la Chambre des notaires invoque cette liberté de tester qui ferait
partie d'une liberté fondamentale: liberté de contracter,
liberté de tester. J'aimerais vous entendre là-dessus. Est-ce que
vous érigez cette liberté au titre d'une liberté
fondamentale dans notre société? D'aucuns vont dire non,
peut-être pas, mais ça fait partie de notre patrimoine ou
ça fait partie du patrimoine commun de bien des sociétés.
Qu'en est-il exactement? La connaissance que j'avais dans ce dossier-là,
c'est qu'on était quasiment les seuls, avec l'Afrique du Sud ou deux ou
trois autres, à toujours plaider cette liberté absolue de tester
qui, même dans la société américaine, dans des
États, notamment, comme la Californie ou la Floride, a été
atténuée ou nuancée par bien des dispositions. J'aimerais
vous entendre là-dessus, puis également sur le contexte dans
lequel il y a droit de renonciation en Ontario, parce qu'on invoque beaucoup ce
droit de renonciation en Ontario, qui est permanent, je pense, à tout
moment. On l'invoque, mais j'aimerais savoir dans quel contexte, parce que,
tantôt, vous avez fait allusion au fait qu'on doit aller rencontrer des
conseillers indépendants. Alors, dans quel contexte y a-t-il
renonciation en Ontario et quel est le pourcentage des gens qui
l'utilisent?
Mme Vadbonc?ur: Pour répondre à votre
première question, la liberté de tester, la liberté de
contracter, c'est vrai que notre tradition juridique au Québec, qui est
une tradition civiliste comme on le sait, a toujours privilégié
cette liberté de tester ou liberté de contracter, à
l'instar d'autres pays de tradition civiliste également, sauf que c'est
un droit reconnu aux justiciables, mais il y a aussi d'autres droits qu'il faut
envisager, et des droits sociaux fondamentaux, également. Le droit de la
femme, ou de l'épouse, ou, enfin, du conjoint défavorisé
économiquement, de vivre décemment après une rupture du
ménage, ça aussi, c'est important. Quand le Barreau du
Québec s'était opposé à la réserve
héréditaire, c'est parce qu'elle limitait davantage le droit de
tester par rapport à la loi 146. La réserve
héréditaire, une des raisons pour lesquelles on s'était
prononcés contre, c'est que, justement, ça ne protégeait
un conjoint qu'au moment du décès de son conjoint. Donc, ce
n'était pas suffisant et on voulait qu'il y ait plutôt une loi ou
une mesure législative susceptible de protéger les conjoints
économiquement défavorisés pendant la durée de la
vie commune ou au moment de la rupture, en plus du décès.
Donc, la liberté de tester et de contracter, c'est beau, mais il
y a d'autres droits fondamentaux qu'il faut aussi analyser en regard de ces
droits-là. Je fais encore une fois allusion à la réforme
du droit de la famille, qui a été introduite en 1981, qui a fait
en sorte de mettre de côté, encore une fois, cette liberté
de contracter, au profit d'un régime universel plus important, plus
fondamental - je n'aime pas le mot "protectionnisme" - enfin, susceptible de
mieux protéger les conjoints.
Alors, la réforme du droit de la famille a fait en sorte de
mettre de côté - je le disais tout à l'heure - notamment
les clauses de donation à cause de mort, qui étaient contenues
dans un contrat de mariage. Souvent, il y avait des clauses dans un contrat de
mariage, qui disaient que les charges du ménage étaient pour
être assumées par le mari; on voyait ça très
souvent. Ça aussi, c'est une clause qui tombait
automatiquement, sans qu'on demande la permission à qui que ce
soit, parce que la réforme du droit de la famille disait, et dit encore,
que les charges du ménage doivent être assumées par chacun
des conjoints. Donc, quand il y a l'intérêt suprême de la
société, je pense qu'on peut mettre de côté
certaines portions de la liberté de tester et de la liberté de
contracter.
Comme deuxième élément, c'est que la loi 146 ne
limite pas à ce point-là la liberté de tester. Mme la
ministre mentionnait, dans son discours d'ouverture, la fameuse clause "Au
dernier vivant les biens". Il y a beaucoup de gens qui pensaient que
c'était impossible, cette clause-là, dorénavant, avec la
loi 146. Or, c'est tout à fait inexact. Cette clause "Au dernier vivant
les biens", que l'on retrouve dans bon nombre de testaments, demeure valide et
valable, et son exécution se fera tout à fait conformément
à la volonté du testateur. Donc, il est faux de prétendre
que la loi 146 limite passablement la liberté de tester. Voici pour
cette portion de votre question.
Maintenant, pour le droit ontarien, je laisse la parole à Me
Grassby.
Mme Grassby: Je devrais toujours me souvenir, quand je viens en
commission parlementaire, d'apporter mon livre sur le droit ontarien. C'est que
je ne suis pas experte là-dedans. Mais, je voudrais quand même
attirer votre attention sur certaines choses. Premièrement, il est clair
et net qu'en Ontario, si vous allez renoncer à l'application
générale de la loi, vous devez avoir un "indépendant legal
counsel", comme on dit dans la loi. Et si vous n'avez pas consulté un
avocat indépendant, chacun, la renonciation n'aura pas d'effet; c'est
simple.
Je tiens aussi à souligner que je crois qu'en Ontario il y a un
très faible pourcentage des gens qui s'excluent de la loi. Je pense que
c'est en bas de 5 %. Et je pense qu'il faut se souvenir qu'il y a certaines
choses... C'est souvent en cas de deuxième mariage. Parce qu'on n'exclut
pas, je crois, dans la loi de l'Ontario, par exemple, des maisons qui furent
achetées avant le mariage, ou des maisons qui furent achetées par
des héritages. Ça, c'est une chose. Ça s'applique alors
à une clientèle que, chez nous, on n'a pas, à cause de
notre loi. Et aussi, évidemment, en Ontario, la loi s'étend
à tous les biens, incluant les commerces. Et il y a effectivement des
gens qui peuvent décider qu'ils ne veulent pas partager leurs avoirs,
qui sont plus que le patrimoine familial. Alors, de ce
côté-là, je pense qu'on a essayé, au Québec,
de faire une loi qui était plus générale, qui
réglait certains de ces problèmes, pour que les gens n'aient pas,
eux, à faire des renonciations pour des raisons qui sont quand
même assez généralisées, dans les cas de
deuxième mariage ou dans les cas où les gens sont en
affaires.
Je pense aussi qu'il faut retenir qu'une des raisons pour lesquelles
c'est important en Ontario... Et je pense qu'au Barreau, on a peut-être
un certain point de vue sur la loi. C'est que, nous, on voit les gens, on voit
tes problèmes des époux qui divorcent, et ce n'est pas simplement
une question de biens. C'est qu'on doit avoir une vision globale lorsque
quelqu'un entre dans notre bureau. On doit voir: cette personne qui va avoir la
garde des enfants, est-ce qu'elle va avoir assez d'argent pour eux? Cette
personne, qui va arriver à la retraite, qui n'a pas travaillé
toute sa vie active, est-ce qu'elle va avoir assez d'argent à la
retraite? Il faut qu'on fasse une évaluation globale, comme avocats. Et
je pense que c'est l'approche qu'on a apportée à la loi et c'est
l'approche, aussi, qu'on apporte aujourd'hui lorsqu'on est contre la
renonciation. Parce que ce n'est pas pour rien que certains veulent que les
époux renoncent, et je pense qu'on doit quand même aider les plus
faibles, et on doit voir à ce qu'on ait une loi qui les protège.
C'est, je pense, nous les avocats, qui voyons les problèmes, les gens
qui sont pris avec la décision. On ne veut pas que ça continue
indûment.
Mme Vadboncoeur: J'aurais peut-être un détail,
aussi, à ajouter, si vous le permettez, M. le Président.
Le Président (M. Trudel): Parfait!
Mme Vadboncoeur: J'ai mentionné un dernier argument sur la
liberté de tester, mais je voudrais ajouter quelque chose que j'ai
oublié en ce qui concerne la liberté de contracter. C'est que les
contrats de mariage et les régimes matrimoniaux qui existent sans
contrat de mariage, c'est-à-dire la société
d'acquêts et les anciennes communautés de biens, subsistent pour
les biens non familiaux; ça aussi, il faut bien s'en rendre compte. (11
h 30)
Quand Me Grassby a parlé du fait qu'en Ontario il y avait
beaucoup plus de biens qui entraient dans le patrimoine familial, en fait, que
tous les biens y entraient, y compris les commerces, c'est ce qui m'a fait
penser à cette réflexion que je voulais vous livrer. C'est que
vous pouvez écrire ce que vous voulez dans votre contrat de mariage ou
même dans n'importe quel autre contrat en dehors d'un contrat de mariage.
Vous pouvez faire ce que vous voulez de vos biens qui ne sont pas inclus dans
le patrimoine familial. Alors, la liberté de contracter demeure quand
même pour tout ce qui s'appelle épargne, comptes de banque,
commerces, actions de compagnies; enfin, je pense que c'est plus facile
d'écrire ce qu'il y a dans le patrimoine que d'écrire ce qui
n'entre pas dans le patrimoine. Il faut quand même, aussi, insister pour
que la population n'ait pas l'impression qu'on ne peut plus contracter sur quoi
que ce
sort. C'est encore une fois, une fausse impression.
Le Président (M. Trudel): Merci beaucoup, Mme la
députée de Hochelaga-Maisonneuve. Je vais maintenant
reconnaître M. le député de Westmount pour une ou deux
questions.
M. HoWen: I have not got much any way of questions, but Mrs.
Grassby was talking about her clients. Her clients sounded to me as though
there were mostly the wives that you were acting for rather than the husbands.
But that is an aside.
When Mrs. Borenstein was talking about polls and she said you could make
a poll say almost anything you wanted by the way you ask the question, it
struck me that the same thing can be done with statistics. The statistic that
you were using about the 2 % who actually did take advantage of opting out, you
could argue that it was only 2 % because, in spite of all the publicity that
has been going on for all this time, people really are not aware of the fact
that they can do it, or know how to do it, or have not really given at that
much thoughts. So, you could argue that the 2 % statistic means that there is a
tremendous number of people out there who are not aware of what is going on in
there for the delay should be granted.
Mme Grassby: Well, perhaps "par politesse", I will answer you in
English. It seams to...
M. Holden: You are allowed to use that language around here,
now.
Mme Grassby:... me that we, as members of the Bar, are dealing
with people every day and I have seen hundreds of people in my office, who come
for an hour consultation on the law, feel that, generally, there is an
extremely positive feeling with regard to this law. And there has been
publicity. "La Chambre des notaires" sent out a very flashy paper, almost a
year ago, it seems to me. There has been all kinds of people who have sought
consultations as result of that on numerous other things. And I do not agree
that the statistic is because people do not know. People do not necessarily
want to opt out of the law. I think that this is the way the Bar has used it as
a fair statistic.
M. Holden: Thank you.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Westmount. Alors, suivant la tradition des commissions
parlementaires, je vais maintenant permettre à Mme la ministre de
conclure sur ce témoignage.
Mme Trépanier: Merci, M. le Président.
Peut-être juste pour ajouter un mot au dernier commentaire de Me Grassby.
On peut dire qu'au Secrétariat à la condition féminine,
où il y avait une ligne WATS pour répondre aux questions, comme
je l'ai dit dans mon intervention du début, et en 1989 et aujourd'hui,
on a vu une nette évolution dans la perception des gens face à
cette loi. C'est évident qu'au début il y avait beaucoup
d'inquiétude et aussi de l'animosité à cause de
l'information contradictoire qui avait été
véhiculée. Et on se rend compte, quand vous regarderez les
tableaux qu'on vous a distribués, que, lors du dernier bloc de 15 jours,
c'est des questions qu'on pose, de l'information, mais très rarement de
l'insatisfaction. Il y en a quelques-uns, mais c'est très rarement de
l'insatisfaction ou de la récrimination contre la loi. Alors, je pense
que ça vient corroborer ce que nous avons décelé, nous
aussi.
Me Vadboncoeur, Me Grassby, merci infiniment de votre collaboration tout
au long de l'élaboration et de l'adoption de ces projets de loi, et de
votre contribution, aujourd'hui, à cette commission. Merci beaucoup.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Et, au
nom de l'Opposition, Mme la députée de Hochelaga-Maisonneuve,
pour conclure.
Mme Harel: Ah bon! Alors, certainement, je le fais au nom de ma
collègue des Chutes-de-la-Chaudière...
M. Holden: Et de moi.
Mme Harel:... et du député de Westmount
également! Écoutez, c'est vraiment exceptionnel que je fasse
cela! Mais, je le fais vraiment du fond du coeur, parce que je crois que - Me
Vadboncoeur le sait - chaque passage devant la commission parlementaire du
Barreau a été une contribution importante à nos travaux.
Me Grassby, je vous remercie d'avoir accompagné la
bâtonnière. Merci.
Le Président (M. Trudel): Au nom de l'ensemble des membres
de la commission, je veux, bien sûr, vous remercier, Me Vadboncoeur, Me
Grassby, et je vous prie de bien vouloir transmettre ces remerciements à
Mme la bâtonnière du Québec, Mme Borenstein, pour avoir
pris, encore une fois, le temps de vous présenter devant la commission,
pour un sujet aussi important, afin que nous puissions, à la fin des
travaux, vraiment examiner ce qu'est le mandat, tel que l'a mentionnné
tantôt Mme la ministre. Merci beaucoup de votre témoignage. Bonne
fin de journée.
Je vais maintenant demander aux représentantes du Conseil du
statut de la femme de bien vouloir s'avancer. En souhaitant la bienvenue aux
représentantes du Conseil du statut de la femme, je pense que je n'ai
pas besoin de longuement
élaborer sur les règles habituelles de fonctionnement
puisque, Mme Lavigne, vous êtes un peu, je dirais, de la famille. On vous
voit assez fréquemment et c'est tout un honneur, encore aujourd'hui, de
vous accueillir devant la commission des institutions pour un sujet aussi
important que le mandat qui a été confié à cette
commission. En vous passant la parole pour votre présentation d'une
vingtaine de minutes, je vous demanderais, bien sûr, de présenter
les collaboratrices qui vous accompagnent aujourd'hui et tout cela sera suivi,
comme habituellement, d'une période de 20 minutes pour chacune des
formations politiques, pour les échanges. Mme la présidente.
Conseil du statut de la femme
Mme Lavigne (Marie): Bonjour, M. le Président. Je vous
remercie. On ne se sent quand même pas tout à fait de la famille
et c'est toujours un événement assez spécial que de venir
en commission parlementaire, surtout sur un sujet aussi important que
celui-là. M'accompagnent ce matin, Me Jocelyne Olivier, à ma
gauche, qui est secrétaire générale du Conseil du statut
de la femme, et Mme Johanne Tremblay, à ma droite, qui est chef du
service des renseignements au Conseil.
M. le Président de la commission, Mme la ministre, Mmes et MM.
les membres de la commission parlementaire, je dois vous rappeler en premier
lieu une citation: "Égalité et indépendance
réclamait tout haut la politique d'ensemble publiée par le
Conseil en 1978. Dix ans plus tard, ces objectifs restent encore valables sur
le plan des droits économiques des conjoints. " C'est en ces termes que
s'adressait à cette commission, ici, le 13 octobre 1988, Mme Claire
McNicoll, qui était alors présidente par intérim du
Conseil, lors de la commission parlementaire sur la consultation sur le partage
des droits économiques des conjoints.
Plus de deux années se sont écoulées depuis cette
date. Deux années, dois-je dire, d'intenses activités
législatives sur cette question: d'abord, le projet de loi 146 qui
était adopté le 21 juin 1989, puis, par la suite, la Loi
modifiant diverses dispositions législatives aux fins du partage et de
la cession des droits accumulés au titre d'un régime de retraite,
en 1990, et, enfin, le projet de loi 47, Loi modifiant le Code civil du
Québec concernant le partage du patrimoine familial et le Code de
procédure civile, étaient adoptés au printemps 1990. Et
ceci, sans compter les divers règlements visant à assurer
l'application de ces lois.
Ainsi, en moins de deux ans, nous aurons eu droit au dépôt
d'un projet de loi instituant le patrimoine et ses règles de partage,
son adoption, son entrée en vigueur, les règles de partage des
régimes de retraité et une loi modificatrice. Et, nous
revoilà devant vous afin de nous prononcer sur l'opportunité,
dans une certaine mesure, de modifier une fois de plus cette loi. On ne peut
certes taxer le législateur d'inactivité.
L'égalité économique des conjoints n'est certes pas
une préoccupation nouvelle. Des juges avaient, en effet, souligné
à maintes reprises leur impuissance à corriger les
inégalités découlant du divorce, en raison de la situation
juridique. Certains avaient même invité le législateur
à intervenir. Les femmes avaient, elles aussi, vite constaté la
piètre situation dans laquelle elles se retrouvaient suite à la
rupture du mariage.
En 1980 la prestation compensatoire était apparue comme la mesure
appropriée pour remédier à la situation inéquitable
dans laquelle se retrouvaient bon nombre d'épouses à la fin du
mariage, situation qui n'avait pas pu être prévue pour tous ceux
et celles qui s'étaient mariés avant 1968, année
d'adoption de la Loi sur le divorce. Le tribunal s'était donc vu confier
la responsabilité d'apprécier les cas qui lui étaient
soumis et de donner un sens à cette disposition. L'objectif était
de rétablir le déséquilibre découlant des
législations nouvelles sur le divorce et des habitudes alors plus
généralisées pour les conjoints d'adopter un régime
matrimonial de séparation de biens. Les couples délaissant de
plus en plus ce régime au profit de là société
d'acquêts, la prestation compensatoire ayant répondu aux besoins
de la clientèle plus spécifiquement visée, il était
même à prévoir que ce recours deviendrait avec le temps
moins nécessaire. Les espoirs, comme nous le savons tous, furent vite
déçus. Lors de Décisions 85, Sommet sur la
sécurité économique des Québécoises, la
problématique de la situation économique des épouses
à la fin du mariage a refait surface. Les gains obtenus lors de la
réforme du droit de la famille en 1981 ne s'étaient pas
avérés efficaces. D'ailleurs, l'analyse de
l'interprétation jurisprudentielle donnée par la Cour d'appel
à la notion de prestation compensatoire confirme cette situation,
même si, à partir de 1986, on notait au niveau de la Cour d'appel
une tendance à une réorientation à cet égard, mais
il était déjà trop tard.
Ainsi, des pressions se firent pour que le Code civil soit amendé
dès 1985. Un comité interministériel fut chargé
d'étudier cette question, un rapport fut publié.
Parallèlement à ces démarches, un projet de modification
appelé Projet-partage vit le jour. Les auteures, qui étaient
parmi les présentatrices avant nous, obtinrent l'appui des groupes de
femmes et il fut acheminé aux instances gouvernementales. En 1986, le
Conseil du statut de la femme, quant à lui, transmit à la
ministre déléguée à la Condition féminine un
premier avis, "Le partage des biens familiaux en cas de divorce" et un
deuxième avis, en 1987. "Le partage des biens familiaux en cas de
décès".
L'actuelle loi tire, en partie, son origine de
l'échec de la mesure de la prestation compensatoire comme
instrument pour corriger les injustices consécutives à la fin du
mariage.
Mais, pourquoi donc un patrimoine familial? Je rappellerai certains
éléments à l'origine de ce projet parce que, puisque le
débat se poursuit, certaines personnes semblent encore se poser des
questions. Dans son avis de 1986, le Conseil recommandait donc l'institution
d'un patrimoine familial devant être partagé en parts
égaies au moment de la rupture. Lors de la commission parlementaire, le
Conseil s'exprimait ainsi, et je cite: "Même si d'importants efforts ont
déjà été consentis par le législateur pour
assurer l'égalité juridique des femmes, dans les faits subsistent
encore des iniquités à la rupture du mariage ou au
décès. Il est maintenant clair que les réformes
effectuées n'ont pas produit tous les effets recherchés dont
celui de compenser les services au foyer d'une génération
d'épouses séparées de biens, pour qui pourtant on
reconnaissait consen-suellement la nécessité d'un rectificatif.
Mais au-delà de cette clientèle immédiatement visée
par la réforme actuelle, le CSF prétend qu'il est pertinent de
reconnaître que le couple marié forme une unité qui assume
un certain nombre d'obligations sociales, et chaque conjoint participe, par ce
fait môme, à la constitution d'un patrimoine familial. il est, par
conséquent, juste et équitable que celui-ci soit partagé
à parts égales à la rupture du mariage. " {11 h 45)
Comme nous le soulignions lors de la présentation du projet de
ioi 146, l'institution "d'un patrimoine familial automatiquement partageable
entre les époux à la fin du mariage aura pour effet d'assurer le
traitement le plus équitable à la majorité des conjoints
au moment de la rupture, et ce, en limitant l'intervention du tribunal et les
conflits inutiles. Tel que constitué dans le projet de loi - à
l'époque nous parlions du projet de loi 146 - le patrimoine familial
regroupe des biens qui sont au coeur de la vie quotidienne et la contribution
de chacun des conjoints à leur égard ne fait aucun doute. Si les
épouses n'ont pas participé directement à leur
acquisition, elles assurent de façon générale leur
entretien quotidien et leur amélioration à -l'avantage de
l'ensemble de la famille et ce seul tait justifie pleinement leur droit
à un partage égal de leur valeur. Cette notion correspond
d'ailleurs tout à fait à un sentiment populaire bien
implanté et répandu. Cette formule a l'avantage de la
simplicité d'une règle mathématique, car elle
établit, par le seul fait du mariage, des règles claires entre
les conjoints qui respectent la notion d'égalité en
prévoyant un partage égal de certains biens essentiels à
la famille. "Cette solution a aussi l'avantage de régler enfin le
problème central relié au régime de la séparation
de biens. Ce régime conventionnel, qui lie encore, rappelons-le, plus de
50 % des couples mariés, peut engendrer un déséquilibre
économique important entre les patrimoines des époux à ta
fin du mariage et aucun mécanisme ou recours du droit actuel ne permet
vraiment d'y remédier. "
Aujourd'hui encore, le Conseil entend réaffirmer la
nécessité d'une telle institution et insiste pour que ce principe
ne soit pas remis en question, et ce, non seulement pour les femmes
mariées avant 1968, mais aussi dans l'intérêt d'un grand
nombre de nouvelles épouses.
Afin de mieux apprécier la situation actuelle, nous vous
soumettons quelques chiffres. Rappelons d'abord qu'au Québec, en 1987,
on comptait 44, 8 divorces pour 100 mariages. L'enquête la plus
récente du ministère de la Justice sur l'attribution et la
perception des pensions alimentaires porte sur les dossiers de 1981 à
1983, et nous traduit la situation suivante:
D'abord, deux ménages sur trois ont des enfants à charge
au moment du jugement, ayant en moyenne 1, 7 % enfant par familIe, mineurs dans
97 % des cas.
De tous les jugements de divorce, séparation de corps, jugements
sur la garde d'enfants incluant, dans ce dernier cas, les ruptures d'union de
fait, 44 % des décisions prévoient le paiement d'une pension
alimentaire.
De ce nombre, 44 % des cas prévoient un partage des biens entre
les ex-conjoints. Si le partage des biens porte sur un montant d'argent, il ne
dépasse pas 10 000 $ dans 1a moitié des cas. Lorsqu'il s'agit
d'un partage de biens en nature, la majorité porte sur les biens
mobiliers.
L'étude démontre aussi qu'au sujet de la prestation
compensatoire, à l'époque, les chiffres sont dérisoires.
Des prestations mobilières ou immobilières ont été
accordées dans seulement 1, 4 % des cas; des prestations en
espèces, dans seulement 3, 4 %, les dossiers ne dépassant pas
toutefois 10 000 $ dans la moitié de ces 3, 4 % de cas.
Enfin, les femmes se voient octroyer une pension alimentaire, de
exclusive, pour elles, dans seulement 11 % des cas. Dans 38 % des cas, elles
partagent cette pension avec leurs enfants et, dans 50 % des cas, la pension
est accordée exclusivement aux enfants. Au moment de l'étude, la
moitié des pensions alimentaires prévues ne dépassent pas
200 $ par mois alors que, dans 21 % des cas seulement, un montant
supérieur à 500 $ est versé, fixant ainsi la moyenne
mensuelle à 368 $. Selon la recherche, les pensions sont aussi beaucoup
moins élevées à la campagne qu'à la ville et leur
indexation n'est prévue que dans 31 % des cas, ce qui a pour
conséquence une baisse constante par rapport à l'inflation.
Enfin, aassi dérisoire sait-elle, la pension n'est touchée
entièrement que dans 63 % des cas, alors que 36 % des personnes ont du
mal à la percevoir ou ne la perçoivent pas du tout.
Aussi, ce portrait est très significatif de la situation
financière qui est vécue par les femmes
au moment de la rupture et confirme bien l'état de
dénuement dans lequel elles se retrouvent, surtout lorsque l'on associe
le phénomène d'appauvrissement suite à la rupture à
celui de la situation des femmes au travail.
À cet égard, de grands mythes persistent. Comme l'a
mentionné le député de Westmount tout à l'heure, on
croit souvent que les femmes sont devenues autonomes, on croit souvent que le
travail a réglé leur situation économique. Or, les
chiffres sont différents. Ainsi, en 1986, 50 % des femmes mariées
n'étaient toujours pas sur le marché du travail. On a pu, certes,
noter, au cours des dernières années, une nette progression des
femmes en emploi, notamment des femmes de 25 à 44 ans, situation qui
résulte autant de leur besoin d'autonomie que de la
nécessité d'assumer, avec le conjoint, la responsabilité
du bien-être économique de la famille, car, rappelons-le, si les
femmes n'étaient pas sur le marché du travail, le pourcentage des
familles biparentales sous le seuil de la pauvreté doublerait sans le
revenu des conjointes.
Par contre, il importe, même pour les femmes qui sont sur le
marché du travail, de rappeler que le quart d'entre elles ont un travail
à temps partiel et, si l'on prend uniquement les femmes qui travaillent
à temps plein, elles ne touchent, en 1988 encore, que 65, 9 % du revenu
des hommes. Enfin, rappelons aussi, fait très important, quo parmi les
familles monoparentales dirigées par une femme, 60 % vivaient sous le
seuil de la pauvreté, ce qui n'est le cas que de 12 % des familles
biparentales. Donc, encore aujourd'hui, trop souvent, divorce et
pauvreté sont synonymes pour les femmes.
Ces faits justifiaient, croyons-nous, de façon très
éloquente la nécessité d'une réforme et la
nécessité de cette loi. Or, cette loi a prévu une
possibilité de renonciation.
J'aborderai maintenant cette question de la renonciation. Si, dès
1986, le Conseil a recommandé l'institution d'un patrimoine, il s'est
toutefois opposé à la mesure transitoire visant à
permettre à ceux et celles qui le désiraient de se soustraire
à l'application de la loi. À ce moment, nous disions que nous
nous opposions fermement à l'instauration d'une mesure transitoire qui
permettait aux couples déjà mariés de se soustraire
à l'application, car nous prétendions que cela risquait d'avoir
des effets néfastes auprès des clientèles même qu'on
souhaitait protéger. Des pressions indues risquaient d'être
exercées sur les femmes pour qu'elles renoncent à leurs droits et
sans doute sur les plus vulnérables et les moins en mesure d'y
résister. D'autant plus que cette forme de renonciation était
susceptible d'intervenir dans des circonstances totalement différentes
de celles qui prévalent au moment de la rupture. Lors du
dépôt du projet de loi en 1989, nous réitérions la
même position.
Par ailleurs, le gouvernement a prévu une mesure transitoire
permettant aux couples de se soustraire à l'application de la loi 146
dans les 18 mois de son entrée en vigueur, malgré les
recommandations que nous avions faites. Cette mesure est susceptible de contrer
les effets escomptés, car des couples pourront être incités
à faire des arrangements qui ne refléteront en rien les
réalités de leur vie commune au moment d'une rupture qui pourrait
survenir 15 à 20 ans plus tard.
Le gouvernement, à ce moment-là, n'avait pas
été sensible à nos remarques, puisque le délai pour
se soustraire a été maintenu. Nous nous sommes toutefois
réjouies du fait qu'il a introduit la possibilité à ce
moment, pour les conjoints, de faire des conventions différentes au
moment de la rupture. Les conjoints peuvent donc, en toute connaissance de
cause, s'entendre sur un partage adapté à leur situation au
moment de la rupture. Cette mesure, qui a été adoptée,
nous semble-t-il, offre suffisamment de souplesse pour que des ex-conjoints
puissent faire des ententes mieux adaptées au moment de la rupture.
C'est toutefois avec étonnement que nous avons entendu certains
alléguer qu'il existait peu d'informations disponibles pour permettre
à des personnes désireuses d'exercer leur droit de se soustraire
au patrimoine et que, pour cette raison, il faudrait revenir sur la loi et
exten-sionner le délai de renonciation.
Voyons d'abord les chiffres. Sur les 1 310 000 couples mariés au
Québec, selon les statistiques de 1986, 1, 75 % de ces couples avaient
renoncé en date du 7 octobre 1990, ce qui nous semble très peu si
l'on se réfère à toute l'information qui a entouré
ce projet de loi et reflète, en ce sens, l'idée
générale que le mariage est un partage économique entre
conjoints. L'information a été diversifiée et, doit-on le
dire aussi, très polémique. Tous ont eu largement l'occasion de
faire valoir les pour et les contre. Au-delà de la diffusion du contenu
de la loi, ses impacts ont été largement analysés. Pas un
quotidien, pas une revue spécialisée ou à grand tirage qui
n'ait publié sur la question, ou pas un média électronique
qui n'ait eu sa ligne ouverte. Qui, d'ailleurs, a oublié les discussions
des "party" de Noël et des fêtes de famille l'an dernier? Toutes
portaient à peu près sur ce sujet.
Peu de lois au Québec peuvent se targuer d'avoir suscité
tant de discussions. Au Conseil du statut de la femme, nous avons tenté
de recenser l'information qui a été dispensée sur cette
question, et ceci, dans les grands médias. Nous vous faisons part des
résultats de cette recherche qui est une analyse non exhaustive du
sujet. Elle s'est limitée aux grands quotidiens et à certaines
revues. En ce qui concerne les grands quotidiens, je dois rappeler que leur
tirage est au-delà de 1 000 000 d'exemplaires chaque jour et que les
principaux magazines ont un tirage au-delà de 1 500 000.
Ainsi, de janvier à décembre 1989, on a recensé
plus de 92 articles traitant du patrimoine familial publiés dans les
grands quotidiens, la période la plus couverte étant le mois de
juin 1989 avec 61 articles. De janvier 1990 à août 1990, on a pu
compter...
Le Président (M. Trudel): Mme la présidente...
Mme Lavigne: Oui.
Le Préaident (M. Trudel):... Je vais vous inviter - en
fait, vos 20 minutes seraient écoulées - à amener votre
conclusion assez rapidement, s'il vous plaît.
Mme Lavigne: Oui, d'accord. O. K. Alors, il y a eu de
l'information dans l'ensemble des journaux et on le retrouve dans ce
mémoire.
Par ailleurs, je ne mentionnerai pas toute la campagne d'information qui
a été faite par le Conseil - j'aurai l'occasion d'y revenir - de
même que l'ensemble des campagnes d'Information faites, autant par les
associations professionnelles que par les gouvernements. La question que nous
désirons poser: Que faut-il faire de plus?
Nous croyons donc qu'alléguer l'absence d'information de la
population, c'est fondamentalement chercher à gagner du temps pour
remettre en cause la volonté du législateur. Cette question a
été un sujet d'actualité depuis plus d'un an. Ce
débat, dont nous avons rappelé les étapes fondamentales,
dure depuis plus de 10 ans. Nous croyons qu'il faut mettre un terme à
cela. Tous ces délais ne sont que source d'Insécurité
juridique et de retard dans son application. Certes, cette loi, comme toute
pièce législative, devra être évaluée, mais
encore faut-il qu'elle puisse enfin, un jour, s'appliquer.
À l'égard de la renonciation, nous considérons que
les citoyennes et les citoyens intéressés à se soustraire
à la loi ont eu l'information nécessaire pour l'exercice de leur
choix. Nous maintenons donc la position que nous avons soutenue et nous
recommandons que le délai fixé au 31 décembre 1990 soit
maintenu, et nous nous opposons à toute modification législative
ayant pour effet de prolonger le délai.
Il s'agit d'abord d'une loi remédiatrice, qui découle de
la nécessité d'améliorer la situation économique
des femmes à la rupture. L'Intervention du législateur
répond à un besoin manifeste. Le choix a été
clairement exprimé lors de l'adoption de la loi par l'ensemble des
membres du Parlement. Des modifications ont été apportées
pour assouplir la loi et pour répondre aux besoins de la population.
Donc, ne perpétuons pas plus longtemps une situation
d'instabilité juridique. Je vous remercie.
Le Président (M. Trudel): Merci beaucoup, Mme la
présidente. Je vais maintenant donner le droit de parole à Mme la
ministre déléguée à la Condition féminine et
responsable de la Famille. Mme la ministre.
Mme Trépanier: Merci, M. le Président Bienvenue,
Mme la présidente, Mme Olivier, Mme Tremblay. Je ne sais pas si je dois
offrir mes excuses de ne pas avoir répertorié l'ensemble des
panels impromptus qui se sont créés lors de nos réunions
de famille. Je suis convaincue que tous, ici, nous y avons participé
abondamment. Il y a toujours un fil conducteur qui sortait de ces panels, c'est
qu'il y avait toujours une question d'information insuffisante, à
l'époque, et on se rend compte que, plus nous allons, plus les panels
changent de tournure et la perception est très différente
maintenant. (12 heures)
Vous vous avez parlé, tout à l'heure que nous n'avions pas
été inactifs. Certes non! Il y a eu beaucoup d'activités
autour de cette loi. Pour une loi de cette importance, une loi
controversée de par son caractère universel et obligatoire, il
est évident que nous devions mettre les efforts qu'il fallait pour que
les gens puissent choisir en connaissance de cause et pour que nous ayons aussi
le plus large consensus possible dans la population. Vous nous avez dit aussi
qu'il fallait rétablir un équilibre entre les droits et les
devoirs qui avaient été instaurés dans la réforme
du droit familial; vous avez commencé votre intervention avec une
citation d'"Égalité et indépendance".
Avant d'arriver à quelques questions de fond, je voudrais qu'on
revienne à l'objet principal de cette commission qui est de s'assurer
que l'information à la population a été
adéquatement fournie. Vous avez été un des organismes ou
peut-être l'organisme qui a collaboré, qui a travaillé de
façon ardue à fournir cette information-là. J'aimerais que
vous nous en parliez plus abondamment. Qu'est-ce que vous avez fait exactement
comme information? À qui vous adressiez-vous? Quelle est la perception
que vous en avez? Vous avez fait de l'information en 1989, vous en avez fait en
1990. Est-ce que vous avez vu une différence dans la perception des
gens? Faites-moi un portrait de cette information-là qui a
été véhiculée.
Mme Lavigne: D'accord. L'information qu'a faite le Conseil du
statut de la femme, je dois préciser en premier lieu qu'elle s'inscrit
dans le cadre du mandat du Conseil qui est d'informer la population sur ses
droits et son statut. À cet égard, l'information donnée
par le Conseil a commencé immédiatement après
l'entrée en vigueur de la loi, c'est-à-dire il y a
déjà plus d'un an et demi. Nous avons fait là-dessus - je
vais les nommer - d'abord un large document d'information qui était un
encart sur les droits et qui portait très spécifiquement sur la
question de la renonciation afin que les gens puissent
savoir de façon immédiate, dans le cadre des 18 mois qui
restaient à s'écouler, quelles étaient les informations,
ce qu'il fallait connaître de la loi pour être en mesure
d'évaluer à partir de leur situation personnelle si l'on devait
ou non renoncer.
Ce dossier a été publié d'abord dans La Gazette
des femmes qui tirait à ce moment-là à 125 000
exemplaires - alors, quand on inscrit 100 000, c'est le réajustement
à la suite du réabonnement - et qui ensuite a été
tiré sous forme de tiré à part à 50 000
exemplaires. Il y a donc eu au-delà de 175 000 exemplaires de ce
document qui a été lu et a circulé. Nos données
nous indiquent habituellement que c'est lu par trois personnes, chacun; ce qui
porte à autour de 500 000 lectures de ce document.
En second lieu, nous avons produit une vidéo d'information en
collaboration avec le ministère des Communications. Cette vidéo a
été achetée par un très grand nombre d'organismes,
par 355 organismes, qui l'ont distribuée et ont fait plusieurs
visionnements dans les lieux de travail, dans leur milieu. De plus,
Communication-Québec a prêté ses copies au-delà de
200 fois. Nous avons aussi fait une large tournée d'information et de
sensibilisation dans 31 villes différentes au Québec, l'automne
l'an dernier. Dans ces villes, nous avons rencontré au-delà de
1400 personnes, mais près de la moitié d'entre elles venaient
à une session de formation en vue d'être multiplicatrices dans
leur milieu. Cela comportait autant des gens de caisses populaires, de CLSC, de
différents organismes qui ont à travailler quotidiennement avec
le public ou de gens provenant d'associations qui voulaient avoir toute
l'information pour faire des sessions dans leur propre milieu.
A ce moment-là, nous avons distribué plus de 12 000
documents d'information, y inclus tous les documents produits par le
Secrétariat à la condition féminine et le ministère
de la Justice. Le Conseil a un service de renseignements
téléphoniques avec une ligne INWATS 1-800 et la plupart des
appels qui sont intervenus à ce moment-là... Autour du moment de
la passation de la loi, il y a eu 1600 demandes, très
spécifiquement, et de juin 1989 à 1990, en un an et demi, nous
avons répondu à 4000 demandes portant explicitement sur ce
sujet.
Par ailleurs, nous avons poursuivi l'information dans les numéros
subséquents de La Gazette des femmes, en faisant, dans les
chroniques "loi", des articles spécifiques sur cette question. La
perception qu'en ont les gens, et ça correspond passablement à la
perception qu'ont les autres personnes qui répondent
régulièrement, est beaucoup une demande d'informations
complémentaires. Ce ne sont pas des gens qui appellent parce qu'ils se
sentent heurtés, mais des gens qui veulent savoir exactement quels sont
leurs droits. Sur cette question, je vais laisser Mme Tremblay, qui est
responsable du Service de renseignements, compléter et parler du type de
réaction.
Mme Tremblay (Johanne): Je peux peut-être rappeler
rapidement qu'il y a eu une évolution dans le type de demandes qui nous
sont parvenues au Service de renseignements du Conseil. Autour de la
période de l'adoption de la loi, c'est-à-dire juin, juillet 1989,
il y avait des demandes qui étaient plus de l'ordre du commentaire,
c'est-à-dire des gens qui étaient pour ou contre la loi, mais qui
désiraient exprimer leurs commentaires. Par la suite, dès
l'automne 1989, on est passé à des questions plus d'ordre
d'information. D'ailleurs, on a noté un sujet qui a été
très très fréquemment demandé dans plus de 50 % des
demandes reçues au Conseil, c'était beaucoup l'inquiétude
des gens face à tout ce qui touchait les successions. Entre autres, les
gens croyaient que le terme "héritiers" contenu dans la loi
désignait les enfants. Donc, les gens croyaient qu'au moment d'un
décès le conjoint survivant devait obligatoirement partager les
biens avec les enfants, ce qui créait beaucoup
d'insécurité chez ces personnes-là, ces femmes-là,
et même des demandes quant à une éventuelle renonciation.
Donc, il y avait beaucoup de questions de précision quant à cet
élément-là de la loi.
Dans les derniers mois, depuis l'adoption des amendements en juin
dernier, ce sont des questions d'ordre de précisions sur ces
amendements-là, tout ce qui touche, entre autres, les deuxièmes
mariages, ce qui touche les héritages et également un certain
nombre de questions sur tout ce qui touche les régimes de pension. Les
gens ont quand même beaucoup de questions là-dessus: Comment
ça sera partagé? Qu'est-ce que ça comporte? Donc, on voit
une nette évolution dans le type des demandes qui sont arrivées
au Service de renseignements. Et, comme Mme la ministre le mentionnait tout
à l'heure, on a très peu, au cours, peut-être, de la
dernière année, de remarques d'insatisfaction. Ce sont vraiment
des demandes d'information, des demandes de renseignements, de
précisions. On note que les gens, au fil du temps, ont une information
de base plus complète, qu'ils obtiennent par les différents
moyens qui ont été mis en place par les ministères et
organismes, les services communautaires ou les médias d'information.
Donc, les gens viennent de plus en plus chercher des précisions, des
points très précis sur la loi.
Mme Trépanier: Est-ce que vous avez le pourcentage des
demandes qui ont été soumises concernant le délai de
renonciation? Est-ce qu'il était important?
Mme Tremblay: Je n'ai pas de statistiques...
Mme Trépanier: Au Conseil, vous ne l'aviez pas.
Mme Tremblay:... précises, mais, d'impression,
c'était beaucoup plus au début, au moment de l'adoption de la
loi, dans les premiers mois; c'est beaucoup moins maintenant, c'est très
peu fréquent, ça ne constitue pas un pourcentage important des
demandes reçues.
Mme Trépanier: On remarque le même
phénomène, également, au niveau du Secrétariat
à la condition féminine. Mme la présidente a parlé,
tout à l'heure, de la diffusion, qui avait été aussi assez
importante, d'articles de fond et de publicité, également, dans
diverses revues, divers magazines. Est-ce que vous avez
répertorié ces articles-là? Est-ce que vous êtes
capables d'évaluer l'impact d'un article dans une revue, comparativement
à l'impact qu'a, par exemple, un document gouvernemental? Est-ce que
vous êtes capables de voir le degré de pénétration
de ces revues-là?
Mme Tremblay: Je me permets de répondre. C'est
peut-être, encore une fois, au niveau de l'Impression, mais,
effectivement, nous, pour confectionner la revue de presse, tous les matins,
dès qu'il y avait un article, entre autres, dans un quotidien où
on faisait certains commentaires, où on donnait certaines informations
sur la loi, on notait une augmentation des appels et, souvent, directement
reliés avec l'information qui était contenue dans l'article. Un
des articles qui a suscité le plus de commentaires était un
article qui a paru à l'été 1989 dans le journal Les
Affaires, où on faisait tout un dossier sur le patrimoine familial.
Ça a suscité énormément de demandes. Donc, de
là l'impression que, dès qu'il y avait un article qui paraissait
dans un quotidien, les gens s'adressaient à nous pour s'informer. Comme
on sait, il n'y avait pas uniquement nous comme service de renseignements sur
la loi; les gens s'adressaient également au Secrétariat et
à Communication-Québec ou à divers autres services, mais,
nous, on notait une augmentation.
Mme Trépanier: Merci. Mme la présidente, il est
évident que, depuis longtemps, mais récemment, nous entendons
beaucoup, beaucoup parler de deux choses face aux femmes, c'est la
pauvreté et c'est la violence faite aux femmes. J'aimerais que vous nous
donniez votre perception sur l'effet que pourra avoir cette loi sur
l'égalité économique des conjoints, premièrement,
sur la pauvreté et les femmes et, en deuxième volet, concernant
la violence. Je ne parle pas du délai de renonciation; je parle des
effets à long terme de la loi. Est-ce que vous voyez des effets sur ces
deux phénomènes-là?
Mme Lavigne: D'accord. D'abord, l'effet de la loi sur la
pauvreté. Je pense que ce qu'il est important de mentionner, en premier
lieu, c'est qu'au sein des familles et malgré les illusions qu'on a, en
1989, il y a 460 000 femmes au Québec, donc une femme sur trois, qui
sont dans une situation de dépendance face à leur conjoint et ce,
depuis plus de cinq ans. Si on compte toutes les femmes qui sont mariées
et qui ne sont pas sur le marché du travail, même celles de moins
de cinq ans, la proportion monte jusqu'à 44 %. Ce qui veut dire qu'on se
retrouve face à des femmes qui ne sont pas dans une période
où elles accumulent des fonds de pension; elles ne sont pas dans une
période où elles bâtissent leur propre autonomie
économique. Donc, leur bilan économique est fondamentale ment
lié a un bilan économique familial. Lorsque intervient la rupture
de la famille, la situation qui prévalait avant la loi 146 amenait la
plupart de ces personnes à se retrouver dénuées de tout
bien. Dans ce sens-là, il est sûr que la loi 146 n'aura pas un
effet de panacée; ce n'est pas la panacée universelle, ce n'est
pas la loi qui va contrôler l'ensemble de la pauvreté par rapport
aux femmes, mais elle en diminue des effets qui sont essentiellement
liés à une situation de rupture du mariage. Donc, elle limite des
effets qui ne devraient pas se retrouver.
Dans ce sens-là, je pense qu'une société peut avoir
le contrôle là-dessus, peut avoir certains éléments
pour empêcher de créer indûment de la pauvreté, et
ceci, en rappelant qu'un grand nombre de femmes, près de 60 %, chefs de
famille monoparentale se retrouvent sous le seuil de la pauvreté.
À cet égard, quand on parle de femmes chefs de famille
monoparentale, il ne s'agit pas seulement de la pauvreté des femmes; il
s'agit de la pauvreté des enfants qui sont aussi les enfants du conjoint
divorcé, ce que l'on oublie trop souvent.
Avant la loi 146, nous vivions une situation où des gens
pouvaient se délester totalement de leurs responsabilités en ne
payant pas de pension alimentaire et en n'ayant pas à partager le
patrimoine de base, et en laissant, par le fait même, leurs enfants dans
un état de pauvreté. Alors, quand on dit: 60 % des femmes chefs
de famille monoparentale sont sous le seuil de la pauvreté, c'est aussi
leurs enfants. Et, dans ce sens-là, la loi, en forçant le partage
d'un minimum de patrimoine, amène à rectifier une certaine partie
des injustices historiques.
À cet égard-là, toutefois, il va de soi que
l'autonomie économique des femmes se bâtit aussi par une
participation croissante au marché du travail, mais on doit dire qu'on
vit une situation de transition à cet égard. Les femmes demeurent
les principales responsables de la famille encore et, tant qu'il y a des
familles, cette participation n'est pas pleine et entière. Donc,
ça prend une loi qui respecte la spécificité, où
tout le monde n'est pas bâti sur le même modèle et, donc, en
ce sens-là, qui s'adapte aux différentes situations. Elle devrait
donc avoir corollairement, en lien avec d'autres mesures, en tout cas, un effet
significatif sur la réduction, du moins, de la
pauvreté à la suite du mariage. (12 h 15)
Pour ce qui est du deuxième volet de votre question, la
réduction de la violence, la violence est souvent le reflet d'une
dépendance et d'une domination d'une personne sur une autre. Et souvent
on a vu des femmes, dans le cadre du mariage, accepter de vivre dans des
situations de violence parce qu'elles savaient qu'en quittant le foyer elles
amenaient leurs enfants dans la pauvreté. La loi, en réduisant
l'insécurité économique découlant de la rupture du
mariage, peut être de nature à diminuer certaines situations de
violence qui sont aussi dommageables pour les femmes que pour les enfants au
sein de la famille. À cet égard, cependant, il n'existe pas de
données et c'est assez difficile d'établir des données.
Mais on peut faire l'hypothèse qu'au moins, lorsque des gens vivent une
situation de violence, il n'y a plus la barrière, la menace de
l'insécurité économique totale.
Mme Trépanier: Peut-être pour l'information de la
commission, le Conseil entreprend une recherche importante sur les causes de la
violence faite aux femmes, si je ne m'abuse, dans sa prochaine année?
Parfait.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la ministre. Je vais
maintenant reconnaître Mme la députée des
Chutes-de-la-Chaudière et porte-parole de l'Opposition en matière
de condition féminine.
Mme Carrier-Perreault: Merci, M. le Président.
Permettez-moi de remercier le Conseil du statut de la femme pour cet excellent
mémoire. Je vais faire un petit commentaire quand même. Je sais
que Mme la ministre elle-même a soulevé le début du
mémoire. J'ai trouvé ça très intéressant:
"Égalité et indépendance". Je trouve que ça
commence bien un mémoire et j'imagine que le Conseil du statut de la
femme va venir s'exprimer devant la commission sur l'avenir du Québec.
J'espère qu'on aura les mêmes ambitions pour le Québec
qu'on a pour les Québécoises.
Ceci étant dit, je voudrais vous féliciter, comme je le
disais, de cet excellent mémoire. Il nous donne une réponse, en
fait, très claire à la question que l'on se posait quant à
la possibilité de prolongation ou non. Mais, en fait, i! déborde
quand même largement et c'est un mémoire bien étayé.
On a fait état, d'ailleurs, de l'appauvrissement des femmes et je sais
que la députée de Hochelaga-Maisonneuve en a fait état ce
matin. Mme la ministre en a reparlé. Effectivement, je pense que la loi
146 n'est pas la panacée universelle, comme Mme la présidente l'a
mentionné il y a quelques minutes. J'ai remarqué dans votre
mémoire que vous en avez fait vraiment longuement état par
rapport, entre autres, à la difficulté d'application de la
prestation compensatoire, par rapport aux pensions alimentaires, soit
très basses ou très difficiles encore aujourd'hui à
percevoir pour les femmes, à la précarité de l'emploi,
etc. On sait bien que c'est un pas dans la bonne direction, 146, mais qu'il
reste encore beaucoup de choses à faire. Moi, j'aimerais savoir si, par
rapport aux recommandations ou aux représentations, si on veut, du
Conseil du statut de la femme, il y a des choses qui devraient être
amenées par rapport, par exemple, à la prestation compensatoire,
entre autres. J'aimerais vous entendre là-dessus.
Mme Olivier (Jocelyne): Écoutez, d'abord, je pense que ce
qu'il importe de rappeler, c'est que les données dont on dispose - et on
l'a bien dit dans notre mémoire - viennent de l'enquête qui avait
été faite par la Direction des communications du ministère
de la Justice, donc de l'étude des dossiers devant les tribunaux de 1981
à 1983. C'est ce qu'il y a de plus récent et c'est ce qu'il y
avait de plus important qu'on avait en main. En ce qui a trait à la
prestation compensatoire, il faut faire vraiment une analyse des dossiers parce
qu'il y en a beaucoup qui se règlent, il y a les jugements qui ne sont
pas rapportés, des évaluations. Il faut vraiment faire une
analyse exhaustive de tous les dossiers. Alors, je pense que c'était au
début de l'application de la prestation compensatoire, les chiffres
qu'on a. Je peux penser que ça s'est amélioré au fil des
ans, surtout que, à partir de 1986, la Cour d'appel a eu une approche un
peu différente. Il nous apparaissait, par ailleurs, que ça
n'était pas le meilleur moyen, puisque le recours aux tribunaux ne
présentait pas les difficultés de preuve, etc.
Ce que le Conseil avait demandé dans le mémoire,
c'était donc l'institution d'un patrimoine familial et, peut-être,
certaines précisions quant aux règles de preuve pour la
prestation compensatoire en se disant que la prestation devait demeurer un
recours accessible pour les femmes, dans les cas où, par exemple, il n'y
avait pas de patrimoine familial, dans les cas où les gens, par exemple,
vivaient en appartement toute leur vie, mais, d'une autre façon,
accumulaient certains biens. Alors, la prestation compensatoire, pour
l'instant, est restée. Il y a eu certaines précisions en ce qui a
trait aux femmes collaboratrices et on ose croire que les tribunaux, devant
l'institution d'un patrimoine familial, interpréteront aussi la
volonté du législateur, que les femmes ne se retrouveront pas
totalement démunies à la rupture du mariage et pourront utiliser
la prestation compensatoire dans les cas où le patrimoine ne pourrait
pas être applicable.
Mme Carrier-Perreault: D'accord. Vous faites allusion aux femmes
collaboratrices. Je sais qu'il y avait certaines récriminations, enfin
qu'il y avait des commentaires du côté des femmes collaboratrices.
J'aimerais savoir: est-ce que vous avez l'assurance que c'est bien pour
elles
maintenant, qu'elles sont satisfaites de ce côté-là
ou s'il reste beaucoup de choses à faire?
Mme Olivier: Je pense qu'elles demandaient à
l'époque une présomption de collaboration à 50 %,
c'est-à-dire qu'il y ait une présomption qu'elles étaient
collaboratrices à 50 %. Ça n'est pas ce qui avait
été retenu. Je ne pourrais pas vous répondre pour les
femmes collaboratrices quant à leur degré de satisfaction. On n'a
pas retouché le dossier depuis une couple d'années, sauf qu'il me
semble que, là, les règles sont plus claires. Elles peuvent aussi
obtenir jusqu'à 50 % de certains biens qui sont accumulés; le
pouvoir peut s'exercer sur une partie de certains biens. Ça me
paraît être une amélioration dans leur cas.
Mme Carrier-Perreault: Si je comprends bien votre réponse,
est-ce que ça veut dire, est-ce que ça signifie que ce n'est pas
un dossier que vous avez l'intention de continuer, de pousser ou de remettre
sur la table, celui des améliorations par rapport à la prestation
compensatoire?
Mme Olivier: Non. Je dois vous dire qu'effectivement on ne s'est
pas à ce moment-ci repenchées sur la question. Je sais qu'il y a
une décision récente, la semaine dernière ou il y a deux
semaines, de la Cour suprême. On veut avoir le jugement, mais je ne sais
pas. il y a eu une décision favorable finalement. C'était dans
l'affaire Lacroix. Je ne sais pas si ça vous dit quelque chose, mais
c'est il y a deux semaines. C'est un dossier qui provenait d'une femme
collaboratrice. Il y a eu un jugement, un dénouement très
favorable à la femme collaboratrice par la Cour suprême. Donc, un
renversement de la décision de la Cour d'appel. Ce dossier-là,
nous, on va le regarder et peut-être que ça peut clarifier le
droit sur cette question et que ça pourrait répondre, finalement,
favorablement aux femmes collaboratrices parce que c'est un jugement qui leur
est favorable à l'intérieur des règles actuelles.
Mme Carrier-Perreault: D'accord. Comme on le disait tout à
l'heure, sur la loi 146 il y a eu de la publicité négative; il y
a eu des commentaires tout à fait négatifs par rapport à
cette loi. Vous avez entendu aussi bien que nous et comme tout le monde a pu
l'entendre que c'était une loi paternaliste qui protégeait les
femmes contre elles-mêmes et toutes sortes d'aberrations du même
acabit. Je voudrais savoir, par rapport au rôle du Conseil du statut de
la femme, par rapport à ce que vous faites comme promotion, comme
diffusion, est-ce que vous pensez que ce serait important que le Conseil du
statut de la femme continue de sensibiliser les femmes à une meilleure
gestion, si l'on veut, de leurs affaires, dans le sens de prendre en main leur
portefeuille et tout ça, d'apprendre à mieux se gérer, et
de mettre l'accent sur le côté pécuniaire ou financier, si
l'on veut? Est-ce que vous avez l'intention de faire de la sensibilisation
davantage sur ce côté-là?
Mme Lavigne: Oui. Là-dessus, je pense que La Gazette
des femmes demeure toujours un outil privilégié et il va de
soi que l'autonomie économique commence par prendre ses choses en main
et avoir l'ensemble de l'information qui amène à prendre les
bonnes décisions économiques. Dans ce sens-là, il y a, de
façon régulière, dans chaque numéro de La
Gazette des femmes, une chronique "loi" qui aborde beaucoup de questions
ayant une incidence économique et aussi des dossiers de questions
économiques. C'est de façon très courante et très
régulière que cette information-là est faite. Dans ce
sens-là, il est sûr que ça demeure une priorité du
Conseil d'outiller les femmes afin qu'elles puissent atteindre leur autonomie
économique.
Mme Olivier: Là-dessus, j'ajouterais peut-être que
le Conseil, et ce, dès le début des travaux sur la question du
partage du patrimoine familial, a toujours refusé de considérer
que le partage du patrimoine familial était une mesure protectionniste.
Ça a toujours été envisagé sous l'angle du droit
à l'égalité et on se disait: Les conjoints peuvent
partager en parts égales ce qu'ils ont contribué à
accumuler ensemble. Et on a souvent véhiculé que c'était
une mesure plus de type protectionniste. Ce n'est parce que les femmes se
retrouvent dans un état de dénuement total qu'on dit: C'est une
mesure protectionniste. Ce qu'elles ont en partageant le patrimoine, c'est ce
qu'elles ont elles-mêmes contribué à accumuler dans la
famille. Donc, c'est des droits, c'est une partie de leurs biens qui leur
revient et non pas un cadeau que la loi leur donne à la rupture du
mariage. Et ça, c'est vraiment le discours qui est répandu par le
Conseil. Alors, c'est une première prise de conscience de la valeur de
ce que les femmes font aussi.
Mme Carrier-Perreault: Comme outil, vous avez La Gazette des
femmes. Est-ce que vous avez l'intention de vous servir d'autres moyens
éventuellement pour contacter les femmes ou si vous continuez uniquement
avec ce moyen-là comme tel?
Mme Lavigne: Spécifiquement sur la loi 146?
Mme Carrier-Perreault: Bien, sur la loi... Je parlais
plutôt de l'information ou de la façon de sensibiliser les femmes
en général. Vous avez des rencontres, j'imagine, de temps
à autre?
Mme Lavigne: Oui. Le Conseil fait régulièrement ou
des sessions d'information sur un
ensemble de sujets ou la production de dépliants sur des sujets
ou, ce qu'on fait beaucoup, c'est considérer que chacun des
ministères a son rôle à jouer là-dedans. Les
ministères, qui, soit dit en passant, doivent aussi desservir 52 % de la
population qui est une population de femmes, doivent faire leur travail et,
dans ce sens-là, on travaille beaucoup à conseiller les
ministères et à les amener à prendre leurs
responsabilités par rapport à l'information. Alors, c'est un
rôle-conseil auprès des ministères qui se joue, et de
façon régulière.
Mme Carrier-Perreault: Je vous remercie, Mme la
présidente. Je pense que ma collègue...
Le Président (M. Trudel): Je reconnais maintenant Mme la
députée de Terrebonne.
Mme Caron: Merci, M. le Président. Je dois
également vous féliciter, bien sûr, pour la qualité
de votre mémoire, mais aussi pour toutes les actions que vous avez
posées au niveau de l'information, tout comme celles qui vous ont
précédées tantôt, les membres du Barreau. Elles ont
vraiment contribué à augmenter l'information.
La question qu'on se pose aujourd'hui, c'est vraiment de savoir s'il y a
eu suffisamment d'information et si la prolongation du délai viendrait
remettre en cause les objectifs que nous nous étions fixés par
cette législation. À votre avis, plusieurs moyens, bien
sûr, ont rejoint les mêmes clientèles, les mêmes
personnes. Mais, si on veut tenter de chiffrer le pourcentage de personnes qui
ont vraiment été informées au Québec sur ce projet
de loi et sur ses amendements, est-ce que vous pouvez nous donner un chiffre?
À votre avis, quel groupe ou quelle clientèle cible ne serait pas
encore rejointe présentement?
Mme Lavigne: Écoutez, il faut prendre la population de
gens mariés ou de gens à la veille de se marier. Pour les gens
à la veille de se marier, l'information se rend bien, les canaux sont
très clairs. Pour les gens qui sont déjà mariés, il
y a 1 300 000 couples. Or, quand on parle de diffusion massive de documents
dans l'ensemble des quotidiens au Québec, on accroche, en partant,
autour de 1 500 000 lecteurs et multipliez par trois lecteurs potentiels, pour
ce qui était à la fois des encarts et aussi des articles qui ont
porté sur l'ensemble des aspects. Les postes de
télévision, les postes de radio ont tenu
systématiquement... Alors, ceux qui ne lisent pas les journaux
écoutent vraisemblablement la radio ou la télévision.. il
est difficile de cerner les gens qui n'en auraient pas, d'une façon ou
d'une autre, entendu parler. C'est rare, vraiment très rare qu'une loi
ait fait l'objet d'autant d'information que celle-là. C'est
véritablement un précédent, autant de documents et aussi
une information qui ne porte pas uniquement de l'information comme la loi
contient un, deux, trois. Il y a eu beaucoup d'information, comme vous le
savez, de gens qui décelaient des impacts négatifs, alors de
l'information qui était polémique, qui a permis à des gens
de voir l'ensemble des arguments, du pour et du contre.
À cet égard, quand il ne s'agit pas juste d'une
information de type factuel, mais aussi polémique, ça permet aux
gens de se positionner. Alors, je dis que non seulement les gens ont eu toute
l'information requise, mais ils ont eu aussi beaucoup d'information, de
débats et ont pu facilement se positionner. Et, s'il n'y a pas plus de
gens que ça qui y vont, c'est que, d'une part, dites-vous que les gens
qui sont en société d'acquêts, eux, avaient
déjà fait le choix d'un partage. Ils partagent
déjà. Alors, c'est 50 % des gens qui sont en séparation de
biens. Alors, on tombe sur un bassin potentiel... Même si la loi 146
touche les gens en société d'acquêts, eux, ils partagent
déjà. Alors, les gens qui pourraient être plus directement
touchés, c'est la moitié de 1 300 000. Donc, on tombe sur un
bassin déjà beaucoup plus restreint. Alors, les efforts
d'information faits pour atteindre autour de 750 000 couples ont
été extrêmement larges. Et, dans ce sens, je vois
difficilement quelle autre information il faudrait donner. Les effets d'un
retard seront de créer, à nouveau, de l'insécurité,
de l'incertitude et vont retarder aussi une évaluation dans quelques
années, puisqu'on ne sait pas encore comment... Il y a une incertitude.
Et si certains veulent éventuellement faire des correctifs, il faudrait
se donner le temps d'avoir une évaluation. Mais, encore faut-il que la
loi s'applique.
Mme Caron: Est-ce que vous iriez jusqu'à dire que le
pourcentage de personnes non rejointes, à l'heure actuelle, seraient
celles, en fait, qui auraient le plus besoin de cette loi?
Mme Lavigne: Non. Je me permettrai, Mme la députée,
de nuancer là-dessus. Pour partager, il faut avoir quelque chose
à partager. D'accord? Et on peut faire l'hypothèse que les gens
qui ont peut-être moins accès à certains médias
d'information sont aussi des gens qui se retrouvent parmi des groupes plus
pauvres de la société et, donc, des gens qui, en partant, ont peu
de biens à partager. Alors, partager la pauvreté, de toute
façon, le résultat est l'aboutissement de la pauvreté pour
l'un ou l'autre des conjoints qui se sépare. Et la loi 146 ne peut pas
être efficace pour des gens qui vivent déjà dans la
pauvreté.
Or, les gens qui se sentaient peut-être les plus touchés
par cette loi étaient des gens qui avaient passablement de biens. Or,
l'information a été massive dans tout ce qui était
corporations professionnelles, journaux d'affaires et journaux ou magazines
spécialisés lus par des gens qui ont effectivement des biens
à partager. Et, dans ce
sens-là, cette clientèle, qui était plus visible
lors du débat, qui a manifesté très clairement ses
opinions par rapport à la loi, a eu vraiment, dans l'ensemble de ces
journaux spécialisés, énormément d'information.
Quand vous me dites: Peut-être qu'il y a des groupes
défavorisés de la société qui ont eu moins
d'information, je dois vous dire que la loi 146, si on n'a rien à
partager, partage la pauvreté néanmoins.
Mme Caron: Vous répondez parfaitement à mes
questions. Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci beaucoup, Mme la
députée. Mme la ministre, si vous voulez conclure.
Mme Trépanier: Merci, M. le Président. Mme la
députée des Chutes-de-la-Chaudière parlait de continuer
l'information au Conseil du statut de la femme. Je vais vous dire que ce n'est
pas parce que la commission a lieu aujourd'hui que l'information arrêtera
de circuler. Et le Secrétariat à la condition féminine
également fait une action dans ce sens-là. Il y a des brochures
qui paraissent régulièrement. Entre autres, il y en a une qui
circule beaucoup, c'est "Les femmes et le crédit" et la brochure
"À la une" qui a une large diffusion. Et il y a la ligne INQATS qui
continuera à être en service tant que le besoin se fera sentir.
Alors, je pense que c'est important qu'on continue cette information.
Sur ce, M. le Président, je voudrais remercier les membres du
Conseil et peut-être pour revenir à votre commentaire du
début, lorsque vous disiez que c'était un membre de la famille,
nous sommes très heureux de compter le Conseil du statut de la femme
comme membre de la famille de la condition féminine. Merci de votre
collaboration et de votre support constant.
Le Président (M. Trudel): Mme la députée des
Chutes-de-la-Chaudière, si vous voulez conclure au nom de votre
formation politique.
Mme Carrier-Perreault: A mon tour de vous remercier tout
simplement. C'est toujours des avis très intéressants à
recevoir. On voit que vous êtes préoccupées et très
près des dossiers des femmes. Alors, on vous en félicite et on
vous remercie.
Le Président (M. Trudel): Au nom de l'ensemble de la
commission, Mme la présidente, ainsi que Mme Olivier et Mme Tremblay, je
vais vous remercier de vous être présentées à la
commission aujourd'hui et de nous avoir donné ces informations qui sont
certainement très précieuses pour l'ensemble du mandat qui nous
est donné.
Maintenant, je vais suspendre les travaux de la commission
jusqu'à 15 heures et il nous sera donné, à 15 heures,
d'entendre la Confédération des organismes familiaux du
Québec, dans cette même salle.
(Suspension de la séance à 12 h 35)
(Reprise à 15 h 25)
Le Président (M. Dauphin): Nous reprenons nos travaux sur
le mandat qui nous été donné d'examiner
l'opportunité de maintenir ou, le cas échéant, de modifier
la date d'expiration du délai prévu au premier alinéa de
l'article 42 de la Loi modifiant le Code civil du Québec et d'autres
dispositions législatives afin de favoriser l'égalité
économique des époux.
J'aimerais, à ce stade-ci, souhaiter la bienvenue à la
Confédération des organismes familiaux du Québec,
représentée par Mme Carmen Saint-Laurent, qui est
présidente du conseil d'administration, et je vous demanderais de
présenter la personne qui vous accompagne et de procéder à
votre exposé.
Confédération des organismes familiaux
du Québec
Mme Saint-Laurent (Carmen): Parfait. Je vous présente mon
secrétaire général, M. Denis Perreault.
M. le Président, membres de la commission des institutions, je
tiens à vous remercier d'avoir invité la
Confédération des organismes familiaux du Québec à
présenter sa position concernant la prolongation du délai pour se
soustraire aux dispositions de la loi sur le patrimoine familial. Comme vous le
savez, la Confédération des organismes familiaux du Québec
est un organisme à but non lucratif qui regroupe 24
fédérations provinciales, régionales d'organismes
familiaux et de regroupements auxiliaires représentant plus de 136
organismes de base répartis dans 14 régions distinctes. La COFAQ
est la voix démocratique de plus de 100 000 familles du
Québec.
La Confédération est née en 1971 du désir
des organismes familiaux de se doter d'une structure démocratique de
représentation qui puisse être le porte-parole des familles et de
leur projet de société, axée sur l'esprit communautaire et
la prévention. Depuis sa fondation, la COFAQ s'est toujours
préoccupée de l'amélioration de la qualité de vie
des familles. Dans te cadre de ce mandat, la Confédération des
organismes familiaux du Québec a toujours travaillé en vue de
l'obtention d'une politique familiale globale axée sur la qualité
de vie, l'épanouissement et l'égalité des personnes au
sein de ces familles, la concertation avec les familles en leur donnant les
moyens de se faire entendre, la prévention qui permet de maintenir le
potentiel d'entraide à son niveau maximum et d'éviter la
multiplication des problèmes en
période de difficultés, et un climat social qui favorise
la solidarité et la responsabilité collective.
C'est dans cette perspective et relativement aux objectifs de
représentation des droits des familles et de sa collaboration dans la
définition collective d'une politique familiale globale pour
améliorer la qualité de vie des familles que la COFAQ transmet sa
position concernant la prolongation de la période autorisée pour
se soustraire aux dispositions de la loi du patrimoine familial favorisant
l'égalité économique des époux.
Dans le cadre d'une consultation de sensibilisation de nos membres, nous
avons pris, en 1989, une position favorable à loi 146 en demandant des
modifications concernant le régime de retraite privé et la prise
en compte des relations parents-enfants dans la notion de patrimoine familial.
Cette loi a une influence non négligeable sur tous les adultes
mariés et, dans une très forte majorité des cas, leurs
enfants. À cet effet, il est important d'ouvrir le débat et de
tenir compte, outre des relations des conjoints, des relations parents-enfants.
Cet aspect a été négligé dans cette loi. Cette
dynamique qui est présente dans la très forte majorité des
couples est celle qui conduit aux plus grandes difficultés et aux plus
graves conséquences. Outre notre position concernant la prolongation du
délai pour se soustraire à la loi, nous formulons nos
commentaires pour rendre compte de l'aspect famille dans l'application de la
loi.
La famille, comme institution sociale, a subi des changements importants
au cours de la dernière décennie. Nouvelles valeurs, nouveaux
choix de vie qui ont eu des conséquences considérables sur les
familles québécoises. Ces transformations ont accentué la
fragilité des liens conjugaux et des liens parentaux et conduit à
une diminution de la fratrie. Dans ce tableau, la rupture d'union est une
réalité qui fait de plus en plus partie de l'horizon du
mariage.
Par conséquent, la loi 146 est un apport positif pour favoriser
l'égalité entre les conjoints. La création d'un patrimoine
familial doit donc être considérée comme une reconnaissance
de l'importance de la famille comme institution sociale. La COFAQ
considère cette reconnaissance comme nécessaire, mais non
suffisante. La famille encadre une communauté de vie basée sur le
partage. La reconnaissance d'un patrimoine familial est nécessaire, car
c'est la consécration dé ce principe de communauté et de
partage. Le partage de ce patrimoine ne peut que favoriser
l'égalité entre les conjoints et le partage des
responsabilités aux charges du ménage inscrit dans le nouveau
Code civil. La constitution d'un patrimoine familial accorde un partage plus
équitable de la richesse entre les conjoints.
Lors d'une rupture d'union, de plus en plus fréquente selon les
statistiques du dernier recensement, les rapports de force sont mieux
équilibrés. Ils donnent un pouvoir au conjoint moins
favorisé. Ce sont souvent les femmes qui se retrouvent dans ce cas.
Elles ne sont plus obligées de quémander leur dû. La
nouvelle loi favorise le conjoint à faible salaire ou à la
maison. Il n'est plus pénalisé par cette responsabilité
qu'il a assumée, car plusieurs facteurs familiaux influencent la
décision d'un des conjoints de rester à la maison. Il est juste
et équitable que ce conjoint, les femmes dans la quasi-totalité
des cas, ne soit pas seul à subir les conséquences
économiques de ce choix. L'établissement d'un patrimoine familial
partageable en parts égales corrige en partie cette injustice du
passé.
La loi devra, certes, s'ajuster à l'usage et à
l'application. Il reste qu'elle s'inspire d'un principe d'équité
et d'un partage des responsabilités qui ne peuvent être
désapprouvés, mais ce n'est pas suffisant car qu'en est-il des
droits des enfants? Il faudrait, pour l'amélioration de la loi dans son
application, tenir compte des relations parents-enfants dans le partage du
patrimoine familial. Ces relations sont présentes dans 69 % des
mariages. Il est donc inconcevable qu'il en soit si peu question. Les enfants
mineurs devraient être mieux protégés par la loi. À
cet effet et afin que le patrimoine familial porte bien son nom, la loi devrait
instaurer une réserve pour les enfants.
Notre position est donc que l'institution du patrimoine familial devrait
être applicable à tous les époux. Il permet
d'atténuer les effets les plus néfastes que peuvent
entraîner, en cas de rupture de couple, les régimes de
séparation de biens et de société d'acquêts, en
tenant compte de certaines circonstances particulières. À cet
effet et compte tenu de la position initiale de la Confédération
des organismes familiaux du Québec qui suggérait qu'aucun couple
marié ne devait se soustraire à la loi 146 sur le patrimoine
familial et après consultations auprès de nos organismes membres,
nous considérons qu'un délai de 18 mois est nettement suffisant
pour obtenir un consentement mutuel des époux aux fins de se retirer de
la loi 146. Un délai supplémentaire ne peut qu'accentuer les
pressions indues sur le conjoint le plus défavorisé. De telles
pressions ont été portées à l'attention de nos
organismes membres. La Confédération des organismes familiaux du
Québec considère eu égard à ce qui
précède, que la loi s'applique à tous les conjoints
mariés dont les consentements relatifs au retrait n'ont pas
été obtenus au 31 décembre 1990.
En clair, la COFAQ demande que fa date prévue au premier
alinéa de l'article 42 de la Loi modifiant le Code civil du
Québec et d'autres dispositions législatives afin de favoriser
l'égalité économique des époux ne soit pas
modifiée.
M. Denis Perreault, secrétaire général de la
Confédération, va compléter notre exposé.
Le Président (M. Dauphin): Merci, madame. M.
Perreault.
M. Perreault (Denis): M. le Président et membres de la
commission, quelques mots en complément des propos de Mme la
présidente pour bien situer notre réflexion et éclairer
notre position concernant la loi sur le partage du patrimoine familial
favorisant l'égalité des époux. Il convient de mettre en
lumière deux réalités sociales incontournables: la
détérioration de la qualité de vie et l'accentuation de
l'appauvrissement des familles québécoises, associées
à la détérioration de la réalité
économique des femmes. Qu'elles vivent seules, en couple ou en famille,
les femmes affichent un taux de pauvreté plus élevé que
les hommes. Le manque de protection économique suffisante des femmes est
venu accentuer leur précarité et renforcer leur pauvreté.
La loi sur le patrimoine familial tente de corriger ou d'atténuer cette
réalité sociale des femmes. La loi s'inspire donc d'un principe
d'équité et de partage afin de corriger des injustices
passées. Elle accorde un partage plus équitable de la richesse
des conjoints.
Justement, étant donné que la loi favorise
l'égalité économique des époux, corrigeant ainsi
l'inégalité sociale croissante entre les hommes et les femmes, la
Confédération des organismes familiaux du Québec s'est
toujours questionnée sur la pertinence ou l'intérêt de
permettre aux époux mariés avant l'entrée en vigueur de la
loi de se soustraire à la loi. A qui peut profiter ce droit à
l'exclusion? Pourquoi le gouvernement a-t-il accordé ce droit de
retrait? Si la loi favorise vraiment l'égalité économique
entre les époux, pourquoi alors l'exclusion? Pour perpétuer les
injustices passées? Cela n'a aucun sens pour nous. L'exclusion ne peut
que favoriser la reproduction de conditions d'inégalité entre les
conjoints. Comment le gouvernement peut-il justifier ce droit à
l'exclusion? Pire, comment peut-il maintenant justifier une éventuelle
prolongation?
Le Soleil du 21 octobre 1990 nous apprenait que plus de 22 000
couples ont déjà demandé de se soustraire à la
nouvelle loi, depuis le 1er juillet 1989. À qui profitent ces
exclusions? Aux couples? Aux conjoints les plus défavorisés? Aux
femmes? Aux enfants? La Confédération des organismes familiaux du
Québec en doute. Nombre d'organismes familiaux qui oeuvrent à la
base avec les familles nous ont indiqué qu'il était
inquiétant de voir se multiplier le nombre de conjoints qui
dénonçaient les pressions, le chantage qu'ils subissent pour leur
arracher un consentement. Il est inacceptable que, malgré la
promulgation d'une loi qui défend les principes d'équité
et de partage, soit une plus grande équité entre les époux
afin de ne plus désavantager l'un ou l'autre des conjoints, cette loi
serve à maintenir un climat de méfiance, de pressions indues, de
tensions et parfois même de chantage dans les couples et les
familles.
Quand le gouvernement, en acteur sociable responsable, acceptera-t-il
d'affirmer par l'action que la loi sur le patrimoine familial, malgré
ses lacunes, ses faiblesses, nous en convenons, est une amélioration
dans le sens d'une garantie supplémentaire pour favoriser le partage et
l'équité dans le couple et, par conséquent,
améliore la qualité de vie des conjoints, des enfants et des
familles? Il est temps que la loi s'applique, et ce, le plus rapidement
possible.
La Confédération des organismes familiaux du Québec
considère qu'un délai de 18 mois étant amplement suffisant
pour obtenir un consentement mutuel entre les époux consentants, nous
pouvons nous questionner sur la volonté de certains de voir prolonger la
période pour se soustraire à l'application de la loi. À
qui profitera ce prolongement? Aux notaires, aux avocats, pour ne nommer que
ceux-là? Est-ce que, en période économique difficile,
certains veulent profiter de l'occasion pour augmenter substantiellement leur
clientèle? On est en droit de se questionner. Sinon, pourquoi autoriser
une prolongation pour se retirer d'une loi que tous considèrent plus
équitable? Comment le gouvernement peut-il justifier une quelconque
prolongation? Dans l'intérêt de qui? Des couples, des enfants, des
familles? La Confédération des organismes familiaux du
Québec croit que non. Alors, pour les intérêts de qui?
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup, M. Perreault.
Est-ce que vous avez d'autres choses à ajouter, Mme la
présidente?
Mme Saint-Laurent: Non, ça va.
Le Président (M. Dauphin): Je vous remercie. Nous allons
maintenant procéder à la période d'échanges et je
vais reconnaître derechef Mme la ministre.
Mme Trépanier: Merci, M. le Président. Alors, dans
un premier temps, je veux souhaiter la bienvenue aux gens de la COFAQ, à
mon tour, Mme la présidente, Mme Saint-Laurent, et M. Perreault, que
j'ai eu l'occasion de rencontrer à maintes reprises durant les
dernières semaines, lors des festivités entourant la Semaine
nationale de la famille. Si je ne m'abuse, nous nous sommes rencontrés
dans le beau comté de Marquette, aussi.
Le Président (M. Dauphin): C'est exact.
Mme Trépanier: Alors, je suis heureuse de voir qu'un
organisme dit familial vienne donner son opinion sur les objectifs et les
principes de cette loi. Vous avez un peu débordé le cadre de
l'intervention d'aujourd'hui, mais je peux vous dire que tout le monde l'a fait
et c'est de bonne guerre, d'une part. D'autre part, vous venez
appuyer un peu la position que nous avons toujours défendue
à l'effet qu'il fallait que cette loi soit à caractère
universel et obligatoire, et que le plus rapidement possible elle s'applique
dans son entier. Vous êtes venus témoigner de ça
aujourd'hui.
On a tendance à dire que cette loi concerne les époux,
mais vous avez tout à fait raison de dire que c'est une loi qui est
familiale, parce qu'il y a toujours des enfants, en bout de piste, qui
bénéficient ou qui sont victimes du fait qu'il y a ou qu'il n'y a
pas équité dans le partage lors d'une dissolution d'un couple. La
présidente du Conseil du statut de la femme, ce matin, disait que
c'était une question d'équité aussi pour les enfants. Vous
dites que nous n'allons pas assez loin en ce qui concerne la protection des
enfants. Vous parlez d'une réserve pour enfants mineurs. J'aimerais
savoir: Les allégations que vous faites, la proposition que vous faites,
est-ce que vous ave2 vu cette proposition ailleurs? Est-ce que c'est une
proposition que vous avez soumise ou si vous l'avez vue, peut-être, dans
d'autres pays ou d'autres provinces? D'où la tenez-vous, cette
proposition-là?
Mme Saint-Laurent: Ça vient de mémoires que nos
groupes ont présentés lors de la loi; nos groupes voulaient qu'il
soit instauré comme un patrimoine de l'enfant, que les choses qui
appartiennent aux enfants, je ne sais pas, leur chambre, leurs objets pour le
sport, leurs instruments de musique, soient retirées du patrimoine
familial, que ce soit leur patrimoine à eux.
Mme Trépanier: Leur patrimoine à eux. Mme
Saint-Laurent: C'est dans ce sens-là.
Mme Trépanier: O.K. Mais c'était une proposition de
vos membres.
Mme Saint-Laurent: Oui.
Mme Trépanier: Alors, ce n'est pas dans d'autres
législations.
Mme Saint-Laurent: Nous l'avons entérinée.
M. Perreault: C'est trois fédérations
régionales, Mme la ministre, à partir de leur
réalité concrète, à partir de leurs faits
vécus. Je ne pense pas qu'elles aient regardé ailleurs parce
qu'elles n'ont pas, je pense, cette prétention de faire des
études exhaustives. Elles ont regardé à partir de leur
réalité et de leur vécu. Elles se sont rendu compte qu'on
prend trop souvent en cause seulement la relation conjoint-conjoint et pas
suffisamment la relation parents-enfants. Dans ce sens, dans la loi, elles
avaient demandé qu'on en tienne compte davantage parce que, dans 70 %
des mariages et des couples, il y a des enfants et que, s'il y avait patrimoine
familial, pour que ça se comprenne comme un patrimoine familial, il
devrait y avoir une partie qui soit attribuée pour sécuriser un
peu la relation parents-enfants en cas de divorce, où c'est souvent
dommage, mais les enfants doivent payer peut-être les pots cassés
lorsqu'il y a un conflit. Donc, à partir de leur propre
réalité, elles avaient demandé qu'on en tienne compte
davantage et peut-être de constituer un patrimoine familial qui
s'attacherait beaucoup plus à la réalité enfant. C'est
essentiellement né de leur préoccupation du vécu
quotidien, avec les consultations des organismes de base. (15 h 45)
Mme Trépanier: Je trouve votre préoccupation
intéressante parce que, évidemment, les statistiques
démontrent que, dans la très grande majorité des cas,
c'est la mère qui devient la personne la plus démunie, qui y perd
le plus lors de la dissolution d'un couple, d'une part. D'autre part, les
enfants suivent très souvent la mère et on constate que c'est la
qualité de vie des enfants qui est perturbée et qui est
diminuée, et ils n'en sont pas responsables. Alors, c'est sûr
qu'on devrait essayer de protéger cette qualité de vie chez les
enfants.
Vous nous en avez abondamment parlé et la conclusion de votre
mémoire fait mention de très grandes pressions dont font l'objet
les conjoints les plus démunis du couple. Est-ce que vos membres ont pu
évaluer ce genre de pressions? Quelle est, d'après vous,
l'ampleur des pressions dont font l'objet les conjoints les plus
démunis? J'imagine que c'est la raison pour laquelle vous ne favorisez
pas l'extension du délai. Est-ce que vous avez des remarques
particulières à cet effet?
Mme Saint-Laurent: Je ne peux pas avancer des statistiques
à ce sujet-là, mais c'est un fait, on en a entendu parler dans
nos groupes. J'en ai aussi eu des échos dernièrement au conseil
d'administration. Mais ne fût-ce qu'un cas comme ça, c'est
déjà trop pour nous, c'est déjà suffisant pour
demander qu'il n'y ait pas de prolongation.
M. Perreault: Dans ce sens-là, si on regarde la
consultation qui a été faite au niveau des organismes de base
à la fin de l'été, on s'est promenés dans toutes
les régions où sont présentes nos
fédérations et, effectivement, il y avait un leitmotiv qui
revenait d'un certain nombre de gens, entre autres dans Entraide-parents, dans
les centres de référence, où on posait un certain nombre
de questions, où on demandait: Qu'est-ce qu'on peut faire - ça
venait souvent du conjoint le plus défavorisé - lorsqu'on subit
des pressions? Ça risque même de faire éclater le peu de
liens qui raccrochaient certains couples. Bon, vous vous rappelez tous
l'épisode, quand j'étais jeune, entre autres, où, lorsque
les oncles et les tantes parlaient de testament dans la maison, ça
finissait toujours par des engueulades notoires.
Alors, dans ce sens-là, beaucoup de femmes et d'organismes nous
demandaient: Qu'est-ce qu'on peut faire? Qu'est-ce qu'on peut suggérer
aux femmes ou aux hommes, dans quelques cas, même si c'est minime, qui
subissent ce genre de pressions? Je dis: La seule position qu'on doit avoir,
c'est de demander au gouvernement le plus rapidement possible de sanctionner la
loi, d'autant plus qu'il y aura toujours la possibilité après, si
je comprends bien la loi, lorsqu'il y aura divorce, de pouvoir s'entendre par
consentement mutuel pour réajuster. Alors, dans la mesure où
cette disposition existe, mais, nom de Dieu, arrêtons le climat de
tension qui existe à l'heure actuelle et appliquons la loi d'une
façon universelle le plus rapidement possible.
Mme Trépanier: M. Perreault, à la séance de
ce matin, nous disions que les panels impromptus de familles dans les
années 1989-1990 étaient autour de la loi 146. Alors, ça a
remplacé les panels entourant les questions de testament de votre tendre
enfance. Alors, il y a toujours un sujet chaud dans les discussions
familiales.
M. Perreault: Quand ce n'est pas la politique. Ha, ha, ha!
Mme Trépanier: Oui, mais ça, c'est
omniprésent. Vous êtes une confédération qui
regroupe 22 fédérations provinciales, régionales. Vous
représentez 100 000 familles québécoises dans 12
régions distinctes. Alors, s'il y a un organisme qui peut être
précieux pour le gouvernement pour répandre les bonnes nouvelles,
c'est le vôtre. Est-ce que vous avez fait de l'information chez vos
membres suite à l'adoption de la loi 146? On a beaucoup parlé
dans les médias du manque d'information dans les mois derniers, ce que
nous avons essayé de combler. De votre côté, est-ce qu'il y
a des tentatives qui ont été faites? Est-ce que vos organismes
ont tenté d'informer leurs membres?
Mme Saint-Laurent: Oui, nos organismes ont tenté
d'informer leurs membres. Ça faisait aussi partie de notre programme
pour l'année 1990-1991.
M. Perreault: Lorsqu'il y a eu publication, de la part du
gouvernement, de l'inséré tabloïd qu'il a fait dans les
journaux, nous avons eu près de 1000 copies que nous ayons
distribuées à l'ensemble de nos organismes de base qui sont
autour de 132, qui ont eux-mêmes, par centre de référence
et par groupe d'intervention, diffusé de l'information
supplémentaire. Ce qui fait que je ne crois pas qu'on puisse
aujourd'hui, en tout cas, dire que les gens ne sont pas suffisamment
informés. C'est sûr qu'il existe toujours un noyau difficile
à rejoindre, qui manque d'information, mais je pense que le temps n'y
changera pas grand-chose. Et ceci, c'est important de le dire, je ne pense pas
que ce serait un manque de temps; je pense que c'est la difficulté et
souvent aussi le peu d'intérêt qu'ont certains conjoints, qu'ont
certains couples ou certaines familles d'obtenir de l'information
supplémentaire là-dessus, parce qu'ils ne prévoient pas de
retrait ou ils ne prévoient pas de conflit majeur dans ce
sens-là. Ça fait que je pense que les gens qui manifestaient
depuis une année et demie un intérêt dans ce sens-là
ont reçu un maximum d'information.
J'aimerais corriger quelque chose, avant de céder la parole,
c'est que nous sommes maintenant 24 membres, un peu de publicité.
L'Association québécoise des familles avec personne
handicapée a rejoint nos membres la semaine dernière, et
l'Association des familles de la région de Sherbrooke, une région
où on était peu représentés. Au lieu de 22, nous
sommes rendus 24, maintenant.
Mme Trépanier: Alors donc, vous aussi, vous
considérez que l'information a été suffisante et
adéquate.
M. Perreault: Je pense que le temps n'y changerait rien.
Mme Trépanier: On ne peut informer que les gens qui
veulent bien se faire informer. Tant qu'on n'est pas préoccupé
personnellement par le problème, on peut faire un bout de chemin, mais
le reste, c'est absolument... On ne peut pas franchir une certaine
barrière. Je pense que tout le monde a un peu dit ça, cet
avant-midi également.
M. Perreault: Je pense, fondamentalement, que baser
l'argumentation d'une prolongation sur le fait que les gens ont manqué
de temps pour l'information serait vraiment tiré par les cheveux.
Mme Trépanier: Merci, M. Perreault et Mme
Saint-Laurent.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Mme la ministre. Je vais
maintenant reconnaître Mme la députée des
Chutes-de-la-Chaudière.
Mme. Carrier-Perreault: Merci, M. le Président II me fait
plaisir, moi aussi, de saluer les membres, les représentants de la
Confédération des organismes familiaux. Effectivement, c'est un
mémoire qui est bien fait, comme la plupart des mémoires qu'on a
en commission, et qui aussi nous apporte un éclairage un petit peu
différent, comme la ministre le faisait remarquer, par rapport aux
familles. On a souvent l'impression que les gens qui viennent témoigner
ici ou nous donner des avis sur la loi 146 sont uniquement les groupes, qui
touchent les femmes ou qui représentent les femmes, mais je trouve que
c'est
très intéressant aussi de voir qu'il y en a d'autres qui
sont intéressés par le sujet.
Effectivement, Mme la ministre a posé beaucoup de questions;
j'avais les mêmes et puis les réponses m'ont été
données en bonne partie. Toutefois, vous parliez tantôt de
l'information qui a circulé, qui a été donnée,
surtout la dernière campagne d'information, et tout ça. On a dit,
j'ai entendu que le temps n'y fait pas grand-chose. Mais indépendamment
des campagnes d'information et de tout ça, est-ce que, par rapport
à vos membres, à vos organismes membres, vous avez l'impression
que les couples, que les gens connaissent bien la loi 146, sans la
connaître article par article, mais sont au courant du minimum, si on
veut, nécessaire? Est-ce que vous avez l'impression que les gens sont
conscients des impacts comme tels de la loi 146?
M. Perreault: Je pense qu'au niveau des organismes, au niveau des
fédérations, ils ont même travaillé la loi en grande
partie, donc ils sont plus que conscients. Il y a eu d'ailleurs, dans la
dernière année, une volonté de la part de la
Confédération de la faire connaître davantage au niveau des
organismes regroupés dans la structure des fédérations
régionales. Pendant la dernière année, Mme la
Présidente le disait tantôt, on s'est promenés en
formation-sensibilisation et en consultations pour recevoir un peu le pouls des
gens, avec deux avocats qui ont apporté de l'information
supplémentaire et qui ont critiqué la loi, qui ont apporté
ses faiblesses, ses lacunes, essayé de voir dans quel sens on pourrait
aller lors de l'application pour améliorer cette loi dans l'avenir. Dans
la mesure où nous étions pour, où nous étions
d'accord avec les principes de base, il fallait dans une deuxième
étape voir à l'usure comment, dans l'application, on pourrait
améliorer cette loi. Parce que, nous, nous sommes fondamentalement
là pour améliorer quoi que ce soit, c'est-à-dire pour
tendre vers l'amélioration de la qualité de vie des familles.
Donc, le point de vue famille nous a accrochés davantage.
Mais, effectivement, en tout cas en ce qui touche les organismes de
base, ceux qui étaient préoccupés, entre autres, que ce
soit des centres de référence, des centres d'écoute, par
la question qui revenait sur le tapis au niveau de leurs interventions,
effectivement, on a multiplié l'information de ce
côté-là avec un point de vue pratico-pratique et non pas un
point de vue juridique. Même si c'était fait par des avocats,
c'était fait par des avocats dans une perspective beaucoup plus
communautaire, beaucoup plus dans une compréhension populaire, dans une
compréhension simple pour un peu centrer les enjeux à
l'intérieur.
Et les enjeux, d'ailleurs, permettez-moi de le dire, vont au-delà
de la loi elle-même. Elle consacre des principes qu'on mentionne souvent,
mais qui sont peu inscrits ou qui devraient être inscrits davantage dans
les lois, entre autres, l'égalité entre les hommes et les femmes;
les mesures sociales, certaines réglementations, certaines politiques ne
sont pas toujours ajustées à ce principe d'égalité.
Et nous, nous pensons, nous présumons, entre autres, que cette loi,
malgré son côté peut-être un peu spécifique,
est un avantage et un plus pour un débat sur le moyen et long terme au
niveau de la modification des valeurs à l'intérieur des couples
et même à l'intérieur des familles. Dans ce sens-là,
nous, on ne peut qu'y souscrire et on a donné un maximum d'informations
et de formation se rattachant à ces enjeux-là à
l'intérieur de la loi.
Mme Carrier-Perreault: Parmi les membres de votre organisme, il y
en a probablement qui se sont retirés comme un peu partout ailleurs. On
sait qu'il y a 23 000 cas de retrait. Est-ce que vous avez eu de votre
côté des commentaires: pourquoi les gens décident de se
retirer? Parce que, tantôt, vous nous disiez à qui ça
profite et tout ça. Alors, est-ce que vous avez eu des commentaires
parmi vos membres: pourquoi les gens se retirent? Si c'est le cas, quel est
à peu près le profil socio-économique des couples qui
décident de se retirer de la loi 146?
Mme Saint-Laurent: Je ne saurais vous répondre
là-dessus parce que je n'ai pas entendu parler ceux-là. J'ai
entendu parler ceux qui étaient contre la prolongation parce que
ça pouvait leur apporter, même dans leur couple... Il y en a
certains qui m'ont dit qu'ils n'avaient jamais eu de problèmes et qui en
ont eu depuis qu'un des deux dans le couple voulait se soustraire à
cette loi-là. Mais, sur le contraire, Je n'ai pas eu de
témoignage.
M. Perreault: Nous avons reçu un certain nombre de lettres
demandant à la Confédération de s'opposer à la loi.
Je dois dire, sans aucune méchanceté, ceci étant le fait,
que la grande majorité, pour dire la quasi-totalité, était
des hommes - je suis peut-être mieux placé que Mme Saint-Laurent
pour le dire - bon, sous le principe du droit à la liberté. Bon,
j'y crois beaucoup, au droit à la liberté. Mais, lorsque le droit
à la liberté sert à désavantager un groupe de
citoyens très particulier et qu'il continue à perpétuer
des injustices sociales, nous, nous leur avons répondu: Écoutez,
fondamentalement, les principes et le mandat de la Confédération
touchent à l'amélioration de la qualité de vie, touchent
à l'égalité des droits. Dans ce sens, étant
donné que la loi ne va pas en contradiction avec ces principes, nous ne
pouvons qu'être d'accord. Et s'ils se sentent lésés au
niveau de leur liberté, Je veux dire, il est difficile, dans une
société civilisée où il existe nombre de
réglementations, de dire que, si tout le monde avait la liberté,
ce serait le parfait bonheur. Je pense qu'il est faux de prétendre
ça dans la
mesure où certains excès de liberté mènent
souvent à la domination. Donc, dans la mesure où, par indication,
c'étaient en grande majorité des hommes qui demandaient que la
Confédération appuie leurs revendications face, d'ailleurs,
à la Commission des droits de la personne - certains vont aller
jusque-là - nous, on était en désaccord. Et je pense que
c'est se cacher derrière un mur et, d'ailleurs, une
incompréhension de la réalité sociale et historique du
Québec que de prétendre que, si on perpétue la
liberté absolue, tout va se régler. Je pense qu'à un
moment donné il faut aller de l'avant et poser des actes pour que les
valeurs, pour que les normes changent et qu'on puisse peut-être,
après coup, arriver à un niveau de compréhension tel qu'on
arrivera à cet esprit de liberté où chacun
déjà respectera l'un et l'autre. Dans ce sens-là, en tout
cas, il m'apparaissait difficile et assez contradictoire avec le mandat de la
Confédération d'appuyer ce genre de revendication. (16
heures)
En ce qui a trait à la demande où vous nous dites:
Là où il y a eu des gens qui se sont retirés, est-ce qu'il
y a eu discussion, est-ce qu'on nous a apporté de l'information sur le
pourquoi de leur choix, etc.? mol, je considère fondamentalement - et je
pourrais revenir sur le choix de Mme la ministre, Mme Gagnon-Tremblay - que
malgré tout ce qu'on en a dit, ça reste des choix individuels
compte tenu des situations. Nous sommes en désaccord avec le principe du
retrait. Mais je pense que, dans des cas précis, chacun a droit à
ses principes et à ses opinions. Dans la mesure où ce sont des
choix individuels, peu de gens, pour ne pas dire personne, ont amené sur
la place publique, au niveau de la consultation, cet
élément-là. Il faudrait faire une enquête, il
faudrait questionner les gens, surtout ceux qui se sont retirés, pour
leur demander pourquoi, dans quel sens ils l'ont fait. Mais ça reste
pour moi, dans notre compréhension au niveau de la
Confédération, des actes individuels en fonction de conditions
individuelles précises où, moi, je n'ai pas, en tant que
représentant ou employé d'un organisme de regroupement, à
poser jugement.
Mme Carrier-Perreault: Je vous posais la question par rapport au
profil socio-économique, parce qu'on a souvent l'impression que la
difficulté vient du fait que, bon, ce sont généralement
des conjoints qui sont assez bien nantis, etc. C'est dans ce sens-là que
je vous posais la question sur le profil, si vous aviez une indication à
ce niveau-là.
M. Perreault: Moi, j'ai toujours un principe - je ne sais pas et,
là, j'y vais avec des hypothèses: je ne crois pas que, lorsqu'il
y a beaucoup d'argent à séparer, il y a d'énormes
conflits. Je pense que gérer l'abondance, c'est toujours plus facile que
gérer la rareté. J'ai l'impression que les grandes
difficultés, les grands conflits viennent dans les strates où il
y a peu de chose à partager, où chacun essaie d'y trouver son
dû. Je ne sais pas. C'est peut-être une hypothèse que vous
contesteriez facilement. Sauf que, lorsqu'on a terminé la
rédaction j'ai travaillé avec deux avocats, deux autres que ceux
qui étaient intervenus au niveau de la formation, qui m'ont dit qu'au
niveau des indications qu'ils avaient eues du côté des notaires et
des avocats il y a beaucoup plus de conflits, il y a beaucoup plus de
difficultés à obtenir un consentement mutuel du côté
des couples où il y a peu de choses, où on gère beaucoup
plus la rareté que l'abondance. Le consentement se fait beaucoup plus
facilement lorsque les deux conjoints sont des professionnels, sont des gens en
affaires etc. Même au niveau des femmes collaboratrices, il semble qu'il
y ait beaucoup moins de difficulté à obtenir... En tout cas, ce
sont les indications que j'ai. Ça va peut-être a contrario avec ce
qu'on pense au niveau de... mais ce sont les seules indications que je peux
vous fournir à l'heure actuelle.
Mme Carrier-Perreault: Disons que, oui, effectivement, ça
m'étonne un peu. Quoique, bon, quand il y a équivalence par
rapport à la situation financière des conjoints, à ce
moment-là, j'Imagine qu'il n'y a pas de problème, au même
titre que quand tes deux n'ont peut-être pas grand-chose mats sont dans
une situation à peu près équivalente, c'est sûr.
Mais, en tout cas, moi, c'était peut-être parce que souvent, dans
le cas des gens qui sont mariés en séparation de biens, bon,
bien, ce n'est pas toujours le cas. Et c'est dans ce sens-là
qu'était ma question. De toute façon, on la posera aux notaires
plus tard. Alors, je vous remercie.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Mme la
députée. Mme la ministre pour le mot de la fin.
Mme Trépanier: M. le Président, j'aimerais
peut-être, comme mot de la fin, avoir une information sur les familles
que la COFAQ représente. Est-ce qu'elles sont issues d'un milieu
particulier ou si vous représentez un grand éventail des milieux
québécois? Je sais que vous êtes partout sur le territoire
québécois. Est-ce que vous représentez beaucoup le milieu
agricole, le milieu ouvrier? C'est réparti ou si...
M. Perreault: On représente, pour l'en semble, le milieu
agricole, rural...
Une voix: Rural.
M. Perreault: ...périurbain...
Une voix: Urbain.
M. Perreault: Dans la région de Québec,
entre autres, la Fédération des familles de Québec
représente un secteur fortement urbanisé. La région de
Montréal avec... L'échantillonnage est assez divers et permet de
dire, en tout cas, que nous avons un éventail de familles et les
indications n'ont pas été que dans un sens. Il y en a eu de
niveaux différents par rapport à diverses classes sociales de
familles.
Mme Trépanier: Je trouvais important, M. le
Président, d'apporter cette spécification, parce que le seul
groupe famille que nous rencontrons aujourd'hui est la COFAQ. Je vous remercie,
Mme Saint-Laurent et M. Perreault, de votre précieuse contribution.
Merci.
Le Président (M. Dauphin): Alors, au nom de tous les
membres de la commission, nous tenons à vous remercier pour vous
être prêtés à cet exercice démocratique en
participant, effectivement, à nos travaux et nous vous souhaitons un bon
retour.
Je demanderais donc maintenant au prochain groupe, c'est-à-dire
à l'Association féminine d'éducation et d'action sociale
de se présenter à l'avant, à la table des
invités.
Alors, bonjour, Mme Christine Marion, présidente. Bienvenue aux
travaux de notre commission. Si vous voulez nous présenter la personne
qui vous accompagne et procéder à votre exposé.
Association féminine d'éducation et
d'action sociale
Mme Marion (Christine): Je vous remercie, M. le Président.
Vous avez, à ma gauche, Mme Michelle Houle-Ouellet, qui est la
rédactrice du mémoire que nous vous présentons
aujourd'hui.
Comme plusieurs ici le savent, l'Association féminine
d'éducation et d'action sociale, l'AFEAS, est un organisme qui est
voué à l'amélioration des conditions de vie des femmes et
qui regroupe 25 000 femmes dans 550 groupes locaux, partout dans la province de
Québec.
Depuis sa fondation en 1966, l'AFEAS s'est toujours
préoccupée de l'égalité des femmes et des hommes.
À plusieurs reprises, nos dossiers ont traité des droits
économiques des femmes. En 1980, l'AFEAS s'est impliquée dans le
processus de la réforme du droit de la famille qui a consacré
l'égalité juridique des époux comme un effet du mariage et
qui leur attribuait les mêmes droits et les mêmes
responsabilités. Nous avons déploré par la suite les
effets restrictifs de la prestation compensatoire. Réclamée comme
mesure qui devait permettre une compensation pour l'appart en biens ou services
à l'enrichissement du patrimoine, elle n'a pas permis de rendre justice
à celui des deux conjoints qui n'a pas pu se constituer un patrimoine.
Nous avons déploré également là situation dans
laquelle se sont retrouvées, au lendemain d'un divorce, de plus en plus
de femmes qui avaient été mariées sous le régime de
séparation de biens. Les difficultés éprouvées pour
engager un changement de contrat de mariage ou une déclaration de
résidence familiale ont amené nos membres à explorer
d'autres voies de solution. C'est ainsi qu'elles se sont prononcées, en
1988, sur le partage, à la fin du mariage, de tous les biens acquis
pendant sa durée. La loi 146, adoptée en juin 1989, n'allait donc
pas aussi loin que l'AFEAS le réclamait, mais, malgré tout, elle
représentait un immense pas en avant pour concrétiser le principe
de l'égalité économique des époux.
Je vais maintenant vous dresser un aperçu de la situation depuis
l'adoption de la loi. L'AFEAS a réclamé la loi favorisant
l'égalité économique des conjoints. Notre association a
été présente et active à toutes les étapes
de son cheminement. Une fois la loi sur le patrimoine familial adoptée,
notre association a multiplié les interventions ayant pour but de faire
connaître le contenu de cette loi auprès de nos membres et de les
mettre en garde vis-à-vis des inconvénients que représente
une renonciation hâtive. C'est ainsi que nous avons publié des
articles d'information dans Femmes d'ici, la revue de notre association
à laquelle sont abonnées nos 25 000 membres. Nous avons aussi
diffusé de l'information lors de rencontres provinciales
réunissant des membres dirigeantes ou assumant une responsabilité
dans notre organisme. Un dépliant d'information a également
été produit en collaboration avec le Secrétariat à
la condition féminine du Québec; ce dépliant a
été distribué dans le numéro de mai 1990 de notre
revue.
Notre association est également intervenue publiquement, par le
biais des médias et à l'occasion du Salon de la femme 1990, au
moment où, de toutes parts, des attaques virulentes s'élevaient
après l'adoption de la loi. L'AFEAS, craignant que le gouvernement ne
revienne sur des éléments majeurs qui auraient fait perdre toute
sa portée à la loi, a pris l'initiative d'une pétition qui
a été déposée à l'Assemblée nationale
avant l'étude et l'adoption des amendements qui ont été
votés en juin dernier. Les signataires de la pétition
réclamaient le respect et le maintien intégral des principes
d'équité et d'équilibre qui ont prévalu lors de
l'adoption de la loi favorisant l'égalité économique des
conjoints.
L'AFEAS s'est ralliée aux amendements adoptés en juin.
Nous avons été soulagé de constater qu'aucune modification
n'était apportée quant au prolongement accordé
initialement. Notre soulagement fut bref puisque, encore aujourd'hui, il est
nécessaire de venir défendre ce point de vue.
L'AFEAS, en fait, a toujours été opposée à
la possibilité de renoncer aux avantages du patrimoine familial à
un autre moment que celui de la fin du mariage. À ce moment, la
possibilité
de conclure une entente équitable pour les deux conjoints est
beaucoup plus réaliste et, de surcroît, elle ne brime aucun droit.
La présence de toute mesure transitoire nous est toujours apparue comme
un moyen légal offert pour contourner une loi. Comment peut-on adopter
une loi, en reconnaître le bien^fondé, et en même temps,
permettre que des personnes en soient exclues et annuler pour elles les effets
escomptés? Toute mesure transitoire risquait, à notre avis, de
reproduire les mêmes problèmes que ceux rencontrés lors des
négociations entre les époux pour l'enregistrement de la
résidence familiale ou pour des demandes de changement de contrat de
mariage.
Au 30 septembre 1990, 16 mois après l'adoption de la loi, 22 539
renonciations ont été enregistrées. Leur nombre a
augmenté substantiellement car, à la mi-juin, on en
dénombrait 16 313. Des femmes, membres de notre association, nous ont
fait part des circonstances et des conditions qui entourent souvent ces
renonciations. Malgré leur sensibilisation et leur accord à
rétablissement d'un patrimoine familial partageable en parts
égales au moment d'une séparation, d'un divorce ou du
décès, elles ont subi, de la même manière que
l'ensemble de la population, les messages transmis par les médias.
Malheureusement, ces derniers se sont faits souvent les porte-parole des
opposants à la loi, des bien nantis qui se sont sentis
lésés et l'ont clamé bien haut.
Partagées entre des messages contradictoires, nos membres, comme
la population en général, ont eu de la difficulté à
se faire une opinion éclairée. De nombreuses femmes ont entendu
et se sont fait répéter les arguments s'objectant à la
loi. Elles ont subi des pressions et ont été fortement
sollicitées pour s'y soustraire. Une loi qui subissait autant d'attaques
pouvait-elle être bénéfique? N'avait-elle pas plus
d'inconvénients que d'avantages? Les maris désireux de se
soustraire à la loi ont insisté sur ses inconvénients. Ils
ont rassuré leurs femmes sur leur avenir, sur la protection qu'Hs leur
offraient. N'avaient-elles donc plus confiance en eux? Avaient-elles
carrément le dessein de divorcer? Que faisaient-elles donc de leur amour
mutuel? Où était passée la confiance? Les discussions en
viennent à s'éterniser. Le mari revient à la charge. Le
discours s'envenime. De guerre lasse, les femmes en viennent à
préférer la paix quotidienne dans leur ménage et
l'harmonie familiale plutôt que la protection de la loi au cas où
leur mariage finirait par se briser.
On a aussi rapporté des situations où l'entreprise,
employeure du mari, a pris l'initiative de préparer des formulaires
nécessaires à la renonciation. Les signatures ont
été réclamées, souvent sans beaucoup d'explications
sur la portée de cet acte ou sous le prétexte que l'employeur
l'exigeait.
Prolonger le délai de renonciation ne peut que faire durer encore
plus longtemps une telle période de harcèlement. L'AFEAS, au nom
de ses 25 000 membres, s'y oppose fermement. La possibilité de
renonciation existe dans la loi. Personne ne peut donc se sentir
lésé. Au moment du divorce, d'une séparation, les deux
conjoints en sont rendus au moment de vérité. La protection
promise est-elle autant ou plus avantageuse? Au moins, le conjoint qui
possède le moins de biens dans le ménage sera-t-il alors en
mesure d'apprécier les alternatives offertes à leur juste valeur
et de choisir en connaissance de cause.
La loi constituant un patrimoine familial poursuit des objectifs
précis: corriger la situation d'injustice vécue par certaines
femmes lors d'une séparation ou d'un divorce, qui se retrouvent
démunies de tout bien après avoir contribué, par leur
travail, au bien-être de leur famille; consacrer le mariage comme une
véritable institution de partenariat entre les époux;
concrétiser, sur le plan économique, les principes
d'égalité juridique des époux tels qu'inscrits dans le
Code civil. (16 h 15)
Le gouvernement, avec l'accord de l'Opposition et l'appui de la
majorité des groupes qui se sont présentés en commission
parlementaire sur le sujet à l'automne 1988, a souscrit à ces
principes. Il se doit maintenant de voir à ce qu'ils soient
respectés. Pour le faire, il doit absolument renoncer à prolonger
le délai qui permet à des personnes de s'y soustraire.
Il n'est pas sans intérêt de vous mentionner que
récemment, lors de l'assemblée générale
d'août 1990, nos membres ont à nouveau discuté cette loi.
Elles se sont alors fermement opposées à toute prolongation du
délai de renonciation. De plus, elles ont exprimé leur
volonté quant au pouvoir actuel accordé par la loi, qui permet
aux époux ayant signé l'exclusion de se raviser à
l'intérieur d'un délai de deux ans. Ainsi, au nom de ses 25 000
membres, l'AFEAS s'oppose à toute prolongation du délai de
renonciation à la loi sur le patrimoine familial et elle réclame
pour les époux ayant signé l'exclusion le pouvoir de se raviser
à l'intérieur d'un délai de deux années, tel que le
garantit actuellement la loi.
La loi sur le patrimoine familial constitue pour les femmes un acquis
important en vue de réaliser leur égalité dans le mariage.
Malgré ce qu'on a pu en dire, elle ne protège pas unique ment les
femmes d'un certain âge qui ont consacré leur vie à leur
famille. Et je pense qu'il est utile de rappeler que 52 % des
Québécoises seulement sont sur le marché du travail Ainsi
donc, près de la moitié des femmes mariées sont des
travailleuses au foyer. En 1986, le revenu de travail (temps plein et temps
partiel) des femmes équivaut à 61 % de celui des hommes. La
rémunération moyenne des femmes travaillant à temps plein
est de 19 535 $, alors qu'elle est de 28 127 $ pour les hommes, soit 69 %. En
1967, 71 % des travailleurs à temps partiel sont des
femmes. Actuellement, parmi les femmes en emploi, un peu plus d'une sur
cinq travaille à temps partiel, comparativement à moins d'un
travailleur sur dix. Le taux de chômage des femmes est plus
élevé que celui des hommes. La formation des femmes
nécessite encore du rattrapage. Les principales professions
féminines demeurent celles de secrétaires, d'employées de
bureau, de vendeuses et de caissières. Près de 85 % des familles
monoparentales sont dirigées par une femme et l'incidence de la
pauvreté est nettement plus marquée chez ces familles.
Ces statistiques démontrent donc que les femmes, même si
elles travaillent, n'ont pas atteint la pleine égalité. Elles
possèdent moins de biens, contribuent moins à des régimes
de pension et sont vulnérables financièrement si leur mariage se
brise. Aussi longtemps que la véritable égalité ne sera
pas atteinte, que les femmes ne seront plus pénalisées pour
mettre en veilleuse leur vie professionnelle afin de donner naissance à
des enfants, la présence d'une loi comme la loi sur le patrimoine
familial demeurera nécessaire. Elle permet l'atteinte d'un
équilibre économique minimal entre les époux à la
fin du mariage, quel qu'ait été le régime matrimonial des
époux.
Nous croyons que la vie commune amène inévitablement un
partage des responsabilités et des rôles, et que les deux
conjoints contribuent à l'enrichissement de la communauté. Selon
l'AFEAS, la loi sur le patrimoine familial devrait étendre sa protection
à tous les époux. Pour nous, toute renonciation et toute
prolongation du délai de renonciation a pour effet d'annuler, pour des
personnes visées, les intentions du législateur. C'est pourquoi,
je le répète, les 25 000 membres de notre association s'y
opposent. Merci.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup, Mme Marion.
Nous allons procéder à la période d'échanges et je
vais reconnaître Mme la ministre.
Mme Trépanier: Merci, M. le Président. Bienvenue,
Mme fa présidente, Mme Marion, Mme Ouellet. L'AFEAS a toujours
défendu valeureusement les principes, les objectifs de cette loi
favorisant l'égalité économique des conjoints. Je dis
"valeureusement", parce qu'elle l'a fait à partir du début,
lorsque la roue était difficile à faire tourner; vous
étiez là avec tout le poids de votre crédibilité
comme organisme et vous avez sûrement contribué grandement
à l'adoption de cette loi-là. Et, encore récemment, vous
l'avez mentionné tout à l'heure, vous êtes intervenues
auprès du premier ministre en lui soumettant une pétition et en
lui disant combien vous trouviez important que les principes de cette
loi-là demeurent intacts et que l'application, également, n'en
soit pas diluée.
Alors, vous êtes ici aujourd'hui pour venir encore
témoigner. Une des intervenantes prédé-dentes, du Conseil
du statut de la femme, disait qu'il faut remettre sur le métier
très souvent notre ouvrage en ce qui concerne cette loi-là. Elle
a dit: On n'a pas manqué d'activité dans cette loi. Mais tant que
nous n'en serons pas complètement assurés, il faudra continuer
à être vigilants. Et vous avez fait preuve de cette grande
vigilance.
Peut-être pour situer l'intervention que vous faites depuis deux
ans concernant cette loi, les femmes qui sont membres de l'AFEAS, quel est
l'éventail des âges que nous y retrouvons, d'une part? Et, d'autre
part - peut-être que vous avez des statistiques à cet
effet-là - quel est le pourcentage des femmes mariées en
séparation de biens qui font partie, qui sont à l'AFEAS? Je ne
sais pas si vous pouvez me donner des chiffres précis, mais en gros.
Mme Marion: Des chiffres précis au niveau des contrats de
mariage, ce serait plus difficile. Je vais commencer par répondre
à la partie de votre question qui est plus facile et je ferai de
l'extrapolation ensuite. On a des statistiques assez récentes d'une
enquête qu'on vient de compléter. Le portrait
socio-économique de nos membres rejoint à peu près celui
de la femme québécoise en général. Maintenant,
côté âge, les membres de l'AFEAS se situent en grande
majorité, je dirais, entre 35 et 55 ans; il y en a des plus jeunes, il y
en a des plus âgées, mais je pense que le plus gros bassin est
dans ce groupe d'âge là. Au point de vue travail à
l'extérieur ou travail au foyer, c'est à peu près les
mêmes choses qu'au niveau de la population féminine du
Québec en général. Maintenant, pour ce qui est des
contrats de mariage, malheureusement c'est une question qu'on n'avait pas
songé à poser dans l'enquête, mais si je me fie, disons, au
pouls que je peux prendre, je pense qu'il y en a beaucoup dans ça qui
sont mariées en séparation de biens, surtout étant
donné le groupe d'âge où elles se situent. Je pense qu'on
peut dire sans grand risque de se tromper que la plupart sont mariées en
séparation de biens.
Mme Trépanier: L'AFEAS a fait de l'information, vous avez
produit des brochures, vous avez donné des conférences partout
dans les régions. Les intervenants avant vous disaient qu'il y avait eu
un changement dans la perception face à cette loi-là. Est-ce que
vous, de votre côté, vous avez remarqué le même
phénomène ou avez-vous une opinion différente des
intervenants précédents?
Mme Marion: Effectivement, quand on prend le temps de donner aux
personnes qui posent des questions des informations justes, qui sont
replacées dans un bon contexte qui souvent est le leur, les
mentalités changent tout à fait. Je pense que le plus bel exemple
que j'en ai eu,
c'est quand on a fait de la sensibilisation au Salon de la femme
à Montréal. Nous étions installées à un
kiosque et on demandait aux personnes de signer la pétition que je
mentionnais dans le mémoire, et les gens disaient, bien entendu, qu'ils
ne voulaient pas signer sans savoir à quoi ils s'engageaient, ce qui est
tout à fait à leur honneur. Donc, on leur expliquait de quoi il
était question et, quand on leur expliquait ce qu'était la loi,
elles nous répondaient, en règle générale: Ah,
c'est juste ça! C'était, la plupart du temps, la réaction
qu'on avait et ensuite elles acceptaient de signer.
Des voix: De signer la pétition...
Mme Marion: De signer la pétition, oui, pas la
renonciation, bien entendu.
Mme Trépanier: Alors, l'information, je dirais, de masse
entre guillemets, que vous avez donnée...
Mme Marion: Oui.
Mme Trépanier: ...c'est surtout au Salon de la femme,
l'encart...
Mme Marion: Oui.
Mme Trépanier: ...que vous avez fait dans une de vos
brochures. Vous avez donné des conférences...
Mme Marion: On a donné des conférences.
On a aussi écrit beaucoup d'articles sur la loi dans la revue
Femmes d'ici, on en a écrit au moins quatre l'année
dernière, et ça a été beaucoup...
Mme Trépanier: Vous receviez également des appels
de vos membres.
Mme Marion: Beaucoup, beaucoup.
Mme Trépanier: Est-ce que vous étiez
équipées pour recevoir...
Mme Marion: On a souvent reçu des appels de nos membres
qui nous disaient: Écoutez, on a demandé un conférencier
hier... Naturellement, surtout dans les milieux un peu plus ruraux,
c'était souvent le notaire qu'on demandait comme conférencier et
là on disait: Mais on ne comprend plus. Et, là, on appelait, puis
on nous demandait: C'est quoi, au juste? Là, on expliquait pourquoi
l'AFEAS s'était prononcée en faveur de cette loi-là,
quelles étaient les démarches, quelles étaient les
conséquences pour elles, et ça resituait les choses. Quand il y a
eu des informations contradictoires, souvent les femmes étaient
portées à aller plus loin, à aller chercher plus
d'information, ce qui fait que ça nous rendait, finalement,
peut-être service.
Mme Trépanier: Le phénomène auquel vous
faites allusion, d'informations contradictoires, évidemment, a
été mentionné aussi cet avant-midi par d'autres organismes
et on l'a vécu également au Secrétariat à la
condition féminine. Je pense que c'est le même
phénomène partout et il semblerait que dans tous les organismes
et, chez nous, à la Justice, un peu partout, on a la même
gradation dans l'information. Je pense que ça vient corroborer nos dires
du début.
Votre revue, Femmes d'ici, la pénétration est de
combien, c'est combien de lecteurs à peu près?
Mme Marion: Tous nos membres sont abonnés à
Femmes d'ici, donc, nos 25 000 membres...
Mme Trépanier: Alors, ils la reçoivent...
Mme Marion: ...et on a des abonnements individuels. On a
peut-être 1500 abonnements individuels.
Mme Trépanier: Vous avez, à ma connaissance,
été les seuls à soulever le point qu'au niveau des
entrepreneurs des entreprises favorisaient la renonciation chez leurs
employés. Est-ce que vous avez le motif de ces gens-là de faire
ça?
Mme Marion: En fin de compte, non, c'étaient des
témoignages qu'on a reçus souvent quand on est allées
donner des conférences, quand les gens nous appelaient.
Mme Trépanier: Ce n'est pas seulement à un endroit
que vous avez vu ça?
Mme Marion: Ah non, non!
Mme Trépanier: Vous avez vu ça...
Mme Marion: C'est quand les gens nous appelaient, ils nous
disaient: Est-ce que c'est normal qu'on reçoive ça? Souvent,
ça venait des contentieux des entreprises, quand c'étaient de
très grosses entreprises, bon. Quand c'étaient des plus petites
entreprises, c'était peut-être une initiative du patronat.
Là, je vais vous dire, je fais vraiment... Ce que je pense, c'est que
c'est peut-être beaucoup à cause des questions de partage des
pensions, qui pouvaient créer certains problèmes au niveau des
entreprises. Mais je ne vois pas de raison. C'est vraiment très
étonnant comme procédure.
Mme Trépanier: Madame.
Mme Houle-Ouellet (Michelle): Ce sont des témoignages
qu'on a reçus également sans aller
vérifier non plus auprès des entreprises la
véracité de ce qu'on recevait. On n'a pas de raison de mettre en
doute les témoignages. Ça peut très bien être un
mari aussi qui a pris le prétexte de dire: C'est mon entreprise qui
demande de signer ça. On n'a pas fait le partage.
Mme Trépanier: Pour faire passer la pilule mieux.
Mme Houle-Ouellet: C'est ça.
Mme Marion: En fin de compte, notre rôle, ce n'était
pas d'aller, disons, contester ce que les entreprises faisaient, mais bien
plutôt de donner les bonnes informations à nos membres et de les
mettre en garde contre une renonciation hâtive. Alors, on n'a jamais fait
d'exploration dans ce sens-là.
Mme Trépanier: Vous êtes un organisme dit, entre
guillemets, pour la promotion de la femme, mais, évidemment, il y a
toujours ou très souvent une famille derrière ces
femmes-là. La COFAQ, avant vous, a fait ressortir le point de vue
famille, le point de vue des enfants. Est-ce qu'il y a eu chez vous, à
l'AFEAS, des réflexions quant à la famille? Est-ce que vous aviez
perçu aussi cette dimension familiale là ou si, chez vous, on
s'est orienté uniquement vers le côté femme et le
côté... pas promotion, mais équité chez la
femme?
Mme Marion: Mais, comme vous l'avez mentionné si bien,
quand il est question de femmes, en règle générale, il est
question d'enfants et de famille aussi. À l'AFEAS, on discute souvent de
famille. On est très près des familles. Nos membres sont
très près de leur famille, des besoins de leur famille.
Cependant, au niveau des discussions qui ont entouré la loi sur
l'égalité économique des conjoints, on n'a pas vraiment
abordé d'aspect comme la COFAQ l'a fait concernant les droits des
enfants à un patrimoine qui leur serait propre. On n'a vraiment pas
abordé la question sous cet angle-là. En tout cas, je ne voudrais
pas extrapoler et dire la pensée de nos membres, mais j'ai l'impression
que, pour elles, c'était évident que ce qui appartenait à
leur enfant appartenait à l'enfant. J'aurais aimé pouvoir
discuter avec les gens de la COFAQ pour voir un peu plus le cheminement de
leurs discussions à ce sujet-là. En tout cas, de prime abord,
moi, je ne vois pas vraiment d'incidence très grave dans ça.
Est-ce que ce serait plus avantageux, moins avantageux?
Mme Trépanier: J'aimerais dire aux représentantes
de l'AFEAS que, comme par le passé, vous avez été de
précieuses collaboratrices quant à la diffusion de l'information
pour toutes nos lois d'ordre social, pas seulement cette loi-là. Il est
évident qu'une loi à caractère universel et à
caractère obligatoire comme elle l'est va demander encore beaucoup
d'explications et d'informations. Nul besoin de vous dire que nous comptons
encore sur vous dans l'avenir pour nous aider à répandre cette
bonne nouvelle et à faire cette information dont les femmes ont
tellement besoin. Je vous remercie. (16 h 30)
Mme Marion: Je vous remercie, Mme la ministre.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Mme la ministre.
Mme Marion: Si je peux me permettre d'ajouter...
Le Président (M. Dauphin): Oui, Mme la
présidente.
Mme Marion: ...ça fait partie intégrante de notre
mission. Alors, c'est évident que nous en parlerons encore.
Le Président (M. Dauphin): Merci. Je vais maintenant
reconnaître Mme la députée des
Chutes-de-la-Chaudière.
Mme Carrier-Perreault: Merci, M. le Président. Il me fait
plaisir, à mon tour, de saluer Mme Marion et Mme Michelle Houle-Ouellet,
de l'AFEAS. La ministre disait tout à l'heure que l'AFEAS a toujours
été vigilante par rapport à cette loi-là en
particulier et je suis tout à fait d'accord avec la ministre. Ça
arrive, des fois, que l'Opposition et le gouvernement, on peut être
d'accord sur certains points. C'en est un, en tout cas. Mais je pense qu'il
faut reconnaître que l'AFEAS a toujours été présente
aussi. Elle vient toujours donner des avis quand il s'agit de prendre position
sur les droits des femmes et, pour ça, on vous remercie.
Par rapport à votre mémoire, je voyais dans votre
mémoire que, bon, vous disiez que la loi 146 n'allait pas aussi loin que
ce que l'AFEAS aurait bien voulu avoir. Disons qu'on sait que vous demandiez
quand même autre chose et, même à ce niveau-là, vous
demandiez beaucoup plus. Est-ce que vous avez toujours l'intention comme
association de continuer les représentations à cet
effet-là?
Mme Marion: C'est évident que, pour nous, comme on le
mentionnait, c'était déjà un pas énorme de fait. Et
je pense que, compte tenu de toute la difficulté qu'on a eue à
faire ce pas-là, on pourrait être tentées peut-être
de s'asseoir sur nos lauriers. Je pense que les discussions qu'on a eues
à notre dernière assemblée générale nous ont
démontré que les membres étaient quand même
satisfaites de ce qui est déjà dans la loi. Par contre, il est
évident qu'il y a d'autres de nos demandes en ce qui concerne les
travailleuses au foyer, par exemple, l'intégration au
Régime de rentes du Québec, sur lesquelles on n'a pas encore le
goût de lâcher prise. Mais ça, c'est du travail de longue
haleine sur lequel on continuera de travailler, bien sûr.
Mme Carrier-Perreault: J'ai trouvé que c'est un dossier
qui avait beaucoup d'importance pour votre organisation.
Mme Marion: Oui. Mais, pour nous, cette loi-là est
vraiment partie intégrante de la reconnaissance du travail au foyer. Et
de ça, on est déjà très contentes. C'est un premier
atout pour nous.
Mme Carrier-Perreault: D'accord. Parce que ce matin on a
rencontré, évidemment, le Conseil du statut de la femme qui est
venu nous parler aussi sur le sujet et qui a un petit peu
débordé. Je pense que c'est de bonne guerre, comme on disait, et
c'est intéressant de pouvoir s'ouvrir et discuter de l'ensemble des
sujets. Il nous disait aussi que, justement, il ne fallait pas
considérer la loi 146 comme une panacée universelle qui venait
régler l'ensemble des problèmes des femmes. Alors, ce matin, dans
le mémoire du Conseil, on parlait de la prestation compensatoire, entre
autres; on sait que les femmes collaboratrices ont quand même fait des
représentations, se sont exprimées à ce sujet-là.
Est-ce que vous avez eu des commentaires de votre côté sur la
prestation compensatoire et sur la possibilité d'améliorer ce
système-là aussi?
Mme Marion: En fait, au moment où on a
présenté le premier mémoire sur ces questions-là -
si ma mémoire est fidèle, ça remonte quand même
à deux ans - on n'avait rien en ce qui concerne la prestation
compensatoire. Mais je n'ai pas eu, non plus, au cours des tournées
qu'on a faites dans les régions, de demandes dans ce sens-là.
C'est évident, comme vous le disiez, que ce n'est pas une loi qui va
corriger toutes les situations. Ça, je pense que tout le monde en a
toujours été conscient. C'est un pas, comme je le disais. Il y a
encore du travail à faire. Maintenant, on va regarder dans d'autres
domaines. Si on peut asseoir celle-là comme il faut, on va ensuite
travailler dans d'autres domaines.
Mme Carrier-Perreault: J'ai comme entendu dire, à un
moment donné... Il y a quelqu'un qui m'a souligné que vous aviez
une vaste consultation, que vous vous prépariez à faire une
consultation. Vous allez, j'imagine, toucher un ensemble de sujets par rapport
à la condition féminine de l'an 2000, comme on m'a dit.
J'aimerais que vous m'en parliez un petit peu.
Mme Marion: En fait, ce n'est peut-être pas des dossiers -
enfin, c'est toujours un peu - qui concernent la politique. Ce sont des
consultations dans le sens de comment on continuera à pouvoir être
revendicatrices en termes de condition féminine, tout en étant ce
que les femmes sont devenues en 1990, autrement dit, comment on vivra le
militantisme. C'est plus dans ce sens-là que la consultation va se
vivre. Et, bien sûr, on va aussi, à ce moment-là, consulter
nos membres sur ce que seront les dossiers de l'avenir pour l'AFEAS, ce
qu'elles veulent continuer à demander et quels seraient les dossiers sur
lesquels elles aimeraient qu'on se penche dans l'avenir.
Mme Carrier-Perreault: Dans votre mémoire, à la
page 8, vous réclamez pour les époux ayant signé
l'exclusion le pouvoir de se raviser à l'intérieur d'un
délai de deux ans, tel que garanti par la loi, etc. Est-ce que, dans cet
article-là, vous faites allusion à la possibilité de
renonciation de l'un des époux, par acte notarié, au partage qui
"peut être annulée si elle est entachée d'une cause de
nullité des contrats ou pour cause de lésion"? Est-ce que c'est
à ça que vous faites référence ou si vous aviez
perçu un autre...
Mme Houle-Oueliet: C'était à cette partie-là
qu'on faisait référence. C'est que, si les époux sont
allés signer une renonciation et qu'une personne se sent
lésée en comprenant, après coup, l'acte qu'elle a
réellement signé, bien, on était d'accord avec l'article
de la loi qui lui offrait, à ce moment-là, la possibilité
de se raviser à l'intérieur des deux ans.
Mme Carrier-Perreault: Bon, d'accord. C'était vraiment en
référence à...
Mme Houle-Oueliet: C'est ça. C'est pour les époux
qui ont signé, mais où un des conjoints pourrait prouver qu'il a
signé d'une façon forcée, qu'il l'a fait sans
connaître exactement la portée de son acte. Je pense que la loi
permet de se raviser, à ce moment-là, et, nous, on était
tout à fait d'accord avec cet article-là qui existe actuellement
dans la loi. Parce que les témoignages nous prouvent que les femmes qui
ont déjà signé l'exclusion souvent elles le regrettent en
comprenant la portée de leur geste. Elles disent qu'elles ont
manqué d'information ou qu'elles ont subi une pression qui a fait
qu'elles ont été obligées de signer et elles aimeraient
pouvoir se raviser. Alors, comme la loi le permet, nous, on voulait
spécifier qu'on était tout à fait d'accord avec cet
article-là de la loi qui nous semble important.
Mme Carrier-Perreault: D'accord. Par rapport à vos membres
et tout ça, est-ce que vous avez eu connaissance ou est-ce que des gens
vous ont fait des commentaires à l'effet qu'ils avaient pris des
procédures ou qu'ils avaient fait des démarches dans le sens de
se
raviser?
Mme Houle-Ouellet: Non, non.
Mme Carrier-Perreault: Vous n'avez pas été...
Mme Houle-Ouellet: Jusque-là, non. On a eu des
commentaires de personnes qui regrettaient d'avoir signé l'exclusion,
mais pas qui avaient entrepris des démarches, cependant.
Mme Carrier-Perreault: C'est une curiosité. Je voulais
savoir comment ça se vivait.
Mme Houle-Ouellet: Oui, c'est ça. On va être
intéressées à le savoir, nous aussi, je pense bien.
Mme Marion: II faut bien comprendre que, dans le contexte, pour
les personnes qui ont signé, par exemple, à la suite de pressions
du conjoint, ce n'est pas plus facile de reculer que ça l'a
été de refuser de signer. Alors, on peut regretter, mais le geste
à poser n'est pas simple. Cependant, il faut quand même se garder
cette marge de manoeuvre là et c'était dans ce sens-là
que, nous, notre intervention se manifestait.
Mme Carrier-Perreault: Probablement que c'est une question que
j'aurais dû poser ce matin aux membres du Barreau. Je ne sais pas, est-ce
que, Mme la ministre, par rapport à cette possibilité-là,
vous êtes au courant s'il y a des cas, par exemple, qui se sont
présentés ou des demandes qui ont été faites, des
procédures qui ont été entamées pour que cette
renonciation-là soit annulée?
Mme Trépanier: Moi, je n'ai pas de cas. Je ne sais pas si
Anne...
Une voix: Non, on n'a pas de chiffres là-dessus.
Mme Carrier-Perreault: D'accord, je vous remercie. Je pense que
ma collègue avait... Merci bien.
Le Président (M. Dauphin): Oui, d'accord. Mme la
députée de Terrebonne.
Mme Caron: Merci, M. le Président. Je pense que vous nous
avez clairement démontré à quel point ça semble, au
niveau des législations, difficile lorsqu'on apporte des changements sur
le statut ou la reconnaissance du travail des femmes. Il semble que ce soit
beaucoup plus difficile et que le cheminement soit beaucoup plus long que pour
d'autres législations. Je tiens, moi aussi, à vous
féliciter pour le travail d'information qui a été fait au
cours des derniers mois. À la question de la ministre, tantôt, sur
la perception de la loi 146 qui a pu changer au cours des derniers mois, je
pense que vous avez été suffisamment claires pour nous dire que,
effectivement, la perception avait changé. Donc, la perception, elle a
changé à cause de tout le travail d'information qui a
été fait, autant par les organismes du milieu que par le monde
politique. Si on garde cette idée que le délai et les derniers
mois ont permis, grâce à l'information, un changement de la
perception de la loi 146, quelles sont vos craintes par rapport à une
prolongation du délai? Est-ce que le délai viendrait continuer
d'informer les gens et d'améliorer encore la perception de cette loi,
comme ce fut le cas au cours des derniers mois, ou si, au contraire... Vous
avez démontré que vous aviez des appréhensions si le
délai est prolongé. Pourquoi?
Mme Marion: Je ne pense vraiment pas que le délai
viendrait apporter de nouvelles informations; je pense que les gens ont eu
quand même 18 mois et, en fait, de ce côté-là, je ne
pense pas que ça apporterait grand-chose de nouveau. Notre
inquiétude se situe beaucoup plus au niveau des témoignages qu'on
a reçus des femmes qui ont subi beaucoup de pressions pour renoncer, et
c'est ça qu'on voudrait qu'il ne soit pas prolongé, d'une part.
D'autre part, pour nous, c'est un non-sens de mettre un délai de
renonciation supplémentaire; ce serait presque venir dire que la loi,
finalement, n'est pas bonne, alors que, nous, on est intimement convaincues
qu'elle l'est. Donc, ce serait tout à fait illogique de prolonger le
délai de renonciation. Je pense que, dans un premier temps,
c'était normal de le faire; on a eu 18 mois pour y penser. Je pense que
les opposants ont eu largement le temps de faire valoir leurs points de vue.
Nous avons eu aussi le temps de faire valoir le nôtre. Et, moi, je suis
intimement convaincue que c'est suffisant. Ce serait un non-sens, je le
répète, de prolonger ce délai-là, alors qu'on est
intimement convaincues que la loi est bonne.
Mme Caron: Plusieurs groupes nous ont effectivement parlé
de cet aspect de harcèlement. Est-ce qu'à votre avis le
côté harcèlement n'est pas aussi grand, puisque les gens
peuvent toujours renoncer, au moment d'une séparation, au moment d'une
rupture? Quels sont les moyens qui devraient être pris pour
prévenir ce harcèlement-là qui peut se produire au moment
de la rupture?
Mme Marion: Je voudrais bien avoir une réponse toute faite
pour ça. En fait, je pense qu'au moment de la rupture ou de la
dissolution du mariage, dans un cas de séparation ou de divorce, les
chances de harcèlement sont quand même moins grandes. Il reste
qu'on ne peut plus jouer sur la corde sensible et dire: Tu n'as plus confiance
en moi, ou bien donc: Tu sais bien que
je t'aime, puis que je vais toujours te protéger, etc. Alors,
ça, on sait que, là, ce n'est plus le cas puisque le mariage est
sur le point de se dissoudre. Donc, il y a quand même une grande part du
volet de pressions qui est évacuée. De là à dire
que tout est évacué, peut-être pas. Et comment faire pour
évacuer l'autre partie? Là, je pense que c'est vraiment des
comportements humains sur lesquels, malheureusement, le législateur n'a
pas de pouvoir. Les groupes essaient d'en avoir en termes de changement de
mentalités, autant chez les hommes que chez les femmes, mais c'est
à peu près tout ce qu'on peut avoir comme pouvoir.
Mme Caron: Je pense que vous avez bien relevé... C'est cet
aspect-là que je souhaitais vous voir soulever, du lien affectif,
finalement, de cette corde-là qu'on joue régulièrement et
très souvent, plus particulièrement quand il s'agit de dossiers
touchant les femmes. Est-ce que vous comptez mettre un peu l'accent au niveau
de l'information sur cette fameuse clause qui pourrait permettre aux personnes
qui, par manque d'information, auraient signé trop rapidement une
renonciation? Est-ce qu'il y a des actions de prévues dans ce sens?
Mme Marion: C'est évident qu'on va continuer à
sensibiliser les membres via la revue, entre autres. Chaque fois qu'on aura
l'occasion d'en parler, oui, on va le faire. De là à dire qu'on
mettra l'accent spécifiquement sur ce point-là, je pense qu'il
est important qu'on en traite, mais je pense qu'il faut que les gens soient
bien au courant de ça; ils le sont d'ailleurs déjà
passablement. Ça a été traité comme les autres
aspects de la loi à l'intérieur de toute la démarche qu'on
a faite.
Mme Caron: Je vous remercie beaucoup. Mme Marion: Je vous
en prie.
Le Président (M. Dauphin): Merci. Mme la ministre.
Mme Trépanier: Deux mots concernant le harcèlement
lors de la rupture. Il est évident que c'est d'un tout autre ordre.
Premièrement, à la rupture, un des conjoints peut renoncer
à sa part; alors, il n'a pas besoin de consentement.
Deuxièmement, les conjoints ne vivent plus ensemble; alors, le
harcèlement est très différent; il se fait très
souvent par avocat interposé. Alors, il en reste toujours une partie,
mais je pense qu'il est moindre que lorsqu'ils sont ensemble et que l'union est
encore valable et que les couples essaient de préserver cette union.
Mme la présidente, je pense qu'à l'instar des intervenants
qui se sont succédé avant vous, en conclusion, vous nous dites,
pour revenir au mandat de cette commission qui est d'évaluer si
l'information quant à la loi est suffisante pour ne pas prolonger le
délai, que cette information-là a été suffisante,
qu'elle est adéquate, que, de plus, si nous prolongions, ça
viendrait mettre en péril cette loi. Vous ne jugez pas à propos
d'allonger le délai. En résumé, c'est à peu
près le message que vous nous laissez.
Mme Marion: Tout à fait, madame.
Mme Trépanier: Madame, merci de votre contribution. Comme
je vous l'ai dit auparavant, nous espérons encore compter sur votre
collaboration longtemps.
Mme Marion: Soyez-en assurée. Merci, Mme la ministre.
Mme Trépanier: Merci.
Le Président (M. Dauphin): Au nom de tous les membres de
la commission des institutions, j'aimerais vous remercier d'avoir
participé à nos travaux et vous souhaiter un bon retour. Merci.
Je suggérerais peut-être aux membres de la commission de suspendre
cinq minutes. Avant cette suspension, j'aimerais qu'on me permette d'autoriser
le dépôt de deux documents qu'a fait Mme la ministre ce matin. En
vertu du règlement, je dois autoriser cesdits dépôts.
Alors, je le fais, premièrement, pour les "Outils de communication
produits dans ie cadre des campagnes d'information sur la toi sur le patrimoine
familial" et, deuxièmement, pour une série de documents sur la
campagne d'information relativement à la loi 146. La commission suspend
ses travaux pour cinq minutes.
(Suspension de la séance à 16 h 47)
(Reprise à 17 h 3)
Le Président (M. Dauphin): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission va reprendre ses travaux. Nous étions rendus
au prochain groupe, c'est-à-dire la Chambre des notaires du
Québec, à laquelle je souhaite la bienvenue aux travaux de cette
commission. Je reconnais le président de la Chambre des notaires, Me
Jacques Tasehereau, et je lut demanderais de nous présenter les
personnes qui l'accompagnent et, ensuite; de- nous présenter son
exposé. Alors, Me Tascherau.
Chambre des notaires du Québec
Mi. Tasehereau (Jacques): Merci, M. le Président. La
Chambre des notaires tient à vous exprimer ses remerciements pour
l'invitation qui lui a été faite de participer à vos
travaux. Je vous présente les délégués de la
Chambre des notaires devant la commission: à ma droite, le notaire
Jeffrey A. Talpis, docteur en droit,
professeur titulaire à la Faculté de droit de
l'Université de Montréal. Me Talpis est président du
comité sur la législation à la Chambre des notaires. Et,
à ma gauche, Me Laurence Charest, notaire, juriste attachée aux
services profes-sionels de la Chambre des notaires.
Mon intention, M. le Président, est de définir rapidement
la position de principe de la Chambre sur le sujet précis de l'article
42 et, en second lieu, de vous résumer le résultat d'un sondage
effectué à la demande de la Chambre sur le même sujet.
À cet égard, je n'ai appris qu'à 15 heures qu'une fuite
malheureuse a fait que certains journaux du matin ont publié certains
traits de ce sondage. Je m'en excuse auprès de la commission, c'est une
fuite qui n'a jamais été autorisée, à ma
connaissance. Ce texte vous sera remis intégralement d'ailleurs, pour
consultation, dès demain matin.
Après mon exposé, Me Talpis, dont l'autorité en
droit international privé est notoire, complétera mon
exposé; après quoi, Me Charest, Me Talpis et moi-même
répondrons à vos questions.
En regard de l'article 42 de la loi, la position fondamentale de la
Chambre et, par conséquent, l'avis qu'elle donne à la commission
se trouvent résumés de la façon suivante: en premier lieu,
le délai accordé aux époux pour signer une convention
d'exclusion de la loi devrait être étendu à toute la
période où les époux font vie commune; en second lieu, les
époux mariés après la mise en vigueur de la loi devraient
avoir le même droit de se soustraire à la loi. Selon le texte
actuel, ils ne le peuvent pas et ceci constitue une discrimination à
l'égard d'une catégorie de citoyens. Cette portée
discriminatoire de la loi nous semble inacceptable. En effet, quant à
cette catégorie discriminée, certains hésitent à
légaliser leur union parce que la condition imposée est la
création d'obligations futures qui rendent difficiles les arrangements
de famille, puisqu'il n'y a pas d'option à ce régime et que,
particulièrement dans les cas de deuxième ou troisième
mariage, pour ne pas parler du premier, les affrontements sont certains. Depuis
plusieurs décennies, la règle de la mutabilité des
conventions matrimoniales est dans nos moeurs, c'est-à-dire le droit de
modifier à volonté, pour les époux, lorsqu'ils sont
d'accord, leur convention matrimoniale et de passer d'un régime à
l'autre.
À cet égard, je voudrais rectifier une affirmation qui a
été faite ce matin. Je fais la rectification parce que
l'affirmation aura été rapportée au Journal des
débats. Lorsque fe régime de société de meubles
et acquêts a été proposé, la Chambre des notaires ne
s'y est pas opposée. Il y a eu erreur quant à l'identification de
la corporation qui s'y est opposée. D'ailleurs, l'un des auteurs de la
loi était l'un des nôtres, le notaire Roger Comtois, docteur en
droit et ancien doyen de la Faculté de droit à
Montréal.
Le principe, par conséquent, établi présentement va
à rencontre d'une tradition suivant laquelle les conventions
matrimoniales pouvaient être modifiées et ceci constitue un accroc
et une dérogation importants à la liberté des conjoints.
Pour ces raisons, nous estimons qu'il n'existe pas de raison d'ordre public de
maintenir lé caractère impératif des règles sur le
patrimoine familial, d'autant plus que notre législation prévoit
d'autres recours pour les personnes qui seraient lésées au moment
d'une séparation, d'un divorce ou d'un décès. Si la
règle doit prévaloir, comme c'est l'intention du gouvernement,
l'exception doit être permise. Il faut rappeler que la grande
majorité des citoyens se marient maintenant sans contrat de mariage,
sous le régime de la société de meubles et
d'acquêts, régime qui en est un de partage encore plus
considérable, plus étendu que le régime prévu dans
la loi 146.
Une déclaration de la ministre de la Condition féminine,
hier soir, M. le Président, est à l'effet que, si notre
recommandation était acceptée, on paralyserait l'effet de la loi.
Tel n'est pas notre avis. En effet, le seul fait du mariage assure aux
époux la protection recherchée par la loi. On a signalé
que plus de 22 000 couples mariés avant la mise en force de la loi se
sont prévalus, à ce jour, du droit de se soustraire à la
loi, soit, dit-on, une proportion de 3 % à 5 % des gens actuellement
mariés. Ce qui veut dire qu'à ce stade 95 % à 97 % des
couples ont la protection de la loi. On doit également se méfier
des statistiques car présentement aussi seulement peut-être 3 %
à 5 % de la population a fait ses achats pour Noël.
En ce qui nous concerne, le sondage qui vous a été
rapporté a comme principale conclusion les données suivantes: il
y a eu 1001 répondants qui sont des gens d'âge adulte; 3,9 % de
marge d'erreur, 19 fois sur 20; 21 % des répondants se sentent
concernés par la loi, ce qui donne 4,4 % de la population totale adulte
de gens qui réfléchissent afin de déterminer s'ils vont se
soustraire à la loi; 27 % des répondants connaissent la date
limite pour se soustraire à la loi; 44 % des répondants trouvent
le délai suffisant, mais 51 % pas assez long; 56 % des répondants
pensent que cette loi améliore l'équité entre les
époux, contre 35 %; 69 % pensent que cette loi n'encourage pas le
mariage. Ce pourcentage grimpe à 80 % chez les plus instruits et
à 94 % chez les plus fortunés. Enfin, 26 % des répondants
ont vu ou verront le notaire pour signer une convention d'exclusion. Si on fait
une extrapolation, il y a de quoi s'inquiéter, d'ici Noël ou le 31
décembre, puisque ça représenterait, par l'extrapolation
qu'on peut en faire, environ 125 000 couples. Je ne sais pas comment 3500
notaires vont réussir à endiguer le flot. Mais cette proportion
de 26 % ayant l'intention de voir le notaire pour signer une convention est
conforme aux conclusions d'un
sondage antérieur que nous avions tenu.
J'invite Me Talpis à compléter mon exposé.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Me Taschereau. Alors, Me
Talpis. (17 h 15)
M. Talpis (Jeffrey A. ): M. le Président et Mme la
ministre, avant de vous exposer quelques réflexions, j'aimerais juste
ajouter au commentaire de Me Taschereau à l'égard d'une certaine
discrimination qui peut exister dans la loi maintenant à l'égard
des couples mariés avant la loi et mariés après.
Évidemment, si la proposition du gouvernement continue, il n'y aura plus
cette discrimination à l'égard de ceux qui sont régis par
le droit québécois. Mais il est de mon avis, aussi de l'avis de
la Cour d'appel, au moins ceci découle de la décision de la Cour
d'appel, que la loi québécoise ne s'applique pas aux époux
régis par un régime matrimonial étranger; alors, il y
aurait encore une discrimination à l'égard de ceux qui sont
mariés selon un régime québécois et un
régime étranger.
Laissons cet aspect de côté maintenant. Je vais vous
rappeler ce que vous savez déjà. Le caractère
impératif et obligatoire de ces règles porte gravement atteinte
au principe de l'autonomie de la volonté en matière de
conventions matrimoniales des époux, un principe qui est reconnu depuis
longtemps au Québec et qui existe dans presque tous les pays autour de
nous et loin de nous. À l'égard du droit québécois,
Me Taschereau vous a rappelé que, depuis toujours, il y a cette
tradition que les futurs époux et les époux peuvent régler
non seulement leur régime techniquement, comme un choix du
régime, mais, de façon générale, le sort de leurs
biens durant le mariage et à la dissolution. Évidemment, votre
loi va à l'encontre de cette tradition québécoise, je ne
vous apprends rien de nouveau. Cependant, cette loi, cette obligation
impérative va à rencontre de presque toutes les
législations dans le monde entier. Nous croyons qu'il n'y a rien dans la
société distincte au Québec qui justifie ce traitement
différent.
Me permettez-vous juste de rappeler, si on parle des pays de droit
civil, que ça n'existe pas, l'idée d'immutabilité du
régime ou des règles impératives qui empêchent les
gens de régler leurs affaires entre eux? Ça n'existe pas dans
presque tous les pays de droit civil, en France, en Belgique, en Suisse. Il y
aurait quelques pays, l'Argentine, par exemple, où on retient
l'immutabilité, mais très peu. Presque tous les pays... Alors, il
n'y a rien dans le droit civil québécois qui justifie des
dispositions qui empêchent les époux de régler entre eux le
sort de leurs biens.
Regardons dans l'Amérique du Nord, autour de nous. Il ne faut pas
penser que cette loi est venue toute seule. Elle s'est inspirée des
règles dans les juridictions de "common law". L'historique partait d'une
loi en Angleterre en 1973. On faisait adopter des lois, des "family law reform
acts" dans différentes provinces canadiennes. Ça existe dans tous
les États aux États-Unis, sauf les États où il y a
la communauté de biens. Il y a huit États aux États-Unis.
Dans toutes ces législations, toutes ces lois, il y a des règles
qui permettent un partage des biens lors de la dissolution du mariage. Parfois,
c'est tous les biens, parfois, c'est certains biens, parfois, le partage est
égal, parfois, le juge peut redistribuer les biens à sa
discrétion. En effet, notre loi ne va pas aussi loin dans le partage.
Ça couvre certains biens seulement. Mais, dans toutes ces
législations et, je le dis, il n'y a aucune exception, à ma
connaissance, les futurs époux et les époux peuvent
décider eux-mêmes de se soustraire à l'application des
règles sur le partage, avant le mariage, durant le mariage ou à
la dissolution.
Parfois, il y a des conditions pour cette option de se soustraire
à l'application de la législation. Dans certaines
législations, chaque conjoint ou futur conjoint doit avoir un conseiller
juridique indépendant. Chacun reçoit un conseil, que ce soit un
avocat ou un notaire. Normalement, c'est un avocat dans ces pays de "common
law". Il signe un document où il a conseillé chacun des
conjoints. Donc, parfois, c'est un conseil indépendant, parfois, c'est
un bilan, parfois, selon la législation, un juge a le droit de
réviser te contrat si on arrive à une injustice flagrante. Mais,
dans tous ces cas, les parties peuvent se soustraire à l'application
d'un de ces régimes de partage.
En quoi diffèrent les considérations
socio-économiques, philosophiques, idéologiques du mariage au
Québec d'ailleurs? Pourquoi le législateur
québécois ne fait il pas confiance à l'intelligence des
époux ou dos futurs époux qu'ils peuvent avoir la capacité
eux-mêmes de faire un choix libre? Qu'est-ce qui est si différent
au Québec d'aiHeurs? Les Québécois et les
Québécoises sont bien renseignés maintenant et on doit
vous féliciter, Mme la ministre, de la publicité que vous avez
faite récemment. Toutes les organisations ont fait de la
publicité, mais la vôtre qui vient de paraître, il y a un
mois, est excellente. Tout le monde est au courant de la loi et du contenu de
la loi. Il ne faut pas présumer, si on permet le choix libre de se
soustraire à l'application de la loi, que tout le monde va
décider de se soustraire à l'application de la loi.
Évidemment, ce que nous suggérons, ce que la Chambre des
notaires suggère, c'est que tous les époux mariés avant la
loi, mariés après la loi puissent faire ce que tous les autres
époux peuvent faire presque partout à travers le monde: permettre
la liberté des conventions matrimoniales. Si vous allez dans le sens de
notre proposition, vous pouvez penser: Est-ce qu'il y a quand même des
dangers? Y aurait-il encore des injustices? D'après nous, il y a
toujours un partage ou un réajustement équitable qui peut se
faire selon la Loi sur le divorce. Il y a d'autres
interprétations possibles sur la prestation compensatoire. Comme
M. Taschereau vous Ta expliqué, il y a peut-être 75 % des
conjoints au Québec qui sont déjà mariés sous le
régime de la société d'acquêts. Si vous voulez aller
plus loin - on en est très conscients et on trouve ça très
acceptable aussi - vous pouvez peut-être penser à modifier les
règles sur la prestation .compensatoire permettant la contribution au
foyer. Vous pouvez mettre toutes les conditions que vous voulez pour être
assurés que, quand les époux vont se soustraire à
l'application de la loi, ils sont bien au courant de ce qu'ils font. Exiger, si
vous voulez, un conseil indépendant, exiger un bilan. Prévoir
que, par l'article 462, paragraphe 11, permettant une révision sur une
grosse injustice, on peut faire un réajustement, si
nécessaire.
Mais ce que la Chambre des notaires vous suggère, c'est de
retenir, en droit québécois, le principe de la liberté des
conventions matrimoniales. Ne mettez pas la société distincte au
Québec au même niveau que d'autres pays, que ce soit le droit
civil d'Argentine, que ce soit l'Albanie, la Bulgarie, l'Iran ou l'Iraq. Dans
ces pays, aucun choix n'est possible. Mais, pour le reste, toutes les
juridictions permettent aux époux de régler leurs biens entre
eux.
Le Président (M. Dauphin): Ça va. Me
Charest, je crois que vous aviez quelque chose à ajouter.
Mme Charest (Laurence): Non, je n'ai rien à ajouter.
Le Président (M. Dauphin): Non? Je m'excuse. Je croyais
avoir compris ça tantôt.
Alors, je vous remercie pour votre exposé. Je vais maintenant
reconnaître Mme la ministre.
Mme Trépanier: Merci, M. le Président. Mes
salutations, M- Taschereau, M. Talpis et Me Charest. Nous nous sommes
rencontrés à plusieurs reprises lors de l'élaboration des
amendements concernant la loi sur l'égalité économique des
conjoints et je dois vous dire que les amendements qui ont été
apportés à cette loi l'ont été en consensus avec
tous les intervenants, les gens qui sont les plus impliqués dans
l'application de cette loi, dont la Chambre des notaires. Évidemment,
nous n'avons pu acquiescer à toutes les demandes de la Chambre des
notaires, mais ceux qui ont été apportés étaient
des suggestions également de la Chambre des notaires. On se souviendra
que l'objectif de la loi sur l'égalité économique des
conjoints, on a voulu y apporter un caractère universel et un
caractère obligatoire que vous contestez aujourd'hui. Et, avec cet
objectif-là, nous avions obtenu un vote unanime de la Chambre, à
l'époque, vote qui a été réitéré au
mois de juin dernier. Nous avions aussi procédé - puisque nous
parlons de sonda- ges - à un sondage antérieurement à la
première loi 146 et 76 % de la population québécoise
disaient être en accord avec une loi, avec un patrimoine familial
partageable à parts égales de façon obligatoire. Alors, on
était en accord avec ce caractère unanime et obligatoire.
Vous nous parlez d'un sondage que vous avez effectué
récemment. J'ai hâte de pouvoir le lire; je n'ai pas reçu
de copie encore. Je me demande comment vous pouvez concilier... Me Talpis nous
dit qu'il considère l'information suffisante et, Me Taschereau, vous
nous dites que l'information n'est pas adéquate. Vous me rectifierez si
je n'emploie pas les mêmes termes que vous. Pour vous, qu'est-ce que
c'est, une information adéquate?
M. Taschereau: Je crois que...
Le Président (M. Dauphin): Me Taschereau.
M. Taschereau: Pardon, excusez-moi. Je crois que les efforts qui
ont été faits ont été adéquats, mais
l'information n'est pas toujours diffusée ou prise en
considération par les gens à qui l'information est
destinée. Et malgré les efforts que votre ministère a
faits, les efforts également d'autres groupements, y compris la Chambre
des notaires... Je pourrai vous dire, si ça vous intéresse, de
quelle façon nous avons nous-mêmes procédé - et non
pas de façon tendancieuse, aucunement - pour informer la population. Il
y a toujours des foyers de résistance et il y a un manque de prise de
conscience qui est à peu près normal dans l'indifférence
qui dure assez longtemps avant que les gens prennent connaissance des
véritables réalités. C'est une raison, d'ailleurs, qui
fait que les gens sont encore à la dernière minute, comme pour
leurs achats de Noël, et que l'information n'a pas encore
pénétré suffisamment, malgré tous les efforts
louables qui ont été faits, dans tous les secteurs de la
société.
Mme Trépanier: Me Taschereau, j'ai le goût de vous
dire ou de- vous parler d'un fait que tous les députés autour de
cette table vont sûrement comprendre et ont probablement vécu dans
leur circonscription électorale. Vous savez, là, avant une
élection, il y a toujours une précampagne où on essaie de
faire connaître les candidats. Je me souviens fort bien que, dans la
circonscription où je me présentais en 1985, je me suis
évertuée pendant une année à essayer de me faire
connaître de l'électorat pour arriver à un plafond de 35 %
ou 40 %. C'était absolument impossible d'aller au-delà de
ça parce que les gens n'étaient pas personnellement
intéressés à connaître le candidat. Il n'y avait pas
d'élection à l'horizon. Et, le matin où on a
déclenché une élection - mes collègues me
rectifieront - ça a changé sans effort vraiment majeur et le taux
de notoriété a monté en flèche. Pour vous dire
que,
lorsque les gens ne se sentent pas personnellement impliqués par
une loi, ils n'iront pas chercher nécessairement l'information. Et je
pense qu'il y a une limite. On peut leur offrir l'information maintenant, je
pense, à peu près dans tous les foyers ou à la
portée de tout appareil téléphonique. Mais on ne peut
s'attendre à aller chercher 100 % de connaissance dans la population.
Ça, c'est une chose. On s'est rendu compte que très souvent
certaines personnes, ne se sentant pas impliquées dans un divorce
à brève échéance, font fi de l'information et ne la
lisent pas. Alors, ça, c'est une chose. Vous n'êtes pas sans
savoir que la très grande majorité des intervenants, que tous
ceux qui sont intervenus avant vous ont considéré l'information
suffisante.
Je voudrais revenir sur le caractère universel de la loi. Nous
disons tous et nous avons voulu que cette loi soit remédiatrice, dans le
fond, une loi d'ordre public. C'est pour cette raison que nous
considérons que son caractère obligatoire est essentiel. Dans vos
commentaires, tout à l'heure, vous avez donné l'exemple des
deuxièmes mariages. Je déborde un petit peu de l'objet de notre
commission, mais je trouve ça important. Je voudrais avoir une
information là-dessus. Vous connaissez les amendements.
Évidemment, vous avez participé aux amendements que nous avons
apportés concernant les deuxièmes mariages. Donc, ne sont
concernés dans le patrimoine pour un deuxième mariage quo les
biens accumulés durant ce deuxième mariage là. Pourquoi
dites-vous que ça devient un problème majeur pour les
deuxièmes mariages? Quel est le problème que vous voyez?
M. Taschereau: C'est que les gens qui se marient en secondes
noces ne sont pas tous des gens âgés dont le patrimoine est
constant, déjà réalisé et n'est pas assujetti au
partage. Il y a les acquisitions subséquentes faites au nom de l'un ou
de l'autre. Beaucoup de gens de 30 ans et en bas de 40 ans se marient pour la
deuxième, parfois pour la troisième fois. L'avenir est encore
devant eux. Et au moment de contracter, d'acheter, par exemple, un immeuble...
Ma propre fille, au moment de l'achat d'une résidence secondaire,
lorsqu'elle a appris qu'elle serait assujettie à la loi 146, a tout
simplement renoncé à l'acquérir étant donné
qu'elle était dans les conditions où elle ne peut pas renoncer
à la loi. Il y a une impression d'être brimé, comme
conséquence pour les couples qui ne sont pas âgés et dont
le patrimoine n'est pas encore formé intégralement. (17 h 30)
Mme Trépanier: Alors, vous remettez en question le
patrimoine partageable en parts égales, le patrimoine amassé
durant l'union. Alors, vous ne faites pas de différence entre le
deuxième mariage et le premier mariage, à ce que je vois. C'est
un exemple que vous donniez, mais vous semblez contester cette intention de la
loi d'établir un patrimoine partageable en parts égales, un
patrimoine investi pendant la durée de l'union. C'est ça? Vous
remettez cet objectif-là en cause?
M. Taschereau: Non, absolument pas, parce que les statistiques,
que vous acceptez sans discussion, sont à l'effet que 95 % des gens
à l'heure actuelle ont la protection de la loi. Par conséquent,
ces gens-là sont satisfaits et nous sommes satisfaits que c'est leur
choix ou, enfin, que ça corresponde à ce qu'aurait
été leur choix. Par conséquent, nous trouvons que la loi,
dans ses intentions, trouve sa sanction, sa consécration qui est de
protéger 95 %, jusqu'à maintenant, des gens qui deviennent
assujettis aux règles de la loi 146. Me Charest, je crois, a quelque
chose à ajouter.
Mme Charest: C'est ça. C'est qu'au niveau des
règles sur le patrimoine familial on a modifié effectivement
l'article 462. 5 pour les biens possédés par l'un des
époux au moment du mariage. Mais, lorsqu'on utilise le terme "bien"
à l'article 462. 5, on vise un bien du patrimoine familial. Or,
l'exemple que je prends, c'est les gens qui ont d'économies
réalisées avant le mariage, 100 000 $. Après le mariage,
on utilise les 100 000 $ pour les investir dans l'acquisition d'une
résidence principale ou secondaire, ou peu importe le bien familial
partageable. Et cet investissement, à même des économies
réalisées avant le mariage, ne donne droit à aucune
déduction. Alors, dans certains cas, il est vrai que la modification
apportée par la loi 47 à la règle de l'article 462. 5
vient régler plusieurs problèmes, mais, par contre, ne
règle pas tous les problèmes, contrairement, par exemple, aux
règles de la société d'acquêts où on
prévoit une récompense.
Mme Trépanier: On déborde un peu du mandat qui nous
est confié, mais je pense que, en bout de piste, vous contestez - vous
l'avez dit tout à l'heure - un peu le caractère universel de la
loi. Ça se résume un peu à ça. Et je voudrais vous
dire qu'on pourrait régler les problèmes dont vous parlez, il y a
plusieurs façons de les éviter, mais je pense qu'on a tellement
de questions à voir concernant le mandat qui nous est confié
qu'on va y revenir si vous voulez.
Je ne veux pas vous laisser sans vous demander la question suivante.
Vous nous avez dit tout à l'heure, Me Taschereau, que, de soi, le
mariage, lorsque deux personnes se mariaient, c'était la protection
recherchée par la loi. Nous, lorsqu'on a voulu légiférer,
c'est qu'on a voulu apporter un peu plus d'équité et de justice
lorsqu'il y avait séparation chez les couples. Si votre assertion est
véridique, comment expliquez-vous le fait que, suite à un
divorce, suite à une
séparation, nous assistons presque toujours ou dans une
très grande majorité des cas à un appauvrissement d'un
conjoint du couple et que, en définitive, c'est très, très
souvent la femme qui est pénalisée, d'une part, et, de plus, elle
est, dans la très grande majorité des cas aussi, responsable des
enfants? Alors, comment, si la loi apporte la protection de soi, expliquez-vous
cet état de fait dans la société
québécoise?
M. Taschereau: La loi assure la protection requise s'il y a des
biens. Bon. Partager la pauvreté, ça n'apporte pas grand-chose.
Il y a des conjoints qui peuvent se trouver dans une situation
déséquilibrée par rapport à l'ex-conjoint et les
tribunaux peuvent redresser, comme vous le savez, par la prestation
compensatoire, l'octroi d'une pension alimentaire et d'autres formules, le
déséquilibre qui en résulte. Avec la loi telle qu'elle est
actuellement, vous protégez quand même, suivant le peu
d'exceptions que vous alléguez, le nombre de couples qui se sont
soustraits à la loi jusqu'à maintenant. La loi est efficace quant
à 95 % des gens qui ne cherchent pas de modifications et dont ça
fait l'affaire, mais pour d'autres, mariés depuis le 1er juillet 1989 et
dont ça ne fait pas l'affaire, on ne tolère pas l'exception.
Ce que nous demandons, c'est de tolérer l'exception en faveur des
gens qui veulent, pour des raisons d'arrangements de famille et de
planification fiscale ou autres, avoir le même droit que ceux qui se sont
mariés avant la mise en force de la loi. C'est l'objectif que nous vous
demandons: maintenez le principe, maintenez la règle. Votre loi est
efficace jusqu'à maintenant dans 95 % des cas, mais, comme ça se
fait partout, comme le disait mon collègue Talpis, permettez aux gens
qui se trouvent dans une situation qui ne correspond pas à ces objectifs
de se soustraire, comme dans les autres sociétés politiques.
C'est le but de notre demande. Et votre loi demeurera pleinement efficace et
elle redressera bien des situations injustes.
Mme Trépanier: Outre le patrimoine familial qui,
évidemment, vient au-dessus, qui a préséance sur le reste
des biens, il reste encore un ensemble de biens importants dont peut disposer
chacun des époux, d'une part. D'autre part, le but recherché par
cette loi-là - et c'était le seul objectif du législateur
- c'était de venir un peu rétablir la situation qui avait
été erronée, à mon sens, ou peut-être
biaisée lors de la réforme du droit de la famille, vous y avez
fait référence, en 1980. Alors qu'en 1980 les conjoints
devenaient coresponsables des charges du ménage, les biens n'ont pas
suivi. Vous nous avez parlé de la prestation compensatoire et je devrais
vous dire que, depuis 10 ans, on est à la recherche de solutions qui
viendront rétablir cette équité que la prestation
compensatoire n'a pas donnée dans les faits parce qu'elle a
été interprétée de façon restrictive. Alors,
comment pouvons-nous dire aujourd'hui, après 10 ans d'application,
après 10 ans de recherche, que l'amélioration d'une prestation
compensatoire ou toute autre formule de ce genre-ià viendra
rétablir l'équilibre que nous cherchons?
M. Taschereau: Je crois qu'il faudra étendre l'application
de la prestation compensatoire, il y a des moyens de le faire. Normalement,
c'est une rétribution pour une participation à l'enrichissement
du couple ou, enfin, du conjoint. Je crois qu'il faudra en élargir la
notion pour que ça s'applique également à la personne qui
est restée à la maison et qui a pris soin des enfants, et sans
qu'il soit question d'enrichissement ou d'établir un équilibre.
Et votre loi l'établit très bien quant à ceux qui ne se
seront pas volontairement soustraits à la loi.
Mme Trépanier: Me Taschereau, dans ce domaine
précis, dans ce volet de l'extension du délai, je pense que nos
solitudes ne se rencontreront pas aujourd'hui. Mais je peux vous dire, en
terminant, que l'analyse de la proposition que vous nous faites a
été faite il y a quelques années, avant qu'on en arrive
à élaborer le projet de loi. Et c'avait été
écarté par le comité qui avait été mis en
place à cet effet-là. Alors, le législateur a
préféré cette loi d'ordre universel et obligatoire. Je
répète, en terminant, que le seul objectif de cette loi-là
était d'essayer de ramener un peu d'équité et de justice
chez les deux membres du couple et aussi pour tenir compte de la famille et des
enfants qui sont issus de ce couple-là. Je vous remercie. On reviendra
pour les notes de conclusion.
M. Taschereau: Si vous me permettez, M. le
Président...
Le Président (M. Dauphin): Me Taschereau.
M. Taschereau: ...c'est exactement ce que la loi réussit
à faire: rétablir un équilibre. Il n'est pas dans notre
propos de critiquer les bienfaits que la loi peut apporter à une
très grande majorité de couples en situation, justement,
où ils ont besoin de cette protection. Tout ce que nous demandons, c'est
de permettre aux situations d'exception de se régler par entente
indépendante de cette loi, comme on le fait partout ailleurs, Popting
out".
Le Président (M. Dauphin): Merci, Mme la ministre. Je vais
maintenant reconnaître Mme la députée des
Chutes-de-la-Chaudière.
Mme Carrier-Perreault: Merci, M. le Président. À
mon tour de saluer la Chambre des notaires, de leur souhaiter la bienvenue et
de vous remercier aussi pour le mémoire que vous nous avez
présenté qui nous donne des aspects
un petit peu différents, qui nous fait nous interroger sur
d'autres sujets concernant la loi 146 et le patrimoine.
Je remarque que vous êtes un groupe tout à fait original
par rapport à l'ensemble qu'on rencontre aujourd'hui, par le fait que
vous n'êtes pas d'accord avec une prolongation de délai; vous
voulez qu'il n'y en ait plus du tout. Vous êtes contre le
caractère obligatoire de cette loi. Disons que je suis un petit peu
inquiète par rapport à tout ça parce que, depuis le matin,
on a entendu d'autres groupes et on a lu les autres mémoires. On sait
qu'on va en entendre d'autres aussi en soirée. La plupart des gens
viennent nous dire que, présentement, y y a beaucoup de
harcèlement, qu'il y a même des cas où ça peut aller
jusqu'à la violence ou presque. Vous autres, vous nous suggérez
de laisser aller et de garder la loi ouverte à tout le monde. Ne
croyez-vous pas que ce genre de harcèlement, qui se produit
présentement, a des chances de devenir assez important si on laissait
une ouverture de ce genre-là à une loi comme ça?
M. Taschereau: M. le Président, en réponse, il faut
signaler que la violence contre les femmes, en particulier, déborde de
beaucoup le cadre des conventions matrimoniales et des différends
pécuniaires entre les conjoints. Le harcèlement et la violence
n'ont pas été le caractère particulier qui a
résulté, par exemple, de la nouvelle règle, il y a
quelques décennies, qui prévoyait le droit des époux de
changer leurs conventions matrimoniales. On n'a pas entendu parler de violence
particulière ou de harcèlement caractérisé lorsque
les gens se présentaient chez le notaire pour se prévaloir du
droit de modifier, souvent pour des raisons d'ordre fiscal ou pour des raisons
d'arrangements de famille, des conventions matrimoniales qui avaient
été mal réfléchies auparavant. Je ne pense pas que
le fait qu'on tolère l'exception change quelque chose au
caractère violent que nous connaissons malheureusement dans l'ensemble
des relations dans notre société. Je ne vois pas qu'à
l'occasion d'une discussion entre époux quant à
l'opportunité de se soustraire à la loi on change vraiment les
données déjà acceptées par la
société, encore une fois depuis quelques décennies,
où on permet en tout temps de changer le régime matrimonial et
les autres conventions. Il n'y a pas de violence ou de harcèlement
particulier qui est attaché à cette négociation entre les
époux.
Mme Carrier-Perreault: Si je comprends bien, de votre
côté, du côté de la Chambre des notaires, vous
êtes en train de m'expliquer que vous n'avez eu aucunement connaissance
qu'il y avait eu des pressions exercées sur des conjoints, par exemple,
pour renoncer à la loi comme telle, il ne semble pas que vous ayez eu
connaissance aussi qu'il y a même des entreprises qui ont fourni des
circulaires à des travailleurs. Vous n'avez aucune expérience de
conversations ou d'échos de ce genre de pratique?
M. Taschereau: En principe, vous savez que nous sommes
liés par un code de déontologie qui oblige à l'information
intégrale, complète des deux conjoints. La politique
habituellement suivie par le notaire, c'est de recevoir les deux parties en
même temps, et avec l'option, toujours, de prendre conseil à
l'extérieur. J'ai terminé une tournée de la province, il y
a quelques semaines, 18 régions, et nous avons de nouveau insisté
sur l'importance, lorsqu'il y a un certain déséquilibre ou qu'on
sent une gêne ou une difficulté, de recommander à la
personne qui aurait des raisons de se méfier de consulter à
l'extérieur, de manière à ce que la négociation
soit bien équilibrée. (17 h 46)
Mme Carrier-Perreault: Dans un autre ordre d'idées, tout
à l'heure j'entendais la ministre vous interroger par rapport à
la prestation compensatoire. Effectivement, dans votre mémoire, à
la page 5, vous nous parlez des droits accordés aux époux, vous
parlez de la prestation compensatoire, vous faites état aussi de la
pension alimentaire El vous nous dites que ce sont des droits qui ont
été accordés aux époux, donc qu'il y a moyen de
s'organiser. Pourtant, ce matin, on rencontrait le Conseil du statut de la
femme qui nous a donné des chiffres assez impressionnants par rapport
à ce qui passe. Il nous a dit comment ça se vit dans la vraie
vie, ce système-là, la prestation compensatoire, et aussi comment
les pensions alimentaires pouvaient être minimes et comment elles
pouvaient aussi être difficiles à aller chercher. Même s'il
y a un jugement, les femmes n'ont pas nécessairement automatiquement
leur pension alimentaire. Disons qu'on a parlé longuement aussi ce
matin, justement, de l'appauvrissement des femmes et de tout ça.
D'abord, est-ce que, d'après vous, c'est réel? Les chiffres qu'on
a, qui nous ont été fournis, est-ce que c'est le véritable
portrait? Est-ce que vous ne croyez pas qu'il y aurait quelque chose à
faire aussi de ce côté-là, soit par rapport aux pensions
alimentaires ou à la prestation compensatoire?
M. Taschereau: M. le Président, avec votre permission,
j'aimerais que Me Charest réponde, puisqu'elle était
présente ce matin et qu'elle a su ce qui s'était discuté
ou ce qui a été affirmé.
Le Président (M. Dauphin): Me Charest.
Mme Charest: Merci, M. le Président. J'ai assisté
effectivement ce matin à l'intervention du Conseil du statut de la
femme. Maintenant, l'étude à laquelle il faisait
référence remontait quand même à 1981-1983. On ne
peut pas nier, effectivement, que les tribunaux ont
interprété
de façon beaucoup trop restrictive les règles sur la
prestation compensatoire et n'ont jamais, sauf dans quelques rares exceptions,
reconnu l'apport d'une femme à l'enrichissement du patrimoine de son
conjoint par son activité au foyer. C'est sans doute très
regrettable. D'ailleurs, ce n'était pas, paraît-il, l'objectif
poursuivi par le législateur lorsqu'il a introduit la règle de la
prestation compensatoire. C'est pour ça que nous, à la Chambre
des notaires du Québec, on se dit qu'il faudrait modifier la
règle de la prestation compensatoire pour reconnaître
explicitement le droit à la prestation pour compenser l'apport d'un
conjoint par son activité au foyer.
Maintenant, il faut peut-être également rappeler que, ce
matin, le Conseil du statut de la femme a, par contre, déclaré,
lors de son intervention, que la loi 146 ne constituait pas une panacée
à la pauvreté des femmes, qu'il fallait aussi prendre en
considération qu'il y avait seulement la moitié des couples
mariés au Québec, en l'occurrence 750 000 couples, qui se
sentaient concernés par la loi, puisque les autres étaient
déjà mariés sous un régime de partage. Donc, 50 %
et plus des couples québécois sont déjà
mariés sous un régime de partage englobant beaucoup plus de biens
que ceux prévus dans les règles sur le patrimoine familial.
On a également parlé de la pauvreté des femmes et
du fait qu'on ne partageait pas la pauvreté. Parce qu'il y a quand
même certains couples qui ne possèdent pas de résidence
familiale. À peine 58 % des familles québécoises
possèdent la résidence familiale. De cette façon,
lorsqu'on n'a pas de résidence familiale, qu'on a seulement un fonds de
pension, souvent quand même minime, quand on arrive à le partager
moitié-moitié, est-ce que vraiment les règles du partage
du patrimoine familial viennent rétablir un équilibre et
viennent, finalement, assurer une protection à toutes les femmes du
Québec? Je ne le pense pas. Et la Chambre des notaires est consciente de
ça.
Maintenant, Mme la ministre, tout à l'heure, faisait rappel de
leur sondage à l'effet qu'il y avait 76 % des couples
québécois qui se disaient en faveur d'un partage des biens
familiaux et cette proportion-là, on la retrouve maintenant au niveau
des couples qui, en 1989, ont opté pour un régime de partage, en
l'occurrence la société d'acquêts. Pour les gens, il est
normal qu'il y ait 75 % des couples qui optent pour un régime de
partage. Ça convient, en principe, à la majorité des
familles québécoises. Par contre, en ce qui concerne les 24 % ou
les 25 %, c'est-à-dire un couple sur quatre, je regrette, mais je ne
pense pas qu'un régime de partage convienne à ce couple sur
quatre, et ce, pour différentes raisons. C'est pour ça qu'on dit:
II ne faut pas maintenir le caractère impératif de la loi et son
caractère universel parce qu'à ce moment-là on vient
brimer la liberté des individus, des couples et la société
familiale au Québec est beaucoup trop distincte et particularisée
d'une famille à une autre pour qu'on puisse en arriver à imposer
un seul régime matrimonial, du moins, de base.
Mme Carrier-Perreault: Vous faites aussi état dans votre
mémoire de différentes difficultés, si on veut, des
problèmes d'interprétation et d'application. Vous parlez, entre
autres choses, de la valeur partageable de la résidence principale, vous
parlez de la notion de résidence secondaire, de la notion de
véhicules. Vous nous dites aussi que, dans la donation de biens
familiaux entre époux, il y a même deux jugements récents
de la Cour supérieure sur le sujet qui sont nettement en contradiction.
Quand vous nous dites que ça, ça fait des problèmes
d'interprétation, ce genre d'arguments là et tout ça,
est-ce qu'il y a des cas, d'abord, qui sont présentement à
l'étude là-dessus? Parce que vous nous parlez de deux jugements
récents, mais, dans les autres domaines, je ne vois pas
nécessairement.
Mme Charest: II y a toujours des difficultés, je pense,
quand on arrive avec des problèmes d'interprétation, d'autant
plus que nous, notaires, on intervient, par exemple, au moment d'un
décès. On sait que le patrimoine familial se partage au moment du
décès et, dans tout règlement de succession, on se doit
d'appliquer les règles sur le patrimoine familial. Lorsqu'on arrive
à partager, à établir le patrimoine familial, la
majorité des gens qui sont mariés sous le régime de la
séparation de biens, leur contrat de mariage prévoit une donation
de meubles meublants en faveur de l'épouse. Et c'est la question: Est-ce
qu'on inclut la valeur des meubles meublants, la valeur de la donation comprise
dans le contrat de mariage dans le partage du patrimoine familial ou si on
exclut du partage la valeur de la donation des meubles meublants contenue dans
le contrat de mariage? Et, là, on se ramasse avec deux jugements de la
Cour supérieure et on n'a pas de réponse. Alors, dans ce
temps-là, on dit aux gens: Écoutez, on reçoit les
héritiers. Si les héritiers sont d'accord pour adopter une telle
interprétation, il n'y a aucun problème. Par contre, s'ils ne
s'entendent pas sur l'interprétation de l'article, le seul moyen d'avoir
une interprétation juste, c'est de faire appel au tribunal par le biais
d'un jugement déclaratoire et de demander au juge qu'il se prononce.
Et, comme on le voit, c'est que ça crée beaucoup
d'insécurité au niveau du droit. Par exemple, les gens qui ont
des bateaux, est-ce que le bateau constitue un véhicule automobile?
Est-ce qu'on doit l'inclure, oui ou non, dans le partage? Vous lisez certains
auteurs, entre autres, Mme Popovici et son époux qui disent, à
l'intérieur de leur volume, que le bateau constitue une résidence
secondaire et qu'on doit l'inclure dans le partage. Par contre, il y a des
auteurs qui vont dire: Non, pas du tout, le
bateau ne constitue pas une résidence secondaire. Par contre, il
pourrait peut-être constituer un véhicule automobile, mais on
n'est pas certain. Et compte tenu de la formulation des articles à
l'heure actuelle sur les règles sur le patrimoine familial, plusieurs
sont source de difficultés d'interprétation et d'application, et
particulièrement, je pense, pour les notaires qui sont obligés
quotidiennement dans leur travail de partager le patrimoine familial,
particulièrement en matière de succession au moment du
règlement.
Mme Carrier-Perreault: J'aurais une autre question, mais je pense
que je vais passer la parole à mes collègues qui ont des
questions, eux aussi.
Le Président (M. Dauphin): D'accord. Mme la
députée de Terrebonne.
Mme Caron: Merci, M. le Président. Vous nous avez
parié beaucoup du principe de l'universalité. Tantôt, vous
citiez Me Roger Comtois qui a été professeur de droit, doyen de
la faculté, notaire pendant 42 ans et le père de la
société d'acquêts. Celui-ci s'était prononcé
lors de la consultation générale sur le document intitulé
"Les droits économiques des conjoints". Durant cette intervention, il
revenait à plusieurs reprises sur l'importance, lorsqu'il y avait un
mariage, de partager les biens qui étaient acquis durant l'existence de
cette société, parce qu'il comparait le mariage à une
société. Lorsqu'on parlait du droit de renoncer - je vais le
citer - il nous disait: 'Tout à l'heure, on a parlé de ce droit
de renoncer pendant trois ans. C'est encore de la foutaise. Est-ce qu'il est
bon, notre système? S'il est bon, on l'établit d'une façon
universelle. Il faut cesser d'avoir peur. Après tout, quand on a
imposé, en 1981, un régime primaire en ce qui concerne la
résidence familiale, c'est obligatoire pour tout le monde. En ce qui
concerne les contributions aux frais du ménage, c'est bon pour tout le
monde. On va se garder le droit de renoncer? Cela veut dire que les femmes vont
être sollicitées et, dans leur générosité
habituelle, vont renoncer au partage éventuel. Il ne faut pratiquement
pas donner aux femmes le droit de renoncer parce qu'elles cèdent. Je
vous parle avec 45 ans d'expérience dans la vie professionnelle. C'est
ce qui arrive." Et c'était un homme qui faisait cette déclaration
et un notaire avec une expérience de 42 ans. Et, plus loin, il nous
disait: "C'est bien simple, qu'on impose la société
d'acquêts, personne ne va en mourir. Cela ne va pas diminuer le mariage
et cela va établir un régime d'équité où il
n'y aura pas de trous, pas de failles. Il ne faut pas laisser de
liberté. Autrement, ils vont le défigurer."
Est-ce que vous considérez que le régime de patrimoine
familial que nous avons, qui est proposé, va en deçà de la
société d'acquêts qui était si fortement
défendue par Me Comtois?
M. Taschereau: Je reconnais bien le style de mon ami Comtois. Je
me souviens qu'il ait présenté cette intervention. J'en avais
discuté avec lui et je lui avais dit, je crois, que le point de vue
qu'il exprimait très fortement et avec éloquence, c'était,
dans sa vision, un renforcement ou une progéniture, peut-être,
à son enfant qu'était la société d'acquêts,
fi voyait là un moyen pour l'ensemble de la population d'accéder
à une certaine égalité. Et nous ne nions pas, à ce
stade-ci, que la loi soit favorable à une majorité de gens, ceux
à qui elle est destinée. Mais ceci ne fait pas obstacle au fait
que certaines personnes sont en situation d'exception. Que ce soit 5 %, 10 % de
la population, ce que nous demandons, c'est de respecter la liberté de
choix. S'il n'y a pas d'entente entre les conjoints pour écarter la loi
en ce qui les concerne, ils ont la protection de cette loi. Elle est efficace.
Et j'insiste encore sur le fait que la loi s'applique à tous, sauf aux
personnes qui - probablement en nombre minoritaire - le désirent, en
toute liberté par respect pour l'autonomie des
volontés, les arrangements de famille. Il y a des cas de gens
très fortunés qui doivent disposer de leurs biens autrement que
sous le régime de la société d'acquêts et de la loi
146. Nous demandons simplement que les exceptions soient acceptées.
Mme Caron: Est-ce que vous reconnaissez que Me Comtois
était très clair sur le principe de l'universalité, par
contre?
M. Taschereau: Oui.
Mme Caron: Merci. Mon collègue, le député de
Rouyn-Noranda, voulait prendre quelques minutes.
Le Président (M. Dauphin): Oui, si vous le permettez, je
vais reconnaître M. le député de
Rouyn-Noranda-Témiscamingue et vice-président de la commission.
De par ce titre, étant donné qu'il reste seulement trois minutes,
on va quand même être souple à son égard. M. le
député. (18 heures)
M. Trudel: Merci, M. le Président. Il y a un homme qui
intervient devant cette commission! Écoutez, je veux être
très clair parce qu'il ne reste pas beaucoup de temps. Je vais vous dire
franchement que le champ de critique ou le champ de porte-parole dans lequel je
suis affecté dans l'Opposition regarde plus particulièrement la
santé et les services sociaux. Je ne vous cache pas que, comme dans le
cas de la santé et des services sociaux, j'ai comme l'impression
d'être en otage ici, entre deux corporations, je vous le dis franchement,
et c'est la même chose dans le système de la santé et des
services sociaux. Est-ce que vous nous parlez, aujourd'hui, du délai, de
l'ouverture de la loi pour s'en exclure de façon permanente ou si, dans
le fond, on n'est
pas en train de parler ici que nous vivons dans une
société de droit et qu'il faut remettre en question ce que vous
appelez, au tout dernier paragraphe de votre mémoire, la
"judiciarisation" de notre société? Je voudrais bien qu'on
dégage le vrai message. Il me semble y avoir un peu de confusion,
là, dans ce qu'on étudie et même sur le pourquoi de
l'existence de la journée d'auditions, aujourd'hui.
Et, moi, j'affirme, et je vais vous demander des commentaires
là-dessus: Si nous voulons, au Québec, vraiment faire un
débat de société sur la société de droit et
sur la judiciarisation de cette société, bien, disons-le
ouvertement et demandez à vos représentants à
l'Assemblée nationale de provoquer ce débat ouvertement. Mais je
vous dis que ça me gêne un peu, et je le dis comme je le pense, de
le faire un peu sur le dos des femmes, en quelque sorte. C'est un peu
l'impression... Et je vous dis que des conversations qu'on a dans nos
comtés, qu'on a un peu partout, ça ressemble souvent à
cela. Est-ce que ce n'est pas ça, le grand débat que vous voulez
provoquer? Est-ce que ce n'est pas à ça que vous devriez d'abord
nous sensibiliser, si je me fie au dernier paragraphe de votre texte?
M. Taschereau: Je ne crois pas que ce soit l'intention, à
ce moment-ci, de soulever la judiciarisation ou la trop grande judiciarisation.
C'est un sujet que nous traiterons complètement à part et
peut-être au moment du sommet sur la justice où nous arriverons
avec des solutions alternatives. Nous y avons beaucoup réfléchi.
Je crois que, dans ce paragraphe-là, on a simplement dit que les recours
aux tribunaux sont trop nombreux aux fins de rétablir l'équilibre
et qu'il y aurait lieu d'être prudent tout simplement dans
l'établissement des recours aux tribunaux lorsqu'on peut, par entente,
appliquer la justice douce. Je pense que c'est un rappel de message,
simplement.
M. le Président, est-ce que mon collègue Talpis peut
ajouter?
Le Président (M. Dauphin): Brièvement.
Une voix: II est automatique.
Une voix: C'est sur le pilote automatique.
M. Talpis: Ce n'est pas une bataille entre corporations
professionnelles, pas du tout. J'attendais que quelqu'un me demande quelques
précisions sur ce qui existe partout. Je finirai avec un exemple. J'ai
devant moi la loi de l'Ontario, à titre d'exemple. Je ne vous lirai pas
la loi, on n'a pas le temps. Je n'ai pas la traduction. La phrase au
début, le préambule de la loi, ce n'est pas loin de notre
préambule. C'est à peu près la même chose: "Whereas
it is necessary to recognize the equal position of spouses as individuals
within marriage and to recognize marriage as a form of partnership..." Ce n'est
pas loin de notre loi. Pourquoi - je vous le demande, j'aimerais que vous me
répondiez - si on a le même but, dans leur loi - il n'y a pas de
notaire - les gens peuvent-ils se soustraire à l'application de la loi
et, dans la nôtre, ils ne peuvent pas? Qu'est-ce qui est si
différent d'un couple qui vit à Sudbury d'un couple qui vit au
Québec? Dites-le-moi. Ce n'est pas une bataille entre corporations, pour
répondre. Ce n'est pas ça du tout.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Me Talpis. Mme la
ministre, pour le mot de la fin.
Mme Trépanier: Merci, M. le Président. Alors, Me
Talpis, peut-être pour répondre à ma façon à
votre question, je ne suis pas juriste, je ne suis pas notaire, mais je pense
qu'effectivement le préambule est le même, mais les biens
considérés dans le patrimoine en Ontario sont fort
différents de ceux d'ici. En Ontario, tous les biens
possédés par les époux font partie du patrimoine et sont
exclus les biens reçus par donation ou héritage et des revenus
découlant de ces biens, comme ici, sauf la résidence familiale.
Et la très grande majorité des exclusions, des renonciations sont
faites concernant cette résidence familiale et secondaire, surtout lors
des deuxièmes mariages. Alors, c'est un point fort différent en
Ontario.
Deuxièmement, je voudrais très rapidement, M. le
Président, vous dire que, concernant le harcèlement, un peu comme
le député de Rouyn-Noranda-Témiscamingue le disait, la
Chambre des notaires ne partage absolument pas l'avis des autres intervenants
d'aujourd'hui. Vous avez la même clientèle, oui, mais pas au
même moment de la vie, par exemple. Alors, les clientèles en
état de crise, ce sont les avocats qui les ont. Ce sont en grande
majorité, je ne voudrais pas faire de généralité,
les avocats qui les ont. Ce sont les groupes de femmes qui les
reçoivent. Ce sont les groupes familiaux. Ces gens-là nous disent
qu'il y a énormément de harcèlement. Quant à la
pauvreté, c'est évident que la loi sur le patrimoine n'est pas la
panacée, comme l'a dit la présidente du Conseil du statut de la
femme, mais il n'y a aucune mesure contrant la pauvreté qui sera une
panacée. C'est un ensemble de mesures, un ensemble d'outils qui vont
nous permettre, dans un avenir rapproché, je l'espère, de contrer
ou, à tout le moins, de diminuer cette pauvreté.
Ensuite, Me Charest - je termine là-dessus, M. le
Président - vous nous avez parlé d'un pourcentage de couples
satisfaits de cette loi-là. Vous avez dit 50 %, peut-être 60 %.
Même s'il n'y avait que 10% de couples qui sont pénalisés
par des lois antérieures, c'est la responsabilité gouvernementale
d'essayer d'enlever ces injustices-là et ces iniquités-là.
C'est le but de la loi et c'est le but de l'exercice, aussi, aujourd'hui,
d'essayer de vous convaincre que ce délai de renonciation ne doit
pas être prolongé. Ce serait trop beau s'il y avait
unanimité à cet égard-là. Mais ce sont les
critères qui nous ont guidés dans nos choix comme
législateurs.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Mme la ministre. Vous
auriez quelque chose à ajouter? Oui.
M. Taschereau: J'aimerais simplement vous remercier, Mme la
ministre et les membres de ta commission, du climat de
sérénité dans lequel vous nous avez accueillis,
malgré notre situation pratiquement de brebis égarées. Je
veux également remercier Mme la ministre. Depuis que j'ai pris mes
fonctions, il s'est développé avec elle et son ministère
un esprit de collaboration que nous apprécions énormément
Et même si nous divergeons de vues peut-être assez souvent, pour
citer une grande écrivaine, qui était France Pastorelli "II ne
faut pas laisser ce qui nous sépare détruire ce qui nous unit".
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): Merci, M. te président.
Juste avant de suspendre, je vais céder a parole à la
porte-parole de ('Opposition, Mme la députée des
Chutes-de-la-Chaudière.
Mme Carrier-Perreault: Je voudrais vous remercier de l'effort
d'avoir fait un mémoire, d'être venus travailler avec nous
aujourd'hui. Pour ne pas laisser Me Talpis sur une interrogation et sur des
questions sans réponse, je vais vous laisser une pensée aussi,
toujours de Me Comtois, tirée du Journal des débats
d'octobre 1988. Et Me Comtois nous disait, à ce moment-là:
"C'est bien beau de vouloir protéger la liberté, le capitalisme
et tout ce que vous voudrez, le premier reproche que je fais au comité,
aux auteurs du rapport, c'est d'emprunter au droit de l'Ontario et des autres
provinces, quand on a un régime d'inspiration française, de
tradition française. C'est cela, la culture. La société
distincte, ce n'est pas en Ontario, ce n'est pas à Toronto qu'on va la
trouver. " Voilà. Merci bien, messieurs.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup et puis, bon
retour! Nous suspendons nos travaux jusqu'à 20 heures, alors que nous
recevrons la Fédération des associations des familles
monoparentales du Québec.
(Suspension de la séance à 18 h 8)
(Reprise à 20 h 8)
Le Président (M. Dauphin): À l'ordre, s'il vous
plaît! Nous allons reprendre les travaux de notre commission et je
rappelle le mandat qui est d'examiner l'opportunité de maintenir ou, le
cas échéant, de modifier la date d'expiration du délai
prévu au premier alinéa de l'article 42 de la Loi modifiant le
Code civil du Québec et d'autres dispositions législatives afin
de favoriser l'égalité économique des époux. Nous
étions maintenant rendus au dernier groupe de la journée. Nous
terminons en beauté en recevant ia Fédération des
associations des familles monoparentales du Québec,
représentée par Mme Marie-France Pothier, présidente. Je
vous demanderais donc de nous présenter la personne qui vous accompagne
et de nous faire part de votre exposé.
Fédération des associations des familles
monoparentales du Québec
Mme Pothier (Marie-France): D'accord. Alors, à ma gauche,
Mme Madeleine Bouvier, agente politique et d'information au secrétariat
permanent.
Un petit commentaire avant de vous présenter l'organisme. C'est
que je tiens à souligner que nous sommes particulièrement
interpellées par cette loi 146 parce que notre clientèle est
vraiment immédiatement concernée par cette loi. La
Fédération des associations des families monoparentales du
Québec est un organisme familial provincial. Organisme de services et
d'entraide, organisme d'éducation populaire et organisme de pression et
de revendication, la Fédération regroupe à travers tout le
Québec environ 50 associations dûment affiliées et
quelques-unes sur le point de l'être, rejoint 20 000 personnes
directement. La Fédération assure aussi la promotion et la
défense des familles monoparentales du Québec. Ces familles sont
au nombre de 252 805, dont 213 000 avec enfants mineurs.
La Fédération des associations des familles monoparentales
du Québec s'oppose avec force à la prolongation du délai
pour le désistement au partage pour les couples mariés avant le
1er juillet 1989. Le partage ne devient exécutoire qu'à la
rupture du mariage et le renoncement au partage est toujours possible à
ce moment-là. Par ailleurs, un désistement dans le délai
prescrit est irréversible. Les conjoints qui se découvrent
lésés au moment où un partage eut pu se faire, n'ont plus
aucun recours.
La différence fondamentale entre le droit de la famille et la loi
146 fait que la balle est dans l'autre camp, c'est-à-dire que, dans le
droit familial, le conjoint moins nanti devait inciter son conjoint à
signer la déclaration de résidence familiale, alors que, dans la
loi 146, c'est le bien nanti qui initie la démarche et tente, par des
moyens souvent malhonnêtes, d'inciter l'autre conjoint à signer le
désistement au partage. Le droit de la famille a donné plus
d'obligations à la femme, lui reconnaissant de ce fait une autonomie et
a déclaré forfaites les donations, c'est-à-dire les
prérogatives de son contrat de mariage, allant de ce fait sa
rencontre
de la liberté contractuelle. La Chambre des notaires s'est tue,
probablement parce que le propriétaire du patrimoine y gagnait. Et on
constate que, malgré tout, même s'il n'y avait plus rien dans les
contrats, les notaires ont quand même continué de conseiller les
séparations de biens. En 1986, selon ces statistiques, on dit qu'il y en
a encore le tiers qui se marient sous le régime de séparation de
biens.
J'aimerais aussi attirer votre attention sur les 22 000 couples qui se
sont exclus depuis le délai. Ça représente environ 1,7 %
des couples mariés. On sait que le désistement au partage peut
être équitable dans certains cas, mais souvent, dans l'ensemble,
est-ce que les couples ont vraiment été bien informés sur
ce qu'est le désistement au partage?
La protection de la résidence familiale n'est pas automatique.
Bon nombre de femmes n'ont pas osé remplir la déclaration pour ne
pas mécontenter leur époux. Au lieu d'être une protection
dans le mariage, c'est plutôt devenu une protection à la rupture,
si la déclaration a pu être déposée, même
à la dernière minute, avant la rupture.
Pour les autres femmes qui se sont prévalues de cette
déclaration de résidence principale, certaines ont profité
d'une issue heureuse alors que d'autres ont subi harcèlement, menaces,
et certaines ont vu leur union se terminer par la rupture.
Avec la loi 146, une loi qui remédie aux injustices des
régimes matrimoniaux, une loi qui favorise l'égalité
économique des époux, l'institution du patrimoine familial est un
effet du mariage devenant, de ce fait, une mesure imperative pour tous les
couples mariés. Le partage de ce patrimoine est un effet de la rupture
du mariage. C'est une loi qui, comme le droit de la famille, prime la
liberté contractuelle.
Mais là où le bât blesse, c'est que ce sont les
titulaires du patrimoine qui sont touchés. Ce n'est donc pas le principe
de la liberté contractuelle qui a amené les détracteurs de
la loi 146 à rugir, mais le fait que le patrimoine dont ils sont
propriétaires serait partagé. Les donations
déclarées forfaites, les meubles remis aux parents ayant la garde
des enfants, une protection de la résidence familiale très
aléatoire et une prestation compensatoire strictement
réservée au seul cas de participation financière du
conjoint, toutes ces mesures du droit familial, qui allaient à rencontre
de la liberté contractuelle, n'ont pas eu d'écho parce que ne
lésant pas le titulaire du patrimoine.
La Fédération s'oppose avec force à la prolongation
du délai pour le désistement au partage pour les couples
mariés avant le 1er juillet 1989. Une mesure transitoire d'un
délai d'un an et demi pour ne pas être assujetti au partage est
amplement suffisante. D'autant plus que le renoncement au partage demeure
possible à la rupture du mariage alors que, si on se désiste
maintenant, cette décision est irréversible. Il n'y aura pas de
patrimoine familial à partager, il n'y aura même pas de
constitution d'un patrimoine familial.
Le délai d'un an et demi a donné lieu à des
manoeuvres douteuses: mensonges, chantage, harcèlement, menaces
déguisées, pour induire le conjoint à signer le
désistement. Les femmes, majoritairement conjoints moins nantis, ont vu
se répéter le même scénario que celui de la
déclaration de résidence familiale, dans ses effets de
manipulation de l'autre. La différence entre les deux scénarios,
c'est que c'est le propriétaire du bien qui initie ici la demande. Les
manoeuvres douteuses sont toujours le fait du conjoint mieux nanti qui ne veut
pas partager les biens familiaux.
Depuis sa création en 1974, la Fédération des
associations des familles monoparentales travaille à une meilleure
équité dans les lois: la Loi sur le divorce, le droit de la
famille, la loi 146, etc. On y remarque, entre autres, que, lorsque les lois
deviennent plus humaines, cet humanisme renferme des pièges pour la
femme. Lorsque les lois reconnaissent l'autonomie de la femme, cette autonomie
lui fait perdre certaines prérogatives. Avec la loi 146, une loi qui
corrige l'injustice dans le partage, une loi qui favorise
l'égalité économique des époux, on retrouve enfin
une loi qui impose aux bien nantis le respect du projet de vie commune dans ses
effets et ses conséquences.
Une prolongation du délai laisse planer le doute sur la
sagacité de la foi. Une prolongation du délai divise les couples
mariés en deux catégories, la prolongation du délai
n'étant plus une mesure de transition. Une prolongation du délai
laisserait ouverte encore plus longtemps la porte aux manipulations, au
chantage et au harcèlement. Une prolongation du délai est
négative à tout point de vue. Nul n'est censé ignorer la
loi. Un an et demi de délai comme mesure de transition est plus que
suffisant.
Lors de l'adoption de la loi, peu de personnes avaient le texte de loi
et les médias ont été le théâtre d'un vent de
panique. On a prophétisé la fin du mariage et l'adoption en force
du concubinage. En Ontario, là où le partage du patrimoine
familial existe depuis 10 ans, le taux de concubinage se situe à 4,6 %.
Au Québec, sans patrimoine familial, le taux du concubinage est de 12 %.
C'est dire que le concubinage est très à la mode au Québec
et vraiment le résultat de la Révolution tranquille. Ceux qui se
marient le font par principes religieux ou traditionnels, même s'ils ne
pratiquent pas. La loi 146 n'est pas une loi rétroactive. Parce qu'elle
s'applique pour le futur à l'égard de tous, c'est une loi
imperative. En résumé, non à la prolongation du
délai pour les huit raisons suivantes: 1° Un désistement est
irréversible, il empêche la constitution d'un patrimoine familial.
2° Le renoncement au partage est toujours
possible au moment où le partage prend effet à la rupture
du mariage. 3° Un délai d'un an et demi est amplement suffisant;
puisque ce sont les bien nantis qui veulent se soustraire à la loi, ils
ont les moyens d'être adéquatement informés sur les
avantages, pour eux, de ce désistement. 4° Nul n'est censé
ignorer la loi. 5° le mariage est un contrat commun qui doit amener un
partage minimal des biens à la rupture. 6° La loi 146 est une mesure
impérative qui s'applique à tous les couples mariés, quel
que soit leur régime matrimonial. 7° Une prolongation du
délai laisse planer le doute sur la sagacité de la loi. 8°
Une prolongation du délai vide la loi de son contenu impératif et
crée deux catégories de couples mariés.
Merci de votre attention. (20 h 15)
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup, Mme Pothier,
pour la présentation de votre mémoire. Nous allons maintenant
procéder à la période d'échanges en reconnaissant
tout d'abord Mme fa ministre.
Mme Trépanier: Merci, M. le Président Bienvenue,
Mme Pothier. Madame, s'il y a un organisme qui connaît de quoi il parte,
c'est bien le vôtre. Tous vos membres sont passés par une
séparation quelconque. Nous rencontrions cet après-midi les
avocats et les notaires. Alors, je disais que les notaires recevaient les
couples au début de l'union, les avocats les voyaient à la
dissolution de l'union et vous, vous voyez un des membres du couple
après la dissolution.
J'imagine que, évidemment, étant donné la situation
de vos membres, ce n'était peut-être pas votre objectif premier de
faire de l'information quant à cette loi-là, quoiqu'il y ait
toujours possibilité d'une deuxième union. Moi, ce que j'aimerais
savoir de vous, c'est, lorsque est venue l'élaboration de cette
loi-là, est-ce que l'accord, l'appui que vous lui donne aujourd'hui a
toujours été le même? Est-ce que vous avez senti une
perception positive dès le départ? Est-ce que vous avez des
membres qui sont en désaccord avec cette loi, étant
eux-mêmes ou elles-mêmes passés par un divorce ou une
séparation? Est-ce que, en général, ils voient la loi...
Je ne parte pas de la prolongation du délai, mais de la lot en
général; est-ce qu'ils la voient, majoritairement, de
façon très positive?
Mme Pothier: Oui, parce que la majorité de nos
clientèles, ce sont des femmes et, souvent, ce sont des femmes à
faibles revenus, donc, qui se sont retrouvées au moment de la rupture
avec très peu de moyens. Justement, on a des cas de personnes et,
moi-même, plus particulièrement, en me séparant, j'ai tout
perdu. Il n'y avait pas constitution d'un patrimoine. Il y avait un patrimoine
familial, mais il n'était pas reconnu. Alors, ce sont beaucoup de cas
comme ça et la majorité de nos clientèles, c'est ce
qu'elles ont vécu.
Alors, on ne peut pas aller à rencontre de cette loi-là.
On l'a appuyée. On a travaillé très fort à la
fédération pour que cette loi-là passe même s'il y a
des choses, des amendements qu'il aurait pu y avoir. On était d'accord
avec les positions, mais ce ne sont pas nécessairement toutes les
positions qu'on défendait. Mais il reste que cette loi-là demeure
essentielle pour corriger vraiment des lacunes par rapport à
l'institution du mariage et je peux vous dire, personnellement - et je pense
que Mme Bouvier pourrait être d'accord avec moi et que toutes les
families monoparentales pourraient vous dire la même chose: Oui, cette
loi-là corrige des injustices et peut peut-être pallier à
des injustices futures, parce qu'il y a encore des femmes qui sont à la
maison, qui sont moins bien nanties, et cette loi-là aide vraiment, en
tout cas, à faire reculer la pauvreté des femmes.
Mme Trépanier: Alors, est-ce que vous avez des
statistiques concernant le revenu moyen de vos membres? Ce sont des gens
habituellement démunis, la très grande majorité.
Mme Pothier: Oui, je sais...
Mme Trépanier: Est-ce qu'il y a des gens qui
adhèrent à votre association pour avoir du support autre, qui
n'ont pas nécessairement des problèmes financiers? Il m'a
semblé, lorsque je vous ai rencontrée, que, très
majoritairement, c'étaient des gens très
défavorisés, des femmes très défavorisées
financièrement, en plus d'autres problèmes.
Mme Pothier: Oui, Mme Bouvier pourrait peut-être
répondre au niveau des statistiques.
Mme Bouvier (Madeleine): Oui. En fait, au point de vue
statistique, disons que, chez nous, la clientèle est démunie, est
prestataire d'aide sociale pour plusieurs. Là, je ne peux pas vous
donner de chiffres sauf que, quand vous dites: Est-ce que voua avez des gens
à revenus moyens, est-ce que vous avez des gens à meilleurs
revenus oui, il en existe parce que, chez nous, les gens viennent parce qu'ils
sont à ramasser à la petite cuillère. Alors, ça
arrive, des personnes qui étaient très riches et puis qui ont eu
le divorce. Elles ont été ramassées à la petite
cuillère. Elles sont venues chez nous. Mais, habituellement, le revenu
tombe; même si elles étaient riches avant, même si elles
avaient un bon train de vie, un niveau élevé, ce n'est plus le
cas.
Maintenant, quand on pense à la clientèle la plus
démunie, eh bien avec tout le travail qui
se fait dans les associations au point de vue de développer une
espèce d'appartenance au groupe et une espèce de support que le
groupe se donne, il y a des gens qui finissent par débloquer, par se
sortir, en fin de compte, de l'aide sociale. De ce côté-là,
il faut vous dire que ce sont des emplois précaires, des emplois au
salaire minimum. Ce n'est pas encore le Pérou comme revenus.
Mais le plus grave, là, quand vous nous disiez, tout à
l'heure, que notre clientèle n'était peut-être pas
directement liée parce qu'elle était après le divorce, il
faut vous dire que, chez nous, il y a des gens qui viennent quand ils sentent
qu'il y a quelque chose qui se passe dans le couple; ils viennent chercher de
l'information, ils viennent chercher du support. Et c'est pour ça qu'on
dit que notre clientèle est sur la ligne de feu de cette loi-là.
Donc, c'est vraiment une information bien spécifique et, surtout, il
fallait absolument qu'elle passe, la loi. Alors, on a été
très contentes que la loi soit votée, parce qu'on était
quelque peu désespérées et, puis, là, bien, on
s'est dit: Avec toute la façon de faire, présentement, des gens
qui ont essayé d'inciter leur conjoint à se désister, avec
toutes les menaces et toute la chicane, bien, il ne faut plus que ça se
fasse, ça. Quand vous avez une loi, il faut qu'elle soit mise en vigueur
le plus rapidement possible.
J'aimerais souligner ici que la perception automatique des pensions
alimentaires, qui n'existe pas, est justement une loi qui, par sa lacune,
soulève les chicanes et continue la violence familiale. Si la perception
automatique des pensions alimentaires devenait une loi imperative
jusqu'à un certain point, devenait loi, disons, vous auriez beaucoup
moins de violence dans la société.
Mme Trépanier: Mme Bouvier, on déborde un peu de
notre mandat, mais soyez assurée que c'est enregistré comme
message.
Mme Bouvier: Merci.
Mme Trépanier: Donc, votre association a fait de
l'information à ses membres quant à la loi 146? Oui. Pouvez-vous
nous en parler un petit peu? Vous avez fait des conférences? Vous avez
rejoint vos membres comment, quant à cette loi?
Mme Pothier: Par le biais des associations, surtout...
Mme Trépanier: Locales.
Mme Pothier: ...quand on retrouve des gens qui viennent chercher
de l'information localement. Il y a eu aussi une grande sensibilisation de la
part de la Fédération quand la loi était sur le point
de..., quand le projet de loi...
Mme Trépanier: L'élaboration de...
Mme Pothier: ...quand il y a eu la commission parlementaire
où on a été appelés à venir.
Mme Trépanier: Oui.
Mme Pothier: Les associations ont été
sensibilisées. Les gens qui travaillent, qui sont
bénévoles dans les associations ont été
sensibilisés aussi à ce que c'est, le patrimoine familial, par de
la formation, par de l'information, et eux pouvaient, en tout cas, être
vigilants par rapport à ce qui se passait et, en même temps,
étaient capables de répondre aux personnes qui venaient dans les
associations prendre des informations. Parce que souvent elles sont sur le
point de se séparer, parce que souvent elles viennent de laisser leur
conjoint et il n'y a pas encore de mesures qui ont été prises,
alors qu'est-ce qu'on fait? C'est quoi, la loi 146? Est-ce que j'ai droit
à ça? Comment ça va se passer? Les gens voulaient savoir
vraiment et je pense que les associations, en tout cas, ont fait leur possible
pour donner le plus d'information possible. Et la Fédération a
été vraiment l'organisme qui a diffusé cette
information-là parce qu'on se tenait au courant et parce qu'on
était très près de la ministre, à ce
moment-là, Mme Gagnon-Tremblay, qui a fait appel aussi à nous
pour l'appuyer dans l'adoption de cette loi-là.
Mme Trépanier: O.K. Je vais me permettre une
dernière question, M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): Allez-y.
Mme Trépanier: Vous avez abordé brièvement
la question de la pauvreté. Aujourd'hui, il en a été
abondamment question avec les intervenants et vous semblez du même avis,
que cette loi aiderait à diminuer la pauvreté chez les femmes.
Vous avez dit que, lors de la dissolution d'un couple, il y avait
habituellement appauvrissement d'un conjoint, le conjoint le moins nanti, donc,
habituellement, la femme. Alors, est-ce que vous avez une position bien
arrêtée là-dessus? Est-ce que vous pouvez
élaborer?
Mme Bouvier: Voici, là. Au point de vue pauvreté de
la femme, oui, comme vous dites, au moment du divorce. Sauf qu'il ne faut pas
se leurrer: Le patrimoine familial, c'est un petit paquet, c'est au moins
quelque chose, mais ce n'est pas la société d'acquêts. Mais
il y a un point où je dois, en tout cas, vous féliciter pour
cette loi-là, c'est par rapport - vous allez dire que je sors du sujet,
mais pas tellement - à l'aide sociale conditionnelle qui allait chercher
les montants d'argent qui arrivaient. À un moment donné, on a eu
très peur. On a dit: Finalement, le patrimoine familial, ça va
finir par être un partage avec l'État et le conjoint bien
nanti. Mais on a su, après, qu'il y a eu un amendement et,
maintenant, le montant du patrimoine ne sera pas pour payer l'aide sociale
qu'on a eue pendant qu'on attendait le montant. Ça, c'était
affreux, cette partie, quand est arrivée cette chose-là. Parce
que, quand la personne est démunie, elle est démunie. Ce n'est
pas parce qu'elle va avoir quelque chose dans un an qu'à ce moment-ci
elle doit rembourser. Donc, c'est pour ça que je dis que le patrimoine
familial, oui, il va aider parce que, là, ce n'est pas un partage avec
l'État et le conjoint bien nanti. Ça va aider, mais ce n'est
pas... C'est un peu comme quand on dit: Ça va rendre le malheur
confortable, peut-être, un peu plus.
Une voix: Un petit peu plus.
Mme Pothier: Ça va aider aussi les femmes à se
réorganiser, surtout. Au moment où ça arrive, il y a une
désorganisation. Alors, ce montant-là, si petit soit-il, aide les
femmes à se reprendre en charge et leur donne peut-être un petit
coup de pouce pour repartir.
Mme Trépanier: M. le Président, nous avons un peu
débordé du sujet, mais je voudrais y revenir en concluant. Vous
avez quand même affirmé, dans votre mémoire et dans vos
commentaires, que vous considériez le délai comme suffisant et
que vous trouveriez dommageable que nous prolongions ce délai-là.
Vous ne voyez pas l'opportunité de le prolonger. Corrigez-moi si je vous
interprète mal, mais je pense que c'est un peu ce qui est ressorti. (20
h 30)
Mme Pothier: Oui, c'est ce qui ressort clairement. Et la loi doit
être appliquée maintenant comme elle a été
pensée. Et je pense que retarder le délai, comme on l'a
expliqué, dans notre position, ne ferait qu'aggraver les conditions de
harcèlement et d'insécurité pour les personnes moins bien
nanties dans le couple.
Mme Trépanier: Merci, mesdames.
Le Président (M. Dauphin): Merci. Je vais maintenant
reconnaître la porte-parole de l'Opposition officielle, Mme la
députée des Chutes-de-la-Chaudière.
Mme Carrier-Perreault: Merci, M. le Président Alors,
ça me fait plaisir de vous saluer, Mme Pothier et Mme Bouvier. Votre
mémoire a le mérite d'être bref et très clair. On
sait quelle est votre position et ça, c'est sans équivoque, je
pense. J'étais contente aussi de vous entendre, tout à l'heure,
quand vous parliez du fait que la loi 146 soit là, qu'elle ait
établi un patrimoine familial, et réitérer votre position,
à savoir que ce n'est pas la panacée universelle et que ça
ne règle pas tous les problèmes dont on faisait état, un
petit peu plus tôt en matinée, avec le Conseil du statut de la
femme, par rapport à la prestation compensatoire, par rapport aussi
à la façon d'aller chercher nos pensions alimentaires, dans le
besoin. On sait que c'est assez difficile pour certaines femmes d'avoir leur
pension alimentaire. Disons que je suis tout à fait en accord avec vous
autres, je pense, là-dessus.
Il reste que, pour en revenir au propos qui nous intéresse, vous
nous parlez, dans votre mémoire, de "manoeuvres douteuses: mensonges,
chantage, harcèlement, menaces déguisées, pour induire le
conjoint à signer le désistement. " À plusieurs reprises,
aujourd'hui, on a entendu des groupes qui nous ont parlé de menaces, de
harcèlement, comme ça, et on essaie toujours de savoir. Par
rapport à vos membres, chez vous, est-ce que vous avez une
quantité assez importante de membres qui vous ont fait état de
ces faits-là, d'une part? Et, par rapport au profil
socio-économique, vous êtes aussi l'un des rares groupes qui nous
parle des bien nantis, que cette loi-là, finalement, c'est dur pour ceux
qui sont bien nantis à un moment donné. J'ai essayé
d'avoir aussi cette information-là et j'aimerais ça que vous me
pariiez de ce qui se passe dans votre association là-dessus.
Mme Pothier: Madeleine.
Mme Bouvier: Alors, écoutez, quand vous dites: Combien il
y en a? c'est plutôt rare que les gens viennent nous trouver à la
Fédération même ou téléphonent chez nous,
sauf quelques appels. C'est les associations locales qui ont des services
d'écoute active et qui reçoivent les téléphones des
personnes dont je serais bien en peine de vous donner le nombre. Mais c'est que
ça se répète. Il y en a qui sont même
menacées de mort dans des choses... En fait, il y a eu une
mortalité. C'était par rapport à l'indexation des pensions
alimentaires. La personne avait demandé l'indexation et l'ex est
arrivé, lui a donné le chèque et l'a tuée. Bien, tu
sais, ça fait... Alors, ça se fait, ça. Ça se fait.
Il y a beaucoup de violence. C'est le climat. C'est des gens qui se sont
aimés et ce n'est pas complètement évacué,
l'espèce de haine-amour. Et c'est ça qui est si négatif
face à une loi qui ouvre la porte à ces manoeuvres-là.
Mme Carrier-Perreault: D'accord. C'est épeurant, ce que
vous nous dites là.
Mme Bouvier: Bien c'est...
Mme Pothier: C'est la réalité, je pense, et il ne
faut pas se la cacher. Il y a des gens qui vont utiliser toutes sortes de
manoeuvres pour essayer... Même si la loi existe, il y a quand même
des gens... Moi, je connais des gens, particulièrement, qui, en tout
cas, voyant que, dans le couple, ça ne va pas tellement bien, vont
essayer de contourner la loi en faisant accroire
toutes sortes de choses ou en essayant de diversifier leurs
façons d'investir l'argent. Au lieu d'investir dans des biens qui
pourraient constituer le patrimoine, ils vont investir ailleurs. Ils vont, en
douceur, évincer la loi pour ne pas être pris, au moment d'une
rupture, à avoir à partager, en tout cas, pour essayer de
partager le moins possible. Ça, ça se fait couramment dans le
quotidien des familles. Et ça, c'est très subtil. Ce n'est
peut-être pas de la violence. Il y a des cas extrêmes de violence,
mais il y a quand même de la manipulation subtile par rapport au partage
du patrimoine et ça, je pense qu'il faut en être conscient.
Ça existe, et, dans les associations, on côtoie ça souvent
au niveau de ce qui se passe dans les familles.
Mme Carrier-Perreault: Je vous remercie. Dans votre
mémoire, vous dites, à un moment donné - et ça m'a
soulevé quelques interrogations, je dois vous l'avouer - en page 3:
"Lorsque les lois reconnaissent l'autonomie de la femme, cette autonomie lui
fait perdre certaines prérogatives." Disons que ça a
soulevé mon interrogation et j'aimerais ça vous entendre
là-dessus. Comment voyez-vous ça, vous, de votre
côté, être plus autonome et avoir autant de
prérogatives? Est-ce que le fait d'avoir des prérogatives,
ça ne nous rend pas un peu moins autonomes? Je voyais comme une
espèce de... Et ça, j'aimerais ça entendre ce que vous
voulez nous...
Mme Pothier: Je pense que Mme Bouvier va vous expliquer
très bien cette position-là parce que c'est vraiment Mme Bouvier
qui l'a... En tout cas, je pense qu'elle va être capable de vous
répondre très bien là-dessus.
Mme Bouvier: Si vous vous reportez au droit de la famille,
ça a été une loi humanisante qui a donné une
autonomie, l'égalité de l'homme et de la femme dans le mariage.
Mais, par ailleurs, pour les personnes mariées en séparation de
biens, elle a vidé leur contrat des quelques avantages qui y
étaient. Alors, c'est dans ce sens-là. On a dit: Oui, la femme
est reconnue autonome, bravo! C'est bien. Mais on est bien conscientes que
certaines choses ont été comme escamotées, ont
été comme perdues en chemin. La prestation compensatoire qui
devait, quand on en parlait à la ministre du temps, là,
être une reconnaissance du travail au foyer, les groupes ont voulu que ce
soit marqué tel quel dans la loi. On nous a dit: Non, on la met
très large pour pouvoir tout englober. L'interprétation qui est
arrivée de cette prestation compensatoire a été tellement
restrictive que même des femmes, souvent, collaboratrices de leur mari
n'ont pas pu l'avoir parce qu'elles n'ont pas été capables de
prouver certaines choses. Alors, c'est dans ce sens-là que je dis: Oui,
il y a des lois qui sont humanisantes, mais, par ailleurs, soyons vigilants
parce qu'on perd certaines choses et on ne veut pas retourner à l'ancien
modèle autoritaire, patriarcal et tout ça.
Une autre loi, ça a été la loi du divorce, la loi
sans fautes. On a dit bravo! Sauf qu'avec ça, ça a
été de dire: Maintenant, if n'y a plus de fautes, donc la pension
alimentaire, on la compte et on la calcule presque aussi restrictivement
qu'avant, sauf qu'on la donne ou on l'octroie pour une durée très
limitée. On le sait, dans le fond, que, quand on atteint une autonomie,
on va perdre des éléments de dépendance, mais de là
à tout enlever. On dirait que c'est difficile de faire la part des
choses. Alors, c'est ce qui est arrivé souvent.
Mme Pothier: Souvent, ça a été un peu comme
des droits acquis et on veut maintenant que la femme soit autonome, mais on lui
donne très peu de moyens pour l'aider à le devenir. Alors, je
pense que c'est un petit peu le sens de cette affirmation au
mémoire.
Mme Bouvier: Un autre élément, ça a
été la loi sur l'assurance où le conjoint qui avait pris
des assurances sur la tête de ses enfants, au divorce - cette
loi-là n'a pas été révisée - laisse tout
à quelqu'un d'autre. Donc, quand l'enfant décède, c'est
l'autre personne qui reçoit le profit de l'assurance. Ça encore,
ça a été des points où, évidemment, au
divorce, il aurait fallu ni plus ni moins céder l'assurance sur la
tête de l'enfant, mais le rendre propriétaire de son assurance ou
encore le conjoint qui avait la garde de l'enfant. Alors, c'est dans ce
sens-là que je dis qu'il y a des lois qui ont vraiment vidé
l'acquis, les avantages.
Mme Carrier-Perreault: Si je comprends bien, d'après les
exemples que vous nous donnez, à un certain moment, on donne par des
lois une autonomie, mais on oublie d'ajuster, par rapport à autre chose,
le pendant qui ferait que ce serait applicable, si on veut. C'est un peu
ça?
Mme Bouvier: Oui, oui.
Mme Carrier-Perreault: Par ailleurs, on entend souvent - et je
vais vous dire tout de suite que ça ne veut pas dire que je partage ce
genre d'affirmation - que la loi 146, c'est une loi pour protéger les
femmes contre elles-mêmes. Comme je vous le dis, c'est des choses qu'on
entend, mais que je ne partage pas nécessairement. On dit aussi que
c'est une loi qui a été faite pour les gens qui sont
mariés en séparation de biens et que, aujourd'hui, on ne se marie
plus comme ça; donc que ce n'était pas nécessaire d'aller
jusque-là.
On nous dit, d'ailleurs - toujours les bien-pensants - Bon, les femmes
aujourd'hui sont sur le marché du travail; elles sont très
renseignées.
II n'y a aucun problème. Elles sont capables de se
protéger; elles sont capables de gérer leurs affaires et tout
ça. Vous autres, vous avez une clientèle qui, j'imagine, a un
étalement d'âge. Il doit y avoir un certain étalement au
niveau des âges et tout ça. Est-ce que vous croyez qu'aujourd'hui
les femmes sont bien préparées, sont bien sensibilisées
à cette partie-là qui est la gestion de leurs affaires ou est-ce
qu'il y a des choses à faire? J'aimerais vous entendre
là-dessus.
Mme Pothier: Oui, quand vous avez affirmé tantôt
que, selon vous, ou des affirmations, il n'y a plus de gens qui se marient en
séparation de biens, je voudrais revenir en disant qu'en 1986 il y a
plus du tiers des gens qui se sont mariés qui se sont encore
mariés en séparation de biens. Alors, ce n'est pas quelque chose
qui est complètement exclu au niveau des contrats de mariage. Il y a
encore le tiers des unions qui sont sous la séparation de biens.
Vous dites: Est-ce que les gens sont mieux informés? Oui, les
femmes sont mieux informées, sauf que nous... En tout cas, ce que je
pense, c'est que le partage du patrimoine, c'est un partage à parts
égales. Quand on se marie, on est égal dans le mariage; alors,
que ce soit la femme ou l'homme qui a acquis des biens, je pense que la
constitution d'un patrimoine familial, ça se fait à deux et ce
n'est pas plus pour l'un ou pour l'autre que ça doit servir. Comme on le
disait tantôt, ça corrige des injustices dans le sens qu'il y a
des femmes qui ont vécu une séparation et qui ont tout perdu,
dans le sens qu'elles n'ont même pas retiré les avantages du
patrimoine. C'est sûr que ces femmes-là, aujourd'hui, sont de plus
en plus informées et qu'elles étaient de plus en plus attentives
à ce que cette loi passe.
Je pense que les femmes sont de plus en plus informées, mais il
reste quand même que les femmes sont pauvres. Comme on l'a dit
tantôt, notre clientèle est vraiment une clientèle de
personnes défavorisées. Alors, quant à nous, les positions
qu'on défend, c'est vraiment l'égalité au niveau du
partage économique dans la famille, autant pour les hommes que pour les
femmes. Alors, je ne crois pas que ce soit plus les femmes qui soient
pénalisées par cette loi que l'homme. Quand tu investis à
deux, eh bien, tu sépares à deux ce que tu as investi dans le
mariage. C'est notre position. (20 h 45)
Mme Bouvier: Pour compléter, la loi, en fait, donne un
certain partage, parce qu'il y a un bien familial qui est
considéré dans la loi 146 et qui n'y était pas; les
régimes de retraite ne faisaient pas partie de la société
d'acquêts. Ça veut dire que la loi est bénéfique
aussi à la société d'acquêts. Pour nous, ce qui est
très important - et je me répète un peu - c'est que, dans
le mariage, il y a un contrat tacite entre l'homme et la femme en vue d'une vie
commune. Donc, il doit y avoir un certain partage pour le temps où on a
vécu ensemble. Et la loi 146 répond à ça, pas
complètement comme on voulait l'avoir, nous, dans notre premier
mémoire, mais la loi constitue un patrimoine familial et c'est la
reconnaissance d'une espèce de contrat tacite qu'il y a eu entre l'homme
et la femme dans le mariage pendant ies années de vie commune.
Mme Carrier-Perreault: Ce que je veux savoir, au fond: est-ce
que, d'après votre expérience, les femmes prennent aujourd'hui de
plus en plus les moyens de se protéger? Il y a, par exemple, les
copropriétés, les enregistrements de résidence familiale
ou des choses comme ça. Est-ce que les jeunes femmes ont plus tendance
à prendre ces moyens-là pour se protéger aujourd'hui?
Mme Bouvier: À mon point de vue, les femmes se sont
réveillées. Évidemment, si elles n'ont pas d'argent du
tout, c'est très difficile. Mais, dès qu'elles peuvent avoir
accès, surtout à la copropriété, parce que de plus
en plus de jeunes couples pensent à la copropriété... On
s'aperçoit qu'il y a eu une étape de passée et que les
femmes connaissent plus la valeur de l'argent.
Maintenant, qu'une femme fasse des folies, bien, ça arrive aux
hommes aussi de faire des folies, hein? Alors, qu'elle reçoive un gros
montant et qu'il parte en fumée, ça arrive aux hommes. Donc, il
ne faut pas s'imaginer que, parce que la femme n'avait presque rien, elle
n'avait pas le droit de faire sa folie. O.K.?
Mme Carrier-Perreault: Je suis d'accord avec vous, madame.
Mme Pothier: Ce que je voulais rajouter aussi, c'est que, quand
une femme a vécu une séparation, un divorce, en tout cas, une
rupture, quelle qu'elle soit, et qu'elle y a goûté, je pense
qu'elle est très sensible par la suite à tout ce qui pourrait
arriver financièrement. C'est une expérience. Des fois, ce n'est
pas des bonnes expériences à vivre, mais il reste que ça
informe beaucoup quand on a passé à travers tout ça et
qu'on s'est aperçu qu'on s'est fait léser dans beaucoup de
choses. Je pense que les femmes, à ce moment-là, se
réveillent.
Mme Carrier-Perreault: Merci, madame.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Mme la
députée. Je vais maintenant reconnaître Mme la
députée de Terrebonne.
Mme Caron: Merci, M. le Président. J'ai le goût de
vous dire en premier que je trouve extraordinaire le travail que vous faites
parce que, effectivement, il y a de plus en plus de
familles monoparentales au Québec, et des associations et une
fédération comme la vôtre sont essentielles maintenant.
Vous avez également relevé un point qui m'apparaît
extrêmement important par rapport à la résidence familiale
qui, effectivement, posait problème. C'est réel que les femmes
n'osaient pas le demander, parce que c'est comme si elles disaient: On veut une
séparation, on veut un divorce. C'est comme si elles prenaient des
moyens de prévention et c'était très mal perçu. La
loi 146 renverse les rôles, finalement, et c'est le bien nanti qui, lui,
va essayer de demander à la conjointe de signer une renonciation.
Vous avez clairement dit qu'un an et demi comme délai,
c'était suffisant pour les bien nantis, qu'ils avaient eu suffisamment
de temps pour s'informer. Est-ce que vous pensez que la clientèle que
vous touchez est suffisamment informée au moment où on se parle?
Lorsqu'elle vous arrive, c'est surtout parce qu'elle est en période de
crise ou qu'elle voit venir des problèmes. Mais est-ce que vous pensez
qu'en général la clientèle des plus démunis est
bien informée sur cette loi?
Mme Bouvier: Écoutez, je pense qu'il faut faire la part
des choses, hein? Si on parle de désistement, pour notre
clientèle qui est moins nantie, le désistement est tout à
fait négatif. Alors, à ce moment-là, l'information qu'on
leur donne, c'est finalement: Faites-vous pas avoir. Votre mari a beau vous
dire: C'est pour les enfants qu'on fait ça, c'est pour faire un
testament et je veux mettre quelque chose dedans, c'est parce que je veux te
donner des cadeaux que je veux que tu te désistes, bien, on dit:
Ecoutez, réveillez-vous et sachez exactement ce que ça veut
dire.
Et puis, les premiers temps, c'est que les personnes ne savaient pas ce
que c'était, quelle valeur pouvait avoir le patrimoine. Et puis,
même aujourd'hui, les gens qui ne sont pas rendus au partage ne le savent
pas. Alors, qui donc va aller signer un chèque en blanc en disant: Je ne
sais pas ce que je ne veux pas, mais je te le signe pareil? Tu sais,
c'est...
Mme Caron: Donc, si je résume bien, effectivement, plus
tôt le délai se termine, plus votre clientèle est
favorisée.
Mme Pothier: Ça ferme la porte, comme on l'a dit
tantôt, à toute la manipulation, au chantage ou, en tout cas, aux
mesures incitatives pour que les femmes renoncent ou se désistent, pour
que les femmes signent la renonciation.
Mme Caron: Je vous remercie.
Mme Pothier: Le délai étant fini, la loi va
s'appliquer et on n'en parlera plus. Les gens vont vivre avec cette
loi-là tout simplement.
Mme Caron: Je vous remercie beaucoup.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Mme la
députée. J'aurais peut-être une autre petite question, si
vous me le permettez, même si ma question déborde l'ordre que nous
avons eu de l'Assemblée et que, comme président, je dois,
règle générale, m'assurer que le règlement est
observé. Mais, quand même, vous avez soulevé un petit peu
tantôt des cas où un des conjoints - c'est parce qu'un divorce,
nécessairement, ça peut se planifier tout comme un mariage - peut
volontairement, consciemment dilapider un bien faisant partie de la masse
commune ou de la masse partageable, effectivement, pour faire une autre
transaction, pour acheter des obligations d'épargne, par exemple.
Est-ce que dans votre vécu, dans votre expérience comme
fédération, vous avez vécu des cas comme ça et
est-ce que les personnes se sont prévalues des dispositions de la loi
146, un peu comme en droit de la faillite où le syndic peut s'opposer
à toute transaction dans l'année précédant la
faillite? À l'endroit de la famille ou plus précisément en
vertu de la loi 146, est-ce que vous avez vécu des cas de femmes qui ont
eu recours aux tribunaux en étant éligibles à l'aide
juridique, par exemple, et est-ce qu'il y a eu audition malgré que,
normalement, les délais soient longs devant les tribunaux? J'aimerais
savoir si vous avez vécu des cas comme ça.
Mme Pothier: Vous faites référence au cas dont je
vous ai parlé tantôt.
Le Président (M. Dauphin): Entre autres.
Mme Pothier: C'est qu'il n'y a pas encore eu de volonté,
là, ouverte de divorcer, si je me réfère à ce
cas-là en particulier, sauf que le couple, bon, s'en va cahin-caha, bon,
c'est une question de temps et tout ça. Comme je le disais tantôt,
c'est des manipulations qui sont très subtiles et, bon, la personne
mieux nantie va placer de l'argent, va prévenir, va faire en sorte qu'au
moment où il y aura partage il y aura moins de choses à partager,
moins d'investissements au niveau des REER, par exemple, ou des choses comme
ça, parce qu'elle sent que ça pourrait être
compliqué au niveau du partage et qu'elle pourrait peut-être
perdre plus que-Alors, en s'en allant comme ça, tranquillement, on sent
qu'elle peut investir ou, en tout cas, essayer de détourner la
façon de placer son argent pour avoir moins de choses à
partager.
Le Président (M. Dauphin): D'accord.
Mme Pothier: Je pense que ça, ça se fait et j'ai un
cas en particulier en tête.
Le Président (M. Dauphin): Mais est-ce qu'il y a des gens
qui se sont prévalus des dispo-
sftions pour se servir du processus judiciaire et aller en cour pour
contester ça, quitte à être éligibles à
l'aide juridique dans certains cas? Non? Pas en pratique? Ça ne s'est
pas fait?
Mme Bouvier: Pas encore. Qu'est-ce que vous voulez, c'est encore
assez récent, cette loi-là.
Le Président (M. Dauphin): C'est parce que ça peut
se produire. On en est tous conscients à tous les jours.
Mme Bouvier: Ça va certainement se produire.
Mme Pothier: Oui.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup. Mme la
ministre.
Mme Trépanier: Merci, mesdames, pour votre contribution.
Alors, au cours de la journée, nous avons pu entendre le point de vue de
six organismes quant à l'opportunité de maintenir ou de prolonger
la date d'expiration du délai pour permettre à certains
époux de se soustraire à l'application de la loi pour favoriser
l'égalité économique des époux. Un seul de ces
organismes...
Le Président (M. Dauphin): Je m'excuse, Mme la ministre.
Est-ce que vous êtes à l'allocution de fermeture?
Mme Trépanier: Oui.
Le Président (M. Dauphin): C'est que je voulais que vous
disiez le mot de la fin. Ensuite, c'est la porte-parole de l'Opposition qui
débute l'allocution de fermeture...
Mme Trépanier: Ah bon!
Le Président (M. Dauphin): ...et vous terminez, je
m'excuse.
Mme Trépanier: Merci, mesdames...
Le Président (M. Dauphin): Je suis allé
peut-être un peu vite. Alors, on vous remercie énormément
de votre participation à nos travaux. Et pour les allocutions de
fermeture... Voulez-vous dire un dernier mot, vous aussi?
Mme Carrier-Perreault: Oui, je voulais remercier le groupe aussi
de sa participation, effectivement, et surtout des propos aussi que vous
êtes venus tenir à cette commission. Je vous remercie
beaucoup.
Le Président (M. Dauphin): Je vais maintenant
reconnaître Mme la députée des Chutes-
de-la-Chaudière pour l'allocution de fermeture et, ensuite, je
reconnaîtrai Mme la ministre.
Remarques finales Mme Denise Carrier-Perreault
Mme Carrier-Perreault: Merci, M le Prési dent. Au terme de
nos travaux, j'aimerais remercier les personnes qui se sont
déplacées ici aujourd'hui pour venir nous faire part de leurs
commentaires sur la question qui a retenu notre attention: Doit-on maintenir ou
modifier la date d'expiration du délai permettant aux personnes
mariées avant le 1er juillet 1989 de renoncer au partage du patrimoine
familial?
Permettez-moi quelques minutes pour résumer nos travaux de la
journée et faire quelques commentaires sur le travail qui attend la
ministre déléguée à la Condition féminine
pour améliorer la situation économique des femmes. M. le
Président, l'exercice que nous avons fait aujourd'hui n'a pas
été inutile. Les controverses qui ont entouré et suivi
l'adoption du projet de loi 146 indiquaient aux membres de l'Opposition
officielle qu'il fallait tout mettre en oeuvre pour établir un consensus
acceptable autour de cette nouvelle notion introduite dans notre droit familial
et qui bouleverse des règles établies. Rappelons-nous les
manchettes des journaux au moment du dépôt du projet de loi, en
mai 1989, qui rapportaient l'existence d'un blocus au niveau du Conseil des
ministres. Les principaux opposants au projet de loi ont eu pour effet de
porter le dossier jusqu'au bureau du premier ministre Bourassa. Celui-ci est
intervenu directement dans le dossier pour demander des assouplissements au
projet de loi. Après une fin de semaine de réflexion et de
consultation au bureau du premier ministre, des amendements furent
déposés en commission parlementaire et le projet de loi fut
adopté avant l'ajournement des travaux de la Chambre. N'eussent
été la persévérance de l'ancienne ministre
déléguée à la Condition féminine, Mme
Monique Gagnon-Tremblay, et la collaboration de l'Opposition officielle, nous
pouvons croire que la loi 146, si elle avait été adoptée,
aurait été vidée de son contenu.
À quelques mois de l'expiration du délai accordé
pour se soustraire à la loi 146, une nouvelle commission parlementaire
nous semblait une excellente occasion pour faire le point avec les personnes
intéressées, pour mesurer comment ces nouvelles règles de
partage du patrimoine familial sont perçues et comment elles sont
vécues, et aussi pour déterminer s'il n'y aurait pas lieu de
permettre encore, pendant une période de temps définie, aux
couples qui le désirent de s'y soustraire.
La position des groupes que nous avons entendus aujourd'hui est claire.
Tous, à l'exception de la Chambre des notaires, se prononcent
contre une prolongation du délai de renonciation. Les arguments
qui nous sont soumis sont essentiellement les mêmes et ils sont
concluants: une prolongation du délai porterait atteinte aux objectifs
de la loi et ne ferait qu'accroître le nombre de situations où le
conjoint le plus défavorisé est soumis à des pressions
indues ou à un véritable harcèlement de la part de
l'autre. Par ailleurs, les arguments avancés par la Chambre des
notaires, ainsi que par Me Nicole Forget méritent aussi d'être
considérés avec sérieux. Ils mettent en évidence
des difficultés d'ordre juridique et soulèvent des questions
pertinentes auxquelles nos tribunaux auront à répondre. Par
exemple, la Chambre des notaires nous a cité deux décisions
contradictoires, l'une rendue en juin et l'autre en juillet dernier, portant
sur la même question. Ce qui prouve que cette commission parlementaire ne
clôt pas le débat sur ce que nous appelons la loi 146. Au cours
des prochaines années, cette loi sera scrutée par les tribunaux
qui auront à l'interpréter et même à juger de sa
constitutionnalité. Les femmes et la ministre
déléguée à la Condition féminine devront
être vigilantes pour protéger lés acquis de la loi 146.
Je voudrais souligner aussi à la ministre que la loi 146 a des
limites bien évidentes et qu'elle n'est pas la réponse à
tous les problèmes auxquels les femmes sont confrontées. Elle ne
met pas fin à la recherche d'une plus grande égalité pour
toutes les femmes. Le Conseil du statut de la femme a clairement exprimé
son point de vue là-dessus. N'oublions pas que, depuis de nombreuses
années, les groupes de femmes réclament la reconnaissance sociale
et économique du travail au foyer par la participation des femmes au
foyer au Régime de rentes du Québec. Le gouvernement
libéral en avait même fait un engagement électoral en 1985.
Cette promesse n'a pas été respectée et je suis
tentée de croire que le gouvernement a préféré se
dégager de sa promesse en remettant au conjoint la responsabilité
d'assumer la compensation pour le travail que son épouse aura accompli
pour le bénéfice de sa famille. S'agit-il vraiment d'une
reconnaissance sociale du travail au foyer et d'une reconnaissance
économique en dépit des bienfaits que la société en
général en retire, comme le soulignait cet après-midi
l'AFEAS? Je crois que le débat de la reconnaissance du travail au foyer
reste entier et actuel, et que cette question constitue un enjeu important dans
la lutte des femmes pour un statut égalitaire. (21 heures)
L'institution d'un patrimoine familial assure un certain
équilibre économique minimal entre les époux à la
fin du ménage. Elle n'assure cependant pas, à bien des
égards, un statut égalitaire entre les conjoints, puisque la
femme, lors de la dissolution du mariage, se confronte aux mêmes
iniquités sociales que les autres femmes: veuves, femmes monoparentales
ou conjointes de fait. La dépendance économique et la
pauvreté qui s'ensuit lors de la rupture du mariage ont souvent pour
cause la discrimination à l'emploi, l'absence de perception des
prestations alimentaires automatiques, Tinéquité" salariale, la
précarité des emplois, l'insuffisance des services de garde, la
mauvaise organisation du travail rendant difficilement conciiiables la
maternité, le soin des enfants et le travail. Ce sont là des
dossiers importants qui préoccupent les groupes de femmes depuis de
nombreuses années et je souhaite que la ministre
déléguée à la Condition féminine y travaille
avec la même détermination que dans le dossier du patrimoine
familial.
En terminant, je voudrais insister sur l'importance de sensibiliser les
femmes - les jeunes femmes et les adolescentes - à l'importance
d'acquérir et d'assumer leur autonomie financière. Je crois que
cette sensibilisation doit se faire très tôt. Il faut apprendre
aux jeunes femmes à gérer leur portefeuille, à ne pas
avoir peur de faire des ententes ou de signer des contrats, à se
désigner copropriétaires des biens meubles ou immeubles qu'elles
achètent avec leur conjoint. Trop souvent, nous voyons de jeunes femmes
mariées ou compagnes de fait payer l'épicerie, les
dépenses courantes du ménage ou pour l'entretien des enfants,
pendant que l'autre se charge de l'hypothèque ou du paiement de la
voiture, il faut cesser d'aborder la question des droits économiques des
conjoints sous l'angle de la protection d'un conjoint économiquement
faible et parler aux femmes d'égalité de droit et de quête
de l'autonomie financière.
C'est la tâche du Secrétariat à la condition
féminine, du Conseil du statut de la femme, des groupes de femmes et
aussi de chacune de nous qui entretenons des liens avec nos filles et avec
d'autres femmes.
Je vous remercie, M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): Merci beaucoup, Mme la
députée des Chutes-de-la-Chaudière et porte-parole de
l'Opposition. Je vais maintenant reconnaître la ministre
déléguée à la Condition féminine et
responsable de la Famille.
Mme Violette Trépanier
Mme Trépanier: Merci, M. le Président. Alors, au
cours de la journée, nous avons entendu le point de vue de six
organismes quant à l'opportunité de maintenir ou de prolonger la
date d'expiration du délai pour permettre à certains époux
de se soustraire à l'application de la loi pour favoriser
l'égalité économique des époux. Un seul de ces
organismes, soit la Chambre des notaires, se prononce contre le maintien. Dans
son mémoire, elle déborde même l'objet de cette commission
puisqu'elle affirme que le droit de se soustraire en tout temps, par acte
notarié, à l'application des règles sur le patrimoine
familial devrait être reconnu à tous
les couples. Selon la Chambre des notaires, le législateur, en
imposant à tous les couples mariés le partage obligatoire des
biens familiaux, est allé à l'encontre de toute la tradition
juridique québécoise et de celle des pays de droit civil qui a
toujours reconnu le principe fondamental de la liberté des conventions
matrimoniales.
Tous les autres organismes se prononcent sans équivoque en faveur
du maintien, au 31 décembre 1990, de l'expiration de cette mesure
transitoire. Ils appuient leur position sur les principes qui ont incité
le législateur à créer un patrimoine familial dont la
valeur est partageable également entre les époux. Parmi les
arguments que ces intervenants ont fait valoir - et c'est un aspect qui est
présent partout - on note la crainte de voir durer les pressions indues
et le harcèlement que cette mesure transitoire a engendrés.
Pour le Conseil du statut de la femme, une mesure transitoire est
susceptible de contrer les effets recherchés, puisque des couples
pourront être incités à faire des, arrangements ne
reflétant en rien la réalité future de leur vie commune au
moment de la rupture. Aussi, le Conseil est-il venu réaffirmer ce matin
qu'il n'est pas en faveur d'une prolongation du délai de renonciation.
Les modifications de juin 1990 ne sauraient justifier l'extension du
délai. Pour cet organisme, le bénéfice du temps
accordé aux couples qui désirent renoncer est susceptible
d'être trop onéreux pour certaines femmes qui subissent des
pressions ou qui renoncent au bénéfice de la loi à leur
détriment.
Selon l'Association féminine d'éducation et d'action
sociale, la renpnciation à l'avance au partage du patrimoine familial
constitue une atteinte aux objectifs de la loi. Pour cet organisme, la
possibilité de renoncer à la fin de l'union est satisfaisante et
permet aux époux de conclure une entente équitable et
réaliste. À ce moment, le conjoint qui possède le moins de
biens sera en mesure d'apprécier les choix qui lui sont offerts à
leur juste valeur et de choisir en connaissance de cause. L'AFEAS
perçoit donc toute mesure transitoire comme un moyen légal de
contourner la loi. L'AFEAS soutient que, sensibles aux messages souvent
incomplets et contradictoires véhiculés par les médias
depuis l'entrée en vigueur de la loi, mais aussi devant l'insistance des
maris, de nombreuses femmes ont subi des pressions et ont été
sollicitées pour se soustraire à la loi. Elle croit donc que
toute prolongation du délai de renonciation ferait durer le
harcèlement à l'égard des femmes, ce qui l'amène
à s'y opposer fermement.
La Confédération des organismes familiaux du
Québec, pour sa part, soutient que la création d'un patrimoine
familial est une reconnaissance de l'importance de la famille pomme institution
sociale. Le partage du patrimoine ne peut que favoriser l'égalité
entre les conjoints et le partage des responsabilités aux charges du
ménage. Grâce aux dispositions de la loi 146, les rapports de
force entre conjoints sont mieux équilibrés en donnant un pouvoir
au conjoint le moins favorisé, particulièrement celui à
faible salaire ou qui est demeuré à la maison. La COFAQ, comme
elle le rappelle, a toujours été d'avis qu'aucun couple
marié ne devrait pouvoir se soustraire à la loi, Elfe
considère donc que le délai de 18 mois a été
nettement suffisant. Un délai supplémentaire ne pourrait
qu'accentuer les pressions indues sur le conjoint le plus
défavorisé.
La Fédération des associations des familles monoparentales
du Québec, à l'appui de son opposition à la prolongation
du délai pour le désistement au partage, souligne
l'irréversibilité d'un tel geste et la perte de tout recours pour
les conjoints lésés. La Fédération rappelle
également que l'institution du patrimoine familial se doit d'être
une mesure impérative pour tous les. couples, puisqu'elle est un effet
du mariage. La loi 146 vient, enfin, imposer au bien nanti le respect du projet
de vie commune dans ses effets et ses conséquences. Selon ta
Fédération, le délai de 18 mois a donné lieu
à des manoeuvres douteuses, tels mensonges, chantage,
harcèlement, menaces déguisées, pour induire le conjoint
à signer le désistement. Prolonger le délai laisserait
planer un doute sur la sagesse de la loi, diviserait les couples mariés
en deux catégories et, enfin, donnerait ouverture à la
manipulation, au chantage et au harcèlement.
Enfin, pour le Barreau du Québec, une loi remédiatrice
comme la loi 146, qui veut corriger la situation d'injustice pour le conjoint
économiquement défavorisé à la rupture de l'union,
se doit d'être d'application générale et immédiate.
Prolonger la période transitoire équivaudrait, selon cet
organisme, à nier ce caractère universel et obligatoire et
à mettre en doute les principes égalitaires qui sous-tendent la
loi. En outre, mentionne le Barreau, une prolongation serait de nature à
alimenter, l'insécurité et ne ferait que perpétuer un
certain harcèlement d'un conjoint envers l'autre, une insistance
exagérée et parfois même un marchandage
éhonté. Il n'en résulterait qu'insécurité,
indécision et climat d'hostilité chez certains couples. Ces
motifs sont suffisants pour que le Barreau, entre les possibilités de
maintenir le délai prévu par là loi, de prolonger ou de
permettre à tous les couples de pouvoir, sans exception, s'exclure de
l'application de la loi, se prononce pour le maintien du délai
actuel
M. le Président, au terme de ces audiences, il ressort donc que
c'est au nom des principes de base régissant la loi pour favoriser
l'égalité économique des époux que la très
grande majorité des intervenants qui ont présenté des
mémoires, se prononcent en faveur du maintien de la date d'expiration du
délai, soit le 31 décembre 1990.
De plus, à l'instar du gouvernement qui,
depuis plus de 15 mois, a déployé des efforts pour bien
faire connaître la loi et ses effets sur la situation personnelle de
chaque couple, les six organismes qui ont fait valoir leur position devant
cette commission ont souligné dans leur mémoire qu'ils avalent
mené des actions d'information auprès de leurs membres et du
public, et que l'information avait été suffisante compte tenu des
ressources.
J'oserais ajouter que cette information a été plus
qu'adéquate. À plusieurs égards, en effet, on peut dire
que la loi sur le patrimoine familial fait partie de l'actualité et
qu'elle est entrée dans les moeurs du Québec. Sujet
d'actualité puisque le magazine télévisé
très prestigieux Le Point y a consacré deux émissions.
Sujet public, s'il en est un, puisque même un téléroman
très écouté y consacrait, sous le couvert de l'humour,
toute une émission, la semaine dernière.
Les actions continues d'information des ministères et des
organismes du milieu sont, à n'en plus douter, largement suffisantes
pour donner aux membres de l'Assemblée nationale l'assurance que la loi
pour favoriser l'égalité économique des époux est
maintenant largement connue. Depuis l'entrée en vigueur de la loi 146,
en juillet 1989, environ 23 000 couples se sont prévalus de la mesure
transitoire pour renoncer d'avance au partage du patrimoine familial, soit 1,75
% de tous les couples mariés. Une proportion peu importante de couples,
mais un nombre assez significatif pour démontrer que les couples ont eu
suffisamment d'information et de temps pour se prévaloir de cette
disposition transitoire.
Aucun organisme que nous avons entendu aujourd'hui n'a fait la preuve
que l'information sur la loi a été insuffisante et que, pour
cette raison, l'échéance devait être prolongée. Au
contraire, je pense que c'est avec soulagement que la majorité de ces
organismes et des gens qu'ils représentent verront arriver, le 31
décembre 1990, une période plus calme et plus sereine au cours de
laquelle la loi pourra atteindre ses objectifs. Rien ne démontre non
plus qu'après cette date il ne nous incombera plus de poursuivre des
actions d'information sur une base continue. Plusieurs intervenants s'y
consacrent d'ailleurs déjà: le Secrétariat à la
condition féminine, le Conseil du statut de la femme, la Régie
des rentes du Québec, la CARRA, les administrateurs de régimes
privés de retraite, le Barreau, la Commission des services juridiques,
la Chambre des notaires, l'Ordre des comptables agréés, les
groupes familiaux, les groupes de femmes et de nombreux autres organismes du
milieu. De plus, des comités ont été mis sur pied pour
assurer le suivi de la loi.
Depuis 1985, le gouvernement a posé de nombreux gestes qui
démontrent sa volonté de rétablir un certain
équilibre entre les droits économiques des époux et
d'assurer un meilleur partage de la richesse familiale. La loi pour favoriser
l'égalité économique des époux, votée
à l'unanimité par l'Assemblée nationale, illustre que
cette volonté est également partagée par tous les
députés. À la lumière de ce que nous avons entendu
aujourd'hui, il m'apparaît donc que l'information qui a été
fournie a été à la fois pertinente et suffisante, et
qu'aucune prolongation ne serait justifiée. Au contraire, les
intervenants m'ont convaincue qu'une telle prolongation risquait d'avoir
plusieurs effets préjudiciables. J'en conclus donc que l'orientation de
base du gouvernement doit être maintenue.
Et je termine, M. le Président, en remerciant très
chaleureusement les membres de la commission, tous les intervenants qui ont
prêté leur concours à cet exercice. Également, je
m'en voudrais de ne pas souligner le travail exceptionnel et le support
constant que j'ai eu du Secrétariat à la condition
féminine, ainsi que de l'équipe politique qui m'entoure.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Dauphin): Merci, Mme la ministre. Sans
vouloir prolonger le délai qui nous a été imparti comme
commission, à mon tour, comme président, j'aimerais remercier
tous les membres de la commission, vous également Mme la ministre, la
porte-parole de l'Opposition, Mme la députée de Terrebonne, Me
Lucie Giguère, secrétaire de la commission, Mme Beauregard, qui
est d'un support incommensurable pour notre commission, et vous dire, en
terminant, que nous ajournons nos travaux sine die et que la commission des
institutions a accompli son mandat. Merci. Bon retour et à
bientôt.
(Fin de la séance à 21 h 16)