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Version finale

33rd Legislature, 1st Session
(December 16, 1985 au March 8, 1988)

Friday, May 22, 1987 - Vol. 29 N° 60

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes relativement à l'entente constitutionnelle du lac Meech


Journal des débats

 

(Dix heures dix-huit minutes)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

Nous entamons notre septième séance sur le mandat qui nous a été confié par l'Assemblée, soit d'entendre les représentations des groupes, des individus et des organismes relativement à l'entente intervenue au mois d'avril 1987, au lac Meech, concernant la constitution du Canada.

L'ordre du jour pour aujourd'hui se lit comme suit: Mouvement Québec français. Je vois que les représentants sont déjà parmi nous. Je les invite à prendre place à la table des invités.

Subséquemment, nous entendrons M. Yves Fortier, juriste. À 14 heures, M. Guy Tremblay, professeur de droit constitutionnel à l'Université Laval. À 15 heures, l'Union des écrivains du Québec et à 16 heures, l'Union des artistes.

Je demanderais aux représentants des deux partis de se consulter. Une demande a été faite de devancer légèrement nos travaux de la séance de l'après-midi pour les faire commencer autour de 13 h 30 ou 13 h 45. Je demanderais donc aux partis de se consulter à ce sujet. J'aviserai avant la fin de nos travaux de cet avant-midi.

M. Marcil: De faire en sorte que tout te monde soit là.

Une voix: Moi, j'ai un problème parce que j'ai une réunion à midi...

Le Président (M. Filion): Donc, aussitôt qu'une entente intervient entre les partis, s'il y a lieu, j'apprécierais en être informé pour que nous puissions aviser notre premier invité de cet après-midi de bien vouloir se rendre un peu plus tôt si cela lui était loisible.

Je reconnais M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Est-ce que le ministre accepterait cinq minutes de questions au sujet des textes?

M. Rémillard: ...non, on est ici. Je voudrais quand même...

M. Johnson (Anjou): Oui? Non, vous n'acceptez pas cela.

M. Rémillard: ...on est pris au point de vue du temps. Vous venez de nous parler. Lundi prochain.

M. Johnson (Anjou): Alors, lundi prochain, c'est cela. Si cela ne marche pas la semaine prochaine... Peut-être après la signature de l'accord, on pourra parler.

M. Rémillard: Si vous voulez, on a des invités. Soyons polis envers nos invités. Vous me mentionnez une question de temps, alors qu'est-ce que vous voulez?

M. Johnson (Anjou): Je pense que le ministre n'a pas de leçon à faire au sujet de la politesse à l'égard des invités, il le reconnaîtra. Alors, nous sommes prêts, M. le Président.

M. Rémillard: Allons, procédons donc!

Le Président (M. Filion): Donc, devant cette absence de consentement sur des questions relativement au texte juridique, je reconnais déjà M. Guy Bouthillier, politicoloque et porte-parole du Mouvement Québec français. Je voudrais lui souhaiter la plus cordiale des bienvenues à cette consultation particulière. Je l'inviterais, bien sûr, à nous présenter les personnes qui l'accompagnent et également à nous présenter, dans un laps de temps d'environ 20 minutes, son exposé, à la suite de quoi, nous pourrons procéder aux échanges de propos et discussions avec les membres de cette commission.

Mouvement Québec français

M. Bouthillier (Guy): Merci, M. le Président. Mesdames et messieurs de la députation, vous connaissez le Mouvement Québec français, il est composé des dix organismes que vous savez, issus du milieu du travail, du milieu de l'enseignement, du milieu de la vie artistique, intellectuelle et culturelle. Plusieurs de ces mouvements ont été invités, et sont venus ou viendront ici. C'est pourquoi nous avons, aujourd'hui, une délégation - appelons-la restreinte composée, à mon extrême droite et donc à votre extrême gauche, de mon ami, M. André Gaulin, qui représente le MQF, l'Association québécoise des professeurs de français; à ma droite immédiate, M. Maurice

Boucher, qui s'occupe de formation à la CSN et qui représente ici la CSN; à mon immédiate gauche, mon ami Henri Laberge, qui est le délégué de la Centrale de l'enseignement du Québec et qui assure la liaison entre la CEQ et le Mouvement Québec français.

Vous connaissez aussi le Mouvement Québec français qui existe depuis une quinzaine d'années et qui, depuis une quinzaine d'années, met tous ses efforts à atteindre l'objectif du Québec français et qui, pour y arriver, combat tout ce qui vient faire entrave à cet effort. Depuis le projet de loi 63, de très triste mémoire, jusqu'au tout récent projet de loi 140 en passant - il ne faut pas l'oublier et peut-on l'oublier -par la loi 22 de 1974. Cela a été le fil de l'action du Mouvement Québec français. Dans son opposition à toutes les entraves, vous le retrouvez ce matin, si vous voulez, s'opposant au lac Meech et il vous expliquera dans son mémoire pourquoi et pour quels motifs il s'oppose à la signature de cette entente.

Mais il faut savoir aussi que le combat pour le français, qui n'est pas un combat facile à mener, on s'en rend compte, peut certes se mener en circuit fermé - c'est pourquoi nous vous remercions de nous avoir invités ici - mais il doit d'abord être mené au grand jour, sur la place publique, car il suppose l'accord profond de l'ensemble de la population, sans quoi on ne fait rien en matière de combat linguistique, en matière de promotion linguistique. C'est du reste précisément parce qu'il faut sortir l'affaire des circuits fermés pour la mettre résolument sur la place publique que le Mouvement Québec français organise, lundi soir prochain, à Montréal, au Plateau, et, mardi soir prochain, à Québec au centre Durocher, un rassemblement populaire auquel il invite, bien entendu, toute ta population et d'abord - nous le souhaitons vivement - tous et chacun d'entre vous, mesdames et messieurs.

Le Mouvement Québec français n'est pas - je crois qu'il faut le souligner - la simple et banale addition comptable des forces qui le composent. Le Mouvement Québec français est le résultat et il est peut-être plus encore le symbole de l'alliance des forces sociales, des forces nationales, des forces intellectuelles, des forces culturelles. Cette alliance des forces sociales et des forces nationales qui s'est constituée dans les années soixante - elle est nouvelle dans notre histoire - a déjà beaucoup fait pour la défense et la promotion du français depuis une quinzaine d'années. Cette alliance est capitale pour la suite du combat pour la promotion du français. C'est ce que nous voulions dire ici, ce matin, en préalable, c'est ce que nous dirons aussi lundi et mardi soir prochains, là où vous savez.

Je vous présente le mémoire du Mouvement Québec français, et je ne sais pas s'il vous a été distribué. Le français, vous le savez - tout le monde le dit et le reconnaît - est menacé au Québec. Que ce soit notre histoire, notre situation géopolitique, notre orientation extérieure - il ne faut pas l'oublier - qui, en nous mettant en concurrence, en opposition avec la langue anglaise, langue forte, sûre d'elle-même et conquérante, conjuguent leurs effets pour créer une formidable inégalité de fait au profit de l'anqlais et contre le français.

Oui, cette formidable inégalité de fait, au lieu d'être atténuée, corrigée en quelque sorte par le droit, comme ce serait en principe le rôle, la mission du droit, est alourdie, aggravée, rendue plus lourde encore par l'ordre constitutionnel canadien qui, dans cette affaire, vient encore une fois donner des armes à Goliath contre David. Cela était vrai du système constitutionnel de 1867, et cela l'est plus encore de celui de 1982 auquel on voudrait aujourd'hui nous voir adhérer.

Puisque le français est menacé, il faut le défendre. Parce qu'on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même, c'est tout naturellement au peuple du Québec, dont c'est la langue, et aux pouvoirs publics qui en sont l'expression la plus fidèle, c'est-à-dire vous, messieurs et mesdames, qu'il revient d'agir.

Le peuple du Québec, ce premier et indispensable acteur du combat linguistique, a démontré et démontre tous les jours son attachement et sa détermination à lutter pour sa langue. Deux siècles d'histoire - ceux qui ont déjà été évoqués ici par d'autres -sont là pour en témoigner, au fil desquels le peuple du Québec a compris et fait comprendre aux autres qu'il voulait qu'au Québec il y ait du français partout, du français pour tout et du français pour tous. Dans leur difficile lutte pour leur langue, les Québécois ont le droit de compter sur l'action d'un État qui vienne fixer le but, organiser l'action et, surtout, soutenir les volontés de chacun et de chacune. Du reste, toutes les formations politiques qui se sont succédé à Québec, au gouvernement du Québec depuis le 22 juin 1960 l'ont affirmé. Si, malheureusement, elles n'ont pas toujours eu la main heureuse au moment d'agir, elles ont toutes montré qu'il fallait mettre le poids de l'État au profit de la seule langue menacée, le français. Pour défendre le français, l'État du Québec dispose de pouvoirs réels, mais de pouvoirs limités. On se bornera ici, devant une commission qui s'intéresse à la constitution, à souligner deux ordres de limites qu'impose la constitution canadienne.

Premier ordre, tout le domaine qui est imparti à l'autorité fédérale échappe à l'action francisatrice du Québec. Cela

englobe des domaines importants pour une action linguistique comme le domaine public fédéral. Pensez au comportement actuel de Petro-Canada, par exemple, au domaine de la réglementation de la radio, de la télévision et des communications générales, aux procédures de naturalisation et, je serais porté à ajouter, depuis hier après-midi, au domaine de nos rapports avec les peuples autochtones. Ce vaste domaine qui échappe à l'action francisatrice du Québec et qui sera peut-être étendu encore - qui sait? - à la faveur de ce qui s'est dit et de ce qui s'est préparé au lac Meech relativement au pouvoir de dépenser de l'autorité fédérale. Cela, c'est le premier ordre de limites imposées à l'action du Québec.

Le deuxième, même dans le domaine qui lui est pourtant imparti, clairement reconnu dans la constitution, le Québec voit son action linguistique bridée, entravée, limitée par des dispositions constitutionnelles. On en mentionnera trois: la première, la compétence du Québec sur ses propres institutions politiques, judiciaires, parlementaires, vous le savez, est limitée par l'article 133, le vieil article poussiéreux 133 de 1867.

Deuxième ordre, la compétence du Québec en matière d'éducation qu'on a limitée si opportunément en 1982 par l'article 23, comme vous le savez. Enfin, la compétence du Québec en matière de réglementation du commerce intérieur qu'est venue limiter tout aussi opportunément la charte de 1982. Cette énumération, malheureusement, n'est probablement pas exhaustive.

Sans doute se trouve-t-il d'autres entraves actuellement cachées, embusquées sous quelque article d'apparence innocente et que découvriront bien, tôt ou tard, nos tribunaux. Ces pouvoirs qu'il n'a pas, le Québec en a besoin. Il en a besoin s'il veut donner une orientation résolument française à sa politique linguistique, car toutes ces dispositions constitutionnelles viennent, soit limiter la portée de l'action législative, soit - et c'est peut-être plus grave encore -contredire l'indispensable effort de pédagogie politique en faveur du français, soit - encore plus grave - entretenir le doute dans tes esprits sur la légitimité de l'effort entrepris pour le français.

Or, l'entente du lac Meech ne répond pas, mais pas du tout, à cette exiqence. Non seulement, en effet, ne propose-t-elle aucun pouvoir nouveau en matière linguistique, mais encore elle maintient haut et fort toutes les entraves que l'on sait et qui servent si efficacement à brider l'effort du français dans son difficile combat avec l'anglais.

Rien, donc, dans l'accord du lac Meech, rien donc en matière de compétences nouvelles qui pourrait justifier cet accord à nos yeux. Â la place et, en quelque sorte, en prix de consolation, qu'est-ce qu'on nous offre? Une incertaine phrase relative à une incertaine société distincte, ce qui est d'autant plus inacceptable que cette disposition ne présente qu'une valeur interprétative qui, à ce titre, entrera forcément en concurrence avec d'autres dispositions de la constitution et, notamment - le voilà qui revientl - cet article 133 qui n'a sans doute pas encore épuisé toute sa valeur interprétative pour l'ensemble de la constitution; cette phrase que l'on nous offre, qui dessaisit l'autorité politique que vous êtes et les citoyens que nous sommes de cette question fondamentale, entre toutes, de la définition qu'un peuple veut donner de lui-même, enfin cette phrase, cette quelconque phrase qui est vague, ambiguë et qui annonce fort probablement un Québec bilingue, comme certains l'ont déjà affirmé ici même ou ailleurs, aucun pouvoir nouveau, une déclaration vide et probablement même dangereuse. Voilà ce qu'on voudrait nous présenter comme un moment historique.

Non, que l'on ne compte pas sur le Mouvement Québec français, que l'on ne compte pas sur ceux qui composent le MQF pour jouer les dupes. Ce que le MQF demande, à l'occasion des actuelles discussions constitutionnelles, c'est d'abord que l'on libère l'Assemblée nationale des entraves que la constitution prévoit depuis longtemps aussi bien que celles qu'elle s'est inventées en 1982 et qui empêchent le Québec d'agir dans son propre domaine. C'est ensuite que le Québec engage avec ses partenaires les discussions constitutionnelles relatives aux transferts de pouvoirs en direction du Québec qu'une politique linguistique efficace doit supposer. Il y a là, nous semble-t-il, un préalable à toute signature d'entente constitutionnelle et c'est aux autorités québécoises d'exiger d'y mettre le temps qu'il faudra pour permettre au Québec tout entier de s'exprimer là-dessus.

L'accord du lac Meech, c'est, à l'évidence, la constitution du bilinguisme. C'est aussi la constitution de la résignation. Il suffit, pour s'en convaincre, d'entendre les propos de tous ceux qui viennent ici, ou ailleurs, dire: Dans les circonstances et compte tenu de la réalité actuelle, c'est tout ce qu'on pouvait obtenir de mieux. C'est la constitution du bilinguisme. C'est la constitution de la résignation. C'est aussi la constitution de l'horizon bouché, c'est-à-dire d'un point d'aboutissement. On ne présente pas, on ne voit pas dans le projet du lac Meech un point de départ vers une plus grande francisation du Québec. C'est le point d'aboutissement. C'est la fermeture d'un processus historique engaqé depuis longtemps, en tout cas, disons depuis le 22 juin 1960. C'est un peu la montaqne qui viendrait d'accoucher de sa souris.

À la place de cette constitution dont

nous ne voulons pas, ce que nous voulons, nous, du MQF, c'est un Québec français. Cette idée du Québec français est, de toute évidence, difficile à réaliser tant elle fait face à des obstacles et tant elle heurte des intérêts et des habitudes acquises de part et d'autre. Mais cette idée du Québec français est exaltante, exaltante par le but qu'elle fixe, car ce que le Québec demande, c'est de bâtir ici une société qui se distinguera de toutes celles qui nous entourent, la seule, en tout cas, capable d'apporter à l'Amérique du Nord un élément vivant, crédible et permanent de différence culturelle.

Cela, ce Québec français, nous le voulons, bien entendu, pour le Québec lui-même, pour en extirper les indifférences, les hostilités et aussi les ségrégations. Mais nous savons aussi qu'un Québec français ne pourra qu'être utile au Canada anglais qui, dans la lutte qu'il mène pour son identité nationale, a droit de trouver à côté de lui un allié fort et sûr. Nous savons aussi que le combat que nous menons servira la cause de toutes les langues et de toutes les cultures qui, partout dans le monde, subissent la même pression que nous et, ils puiseront dans nos luttes et dans nos succès la preuve que le combat est nécessaire et que la victoire est possible, à la condition, bien entendu, que le peuple du Québec se retrouve uni derrière les mêmes objectifs et d'accord sur les mêmes moyens d'atteindre ces objectifs.

M. le Président, mesdames et messieurs, je vous remercie de l'attention que vous avez bien voulu porter à la lecture de ce mémoire.

Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M. Bouthillier.

Chacune des formations dispose de 21 minutes. Je vais reconnaître maintenant M. le ministre des Relations internationales et ministre délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes.

M. Rémillard: Merci, M. le Président, merci M. Bouthillier, merci messieurs d'avoir accepté de venir témoigner devant nous, ce matin, sur cette entente du lac Meech. Vous représentez des organismes membres. À la fin de votre mémoire vous énumérez ces organismes membres et je les cite: L'Alliance des professeurs de Montréal; nous les avons entendus. L'Association québécoise des professeurs de français; nous ne les avons pas entendus. La Centrale de l'enseignement du Québec; nous les avons entendus. La Confédération des syndicats nationaux; nous les avons entendus. La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec; nous les avons entendus. Le Mouvement national des Québécois; nous les avons entendus. La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal; nous les avons entendus. L'Union des artistes; on les entendra. L'Union des écrivains québécois; on les entendra. L'Union des producteurs agricoles; nous les avons entendus. Donc, des organismes membres de votre Mouvement Québec français, il y a une association que nous n'avons pas entendue, c'est l'Association québécoise des professeurs de français.

M. Bouthillier, nous vous avons écouté attentivement. Vous mentionnez dans votre exposé, à la paqe 5, je crois: "Aucun pouvoir nouveau n'est donné par cette entente du lac Meech." Je voudrais simplement porter à votre connaissance certains points de l'entente du lac Meech qui, manifestement, M. Bouthiller, donnent des droits nouveaux et importants au Québec. En ce qui regarde, par exemple, l'immigration, ce matin le journal Le Devoir titrait: "Taux de fécondité, la chute s'arrête, sauf au Québec." C'est une situation très difficile pour le Québec. Nous avons un taux de fécondité de 1,4 % alors que normalement il faudrait 2,1 %, 2,2 % à une société industrialisée comme la nôtre pour maintenir simplement notre poulation.

En matière d'immigration, nous avons obtenu que le Québec puisse sélectionner ses immigrants, sélectionner les immigrants qui demandent à immigrer au Québec de l'extérieur du Canada et même aussi ceux qui sont déjà sur place, soit 30 % de nos immigrants.

J'attire votre attention de façon plus spécifique, M. Bouthillier, sur le fait que nous recevons par cette entente la compétence, les pouvoirs de prendre les mesures d'intégration nécessaires pour donner à ces immigrants le qoût de demeurer avec nous, parce que près de 50 % de nos immigrants quittent le Québec pour une autre province. (10 h 45)

Quand vous dites que l'entente du lac Meech ne prévoit rien sur la langue française, le premier point que je voudrais relever pour vous, c'est ce pouvoir de donner des cours de français aux immigrants. Le qouvernement fédéral donnait des cours selon un programme à des immiqrants travailleurs en fonction de leur travail, mais on ne donnait pas de cours de français à la mère qui demeure à la maison, qui s'occupe de la famille. Elle ne pouvait donc pas s'intégrer à la société. Maintenant, avec ma collèque responsable du ministère de l'immiqration et des Communautés culturelles, il y aura un véritable plan d'intéqration avec des cours de français, des cours de formation et autres pour intégrer ces immigrants à la société québécoise. Donc, quand vous me dites qu'il n'y a rien sur la langue française, attention, M. Bouthillier, il y a là un point qui est très important.

D'autre part, en ce qui regarde le caractère distinct du Québec, à vous entendre parier, j'ai l'impression qu'il aurait peut-être mieux valu avoir simplement la mention "société distincte" dans le

préambule, comme le Parti québécois le voulait. Même nous, dans notre programme électoral, on avait dit: C'est cela qu'on va demander, mais on a négocié pour plus et on a obtenu beaucoup plus. Il s'agit d'une règle d'interprétation qui est dans la constitution même, donc qui a une valeur interprétative de toute la constitution en plus d'être une règle obligatoire pour le tribunal.

Quand vous me dites qu'il n'y a pas de pouvoirs nouveaux pour la langue française, ce n'est pas tout à fait exact, M. Bouthillier. Au contraire, vous avez là, dans la reconnaissance du Québec comme société distincte qui est essentiellement, fondamentalement distincte par sa culture, par sa langue française, vous avez là, dis-je, une assise juridique pour défendre la langue française que le Québec n'avait pas. D'autant plus, et cela, je ne vous l'ai pas entendu dire, qu'il faut relier cette société distincte è ce nouveau rôle qui, pour la première fois, est attribué à l'Assemblée nationale et au gouvernement dans la constitution, de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise. Ce qui veut dire, M. Bouthillier, qu'il y a là une assise juridique solide, efficace pour défendre la langue française. Il est évident que le Québec a compétence sur sa langue. On n'a pas à réclamer des choses qu'on a déjà.

Il y a l'article 133, il y a l'article 23 de la constitution de 1982 sur la clause Canada, on l'accepte. La clause 133 sur le bilinguisme dans les Parlements, à l'Assemblée législative et devant les tribunaux, on l'accepte. Mais dans les cas où il pourrait y avoir à interpréter ce bilinguisme qui est exceptionnel, parce que le Québec est une province officiellement unilingue française - la loi 101 est là pour en témoigner - vous avez là, par cette entente du lac Meech, une assise importante pour défendre cette langue officielle, le français.

Si l'article 133, comme cela peut être le cas pour tous les articles de la constitution, devait porter à interprétation, comme nous l'a si bien dit le professeur et doyen de la Faculté de droit de Montréal, le professeur Chevrette, un expert en droit constitutionnel de grande réputation... voilà une référence, une assise juridique de première importance pour le Québec pour plaider la reconnaissance de certains droits en fonction d'une interprétation de l'article 133.

Voilà donc, M. Bouthillier, ce que je voulais vous dire dans un premier temps. Le Québec est une province dont la langue officielle est le français, et l'entente du lac Meech va permettre de consolider, va consolider cette langue française parce qu'elle reconnaît pour la première fois le rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement de la protéger et de la promouvoir.

Quand on a un rôle, M. Bouthillier, on a une responsabilité et cette responsabilité est évidente de par ce que nous sommes comme société distincte.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre. M. Bouthiller, si vous voulez réagir ou n'importe quel autre membre de votre groupe.

M. Bouthillier: Agir ou réagir, comme vous voudrez. Je voudrais d'abord souhaiter la bienvenue à Claude Ducharme, vice-président de la FTQ qui vient de se joindre à notre délégation.

M. Rémillard: C'est la deuxième fois que M. Ducharme nous visite. Bienvenue, M. Ducharme.

Une voix: Jamais deux sans trois.

M. Bouthillier: Je ne sais pas la signification profonde de cette intervention du ministre, mais cela me rappelle qu'il a commencé son intéressante intervention, tout à l'heure, par une énumération, celle de nos dix orqanismes constituants. Qu'est-ce qu'il y avait de caché dans cette énumération de sa part, sinon peut-être l'idée de nous donner l'impression d'un double emploi, d'une redondance, d'une répétition, d'un psittacisme? Je rappelle quand même ce que je disais au début: que la signification du MQF, c'est cette alliance, ce travail intime, étroit, de toutes ces forces différentes par leurs activités, par les milieux, qui se regroupent sur la question de la lanque et qui en parlent comme un seul homme.

Si vous regardez l'histoire du difficile combat que nous menons pour le français et contre l'anglais en Amérique du Nord, vous verrez qu'une date capitale se situe précisément autour des années soixante, quand les forces sociales, appelons-les comme cela, ont décidé d'accaparer la question linguistique, de s'en emparer, d'en faire leur chose. Cela cessait, dès lors, d'être une pure et simple question de beau langage ou le sujet de dissertations dans les collèges classiques. Cela devenait quelque chose qui s'inscrivait dans le rapport de forces sociales, et c'est d'ailleurs pourquoi c'est une question aussi délicate dans la vie politique canadienne et dans les rapports entre le Québec français et le Canada anglais.

Ensuite, dans votre intervention, vous avez parlé de l'immigration. Très bien! On aurait pu techniquement, effectivement, rédiger un rapport, appeler l'attention sur la constitutionnalisation, comme on dit, ou l'enchâssement, comme on dirait d'un mort, de l'entente Couture-Cullen. On a dit bien des choses. Je pense que l'intégration des immigrants, cette chose qui est si importante et si capitale pour tout le Québec,

notamment pour le Québec qui vit à Montréal, bien sûr qu'elle peut se faire par des programmes ponctuels, par les articles 72 et 73 de la Charte de la langue française, par un COFI qui serait entièrement québécois, par d'autres mesures aussi, mais attention! L'intégration d'un immigrant se fait par l'ensemble de la société et par ce que l'immigrant voit de cette société, par ce qu'il y comprend. Ce n'est pas parce qu'il aura passé six semaines ou six mois dans un COFI, à raison de trois heures par jour ou par semaine, qu'il sera intégré à la société française. Malheureusement, on sait que certains passent au COFI - bien, pour faire un petit peu de français, ce n'est pas entièrement inutile - pour ensuite se retrouver dans les circuits de la vie, à toutes fins utiles, unilingues anglais de Montréal.

L'intégration de l'immigrant se fait par tout ce qu'il voit. Qu'est-ce qu'il voit? Il voit qu'il est dans un État fédéré, un État provincial qui a inscrit au coeur, au sommet de ses institutions politiques, le principe de l'égalité des langues. C'est ce que veut dire l'article 133. Dans la réalité concrète, il ne dérange peut-être pas beaucoup. Bien sûr, il doit déranger un certain nombre de Lomer Pilote, mais disons que, pour l'instant, ce n'est pas cela qui est le plus grave. Ce qui est le plus grave, je crois, c'est ce que signifie un article 133 qui dit: Au sommet -car c'est bien au sommet de l'État que se trouve l'Assemblée nationale et les tribunaux, et les choses qui se passent au sommet finissent par avoir valeur d'exemple pour l'ensemble de la société - on a inscrit le principe de l'égalité absolue de l'anglais et du français. L'immigrant le sait. Il peut lire toutes les lois du Québec uniquement en anglais. Il peut être jugé par le tribunal uniquement en anglais. Qu'est-ce qu'il voit ensuite autour de lui, dans la rue - il est plus souvent dans la rue que devant les tribunaux, Dieu merci - ou qu'est-ce qu'il verra peut-être bien dans la rue si telle ou telle idée de tel ou tel parti politique se réalise? Il verra un paysage urbain du commerce, de l'industrie et des affaires entièrement bilingue, si ce n'est pas déjà en train de se faire. (11 heures)

Comment, dans ces conditions, voulez-vous convaincre un immigrant qui arrive? D'autant plus que, regardez les courants actuels de l'immigration, ils nous viennent de pays déjà marqués par la langue anglaise: Sri Lanka, le Pakistan, les Antilles ex-britanniques. Même lorsqu'ils viennent de pays qui ne sont pas marqués par la langue anglaise - je pense aux réfugiés en ce moment des pays d'Amérique centrale -comme la géographie fait que, pour venir chez nous, ils doivent passer par les États-Unis, ils y restent un an ou deux jusqu'au jour où les Américains les invitent - et c'est une litote - à partir, ils sont déjà marqués par un an, deux ans, trois ans de présence dans une société anglophone dont ils ont commencé à apprendre la langue, si déjà ils ne la savaient pas très bien, ces gens sont dans cette société ou sont déjà marqués et ont déjà une inclination naturelle, je la comprends, pour la langue concurrente qu'est l'anglais pour nous. Les mettre dans un COFI en disant: C'est le fric du Québec et c'est même plus le fric d'Ottawa; tout cela est décidé par la rue McGill et pas du tout par Ottawa, formidable, mais probablement, si vous voulez, totalement insuffisant parce qu'il y a tout le reste. On pourrait ajouter davantage à notre description, du reste, qui fait que cet immigrant voit la situation dans laquelle il se trouve. Je ne parle même pas de la situation dans laquelle il se trouve le soir chez lui quand il appuie sur les boutons du téléviseur, etc. On pourrait multiplier les exemples. Cette société - je me reporte à ce que je disais - la société française du Québec est en concurrence avec ce Goliath de la langue anglaise, un Goliath extérieur mais aussi intérieur. Le droit vient renforcer précisément les positions et autoriser en quelque sorte la libre concurrence des langues. Eh bien, la liberté de concurrence des langues joue toujours, vous le savez, au profit du plus fort.

Maintenant, vous avez parlé du nouveau rôle que vous vous donnerez. Je n'insisterai pas sur le mot "rôle" par opposition à celui de responsabilité. Je n'insisterai pas sur le vague de la société distincte, qui n'est pas définie, alors que la dualité, elle, semble l'être en matière linguistique. D'autres que moi l'ont fait avant moi, etc. Bon, très bien. Vous avez insisté sur le rôle du gouvernement en disant: Vous pouvez dormir en paix, messieurs du MQF, nous sommes là. C'est un peu cela que vous dites: Nous sommes là pour défendre le français.

Or, permettez-moi et permettez-nous d'avoir une appréciation différente du rôle que vous exercez et que vous avez exercé jusqu'à maintenant en matière de langue. On sait la politique linguistique qui est menée par l'actuel gouvernement du Québec. On sait avec quelle alacrité il s'est employé non seulement à amnistier les petits enfants illégaux, ce qui allait de soi, mais à transmettre, si vous voulez, le privilège et l'absolution aux générations qui allaient suivre. On sait avec quel plaisir machiavélique le rapport Lalande s'est amusé à défaire l'appareil qui symbolise encore ce qui reste de la loi 101. On sait avec quelle mollesse - et je suis poli en disant mollesse - le gouvernement du Québec a traité la question de l'affichaqe unilingue au Québec. On ne s'en étonnera peut-être pas trop quand on se rappellera que cette loi 6? de très triste mémoire est une loi que vous avez

votée et approuvée, que le projet de loi 22 que vous avez adopté en 1974 a été la loi de la chèvre et du chou, a été la loi du bilinguisme et non du Québec français.

Il y avait des mots dans le bill 22, et d'abord le titre: le français, langue officielle, la loi de la langue officielle. C'est rassurant en apparence, mais l'étiquette est là et le contenu ne suivait pas. La France dont vous parliez tout à l'heure, M. le ministre, me rappelle effectivement Shakespeare: À la place de pouvoirs que l'on réclame depuis si longtemps, on nous donne des mots, "words, words, words". Et tout le reste n'est que littérature, répondit trois siècles plus tard Verlaine.

Vous avez parlé de M. Chevrette tout à l'heure, mon collègue et néanmoins ami, François Chevrette. Qu'est-ce qu'il est venu dire hier, sinon que la phrase de la société distincte sous le parapluie de la dualité linguistique est une photographie et la photographie de ce que le Canada anglais accepte du Québec sur le plan linguistique? Un Québec a prédominance tant qu'il voudra bien l'être prédominant, mais un jour il ne le sera peut-être plus. Un constat de fait, un Québec à prédominance française; mais, ne touchez pas à l'anglais. Pas un Québec de l'unilinguismel Or, la position de tant et tant de socio-linguistes, la position de tant et tant de mouvements de combat, la position du MQF, c'est que si l'on n'introduit pas des éléments d'unilinguisme dans la société québécoise, des éléments d'unilinguisme dans l'État, des éléments d'unilinguisme dans le visage commercial, des éléments de francisation du travail - cela est capital, on n'en parle pas assez - des éléments de francisation dans l'école, cette volonté d'ouverture qu'exprimait très bien la loi 101 concernant l'école française qui devenait l'école, à toutes fins utiles, pour tous, pas seulement pour les petits- Canadiens français, mais l'école pour tous, tous les nouveaux... On acceptait, bien sûr, que les enracinés du Québec, les Québécois, les anglophones historiquement, pour reprendre le mot de Michel Goldbloom, les Québécois historiquement enracinés, très bien, mais que tous les autres, y compris - c'était peut-être cela le sacrilège - les Watson et les Thompson de Toronto allaient venir s'asseoir dans nos écoles, à côté de nos enfants. Mais non! Mais non! On s'est employé, parce que cela avait une signification politique contraire aux intérêts supérieurs de l'organisation fédérale, on s'est employé, dis-je, à contrer cet effort d'ouverture.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie M. Bouthillier. M. le ministre, je voudrais vous informer que...

Une voix: M. le Président, notre temps est terminé.

Le Président (M. Filion): ...l'enveloppe du groupe ministériel est épuisée. Je ne sais pas si vous demandez le consentement pour...

Une voix: Non, cela va.

Le Président (M. Filion): ...d'autres questions. Cela va. M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Oui, M. le Président. M. Bouthillier, merci de votre exposé. On reconnaît vos convictions et surtout votre engagement depuis de nombreuses années, ainsi que celui des collègues qui vous accompagnent, autour de la défense du fait français. Vous allez me donner quelques minutes. J'ai droit normalement è 20 minutes de discussion avec vous. Je vais me permettre d'en prendre près d'une dizaine pour commenter vos propos, mais surtout l'espèce d'aberration que j'ai entendue tout è l'heure venant du ministre qui a dû faire un lapsus sans s'en apercevoir. Par définition, un lapsus, on ne s'en aperçoit pas. Le ministre a dit: "Le Québec est unilingue officiellement, il n'est bilingue qu'exceptionnellement." Mais quelle absurdité! Quelle grossière déformation de la réalité!

L'article 133 n'a pas comme but de permettre à nos collègues d'expression anglaise des comtés de l'ouest de Montréal de parler de temps en temps en anglais dans le Parlement, on n'a pas de problème avec cela, on n'en a jamais eu. L'article 133 de la constitution du Canada a comme objectif très clair d'établir que le Québec est bilinque dans son institution souveraine qui s'appelle le Parlement. Deuxièmement, les tribunaux, deuxième institution d'importance dans notre société, seront bilinques. Troisièmement, l'article 23 de la charte canadienne des droits de 1982 avait un but très précis, la Cour suprême nous l'a dit: c'était de renverser les dispositions de la loi 101 en matière de fréquentation de l'école française ou anglaise. Quatrièmement, il y a la Charte des droits et libertés qui, au chapitre de la liberté d'expression, valorise par-dessus tout une notion inspirée du "age of enlightenment", de l'époque de Locke, Hume et Berkeley en Angleterre, qui met par-dessus tout le droit individuel, y compris la primauté de la liberté d'expression dans l'affichaqe commercial comme étant une liberté essentielle, par-dessus les contraintes qu'impose la loi 101 en matière d'affichage commercial.

Que le ministre nous dise que le Québec est unilingue et bilingue de façon accessoire relève de la pure aberration, ou de la démagogie. Le ministre se présente depuis quelques jours non plus comme un constitutionnaliste, mais comme un politicien. Je dois dire que, de ce côté, ça ne va pas mal.

Pourquoi en est-on là? On en est là parce que, en plus, vous allez le faire confirmer dans le texte, dans cette clause d'interprétation qui donnera lieu, je l'ai dit, à un niveau sidéral d'incertitude devant les tribunaux. Vous avez fait inclure la confirmation du bilinguisme québécois sur le territoire du Québec. La dualité canadienne que vous exprimez ne se retrouve pas dans une conception territoriale du fait français, absolument pas, mais au contraire, dans la plus grande loi du pays, à un article que vous jugez extrêmement important alors que, essentiellement, il ouvre la porte aux tribunaux pour dire ce qu'ils voudront bien dire de ce que veut dire la société distincte.

Au départ, vous donnez un article qui définit fort bien le caractère fondamental de la fédération, c'est-à-dire qu'elle est bilingue. Le ministre vient nous dire, de façon superbe, que le Québec est unilingue et bilingue par accident et par exception. Voyons donc! Le ministre est dans les limbes, il n'est pas sur terre avec nous, il n'est pas allé à Montréal depuis un certain temps, devrais-je dire. Le ministre n'a même pas lu les propos de son collègue de Notre-Dame-de-Grâce, M. Reed Scowen qui, dans la Gazette de ce matin, en réponse à Donald Johnston, comme s'il y avait un grand drame entre les gens de Westrnount en ce moment, vient nous dire: "Johnston - en parlant de Donald Johnston - argues that the clause would permit the Supreme Court to reverse the ruling by the Quebec Court of Appeal which allows the use of bilingual signs, "The experts who have testified at the National Assembly committee have argued unanimously, and sometimes regretfully, that this is not the case. The right to use English as well as French on signs is protected by the Charter of Rights."

Que le ministre ne vienne pas nous dire que le Québec est unilingue et bilingue par exception. La règle dans la constitution canadienne, en vertu de l'article 133, en vertu de l'article 23 de la charte, en vertu du principe de la liberté d'établissement, en vertu de la notion de liberté d'expression et maintenant en vertu de la notion de dualité et de la présence de la communauté anglophone au Québec, dans une règle d'interprétation, vient confirmer le caractère bilingue du Québec. Le ministre peut bien l'affirmer à ses copains en Ontario ou ailleurs en disant: N'ayez pas peur, signez cela, mais qu'il ne vienne pas nous dire cela ici. Cela n'a aucun sens.

Je reconnais, è la limite, ce qui frise, quant à moi, une trituration des textes indigne d'un professeur d'université. Pourquoi est-ce qu'on en est là? On en est là essentiellement parce que vous êtes partis pour le lac Meech sans texte. Vous êtes entrés au lac Meech avec essentiellement des extraits de conférence de presse, les cinq points qui ressemblaient vaguement à une table des matières mal faite, des références tantôt au livre beige, au livre jaune, au livre blanc ou aux éternuements de l'un ou de l'autre depuis cinq ans sur les questions constitutionnelles. Vous deviez vous rendre au lac Meech avec l'intention d'écouter ce que le Canada avait à vous dire, vous êtes sortis de là les deux mains attachées sur les cinq points, et ce qui était des conditions d'adhésion du Québec est soudain devenu une entente de principe.

Cette entente de principe, qui n'est pas au moment où on se parle, complétée, semble-t-il - apparemment, cela négocie fort encore, cela négocie fort notamment parce qu'au Canada anglais, on veut être bien sûr que cela ne veut pas dire que le Québec, comme règle, sera unilingue - cette entente de principe, elle entache le Québec et je vais vous dire que, quant à moi, elle entache le gouvernement du Québec.

Sur la question linguistique, vous chercherez - c'est évident quand on écoute vos propos et ceux du premier ministre -quelque amendement à la formule qui est là et je suis sûr que nous retrouverons d'ici quelques jours, probablement dans un document qui aura coulé de quelque part dans l'entouraqe du premier ministre ou du ministre, un amendement à l'article de la société distincte où le mot "linquistique" sera attaché à la société distincte. Mais on va toujours être dans les limbes de l'interprétation juridique à venir, possible, peut-être, de la Cour suprême dans quinze ans, parce que vous ne serez pas allés au fond des choses.

Le fond des choses, c'est quoi sur la question linguistique? Le fond des choses, c'est de dire au Canada anqlais qu'on veut que le Québec et ce Parlement où nous siégeons, où nous sommes des élus et non pas des juges, ce Parlement décide de toutes les questions linguistiques sur son territoire, que cette société est suffisamment ouverte, civilisée et tolérante pour se préoccuper de la minorité anglophone, mais que cette société ne saurait accepter d'être contrainte par un texte d'une majorité anglophone du Canada qui oblige la minorité francophone à suivre un certain nombre de canons à l'égard de sa propre minorité anglophone. C'est cela qui est en cause. Même si vous obtenez cet amendement cosmétique - et je suis convaincu que vous l'obtiendrez, c'est cela, le fond du tiroir du lac Meech - même quand vous obtiendrez l'amendement cosmétique, vous ne changerez rien à la réalité. Cette réalité, c'est que vous avez renoncé comme gouvernement à demander les pleins pouvoirs de l'Assemblée nationale en matière linquistique. C'est cela qui est en cause.

Je crois que c'est cela que nous dit le

MQF. C'est cela que nous dit cette alliance de force importante au Québec. À partir d'un postulat simple, ces gens croient en la démocratie, ces gens croient en la capacité des élus du peuple québécois de régler les questions linguistiques. Ces personnes du MQF nous disent qu'il faut que vous revendiquiez les pouvoirs pour l'Assemblée nationale du Québec en matière linguistique plutôt que de laisser cela entre les mains, d'une part, du reste du Canada qui ne saurait que faire de nos aspirations linguistiques et, d'autre part, de cette interprétation tellement aléatoire, possible, et des peut-être d'une Cour suprême où il y a encore six juges sur neuf qui ne viennent pas du Québec, même si vous êtes appelés à nommer les juges, éventuellement.

Sur le fond des choses, le Parti libéral du Québec, le gouvernement Bourassa, le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes ont abdiqué et quelque amendement cosmétique que vous obteniez sur une vague clause d'interprétation, l'abdication a eu lieu avant le lac Meech. Demandez les pleins pouvoirs; il n'est pas trop tard. La conférence du 2 juin à huis clos, Dieu sait que cela représentera de la pression sur les épaules du premier ministre du Québec d'être à huis clos, parce qu'il n'aura pas le public québécois avec lui pour défendre le Québec... Le huis clos est dangereux dans les relations fédérales-provinciales pour le Québec; il l'a toujours été. De toute évidence, le ministre n'a pas connu un véritable huis clos des premiers ministres. Il ne s'est jamais assis autour de cette table où le Québec est toujours quelque peu seul ou isolé; cela paraît, d'ailleurs. De voir que tout cela se décidera le 2 juin, au 24 Sussex, dans la maison de M. Mulroney, à huis clos plutôt que sur la place publique, avec une affirmation claire de ce gouvernement que ce n'est pas un amendement cosmétique qu'on veut à la société distincte; ce qu'on veut, c'est des pouvoirs pour le Québec en matière linguistique. De voir cela, je vous avoue que cela ne me rassure pas. Cela ne me rassure pas parce que l'abdication n'est pas loin, ici, de la capitulation en matière linguistique. Ce qu'il faut que vous fassiez, c'est de demander les pleins pouvoirs. (11 h 15)

Je vais m'adresser à M. Bouthillier en lui demandant s'il a l'impression que la clause telle qu'elle est là, et même si elle faisait une vague référence à la notion linguistique, d'après lui, si elle était inscrite aujourd'hui dans la constitution, aurait changé quelque chose à un certain nombre de jugements des tribunaux depuis trois, quatre ou cinq ans et qui ont réduit la portée de la loi 101?

M. Lefebvre: M. le Président.

M. Bouthiller: Non, justement...

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.

Une voix: Pas de passe-droit. C'est assez.

M. Lefebvre: M. le Président, est-ce que je peux tenir pour acquis qu'on aura le consentement de l'Opposition pour permettre au ministre de répondre aux propos du chef de l'Opposition?

Une voix: Non, c'est assez. Ça, il nous fait cela. C'est assez.

Le Président (M. Filion): Bien, je pense...

Une voix: C'est assez.

M. Lefebvre: Est-ce que je peux tenir pour acquis qu'on aura un consentement pour quelques minutes, à la fin de l'intervention, lorsque le temps de l'Opposition sera écoulé?

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin.

M. Rochefort: M. le Président, je suis assez estomaqué d'une telle demande de la part du leader.

M. Lefebvre: Cela vous arrive souvent d'être estomaqué ici.

M. Rochefort: Oui, parce que vous êtes des qens "estomaquants" à tous points de vue.

M. le Président, je suis assez surpris d'une telle demande. Le ministre, qui est le mandataire du gouvernement, le porte-parole du gouvernement, le responsable no 1 des négociations fédérales-provinciales, refuse même de répandre à des questions qui vont engaqer l'avenir du Québec pour des décennies et des décennies quant à la traduction juridique qu'on attend depuis trois semaines. La raison pour laquelle le ministre nous dit: Moi, vous savez, je ne veux pas répondre à cela, c'est parce qu'il n'a pas le courage d'avouer qu'il ne veut pas les mettre sur la table les textes juridiques parce qu'il a peur que les Québécois comprennent la véritable portée de l'entente qu'il a conclue au lac Meech.

M. Lefebvre: M. le Président.

M. Rochefort: Et, M. le Président, si le ministre a des choses à nous dire, il reste des occasions extraordinaires. D'abord, il va reprendre ses arguments d'hier. Il va y avoir 18 périodes de questions d'ici à la fin de la session.

M. Lefebvre: M. le Président, question de règlement.

M. Rochefort: II aime cela répondre aux questions. On pourra faire ça là.

M. Lefebvre: M. le Président, question de règlement.

Le Président (M. Filion): Oui, monsieur...

M. Rochefort: Deuxièmement, M. le Président...

M. Lefebvre: M. le Président, question de règlement.

M. Rochefort: Je vais poursuivre mon intervention.

M. Lefebvre: M. le Président, question de règlement.

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! M. le député de Gouin, sur la question posée...

M. Rochefort: M. le Président, je suis toujours sur la question de règlement.

Le Président (M. Filion): ...la demande de consentement posée.

M. Rochefort: Non, mais, M. le Président, quand même...

M. Lefebvre: Est-ce que je dois comprendre que je n'ai pas de consentement, M. le Président? C'est cela? M. le Président.

M. Rochefort: ...le député de Frontenac a soulevé une question de règlement.

M. Lefebvre: Oui.

M. Rochefort: Il ne s'est pas limité à demander un consentement. 11 a soulevé une question de règlement. Je vais poursuivre ma réponse è sa question de règlement.

M. Lefebvre: M. le Président.

Le Président (M. Filion): En concluant, M. le député de Gouin.

M. Rochefort: Oui, en concluant, M. le Président. II reste quatre autres groupes qui vont se présenter devant nous pour lesquels, j'imagine, le ministre sera suffisamment poli pour leur permettre aussi d'avoir leur droit de parole, comme c'est le droit du MQF d'avoir son droit de parole. Et, M. le Président, si le ministre a des choses à nous dire, il nous les dira au moment des quatre interventions qu'il pourra faire de 20 minutes chacune. Quatre-vinqts minutes seront à sa disposition pour nous faire part de ses points de vue, si jamais il a décidé de nous parler. Pour l'instant, il a décidé d'utiliser son droit de parole, en présence du MQF, pour essayer de souligner que M. Ducharme, cela faisait deux fois qu'il venait nous voir, que tel groupe s'était déjà présenté. Ça, c'est son droit de perdre son droit de parole, mais une fois qu'il le perd, qu'il n'essaie pas de le récupérer, M. le Président, parce qu'il s'aperçoit qu'il a commis une erreur de jugement.

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: M. le Président, je dois comprendre qu'on n'a pas de consentement...

Le Président (M. Filion): C'est cela.

M. Lefebvre: ...dans un premier temps» J'aimerais attirer votre attention sur les propos utilisés par le député de Gouin qui, de toute façon, sont habituels chez lui lorsqu'il parle de démagogie relativement aux propos du ministre qui, je pense, M. le Président...

M. Rochefort: Est-ce que c'est une question de règlement, ça?

M. Lefebvre: ...en aucune façon, ne sont justifiés.

M. Rochefort: Est-ce que c'est une question de règlement, M. le Président?

M. Lefebvre: J'inviterais le député de Gouin à souligner à l'occasion les propos de son propre chef de l'Opposition...

M. Rochefort: M. le Président, est-ce que c'est une question de règlement, ça?

M. Lefebvre: ...à évaluer les propos de son propre chef de l'Opposition, M. le Président.

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît, de part et d'autrel

M. Lefebvre: Démagogie, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Effectivement, vous devez comprendre...

M. Lefebvre: Alors, on n'a pas de consentement.

Le Président (M. Filion): ...M. le leader adjoint, qu'il n'y a pas de consentement. Deuxièmement, je vais me permettre une suggestion pour les deux côtés de cette

table. Lorsqu'il y a une demande de consentement que vous voulez adresser, je vous suggère de l'adresser en temps et lieu. Nous étions à l'intérieur du temps de parole du chef de l'Opposition, temps qui n'est pas épuisé. Encore une fois, pour répondre à votre question, non, il n'y a pas consentement, manifestement, comme on a pu le constater également un peu plus tôt dans la journée, en sens inverse. Deuxièmement, s'il y a des demandes de consentement, je vous prierais de les adresser lorsque l'occasion se présente. Je vais donner à nouveau la parole à M. le chef de l'Opposition pour qu'il puisse continuer sa question à l'adresse de nos invités.

M. Rémillard: Est-ce que le chef de l'Opposition me permettrait juste une petite remarque...

Une voix: Non.

M. Rémillard: ...très brève?

M. Rochefort: M. le Président.

M. Johnson (Anjou): M. le Président...

Le Président (M. Filion): Â l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre!

M. Johnson (Anjou): Non! Absolument pas! M. le Président...

M. Rochefort: M. le Président... M. le Président...

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Johnson (Anjou): Absolument pas!

Le Président (M. Filion): M. le ministre, M. le leader adjoint, MM. les membres de cette commission.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, j'étais en train de poser une question...

Le Président (M. Filion): Allez-y! La parole est à vous.

M. Johnson (Anjou): ...à M. Bouthillier. M. Bouthillier, j'essaie de vous permettre de répondre. J'espère qu'il vous restera un peu de temps. En reformulant ma question, je me permets de dire que vous devez aussi vous livrer à un exercice difficile, étant donné que vous n'avez pas les textes et que ce ministre refuse systématiquement depuis deux jours même d'amorcer quelque dialogue que ce soit sur la question des textes.

Néanmoins, vous avez préparé un mémoire sans les textes. Il ne saurait nous reprocher de lui refuser des consentements à ce qu'il vienne ergoter à nouveau sans nous produire les textes et sans accepter d'engager un dialogue sur les vrais textes. Je vous demandais, M. Bouthillier si, dans votre esprit, la clause d'interprétation - parce que c'est ce dont il s'agit, ce n'est pas du droit substantif - était là, même avec une référence à la langue, est-ce qu'à votre avis cela aurait changé quelque chose dans l'ensemble des jugements que les tribunaux ont rendus et qui ont eu comme effet de débâtir une bonne partie de la loi 101?

M. Bouthillier: Non. J'ai l'impression que c'est la photographie de la situation de la loi linquistique actuelle, c'est-à-dire de la loi 101 tronquée de tous les éléments que l'on sait. Ce qui m'intéresse aussi, ce n'est pas tellement ce qu'aurait été le passé récent, c'est ce que pourrait bien être l'avenir. Avec une formule comme celle-là, on renvoie, on dessaisit, on l'a dit, l'opinion publique, les élus, au profit des juges. Les juges rendront leur juqement dans deux ans, trois ans, cinq ans, dix ans et on constatera probablement qu'il y a de fortes chances, si l'on écoute tous les experts et d'autres, qu'il n'y ait rien là de prometteur pour le Québec français et peut-être même beaucoup de choses dangereuses pour ce Québec français. Il y aura des jugements rendus par la Cour suprême ou d'autres tribunaux dans deux ans, dans cinq ans, dans dix ans. Où seront alors ceux qui, aujourd'hui, auront adopté ces textes de loi? Où seront-ils pour répondre de leurs responsabilités politiques? C'est une question que je me pose.

Je reviens rapidement à la ligne du mémoire: "Du français partout, du français pour tout, du français pour tous." Je crois que c'est une formule qui reflète assez bien le consensus québécois sur ce que les Québécois veulent que soient leur langue, la place de leur lanque, l'usage et la présence de leur langue sur le territoire du Québec. Bon, très bien! Pour cela, il est évident qu'il faut prendre des mesures. Ces mesures, on les a trouvées dans la charte de la langue et, notamment, ce que l'on dit aujourd'hui face à ta discussion constitutionnelle, c'est qu'il ne doit plus y avoir l'article 133, il ne doit plus y avoir l'article 23, il ne doit plus y avoir les autres entraves qui ont été mises là justement pour contrer la loi 101.

Bon! Je pense que je voudrais revenir là-dessus quelques instants. L'article 133 qui est là depuis 1867, sinon même depuis 1763, a l'air bien innocent mais il ne l'est pas du tout. Je vous signale que c'est par là et c'est là-dessus que la communauté anglophone du Québec a commencé à démolir avec la loi 101. Il n'est pas innocent. Nous en demandons sa disparition en ce qui concerne le Québec et nous ne demandons rien d'absolument exceptionnel. Vous savez, ce n'est pas une idée lunaire ni de

lunatiques. Relisez le rapport de la commission Pepin-Robarts. La commission Pepin-Robarts, sauf erreur, était composée de personnes qui étaient très bien moulues dans et par le système politique canadien. Qu'est-ce qu'elles disaient? Qu'il n'y ait plus d'article 133 imposé au Québec, ne serait-ce que parce que c'est peut-être un peu humiliant.

Mais je continue plus loin. Ces choses qui ont été inventées pour les besoins de la cause en 1982, qui ont été inscrites dans la constitution, l'article 23 et des éléments de la charte, etc., bon! ça aussi, on demande que le Québec en sait libéré. Et là non plus on ne demande quelque chose d'absolument excessif, d'absolument inimaginable. Nous ne sommes pas les seuls, nous ne sommes pas les premiers à avoir eu cette idée.

Permettez-moi, si vous voulez, de vous lire des textes qui ont peut-être été un petit peu non pas oubliés mais, enfin, qu'on a pu ne pas souligner ici. Ces textes viennent des autorités fédérales des années 1977-1978. Je vous rappellerai un document que le Parti libéral a déposé le 21 juin 1977, comme par hasard, deux mois avant la loi 101. Le 21 juin 1977, le gouvernement fédéral canadien dépose un document qu'il appelle "Un choix national". Un an après, en août 1978, il dépose un projet de loi qui s'appelle le C-60 que nous connaissons pour l'avoir vu. Bon, qu'est-ce qu'on y trouve? Le principe de l'article 23 et le principe de la charte des droits appliqués à l'ensemble de ta population du Canada.

Mais, qu'est-ce qu'on y trouve aussi? Je lis ici ce que dît John Roberts, pas Robarts, John Roberts, qui représentait le gouvernement fédéral dans cette affaire. Qu'est-ce qu'il dit? "Il incombe aux Canadiens de toutes les provinces de faire en sorte que le statut de la langue française soit mieux protégé au Canada." On croirait entendre Alliance-Québec.

Mais, permettez que j'insiste là-dessus. Aussi longtemps que persistera ce sentiment d'insécurité, le gouvernement fédéral est prêt à accepter qu'il soit nécessaire de différer l'application de ce principe. Voilà! L'article 23, exceptionnellement ne s'appliquerait pas au Québec, dit M. Roberts, ami politique, collaborateur politique de Pierre Elliott Trudeau.

Quant à la charte des droits, que trouve-t-on dans le projet de loi C-60? La mise en oeuvre de la charte devra faire l'objet d'une délibération et d'une décision tant du Parlement que des corps législatifs provinciaux, c'est-à-dire de vous, messieurs, mesdames. Dans la mesure où ces dispositions relèvent de la compétence provinciale, la charte ne prendra effet dans chaque province que lorsqu'elle sera adoptée par cette province. Vous voyez que ce ne sont pas des idées diaboliques. Ce sont les idées exprimées tout à fait officiellement et formellement par le gouvernement libéral fédéral de Pierre Elliott Trudeau en 1977 et en 1978. Pourquoi ces idées qui étaient si bonnes à l'époque ne le seraient plus aujourd'hui? C'est la question que je me permets de lui poser.

Le Président (M. Filion): Oui. M. le chef de l'Opposition. Je crois que M....

Une voix: II reste combien de temps? Le Président (M. Filion): Pardon? Une voix: Deux minutes.

Le Président (M. Filion): Oui. Il reste deux minutes. J'ai noté que M. Laberqe, faisant également partie de nos invités aurait aimé ajouter quelques mots.

M. Laberge (Henri): Oui. C'est au sujet de la définition ou la double définition que l'on donne de la dualité linguistique canadienne et de la société distincte. Dans quelle mesure cela apporte-t-il vraiment quelque chose de nouveau? Je remarque que cette double définition qu'on trouve n'est rien d'autre qu'une explicitation et une consécration constitutionnelle des principes qui ont guidé la rédaction de l'article 23. C'est exactement cela. Il n'y a pas autre chose.

Dans l'article 23, on reconnaît que le Québec n'est pas une province comme les autres. On dit qu'il y a une majorité francophone dans une province et une majorité anglophone dans neuf autres provinces. C'est là l'essence de l'article 23. Mais quelles conséquences en tire-t-on? C'est que la minorité anglophone est protégée au Québec et les minorités francophones sont protégées dans le reste du Canada. Le principe de la société distincte est déjà à l'article 23 et cela ne donne absolument aucun pouvoir au gouvernement du Québec ou à l'Assemblée nationale de défendre la lanque de sa majorité. Au contraire, cela lui enlève des pouvoirs.

Le simple fait de renouveler cette affirmation, je ne vois pas en quoi cela pourrait donner au gouvernement du Québec le pouvoir de se soustraire à l'application d'un article qui a justement été créé sur la base des mêmes principes, exactement les mêmes principes. D'autant plus que dans l'autre définition, on dit précisément qu'une règle fondamentale d'interprétation c'est que le Canada est composé d'un Canada francophone et d'un Canada anglophone.

Le Président (M. Filion): Un instant, s'il vous plaît, M. Laberge. Je vous invite à conclure.

M. Laberge: Oui. C'est toujours difficile de conclure sur une question comme celle-là. Alors, puisque le Canada est composé d'un Canada francophone et d'un Canada anglophone et que le Canada anglophone est défini comme présent au Québec et le Canada francophone, lui, est présent aussi ailleurs, mais on ne dit pas qu'il est nécessairement présent dans toutes les provinces, on dit qu'il n'est pas limité au Québec, alors, cela est vague.

Une autre chose qui m'a frappé dans l'ensemble de cette discussion, c'est que la suprématie des tribunaux semble être confirmée d'une façon absolument écrasante. Ce que l'Assemblée nationale du Québec approuverait, à ce moment-ci, en signant l'entente du lac Meech, pour reprendre les mots du ministre quand il citait son collègue, M. Chevrette, c'est qu'il voudrait avoir des assises pour plaider. Alors, on croirait que le pouvoir suprême, ce n'est plus le pouvoir législatif, c'est le pouvoir judiciaire. Ce que le gouvernement veut, ce sont simplement des arguments pour aller plaider devant les tribunaux. Cela me semble un non-sens.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Laberge. Je m'excuse d'avoir dû vous inviter à conclure, mais ce sont les règles de notre petite constitution interne. Je voudrais remercier également M. Bouthillier ainsi que les gens qui vous accompagnent, MM. Gaulin, Boucher et Ducharme, de vous être déplacés, bien sûr, de nous avoir présenté ce mémoire - je le considère comme déposé, pour fins de notre procès-verbal - et de vous être prêtés à cette période d'échange de points de vue et de discussions.

Nos travaux seront suspendus quelques minutes, le temps pour vous de partir et de laisser place à notre prochain invité. Merci.

(Suspension de la séance à 11 h 30)

(Reprise à 11 h 38)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

Cette commission poursuit donc ses travaux en entendant M. Yves Fortier, juriste, à qui je demande de bien vouloir prendre place - c'est déjà fait - et à qui je souhaite la bienvenue évidemment à cette séance de la commission des institutions. Je rappelle brièvement que 20 minutes sont consacrées à son exposé et que le reste de l'heure est consacré à une période d'échanges avec les membres de cette commission.

Également, M. Fortier m'a remis un texte que je considère déposé et qui, je crois, a été distribué aux membres de cette commission. Donc, sans plus tarder, j'inviterais M. Fortier à nous faire part de son exposé.

M. Yves Fortier

M. Fortier (Yves): M. le Président, messieurs et mesdames les membres de la commission, permettez-moi d'abord de vous dire que je suis très fier d'être ici ce matin. Je suis très fier de me voir donner l'occasion de prendre la parole devant vous et de dialoguer avec les élus du peuple.

Pour paraphraser mon confrère et ami Me Guy Bertrand, c'est en ma double qualité de Québécois canadien et de juriste que j'ai demandé à me présenter devant vous. Je pratique le droit devant les tribunaux de droit commun et les tribunaux administratifs du Québec et du Canada depuis maintenant plus de 25 ans. Mes propos, je les veux avant tout ceux d'un juriste mais vous comprendrez que je ne puisse facilement dissocier le Québécois canadien du juriste qui vous adresse la parole.

Vous avez déjà entendu d'éminents constitutionnalistes, politicologues, sociologues, avocats, politiciens et autres sommités qui se sont pourfendus de moult explications et interprétations sur l'entente de principe intervenue au lac Meech, le 30 avril dernier. Ce n'est pas mon intention, aujourd'hui, de m'improviser expert dans leur domaine de prédilection respectif.

Je dois vous dire que ma première réaction à l'annonce de l'entente de principe du 30 avril en fut une de suprise et de satisfaction. Je pense que c'était le Québécois canadien et non le juriste dont les tripes lui faisaient dire qu'il était tout à fait salutaire qu'en 1987, le Québec adhère à l'entente constitutionnelle de 1982. L'avocat n'a pas tardé à prendre connaissance du communiqué du lac Meech. Encore là, même réaction, il s'en déclare intérieurement et extérieurement satisfait. C'est surtout, mais non exclusivement, l'article qui traite... et consacre le caractère distinct du Québec qui a retenu mon attention. C'est d'ailleurs cet article que je veux commenter aujourd'hui. Je sais que le texte a été disséqué bien des fois devant vous et je n'entends pas répéter l'intervention chirurgicale. J'ajoute cependant que le cheminement de ma réflexion m'a amené à souhaiter que les composantes de la spécificité de la société québécoise dans un monde idéal auraient avantaqe à être "nomenclaturées" et enchâssées. Je voyais donc la lanque de la majorité, sa culture, ses écoles, son droit civil comme devant être consignés sous la rubrique de la société distincte québécoise. Plus je réfléchissais, plus je souhaitais que l'on donne des dents à cette expression nébuleuse. Et mon exercice rejoignait les préoccupations et les voeux exprimés et si bien articulés d'ailleurs, entre autres, par le professeur Léon Dion.

Avec le recul et le bénéfice du temps

qui s'est écoulé, l'avocat a graduellement pris le dessus. D'ailleurs, la question constitutionnelle ne peut être évoquée, selon moi, sans qu'on en considère son volet juridique. J'ai fait appel à mon modeste bagage d'expérience dans l'univers du droit constitutionnel et des règles d'interprétation qui s'y appliquent. C'est ainsi que je suis arrivé aujourd'hui à l'aboutissement de ma réflexion personnelle. Selon moi, le compromis - car toute entente entre onze personnes ne peut être par définition que le fruit d'un compromis - du 30 avril proposant d'enchâsser le caractère distinct du Québec est un acquis important qui n'est pas amoindri par l'absence de définition de cette expression.

On s'est élevé contre cette absence de définition de la société distincte. On somme le gouvernement du Québec de ne pas souscrire à l'accord à moins que ne soit précisé ce qu'on entend par cette expression. Sans nomenclature de ce que constitue cette société distincte, clame-t-on, l'expression est vide de sens et l'amendement constitutionnel, à cet égard, n'apporte absolument rien au Québec. Eh bien, mon expérience de praticien du droit m'empêche de souscrire à ce point de vue. Selon moi, toute tentative de définir ou de décrire en détail, au sein même de la constitution, ce qu'emporte la reconnaissance du fait que le Québec constitue une société distincte ne contribuera qu'à limiter la portée de cette expression. Quel que soit le soin avec lequel les rédacteurs constitutionnels de l'amendement y décriront, définiront ou identifieront les composantes principales et essentielles de la société québécoise, il subsistera toujours des omissions, des imprécisions sans compter celles qui résulteront de l'évolution de notre société dont les composantes ne peuvent et ne doivent être figées dans le temps.

Les tribunaux qui auront à interpréter l'amendement seront-ils prêts à reconnaître que ce qui a été omis ou ce qui est imprécis était sous-entendu? Dans l'affirmative, pourront-ils suppléer au silence du texte? Faudra-t-il remédier à ces omissions par voie d'amendement constitutionnel subséquent avec, comme on le voit depuis des décennies, toutes les embûches et les frustrations que cela implique? Voilà plusieurs questions auxquelles on doit répondre avant de dénoncer à grands éclats l'absence d'une définition de cette société distincte.

Vous savez tous qu'en présence d'une énumération dans un texte de loi, les tribunaux ont recours à certaines règles d'interprétation dont deux méritent une attention toute particulière. D'ailleurs, je suis très conscient, M. le Président, que vous et les membres de votre commission les connaissez maintenant mieux que la plupart des avocats au Québec. La règle inclusio unius est exclusio aiterius veut que la mention de certains éléments dans une définition en exclue forcément d'autres qui ne s'y trouvent pas. Eu égard à cette règle, aucun ajout ne pourra être fait à la liste des éléments distinctifs, à moins que l'on consacre le caractère non exhaustif de celle-ci. Afin d'éviter cette impasse, d'aucuns suggèrent l'emploi d'expressions telles que "notamment", "sans limiter la qénéralité de ce qui précède" ou "inclut nécessairement", et j'en passe.

En pratique, vous savez aussi bien que moi que l'emploi d'une telle terminologie n'écarte pas l'application d'une deuxième règle d'interprétation, la règle ejusdem generis, qui veut que toute énumération ne puisse être étendue qu'à des éléments de même nature ou de même qenre. Selon cette rèqle, la possibilité pour les tribunaux d'ajouter au texte de l'amendement sera sérieusement restreinte. Le danger n'est donc pas seulement qu'on laisse en plan certaines composantes essentielles de cette société, mais aussi - je dirais même surtout - qu'on en restreiqne inéluctablement la portée. Ainsi donc, l'énumération ou la description aujourd'hui de ces composantes dans le but d'assurer une interprétation large et libérale de l'expression "société distincte" pourrait bien avoir l'effet inverse d'en restreindre la portée demain.

Dans cette optique, je dis: À quoi bon tenter de coucher sur papier une énumération des éléments qui distinguent la société québécoise? L'absence de définition précise est, selon moi, la meilleure garantie de la reconnaissance par les tribunaux du Québec et du Canada de tous ces éléments distinctifs, sans exception. Évidemment, plusieurs rétorqueront: Pourquoi laisser aux tribunaux le soin d'expliciter le sens de cet amendement constitutionnel si vital pour le Québec? La réponse est double. D'abord, la reconnaissance, en 1987, par voie d'amendement, 120 ans après la confédération, que le Québec forme au sein du Canada une société distincte qui doit être protégée et promue ne peut, ne pourra laisser indifférent le magistrat qui s'y réfère. Vous connaissez tous cette rèqle selon laquelle le législateur n'est pas présumé parler pour ne rien dire.

De plus - là, je fais peut-être montre, je l'admets, d'une certaine déformation professionnelle - je ne crois pas, en règle générale, que les citoyens aient été mal servis par l'interprétation qu'ont donnée nos tribunaux aux expressions non définies dans la Loi constitutionnelle de 1867. Que l'on pense aux pouvoirs des provinces de légiférer sur la propriété et les droits civils, en vertu de l'article 92.13, ou au pouvoir fédéral de légiférer sur la paix, l'ordre et le bon gouvernement.

Je m'inscris donc en faux contre ceux qui plaident que, à tout le moins, certaines composantes de la spécificité du Québec,

telle la langue, devraient être enchâssées. Ces intervenants semblent ne pas tenir compte de la possibilité de recourir à la preuve pour démontrer les attributs de cette société distincte qui est en constante évolution. Je ne crois donc pas que nous ayons besoin d'une définition qui constituera un carcan plus que toute autre chose.

Si j'exprime l'opinion que l'absence de définition de société distincte vaut mieux que toute tentative d'en définir les éléments constitutifs, ce n'est qu'en partie en raison des carences inhérentes à cette solution dont je viens de faire part. C'est aussi et surtout parce que j'ai l'intime conviction, toujours en ma qualité d'avocat, que l'accord du lac Meech, à cette enseigne, représente un atout incontestable pour le Québec. Cet accord comporte la reconnaissance dans la loi constitutionnelle du Canada par les gouvernements fédérai et provinciaux qu'il existe une société au Canada qui se distingue de toutes les autres et que cette société, c'est le Québec.

On reproche à l'accord du lac Meech de ne consacrer le caractère distinct du Québec que par une règle d'interprétation. N'oublie-t-on pas en ce faisant que le propre, j'irais jusqu'à dire la force d'une telle règle d'interprétation, c'est qu'elle s'imposera aux juges dans l'interprétation de toutes et de chacune des dispositions de la constitution. C'est bien ce qui est indiqué au paragraphe introductif de l'accord lorsqu'il énonce: l'interprétation de la constitution du Canada doit concorder avec la reconnaissance du caractère distinctif de la société québécoise.

Certes, les plaideurs opposeront à cette règle d'interprétation d'autres dispositions de la charte qui, dans certaines circonstances, pourront relativiser ces prescriptions. On pense à Particle 27; on peut aussi penser à son article 1. Toutefois, la clause de la société distincte - j'insiste, M. le Président -serait la seule de ces règles d'interprétation qui bénéficie à un seul gouvernement, en l'occurrence, celui du Québec. Cette clause isole le Québec, reconnaît sa spécificité et confère à l'Assemblée nationale le rôle de protéger et de promouvoir cette spécificité.

Beaucoup ont commenté la portée du mot "distincte" dans l'expression "société distincte". Peu de commentaires, toutefois, se sont attachés à la signification du mot "société". Qu'est-ce qu'une société? Le petit Robert nous dit: "Relations entre des personnes qui ont ou qui mettent quelque chose en commun", ou "l'état particulier à certains êtres qui vivent en groupes plus ou moins nombreux et organisés". Même si un sociologue ou un politicologue aurait probablement raison de s'en prendre à la simplicité de ces définitions, celles-ci ne font pas moins ressortir la complexité et le nombre presque infini d'éléments qui peuvent distinquer une société. Comment peut-on alors prétendre pouvoir faire la nomenclature de tous les éléments qui distinguent une société sans, ce faisant, en tronquer une partie vitale?

C'est la société québécoise elle-même qui fournit la définition de ce qui la distingue. Laissons-nous la latitude de l'adapter dans l'avenir et faisons confiance aux tribunaux pour apprécier la preuve des aspects distinctifs de notre société qui seront pertinents aux cas d'espèce qu'ils auront à apprécier.

Peut-être est-ce une caractéristique de mon héritage civiliste, mais je suis beaucoup plus à l'aise en face d'un principe énoncé clairement plutôt qu'au beau milieu d'une énumération non exhaustive d'éléments constitutifs de ce dernier. En effet, ce qui importe n'est pas tant l'énoncé de ce que constitue ou pourra constituer la société distincte, mais beaucoup plus la reconnaissance de l'existence de cette société distincte. À mon humble avis, M. le Président, messieurs, mesdames membres de la commission, la consécration de ce principe dans l'amendement constitutionnel est la façon la plus susceptible de lui conférer une suprématie tout en se ménageant assez de souplesse pour faire face à l'avenir. Je vous remercie.

Le Président (M. Marcil): Me Fortier, merci.

Il reste 22 minutes à chacune des formations politiques. Donc, je vais reconnaître M. le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: Merci, M. le Président.

M. le bâtonnier Fortier, je voudrais vous remercier d'avoir accepté de venir témoigner devant nous, ce matin, à cette commission qui étudie l'entente du lac Meech. Vous êtes un avocat de grand renom. Vous avez été bâtonnier, président du Barreau canadien. Vous avez plaidé plusieurs causes très importantes devant la Cour suprême du Canada et les différentes cours de justice. Vous avez même été le premier avocat canadien à plaider devant la Cour internationale de justice à La Haye. Vous avez aussi, en ce qui regarde la lanque, plaidé et travaillé avec la commission d'enquête, la commission Chouinard, sur l'utilisation du français dans l'air.

M. Fortier, vous nous avez livré un témoignage particulièrement éloquent, clair, précis, en ce qui reqarde cette société distincte qui sera maintenant reconnue dans la constitution à la suite de l'entente du lac Meech. Ma première question serait celle-ci: Selon vous, M. Fortier, quels seraient les cas où l'expression "société distincte" pourrait jouer devant les tribunaux? Est-ce que vous avez des exemples à nous donner?

M. Fortier (Yves): M. le ministre, lorsqu'on érige en règle d'interprétation le concept du caractère distinct du Québec, je crois qu'on reconnaît que ce caractère distinct peut et doit venir influencer tous et chacun des chapitres sur les pouvoirs que le Québec souverain exerce déjà en vertu de l'article 92 de la loi sur la constitution. Alors, pour moi, il ne pourrait y avoir une affaire constitutionnelle mue devant les tribunaux, où il est question du partage des pouvoirs entre le Québec et le gouvernement fédéral, sans que les tribunaux aient à refléter dans leur interprétation du pouvoir du gouvernement du Québec le fait que le texte de loi dont il sera question représente à certains égards le caractère distinct du Québec et vise à le protéger ou à le promouvoir. La réponse, une courte réponse à votre question, c'est qu'il n'y a pas de limite aux applications que les tribunaux devront faire, parce que c'est une règle d'interprétation mandatoire du concept de la société distincte et de l'impact qu'il doit avoir sur l'exercice par le gouvernement du Québec des pouvoirs souverains qui lui appartiennent.

M. Rémillard: M. Fortier, quelle relation faites-vous entre le paragraphe (l)b), qui reconnaît que le Québec forme au sein du Canada une société distincte, et le paragraphe (3), qui dit que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise?

M. Fortier (Yves): M. le ministre, j'ai noté, comme vous, j'en suis certain, que c'est non seulement la protection du caractère distinct de la société québécoise qui est montée en épingle ici, mais aussi sa promotion. C'est une première réponse à votre question. Secundo, je pense - je crois l'avoir livré dans mon texte - et je reconnais qu'il s'agit ici d'un document qui n'est pas le document qui va être paraphé par les premiers ministres en temps et lieu. C'est donc, sous toute réserve, des changements qui pourraient être introduits au document entre le moment où je vous parle et le moment où il sera concrétisé. Mais il me semble qu'en prenant le Québec, la seule des onze entités gouvernementales représentées au lac Meech, et en disant: Le Québec est une société distincte et son Assemblée nationale, son gouvernement a le mandat, la responsabilité de la protéger et de la promouvoir, cette société-là, on fait dire au reste du Canada ce qu'on s'évertue à dire, il me semble - je ne veux pas faire de politique - des deux côtés de l'Assemblée nationale depuis bien des années. Voilà maintenant reconnue dans un texte de loi une règle d'interprétation absolument stricte et très claire que le Québec forme aujourd'hui une société distincte et l'Assemblée nationale, le gouvernement du Québec, doit protéger cette société et la promouvoir. (12 heures)

On ne dit rien de la sorte au sujet d'aucun autre des paliers de gouvernement, fussent-ils fédéral ou provinciaux, qui étaient à huis clos au lac Meech.

M. Rémillard: Merci, M. Fortier.

Le Président (M. Filion): Merci. M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Oui. M. Fortier, c'est un plaisir de vous accueillir et de vous voir à nouveau. Vous avez parlé, disiez-vous, comme Québécois canadien, d'une part, et comme avocat, d'autre part, et vous nous avez livré les ambivalences du citoyen, les interrogations de l'avocat et du praticien pour arriver aux conclusions que vous nous faites.

J'aurais d'abord un certain nombre de questions à poser à l'avocat et j'en aurai d'autres au citoyen tout à l'heure. Je vous ai entendu parler de "règle d'interprétation mandatoire", de "règle d'interprétation stricte". J'utilise les expressions qui étaient les vôtres dans la discussion que vous avez eue avec le ministre. On a entendu Me Côté, de l'Université de Montréal qui, comme vous le savez, est l'auteur d'un livre que vous avez sûrement l'occasion de consulter de temps en temps, puisque la Cour suprême le cite souvent. Me Côté, on le sait, est l'auteur d'un document intitulé l'Interprétation des lois, qui est probablement, de tous les ouvraqes de doctrine, celui qui est cité le plus souvent en Cour suprême. Me Côté terminait son bref exposé l'autre soir de la façon suivante: "Cette consécration du caractère distinct de la société québécoise, ce n'est pas rien. C'est peut-être mieux que rien. Mais il faut comprendre que seul l'avenir nous dira si c'est vraiment quelque chose." Je comprends que tout cela faisait suite au raisonnement suivant: finalement, ultimement, parce qu'il s'agit d'une règle d'interprétation et non pas de pouvoirs spécifiques donnés au Québec, on s'en remet aux tribunaux.

On a entendu, par ailleurs, le doyen Chevrette, de l'Université de Montréal. On sait que l'Université de Montréal a un rôle extrêmement important à jouer cette année dans les questions constitutionnelles quand on voit Me Tremblay, conseiller du ministre; Me Frémont, conseiller de notre côté; le doyen de l'Université de Montréal; Me Côté; Me Woehrling qui aurait aimé être entendu mais qui n'a pas pu l'être. On sait, par ailleurs, que le doyen Chevrette de l'Université de Montréal, qui est lui-même spécialiste de droit constitutionnel, en général précédait ses

phrases par: "II n'est pas inimaqinable que la Cour suprême décide que...", "Il n'est pas tout à fait inconcevable de penser que...", "Il se pourrait que...". Est-ce que tout ça, dans le fond, ne dit pas - je pose lé question au praticien du droit - que le caractère mandatoire ou impératif ou strict que vous évoquez est pour le moins, en tout cas, remis en cause par ces professeurs d'université?

Je comprends qu'un praticien et que les professeurs d'université n'ont souvent pas la même approche du droit et c'est sans doute le mérite de votre présence ici aujourd'hui. J'espère que ça va inspirer le ministre qui est professeur de droit. J'en ai retenu qu'on ne peut pas dire que cette règle d'interprétation crée une certitude quant à l'extension éventuelle et la protection des pouvoirs du Québec, que ce soit en matière linguistique ou en toute autre matière. Je vous soumets cette réflexion.

M. Fortier (Yves): D'abord, M. Johnson, vous me permettrez de déclarer et d'afficher le respect que j'ai pour mes anciens professeurs de droit et ceux qui, aujourd'hui, se livrent à cet exercice. Je comprends très bien qu'un professeur de droit, tout comme un praticien, ne doit pas prétendre qu'il est en possession tranquille de la vérité et qu'il peut prévoir quels seront les décisions et les motifs de ces décisions que les tribunaux livreront à l'avenir.

Cela dit, je me permets de vous souligner que, comme vous le savez fort bien, il y a deux genres de règles d'interprétation. Il y a celles qui ont évolué au fil des années dans la jurisprudence et il y en a d'autres qui sont érigées en règles d'interprétation dans un texte juridique. Ici, je ne crois pas me méprendre en donnant lecture, sous la rubrique "Caractère distinct du Québec" des mots suivants: L'interprétation de la constitution du Canada doit. Je ne vois pas comment un avocat, fût-il professeur et ou praticien, ne peut pas conclure que les intervenants à l'accord du lac Meech ont voulu donner un caractère mandatoire à cette règle d'interprétation: "L'interprétation de la constitution du Canada doit".

C'est l'assise, M. Johnson, de plusieurs de mes propos que vous avez relevés comme étant peut-être un peu plus catégoriques que ceux de certains professeurs qui m'ont précédé.

M. Johnson (Anjou): Merci, Me Fortier. Une autre question, toujours dans cette foulée. Hier, nous entendions avec grand plaisir des gens qui sont en train de devenir les grands spécialistes des questions constitutionnelles au Canada, c'est-à-dire les autochtones qui, on te sait, depuis cinq ans et même dix ans, s'adonnent à ces questions au point d'ailleurs où un certain nombre d'entre eux et d'entre elles ont développé littéralement une spécialité dans les articles 25 et 35 de la charte canadienne depuis 1982.

Précisément aux articles 25 et 35 concernant les droits des autochtones, ce sont peut-être aussi des règles d'interprétation mais en tout cas assez fermes, n'est-ce pas? Ils sont carrément dans le corps de la charte. L'article 35 confirme l'existence des droits des autochtones et l'article 25 dit que l'interprétation de la charte canadienne dans son ensemble ne doit pas aller à l'encontre des droits conférés et reconnus par l'article 35, y compris ceux de la Proclamation royale, etc.

Pourtant, on nous donnait un exemple, hier, d'une des causes dans laquelle les articles 25 et 35 ont été plaidés où la Cour suprême a dit, au sujet des droits de piégeaqe ou de chasse, qu'il y avait effectivement de tels droits qui étaient des droits ancestraux reconnus par la constitution canadienne mais que cela n'empêchait aucunement le gouvernement fédéral de les réglementer.

Voici la question que je vous pose, et c'est par analogie ne croyez-vous pas que rien n'empêcherait la Cour suprême non pas de s'inspirer de l'article (l)b) qui concerne la société distincte mais de l'article (l)a), par exemple, en quelque matière qui a une vaque portée culturelle ou linguistique - même cela pourrait aller au-delà de cela parce que ce sont des droits historiques qui y sont conférés - l'article (l)a) qui reconnaît l'existence de la dualité canadienne et, je présume, des droits qui en découlent pour la minorité de langue anglaise au Québec?

M. Fortier (Yves): Je pourrais vous répandre très brièvement et dire non et vous renvoyer au texte dont j'ai donné lecture tout à l'heure. Je ne veux pas me répéter mais je crois, M. Johnson, qu'en isolant le Québec et en le faisant après avoir consacré une caractéristique fondamentale de la Fédération canadienne... Je pense que l'ordre qu'on a suivi, ici, peut même ajouter au sérieux de ma réponse. Après avoir dit, bon, caractéristique fondamentale, la Fédération canadienne, Québec, francophone, etc, on dit: La reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada une société distincte. Pour moi, le fait qu'après avoir fait référence aux caractéristiques fondamentales de la Fédération canadienne donne encore plus d'ampleur, encore plus de chair à cette société distincte... On dit oui, mais il y a une province, il y a une société qui se distingue de toutes les autres à travers le Canada où il est fait mention de cette caractéristique fondamentale, et c'est le Québec. Je pense que dans le raisonnement que les magistrats qui vont être saisis de ces

questions au fil des années vont adopter, je crois qu'ils devraient... Si vous me demandez, M. Johnson, est-ce que vous pouvez affirmer catégoriquement qu'ils vont le faire? Évidemment, que je ne peux pas mais je pense qu'ils ne pourront pas ne pas s'imposer l'obligation de reconnaître que si 120 ans après la constitution de 1867, on dit, dans un texte, le texte suprême de la loi du pays que le Québec forme au sein du Canada une société distincte, on ne pourra pas ne pas interpréter toutes les lois du Québec qui auront été légiférées dans l'exercice du pouvoir souverain du Québec suivant l'article 91, on ne pourra pas ne pas dire: II faut absolument reconnaître que c'est une manifestation par le gouvernement du Québec de cette société distincte et des pouvoirs dont cette société distincte doit bénéficier. Maintenant, au sujet, quant à la question que vous avez posée par analogie, c'est une question excellente, M. Johnson, comme toutes les autres d'ailleurs. Vous aurez remarqué que les articles 25 et 35 ne font qu'affirmer les droits des autochtones, ils ne font que déclarer... Et je ne veux pas minimiser l'importance de cette affirmation, de cette reconnaissance et de tout ce qui en résulte. Mais je vous demande de contraster, d'une part, cette reconnaissance, cette affirmation des droits des autochtones avec cette obligation que les tribunaux auront maintenant d'interpréter la constitution du Canada afin qu'y soit reconnu le fait que le Québec forme au sein du Canada une société distincte. C'est une règle d'interprétation qui est imposée aux tribunaux. Ce n'est pas simplement une constatation, ce n'est pas simplement une affirmation.

M. Johnson (Anjou): Vous me permettrez là-dessus, Me Fortier, d'exprimer mon désaccord. Quant à moi, je pense que l'article 35, c'est du droit substantif et que c'est bien plus fort qu'une règle d'interprétation.

M. Fortier (Yves): Quand on...

M. Johnson (Anjou): À ce rythme, je vous dirais - en tout cas, peut-être qu'on peut consacrer quelques minutes là-dessus -que la constitution, si je suivais votre raisonnement jusqu'au bout... Et on sait qu'en droit, parfois, il faut se rendre à l'absurde dans les raisonnements. C'est d'ailleurs la spécialité du ministre. Si on pousse plus loin ce que vous me dites, vous dites, dans le fond: La chose qui prévaut en droit constitutionnel, ce sont les articles d'interprétation. Moi, je vous dis: Non, il me semble que la chose qui prévaut en droit constitutionnel, c'est le droit substantif, les pouvoirs, les droits reconnus; et les articles d'interprétation ne sont invoqués par les tribunaux que quand les pouvoirs et les droits reconnus ne sont pas très clairs. M. Fortier (Yves): Je vais... M. Johnson (Anjou): Oui.

M. Fortier (Yves): Je vais vous répondre, si vous permettez, M. Johnson, en vous disant ceci. Premièrement, je suis d'accord avec vous. C'est du droit substantif, l'article 35. Mais là où je vais exprimer et inscrire mon désaccord avec vous, c'est quand vous dites que le droit substantif, tel celui qu'on retrouve à l'article 35, est plus important qu'une règle d'interprétation telle celle que j'ai devant moi et qui est chapeautée par les mots "Caractère distinct du Québec". C'est une règle d'interprétation qui inclut une reconnaissance substantive de la distinction du Québec à l'intérieur du Canada. C'est fort cela, pour moi. Ce n'est pas seulement une vilaine règle d'interprétation. C'est une règle d'interprétation qui inclut comme une de ses composantes, sinon sa composante la plus fondamentale, la reconnaissance, par les autres paliers de gouvernement, du caractère distinctif du Québec. Quant à moi, je dis que c'est une règle d'interprétation comme je n'en connais pas d'autre.

M. Johnson (Anjou): D'accord. Encore là, je vous dirais que, cependant, encore faudrait-il savoir ce que veut dire le caractère distinct. Si on se comprend bien, c'est la Cour suprême qui décidera. C'est ce que j'appelle l'incertitude sidérale ou galactique, si on veut, poussée à un tel niveau et poussée tellement loin dans ie temps, dans l'espace et dans les théories juridiques que dans la mesure où ce n'est pas accompagné de droit substantif, précisément de pouvoirs précis, notamment en matière linguistique ou en termes d'extension, je dirais, des pouvoirs du Québec dans certains secteurs, on est dans le domaine des probabilités. Vous reconnaîtrez cela avec moi quand même. Jusqu'où peut aller la notion de caractère distinct?

M. Fortier (Yves): Ca peut aller aussi loin que le peuple québécois veut aller.

M. Johnson (Anjou): Ah oui? Oh! Ca, c'est fort. Ça, c'est fort. Oui?

M. Fortier (Yves): À l'intérieur de la constitution qui reconnaît à plusieurs égards que le peuple québécois est souverain. C'est tout à fait logique avec ce que vous venez de dire...

M. Johnson (Anjou): D'accord. (12 h 15)

M. Fortier (Yves): ...à une exception près.

M. Johnson (Anjou): Là-dessus, Me Fortier, je vous dirai que je n'ai pas d'autres questions à poser à l'avocat puisque, de toute façon, ce n'est pas l'avocat qui vient de parler, je pense, c'était plutôt le citoyen, avec ses convictions que je respecte. J'ai l'impression qu'on a débordé le domaine du droit pendant les trois dernières minutes.

M. Fortier (Yves): Je fais bien attention de ne pas trébucher, M. Johnson.

M. Johnson (Anjou): D'accord.

Le Président (M. Filion): M. le ministre, la parole est à vous.

M. Rémillard: Oui, M. le Président, le chef de l'Opposition m'a dit que je discutais tout à l'heure à la limite de l'absurde, dans l'absurde ou à la limite de démagogie...

M. Johnson (Anjou): Pas dans l'absurde, c'est une expression, voyons donc! Ne prenez pas cela personnellement.

M. Rémillard: Enfin, écoutez! Je ne relève pas cela, tout simplement...

M. Johnson (Anjou): Ah bon.

M. Rémillard: Je crois qu'il est quand même intéressant de comparer les articles 25 et 35 concernant les autochtones avec la situation que nous avons avec ce premier article qui, dans la constitution, consacrera la société distincte et le rôle du gouvernement et de l'Assemblée nationale de protéger cette distinction. Justement, il faut éviter les erreurs qui ont été faites aux articles 25 et 35. Vous avez parfaitement raison, M. Fortier, quand vous nous dites que, justement, l'article 35 est substantif. Mais, maintenant, beaucoup de juristes à tous les niveaux, dont les autochtones, se disent: On ne sait pas ce que veut dire l'article 35, tellement qu'il faudra s'adresser à la Cour suprême très prochainement pour savoir ce que veut dire l'article 35. On aurait probablement été mieux avec une règle d'interprétation substantive comme on a là.

Deuxièmement, l'article 25 contient un "notamment" et énumère; on a dû le modifier. En 1983, on a fait un premier amendement à la Loi constitutionnelle de 1982 parce que, tout à coup, on s'est rendu compte qu'on avait fait une erreur. Il a fallu modifier l'article 25. D'ailleurs, je pense que le chef de l'Opposition a très bien compris cela. Depuis un certain temps, le chef de l'Opposition n'a plus le même discours. Il ne parle plus de définir la société distincte ou quoi que ce soit, il ne parle plus de cela. Il veut y mettre un nouveau pouvoir pour les langues, quelque chose de complètement à part de l'entente du lac Meech. Je crois qu'il a compris. Il a tellement bien compris que c'est lui-même qui a attiré votre attention sur les articles 25 et 35. Est-ce que vous auriez quelque chose à commenter à ce niveau?

M. Fortier (Yves): Oui, M. le ministre, j'ajouterais ceci à la réponse que j'ai donnée à M. Johnson plus tôt. Contrairement aux autochtones, la société québécoise distincte correspond à un palier de qouvernement, avec des pouvoirs législatifs. On a beau dire que l'article 35 est de droit substantif, j'en conviens, mais les autochtones, malheureusement pour eux, ne correspondent pas à la société distincte du Québec dont il est fait mention à l'article 1, qui est un palier de gouvernement avec des pouvoirs législatifs.

J'ajouterais également ceci, et je parle comme avocat québécois en le disant. Je me suis posé la question ce matin dans l'avion, en volant vers Québec: Si, en 1867, on s'était livré à cet exercice, qu'est-ce qu'on aurait dit si on avait voulu énumérer les traits fondamentaux, les caractéristiques essentielles d'une société distincte, de la société québécoise? Est-ce que, par hasard, on n'aurait pas parlé de la religion catholique? Est-ce qu'on n'aurait pas parlé de l'agriculture? Je lis ces commentaires et je pose une question: Est-ce qu'on ne préfère pas permettre à la société québécoise d'évoluer? La société est en mouvement, elle est en devenir, est-ce qu'on ne peut pas lui permettre d'évoluer et peut-être d'acquérir, au fil des années, d'autres traits, d'autres caractéristiques fondamentales, dont les tribunaux devront prendre connaissance judiciaire?

M. Johnson (Anjou): D'abord, une première remarque, une règle d'interprétation substantive, c'est une expression que je viens d'entendre de la part du ministre. J'avoue honnêtement que j'ai hâte qu'il me réfère à des ouvrages de droit pour savoir ce que veut dire une règle d'interprétation substantive. J'ai l'impression qu'on fait du droit à ce moment-ci...

M. Fortier (Yves): J'ai dit...

M. Johnson (Anjou): Non, non, ce n'est pas vous qui avez dit cela; c'est le ministre.

M. Fortier (Yves): Ah bon!

M. Johnson (Anjou): Non, non, vous n'auriez pas dit cela; je suis sûr de cela. Mais le ministre fait du droit en ce moment et c'est fascinant.

Me Côté dit à la page 6 de son mémoire: "L'expérience québécoise et canadienne montre que, de manière générale, les tribunaux ont manifesté plus d'affinité pour les principes d'interprétation qu'ils

avaient eux-mêmes élaborés que pour ceux que le législateur voulait qu'ils appliquent." J'aimerais avoir un commentaire rapide de votre part là-dessus.

M. Fortier (Yves): Pour la Cour suprême, il y a une autre règle d'interprétation qui est en place aujourd'hui, comme vous le savez, c'est l'article 27, n'est-ce pas, qui édicté que "toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine culturel des Canadiens." La Cour suprême dans l'affaire Big M. Drug Mart, ces derniers mois, cause qui pris naissance en Alberta, s'est inspirée de cet article. En effet, le juge en chef Dickson a donné lecture de cet article. Il a dit: Les tribunaux doivent être guidés par cette règle d'interprétation. Il n'y a pas beaucoup, toutes proportions gardées, de règle d'interprétation qu'on retrouve à l'intérieur d'une loi spécifique; il n'y en a pas beaucoup. Dans la loi constitutive du Canada, on en a une; on va peut-être en avoir une autre. Je suis tout à fait d'accord avec le professeur Côté. Les tribunaux sont plus à l'aise avec les règles d'interprétation qu'ils ont inventées - je le dis entre guillemets - qu'avec celles qui leur sont imposées, mais ils ne peuvent faire fi, ils ne doivent faire fi, de celles qui leur sont imposées, alors que, peut-être, les autres, ils peuvent les laisser de côté.

M. Johnson (Anjou): Merci.

M. Rémillard: M. Fortier, j'ai dit que c'était une règle d'interprétation substantive et je vais expliquer pourquoi au chef de l'Opposition qui consultera ses livres de droit et de règles d'interprétation. Une règle d'interprétation substantive est une règle d'interprétation qui comprend une substance comme celle qu'on peut avoir dans le paragraphe (3), celle qui dit que le gouvernement et l'Assemblée nationale ont un rôle pour protéger et promouvoir la spécificité du Québec. Dans ce cas, vous avez parfaitement raison, M. Fortier, de vous référer à l'article 27 qui est une règle d'interprétation obligatoire, comme le juge en chef, M. Dickson, l'a dit, mais qui ne se réfère pas à une substance aussi directement que celle que nous retrouvons concernant la société distincte, parce que, dans ce paragraphe (3), nous avons une relation directe à un rôle, nous donnons un rôle... Le doyen Chevrette, comme le doyen Blache, comme aussi le doyen Beaudoin, les doyens des facultés de droit du Québec, sont venus nous dire: Vous avez là un fait, vous avez là une assise juridique qui est unique et qui fait que nous avons une règle de droit qui, en plus d'être interprétative, donne une substance en ce qu'elle donne un rôle à l'Assemblée nationale et au gouvernement. Dans ce cas, ma question est celle-ci, M. Fortier: Quelles pourraient être, selon vous, les conséquences d'une telle règle dans l'interprétation du partage des compétences législatives, soit les valeurs mobilières, ou peu importe les questions qu'on pourra envisager?

M. Fortier (Yves): Immenses, selon-moi, M. le ministre, parce que, comme vous venez de le souligner, la règle n'est pas seulement d'interprétation, elle confère un mandat, une responsabilité à l'État québécois, à savoir la protection et la promotion du caractère distinct de la société québécoise. Alors, quand les tribunaux auront à juger d'une affaire où le partage des pouvoirs entre le Québec et le gouvernement fédéral est en jeu, les tribunaux devront s'interroger, à savoir si le gouvernement du Québec, en légiférant comme il l'a fait à l'intérieur d'une des rubriques de l'article 92, c'est-à-dire là où il est souverain, l'a fait dans l'exercice de cette mission qui lui est maintenant conférée par la constitution de protéger et de promouvoir le caractère distinct de sa société. Je n'ai aucune hésitation à affirmer que l'article (1)3) que j'ai devant moi ici aujourd'hui, s'il devient, demain, partie constitutive de la Loi constitutionnelle, devra être pris en considération lorsque les tribunaux analyseront le partage des compétences. Il ne peut en être autrement.

Le Président (M. Filion): Me Fortier, il y a certaines choses que j'aimerais comprendre et discuter avec vous. On parle, beaucoup de (l)b) et de (3) en ce qui concerne le caractère distinct du Québec. Cependant, j'aimerais vous entendre sur (l)a) et son pendant, l'article (7) de la clause sur le caractère distinct. Est-ce que les juges, à votre avis - j'utilise exactement votre expression - pourraient ne pas tenir compte de la caractéristique fondamentale qui est décrite au paragraphe (l)a) et qui, rappelons-le, concerne évidemment le caractère bilingue du Canada et du Québec, ainsi que de son pendant qui est l'engagement prévu au paragraphe (2)? Est-ce que, dans le même sens, cette règle d'interprétation que constitue l'ensemble de la clause sur le caractère distinct n'entre pas dans le poids des décisions qu'auront à prendre les tribunaux avec ces deux volets, avec ces deux pendants? Il y a un pendant sur lequel votre texte s'est attardé, mais il y a l'autre pendant pour lequel j'apprécierais savoir, d'abord, quelque chose. Tout ce que vous avez dit au sujet du caractère mandataire de cette règle d'interprétation, est-ce que je dois comprendre, sauf erreur, que cela s'applique également à (l)a) et au paragraphe (2)? Est-ce qu'on saisit bien?

M. Fortier (Yves): Je vous saisis très bien, M. le Président, et vous avez absolument raison de présenter le problème de cette façon-là. La règle d'interprétation a deux volets: le volet a) et le volet b). Comme j'ai répondu tout à l'heure à une question qui m'était posée, je suis d'avis que la règle b), lorsqu'il s'agira, comme cela ne peut être autrement, d'interpréter une loi de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec, devra primer la règle a), parce que les gouvernements qui parapheront l'entente, si entente définitive il y a... Les gouvernements ont pris la peine de dire, après avoir consacré comme la caractéristique fondamentale, n'est-ce pas, de la Fédération canadienne: Un instant, on a parlé de caractéristique fondamentale; maintenant, parlons du Québec seulement et reconnaissons, MM. les juges, que le Québec forme au sein du Canada une société distincte et, MM. les juges, reconnaissez que le gouvernement du Québec a un rôle à jouer pour protéger et promouvoir cette société distincte. Comprenez-moi bien, M. le Président, je ne fais pas fi de la première règle d'interprétation, mais je dis qu'elle devra, qu'elle devrait s'interpréter non pas prise isolément, mais à la lumière de ce qui suit. Vous me comprenez?

Le Président (M. Filion): Oui...

M. Fortier (Yves): C'est-à-dire (l)a), bon d'accord. Si (l)a) était là tout seul, je pense que j'aurais répondu un oui natif et catégorique à votre question mais (l)a) n'est pas là tout seul. D'ailleurs, si (l)a) était là tout seul, je ne serais pas ici.

Le Président (M. Filion): D'accord. Par contre, Me Fortier, vous reconnaîtrez qu'il est question du Québec bilingue dans (l)a).

M. Fortier (Yves): Oui, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Comme il est question, dans (l)b), du caractère distinct du Québec. On retrouve dans l'ensemble de la clause interprétative que constitue le caractère distinct, à la fois le Québec à l'intérieur du bilinguisme canadien et à l'intérieur d'un caractère distinctif inconnu. C'était juste une remarque. Il reste peu de temps à la disposition de l'Opposition. Je voudrais plutôt redonner la parole à M. le ministre et permettre ensuite au chef de l'Opposition d'épuiser les dernières secondes.

M. Rémillard: Ce n'est pas épuisé de l'autre côté?

Une voix: Je pense que vos secondes sont terminées, M. ...

Le Président (M. Filion): Oui, si vous le désirez, vous pouvez...

M. Fortier (Yves): Est-ce que vous me permettez, M. le Président?

M- Rémillard: Épuisez vos secondes.

M. Fortier (Yves): Je ne veux pas être rappelé à l'ordre, mais est-ce que vous me permettrez juste de réagir...

Le Président (M. Filion): Certainement.

M. Fortier (Yves): ...à une de vos affirmations? Je pense que le caractère bilingue - parce que ce sont les mots que vous avez employés - du Québec on le retrouve plutôt aux articles 133 et 33 de la constitution plutôt qu'à (l)a). Il n'est pas question, à (l)a), de bilinguisme qui soit consacré. On parle simplement de groupes à l'intérieur de la société canadienne, qroupe francophone, groupe anglophone. Je m'excuse, c'est la seule précision que je voulais apporter.

Le Président (M. Filion): On saisissait très bien. Est-ce qu'il nous reste du temps? Non?

M. le ministre.

M. Rémillard: M. Fortier, je pense que vous venez d'être très clair dans cette relation entre la première partie concernant une situation de fait qui est la dualité canadienne et ensuite la deuxième partie qui est une assise juridique qui consacre spécifiquement, comme vous l'avez dit, le fait que le Québec est une société distincte et qui donne un rôle et qui donne aussi, par conséquent, une responsabilité - parce que quand on a un rôle, on a une responsabilité -à l'Assemblée nationale, au gouvernement pour protéger et promouvoir cette spécificité québécoise.

Tout à l'heure, vous avez mentionné aussi - vous venez tout juste de le mentionner - que lorsqu'on parle de bilinguisme ça se situe au strict niveau de deux articles, c'est-à-dire l'article 133 qui s'applique au Québec et aussi à l'Assemblée nationale, dans les tribunaux, cette limite-là, et l'article 23 concernant la clause Canada. Ce sont les deux limites. À part cela, il y a au Québec une langue officielle, le français.

Est-ce que vous voyez dans cette entente du lac Meech en ce qui regarde la reconnaissance de la société distincte et ce rôle pour le gouvernement et l'Assemblée nationale de protéger et promouvoir la distinction du Québec, une assise juridique intéressante pour la promotion du français au Québec?

M. Fortier (Yves): Indéniablement, M. le ministre.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Est-ce qu'il reste du temps? Oui?

Une voix: Amplement.

M. Rémillard: Alors vous me dites: "Indéniablement." Si on relie donc cette caractéristique d'une société distincte pour le Québec, ce rôle pour le gouvernement, pour l'Assemblée nationale... Tout à l'heure, on me disait que j'étais à la limite de la démagogie parce que je disais que le Québec avait comme langue officielle le français et que ça n'avait qu'une seule limite, c'est-à-dire les articles 133 et 23. C'est ce qu'on a dit. On ne m'a pas donné la possibilité de répondre mais le discours de nos amis de l'Opposition a changé depuis hier après-midi. Tout à coup, on s'aperçoit que ce n'est plus du tout la même chose maintenant.

Une voix: Ils commencent à comprendre.

M. Rémillard: Maintenant, c'est à la limite de la démagogie, on va vers l'absurde, parce qu'ils se rendent compte, et je vois, par les questions qu'ils nous posent, qu'ils se rendent compte de l'importance de cette clause qui viendra maintenant confirmer dans la constitution et non pas dans le préambule - mais dans un article premier, dans un article spécifique de la constitution - que te Québec est une société distincte et que l'Assemblée nationale, le gouvernement du Québec, a le rôle de protéger et promouvoir. Si nous relions cette société distincte et ce rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement à l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés, c'est un sujet qui intéresse beaucoup le chef de l'Opposition qui nous dit: C'est épouvantable en ce qui regarde par exemple, actuellement, la cause sur l'affichage qui est devant la Cour suprême. Je ne veux pas m'immiscer dans le fond de ce débat, mais peu importe le résultat...

M. Johnson (Anjou): Faites-le, faites-le.

M. Rémillard: Le chef de l'Opposition a été ministre de la Justice, il devrait comprendre qu'on n'a pas à s'immiscer, même si on a une prérogative ici, une immunité, on ne doit pas s'en servir pour s'immiscer dans le travail du tribunal. Je ne le ferai pas, en tout cas.

Donc, M. Fortier, je crois qu'on doit comprendre - je voudrais que le chef de l'Opposition le comprenne franchement - que peu importe la décision de la Cour suprême, il reviendra toujours au gouvernement de prendre les mesures qu'il voudra et il pourra toujours utiliser la clause nonobstant. Cela dépendra de la position du gouvernement. Donc, dans la Charte canadienne des droits et libertés, il y a toujours cette clause nonobstant que nous n'utilisons pas systématiquement, mais que nous utilisons lorsque nous considérons que le bien de la collectivité, dans certains cas, à certains égards, pour certaines fins, doit l'emporter sur des droits des individus. Alors, il y a la clause nonobstant qui est là.

M. Fortier, cet article 1 de la charte, qui est le test de légitimité, comme les tribunaux l'ont appelé, qui justifie une loi qui peut aller à l'encontre des droits individuels si c'est une loi qui se justifie dans le cadre d'une société libre et démocratique - société, j'insiste sur ce mot - est-ce qu'il pourrait y avoir une relation avec l'article 1 de la charte?

M. Fortier (Yves): Quant à moi, oui, parce que la règle d'interprétation, du moins le libellé que nous en avons tous présentement, va aussi devoir être reliée au test de la légitimité de l'article 1. Quand le test de la légitimité va être pris en considération par les tribunaux, ces mêmes tribunaux devront aussi reconnaître que la promotion et la protection du caractère distinct de la société québécoise sont une responsabilité qui appartient en propre et exclusivement au gouvernement du Québec.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Il vous reste environ deux minutes.

M. Rémillard: Alors, ce que vous dites, M. Fortier, c'est que cette caractéristique, qui sera maintenant dans la constitution du Canada et non pas dans le préambule et qui sera une clause d'interprétation obligatoire, mandataire pour employer vos termes, c'est-à-dire que les cours de justice devront se référer obligatoirement au fait que le Québec forme une société distincte, que l'Assemblée nationale et le gouvernement ont ce rôle de protéger cette société distincte, vous nous dites qu'on pourra relier cette règle d'interprétation, d'une façon directe, à l'article 1 de la charte, qui permet d'aller à l'encontre de certains droits, de certaines libertés individuelles lorsque le bien de la collectivité est en cause...

M. Fortier (Yves): ...oui, assurément.

M. Rémillard: ...et que cela pourrait être un élément important de la légitimité. Donc, vous concluez - vous me corriqez si ce n'est pas votre conclusion - que l'entente du lac Meech, par cette caractéristique, cette société distincte et ce rôle au gouvernement et à l'Assemblée nationale pourrait être une assise solide à la défense de la langue française au Québec.

M. Fortier (Yves): C'est ma profonde conviction en tant qu'avocat, M. le

Président, oui.

M. Rémillard: Vous seriez prêt à plaider cela en Cour suprême. Vous avez plaidé souvent en Cour suprême; vous avez été membre de la commission Chouinard sur la langue, c'est un domaine que vous connaissez bien. Vous accepteriez de plaider une telle cause en Cour suprême?

M. Fortier (Yves); Je pense que les juristes du Québec, qui, dans l'avenir - je tiens pour acquis que l'entente devient officielle, qu'elle est inscrite dans la constitution - auront à défendre des lois de l'Assemblée nationale, du gouvernement du Québec, auront la vie beaucoup plus facile qu'ils ne l'ont eue hier.

M. Rémillard: Je pense que vous terminez très bien votre exposé. Je tiens à vous remercier très sincèrement pour cet exposé très clair sur cette entente du lac Meech. Merci, Me Fortier.

Le Président (M. Filion): Merci, encore une fois, au nom de tous les membres de cette commission, pour votre présence. La commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures.

(Suspension de la séance à 12 h 40)

(Reprise à 14 h 10)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! Je voudrais souhaiter la bienvenue à notre prochain invité, M. Guy Tremblay, professeur de droit constitutionnel à l'Université Laval. Bonjour, M. Tremblay. Je vous rappelle nos règles du jeu: 20 minutes pour votre exposé et 40 minutes pour discussion avec les parlementaires. Aimeriez-vous qu'on distribue un texte? C'est déjà fait. Alors, votre texte est considéré comme étant déposé. Il a déjà été distribué. À vous la parole, M. Tremblay.

M. Guy Tremblay

M. Tremblay (Guy): Merci, M. le Président. Je considère comme un honneur de venir témoigner ici aujourd'hui devant cette commission parlementaire. Je remercie la commission de me donner l'occasion de présenter mon point de vue sur l'entente de principe du lac Meech. Je pourrais dire au départ que, même si cela peut paraître une tare à ce cénacle, que je n'ai jamais été membre d'aucun parti politique. Je voulais simplement...

Le Président (M. Filion): Ce n'est pas une tare, M. Tremblay.

M. Tremblay (Guy): Je voulais simplement mettre cette carte sur la table. Je sais très bien que l'objectivité n'existe pas en ce bas monde. Peut-être qu'avec un sourire je pourrai me permettre de dire que j'ai trouvé sympathique d'être ici en même temps que l'Union des écrivains québécois et l'Union des artistes. Je suis d'ailleurs membre de l'Union des écrivains québécois. Ils ne m'ont pas consulté. J'espère qu'on ne se contredira pas trop. Pour ce qui est de l'Union des artistes, je n'en fais malheureusement pas partie. Peut-être que ma prestation serait meilleure cet après-midi. Ce n'était pas ma destinée que d'être artiste. Je suis ici pour parler de la destinée du Québec.

M. le Président, pour intéressant qu'il soit à certains égards, l'accord du lac Meech ne redonnerait pas au Québec la moitié du pouvoir politique qu'il a perdu en 1982. C'est que l'accord porte sur des secteurs particuliers, l'immigration, les programmes à frais partagés, sur des événements rares, les amendements constitutionnels, les nominations à la Cour suprême ou sur des points de principe qu'il laisse nébuleux, le pouvoir de dépenser, la société distincte.

Par contre, l'enchâssement en 1982 d'une charte des droits dans la constitution a ratatiné tous les pouvoirs du Québec, du premier au dernier, et d'une manière continue.

Je ne suis pas partisan d'un contrôle judiciaire diffus des choix démocratiques, même si ce contrôle se fait sous le couvert des droits fondamentaux, par des tribunaux indépendants. Je comprends que ceux qui croient à ce modèle légaliste considèrent comme moins graves les atteintes portées au Québec lors du rapatriement. Il reste que l'expérience américaine semble nous obnubiler l'esprit. La vaste majorité des pays occidentaux, tout aussi respectueux des droits fondamentaux que le sont nos voisins du Sud, ne soumettent pas les politiques des élus du peuple aux avatars des contestations judiciaires de toutes sortes.

Pour illustrer le rétrécissement de l'espace démocratique au Québec, rappelons qu'à l'automne dernier, la Cour d'appel a déclaré inconstitutionnels les articles de la Loi sur la protection du consommateur qui interdisent la publicité destinée aux enfants. Qu'on soit d'accord ou non avec une telle interdiction, cette banalité même devrait nous faire croire qu'elle relève des possibles légitimes dans une société démocratique. Au surplus, une multinationale a eu gain de cause dans cette affaire à titre de personne fictive qui a droit à la liberté d'expression. Il me semble que si on tient à soumettre la volonté populaire à des valeurs supérieures, on devrait au moins centrer ces valeurs sur la personne humaine, en chair et en os.

À côté de cette question de savoir qui

des juges ou des élus doivent avoir le dernier mot à propos des choix politiques, l'adoption de la charte de 1982 pose aussi le problème de l'homogénéisation de la société québécoise et de la société canadienne, même dans les domaines qui relevaient jusque-là de la compétence exclusive du Québec. Les valeurs canadiennes appliquées par les juges dans des affaires comme celle que je viens de mentionner en témoignent. Si on accepte le gouvernement par les juges, on devrait au moins leur faire appliquer au Québec la charte canadienne pour les affaires qui relèvent du fédéral et la charte québécoise pour celles qui relèvent du Québec. On devrait exiger que le Québec participe à la nomination de tous les juges et pas seulement celle des juges de la Cour suprême. À l'heure actuelle, les juges de la Cour supérieure du Québec et de la Cour d'appel du Québec sont choisis unilatéralement par le pouvoir fédéral.

Malgré l'énormité du recul subi en 1982 et l'impossibilité pratique de le corriger à court terme, je crois qu'on devrait tout mettre en oeuvre pour profiter de la conjoncture historique qui s'est présentée au lac Meech. Le Québec ne peut plus se permettre de jouer la politique du pire. C'est pourquoi, dans un esprit de critique constructive, j'indiquerai les avenues qui permettraient, à mon humble point de vue, d'entériner l'accord tout en préservant les voies de l'avenir.

En ce qui a concerne l'immigration, la Cour suprême et la formule d'amendement, l'entente de principe du lac Meech m'apparaît correcte. Je présume, évidemment, que les maladresses dans la rédaction actuelle seront corrigées. Ma seule réserve porte sur l'unanimité qui sera désormais exigée pour toucher aux institutions fédérales; on vient ainsi geler le Sénat actuel dont la réforme s'imposait aux yeux de plusieurs.

Pour ce qui a trait au pouvoir de dépenser, je crois qu'il faudrait préciser qu'on ne vise que les programmes nationaux non normatifs ou volontaires. En effet, si la constitution actuelle reconnaît au fédéral le pouvoir de dépenser dans des domaines de compétence exclusive des provinces, elle ne lui permet pas de l'exercer tout en imposant ses normes, directement ou indirectement. Le juge Pigeon, au nom d'une majorité de la Cour suprême, dans un jugement de 1978, me semble avoir été clair là-dessus. Là où des normes fédérales se sont appliquées dans le cadre de programmes à frais partagés, ce ne pouvait être, juridiquement, que par l'acceptation volontaire des provinces participantes. Pour les mêmes raisons, on devrait chercher à éviter d'utiliser, dans la rubrique, l'expression "pouvoir de dépenser". L'expression "droit de dépenser" serait plus conforme à la nature non normative du genre d'interventions que la constitution a reconnues jusqu'à maintenant.

Quant à la référence aux objectifs nationaux, il faudrait s'assurer que dans le contexte général de la nouvelle rédaction elle ne permet pas au fédérai de faire indirectement ce qu'il n'a pas le droit de faire directement, c'est-à-dire régir une matière provinciale. En d'autres termes, il faudrait s'assurer que ces objectifs ne conditionnent que le droit à la compensation, qu'ils n'ont aucun caractère contraignant en ce qui a trait au programme lui-même. Certes, la meilleure façon de s'en assurer serait d'effacer la référence à de tels objectifs nationaux. Si les précisions que je suggère étaient apportées, cette partie de l'entente du lac Meech serait fort valable. Le Québec ne doit pas craindre de reconnaître dans la constitution un pouvoir fédéral absolument non normatif, pour la bonne raison qu'il en jouit lui-même dans une foule de domaines, notamment dans ses relations internationales, tant commerciales que culturelles.

La fameuse clause sur le caractère distinct du Québec m'apparaît décevante. On savait bien que le fédéral et le Canada anglais n'ont jamais autorisé la spécificité du Québec, ce que la Cour suprême a d'ailleurs constaté avec éclat en 1982 en jugeant que le Québec ne disposait pas d'un droit de veto, même politique. Ce qui frappe dans l'entente du lac Meech, c'est qu'à peu près tout ce que le Québec a demandé a aussi été accordé aux autres provinces. Je n'ai rien en principe contre ce genre de magnanimité, mais a-t-elle sa place dans une clause qui porte sur le caractère distinct du Québec? Il est constant en droit que les clauses doivent s'interpréter dans leur contexte les unes par rapport aux autres. Or, il me semble que le sens qui sera donné au paragraphe b) portant sur la société distincte sera intimement lié au paragraphe a), qui dit que le Canada francophone est concentré au Québec et que le Canada anglophone y est présent. En d'autres termes, les clauses protègent autant la minorité actuelle que la majorité actuelle.

Mise à part cette constatation, il se trouve dans la rédaction de l'entente de principe un trou béant. On ne précise pas que les francophones sont majoritaires au Québec. Imaginons qu'en l'an 2027 il n'y ait plus que 40 % de francophones au Québec et qu'il en reste encore 2 % ailleurs au Canada. La clause du lac Meech serait toujours respectée parce que le Canada francophone serait toujours concentré mais non limité au Québec et que le Canada anglophone serait toujours concentré dans le reste du pays mais présent au Québec. En d'autres termes, la société distincte du lac Meech n'est pas nécessairement en majorité francophone. Je tiens pour acquis que les

parties qui ont conçu l'accord du lac Meech sont de bonne foi et qu'il s'agit là d'un simple oubli. Il est très facile à corriger en ajoutant dans le paragraphe a) l'idée que les francophones au Québec sont majoritaires, ce qui nourrirait du même coup le paragraphe b). Ou encore, on pourrait véhiculer l'idée directement dans le paragraphe b), ce qui en accroîtrait la clarté.

Je ne peux pas croire que le gouvernement fédéral et les autres provinces puissent manifester des réticences à reconnaître qu'à long terme le Québec a le droit constitutionnel de rester majoritairement francophone s'il le désire. Si je me trompe là-dessus et si le gouvernement fédéral et les autres provinces ont des réticences à reconnaître qu'à long terme le Québec a le droit constitutionnel de rester majoritairement francophone, il est impensable d'adhérer à la constitution. Si cet oubli était corrigé, je crois que les clauses sur le caractère distinct du Québec seraient acceptables. Je n'y verrais quand même pas une panacée parce que, comme on l'a vu, elle protégerait tout autant la minorité pour laquelle il existe déjà de bonnes garanties dans la constitution et parce que plusieurs indices laissent croire que le paragraphe (3) n'est pas susceptible d'application par les tribunaux. À mon avis, le paragraphe (3) confère ce qu'on a appelé en droit international des droits de l'homme un "program right", c'est-à-dire un droit d'application successive laissée à la discrétion des autorités politiques, par opposition aux droits susceptibles d'application immédiate, comme ceux qu'on trouve, par exemple, dans la charte canadienne.

Il reste la question stratégique plus globale de savoir si on doit adhérer à la constitution une fois formalisée l'entente de principe du lac Meech. Pour ma part, j'ai la conviction que le Québec ne devrait pas s'abandonner pieds et poings liés à l'ordre constitutionnel canadien sans assurer ses arrières. Il y a, dans la constitution canadienne, y compris dans les termes du lac Meech, trop de camisoles de force et trop d'impondérables pour y laisser tout l'avenir du Québec.

La meilleur solution qui m'est venue à l'esprit consisterait à proclamer, avant ou en même temps, le droit du Québec à l'autodétermination. L'Assemblée nationale pourrait imaginer à cet égard des termes simples et respectueux de toutes les parties en cause. Le Québec a décidé d'exercer ce droit à l'autodétermination en 1980, et il a alors choisi de rester dans la confédération. Il faudrait qu'il soit clair qu'à long terme il reste habilité à se prononcer à nouveau sur sa propre destinée.

L'avantage d'une telle proclamation par l'Assemblée nationale serait de faire ressortir que le Québec n'est pas seulement une entité juridique distincte dans l'organisation formelle de l'État canadien, mais aussi, plus fondamentalement, un peuple qui trouve, dans le fin fond de lui-même, un ressort d'initiative et de spontanéité inaliénables. En tout cas, il ne faudrait certainement pas que le silence du Québec à ce chapitre puisse être interprété, de près ou de loin, comme une renonciation à l'autodétermination qu'on lui a déjà reconnue et dont on s'est autorisé pour faire l'opération de 1982.

J'exhorte le gouvernement du Québec à réaliser qu'il n'a pas le droit, selon une morale politique élémentaire, de risquer de faire, même involontairement, une telle renonciation. Nous n'avons pas besoin de la permission de nos partenaires canadiens pour affirmer notre droit à l'autodétermination; c'est pourquoi je ne vois pas comment cet aspect des choses pourrait constituer une entrave à la conclusion de l'accord. À la condition que soient corrigées les deux difficultés majeures que j'ai soulignées et à la condition que le Québec réaffirme son droit à l'autodétermination avant d'adhérer à la constitution canadienne, sous réserve de la formulation finale, je crois que le Québec pourrait avantageusement donner suite à l'entente de principe du lac Meech.

Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Merci, Me Tremblay.

La parole est maintenant au ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes. Chaque groupe parlementaire dispose de vingt-deux minutes et demie.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Merci, professeur Tremblay, d'avoir accepté de venir témoigner devant nous cet après-midi sur cette entente du lac Meech. Je vais vous lire un passage de ce que le chef de l'Opposition disait, lorsqu'il était ministre des Affaires intergouvernementales. Il disait ceci: "Le droit à l'autodétermination du peuple québécois, pour moi, s'est exercé également en 1980 lors de la tenue du référendum indépendamment du choix qu'ont pu faire les Québécois. C'était un acte qui découlait du droit à l'autodétermination. Je crois que ce droit à l'autodétermination existe et qu'il n'a pas à être reconnu légalement pour valoir et pour exister par d'autres, par exemple, par l'ensemble du Canada."

Dans un article du Devoir du vendredi 25 janvier 1985, on lisait: "Au surplus, il serait extrêmement dangereux pour le Québec de se voir opposer un refus à une demande d'inclusion juridique du droit à l'autodétermination dans la constitution canadienne." Qu'est-ce que vous en pensez? Vous, vous voulez qu'on inclue le droit du Québec à l'autodétermination. Qu'est-ce que vous pensez de cela?

M. Tremblay (Guy): Voici, M. le ministre. Je ne pense pas qu'on doive inclure dans l'entente du lac Meech a demander à nos partenaires canadiens de nous reconnaître le droit à l'autodétermination. Ce que je dis, c'est qu'on devrait le proclamer nous-mêmes ici - je ne me mets pas là-dedans - mais l'Assemblée nationale devrait unilatéralement le proclamer en des termes simples et respectueux pour s'assurer qu'elle ne renonce pas en adhérant à la constitution canadienne à son ressort d'initiative propre. C'est très simple et comme je l'ai mentionné dans mon texte, on n'a pas à demander que ce soit inclus formellement dans l'accord.

M. Rémillard: Je comprends que vous avez peur que l'entente du lac Meech empêche le Québec de se séparer et de faire l'indépendance.

M. Tremblay (Guy): Non, je n'ai pas peur du tout de cela en raison de l'indépendance. Je pense que le droit à l'autodétermination, comme le mot le dit, permet au peuple du Québec de choisir tous les possibles dans l'avenir. C'est ce que je veux préserver. C'est un droit fondamental et il y a un danger qu'on y renonce ou qu'au moins les parties plaident qu'on y a renoncé en adhérant à l'accord, à la constitution, après ce qui s'est passé à la suite du référendum et du rapatriement unilatéral de 1982. Ce danger-là, une renonciation, je crois, serait éliminé si on réaffirmait qu'en adhérant on n'y renonce pas.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le professeur Tremblay. M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Est-ce que le ministre croit que le Québec a le droit à l'autodétermination?

Une voix: Non?

M. Rochefort: II fait signe que non, M. le Président.

Une voix: II fait signe que non.

M. Rochefort: Est-ce qu'il fait signe que non?

M. Johnson (Anjou): Est-ce que le ministre croit que le Québec a le droit à l'autodétermination?

M. Rémillard: M. le chef de l'Opposition, si vous voulez, posez votre question à votre invité.

M. Johnson (Anjou): Non, mais je pose ma question. Elle m'apparaît assez...

M. Rémillard: C'est vous... M. le Président...

M. Johnson (Anjou): M. le Président, comme c'est mon droit de parole...

M. Rémillard: M. le Président, si vous me permettez, je voudrais qu'on établisse une chose. On a des invités, qui ont été même convoqués par l'Opposition. Je pense que M. Tremblay vient a la demande de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Ce n'est pas le cas.

M. Rémillard: À ce moment-là, je pense bien qu'on devrait être au moins assez polis pour poser les questions à Me Tremblay. Me Tremblay, je le connais. Il était professeur de droit constitutionnel avec moi. Je pense qu'il mérite qu'on lui pose des questions. Voulez-vous, s'il vous plaît, maintenir les règles de cette procédure?

Le Président (M. Filion): Oui. M. le ministre, depuis le début de nos travaux -cela va, M. le député de Gouin - il est arrivé à plus d'une occasion que les parlementaires se sont posé des questions l'un à l'autre, comme d'ailleurs il leur est toujours loisible de le faire en vertu de nos règles. Il est arrivé à beaucoup plus d'une reprise que, de part et d'autre, des questions ont été posées et des réponses ont été données et, dans certains cas, comme ce matin, il y a eu des refus de répondre. Donc, je dois constater comme président qu'un parlementaire à qui une question est adressée refuse d'y répondre et, à ce moment-là, comme je m'apprête à le faire, je vais donner de nouveau la parole au chef de l'Opposition pour qu'il puisse...

M. Rémillard: Tout simplement... (14 h 30)

Le Président (M. Filion): Oui, M. le ministre.

M. Rémillard: ...M. le Président, je voudrais qu'on comprenne bien que, dans un régime parlementaire comme le nôtre, il y a une période qui s'appelle la période de questions que nous avons trois fois par semaine, et toutes les questions que veut me poser l'Opposition, elle peut me les poser à ce moment-là. Nous sommes en commission parlementaire et le but de cette commission parlementaire est d'entendre des témoignages des experts, des groupes, qui viennent nous livrer leurs commentaires. Nous sommes ici pour les entendre. C'est ce que nous faisons ici avec plaisir: nous entendons nos experts, nous entendons les gens qui viennent témoigner devant nous, les groupes. J'aimerais, s'il vous plaît, qu'on puisse s'en

tenir... Je demande la collaboration de l'Opposition là-dessus. Posez-moi toutes les questions que vous voulez pendant la période de questions, mais, s'il vous plaît, par courtoisie, par efficacité pour cette commission, voulez-vous poser vos questions à nos invités?

M. Johnson (Anjou): M. le Président...

Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): ...je pense que j'ai la parole. D'abord, pour Me Tremblay, j'aimerais dire que c'est le ministre et non pas I'Opposition qui a dressé la liste des invités que nous entendons. Je crois que Me Tremblay a été très précis sur cette question en arrivant. Il a expliqué qu'il ne fait partie d'aucune formation politique. Je rappellerai aux membres du gouvernement que ce sont eux qui ont choisi la liste. Me Tremblay ainsi que des dizaines d'autres citoyens et de groupes, que ce soient des spécialistes - ce qui est le cas de Me Tremblay - des mouvements nationaux, des syndicats ou d'autres, avaient demandé à être entendus par cette commission. Ce n'est pas l'expert de l'Opposition, contrairement à ce que vient de laisser entendre le ministre. Quand je dis que parfois le ministre est à la marge de la démagogie, c'est précisément ce dont je parle. Il vient d'en donner un bel exemple qui n'est pas renversant, je crois, de rigueur intellectuelle et de respect à l'égard de nos invités.

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: Cela dit, est-ce qu'on peut procéder au dialogue avec notre invité qui est ici pour ça? M. Tremblay a demandé effectivement à être entendu. On l'entend et je me demande ce qu'on attend pour procéder, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Donc, la parole est à M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, je... Si le leader adjoint du gouvernement me le permet, je réitère donc ma question et je demande au ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes s'il considère que le peuple québécois a le droit à l'autodétermination. Je pose ma question à un membre du gouvernement qui a, en ce moment...

M. Lefebvre: Question de règlement, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Sur la question de règlement, je vais vous entendre, M. le leader adjoint du gouvernement.

M. Lefebvre: Même si c'est le chef de l'Opposition qui, au moment où on se parle, au moment de l'interrogatoire de notre invité, a la parole, je vous inviterais à rappeler respectueusement au chef de l'Opposition que les règles établies depuis deux semaines d'audiences valent encore et valent toujours, même pour le chef de l'Opposition. Jusqu'à maintenant, avec nos invités, en respectant la règle de l'alternance, on a d'abord procédé au dialogue, à l'interrogatoire de nos invités. Je vous inviterais, M. le Président, à rappeler au chef de l'Opposition que c'est la façon la plus logique et intelligente de procéder.

Si le chef de l'Opposition a des questions à poser au ministre, comme M. le ministre l'a expliqué tout à l'heure, il aura tout le loisir de le faire au forum prévu pour ça à l'Assemblée nationale.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le leader adjoint.

Sur la question de rèqlement, M. le député de Gouin.

Une voix: On n'est pas parti pour finir à 17 heures.

M. Rochefort: D'abord, la façon rigoureuse et intelligente de procéder serait de déposer les textes juridiques traduisant l'entente du lac Meech afin de permettre à nos invités, comme à tous les membres de la commission, de comprendre encore mieux la portée et les conséquences que pourra représenter pour l'avenir du Québec l'entente qui a été conclue au lac Meech.

Deuxièmement, je pense que si le leader adjoint du gouvernement veut soulever des questions de règlement, il doit le faire au moment où quelqu'un autour de la table pourrait décider de ne pas répondre et non pas pendant que le chef de l'Opposition a le droit de parole sur les 22 minutes qui lui sont accordées. Le chef de l'Opposition, comme tout autre membre de la commission, peut utiliser le temps de parole qui lui est accordé de la façon qu'il juge la plus utile. La seule chose que le leader adjoint devrait nous dire, au lieu d'essayer d'entrecouper les interventions du chef de l'Opposition, c'est de dire que le ministre, comme d'habitude, a peur de répondre. Cela serait plus simple, plus court et plus clair.

Le Président (M. Filion): Oui, je vous redonne la parole, M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Merci, M. le Président. Je me permets, en souhaitant qu'on puisse le constater clairement, de réitérer ma question, puisque le ministre a déjà accepté de répondre à des questions que

j'ai posées dans le courant de cette semaine. À l'occasion de la présence de certains de nos invités, lorsque je demande si le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes que j'ai devant moi, qui a la responsabilité du dossier constitutionnel dans le gouvernement du Québec, considère que le Québec a le droit de s'autodéterminer? Je constate que le ministre ne répond pas et c'est un sujet de préoccupation considérable.

Une voix: On va faire une exception à la règle, M. le Président.

M. Rémillard: M. le Président...

Le Président (M. Filion): La parole est à M. le ministre.

M. Rémillard: J'ai de la difficulté à comprendre vraiment ce que veut le chef de l'Opposition. J'ai constaté une certaine nervosité. Maintenant, c'est une nervosité certaine. Cela a commencé hier soir et ce matin il me disait que j'étais à la limite, tout à l'heure que j'étais à la marge de la démagogie, que je disais des choses qui étaient rapportées directement par le témoin, Me Fortier, le bâtonnier Fortier. Et tout à coup, il se met à s'énerver, agressif. Nous sommes dans une commission parlementaire. Jusqu'à présent, je dois vous dire que cela s'est bien déroulé. Pourquoi ne garderait-on pas cela comme cela? On a un expert devant nous, Me Tremblay. Pourquoi voulez-vous prendre des mesures dilatoires pour occuper le temps, ce qui empêche M. Tremblay de répondre aux questions? C'est simple, on a une heure, n'est-ce pas, pour répondre. Alors, dans la mesure où vous nous empêchez d'interroger M. Tremblay, on perd du temps. Justement, actuellement, parce que je suis obligé de vous répondre, on perd du temps. C'est cela votre tactique? Vous avez réussi. Merci. C'est cela. Vous m'empêchez de poser des questions. C'est cela que vous voulez faire.

Le Président (M. Filion): La parole est à M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, est-ce que je pourrais savoir combien il me reste de temps?

Une voix: C'est ça la tactique.

Le Président (M. Filion): Dix-sept minutes, M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Dix-sept minutes, ce qui n'est pas assez. J'aurai quelques questions pour Me Tremblay. Avant, je vais être obligé d'en prendre cinq. J'ai quand même un peu de temps pour m'entretenir et entretenir cette commission d'un certain nombre de choses.

Le Québec a le droit à l'autodétermination. Je pense qu'une des rares personnes dans cette Assemblée qui ne semble pas en être consciente ou qui a peur de l'exprimer, c'est précisément le ministre responsable de ce dossier. De montrer l'hésitation qu'il montre face à une pareille question, de s'en remettre à des questions de procédure et de vacuité de discours, alors qu'il s'agit d'une chose fondamentale quant à l'avenir de notre peuple, pour moi démontre combien l'avenir du Québec est fragile entre des mains pleines de pouces comme celles que je vois.

Si le ministre est incapable d'affirmer clairement que le peuple québécois a le droit à l'autodétermination, je pense qu'il ne mérite pas d'occuper la place qu'il occupe dans un dossier où il s'agit de l'avenir du Québec. Et s'il voit dans mes questions insistantes et ma volonté d'avoir des clarifications quant aux enjeux fondamentaux pour l'avenir du Québec de l'énervement, je dirai qu'il ne fait pas la différence entre l'épine dorsale et l'énervement. Si le Québec est prêt à signer le "Canada Bill", il ne doit pas le signer à n'importe quelle condition. Je pense que la plupart des experts, y compris entre guillemets, "ceux que vous auriez fait venir vous-mêmes", ont exprimé de telles réserves. Mais je considère que le gouvernement fait preuve de mollesse, de faiblesse et représente, face aux générations à venir, un danger dans le traitement irresponsable et précipité de ce dossier, si ce gouvernement et le ministre responsable du dossier sont incapables de répondre à cette simple question: Est-ce que le peuple québécois a le droit de s'autodéterminer? Quant à moi, je considère que oui. Je sais qu'au Canada anglais, un certain nombre de personnes considèrent qu'il ne faut surtout pas que cela existe. Je sais que, oour un certain nombre de personnes, des compromis d'apparence dans le dossier constitutionnel sont sur le point de se matérialiser. Je sais qu'il y a derrière cela une volonté très claire d'une partie du Canada anglais de faire avouer à un gouvernement transitoire - tous les gouvernements le sont - à un gouvernement qui représenterait démocratiquement le peuple québécois, d'amener un gouvernement, dis-je, à renoncer d'une façon explicite, ne serait-ce que par le silence qu'il nous oppose, au droit du peuple québécois à s'autodéterminer.

Je pense qu'il est de la responsabilité -comme vient de le dire Me Tremblay et comme de nombreuses personnes préoccupées par ces questions au Québec l'ont dit - de ce ministre et de ce gouvernement d'affirmer clairement, avant d'engager irrémédiablement l'avenir du Québec, que ce peuple a le droit de s'autodéterminer. Ce silence inexplicable, compromettant, dange-

reux, de la part d'un ministre, à mon avis, teinte et marque, colore l'atmosphère de précipitation dans laquelle vous vous apprêtez à faire avaler au Québec le règlement à la baisse du passé en même temps que vous enbouchez l'avenir.

Le ministre pourra pérorer ou ergoter tant qu'il le voudra. Il n'aime pas les mots que j'utilise. Je lui ferai remarquer que je suis beaucoup plus généreux à son égard que son chef ne l'est à mon égard en Chambre, qui lui ne se gêne pas pour utiliser un langage méprisant. Je lui ferai remarquer qu'il a eu droit jusqu'à maintenant à des égards que le chef de l'Opposition n'a pas venant du premier ministre. J'entends terminer, M. le Président, si ça ne dérange pas trop le leader adjoint du gouvernement.

M. Lefebvre; Ça va bien parler du chef quand il n'est pas là...

Le Président (M. Filion): À l'ordre. À l'ordre, s'il vous plaîtl

M, Johnson (Anjou): De toute façon, votre chef n'est jamais là. Il se cache.

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaîtl

M. Lefebvre: M. le...

Le Président (M. Filion): M. le leader, je pense que, si vous avez une question de règlement...

M. Lefebvre: Oui, M. le Président.

Le Président (M. Filion): II y a un temps de parole qui est laissé à la disposition des membres de la majorité. Question de règlement.

M. Lefebvre: Ça va bien, lorsqu'on parle des absents. J'inviterais le chef de l'Opposition à tenir ces propos mardi, à la prochaine séance de l'Assemblée nationale. Vous ferez vos commentaires au chef du gouvernement. II sera présent devant vous, à ce moment.

Le Président (M. Filion): La parole est à M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Me Tremblay, j'aurais donc une question à vous poser qui porte surtout sur le début de votre texte. Cela m'apparaît une contribution peut-être plus explicite encore à cette dimension du gouvernement par les juges, si vous me passez l'expression. Je pense qu'on se comprend. Beaucoup de groupes d'experts qui sont venus devant nous ont évoqué cette question du gouvernement par les juges, c'est-à-dire que l'incapacité pour le pouvoir politique, pour les qens élus au Québec comme dans l'ensemble canadien, en ce moment, d'être capable de clarifier les choses fait qu'en pratique on s'en remet aux tribunaux pour faire ce que les Américains dans la littérature politique appellent le "policy making". On se sert de la voie juridique pour y arriver. Je me permets, -d'ailleurs, de vous dire qu'à mes yeux les trois éléments sous la rubrique "société distincte", les points 1, 2 et 3 de la société distincte qui, en pratique, dans un cas, évoquent la dualité canadienne et le bilinguisme y compris pour le Québec, le point 2 qui dit: toutes les Législatures y comprise celle du Québec doivent protéger la caractéristique fondamentale du Canada qui est la dualité et le point 3 qui dit que le gouvernement et l'Assemblée nationale peuvent protéger et promouvoir le caractère distinct du Québec, ces trois points, dis-je, sont à mes yeux une sorte de triangle des Bermudes juridique de l'avenir du Québec, une espèce de "no man's land" aui sera interprété par les savants juges de la Cour suprême où viendront échouer l'un après l'autre les vaissaux lancés par les éventuelles occupations législatives du Québec en vertu de l'article 92. (14 h 45)

Cela procède, je crois, à la fois d'une dimension politique et d'une dimension juridique. La dimension politique, c'est l'incapacité, l'absence de courage des politiques, dans le fond, de dire: On va clarifier des choses. L'exemple le plus frappant de cela au Canada, comme aux États-Unis d'ailleurs, c'est la question de la peine de mort et de l'avortement, où, à toutes fins utiles, les législateurs n'ayant pas été clairs, ce sont les tribunaux qui déterminent en fin de compte en société autour de sujets aussi prenants que ceux-là. Qu'est-ce qu'ils traduisent? Ils traduisent fondamentalement une incapacité pour le pouvoir politique de trancher. On laisse aux tribunaux l'appréciation de choses aussi fondamentales.

J'aimerais peut-être, à partir de la première partie de votre exposé - je parle des trois premières pages - vous entendre expliciter quelque peu la notion de gouvernement par les juges.

M. Tremblay (Guy): Je pense que dans les pays occidentaux auxquels je fais référence, surtout en Europe, il y a des modèles différents auxquels on est moins familier et il s'agit de pays où les droits concrets des citoyens sont tout aussi bien garantis. Je ne veux pas faire une critique systématique du système américain. Je pense que c'est un pays, à l'évidence, démocratique. Mais, quand on regarde, par exemple, des pays comme le Royaume-Uni, eh bien, la souveraineté parlementaire

prévaut toujours là. Quand on regarde la plupart des pays occidentaux en Europe, sauf peut-être la Grèce, il n'y a pas de contrôle diffus par les juges, un contrôle générai de la constitutionnalité des lois. Il y a un contrôle restreint. Alors, par exemple en France, sans vouloir entrer dans les subtilités, les politiciens peuvent saisir, avant l'adoption de la loi, un conseil constitutionnel, formé lui-même dans une large mesure d'anciens politiciens ou d'hommes politiques. Donc, là souvent où on a un contrôle des choix politiques par le judiciaire, il est circonscrit, si vous voulez, il est limité dans le temps, il est très encadré par une procédure spécifique dans la constitution. II n'est pas diffus comme ici. Personnellement, je respecte beaucoup les choix de ceux qui croient dans le modèle américain, qui est, essentiellement, le modèle de la loi de 1982.

Je crois qu'il y a deux philosophies de base dans ce domaine. J'ai la mienne et tout ce que j'ai lu à venir jusqu'à maintenant, tout ce que j'ai vu, de bonne foi, je reste absolument convaincu que le système de la souveraineté parlementaire, surtout dans le cas du Québec, est meilleur et pour deux raisons. C'est que, disons, théoriquement, ce qui n'est pas prouvé... On pourrait démontrer que le système à l'américaine est meilleur, disons, que le système à la britannique. Même si, théoriquement, on pourrait démontrer cela, ce qui est indémontrable à mon point de vue parce qu'il y a une immense littérature juridique où c'est discuté, c'est probablement le problème le plus fondamental en droit constitutionnel. Donc, si on admettait que le système à l'américaine est meilleur, en théorie, il reste qu'il serait probablement moins bon pour le Québec parce qu'au Québec, il n'a pas simplement pour effet de transférer au judiciaire des choix politiques, mais il a, en plus - comme je l'ai mentionné - un deuxième effet qui n'existe pas aux États-Unis ou au Canada anglais, celui, pour les domaines qui relèvent du Québec, d'homogénéiser les valeurs, les choix politiques, les choix de société.

Alors, il y a un second effet qui est complètement distinct du premier qui, déjà, pose des problèmes et qui, pour moi, rend ce système beaucoup moins bon pour le Québec. D'ailleurs, imaginons... M. le ministre a fait référence tantôt à l'indépendance et je ne suis pas venu ici pour parler d'indépendance, mais simplement pour illustrer mon idée, la différence des effets. Imaginons que le Québec serait indépendant. Je pense qu'il serait légitime, à ce moment-là, ou il serait possible, de dire: On va constitutionnaliser une charte des droits au Québec. Cela n'aurait pas le double effet à ce moment-là que j'évoque, mais ce serait un choix que l'on pourrait faire. Alors, à mon point de vue, pour le Québec, ce choix de la constitutionnalisation de la charte des droits, ce transfert de pouvoirs politiques des élus du peuple que vous êtes au pouvoir judiciaire, nommé par le gouvernement fédéral, a un double effet qui est, à long terme, extrêmement pervers.

M. Johnson (Anjou): Merci, maître.

Le Président (M. Filion): M. le ministre.

M. Rémillard: M. le professeur Tremblay, avez-vous eu le temps de regarder l'entente du lac Meech en ce qui regarde la Cour suprême du Canada?

M. Tremblay (Guy): Oui, je suis parfaitement d'accord avec ce qui est inscrit là, justement un peu pour les mêmes raisons. Voyez-vous, on a discuté dans le passé de la possibilité de changer les modes de nomination des juges, par exemple de faire des choix en fonction des qualifications, des choix plus objectifs, mais maintenant qu'on a un système constitutionnel où les juges ont un plus grand rôle politique à jouer, je pense qu'il faut que ce soit une nomination par le pouvoir politique. Dans la mesure où les gouvernements provinciaux seront mis à contribution avec le gouvernement fédéral, j'imagine que, dans le choix des juges, ils vont utiliser des considérations politiques au sens large, n'est-ce pas, pas des considérations politiques nécessairement partisanes mais des politiques au sens large et je trouve que c'est le meilleur système dans le contexte actuel d'une charte des droits pour choisir les juges de la Cour suprême.

Personnellement, je suis parfaitement d'accord avec ce qui est inscrit là. J'ai mentionné au début de mon texte qu'il y avait certaines difficultés, peut-être, de rédaction. C'est simplement une entente de principe. Vous connaissez, M. le ministre, ce à quoi je fais référence, probablement au fait que c'est écrit: "proposés par les provinces". Je suis convaincu que, dans la rédaction finale, cela sera facile à rétablir. J'imagine que les trois juges du Barreau du Québec seront choisis sur la proposition du gouvernement du Québec. J'imagine.

Le Président (M. Filion): Cela va?

M. Johnson (Anjou): Sur la société distincte, maître, rapidement, considérez-vous que même si on ajoutait les mots "le Québec, société distincte à cause de la langue ou à cause du français", cela changerait la valeur et l'importance de cette clause dans l'interprétation des lois? Je m'explique: Beaucoup de vos collègues sont venus témoigner ici, et à l'exception de Me Fortier, qui est un avocat praticien, la

plupart d'entre eux nous ont affirmé qu'il s'agissait ici d'une clause d'interprétation, donc -qui ne serait pas utilisée nécessairement systématiquement, constamment; deuxièmement, que les juges n'étaient même pas contraints à utiliser cette clause d'interprétation. Encore une fois, je dois dire cependant, à sa décharge, qu'un des témoins qui est venu, Me Fortier, prétendait plutôt le contraire. Il semblait abonder un peu dans le sens du ministre, qui parlait d'une clause d'interprétation substantive qui est un concept que je connais peu. Mais même si on qualifiait la notion de société distincte autour de la langue française ou du fait français, croyez-vous que -cela aurait un effet majeur en pratique sur la capacité du Québec de déborder le cadre dans lequel il est limité en ce moment pour légiférer dans le secteur linguistique?

M. Tremblay (Guy): D'abord, M. le leader de l'Opposition, je dois dire que contrairement, probablement, à la majorité des personnes, au moins à celles que j'ai entendues, je crois que la société distincte, comme je l'explique dans mon texte, est déjà définie dans le texte, dans le sens suivant: évidemment, on peut faire toutes sortes de définitions dans un texte juridique, on n'est pas obligé de mettre deux points et de dire: voici ce que c'est. Ici je suis convaincu -maintenant, je respecte l'opinion contraire -que si on demandait avec ce texte-ci aux tribunaux: qu'est-ce que la société distincte? ils diraient ceci: la société distincte de Québec, c'est une société où le Canada anglophone est présent et où le Canada francophone est concentré. Je suis convaincu qu'ils diraient cela. La définition est là, elle est ancrée dans une conformation linguistique particulière et je dis distincte, parce que, justement, ailleurs au Canada, le texte dit que c'est autre chose en d'autres mots. Les clauses étant interprétées les unes par rapport aux autres, alors pour moi, la définition ancrée dans le linguistique est là et j'ai énormément de difficulté à concevoir qu'il en soit autrement, encore que je respecte les autres opinions là-dessus.

Étant entendu que je considère que c'est le sens de "société distincte" écrit dans l'accord du lac Meech, je suppose que vous voulez maintenant me demander quel effet cela aura. Si c'est vrai que cette définition est la bonne, je pense que c'est difficile de voir si elle sera utilisée pour l'aspect anglophone et pour l'aspect francophone. Je suppose que cela va dépendre des causes. Cela peut aller aussi bien d'un côté que de l'autre, je pense que c'est une médaille à deux faces. J'ai suggéré dans mon texte, quant à avoir une définition basée sur la linguistique, de préciser que, au moins, l'aspect francophone est majoritaire, ce qui laisserait l'autre aspect anglophone aussi, mais cela donnerait une précision et, sûrement, à long terme, aurait un effet interprétatif susceptible de promouvoir le français, au moins dans la mesure nécessaire pour maintenir la majorité, parce qu'on dirait "majoritaire" dans la définition.

M. Rémillard: Me Tremblay, est-ce que vous avez eu l'occasion de regarder aussi ce que nous obtenons pour l'immigration?

M. Tremblay (Guy): Oui, j'ai regardé cela de très près et, comme je l'ai mentionné dans mon texte, je trouve que c'est très valable. On dit généralement que l'immigration est un pouvoir partagé en vertu de l'article 93, mais en vertu de" l'interprétation que les tribunaux en avaient faite, en pratique, il n'était plus partagé. Il n'y avait plus d'espace pour les provinces d'intervenir en matière d'immigration, parce que l'interprétation constitutionnelle du début du siècle, que vous connaissez aussi bien que moi, à la suite de l'adoption d'un régime global d'immigration par le fédéral, rendait incompatibles les interventions provinciales, ne laissait plus d'espace aux provinces.

Malgré le fait qu'au départ, c'était censé être un domaine partagé, en pratique, en vertu d'une certaine interprétation constitutionnelle qui me semblait prévaloir jusqu'à l'entente Cullen-Couture, il n'y avait plus d'espace pour les provinces, de sorte qu'on redonne un espace que les Pères de la confédération du siècle dernier avaient, je suppose, pensé laisser aux provinces. Je trouve cela très correct.

M. Rémillard: Est-ce qu'il me reste du temps?

Le Président (M. Filion): Est-ce qu'on pourrait me dire combien de temps il reste? Treize minutes du côté ministériel et quatre minutes du côté de l'Opposition. (15 heures)

M. Rémillard: Je viens de finir une question, je n'ai pas autre chose.

M. Brassard: M. le Président, je sais que vous avez une question. Alors, allez-y.

Le Président (M. Filion): Évidemment, il n'est pas facile de travailler sans texte juridique, dans votre métier. Je dois vous dire que j'ai été extrêmement frappé, lorsque j'ai lu l'accord du lac Meech pour la quatrième ou cinquième fois, et que je me suis aperçu comme vous que, finalement, la lecture de la clause sur le caractère distinct demande une lecture attentive, presque mathématique, lorsqu'on parle du Canada francophone qui est presque concentré mais non limité au Québec, et du Canada anglophone qui est concentré dans le reste du pays, mais présent au Québec, mais tout

cela, cette belle mathématique, genre théorie des ensembles, fait en sorte que rien dans le texte, dans sa facture actuelle, ne permet de conclure que le Québec est effectivement majoritairement francophone. Dans votre exposé, à la page 6, je pense que vous le soulignez fort bien. Est-ce que cette lacune dans la facture du communiqué de presse du lac Meech réduit d'autant, quant à vous, la portée de cette distinction du Québec?

M. Tremblay (Guy): Je crois que oui. Je pense que, comme je l'ai mentionné, c'est une lacune évidente. Par contre, ce qui m'apparaft important dans la précision à propos de la majorité se situe à l'intérieur de la problématique plus globale des pouvoirs du Québec en matière de langue. Alors, on dit à peu près ceci: Depuis 1982, le Québec a dû céder de gré ou de force des pouvoirs en matière linguistique. Moi, normalement, j'aimerais mieux que le Québec les ait conservés. Maintenant, s'il n'y a réellement pas moyen de rapatrier au Québec la juridiction totale en matière linguistique, au moins qu'on nous dise: On vous enlève des pouvoirs un peu pour préserver les droits des minorités, la minorité anglophone en particulier. Tant mieux! Mais, au moins, mettez quelque part une garantie de fond sur la préservation de la majorité francophone. Je trouve qu'on ne doit pas perdre sur les deux tableaux. Si le Canada anglais ne veut pas reconnaître ou nous donner cette sécurité linguistique à long terme, qu'il ne nous enlève pas nos pouvoirs. S'il veut nous enlever nos pouvoirs, qu'il mette clairement une garantie qui va nous rassurer à long terme. C'est un peu dans cette problématique que le texte actuel est trop faible à cet égard, certainement.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Me Tremblay.

M. Rémillard: II reste combien de temps?

Le Président (M. Filion): Treize minutes de votre côté. Évidemment, cela n'a pas dû se modifier, et il reste plus d'une minute à l'Opposition.

M. Rémillard: Me Tremblay, est-ce que vous avez regardé un peu la formule d'amendement?

M. Tremblay (Guy): Oui. D'abord, sur la formule d'amendement, je pense que le principal avantage de l'entente de principe du lac Meech, quelque chose qui me paraît très crucial, c'est d'avoir comblé la compensation dans les cas de retrait en matière autre que culturelle et d'éducation. C'est un trou béant qui existait dans la loi de 1982 et qu'il importe de combler le plus rapidement possible. On voit dans les journaux la possibilité, par exemple, d'un accord sur le libre-échange. Je sais que vous soutenez probablement, si le traité sur le libre-échange avec les États-Unis empiétait sur les pouvoirs du Québec, que le Québec aurait une espèce de veto. Je ne sais trop comment vous formulez cette chose. Moi, je dirais plutôt qu'il a le droit de préserver législativement ses juridictions en vertu du célèbre "Labor Convention's Case". Je crois que c'est important. Imaginons que, dans le cadre d'une grande opération de libre-échange, on soit amené à vouloir préserver certaines juridictions du Québec en matière commerciale, qu'il y ait un amendement constitutionnel pour mettre en oeuvre le traité de libre-échange et que le Québec se retire, il serait très important qu'il ait le droit, en matière commerciale, d'avoir une compensation pour s'être retiré dans l'hypothèse que j'évoque. Je trouve que le principal avantage de l'accord du lac Meech, c'est donc l'extension du droit à la compensation en cas de retrait pour tous les cas de transfert de pouvoirs au fédéral. Pour ce qui est de la modification du veto et la modification des institutions centrales, évidemment, le Québec a obtenu le droit de veto. Personnellement, je trouve un peu, pas mal, certainement rigide le fait d'exiger l'unanimité pour modifier ces choses-la. Je trouve qu'on avait déjà suffisamment de cas où il fallait l'unanimité à l'article 41. Il faut faire attention, parce que l'unanimité, pour moi, c'est quasiment geler ad vitam aeternam bien des choses dans un portrait constitutionnel qui est déjà, à certains égards, très insatisfaisant à mon point de vue, par exemple, la présence du Sénat fédéral dans le Parlement canadien.

Le Président (M. Filion): Merci, Me Tremblay. M. le ministre, avez-vous terminé? M. le chef de l'Opposition?

M. Johnson (Anjou): Merci, Me Tremblay.

Le Président (M. Filion): M. le ministre.

M. Rémillard: Me Tremblay, je crois comprendre pourquoi, tout à l'heure, l'Opposition hésitait à vous poser des questions et voulait me les poser à moi. La nervosité, cela se comprend maintenant assez bien. Vous venez de nous dire que la Cour suprême, c'est très bien. La formule d'amendement, cela va très bien. L'immigration, c'est vraiment de très bons gains. Je lis dans votre mémoire, à la paqe 5: "Si cet oubli était corriqé, je crois que la clause sur le caractère distinct du Québec serait acceptable." Donc, même la société distincte, cette clause, vous serait acceptable. Et cet oubli, pour vous, c'est le

fait qu'on n'a pas mentionné expressément que le Québec est en majorité francophone. Je vous avoue que, pour nous, lorsqu'on comprend l'article (l)a), c'est évident que le Québec est en majorité francophone parce que, certes, (l)a) se réfère au linguistique, c'est une description linguistique et, évidemment, cela signifie que le Québec, par son libellé, est majoritaire. Mais je prends bonne note de votre remarque.

Cela dit, je considère que c'est une très bonne remarque que vous nous faites et on l'étudiera, mais je considère qu'en mettant cela, vous ne voyez pas l'obligation, vous, de définir la société distincte ou quoi que ce soit et vous trouvez que c'est acceptable. Donc, on en est rendu, si je comprends bien, à quatre sur cinq.

Une voix: Quatre et demi, quatre et demi.

M. Rémillard: Très bien, je reviendrai tout à l'heure.

M. Johnson (Anjou): Vous allez lui permettre de réagir peut-être. Par politesse - ce dont vous me parliez tout à l'heure -on pourrait peut-être permettre à Me Tremblay de réagir. J'ai l'impression qu'il a peut-être l'impression que vous ratatinez un peu le sens de son exposé.

M. Tremblay (Guy): J'ai vérifié dans le Petit Robert le mot "concentrer". J'y ai réfléchi et je crois que cela n'implique pas nécessairement "majoritainement francophone". Je crois que c'est un des oublis majeurs et, je l'ai mentionné, pour moi c'est certainement sine qua non. Je ne crois pas que... En tout cas, si vous le mettez, je serai d'accord, je l'ai inscrit, sauf que...

M. Rémillard: J'en prends bonne note. Me Tremblay, je prends bonne note que si on le mettait, pour vous, ce serait acceptable d'une façon ou d'une autre. Alors, j'en prends bonne note. Je laisse l'Opposition, si vous voulez, terminer son temps.

Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il y a des questions de ce côté-là? Non. Est-ce qu'il y a d'autres interventions de ce côté-là?

M. Rémillard: C'est terminé, le temps de l'Opposition'

Le Président (M. Filion): Il reste...

M. Rochefort: M. le Président, sur une question de règlement.

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin.

M. Rochefort: Le ministre a un droit de parole de 20 minutes. Qu'il le prenne et on utilisera le nôtre comme bon nous semblera.

M. Rémillard: Je veux tout simplement être poli.

M. Rochefort: On comprend que vous ne vouliez jamais répondre aux questions. Ça, c'est votre droit, mais là, quand même, vous ne choisirez pas comment on va utiliser notre droit de parole.

M. Rémillard: Pourquoi vous énervez-vous? Ne vous énervez pas.

M. Rochefort: Non, non.

M. Rémillard: Depuis hier soir que vous vous énervez. Ne vous énervez pas. Restez calme. Cela va bien. On a un bon expert devant nous. Détendez-vous, restez calme.

M. Rochefort: M. le Président, sur la question de règlement soulevée par le ministre, je soulignerai qu'il y a deux types de personnalité et c'est bien connu par les médecins qui s'occupent de cela. Il y a des gens qui s'animent souvent, mais il y en a qui, par leur calme, témoignent combien ils sont anxieux par ce qui se passe ailleurs, c'est-à-dire probablement au Conseil privé actuellement.

Des voix: Ha! Ha!

Le Président (M. Filion): Cela dit, est-ce que vous voulez savoir, M. le ministre, combien de temps il reste?

M. Rémillard: C'est cela, oui.

Le Président (M. Filion): II reste à l'Opposition un peu moins d'une minute, quelque 50 secondes, et aux ministériels huit minutes.

M. Rémillard: Qu'ils prennent leur temps. Je viens de poser ma question. Qu'ils prennent le temps de poser leurs questions.

M. Lefebvre: M. le Président.

M. Johnson (Anjou): Me Tremblay, j'ai pris note de vos remarques.

M. Lefebvre: Est-ce qu'il est irrégulier pour le ministre - à voir la réaction du député de Gouin, c'est ce que j'ai compris -de s'informer du temps qu'il nous reste pour discuter avec notre invité et aussi de vérifier si l'Opposition a épuisé son enveloppe? Est-ce que vous considérez que c'est irrégulier? J'aimerais bien le savoir parce qu'on saura à quoi s'en tenir pour nos

trois prochains invités.

Le Président (M. Filion): Écoutez! ce que je voudrais éviter...

M. Rochefort: M. le Président...

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin.

M. Rochefort; Ce n'est effectivement pas irrégulier de s'informer du temps et d'essayer de savoir si l'Opposition a des questions à poser. Ce qui est irrégulier d'abord, c'est que le ministre ne réponde jamais aux questions.

Deuxièmement, le ministre est en train de se transformer en président de séance plutôt qu'en ministre responsable d'un dossier qu'il a le courage de défendre. C'est ça qui est irrégulier.

M. Lefebvre: Est-ce que je dois comprendre que l'Opposition n'a rien d'autre à faire aujourd'hui? Cela a été à peu près l'expérience à laquelle on a été soumis: on soulève des questions de règlement pour débattre toute autre chose que l'entente comme telle. Je comprends qu'aucune question n'a été dirigée à notre invité, Me Tremblay, sinon par le ministre, et ça semble être le reproche qu'on nous fait. Je ne comprends pas l'attitude de l'Opposition et j'aimerais bien qu'on m'éclaire là-dessus.

Le Président (M. Filion): Écoutez! de part et d'autre, d'abord c'est notre septième séance, c'est vrai. Deuxièmement, nous avons eu un horaire extrêmement chargé et qui a obligé les membres de cette commission à siéger de longues heures, je le comprends.

Troisièmement, je voudrais ajouter ceci: II est bien évident qu'à partir du moment où vous avez confié deux enveloppes de temps à chacune des deux parties, il pourrait exister dans l'esprit de certains membres des possibilités quant à l'utilisation de leur temps. Je pense que ces possibilités ont été réduites durant tout le cours de la semaine par l'utilisation intelligente et raisonnable du droit de parole des deux côtés de cette table. En ce sens-là, je voudrais simplement répéter qu'il reste un peu moins d'une minute, quelque 50 secondes à l'Opposition et, du côté ministériel, huit minutes. Donc, j'offre le droit de parole à un membre de cette commission; sinon, je conclurai en remerciant...

M. Rémillard: M. le Président, le chef de l'Opposition dit qu'il va aller prendre des valiums. D'accord, je vais lui laisser le temps. Si vous me le permettez, je pense qu'on a une très bonne discussion et qu'on devrait revenir calmement à notre invité.

M. Tremblay, donc formule d'amen- dement, ça va; immigration, ça va; Cour suprême, ça va. On revient à l'article 1. Tout à l'heure j'entendais le chef de l'Opposition vous interroger. Il disait, parce que je le vois aussi déformer des faits et cela, c'est peut-être plus grave, M. le chef de l'Opposition, il disait donc: II n'y a qu'un expert qui est venu témoigner devant nous, Me Fortier, pour nous dire que c'était une règle d'interprétation obligatoire, alors que c'est faux. Me Beaudoin, qui a été le premier, Me Décary, le doyen Chevrette, le doyen Blache, le bâtonnier Fortier, Me Duplé et sans doute que j'en oublie, Me Raynold Langlois, tous ces juristes éminents sont venus nous dire qu'il s'agissait d'une règle d'interprétation obligatoire où le mot "doit" fait en sorte que les tribunaux doivent tenir compte de cette règle d'interprétation pour interpréter la constitution du Canada, et non seulement cette constitution de 1982 mais l'ensemble de la constitution canadienne, même celle de 1867. Qu'est-ce que vous en pensez, Me Tremblay? (15 h 15)

M. Tremblay (Guyh Je pense que le texte parle par lui-même. Le travail de l'interprétation de la constitution est fait par les tribunaux et "doit concorder avec", et on donne la substance de la règle. Donc, il doit concorder avec ce qui est inscrit là. Je pense qu'ils ont un mandat clair d'interpréter le partage des compétences de la constitution conformément à ce qui est indiqué aux paragraphes a) et b) seulement.

Il faut faire un certain nombre de remarques à cet égard-là. Premièrement, c'est une règle d'interprétation. Ce n'est pas une règle qu'on appelle substantive. Donc, elle est accessoire aux clauses qui sont ailleurs dans la constitution. C'est simplement une règle d'interprétation.

Deuxièmement, comme vous le savez, M. le ministre, une règle d'interprétation, c'est comme un instrument dans une quincaillerie. II y a plusieurs instruments. Vous pouvez en prendre un plutôt qu'un autre. Vous prenez l'instrument qui fait votre affaire dans une cause en particulier. J'imagine que des règles d'interprétation constitutionnelles, on peut en trouver 300, 400 si on se casse un peu la tête. À un moment donné, on en prend une, tout à coup on peut prendre un autre outil. Il y en a certaines qui sont marquées clairement dans la constitution et qui probablement, étant inscrites clairement, vont apparaître comme des outils peut-être un peu plus à portée de la main que d'autres, mais il y a d'autres rèqles d'interprétation de la constitution qui sont dans la jurisprudence séculaire que vous connaissez. Donc, c'est un outil parmi d'autres que les juges peuvent ou non utiliser à un moment donné.

Vous savez très bien que l'essence d'une règle d'interprétation... Une règle

d'interprétation ne conditionne jamais aucun résultat. On enseigne cela dès le départ à la faculté de droit. Cela ne conditionne pas un résultat. C'est un outil qui est à la discrétion des juges et ils en sont maîtres. Ils sont maîtres de l'utilisation ou de non-utilisation qu'ils en font.

Cela dit, il est évident qu'ils ont le mandat du constituant de s'en servir pour faire concorder la constitution avec les principes qui sont mentionnés. C'est inscrit là. Évidemment, il n'y a pas de policiers qui vont vérifier si les juges exécutent leur mandat. Je présume et je suis certain qu'ils vont chercher à le faire et qu'ils vont le faire.

Le dernier problème que je veux soulever là-dedans n'est pas un problème mais une réserve, une explication. C'est qu'on dit que l'interprétation de la constitution doit concorder avec telle chose. Personnellement, je trouve qu'on devrait dire que l'interprétation de la constitution doit concorder avec quelque chose d'autre où il est écrit "majorité".

Le Président (M. Filion): Merci, Me Tremblay. Je vais reconnaître, s'il y a lieu, un représentant de l'Opposition. Non?

M. Johnson (Anjou): Une seule remarque. Je dirai simplement que je trouve que le ministre est en train de nous plonger dans l'interprétation de l'interprétation du comité du lac Meech. C'est tout ce que j'ai à dire, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Merci. M. le ministre, il reste à votre formation trois minutes.

M. Rémillard: M. Tremblay, donc sur cette clause d'interprétation que vous dites obligatoire, contrairement à ce qu'a dit le chef de l'Opposition tout à l'heure, vous dites la même chose que tous les experts qui sont venus ici. Il s'agit d'une clause obligatoire qui va s'interpréter obligatoirement pour tous les aspects de la constitution canadienne. C'est dans ce contexte que cet article est un article et non pas nécessairement un préambule comme tel.

C'est dans ce contexte aussi, Me Tremblay, que nous avons inclus que le Parlement et les Législatures des provinces, dans l'exercice de leurs compétences respectives, prennent l'engagement de protéger la caractéristique fondamentale du Canada mentionnée au paragraphe (l)a) alors que, pour la spécificité du Québec, nous avons ajouté que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise mentionné au paragraphe (l)b).

Pour la première fois, le gouvernement du Québec et l'Assemblée nationale du Québec reçoivent ce rôle de protéger ce qui fait que nous sommes une société distincte. C'est donc une responsabilité. Bien sûr que cela ne signifie pas que le partage des compétences législatives est modifié. L'assurance-chômage ne devient pas compétence provinciale parce qu'on a cette règle d'interprétation, mais dans les cas où le tribunal a interprété la constitution, il pourra se référer à cette règle d'interprétation pour influencer le partage et faire en sorte que dans des cas douteux on puisse favoriser la compétence québécoise et ça tous, sans exception, nos experts sont venus nous dire - quelques-uns, il faut le dire, Jacques-Yvan Morin avec plus de nuances -d'une façon générale que telle était la situation. Cette règle d'interprétation qui peut se relier tant au partage des compétences législatives qu'à l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés, c'est-à-dire cette loi, cette charte, cet article qui permet de déroqer à un droit, à une liberté fondamentale dans la mesure où cela peut se justifier dans le contexte d'une société libre et démocratique. Le test de la légitimité.

Cette règle d'interprétation, comme nous l'ont dit les experts, pourra venir s'interpréter, pourra venir s'appliquer; ce qui signifie que nous avons là, par cette clause de la société distincte, de cette entente du lac Meech, un outil exceptionnel pour que le gouvernement, par l'Assemblée nationale ou par voie gouvernementale puisse protéger et promouvoir la langue française. Ça c'est une donnée qui est tout à fait nouvelle dans notre droit constitutionnel. On ne l'avait pas auparavant. On n'avait pas le fait que le Québec a ce rôle de protéger et de promouvoir la langue française. Maintenant, c'est inscrit à l'article 1 de la constitution et cela nous permettra de demander aux tribunaux, dans tous les cas d'ambiguïté pour interpréter la constitution, de faire référence directement à cette clause et de dire: Voici, vous êtes dans un cas où il peut y avoir une décision d'un côté ou de l'autre, il y a ambiguïté comme cela arrive très souvent en matière de partage des compétences législatives, que ce soient les valeurs mobilières ou d'autres sujets. Des experts nous ont suggéré, c'était le doyen Chevrette, doyen de la Faculté de droit de l'Université de Montréal qui nous disait: "Prenons le cas des valeurs mobilières qui appartient au Québec, aux provinces de par l'article 92.13, mais qui n'est pas mentionné expressément dans le partage des compétences législatives. Si c'était contesté, on pourrait utiliser cette clause d'interprétation". Voilà des exemples très concrets.

On m'informe que mon temps est terminé. Je voudrais vous dire, en terminant, que nous avons beaucoup apprécié votre

témoignage et nous vous remercions d'avoir accepté de prendre de votre temps pour venir témoigner aujourd'hui devant nous. Merci.

Le Président (M. Filion): De consentement, pour permettre à notre invité de réagir s'il le désire.

Une voix: Pas poser de question, mais donner un commentaire.

M. Tremblay (Guy): Oui, là-dessus, j'ai mentionné dans mon texte que dans les paragraphes (2) et (3) - maintenant, ici ce n'est pas une opinion ferme parce que je pense que c'est plus difficile - pour moi, il y a divers indices dans le texte sur le caractère distinct qui font en sorte qu'ils ne sont pas susceptibles d'application par les tribunaux. Je peux indiquer les indices rapidement. Il y en a quelques-uns. Le premier indice, c'est que ces trois paragraphes vont se présenter à la suite l'un de l'autre, j'imagine. On dit dans le paragraphe (1)î L'interprétation, le droit, etc. On s'adresse aux tribunaux.

Dans les paragraphes (2) et (3), on s'adresse aux autorités politiques a contrario, probablement pas aux tribunaux, premier indice. Deuxième indice, les mots comme "promouvoir", les mots dynamiques qui sont impossibles à vérifier dans le temps, dans l'espace. Est-ce qu'on est en train de faire une promotion ou non? Je pense qu'il est impossible... Ce sont des mots je ne dirais pas ajuridiques, mais ajudiciaires et, donc, j'ai entendu quelqu'un qui a utilisé - j'ai regardé dans le dictionnaire, ce ne sont pas des mots français - les droits "programmatoires" ou "programmatifs". Je pense que cela existe... En tout cas, j'ai mentionné en droit international des droits de l'homme. Ce ne sont pas des messages qui s'adressent aux tribunaux. Dans le contexte ici j'aurais la propension de dire que c'est plutôt cela, les paragraphes (2) et (3). Évidemment, le paragraphe (1), lui, s'adresse aux tribunaux et il le dit expressément.

Par contre, je reconnais qu'il est possible que même les paragraphes (2) et (3) puissent être conçus comme étant eux aussi des règles de l'interprétation, qui jouent accessoirement avec le paragraphe (1). Je pense que toutes ces choses sont liées. Personnellement, j'ai donné ma tendance. Je pense que les paragraphes (2) et (3) ne concernent pas les tribunaux. Mais, on ne peut pas faire, sur ce point, une affirmation définitive et catégorique.

Le Président (M. Filion): Je voudrais vous remercier.

Une voix: On a terminé.

Le Président (M. Filion): Donc, au nom de tous les membres... Pardon?

M. Tremblay (Guy): Merci.

M. Johnson (Anjou): Bien, je voudrais simplement prendre quinze secondes pour remercier Me Tremblay pour la clarté de son exposé. J'en retiens que, à la première page, il dit: L'accord de 1982 a ratatiné tous les pouvoirs du Québec et, d'une manière continue.

M. Lefebvre: M. le Président, une question de règlement.

M. Johnson (Anjou): Je crois comprendre...

Le Président (M. Filion): À l'ordre!

M. Johnson (Anjou): ...que l'accord du lac Meech, à ses yeux...

M. Lefebvre: M. le Président, une question de règlement. On a tenté...

M. Johnson (Anjou): ...ne met pas fin è ce ratatinement. Merci.

Le Président (M. Filion): Bon! Merci. Professeur Tremblay, je voudrais vous remercier de vous être déplacé et de nous avoir livré, à la fois par écrit et oralement, votre point de vue sur l'accord du lac Meech. Alors, encore une fois, merci.

Sans suspendre nos travaux, j'inviterais nos prochains invités, l'Union des écrivains du Québec, à bien vouloir prendre place à la table des invités.

Pendant que les représentants de l'union s'approchent, je voudrais vous faire part de notre horaire pour lundi. D'abord, nos travaux débutent à 10 heures avec M. Roger Lemelin, écrivain; par la suite, nous entendrons les représentants de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, représentée par Mme Nicole Boudreau, présidente générale de cette société; à midi, M. Daniel Latouche, professeur à l'Institut national de la recherche scientifique. Nos travaux seront alors suspendus jusqu'à 15 heures. Nous entendrons alors les représentants de la Fédération des groupes ethniques du Québec. La période suivante, de deux heures, est consacrée aux interventions finales des membres de cette commission, soit une heure pour le groupe ministériel et une heure pour l'Opposition, ce temps étant partagé en tranches d'une demi-heure.

Je voudrais donc souhaiter la plus cordiale des bienvenues aux représentants de l'Union des écrivains du Québec et demander à leur porte-parole, M. Beauchemin, non, à Mme Hélène Pelletier-Baillargeon de bien vouloir d'abord nous présenter les personnes

qui l'accompagnent, à la suite de quoi, elle pourra procéder à un exposé d'une durée d'environ 20 minutes. Donc, Mme Pelletier-Baillargeon, bienvenue. La parole est à vous.

Union des écrivains du Québec

Mme Pelletier-Baillargeon (Hélène): M. le Président, je voudrais d'abord remercier cette Assemblée d'avoir accepté d'entendre les écrivains; mieux vaut tard que jamais, nous sommes ici. Je voudrais vous présenter mes collègues qui, cet après-midi, représentent avec moi l'union. À l'extrême gauche, M. André Ricard, membre de l'union; M. Michel Guay, directeur général et secrétaire; M. Yves Beauchemin, président sortant; à ma droite, M. Gaston Miron, membre de l'union.

Mes collègues m'ont demandé de vous présenter notre mémoire, j'en ferai lecture. Après quoi, l'un ou l'autre d'entre nous se fera un plaisir de répondre aux questions que vous voudrez bien nous poser.

L'Union des écrivains québécois a tenu à faire entendre sa voix et son point de vue au sujet du projet de réforme constitutionnelle qu'étudie, en ce moment, votre commission. Devant une question aussi vitale que la loi fondamentale du pays auquel ils appartiennent, tous les citoyens et citoyennes et tous les organismes du Québec doivent se montrer présents et vigilants. En effet, chaque mot et chaque ligne de cette entente décideront, demain, du déclin ou de l'épanouissement de la seule collectivité francophone complète par sa langue, sa culture et ses institutions propres à avoir survécu jusqu'ici en Amérique. (15 h 30)

L'Union des écrivains du Québec, par une heureuse exception, s'est vu octroyer un droit de parole dans cette enceinte. Mais, à combien de personnes et d'organismes tout aussi habilités que le nôtre à se faire entendre du grand public présent à ces audiences télédiffusées, ce droit élémentaire a-t-il été refusé sous prétexte que cette commission ne disposait que de six ou huit jours pour recevoir l'avis de toute la population québécoise?

Le large débat public qui, en bonne démocratie, aurait dû précéder une prise de décision aussi cruciale pour notre avenir se trouve actuellement écourté d'une façon si abrupte et si arbitraire qu'il en devient un simulacre de consultation. Tant de hâte et de fébrilité nous conduisent tout droit à un accord confus et bâclé, source de mille discordes et, par conséquent, susceptible de nous apporter dans les années à venir des crises et des conflits infiniment plus coûteux que les délais raisonnables que nous réclamons ici.

Une constitution, l'histoire nous l'apprend, n'est pas une chose simple. Une fois adoptée, il n'est pas facile d'en changer. Pourtant, en 1987 tout comme en 1867, les choses se passent comme si nos gouvernants avaient décidé que les citoyens et citoyennes du Québec ne méritaient pas d'être associés à cette démarche. Si cette consultation symbolique devait préfigurer la sorte de démocratie que nous réserve l'entente constitutionnelle, nous affirmerions sans plus tarder, comme écrivains préoccupés au premier chef par la liberté d'expression, que nous ne voulons pas d'une telle démocratie.

La constitution est une question grave et complexe, truffée de subtilités lourdes d'implications. Raison de plus, croyons-nous, pour accorder au peuple qui en vivra les conséquences tout le temps nécessaire à la clarification et à l'explicitation du dossier. Même les supervedettes de l'opinion constitutionnelle se contredisent présentement à pleines pages de journaux: Pas de qéant, disent les uns; recul historique, disent les autres. De toute évidence, le communiqué de presse du lac Meech a grand besoin d'être étoffé, amélioré et discuté avant de mériter la confiance des Québécois. Que l'on sache d'ailleurs, ce n'est pas le communiqué du lac Meech qui liera définitivement le Québec aux autres provinces, mais un texte qui se rédiqe déjà en ce moment même dans le secret des bureaux de l'État fédéral et du gouvernement du Québec et dont l'une des proches collaboratrices de M. Rémillard disait la semaine dernière qu'il ne serait peut-être pas prêt pour la rencontre du 2 juin entre les premiers ministres.

Le gouvernement nous demande donc notre avis au sujet d'une entente dont il est incapable de nous révéler les termes exacts. Il y a dans ce procédé quelque chose qui court-circuite et offense la liberté d'expression et d'information. On ne s'attendra donc pas à voir les écrivains, dont le métier consiste précisément à choisir et à peser soigneusement leurs mots, se contenter ici d'une pareille ébauche. Nous ne pouvons que voir dans ce procédé d'escamotage une insulte faite à l'intelligence et à la capacité de lire de nos concitoyens et concitoyennes.

Puisqu'il faut nous exprimer dans des délais écourtés et à partir d'un document officieux et provisoire, vous comprendrez que notre attention, sans négliqer pour autant les multiples facettes de l'entente proposée, se soit concentrée en priorité sur les aspects qui se trouvent le plus directement reliés à notre outil de travail: la langue, la culture et leurs corollaires obliqés, l'éducation et les communications.

On nous affirme que le Québec français vient de réaliser un gain capital parce qu'il se voit octroyer une reconnaissance explicite en tant que société distincte. Pour les écrivains, l'expression "société distincte" demeure on ne peut plus courte et imprécise. En effet, l'article qu'il utilise ne mentionne

nulle part en quoi consiste finalement ce caractère distinctif. Nous voulons bien supposer avec les rédacteurs qu'il s'agira de la langue et de la culture spécifiquement françaises des Québécois, mais notre métier, tout autant que l'expérience juridique, nous a appris que ce qui va sans dire va infiniment mieux lorsqu'on le dit! Pourquoi les mots de "langue" et de "culture" sont-ils absents du communiqué?

Pour des écrivains, vous le concevrez, la question que suscite instantanément cette expression est la suivante: Cette société distincte pourra-t-elle, aux termes de la nouvelle entente constitutionnelle, continuer d'affirmer le caractère français distinct du Québec au point de le rendre intégrateur au plan de ses ressources humaines et producteur d'une littérature vigoureuse alimentée par une vie culturelle originale?

Pour répondre à cette question, nous recourrons à une méthode qui nous est familière autant qu'aux juristes et qui consiste à essayer d'éclairer un paragraphe trop laconique, en l'occurrence l'article (l)b) par un autre qui serait plus explicite, en l'occurrence l'article (l)a). L'article (l)a) reconnaît en effet comme une caractéristique fondamentale de la Fédération canadienne "l'existence d'un Canada francophone, concentré mais non limité au Québec, et celle d'un Canada anglophone, concentré dans le reste du pays mais présent au Québec". Huit lignes pour définir la Fédération canadienne, deux mots pour définir le Québec. Il fait, en outre, à l'Assemblée nationale du Québec l'obligation de protéger cette caractéristique fondamentale longuement décrite de la Fédération canadienne.

Si le texte final devait reprendre telle quelle cette expression du communiqué, nous serions bel et bien mis ici en présence d'une notion de bilinguisme asymétrique, à prédominance anglaise dans le Canada anglais et à prédominance française au Québec. Dans les circonstances, c'est le sens du paragraphe (l)a) qui éclaire et explicite l'expression vague de "société distincte" du paragraphe (l)b). Le Québec, aux termes de ces deux paragraphes, devient donc une société qui se distingue par la seule prédominance française de son bilinguisme institutionnel. Son Assemblée nationale se voit imposer l'obligation de protéger ce bilinguisme asymétrique, caractéristique fondamentale de la Fédération canadienne, alors que la protection et la promotion du caractère distinct de la société québécoise ne sont mentionnées qu'à titre de simple rôle de l'Assemblée nationale. Il y a un fossé sémantique entre une obligation et un simple rôle. Une nuance de cette tailte, si elle frappe des écrivains, n'échappera certainement pas aux juges chargés d'interpréter le sens de l'expression "société distincte". Ils l'interpréteront, à coup sûr, dans le sens du bilinguisme institutionnel, comme le texte le leur suggère.

Qu'on nous comprenne bien ici, les écrivains sont les premiers à reconnaître que le bilinguisme des individus constitue une richesse personnelle et un élargissement de leur horizon culturel. Mais, dans le cas de la collectivité québécoise, l'Union des écrivains s'est toujours opposée au bilinguisme institutionnel dans lequel l'histoire des minorités françaises hors Québec nous a depuis longtemps appris à reconnaître l'antichambre de l'assimilation.

Dans le texte du communiqué, nous retrouvons, inchangée, cette vision irréelle d'un Canada bilingue où les fragiles minorités françaises hors Québec sont considérées, dans l'abstrait, comme le pendant ou l'équivalent de la puissante minorité anglaise du Québec. Puissante par la force de ses institutions propres dans le domaine de la santé, de l'éducation et des communications, institutions d'ailleurs dûment garanties et protégées par le texte même de la Charte de la langue française. Puissante éqalement par la force de l'appui massif qu'elle reçoit du Canada anglais et du soutien financier du gouvernement fédéral à Alliance Québec par son entreprise de contrecarrer les dispositions de cette même charte dans les domaines de la législation, de la justice, de l'enseignement et de l'affichage. Puissante enfin, cela va sans dire, par l'influence continentale de la culture anglo-américaine.

Mettre cette puissance et ces privilèges en balance avec les miettes consenties depuis la confédération aux minorités françaises hors Québec dévastées par l'assimilation, relève du cynisme ou de la supercherie intellectuelle.

En reconnaissant le Québec comme société distincte, l'entente du lac Meech reconnaît-elle finalement cette nécessité pour le peuple québécois de contrôler démocratiquement sa langue, sa culture et son système d'éducation? Non, elle ne le reconnaît pas. En lieu et place, cette entente exige explicitement de l'Assemblée nationale du Québec qu'elle protège la caractéristique dite fondamentale du Canada telle que définie par l'article (l)a) du communiqué. Quelle est cette caractéristique? Le bilinguisme. Quelle est, selon ce même article, la caractéristique fondamentale du Québec? Le bilinguisme aussi. On nous demande dans pareil contexte d'accrocher nos espoirs d'avenir à l'interprétation de ces deux mots ambigus de "société distincte", comme on nous a demandé, en 1980, de croire aux deux mots ambigus de "fédéralisme renouvelé".

Rappelons-nous qu'au Québec, entre 1971 et 1981, soit en pleine période d'affirmation du fait français, 70 % des allophones ont quand même opté pour la langue anglaise. En instaurant le bilinguisme

au Québec on fera à long terme de l'anglais, la langue commune de cette Amérique anglo-américaine, le véhicule tout-terrain qui permettra de circuler à l'aise à travers tout le continent et de se débrouiller partout et en toutes circonstances. Du même coup, on fera du français une langue superflue, décorative, inutile et qui finira par disparaître comme toutes les choses inutiles. Comment pourra-t-on, en effet, convaincre les immigrants d'apprendre cette langue, à la fois officielle et facultative, peut-être vaguement prioritaire mais se dirigeant doucement vers la consécration folklorique? Comment pourrons-nous convaincre nos propres enfants de la conserver quand ils constateront, dans ce monde où l'électronique assure de plus en plus la diffusion et la suprématie de l'anglais, que la langue de leurs parents n'est que source de frustration, de recul et, finalement, de silence?

Société distincte. Qu'est-ce qu'une société selon le Petit Robert? C'est un "ensemble des individus entre lesquels existent des rapports durables et organisés, le plus souvent établis en institutions et garantis par des sanctions...". Dans cette perspective, on peut parler de la société québécoise, de la société ontarienne, manitobaine, mais aussi de la société canadienne et - pourquoi pas? - de la société américaine. Bien qu'elles aient toutes deux perdu leur langue maternelle, l'Écosse et l'Irlande demeurent néanmoins des sociétés distinctes. Non, les signataires de ce communiqué jouent avec les mots. Le gouvernement du Québec doit dire et écrire clairement les choses. Le Québec est ce coin de terre où habite le peuple québécois. Ce peuple s'exprime en français. Ce peuple a une culture qui lui est propre et il entend la développer démocratiquement à sa manière. L'entente constitutionnelle ne saurait occulter l'existence de ce peuple fondateur, de sa langue, de sa culture et de son histoire.

Un peuple est, par définition, distinct et, selon les termes mêmes adoptés par les Nations unies, tout peuple possède le droit inaliénable de disposer de lui-même. Serait-ce pour cette raison que les rédacteurs du communiqué ont refusé d'utiliser ici ce beau mot de "peuple" et lui ont substitué le terme ambigu de "société"? Pour des écrivains tout autant que pour des juristes, ce choix significatif est loin d'être innocent. Car ce ne sont pas les sociétés distinctes, mais bien les peuples qui perpétuent les langues maternelles et créent les cultures et les littératures originales. Cette nuance de taille, les écrivains ont le devoir de la signaler publiquement à leurs compatriotes.

Il faut que l'on cesse, une bonne fois pour toutes, de jouer avec les mots et les expressions juridiques jusqu'à ce que les mots et les phrases ne veuillent plus rien dire. Les

Québécois forment un peuple et ce sont les rapports que ce peuple entretiendra avec le reste du Canada que la constitution canadienne doit codifier. Les Québécois doivent refuser de devenir, chez eux, les Louisianais consentants du Canada anglais. (15 h 45)

On nous objecte qu'il y a intérêt à rédiger les constitutions dans les termes les plus généraux possible afin de permettre aux tribunaux de les interpréter dans le sens de l'évolution de l'histoire. On nous demande donc de faire confiance aux tribunaux pour définir la sorte de société distincte dans laquelle nous aurons, demain, le droit de vivre.

Si le passé en cette matière est qarant de l'avenir, l'expérience québécoise dans le domaine de la langue, de la culture, de l'éducation et des communications n'est certes pas de nature à nous rassurer.

Le démantèlement de la Charte de la lanque française à travers les différents juqements des tribunaux laisse, au contraire, présager le pire. Cette entente qui ne reconnaît pas l'existence du peuple québécois, qui ne reconnaît pas la pleine juridiction du Québec en matière de langue, de culture, d'éducation et de communications, ce sont des juges nommés par d'autres qui l'interpréteront. N'est-ce pas, en effet, le ministre négociateur du lac Meech en personne, M. Rémillard, qui déclarait en 1982 au conqrès Langue et société, alors qu'il était encore professeur de droit constitutionnel, et je cite: "Ce sont les tribunaux et en dernière analyse la Cour suprême canadienne qui feront à toutes fins pratiques maintenant la politique linguistique du Canada."

Trois juges de la Cour suprême, diront certains, seront nommés à partir d'une liste proposée par le Québec. Faut-il rappeler que les juqements sont rendus par l'ensemble de la cour et que, par conséquent, de façon majoritaire, ce seront les autres qui auront la charge de définir ce que nous sommes et ce que nous voulons être et devenir. De ce gouvernement, par les magistrats qui consacrent notre minorisation, de cette démocratie où les élus, au lieu de consulter leurs électeurs, se cachent derrière la robe des juges, nous n'en voulons pas.

Nous constatons, en outre, que tous les articles désormais constitutionnalisés de la charte fédérale et qui ont été successivement invoqués jusqu'à ce jour par les magistrats pour affaiblir la portée de la charte du français au Québec, soit, par exemple, les articles 1, 6, 12, 15, 23, 58, 133, tous ces articles seront intégralement maintenus si l'entente du lac Meech est officialisée. Nous constatons également qu'au sein de cette magistrature où nous sommes destinés à demeurer d'éternels minoritaires, le poids de l'institution a toujours pesé bien

plus lourd dans les jugements rendus que l'origine ethnique des magistrats.

Certes, les juges sont nécessaires et jouent un rôle essentiel au sein des démocraties. Toutefois, les politiciens ont eu tendance, au cours des dernières décennies, et ce à travers le monde, à trop se décharger sur eux de leurs propres responsabilités. Ce travers et cette démission, certains magistrats du Québec l'ont eux-mêmes stigmatisés, notamment les juges Deschênes et Brossard. Ces juges ont rappelé que c'est aux élus du peuple et non aux magistrats qu'il appartient de modifier les lois scolaires et les constitutions vétustés et inadaptées. L'entente du lac Meech ne souffle pas un mot du droit des Québécois de faire évoluer dans l'avenir leur système scolaire selon le critère de la langue plutôt que celui de la religion. Encore une fois, ici, les élus du peuple refusent de faire leur travail et renvoient la balle dans le camp des tribunaux.

Ce qui est en cause ici, c'est le pouvoir légitime de l'Assemblée nationale du Québec dont les membres sont démocratiquement élus. Si le peuple québécois veut légiférer en matière de langue, de culture, de communications et d'éducation, c'est à l'Assemblée nationale du Québec que doit revenir cette tâche exclusive et non à la majorité canadienne.

Pour les Québécois, la culture et la langue constituent l'essence même de leur identité. Nous constatons avec effarement que rien de précis et de solide dans le texte qui nous est ici proposé ne garantit aux Québécois qu'ils pourront enfin être maîtres chez eux dans le secteur de la langue et de la culture.

La langue, la culture, l'éducation et, dans une large mesure, les communications, ont toujours été reconnues comme étant de compétence québécoise. Les gouvernements libéral de Jean Lesage, unioniste de Daniel Johnson, péquiste de René Lévesque et même le vôtre, M. le premier ministre - je m'adresse à vous, où que vous soyez - dans ses deux premiers mandats, ont systématiquement revendiqué la pleine juridiction québécoise dans ces domaines essentiels à l'épanouissement d'un peuple. Hélas! vos présentes demandes, M. le premier ministre, vous qui avez toujours eu comme cheval de bataille la souveraineté culturelle, tombent bien en deçà de celles de vos prédécesseurs. Le Globe and Mail écrivait, le 24 avril dernier que "jamais le Québec n'a demandé si peu pour signer la constitution canadienne". Le sénateur Lowell Murray, à l'émission "Question Period", déclarait lui aussi, aussitôt après l'entente, que "la reconnaissance du caractère distinct de la société québécoise ne change rien au partage des pouvoirs et ne donne au Québec aucun droit qu'il n'avait déjà". Ces déclarations contredisent de façon flagrante les propos rassurants et triomphalistes que le gouvernement du Québec répand parmi la population et au sein de cette commission.

Quant à l'article du projet d'entente -ou plutôt du communiqué - concernant le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, on a déjà souligné avec justesse qu'il constitue un double abandon pour le gouvernement du Québec. D'abord, le Québec reconnaît, pour la première fois par cet article, le pouvoir d'agir du fédéral dans des domaines de compétence déclarés jusque-là d'exclusivité provinciale par la constitution. Bien sûr, l'entente - ou le communiqué -prévoit qu'une province peut se soustraire, avec une compensation raisonnable, à cette ingérence. Mais - et c'est là le deuxième abandon - à condition que ladite province mette en oeuvre de son propre chef une initiative ou un programme compatible avec les objectifs nationaux du Canada. Combien elle nous semble ironique cette formulation où l'on montre une province se soumettant librement et de son propre chef à une nouvelle domination du pouvoir central.

Québec perdra donc au bénéfice d'Ottawa le droit de déterminer les objectifs de ses propres politiques. Et ces politiques concernent, entre autres, et pour notre plus grand souci d'écrivains, la langue, la culture, l'éducation et, dans une large mesure, les communications. L'entente du lac Meech, en somme, nous place devant le choix suivant; ou bien le gouvernement fédéral fera notre travail à notre place, ou bien, alors, nous le ferons pour lui, mais sous sa dictée et selon ses objectifs nationaux.

Alors que toutes les ententes constitutionnelles antérieures, depuis 1867, ont été imposées au Québec minoritaire par le Canada anglais dont le vote restait prépondérant, voilà que, pour la première fois dans son histoire, le qouvernement du Québec s'apprête à consentir en toute liberté à l'érosion de pouvoirs exclusifs et conquis de haute lutte par ses devanciers. Quelle reculade par rapport au mouvement d'affirmation historique qui caractérisait le Québec depuis les années soixante et dont le Parti libéral d'antan avait été lui-même l'instiqateur dynamiquel

M. Bourassa, on a, de tout temps, reconnu aux écrivains leur capacité exemplaire d'appréhender l'avenir. M. Bourassa, vous avez vous-même défendu et réclamé la souveraineté culturelle du Québec. Aujourd'hui, M. Bourassa, les écrivains québécois vous demandent instamment de maintenir et d'exiger les pouvoirs exclusifs du Québec en matière de langue, de culture, d'éducation et de communications, car c'est là la condition essentielle à l'existence et à l'épanouissement du peuple québécois.

Le Président (M. Filion): Mme Pelletier-

Baillargeon, je voudrais vous remercier et, sans plus tarder, laisser la parole à M. le ministre délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes, en rappelant que chaque groupe dispose d'environ 17 minutes.

M. Rémillard: Mme Pelletier, je vous remercie d'avoir accepté de venir témoigner devant nous. On vous reçoit avec plaisir dans ce salon du Conseil- législatif pour discuter de cette entente du lac Meech.

J'ai écouté vos remarques avec beaucoup d'intérêt. Nous avons eu l'occasion, juste avant vous, d'entendre un autre écrivain qui fait partie de votre union, de fait, Me Guy Tremblay. Nous aurons l'occasion d'entendre un autre écrivain, membre de votre union aussi, M. Claude Lemelin, lundi, je crois.

Une voix: Roger.

M. Rémillard: Roger, dis-je. Roger Lemelin, excusez-moi. Roger Lemelin, lundi. Donc, cela nous fait un grand plaisir d'entendre tous ces écrivains qui viennent. Vous nous dites que le Québec et les gouvernements qui se sont succédé ont toujours revendiqué certains droits et vous me parlez de l'éducation. Vous nous parlez de l'article 93 qui cause problème lorsqu'on veut établir un système d'éducation fondé sur la langue. Vous avez raison de dire que l'article 93 cause des problème. Et vous dites que cela a toujours été des revendications de tous les gouvernements. Je dois vous dire que dans ce livre bleu qu'est le projet d'accord constitutionnel qui était le projet de règlement constitutionnel du précédent gouvernement, qui a été fait par le chef de l'Opposition, on ne parie nullement de cet article 93. Donc, on ne revendiquait pas la compétence en matière d'éducation et en ce qui regarde la langue non plus.

Je voulais simplement apporter cette nuance au départ. Il y en a d'autres qui sont venus. Il y a l'UPA qui est venue aussi et qui nous a dit: Vous ne parlez pas d'agriculture et tous les gouvernements en parlaient. Je leur ai dit: Essayez de me trouver aussi dans ce livre bleu l'agriculture et vous allez voir que vous ne le trouverez pas non plus. On ne demandait pas non plus de compétence en matière d'agriculture.

Quant à nous, Mme Pelletier-Baillargeon, c'est que l'article 93, de fait, est un sujet sur lequel on doit se pencher et nous en sommes très conscients. Mais de la façon dont nous avons abordé le problème constitutionnel, nous l'avons abordé dans deux étapes. Dans un premier temps, nous voulons avoir les assises constitutionnelles solides pour nous permettre tout d'abord d'adhérer à la constitution de 1982. En ce qui regarde la sécurité culturelle, on pourra y revenir tout à l'heure. Dans une deuxième étape de négociations, nous pourrons aborder l'article 93 et d'autres sujets aussi si jamais on en arrivait à cette conclusion qu'il fallait discuter de l'article 93.

Mme Pelletier-Baillargeon, ce matin, dans Le Devoir, on titre à la une que le taux de natalité au Québec est en chute libre comparativement aux autres provinces canadiennes. Nous en sommes à 1,4, soit le plus bas de toutes les provinces canadiennes et le deuxième plus bas au monde après l'Allemagne de l'Ouest. Lorsqu'on sait qu'il faut en moyenne 2,2 de taux de natalité pour une société industrialisée comme la nôtre pour pouvoir simplement maintenir sa population au même niveau, c'est un sujet qui est très inquiétant. C'est la raison pour laquelle, pour nous, la question de l'immigration est très importante dans cette entente du lac Meech. Est-ce que vous avez eu l'occasion de regarder un peu l'entente du lac Meech en ce qui regarde l'agriculture... excusez-moi, l'immigration? Je faisais le lapsus parce que dans la constitution, c'est immiqration et agriculture. Alors, je vous parle bien sûr d'immigration.

Mme Pelletier-Baillargeon: Pour la première partie de votre question, M.

Rémillard, je crois que M. Miron désirerait répondre.

Le Président (M. Filion): M. Miron.

M. Miron (Gaston): Vous faites allusion au livre bleu. Ici, il ne s'agit pas pour nous... Si vous voulez régler des problèmes de partis, cela ne concerne pas notre exposé devant cette commission. Ce n'est pas de l'avenir des partis, ici... Vous semblez vous autoriser des erreurs de vos devanciers, en termes de parti, pour justifier les vôtres. Cela ne nous concerne pas, ce genre de raisonnement, monsieur, et je me permets de sourire, moi aussi, avec mon petit carillon. (16 heures)

Bon. Alors, cela ne nous concerne pas. Nous, ce qui nous concerne c'est l'avenir du peuple québécois, sa culture, sa langue, son identité. Vous dites que vous posez des... Cela dit, cela règle le cas du petit problème du petit livre bleu. J'espère que ca le règle. Bon. Pour nous, ce n'est pas du tout dans le paysage et cela ne l'a jamais été par le passé non plus. On n'était pas là-dedans.

Deuxièmement, vous dites que vous posez des assises. Vous avez une autre approche de poser des assises au fédéralisme canadien. Oui. Nous, nous considérons, nous vous l'avons dit tout au long de ce mémoire, que ce sont des assises très très floues, très confuses. On s'autorise là-dessus de M. Antoine-Aimé Dorion. Vous tenez exactement les paroles de Cartier vis-à-vis d'Antoine-Aimé Dorion. Est-il possible - dit Cartier à Dorion. Dorion était le chef du Parti libéral

en 1864 lors de ce débat historique, C'est un constitutionnaliste, M. Jean-Charles Bonenfant, regretté, qui a écrit ce livre - est-il possible de supposer que le gouvernement fédéral où les gouvernements locaux pourraient se rendre coupables d'actes arbitraires, d'interpréter d'une façon qui ne soit pas généreuse la nouvelle constitution?

Il y a des constitutionnalistes qui sont venus nous dire qu'au contraire, les lois avaient toujours été interprétées de façon restrictive. Quand j'ai assisté, à la télévision, au déroulement des mémoires et tout ce que j'ai entendu c'est ceci: c'est du flou, c'est laissé à la discrétion des juges, c'est une interprétation. Je reprends des mots que les juristes constitutionnalistes ont dits. C'est une interprétation possible. Nous sommes dans le domaine des possibles. Nous sommes dans le domaine de l'incertitude. Tout va dépendre de l'interprétation des juges. On a une chance d'espérer. Un autre dit: Oui, nous avons peut-être là-dessus, si on plaide, des raisons d'espérer. Formidable! Et même M. Bourassa a dit: Faites donc le pari sur l'interprétation généreuse. Un peuple est convié au "nowhere" et à un coup de poker, l'interprétation des juges.

On va passer notre temps - on le sait par le passé, on le sait par la loi 101 - à se faire interpréter. Est-ce qu'on a un autre avenir comme peuple que de plaider et de se faire interpréter? Parce que c'est ça qu'on nous dit. Tous les juristes... J'ai relevé et ça finit. Le point final, c'est: On ne sait pas. Le fameux critère d'interprétation, on ne sait pas. Mais pourtant, c'est marqué ici. Quand on dit au Canada anglais: Vous savez, le Québec n'a jamais eu de pouvoirs qu'il n'avait déjà. Vous, vous dites le contraire. Ou bien c'est eux qui ont raison. Ou bien c'est vous. Vous, vous dites que vous avez de nouveaux pouvoirs. J'ai tout lieu de croire qu'on vient là de donner le "cue" de l'interprétation. Le "cue" est donné à l'interprétation. Oui. Il est donné là. Ils n'ont pas plus de pouvoirs qu'avant. Votre rôle, c'est un rôle que vous avez. Il n'y a aucun pouvoir attaché à cela. Un rôle c'est un metteur en scène. Le metteur en scène est à Ottawa. Là ça va être la Cour suprême qui va être le metteur en scène. Vous allez jouer un rôle justement. Le metteur en scène, ce n'est pas vous. C'est Ottawa. Ils lui ont donné le "cue" déjà. Toute la population du Canada elle, elle entend: Ils n'ont pas plus de pouvoirs qu'avant. Le reste de la population anglaise du Canada et tes juges l'entendent aussi. Le "cue" est donné. C'est un sénateur. Pas seulement des sénateurs, même M. Mulroney leur a dit cela dans l'Ouest. De toute façon, vous avez tous les mêmes pouvoirs qu'eux autres aussi. Vous parlez d'immigration - je passe à un autre sujet, je suis un peu votre raisonnement -madame vous pariera de natalité. Écoutez, vous avez fait un petit pas. C'est eux qui déterminent les catégories. Vous, vous n'avez de pouvoir que sur le pourcentage. J'ai été assez lonqtemps dans des pays pour savoir qu'il y avait des catégories qui, jusqu'ici, étaient exclues. Toute l'immigration intellectuelle, à Ottawa, on a très peur de cela. Je peux l'affirmer parce que j'ai été témoin de tellement de cas.

Deuxièmement, bien oui, c'est un petit pas dans l'affaire? oui, oui, c'est un petit pas, on le reconnaît. C'est comme quelqu'un qui a le cancer; la dualité canadienne, pour nous, le bilinguisme, c'est le cancer. Mais, j'ai aussi la rougeole. On me guérit de ma rougeole; bien sûr que c'est mieux, mais cela ne me guérit pas de mon cancer. J'ai encore le cancer de la dualité canadienne. Qu'est-ce que la dualité canadienne? C'est écrit: C'est fondamental, cela a préséance. On sait lire, on n'est pas des fous, il ne faut pas jouer avec les mots. Il ne faut pas être des juristes pour cela.

Alors, vous arrivez à Mirabel et vous voyez que la dualité canadienne est déjà en action. Ne passez pas la ligne blanche avant que l'inspecteur soit libéré. Fameux! Les métastases vont être partout, elles vont se répandre partout, maintenant, avec la dualité canadienne. C'est fondamental. Vous avez le devoir; c'est un devoir de maintenir cette caractéristique fondamentale de la Fédération canadienne. Par ailleurs, vous avez un rôle. On sait qu'avec un rôle, vous n'êtes pas le metteur en scène. Quand on a un rôle, on n'est pas le metteur en scène.

La dualité canadienne, c'est le bilinguisme institutionnel et collectif. On peut le voir déjà à Montréal qui va au grand galop. À ce sujet, je vais vous dire ce qu'est la souveraineté culturelle en matière de langue, de bilinguisme et surtout d'unilinguisme. Comment se fait-il qu'en Suède, tout se fait en suédois? II n'y a personne qui dit que c'est contre les droits de l'homme. En Allemagne, il y a de fortes minorités turques, italiennes, de travailleurs italiens aussi et tout se fait en allemand; personne ne dit que c'est contre les droits de l'homme et ainsi de suite pour tous les pays. Même aux États-Unis, il y a douze États qui ont légiféré; personne dit que cela va contre les droits de l'homme. Comment se fait-il qu'ici, une majorité de presque 83 % ne peut pas vivre intégralement dans sa langue? C'est cela, la souveraineté culturelle. C'est ce manque à légiférer entièrement en matière de langue, de culture et d'éducation. C'est cela qu'on réclame. On ne se laissera pas amener sur des voies de garage là-dessus.

Le Président (M. Filion): ...M. Miron...

M. Miron: En ce qui concerne la natalité, il a posé une autre question.

Qu'est-ce que vous pensez de la natalité?

Mme Pelletier-Baillargeon: Je suis très heureuse, M. le ministre, de voir que vous partagez nos préoccupations sur la dénatalité au Québec. Dans notre cas, une des solutions que nous avions retenues était la clause Québec dans la Charte de la langue française. Or, vous savez que, selon les règles actuelles, la clause Québec a été battue en brèche en faveur de la clause Canada. Nous savons que l'objectif d'Alliance Québec est d'obtenir la clause universelle et nous savons qu'au lendemain de l'entente, si elle était constitutionnalisée, il y a fort à parier qu'il y aurait des appels devant les tribunaux pour faire changer cette clause pour la clause universelle.

Vous voyez donc que, sur le plan de la natalité, l'accord du lac Meech ajoute une nouvelle ombre au tableau.

M. Beauchemin (Yves): Est-ce que je peux me permettre, M. le ministre, d'aborder le problème de l'entente du lac Meech en «n'attaquant - attaquer dans les deux sens -au caractère distinct du Québec? Je vais essayer, malgré que je ne sois pas un politicien professionnel, ni même amateur parce que je n'ai aucune ambition politique, d'attaquer cela d'une façon réaliste.

Pour moi, le problème fondamental au sujet de ce caractère distinct du Québec, de la façon dont il est défini dans l'entente du lac Meech, ce n'est pas tellement le texte, c'est ce qui a précédé le texte. Ce qui a précédé le texte, c'est ceci. C'est le refus, pour le Parti libéral d'exercer des pouvoirs exclusifs en matière linguistique. Le Parti libéral ne veut pas exercer ces pouvoirs linguistiques, alors ce n'est pas surprenant que cela n'aparaisse pas dans l'entente. La cause de ce refus est une cause organique. Elle a été expliquée bien des fois cette cause. Il ne faut pas se surprendre qu'on se répète. Si vous avez un nuage dans le ciel et que vous demandez à dix personnes de décrire ce qui se passe, il ne faut pas se surprendre que le mot "nuage" revienne souvent sur leurs lèvres. Alors, évidemment, quand il s'agit d'évidence, il y a des répétitions.

La cause qui explique que le Parti libéral ne veut pas légiférer exclusivement dans la langue, c'est la composition du Parti libéral elle-même et c'est sa base électorale. Je ne viens pas de découvrir la roue en disant cela, vous le savez autant que moi. La minorité anglo-québécoise qui vous appuie d'une façon massive et quasi totale, pour vous, est une source de force, de votes, de comtés, mais, en même temps, c'est un boulet que vous traînez au pied et qui vous empêche d'agir d'une façon claire pour la majorité, parce que vous devez tenir compte de l'autre clientèle. Dans les circonstances présentes, l'existence de cette double appartenance, de cette double racine du Parti libéral, c'est pour le Québec une sorte de baiser de la mort. Les Anglo-Québécois ont toujours refusé avec horreur que la majorité francophone possède des pouvoirs exclusifs en matière de langue. Et je dois dire que cela doit être inconscient chez eux, je veux bien le croire, mais il me semble que cela exprime une sorte de profond mépris pour notre sens démocratique à nous, francophones, malgré qu'ils figurent parmi les minorités les plus privilégiées au monde.

La conséquence de cela, vous la connaissez autant que moi, M. Rémillard, c'est que le "Maître chez nous" de Jean Lesage, qui est une des qloires du Parti libéral, qui est une des gloires de l'histoire du Québec, eh bien, il est en train de se transformer en un concierqe chez nous et que le Robert Bourassa du deuxième mandat, qui avait eu le courage de s'attaquer, d'une façon bien sûr imparfaite et en partie trompeuse, aux problèmes linguistiques par le projet de loi 22, ce Robert Bourassa, je ne le retrouve plus aujourd'hui. Il y a quelque chose de fondu dans cet homme. Et ce concierge qu'est devenu le Parti libéral aurait la chance, s'il le voulait, d'acheter la maison dans laquelle il travaille. Il refuse bien sûr, il préfère son statut de concierqe. Il refuse même d'acheter une partie de la maison. Même la solution condominium, et je pense à l'exclusivité des pouvoirs linquis-tiques, à ce pouvoir de dépenser où on assiste à une reculade absolument démente, même la solution condominium lui fait peur. Pourtant, vous connaissez aussi bien que nous et encore mieux que nous, pour vous l'être fait répéter si souvent au cours de cette commission parlementaire, les imperfections fondamentales de l'entente du lac Meech. Je ne peux pas croire que vous puissiez vous imaginer que vous êtes arrivé à la perfection absolue.

Une des preuves que cette entente est imparfaite, à mon sens, c'est que Alliance Québec, tout en feignant d'émettre des réserves, est tout à fait enchantée de cette solution qui permet, par exemple, de ne pas définir le caractère spécifique du Québec. Mais d'autres preuves plus explicites nous ont été fournies, hier, par le doyen de la Faculté de droit du l'Université de Montréal, M. François Chevrette, pour qui vous manifestez à juste titre tant de respect et qui a émis quelques déclarations, certaines positives, mais quand même certaines déclarations négatives importantes. II a dit, par exemple, que l'entente est en deçà des demandes traditionnelles du Québec. Mais c'est important comme déclaration. Cela veut dire que le Québec n'a jamais demandé si peu. Il a également dit, en utilisant une image un peu cruelle mais réaliste, semble-t-il, que tout l'article sur le pouvoir de dépenser,

c'était comme un devoir mal fait et qu'il fallait retourner à la rédaction. Il a dit également que les clauses déclaratoires et sujettes à interprétation - et là je rejoins Gaston Miron - ont des effets imprévus. Le juriste précédent qui parlait sur le même sujet a eu le même commentaire. (16 h 15)

Que cela vienne d'écrivains ou de juristes, il semble que tout converge vers le même effet, c'est la partie de poker, c'est la glissade dans le vague de toute une collectivité. Et j'ai envie d'utiliser une image. Si un chauffeur d'autobus scolaire, avec des enfants plein l'autobus, devait traverser un pont et que cinq personnes lui disaient: Attention - des personnes sérieuses bien sûr - il me semble qu'il y a des fissures dans le tablier, et que cinq autres lui disaient; Mais non, c'est un pont très solide, il n'y a pas de problème, les devoirs les plus élémentaire de la prudence seraient de prévoir le pire et d'aller vérifier, effectivement, si le pont est fissuré ou non. C'est un devoir pour vous d'être pessimistes dans ce dossier.

Il ne semble pas que ce soit votre attitude, il ne semble pas que ce soit l'attitude de votre gouvernement. Le gouvernement dit: Bah, fions-nous. Nous, on dit: Si le pont tombe, il tombera. Dans l'autobus scolaire, M. Rémillard, que vous conduisez dans ce dossier avec le premier ministre Bourassa, c'est tout le Québec qui s'y trouve. Cela a des conséquences quand même assez importantes, à moins que, pour vous, l'ensemble canadien soit plus important que l'ensemble québécois.

Le résultat de tout cela - François Chevrette, que je connais bien, en a tiré des conclusions - c'est que, lorsqu'on tente d'interpréter la clause sur le caractère distinct du Québec, je cite les mots mêmes de Me Chevrette: "II interdit l'unilinguisme français au Québec". Me Chevrette dit que l'entente du lac Meech ne peut pas avoir, dans la pire des hypothèses, d'effets néfastes sur le Québec. Donc, il sous-entend que le fait d'interdire l'unilinguisme français, ce n'est pas un effet néfaste. Vous remarquerez que c'est une opinion personnelle qu'il émet, et non pas une opinion de juriste.

Donc, à quelle solution arrivons-nous? Vous la connaissez et vous la désirez peut-être, c'est un bilinguisme à prédominance française pour le Québec. Mais vous savez où se trouve le Québec, dans un continent nord-américain dont il ne représente que 2 % de la population. Les autres 98 % ne se sont pas cassé la tête, ils parlent anglais ou s'apprêtent à le faire, et lorsque l'espagnol prend trop de place, on prend les mesures nécessaires aux États-Unis pour le remettre à sa place. Là-bas, comme disait Gaston Miron, il n'y a pas de scandale, c'est normal, c'est une culture qui cherche à assurer sa prédominance normale. Ici, on devient tout croche dans certains milieux lorsqu'on parle de défendre les Québécois et leur culture.

En 1985, sur 124 000 allophones montréalais, 113 000 parlaient anglais à la maison. Cette année, 80 % des allophones, qui ont fréquenté le secondaire en français, font leur collégial en anglais. Cela, c'est dans une province où la loi 101 est encore, temporairement, une loi. Il n'est pas nécessaire d'être devin pour prévoir l'effet que le bilinguisme à prédominance française aura sur ces allphones. D'abord, le bilinguisme va gruger très vite le mot "prédominance".

Quant à l'immigration, cet article dont vous êtes si fier, et à juste titre, quand on le prend seul, il permet au Québec d'intégrer les nouveaux arrivants à sa société, mais à quelle société vont-ils être intégrés? À une société bilingue à prédominance française. Combien de temps pensez-vous que nous aurons la force morale et politique pour obliger les immigrants à fréquenter une école française dans une école bilinque? On peut calculer cela en termes de mois ou d'années si on veut, mais sûrement pas en termes de décennies.

Si le Québec, en apparence, est encore dans un état d'épanouissement culturel réjouissant, il ne faut pas oublier que la veille de tomber malade, un homme est toujours en bonne santé. En Louisiane, lorsqu'on regarde l'histoire de cette communauté française qui a été florissante, qui possédait plusieurs quotidiens, qui possédait un opéra, qui possédait une fouie de journaux, jusqu'en 1850, on assiste à une augmentation de la qualité de la littérature, du nombre de livres produits. De 1850 à 1870, il y a un plateau, cela se maintient. Ensuite, en 1870, c'est la chute brutale dans le folklore. Quand les écrivains disent que de graves dangers guettent le Québec, il faut peut-être tendre l'oreille et les écouter attentivement, parce que c'est fort bien ce qui peut se produire.

Je terminerai en disant qu'avec l'entente du lac Meech, le Parti libéral est sur le point de constitutionnaliser son manque de courage politique et, en quelque sorte, son infirmité.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Je dois vous aviser que, du côté de l'Opposition, on m'a informé que le temps supplémentaire pris par nos invités était déduit de son enveloppe, d'une part...

Des voix: Ha! Ha! Ha!

Le Président (M. Filion): S'il vous plaît!

D'autre part, je voudrais donc aviser les porte-parole de l'Opposition qu'il reste huit minutes.

Une voix: M. le Président.

Le Président (M. Filion): La parole est au chef de l'Opposition, M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: Question de règlement, M. le Président. Est-ce que je pourrais savoir pour quelle raison, dans un élan de générosité assez surprenant, le chef de l'Opposition a consenti à ce que le temps qui, normalement, est amputé sur notre enveloppe, soit pour cette fois-ci pris sur l'enveloppe de l'Opposition? C'est nouveau, cela.

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, premièrement, ce n'est pas une question de règlement. Deuxièmement, vous aurez compris que toute l'enveloppe du groupe ministériel était épuisée...

M. Lefebvre: Oui, oui, je comprends.

Le Président (M. Filion): ...et que les porte-parole de l'Opposition...

M. Lefebvre: Habituellement, on donnait notre consentement. Est-ce qu'on continue?

Le Président (M. Filion): Donc, ce n'est pas une question de règlement. La parole est au chef de l'Opposition.

Une voix: Connivence.

Une voix: ...pas de réponse, M. le Président?

M. Johnson (Anjou): M. le Président, je remarque qu'il y a des non élus dans cette salle qui vous adressent la parole.

Une voix: Ce n'est pas grave. Une voix: De quel côté sont-ils?

M. Johnson (Anjou): Ils sont là-bas, derrière...

Une voix: Dans votre dos.

M. Johnson (Anjou): ...le député de Notre-Dame-de-Grâce.

Une voix: Cela a l'air discret.

M. Johnson (Anjou): II faudrait peut-être l'aviser que pour parler ici autour de cette table, il faut être un invité de la commission.

M. le Président, le leader du gouvernement sait d'ailleurs que lui-même et un certain nombre de ses collègues et mes collègues doivent se rendre à Montréal, dans mon cas, parce que j'ai une émission de télévision ce soir et que nous tenterons de faire la plus qrande économie de temps possible. C'est pour cela que je prendrai très peu de temps pour remercier nos invités.

Je crois avoir entendu la raison, l'esprit et la vision. La raison, par la maîtrise de la lanque dans la pratique de l'occupation, du métier de celles et ceux qui sont devant nous; le coeur, par l'attachement qu'ils ont pour cette culture et son développement et le peuple dont elle est l'expression; et la vision, par l'intuition de la très grande fraqilité de ce que nous sommes. D'ailleurs, à cet égard, les dernières paroles de M. Beauchemin sur le fait français en Louisiane au XIXe siècle sont assez significatives: ce coin d'Amérique qui était florissant il y a à peine 100 ans pour la culture française a vite sombré dans la folklorisation. Ce que nous disent ces écrivains, ces gens de parole, de coeur et d'esprit, c'est qu'il faut savoir écouter ses intuitions profondes à des moments importants.

Deuxièmement, ils et elles nous disent - je crois que c'est assez clair là-dessus aussi - qu'on aura beau... Je prendrai peut-être des éléments du vocabulaire de l'ami de Gaston Miron qui est Gérald Godin: On aura beau s'épivarder autour d'une définition plus ou moins claire de la société distincte dans une simple clause d'interprétation, ce qu'ont compris ces gens qui vivent de la langue et nous font vivre de la lanque comme société, c'est que, quels que soient les mots qu'on mette à côté des mots "société distincte", il n'en demeure pas moins que ce que nous faisons, c'est de déposer le Québec au grand complet sur les genoux de la Cour suprême. Et même si vous obtenez encore cet amendement possible, sûrement en train de se réaliser - je ne sais pas si le ministre est au courant - entre les représentants du Conseil privé à Ottawa et des gens du bureau du premier ministre du Québec, il n'en demeure pas moins que, quel que soit le qualificatif que vous mettiez à la société distincte, que vous y mettiez le mot "FRANÇAIS" en lettres majuscules, les mots "LANGUE FRANÇAISE" en lettres majuscules, si vous n'y mettez pas des pouvoirs, vous ne réqlez pas le fond des choses. Comme quoi, je pense, qu'il n'est pas besoin d'être constitutionnaliste et juriste pour comprendre l'essentiel dans ces choses si fondamentales.

Je me contenterai, pour ma part, de remercier de la clarté de leur mémoire, de la clarté de leur exposé, de l'intérêt qu'a représenté chacune des interventions l'ensemble de nos invités en leur disant que je souhaite profondément qu'elles aient ébranlé un certain nombre des personnes en face de moi. Je crois qu'elles en ont ébranlé un ou deux, honnêtement. J'espère qu'il n'est pas trop tard pour le Québec et pour notre avenir. Je vous remercie de votre participation.

Le Président (M. Filion): Au nom de tous les membres de cette commission, je voudrais, Mme Pelletier-Baillargeon, M. Yves Beauchemin, M. Gaston Miron, M. André Ricard et M. Michel Guay, vous remercier...

M. Rémillard: II y a deux participants qui n'ont pas parié. Il faudrait peut-être leur offrir de...

Le Président (M. Filion): Je voudrais vous remercier de vous être déplacés, de nous avoir soumis votre exposé, votre mémoire, et aussi pour la franchise, ta disponibilité de vos propos lors de cette période d'échanges. Merci. J'inviterais...

M. Rémillard: Si vous me le permettez.

Le Président (M. Filion): Oui, M. le ministre.

M. Rémillard: II y a quand même, je crois, deux de nos invités qui n'ont pas eu l'occasion de parler et, quand on vient ici, je pense qu'il faut entendre tout le monde. Ce sont des gens qui se sont déplacés. Est-ce qu'on peut leur offrir de parler? Je voudrais bien qu'on puisse entendre les gens qui ont eu l'amabilité de venir nous voir et de se déplacer.

Le Président (M. Filion): J'ai déjà signalé, M. le ministre, que l'enveloppe de temps des députés ministériels est terminé.

M. Rémillard: Non, non. Écoutez, ce n'est pas une question de temps. Il me semble que ces gens-là se sont déplacés. Je crois que vous arrivez de Montréal. De quel endroit arrivez-vous? De Montréal?

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin. Donc...

M. Rémillard: II me semble qu'il faudrait vous donner au moins le droit de parole.

Le Président (M. Filion): Je voudrais donc, encore une fois, terminer les remerciements que je vous adressais. Nous avons des invités, vos collègues, vos camarades, si l'on veut...

M. Lefebvre: Question de règlement, M. le Président.

Le Président (M. Filion): ...de l'Union des artistes qui attendent à l'arrière. Donc, je...

M. Lefebvre: M. le Président, question de règlement.

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: M. le Président, sur l'information que vous nous donnez, à savoir que l'enveloppe de temps de l'Opposition est épuisée.

Le Président (M. Filion): L'enveloppe des députés ministériels.

M. Lefebvre: La suggestion du ministre, c'est de permettre à nos invités d'aider l'Opposition à épuiser sa propre enveloppe de temps, M. le Président. C'est cela la suggestion du ministre, M. le Président. On pourrait leur donner l'occasion de prendre une minute et demie chacun car il resterait, selon les informations que j'ai eues, trois minutes sur l'enveloppe de temps de l'Opposition. On pourrait permettre aux deux invités qui n'ont pas été entendus à tout le moins d'émettre très rapidement leur opinion sur l'ensemble de l'entente du lac Meech.

M. Rémillard: Je soupçonne que ce sont deux invités qui sont d'accord avec l'entente.

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin, sur la question de règlement.

M. Rochefort: M. le Président, si, tel que vient de le laisser entendre encore le manipulateur qui fait office de ministre, les deux qui restent à parler étaient probablement ceux qui étaient d'accord, je suis convaincu que ce sont les deux premiers à qui il aurait adressé ses questions.

Le Président (M. Filion): J'inviterais donc immédiatement les représentants de l'Union des artistes à bien vouloir prendre place à la table des invités.

Nos travaux sont suspendus pour cinq minutes.

(Suspension de la séance à 16 h 29)

(Reprise de la séance à 16 h 38)

Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission des institutions reprend ses travaux dans l'exécution du mandat qui lui a été confié par l'Assemblée nationale.

Nous allons maintenant entendre le dernier témoignage de la journée, celui de l'Union des artistes, représentée par Mme Élizabeth Chouvalidzé, que je salue, première vice-présidente du conseil d'administration et par M. Marcel Hubert, directeur général adjoint à la négociation.

Je crois comprendre, madame, que le président est en voyage d'affaires en Europe.

Mme Chouvalidzé (Élizabeth): Oui,

effectivement.

Le Président (M. Trudel): Je pense que vous connaissez les règles du jeu. Vous avez 20 minutes et chaque formation politique a également une période de 20 minutes pour vous poser des questions et causer avec vous.

Union des artistes

Mme Chouvalidzé: M. le Président de la commission, M. le ministre, M. le chef de l'Opposition, MM. les députés du gouvernement et de l'Opposition, mesdames et messieurs, nous vous remercions d'avoir acccédé à notre demande d'être entendus par la commission des institutions sur l'accord du lac Meech. Toutefois, vous le savez, nous n'avons eu votre convocation que très tardivement. Nous l'avons reçue officiellement aujourd'hui à midi. Nous serons donc brefs, et nous vous prions également d'excuser l'absence de notre président, M. Turgeon, qui est retenu à l'étranger par ses fonctions de président de l'Union des artistes.

Je suis donc mandatée pour parler en son nom et au nom de tous les membres de l'Union des artistes. Je me permettrai d'ajouter également que nous sommes très heureux de nous retrouver au salon rouge du parlement, cette fois en civil, parce qu'il y a moins d'un mois nous avions été refoulés, si vous vous rappelez bien, mais, à cette époque-là, bien sûr, nous étions en vêtements de travail.

Le Président (M. Trudel): Je tiens à vous faire remarquer que, l'an dernier, on vous a accueilli pendant six jours à l'occasion de la commission sur le statut de l'artiste que j'avais l'honneur de présider.

Mme Chouvalidzé: En effet.

Le Président (M. Trudel): Allez-yl

Mme Chouvalidzé: Nous n'avons pas l'intention non plus de commenter en profondeur toutes les facettes compliquées de l'accord du lac Meech. D'autres éminents juristes l'ont fait en long et en large et le feront certainement beaucoup mieux que nous.

Voici sur quoi nous avons, nous, concentré notre intervention. L'Union des artistes demande au gouvernement québécois de refuser de signer un accord constitutionnel qui ne contient pas, au moins, la reconnaissance de la langue française comme un des aspects fondamentaux de la société québécoise en tant que société distincte au sein de la Confédération canadienne.

L'Union des artistes est bien consciente que ce critère ne constitue pas, à lui seul, la définition d'une société distincte, mais elle se concentre sur cet aspect parce qu'elle est d'abord et avant tout une association d'artistes-interprètes francophones è travers tout le pays, et qu'à ce titre, elle est amplement justifiée de défendre cette position.

Selon l'Union des artistes, seule une reconnaissance formelle de la langue française, comme une composante essentielle de la société distincte que constitue le Québec, rendrait cet accord acceptable.

Mais, s'il est vrai qu'avec, au moins, l'inclusion du critère de la langue dans l'accord du lac Meech, nous pourrions être tentés de dire oui à cet accord, il est sûr que son absence, à elle seule, constitue une raison fondamentale pour rejeter cet accord et avec la dernière vigueur.

L'Union des artistes s'interroge avec inquiétude sur les raisons qui ont poussé les invités du lac Meech à offrir un contenu d'une telle maigreur sur la définition de la société distincte que constitue le Québec.

Car si on est prêt à la reconnaître comme société distincte, c'est sans doute parce qu'on sait qu'elle l'est. Si on sait qu'elle l'est, on aurait dû, a fortiori, savoir pourquoi. Nous savons, nous, pourquoi. Nous savons pourquoi les nouveaux pères du qrand compromis n'ont pas voulu le dire ou l'écrire parce que le dire, pis encore, l'écrire, c'était à coup sûr braquer tous ceux de l'autre langue de ce pays, donc, aller s'emboutir sur un non retentissant des neuf autres et même des dix autres invités du lac Meech.

Voilà pourquoi on s'est contenté de ne servir à ces distingués invités que le hors-d'oeuvre et le dessert, oubliant pieusement le plat principal, qu'on a été incapable encore, après 120 ans, de digérer.

Il ne fallait surtout pas rappeler à ces nouveaux défenseurs de la décentralisation lorsqu'il s'agit de mon propre intérêt, qu'il sommeille en chacun d'eux un grand champion de la défense de ce pays dès qu'il s'agit de savoir quelle place le Québec, cette troisième équipe, doit occuper, sur cette patinoire déjà bien assez encombrée par les fiers-à-bras constitutionnels fédéraux et provinciaux de la même langue, dans laquelle il est déjà assez compliqué de se comprendre et, de s'entendre.

En reportant le tout devant les tribunaux, une bonne connaissance historique du système juridique de ce pays vous dira vite que vous pouvez être rassurés: Les éminents juqes sauront vite réduire, à partir d'un texte aussi flou, la larqeur de la société distincte à la dimension d'une peau de chagrin.

D'ailleurs, d'autres avant moi, comme le professeur Côté il y a quelques jours, vous ont bien dit à quel point les tribunaux ne sont pas généreux lorsque vient le temps d'interpréter les textes constitutionnels flous,

pour ne pas dire vides. Ce n'est là que constater encore une fois la longue tradition hypocrite de la haute politique constitutionnelle de ce pays, qui a toujours préféré une belle coquille vide avec un petit air rassembleur, à un texte reflétant enfin la réalité, mais qui, de ce fait même, cesse d'être rassembleur puisque, justement, il nous distinguerait: Cette longue tradition, qui a commencé avec l'Acte de l'Amérique du Nord britannique pour aboutir à la constitution cul-de-sac de Pierre Trudeau, n'aura été au fond que l'interminable constat de ce qui nous a toujours séparés.

Voyez-vous, la langue, dans ce pays, c'est la clé: c'est par elle qu'on éduque, qu'on communique, qu'on crée, qu'on interprète, bref qu'on existe comme société.

Sommes-nous, nous artistes, assez bien placés pour le savoir. Également, comme vous le disiez tout à l'heure, M. le chef de l'Opposition, en parlant de la représentation des écrivains, gens de parole, de coeur et d'esprit, nous, les artistes.

Une société sans sa langue ne disparaît peut-être pas à coup sûr de la carte du monde: mais elle devient à coup sûr autre chose. Dans cette Amérique, comme on le disait tout à l'heure également, dans cette Amérique telle qu'on la connaît, il n'est pas difficile de savoir ce que serait cette autre chose.

Jamais l'Union des artistes ne pourra, au nom des membres qu'elle représente et défend, donner son accord à un texte constitutionnel, qui lierait le Québec au Canada pour des générations, sans qu'il y ait, de façon claire et non équivoque, la reconnaissance de la langue française dans un tel texte. Parce que c'est par cette langue qu'on existe comme société distincte, que c'est d'elle que découlent notre culture, nos habitudes de vie, notre identité, notre façon de penser, notre façon d'être aujourd'hui, dans le passé, et ce que nous voulons être. Sans elle, nous signons une constitution dans laquelle nous n'existons déjà pas juridiquement. Ce qui est la meilleure façon dans les années à venir de ne plus exister socialement. Elle nous fera une belle société distincte: nous aurons en effet la très grande distinction de disparaître. La démographie ne nous aidait déjà pas beaucoup à vouloir continuer d'être. La signature d'un texte dans le sens proposé au lac Meech signifierait que nous ne voulons même plus continuer d'être.

Et nous aurons légué à nos enfants et petits-enfants la tâche colossale d'aller quémander auprès des tribunaux la seule clause qui aurait eu du sens dans tout ce débat, en fait la seule clause qui aurait donné à ce texte un début de substance.

Enfin, nous croyons qu'il est temps de sortir le présent débat constitutionnel du contexte disgracieux de marchandage de bouts de tapis, suivi de mini-consultations. Tous les pays dignes de ce nom, méritant ce nom nous ont montré, à travers l'histoire, que lorsqu'il s'agit de consacrer dans un texte officiel les règles du jeu d'une société tout entière - ce qu'on appelle un contrat social - il n'y a pas de meilleure façon de le faire que par un référendum.

Même la présidente Corazon Aquino, qui ne dirige pas le pays le plus facile, convenons-en, aura eu, elle, ce courage politique, tout récemment.

En" résumé, si on veut amener tout le Québec à adhérer au texte constitutionnel de ce pays, nous croyons, nous de l'Union des artistes, qu'il faut donc deux choses: d'abord, reconnaître la langue française, ensuite, soumettre le tout à la population du Québec par référendum. Cette démarche proposée a un nom. Elle s'appelle le processus démocratique.

En résumé, mesdames et messieurs, nous ne sommes pas ici, nous ne prétendons pas avoir les connaissances techniques requises pour le faire, pour aborder un débat juridique sur l'accord constitutionnel du lac Meech, d'autant plus que la personne qui est ici devant vous, comme mes camarades, d'ailleurs, n'a pas d'existence juridique reconnue.

D'ailleurs, pour votre information, la Loi sur les syndicats professionnels, en vertu de laquelle nous existons, nous, l'Union des artistes, est justement une loi tellement floue et imprécise, par opposition au Code du travail qui régit les autres associations... C'est ce qui nous a valu d'ailleurs 50 ans et plus de luttes juridiques au terme desquelles nous ne savons toujours pas ce que nous sommes même si nous constituons une association distincte. Merci beaucoup de nous avoir entendus.

Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la présidente. M. le ministre, en vous rappelant qu'il reste pour chaque formation politique 25 minutes. M. le ministre. Madame, est-ce que vous avez copie de votre texte qu'on pourrait distribuer aux membres de la commission? Je vous remercie, j'en accepte le dépôt. Vous aviez quelque chose à ajouter?

Mme Chouvalidzé: Oui. Je voudrais ajouter que nous ne voudrions pas nous engager dans un long débat questions-réponses. Nous savons que le temps manque et qu'il y a beaucoup d'autres associations peut-être ou d'autres personnes qui voudraient s'exprimer et qui n'ont pas pu le faire malheureusement. Comme je vous l'ai dit, nous n'avons su qu'officiellement à midi, aujourd'hui, que nous étions... J'en remercie encore une fois M. le chef de l'Opposition d'avoir insisté pour avoir notre présence. J'aimerais tout simplement vous remercier

d'avoir accepté de nous entendre.

Le Président (M. Trudél): Madame, si vous me le permettez, j'accepte le fait que vous nous disiez que vous avez reçu le télégramme simplement à midi. Ce que j'ai devant moi, c'est une copie d'un télégramme qui vous a été adressé il y a deux jours. Il faudrait peut-être voir où cela s'est perdu entre-temps. Je suis tout à fait étonné de constater que... C'est malheureux et pour vous et pour la commission qui, semble-t-il, n'aura pas le plaisir de dialoguer avec vous. Vous nous dites n'avoir reçu le télégramme qu'à midi.

Mme Chouvalidzé: Est-ce que nous avons le temps... Ahi Si ce n'est pas très long?

M. Rémillard: Merci, madame et monsieur, de vous être déplacés. Peut-être avant de vous poser une question, d'intervenir, je devrais demander... On n'a pas eu le plaisir d'entendre monsieur. Peut-être qu'il voudrait se faire entendre. Allez-y, je sais que vous vous êtes déplacé et que vous êtes ici. J'aimerais vous entendre, c'est bien sûr...

M. Hubert (Marcel): Mme Chouvalidzé a résumé la position de l'Union des artistes, je vous remercie.

M. Rémillard: Je vous en prie. J'ai pris bonne note de votre message, madame, monsieur, au nom des artistes. Je crois que vous parlez au nom des artistes du Québec.

Mme Chouvalidzé: De l'Union des artistes, M. Rémillard.

M. Rémillard: Donc, vous parlez au nom de l'union comme telle. Vous vous êtes préoccupés, bien sûr, en premier lieu, et je vous comprends, de cette société distincte qu'est le Québec et qui sera maintenant reconnue dans la constitution, non pas dans un préambule comme valeur d'interprétation facultative, mais dans un article de la constitution, dans un article qui sera obligatoire pour les tribunaux. Et cet article, d'une part, va établir, pour la première fois, que le Québec est une société distincte. Ce mot "société" reflète très bien que, le Québec, c'est plus que des hommes et des femmes qui vivent ensemble par un objectif commun, ou une langue ou une culture. C'est fondamentalement cela, mais c'est plus que cela. Ce sont des institutions, c'est une organisation sociale politique économique, c'est pour cela qu'on utilise le mot "société".

Cette société distincte, qui sera maintenant dans la constitution et qui fera en sorte que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec auront le rôle de promouvoir, de protéqer, cette société distincte... Je voudrais, tout d'abord, bien préciser une chose. De par tous les témoignages que nous avons entendus, peut-être à quelques exceptions près, de la très grande majorité des experts juridiques que nous avons entendus, il appert que cette nouvelle disposition constitutionnelle sera un outil des plus intéressants pour la défense de la langue française, au départ. Il faut mettre de côté les épouvantails à moineau, si vous me permettez l'expression, madame. Le Québec a juridiction sur sa langue. Il y a l'exception de l'article 133 pour le bilinguisme à l'Assemblée nationale, au Parlement canadien et devant les tribunaux. Il y a aussi cette exception de l'article 23 concernant le critère de la langue, ce qu'on appelle la clause Canada, qui permet aux enfants, dont les parents ont suivi leur instruction au primaire en anglais dans une autre province canadienne, d'être inscrits à l'école anglaise ici, au Québec. Mais, c'est un critère quand même restrictif parce que même un immigrant qui arrive d'Angleterre et qui s'en vient au Québec n'a pas le droit d'inscrire ses enfants dans une école de langue anglaise. Alors, c'est quand même restrictif. Alors qu'un immigrant français de France, qui émigre au Manitoba, aura le droit, lui, d'inscrire ses enfants dans une école française. C'est une disposition spécifique pour le Québec. La clause Canada est plus restreinte pour le Québec qu'elle ne l'est pour les autres provinces. Caractère distinct que l'on reconnaît maintenant expressément dans la constitution. Mais cette langue française que nous avons tous à coeur est, dans la constitution même, une compétence du Québec et c'est au Québec à pouvoir prendre les mesures nécessaires pour la promouvoir. Prenons l'exemple de la question de l'affichage qui est devant la Cour suprême. Je ne veux pas m'immiscer dans le débat au fond, c'est devant les tribunaux et je ne m'immisce pas dans les travaux des tribunaux. Cependant, nous savons très bien que, même si la Cour suprême en arrivait à la conclusion qu'il faut qu'il y ait au moins deux langues sur l'affichaqe et que si l'Assemblée nationale voulait que ce soit unilingue, on n'aurait qu'à utiliser ce que l'on appelle la clause "nonobstant", c'est-à-dire que l'on met dans notre Loi sur l'affichage que ce n'est que la langue française nonobstant la Charte des droits et libertés.

Ce que je veux dire par là, madame, c'est qu'au départ, on doit comprendre que la langue française sera mieux protégée parce que nous avons eu le lac Meech et les conséquences sont directes, extrêmement intéressantes. Parce que pour la première fois, non seulement on reconnaît le Québec comme société distincte, mais on lui reconnaît le rôle et un rôle, madame, cela

signifie un engagement, On reconnaît l'engagement, le rôle du gouvernement et de l'Assemblée nationale de promouvoir le Québec comme société distincte et cela signifie ses institutions, comme je le disais tout à l'heure, fondamentalement et essentiellement sa langue, sa culture française; cela signifie toute contestation juridique concernant la langue française, en application de la charte, que ce soit la charte canadienne des droits ou la charte québécoise aussi des droits et libertés de la personne. Mais dans le cas qui nous occupe, dans le cas de l'interprétation qui met en cause la langue française, on pourra dorénavant dire devant le tribunal: II existe maintenant, messieurs les juges, une responsabilité, un rôle du gouvernement et de l'Assemblée nationale de protéger et de promouvoir la langue française qui est le fondement de la spécificité québécoise. Cet argument sera enchâssé dans la constitution par cette entente du lac Meech. Cet argument, madame, sera pour la première fois, avec la garantie constitutionnelle, dans notre système juridique. Cet argument pourra avoir un poids de très grande importance dans le futur de cette société distincte qu'est la nôtre en fonction de la langue que nous aimons, qui est nôtre et qui nous tient tant à coeur. Cette société distincte, nous voulons qu'elle soit la plus large possible dans ses composantes, fondée sur une langue, fondée sur une culture française, mais aussi fondée sur un ensemble d'institutions, que ce soit notre Code civil, que ce soit notre système juridique, que ce soit notre système de santé. Ce sont des éléments qui nous appartiennent, ce sont des éléments qui sont à nous, Québécois, Québécoises, qui sommes distincts, qui allons être reconnus comme distincts maintenant dans la constitution canadienne.

Voilà, madame, la remarque que je voulais faire concernant cette préoccupation légitime que vous avez, mais c'est le plus sincèrement possible que je veux vous le dire. Je vous le dis, bien sûr, je suis un politicien, mais je voudrais quand même vous le dire du fond du coeur, le plus sincèrement possibles cette entente, madame, sera historique, parce qu'elle donne un outil que jamais le gouvernement ou l'Assemblée nationale n'a eu pour défendre la langue française.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le ministre. Madame, peut-être avez-vous des commentaires, un échange de vues avec le ministre? (17 heures)

Mme Chouvalidzé: M. Rémillard, je veux bien croire que vous croyez sincèrement que cette entente sera historique, comme vous le dites, mais en ce qui me concerne, ce que nous aimerions qui soit historique, c'est qu'il soit écrit une fois pour toutes dans l'histoire de ce pays que la langue du Québec est la langue française et que si la société du Québec est distincte, c'est parce qu'elle parle français, un point, c'est tout.

M. Rémillard: C'est cela, madame.

Mme Chouvalidzé; Pourquoi ne pas l'écrire?

Le Président (M. Trudel); Merci, madame. Je reconnais maintenant le député de Gouin.

M. Rochefort: Merci, M. le Président. Je veux saluer nos invités et les remercier pour leur participation et la présentation qu'ils ont faite. On me permettra, dans un premier temps, d'excuser le chef de l'Opposition qui a dû quitter, comme il en avait informé les représentants de l'Union des artistes, compte tenu des horaires qui exigent sa présence à Montréal pour la télédiffusion de l'émission "Droit de parole", émission à laquelle, m'a-t-on dit, le ministre a choisi de ne pas être présent. Je veux vous dire que le chef de l'Opposition a écouté avec beaucoup d'attention votre présentation, qu'il en a pris bonne note et qu'il en tiendra sûrement compte dans la poursuite du débat entourant cette entente du lac Meech.

Deuxièmement, je voudrais souligner une remarque - il y en a beaucoup, mais une, entre autres, a attiré mon attention -qui est cette façon qui semble vouloir être retenue, ici au Québec, pour conclure un accord constitutionnel qui diffère fondamentalement des façons qu'on retrouve dans les autres pays où un chanqement constitutionnel implique effectivement un processus très largement ouvert, un processus qui fait appel à beaucoup de consultation et ultimement, presque en tout temps, à une participation de l'ensemble des citoyens et citoyennes du pays concerné puisque effectivement, il y a très peu de pays dans le monde où on effectue des changements à la constitution du pays sans permettre à chaque citoyen et chaque citoyenne de participer aux décisions entourant ce changement constitutionnel.

Cette remarque est très pertinente, d'autant plus que, dans le cas qui nous occupe, semble-t-il que le gouvernement actuel n'a pas choisi cette procédure, mais bien au contraire, il semble qu'il ait choisi la procédure totalement inverse, celle de l'improvisation, celle de la précipitation. Cette procédure où, finalement, le huis clos et le bâclage de l'entente constitueront le cheminement gouvernemental de l'adhésion du Québec à cette constitution.

M. le Président, nous aurions souhaité -nous l'avons dit à de multiples reprises - que

le gouvernement n'agisse pas en toute hâte dans ce dossier. L'avenir d'un peuple, c'est trop important pour agir avec hâte. Au minimum, il aurait été nécessaire qu'une vaste consultation soit tenue et qu'on permette, comme dans tous les autres dossiers importants de notre société, à tous ceux et toutes celles qui veulent se faire entendre d'être entendus, et surtout pas à la suite d'une convocation à quelques heures d'avis. Je vous remercie de cet élément de votre mémoire.

D'autre part, quant au coeur de votre présentation, quant à la précision absolument fondamentale et essentielle que vous souhaitez de cette société distincte eu égard à notre langue, je dirai qu'encore une fois, le ministre nous a servi ses beaux discours, ses belles promesses, ses belles assurances que oui, oui, oui, tout ce qui est là nous permettrait d'intégrer tout ce que les gens nous demandent, et particulièrement l'Union des artistes quant au fait qu'on reconnaisse la langue de la majorité des Québécois et des Québécoises, c'est-à-dire la place du français.

M. le Président, c'est évidemment la pratique à laquelle on est habitué de la part du ministre et de la part de ses collègues du gouvernement depuis un an et demi. Chaque fois qu'un projet de loi est déposé, il y a deux choses qui existent: le discours, la présentation, l'interprétation et le sens que nous en donne le ministre parrain du projet de loi et, deuxièmement, le texte juridique. C'est de pratique courante, depuis un an et demi, que les deux ne concordent pas, plus souvent qu'autrement.

Dans le cas qui nous occupe, tout d'abord, on ne peut pas vérifier si le texte juridique concorde avec le discours que nous tient le ministre. Il semble qu'il n'existe pas, en tout cas, qu'il ne soit pas encore rendu au bureau du ministre. On imagine que le Conseil privé à Ottawa, qui a une longue pratique en ces matières, est en train de faire le travail que le ministre devrait prendre la responsabilité de faire, mais non seulement ce discours que nous tient le ministre, on ne peut pas vérifier s'il est conforme au texte juridique puisqu'il semble que, jusqu'à maintenant, il n'existe aucun texte juridique sur lequel le ministre pourrait se baser pour tenir des discours, donner un sens, faire des interprétations, mais ne concorde absolument pas avec le texte du communiqué de presse de l'entente du lac Meech et encore moins avec la pratique de son gouvernement en matière linguistique depuis 18 mois.

On sait qu'on pourrait peut-être, si l'expérience nous avait permis de croire à la sincérité, à la profondeur des engagements du ministre en matière linguistique, être porté à croire ses engagements, ses assurances, aux garanties verbables qu'il veut nous donner, mais on sait qu'il est difficile de croire des gens qui nous garantissent qu'à l'avenir la langue sera bien protégée par un texte qui est vide, quand on sait qu'en 18 mois ils ont présidé, organisé et fait en sorte que notre langue soit affaiblie au point que Montréal est devenue littéralement une ville bilingue et que, si on laissait progresser la situation encore quelques années, on risquerait de s'acheminer sur le chemin de l'anglicisation finale du Québec. En ce sens, nous ne pouvons avoir confiance, pas plus cette fois-ci qu'à toutes les occasions où le ministre a repris ce discours, que ce texte juridique qu'on verra peut-être un jour sera suffisant pour garantir ce que l'Union des artistes demande et ce que bon nombre d'autres groupes ont demandé à cette commission.

Pour nous, il est clair que ce texte constitutionnel ne sera satisfaisant que dans la mesure où les modifications qui y seront apportées ne seront pas des modifications de forme ou des modifications d'ajout d'une épithète ou deux, mais que seul un texte clair, un texte fort, un texte solide dans lequel, à sa face même et pour l'ensemble des experts et des constitutionnalistes, on pourra retrouver une garantie que la lanque française pourra être bien protégée sans intrusion de qui que ce soit dans sa protection, dans sa promotion et dans son développement. Seul un texte qui comprendra de telles garanties sera un texte satisfaisant à nos yeux. Je prends à témoin l'ensemble des experts, des constitutionnalistes, des juristes qui se sont présentés devant nous jusqu'à maintenant. Finalement, aucun d'entre eux, absolument aucun, n'a pu nous dire qu'à sa connaissance, en toute sincérité, en toute bonne foi, il pouvait nous garantir sans aucun doute que le texte qui était devant nous ne constituait, en aucune façon, un danger possible. Tous les experts, tous les constitutionnalistes, tous les juristes qui se sont présentés devant nous ont été obligés de nous dire: Écoutez, je pense qu'on devrait -au mieux - dois-je préciser, ils nous ont dit "au mieux" - je pense que cela devrait être assez, j'imagine qu'on peut faire confiance, qu'on peut imaginer qu'il ne devrait pas y avoir d'accroc, que, normalement, cela devrait aller. Cela, c'est au mieux, M. le Président, on a eu droit à des "on le souhaite" et "on pense bien que cela devrait bien aller". Dans le cas de bon nombre d'autres - d'ailleurs, c'est une position qui fait consensus à cette commission - c'est qu'effectivement, le texte qui est devant nous ne nous donne pas ces garanties absolument essentielles pour le peuple du Québec. En ce sens, je pense que ce qu'on doit retenir des témoignaqes des experts, des juristes, des constitutionnalistes, c'est que nous, comme hommes et comme femmes politiques, comme élus représentant et

défendant les intérêts du peuple québécois, on n'a pas le droit de prendre une chance. Quand on nous dit qu'on pense que cela va aller, qu'il semble qu'il n'y aura pas de problèmes, qu'on a l'impression que les interprétations devraient probablement aller dans notre sens, pour nous, cela s'appelle prendre une chance,

Et on ne prend pas de chance avec l'avenir d'un peuple.

En conclusion, je dois dire au ministre délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes qui nous répète à chaque invité que cette entente est historique que, pour nous, ce qu'il y a d'historique dans cette entente, c'est que le Québec a demandé moins qu'il n'avait jamais demandé dans ses négociations constitutionnelles. Ce qui est historique, c'est que non seulement il a demandé moins que tous les gouvernements qui l'ont précédé, y compris les gouvernements libéraux, mais qu'il a obtenu même moins que ce qu'il demandait. Et ça, M. le Président, c'est, pour nous, la dimension la plus historique - pour reprendre l'expression du ministre - de l'entente qu'il a conclue.

Je termine, M. le Président, en remerciant une dernière fois l'Union des artistes de sa participation, de sa contribution, J'espère que ce groupe, comme tous ceux qui se sont exprimés comme lui jusqu'à maintenant, sera entendu un tant soit peu de la part du ministre et du premier ministre, pour qu'en temps utile, d'ici le 2 juin, ils prennent conscience que cette entente constitue un danger pour l'avenir du Québec. Merci.

Le Président (M. Trudel): Madame, est-ce que vous avez des commentaires à faire?

Mme Chouvalidzé: En conclusion simplement. Je pense que le Québec a, à cette occasion, un rendez-vous non pas historique, mais un rendez-vous avec sa propre histoire et qu'il ne faudrait pas qu'il le rate. Merci, M. le Président.

M. Rémiilard: M. le Président.

Le Président (M. Trudel): M. le ministre.

M. Rémiilard: Ce que vient de dire madame, c'est très beau et c'est très vrai. C'est très beau et c'est très vrai ce que vous dites. Un rendez-vous avec son histoire. Un rendez-vous avec ce que nous sommes. Un rendez-vous avec notre culture, notre langue. Un rendez-vous avec ce qui fait que nous sommes des Québécois et des Québécoises fiers de l'être. Madame, c'est à ce rendez-vous qu'on est convié par cette entente.

J'entendais le député de Gouin qui a été beaucoup plus nuancé, je dois dire. Après sept jours de commission parlementaire, le député est beaucoup plus nuancé cet après-midi et je vois que sept jours de commission parlementaire ont porté profit. Il est plus nuancé et, maintenant, il comprend qu'on pourrait peut-être apporter quelques modifications, mais il accepte le principe. Il nous dit: Mais, finalement, vous avez obtenu moins que ce que vous demandiez. Si on regarde ce qu'on demandait, c'est très clair. C'était dans notre programme électoral. Cela signifiait, dans un premier temps, qu'on demandait que le Québec soit reconnu comme société distincte dans le préambule de la constitution. On a demandé que ce soit dans un article en particulier et ce, pour que ce soit un article obligatoire, pour que les tribunaux soient obligés de recourir à cette règle d'interprétation. On avait en tête, bien sûr, la langue française, tous les éléments de notre culture et aussi nos institutions. C'est ce que nous avons obtenu.

On demandait une participation à la nomination de trois juges sur neuf que nous avons à la Cour suprême. Nous avons obtenu - parce que nous l'avons discuté, négocié -que ce soit une liste faite par le Québec et que ce soit à partir de cette liste que le gouvernement fédéral choisisse les juqes.

On demandait dans notre programme électoral que ce soit l'entente Cullen-Couture qui soit reconnue dans la constitution. On a négocié, on a discuté pour beaucoup plus. Je voudrais attirer votre attention, parce que je sais que c'est un sujet qui va vous intéresser aussi. Ce matin, dans Le Devoir, on titrait que le Québec est la seule province où le taux de natalité a diminué et continue à diminuer. Nous avons le taux de natalité le plus bas au Canada avec 1,4, et non seulement au Canada, mais dans le monde industrialisé, après l'Allemagne de l'Ouest. Lorsqu'on prend en considération le fait qu'il faut 2,1 ou 2,? pour pouvoir maintenir simplement sa population, pour nous, c'est un problème, un gros problème. Nous avons donc besoin de nos immigrants et c'est dans ce contexte, madame, que nous avons négocié et que nous avons obtenu dans cette entente du lac Meech de pouvoir sélectionner nos immigrants, ceux qui sont à l'extérieur du Canada qui nous demandent à immigrer au Québec comme ceux qui sont déjà sur place avec des permis de séjour ou dans le cadre de programmes d'échanges, et cela comprend 50 % de nos immigrants. On n'avait pas cette compétence-là avant. (17 h 15)

Surtout, je voudrais attirer votre attention sur un aspect important qui va vous intéresser. Nous avons maintenant, par cette entente du lac Meech, la juridiction pour établir les programmes nécessaires pour intégrer ces immigrants. Vous savez, madame, plus de 50 % de nos immigrants

nous quittent pour une autre province et là, il faut leur donner le goût de demeurer avec nous. Il faut les intégrer à nôtre société et ça, madame, ça signifie des cours de langue. Nous allons leur donner des cours de français, des cours de formation. Cela veut dire que nous allons récupérer l'argent nécessaire, parce que c'est le fédéral qui s'occupait de ces domaines. Nous allons récupérer environ une trentaine de millions de dollars.

Dans tous les domaines de l'entente du lac Meech, par rapport aux cinq points, nous avons obtenu plus que ce que nous avions dans notre programme électoral parce qu'on a négocié en fonction. Québec obtient plus qu'il n'a jamais obtenu dans une négociation constitutionnelle. Depuis la création de ce pays en 1867, jamais le Québec n'a obtenu autant dans une réforme constitutionnelle et en, ce sens, c'est un moment historique.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le ministre.

M. le député de Gouin, je pense que vous voulez intervenir?

M. Rochefort: Vous avez compris, M. le Président. Dans un premier temps, je dirai que, pour une fois, le ministre nous donne une belle illustration de l'interprétation qu'il fait des propos des autres et je dirai que ce qui est inquiétant, c'est que, s'il interprète avec autant de souplesse, de flexibilité, de sens élastique, mes propos, je suis passablement inquiet de ce qu'il fera des positions qu'ont exprimées tous ceux et toutes celles qui se sont présentés à cette table depuis le début de la commission.

J'aurais au minimum espéré, même si c'est la précipitation, même si c'est l'improvisation, même si c'est une consultation bâclée, menée à toute vitesse, par choix du ministre et du premier ministre, que ce qui se serait dit ici aurait au moins été entendu pour le contenu des positions, non pas déformé par le ministre dans l'interprétation qu'il en donne.

Je dirai aussi que, s'il interprète ces textes constitutionnels comme il interprète nos propos et les points de vue des gens qui se présentent devant nous, c'est déjà trop pour poursuivre l'exercice de négociation même des textes juridiques et là, ça me permettrait peut-être de comprendre que vous avez peut-être raison de ne pas trop vous intéresser aux textes juridiques, parce qu'on devrait arrêter tout ça là.

Essayer de me faire dire que ce que j'ai demandé, ce sont quelques petites précisions au plan linguistique et là, on pourrait se satisfaire de ça, dans les propos que j'ai tenus tantôt, c'est vraiment déformer non pas le sens, mais les propos mêmes que j'ai tenus.

M. le Président, je dirai que ça s'appelle tenter de manipuler l'opinion publique que de faire une telle manoeuvre. Je reconnais que c'est fort répandu dans son gouvernement. Si j'ai abordé la question linguistique comme la question des consultations de l'association de la population qui devrait présider à l'élaboration d'une constitution, c'est parce que ce sont les deux thèmes majeurs qu'on retrouve dans le mémoire de nos invités.

Je maintiens que, sur les questions linguistiques, ce ne sont pas un ou deux mots qualificatifs qu'on apporterait comme amendements au communiqué de presse ou quelques mots de correction de forme à ce texte du communiqué de presse qui rendront cet accord satisfaisant simplement au plan linguistique. Je le répète, ce que doit contenir au plan linguistique cet accord, ce sont des textes clairs, complets, solides, forts, qui ne pourront en aucune façon porter à interprétation, qui ne nécessiteront pas huit dictionnaires ni non plus des interventions de la Cour suprême à tous les matins pour voir ce qu'on a pu vouloir dire et ce que cela pouvait vouloir laisser entendre. Que le ministre n'essaie pas de nous indiquer qu'il s'achemine vers deux ou trois petits amendements de forme et que cela devrait correspondre à ce qu'on demande. Ce n'est pas ce qu'on demande, ce n'est pas ce que le groupe devant nous demande et ce n'est pas ce que la majorité des groupes qui se sont présentés devant nous demande.

De grâce, M. le ministre, un peu de rigueur. De deux choses l'une: ou vous voulez aller dans le sens de ce qui est demandé et par l'Opposition et par les qroupes qui se sont présentés, ce serait tout à votre honneur, faites-le, ou, si vous avez choisi de ne pas le faire, au minimum, assumez seul les décisions que vous prendrez. N'essayez pas de les mettre dans la bouche des autres. Soyez au moins assez courageux pour assumer seul les décisions que vous aurez choisi de prendre seul.

Je dirai, M. le Président, que si le ministre veut qu'on aborde d'autres dimensions, on peut se référer à toute cette question majeure qui est le pouvoir de dépenser. On peut peut-être référer le ministre à un homme qu'il doit bien connaître, M. Romanow, qui disait dans Le Devoir, et je cite, M. le Président, sur le pouvoir de dépenser puisque le ministre semble penser que tout à coup on va se limiter aux questions linguistiques. M. Romanow, qui est bien connu pour son expertise en matière de négociation constitutionnelle, nous disait, et je cite le mot à mot de ses paroles qui sont rapportées dans La Presse de ce matin. Il nous dit: Eu égard aux dispositions contenues dans le communiqué de presse sur le pouvoir de dépenser, que ces mots sont lourds d'une

variété de sens. II nous dit un peu plus loin que cela va nécessiter que la Cour suprême intervienne à tout bout de champ et je le cite à nouveau: "que ce n'est pas la meilleure institution pour trancher cette importante question." Et il poursuit sur le pouvoir de dépenser, et je cite à nouveau: "II y a des contradictions évidentes, dit-il, entre les commentaires de M. Rémillard et ceux du premier ministre Mulroney, a observé M. Romanow". Et il conclut, je cite encore le textes "On doit attendre le texte juridique, a-t-il soutenu" et j'ajoute: lui aussi, au pluriel.

Et il conclut, M. le Président, et je le cite à nouveau: "Pour la constitution, c'est plus difficile parce qu'on ne peut l'amender comme une loi, ça doit être bon du premier jet." J'invite le ministre, M. le Président, à peut-être se pencher sur ces réflexions d'un expert dans le domaine et de nous assurer qu'il prendra le temps qu'il faut pour que ce soit bon du premier jet. On ne peut plus souhaiter cela pour le premier jet de l'entente parce que le premier jet, on sait ce qu'il vaut. Mais souhaitons qu'au moins les textes juridiques, eux, seront bons du premier jet., Cela impliquera des modifications majeures, des modifications importantes, des modifications qui auront un sens profond, un sens large quant à l'ensemble des dispositions qui causent des problèmes en ce moment et qui sont contestées par bon nombre d'intervenants.

Je conclurai, M. le Président, en disant que quand la représentante de l'Union des artistes nous dit que le Québec a rendez-vous avec son histoire, je dirai au ministre qui nous dit: Oh! C'est beau et c'est vrai; que d'abord, il faut bien la connaître, cette histoire, - bien la comprendre et s'assurer qu'on la reflétera bien. En ce sens, il n'y a pas d'urgence quant au rendez-vous que nous avons avec notre propre histoire parce qu'on n'aura pas plusieurs rendez-vous avec notre propre histoire. Il semble qu'on n'en aura qu'un seul. Pour nous, vaut mieux prendre le temps de bien organiser, de bien réaliser et surtout de bien réussir ce rendez-vous avec notre histoire plutôt que d'y aller, comme le font Factuel ministre, le premier ministre et l'ensemble du gouvernement, dans la précipitation, l'improvisation et dans le cadre d'une entente qui, jusqu'à maintenant, est une entente bâclée et absolument insatisfaisante pour les intérêts du Québec. Merci.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Gouin. M. le député de Frontenac.

M. Lefebvre: M. le Président, lorsque le député de Gouin nous met en garde à savoir qu'il ne faut pas prendre de chance, c'est vrai qu'il ne faut pas prendre de chance. Il ne faut pas manquer l'occasion, madame, de réparer l'erreur historique de nos prédécesseurs qui, en 1982, ont abandonné ce qui nous était acquis, à savoir un droit de veto. C'est un membre de l'ancien gouvernement, M. Claude Morin, qui hier soir ou avant-hier nous disait: Là-dessus, vous faites un gain majeur, soit de récupérer ce qu'on a perdu en 1982 le droit de veto. On a, madame, la possibilité de faire des gains majeurs pour l'ensemble des Québécois. Ce n'est pas vrai que la stratégie du gouvernement est bêclée. Ce n'est pas vrai, comme le soulignait le député de Gouin, que la population du Québec n'aura pas été entendue à l'occasion de cette commission, madame. On aura l'occasion d'en reparler dans les prochaines semaines, lors des débats, je l'espère, à l'Assemblée nationale et aussi lors de la séance de travail où on pourra démontrer qu'à cette commission-ci, il y aura eu plus de temps, plus d'intervenants qui auront été entendus, autant au niveau des experts que pour l'ensemble du grand public et des leaders d'opinions du grand public au Québec.

Je vous inviterais, Mme Chouvalidzé, à réfléchir sur l'opinion de qens comme Guy Tremblay, professeur de droit reconnu et en même temps membre de l'Union des écrivains, homme qui se décrit et est déjà connu comme étant parfaitement apolitique. Je vous inviterais, également, à réfléchir sur l'opinion du constitutionnaliste, Me Yves Fortier, qui, ce matin, nous a dit: Allez-y, c'est bien ce que vous faites pour le Québec. Je vous inviterais également, si vous en aviez la possibilité, à mettre la main sur le texte de l'intervention de Me Gérald Beaudoin que vous connaissez sûrement. Aussi, à relire les propos de Mme Chaput-Rolland. Ce n'est pas vrai que tous ces gens nous appuient et croient que nous sommes en train de vendre le Québec pour un plat de lentilles. On a eu droit à des opinions objectives, on a eu droit à des opinions émotives qui partaient des tripes et les deux nous disent: C'est bien ce que vous faites. Ce n'est pas parfait, mais c'est bien. Ne prenez pas la chance de laisser passer le train cette fois-ci. Vous avez la possibilité de réparer l'erreur d'un parti qui se disait à l'époque souverainiste, mais qui ne l'est peut-être plus.

Madame, quant à moi, j'ai apprécié ce que j'ai entendu de vous. C'est sincère et profond. Vous croyez profondément à tout ce que vous nous avez dit. À ce chapitre, vous êtes peut-être plus authentique que nos voisins d'en face. Merci, madame.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le député de Frontenac. Est-ce que M. le député de Gouin a des choses? Il vous reste sept minutes.

M. Rochefort: Je n'ai pas l'intention d'utiliser tout mon temps pour le plaisir de

la chose. Simplement, tant que j'entendrai des choses qui sortent de et qui déforment la réalité, il est bien évident que je n'ai pas l'intention de cautionner de tels propos ici. M. le Président, le député de Frontenac nous dit: La population aura été entendue. Dois-je lui rappeler, comme le faisait si bien la représentante de l'Union des artistes, que généralement, quand un pays modifie ou se dote d'une nouvelle constitution, on entend la population au complet, c'est-à-dire qu'on tient un référendum? Si lui est en train de nous dire qu'une commission bâclée, faite sur le coin de la table où le leader, le ministre et le premier ministre ont invité une liste restreinte de groupes, à peu près la moitié de l'ensemble de ceux et de celles qui avaient demandé à être entendus, si pour lui c'est tenir une consultation, si pour lui ça s'appelle permettre à la population de se faire entendre, je dois dire que c'est absolument inquiétant que ces gens soient ceux et celles qui sont en train de rédiger le texte fondamental de cette population, texte qui s'appelle la constitution.

Quand il nous dit: Jamais, il n'y aura eu autant de groupes, autant d'intervenants, cela fait une couple de fois que je les entends dire cela. Le premier ministre hier est venu, une de ses deux seules présences en commission, et il a commencé à dire que c'était vrai. Tout à coup, je lui ai sorti, transcrite au Journal des débats, l'organisation de cette fameuse commission de 1980-1981. Le premier ministre n'a plus dît un mot, il est parti. Je ne sais pas si le leader a manqué cela, mais est-ce que je peux vous dire... En 1980-1981, lorsqu'on a organisé les travaux de la commission parlementaire sur le rapatriement, d'abord, on a eu l'appui de l'Opposition que vous étiez à l'époque. Je reprends encore une fois le mot à mot des propos de M. le député de Bonaventure qui, à l'époque, était leader de l'Opposition ou chef parlementaire de l'Opposition; il disait, en réponse à la motion du député de Saint-Jacques, leader du gouvernement de l'époque "qu'il donnait son accord à la motion créant la commission et instituant cette consultation parce que tous les groupes et tous les individus qui voudraient être entendus pourraient l'être." Je lui dirai qu'effectivement, en aucun temps, au cours de cette commission, l'Opposition libérale de l'époque n'a changé son fusil d'épaule et n'est intervenue pour dire son insatisfaction de l'organisation des travaux. Qui plus est, M. le Président, cette commission, à l'époque, a entendu plus de 30 groupes et plus de 60 individus.

Nous sommes très loin de cela jusqu'à maintenant et, à preuve, encore aujourd'hui, une nouvelle liste mise à jour par le secrétariat de notre commission nous indiquait qu'il y a encore quelques spécialistes et trois groupes qui ont demandé à être entendus, qui se sont ajoutés à la liste et qui, évidemment, par décision unilatérale du gouvernement, ne seront pas entendus. Donc, M. le Président, pour cette large consultation, on en reparlera.

Quant à ce que vient de faire le leader adjoint du gouvernement, qui est finalement de tirer ses propres conclusions, de toute évidence, biaisées, tout aussi, interprétatives que le ministre a tenté de le faire tantôt, j'espère seulement que s'il a l'intention de déformer les propos et les positions de l'Union des artistes, contrairement à ce qu'il a fait pour l'ensemble des autres groupes, il le leur dira maintenant pendant qu'ils sont là pour lui répliquer. Cela vaut mieux que d'attendre, comme il vient de le faire, que ces autres experts et groupes soient déjà partis depuis quelques jours, pour là, donner un sens tout à fait différent, un sens très élastique quant aux propos et aux positions qu'ils ont pris devant nous. J'espère que si le leader adjoint a l'intention d'interpréter la prise de position de l'Union des artistes, qu'il le fera en leur présence et qu'il leur permettra de préciser et de corriger le tir, parce que ce n'est pas du tout ce qu'il fait avec l'ensemble des personnes dont il vient d'interpréter le témoignaqe.

Je pense que lorsque l'on tient une commission parlementaire aussi courte, organisée aussi rapidement que celle à laquelle nous participons, au minimum, on doit se forcer pour se concentrer, écouter ces gens et surtout respecter leurs points de vue. Ce que je m'aperçois, c'est que, non seulement la consultation est organisée sur un coin de table, mais que, finalement, la position est prise, depuis le début, avant même que la consultation ne commence. Pour eux, le contenu des consultations n'est pas important. Ils vont tenter de l'utiliser pour essayer de justifier les positions qu'ils ont prises jusqu'à maintenant et même aller à l'encontre des recommandations, des points de vue majoritaires qui font consensus chez bon nombre de groupes, à savoir qu'il ne faut pas signer cette entente constitutionnelle telle qu'elle est libellée, à l'heure où l'on se parle. C'est le consensus qui est intervenu jusqu'à maintenant. Reconnaissez-le donc une fois pour toutes, en tout franchise et en toute transparence.

M. Lefebvre: M. le Président...

Le Président (M. Trudel): M. le leader adjoint et député de Frontenac.

M. Lefebvre: ...je tiens à dire à madame que je n'ai pas l'intention, lorsque vous serez partie - on aura l'occasion, dans la journée de lundi, de continuer nos travaux - d'interpréter vos propos parce que les vôtres sont clairs. J'ai parlé des propos de l'Opposition, de la position constitutionnelle

de l'Opposition qui est beaucoup moins claire.

Avec la permission du député de Gouin, j'aimerais lui poser une question: Est-ce que, oui ou non, votre ex-collègue, Claude Morin, ne nous a pas dit qu'en ce qui concerne le droit de veto et le droit de veto seulement -limitons-nous au droit de veto pour les fins de la discussion - c'est un gain majeur que de récupérer ce droit de veto que nous avons malheureusement perdu en 1981? Il a même ajouté: J'en suis heureux parce que j'ai l'impression d'avoir participé À l'évolution du dossier qui vous permet, en 1987, de récupérer ce droit de veto. Est-ce que, oui ou non, vous avez entendu M. Claude Morin tenir ces propos, M. le député de Gouin? Je vous demanderais de ne répondre qu'à cette partie de mon interrogation.

M. Rochefort: M. le Président...

Le Président (M. Trudel): M. le député de Gouin.

M. Rochefort: ...si jamais je décide de répondre à la question du député, puisque je lui ai laissé toute la latitude dans l'expression de sa question, j'imagine que je vais avoir la latitude d'exprimer ma réponse comme je le voudrai. Je voudrais juste savoir sur quelle enveloppe de temps sera prise ma réponse.

Le Président (M. Trudel): À la fin d'une longue semaine et à 17 h 35, il reste deux minutes à votre formation politique que vous représentez dignement. Il restait au moment du début de l'intervention du député de Frontenac cinq minutes et demie ce qui doit être...

M. Rochefort: Je suis prêt, M. le Président à répondre sur le temps de la formation du député de Frontenac.

M. Lefebvre: M. le Président, je viens de comprendre que le député de Gouin ne veut pas répondre à ma question.

M. Rochefort: Non, non, donnez-moi du temps.

M. Lefebvre: Qui ne dit mot, consent.

M. Rochefort: C'est facile pour vous. Donnez-moi du temps, je suis prêt à répondre.

M. Lefebvre: Ce que je viens de comprendre, c'est que le député de Gouin est d'accord avec mon propos.

M. Rochefort: Absolument pas.

M. Lefebvre: Je suis satisfait, M. le Président.

Le Président (M. Trudel): Merci, M. le leader adjoint et député de Frontenac. Est-ce que M. le député de Gouin, vous avez des choses à ajouter dans les deux minutes qu'il vous reste?

Il reste maintenant quatre minutes ou trois minutes quarante-cinq secondes, quelque chose comme cela, à la formation gouvernementale. Alors, M. le ministre peut-être?

M. Rémillard: Je pense que...

Mme Chouvalidzé: M. le Président, je pense que M. Rémillard...

Le Président (M. Trudel): Oui, sûrement, avec grand plaisir, allez-y.

Mme Chouvalidzé: ...n'a pas répondu è l'une de nos questions. Il a tenté de répondre aux autres. Je serais tentée de dire qu'il y en a une qu'il n'a peut-être pas entendue non plus ou du moins pas écoutée. Auriez-vous l'intention de faire un référendum, M. Rémillard?

M. Rémillard: Non, madame, nous n'avons pas l'intention de faire un référendum. Si nous avions à faire une constitution pour les Québécois et les Québécoises, vous savez que nos amis d'en face comme nous ne sommes pas non plus opposés et que bien des gens disent: II faudrait peut-être penser à avoir une constitution pour le Québec parce que c'est utile que des provinces puissent avoir leur constitution à l'intérieur de la Fédération canadienne. Aux États-Unis, tous les États américains ont des constitutions et si on faisait une telle constitution, je vous avoue que cela pourrait être intéressant de penser à l'idée d'un référendum. Il y a un principe qui guide notre formation politique ici, madame, c'est que la souveraineté n'appartient pas à l'institution, mais elle appartient au peuple et que, par conséquent, pour nous, l'institution est au service du peuple et non pas le peuple au service de l'institution. C'est pour cela, madame, que nous tenons tant au respect des droits et des libertés des individus. C'est pour cela que nous tenons tant qu'il y ait une Charte canadienne des droits et libertés comme une Charte des droits et libertés de la personne que le gouvernement libéral a créée en 1975. C'est pour cela que, pour nous, ce qui est important en ce moment-ci c'est de pouvoir consacrer dans la constitution, que le Québec est une société distincte, et, le rôle du gouvernement et de l'Assemblée nationale est de promouvoir cette distinction.

Le mandat probablement, madame, que jamais dans toute l'histoire du Québec un

gouvernement s'est présenté avec un programme électoral aussi clair sur ces projets constitutionnels. Nous avions cinq points dans notre programme électoral et, personnellement, je me suis promené partout au Québec pour discuter de ces cinq points. Le Parti québécois ne voulait pas discuter de constitution, cela l'embêtait, pas plus qu'il n'a voulu discuter de constitution aux élections de 1981; mais nous, nous avons discuté de constitution et nous avons été élus le 2 décembre. Il ne s'agit pas de faire une constitution du départ, il s'agit maintenant de réparer des pots cassés. Je crois sincèrement que ce que nous avons comme entente va nous permettre d'avoir cette garantie culturelle, cette garantie linguistique qui va nous permettre de vivre dans une société libre, démocratique, fière d'elle-même, fière de sa culture, de sa langue et fière d'appartenir à une Fédération canadienne, parce que de notre côté, je dois vous avouer que c'est notre option politique: Nous sommes fiers d'être Québécois. Nous sommes fiers d'appartenir à cette fédération. Nous croyons que le Québec peut être un partenaire majeur de cette fédération, tout en ayant la possession, la juridiction dont il a besoin pour son épanouissement spécifique.

Le Président (M. Trudel); Merci, M. le ministre. M. le député de Gouin, il vous reste deux minutes.

M. Rochefort: Oui. Merci, M. le Président. Je pense que les propos du ministre pourront être commentés par nous lundi puisqu'on sera avec lui encore toute la journée, mais je préférerais offrir mes deux minutes aux représentants de l'Union des artistes s'ils veulent pouvoir conclure leur présence parmi nous.

Mme Chouvalidzé: Je me bornerai à réitérer notre demande au gouvernement de bien vouloir clarifier sa définition d'une société distincte au Québec par une clause qui pourra nous assurer que la langue française correspond à cette distinction, que c'est par le même qu'il y a un peuple qui s'appelle le peuple québécois et que sa langue sera protégée avec les pouvoirs qu'il y aura pour protéger cette langue. Voilà, en résumé, ce que vous demande l'Union des artistes. Je vous remercie infiniment.

Le Président (M. Trudel): Merci, madame.

M. Rémillard: Nous vous remercions, madame.

Dépôt du mémoire de l'Union des écrivains du Québec

Le Président (M. Trudel): Madame, monsieur, de l'Union des artistes, merci de votre présence.

Avant d'ajourner les travaux jusqu'à lundi, 10 heures, je voudrais déposer le mémoire de l'Union des écrivains du Québec, que j'ai oublié de déposer tantôt.

Les travaux de la commission sont ajournés jusqu'à lundi, 10 heures.

(Fin de la séance à 17 h 41)

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