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(Dix heures dix-huit minutes)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Nous entamons notre septième séance sur le mandat qui nous
a été confié par l'Assemblée, soit d'entendre les
représentations des groupes, des individus et des organismes
relativement à l'entente intervenue au mois d'avril 1987, au lac Meech,
concernant la constitution du Canada.
L'ordre du jour pour aujourd'hui se lit comme suit: Mouvement
Québec français. Je vois que les représentants sont
déjà parmi nous. Je les invite à prendre place à la
table des invités.
Subséquemment, nous entendrons M. Yves Fortier, juriste. À
14 heures, M. Guy Tremblay, professeur de droit constitutionnel à
l'Université Laval. À 15 heures, l'Union des écrivains du
Québec et à 16 heures, l'Union des artistes.
Je demanderais aux représentants des deux partis de se consulter.
Une demande a été faite de devancer légèrement nos
travaux de la séance de l'après-midi pour les faire commencer
autour de 13 h 30 ou 13 h 45. Je demanderais donc aux partis de se consulter
à ce sujet. J'aviserai avant la fin de nos travaux de cet
avant-midi.
M. Marcil: De faire en sorte que tout te monde soit
là.
Une voix: Moi, j'ai un problème parce que j'ai une
réunion à midi...
Le Président (M. Filion): Donc, aussitôt qu'une
entente intervient entre les partis, s'il y a lieu, j'apprécierais en
être informé pour que nous puissions aviser notre premier
invité de cet après-midi de bien vouloir se rendre un peu plus
tôt si cela lui était loisible.
Je reconnais M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Est-ce que le ministre accepterait cinq
minutes de questions au sujet des textes?
M. Rémillard: ...non, on est ici. Je voudrais quand
même...
M. Johnson (Anjou): Oui? Non, vous n'acceptez pas cela.
M. Rémillard: ...on est pris au point de vue du temps.
Vous venez de nous parler. Lundi prochain.
M. Johnson (Anjou): Alors, lundi prochain, c'est cela. Si cela ne
marche pas la semaine prochaine... Peut-être après la signature de
l'accord, on pourra parler.
M. Rémillard: Si vous voulez, on a des invités.
Soyons polis envers nos invités. Vous me mentionnez une question de
temps, alors qu'est-ce que vous voulez?
M. Johnson (Anjou): Je pense que le ministre n'a pas de
leçon à faire au sujet de la politesse à l'égard
des invités, il le reconnaîtra. Alors, nous sommes prêts, M.
le Président.
M. Rémillard: Allons, procédons donc!
Le Président (M. Filion): Donc, devant cette absence de
consentement sur des questions relativement au texte juridique, je reconnais
déjà M. Guy Bouthillier, politicoloque et porte-parole du
Mouvement Québec français. Je voudrais lui souhaiter la plus
cordiale des bienvenues à cette consultation particulière. Je
l'inviterais, bien sûr, à nous présenter les personnes qui
l'accompagnent et également à nous présenter, dans un laps
de temps d'environ 20 minutes, son exposé, à la suite de quoi,
nous pourrons procéder aux échanges de propos et discussions avec
les membres de cette commission.
Mouvement Québec français
M. Bouthillier (Guy): Merci, M. le Président. Mesdames et
messieurs de la députation, vous connaissez le Mouvement Québec
français, il est composé des dix organismes que vous savez, issus
du milieu du travail, du milieu de l'enseignement, du milieu de la vie
artistique, intellectuelle et culturelle. Plusieurs de ces mouvements ont
été invités, et sont venus ou viendront ici. C'est
pourquoi nous avons, aujourd'hui, une délégation - appelons-la
restreinte composée, à mon extrême droite et donc à
votre extrême gauche, de mon ami, M. André Gaulin, qui
représente le MQF, l'Association québécoise des
professeurs de français; à ma droite immédiate, M.
Maurice
Boucher, qui s'occupe de formation à la CSN et qui
représente ici la CSN; à mon immédiate gauche, mon ami
Henri Laberge, qui est le délégué de la Centrale de
l'enseignement du Québec et qui assure la liaison entre la CEQ et le
Mouvement Québec français.
Vous connaissez aussi le Mouvement Québec français qui
existe depuis une quinzaine d'années et qui, depuis une quinzaine
d'années, met tous ses efforts à atteindre l'objectif du
Québec français et qui, pour y arriver, combat tout ce qui vient
faire entrave à cet effort. Depuis le projet de loi 63, de très
triste mémoire, jusqu'au tout récent projet de loi 140 en passant
- il ne faut pas l'oublier et peut-on l'oublier -par la loi 22 de 1974. Cela a
été le fil de l'action du Mouvement Québec
français. Dans son opposition à toutes les entraves, vous le
retrouvez ce matin, si vous voulez, s'opposant au lac Meech et il vous
expliquera dans son mémoire pourquoi et pour quels motifs il s'oppose
à la signature de cette entente.
Mais il faut savoir aussi que le combat pour le français, qui
n'est pas un combat facile à mener, on s'en rend compte, peut certes se
mener en circuit fermé - c'est pourquoi nous vous remercions de nous
avoir invités ici - mais il doit d'abord être mené au grand
jour, sur la place publique, car il suppose l'accord profond de l'ensemble de
la population, sans quoi on ne fait rien en matière de combat
linguistique, en matière de promotion linguistique. C'est du reste
précisément parce qu'il faut sortir l'affaire des circuits
fermés pour la mettre résolument sur la place publique que le
Mouvement Québec français organise, lundi soir prochain, à
Montréal, au Plateau, et, mardi soir prochain, à Québec au
centre Durocher, un rassemblement populaire auquel il invite, bien entendu,
toute ta population et d'abord - nous le souhaitons vivement - tous et chacun
d'entre vous, mesdames et messieurs.
Le Mouvement Québec français n'est pas - je crois qu'il
faut le souligner - la simple et banale addition comptable des forces qui le
composent. Le Mouvement Québec français est le résultat et
il est peut-être plus encore le symbole de l'alliance des forces
sociales, des forces nationales, des forces intellectuelles, des forces
culturelles. Cette alliance des forces sociales et des forces nationales qui
s'est constituée dans les années soixante - elle est nouvelle
dans notre histoire - a déjà beaucoup fait pour la défense
et la promotion du français depuis une quinzaine d'années. Cette
alliance est capitale pour la suite du combat pour la promotion du
français. C'est ce que nous voulions dire ici, ce matin, en
préalable, c'est ce que nous dirons aussi lundi et mardi soir prochains,
là où vous savez.
Je vous présente le mémoire du Mouvement Québec
français, et je ne sais pas s'il vous a été
distribué. Le français, vous le savez - tout le monde le dit et
le reconnaît - est menacé au Québec. Que ce soit notre
histoire, notre situation géopolitique, notre orientation
extérieure - il ne faut pas l'oublier - qui, en nous mettant en
concurrence, en opposition avec la langue anglaise, langue forte, sûre
d'elle-même et conquérante, conjuguent leurs effets pour
créer une formidable inégalité de fait au profit de
l'anqlais et contre le français.
Oui, cette formidable inégalité de fait, au lieu
d'être atténuée, corrigée en quelque sorte par le
droit, comme ce serait en principe le rôle, la mission du droit, est
alourdie, aggravée, rendue plus lourde encore par l'ordre
constitutionnel canadien qui, dans cette affaire, vient encore une fois donner
des armes à Goliath contre David. Cela était vrai du
système constitutionnel de 1867, et cela l'est plus encore de celui de
1982 auquel on voudrait aujourd'hui nous voir adhérer.
Puisque le français est menacé, il faut le
défendre. Parce qu'on n'est jamais aussi bien servi que par
soi-même, c'est tout naturellement au peuple du Québec, dont c'est
la langue, et aux pouvoirs publics qui en sont l'expression la plus
fidèle, c'est-à-dire vous, messieurs et mesdames, qu'il revient
d'agir.
Le peuple du Québec, ce premier et indispensable acteur du combat
linguistique, a démontré et démontre tous les jours son
attachement et sa détermination à lutter pour sa langue. Deux
siècles d'histoire - ceux qui ont déjà été
évoqués ici par d'autres -sont là pour en
témoigner, au fil desquels le peuple du Québec a compris et fait
comprendre aux autres qu'il voulait qu'au Québec il y ait du
français partout, du français pour tout et du français
pour tous. Dans leur difficile lutte pour leur langue, les
Québécois ont le droit de compter sur l'action d'un État
qui vienne fixer le but, organiser l'action et, surtout, soutenir les
volontés de chacun et de chacune. Du reste, toutes les formations
politiques qui se sont succédé à Québec, au
gouvernement du Québec depuis le 22 juin 1960 l'ont affirmé. Si,
malheureusement, elles n'ont pas toujours eu la main heureuse au moment d'agir,
elles ont toutes montré qu'il fallait mettre le poids de l'État
au profit de la seule langue menacée, le français. Pour
défendre le français, l'État du Québec dispose de
pouvoirs réels, mais de pouvoirs limités. On se bornera ici,
devant une commission qui s'intéresse à la constitution, à
souligner deux ordres de limites qu'impose la constitution canadienne.
Premier ordre, tout le domaine qui est imparti à
l'autorité fédérale échappe à l'action
francisatrice du Québec. Cela
englobe des domaines importants pour une action linguistique comme le
domaine public fédéral. Pensez au comportement actuel de
Petro-Canada, par exemple, au domaine de la réglementation de la radio,
de la télévision et des communications générales,
aux procédures de naturalisation et, je serais porté à
ajouter, depuis hier après-midi, au domaine de nos rapports avec les
peuples autochtones. Ce vaste domaine qui échappe à l'action
francisatrice du Québec et qui sera peut-être étendu encore
- qui sait? - à la faveur de ce qui s'est dit et de ce qui s'est
préparé au lac Meech relativement au pouvoir de dépenser
de l'autorité fédérale. Cela, c'est le premier ordre de
limites imposées à l'action du Québec.
Le deuxième, même dans le domaine qui lui est pourtant
imparti, clairement reconnu dans la constitution, le Québec voit son
action linguistique bridée, entravée, limitée par des
dispositions constitutionnelles. On en mentionnera trois: la première,
la compétence du Québec sur ses propres institutions politiques,
judiciaires, parlementaires, vous le savez, est limitée par l'article
133, le vieil article poussiéreux 133 de 1867.
Deuxième ordre, la compétence du Québec en
matière d'éducation qu'on a limitée si
opportunément en 1982 par l'article 23, comme vous le savez. Enfin, la
compétence du Québec en matière de réglementation
du commerce intérieur qu'est venue limiter tout aussi
opportunément la charte de 1982. Cette énumération,
malheureusement, n'est probablement pas exhaustive.
Sans doute se trouve-t-il d'autres entraves actuellement cachées,
embusquées sous quelque article d'apparence innocente et que
découvriront bien, tôt ou tard, nos tribunaux. Ces pouvoirs qu'il
n'a pas, le Québec en a besoin. Il en a besoin s'il veut donner une
orientation résolument française à sa politique
linguistique, car toutes ces dispositions constitutionnelles viennent, soit
limiter la portée de l'action législative, soit - et c'est
peut-être plus grave encore -contredire l'indispensable effort de
pédagogie politique en faveur du français, soit - encore plus
grave - entretenir le doute dans tes esprits sur la légitimité de
l'effort entrepris pour le français.
Or, l'entente du lac Meech ne répond pas, mais pas du tout,
à cette exiqence. Non seulement, en effet, ne propose-t-elle aucun
pouvoir nouveau en matière linguistique, mais encore elle maintient haut
et fort toutes les entraves que l'on sait et qui servent si efficacement
à brider l'effort du français dans son difficile combat avec
l'anglais.
Rien, donc, dans l'accord du lac Meech, rien donc en matière de
compétences nouvelles qui pourrait justifier cet accord à nos
yeux. Â la place et, en quelque sorte, en prix de consolation, qu'est-ce
qu'on nous offre? Une incertaine phrase relative à une incertaine
société distincte, ce qui est d'autant plus inacceptable que
cette disposition ne présente qu'une valeur interprétative qui,
à ce titre, entrera forcément en concurrence avec d'autres
dispositions de la constitution et, notamment - le voilà qui revientl -
cet article 133 qui n'a sans doute pas encore épuisé toute sa
valeur interprétative pour l'ensemble de la constitution; cette phrase
que l'on nous offre, qui dessaisit l'autorité politique que vous
êtes et les citoyens que nous sommes de cette question fondamentale,
entre toutes, de la définition qu'un peuple veut donner de
lui-même, enfin cette phrase, cette quelconque phrase qui est vague,
ambiguë et qui annonce fort probablement un Québec bilingue, comme
certains l'ont déjà affirmé ici même ou ailleurs,
aucun pouvoir nouveau, une déclaration vide et probablement même
dangereuse. Voilà ce qu'on voudrait nous présenter comme un
moment historique.
Non, que l'on ne compte pas sur le Mouvement Québec
français, que l'on ne compte pas sur ceux qui composent le MQF pour
jouer les dupes. Ce que le MQF demande, à l'occasion des actuelles
discussions constitutionnelles, c'est d'abord que l'on libère
l'Assemblée nationale des entraves que la constitution prévoit
depuis longtemps aussi bien que celles qu'elle s'est inventées en 1982
et qui empêchent le Québec d'agir dans son propre domaine. C'est
ensuite que le Québec engage avec ses partenaires les discussions
constitutionnelles relatives aux transferts de pouvoirs en direction du
Québec qu'une politique linguistique efficace doit supposer. Il y a
là, nous semble-t-il, un préalable à toute signature
d'entente constitutionnelle et c'est aux autorités
québécoises d'exiger d'y mettre le temps qu'il faudra pour
permettre au Québec tout entier de s'exprimer là-dessus.
L'accord du lac Meech, c'est, à l'évidence, la
constitution du bilinguisme. C'est aussi la constitution de la
résignation. Il suffit, pour s'en convaincre, d'entendre les propos de
tous ceux qui viennent ici, ou ailleurs, dire: Dans les circonstances et compte
tenu de la réalité actuelle, c'est tout ce qu'on pouvait obtenir
de mieux. C'est la constitution du bilinguisme. C'est la constitution de la
résignation. C'est aussi la constitution de l'horizon bouché,
c'est-à-dire d'un point d'aboutissement. On ne présente pas, on
ne voit pas dans le projet du lac Meech un point de départ vers une plus
grande francisation du Québec. C'est le point d'aboutissement. C'est la
fermeture d'un processus historique engaqé depuis longtemps, en tout
cas, disons depuis le 22 juin 1960. C'est un peu la montaqne qui viendrait
d'accoucher de sa souris.
À la place de cette constitution dont
nous ne voulons pas, ce que nous voulons, nous, du MQF, c'est un
Québec français. Cette idée du Québec
français est, de toute évidence, difficile à
réaliser tant elle fait face à des obstacles et tant elle heurte
des intérêts et des habitudes acquises de part et d'autre. Mais
cette idée du Québec français est exaltante, exaltante par
le but qu'elle fixe, car ce que le Québec demande, c'est de bâtir
ici une société qui se distinguera de toutes celles qui nous
entourent, la seule, en tout cas, capable d'apporter à l'Amérique
du Nord un élément vivant, crédible et permanent de
différence culturelle.
Cela, ce Québec français, nous le voulons, bien entendu,
pour le Québec lui-même, pour en extirper les
indifférences, les hostilités et aussi les
ségrégations. Mais nous savons aussi qu'un Québec
français ne pourra qu'être utile au Canada anglais qui, dans la
lutte qu'il mène pour son identité nationale, a droit de trouver
à côté de lui un allié fort et sûr. Nous
savons aussi que le combat que nous menons servira la cause de toutes les
langues et de toutes les cultures qui, partout dans le monde, subissent la
même pression que nous et, ils puiseront dans nos luttes et dans nos
succès la preuve que le combat est nécessaire et que la victoire
est possible, à la condition, bien entendu, que le peuple du
Québec se retrouve uni derrière les mêmes objectifs et
d'accord sur les mêmes moyens d'atteindre ces objectifs.
M. le Président, mesdames et messieurs, je vous remercie de
l'attention que vous avez bien voulu porter à la lecture de ce
mémoire.
Le Président (M. Marcil): Merci beaucoup, M.
Bouthillier.
Chacune des formations dispose de 21 minutes. Je vais reconnaître
maintenant M. le ministre des Relations internationales et ministre
délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes.
M. Rémillard: Merci, M. le Président, merci M.
Bouthillier, merci messieurs d'avoir accepté de venir témoigner
devant nous, ce matin, sur cette entente du lac Meech. Vous représentez
des organismes membres. À la fin de votre mémoire vous
énumérez ces organismes membres et je les cite: L'Alliance des
professeurs de Montréal; nous les avons entendus. L'Association
québécoise des professeurs de français; nous ne les avons
pas entendus. La Centrale de l'enseignement du Québec; nous les avons
entendus. La Confédération des syndicats nationaux; nous les
avons entendus. La Fédération des travailleurs et travailleuses
du Québec; nous les avons entendus. Le Mouvement national des
Québécois; nous les avons entendus. La Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal; nous les avons entendus. L'Union des
artistes; on les entendra. L'Union des écrivains
québécois; on les entendra. L'Union des producteurs agricoles;
nous les avons entendus. Donc, des organismes membres de votre Mouvement
Québec français, il y a une association que nous n'avons pas
entendue, c'est l'Association québécoise des professeurs de
français.
M. Bouthillier, nous vous avons écouté attentivement. Vous
mentionnez dans votre exposé, à la paqe 5, je crois: "Aucun
pouvoir nouveau n'est donné par cette entente du lac Meech." Je voudrais
simplement porter à votre connaissance certains points de l'entente du
lac Meech qui, manifestement, M. Bouthiller, donnent des droits nouveaux et
importants au Québec. En ce qui regarde, par exemple, l'immigration, ce
matin le journal Le Devoir titrait: "Taux de fécondité, la chute
s'arrête, sauf au Québec." C'est une situation très
difficile pour le Québec. Nous avons un taux de fécondité
de 1,4 % alors que normalement il faudrait 2,1 %, 2,2 % à une
société industrialisée comme la nôtre pour maintenir
simplement notre poulation.
En matière d'immigration, nous avons obtenu que le Québec
puisse sélectionner ses immigrants, sélectionner les immigrants
qui demandent à immigrer au Québec de l'extérieur du
Canada et même aussi ceux qui sont déjà sur place, soit 30
% de nos immigrants.
J'attire votre attention de façon plus spécifique, M.
Bouthillier, sur le fait que nous recevons par cette entente la
compétence, les pouvoirs de prendre les mesures d'intégration
nécessaires pour donner à ces immigrants le qoût de
demeurer avec nous, parce que près de 50 % de nos immigrants quittent le
Québec pour une autre province. (10 h 45)
Quand vous dites que l'entente du lac Meech ne prévoit rien sur
la langue française, le premier point que je voudrais relever pour vous,
c'est ce pouvoir de donner des cours de français aux immigrants. Le
qouvernement fédéral donnait des cours selon un programme
à des immiqrants travailleurs en fonction de leur travail, mais on ne
donnait pas de cours de français à la mère qui demeure
à la maison, qui s'occupe de la famille. Elle ne pouvait donc pas
s'intégrer à la société. Maintenant, avec ma
collèque responsable du ministère de l'immiqration et des
Communautés culturelles, il y aura un véritable plan
d'intéqration avec des cours de français, des cours de formation
et autres pour intégrer ces immigrants à la société
québécoise. Donc, quand vous me dites qu'il n'y a rien sur la
langue française, attention, M. Bouthillier, il y a là un point
qui est très important.
D'autre part, en ce qui regarde le caractère distinct du
Québec, à vous entendre parier, j'ai l'impression qu'il aurait
peut-être mieux valu avoir simplement la mention "société
distincte" dans le
préambule, comme le Parti québécois le voulait.
Même nous, dans notre programme électoral, on avait dit: C'est
cela qu'on va demander, mais on a négocié pour plus et on a
obtenu beaucoup plus. Il s'agit d'une règle d'interprétation qui
est dans la constitution même, donc qui a une valeur
interprétative de toute la constitution en plus d'être une
règle obligatoire pour le tribunal.
Quand vous me dites qu'il n'y a pas de pouvoirs nouveaux pour la langue
française, ce n'est pas tout à fait exact, M. Bouthillier. Au
contraire, vous avez là, dans la reconnaissance du Québec comme
société distincte qui est essentiellement, fondamentalement
distincte par sa culture, par sa langue française, vous avez là,
dis-je, une assise juridique pour défendre la langue française
que le Québec n'avait pas. D'autant plus, et cela, je ne vous l'ai pas
entendu dire, qu'il faut relier cette société distincte è
ce nouveau rôle qui, pour la première fois, est attribué
à l'Assemblée nationale et au gouvernement dans la constitution,
de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la
société québécoise. Ce qui veut dire, M.
Bouthillier, qu'il y a là une assise juridique solide, efficace pour
défendre la langue française. Il est évident que le
Québec a compétence sur sa langue. On n'a pas à
réclamer des choses qu'on a déjà.
Il y a l'article 133, il y a l'article 23 de la constitution de 1982 sur
la clause Canada, on l'accepte. La clause 133 sur le bilinguisme dans les
Parlements, à l'Assemblée législative et devant les
tribunaux, on l'accepte. Mais dans les cas où il pourrait y avoir
à interpréter ce bilinguisme qui est exceptionnel, parce que le
Québec est une province officiellement unilingue française - la
loi 101 est là pour en témoigner - vous avez là, par cette
entente du lac Meech, une assise importante pour défendre cette langue
officielle, le français.
Si l'article 133, comme cela peut être le cas pour tous les
articles de la constitution, devait porter à interprétation,
comme nous l'a si bien dit le professeur et doyen de la Faculté de droit
de Montréal, le professeur Chevrette, un expert en droit constitutionnel
de grande réputation... voilà une référence, une
assise juridique de première importance pour le Québec pour
plaider la reconnaissance de certains droits en fonction d'une
interprétation de l'article 133.
Voilà donc, M. Bouthillier, ce que je voulais vous dire dans un
premier temps. Le Québec est une province dont la langue officielle est
le français, et l'entente du lac Meech va permettre de consolider, va
consolider cette langue française parce qu'elle reconnaît pour la
première fois le rôle de l'Assemblée nationale et du
gouvernement de la protéger et de la promouvoir.
Quand on a un rôle, M. Bouthillier, on a une responsabilité
et cette responsabilité est évidente de par ce que nous sommes
comme société distincte.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre. M.
Bouthiller, si vous voulez réagir ou n'importe quel autre membre de
votre groupe.
M. Bouthillier: Agir ou réagir, comme vous voudrez. Je
voudrais d'abord souhaiter la bienvenue à Claude Ducharme,
vice-président de la FTQ qui vient de se joindre à notre
délégation.
M. Rémillard: C'est la deuxième fois que M.
Ducharme nous visite. Bienvenue, M. Ducharme.
Une voix: Jamais deux sans trois.
M. Bouthillier: Je ne sais pas la signification profonde de cette
intervention du ministre, mais cela me rappelle qu'il a commencé son
intéressante intervention, tout à l'heure, par une
énumération, celle de nos dix orqanismes constituants. Qu'est-ce
qu'il y avait de caché dans cette énumération de sa part,
sinon peut-être l'idée de nous donner l'impression d'un double
emploi, d'une redondance, d'une répétition, d'un psittacisme? Je
rappelle quand même ce que je disais au début: que la
signification du MQF, c'est cette alliance, ce travail intime, étroit,
de toutes ces forces différentes par leurs activités, par les
milieux, qui se regroupent sur la question de la lanque et qui en parlent comme
un seul homme.
Si vous regardez l'histoire du difficile combat que nous menons pour le
français et contre l'anglais en Amérique du Nord, vous verrez
qu'une date capitale se situe précisément autour des
années soixante, quand les forces sociales, appelons-les comme cela, ont
décidé d'accaparer la question linguistique, de s'en emparer,
d'en faire leur chose. Cela cessait, dès lors, d'être une pure et
simple question de beau langage ou le sujet de dissertations dans les
collèges classiques. Cela devenait quelque chose qui s'inscrivait dans
le rapport de forces sociales, et c'est d'ailleurs pourquoi c'est une question
aussi délicate dans la vie politique canadienne et dans les rapports
entre le Québec français et le Canada anglais.
Ensuite, dans votre intervention, vous avez parlé de
l'immigration. Très bien! On aurait pu techniquement, effectivement,
rédiger un rapport, appeler l'attention sur la constitutionnalisation,
comme on dit, ou l'enchâssement, comme on dirait d'un mort, de l'entente
Couture-Cullen. On a dit bien des choses. Je pense que l'intégration des
immigrants, cette chose qui est si importante et si capitale pour tout le
Québec,
notamment pour le Québec qui vit à Montréal, bien
sûr qu'elle peut se faire par des programmes ponctuels, par les articles
72 et 73 de la Charte de la langue française, par un COFI qui serait
entièrement québécois, par d'autres mesures aussi, mais
attention! L'intégration d'un immigrant se fait par l'ensemble de la
société et par ce que l'immigrant voit de cette
société, par ce qu'il y comprend. Ce n'est pas parce qu'il aura
passé six semaines ou six mois dans un COFI, à raison de trois
heures par jour ou par semaine, qu'il sera intégré à la
société française. Malheureusement, on sait que certains
passent au COFI - bien, pour faire un petit peu de français, ce n'est
pas entièrement inutile - pour ensuite se retrouver dans les circuits de
la vie, à toutes fins utiles, unilingues anglais de Montréal.
L'intégration de l'immigrant se fait par tout ce qu'il voit.
Qu'est-ce qu'il voit? Il voit qu'il est dans un État
fédéré, un État provincial qui a inscrit au coeur,
au sommet de ses institutions politiques, le principe de
l'égalité des langues. C'est ce que veut dire l'article 133. Dans
la réalité concrète, il ne dérange peut-être
pas beaucoup. Bien sûr, il doit déranger un certain nombre de
Lomer Pilote, mais disons que, pour l'instant, ce n'est pas cela qui est le
plus grave. Ce qui est le plus grave, je crois, c'est ce que signifie un
article 133 qui dit: Au sommet -car c'est bien au sommet de l'État que
se trouve l'Assemblée nationale et les tribunaux, et les choses qui se
passent au sommet finissent par avoir valeur d'exemple pour l'ensemble de la
société - on a inscrit le principe de l'égalité
absolue de l'anglais et du français. L'immigrant le sait. Il peut lire
toutes les lois du Québec uniquement en anglais. Il peut être
jugé par le tribunal uniquement en anglais. Qu'est-ce qu'il voit ensuite
autour de lui, dans la rue - il est plus souvent dans la rue que devant les
tribunaux, Dieu merci - ou qu'est-ce qu'il verra peut-être bien dans la
rue si telle ou telle idée de tel ou tel parti politique se
réalise? Il verra un paysage urbain du commerce, de l'industrie et des
affaires entièrement bilingue, si ce n'est pas déjà en
train de se faire. (11 heures)
Comment, dans ces conditions, voulez-vous convaincre un immigrant qui
arrive? D'autant plus que, regardez les courants actuels de l'immigration, ils
nous viennent de pays déjà marqués par la langue anglaise:
Sri Lanka, le Pakistan, les Antilles ex-britanniques. Même lorsqu'ils
viennent de pays qui ne sont pas marqués par la langue anglaise - je
pense aux réfugiés en ce moment des pays d'Amérique
centrale -comme la géographie fait que, pour venir chez nous, ils
doivent passer par les États-Unis, ils y restent un an ou deux jusqu'au
jour où les Américains les invitent - et c'est une litote -
à partir, ils sont déjà marqués par un an, deux
ans, trois ans de présence dans une société anglophone
dont ils ont commencé à apprendre la langue, si
déjà ils ne la savaient pas très bien, ces gens sont dans
cette société ou sont déjà marqués et ont
déjà une inclination naturelle, je la comprends, pour la langue
concurrente qu'est l'anglais pour nous. Les mettre dans un COFI en disant:
C'est le fric du Québec et c'est même plus le fric d'Ottawa; tout
cela est décidé par la rue McGill et pas du tout par Ottawa,
formidable, mais probablement, si vous voulez, totalement insuffisant parce
qu'il y a tout le reste. On pourrait ajouter davantage à notre
description, du reste, qui fait que cet immigrant voit la situation dans
laquelle il se trouve. Je ne parle même pas de la situation dans laquelle
il se trouve le soir chez lui quand il appuie sur les boutons du
téléviseur, etc. On pourrait multiplier les exemples. Cette
société - je me reporte à ce que je disais - la
société française du Québec est en concurrence avec
ce Goliath de la langue anglaise, un Goliath extérieur mais aussi
intérieur. Le droit vient renforcer précisément les
positions et autoriser en quelque sorte la libre concurrence des langues. Eh
bien, la liberté de concurrence des langues joue toujours, vous le
savez, au profit du plus fort.
Maintenant, vous avez parlé du nouveau rôle que vous vous
donnerez. Je n'insisterai pas sur le mot "rôle" par opposition à
celui de responsabilité. Je n'insisterai pas sur le vague de la
société distincte, qui n'est pas définie, alors que la
dualité, elle, semble l'être en matière linguistique.
D'autres que moi l'ont fait avant moi, etc. Bon, très bien. Vous avez
insisté sur le rôle du gouvernement en disant: Vous pouvez dormir
en paix, messieurs du MQF, nous sommes là. C'est un peu cela que vous
dites: Nous sommes là pour défendre le français.
Or, permettez-moi et permettez-nous d'avoir une appréciation
différente du rôle que vous exercez et que vous avez exercé
jusqu'à maintenant en matière de langue. On sait la politique
linguistique qui est menée par l'actuel gouvernement du Québec.
On sait avec quelle alacrité il s'est employé non seulement
à amnistier les petits enfants illégaux, ce qui allait de soi,
mais à transmettre, si vous voulez, le privilège et l'absolution
aux générations qui allaient suivre. On sait avec quel plaisir
machiavélique le rapport Lalande s'est amusé à
défaire l'appareil qui symbolise encore ce qui reste de la loi 101. On
sait avec quelle mollesse - et je suis poli en disant mollesse - le
gouvernement du Québec a traité la question de l'affichaqe
unilingue au Québec. On ne s'en étonnera peut-être pas trop
quand on se rappellera que cette loi 6? de très triste mémoire
est une loi que vous avez
votée et approuvée, que le projet de loi 22 que vous avez
adopté en 1974 a été la loi de la chèvre et du
chou, a été la loi du bilinguisme et non du Québec
français.
Il y avait des mots dans le bill 22, et d'abord le titre: le
français, langue officielle, la loi de la langue officielle. C'est
rassurant en apparence, mais l'étiquette est là et le contenu ne
suivait pas. La France dont vous parliez tout à l'heure, M. le ministre,
me rappelle effectivement Shakespeare: À la place de pouvoirs que l'on
réclame depuis si longtemps, on nous donne des mots, "words, words,
words". Et tout le reste n'est que littérature, répondit trois
siècles plus tard Verlaine.
Vous avez parlé de M. Chevrette tout à l'heure, mon
collègue et néanmoins ami, François Chevrette. Qu'est-ce
qu'il est venu dire hier, sinon que la phrase de la société
distincte sous le parapluie de la dualité linguistique est une
photographie et la photographie de ce que le Canada anglais accepte du
Québec sur le plan linguistique? Un Québec a prédominance
tant qu'il voudra bien l'être prédominant, mais un jour il ne le
sera peut-être plus. Un constat de fait, un Québec à
prédominance française; mais, ne touchez pas à l'anglais.
Pas un Québec de l'unilinguismel Or, la position de tant et tant de
socio-linguistes, la position de tant et tant de mouvements de combat, la
position du MQF, c'est que si l'on n'introduit pas des éléments
d'unilinguisme dans la société québécoise, des
éléments d'unilinguisme dans l'État, des
éléments d'unilinguisme dans le visage commercial, des
éléments de francisation du travail - cela est capital, on n'en
parle pas assez - des éléments de francisation dans
l'école, cette volonté d'ouverture qu'exprimait très bien
la loi 101 concernant l'école française qui devenait
l'école, à toutes fins utiles, pour tous, pas seulement pour les
petits- Canadiens français, mais l'école pour tous, tous les
nouveaux... On acceptait, bien sûr, que les enracinés du
Québec, les Québécois, les anglophones historiquement,
pour reprendre le mot de Michel Goldbloom, les Québécois
historiquement enracinés, très bien, mais que tous les autres, y
compris - c'était peut-être cela le sacrilège - les Watson
et les Thompson de Toronto allaient venir s'asseoir dans nos écoles,
à côté de nos enfants. Mais non! Mais non! On s'est
employé, parce que cela avait une signification politique contraire aux
intérêts supérieurs de l'organisation
fédérale, on s'est employé, dis-je, à contrer cet
effort d'ouverture.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie M. Bouthillier.
M. le ministre, je voudrais vous informer que...
Une voix: M. le Président, notre temps est
terminé.
Le Président (M. Filion): ...l'enveloppe du groupe
ministériel est épuisée. Je ne sais pas si vous demandez
le consentement pour...
Une voix: Non, cela va.
Le Président (M. Filion): ...d'autres questions. Cela va.
M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Oui, M. le Président. M. Bouthillier,
merci de votre exposé. On reconnaît vos convictions et surtout
votre engagement depuis de nombreuses années, ainsi que celui des
collègues qui vous accompagnent, autour de la défense du fait
français. Vous allez me donner quelques minutes. J'ai droit normalement
è 20 minutes de discussion avec vous. Je vais me permettre d'en prendre
près d'une dizaine pour commenter vos propos, mais surtout
l'espèce d'aberration que j'ai entendue tout è l'heure venant du
ministre qui a dû faire un lapsus sans s'en apercevoir. Par
définition, un lapsus, on ne s'en aperçoit pas. Le ministre a
dit: "Le Québec est unilingue officiellement, il n'est bilingue
qu'exceptionnellement." Mais quelle absurdité! Quelle grossière
déformation de la réalité!
L'article 133 n'a pas comme but de permettre à nos
collègues d'expression anglaise des comtés de l'ouest de
Montréal de parler de temps en temps en anglais dans le Parlement, on
n'a pas de problème avec cela, on n'en a jamais eu. L'article 133 de la
constitution du Canada a comme objectif très clair d'établir que
le Québec est bilinque dans son institution souveraine qui s'appelle le
Parlement. Deuxièmement, les tribunaux, deuxième institution
d'importance dans notre société, seront bilinques.
Troisièmement, l'article 23 de la charte canadienne des droits de 1982
avait un but très précis, la Cour suprême nous l'a dit:
c'était de renverser les dispositions de la loi 101 en matière de
fréquentation de l'école française ou anglaise.
Quatrièmement, il y a la Charte des droits et libertés qui, au
chapitre de la liberté d'expression, valorise par-dessus tout une notion
inspirée du "age of enlightenment", de l'époque de Locke, Hume et
Berkeley en Angleterre, qui met par-dessus tout le droit individuel, y compris
la primauté de la liberté d'expression dans l'affichaqe
commercial comme étant une liberté essentielle, par-dessus les
contraintes qu'impose la loi 101 en matière d'affichage commercial.
Que le ministre nous dise que le Québec est unilingue et bilingue
de façon accessoire relève de la pure aberration, ou de la
démagogie. Le ministre se présente depuis quelques jours non plus
comme un constitutionnaliste, mais comme un politicien. Je dois dire que, de ce
côté, ça ne va pas mal.
Pourquoi en est-on là? On en est là parce que, en plus,
vous allez le faire confirmer dans le texte, dans cette clause
d'interprétation qui donnera lieu, je l'ai dit, à un niveau
sidéral d'incertitude devant les tribunaux. Vous avez fait inclure la
confirmation du bilinguisme québécois sur le territoire du
Québec. La dualité canadienne que vous exprimez ne se retrouve
pas dans une conception territoriale du fait français, absolument pas,
mais au contraire, dans la plus grande loi du pays, à un article que
vous jugez extrêmement important alors que, essentiellement, il ouvre la
porte aux tribunaux pour dire ce qu'ils voudront bien dire de ce que veut dire
la société distincte.
Au départ, vous donnez un article qui définit fort bien le
caractère fondamental de la fédération,
c'est-à-dire qu'elle est bilingue. Le ministre vient nous dire, de
façon superbe, que le Québec est unilingue et bilingue par
accident et par exception. Voyons donc! Le ministre est dans les limbes, il
n'est pas sur terre avec nous, il n'est pas allé à
Montréal depuis un certain temps, devrais-je dire. Le ministre n'a
même pas lu les propos de son collègue de
Notre-Dame-de-Grâce, M. Reed Scowen qui, dans la Gazette de ce matin, en
réponse à Donald Johnston, comme s'il y avait un grand drame
entre les gens de Westrnount en ce moment, vient nous dire: "Johnston - en
parlant de Donald Johnston - argues that the clause would permit the Supreme
Court to reverse the ruling by the Quebec Court of Appeal which allows the use
of bilingual signs, "The experts who have testified at the National Assembly
committee have argued unanimously, and sometimes regretfully, that this is not
the case. The right to use English as well as French on signs is protected by
the Charter of Rights."
Que le ministre ne vienne pas nous dire que le Québec est
unilingue et bilingue par exception. La règle dans la constitution
canadienne, en vertu de l'article 133, en vertu de l'article 23 de la charte,
en vertu du principe de la liberté d'établissement, en vertu de
la notion de liberté d'expression et maintenant en vertu de la notion de
dualité et de la présence de la communauté anglophone au
Québec, dans une règle d'interprétation, vient confirmer
le caractère bilingue du Québec. Le ministre peut bien l'affirmer
à ses copains en Ontario ou ailleurs en disant: N'ayez pas peur, signez
cela, mais qu'il ne vienne pas nous dire cela ici. Cela n'a aucun sens.
Je reconnais, è la limite, ce qui frise, quant à moi, une
trituration des textes indigne d'un professeur d'université. Pourquoi
est-ce qu'on en est là? On en est là essentiellement parce que
vous êtes partis pour le lac Meech sans texte. Vous êtes
entrés au lac Meech avec essentiellement des extraits de
conférence de presse, les cinq points qui ressemblaient vaguement
à une table des matières mal faite, des références
tantôt au livre beige, au livre jaune, au livre blanc ou aux
éternuements de l'un ou de l'autre depuis cinq ans sur les questions
constitutionnelles. Vous deviez vous rendre au lac Meech avec l'intention
d'écouter ce que le Canada avait à vous dire, vous êtes
sortis de là les deux mains attachées sur les cinq points, et ce
qui était des conditions d'adhésion du Québec est soudain
devenu une entente de principe.
Cette entente de principe, qui n'est pas au moment où on se
parle, complétée, semble-t-il - apparemment, cela négocie
fort encore, cela négocie fort notamment parce qu'au Canada anglais, on
veut être bien sûr que cela ne veut pas dire que le Québec,
comme règle, sera unilingue - cette entente de principe, elle entache le
Québec et je vais vous dire que, quant à moi, elle entache le
gouvernement du Québec.
Sur la question linguistique, vous chercherez - c'est évident
quand on écoute vos propos et ceux du premier ministre -quelque
amendement à la formule qui est là et je suis sûr que nous
retrouverons d'ici quelques jours, probablement dans un document qui aura
coulé de quelque part dans l'entouraqe du premier ministre ou du
ministre, un amendement à l'article de la société
distincte où le mot "linquistique" sera attaché à la
société distincte. Mais on va toujours être dans les limbes
de l'interprétation juridique à venir, possible, peut-être,
de la Cour suprême dans quinze ans, parce que vous ne serez pas
allés au fond des choses.
Le fond des choses, c'est quoi sur la question linguistique? Le fond des
choses, c'est de dire au Canada anqlais qu'on veut que le Québec et ce
Parlement où nous siégeons, où nous sommes des élus
et non pas des juges, ce Parlement décide de toutes les questions
linguistiques sur son territoire, que cette société est
suffisamment ouverte, civilisée et tolérante pour se
préoccuper de la minorité anglophone, mais que cette
société ne saurait accepter d'être contrainte par un texte
d'une majorité anglophone du Canada qui oblige la minorité
francophone à suivre un certain nombre de canons à l'égard
de sa propre minorité anglophone. C'est cela qui est en cause.
Même si vous obtenez cet amendement cosmétique - et je suis
convaincu que vous l'obtiendrez, c'est cela, le fond du tiroir du lac Meech -
même quand vous obtiendrez l'amendement cosmétique, vous ne
changerez rien à la réalité. Cette réalité,
c'est que vous avez renoncé comme gouvernement à demander les
pleins pouvoirs de l'Assemblée nationale en matière linquistique.
C'est cela qui est en cause.
Je crois que c'est cela que nous dit le
MQF. C'est cela que nous dit cette alliance de force importante au
Québec. À partir d'un postulat simple, ces gens croient en la
démocratie, ces gens croient en la capacité des élus du
peuple québécois de régler les questions linguistiques.
Ces personnes du MQF nous disent qu'il faut que vous revendiquiez les pouvoirs
pour l'Assemblée nationale du Québec en matière
linguistique plutôt que de laisser cela entre les mains, d'une part, du
reste du Canada qui ne saurait que faire de nos aspirations linguistiques et,
d'autre part, de cette interprétation tellement aléatoire,
possible, et des peut-être d'une Cour suprême où il y a
encore six juges sur neuf qui ne viennent pas du Québec, même si
vous êtes appelés à nommer les juges,
éventuellement.
Sur le fond des choses, le Parti libéral du Québec, le
gouvernement Bourassa, le ministre des Affaires intergouvernementales
canadiennes ont abdiqué et quelque amendement cosmétique que vous
obteniez sur une vague clause d'interprétation, l'abdication a eu lieu
avant le lac Meech. Demandez les pleins pouvoirs; il n'est pas trop tard. La
conférence du 2 juin à huis clos, Dieu sait que cela
représentera de la pression sur les épaules du premier ministre
du Québec d'être à huis clos, parce qu'il n'aura pas le
public québécois avec lui pour défendre le
Québec... Le huis clos est dangereux dans les relations
fédérales-provinciales pour le Québec; il l'a toujours
été. De toute évidence, le ministre n'a pas connu un
véritable huis clos des premiers ministres. Il ne s'est jamais assis
autour de cette table où le Québec est toujours quelque peu seul
ou isolé; cela paraît, d'ailleurs. De voir que tout cela se
décidera le 2 juin, au 24 Sussex, dans la maison de M. Mulroney,
à huis clos plutôt que sur la place publique, avec une affirmation
claire de ce gouvernement que ce n'est pas un amendement cosmétique
qu'on veut à la société distincte; ce qu'on veut, c'est
des pouvoirs pour le Québec en matière linguistique. De voir
cela, je vous avoue que cela ne me rassure pas. Cela ne me rassure pas parce
que l'abdication n'est pas loin, ici, de la capitulation en matière
linguistique. Ce qu'il faut que vous fassiez, c'est de demander les pleins
pouvoirs. (11 h 15)
Je vais m'adresser à M. Bouthillier en lui demandant s'il a
l'impression que la clause telle qu'elle est là, et même si elle
faisait une vague référence à la notion linguistique,
d'après lui, si elle était inscrite aujourd'hui dans la
constitution, aurait changé quelque chose à un certain nombre de
jugements des tribunaux depuis trois, quatre ou cinq ans et qui ont
réduit la portée de la loi 101?
M. Lefebvre: M. le Président.
M. Bouthiller: Non, justement...
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.
Une voix: Pas de passe-droit. C'est assez.
M. Lefebvre: M. le Président, est-ce que je peux tenir
pour acquis qu'on aura le consentement de l'Opposition pour permettre au
ministre de répondre aux propos du chef de l'Opposition?
Une voix: Non, c'est assez. Ça, il nous fait cela. C'est
assez.
Le Président (M. Filion): Bien, je pense...
Une voix: C'est assez.
M. Lefebvre: Est-ce que je peux tenir pour acquis qu'on aura un
consentement pour quelques minutes, à la fin de l'intervention, lorsque
le temps de l'Opposition sera écoulé?
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin.
M. Rochefort: M. le Président, je suis assez
estomaqué d'une telle demande de la part du leader.
M. Lefebvre: Cela vous arrive souvent d'être
estomaqué ici.
M. Rochefort: Oui, parce que vous êtes des qens
"estomaquants" à tous points de vue.
M. le Président, je suis assez surpris d'une telle demande. Le
ministre, qui est le mandataire du gouvernement, le porte-parole du
gouvernement, le responsable no 1 des négociations
fédérales-provinciales, refuse même de répandre
à des questions qui vont engaqer l'avenir du Québec pour des
décennies et des décennies quant à la traduction juridique
qu'on attend depuis trois semaines. La raison pour laquelle le ministre nous
dit: Moi, vous savez, je ne veux pas répondre à cela, c'est parce
qu'il n'a pas le courage d'avouer qu'il ne veut pas les mettre sur la table les
textes juridiques parce qu'il a peur que les Québécois
comprennent la véritable portée de l'entente qu'il a conclue au
lac Meech.
M. Lefebvre: M. le Président.
M. Rochefort: Et, M. le Président, si le ministre a des
choses à nous dire, il reste des occasions extraordinaires. D'abord, il
va reprendre ses arguments d'hier. Il va y avoir 18 périodes de
questions d'ici à la fin de la session.
M. Lefebvre: M. le Président, question de
règlement.
M. Rochefort: II aime cela répondre aux questions. On
pourra faire ça là.
M. Lefebvre: M. le Président, question de
règlement.
Le Président (M. Filion): Oui, monsieur...
M. Rochefort: Deuxièmement, M. le Président...
M. Lefebvre: M. le Président, question de
règlement.
M. Rochefort: Je vais poursuivre mon intervention.
M. Lefebvre: M. le Président, question de
règlement.
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! M. le député de Gouin, sur la question
posée...
M. Rochefort: M. le Président, je suis toujours sur la
question de règlement.
Le Président (M. Filion): ...la demande de consentement
posée.
M. Rochefort: Non, mais, M. le Président, quand
même...
M. Lefebvre: Est-ce que je dois comprendre que je n'ai pas de
consentement, M. le Président? C'est cela? M. le Président.
M. Rochefort: ...le député de Frontenac a
soulevé une question de règlement.
M. Lefebvre: Oui.
M. Rochefort: Il ne s'est pas limité à demander un
consentement. 11 a soulevé une question de règlement. Je vais
poursuivre ma réponse è sa question de règlement.
M. Lefebvre: M. le Président.
Le Président (M. Filion): En concluant, M. le
député de Gouin.
M. Rochefort: Oui, en concluant, M. le Président. II reste
quatre autres groupes qui vont se présenter devant nous pour lesquels,
j'imagine, le ministre sera suffisamment poli pour leur permettre aussi d'avoir
leur droit de parole, comme c'est le droit du MQF d'avoir son droit de parole.
Et, M. le Président, si le ministre a des choses à nous dire, il
nous les dira au moment des quatre interventions qu'il pourra faire de 20
minutes chacune. Quatre-vinqts minutes seront à sa disposition pour nous
faire part de ses points de vue, si jamais il a décidé de nous
parler. Pour l'instant, il a décidé d'utiliser son droit de
parole, en présence du MQF, pour essayer de souligner que M. Ducharme,
cela faisait deux fois qu'il venait nous voir, que tel groupe s'était
déjà présenté. Ça, c'est son droit de perdre
son droit de parole, mais une fois qu'il le perd, qu'il n'essaie pas de le
récupérer, M. le Président, parce qu'il s'aperçoit
qu'il a commis une erreur de jugement.
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.
M. Lefebvre: M. le Président, je dois comprendre qu'on n'a
pas de consentement...
Le Président (M. Filion): C'est cela.
M. Lefebvre: ...dans un premier temps» J'aimerais attirer
votre attention sur les propos utilisés par le député de
Gouin qui, de toute façon, sont habituels chez lui lorsqu'il parle de
démagogie relativement aux propos du ministre qui, je pense, M. le
Président...
M. Rochefort: Est-ce que c'est une question de règlement,
ça?
M. Lefebvre: ...en aucune façon, ne sont
justifiés.
M. Rochefort: Est-ce que c'est une question de règlement,
M. le Président?
M. Lefebvre: J'inviterais le député de Gouin
à souligner à l'occasion les propos de son propre chef de
l'Opposition...
M. Rochefort: M. le Président, est-ce que c'est une
question de règlement, ça?
M. Lefebvre: ...à évaluer les propos de son propre
chef de l'Opposition, M. le Président.
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît, de part et d'autrel
M. Lefebvre: Démagogie, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Effectivement, vous devez
comprendre...
M. Lefebvre: Alors, on n'a pas de consentement.
Le Président (M. Filion): ...M. le leader adjoint, qu'il
n'y a pas de consentement. Deuxièmement, je vais me permettre une
suggestion pour les deux côtés de cette
table. Lorsqu'il y a une demande de consentement que vous voulez
adresser, je vous suggère de l'adresser en temps et lieu. Nous
étions à l'intérieur du temps de parole du chef de
l'Opposition, temps qui n'est pas épuisé. Encore une fois, pour
répondre à votre question, non, il n'y a pas consentement,
manifestement, comme on a pu le constater également un peu plus
tôt dans la journée, en sens inverse. Deuxièmement, s'il y
a des demandes de consentement, je vous prierais de les adresser lorsque
l'occasion se présente. Je vais donner à nouveau la parole
à M. le chef de l'Opposition pour qu'il puisse continuer sa question
à l'adresse de nos invités.
M. Rémillard: Est-ce que le chef de l'Opposition me
permettrait juste une petite remarque...
Une voix: Non.
M. Rémillard: ...très brève?
M. Rochefort: M. le Président.
M. Johnson (Anjou): M. le Président...
Le Président (M. Filion): Â l'ordre, s'il vous
plaît! À l'ordre!
M. Johnson (Anjou): Non! Absolument pas! M. le
Président...
M. Rochefort: M. le Président... M. le
Président...
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! À l'ordre, s'il vous plaît!
M. Johnson (Anjou): Absolument pas!
Le Président (M. Filion): M. le ministre, M. le leader
adjoint, MM. les membres de cette commission.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, j'étais en
train de poser une question...
Le Président (M. Filion): Allez-y! La parole est à
vous.
M. Johnson (Anjou): ...à M. Bouthillier. M. Bouthillier,
j'essaie de vous permettre de répondre. J'espère qu'il vous
restera un peu de temps. En reformulant ma question, je me permets de dire que
vous devez aussi vous livrer à un exercice difficile, étant
donné que vous n'avez pas les textes et que ce ministre refuse
systématiquement depuis deux jours même d'amorcer quelque dialogue
que ce soit sur la question des textes.
Néanmoins, vous avez préparé un mémoire sans
les textes. Il ne saurait nous reprocher de lui refuser des consentements
à ce qu'il vienne ergoter à nouveau sans nous produire les textes
et sans accepter d'engager un dialogue sur les vrais textes. Je vous demandais,
M. Bouthillier si, dans votre esprit, la clause d'interprétation - parce
que c'est ce dont il s'agit, ce n'est pas du droit substantif - était
là, même avec une référence à la langue,
est-ce qu'à votre avis cela aurait changé quelque chose dans
l'ensemble des jugements que les tribunaux ont rendus et qui ont eu comme effet
de débâtir une bonne partie de la loi 101?
M. Bouthillier: Non. J'ai l'impression que c'est la photographie
de la situation de la loi linquistique actuelle, c'est-à-dire de la loi
101 tronquée de tous les éléments que l'on sait. Ce qui
m'intéresse aussi, ce n'est pas tellement ce qu'aurait été
le passé récent, c'est ce que pourrait bien être l'avenir.
Avec une formule comme celle-là, on renvoie, on dessaisit, on l'a dit,
l'opinion publique, les élus, au profit des juges. Les juges rendront
leur juqement dans deux ans, trois ans, cinq ans, dix ans et on constatera
probablement qu'il y a de fortes chances, si l'on écoute tous les
experts et d'autres, qu'il n'y ait rien là de prometteur pour le
Québec français et peut-être même beaucoup de choses
dangereuses pour ce Québec français. Il y aura des jugements
rendus par la Cour suprême ou d'autres tribunaux dans deux ans, dans cinq
ans, dans dix ans. Où seront alors ceux qui, aujourd'hui, auront
adopté ces textes de loi? Où seront-ils pour répondre de
leurs responsabilités politiques? C'est une question que je me pose.
Je reviens rapidement à la ligne du mémoire: "Du
français partout, du français pour tout, du français pour
tous." Je crois que c'est une formule qui reflète assez bien le
consensus québécois sur ce que les Québécois
veulent que soient leur langue, la place de leur lanque, l'usage et la
présence de leur langue sur le territoire du Québec. Bon,
très bien! Pour cela, il est évident qu'il faut prendre des
mesures. Ces mesures, on les a trouvées dans la charte de la langue et,
notamment, ce que l'on dit aujourd'hui face à ta discussion
constitutionnelle, c'est qu'il ne doit plus y avoir l'article 133, il ne doit
plus y avoir l'article 23, il ne doit plus y avoir les autres entraves qui ont
été mises là justement pour contrer la loi 101.
Bon! Je pense que je voudrais revenir là-dessus quelques
instants. L'article 133 qui est là depuis 1867, sinon même depuis
1763, a l'air bien innocent mais il ne l'est pas du tout. Je vous signale que
c'est par là et c'est là-dessus que la communauté
anglophone du Québec a commencé à démolir avec la
loi 101. Il n'est pas innocent. Nous en demandons sa disparition en ce qui
concerne le Québec et nous ne demandons rien d'absolument exceptionnel.
Vous savez, ce n'est pas une idée lunaire ni de
lunatiques. Relisez le rapport de la commission Pepin-Robarts. La
commission Pepin-Robarts, sauf erreur, était composée de
personnes qui étaient très bien moulues dans et par le
système politique canadien. Qu'est-ce qu'elles disaient? Qu'il n'y ait
plus d'article 133 imposé au Québec, ne serait-ce que parce que
c'est peut-être un peu humiliant.
Mais je continue plus loin. Ces choses qui ont été
inventées pour les besoins de la cause en 1982, qui ont
été inscrites dans la constitution, l'article 23 et des
éléments de la charte, etc., bon! ça aussi, on demande que
le Québec en sait libéré. Et là non plus on ne
demande quelque chose d'absolument excessif, d'absolument inimaginable. Nous ne
sommes pas les seuls, nous ne sommes pas les premiers à avoir eu cette
idée.
Permettez-moi, si vous voulez, de vous lire des textes qui ont
peut-être été un petit peu non pas oubliés mais,
enfin, qu'on a pu ne pas souligner ici. Ces textes viennent des
autorités fédérales des années 1977-1978. Je vous
rappellerai un document que le Parti libéral a déposé le
21 juin 1977, comme par hasard, deux mois avant la loi 101. Le 21 juin 1977, le
gouvernement fédéral canadien dépose un document qu'il
appelle "Un choix national". Un an après, en août 1978, il
dépose un projet de loi qui s'appelle le C-60 que nous connaissons pour
l'avoir vu. Bon, qu'est-ce qu'on y trouve? Le principe de l'article 23 et le
principe de la charte des droits appliqués à l'ensemble de ta
population du Canada.
Mais, qu'est-ce qu'on y trouve aussi? Je lis ici ce que dît John
Roberts, pas Robarts, John Roberts, qui représentait le gouvernement
fédéral dans cette affaire. Qu'est-ce qu'il dit? "Il incombe aux
Canadiens de toutes les provinces de faire en sorte que le statut de la langue
française soit mieux protégé au Canada." On croirait
entendre Alliance-Québec.
Mais, permettez que j'insiste là-dessus. Aussi longtemps que
persistera ce sentiment d'insécurité, le gouvernement
fédéral est prêt à accepter qu'il soit
nécessaire de différer l'application de ce principe.
Voilà! L'article 23, exceptionnellement ne s'appliquerait pas au
Québec, dit M. Roberts, ami politique, collaborateur politique de Pierre
Elliott Trudeau.
Quant à la charte des droits, que trouve-t-on dans le projet de
loi C-60? La mise en oeuvre de la charte devra faire l'objet d'une
délibération et d'une décision tant du Parlement que des
corps législatifs provinciaux, c'est-à-dire de vous, messieurs,
mesdames. Dans la mesure où ces dispositions relèvent de la
compétence provinciale, la charte ne prendra effet dans chaque province
que lorsqu'elle sera adoptée par cette province. Vous voyez que ce ne
sont pas des idées diaboliques. Ce sont les idées
exprimées tout à fait officiellement et formellement par le
gouvernement libéral fédéral de Pierre Elliott Trudeau en
1977 et en 1978. Pourquoi ces idées qui étaient si bonnes
à l'époque ne le seraient plus aujourd'hui? C'est la question que
je me permets de lui poser.
Le Président (M. Filion): Oui. M. le chef de l'Opposition.
Je crois que M....
Une voix: II reste combien de temps? Le Président (M.
Filion): Pardon? Une voix: Deux minutes.
Le Président (M. Filion): Oui. Il reste deux minutes. J'ai
noté que M. Laberqe, faisant également partie de nos
invités aurait aimé ajouter quelques mots.
M. Laberge (Henri): Oui. C'est au sujet de la définition
ou la double définition que l'on donne de la dualité linguistique
canadienne et de la société distincte. Dans quelle mesure cela
apporte-t-il vraiment quelque chose de nouveau? Je remarque que cette double
définition qu'on trouve n'est rien d'autre qu'une explicitation et une
consécration constitutionnelle des principes qui ont guidé la
rédaction de l'article 23. C'est exactement cela. Il n'y a pas autre
chose.
Dans l'article 23, on reconnaît que le Québec n'est pas une
province comme les autres. On dit qu'il y a une majorité francophone
dans une province et une majorité anglophone dans neuf autres provinces.
C'est là l'essence de l'article 23. Mais quelles conséquences en
tire-t-on? C'est que la minorité anglophone est protégée
au Québec et les minorités francophones sont
protégées dans le reste du Canada. Le principe de la
société distincte est déjà à l'article 23 et
cela ne donne absolument aucun pouvoir au gouvernement du Québec ou
à l'Assemblée nationale de défendre la lanque de sa
majorité. Au contraire, cela lui enlève des pouvoirs.
Le simple fait de renouveler cette affirmation, je ne vois pas en quoi
cela pourrait donner au gouvernement du Québec le pouvoir de se
soustraire à l'application d'un article qui a justement
été créé sur la base des mêmes principes,
exactement les mêmes principes. D'autant plus que dans l'autre
définition, on dit précisément qu'une règle
fondamentale d'interprétation c'est que le Canada est composé
d'un Canada francophone et d'un Canada anglophone.
Le Président (M. Filion): Un instant, s'il vous
plaît, M. Laberge. Je vous invite à conclure.
M. Laberge: Oui. C'est toujours difficile de conclure sur une
question comme celle-là. Alors, puisque le Canada est composé
d'un Canada francophone et d'un Canada anglophone et que le Canada anglophone
est défini comme présent au Québec et le Canada
francophone, lui, est présent aussi ailleurs, mais on ne dit pas qu'il
est nécessairement présent dans toutes les provinces, on dit
qu'il n'est pas limité au Québec, alors, cela est vague.
Une autre chose qui m'a frappé dans l'ensemble de cette
discussion, c'est que la suprématie des tribunaux semble être
confirmée d'une façon absolument écrasante. Ce que
l'Assemblée nationale du Québec approuverait, à ce
moment-ci, en signant l'entente du lac Meech, pour reprendre les mots du
ministre quand il citait son collègue, M. Chevrette, c'est qu'il
voudrait avoir des assises pour plaider. Alors, on croirait que le pouvoir
suprême, ce n'est plus le pouvoir législatif, c'est le pouvoir
judiciaire. Ce que le gouvernement veut, ce sont simplement des arguments pour
aller plaider devant les tribunaux. Cela me semble un non-sens.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Laberge. Je
m'excuse d'avoir dû vous inviter à conclure, mais ce sont les
règles de notre petite constitution interne. Je voudrais remercier
également M. Bouthillier ainsi que les gens qui vous accompagnent, MM.
Gaulin, Boucher et Ducharme, de vous être déplacés, bien
sûr, de nous avoir présenté ce mémoire - je le
considère comme déposé, pour fins de notre
procès-verbal - et de vous être prêtés à cette
période d'échange de points de vue et de discussions.
Nos travaux seront suspendus quelques minutes, le temps pour vous de
partir et de laisser place à notre prochain invité. Merci.
(Suspension de la séance à 11 h 30)
(Reprise à 11 h 38)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Cette commission poursuit donc ses travaux en entendant M. Yves Fortier,
juriste, à qui je demande de bien vouloir prendre place - c'est
déjà fait - et à qui je souhaite la bienvenue
évidemment à cette séance de la commission des
institutions. Je rappelle brièvement que 20 minutes sont
consacrées à son exposé et que le reste de l'heure est
consacré à une période d'échanges avec les membres
de cette commission.
Également, M. Fortier m'a remis un texte que je considère
déposé et qui, je crois, a été distribué aux
membres de cette commission. Donc, sans plus tarder, j'inviterais M. Fortier
à nous faire part de son exposé.
M. Yves Fortier
M. Fortier (Yves): M. le Président, messieurs et mesdames
les membres de la commission, permettez-moi d'abord de vous dire que je suis
très fier d'être ici ce matin. Je suis très fier de me voir
donner l'occasion de prendre la parole devant vous et de dialoguer avec les
élus du peuple.
Pour paraphraser mon confrère et ami Me Guy Bertrand, c'est en ma
double qualité de Québécois canadien et de juriste que
j'ai demandé à me présenter devant vous. Je pratique le
droit devant les tribunaux de droit commun et les tribunaux administratifs du
Québec et du Canada depuis maintenant plus de 25 ans. Mes propos, je les
veux avant tout ceux d'un juriste mais vous comprendrez que je ne puisse
facilement dissocier le Québécois canadien du juriste qui vous
adresse la parole.
Vous avez déjà entendu d'éminents
constitutionnalistes, politicologues, sociologues, avocats, politiciens et
autres sommités qui se sont pourfendus de moult explications et
interprétations sur l'entente de principe intervenue au lac Meech, le 30
avril dernier. Ce n'est pas mon intention, aujourd'hui, de m'improviser expert
dans leur domaine de prédilection respectif.
Je dois vous dire que ma première réaction à
l'annonce de l'entente de principe du 30 avril en fut une de suprise et de
satisfaction. Je pense que c'était le Québécois canadien
et non le juriste dont les tripes lui faisaient dire qu'il était tout
à fait salutaire qu'en 1987, le Québec adhère à
l'entente constitutionnelle de 1982. L'avocat n'a pas tardé à
prendre connaissance du communiqué du lac Meech. Encore là,
même réaction, il s'en déclare intérieurement et
extérieurement satisfait. C'est surtout, mais non exclusivement,
l'article qui traite... et consacre le caractère distinct du
Québec qui a retenu mon attention. C'est d'ailleurs cet article que je
veux commenter aujourd'hui. Je sais que le texte a été
disséqué bien des fois devant vous et je n'entends pas
répéter l'intervention chirurgicale. J'ajoute cependant que le
cheminement de ma réflexion m'a amené à souhaiter que les
composantes de la spécificité de la société
québécoise dans un monde idéal auraient avantaqe à
être "nomenclaturées" et enchâssées. Je voyais donc
la lanque de la majorité, sa culture, ses écoles, son droit civil
comme devant être consignés sous la rubrique de la
société distincte québécoise. Plus je
réfléchissais, plus je souhaitais que l'on donne des dents
à cette expression nébuleuse. Et mon exercice rejoignait les
préoccupations et les voeux exprimés et si bien articulés
d'ailleurs, entre autres, par le professeur Léon Dion.
Avec le recul et le bénéfice du temps
qui s'est écoulé, l'avocat a graduellement pris le dessus.
D'ailleurs, la question constitutionnelle ne peut être
évoquée, selon moi, sans qu'on en considère son volet
juridique. J'ai fait appel à mon modeste bagage d'expérience dans
l'univers du droit constitutionnel et des règles d'interprétation
qui s'y appliquent. C'est ainsi que je suis arrivé aujourd'hui à
l'aboutissement de ma réflexion personnelle. Selon moi, le compromis -
car toute entente entre onze personnes ne peut être par définition
que le fruit d'un compromis - du 30 avril proposant d'enchâsser le
caractère distinct du Québec est un acquis important qui n'est
pas amoindri par l'absence de définition de cette expression.
On s'est élevé contre cette absence de définition
de la société distincte. On somme le gouvernement du
Québec de ne pas souscrire à l'accord à moins que ne soit
précisé ce qu'on entend par cette expression. Sans nomenclature
de ce que constitue cette société distincte, clame-t-on,
l'expression est vide de sens et l'amendement constitutionnel, à cet
égard, n'apporte absolument rien au Québec. Eh bien, mon
expérience de praticien du droit m'empêche de souscrire à
ce point de vue. Selon moi, toute tentative de définir ou de
décrire en détail, au sein même de la constitution, ce
qu'emporte la reconnaissance du fait que le Québec constitue une
société distincte ne contribuera qu'à limiter la
portée de cette expression. Quel que soit le soin avec lequel les
rédacteurs constitutionnels de l'amendement y décriront,
définiront ou identifieront les composantes principales et essentielles
de la société québécoise, il subsistera toujours
des omissions, des imprécisions sans compter celles qui
résulteront de l'évolution de notre société dont
les composantes ne peuvent et ne doivent être figées dans le
temps.
Les tribunaux qui auront à interpréter l'amendement
seront-ils prêts à reconnaître que ce qui a
été omis ou ce qui est imprécis était sous-entendu?
Dans l'affirmative, pourront-ils suppléer au silence du texte?
Faudra-t-il remédier à ces omissions par voie d'amendement
constitutionnel subséquent avec, comme on le voit depuis des
décennies, toutes les embûches et les frustrations que cela
implique? Voilà plusieurs questions auxquelles on doit répondre
avant de dénoncer à grands éclats l'absence d'une
définition de cette société distincte.
Vous savez tous qu'en présence d'une énumération
dans un texte de loi, les tribunaux ont recours à certaines
règles d'interprétation dont deux méritent une attention
toute particulière. D'ailleurs, je suis très conscient, M. le
Président, que vous et les membres de votre commission les connaissez
maintenant mieux que la plupart des avocats au Québec. La règle
inclusio unius est exclusio aiterius veut que la mention de certains
éléments dans une définition en exclue forcément
d'autres qui ne s'y trouvent pas. Eu égard à cette règle,
aucun ajout ne pourra être fait à la liste des
éléments distinctifs, à moins que l'on consacre le
caractère non exhaustif de celle-ci. Afin d'éviter cette impasse,
d'aucuns suggèrent l'emploi d'expressions telles que "notamment", "sans
limiter la qénéralité de ce qui précède" ou
"inclut nécessairement", et j'en passe.
En pratique, vous savez aussi bien que moi que l'emploi d'une telle
terminologie n'écarte pas l'application d'une deuxième
règle d'interprétation, la règle ejusdem generis, qui veut
que toute énumération ne puisse être étendue
qu'à des éléments de même nature ou de même
qenre. Selon cette rèqle, la possibilité pour les tribunaux
d'ajouter au texte de l'amendement sera sérieusement restreinte. Le
danger n'est donc pas seulement qu'on laisse en plan certaines composantes
essentielles de cette société, mais aussi - je dirais même
surtout - qu'on en restreiqne inéluctablement la portée. Ainsi
donc, l'énumération ou la description aujourd'hui de ces
composantes dans le but d'assurer une interprétation large et
libérale de l'expression "société distincte" pourrait bien
avoir l'effet inverse d'en restreindre la portée demain.
Dans cette optique, je dis: À quoi bon tenter de coucher sur
papier une énumération des éléments qui distinguent
la société québécoise? L'absence de
définition précise est, selon moi, la meilleure garantie de la
reconnaissance par les tribunaux du Québec et du Canada de tous ces
éléments distinctifs, sans exception. Évidemment,
plusieurs rétorqueront: Pourquoi laisser aux tribunaux le soin
d'expliciter le sens de cet amendement constitutionnel si vital pour le
Québec? La réponse est double. D'abord, la reconnaissance, en
1987, par voie d'amendement, 120 ans après la
confédération, que le Québec forme au sein du Canada une
société distincte qui doit être protégée et
promue ne peut, ne pourra laisser indifférent le magistrat qui s'y
réfère. Vous connaissez tous cette rèqle selon laquelle le
législateur n'est pas présumé parler pour ne rien
dire.
De plus - là, je fais peut-être montre, je l'admets, d'une
certaine déformation professionnelle - je ne crois pas, en règle
générale, que les citoyens aient été mal servis par
l'interprétation qu'ont donnée nos tribunaux aux expressions non
définies dans la Loi constitutionnelle de 1867. Que l'on pense aux
pouvoirs des provinces de légiférer sur la
propriété et les droits civils, en vertu de l'article 92.13, ou
au pouvoir fédéral de légiférer sur la paix,
l'ordre et le bon gouvernement.
Je m'inscris donc en faux contre ceux qui plaident que, à tout le
moins, certaines composantes de la spécificité du
Québec,
telle la langue, devraient être enchâssées. Ces
intervenants semblent ne pas tenir compte de la possibilité de recourir
à la preuve pour démontrer les attributs de cette
société distincte qui est en constante évolution. Je ne
crois donc pas que nous ayons besoin d'une définition qui constituera un
carcan plus que toute autre chose.
Si j'exprime l'opinion que l'absence de définition de
société distincte vaut mieux que toute tentative d'en
définir les éléments constitutifs, ce n'est qu'en partie
en raison des carences inhérentes à cette solution dont je viens
de faire part. C'est aussi et surtout parce que j'ai l'intime conviction,
toujours en ma qualité d'avocat, que l'accord du lac Meech, à
cette enseigne, représente un atout incontestable pour le Québec.
Cet accord comporte la reconnaissance dans la loi constitutionnelle du Canada
par les gouvernements fédérai et provinciaux qu'il existe une
société au Canada qui se distingue de toutes les autres et que
cette société, c'est le Québec.
On reproche à l'accord du lac Meech de ne consacrer le
caractère distinct du Québec que par une règle
d'interprétation. N'oublie-t-on pas en ce faisant que le propre, j'irais
jusqu'à dire la force d'une telle règle d'interprétation,
c'est qu'elle s'imposera aux juges dans l'interprétation de toutes et de
chacune des dispositions de la constitution. C'est bien ce qui est
indiqué au paragraphe introductif de l'accord lorsqu'il énonce:
l'interprétation de la constitution du Canada doit concorder avec la
reconnaissance du caractère distinctif de la société
québécoise.
Certes, les plaideurs opposeront à cette règle
d'interprétation d'autres dispositions de la charte qui, dans certaines
circonstances, pourront relativiser ces prescriptions. On pense à
Particle 27; on peut aussi penser à son article 1. Toutefois, la clause
de la société distincte - j'insiste, M. le Président
-serait la seule de ces règles d'interprétation qui
bénéficie à un seul gouvernement, en l'occurrence, celui
du Québec. Cette clause isole le Québec, reconnaît sa
spécificité et confère à l'Assemblée
nationale le rôle de protéger et de promouvoir cette
spécificité.
Beaucoup ont commenté la portée du mot "distincte" dans
l'expression "société distincte". Peu de commentaires, toutefois,
se sont attachés à la signification du mot
"société". Qu'est-ce qu'une société? Le petit
Robert nous dit: "Relations entre des personnes qui ont ou qui mettent quelque
chose en commun", ou "l'état particulier à certains êtres
qui vivent en groupes plus ou moins nombreux et organisés". Même
si un sociologue ou un politicologue aurait probablement raison de s'en prendre
à la simplicité de ces définitions, celles-ci ne font pas
moins ressortir la complexité et le nombre presque infini
d'éléments qui peuvent distinquer une société.
Comment peut-on alors prétendre pouvoir faire la nomenclature de tous
les éléments qui distinguent une société sans, ce
faisant, en tronquer une partie vitale?
C'est la société québécoise elle-même
qui fournit la définition de ce qui la distingue. Laissons-nous la
latitude de l'adapter dans l'avenir et faisons confiance aux tribunaux pour
apprécier la preuve des aspects distinctifs de notre
société qui seront pertinents aux cas d'espèce qu'ils
auront à apprécier.
Peut-être est-ce une caractéristique de mon héritage
civiliste, mais je suis beaucoup plus à l'aise en face d'un principe
énoncé clairement plutôt qu'au beau milieu d'une
énumération non exhaustive d'éléments constitutifs
de ce dernier. En effet, ce qui importe n'est pas tant l'énoncé
de ce que constitue ou pourra constituer la société distincte,
mais beaucoup plus la reconnaissance de l'existence de cette
société distincte. À mon humble avis, M. le
Président, messieurs, mesdames membres de la commission, la
consécration de ce principe dans l'amendement constitutionnel est la
façon la plus susceptible de lui conférer une suprématie
tout en se ménageant assez de souplesse pour faire face à
l'avenir. Je vous remercie.
Le Président (M. Marcil): Me Fortier, merci.
Il reste 22 minutes à chacune des formations politiques. Donc, je
vais reconnaître M. le ministre des Affaires intergouvernementales
canadiennes.
M. Rémillard: Merci, M. le Président.
M. le bâtonnier Fortier, je voudrais vous remercier d'avoir
accepté de venir témoigner devant nous, ce matin, à cette
commission qui étudie l'entente du lac Meech. Vous êtes un avocat
de grand renom. Vous avez été bâtonnier, président
du Barreau canadien. Vous avez plaidé plusieurs causes très
importantes devant la Cour suprême du Canada et les différentes
cours de justice. Vous avez même été le premier avocat
canadien à plaider devant la Cour internationale de justice à La
Haye. Vous avez aussi, en ce qui regarde la lanque, plaidé et
travaillé avec la commission d'enquête, la commission Chouinard,
sur l'utilisation du français dans l'air.
M. Fortier, vous nous avez livré un témoignage
particulièrement éloquent, clair, précis, en ce qui
reqarde cette société distincte qui sera maintenant reconnue dans
la constitution à la suite de l'entente du lac Meech. Ma première
question serait celle-ci: Selon vous, M. Fortier, quels seraient les cas
où l'expression "société distincte" pourrait jouer devant
les tribunaux? Est-ce que vous avez des exemples à nous donner?
M. Fortier (Yves): M. le ministre, lorsqu'on érige en
règle d'interprétation le concept du caractère distinct du
Québec, je crois qu'on reconnaît que ce caractère distinct
peut et doit venir influencer tous et chacun des chapitres sur les pouvoirs que
le Québec souverain exerce déjà en vertu de l'article 92
de la loi sur la constitution. Alors, pour moi, il ne pourrait y avoir une
affaire constitutionnelle mue devant les tribunaux, où il est question
du partage des pouvoirs entre le Québec et le gouvernement
fédéral, sans que les tribunaux aient à refléter
dans leur interprétation du pouvoir du gouvernement du Québec le
fait que le texte de loi dont il sera question représente à
certains égards le caractère distinct du Québec et vise
à le protéger ou à le promouvoir. La réponse, une
courte réponse à votre question, c'est qu'il n'y a pas de limite
aux applications que les tribunaux devront faire, parce que c'est une
règle d'interprétation mandatoire du concept de la
société distincte et de l'impact qu'il doit avoir sur l'exercice
par le gouvernement du Québec des pouvoirs souverains qui lui
appartiennent.
M. Rémillard: M. Fortier, quelle relation faites-vous
entre le paragraphe (l)b), qui reconnaît que le Québec forme au
sein du Canada une société distincte, et le paragraphe (3), qui
dit que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le
rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de
la société québécoise?
M. Fortier (Yves): M. le ministre, j'ai noté, comme vous,
j'en suis certain, que c'est non seulement la protection du caractère
distinct de la société québécoise qui est
montée en épingle ici, mais aussi sa promotion. C'est une
première réponse à votre question. Secundo, je pense - je
crois l'avoir livré dans mon texte - et je reconnais qu'il s'agit ici
d'un document qui n'est pas le document qui va être paraphé par
les premiers ministres en temps et lieu. C'est donc, sous toute réserve,
des changements qui pourraient être introduits au document entre le
moment où je vous parle et le moment où il sera
concrétisé. Mais il me semble qu'en prenant le Québec, la
seule des onze entités gouvernementales représentées au
lac Meech, et en disant: Le Québec est une société
distincte et son Assemblée nationale, son gouvernement a le mandat, la
responsabilité de la protéger et de la promouvoir, cette
société-là, on fait dire au reste du Canada ce qu'on
s'évertue à dire, il me semble - je ne veux pas faire de
politique - des deux côtés de l'Assemblée nationale depuis
bien des années. Voilà maintenant reconnue dans un texte de loi
une règle d'interprétation absolument stricte et très
claire que le Québec forme aujourd'hui une société
distincte et l'Assemblée nationale, le gouvernement du Québec,
doit protéger cette société et la promouvoir. (12
heures)
On ne dit rien de la sorte au sujet d'aucun autre des paliers de
gouvernement, fussent-ils fédéral ou provinciaux, qui
étaient à huis clos au lac Meech.
M. Rémillard: Merci, M. Fortier.
Le Président (M. Filion): Merci. M. le chef de
l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Oui. M. Fortier, c'est un plaisir de vous
accueillir et de vous voir à nouveau. Vous avez parlé,
disiez-vous, comme Québécois canadien, d'une part, et comme
avocat, d'autre part, et vous nous avez livré les ambivalences du
citoyen, les interrogations de l'avocat et du praticien pour arriver aux
conclusions que vous nous faites.
J'aurais d'abord un certain nombre de questions à poser à
l'avocat et j'en aurai d'autres au citoyen tout à l'heure. Je vous ai
entendu parler de "règle d'interprétation mandatoire", de
"règle d'interprétation stricte". J'utilise les expressions qui
étaient les vôtres dans la discussion que vous avez eue avec le
ministre. On a entendu Me Côté, de l'Université de
Montréal qui, comme vous le savez, est l'auteur d'un livre que vous avez
sûrement l'occasion de consulter de temps en temps, puisque la Cour
suprême le cite souvent. Me Côté, on le sait, est l'auteur
d'un document intitulé l'Interprétation des lois, qui est
probablement, de tous les ouvraqes de doctrine, celui qui est cité le
plus souvent en Cour suprême. Me Côté terminait son bref
exposé l'autre soir de la façon suivante: "Cette
consécration du caractère distinct de la société
québécoise, ce n'est pas rien. C'est peut-être mieux que
rien. Mais il faut comprendre que seul l'avenir nous dira si c'est vraiment
quelque chose." Je comprends que tout cela faisait suite au raisonnement
suivant: finalement, ultimement, parce qu'il s'agit d'une règle
d'interprétation et non pas de pouvoirs spécifiques donnés
au Québec, on s'en remet aux tribunaux.
On a entendu, par ailleurs, le doyen Chevrette, de l'Université
de Montréal. On sait que l'Université de Montréal a un
rôle extrêmement important à jouer cette année dans
les questions constitutionnelles quand on voit Me Tremblay, conseiller du
ministre; Me Frémont, conseiller de notre côté; le doyen de
l'Université de Montréal; Me Côté; Me Woehrling qui
aurait aimé être entendu mais qui n'a pas pu l'être. On
sait, par ailleurs, que le doyen Chevrette de l'Université de
Montréal, qui est lui-même spécialiste de droit
constitutionnel, en général précédait ses
phrases par: "II n'est pas inimaqinable que la Cour suprême
décide que...", "Il n'est pas tout à fait inconcevable de penser
que...", "Il se pourrait que...". Est-ce que tout ça, dans le fond, ne
dit pas - je pose lé question au praticien du droit - que le
caractère mandatoire ou impératif ou strict que vous
évoquez est pour le moins, en tout cas, remis en cause par ces
professeurs d'université?
Je comprends qu'un praticien et que les professeurs d'université
n'ont souvent pas la même approche du droit et c'est sans doute le
mérite de votre présence ici aujourd'hui. J'espère que
ça va inspirer le ministre qui est professeur de droit. J'en ai retenu
qu'on ne peut pas dire que cette règle d'interprétation
crée une certitude quant à l'extension éventuelle et la
protection des pouvoirs du Québec, que ce soit en matière
linguistique ou en toute autre matière. Je vous soumets cette
réflexion.
M. Fortier (Yves): D'abord, M. Johnson, vous me permettrez de
déclarer et d'afficher le respect que j'ai pour mes anciens professeurs
de droit et ceux qui, aujourd'hui, se livrent à cet exercice. Je
comprends très bien qu'un professeur de droit, tout comme un praticien,
ne doit pas prétendre qu'il est en possession tranquille de la
vérité et qu'il peut prévoir quels seront les
décisions et les motifs de ces décisions que les tribunaux
livreront à l'avenir.
Cela dit, je me permets de vous souligner que, comme vous le savez fort
bien, il y a deux genres de règles d'interprétation. Il y a
celles qui ont évolué au fil des années dans la
jurisprudence et il y en a d'autres qui sont érigées en
règles d'interprétation dans un texte juridique. Ici, je ne crois
pas me méprendre en donnant lecture, sous la rubrique "Caractère
distinct du Québec" des mots suivants: L'interprétation de la
constitution du Canada doit. Je ne vois pas comment un avocat, fût-il
professeur et ou praticien, ne peut pas conclure que les intervenants à
l'accord du lac Meech ont voulu donner un caractère mandatoire à
cette règle d'interprétation: "L'interprétation de la
constitution du Canada doit".
C'est l'assise, M. Johnson, de plusieurs de mes propos que vous avez
relevés comme étant peut-être un peu plus
catégoriques que ceux de certains professeurs qui m'ont
précédé.
M. Johnson (Anjou): Merci, Me Fortier. Une autre question,
toujours dans cette foulée. Hier, nous entendions avec grand plaisir des
gens qui sont en train de devenir les grands spécialistes des questions
constitutionnelles au Canada, c'est-à-dire les autochtones qui, on te
sait, depuis cinq ans et même dix ans, s'adonnent à ces questions
au point d'ailleurs où un certain nombre d'entre eux et d'entre elles
ont développé littéralement une spécialité
dans les articles 25 et 35 de la charte canadienne depuis 1982.
Précisément aux articles 25 et 35 concernant les droits
des autochtones, ce sont peut-être aussi des règles
d'interprétation mais en tout cas assez fermes, n'est-ce pas? Ils sont
carrément dans le corps de la charte. L'article 35 confirme l'existence
des droits des autochtones et l'article 25 dit que l'interprétation de
la charte canadienne dans son ensemble ne doit pas aller à l'encontre
des droits conférés et reconnus par l'article 35, y compris ceux
de la Proclamation royale, etc.
Pourtant, on nous donnait un exemple, hier, d'une des causes dans
laquelle les articles 25 et 35 ont été plaidés où
la Cour suprême a dit, au sujet des droits de piégeaqe ou de
chasse, qu'il y avait effectivement de tels droits qui étaient des
droits ancestraux reconnus par la constitution canadienne mais que cela
n'empêchait aucunement le gouvernement fédéral de les
réglementer.
Voici la question que je vous pose, et c'est par analogie ne croyez-vous
pas que rien n'empêcherait la Cour suprême non pas de s'inspirer de
l'article (l)b) qui concerne la société distincte mais de
l'article (l)a), par exemple, en quelque matière qui a une vaque
portée culturelle ou linguistique - même cela pourrait aller
au-delà de cela parce que ce sont des droits historiques qui y sont
conférés - l'article (l)a) qui reconnaît l'existence de la
dualité canadienne et, je présume, des droits qui en
découlent pour la minorité de langue anglaise au
Québec?
M. Fortier (Yves): Je pourrais vous répandre très
brièvement et dire non et vous renvoyer au texte dont j'ai donné
lecture tout à l'heure. Je ne veux pas me répéter mais je
crois, M. Johnson, qu'en isolant le Québec et en le faisant après
avoir consacré une caractéristique fondamentale de la
Fédération canadienne... Je pense que l'ordre qu'on a suivi, ici,
peut même ajouter au sérieux de ma réponse. Après
avoir dit, bon, caractéristique fondamentale, la
Fédération canadienne, Québec, francophone, etc, on dit:
La reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada une
société distincte. Pour moi, le fait qu'après avoir fait
référence aux caractéristiques fondamentales de la
Fédération canadienne donne encore plus d'ampleur, encore plus de
chair à cette société distincte... On dit oui, mais il y a
une province, il y a une société qui se distingue de toutes les
autres à travers le Canada où il est fait mention de cette
caractéristique fondamentale, et c'est le Québec. Je pense que
dans le raisonnement que les magistrats qui vont être saisis de ces
questions au fil des années vont adopter, je crois qu'ils
devraient... Si vous me demandez, M. Johnson, est-ce que vous pouvez affirmer
catégoriquement qu'ils vont le faire? Évidemment, que je ne peux
pas mais je pense qu'ils ne pourront pas ne pas s'imposer l'obligation de
reconnaître que si 120 ans après la constitution de 1867, on dit,
dans un texte, le texte suprême de la loi du pays que le Québec
forme au sein du Canada une société distincte, on ne pourra pas
ne pas interpréter toutes les lois du Québec qui auront
été légiférées dans l'exercice du pouvoir
souverain du Québec suivant l'article 91, on ne pourra pas ne pas dire:
II faut absolument reconnaître que c'est une manifestation par le
gouvernement du Québec de cette société distincte et des
pouvoirs dont cette société distincte doit
bénéficier. Maintenant, au sujet, quant à la question que
vous avez posée par analogie, c'est une question excellente, M. Johnson,
comme toutes les autres d'ailleurs. Vous aurez remarqué que les articles
25 et 35 ne font qu'affirmer les droits des autochtones, ils ne font que
déclarer... Et je ne veux pas minimiser l'importance de cette
affirmation, de cette reconnaissance et de tout ce qui en résulte. Mais
je vous demande de contraster, d'une part, cette reconnaissance, cette
affirmation des droits des autochtones avec cette obligation que les tribunaux
auront maintenant d'interpréter la constitution du Canada afin qu'y soit
reconnu le fait que le Québec forme au sein du Canada une
société distincte. C'est une règle d'interprétation
qui est imposée aux tribunaux. Ce n'est pas simplement une constatation,
ce n'est pas simplement une affirmation.
M. Johnson (Anjou): Vous me permettrez là-dessus, Me
Fortier, d'exprimer mon désaccord. Quant à moi, je pense que
l'article 35, c'est du droit substantif et que c'est bien plus fort qu'une
règle d'interprétation.
M. Fortier (Yves): Quand on...
M. Johnson (Anjou): À ce rythme, je vous dirais - en tout
cas, peut-être qu'on peut consacrer quelques minutes là-dessus
-que la constitution, si je suivais votre raisonnement jusqu'au bout... Et on
sait qu'en droit, parfois, il faut se rendre à l'absurde dans les
raisonnements. C'est d'ailleurs la spécialité du ministre. Si on
pousse plus loin ce que vous me dites, vous dites, dans le fond: La chose qui
prévaut en droit constitutionnel, ce sont les articles
d'interprétation. Moi, je vous dis: Non, il me semble que la chose qui
prévaut en droit constitutionnel, c'est le droit substantif, les
pouvoirs, les droits reconnus; et les articles d'interprétation ne sont
invoqués par les tribunaux que quand les pouvoirs et les droits reconnus
ne sont pas très clairs. M. Fortier (Yves): Je vais... M.
Johnson (Anjou): Oui.
M. Fortier (Yves): Je vais vous répondre, si vous
permettez, M. Johnson, en vous disant ceci. Premièrement, je suis
d'accord avec vous. C'est du droit substantif, l'article 35. Mais là
où je vais exprimer et inscrire mon désaccord avec vous, c'est
quand vous dites que le droit substantif, tel celui qu'on retrouve à
l'article 35, est plus important qu'une règle d'interprétation
telle celle que j'ai devant moi et qui est chapeautée par les mots
"Caractère distinct du Québec". C'est une règle
d'interprétation qui inclut une reconnaissance substantive de la
distinction du Québec à l'intérieur du Canada. C'est fort
cela, pour moi. Ce n'est pas seulement une vilaine règle
d'interprétation. C'est une règle d'interprétation qui
inclut comme une de ses composantes, sinon sa composante la plus fondamentale,
la reconnaissance, par les autres paliers de gouvernement, du caractère
distinctif du Québec. Quant à moi, je dis que c'est une
règle d'interprétation comme je n'en connais pas d'autre.
M. Johnson (Anjou): D'accord. Encore là, je vous dirais
que, cependant, encore faudrait-il savoir ce que veut dire le caractère
distinct. Si on se comprend bien, c'est la Cour suprême qui
décidera. C'est ce que j'appelle l'incertitude sidérale ou
galactique, si on veut, poussée à un tel niveau et poussée
tellement loin dans ie temps, dans l'espace et dans les théories
juridiques que dans la mesure où ce n'est pas accompagné de droit
substantif, précisément de pouvoirs précis, notamment en
matière linguistique ou en termes d'extension, je dirais, des pouvoirs
du Québec dans certains secteurs, on est dans le domaine des
probabilités. Vous reconnaîtrez cela avec moi quand même.
Jusqu'où peut aller la notion de caractère distinct?
M. Fortier (Yves): Ca peut aller aussi loin que le peuple
québécois veut aller.
M. Johnson (Anjou): Ah oui? Oh! Ca, c'est fort. Ça, c'est
fort. Oui?
M. Fortier (Yves): À l'intérieur de la constitution
qui reconnaît à plusieurs égards que le peuple
québécois est souverain. C'est tout à fait logique avec ce
que vous venez de dire...
M. Johnson (Anjou): D'accord. (12 h 15)
M. Fortier (Yves): ...à une exception près.
M. Johnson (Anjou): Là-dessus, Me Fortier, je vous dirai
que je n'ai pas d'autres questions à poser à l'avocat puisque, de
toute façon, ce n'est pas l'avocat qui vient de parler, je pense,
c'était plutôt le citoyen, avec ses convictions que je respecte.
J'ai l'impression qu'on a débordé le domaine du droit pendant les
trois dernières minutes.
M. Fortier (Yves): Je fais bien attention de ne pas
trébucher, M. Johnson.
M. Johnson (Anjou): D'accord.
Le Président (M. Filion): M. le ministre, la parole est
à vous.
M. Rémillard: Oui, M. le Président, le chef de
l'Opposition m'a dit que je discutais tout à l'heure à la limite
de l'absurde, dans l'absurde ou à la limite de démagogie...
M. Johnson (Anjou): Pas dans l'absurde, c'est une expression,
voyons donc! Ne prenez pas cela personnellement.
M. Rémillard: Enfin, écoutez! Je ne relève
pas cela, tout simplement...
M. Johnson (Anjou): Ah bon.
M. Rémillard: Je crois qu'il est quand même
intéressant de comparer les articles 25 et 35 concernant les autochtones
avec la situation que nous avons avec ce premier article qui, dans la
constitution, consacrera la société distincte et le rôle du
gouvernement et de l'Assemblée nationale de protéger cette
distinction. Justement, il faut éviter les erreurs qui ont
été faites aux articles 25 et 35. Vous avez parfaitement raison,
M. Fortier, quand vous nous dites que, justement, l'article 35 est substantif.
Mais, maintenant, beaucoup de juristes à tous les niveaux, dont les
autochtones, se disent: On ne sait pas ce que veut dire l'article 35, tellement
qu'il faudra s'adresser à la Cour suprême très
prochainement pour savoir ce que veut dire l'article 35. On aurait probablement
été mieux avec une règle d'interprétation
substantive comme on a là.
Deuxièmement, l'article 25 contient un "notamment" et
énumère; on a dû le modifier. En 1983, on a fait un premier
amendement à la Loi constitutionnelle de 1982 parce que, tout à
coup, on s'est rendu compte qu'on avait fait une erreur. Il a fallu modifier
l'article 25. D'ailleurs, je pense que le chef de l'Opposition a très
bien compris cela. Depuis un certain temps, le chef de l'Opposition n'a plus le
même discours. Il ne parle plus de définir la
société distincte ou quoi que ce soit, il ne parle plus de cela.
Il veut y mettre un nouveau pouvoir pour les langues, quelque chose de
complètement à part de l'entente du lac Meech. Je crois qu'il a
compris. Il a tellement bien compris que c'est lui-même qui a
attiré votre attention sur les articles 25 et 35. Est-ce que vous auriez
quelque chose à commenter à ce niveau?
M. Fortier (Yves): Oui, M. le ministre, j'ajouterais ceci
à la réponse que j'ai donnée à M. Johnson plus
tôt. Contrairement aux autochtones, la société
québécoise distincte correspond à un palier de
qouvernement, avec des pouvoirs législatifs. On a beau dire que
l'article 35 est de droit substantif, j'en conviens, mais les autochtones,
malheureusement pour eux, ne correspondent pas à la
société distincte du Québec dont il est fait mention
à l'article 1, qui est un palier de gouvernement avec des pouvoirs
législatifs.
J'ajouterais également ceci, et je parle comme avocat
québécois en le disant. Je me suis posé la question ce
matin dans l'avion, en volant vers Québec: Si, en 1867, on
s'était livré à cet exercice, qu'est-ce qu'on aurait dit
si on avait voulu énumérer les traits fondamentaux, les
caractéristiques essentielles d'une société distincte, de
la société québécoise? Est-ce que, par hasard, on
n'aurait pas parlé de la religion catholique? Est-ce qu'on n'aurait pas
parlé de l'agriculture? Je lis ces commentaires et je pose une question:
Est-ce qu'on ne préfère pas permettre à la
société québécoise d'évoluer? La
société est en mouvement, elle est en devenir, est-ce qu'on ne
peut pas lui permettre d'évoluer et peut-être d'acquérir,
au fil des années, d'autres traits, d'autres caractéristiques
fondamentales, dont les tribunaux devront prendre connaissance judiciaire?
M. Johnson (Anjou): D'abord, une première remarque, une
règle d'interprétation substantive, c'est une expression que je
viens d'entendre de la part du ministre. J'avoue honnêtement que j'ai
hâte qu'il me réfère à des ouvrages de droit pour
savoir ce que veut dire une règle d'interprétation substantive.
J'ai l'impression qu'on fait du droit à ce moment-ci...
M. Fortier (Yves): J'ai dit...
M. Johnson (Anjou): Non, non, ce n'est pas vous qui avez dit
cela; c'est le ministre.
M. Fortier (Yves): Ah bon!
M. Johnson (Anjou): Non, non, vous n'auriez pas dit cela; je suis
sûr de cela. Mais le ministre fait du droit en ce moment et c'est
fascinant.
Me Côté dit à la page 6 de son mémoire:
"L'expérience québécoise et canadienne montre que, de
manière générale, les tribunaux ont manifesté plus
d'affinité pour les principes d'interprétation qu'ils
avaient eux-mêmes élaborés que pour ceux que le
législateur voulait qu'ils appliquent." J'aimerais avoir un commentaire
rapide de votre part là-dessus.
M. Fortier (Yves): Pour la Cour suprême, il y a une autre
règle d'interprétation qui est en place aujourd'hui, comme vous
le savez, c'est l'article 27, n'est-ce pas, qui édicté que "toute
interprétation de la présente charte doit concorder avec
l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine culturel
des Canadiens." La Cour suprême dans l'affaire Big M. Drug Mart, ces
derniers mois, cause qui pris naissance en Alberta, s'est inspirée de
cet article. En effet, le juge en chef Dickson a donné lecture de cet
article. Il a dit: Les tribunaux doivent être guidés par cette
règle d'interprétation. Il n'y a pas beaucoup, toutes proportions
gardées, de règle d'interprétation qu'on retrouve à
l'intérieur d'une loi spécifique; il n'y en a pas beaucoup. Dans
la loi constitutive du Canada, on en a une; on va peut-être en avoir une
autre. Je suis tout à fait d'accord avec le professeur
Côté. Les tribunaux sont plus à l'aise avec les
règles d'interprétation qu'ils ont inventées - je le dis
entre guillemets - qu'avec celles qui leur sont imposées, mais ils ne
peuvent faire fi, ils ne doivent faire fi, de celles qui leur sont
imposées, alors que, peut-être, les autres, ils peuvent les
laisser de côté.
M. Johnson (Anjou): Merci.
M. Rémillard: M. Fortier, j'ai dit que c'était une
règle d'interprétation substantive et je vais expliquer pourquoi
au chef de l'Opposition qui consultera ses livres de droit et de règles
d'interprétation. Une règle d'interprétation substantive
est une règle d'interprétation qui comprend une substance comme
celle qu'on peut avoir dans le paragraphe (3), celle qui dit que le
gouvernement et l'Assemblée nationale ont un rôle pour
protéger et promouvoir la spécificité du Québec.
Dans ce cas, vous avez parfaitement raison, M. Fortier, de vous
référer à l'article 27 qui est une règle
d'interprétation obligatoire, comme le juge en chef, M. Dickson, l'a
dit, mais qui ne se réfère pas à une substance aussi
directement que celle que nous retrouvons concernant la société
distincte, parce que, dans ce paragraphe (3), nous avons une relation directe
à un rôle, nous donnons un rôle... Le doyen Chevrette, comme
le doyen Blache, comme aussi le doyen Beaudoin, les doyens des facultés
de droit du Québec, sont venus nous dire: Vous avez là un fait,
vous avez là une assise juridique qui est unique et qui fait que nous
avons une règle de droit qui, en plus d'être
interprétative, donne une substance en ce qu'elle donne un rôle
à l'Assemblée nationale et au gouvernement. Dans ce cas, ma
question est celle-ci, M. Fortier: Quelles pourraient être, selon vous,
les conséquences d'une telle règle dans l'interprétation
du partage des compétences législatives, soit les valeurs
mobilières, ou peu importe les questions qu'on pourra envisager?
M. Fortier (Yves): Immenses, selon-moi, M. le ministre, parce
que, comme vous venez de le souligner, la règle n'est pas seulement
d'interprétation, elle confère un mandat, une
responsabilité à l'État québécois, à
savoir la protection et la promotion du caractère distinct de la
société québécoise. Alors, quand les tribunaux
auront à juger d'une affaire où le partage des pouvoirs entre le
Québec et le gouvernement fédéral est en jeu, les
tribunaux devront s'interroger, à savoir si le gouvernement du
Québec, en légiférant comme il l'a fait à
l'intérieur d'une des rubriques de l'article 92, c'est-à-dire
là où il est souverain, l'a fait dans l'exercice de cette mission
qui lui est maintenant conférée par la constitution de
protéger et de promouvoir le caractère distinct de sa
société. Je n'ai aucune hésitation à affirmer que
l'article (1)3) que j'ai devant moi ici aujourd'hui, s'il devient, demain,
partie constitutive de la Loi constitutionnelle, devra être pris en
considération lorsque les tribunaux analyseront le partage des
compétences. Il ne peut en être autrement.
Le Président (M. Filion): Me Fortier, il y a certaines
choses que j'aimerais comprendre et discuter avec vous. On parle, beaucoup de
(l)b) et de (3) en ce qui concerne le caractère distinct du
Québec. Cependant, j'aimerais vous entendre sur (l)a) et son pendant,
l'article (7) de la clause sur le caractère distinct. Est-ce que les
juges, à votre avis - j'utilise exactement votre expression - pourraient
ne pas tenir compte de la caractéristique fondamentale qui est
décrite au paragraphe (l)a) et qui, rappelons-le, concerne
évidemment le caractère bilingue du Canada et du Québec,
ainsi que de son pendant qui est l'engagement prévu au paragraphe (2)?
Est-ce que, dans le même sens, cette règle d'interprétation
que constitue l'ensemble de la clause sur le caractère distinct n'entre
pas dans le poids des décisions qu'auront à prendre les tribunaux
avec ces deux volets, avec ces deux pendants? Il y a un pendant sur lequel
votre texte s'est attardé, mais il y a l'autre pendant pour lequel
j'apprécierais savoir, d'abord, quelque chose. Tout ce que vous avez dit
au sujet du caractère mandataire de cette règle
d'interprétation, est-ce que je dois comprendre, sauf erreur, que cela
s'applique également à (l)a) et au paragraphe (2)? Est-ce qu'on
saisit bien?
M. Fortier (Yves): Je vous saisis très bien, M. le
Président, et vous avez absolument raison de présenter le
problème de cette façon-là. La règle
d'interprétation a deux volets: le volet a) et le volet b). Comme j'ai
répondu tout à l'heure à une question qui m'était
posée, je suis d'avis que la règle b), lorsqu'il s'agira, comme
cela ne peut être autrement, d'interpréter une loi de
l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec, devra primer
la règle a), parce que les gouvernements qui parapheront l'entente, si
entente définitive il y a... Les gouvernements ont pris la peine de
dire, après avoir consacré comme la caractéristique
fondamentale, n'est-ce pas, de la Fédération canadienne: Un
instant, on a parlé de caractéristique fondamentale; maintenant,
parlons du Québec seulement et reconnaissons, MM. les juges, que le
Québec forme au sein du Canada une société distincte et,
MM. les juges, reconnaissez que le gouvernement du Québec a un
rôle à jouer pour protéger et promouvoir cette
société distincte. Comprenez-moi bien, M. le Président, je
ne fais pas fi de la première règle d'interprétation, mais
je dis qu'elle devra, qu'elle devrait s'interpréter non pas prise
isolément, mais à la lumière de ce qui suit. Vous me
comprenez?
Le Président (M. Filion): Oui...
M. Fortier (Yves): C'est-à-dire (l)a), bon d'accord. Si
(l)a) était là tout seul, je pense que j'aurais répondu un
oui natif et catégorique à votre question mais (l)a) n'est pas
là tout seul. D'ailleurs, si (l)a) était là tout seul, je
ne serais pas ici.
Le Président (M. Filion): D'accord. Par contre, Me
Fortier, vous reconnaîtrez qu'il est question du Québec bilingue
dans (l)a).
M. Fortier (Yves): Oui, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Comme il est question, dans
(l)b), du caractère distinct du Québec. On retrouve dans
l'ensemble de la clause interprétative que constitue le caractère
distinct, à la fois le Québec à l'intérieur du
bilinguisme canadien et à l'intérieur d'un caractère
distinctif inconnu. C'était juste une remarque. Il reste peu de temps
à la disposition de l'Opposition. Je voudrais plutôt redonner la
parole à M. le ministre et permettre ensuite au chef de l'Opposition
d'épuiser les dernières secondes.
M. Rémillard: Ce n'est pas épuisé de l'autre
côté?
Une voix: Je pense que vos secondes sont terminées, M.
...
Le Président (M. Filion): Oui, si vous le désirez,
vous pouvez...
M. Fortier (Yves): Est-ce que vous me permettez, M. le
Président?
M- Rémillard: Épuisez vos secondes.
M. Fortier (Yves): Je ne veux pas être rappelé
à l'ordre, mais est-ce que vous me permettrez juste de
réagir...
Le Président (M. Filion): Certainement.
M. Fortier (Yves): ...à une de vos affirmations? Je pense
que le caractère bilingue - parce que ce sont les mots que vous avez
employés - du Québec on le retrouve plutôt aux articles 133
et 33 de la constitution plutôt qu'à (l)a). Il n'est pas question,
à (l)a), de bilinguisme qui soit consacré. On parle simplement de
groupes à l'intérieur de la société canadienne,
qroupe francophone, groupe anglophone. Je m'excuse, c'est la seule
précision que je voulais apporter.
Le Président (M. Filion): On saisissait très bien.
Est-ce qu'il nous reste du temps? Non?
M. le ministre.
M. Rémillard: M. Fortier, je pense que vous venez
d'être très clair dans cette relation entre la première
partie concernant une situation de fait qui est la dualité canadienne et
ensuite la deuxième partie qui est une assise juridique qui consacre
spécifiquement, comme vous l'avez dit, le fait que le Québec est
une société distincte et qui donne un rôle et qui donne
aussi, par conséquent, une responsabilité - parce que quand on a
un rôle, on a une responsabilité -à l'Assemblée
nationale, au gouvernement pour protéger et promouvoir cette
spécificité québécoise.
Tout à l'heure, vous avez mentionné aussi - vous venez
tout juste de le mentionner - que lorsqu'on parle de bilinguisme ça se
situe au strict niveau de deux articles, c'est-à-dire l'article 133 qui
s'applique au Québec et aussi à l'Assemblée nationale,
dans les tribunaux, cette limite-là, et l'article 23 concernant la
clause Canada. Ce sont les deux limites. À part cela, il y a au
Québec une langue officielle, le français.
Est-ce que vous voyez dans cette entente du lac Meech en ce qui regarde
la reconnaissance de la société distincte et ce rôle pour
le gouvernement et l'Assemblée nationale de protéger et
promouvoir la distinction du Québec, une assise juridique
intéressante pour la promotion du français au Québec?
M. Fortier (Yves): Indéniablement, M. le ministre.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Est-ce qu'il
reste du temps? Oui?
Une voix: Amplement.
M. Rémillard: Alors vous me dites:
"Indéniablement." Si on relie donc cette caractéristique d'une
société distincte pour le Québec, ce rôle pour le
gouvernement, pour l'Assemblée nationale... Tout à l'heure, on me
disait que j'étais à la limite de la démagogie parce que
je disais que le Québec avait comme langue officielle le français
et que ça n'avait qu'une seule limite, c'est-à-dire les articles
133 et 23. C'est ce qu'on a dit. On ne m'a pas donné la
possibilité de répondre mais le discours de nos amis de
l'Opposition a changé depuis hier après-midi. Tout à coup,
on s'aperçoit que ce n'est plus du tout la même chose
maintenant.
Une voix: Ils commencent à comprendre.
M. Rémillard: Maintenant, c'est à la limite de la
démagogie, on va vers l'absurde, parce qu'ils se rendent compte, et je
vois, par les questions qu'ils nous posent, qu'ils se rendent compte de
l'importance de cette clause qui viendra maintenant confirmer dans la
constitution et non pas dans le préambule - mais dans un article
premier, dans un article spécifique de la constitution - que te
Québec est une société distincte et que l'Assemblée
nationale, le gouvernement du Québec, a le rôle de protéger
et promouvoir. Si nous relions cette société distincte et ce
rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement à
l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés, c'est un
sujet qui intéresse beaucoup le chef de l'Opposition qui nous dit: C'est
épouvantable en ce qui regarde par exemple, actuellement, la cause sur
l'affichage qui est devant la Cour suprême. Je ne veux pas m'immiscer
dans le fond de ce débat, mais peu importe le résultat...
M. Johnson (Anjou): Faites-le, faites-le.
M. Rémillard: Le chef de l'Opposition a été
ministre de la Justice, il devrait comprendre qu'on n'a pas à
s'immiscer, même si on a une prérogative ici, une immunité,
on ne doit pas s'en servir pour s'immiscer dans le travail du tribunal. Je ne
le ferai pas, en tout cas.
Donc, M. Fortier, je crois qu'on doit comprendre - je voudrais que le
chef de l'Opposition le comprenne franchement - que peu importe la
décision de la Cour suprême, il reviendra toujours au gouvernement
de prendre les mesures qu'il voudra et il pourra toujours utiliser la clause
nonobstant. Cela dépendra de la position du gouvernement. Donc, dans la
Charte canadienne des droits et libertés, il y a toujours cette clause
nonobstant que nous n'utilisons pas systématiquement, mais que nous
utilisons lorsque nous considérons que le bien de la
collectivité, dans certains cas, à certains égards, pour
certaines fins, doit l'emporter sur des droits des individus. Alors, il y a la
clause nonobstant qui est là.
M. Fortier, cet article 1 de la charte, qui est le test de
légitimité, comme les tribunaux l'ont appelé, qui justifie
une loi qui peut aller à l'encontre des droits individuels si c'est une
loi qui se justifie dans le cadre d'une société libre et
démocratique - société, j'insiste sur ce mot - est-ce
qu'il pourrait y avoir une relation avec l'article 1 de la charte?
M. Fortier (Yves): Quant à moi, oui, parce que la
règle d'interprétation, du moins le libellé que nous en
avons tous présentement, va aussi devoir être reliée au
test de la légitimité de l'article 1. Quand le test de la
légitimité va être pris en considération par les
tribunaux, ces mêmes tribunaux devront aussi reconnaître que la
promotion et la protection du caractère distinct de la
société québécoise sont une responsabilité
qui appartient en propre et exclusivement au gouvernement du Québec.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Il vous reste
environ deux minutes.
M. Rémillard: Alors, ce que vous dites, M. Fortier, c'est
que cette caractéristique, qui sera maintenant dans la constitution du
Canada et non pas dans le préambule et qui sera une clause
d'interprétation obligatoire, mandataire pour employer vos termes,
c'est-à-dire que les cours de justice devront se référer
obligatoirement au fait que le Québec forme une société
distincte, que l'Assemblée nationale et le gouvernement ont ce
rôle de protéger cette société distincte, vous nous
dites qu'on pourra relier cette règle d'interprétation, d'une
façon directe, à l'article 1 de la charte, qui permet d'aller
à l'encontre de certains droits, de certaines libertés
individuelles lorsque le bien de la collectivité est en cause...
M. Fortier (Yves): ...oui, assurément.
M. Rémillard: ...et que cela pourrait être un
élément important de la légitimité. Donc, vous
concluez - vous me corriqez si ce n'est pas votre conclusion - que l'entente du
lac Meech, par cette caractéristique, cette société
distincte et ce rôle au gouvernement et à l'Assemblée
nationale pourrait être une assise solide à la défense de
la langue française au Québec.
M. Fortier (Yves): C'est ma profonde conviction en tant
qu'avocat, M. le
Président, oui.
M. Rémillard: Vous seriez prêt à plaider cela
en Cour suprême. Vous avez plaidé souvent en Cour suprême;
vous avez été membre de la commission Chouinard sur la langue,
c'est un domaine que vous connaissez bien. Vous accepteriez de plaider une
telle cause en Cour suprême?
M. Fortier (Yves); Je pense que les juristes du Québec,
qui, dans l'avenir - je tiens pour acquis que l'entente devient officielle,
qu'elle est inscrite dans la constitution - auront à défendre des
lois de l'Assemblée nationale, du gouvernement du Québec, auront
la vie beaucoup plus facile qu'ils ne l'ont eue hier.
M. Rémillard: Je pense que vous terminez très bien
votre exposé. Je tiens à vous remercier très
sincèrement pour cet exposé très clair sur cette entente
du lac Meech. Merci, Me Fortier.
Le Président (M. Filion): Merci, encore une fois, au nom
de tous les membres de cette commission, pour votre présence. La
commission suspend ses travaux jusqu'à 14 heures.
(Suspension de la séance à 12 h 40)
(Reprise à 14 h 10)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! Je voudrais souhaiter la bienvenue à notre prochain
invité, M. Guy Tremblay, professeur de droit constitutionnel à
l'Université Laval. Bonjour, M. Tremblay. Je vous rappelle nos
règles du jeu: 20 minutes pour votre exposé et 40 minutes pour
discussion avec les parlementaires. Aimeriez-vous qu'on distribue un texte?
C'est déjà fait. Alors, votre texte est considéré
comme étant déposé. Il a déjà
été distribué. À vous la parole, M. Tremblay.
M. Guy Tremblay
M. Tremblay (Guy): Merci, M. le Président. Je
considère comme un honneur de venir témoigner ici aujourd'hui
devant cette commission parlementaire. Je remercie la commission de me donner
l'occasion de présenter mon point de vue sur l'entente de principe du
lac Meech. Je pourrais dire au départ que, même si cela peut
paraître une tare à ce cénacle, que je n'ai jamais
été membre d'aucun parti politique. Je voulais simplement...
Le Président (M. Filion): Ce n'est pas une tare, M.
Tremblay.
M. Tremblay (Guy): Je voulais simplement mettre cette carte sur
la table. Je sais très bien que l'objectivité n'existe pas en ce
bas monde. Peut-être qu'avec un sourire je pourrai me permettre de dire
que j'ai trouvé sympathique d'être ici en même temps que
l'Union des écrivains québécois et l'Union des artistes.
Je suis d'ailleurs membre de l'Union des écrivains
québécois. Ils ne m'ont pas consulté. J'espère
qu'on ne se contredira pas trop. Pour ce qui est de l'Union des artistes, je
n'en fais malheureusement pas partie. Peut-être que ma prestation serait
meilleure cet après-midi. Ce n'était pas ma destinée que
d'être artiste. Je suis ici pour parler de la destinée du
Québec.
M. le Président, pour intéressant qu'il soit à
certains égards, l'accord du lac Meech ne redonnerait pas au
Québec la moitié du pouvoir politique qu'il a perdu en 1982.
C'est que l'accord porte sur des secteurs particuliers, l'immigration, les
programmes à frais partagés, sur des événements
rares, les amendements constitutionnels, les nominations à la Cour
suprême ou sur des points de principe qu'il laisse nébuleux, le
pouvoir de dépenser, la société distincte.
Par contre, l'enchâssement en 1982 d'une charte des droits dans la
constitution a ratatiné tous les pouvoirs du Québec, du premier
au dernier, et d'une manière continue.
Je ne suis pas partisan d'un contrôle judiciaire diffus des choix
démocratiques, même si ce contrôle se fait sous le couvert
des droits fondamentaux, par des tribunaux indépendants. Je comprends
que ceux qui croient à ce modèle légaliste
considèrent comme moins graves les atteintes portées au
Québec lors du rapatriement. Il reste que l'expérience
américaine semble nous obnubiler l'esprit. La vaste majorité des
pays occidentaux, tout aussi respectueux des droits fondamentaux que le sont
nos voisins du Sud, ne soumettent pas les politiques des élus du peuple
aux avatars des contestations judiciaires de toutes sortes.
Pour illustrer le rétrécissement de l'espace
démocratique au Québec, rappelons qu'à l'automne dernier,
la Cour d'appel a déclaré inconstitutionnels les articles de la
Loi sur la protection du consommateur qui interdisent la publicité
destinée aux enfants. Qu'on soit d'accord ou non avec une telle
interdiction, cette banalité même devrait nous faire croire
qu'elle relève des possibles légitimes dans une
société démocratique. Au surplus, une multinationale a eu
gain de cause dans cette affaire à titre de personne fictive qui a droit
à la liberté d'expression. Il me semble que si on tient à
soumettre la volonté populaire à des valeurs supérieures,
on devrait au moins centrer ces valeurs sur la personne humaine, en chair et en
os.
À côté de cette question de savoir qui
des juges ou des élus doivent avoir le dernier mot à
propos des choix politiques, l'adoption de la charte de 1982 pose aussi le
problème de l'homogénéisation de la société
québécoise et de la société canadienne, même
dans les domaines qui relevaient jusque-là de la compétence
exclusive du Québec. Les valeurs canadiennes appliquées par les
juges dans des affaires comme celle que je viens de mentionner en
témoignent. Si on accepte le gouvernement par les juges, on devrait au
moins leur faire appliquer au Québec la charte canadienne pour les
affaires qui relèvent du fédéral et la charte
québécoise pour celles qui relèvent du Québec. On
devrait exiger que le Québec participe à la nomination de tous
les juges et pas seulement celle des juges de la Cour suprême. À
l'heure actuelle, les juges de la Cour supérieure du Québec et de
la Cour d'appel du Québec sont choisis unilatéralement par le
pouvoir fédéral.
Malgré l'énormité du recul subi en 1982 et
l'impossibilité pratique de le corriger à court terme, je crois
qu'on devrait tout mettre en oeuvre pour profiter de la conjoncture historique
qui s'est présentée au lac Meech. Le Québec ne peut plus
se permettre de jouer la politique du pire. C'est pourquoi, dans un esprit de
critique constructive, j'indiquerai les avenues qui permettraient, à mon
humble point de vue, d'entériner l'accord tout en préservant les
voies de l'avenir.
En ce qui a concerne l'immigration, la Cour suprême et la formule
d'amendement, l'entente de principe du lac Meech m'apparaît correcte. Je
présume, évidemment, que les maladresses dans la rédaction
actuelle seront corrigées. Ma seule réserve porte sur
l'unanimité qui sera désormais exigée pour toucher aux
institutions fédérales; on vient ainsi geler le Sénat
actuel dont la réforme s'imposait aux yeux de plusieurs.
Pour ce qui a trait au pouvoir de dépenser, je crois qu'il
faudrait préciser qu'on ne vise que les programmes nationaux non
normatifs ou volontaires. En effet, si la constitution actuelle reconnaît
au fédéral le pouvoir de dépenser dans des domaines de
compétence exclusive des provinces, elle ne lui permet pas de l'exercer
tout en imposant ses normes, directement ou indirectement. Le juge Pigeon, au
nom d'une majorité de la Cour suprême, dans un jugement de 1978,
me semble avoir été clair là-dessus. Là où
des normes fédérales se sont appliquées dans le cadre de
programmes à frais partagés, ce ne pouvait être,
juridiquement, que par l'acceptation volontaire des provinces participantes.
Pour les mêmes raisons, on devrait chercher à éviter
d'utiliser, dans la rubrique, l'expression "pouvoir de dépenser".
L'expression "droit de dépenser" serait plus conforme à la nature
non normative du genre d'interventions que la constitution a reconnues
jusqu'à maintenant.
Quant à la référence aux objectifs nationaux, il
faudrait s'assurer que dans le contexte général de la nouvelle
rédaction elle ne permet pas au fédérai de faire
indirectement ce qu'il n'a pas le droit de faire directement,
c'est-à-dire régir une matière provinciale. En d'autres
termes, il faudrait s'assurer que ces objectifs ne conditionnent que le droit
à la compensation, qu'ils n'ont aucun caractère contraignant en
ce qui a trait au programme lui-même. Certes, la meilleure façon
de s'en assurer serait d'effacer la référence à de tels
objectifs nationaux. Si les précisions que je suggère
étaient apportées, cette partie de l'entente du lac Meech serait
fort valable. Le Québec ne doit pas craindre de reconnaître dans
la constitution un pouvoir fédéral absolument non normatif, pour
la bonne raison qu'il en jouit lui-même dans une foule de domaines,
notamment dans ses relations internationales, tant commerciales que
culturelles.
La fameuse clause sur le caractère distinct du Québec
m'apparaît décevante. On savait bien que le fédéral
et le Canada anglais n'ont jamais autorisé la spécificité
du Québec, ce que la Cour suprême a d'ailleurs constaté
avec éclat en 1982 en jugeant que le Québec ne disposait pas d'un
droit de veto, même politique. Ce qui frappe dans l'entente du lac Meech,
c'est qu'à peu près tout ce que le Québec a demandé
a aussi été accordé aux autres provinces. Je n'ai rien en
principe contre ce genre de magnanimité, mais a-t-elle sa place dans une
clause qui porte sur le caractère distinct du Québec? Il est
constant en droit que les clauses doivent s'interpréter dans leur
contexte les unes par rapport aux autres. Or, il me semble que le sens qui sera
donné au paragraphe b) portant sur la société distincte
sera intimement lié au paragraphe a), qui dit que le Canada francophone
est concentré au Québec et que le Canada anglophone y est
présent. En d'autres termes, les clauses protègent autant la
minorité actuelle que la majorité actuelle.
Mise à part cette constatation, il se trouve dans la
rédaction de l'entente de principe un trou béant. On ne
précise pas que les francophones sont majoritaires au Québec.
Imaginons qu'en l'an 2027 il n'y ait plus que 40 % de francophones au
Québec et qu'il en reste encore 2 % ailleurs au Canada. La clause du lac
Meech serait toujours respectée parce que le Canada francophone serait
toujours concentré mais non limité au Québec et que le
Canada anglophone serait toujours concentré dans le reste du pays mais
présent au Québec. En d'autres termes, la société
distincte du lac Meech n'est pas nécessairement en majorité
francophone. Je tiens pour acquis que les
parties qui ont conçu l'accord du lac Meech sont de bonne foi et
qu'il s'agit là d'un simple oubli. Il est très facile à
corriger en ajoutant dans le paragraphe a) l'idée que les francophones
au Québec sont majoritaires, ce qui nourrirait du même coup le
paragraphe b). Ou encore, on pourrait véhiculer l'idée
directement dans le paragraphe b), ce qui en accroîtrait la
clarté.
Je ne peux pas croire que le gouvernement fédéral et les
autres provinces puissent manifester des réticences à
reconnaître qu'à long terme le Québec a le droit
constitutionnel de rester majoritairement francophone s'il le désire. Si
je me trompe là-dessus et si le gouvernement fédéral et
les autres provinces ont des réticences à reconnaître
qu'à long terme le Québec a le droit constitutionnel de rester
majoritairement francophone, il est impensable d'adhérer à la
constitution. Si cet oubli était corrigé, je crois que les
clauses sur le caractère distinct du Québec seraient acceptables.
Je n'y verrais quand même pas une panacée parce que, comme on l'a
vu, elle protégerait tout autant la minorité pour laquelle il
existe déjà de bonnes garanties dans la constitution et parce que
plusieurs indices laissent croire que le paragraphe (3) n'est pas susceptible
d'application par les tribunaux. À mon avis, le paragraphe (3)
confère ce qu'on a appelé en droit international des droits de
l'homme un "program right", c'est-à-dire un droit d'application
successive laissée à la discrétion des autorités
politiques, par opposition aux droits susceptibles d'application
immédiate, comme ceux qu'on trouve, par exemple, dans la charte
canadienne.
Il reste la question stratégique plus globale de savoir si on
doit adhérer à la constitution une fois formalisée
l'entente de principe du lac Meech. Pour ma part, j'ai la conviction que le
Québec ne devrait pas s'abandonner pieds et poings liés à
l'ordre constitutionnel canadien sans assurer ses arrières. Il y a, dans
la constitution canadienne, y compris dans les termes du lac Meech, trop de
camisoles de force et trop d'impondérables pour y laisser tout l'avenir
du Québec.
La meilleur solution qui m'est venue à l'esprit consisterait
à proclamer, avant ou en même temps, le droit du Québec
à l'autodétermination. L'Assemblée nationale pourrait
imaginer à cet égard des termes simples et respectueux de toutes
les parties en cause. Le Québec a décidé d'exercer ce
droit à l'autodétermination en 1980, et il a alors choisi de
rester dans la confédération. Il faudrait qu'il soit clair
qu'à long terme il reste habilité à se prononcer à
nouveau sur sa propre destinée.
L'avantage d'une telle proclamation par l'Assemblée nationale
serait de faire ressortir que le Québec n'est pas seulement une
entité juridique distincte dans l'organisation formelle de l'État
canadien, mais aussi, plus fondamentalement, un peuple qui trouve, dans le fin
fond de lui-même, un ressort d'initiative et de spontanéité
inaliénables. En tout cas, il ne faudrait certainement pas que le
silence du Québec à ce chapitre puisse être
interprété, de près ou de loin, comme une renonciation
à l'autodétermination qu'on lui a déjà reconnue et
dont on s'est autorisé pour faire l'opération de 1982.
J'exhorte le gouvernement du Québec à réaliser
qu'il n'a pas le droit, selon une morale politique élémentaire,
de risquer de faire, même involontairement, une telle renonciation. Nous
n'avons pas besoin de la permission de nos partenaires canadiens pour affirmer
notre droit à l'autodétermination; c'est pourquoi je ne vois pas
comment cet aspect des choses pourrait constituer une entrave à la
conclusion de l'accord. À la condition que soient corrigées les
deux difficultés majeures que j'ai soulignées et à la
condition que le Québec réaffirme son droit à
l'autodétermination avant d'adhérer à la constitution
canadienne, sous réserve de la formulation finale, je crois que le
Québec pourrait avantageusement donner suite à l'entente de
principe du lac Meech.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Merci, Me Tremblay.
La parole est maintenant au ministre délégué aux
Affaires intergouvernementales canadiennes. Chaque groupe parlementaire dispose
de vingt-deux minutes et demie.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. Merci,
professeur Tremblay, d'avoir accepté de venir témoigner devant
nous cet après-midi sur cette entente du lac Meech. Je vais vous lire un
passage de ce que le chef de l'Opposition disait, lorsqu'il était
ministre des Affaires intergouvernementales. Il disait ceci: "Le droit à
l'autodétermination du peuple québécois, pour moi, s'est
exercé également en 1980 lors de la tenue du
référendum indépendamment du choix qu'ont pu faire les
Québécois. C'était un acte qui découlait du droit
à l'autodétermination. Je crois que ce droit à
l'autodétermination existe et qu'il n'a pas à être reconnu
légalement pour valoir et pour exister par d'autres, par exemple, par
l'ensemble du Canada."
Dans un article du Devoir du vendredi 25 janvier 1985, on lisait:
"Au surplus, il serait extrêmement dangereux pour le Québec de se
voir opposer un refus à une demande d'inclusion juridique du droit
à l'autodétermination dans la constitution canadienne." Qu'est-ce
que vous en pensez? Vous, vous voulez qu'on inclue le droit du Québec
à l'autodétermination. Qu'est-ce que vous pensez de cela?
M. Tremblay (Guy): Voici, M. le ministre. Je ne pense pas qu'on
doive inclure dans l'entente du lac Meech a demander à nos partenaires
canadiens de nous reconnaître le droit à
l'autodétermination. Ce que je dis, c'est qu'on devrait le proclamer
nous-mêmes ici - je ne me mets pas là-dedans - mais
l'Assemblée nationale devrait unilatéralement le proclamer en des
termes simples et respectueux pour s'assurer qu'elle ne renonce pas en
adhérant à la constitution canadienne à son ressort
d'initiative propre. C'est très simple et comme je l'ai mentionné
dans mon texte, on n'a pas à demander que ce soit inclus formellement
dans l'accord.
M. Rémillard: Je comprends que vous avez peur que
l'entente du lac Meech empêche le Québec de se séparer et
de faire l'indépendance.
M. Tremblay (Guy): Non, je n'ai pas peur du tout de cela en
raison de l'indépendance. Je pense que le droit à
l'autodétermination, comme le mot le dit, permet au peuple du
Québec de choisir tous les possibles dans l'avenir. C'est ce que je veux
préserver. C'est un droit fondamental et il y a un danger qu'on y
renonce ou qu'au moins les parties plaident qu'on y a renoncé en
adhérant à l'accord, à la constitution, après ce
qui s'est passé à la suite du référendum et du
rapatriement unilatéral de 1982. Ce danger-là, une renonciation,
je crois, serait éliminé si on réaffirmait qu'en
adhérant on n'y renonce pas.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le
professeur Tremblay. M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Est-ce que le ministre croit que le
Québec a le droit à l'autodétermination?
Une voix: Non?
M. Rochefort: II fait signe que non, M. le Président.
Une voix: II fait signe que non.
M. Rochefort: Est-ce qu'il fait signe que non?
M. Johnson (Anjou): Est-ce que le ministre croit que le
Québec a le droit à l'autodétermination?
M. Rémillard: M. le chef de l'Opposition, si vous voulez,
posez votre question à votre invité.
M. Johnson (Anjou): Non, mais je pose ma question. Elle
m'apparaît assez...
M. Rémillard: C'est vous... M. le Président...
M. Johnson (Anjou): M. le Président, comme c'est mon droit
de parole...
M. Rémillard: M. le Président, si vous me
permettez, je voudrais qu'on établisse une chose. On a des
invités, qui ont été même convoqués par
l'Opposition. Je pense que M. Tremblay vient a la demande de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Ce n'est pas le cas.
M. Rémillard: À ce moment-là, je pense bien
qu'on devrait être au moins assez polis pour poser les questions à
Me Tremblay. Me Tremblay, je le connais. Il était professeur de droit
constitutionnel avec moi. Je pense qu'il mérite qu'on lui pose des
questions. Voulez-vous, s'il vous plaît, maintenir les règles de
cette procédure?
Le Président (M. Filion): Oui. M. le ministre, depuis le
début de nos travaux -cela va, M. le député de Gouin - il
est arrivé à plus d'une occasion que les parlementaires se sont
posé des questions l'un à l'autre, comme d'ailleurs il leur est
toujours loisible de le faire en vertu de nos règles. Il est
arrivé à beaucoup plus d'une reprise que, de part et d'autre, des
questions ont été posées et des réponses ont
été données et, dans certains cas, comme ce matin, il y a
eu des refus de répondre. Donc, je dois constater comme président
qu'un parlementaire à qui une question est adressée refuse d'y
répondre et, à ce moment-là, comme je m'apprête
à le faire, je vais donner de nouveau la parole au chef de l'Opposition
pour qu'il puisse...
M. Rémillard: Tout simplement... (14 h 30)
Le Président (M. Filion): Oui, M. le ministre.
M. Rémillard: ...M. le Président, je voudrais qu'on
comprenne bien que, dans un régime parlementaire comme le nôtre,
il y a une période qui s'appelle la période de questions que nous
avons trois fois par semaine, et toutes les questions que veut me poser
l'Opposition, elle peut me les poser à ce moment-là. Nous sommes
en commission parlementaire et le but de cette commission parlementaire est
d'entendre des témoignages des experts, des groupes, qui viennent nous
livrer leurs commentaires. Nous sommes ici pour les entendre. C'est ce que nous
faisons ici avec plaisir: nous entendons nos experts, nous entendons les gens
qui viennent témoigner devant nous, les groupes. J'aimerais, s'il vous
plaît, qu'on puisse s'en
tenir... Je demande la collaboration de l'Opposition là-dessus.
Posez-moi toutes les questions que vous voulez pendant la période de
questions, mais, s'il vous plaît, par courtoisie, par efficacité
pour cette commission, voulez-vous poser vos questions à nos
invités?
M. Johnson (Anjou): M. le Président...
Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): ...je pense que j'ai la parole. D'abord, pour
Me Tremblay, j'aimerais dire que c'est le ministre et non pas I'Opposition qui
a dressé la liste des invités que nous entendons. Je crois que Me
Tremblay a été très précis sur cette question en
arrivant. Il a expliqué qu'il ne fait partie d'aucune formation
politique. Je rappellerai aux membres du gouvernement que ce sont eux qui ont
choisi la liste. Me Tremblay ainsi que des dizaines d'autres citoyens et de
groupes, que ce soient des spécialistes - ce qui est le cas de Me
Tremblay - des mouvements nationaux, des syndicats ou d'autres, avaient
demandé à être entendus par cette commission. Ce n'est pas
l'expert de l'Opposition, contrairement à ce que vient de laisser
entendre le ministre. Quand je dis que parfois le ministre est à la
marge de la démagogie, c'est précisément ce dont je parle.
Il vient d'en donner un bel exemple qui n'est pas renversant, je crois, de
rigueur intellectuelle et de respect à l'égard de nos
invités.
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.
M. Lefebvre: Cela dit, est-ce qu'on peut procéder au
dialogue avec notre invité qui est ici pour ça? M. Tremblay a
demandé effectivement à être entendu. On l'entend et je me
demande ce qu'on attend pour procéder, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Donc, la parole est à M.
le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je... Si le leader
adjoint du gouvernement me le permet, je réitère donc ma question
et je demande au ministre délégué aux Affaires
intergouvernementales canadiennes s'il considère que le peuple
québécois a le droit à l'autodétermination. Je pose
ma question à un membre du gouvernement qui a, en ce moment...
M. Lefebvre: Question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): Sur la question de
règlement, je vais vous entendre, M. le leader adjoint du
gouvernement.
M. Lefebvre: Même si c'est le chef de l'Opposition qui, au
moment où on se parle, au moment de l'interrogatoire de notre
invité, a la parole, je vous inviterais à rappeler
respectueusement au chef de l'Opposition que les règles établies
depuis deux semaines d'audiences valent encore et valent toujours, même
pour le chef de l'Opposition. Jusqu'à maintenant, avec nos
invités, en respectant la règle de l'alternance, on a d'abord
procédé au dialogue, à l'interrogatoire de nos
invités. Je vous inviterais, M. le Président, à rappeler
au chef de l'Opposition que c'est la façon la plus logique et
intelligente de procéder.
Si le chef de l'Opposition a des questions à poser au ministre,
comme M. le ministre l'a expliqué tout à l'heure, il aura tout le
loisir de le faire au forum prévu pour ça à
l'Assemblée nationale.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le leader
adjoint.
Sur la question de rèqlement, M. le député de
Gouin.
Une voix: On n'est pas parti pour finir à 17 heures.
M. Rochefort: D'abord, la façon rigoureuse et intelligente
de procéder serait de déposer les textes juridiques traduisant
l'entente du lac Meech afin de permettre à nos invités, comme
à tous les membres de la commission, de comprendre encore mieux la
portée et les conséquences que pourra représenter pour
l'avenir du Québec l'entente qui a été conclue au lac
Meech.
Deuxièmement, je pense que si le leader adjoint du gouvernement
veut soulever des questions de règlement, il doit le faire au moment
où quelqu'un autour de la table pourrait décider de ne pas
répondre et non pas pendant que le chef de l'Opposition a le droit de
parole sur les 22 minutes qui lui sont accordées. Le chef de
l'Opposition, comme tout autre membre de la commission, peut utiliser le temps
de parole qui lui est accordé de la façon qu'il juge la plus
utile. La seule chose que le leader adjoint devrait nous dire, au lieu
d'essayer d'entrecouper les interventions du chef de l'Opposition, c'est de
dire que le ministre, comme d'habitude, a peur de répondre. Cela serait
plus simple, plus court et plus clair.
Le Président (M. Filion): Oui, je vous redonne la parole,
M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Merci, M. le Président. Je me permets,
en souhaitant qu'on puisse le constater clairement, de réitérer
ma question, puisque le ministre a déjà accepté de
répondre à des questions que
j'ai posées dans le courant de cette semaine. À l'occasion
de la présence de certains de nos invités, lorsque je demande si
le ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes que j'ai devant moi,
qui a la responsabilité du dossier constitutionnel dans le gouvernement
du Québec, considère que le Québec a le droit de
s'autodéterminer? Je constate que le ministre ne répond pas et
c'est un sujet de préoccupation considérable.
Une voix: On va faire une exception à la règle, M.
le Président.
M. Rémillard: M. le Président...
Le Président (M. Filion): La parole est à M. le
ministre.
M. Rémillard: J'ai de la difficulté à
comprendre vraiment ce que veut le chef de l'Opposition. J'ai constaté
une certaine nervosité. Maintenant, c'est une nervosité certaine.
Cela a commencé hier soir et ce matin il me disait que j'étais
à la limite, tout à l'heure que j'étais à la marge
de la démagogie, que je disais des choses qui étaient
rapportées directement par le témoin, Me Fortier, le
bâtonnier Fortier. Et tout à coup, il se met à
s'énerver, agressif. Nous sommes dans une commission parlementaire.
Jusqu'à présent, je dois vous dire que cela s'est bien
déroulé. Pourquoi ne garderait-on pas cela comme cela? On a un
expert devant nous, Me Tremblay. Pourquoi voulez-vous prendre des mesures
dilatoires pour occuper le temps, ce qui empêche M. Tremblay de
répondre aux questions? C'est simple, on a une heure, n'est-ce pas, pour
répondre. Alors, dans la mesure où vous nous empêchez
d'interroger M. Tremblay, on perd du temps. Justement, actuellement, parce que
je suis obligé de vous répondre, on perd du temps. C'est cela
votre tactique? Vous avez réussi. Merci. C'est cela. Vous
m'empêchez de poser des questions. C'est cela que vous voulez faire.
Le Président (M. Filion): La parole est à M. le
chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, est-ce que je
pourrais savoir combien il me reste de temps?
Une voix: C'est ça la tactique.
Le Président (M. Filion): Dix-sept minutes, M. le chef de
l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Dix-sept minutes, ce qui n'est pas assez.
J'aurai quelques questions pour Me Tremblay. Avant, je vais être
obligé d'en prendre cinq. J'ai quand même un peu de temps pour
m'entretenir et entretenir cette commission d'un certain nombre de choses.
Le Québec a le droit à l'autodétermination. Je
pense qu'une des rares personnes dans cette Assemblée qui ne semble pas
en être consciente ou qui a peur de l'exprimer, c'est
précisément le ministre responsable de ce dossier. De montrer
l'hésitation qu'il montre face à une pareille question, de s'en
remettre à des questions de procédure et de vacuité de
discours, alors qu'il s'agit d'une chose fondamentale quant à l'avenir
de notre peuple, pour moi démontre combien l'avenir du Québec est
fragile entre des mains pleines de pouces comme celles que je vois.
Si le ministre est incapable d'affirmer clairement que le peuple
québécois a le droit à l'autodétermination, je
pense qu'il ne mérite pas d'occuper la place qu'il occupe dans un
dossier où il s'agit de l'avenir du Québec. Et s'il voit dans mes
questions insistantes et ma volonté d'avoir des clarifications quant aux
enjeux fondamentaux pour l'avenir du Québec de l'énervement, je
dirai qu'il ne fait pas la différence entre l'épine dorsale et
l'énervement. Si le Québec est prêt à signer le
"Canada Bill", il ne doit pas le signer à n'importe quelle condition. Je
pense que la plupart des experts, y compris entre guillemets, "ceux que vous
auriez fait venir vous-mêmes", ont exprimé de telles
réserves. Mais je considère que le gouvernement fait preuve de
mollesse, de faiblesse et représente, face aux générations
à venir, un danger dans le traitement irresponsable et
précipité de ce dossier, si ce gouvernement et le ministre
responsable du dossier sont incapables de répondre à cette simple
question: Est-ce que le peuple québécois a le droit de
s'autodéterminer? Quant à moi, je considère que oui. Je
sais qu'au Canada anglais, un certain nombre de personnes considèrent
qu'il ne faut surtout pas que cela existe. Je sais que, oour un certain nombre
de personnes, des compromis d'apparence dans le dossier constitutionnel sont
sur le point de se matérialiser. Je sais qu'il y a derrière cela
une volonté très claire d'une partie du Canada anglais de faire
avouer à un gouvernement transitoire - tous les gouvernements le sont -
à un gouvernement qui représenterait démocratiquement le
peuple québécois, d'amener un gouvernement, dis-je, à
renoncer d'une façon explicite, ne serait-ce que par le silence qu'il
nous oppose, au droit du peuple québécois à
s'autodéterminer.
Je pense qu'il est de la responsabilité -comme vient de le dire
Me Tremblay et comme de nombreuses personnes préoccupées par ces
questions au Québec l'ont dit - de ce ministre et de ce gouvernement
d'affirmer clairement, avant d'engager irrémédiablement l'avenir
du Québec, que ce peuple a le droit de s'autodéterminer. Ce
silence inexplicable, compromettant, dange-
reux, de la part d'un ministre, à mon avis, teinte et marque,
colore l'atmosphère de précipitation dans laquelle vous vous
apprêtez à faire avaler au Québec le règlement
à la baisse du passé en même temps que vous enbouchez
l'avenir.
Le ministre pourra pérorer ou ergoter tant qu'il le voudra. Il
n'aime pas les mots que j'utilise. Je lui ferai remarquer que je suis beaucoup
plus généreux à son égard que son chef ne l'est
à mon égard en Chambre, qui lui ne se gêne pas pour
utiliser un langage méprisant. Je lui ferai remarquer qu'il a eu droit
jusqu'à maintenant à des égards que le chef de
l'Opposition n'a pas venant du premier ministre. J'entends terminer, M. le
Président, si ça ne dérange pas trop le leader adjoint du
gouvernement.
M. Lefebvre; Ça va bien parler du chef quand il n'est pas
là...
Le Président (M. Filion): À l'ordre. À
l'ordre, s'il vous plaîtl
M, Johnson (Anjou): De toute façon, votre chef n'est
jamais là. Il se cache.
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaîtl
M. Lefebvre: M. le...
Le Président (M. Filion): M. le leader, je pense que, si
vous avez une question de règlement...
M. Lefebvre: Oui, M. le Président.
Le Président (M. Filion): II y a un temps de parole qui
est laissé à la disposition des membres de la majorité.
Question de règlement.
M. Lefebvre: Ça va bien, lorsqu'on parle des absents.
J'inviterais le chef de l'Opposition à tenir ces propos mardi, à
la prochaine séance de l'Assemblée nationale. Vous ferez vos
commentaires au chef du gouvernement. II sera présent devant vous,
à ce moment.
Le Président (M. Filion): La parole est à M. le
chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Me Tremblay, j'aurais donc une question
à vous poser qui porte surtout sur le début de votre texte. Cela
m'apparaît une contribution peut-être plus explicite encore
à cette dimension du gouvernement par les juges, si vous me passez
l'expression. Je pense qu'on se comprend. Beaucoup de groupes d'experts qui
sont venus devant nous ont évoqué cette question du gouvernement
par les juges, c'est-à-dire que l'incapacité pour le pouvoir
politique, pour les qens élus au Québec comme dans l'ensemble
canadien, en ce moment, d'être capable de clarifier les choses fait qu'en
pratique on s'en remet aux tribunaux pour faire ce que les Américains
dans la littérature politique appellent le "policy making". On se sert
de la voie juridique pour y arriver. Je me permets, -d'ailleurs, de vous dire
qu'à mes yeux les trois éléments sous la rubrique
"société distincte", les points 1, 2 et 3 de la
société distincte qui, en pratique, dans un cas, évoquent
la dualité canadienne et le bilinguisme y compris pour le Québec,
le point 2 qui dit: toutes les Législatures y comprise celle du
Québec doivent protéger la caractéristique fondamentale du
Canada qui est la dualité et le point 3 qui dit que le gouvernement et
l'Assemblée nationale peuvent protéger et promouvoir le
caractère distinct du Québec, ces trois points, dis-je, sont
à mes yeux une sorte de triangle des Bermudes juridique de l'avenir du
Québec, une espèce de "no man's land" aui sera
interprété par les savants juges de la Cour suprême
où viendront échouer l'un après l'autre les vaissaux
lancés par les éventuelles occupations législatives du
Québec en vertu de l'article 92. (14 h 45)
Cela procède, je crois, à la fois d'une dimension
politique et d'une dimension juridique. La dimension politique, c'est
l'incapacité, l'absence de courage des politiques, dans le fond, de
dire: On va clarifier des choses. L'exemple le plus frappant de cela au Canada,
comme aux États-Unis d'ailleurs, c'est la question de la peine de mort
et de l'avortement, où, à toutes fins utiles, les
législateurs n'ayant pas été clairs, ce sont les tribunaux
qui déterminent en fin de compte en société autour de
sujets aussi prenants que ceux-là. Qu'est-ce qu'ils traduisent? Ils
traduisent fondamentalement une incapacité pour le pouvoir politique de
trancher. On laisse aux tribunaux l'appréciation de choses aussi
fondamentales.
J'aimerais peut-être, à partir de la première partie
de votre exposé - je parle des trois premières pages - vous
entendre expliciter quelque peu la notion de gouvernement par les juges.
M. Tremblay (Guy): Je pense que dans les pays occidentaux
auxquels je fais référence, surtout en Europe, il y a des
modèles différents auxquels on est moins familier et il s'agit de
pays où les droits concrets des citoyens sont tout aussi bien garantis.
Je ne veux pas faire une critique systématique du système
américain. Je pense que c'est un pays, à l'évidence,
démocratique. Mais, quand on regarde, par exemple, des pays comme le
Royaume-Uni, eh bien, la souveraineté parlementaire
prévaut toujours là. Quand on regarde la plupart des pays
occidentaux en Europe, sauf peut-être la Grèce, il n'y a pas de
contrôle diffus par les juges, un contrôle générai de
la constitutionnalité des lois. Il y a un contrôle restreint.
Alors, par exemple en France, sans vouloir entrer dans les subtilités,
les politiciens peuvent saisir, avant l'adoption de la loi, un conseil
constitutionnel, formé lui-même dans une large mesure d'anciens
politiciens ou d'hommes politiques. Donc, là souvent où on a un
contrôle des choix politiques par le judiciaire, il est circonscrit, si
vous voulez, il est limité dans le temps, il est très
encadré par une procédure spécifique dans la constitution.
II n'est pas diffus comme ici. Personnellement, je respecte beaucoup les choix
de ceux qui croient dans le modèle américain, qui est,
essentiellement, le modèle de la loi de 1982.
Je crois qu'il y a deux philosophies de base dans ce domaine. J'ai la
mienne et tout ce que j'ai lu à venir jusqu'à maintenant, tout ce
que j'ai vu, de bonne foi, je reste absolument convaincu que le système
de la souveraineté parlementaire, surtout dans le cas du Québec,
est meilleur et pour deux raisons. C'est que, disons, théoriquement, ce
qui n'est pas prouvé... On pourrait démontrer que le
système à l'américaine est meilleur, disons, que le
système à la britannique. Même si, théoriquement, on
pourrait démontrer cela, ce qui est indémontrable à mon
point de vue parce qu'il y a une immense littérature juridique où
c'est discuté, c'est probablement le problème le plus fondamental
en droit constitutionnel. Donc, si on admettait que le système à
l'américaine est meilleur, en théorie, il reste qu'il serait
probablement moins bon pour le Québec parce qu'au Québec, il n'a
pas simplement pour effet de transférer au judiciaire des choix
politiques, mais il a, en plus - comme je l'ai mentionné - un
deuxième effet qui n'existe pas aux États-Unis ou au Canada
anglais, celui, pour les domaines qui relèvent du Québec,
d'homogénéiser les valeurs, les choix politiques, les choix de
société.
Alors, il y a un second effet qui est complètement distinct du
premier qui, déjà, pose des problèmes et qui, pour moi,
rend ce système beaucoup moins bon pour le Québec. D'ailleurs,
imaginons... M. le ministre a fait référence tantôt
à l'indépendance et je ne suis pas venu ici pour parler
d'indépendance, mais simplement pour illustrer mon idée, la
différence des effets. Imaginons que le Québec serait
indépendant. Je pense qu'il serait légitime, à ce
moment-là, ou il serait possible, de dire: On va constitutionnaliser une
charte des droits au Québec. Cela n'aurait pas le double effet à
ce moment-là que j'évoque, mais ce serait un choix que l'on
pourrait faire. Alors, à mon point de vue, pour le Québec, ce
choix de la constitutionnalisation de la charte des droits, ce transfert de
pouvoirs politiques des élus du peuple que vous êtes au pouvoir
judiciaire, nommé par le gouvernement fédéral, a un double
effet qui est, à long terme, extrêmement pervers.
M. Johnson (Anjou): Merci, maître.
Le Président (M. Filion): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le professeur Tremblay, avez-vous eu le
temps de regarder l'entente du lac Meech en ce qui regarde la Cour
suprême du Canada?
M. Tremblay (Guy): Oui, je suis parfaitement d'accord avec ce qui
est inscrit là, justement un peu pour les mêmes raisons.
Voyez-vous, on a discuté dans le passé de la possibilité
de changer les modes de nomination des juges, par exemple de faire des choix en
fonction des qualifications, des choix plus objectifs, mais maintenant qu'on a
un système constitutionnel où les juges ont un plus grand
rôle politique à jouer, je pense qu'il faut que ce soit une
nomination par le pouvoir politique. Dans la mesure où les gouvernements
provinciaux seront mis à contribution avec le gouvernement
fédéral, j'imagine que, dans le choix des juges, ils vont
utiliser des considérations politiques au sens large, n'est-ce pas, pas
des considérations politiques nécessairement partisanes mais des
politiques au sens large et je trouve que c'est le meilleur système dans
le contexte actuel d'une charte des droits pour choisir les juges de la Cour
suprême.
Personnellement, je suis parfaitement d'accord avec ce qui est inscrit
là. J'ai mentionné au début de mon texte qu'il y avait
certaines difficultés, peut-être, de rédaction. C'est
simplement une entente de principe. Vous connaissez, M. le ministre, ce
à quoi je fais référence, probablement au fait que c'est
écrit: "proposés par les provinces". Je suis convaincu que, dans
la rédaction finale, cela sera facile à rétablir.
J'imagine que les trois juges du Barreau du Québec seront choisis sur la
proposition du gouvernement du Québec. J'imagine.
Le Président (M. Filion): Cela va?
M. Johnson (Anjou): Sur la société distincte,
maître, rapidement, considérez-vous que même si on ajoutait
les mots "le Québec, société distincte à cause de
la langue ou à cause du français", cela changerait la valeur et
l'importance de cette clause dans l'interprétation des lois? Je
m'explique: Beaucoup de vos collègues sont venus témoigner ici,
et à l'exception de Me Fortier, qui est un avocat praticien, la
plupart d'entre eux nous ont affirmé qu'il s'agissait ici d'une
clause d'interprétation, donc -qui ne serait pas utilisée
nécessairement systématiquement, constamment;
deuxièmement, que les juges n'étaient même pas contraints
à utiliser cette clause d'interprétation. Encore une fois, je
dois dire cependant, à sa décharge, qu'un des témoins qui
est venu, Me Fortier, prétendait plutôt le contraire. Il semblait
abonder un peu dans le sens du ministre, qui parlait d'une clause
d'interprétation substantive qui est un concept que je connais peu. Mais
même si on qualifiait la notion de société distincte autour
de la langue française ou du fait français, croyez-vous que -cela
aurait un effet majeur en pratique sur la capacité du Québec de
déborder le cadre dans lequel il est limité en ce moment pour
légiférer dans le secteur linguistique?
M. Tremblay (Guy): D'abord, M. le leader de l'Opposition, je dois
dire que contrairement, probablement, à la majorité des
personnes, au moins à celles que j'ai entendues, je crois que la
société distincte, comme je l'explique dans mon texte, est
déjà définie dans le texte, dans le sens suivant:
évidemment, on peut faire toutes sortes de définitions dans un
texte juridique, on n'est pas obligé de mettre deux points et de dire:
voici ce que c'est. Ici je suis convaincu -maintenant, je respecte l'opinion
contraire -que si on demandait avec ce texte-ci aux tribunaux: qu'est-ce que la
société distincte? ils diraient ceci: la société
distincte de Québec, c'est une société où le Canada
anglophone est présent et où le Canada francophone est
concentré. Je suis convaincu qu'ils diraient cela. La définition
est là, elle est ancrée dans une conformation linguistique
particulière et je dis distincte, parce que, justement, ailleurs au
Canada, le texte dit que c'est autre chose en d'autres mots. Les clauses
étant interprétées les unes par rapport aux autres, alors
pour moi, la définition ancrée dans le linguistique est là
et j'ai énormément de difficulté à concevoir qu'il
en soit autrement, encore que je respecte les autres opinions
là-dessus.
Étant entendu que je considère que c'est le sens de
"société distincte" écrit dans l'accord du lac Meech, je
suppose que vous voulez maintenant me demander quel effet cela aura. Si c'est
vrai que cette définition est la bonne, je pense que c'est difficile de
voir si elle sera utilisée pour l'aspect anglophone et pour l'aspect
francophone. Je suppose que cela va dépendre des causes. Cela peut aller
aussi bien d'un côté que de l'autre, je pense que c'est une
médaille à deux faces. J'ai suggéré dans mon texte,
quant à avoir une définition basée sur la linguistique, de
préciser que, au moins, l'aspect francophone est majoritaire, ce qui
laisserait l'autre aspect anglophone aussi, mais cela donnerait une
précision et, sûrement, à long terme, aurait un effet
interprétatif susceptible de promouvoir le français, au moins
dans la mesure nécessaire pour maintenir la majorité, parce qu'on
dirait "majoritaire" dans la définition.
M. Rémillard: Me Tremblay, est-ce que vous avez eu
l'occasion de regarder aussi ce que nous obtenons pour l'immigration?
M. Tremblay (Guy): Oui, j'ai regardé cela de très
près et, comme je l'ai mentionné dans mon texte, je trouve que
c'est très valable. On dit généralement que l'immigration
est un pouvoir partagé en vertu de l'article 93, mais en vertu de"
l'interprétation que les tribunaux en avaient faite, en pratique, il
n'était plus partagé. Il n'y avait plus d'espace pour les
provinces d'intervenir en matière d'immigration, parce que
l'interprétation constitutionnelle du début du siècle, que
vous connaissez aussi bien que moi, à la suite de l'adoption d'un
régime global d'immigration par le fédéral, rendait
incompatibles les interventions provinciales, ne laissait plus d'espace aux
provinces.
Malgré le fait qu'au départ, c'était censé
être un domaine partagé, en pratique, en vertu d'une certaine
interprétation constitutionnelle qui me semblait prévaloir
jusqu'à l'entente Cullen-Couture, il n'y avait plus d'espace pour les
provinces, de sorte qu'on redonne un espace que les Pères de la
confédération du siècle dernier avaient, je suppose,
pensé laisser aux provinces. Je trouve cela très correct.
M. Rémillard: Est-ce qu'il me reste du temps?
Le Président (M. Filion): Est-ce qu'on pourrait me dire
combien de temps il reste? Treize minutes du côté
ministériel et quatre minutes du côté de l'Opposition. (15
heures)
M. Rémillard: Je viens de finir une question, je n'ai pas
autre chose.
M. Brassard: M. le Président, je sais que vous avez une
question. Alors, allez-y.
Le Président (M. Filion): Évidemment, il n'est pas
facile de travailler sans texte juridique, dans votre métier. Je dois
vous dire que j'ai été extrêmement frappé, lorsque
j'ai lu l'accord du lac Meech pour la quatrième ou cinquième
fois, et que je me suis aperçu comme vous que, finalement, la lecture de
la clause sur le caractère distinct demande une lecture attentive,
presque mathématique, lorsqu'on parle du Canada francophone qui est
presque concentré mais non limité au Québec, et du Canada
anglophone qui est concentré dans le reste du pays, mais présent
au Québec, mais tout
cela, cette belle mathématique, genre théorie des
ensembles, fait en sorte que rien dans le texte, dans sa facture actuelle, ne
permet de conclure que le Québec est effectivement majoritairement
francophone. Dans votre exposé, à la page 6, je pense que vous le
soulignez fort bien. Est-ce que cette lacune dans la facture du
communiqué de presse du lac Meech réduit d'autant, quant à
vous, la portée de cette distinction du Québec?
M. Tremblay (Guy): Je crois que oui. Je pense que, comme je l'ai
mentionné, c'est une lacune évidente. Par contre, ce qui
m'apparaft important dans la précision à propos de la
majorité se situe à l'intérieur de la problématique
plus globale des pouvoirs du Québec en matière de langue. Alors,
on dit à peu près ceci: Depuis 1982, le Québec a dû
céder de gré ou de force des pouvoirs en matière
linguistique. Moi, normalement, j'aimerais mieux que le Québec les ait
conservés. Maintenant, s'il n'y a réellement pas moyen de
rapatrier au Québec la juridiction totale en matière
linguistique, au moins qu'on nous dise: On vous enlève des pouvoirs un
peu pour préserver les droits des minorités, la minorité
anglophone en particulier. Tant mieux! Mais, au moins, mettez quelque part une
garantie de fond sur la préservation de la majorité francophone.
Je trouve qu'on ne doit pas perdre sur les deux tableaux. Si le Canada anglais
ne veut pas reconnaître ou nous donner cette sécurité
linguistique à long terme, qu'il ne nous enlève pas nos pouvoirs.
S'il veut nous enlever nos pouvoirs, qu'il mette clairement une garantie qui va
nous rassurer à long terme. C'est un peu dans cette problématique
que le texte actuel est trop faible à cet égard,
certainement.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Me
Tremblay.
M. Rémillard: II reste combien de temps?
Le Président (M. Filion): Treize minutes de votre
côté. Évidemment, cela n'a pas dû se modifier, et il
reste plus d'une minute à l'Opposition.
M. Rémillard: Me Tremblay, est-ce que vous avez
regardé un peu la formule d'amendement?
M. Tremblay (Guy): Oui. D'abord, sur la formule d'amendement, je
pense que le principal avantage de l'entente de principe du lac Meech, quelque
chose qui me paraît très crucial, c'est d'avoir comblé la
compensation dans les cas de retrait en matière autre que culturelle et
d'éducation. C'est un trou béant qui existait dans la loi de 1982
et qu'il importe de combler le plus rapidement possible. On voit dans les
journaux la possibilité, par exemple, d'un accord sur le
libre-échange. Je sais que vous soutenez probablement, si le
traité sur le libre-échange avec les États-Unis
empiétait sur les pouvoirs du Québec, que le Québec aurait
une espèce de veto. Je ne sais trop comment vous formulez cette chose.
Moi, je dirais plutôt qu'il a le droit de préserver
législativement ses juridictions en vertu du célèbre
"Labor Convention's Case". Je crois que c'est important. Imaginons que, dans le
cadre d'une grande opération de libre-échange, on soit
amené à vouloir préserver certaines juridictions du
Québec en matière commerciale, qu'il y ait un amendement
constitutionnel pour mettre en oeuvre le traité de libre-échange
et que le Québec se retire, il serait très important qu'il ait le
droit, en matière commerciale, d'avoir une compensation pour
s'être retiré dans l'hypothèse que j'évoque. Je
trouve que le principal avantage de l'accord du lac Meech, c'est donc
l'extension du droit à la compensation en cas de retrait pour tous les
cas de transfert de pouvoirs au fédéral. Pour ce qui est de la
modification du veto et la modification des institutions centrales,
évidemment, le Québec a obtenu le droit de veto. Personnellement,
je trouve un peu, pas mal, certainement rigide le fait d'exiger
l'unanimité pour modifier ces choses-la. Je trouve qu'on avait
déjà suffisamment de cas où il fallait l'unanimité
à l'article 41. Il faut faire attention, parce que l'unanimité,
pour moi, c'est quasiment geler ad vitam aeternam bien des choses dans un
portrait constitutionnel qui est déjà, à certains
égards, très insatisfaisant à mon point de vue, par
exemple, la présence du Sénat fédéral dans le
Parlement canadien.
Le Président (M. Filion): Merci, Me Tremblay. M. le
ministre, avez-vous terminé? M. le chef de l'Opposition?
M. Johnson (Anjou): Merci, Me Tremblay.
Le Président (M. Filion): M. le ministre.
M. Rémillard: Me Tremblay, je crois comprendre pourquoi,
tout à l'heure, l'Opposition hésitait à vous poser des
questions et voulait me les poser à moi. La nervosité, cela se
comprend maintenant assez bien. Vous venez de nous dire que la Cour
suprême, c'est très bien. La formule d'amendement, cela va
très bien. L'immigration, c'est vraiment de très bons gains. Je
lis dans votre mémoire, à la paqe 5: "Si cet oubli était
corriqé, je crois que la clause sur le caractère distinct du
Québec serait acceptable." Donc, même la société
distincte, cette clause, vous serait acceptable. Et cet oubli, pour vous, c'est
le
fait qu'on n'a pas mentionné expressément que le
Québec est en majorité francophone. Je vous avoue que, pour nous,
lorsqu'on comprend l'article (l)a), c'est évident que le Québec
est en majorité francophone parce que, certes, (l)a) se
réfère au linguistique, c'est une description linguistique et,
évidemment, cela signifie que le Québec, par son libellé,
est majoritaire. Mais je prends bonne note de votre remarque.
Cela dit, je considère que c'est une très bonne remarque
que vous nous faites et on l'étudiera, mais je considère qu'en
mettant cela, vous ne voyez pas l'obligation, vous, de définir la
société distincte ou quoi que ce soit et vous trouvez que c'est
acceptable. Donc, on en est rendu, si je comprends bien, à quatre sur
cinq.
Une voix: Quatre et demi, quatre et demi.
M. Rémillard: Très bien, je reviendrai tout
à l'heure.
M. Johnson (Anjou): Vous allez lui permettre de réagir
peut-être. Par politesse - ce dont vous me parliez tout à l'heure
-on pourrait peut-être permettre à Me Tremblay de réagir.
J'ai l'impression qu'il a peut-être l'impression que vous ratatinez un
peu le sens de son exposé.
M. Tremblay (Guy): J'ai vérifié dans le Petit
Robert le mot "concentrer". J'y ai réfléchi et je crois que
cela n'implique pas nécessairement "majoritainement francophone". Je
crois que c'est un des oublis majeurs et, je l'ai mentionné, pour moi
c'est certainement sine qua non. Je ne crois pas que... En tout cas, si vous le
mettez, je serai d'accord, je l'ai inscrit, sauf que...
M. Rémillard: J'en prends bonne note. Me Tremblay, je
prends bonne note que si on le mettait, pour vous, ce serait acceptable d'une
façon ou d'une autre. Alors, j'en prends bonne note. Je laisse
l'Opposition, si vous voulez, terminer son temps.
Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il y a des questions
de ce côté-là? Non. Est-ce qu'il y a d'autres interventions
de ce côté-là?
M. Rémillard: C'est terminé, le temps de
l'Opposition'
Le Président (M. Filion): Il reste...
M. Rochefort: M. le Président, sur une question de
règlement.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin.
M. Rochefort: Le ministre a un droit de parole de 20 minutes.
Qu'il le prenne et on utilisera le nôtre comme bon nous semblera.
M. Rémillard: Je veux tout simplement être poli.
M. Rochefort: On comprend que vous ne vouliez jamais
répondre aux questions. Ça, c'est votre droit, mais là,
quand même, vous ne choisirez pas comment on va utiliser notre droit de
parole.
M. Rémillard: Pourquoi vous énervez-vous? Ne vous
énervez pas.
M. Rochefort: Non, non.
M. Rémillard: Depuis hier soir que vous vous
énervez. Ne vous énervez pas. Restez calme. Cela va bien. On a un
bon expert devant nous. Détendez-vous, restez calme.
M. Rochefort: M. le Président, sur la question de
règlement soulevée par le ministre, je soulignerai qu'il y a deux
types de personnalité et c'est bien connu par les médecins qui
s'occupent de cela. Il y a des gens qui s'animent souvent, mais il y en a qui,
par leur calme, témoignent combien ils sont anxieux par ce qui se passe
ailleurs, c'est-à-dire probablement au Conseil privé
actuellement.
Des voix: Ha! Ha!
Le Président (M. Filion): Cela dit, est-ce que vous voulez
savoir, M. le ministre, combien de temps il reste?
M. Rémillard: C'est cela, oui.
Le Président (M. Filion): II reste à l'Opposition
un peu moins d'une minute, quelque 50 secondes, et aux ministériels huit
minutes.
M. Rémillard: Qu'ils prennent leur temps. Je viens de
poser ma question. Qu'ils prennent le temps de poser leurs questions.
M. Lefebvre: M. le Président.
M. Johnson (Anjou): Me Tremblay, j'ai pris note de vos
remarques.
M. Lefebvre: Est-ce qu'il est irrégulier pour le ministre
- à voir la réaction du député de Gouin, c'est ce
que j'ai compris -de s'informer du temps qu'il nous reste pour discuter avec
notre invité et aussi de vérifier si l'Opposition a
épuisé son enveloppe? Est-ce que vous considérez que c'est
irrégulier? J'aimerais bien le savoir parce qu'on saura à quoi
s'en tenir pour nos
trois prochains invités.
Le Président (M. Filion): Écoutez! ce que je
voudrais éviter...
M. Rochefort: M. le Président...
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin.
M. Rochefort; Ce n'est effectivement pas irrégulier de
s'informer du temps et d'essayer de savoir si l'Opposition a des questions
à poser. Ce qui est irrégulier d'abord, c'est que le ministre ne
réponde jamais aux questions.
Deuxièmement, le ministre est en train de se transformer en
président de séance plutôt qu'en ministre responsable d'un
dossier qu'il a le courage de défendre. C'est ça qui est
irrégulier.
M. Lefebvre: Est-ce que je dois comprendre que l'Opposition n'a
rien d'autre à faire aujourd'hui? Cela a été à peu
près l'expérience à laquelle on a été
soumis: on soulève des questions de règlement pour
débattre toute autre chose que l'entente comme telle. Je comprends
qu'aucune question n'a été dirigée à notre
invité, Me Tremblay, sinon par le ministre, et ça semble
être le reproche qu'on nous fait. Je ne comprends pas l'attitude de
l'Opposition et j'aimerais bien qu'on m'éclaire là-dessus.
Le Président (M. Filion): Écoutez! de part et
d'autre, d'abord c'est notre septième séance, c'est vrai.
Deuxièmement, nous avons eu un horaire extrêmement chargé
et qui a obligé les membres de cette commission à siéger
de longues heures, je le comprends.
Troisièmement, je voudrais ajouter ceci: II est bien
évident qu'à partir du moment où vous avez confié
deux enveloppes de temps à chacune des deux parties, il pourrait exister
dans l'esprit de certains membres des possibilités quant à
l'utilisation de leur temps. Je pense que ces possibilités ont
été réduites durant tout le cours de la semaine par
l'utilisation intelligente et raisonnable du droit de parole des deux
côtés de cette table. En ce sens-là, je voudrais simplement
répéter qu'il reste un peu moins d'une minute, quelque 50
secondes à l'Opposition et, du côté ministériel,
huit minutes. Donc, j'offre le droit de parole à un membre de cette
commission; sinon, je conclurai en remerciant...
M. Rémillard: M. le Président, le chef de
l'Opposition dit qu'il va aller prendre des valiums. D'accord, je vais lui
laisser le temps. Si vous me le permettez, je pense qu'on a une très
bonne discussion et qu'on devrait revenir calmement à notre
invité.
M. Tremblay, donc formule d'amen- dement, ça va; immigration,
ça va; Cour suprême, ça va. On revient à l'article
1. Tout à l'heure j'entendais le chef de l'Opposition vous interroger.
Il disait, parce que je le vois aussi déformer des faits et cela, c'est
peut-être plus grave, M. le chef de l'Opposition, il disait donc: II n'y
a qu'un expert qui est venu témoigner devant nous, Me Fortier, pour nous
dire que c'était une règle d'interprétation obligatoire,
alors que c'est faux. Me Beaudoin, qui a été le premier, Me
Décary, le doyen Chevrette, le doyen Blache, le bâtonnier Fortier,
Me Duplé et sans doute que j'en oublie, Me Raynold Langlois, tous ces
juristes éminents sont venus nous dire qu'il s'agissait d'une
règle d'interprétation obligatoire où le mot "doit" fait
en sorte que les tribunaux doivent tenir compte de cette règle
d'interprétation pour interpréter la constitution du Canada, et
non seulement cette constitution de 1982 mais l'ensemble de la constitution
canadienne, même celle de 1867. Qu'est-ce que vous en pensez, Me
Tremblay? (15 h 15)
M. Tremblay (Guyh Je pense que le texte parle par lui-même.
Le travail de l'interprétation de la constitution est fait par les
tribunaux et "doit concorder avec", et on donne la substance de la
règle. Donc, il doit concorder avec ce qui est inscrit là. Je
pense qu'ils ont un mandat clair d'interpréter le partage des
compétences de la constitution conformément à ce qui est
indiqué aux paragraphes a) et b) seulement.
Il faut faire un certain nombre de remarques à cet
égard-là. Premièrement, c'est une règle
d'interprétation. Ce n'est pas une règle qu'on appelle
substantive. Donc, elle est accessoire aux clauses qui sont ailleurs dans la
constitution. C'est simplement une règle d'interprétation.
Deuxièmement, comme vous le savez, M. le ministre, une
règle d'interprétation, c'est comme un instrument dans une
quincaillerie. II y a plusieurs instruments. Vous pouvez en prendre un
plutôt qu'un autre. Vous prenez l'instrument qui fait votre affaire dans
une cause en particulier. J'imagine que des règles
d'interprétation constitutionnelles, on peut en trouver 300, 400 si on
se casse un peu la tête. À un moment donné, on en prend
une, tout à coup on peut prendre un autre outil. Il y en a certaines qui
sont marquées clairement dans la constitution et qui probablement,
étant inscrites clairement, vont apparaître comme des outils
peut-être un peu plus à portée de la main que d'autres,
mais il y a d'autres rèqles d'interprétation de la constitution
qui sont dans la jurisprudence séculaire que vous connaissez. Donc,
c'est un outil parmi d'autres que les juges peuvent ou non utiliser à un
moment donné.
Vous savez très bien que l'essence d'une règle
d'interprétation... Une règle
d'interprétation ne conditionne jamais aucun résultat. On
enseigne cela dès le départ à la faculté de droit.
Cela ne conditionne pas un résultat. C'est un outil qui est à la
discrétion des juges et ils en sont maîtres. Ils sont
maîtres de l'utilisation ou de non-utilisation qu'ils en font.
Cela dit, il est évident qu'ils ont le mandat du constituant de
s'en servir pour faire concorder la constitution avec les principes qui sont
mentionnés. C'est inscrit là. Évidemment, il n'y a pas de
policiers qui vont vérifier si les juges exécutent leur mandat.
Je présume et je suis certain qu'ils vont chercher à le faire et
qu'ils vont le faire.
Le dernier problème que je veux soulever là-dedans n'est
pas un problème mais une réserve, une explication. C'est qu'on
dit que l'interprétation de la constitution doit concorder avec telle
chose. Personnellement, je trouve qu'on devrait dire que
l'interprétation de la constitution doit concorder avec quelque chose
d'autre où il est écrit "majorité".
Le Président (M. Filion): Merci, Me Tremblay. Je vais
reconnaître, s'il y a lieu, un représentant de l'Opposition.
Non?
M. Johnson (Anjou): Une seule remarque. Je dirai simplement que
je trouve que le ministre est en train de nous plonger dans
l'interprétation de l'interprétation du comité du lac
Meech. C'est tout ce que j'ai à dire, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Merci. M. le ministre, il reste
à votre formation trois minutes.
M. Rémillard: M. Tremblay, donc sur cette clause
d'interprétation que vous dites obligatoire, contrairement à ce
qu'a dit le chef de l'Opposition tout à l'heure, vous dites la
même chose que tous les experts qui sont venus ici. Il s'agit d'une
clause obligatoire qui va s'interpréter obligatoirement pour tous les
aspects de la constitution canadienne. C'est dans ce contexte que cet article
est un article et non pas nécessairement un préambule comme
tel.
C'est dans ce contexte aussi, Me Tremblay, que nous avons inclus que le
Parlement et les Législatures des provinces, dans l'exercice de leurs
compétences respectives, prennent l'engagement de protéger la
caractéristique fondamentale du Canada mentionnée au paragraphe
(l)a) alors que, pour la spécificité du Québec, nous avons
ajouté que l'Assemblée nationale et le gouvernement du
Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le
caractère distinct de la société québécoise
mentionné au paragraphe (l)b).
Pour la première fois, le gouvernement du Québec et
l'Assemblée nationale du Québec reçoivent ce rôle de
protéger ce qui fait que nous sommes une société
distincte. C'est donc une responsabilité. Bien sûr que cela ne
signifie pas que le partage des compétences législatives est
modifié. L'assurance-chômage ne devient pas compétence
provinciale parce qu'on a cette règle d'interprétation, mais dans
les cas où le tribunal a interprété la constitution, il
pourra se référer à cette règle
d'interprétation pour influencer le partage et faire en sorte que dans
des cas douteux on puisse favoriser la compétence
québécoise et ça tous, sans exception, nos experts sont
venus nous dire - quelques-uns, il faut le dire, Jacques-Yvan Morin avec plus
de nuances -d'une façon générale que telle était la
situation. Cette règle d'interprétation qui peut se relier tant
au partage des compétences législatives qu'à l'article 1
de la Charte canadienne des droits et libertés, c'est-à-dire
cette loi, cette charte, cet article qui permet de déroqer à un
droit, à une liberté fondamentale dans la mesure où cela
peut se justifier dans le contexte d'une société libre et
démocratique. Le test de la légitimité.
Cette règle d'interprétation, comme nous l'ont dit les
experts, pourra venir s'interpréter, pourra venir s'appliquer; ce qui
signifie que nous avons là, par cette clause de la société
distincte, de cette entente du lac Meech, un outil exceptionnel pour que le
gouvernement, par l'Assemblée nationale ou par voie gouvernementale
puisse protéger et promouvoir la langue française. Ça
c'est une donnée qui est tout à fait nouvelle dans notre droit
constitutionnel. On ne l'avait pas auparavant. On n'avait pas le fait que le
Québec a ce rôle de protéger et de promouvoir la langue
française. Maintenant, c'est inscrit à l'article 1 de la
constitution et cela nous permettra de demander aux tribunaux, dans tous les
cas d'ambiguïté pour interpréter la constitution, de faire
référence directement à cette clause et de dire: Voici,
vous êtes dans un cas où il peut y avoir une décision d'un
côté ou de l'autre, il y a ambiguïté comme cela arrive
très souvent en matière de partage des compétences
législatives, que ce soient les valeurs mobilières ou d'autres
sujets. Des experts nous ont suggéré, c'était le doyen
Chevrette, doyen de la Faculté de droit de l'Université de
Montréal qui nous disait: "Prenons le cas des valeurs mobilières
qui appartient au Québec, aux provinces de par l'article 92.13, mais qui
n'est pas mentionné expressément dans le partage des
compétences législatives. Si c'était contesté, on
pourrait utiliser cette clause d'interprétation". Voilà des
exemples très concrets.
On m'informe que mon temps est terminé. Je voudrais vous dire, en
terminant, que nous avons beaucoup apprécié votre
témoignage et nous vous remercions d'avoir accepté de
prendre de votre temps pour venir témoigner aujourd'hui devant nous.
Merci.
Le Président (M. Filion): De consentement, pour permettre
à notre invité de réagir s'il le désire.
Une voix: Pas poser de question, mais donner un commentaire.
M. Tremblay (Guy): Oui, là-dessus, j'ai mentionné
dans mon texte que dans les paragraphes (2) et (3) - maintenant, ici ce n'est
pas une opinion ferme parce que je pense que c'est plus difficile - pour moi,
il y a divers indices dans le texte sur le caractère distinct qui font
en sorte qu'ils ne sont pas susceptibles d'application par les tribunaux. Je
peux indiquer les indices rapidement. Il y en a quelques-uns. Le premier
indice, c'est que ces trois paragraphes vont se présenter à la
suite l'un de l'autre, j'imagine. On dit dans le paragraphe (1)î
L'interprétation, le droit, etc. On s'adresse aux tribunaux.
Dans les paragraphes (2) et (3), on s'adresse aux autorités
politiques a contrario, probablement pas aux tribunaux, premier indice.
Deuxième indice, les mots comme "promouvoir", les mots dynamiques qui
sont impossibles à vérifier dans le temps, dans l'espace. Est-ce
qu'on est en train de faire une promotion ou non? Je pense qu'il est
impossible... Ce sont des mots je ne dirais pas ajuridiques, mais ajudiciaires
et, donc, j'ai entendu quelqu'un qui a utilisé - j'ai regardé
dans le dictionnaire, ce ne sont pas des mots français - les droits
"programmatoires" ou "programmatifs". Je pense que cela existe... En tout cas,
j'ai mentionné en droit international des droits de l'homme. Ce ne sont
pas des messages qui s'adressent aux tribunaux. Dans le contexte ici j'aurais
la propension de dire que c'est plutôt cela, les paragraphes (2) et (3).
Évidemment, le paragraphe (1), lui, s'adresse aux tribunaux et il le dit
expressément.
Par contre, je reconnais qu'il est possible que même les
paragraphes (2) et (3) puissent être conçus comme étant eux
aussi des règles de l'interprétation, qui jouent accessoirement
avec le paragraphe (1). Je pense que toutes ces choses sont liées.
Personnellement, j'ai donné ma tendance. Je pense que les paragraphes
(2) et (3) ne concernent pas les tribunaux. Mais, on ne peut pas faire, sur ce
point, une affirmation définitive et catégorique.
Le Président (M. Filion): Je voudrais vous remercier.
Une voix: On a terminé.
Le Président (M. Filion): Donc, au nom de tous les
membres... Pardon?
M. Tremblay (Guy): Merci.
M. Johnson (Anjou): Bien, je voudrais simplement prendre quinze
secondes pour remercier Me Tremblay pour la clarté de son exposé.
J'en retiens que, à la première page, il dit: L'accord de 1982 a
ratatiné tous les pouvoirs du Québec et, d'une manière
continue.
M. Lefebvre: M. le Président, une question de
règlement.
M. Johnson (Anjou): Je crois comprendre...
Le Président (M. Filion): À l'ordre!
M. Johnson (Anjou): ...que l'accord du lac Meech, à ses
yeux...
M. Lefebvre: M. le Président, une question de
règlement. On a tenté...
M. Johnson (Anjou): ...ne met pas fin è ce ratatinement.
Merci.
Le Président (M. Filion): Bon! Merci. Professeur Tremblay,
je voudrais vous remercier de vous être déplacé et de nous
avoir livré, à la fois par écrit et oralement, votre point
de vue sur l'accord du lac Meech. Alors, encore une fois, merci.
Sans suspendre nos travaux, j'inviterais nos prochains invités,
l'Union des écrivains du Québec, à bien vouloir prendre
place à la table des invités.
Pendant que les représentants de l'union s'approchent, je
voudrais vous faire part de notre horaire pour lundi. D'abord, nos travaux
débutent à 10 heures avec M. Roger Lemelin, écrivain; par
la suite, nous entendrons les représentants de la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal, représentée par Mme
Nicole Boudreau, présidente générale de cette
société; à midi, M. Daniel Latouche, professeur à
l'Institut national de la recherche scientifique. Nos travaux seront alors
suspendus jusqu'à 15 heures. Nous entendrons alors les
représentants de la Fédération des groupes ethniques du
Québec. La période suivante, de deux heures, est consacrée
aux interventions finales des membres de cette commission, soit une heure pour
le groupe ministériel et une heure pour l'Opposition, ce temps
étant partagé en tranches d'une demi-heure.
Je voudrais donc souhaiter la plus cordiale des bienvenues aux
représentants de l'Union des écrivains du Québec et
demander à leur porte-parole, M. Beauchemin, non, à Mme
Hélène Pelletier-Baillargeon de bien vouloir d'abord nous
présenter les personnes
qui l'accompagnent, à la suite de quoi, elle pourra
procéder à un exposé d'une durée d'environ 20
minutes. Donc, Mme Pelletier-Baillargeon, bienvenue. La parole est à
vous.
Union des écrivains du Québec
Mme Pelletier-Baillargeon (Hélène): M. le
Président, je voudrais d'abord remercier cette Assemblée d'avoir
accepté d'entendre les écrivains; mieux vaut tard que jamais,
nous sommes ici. Je voudrais vous présenter mes collègues qui,
cet après-midi, représentent avec moi l'union. À
l'extrême gauche, M. André Ricard, membre de l'union; M. Michel
Guay, directeur général et secrétaire; M. Yves Beauchemin,
président sortant; à ma droite, M. Gaston Miron, membre de
l'union.
Mes collègues m'ont demandé de vous présenter notre
mémoire, j'en ferai lecture. Après quoi, l'un ou l'autre d'entre
nous se fera un plaisir de répondre aux questions que vous voudrez bien
nous poser.
L'Union des écrivains québécois a tenu à
faire entendre sa voix et son point de vue au sujet du projet de réforme
constitutionnelle qu'étudie, en ce moment, votre commission. Devant une
question aussi vitale que la loi fondamentale du pays auquel ils appartiennent,
tous les citoyens et citoyennes et tous les organismes du Québec doivent
se montrer présents et vigilants. En effet, chaque mot et chaque ligne
de cette entente décideront, demain, du déclin ou de
l'épanouissement de la seule collectivité francophone
complète par sa langue, sa culture et ses institutions propres à
avoir survécu jusqu'ici en Amérique. (15 h 30)
L'Union des écrivains du Québec, par une heureuse
exception, s'est vu octroyer un droit de parole dans cette enceinte. Mais,
à combien de personnes et d'organismes tout aussi habilités que
le nôtre à se faire entendre du grand public présent
à ces audiences télédiffusées, ce droit
élémentaire a-t-il été refusé sous
prétexte que cette commission ne disposait que de six ou huit jours pour
recevoir l'avis de toute la population québécoise?
Le large débat public qui, en bonne démocratie, aurait
dû précéder une prise de décision aussi cruciale
pour notre avenir se trouve actuellement écourté d'une
façon si abrupte et si arbitraire qu'il en devient un simulacre de
consultation. Tant de hâte et de fébrilité nous conduisent
tout droit à un accord confus et bâclé, source de mille
discordes et, par conséquent, susceptible de nous apporter dans les
années à venir des crises et des conflits infiniment plus
coûteux que les délais raisonnables que nous réclamons
ici.
Une constitution, l'histoire nous l'apprend, n'est pas une chose simple.
Une fois adoptée, il n'est pas facile d'en changer. Pourtant, en 1987
tout comme en 1867, les choses se passent comme si nos gouvernants avaient
décidé que les citoyens et citoyennes du Québec ne
méritaient pas d'être associés à cette
démarche. Si cette consultation symbolique devait préfigurer la
sorte de démocratie que nous réserve l'entente constitutionnelle,
nous affirmerions sans plus tarder, comme écrivains
préoccupés au premier chef par la liberté d'expression,
que nous ne voulons pas d'une telle démocratie.
La constitution est une question grave et complexe, truffée de
subtilités lourdes d'implications. Raison de plus, croyons-nous, pour
accorder au peuple qui en vivra les conséquences tout le temps
nécessaire à la clarification et à l'explicitation du
dossier. Même les supervedettes de l'opinion constitutionnelle se
contredisent présentement à pleines pages de journaux: Pas de
qéant, disent les uns; recul historique, disent les autres. De toute
évidence, le communiqué de presse du lac Meech a grand besoin
d'être étoffé, amélioré et discuté
avant de mériter la confiance des Québécois. Que l'on
sache d'ailleurs, ce n'est pas le communiqué du lac Meech qui liera
définitivement le Québec aux autres provinces, mais un texte qui
se rédiqe déjà en ce moment même dans le secret des
bureaux de l'État fédéral et du gouvernement du
Québec et dont l'une des proches collaboratrices de M. Rémillard
disait la semaine dernière qu'il ne serait peut-être pas
prêt pour la rencontre du 2 juin entre les premiers ministres.
Le gouvernement nous demande donc notre avis au sujet d'une entente dont
il est incapable de nous révéler les termes exacts. Il y a dans
ce procédé quelque chose qui court-circuite et offense la
liberté d'expression et d'information. On ne s'attendra donc pas
à voir les écrivains, dont le métier consiste
précisément à choisir et à peser soigneusement
leurs mots, se contenter ici d'une pareille ébauche. Nous ne pouvons que
voir dans ce procédé d'escamotage une insulte faite à
l'intelligence et à la capacité de lire de nos concitoyens et
concitoyennes.
Puisqu'il faut nous exprimer dans des délais
écourtés et à partir d'un document officieux et
provisoire, vous comprendrez que notre attention, sans négliqer pour
autant les multiples facettes de l'entente proposée, se soit
concentrée en priorité sur les aspects qui se trouvent le plus
directement reliés à notre outil de travail: la langue, la
culture et leurs corollaires obliqés, l'éducation et les
communications.
On nous affirme que le Québec français vient de
réaliser un gain capital parce qu'il se voit octroyer une reconnaissance
explicite en tant que société distincte. Pour les
écrivains, l'expression "société distincte" demeure on ne
peut plus courte et imprécise. En effet, l'article qu'il utilise ne
mentionne
nulle part en quoi consiste finalement ce caractère distinctif.
Nous voulons bien supposer avec les rédacteurs qu'il s'agira de la
langue et de la culture spécifiquement françaises des
Québécois, mais notre métier, tout autant que
l'expérience juridique, nous a appris que ce qui va sans dire va
infiniment mieux lorsqu'on le dit! Pourquoi les mots de "langue" et de
"culture" sont-ils absents du communiqué?
Pour des écrivains, vous le concevrez, la question que suscite
instantanément cette expression est la suivante: Cette
société distincte pourra-t-elle, aux termes de la nouvelle
entente constitutionnelle, continuer d'affirmer le caractère
français distinct du Québec au point de le rendre
intégrateur au plan de ses ressources humaines et producteur d'une
littérature vigoureuse alimentée par une vie culturelle
originale?
Pour répondre à cette question, nous recourrons à
une méthode qui nous est familière autant qu'aux juristes et qui
consiste à essayer d'éclairer un paragraphe trop laconique, en
l'occurrence l'article (l)b) par un autre qui serait plus explicite, en
l'occurrence l'article (l)a). L'article (l)a) reconnaît en effet comme
une caractéristique fondamentale de la Fédération
canadienne "l'existence d'un Canada francophone, concentré mais non
limité au Québec, et celle d'un Canada anglophone,
concentré dans le reste du pays mais présent au Québec".
Huit lignes pour définir la Fédération canadienne, deux
mots pour définir le Québec. Il fait, en outre, à
l'Assemblée nationale du Québec l'obligation de protéger
cette caractéristique fondamentale longuement décrite de la
Fédération canadienne.
Si le texte final devait reprendre telle quelle cette expression du
communiqué, nous serions bel et bien mis ici en présence d'une
notion de bilinguisme asymétrique, à prédominance anglaise
dans le Canada anglais et à prédominance française au
Québec. Dans les circonstances, c'est le sens du paragraphe (l)a) qui
éclaire et explicite l'expression vague de "société
distincte" du paragraphe (l)b). Le Québec, aux termes de ces deux
paragraphes, devient donc une société qui se distingue par la
seule prédominance française de son bilinguisme institutionnel.
Son Assemblée nationale se voit imposer l'obligation de protéger
ce bilinguisme asymétrique, caractéristique fondamentale de la
Fédération canadienne, alors que la protection et la promotion du
caractère distinct de la société québécoise
ne sont mentionnées qu'à titre de simple rôle de
l'Assemblée nationale. Il y a un fossé sémantique entre
une obligation et un simple rôle. Une nuance de cette tailte, si elle
frappe des écrivains, n'échappera certainement pas aux juges
chargés d'interpréter le sens de l'expression
"société distincte". Ils l'interpréteront, à coup
sûr, dans le sens du bilinguisme institutionnel, comme le texte le leur
suggère.
Qu'on nous comprenne bien ici, les écrivains sont les premiers
à reconnaître que le bilinguisme des individus constitue une
richesse personnelle et un élargissement de leur horizon culturel. Mais,
dans le cas de la collectivité québécoise, l'Union des
écrivains s'est toujours opposée au bilinguisme institutionnel
dans lequel l'histoire des minorités françaises hors
Québec nous a depuis longtemps appris à reconnaître
l'antichambre de l'assimilation.
Dans le texte du communiqué, nous retrouvons, inchangée,
cette vision irréelle d'un Canada bilingue où les fragiles
minorités françaises hors Québec sont
considérées, dans l'abstrait, comme le pendant ou
l'équivalent de la puissante minorité anglaise du Québec.
Puissante par la force de ses institutions propres dans le domaine de la
santé, de l'éducation et des communications, institutions
d'ailleurs dûment garanties et protégées par le texte
même de la Charte de la langue française. Puissante
éqalement par la force de l'appui massif qu'elle reçoit du Canada
anglais et du soutien financier du gouvernement fédéral à
Alliance Québec par son entreprise de contrecarrer les dispositions de
cette même charte dans les domaines de la législation, de la
justice, de l'enseignement et de l'affichage. Puissante enfin, cela va sans
dire, par l'influence continentale de la culture anglo-américaine.
Mettre cette puissance et ces privilèges en balance avec les
miettes consenties depuis la confédération aux minorités
françaises hors Québec dévastées par
l'assimilation, relève du cynisme ou de la supercherie
intellectuelle.
En reconnaissant le Québec comme société distincte,
l'entente du lac Meech reconnaît-elle finalement cette
nécessité pour le peuple québécois de
contrôler démocratiquement sa langue, sa culture et son
système d'éducation? Non, elle ne le reconnaît pas. En lieu
et place, cette entente exige explicitement de l'Assemblée nationale du
Québec qu'elle protège la caractéristique dite
fondamentale du Canada telle que définie par l'article (l)a) du
communiqué. Quelle est cette caractéristique? Le bilinguisme.
Quelle est, selon ce même article, la caractéristique fondamentale
du Québec? Le bilinguisme aussi. On nous demande dans pareil contexte
d'accrocher nos espoirs d'avenir à l'interprétation de ces deux
mots ambigus de "société distincte", comme on nous a
demandé, en 1980, de croire aux deux mots ambigus de
"fédéralisme renouvelé".
Rappelons-nous qu'au Québec, entre 1971 et 1981, soit en pleine
période d'affirmation du fait français, 70 % des allophones ont
quand même opté pour la langue anglaise. En instaurant le
bilinguisme
au Québec on fera à long terme de l'anglais, la langue
commune de cette Amérique anglo-américaine, le véhicule
tout-terrain qui permettra de circuler à l'aise à travers tout le
continent et de se débrouiller partout et en toutes circonstances. Du
même coup, on fera du français une langue superflue,
décorative, inutile et qui finira par disparaître comme toutes les
choses inutiles. Comment pourra-t-on, en effet, convaincre les immigrants
d'apprendre cette langue, à la fois officielle et facultative,
peut-être vaguement prioritaire mais se dirigeant doucement vers la
consécration folklorique? Comment pourrons-nous convaincre nos propres
enfants de la conserver quand ils constateront, dans ce monde où
l'électronique assure de plus en plus la diffusion et la
suprématie de l'anglais, que la langue de leurs parents n'est que source
de frustration, de recul et, finalement, de silence?
Société distincte. Qu'est-ce qu'une société
selon le Petit Robert? C'est un "ensemble des individus entre lesquels
existent des rapports durables et organisés, le plus souvent
établis en institutions et garantis par des sanctions...". Dans cette
perspective, on peut parler de la société
québécoise, de la société ontarienne, manitobaine,
mais aussi de la société canadienne et - pourquoi pas? - de la
société américaine. Bien qu'elles aient toutes deux perdu
leur langue maternelle, l'Écosse et l'Irlande demeurent néanmoins
des sociétés distinctes. Non, les signataires de ce
communiqué jouent avec les mots. Le gouvernement du Québec doit
dire et écrire clairement les choses. Le Québec est ce coin de
terre où habite le peuple québécois. Ce peuple s'exprime
en français. Ce peuple a une culture qui lui est propre et il entend la
développer démocratiquement à sa manière. L'entente
constitutionnelle ne saurait occulter l'existence de ce peuple fondateur, de sa
langue, de sa culture et de son histoire.
Un peuple est, par définition, distinct et, selon les termes
mêmes adoptés par les Nations unies, tout peuple possède le
droit inaliénable de disposer de lui-même. Serait-ce pour cette
raison que les rédacteurs du communiqué ont refusé
d'utiliser ici ce beau mot de "peuple" et lui ont substitué le terme
ambigu de "société"? Pour des écrivains tout autant que
pour des juristes, ce choix significatif est loin d'être innocent. Car ce
ne sont pas les sociétés distinctes, mais bien les peuples qui
perpétuent les langues maternelles et créent les cultures et les
littératures originales. Cette nuance de taille, les écrivains
ont le devoir de la signaler publiquement à leurs compatriotes.
Il faut que l'on cesse, une bonne fois pour toutes, de jouer avec les
mots et les expressions juridiques jusqu'à ce que les mots et les
phrases ne veuillent plus rien dire. Les
Québécois forment un peuple et ce sont les rapports que ce
peuple entretiendra avec le reste du Canada que la constitution canadienne doit
codifier. Les Québécois doivent refuser de devenir, chez eux, les
Louisianais consentants du Canada anglais. (15 h 45)
On nous objecte qu'il y a intérêt à rédiger
les constitutions dans les termes les plus généraux possible afin
de permettre aux tribunaux de les interpréter dans le sens de
l'évolution de l'histoire. On nous demande donc de faire confiance aux
tribunaux pour définir la sorte de société distincte dans
laquelle nous aurons, demain, le droit de vivre.
Si le passé en cette matière est qarant de l'avenir,
l'expérience québécoise dans le domaine de la langue, de
la culture, de l'éducation et des communications n'est certes pas de
nature à nous rassurer.
Le démantèlement de la Charte de la lanque
française à travers les différents juqements des tribunaux
laisse, au contraire, présager le pire. Cette entente qui ne
reconnaît pas l'existence du peuple québécois, qui ne
reconnaît pas la pleine juridiction du Québec en matière de
langue, de culture, d'éducation et de communications, ce sont des juges
nommés par d'autres qui l'interpréteront. N'est-ce pas, en effet,
le ministre négociateur du lac Meech en personne, M. Rémillard,
qui déclarait en 1982 au conqrès Langue et société,
alors qu'il était encore professeur de droit constitutionnel, et je
cite: "Ce sont les tribunaux et en dernière analyse la Cour
suprême canadienne qui feront à toutes fins pratiques maintenant
la politique linguistique du Canada."
Trois juges de la Cour suprême, diront certains, seront
nommés à partir d'une liste proposée par le Québec.
Faut-il rappeler que les juqements sont rendus par l'ensemble de la cour et
que, par conséquent, de façon majoritaire, ce seront les autres
qui auront la charge de définir ce que nous sommes et ce que nous
voulons être et devenir. De ce gouvernement, par les magistrats qui
consacrent notre minorisation, de cette démocratie où les
élus, au lieu de consulter leurs électeurs, se cachent
derrière la robe des juges, nous n'en voulons pas.
Nous constatons, en outre, que tous les articles désormais
constitutionnalisés de la charte fédérale et qui ont
été successivement invoqués jusqu'à ce jour par les
magistrats pour affaiblir la portée de la charte du français au
Québec, soit, par exemple, les articles 1, 6, 12, 15, 23, 58, 133, tous
ces articles seront intégralement maintenus si l'entente du lac Meech
est officialisée. Nous constatons également qu'au sein de cette
magistrature où nous sommes destinés à demeurer
d'éternels minoritaires, le poids de l'institution a toujours
pesé bien
plus lourd dans les jugements rendus que l'origine ethnique des
magistrats.
Certes, les juges sont nécessaires et jouent un rôle
essentiel au sein des démocraties. Toutefois, les politiciens ont eu
tendance, au cours des dernières décennies, et ce à
travers le monde, à trop se décharger sur eux de leurs propres
responsabilités. Ce travers et cette démission, certains
magistrats du Québec l'ont eux-mêmes stigmatisés, notamment
les juges Deschênes et Brossard. Ces juges ont rappelé que c'est
aux élus du peuple et non aux magistrats qu'il appartient de modifier
les lois scolaires et les constitutions vétustés et
inadaptées. L'entente du lac Meech ne souffle pas un mot du droit des
Québécois de faire évoluer dans l'avenir leur
système scolaire selon le critère de la langue plutôt que
celui de la religion. Encore une fois, ici, les élus du peuple refusent
de faire leur travail et renvoient la balle dans le camp des tribunaux.
Ce qui est en cause ici, c'est le pouvoir légitime de
l'Assemblée nationale du Québec dont les membres sont
démocratiquement élus. Si le peuple québécois veut
légiférer en matière de langue, de culture, de
communications et d'éducation, c'est à l'Assemblée
nationale du Québec que doit revenir cette tâche exclusive et non
à la majorité canadienne.
Pour les Québécois, la culture et la langue constituent
l'essence même de leur identité. Nous constatons avec effarement
que rien de précis et de solide dans le texte qui nous est ici
proposé ne garantit aux Québécois qu'ils pourront enfin
être maîtres chez eux dans le secteur de la langue et de la
culture.
La langue, la culture, l'éducation et, dans une large mesure, les
communications, ont toujours été reconnues comme étant de
compétence québécoise. Les gouvernements libéral de
Jean Lesage, unioniste de Daniel Johnson, péquiste de René
Lévesque et même le vôtre, M. le premier ministre - je
m'adresse à vous, où que vous soyez - dans ses deux premiers
mandats, ont systématiquement revendiqué la pleine juridiction
québécoise dans ces domaines essentiels à
l'épanouissement d'un peuple. Hélas! vos présentes
demandes, M. le premier ministre, vous qui avez toujours eu comme cheval de
bataille la souveraineté culturelle, tombent bien en deçà
de celles de vos prédécesseurs. Le Globe and Mail
écrivait, le 24 avril dernier que "jamais le Québec n'a
demandé si peu pour signer la constitution canadienne". Le
sénateur Lowell Murray, à l'émission "Question Period",
déclarait lui aussi, aussitôt après l'entente, que "la
reconnaissance du caractère distinct de la société
québécoise ne change rien au partage des pouvoirs et ne donne au
Québec aucun droit qu'il n'avait déjà". Ces
déclarations contredisent de façon flagrante les propos
rassurants et triomphalistes que le gouvernement du Québec répand
parmi la population et au sein de cette commission.
Quant à l'article du projet d'entente -ou plutôt du
communiqué - concernant le pouvoir de dépenser du gouvernement
fédéral, on a déjà souligné avec justesse
qu'il constitue un double abandon pour le gouvernement du Québec.
D'abord, le Québec reconnaît, pour la première fois par cet
article, le pouvoir d'agir du fédéral dans des domaines de
compétence déclarés jusque-là d'exclusivité
provinciale par la constitution. Bien sûr, l'entente - ou le
communiqué -prévoit qu'une province peut se soustraire, avec une
compensation raisonnable, à cette ingérence. Mais - et c'est
là le deuxième abandon - à condition que ladite province
mette en oeuvre de son propre chef une initiative ou un programme compatible
avec les objectifs nationaux du Canada. Combien elle nous semble ironique cette
formulation où l'on montre une province se soumettant librement et de
son propre chef à une nouvelle domination du pouvoir central.
Québec perdra donc au bénéfice d'Ottawa le droit de
déterminer les objectifs de ses propres politiques. Et ces politiques
concernent, entre autres, et pour notre plus grand souci d'écrivains, la
langue, la culture, l'éducation et, dans une large mesure, les
communications. L'entente du lac Meech, en somme, nous place devant le choix
suivant; ou bien le gouvernement fédéral fera notre travail
à notre place, ou bien, alors, nous le ferons pour lui, mais sous sa
dictée et selon ses objectifs nationaux.
Alors que toutes les ententes constitutionnelles antérieures,
depuis 1867, ont été imposées au Québec minoritaire
par le Canada anglais dont le vote restait prépondérant,
voilà que, pour la première fois dans son histoire, le
qouvernement du Québec s'apprête à consentir en toute
liberté à l'érosion de pouvoirs exclusifs et conquis de
haute lutte par ses devanciers. Quelle reculade par rapport au mouvement
d'affirmation historique qui caractérisait le Québec depuis les
années soixante et dont le Parti libéral d'antan avait
été lui-même l'instiqateur dynamiquel
M. Bourassa, on a, de tout temps, reconnu aux écrivains leur
capacité exemplaire d'appréhender l'avenir. M. Bourassa, vous
avez vous-même défendu et réclamé la
souveraineté culturelle du Québec. Aujourd'hui, M. Bourassa, les
écrivains québécois vous demandent instamment de maintenir
et d'exiger les pouvoirs exclusifs du Québec en matière de
langue, de culture, d'éducation et de communications, car c'est
là la condition essentielle à l'existence et à
l'épanouissement du peuple québécois.
Le Président (M. Filion): Mme Pelletier-
Baillargeon, je voudrais vous remercier et, sans plus tarder, laisser la
parole à M. le ministre délégué aux Affaires
intergouvemementales canadiennes, en rappelant que chaque groupe dispose
d'environ 17 minutes.
M. Rémillard: Mme Pelletier, je vous remercie d'avoir
accepté de venir témoigner devant nous. On vous reçoit
avec plaisir dans ce salon du Conseil- législatif pour discuter de cette
entente du lac Meech.
J'ai écouté vos remarques avec beaucoup
d'intérêt. Nous avons eu l'occasion, juste avant vous, d'entendre
un autre écrivain qui fait partie de votre union, de fait, Me Guy
Tremblay. Nous aurons l'occasion d'entendre un autre écrivain, membre de
votre union aussi, M. Claude Lemelin, lundi, je crois.
Une voix: Roger.
M. Rémillard: Roger, dis-je. Roger Lemelin, excusez-moi.
Roger Lemelin, lundi. Donc, cela nous fait un grand plaisir d'entendre tous ces
écrivains qui viennent. Vous nous dites que le Québec et les
gouvernements qui se sont succédé ont toujours revendiqué
certains droits et vous me parlez de l'éducation. Vous nous parlez de
l'article 93 qui cause problème lorsqu'on veut établir un
système d'éducation fondé sur la langue. Vous avez raison
de dire que l'article 93 cause des problème. Et vous dites que cela a
toujours été des revendications de tous les gouvernements. Je
dois vous dire que dans ce livre bleu qu'est le projet d'accord constitutionnel
qui était le projet de règlement constitutionnel du
précédent gouvernement, qui a été fait par le chef
de l'Opposition, on ne parie nullement de cet article 93. Donc, on ne
revendiquait pas la compétence en matière d'éducation et
en ce qui regarde la langue non plus.
Je voulais simplement apporter cette nuance au départ. Il y en a
d'autres qui sont venus. Il y a l'UPA qui est venue aussi et qui nous a dit:
Vous ne parlez pas d'agriculture et tous les gouvernements en parlaient. Je
leur ai dit: Essayez de me trouver aussi dans ce livre bleu l'agriculture et
vous allez voir que vous ne le trouverez pas non plus. On ne demandait pas non
plus de compétence en matière d'agriculture.
Quant à nous, Mme Pelletier-Baillargeon, c'est que l'article 93,
de fait, est un sujet sur lequel on doit se pencher et nous en sommes
très conscients. Mais de la façon dont nous avons abordé
le problème constitutionnel, nous l'avons abordé dans deux
étapes. Dans un premier temps, nous voulons avoir les assises
constitutionnelles solides pour nous permettre tout d'abord d'adhérer
à la constitution de 1982. En ce qui regarde la sécurité
culturelle, on pourra y revenir tout à l'heure. Dans une deuxième
étape de négociations, nous pourrons aborder l'article 93 et
d'autres sujets aussi si jamais on en arrivait à cette conclusion qu'il
fallait discuter de l'article 93.
Mme Pelletier-Baillargeon, ce matin, dans Le Devoir, on titre à
la une que le taux de natalité au Québec est en chute libre
comparativement aux autres provinces canadiennes. Nous en sommes à 1,4,
soit le plus bas de toutes les provinces canadiennes et le deuxième plus
bas au monde après l'Allemagne de l'Ouest. Lorsqu'on sait qu'il faut en
moyenne 2,2 de taux de natalité pour une société
industrialisée comme la nôtre pour pouvoir simplement maintenir sa
population au même niveau, c'est un sujet qui est très
inquiétant. C'est la raison pour laquelle, pour nous, la question de
l'immigration est très importante dans cette entente du lac Meech.
Est-ce que vous avez eu l'occasion de regarder un peu l'entente du lac Meech en
ce qui regarde l'agriculture... excusez-moi, l'immigration? Je faisais le
lapsus parce que dans la constitution, c'est immiqration et agriculture. Alors,
je vous parle bien sûr d'immigration.
Mme Pelletier-Baillargeon: Pour la première partie de
votre question, M.
Rémillard, je crois que M. Miron désirerait
répondre.
Le Président (M. Filion): M. Miron.
M. Miron (Gaston): Vous faites allusion au livre bleu. Ici, il ne
s'agit pas pour nous... Si vous voulez régler des problèmes de
partis, cela ne concerne pas notre exposé devant cette commission. Ce
n'est pas de l'avenir des partis, ici... Vous semblez vous autoriser des
erreurs de vos devanciers, en termes de parti, pour justifier les vôtres.
Cela ne nous concerne pas, ce genre de raisonnement, monsieur, et je me permets
de sourire, moi aussi, avec mon petit carillon. (16 heures)
Bon. Alors, cela ne nous concerne pas. Nous, ce qui nous concerne c'est
l'avenir du peuple québécois, sa culture, sa langue, son
identité. Vous dites que vous posez des... Cela dit, cela règle
le cas du petit problème du petit livre bleu. J'espère que ca le
règle. Bon. Pour nous, ce n'est pas du tout dans le paysage et cela ne
l'a jamais été par le passé non plus. On n'était
pas là-dedans.
Deuxièmement, vous dites que vous posez des assises. Vous avez
une autre approche de poser des assises au fédéralisme canadien.
Oui. Nous, nous considérons, nous vous l'avons dit tout au long de ce
mémoire, que ce sont des assises très très floues,
très confuses. On s'autorise là-dessus de M. Antoine-Aimé
Dorion. Vous tenez exactement les paroles de Cartier vis-à-vis
d'Antoine-Aimé Dorion. Est-il possible - dit Cartier à Dorion.
Dorion était le chef du Parti libéral
en 1864 lors de ce débat historique, C'est un
constitutionnaliste, M. Jean-Charles Bonenfant, regretté, qui a
écrit ce livre - est-il possible de supposer que le gouvernement
fédéral où les gouvernements locaux pourraient se rendre
coupables d'actes arbitraires, d'interpréter d'une façon qui ne
soit pas généreuse la nouvelle constitution?
Il y a des constitutionnalistes qui sont venus nous dire qu'au
contraire, les lois avaient toujours été
interprétées de façon restrictive. Quand j'ai
assisté, à la télévision, au déroulement des
mémoires et tout ce que j'ai entendu c'est ceci: c'est du flou, c'est
laissé à la discrétion des juges, c'est une
interprétation. Je reprends des mots que les juristes
constitutionnalistes ont dits. C'est une interprétation possible. Nous
sommes dans le domaine des possibles. Nous sommes dans le domaine de
l'incertitude. Tout va dépendre de l'interprétation des juges. On
a une chance d'espérer. Un autre dit: Oui, nous avons peut-être
là-dessus, si on plaide, des raisons d'espérer. Formidable! Et
même M. Bourassa a dit: Faites donc le pari sur l'interprétation
généreuse. Un peuple est convié au "nowhere" et à
un coup de poker, l'interprétation des juges.
On va passer notre temps - on le sait par le passé, on le sait
par la loi 101 - à se faire interpréter. Est-ce qu'on a un autre
avenir comme peuple que de plaider et de se faire interpréter? Parce que
c'est ça qu'on nous dit. Tous les juristes... J'ai relevé et
ça finit. Le point final, c'est: On ne sait pas. Le fameux
critère d'interprétation, on ne sait pas. Mais pourtant, c'est
marqué ici. Quand on dit au Canada anglais: Vous savez, le Québec
n'a jamais eu de pouvoirs qu'il n'avait déjà. Vous, vous dites le
contraire. Ou bien c'est eux qui ont raison. Ou bien c'est vous. Vous, vous
dites que vous avez de nouveaux pouvoirs. J'ai tout lieu de croire qu'on vient
là de donner le "cue" de l'interprétation. Le "cue" est
donné à l'interprétation. Oui. Il est donné
là. Ils n'ont pas plus de pouvoirs qu'avant. Votre rôle, c'est un
rôle que vous avez. Il n'y a aucun pouvoir attaché à cela.
Un rôle c'est un metteur en scène. Le metteur en scène est
à Ottawa. Là ça va être la Cour suprême qui va
être le metteur en scène. Vous allez jouer un rôle
justement. Le metteur en scène, ce n'est pas vous. C'est Ottawa. Ils lui
ont donné le "cue" déjà. Toute la population du Canada
elle, elle entend: Ils n'ont pas plus de pouvoirs qu'avant. Le reste de la
population anglaise du Canada et tes juges l'entendent aussi. Le "cue" est
donné. C'est un sénateur. Pas seulement des sénateurs,
même M. Mulroney leur a dit cela dans l'Ouest. De toute façon,
vous avez tous les mêmes pouvoirs qu'eux autres aussi. Vous parlez
d'immigration - je passe à un autre sujet, je suis un peu votre
raisonnement -madame vous pariera de natalité. Écoutez, vous avez
fait un petit pas. C'est eux qui déterminent les catégories.
Vous, vous n'avez de pouvoir que sur le pourcentage. J'ai été
assez lonqtemps dans des pays pour savoir qu'il y avait des catégories
qui, jusqu'ici, étaient exclues. Toute l'immigration intellectuelle,
à Ottawa, on a très peur de cela. Je peux l'affirmer parce que
j'ai été témoin de tellement de cas.
Deuxièmement, bien oui, c'est un petit pas dans l'affaire? oui,
oui, c'est un petit pas, on le reconnaît. C'est comme quelqu'un qui a le
cancer; la dualité canadienne, pour nous, le bilinguisme, c'est le
cancer. Mais, j'ai aussi la rougeole. On me guérit de ma rougeole; bien
sûr que c'est mieux, mais cela ne me guérit pas de mon cancer.
J'ai encore le cancer de la dualité canadienne. Qu'est-ce que la
dualité canadienne? C'est écrit: C'est fondamental, cela a
préséance. On sait lire, on n'est pas des fous, il ne faut pas
jouer avec les mots. Il ne faut pas être des juristes pour cela.
Alors, vous arrivez à Mirabel et vous voyez que la dualité
canadienne est déjà en action. Ne passez pas la ligne blanche
avant que l'inspecteur soit libéré. Fameux! Les métastases
vont être partout, elles vont se répandre partout, maintenant,
avec la dualité canadienne. C'est fondamental. Vous avez le devoir;
c'est un devoir de maintenir cette caractéristique fondamentale de la
Fédération canadienne. Par ailleurs, vous avez un rôle. On
sait qu'avec un rôle, vous n'êtes pas le metteur en scène.
Quand on a un rôle, on n'est pas le metteur en scène.
La dualité canadienne, c'est le bilinguisme institutionnel et
collectif. On peut le voir déjà à Montréal qui va
au grand galop. À ce sujet, je vais vous dire ce qu'est la
souveraineté culturelle en matière de langue, de bilinguisme et
surtout d'unilinguisme. Comment se fait-il qu'en Suède, tout se fait en
suédois? II n'y a personne qui dit que c'est contre les droits de
l'homme. En Allemagne, il y a de fortes minorités turques, italiennes,
de travailleurs italiens aussi et tout se fait en allemand; personne ne dit que
c'est contre les droits de l'homme et ainsi de suite pour tous les pays.
Même aux États-Unis, il y a douze États qui ont
légiféré; personne dit que cela va contre les droits de
l'homme. Comment se fait-il qu'ici, une majorité de presque 83 % ne peut
pas vivre intégralement dans sa langue? C'est cela, la
souveraineté culturelle. C'est ce manque à
légiférer entièrement en matière de langue, de
culture et d'éducation. C'est cela qu'on réclame. On ne se
laissera pas amener sur des voies de garage là-dessus.
Le Président (M. Filion): ...M. Miron...
M. Miron: En ce qui concerne la natalité, il a posé
une autre question.
Qu'est-ce que vous pensez de la natalité?
Mme Pelletier-Baillargeon: Je suis très heureuse, M. le
ministre, de voir que vous partagez nos préoccupations sur la
dénatalité au Québec. Dans notre cas, une des solutions
que nous avions retenues était la clause Québec dans la Charte de
la langue française. Or, vous savez que, selon les règles
actuelles, la clause Québec a été battue en brèche
en faveur de la clause Canada. Nous savons que l'objectif d'Alliance
Québec est d'obtenir la clause universelle et nous savons qu'au
lendemain de l'entente, si elle était constitutionnalisée, il y a
fort à parier qu'il y aurait des appels devant les tribunaux pour faire
changer cette clause pour la clause universelle.
Vous voyez donc que, sur le plan de la natalité, l'accord du lac
Meech ajoute une nouvelle ombre au tableau.
M. Beauchemin (Yves): Est-ce que je peux me permettre, M. le
ministre, d'aborder le problème de l'entente du lac Meech en
«n'attaquant - attaquer dans les deux sens -au caractère distinct
du Québec? Je vais essayer, malgré que je ne sois pas un
politicien professionnel, ni même amateur parce que je n'ai aucune
ambition politique, d'attaquer cela d'une façon réaliste.
Pour moi, le problème fondamental au sujet de ce caractère
distinct du Québec, de la façon dont il est défini dans
l'entente du lac Meech, ce n'est pas tellement le texte, c'est ce qui a
précédé le texte. Ce qui a précédé le
texte, c'est ceci. C'est le refus, pour le Parti libéral d'exercer des
pouvoirs exclusifs en matière linguistique. Le Parti libéral ne
veut pas exercer ces pouvoirs linguistiques, alors ce n'est pas surprenant que
cela n'aparaisse pas dans l'entente. La cause de ce refus est une cause
organique. Elle a été expliquée bien des fois cette cause.
Il ne faut pas se surprendre qu'on se répète. Si vous avez un
nuage dans le ciel et que vous demandez à dix personnes de
décrire ce qui se passe, il ne faut pas se surprendre que le mot "nuage"
revienne souvent sur leurs lèvres. Alors, évidemment, quand il
s'agit d'évidence, il y a des répétitions.
La cause qui explique que le Parti libéral ne veut pas
légiférer exclusivement dans la langue, c'est la composition du
Parti libéral elle-même et c'est sa base électorale. Je ne
viens pas de découvrir la roue en disant cela, vous le savez autant que
moi. La minorité anglo-québécoise qui vous appuie d'une
façon massive et quasi totale, pour vous, est une source de force, de
votes, de comtés, mais, en même temps, c'est un boulet que vous
traînez au pied et qui vous empêche d'agir d'une façon
claire pour la majorité, parce que vous devez tenir compte de l'autre
clientèle. Dans les circonstances présentes, l'existence de cette
double appartenance, de cette double racine du Parti libéral, c'est pour
le Québec une sorte de baiser de la mort. Les
Anglo-Québécois ont toujours refusé avec horreur que la
majorité francophone possède des pouvoirs exclusifs en
matière de langue. Et je dois dire que cela doit être inconscient
chez eux, je veux bien le croire, mais il me semble que cela exprime une sorte
de profond mépris pour notre sens démocratique à nous,
francophones, malgré qu'ils figurent parmi les minorités les plus
privilégiées au monde.
La conséquence de cela, vous la connaissez autant que moi, M.
Rémillard, c'est que le "Maître chez nous" de Jean Lesage, qui est
une des qloires du Parti libéral, qui est une des gloires de l'histoire
du Québec, eh bien, il est en train de se transformer en un concierqe
chez nous et que le Robert Bourassa du deuxième mandat, qui avait eu le
courage de s'attaquer, d'une façon bien sûr imparfaite et en
partie trompeuse, aux problèmes linguistiques par le projet de loi 22,
ce Robert Bourassa, je ne le retrouve plus aujourd'hui. Il y a quelque chose de
fondu dans cet homme. Et ce concierge qu'est devenu le Parti libéral
aurait la chance, s'il le voulait, d'acheter la maison dans laquelle il
travaille. Il refuse bien sûr, il préfère son statut de
concierqe. Il refuse même d'acheter une partie de la maison. Même
la solution condominium, et je pense à l'exclusivité des pouvoirs
linquis-tiques, à ce pouvoir de dépenser où on assiste
à une reculade absolument démente, même la solution
condominium lui fait peur. Pourtant, vous connaissez aussi bien que nous et
encore mieux que nous, pour vous l'être fait répéter si
souvent au cours de cette commission parlementaire, les imperfections
fondamentales de l'entente du lac Meech. Je ne peux pas croire que vous
puissiez vous imaginer que vous êtes arrivé à la perfection
absolue.
Une des preuves que cette entente est imparfaite, à mon sens,
c'est que Alliance Québec, tout en feignant d'émettre des
réserves, est tout à fait enchantée de cette solution qui
permet, par exemple, de ne pas définir le caractère
spécifique du Québec. Mais d'autres preuves plus explicites nous
ont été fournies, hier, par le doyen de la Faculté de
droit du l'Université de Montréal, M. François Chevrette,
pour qui vous manifestez à juste titre tant de respect et qui a
émis quelques déclarations, certaines positives, mais quand
même certaines déclarations négatives importantes. II a
dit, par exemple, que l'entente est en deçà des demandes
traditionnelles du Québec. Mais c'est important comme
déclaration. Cela veut dire que le Québec n'a jamais
demandé si peu. Il a également dit, en utilisant une image un peu
cruelle mais réaliste, semble-t-il, que tout l'article sur le pouvoir de
dépenser,
c'était comme un devoir mal fait et qu'il fallait retourner
à la rédaction. Il a dit également que les clauses
déclaratoires et sujettes à interprétation - et là
je rejoins Gaston Miron - ont des effets imprévus. Le juriste
précédent qui parlait sur le même sujet a eu le même
commentaire. (16 h 15)
Que cela vienne d'écrivains ou de juristes, il semble que tout
converge vers le même effet, c'est la partie de poker, c'est la glissade
dans le vague de toute une collectivité. Et j'ai envie d'utiliser une
image. Si un chauffeur d'autobus scolaire, avec des enfants plein l'autobus,
devait traverser un pont et que cinq personnes lui disaient: Attention - des
personnes sérieuses bien sûr - il me semble qu'il y a des fissures
dans le tablier, et que cinq autres lui disaient; Mais non, c'est un pont
très solide, il n'y a pas de problème, les devoirs les plus
élémentaire de la prudence seraient de prévoir le pire et
d'aller vérifier, effectivement, si le pont est fissuré ou non.
C'est un devoir pour vous d'être pessimistes dans ce dossier.
Il ne semble pas que ce soit votre attitude, il ne semble pas que ce
soit l'attitude de votre gouvernement. Le gouvernement dit: Bah, fions-nous.
Nous, on dit: Si le pont tombe, il tombera. Dans l'autobus scolaire, M.
Rémillard, que vous conduisez dans ce dossier avec le premier ministre
Bourassa, c'est tout le Québec qui s'y trouve. Cela a des
conséquences quand même assez importantes, à moins que,
pour vous, l'ensemble canadien soit plus important que l'ensemble
québécois.
Le résultat de tout cela - François Chevrette, que je
connais bien, en a tiré des conclusions - c'est que, lorsqu'on tente
d'interpréter la clause sur le caractère distinct du
Québec, je cite les mots mêmes de Me Chevrette: "II interdit
l'unilinguisme français au Québec". Me Chevrette dit que
l'entente du lac Meech ne peut pas avoir, dans la pire des hypothèses,
d'effets néfastes sur le Québec. Donc, il sous-entend que le fait
d'interdire l'unilinguisme français, ce n'est pas un effet
néfaste. Vous remarquerez que c'est une opinion personnelle qu'il
émet, et non pas une opinion de juriste.
Donc, à quelle solution arrivons-nous? Vous la connaissez et vous
la désirez peut-être, c'est un bilinguisme à
prédominance française pour le Québec. Mais vous savez
où se trouve le Québec, dans un continent nord-américain
dont il ne représente que 2 % de la population. Les autres 98 % ne se
sont pas cassé la tête, ils parlent anglais ou s'apprêtent
à le faire, et lorsque l'espagnol prend trop de place, on prend les
mesures nécessaires aux États-Unis pour le remettre à sa
place. Là-bas, comme disait Gaston Miron, il n'y a pas de scandale,
c'est normal, c'est une culture qui cherche à assurer sa
prédominance normale. Ici, on devient tout croche dans certains milieux
lorsqu'on parle de défendre les Québécois et leur
culture.
En 1985, sur 124 000 allophones montréalais, 113 000 parlaient
anglais à la maison. Cette année, 80 % des allophones, qui ont
fréquenté le secondaire en français, font leur
collégial en anglais. Cela, c'est dans une province où la loi 101
est encore, temporairement, une loi. Il n'est pas nécessaire
d'être devin pour prévoir l'effet que le bilinguisme à
prédominance française aura sur ces allphones. D'abord, le
bilinguisme va gruger très vite le mot "prédominance".
Quant à l'immigration, cet article dont vous êtes si fier,
et à juste titre, quand on le prend seul, il permet au Québec
d'intégrer les nouveaux arrivants à sa société,
mais à quelle société vont-ils être
intégrés? À une société bilingue à
prédominance française. Combien de temps pensez-vous que nous
aurons la force morale et politique pour obliger les immigrants à
fréquenter une école française dans une école
bilinque? On peut calculer cela en termes de mois ou d'années si on
veut, mais sûrement pas en termes de décennies.
Si le Québec, en apparence, est encore dans un état
d'épanouissement culturel réjouissant, il ne faut pas oublier que
la veille de tomber malade, un homme est toujours en bonne santé. En
Louisiane, lorsqu'on regarde l'histoire de cette communauté
française qui a été florissante, qui possédait
plusieurs quotidiens, qui possédait un opéra, qui
possédait une fouie de journaux, jusqu'en 1850, on assiste à une
augmentation de la qualité de la littérature, du nombre de livres
produits. De 1850 à 1870, il y a un plateau, cela se maintient. Ensuite,
en 1870, c'est la chute brutale dans le folklore. Quand les écrivains
disent que de graves dangers guettent le Québec, il faut peut-être
tendre l'oreille et les écouter attentivement, parce que c'est fort bien
ce qui peut se produire.
Je terminerai en disant qu'avec l'entente du lac Meech, le Parti
libéral est sur le point de constitutionnaliser son manque de courage
politique et, en quelque sorte, son infirmité.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Je dois vous
aviser que, du côté de l'Opposition, on m'a informé que le
temps supplémentaire pris par nos invités était
déduit de son enveloppe, d'une part...
Des voix: Ha! Ha! Ha!
Le Président (M. Filion): S'il vous plaît!
D'autre part, je voudrais donc aviser les porte-parole de l'Opposition
qu'il reste huit minutes.
Une voix: M. le Président.
Le Président (M. Filion): La parole est au chef de
l'Opposition, M. le leader adjoint.
M. Lefebvre: Question de règlement, M. le
Président. Est-ce que je pourrais savoir pour quelle raison, dans un
élan de générosité assez surprenant, le chef de
l'Opposition a consenti à ce que le temps qui, normalement, est
amputé sur notre enveloppe, soit pour cette fois-ci pris sur l'enveloppe
de l'Opposition? C'est nouveau, cela.
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint,
premièrement, ce n'est pas une question de règlement.
Deuxièmement, vous aurez compris que toute l'enveloppe du groupe
ministériel était épuisée...
M. Lefebvre: Oui, oui, je comprends.
Le Président (M. Filion): ...et que les porte-parole de
l'Opposition...
M. Lefebvre: Habituellement, on donnait notre consentement.
Est-ce qu'on continue?
Le Président (M. Filion): Donc, ce n'est pas une question
de règlement. La parole est au chef de l'Opposition.
Une voix: Connivence.
Une voix: ...pas de réponse, M. le Président?
M. Johnson (Anjou): M. le Président, je remarque qu'il y a
des non élus dans cette salle qui vous adressent la parole.
Une voix: Ce n'est pas grave. Une voix: De quel
côté sont-ils?
M. Johnson (Anjou): Ils sont là-bas,
derrière...
Une voix: Dans votre dos.
M. Johnson (Anjou): ...le député de
Notre-Dame-de-Grâce.
Une voix: Cela a l'air discret.
M. Johnson (Anjou): II faudrait peut-être l'aviser que pour
parler ici autour de cette table, il faut être un invité de la
commission.
M. le Président, le leader du gouvernement sait d'ailleurs que
lui-même et un certain nombre de ses collègues et mes
collègues doivent se rendre à Montréal, dans mon cas,
parce que j'ai une émission de télévision ce soir et que
nous tenterons de faire la plus qrande économie de temps possible. C'est
pour cela que je prendrai très peu de temps pour remercier nos
invités.
Je crois avoir entendu la raison, l'esprit et la vision. La raison, par
la maîtrise de la lanque dans la pratique de l'occupation, du
métier de celles et ceux qui sont devant nous; le coeur, par
l'attachement qu'ils ont pour cette culture et son développement et le
peuple dont elle est l'expression; et la vision, par l'intuition de la
très grande fraqilité de ce que nous sommes. D'ailleurs, à
cet égard, les dernières paroles de M. Beauchemin sur le fait
français en Louisiane au XIXe siècle sont assez significatives:
ce coin d'Amérique qui était florissant il y a à peine 100
ans pour la culture française a vite sombré dans la
folklorisation. Ce que nous disent ces écrivains, ces gens de parole, de
coeur et d'esprit, c'est qu'il faut savoir écouter ses intuitions
profondes à des moments importants.
Deuxièmement, ils et elles nous disent - je crois que c'est assez
clair là-dessus aussi - qu'on aura beau... Je prendrai peut-être
des éléments du vocabulaire de l'ami de Gaston Miron qui est
Gérald Godin: On aura beau s'épivarder autour d'une
définition plus ou moins claire de la société distincte
dans une simple clause d'interprétation, ce qu'ont compris ces gens qui
vivent de la langue et nous font vivre de la lanque comme
société, c'est que, quels que soient les mots qu'on mette
à côté des mots "société distincte", il n'en
demeure pas moins que ce que nous faisons, c'est de déposer le
Québec au grand complet sur les genoux de la Cour suprême. Et
même si vous obtenez encore cet amendement possible, sûrement en
train de se réaliser - je ne sais pas si le ministre est au courant -
entre les représentants du Conseil privé à Ottawa et des
gens du bureau du premier ministre du Québec, il n'en demeure pas moins
que, quel que soit le qualificatif que vous mettiez à la
société distincte, que vous y mettiez le mot "FRANÇAIS" en
lettres majuscules, les mots "LANGUE FRANÇAISE" en lettres majuscules,
si vous n'y mettez pas des pouvoirs, vous ne réqlez pas le fond des
choses. Comme quoi, je pense, qu'il n'est pas besoin d'être
constitutionnaliste et juriste pour comprendre l'essentiel dans ces choses si
fondamentales.
Je me contenterai, pour ma part, de remercier de la clarté de
leur mémoire, de la clarté de leur exposé, de
l'intérêt qu'a représenté chacune des interventions
l'ensemble de nos invités en leur disant que je souhaite
profondément qu'elles aient ébranlé un certain nombre des
personnes en face de moi. Je crois qu'elles en ont ébranlé un ou
deux, honnêtement. J'espère qu'il n'est pas trop tard pour le
Québec et pour notre avenir. Je vous remercie de votre
participation.
Le Président (M. Filion): Au nom de tous les membres de
cette commission, je voudrais, Mme Pelletier-Baillargeon, M. Yves Beauchemin,
M. Gaston Miron, M. André Ricard et M. Michel Guay, vous
remercier...
M. Rémillard: II y a deux participants qui n'ont pas
parié. Il faudrait peut-être leur offrir de...
Le Président (M. Filion): Je voudrais vous remercier de
vous être déplacés, de nous avoir soumis votre
exposé, votre mémoire, et aussi pour la franchise, ta
disponibilité de vos propos lors de cette période
d'échanges. Merci. J'inviterais...
M. Rémillard: Si vous me le permettez.
Le Président (M. Filion): Oui, M. le ministre.
M. Rémillard: II y a quand même, je crois, deux de
nos invités qui n'ont pas eu l'occasion de parler et, quand on vient
ici, je pense qu'il faut entendre tout le monde. Ce sont des gens qui se sont
déplacés. Est-ce qu'on peut leur offrir de parler? Je voudrais
bien qu'on puisse entendre les gens qui ont eu l'amabilité de venir nous
voir et de se déplacer.
Le Président (M. Filion): J'ai déjà
signalé, M. le ministre, que l'enveloppe de temps des
députés ministériels est terminé.
M. Rémillard: Non, non. Écoutez, ce n'est pas une
question de temps. Il me semble que ces gens-là se sont
déplacés. Je crois que vous arrivez de Montréal. De quel
endroit arrivez-vous? De Montréal?
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin. Donc...
M. Rémillard: II me semble qu'il faudrait vous donner au
moins le droit de parole.
Le Président (M. Filion): Je voudrais donc, encore une
fois, terminer les remerciements que je vous adressais. Nous avons des
invités, vos collègues, vos camarades, si l'on veut...
M. Lefebvre: Question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): ...de l'Union des artistes qui
attendent à l'arrière. Donc, je...
M. Lefebvre: M. le Président, question de
règlement.
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.
M. Lefebvre: M. le Président, sur l'information que vous
nous donnez, à savoir que l'enveloppe de temps de l'Opposition est
épuisée.
Le Président (M. Filion): L'enveloppe des
députés ministériels.
M. Lefebvre: La suggestion du ministre, c'est de permettre
à nos invités d'aider l'Opposition à épuiser sa
propre enveloppe de temps, M. le Président. C'est cela la suggestion du
ministre, M. le Président. On pourrait leur donner l'occasion de prendre
une minute et demie chacun car il resterait, selon les informations que j'ai
eues, trois minutes sur l'enveloppe de temps de l'Opposition. On pourrait
permettre aux deux invités qui n'ont pas été entendus
à tout le moins d'émettre très rapidement leur opinion sur
l'ensemble de l'entente du lac Meech.
M. Rémillard: Je soupçonne que ce sont deux
invités qui sont d'accord avec l'entente.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin, sur la question de règlement.
M. Rochefort: M. le Président, si, tel que vient de le
laisser entendre encore le manipulateur qui fait office de ministre, les deux
qui restent à parler étaient probablement ceux qui étaient
d'accord, je suis convaincu que ce sont les deux premiers à qui il
aurait adressé ses questions.
Le Président (M. Filion): J'inviterais donc
immédiatement les représentants de l'Union des artistes à
bien vouloir prendre place à la table des invités.
Nos travaux sont suspendus pour cinq minutes.
(Suspension de la séance à 16 h 29)
(Reprise de la séance à 16 h 38)
Le Président (M. Trudel): À l'ordre, s'il vous
plaît! La commission des institutions reprend ses travaux dans
l'exécution du mandat qui lui a été confié par
l'Assemblée nationale.
Nous allons maintenant entendre le dernier témoignage de la
journée, celui de l'Union des artistes, représentée par
Mme Élizabeth Chouvalidzé, que je salue, première
vice-présidente du conseil d'administration et par M. Marcel Hubert,
directeur général adjoint à la négociation.
Je crois comprendre, madame, que le président est en voyage
d'affaires en Europe.
Mme Chouvalidzé (Élizabeth): Oui,
effectivement.
Le Président (M. Trudel): Je pense que vous connaissez les
règles du jeu. Vous avez 20 minutes et chaque formation politique a
également une période de 20 minutes pour vous poser des questions
et causer avec vous.
Union des artistes
Mme Chouvalidzé: M. le Président de la commission,
M. le ministre, M. le chef de l'Opposition, MM. les députés du
gouvernement et de l'Opposition, mesdames et messieurs, nous vous remercions
d'avoir acccédé à notre demande d'être entendus par
la commission des institutions sur l'accord du lac Meech. Toutefois, vous le
savez, nous n'avons eu votre convocation que très tardivement. Nous
l'avons reçue officiellement aujourd'hui à midi. Nous serons donc
brefs, et nous vous prions également d'excuser l'absence de notre
président, M. Turgeon, qui est retenu à l'étranger par ses
fonctions de président de l'Union des artistes.
Je suis donc mandatée pour parler en son nom et au nom de tous
les membres de l'Union des artistes. Je me permettrai d'ajouter
également que nous sommes très heureux de nous retrouver au salon
rouge du parlement, cette fois en civil, parce qu'il y a moins d'un mois nous
avions été refoulés, si vous vous rappelez bien, mais,
à cette époque-là, bien sûr, nous étions en
vêtements de travail.
Le Président (M. Trudel): Je tiens à vous faire
remarquer que, l'an dernier, on vous a accueilli pendant six jours à
l'occasion de la commission sur le statut de l'artiste que j'avais l'honneur de
présider.
Mme Chouvalidzé: En effet.
Le Président (M. Trudel): Allez-yl
Mme Chouvalidzé: Nous n'avons pas l'intention non plus de
commenter en profondeur toutes les facettes compliquées de l'accord du
lac Meech. D'autres éminents juristes l'ont fait en long et en large et
le feront certainement beaucoup mieux que nous.
Voici sur quoi nous avons, nous, concentré notre intervention.
L'Union des artistes demande au gouvernement québécois de refuser
de signer un accord constitutionnel qui ne contient pas, au moins, la
reconnaissance de la langue française comme un des aspects fondamentaux
de la société québécoise en tant que
société distincte au sein de la Confédération
canadienne.
L'Union des artistes est bien consciente que ce critère ne
constitue pas, à lui seul, la définition d'une
société distincte, mais elle se concentre sur cet aspect parce
qu'elle est d'abord et avant tout une association d'artistes-interprètes
francophones è travers tout le pays, et qu'à ce titre, elle est
amplement justifiée de défendre cette position.
Selon l'Union des artistes, seule une reconnaissance formelle de la
langue française, comme une composante essentielle de la
société distincte que constitue le Québec, rendrait cet
accord acceptable.
Mais, s'il est vrai qu'avec, au moins, l'inclusion du critère de
la langue dans l'accord du lac Meech, nous pourrions être tentés
de dire oui à cet accord, il est sûr que son absence, à
elle seule, constitue une raison fondamentale pour rejeter cet accord et avec
la dernière vigueur.
L'Union des artistes s'interroge avec inquiétude sur les raisons
qui ont poussé les invités du lac Meech à offrir un
contenu d'une telle maigreur sur la définition de la
société distincte que constitue le Québec.
Car si on est prêt à la reconnaître comme
société distincte, c'est sans doute parce qu'on sait qu'elle
l'est. Si on sait qu'elle l'est, on aurait dû, a fortiori, savoir
pourquoi. Nous savons, nous, pourquoi. Nous savons pourquoi les nouveaux
pères du qrand compromis n'ont pas voulu le dire ou l'écrire
parce que le dire, pis encore, l'écrire, c'était à coup
sûr braquer tous ceux de l'autre langue de ce pays, donc, aller
s'emboutir sur un non retentissant des neuf autres et même des dix autres
invités du lac Meech.
Voilà pourquoi on s'est contenté de ne servir à ces
distingués invités que le hors-d'oeuvre et le dessert, oubliant
pieusement le plat principal, qu'on a été incapable encore,
après 120 ans, de digérer.
Il ne fallait surtout pas rappeler à ces nouveaux
défenseurs de la décentralisation lorsqu'il s'agit de mon propre
intérêt, qu'il sommeille en chacun d'eux un grand champion de la
défense de ce pays dès qu'il s'agit de savoir quelle place le
Québec, cette troisième équipe, doit occuper, sur cette
patinoire déjà bien assez encombrée par les
fiers-à-bras constitutionnels fédéraux et provinciaux de
la même langue, dans laquelle il est déjà assez
compliqué de se comprendre et, de s'entendre.
En reportant le tout devant les tribunaux, une bonne connaissance
historique du système juridique de ce pays vous dira vite que vous
pouvez être rassurés: Les éminents juqes sauront vite
réduire, à partir d'un texte aussi flou, la larqeur de la
société distincte à la dimension d'une peau de
chagrin.
D'ailleurs, d'autres avant moi, comme le professeur Côté il
y a quelques jours, vous ont bien dit à quel point les tribunaux ne sont
pas généreux lorsque vient le temps d'interpréter les
textes constitutionnels flous,
pour ne pas dire vides. Ce n'est là que constater encore une fois
la longue tradition hypocrite de la haute politique constitutionnelle de ce
pays, qui a toujours préféré une belle coquille vide avec
un petit air rassembleur, à un texte reflétant enfin la
réalité, mais qui, de ce fait même, cesse d'être
rassembleur puisque, justement, il nous distinguerait: Cette longue tradition,
qui a commencé avec l'Acte de l'Amérique du Nord britannique pour
aboutir à la constitution cul-de-sac de Pierre Trudeau, n'aura
été au fond que l'interminable constat de ce qui nous a toujours
séparés.
Voyez-vous, la langue, dans ce pays, c'est la clé: c'est par elle
qu'on éduque, qu'on communique, qu'on crée, qu'on
interprète, bref qu'on existe comme société.
Sommes-nous, nous artistes, assez bien placés pour le savoir.
Également, comme vous le disiez tout à l'heure, M. le chef de
l'Opposition, en parlant de la représentation des écrivains, gens
de parole, de coeur et d'esprit, nous, les artistes.
Une société sans sa langue ne disparaît
peut-être pas à coup sûr de la carte du monde: mais elle
devient à coup sûr autre chose. Dans cette Amérique, comme
on le disait tout à l'heure également, dans cette Amérique
telle qu'on la connaît, il n'est pas difficile de savoir ce que serait
cette autre chose.
Jamais l'Union des artistes ne pourra, au nom des membres qu'elle
représente et défend, donner son accord à un texte
constitutionnel, qui lierait le Québec au Canada pour des
générations, sans qu'il y ait, de façon claire et non
équivoque, la reconnaissance de la langue française dans un tel
texte. Parce que c'est par cette langue qu'on existe comme
société distincte, que c'est d'elle que découlent notre
culture, nos habitudes de vie, notre identité, notre façon de
penser, notre façon d'être aujourd'hui, dans le passé, et
ce que nous voulons être. Sans elle, nous signons une constitution dans
laquelle nous n'existons déjà pas juridiquement. Ce qui est la
meilleure façon dans les années à venir de ne plus exister
socialement. Elle nous fera une belle société distincte: nous
aurons en effet la très grande distinction de disparaître. La
démographie ne nous aidait déjà pas beaucoup à
vouloir continuer d'être. La signature d'un texte dans le sens
proposé au lac Meech signifierait que nous ne voulons même plus
continuer d'être.
Et nous aurons légué à nos enfants et
petits-enfants la tâche colossale d'aller quémander auprès
des tribunaux la seule clause qui aurait eu du sens dans tout ce débat,
en fait la seule clause qui aurait donné à ce texte un
début de substance.
Enfin, nous croyons qu'il est temps de sortir le présent
débat constitutionnel du contexte disgracieux de marchandage de bouts de
tapis, suivi de mini-consultations. Tous les pays dignes de ce nom,
méritant ce nom nous ont montré, à travers l'histoire, que
lorsqu'il s'agit de consacrer dans un texte officiel les règles du jeu
d'une société tout entière - ce qu'on appelle un contrat
social - il n'y a pas de meilleure façon de le faire que par un
référendum.
Même la présidente Corazon Aquino, qui ne dirige pas le
pays le plus facile, convenons-en, aura eu, elle, ce courage politique, tout
récemment.
En" résumé, si on veut amener tout le Québec
à adhérer au texte constitutionnel de ce pays, nous croyons, nous
de l'Union des artistes, qu'il faut donc deux choses: d'abord,
reconnaître la langue française, ensuite, soumettre le tout
à la population du Québec par référendum. Cette
démarche proposée a un nom. Elle s'appelle le processus
démocratique.
En résumé, mesdames et messieurs, nous ne sommes pas ici,
nous ne prétendons pas avoir les connaissances techniques requises pour
le faire, pour aborder un débat juridique sur l'accord constitutionnel
du lac Meech, d'autant plus que la personne qui est ici devant vous, comme mes
camarades, d'ailleurs, n'a pas d'existence juridique reconnue.
D'ailleurs, pour votre information, la Loi sur les syndicats
professionnels, en vertu de laquelle nous existons, nous, l'Union des artistes,
est justement une loi tellement floue et imprécise, par opposition au
Code du travail qui régit les autres associations... C'est ce qui nous a
valu d'ailleurs 50 ans et plus de luttes juridiques au terme desquelles nous ne
savons toujours pas ce que nous sommes même si nous constituons une
association distincte. Merci beaucoup de nous avoir entendus.
Le Président (M. Trudel): Merci, Mme la présidente.
M. le ministre, en vous rappelant qu'il reste pour chaque formation politique
25 minutes. M. le ministre. Madame, est-ce que vous avez copie de votre texte
qu'on pourrait distribuer aux membres de la commission? Je vous remercie, j'en
accepte le dépôt. Vous aviez quelque chose à ajouter?
Mme Chouvalidzé: Oui. Je voudrais ajouter que nous ne
voudrions pas nous engager dans un long débat questions-réponses.
Nous savons que le temps manque et qu'il y a beaucoup d'autres associations
peut-être ou d'autres personnes qui voudraient s'exprimer et qui n'ont
pas pu le faire malheureusement. Comme je vous l'ai dit, nous n'avons su
qu'officiellement à midi, aujourd'hui, que nous étions... J'en
remercie encore une fois M. le chef de l'Opposition d'avoir insisté pour
avoir notre présence. J'aimerais tout simplement vous remercier
d'avoir accepté de nous entendre.
Le Président (M. Trudél): Madame, si vous me le
permettez, j'accepte le fait que vous nous disiez que vous avez reçu le
télégramme simplement à midi. Ce que j'ai devant moi,
c'est une copie d'un télégramme qui vous a été
adressé il y a deux jours. Il faudrait peut-être voir où
cela s'est perdu entre-temps. Je suis tout à fait étonné
de constater que... C'est malheureux et pour vous et pour la commission qui,
semble-t-il, n'aura pas le plaisir de dialoguer avec vous. Vous nous dites
n'avoir reçu le télégramme qu'à midi.
Mme Chouvalidzé: Est-ce que nous avons le temps... Ahi Si
ce n'est pas très long?
M. Rémillard: Merci, madame et monsieur, de vous
être déplacés. Peut-être avant de vous poser une
question, d'intervenir, je devrais demander... On n'a pas eu le plaisir
d'entendre monsieur. Peut-être qu'il voudrait se faire entendre. Allez-y,
je sais que vous vous êtes déplacé et que vous êtes
ici. J'aimerais vous entendre, c'est bien sûr...
M. Hubert (Marcel): Mme Chouvalidzé a résumé
la position de l'Union des artistes, je vous remercie.
M. Rémillard: Je vous en prie. J'ai pris bonne note de
votre message, madame, monsieur, au nom des artistes. Je crois que vous parlez
au nom des artistes du Québec.
Mme Chouvalidzé: De l'Union des artistes, M.
Rémillard.
M. Rémillard: Donc, vous parlez au nom de l'union comme
telle. Vous vous êtes préoccupés, bien sûr, en
premier lieu, et je vous comprends, de cette société distincte
qu'est le Québec et qui sera maintenant reconnue dans la constitution,
non pas dans un préambule comme valeur d'interprétation
facultative, mais dans un article de la constitution, dans un article qui sera
obligatoire pour les tribunaux. Et cet article, d'une part, va établir,
pour la première fois, que le Québec est une
société distincte. Ce mot "société" reflète
très bien que, le Québec, c'est plus que des hommes et des femmes
qui vivent ensemble par un objectif commun, ou une langue ou une culture. C'est
fondamentalement cela, mais c'est plus que cela. Ce sont des institutions,
c'est une organisation sociale politique économique, c'est pour cela
qu'on utilise le mot "société".
Cette société distincte, qui sera maintenant dans la
constitution et qui fera en sorte que l'Assemblée nationale et le
gouvernement du Québec auront le rôle de promouvoir, de
protéqer, cette société distincte... Je voudrais, tout
d'abord, bien préciser une chose. De par tous les témoignages que
nous avons entendus, peut-être à quelques exceptions près,
de la très grande majorité des experts juridiques que nous avons
entendus, il appert que cette nouvelle disposition constitutionnelle sera un
outil des plus intéressants pour la défense de la langue
française, au départ. Il faut mettre de côté les
épouvantails à moineau, si vous me permettez l'expression,
madame. Le Québec a juridiction sur sa langue. Il y a l'exception de
l'article 133 pour le bilinguisme à l'Assemblée nationale, au
Parlement canadien et devant les tribunaux. Il y a aussi cette exception de
l'article 23 concernant le critère de la langue, ce qu'on appelle la
clause Canada, qui permet aux enfants, dont les parents ont suivi leur
instruction au primaire en anglais dans une autre province canadienne,
d'être inscrits à l'école anglaise ici, au Québec.
Mais, c'est un critère quand même restrictif parce que même
un immigrant qui arrive d'Angleterre et qui s'en vient au Québec n'a pas
le droit d'inscrire ses enfants dans une école de langue anglaise.
Alors, c'est quand même restrictif. Alors qu'un immigrant français
de France, qui émigre au Manitoba, aura le droit, lui, d'inscrire ses
enfants dans une école française. C'est une disposition
spécifique pour le Québec. La clause Canada est plus restreinte
pour le Québec qu'elle ne l'est pour les autres provinces.
Caractère distinct que l'on reconnaît maintenant
expressément dans la constitution. Mais cette langue française
que nous avons tous à coeur est, dans la constitution même, une
compétence du Québec et c'est au Québec à pouvoir
prendre les mesures nécessaires pour la promouvoir. Prenons l'exemple de
la question de l'affichage qui est devant la Cour suprême. Je ne veux pas
m'immiscer dans le débat au fond, c'est devant les tribunaux et je ne
m'immisce pas dans les travaux des tribunaux. Cependant, nous savons
très bien que, même si la Cour suprême en arrivait à
la conclusion qu'il faut qu'il y ait au moins deux langues sur l'affichaqe et
que si l'Assemblée nationale voulait que ce soit unilingue, on n'aurait
qu'à utiliser ce que l'on appelle la clause "nonobstant",
c'est-à-dire que l'on met dans notre Loi sur l'affichage que ce n'est
que la langue française nonobstant la Charte des droits et
libertés.
Ce que je veux dire par là, madame, c'est qu'au départ, on
doit comprendre que la langue française sera mieux
protégée parce que nous avons eu le lac Meech et les
conséquences sont directes, extrêmement intéressantes.
Parce que pour la première fois, non seulement on reconnaît le
Québec comme société distincte, mais on lui
reconnaît le rôle et un rôle, madame, cela
signifie un engagement, On reconnaît l'engagement, le rôle
du gouvernement et de l'Assemblée nationale de promouvoir le
Québec comme société distincte et cela signifie ses
institutions, comme je le disais tout à l'heure, fondamentalement et
essentiellement sa langue, sa culture française; cela signifie toute
contestation juridique concernant la langue française, en application de
la charte, que ce soit la charte canadienne des droits ou la charte
québécoise aussi des droits et libertés de la personne.
Mais dans le cas qui nous occupe, dans le cas de l'interprétation qui
met en cause la langue française, on pourra dorénavant dire
devant le tribunal: II existe maintenant, messieurs les juges, une
responsabilité, un rôle du gouvernement et de l'Assemblée
nationale de protéger et de promouvoir la langue française qui
est le fondement de la spécificité québécoise. Cet
argument sera enchâssé dans la constitution par cette entente du
lac Meech. Cet argument, madame, sera pour la première fois, avec la
garantie constitutionnelle, dans notre système juridique. Cet argument
pourra avoir un poids de très grande importance dans le futur de cette
société distincte qu'est la nôtre en fonction de la langue
que nous aimons, qui est nôtre et qui nous tient tant à coeur.
Cette société distincte, nous voulons qu'elle soit la plus large
possible dans ses composantes, fondée sur une langue, fondée sur
une culture française, mais aussi fondée sur un ensemble
d'institutions, que ce soit notre Code civil, que ce soit notre système
juridique, que ce soit notre système de santé. Ce sont des
éléments qui nous appartiennent, ce sont des
éléments qui sont à nous, Québécois,
Québécoises, qui sommes distincts, qui allons être reconnus
comme distincts maintenant dans la constitution canadienne.
Voilà, madame, la remarque que je voulais faire concernant cette
préoccupation légitime que vous avez, mais c'est le plus
sincèrement possible que je veux vous le dire. Je vous le dis, bien
sûr, je suis un politicien, mais je voudrais quand même vous le
dire du fond du coeur, le plus sincèrement possibles cette entente,
madame, sera historique, parce qu'elle donne un outil que jamais le
gouvernement ou l'Assemblée nationale n'a eu pour défendre la
langue française.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le ministre. Madame,
peut-être avez-vous des commentaires, un échange de vues avec le
ministre? (17 heures)
Mme Chouvalidzé: M. Rémillard, je veux bien croire
que vous croyez sincèrement que cette entente sera historique, comme
vous le dites, mais en ce qui me concerne, ce que nous aimerions qui soit
historique, c'est qu'il soit écrit une fois pour toutes dans l'histoire
de ce pays que la langue du Québec est la langue française et que
si la société du Québec est distincte, c'est parce qu'elle
parle français, un point, c'est tout.
M. Rémillard: C'est cela, madame.
Mme Chouvalidzé; Pourquoi ne pas l'écrire?
Le Président (M. Trudel); Merci, madame. Je reconnais
maintenant le député de Gouin.
M. Rochefort: Merci, M. le Président. Je veux saluer nos
invités et les remercier pour leur participation et la
présentation qu'ils ont faite. On me permettra, dans un premier temps,
d'excuser le chef de l'Opposition qui a dû quitter, comme il en avait
informé les représentants de l'Union des artistes, compte tenu
des horaires qui exigent sa présence à Montréal pour la
télédiffusion de l'émission "Droit de parole",
émission à laquelle, m'a-t-on dit, le ministre a choisi de ne pas
être présent. Je veux vous dire que le chef de l'Opposition a
écouté avec beaucoup d'attention votre présentation, qu'il
en a pris bonne note et qu'il en tiendra sûrement compte dans la
poursuite du débat entourant cette entente du lac Meech.
Deuxièmement, je voudrais souligner une remarque - il y en a
beaucoup, mais une, entre autres, a attiré mon attention -qui est cette
façon qui semble vouloir être retenue, ici au Québec, pour
conclure un accord constitutionnel qui diffère fondamentalement des
façons qu'on retrouve dans les autres pays où un chanqement
constitutionnel implique effectivement un processus très largement
ouvert, un processus qui fait appel à beaucoup de consultation et
ultimement, presque en tout temps, à une participation de l'ensemble des
citoyens et citoyennes du pays concerné puisque effectivement, il y a
très peu de pays dans le monde où on effectue des changements
à la constitution du pays sans permettre à chaque citoyen et
chaque citoyenne de participer aux décisions entourant ce changement
constitutionnel.
Cette remarque est très pertinente, d'autant plus que, dans le
cas qui nous occupe, semble-t-il que le gouvernement actuel n'a pas choisi
cette procédure, mais bien au contraire, il semble qu'il ait choisi la
procédure totalement inverse, celle de l'improvisation, celle de la
précipitation. Cette procédure où, finalement, le huis
clos et le bâclage de l'entente constitueront le cheminement
gouvernemental de l'adhésion du Québec à cette
constitution.
M. le Président, nous aurions souhaité -nous l'avons dit
à de multiples reprises - que
le gouvernement n'agisse pas en toute hâte dans ce dossier.
L'avenir d'un peuple, c'est trop important pour agir avec hâte. Au
minimum, il aurait été nécessaire qu'une vaste
consultation soit tenue et qu'on permette, comme dans tous les autres dossiers
importants de notre société, à tous ceux et toutes celles
qui veulent se faire entendre d'être entendus, et surtout pas à la
suite d'une convocation à quelques heures d'avis. Je vous remercie de
cet élément de votre mémoire.
D'autre part, quant au coeur de votre présentation, quant
à la précision absolument fondamentale et essentielle que vous
souhaitez de cette société distincte eu égard à
notre langue, je dirai qu'encore une fois, le ministre nous a servi ses beaux
discours, ses belles promesses, ses belles assurances que oui, oui, oui, tout
ce qui est là nous permettrait d'intégrer tout ce que les gens
nous demandent, et particulièrement l'Union des artistes quant au fait
qu'on reconnaisse la langue de la majorité des Québécois
et des Québécoises, c'est-à-dire la place du
français.
M. le Président, c'est évidemment la pratique à
laquelle on est habitué de la part du ministre et de la part de ses
collègues du gouvernement depuis un an et demi. Chaque fois qu'un projet
de loi est déposé, il y a deux choses qui existent: le discours,
la présentation, l'interprétation et le sens que nous en donne le
ministre parrain du projet de loi et, deuxièmement, le texte juridique.
C'est de pratique courante, depuis un an et demi, que les deux ne concordent
pas, plus souvent qu'autrement.
Dans le cas qui nous occupe, tout d'abord, on ne peut pas
vérifier si le texte juridique concorde avec le discours que nous tient
le ministre. Il semble qu'il n'existe pas, en tout cas, qu'il ne soit pas
encore rendu au bureau du ministre. On imagine que le Conseil privé
à Ottawa, qui a une longue pratique en ces matières, est en train
de faire le travail que le ministre devrait prendre la responsabilité de
faire, mais non seulement ce discours que nous tient le ministre, on ne peut
pas vérifier s'il est conforme au texte juridique puisqu'il semble que,
jusqu'à maintenant, il n'existe aucun texte juridique sur lequel le
ministre pourrait se baser pour tenir des discours, donner un sens, faire des
interprétations, mais ne concorde absolument pas avec le texte du
communiqué de presse de l'entente du lac Meech et encore moins avec la
pratique de son gouvernement en matière linguistique depuis 18 mois.
On sait qu'on pourrait peut-être, si l'expérience nous
avait permis de croire à la sincérité, à la
profondeur des engagements du ministre en matière linguistique,
être porté à croire ses engagements, ses assurances, aux
garanties verbables qu'il veut nous donner, mais on sait qu'il est difficile de
croire des gens qui nous garantissent qu'à l'avenir la langue sera bien
protégée par un texte qui est vide, quand on sait qu'en 18 mois
ils ont présidé, organisé et fait en sorte que notre
langue soit affaiblie au point que Montréal est devenue
littéralement une ville bilingue et que, si on laissait progresser la
situation encore quelques années, on risquerait de s'acheminer sur le
chemin de l'anglicisation finale du Québec. En ce sens, nous ne pouvons
avoir confiance, pas plus cette fois-ci qu'à toutes les occasions
où le ministre a repris ce discours, que ce texte juridique qu'on verra
peut-être un jour sera suffisant pour garantir ce que l'Union des
artistes demande et ce que bon nombre d'autres groupes ont demandé
à cette commission.
Pour nous, il est clair que ce texte constitutionnel ne sera
satisfaisant que dans la mesure où les modifications qui y seront
apportées ne seront pas des modifications de forme ou des modifications
d'ajout d'une épithète ou deux, mais que seul un texte clair, un
texte fort, un texte solide dans lequel, à sa face même et pour
l'ensemble des experts et des constitutionnalistes, on pourra retrouver une
garantie que la lanque française pourra être bien
protégée sans intrusion de qui que ce soit dans sa protection,
dans sa promotion et dans son développement. Seul un texte qui
comprendra de telles garanties sera un texte satisfaisant à nos yeux. Je
prends à témoin l'ensemble des experts, des constitutionnalistes,
des juristes qui se sont présentés devant nous jusqu'à
maintenant. Finalement, aucun d'entre eux, absolument aucun, n'a pu nous dire
qu'à sa connaissance, en toute sincérité, en toute bonne
foi, il pouvait nous garantir sans aucun doute que le texte qui était
devant nous ne constituait, en aucune façon, un danger possible. Tous
les experts, tous les constitutionnalistes, tous les juristes qui se sont
présentés devant nous ont été obligés de
nous dire: Écoutez, je pense qu'on devrait -au mieux - dois-je
préciser, ils nous ont dit "au mieux" - je pense que cela devrait
être assez, j'imagine qu'on peut faire confiance, qu'on peut imaginer
qu'il ne devrait pas y avoir d'accroc, que, normalement, cela devrait aller.
Cela, c'est au mieux, M. le Président, on a eu droit à des "on le
souhaite" et "on pense bien que cela devrait bien aller". Dans le cas de bon
nombre d'autres - d'ailleurs, c'est une position qui fait consensus à
cette commission - c'est qu'effectivement, le texte qui est devant nous ne nous
donne pas ces garanties absolument essentielles pour le peuple du
Québec. En ce sens, je pense que ce qu'on doit retenir des
témoignaqes des experts, des juristes, des constitutionnalistes, c'est
que nous, comme hommes et comme femmes politiques, comme élus
représentant et
défendant les intérêts du peuple
québécois, on n'a pas le droit de prendre une chance. Quand on
nous dit qu'on pense que cela va aller, qu'il semble qu'il n'y aura pas de
problèmes, qu'on a l'impression que les interprétations devraient
probablement aller dans notre sens, pour nous, cela s'appelle prendre une
chance,
Et on ne prend pas de chance avec l'avenir d'un peuple.
En conclusion, je dois dire au ministre délégué aux
Affaires intergouvemementales canadiennes qui nous répète
à chaque invité que cette entente est historique que, pour nous,
ce qu'il y a d'historique dans cette entente, c'est que le Québec a
demandé moins qu'il n'avait jamais demandé dans ses
négociations constitutionnelles. Ce qui est historique, c'est que non
seulement il a demandé moins que tous les gouvernements qui l'ont
précédé, y compris les gouvernements libéraux, mais
qu'il a obtenu même moins que ce qu'il demandait. Et ça, M. le
Président, c'est, pour nous, la dimension la plus historique - pour
reprendre l'expression du ministre - de l'entente qu'il a conclue.
Je termine, M. le Président, en remerciant une dernière
fois l'Union des artistes de sa participation, de sa contribution,
J'espère que ce groupe, comme tous ceux qui se sont exprimés
comme lui jusqu'à maintenant, sera entendu un tant soit peu de la part
du ministre et du premier ministre, pour qu'en temps utile, d'ici le 2 juin,
ils prennent conscience que cette entente constitue un danger pour l'avenir du
Québec. Merci.
Le Président (M. Trudel): Madame, est-ce que vous avez des
commentaires à faire?
Mme Chouvalidzé: En conclusion simplement. Je pense que le
Québec a, à cette occasion, un rendez-vous non pas historique,
mais un rendez-vous avec sa propre histoire et qu'il ne faudrait pas qu'il le
rate. Merci, M. le Président.
M. Rémiilard: M. le Président.
Le Président (M. Trudel): M. le ministre.
M. Rémiilard: Ce que vient de dire madame, c'est
très beau et c'est très vrai. C'est très beau et c'est
très vrai ce que vous dites. Un rendez-vous avec son histoire. Un
rendez-vous avec ce que nous sommes. Un rendez-vous avec notre culture, notre
langue. Un rendez-vous avec ce qui fait que nous sommes des
Québécois et des Québécoises fiers de l'être.
Madame, c'est à ce rendez-vous qu'on est convié par cette
entente.
J'entendais le député de Gouin qui a été
beaucoup plus nuancé, je dois dire. Après sept jours de
commission parlementaire, le député est beaucoup plus
nuancé cet après-midi et je vois que sept jours de commission
parlementaire ont porté profit. Il est plus nuancé et,
maintenant, il comprend qu'on pourrait peut-être apporter quelques
modifications, mais il accepte le principe. Il nous dit: Mais, finalement, vous
avez obtenu moins que ce que vous demandiez. Si on regarde ce qu'on demandait,
c'est très clair. C'était dans notre programme électoral.
Cela signifiait, dans un premier temps, qu'on demandait que le Québec
soit reconnu comme société distincte dans le préambule de
la constitution. On a demandé que ce soit dans un article en particulier
et ce, pour que ce soit un article obligatoire, pour que les tribunaux soient
obligés de recourir à cette règle d'interprétation.
On avait en tête, bien sûr, la langue française, tous les
éléments de notre culture et aussi nos institutions. C'est ce que
nous avons obtenu.
On demandait une participation à la nomination de trois juges sur
neuf que nous avons à la Cour suprême. Nous avons obtenu - parce
que nous l'avons discuté, négocié -que ce soit une liste
faite par le Québec et que ce soit à partir de cette liste que le
gouvernement fédéral choisisse les juqes.
On demandait dans notre programme électoral que ce soit l'entente
Cullen-Couture qui soit reconnue dans la constitution. On a
négocié, on a discuté pour beaucoup plus. Je voudrais
attirer votre attention, parce que je sais que c'est un sujet qui va vous
intéresser aussi. Ce matin, dans Le Devoir, on titrait que le
Québec est la seule province où le taux de natalité a
diminué et continue à diminuer. Nous avons le taux de
natalité le plus bas au Canada avec 1,4, et non seulement au Canada,
mais dans le monde industrialisé, après l'Allemagne de l'Ouest.
Lorsqu'on prend en considération le fait qu'il faut 2,1 ou 2,? pour
pouvoir maintenir simplement sa population, pour nous, c'est un
problème, un gros problème. Nous avons donc besoin de nos
immigrants et c'est dans ce contexte, madame, que nous avons
négocié et que nous avons obtenu dans cette entente du lac Meech
de pouvoir sélectionner nos immigrants, ceux qui sont à
l'extérieur du Canada qui nous demandent à immigrer au
Québec comme ceux qui sont déjà sur place avec des permis
de séjour ou dans le cadre de programmes d'échanges, et cela
comprend 50 % de nos immigrants. On n'avait pas cette
compétence-là avant. (17 h 15)
Surtout, je voudrais attirer votre attention sur un aspect important qui
va vous intéresser. Nous avons maintenant, par cette entente du lac
Meech, la juridiction pour établir les programmes nécessaires
pour intégrer ces immigrants. Vous savez, madame, plus de 50 % de nos
immigrants
nous quittent pour une autre province et là, il faut leur donner
le goût de demeurer avec nous. Il faut les intégrer à
nôtre société et ça, madame, ça signifie des
cours de langue. Nous allons leur donner des cours de français, des
cours de formation. Cela veut dire que nous allons récupérer
l'argent nécessaire, parce que c'est le fédéral qui
s'occupait de ces domaines. Nous allons récupérer environ une
trentaine de millions de dollars.
Dans tous les domaines de l'entente du lac Meech, par rapport aux cinq
points, nous avons obtenu plus que ce que nous avions dans notre programme
électoral parce qu'on a négocié en fonction. Québec
obtient plus qu'il n'a jamais obtenu dans une négociation
constitutionnelle. Depuis la création de ce pays en 1867, jamais le
Québec n'a obtenu autant dans une réforme constitutionnelle et
en, ce sens, c'est un moment historique.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le ministre.
M. le député de Gouin, je pense que vous voulez
intervenir?
M. Rochefort: Vous avez compris, M. le Président. Dans un
premier temps, je dirai que, pour une fois, le ministre nous donne une belle
illustration de l'interprétation qu'il fait des propos des autres et je
dirai que ce qui est inquiétant, c'est que, s'il interprète avec
autant de souplesse, de flexibilité, de sens élastique, mes
propos, je suis passablement inquiet de ce qu'il fera des positions qu'ont
exprimées tous ceux et toutes celles qui se sont présentés
à cette table depuis le début de la commission.
J'aurais au minimum espéré, même si c'est la
précipitation, même si c'est l'improvisation, même si c'est
une consultation bâclée, menée à toute vitesse, par
choix du ministre et du premier ministre, que ce qui se serait dit ici aurait
au moins été entendu pour le contenu des positions, non pas
déformé par le ministre dans l'interprétation qu'il en
donne.
Je dirai aussi que, s'il interprète ces textes constitutionnels
comme il interprète nos propos et les points de vue des gens qui se
présentent devant nous, c'est déjà trop pour poursuivre
l'exercice de négociation même des textes juridiques et là,
ça me permettrait peut-être de comprendre que vous avez
peut-être raison de ne pas trop vous intéresser aux textes
juridiques, parce qu'on devrait arrêter tout ça là.
Essayer de me faire dire que ce que j'ai demandé, ce sont
quelques petites précisions au plan linguistique et là, on
pourrait se satisfaire de ça, dans les propos que j'ai tenus
tantôt, c'est vraiment déformer non pas le sens, mais les propos
mêmes que j'ai tenus.
M. le Président, je dirai que ça s'appelle tenter de
manipuler l'opinion publique que de faire une telle manoeuvre. Je reconnais que
c'est fort répandu dans son gouvernement. Si j'ai abordé la
question linguistique comme la question des consultations de l'association de
la population qui devrait présider à l'élaboration d'une
constitution, c'est parce que ce sont les deux thèmes majeurs qu'on
retrouve dans le mémoire de nos invités.
Je maintiens que, sur les questions linguistiques, ce ne sont pas un ou
deux mots qualificatifs qu'on apporterait comme amendements au
communiqué de presse ou quelques mots de correction de forme à ce
texte du communiqué de presse qui rendront cet accord satisfaisant
simplement au plan linguistique. Je le répète, ce que doit
contenir au plan linguistique cet accord, ce sont des textes clairs, complets,
solides, forts, qui ne pourront en aucune façon porter à
interprétation, qui ne nécessiteront pas huit dictionnaires ni
non plus des interventions de la Cour suprême à tous les matins
pour voir ce qu'on a pu vouloir dire et ce que cela pouvait vouloir laisser
entendre. Que le ministre n'essaie pas de nous indiquer qu'il s'achemine vers
deux ou trois petits amendements de forme et que cela devrait correspondre
à ce qu'on demande. Ce n'est pas ce qu'on demande, ce n'est pas ce que
le groupe devant nous demande et ce n'est pas ce que la majorité des
groupes qui se sont présentés devant nous demande.
De grâce, M. le ministre, un peu de rigueur. De deux choses l'une:
ou vous voulez aller dans le sens de ce qui est demandé et par
l'Opposition et par les qroupes qui se sont présentés, ce serait
tout à votre honneur, faites-le, ou, si vous avez choisi de ne pas le
faire, au minimum, assumez seul les décisions que vous prendrez.
N'essayez pas de les mettre dans la bouche des autres. Soyez au moins assez
courageux pour assumer seul les décisions que vous aurez choisi de
prendre seul.
Je dirai, M. le Président, que si le ministre veut qu'on aborde
d'autres dimensions, on peut se référer à toute cette
question majeure qui est le pouvoir de dépenser. On peut peut-être
référer le ministre à un homme qu'il doit bien
connaître, M. Romanow, qui disait dans Le Devoir, et je cite, M.
le Président, sur le pouvoir de dépenser puisque le ministre
semble penser que tout à coup on va se limiter aux questions
linguistiques. M. Romanow, qui est bien connu pour son expertise en
matière de négociation constitutionnelle, nous disait, et je cite
le mot à mot de ses paroles qui sont rapportées dans La Presse de
ce matin. Il nous dit: Eu égard aux dispositions contenues dans le
communiqué de presse sur le pouvoir de dépenser, que ces mots
sont lourds d'une
variété de sens. II nous dit un peu plus loin que cela va
nécessiter que la Cour suprême intervienne à tout bout de
champ et je le cite à nouveau: "que ce n'est pas la meilleure
institution pour trancher cette importante question." Et il poursuit sur le
pouvoir de dépenser, et je cite à nouveau: "II y a des
contradictions évidentes, dit-il, entre les commentaires de M.
Rémillard et ceux du premier ministre Mulroney, a observé M.
Romanow". Et il conclut, je cite encore le textes "On doit attendre le texte
juridique, a-t-il soutenu" et j'ajoute: lui aussi, au pluriel.
Et il conclut, M. le Président, et je le cite à nouveau:
"Pour la constitution, c'est plus difficile parce qu'on ne peut l'amender comme
une loi, ça doit être bon du premier jet." J'invite le ministre,
M. le Président, à peut-être se pencher sur ces
réflexions d'un expert dans le domaine et de nous assurer qu'il prendra
le temps qu'il faut pour que ce soit bon du premier jet. On ne peut plus
souhaiter cela pour le premier jet de l'entente parce que le premier jet, on
sait ce qu'il vaut. Mais souhaitons qu'au moins les textes juridiques, eux,
seront bons du premier jet., Cela impliquera des modifications majeures, des
modifications importantes, des modifications qui auront un sens profond, un
sens large quant à l'ensemble des dispositions qui causent des
problèmes en ce moment et qui sont contestées par bon nombre
d'intervenants.
Je conclurai, M. le Président, en disant que quand la
représentante de l'Union des artistes nous dit que le Québec a
rendez-vous avec son histoire, je dirai au ministre qui nous dit: Oh! C'est
beau et c'est vrai; que d'abord, il faut bien la connaître, cette
histoire, - bien la comprendre et s'assurer qu'on la reflétera bien. En
ce sens, il n'y a pas d'urgence quant au rendez-vous que nous avons avec notre
propre histoire parce qu'on n'aura pas plusieurs rendez-vous avec notre propre
histoire. Il semble qu'on n'en aura qu'un seul. Pour nous, vaut mieux prendre
le temps de bien organiser, de bien réaliser et surtout de bien
réussir ce rendez-vous avec notre histoire plutôt que d'y aller,
comme le font Factuel ministre, le premier ministre et l'ensemble du
gouvernement, dans la précipitation, l'improvisation et dans le cadre
d'une entente qui, jusqu'à maintenant, est une entente
bâclée et absolument insatisfaisante pour les
intérêts du Québec. Merci.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Gouin. M. le député de Frontenac.
M. Lefebvre: M. le Président, lorsque le
député de Gouin nous met en garde à savoir qu'il ne faut
pas prendre de chance, c'est vrai qu'il ne faut pas prendre de chance. Il ne
faut pas manquer l'occasion, madame, de réparer l'erreur historique de
nos prédécesseurs qui, en 1982, ont abandonné ce qui nous
était acquis, à savoir un droit de veto. C'est un membre de
l'ancien gouvernement, M. Claude Morin, qui hier soir ou avant-hier nous
disait: Là-dessus, vous faites un gain majeur, soit de
récupérer ce qu'on a perdu en 1982 le droit de veto. On a,
madame, la possibilité de faire des gains majeurs pour l'ensemble des
Québécois. Ce n'est pas vrai que la stratégie du
gouvernement est bêclée. Ce n'est pas vrai, comme le soulignait le
député de Gouin, que la population du Québec n'aura pas
été entendue à l'occasion de cette commission, madame. On
aura l'occasion d'en reparler dans les prochaines semaines, lors des
débats, je l'espère, à l'Assemblée nationale et
aussi lors de la séance de travail où on pourra démontrer
qu'à cette commission-ci, il y aura eu plus de temps, plus
d'intervenants qui auront été entendus, autant au niveau des
experts que pour l'ensemble du grand public et des leaders d'opinions du grand
public au Québec.
Je vous inviterais, Mme Chouvalidzé, à
réfléchir sur l'opinion de qens comme Guy Tremblay, professeur de
droit reconnu et en même temps membre de l'Union des écrivains,
homme qui se décrit et est déjà connu comme étant
parfaitement apolitique. Je vous inviterais, également, à
réfléchir sur l'opinion du constitutionnaliste, Me Yves Fortier,
qui, ce matin, nous a dit: Allez-y, c'est bien ce que vous faites pour le
Québec. Je vous inviterais également, si vous en aviez la
possibilité, à mettre la main sur le texte de l'intervention de
Me Gérald Beaudoin que vous connaissez sûrement. Aussi, à
relire les propos de Mme Chaput-Rolland. Ce n'est pas vrai que tous ces gens
nous appuient et croient que nous sommes en train de vendre le Québec
pour un plat de lentilles. On a eu droit à des opinions objectives, on a
eu droit à des opinions émotives qui partaient des tripes et les
deux nous disent: C'est bien ce que vous faites. Ce n'est pas parfait, mais
c'est bien. Ne prenez pas la chance de laisser passer le train cette fois-ci.
Vous avez la possibilité de réparer l'erreur d'un parti qui se
disait à l'époque souverainiste, mais qui ne l'est
peut-être plus.
Madame, quant à moi, j'ai apprécié ce que j'ai
entendu de vous. C'est sincère et profond. Vous croyez
profondément à tout ce que vous nous avez dit. À ce
chapitre, vous êtes peut-être plus authentique que nos voisins d'en
face. Merci, madame.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le
député de Frontenac. Est-ce que M. le député de
Gouin a des choses? Il vous reste sept minutes.
M. Rochefort: Je n'ai pas l'intention d'utiliser tout mon temps
pour le plaisir de
la chose. Simplement, tant que j'entendrai des choses qui sortent de et
qui déforment la réalité, il est bien évident que
je n'ai pas l'intention de cautionner de tels propos ici. M. le
Président, le député de Frontenac nous dit: La population
aura été entendue. Dois-je lui rappeler, comme le faisait si bien
la représentante de l'Union des artistes, que
généralement, quand un pays modifie ou se dote d'une nouvelle
constitution, on entend la population au complet, c'est-à-dire qu'on
tient un référendum? Si lui est en train de nous dire qu'une
commission bâclée, faite sur le coin de la table où le
leader, le ministre et le premier ministre ont invité une liste
restreinte de groupes, à peu près la moitié de l'ensemble
de ceux et de celles qui avaient demandé à être entendus,
si pour lui c'est tenir une consultation, si pour lui ça s'appelle
permettre à la population de se faire entendre, je dois dire que c'est
absolument inquiétant que ces gens soient ceux et celles qui sont en
train de rédiger le texte fondamental de cette population, texte qui
s'appelle la constitution.
Quand il nous dit: Jamais, il n'y aura eu autant de groupes, autant
d'intervenants, cela fait une couple de fois que je les entends dire cela. Le
premier ministre hier est venu, une de ses deux seules présences en
commission, et il a commencé à dire que c'était vrai. Tout
à coup, je lui ai sorti, transcrite au Journal des débats,
l'organisation de cette fameuse commission de 1980-1981. Le premier
ministre n'a plus dît un mot, il est parti. Je ne sais pas si le leader a
manqué cela, mais est-ce que je peux vous dire... En 1980-1981,
lorsqu'on a organisé les travaux de la commission parlementaire sur le
rapatriement, d'abord, on a eu l'appui de l'Opposition que vous étiez
à l'époque. Je reprends encore une fois le mot à mot des
propos de M. le député de Bonaventure qui, à
l'époque, était leader de l'Opposition ou chef parlementaire de
l'Opposition; il disait, en réponse à la motion du
député de Saint-Jacques, leader du gouvernement de
l'époque "qu'il donnait son accord à la motion créant la
commission et instituant cette consultation parce que tous les groupes et tous
les individus qui voudraient être entendus pourraient l'être." Je
lui dirai qu'effectivement, en aucun temps, au cours de cette commission,
l'Opposition libérale de l'époque n'a changé son fusil
d'épaule et n'est intervenue pour dire son insatisfaction de
l'organisation des travaux. Qui plus est, M. le Président, cette
commission, à l'époque, a entendu plus de 30 groupes et plus de
60 individus.
Nous sommes très loin de cela jusqu'à maintenant et,
à preuve, encore aujourd'hui, une nouvelle liste mise à jour par
le secrétariat de notre commission nous indiquait qu'il y a encore
quelques spécialistes et trois groupes qui ont demandé à
être entendus, qui se sont ajoutés à la liste et qui,
évidemment, par décision unilatérale du gouvernement, ne
seront pas entendus. Donc, M. le Président, pour cette large
consultation, on en reparlera.
Quant à ce que vient de faire le leader adjoint du gouvernement,
qui est finalement de tirer ses propres conclusions, de toute évidence,
biaisées, tout aussi, interprétatives que le ministre a
tenté de le faire tantôt, j'espère seulement que s'il a
l'intention de déformer les propos et les positions de l'Union des
artistes, contrairement à ce qu'il a fait pour l'ensemble des autres
groupes, il le leur dira maintenant pendant qu'ils sont là pour lui
répliquer. Cela vaut mieux que d'attendre, comme il vient de le faire,
que ces autres experts et groupes soient déjà partis depuis
quelques jours, pour là, donner un sens tout à fait
différent, un sens très élastique quant aux propos et aux
positions qu'ils ont pris devant nous. J'espère que si le leader adjoint
a l'intention d'interpréter la prise de position de l'Union des
artistes, qu'il le fera en leur présence et qu'il leur permettra de
préciser et de corriger le tir, parce que ce n'est pas du tout ce qu'il
fait avec l'ensemble des personnes dont il vient d'interpréter le
témoignaqe.
Je pense que lorsque l'on tient une commission parlementaire aussi
courte, organisée aussi rapidement que celle à laquelle nous
participons, au minimum, on doit se forcer pour se concentrer, écouter
ces gens et surtout respecter leurs points de vue. Ce que je m'aperçois,
c'est que, non seulement la consultation est organisée sur un coin de
table, mais que, finalement, la position est prise, depuis le début,
avant même que la consultation ne commence. Pour eux, le contenu des
consultations n'est pas important. Ils vont tenter de l'utiliser pour essayer
de justifier les positions qu'ils ont prises jusqu'à maintenant et
même aller à l'encontre des recommandations, des points de vue
majoritaires qui font consensus chez bon nombre de groupes, à savoir
qu'il ne faut pas signer cette entente constitutionnelle telle qu'elle est
libellée, à l'heure où l'on se parle. C'est le consensus
qui est intervenu jusqu'à maintenant. Reconnaissez-le donc une fois pour
toutes, en tout franchise et en toute transparence.
M. Lefebvre: M. le Président...
Le Président (M. Trudel): M. le leader adjoint et
député de Frontenac.
M. Lefebvre: ...je tiens à dire à madame que je
n'ai pas l'intention, lorsque vous serez partie - on aura l'occasion, dans la
journée de lundi, de continuer nos travaux - d'interpréter vos
propos parce que les vôtres sont clairs. J'ai parlé des propos de
l'Opposition, de la position constitutionnelle
de l'Opposition qui est beaucoup moins claire.
Avec la permission du député de Gouin, j'aimerais lui
poser une question: Est-ce que, oui ou non, votre ex-collègue, Claude
Morin, ne nous a pas dit qu'en ce qui concerne le droit de veto et le droit de
veto seulement -limitons-nous au droit de veto pour les fins de la discussion -
c'est un gain majeur que de récupérer ce droit de veto que nous
avons malheureusement perdu en 1981? Il a même ajouté: J'en suis
heureux parce que j'ai l'impression d'avoir participé À
l'évolution du dossier qui vous permet, en 1987, de
récupérer ce droit de veto. Est-ce que, oui ou non, vous avez
entendu M. Claude Morin tenir ces propos, M. le député de Gouin?
Je vous demanderais de ne répondre qu'à cette partie de mon
interrogation.
M. Rochefort: M. le Président...
Le Président (M. Trudel): M. le député de
Gouin.
M. Rochefort: ...si jamais je décide de répondre
à la question du député, puisque je lui ai laissé
toute la latitude dans l'expression de sa question, j'imagine que je vais avoir
la latitude d'exprimer ma réponse comme je le voudrai. Je voudrais juste
savoir sur quelle enveloppe de temps sera prise ma réponse.
Le Président (M. Trudel): À la fin d'une longue
semaine et à 17 h 35, il reste deux minutes à votre formation
politique que vous représentez dignement. Il restait au moment du
début de l'intervention du député de Frontenac cinq
minutes et demie ce qui doit être...
M. Rochefort: Je suis prêt, M. le Président à
répondre sur le temps de la formation du député de
Frontenac.
M. Lefebvre: M. le Président, je viens de comprendre que
le député de Gouin ne veut pas répondre à ma
question.
M. Rochefort: Non, non, donnez-moi du temps.
M. Lefebvre: Qui ne dit mot, consent.
M. Rochefort: C'est facile pour vous. Donnez-moi du temps, je
suis prêt à répondre.
M. Lefebvre: Ce que je viens de comprendre, c'est que le
député de Gouin est d'accord avec mon propos.
M. Rochefort: Absolument pas.
M. Lefebvre: Je suis satisfait, M. le Président.
Le Président (M. Trudel): Merci, M. le leader adjoint et
député de Frontenac. Est-ce que M. le député de
Gouin, vous avez des choses à ajouter dans les deux minutes qu'il vous
reste?
Il reste maintenant quatre minutes ou trois minutes quarante-cinq
secondes, quelque chose comme cela, à la formation gouvernementale.
Alors, M. le ministre peut-être?
M. Rémillard: Je pense que...
Mme Chouvalidzé: M. le Président, je pense que M.
Rémillard...
Le Président (M. Trudel): Oui, sûrement, avec grand
plaisir, allez-y.
Mme Chouvalidzé: ...n'a pas répondu è l'une
de nos questions. Il a tenté de répondre aux autres. Je serais
tentée de dire qu'il y en a une qu'il n'a peut-être pas entendue
non plus ou du moins pas écoutée. Auriez-vous l'intention de
faire un référendum, M. Rémillard?
M. Rémillard: Non, madame, nous n'avons pas l'intention de
faire un référendum. Si nous avions à faire une
constitution pour les Québécois et les Québécoises,
vous savez que nos amis d'en face comme nous ne sommes pas non plus
opposés et que bien des gens disent: II faudrait peut-être penser
à avoir une constitution pour le Québec parce que c'est utile que
des provinces puissent avoir leur constitution à l'intérieur de
la Fédération canadienne. Aux États-Unis, tous les
États américains ont des constitutions et si on faisait une telle
constitution, je vous avoue que cela pourrait être intéressant de
penser à l'idée d'un référendum. Il y a un principe
qui guide notre formation politique ici, madame, c'est que la
souveraineté n'appartient pas à l'institution, mais elle
appartient au peuple et que, par conséquent, pour nous, l'institution
est au service du peuple et non pas le peuple au service de l'institution.
C'est pour cela, madame, que nous tenons tant au respect des droits et des
libertés des individus. C'est pour cela que nous tenons tant qu'il y ait
une Charte canadienne des droits et libertés comme une Charte des droits
et libertés de la personne que le gouvernement libéral a
créée en 1975. C'est pour cela que, pour nous, ce qui est
important en ce moment-ci c'est de pouvoir consacrer dans la constitution, que
le Québec est une société distincte, et, le rôle du
gouvernement et de l'Assemblée nationale est de promouvoir cette
distinction.
Le mandat probablement, madame, que jamais dans toute l'histoire du
Québec un
gouvernement s'est présenté avec un programme
électoral aussi clair sur ces projets constitutionnels. Nous avions cinq
points dans notre programme électoral et, personnellement, je me suis
promené partout au Québec pour discuter de ces cinq points. Le
Parti québécois ne voulait pas discuter de constitution, cela
l'embêtait, pas plus qu'il n'a voulu discuter de constitution aux
élections de 1981; mais nous, nous avons discuté de constitution
et nous avons été élus le 2 décembre. Il ne s'agit
pas de faire une constitution du départ, il s'agit maintenant de
réparer des pots cassés. Je crois sincèrement que ce que
nous avons comme entente va nous permettre d'avoir cette garantie culturelle,
cette garantie linguistique qui va nous permettre de vivre dans une
société libre, démocratique, fière
d'elle-même, fière de sa culture, de sa langue et fière
d'appartenir à une Fédération canadienne, parce que de
notre côté, je dois vous avouer que c'est notre option politique:
Nous sommes fiers d'être Québécois. Nous sommes fiers
d'appartenir à cette fédération. Nous croyons que le
Québec peut être un partenaire majeur de cette
fédération, tout en ayant la possession, la juridiction dont il a
besoin pour son épanouissement spécifique.
Le Président (M. Trudel); Merci, M. le ministre. M. le
député de Gouin, il vous reste deux minutes.
M. Rochefort: Oui. Merci, M. le Président. Je pense que
les propos du ministre pourront être commentés par nous lundi
puisqu'on sera avec lui encore toute la journée, mais je
préférerais offrir mes deux minutes aux représentants de
l'Union des artistes s'ils veulent pouvoir conclure leur présence parmi
nous.
Mme Chouvalidzé: Je me bornerai à
réitérer notre demande au gouvernement de bien vouloir clarifier
sa définition d'une société distincte au Québec par
une clause qui pourra nous assurer que la langue française correspond
à cette distinction, que c'est par le même qu'il y a un peuple qui
s'appelle le peuple québécois et que sa langue sera
protégée avec les pouvoirs qu'il y aura pour protéger
cette langue. Voilà, en résumé, ce que vous demande
l'Union des artistes. Je vous remercie infiniment.
Le Président (M. Trudel): Merci, madame.
M. Rémillard: Nous vous remercions, madame.
Dépôt du mémoire de l'Union des
écrivains du Québec
Le Président (M. Trudel): Madame, monsieur, de l'Union des
artistes, merci de votre présence.
Avant d'ajourner les travaux jusqu'à lundi, 10 heures, je
voudrais déposer le mémoire de l'Union des écrivains du
Québec, que j'ai oublié de déposer tantôt.
Les travaux de la commission sont ajournés jusqu'à lundi,
10 heures.
(Fin de la séance à 17 h 41)