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Version finale

33rd Legislature, 1st Session
(December 16, 1985 au March 8, 1988)

Wednesday, May 20, 1987 - Vol. 29 N° 58

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes relativement à l'entente constitutionnelle du lac Meech


Journal des débats

 

(Dix heures dix minutes)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

En premier lieu, nous allons entendre la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, MM, Laberge et Daoust. Nous continuons donc notre mandat qui est d'entendre les représentations des groupes ou organismes relativement à l'entente intervenue au lac Meech concernant la constitution canadienne.

Je rappellerais peut-être l'horaire de la journée d'aujourd'hui. Évidemment, les représentants de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec ont déjà pris place à la table des invités. Suivront Alliance Québec et la Centrale de l'enseignement du Québec, pour ce matin; pour la séance de cet après-midi, ie Mouvement national des Québécois, à 16 heures et Mme Nicole Duplé, à 17 heures; en ce qui concerne l'horaire de la soirée, les convocations ont été envoyées hier soir lorsque le préavis a été donné par le leader du gouvernement, mais nous n'avons pas encore reçu toutes les confirmations de présence des organismes pour la soirée, dont l'horaire commence à 20 heures.

Donc, bienvenue à M. Louis Laberge, le président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, ainsi qu'à M. Fernand Daoust, son secrétaire général. Je leur demanderais de bien vouloir nous présenter les personnes qui les accompagnent et de nous livrer, par la suite, leur exposé.

FTQ

M. Laberge (Louis): M. le Président, si vous me permettez, j'espère que ces dix minutes ne sont pas comptabilisées sur...

Le Président (M. Filion): M. Laberge, il n'y a pas de problème, une période de 60 minutes vous est réservée. C'est comme au hockey, même si les préliminaires durent longtemps, la période de 60 minutes est toujours consacrée aux invités.

M. Laberge: Malgré les arbitres! Le Président (M. Filion): Pardon? M. Laberge: Malgré les arbitres!

Le Président (M. Filion): Malgré les arbitres.

M. Laberge: Alors, à ma droite, Émile Goyer, directeur du Syndicat des employés de service, vice-président de la FTQ; Guy Cousineau, vice-président de la FTQ et du Conseil des travailleurs et travailleuses du Montréal métropolitain; André Leclerc, au service de la FTQ; à mon extrême gauche, Claude Ducharme, du Syndicat canadien des travailleurs de l'automobile; Jean-Guy Frenette, responsable politique à la FTQ; et le secrétaire général, Fernand Daoust.

De la façon que nous croyons devoir procéder, le secrétaire général va vous lire le mémoire, il n'est pas tellement lonq; ensuite, je rajouterai quelques commentaires et nous serons à votre disposition.

Le Président (M. Filion): D'accord. Le mémoire a déjà été remis aux membres de la commission et, aux fins de notre procès-verbal, il est considéré comme étant déposé. M. Daoust.

M. Daoust (Fernand): M. le Président, comme bien d'autres organismes et plusieurs observateurs politiques, la FTQ a été étonnée de constater l'empressement, voire la précipitation qui ont entouré les discussions constitutionnelles du lac Meech.

L'entente de principe a peut-être été précédée d'un long travail souterrain de fonctionnaires provinciaux et fédéraux. Il n'en demeure pas moins que la population du Québec n'a pas été mise dans le coup. Malheureusement, ce n'est pas la présente commission parlementaire, tout aussi précipitée, qui éclairera davantage l'opinion publique. Il en va pourtant de l'avenir de notre société et de sa capacité de se développer en fonction de ses aspirations spécifiques. Les interprétations opposées, tant des experts qui ont défilé devant vous ou qui ont commenté l'entente dans les journaux que des politiciens fédéraux et provinciaux, devraient vous convaincre que des ambiguïtés majeures subsistent. Cette confusion sur des questions de fond, comme la portée de la reconnaissance du caractère distinct du Québec et celle du pouvoir fédéral de dépenser, devrait vous inciter à la plus grande prudence. Elle devrait freiner votre ardeur à vouloir régler à tout prix. Car, somme toute, qu'est-ce qui force le

gouvernement actuel à conclure si rapidement une entente qui engage aussi fondamentalement l'avenir de notre collectivité?

Comme vous le faisait remarquer l'un des constitutionnalistes Ici même, ce n'est pas le gouvernement du Québec qui est en mauvaise posture électorale, notre rapport de forces face à un pouvoir fédéral affaibli est des plus favorables. Nous pouvons nous payer le luxe de bonnes négociations. Il faut, cependant, reconnaître que, s'il y a quelque chose d'historique dans ces discussions, c'est l'effort déployé par le gouvernement fédéral et les autres provinces pour amener le Québec à adhérer à la constitution. Autant profiter de cette ouverture d'esprit. Mais ne faisons rien à la sauvette. Négocions minutieusement car, comme on le verra plus loin, il sera très difficile de changer quoi que ce soit à la constitution après la signature de cet accord.

Le fédéral et le reste du Canada ont tout autant à gagner de notre adhésion à la constitution que nous-mêmes. Pendant plus de 100 ans, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique a dormi dans les tiroirs de Sa gracieuse Majesté d'Angleterre. Depuis son rapatriement contre notre gré, nous avons continué de subir le Canada. Il n'est pas audacieux de prétendre que nous pouvons supporter quelques mois additionnels de négociations. Le seul avantage qu'il y aurait pour le Québec à signer l'entente serait d'y gagner la reconnaissance claire de pouvoirs qu'il réclame historiquement et dont il a besoin pour assurer son développement, tant culturel qu'économique.

Or, les opinions émises jusqu'ici par les politiciens et les experts nous indiquent que ces gains sont pour le moins douteux. M. Beaudoin, l'un des plus favorables à la signature de cette entente, reconnaît, par ailleurs, qu'il n'est pas certain que les tribunaux donneront la même portée que lui au caractère distinct de la société québécoise.

Rien ne nous indique donc que le démantèlement de la Charte de la lanque française ne va pas continuer. Quant aux nouveaux pouvoirs, l'élargissement de l'entente Cullen-Couture nous paraît être une victoire bien mince, insufissante en tout cas, pour justifier les réjouissances auxquelles l'actuel gouvernement nous convie.

Pour la FTQ, une entente constitutionnelle acceptable doit comporter, soit la reconnaissance des moyens essentiels au développement économique et social du Québec, soit une formule d'amendement qui lui permette facilement à l'avenir de s'approprier ces leviers nécessaires.

Or, d'un côté nous sommes en présence d'une entente dont les gains sont limités et douteux. D'un autre côté, la formule d'amendement qui y est consacrée verrouille à double tour les pouvoirs fédéraux qu'on ne peut plus espérer gruger. La formule d'amendement qui requiert les deux tiers des provinces représentant 50 % de la population canadienne risque, en effet, de figer pour longtemps la répartition officielle des pouvoirs. S'il y a transfert d'une compétence provinciale vers le niveau fédéral, il y aura compensation "raisonnable" au profit d'une province dissidente. Il est significatif qu'on ne mentionne pas la possibilité d'un transfert d'une compétence fédérale vers une ou plusieurs provinces.

La FTQ ne se présente évidemment pas devant vous avec une autorité d'expert constitutionnel mais nous osons croire que notre représentativité, qui s'étend à tous les secteurs d'activité économique et sociale où évoluent les quelque 450 000 travailleurs et travailleuses que nous regroupons, nous permet une certaine contribution au débat actuel. Tout au long de notre histoire dont les racines s'enfoncent dans la révolution industrielle du siècle dernier, c'est dans le combat quotidien pour le mieux-être et pour la dignité que nous avons élaboré notre vision politique du Québec. La FTQ n'est pas, par nature, un mouvement nationaliste. Si au cours des dernières décennies on constate une certaine convergence entre ses revendications et celles de regroupements voués à la défense des intérêts nationaux des Québécois, c'est qu'il y a identité de vue entre ceux qui défendent des intérêts des travailleurs et travailleuses québécois et ceux qui travaillent à l'émancipation du peuple québécois.

C'est ainsi qu'au cours des années il nous est apparu, par exemple, que notre lutte pour le respect et la dignité des travailleurs et travailleuses du Québec commandait qu'on revendique la reconnaissance du français comme lanque de travail. Pourtant, nous avons compris que cette revendication ne pouvait être satisfaite sans s'insérer dans la réalité plus globale du statut de la langue. C'est pourquoi nous avons réclamé que le français soit la lanque officielle et nous avons acclamé l'adoption de la Charte de la langue française. Il en va de même pour les pouvoirs essentiels que nous souhaitons voir assumer par le gouvernement du Québec. C'est parce que les hommes et les femmes que nous représentons sont plus souvent qu'à leur tour victimes du chômage, souvent rejetés du marché du travail, lors de licenciements collectifs, de transferts de production vers l'Ontario, de changements technologiques sauvages, que nous en sommes venus à réclamer que le Québec rapatrie la totalité des pouvoirs nécessaires à la définition d'une politique de main-d'oeuvre. II est bien évident que nous ne pouvons pas nous fier au pouvoir fédéral pour empêcher des transferts de production d'une province à l'autre. Nous voulons que le

Québec se dote également des moyens d'une plus grande planification économique, qu'il soit le maître d'oeuvre du développement régional, qu'il assume l'ensemble des responsabilités en matière dé sécurité sociale.

Nous avons souhaité une reconnaissance plus claire de notre juridiction exclusive en matière d'éducation et de culture. Nous avons réclamé que le Québec joue un rôle important sur le plan des relations internationales et contrôle le domaine stratégique des communications sur son territoire. Ces revendications n'ont pas été formulées gratuitement pour flatter un quelconque sentiment nationaliste. Elles s'imposaient comme des nécessités au gré des luttes que nous avons menées aux côtés de nos affiliés.

C'est en faisant un bilan de ces orientations syndicales et politiques qu'un congrès spécial de la FTQ convoqué en avril 1980 pour se prononcer sur la question nationale recommandait massivement de voter en faveur du oui au référendum; 45 délégués s'exprimaient contre, une centaine s'abstenaient et les quelque 2300 autres appuyaient avec enthousiasme la résolution. Un attendu de la résolution adoptée alors stipule bien que cette position était prise "en raison de notre identité syndicale et de nos propres aspirations". Un autre précise notre voeu que le fédéralisme canadien favorise un développement régional équilibré par des moyens de redistribution entre régions riches et régions défavorisées.

Il est bien évident que le rapatriement unilatéral de la constitution et la lamentable négociation qui ont suivi le référendum n'ont pas donné satisfaction à ces voeux. Le fédéralisme canadien, tel qu'il est défini par la présente constitution, ne nous garantit pas cette redistribution. Les promesses de réforme clamées par les ténors du clan du non pendant la campagne référendaire n'ont pas été tenues. On ne nous a pas livré la marchandise. Malheureusement, l'accord du lac Meeeh ne corrige en rien cette situation. L'accord n'a pas d'autre effet que de nous faire asseoir à une table de négociations permanentes dont ni la forme, ni l'objet ne nous conviennent.

La FTQ, qui n'a jamais pris position en faveur de l'indépendance du Québec, n'en demeure pas moins attachée au concept du droit du Québec à l'autodétermination et ce, depuis 1961. Nous croyons qu'un accord constitutionnel qui n'affirme pas ce droit sans équivoque ne reflète pas les aspirations fondamentales du peuple québécois. Or, personne, ni des experts, ni des politiciens ne nous ont convaincus que ce droit découlait, à coup sûr, de la reconnaissance du caractère distinct.

Si nous considérons l'accord globalement, c'est le droit à la différence du

Québec qui semble nié. Cela ressort nettement de la formule d'amendement, qui place toutes les provinces sur un pied d'égalité, du pouvoir fédéral de dépenser, qui aura tendance à uniformiser les programmes, et même des responsabilités et quotas en matière d'immigration dont toutes les provinces pourront bénéficier.

Nous sommes bien conscients, en effet, que, si le gouvernement fédéral concédait à toutes les provinces les pouvoirs essentiels que le Québec réclame historiquement, il n'y aurait plus de gouvernement fédéral. En donnant à toutes un peu de ce que nous réclamons, il noie le poisson. Il se justifie de donner peu ou rien.

La seule reconnaissance du caractère distinct, à l'intérieur d'un texte qui reconnaît d'abord la dualité canadienne et la nécessité de protéger cette "caractéristique fondamentale", n'aura pas de vertus magiques. Nous ne sommes pas convaincus que le droit exclusif de léqiférer en matière linquistique soit implicite dans cette reconnaissance. L'argumentation, plusieurs fois reprise, que l'énumération constitue une limitation en droit ne nous émeut pas. On ne nous fera pas croire qu'il n'y a pas de formulation juridique qui permette d'affirmer clairement la juridiction exclusive du Québec en matière linguistique, tout en laissant la porte ouverte à l'exercice d'autres pouvoirs découlant logiquement de la reconnaissance du caractère distinct.

Ce qui nous rebute au départ, c'est qu'on s'en remette à l'interprétation des tribunaux pour trancher une question aussi fondamentale que celle de la langue. Surtout dans le contexte actuel, marqué, chez nous comme partout dans l'Occident, d'un néoconservatisme qui incite les juges comme les législateurs à accorder plus d'importance aux droits individuels qu'aux droits collectifs. Or, nous savons tous à quel point il est impérieux de protéger le français par des mesures spéciales dans le contexte nord-américain.

L'expérience de la mise en vigueur de la Charte de la langue française, avant même qu'elle ne soit mise en pièces par les tribunaux, était déjà difficile. Nos affiliés et nous en savons quelque chose. Nous travaillons avec acharnement à implanter des programmes de francisation dans les entreprises. Ce travail déjà lent et pénible est devenu encore plus ardu depuis que d'autres parties de la loi ont été infirmées par les tribunaux. Dans la population, en général, et à la direction des entreprises, en particulier, la charte a perdu beaucoup de son prestige. On hésite moins à la violer.

Le professeur Léon Dion vous a brossé un tableau inquiétant du dépérissement de la langue parlée dans la rue, dans les services, dans tes écoles. Notre connaissance concrète des milieux de travail nous permet de

compléter ce triste tableau. Nos militants se butent chaque jour à des attitudes de plus en plus arrogantes de leurs patrons anglophones. Dans les milieux de travail, comme ailleurs, les acquis linguistiques sont extrêmement fragiles. Si nous ne disposons pas de moyens efficaces pour protéger ie français dans toutes les activités de la vie courante, la "louisianisation" du Québec deviendra inévitable.

Mettons sur la table les vrais enjeux. Ne comptons pas sur les tribunaux pour nous concéder des droits que les autres provinces et le gouvernement fédérai ne nous auront pas concédés consciemment. Tout se passe comme si l'accord du lac Meech, pour ne pas voler en éclats, devra rester ambigu, sujet à interprétations contradictoires. Notre expérience des relations de travail nous enseigne que de telles ententes génèrent davantage de frustrations, de conflits et d'affrontements que de rapports constructifs.

La grave question du pouvoir de dépenser doit elle aussi faire l'objet de clarifications. Quelle qu'en soit la portée, elle ne nous satisfait pas. Sous quelque angle qu'on la regarde, elle nous paraît comme une invitation au fédéral à s'ingérer davantage dans des secteurs de compétence provinciale. Comme nous l'avons dit plus tôt, nous croyons que le Québec doit élargir ses juridictions et non pas ouvrir la porte à des intrusions fédérales dans ses propres champs d'activité traditionnels.

Malgré le développement d'un embryon de capitalisme autochtone, nous continuons d'assister, au Canada comme partout en Amérique du Nord, à une plus grande concentration du capital et des activités productives. Ces forces du marché, de plus en plus libérées par les phénomènes de déréglementation, de privatisation et par les projets de libre-échange Canada-USA, n'avantagent pas le Québec. Pour les contrer, nous aurons besoin d'une intervention accrue de l'État. Même si le gouvernement actuel cède au courant néo-conservateur et se désengage, tôt ou tard, lui-même ou son successeur devra à nouveau intervenir dans l'économie. Il serait alors souhaitable que ses pouvoirs aient été préservés intacts et qu'il ait la possibilité de les accroître.

Comme d'autres l'ont remarqué, le Québec n'a donc rien à gagner à reconnaître le pouvoir du fédéral de dépenser sur son territoire, dans ses juridictions. Le versement d'une "compensation juste" n'est pas un qain. Ce principe a été reconnu dans le passé. Bien sûr, la pratique courante consistait plutôt à verser une pleine compensation financière. La compensation juste est une notion plus floue, donc inquiétante. De plus, on ne prévoit pas le retrait de programmes déjà existants.

Plus inquiétant encore est l'assujettissement aux objectifs fédéraux des programmes provinciaux de remplacement. Outre le fait que le terme "objectif" soit aussi un concept vague, l'obligation qui est faite aux provinces de mettre sur pied un programme de même nature, pour avoir droit aux compensations, constitue une entrave inacceptable. Au cours de deux dernières décennies, les Québécois ont fait un effort collectif considérable pour se doter d'un système d'éducation, d'un régime de santé et de sécurité sociale qui font l'envie de bien d'autres sociétés occidentales. Nous avons aussi investi des milliards de dollars dans l'exploitation de nos richesses naturelles. Pourquoi reconnaîtrions-nous du jour au lendemain à l'instance fédérale le pouvoir de venir nous dicter les prochaines priorités de dépenses publiques? Dans des dossiers aussi cruciaux et actuels que les politiques énergétiques, l'environnement, la formation professionnelle, le gouvernement d'Ottawa n'aura qu'à définir unilatéralement ses objectifs. Les provinces n'auront qu'à emboîter le pas, soit en adhérant au programme fédéral, soit en mettant sur pied leur propre programme. Faute de quoi, elles n'auront pas droit à la part de l'argent perçu chez elles.

Il est pourtant facile d'imaginer que les objectifs fédéraux peuvent entrer en contradiction avec les objectifs du Québec ou ne pas correspondre à nos priorités ou faire double emploi avec des programmes québécois déjà existants. Ici, nous ne tenons même pas compte de l'affirmation cavalière de M. Lowell Murray, pour qui il n'y a pas de limites au pouvoir fédéral de dépenser. Si une province ne marche pas dans un plan conjoint, rien n'empêchera le gouvernement central de faire bénéficier de ses largesses les municipalités, les hôpitaux, les universités ou les individus. Donc, pas de limites aux intrusions. (10 h 30)

Nous ne vous demandons pas de fermer toutes les portes. L'existence même de cette entente de principe insatisfaisante témoigne d'une volonté du gouvernement fédéral et des autres provinces de faire adhérer le Québec à la constitution du pays. Ne pas poursuivre les discussions serait déraisonnable. Mais, nous le répétons, on ne bâtit pas un accord durable sur la confusion, l'ambiguïté et les malentendus.

Le Québec doit définir clairement ses conditions d'adhésion. Pour la FTQ, la question des pouvoirs est majeure. Il faut donner au Québec les moyens de son développement selon les inspirations exprimées historiquement par des qénérations de citoyens et de citoyennes. Chacune des provinces, comme le gouvernement fédéral, doit être consciente des conditions de notre adhésion. On doit savoir par exemple que nous n'exigeons rien de moins que le droit exclusif de légiférer en matière linguistique. On doit savoir que les juridictions tradi-

tionnelles qui nous furent reconnues en 1867, notamment dans les municipalités, dans l'enseignement et dans l'agriculture, sont inviolables, que nous n'avons pas à nous soumettre à des objectifs définis unilatéralement ailleurs. Nous vous invitons aussi à prendre tout le temps nécessaire pour bien mesurer la portée des textes que vous signerez. Vous n'avez pas le droit de vous tromper et d'engager par le fait même l'avenir du Québec sur des voies néfastes. La façon la plus sûre d'éviter cela est de poursuivre le plus ouvertement et le plus fréquemment possible le débat qui s'amorce. Mettez la population dans le coup. Vous en gagnerez un appui qui donnera du poids à vos arguments.

Nous savons par expérience que les plus habiles négociateurs n'ont aucun pouvoir de persuasion lorsqu'ils ne jouissent pas de l'appui solidaire de leurs commettants.

M. Laberge: M. le Président, si vous me permettez d'ajouter quelques mots. D'abord, nous sommes très heureux de cette occasion qui nous est donnée de pouvoir vous donner notre opinion sur l'accord constitutionnel. Grâce à ces négociations qui ont eu lieu au lac Meech... Au moins on peut en parler ouvertement publiquement et cela c'est très sain. Nous ne sommes pas d'accord à signer l'accord tel qu'il est présentement et là-dessus vous pouvez vous fier sur notre expérience, il est trop tard pour négocier une fois la convention collective signée car c'est avant qu'il faut négocier.

Le gouvernement fédéral semble avoir une ouverture d'esprit qu'il n'a pas souvent démontrée. Les autres provinces semblent un peu plus maléables, évidemment. Alors, on peut comprendre que se hissant au niveau du Québec, enfin si on a bien compris les discussions du lac Meeeh, à peu près toutes les provinces seraient sur un pied d'égalité. Cela on sait que c'est la meilleure façon de noyer le poisson.

Cela n'est pas vrai que le gouvernement fédéral peut donner à toutes les provinces les pouvoirs que réclame le Québec. Cela n'est pas vrai que cette constitution une fois signée sera facilement amendable. Et, si on voit là-dedans des sources de réjouissance pour ne pas que n'importe qui puisse amender la constitution à n'importe quel moment, il reste que le Québec, entrant dans cet accord avec des manquements inacceptables, on peut être convaincus que le Québec sera pris par son engagement pour des années à venir.

Dans ces circonstances, ce que nous disons au Québec: Nous vous adjurons de continuer les négociations, bien sûr, et peut-être bien qu'un jour vous pourrez faire ce que l'on vous demande de temps à autre, c'est-à-dire nous appointer un conciliateur, un médiateur, mais, une fois l'accord signé, il sera trop tard pour négocier quoi que ce soit. Nous sommes à votre disposition.

Le Président (M. Filion): Merci, M. Daoust, merci, M. Laberge. Je passe donc la parole au ministre délégué aux Affaires intergouvemementales canadiennes pour amorcer avec vous la période des échanqes. Il reste à chaque groupe parlementaire environ 20 minutes.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. MM. de la FTQ, M. Daoust, M. Laberge, je veux vous souhaiter tout d'abord la bienvenue et vous remercier d'être venus témoigner. Vous témoignez au nom de travailleurs et de travailleuses que, je suppose, vous avez consultés récemment sur cette entente du lac Meech.

Ce que vous venez de nous dire, M. Laberge, c'est: C'est intéressant de vous voir aller, il y a un bon bout de fait, mais vous devez continuer. Ne signez pas tout de suite, continuez à négocier, le gouvernement fédéral veut négocier avec vous, évidemment, je prends acte et note du fait que vous considérez qu'on a un bon bout de fait, qu'il en faut plus, oui, et je crois que c'est tout à fait normal qu'un chef syndical nous réponde qu'il en faut plus. Il faut aller essayer d'en chercher plus.

Pour nous, M. Laberge, cette entente est une entente historique parce qu'elle concrétise, pour la première fois dans l'histoire canadienne, la spécificité du Québec. Vous nous disiez tout à l'heure: Oui, mais on a banalisé le Québec dans cette entente. Je voudrais, si vous me permettez, sans vous contredire, vous donner des exemples pour vous démontrer qu'au contraire cette entente vient consacrer, sans aucune équivoque, que le Québec est une société distincte et dans chacun des domaines que nous avons négociés.

Dans un premier temps, en ce qui à trait à ce principe de la dualité et ce principe de la société distincte, sur lequel vous vous êtes attardé, vous avez parlé de la compétence sur la langue. Au départ, ce qui était prévu, c'était la reconnaissance du Québec comme société distincte dans un préambule. Donc, référence morale pour les tribunaux qui ont à interpréter la constitution. On se retrouve maintenant avec un article dans la constitution et on on se retrouve avec un article obligatoire, mais toujours une règle d'interprétation. Nous sommes toujours dans un contexte d'une règle d'interprétation. C'est toujours cela qu'on a cherché et c'est cela qu'on a obtenu.

Dans ce contexte, M. Laberge, il y a, pour la première fois, ta reconnaissance que ce caractère distinct du Québec est bien dans la constitution. Pour la première fois aussi, on reconnaît le rôle du gouvernement

du Québec et de l'Assemblée nationale à protéger et promouvoir cette spécificité. Cela signifie beaucoup pour faire reconnaître ce qui fait que nous sommes distincts. Nous sommes distincts, bien sûr, par la langue, par la culture, mais beaucoup plus que cela aussi. Vous, qui êtes un chef syndical, qui représentez les travailleurs et travailleuses, savez qu'on n'est pas simplement distinct par une langue ou par une culture, nous sommes distincts fondamentalement par cette langue et par cette culture, mais nous avons quelque chose de plus. Nous sommes organisés socialement, politiquement, économiquement. Je sais, M. Laberge, que vous tenez autant au respect de notre système social, économique, notre système qui fait que nous existons d'une façon spécifique par rapport au reste du Canada.

M. Laberge, si onze premiers ministres sont arrivés à cette conclusion que le Québec est distinct, au lac Meech, s'ils sont arrivés a cette conclusion, c'est parce qu'ils savent pourquoi. S'ils ne savaient pas pourquoi, je pense qu'il faudrait se poser des questions. Si on avait reconnu deux, trois ou quatre autres provinces comme distinctes, il faudrait bien savoir pourquoi le Québec est distinct par rapport aux autres, mais c'est là. Les plus grands juristes, les plus éminents juristes au Québec et au Canada viennent nous dire: Ne définissez pas. Nous avons des opinions qui nous disent: Attention, si vous définissez vous faites une erreur fondamentale.

Donc, premier point, société distincte qui va être une assise importante, fondamentale pour la reconnaissance de la spécificité du Québec et pour toutes ces revendications tant au point de vue de la langue que d'autres aspects de cette spécificité.

En ce qui regarde aussi le pouvoir, que nous récupérons, de dire non à un amendement constitutionnel, M. Laberge, vous nous dites: Toutes les provinces vont avoir un droit de veto sur les institutions. Vous savez comme moi qu'on devait composer avec le principe de l'égalité des provinces. C'est le précédent gouvernement qui, le 16 avril 1981, a reconnu que le Québec était sur le même pied que l'Ile-du-Prince-Édouard. On a composé avec cela. Je pense qu'on est arrivé à un résultat intéressant dans le sens qu'on peut dire au moins non et qu'on récupère des droits historiques.

En ce qui regarde le pouvoir de nommer des juges à la Cour suprême, trois juges sur neuf viennent du Québec et ils vont être choisis à partir d'une liste fournie par le Québec. Il n'y a pas d'autres provinces qui ont cette situation. Il n'y a pas d'autres provinces qui ont trois juges sur neuf de garantis à la Cour suprême. Encore un élément de distinction.

Ensuite, en ce qui regarde l'immigration, vous me dites dans votre mémoire ici: "L'élargissement de l'entente Cullen-Couture nous paraît une victoire bien mince." Pourriez-vous me dire en quoi cela vous apparaît une victoire bien mince?

M. Laberge: Est-ce que vous avez terminé?

M. Rémillard: Voilà ma question.

Le Président (M. Filion): M. Laberge ou M. Daoust.

M. Laberge: Le gros problème dans tout cela, c'est que, tout d'abord, nous n'avons pas encore les textes. On a été obligé évidemment de glaner un peu ce qui s'était écrit et dit dans tous les médias d'information. Il y a eu entente sur des principes et, on en sait quelque chose, il est toujours plus facile de conclure une entente sur des principes que de les traduire par écrit dans une entente bien solide, bien claire, bien précise.

Nous avons toujours respecté une convention collective que nous signons parce qu'on trouve cela fondamental. C'est pourquoi il est d'une importance capitale de s'assurer, avant de signer la convention, que ce qui est écrit dans la convention reflète bien ce qu'on a cru obtenir lors d'une entente sur des principes. Il y a des fois où il y a des marges et c'est loin d'être facile. On comprend tout cela.

M. Rémillard: Je m'excuse. Ma question est: En quoi, comme vous t'écrivez à la page 3, croyez-vous que l'entente...

M. Laberge: Oui.

M. Rémillard: ...du lac Meech sur l'immigration est une victoire bien mince et insuffisante? En quoi?

M. Laberge: J'y viens tout de suite. Vous parliez de la société distincte et tout le reste. Je pense que c'est important. Les experts constitutionnels - ce que nous ne sommes pas, on reconnaît cela - vous disent: Ne définissez pas ce qu'est une société distincte. On va laisser cela aux tribunaux. Cela nous inquiète un peu, pour être très honnête.

L'autre jour, je montais dans un avion de Quebecair, à l'époque où il y avait encore des jets, et je passais à côté d'un juge et celui-ci me dit: M. Laberge, passez devant moi. Non, non, M. le juge, après vous. Mais non, M. Laberge, allez-y. Ce n'est pas tous les jours que vous aurez la chance de passer devant un juqe. J'ai dit: Un instantl J'ai eu l'occasion trois fois de passer devant un juge et je n'ai jamais appelé cela une chance.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Laberge: Cela nous fait peur que ce soit les tribunaux qui vont définir ce qu'est cette société distincte. M. Fernand Daoust va vous dire en quoi nous croyons que c'est un gain bien mince que d'élargir l'entente.

M. Daoust: Sans aucun doute, M. le ministre, c'est un pas en avant. On va maintenant constitutionnaliser les accords Cullen-Couture dans les descriptions qui sont contenues à cet accord préliminaire du lac Meech. On parlerait de victoire si, à la toute fin du document que vous connaissez, il n'était pas fait mention que ce qu'on consent au Québec à l'égard de l'immigration sur tous les plans, le plan administratif et le reste et le reste, et la récupération de certains fonds qui sont dépensés dans ce domaine pour l'encadrement et la formation des immigrants «ainsi que le fameux 5 % n'étaient pas en même temps consentis ou à peu près en même temps consentis à l'ensemble des provinces. À moins qu'on lise mal, et vous pourriez nous l'expliquer, on serait fort heureux qu'il y ait des précisions là-dessus. Je relis la dernière phrase de cette partie de l'accord sur l'immigration: "Rien dans la présente ne saurait empêcher la négociation d'ententes semblables avec d'autres provinces." Ce gain pour le Québec est étendu à toutes les provinces qui le jugeront à propos éventuellement, qui pourront signer - si je comprends bien - des accords semblables, à peu près identiques, mais qui vont être encadrés par l'accord qui sera signé éventuellement. (10 h 45)

C'est bien entendu qu'on dit "conclura en premier lieu avec le Québec une entente qui" - et il y a plusieurs points qui y sont mentionnés. Le Québec passe le premier. C'est lui qui va indiquer, je ne dirai pas les balises, mais qui va, avec le gouvernement fédéral, conclure, préciser, expliciter ces ententes qui sont déjà, malgré tout, dans les textes qui ont déjà été négociés par MM. Couture et Cullen il y a presque déjà dix ans.

On les élargit sans aucun doute là-dessus. On ne peut pas ne pas manifester notre ouverture d'esprit, notre intérêt puisque nous sommes vivement préoccupés comme Québécois et comme porte-parole des travailleurs et travailleuses dans ce domaine. Mais c'est la dernière phrase qui nous inquiète. Autrement dit, on banalise peut-être, on donne à tous ce que le Québec devrait obtenir pour lui seul à cause des problèmes qu'il connaît sur le plan de la démographie.

M. Laberge: Oui c'est ça. M. le ministre - si vous me permettez, juste deux ou trois mots - pour nous, c'est d'une importance capitale. Si on a demandé d'avoir des pouvoirs dans l'immigration, c'était pour essayer de se protéqer contre le pouvoir fédéral de l'immigration afin d'empêcher de se faire noyer davantage. En donnant le même pouvoir aux autres provinces, ce pouvoir perd de son importance capitale, à notre point de vue. C'est pour cela qu'on dit que c'est un gain minime.

M. Rémillard: M. Laberge, très brièvement, c'est un gain capital, je pense que tout le monde est d'accord là-dessus. Cependant, vos réserves viennent du fait que vous dites que toutes les autres provinces vont avoir la même chose. Faites attentionl Ce qui est bien marqué dans l'entente du lac Meech, c'est des "ententes semblables", pas identiques. Si c'était "identiques", cela ne pourrait pas s'appliquer. Simplement pour faire un petit calcul mathématique, nous allons avoir un minimum possible d'immigrants, de garanties, en fonction de notre poids démographique dans la fédération. Si vous calculez tout cela, plus les 5 % qui nous sont donnés, vous arriveriez à une population de 150 %; cela n'a pas d'allure. C'est bien évident que lorsque vous lisez cette entente, cet accord, c'est en fonction des besoins du Québec. Pensez-vous que l'Île-du-Prince-Edouard va avoir la même entente? Pensez-vous que toutes les autres provinces vont avoir la même entente? M. Laberge, écoutez, il faut quand même regarder cela sérieusement... Il faut regarder au moins... Si vous trouvez que c'est une bonne affaire dans l'entente, je comprends qu'il y a des choses qui peuvent moins vous plaire, mais celle-là, je pense bien qu'on peut dire que c'est un très bon pas, une très bonne entente. C'est une situation pour le Québec... Vous avez raison, M, Laberge, quand vous dites que c'est un gain capital. Oui, vous avez raison, c'est un gain capital. Vous le savez, vous, qui êtes dans le travail, qui êtes un chef syndical, à quel point cela est important d'avoir non seulement la possibilité de sélectionner nos immigrants, qui le demandent de l'extérieur ou même sur place ici, cela est un gain important, c'est 30 % de nos immigrants, mais, en plus, M. Laberge, c'est la possibilité de mettre en place nos mesures d'intégration. C'est nous qui allons maintenant leur donner le goût de demeurer avec nous. Vous savez qu'on perd près de 50 % de nos immigrants qui s'en vont dans d'autres provinces. On va les garder maintenant. M. Laberge, cela est dans l'entente du lac Meech. Vous avez raison de dire que c'est un gain capital.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Est-ce que vous avez terminé, M. le ministre? Oui. Alors, M. le chef de l'Opposition. Environ 20 minutes.

M. Johnson (Anjou): Environ 20 minutes. M. Laberge, M. Daoust et vos collègues, c'est toujours un plaisir de vous entendre. On reconnaît, à écouter votre mémoire, des choses bien importantes du côté de la FTQ, son engagement constant dans les grands enjeux qui ont touché le Québec, certes, mais il y a une chose qui me frappe dans votre mémoire en particulier, c'est à la page 5, à partir du second paragraphe où les préoccupations de votre centrale à l'égard du développement économique apparaissent manifestes. J'aurais été surpris, d'ailleurs, qu'il n'y ait pas ce genre de préoccupations en termes de moyens de développement économique, étant donné que votre centrale, on le sait, avec le fonds de solidarité et plusieurs autres types d'intervention, a démontré, depuis un certain nombre d'années, son intérêt pour le développement économique, et pas seulement pour la défense des intérêts syndicaux, mais également pour la défense des intérêts collectifs par le développement économique.

Vous y dites qu'il y va de même pour les pouvoirs essentiels que nous souhaitons voir assumés par le gouvernement du Québec. J'aimerais peut-être vous entendre un peu autour de cette notion de politique de main-d'oeuvre, dans le fond, des silences de l'accord du lac Meech qui m'apparaissent ou qui semblent vous apparaître à vous, de toute évidence, aussi importants que ce que dit l'accord du lac Meech.

On pourrait peut-être laisser à M. Laberge ou à M. Daoust quelques minutes pour élaborer là-dessus. Je vais essayer de vous donner une chance de parler. Ma question va s'arrêter là pour le moment.

M. Laberge: Pour nous, ça a toujours été très clair. M. le ministre, tantôt, vous nous disiez qu'on avait probablement consulté nos membres sur les accords du lac Meech. Évidemment, non. Non, on n'a pas eu le temps de le faire. Vous ne nous avez pas donné beaucoup de temps avant de nous présenter ici. Mais on peut vous dire, par exemple, que tout ce qui est contenu là-dedans a fait l'objet de longs débats et d'acceptations par les délégués à tous les congrès de la FTQ. Ce que nous demandons en matière de politique de main-d'oeuvre, c'est que le gouvernement du Québec devrait avoir tous les pouvoirs pour la main-d'oeuvre, pouvoir de son orientation, pouvoir du genre de société, pouvoir de développement économique.

On sait fort bien qu'on est très différent, au Québec, de l'Ontario. On a une multiplicité de très petites entreprises au Québec. Il y en a moins en Ontario. Comparativement parlant, ils ont beaucoup plus de grosses entreprises que nous n'en avons au Québec. Cela prend quelque chose de différent. On a une population sur la

Côte-Nord, dans les régions éloignées, en Abitibi, au Lac-Saint-Jean, partout. Vous le savez. On s'est donné un système d'impôt plus élevé qu'ailleurs justement pour permettre au gouvernement d'encourager la venue dans ces régions éloignées d'employeurs qui autrement ne seraient pas compétitifs avec les autres, afin d'aider ces populations à s'épanouir. C'est le genre de société qu'on a voulu se donner au Québec. Tous les pouvoirs vis-à-vis de la main-d'oeuvre, y compris l'assurance-chômage, pour nous, devraient être rapatriés au Québec, particulièrement la formation professionnelle.

M. Johnson (Anjou): M. Laberge, j'ai une question qui touche à un autre aspect de votre mémoire. C'est quand vous évoquez... Dieu sait que tout le monde, ici, autour de cette table va vous reconnaître à vous, ainsi qu'à la plupart de vos collègues, en dépit du fait qu'il y en ait un ou deux plus jeunes que les autres, une très vaste expérience de la négociation et de l'évaluation du rapport de forces.

Est-ce que j'ai bien compris? Dans votre mémoire, vous dites au gouvernement: Écoutez, le Canada a l'air de vouloir du Québec, en ce moment. Vous êtes allé chercher des choses qui n'apparaissent pas évidentes comme des gains majeurs qui vont déranger des choses demain matin et vous avez comme gouvernement intérêt à attendre.

Si je comprends bien, vous dites que le gouvernement, dans le fond, a un rapport de forces supérieur à celui, peut-être, qu'il pense avoir dans cette négociation. Je voudrais peut-être vous entendre un peu là-dessus.

M. Laberge: Au contraire, on dit que le gouvernement du Québec est en très bonne posture politique comparativement au fédéral. Nos amis, les fédéraux, par tes temps qui courent, ont probablement une couple d'autres chats à fouetter avant de se préoccuper de l'impact politique de l'entente du lac Meech sur le climat au Québec. Ils ont d'autres chats à fouetter. Ils ont d'autres problèmes. C'est pour ça que nous sommes dans une position de force, actuellement, pour négocier, au maximum, avant de signer l'accord. Encore une fois, on ne connaît pas tout. Mais, s'il y a une chose qu'on connaît, c'est qu'une fois l'entente signée il est trop tard pour négocier. Il est trop tard.

Encore une fois, quand on regarde cela - c'est une protection, nous le reconnaissons ce ne sera pas facile d'amender la constitution une fois qu'on en fera partie. Cela va être très difficile. Les autres amendements, on pourra attendre fort longtemps. Une fois qu'on sera allé devant les tribunaux à quelques reprises et que les

tribunaux donneront une interprétation moins élargie que celle que vous croyez qui sera donnée, on sera "poigné" avec la formule, de toute façon. Pour l'amender, ce ne sera pas facile. C'est ça, notre crainte et c'est pourquoi on dit au gouvernement: Vous avez fait des pas. On ne les qualifie pas de majeurs ou d'historiques mais vous avez fait des pas. Bravo! Bravo! Continuons les négociations.

Le Président (M. Filion): M. le ministre. M. Rémillard: Combien de temps pour...

Le Président (M. Filion): II reste environ cinq minutes.

M. Rémillard: M. Laberge, simplement pour vous dire qu'alors que vous demandez une compétence exclusive du Québec en ce qui regarde la main-d'oeuvre il y a une deuxième ronde de prévue. On pourra étudier ce cas d'une façon encore plus particulière. Je vais laisser la parole à l'Opposition.

Le Président (M. Filion): Bon. Je vais reconnaître maintenant un représentant de l'Opposition. M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: M. le Président, très brièvement, je pense avoir bien compris le mémoire de la FTQ. Au fond, ce que vous dites, et vous venez de le répéter, c'est que vous affirmez que le rapport de forces est favorable au Québec dans le contexte actuel, qu'il faut en profiter pour régler l'épineuse question des pouvoirs et satisfaire les revendications traditionnelles du Québec en cette matière. Vous dites au gouvernement que ce que constitue l'entente du lac Meech, au fond, c'est une amorce de négociation, c'est un début, poursuivez, parachevez, complétez la négociation.

Vous savez ce que le gouvernement nous répond quand on aborde cette question. Le ministre l'a maintes fois répété, il vient juste de le répéter: Écoutez, c'est une première ronde, il y a d'autres rondes de négociations qui sont prévues, d'autres phases et les questions de pouvoir que vous évoquez dans votre mémoire, on les abordera à ce moment-là.

Vous avez souvent comparé, avec raison sous certains aspects, la négociation constitutionnelle à la négociation de convention collective. Mais il y a une grande différence. Je pense qu'il faut souligner que dans une convention collective sont écrites la date d'entrée en vigueur de même que la date d'échéance. Elles sont dedans. On sait quand la convention prend fin, mais, dans une négociation constitutionnelle, cela n'existe pas. Au fond, c'est pour cette raison que, si je vous ai bien compris, vous ne croyez en aucune façon que, si l'on ne parachève pas cette négociation constitutionnelle, si on pense la diviser en phases ou en étapes, on fait erreur, finalement, et qu'il n'y aura pas d'autres phases de négociation constitutionnelle qui vont suivre celle-là si on ne prend pas soin de la compléter comme il faut.

M. Laberge: M. le Président, en effet, c'est exactement ce qu'on dit. Il serait tragique de se hâter à signer une entente de principe avant d'avoir obtenu tout ce qu'on veut obtenir. Dans les programmes politiques des deux partis à l'Assemblée nationale, l'entente du lac Meech va beaucoup moins loin que ce qu'on retrouve dans vos propres programmes politiques. Le Parti libéral parlait de pouvoirs exclusifs, de formation professionnelle, de recyclage, etc. On n'a pas cela dans le projet d'accord du tac Meech. On n'a pas cela.

Vous avez raison quand vous dites qu'une convention collective a une durée de trois ans. Tout le monde le sait, sauf qu'on est obligé de vivre avec pendant trois ans, alors que l'accord constitutionnel - et j'en ai parlé encore tantôt - une fois qu'on sera "poigné" avec, on sera "poigné" pour très longtemps parce que les amendements ne seront pas faciles à faire.

Encore une fois, le pouvoir de dépenser du fédéral, mon Dieu Seigneur! il me semble que c'est d'entrouvrir la porte toute grande, et c'est une invitation au fédéral, qui n'en a pas besoin, de venir s'ingérer dans des domaines de compétence provinciale. Le fait de dire au fédéral: Merci, on n'en veut pas, on veut notre compensation raisonnable, adéquate, juste, je ne sais pas trop comment ce sera interprété, ça. Mais cela ne l'empêchera pas de dépenser. Pour nous, il nous semble que c'est capital. Encore une fois, une fois qu'on est "poigné" dans la constitution... Cela fait cinq ans que le Canada a sa constitution; il me semble qu'on ne s'en porte pas si mal que cela. Après cinq ans, je trouve qu'on n'est pas trop mal. Pour nous, il n'y a pas cette hâte fébrile à signer, à moins d'être bien sûr de ce qu'on signe. Vous aviez raison, M. le ministre, tantôt quand vous disiez: C'est historique. Nous sommes convaincus que ce sera historique. C'est pour cela qu'on ne doit rien négliger. (11 heures)

M. Brassard: M. le Président, c'est d'autant plus important de compléter la négociation comme vous le dites, M. Laberge, que, concernant l'entente du lac Meech, le ministre a dit tantôt: Cela va être suivi d'une autre phase et là les questions importantes que vous évoquez, la question du partage des pouvoirs, bon, on y viendra. Je vous signale que ce n'est pas le cas. Il y a peut-être une prochaine phase prévue, mais cette prochaine phase est reportée, parce

que c'est dans l'entente aussi. Elle va porter sur la réforme du Sénat. Le premier point majeur, le plus important, le plus essentiel après cette phase selon le ministre et selon l'entente elle-même, c'est la réforme du Sénat. Alors, ce n'est même pas la question des pouvoirs, la question du partage, d'une nouvelle répartition des pouvoirs, que vous jugez - je suis d'accord avec vous - capitale, ce n'est même pas cette question qui va faire l'objet de la prochaine phase, c'est la réforme du Sénat.

Le Président (M. Filion): Merci. Je vais reconnaître maintenant un porte-parole du groupe ministériel. Vous n'avez pas de question pour le moment? Alors, je vais reconnaître maintenant Mme la députée de Chicoutimi.

Mme Blackburn: Merci, M. le Président. M. Laberge, dans votre mémoire, vous dites: II faut que le gouvernement sache que nous n'exigeons rien de moins que le droit exclusif de légiférer en matière linguistique. Ce que nous dit le ministre, c'est que reconnaître la société distincte dans la constitution, c'est exceptionnel. Sauf que société distincte ou société en droit international, lorsqu'on utilise "société" en droit international, c'est exclusivement pour les droits corporatifs ou les droits institutionnels. Et, en matière internationale, on a voulu changer le mot "société" pour parler de communauté internationale. Je pense que c'est connu. Le ministre le sait. Cela a fait dire à plusieurs intervenants que "société distincte", cela ne voulait, à toutes fins utiles, rien dire et même que quelques libellés pouvaient dire l'inverse de ce qu'on prétend que cela peut vouloir dire. C'est-à-dire que cela pourrait dire à la limite et par l'absurde que ce qui distingue le Québec c'est le fait qu'au Québec les anglophones soit minoritaires. Il n'est dit nulle part que la société distincte au Québec, c'est une majorité composée de francophones. C'est dit "concentré au Québec", mais cela n'est pas dit majoritairement au Québec.

Est-ce que j'irais trop loin si je vous interprétais en disant que, si ce n'est pas clairement exprimé que le Québec a le droit exclusif de légiférer en matière linguistique, cette entente ne devrait pas être soumise?

M. Laberge: C'est en plein notre position, madame. Encore une fois, on a vécu cette expérience au sein du mouvement syndical. Comme vous le savez, nous sommes affiliés au Congrès du travail du Canada. Alors, on retrouve exactement les mêmes représentants, neuf contre un. On a vu cela. Nous avons négocié au CTC une résolution dans laquelle le droit à l'autodétermination du Québec était clairement spécifié. Cela n'a pas été facile. Il y a des délégués qui trouvaient que nous n'allions pas assez loin nous aussi. Nous avons réussi à faire adopter cela par la vaste majorité des délégués en congrès; une vaste majorité de délégués anglophones évidemment. Pour nous, si nous n'avons pas un droit exclusif sur la langue, si nous n'avons pas le droit de rapatrier les compétences qu'il nous faut pour protéger mieux et davantage la main-d'oeuvre - et nous ne l'avons pas - si notre droit à l'autodétermination n'est pas clairement reconnu - une société distincte, moi, je suis d'accord avec le ministre, c'est peut-être un pas de fait - mais si on n'a pas ce droit clairement spécifié dans la constitution, nous sommes convaincus que ce serait une erreur tragique de signer l'entente.

Mme Blackburn: Une dernière. Le ministre nous dit souvent que "société distincte" c'est plus large que le mot "peuple". Il interprète le mot "peuple" et on finit par comprendre dans sa définition que, pour définir un peuple, il faut quasiment qu'il soit itinérant, c'est-à-dire qu'il n'ait pas d'institutions, qu'il n'ait pas de statut politique particulier, qu'il n'ait pas un système économique ni un territoire. Il finit par définir "peuple" comme on parle des Arméniens ou des Juifs, sans territoire, sans statut politique et sans institutions économiques. Il s'en défend et il nous dit: Société distincte, c'est plus large. Pourtant, une société distincte, en droit international, ce n'est pas reconnu, alors que le droit des peuples est reconnu dont celui à l'autodétermination.

Je voudrais savoir si, selon vous, cette acception de ce terme "société distincte" a une référence équivalente à "peuple". Vous avez réfléchi à cette question. Je sais que vous n'êtes pas spécialiste en droit constitutionnel, mais quand même...

M. Laberge: Pour moi, la meilleure façon de vous répondre, c'est de dire: Donnez-nous en pas plus qu'on en demande. Si c'est vrai que cela veut dire plus, la constitution ne sera pas faite pour les experts, elle sera faite pour le monde. Contentez-vous de nous donner le droit à l'autodétermination et le droit exclusif de légiférer sur la langue et on sera très content de cela. Ne nous en donnez pas plus, donnez-nous cela.

Le Président (M. Filion): Mme la députée de Chicoutimi.

Mme Blackburn: Une dernière petite question, M. le Président. Quand vous invitez le gouvernement à mettre la population dans le coup, vous indiquez un certain nombre de moyens pour le faire. On pense particulièrement au moment où on modifie des lois; que ce soit des lois du travail, des lois fiscales,

on fait une large consultation. Pensez-vous comme d'autres que, par exemple, on pourrait former une constituante pour élaborer ce que pourrait être le contenu d'une prochaine entente?

M. Laberge: Madame, que là vous touchez une question sensible et nous le disons depuis fort longtempsl On ne voudrait absolument pas être rabaissés au niveau des lois du travail de certaines autres provinces et de la loi du travail fédérale, par exemple, tout particulièrement pour les femmes: Les programmes d'accès à l'égalité, la question des femmes enceintes et tout ça... Malheureusement nous avons de nos membres, parce qu'elles sont sous juridiction fédérale, qui ne peuvent pas profiter des mêmes droits que les autres travailleuses du Québec. Le monde chez nous trouverait cela une perte absolument épouvantable.

Si vous le permettez, Claude Ducharme voudrait dire quelques mots.

M. Ducharme (Claude): M. le Président, si vous le permettez, c'est sur le caractère distinct du Québec. J'ai entendu M. Rémillard. Au lendemain de la signature de ce pacte-là, on sera encore là. On va encore négocier avec GM, Pratt et Whitney, Ford, Chrysler, toutes ces multinationales. On va être devant eux. Â l'heure actuelle, ce sont des batailles de tranchées. On a été obligé de faire deux grèves pour se faire reconnaître au Québec et reconnaître le fait français, pour pouvoir présenter nos griefs en français, les discuter et négocier en français et avoir des conventions collectives de travail rédigées en français au Québec. Au lendemain de tout cela si on donne une autre notion... Ce que l'on voit là-dedans, c'est que vous êtes en train de faire du Québec un Québec bilingue. Et un Québec bilinque dans le langage international, cela veut dire un Québec anglophone et après c'est une traduction française. C'est cela en réalité et quand je vois que l'on dit qu'on aura un Canada francophone, une qrande concentration au Québec et que l'on n'est pas limités au Québec, on a l'autre part qui est dans le reste du Canada, eh bien, je vous dis en pratique ce qui se passe à l'heure actuelle: Les manuels techniques que l'on reçoit, les textes que l'on reçoit ce sont des textes anglais traduits maintenant, et en grande partie, non plus au Québec, mais en Ontario puis on reçoit du "baragouinage". On ne reçoit plus du français comme on avait autrefois. C'est ce qui se passe en réalité et tout ce que l'on vous demande... Quand vous me dites que ce n'est pas cela, allez voir puis demandez à la compagnie Ford de déposer ses régimes de retraite en français au Québec en vertu du Code du travail, puis vous allez voir que c'est un avocat de Toronto qui nous a répondu en disant que, lui étant à Toronto et la compagnie Ford à Toronto, ils ont aucune obligation de déposer leurs textes en français au Québec. C'est cela que l'on vit dans la réalité et ce que l'on vous demande dans la constitution c'est que vous négociiez quelque chose, rédigiez quelque chose pour qu'on ait un Québec, une fois pour toutes, francophone où on ne sera pas obligé après aux tables de négociations avec les multinationales, pour avoir du français langue de travail, de faire les luttes que l'on fait à l'heure actuelle. C'est tout ce que l'on vous demande, et trouvez les mots. Vous êtes des juristes. Vous êtes des personnes capables d'en trouver et c'est ce que l'on demande.

Le Président (M. Filion): Merci, M. Ducharme. Je reconnais maintenant le porte-parole...

M. Lefebvre: M. le Président, est-ce que je dois comprendre que le temps de l'Opposition est expiré?

Le Président (M. Filion): Non, il reste une demi-minute.

M. Lefebvre: Combien reste-t-il, M. le Président?

Le Président (M. Filion): Une demi-minute, M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: C'est important que je le sache, M. le Président...

Le Président (M. Filion): Et quatre minutes au Parti libéral.

M. Lefebvre: J'ai le droit de vous poser la question, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Oui.

M. Lefebvre: Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Y a-t-il une intervention du côté du groupe ministériel?

M. Rémillard: Oui. M. Ducharme, je voudrais vous dire que l'entente du lac Meech ne fera pas du Québec une province bilingue; au contraire, M. Ducharme, pour la première fois on va reconnaître dans la constitution que l'Assemblée nationale et le gouvernement ont le rôle de protéger et promouvoir la spécificité du Québec. Cette spécificité du Québec est fondée sur une culture, une langue française. Cela est évident pour tout le monde.

Ce que je peux vous dire, c'est que nulle part dans votre argumentation je n'ai entendu ce dernier paragraphe de l'entente du lac Meech concernant le Québec comme société distincte en ce sens que le Québec

va avoir le rôle de protéger et de promouvoir. Cela vaut pour la langue française, pour ta culture française, pour les institutions, pour les existences de relations du travail, pour nos relations économiques et pour nos relations sociales. C'est cela qui fait que nous sommes distincts.

M. Ducharme, les exemples que vous nous donnez, vous allez retrouver là une assise extrêmement intéressante qui va vous aider à développer notre spécificité dans des domaines que vous venez de mentionner. Il faut bien comprendre que la compétence en matière linguistique, le Québec l'a déjà. Le Québec a déjà sa compétence sur la langue. II y a deux limites et je sais que vous êtes d'accord avec ces deux limites.

Il y a l'article 133 de la constitution de 1867 qui fait qu'on peut parler anglais à l'Assemblée nationale ou à une commission comme ici et au Parlement du Canada on peut parler français. Est-ce que vous êtes contre cela? Je pense que vous n'êtes pas contre cela. D'autre part, l'article 23 de la constitution, de la charte, nous dit que les parents qui ont fait leurs études primaires en anglais dans une autre province canadienne, lorsqu'ils viennent au Québec, ils peuvent envoyer leurs enfants à l'école anglaise. Est-ce que vous êtes contre la clause Canada? Je pense que je n'ai jamais entendu dire que vous êtes contre cela.

Donc, ce sont les deux seules limites que nous avons et vous êtes en faveur de cela comme... Je pense que c'est normal d'être en faveur de cela. II n'est pas question de mettre dans l'entente du lac Meech des pouvoirs que nous avons déjà. Nous avons actuellement le pouvoir de légiférer sur la langue. Nous l'avons et nous le défendons. Ce que nous allons avoir maintenant c'est une assise encore plus solide en ce qui regarde la charte des droits, en ce qui regarde d'autres pouvoirs qui sont peut-être plus ambigus. On ne changera pas le partage des pouvoirs, mais on va donner des dents à cette spécificité du Québec, ce qui, parce que nous avons ce rôle maintenant attribué au gouvernement et à l'Assemblée nationale, va nous permettre de faire balancer l'ambiguïté du côté du Québec. Cela, messieurs, je veux vous dire qu'il faut reconnaître qu'il y a là un gain majeur et un gain historique.

Vous me dites, M. Laberge: Bravo, vous avez fait un bon bout de cheminî Finalement, ce que je comprends de votre intervention, c'est que vous n'êtes pas nécessairement contre l'entente, mais vous dites: Vous avez fait un bon bout de chemin et cela va assez bien, n'arrêtez pas là. Savez-vous, M. Laberge, cela me fait penser un peu à une partie de hockey déterminante pour la coupe Stanley où un joueur a un très beau jeu, il a une échappée, il est tout seul devant le but, on a retiré le gardien de but, il peut mettre la rondelle dans le but et vous dites: Attention! C'est tellement beau de vous voir aller, vous allez tellement bien, refaites donc un autre petit tour. Allez donc faire un autre petit tour et vous reviendrez après.

M. Laberge, je dois vous dire - vous le savez, vous êtes un négociateur - qu'on est parti de loin. Vous savez qu'on avait à composer avec une situation difficile. Vous savez qu'il a fallu partir avec ce principe de l'éqalité des provinces qui avait été reconnu par le PQ, par le gouvernement péquiste, que le Québec était comme l'Île-du-Prince-Édouard. Vous savez qu'on a ramassé des pots cassés. On a cette entente. Je peux vous dire qu'en dehors de cette commission je vais être à votre disposition et je voudrais vous en parler parce que, quand j'ai commencé à discuter avec vous sur l'immigration, par exemple, sur d'autres points, je voyais que cela ne peut peut-être pas être aussi radical. Je vais vous dire, je suis à votre disposition parce que vous représentez des travailleurs et des travailleuses, et c'est important que vous soyez au courant. Je veux vous dire, comptez sur moi, je vais aller vous l'expliquer, je vais vous parler de cette entente. Vous avez raison de nous dire bravo parce que c'est une entente historique.

M. Laberge: M. le Président, nous allons certainement accepter l'invitation du ministre. Nous allons certainement lui en reparler pourvu qu'on ait la chance de le faire. C'est vrai qu'on a dit: II y a des pas de faits. Pour prendre votre comparaison, la partie cruciale, la septième partie pour la coupe Stanley, je comprends votre allusion avec le gars dans son échappée, mais je comprendrais mal qu'un club fasse ce que vous êtes en train de faire, parce qu'ils ont compté deux buts dans la première période et refuseraient de jouer la deuxième et la troisième.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Laberge: Vous en êtes à la première période.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie.

M. Rémillard: Vous avez parfaitement raison, mais il y a une deuxième période de prévue dans l'acte.

Le Président (M. Filion): Donc, il reste une demi-minute environ à M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): II reste une demi-minute, M. le Président. Je voudrais évidemment remercier les gens de la FTQ,

dont M, Laberge, M. Daoust, M. Ducharme et les autres. Pour continuer l'allégorie, c'est que la deuxième période, d'après ce qu'on lit dans l'accord du lac Meech, M. le ministre, c'est que vous "scorez" dans vos propres buts. Cela, c'est inquiétant!

Des voix: Ha! Ha! Ha! M. Daoust: ...

Le Président (M. Filion): Oui, M. Daoust.

M. Daoust: Oui, juste une toute petite correction. M. Rémillard a mentionné que nous étions d'accord avec l'article 133, l'article 23, tout ça. Je voudrais rappeler à M. Rémillard que la FTQ fait partie du MQF qui, à de multiples reprises, a fait connaître ses vues sur ces articles et sur la portée de certains textes à l'égard du débat linguistique. La FTQ en fait partie depuis toujours. Tous les documents du MQF ont fait l'objet d'une approbation par les instances décisionnelles de la FTQ. Je voulais donc vous rappeler que, là-dessus, il y a d'immenses réserves que nous avons exprimées, tant è la FTQ qu'à l'intérieur du MQF, sur les deux articles que vous avez mentionnés.

Le Président (M. Filion): Donc, au nom des membres decette commission, M. Laberge, M. Daoust, ainsi que les gens qui vous accompagnent, je voudrais vous remercier de vous être prêtés à ces trois périodes de 20 minutes avec autant de disponibilité.

Nos travaux sont suspendus pour quelques minutes, le temps de laisser à nos prochains invités le soin de prendre place à la table des invités.

(Suspension de la séance à 11 h 17)

(Reprise à 11 h 24)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! Nous reprenons donc nos travaux qui avaient été suspendus. Les représentants d'Alliance Québec ont pris place à la table des invités. Je leur souhaite la bienvenue. Ils connaissent déjà sûrement nos règles du jeu: 20 minutes sont consacrées pour l'exposé et les 40 minutes additionnelles sont partagées en parts égales entre les deux groupes parlementaires pour échanger avec nos invités.

Au centre de la table, je reconnais M. Michael Goldbloom, président. Je lui demanderais, tout d'abord, de bien vouloir nous présenter les personnes qui l'accompagnent; à la suite de quoi, il pourra faire son exposé. M. Goldbloom.

Alliance Québec

M. Goldbloom (Michael): Merci, M. le Président et MM. les membres de la commission. Je suis accompagné aujourd'hui du professeur Stephen Scott de l'Université McGill et de la conseillère juridique d'Alliance Québec, Mme Kathleen Weil. M. le Président, ma présentation est d'à peu près 25 minutes et je vous demande à l'avance s'il sera possible de dépasser légèrement la période.

Le Président (M. Filion): Consentement. Allez-y pour 25 minutes, M. Goldbloom.

M. Goldbloom: Merci. Nous vous remercions de nous donner l'occasion de participer à ces délibérations qui sont d'une importance historique pour le Québec et pour le Canada. En tant que Québécois qui ont vécu les émotions intenses de la campagne référendaire de 1980 et qui ont partagé les attentes envers le renouveau du fédéralisme qu'on promettait alors, nous avons profondément reqretté le fait que le Québec ne fut pas l'un des signataires de l'accord constitutionnel de 1982.

The Constitution Act of 1982 marked the end of the last vestige of Canada's colonial status. But Quebec's moral exclusion from that Act has remained an unhealed sore. The longer that it is left to fester, the greater will be the danger to Québec and to the future of our country. For the last five years, we have lived with the knowledge that Quebec's continued isolation could eventually jeopardize the foundations of our Federation.

Nous accueillons donc les efforts exceptionnels déployés par le premier ministre, Robert Bourassa, et ses homologues du fédéra! et des autres provinces, en reconnaissant que la réconciliation nationale est un impératif national et en concluant une entente de principe qui permettra au Québec de signer avec dignité et confiance la constitution canadienne.

Une constitution établit non seulement les institutions et les paramètres légaux à l'intérieur desquels une société évolue; elle inspire aussi les générations futures par la vision sociale qu'elle propose. L'accord du lac Meech doit donc être évalué en fonction des valeurs fondamentales qu'il définit et par l'image qu'il dépeint du Québec et du Canada.

La vision du Canada qui a toujours inspiré le travail d'Alliance Québec est celle d'un pays dans lequel deux communautés de langues officielles peuvent vivre et travailler ensemble dans un respect mutuel. Nous croyons que la pierre de touche de la dualité linguistique du Canada doit être l'acceptation, en principe et en pratique, du besoin d'assurer, de façon continue, que les

Canadiens d'expression française et d'expression anglaise puissent se sentir chez eux dans leur langue, partout au pays, où qu'ils choisissent de s'établir.

Afin d'y parvenir, nous croyons que les citoyens d'expression anglaise et d'expression française doivent obtenir l'assurance que, où qu'ils aillent au pays, ils pourront se fier à un dénominateur commun de droits et d'accès à des services de base dans leur langue.

Nous avons travaillé activement et de façon constructive pour faire valoir cette vision du Canada non seulement au Québec et à l'échelon fédéral, mais aussi dans divers forums dans presque toutes tes provinces de notre pays. Cependant, nous demeurons Alliance Québec et nous avons systématiquement poursuivi notre débat fondamental au sein de la société québécoise. En tant que Québécois, nous ressentons avec une grande acuité le caractère unique de notre société. Nous savons que, dans le contexte du respect des droits fondamentaux, il est légitime et nécessaire pour notre Assemblée nationale de prendre des mesures positives pour protéger le français et pour promouvoir le caractère distinct de notre province. Nous savons également, toutefois, que ce caractère unique du Québec est partiellement attribuable à notre présence et à notre engagement.

Enfin, nous avons la conviction profonde que le Québec peut assurer le caractère distinct de notre société tout en se faisant le défenseur de droits constitutionnels mieux protégés pour les communautés minoritaires de langues officielles partout au Canada.

C'est donc dans cette optique du Québec et du Canada que nous tenterons d'évaluer l'accord du lac Meech.

Avant d'aborder l'analyse des clauses de l'entente, nous désirons, comme M. le chef de l'Opposition et d'autres intervenants, dénoncer le fait que ces audiences se déroulent sans les textes de loi qui donneront à l'accord du lac Meech une forme constitutionnelle. La formulation précise dans les deux langues sera d'une importance capitale. Par conséquent, nous faisons aujourd'hui nos commentaires sous réserve de l'examen soigneux des textes de loi précis.

En outre, bien que nous soyons heureux de participer à ces audiences aujourd'hui, nous déplorons le fait que seul le Québec tienne de telles audiences publiques avant la prochaine rencontre des premiers ministres. Il semble exister une stratégie visant à limiter, voire même à réprimer l'examen et la discussion de la part du public. Nous parlons ici du texte de loi le plus important de notre pays, La précipitation dont nos gouvernements font preuve est inconvenante et inacceptable. Pour qu'un débat public sensé ait lieu, il devrait être basé sur le texte de loi proposé et se dérouler non seulement au Québec, mais aussi, à tout le moins, à l'échelon fédéral et ce, avant et non après la signature de l'accord.

La Cour suprême. L'accord du lac Meech comprend deux concepts importants au sujet de la Cour suprême du Canada, le premier étant la présence assurée de juges du Barreau civil et le second étant la participation des provinces au processus de mise en candidature. En ce qui concerne la composition de la Cour suprême, nous croyons qu'une représentation appropriée de notre système de droit civil est essentielle. Une tradition de longue date assurait que trois des neuf juges de la Cour suprême soient du Barreau civil. Nous sommes heureux que le gouvernement du Québec ait réussi à conclure une entente pour que cette tradition soit enchâssée dans la constitution.

Le second élément de la refonte de la Cour suprême dont fait état l'accord du lac Meech concerne la nomination des juges. La force et la santé d'une société libre et démocratique reposent sur des tribunaux indépendants et impartiaux qui suscitent le respect et la confiance de tous ceux qui relèvent de leur juridiction et de tous ceux qui comparaissent devant eux.

Tous les juristes connaissent la vieille maxime qui dit: "Justice should not only be done, but manifestly and undoubtedly be seen to be done". Malheureusement, la Cour suprême a, de temps en temps, fait l'objet de certaines critiques quant au processus de sélection de ses membres. Depuis des années, les provinces se plaignent que les nominations à la Cour suprême sont faites par le gouvernement fédéral et que les gouvernements provinciaux n'y participent pas de façon officielle.

Il ne s'agit pas ici de savoir si le processus de nomination a ou non affecté le processus judiciaire. Le problème réside plutôt dans le fait que le processus de nomination donne lieu à des interrogations sur la question de la confiance dans la Cour suprême en tant que telle. Voilà pourquoi nous sommes heureux que l'accord du lac Meech aborde la question des nominations de la Cour suprême et concrétise le principe de la participation officielle des deux paliers de gouvernement au processus de sélection. Nous croyons, cependant, qu'il est nécessaire de réfléchir davantage à cette question.

Si l'accord du lac Meech prévoit une participation des provinces au processus de mise en candidature, il n'aborde pas vraiment le problème de la politisation du processus de nomination. Il est essentiel que les simples citoyens canadiens, et non seulement leurs gouvernements, aient confiance dans leurs tribunaux. Après tout, à cause de l'enchâssement de la Charte des droits et libertés de la personne dans la constitution, il est probable que la Cour suprême soit de plus en plus appelée à juger des différends entre des citoyens et leur gouvernement.

Le concept d'une liste privilégiée provinciale à partir de laquelle le gouvernement fédéral doit faire un choix est presque, à coup sûr, une source potentielle d'affrontements, d'impasses et de magouille politique. L'accord du lac Meech ne fait rien pour dépolitiser le processus de sélection ou pour assurer la participation de la communauté et des citoyens.

Il n'est pas surprenant que l'Association du Barreau canadien ait condamné le processus de sélection proposé dans l'accord. L'ABC suggère un comité impartial de mise en candidature composé de représentants des tribunaux, du Barreau, du public et des deux paliers de gouvernement. Nous appuyons le concept suggéré par l'ABC et demandons instamment que des amendements à la constitution soient formulés en conséquence.

En ce qui concerne le Sénat, depuis des décennies, on parle de le réformer. Si les projets de réforme peuvent différer considérablement, un thème général s'engage de façon systématique. En effet, on croit généralement que le Sénat devrait offrir une meilleure représentation, au sein du gouvernement fédéral, de certains aspects de la réalité canadienne. Quant à savoir quels aspects et quels moyens, voilà qui demeure un sujet de controverse. D'aucuns prétendent que le Sénat devrait refléter notre dualité linguistique. D'autres croient qu'il devrait assurer l'égalité des provinces. Il est donc clair qu'on n'en est pas encore arrivé à un consensus.

Néanmoins, l'accord du lac Meech propose qu'en attendant une réforme globale les sénateurs seront choisis par le gouvernement fédéral à partir des listes proposées par les provinces. En même temps, l'entente prévoit que les changements ultérieurs apportés au Sénat nécessiteront un accord unanime de toutes les provinces et du gouvernement fédéral.

Les solutions provisoires ont malheureusement tendance à devenir permanentes. Dans le cas de la réforme du Sénat, l'accord du lac Meech accroît ce risque de deux façons. Premièrement, pourquoi le Québec ou l'Ontario appuyeraient-ils le Sénat des "trois E" du premier ministre Getty, alors que chacun dispose approximativement de 25 % des sièges du Sénat? Deuxièmement, pourquoi une province refuserait-elle l'un des meilleurs dispositifs de patronage jamais imaginés? D'après l'accord du lac Meech, les gouvernements provinciaux pourraient soumettre une liste d'amis du pouvoir et les personnes choisies seraient payées par le trésor fédéral.

Nous croyons que, si réforme du Sénat il y a, elle doit s'effectuer de façon appropriée et globale après conclusion d'une entente générale sur l'objet, la nature et la portée de cette réforme. La solution provisoire actuellement proposée soulève le risque sérieux de bloquer en fait le processus de réforme.

Si imparfait qu'ait pu être le processus actuel de nomination des sénateurs, il a tout au moins témoigné d'un certain effort et d'une tradition de reconnaître la dualité linguistique fondamentale du Canada en nommant des sénateurs non québécois d'expression française et des sénateurs québécois d'expression d'anglaise. Si le droit de proposer des candidats au Sénat est accordé aux provinces, il doit s'accompagner de la responsabilité de respecter la tradition consistant à assurer la représentation de nos communautés linguistiques minoritaires. Nulle part dans l'accord du lac Meech ne fait-on état du maintien de cette tradition.

Nous croyons que toute refonte du Sénat, même celle qui est proposée dans l'accord du tac Meech, doit comprendre des critères d'admissibilité et de sélection des sénateurs, y compris le reflet de notre dualité linguistique et de notre diversité multiculturelle. En outre, pour aider à assurer l'ouverture du processus et le respect des critères de sélection, tes listes de candidats au Sénat devraient être rendues publiques avant que les éventuels sénateurs soient nommés.

Nous accueillons favorablement la reconnaissance par une clause interprétative du fait que l'une des caractéristiques fondamentales du Canada est l'existence d'un Canada francophone, concentré mais non limité au Québec et l'existence d'un Canada anglophone, concentré dans le reste du pays, mais présent au Québec.

Cependant, même si nous sommes satisfaits de la reconnaissance explicite de notre communauté au sein du Québec, nous trouvons la formulation inadéquate parce qu'elle ne reflète pas les racines québécoises de notre communauté d'expression anglaise. Nous ne sommes pas un prolongement ou une intrusion du Canada anglais au Québec. Nous sommes une partie intégrante de la société québécoise et de son histoire. Nous sommes Québécois, et nous sommes ici chez nous.

En outre, la simple reconnaissance d'un Canada francophone à l'extérieur du Québec est insuffisante. Tout comme on reconnaît explicitement la communauté d'expression anglaise du Québec, on devrait reconnaître clairement le rôle historique et le statut des communautés d'expression française dans toutes les provinces du pays.

Notre recommandation est donc que l'article (l)a) devrait être amendé et se lire comme suit: La reconnaissance que l'existence d'un Canada francophone, concentré au Québec mais aussi présent historiquement dans l'ensemble du Canada et celle d'un Canada anglophone, concentré dans le reste du pays mais aussi présent historiquement au Québec constitue une

caractéristique fondamentale de la Fédération canadienne.

The commitment by Parlement and the provincial legislatures expressed in paragraph 2 to preserve the fundamental linguistic duality of the country although significant is insufficient.

Just as the role of Legislature and the Government of Quebec in preserving and promoting Quebec's distinctiveness is to be affirmed there should be an equally explicite affirmation of the role of the Parliament and of the provincial Legislatures, not only to preserve but also to promote Canada's linguistic duality.

La présence de communautés minoritaires de langues officielles est un facteur primordial pour assurer la dualité linguistique dans l'ensemble du pays. Les communautés d'expression française à l'extérieur du Québec connaissent une baisse démographique. Dans certains cas, le taux d'assimilation menace leur existence et la communauté d'expression anglaise du Québec est aux prises avec le défi que pose une perte nette migratoire.

Des mesures récentes, tels le projet de loi 142, au Québec, qui garantit des services sociaux et de santé en anglais et le projet de loi 8, en Ontario, qui prévoit des services gouvernementaux en français, sont des exemples du rôle constructif que chaque province peut jouer pour promouvoir sa communauté minoritaire de langue officielle.

Il est donc inacceptable que les premiers ministres ne soient pas allés plus loin que d'engager leur Législature, en tenant compte des contraintes de leurs pouvoirs respectifs, à conserver la dualité canadienne. Si la dualité linguistique du Canada doit demeurer une facette essentielle de notre pays, nos gouvernements doivent s'engager à jouer un rôle actif pour promouvoir les communautés minoritaires de langues officielles où qu'elles soient au Canada. Nous regrettons particulièrement que le gouvernement fédéral semble reculer devant sa responsabilité traditionnelle à cet égard.

Notre recommandation donc est que l'article 2 devrait être amendé et se lire comme suit: Le Parlement et les Législatures des provinces, dans l'exercice de leurs compétences respectives, prennent l'engagement de protéger et de promouvoir la caractéristique fondamentale du Canada mentionnée au paragraphe (l)a).

C'est l'étude de ces deux articles qui ont trait à la dualité et au caractère distinct du Québec qui nous a amenés à la conclusion malheureuse, mais inévitable que le Québec n'a pas réussi à atteindre l'un de ses principaux objectifs énoncés dans le cadre de la réforme constitutionnelle. Le 9 mai 1986, à Mont-Gabriel, le ministre québécois des Affaires intergouvernementales canadiennes avait déclaré que l'un des trois principaux objectifs du Québec serait d'arriver à améliorer la situation des francophones au Québec. Il avait souliqné deux domaines où des progrès pourraient être réalisés: premièrement, une clarification de l'article 3b de l'article 23 de la Loi constitutionnelle de 1982 afin de prévoir explicitement que les membres des communautés minoritaires de lanques officielles aient le droit de contrôler et d'administrer leurs propres écoles; deuxièmement, le retrait possible du critère de "lorsque le nombre le justifie" qui limite le droit pour la minorité de recevoir l'instruction dans sa lanque.

Ni l'une ni l'autre de ces questions n'est abordée dans l'accord du lac Meech. À l'absence de progrès dans ces domaines, si l'on ajoute, d'une part, le fait que l'accord ne prévoit pas une reconnaissance explicite de la présence d'une communauté francophone dans chaque province et chaque territoire et, d'autre part, l'absence d'engagement de la part des gouvernements fédéral et provinciaux à promouvoir les communautés francophones hors Québec, on peut conclure que le Québec et ses partenaires de la confédération n'ont pas réussi à assumer leurs responsabilités historiques. "The question has been asked: Who spoke for Canada at Meech Lake? We must now ask the question: Who spoke for the linguistic minorities?"

Quant à la reconnaissance à l'article (l)b) que le Québec constitue au sein du Canada une société distincte, et l'identification à l'article 3 du rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec pour conserver et promouvoir ce caractère distinct, Alliance Québec affirme, comme elle l'a toujours fait, son accord. Nous avons maintes fois répété qu'il est à la fois nécessaire et légitime pour le gouvernement du Québec, tout en respectant les droits fondamentaux, de prendre des mesures positives en vue de protéger le français. Le contexte nord-américain posera toujours un défi particulier à la langue française, et nous partageons tous la responsabilité de faire face à ce défi.

Bien que l'accord du lac Meech situe le caractère distinct du Québec dans le contexte de la dualité linguistique du Canada, il ne le définit pas.

L'article (l)a) parle d'un Canada francophone concentré au Québec, et le caractère français prédominant du Québec est certainement l'élément le plus évident du caractère unique de notre province. Mais cela demeure une image incomplète de ce qui distingue le Québec des autres provinces.

Notre système de droit civil et le caractère particulier de bon nombre de nos institutions constituent d'autres éléments du caractère distinct du Québec et, pourtant, la

spécificité du Québec représente davantage que la somme de tous ces éléments.

Le caractère distinct du Québec est l'aboutissement d'une évolution graduelle et continue sur le plan historique, social et politique. La dynamique de l'interaction entre le caractère français prédominant du Québec, sa composante historique d'expression anglaise et sa diversité culturelle et linguistique croissant définit notre société et fait partie intégrante de sa spécificité. (11 h 45)

Le Québec est une société de minorités au sein d'une minorité. C'est la seule province comptant une majorité d'expression française au sein de la Fédération canadienne. Il s'agit, en fait, de la seule juridiction à prédominance française dans toute l'Amérique du Nord. Le Québec est aussi la seule province au Canada comptant une minorité d'expression anglaise.

Non seulement cette dynamique distingue-t-elle l'ensemble de la société québécoise, mais aussi donne-t-elle à chacune de ses communautés un caractère particulier qui les distingue des communautés comparables ailleurs. Ainsi, la communauté d'expression anglaise du Québec partage une langue avec la majorité à l'extérieur du Québec, mais elle a acquis un caractère spécifiquement québécois.

Les communautés italienne, grecque, portuguaise, indienne, haïtienne, caraïbe et toutes les diverses autres communautés culturelles du Québec partagent un patrimoine et une langue avec des communautés ailleurs au Canada, mais elles ont également été spécifiquement transformées par leur expérience au sein de la société québécoise. Cependant, ces transformations ne diminuent pas la diversité de la société québécoise. Les interactions des différentes communautés du Québec, majoritaire et minoritaires, ne les rendent pas toutes semblables, mais en font plutôt des communautés distinctement québécoises.

Par conséquent, le caractère unique et particulier du Québec est en partie le déploiement d'une diversité culturelle et linguistique au sein d'une société à prédominance d'expression française. Le rôle de la Législature et du gouvernement de Québec, voire le défi qui leur est posé, est donc de maintenir cette diversité tout en favorisant le caractère français du Québec.

Nous crayons profondément que le prix de la protection du français au Québec n'a pas besoin d'être et ne doit pas être l'uniformité linguistique et culturelle. Il est à la fois possible et désirable de construire une société, ni "melting-pot", ni mosaïque, dans laquelle toutes les communautés qui en font partie peuvent manifester leur identité, tout en partageant la responsabilité de conserver le caractère à prédominance française du Québec.

There is no place in the vision of an open pluralistic society for a view of any of its member communities as alien or threatening. We are all Quebeckers in a multitude of ways. All of us, and notably this English-speaking community, are part of what makes Quebec distinct.

C'est à la suite de ces réflexions sur les nombreuses composantes du caractère unique du Québec que nous nous sommes progressivement éloignés de la notion que le caractère distinct du Québec pourrait et devrait être défini. Nous avons suivi attentivement les discussions sur cette question lors des audiences de cette commission et ailleurs et nous sommes persuadés qu'en donnant une définition du caractère distinct du Québec on risquerait de limiter ce caractère et d'obtenir une définition qui pourrait perdre sa validité avec le passage du temps.

La critique vigoureuse du député fédéral de Saint-Henri-Westmount au sujet de l'absence de définition du caractère distinct du Québec reflète une préoccupation profonde de certains membres de la communauté d'expression anglaise du Québec. La critique tout aussi vigoureuse du chef de l'Opposition à l'Assemblée nationale sur cette même question, quoique motivée par des raisons diamétralement opposées, reflète un degré de préoccupation comparable. Ces appréhensions sont réelles et justifiables et les déclarations contradictoires du sénateur Murray, du ministre Rémillard et d'autres intervenants quant à savoir si cette clause risque ou non d'accroître les pouvoirs du Québec ne contribuent qu'à exacerber ces tensions. Nous ne devons, toutefois, pas succomber è une telle anxiété. Nous ne devons pas nous enferrer dans un débat où chaque partie tenterait d'obtenir la définition qui lui serait la plus favorable et lors duquel les tensions ne pourraient que s'accroître. Continuons plutôt à faire évoluer la société québécoise en continuant à progresser ensemble.

En fait, la spécificité du Québec, tout en conservant son aspect à prédominance française, évoluera de pair avec notre société dynamique. Elle pourra fort bien justifier un rôle plus important pour le Québec dans les relations internationales, dans les politiques sociales ou fiscales, dans le domaine des communications ou dans une foule d'autres domaines.

Personne ne peut prévoir avec certitude ce que la reconnaissance du Québec en tant que société distincte au sein du Canada signifiera ultimement ou quels effets elle aura sur les communautés d'expression française et anglaise du Québec. Cependant, Alliance Québec s'est toujours démarquée par sa conviction que nous pouvons et devons faire confiance à nos concitoyens et à nos institutions démocratiques. Nous sommes donc

prêts à faire le saut dans l'inconnu où peut nous entraîner cette nouvelle clause parce que nous faisons confiance au Québec et au sens de justice de la société québécoise.

Nous demandons comme garantie l'assurance que toute société démocratique doit offrir à tous ses citoyens, soit celle que leurs droits fondamentaux seront respectés. Nous croyons que le caractère distinct de la société québécoise peut et doit être conservé sans transgresser les droits de ses citoyens. L'accord du lac Meech ne devrait pas servir de base pour restreindre les droits constitutionnels fondamentaux de quelque Canadien que ce soit.

Lorsque le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes a lancé l'initiative constitutionnelle du Québec au Mont-Gabriel, il a déclaré qu'il était, en général, satisfait de la Charte canadienne des droits et libertés et que le Québec voulait que ses citoyens aient les mêmes droits que les autres Canadiens. Nous croyons que cet engagement devrait être rendu explicite dans l'accord du lac Meech.

Notre recommandation, donc, c'est qu'une clause finale soit ajoutée à la nouvelle loi constitutionnelle, se lisant comme suit: Rien de ce qui précède ne peut déroger à aucun droit ou liberté accordé par ou en vertu de la constitution du Canada.

Dans ses "Essays on the Constitution", le regretté F.R. Scott écrivait: "Every legal change involves a choice of values. Changing a constitution confronts a society with the most important choices, for in the constitution will be found the philosophical principles and rules which largely determine the relations of the individual and of cultural groups to one another and to the State. If human rights and harmonious relations between cultures are forms of the beautiful, then the State is a work of art that is never finished."

M. le Président, MM. membres de la commission, nous vous remercions de nous avoir permis de présenter ce mémoire en cette occasion historique. Merci.

Le Président (M. Filion): M. Goldbloom, je voudrais vous remercier de votre mémoire et aviser chaque groupe parlementaire qu'il lui reste un peu plus de quinze minutes pour échanger avec nos invités.

Alors, la parole est à M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. Goldbloom, M. le professeur Scott, Mme Weil, on vous accueille avec plaisir et je tiens à vous remercier d'avoir accepté de venir témoigner devant nous.

Vous avez raison de terminer votre mémoire en citant Frank Scott, éminent juriste québécois canadien. On se souvient des batailles de Frank Scott pour le respect des droits et libertés fondamentales. On se souvient que c'est le professeur Scott qui a fait cette bataille contre le premier ministre Duplessis dans l'affaire Roncarelli versus Duplessis; c'est lui qui s'est battu pour faire reconnaître le droit à M. Roncarelli d'être traité avec égalité même s'il ne pratiquait pas une religion qui pouvait être celle de la majorité, et qu'il ne devait pas être discriminé. Le professeur Scott a finalement gagné en Cour suprême. C'était un éminent juriste, un défenseur des droits et des libertés fondamentales, qui avait aussi une pensée sociale politique particulièrement bien articulée et qui avait ce sens des droits collectifs, tout en étant un grand défenseur des droits et libertés individuelles. Donc, je trouve que vous avez particulièrement bien fait de citer le professeur Scott.

Dans votre mémoire, vous ne vous penchez pas sur certains points de l'entente du lac Meech comme l'immigration ou le pouvoir de dépenser. Vous vous attardez à la société distincte, à la dualité canadienne. Vous abordez aussi la question de la Cour suprême du Canada. Je vous avoue que j'ai un peu de difficulté à vous suivre parce que vous ne semblez pas d'accord pour que ce soit le Québec qui fournisse une liste de noms au gouvernement fédéral qui, lui, nomme, à même cette liste, le juge qui sera parmi les trois juges qui représentent les juges de droit civil au sein de la Cour suprême. Je n'ai pas tellement bien compris votre raisonnement. J'ai l'impression que vous mettez de côté la possibilité pour le Québec - ce que le Québec fera certainement - de mener une consultation, c'est-à-dire une consultation auprès des organismes impliqués et intéressés dans la nomination d'un tel juge. Pourriez-vous nous expliciter un peu plus votre pensée sur ce point?

M. Goldbloom: Bon, essentiellement, M. le ministre, nous sommes d'accord pour que le Québec ait un rôle beaucoup plus important dans la nomination des juges de la Cour suprême. Je pense que je l'ai dit clairement dans le mémoire. Ce que nous voulons voir, c'est une assurance que cette procédure de consultation va avoir Heu. Vous nous indiquez maintenant que c'est l'intention du gouvernement du Québec de le faire. Si c'est l'intention, je crois qu'il serait approprié que ce soit inclus dans la constitution canadienne pour indiquer que les gouvernements provinciaux sont obligés de participer à un processus de consultation pour s'assurer que les Barreaux, dans les différentes provinces et que les citoyens auront l'occasion de participer. Je ne voulais en rien dire que nous sommes contre le rôle accru du Québec dans la nomination des juges. Nous avons dit simplement que nous voulons voir une dépolitisation de ce

processus de nomination. La façon de le faire - c'est cela que le Barreau canadien a proposé - c'est d'assurer un rôle pour le Barreau et pour d'autres intervenants dans une province d'être parties à cette consultation. Nous croyons qu'une participation à un conseil de nomination où le gouvernement fédéral et la province de Québec seraient impliqués avec d'autres intervenants de la société est une bonne façon d'assurer cette dépolitisation des nominations.

M. Rémillard: Oui. M. Goldbloom, vous êtes accompagné du professeur Scott, un constitutionnaliste à l'Université McGill. Est-ce que vous avez regardé l'entente en ce qui regarde l'immigration et la formule d'amendement? Est-ce que vous avez des commentaires à nous faire valoir sur ces points?

M. Goldbloom: Non, M, le ministre. Nous avons livré les commentaires que nous avions. Sur la formule d'amendement et sur l'immigration, noua n'avons pas de commentaire aujourd'hui.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre. Je vais reconnaître maintenant M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Merci, M. Goldbloom, professeur Scott et madame, pour votre mémoire où on reconnaît, je pense, le style pondéré des présentations auquel vous nous avez habitués depuis quelques années. Au coeur de ce mémoire, il y a une question assez fondamentale qui se pose. C'est le fameux article sur la reconnaissance du caractère distinct du Québec. Les paragraphes de l'entente ou du projet d'entente du lac Meech confèrent, d'une part, au Canada cette caractéristique fondamentale de la dualité linguistique et la responsabilité qui en découle pour les Législatures non pas de promouvoir, comme vous le soulignez, mais de protéger ce caractère et, d'autre part, l'affirmation de l'existence d'un caractère distinct de la société québécoise et du rôle du gouvernement du Québec de protéger et de promouvoir ce caractère distinct.

Au coeur de cela, il y a la question des pouvoirs en matière linguistique. Je dois dire que cela me fait toujours un peu mal d'entendre le couteau crissant du ministre dans notre plaie collective, l'affaire Roncarelli-Duplessis, comme si ce stigmate de notre histoire des droits et libertés devait nous être rappelé avec complaisance par ceux-là mêmes qui appartiennent à la société qui l'a vécu, pas plus, d'ailleurs, j'ai l'impression, que cela ne doit faire l'affaire des gens en Colombie britannique de se faire rappeler qu'ils ont mis en prison des gens dont le seul défaut était d'avoir la peau jaune pendant la dernière guerre mondiale. (12 heures)

Mais ta vraie question, c'est celle des pouvoirs linguistiques autour de la société distincte en ce qui a trait aux préoccupations de votre mémoire. Vous ne nous avez - parce que c'est parfaitement votre droit - parlé ni d'immiqration, ni de la formule d'amendement. Le ministre aurait bien aimé vous entendre applaudir à ces choses, parce qu'il fait ça à chaque invité.

Le fond des choses... Est-ce que vous retenez l'interprétation du sénateur Murray ou l'interprétation du ministre au sujet de la société distincte? Le sénateur Murray dit ceci, le 5 mai 1987, page 940 des débats du Sénat. Comme vous le savez, le premier ministre veut me nommer au Sénat bientôt. Alors, je fais la lecture des débats du Sénat.

À la page 940, M. Murray dit ceci en réponse à des commentaires du sénateur MacEachen et du sénateur Roblin: "Nous imposons donc, en l'occurrence, aux tribunaux, l'obligation d'interpréter la constitution d'une manière qui soit compatible avec a) l'existence du Québec comme société distincte à l'intérieur du Canada et avec b), ce que je décrirais, en deux mots, comme la dualité linguistique comme caractéristique fondamentale de notre fédération."

De son côté - le ministre, le dit aussi - le premier ministre encore hier, je pense, devant le congrès des inqénieurs du Canada, déclarait que jamais le français ne serait si bien protégé au Québec que par le projet d'entente du lac Meech. Tout en déplorant l'absence de textes, comme vous l'avez fort bien fait et comme nous nous en plaignons depuis le début, est-ce que, compte tenu de ce qu'on a entre les mains, qui est le projet d'accord du lac Meech, vous êtes incliné à croire que c'est M, Bourassa et le ministre qui ont raison et que l'accord du lac Meech fait que la société distincte l'emporte et, donc, que les conflits en matière linguistique seraient tranchés en faveur des législations québécoises ou est-ce que vous avez plutôt l'impression, comme le sénateur Murray, que les tribunaux interpréteront fondamentalement la réalité québécoise comme faisant partie de la dualité canadienne, caractéristique fondamentale de la fédération, ce qui va, je dois le dire, passiblement dans le sens de ce que vous souhaitez - ce dont vous ne vous cachez pas - et de ce que vous dites, d'ailleurs, très clairement dans votre mémoire?

M. Goldbloom: Comme je l'ai dit dans le mémoire, ce que veut dire cette phrase-là sur la société distincte n'est pas très claire. La première position, M. Johnson, qu'Alliance Québec a prise, c'était d'avoir une définition très claire de la société distincte.

Évidemment, nous aurions aimé voir notre communauté incluse dans cette définition.

Nous avons entendu les discussions. D'autres personnes ont dit non. Ce qui rend le Québec distinct, c'est exclusivement sa caractéristique française. Pour nous, c'e3t évident que c'est le fait français qui est l'élément essentiel de la société distincte du Québec. Mais il y plusieurs autres éléments. C'est ça que j'ai essayé d'énumérer dans le mémoire.

Je pense qu'il faut reconnaître que nous tous sommes dans une situation où il faut essayer d'évaluer et personne n'est certain. Cela risque d'augmenter les pouvoirs du Québec dans le contexte de promouvoir le fait français, de le protéger. Mais j'espère, de la façon dont je le lis, que ça n'aura pas l'effet de diminuer les droits des autres. La raison pour laquelle je demande une clause de non-dérogation aux droits fondamentaux, c'est explicitement celle-là.

Je l'ai dit dans le mémoire: Nous avons confiance dans cette société, dans ses institutions démocratiques et dans nos traditions de respect des valeurs fondamentales. Tout ce que nous demandons, c'est que, si on n'est pas pour définir ce qui rend le Québec distinct, on devrait être prêt, comme n'importe quelle société démocratique, à assurer que les droits fondamentaux des individus seront respectés.

Donc, ce sont les perspectives qui nous amènent à ça, mais nous sommes, comme vous, devant des déclarations contradictoires. Hier soir, Me Langlois disait que cela a augmenté d'une façon importante les pouvoirs du Québec. Pour certaines gens - et vous les connaissez très bien - pour certains membres de notre communauté, cette question les rend très nerveux à savoir ce que cette clause peut produire. La position d'Alliance Québec est de faire confiance à l'Assemblée nationale, à nos tribunaux et à notre société. Tout ce qu'on demande, c'est au moins l'assurance que les droits fondamentaux des Canadiens seront respectés. C'est l'approche que nous avons sur cette question.

M. Johnson (Anjou): Donc, vous vous opposez à ce que disait M. Bourassa hier. Au cas où on interpréterait ou appliquerait la charte canadienne pour restreindre la capacité du Québec de disposer de questions spécifiques en matière linguistique, M. Bourassa oppose à cela: II y a toujours la clause "nonobstant". Vous vous opposez donc à cela?

M. Goldbloom: Ce que je crois, M. le chef de l'Opposition, c'est qu'il y a déjà dans la constitution le paragraphe 1 qui permet à un gouvernement de déroger aux droits fondamentaux quand c'est raisonnable dans une société démocratique. À mon avis, c'est une protection suffisante pour que le

Québec puisse assurer son caractère distinct.

M. Johnson (Anjou): Merci, M. Goldbloom.

M. Goldbloom: Merci.

Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître maintenant M. le député de Bourget.

M. Trudel: M. Goldbloom, je vais me faire tantôt, ce qui va étonner les gens de l'Opposition je pense bien, le porte-parole de M. Jacques-Yvan Morin qui avait un messaqe, semble-t-il, pour vous, la semaine dernière. Mais je vais vous poser cette question tout à l'heure, pour connaître votre réaction.

J'aimerais attirer votre attention à la page 17 de votre mémoire, alors que vous définissez la "société distincte" du Québec, ce sur quoi vous insistez évidemment beaucoup. Je vous comprends. Au deuxième paragraphe de la page 17, j'aimerais vous proposer un petit changement dans ce que vous dites et avoir votre réaction par la suite. "Par conséquent, écrivez-vous, le caractère unique et particulier du Québec est en partie le déploiement d'une diversité culturelle et linguistique au sein d'une société à prédominance d'expression française. Le rôle de la Législature et du gouvernement du Québec, voire le défi qui leur est posé, est donc de maintenir cette diversité, tout en favorisant le caractère français du Québec".

Est-ce que je peux me permettre de vous suggérer une autre rédaction et avoir votre réaction là-dessus? Je dirais plutôt ceci: Le rôle de la Législature et du gouvernement du Québec, voire le défi qui leur est posé, est donc de favoriser cette diversité tout en maintenant le caractère français du Québec. J'aimerais avoir votre réaction là-dessus, M. Goldbloom. Je pense qu'il y a une différence de sens importante. Il y a surtout une différence d'emphase. Dans un cas, vous...

M. Goldbloom: Non, je ne serais pas d'accord avec vous, M. le député. Je crois que le Québec a une obligation de favoriser son caractère français. Je crois que c'est un élément plus positif et plus actif. Favoriser les deux, peut-être, mais je ne changerais pas par "maintenir le caractère français". Je crois qu'il faut toujours faire un effort pour promouvoir. Une des grandes critiques que j'ai sur l'accord du lac Meech, c'est que, pour les minorités linguistiques et surtout pour les francophones hors Québec, il n'y a rien dans cet accord qui indique que les gouvernements provinciaux ont l'obligation de promouvoir. Donc, on maintient le statu quo, mais on ne va faire aucun effort pour assurer qu'il y aura des communautés

minoritaires de langues officielles, par exemple, en Gaspésie ou au Manitoba ou en Alberta.

Je crois que les gouvernements ont une responsabilité envers les minorités linguistiques du pays. Jusqu'à un certain point, je suis obligé de vous dire qu'on a eu l'impression que c'étaient plutôt les majorités linguistiques du pays qui se sont mises ensemble et qui en sont arrivées à un règlement. Je dis clairement que la situation des anglophones du Québec est de loin meilleure que celle des francophones hors Québec. C'est clair, tout le monde le sait. Mais je trouve qu'un des grands éléments manquants dans cet accord, c'est qu'il n'y a presque rien qui assure une promotion des francophones hors Québec. Comme je l'ai dit, le ministre Rémillard, à Mont-Gabriel, a précisé que ce serait un des objectifs principaux de ce processus. Je me pose la question: Où sont les éléments positifs des progrès qui ont été faits?

M. Trudel: D'accord. Je vous remercie. Deuxième question. Je vous ai dit que je me ferais son porte-parole, disons que je vais répéter une phrase que M. Jacques-Yvan Morin a prononcée jeudi dernier. Il a dit: Je propose qu'on demande l'avis d'Alliance Québec. Donc je vous demande votre avis en son nom puisque, paraît-il, il est parti après avoir conseillé le chef de l'Opposition rapidement pendant deux jours. La suggestion de Me Morin était la suivante et je la trouve à la page 5 de son intervention de jeudi dernier ou encore dans Le Devoir de ce matin au sous-paragraphe "Deux poids, deux mesures".

M. Morin proposait l'amendement suivant à la façon de définir la dualité fondamentale du Canada: "la reconnaissance que l'existence d'un Canada anglophone, concentré mais non limité aux provinces anglophones, et celle d'un Canada francophone, concentré au Québec, mais présent au Canada, constituent une caractéristique fondamentale de la Fédération canadienne." Donc, il y avait, quand même, inversion et Me Morin nous suggérait de vous demander ce que vous en pensiez. Je le fais avec grand plaisir en son nom.

C'est peut-être la première et surtout la dernière fois que je vais faire quelque chose au nom de Me Morin.

M. Goldbloom: Cela va peut-être vous étonner, mais même si je ne suis pas d'accord avec la formulation proposée par le professeur Morin, je serais en faveur de l'idée qui est derrière cela. Si vous regardez à la page 11 de notre mémoire, c'est explicitement cela que nous avons proposé.

Cela fait cinq ans maintenant qu'Alliance Québec existe. C'est évident que cinq ans comparés aux 120 ans de notre pays, ce n'est pas très long, mais ce que nous avons essayé de faire- dans notre organisation, c'est donner un appui aux minorités linguistiques partout au pays et nous n'acceptons pas qu'il n'y ait pas la même reconnaissance des francophones hors Québec que celle qu'il y a maintenant dans l'article (l)a) pour les anglophones du Québec. Pour nous, chaque fois que la dualité linguistique fait un pas en avant, c'est dans l'intérêt de toutes les minorités linguistiques du pays en général. Donc, c'est l'approche que nous avons toujours eue et nous continuons de l'avoir. C'est pour cela que nous faisons les recommandations que vous voyez à la page 11.

M. Trudel: Je vous remercie, M. Goldbloom.

Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître maintenant un porte-parole de l'Opposition, avec la permission des membres de cette commission.

M. Goldbloom, à la page 20 de votre mémoire, vous revenez sur les droits constitutionnels fondamentaux et vous faites allusion, au troisième paragraphe, à la déclaration du ministre déléqué aux Affaires intergouvemementales canadiennes au Mont-Gabriel selon laquelle, en général, il était satisfait de ta Charte canadienne des droits et libertés de la personne et que le Québec voulait que ses citoyens aient les mêmes droits que tes autres Canadiens. Vous concluez ce passage-là de votre exposé en disant: "Nous croyons que cet engagement devrait être rendu explicite dans l'accord du lac Meech." J'aimerais que vous puissiez m'expliciter un peu votre pensée lorsque vous dites que cet engagement devrait être rendu explicite dans l'accord du lac Meech.

M. Goldbloom: Ce que nous proposons, c'est l'ajout d'une clause à cet effet-là. La raison découle de notre vision fondamentale du Québec et du Canada selon laquelle il est possible de protéger le fait français au Québec tout en respectant les droits fondamentaux des Canadiens. C'est l'élément de base d'Alliance Québec. Nous avons toujours cru qu'il était possible de faire un progrès pour le français au Québec et d'assurer sa protection sans limiter les droits de qui que ce soit. Donc, c'est ce que nous voulons. Comme la clause de ta société distincte est écrite d'une façon très générale et a un impact non seulement sur la charte, mais sur toute la constitution canadienne, tout ce que nous demandons, c'est que les droits fondamentaux des Canadiens qui existent déjà ne soient pas limités à cause de l'accord du lac Meech. Il me semble que c'est une des choses les plus simples et les plus fondamentales dans un société démocratique que les droits fondamentaux

des gens soient respectés. C'est pour cela que nous proposons que cela soit inclus.

Le Président (M. Filion): Donc, est-ce è dire que vous craignez que l'accord du tac Meech contienne une forme de limitation à l'application des droits constitutionnels? (12 h 15)

M. Goldbloom: M. le Président, depuis plusieurs jours, on entend des déclarations des deux côtés de la Chambre et un peu partout au pays sur l'impact de cela. Certains politiciens disent qu'il y a une augmentation importante des pouvoirs du Québec; d'autres disent que cela ne veut rien dire, que cela ne donne rien au Québec. Ce que nous disons, c'est que nous sommes prêts à vivre avec cette ambiguïté. Nous sommes prêts à faire ce pas en avant qu'est l'accord du lac Meech, mais seulement avec la garantie, normale dans une société démocratique, que les droits fondamentaux des gens soient respectés.

Le Président (M. Filion); Évidemment, vous incluez la Charte canadienne des droits et libertés comme faisant partie des droits fondamentaux de chaque Canadien.

M. Goldbloom: La charte canadienne, ce n'est pas la charte du fédéral, ce n'est pas la charte d'une province, c'est la charte du pays. Ce sont les droits de tous les Canadiens. Cela n'appartient ni à une province, ni au gouvernement fédéral. Cela appartient à tous les Canadiens et à tous les Québécois.

Le Président (M. Filion): D'accord. À ce moment, ma question est la suivante: Comment conciliez-vous cela avec le fait -vous le dites dans les premières pages, la première partie de votre mémoire - qu'il est important de favoriser le fait français au Québec? Là-dessus vous reprenez même le député de Bourget qui vous suggérait de maintenir le fait français tout en favorisant la diversité. Vous lui avez répondu qu'il est plutôt important de favoriser le fait français tout en maintenant la diversité. Comment conciliez-vous le fait que la Charte de la langue française qui, de l'avis des parlementaires qui l'ont votée, qui étaient élus, était là pour permettre l'épanouissement du fait français au Québec, a été, comme vous le savez fort bien, charcutée en bonne partie par l'application de la Charte canadienne des droits et libertés, avec ce que vous demandez à la fin de votre mémoire, lorsque vous dites qu'il est important que les droits constitutionnels, donc ceux compris dans la Charte canadienne des droits et libertés, s'appliquent à chaque Québécois? J'aimerais que vous puissiez me faire part de votre vision à l'égard de ces deux affirmations que vous faites.

M. Goldbloom: D'accord. C'est très simple -et c'est l'essentiel du travail d'Alliance Québec. Nous croyons, dans toutes sortes de domaines, que c'est légitime et nécessaire pour le gouvernement du Québec d'intervenir pour assurer la protection du français, que ce soit le français langue du travail, que ce soit le français langue des services gouvernementaux, que ce soit - on sait que c'est une question qui est devant les tribunaux maintenant - d'obliger l'utilisation du français dans chaque affiche commerciale dans toute la province; ce sont tous des éléments qui assurent une protection à la langue française. Nous croyons que cet effort de promotion et beaucoup d'aspects de la loi 101 ne touchent pas les libertés fondamentales. Elles existent toujours.

Nous croyons que c'est possible pour le Québec de continuer à jouer son rôle. On voit le Québec, aujourd'hui, on est obligé de constater que le progrès du français, depuis dix ou quinze ans, est très important. Je regarde ma propre communauté, je vous dis que l'effort d'apprendre le français et d'être capable de vivre et de travailler en français est énorme dans notre communauté. Donc, ce que je vous dis, c'est que c'est possible, même facile, de protéger le français tout en respectant les droits fondamentaux enchâssés dans la charte et dans la charte québécoise des droits.

Le Président (M. Filion): Est-ce que nous nous entendons que, exception faite de cette clause concernant le caractère distinct du Québec, rien dans l'accord du lac Meech n'empêche la pleine application de la Charte canadienne des droits et libertés aux lois québécoises?

M. Goldbloom: Je ne vois pas l'utilité de la question, M. le Président. La clause est là. Cette clause a un impact. C'est une clause d'interprétation qui a préséance sur toutes les autres clauses de la constitution, pas seulement sur la charte. Donc, l'impact est là.

Le Président (M. Filion): C'est parce que vous-même admettiez que cette clause avait des conséquences juridiques très imprécises, floues, contradictoires. C'est pour cela que je vous posais la question uniquement pour être sûr qu'on se comprenne, bien que, si on fait exception de la portée encore inconnue de cette clause, rien dans l'accord du lac Meech n'empêchait la pleine application de la charte canadienne des droits sur les législations québécoises.

M. Goldbloom: Je suis d'accord avec cette affirmation.

Le Président (M. Filion): Vous êtes d'accord. Je vous remercie.

Je vais reconnaître maintenant un porte-parole du parti ministériel.

M. Rémillard: Puisque vous avez épuisé votre temps, M. le Président, je vais prendre le mien, Je voudrais dire qu'au Mont-Gabriel nous avions mentionné qu'il fallait être particulièrement attentif en ce qui a trait aux droits des minorités francophones à l'extérieur du Québec.

Vous avez mentionné, à juste titre, tout à l'heure, M. Goldbloom, que la situation de la minorité anglophone ici au Québec ne se compare pas à la situation de la minorité francophone à l'extérieur du Québec. Ce sont deux choses différentes. Cependant, pour la première fois dans l'histoire de cette Fédération canadienne, après des années et des années de discussions, nous en arrivons à une description de ce qu'est la dualité. Dans ce contexte, vous ne croyez pas que c'est là un pas très important pour la reconnaissance, justement, des minorités nationales, soit anglophone au Québec ou francophone hors Québec, et que ce fait vient apporter une dimension tout à fait nouvelle à la constitution canadienne?

Bien sûr, on pourrait discuter de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne et tenter d'en enlever les mots, "si le nombre le justifie". Combien faut-il de moutons pour former un troupeau? Accorder des droits lorsque le nombre le justifie est une expression qui n'est pas des plus heureuses et qui cause problème. Il faudra se pencher sérieusement sur cette expression comme aussi sur le fait qu'à l'article 23 il n'est pas clair que les minorités linguistiques nationales aient le droit d'avoir la gérance de leurs établissements scolaires. C'est un autre point. On sait que la Cour d'appel de l'Ontario a dit oui, mais c'est une Cour d'appel, ce n'est pas la Cour suprême. En fait, il y a des difficultés dans l'article 23. On en est conscient. Ce qui serait intéressant, c'est de pouvoir en discuter dans le deuxième round de discussions constitutionnelles parce que l'entente du lac Meech porte sur cinq points. Il s'agit des cinq points de départ et il y aura un deuxième round de discussions constitutionnelles qui pourra porter, entre autres, sur cet article 23.

Mais dans un premier temps, M. Goldbloom, ce que nous avons fait, c'est que nous avons réussi à décrire la dualité canadienne et à bien situer, à mettre dans des termes particulièrement intéressants la spécificité du Québec en fonction de ce rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec pour la promotion de cette spécificité. Alors, vous ne croyez pas, M. Goldbloom, que pour un premier pas, c'est un grand pas?

M. Goldbloom: J'ai dit dans mon mémoire que la reconnaissance explicite de notre communauté est, évidemment, un pas important en avant. Je trouve que la reconnaissance des francophones hors Québec est beaucoup plus faible parce que cela ne donne pas une reconnaissance que ces communautés existent dans chacune des provinces. La question que j'aurai pour vous, M. le ministre, c'est: Pourquoi le mot "promouvoir" est-il absent du paragraphe 2? Pourquoi le Québec a-t-il le droit de protéger et de promouvoir son caractère distinct, alors que les autres gouvernements provinciaux n'ont pas l'obligation non seulement de protéger, mais aussi de promouvoir? Est-ce que vous ne croyez pas que les gouvernements provinciaux dans tout le pays devraient avoir l'obligation de promouvoir leurs communautés minoritaires de langues officielles? Est-ce que le gouvernement de l'Ontario, le gouvernement du Nouveau-Brunswick, le qouvernement du Manitoba n'ont pas une obligation non seulement de protéger, mais aussi de promouvoir leur communauté de langue française dans leur province?

M. Rémillard: M. Goldbloom, je crois que c'est évident que la dualité est une chose et la société distincte qu'est le Québec, une autre chose. Ce sont deux choses différentes. Dans un premier temps, il y a une situation de fait: nous décrivons la dualité canadienne et, dans un deuxième temps, vous avez la reconnaissance du Québec comme société distincte avec un rôle que nous accordons au Québec par son Assemblée nationale, par son gouvernement de protéger et, comme vous venez de le dire, de promouvoir. Pourquoi ces deux expressions? Parce que, comme vous l'avez dit tout à l'heure et cela transparaît dans votre mémoire, le Québec doit faire des efforts considérables pour protéger son caractère francophone. Le Québec doit se référer à cette valeur fondamentale qui fait qu'il est distinct, soit sa langue et sa culture françaises. Vous êtes un élément de la distinction du Québec, bien sûr. Mais, le fait que le Québec soit de langue française et ait une culture française est un élément fondamental de distinction. C'est dans ce cadre... Vous avez raison de le soulever parce que ce n'est pas une cachette. De fait, il y a "protéger" et il y a "promouvoir" et cela a été fait délibérément pour montrer que le Québec peut faire non seulement des mesures de protection, mais aussi des mesures pour favoriser l'évolution de cette caractéristique fondamentale qui est la sienne.

M. Goldbloom: Je ne la critique pas, M. Rémillard. Tout ce que je dis, c'est que, si j'étais francophone hors Québec, je dirais que

les provinces ont l'obligation de promouvoir ma communauté aussi. Quand on lit ce texte, le fait que les mots "protéger et promouvoir" se trouvent au paragraphe 3 et non pas au paragraphe 2 a des conséquences sérieuses, à mon avis, pour les francophones hors Québec, et je trouve cela fort dommage.

Le Président (M. Filion): Je voudrais remercier nos invités, M. Goldbloom et les personnes qui l'accompagnent. Également, bien sûr, je déclare déposé le mémoire d'Alliance Québec qui vous a été disbribué.

Sans suspension, étant donné que nos travaux sont un peu en retard, je remarque que les représentants de la Centrale de l'enseignement du Québec sont présents et je les inviterais à bien vouloir prendre place à la table, en avant.

Centrale de l'enseignement du Québec

Je souhaite la bienvenue aux représentants de la Centrale de l'enseignement du Québec et à son président, M. Yvon Charbonneau, qui a déjà pris place à la table des invités. Dans un premier temps, je demanderais donc à M. Charbonneau de bien vouloir nous présenter les personnes qui l'accompagnent avant de nous livrer son exposé. Je constate que vous avez un mémoire écrit, c'est bien cela? Donc, pour les fins de notre procès-verbal, je le considère comme étant régulièrement déposé. M. Charbonneau, la parole est à vous.

M. Charbonneau (Yvon): M. le Président, mesdames, messieurs, les personnes qui m'accompagnent et qui constituent notre délégation sont, d'une part, Mme Rosette Côté, première vice-présidente de la centrale, M. Raymond Johnston, vice-président, et M. Henri Laberge, conseiller à la centrale.

Nous avons préparé quelques notes qui reprennent, pour l'essentiel, en tentant de les actualiser, certains des propos que nous avons déjà tenus sur toute la question du débat constitutionnel au cours des dernières années. Nous avons tenté d'analyser, selon notre capacité de le faire actuellement, le projet d'accord constitutionnel issu de la rencontre des premiers ministres au lac Meech.

Nous avons déjà souligné, au cours des débats antérieurs - et nous le faisons de nouveau dans ce débat constitutionnel - que nous aimerions voir progresser l'espace politique où il serait possible, pour le Québec, même à l'intérieur du cadre fédéral, d'évoluer dans le sens de son caractère distinct, de société distincte, qu'on lui reconnaissait dans bien des milieux avant le projet d'accord et qu'on reconnaîtrait plus explicitement maintenant, et voir se développer cet espace d'autodétermination politique possible pour ta société québécoise. Mais, pour cela, il faudrait à l'occasion des débats sur la constitution essayer de se libérer de certaines entraves que comporte la constitution actuelle, par exemple, en matière d'éducation. (12 h 30)

On sait bien à quel mur se heurte toute loi adoptée par cette Assemblée nationale même qui viserait à faire évoluer, à transformer le système scolaire québécois de sa base confessionnelle actuelle en un système reposant sur un réseau scolaire pour francophones et un réseau scolaire pour anglophones. Je reviendrai là-dessus tout à l'heure. Il en va de même dans un certain nombre d'autres domaines: main-d'oeuvre, formation des adultes, communications. Un certain nombre de domaines où les compétences québécoises, parfois exclusives, parfois partagées en vertu de la constitution canadienne actuelle, se heurtent à certaines dispositions de la constitution canadienne et empêchent à notre avis la société québécoise de se développer selon ses aspirations. Il en va de même pour certaines lois linguistiques, tout ce qui a trait à la protection et à la promotion de la langue française au Québec.

Faisons grâce ici des quelques pages de rappel qui constituent l'introduction de notre mémoire pour en arriver plus rapidement au centre de la discussion d'aujourd'hui. Pour juger de la valeur de l'entente intervenue au lac Meech, nous devons sans doute nous demander dans quelle mesure elle est susceptible de corriger en tout ou en partie la situation de 1982. Nous ne pourrions nous satisfaire non plus d'un simple retour à l'ordre constitutionnel d'avant 1982, lequel était aussi insatisfaisant. Un éventuel accord constitutionnel ne pourra être acceptable que s'il apporte aussi une réponse satisfaisante aux principaux problèmes découlant de l'ordre constitutionnel antérieur et qui subsistent toujours. Nous avons regroupé ces problèmes en trois blocss ceux qui relèvent du partage des compétences législatives et qui privent le Québec de certains moyens essentiels à son développement, les dispositions constitutionnelles qui entravent le libre exercice de compétences théoriquement reconnues au Québec et la possibilité reconnue au fédéral de s'ingérer dans les domaines dits de compétence provinciale exclusive.

Alors, nous allons nous demander si le projet d'entente du lac Meech apporte des solutions, nous met sur la voie de solutions satisfaisantes à ces problèmes anciens et aussi à la situation issue de 1982. Si l'examen de l'entente du lac Meech nous porte à croire que nous sommes en train de résoudre ces problèmes, de faire lever un certain nombre d'entraves, à ce moment-là, nous en aurons une appréciation positive.

Dans la mesure où ce le sera, nous dirons que c'est positif; Dans la mesure où cela laisse les mêmes problèmes toujours en place, toujours devant nous et dans la mesure où cela laisse toujours cette Assemblée nationale assujettie dans des domaines de compétence exclusive à la constitution canadienne, nous dirons: Les problèmes subsistent et il faudrait s'en occuper à ce moment-ci.

Nous aurons aussi quelques commentaires sur la démarche même. Nous souhaiterions certainement souligner d'abord que nous avions souhaité la tenue de cette commission parlementaire. Nous apprécions le fait que le gouvernement l'ait permise, mais une constitution devrait aussi être débattue plus largement. L'approche renouvelée que l'actuel gouvernement veut insuffler à toute cette démarche de débat constitutionnel devrait permettre, à notre avis, des discussions un peu plus élaborées pour un certain nombre d'organisations et permettre de créer un intérêt un peu plus en profondeur que ce qui se passe maintenant, quoique nous devons souligner que le débat actuel n'est pas sans intérêt, loin de là.

Nous pensons qu'à côté de la démarche actuelle que fait le présent gouvernement, cette démarche de discussions avec les premiers ministres des autres provinces et le premier ministre fédéral, il devrait y avoir une autre démarche qui, elle, verrait à promouvoir le développement, l'élaboration d'une constitution québécoise, qui, elle assoirait, définirait l'espace politique qui sera sans cesse remis en question dans le contexte nord-américain, dans le contexte canadien, l'espace politique propre au Québec. Nous pensons que ce serait peut-être le meilleur moyen de fonder le caractère distinctif et spécifique du Québec à travers" les années.

Des démarches et des discussions constitutionnelles comme elles sont entreprises, cela est indispensable, mais un complément qui serait tout aussi indispensable, ce serait d'annoncer qu'au Québec nous allons codifier, nous allons regrouper les grandes lois fondamentales dans un ensemble et nous allons associer la population, le peuple québécois dans la définition, dans l'appréciation de ces grands instruments qui, une fois réunis, pourraient constituer la constitution québécoise.

Nous reprenons maintenant les trois ordres de questions annoncés il y a un moment. De 1960 à 1980, le Québec a toujours prétendu, sous quelque gouvernement que ce soit, que la réforme constitutionnelle devait débuter par une révision du partage des- compétences législatives. Au nombre de ces compétences, on a mentionné tout au long de ces 20 années: le développement régional, la politique de la main-d'oeuvre, la sécurité du revenu, la sécurité sociale, les communications, l'immigration, le droit de la famille, l'extension au plan international des compétences internes.

Les gouvernements antérieurs ont attaché tellement d'importance à cette nécessaire révision du partage des compétences qu'on se rappellera, au milieu des années soixante, que certaines discussions ont achoppé justement sur le fait qu'on ne prévoyait pas ce repartage des compétences comme question première. On rappelle ici ce qui est arrivé en 1964 et en 1971 où il y a eu arrêt ou suspension de la démarche entreprise en invoquant, comme justification, qu'on n'avait pas d'abord procédé à l'examen du partage des champs de compétence.

Face au projet d'accord du lac Meech, nous sommes forcés de constater que, malgré la présentation qu'on nous en fait, il reste que tes discussions, dont on a écho et qui se traduisent par le texte du projet d'accord, ne donnent guère de place aux revendications fondamentales traditionnelles qui ont été portées par les gouvernements québécois antérieurs dans plusieurs domaines. Certes, il nous faut mentionner tout de même l'aspect positif de l'inscription de l'accord Cullen-Couture au chapitre de l'immigration, tout en soulignant qu'en constitutionnalisant cet accord Cullen-Couture, on ne transfère tout de même aucun champ de compétence d'un palier à l'autre. On formalise, on inscrit dans la constitution cette entente, mais on ne peut pas y voir là, on ne peut pas interpréter que le champ de compétence du Québec s'est accru par l'inscription de cet accord dans la constitution.

Nous avons déjà souligné dans le passé, et nous le faisons aujourd'hui, le caractère positif de cette inscription tout en soulignant qu'il y aurait lieu, pour le Québec, d'aller plus loin en matière de pouvoir de législation du côté de l'immigration, compte tenu du contexte démographique. Nous avons bien noté la disposition qui prévoit la possibilité pour le Québec de recevoir ici 5 % d'immigrants de plus que la proportion à laquelle il aurait droit de façon purement mathématique. Je crois qu'il faudrait que ce taux de 5 % soit plutôt un minimum qu'une norme. Il faudrait se donner des possibilités d'aller plus loin, y compris dans la prise en considération de tout le volet de l'accueil et de l'intégration à prévoir pour les personnes qui sont en situation d'immigration et aussi pour les réfugiés politiques.

Nous pensons que le gouvernement du Québec, par la voie de son premier ministre, par la voie de son ministre au dossier, par la voie de l'Assemblée nationale, devrait exiger, devrait reprendre le lot des grandes revendications fondamentales qui ont marqué le sort du Québec dans les années soixante à quatre-vingt, parce que ces revendications ont été portées par des gouvernements de différentes allégeances politiques, avec des

options fondamentales parfois assez caractérisées et assez différentes. Elles ont constitué la trame de fond de l'ensemble de ces gouvernements parce qu'elles exprimaient le devenir du Québec, ses aspirations. Nous apprécierions beaucoup que l'actuel gouvernement réinscrive au coeur des discussions cet ensemble de grandes revendications.

Au chapitre des entraves du libre exercice des compétences propres au Québec, prenons tout d'abord le domaine de l'éducation. D'une part, la constitution de 1867 attribue la compétence exclusive aux provinces en matière d'éducation, mais, d'un autre côté, elle maintient, pour ce qui est du Québec, indéfiniment la structure scolaire de base confessionnelle qui existe depuis 1867. Il me semble qu'il y a là un problème pour tout le monde. Le gouvernement précédent a fait des travaux importants en matière de restructuration scolaire. Tout cela a abouti à la loi 3. Cette loi 3, immédiatement, par la suite, a été contestée. À la suite du jugement rendu, la loi 3 a été en quelque sorte reléguée aux oubliettes. Donc, le pouvoir de cette Assemblée, dans une matière que l'on décrit comme de compétence exclusivement provinciale, se heurte à un mur infranchissable, selon l'interprétation de la cour. II faut préserver les structures confessionnelles.

Donc, il me semble que le gouvernement actuel, qui était l'Opposition à l'époque et qui questionnait abondamment le ministre de l'Éducation du temps, à savoir s'il s'était bien muni d'avis juridiques pertinents et s'il s'était bien éclairé de tous les conseils possibles en la matière, bien, l'Opposition d'alors, qui est aujourd'hui le gouvernement, est bien au courant de l'entrave constitutionnelle qui se trouve sur le chemin de tout gouvernement qui voudrait démocratiser, restructurer sur une base linguistique le système scolaire actuel. Je défierais le gouvernement actuel de tenir un vote libre parmi les membres qui composent la majorité quant à l'opportunité de transformer le système scolaire confessionnel en bi-linguistique au Québec. Je crois que, s'il y avait un vote libre là-dessus, il y aurait une vaste majorité qui se réunirait de part et d'autre de la Chambre pour transformer le système scolaire, un peu dans le sens que le proposait le projet de loi 3. Il me semble qu'au milieu des années quatre-vingt, il serait grand temps que le gouvernement actuel, face à cette question, tente d'apporter une solution.

Nous invoquons quelques autres domaines, celui de la justice, celui du droit, la possibilité pour les juges de choisir entre le français et l'anglais, ainsi que quelques autres exemples que nous apportons ici, où, d'une part, la constitution attribue au Québec des compétences que l'on qualifie d'exclusives, mais, lorsqu'arrive le temps de les exercer, les instruments constitutionnels fédéraux peuvent toujours être invoqués pour limiter cette utilisation. Est-ce qu'il est nécessaire de résumer le débat sur la question linguistique, la Charte de la lanque française dont des pans entiers ont été mis en échec à la suite de l'invocation par d'aucuns de certaines dispositions de la Charte des droits et libertés de la personne et de la constitution canadienne?

Donc, nous croyons très important que le gouvernement actuel soulève ces questions dans le présent débat, sinon on s'en va vers une réinsertion officielle du Québec dans la constitution, une adhésion dans l'ordre constitutionnel actuel, alors que l'on sait bien que cet ordre entrave chaque jour, à chaque session parlementaire, le travail législatif qui est le vôtre et aussi le développement des aspirations léqitimes de la population québécoise à bien des égards. (12 h 45)

Troisième chapitre, les ingérences fédérales dans des domaines de compétence provinciale. C'est tout le débat qui traite du pouvoir de dépenser. On dit que ce pouvoir existe de toute façon, qu'il soit inscrit ou non dans la constitution. Nous entendons des gens qui font cette lecture. Mais il y a un pas de plus, ici, qui se fait à travers le projet d'accord quand on inscrit en termes explicites dans la constitution la reconnaissance du pouvoir de dépenser, tout en inscrivant - en bémol, si je puis ainsi m'exprimer - bien sûr, la possibilité, pour ce qui est des nouveaux programmes, qui seront en même temps des programmes à frais partagés dans des domaines de compétence exclusivement provinciale, la possibilité pour le Québec, s'il le veut, de se retirer avec juste compensation, pourvu qu'il mette en oeuvre des programmes équivalents, compatibles avec les objectifs nationaux. Nous avons tous entendu les deux lectures possibles de ce paragraphe du projet d'accord du lac Meech. Les uns disent: Pour la première fois, nous bloquons, nous commençons à bloquer l'exercice, à baliser l'exercice du pouvoir de dépenser, du moins dans de nouveaux programmes; d'autres disent, parce que les provinces devront, si elles se retirent de ce programme, mettre sur pied des programmes compatibles avec les objectifs nationaux, eh bien, nous voilà en route vers un Canada plus homogène et plus centralisé.

Nous pensons qu'il n'y a pas que le problème des nouveaux programmes qui devrait être envisagé ici. C'est la question que nous soulevons devant cette commission parlementaire et que nous adressons au ministre aussi. Les nouveaux programmes seront-ils très nombreux? Quels seront-ils? On peut faire des hypothèses. On connaît aussi la situation financière du gouvernement fédéral. Certains peuvent nous dire: Qu'est-

ce qu'il y a à craindre puisqu'il y a 30 000 000 000 $ de déficit au gouvernement fédéral, dans le budget fédéral? Que pensez-vous qu'il puisse faire en termes de nouveaux programmes? D'un autre côté, il y a tous les programmes existants. Voilà la question que nous soulevons ici. Nous pensons qu'il faudrait trouver le moyen de mettre un frein et de baliser le développement des programmes existants dans des domaines comme la formation professionnelle, la formation des adultes, l'enseignement supérieur. Il faudrait trouver moyen de baliser le développement des programmes existants qui engloutissent des sommes énormes et qui, à ma connaissance, ne font pas toujours l'affaire du Québec, de quelque gouvernement que ce soit. Même si on finit par s'entendre à un moment donné, il reste que c'est très lourd, très laborieux et que, souvent, c'est un peu éloigné des véritables priorités québécoises. Les programmes existants ils ont un terme. Ce sont des programmes de trois ans, de cinq ans qui se renouvellent de temps à autre. Il faudrait, ici, je crois, que le gouvernement du Québec dise qu'il va poser les mêmes conditions et les mêmes types d'exigences pour les programmes existants lorsqu'ils arriveront à terme.

La dernière partie de notre mémoire traite de la formule de modification d'amendement à la constitution canadienne. Nous trouvons que la procédure générale d'amendement de la constitution est fort rigide. Plus elle est assortie de conditions telles que celles que l'on connaît, plus les problèmes sont référés à la cour, à la Cour suprême notamment, à des personnes non élues et nous pensons que ce n'est pas la meilleure manière de faire évoluer la constitution. Nous n'avons jamais été favorables, par contre, à la multiplication des droits de veto. Nous avons même affirmé que ce dont le Québec a besoin, ce n'est pas de disposer d'un droit de veto sur l'évolution constitutionnelle du reste du Canada, mais d'être libéré du droit de veto du fédéral et des autres provinces sur sa propre évolution constitutionnelle. La formule de modification adoptée en 1982 est inacceptable pour le Québec dans la mesure où, pour obtenir de nouvelles compétences législatives qu'il serait seul à revendiquer ou pour se libérer de certaines contraintes dont il serait le seul à souffrir, il faut au Québec obtenir l'accord obligatoire du fédéral et d'au moins les deux tiers des autres provinces.

Quant au droit de retrait inscrit au paragraphe 3 de l'article 38, nous y voyons une mesure de type plutôt défensif qui permet au Québec de conserver les compétences qu'il a déjà dans l'hypothèse où sept provinces représentant au moins 50 % de la population seraient prêtes à les céder au Parlement fédéral. Mais rien ne permet au Québec d'acquérir des compétences nouvelles sans le consentement du fédéral et du nombre requis de provinces. C'est ce qui rend si importante la suggestion que nous faisions au chapitre premier, aux pages 5 et suivantes du mémoire, qu'il faut amener dans la discussion le partage des compétences législatives et non pas les laisser à l'écart. Il faut les amener parce qu'une fois qu'on sera inséré dans le système de 1982 au point de vue des modifications ou des amendements à la constitution, on sera assujetti à ces règles du jeu et il faudra demander la permission à tous ces gens pour en arriver à faire évoluer la constitution canadienne dans le sens de nos aspirations.

Nous avons bien pris note de l'utilisation de l'expression "juste compensation" pour la province qui conserve une compétence cédée par d'autres. On aimerait ici avoir un éclairage additionnel quant à ce qui peut être envisagé comme instance qui va attribuer la juste compensation dont on parle ici.

Nous pensons que, quant au droit de veto qui sera désormais accordé au Québec et à chacune des provinces sur certaines modifications aux institutions fédérales et sur la création de nouvelles provinces, il peut comporter un aspect positif, mais aussi des inconvénients. En effet, d'une part, le Québec peut bloquer des propositions qui ne lui conviennent pas. Mais n'importe quelle province peut aussi faire obstacle à des propositions québécoises. Alors, nous y voyons un jeu de balancier qui fait que, finalement, le statut du Québec est banalisé plutôt que rendu distinct à travers la confédération.

Nous pensons donc que l'Assemblée nationale devrait contester le maintien d'une formule d'amendement qui suppose l'accord obligatoire du fédéral et d'une majorité de provinces anglaises pour l'accroissement des compétences législatives du Québec. Elle devrait refuser d'appuyer l'introduction d'une formule de modification impliquant le droit de veto de toutes les provinces sur la création de nouvelles provinces.

Au chapitre de ce débat autour d'une société distincte, nous avons bien noté ici l'inscription de l'expression "société distincte". Ce que nous voyons moins, ce sont les attributs qui concrétiseraient le caractère distinct du Québec dans l'accord du lac Meech. Nous ne disons pas que ce soit rien du tout que d'inscrire le terme, mais nous voyons mal ce qu'apporte cet accord à la concrétisation du caractère distinct du Québec. Nous aimerions certainement que, là-dessus, le ministre et les personnes responsables soient plus explicites quant à leur vision.

À notre avis, quand on fait un peu la somme des problèmes que nous avons soulevés et des entraves à l'exercice des compétences québécoises qui subsistent dans

Is constitution canadienne, quand on prend bien la mesure de tout le problème qui subsiste autour du pouvoir de dépenser, quand on prend de front la question du partage et ici qu'on ne remet pas en question les compétences législatives entre les deux niveaux de gouvernement, quand on prend la mesure de ces trois ordres de problèmes, on peut difficilement voir - en tout cas, nous n'y arrivons pas, quant à nous - le fondement concret de cette affirmation qui risquerait de n'être pas banale du tout si elle était bien appuyée.

Au contraire, c'est une affirmation importante dont il faut voir les fondements concrets. Il faudrait voir dans quel espace le Québec pourrait affirmer son caractère distinctif.

Nous terminerons en reformulant cette suggestion que nous avons déjè eu l'occasion de faire dans le passé car nous pensons qu'elle est toujours appropriée. C'est qu'en parallèle à cette démarche de discussions en vue d'un nouvel accord constitutionnel avec Ottawa et les autres provinces, en parallèle è tout cela, il nous semble que le gouvernement du Québec devrait aussi mettre en route un processus d'élaboration ou plutôt de codification de la constitution québécoise, car elle existe, cette constitution québécoise. D'aucuns soutiennent qu'elle est antérieure à la constitution fédérale puisque ce sont les provinces qui ont donné naissance à la confédération. Cela serait important pour la population québécoise à qui, maintenant, on reconnaît, du moins au niveau formel, le caractère de société distincte.

Il serait important d'asseoir entre nous, ici, au Québec, selon la volonté de la population québécoise, les grands traits d'affirmation de cette constitution québécoise. Que pourrait comprendre cette constitution? Premièrement, certainement la définition de notre régime politique, la définition des principaux organes: législatif, exécutif et judiciaire, une formule d'amendement sous contrôle de la population, une charte des droits fondamentaux de la personne humaine, une charte des droits civils et politiques, une charte des droits sociaux, économiques, culturels, une charte des droits linguistiques, une charte des relations avec les autres entités politiques au Canada et dans la communauté internationale, car nous pensons toujours opportun et important, puisque nous savons tout l'engagement de l'actuel gouvernement comme du précédent pour l'affirmation de la personnalité québécoise sur le plan international, de faire en sorte que cette sphère d'activité et d'intervention de la part du Québec soit aussi insérée dans ce qu'on pourrait appeler la constitution québécoise, dans le champ des compétences qui lui sont dévolues.

Bien sûr, la plupart de ces instruments existent. Quelques-uns n'existent pas, mais nous pourrions les regrouper et le tout serait la constitution du Québec. Il y aurait agencement entre cette constitution et celle qui prévaut au palier canadien. Pensons que cela "débanaliserait" les débats constitutionnels. Enfin, cela les sortirait de cette trop exclusive sphère de discussions entre les provinces et le Canada. Cela les assoirait, les enracinerait dans certaines réalités québécoises. Je crois que, par ce processus, ce double mouvement, celui qui est en cours avec les autres provinces et le fédéral, mais aussi par celui que nous proposons, c'est-à-dire la définition d'une constitution québécoise, par ce double mouvement, dis-je, il y aurait, à notre avis, une plus grande appropriation de l'espace politique qui est reconnu à la société québécoise par le système canadien. Mais, en tant que "société distincte", ce serait aussi une manière très concrète de faire avancer le concept de "société distincte".

Le Président (M. Filion): Merci, M. Charbonneau. Il reste un peu plus de quinze minutes à chaque formation politique. Je donne immédiatement la parole à M. le ministre.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. Charbonneau, mesdames et messieurs, je voudrais vous remercier d'abord de vous être déplacés pour venir témoigner devant nous. M. Charbonneau, la dernière fois que j'ai été avec vous dans cet édifice de l'Assemblée nationale, cela remonte déjà à quelque temps. Nous cherchions tous les deux le lieutenant-gouverneur. On voulait lui demander de ne pas sanctionner le projet de loi 111 adopté par le gouvernement péquiste et qui abolissait la présomption d'innocence. On l'a trouvé, mais on l'a trouvé trop tard. La loi a été appliquée et la présomption d'innoncence est aussi partie comme autre chose.

M. Charbonneau, vous avez fait un tour d'horizon des différents aspects concernant cette entente du lac Meech. Vous avez insisté sur un point qui est très important. Vous nous dites: Un des objectifs majeurs du Québec, en ce qui regarde la réforme constitutionnelle, a toujours été de revoir le partage des compétences législatives entre les deux paliers de gouvernement. Vous avez raison. Ce qui fait qu'un État est fédératif, c'est qu'il y a deux paliers de gouvernement et que ceux-ci doivent avoir des responsabilités législatives qui sont coordonnées et conformes aux responsabilités qu'on leur donne. Il va falloir regarder de très près ce partage des compétences législatives.

Notre approche a été, M. Charbonneau, que, jusqu'à présent, justement, on a voulu essayer de tout faire en même temps. Cela

n'a pas donné grand-chose de très valable. On s'est dit: Construisons un solage. Sur le solage, construisons une maison qui va nous plaire et qui va être fonction de nos besoins. L'entente du lac Meech, c'est en fonction de cette approche. Vous vous êtes prononcés comme centrale syndicale à l'encontre des propositions du gouvernement péquiste en 1985. Vous disiez alors que ces propositions étaient insuffisantes et qu'elles n'allaient pas assez loin. (13 heures)

C'est à peu près la même critique que vous nous faites concernant l'entente du lac Meech. En particulier, en ce qui regarde le partage des pouvoirs, vous nous dites: Vous n'avez pas vraiment récupéré de pouvoirs pour le Québec. Il y a quand même de petites nuances que j'aimerais apporter. Dans un premier temps, il y a cette reconnaissance de la dualité canadienne et de la spécificité québécoise, la reconnaissance pour la première fois que le Québec est une société distincte et que son Assemblée nationale et son gouvernement ont le rôle de protéger et de promouvoir cette distinction. Un rôle, cela implique quoi? Cela implique des responsabilités dans un premier temps. Â la Cour suprême, nous recevons le pouvoir de soumettre une liste de noms pour que le gouvernement fédéral nomme un des trois juges qui représentent le Québec et notre droit civil à la Cour suprême du Canada. Là encore, c'est un pouvoir important.

En ce qui regarde la formule d'amendement, nous retrouvons le pouvoir de nous retirer d'un amendement constitutionnel qui donnerait au gouvernement fédéral une compétence législative qui appartenait auparavant aux provinces. Si nous voulons conserver cette compétence législative, nous pourrons le faire en nous retirant et recevoir une juste compensation financière, en contrepartie.

En ce qui regarde les institutions, parce qu'il est bien évident qu'on ne se retire pas d'une institution - malheureusement, on ne l'avait pas compris auparavant, mais là on l'a compris qu'on ne peut pas se retirer d'une institution - un droit de veto nous est donné, s'il y a un amendement à la représentation, par exemple, des provinces à la Chambre des communes, au Sénat, à la Cour suprême, si on veut accepter de nouveaux membres dans la fédération. Il y a là donc un pouvoir de veto pour le Québec. Mais vous avez raison de dire qu'on a donné un droit de veto à toutes les autres provinces. Il faut quand même que vous puissiez réaliser, M. Charbonneau, qu'on était partis de loin, qu'il a fallu ramasser des pots cassés. Je ne veux pas toujours y revenir, mais quand même c'est une réalité. Que voulez-vous que j'y fasse? Le 16 avril 1981, le Parti québécois avait accepté le fait que le Québec était sur un pied d'égalité avec l'Île-du-Prince-

Édouard, principe d'égalité, et qu'il a fallu ensuite essayer de travailler avec ce principe pour leur dire: Ce n'est pas tout à fait comme cela que l'on doit voir les choses. On est un nouveau gouvernement. Mais, en fait, on s'est retrouvé avec un droit de veto, on a récupéré les droits historiques du Québec. Vous avez raison de dire qu'il y a des droits de veto aussi pour les autres provinces, mais cela n'enlève pas notre protection que l'on peut récupérer.

En ce qui regarde le pouvoir de dépenser, que voulez-vous, on ne peut pas faire l'autruche. Le pouvoir de dépenser existe. Le gouvernement fédéral l'utilise de plus en plus. Avec l'entente du lac Meech, on peut le limiter, le circonscrire. D'une part, on peut consacrer, pour les provinces, la possibilité de se retirer d'un proqramme national. Cela n'existe pas, mais, si le pouvoir de dépenser existe en droit constitutionnel canadien, le pouvoir de se retirer n'existe pas. Alors, là, on a le pouvoir de dire; Non, votre proqramme sur les garderies, on en a des garderies ici, on n'est pas intéressés a participer. On pourra avoir l'argent dans la mesure où on pourra prendre une initiative ou un programme qui pourrait être, dans son ensemble, compatible avec les objectifs nationaux. Donc, là encore, des pouvoirs que l'on récupère.

Vous avez insisté sur l'immigration, M. Charbonneau. En ce qui regarde l'immigration, vous nous dites ici: II s'agit de l'enchâssement constitutionnel des pouvoirs acquis en 1978 par l'accord Cullen-Couture. C'est cela et c'est beaucoup plus parce que le Québec, par l'entente du lac Meech, a maintenant la capacité de sélectionner ses immigrants, non seulement ceux qui sont à l'extérieur du pays, dans un autre pays, qui demandent à immigrer au Québec, mais aussi ceux qui sont déjà sur place. C'est 30 % de nos immigrants. Je sais que vous êtes sensible à ce point-là, mais il y a aussi ce point très important, qui n'était absolument pas dans Cullen-Couture: celui de pouvoir donner à ces immigrants, qui viennent ici relever le défi de notre société, le moyen de prendre goût, de connaître notre société par des cours de langue, des cours de formation, des cours qui leur permettent de demeurer avec nous. Vous savez comme moi, M. Charbonneau, que c'est un problème parce qu'environ 50 % de nos immiqrants décident de s'en aller vers une autre province. Il faut les garder avec nous, leur donner le goût de vivre avec nous, le goût du Québec, le qoût de notre société. Cela n'était pas dans Cullen-Couture. En plus, il y a un minimum d'immigrants, en relation directe avec notre poids démographique, qui nous est garanti dans la fédération, soit environ 26 %, plus 5 %.

Donc, je voudrais simplement attirer votre attention sur ce point parce que vous

avez raison de parler de partage des pouvoirs. Mais en ce qui reqarde l'immigration, et c'est important pour notre sécurité culturelle, je crois qu'on a là quand même des gains extrêmement importants pour le Québec. Vous mentionnez qu'il y aura toujours la prépondérance fédérale en matière d'immigration. Non, non. Il y aura un amendement au texte constitutionnel qui permettra donc des ententes, des accords entre le gouvernement fédéral et la province, soit le Québec, et cette entente aura force constitutionnelle. Donc, c'est cette entente qui va s'appliquer. Donc, votre réticence en ce qui regarde la prépondérance tombe.

D'une façon générale, M. Charbonneau, ce que je peux vous dire, c'est que, oui, nous récupérons des pouvoirs, mais vous avez raison, nous ne revoyons pas tout te partage des compétences législatives. Il faut le revoir. C'est un autre aspect de l'entente du lac Meech puisque c'est dans un deuxième round de négociations. Nous avons décidé de procéder en deux étapes. La première étape, établir un solage, des points importants quant à notre garantie culturelle en ce qui nous regarde et même la Cour suprême, le pouvoir de dépenser, la société distincte, etc. Dans un deuxième temps, nous pourrons aborder les institutions. Nous pourrons aborder le partage des compétences législatives. C'est une façon de procéder qui est en deux étapes. Il y a une obligation de procéder le plus rapidement possible à cette deuxième étape.

Le Président (M. Filion): M.

Charbonneau.

M. Charbonneau (Yvon): Merci, M. le ministre, de ces précisions sur certains aspects, notamment au chapitre de l'immigration, mais j'aimerais aussi entendre votre point de vue sur les questions que j'ai soulevées en ce qui a trait à l'éducation, l'exercice de la compétence du Québec en matière d'éducation. Je crois que votre collègue, le ministre de l'Éducation, a bien senti quand il était dans l'Opposition, et depuis qu'il est ministre de l'Éducation, toute l'ampleur du problème. Je crois que le Québec aujourd'hui, à l'heure où nous sommes, commande une transformation de son système scolaire. Je veux bien prendre l'image du solage et de la maison, mais il faut tout de même prévoir un peu la forme des pièces de la maison et la hauteur de l'immeuble si on veut faire un solage qui va supporter ce qu'on veut bâtir. En quoi voyons-nous à travers les dispositions du lac Meech la possibilité d'évoluer de ce côté, du côté de cette question concrète de l'éducation, à moins d'avoir la permission d'è peu près tout le monde?

M. Rémillard: Oui. M. Charbonneau, là encore, vous soulevez un point important concernant l'éducation, qui est une compétence exclusive du Québec et où le fédéral agit par son pouvoir de dépenser. C'est pour cela qu'on dit qu'il ne faut pas faire l'autruche. Le pouvoir de dépenser du fédéral est là. Il faut le limiter parce qu'il faut avoir une action coordonnée. Il faut protéger notre compétence en matière d'éducation. C'est un des motifs qui nous a guidés pour l'entente du lac Meech.

Il y a un autre exemple qui est intéressant en ce qui regarde l'éducation. C'est l'article 93 qui donne des droits particuliers, comme vous le savez, en ce qui regarde le Québec, en ce qui regarde les protestants et les catholiques. C'est un article qui a été fait en 1867. À ce moment-là, on se basait sur une société qui se partageait en deux, des protestants et des catholiques. On a défini la société comme catholique d'un côté et protestante de l'autre. Maintenant, on se retrouve, M. Charbonneau, avec ce problème, soit l'article 93. Vous le mentionnez dans votre mémoire et vous avez raison. On a un problème avec l'article 93 pour établir un véritable programme scolaire ou une véritable politique scolaire. Oui, mais ce problème, d'où vient-il? II vient d'une définition de société qu'on a faite en 1867. Maintenant, un siècle après, on est pris - cela fait déjà un bon bout de temps qu'on est pris - et cela ne fait pas l'unanimité parce qu'il y a des gens qui ont d'autres commentaires à faire. Peu à peu, des commentaires se font. Il faudrait la garder. D'autres disent qu'il ne faudrait pas la garder, etc., mais cela cause un problème. Voilà, je relie donc ce commentaire à ce que vous disiez concernant la société distincte.

Concernant la société distincte, je veux simplement attirer une dernière fois votre attention sur le fait que cette distinction qui caractérise le Québec, c'est bien certain qu'elle est en fonction de la langue. Il y a une culture française, c'est évident. Je pense que vous êtes d'accord avec moi. Je ne suis quand même pas pour mettre dans la constitution une réalité qui est là, avec le risque que cela nous cause des problèmes, comme on peut le voir avec ce qu'on a déjà fait dans la constitution. Mais on a bien mentionné, pour la première fois, que le Québec, que l'Assemblée nationale, que le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir la société distincte. Donc, cela implique la langue, la culture et aussi notre svstème d'éducation, et cela, c'est important, c'est fondamental.

Le Président (M. Filion): M.

Charbonneau.

M. Charbonneau (Yvon): J'aime bien entendre que nous avons exprimé des propos qui étaient fondés en ce qui a trait à tout

le champ de l'éducation, soit sous l'angle du pouvoir de dépenser du fédéral, soit sous l'angle de l'article 93, mais nous n'avons jamais entendu cette question être soulevée dans les débats dont on parle et qui ont abouti à l'entente dont on parle. SiI ce sont vraiment des problèmes, je crois qu'il faudrait que le gouvernement du Québec nous annonce un peu comment il va y remédier, comment il va en discuter. Est-ce que ce sont des problèmes seulement à l'intérieur du Québec? Est-ce que ce sont des problèmes en relation avec ce qui se passe dans certaines autres provinces, des problèmes dont on dit: II n'y a pas l'unanimité, donc on ne change rien? Si vous procédiez ainsi pour tous les projets de loi, il n'y en avait pas beaucoup qui seraient adoptés. L'unanimité est difficile à obtenir sur quoi que ce soit. Mais, sur cette question, il y avait un large consensus sur l'opportunité de transformer le système scolaire sur des bases linguistiques. Si je mets ce problème à côté de votre volonté sur le plan de l'immigration, à mesure qu'il y aura des immigrants qui arriveront en plus grand nombre au Québec, s'ils se heurtent à un système scolaire organisé comme il l'est, protestant et catholique, je crois que cela n'incitera pas beaucoup à l'intégration. Ce n'est pas une mesure très accueillante pour les gens qui ne se reconnaissent pas dans les deux confessions qui structurent notre système scolaire. Plus vous insistez pour dire: Nous avons des acquis en matière d'immigration, plus la question de la transformation du système scolaire devient pertinente.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Charbonneau. Je vais reconnaître maintenant M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Merci, M. Charbonneau, ainsi qu'à vos collègues. Je vais me permettre de passer quelques remarques à la suite de celles du ministre. Je pense que le ministre exagère vertement quand il laisse entendre que tout est dans tout, et inversement, et que la société distincte... Il a presque dit que la notion de société distincte pourrait amener la Cour suprême un jour à décider que l'article 93 doit être transformé. Il était juste à la limite d'affirmer cela, ce qui n'a aucun sens, il le sait comme mot.

Que dit l'article 93 de la constitution du Canada? En 1867, on a décidé, au Québec et au Canada, que sur le territoire du Québec on protégerait les institutions protestantes. Comment cela s'est-il traduit? Cela s'est traduit par un article de la constitution du Canada que nous ne pouvons donc pas modifier et qui dit qu'au Québec il y a un système basé sur la religion: d'une part, les catholiques et, d'autre part, les protestants. Historiquement, cela correspondait à quelle réalité? Cela correspondait à une réalité qui voulait que, si vous étiez anglais, vous étiez protestant, et que, si vous étiez français, vous étiez catholique. En pratique, c'était la réalité du XIXe siècle. (13 h 15)

En 1987, la situation est très différente. On ne peut pas tenir pour acquis que les Anglais sont catholiques ou protestants et que les Français sont catholiques ou protestants. On tient pour acquis, cependant, qu'il y a, d'une part, une majorité francophone qui aspire de plus en plus et qui s'est donné des instruments pour faire en sorte que les nouveaux arrivants s'intègrent au système scolaire de la majorité et, d'autre part, les droits historiques de la minorité anglophone. Et dans le projet de loi 3, dans la loi 3 qui a été par la suite invalidée, le gouvernement du Québec avait tenté d'établir cette distinction de bon sens que, dans le fond, au Québec, on devrait avoir, d'une part, des écoles dans un système anqlophone, d'autre part, des écoles dans un système francophone et, ensuite, s'adonner à toutes les autres nuances qu'on voudra y mettre, mais que la base, c'était celle-là.

À ma connaissance, le Parti libéral avait pris l'engagement de faire cela. Je pense qu'un peu avant la campagne électorale M. Ryan l'avait évoqué. J'ai trouvé cela assez frappant de voir, dans le projet du lac Meech, que le gouvernement n'y touche pas. Maintenant, le ministre nous répondra: Oui, mais il y a la deuxième ronde de négociations, le deuxième "round" de négociations, comme il dit. Alors, je reqarde ce qu'on dit au sujet du "second round". Il faudrait qu'il arrête de renvoyer tous ceux qui disent qu'on n'a aucun pouvoir, qu'on ne change rien de fondamental ni de substantiel dans la constitution canadienne, de tes renvoyer à l'hypothétique deuxième "round". Le deuxième "round", pour reprendre l'expression du ministre, dit quoi? J'ai le texte anglais ici, je vais regarder le texte français. On y dit, concernant la tenue d'une conférence des premiers ministres: "la première devant avoir tieu dans les 12 mois suivant la proclamation de la présente modification constitutionnelle, au plus tard d'ici la fin de 1988". Et, à l'ordre du jour de cette deuxième ronde, ce sera "la réforme du Sénat, notamment: les fonctions et le rôle du Sénat, les pouvoirs du Sénat, le mode de sélection des sénateurs, la répartition des sièges au Sénat". Deuxièmement, "les rôles et les responsabilités en matière de pêche", les pêcheries. Et, troisièmement, "toute autre question dont on aura convenu". Il faut bien se comprendre sur le troisième paragraphe; cela, c'est un classique de l'histoire constitutionnelle canadienne et de l'histoire

des relations fédérales-provinciales- Chaque fois qu'on prépare un ordre du jour, on annonce qu'à la prochaine conférence, il y aura telle et telle chose et toute autre question qu'on voudra y soumettre, mais, en pratique, cela se limite à ce qui est énuméré. Ce qui prouve d'ailleurs que, peut-être qu'en évoquant très spécifiquement des sujets, c'est là-dessus qu'on va travailler, n'est-ce pas, et que les clauses générales dans le genre "toute autre question dont il pourrait être convenu", il n'y a personne qui s'en occupe.

Je pense que, depuis ie début de la journée, à l'occasion du mémoire de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, de celui de la CEQ que nous avons devant nous, le ministre mentionne constamment que le deuxième "round" va régler le problème du partage des pouvoirs, ce qui est le coeur du problème du Québec dans la Fédération canadienne. Et, pourtant, il a beau dire cela, ce n'est pas cela l'accord du lac Meech. L'accord du lac Meech, c'est la réforme du Sénat et puis ce qui se passe avec les pêcheries, les responsabilités en matière de pêcheries au Canada. On a évidemment à l'esprit qu'il s'agit ici essentiellement d'une préoccupation des provinces maritimes. Cela concerne aussi le Québec à cause de la Gaspésie et de la Côte-Nord, d'Anticosti et des Îles-de-la-Madeleine, mais, fondamentalement, on sait que c'est une préoccupation de M. Peckford, de M. Buchanan, de M. Hatfield et de l'Île-du-Prince-Édouard. Je trouve d'une certaine façon plutôt inconvenant, surprenant... En tout cas, je ne reconnais sûrement pas la rigueur du professeur de droit constitutionnel, je vois plus des approches politiciennes de la part du ministre quand il renvoie, chaque fois qu'on dit: Oui, mais il y a des choses incomplètes là-dedans... La Centrale de l'enseignement du Québec, alors qu'il y a deux ans nous avions déposé un projet d'accord constitutionnel, elle l'a rejeté, parce qu'elle trouvait que c'était insuffisant. Elle vient vous dire la même chose, je comprends. Vous, ce n'est pas insuffisant, c'est presque inexistant. Presque inexistant! On pourrait nous faire des reproches quant au fait que le document constitutionnel que nous avions déposé en 1985 était incomplet, mais il avait 30 pages. Il était écrit, mais surtout il ouvrait, il ouvrait... 30 pages couvraient l'ensemble des secteurs, 23 secteurs d'intervention qu'il nous apparaissait essentiel de discuter, y compris la récupération immédiate d'un certain nombre de pouvoirs dans le secteur économique et y compris l'enclenchement d'un processus du partage des pouvoirs pouvant amener à la fois la question de l'article 93 et d'autres dimensions. Cela, le gouvernement n'en parle pas. Le ministre veut bien dire de façon plus ou moins ronronnante ou suave: Vous savez, il y a le deuxième "round". Non, le ministre est préoccupé par une chose, il veut se dépêcher de signer l'accord du lac Meech. Pourquoi veut-il se dépêcher de le siqner? Parce qu'il sait qu'au Canada anglais, en ce moment, on a encore l'impression que le Québec n'a jamais demandé si peu.

Deuxièmement, le deuxième "round" dont il nous parle comprendra essentiellement deux sujets, l'un qui fait l'affaire de l'Ouest canadien, qui est le Sénat, et un autre qui fait l'affaire des Maritimes et qui est la question des pêcheries. Quant aux pouvoirs du Québec, que ce soit en matière de main-d'oeuvre, de formation professionnelle, de recyclage de la main-d'oeuvre, de sécurité du revenu pour qu'on ait des politiques d'emploi qui aient de l'allure au Québec; quant aux questions qui touchent le domaine de l'éducation, notamment l'article 93, qui est un empêchement important de tourner en rond dans notre système éducatif, ce n'est même pas mentionné pour la deuxième ronde. C'est absent.

Je pense que cela démontre que le ministre et le premier ministre, quand ils se sont rendus au lac Meech, avaient un dossier tellement incomplet, un plancher tellement bas, déjà défoncé d'ailleurs - déjà défoncé sur le pouvoir de dépenser, déjà défoncé sur la société distincte - au point où le ministre se livre aujourd'hui à des espèces de parades pour expliquer que la société distincte veut tout dire alors que, pourtant, au Canada anglais on lui explique que cela ne veut à peu près rien dire et qu'on est pris dans un contexte de confusion, d'ambiguïté, et je dirai d'absence de courage d'aller au fond des choses. S'il devait y avoir un accord entre le Canada et le Québec, dans le cadre constitutionnel post 1982, il faudrait que cet accord ait le courage de mentionner un certain nombre de choses. Il n'a pas ce courage.

Je pense qu'il reste quelques minutes que je veux bien laisser à M. Charbonneau, s'il désire autour de cela...

Une voix: ...

M. Johnson (Anjou): Non, mais je lui laisse la moitié du temps que j'avais, à toutes fins utiles. Merci.

M. Charbonneau (Yvon): Merci, M,

Johnson. Je ne veux pas me mettre la main autour du pendule qui se renvoie d'un côté et de l'autre sur certaines questions. Je crois que, dans le document dont vous parlez, de 1985, vous n'étiez pas très explicite non plus quant à votre intention de remettre en question l'article 93.

M. Rémllard: II n'y a rien.

M. Charbonneau (Yvon): II y avait une

cause devant la cour et, même si le ministre de l'Éducation, à une certaine époque, M. - Gendron, avait reconnu publiquement, devant nous, qu'il serait opportun de soulever cette question, il reste que, pour ce qui était du gouvernement, cette idée n'avait pas été officiellement reprise, je crois.

M. Johnson (Anjou): Si vous me permettez, M. Charbonneau, juste une seconde là-dessus...

M. Charbonneau (Yvon): Oui.

M. Johnson (Anjou): ...et pour les fins de l'histoire autour de cela, je pense que cela vaut la peine...

M. Rémillard: II ne restera plus de temps pour parler. Laissez parler nos invités.

Le Préaident (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît:

M. Johnson (Anjou): ...si le ministre me permet, si cela ne le dérange pas trop. Il a parlé devant la caméra tout Pavant-midi, il pourrait peut-être nous laisser dialoguer un peu.

M. Rémillard: Allez-y, M. le chef de l'Opposition!

M. Johnson (Anjou): Je vous dirai que, normalement, cela aurait été dans les demandes et cela a été discuté au Conseil des ministres à l'époque, mais, précisément, vous l'avez dit, la réponse, c'est que, dans la mesure où on plaidait devant les tribunaux qu'on pouvait procéder à l'adoption de la loi 3, le risque qu'il y avait sur le plan juridique, c'était qu'en revendiquant à ce moment-là une modification à l'article 93, on se mette dans une position sur le plan juridique...

M. Rémillard: Ce n'est pas sérieux.

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! La parole est au chef de l'Opposition. Nous avons écouté tous les intervenants.

M. Johnson (Anjou): Je comprends que le ministre soit dérangé un peu par ces questions.

Je peux vous dire qu'il est évident qu'à partir du moment où les tribunaux ont tranché la question de façon très claire et qu'ils ont dit que l'article 93 interdit au Québec de faire une réforme sur une base linguistique, il faut que le Québec exige la modification de l'article 93. Ce que je reproche au gouvernement, c'est de ne pas l'avoir fait, alors que le jugement était sorti.

M. Charbonneau (Yvon): Quant à nous, ce que je voulais soulever, c'est que c'était une question peut-être préoccupante pour le gouvernement d'alors, mais on avait de la difficulté à s'exprimer clairement là-dessus.

Pour ce qui est du gouvernement actuel, j'ai ici le programme politique du parti qui forme !e gouvernement et on y retrouve une résolution qui est très claire et qui viserait à doter le territoire québécois de deux réseaux linguistiques autonomes au niveau scolaire: "dans le respect des débats constitutionnels existants et des exigences légitimes des familles religieuses concernées". Je donne la citation au complet, pour ne pas donner l'impression qu'on ne prenait pas certains égards à l'endroit de la constitution actuelle.

Le ministre actuel de l'Éducation, lorsqu'il était critique de l'Opposition, avait trouvé le moyen de rendre compatibles ces deux réalités. Le respect à apporter à certaines familles religieuses et le respect à apporter aux besoins actuels du système scolaire québécois. Lorsqu'il était dans l'Opposition, il avait réussi à suggérer, dans le débat public et au gouvernement d'alors, des formules pouvant rendre tout cela compatible. Aujourd'hui, j'aurais aimé qu'il soit à la commission parlementaire pour entendre ce qu'il aurait eu à dire là-dessus en public. Chaque fois qu'on a soulevé la question avec lui dans des rencontres plus privées, cela semblait impossible pour lui de convaincre les circuits supérieurs du gouvernement quant au dossier des discussions constitutionnelles, d'aborder cette question. Enfin...

M. le ministre, vous avez mentionné que c'était un vrai problème, mais je n'entends aucune voix au niveau gouvernemental qui nous rassure quant à la prise en considération. Même pour la deuxième ronde, j'ai entendu M. Bourassa dire à plusieurs reprises: Nous sommes au maximum de notre rapport de forces au niveau canadien. Le Sénat est soulevé par les provinces de l'Ouest, la pêche par les provinces de l'Est. Est-ce que ce ne serait pas le temps pour le gouvernement du Québec de dire: Mot aussi, j'ai deux ou trois questions? Les voici. Il faut les mettre à l'ordre du jour. Là, c'est écrit, sur l'accord de tout le monde, qu'on pourrait inscrire d'autres questions. Est-ce l'accord des dix? Est-ce l'accord de sept sur dix? C'est l'accord de qui et pourquoi on ne les inscrit? C'est au moins aussi important pour le Québec que les pêcheries pour les Maritimes. Enfin, si on est au sommet du rapport de forces et qu'on ne réussit pas à l'inscrire, est-ce qu'on peut avoir quelque appréhension?

M. Rémillard: Je peux répondre à cette question, si M. le chef de l'Opposition me le permet.

Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il y a consentement? Votre enveloppe est épuisée du côté ministériel, mais, de consentement, je comprends que je peux accorder le droit de parole à M. le minisre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Johnson (Anjou): Vous allez me laisser ma minute, à la fin?

M. Rémillard: Oui, oui. Très rapidement pour vous dire que, oui, nous allons inscrire des points que le Québec veut débattre concernant le partage des responsabilités législatives entre les deux paliers de gouvernement. Nous allons le faire dès que nous allons avoir terminé cette première étape. Dans une deuxième étape qui devrait commencer l'automne prochain, donc, dès le mois de septembre prochain, là, nous allons discuter de certains points particuliers en ce qui concerne le partage des compétences législatives que nous voulons discuter. La liste qui a été établie, en ce qui concerne le Sénat et les pêcheries, n'est absolument pas exhaustive. Ce sont deux sujets. Il est bien évident que ce n'est pas exhaustif. Il est bien mentionné qu'il y aura d'autres matières. En temps et lieu, on fera valoir ces autres matières. Soyez assuré de cela.

Tout simplement, en terminant, je voudrais dire au chef de l'Opposition que, sur l'article 93 de la constitution, lorsqu'il dit que c'est fondamental et que c'est important, eh bien, il n'y avait rien ou, en tout cas, je ne vois rien dans le projet d'accord constitutionnel, dans les quelque 30 pages - il nous dit qu'il y avait environ 35 pages - il n'y avait rien sur l'article 93. C'est bizarre, ça.

Une voix: II manque une page.

M. Rémillard: II y a quand même quelque chose. Il faut voir qu'il y a peut-être une petite différence de discours quelque part. Voilà, j'ai terminé, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre. M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Oui, je veux simplement rassurer le ministre et lui dire que les demandes du Québec qu'il a contribué à préparer pour le lac Meech tiennent sur un timbre-poste. Elles sont assez minces. De toute évidence, il apparaît qu'elles sont devenues illisibles. On se demande déjà ce qu'il en reste, d'ailleurs. Â entendre le ministre semoncer sur les insuffisances du projet d'accord de 1985, c'est quelque peu étonnant.

Je voudrais remercier le président de la CEQ et ses collègues pour la préparation d'un mémoire dont nous avons pris connaissance avec intérêt, en plus d'entendre l'exposé.

En terminant, j'aimerais dire au ministre que je tiens pour acquis qu'il nous a dit formellement au nom du qouvernement que la question de l'article 93 sera inscrite dans la prochaine ronde de négociations. Contrairement à ce qu'il a dit au lac Meech, c'est un ajout, je présume, au projet d'entente du lac Meech, avec les ajouts que vous préparez - je le souhaite - sur la société distincte et sur la question du pouvoir de dépenser.

Je tiens donc pour acquis que le ministre a pris un engagement, au nom du gouvernement, de faire en sorte que cette question et tout le partage des pouvoirs feront l'objet de modifications importantes dans le projet d'accord du lac Meech. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): À mon tour...

M. Rémillard: M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le ministre.

M. Rémillard: C'est tout simplement une rectification, parce que ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit qu'on prendra en considération des points importants considérant le partage des compétences législatives et possiblement qu'on devrait s'attarder à des questions reliées à l'éducation, soit le pouvoir de dépenser ou l'article 93, comme à d'autres sujets aussi. Cela viendra en temps et lieu, mais ça viendra.

M. Johnson (Anjou): D'accord. Alors, je tiens donc pour acquis, M. le Président, que les propos du ministre nous démontrent qu'il avait surtout des paroles verbales...

M. Rémillard: Des paroles verbales...?

M. Johnson (Anjou): ...du verbo-juridisme avant. Je comprends donc que te gouvernement n'a pas l'intention ferme d'inscrire la question de l'article 93 dans la deuxième ronde de négociations. Merci.

Le Président (M. Filion): M. Charbonneau, en terminant... À l'ordre, s'il vous plaît!

M. Charbonneau (Yvon): M. le Président, j'ai laissé filer le chef de l'Opposition lorsqu'il disait: J'ai compris qu'il inscrirait l'article 93. Je me suis dit: II est plus près et ils se voient plus souvent, peut-être, et tout ça. Mais je n'avais pas compris ça, d'ici, non plus que le ministre s'était complètement compromis.

Je pense que nous avons tout de même obtenu la reconnaissance qu'il s'agit là d'une

véritable question, d'un véritable problème. Encore une fois, je vous inviterais à tenir un vote libre au sein de votre propre députation sur cette question si, parfois, ça pouvait vous aider à vous délier d'un certain contexte historique lourd sur cette question. Peut-être qu'on pourrait en arriver à rejoindre la société du Québec sur cette question et à mieux accueillir son flot d'Immigrants qui s'en vient et qui viendra à la suite de la mise en oeuvre de ces accords. Quant à nous, nous reviendrons sur cette question chaque fois que le débat sera ouvert. Nous apprécions que ce soit ouvert à l'occasion de cette commission parlementaire. Nous insistons pour que tout développement ultérieur autour de l'évolution de la constitution canadienne permette un débat large, un débat public et pendant un peu plus de temps que cela n'a été possible cette fois-ci, parce que c'est vital pour le développement de la démocratie.

J'ai également remarqué - probablement que c'est faute de temps - qu'on n'a eu aucun commentaire à propos de notre suggestion quant à l'élaboration d'une constitution québécoise. Je crois, pourtant, qu'en certains milieux cette idée a fait son petit bonhomme de chemin et que c'est peut-être le véritable moyen de développer le caractère distinct du Québec à travers tout ce débat, en plus du travail qui doit s'accomplir au niveau des institutions fédérales. Il faudrait revenir là-dessus un bon moment.

M. Johnson (Anjou): M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Si vous permettez, deux remarques. D'abord, je voudrais dire à M. Charbonneau qu'il sait que je suis favorable à cette notion d'une constitution du Québec qui lui permettrait effectivement, très solidement et très organiquement, de développer certains de ces caractères spécifiques, de ces orientations en s'appuyant sur la légitimité populaire, en s'inspirant de la démocratie. Deuxièmement, je pense que cela devrait précéder tout accord constitutionnel avec le reste du Canada. Troisièmement, il y a une chose qui m'a frappé. Si le ministre n'a pas dit qu'il inscrirait 93 dans le deuxième "round" et s'il a ensuite dit qu'on aurait mal compris si on avait compris ça, j'ai très bien entendu le ministre déclarer que le pouvoir de dépenser ferait l'objet du deuxième "round", alors que je pensais que c'était réglé dans le cas du lac Meech.

M. Rémillard: Je n'ai jamais dit ça. Voyons donc!

M. Lefebvre: M. le Président, est-ce que le chef de l'Opposition pourrait permettre au ministre de faire un commentaire sur cette dernière boutade?

M. Johnson (Anjou): Oui, deux secondes, sûrement.

Le Président (M. Filion): Sûrement. Je pense que depuis déjà quelques minutes...

M. Lefebvre: Bien oui, M. le Président.

M. Johnson (Anjou): Oui, nous sommes tolérants, vous le savez.

Le Président (M. Filion): ...les permissions existent, une précision en amenant une autre et une autre. M. le ministre.

M. Lefebvre: Une dernière minute, M. le Président.

M. Rémillard: M. le Président, je vous remercie. Devant nos invités, je ne veux pas exagérer et simplement dire que le pouvoir de dépenser fait l'objet de l'entente du lac Meech et c'est comme ça que nous allons régler ce problème.

M. Johnson (Anjou): Donc, c'est un lapsus, si je comprends bien. Le ministre remarquera dans la transcription qu'il a dit que dans le deuxième "round" il y aurait le partage des pouvoirs. On considérerait l'article 93 avec les fioritures qu'il y a mises et on discuterait du pouvoir de dépenser.

M. Rémillard: Ce sont des paroles verbales.

M. Johnson (Anjou): D'accord. C'étaient des paroles verbales. Merci.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

Le Président (M. Filion): M. Charbonneau, je voudrais vous remercier. II y a une chose qui est claire, c'est que le temps qui nous était alloué est totalement écoulé. Je voudrais vous remercier à la fois pour votre mémoire ainsi que pour la période de discussion qui a suivi.

Nos travaux sont suspendus jusqu'à 16 h 15.

(Supension de la séance à 13 h 36)

(Reprise à 16 h 21)

Mouvement national des Québécois

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il

vous plaît! J'inviterais les représentants du Mouvement national des Québécois à prendre place à la table de nos invités. Point d'information, avant de débuter nos travaux, pour les membres de cette commission: On vous a distribué en fin de séance, cet avant-midi, l'horaire modifié de nos travaux qui a été confirmé il y a quelques minutes en Chambre par l'adoption d'une motion sur division qui nous faisait part de cet horaire modifié compris dans l'ordre du jour qui vous a été distribué en fin d'avant-midi. Bienvenue, donc, aux représentants du Mouvement national des Québécois. J'inviterai immédiatement M. Rolland Chaussé, président du MNQ, à bien vouloir présenter la personne qui est à sa droite, tous ayant reconnu à sa gauche M. François-Albert Angers, économiste, qui nous fait le plaisir de sa présence cet après-midi. M, Chaussé.

M. Lefebvre: M. le Président, je m'excuse.

Le Président (M. Filion): Oui.

M. Lefebvre! Est-ce que je pourrais vous suggérer de rappeler à nos invités, les règles, étant donné que le texte qu'on a en main contient quand même 23 pages bien tassées. Je me demande si on aura le temps de procéder comme on l'a fait jusqu'à présent.

M, Rochefort: M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin.

M. Rochefort: Tout en souscrivant à la demande que nous fait le leader adjoint du gouvernement de rappeler les règles au Mouvement national des Québécois comme à tous les groupes, il faut quand même rappeler, M. le Président, la latitude qui nous a animés de part et d'autre jusqu'à maintenant et encore une fois ce matin pour Alliance Québec où de consentement unanime, spontané, tout le monde s'est entendu pour permettre à ce groupe comme à tout autre de pouvoir déborder quelque peu, pour lui permettre de donner tout le témoignage qu'il souhaite donner sur quelque chose d'aussi fondamental que l'avenir du Québec.

Le Président (M. Filion): M. Chaussé, d'abord, comme je vous l'ai demandé tantôt, j'apprécierais que vous puissiez présenter la personne qui vous accompagne et également, peut-être dans un deuxième temps, me dire de combien de temps environ vous pensez avoir besoin pour votre exposé.

M. Chaussé (Rolland): Dans un premier temps, j'aimerais vous présenter effectivement M. François-Albert Angers, ancien président de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, qui a été président du Mouvement Québec français et, comme vous le dites si bien, qui n'a pas besoin de présentation. À ma droite, François Drouin, historien, qui nous a conseillés dans la démarche qu'on entreprend aujourd'hui. J'aimerais aussi souligner avant de commencer que le Mouvement national des Québécois est le nom, depuis une dizaine d'années, de l'ancienne Fédération des sociétés Saint-Jean-Baptiste. Je profite de l'occasion pour souligner la présence de collèques qui viennent d'un peu partout au Québec, autant de l'Abitibi-Témiscamingue, de l'Est du Québec, de la Côte-Nord, du Saguenay~Lac-Saint-Jean, de Québec même, de la région de Lanaudière, des Laurentides, des Hautes Rivières, de l'Outaouais, de Richelieu-Saint-Laurent, de Richelieu-Yamaska. Si j'en oublie, ils m'excuseront, cela totalise environ 165 000 membres et plusieurs se sont déplacés à l'échelle du Québec. À la deuxième question que vous m'avez posée: Nous avons prévu un résumé que vous n'avez pas. Vous allez pouvoir suivre, cela reprend tout simplement les grandes étapes. C'est 18 pages à double interligne, donc, cela fait l'équivalent de 9 pages environ.

Le Président (M. Filîon): M. Chaussé, je vous posais la question, eu égard aux craintes exprimées par le leader adjoint. Mais je dois vous dire que, de façon générale, cette commission et ses membres se sont montrés très souples pour permettre à nos invités de s'exprimer, même si la contrainte du temps est assez énorme sur notre horaire. Donc, je vous invite, sans plus tarder, à nous présenter votre exposé,

M. Chaussé: Merci. Le mémoire du Mouvement national des Québécois s'attarde sur le concept de société distincte et met en lumière les nombreux problèmes qu'il soulève. Comme le libellé du texte de l'entente de principe intervenue au lac Meech a la forme d'un texte de loi constitutionnel, même s'il a été livré à la presse sous forme de communiqué et que tout semble indiquer qu'il s'agit là de la position officielle du gouvernement, c'est sur ce texte que s'arrêtent les conclusions de notre mémoire. Mais, comme le discours des participants à cette entente a beaucoup porté sur son sens historique, nous devons, dans un premier temps, faire appel au passé pour comprendre le présent. Les rédacteurs de cette entente de principe sont des politiciens, des juristes et des experts en droit constitutionnel. Pourtant, et ils sont les premiers à l'admettre, ils ne sont pas historiens. C'est pourquoi nous avons choisi de retracer

l'histoire consitutionnelle du Québec pour soutenir notre argumentation.

Lorsque l'on parle de l'origine et de la naissance du Québec, il faut retourner dans le temps et se rappeler l'époque de la Nouvelle-France. Quelques dates suffisent à remémorer les événements: 1534, Jacques Cartier explore la vallée du Saint-Laurent; 1608, Champlain fonde Québec et, en 1634, Trots-Rivières. Ville-Marie, pour devenir Montréal, est fondée par Maisonneuve en 1642. Dès lors, la population du Québec se développe autour de deux pôles urbains, Québec et Montréal. D'abord administrée par des compagnies privées comme la Compagnie des Cents-Associés, la Nouvelle-France devient une province française dotée d'un gouvernement royal en 1663. La colonie est alors dirigée par un gouverneur, un intendant et un conseil souverain. Un embryon de société distincte de la métropole se forme sous cette gouverne. Les natifs du pays, de plus en plus nombreux par rapport aux natifs de France, se nomment "habitants", "habitués du pays", etc., par opposition aux "nouveaux arrivants" de France. Avec les années, ces gens forment une société complète avec ses différents groupes sociaux.

Fusionnant "Canada-Kanata" avec leur nouvelle identité culturelle, les habitants se qualifient de "Canadiens". Que l'on ne se méprenne pas ici sur ce terme. Au XVIIIe siècle, il désigne des personnes de souche française nées en Nouvelle-France. Ce Canadien n'est pas un anglophone et encore moins un britannique. Jacques Mathieu, spécialiste de l'histoire de la Nouvelle-France, le décrit ainsi: "II s'est plié aux lois de la nature, abandonnant des attitudes européennes pour adopter des comportements indiens et se façonner une identité propre. Le constant défi du danger et du milieu naturel l'a rendu brave et industrieux. Habitué à la vie rude, forcé de chercher et de trouver réponse à ses besoins, indifférent envers une autorité française trop éloignée de ses préoccupations, il a pris tellement d'initiatives qu'il a formé un type social et culturel original."

Au milieu du XVIIIe siècle, la Nouvelle-France a des institutions qui lui sont propres. Ses habitants développent un sentiment d'appartenance à leur territoire. Sa composition sociale s'élabore et son identité culturelle se forge. Comparée à la métropole, la Nouvelle-France constitue une société distincte: famille de souche française, religion catholique, régime seigneurial, coutumes de Paris, vie en paroisse, victoire sur les envahisseurs iroquois et anglais et exploration du continent, autant de traits caractéristiques de cette société qui change d'allégeance à la fin de la guerre de Sept Ans. (16 h 30)

Certains, dont les participants de l'entente du lac Meech, ont tendance à croire que notre histoire s'est arrêtée avec la capitulation de Montréal en 1760. Pourtant, cette société distincte de la France et distincte de l'Angleterre a évolué. Après la conquête, l'Angleterre vise à assimiler rapidement ses nouveaux sujets. Pourtant, la politique assimilatrice de la proclamation royale de 1763 se révèle impraticable. En 1774, par l'Acte de Québec, Londres établit sa politique de conciliation envers ses nouveaux sujets. Cette nouvelle constitution réintègre le golfe du Saint-Laurent et la région des Grands Lacs dans le territoire de la province. La liberté religieuse est reconnue avec la tolérance du clergé catholique. L'accession des catholiques aux fonctions officielles devient aussi possible grâce à la suppression du serment du Test et son remplacement par un serment d'allégeance. Les lois criminelles anglaises sont maintenues, mais tes lois civiles françaises sont rétablies. Les autorités anglaises reconnaissent ainsi leur erreur d'avoir tenté de faire disparaître la population française de leur nouvelle colonie. Cette communauté est désormais reconnue juridiquement et peut aspirer à affirmer son identité.

Avec l'arrivée des Loyalistes, le rapport démographique entre anglais et français est modifié. La réponse londonienne è ce problème, c'est l'acte de 1791 qui établit le gouvernement constitutionnel et crée les provinces du Haut et du Bas-Canada. La société bas-canadienne se transforme et on assiste à un clivage au sein de la population. D'une part, on trouve des Canadiens qui habitent le pays depuis plusieurs générations. Ils parlent le français et ils considèrent la paroisse et l'église catholique comme les deux institutions tes plus chères. Leur droit civil est basé sur la coutume de Paris. De plus, ayant été rejetés du grand commerce par le jeu de la concentration des capitaux propre à l'émergence du capitalisme, ils sont surtout des ruraux.

D'autre part, on trouve les nouveaux arrivants anglophones. Ce sont tes "British Americans". Ils sont de diverses dénominations religieuses, minoritaires dans la colonie, mais regroupés dans les villes. Ils dénoncent les lois civiles françaises qui ne prévoient ni habeas corpus, ni procès devant jury pour les affaires commerciales, ni poursuites en dommages, pas plus que la loi de banqueroute ou la loi d'enregistrement, autant de pratiques nécessaires à leurs activités commerciales. Bref, le Bas-Canada est composé de deux peuples dont les coutumes et tes traditions sont différentes.

C'est dans ce contexte que la vie parlementaire se développe. Le premier affrontement entre les Canadiens et les "British Americans" survient en 1810. Nouvelle crise entre ces groupes en 1822.

Puis, c'est la querelle des subsides et le désir des Patriotes afin d'obtenir la responsabilité ministérielle qui aboutissent aux rebellions de 1837, 1838 et à l'Acte d'Union en 1840.

Conséquence du rapport Durham, l'Acte d'Union constitue un régime d'oppression nationale. Les Canadiens croyaient que leur communauté était appelée à se répandre en Amérique du Nord. Après 1791, l'existence du Haut-Canada, province à majorité anglaise, force les Canadiens à demeurer majoritairement au Bas-Canada. Ainsi, la lutte du parti Patriote visait à obtenir le droit d'administrer le pays dont il formait la majorité. Démocratiquement, les "British Americans" minoritaires au Bas-Canada devaient se rallier. Les Patriotes croyaient que les Anglais, refusant de se laisser gouverner par la majorité canadienne, devaient s'établir au Haut-Canada. Par l'Acte d'Union, les "British Americans" se donnent les moyens de protéger leur liberté d'action. Par l'union des deux provinces, les Canadiens sont finalement mis en minorité, laissant à la population anglaise le pouvoir de diriger le pays. Comme conséquence, le terme "canadien" cesse de désigner les descendants de colons français et est également traduit en anglais. Canadien et "Canadian" désignent désormais les habitants du Canada et on parie alors de Canadiens français et de Canadiens anglais pour distinguer les deux peuples.

Malgré l'établissement du principe de ta double majorité, les gouvernements sous l'Union souffrent d'instabilité ministérielle chronique et s'avèrent incapables de faire face aux difficultés financières liées à la construction ferroviaire et à l'abrogation du traité de réciprocité. L'Acte de l'Amérique du Nord britannique, maintenant connu comme la Loi constitutionnelle de 1867, s'impose alors comme solution.

Dans son étude sur le fédéralisme canadien, l'ancien professeur de droit constitutionnel, Gil Rémillard, nous renseigne sur la nature de la Loi constitutionnelle de 1867. Il affirme qu'il s'agit d'une loi et d'un pacte. Cette double nature est d'ailleurs confirmée en 1981 par la Cour suprême du Canada dans son Avis sur le repatriement. Oui donc a conclu ce pacte? Dans la même étude, Gil Rémillard soutient que l'Acte de l'Amérique du Nord britannique est un pacte négocié entre quatre parties. Ces quatre parties sont le New Brunswick, la Nova-Scotia, le Canada-Ouest ou Upper-Canada et le Canada-Est ou Bas-Canada. Pour M. Rémillard, le rôle du Bas-Canada au cours de ces négociations est évident et nous le citons: "En somme, le Bas-Canada n'avait aucun droit de jure pour négocier au nom du peuple canadien-français. Cependant, de facto, il s'est conduit comme tel et le texte même de l'Acte de 1867 en est la preuve."

C'est donc dire que la Loi constitutionnelle de 1867 consacre l'existence juridique du peuple canadien-français. De société distincte de la métropole, les descendants des familles-souches françaises sont devenus le peuple canadien-français avec la "Province of Quebec", le Bas-Canada ou le Canada-Est comme foyer national. Comment est-il possible qu'une fois rendu au bord du lac Meech le ministre Rémillard oublie un siècle de notre évolution constitutionnelle? Comment le peuple canadien-français peut-il perdre une partie de son identité et devenir uniquement une société distincte? Mais il y a plus car notre histoire ne s'arrête pas en 1867. Depuis ce temps, le peuple canadien-français a évolué.

Pourtant, la contradiction fondamentale de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, contradiction existant entre le besoin d'autonomie du peuple français du Québec et le fait que le peuple anglo-canadien s'accommode fort bien du régime de plus en plus centralisé qu'il contrôle, n'apparaît pas immédiatement pour tous. Plusieurs se réjouissent de la naissance de la confédération. Cependant, les pouvoirs centraliseurs accordés au qouvernement fédéral apparaissent rapidement. Dès 1878, Honoré Mercier revendique l'autonomie provinciale. En 1887, le même Mercier convoque la première conférence interprovinciale pour enrayer la montée du gouvernement central et remédier à l'entente financière inéquitable de 1867. Malheureusement, les revendications des provinces demeurent ignorées. À la fin du XIXe siècle, le Canada acquiert la Terre de Rupert et les Territoires du Nord-Ouest. Les Canadiens français voient alors la possibilité de peupler l'Ouest. Cette aspiration est rapidement niée par la majorité anglaise. Le premier doute survient avec la pendaison de Louis Rie!. La question des écoles du Manitoba et le rèqlement Laurier-Greenway montre que toute la présence du peuple canadien-français dans l'Ouest est remise en question. La politique du gouvernement Laurier en matière d'immigration et la création de la Saskatchewan et de l'Alberta en 1905 confirment cette situation: L'Ouest canadien n'est pas destiné à être peuplé par les Canadiens français, leur territoire, c'est le Québec. Ainsi, à l'aube de la Grande Guerre, plusieurs éléments constituant une nation sont mis en place au Québec. Originaire de familles-souches françaises, ce groupe d'hommes et de femmes se distinque par sa culture, se qualifie de Canadiens français, est gouverné par le Parlement québécois et a le Québec comme territoire défini. Avec la loi des mesures de querre en 1914 débute l'ingérence du gouvernement fédéral dans les champs de compétence du gouvernement provincial. Mentionnons les événements les plus importants: le New Deal

de Bennett, le rapport Rowell-Sirois, le système d'assurance-chômage et l'introduction de la notion de pouvoir concurrent dans des domaines autres que l'agriculture et l'immigration.

Après la Seconde Guerre mondiale, le Québec réagit. Par la voix du premier ministre Duplessis, il revendique la récupération fiscale et l'autonomie provinciale. Cependant, la politique de l'Union Nationale n'est pas suffisamment progressiste pour le Québec du début des années soixante, il est temps que cela change. Avec le gouvernement Lesage, toute une nouvelle série de revendications constitutionnelles voient le jour. Jean-Louis Roy a bien montré les traits marquants de cette époque et je cite: "Cette fière affirmation du dynamisme québécois à venir s'accompagne d'une impressionnante volonté de modifier la réalité et la pratique constitutionnelle canadienne. En quelques phrases, le Québec vient de rouvrir le dossier du rapatriement et de la formule d'amendement de la constitution de même que celui de l'insertion dans cette dernière d'une déclaration des droits fondamentaux de l'homme. Les représentants québécois ont de plus proposé l'établissement de nouvelles structures de fonctionnement du fédéralisme et soutenu qu'il était impérieux de rompre avec les pratiques politiques bien ancrées depuis un quart de siècle, soit les politiques de subventions conditionnelles et les programmes conjoints. Ils ont de plus affirmé que la culture francophone au Canada devait être reconnue et présente dans l'ensemble du pays."

Les affrontements entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec vont se multiplier. La plus importante victoire de l'époque, pour le Québec, demeure le Régime de rentes qui institue le droit de retrait ou de l"'opting out". C'est dans ce contexte, en 1964, que le Québec fait bloc contre la formule Fulton-Favreau. Même si elle protégeait l'acquis, cette formule d'amendement constitutionnel plaçait le Québec dans une position trop difficile pour obtenir davantage dans l'avenir en raison du véto accordé à chacune des provinces.

Pendant que Daniel Johnson écrit Égalité ou indépendance et que de Gaulle proclame Vive le Québec libre! la commission Laurendeau-Dunton recommande de faire du français une des langues officielles du Canada. En février 1968, un processus de révision constitutionnelle est amorcé. Les travaux aboutissent en 1971 avec la charte de Victoria. Le Québec y est isolé, surtout dans ses demandes dans le domaine social. Le gouvernement québécois réclame le contrôle exclusif des allocations familiales, les allocations de formation de la main-d'oeuvre et du supplément de revenu garanti en raison de l'âge, avec certaines compensations financières. Refusant de tenir compte des demandes du Québec et d'une nouvelle répartition des compétences, la charte de Victoria vise à fixer dans la constitution le statut d'infériorité des minorités francophones et donne un statut privilégié aux anglophones du Québec. Le Québec dit non à la charte de Victoria.

Durant les années soixante-dix, les données changent. Incapable de soutenir sa thèse de souveraineté culturelle face aux attaques de Pierre Elliott Trudeau, le gouvernement Bourassa perd l'appui de la nation québécoise dont le nouveau porte-parole devient René Lévesque et le Parti québécois. Entre 1976 et 1980, le débat constitutionnel s'interprète en fonction du projet de souveraineté-association du gouvernement du Parti québécois. En une phrase, Lévesque a défini ce projet comme étant la souveraineté politique accompagnée d'une association économique avec le Canada. Son adversaire acharné, Pierre Elliott Trudeau, vise à étouffer toute possibilité d'existence de la nation québécoise. Sa stratégie consiste à rapatrier la constitution canadienne et à la modifier de façon à museler toute revendication nationale pour le Québec.

Pendant que la loi 101 fait du français la seule langue officielle du Québec et que la commission Pepin-Robarts prépare Se retrouver, Trudeau déclare qu'il est temps d'agir et qu'il faut rapatrier la constitution canadienne. En novembre 1979, le gouvernement du Québec propose une nouvelle entente Québec-Canada. En mai 1980, l'Assemblée nationale débat la question référendaire pendant que les partisans du oui et du non s'opposent dans la population. Le 14 mai 1980, devant une foule rassemblée au centre Paul-Sauvé, le premier ministre Trudeau s'engage à renouveler le fédéralisme canadien. Il déclare alors: C'est aux indécis qui titubent que je m'adresse. Si c'est non, nous avons tous dit que ce sera interprété comme un mandat de changer la constitution et de renouveler le fédéralisme. Ce n'est pas moi seul qui le dis, ce sont 74 députés libéraux à Ottawa et les premiers ministres des neuf provinces canadiennes.

La suite des événements est bien connue et nous allons la tracer ici à grands traits. Il apparaît rapidement que le gouvernement Trudeau n'a pas l'intention de renouveler le fédéralisme et qu'il veut rapatrier unilatéralement la constitution. Un bloc de huit provinces dirigé par le Québec s'oppose au projet. Confronté à l'avis sur le rapatriement de la Cour suprême du Canada qui déclare le rapatriement unilatéral de la constitution légal mais inconstitutionnel au sens conventionnel du terme, le gouvernement Trudeau convoque la conférence de la dernière chance. Il existe

alors une conspiration mise au point par Jean Chrétien, Roy McMurty et Roy Romanow, respectivement Procureur général du Canada, de la Saskatchewan et de l'Ontario, afin de mettre le Québec en minorité et de réussir un accord constitutionnel entre les provinces anglophones. La tactique réussit et au cours de la "nuit des longs couteaux", le Québec est exclu de l'accord constitutionnel. Le 17 avril 1981, la reine Elizabeth II proclame la nouvelle constitution du Canada, le "Canada Bill". De 1982 à 1987, le gouvernement du Québec refuse de signer cette constitution. De par sa nature, elle nie le droit du peuple canadien-français à l'autodétermination et elle nie l'existence de la nation québécoise en pleine évolution. (16 h 45)

Depuis le 30 avril dernier, une entente de principe est survenue au lac Meech afin de permettre au Québec de prendre place à part entière dans l'évolution constitutionnelle canadienne. À la lecture de la coupure de presse puisque nous devons nous référer à ce communiqué pour défendre l'avenir du Québec à cette commission il apparaît clairement pour le Mouvement national des Québécois que le point concernant le caractère distinct ne correspond pas à l'évolution historique du Québec.

On retrouve au centre du problème la reconnaissance que le Québec forme, au sein du Canada, une société distincte. À la lumière du mémoire que nous vous soumettons ici, force est de constater que le concept de société distincte constitue une vision erronée de l'histoire. Le concept de société est connu depuis longtemps. Montesquieu disait que la "société est l'union des hommes, et non pas les hommes". Dans le cas du Québec, son histoire nous enseigne que, dès l'époque de la Nouvelle-France, on y trouve une société distincte. Différente de la métropole par la formation d'un type social et culturel original, la Nouvelle-France est une société distincte. Depuis le régime français, ce groupe d'hommes et de femmes a évolué et s'est forgé une identité culturelle spécifique. Au XIXe siècle, cette communauté originale de par sa langue, sa religion, son histoire et ses coutumes est qualifiée de peuple canadien-français. Après 1867, la majorité des Canadiens français choisissent d'habiter le Québec et d'être dirigés par l'État québécois. Liée par une culture, une conscience commune et un vouloir vivre collectif, cette communauté a donné naissance à la nation québécoise dont la personnalité juridique reste encore à être achevée. Vous comprendrez alors que, pour le Mouvement national québécois, utiliser l'expression "société distincte" pour caractériser la spécificité du Québec actuel constitue un anachronisme malencontreux.

Notons le problème sémantique que soulève l'interprétation juridique des mots "société distincte". De nos jours, tout ensemble d'individus entre lesquels des rapports durables et organisés existent forme une société distincte. Par exemple, la société urbaine et la société rurale sont deux sociétés distinctes. La notion de société distincte, elle, n'a fait l'objet d'aucune consécration en droit international. Ainsi, ni la charte des Nations unies, ni les pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme ne retiennent l'expression de société ou encore moins de société distincte. Rappelons également qu'en 1945 on a préféré parler d'organisation des Nations unies pour remplacer le concept périmé de Société des nations. En droit, le mot société appartient à la terminologie du droit corporatif où il représente des personnes morales. Ici, on reconnaît facilement les sociétés mutuelles, les sociétés commerciales, les sociétés d'État, etc. Dans ces conditions, le concept de société distincte doit être rejeté pour être remplacé par un autre découlant de l'évolution historique et constitutionnelle du Québec, celui de nation québécoise.

Mais il y a plus. La clause (l)a) de l'entente du lac Meech indique que l'interprétation de la constitution canadienne doit concorder avec la "reconnaissance que l'existence d'un Canada francophone, concentré mais non limité au Québec et celle d'un Canada anglophone, concentré dans le reste du pays mais présent au Québec, constitue une caractéristique fondamentale de ta Fédération canadienne." Ici encore, nous devons constater que la réalité historique n'a pas été respectée. Il est admis que la Loi constitutionnelle de 1867 est non seulement une loi, mais éqalement un pacte, dont une des parties est le peuple canadien-français. En définissant le Québec comme une simple société distincte, la clause (l)a) ne respecte donc pas l'existence du peuple canadien-français. La langue, la culture, la reliqion catholique, les institutions ne constituent-elles pas les éléments majeurs caractérisant et distinguant le peuple canadien-français? La désignation de la spécificité ou du caractère distinct du Québec ne saurait souffrir d'un terme moins fort que la désignation de "peuple" ou de "nation".

En effet, la clause (l)a), lorsqu'on la combine avec la clause (2) voulant que le Parlement et les Législatures des provinces, dans l'exercice de leurs compétences respectives, prennent l'engagement de protéger la caractéristique du Canada mentionnée au paragraphe (l)a), devient une négation du droit du peuple canadien-français à l'autodétermination, notamment en affirmant la primauté de sa langue sur son territoire. Plus précisément, les responsabilités qu'établissent les clauses (l)a) et (2) nient la souveraineté de l'Assemblée nationale en matière linguistique. Elles ont pour effet de renforcer le caractère

prépondérant de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et des articles 21 et 23 de la Charte canadienne des droits et libertés sur la législation québécoise.

Bien plus, pour le Mouvement national des Québécois, accepter les clauses (l)a) et (2) de l'entente, c'est consentir à l'invalidation des dispositions de la loi 101. C'est, en somme, reconnaître l'anglais dans les domaines de l'affichage, des relations du travail et des communications et au sein de l'administration provinciale. C'est également porter un sérieux préjudice au pouvoir du gouvernement québécois de légiférer sur l'éducation.

Enfin, la clause (3) voulant que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec aient le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise mentionné au paragraphe (l)b), mise en relation avec la clause (2), représente un net recul pour la nation québécoise et pour le Québec.

L'histoire nous enseigne que cette nation est issue du peuple canadien-français et qu'elle a le Québec comme territoire et l'État québécois comme gouvernement. Durant les 30 dernières années, ce gouvernement n'a cessé de revendiquer un nouveau partage des compétences législatives afin de lui permettre de développer l'identité nationale québécoise. Quant à la clause (31, elle fait fi de ces revendications. Depuis la fin du XIXe siècle, la révision du partaqe des pouvoirs est au centre de toute demande constitutionnelle du Québec. Ce nouveau partage des pouvoirs, c'est la revendication traditionnelle des gouvernements du Québec.

Dans cette optique, la clause (3), elle, consacre le statu quo et présente une vision statique de la nation québécoise en limitant son évolution aux champs de juridiction actuels de la Législature du Québec. Le droit du fédéral de s'ingérer dans le domaine des pouvoirs exclusifs des Législatures provinciales n'est d'ailleurs limité que par un "opting out" conditionnel à l'établissement d'un programme compatible avec les objectifs fédéraux avec une juste, mais non une pleine compensation financière. C'est reconnaître dans la constitution la compétence du fédéral sur les questions inscrites à l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.

Il va de soi que, pour le Mouvement national des Québécois, cette entente constitutionnelle est inacceptable parce qu'elle nie l'existence même du peuple québécois en ce qu'il est et ce qu'il veut devenir. Pour nous, il est faux de croire que l'entente du lac Meech permet au Québec d'affirmer son identité nationale au sein d'un fédéralisme renouvelé, car lorsqu'on analyse les clauses concernant le caractère distinct du Québec, force est de constater que celles-ci n'affirment en rien sa spécificité. Basée sur un concept erroné historiquement, celui de la société distincte, l'entente de principe nie le droit du peuple canadien-français à l'autodétermination et constitue conséquemment un net recul pour la nation québécoise.

Pour le Mouvement national québécois, l'entente du lac Meech n'assure en rien le caractère distinct du Québec et en fait une province comme les autres. C'est pourquoi nous maintenons que jouer l'avenir sur ce concept de société distincte, c'est commettre une grave erreur historique.

Le Président (M. Filion): Merci, M. Chaussé. J'inviterais maintenant les parlementaires à amorcer les échanges avec nos invités. Pour chaque qroupe parlementaire il reste un peu plus de quinze minutes. Alors, donc, la parole est à M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: Je vous remercie, M. Chaussé, de venir témoiqner devant nous, ainsi que MM. Drouin et Angers. Je veux souhaiter la bienvenue à ceux qui vous accompagnent, les membres de votre association.

M. Chaussé, je suis d'autant plus heureux de vous entendre que vous êtes accompagné de M. François Drouin, qui a été mon brillant assistant en histoire à l'Université Laval et qui m'a fait le plaisir de me citer, comme l'Opposition me fait aussi ce plaisir de citer mon livre quelquefois. Je voudrais aussi vous dire à quel point cela me fait plaisir de recevoir M. François-Albert Angers, qui est un grand Québécois qui a fait valoir ses idées - on ne peut pas toujours les partager - avec beaucoup de conviction concernant la société québécoise. De plus, M. Angers est une vedette du droit constitutionnel parce que dans toutes les facultés de droit du Canada on enseigne cette cause François-Albert Angers versus le ministère du Revenu du Canada. C'est M. Angers qui a contesté la validité du régime fédéral d'allocations familiales en 1956 devant la Cour de l'échiquier. Vous n'avez pas eu de succès, mais vous avez, par ce geste, établi une jurisprudence qui sert aujourd'hui d'assise à ce que nous appelons le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. C'est intéressant de vous avoir ici, M. Angers, vous qui avez fait jurisprudence dans un domaine qui est très discuté à cette commission parlementaire.

M. Chaussé, je crois que vous avez fait un tableau intéressant, à certains égards, de l'évolution de la société québécoise. À partir de la fondation de la colonie ici, en passant par les principales dispositions constitutionnelles qui ont marqué l'évolution de la société québécoise, vous êtes arrivé à un concept, qui est le vôtre, de ce que vous

appelez la nation québécoise et que nous, nous préférons appeler la société québécoise, dans un contexte canadien, en ce sens qu'il s'agit d'hommes et de femmes qui vivent ensemble parce qu'ils ont des liens en commun, tant d'ordre moral que matériel, qui sont politiquement organisés, qui vivent sur ce territoire et qui, par conséquent, sont plus qu'un peuple ou même une nation, tel qu'on peut le comprendre dans le contexte constitutionnel canadien. Par exemple, comme vous le savez, il y a des expressions qui sont utilisées concernant les autochtones dans la constitution canadienne. C'est dans ce contexte qu'on utilise le mot "société" et que l'entente du lac Meech consacre la spécificité de la société québécoise.

Quand vous avez parlé de ce caractère distinct du Québec et de l'entente du lac Meech, je n'ai pas entendu de votre part beaucoup d'insistance sur le fait que, pour la première fois, l'Assemblée nationale du Québec, le gouvernement du Québec reçoit par un texte constitutionnel le rôle de protéger et de promouvoir la spécificité québécoise. Quand vous tracez le tableau de l'évolution de la société québécoise, vous pourriez ajouter maintenant une nouvelle dates 30 avril 1987, date historique où, pour la première fois, on reconnaît la société distincte et où, pour la première fois, on reconnaît le rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement de promouvoir, de protéger cette société distincte.

D'autre part, vous n'avez pas développé les quatre autres points qui complètent l'entente du lac Meech et qui complètent aussi ce concept de société distincte, société distincte qui pourrait avoir une garantie de par les pouvoirs que nous obtenons en matière d'immigration: la capacité de sélectionner nos immigrants, non seulement ceux qui demandent de venir au Québec par l'extérieur du Canada, mais ceux même qui sont sur place et qui nous demandent d'immigrer; la capacité aussi de prendre en main ces immigrants pour leur donner le goût de demeurer avec nous, avec les mesures d'intégration; la récupération des droits historiques du Québec en ce qui regarde le droit de veto du Québec; concernant la Cour suprême, le droit de fournir une liste à partir de laquelle le gouvernement fédéral doit choisir les juges qui feront partie de la Cour suprême; le pouvoir de dépenser que vous connaissez si bien, M. Angers, et la capacité de circonscrire l'application de ce pouvoir de dépenser et de consacrer, dans la constitution, le droit des provinces de se retirer de ces programmes nationaux avec une compensation financière.

Donc, lorsque vous étudiez d'une façon générale l'entente du lac Meech, vous voyez ce concept de société distincte, qui ne sera pas dans le préambule de la constitution, mais qui sera un article de la constitution, qui ne sera pas une règle facultative d'interprétation, mais qui sera une règle obligatoire d'interprétation. Les tribunaux devront se référer à cette société distincte, au fait que le Québec a maintenant le rôle de protéger et de promouvoir cette spécificité québécoise pour interpréter l'ensemble de la constitution du Québec, tant celle de 1867 que celle de 1982, Voilà quand même un contexte que je n'ai pas vu dans votre mémoire comme tel. (17 heures)

Le Président (M. Fïlion): M. Drouin.

M. Drouin (François): Oui, je voudrais répondre.

Une voix: On va avoir droit à celui-là tout à l'heure.

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît! La parole est maintenant à l'un de nos invités, M. Drouin.

M. Drouin: M. le Président, je voudrais répondre sur cette question de société distincte.

Je lisais mardi un classique français, Nicolas Boileau, qui disait que ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement et les mots pour le dire viennent aisément. Alors, si on regarde un peu ce que cela veut dire "société distincte", on peut se poser des questions. En fin de compte, c'est la Cour suprême qui devra décider ce qu'est une société distincte.

Si on regarde un peu dans notre droit corporatif, si on regarde un peu ce que cela veut dire, on peut trouver plusieurs définitions. J'en ai trouvé une. Je vous la soumets. Une société, en droit, à ce que je sache, dans l'histoire, c'est un groupement de plusieurs personnes ayant mis quelque chose en commun en vue de partager le bénéfice qui pourrait en résulter et auquel la loi reconnaît une personnalité morale considérée comme propriétaire du patrimoine social. On peut parler de société commerciale par rapport à société civile. Je doute que la Cour suprême décide un jour que le Québec soit un genre de compagnie à but lucratif. Alors, elle va regarder plutôt dans l'histoire et que va-t-elle voir, si elle recherche consciencieusement? Elle va constater que la Nouvelle-France est une société distincte de la métropole. On me diras Oui, mais où sont les institutions? Je pense que le tableau ici est éloquent. Le conseil supérieur, le Conseil souverain, c'est une institution. À partir de la Nouvelle-France, notre société - on peut en parler comme une communauté, non comme un terme de droit constitutionnel - a évolué pour devenir un peuple et ensuite une nation. Je pense que de laisser entre les mains d'experts - il faut en convenir - de

juges, entre les mains d'un petit qroupe le soin de définir exactement ce qu'est une société distincte, c'est bien dangereux. C'est pourquoi je recommande qu'on utilise les mots "nation québécoise".

Maintenant, pour ce qui est de la question du pouvoir de dépenser, je voudrais laisser la parole à M. Francois-Albert Angers puisque le temps est très court.

Le Président (M. Filion): Allez-y.

M. Angers (François-Albert): M. le Président, cette question du pouvoir de dépenser tel que cela est formulé dans le communiqué du lac Meech m'a laissé sidéré sur ce que j'estime être une perte extraordinaire chez nos hommes politiques du sens de ce qu'est l'autonomie provinciale parce que c'est elle qui se trouve en jeu dans ce pouvoir de dépenser. L'exercice du pouvoir de dépenser tel qu'il est prévu dans l'accord qui va être signé a d'ailleurs pour conséquence de détruire la société distincte puisque le gouvernement fédéral va pouvoir prendre une à une les directions - ou le contrôle - de nos institutions, nous imposer de créer nous-mêmes, à même la compensation, des institutions semblables, non pas à l'esprit de la société distincte, mais à l'esprit de la société canadienne majoritaire.

En somme, qu'est-ce que l'autonomie provinciale? L'autonomie provinciale, c'est l'exclusivité totale, absolue des pouvoirs garantis par la constitution par l'article 92. Si on veut regarder l'histoire, on va voir que tous nos hommes politiques jusqu'à Saint-Laurent et d'autres après celui-ci comme Lesage et Johnson - Lesage quand il a été à Québec et Johnson - se sont farouchement battus pour qu'on ne touche pas d'un brin, même pas par le pouvoir de dépenser, qu'on ne touche d'aucune façon, parce que c'est exclusif, au Québec. Je me dis qu'un étranger qui lit ce qui est écrit dans le rapport du lac Meech va dire: Qu'est-ce que cette histoire? Si les pouvoirs sont exclusifs aux provinces, pourquoi le Canada est-il obligé de donner des compensations à ces provinces par rapport à leurs pouvoirs?

Alors, jusqu'ici, c'est vrai que cela a été envahi par le fédéral, mais toujours en étant contesté par les provinces, par la province de Québec, on peut dire, parce qu'il y a eu une espèce d'entente avec les autres provinces qui voulaient avoir de l'argent, qui voulaient avoir des services centralisés. Il en résulte qu'on ne peut pas, d'aucune façon, avaliser une situation telle qu'il suffit que le gouvernement fédéral veuille entrer dans les pouvoirs de dépenser pour qu'il ait le droit de le faire automatiquement, en vertu de la constitution, et que nous en soyons réduits ensuite à recevoir une compensation qui nous oblige à faire quelque chose de compatible avec ce que le fédéral a fait. Cela me paraît la destruction totale et finale de l'autonomie provinciale...

M. Rémillard: M. Anqers.

M. Angers: ...et par conséquent, la destruction totale et finale dans ce qui caractérise le plus, d'après vous, la société, soit les institutions. Vous alliez dire quelque chose, M. le ministre.

M. Rémillard: Si vous me le permettez.

Je m'excuse. Est-ce que... Vous avez une option indépendantiste qui est la vôtre, très bien...

M. Angers: Cela n'a pas de rapport.

M. Rémillard: Ma question est celle-ci: De quelle façon pourrait-on, à ce moment-là, concevoir l'autonomie provinciale dans un concept d'indépendance? Est-ce qu'il n'y a pas là deux choses complètement différentes?

M. Angers: Pas du tout. L'indépendance, cela va être la récupération complète des autonomies dans tous les domaines qui sont actuellement de juridiction fédérale.

M. Rémillard: Ma question intéresse aussi - je pense, le chef de l'Opposition, il est intéressé à faire la distinction.

M. Johnson (Anjou): Oui, absolument.

M. Angers: C'est comme cela, d'ailleurs, que je peux vous dire que tous nos hommes politiques et nos juristes d'autrefois l'ont comprise. Ils l'ont débattue en Chambre. Ernest Lapointe s'opposait à toute dépense fédérale et menaçait de démissionner s'il y avait des choses comme cela qui étaient votées. C'est comme cela. Et quand on a commencé à faire des intrusions, il n'était pas question du pouvoir de dépenser. La première loi sur les pensions de vieillesse était une loi d'autorité centrale, mais il fallait quand même la permission des provinces pour l'appliquer à la province. Il fallait le consentement de la province. Je ne conçois pas qu'on puisse laisser toucher au pouvoir de dépenser sans prévoir qu'il y ait un consentement des provinces pour cela.

M. Rémillard: Mais, M. Anqers, on ne peut quand même pas faire l'indépendance du Québec à l'intérieur de la Fédération canadienne, n'est-ce pas?

M. Angers: Je ne parle pas d'indépendance, je parle du respect de la constitution de 1867, du respect de l'article 92 et des articles dont vous a parlé M. Proulx hier à propos de l'agriculture, 93 et 95... C'est-à-dire, non, le fédéral n'a pas le droit... Je pense que le Conseil privé l'a dit

une fois. Il me semble que les juristes ont oublié cela. Je me souviens avoir vu dans un jugement du Conseil privé, je crois que c'est celui sur les services sociaux, en 1937 - ce n'était peut-être pas un jugement, cependant, à ce moment-là, c'était peut-être un obiter dictum - où après avoir condamné les lois sociales, il est dit quelque part que de toute façon, il ne s'ensuit pas que, parce que le fédéral a le pouvoir de dépenser de l'argent, il puisse le faire dans des domaines qui sont de juridiction provinciale. Cela me paraît tellement évident et élémentaire.

M. Rémillard: Vous avez raison en ce sens qu'il y a une distinction à faire entre le pouvoir de dépenser de l'argent et le pouvoir de réglementer dans des domaines de compétence provinciale. Là, vous avez parfaitement raison. Le fédéral n'a pas la compétence de réglementer un domaine de compétence provinciale, mais il a la compétence de dépenser des sommes d'argent dans un domaine de compétence provinciale. Vous avez raison là-dessus.

M. Angers; Justement, en acceptant des normes, il va réglementer. Je vais vous dire une des caractéristiques que beaucoup de gens oublient. La loi sur les allocations familiales - relisez le discours de M. Saint-Laurent - c'est au nom du pouvoir de dépenser qu'il l'a établie. Il l'a établie au nom du pouvoir de dépenser parce qu'il explique très bien dans son discours qu'il n'a pas le droit de le faire, qu'il n'a le droit de faire aucun règlement, d'établir aucune norme, mais il dit: Vous ne m'empêcherez pas de faire des cadeaux. C'est comme cela que les allocations ont été établies, dans l'idée que, là, on utilisait le pouvoir de dépenser de telle façon que si des gens le demandent au gouvernement... Il fallait qu'ils le demandent. Il n'y avait aucune condition et M. Saint-Laurent avait fort bien dit qu'il n'avait pas le droit de mettre aucune condition sans quoi la loi aurait été ultra vires. Il y en avait une, cependant. Il a dit: Les allocations familiales ne seront payées que pour les enfants qui fréquenteront les écoles selon les lois provinciales. C'était le truc. Encore une fois, l'évolution du pouvoir de dépenser dans les dernières années est ratifiée par l'entente du lac Meech et va jusqu'à reconnaître que, parce que cela s'est fait, admettons que c'est normal et arrangeons-nous pour avoir une compensation qui n'est même pas complète. Encore une fois je suis renversé de voir qu'au lac Meech il n'y a pas quelqu'un dans votre délégation qui aurait pu sursauter et qui aurait dit: Oui, mais l'autonomie provinciale, où va-t-elle avec cela? Cela me paraît incroyable et inconcevable. Et surtout, votre société distincte, on va la défaire morceau par morceau, de sorte que l'article 3 dont vous parlez... De promouvoir et de protéger, protéger quoi? Promouvoir quoi? Une coquille vide? Une coquille qui va se vider?

Je crois que cette situation est très grave et que le problème de la société distincte est d'abord un problème en lui-même, parce qu'il va être ambigu et équivoque. On a commencé à parler de société distincte - je l'ai vécu - au temps de la commission Laurendeau-Dunton, on a eu des discussions sur cela et on en a parlé avec M. Laurendeau. Si on a commencé à employer ce langage, c'était pour tâcher de parler avec les anglais. Ils ne pouvaient pas entendre le mot peuple ou le mot nation sans sauter au plafond. Alors, je suis certain que, quand on va signer l'entente du lac Meech, les premiers ministres provinciaux vont dire: Le Québec a enfin consenti à ne plus se faire reconnaître comme un peuple, parce que, pour eux, nation distincte - et proposez-leur la chose - cela ne veut pas dire peuple. Proposez-leur de mettre à la place: le Québec est le foyer national d'un peuple de langue française qui comme tous les peuples a le droit de disposer de lui-même; seulement, j'ai bien peur qu'ils ne l'acceptent pasl

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, monsieur. Je vais reconnaître maintenant le porte-parole de l'Opposition, M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Johnson (Anjou): M. Chaussé, M. Drouin, M. Angers, d'abord, permetttez-moi de passer une première remarque sur les propos du ministre qui, chaque fois que quelqu'un vient ici lui expliquer qu'on trouve qu'il a tort sur la société distincte, a le don de dire: Évidemment, vous êtes un indépendantiste - comme si c'était dégradant. Je voudrais simplement dire au ministre que, si je le suis, c'est précisément parce qu'il faut d'abord au moins savoir maîtriser des notions de base comme celles que nous a fort bien décrites un des hommes les plus expérimentés dans cette question au Québec, M. François-Albert Angers. Quand celui-ci parle de la notion d'autonomie provinciale, je me suis rendu compte que le ministre lui-même n'avait même pas l'air de savoir ce que c'était. Et pourtant, Dieu sait que cela a dominé très longuement la politique au Québec et entre le Québec et le Canada! Et c'est autour de cela que se sont faits un certain nombre de combats extrêmement importants pour le développement du Québec, pendant près de 40 ans, autour d'un concept qu'on trouve aujourd'hui vieillot, désuet, mais qui dit ce qu'il dit, l'autonomie, c'est-à-dire l'aire de liberté collective du Québec dans les domaines de sa juridiction en vertu de l'article 92. Si on ne croit pas à cela au départ, il est évident qu'on ne peut pas être souverainiste. C'est officiel et je tiens pour

acquis que le ministre n'est pas souverainiste. Je peux vous dire que, moi l'étant, je m'inspire aussi de ce qui s'est fait historiquement. Et cela ne m'inquiète pas que de faire référence - si le député de Notre-Dame-de-Grâce pouvait avoir la gentillesse ou peut-être la courtoisie quelques secondes... Je ne veux pas trop lui en demander. Je comprends un peu M. Angers, quand il disait que la notion de peuple ou de nation fait grimper un certain nombre de personnes dans les rideaux.

La question que je vais adresser à M. Angers tourne autour de ces deux notions. La notion de société distincte comme nous l'a présentée le ministre jusqu'à maintenant, en essayant de reléguer la notion de peuple à quelque chose comme des nomades errants dans le Sahara ou un peuple comme les Arméniens à la recherche d'un territoire, comme diaspora sans assise, un peuple hébraïque sans Israël ou sans la Palestine, est à mon avis une notion tout à fait étriquée, absolument sans fondement, ni dans le droit international, ni dans l'histoire réelle de l'évolution des peuples. Nous présenter la notion de peuple comme étant une espèce d'appendice ou d'accessoire sans importance et finalement glorifier la notion de société distincte, comme si la réalité des civilisations s'était bâtie autour de la notion de société distincte, à mon avis, c'est passer à côté de la coche. (17 h 15)

L'histoire des civilisations s'est faite autour d'une notion qui s'appelle les peuples et les nations. Et Bismarck, Talleyrand et les autres, Au XIXe siècle, les grands auteurs allemands se sont préoccupés de la "Gesellschaft", c'est-à-dire la notion de communauté qu'on a associée à la notion de peuple et de nation. Vous savez, je n'ai pas entendu la notion de "l'Europe des sociétés distinctes", non. J'ai entendu "l'Europe des nations", j'ai entendu parler de la Charte d'Helsinki traitant des peuples et non pas des sociétés distinctes. Je pense que les espèces de fantasmes juridico-historiques du ministre n'ont rien à voir avec la réalité du droit international et, simplement, avec les fondements de ce qu'est notre histoire.

Je pense que M. Angers a parfaitement raison de dire qu'il est évident que, à l'époque de Laurendeau-Dunton, cela faisait grimper le Canada anglais dans les rideaux quand on utilisait le mot "nation". L'expression "two nations" ou "deux nations" donnait la chair de poule aux Ontariens. L'expression "peuple" donne aussi un peu la chair de poule à l'Ontario et un peu plus à M. Hatfield, pour toutes sortes de raisons géopolitiques, dans son cas.

Quant au pouvoir de dépenser, il m'apparaît évident que, si on ne comprend pas au départ ce que sont les juridictions de 92, ce petit air de liberté que nous avons comme collectivité, on ne peut pas comprendre ce que le ministre est en train de découvrir, l'espèce de bras dans le tordeur qu'il est allé tendre au lac Meech.

Je terminerai mes propos en demandant à M. Angers d'occuper le reste du temps que j'ai, c'est-à-dire à peu près cinq, dix minutes - je présume, M. le Président - s'il le désire, en me parlant d'une dimension qu'il n'a pas évoquée. Compte tenu de sa vaste expérience des questions politiques, des questions constitutionnelles, des questions de fond dans le développement du Québec, étant un des premiers grands économistes que le Québec ait connus, a-t-il l'impression que le Québec est au bout de son rapport de forces, en ce moment, et qu'il doit signer sur la base de ce plancher que j'ai décrit comme particulièrement troué depuis l'entente du lac Meech? II y a un peu d'eau dans la cave, dans la maison ou dans le solage qu'a décrit le ministre ce matin. A-t-il l'impression que le Québec est au bout de son rapport de forces? A-t-il l'impression que ce serait dramatique de ne pas signer? M. Angers.

M. Angers: Je n'ai pas du tout cette impression. Je crois que, comme cela vous a été dit, d'ailleurs, ce matin, quand le Québec aura signé, ce sera réglé et on va retomber dans le petit traintrain et les petites conférences fédérales-provinciales qui n'aboutissent à rien, comme avant.

Les situations où nous avons gagné quelque chose ont toujours été des situations où nous nous sommes mis en marge et où nous avons refusé des choses. Il y a une situation là qui peut paraître difficile parce que, dans un sens, on peut risquer de perdre quelque chose. Une chose est certaine: au Canada, quand tout le monde n'est pas rentré dans le rang et que quelqu'un tire d'un côté, cela ne fonctionne pas et on fait des efforts pour le faire rentrer dans le rang.

Je peux prendre un autre exemple. Quand sont arrivées les fameuses subventions aux universités et que le Québec a dit: Non, et si les universités acceptent les subventions fédérales, on va leur ôter les subventions provinciales, le fédéral a été tellement mal è l'aise que, pendant trois, quatre ans, jusqu'à ce que cela se règle avec M. Fleminq et Paul Sauvé, il accumulait l'argent du Québec dans une caisse séparée parce qu'il n'osait pas en disposer autrement. Il avait mauvaise conscience. Finalement, un accord raisonnable est intervenu et il a permis au Québec de retrouver son autonomie dans le domaine des subventions universitaires pour un temps.

Je pense que, là, ce sera la même chose. Après tout, s'il se présente des situations difficiles - je ne peux pas voir quoi, il y aurait certaines choses dans lesquelles il serait bon qu'on soit - il n'y a

rien qui empêche le Québec de faire certains arrangements pour être présent dans certaines circonstances pour certains problèmes sans avoir ratifié et signé et tout en maintenant toujours que, s'il consent à une certaine participation, il le fait en déclarant qu'il n'accepte pas le coup de force qui lui a été imposé en 1982. Une des caractéristiques de l'opération du lac Meech, c'est qu'il n'y a aucune réparation de ce qui a été fait dans cela. On reste avec... D'ailleurs, j'entends le ministre dire: Écoutez, l'article 23, Particle 133, on les a déjà acceptés. Même si on les avait acceptés - l'article 133, c'est différent, mais l'article 23 - ce sont nos pouvoirs qui ont été entamés et au nom de l'autonomie provinciale encore une fois et de notre dignité d'État souverain dans son domaine on devrait réclamer que cela nous soit remis et que cela le soit sous notre juridiction en prétendant qu'on est aussi capable d'administrer ce qui est dans l'article 23 selon nos normes à nous qui sont aussi valables que celles du gouvernement fédérai. Ce coup de force pour que les autres provinces soient si mal à l'aise, qu'elles appellent le coup de force du Québec, le coup de force qui a été imposé au Québec et le refus du Québec de l'accepter, je pense que c'est une situation de négociation qui ne devrait pas être abandonnée tant que nous n'aurons pas obtenu l'essentiel.

Une remarque que je ferais sur les accords du lac Meech, c'est qu'il n'y a pas de distinction faite - on a mis tout cela en vrac - entre des choses qui sont importantes, qui sont des pouvoirs nouveaux, et des choses qui sont fondamentales. La reconnaissance du peuple de langue française du Québec, cela fait partie des droits et libertés des peuples. On devrait être aussi exigeant sur cela que sur la liberté de conscience individuelle ou sur la liberté d'expression. Alors, on a mis cela en vrac et on dit: Eh bien! écoutez, on a eu tel pouvoir dans l'immigration, est-ce qu'on ne pourrait pas, quand même, être plus large sur les questions comme la société distincte et accepter des atermoiements ou des compromis? C'est une chose fondamentale et, tant qu'on ne l'a pas obtenue, je crois qu'on doit refuser de signer, ce qui encore une fois risque d'être considéré comme un abandon de nos caractéristiques essentielles. Qu'on demande aux autres premiers ministres s'ils reconnaissent à travers la société distincte un peuple de langue française ayant tous ses droits de peuple réel. S'ils nous disent oui, eh bien là! peut-être qu'on pourra voir. En attendant, soyons sûrs de nous parce qu'après tout on s'en va dans une voie où encore une fois c'est la Cour suprême qui nous dira avec le temps, avec un long temps... On s'embarque dans un autre siècle de confédération où on va batailler contre des situations, aller en cour pour contester des situations qui vont être posées et attendre le jugement de la Cour suprême qu'on perdra probablement, dans la plupart des cas, pour savoir ce qu'est la société distincte.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Je reconnaîtrais maintenant un autre représentant de l'Opposition, étant donné que la formation ministérielle a épuisé son enveloppe. M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: M. le Président, très brièvement, je voudrais revenir sur une proposition extrêmement intéressante que vous avez faite tout à l'heure, M. Angers, quand vous avez dit au ministre: Proposez donc de remplacer "société distincte" par "nation québécoise". Proposez-leur, on verra bien ce qui va se produire. On ne sait pas ce qui s'est passé, en cachette évidemment, au lac Meech, cela a été des pourparlers secrets. Le ministre a toujours cru avant aujourd'hui au concept de nation québécoise, il l'a utilisé très souvent dans ses écrits, dans ses textes. Peut-être qu'au lac Meech timidement il a proposé ou invoqué la reconnaissance de la nation québécoise, mais il s'est buté à une fin de non-recevoir de la part des premiers ministres des autres provinces et de celui du Canada. Peut-être même qu'il n'a pas osé aller jusqu'à proposer de reconnaître la nation québécoise, en tout cas, le peuple québécois. C'est une proposition intéressante que vous faites et j'espère ou je souhaiterais que le ministre et le premier ministre, M. Bourassa, proposent à leurs pairs, à leurs collègues, à leurs homologues de remplacer "société distincte" par "nation québécoise". Remarquez que je suis persuadé qu'on va se buter à un refus catégorique, j'en suis convaincu. Ce n'est pas pour rien - vous avez raison là-dessus, MM. Angers et Chaussé - ce n'est pas pour rien qu'on a choisi le terme de "société distincte" plutôt que celui qui conviendrait davantage et le mieux, qui correspondrait davantage à la réalité, celui de "peuple québécois" et, même, ce qui serait encore mieux, celui de "nation québécoise".

Ce n'est pas pour rien qu'on a retenu le terme de "société distincte", c'est parce que cela ne veut rien dire. C'est aussi simple que cela, cela ne veut rien dire et cela n'a pas vraiment d'implication. C'est sans aucun doute pour cette raison qu'en secret, au lac Meech, on s'est entendu pour le concept vague, flou, ambigu de société distincte sans même le définir le moindrement.

J'aimerais qu'à une autre occasion -parce qu'après chaque exposé d'un groupe qui défile devant nous, on a toujours droit au vidéo clip du ministre, la même cassette, l'entente historique, les points majeurs, les

gains majeurs, l'immigration et patati et patata - j'aimerais qu'à l'occasion de son vidéo clip la prochaine fois, il fasse une petite exception, qu'il ajoute un élément nouveau et qu'il nous dise si vraiment il serait prêt à changer, à mettre à la place du concept de "société distincte" celui de "peuple québécois" et même de "nation québécoise", termes qu'il a largement utilisés lorsqu'il était professeur en droit constitutionnel.

Alors, je retiens votre proposition, elle est intéressante, et je vous demande, en terminant, M. Angers: Pensez-vous, vous qui avez une longue expérience et qui avez d'ailleurs plaidé des causes devant les tribunaux, qui vous êtes même rendu, nous disait le ministre tantôt, à la Cour de l'échiquier, pensez-vous qu'avec un concept flou et vague, je dirais insignifiant, comme celui de "société distincte" vous pouvez aller bien loin et obtenir des gains réels devant les tribunaux?

M. Angers: Je ne crois pas que nous puissions obtenir ce que nous voulons, c'est-à-dire un vrai Québec français, libre de développer ses institutions, sa langue, selon ce qui est nécessaire pour son épanouissement. Je suis à peu près sûr, d'ailleurs. Je ne vois pas pourquoi tous ces jugements qui sont en train de démolir la loi 101 ne continueraient pas à être donnés en fonction d'un concept de société distincte, qui n'est même pas caractérisée comme devant sauvegarder la langue française, mais qui doit sauvegarder la dualité canadienne, où la langue française... Mais cette société distincte n'est même pas considérée comme un vrai paysage fondamental dans l'organisation de la confédération. Je le crains fort parce que, quand même, sans être juriste, des jugements de la Cour suprême et du Conseil privé, j'en ai lus. Les entortillements que les juristes et les juges peuvent faire quand ils ont envie d'en venir à une certaine solution, cela fait qu'on ne peut pas prévoir un jugement de cour quand les cours ont la latitude de jouer sur un texte tellement vague qu'il permet toutes les interprétations possibles, avec certaines limites. J'admets que cela pose certaines limites, mais il nous faut plus que certaines limites, il nous faut une garantie de notre avenir comme peuple français sur ce territoire du Québec.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Angers. Le temps prévu est malheureusement écoulé. Je voudrais, au nom de tous les membres de cette commission... Oui, M. le ministre.

M. Rémillard: Juste deux minutes pour dire... Vous me permettez?

Le Président (M. Filion): Cela va.

M. Johnson (Anjou): Si le ministre permet, je le sais, là, on va s'enqager encore dans un débat qui va durer dix minutes parce que le ministre qui épuise son temps au début a cette fâcheuse manie de toujours revenir pour vouloir avoir le dernier mot. S'il veut le dernier mot, qu'il qarde le temps pour le dernier mot, ou encore on va avertir nos invités que, dorénavant, il y a un débat d'une demi-heure après chaque intervention.

Le Président (M. Filion): Donc, il n'y a pas de consentement.

M. Lefebvre: M. le Président, c'est strictement une question d'équité. On a indiqué, il y a quatre ou cinq minutes, qu'il restait deux minutes à la formation de l'Opposition. Je pense qu'on a dépassé ce temps de trois à quatre minutes. Je demanderais l'équivalent pour le ministre, M. le Président. Cela va lui permettre de sortir le député de Lac-Saint-Jean de la confusion et de son ambiqu?té, M. le Président.

M. Johnson (Anjou): Vous aurez l'occasion de le faire tout à l'heure avec Mme Duplé.

Le Président (M. Filion): Donc, il n'y a pas de consentement.

M. Lefebvre: Je comprends, M. le Président, qu'on n'a pas le consentement du chef de l'Opposition.

M. Rémillard: Est-ce que je peux les remercier? II faut au moins remercier notre invité.

Le Président (M. Filion): Voulez-vous, on va se comprendre un peu ici? M. le ministre, M. le leader adjoint et les autres membres...

Une voix: ...

Le Président (M. Filion): Oui, bien sûr. Les autres membres de cette commission. Nous avons, bien sûr, vous le savez, un horaire chargé. Une invitée nous attend par la suite. De consentement - je l'ai fait cet après-midi et à plusieurs reprises - on a laissé les invités terminer leur pensée ou un membre de cette commission terminer sa question ou son intervention. Mais j'aimerais vous rappeler que ceci nous mène dans bien des cas à des horaires qui sont tout à fait chambardés, d'autant plus - et vous le savez bien, M. le leader adjoint - que notre charge de travail à cette commission-ci est particulièrement imposante. En ce sens, si vous voulez consentir de part et d'autre, je vous donnerai les deux minutes qui vont

donner des cinq minutes et des dix minutes. Mais je pense que nos invités comprendront que, malheureusement, le temps pour leur intervention est déjà écoulé depuis quelques minutes.

Je voudrais remercier particulièrement M. Angers, M. Chaussé et M. Drouin de s'être présentés à cette commission et de nous avoir livré leur pensée sur l'accord du lac Meech d'une façon aussi précise. Merci.

Je vais suspendre les travaux deux minutes.

(Suspension de la séance à 17 h 32)

(Reprise à 17 h 38)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

La commission reprend ses travaux. Comme on le sait, nous sommes mandatés par l'Assemblée nationale afin d'entendre les représentations des groupes, individus ou organismes relativement à l'entente intervenue au lac Meech le 30 avril 1987 concernant la constitution canadienne.

Notre prochaine invitée a déjà pris place. Il s'agit de Mme Nicole Duplé qui est professeure agrégée à la Faculté de droit de l'Université Laval. Bonjour, madame.

Mme Duplé (Nicole): Bonjour.

Le Président (M. Filion): Je rappellerai brièvement les règles du jeu qui sont bien connues des personnes qui viennent nous voir. C'est 20 minutes pour votre exposé - 20 minutes interprétées avec souplesse - et 20 minutes de part et d'autre pour chaque formation politique pour échanger avec vous.

M. Johnson (Anjou): Avec moins de souplesse.

Mme Nicole Duplé

Mme Duplé: Je vous remercie, M. le Président. Je remercie les membres de cette commission de m'avoir donné l'occasion d'exprimer mon point de vue sur ce projet de modification qui est entériné par les onze gouvernements et qui devra se concrétiser juridiquement par une adjonction dans la constitution canadienne d'autant d'article3 que de points d'entente qui ont été pris.

Bien sûr, chacun des points de cette entente mérite un examen critique approfondi, j'en suis convaincue. Cependant, puisque le temps m'est compté, j'aimerais plutôt concentrer mes propos sur les deux points de l'accord qui soulèvent le plus de difficultés et le plus d'incompréhension de part et d'autre. Par conséquent, je traiterai de la reconnaissance de la société distincte que constitue le Québec, d'une part, et de cette tentative de cerner le pouvoir de dépenser qui est effectuée dans un autre point de l'accord.

J'ai écouté attentivement le témoignage qui a précédé le mien et j'ai été extrêmement sensible à certains arguments. Je n'étais pas prête à traiter directement, notamment, de la différence entre "société", "peuple" et "nation". Je serais prête à le faire, si besoin est, lors d'une période de questions, mais j'aimerais surtout essayer de clarifier certaines questions qui seront posées en des termes très simples. Quelle spécificité se verrait-on reconnaître si l'accord se concrétisait dans un article de la constitution comme cela est prévu? Quelle spécificité? Qu'est-ce que cela donnerait, finalement? Qu'est-ce que cela changerait sur le plan constitutionnel à l'état actuel des choses? II faut bien, je crois, pour répondre à ces questions, se garder d'abstraire l'article ou, en tout cas, ce point du projet qu'on a sous les yeux du contexte dans lequel il sera inséré, c'est-à-dire la constitution canadienne. L'entente part de la reconnaissance d'une caractéristique essentielle du Canada, soit la reconnaissance de la coexistence d'un Canada francophone concentré mais non limité au Québec et celle d'un Canada anglophone concentré dans le reste du pays mais présent au Québec. C'est donc en fonction de la concentration des majorités linguistiques qu'un clivage est effectué. C'est un clivage qui permet de distinguer le Québec dont la population est majoritairement francophone, d'une part, et le reste du Canada où la population est majoritairement anglophone.

Il y a le Québec, d'une part, et, d'autre part, toutes les autres provinces qui, indépendamment de leur spécificité respective, partagent une même caractéristique, soit d'avoir une population majoritairement anglophone. Ce n'est que subséquemment à la reconnaissance de cette caractéristique essentielle du Canada, subséquemment à ce constat qu'on reconnaît, en l'affirmant, que le Québec forme au sein du Canada une société distincte. Je crois qu'il n'y a aucun doute. Pour moi, cela tombe sous le sens que le nouvel article de la constitution désignerait clairement au moins un des éléments constitutifs du caractère distinct de la société québécoise, la lanque et, conséquemment, la culture qu'elle véhicule. Je dis bien au moins. En effet, il y a une règle d'interprétation dont il faut tenir compte. Vous l'apprécierez certainement: Si le législateur ne parle jamais en vain, a fortiori, cette règle d'interprétation s'applique-t-elle au constituant?

Or, à la lecture de l'article qui reconnaîtrait la caractéristique essentielle du Canada, on aurait déjà pu conclure à la spécificité linguistique et culturelle du

Québec. Par conséquent, puisqu'on doit écarter la redondance dans l'interprétation, cela veut dire qu'en reconnaissant le caractère distinct de la société québécoise on ajoute d'autres caractères distinctifs, d'autres caractères de distinction, bien sûr, que la langue et, par conséquent, la culture.

Certains ont exprimé des inquiétudes au sujet de l'absence de définition de cette caractéristique québécoise. Pour ma part, je partage l'inquiétude qui a été exprimée par de nombreux juristes devant vous - je partage l'inquiétude - mais, pour moi, je serais inquiète de voir l'inverse être effectué. J'ai entendu hier un témoin dire: On a bien défini la pornographie, pourquoi pas la société distincte? Alors, je ferai remarquer que, d'abord, je vais passer sur ce qu'a un peu de choquant ce rapprochement. Au-delà de cela, si on définit la pornographie, c'est précisément pour la cerner, pour déterminer quels sont les actes qui constituent des actes interdits et punissables et, par conséquent, pour exclure tous les autres. En dehors des actes qui sont expressément défendus, interdits, eh bien, tout est permis. Définir, cerner les caractéristiques qui vont permettre au Québec de revendiquer sa spécificité, en dehors du facteur linguistique qui est déjà garanti, je crois que c'est extrêmement dangereux.

Par ailleurs, j'ai dit que je ne parlerais pas spécifiquement des autres points de l'accord, mais il faut bien faire référence à ces pouvoirs accrus que le Québec aurait en matière d'immigration. De façon très rapide, je rappellerai que l'accord Cullen-Couture pourrait être constitutionnalisé; il fournirait une assise très solide, beaucoup plus solide qu'elle ne l'est, au moins une assise juridique, constitutionnelle au pouvoir du Québec de sélectionner les étrangers qui voudraient s'implanter sur son territoire. Mais, de plus, celui-ci aurait la possibilité de renforcer sa spécificité, en disposant de tous les moyens financiers en particulier, mais aussi de tous les autres moyens concevables pour intégrer à sa population, particulièrement, surtout et avant tout, à sa population francophone, les immigrants qui désirent vivre avec nous.

Quels seraient les changements par rapport à la situation constitutionnelle actuelle? L'article dont nous parlons, celui qui traduirait ce point de l'accord, serait bien un article à la lumière duquel toute la constitution du Canada devrait être interprétée. Cela veut dire que non seulement le partage des compétences est éclairé à la lumière de cet article, mais également la Charte canadienne des droits et libertés. Cela veut dire, en termes très concrets, que l'on devrait lire désormais, dans le partage, dans l'énumération des compétences fédérales, comme un ajout: le fédéral devra respecter un élément de la caractéristique fondamentale du Canada, soit la majorité francophone au Québec. De la même façon, les compétences provinciales devraient être lues comme si l'on ajoutait, après l'énoncé de chacune: et, en ce qui concerne le Québec, le Québec disposera des moyens de protéqer et de promouvoir sa spécificité. En ce qui concerne la charte, c'est la même chose. Je crois qu'il est faux de prétendre que le Québec n'a pas de garanties quant à la préservation de ce qui constitue, disons-le, son âme, sa culture, avant tout sa langue. Je crois que c'est faux. Quant aux autres éléments de sa spécificité, je pense que ce sera à lui de les faire reconnaître, à la condition, bien sûr, qu'il s'agisse d'une véritable spécificité. Mais je crois que cela sera toujours possible.

Venons-en maintenant au pouvoir de dépenser. Je passe sans transition à ce pouvoir de dépenser. J'ai également entendu certains des experts qui se sont exprimés devant cette commission et j'ai été sensihle à certaines de leurs inquiétudes. Je crois que chacun de ces motifs d'inquiétude qui ont été avancés mérite d'être examiné, quant à ses fondements, en tout cas. Alors, j'ai relevé un premier motif de réticence. Certains estiment, par exemple, qu'en inscrivant un article dans la constitution traitant du pouvoir fédéral de dépenser -dans des domaines de compétence provinciale, bien entendu - nous consacrerions ainsi un pouvoir qui est incertain à l'heure actuelle. L'existence même du pouvoir fédéral d'affecter des deniers à des fins autres que provinciales a déjà été abordée par les tribunaux, qui n'ont pas eu de réticence à la reconnaître. Quant au fondement de ce pouvoir, divers articles parmi les compétences fédérales ont pu en fournir l'assise.

Mais le pouvoir de disposer des deniers fédéraux est une chose. Le pouvoir d'utiliser cette possibilité d'affecter des deniers à des fins autres que fédérales, en accompagnant les octrois financiers de conditions qui sont de telle nature qu'elles constituent autant d'immixtions dans les domaines de compétence provinciale, n'a jamais été reconnu par les tribunaux. Est-ce que nous allons reconnaître un tel droit? En d'autres termes, le fédéral reçoit, disons-le clairement, le pouvoir dans le cadre des programmes dont il est question de déterminer des objectifs nationaux. Est-ce qu'en déterminant ces objectifs nationaux il va pouvoir en faire des conditions, utilisons un jargon, de nature normative?

Je crois, là encore, qu'il nous faut absolument intégrer cette partie de l'entente qui deviendra un article dans l'ensemble de la constitution. Et, encore une fois, la constitution s'interprète de manière qu'un article s'interprète par rapport à tous les

autres. Autrement dit, c'est la méthode de la lecture corrélative. On détermine, on définit ou on cerne les limites d'un pouvoir à l'aide de l'interprétation des autres dispositions de ta constitution.

Or, à l'heure actuelle, si le fédéral voulait occuper un champ qui est actuellement de compétence provinciale, pourrait-il le faire? Bien sûr que non. Ce qu'il faudrait qu'il fasse, si vraiment sa volonté était si claire, pour que toute l'affaire soit constitutionnelle, ce serait procéder à un amendement de la constitution préalablement. Cet amendement transférerait la compétence provinciale dans le compartiment de compétence fédérale et, en vertu d'une nouvelle disposition de l'accord qui serait également concrétisée, la province aurait non seulement le droit de se retirer -ce qu'elle a déjà - mais également le droit à une juste compensation financière.

Comment peut-on interpréter la disposition qui permet au fédéral de fixer des objectifs nationaux comme lui permettant de faire indirectement ce qu'il ne pourrait faire qu'à l'aide de la formule d'amendement? Cela me paraît extrêmement difficile, et même impossible. On pourrait toujours alléguer qu'une disposition spécifique l'emporte sur le général et que, par conséquent, dans la mesure où nous aurions inclus un article particulier traitant du pouvoir de dépenser dans des domaines de compétence provinciale et en reconnaissant au fédéral le pouvoir de fixer des objectifs nationaux, on aurait ainsi, même pas implicitement, explicitement donné au fédéral le pouvoir d'amender le partage des compétences selon son bon vouloir. Je vais faire remarquer une chose, c'est qu'il y a une autre règle d'interprétation à savoir que le spécifique doit être l'exception, doit être interprété restrictivement.

Pour les besoins du raisonnement, je vais présumer que le nouvel article serait absolument identique à la formulation que nous avons sous les yeux, celle de l'accord. L'accord parle d'objectifs nationaux. Qu'est-ce que cela veut dire, le terme "objectifs"? Est-ce que cela veut dire les moyens ou est-ce que cela veut dire les fins? Je crois que le sens littéral, normal du terme, celui que l'on retrouve dans les dictionnaires courants, réfère précisément aux fins et non pas aux moyens. Alors, je crois que la lecture corrélative déjà nous permettrait de conclure qu'en reconnaissant au fédéral ce pouvoir de déterminer des objectifs nationaux aux programmes à frais partagés dans des domaines de compétence provinciale, nous ne lui reconnaîtrions absolument pas le pouvoir de réglementer par ce moyen. Certaines personnes éprouvent le besoin - je crois que cela peut être très légitime - de porter à la fois une ceinture et des bretelles. Je pense qu'il serait possible de blinder toute cette démarche en spécifiant que le terme "objectifs" lui-même réfère à la finalité globale des programmes, un point, c'est tout. Si on prend cette sécurité, je pense qu'on a circonscrit le pouvoir fédéral de dépenser dans des domaines de compétence provinciale et on l'a circonscrit de telle manière qu'on va éviter ce chantage qui est absolument scandaleux: Je paye et j'envahis ou bien je ne paye pas. La nouvelle disposition sera: Je paye - c'est le fédéral - et je n'envahis pas.

Je voudrais maintenant examiner un autre motif de réticence à propos de cette partie de l'accord. Certains ont prétendu qu'il n'y avait pas de véritable droit de retrait. J'ai un peu abordé cette question dans mes propos qui précédaient. Ce serait en réalité la "constitutionnalisation" du chantage. Je ferai remarquer que précisément, si l'on élimine cette possibilité du fédéral de s'introduire dans un domaine de compétence provinciale, le chantage perd de beaucoup son caractère scandaleux.

On a également prétendu, et cela est vrai, que, pour les programmes à frais partaqés, lorsque le fédéral va déterminer des objectifs nationaux, il va obliger les provinces, dans certains cas, à bousculer l'ordre des priorités. Il est très possible, c'est très concevable, que des objectifs nationaux soient, en même temps, des objectifs provinciaux, mais que ces objectifs provinciaux ne soient pas prioritaires.

Je crois, pour ma part, que le droit de retrait avec une juste compensation va obliger le fédéral à effectuer une certaine planification de ses démarches et qu'en conséquence il ne mettra pas sur pied des programmes qui seraient aussi vaseux et aussi peu correspondants à des nécessités provinciales, à des besoins provinciaux. Je vous ferai remarquer que les citoyens de cette province peuvent bien réclamer une spécificité à cor et à cri, et je crie avec eux. Cependant, sur bien d'autres points, ils ont des besoins qui sont absolument identiques aux habitants et aux citoyens des autres provinces.

Ce qui serait dangereux, c'est que l'on ait remplacé le chantage: J'envahis et je paie ou je ne paie pas par le chantage suivant: Le Québec perd sa spécificité ou bien je ne paie pas. Alors, voyons cet argument. Est-ce qu'on peut vraiment le soutenir? Est-ce qu'il a un fondement réel? Si on a peur de tout, évidemment, arrêtons-nous là. Mais je croîs qu'il faut examiner la pertinence de ce raisonnement.

Pour examiner l'ampleur de cette menace, il faut encore reqarder la constitution dans son ensemble. Tous les pouvoirs fédéraux seraient, à l'avenir, mesurés à la lumière de l'article, nouveau lui aussi, qui engage le fédéral à protéger la caractéristique fondamentale du Canada dont un des éléments, il ne faut pas l'oublier, est

constitué par la concentration d'une population francophone au Québec. En établissant des objectifs nationaux, le fédéral, qui voit ses compétences interprétées à la lumière de cette disposition, ne pourrait pas déterminer des objectifs nationaux qui seraient contraires à cette caractéristique.

De son côté, le Québec pourra s'appuyer sur la reconnaissance de sa spécificité lorsqu'il en sera arrivé au point où, ayant désiré se retirer d'un programme, il aura à implanter des programmes qu'il prétend compatibles et, par conséquent, lorsqu'il réclamera sa compensation. C'est la notion de compatibilité qui sera examinée et, dans la mesure où elle ne concernerait que les moyens pour arriver aux fins globales, aux objectifs globaux, le Québec aurait le choix des moyens et le choix d'adapter ces moyens afin de protéger et de promouvoir sa spécificité.

Je crois que mon temps de parole est achevé. J'aurais bien aimé parler des autres points de l'accord, mais je m'en remets au règlement.

Le Président (M. Filion): Je voudrais vous remercier, Mme la professeure Duplé. Tel que convenu, je cède la parole à M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: Merci, Mme la professeure Duplé, Vous êtes consti-tutionnaliste à l'Université Laval et dans d'autres universités québécoises, canadiennes. Vous êtes aussi présidente des conférences internationales de droit constitutionnel, ce n'est pas le moindre de vos titres. C'est donc avec plaisir que nous vous recevons ce soir pour entendre vos commentaires sur cette entente du lac Meech, et je vous remercie de vous être déplacée. Sur les cinq points de l'entente du lac Meech, vous auriez pu nous parler de la Cour suprême, de l'immigration, de la formule d'amendement, de la récupération des droits historiques du Québec en matière donc de droit de veto, mais vous nous avez parlé surtout de deux points. Vous nous dites qu'il y a des questions sur ces deux points. Et je voudrais m'attarder surtout sur ces deux points.

Dans un premier temps, société distincte. Je comprends bien votre pensée lorsque vous nous dites; II ne faut pas définir "société distincte". Est-ce exact? (18 heures)

Mme Duplé: II ne faut pas définir les éléments qui constituent le caractère, qui sont à la base de cette "distinctivité" - je viens de former un nouveau mot - de ce caractère distinct du Québec. Il ne faut pas le cerner. Je crois que la société québécoise est en pleine évolution, comme toutes les autres sociétés. Heureusement, nous n'avons pas cessé de vivre, de penser et d'espérer. Par conséquent, il y a bien des éléments de particularisme qui pourraient se révéler demain et qui n'existent pas encore aujourd'hui. Je crois qu'il ne faut pas le faire car toute définition restreint.

M. Rémillard: Mme la professeure, quelle interprétation donnez-vous à l'alinéa 3, qui donne à l'Assemblée nationale et au gouvernement, pour la première fois dans notre droit constitutionnel, le rôle de protéger et de promouvoir la spécificité québécoise? Quelle interprétation donnez-vous à l'alinéa 3?

Mme Duplé: Je pense que je l'ai un peu abordé dans mon exposé. C'est un article interprétatif. Il fait corps avec toutes les autres dispositions du même article et il va servir à éclairer, comme je l'ai dit précédemment, la constitution, c'est-à-dire qu'il va servir à éclairer à la fois les compétences provinciales. Il donne, en quelque sorte, un souffle au Québec. Il lui donne la possibilité, tout en légiférant dans les domaines de sa compétence, de le faire de telle manière qu'il va avoir comme objectif et comme finalité de promouvoir le caractère distinctif de la société québécoise et de le protéger.

M. Rémillard: Très bien.

Mme Duplé: Pour moi, c'est extrêmement important.

M. Rémillard: Revenons maintenant au pouvoir de dépenser. Est-ce que, selon vous, le pouvoir de dépenser existe, présentement, en droit constitutionnel canadien?

Mme Duplé: Dans les quelques décisions qui ont été rendues sur le sujet, on a abordé le pouvoir de dépenser. Les tribunaux ne l'ont abordé que par la bande. Ils l'ont contesté tellement peu que... Je parle du pouvoir d'affecter des deniers, pas du pouvoir d'assortir d'une réglementation, n'est-ce pas? Alors, cela a été tellement peu contesté que, finalement, la base a pu différer selon le cas. C'était soit le droit de légiférer relativement à la propriété publique, c'était soit les dispositions de la constitution relatives au fonds consolidé du revenu. Mais, de toute façon, il y a une chose que j'ai oublié de mentionner, c'est que ce pouvoir de dépenser, a déjà été consacré constitutionnellement. L'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui traite de la péréquation, ne parle de rien d'autre que du pouvoir de dépenser du fédéral.

M. Rémillard: Donc, vous nous dites que le pouvoir de dépenser existe

actuellement. Au moment où nous nous parlons, il existe en droit constitutionnel. Vous nous avez dit, je crois, si j'ai bien compris - vous me le confirmez - que l'entente du lac Meech permettra de délimiter ce pouvoir de dépenser et empêchera, à toutes fins utiles, le fédéral de légiférer dans des domaines de compétence provinciale.

Mme Duplé: Oui. De la manière dont j'ai présenté ma réponse tout à l'heure, j'en suis arrivée à la conclusion que les lectures corrélatives empêchent de lire ce nouvel article de la constitution d'une autre manière que la suivante: Le fédéral peut s'engager dans des programmes à frais partagés à la condition, finalement, de ne pas imposer autre chose que des objectifs globaux. D'accord? Est-ce que cela répond à votre question, M. le ministre?

M. Rémillard: Très bien.

Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Merci, Mme Duplé, de votre exposé. D'abord, je dois vous dire mon admiration pour vous, comme pour tous les experts, d'avoir accepté de vous adonner à ces exercices extrêmement difficiles sur le plan intellectuel à partir, encore une fois, non pas du texte définitif sur le plan juridique, mais d'un énoncé de principe. Comme on sait qu'une bonne partie du droit de l'interprétation est basée sur la précision des mots utilisés, j'admire que vous, comme les douze autres ou à peu près qu'on aura entendus, vous soyez livrée à un tel exercice.

Comme vous le savez, madame, nous n'avons pas les textes, le ministre et le premier ministre, jusqu'à maintenant, ayant refusé de les fournir.

J'aurais quelques questions très rapidement. J'en ai beaucoup. D'abord, pour vous, sur le plan du droit de l'interprétation ou de l'interprétation des lois, je devrais dire, est-ce que c'est le texte anglais ou le texte français qui va prévaloir?

Mme Duplé: Normalement, les deux textes, les deux versions devraient prévaloir.

M. Johnson (Anjou): Parfait. Dans la mesure où il y a quelques nuances entre les deux, la Cour suprême aura recours au texte français ou au texte anglais, croyez-vous?

Mme Duplé: Elle prendra le sens commun des deux termes.

M. Johnson (Anjou): Bon, ou le "common sense", dépendant. Voilà.

Mme Duplé: Hai Cela dépend du juge. Des voix: Ha! Ha!

M. Johnson (Anjou): Deuxièmement, quand vous parlez de la règle d'interprétation autour de la société distincte, si je reprends les dispositions du projet d'accord du lac Meech, d'une part, à l'article 1, on dit: "L'interprétation de la constitution du Canada doit concorder avec..." Ensuite, il y a des obligations aux Législatures, à l'ensemble. Et, troisièmement, il y a un rôle qui est dévolu à l'Assemblée nationale et au gouvernement du Québec. "L'interprétation de la constitution du Canada doit concorder avec..." On le dit, au départ. Donc, l'article d'interprétation, c'est celui-là. L'article 2 et l'article 3, quant à eux, établissent non pas une règle d'interprétation, si je comprends bien, mais, d'une part, une obligation dans le cas de l'ensemble des Législatures de respecter la première partie du paragraphe (l)a) et l'article 3 établit ce qu'on appelle un rôle pour l'Ftat québécois enfin, à travers son Assemblée nationale ou le gouvernement lui-même, ce qui a un sens spécifique, je crois.

Mais, dans l'article d'interprétation lui-même, d'une part, on dit: Reconnaissance de l'existence d'un Canada francophone, concentré mais non limité à, d'un Canada anglophone concentré dans le reste du pays mais présent au Québec. Et, deuxièmement, "la reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada une société distincte."

Dans un cas de conflit d'interprétation, lequel des deux paragraphes l'emporte?

Mme Duplé: Il n'y aurait pas de conflit d'interprétation. Je ne vois pas comment il pourrait y avoir un conflit d'interprétation. Vous avez effectivement une rèqle d'interprétation à l'intérieur de cette règle. En fait, il y en a deux. Une partie de cette rèqle, c'est que le Québec forme une société distincte au sein de la Fédération canadienne, mais on parle ensuite du rôle de l'Assemblée nationale et du qouvernement du Québec de promouvoir ce caractère distinctif. Mais ce rôle de l'Assemblée nationale peut s'exercer à travers quoi?

M. Johnson (Anjou): Les lois, les règlements.

Mme Duplé: À travers les lois. Donc...

M. Johnson (Anjou): Des décisions gouvernementales.

Mme Duplé: ...c'est bien à travers l'exercice de sa compétence Iéaislative que la Législature québécoise aurait le pouvoir de promouvoir, aurait la faculté d'utiliser ses compétences législatives dans un but - ce qui

est son rôle et c'est la constitution qui le reconnaît, - celui de promouvoir la spécificité québécoise.

M. Johnson (Anjou); Bon, d'accord. Dans un contexte comme celui-là - et je continue mes questions - par exemple, prenons le cas de la langue d'affichage. Tout en étant conscient qu'en ce moment c'est devant les tribunaux, etc..

Mme Duplé: Oui, mais on peut quand même en parler.

M. Johnson (Anjou): ...comme on est dans un corps législatif ici, je pense qu'on a des immunités qu'on n'aurait peut-être pas dans le Journal de Québec ou dans Le Devoir. Si la Cour suprême - on discute toujours à partir d'hypothèses - est saisie de l'interdiction qui est faite en vertu de la loi 101 d'afficher dans une autre langue que le français, sauf des exceptions spécifiques, à vos yeux, est-ce que les plaideurs et la Cour suprême devront tenir compte... Est-ce que, pour vous, le Québec forme, au sein du Canada, une société distincte et l'emporte sur la reconnaissance de la dualité canadienne?

Mme Duplé: Là, vous me placez dans un contexte extrêmement précis: un article de loi qui interdit l'affichage commercial dans une autre langue que l'anglais. D'accord?

M. Johnson (Anjou): C'est ça. Que le français.

Mme Duplé: Que le français. Excusez. C'est la première fois que je fais cette... Donc, dans une autre langue que le français. Mais cet article lui-même serait contraire, en admettant qu'il soit adopté aujourd'hui, à l'engagement qu'a pris le Québec, comme toutes les autres provinces, de sauvegarder la caractéristique fondamentale du Canada. D'accord? Cela est clair.

M. Johnson (Anjou): C'est clair.

Mme Duplé: Mats je vais vous dire une chose. Si ce que je viens de dire est exact -et cela l'est on ne le peut plus, je crois - il y a quand même une autre possibilité que, comme société distincte, nous pouvons exercer, c'est dans un cas aussi exceptionnel, je crois, utiliser la clause de dérogation expresse aux chartes, tant à la charte québécoise qu'à la charte canadienne. C'est peut-être un des moments dans notre processus où précisément il faudrait avoir recours à ce type de disposition, si tant est que l'on veuille atteindre le même résultat.

M. Johnson (Anjou): Donc, à sa face même, si on ne prend que cette partie du texte sans tenir compte de l'utilisation de l'article 33, "nonobstant", si l'Assemblée nationale du Québec devait adopter les dispositions de la loi 101 concernant l'affichage avec la disposition suivante: II est interdit d'afficher dans une autre langue que le français dans les commerces, sauf exception prévue par la loi, vous me répondez: De toute évidence, avec une disposition comme celle-là, le Parlement du Québec irait à l'encontre, dans l'exercice de sa compétence en matière linguistique, de l'enqagement qui est exigé de lui dans le paragraphe (2) de protéger la caractéristique fondamentale du Canada qui est son caractère bilinque.

Mme Duplé: Est-ce que je pourrais ajouter quelque chose?

M. Johnson (Anjou): Oui, oui.

Mme Duplé: Cela n'interdirait cependant pas au Québec d'adopter une disposition qui serait, par exemple, que le texte français doit être en énormes lettres et le texte anglais, la traduction, en lettres plus petites. Ce sont des accommodements de cette nature qui sont concevables.

Maintenant, on parle d'une décision qui n'a pas encore été rendue. Nous avons présupposé qu'au nom de la liberté d'expression on reconnaîtrait que l'article 58 est invalide et cela est déjà un point qui n'est pas acquis.

M. Johnson (Anjou): Bon. Troisième élément... Est-ce qu'il me reste encore un peu de temps?

Le Président (M. Filion): Oui. Il vous reste environ douze minutes.

M. Johnson (Anjou): Alors, je vais, quand même, y aller rapidement, madame.

Autre élément. La deuxième règle d'interprétation, c'est-à-dire le paraqraphe b), "la reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada une société distincte", je crois que vous avez dit, dans votre exposé, qu'à votre avis cela s'applique à l'ensemble de la constitution.

Mme Duplé: Oui.

M. Johnson (Anjou): Est-ce que je me trompe?

Mme Duplé: En règle générale.

M. Johnson (Anjou): Règle générale.

Mme Duplé: À moins que l'on ne tombe sur une disposition précise dont le sens est carrément contraire à la signification de cet

article interprétatif.

M. Johnson (Anjou): D'accord. Donc, on n'utilisera l'article sur la société distincte que dans la mesure où on a un tel conflit de loi ou une situation telle qui est présentée devant le tribunal qu'on n'a pas de réponse ailleurs dans la constitution. Là, on va se servir de cela pour interpréter la situation. Est-ce ce que vous me dites?

Mme Duplé: Ce n'est pas tout à fait cela.

M. Johnson (Anjou): Pas tout à fait.

Mme Duplé: Ce n'est pas tout à fait cela. C'est lorsque l'on va vouloir mesurer l'ampleur, la portée d'un pouvoir législatif provincial, par exemple, lorsqu'on va vouloir en cerner, si vous voulez, les paramètres. Jusqu'où va et à partir de quel moment commence la compétence fédérale? C'est cela, cerner des pouvoirs législatifs.

C'est à la lumière de cet article que l'on examinera la portée, le potentiel de l'Assemblée nationale de légiférer d'une certaine manière et dans un certain contenu.

M. Johnson (Anjou): Et ce qui en découle sur le plan juridique, n'est-ce pas la chose suivante? Et je vais reprendre l'exemple que j'ai utilisé avec un autre expert l'autre jour. On sait que le Mouvement Desjardins, les coopératives dans le secteur financier chez nous, ont joué un rôle extrêmement important. D'aucuns prétendent que cela fait partie de notre tissu comme société: le monde coopératif, sa présence dans nos institutions, etc. On sait aussi que l'Assemblée nationale amende régulièrement les différentes lois qui affectent le Mouvement Desjardins, tantôt la caisse centrale Desjardins, tantôt la loi constitutive, une demi-douzaine de lois, à toutes fins utiles, qui, paradoxalement, passent toujours un peu comme des projets de loi privés à l'Assemblée, mais dont, paradoxalement, le parrain est en général un ministre. Il y a une espèce de "no man's land" un peu particulier pour le Mouvement Desjardins chez nous.

Or, dans nos lois, récemment - et on pourrait être appelé à le faire à nouveau -on peut donner des pouvoirs au Mouvement Desjardins de transiger sur le marché des changes, ce qui ressemble beaucoup à ce qu'on appelle des opérations de "banking". En admettant qu'un jour un individu, un groupe ou un organisme décide de contester la capacité du Mouvement Desjardins de transiger sur le marché des changes et qu'il plaide que ce sont des opérations de "banking", le Procureur général du Québec, on l'espère, va défendre cette loi en invoquant que c'est la société distincte. Ne pourrait-il pas plaider que c'est la société distincte?

(18 h 15)

Mme Duplé: II plaidera tout simplement l'affaire Canadian Pioneer dans laquelle la Cour suprême a précisément eu ce problème à examiner. C'est un problème tellement délicat de déterminer ce qu'est une activité bancaire par nature que la Cour suprême y a répugné. Alors, elle a rendu un jugement qui est très curieux. Elle a dit: Tel organisme, qui était un organisme provincial assimilable, disons, aux caisses populaires, ne fait pas d'activités de nature bancaire, je ne veux pas examiner ses activités. Il n'a pas d'activités de nature bancaire pour la bonne raison qu'il n'est pas une banque. Vous savez pourquoi il n'est pas une banque? Parce qu'il n'est pas énuméré dans la liste des établissements bancaires dans la Loi fédérale sur les banques. Parce que le fédéral n'a pas dit que c'était une banque, vous voyez bien qu'il ne fait pas des opérations bancaires. Alors, vous voyez que, dans l'hypothèse que vous soulevez, il y a déjà une réponse. Mais ça n'est pas...

M. Johnson (Anjou): Bon. Maintenant, situons-nous dans le contexte où, pour les motifs qu'a évoqués la Cour suprême pour rejeter cette cause, le gouvernement fédéral décide d'inclure dans la Loi sur les banques le Mouvement Desjardins et les "Credit Unions" de l'Île-du-Prince-Édouard qui, à ma connaissance, n'ont dans l'histoire de l'Île-du-Prince-Édouard ni la tradition ni l'importance du Mouvement Desjardins. Le fédéral décide d'inclure les deux. Donc, on recommence. De nouveaux procès. Cour suprême et, là, on a à décider si, oui ou non, il s'agit d'opérations de nature bancaire. Croyez-vous qu'on pourrait invoquer la notion de société distincte pour dire: Dans le cas du Québec, ça fait partie de ce qu'on est comme société, on peut légiférer dans ce domaine?

Mme Duplét Je regrette, parce que le problème déjà n'est pas posé comme il devrait l'être. Je m'excuse de le souligner. Le fédéral a la compétence d'incorporer les banques et de les créer. Il n'a pas nécessairement la compétence d'absorber les établissements provinciaux sous prétexte qu'il estime que ça va devenir des banques. Le fait que le fédéral les a inclus dans sa liste ne les transformerait pas nécessairement en banques, parce que là, il faudrait que ce soit d'autres institutions.

M. Johnson (Anjou): Si je comprends bien, dans votre raisonnement précédent, vous m'expliquiez que ce qu'avait invoqué la Cour suprême pour dire que ce n'était pas une banque, c'est qu'il n'était pas dans la liste.

Mme Duplé: Non, ce n'est pas tout à fait ce même raisonnement qu'a tenu la Cour suprême. C'est beaucoup plus simple que cela. La cour a dit: Ce n'est pas une banque, elle n'est pas énoncée à titre d'institution bancaire canadienne.

M. Johnson (Anjou): Et si elle l'était?

Mme Duplé: Mais ce ne serait pas les caisses populaires alors. Ce ne serait pas les organismes dont vous parlez.

M. Johnson (Anjou): Vous me dites qu'à toutes fins utiles...

Mme Duplé: Ce seraient des organismes incorporés par le fédéral.

M. Johnson (Anjou): Parfait. Donc, vous me dites que la Législature du Québec dans un contexte comme celui-là peut permettre au Mouvement Desjardins d'avoir des activités absolument équivalentes aux activités bancaires au Canada.

Mme Duplé: Si on élimine ce jugement, d'accord, qui n'en est pas un, disons-le. Si on l'élimine, le problème reste entier. C'est évident que le Québec, théoriquement et en pratique également, il faudrait le penser, n'a pas la compétence d'octroyer à une institution provinciale le pouvoir d'effectuer des opérations bancaires. Cela est sûr. La compétence sur les banques et les opérations bancaires, elle est fédérale. Cela ne se résoudrait pas du tout avec cet article. Ce n'est pas une compétence provinciale. Point.

M. Johnson (Anjou): Sauf qu'en pratique le Mouvement Desjardins fait des opérations bancaires.

Mme Duplé: Écoutez, je pense qu'il serait extrêmement difficile, voire impossible de plaider qu'il est absolument essentiel pour sauvegarder la caractéristique québécoise que les caisses populaires reçoivent le pouvoir de faire du "banking".

M. Johnson (Anjou): Parfait. Oui, d'accord, je pense que je vous suis très bien. J'ai plutôt tendance à être d'accord avec vous là-dessus. La société distincte ne pourrait pas vouloir dire que des instruments de développement économique nous sont caractéristiques. Je vais prendre un exemple plus simple, Mme Duplé, si vous le permettez, dans le secteur des communications.

Mme Duplé: Oui.

M. Johnson (Anjou): Disons que ça tombe un peu sous le sens commun, les communications, la langue, l'éducation,

Radio-Québec; il y a une espèce d'ensemble là où ça tombe plus ou moins sous le sens que, dans la mesure où société distincte, cela veut dire quelque chose, ça doit vouloir dire cela, entre autres. Croyez-vous que, dans le secteur des communications, par exemple Radio-Québec, on puisse arriver un jour à un jugement de la Cour suprême qui dirait: Le Québec formant une société distincte, on comprend que certaines des lois qu'il a adoptées au nom de sa compétence en matière d'éducation puissent déborder dans le champ des communications, que la Cour suprême a décidé être un champ fédéral en 1978, mais, que, dans le cas de Terre-Neuve ou de l'Île-du-Prince-Édouard, avec des faits analogues, une loi semblable décide que c'est un empiétement provincial dans le secteur fédéral?

Mme Duplé: Non. Là, vous êtes en train d'essayer de me faire dire que cet article interprétatif de la constitution modifierait la teneur même des compétences. Je n'ai jamais dit cela.

M. Johnson (Anjou); Non, mais c'est parce que... C'est cela.

Mme Duplé: Nous n'avons pas au Québec la compétence sur les moyens: la radiocommunication, la télévision et le câble; nous n'avons pas cette compétence. Si on la veut - et je pense qu'on peut la souhaiter ardemment - il va falloir passer par la formule d'amendement. Il va falloir négocier et cela se fera dans un second temps. Ce dont nous discutons, aujourd'hui, c'est de la portée des cinq points de l'accord et cette portée doit être évaluée indépendamment des modifications subséquentes dans le partage des compétences.

M. Johnson (Anjou): Je suis d'accord avec vous, madame, mais ce que je vous citais comme exemple est celui que le ministre donnait, hier, à la commission alors qu'il disait que la clause d'interprétation s'applique à toute la constitution et qu'on pourrait, un jour... Et il a donné lui-même l'exemple de Radio-Québec. Il a dit: Radio-Québec, langue française, société distincte, culture, prolongement du secteur de l'éducation; oui, un jour, on pourrait voir, au nom de la société distincte, le Québec gagner une cause où serait contestée sa capacité d'aller dans le secteur des communications, puisque Radio-Québec, qu'on le veuille ou pas, ce sont des communications. C'est aussi de l'éducation et c'est comme cela que c'est plaidé depuis les années quarante, mais là, la clause de la société distincte nous aiderait, à toutes fins utiles, dans une interprétation du partage des pouvoirs. Ce que je comprends, c'est que vous me dites: Absolument pas. Vous dites:

Lea communications, c'est fédéral et, ai on veut, un jour, obtenir quelque chose de différent, il va falloir négocier un partage des pouvoirs différent. Ce que vous me dites, dans le fond, c'est que la clause de la société distincte n'a pas d'influence et n'affectera pas, au plan de l'interprétation, l'exercice des juridictions du Québec dans la mesure où il pourrait y avoir apparence de conflit ou conflit réel entre 91 et 92.

Mme Duplé: Ce n'est pas tout à fait cela que j'ai dit. J'ai dit que, d'abord, la question mériterait d'être beaucoup plus nuancée et la réponse aussi. Vous nous avez parlé de compétences culturelles. Ces compétences culturelles, le Québec les a indubitablement. Qui plus est - ce que je voudrais préciser et encore redire - c'est que ce nouvel article de la constitution lui donnerait err plus le pouvoir, si vous voulez, de renforcer ce qui fait sa caractéristique, c'est-à-dire sa majorité francophone, le fait français. Je crois que c'est déjà énorme. Maintenant, si vous voulez me faire dire que cela va donner au Québec la compétence de léqiférer relativement aux radiocommunications, c'est impossible. Mais, avec la marge de manoeuvre que la constitution laisse à la province en matière d'éducation, par exemple, il y a effectivement moyen, si vous voulez, de gagner du terrain avec l'interprétation, la lumière de cet article interprétatif.

M. Johnson (Anjou): Je vous suis. Est-ce que, pour vous, Me Duplé, cela pourrait donner, dans les circonstances, que dans le cas du Québec la Cour suprême reconnaîtrait, dans le cadre d'une loi ou d'une réglementation, un pouvoir au Québec, au nom de la société distincte, qu'elle ne reconnaîtrait pas à une autre province dans des circonstances analogues ou similaires?

Mme Duplé: Là encore, tout dépend de l'interprétation que l'on donne au terme "pouvoir". Si l'on parle de compétence strictement définie en relation avec une ou des matières législatives, je dis clairement non. Mais si l'on parle de pouvoir au sens de potentiel d'utiliser cette compétence législative de façon différente en la dirigeant différemment de ce que pourraient faire les autres provinces, je dis oui. C'est cela.

M. Johnson (Anjou): Merci, madame.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef de l'Opposition officielle. Je vais reconnaître maintenant le porte-parole du groupe ministériel, M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: Je veux simplement souligner qu'il m'a fait plaisir de laisser le chef de l'Opposition continuer à poser ses questions même si son temps était expiré. Cela me faisait plaisir parce que c'étaient des questions intéressantes. Et on a ici des experts pour nous éclairer. Cela peut éclairer le chef de l'Opposition sur un principe, je pense, qu'il doit comprendre mieux maintenant parce que vous l'avez dit très clairement: Cette règle d'interprétation ne change pas le partage des compétences législatives, c'est évident, mais c'est une règle d'interprétation qui va s'appliquer au partaqe des compétences législatives et, qui, en cas d'ambiguïté, pourra jouer d'une façon très intéressante en faveur du Québec. Que ce soit dans le cas de Radio-Québec - que j'ai mentionné hier et que je rappelle - ou des caisses populaires ou d'autres cas qui regardent nos institutions politiques, économiques - c'est ce que vous avez dit tout à l'heure, Mme la professeure, je pense que vous avez été claire là-dessus - il s'agit d'une rèqle d'interprétation qui pourra servir dans les cas d'ambiguïté d'interprétation. Ce ne sont pas de nouveaux pouvoirs qui viennent modifier la constitution.

Mme Duplé: Non.

M. Rémillard: C'est une règle d'interprétation qui va permettre d'interpréter le partage des compétences législatives. C'est bien cela que vous avez dit.

Mme Duplé: Absolument.

M. Rémillard: Donc, Radio-Québec pourrait servir à justifier cette compétence.

Mme Duplé: C'est ce que j'ai précisé subséquernment.

M. Rémillard: Bon, voilà! Alors, il ne faudrait quand même pas faire ce qui a déjà été fait et plaider que Radio-Québec n'est pas de compétence provinciale. Radio-Québec, quant à nous, est de compétence provinciale.

Passons à un autre sujet. Vous avez parlé, au tout début, de ces concepts de nation, de peuple et de société distincte. Le terme "société distincte" est utilisé depuis 1967: la commission Laurendeau-Dunton l'a utilisé, ensuite la commission Pepin-Robarts, la commission Macdonald et même l'Assemblée nationale dans une résolution qu'elle votait le 13 novembre 1981. L'Assemblée nationale adoptait donc cette résolution disant que le Québec forme, à l'intérieur de l'ensemble fédéral canadien, une société distincte. Le chef de l'Opposition a voté pour cette résolution car c'est le gouvernement péquiste qui l'avait soumise. Alors, le gouvernement péquiste, le 13

novembre 1981, a soumis une résolution à l'Assemblée nationale disant que le Québec forme une société distincte.

Jacques-Yvan Morin, 29 octobre 1983: "La constitution devra d'abord reconnaître le Québec comme une société distincte." Si je peux bien modestement me référer à mon livre, parce que l'Opposition a commencé à le lire - si j'ai bien compris - et il a deux tomes...

M. Johnson (Anjou): À condition que vous le fassiez modestementl

M. Rémillard: Oui, modestement. C'est simplement pour vous dire que vous avez commencé, mais il faut aller jusqu'à la fin, au deuxième tome. Dans la fin du deuxième tome, M. le chef de l'Opposition, vous voyez que je recommande, de fait, qu'on utilise le concept de "société distincte". Dans notre constitution, on utilise déjà, à l'article 35, le concept de "peuple" en relation avec tes autochtones. On utilise le mot "nation" en relation avec les cinq nations autochtones. On utilise aussi le mot "société" à l'article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne...

Mme Duplé: Exactement.

M. Rémillard: ...lorsqu'on se réfère à une société libre et démocratique. Alors, j'aimerais vous entendre, Me Duplé, sur ce sens du mot "société".

Mme Duplé: Alors, j'aurais, justement, si j'avais pu m'exprimer très longuement sur ce sujet, commencé par dire que le concept de société distincte n'est pas aussi flou que l'on veut le laisser entendre. La preuve, c'est que le concept de société est constitutionnalisé. On le retrouve à l'article 1 et vous savez que les tribunaux sont amplement à la tâche pour interpréter ce que ce concept de société libre et démocratique signifie. À quoi se réfère-t-on lorsqu'on parle de la société libre et démocratique dans la charte, si ce n'est au Canada, c'est-à-dire au peuple implanté sur un territoire qui est doté d'institutions, lesquelles légifèrent et gouvernent, et auxquelles la charte s'applique? La charte vient limiter des institutions; alors, on fait bien référence aux institutions. Alors, en plus du peuple qui peut se caractériser par divers éléments, il y a cette idée d'organisations et d'institutions. Ce qu'ajouterait le terme "nation", c'est le nationalisme précisément. Qu'est-ce que le nationalisme? Eh bien, c'est ce que certains ont appelé le rêve d'avenir partagé; autrement dit, c'est une société qui poursuit un rêve d'avenir partagé. Est-ce que c'est aux autres provinces et au fédéral de dire au Québec: Vous poursuivez un rêve d'avenir partagé ou est-ce que c'est au Québec d'avoir ce sentiment? Je crois que, lorsqu'on a utilisé le terme "société distincte", on l'a distingué du reste du Canada; on a identifié une des caractéristiques qui pour, le Québec, est fondamentale, c'est-à-dire la caractéristique linguistique. Pour tout le reste, on laisse au Québec le soin d'avoir sa propre âme, n'est-ce pas? Du moment que les rapports entre le fédéral et le Québec sont réglés par la constitution, le reste, c'est l'affaire du Québec.

M. Rémillard: C'est terminé?

Le Président (M. Filion): C'est terminé. Du côté de l'Opposition...

M. Rémillard: Est-ce que vous aviez des questions?

Vous me permettez, M. le Président, de simplement remercier Mme la professeure Duplé d'avoir accepté de témoigner devant nous. Je retiens qu'elle considère comme très intéressant ce nouveau rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec de promouvoir et de protéger la langue française comme la société québécoise d'une façon générale. Je suppose qu'elle est satisfaite de l'ensemble de l'entente du lac Meech. Par conséquent, je peux vous dire que son avis nous a beaucoup éclairés, et je la remercie.

Le Président (M. Filion): À mon tour, Mme Duplé, au nom des autres membres de cette commission, de vous remercier de vous être déplacée, de nous avoir livré vos notes et d'avoir contribué à cette discussion. Nos travaux sont donc suspendus jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 31)

(Reprise à 20 h 18)

Le Président (M. Marcil): À l'ordre, s'il vous plaît!

Je demanderais aux représentants de la Fédération des associations étudiantes collégiales du Québec de prendre place, s'il vous plaît! La Fédération des associations étudiantes collégiales du Québec est représentée par Mme Hélène Saint-Pierre, M. Nicolas Plourde, de même que par Mme Natalie Brisson.

Nous vous souhaitons la bienvenue à cette commission. Je vais vous expliquer en bref les règles du jeu. Vous avez 20 minutes pour présenter votre exposé et 40 minutes sont allouées aux deux formations politiques pour une période d'échange, questions et réponses. Sans plus tarder, on vous permet de présenter votre exposé.

FAECQ M. Plourde (Nicolas): Merci. M. le

Président, messieurs et mesdames les députés, membres de la commission des institutions, c'est avec plaisir et honneur que nous avons accepté, ce soir, de venir vous faire part des préoccupations de l'organisation que nous représentons. C'est donc avec la plus grande sincérité que nous vous remercions de cette cordiale invitation.

Par contre, vous comprendrez qu'il subsiste un brin d'anxiété en mot parce que, ce matin, après un réveil tardif, j'ai décidé de faire la grasse matinée. Ainsi, comme à l'habitude, j'ai pris une bonne tasse de café et je me suis mis à lire La Presse puisque, évidemment, j'étais à Montréal. Et c'est avec stupeur que je fus tiré de ma torpeur quand j'appris, en lisant te journal, que notre organisation était appelée à participer à la commission parlementaire, aujourd'hui, surtout après avoir été aussi poliment remerciée, la semaine précédente.

Ainsi, vous comprendrez également les raisons pour lesquelles nous ne sommes pas en mesure de vous remettre une version écrite de nos réflexions.

M. le Président, la Fédération des associations étudiantes collégiales du Québec, la FAECQ, est une organisation qui regroupe une dizaine de cégeps à travers la province. Certains d'entre vous se demandent sûrement les motifs qui poussent notre fédération à s'intéresser à la question constitutionnelle. C'est bien simple. Depuis notre courte histoire, nous avons toujours manifesté un profond intérêt à la question linguistique. C'est pour cette raison que l'essentiel de notre intervention portera sur cette problématique. De plus, il faut ajouter que l'entente du lac Meech, que le gouvernement du Québec s'apprête à signer, affectera particulièrement notre génération et les générations subséquentes. Conséquemment, nous trouvons déplorable que d'autres groupes de jeunes n'aient pas été invités à s'exprimer sous prétexte de contrainte temporelle.

Toute cette situation qu'on pourrait qualifier d'à la sauvette démontre tout le ridicule du pseudo-exercice démocratique qui entoure l'éventuelle siqnature de l'accord du lac Meech.

Le dossier constitutionnel a tellement d'importance pour l'avenir du Québec qu'il serait un affront à sa population de l'expédier aussi rapidement. Le Québec se distingue d'une façon particulière de l'ensemble nord-américain principalement par sa culture et par sa langue. Ces caractéristiques sont les éléments fondamentaux qui marquent la spécificité du Québec. Ils ont besoin par conséquent d'une protection immuable si nous ne désirons pas voir des secteurs aussi névralgiques que l'éducation, l'immigration et les communications s'effriter. L'allure avec laquelle les discussions sur ces sujets sont menées est loin de nous rassurer quant au bienfait d'une prochaine entente.

Plusieurs ont affirmé que même si le Québec n'obtenait pas tout ce qu'il désirait immédiatement avant d'adhérer à la constitution il lui serait néanmoins possible de rouvrir le dossier ultérieurement pour revendiquer de nouveaux acquis. Cette philosophie est bien contestable. Présentement, le Québec possède un rapport de force qu'il prendra nécessairement s'il signe immédiatement l'accord du lac Meech. Espérer obtenir d'autres gains dans un prochain avenir n'est donc que peu probable. Il nous faut dès maintenant exiger le juste maximum que nous sommes en droit d'espérer.

Comme je l'ai dit précédemment, nos préoccupations touchent principalement la question linguistique. À ce chapitre, il nous apparaît que l'entente constitutionnelle du lac Meech n'offre pas les garanties nécessaires au Québec pour qu'il soit en mesure de promouvoir et de développer le français. Même si le libellé de l'accord fait allusion à la reconnaissance du Québec comme société distincte, rien n'indique la portée réelle de cette déclaration.

Nous n'avons pas la prétention de vouloir nous arroger le savoir d'éminents juristes, mais il nous apparaît peu judicieux de remettre l'avenir du Québec entre les mains des tribunaux.

Quant à la dialectique entourant la dualité des termes "peuple" et "société" à laquelle se livrent politiciens, constitu-tionnalistes et juristes, nous ne savons plus où donner de la tête. Ainsi, comme tout bon néophyte en la matière, nous avons consulté le Petit Robert. Notre position demeure toutefois toujours aussi nébuleuse devant tant de contradictions.

Par la suite, le texte de l'entente affirme que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise. Dans ce cadre, le terme "rôle" risque de posséder bien peu de poids devant les tribunaux si bien que toute mesure entreprise par le Québec en ces matières pourrait subir le même sort que précédemment.

La comparaison entre cette situation potentielle et le vécu de notre fédération se fait bien. En effet, la FAECQ a également le rôle - et j'insiste sur le terme "rôle" - de promouvoir et protéger les intérêts des étudiants. Malheureusement, lorsque le gouvernement du Parti libéral a effectué d'importantes coupures dans le régime de l'aide financière, les mises en qarde des étudiants sont demeurées vaines. Et pourquoi? Parce que nous n'avions que le rôle de nous y opposer et non le pouvoir. Conséquemment, le Québec doit exiger le pouvoir exclusif de légiférer en matière

linguistique afin d'obtenir les outils nécessaires pour protéger et promouvoir le caractère distinct du Québec.

Ainsi, il faudrait inscrire dans la constitution que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec possèdent le pouvoir de protéger et de promouvoir le caractère distinct du Québec ou, à tout le moins, qu'ils en prennent l'engagement, tout comme il est dit que le Parlement et les Législatures prennent l'engagement de protéger le caractère fondamental du Canada bilingue.

Avant de terminer, quelques mots sur le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. L'accord du lac Meech stipule que le Canada doit accorder une juste compensation à toute province qui ne participe pas à un nouveau programme national à frais partagés dans un domaine de compétence provinciale exclusive si cette province met en oeuvre, de son propre chef, une initiative ou un programme compatible avec les intérêts nationaux. Telle que libellée, cette clause nous laisse perplexes quant à l'ingérence potentielle du gouvernement fédéral dans des domaines tels que l'éducation. Le système d'éducation québécois, on le sait, comporte plusieurs spécificités qui lui sont propres, dont le réseau collégial. Il est donc essentiel que cette clause n'entrave pas le développement distinct de l'éducation au Québec sous prétexte de la signature de ladite entente.

Ce sont là, è notre avis, les conditions minimales que le Québec devrait exiger avant la signature de l'entente du lac Meech. Même si nous nous sommes essentiellement tenus à l'aspect linguistique, il est clair pour nous que le Québec devrait exiger fermement plus que ce qui lui est présentement offert concernant notamment l'immigration et le partage des pouvoirs.

En guise de conclusion, nous aimerions souligner le manque de rigueur démocratique qui a marqué les discussions sur l'entente du lac Meech. Quand on pense que certains pays dont les traditions démocratiques sont moins enracinées ont appelé leur population aux urnes pour se doter d'une nouvelle constitution, le gouvernement du Québec devrait avoir honte d'agir de la sorte dans un dossier aussi vital pour l'avenir des Québécois. Il nous apparaît donc indispensable que l'accord du lac Meech soit préalablement soumis à la population du Québec par la voie d'un référendum. M. le Président, merci.

Le Président (M. Marcil): C'est nous qui vous remercions de cet exposé. Maintenant, je vais reconnaître le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et ministre des Relations internationales. Vous avez 26 minutes, chaque formation.

M. Rémillard: Merci, M. le Président.

Mlle Saint-Pierre, Mlle Brisson et M. Plourde, je vous remercie de venir témoigner devant nous ce soir et de vous être déplacés. C'est stimulant de voir des jeunes comme vous qui s'intéressent à des questions aussi importantes pour l'avenir du Québec. Je pense que c'est tout à votre honneur. Les jeunes doivent s'intéresser à ces questions et il est intéressant de pouvoir vous entendre.

Vous nous dites que votre position est nébuleuse, mais j'ai quand même cru comprendre des messages, malgré cette position que vous dites nébuleuse. Vous vous référez à une rigueur démocratique. Je crois comprendre que... Donc, vous êtes la Fédération des associations étudiantes collégiales du Québec, une fédération assez nouvelle, je crois, qui reqroupe dix associations de cégep. Je suppose que vous avez fait une réunion dernièrement pour étudier l'entente du lac Meech et qu'on vous a donné mandat pour venir représenter la fédération.

M. Plourde: Premièrement, il faut dire qu'en raison du laps de temps que vous nous avez accordé nous n'avons malheureusement pas eu la chance de consulter explicitement nos membres sur l'entente du lac Meech. Si vous aviez été intéressé à entendre nos membres sur la question, il aurait fallu nous donner un peu plus de temps pour aller les consulter d'une façon adéquate.

Cela étant dit, nous avons, par contre, à l'occasion de plusieurs de nos assises, pris des décisions qui nous donnaient le mandat de nous exprimer comme je l'ai fait aujourd'hui. Comme vous le savez, je n'ai pas touché à tous les points, parce que je n'avais pas de mandat pour tous les points. Par contre, pour la question linguistique spécifiquement, nous en avons déjà discuté dans nos instances. Je pense que cela m'octroyait le mandat de venir vous en parler aujourd'hui.

M. Rémillard: M. Plourde, c'est simplement pour savoir exactement où vous en êtes. De fait, j'ai cru comprendre que l'entente du lac Meech, cela ne vous intéresse pas. Vous recommandez au gouvernement du Québec de ne pas siqner cette entente. Est-ce bien cela?

M. Plourde: Non, je n'ai jamais dit cela.

M. Rémillard: Non? M. Plourde: Non.

M. Rémillard: Qu'est-ce que vous dites? Qu'est-ce qu'on devrait faire, selon vous, avec l'entente du lac Meech?

M. Plourde: Premièrement, je n'ai pas

dit que l'entente du lac Meech ne m'intéressait pas, parce que je ne serais pas ici aujourd'hui.

M. Rémillard: Alors, excusez-moi. Dans le sens que ce n'était pas particulièrement ce dont le Québec avait besoin; c'est cela que je voulais dire, parce que l'intérêt, il est là et je vous félicite pour cet intérêt.

M. Plourde: Non. C'est tout simplement que nous avons voulu soulever certaines questions en regard de cette entente. Je n'ai pas le mandat de dire que je suis contre cette entente. J'ai tout simplement soulevé certaines interrogations, dont des interrogations relatives à la question linguistique. Je dis tout simplement qu'il serait opportun, pour être certain qu'il y ait un large consensus au sein de la population, de porter cette entente à un éventuel référendum, c'est-à-dire appeler la population à se prononcer sur cette entente. (20 h 30)

M. Rémillard: Si je comprends bien, M. Plourde, vous n'avez pas eu le temps de consulter vos gens. Ce que vous pouvez nous dire, c'est que vous n'êtes pas contre. Vous n'êtes pas pour non plus, je pense? Est-ce que vous êtes pour? Si vous n'êtes pas contre, est-ce que vous êtes pour?

M. Plourde: A priori, je pense que les conditions minimales nécessaires à la signature de cette entente ne sont pas présentes, entre autres en ce qui concerne la question linguistique. Donc, si on tire les conclusions qui en découlent...

M. Rémillard: Vous êtes contre. Simplement dites-nous le!

M. Plourde: Je pense qu'il n'y a pas assez de matière, il n'y a pas assez de protection pour le Québec pour signer l'entente actuelle.

M. Rémillard: Dans ce cas, peut-être pourriez-vous dire: Écoutez, je ne peux pas parler au nom des associations, je ne les ai pas consultées; de fait, vous êtes peut-être ici à titre personnel? Personnellement, vous êtes contre. D'accord, on le comprend.

M. Plourde: Non, j'ai un mandat. On s'est déjà prononcé dans nos instances sur le fait de promouvoir et de protéger la langue française au Québec. Je pense que, sous ce mandat, j'avais la possibilité de venir m'exprimer aujourd'hui.

M. Rémillard: Non, je pense qu'on est très heureux de vous entendre. Cela me fait plaisir. Peut-être qu'aussi mesdemoiselles veulent intervenir. Je suppose que votre intérêt va aussi à différents niveaux politiques. Est-ce que vous participez à des activités politiques pour faire valoir vos idées''

Mme Brisson (Natalie): Présentement?

M. Rémillard: Oui.

Mme Brisson: Non, absolument pas.

M. Rémillard: Ni l'un ni l'autre? Vous ne participez pas à d'autres activités pour promouvoir ces idées que vous faites valoir.

Mme Brisson: Présentement, nous sommes dans une fédération étudiante. On est là pour promouvoir les intérêts des étudiants.

M. Rémillard: C'est la même chose pour les trois. Vous vous limitez strictement à la fédération des associations étudiantes?

Des voix: C'est bien cela.

Mme Saint-Pierre (Hélène): D'ailleurs, pour l'automne, nous prévoyons faire une promotion de la langue française écrite dans les cégeps, parce qu'on connaît la lacune qu'il y a là. Je pense que nos craintes au sujet la langue sont assez bien justifiées ici.

M. Rémillard: Vous avez parfaitement raison, il faut développer la qualité de la langue dans les céqeps et je suis très content de vous entendre parler comme cela. Je vous remercie. Ce sont mes questions.

Le Président (M. Marcil): Je vais maintenant reconnaître M. le chef de l'Opposition, le député d'Anjou.

M. Johnson (Anjou): Bienvenue à votre premier baptême d'une rencontre publique avec un ministre du gouvernement libéral. D'abord, permettez-moi de relever un certain nombre de choses. Je sais, M. Plourde, Mlle Brisson et Mlle Saint-Pierre, que vous aviez, dans un premier temps, demandé d'être entendus il y a déjà deux semaines, que, dès que le leader avait choisi les noms des gens qui seraient entendus, vous aviez été exclus, et je crois comprendre que ce n'est que ce matin que vous avez appris qu'effectivement vous seriez entendus ce soir. Vous avez communiqué à trois reprises avec le secrétariat pour demander qu'on puisse au moins vous donner quelques moyens de terminer, de mettre votre intervention sous forme de texte et on vous a refusé cette possibilité. Vous avez appris ce matin que vous seriez ici en ondes, dès ce soir, devant le ministre qui, de toute évidence, en profite.

Je suis un peu frappé par la remise en question de la légitimité que le ministre a

faite de ce groupe. À ma connaissance, la Fédération des associations étudiantes collégiales est une association qui regroupe une dizaine des plus importants cégeps du Québec. En ce sens, elle a sûrement la légitimé des organismes auxquels participait, à l'époque où j'y étais, le député de Bourget, qui va se souvenir de la FAGECCQ dont il a vu à la mise sur pied alors qu'il y avait à l'époque, si je me souviens bien, onze collèges qui l'avaient fondée l'année où nous y étions. Pourtant, cela ne nous empêchait pas de venir à la commission parlementaire et ailleurs pour faire des représentations.

M. Trudel: Est-ce que le chef de l'Opposition me permet une remarque tout de suite, puisqu'on parle de souvenirs? Je reviendrai tantôt, mesdames et messieurs. Je voudrais simplement dire que la première élection que j'ai faite dans ma vie s'est mal terminée, non par sa faute mais probablement par la mienne. L'organisateur en chef que j'avais était l'actuel chef de l'Opposition, au moment où nous y étions.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Trudel: Je pense que le chef de l'Opposition était encore...

Une voix: II avait un mauvais candidat!

M. Trudel: Je dois à la vérité historique de dire que je m'étais retiré en plein milieu d'une nuit et que mon organisateur en chef me l'avait amèrement reproché. Il avait raison à ce moment-là, et depuis lors, je ne me suis jamais retiré d'une seule élection.

M. Johnson (Anjou): Voilà. Alors, sur le plan constitutionnel, en pleine nuit, il se passe des choses graves.

M. Trudel: J'en sais quelque chose, d'ailleurs.

Le Président (M. Marcil): S'il vous plaît!

M. Trudel: Je m'excuse, M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Je pense que cela valait la peine d'être mentionné. J'entends la députée de Vachon; elle est invitée à venir prendre place, si elle veut s'exprimer.

Pour revenir rapidement sur cette remarque du député de Bourget, je dirais que, en dépit de tout cela, j'ai un heureux souvenir de cette période où, effectivement, c'était un homme qui entreprenait des choses et qui, malheureusement, m'a fait découvrir qu'il ne la finirait que partiellement, cette chose. Il s'est retiré avant la fin de la course...

M. Trudel: J'ai été élu dans une partielle, d'ailleurs.

M. Johnson (Anjou): ...un peu comme le gouvernement dans ses demandes constitutionnelles.

M. Trudel: C'est pour cela que j'ai été élu dans une partielle, M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Le qouvernement s'est déjà retiré...

J'aimerais revenir à nos invités, cependant, qui ne sont pas ici, je pense, pour entendre nos élucubrations de souvenirs. Une chose me frappe dans ce qu'ils nous disent. Sans prétendre se mesurer à des juristes dont c'est la spécialité, ils nous disent que, d'instinct, en se servant de leur gros bon sens et sûrement de leurs connaissances, ils considèrent, d'une part, que te Québec semble mal protégé autour de la notion de société distincte, notamment parce qu'ils ne voient pas dans ce texte - et je pense qu'ils ont raison - une protection spéciale à l'égard, notamment, de la langue française et de la responsabilité de l'Assemblée nationale de s'occuper des questions linguistiques. Ils ont parfaitement raison, parce que l'objet de nos débats depuis quelques jours, c'est de constater qu'il n'y a pas de pouvoirs pour l'Assemblée nationale, réels, authentiques.

Nous avons même entendu Me Duplé, juste avant le dîner, nous dire que, à ses yeux, ta notion de société distincte ne pourrait pas être plaidée, ou enfin pourrait bien être plaidée, mais ne serait probablement pas retenue par la Cour suprême ou par un haut tribunal dans le cas de l'affichage. Elle nous a dit de façon très claire qu'à ses yeux le caractère bilingue et fondamental de la fédération l'emporterait et primerait sur le caractère distinct du Québec dans une loi comme la loi sur l'affichage commercial.

Je pense que ces étudiants, en dépit du peu de temps qu'ils ont eu pour finaliser leur réflexion qu'ils ont partagée avec nous, ont démontré que, d'instinct, ils ont compris quelque chose de fondamental. Et cela m'apparaît important.

Deuxièmement, je suis frappé du fait qu'ils nous disent que, pour elles et pour eux, c'est important, l'avenir du français, et cela, je suis heureux de l'apprendre, parce que circule cette espèce d'impression, à mon avis non fondée, mais qui probablement se base sur des phénomènes assez superficiels, que cela n'intéresse pas la génération qui vient, le progrès du français. Moi, j'ai la profonde conviction que c'est exactement le contraire. Ces jeunes, ceux qui font partie

de cette génération ont été élevés dans un contexte tout à fait différent du nôtre. Moi, je me souviens de l'époque où, sur la rue Sainte-Catherine, on rentrait chez Murrays et, au lieu de laisser un pourboire après avoir pris un café, on laissait un dictionnaire français-anglais. Disons que la situation a quand même un peu changé depuis dix ans. Mais ils sont conscients que se développer, s'enrichir, s'épanouir au Québec, cela doit se faire en français et je pense que c'est cela qu'ils nous disent. Il y a là un message d'avenir qui, quant à moi, me réconforte.

Troisièmement, ils nous disent très clairement - je pense que les mots ont été un peu sévères, mais je dois dire que je les partage - qu'à leur avis il y a là quelque chose qui ressemble à un "travesti" de démocratie et que, finalement, on va engager l'avenir du Québec. Le ministre pourra bien dire: Savez-vous, avez-vous consulté vos membres? Je comprends, leurs membres sont à la fin de l'examen ou ils sont déjà rendus à leur travail d'été. Les Québécois pourraient être consultés par vous autres si vous faisiez votre boulot. Eux nous disent qu'ils ont l'impression que, du côté gouvernemental, la précipitation à laquelle on se livre en ce moment est quelque chose qui, d'instinct, encore une fois - je le comprends chez eux - les ennuie, et je pense qu'ils ont raison.

Je trouve que la génération de ceux qui ont 40 ans, à laquelle appartiennent le ministre et moi, ainsi que le député de Bourget - je ne parle pas de la députée de Vachon? je sais qu'elle est une exception à cette table - a, sur le plan politique, n'est pas en train de donner à la génération qui s'en vient un exemple très impressionnant du fonctionnement démocratique à propos d'un enjeu aussi fondamental. Ce n'est pas parce qu'on a fait la Révolution tranquille, qu'on y a participé ou qu'on en a bénéficié qu'on a participé à l'émergence du nationalisme jusqu'à ce qu'il se traduise dans un parti politique qui prenne le pouvoir, qu'on a vécu, un certain nombre d'entre nous, avec déception, le résultat référendaire, y compris le ministre d'ailleurs, que cela veut dire qu'il faut que les questions d'avenir et de développement du Québec se règlent par une génération qui serait déçue des vingt dernières années.

Je crois comprendre qu'ils nous disent qu'eux ne sont pas à l'époque du cynisme et de la déception et que ce qui les intéresse, ce n'est pas tellement le passé comme l'avenir. En ce sens, ils nous disent leur attachement à développer le Québec en français et leur inquiétude devant la précipitation, l'absence de processus démocratique, la confusion autour des textes, le côté sûrement très embrouillé de l'interprétation juridique qu'on peut donner ne serait-ce qu'à la question de société distincte. En ce sens, je croîs que nous devions les écouter avec attention et avec le respect que nous devons à tous les groupes qui viennent ici d'ailleurs. Je dois dire qu'en dépit du fait qu'ils aient eu très peu de temps pour préparer leur intervention celle-ci a été sentie et, deuxièmement, elle est allée à l'essentiel, même si elle ne prétendait pas faire un tour de piste exhaustif de toutes les questions techniques. En ce sens, je me permets de les remercier.

J'aurai une question pour M. Plourde, Mlle Brisson ou Mlle Saint-Pierre, comme ils juqeront à propos. Je sais que, quand on est actifs dans des associations comme la vôtre, compte tenu de la nature temporaire des clientèles - il y a un renouvellement très rapide - ceux et celles qui s'engagent dans l'action collective dans les associations étudiantes ont parfois l'impression d'être des exceptions, et avec raison en bonne partie. Considérez-vous que votre conviction et votre attachement au développement du français au Québec c'est quelque chose de caractéristique des milieux les plus actifs, c'est-à-dire ceux que vous fréquentez, ou est-ce que vous considérez que c'est un attachement assez répandu chez les étudiants et les étudiantes des cégeps du Québec?

Mme Saint-Pierre: C'est sûr qu'en tant que militants nous sommes peut-être un petit peu plus politisés, donc peut-être un peu plus au courant de tout ce qui peut se tramer au niveau linguistique, au niveau du français et c'est sûr que ça nous tient à coeur. Donc, on est prêts à le défendre et à le promouvoir, mais de là à dire que les étudiants qui vont à leurs cours, qui ne militent pas, qui n'ont qu'une chose en tête, finir leur DEC, je ne pense pas que le français ne soit pas pour eux une priorité. Je pense que le français fait quand même partie de notre culture et ça nous suit tout au long de nos études. Ils ne sont peut-être pas conscients de cet attachement envers notre langue mais si, un jour, il y a un débat sur cette question de la langue française au Québec, je ne voudrais pas trop m'avancer, mais je suis certaine qu'ils s'impliqueraient dans un débat comme ça; finalement, ça fait partie de nous. On a été élevés en français, finalement. En ce sens-là, je me dis qu'aujourd'hui ils ne sont peut-être pas tellement conscients de tout ce qui est en train de se faire avec l'accord du lac Meech, mais, s'ils étaient vraiment peut-être un petit peu plus au courant, à ce moment-là peut-être s'impliqueraient-ils un petit peu plus. La plus belle preuve qu'on peut avoir peut-être, c'est que nous, ici, les membres de la Fédération des associations étudiantes collégiales du Québec, sommes le seul groupe de jeunes qui a été autorisé à venir en commission parlementaire. Peut-être que, si cela avait été un petit peu plus ouvert, il y

aurait sûrement eu d'autres jeunes d'autres milieux, que ce soient étudiants, des maisons de jeunes, des groupes d'assistés sociaux qui seraient venus discuter ici. Et sûrement que la langue française serait rassortie, parce que c'est quand même important pour tout le monde. (20 h 45)

M. Johnson (Anjou): Je vous remercie.

Le Président (M. Marcil): Je vais maintenant reconnaître le député de Bourget.

M. Trudel: M, le Président, juste une remarque pour m'associer de façon générale aux remarques du chef de l'Opposition jusqu'à un certain point. Je pense que, pour des jeunes comme vous, à partir du moment où on a 35 ou 40 ans et que nos enfants sont adolescents, on doit passer pour de vieilles barbes.

Une voix: Vous parlez pour vous.

M. Trudel: Je parle pour moi, en effet, oui. Je parle un peu pour le chef de l'Opposition parce que la différence d'âge n'est quand même pas à ce point prononcée. Si vous voulez me laissez poursuivre...

Je veux vous remercier d'être venus, même avec les problèmes que vous avez, dites-vous, rencontrés. À mon âge et à celui du chef de l'Opposition, on a déjà tendance à jouer sur nos vieux souvenirs. J'admire votre présence et votre courage, parce que je me souviens qu'en 1964 il y avait dans cette salle même, non, une salle de comité en bas, je m'excuse, une commission parlementaire qui était plus permanente que celle-ci, qui avait été créée par le premier ministre - je le souligne au chef de l'Opposition - libéral, M. Lesage, sur la constitution. C'était à l'époque de la commission Laurendeau-Dunton. Tout le monde comparaissait devant cette commission et, parmi les membres, il y avait bien sûr, M. Gérin-Lajoie, qui était le grand expert, à l'époque, de ces questions-là. Il y avait M. René Lévesque, qui était ministre dans le gouvernement libéral, à ce moment-là, il y avait le chef de l'Union Nationale et chef de l'Opposition, à ce moment-là, M. Daniel Johnson, le père du chef de l'Opposition actuel. Je me souviens de ma comparution devant cette commission. Je vous écoutais tantôt et vous avez pris beaucoup plus d'assurance beaucoup plus rapidement que moi. Je me souviendrai sans doute toujours de cette journée où on comparaissait devant ces gens très sérieux et on avait un mémoire de cette épaisseur qui avait traversé - et ce n'est pas un reproche que je vous fais en vous disant cela - tout un processus de consultations parce que, finalement, on avait eu près d'un an pour le préparer. C'était complètement différent. Les circonstances aussi, il faut bien le dire. Je vois le député de Gouin qui veut grimper sur ses grands chevaux.

M. Rochefort: Non, pas du tout.

M. Trudel: Les circonstances étaient différentes et diable que nous étions nerveux, à l'époque, de comparaître devant un comité de parlementaires et d'exposer nos idées!

Les seules remarques que m'inspirent les remarques que vous avez vous-mêmes faites tantôt, M. Plourde, mesdemoiselles, c'est sur le français. Je pense qu'il n'y a pas un Québécois, pas une Québécoise, qui, au fond de lui-même ou d'elle-même, n'a pas l'ardent désir de vivre dans sa langue, de la protéger et de la développer. Maintenant, les moyens d'y parvenir, de réussir cela, sont différents. Vous proposez, à toutes fins utiles... Et c'est votre seule recommandation puisque, dites-vous, c'est le seul mandat que vous détenez et je respecte cela. Vous nous dites que la seule façon de garantir l'existence du français au Québec c'est, à toutes fins utiles, de l'enchâsser dans la constitution, dans la société distincte.

Pour des raisons qu'on a évoquées ici depuis maintenant une semaine et plus, je me permets de diverger d'opinion avec vous. Ce que je veux que vous sachiez - et je pense que vous le réalisez de toute façon -c'est que de part et d'autre de cette table, des deux côtés de la table, les objectifs fondamentaux, je pense, sont semblables et les façons d'y parvenir peuvent diverger. C'est ce qui fait qu'on a beaucoup de plaisir et qu'on apprend beaucoup de choses en écoutant des gens comme vous et les autres groupes qui sont venus nous dire ce qu'ils pensaient des accords du lac Meech.

Quant à moi, si vous aviez eu le temps de vous préparer davantage, j'aurais souhaité qu'on ahorde les autres questions parce que dans l'accord du lac Meech il y a quand même - M. le ministre le répète souvent et je le comprends de le répéter souvent - des gains importants, des gains historiques pour le Québec. Souhaitons qu'on ait l'occasion de vous revoir au moment où vous aurez eu plus le temps pour vous préparer et on pourra discuter davantage de l'ensemble des questions constitutionnelles avec vous.

Quant à moi, je vous félicite de vous être présentés devant nous dans les circonstances que vous relatez. J'aurai grand plaisir à vous revoir dans un avenir pas trop lointain.

Le Président (M. Marcil): Merci, M. le député de Bourget. Maintenant, je vais reconnaître Mme la députée de Chicoutimi.

Mme Blackburn: M. le Président, je pense que mes premiers mots seront d'abord pour féliciter les étudiants qui ont eu le

courage de se présenter ici, à l'instar des collègues qui ont pris la parole avant moi, et pour déplorer que le ministre, dans son intervention fort brève, ait trouvé le moyen à la fois de remettre en question la légitimité du groupe et tenter de le discréditer en voulant lui accoler ou lui donner une allégeance politique.

Je trouve cela infiniment déplorable puisqu'il ne l'a fait avec aucun autre groupe. Il le fait avec des étudiants. Je ne qualifierai pas l'attitude mais je trouve cela tout à fait inacceptable. Je n'utiliserai pas un terme fort parce que je pense que le ministre est capable lui-même de conclure sur ce genre d'attitude.

Si le ministre s'est basé sur l'accueil que j'ai réservé à ces jeunes, il faudrait peut-être qu'il sache qu'on a eu l'occasion de se voir à maintes reprises depuis déjà de nombreuses années puisque j'étais présidente du Conseil des collèges et que déjà, contrairement à ce qu'il pense, la FAECQ existait. Cela explique en partie... Quoique je pense que ce ne sont pas des explications ni des justifications qu'on a demandées à aucun autre qroupe. Il est inadmissible qu'on le fasse à l'endroit des étudiants, parce qu'ils sont jeunes et inexpérimentés. Je ne trouve pas que c'est un acte de bravoure à souliqner.

Que les étudiants, que la FAECQ exige qu'il y ait là-dessus une consultation, c'est assez légitime. Pour accréditer une association étudiante, la toi exige que 25 % des étudiants se soient prononcés. Vous savez ce que cela veut dire réunir, dans une université ou dans un collège, 25 % des votes des étudiants pour faire reconnaître l'accréditation d'une association étudiante. Quand les jeunes viennent nous dire qu'il serait important qu'on consulte sur une question majeure qui s'appelle la modification à la constitution canadienne et l'adhésion du Québec, je pense que c'est légitime. Je pense que le ministre jusqu'à ce moment-ci, je dois vous dire cela, a fait preuve de suffisamment d'élégance, je dirais, vis-à-vis des groupes qui se sont présentés ici. C'est pourquoi vous comprendrez que je trouve inacceptable l'attitude qu'il a à l'endroit des jeunes.

J'ai peu de questions finalement, parce que, comme vous l'expliquez bien, vous n'avez pas eu le temps d'aborder, d'approfondir ces questions. Vous n'avez pas eu non plus le temps de consulter, et c'est là-dessus que le ministre met en question la légitimité de votre présence ici. Je dirais qu'on pourrait adresser la même question à ce gouvernement, parce que, ce qu'il appelle sa consultation, ce qui était dans son programme électoral, a été considérablement modifié par rapport à ce qu'on a sur la table et, à ce que je sache, il n'y a pas eu de consultation populaire. Là, on n'est pas en train d'accréditer une association étudiante.

J'aurais peu de questions, parce que vous réclamez... Cela tournerait davantaqe autour de la proposition que vous faites: sur une question aussi majeure, it devrait y avoir un référendum. J'aurais le qoût de vous demander, dans l'hypothèse où il y aurait un référendum - j'espère que cela pourrait se faire de préférence à l'automne au moment où les gens sont en pleine activité, que ce soit dans les collèges, dans les écoles ou même dans les différentes institutions: Croyez-vous qu'on pourrait légitimement s'attendre à une participation importante des milieux de jeunes? Je ne pense pas juste aux étudiants. Je pense aux jeunes travailleurs. Je pense aux jeunes dans les universités, aux jeunes sans travail, aux maisons de jeunes puisque vous le disiez tout à l'heure.

M. Plourde: Présentement, malheureusement, les jeunes ont été un peu laissés à l'écart des discussions sur la présente entente constitutionnelle. Malheureusement, on n'a pas suscité un débat auprès des jeunes. On ne les a pas intéressés à la question. Par contre, si un référendum était organisé sur la question, c'est évident qu'une intense période d'information devrait précéder une telle consultation. Il pourrait y avoir, je ne sais pas, des émissions télévisées pour expliquer la question en détail, peut-être des tournées de députés dans les institutions collégiales ou universitaires pour expliquer aux jeunes et, également, dans les autres milieux, milieux sociaux, milieux culturels, etc., où beaucoup de jeunes oeuvrent, dans les différents milieux.

Malgré que présentement peut-être la majorité des étudiants et des jeunes ne sont pas sensibilisés à la question, je suis convaincu qu'avec un effort de la part de tous, en particulier des instances gouvernementales, on pourrait réussir à intéresser les jeunes à la question, afin de les préparer à prendre position à l'occasion d'un éventuel référendum.

Juste pour compléter, vous avez tous un peu peur de nous poser des questions. C'est évident que nous n'avons pas abordé l'ensemble de la problématique de l'accord du lac Meech, mais nous avons quand même touché d'autres points à part ceux du référendum. Nous avons, entre autres, parlé de dualité, société, peuple, du rôle de protéger et de promouvoir. Nous avons parlé également de toute la question linguistique. Je pense qu'il y a quand même matière à nous poser certaines questions sur ces sujets. C'est peut-être tout simplement pour soulever... parce qu'on a l'air un petit peu à l'écart d'une certaine manière. On a quand même encore des choses à vous faire part.

Mme Blackburn: Évidemment, comme on n'a pas le texte en main...

M. Plourde: Oui, c'est déplorable, je le sais.

Mme Blackburn: ...c'est difficile de se rappeler. Sachant, comme vous l'avez dit tout à l'heure, que vous ne voulez pas vous poser en spécialistes et que vous n'avez pas pu faire une analyse exhaustive de ce texte, sur la base de la connaissance que vous avez, est-ce que, selon vous, les termes "peuple" et "société" sont interchangeables?

M. Plourde: Le problème, c'est que, présentement... Comme je l'ai dit dans ma présentation, nous avons discuté de la question. Comme tout bon néophyte, nous nous sommes référés au Petit Robert, où les définitions sont très ambiguës. J'ai également écouté plusieurs experts qui sont passés ici à cette commission parlementaire et leurs définitions étaient toutes contradictoires, et avec le dictionnaire, etc. Je ne connais pas, par contre, la valeur internationale et juridique des termes "peuple" ou "société". Je suis convaincu qu'il en existe. Mais, du peu qu'on peut savoir présentement, on n'est pas aptes à prendre position étant donné que les conclusions que l'on peut tirer entre les deux termes sont quand même très similaires. II nous apparaît que les termes "peuple" ou "société" sont similaires. Durant la commission, on nous a dit qu'un peuple ne faisait pas appel à un regroupement d'individus en communauté structurée avec des institutions. J'ai tôt fait de vérifier dans le dictionnaire la définition de "peuple", et on faisait immédiatement allusion à une communauté de personnes avec des institutions. Donc, je ne savais plus exactement où donner de la tête. Vous voyez qu'à ce sujet, on est un petit peu confus. Il nous est difficile de suivre les débats à ce chapitre.

M. Brassard: M. le Président, est-ce qu'on pourrait fournir le dictionnaire au ministre?

Le Président (M. Marcil): Est-ce tout, Mme la députée?

Mme Blackburn: Oui, merci.

Le Président (M. Marcil): M. le ministre.

M. Rémillard: Oui, il faudrait peut-être fournir le même dictionnaire au chef de l'Opposition, à tous les députés de l'Assemblée nationale qui ont voté une résolution pour qu'on inscrive dans la constitution le terme "société distincte" et à Jacques-Yvan Morin également qui a utilisé ces même9 mots, à des juristes... Je vous recommande quand même de lire un petit peu plus à ce sujet. Je crois que vous avez raison lorsque vous dites qu'entre "société distincte" et "peuple" il y a une relation qui se fait, mais que le mot "peuple" ne se réfère pas nécessairement à un groupe de personnes qui est politiquement organisé et vit sur un territoire donné. On dit, par exemple, le peuple juif ou le peuple acadien, alors que le terme "société" peut se référer et se réfère normalement à des institutions, à un qroupe de personnes organisé. Alors, c'est comme cela, et ce sont des termes qui sont employés en droit constitutionnel canadien.

Je me permettrais tout simplement de terminer, M. le Président, en disant que j'ai été heureux d'entendre ces trois représentants de la Fédération des associations étudiantes collégiales du Québec. Je voudrais leur dire que l'entente du lac Meech, pour la première fois dans l'histoire de la Fédération canadienne, va consacrer le fait que le Québec est une société distincte et aussi le fait que l'Assemblée nationale et le gouvernement ont le rôle de promouvoir cette société distincte. C'est une assise très importante pour la protection tant de la langue, de la culture que des autres aspects qui caractérisent le Québec comme société distincte. On veut par là repartir sur le bon pied. Et vous qui n'avez pas participé activement à des événements qui se sont produits dans les dernières années et qui ont affaibli considérablement le Québec à bien des niveaux, vous pourrez, je crois, vous impliquer dans l'évolution de la société québécoise avec le défi de l'excellence qui est le vôtre, auquel vous, les jeunes, vous êtes tellement durement confrontés, il faut l'admettre. Vous pourrez l'aborder à ce moment-là avec des garanties qu'on n'avait pas jusqu'à présent dans la constitution canadienne. Je vous remercie de vous être présentés devant nous ce soir. (21 heures)

Le Président (M. Marcil): Merci, M. le ministre.

M. Plourde: On associe, si c'est possible... Puisque les questions ne viennent pas de votre côté, je vais peut-être vous en poser une, M. le ministre. Avec les définitions de la société distincte ou lorsqu'on dit que le Québec aura dorénavant le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct, est-ce que vous pouvez m'assurer qu'avec ces protections que l'accord du lac Meech offre, par exemple -c'est une question hypothétique - la Charte de la lanque française ne pourrait subir l'érosion qu'elle a subie au cours des dernières années et que ces dispositions offriraient une telle garantie? Cela me rassurerait évidemment. Je comprendrais votre position qui dit que c'est un pas en avant, mais avec la modeste interprétation que nous pouvons faire de notre côté, même

si nous n'avons pas les connaissances juridiques pour le faire, avec du simple bon sens il nous apparaît que ces dispositions ne sont pas suffisantes.

M. Johnson (Anjou): Consentement. M. Rémillard: Consentement? M. Johnson (Anjou): Oui.

M. Rémillard: Avec ces dispositions dans la constitution concernant la société distincte et concernant ce rôle pour la première fois bien précisé de l'Assemblée nationale et du gouvernement de promouvoir et protéger la spécificité québécoise, je peux vous assurer que vous avez là une référence d'interprétation dans la constitution, dans un premier temps - pas dans le préambule, mais dans la constitution - deuxièmement, une référence d'interprétation obligatoire pour les tribunaux et une référence qui va permettre au tribunal de pouvoir établir le partage des responsabilités à différents niveaux, en fonction de la spécificité du Québec, que ce soit en fonction de la tangue ou de la culture ou que ce soit en fonction des institutions. Je ne peux pas vous garantir une interprétation des tribunaux et il n'y a personne qui pourra vous la garantir. Quand on rédige un contrat, lorsqu'on rédige une constitution, il y a toujours la possibilité qu'il y ait un litige, qu'on ne s'entende pas sur certaines expressions qu'on a utilisées et c'est un arbitre chez nous, c'est la Cour suprême en dernier ressort qui va interpréter cela. Cependant, il faut comprendre que de notre part nous acceptons deux limites à la compétence législative du Québec. Le Québec a compétence pour légiférer sur sa langue. Il y a deux limites, comme vous le savez. Il y a l'article 133 de la constitution de 1867, qui établit le bilinguisme au Parlement canadien et ici à l'Assemblée nationale pour que nos anglophones puissent parler français à l'Assemblée nationale - je sais que vous ne pouvez pas être contre cela - et l'article 23 qui est ce qu'on appelle la clause Canada. Des parents qui ont reçu leur éducation en anglais au primaire dans une province anglaise peuvent venir au Québec et inscrire leurs enfants dans une école anglaise. Ce sont les restrictions qui sont là et qu'on accepte. À partir de cela, que ce soit dans tous les autres domaines, de la culture, de l'éducation, il y aura une référence obligatoire pour les tribunaux qui aura une très grande importance. C'est là un acte historique dans l'évolution de notre société québécoise.

M. Plourde: Peut-être pour compléter, juste pour terminer, il m'apparaît très peu prudent, même si évidemment des textes de la constitution font appel à des notions très larges, de laisser entre les mains des tribunaux l'avenir du Québec. Je trouve que présentement la définition de la société distincte est beaucoup trop large. Même la constitution actuelle fait appel à des articles plus précis. Donc, je pense que jouer cette carte de la largesse dans l'interprétation de la société distincte risque d'être très dangereux, surtout si on attend de voir l'interprétation que les juristes en feront et qu'on signe immédiatement. C'est-à-dire qu'on signe pratiquement un chèque en blanc et on attend de savoir de quel montant il sera.

Le Président (M. Marcil): M. le ministre.

M. Rémillard: M. Plourde, je veux simplement vous dire que je respecte votre opinion. Vous faites une grande déclaration. Vous savez, ce n'est pas si simple que cela. On ne peut pas dire comme cela: On signe un chèque en blanc aux cours de justice, à la Cour suprême. Il faut voir qu'il y a des règles qu'on doit respecter. On écrit une constitution, il y a des règles. Ce n'est pas la première que cela s'écrit, des constitutions ou des amendements constitutionnels. Vous devez prendre en considération des principes que nous avons, des contingences qui sont là. Bien sûr, de votre jeunesse, vous nous dites: II ne faut pas signer un chèque en blanc. Je comprends que c'est une opinion que vous avez, mais je veux simplement vous dire: Essayez de lire un peu, il y a des choses qui sont écrites à ce sujet. Il faut aussi que vous preniez en considération que c'est plus nuancé que cela. Je peux vous dire sincèrement qu'on essaie de faire le mieux possible. On est conscient de la responsabilité qu'on peut avoir, vous savez. Si c'était si simple que cela, ce serait facile à régler. Ce n'est pas si simple.

Lisez un peu, ce n'est pas toujours facile à comprendre, ces textes-là, mais je suis certain qu'il y a des amis, des gens que vous connaissez qui pourront vous aider. Peut-être que cela vous apprendra à voir les choses de façon différente et à être un peu plus nuancé. Vous verrez que les choses ne sont pas si claires, M. Plourde, et méfiez-vous des formules toutes faites, c'est très dangereux.

M. Johnson (Anjou): M. le Président...

Le Président (M. Marcil): M. le député d'Anjou.

M. Johnson (Anjou): D'abord, je reconnais au ton du ministre la patience remarquable de nos invités devant ses conseils d'un paternalisme que je croyais, quant à moi, mort quelque part entre la dernière guerre mondiale et le début de la

Révolution tranquille. Deuxièmement, le ministre nous dit qu'il va faire le mieux possible. Voyons donc, on ne lui demande pas de faire le mieux possible, ce n'est pas cela, le mandat d'un gouvernement, c'est faire ce qui est le meilleur dans l'intérêt du Québec. Pas le mieux possible. Ce n'est pas si mal, on va s'organiser un peu!

Puisque le ministre a abordé la question des articles 133 et 23 quant à la question précise que lui posait M. Plourde, je lui dirai que, de toute évidence, s'il pouvait enseigner aux 1er, 2e et 3e cycles à l'université, je pense qu'il n'enseignait pas au cégep, c'est clair. Prétendre que l'article 133, c'est seulement pour permettre aux gens de s'exprimer en anglais dans le Parlement, c'est faire fi du fait que l'article 133 a servi pour casser des pans de mur de la loi 101, notamment sur la langue de la législation, la langue de la réglementation, la langue de la justice, la langue de l'administration, ce qui fait qu'aujourd'hui des avocats plaident en Cour supérieure, au Québec, pour obtenir des jugements en langue française au Québec. Pas en Ontario ou à Moose Jaw en Saskatchewan. Au Québec! Dans la ville de Montréal, il y a des avocats qui ne peuvent pas obtenir des jugements entiers de la Cour d'appel en langue française. C'est précisément l'article 133.

De réduire l'article 133 au bilinguisme dans le Parlement, contre lequel je n'en ai pas du tout, pour que les gens puissent s'exprimer à la période de questions, au moment où on se fait les voeux de la St. Patrick ou autre chose, je n'ai pas d'objection à cela. Mais l'article 133, c'est plus que cela. Ce sont des pans de mur de la loi 101 qui sont tombés à cause de l'article 133.

Deuxièmement, l'article 23, la clause Canada. Je dirai au ministre que le jugement de la Cour suprême, qui a invalidé l'article 72 et l'article 73 de la loi 101, c'est-à-dire les articles qui touchaient la fréquentation scolaire, est un jugement qui, mot à mot, dit ceci: "Le constituant - c'est-à-dire ceux qui ont fait la constitution du Canada en 1982, donc tout le monde à l'exclusion du Québec - visait spécifiquement, par l'article 23 de la Charte canadienne, à renverser les dispositions de la loi 101 concernant la langue de l'école." Ce n'est pas neutre, cela. C'est le même type de mentalité qui amène le ministre à dire qu'on a besoin de l'article 23 qui amenait probablement d'autres personnes dans les années cinquante, à cause des problèmes Roncarelli Duplessis, a dire: Une chance qu'on a les juges de la Cour 3uprême pour nous protéger contre nos côtés fascisants. Je ne trouve pas cela très édifiant pour les générations qui viennent.

Troisièmement, le ministre ne parle pas de l'application de la charte canadienne qui, elle aussi, sert à invalider des éléments de la loi 101. Je pense, notamment, à l'article 6 sur la liberté d'établissement qui sera plaidée par Ies personnes qui viendront s'installer de Calgary ou d'ailleurs, mais qui diront: Moi, au nom de la liberté d'établissement, j'ai une protection particulière dans la charte canadienne, donc qu'on ne m'ennuie pas avec des règlements de l'Office des professions sur la langue française dans ma profession. Ce sera plaidé un jour.

Finalement, je dirai au ministre que sa définition de la société distincte me fait penser à une définition qui serait étonnante de ce qu'est l'âge de la majorité. Si on disait à ces jeunes: Vous savez, l'âge de la majorité qui va vous permettre d'avoir le droit de vote, de disposer librement de vos biens ou de consommer des alcools, l'âge de la majorité, on va dire que c'est quand vous êtes plus ou moins grand ou plus ou moins grande. Non, l'âge de la majorité, c'est 18 ans. Et je dis au ministre: En matière linguistique, si vous ne voulez pas laisser cela entre les mains des tribunaux, dites donc c'est quoi afin que ce soit clair! Qu'on dise: Oui, le Québec a la majorité sur le plan linguistique. C'est clair, et on va l'écrire dans la constitution; on ne laissera pas cela aux juges de la Cour suprême qui, pendant huit ans, vont jouer à la pirouette avec. Qu'on dise que, dans l'application de la charte canadienne, l'article 133, l'article 23, l'article 6, l'article 27 sur le multiculturalisme ne pourront jamais être invoqués contre des lois linguistiques du Québec. Si on veut être clair, si c'est cela, l'objectif du ministre, s'il prétend qu'on est limité seulement par l'article 133, pour permettre... Très bien, demandez que la constitution du Canada soit changée et qu'elle dise ceci à l'article 133: Les députés de l'Assemblée nationale pourront s'exprimer en français ou en anglais à la période de questions et dans tout débat. Pointl Pour tout le reste, c'est le Parlement du Québec qui va décider de ce qui se passe en matière linguistique. Cela se demande, cela. Ce n'est pas une fois que vous aurez signé qu'il va falloir régler cela, parce qu'une fois que vous aurez signé ce sont les juges de la Cour suprême qui vont décider.

Je me permets de conclure pour dire au ministre que cela fait suffisamment de fois, je pense, qu'on l'entend réduire l'article 133 à sa plus simple expression comme si, à toutes fins utiles, le grand progrès de civilisation qu'on a connu par l'article 133, c'est de permettre à des gens de parler anglais ici alors qu'en Alberta ils ne peuvent pas encore le faire... C'est plus que cela. L'article 133, ce sont des limites concrètes à la loi 101 et à la capacité de la collectivité québécoise par son Assemblée dûment élue démocratiquement de décider de notre avenir

linguistique, comme l'est l'article 23, comme l'est l'article 6, comme l'est l'article 27, comme l'est la notion de liberté d'expression dans la charte canadienne qui sera invoquée. Me Duplé, à 18 h 10, nous dit - Me Duplé, de l'Université Laval, a remplacé le ministre à la Direction des conférences internationales de droit constitutionnel - que, pour elle, la notion de société distincte ne l'emporterait pas dans le cas de la langue d'affichage...

Le Président (M. Marcil): En conclusion, M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): ...et que ce qui l'emporterait, c'est précisément la liberté d'expression et que la notion de société distincte ne changerait rien à cela parce qu'il y a une obligation impartie à notre Parlement: celle de respecter la dualité canadienne telle que définie dans l'accord du lac Meech.

En conclusion, je me permets de remercier, encore une fois, ces étudiants, ces représentants des cégeps du Québec qui sont venus témoigner devant nous en ayant très peu de temps pour se préparer. En dépit de cela, je pense qu'ils ont fait une prestation dont leurs collègues, leurs confrères et leurs consoeurs peuvent être fiers.

Le Président (M. Marcil): Merci, M. le chef de l'Opposition et député d'Anjou.

Je reconnaîtrai maintenant M. le ministre. Il vous reste sept minutes.

M. Rémillard: Oui, M. le Président. Lorsqu'on parle de l'article 133 de la constitution de 1867, on parle du bilinguisme institutionnel: le bilinguisme à l'Assemblée nationale et le bilinguisme au Parlement du Canada, le bilinguisme dans la langue utilisée dans les débats, dans les documents de l'Assemblée nationale ou du Parlement et le bilinguisme des tribunaux. Ce bilinguisme, nous l'acceptons. Nous aimerions même que l'article 133 puisse s'appliquer à l'Ontario. L'Ontario n'est pas une province officiellement bilingue par la constitution et nous espérons que, dans un avenir proche, elle pourra être liée par l'article 133. Donc, non seulement, nous ne refusons pas pour nous l'article 133 parce que nous sommes conscients que cette minorité anglophone qui est la nôtre est un apport pour la société québécoise et qu'on doit lui conserver ses droits, protéger ses droits... Nous considérons que la minorité anglophone au Québec n'a pas la même situation que la minorité francophone hors Québec. Dans le cas de l'article 133, nous aimerions qu'il puisse s'appliquer également en Ontario. II y a une seule province qui est bilingue au Canada, c'est le Nouveau-Brunswick, si on veut parler sur le plan constitutionnel des textes, en vertu de l'article 16 et suivants de la Loi constitutionnelle de 1982. (21 h 15)

À l'article 23 concernant la clause Canada, il faut bien comprendre - le chef de l'Opposition l'a bien fait valoir tout à l'heure; il a parfaitement raison, il s'est référé à ce que la Cour suprême a appelé "l'intention du constituant." Cela, c'est très intéressant parce que cela aura beaucoup d'importance dans ce que nous allons discuter un peu plus tard, ce soir, lorsque nous parlerons des règles d'interprétation. La Cour suprême, pour interpréter la constitution, se réfère à l'intention du constituant. Elle se demande: Qu'est-ce qu'ont voulu dire ceux qui ont écrit cette constitution? Lorsqu'elle aura à interpréter cette entente du lac Meech qui deviendra partie de notre constitution - parce que peu importe le travail qu'on pourra faire, même si nous sommes extrêmement méticuleux, on ne peut pas tout prévoir, c'est impossible; il y aura toujours des ambiguïtés - le tribunal devra interpréter cette partie de la constitution qu'on ajoutera comme il a à interpréter l'ensemble de la constitution. À ce moment-là, il pourra se référer à l'intention du constituant. L'intention de l'article 23 était de donner des droits aux minorités nationales linguistiques: francophones hors Québec et anglophones ici au Québec. Comment peut-on être en désaccord avec cet article 23 si on accepte de vivre dans une fédération canadienne? Même le fondateur du Parti québécois, M. Lévesque, était en faveur de la clause Canada. Il l'écrit dans son livre.

Une voix: Dans la loi 101.

M. Rémillard: II l'écrit dans son livre. Tout ce qu'on dit, c'est que le Québec a compétence sur sa langue et le Québec a cette compétence qui sera confirmée par une règle d'interprétation obligatoire. Je refuse de spéculer sur un cas qui est devant les tribunaux, la langue d'affichage. Le chef de l'Opposition, qui a été ministre de la Justice sait de quoi je parle. Il ne nous appartient pas ici de spéculer sur l'interprétation que pourrait donner la Cour suprême par l'utilisation de différentes clauses au moment où la Cour suprême est saisie de cette affaire. Il ne faudrait pas se servir d'une immunité parlementaire que nous avons ici en commission parlementaire...

Des voix: Ha! Ha!

M. Rémillard: ...et de s'en servir pour s'ingérer dans un système judiciaire qu'on doit protéger et respecter, et le chef de l'Opposition, comme ancien ministre de la Justice, devrait le comprendre.

M. Johnson (Anjou): On devrait protéger le Parlement aussi.

M. Rémillard: Je ne comprends pas... M. le Président, s'il vous piaît!

Le Président (M. Marcil): S'il vous plaît!

M. Rémillard: Je ne comprends pas et je vois la réaction du chef de l'Opposition qui, tout à coup, s'excite parce que je touche un point sensible et je le sais que je touche un point sensible. Il a été ministre de la Justice et je ne peux pas comprendre comment le chef de l'Opposition peut se référer directement aune cause qui est pendante devant les tribunaux, devant la Cour suprême, pour appliquer des principes que nous discutons ici et s'ingérer directement dans un processus judiciaire.

M. Johnson (Anjou); Parce que vous ne savez pas, c'est quoi l'immunité parlementaire.

Le Président (M. Marcil): S'il vous plaît, M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): On est des élus du peuple. On a le droit.

M. Rémillard: Je sais ce que c'est que notre système judiciaire et j'ai assez confiance et je respecte assez notre système judiciaire pour ne pas m'ingérer comme politicien dans ce système-là.

M. Johnson (Anjou): Mais vous avez l'immunité parlementaire.

M. Rémillard: Je voudrais terminer en vous remerciant d'être venus témoigner devant nous et j'espère que vous allez continuer à vous intéresser à ces questions constitutionnelles. Je vous remercie.

Le Président (M. Marcil): Merci, M. le ministre.

Mme Saint-Pierre et M. Plourde, de même que Mme Brisson, nous vous remercions beaucoup de vous être présentés à cette commission.

Maintenant, nous allons procéder immédiatement à la présentation de l'Alliance des professeurs de Montréal. Je demanderais aux représentants de l'Alliance des professeurs de Montréal de s'avancer, s'il vous plaît.

Alliance des professeurs de Montréal

Nous allons reprendre. L'Alliance des professeurs de Montréal est représentée par Mme Lorraine Pagé, présidente, M. Denis Grenon, vice-président - il est absent - et M. Daniel Choquette également du conseil syndical.

Vous êtes madame?

Mme Drouin (Louise): Louise Drouin, vice-présidente de l'alliance.

Le Président (M. Marcil): Louise Drouin, vice-présidente. Nous vous souhaitons la bienvenue à cette commission parlementaire. Je vous explique les règles. Vous avez 20 minutes pour votre exposé et 40 minutes sont laissées aux deux formations pour intervenir.

Je vous demanderais de débuter immédiatement. Merci.

Mme Pagé (Lorraine): Parfait. Je commencerai en vous disant que j'ai remplacé deux hommes par une femme dans notre délégation. Cela allait nécessairement de soi.

Tout d'abord, je voudrais rassurer tout le monde sur ma légitimité. Je viens d'être réélue par acclamation à la tête de L'Alliance des professeurs de Montréal. De plus, je présente ce soir le point de vue de l'alliance qui a été développé à maintes reprises au cours des dernières années, qui a fait l'objet de débats dans nos rangs et qui a amené l'ensemble des enseignants et des enseignantes que je représente à établir un très large consensus sur cette question que je vais vous présenter.

La dernière fois que je suis venue devant cette commission parlementaire, c'était au moment où le premier ministre du temps, M. Pierre Elliott Trudeau, nous parlait de rapatriement de la constitution. J'avais abordé trois aspects du rapatriement de la constitution: l'aspect linguistique, les structures scolaires confessionnelles et les ingérences du fédéral dans l'éducation.

Voulez-vous bien me dire ce qui a changé? On est six ans plus tard. Il y a, paraît-il, une entente qui va régler nos problèmes et je vais vous parler des mêmes choses qu'il y a six ans.

Vous me permettrez, en débutant, de vous signaler qu'il peut y avoir quelques fautes dans le texte que nous vous remettons. Je m'en excuse. J'ai appris ce matin en lisant La Presse que j'étais entendue finalement en commission parlementaire. J'ai eu la confirmation vers 10 h 30. Cela a été plutôt la course folle dans les bureaux et sur l'autoroute 20. Je m'excuse s'il y a des lacunes dans le français écrit. J'essaierai à tout le moins qu'il n'y en ait pas dans le français parlé.

D'abord, je veux dire à la commission que je ne suis pas une spécialiste du droit constitutionnel, que je ne suis pas une savante juriste. Je suis une enseignante et c'est à titre de responsable de l'éducation de la génération montante, au seul titre, donc, d'experte en éducation, que j'ai sollicité de pouvoir vous rencontrer pour vous faire valoir le point de vue des enseignants et des enseignantes de Montréal sur la question du

débat constitutionnel, même si je me place à la suite d'experts en droit constitutionnel, en sociologie ou en sciences politiques.

La prétention de ma démarche serait de vous dire que je viens vous présenter un mémoire. Je viens tout simplement vous présenter un avis, faire une intervention publique, légitime et nécessaire.

Au préalable, je tiens à vous dire que la première réaction de l'alliance quand le gouvernement a fait connaître son intention d'entreprendre les pourparlers constitutionnels a été de dire que les cinq conditions posées étaient insuffisantes. Nous disons donc maintenant que, les conditions étant insuffisantes, l'entente ne peut être qu'insatisfaisante.

Le premier aspect que je voudrais traiter, c'est de dire que c'est une question dite nationale. Pourquoi "dite nationale"? Parce que, même si nous sommes tous conscientes et conscients que c'est une question vitale pour l'avenir du peuple québécois, tous les analystes s'accordent à dire que le débat constitutionnel laisse actuellement la grande majorité de la population dans l'indifférence. Cela n'a pas toujours été le cas et nous craignons fort que cette indifférence ne résulte de la partisanerie qui, trop souvent et régulièrement, caractérise les interventions politiques sur cette question.

Si le peuple est absent de ce débat sur son avenir, c'est parce qu'il en est exclu; exclu comme on l'était avant d'exiger d'y participer; exclu par l'hermétisme des discours techniques d'experts; exclu par l'empressement de signer au plus vite sous prétexte que la conjoncture est favorable; exclu par la nature même de cette consultation réservée à une commission parlementaire.

Le premier reproche que nous tenons à faire, c'est que le débat constitutionnel se déroule en vase clos alors qu'il s'agit de l'avenir de la nation, qu'il se déroule en accéléré sur les écrans de télévision pour spectatrices et spectateurs. Pourtant, les citoyennes et les citoyens que noua sommes avons des choses toutes simples à dire dans ce débat, des choses qui nous concernent, des choses qui compromettent l'éducation des Québécoises et des Québécois et qu'on a oublié ou refusé de considérer parce qu'on était trop pressé.

Nous avons des questions à poser et nous avons des mises en garde à faire avant qu'il ne soit trop tard mais, comme je l'ai dit, je ne suis pas une savante juriste. Je vais donc limiter mon propos aux questions qui nous interpellent, c'est-à-dire l'éducation particulièrement.

Nous parlerons donc des droits confessionnels dans les structures scolaires à Montréal, de la question linguistique à Montréal et de l'intervention du gouverne- ment fédéral en matière d'éducation au Québec.

Pour vous situer un peu, je suis rendue à la page 8 du texte. Alors, l'éducation à Montréal. Je vais tout d'abord vous décrire ce milieu scolaire montréalais où 100 000 élèves fréquentent les écoles publiques de la CECM. Des enfants, les miens, mes filles, les vôtres peut-être, des petits Québécois, des petites Québécoises dont les parents sont nés et ont grandi ici. D'autres, d'origine anglophone, qui reçoivent l'éducation dans la langue de leurs parents dans des écoles publiques, pas à cause du pacte de 1982, mais en vertu d'une tradition d'ouverture et de générosité du peuple québécois francophone. Mais aussi de plus en plus d'enfants de nos écoles qui viennent d'autres souches que celles qui constituent ce que vous nommez la dualité canadienne. Dans quelques années, ces jeunes immigrants et immigrantes constitueront la majorité des élèves de nos écoles montréalaises. C'est tout un défi autour duquel nous devons assumer des responsabilités. Ces responsabilités, c'est de les accueillir, bien sûr, mais de les garder chez nous, de les éduquer dans ce but. L'enjeu est économique. Ces Néo-Québécois viennent compenser pour la baisse de la natalité, mais l'immigration est aussi sociale et politique. C'est d'ailleurs pour cela que le gouvernement a toujours tenu, quel qu'il soit d'ailleurs, à inscrire dans toute entente constitutionnelle le droit du Québec à contrôler les paramètres de son immigration, mais il est évident que ce droit de regard sur l'immigration perd son sens s'il n'est pas assorti de droits équivalents en matière d'éducation.

Deuxième aspect que j'aborde, page 11: la question confessionnelle. Le professeur Dumont, la semaine dernière, disait ici que la religion catholique n'est plus un critère de la spécificité québécoise. Le phénomène d'immigration peut l'expliquer en partie, mais c'est surtout la mutation sociale, l'évolution des mentalités, de la pratique religieuse de la majorité des Québécoises et des Québécois d'origine qui justifient cette transformation sociale.

Or, à Montréal, les structures scolaires publiques sont établies exclusivement sur le critère religieux au profit des catholiques d'une part, des protestants d'autre part. Et cela est garanti par l'article 93 de la constitution de 1867, reconduit par l'article 22 de l'amendement constitutionnel de 1982.

Ce double système scolaire fondé sur les droits confessionnels accuse maintenant de sérieuses lacunes. D'une part, les écoles du réseau catholique accueillent des élèves francophones et anglophones dans deux secteurs parallèles. Elles intègrent de plus en plus d'immigrants. D'autre part, le réseau protestant, qui était traditionnellement réservé aux anglophones ouvre maintenant ses

portes toutes grandes aux francophones.

Je tiens à vous dire que d'ici quelques années le réseau protestant sera en majorité formé de francophones dirigés par des anglophones. Cela sera pire qu'au Manitoba. (21 h 30)

Vis-à-vis de cet enchevêtrement de structures dont les coûts économiques et sociaux sont énormes, une seule solution s'impose: restructurer le système scolaire québécois sur la base du critère linguistique pour respecter le droit de la minorité anglophone en affirmant la primauté du français à l'école. Cette réforme, nous la réclamons depuis 1969. M. Saint-Pierre, ministre libéral de l'Éducation en 1971, en traitait. Le gouvernement connaissait ce problème au moment de rédiger les cinq conditions de son adhésion à la constitution. Malgré nos demandes répétées, malgré la connaissance du problème que le gouvernement a, il a fait la sourde oreille et est demeuré silencieux. De plus, la formule d'amendement qui est prévue nous permet d'affirmer que les structures scolaires seront dorénavant encore plus figées dans le béton, que ce sera confessionnel encore pour longtemps. En n'apportant pas de solution à ce problème, le projet du lac Meech ne peut recevoir notre adhésion. Ce que je suis venu vous dire ce soir, c'est qu'il y a un problème sérieux, un vieux problème, et que l'entente que vous avez conclue ne règle pas ce problème. Au contraire, elle va le perpétuer.

Page 15, la question linguistique. C'est bel et bien la langue française qui caractérise la spécificité québécoise. C'est ce qui structure la pensée, ce qui véhicule la culture. Les enseignants et les enseignantes le savent d'expérience à force de combattre quotidiennement l'anglicisation et l'américanisation des jeunes. Savez-vous que, dans certaines écoles secondaires françaises de Montréal - pour ne pas en nommer, Lucien Pagé - on parle davantage l'anglais que le français à la cafétéria et dans les couloirs? C'est l'indice de l'émergence d'une nouvelle culture au confluent des races qui cherche un discours intégrateur que la langue française ne parvient pas à imposer.

Pourquoi? Parce que celles et ceux qui accueillent les Néo-Québécois n'ont pas assez souvent la fierté de ce qu'ils sont ni de modèle à cultiver. La tolérance du gouvernement à l'endroit des contrevenants à la loi 101 en matière d'affichage est d'ailleurs éloquente. Vous me direz que l'affichage n'a rien à faire avec l'éducation. Je vous répondrai que c'est parce que vous n'êtes pas des enseignantes et des enseignants.

La qualité de l'enseignement que nous dispensons est tributaire de l'environnement socio-linguistique dans lequel nous le dispensons. Notre garantie, notre appui, c'était la loi 101, des prescriptions énergiques et le droit exclusif du Québec de légiférer dans les questions linguistiques. Rien dans le projet du lac Meech ne vient assurer le Québec dans son pouvoir de légiférer en matière linguistique. Même le constitutionnaliste Beaudoin avouait devant cette commission que les limites imposées au pouvoir du Québec en matière de législation linguistique par le pacte de 1982 ne seront pas élargies par la reconnaissance de la spécificité québécoise. Comment assurer ce caractère distinct du Québec sans possibilité de contrôler la politique linguistique? La contradiction est flagrante et elle devient même choquante.

S'il doit y avoir un véritable accord constitutionnel, il faudra qu'on y reconnaisse la volonté du peuple québécois de sauvegarder son identité et au premier chef la langue française. Je sais bien que de savants juristes, qui sont d'ailleurs ministres, disent que, quand on définit, on rétrécit. Moi, je vous dirai que j'ai négocié des conventions collectives, je ne suis pas une juriste, mais je sais que, quand on dit notamment et entre autres, ça permet de préciser sans limiter.

Le pouvoir de penser, dernière partie. Le droit de légiférer en matière linguistique n'est pas le seul pouvoir qui nous semble menacé par le projet d'entente du lac Meech. L'éducation et les affaires sociales sont des domaines de compétence provinciale prétendument exclusive. Le Québec s'est prévalu de ce pouvoir sous tous les gouvernements pour se doter au cours du dernier quart de siècle d'institutions et de programmes qui traduisent sa spécificité culturelle au sens large. Il n'a pas toujours été aisé de résister à l'ingérence du gouvernement fédéral dont le pouvoir de dépenser se mesure à son pouvoir fiscal.

Dans le domaine de l'éducation, on pourrait parler de l'intervention du gouvernement fédéral au niveau de l'enseignement universitaire qui rend ardu le fait de maintenir une politique provinciale cohérente. En multipliant les programmes de commandites ou de subventions, il rend difficiles l'établissement et le respect des priorités du Québec en matière de recherche et de développement de son réseau. Mais il y a plus près de nous le secteur de l'éducation des adultes qui est géré par les commissions scolaires où c'est le brouhaha le plus complet, le mélange le plus total et je dois dire, à cet égard, que tous les gouvernements qui se sont succédé depuis dix ans au Québec n'ont pas contribué à régler le problème.

Le projet du lac Meech vient clairement sanctionner cette pratique et conférerait désormais au gouvernement central le droit d'intervenir par le biais de programmes partagés dans les domaines de compétence provinciale. Parce que le

gouvernement fédéral est déjà dans le domaine de l'éducation, il pourra continuer à y être. Nous, ce que nous disons, c'est que c'est un problème qu'il y soit. Alors, arrangez-vous pour le sortir du domaine de l'éducation et, après cela, vous signerez quelque chose qui lut donne le droit de continuer dans les domaines où il est présent.

Page 22, en conclusion. Comme vous le voyez, j'ai essayé de limiter vraiment mon intervention aux sujets que je connais mieux, ceux que je vis quotidiennement, ceux que les enseignantes et les enseignants de Montréal vivent quotidiennement. Nous vous demandons de ne pas signer une entente constitutionnelle fondée sur le projet élaboré au lac Meech. Nous revendiquons un nouveau projet qui nous permettrait de répondre, de satisfaire, de trouver des solutions aux problèmes que nous vous avons identifiés, un projet qui serait préparé au Québec et soumis, par voie démocratique, au peuple québécois et à l'Assemblée nationale.

En terminant, je vous dirai que ce qui fait la grande différence entre le Canada et les États-Unis, c'est le Québec. Et quand on veut faire du Québec une province comme les autres, on fait du Canada un satellite des États-Unis. Et quand on veut mettre le Québec sur le même pied que l'Île-du-Prince-Édouard - vous m'excuserez le jeu de mots - je pense qu'on est dans les patates.

Le Président (M. Marcil): Merci, Mme Pagé. M. le ministre, vous avez 20 minutes de chaque côté pour la période de questions.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Mmes Pagé et Drouin, je veux vous remercier de vous être déplacées et de venir témoigner devant nous. Vous avez terminé d'une façon particulièrement éloquente, Mme Pagé, en disant que lorsque l'on compare -je vois que le chef de l'Opposition quitte la table - le Québec et qu'on le met sur le même pied que l'Île-du-Prince-Édouard, on est dans les patates. Eh oui! le 16 avril 1981, c'est ce que le Parti québécois, le gouvernement péquiste a fait. Ces gens ont fait en sorte que le Québec s'est retrouvé...

Des voix: Dans les patates.

M. Rémillard: ...sur le même pied que l'Île-du-Prince-Édouard et que toutes les autres provinces.

Une voix: Dans les patates.

M. Rémillard: Et c'est dans ce contexte-là qu'il a fallu négocier pour tenter de récupérer les droits historiques du Québec.

Il y a certaines choses que vous avez dites et sur lesquelles j'aimerais revenir très brièvement, Mme Pagé, si vous me permettez. J'aimerais revenir sur certains aspects de votre intervention, entre autres, en ce qui regarde la définition que vous aimeriez qu'on apporte à ce concept de société distincte. À peu près tous les juristes que nous avons consultés jusqu'à présent - ils sont plus d'une quinzaine - parmi les plus éminents au Québec et au Canada nous disent qu'il ne faut pas définir parce qu'on limite. Même si, comme vous mentionnez, on ajoute le mot "notamment" ou "entre autres", les dangers sont là très présents de limiter la portée de ce caractère particulier du Québec, que nous voulons quand même le plus complet possible, bien sûr, en fonction du fait que le Québec est distinct par sa langue, par sa culture, mais aussi par son système d'éducation, par son système judiciaire, son Code civil, par sa façon d'être, en fait, par un ensemble de facteurs qui font que le Québec est distinct.

Donc, ce que je voudrais simplement vous souligner, Mme Pagé, c'est que même en ajoutant "notamment" et "entre autres", il y a d'énormes dangers de restreindre la portée de ce caractère distinct et cela pourrait être une erreur historique que de limiter la portée de ce caractère distinct qu'enfin nous voyons dans la constitution canadienne.

Vous abordez, dans votre mémoire, l'importante question de l'immigration. Vous avez sans doute regardé l'entente du lac Meech et vous avez vu que le Québec, par cette entente, récupère le droit de sélectionner les immigrants qui demandent à immigrer au Québec de l'extérieur du pays, d'un autre pays, et aussi le droit de sélectionner les immigrants qui sont déjà sur place par une entente avec d'autres pays. Cela peut être des étudiants, des gens en stages, des touristes, même, différentes personnes qui sont déjà ici. C'est 30 % de nos immigrants, à peu près. Et aussi - et cela, c'est un point très important, Mme Pagé - nous acquérons le droit et la juridiction de pouvoir prendre les mesures d'intégration nécessaires pour donner à ces gens le goût de demeurer au Québec. Vous savez que près de 50 % de nos immigrants décident, à un moment donné, de quitter le Québec pour une autre province. Cela veut dire de l'éducation, des cours de langue, de la formation, la possiblité de les intégrer à la société québécoise. Vous me disiez: Attention, il faut relier cela à l'éducation! Oui, il y a une relation directe qui se fait avec l'éducation. La situation qu'on vivait actuellement avec la compétence qui appartenait au gouvernement fédéral, c'est que le travailleur pouvait avoir des cours de langue, mais la mère de famille qui restait à ta maison avec les enfants n'avait pas de cours de langue, elle était marginalisée, elle ne pouvait pas s'intégrer. Les enfants, par le

fait même, avaient de la difficulté à s'intégrer à la société québécoise. Enfin, nous allons avoir les pouvoirs de prendre les moyens nécessaires pour intégrer ces immigrants qui viennent avec nous relever le défi de notre société. Voilà un point particulièrement important.

En ce qui regarde la question de l'éducation d'une façon générale, vous soulevez plusieurs questions. Ce que je peux vous dire, c'est qu'on en a parlé avec M. Charbonneau, de la CEQ, au cours de cette journée. On a parlé des problèmes que peut poser l'article 93 de la constitution. On a parlé des problèmes que peut causer à bien des niveaux la possibilité d'intervention du fédéral. Il faut comprendre qu'on n'a pas tout réglé avec l'entente du lac Meech. Ce n'était pas cela, le but. On avait cinq conditions, et, pour nous, c'est la base. À partir de cela, on pourra construire. Dans une deuxième étape de négociations, on va aborder d'autres sujets. Cela pourrait être éventuellement un sujet qu'on devrait aborder, comme d'autres qui sont de grandes préoccupations pour le gouvernement québécois en ce qui regarde le partage des compétences législatives. Au départ, on voulait y aller étape par étape. Dans l'entente du lac Meech, il y a de prévu cette deuxième étape de négociations constitutionnelles qui va débuter dès que la première sera terminée, ce qui veut dire dès l'automne prochain. On se retrouvera à une table de négociations, on discutera du Sénat, on discutera des pêcheries et on discutera d'autres sujets qui sont importants pour les provinces. Parmi bien des sujets qui sont importants pour les autres provinces et qui le sont aussi pour le Québec, je vous donne un sujet qui regarde aussi l'éducation, les communications, qui sont une priorité aussi pour toutes les autres provinces et qu'on va retrouver en priorité comme ordre de discussion dans la deuxième étape de négociations. On pourrait éventuellement parler aussi d'éducation, bien sûr. Ce que je peux vous dire, Mme Pagé, c'est qu'on n'a pas tout réglé au lac Meech, on en est très conscient, mais ce qu'on a réglé, on est convaincu qu'il s'agit là d'une base extrêmement solide et de gains historiques pour le Québec.

Une voix: Vous pouvez réagir, madame.

Mme Pagé: Je peux réagir?

Le Président (M. Filion): Certainement.

Mme Pagé: Ce que j'ai compris, M. Rémillard, c'est ceci: des cinq conditions que le gouvernement posait, il y en a deux qu'il ne me semble pas régler de façon satisfaisante. Sur l'aspect de la société distincte, vous m'avez tout expliqué dans votre grand discours de juriste que j'ai entendu aussi tantôt. Je garde les mêmes appréhensions, surtout quand on entend ce qui se dit dans les provinces anglophones. Peut-être que cela limite quand on écrit, en tout cas, cela empêche le monde de dire le contraire quand on parle dans des langues différentes. En anqlais, il se dit une chose et, en français, il s'en dit une autre. Sur le problème de l'éducation, vous me dites qu'il y a un lien à faire entre l'immigration et l'éducation, je vous l'ai dit dans le document, oui, il y en a un à faire. Mais le fondement de notre système scolaire au Québec, il est vicié. Commencer à construire une maison par le toit, je n'ai jamais vu cela. On commence par le bas. (21 h 45)

Vous avez beau me dire qu'il va y avoir une deuxième étape, d'après ce que j'ai lu - je n'ai pas vu les textes juridiques, c'est vrai, ils ne sont pas écrits - la liste des sujets dont on va discuter prochainement, au cours des prochaines étapes, ne mentionne pas l'article 93. Si vous voulez m'en parler dans 20 ans, dans 25 ans, je veux bien, je ne serai plus dans l'enseiqnement, mais le problème va continuer de grossir pendant ce temps. C'est dans trois ans qu'on aura 51 % d'immigrants dans les écoles de Montréal, pas dans 20 ans. On est rendu à 35 % de la clientèle scolaire qui est immigrante. Là, je ne parle pas des transformations sociales que connaissent nos Québécoises et nos Québécois de souche, pour employer cette expression. Je trouve anormal qu'un problème connu depuis des années de tous les gouvernements - qu'ils aient été bleu, rouge, jaune, vert, tous les gouvernements ont été conscients du problème de l'article 93 - je ne m'explique pas, je ne comprends pas qu'on n'ait pas mis ce sujet dans la première étape des discussions.

Le menu constitutionnel est fait pour plusieurs années et la formule d'amendement est telle que, à notre avis, les structures confessionnelles sont là encore pour des décennies. C'est une solution que vous n'apportez pas avec l'entente du lac Meech.

Le Président (M. Filion): Merci, Mme Pagé. M. le ministre a terminé, je reconnais maintenant M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Mme Pagé, merci de votre exposé clair, limpide. Je me permets de répéter ici un certain nombre de réserves parce que je sais que vous n'avez appris que ce matin que vous pouviez venir témoigner devant notre commission, grâce à la conception de démocratie accélérée du gouvernement.

Deuxièmement, je suis conscient que vous avez apporté une contribution tout à fait particulière et remarquable sur la dimension de l'éducation dans votre mémoire.

Cela fait déjà quelques jours que je constate que les gens de votre côté de la table ne se répètent pas au fur et à mesure qu'ils viennent, disons que c'est plus de ce côté-là que cela se répète; je veux bien reconnaître que cela m'arrive aussi de temps en temps, mais disons que c'est surtout une caractéristique du ministre.

Une voix: On est très distinctifî

M, Johnson (Anjou): En ce sens, la contribution que vous apportez, je la vois à deux niveaux. D'une part, vous dites, comme bien d'autres, qu'en dépit des savants exposés du ministre sur la nécessaire non-limitation de la société distincte sur ia question linguistique, cela ne vous rassure pas. Ne vous en faites pas, madame, vous n'êtes pas la seule, vous êtes un club de plus en plus large au Québec qui considérez que le gouvernement est en train de nous engager dans l'incertitude des sables mouvants du lac Meech. On a pénétré un peu à la surface, on est dans la glaise jusqu'aux genoux autour de la société distincte. Deuxièmement, vous avez des appréhensions considérables sur le pouvoir de dépenser et, troisièmement, vous considérez que les demandes du gouvernement, au départ, étaient insuffisantes. Il ne faut donc pas s'étonner du fait que l'entente est insatisfaisante, comme vous le dites dans votre mémoire.

Je crois que la contribution que vous apportez de façon plus spécifique, c'est celle autour de cette question de ce que vit en ce moment, non pas comme vous dites dans 20 ans, mais en ce moment et dans les quelques années qui viennent, dans les trois, quatre, cinq ans qui viennent, dans tout le monde scolaire, notamment le monde scolaire montréalais, à cause, d'une part, de la présence des nouveaux arrivants dans nos écoles, de la proportion de plus en plus grande de nouveaux Québécois qui arrivent chez nous, des immigrants canadiens qui arrivent dans nos écoles. Ils représentent une proportion de plus en plus élevée des clientèles scolaires, compte tenu d'une chute remarquable, évidente et très sensible des enfants en âge de fréquenter l'école qu'on constate depuis un certain nombre d'années déjà, à cause du phénomène de la dénatalité.

Vous dites que ce n'est pas dans 20 ans qu'il faut régler cela. Je sais que le ministre nous servira encore des arguments comme: Oui, mais ce n'étaient pas les propositions de 1985, l'affaire de l'article 93. Je suis parfaitement au courant de cela, d'autant plus qu'à l'époque je pense qu'on s'en était parlé et qu'on avait dit: Oui, on avait la loi 3, on était devant les tribunaux, on espérait gagner, puis tant mieux; si on ne gagnait pas, c'était clair que cela reviendrait dans le dossier, dans le cadre du type d'échéancier qu'on proposait.

Une voix: ...

M. Johnson (Anjou): Oui, effectivement, je référerai le ministre à certaines lectures de l'époque, lui qui conseille beaucoup aux gens de faire des lectures.

J'aimerais peut-être vous entendre un peu démontrer ce qui est évident pour moi, peut-être à cause de la réflexion que j'ai dû y apporter, j'aimerais que vous refassiez avec un peu plus de détails cette démonstration de ce qui est en train d'arriver avec les systèmes anglo-protestant et franco-catholique de Montréal et l'introduction dans tout cela des nouvelles clientèles immigrantes et les conséquences de tout cela, d'où la nécessité de revendiquer non pas dans 20 ans, mais dès maintenant, d'agir pour qu'on se donne des instruments pour y faire face sur le plan constitutionnel.

Mme Pagé: En 1867, les choses étaient très simples: on était français et catholique ou anglais et protestant. Le malheur ou la chance, c'est qu'on est rendu en 1987. II y a donc de l'eau qui a coulé sous les ponts et la société québécoise, particulièrement la société montréalaise, s'est qrandement modifiée.

Que retrouvons-nous maintenant dans nos écoles? Nous avons un système, la Commission des écoles catholiques de Montréal, qui gère deux services parallèles: un service francophone et un service anglophone. Du côté anglophone, anglo-catholique, disons-nous, la majorité des élèves est, dans les faits, constituée d'enfants italophones. C'est une génération d'immigrants qui se sont véritablement anglicisés. C'était il y a quelques années, me direz-vous, mais c'est quand même la réalité.

De l'autre côté, nous avons le réseau des écoles françaises de la CECM qui accueille, au moment où je vous parle, 35 % d'enfants immigrants, quelque chose comme 90 nationalités différentes. Du côté protestant, cela fait longtemps qu'on a cessé d'être protestant et anglophone et on a de plus en plus d'enfants francophones. Alors que dans le réseau francophone on se dit: Nous aurons une majorité d'enfants immigrants, dans le réseau protestant, on se dit: D'ici quelques années, nous aurons une majorité d'enfants francophones. Pourquoi? Parce que ces enfants-là, compte tenu de la modification des valeurs familiales, religieuses et culturelles, choisissent de ne pas fréquenter l'école catholique française, mais bien d'aller dans le réseau protestant qui est beaucoup plus pluraliste sur le plan de la religion.

Nous nous retrouvons donc avec, dans la seule ville de Montréal, quatre réseaux scolaires: un franco-protestant, un anglo-protestant, un franco-catholique et un anglo-catholique. De plus, dans le réseau

protestant... II y a eu des articles de journaux de publiés à cet effet, que vous pourrez lire quand vous en aurez le temps, entre autres, une enquête du journaliste André Noël de La Presse qui montre qu'au PSBGM, par exemple, où le nombre d'enfants francophones augmente et est sous le seuil de la majorité, ils sont vraiment traités comme des citoyens de seconde zone. Tous les commissaires sont anglophones, on a de la difficulté à avoir les textes officiels de la commission scolaire en français. C'est la situation actuelle à Montréal.

Depuis plusieurs années, nous réclamons comme intervenants dans le monde scolaire de Montréal, que nos structures scolaires soient adaptées à la réalité du Québec. Nous avons toujours eu une oreille très sympathique à notre endroit. On a toujours dit: Oui, c'est vrai, madame, il y a véritablement un problème. Mais, que voulez-vous, c'est la constitution! Alors, on repartait avec notre petit paquet en disant: Que voulez-vous, c'est la constitution! On a rapatrié la constitution, on s'est dit: Bon, enfin, ils rapatrient la constitution, on va en profiter pour changer cela. Mais non, on l'a laissé. Là, on dit qu'il y a des pourparlers constitutionnels. On dit: Bon, enfin, il y a des pourparlers, ils vont le régler. Mais non, on ne règle pas le problème encore. Alors, je vous pose la question: Quand allez-vous le régler? Quand?

M. Johnson (Anjou): Mme Paqé, je pense que votre exposé est clair. Je pense qu'il interroge le gouvernement sur deux choses. D'une part, est-ce qu'on est conscient de ce qui est en train de se passer dans le système scolaire et des effets à moyen et à long terme que cela va produire dans le plus grand centre du Québec, qui est Montréal? Deuxièmement, vous interrogez le gouvernement sur quelque chose de très précis: Est-ce qu'il faut considérer que, dans le "second round", le deuxième "round" comme dit le ministre, du lac Meech, l'article 93 va être mis en discussion? À notre connaissance, ce que dit le deuxième "round", c'est le Sénat... Une voix: Les pêches.

M. Johnson (Anjou): ...et les pêches, pour M. Peckford. Le reste, évidemment, c'est la clause "grand-père" habituelle, comme on le dit dans le jargon des relations fédérales-provinciales au Canada, soit "toute autre question dont on aura convenu." Le problème, c'est: "dont on aura convenu". Voyez-vous? D'abord, cela présupposerait que le gouvernement sait ce qu'il veut et nous, nous essayons de savoir cela depuis un certain nombre de mois déjà et nous ne l'avons pas obtenu. Deuxièmement, je me permets de croire que nous ne le saurons pas tellement plus pour l'article 93, compte tenu du fait que l'actuel ministre de l'Éducation semble avoir fait son choix, lui, soit le maintien des structures confessionnelles plutôt que des demandes qui permettraient au Québec de faire face à l'avenir de notre monde scolaire sur une base qui est celle du bon sens, la base linguistique. Je peux même me permettre, madame, d'anticiper ce que sera la réponse éventuelle du gouvernement à cela.

Le ministre, ici, va se permettre de parler sans mandat, mais ce n'est pas grave; il va le corriger le lendemain et on va faire comme si rien ne s'était produit, comme d'habitude. Mais je peux même vous dire, quant à l'article 93, que j'ai une bonne idée de ce qu'on va nous dire. On va nous dire: Vous savez, si vous demandez des modifications à l'article 93, vous allez nuire à la bataille des Franco-Ontariens qui veulent maîtriser leurs écoles et, parce que les Franco-Ontariens veulent mener leurs écoles, on ne touchera pas à l'article 93 qui, essentiellement, a des conséquences dévastatrices pour le Québec à moyen terme. On va continuer de faire la bataille des Franco-Ontariens et, au nom de la bataille des Franco-Ontariens, on va laisser pourrir ce qui est te noyau essentiel, sans lequel il n'y a même pas de survie pour les Franco-Ontariens, qui s'appelle la vigueur, la vitalité du Québec. Tant qu'on n'aura pas compris cela, tant que ce gouvernement et tant que ce ministre n'auront pas compris qu'il n'y a pas de telle chose que la symétrie sur le plan linguistique au Canada... Il n'y a pas de symétrie, il n'y a pas d'image, de miroir inversé. Cela est faux. Cela amène le Québec à se priver d'instruments de développement, d'épanouissement, de croissance et d'enrichissement du fait français sur son territoire au nom des droits très aléatoires, souvent hypothétiques, d'une minorité de francophones hors Québec qui, pourtant, ne saurait à moyen terme survivre et se développer si le Québec, lui, s'affaiblit.

C'est cela, si vous me passez l'expression, puisque tout le monde est dans "l'américanitude" ce temps-ci, le "Catch 22" - c'est un roman américain qui a eu ses heures de gloire au début des années soixante-dix - le "Catch 22" des droits linguistiques au Canada. C'est: Si tu permets au Québec de se renforcer sur la question linguistique, on va dire: Attention, tu affaiblis les francophones hors Québec; mais si tu veux renforcer les francophones hors Québec, à toutes fins utiles, tu laisses des situations s'installer comme celle de Montréal où, effectivement, il y a quatre systèmes scolaires et cela va représenter pour notre société dans les années qui viennent une modification incroyable du tissu humain. Pendant ce temps-là, on est condamné à la paralysie au nom des

"épivardages" constitutionnels et des grandes théories de droit où on est au huitième niveau d'abstraction, quand on n'est pas carrément dans une autre galaxie sur le plan fonctionnel.

En ce sens, je dirai que je prends acte de ce que vous nous avez dit, madame. Je trouve que cela a été exposé aussi brillamment que vos prédécesseurs, je prends le cas de l'Union des producteurs agricoles qui nous a parlé du pouvoir de dépenser. Vous nous avez parlé avec grande précision des problèmes de l'éducation et je considère, madame, que c'est une contribution remarquable à la réflexion. Espérons que cela influencera quelque peu ce gouvernement. Merci. (22 heures)

Le Président (M. Filion): Voulez-vous réagir, Mme Pagé?

Mme Pagé: J'ai le mot de la fin?

Le Président (M. Filion): Non. Si vous voulez réagir aux propos de M. te chef de l'Opposition, il reste encore quelques minutes.

Mme Pagé: Non.

Le Président (M. Filion): Non? Cela va?

Mme Pagé: Je voudrais simplement...

Le Président (M. Filion): Allez-y, je vous en prie!

Mme Pagé: Non, non, ça va.

Le Président (M. Filion): D'accord. Je vais reconnaître maintenant un intervenant du coté ministériel. M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.

M. Scowen: Oui. Mme Pagé, j'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre mémoire et je l'ai écouté aussi. Comme l'a proposé le chef de l'Opposition, comme l'UPA, la chambre de commerce et les syndicats ce matin, vous êtes arrivée, aujourd'hui et hier, avec votre ordre du jour pour la réforme constitutionnelle. Chacun a son ordre du jour. J'imagine que vous êtes négociateur, vous avez fait des négociations, votre clientèle vous arrive avec une série de demandes qu'elle aimerait que vous réalisiez dans le cours d'une négociation. Vous êtes face au côté patronal. J'imagine que, si vous n'arrivez pas à réaliser toutes les revendications de tous Ies membres de votre clientèle, vous sortez finalement avec quelque chose qui est, pour vous, un pas en avant.

Si vous regardez les cinq choses, les six éléments de la réalisation de mes collègues, M. Rémillard et le premier ministre, lors de ces négociations, ils ne prétendent pas avoir réglé tous les problèmes constitutionnels. Ils ne prétendent pas que c'est la première fois qu'on fait des changements à la constitution. Ils ne prétendent pas que ce sera la dernière fois qu'on fait des changements à la constitution. Mais, pour ce "round", j'aurais pensé que vous seriez prête à dire que c'est du progrès. Mais non, vous vous êtes penchée surtout sur cette question qui est à votre ordre du jour, la question confessionnelle. Quand vous en avez parlé, ça m'a fait penser à Camille Laurin. Vous avez dit, en page 11, et je vous cite: "Comme nous le rappelait pertinemment le professeur Dumont devant cette commission - c'est certain qu'il l'a dit - la religion catholique n'est plus un critère de la spécificité québécoise." C'est une affirmation du professeur Dumont et, maintenant, de vous.

J'ai l'impression qu'amender l'article 93 dans le sens d'abolir le système confessionnel des écoles au Québec, ce n'est pas quelque chose qui va susciter une énorme résistance du reste du pays. Ce n'est pas un débat, je pense, qu'on serait obligés de faire longtemps avec le reste du Canada si on était capables de s'entendre ici nous-mêmes entre nous.

La leçon que je tire du dernier mandat de Camille Laurin, c'est qu'il a commencé, quelques heures après son élection en 1981, un effort de réformer le système scolaire au Québec. Il a rapidement découvert que l'opinion de Mme Lorraine Pagé était une opinion fort valable et exprimée d'une façon très passionnée et avec beaucoup d'expérience pour l'appuyer, mais qu'il existait quand même beaucoup de monde ici au Québec qui disait: La religion catholique est toujours un critère de la spécificité québécoise. Ce n'étaient pas des gens de l'Ontario qui disaient ça, ce n'étaient pas des gens d'Ottawa, c'étaient des gens de chez nous qui n'étaient pas d'accord et, quant à moi, ne sont probablement toujours pas d'accord avec Mme Pagé.

Je me souviens très bien, par exemple, que du côté anglophone il y en avait beaucoup qui croyaient que ce serait une très bonne idée d'avoir deux systèmes linguistiques parallèles d'éducation ici au Québec. Respecter l'article 23, si vous voulez, qui est un autre critère, mais abolir les commissions scolaires confessionnelles. Mais on a découvert, à notre grande déception, qu'il existe aujourd'hui beaucoup de personnes très respectables - et vous les connaissez - qui ne partagent pas notre opinion. Donc, je serais porté à vous dire, avant de pouvoir blâmer le fédéral, avant de dire qu'il faut que M. Rémillard règle le problème de la confessionnalité au Québec dans la constitution, qu'on accepte que la première chose à faire, c'est de faire ce que M. Laurin n'a pas été capable de faire pendant cinq ans, soit nous organiser pour

qu'on arrive à un consensus ici au Québec. Le Président (M. Filion): Mme Pagé.

Mme Pagé: Je voudrais vous faire deux observations, M. Scowen. Quand vous nous dites que la question confessionnelle ne suscitera pas une grande résistance dans les autres provinces, je veux bien vous croire. Mais je vais vous faire part de mon expérience de négociatrice puisque vous y faites référence. Quand je négocie, il y a des choses qui sont plus difficiles è passer et il y en a d'autres qui sont plus faciles. Je profite du fait d'être en négociation pour faire passer les choses faciles et essayer d'arracher quelque chose de plus difficile. Je sais très bien que, si je reviens une deuxième fois avec les choses plus faciles, je vais me faire répondre ceci: On vient de finir de parler d'un certain nombre d'affaires, s'il vous plaît, attendez votre tour, on reprendra cela un peu plus tard. Si vraiment toute la question confessionnelle avait pu se régler très facilement, très rapidement, parce qu'on pouvait compter sur la collaboration des autres provinces, je pense sincèrement que vous auriez dû profiter de la conjoncture favorable et en disposer.

Deuxièmement...

M. Scowen: Mais on ne s'entend pas ici au Québec.

Mme Pagé: J'en arrive à ma deuxième observation. Il ne faut pas confondre consensus et unanimité. II ne faut pas non plus confondre large majorité avec unanimité. Si vous attendez d'avoir l'unanimité au Québec pour changer les structures confessionnelles, je vais être morte, vous aussi, on va tous être morts, et cela va encore être des structures confessionnelles. Mais, à Montréal, tous les sondages étaient très éclairants à ce sujet. Il y avait un très fort consensus pour la modification de nos structures confessionnelles. C'était très largement répandu.

Il y avait de petits ilôts de résistance. Je vais vous concéder que l'un des principaux ilôts de résistance, ce sont les commissaires de la CECM. Mais, cela, que voulez-vous? Ils sont financés par l'Association des parents catholiques. Ils véhiculent un point de vue. Mais cela n'empêche pas que le consensus social était là. Je pense que souvent ce qu'on a fait c'est entretenir chez les gens la confusion voulant que de ne plus avoir de structures confessionnelles, c'était se débarrasser du caractère catholique qui nous tient à coeur. Cela est entièrement faux. On peut avoir des structures linguistiques, avec un enseignement religieux et donc préserver le caractère confessionnel dans l'enseignement pour celles et ceux qui le désirent.

M. Scowen: Mme Pagé, si c'est aussi facile que vous le prétendez, est-ce que vous pouvez m'expliquer comment il se fait qu'un ministre aussi puissant que Camille Laurin s'est cassé la gueule pendant tout un mandat dans son effort de faire ce que vous prétendez quelque chose de facile à faire parce qu'il existait des sondages et un large consensus? Ce n'était pas un ministre faible. C'était un gouvernement avec une large majorité. Il n'a fait que cela pendant quatre ans. Cela a été un échec total. Qu'est-il arrivé?

Mme Pagé: Cela a été un échec total à Montréal, M. Scowen. Mais les commissions scolaires linguistiques pourraient se mettre en place demain matin au Québec sans problème. À Montréal, il y a encore un problème parce que deux entités veulent préserver leurs intérêts propres. Le PSBGM veut garder son caractère protestant alors qu'il n'a de protestant que le nom et la CECM veut garder, elle, son caractère catholique. Elle, je vais vous concéder qu'elle n'est pas catholique juste de nom mais cela cause des problèmes. Et le problème est là. Le consensus était établi dans notre société mais on se heurte à un article 93 qui permet à des groupes de prétexter la présence de l'article 93 pour s'opposer et stopper une transformation de notre système scolaire dans le sens de l'évolution de notre société.

Une voix: Trois minutes.

Le Président (M. Filion): M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, cela va. Je vais reconnaître maintenant M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: M. le Président, merci. Je pense que ce qui est intéressant et même très éclairant quand on reçoit des personnes et des groupes qui oeuvrent, je dirais, sur le terrain dans des secteurs précis, c'est qu'on a des points de vue drôlement enrichissants. Le chef de l'Opposition le signalait, cela a été le cas hier de l'UPA. Des agriculteurs sont venus dire au gouvernement: Attention, vous n'avez pas pensé à l'agriculture. Effectivement, tout le secteur agricole a été ignoré, avec les conséquences que l'on sait. Et M. Proulx était parfaitement capable, il l'a fait hier, de donner des exemples concrets de ce que pouvait donner le fait d'oublier le secteur agricole dans les négociations constitutionnelles. Dans votre cas, enseignants, enseignantes, c'est évidemment la même chose pour ce qui concerne l'éducation.

Hier, M. Proulx est venu dire au gouvernement: L'agriculture, vous devriez en tenir compte quand vous souhaitez encadrer

le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. Vous, vous venez dire au gouvernement et à la commission: Puisque vous êtes en négociations constitutionnelles, pourquoi ne profitez-vous pas de l'occasion pour modifier l'article 93 afin de l'adapter à la réalité québécoise actuelle? Je sais qu'il y en a quelques-uns... Le député de Notre-Dame-de-Grâce vient de le faire en disant: Oui, mais l'ancien qpuvernement. qu'est-ce qu'il a fait? Il avait l'occasion. Qu'est-ce qu'il a fait? Je vais vous dire ce qu'on a fait. Le député de Notre-Dame-de-Grâce a tort quand il dit que le Dr Laurin n'a pas mené son projet à terme. C'est faux. Le gouvernement du Parti québécois a mené un projet de loi sur la restructuration scolaire au Québec, sur une base linguistique, à terme jusqu'à l'adoption finale è l'Assemblée nationale. Le projet de loi 3 est devenu une loi. Je ne sais pas si vous l'ignorez. Il serait... Est-ce que vous siégiez encore à ce moment? Vous siégiez à ce moment comme député.

M. Rochefort: II a voté contre. M. Scowen: ...

M. Brassard: C'est vrai que, depuis le 5 décembre, on ne vous voit pas souvent à l'Assemblée nationale. Vous siégiez à ce moment.

M. Scowen: Eh! Eh! Eh!

M, Brassard: Vous avez oublié que le projet de loi 3...

M. Scowen: Faites attention, là. Je siégeais aussi souvent que vous et beaucoup plus efficacement.

M. Brassard: ...a franchi toutes les étapes législatives...

M. Scowen: ...vos commentaires personnels pour vous-même.

M. Brassard: Vous l'avez oublié? M. Rochefort: M. le Président... M. Scowen: S'il commence à lancer...

M. Brassard: Je vous demande... Vous avez oublié...

M. Rochefort: M. le Président, question de règlement.

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin, sur une question de règlement.

M. Rochefort: Je crois que le député de Lac-Saint-Jean, comme les autres députés de l'Opposition, a pleinement respecté le droit de parole du député de Notre-Dame-de-Grâce lorsqu'il a bien voulu s'exprimer. Je pense que la décence serait qu'il nous renvoie l'ascenseur et qu'il respecte notre droit de parole. S'il a des commentaires à faire, il pourra les faire à son tour, M. le Président, calmement, sereinement, sans s'énerver.

M. Scowen: Sur la question de règlement.

Le Président (M. Filion): M. le député de Notre-Dame-de-Grâce, sur la question de règlement.

M. Scowen: Très sereinement, pendant mon intervention, j'ai parlé des idées. Je n'ai attaqué personne. J'ai été mis en question par le député qui parle et c'est pourquoi je l'ai arrêté, et, s'il continue à parler, à faire des attaques personnelles, je vais faire la réplique. S'il se limite à des commentaires sur le fond de la question, je vais l'écouter avec beaucoup d'attention.

M. Brassard: C'est ce que je vais faire. Je vais me limiter, M. le Président, à des commentaires sur le fond simplement pour dire que le député de Notre-Dame-de-Grâce, semble-t-il, a oublié - et cela peut arriver -mais il a oublié que le projet de loi 3 sur la restructuration scolaire, sur une base linguistique, n'est pas resté au feuilleton. Il a franchi toutes les étapes législatives. Il a été adopté en troisième lecture par l'Assemblée nationale en 1984. Ce qui est arrivé par la suite, cependant, c'est que la Fédération des commissions scolaires a contesté la légalité et la constitutionnalité du projet de loi 3 devant les tribunaux. La question que vous vous posiez: Pourquoi ce n'est pas dans le livre bleu? C'est que les jugements des tribunaux sur la validité ou la constitutionnalité de la loi 3 sont arrivés après qu'on eut rédigé le projet d'accord constitutionnel.

Mais il est évident que, si nous avions eu l'occasion d'amorcer, d'enclencher des négociations constitutionnelles, le gouvernement du Parti québécois aurait inclus, vu les décisions des tribunaux, une modification substantielle de l'article 93. Pourquoi? Parce que, préalablement, je pense que tout le monde conviendra qu'on avait manifesté une volonté politique très claire, très ferme en matière de restructuration scolaire au Québec sur une base linguistique puisqu'on avait présenté un projet de loi qui avait fait l'objet d'une large consultation. (22 h 15)

C'est vrai que ce n'était pas unanime, vous avez raison, mais c'était largement majoritaire» C'était favorable, de façon très large. On a manifesté une volonté politique

très claire puisqu'on a fait cheminer ce projet de loi à travers toutes les étapes législatives jusqu'à son adoption. Je pense qu'il faut le dire. Donc, il y avait une volonté politique de la part de notre gouvernement, è l'époque, de faire en sorte que les structures scolaires au Québec soient non confessionnelles et regroupées sur une base linguistique. C'était l'objet du projet de loi 3.

Quant à nous, il est clair que, compte tenu des décisions des tribunaux, si nous avions eu l'occasion d'enclencher des négociations constitutionnelles, cela aurait fait partie de nos conditions constitutionnelles pour faire en sorte que l'article 93 reflète davantage la réalité québécoise des années mil neuf cent quatre-vingt. Je pense que c'est important de le siqnaler.

J'aurais simplement une question à vous poser. Lorsque vous parlez du caractère distinct et de la société distincte, vous ne semblez pas faire confiance ou souhaiter une définition du caractère distinct, étant donné que c'est une clause d'interprétation. Au fond, ce que vous réclamez avec fermeté, c'est que ce ne soit pas une clause d'interprétation sur la société distincte, même définie; au fond, ce que vous réclamez, c'est que l'Assemblée nationale ait pleine et entière compétence en matière linguistique. Au fond, c'est la meilleure garantie pour assurer le progrès et la place du français au Québec. C'est pas mal plus sûr, si j'ai bien compris votre mémoire, qu'une clause interprétative, aussi bien définie soit-elle.

Le Président (M. Filion): Mme Pagé.

Mme Pagé: Je suis une enseignante. Quand je veux que mes élèves comprennent, je dis des choses qu'ils comprennent. Je ne laisse pas mon directeur d'école ou quelqu'un de l'école voisine venir leur interpréter ce que je veux qu'ils comprennent. Je ne laisse pas à d'autres le soin de leur enseigner ce que je pense que je dois leur enseigner. C'est un peu la même chose pour la société distincte. Il faut s'assurer que le droit de l'Assemblée nationale pour légiférer sur les questions linguistiques est garanti. Autrement, ce seront d'autres qui décideront de nos compétences sur cette question. Pour nous, un des critères, un des paramètres essentiels de notre spécificité, c'est l'aspect linguistique. On m'a dit "si j'écris cela, je limite". Je pense qu'on pourrait se permettre d'écrire cela sans limiter, surtout si on fait précéder d'un "notamment" et d'un "entre autres". Mais je pense qu'il est absolument indispensable d'assurer à l'Assemblée nationale du Québec, qu'elle soit en majorité libérale, péquiste ou créditiste s'il y en avait, il faut reconnaître à l'institution démocratique qu'est l'Assemblée nationale du Québec le droit de légiférer sur la question linquistique. C'est notre identité nationale. C'est notre spécificité comme nation, comme peuple au Canada et en Amérique du Nord. Je pense que tout débat constitutionnel qui ne donne pas ces garanties est un débat de juristes qui peut plaire à certaines personnes, mais qui ne répond pas aux besoins des Québécoises et des Québécois.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme Pagé. Je vais reconnaître maintenant M. le député de Mille-Îles que j'ai inscrit.

M. Bélisle: Je laisse mon droit de parole à M. le ministre.

Le Président (M. Filion): Vous laissez votre droit de parole à M. le ministre. M. le ministre, la parole est à vous.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Mme Pagé, le député du Lac-Saint-Jean nous disait tout à l'heure: Si nous avions eu l'occasion d'entamer des négociations constitutionnelles, on aurait discuté de cet article 93. Mme Pagé, vous vous souvenez comme moi de ce petit livre bleu "Projet d'accord constitutionnel". Cherchez dans ce petit livre bleu l'article 93, Le député de Lac-Saint-Jean nous dit: Nous avons reçu hier l'UPA, les cultivateurs, qui sont venus nous dire: Vous oubliez l'agriculture. Il nous dit: Nous on n'aurait pas oublié l'agriculture. Mme Pagé, cherchez donc l'agriculture dans le petit livre bleu. Après neuf ans au gouvernement et une volonté d'établir un nouveau système d'éducation basé sur la langue, ils n'ont pas été capables de s'attaquer au problème. Les questions que vous a posées mon collègue, le député de Notre-Dame-de-Grâce, sont particulièrement pertinentes. C'était intéressant de vous entendre dans cet échange d'idées, et je ne regrette qu'une chose, madame, je regrette que mon collègue, le ministre de l'Éducation, n'ait pas été ici pour participer avec vous -et vous savez comme moi pourquoi le ministre de l'Éducation n'est pas ici, Mme Pagé. Vous représentez aussi un groupe, l'Alliance des professeurs de Montréal, qui présentement est devant les tribunaux, devant la Cour suprême. La relation que je fais, lorsqu'on parle de l'article 93, on parle de liberté de religion. Pour certains cela peut aller à l'encontre de la liberté de religion. Vous êtes devant la Cour suprême pour contester la loi 62, qui n'existe plus parce qu'elle est morte au feuilleton. Nous n'avons pas voulu qu'elle survive, cette loi. Je ne me prononce pas sur le fond, c'est devant les tribunaux, mais nous savons que cette loi nous empêchait de contester des lois qui empêchaient les Québécois et les

Québécoises de recourir à cette présomption d'innocence. Qu'est-ce qu'il y a de plus fondamental dans notre société libre et démocratique que cette présomption d'être innocent? Vous l'avez contesté, c'est devant la Cour suprême. II faut maintenant attendre le jugement parce que cela implique beaucoup de décisions constitutionnelles. Mais il demeure que, lorsque vous nous parlez de l'article 93, vous nous dites: Vous l'avez oublié. Moi je vous dis: Non, nous ne l'avons pas oublié, pas plus que nous n'avons oublié l'agriculture, comme on est venu nous le dire hier. Ce que nous avons fait, Mme Pagé? Dans un premier temps, nous avons fait une première étape, avec cinq points: société distincte, dualité canadienne, Cour suprême, immigration, droit de veto, pouvoir de dépenser. À partir de ce fondement, nous voulons construire, ce qui veut dire que dans une deuxième étape nous allons aborder ce partage des compétences législatives. Nous allons aborder le Sénat. Comme dirait le chef de l'Opposition, c'est prévu. Nous allons aborder les pêcheries, c'est prévu. Nous allons aborder les communications, nous allons aborder aussi d'autres questions qu'à ce moment-là nous allons considérer comme pertinentes. Je peux vous assurer que nous allons étudier sérieusement tous les problèmes que vous avez soulevés ici ce soir. Mon temps est terminé, Mme Pagé, mais je voudrais vous dire que nous avons beaucoup apprécié votre présence. Je vous remercie de vous être déplacée. Je vous remercie de nous avoir fait part de ces commentaires.

Le Président (M. Filion): Mme Pagé, présidente de l'Alliance des professeurs de Montréal, ainsi que Mme Drouin, vice-présidente, je voudrais, au nom de tous les membres de cette commission, vous remercier de vous être déplacées après un avis aussi court. Comme je pense qu'on vous l'a expliqué, cette commission fonctionne à un rythme très accéléré. Néanmoins, je dois vous remercier pour la qualité de votre mémoire ainsi que la collaboration, l'ouverture que vous avez manifestée durant la période d'échanges avec les députés. Merci.

Mme Pagé: Je voudrais vous remercier de m'avoir entendue et j'ose espérer que je serai écoutée.

Le Président (M. Filion): Merci. Nous allons suspendre quelques minutes, permettant ainsi à notre prochain invité, M. Pierre-André Côté, de s'approcher de la table des invités. Nos travaux sont suspendus pour quelques minutes.

(Suspension de la séance à 22 h 25)

(Reprise à 22 h 34)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaîtl Nous reprenons les travaux de la commission.

Avant d'entendre M. Pierre-André Côté, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal - bonsoir, M. Côté -avec la permission des membres de la commission, je voudrais accepter le dépôt des mémoires des organismes suivants, que nous avons entendus cet après-midi: d'abord, le mémoire du Mouvement national des Québécois, le mémoire de l'Alliance des professeurs de Montréal, que nous avons entendu ce soir et, également, du même souffle, le mémoire du professeur Pierre-André Côté, qui est devant nous et dont je peux immédiatement accepter le dépôt.

Je pourrais vous rappeler brièvement notre horaire de demain qui commence à 10 heures jusqu'à midi. Nous avons deux groupes demain matin, le Parti indépendantiste et la Chambre de commerce de la province de Québec. Dans l'après-midi, nous entendrons deux autres groupes et, dans la soirée, trois groupes. Demain soir, nos travaux commenceront à 19 h 30.

Bienvenue, M. le professeur Pierre-André Côté. Je voudrais brièvement lui rappeler nos règles internes quant à cette consultation particulière. Vingt minutes lui sont allouées pour la présentation de son mémoire et les minutes restantes, environ 40, sont partagées à parts égales entre les députés des deux groupes politiques qui forment cette Assemblée.

Bienvenue, M. Côté, et, sans plus tarder, je vous invite à présenter votre exposé.

M. Pierre-André Côté

M. Côté (Pierre-André): Merci, M. le Président. Je veux vous remercier, ainsi que les membres de la commission de me recevoir ce soir. Comme d'autres personnes qui ont comparu devant vous, j'ai moi-même rédigé, un peu à la hâte, aujourd'hui, un petit texte qui vous a été distribué. Permettez-moi de vous en livrer le contenu. Je ne pense pas que j'occuperai les 20 minutes qui me sont allouées; cela laissera davantage de temps pour la discussion.

C'est sous la forme d'une règle d'interprétation constitutionnelle que le principe du caractère distinct de la société québécoise doit être inscrit dans la constitution si on donne suite à l'entente du lac Meech.

Je n'ai aucune prétention au titre de constitutionnaliste. Cependant, je travaille depuis plusieurs années dans le domaine de l'interprétation des textes législatifs. Mes observations porteront non pas sur le fond, non pas sur le contenu du principe proposé,

ni en particulier sur la portée du terme "société distincte" - encore qu'on pourra y revenir tantôt - mais plutôt sur les conséquences qu'il y a à énoncer le principe sous forme de règle d'interprétation.

Auparavant, permettez-moi brièvement de distinguer une règle d'interprétation d'une règle de fond. Quelle est la différence entre ces deux types de règle? On peut dire que, dans n'importe quel système juridique, on peut distinguer deux niveaux de règles. Il y a d'abord des règles de premier niveau, des règles dites de fond du droit, qui régissent les actions de l'État et des particuliers.

Par exemple, le Code de la sécurité routière prescrit des règles de comportement routier. Ce sont des règles qui régissent la conduite - c'est le cas de le dire - des particuliers, ce sont donc des règles de premier niveau. Il peut se soulever, dans l'interprétation ou dans l'application de ces règles de fond, de ces règles de premier niveau, des difficultés qui seront résolues par la mise en oeuvre d'autres règles, des règles de second niveau qu'on appellera parfois des règles d'administration du droit. Par exemple, si quelqu'un est poursuivi pour violation du Code de la sécurité routière et si un doute surgit dans l'application du code, il existe une règle d'interprétation qui veut qu'en matière pénale une difficulté sérieuse d'interprétation soit résolue en faveur de l'accusé.

En droit constitutionnel, comme dans toutes les autres branches du droit, il y a des règles de fond et il y a des règles d'administration du droit. Parmi les règles de fond du droit constitutionnel, on distinguera, notamment, celles qui déterminent le champ de compétence législative de chaque ordre de gouvernement de celles qui consacrent les droits et libertés des citoyens et qui prescrivent à quelles conditions l'État peut restreindre ces droits. D'autre part, parmi les règles d'administration du droit constitutionnel, il y a certains principes qui régissent l'interprétation de la constitution. Lorsque le droit constitutionnel emprunte la forme d'un texte, ce qui n'est pas toujours le cas, il y a des principes qui régissent l'interprétation de ce texte.

Ces principes, ils sont nombreux et leur maniement est délicat. Ils prennent la forme de directives qui sont adressées à l'interprète et, ultimement, au juge, directives qui vont préciser les facteurs qui doivent être pris en considération et les objectifs que l'on doit s'efforcer d'atteindre. Par exemple, le juge est censé préférer l'interprétation qui s'accorde avec le texte de la constitution plutôt que celle qui lui fait violence. Il doit rechercher le but des dispositions qu'il interprète et donner sa préférence à l'interprétation qui s'accordera avec ce but. Il doit faire en sorte que l'interprétation qu'il donne soit en accord avec certains principes fondamentaux du droit constitutionnel, par exemple le principe de la primauté du droit, celui de la souveraineté du Parlement, celui du fédéralisme, etc. Cette tâche d'interprétation est délicate à l'extrême car elle exige la prise en considération de nombreux principes dont aucun n'est en lui-même déterminant. Pour l'avocat, chaque principe d'interprétation constitue un point d'appui pour fonder son argumentation.

En résumé, sur ce premier point, lorsque l'on édicté une règle d'interprétation, on ne change pas ipso facto les rèqles de fond du droit, on ne modifie pas, du moins directement, les pouvoirs du législateur ou les prérogatives des particuliers. Essentiellement, une règle d'interprétation gouverne l'action du juge, l'exercice du pouvoir judiciaire. Ce n'est finalement qu'à travers l'action du juge qu'un principe d'interprétation peut influer sur l'étendue des pouvoirs du législateur.

Cela m'amène à la question principale: Que peut-on attendre au plan concret de la consécration sous forme de règles d'interprétation du principe du caractère distinct de la société québécoise? Poser cette question, c'est demander quel usage les juges feront de ce principe dans leurs décisions. Quel poids accorderont-ils aux arguments que les plaideurs y puiseront? Malheureusement, je ne crois pas que l'on puisse répondre à cette question. En effet, un principe d'interprétation, ce n'est pas une règle stricte, contraignante. On ne peut pour ainsi dire jamais savoir d'avance de façon précise quelle influence un principe d'interprétation aura dans un cas concret donné, ni même de façon générale.

Je vais vous donner un exemple que je tire de notre expérience québécoise. On s'accorde pour dire que les lois au Québec -quand je parle de lois, je parle des statuts; je ne parle pas du Code civil, je parle des lois particulières - ont été interprétées en général de façon limitative plutôt que large, restrictive plutôt que large. Dans te doute, les tribunaux ont, règle générale - je crois que les juristes s'entendent là-dessus - opté pour l'interprétation restrictive des statuts plutôt que pour leur interprétation extensive. Pourtant, il y a dans notre Loi d'interprétation un article qui y figure sous une forme ou une autre depuis 1868 et qui se lit ainsi. C'est un texte que vous devez connaître. C'est l'article 41 de la Loi d'interprétation. Je vous le lis: "Toute disposition d'une loi, qu'elle soit impérative, prohibitive ou pénale, est réputée avoir pour objet de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage. Une telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l'accomplissement de son objet et l'exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin."

La Loi d'interprétation énonce un principe d'interprétation large et libérale des lois et, pourtant, les tribunaux ont plutôt interprété les lois de façon étroite et restrictive. Comment expliquer cela?

Eh bien, je crois que l'explication est assez simple. Le principe qu'énonce l'article 41 n'est qu'un principe d'interprétation parmi d'autres et il n'a pas l'autorité d'une règle stricte. Il y a plusieurs autres principes d'Interprétation dans notre système et, presque tous, ils conduisent à une interprétation restrictive des lois, le plus souvent au nom de la protection de la liberté et de la libre jouissance des biens. L'expérience québécoise et canadienne montre que, de manière générale, Ies tribunaux ont manifesté plus d'affinité pour les principes d'interprétation qu'ils avaient eux-mêmes élaborés que pour ceux que le législateur voulait qu'ils appliquent. Donc, le législateur ou le constituant peuvent introduire une règle d'interprétation dans le système juridique, mais l'expérience montre qu'ils ne peuvent pas obliger les tribunaux à lui donner une importance déterminante dans leurs décisions. (22 h 45)

Les tribunaux auront, en pratique, à choisir entre la société distincte et la liberté d'expression, entre la société distincte et le patrimoine multiculturel du Canada, entre la société distincte et le caractère bilingue du Canada et du Québec. Rien ne permet de savoir où ira leur préférence.

Qu'on me comprenne bien, je ne dis pas que l'inscription du caractère distinct du Québec dans la constitution ne changera rien - au point de vue symbolique, cela aura sans doute une grande importance; au point de vue pratique, un avocat sera heureux de pouvoir s'appuyer sur ce principe pour défendre sa cause - mais je dis qu'on ne peut pas prévoir l'importance que les tribunaux voudront donner à ce facteur dans leurs décisions.

Cette consécration du caractère distinct de la société québécoise, ce n'est pas rien. C'est peut-être mieux que rien. Mais il faut comprendre que seul l'avenir nous dira si c'est vraiment quelque chose. Je vous remercie.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le professeur Côté. Chaque groupe parlementaire a environ 25 minutes et je donne la parole à M. le ministre.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Je voudrais, tout d'abord, remercier M. le professeur Pierre-André Côté d'avoir accepté de venir témoigner devant nous ce soir. Il est 22 h 45. Je sais qu'il a eu une bonne journée de travail, lui aussi. On est heureux de vous entendre et que vous ayez accepté, malgré l'heure un peu tardive, de venir témoigner devant nous.

J'ai donc lu avec beaucoup d'attention ce mémoire que vous nous présentez. Vous nous tracez un peu la toile de fond qui nous permettra de discuter sur les réelles implications de cette inscription dans la constitution que le Québec est une société distincte et que le gouvernement et l'Assemblée nationale ont le rôle de protéger et de promouvoir ce caractère distinct.

Vous nous faites des observations, professeur Côté, en disant: Bien que, dans notre Loi d'interprétation, on dise qu'il faut interpréter les lois de façon large et généreuse, de fait les tribunaux les ont interprétées d'une façon restrictive. Je crois que nous sommes tous d'accord, juristes, pour dire que oui, on a interprété toutes les lois d'une façon restrictive, les tribunaux se référant à l'intention du législateur, règle d'or d'interprétation que vous soulignez, d'ailleurs, très bien dans votre livre qui est un "best-seller" du droit et de très grande qualité, je vous en félicite. Cette règle de l'interprétation limitative par la recherche de l'intention du législateur existe en droit statutaire, mais est-ce la même chose lorsque les tribunaux interprètent une constitution'

M. Côté (Pierre-André): Vous voulez que je réponde?

M. Rémillard: Je vous pose là question.

M. Côté (Pierre-André): La question n'est pas rhétorique? Bon, d'accord. Vous savez très bien, M. le ministre, que l'interprétation constitutionnelle se distinque de l'interprétation des lois ordinaires, comme l'interprétation des lois ordinaires se distingue de l'interprétation civiliste. Cela ne fait pas de doute. Maintenant, je vous donnerai un principe d'interprétation constitutionnelle qui est incontestable: c'est que cette Charte des droits et libertés que nous avons doit recevoir une interprétation large et généreuse. C'est un principe, d'ailleurs, qui va à l'encontre des règles traditionnelles d'interprétation statutaire.

M. Rémillard: Dans l'affaire Edwards, dans les années trente, on a reconnu qu'il fallait interpréter la constitution d'une façon larqe et généreuse, ensuite cet arrêt, comme vous le savez, a été repris par la Cour suprême à plusieurs reprises. Donc, je vous comprends bien en disant que nous mettons de côté l'interprétation statutaire. Nous sommes ici en matière constitutionnelle. Mettons donc de côté ce que vous nous dites en ce qui regarde le droit statutaire. C'est une toile de fond, d'accord. Mais, en ce qui nous regarde, pour notre toile de fond à nous, il faut nous référer à une rédaction regardant la constitution, donc, c'est une

interprétation large et généreuse.

M. Côté (Pierre-André): C'est une interprétation large et généreuse, par exemple, des dispositions qui consacrent la liberté d'expression. Quand un juge a le choix entre un avocat qui lui dit interpréter de façon généreuse la liberté d'expression et un autre qui se fonde sur la clause de la société distincte pour justifier la légitimité du pouvoir exercé - imaginons que c'est par le Québec dans les circonstances - qu'est-ce que le juge fait? Il ne peut pas interpréter largement les deux dans la mesure où les deux sont en conflit. Qu'est-ce qu'il fait? Je vous retourne la question.

M. Rémillard: Qu'est-ce que vous en pensez? C'est vous, l'expert, moi, je suis le politicien.

M. Côté (Pierre-André): Non, non. Pas du tout, pas du tout. J'ai bien dit que je n'étais pas constitutionnaliste. Je pense que le sens de mon message, c'est qu'on ne le sait pas. Je vous ai posé la question et vous me la renvoyez. Je pense que cela démontre que j'ai raison de dire qu'on ne le sait pas, n'est-ce pas? On ne sait pas ce que le juge va faire. Est-ce qu'il va accorder plus d'importance aux valeurs individuelles qui sont consacrées dans la charte, plus d'importance à ces valeurs collectives que vous voulez, à juste titre, inscrire dans la constitution? On ne le sait pas. Certains diront, compte tenu de l'expérience passée, que les tribunaux ont plutôt tendance à accorder de l'importance aux droits individuels. Mais moi, je ne sais pas ce que les tribunaux feront une fois qu'on aura inscrit cette valeur collective dans la constitution. Peut-être que cela changera, mais, encore une fois, je ne le sais pas.

M. Rémillard: Quand il y a un litige devant les tribunaux, peu importe, sur l'interprétation d'un terme, est-ce que vous pouvez prévoir à coup sûr le jugement qu'ils vont rendre?

M. Côté (Pierre-André): Je dirais qu'il faut probablement distinguer. Si l'affaire est en Cour suprême, les chances sont minces puisqu'on ne serait pas là s'il y avait eu une bonne réponse. Si on est en première instance, les chances sont peut-être plus grandes. Dans bien des cas, on ne peut pas prévoir. Mais là, c'est à cause de l'imprécision des règles de droit en général. Ici, ce qu'il faut voir, c'est qu'à toutes fins utiles les règles que l'on propose d'inscrire ne sont pas des règles qui définissent le pouvoir du législateur, mais des règles qui veulent orienter le pouvoir du juge. Je dis bien orienter, pas dicter au juge la conclusion, orienter, agir sur, influer, attirer, mais c'est tout. L'attraction peut venir de deux pôles tout à fait opposés et le juge doit choisir. Je ne voudrais pas être à sa place.

M. Rémillard: Vous ne voulez pas être juge? Ah! Ah! Écoutez, on est, bien sûr, dans le contexte d'une règle d'interprétation. Si je vous lisais ceci: Le style de rédaction peut également avoir une influence sur l'accent mis sur le texte ou la finalité. Une rédaction détaillée est de nature à favoriser l'approche littérale. Elle rend souvent l'objet ou les principes de la législation difficiles à découvrir et le législateur ayant supposément pensé à tout, l'interprète peut se sentir justifié de ne pas penser à tout, de ne penser à rien et d'appliquer le texte à la lettre sans y ajouter ou en retrancher et sans s'interroger sur son objet. A contrario, une rédaction en termes généraux peut rendre plus facile la connaissance de la finalité de la loi, de sa structure, de ses principes et elle fait appel pour son application à une collaboration plus larqe du juge, cette collaboration accentuant l'importance de l'objet.

M. Côté (Pierre-André): Bien, écoutez, tout ce que je peux ajouter, c'est qu'une rédaction large accentue le pouvoir du juge. Je pense que c'est ce que je vous ai dit. À ce moment, dans un contexte où le juge n'a pas une règle de conduite qui lui est dictée noir sur blanc, il est obligé de chercher des guides. Parmi ces guides, il y a le but que recherche la règle. Je pense que tantôt j'ai énoncé, parmi les règles d'interprétation constitutionnelle, cette règle qui veut que, dans le doute, on doive préférer l'interprétation qui permet à la loi d'atteindre son but.

Maintenant, le but de la clause de la société distincte, c'est un but. La Charte des droits et libertés a un autre but. À ce moment, il va y avoir des conflits entre les deux buts ou des conflits entre tes valeurs. Encore une fois, vous savez très bien, M, le ministre, que les juges devront trancher ces conflits entre des intérêts, entre des valeurs, entre des buts contradictoires.

M. Rémillard: M. le professeur, dans ce texte-ci, il est clair qu'une rédaction en termes généraux peut donc rendre plus facile la connaissance de la finalité de la loi. Vous êtes d'accord avec ça?

M. Côté (Pierre-André): Je n'ai aucun problème avec cela parce que je l'ai écrit.

M. Rémillard: Donc, dans ce contexte, puisque vous l'avez écrit très bien dans votre livre, il faut comprendre que, si on laisse les termes d'une façon plus générale, on donne une interprétation possible en fonction de la

loi. En fait, ce que je voulais discuter par ce premier commentaire, c'est la possibilité, comme certains nous l'ont suggéré, de définir ce qu'est la société distincte. J'aimerais avoir votre opinion sur ce sujet.

M. Côté (Pierre-André): Mon point de vue, c'est que cela dépend un peu de ce que l'on anticipe dans l'interprétation. Si je pouvais dire: L'interprétation sera généreuse, je dirais: Ne définissez pas. Laissez vivre, laissez croître cet arbre, pour employer les termes de lord Sanbrey. Si l'on craint que cette interprétation ne soit pas aussi généreuse qu'on le souhaiterait, alors, je dis: Rédigez, précisez, mais sans empêcher l'arbre de vivre, c'est-à-dire réglez certaines questions, assurez-vous que certains éléments seront dans la société distincte, mais ne permettez pas à la source de se tarir. Mettez un "notamment" qui va permettre à l'interprétation de continuer à faire son travail et à adapter cette disposition aux exigences de l'avenir.

M. Rémillard: Vous me dites donc: Si on veut être plus précis, on peut prendre le terme "notamment". Pourtant, la tendance actuelle de la jurisprudence semble être que, même avec des "notamment", les tribunaux interprètent très restrictivement l'énumé-ration, soit par l'utilisation de la règle ejusdem generis, c'est-à-dire qu'on va rechercher un élément du même genre que ceux qui sont énumérés, ou soit parce qu'on considère que, si on ne l'a pas compris à l'intérieur de l'énumération, on l'a exclu de l'intention du législateur, de la recherche de l'intention du constituant.

Dans ce contexte, il y a, bien sûr, des exemples particulièrement intéressants dans la constitution canadienne. Prenons l'article 92.(13), parce qu'on est en matière de rédaction constitutionnelle, de l'acte de 1867 sur le partage des compétences législatives. À cet article 92.(13), les Pères de la confédération ont écrit: Sont de la compétence des provinces "la propriété et les droits civils". Et quand on se réfère au débat qu'ont eu les Pères de la confédération, ici à Québec, en 1864, on s'aperçoit que certains voulaient que ce soit beaucoup plus précis, qu'on précise et d'autres disaient: Non, il ne faut pas préciser. Les résultats, vous les connaissez comme moi. Il y a eu une interprétation large et généreuse. Et, parce que cela n'a pas été défini par l'article 92.(13), cela a permis aux provinces de légiférer sur tes assurances, sur les conventions collectives, les droits des ouvriers, les valeurs mobilières, en fait sur bien d'autres sujets qu'on a rattachés à l'article 92.(13) parce que ce n'était pas défini.

À l'article 91, lorsqu'on a établi le principe de ce pouvoir général de légiférer pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement, - le gouvernement canadien - on a dit: Attention, il va falloir, quand même, qu'on donne des exemples. Là, on a voulu donner des exemples en disant: Sans restreindre la généralité de ces termes. On l'a mis en plus parce qu'on savait, on avait peur de restreindre. Vous connaissez le résultat de la jurisprudence qui a même empêché le pouvoir ancillaire de s'appliquer dans des cas où ce ne sont pas des sujets qui sont énumérés; interprétation restrictive, là encore.

À l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés sur l'égalité, le principe de non-discrimination, il y a une énumération. On commence à avoir une jurisprudence qui nous dit: Avant d'ajouter d'autres sujets, il faudrait comprendre qu'il faudrait que ce soit du même genre ou bien ce qui n'a pas été compris a été exclu. Vous avez, à ce moment-là, l'arrêt Andrews versus Law Society of British Columbia; vous avez l'affaire de French Laboratories versus Procurator general of Canada; vous avez des causes que vous connaissez autant que moi, même mieux que moi. La Cour suprême a considéré récemment que le thème de l'administration de la justice se limitait à la constitution, au maintien et à l'organisation des tribunaux provinciaux et ne pouvait s'étendre à la poursuite en matière criminelle. C'est l'article 92.(14). Je cite la Cour suprême qui nous dit: "Le paragraphe 92.(14) réduit donc la portée de la compétence en matière de droit criminel conférée par l'article 91, mais seulement quant à ce qui touche la création, le maintien et l'organisation des tribunaux de justice pour la province ayant juridiction criminelle." Donc à toutes fins utiles, parce qu'on a énuméré, on a restreint.

Vous-même, vous nous mettez en garde, dans votre livre, contre cette technique d'utiliser des clauses "notamment" en disant que c'est un principe qui peut, peut-être, donner des indications au tribunal, mais qu'il y a autant de chance que cela puisse aller en sens inverse, que cela limite, que cela restreigne. Le risque est là. Vous l'écrivez vous-même à la page 462. (23 heures)

M. Côté (Pierre-André): Je suis conscient des avantages et des inconvénients de définir. Ici, on a le choix entre les inconvénients, au fond. Quelqu'un a écrit, et je pense que c'est très juste, qu'on ne peut pas contrôler l'interprétation, on ne peut qu'essayer de la prévoir. Je pense que c'est tout ce qu'on peut faire. S'il y a une volonté d'interpréter restrictivement ces dispositions - votre propos me laisse croire que peut-être cela peut exister - effectivement, une définition, même sans restreindre la portée de ce qui précède, peut être l'occasion d'une interprétation restrictive. Je pense que cela illustre encore une fois mon propos. Quand

on rédige pour les jugps, ensuite, ce sont les juges qui utilisent les textes.

M. Rémillard: Si je comprends bien, professeur, vous nous dites que, si on définît ou si même on énumère avec un "notamment", comme vous le disiez tout à l'heure, il y a de sérieux risques, comme vous l'écrivez à la page 260...

M. Côté (Pierre-André): Si l'interprétation est généreuse, on ne court aucun risque.

M. Rémillard: Si vous mettez des interprétations.

M. Côté (Pierre-André): Si l'interprétation est généreuse et vous m'avez dit qu'en matière constitutionnelle l'interprétation doit être généreuse.

M. Rémillard: Oui, mais c'est vous qui êtes l'expert. Vous écrivez, à la page 260, qu'il y a des risques qu'on se retrouve devant une interprétation limitative, restrictive. Vous citez même des précédents.

M. Côté (Pierre-André): Ce que je dis, c'est que, si quelqu'un veut donner une interprétation limitative, il peut trouver là un motif de donner une interprétation limitative. C'est ce que je dis.

M. Rémillard: Oui, c'est exactement cela. Le motif est là pour donner une interprétation limitative.

M. Côté (Pierre-André): C'est l'occasion.

M. Rémillard: L'occasion est là.

M. Côté (Pierre-André): L'occasion est donnée.

M. Rémillard: L'occasion fait le larron.

M. Côté (Pierre-André): Si l'interprétation est négative et restrictive, on court peut-être encore plus de risques avec une clause qui n'est pas définie parce qu'à ce moment-là...

M. Rémillard: D'une part, il y a un risque parce qu'on dit: Si ce n'est pas défini, il y a un risque; d'autre part, si c'est défini, il y a un risque aussi. Et là il y a une interprétation du risque que vous devez faire. Là, vous nous dites: Cela dépend de l'interprétation globale qu'on va faire. Je vous suggère quelque chose parce que là, on est devant deux risques. C'est le beau risque, quoi!

M. Côté (Pierre-André): C'est souvent comme cela.

M. Rémillard: Professeur Côté, est-ce qu'on pourrait se référer à l'intention du constituant?

M. Côté (Pierre-André): Vous pouvez me le décrire, ce constituant?

M. Rémillard: Ce que la Cour suprême a appelé l'intention du constituant dans l'arrêt Skapinker, entre autres. Vous vous le rappelez?

M. Côté (Pierre-André): Écoutez, c'est évident que l'on peut se référer, dans l'interprétation des lois, à l'intention du législateur ou du constituant.

M. Rémillard: Donc, le législateur pourrait se référer à l'intention des onze premiers ministres pour interpréter la constitution.

M. Côté (Pierre-André): Je crois que vous connaissez bien la jurisprudence de la Cour suprême là-dessus. Les tribunaux ont hésité à dire que c'étaient uniquement les gens qui avaient mis la main à la pâte qu'on devait considérer comme étant le constituant. Là, cela m'obligerait à faire des développements sur la possibilité d'avoir recours à l'intention des personnes qui ont participé au processus pour établir l'intention du constituant. L'intention du législateur, est-ce que c'est l'intention du ministre, est-ce que c'est l'intention du député qui vote pour? Écoutez, c'est un grand débat.

M. Rémillard: Oui, mais dans l'affaire Skapinker... Le chef de l'Opposition a fait cette référence cet après-midi, je pense, en disant qu'il y avait l'intention du constituant en ce qui regarde l'application de l'article 23 en fonction de l'article 73 de la loi 101. C'est l'affaire de la toi 101 où on s'est référé à l'intention du constituant. Â ce moment-là, vous savez que la Cour suprême a été assez claire sur l'intention du constituant.

Dans ce contexte, j'essaie simplement de voir avec vous, professeur Côté, une évaluation du risque. Plusieurs avis juridiques, de plusieurs sources différentes parmi les plus éminents juristes, nous disent: Attention, le risque que vous avez en définissant, même avec un "notamment" et toutes les clauses, est beaucoup trop élevé par rapport à ce que vous pouvez en retenir, surtout en prenant en considération l'intention du constituant qui est, par tous ces exercices démocratiques que nous avons, de plus en plus évident.

M. Côté (Pierre-André): Vous me parlez de l'intention du constituant. Si on se met à lire les travaux préparatoires et qu'on

s'aperçoit que les provinces ont refusé, à toutes fins utiles, de consacrer par des textes habilitants le caractère distinct du Québec, je ne sais pas si cela aura beaucoup de poids dans l'interprétation généreuse de cette clause de société distincte.

Le Président (M. Filion): Cela va, M. le ministre?

M. Rémillard: Pour le moment, oui.

Le Président (M. Filion): Oui. Je vais reconnaître maintenant M. le chef de l'Opposition. Vous avez environ 25 minutes.

M. Johnson (Anjou): Le ministre a pris combien de temps?

Le Président (M. Filion): Le ministre a pris 18 minutes.

M. Johnson (Anjou): Alors, professeur Côté, je dois vous dire comme vous êtes une bouffée d'air frais en dépit de l'heure ici. Il n'y a pas de fla-fla, il n'y a pas de placotage, c'est clair, limpide, trois pages et demie qui nous disent quoi? Qui nous disent précisément que, contrairement, je crois - je ne veux pas travestir vos propos, professeur Côté - à ce que ce ministre nous raconte depuis une semaine, la seule chose qu'on peut conclure de ce qu'on a devant nous, c'est qu'on ne le sait pas. Je crois que c'est cela, l'objet de votre prose.

M. Côté (Pierre-André): Ce que j'ai dit.,.

M. Johnson (Anjou): Vous ne venez pas nous dire que c'est bon ou que c'est mauvais. Vous nous dites: On ne le sait pas et nous aurons la réponse au fur et à mesure que leurs seigneuries se pencheront sur les cas.

Deuxièmement, le ministre se promène depuis des semaines pour expliquer que la batterie des experts, les plus grands du Canada, y compris quelques-uns assis derrière lui, lui auraient expliqué que l'énumération est dangereuse. Et alors, lui, de citer le "Peace, Order and good Government". On se souvient de la clause de 91 qu'on a faite, si je me souviens bien, en deuxième année de droit, pour reprendre une expression favorite de quelqu'un qui a déjà témoigné. Moi, mon souvenir, c'est que la doctrine et la jurisprudence, contrairement à ce que disait le ministre tout à l'heure au sujet de l'interprétation restrictive de "Peace, Order and good Government" à l'article 91, du fait qu'il y avait une liste de seize éléments énumérés par la suite, y compris un la) et un 2a).,. Cette interprétation restrictive est venue du fait que, si ces matières n'avaient pas été dans la liste de l'article 91, elles auraient été présumées par définition être dans l'article 92 et c'est pour cela qu'on les a interprétées restrictivement. Deuxièmement, cela n'a pas empêché les tribunaux, le ministre s'en souviendra, de déclarer la théorie des urgences ou des dimensions nationales. Dans le cas des dimensions nationales, on sait que le Québec l'a toujours rejetée.

Alors, je pense que le ministre, de ce côté, quant à la doctrine et même à la jurisprudence, s'est arrêté à un moment du Conseil privé et qu'il a oublié la suite des événements, parce que, par la suite, la raison pour laquelle la théorie du "Peace, Order and good Government" était restreinte a été parfaitement élaborée par le Conseil privé. Je pense que le ministre avait des références qui dataient là-dessus.

Cela dit, professeur Côté, je suis bien conscient que ce que vous nous dites, c'est: On ne le sait pas. Deuxièmement, je crois comprendre que vous ne voulez pas être sur la liste du premier ministre pour la Cour suprême, en disant que vous les plaignez bien, ces juges, pour le moment en tout cas. Je prends le communiqué du lac Meech. D'abord, je pose également la question que j'ai posée à Me Duplé: Est-ce que c'est la version française ou la version anglaise qui prévaudra dans le cas de la société distincte devant la Cour suprême, à votre avis?

M. Côté (Pierre-André): La version qu'on ne connaît pas, alors? Ha! Ha! Ha!

M. Johnson (Anjou): Oui, oui. C'est bien, oui. Ha! Ha! Ha! On n'a pas les textes.

M. Côté (Pierre-André): Encore une fois, il y a un principe qui veut que les deux versions aient pareillement autorité.

M. Johnson (Anjou): Voilà! Et si, pour une raison ou pour une autre, l'interprétation des mots, compte tenu du cas qui est étudié, amène des interprétations différentes en anglais et en français, laquelle prévaut?

M. Côté (Pierre-André): C'est celle que la cour décidera de retenir.

M. Johnson (Anjou): Alors, cela peut être le sens commun ou le "common sense".

M. Côté (Pierre-André): Je vais reprendre le vocabulaire: celle qui d'après la cour correspondra à l'intention du constituant.

M. Rémillard: Cela, c'est intéressant.

M. Johnson (Anjou): Ah boni

Deuxièmement, l'intention du constituant. Puisqu'on y est, juste une remarque pour le ministre. Dans la cause du

Protestant School Board, datée de juillet 1984, les dispositions des articles 72 et suivants de la loi 101 ont sauté, c'est l'article 23. Nous, on prévoyait la "clause Québec", on s'en souvient, dans la loi 101. Le constituant, il faut se comprendre, il a un nom, il s'appelle Pierre Elliott Trudeau. Il avait décidé que c'était l'article 23 de la charte canadienne. Le hic, c'est que l'article 23 de la charte canadienne qui établit la "clause Canada" reprend $ peu près mot à mot la formulation de la loi 101, mais change le mot "Québec" pour le mot "Canada". Ce n'était pas bien compliqué. Je pense qu'il ne fallait pas nécessairement être à la Cour suprême depuis 50 ans pour constater qu'il y avait une intention manifeste.

C'est, d'ailleurs, ce que nous disent les juges de la Cour suprême. Il y a une intention très claire en utilisant ce vocabulaire, nous dit la Cour suprême, que le but du constituant, c'est-à-dire Pierre Elliott Trudeau et les autres premiers ministres, c'était de renverser les dispositions de la loi 101 en matière d'éducation. Je vais vous dire, entre vous et moi: On l'a donc senti le jour où il a rapatrié! On n'a pas besoin de la Cour suprême pour savoir cela. Le jour où on a vu l'article 23, c'était le décalque des articles de la loi 101, mais on avait changé le mot "Québec" pour le mot "Canada". Je pense que c'était clair. Pour le reste, l'intention du constituant, je ne sais pas si ce sont les propos d'hier soir ou d'avant-hier soir du ministre - et ça, c'est mon problème - dans la mesure où la Cour suprême s'intéressera aux échanges que nous avons eus à cette commission. Pour une raison ou pour une autre, j'en doute. Je pense que le but du constituant ne sera pas toujours évident, selon que le ministre parlait à 11 h 15 le matin ou à 11 h 15 le soir sur le même sujet, deux jours différents, après le témoignage d'experts différents.

En ce sens, je crois que la sagesse des propos de Me Côté, c'est de nous dire qu'on ne le sait pas. Et, dans la mesure où on ne le sait pas, ce sera quoi la portée de la société distincte? Ce que nous dit Me Côté, c'est que, si vous pensez que, pour la constitution, l'interprétation va être généreuse, alors si vous faites une énumération, ils vont être généreux avec l'énumération et ils vont être généreux en disant que ce n'est pas limitatif si on met le mot "notamment". Si vous pensez que l'interprétation par la Cour suprême, ce sera restrictif à l'égard du Québec - Dieu sait qu'historiquement, si on regarde les jugements depuis quelques années, cela a eu tendance à être restrictif - à ce moment-là, l'énumération vient de vous permettre de sauver les meubles sur quelques affaires.

Une voix: C'est le contraire.

Une voix: Mais non, mais non, mais non.

M. Johnson (Anjou): Non, non, non, non, non. Absolument pas. Je m'explique. La société distincte, est-ce que cela veut dire beaucoup ou pas beaucoup? Si vous pensez que la société distincte, cela veut dire beaucoup - c'est votre théorie, d'ailleurs; cela veut dire tout, d'ailleurs; tout est dans tout et rien dans rien; cela m'a l'air - si vous pensez vraiment que la Cour suprême aura une interprétation généreuse, là vous diriez, parce que vous présumez qu'elle risque d'être généreuse: Bien, n'énumérons rien parce qu'elle sera généreuse et elle permettra au concept de société distincte de s'appliquer à tout. Même qu'à un moment donné on va avoir deux systèmes de partage des pouvoirs au Canada, au bout de quinze ans. Bon. Par contre, Me Côté nous disait, je crois, que si vous présumez que l'interprétation est généreuse en droit constitutionnel, qu'est-ce qui vous empêche d'énumérer avec le mot "notamment"? Cela n'empêchera pas que l'interprétation soit généreuse. C'est l'hypothèse où ils sont généreux dans l'interprétation.

Maintenant, prenons l'hypothèse où ils sont restrictifs - ils et elles - à la Cour suprême. S'ils sont restrictifs dans la notion de société distincte, qu'ils ont décidé que cela s'appliquait essentiellement au Canada bilinque, que cela restait dans le paragraphe (1) qui parle au paragraphe (2), et inversement, que cela ne déborde pas tellement de cela et que cela ne passe pas le test d'une disposition spécifique, par exemple, de la charte des droits, à ce moment-là l'intérêt, c'est d'énumérer pour être sûr qu'on couvre un certain nombre de réalités: par exemple, la réalité linguistique, la réalité culturelle, la réalité de toute l'extension - et de ce qu'on peut formuler le plus clairement possible -de ce que cela signifie, la société distincte, au moins au sens commun, celui du constituant et non pas celui de l'incertitude des juges de la Cour suprême.

En ce sens, je demanderais à Me Côté s'il considère qu'il y a des failles dans mon raisonnement et je lui dirai qu'il est là pour me les rappeler et que je n'en prendrai pas ombrage.

M. Côté (Pierre-André): Vous avez passé. Vous avez la note de passage et beaucoup plus.

M. Johnson (Anjou): Je vous remercie. Vous êtes bien aimable.

M. Côté (Pierre-André): Pas de problème, mais je suis dans la correction actuellement. C'est pour cela que je vous réponds comme cela. Je voudrais que l'on clarifie une question ici. On a parlé des

constituants. On s'est demandé: Est-ce que la Cour suprême viendrait voir ce qui s'est dit aujourd'hui ou ce qui s'est dit ailleurs? Je dois vous dire qu'assez récemment la cour a pris en considération des propos qui avaient été tenus lors de l'élaboration de la Charte canadienne des droits et libertés et elle a dit: Le constituant, ce ne sont pas les gens qui ont travaillé à l'élaboration de cette constitution. On peut tenir compte de ce qu'ils ont dit, de ce qu'ils ont voulu, mais l'intention du constituant, c'est l'intention que le texte manifeste. Si on peut tenir compte de ce qui s'est dit, il ne faut y accorder qu'un poids minimal, a-t-on dit.

M. Johnson (Anjou): J'aurais une autre question, Me Côté. Combien de temps nous reste-t-il?

Une voix: Quinze minutes. (23 h 15)

M. Johnson (Anjou): Quinze minutes. Une question assez brève. Je comprends, encore une fois, qu'on est dans le domaine de la stratosphère, surtout que vous avez réussi cette culbute qu'on a imposée à tous nos experts - quand je dis "nos", je parle de ceux de la commission - à tous ceux que nous avons entendus de devoir travailler sur autre chose que des textes juridiques. Je dois vous dire que je reconnais qu'il y a, dans votre attitude, comme dans celle de vos collègues qui vous ont précédé, je pense, un sens du risque assez extraordinaire de venir témoigner en l'absence de textes juridiques. Je vous remercie de cela.

Mais toujours dans cette hypothèse que les principes que nous avons dans le lac Meech - oui, dans le lac Meech - sont du droit, est-ce que, d'après vous, la Cour suprême, devant une jurisprudence abondante autour, par exemple, de la notion de liberté d'expression qui se ferait au fur et à mesure des années... C'est déjà commencé, d'ailleurs; 70 % des travaux de la Cour suprême portent sur l'interprétation de la charte, si je comprends bien. Cela va continuer de même pendant dix ans. D'après vous, lors de la contestation d'une loi québécoise par une personne, par exempte, dans le secteur linguistique, compte tenu de la rédaction que nous avons, entre un principe élaboré par la Cour suprême sur la nation de liberté d'expression et Ies mots "société distincte", lequel des deux va l'emporter comme principe d'interprétation?

M. Côté (Pierre-André): Je pense que ce que je vous ai dit, c'est qu'on ne le sait pas.

M. Johnson (Anjou): On ne peut pas affirmer...

M. Côté (Pierre-André): On ne peut pas. On ne peut que supputer.

M. Johnson (Anjou): On ne peut que supputer. On ne peut pas affirmer catégoriquement, comme il m'est arrivé de l'entendre, ici, à plusieurs reprises, qu'il est très clair que la société distincte permettra, chaque fois qu'il y aura des conflits, d'éclairer la Cour suprême et de présenter cela comme une espèce de certitude mathématique que la Cour suprême va faire en sorte que c'est la société distincte qui l'emporte tout le temps sur la charte canadienne. On ne peut pas affirmer cela, si je comprends bien. On ne le sait pas.

M. Côté (Pierre-André): Je ne le crois pas.

M. Johnson (Anjou): Ca pourrait que ça arrive, mais...

M. Côté (Pierre-André): Effectivement et on a chacun notre opinion sur les possibilités que ça arrive. On verra à ce moment. Je vais vous corriger, parce que ce ne sont pas les textes que la Cour suprême va interpréter sur la liberté d'expression. Ce sont des textes constitutionnels qui, eux aussi, doivent avoir une interprétation large et généreuse. On a deux interprétations généreuses de deux principes inconciliables peut-être, dans un cas concret.

M. Johnson (Anjou): Voilà. On ne peut pas à la fois être généreux sur l'extension de la liberté des personnes et sur le concept de droits collectifs qui s'appelle une société.

M. Côté (Pierre-André): II faut, malheureusement parfois, choisir. Il faut choisir.

M. Johnson (Anjou): II faut qu'à un moment donné on se décide. D'accord. Quant à moi, je pense qu'on a fait pas mal le tour. Encore une fois, je considère que vos propos sont extrêmement éclairants, ils sont limpides. En tout cas, ils nous révèlent des univers d'incertitude devant nous. Mais c'est cela qui rend le droit intéressant. Je ne suis pas sûr que ça rend l'avenir des peuples intéressant, mais cela rend le droit intéressant.

M. Côté (Pierre-André): Je ne veux pas être juge, mais j'aimerais être avocat.

Le Président (M. Filion): Merci.

M. Rémillard: Oui, vous venez de dire que vous aimeriez être avocat et, de fait, il faut bien comprendre que c'est la preuve qui peut faire en sorte que le tribunal penchera d'un côté ou de l'autre. On n'a pas parlé beaucoup du travail de la preuve devant le

tribunal. Il faut comprendre qu'il y a une plaidoirie à faire et qu'on devra plaider une société distincte et un rôle qui appartient maintenant à l'Assemblée nationale et au gouvernement du Québec de protéger et promouvoir. Vous avez là un jeu d'interprétation aussi sur lequel je ne vous ai pas entendu et qui donne donc une base juridique nouvelle que vous n'explicitez pas dans votre texte, mais qui peut servir, le aussi, à l'interprétation comme telle.

M. Côté (Pierre-André): Tout à fait. Je suis tout à fait d'accord.

M. Rémillard: Donc, jusqu'à présent, on n'a pas tenu compte, dans nos discussions, de ce troisième paragraphe. Je le gardais pour la fin parce que c'est vraiment un élément qui vient mettre le chapeau. D'une part, on reconnaît la société distincte et on en a discuté depuis tout à l'heure. D'autre part, on confirme un rôle, c'est le rôle - et vous savez quelle implication on peut donner au point de vue de l'interprétation législative à ce mot rôle - de protéger et de promouvoir ce caractère spécifique. Donc, c'est dans ce contexte que la règle d'interprétation est élaborée et qu'elle doit s'appliquer.

Dans ce contexte, je me réfère à ce que disait le juge Turgeon, de la Cour d'appel, en 1980. Vous le citez aussi dans votre livre, je crois, lorsqu'il dit: "Le terme générique ou collectif qui complète une énumération se restreint à des choses du même genre que celles qui sont énumérées même si, de par sa nature, ce terme générique ou collectif, cette expression générale est susceptible d'embrasser beaucoup plus".

M. Côté (Pierre-André): C'est dans l'interprétation statutaire, n'est-ce pas?

M. Rémillard: C'est dans l'interprétation qui est à la ligne. On se demande où vraiment le tribunal va tracer cette ligne, comme vous l'avez dit au départ dans votre exposé. D'ailleurs, tout votre texte est en fonction d'une interprétation statutaire. Vous-même, vous avez fait votre texte sur l'interprétation statutaire. Nous espérons une interprétation large et généreuse, bien sûr.

Dans ce contexte, je comprends, et je reviens à votre phrase de départ, lorsque vous dites qu'une rédaction détaillée est de nature à favoriser l'approche littérale, lorsqu'on évalue le risque et qu'on se réfère à l'intention du constituant. Si vous me permettez une dernière remarque sur l'intention du constituant, en 1982, c'était peut-être un peu difficile de situer le constituant. Maintenant, avec la formule d'amendement, le constituant sera beaucoup plus facile à déterminer puisqu'il y aura des résolutions législatives avec débats parlementaires dans chacune des Assemblées législatives et au Parlement canadien.

Vous connaissez mieux que moi les décisions de la Cour suprême, les décisions du juge Lamer, entre autres, fort remarquables et remarquées. Dans ce contexte, c'est à nous d'apprécier ce risque. Pour nous, de par tous les avis que nous avons, nous sommes convaincus qu'il ne faut pas prendre le risque de définir ou d'énumérer, mais qu'il faut laisser au tribunal le soin d'interpréter d'une façon qui soit la plus complète possible, en se référant à l'intention du constituant et en se référant à ce passage que vous n'avez pas commenté - et j'aimerais vous entendre là-dessus, si vous le permettez - sur ce rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement de protéger et de promouvoir le caractère distinct.

M. Côté (Pierre-André): Je pense que j'ai dit tout à l'heure qu'en pratique c'était mieux d'avoir un argument que de ne pas en avoir. Je pense que l'avocat qui veut défendre le pouvoir du Québec se fondera non seulement sur la disposition d'interprétation, mais également sur cette déclaration de principe. Je dirais que c'est le rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement de protéger et de promouvoir ses traits distinctifs.

Maintenant, quand on dit...

M. Rémillard: Vous me permettez...

M. Côté (Pierre-André): ...que c'est le rôle, est-ce qu'on dit qu'il y a des pouvoirs qui vont avec ce rôle ou si on dit simplement que les pouvoirs que vous avez déjà, vous devrez les utiliser de manière à promouvoir et à protéger les valeurs qui sont décrites plus haut? Je ne sais pas si on peut considérer que c'est un texte habilitant.

M. Rémillard: M. Côté, vous me dites que c'est un engagement de principe.

M. Côté (Pierre-André): Je dis que c'est une déclaration de principe.

M. Rémillard: Une déclaration de principe. Quelle différence faites-vous - je pense que ce serait important de vous entendre là-dessus - entre ce rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement de protéger et de promouvoir la langue française et le texte qu'on peut retrouver à l'article 36.(2), que vous avez vous-même commenté, de la Loi constitutionnelle de 1982, qui se lit comme suit: "Le Parlement et le gouvernement du Canada prennent l'engagement de principe de faire des paiements de péréquation propres à donner aux gouvernements provinciaux des revenus

suffisants, -etc?" Vous l'avez vous-même commenté. Je pense que vous vous souvenez de ce que vous avez écrit en cette matière.

M. Côté (Pierre-André): Non, je ne le crois pas. Je pense que là on tombe vraiment dans le droit constitutionnel. Personnellement, en général, j'ai tendance à croire qu'une déclaration, qu'elle soit faite sous forme de règle d'interprétation, qu'elle soit faite dans le préambule ou qu'elle soit faite à l'intérieur de la loi, mais sous forme de déclaration de principe, ce n'est pas habilitant en soi. Cela influe sur l'interprétation des dispositions habilitantes, mais ces dispositions sont ailleurs, elles sont à l'article 92.

M. Rêmillard: Vous écrivez qu'on ne connaît pas la portée de l'article 36 qui pourrait être considéré comme exécutoire ou déclaratoire de droits.

M. Côté (Pierre-André): Vous pouvez me rafraîchir la mémoire. Où est-ce que cela a été publié? Je regrette, je ne me souviens pas.

M. Rémillard: Bien sûr, c'est une déclaration de principe et c'est écrit ainsi. Je voudrais souligner que, dans la déclaration du lac Meech, on ne parle pas d'une déclaration de principe.

M. Côté (Pierre-André): Oui, mais on peut considérer que cela en est une, même si ce n'est pas écrit.

M. Rémillard: Vous, vous le considérez ainsi, mais, quand le constituant a voulu en faire une déclaration de principe, il y a un précédent dans la constitution, c'est l'article 36.(2) où il écrit que c'est en principe. Là, il ne l'indique pas. Est-ce que le constituant a parlé pour ne rien dire?

M. Côté (Pierre-André): Vous connaissez comme moi l'autorité du principe d'uniformité d'expression. Alors, parfois il arrive que des constituants s'expriment différemment dans des circonstances différentes.

M. Rémillard: J'ai terminé et je voudrais vous remercier d'avoir témoigné.

Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Une dernière question, très rapidement, je sais que vous êtes concis dans vos réponses, maître. La Charte canadienne des droits et libertés a comme objectif - c'est un mot qui n'est pas très populaire de ce temps-ci, qu'il soit national ou pas - de protéger les droits individuels. Or, il arrive - c'est ce qui se passe de façon générale devant les tribunaux - que beaucoup de lois sont contestées au nom des droits individuels. Or, quant au principe de société distincte, dans une clause essentiellement d'interprétation et non pas une clause de droit substantif - je pense qu'on a établi cela tout à l'heure - quelle est la tendance, en ce moment, des tribunaux entre trancher dans du droit substantif visant à protéger les droits individuels et protéger des notions de droit collectif?

M. Côté (Pierre-André): Je pense qu'en général - je pourrais reprendre ce que j'ai dit au sujet de l'article 41 de la Loi d'interprétation - les tribunaux, traditionnellement, se sont montrés plus sensibles aux arguments mettant de l'avant la protection des droits et libertés individuelles qu'à des arquments faisant valoir des besoins coltectifs. Est-ce que l'inscription du principe dans la constitution changera quelque chose? C'est possible, mais, encore là, on ne le sait pas.

M. Johnson (Anjou): Merci, maître.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Le temps du groupe ministériel est terminé. J'aurais peut-être une ou deux questions, professeur Côté. On parle beaucoup, lorsqu'on étudie cette clause, du caractère distinct du Québec au paragraphe (3). Je pense que, dans votre exposé, vous avez exprimé toute la portée, en somme, de l'incertitude de cette règle d'administration du droit, avez-vous dit.

Je voudrais attirer votre attention sur le paragraphe (2), où le Parlement canadien et toutes les Législatures provinciales, y compris, bien sûr, cette Assemblée nationale, prennent l'engagement de protéger la caractéristique fondamentale du Canada déjà définie au paragraphe (1) comme étant le caractère bilingue.

Or, je dois comprendre - vous me corrigerez - qu'il s'agit, là aussi, d'une rèqle d'administration du droit et non pas de ce que vous avez défini comme étant une règle de fond du droit. Est-ce que je me trompe, d'abord, sur ce point?

M. Côté (Pierre-André): Je pense -c'est ce que je viens d'exprimer - que les paragraphes (2) et (3) présentent certaines analogies, effectivement, avec des règles d'administration du droit. Ce ne sont pas des règles qui, à mon avis - là, ce n'est qu'un avis - créent des pouvoirs, qui imposent des devoirs qui seraient susceptibles de sanctions; en tout cas, la sanction peut être extrêmement difficile, autrement qu'à travers l'interprétation des autres dispositions, des dispositions de fond de la constitution. C'est

plus clair, me semble-t-il, dans le cas du paragraphe (3) que dans celui du paragraphe (2).

Le Président (M. Filion): Est-ce que ce que vous venez de dire me permet de conclure que, finalement, l'engagement de la Législature québécoise pris au paragraphe (2) et le rôle qu'on lui confie au paragraphe (3) participent, en somme, de la même incertitude et que l'on peut aussi bien appliquer l'engagement que prend l'Assemblée nationale de défendre, de protéger le caractère bilingue du Québec et du Canada avec plus ou moins de générosité ou de restriction de la même façon que vous avez expliqué que la société distincte, telle que définie au paragraphe (3), ou plutôt le rôle de l'Assemblée et du gouvernement défini au paraqraphe (3), soulevait cette incertitude quant à sa portée réelle? (23 h 30)

M. Côté (Pierre-André): Tout à fait. Et je crois qu'il y a aussi là, en germe, une contradiction entre deux objectifs qui peuvent se concilier, mais qui peuvent aussi être contradictoires: celui de préserver le caractère bilingue du Canada et du Québec, je pense, et celui de promouvoir cette société distincte. Il y a des cas où ces deux objectifs vont être en conflit, dans un cas particulier. Encore une fois, il n'y a pas de règle de hiérarchisation. Ici, on ne dit pas: Le paragraphe b) est plus important que le paragraphe a); (2) est plus important que (3). Tout est dans le système et on appréciera.

Le Président (M. Filion): D'accord. Une dernière question.

M. Rémillard: M. le Président, après, j'aimerais poser moi aussi des questions.

Le Président (M. Filion): Est-ce vrai, M. le ministre? Si le consentement est donné.

M. Johnson (Anjou): Vous avez besoin de mon consentement.

Le Président (M. Filion): Juste avant, vous me permettez. Je pense que mes questions...

M. Johnson (Anjou): On va vous le donner en fin de soirée. Je vais vous laisser une question.

Le Président (M. Filion): En fin de soirée, bon. Vous me permettrez de terminer quand même, M. le ministre.

Une voix: Une simple opposition libérale en fin de soirée.

M. Johnson (Anjou): À condition que vous me donniez le consentement aussi pour conclure étant donné que c'est sur mon temps. Merci.

Une voix: Le chef de l'Opposition est libérai.

Le Président (M. Filion): Une deuxième question d'un tout autre ordre. J'ai été fasciné de voir que. vous avez résumé à la page 6 de votre mémoire, à l'avant-dernier paragraphe, de façon aussi concise et précise que ce qui... En somme ce que je n'aurais pu faire, en tout cas, sûrement à votre place. Vous dites: "L'expérience québécoise et canadienne montre que, de manière générale, les tribunaux ont manifesté plus d'affinité pour les principes d'interprétation qu'ils avaient eux-mêmes élaborés que pour ceux que le législateur voulait qu'ils appliquent." Bien sûr, on ne l'a pas manifesté ce soir, mais le principe de l'interprétation s'applique évidemment lorsque les règles de fond sont déficientes et n'apportent , pas une réponse claire à la situation portée devant les tribunaux. Et à ce moment, vous nous dites, à la page 6, que les tribunaux qui eux-mêmes se sont donné des principes d'interprétation ont tendance, et c'est normal, à se référer à ce qu'eux-mêmes ont construit plutôt qu'à ce que le législateur aurait voulu qu'ils utilisent en pareil cas. M. le professeur, en terminant ma question, j'apprécierais que vous puissiez détailler un peu cela, s'il vous est loisible de le faire.

M. Côté (Pierre-André): Je pense que c'était une autre façon d'exprimer ce que j'avais essayé de démontrer. Les divers principes d'interprétation qui favorisent l'interprétation restrictive des statuts sont des principes d'élaboration jurisprudentielle: la protection de l'accusé en matière pénale, la protection du contribuable en matière fiscale, l'interprétation restrictive des lois qui limitent la liberté, qui portent atteinte à la propriété, etc. Voilà des principes que les tribunaux eux-mêmes ont détaillés.

D'autre part, le législateur dans la Loi d'interprétation dit: Mes lois, ne les interprétez pas restrictivement, qu'elles soient pénales ou autres; interprétez-les généreusement. Je constate simplement que les tribunaux ont plutôt... Et je pense que cela va dans le sens des droits individuels, des valeurs collectives. Je pense que cela recoupe les commentaires qu'on a faits sur cela. La tendance a été dans le passé, effectivement - je pense qu'il suffit de le constater et cela correspond à un choix de valeurs - de donner la préférence à l'interprétation restrictive au nom de la protection de la liberté et au nom de la protection de la propriété. Alors, il ne faut pas s'étonner que l'on affirme que la Charte des droits et libertés est d'interprétation large et libérale. Pourquoi? Parce qu'elle

protège la liberté. La charte canadienne, peut-être pas la propriété, mais enfin c'est une Charte des droits et libertés. Il ne faut pas s'étonner que les tribunaux soient d'accord pour une interprétation généreuse. Cela correspond à leur tradition de protection des droits qui est une tradition dont ils sont fiers, à juste titre.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Il nous reste... Alors, M. le ministre, de consentement.

M. Rémillard: Cela va être pour nous éclairer, tout le monde. Vous semblez, professeur Côté, mettre sur un même pied le principe de la dualité et la reconnaissance du Québec comme société distincte. Au début, j'ai cru comprendre que ce n'était pas la même chose. Vous avez dit que l'une était plus restrictive que l'autre mais, finalement, à la question du président, j'ai cru comprendre que vous mettiez les deux principes sur un même pied, disons qu'ils pouvaient se contredire ou...

M. Côté (Pierre-André): J'ai dit que ce sont deux principes d'interprétation à leur face même, a) et b), et qu'il n'y a pas de hiérarchie établie entre les deux.

M. Rémillard: Oui. Est-ce que vous avez remarqué... En fait, vous avez certainement remarqué qu'il y a une rédaction bien différente entre ce qui regarde la dualité et la spécificité québécoise. D'une part, on parle de la reconnaissance de l'existence d'un Canada francophone concentré, mais non limité au Québec et la suite; d'autre part, on dit que le Parlement et les Législatures des provinces - alors, c'est seulement au niveau législatif et non pas gouvernemental dans un premier temps - dans l'exercice de leurs compétences respectives - donc, la clause de non-dérogation - prennent l'engagement -donc, c'est un voeu - de protéger, non pas de promouvoir, mais de protéger, la caractéristique fondamentale du Canada mentionnée au paragraphe (l)a). Tandis que vous avez la reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada une société distincte. Il est bien évident que, si vous reliez cette société distincte au principe de ta dualité, cela veut dire qu'il y a un fait français qui est concentré, mais non limité au Québec. Il est évident qu'on fait référence au fait français dans la société distincte, au départ. On n'a pas besoin de...

M. Côté (Pierre-André): ...et au fait anglais.

M. Rémillard: On n'a pas besoin de chercher. Pardon?

M. Côté (Pierre-André): Et au fait anglais qui est présent au Québec.

M. Rémillard: C'est cela. Alors, on n'a pas besoin de chercher bien loin, il est là.

M. COté (Pierre-André): C'est cela.

M. Rémillard: Le paragraphe (3) n'a pas du tout la même teneur que le paragraphe (2) concernant la dualité. Vous avez là l'Assemblée nationale et te gouvernement que vous ne retrouviez pas en ce qui reqarde la dualité, d'une part. Vous trouvez un rôle et non pas un engagement, et vous trouvez la promotion, pas seulement la protection. Quand vous regardez cela, est-ce que cela ne vous amène pas à préparer une certaine relation qui peut être différente?

M. Côté (Pierre-André): Effectivement. On doit présumer que des rédactions différentes témoignent d'intentions différentes. Je serais bien malheureux d'avoir à vous expliquer toutes les nuances que l'on pourrait apporter ici. Je veux simplement dire que, de la même façon qu'un avocat qui veut défendre un loi québécoise en matière linguistique pourra se fonder sur la reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada une société distincte, l'avocat qui plaide pour l'autre partie pourra invoquer la présence au Québec d'un Canada anglophone, et il s'agit de le reconnaître, de ne pas mettre sa survie en péril. Chacun de son côté invoquera le principe d'interprétation qui convient à sa cause et c'est de la nature des principes d'interprétation.

M. Rémillard: Cependant, professeur Côté, vous conviendrez que l'avocat qui veut faire référence à la dualité devra plaider que cette loi linguistique est nécessaire pour la protection en ce qui regarde la dualité alors qu'il pourra plaider la promotion en ce qui regarde la spécificité.

M. Côté (Pietre-André): Ce sont...

M. Rémillard: Je crois qu'il ne faudrait pas minimiser cet aspect, vous le savez autant que moi.

M. Côté (Pierre-André): Effectivement.

M. Rémillard: Si on faisait référence aux batailles concernant - elles ne sont pas tellement loin, je ne veux pas parler des choses qui sont devant les tribunaux... Je crois que vous allez très bien concevoir et que vous êtes prêt à accepter le fait que promouvoir est différent de protéger et, quand on est devant le tribunal pour défendre une loi, avoir la possibilité de démontrer la promotion, cela peut faire toute la différence.

M. Côté (Pierre-André): - Je suis tout à fait d'accord.

M. Rémillard: Donc, les deux principes ne sont pas pareils.

M. Côté (Pierre-André): Ce sont deux principes d'interprétation et donc, ils sont pareils à cet égard.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

M. Johnson (Anjou): Non, mais... Je pense que c'est important. Je comprends que le ministre ait, à 11 h 40, un rire qui n'est pas adressé à notre invité, je sais, mais qui traduit sans doute sa tension pour des raisons que je peux comprendre. Mais je veux simplement revenir là-dessus, je pense que Me Tremblay a très bien établi qu'il ne s'agit pas ici de droits substantifs, mais strictement de clause d'interprétation et, en ce sens, il ne faut pas chercher du droit substantif dans ce que sont des clauses d'interprétation. Deuxièmement, le ministre ne nous a-t-il pas dit tout à l'heure, quand il posait la question à Me Tremblay...

Une voix: À Me Côté.

M. Johnson (Anjou): ...à Me Côté, pardon. D'ailleurs, c'est l'heure, c'est l'heure. Mais moi, ce n'est pas la tension, voyez-vous, c'est plus l'attention, parce qu'il faut faire attention dans votre cas. Le ministre ne reconnaît-il pas que Me Côté a bien dit tout à l'heure: L'avocat qui voudra défendre une loi linguistique du Québec va dire: Écoutez, c'est dans le cadre du rôle de l'Assemblée nationale de promouvoir le caractère distinct du Québec que c'est fait? L'avocat d'Alliance Québec ou du Protestant School Board ou de l'ingénieur arrivé de Calgary qui dit: Au nom de la liberté d'établissement, ne m'enquiquinez pas avec votre réglementation' de l'Office des professions sur le français, lui, va plaider la protection de la présence anglophone au Québec. Quand on regarde le reste de la charte canadienne, on se rend compte qu'il y a une affaire assez dominante en 1982 qui s'appelle la protection des droits et libertés dans la charte canadienne.

Est-ce que le mot "protection" ne renvoie pas, à toutes fins utiles, à l'idée même de la charte canadienne et, puisque ce sont des dispositions de droit substantif, ne prévaudra-t-elle pas sur une simple clause d'interprétation? Je soumets ça à la réflexion du ministre et je suis sûr qu'il devra réfléchir à ça d'ici le 2 juin et peut-être le 2 janvier, étant donné que les négociations ne sont pas terminées et qu'il semble que ça pourrait durer bien au-delà de l'automne.

M. Rémillard: J'aimerais qu'on continue; je trouve ça passionnant comme discussion. Mais protection veut dire protéger, donc, conserver, conserver peut-être des droits acquis, par exemple, alors que promotion veut dire aller plus loin. C'est tout ça, le sens des deux, n'est-ce pas, M. Côté?

Alors, quand on arrive devant le tribunal et qu'on à interpréter le sens de ces mots, c'est évident que ça peut être différent. Je me réfère toujours, Me Côté, à l'article 36 de la constitution de 1982, où, à l'article 36, le constituant, le rédacteur de la constitution, a écrit; concernant la péréquation et les inégalités régionales: "Le Parlement et le gouvernement du Canada prennent l'engagement de principe de faire des paiements..."

C'était une déclaration de principe; c'est évident, c'est écrit. On se souvient de tous les débats autour de cet article 36, alors que, là, on ne l'a pas, ce mot "principe". Ce n'est pas par hasard qu'on ne l'a pas, Me Côté. Ce n'est pas par hasard.

M. Côté (Pierre-André): Imaginons qu'un gouvernement manque à cet engagement. Qu'est-ce qu'un citoyen peut faire? Obtenir un ordre du tribunal d'adopter une loi? Effectivement, peut-être qu'on peut dire que ça va plus loin. Mais ce que j'ai dit, c'est que c'est un engagement dont on voit mal comment il pourrait être exécutoire. Là, j'entre dans un domaine où je reconnais ma totale incompétence.

M. Rémillard: Mais je crois que votre question est intéressante. On est tous d'accord sur un point - je pense que le chef de l'Opposition est d'accord et vous l'avez dit aussi - c'est que ces règles d'interprétation qui sont même une base de pouvoir en ce qui regarde le paragraphe (3) ne changent pas le partage des pouvoirs, te! qu'il existe. Vous l'avez mentionné tout à l'heure et vous avez parfaitement raison. L'assurance-chômage, qui est fédérale, ne deviendra pas provinciale, parce qu'on a cet article-là. Cependant, dans les cas d'interprétation du partaqe des compétences législatives, dans un cas d'ambiguïté en ce qui regarde tout à coup une compétence dont on ne sait pas si ça pourra appartenir au gouvernement fédéra! ou aux provinces, parce qu'on n'a pas tout prévu à 91 et 92, il y a des cas qui vont poser des problèmes. À ce moment-là, cette règle pourrait être utilisée, non seulement dans le sens de la protection, mais - c'est là que ce serait important - de la promotion. C'est là que le mot "promotion" va prendre tout son sens en fonction du partage des compétences législatives, en regard de cette ambiguïté qui, immanquablement, va se retrouver... Tant qu'on vivra dans cette fédération, il y aura des ambiguïtés sur le partage des

compétences législatives. C'est évident.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Peut-être que le ministre me permettra, vu que j'ai abordé cette question des deux paragraphes, de terminer, en ce qui me concerne, avec une question adressée à M. le professeur Côté.

Le ministre, vis-à-vis de ces deux principes d'interprétation contenus aux paragraphes (2) et (3) de la clause du caractère distinct, essaie de faire valoir la différence entre le mot "engagement" et le mot "rôle", entre les mots "protéger" et "promouvoir". Mais j'apprécierais peut-être avoir votre réaction quant à l'expression utilisée au paragraphe (2), le paragraphe (2), encore une fois, étant celui qui définit l'engagement de l'Assemblée nationale eu égard au caractère bilingue du Québec et du Canada, où l'on parle de protéger la caractéristique fondamentale.

On ne dit pas "une caractéristique fondamentale"; on dit "la caractéristique" et on dit "fondamentale". Ma question est la suivante, finalement, et je sais qu'on est en train, de part et d'autre, peut-être, de faire valoir les arguments que les avocats vont faire valoir, parce qu'on demande, en définitive, aux juges de trancher nos problèmes, mais cela, c'est une autre question: Est-ce que l'utilisation, encore une fois, de ces expressions ne vient pas vous confirmer le fait qu'un principe d'interprétation est contenu au paragraphe (2) et qu'un autre principe d'interprétation est contenu au paragraphe (3) et qu'il est bien possible que, lorsque l'on invoquera le principe d'interprétation du paragraphe (3), automatiquement, on est à peu près assurés que l'on invoquera également, spécialement s'il s'agit d'une matière linguistique, le principe d'interprétation contenu au paragraphe (2)?

M. Côté (Pierre-André): Pour mettre les choses un peu plus claires, disons que les principes d'interprétation, à proprement parler, sont à a) et b). Premièrement, cela s'adresse au tribunal; deuxièmement, cela s'adresse aux Parlements ou aux Législatures qui prennent un engagement qui n'est pas un engagement de principe. D'accord, cela peut être différent, mais vous concéderez que cela peut être la même chose aussi et que c'est un engagement en rapport avec le principe énuméré à a). C'est pour cela qu'on a écrit "la" lorsqu'il s'agit de la caractéristique mentionnée à (l)a) et non pas "une" caractéristique mentionnée à (l)a). C'est celle-là.

Pour ce qui est du troisième paragraphe, c'est le paragraphe b) qui est vu sous l'angle du rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement. Encore une fois, on peut se demander si le fait de dire que l'As- semblée nationale a un rôle, cela veut dire qu'elle a un pouvoir. Ce que je pense, c'est que cela ne donne pas en soi de pouvoir, mais cela peut infléchir une interprétation dans le sens de la reconnaissance de pouvoir.

M. Rémillard: C'est exactement cela.

M. Johnson (Anjou): J'y reviendrais puisque le ministre...

Une voix: ...

M. Johnson (Anjou): Non, non, mais le ministre m'avait demandé son consentement. Je lui avais dit... Il était obligé d'accepter que ce serait moi qui conclurais là-dessus, pour une fois.

Me Côté, je reviens sur vos derniers propos. Vous dites: Oui, cela pourrait influencer comme règle d'interprétation. Mais là, je pars du droit d'interprétation et je vais au droit constitutionnel. D'après vous, est-ce concevable - et si vous préférez ne pas y répondre en droit constitutionnel, je ne vous en tiendrai pas rigueur - qu'en vertu de cette règle d'interprétation qui pourrait possiblement, dans les zones galactiques d'incertitude qu'on a devant nous, infléchir une décision des tribunaux quant à une juridiction du Québec, n'est-il pas possible que l'on décide à un moment donné que, dans le cas du Québec, telle législation qui est dans un domaine de "no man's land" entre le qouvernement fédéral et le Québec, cela, c'est de juridiction québécoise? Puis, dans le cas de l'Île-du-Prince-Édouard, parce que ce n'est pas une société distincte, cela ne le serait pas, cela serait fédéral. Cela serait déclaré provincial dans le cas du Québec à cause de la société distincte, mais dans le cas de l'Île-du-Prince-Édouard, cela ne pourrait pas l'être parce que ce n'est pas une société distincte,

M. Côté (Pierre-André): Je regrette, mais je préférerais probablement terminer en ne répondant pas parce que je sais que vous allez recevoir ici d'autres personnes qui sont beaucoup plus expertes que moi. Est-ce que cette clause-là peut mener à ce que l'on a appelé un fédéralisme asymétrique, un fédéralisme asymétrique que les constituants me paraissent avoir rejeté? C'est une grande question. Je regrette, mais je ne peux pas y répondre.

M. Johnson (Anjou): Je me permettrai, en terminant, Me Côté, de vous remercier et de vous dire que oui, en effet, je suis d'accord avec vous que les constituants, jusqu'à maintenant, ont rejeté le concept de fédéralisme asymétrique dans la mesure où il-n'y a rien qui est caractéristique au Québec dans ce document, sauf une disposition d'une clause d'interprétation. Mais tout le droit

substantif, à l'exception de la Cour suprême met le Québec - et cela datait d'avant 1982, 1875....

M. Rémillard: L'immigration.

M. Johnson (Anjou); L'immigration ouverte à toutes les provinces.

M. Rémillard: Bien voyons, cela fait 150 %. Bien non, cela n'est pas ouvert à toutes les provinces. Cela n'a pas de bon sens.

M. Johnson (Anjou); Entente concluante entre toutes les provinces et le gouvernement fédéral.

M. Rémillard: Non.

M. Johnson (Anjou): Dans le cas de la Cour suprême, toutes les provinces pourront fournir des listes pour la Cour suprême; dans le cas du Sénat, en attendant que la réforme ait lieu, toutes les provinces vont fournir des candidatures de sénateurs; dans le cas du pouvoir de dépenser, toutes les provinces en profitent. Il n'y a rien de distinctif dans cet accord pour le Québec; la seule chose qu'il y a de distinctif, c'est que le Québec avait l'air pressé de régler pour pas grand-chose. Deuxièmement, je crois aussi que je verrais mal se développer au Canada le fédéralisme asymétrique a partir d'une simple règle d'interprétation.

Voyez-vous vraiment cela? Plus de pouvoir au Québec qu'aux autres provinces à partir d'une règle d'interprétation? Je comprends qu'on veut en mettre large sur le dos des tribunaux, mais il me semble que c'est une décision qui relève du politique et non pas des tribunaux. Le politique me semble avoir écarté cela et au premier chef, je crois que le gouvernement du Québec l'a rejeté lui-même dans ses demandes.

Le Président (M. Filion): Professeur Côté, vous aurez remarqué l'intérêt que tous les membres de cette commission ont porté à votre exposé et à la période de discussions. Donc, nos remerciements sont très clairs, autant pour vous être déplacé avec aussi peu de temps d'avis que pour avoir préparé ce mémoire qui nous restera.

Merci. Nos travaux sont ajournés jusqu'à demain 10 heures.

(Fin de la séance à 23 h 51)

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