Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.
(Dix heures dix minutes)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
En premier lieu, nous allons entendre la Fédération des
travailleurs et travailleuses du Québec, MM, Laberge et Daoust. Nous
continuons donc notre mandat qui est d'entendre les représentations des
groupes ou organismes relativement à l'entente intervenue au lac Meech
concernant la constitution canadienne.
Je rappellerais peut-être l'horaire de la journée
d'aujourd'hui. Évidemment, les représentants de la
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec ont
déjà pris place à la table des invités. Suivront
Alliance Québec et la Centrale de l'enseignement du Québec, pour
ce matin; pour la séance de cet après-midi, ie Mouvement national
des Québécois, à 16 heures et Mme Nicole Duplé,
à 17 heures; en ce qui concerne l'horaire de la soirée, les
convocations ont été envoyées hier soir lorsque le
préavis a été donné par le leader du gouvernement,
mais nous n'avons pas encore reçu toutes les confirmations de
présence des organismes pour la soirée, dont l'horaire commence
à 20 heures.
Donc, bienvenue à M. Louis Laberge, le président de la
Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec,
ainsi qu'à M. Fernand Daoust, son secrétaire
général. Je leur demanderais de bien vouloir nous
présenter les personnes qui les accompagnent et de nous livrer, par la
suite, leur exposé.
FTQ
M. Laberge (Louis): M. le Président, si vous me permettez,
j'espère que ces dix minutes ne sont pas comptabilisées
sur...
Le Président (M. Filion): M. Laberge, il n'y a pas de
problème, une période de 60 minutes vous est
réservée. C'est comme au hockey, même si les
préliminaires durent longtemps, la période de 60 minutes est
toujours consacrée aux invités.
M. Laberge: Malgré les arbitres! Le Président
(M. Filion): Pardon? M. Laberge: Malgré les arbitres!
Le Président (M. Filion): Malgré les arbitres.
M. Laberge: Alors, à ma droite, Émile Goyer,
directeur du Syndicat des employés de service, vice-président de
la FTQ; Guy Cousineau, vice-président de la FTQ et du Conseil des
travailleurs et travailleuses du Montréal métropolitain;
André Leclerc, au service de la FTQ; à mon extrême gauche,
Claude Ducharme, du Syndicat canadien des travailleurs de l'automobile;
Jean-Guy Frenette, responsable politique à la FTQ; et le
secrétaire général, Fernand Daoust.
De la façon que nous croyons devoir procéder, le
secrétaire général va vous lire le mémoire, il
n'est pas tellement lonq; ensuite, je rajouterai quelques commentaires et nous
serons à votre disposition.
Le Président (M. Filion): D'accord. Le mémoire a
déjà été remis aux membres de la commission et, aux
fins de notre procès-verbal, il est considéré comme
étant déposé. M. Daoust.
M. Daoust (Fernand): M. le Président, comme bien d'autres
organismes et plusieurs observateurs politiques, la FTQ a été
étonnée de constater l'empressement, voire la
précipitation qui ont entouré les discussions constitutionnelles
du lac Meech.
L'entente de principe a peut-être été
précédée d'un long travail souterrain de fonctionnaires
provinciaux et fédéraux. Il n'en demeure pas moins que la
population du Québec n'a pas été mise dans le coup.
Malheureusement, ce n'est pas la présente commission parlementaire, tout
aussi précipitée, qui éclairera davantage l'opinion
publique. Il en va pourtant de l'avenir de notre société et de sa
capacité de se développer en fonction de ses aspirations
spécifiques. Les interprétations opposées, tant des
experts qui ont défilé devant vous ou qui ont commenté
l'entente dans les journaux que des politiciens fédéraux et
provinciaux, devraient vous convaincre que des ambiguïtés majeures
subsistent. Cette confusion sur des questions de fond, comme la portée
de la reconnaissance du caractère distinct du Québec et celle du
pouvoir fédéral de dépenser, devrait vous inciter à
la plus grande prudence. Elle devrait freiner votre ardeur à vouloir
régler à tout prix. Car, somme toute, qu'est-ce qui force le
gouvernement actuel à conclure si rapidement une entente qui
engage aussi fondamentalement l'avenir de notre collectivité?
Comme vous le faisait remarquer l'un des constitutionnalistes Ici
même, ce n'est pas le gouvernement du Québec qui est en mauvaise
posture électorale, notre rapport de forces face à un pouvoir
fédéral affaibli est des plus favorables. Nous pouvons nous payer
le luxe de bonnes négociations. Il faut, cependant, reconnaître
que, s'il y a quelque chose d'historique dans ces discussions, c'est l'effort
déployé par le gouvernement fédéral et les autres
provinces pour amener le Québec à adhérer à la
constitution. Autant profiter de cette ouverture d'esprit. Mais ne faisons rien
à la sauvette. Négocions minutieusement car, comme on le verra
plus loin, il sera très difficile de changer quoi que ce soit à
la constitution après la signature de cet accord.
Le fédéral et le reste du Canada ont tout autant à
gagner de notre adhésion à la constitution que nous-mêmes.
Pendant plus de 100 ans, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique a
dormi dans les tiroirs de Sa gracieuse Majesté d'Angleterre. Depuis son
rapatriement contre notre gré, nous avons continué de subir le
Canada. Il n'est pas audacieux de prétendre que nous pouvons supporter
quelques mois additionnels de négociations. Le seul avantage qu'il y
aurait pour le Québec à signer l'entente serait d'y gagner la
reconnaissance claire de pouvoirs qu'il réclame historiquement et dont
il a besoin pour assurer son développement, tant culturel
qu'économique.
Or, les opinions émises jusqu'ici par les politiciens et les
experts nous indiquent que ces gains sont pour le moins douteux. M. Beaudoin,
l'un des plus favorables à la signature de cette entente,
reconnaît, par ailleurs, qu'il n'est pas certain que les tribunaux
donneront la même portée que lui au caractère distinct de
la société québécoise.
Rien ne nous indique donc que le démantèlement de la
Charte de la lanque française ne va pas continuer. Quant aux nouveaux
pouvoirs, l'élargissement de l'entente Cullen-Couture nous paraît
être une victoire bien mince, insufissante en tout cas, pour justifier
les réjouissances auxquelles l'actuel gouvernement nous convie.
Pour la FTQ, une entente constitutionnelle acceptable doit comporter,
soit la reconnaissance des moyens essentiels au développement
économique et social du Québec, soit une formule d'amendement qui
lui permette facilement à l'avenir de s'approprier ces leviers
nécessaires.
Or, d'un côté nous sommes en présence d'une entente
dont les gains sont limités et douteux. D'un autre côté, la
formule d'amendement qui y est consacrée verrouille à double tour
les pouvoirs fédéraux qu'on ne peut plus espérer gruger.
La formule d'amendement qui requiert les deux tiers des provinces
représentant 50 % de la population canadienne risque, en effet, de figer
pour longtemps la répartition officielle des pouvoirs. S'il y a
transfert d'une compétence provinciale vers le niveau
fédéral, il y aura compensation "raisonnable" au profit d'une
province dissidente. Il est significatif qu'on ne mentionne pas la
possibilité d'un transfert d'une compétence
fédérale vers une ou plusieurs provinces.
La FTQ ne se présente évidemment pas devant vous avec une
autorité d'expert constitutionnel mais nous osons croire que notre
représentativité, qui s'étend à tous les secteurs
d'activité économique et sociale où évoluent les
quelque 450 000 travailleurs et travailleuses que nous regroupons, nous permet
une certaine contribution au débat actuel. Tout au long de notre
histoire dont les racines s'enfoncent dans la révolution industrielle du
siècle dernier, c'est dans le combat quotidien pour le mieux-être
et pour la dignité que nous avons élaboré notre vision
politique du Québec. La FTQ n'est pas, par nature, un mouvement
nationaliste. Si au cours des dernières décennies on constate une
certaine convergence entre ses revendications et celles de regroupements
voués à la défense des intérêts nationaux des
Québécois, c'est qu'il y a identité de vue entre ceux qui
défendent des intérêts des travailleurs et travailleuses
québécois et ceux qui travaillent à l'émancipation
du peuple québécois.
C'est ainsi qu'au cours des années il nous est apparu, par
exemple, que notre lutte pour le respect et la dignité des travailleurs
et travailleuses du Québec commandait qu'on revendique la reconnaissance
du français comme lanque de travail. Pourtant, nous avons compris que
cette revendication ne pouvait être satisfaite sans s'insérer dans
la réalité plus globale du statut de la langue. C'est pourquoi
nous avons réclamé que le français soit la lanque
officielle et nous avons acclamé l'adoption de la Charte de la langue
française. Il en va de même pour les pouvoirs essentiels que nous
souhaitons voir assumer par le gouvernement du Québec. C'est parce que
les hommes et les femmes que nous représentons sont plus souvent
qu'à leur tour victimes du chômage, souvent rejetés du
marché du travail, lors de licenciements collectifs, de transferts de
production vers l'Ontario, de changements technologiques sauvages, que nous en
sommes venus à réclamer que le Québec rapatrie la
totalité des pouvoirs nécessaires à la définition
d'une politique de main-d'oeuvre. II est bien évident que nous ne
pouvons pas nous fier au pouvoir fédéral pour empêcher des
transferts de production d'une province à l'autre. Nous voulons que
le
Québec se dote également des moyens d'une plus grande
planification économique, qu'il soit le maître d'oeuvre du
développement régional, qu'il assume l'ensemble des
responsabilités en matière dé sécurité
sociale.
Nous avons souhaité une reconnaissance plus claire de notre
juridiction exclusive en matière d'éducation et de culture. Nous
avons réclamé que le Québec joue un rôle important
sur le plan des relations internationales et contrôle le domaine
stratégique des communications sur son territoire. Ces revendications
n'ont pas été formulées gratuitement pour flatter un
quelconque sentiment nationaliste. Elles s'imposaient comme des
nécessités au gré des luttes que nous avons menées
aux côtés de nos affiliés.
C'est en faisant un bilan de ces orientations syndicales et politiques
qu'un congrès spécial de la FTQ convoqué en avril 1980
pour se prononcer sur la question nationale recommandait massivement de voter
en faveur du oui au référendum; 45 délégués
s'exprimaient contre, une centaine s'abstenaient et les quelque 2300 autres
appuyaient avec enthousiasme la résolution. Un attendu de la
résolution adoptée alors stipule bien que cette position
était prise "en raison de notre identité syndicale et de nos
propres aspirations". Un autre précise notre voeu que le
fédéralisme canadien favorise un développement
régional équilibré par des moyens de redistribution entre
régions riches et régions défavorisées.
Il est bien évident que le rapatriement unilatéral de la
constitution et la lamentable négociation qui ont suivi le
référendum n'ont pas donné satisfaction à ces
voeux. Le fédéralisme canadien, tel qu'il est défini par
la présente constitution, ne nous garantit pas cette redistribution. Les
promesses de réforme clamées par les ténors du clan du non
pendant la campagne référendaire n'ont pas été
tenues. On ne nous a pas livré la marchandise. Malheureusement, l'accord
du lac Meeeh ne corrige en rien cette situation. L'accord n'a pas d'autre effet
que de nous faire asseoir à une table de négociations permanentes
dont ni la forme, ni l'objet ne nous conviennent.
La FTQ, qui n'a jamais pris position en faveur de l'indépendance
du Québec, n'en demeure pas moins attachée au concept du droit du
Québec à l'autodétermination et ce, depuis 1961. Nous
croyons qu'un accord constitutionnel qui n'affirme pas ce droit sans
équivoque ne reflète pas les aspirations fondamentales du peuple
québécois. Or, personne, ni des experts, ni des politiciens ne
nous ont convaincus que ce droit découlait, à coup sûr, de
la reconnaissance du caractère distinct.
Si nous considérons l'accord globalement, c'est le droit à
la différence du
Québec qui semble nié. Cela ressort nettement de la
formule d'amendement, qui place toutes les provinces sur un pied
d'égalité, du pouvoir fédéral de dépenser,
qui aura tendance à uniformiser les programmes, et même des
responsabilités et quotas en matière d'immigration dont toutes
les provinces pourront bénéficier.
Nous sommes bien conscients, en effet, que, si le gouvernement
fédéral concédait à toutes les provinces les
pouvoirs essentiels que le Québec réclame historiquement, il n'y
aurait plus de gouvernement fédéral. En donnant à toutes
un peu de ce que nous réclamons, il noie le poisson. Il se justifie de
donner peu ou rien.
La seule reconnaissance du caractère distinct, à
l'intérieur d'un texte qui reconnaît d'abord la dualité
canadienne et la nécessité de protéger cette
"caractéristique fondamentale", n'aura pas de vertus magiques. Nous ne
sommes pas convaincus que le droit exclusif de léqiférer en
matière linquistique soit implicite dans cette reconnaissance.
L'argumentation, plusieurs fois reprise, que l'énumération
constitue une limitation en droit ne nous émeut pas. On ne nous fera pas
croire qu'il n'y a pas de formulation juridique qui permette d'affirmer
clairement la juridiction exclusive du Québec en matière
linguistique, tout en laissant la porte ouverte à l'exercice d'autres
pouvoirs découlant logiquement de la reconnaissance du caractère
distinct.
Ce qui nous rebute au départ, c'est qu'on s'en remette à
l'interprétation des tribunaux pour trancher une question aussi
fondamentale que celle de la langue. Surtout dans le contexte actuel,
marqué, chez nous comme partout dans l'Occident, d'un
néoconservatisme qui incite les juges comme les législateurs
à accorder plus d'importance aux droits individuels qu'aux droits
collectifs. Or, nous savons tous à quel point il est impérieux de
protéger le français par des mesures spéciales dans le
contexte nord-américain.
L'expérience de la mise en vigueur de la Charte de la langue
française, avant même qu'elle ne soit mise en pièces par
les tribunaux, était déjà difficile. Nos affiliés
et nous en savons quelque chose. Nous travaillons avec acharnement à
implanter des programmes de francisation dans les entreprises. Ce travail
déjà lent et pénible est devenu encore plus ardu depuis
que d'autres parties de la loi ont été infirmées par les
tribunaux. Dans la population, en général, et à la
direction des entreprises, en particulier, la charte a perdu beaucoup de son
prestige. On hésite moins à la violer.
Le professeur Léon Dion vous a brossé un tableau
inquiétant du dépérissement de la langue parlée
dans la rue, dans les services, dans tes écoles. Notre connaissance
concrète des milieux de travail nous permet de
compléter ce triste tableau. Nos militants se butent chaque jour
à des attitudes de plus en plus arrogantes de leurs patrons anglophones.
Dans les milieux de travail, comme ailleurs, les acquis linguistiques sont
extrêmement fragiles. Si nous ne disposons pas de moyens efficaces pour
protéger ie français dans toutes les activités de la vie
courante, la "louisianisation" du Québec deviendra
inévitable.
Mettons sur la table les vrais enjeux. Ne comptons pas sur les tribunaux
pour nous concéder des droits que les autres provinces et le
gouvernement fédérai ne nous auront pas concédés
consciemment. Tout se passe comme si l'accord du lac Meech, pour ne pas voler
en éclats, devra rester ambigu, sujet à interprétations
contradictoires. Notre expérience des relations de travail nous enseigne
que de telles ententes génèrent davantage de frustrations, de
conflits et d'affrontements que de rapports constructifs.
La grave question du pouvoir de dépenser doit elle aussi faire
l'objet de clarifications. Quelle qu'en soit la portée, elle ne nous
satisfait pas. Sous quelque angle qu'on la regarde, elle nous paraît
comme une invitation au fédéral à s'ingérer
davantage dans des secteurs de compétence provinciale. Comme nous
l'avons dit plus tôt, nous croyons que le Québec doit
élargir ses juridictions et non pas ouvrir la porte à des
intrusions fédérales dans ses propres champs d'activité
traditionnels.
Malgré le développement d'un embryon de capitalisme
autochtone, nous continuons d'assister, au Canada comme partout en
Amérique du Nord, à une plus grande concentration du capital et
des activités productives. Ces forces du marché, de plus en plus
libérées par les phénomènes de
déréglementation, de privatisation et par les projets de
libre-échange Canada-USA, n'avantagent pas le Québec. Pour les
contrer, nous aurons besoin d'une intervention accrue de l'État.
Même si le gouvernement actuel cède au courant
néo-conservateur et se désengage, tôt ou tard,
lui-même ou son successeur devra à nouveau intervenir dans
l'économie. Il serait alors souhaitable que ses pouvoirs aient
été préservés intacts et qu'il ait la
possibilité de les accroître.
Comme d'autres l'ont remarqué, le Québec n'a donc rien
à gagner à reconnaître le pouvoir du fédéral
de dépenser sur son territoire, dans ses juridictions. Le versement
d'une "compensation juste" n'est pas un qain. Ce principe a été
reconnu dans le passé. Bien sûr, la pratique courante consistait
plutôt à verser une pleine compensation financière. La
compensation juste est une notion plus floue, donc inquiétante. De plus,
on ne prévoit pas le retrait de programmes déjà
existants.
Plus inquiétant encore est l'assujettissement aux objectifs
fédéraux des programmes provinciaux de remplacement. Outre le
fait que le terme "objectif" soit aussi un concept vague, l'obligation qui est
faite aux provinces de mettre sur pied un programme de même nature, pour
avoir droit aux compensations, constitue une entrave inacceptable. Au cours de
deux dernières décennies, les Québécois ont fait un
effort collectif considérable pour se doter d'un système
d'éducation, d'un régime de santé et de
sécurité sociale qui font l'envie de bien d'autres
sociétés occidentales. Nous avons aussi investi des milliards de
dollars dans l'exploitation de nos richesses naturelles. Pourquoi
reconnaîtrions-nous du jour au lendemain à l'instance
fédérale le pouvoir de venir nous dicter les prochaines
priorités de dépenses publiques? Dans des dossiers aussi cruciaux
et actuels que les politiques énergétiques, l'environnement, la
formation professionnelle, le gouvernement d'Ottawa n'aura qu'à
définir unilatéralement ses objectifs. Les provinces n'auront
qu'à emboîter le pas, soit en adhérant au programme
fédéral, soit en mettant sur pied leur propre programme. Faute de
quoi, elles n'auront pas droit à la part de l'argent perçu chez
elles.
Il est pourtant facile d'imaginer que les objectifs
fédéraux peuvent entrer en contradiction avec les objectifs du
Québec ou ne pas correspondre à nos priorités ou faire
double emploi avec des programmes québécois déjà
existants. Ici, nous ne tenons même pas compte de l'affirmation
cavalière de M. Lowell Murray, pour qui il n'y a pas de limites au
pouvoir fédéral de dépenser. Si une province ne marche pas
dans un plan conjoint, rien n'empêchera le gouvernement central de faire
bénéficier de ses largesses les municipalités, les
hôpitaux, les universités ou les individus. Donc, pas de limites
aux intrusions. (10 h 30)
Nous ne vous demandons pas de fermer toutes les portes. L'existence
même de cette entente de principe insatisfaisante témoigne d'une
volonté du gouvernement fédéral et des autres provinces de
faire adhérer le Québec à la constitution du pays. Ne pas
poursuivre les discussions serait déraisonnable. Mais, nous le
répétons, on ne bâtit pas un accord durable sur la
confusion, l'ambiguïté et les malentendus.
Le Québec doit définir clairement ses conditions
d'adhésion. Pour la FTQ, la question des pouvoirs est majeure. Il faut
donner au Québec les moyens de son développement selon les
inspirations exprimées historiquement par des qénérations
de citoyens et de citoyennes. Chacune des provinces, comme le gouvernement
fédéral, doit être consciente des conditions de notre
adhésion. On doit savoir par exemple que nous n'exigeons rien de moins
que le droit exclusif de légiférer en matière
linguistique. On doit savoir que les juridictions tradi-
tionnelles qui nous furent reconnues en 1867, notamment dans les
municipalités, dans l'enseignement et dans l'agriculture, sont
inviolables, que nous n'avons pas à nous soumettre à des
objectifs définis unilatéralement ailleurs. Nous vous invitons
aussi à prendre tout le temps nécessaire pour bien mesurer la
portée des textes que vous signerez. Vous n'avez pas le droit de vous
tromper et d'engager par le fait même l'avenir du Québec sur des
voies néfastes. La façon la plus sûre d'éviter cela
est de poursuivre le plus ouvertement et le plus fréquemment possible le
débat qui s'amorce. Mettez la population dans le coup. Vous en gagnerez
un appui qui donnera du poids à vos arguments.
Nous savons par expérience que les plus habiles
négociateurs n'ont aucun pouvoir de persuasion lorsqu'ils ne jouissent
pas de l'appui solidaire de leurs commettants.
M. Laberge: M. le Président, si vous me permettez
d'ajouter quelques mots. D'abord, nous sommes très heureux de cette
occasion qui nous est donnée de pouvoir vous donner notre opinion sur
l'accord constitutionnel. Grâce à ces négociations qui ont
eu lieu au lac Meech... Au moins on peut en parler ouvertement publiquement et
cela c'est très sain. Nous ne sommes pas d'accord à signer
l'accord tel qu'il est présentement et là-dessus vous pouvez vous
fier sur notre expérience, il est trop tard pour négocier une
fois la convention collective signée car c'est avant qu'il faut
négocier.
Le gouvernement fédéral semble avoir une ouverture
d'esprit qu'il n'a pas souvent démontrée. Les autres provinces
semblent un peu plus maléables, évidemment. Alors, on peut
comprendre que se hissant au niveau du Québec, enfin si on a bien
compris les discussions du lac Meeeh, à peu près toutes les
provinces seraient sur un pied d'égalité. Cela on sait que c'est
la meilleure façon de noyer le poisson.
Cela n'est pas vrai que le gouvernement fédéral peut
donner à toutes les provinces les pouvoirs que réclame le
Québec. Cela n'est pas vrai que cette constitution une fois
signée sera facilement amendable. Et, si on voit là-dedans des
sources de réjouissance pour ne pas que n'importe qui puisse amender la
constitution à n'importe quel moment, il reste que le Québec,
entrant dans cet accord avec des manquements inacceptables, on peut être
convaincus que le Québec sera pris par son engagement pour des
années à venir.
Dans ces circonstances, ce que nous disons au Québec: Nous vous
adjurons de continuer les négociations, bien sûr, et
peut-être bien qu'un jour vous pourrez faire ce que l'on vous demande de
temps à autre, c'est-à-dire nous appointer un conciliateur, un
médiateur, mais, une fois l'accord signé, il sera trop tard pour
négocier quoi que ce soit. Nous sommes à votre disposition.
Le Président (M. Filion): Merci, M. Daoust, merci, M.
Laberge. Je passe donc la parole au ministre délégué aux
Affaires intergouvemementales canadiennes pour amorcer avec vous la
période des échanqes. Il reste à chaque groupe
parlementaire environ 20 minutes.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. MM. de la
FTQ, M. Daoust, M. Laberge, je veux vous souhaiter tout d'abord la bienvenue et
vous remercier d'être venus témoigner. Vous témoignez au
nom de travailleurs et de travailleuses que, je suppose, vous avez
consultés récemment sur cette entente du lac Meech.
Ce que vous venez de nous dire, M. Laberge, c'est: C'est
intéressant de vous voir aller, il y a un bon bout de fait, mais vous
devez continuer. Ne signez pas tout de suite, continuez à
négocier, le gouvernement fédéral veut négocier
avec vous, évidemment, je prends acte et note du fait que vous
considérez qu'on a un bon bout de fait, qu'il en faut plus, oui, et je
crois que c'est tout à fait normal qu'un chef syndical nous
réponde qu'il en faut plus. Il faut aller essayer d'en chercher
plus.
Pour nous, M. Laberge, cette entente est une entente historique parce
qu'elle concrétise, pour la première fois dans l'histoire
canadienne, la spécificité du Québec. Vous nous disiez
tout à l'heure: Oui, mais on a banalisé le Québec dans
cette entente. Je voudrais, si vous me permettez, sans vous contredire, vous
donner des exemples pour vous démontrer qu'au contraire cette entente
vient consacrer, sans aucune équivoque, que le Québec est une
société distincte et dans chacun des domaines que nous avons
négociés.
Dans un premier temps, en ce qui à trait à ce principe de
la dualité et ce principe de la société distincte, sur
lequel vous vous êtes attardé, vous avez parlé de la
compétence sur la langue. Au départ, ce qui était
prévu, c'était la reconnaissance du Québec comme
société distincte dans un préambule. Donc,
référence morale pour les tribunaux qui ont à
interpréter la constitution. On se retrouve maintenant avec un article
dans la constitution et on on se retrouve avec un article obligatoire, mais
toujours une règle d'interprétation. Nous sommes toujours dans un
contexte d'une règle d'interprétation. C'est toujours cela qu'on
a cherché et c'est cela qu'on a obtenu.
Dans ce contexte, M. Laberge, il y a, pour la première fois, ta
reconnaissance que ce caractère distinct du Québec est bien dans
la constitution. Pour la première fois aussi, on reconnaît le
rôle du gouvernement
du Québec et de l'Assemblée nationale à
protéger et promouvoir cette spécificité. Cela signifie
beaucoup pour faire reconnaître ce qui fait que nous sommes distincts.
Nous sommes distincts, bien sûr, par la langue, par la culture, mais
beaucoup plus que cela aussi. Vous, qui êtes un chef syndical, qui
représentez les travailleurs et travailleuses, savez qu'on n'est pas
simplement distinct par une langue ou par une culture, nous sommes distincts
fondamentalement par cette langue et par cette culture, mais nous avons quelque
chose de plus. Nous sommes organisés socialement, politiquement,
économiquement. Je sais, M. Laberge, que vous tenez autant au respect de
notre système social, économique, notre système qui fait
que nous existons d'une façon spécifique par rapport au reste du
Canada.
M. Laberge, si onze premiers ministres sont arrivés à
cette conclusion que le Québec est distinct, au lac Meech, s'ils sont
arrivés a cette conclusion, c'est parce qu'ils savent pourquoi. S'ils ne
savaient pas pourquoi, je pense qu'il faudrait se poser des questions. Si on
avait reconnu deux, trois ou quatre autres provinces comme distinctes, il
faudrait bien savoir pourquoi le Québec est distinct par rapport aux
autres, mais c'est là. Les plus grands juristes, les plus
éminents juristes au Québec et au Canada viennent nous dire: Ne
définissez pas. Nous avons des opinions qui nous disent: Attention, si
vous définissez vous faites une erreur fondamentale.
Donc, premier point, société distincte qui va être
une assise importante, fondamentale pour la reconnaissance de la
spécificité du Québec et pour toutes ces revendications
tant au point de vue de la langue que d'autres aspects de cette
spécificité.
En ce qui regarde aussi le pouvoir, que nous récupérons,
de dire non à un amendement constitutionnel, M. Laberge, vous nous
dites: Toutes les provinces vont avoir un droit de veto sur les institutions.
Vous savez comme moi qu'on devait composer avec le principe de
l'égalité des provinces. C'est le précédent
gouvernement qui, le 16 avril 1981, a reconnu que le Québec était
sur le même pied que l'Ile-du-Prince-Édouard. On a composé
avec cela. Je pense qu'on est arrivé à un résultat
intéressant dans le sens qu'on peut dire au moins non et qu'on
récupère des droits historiques.
En ce qui regarde le pouvoir de nommer des juges à la Cour
suprême, trois juges sur neuf viennent du Québec et ils vont
être choisis à partir d'une liste fournie par le Québec. Il
n'y a pas d'autres provinces qui ont cette situation. Il n'y a pas d'autres
provinces qui ont trois juges sur neuf de garantis à la Cour
suprême. Encore un élément de distinction.
Ensuite, en ce qui regarde l'immigration, vous me dites dans votre
mémoire ici: "L'élargissement de l'entente Cullen-Couture nous
paraît une victoire bien mince." Pourriez-vous me dire en quoi cela vous
apparaît une victoire bien mince?
M. Laberge: Est-ce que vous avez terminé?
M. Rémillard: Voilà ma question.
Le Président (M. Filion): M. Laberge ou M. Daoust.
M. Laberge: Le gros problème dans tout cela, c'est que,
tout d'abord, nous n'avons pas encore les textes. On a été
obligé évidemment de glaner un peu ce qui s'était
écrit et dit dans tous les médias d'information. Il y a eu
entente sur des principes et, on en sait quelque chose, il est toujours plus
facile de conclure une entente sur des principes que de les traduire par
écrit dans une entente bien solide, bien claire, bien
précise.
Nous avons toujours respecté une convention collective que nous
signons parce qu'on trouve cela fondamental. C'est pourquoi il est d'une
importance capitale de s'assurer, avant de signer la convention, que ce qui est
écrit dans la convention reflète bien ce qu'on a cru obtenir lors
d'une entente sur des principes. Il y a des fois où il y a des marges et
c'est loin d'être facile. On comprend tout cela.
M. Rémillard: Je m'excuse. Ma question est: En quoi, comme
vous t'écrivez à la page 3, croyez-vous que l'entente...
M. Laberge: Oui.
M. Rémillard: ...du lac Meech sur l'immigration est une
victoire bien mince et insuffisante? En quoi?
M. Laberge: J'y viens tout de suite. Vous parliez de la
société distincte et tout le reste. Je pense que c'est important.
Les experts constitutionnels - ce que nous ne sommes pas, on reconnaît
cela - vous disent: Ne définissez pas ce qu'est une
société distincte. On va laisser cela aux tribunaux. Cela nous
inquiète un peu, pour être très honnête.
L'autre jour, je montais dans un avion de Quebecair, à
l'époque où il y avait encore des jets, et je passais à
côté d'un juge et celui-ci me dit: M. Laberge, passez devant moi.
Non, non, M. le juge, après vous. Mais non, M. Laberge, allez-y. Ce
n'est pas tous les jours que vous aurez la chance de passer devant un juqe.
J'ai dit: Un instantl J'ai eu l'occasion trois fois de passer devant un juge et
je n'ai jamais appelé cela une chance.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Laberge: Cela nous fait peur que ce soit les tribunaux qui
vont définir ce qu'est cette société distincte. M. Fernand
Daoust va vous dire en quoi nous croyons que c'est un gain bien mince que
d'élargir l'entente.
M. Daoust: Sans aucun doute, M. le ministre, c'est un pas en
avant. On va maintenant constitutionnaliser les accords Cullen-Couture dans les
descriptions qui sont contenues à cet accord préliminaire du lac
Meech. On parlerait de victoire si, à la toute fin du document que vous
connaissez, il n'était pas fait mention que ce qu'on consent au
Québec à l'égard de l'immigration sur tous les plans, le
plan administratif et le reste et le reste, et la récupération de
certains fonds qui sont dépensés dans ce domaine pour
l'encadrement et la formation des immigrants «ainsi que le fameux 5 %
n'étaient pas en même temps consentis ou à peu près
en même temps consentis à l'ensemble des provinces. À moins
qu'on lise mal, et vous pourriez nous l'expliquer, on serait fort heureux qu'il
y ait des précisions là-dessus. Je relis la dernière
phrase de cette partie de l'accord sur l'immigration: "Rien dans la
présente ne saurait empêcher la négociation d'ententes
semblables avec d'autres provinces." Ce gain pour le Québec est
étendu à toutes les provinces qui le jugeront à propos
éventuellement, qui pourront signer - si je comprends bien - des accords
semblables, à peu près identiques, mais qui vont être
encadrés par l'accord qui sera signé éventuellement. (10 h
45)
C'est bien entendu qu'on dit "conclura en premier lieu avec le
Québec une entente qui" - et il y a plusieurs points qui y sont
mentionnés. Le Québec passe le premier. C'est lui qui va
indiquer, je ne dirai pas les balises, mais qui va, avec le gouvernement
fédéral, conclure, préciser, expliciter ces ententes qui
sont déjà, malgré tout, dans les textes qui ont
déjà été négociés par MM. Couture et
Cullen il y a presque déjà dix ans.
On les élargit sans aucun doute là-dessus. On ne peut pas
ne pas manifester notre ouverture d'esprit, notre intérêt puisque
nous sommes vivement préoccupés comme Québécois et
comme porte-parole des travailleurs et travailleuses dans ce domaine. Mais
c'est la dernière phrase qui nous inquiète. Autrement dit, on
banalise peut-être, on donne à tous ce que le Québec
devrait obtenir pour lui seul à cause des problèmes qu'il
connaît sur le plan de la démographie.
M. Laberge: Oui c'est ça. M. le ministre - si vous me
permettez, juste deux ou trois mots - pour nous, c'est d'une importance
capitale. Si on a demandé d'avoir des pouvoirs dans l'immigration,
c'était pour essayer de se protéqer contre le pouvoir
fédéral de l'immigration afin d'empêcher de se faire noyer
davantage. En donnant le même pouvoir aux autres provinces, ce pouvoir
perd de son importance capitale, à notre point de vue. C'est pour cela
qu'on dit que c'est un gain minime.
M. Rémillard: M. Laberge, très brièvement,
c'est un gain capital, je pense que tout le monde est d'accord
là-dessus. Cependant, vos réserves viennent du fait que vous
dites que toutes les autres provinces vont avoir la même chose. Faites
attentionl Ce qui est bien marqué dans l'entente du lac Meech, c'est des
"ententes semblables", pas identiques. Si c'était "identiques", cela ne
pourrait pas s'appliquer. Simplement pour faire un petit calcul
mathématique, nous allons avoir un minimum possible d'immigrants, de
garanties, en fonction de notre poids démographique dans la
fédération. Si vous calculez tout cela, plus les 5 % qui nous
sont donnés, vous arriveriez à une population de 150 %; cela n'a
pas d'allure. C'est bien évident que lorsque vous lisez cette entente,
cet accord, c'est en fonction des besoins du Québec. Pensez-vous que
l'Île-du-Prince-Edouard va avoir la même entente? Pensez-vous que
toutes les autres provinces vont avoir la même entente? M. Laberge,
écoutez, il faut quand même regarder cela sérieusement...
Il faut regarder au moins... Si vous trouvez que c'est une bonne affaire dans
l'entente, je comprends qu'il y a des choses qui peuvent moins vous plaire,
mais celle-là, je pense bien qu'on peut dire que c'est un très
bon pas, une très bonne entente. C'est une situation pour le
Québec... Vous avez raison, M, Laberge, quand vous dites que c'est un
gain capital. Oui, vous avez raison, c'est un gain capital. Vous le savez,
vous, qui êtes dans le travail, qui êtes un chef syndical, à
quel point cela est important d'avoir non seulement la possibilité de
sélectionner nos immigrants, qui le demandent de l'extérieur ou
même sur place ici, cela est un gain important, c'est 30 % de nos
immigrants, mais, en plus, M. Laberge, c'est la possibilité de mettre en
place nos mesures d'intégration. C'est nous qui allons maintenant leur
donner le goût de demeurer avec nous. Vous savez qu'on perd près
de 50 % de nos immigrants qui s'en vont dans d'autres provinces. On va les
garder maintenant. M. Laberge, cela est dans l'entente du lac Meech. Vous avez
raison de dire que c'est un gain capital.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Est-ce que
vous avez terminé, M. le ministre? Oui. Alors, M. le chef de
l'Opposition. Environ 20 minutes.
M. Johnson (Anjou): Environ 20 minutes. M. Laberge, M. Daoust et
vos collègues, c'est toujours un plaisir de vous entendre. On
reconnaît, à écouter votre mémoire, des choses bien
importantes du côté de la FTQ, son engagement constant dans les
grands enjeux qui ont touché le Québec, certes, mais il y a une
chose qui me frappe dans votre mémoire en particulier, c'est à la
page 5, à partir du second paragraphe où les
préoccupations de votre centrale à l'égard du
développement économique apparaissent manifestes. J'aurais
été surpris, d'ailleurs, qu'il n'y ait pas ce genre de
préoccupations en termes de moyens de développement
économique, étant donné que votre centrale, on le sait,
avec le fonds de solidarité et plusieurs autres types d'intervention, a
démontré, depuis un certain nombre d'années, son
intérêt pour le développement économique, et pas
seulement pour la défense des intérêts syndicaux, mais
également pour la défense des intérêts collectifs
par le développement économique.
Vous y dites qu'il y va de même pour les pouvoirs essentiels que
nous souhaitons voir assumés par le gouvernement du Québec.
J'aimerais peut-être vous entendre un peu autour de cette notion de
politique de main-d'oeuvre, dans le fond, des silences de l'accord du lac Meech
qui m'apparaissent ou qui semblent vous apparaître à vous, de
toute évidence, aussi importants que ce que dit l'accord du lac
Meech.
On pourrait peut-être laisser à M. Laberge ou à M.
Daoust quelques minutes pour élaborer là-dessus. Je vais essayer
de vous donner une chance de parler. Ma question va s'arrêter là
pour le moment.
M. Laberge: Pour nous, ça a toujours été
très clair. M. le ministre, tantôt, vous nous disiez qu'on avait
probablement consulté nos membres sur les accords du lac Meech.
Évidemment, non. Non, on n'a pas eu le temps de le faire. Vous ne nous
avez pas donné beaucoup de temps avant de nous présenter ici.
Mais on peut vous dire, par exemple, que tout ce qui est contenu
là-dedans a fait l'objet de longs débats et d'acceptations par
les délégués à tous les congrès de la FTQ.
Ce que nous demandons en matière de politique de main-d'oeuvre, c'est
que le gouvernement du Québec devrait avoir tous les pouvoirs pour la
main-d'oeuvre, pouvoir de son orientation, pouvoir du genre de
société, pouvoir de développement économique.
On sait fort bien qu'on est très différent, au
Québec, de l'Ontario. On a une multiplicité de très
petites entreprises au Québec. Il y en a moins en Ontario.
Comparativement parlant, ils ont beaucoup plus de grosses entreprises que nous
n'en avons au Québec. Cela prend quelque chose de différent. On a
une population sur la
Côte-Nord, dans les régions éloignées, en
Abitibi, au Lac-Saint-Jean, partout. Vous le savez. On s'est donné un
système d'impôt plus élevé qu'ailleurs justement
pour permettre au gouvernement d'encourager la venue dans ces régions
éloignées d'employeurs qui autrement ne seraient pas
compétitifs avec les autres, afin d'aider ces populations à
s'épanouir. C'est le genre de société qu'on a voulu se
donner au Québec. Tous les pouvoirs vis-à-vis de la
main-d'oeuvre, y compris l'assurance-chômage, pour nous, devraient
être rapatriés au Québec, particulièrement la
formation professionnelle.
M. Johnson (Anjou): M. Laberge, j'ai une question qui touche
à un autre aspect de votre mémoire. C'est quand vous
évoquez... Dieu sait que tout le monde, ici, autour de cette table va
vous reconnaître à vous, ainsi qu'à la plupart de vos
collègues, en dépit du fait qu'il y en ait un ou deux plus jeunes
que les autres, une très vaste expérience de la
négociation et de l'évaluation du rapport de forces.
Est-ce que j'ai bien compris? Dans votre mémoire, vous dites au
gouvernement: Écoutez, le Canada a l'air de vouloir du Québec, en
ce moment. Vous êtes allé chercher des choses qui n'apparaissent
pas évidentes comme des gains majeurs qui vont déranger des
choses demain matin et vous avez comme gouvernement intérêt
à attendre.
Si je comprends bien, vous dites que le gouvernement, dans le fond, a un
rapport de forces supérieur à celui, peut-être, qu'il pense
avoir dans cette négociation. Je voudrais peut-être vous entendre
un peu là-dessus.
M. Laberge: Au contraire, on dit que le gouvernement du
Québec est en très bonne posture politique comparativement au
fédéral. Nos amis, les fédéraux, par tes temps qui
courent, ont probablement une couple d'autres chats à fouetter avant de
se préoccuper de l'impact politique de l'entente du lac Meech sur le
climat au Québec. Ils ont d'autres chats à fouetter. Ils ont
d'autres problèmes. C'est pour ça que nous sommes dans une
position de force, actuellement, pour négocier, au maximum, avant de
signer l'accord. Encore une fois, on ne connaît pas tout. Mais, s'il y a
une chose qu'on connaît, c'est qu'une fois l'entente signée il est
trop tard pour négocier. Il est trop tard.
Encore une fois, quand on regarde cela - c'est une protection, nous le
reconnaissons ce ne sera pas facile d'amender la constitution une fois qu'on en
fera partie. Cela va être très difficile. Les autres amendements,
on pourra attendre fort longtemps. Une fois qu'on sera allé devant les
tribunaux à quelques reprises et que les
tribunaux donneront une interprétation moins élargie que
celle que vous croyez qui sera donnée, on sera "poigné" avec la
formule, de toute façon. Pour l'amender, ce ne sera pas facile. C'est
ça, notre crainte et c'est pourquoi on dit au gouvernement: Vous avez
fait des pas. On ne les qualifie pas de majeurs ou d'historiques mais vous avez
fait des pas. Bravo! Bravo! Continuons les négociations.
Le Président (M. Filion): M. le ministre. M.
Rémillard: Combien de temps pour...
Le Président (M. Filion): II reste environ cinq
minutes.
M. Rémillard: M. Laberge, simplement pour vous dire
qu'alors que vous demandez une compétence exclusive du Québec en
ce qui regarde la main-d'oeuvre il y a une deuxième ronde de
prévue. On pourra étudier ce cas d'une façon encore plus
particulière. Je vais laisser la parole à l'Opposition.
Le Président (M. Filion): Bon. Je vais reconnaître
maintenant un représentant de l'Opposition. M. le député
de Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: M. le Président, très
brièvement, je pense avoir bien compris le mémoire de la FTQ. Au
fond, ce que vous dites, et vous venez de le répéter, c'est que
vous affirmez que le rapport de forces est favorable au Québec dans le
contexte actuel, qu'il faut en profiter pour régler l'épineuse
question des pouvoirs et satisfaire les revendications traditionnelles du
Québec en cette matière. Vous dites au gouvernement que ce que
constitue l'entente du lac Meech, au fond, c'est une amorce de
négociation, c'est un début, poursuivez, parachevez,
complétez la négociation.
Vous savez ce que le gouvernement nous répond quand on aborde
cette question. Le ministre l'a maintes fois répété, il
vient juste de le répéter: Écoutez, c'est une
première ronde, il y a d'autres rondes de négociations qui sont
prévues, d'autres phases et les questions de pouvoir que vous
évoquez dans votre mémoire, on les abordera à ce
moment-là.
Vous avez souvent comparé, avec raison sous certains aspects, la
négociation constitutionnelle à la négociation de
convention collective. Mais il y a une grande différence. Je pense qu'il
faut souligner que dans une convention collective sont écrites la date
d'entrée en vigueur de même que la date d'échéance.
Elles sont dedans. On sait quand la convention prend fin, mais, dans une
négociation constitutionnelle, cela n'existe pas. Au fond, c'est pour
cette raison que, si je vous ai bien compris, vous ne croyez en aucune
façon que, si l'on ne parachève pas cette négociation
constitutionnelle, si on pense la diviser en phases ou en étapes, on
fait erreur, finalement, et qu'il n'y aura pas d'autres phases de
négociation constitutionnelle qui vont suivre celle-là si on ne
prend pas soin de la compléter comme il faut.
M. Laberge: M. le Président, en effet, c'est exactement ce
qu'on dit. Il serait tragique de se hâter à signer une entente de
principe avant d'avoir obtenu tout ce qu'on veut obtenir. Dans les programmes
politiques des deux partis à l'Assemblée nationale, l'entente du
lac Meech va beaucoup moins loin que ce qu'on retrouve dans vos propres
programmes politiques. Le Parti libéral parlait de pouvoirs exclusifs,
de formation professionnelle, de recyclage, etc. On n'a pas cela dans le projet
d'accord du tac Meech. On n'a pas cela.
Vous avez raison quand vous dites qu'une convention collective a une
durée de trois ans. Tout le monde le sait, sauf qu'on est obligé
de vivre avec pendant trois ans, alors que l'accord constitutionnel - et j'en
ai parlé encore tantôt - une fois qu'on sera "poigné" avec,
on sera "poigné" pour très longtemps parce que les amendements ne
seront pas faciles à faire.
Encore une fois, le pouvoir de dépenser du fédéral,
mon Dieu Seigneur! il me semble que c'est d'entrouvrir la porte toute grande,
et c'est une invitation au fédéral, qui n'en a pas besoin, de
venir s'ingérer dans des domaines de compétence provinciale. Le
fait de dire au fédéral: Merci, on n'en veut pas, on veut notre
compensation raisonnable, adéquate, juste, je ne sais pas trop comment
ce sera interprété, ça. Mais cela ne l'empêchera pas
de dépenser. Pour nous, il nous semble que c'est capital. Encore une
fois, une fois qu'on est "poigné" dans la constitution... Cela fait cinq
ans que le Canada a sa constitution; il me semble qu'on ne s'en porte pas si
mal que cela. Après cinq ans, je trouve qu'on n'est pas trop mal. Pour
nous, il n'y a pas cette hâte fébrile à signer, à
moins d'être bien sûr de ce qu'on signe. Vous aviez raison, M. le
ministre, tantôt quand vous disiez: C'est historique. Nous sommes
convaincus que ce sera historique. C'est pour cela qu'on ne doit rien
négliger. (11 heures)
M. Brassard: M. le Président, c'est d'autant plus
important de compléter la négociation comme vous le dites, M.
Laberge, que, concernant l'entente du lac Meech, le ministre a dit
tantôt: Cela va être suivi d'une autre phase et là les
questions importantes que vous évoquez, la question du partage des
pouvoirs, bon, on y viendra. Je vous signale que ce n'est pas le cas. Il y a
peut-être une prochaine phase prévue, mais cette prochaine phase
est reportée, parce
que c'est dans l'entente aussi. Elle va porter sur la réforme du
Sénat. Le premier point majeur, le plus important, le plus essentiel
après cette phase selon le ministre et selon l'entente elle-même,
c'est la réforme du Sénat. Alors, ce n'est même pas la
question des pouvoirs, la question du partage, d'une nouvelle
répartition des pouvoirs, que vous jugez - je suis d'accord avec vous -
capitale, ce n'est même pas cette question qui va faire l'objet de la
prochaine phase, c'est la réforme du Sénat.
Le Président (M. Filion): Merci. Je vais reconnaître
maintenant un porte-parole du groupe ministériel. Vous n'avez pas de
question pour le moment? Alors, je vais reconnaître maintenant Mme la
députée de Chicoutimi.
Mme Blackburn: Merci, M. le Président. M. Laberge, dans
votre mémoire, vous dites: II faut que le gouvernement sache que nous
n'exigeons rien de moins que le droit exclusif de légiférer en
matière linguistique. Ce que nous dit le ministre, c'est que
reconnaître la société distincte dans la constitution,
c'est exceptionnel. Sauf que société distincte ou
société en droit international, lorsqu'on utilise
"société" en droit international, c'est exclusivement pour les
droits corporatifs ou les droits institutionnels. Et, en matière
internationale, on a voulu changer le mot "société" pour parler
de communauté internationale. Je pense que c'est connu. Le ministre le
sait. Cela a fait dire à plusieurs intervenants que
"société distincte", cela ne voulait, à toutes fins
utiles, rien dire et même que quelques libellés pouvaient dire
l'inverse de ce qu'on prétend que cela peut vouloir dire.
C'est-à-dire que cela pourrait dire à la limite et par l'absurde
que ce qui distingue le Québec c'est le fait qu'au Québec les
anglophones soit minoritaires. Il n'est dit nulle part que la
société distincte au Québec, c'est une majorité
composée de francophones. C'est dit "concentré au Québec",
mais cela n'est pas dit majoritairement au Québec.
Est-ce que j'irais trop loin si je vous interprétais en disant
que, si ce n'est pas clairement exprimé que le Québec a le droit
exclusif de légiférer en matière linguistique, cette
entente ne devrait pas être soumise?
M. Laberge: C'est en plein notre position, madame. Encore une
fois, on a vécu cette expérience au sein du mouvement syndical.
Comme vous le savez, nous sommes affiliés au Congrès du travail
du Canada. Alors, on retrouve exactement les mêmes représentants,
neuf contre un. On a vu cela. Nous avons négocié au CTC une
résolution dans laquelle le droit à l'autodétermination du
Québec était clairement spécifié. Cela n'a pas
été facile. Il y a des délégués qui
trouvaient que nous n'allions pas assez loin nous aussi. Nous avons
réussi à faire adopter cela par la vaste majorité des
délégués en congrès; une vaste majorité de
délégués anglophones évidemment. Pour nous, si nous
n'avons pas un droit exclusif sur la langue, si nous n'avons pas le droit de
rapatrier les compétences qu'il nous faut pour protéger mieux et
davantage la main-d'oeuvre - et nous ne l'avons pas - si notre droit à
l'autodétermination n'est pas clairement reconnu - une
société distincte, moi, je suis d'accord avec le ministre, c'est
peut-être un pas de fait - mais si on n'a pas ce droit clairement
spécifié dans la constitution, nous sommes convaincus que ce
serait une erreur tragique de signer l'entente.
Mme Blackburn: Une dernière. Le ministre nous dit souvent
que "société distincte" c'est plus large que le mot "peuple". Il
interprète le mot "peuple" et on finit par comprendre dans sa
définition que, pour définir un peuple, il faut quasiment qu'il
soit itinérant, c'est-à-dire qu'il n'ait pas d'institutions,
qu'il n'ait pas de statut politique particulier, qu'il n'ait pas un
système économique ni un territoire. Il finit par définir
"peuple" comme on parle des Arméniens ou des Juifs, sans territoire,
sans statut politique et sans institutions économiques. Il s'en
défend et il nous dit: Société distincte, c'est plus
large. Pourtant, une société distincte, en droit international,
ce n'est pas reconnu, alors que le droit des peuples est reconnu dont celui
à l'autodétermination.
Je voudrais savoir si, selon vous, cette acception de ce terme
"société distincte" a une référence
équivalente à "peuple". Vous avez réfléchi à
cette question. Je sais que vous n'êtes pas spécialiste en droit
constitutionnel, mais quand même...
M. Laberge: Pour moi, la meilleure façon de vous
répondre, c'est de dire: Donnez-nous en pas plus qu'on en demande. Si
c'est vrai que cela veut dire plus, la constitution ne sera pas faite pour les
experts, elle sera faite pour le monde. Contentez-vous de nous donner le droit
à l'autodétermination et le droit exclusif de
légiférer sur la langue et on sera très content de cela.
Ne nous en donnez pas plus, donnez-nous cela.
Le Président (M. Filion): Mme la députée de
Chicoutimi.
Mme Blackburn: Une dernière petite question, M. le
Président. Quand vous invitez le gouvernement à mettre la
population dans le coup, vous indiquez un certain nombre de moyens pour le
faire. On pense particulièrement au moment où on modifie des
lois; que ce soit des lois du travail, des lois fiscales,
on fait une large consultation. Pensez-vous comme d'autres que, par
exemple, on pourrait former une constituante pour élaborer ce que
pourrait être le contenu d'une prochaine entente?
M. Laberge: Madame, que là vous touchez une question
sensible et nous le disons depuis fort longtempsl On ne voudrait absolument pas
être rabaissés au niveau des lois du travail de certaines autres
provinces et de la loi du travail fédérale, par exemple, tout
particulièrement pour les femmes: Les programmes d'accès à
l'égalité, la question des femmes enceintes et tout ça...
Malheureusement nous avons de nos membres, parce qu'elles sont sous juridiction
fédérale, qui ne peuvent pas profiter des mêmes droits que
les autres travailleuses du Québec. Le monde chez nous trouverait cela
une perte absolument épouvantable.
Si vous le permettez, Claude Ducharme voudrait dire quelques mots.
M. Ducharme (Claude): M. le Président, si vous le
permettez, c'est sur le caractère distinct du Québec. J'ai
entendu M. Rémillard. Au lendemain de la signature de ce
pacte-là, on sera encore là. On va encore négocier avec
GM, Pratt et Whitney, Ford, Chrysler, toutes ces multinationales. On va
être devant eux. Â l'heure actuelle, ce sont des batailles de
tranchées. On a été obligé de faire deux
grèves pour se faire reconnaître au Québec et
reconnaître le fait français, pour pouvoir présenter nos
griefs en français, les discuter et négocier en français
et avoir des conventions collectives de travail rédigées en
français au Québec. Au lendemain de tout cela si on donne une
autre notion... Ce que l'on voit là-dedans, c'est que vous êtes en
train de faire du Québec un Québec bilingue. Et un Québec
bilinque dans le langage international, cela veut dire un Québec
anglophone et après c'est une traduction française. C'est cela en
réalité et quand je vois que l'on dit qu'on aura un Canada
francophone, une qrande concentration au Québec et que l'on n'est pas
limités au Québec, on a l'autre part qui est dans le reste du
Canada, eh bien, je vous dis en pratique ce qui se passe à l'heure
actuelle: Les manuels techniques que l'on reçoit, les textes que l'on
reçoit ce sont des textes anglais traduits maintenant, et en grande
partie, non plus au Québec, mais en Ontario puis on reçoit du
"baragouinage". On ne reçoit plus du français comme on avait
autrefois. C'est ce qui se passe en réalité et tout ce que l'on
vous demande... Quand vous me dites que ce n'est pas cela, allez voir puis
demandez à la compagnie Ford de déposer ses régimes de
retraite en français au Québec en vertu du Code du travail, puis
vous allez voir que c'est un avocat de Toronto qui nous a répondu en
disant que, lui étant à Toronto et la compagnie Ford à
Toronto, ils ont aucune obligation de déposer leurs textes en
français au Québec. C'est cela que l'on vit dans la
réalité et ce que l'on vous demande dans la constitution c'est
que vous négociiez quelque chose, rédigiez quelque chose pour
qu'on ait un Québec, une fois pour toutes, francophone où on ne
sera pas obligé après aux tables de négociations avec les
multinationales, pour avoir du français langue de travail, de faire les
luttes que l'on fait à l'heure actuelle. C'est tout ce que l'on vous
demande, et trouvez les mots. Vous êtes des juristes. Vous êtes des
personnes capables d'en trouver et c'est ce que l'on demande.
Le Président (M. Filion): Merci, M. Ducharme. Je reconnais
maintenant le porte-parole...
M. Lefebvre: M. le Président, est-ce que je dois
comprendre que le temps de l'Opposition est expiré?
Le Président (M. Filion): Non, il reste une
demi-minute.
M. Lefebvre: Combien reste-t-il, M. le Président?
Le Président (M. Filion): Une demi-minute, M. le leader
adjoint.
M. Lefebvre: C'est important que je le sache, M. le
Président...
Le Président (M. Filion): Et quatre minutes au Parti
libéral.
M. Lefebvre: J'ai le droit de vous poser la question, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): Oui.
M. Lefebvre: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Y a-t-il une intervention du
côté du groupe ministériel?
M. Rémillard: Oui. M. Ducharme, je voudrais vous dire que
l'entente du lac Meech ne fera pas du Québec une province bilingue; au
contraire, M. Ducharme, pour la première fois on va reconnaître
dans la constitution que l'Assemblée nationale et le gouvernement ont le
rôle de protéger et promouvoir la spécificité du
Québec. Cette spécificité du Québec est
fondée sur une culture, une langue française. Cela est
évident pour tout le monde.
Ce que je peux vous dire, c'est que nulle part dans votre argumentation
je n'ai entendu ce dernier paragraphe de l'entente du lac Meech concernant le
Québec comme société distincte en ce sens que le
Québec
va avoir le rôle de protéger et de promouvoir. Cela vaut
pour la langue française, pour ta culture française, pour les
institutions, pour les existences de relations du travail, pour nos relations
économiques et pour nos relations sociales. C'est cela qui fait que nous
sommes distincts.
M. Ducharme, les exemples que vous nous donnez, vous allez retrouver
là une assise extrêmement intéressante qui va vous aider
à développer notre spécificité dans des domaines
que vous venez de mentionner. Il faut bien comprendre que la compétence
en matière linguistique, le Québec l'a déjà. Le
Québec a déjà sa compétence sur la langue. II y a
deux limites et je sais que vous êtes d'accord avec ces deux limites.
Il y a l'article 133 de la constitution de 1867 qui fait qu'on peut
parler anglais à l'Assemblée nationale ou à une commission
comme ici et au Parlement du Canada on peut parler français. Est-ce que
vous êtes contre cela? Je pense que vous n'êtes pas contre cela.
D'autre part, l'article 23 de la constitution, de la charte, nous dit que les
parents qui ont fait leurs études primaires en anglais dans une autre
province canadienne, lorsqu'ils viennent au Québec, ils peuvent envoyer
leurs enfants à l'école anglaise. Est-ce que vous êtes
contre la clause Canada? Je pense que je n'ai jamais entendu dire que vous
êtes contre cela.
Donc, ce sont les deux seules limites que nous avons et vous êtes
en faveur de cela comme... Je pense que c'est normal d'être en faveur de
cela. II n'est pas question de mettre dans l'entente du lac Meech des pouvoirs
que nous avons déjà. Nous avons actuellement le pouvoir de
légiférer sur la langue. Nous l'avons et nous le
défendons. Ce que nous allons avoir maintenant c'est une assise encore
plus solide en ce qui regarde la charte des droits, en ce qui regarde d'autres
pouvoirs qui sont peut-être plus ambigus. On ne changera pas le partage
des pouvoirs, mais on va donner des dents à cette
spécificité du Québec, ce qui, parce que nous avons ce
rôle maintenant attribué au gouvernement et à
l'Assemblée nationale, va nous permettre de faire balancer
l'ambiguïté du côté du Québec. Cela, messieurs,
je veux vous dire qu'il faut reconnaître qu'il y a là un gain
majeur et un gain historique.
Vous me dites, M. Laberge: Bravo, vous avez fait un bon bout de
cheminî Finalement, ce que je comprends de votre intervention, c'est que
vous n'êtes pas nécessairement contre l'entente, mais vous dites:
Vous avez fait un bon bout de chemin et cela va assez bien, n'arrêtez pas
là. Savez-vous, M. Laberge, cela me fait penser un peu à une
partie de hockey déterminante pour la coupe Stanley où un joueur
a un très beau jeu, il a une échappée, il est tout seul
devant le but, on a retiré le gardien de but, il peut mettre la rondelle
dans le but et vous dites: Attention! C'est tellement beau de vous voir aller,
vous allez tellement bien, refaites donc un autre petit tour. Allez donc faire
un autre petit tour et vous reviendrez après.
M. Laberge, je dois vous dire - vous le savez, vous êtes un
négociateur - qu'on est parti de loin. Vous savez qu'on avait à
composer avec une situation difficile. Vous savez qu'il a fallu partir avec ce
principe de l'éqalité des provinces qui avait été
reconnu par le PQ, par le gouvernement péquiste, que le Québec
était comme l'Île-du-Prince-Édouard. Vous savez qu'on a
ramassé des pots cassés. On a cette entente. Je peux vous dire
qu'en dehors de cette commission je vais être à votre disposition
et je voudrais vous en parler parce que, quand j'ai commencé à
discuter avec vous sur l'immigration, par exemple, sur d'autres points, je
voyais que cela ne peut peut-être pas être aussi radical. Je vais
vous dire, je suis à votre disposition parce que vous représentez
des travailleurs et des travailleuses, et c'est important que vous soyez au
courant. Je veux vous dire, comptez sur moi, je vais aller vous l'expliquer, je
vais vous parler de cette entente. Vous avez raison de nous dire bravo parce
que c'est une entente historique.
M. Laberge: M. le Président, nous allons certainement
accepter l'invitation du ministre. Nous allons certainement lui en reparler
pourvu qu'on ait la chance de le faire. C'est vrai qu'on a dit: II y a des pas
de faits. Pour prendre votre comparaison, la partie cruciale, la
septième partie pour la coupe Stanley, je comprends votre allusion avec
le gars dans son échappée, mais je comprendrais mal qu'un club
fasse ce que vous êtes en train de faire, parce qu'ils ont compté
deux buts dans la première période et refuseraient de jouer la
deuxième et la troisième.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Laberge: Vous en êtes à la première
période.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie.
M. Rémillard: Vous avez parfaitement raison, mais il y a
une deuxième période de prévue dans l'acte.
Le Président (M. Filion): Donc, il reste une demi-minute
environ à M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): II reste une demi-minute, M. le
Président. Je voudrais évidemment remercier les gens de la
FTQ,
dont M, Laberge, M. Daoust, M. Ducharme et les autres. Pour continuer
l'allégorie, c'est que la deuxième période, d'après
ce qu'on lit dans l'accord du lac Meech, M. le ministre, c'est que vous
"scorez" dans vos propres buts. Cela, c'est inquiétant!
Des voix: Ha! Ha! Ha! M. Daoust: ...
Le Président (M. Filion): Oui, M. Daoust.
M. Daoust: Oui, juste une toute petite correction. M.
Rémillard a mentionné que nous étions d'accord avec
l'article 133, l'article 23, tout ça. Je voudrais rappeler à M.
Rémillard que la FTQ fait partie du MQF qui, à de multiples
reprises, a fait connaître ses vues sur ces articles et sur la
portée de certains textes à l'égard du débat
linguistique. La FTQ en fait partie depuis toujours. Tous les documents du MQF
ont fait l'objet d'une approbation par les instances décisionnelles de
la FTQ. Je voulais donc vous rappeler que, là-dessus, il y a d'immenses
réserves que nous avons exprimées, tant è la FTQ
qu'à l'intérieur du MQF, sur les deux articles que vous avez
mentionnés.
Le Président (M. Filion): Donc, au nom des membres decette commission, M. Laberge, M. Daoust, ainsi que les gens qui vous
accompagnent, je voudrais vous remercier de vous être prêtés
à ces trois périodes de 20 minutes avec autant de
disponibilité.
Nos travaux sont suspendus pour quelques minutes, le temps de laisser
à nos prochains invités le soin de prendre place à la
table des invités.
(Suspension de la séance à 11 h 17)
(Reprise à 11 h 24)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! Nous reprenons donc nos travaux qui avaient été
suspendus. Les représentants d'Alliance Québec ont pris place
à la table des invités. Je leur souhaite la bienvenue. Ils
connaissent déjà sûrement nos règles du jeu: 20
minutes sont consacrées pour l'exposé et les 40 minutes
additionnelles sont partagées en parts égales entre les deux
groupes parlementaires pour échanger avec nos invités.
Au centre de la table, je reconnais M. Michael Goldbloom,
président. Je lui demanderais, tout d'abord, de bien vouloir nous
présenter les personnes qui l'accompagnent; à la suite de quoi,
il pourra faire son exposé. M. Goldbloom.
Alliance Québec
M. Goldbloom (Michael): Merci, M. le Président et MM. les
membres de la commission. Je suis accompagné aujourd'hui du professeur
Stephen Scott de l'Université McGill et de la conseillère
juridique d'Alliance Québec, Mme Kathleen Weil. M. le Président,
ma présentation est d'à peu près 25 minutes et je vous
demande à l'avance s'il sera possible de dépasser
légèrement la période.
Le Président (M. Filion): Consentement. Allez-y pour 25
minutes, M. Goldbloom.
M. Goldbloom: Merci. Nous vous remercions de nous donner
l'occasion de participer à ces délibérations qui sont
d'une importance historique pour le Québec et pour le Canada. En tant
que Québécois qui ont vécu les émotions intenses de
la campagne référendaire de 1980 et qui ont partagé les
attentes envers le renouveau du fédéralisme qu'on promettait
alors, nous avons profondément reqretté le fait que le
Québec ne fut pas l'un des signataires de l'accord constitutionnel de
1982.
The Constitution Act of 1982 marked the end of the last vestige of
Canada's colonial status. But Quebec's moral exclusion from that Act has
remained an unhealed sore. The longer that it is left to fester, the greater
will be the danger to Québec and to the future of our country. For the
last five years, we have lived with the knowledge that Quebec's continued
isolation could eventually jeopardize the foundations of our Federation.
Nous accueillons donc les efforts exceptionnels déployés
par le premier ministre, Robert Bourassa, et ses homologues du
fédéra! et des autres provinces, en reconnaissant que la
réconciliation nationale est un impératif national et en
concluant une entente de principe qui permettra au Québec de signer avec
dignité et confiance la constitution canadienne.
Une constitution établit non seulement les institutions et les
paramètres légaux à l'intérieur desquels une
société évolue; elle inspire aussi les
générations futures par la vision sociale qu'elle propose.
L'accord du lac Meech doit donc être évalué en fonction des
valeurs fondamentales qu'il définit et par l'image qu'il dépeint
du Québec et du Canada.
La vision du Canada qui a toujours inspiré le travail d'Alliance
Québec est celle d'un pays dans lequel deux communautés de
langues officielles peuvent vivre et travailler ensemble dans un respect
mutuel. Nous croyons que la pierre de touche de la dualité linguistique
du Canada doit être l'acceptation, en principe et en pratique, du besoin
d'assurer, de façon continue, que les
Canadiens d'expression française et d'expression anglaise
puissent se sentir chez eux dans leur langue, partout au pays, où qu'ils
choisissent de s'établir.
Afin d'y parvenir, nous croyons que les citoyens d'expression anglaise
et d'expression française doivent obtenir l'assurance que, où
qu'ils aillent au pays, ils pourront se fier à un dénominateur
commun de droits et d'accès à des services de base dans leur
langue.
Nous avons travaillé activement et de façon constructive
pour faire valoir cette vision du Canada non seulement au Québec et
à l'échelon fédéral, mais aussi dans divers forums
dans presque toutes tes provinces de notre pays. Cependant, nous demeurons
Alliance Québec et nous avons systématiquement poursuivi notre
débat fondamental au sein de la société
québécoise. En tant que Québécois, nous ressentons
avec une grande acuité le caractère unique de notre
société. Nous savons que, dans le contexte du respect des droits
fondamentaux, il est légitime et nécessaire pour notre
Assemblée nationale de prendre des mesures positives pour
protéger le français et pour promouvoir le caractère
distinct de notre province. Nous savons également, toutefois, que ce
caractère unique du Québec est partiellement attribuable à
notre présence et à notre engagement.
Enfin, nous avons la conviction profonde que le Québec peut
assurer le caractère distinct de notre société tout en se
faisant le défenseur de droits constitutionnels mieux
protégés pour les communautés minoritaires de langues
officielles partout au Canada.
C'est donc dans cette optique du Québec et du Canada que nous
tenterons d'évaluer l'accord du lac Meech.
Avant d'aborder l'analyse des clauses de l'entente, nous
désirons, comme M. le chef de l'Opposition et d'autres intervenants,
dénoncer le fait que ces audiences se déroulent sans les textes
de loi qui donneront à l'accord du lac Meech une forme
constitutionnelle. La formulation précise dans les deux langues sera
d'une importance capitale. Par conséquent, nous faisons aujourd'hui nos
commentaires sous réserve de l'examen soigneux des textes de loi
précis.
En outre, bien que nous soyons heureux de participer à ces
audiences aujourd'hui, nous déplorons le fait que seul le Québec
tienne de telles audiences publiques avant la prochaine rencontre des premiers
ministres. Il semble exister une stratégie visant à limiter,
voire même à réprimer l'examen et la discussion de la part
du public. Nous parlons ici du texte de loi le plus important de notre pays, La
précipitation dont nos gouvernements font preuve est inconvenante et
inacceptable. Pour qu'un débat public sensé ait lieu, il devrait
être basé sur le texte de loi proposé et se dérouler
non seulement au Québec, mais aussi, à tout le moins, à
l'échelon fédéral et ce, avant et non après la
signature de l'accord.
La Cour suprême. L'accord du lac Meech comprend deux concepts
importants au sujet de la Cour suprême du Canada, le premier étant
la présence assurée de juges du Barreau civil et le second
étant la participation des provinces au processus de mise en
candidature. En ce qui concerne la composition de la Cour suprême, nous
croyons qu'une représentation appropriée de notre système
de droit civil est essentielle. Une tradition de longue date assurait que trois
des neuf juges de la Cour suprême soient du Barreau civil. Nous sommes
heureux que le gouvernement du Québec ait réussi à
conclure une entente pour que cette tradition soit enchâssée dans
la constitution.
Le second élément de la refonte de la Cour suprême
dont fait état l'accord du lac Meech concerne la nomination des juges.
La force et la santé d'une société libre et
démocratique reposent sur des tribunaux indépendants et
impartiaux qui suscitent le respect et la confiance de tous ceux qui
relèvent de leur juridiction et de tous ceux qui comparaissent devant
eux.
Tous les juristes connaissent la vieille maxime qui dit: "Justice should
not only be done, but manifestly and undoubtedly be seen to be done".
Malheureusement, la Cour suprême a, de temps en temps, fait l'objet de
certaines critiques quant au processus de sélection de ses membres.
Depuis des années, les provinces se plaignent que les nominations
à la Cour suprême sont faites par le gouvernement
fédéral et que les gouvernements provinciaux n'y participent pas
de façon officielle.
Il ne s'agit pas ici de savoir si le processus de nomination a ou non
affecté le processus judiciaire. Le problème réside
plutôt dans le fait que le processus de nomination donne lieu à
des interrogations sur la question de la confiance dans la Cour suprême
en tant que telle. Voilà pourquoi nous sommes heureux que l'accord du
lac Meech aborde la question des nominations de la Cour suprême et
concrétise le principe de la participation officielle des deux paliers
de gouvernement au processus de sélection. Nous croyons, cependant,
qu'il est nécessaire de réfléchir davantage à cette
question.
Si l'accord du lac Meech prévoit une participation des provinces
au processus de mise en candidature, il n'aborde pas vraiment le
problème de la politisation du processus de nomination. Il est essentiel
que les simples citoyens canadiens, et non seulement leurs gouvernements, aient
confiance dans leurs tribunaux. Après tout, à cause de
l'enchâssement de la Charte des droits et libertés de la personne
dans la constitution, il est probable que la Cour suprême soit de plus en
plus appelée à juger des différends entre des citoyens et
leur gouvernement.
Le concept d'une liste privilégiée provinciale à
partir de laquelle le gouvernement fédéral doit faire un choix
est presque, à coup sûr, une source potentielle d'affrontements,
d'impasses et de magouille politique. L'accord du lac Meech ne fait rien pour
dépolitiser le processus de sélection ou pour assurer la
participation de la communauté et des citoyens.
Il n'est pas surprenant que l'Association du Barreau canadien ait
condamné le processus de sélection proposé dans l'accord.
L'ABC suggère un comité impartial de mise en candidature
composé de représentants des tribunaux, du Barreau, du public et
des deux paliers de gouvernement. Nous appuyons le concept
suggéré par l'ABC et demandons instamment que des amendements
à la constitution soient formulés en conséquence.
En ce qui concerne le Sénat, depuis des décennies, on
parle de le réformer. Si les projets de réforme peuvent
différer considérablement, un thème général
s'engage de façon systématique. En effet, on croit
généralement que le Sénat devrait offrir une meilleure
représentation, au sein du gouvernement fédéral, de
certains aspects de la réalité canadienne. Quant à savoir
quels aspects et quels moyens, voilà qui demeure un sujet de
controverse. D'aucuns prétendent que le Sénat devrait
refléter notre dualité linguistique. D'autres croient qu'il
devrait assurer l'égalité des provinces. Il est donc clair qu'on
n'en est pas encore arrivé à un consensus.
Néanmoins, l'accord du lac Meech propose qu'en attendant une
réforme globale les sénateurs seront choisis par le gouvernement
fédéral à partir des listes proposées par les
provinces. En même temps, l'entente prévoit que les changements
ultérieurs apportés au Sénat nécessiteront un
accord unanime de toutes les provinces et du gouvernement
fédéral.
Les solutions provisoires ont malheureusement tendance à devenir
permanentes. Dans le cas de la réforme du Sénat, l'accord du lac
Meech accroît ce risque de deux façons. Premièrement,
pourquoi le Québec ou l'Ontario appuyeraient-ils le Sénat des
"trois E" du premier ministre Getty, alors que chacun dispose approximativement
de 25 % des sièges du Sénat? Deuxièmement, pourquoi une
province refuserait-elle l'un des meilleurs dispositifs de patronage jamais
imaginés? D'après l'accord du lac Meech, les gouvernements
provinciaux pourraient soumettre une liste d'amis du pouvoir et les personnes
choisies seraient payées par le trésor fédéral.
Nous croyons que, si réforme du Sénat il y a, elle doit
s'effectuer de façon appropriée et globale après
conclusion d'une entente générale sur l'objet, la nature et la
portée de cette réforme. La solution provisoire actuellement
proposée soulève le risque sérieux de bloquer en fait le
processus de réforme.
Si imparfait qu'ait pu être le processus actuel de nomination des
sénateurs, il a tout au moins témoigné d'un certain effort
et d'une tradition de reconnaître la dualité linguistique
fondamentale du Canada en nommant des sénateurs non
québécois d'expression française et des sénateurs
québécois d'expression d'anglaise. Si le droit de proposer des
candidats au Sénat est accordé aux provinces, il doit
s'accompagner de la responsabilité de respecter la tradition consistant
à assurer la représentation de nos communautés
linguistiques minoritaires. Nulle part dans l'accord du lac Meech ne fait-on
état du maintien de cette tradition.
Nous croyons que toute refonte du Sénat, même celle qui est
proposée dans l'accord du tac Meech, doit comprendre des critères
d'admissibilité et de sélection des sénateurs, y compris
le reflet de notre dualité linguistique et de notre diversité
multiculturelle. En outre, pour aider à assurer l'ouverture du processus
et le respect des critères de sélection, tes listes de candidats
au Sénat devraient être rendues publiques avant que les
éventuels sénateurs soient nommés.
Nous accueillons favorablement la reconnaissance par une clause
interprétative du fait que l'une des caractéristiques
fondamentales du Canada est l'existence d'un Canada francophone,
concentré mais non limité au Québec et l'existence d'un
Canada anglophone, concentré dans le reste du pays, mais présent
au Québec.
Cependant, même si nous sommes satisfaits de la reconnaissance
explicite de notre communauté au sein du Québec, nous trouvons la
formulation inadéquate parce qu'elle ne reflète pas les racines
québécoises de notre communauté d'expression anglaise.
Nous ne sommes pas un prolongement ou une intrusion du Canada anglais au
Québec. Nous sommes une partie intégrante de la
société québécoise et de son histoire. Nous sommes
Québécois, et nous sommes ici chez nous.
En outre, la simple reconnaissance d'un Canada francophone à
l'extérieur du Québec est insuffisante. Tout comme on
reconnaît explicitement la communauté d'expression anglaise du
Québec, on devrait reconnaître clairement le rôle historique
et le statut des communautés d'expression française dans toutes
les provinces du pays.
Notre recommandation est donc que l'article (l)a) devrait être
amendé et se lire comme suit: La reconnaissance que l'existence d'un
Canada francophone, concentré au Québec mais aussi présent
historiquement dans l'ensemble du Canada et celle d'un Canada anglophone,
concentré dans le reste du pays mais aussi présent historiquement
au Québec constitue une
caractéristique fondamentale de la Fédération
canadienne.
The commitment by Parlement and the provincial legislatures expressed in
paragraph 2 to preserve the fundamental linguistic duality of the country
although significant is insufficient.
Just as the role of Legislature and the Government of Quebec in
preserving and promoting Quebec's distinctiveness is to be affirmed there
should be an equally explicite affirmation of the role of the Parliament and of
the provincial Legislatures, not only to preserve but also to promote Canada's
linguistic duality.
La présence de communautés minoritaires de langues
officielles est un facteur primordial pour assurer la dualité
linguistique dans l'ensemble du pays. Les communautés d'expression
française à l'extérieur du Québec connaissent une
baisse démographique. Dans certains cas, le taux d'assimilation menace
leur existence et la communauté d'expression anglaise du Québec
est aux prises avec le défi que pose une perte nette migratoire.
Des mesures récentes, tels le projet de loi 142, au
Québec, qui garantit des services sociaux et de santé en anglais
et le projet de loi 8, en Ontario, qui prévoit des services
gouvernementaux en français, sont des exemples du rôle constructif
que chaque province peut jouer pour promouvoir sa communauté minoritaire
de langue officielle.
Il est donc inacceptable que les premiers ministres ne soient pas
allés plus loin que d'engager leur Législature, en tenant compte
des contraintes de leurs pouvoirs respectifs, à conserver la
dualité canadienne. Si la dualité linguistique du Canada doit
demeurer une facette essentielle de notre pays, nos gouvernements doivent
s'engager à jouer un rôle actif pour promouvoir les
communautés minoritaires de langues officielles où qu'elles
soient au Canada. Nous regrettons particulièrement que le gouvernement
fédéral semble reculer devant sa responsabilité
traditionnelle à cet égard.
Notre recommandation donc est que l'article 2 devrait être
amendé et se lire comme suit: Le Parlement et les Législatures
des provinces, dans l'exercice de leurs compétences respectives,
prennent l'engagement de protéger et de promouvoir la
caractéristique fondamentale du Canada mentionnée au paragraphe
(l)a).
C'est l'étude de ces deux articles qui ont trait à la
dualité et au caractère distinct du Québec qui nous a
amenés à la conclusion malheureuse, mais inévitable que le
Québec n'a pas réussi à atteindre l'un de ses principaux
objectifs énoncés dans le cadre de la réforme
constitutionnelle. Le 9 mai 1986, à Mont-Gabriel, le ministre
québécois des Affaires intergouvernementales canadiennes avait
déclaré que l'un des trois principaux objectifs du Québec
serait d'arriver à améliorer la situation des francophones au
Québec. Il avait souliqné deux domaines où des
progrès pourraient être réalisés:
premièrement, une clarification de l'article 3b de l'article 23 de la
Loi constitutionnelle de 1982 afin de prévoir explicitement que les
membres des communautés minoritaires de lanques officielles aient le
droit de contrôler et d'administrer leurs propres écoles;
deuxièmement, le retrait possible du critère de "lorsque le
nombre le justifie" qui limite le droit pour la minorité de recevoir
l'instruction dans sa lanque.
Ni l'une ni l'autre de ces questions n'est abordée dans l'accord
du lac Meech. À l'absence de progrès dans ces domaines, si l'on
ajoute, d'une part, le fait que l'accord ne prévoit pas une
reconnaissance explicite de la présence d'une communauté
francophone dans chaque province et chaque territoire et, d'autre part,
l'absence d'engagement de la part des gouvernements fédéral et
provinciaux à promouvoir les communautés francophones hors
Québec, on peut conclure que le Québec et ses partenaires de la
confédération n'ont pas réussi à assumer leurs
responsabilités historiques. "The question has been asked: Who spoke for
Canada at Meech Lake? We must now ask the question: Who spoke for the
linguistic minorities?"
Quant à la reconnaissance à l'article (l)b) que le
Québec constitue au sein du Canada une société distincte,
et l'identification à l'article 3 du rôle de l'Assemblée
nationale et du gouvernement du Québec pour conserver et promouvoir ce
caractère distinct, Alliance Québec affirme, comme elle l'a
toujours fait, son accord. Nous avons maintes fois répété
qu'il est à la fois nécessaire et légitime pour le
gouvernement du Québec, tout en respectant les droits fondamentaux, de
prendre des mesures positives en vue de protéger le français. Le
contexte nord-américain posera toujours un défi particulier
à la langue française, et nous partageons tous la
responsabilité de faire face à ce défi.
Bien que l'accord du lac Meech situe le caractère distinct du
Québec dans le contexte de la dualité linguistique du Canada, il
ne le définit pas.
L'article (l)a) parle d'un Canada francophone concentré au
Québec, et le caractère français prédominant du
Québec est certainement l'élément le plus évident
du caractère unique de notre province. Mais cela demeure une image
incomplète de ce qui distingue le Québec des autres
provinces.
Notre système de droit civil et le caractère particulier
de bon nombre de nos institutions constituent d'autres éléments
du caractère distinct du Québec et, pourtant, la
spécificité du Québec représente davantage
que la somme de tous ces éléments.
Le caractère distinct du Québec est l'aboutissement d'une
évolution graduelle et continue sur le plan historique, social et
politique. La dynamique de l'interaction entre le caractère
français prédominant du Québec, sa composante historique
d'expression anglaise et sa diversité culturelle et linguistique
croissant définit notre société et fait partie
intégrante de sa spécificité. (11 h 45)
Le Québec est une société de minorités au
sein d'une minorité. C'est la seule province comptant une
majorité d'expression française au sein de la
Fédération canadienne. Il s'agit, en fait, de la seule
juridiction à prédominance française dans toute
l'Amérique du Nord. Le Québec est aussi la seule province au
Canada comptant une minorité d'expression anglaise.
Non seulement cette dynamique distingue-t-elle l'ensemble de la
société québécoise, mais aussi donne-t-elle
à chacune de ses communautés un caractère particulier qui
les distingue des communautés comparables ailleurs. Ainsi, la
communauté d'expression anglaise du Québec partage une langue
avec la majorité à l'extérieur du Québec, mais elle
a acquis un caractère spécifiquement québécois.
Les communautés italienne, grecque, portuguaise, indienne,
haïtienne, caraïbe et toutes les diverses autres communautés
culturelles du Québec partagent un patrimoine et une langue avec des
communautés ailleurs au Canada, mais elles ont également
été spécifiquement transformées par leur
expérience au sein de la société québécoise.
Cependant, ces transformations ne diminuent pas la diversité de la
société québécoise. Les interactions des
différentes communautés du Québec, majoritaire et
minoritaires, ne les rendent pas toutes semblables, mais en font plutôt
des communautés distinctement québécoises.
Par conséquent, le caractère unique et particulier du
Québec est en partie le déploiement d'une diversité
culturelle et linguistique au sein d'une société à
prédominance d'expression française. Le rôle de la
Législature et du gouvernement de Québec, voire le défi
qui leur est posé, est donc de maintenir cette diversité tout en
favorisant le caractère français du Québec.
Nous crayons profondément que le prix de la protection du
français au Québec n'a pas besoin d'être et ne doit pas
être l'uniformité linguistique et culturelle. Il est à la
fois possible et désirable de construire une société, ni
"melting-pot", ni mosaïque, dans laquelle toutes les communautés
qui en font partie peuvent manifester leur identité, tout en partageant
la responsabilité de conserver le caractère à
prédominance française du Québec.
There is no place in the vision of an open pluralistic society for a
view of any of its member communities as alien or threatening. We are all
Quebeckers in a multitude of ways. All of us, and notably this English-speaking
community, are part of what makes Quebec distinct.
C'est à la suite de ces réflexions sur les nombreuses
composantes du caractère unique du Québec que nous nous sommes
progressivement éloignés de la notion que le caractère
distinct du Québec pourrait et devrait être défini. Nous
avons suivi attentivement les discussions sur cette question lors des audiences
de cette commission et ailleurs et nous sommes persuadés qu'en donnant
une définition du caractère distinct du Québec on
risquerait de limiter ce caractère et d'obtenir une définition
qui pourrait perdre sa validité avec le passage du temps.
La critique vigoureuse du député fédéral de
Saint-Henri-Westmount au sujet de l'absence de définition du
caractère distinct du Québec reflète une
préoccupation profonde de certains membres de la communauté
d'expression anglaise du Québec. La critique tout aussi vigoureuse du
chef de l'Opposition à l'Assemblée nationale sur cette même
question, quoique motivée par des raisons diamétralement
opposées, reflète un degré de préoccupation
comparable. Ces appréhensions sont réelles et justifiables et les
déclarations contradictoires du sénateur Murray, du ministre
Rémillard et d'autres intervenants quant à savoir si cette clause
risque ou non d'accroître les pouvoirs du Québec ne contribuent
qu'à exacerber ces tensions. Nous ne devons, toutefois, pas succomber
è une telle anxiété. Nous ne devons pas nous enferrer dans
un débat où chaque partie tenterait d'obtenir la
définition qui lui serait la plus favorable et lors duquel les tensions
ne pourraient que s'accroître. Continuons plutôt à faire
évoluer la société québécoise en continuant
à progresser ensemble.
En fait, la spécificité du Québec, tout en
conservant son aspect à prédominance française,
évoluera de pair avec notre société dynamique. Elle pourra
fort bien justifier un rôle plus important pour le Québec dans les
relations internationales, dans les politiques sociales ou fiscales, dans le
domaine des communications ou dans une foule d'autres domaines.
Personne ne peut prévoir avec certitude ce que la reconnaissance
du Québec en tant que société distincte au sein du Canada
signifiera ultimement ou quels effets elle aura sur les communautés
d'expression française et anglaise du Québec. Cependant, Alliance
Québec s'est toujours démarquée par sa conviction que nous
pouvons et devons faire confiance à nos concitoyens et à nos
institutions démocratiques. Nous sommes donc
prêts à faire le saut dans l'inconnu où peut nous
entraîner cette nouvelle clause parce que nous faisons confiance au
Québec et au sens de justice de la société
québécoise.
Nous demandons comme garantie l'assurance que toute
société démocratique doit offrir à tous ses
citoyens, soit celle que leurs droits fondamentaux seront respectés.
Nous croyons que le caractère distinct de la société
québécoise peut et doit être conservé sans
transgresser les droits de ses citoyens. L'accord du lac Meech ne devrait pas
servir de base pour restreindre les droits constitutionnels fondamentaux de
quelque Canadien que ce soit.
Lorsque le ministre délégué aux Affaires
intergouvernementales canadiennes a lancé l'initiative constitutionnelle
du Québec au Mont-Gabriel, il a déclaré qu'il
était, en général, satisfait de la Charte canadienne des
droits et libertés et que le Québec voulait que ses citoyens
aient les mêmes droits que les autres Canadiens. Nous croyons que cet
engagement devrait être rendu explicite dans l'accord du lac Meech.
Notre recommandation, donc, c'est qu'une clause finale soit
ajoutée à la nouvelle loi constitutionnelle, se lisant comme
suit: Rien de ce qui précède ne peut déroger à
aucun droit ou liberté accordé par ou en vertu de la constitution
du Canada.
Dans ses "Essays on the Constitution", le regretté F.R. Scott
écrivait: "Every legal change involves a choice of values. Changing a
constitution confronts a society with the most important choices, for in the
constitution will be found the philosophical principles and rules which largely
determine the relations of the individual and of cultural groups to one another
and to the State. If human rights and harmonious relations between cultures are
forms of the beautiful, then the State is a work of art that is never
finished."
M. le Président, MM. membres de la commission, nous vous
remercions de nous avoir permis de présenter ce mémoire en cette
occasion historique. Merci.
Le Président (M. Filion): M. Goldbloom, je voudrais vous
remercier de votre mémoire et aviser chaque groupe parlementaire qu'il
lui reste un peu plus de quinze minutes pour échanger avec nos
invités.
Alors, la parole est à M. le ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales
canadiennes.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. Goldbloom,
M. le professeur Scott, Mme Weil, on vous accueille avec plaisir et je tiens
à vous remercier d'avoir accepté de venir témoigner devant
nous.
Vous avez raison de terminer votre mémoire en citant Frank Scott,
éminent juriste québécois canadien. On se souvient des
batailles de Frank Scott pour le respect des droits et libertés
fondamentales. On se souvient que c'est le professeur Scott qui a fait cette
bataille contre le premier ministre Duplessis dans l'affaire Roncarelli versus
Duplessis; c'est lui qui s'est battu pour faire reconnaître le droit
à M. Roncarelli d'être traité avec égalité
même s'il ne pratiquait pas une religion qui pouvait être celle de
la majorité, et qu'il ne devait pas être discriminé. Le
professeur Scott a finalement gagné en Cour suprême.
C'était un éminent juriste, un défenseur des droits et des
libertés fondamentales, qui avait aussi une pensée sociale
politique particulièrement bien articulée et qui avait ce sens
des droits collectifs, tout en étant un grand défenseur des
droits et libertés individuelles. Donc, je trouve que vous avez
particulièrement bien fait de citer le professeur Scott.
Dans votre mémoire, vous ne vous penchez pas sur certains points
de l'entente du lac Meech comme l'immigration ou le pouvoir de dépenser.
Vous vous attardez à la société distincte, à la
dualité canadienne. Vous abordez aussi la question de la Cour
suprême du Canada. Je vous avoue que j'ai un peu de difficulté
à vous suivre parce que vous ne semblez pas d'accord pour que ce soit le
Québec qui fournisse une liste de noms au gouvernement
fédéral qui, lui, nomme, à même cette liste, le juge
qui sera parmi les trois juges qui représentent les juges de droit civil
au sein de la Cour suprême. Je n'ai pas tellement bien compris votre
raisonnement. J'ai l'impression que vous mettez de côté la
possibilité pour le Québec - ce que le Québec fera
certainement - de mener une consultation, c'est-à-dire une consultation
auprès des organismes impliqués et intéressés dans
la nomination d'un tel juge. Pourriez-vous nous expliciter un peu plus votre
pensée sur ce point?
M. Goldbloom: Bon, essentiellement, M. le ministre, nous sommes
d'accord pour que le Québec ait un rôle beaucoup plus important
dans la nomination des juges de la Cour suprême. Je pense que je l'ai dit
clairement dans le mémoire. Ce que nous voulons voir, c'est une
assurance que cette procédure de consultation va avoir Heu. Vous nous
indiquez maintenant que c'est l'intention du gouvernement du Québec de
le faire. Si c'est l'intention, je crois qu'il serait approprié que ce
soit inclus dans la constitution canadienne pour indiquer que les gouvernements
provinciaux sont obligés de participer à un processus de
consultation pour s'assurer que les Barreaux, dans les différentes
provinces et que les citoyens auront l'occasion de participer. Je ne voulais en
rien dire que nous sommes contre le rôle accru du Québec dans la
nomination des juges. Nous avons dit simplement que nous voulons voir une
dépolitisation de ce
processus de nomination. La façon de le faire - c'est cela que le
Barreau canadien a proposé - c'est d'assurer un rôle pour le
Barreau et pour d'autres intervenants dans une province d'être parties
à cette consultation. Nous croyons qu'une participation à un
conseil de nomination où le gouvernement fédéral et la
province de Québec seraient impliqués avec d'autres intervenants
de la société est une bonne façon d'assurer cette
dépolitisation des nominations.
M. Rémillard: Oui. M. Goldbloom, vous êtes
accompagné du professeur Scott, un constitutionnaliste à
l'Université McGill. Est-ce que vous avez regardé l'entente en ce
qui regarde l'immigration et la formule d'amendement? Est-ce que vous avez des
commentaires à nous faire valoir sur ces points?
M. Goldbloom: Non, M, le ministre. Nous avons livré les
commentaires que nous avions. Sur la formule d'amendement et sur l'immigration,
noua n'avons pas de commentaire aujourd'hui.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre. Je vais
reconnaître maintenant M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Merci, M. Goldbloom, professeur Scott et
madame, pour votre mémoire où on reconnaît, je pense, le
style pondéré des présentations auquel vous nous avez
habitués depuis quelques années. Au coeur de ce mémoire,
il y a une question assez fondamentale qui se pose. C'est le fameux article sur
la reconnaissance du caractère distinct du Québec. Les
paragraphes de l'entente ou du projet d'entente du lac Meech confèrent,
d'une part, au Canada cette caractéristique fondamentale de la
dualité linguistique et la responsabilité qui en découle
pour les Législatures non pas de promouvoir, comme vous le soulignez,
mais de protéger ce caractère et, d'autre part, l'affirmation de
l'existence d'un caractère distinct de la société
québécoise et du rôle du gouvernement du Québec de
protéger et de promouvoir ce caractère distinct.
Au coeur de cela, il y a la question des pouvoirs en matière
linguistique. Je dois dire que cela me fait toujours un peu mal d'entendre le
couteau crissant du ministre dans notre plaie collective, l'affaire
Roncarelli-Duplessis, comme si ce stigmate de notre histoire des droits et
libertés devait nous être rappelé avec complaisance par
ceux-là mêmes qui appartiennent à la société
qui l'a vécu, pas plus, d'ailleurs, j'ai l'impression, que cela ne doit
faire l'affaire des gens en Colombie britannique de se faire rappeler qu'ils
ont mis en prison des gens dont le seul défaut était d'avoir la
peau jaune pendant la dernière guerre mondiale. (12 heures)
Mais ta vraie question, c'est celle des pouvoirs linguistiques autour de
la société distincte en ce qui a trait aux préoccupations
de votre mémoire. Vous ne nous avez - parce que c'est parfaitement votre
droit - parlé ni d'immiqration, ni de la formule d'amendement. Le
ministre aurait bien aimé vous entendre applaudir à ces choses,
parce qu'il fait ça à chaque invité.
Le fond des choses... Est-ce que vous retenez l'interprétation du
sénateur Murray ou l'interprétation du ministre au sujet de la
société distincte? Le sénateur Murray dit ceci, le 5 mai
1987, page 940 des débats du Sénat. Comme vous le savez, le
premier ministre veut me nommer au Sénat bientôt. Alors, je fais
la lecture des débats du Sénat.
À la page 940, M. Murray dit ceci en réponse à des
commentaires du sénateur MacEachen et du sénateur Roblin: "Nous
imposons donc, en l'occurrence, aux tribunaux, l'obligation
d'interpréter la constitution d'une manière qui soit compatible
avec a) l'existence du Québec comme société distincte
à l'intérieur du Canada et avec b), ce que je décrirais,
en deux mots, comme la dualité linguistique comme caractéristique
fondamentale de notre fédération."
De son côté - le ministre, le dit aussi - le premier
ministre encore hier, je pense, devant le congrès des inqénieurs
du Canada, déclarait que jamais le français ne serait si bien
protégé au Québec que par le projet d'entente du lac
Meech. Tout en déplorant l'absence de textes, comme vous l'avez fort
bien fait et comme nous nous en plaignons depuis le début, est-ce que,
compte tenu de ce qu'on a entre les mains, qui est le projet d'accord du lac
Meech, vous êtes incliné à croire que c'est M, Bourassa et
le ministre qui ont raison et que l'accord du lac Meech fait que la
société distincte l'emporte et, donc, que les conflits en
matière linguistique seraient tranchés en faveur des
législations québécoises ou est-ce que vous avez
plutôt l'impression, comme le sénateur Murray, que les tribunaux
interpréteront fondamentalement la réalité
québécoise comme faisant partie de la dualité canadienne,
caractéristique fondamentale de la fédération, ce qui va,
je dois le dire, passiblement dans le sens de ce que vous souhaitez - ce dont
vous ne vous cachez pas - et de ce que vous dites, d'ailleurs, très
clairement dans votre mémoire?
M. Goldbloom: Comme je l'ai dit dans le mémoire, ce que
veut dire cette phrase-là sur la société distincte n'est
pas très claire. La première position, M. Johnson, qu'Alliance
Québec a prise, c'était d'avoir une définition très
claire de la société distincte.
Évidemment, nous aurions aimé voir notre communauté
incluse dans cette définition.
Nous avons entendu les discussions. D'autres personnes ont dit non. Ce
qui rend le Québec distinct, c'est exclusivement sa
caractéristique française. Pour nous, c'e3t évident que
c'est le fait français qui est l'élément essentiel de la
société distincte du Québec. Mais il y plusieurs autres
éléments. C'est ça que j'ai essayé
d'énumérer dans le mémoire.
Je pense qu'il faut reconnaître que nous tous sommes dans une
situation où il faut essayer d'évaluer et personne n'est certain.
Cela risque d'augmenter les pouvoirs du Québec dans le contexte de
promouvoir le fait français, de le protéger. Mais
j'espère, de la façon dont je le lis, que ça n'aura pas
l'effet de diminuer les droits des autres. La raison pour laquelle je demande
une clause de non-dérogation aux droits fondamentaux, c'est
explicitement celle-là.
Je l'ai dit dans le mémoire: Nous avons confiance dans cette
société, dans ses institutions démocratiques et dans nos
traditions de respect des valeurs fondamentales. Tout ce que nous demandons,
c'est que, si on n'est pas pour définir ce qui rend le Québec
distinct, on devrait être prêt, comme n'importe quelle
société démocratique, à assurer que les droits
fondamentaux des individus seront respectés.
Donc, ce sont les perspectives qui nous amènent à
ça, mais nous sommes, comme vous, devant des déclarations
contradictoires. Hier soir, Me Langlois disait que cela a augmenté d'une
façon importante les pouvoirs du Québec. Pour certaines gens - et
vous les connaissez très bien - pour certains membres de notre
communauté, cette question les rend très nerveux à savoir
ce que cette clause peut produire. La position d'Alliance Québec est de
faire confiance à l'Assemblée nationale, à nos tribunaux
et à notre société. Tout ce qu'on demande, c'est au moins
l'assurance que les droits fondamentaux des Canadiens seront respectés.
C'est l'approche que nous avons sur cette question.
M. Johnson (Anjou): Donc, vous vous opposez à ce que
disait M. Bourassa hier. Au cas où on interpréterait ou
appliquerait la charte canadienne pour restreindre la capacité du
Québec de disposer de questions spécifiques en matière
linguistique, M. Bourassa oppose à cela: II y a toujours la clause
"nonobstant". Vous vous opposez donc à cela?
M. Goldbloom: Ce que je crois, M. le chef de l'Opposition, c'est
qu'il y a déjà dans la constitution le paragraphe 1 qui permet
à un gouvernement de déroger aux droits fondamentaux quand c'est
raisonnable dans une société démocratique. À mon
avis, c'est une protection suffisante pour que le
Québec puisse assurer son caractère distinct.
M. Johnson (Anjou): Merci, M. Goldbloom.
M. Goldbloom: Merci.
Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître
maintenant M. le député de Bourget.
M. Trudel: M. Goldbloom, je vais me faire tantôt, ce qui va
étonner les gens de l'Opposition je pense bien, le porte-parole de M.
Jacques-Yvan Morin qui avait un messaqe, semble-t-il, pour vous, la semaine
dernière. Mais je vais vous poser cette question tout à l'heure,
pour connaître votre réaction.
J'aimerais attirer votre attention à la page 17 de votre
mémoire, alors que vous définissez la "société
distincte" du Québec, ce sur quoi vous insistez évidemment
beaucoup. Je vous comprends. Au deuxième paragraphe de la page 17,
j'aimerais vous proposer un petit changement dans ce que vous dites et avoir
votre réaction par la suite. "Par conséquent,
écrivez-vous, le caractère unique et particulier du Québec
est en partie le déploiement d'une diversité culturelle et
linguistique au sein d'une société à prédominance
d'expression française. Le rôle de la Législature et du
gouvernement du Québec, voire le défi qui leur est posé,
est donc de maintenir cette diversité, tout en favorisant le
caractère français du Québec".
Est-ce que je peux me permettre de vous suggérer une autre
rédaction et avoir votre réaction là-dessus? Je dirais
plutôt ceci: Le rôle de la Législature et du gouvernement du
Québec, voire le défi qui leur est posé, est donc de
favoriser cette diversité tout en maintenant le caractère
français du Québec. J'aimerais avoir votre réaction
là-dessus, M. Goldbloom. Je pense qu'il y a une différence de
sens importante. Il y a surtout une différence d'emphase. Dans un cas,
vous...
M. Goldbloom: Non, je ne serais pas d'accord avec vous, M. le
député. Je crois que le Québec a une obligation de
favoriser son caractère français. Je crois que c'est un
élément plus positif et plus actif. Favoriser les deux,
peut-être, mais je ne changerais pas par "maintenir le caractère
français". Je crois qu'il faut toujours faire un effort pour promouvoir.
Une des grandes critiques que j'ai sur l'accord du lac Meech, c'est que, pour
les minorités linguistiques et surtout pour les francophones hors
Québec, il n'y a rien dans cet accord qui indique que les gouvernements
provinciaux ont l'obligation de promouvoir. Donc, on maintient le statu quo,
mais on ne va faire aucun effort pour assurer qu'il y aura des
communautés
minoritaires de langues officielles, par exemple, en Gaspésie ou
au Manitoba ou en Alberta.
Je crois que les gouvernements ont une responsabilité envers les
minorités linguistiques du pays. Jusqu'à un certain point, je
suis obligé de vous dire qu'on a eu l'impression que c'étaient
plutôt les majorités linguistiques du pays qui se sont mises
ensemble et qui en sont arrivées à un règlement. Je dis
clairement que la situation des anglophones du Québec est de loin
meilleure que celle des francophones hors Québec. C'est clair, tout le
monde le sait. Mais je trouve qu'un des grands éléments manquants
dans cet accord, c'est qu'il n'y a presque rien qui assure une promotion des
francophones hors Québec. Comme je l'ai dit, le ministre
Rémillard, à Mont-Gabriel, a précisé que ce serait
un des objectifs principaux de ce processus. Je me pose la question: Où
sont les éléments positifs des progrès qui ont
été faits?
M. Trudel: D'accord. Je vous remercie. Deuxième question.
Je vous ai dit que je me ferais son porte-parole, disons que je vais
répéter une phrase que M. Jacques-Yvan Morin a prononcée
jeudi dernier. Il a dit: Je propose qu'on demande l'avis d'Alliance
Québec. Donc je vous demande votre avis en son nom puisque,
paraît-il, il est parti après avoir conseillé le chef de
l'Opposition rapidement pendant deux jours. La suggestion de Me Morin
était la suivante et je la trouve à la page 5 de son intervention
de jeudi dernier ou encore dans Le Devoir de ce matin au sous-paragraphe
"Deux poids, deux mesures".
M. Morin proposait l'amendement suivant à la façon de
définir la dualité fondamentale du Canada: "la reconnaissance
que l'existence d'un Canada anglophone, concentré mais non limité
aux provinces anglophones, et celle d'un Canada francophone, concentré
au Québec, mais présent au Canada, constituent une
caractéristique fondamentale de la Fédération canadienne."
Donc, il y avait, quand même, inversion et Me Morin nous suggérait
de vous demander ce que vous en pensiez. Je le fais avec grand plaisir en son
nom.
C'est peut-être la première et surtout la dernière
fois que je vais faire quelque chose au nom de Me Morin.
M. Goldbloom: Cela va peut-être vous étonner, mais
même si je ne suis pas d'accord avec la formulation proposée par
le professeur Morin, je serais en faveur de l'idée qui est
derrière cela. Si vous regardez à la page 11 de notre
mémoire, c'est explicitement cela que nous avons proposé.
Cela fait cinq ans maintenant qu'Alliance Québec existe. C'est
évident que cinq ans comparés aux 120 ans de notre pays, ce n'est
pas très long, mais ce que nous avons essayé de faire- dans notre
organisation, c'est donner un appui aux minorités linguistiques partout
au pays et nous n'acceptons pas qu'il n'y ait pas la même reconnaissance
des francophones hors Québec que celle qu'il y a maintenant dans
l'article (l)a) pour les anglophones du Québec. Pour nous, chaque fois
que la dualité linguistique fait un pas en avant, c'est dans
l'intérêt de toutes les minorités linguistiques du pays en
général. Donc, c'est l'approche que nous avons toujours eue et
nous continuons de l'avoir. C'est pour cela que nous faisons les
recommandations que vous voyez à la page 11.
M. Trudel: Je vous remercie, M. Goldbloom.
Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître
maintenant un porte-parole de l'Opposition, avec la permission des membres de
cette commission.
M. Goldbloom, à la page 20 de votre mémoire, vous revenez
sur les droits constitutionnels fondamentaux et vous faites allusion, au
troisième paragraphe, à la déclaration du ministre
déléqué aux Affaires intergouvemementales canadiennes au
Mont-Gabriel selon laquelle, en général, il était
satisfait de ta Charte canadienne des droits et libertés de la personne
et que le Québec voulait que ses citoyens aient les mêmes droits
que tes autres Canadiens. Vous concluez ce passage-là de votre
exposé en disant: "Nous croyons que cet engagement devrait être
rendu explicite dans l'accord du lac Meech." J'aimerais que vous puissiez
m'expliciter un peu votre pensée lorsque vous dites que cet engagement
devrait être rendu explicite dans l'accord du lac Meech.
M. Goldbloom: Ce que nous proposons, c'est l'ajout d'une clause
à cet effet-là. La raison découle de notre vision
fondamentale du Québec et du Canada selon laquelle il est possible de
protéger le fait français au Québec tout en respectant les
droits fondamentaux des Canadiens. C'est l'élément de base
d'Alliance Québec. Nous avons toujours cru qu'il était possible
de faire un progrès pour le français au Québec et
d'assurer sa protection sans limiter les droits de qui que ce soit. Donc, c'est
ce que nous voulons. Comme la clause de ta société distincte est
écrite d'une façon très générale et a un
impact non seulement sur la charte, mais sur toute la constitution canadienne,
tout ce que nous demandons, c'est que les droits fondamentaux des Canadiens qui
existent déjà ne soient pas limités à cause de
l'accord du lac Meech. Il me semble que c'est une des choses les plus simples
et les plus fondamentales dans un société démocratique que
les droits fondamentaux
des gens soient respectés. C'est pour cela que nous proposons que
cela soit inclus.
Le Président (M. Filion): Donc, est-ce è dire que
vous craignez que l'accord du tac Meech contienne une forme de limitation
à l'application des droits constitutionnels? (12 h 15)
M. Goldbloom: M. le Président, depuis plusieurs jours, on
entend des déclarations des deux côtés de la Chambre et un
peu partout au pays sur l'impact de cela. Certains politiciens disent qu'il y a
une augmentation importante des pouvoirs du Québec; d'autres disent que
cela ne veut rien dire, que cela ne donne rien au Québec. Ce que nous
disons, c'est que nous sommes prêts à vivre avec cette
ambiguïté. Nous sommes prêts à faire ce pas en avant
qu'est l'accord du lac Meech, mais seulement avec la garantie, normale dans une
société démocratique, que les droits fondamentaux des gens
soient respectés.
Le Président (M. Filion); Évidemment, vous incluez
la Charte canadienne des droits et libertés comme faisant partie des
droits fondamentaux de chaque Canadien.
M. Goldbloom: La charte canadienne, ce n'est pas la charte du
fédéral, ce n'est pas la charte d'une province, c'est la charte
du pays. Ce sont les droits de tous les Canadiens. Cela n'appartient ni
à une province, ni au gouvernement fédéral. Cela
appartient à tous les Canadiens et à tous les
Québécois.
Le Président (M. Filion): D'accord. À ce moment, ma
question est la suivante: Comment conciliez-vous cela avec le fait -vous le
dites dans les premières pages, la première partie de votre
mémoire - qu'il est important de favoriser le fait français au
Québec? Là-dessus vous reprenez même le
député de Bourget qui vous suggérait de maintenir le fait
français tout en favorisant la diversité. Vous lui avez
répondu qu'il est plutôt important de favoriser le fait
français tout en maintenant la diversité. Comment conciliez-vous
le fait que la Charte de la langue française qui, de l'avis des
parlementaires qui l'ont votée, qui étaient élus,
était là pour permettre l'épanouissement du fait
français au Québec, a été, comme vous le savez fort
bien, charcutée en bonne partie par l'application de la Charte
canadienne des droits et libertés, avec ce que vous demandez à la
fin de votre mémoire, lorsque vous dites qu'il est important que les
droits constitutionnels, donc ceux compris dans la Charte canadienne des droits
et libertés, s'appliquent à chaque Québécois?
J'aimerais que vous puissiez me faire part de votre vision à
l'égard de ces deux affirmations que vous faites.
M. Goldbloom: D'accord. C'est très simple -et c'est
l'essentiel du travail d'Alliance Québec. Nous croyons, dans toutes
sortes de domaines, que c'est légitime et nécessaire pour le
gouvernement du Québec d'intervenir pour assurer la protection du
français, que ce soit le français langue du travail, que ce soit
le français langue des services gouvernementaux, que ce soit - on sait
que c'est une question qui est devant les tribunaux maintenant - d'obliger
l'utilisation du français dans chaque affiche commerciale dans toute la
province; ce sont tous des éléments qui assurent une protection
à la langue française. Nous croyons que cet effort de promotion
et beaucoup d'aspects de la loi 101 ne touchent pas les libertés
fondamentales. Elles existent toujours.
Nous croyons que c'est possible pour le Québec de continuer
à jouer son rôle. On voit le Québec, aujourd'hui, on est
obligé de constater que le progrès du français, depuis dix
ou quinze ans, est très important. Je regarde ma propre
communauté, je vous dis que l'effort d'apprendre le français et
d'être capable de vivre et de travailler en français est
énorme dans notre communauté. Donc, ce que je vous dis, c'est que
c'est possible, même facile, de protéger le français tout
en respectant les droits fondamentaux enchâssés dans la charte et
dans la charte québécoise des droits.
Le Président (M. Filion): Est-ce que nous nous entendons
que, exception faite de cette clause concernant le caractère distinct du
Québec, rien dans l'accord du lac Meech n'empêche la pleine
application de la Charte canadienne des droits et libertés aux lois
québécoises?
M. Goldbloom: Je ne vois pas l'utilité de la question, M.
le Président. La clause est là. Cette clause a un impact. C'est
une clause d'interprétation qui a préséance sur toutes les
autres clauses de la constitution, pas seulement sur la charte. Donc, l'impact
est là.
Le Président (M. Filion): C'est parce que vous-même
admettiez que cette clause avait des conséquences juridiques très
imprécises, floues, contradictoires. C'est pour cela que je vous posais
la question uniquement pour être sûr qu'on se comprenne, bien que,
si on fait exception de la portée encore inconnue de cette clause, rien
dans l'accord du lac Meech n'empêchait la pleine application de la charte
canadienne des droits sur les législations
québécoises.
M. Goldbloom: Je suis d'accord avec cette affirmation.
Le Président (M. Filion): Vous êtes d'accord. Je
vous remercie.
Je vais reconnaître maintenant un porte-parole du parti
ministériel.
M. Rémillard: Puisque vous avez épuisé votre
temps, M. le Président, je vais prendre le mien, Je voudrais dire qu'au
Mont-Gabriel nous avions mentionné qu'il fallait être
particulièrement attentif en ce qui a trait aux droits des
minorités francophones à l'extérieur du Québec.
Vous avez mentionné, à juste titre, tout à l'heure,
M. Goldbloom, que la situation de la minorité anglophone ici au
Québec ne se compare pas à la situation de la minorité
francophone à l'extérieur du Québec. Ce sont deux choses
différentes. Cependant, pour la première fois dans l'histoire de
cette Fédération canadienne, après des années et
des années de discussions, nous en arrivons à une description de
ce qu'est la dualité. Dans ce contexte, vous ne croyez pas que c'est
là un pas très important pour la reconnaissance, justement, des
minorités nationales, soit anglophone au Québec ou francophone
hors Québec, et que ce fait vient apporter une dimension tout à
fait nouvelle à la constitution canadienne?
Bien sûr, on pourrait discuter de l'article 23 de la Charte
canadienne des droits et libertés de la personne et tenter d'en enlever
les mots, "si le nombre le justifie". Combien faut-il de moutons pour former un
troupeau? Accorder des droits lorsque le nombre le justifie est une expression
qui n'est pas des plus heureuses et qui cause problème. Il faudra se
pencher sérieusement sur cette expression comme aussi sur le fait
qu'à l'article 23 il n'est pas clair que les minorités
linguistiques nationales aient le droit d'avoir la gérance de leurs
établissements scolaires. C'est un autre point. On sait que la Cour
d'appel de l'Ontario a dit oui, mais c'est une Cour d'appel, ce n'est pas la
Cour suprême. En fait, il y a des difficultés dans l'article 23.
On en est conscient. Ce qui serait intéressant, c'est de pouvoir en
discuter dans le deuxième round de discussions constitutionnelles parce
que l'entente du lac Meech porte sur cinq points. Il s'agit des cinq points de
départ et il y aura un deuxième round de discussions
constitutionnelles qui pourra porter, entre autres, sur cet article 23.
Mais dans un premier temps, M. Goldbloom, ce que nous avons fait, c'est
que nous avons réussi à décrire la dualité
canadienne et à bien situer, à mettre dans des termes
particulièrement intéressants la spécificité du
Québec en fonction de ce rôle de l'Assemblée nationale et
du gouvernement du Québec pour la promotion de cette
spécificité. Alors, vous ne croyez pas, M. Goldbloom, que pour un
premier pas, c'est un grand pas?
M. Goldbloom: J'ai dit dans mon mémoire que la
reconnaissance explicite de notre communauté est, évidemment, un
pas important en avant. Je trouve que la reconnaissance des francophones hors
Québec est beaucoup plus faible parce que cela ne donne pas une
reconnaissance que ces communautés existent dans chacune des provinces.
La question que j'aurai pour vous, M. le ministre, c'est: Pourquoi le mot
"promouvoir" est-il absent du paragraphe 2? Pourquoi le Québec a-t-il le
droit de protéger et de promouvoir son caractère distinct, alors
que les autres gouvernements provinciaux n'ont pas l'obligation non seulement
de protéger, mais aussi de promouvoir? Est-ce que vous ne croyez pas que
les gouvernements provinciaux dans tout le pays devraient avoir l'obligation de
promouvoir leurs communautés minoritaires de langues officielles? Est-ce
que le gouvernement de l'Ontario, le gouvernement du Nouveau-Brunswick, le
qouvernement du Manitoba n'ont pas une obligation non seulement de
protéger, mais aussi de promouvoir leur communauté de langue
française dans leur province?
M. Rémillard: M. Goldbloom, je crois que c'est
évident que la dualité est une chose et la société
distincte qu'est le Québec, une autre chose. Ce sont deux choses
différentes. Dans un premier temps, il y a une situation de fait: nous
décrivons la dualité canadienne et, dans un deuxième
temps, vous avez la reconnaissance du Québec comme société
distincte avec un rôle que nous accordons au Québec par son
Assemblée nationale, par son gouvernement de protéger et, comme
vous venez de le dire, de promouvoir. Pourquoi ces deux expressions? Parce que,
comme vous l'avez dit tout à l'heure et cela transparaît dans
votre mémoire, le Québec doit faire des efforts
considérables pour protéger son caractère francophone. Le
Québec doit se référer à cette valeur fondamentale
qui fait qu'il est distinct, soit sa langue et sa culture françaises.
Vous êtes un élément de la distinction du Québec,
bien sûr. Mais, le fait que le Québec soit de langue
française et ait une culture française est un
élément fondamental de distinction. C'est dans ce cadre... Vous
avez raison de le soulever parce que ce n'est pas une cachette. De fait, il y a
"protéger" et il y a "promouvoir" et cela a été fait
délibérément pour montrer que le Québec peut faire
non seulement des mesures de protection, mais aussi des mesures pour favoriser
l'évolution de cette caractéristique fondamentale qui est la
sienne.
M. Goldbloom: Je ne la critique pas, M. Rémillard. Tout ce
que je dis, c'est que, si j'étais francophone hors Québec, je
dirais que
les provinces ont l'obligation de promouvoir ma communauté aussi.
Quand on lit ce texte, le fait que les mots "protéger et promouvoir" se
trouvent au paragraphe 3 et non pas au paragraphe 2 a des conséquences
sérieuses, à mon avis, pour les francophones hors Québec,
et je trouve cela fort dommage.
Le Président (M. Filion): Je voudrais remercier nos
invités, M. Goldbloom et les personnes qui l'accompagnent.
Également, bien sûr, je déclare déposé le
mémoire d'Alliance Québec qui vous a été
disbribué.
Sans suspension, étant donné que nos travaux sont un peu
en retard, je remarque que les représentants de la Centrale de
l'enseignement du Québec sont présents et je les inviterais
à bien vouloir prendre place à la table, en avant.
Centrale de l'enseignement du Québec
Je souhaite la bienvenue aux représentants de la Centrale de
l'enseignement du Québec et à son président, M. Yvon
Charbonneau, qui a déjà pris place à la table des
invités. Dans un premier temps, je demanderais donc à M.
Charbonneau de bien vouloir nous présenter les personnes qui
l'accompagnent avant de nous livrer son exposé. Je constate que vous
avez un mémoire écrit, c'est bien cela? Donc, pour les fins de
notre procès-verbal, je le considère comme étant
régulièrement déposé. M. Charbonneau, la parole est
à vous.
M. Charbonneau (Yvon): M. le Président, mesdames,
messieurs, les personnes qui m'accompagnent et qui constituent notre
délégation sont, d'une part, Mme Rosette Côté,
première vice-présidente de la centrale, M. Raymond Johnston,
vice-président, et M. Henri Laberge, conseiller à la
centrale.
Nous avons préparé quelques notes qui reprennent, pour
l'essentiel, en tentant de les actualiser, certains des propos que nous avons
déjà tenus sur toute la question du débat constitutionnel
au cours des dernières années. Nous avons tenté
d'analyser, selon notre capacité de le faire actuellement, le projet
d'accord constitutionnel issu de la rencontre des premiers ministres au lac
Meech.
Nous avons déjà souligné, au cours des
débats antérieurs - et nous le faisons de nouveau dans ce
débat constitutionnel - que nous aimerions voir progresser l'espace
politique où il serait possible, pour le Québec, même
à l'intérieur du cadre fédéral, d'évoluer
dans le sens de son caractère distinct, de société
distincte, qu'on lui reconnaissait dans bien des milieux avant le projet
d'accord et qu'on reconnaîtrait plus explicitement maintenant, et voir se
développer cet espace d'autodétermination politique possible pour
ta société québécoise. Mais, pour cela, il faudrait
à l'occasion des débats sur la constitution essayer de se
libérer de certaines entraves que comporte la constitution actuelle, par
exemple, en matière d'éducation. (12 h 30)
On sait bien à quel mur se heurte toute loi adoptée par
cette Assemblée nationale même qui viserait à faire
évoluer, à transformer le système scolaire
québécois de sa base confessionnelle actuelle en un
système reposant sur un réseau scolaire pour francophones et un
réseau scolaire pour anglophones. Je reviendrai là-dessus tout
à l'heure. Il en va de même dans un certain nombre d'autres
domaines: main-d'oeuvre, formation des adultes, communications. Un certain
nombre de domaines où les compétences québécoises,
parfois exclusives, parfois partagées en vertu de la constitution
canadienne actuelle, se heurtent à certaines dispositions de la
constitution canadienne et empêchent à notre avis la
société québécoise de se développer selon
ses aspirations. Il en va de même pour certaines lois linguistiques, tout
ce qui a trait à la protection et à la promotion de la langue
française au Québec.
Faisons grâce ici des quelques pages de rappel qui constituent
l'introduction de notre mémoire pour en arriver plus rapidement au
centre de la discussion d'aujourd'hui. Pour juger de la valeur de l'entente
intervenue au lac Meech, nous devons sans doute nous demander dans quelle
mesure elle est susceptible de corriger en tout ou en partie la situation de
1982. Nous ne pourrions nous satisfaire non plus d'un simple retour à
l'ordre constitutionnel d'avant 1982, lequel était aussi insatisfaisant.
Un éventuel accord constitutionnel ne pourra être acceptable que
s'il apporte aussi une réponse satisfaisante aux principaux
problèmes découlant de l'ordre constitutionnel antérieur
et qui subsistent toujours. Nous avons regroupé ces problèmes en
trois blocss ceux qui relèvent du partage des compétences
législatives et qui privent le Québec de certains moyens
essentiels à son développement, les dispositions
constitutionnelles qui entravent le libre exercice de compétences
théoriquement reconnues au Québec et la possibilité
reconnue au fédéral de s'ingérer dans les domaines dits de
compétence provinciale exclusive.
Alors, nous allons nous demander si le projet d'entente du lac Meech
apporte des solutions, nous met sur la voie de solutions satisfaisantes
à ces problèmes anciens et aussi à la situation issue de
1982. Si l'examen de l'entente du lac Meech nous porte à croire que nous
sommes en train de résoudre ces problèmes, de faire lever un
certain nombre d'entraves, à ce moment-là, nous en aurons une
appréciation positive.
Dans la mesure où ce le sera, nous dirons que c'est positif; Dans
la mesure où cela laisse les mêmes problèmes toujours en
place, toujours devant nous et dans la mesure où cela laisse toujours
cette Assemblée nationale assujettie dans des domaines de
compétence exclusive à la constitution canadienne, nous dirons:
Les problèmes subsistent et il faudrait s'en occuper à ce
moment-ci.
Nous aurons aussi quelques commentaires sur la démarche
même. Nous souhaiterions certainement souligner d'abord que nous avions
souhaité la tenue de cette commission parlementaire. Nous
apprécions le fait que le gouvernement l'ait permise, mais une
constitution devrait aussi être débattue plus largement.
L'approche renouvelée que l'actuel gouvernement veut insuffler à
toute cette démarche de débat constitutionnel devrait permettre,
à notre avis, des discussions un peu plus élaborées pour
un certain nombre d'organisations et permettre de créer un
intérêt un peu plus en profondeur que ce qui se passe maintenant,
quoique nous devons souligner que le débat actuel n'est pas sans
intérêt, loin de là.
Nous pensons qu'à côté de la démarche
actuelle que fait le présent gouvernement, cette démarche de
discussions avec les premiers ministres des autres provinces et le premier
ministre fédéral, il devrait y avoir une autre démarche
qui, elle, verrait à promouvoir le développement,
l'élaboration d'une constitution québécoise, qui, elle
assoirait, définirait l'espace politique qui sera sans cesse remis en
question dans le contexte nord-américain, dans le contexte canadien,
l'espace politique propre au Québec. Nous pensons que ce serait
peut-être le meilleur moyen de fonder le caractère distinctif et
spécifique du Québec à travers" les années.
Des démarches et des discussions constitutionnelles comme elles
sont entreprises, cela est indispensable, mais un complément qui serait
tout aussi indispensable, ce serait d'annoncer qu'au Québec nous allons
codifier, nous allons regrouper les grandes lois fondamentales dans un ensemble
et nous allons associer la population, le peuple québécois dans
la définition, dans l'appréciation de ces grands instruments qui,
une fois réunis, pourraient constituer la constitution
québécoise.
Nous reprenons maintenant les trois ordres de questions annoncés
il y a un moment. De 1960 à 1980, le Québec a toujours
prétendu, sous quelque gouvernement que ce soit, que la réforme
constitutionnelle devait débuter par une révision du partage des-
compétences législatives. Au nombre de ces compétences, on
a mentionné tout au long de ces 20 années: le
développement régional, la politique de la main-d'oeuvre, la
sécurité du revenu, la sécurité sociale, les
communications, l'immigration, le droit de la famille, l'extension au plan
international des compétences internes.
Les gouvernements antérieurs ont attaché tellement
d'importance à cette nécessaire révision du partage des
compétences qu'on se rappellera, au milieu des années soixante,
que certaines discussions ont achoppé justement sur le fait qu'on ne
prévoyait pas ce repartage des compétences comme question
première. On rappelle ici ce qui est arrivé en 1964 et en 1971
où il y a eu arrêt ou suspension de la démarche entreprise
en invoquant, comme justification, qu'on n'avait pas d'abord
procédé à l'examen du partage des champs de
compétence.
Face au projet d'accord du lac Meech, nous sommes forcés de
constater que, malgré la présentation qu'on nous en fait, il
reste que tes discussions, dont on a écho et qui se traduisent par le
texte du projet d'accord, ne donnent guère de place aux revendications
fondamentales traditionnelles qui ont été portées par les
gouvernements québécois antérieurs dans plusieurs
domaines. Certes, il nous faut mentionner tout de même l'aspect positif
de l'inscription de l'accord Cullen-Couture au chapitre de l'immigration, tout
en soulignant qu'en constitutionnalisant cet accord Cullen-Couture, on ne
transfère tout de même aucun champ de compétence d'un
palier à l'autre. On formalise, on inscrit dans la constitution cette
entente, mais on ne peut pas y voir là, on ne peut pas
interpréter que le champ de compétence du Québec s'est
accru par l'inscription de cet accord dans la constitution.
Nous avons déjà souligné dans le passé, et
nous le faisons aujourd'hui, le caractère positif de cette inscription
tout en soulignant qu'il y aurait lieu, pour le Québec, d'aller plus
loin en matière de pouvoir de législation du côté de
l'immigration, compte tenu du contexte démographique. Nous avons bien
noté la disposition qui prévoit la possibilité pour le
Québec de recevoir ici 5 % d'immigrants de plus que la proportion
à laquelle il aurait droit de façon purement mathématique.
Je crois qu'il faudrait que ce taux de 5 % soit plutôt un minimum qu'une
norme. Il faudrait se donner des possibilités d'aller plus loin, y
compris dans la prise en considération de tout le volet de l'accueil et
de l'intégration à prévoir pour les personnes qui sont en
situation d'immigration et aussi pour les réfugiés
politiques.
Nous pensons que le gouvernement du Québec, par la voie de son
premier ministre, par la voie de son ministre au dossier, par la voie de
l'Assemblée nationale, devrait exiger, devrait reprendre le lot des
grandes revendications fondamentales qui ont marqué le sort du
Québec dans les années soixante à quatre-vingt, parce que
ces revendications ont été portées par des gouvernements
de différentes allégeances politiques, avec des
options fondamentales parfois assez caractérisées et assez
différentes. Elles ont constitué la trame de fond de l'ensemble
de ces gouvernements parce qu'elles exprimaient le devenir du Québec,
ses aspirations. Nous apprécierions beaucoup que l'actuel gouvernement
réinscrive au coeur des discussions cet ensemble de grandes
revendications.
Au chapitre des entraves du libre exercice des compétences
propres au Québec, prenons tout d'abord le domaine de
l'éducation. D'une part, la constitution de 1867 attribue la
compétence exclusive aux provinces en matière d'éducation,
mais, d'un autre côté, elle maintient, pour ce qui est du
Québec, indéfiniment la structure scolaire de base
confessionnelle qui existe depuis 1867. Il me semble qu'il y a là un
problème pour tout le monde. Le gouvernement précédent a
fait des travaux importants en matière de restructuration scolaire. Tout
cela a abouti à la loi 3. Cette loi 3, immédiatement, par la
suite, a été contestée. À la suite du jugement
rendu, la loi 3 a été en quelque sorte reléguée aux
oubliettes. Donc, le pouvoir de cette Assemblée, dans une matière
que l'on décrit comme de compétence exclusivement provinciale, se
heurte à un mur infranchissable, selon l'interprétation de la
cour. II faut préserver les structures confessionnelles.
Donc, il me semble que le gouvernement actuel, qui était
l'Opposition à l'époque et qui questionnait abondamment le
ministre de l'Éducation du temps, à savoir s'il s'était
bien muni d'avis juridiques pertinents et s'il s'était bien
éclairé de tous les conseils possibles en la matière,
bien, l'Opposition d'alors, qui est aujourd'hui le gouvernement, est bien au
courant de l'entrave constitutionnelle qui se trouve sur le chemin de tout
gouvernement qui voudrait démocratiser, restructurer sur une base
linguistique le système scolaire actuel. Je défierais le
gouvernement actuel de tenir un vote libre parmi les membres qui composent la
majorité quant à l'opportunité de transformer le
système scolaire confessionnel en bi-linguistique au Québec. Je
crois que, s'il y avait un vote libre là-dessus, il y aurait une vaste
majorité qui se réunirait de part et d'autre de la Chambre pour
transformer le système scolaire, un peu dans le sens que le proposait le
projet de loi 3. Il me semble qu'au milieu des années quatre-vingt, il
serait grand temps que le gouvernement actuel, face à cette question,
tente d'apporter une solution.
Nous invoquons quelques autres domaines, celui de la justice, celui du
droit, la possibilité pour les juges de choisir entre le français
et l'anglais, ainsi que quelques autres exemples que nous apportons ici,
où, d'une part, la constitution attribue au Québec des
compétences que l'on qualifie d'exclusives, mais, lorsqu'arrive le temps
de les exercer, les instruments constitutionnels fédéraux peuvent
toujours être invoqués pour limiter cette utilisation. Est-ce
qu'il est nécessaire de résumer le débat sur la question
linguistique, la Charte de la lanque française dont des pans entiers ont
été mis en échec à la suite de l'invocation par
d'aucuns de certaines dispositions de la Charte des droits et libertés
de la personne et de la constitution canadienne?
Donc, nous croyons très important que le gouvernement actuel
soulève ces questions dans le présent débat, sinon on s'en
va vers une réinsertion officielle du Québec dans la
constitution, une adhésion dans l'ordre constitutionnel actuel, alors
que l'on sait bien que cet ordre entrave chaque jour, à chaque session
parlementaire, le travail législatif qui est le vôtre et aussi le
développement des aspirations léqitimes de la population
québécoise à bien des égards. (12 h 45)
Troisième chapitre, les ingérences fédérales
dans des domaines de compétence provinciale. C'est tout le débat
qui traite du pouvoir de dépenser. On dit que ce pouvoir existe de toute
façon, qu'il soit inscrit ou non dans la constitution. Nous entendons
des gens qui font cette lecture. Mais il y a un pas de plus, ici, qui se fait
à travers le projet d'accord quand on inscrit en termes explicites dans
la constitution la reconnaissance du pouvoir de dépenser, tout en
inscrivant - en bémol, si je puis ainsi m'exprimer - bien sûr, la
possibilité, pour ce qui est des nouveaux programmes, qui seront en
même temps des programmes à frais partagés dans des
domaines de compétence exclusivement provinciale, la possibilité
pour le Québec, s'il le veut, de se retirer avec juste compensation,
pourvu qu'il mette en oeuvre des programmes équivalents, compatibles
avec les objectifs nationaux. Nous avons tous entendu les deux lectures
possibles de ce paragraphe du projet d'accord du lac Meech. Les uns disent:
Pour la première fois, nous bloquons, nous commençons à
bloquer l'exercice, à baliser l'exercice du pouvoir de dépenser,
du moins dans de nouveaux programmes; d'autres disent, parce que les provinces
devront, si elles se retirent de ce programme, mettre sur pied des programmes
compatibles avec les objectifs nationaux, eh bien, nous voilà en route
vers un Canada plus homogène et plus centralisé.
Nous pensons qu'il n'y a pas que le problème des nouveaux
programmes qui devrait être envisagé ici. C'est la question que
nous soulevons devant cette commission parlementaire et que nous adressons au
ministre aussi. Les nouveaux programmes seront-ils très nombreux? Quels
seront-ils? On peut faire des hypothèses. On connaît aussi la
situation financière du gouvernement fédéral. Certains
peuvent nous dire: Qu'est-
ce qu'il y a à craindre puisqu'il y a 30 000 000 000 $ de
déficit au gouvernement fédéral, dans le budget
fédéral? Que pensez-vous qu'il puisse faire en termes de nouveaux
programmes? D'un autre côté, il y a tous les programmes existants.
Voilà la question que nous soulevons ici. Nous pensons qu'il faudrait
trouver le moyen de mettre un frein et de baliser le développement des
programmes existants dans des domaines comme la formation professionnelle, la
formation des adultes, l'enseignement supérieur. Il faudrait trouver
moyen de baliser le développement des programmes existants qui
engloutissent des sommes énormes et qui, à ma connaissance, ne
font pas toujours l'affaire du Québec, de quelque gouvernement que ce
soit. Même si on finit par s'entendre à un moment donné, il
reste que c'est très lourd, très laborieux et que, souvent, c'est
un peu éloigné des véritables priorités
québécoises. Les programmes existants ils ont un terme. Ce sont
des programmes de trois ans, de cinq ans qui se renouvellent de temps à
autre. Il faudrait, ici, je crois, que le gouvernement du Québec dise
qu'il va poser les mêmes conditions et les mêmes types d'exigences
pour les programmes existants lorsqu'ils arriveront à terme.
La dernière partie de notre mémoire traite de la formule
de modification d'amendement à la constitution canadienne. Nous trouvons
que la procédure générale d'amendement de la constitution
est fort rigide. Plus elle est assortie de conditions telles que celles que
l'on connaît, plus les problèmes sont référés
à la cour, à la Cour suprême notamment, à des
personnes non élues et nous pensons que ce n'est pas la meilleure
manière de faire évoluer la constitution. Nous n'avons jamais
été favorables, par contre, à la multiplication des droits
de veto. Nous avons même affirmé que ce dont le Québec a
besoin, ce n'est pas de disposer d'un droit de veto sur l'évolution
constitutionnelle du reste du Canada, mais d'être libéré du
droit de veto du fédéral et des autres provinces sur sa propre
évolution constitutionnelle. La formule de modification adoptée
en 1982 est inacceptable pour le Québec dans la mesure où, pour
obtenir de nouvelles compétences législatives qu'il serait seul
à revendiquer ou pour se libérer de certaines contraintes dont il
serait le seul à souffrir, il faut au Québec obtenir l'accord
obligatoire du fédéral et d'au moins les deux tiers des autres
provinces.
Quant au droit de retrait inscrit au paragraphe 3 de l'article 38, nous
y voyons une mesure de type plutôt défensif qui permet au
Québec de conserver les compétences qu'il a déjà
dans l'hypothèse où sept provinces représentant au moins
50 % de la population seraient prêtes à les céder au
Parlement fédéral. Mais rien ne permet au Québec
d'acquérir des compétences nouvelles sans le consentement du
fédéral et du nombre requis de provinces. C'est ce qui rend si
importante la suggestion que nous faisions au chapitre premier, aux pages 5 et
suivantes du mémoire, qu'il faut amener dans la discussion le partage
des compétences législatives et non pas les laisser à
l'écart. Il faut les amener parce qu'une fois qu'on sera
inséré dans le système de 1982 au point de vue des
modifications ou des amendements à la constitution, on sera assujetti
à ces règles du jeu et il faudra demander la permission à
tous ces gens pour en arriver à faire évoluer la constitution
canadienne dans le sens de nos aspirations.
Nous avons bien pris note de l'utilisation de l'expression "juste
compensation" pour la province qui conserve une compétence
cédée par d'autres. On aimerait ici avoir un éclairage
additionnel quant à ce qui peut être envisagé comme
instance qui va attribuer la juste compensation dont on parle ici.
Nous pensons que, quant au droit de veto qui sera désormais
accordé au Québec et à chacune des provinces sur certaines
modifications aux institutions fédérales et sur la
création de nouvelles provinces, il peut comporter un aspect positif,
mais aussi des inconvénients. En effet, d'une part, le Québec
peut bloquer des propositions qui ne lui conviennent pas. Mais n'importe quelle
province peut aussi faire obstacle à des propositions
québécoises. Alors, nous y voyons un jeu de balancier qui fait
que, finalement, le statut du Québec est banalisé plutôt
que rendu distinct à travers la confédération.
Nous pensons donc que l'Assemblée nationale devrait contester le
maintien d'une formule d'amendement qui suppose l'accord obligatoire du
fédéral et d'une majorité de provinces anglaises pour
l'accroissement des compétences législatives du Québec.
Elle devrait refuser d'appuyer l'introduction d'une formule de modification
impliquant le droit de veto de toutes les provinces sur la création de
nouvelles provinces.
Au chapitre de ce débat autour d'une société
distincte, nous avons bien noté ici l'inscription de l'expression
"société distincte". Ce que nous voyons moins, ce sont les
attributs qui concrétiseraient le caractère distinct du
Québec dans l'accord du lac Meech. Nous ne disons pas que ce soit rien
du tout que d'inscrire le terme, mais nous voyons mal ce qu'apporte cet accord
à la concrétisation du caractère distinct du
Québec. Nous aimerions certainement que, là-dessus, le ministre
et les personnes responsables soient plus explicites quant à leur
vision.
À notre avis, quand on fait un peu la somme des problèmes
que nous avons soulevés et des entraves à l'exercice des
compétences québécoises qui subsistent dans
Is constitution canadienne, quand on prend bien la mesure de tout le
problème qui subsiste autour du pouvoir de dépenser, quand on
prend de front la question du partage et ici qu'on ne remet pas en question les
compétences législatives entre les deux niveaux de gouvernement,
quand on prend la mesure de ces trois ordres de problèmes, on peut
difficilement voir - en tout cas, nous n'y arrivons pas, quant à nous -
le fondement concret de cette affirmation qui risquerait de n'être pas
banale du tout si elle était bien appuyée.
Au contraire, c'est une affirmation importante dont il faut voir les
fondements concrets. Il faudrait voir dans quel espace le Québec
pourrait affirmer son caractère distinctif.
Nous terminerons en reformulant cette suggestion que nous avons
déjè eu l'occasion de faire dans le passé car nous pensons
qu'elle est toujours appropriée. C'est qu'en parallèle à
cette démarche de discussions en vue d'un nouvel accord constitutionnel
avec Ottawa et les autres provinces, en parallèle è tout cela, il
nous semble que le gouvernement du Québec devrait aussi mettre en route
un processus d'élaboration ou plutôt de codification de la
constitution québécoise, car elle existe, cette constitution
québécoise. D'aucuns soutiennent qu'elle est antérieure
à la constitution fédérale puisque ce sont les provinces
qui ont donné naissance à la confédération. Cela
serait important pour la population québécoise à qui,
maintenant, on reconnaît, du moins au niveau formel, le caractère
de société distincte.
Il serait important d'asseoir entre nous, ici, au Québec, selon
la volonté de la population québécoise, les grands traits
d'affirmation de cette constitution québécoise. Que pourrait
comprendre cette constitution? Premièrement, certainement la
définition de notre régime politique, la définition des
principaux organes: législatif, exécutif et judiciaire, une
formule d'amendement sous contrôle de la population, une charte des
droits fondamentaux de la personne humaine, une charte des droits civils et
politiques, une charte des droits sociaux, économiques, culturels, une
charte des droits linguistiques, une charte des relations avec les autres
entités politiques au Canada et dans la communauté
internationale, car nous pensons toujours opportun et important, puisque nous
savons tout l'engagement de l'actuel gouvernement comme du
précédent pour l'affirmation de la personnalité
québécoise sur le plan international, de faire en sorte que cette
sphère d'activité et d'intervention de la part du Québec
soit aussi insérée dans ce qu'on pourrait appeler la constitution
québécoise, dans le champ des compétences qui lui sont
dévolues.
Bien sûr, la plupart de ces instruments existent. Quelques-uns
n'existent pas, mais nous pourrions les regrouper et le tout serait la
constitution du Québec. Il y aurait agencement entre cette constitution
et celle qui prévaut au palier canadien. Pensons que cela
"débanaliserait" les débats constitutionnels. Enfin, cela les
sortirait de cette trop exclusive sphère de discussions entre les
provinces et le Canada. Cela les assoirait, les enracinerait dans certaines
réalités québécoises. Je crois que, par ce
processus, ce double mouvement, celui qui est en cours avec les autres
provinces et le fédéral, mais aussi par celui que nous proposons,
c'est-à-dire la définition d'une constitution
québécoise, par ce double mouvement, dis-je, il y aurait,
à notre avis, une plus grande appropriation de l'espace politique qui
est reconnu à la société québécoise par le
système canadien. Mais, en tant que "société distincte",
ce serait aussi une manière très concrète de faire avancer
le concept de "société distincte".
Le Président (M. Filion): Merci, M. Charbonneau. Il reste
un peu plus de quinze minutes à chaque formation politique. Je donne
immédiatement la parole à M. le ministre.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. M.
Charbonneau, mesdames et messieurs, je voudrais vous remercier d'abord de vous
être déplacés pour venir témoigner devant nous. M.
Charbonneau, la dernière fois que j'ai été avec vous dans
cet édifice de l'Assemblée nationale, cela remonte
déjà à quelque temps. Nous cherchions tous les deux le
lieutenant-gouverneur. On voulait lui demander de ne pas sanctionner le projet
de loi 111 adopté par le gouvernement péquiste et qui abolissait
la présomption d'innocence. On l'a trouvé, mais on l'a
trouvé trop tard. La loi a été appliquée et la
présomption d'innoncence est aussi partie comme autre chose.
M. Charbonneau, vous avez fait un tour d'horizon des différents
aspects concernant cette entente du lac Meech. Vous avez insisté sur un
point qui est très important. Vous nous dites: Un des objectifs majeurs
du Québec, en ce qui regarde la réforme constitutionnelle, a
toujours été de revoir le partage des compétences
législatives entre les deux paliers de gouvernement. Vous avez raison.
Ce qui fait qu'un État est fédératif, c'est qu'il y a deux
paliers de gouvernement et que ceux-ci doivent avoir des responsabilités
législatives qui sont coordonnées et conformes aux
responsabilités qu'on leur donne. Il va falloir regarder de très
près ce partage des compétences législatives.
Notre approche a été, M. Charbonneau, que, jusqu'à
présent, justement, on a voulu essayer de tout faire en même
temps. Cela
n'a pas donné grand-chose de très valable. On s'est dit:
Construisons un solage. Sur le solage, construisons une maison qui va nous
plaire et qui va être fonction de nos besoins. L'entente du lac Meech,
c'est en fonction de cette approche. Vous vous êtes prononcés
comme centrale syndicale à l'encontre des propositions du gouvernement
péquiste en 1985. Vous disiez alors que ces propositions étaient
insuffisantes et qu'elles n'allaient pas assez loin. (13 heures)
C'est à peu près la même critique que vous nous
faites concernant l'entente du lac Meech. En particulier, en ce qui regarde le
partage des pouvoirs, vous nous dites: Vous n'avez pas vraiment
récupéré de pouvoirs pour le Québec. Il y a quand
même de petites nuances que j'aimerais apporter. Dans un premier temps,
il y a cette reconnaissance de la dualité canadienne et de la
spécificité québécoise, la reconnaissance pour la
première fois que le Québec est une société
distincte et que son Assemblée nationale et son gouvernement ont le
rôle de protéger et de promouvoir cette distinction. Un
rôle, cela implique quoi? Cela implique des responsabilités dans
un premier temps. Â la Cour suprême, nous recevons le pouvoir de
soumettre une liste de noms pour que le gouvernement fédéral
nomme un des trois juges qui représentent le Québec et notre
droit civil à la Cour suprême du Canada. Là encore, c'est
un pouvoir important.
En ce qui regarde la formule d'amendement, nous retrouvons le pouvoir de
nous retirer d'un amendement constitutionnel qui donnerait au gouvernement
fédéral une compétence législative qui appartenait
auparavant aux provinces. Si nous voulons conserver cette compétence
législative, nous pourrons le faire en nous retirant et recevoir une
juste compensation financière, en contrepartie.
En ce qui regarde les institutions, parce qu'il est bien évident
qu'on ne se retire pas d'une institution - malheureusement, on ne l'avait pas
compris auparavant, mais là on l'a compris qu'on ne peut pas se retirer
d'une institution - un droit de veto nous est donné, s'il y a un
amendement à la représentation, par exemple, des provinces
à la Chambre des communes, au Sénat, à la Cour
suprême, si on veut accepter de nouveaux membres dans la
fédération. Il y a là donc un pouvoir de veto pour le
Québec. Mais vous avez raison de dire qu'on a donné un droit de
veto à toutes les autres provinces. Il faut quand même que vous
puissiez réaliser, M. Charbonneau, qu'on était partis de loin,
qu'il a fallu ramasser des pots cassés. Je ne veux pas toujours y
revenir, mais quand même c'est une réalité. Que voulez-vous
que j'y fasse? Le 16 avril 1981, le Parti québécois avait
accepté le fait que le Québec était sur un pied
d'égalité avec l'Île-du-Prince-
Édouard, principe d'égalité, et qu'il a fallu
ensuite essayer de travailler avec ce principe pour leur dire: Ce n'est pas
tout à fait comme cela que l'on doit voir les choses. On est un nouveau
gouvernement. Mais, en fait, on s'est retrouvé avec un droit de veto, on
a récupéré les droits historiques du Québec. Vous
avez raison de dire qu'il y a des droits de veto aussi pour les autres
provinces, mais cela n'enlève pas notre protection que l'on peut
récupérer.
En ce qui regarde le pouvoir de dépenser, que voulez-vous, on ne
peut pas faire l'autruche. Le pouvoir de dépenser existe. Le
gouvernement fédéral l'utilise de plus en plus. Avec l'entente du
lac Meech, on peut le limiter, le circonscrire. D'une part, on peut consacrer,
pour les provinces, la possibilité de se retirer d'un proqramme
national. Cela n'existe pas, mais, si le pouvoir de dépenser existe en
droit constitutionnel canadien, le pouvoir de se retirer n'existe pas. Alors,
là, on a le pouvoir de dire; Non, votre proqramme sur les garderies, on
en a des garderies ici, on n'est pas intéressés a participer. On
pourra avoir l'argent dans la mesure où on pourra prendre une initiative
ou un programme qui pourrait être, dans son ensemble, compatible avec les
objectifs nationaux. Donc, là encore, des pouvoirs que l'on
récupère.
Vous avez insisté sur l'immigration, M. Charbonneau. En ce qui
regarde l'immigration, vous nous dites ici: II s'agit de l'enchâssement
constitutionnel des pouvoirs acquis en 1978 par l'accord Cullen-Couture. C'est
cela et c'est beaucoup plus parce que le Québec, par l'entente du lac
Meech, a maintenant la capacité de sélectionner ses immigrants,
non seulement ceux qui sont à l'extérieur du pays, dans un autre
pays, qui demandent à immigrer au Québec, mais aussi ceux qui
sont déjà sur place. C'est 30 % de nos immigrants. Je sais que
vous êtes sensible à ce point-là, mais il y a aussi ce
point très important, qui n'était absolument pas dans
Cullen-Couture: celui de pouvoir donner à ces immigrants, qui viennent
ici relever le défi de notre société, le moyen de prendre
goût, de connaître notre société par des cours de
langue, des cours de formation, des cours qui leur permettent de demeurer avec
nous. Vous savez comme moi, M. Charbonneau, que c'est un problème parce
qu'environ 50 % de nos immiqrants décident de s'en aller vers une autre
province. Il faut les garder avec nous, leur donner le goût de vivre avec
nous, le goût du Québec, le qoût de notre
société. Cela n'était pas dans Cullen-Couture. En plus, il
y a un minimum d'immigrants, en relation directe avec notre poids
démographique, qui nous est garanti dans la fédération,
soit environ 26 %, plus 5 %.
Donc, je voudrais simplement attirer votre attention sur ce point parce
que vous
avez raison de parler de partage des pouvoirs. Mais en ce qui reqarde
l'immigration, et c'est important pour notre sécurité culturelle,
je crois qu'on a là quand même des gains extrêmement
importants pour le Québec. Vous mentionnez qu'il y aura toujours la
prépondérance fédérale en matière
d'immigration. Non, non. Il y aura un amendement au texte constitutionnel qui
permettra donc des ententes, des accords entre le gouvernement
fédéral et la province, soit le Québec, et cette entente
aura force constitutionnelle. Donc, c'est cette entente qui va s'appliquer.
Donc, votre réticence en ce qui regarde la prépondérance
tombe.
D'une façon générale, M. Charbonneau, ce que je
peux vous dire, c'est que, oui, nous récupérons des pouvoirs,
mais vous avez raison, nous ne revoyons pas tout te partage des
compétences législatives. Il faut le revoir. C'est un autre
aspect de l'entente du lac Meech puisque c'est dans un deuxième round de
négociations. Nous avons décidé de procéder en deux
étapes. La première étape, établir un solage, des
points importants quant à notre garantie culturelle en ce qui nous
regarde et même la Cour suprême, le pouvoir de dépenser, la
société distincte, etc. Dans un deuxième temps, nous
pourrons aborder les institutions. Nous pourrons aborder le partage des
compétences législatives. C'est une façon de
procéder qui est en deux étapes. Il y a une obligation de
procéder le plus rapidement possible à cette deuxième
étape.
Le Président (M. Filion): M.
Charbonneau.
M. Charbonneau (Yvon): Merci, M. le ministre, de ces
précisions sur certains aspects, notamment au chapitre de l'immigration,
mais j'aimerais aussi entendre votre point de vue sur les questions que j'ai
soulevées en ce qui a trait à l'éducation, l'exercice de
la compétence du Québec en matière d'éducation. Je
crois que votre collègue, le ministre de l'Éducation, a bien
senti quand il était dans l'Opposition, et depuis qu'il est ministre de
l'Éducation, toute l'ampleur du problème. Je crois que le
Québec aujourd'hui, à l'heure où nous sommes, commande une
transformation de son système scolaire. Je veux bien prendre l'image du
solage et de la maison, mais il faut tout de même prévoir un peu
la forme des pièces de la maison et la hauteur de l'immeuble si on veut
faire un solage qui va supporter ce qu'on veut bâtir. En quoi voyons-nous
à travers les dispositions du lac Meech la possibilité
d'évoluer de ce côté, du côté de cette
question concrète de l'éducation, à moins d'avoir la
permission d'è peu près tout le monde?
M. Rémillard: Oui. M. Charbonneau, là encore, vous
soulevez un point important concernant l'éducation, qui est une
compétence exclusive du Québec et où le
fédéral agit par son pouvoir de dépenser. C'est pour cela
qu'on dit qu'il ne faut pas faire l'autruche. Le pouvoir de dépenser du
fédéral est là. Il faut le limiter parce qu'il faut avoir
une action coordonnée. Il faut protéger notre compétence
en matière d'éducation. C'est un des motifs qui nous a
guidés pour l'entente du lac Meech.
Il y a un autre exemple qui est intéressant en ce qui regarde
l'éducation. C'est l'article 93 qui donne des droits particuliers, comme
vous le savez, en ce qui regarde le Québec, en ce qui regarde les
protestants et les catholiques. C'est un article qui a été fait
en 1867. À ce moment-là, on se basait sur une
société qui se partageait en deux, des protestants et des
catholiques. On a défini la société comme catholique d'un
côté et protestante de l'autre. Maintenant, on se retrouve, M.
Charbonneau, avec ce problème, soit l'article 93. Vous le mentionnez
dans votre mémoire et vous avez raison. On a un problème avec
l'article 93 pour établir un véritable programme scolaire ou une
véritable politique scolaire. Oui, mais ce problème, d'où
vient-il? II vient d'une définition de société qu'on a
faite en 1867. Maintenant, un siècle après, on est pris - cela
fait déjà un bon bout de temps qu'on est pris - et cela ne fait
pas l'unanimité parce qu'il y a des gens qui ont d'autres commentaires
à faire. Peu à peu, des commentaires se font. Il faudrait la
garder. D'autres disent qu'il ne faudrait pas la garder, etc., mais cela cause
un problème. Voilà, je relie donc ce commentaire à ce que
vous disiez concernant la société distincte.
Concernant la société distincte, je veux simplement
attirer une dernière fois votre attention sur le fait que cette
distinction qui caractérise le Québec, c'est bien certain qu'elle
est en fonction de la langue. Il y a une culture française, c'est
évident. Je pense que vous êtes d'accord avec moi. Je ne suis
quand même pas pour mettre dans la constitution une réalité
qui est là, avec le risque que cela nous cause des problèmes,
comme on peut le voir avec ce qu'on a déjà fait dans la
constitution. Mais on a bien mentionné, pour la première fois,
que le Québec, que l'Assemblée nationale, que le gouvernement du
Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir la
société distincte. Donc, cela implique la langue, la culture et
aussi notre svstème d'éducation, et cela, c'est important, c'est
fondamental.
Le Président (M. Filion): M.
Charbonneau.
M. Charbonneau (Yvon): J'aime bien entendre que nous avons
exprimé des propos qui étaient fondés en ce qui a trait
à tout
le champ de l'éducation, soit sous l'angle du pouvoir de
dépenser du fédéral, soit sous l'angle de l'article 93,
mais nous n'avons jamais entendu cette question être soulevée dans
les débats dont on parle et qui ont abouti à l'entente dont on
parle. SiI ce sont vraiment des problèmes, je crois qu'il faudrait que
le gouvernement du Québec nous annonce un peu comment il va y
remédier, comment il va en discuter. Est-ce que ce sont des
problèmes seulement à l'intérieur du Québec? Est-ce
que ce sont des problèmes en relation avec ce qui se passe dans
certaines autres provinces, des problèmes dont on dit: II n'y a pas
l'unanimité, donc on ne change rien? Si vous procédiez ainsi pour
tous les projets de loi, il n'y en avait pas beaucoup qui seraient
adoptés. L'unanimité est difficile à obtenir sur quoi que
ce soit. Mais, sur cette question, il y avait un large consensus sur
l'opportunité de transformer le système scolaire sur des bases
linguistiques. Si je mets ce problème à côté de
votre volonté sur le plan de l'immigration, à mesure qu'il y aura
des immigrants qui arriveront en plus grand nombre au Québec, s'ils se
heurtent à un système scolaire organisé comme il l'est,
protestant et catholique, je crois que cela n'incitera pas beaucoup à
l'intégration. Ce n'est pas une mesure très accueillante pour les
gens qui ne se reconnaissent pas dans les deux confessions qui structurent
notre système scolaire. Plus vous insistez pour dire: Nous avons des
acquis en matière d'immigration, plus la question de la transformation
du système scolaire devient pertinente.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M.
Charbonneau. Je vais reconnaître maintenant M. le chef de
l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Merci, M. Charbonneau, ainsi qu'à vos
collègues. Je vais me permettre de passer quelques remarques à la
suite de celles du ministre. Je pense que le ministre exagère vertement
quand il laisse entendre que tout est dans tout, et inversement, et que la
société distincte... Il a presque dit que la notion de
société distincte pourrait amener la Cour suprême un jour
à décider que l'article 93 doit être transformé. Il
était juste à la limite d'affirmer cela, ce qui n'a aucun sens,
il le sait comme mot.
Que dit l'article 93 de la constitution du Canada? En 1867, on a
décidé, au Québec et au Canada, que sur le territoire du
Québec on protégerait les institutions protestantes. Comment cela
s'est-il traduit? Cela s'est traduit par un article de la constitution du
Canada que nous ne pouvons donc pas modifier et qui dit qu'au Québec il
y a un système basé sur la religion: d'une part, les catholiques
et, d'autre part, les protestants. Historiquement, cela correspondait à
quelle réalité? Cela correspondait à une
réalité qui voulait que, si vous étiez anglais, vous
étiez protestant, et que, si vous étiez français, vous
étiez catholique. En pratique, c'était la réalité
du XIXe siècle. (13 h 15)
En 1987, la situation est très différente. On ne peut pas
tenir pour acquis que les Anglais sont catholiques ou protestants et que les
Français sont catholiques ou protestants. On tient pour acquis,
cependant, qu'il y a, d'une part, une majorité francophone qui aspire de
plus en plus et qui s'est donné des instruments pour faire en sorte que
les nouveaux arrivants s'intègrent au système scolaire de la
majorité et, d'autre part, les droits historiques de la minorité
anglophone. Et dans le projet de loi 3, dans la loi 3 qui a été
par la suite invalidée, le gouvernement du Québec avait
tenté d'établir cette distinction de bon sens que, dans le fond,
au Québec, on devrait avoir, d'une part, des écoles dans un
système anqlophone, d'autre part, des écoles dans un
système francophone et, ensuite, s'adonner à toutes les autres
nuances qu'on voudra y mettre, mais que la base, c'était
celle-là.
À ma connaissance, le Parti libéral avait pris
l'engagement de faire cela. Je pense qu'un peu avant la campagne
électorale M. Ryan l'avait évoqué. J'ai trouvé cela
assez frappant de voir, dans le projet du lac Meech, que le gouvernement n'y
touche pas. Maintenant, le ministre nous répondra: Oui, mais il y a la
deuxième ronde de négociations, le deuxième "round" de
négociations, comme il dit. Alors, je reqarde ce qu'on dit au sujet du
"second round". Il faudrait qu'il arrête de renvoyer tous ceux qui disent
qu'on n'a aucun pouvoir, qu'on ne change rien de fondamental ni de substantiel
dans la constitution canadienne, de tes renvoyer à l'hypothétique
deuxième "round". Le deuxième "round", pour reprendre
l'expression du ministre, dit quoi? J'ai le texte anglais ici, je vais regarder
le texte français. On y dit, concernant la tenue d'une conférence
des premiers ministres: "la première devant avoir tieu dans les 12 mois
suivant la proclamation de la présente modification constitutionnelle,
au plus tard d'ici la fin de 1988". Et, à l'ordre du jour de cette
deuxième ronde, ce sera "la réforme du Sénat, notamment:
les fonctions et le rôle du Sénat, les pouvoirs du Sénat,
le mode de sélection des sénateurs, la répartition des
sièges au Sénat". Deuxièmement, "les rôles et les
responsabilités en matière de pêche", les pêcheries.
Et, troisièmement, "toute autre question dont on aura convenu". Il faut
bien se comprendre sur le troisième paragraphe; cela, c'est un classique
de l'histoire constitutionnelle canadienne et de l'histoire
des relations fédérales-provinciales- Chaque fois qu'on
prépare un ordre du jour, on annonce qu'à la prochaine
conférence, il y aura telle et telle chose et toute autre question qu'on
voudra y soumettre, mais, en pratique, cela se limite à ce qui est
énuméré. Ce qui prouve d'ailleurs que, peut-être
qu'en évoquant très spécifiquement des sujets, c'est
là-dessus qu'on va travailler, n'est-ce pas, et que les clauses
générales dans le genre "toute autre question dont il pourrait
être convenu", il n'y a personne qui s'en occupe.
Je pense que, depuis ie début de la journée, à
l'occasion du mémoire de la Fédération des travailleurs et
travailleuses du Québec, de celui de la CEQ que nous avons devant nous,
le ministre mentionne constamment que le deuxième "round" va
régler le problème du partage des pouvoirs, ce qui est le coeur
du problème du Québec dans la Fédération
canadienne. Et, pourtant, il a beau dire cela, ce n'est pas cela l'accord du
lac Meech. L'accord du lac Meech, c'est la réforme du Sénat et
puis ce qui se passe avec les pêcheries, les responsabilités en
matière de pêcheries au Canada. On a évidemment à
l'esprit qu'il s'agit ici essentiellement d'une préoccupation des
provinces maritimes. Cela concerne aussi le Québec à cause de la
Gaspésie et de la Côte-Nord, d'Anticosti et des
Îles-de-la-Madeleine, mais, fondamentalement, on sait que c'est une
préoccupation de M. Peckford, de M. Buchanan, de M. Hatfield et de
l'Île-du-Prince-Édouard. Je trouve d'une certaine façon
plutôt inconvenant, surprenant... En tout cas, je ne reconnais
sûrement pas la rigueur du professeur de droit constitutionnel, je vois
plus des approches politiciennes de la part du ministre quand il renvoie,
chaque fois qu'on dit: Oui, mais il y a des choses incomplètes
là-dedans... La Centrale de l'enseignement du Québec, alors qu'il
y a deux ans nous avions déposé un projet d'accord
constitutionnel, elle l'a rejeté, parce qu'elle trouvait que
c'était insuffisant. Elle vient vous dire la même chose, je
comprends. Vous, ce n'est pas insuffisant, c'est presque inexistant. Presque
inexistant! On pourrait nous faire des reproches quant au fait que le document
constitutionnel que nous avions déposé en 1985 était
incomplet, mais il avait 30 pages. Il était écrit, mais surtout
il ouvrait, il ouvrait... 30 pages couvraient l'ensemble des secteurs, 23
secteurs d'intervention qu'il nous apparaissait essentiel de discuter, y
compris la récupération immédiate d'un certain nombre de
pouvoirs dans le secteur économique et y compris l'enclenchement d'un
processus du partage des pouvoirs pouvant amener à la fois la question
de l'article 93 et d'autres dimensions. Cela, le gouvernement n'en parle pas.
Le ministre veut bien dire de façon plus ou moins ronronnante ou suave:
Vous savez, il y a le deuxième "round". Non, le ministre est
préoccupé par une chose, il veut se dépêcher de
signer l'accord du lac Meech. Pourquoi veut-il se dépêcher de le
siqner? Parce qu'il sait qu'au Canada anglais, en ce moment, on a encore
l'impression que le Québec n'a jamais demandé si peu.
Deuxièmement, le deuxième "round" dont il nous parle
comprendra essentiellement deux sujets, l'un qui fait l'affaire de l'Ouest
canadien, qui est le Sénat, et un autre qui fait l'affaire des Maritimes
et qui est la question des pêcheries. Quant aux pouvoirs du
Québec, que ce soit en matière de main-d'oeuvre, de formation
professionnelle, de recyclage de la main-d'oeuvre, de sécurité du
revenu pour qu'on ait des politiques d'emploi qui aient de l'allure au
Québec; quant aux questions qui touchent le domaine de
l'éducation, notamment l'article 93, qui est un empêchement
important de tourner en rond dans notre système éducatif, ce
n'est même pas mentionné pour la deuxième ronde. C'est
absent.
Je pense que cela démontre que le ministre et le premier
ministre, quand ils se sont rendus au lac Meech, avaient un dossier tellement
incomplet, un plancher tellement bas, déjà défoncé
d'ailleurs - déjà défoncé sur le pouvoir de
dépenser, déjà défoncé sur la
société distincte - au point où le ministre se livre
aujourd'hui à des espèces de parades pour expliquer que la
société distincte veut tout dire alors que, pourtant, au Canada
anglais on lui explique que cela ne veut à peu près rien dire et
qu'on est pris dans un contexte de confusion, d'ambiguïté, et je
dirai d'absence de courage d'aller au fond des choses. S'il devait y avoir un
accord entre le Canada et le Québec, dans le cadre constitutionnel post
1982, il faudrait que cet accord ait le courage de mentionner un certain nombre
de choses. Il n'a pas ce courage.
Je pense qu'il reste quelques minutes que je veux bien laisser à
M. Charbonneau, s'il désire autour de cela...
Une voix: ...
M. Johnson (Anjou): Non, mais je lui laisse la moitié du
temps que j'avais, à toutes fins utiles. Merci.
M. Charbonneau (Yvon): Merci, M,
Johnson. Je ne veux pas me mettre la main autour du pendule qui se
renvoie d'un côté et de l'autre sur certaines questions. Je crois
que, dans le document dont vous parlez, de 1985, vous n'étiez pas
très explicite non plus quant à votre intention de remettre en
question l'article 93.
M. Rémllard: II n'y a rien.
M. Charbonneau (Yvon): II y avait une
cause devant la cour et, même si le ministre de
l'Éducation, à une certaine époque, M. - Gendron, avait
reconnu publiquement, devant nous, qu'il serait opportun de soulever cette
question, il reste que, pour ce qui était du gouvernement, cette
idée n'avait pas été officiellement reprise, je crois.
M. Johnson (Anjou): Si vous me permettez, M. Charbonneau, juste
une seconde là-dessus...
M. Charbonneau (Yvon): Oui.
M. Johnson (Anjou): ...et pour les fins de l'histoire autour de
cela, je pense que cela vaut la peine...
M. Rémillard: II ne restera plus de temps pour parler.
Laissez parler nos invités.
Le Préaident (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît:
M. Johnson (Anjou): ...si le ministre me permet, si cela ne le
dérange pas trop. Il a parlé devant la caméra tout
Pavant-midi, il pourrait peut-être nous laisser dialoguer un peu.
M. Rémillard: Allez-y, M. le chef de l'Opposition!
M. Johnson (Anjou): Je vous dirai que, normalement, cela aurait
été dans les demandes et cela a été discuté
au Conseil des ministres à l'époque, mais,
précisément, vous l'avez dit, la réponse, c'est que, dans
la mesure où on plaidait devant les tribunaux qu'on pouvait
procéder à l'adoption de la loi 3, le risque qu'il y avait sur le
plan juridique, c'était qu'en revendiquant à ce moment-là
une modification à l'article 93, on se mette dans une position sur le
plan juridique...
M. Rémillard: Ce n'est pas sérieux.
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! La parole est au chef de l'Opposition. Nous avons
écouté tous les intervenants.
M. Johnson (Anjou): Je comprends que le ministre soit
dérangé un peu par ces questions.
Je peux vous dire qu'il est évident qu'à partir du moment
où les tribunaux ont tranché la question de façon
très claire et qu'ils ont dit que l'article 93 interdit au Québec
de faire une réforme sur une base linguistique, il faut que le
Québec exige la modification de l'article 93. Ce que je reproche au
gouvernement, c'est de ne pas l'avoir fait, alors que le jugement était
sorti.
M. Charbonneau (Yvon): Quant à nous, ce que je voulais
soulever, c'est que c'était une question peut-être
préoccupante pour le gouvernement d'alors, mais on avait de la
difficulté à s'exprimer clairement là-dessus.
Pour ce qui est du gouvernement actuel, j'ai ici le programme politique
du parti qui forme !e gouvernement et on y retrouve une résolution qui
est très claire et qui viserait à doter le territoire
québécois de deux réseaux linguistiques autonomes au
niveau scolaire: "dans le respect des débats constitutionnels existants
et des exigences légitimes des familles religieuses concernées".
Je donne la citation au complet, pour ne pas donner l'impression qu'on ne
prenait pas certains égards à l'endroit de la constitution
actuelle.
Le ministre actuel de l'Éducation, lorsqu'il était
critique de l'Opposition, avait trouvé le moyen de rendre compatibles
ces deux réalités. Le respect à apporter à
certaines familles religieuses et le respect à apporter aux besoins
actuels du système scolaire québécois. Lorsqu'il
était dans l'Opposition, il avait réussi à
suggérer, dans le débat public et au gouvernement d'alors, des
formules pouvant rendre tout cela compatible. Aujourd'hui, j'aurais aimé
qu'il soit à la commission parlementaire pour entendre ce qu'il aurait
eu à dire là-dessus en public. Chaque fois qu'on a soulevé
la question avec lui dans des rencontres plus privées, cela semblait
impossible pour lui de convaincre les circuits supérieurs du
gouvernement quant au dossier des discussions constitutionnelles, d'aborder
cette question. Enfin...
M. le ministre, vous avez mentionné que c'était un vrai
problème, mais je n'entends aucune voix au niveau gouvernemental qui
nous rassure quant à la prise en considération. Même pour
la deuxième ronde, j'ai entendu M. Bourassa dire à plusieurs
reprises: Nous sommes au maximum de notre rapport de forces au niveau canadien.
Le Sénat est soulevé par les provinces de l'Ouest, la pêche
par les provinces de l'Est. Est-ce que ce ne serait pas le temps pour le
gouvernement du Québec de dire: Mot aussi, j'ai deux ou trois questions?
Les voici. Il faut les mettre à l'ordre du jour. Là, c'est
écrit, sur l'accord de tout le monde, qu'on pourrait inscrire d'autres
questions. Est-ce l'accord des dix? Est-ce l'accord de sept sur dix? C'est
l'accord de qui et pourquoi on ne les inscrit? C'est au moins aussi important
pour le Québec que les pêcheries pour les Maritimes. Enfin, si on
est au sommet du rapport de forces et qu'on ne réussit pas à
l'inscrire, est-ce qu'on peut avoir quelque appréhension?
M. Rémillard: Je peux répondre à cette
question, si M. le chef de l'Opposition me le permet.
Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il y a consentement?
Votre enveloppe est épuisée du côté
ministériel, mais, de consentement, je comprends que je peux accorder le
droit de parole à M. le minisre délégué aux
Affaires intergouvernementales canadiennes.
M. Johnson (Anjou): Vous allez me laisser ma minute, à la
fin?
M. Rémillard: Oui, oui. Très rapidement pour vous
dire que, oui, nous allons inscrire des points que le Québec veut
débattre concernant le partage des responsabilités
législatives entre les deux paliers de gouvernement. Nous allons le
faire dès que nous allons avoir terminé cette première
étape. Dans une deuxième étape qui devrait commencer
l'automne prochain, donc, dès le mois de septembre prochain, là,
nous allons discuter de certains points particuliers en ce qui concerne le
partage des compétences législatives que nous voulons discuter.
La liste qui a été établie, en ce qui concerne le
Sénat et les pêcheries, n'est absolument pas exhaustive. Ce sont
deux sujets. Il est bien évident que ce n'est pas exhaustif. Il est bien
mentionné qu'il y aura d'autres matières. En temps et lieu, on
fera valoir ces autres matières. Soyez assuré de cela.
Tout simplement, en terminant, je voudrais dire au chef de l'Opposition
que, sur l'article 93 de la constitution, lorsqu'il dit que c'est fondamental
et que c'est important, eh bien, il n'y avait rien ou, en tout cas, je ne vois
rien dans le projet d'accord constitutionnel, dans les quelque 30 pages - il
nous dit qu'il y avait environ 35 pages - il n'y avait rien sur l'article 93.
C'est bizarre, ça.
Une voix: II manque une page.
M. Rémillard: II y a quand même quelque chose. Il
faut voir qu'il y a peut-être une petite différence de discours
quelque part. Voilà, j'ai terminé, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre. M. le
chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Oui, je veux simplement rassurer le ministre
et lui dire que les demandes du Québec qu'il a contribué à
préparer pour le lac Meech tiennent sur un timbre-poste. Elles sont
assez minces. De toute évidence, il apparaît qu'elles sont
devenues illisibles. On se demande déjà ce qu'il en reste,
d'ailleurs. Â entendre le ministre semoncer sur les insuffisances du
projet d'accord de 1985, c'est quelque peu étonnant.
Je voudrais remercier le président de la CEQ et ses
collègues pour la préparation d'un mémoire dont nous avons
pris connaissance avec intérêt, en plus d'entendre
l'exposé.
En terminant, j'aimerais dire au ministre que je tiens pour acquis qu'il
nous a dit formellement au nom du qouvernement que la question de l'article 93
sera inscrite dans la prochaine ronde de négociations. Contrairement
à ce qu'il a dit au lac Meech, c'est un ajout, je présume, au
projet d'entente du lac Meech, avec les ajouts que vous préparez - je le
souhaite - sur la société distincte et sur la question du pouvoir
de dépenser.
Je tiens donc pour acquis que le ministre a pris un engagement, au nom
du gouvernement, de faire en sorte que cette question et tout le partage des
pouvoirs feront l'objet de modifications importantes dans le projet d'accord du
lac Meech. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion): À mon tour...
M. Rémillard: M. le Président.
Le Président (M. Filion): M. le ministre.
M. Rémillard: C'est tout simplement une rectification,
parce que ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit qu'on prendra en
considération des points importants considérant le partage des
compétences législatives et possiblement qu'on devrait s'attarder
à des questions reliées à l'éducation, soit le
pouvoir de dépenser ou l'article 93, comme à d'autres sujets
aussi. Cela viendra en temps et lieu, mais ça viendra.
M. Johnson (Anjou): D'accord. Alors, je tiens donc pour acquis,
M. le Président, que les propos du ministre nous démontrent qu'il
avait surtout des paroles verbales...
M. Rémillard: Des paroles verbales...?
M. Johnson (Anjou): ...du verbo-juridisme avant. Je comprends
donc que te gouvernement n'a pas l'intention ferme d'inscrire la question de
l'article 93 dans la deuxième ronde de négociations. Merci.
Le Président (M. Filion): M. Charbonneau, en terminant...
À l'ordre, s'il vous plaît!
M. Charbonneau (Yvon): M. le Président, j'ai
laissé filer le chef de l'Opposition lorsqu'il disait: J'ai compris
qu'il inscrirait l'article 93. Je me suis dit: II est plus près et ils
se voient plus souvent, peut-être, et tout ça. Mais je n'avais pas
compris ça, d'ici, non plus que le ministre s'était
complètement compromis.
Je pense que nous avons tout de même obtenu la reconnaissance
qu'il s'agit là d'une
véritable question, d'un véritable problème. Encore
une fois, je vous inviterais à tenir un vote libre au sein de votre
propre députation sur cette question si, parfois, ça pouvait vous
aider à vous délier d'un certain contexte historique lourd sur
cette question. Peut-être qu'on pourrait en arriver à rejoindre la
société du Québec sur cette question et à mieux
accueillir son flot d'Immigrants qui s'en vient et qui viendra à la
suite de la mise en oeuvre de ces accords. Quant à nous, nous
reviendrons sur cette question chaque fois que le débat sera ouvert.
Nous apprécions que ce soit ouvert à l'occasion de cette
commission parlementaire. Nous insistons pour que tout développement
ultérieur autour de l'évolution de la constitution canadienne
permette un débat large, un débat public et pendant un peu plus
de temps que cela n'a été possible cette fois-ci, parce que c'est
vital pour le développement de la démocratie.
J'ai également remarqué - probablement que c'est faute de
temps - qu'on n'a eu aucun commentaire à propos de notre suggestion
quant à l'élaboration d'une constitution
québécoise. Je crois, pourtant, qu'en certains milieux cette
idée a fait son petit bonhomme de chemin et que c'est peut-être le
véritable moyen de développer le caractère distinct du
Québec à travers tout ce débat, en plus du travail qui
doit s'accomplir au niveau des institutions fédérales. Il
faudrait revenir là-dessus un bon moment.
M. Johnson (Anjou): M. le Président.
Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Si vous permettez, deux remarques. D'abord,
je voudrais dire à M. Charbonneau qu'il sait que je suis favorable
à cette notion d'une constitution du Québec qui lui permettrait
effectivement, très solidement et très organiquement, de
développer certains de ces caractères spécifiques, de ces
orientations en s'appuyant sur la légitimité populaire, en
s'inspirant de la démocratie. Deuxièmement, je pense que cela
devrait précéder tout accord constitutionnel avec le reste du
Canada. Troisièmement, il y a une chose qui m'a frappé. Si le
ministre n'a pas dit qu'il inscrirait 93 dans le deuxième "round" et
s'il a ensuite dit qu'on aurait mal compris si on avait compris ça, j'ai
très bien entendu le ministre déclarer que le pouvoir de
dépenser ferait l'objet du deuxième "round", alors que je pensais
que c'était réglé dans le cas du lac Meech.
M. Rémillard: Je n'ai jamais dit ça. Voyons
donc!
M. Lefebvre: M. le Président, est-ce que le chef de
l'Opposition pourrait permettre au ministre de faire un commentaire sur cette
dernière boutade?
M. Johnson (Anjou): Oui, deux secondes, sûrement.
Le Président (M. Filion): Sûrement. Je pense que
depuis déjà quelques minutes...
M. Lefebvre: Bien oui, M. le Président.
M. Johnson (Anjou): Oui, nous sommes tolérants, vous le
savez.
Le Président (M. Filion): ...les permissions existent, une
précision en amenant une autre et une autre. M. le ministre.
M. Lefebvre: Une dernière minute, M. le
Président.
M. Rémillard: M. le Président, je vous remercie.
Devant nos invités, je ne veux pas exagérer et simplement dire
que le pouvoir de dépenser fait l'objet de l'entente du lac Meech et
c'est comme ça que nous allons régler ce problème.
M. Johnson (Anjou): Donc, c'est un lapsus, si je comprends bien.
Le ministre remarquera dans la transcription qu'il a dit que dans le
deuxième "round" il y aurait le partage des pouvoirs. On
considérerait l'article 93 avec les fioritures qu'il y a mises et on
discuterait du pouvoir de dépenser.
M. Rémillard: Ce sont des paroles verbales.
M. Johnson (Anjou): D'accord. C'étaient des paroles
verbales. Merci.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
Le Président (M. Filion): M. Charbonneau, je voudrais vous
remercier. II y a une chose qui est claire, c'est que le temps qui nous
était alloué est totalement écoulé. Je voudrais
vous remercier à la fois pour votre mémoire ainsi que pour la
période de discussion qui a suivi.
Nos travaux sont suspendus jusqu'à 16 h 15.
(Supension de la séance à 13 h 36)
(Reprise à 16 h 21)
Mouvement national des Québécois
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il
vous plaît! J'inviterais les représentants du Mouvement
national des Québécois à prendre place à la table
de nos invités. Point d'information, avant de débuter nos
travaux, pour les membres de cette commission: On vous a distribué en
fin de séance, cet avant-midi, l'horaire modifié de nos travaux
qui a été confirmé il y a quelques minutes en Chambre par
l'adoption d'une motion sur division qui nous faisait part de cet horaire
modifié compris dans l'ordre du jour qui vous a été
distribué en fin d'avant-midi. Bienvenue, donc, aux représentants
du Mouvement national des Québécois. J'inviterai
immédiatement M. Rolland Chaussé, président du MNQ,
à bien vouloir présenter la personne qui est à sa droite,
tous ayant reconnu à sa gauche M. François-Albert Angers,
économiste, qui nous fait le plaisir de sa présence cet
après-midi. M, Chaussé.
M. Lefebvre: M. le Président, je m'excuse.
Le Président (M. Filion): Oui.
M. Lefebvre! Est-ce que je pourrais vous suggérer de
rappeler à nos invités, les règles, étant
donné que le texte qu'on a en main contient quand même 23 pages
bien tassées. Je me demande si on aura le temps de procéder comme
on l'a fait jusqu'à présent.
M, Rochefort: M. le Président.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin.
M. Rochefort: Tout en souscrivant à la demande que nous
fait le leader adjoint du gouvernement de rappeler les règles au
Mouvement national des Québécois comme à tous les groupes,
il faut quand même rappeler, M. le Président, la latitude qui nous
a animés de part et d'autre jusqu'à maintenant et encore une fois
ce matin pour Alliance Québec où de consentement unanime,
spontané, tout le monde s'est entendu pour permettre à ce groupe
comme à tout autre de pouvoir déborder quelque peu, pour lui
permettre de donner tout le témoignage qu'il souhaite donner sur quelque
chose d'aussi fondamental que l'avenir du Québec.
Le Président (M. Filion): M. Chaussé, d'abord,
comme je vous l'ai demandé tantôt, j'apprécierais que vous
puissiez présenter la personne qui vous accompagne et également,
peut-être dans un deuxième temps, me dire de combien de temps
environ vous pensez avoir besoin pour votre exposé.
M. Chaussé (Rolland): Dans un premier temps, j'aimerais
vous présenter effectivement M. François-Albert Angers, ancien
président de la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal, qui a été président du Mouvement
Québec français et, comme vous le dites si bien, qui n'a pas
besoin de présentation. À ma droite, François Drouin,
historien, qui nous a conseillés dans la démarche qu'on
entreprend aujourd'hui. J'aimerais aussi souligner avant de commencer que le
Mouvement national des Québécois est le nom, depuis une dizaine
d'années, de l'ancienne Fédération des
sociétés Saint-Jean-Baptiste. Je profite de l'occasion pour
souligner la présence de collèques qui viennent d'un peu partout
au Québec, autant de l'Abitibi-Témiscamingue, de l'Est du
Québec, de la Côte-Nord, du Saguenay~Lac-Saint-Jean, de
Québec même, de la région de Lanaudière, des
Laurentides, des Hautes Rivières, de l'Outaouais, de
Richelieu-Saint-Laurent, de Richelieu-Yamaska. Si j'en oublie, ils
m'excuseront, cela totalise environ 165 000 membres et plusieurs se sont
déplacés à l'échelle du Québec. À la
deuxième question que vous m'avez posée: Nous avons prévu
un résumé que vous n'avez pas. Vous allez pouvoir suivre, cela
reprend tout simplement les grandes étapes. C'est 18 pages à
double interligne, donc, cela fait l'équivalent de 9 pages environ.
Le Président (M. Filîon): M. Chaussé, je vous
posais la question, eu égard aux craintes exprimées par le leader
adjoint. Mais je dois vous dire que, de façon générale,
cette commission et ses membres se sont montrés très souples pour
permettre à nos invités de s'exprimer, même si la
contrainte du temps est assez énorme sur notre horaire. Donc, je vous
invite, sans plus tarder, à nous présenter votre
exposé,
M. Chaussé: Merci. Le mémoire du Mouvement national
des Québécois s'attarde sur le concept de société
distincte et met en lumière les nombreux problèmes qu'il
soulève. Comme le libellé du texte de l'entente de principe
intervenue au lac Meech a la forme d'un texte de loi constitutionnel,
même s'il a été livré à la presse sous forme
de communiqué et que tout semble indiquer qu'il s'agit là de la
position officielle du gouvernement, c'est sur ce texte que s'arrêtent
les conclusions de notre mémoire. Mais, comme le discours des
participants à cette entente a beaucoup porté sur son sens
historique, nous devons, dans un premier temps, faire appel au passé
pour comprendre le présent. Les rédacteurs de cette entente de
principe sont des politiciens, des juristes et des experts en droit
constitutionnel. Pourtant, et ils sont les premiers à l'admettre, ils ne
sont pas historiens. C'est pourquoi nous avons choisi de retracer
l'histoire consitutionnelle du Québec pour soutenir notre
argumentation.
Lorsque l'on parle de l'origine et de la naissance du Québec, il
faut retourner dans le temps et se rappeler l'époque de la
Nouvelle-France. Quelques dates suffisent à remémorer les
événements: 1534, Jacques Cartier explore la vallée du
Saint-Laurent; 1608, Champlain fonde Québec et, en 1634,
Trots-Rivières. Ville-Marie, pour devenir Montréal, est
fondée par Maisonneuve en 1642. Dès lors, la population du
Québec se développe autour de deux pôles urbains,
Québec et Montréal. D'abord administrée par des compagnies
privées comme la Compagnie des Cents-Associés, la Nouvelle-France
devient une province française dotée d'un gouvernement royal en
1663. La colonie est alors dirigée par un gouverneur, un intendant et un
conseil souverain. Un embryon de société distincte de la
métropole se forme sous cette gouverne. Les natifs du pays, de plus en
plus nombreux par rapport aux natifs de France, se nomment "habitants",
"habitués du pays", etc., par opposition aux "nouveaux arrivants" de
France. Avec les années, ces gens forment une société
complète avec ses différents groupes sociaux.
Fusionnant "Canada-Kanata" avec leur nouvelle identité
culturelle, les habitants se qualifient de "Canadiens". Que l'on ne se
méprenne pas ici sur ce terme. Au XVIIIe siècle, il
désigne des personnes de souche française nées en
Nouvelle-France. Ce Canadien n'est pas un anglophone et encore moins un
britannique. Jacques Mathieu, spécialiste de l'histoire de la
Nouvelle-France, le décrit ainsi: "II s'est plié aux lois de la
nature, abandonnant des attitudes européennes pour adopter des
comportements indiens et se façonner une identité propre. Le
constant défi du danger et du milieu naturel l'a rendu brave et
industrieux. Habitué à la vie rude, forcé de chercher et
de trouver réponse à ses besoins, indifférent envers une
autorité française trop éloignée de ses
préoccupations, il a pris tellement d'initiatives qu'il a formé
un type social et culturel original."
Au milieu du XVIIIe siècle, la Nouvelle-France a des institutions
qui lui sont propres. Ses habitants développent un sentiment
d'appartenance à leur territoire. Sa composition sociale
s'élabore et son identité culturelle se forge. Comparée
à la métropole, la Nouvelle-France constitue une
société distincte: famille de souche française, religion
catholique, régime seigneurial, coutumes de Paris, vie en paroisse,
victoire sur les envahisseurs iroquois et anglais et exploration du continent,
autant de traits caractéristiques de cette société qui
change d'allégeance à la fin de la guerre de Sept Ans. (16 h
30)
Certains, dont les participants de l'entente du lac Meech, ont tendance
à croire que notre histoire s'est arrêtée avec la
capitulation de Montréal en 1760. Pourtant, cette société
distincte de la France et distincte de l'Angleterre a évolué.
Après la conquête, l'Angleterre vise à assimiler rapidement
ses nouveaux sujets. Pourtant, la politique assimilatrice de la proclamation
royale de 1763 se révèle impraticable. En 1774, par l'Acte de
Québec, Londres établit sa politique de conciliation envers ses
nouveaux sujets. Cette nouvelle constitution réintègre le golfe
du Saint-Laurent et la région des Grands Lacs dans le territoire de la
province. La liberté religieuse est reconnue avec la tolérance du
clergé catholique. L'accession des catholiques aux fonctions officielles
devient aussi possible grâce à la suppression du serment du Test
et son remplacement par un serment d'allégeance. Les lois criminelles
anglaises sont maintenues, mais tes lois civiles françaises sont
rétablies. Les autorités anglaises reconnaissent ainsi leur
erreur d'avoir tenté de faire disparaître la population
française de leur nouvelle colonie. Cette communauté est
désormais reconnue juridiquement et peut aspirer à affirmer son
identité.
Avec l'arrivée des Loyalistes, le rapport démographique
entre anglais et français est modifié. La réponse
londonienne è ce problème, c'est l'acte de 1791 qui
établit le gouvernement constitutionnel et crée les provinces du
Haut et du Bas-Canada. La société bas-canadienne se transforme et
on assiste à un clivage au sein de la population. D'une part, on trouve
des Canadiens qui habitent le pays depuis plusieurs générations.
Ils parlent le français et ils considèrent la paroisse et
l'église catholique comme les deux institutions tes plus chères.
Leur droit civil est basé sur la coutume de Paris. De plus, ayant
été rejetés du grand commerce par le jeu de la
concentration des capitaux propre à l'émergence du capitalisme,
ils sont surtout des ruraux.
D'autre part, on trouve les nouveaux arrivants anglophones. Ce sont tes
"British Americans". Ils sont de diverses dénominations religieuses,
minoritaires dans la colonie, mais regroupés dans les villes. Ils
dénoncent les lois civiles françaises qui ne prévoient ni
habeas corpus, ni procès devant jury pour les affaires commerciales, ni
poursuites en dommages, pas plus que la loi de banqueroute ou la loi
d'enregistrement, autant de pratiques nécessaires à leurs
activités commerciales. Bref, le Bas-Canada est composé de deux
peuples dont les coutumes et tes traditions sont différentes.
C'est dans ce contexte que la vie parlementaire se développe. Le
premier affrontement entre les Canadiens et les "British Americans" survient en
1810. Nouvelle crise entre ces groupes en 1822.
Puis, c'est la querelle des subsides et le désir des Patriotes
afin d'obtenir la responsabilité ministérielle qui aboutissent
aux rebellions de 1837, 1838 et à l'Acte d'Union en 1840.
Conséquence du rapport Durham, l'Acte d'Union constitue un
régime d'oppression nationale. Les Canadiens croyaient que leur
communauté était appelée à se répandre en
Amérique du Nord. Après 1791, l'existence du Haut-Canada,
province à majorité anglaise, force les Canadiens à
demeurer majoritairement au Bas-Canada. Ainsi, la lutte du parti Patriote
visait à obtenir le droit d'administrer le pays dont il formait la
majorité. Démocratiquement, les "British Americans" minoritaires
au Bas-Canada devaient se rallier. Les Patriotes croyaient que les Anglais,
refusant de se laisser gouverner par la majorité canadienne, devaient
s'établir au Haut-Canada. Par l'Acte d'Union, les "British Americans" se
donnent les moyens de protéger leur liberté d'action. Par l'union
des deux provinces, les Canadiens sont finalement mis en minorité,
laissant à la population anglaise le pouvoir de diriger le pays. Comme
conséquence, le terme "canadien" cesse de désigner les
descendants de colons français et est également traduit en
anglais. Canadien et "Canadian" désignent désormais les habitants
du Canada et on parie alors de Canadiens français et de Canadiens
anglais pour distinguer les deux peuples.
Malgré l'établissement du principe de ta double
majorité, les gouvernements sous l'Union souffrent d'instabilité
ministérielle chronique et s'avèrent incapables de faire face aux
difficultés financières liées à la construction
ferroviaire et à l'abrogation du traité de
réciprocité. L'Acte de l'Amérique du Nord britannique,
maintenant connu comme la Loi constitutionnelle de 1867, s'impose alors comme
solution.
Dans son étude sur le fédéralisme canadien,
l'ancien professeur de droit constitutionnel, Gil Rémillard, nous
renseigne sur la nature de la Loi constitutionnelle de 1867. Il affirme qu'il
s'agit d'une loi et d'un pacte. Cette double nature est d'ailleurs
confirmée en 1981 par la Cour suprême du Canada dans son Avis sur
le repatriement. Oui donc a conclu ce pacte? Dans la même étude,
Gil Rémillard soutient que l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique est un pacte négocié entre quatre parties. Ces quatre
parties sont le New Brunswick, la Nova-Scotia, le Canada-Ouest ou Upper-Canada
et le Canada-Est ou Bas-Canada. Pour M. Rémillard, le rôle du
Bas-Canada au cours de ces négociations est évident et nous le
citons: "En somme, le Bas-Canada n'avait aucun droit de jure pour
négocier au nom du peuple canadien-français. Cependant, de facto,
il s'est conduit comme tel et le texte même de l'Acte de 1867 en est la
preuve."
C'est donc dire que la Loi constitutionnelle de 1867 consacre
l'existence juridique du peuple canadien-français. De
société distincte de la métropole, les descendants des
familles-souches françaises sont devenus le peuple
canadien-français avec la "Province of Quebec", le Bas-Canada ou le
Canada-Est comme foyer national. Comment est-il possible qu'une fois rendu au
bord du lac Meech le ministre Rémillard oublie un siècle de notre
évolution constitutionnelle? Comment le peuple canadien-français
peut-il perdre une partie de son identité et devenir uniquement une
société distincte? Mais il y a plus car notre histoire ne
s'arrête pas en 1867. Depuis ce temps, le peuple canadien-français
a évolué.
Pourtant, la contradiction fondamentale de l'Acte de l'Amérique
du Nord britannique, contradiction existant entre le besoin d'autonomie du
peuple français du Québec et le fait que le peuple anglo-canadien
s'accommode fort bien du régime de plus en plus centralisé qu'il
contrôle, n'apparaît pas immédiatement pour tous. Plusieurs
se réjouissent de la naissance de la confédération.
Cependant, les pouvoirs centraliseurs accordés au qouvernement
fédéral apparaissent rapidement. Dès 1878, Honoré
Mercier revendique l'autonomie provinciale. En 1887, le même Mercier
convoque la première conférence interprovinciale pour enrayer la
montée du gouvernement central et remédier à l'entente
financière inéquitable de 1867. Malheureusement, les
revendications des provinces demeurent ignorées. À la fin du XIXe
siècle, le Canada acquiert la Terre de Rupert et les Territoires du
Nord-Ouest. Les Canadiens français voient alors la possibilité de
peupler l'Ouest. Cette aspiration est rapidement niée par la
majorité anglaise. Le premier doute survient avec la pendaison de Louis
Rie!. La question des écoles du Manitoba et le rèqlement
Laurier-Greenway montre que toute la présence du peuple
canadien-français dans l'Ouest est remise en question. La politique du
gouvernement Laurier en matière d'immigration et la création de
la Saskatchewan et de l'Alberta en 1905 confirment cette situation: L'Ouest
canadien n'est pas destiné à être peuplé par les
Canadiens français, leur territoire, c'est le Québec. Ainsi,
à l'aube de la Grande Guerre, plusieurs éléments
constituant une nation sont mis en place au Québec. Originaire de
familles-souches françaises, ce groupe d'hommes et de femmes se
distinque par sa culture, se qualifie de Canadiens français, est
gouverné par le Parlement québécois et a le Québec
comme territoire défini. Avec la loi des mesures de querre en 1914
débute l'ingérence du gouvernement fédéral dans les
champs de compétence du gouvernement provincial. Mentionnons les
événements les plus importants: le New Deal
de Bennett, le rapport Rowell-Sirois, le système
d'assurance-chômage et l'introduction de la notion de pouvoir concurrent
dans des domaines autres que l'agriculture et l'immigration.
Après la Seconde Guerre mondiale, le Québec réagit.
Par la voix du premier ministre Duplessis, il revendique la
récupération fiscale et l'autonomie provinciale. Cependant, la
politique de l'Union Nationale n'est pas suffisamment progressiste pour le
Québec du début des années soixante, il est temps que cela
change. Avec le gouvernement Lesage, toute une nouvelle série de
revendications constitutionnelles voient le jour. Jean-Louis Roy a bien
montré les traits marquants de cette époque et je cite: "Cette
fière affirmation du dynamisme québécois à venir
s'accompagne d'une impressionnante volonté de modifier la
réalité et la pratique constitutionnelle canadienne. En quelques
phrases, le Québec vient de rouvrir le dossier du rapatriement et de la
formule d'amendement de la constitution de même que celui de l'insertion
dans cette dernière d'une déclaration des droits fondamentaux de
l'homme. Les représentants québécois ont de plus
proposé l'établissement de nouvelles structures de fonctionnement
du fédéralisme et soutenu qu'il était impérieux de
rompre avec les pratiques politiques bien ancrées depuis un quart de
siècle, soit les politiques de subventions conditionnelles et les
programmes conjoints. Ils ont de plus affirmé que la culture francophone
au Canada devait être reconnue et présente dans l'ensemble du
pays."
Les affrontements entre le gouvernement fédéral et le
gouvernement du Québec vont se multiplier. La plus importante victoire
de l'époque, pour le Québec, demeure le Régime de rentes
qui institue le droit de retrait ou de l"'opting out". C'est dans ce contexte,
en 1964, que le Québec fait bloc contre la formule Fulton-Favreau.
Même si elle protégeait l'acquis, cette formule d'amendement
constitutionnel plaçait le Québec dans une position trop
difficile pour obtenir davantage dans l'avenir en raison du véto
accordé à chacune des provinces.
Pendant que Daniel Johnson écrit Égalité ou
indépendance et que de Gaulle proclame Vive le Québec libre!
la commission Laurendeau-Dunton recommande de faire du français une des
langues officielles du Canada. En février 1968, un processus de
révision constitutionnelle est amorcé. Les travaux aboutissent en
1971 avec la charte de Victoria. Le Québec y est isolé, surtout
dans ses demandes dans le domaine social. Le gouvernement
québécois réclame le contrôle exclusif des
allocations familiales, les allocations de formation de la main-d'oeuvre et du
supplément de revenu garanti en raison de l'âge, avec certaines
compensations financières. Refusant de tenir compte des demandes du
Québec et d'une nouvelle répartition des compétences, la
charte de Victoria vise à fixer dans la constitution le statut
d'infériorité des minorités francophones et donne un
statut privilégié aux anglophones du Québec. Le
Québec dit non à la charte de Victoria.
Durant les années soixante-dix, les données changent.
Incapable de soutenir sa thèse de souveraineté culturelle face
aux attaques de Pierre Elliott Trudeau, le gouvernement Bourassa perd l'appui
de la nation québécoise dont le nouveau porte-parole devient
René Lévesque et le Parti québécois. Entre 1976 et
1980, le débat constitutionnel s'interprète en fonction du projet
de souveraineté-association du gouvernement du Parti
québécois. En une phrase, Lévesque a défini ce
projet comme étant la souveraineté politique accompagnée
d'une association économique avec le Canada. Son adversaire
acharné, Pierre Elliott Trudeau, vise à étouffer toute
possibilité d'existence de la nation québécoise. Sa
stratégie consiste à rapatrier la constitution canadienne et
à la modifier de façon à museler toute revendication
nationale pour le Québec.
Pendant que la loi 101 fait du français la seule langue
officielle du Québec et que la commission Pepin-Robarts prépare
Se retrouver, Trudeau déclare qu'il est temps d'agir et qu'il faut
rapatrier la constitution canadienne. En novembre 1979, le gouvernement du
Québec propose une nouvelle entente Québec-Canada. En mai 1980,
l'Assemblée nationale débat la question
référendaire pendant que les partisans du oui et du non
s'opposent dans la population. Le 14 mai 1980, devant une foule
rassemblée au centre Paul-Sauvé, le premier ministre Trudeau
s'engage à renouveler le fédéralisme canadien. Il
déclare alors: C'est aux indécis qui titubent que je m'adresse.
Si c'est non, nous avons tous dit que ce sera interprété comme un
mandat de changer la constitution et de renouveler le
fédéralisme. Ce n'est pas moi seul qui le dis, ce sont 74
députés libéraux à Ottawa et les premiers ministres
des neuf provinces canadiennes.
La suite des événements est bien connue et nous allons la
tracer ici à grands traits. Il apparaît rapidement que le
gouvernement Trudeau n'a pas l'intention de renouveler le
fédéralisme et qu'il veut rapatrier unilatéralement la
constitution. Un bloc de huit provinces dirigé par le Québec
s'oppose au projet. Confronté à l'avis sur le rapatriement de la
Cour suprême du Canada qui déclare le rapatriement
unilatéral de la constitution légal mais inconstitutionnel au
sens conventionnel du terme, le gouvernement Trudeau convoque la
conférence de la dernière chance. Il existe
alors une conspiration mise au point par Jean Chrétien, Roy
McMurty et Roy Romanow, respectivement Procureur général du
Canada, de la Saskatchewan et de l'Ontario, afin de mettre le Québec en
minorité et de réussir un accord constitutionnel entre les
provinces anglophones. La tactique réussit et au cours de la "nuit des
longs couteaux", le Québec est exclu de l'accord constitutionnel. Le 17
avril 1981, la reine Elizabeth II proclame la nouvelle constitution du Canada,
le "Canada Bill". De 1982 à 1987, le gouvernement du Québec
refuse de signer cette constitution. De par sa nature, elle nie le droit du
peuple canadien-français à l'autodétermination et elle nie
l'existence de la nation québécoise en pleine évolution.
(16 h 45)
Depuis le 30 avril dernier, une entente de principe est survenue au lac
Meech afin de permettre au Québec de prendre place à part
entière dans l'évolution constitutionnelle canadienne. À
la lecture de la coupure de presse puisque nous devons nous
référer à ce communiqué pour défendre
l'avenir du Québec à cette commission il apparaît
clairement pour le Mouvement national des Québécois que le point
concernant le caractère distinct ne correspond pas à
l'évolution historique du Québec.
On retrouve au centre du problème la reconnaissance que le
Québec forme, au sein du Canada, une société distincte.
À la lumière du mémoire que nous vous soumettons ici,
force est de constater que le concept de société distincte
constitue une vision erronée de l'histoire. Le concept de
société est connu depuis longtemps. Montesquieu disait que la
"société est l'union des hommes, et non pas les hommes". Dans le
cas du Québec, son histoire nous enseigne que, dès
l'époque de la Nouvelle-France, on y trouve une société
distincte. Différente de la métropole par la formation d'un type
social et culturel original, la Nouvelle-France est une société
distincte. Depuis le régime français, ce groupe d'hommes et de
femmes a évolué et s'est forgé une identité
culturelle spécifique. Au XIXe siècle, cette communauté
originale de par sa langue, sa religion, son histoire et ses coutumes est
qualifiée de peuple canadien-français. Après 1867, la
majorité des Canadiens français choisissent d'habiter le
Québec et d'être dirigés par l'État
québécois. Liée par une culture, une conscience commune et
un vouloir vivre collectif, cette communauté a donné naissance
à la nation québécoise dont la personnalité
juridique reste encore à être achevée. Vous comprendrez
alors que, pour le Mouvement national québécois, utiliser
l'expression "société distincte" pour caractériser la
spécificité du Québec actuel constitue un anachronisme
malencontreux.
Notons le problème sémantique que soulève
l'interprétation juridique des mots "société distincte".
De nos jours, tout ensemble d'individus entre lesquels des rapports durables et
organisés existent forme une société distincte. Par
exemple, la société urbaine et la société rurale
sont deux sociétés distinctes. La notion de société
distincte, elle, n'a fait l'objet d'aucune consécration en droit
international. Ainsi, ni la charte des Nations unies, ni les pactes
internationaux relatifs aux droits de l'homme ne retiennent l'expression de
société ou encore moins de société distincte.
Rappelons également qu'en 1945 on a préféré parler
d'organisation des Nations unies pour remplacer le concept périmé
de Société des nations. En droit, le mot société
appartient à la terminologie du droit corporatif où il
représente des personnes morales. Ici, on reconnaît facilement les
sociétés mutuelles, les sociétés commerciales, les
sociétés d'État, etc. Dans ces conditions, le concept de
société distincte doit être rejeté pour être
remplacé par un autre découlant de l'évolution historique
et constitutionnelle du Québec, celui de nation
québécoise.
Mais il y a plus. La clause (l)a) de l'entente du lac Meech indique que
l'interprétation de la constitution canadienne doit concorder avec la
"reconnaissance que l'existence d'un Canada francophone, concentré mais
non limité au Québec et celle d'un Canada anglophone,
concentré dans le reste du pays mais présent au Québec,
constitue une caractéristique fondamentale de ta
Fédération canadienne." Ici encore, nous devons constater que la
réalité historique n'a pas été respectée. Il
est admis que la Loi constitutionnelle de 1867 est non seulement une loi, mais
éqalement un pacte, dont une des parties est le peuple
canadien-français. En définissant le Québec comme une
simple société distincte, la clause (l)a) ne respecte donc pas
l'existence du peuple canadien-français. La langue, la culture, la
reliqion catholique, les institutions ne constituent-elles pas les
éléments majeurs caractérisant et distinguant le peuple
canadien-français? La désignation de la spécificité
ou du caractère distinct du Québec ne saurait souffrir d'un terme
moins fort que la désignation de "peuple" ou de "nation".
En effet, la clause (l)a), lorsqu'on la combine avec la clause (2)
voulant que le Parlement et les Législatures des provinces, dans
l'exercice de leurs compétences respectives, prennent l'engagement de
protéger la caractéristique du Canada mentionnée au
paragraphe (l)a), devient une négation du droit du peuple
canadien-français à l'autodétermination, notamment en
affirmant la primauté de sa langue sur son territoire. Plus
précisément, les responsabilités qu'établissent les
clauses (l)a) et (2) nient la souveraineté de l'Assemblée
nationale en matière linguistique. Elles ont pour effet de renforcer le
caractère
prépondérant de l'article 133 de la Loi constitutionnelle
de 1867 et des articles 21 et 23 de la Charte canadienne des droits et
libertés sur la législation québécoise.
Bien plus, pour le Mouvement national des Québécois,
accepter les clauses (l)a) et (2) de l'entente, c'est consentir à
l'invalidation des dispositions de la loi 101. C'est, en somme,
reconnaître l'anglais dans les domaines de l'affichage, des relations du
travail et des communications et au sein de l'administration provinciale. C'est
également porter un sérieux préjudice au pouvoir du
gouvernement québécois de légiférer sur
l'éducation.
Enfin, la clause (3) voulant que l'Assemblée nationale et le
gouvernement du Québec aient le rôle de protéger et de
promouvoir le caractère distinct de la société
québécoise mentionné au paragraphe (l)b), mise en relation
avec la clause (2), représente un net recul pour la nation
québécoise et pour le Québec.
L'histoire nous enseigne que cette nation est issue du peuple
canadien-français et qu'elle a le Québec comme territoire et
l'État québécois comme gouvernement. Durant les 30
dernières années, ce gouvernement n'a cessé de revendiquer
un nouveau partage des compétences législatives afin de lui
permettre de développer l'identité nationale
québécoise. Quant à la clause (31, elle fait fi de ces
revendications. Depuis la fin du XIXe siècle, la révision du
partaqe des pouvoirs est au centre de toute demande constitutionnelle du
Québec. Ce nouveau partage des pouvoirs, c'est la revendication
traditionnelle des gouvernements du Québec.
Dans cette optique, la clause (3), elle, consacre le statu quo et
présente une vision statique de la nation québécoise en
limitant son évolution aux champs de juridiction actuels de la
Législature du Québec. Le droit du fédéral de
s'ingérer dans le domaine des pouvoirs exclusifs des Législatures
provinciales n'est d'ailleurs limité que par un "opting out"
conditionnel à l'établissement d'un programme compatible avec les
objectifs fédéraux avec une juste, mais non une pleine
compensation financière. C'est reconnaître dans la constitution la
compétence du fédéral sur les questions inscrites à
l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Il va de soi que, pour le Mouvement national des
Québécois, cette entente constitutionnelle est inacceptable parce
qu'elle nie l'existence même du peuple québécois en ce
qu'il est et ce qu'il veut devenir. Pour nous, il est faux de croire que
l'entente du lac Meech permet au Québec d'affirmer son identité
nationale au sein d'un fédéralisme renouvelé, car
lorsqu'on analyse les clauses concernant le caractère distinct du
Québec, force est de constater que celles-ci n'affirment en rien sa
spécificité. Basée sur un concept erroné
historiquement, celui de la société distincte, l'entente de
principe nie le droit du peuple canadien-français à
l'autodétermination et constitue conséquemment un net recul pour
la nation québécoise.
Pour le Mouvement national québécois, l'entente du lac
Meech n'assure en rien le caractère distinct du Québec et en fait
une province comme les autres. C'est pourquoi nous maintenons que jouer
l'avenir sur ce concept de société distincte, c'est commettre une
grave erreur historique.
Le Président (M. Filion): Merci, M. Chaussé.
J'inviterais maintenant les parlementaires à amorcer les échanges
avec nos invités. Pour chaque qroupe parlementaire il reste un peu plus
de quinze minutes. Alors, donc, la parole est à M. le ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales
canadiennes.
M. Rémillard: Je vous remercie, M. Chaussé, de
venir témoiqner devant nous, ainsi que MM. Drouin et Angers. Je veux
souhaiter la bienvenue à ceux qui vous accompagnent, les membres de
votre association.
M. Chaussé, je suis d'autant plus heureux de vous entendre que
vous êtes accompagné de M. François Drouin, qui a
été mon brillant assistant en histoire à
l'Université Laval et qui m'a fait le plaisir de me citer, comme
l'Opposition me fait aussi ce plaisir de citer mon livre quelquefois. Je
voudrais aussi vous dire à quel point cela me fait plaisir de recevoir
M. François-Albert Angers, qui est un grand Québécois qui
a fait valoir ses idées - on ne peut pas toujours les partager - avec
beaucoup de conviction concernant la société
québécoise. De plus, M. Angers est une vedette du droit
constitutionnel parce que dans toutes les facultés de droit du Canada on
enseigne cette cause François-Albert Angers versus le ministère
du Revenu du Canada. C'est M. Angers qui a contesté la validité
du régime fédéral d'allocations familiales en 1956 devant
la Cour de l'échiquier. Vous n'avez pas eu de succès, mais vous
avez, par ce geste, établi une jurisprudence qui sert aujourd'hui
d'assise à ce que nous appelons le pouvoir de dépenser du
gouvernement fédéral. C'est intéressant de vous avoir ici,
M. Angers, vous qui avez fait jurisprudence dans un domaine qui est très
discuté à cette commission parlementaire.
M. Chaussé, je crois que vous avez fait un tableau
intéressant, à certains égards, de l'évolution de
la société québécoise. À partir de la
fondation de la colonie ici, en passant par les principales dispositions
constitutionnelles qui ont marqué l'évolution de la
société québécoise, vous êtes arrivé
à un concept, qui est le vôtre, de ce que vous
appelez la nation québécoise et que nous, nous
préférons appeler la société
québécoise, dans un contexte canadien, en ce sens qu'il s'agit
d'hommes et de femmes qui vivent ensemble parce qu'ils ont des liens en commun,
tant d'ordre moral que matériel, qui sont politiquement
organisés, qui vivent sur ce territoire et qui, par conséquent,
sont plus qu'un peuple ou même une nation, tel qu'on peut le comprendre
dans le contexte constitutionnel canadien. Par exemple, comme vous le savez, il
y a des expressions qui sont utilisées concernant les autochtones dans
la constitution canadienne. C'est dans ce contexte qu'on utilise le mot
"société" et que l'entente du lac Meech consacre la
spécificité de la société
québécoise.
Quand vous avez parlé de ce caractère distinct du
Québec et de l'entente du lac Meech, je n'ai pas entendu de votre part
beaucoup d'insistance sur le fait que, pour la première fois,
l'Assemblée nationale du Québec, le gouvernement du Québec
reçoit par un texte constitutionnel le rôle de protéger et
de promouvoir la spécificité québécoise. Quand vous
tracez le tableau de l'évolution de la société
québécoise, vous pourriez ajouter maintenant une nouvelle dates
30 avril 1987, date historique où, pour la première fois, on
reconnaît la société distincte et où, pour la
première fois, on reconnaît le rôle de l'Assemblée
nationale et du gouvernement de promouvoir, de protéger cette
société distincte.
D'autre part, vous n'avez pas développé les quatre autres
points qui complètent l'entente du lac Meech et qui complètent
aussi ce concept de société distincte, société
distincte qui pourrait avoir une garantie de par les pouvoirs que nous obtenons
en matière d'immigration: la capacité de sélectionner nos
immigrants, non seulement ceux qui demandent de venir au Québec par
l'extérieur du Canada, mais ceux même qui sont sur place et qui
nous demandent d'immigrer; la capacité aussi de prendre en main ces
immigrants pour leur donner le goût de demeurer avec nous, avec les
mesures d'intégration; la récupération des droits
historiques du Québec en ce qui regarde le droit de veto du
Québec; concernant la Cour suprême, le droit de fournir une liste
à partir de laquelle le gouvernement fédéral doit choisir
les juges qui feront partie de la Cour suprême; le pouvoir de
dépenser que vous connaissez si bien, M. Angers, et la capacité
de circonscrire l'application de ce pouvoir de dépenser et de consacrer,
dans la constitution, le droit des provinces de se retirer de ces programmes
nationaux avec une compensation financière.
Donc, lorsque vous étudiez d'une façon
générale l'entente du lac Meech, vous voyez ce concept de
société distincte, qui ne sera pas dans le préambule de la
constitution, mais qui sera un article de la constitution, qui ne sera pas une
règle facultative d'interprétation, mais qui sera une
règle obligatoire d'interprétation. Les tribunaux devront se
référer à cette société distincte, au fait
que le Québec a maintenant le rôle de protéger et de
promouvoir cette spécificité québécoise pour
interpréter l'ensemble de la constitution du Québec, tant celle
de 1867 que celle de 1982, Voilà quand même un contexte que je
n'ai pas vu dans votre mémoire comme tel. (17 heures)
Le Président (M. Fïlion): M. Drouin.
M. Drouin (François): Oui, je voudrais
répondre.
Une voix: On va avoir droit à celui-là tout
à l'heure.
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît! La parole est maintenant à l'un de nos invités, M.
Drouin.
M. Drouin: M. le Président, je voudrais répondre
sur cette question de société distincte.
Je lisais mardi un classique français, Nicolas Boileau, qui
disait que ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement et les
mots pour le dire viennent aisément. Alors, si on regarde un peu ce que
cela veut dire "société distincte", on peut se poser des
questions. En fin de compte, c'est la Cour suprême qui devra
décider ce qu'est une société distincte.
Si on regarde un peu dans notre droit corporatif, si on regarde un peu
ce que cela veut dire, on peut trouver plusieurs définitions. J'en ai
trouvé une. Je vous la soumets. Une société, en droit,
à ce que je sache, dans l'histoire, c'est un groupement de plusieurs
personnes ayant mis quelque chose en commun en vue de partager le
bénéfice qui pourrait en résulter et auquel la loi
reconnaît une personnalité morale considérée comme
propriétaire du patrimoine social. On peut parler de
société commerciale par rapport à société
civile. Je doute que la Cour suprême décide un jour que le
Québec soit un genre de compagnie à but lucratif. Alors, elle va
regarder plutôt dans l'histoire et que va-t-elle voir, si elle recherche
consciencieusement? Elle va constater que la Nouvelle-France est une
société distincte de la métropole. On me diras Oui, mais
où sont les institutions? Je pense que le tableau ici est
éloquent. Le conseil supérieur, le Conseil souverain, c'est une
institution. À partir de la Nouvelle-France, notre société
- on peut en parler comme une communauté, non comme un terme de droit
constitutionnel - a évolué pour devenir un peuple et ensuite une
nation. Je pense que de laisser entre les mains d'experts - il faut en convenir
- de
juges, entre les mains d'un petit qroupe le soin de définir
exactement ce qu'est une société distincte, c'est bien dangereux.
C'est pourquoi je recommande qu'on utilise les mots "nation
québécoise".
Maintenant, pour ce qui est de la question du pouvoir de
dépenser, je voudrais laisser la parole à M. Francois-Albert
Angers puisque le temps est très court.
Le Président (M. Filion): Allez-y.
M. Angers (François-Albert): M. le Président, cette
question du pouvoir de dépenser tel que cela est formulé dans le
communiqué du lac Meech m'a laissé sidéré sur ce
que j'estime être une perte extraordinaire chez nos hommes politiques du
sens de ce qu'est l'autonomie provinciale parce que c'est elle qui se trouve en
jeu dans ce pouvoir de dépenser. L'exercice du pouvoir de
dépenser tel qu'il est prévu dans l'accord qui va être
signé a d'ailleurs pour conséquence de détruire la
société distincte puisque le gouvernement fédéral
va pouvoir prendre une à une les directions - ou le contrôle - de
nos institutions, nous imposer de créer nous-mêmes, à
même la compensation, des institutions semblables, non pas à
l'esprit de la société distincte, mais à l'esprit de la
société canadienne majoritaire.
En somme, qu'est-ce que l'autonomie provinciale? L'autonomie
provinciale, c'est l'exclusivité totale, absolue des pouvoirs garantis
par la constitution par l'article 92. Si on veut regarder l'histoire, on va
voir que tous nos hommes politiques jusqu'à Saint-Laurent et d'autres
après celui-ci comme Lesage et Johnson - Lesage quand il a
été à Québec et Johnson - se sont farouchement
battus pour qu'on ne touche pas d'un brin, même pas par le pouvoir de
dépenser, qu'on ne touche d'aucune façon, parce que c'est
exclusif, au Québec. Je me dis qu'un étranger qui lit ce qui est
écrit dans le rapport du lac Meech va dire: Qu'est-ce que cette
histoire? Si les pouvoirs sont exclusifs aux provinces, pourquoi le Canada
est-il obligé de donner des compensations à ces provinces par
rapport à leurs pouvoirs?
Alors, jusqu'ici, c'est vrai que cela a été envahi par le
fédéral, mais toujours en étant contesté par les
provinces, par la province de Québec, on peut dire, parce qu'il y a eu
une espèce d'entente avec les autres provinces qui voulaient avoir de
l'argent, qui voulaient avoir des services centralisés. Il en
résulte qu'on ne peut pas, d'aucune façon, avaliser une situation
telle qu'il suffit que le gouvernement fédéral veuille entrer
dans les pouvoirs de dépenser pour qu'il ait le droit de le faire
automatiquement, en vertu de la constitution, et que nous en soyons
réduits ensuite à recevoir une compensation qui nous oblige
à faire quelque chose de compatible avec ce que le fédéral
a fait. Cela me paraît la destruction totale et finale de l'autonomie
provinciale...
M. Rémillard: M. Anqers.
M. Angers: ...et par conséquent, la destruction totale et
finale dans ce qui caractérise le plus, d'après vous, la
société, soit les institutions. Vous alliez dire quelque chose,
M. le ministre.
M. Rémillard: Si vous me le permettez.
Je m'excuse. Est-ce que... Vous avez une option indépendantiste
qui est la vôtre, très bien...
M. Angers: Cela n'a pas de rapport.
M. Rémillard: Ma question est celle-ci: De quelle
façon pourrait-on, à ce moment-là, concevoir l'autonomie
provinciale dans un concept d'indépendance? Est-ce qu'il n'y a pas
là deux choses complètement différentes?
M. Angers: Pas du tout. L'indépendance, cela va être
la récupération complète des autonomies dans tous les
domaines qui sont actuellement de juridiction fédérale.
M. Rémillard: Ma question intéresse aussi - je
pense, le chef de l'Opposition, il est intéressé à faire
la distinction.
M. Johnson (Anjou): Oui, absolument.
M. Angers: C'est comme cela, d'ailleurs, que je peux vous dire
que tous nos hommes politiques et nos juristes d'autrefois l'ont comprise. Ils
l'ont débattue en Chambre. Ernest Lapointe s'opposait à toute
dépense fédérale et menaçait de démissionner
s'il y avait des choses comme cela qui étaient votées. C'est
comme cela. Et quand on a commencé à faire des intrusions, il
n'était pas question du pouvoir de dépenser. La première
loi sur les pensions de vieillesse était une loi d'autorité
centrale, mais il fallait quand même la permission des provinces pour
l'appliquer à la province. Il fallait le consentement de la province. Je
ne conçois pas qu'on puisse laisser toucher au pouvoir de
dépenser sans prévoir qu'il y ait un consentement des provinces
pour cela.
M. Rémillard: Mais, M. Anqers, on ne peut quand même
pas faire l'indépendance du Québec à l'intérieur de
la Fédération canadienne, n'est-ce pas?
M. Angers: Je ne parle pas d'indépendance, je parle du
respect de la constitution de 1867, du respect de l'article 92 et des articles
dont vous a parlé M. Proulx hier à propos de l'agriculture, 93 et
95... C'est-à-dire, non, le fédéral n'a pas le droit... Je
pense que le Conseil privé l'a dit
une fois. Il me semble que les juristes ont oublié cela. Je me
souviens avoir vu dans un jugement du Conseil privé, je crois que c'est
celui sur les services sociaux, en 1937 - ce n'était peut-être pas
un jugement, cependant, à ce moment-là, c'était
peut-être un obiter dictum - où après avoir condamné
les lois sociales, il est dit quelque part que de toute façon, il ne
s'ensuit pas que, parce que le fédéral a le pouvoir de
dépenser de l'argent, il puisse le faire dans des domaines qui sont de
juridiction provinciale. Cela me paraît tellement évident et
élémentaire.
M. Rémillard: Vous avez raison en ce sens qu'il y a une
distinction à faire entre le pouvoir de dépenser de l'argent et
le pouvoir de réglementer dans des domaines de compétence
provinciale. Là, vous avez parfaitement raison. Le fédéral
n'a pas la compétence de réglementer un domaine de
compétence provinciale, mais il a la compétence de
dépenser des sommes d'argent dans un domaine de compétence
provinciale. Vous avez raison là-dessus.
M. Angers; Justement, en acceptant des normes, il va
réglementer. Je vais vous dire une des caractéristiques que
beaucoup de gens oublient. La loi sur les allocations familiales - relisez le
discours de M. Saint-Laurent - c'est au nom du pouvoir de dépenser qu'il
l'a établie. Il l'a établie au nom du pouvoir de dépenser
parce qu'il explique très bien dans son discours qu'il n'a pas le droit
de le faire, qu'il n'a le droit de faire aucun règlement,
d'établir aucune norme, mais il dit: Vous ne m'empêcherez pas de
faire des cadeaux. C'est comme cela que les allocations ont été
établies, dans l'idée que, là, on utilisait le pouvoir de
dépenser de telle façon que si des gens le demandent au
gouvernement... Il fallait qu'ils le demandent. Il n'y avait aucune condition
et M. Saint-Laurent avait fort bien dit qu'il n'avait pas le droit de mettre
aucune condition sans quoi la loi aurait été ultra vires. Il y en
avait une, cependant. Il a dit: Les allocations familiales ne seront
payées que pour les enfants qui fréquenteront les écoles
selon les lois provinciales. C'était le truc. Encore une fois,
l'évolution du pouvoir de dépenser dans les dernières
années est ratifiée par l'entente du lac Meech et va
jusqu'à reconnaître que, parce que cela s'est fait, admettons que
c'est normal et arrangeons-nous pour avoir une compensation qui n'est
même pas complète. Encore une fois je suis renversé de voir
qu'au lac Meech il n'y a pas quelqu'un dans votre délégation qui
aurait pu sursauter et qui aurait dit: Oui, mais l'autonomie provinciale,
où va-t-elle avec cela? Cela me paraît incroyable et inconcevable.
Et surtout, votre société distincte, on va la défaire
morceau par morceau, de sorte que l'article 3 dont vous parlez... De promouvoir
et de protéger, protéger quoi? Promouvoir quoi? Une coquille
vide? Une coquille qui va se vider?
Je crois que cette situation est très grave et que le
problème de la société distincte est d'abord un
problème en lui-même, parce qu'il va être ambigu et
équivoque. On a commencé à parler de société
distincte - je l'ai vécu - au temps de la commission Laurendeau-Dunton,
on a eu des discussions sur cela et on en a parlé avec M. Laurendeau. Si
on a commencé à employer ce langage, c'était pour
tâcher de parler avec les anglais. Ils ne pouvaient pas entendre le mot
peuple ou le mot nation sans sauter au plafond. Alors, je suis certain que,
quand on va signer l'entente du lac Meech, les premiers ministres provinciaux
vont dire: Le Québec a enfin consenti à ne plus se faire
reconnaître comme un peuple, parce que, pour eux, nation distincte - et
proposez-leur la chose - cela ne veut pas dire peuple. Proposez-leur de mettre
à la place: le Québec est le foyer national d'un peuple de langue
française qui comme tous les peuples a le droit de disposer de
lui-même; seulement, j'ai bien peur qu'ils ne l'acceptent pasl
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, monsieur. Je
vais reconnaître maintenant le porte-parole de l'Opposition, M. le chef
de l'Opposition officielle.
M. Johnson (Anjou): M. Chaussé, M. Drouin, M. Angers,
d'abord, permetttez-moi de passer une première remarque sur les propos
du ministre qui, chaque fois que quelqu'un vient ici lui expliquer qu'on trouve
qu'il a tort sur la société distincte, a le don de dire:
Évidemment, vous êtes un indépendantiste - comme si
c'était dégradant. Je voudrais simplement dire au ministre que,
si je le suis, c'est précisément parce qu'il faut d'abord au
moins savoir maîtriser des notions de base comme celles que nous a fort
bien décrites un des hommes les plus expérimentés dans
cette question au Québec, M. François-Albert Angers. Quand
celui-ci parle de la notion d'autonomie provinciale, je me suis rendu compte
que le ministre lui-même n'avait même pas l'air de savoir ce que
c'était. Et pourtant, Dieu sait que cela a dominé très
longuement la politique au Québec et entre le Québec et le
Canada! Et c'est autour de cela que se sont faits un certain nombre de combats
extrêmement importants pour le développement du Québec,
pendant près de 40 ans, autour d'un concept qu'on trouve aujourd'hui
vieillot, désuet, mais qui dit ce qu'il dit, l'autonomie,
c'est-à-dire l'aire de liberté collective du Québec dans
les domaines de sa juridiction en vertu de l'article 92. Si on ne croit pas
à cela au départ, il est évident qu'on ne peut pas
être souverainiste. C'est officiel et je tiens pour
acquis que le ministre n'est pas souverainiste. Je peux vous dire que,
moi l'étant, je m'inspire aussi de ce qui s'est fait historiquement. Et
cela ne m'inquiète pas que de faire référence - si le
député de Notre-Dame-de-Grâce pouvait avoir la gentillesse
ou peut-être la courtoisie quelques secondes... Je ne veux pas trop lui
en demander. Je comprends un peu M. Angers, quand il disait que la notion de
peuple ou de nation fait grimper un certain nombre de personnes dans les
rideaux.
La question que je vais adresser à M. Angers tourne autour de ces
deux notions. La notion de société distincte comme nous l'a
présentée le ministre jusqu'à maintenant, en essayant de
reléguer la notion de peuple à quelque chose comme des nomades
errants dans le Sahara ou un peuple comme les Arméniens à la
recherche d'un territoire, comme diaspora sans assise, un peuple
hébraïque sans Israël ou sans la Palestine, est à mon
avis une notion tout à fait étriquée, absolument sans
fondement, ni dans le droit international, ni dans l'histoire réelle de
l'évolution des peuples. Nous présenter la notion de peuple comme
étant une espèce d'appendice ou d'accessoire sans importance et
finalement glorifier la notion de société distincte, comme si la
réalité des civilisations s'était bâtie autour de la
notion de société distincte, à mon avis, c'est passer
à côté de la coche. (17 h 15)
L'histoire des civilisations s'est faite autour d'une notion qui
s'appelle les peuples et les nations. Et Bismarck, Talleyrand et les autres, Au
XIXe siècle, les grands auteurs allemands se sont
préoccupés de la "Gesellschaft", c'est-à-dire la notion de
communauté qu'on a associée à la notion de peuple et de
nation. Vous savez, je n'ai pas entendu la notion de "l'Europe des
sociétés distinctes", non. J'ai entendu "l'Europe des nations",
j'ai entendu parler de la Charte d'Helsinki traitant des peuples et non pas des
sociétés distinctes. Je pense que les espèces de fantasmes
juridico-historiques du ministre n'ont rien à voir avec la
réalité du droit international et, simplement, avec les
fondements de ce qu'est notre histoire.
Je pense que M. Angers a parfaitement raison de dire qu'il est
évident que, à l'époque de Laurendeau-Dunton, cela faisait
grimper le Canada anglais dans les rideaux quand on utilisait le mot "nation".
L'expression "two nations" ou "deux nations" donnait la chair de poule aux
Ontariens. L'expression "peuple" donne aussi un peu la chair de poule à
l'Ontario et un peu plus à M. Hatfield, pour toutes sortes de raisons
géopolitiques, dans son cas.
Quant au pouvoir de dépenser, il m'apparaît évident
que, si on ne comprend pas au départ ce que sont les juridictions de 92,
ce petit air de liberté que nous avons comme collectivité, on ne
peut pas comprendre ce que le ministre est en train de découvrir,
l'espèce de bras dans le tordeur qu'il est allé tendre au lac
Meech.
Je terminerai mes propos en demandant à M. Angers d'occuper le
reste du temps que j'ai, c'est-à-dire à peu près cinq, dix
minutes - je présume, M. le Président - s'il le désire, en
me parlant d'une dimension qu'il n'a pas évoquée. Compte tenu de
sa vaste expérience des questions politiques, des questions
constitutionnelles, des questions de fond dans le développement du
Québec, étant un des premiers grands économistes que le
Québec ait connus, a-t-il l'impression que le Québec est au bout
de son rapport de forces, en ce moment, et qu'il doit signer sur la base de ce
plancher que j'ai décrit comme particulièrement troué
depuis l'entente du lac Meech? II y a un peu d'eau dans la cave, dans la maison
ou dans le solage qu'a décrit le ministre ce matin. A-t-il l'impression
que le Québec est au bout de son rapport de forces? A-t-il l'impression
que ce serait dramatique de ne pas signer? M. Angers.
M. Angers: Je n'ai pas du tout cette impression. Je crois que,
comme cela vous a été dit, d'ailleurs, ce matin, quand le
Québec aura signé, ce sera réglé et on va retomber
dans le petit traintrain et les petites conférences
fédérales-provinciales qui n'aboutissent à rien, comme
avant.
Les situations où nous avons gagné quelque chose ont
toujours été des situations où nous nous sommes mis en
marge et où nous avons refusé des choses. Il y a une situation
là qui peut paraître difficile parce que, dans un sens, on peut
risquer de perdre quelque chose. Une chose est certaine: au Canada, quand tout
le monde n'est pas rentré dans le rang et que quelqu'un tire d'un
côté, cela ne fonctionne pas et on fait des efforts pour le faire
rentrer dans le rang.
Je peux prendre un autre exemple. Quand sont arrivées les
fameuses subventions aux universités et que le Québec a dit: Non,
et si les universités acceptent les subventions fédérales,
on va leur ôter les subventions provinciales, le fédéral a
été tellement mal è l'aise que, pendant trois, quatre ans,
jusqu'à ce que cela se règle avec M. Fleminq et Paul
Sauvé, il accumulait l'argent du Québec dans une caisse
séparée parce qu'il n'osait pas en disposer autrement. Il avait
mauvaise conscience. Finalement, un accord raisonnable est intervenu et il a
permis au Québec de retrouver son autonomie dans le domaine des
subventions universitaires pour un temps.
Je pense que, là, ce sera la même chose. Après tout,
s'il se présente des situations difficiles - je ne peux pas voir quoi,
il y aurait certaines choses dans lesquelles il serait bon qu'on soit - il n'y
a
rien qui empêche le Québec de faire certains arrangements
pour être présent dans certaines circonstances pour certains
problèmes sans avoir ratifié et signé et tout en
maintenant toujours que, s'il consent à une certaine participation, il
le fait en déclarant qu'il n'accepte pas le coup de force qui lui a
été imposé en 1982. Une des caractéristiques de
l'opération du lac Meech, c'est qu'il n'y a aucune réparation de
ce qui a été fait dans cela. On reste avec... D'ailleurs,
j'entends le ministre dire: Écoutez, l'article 23, Particle 133, on les
a déjà acceptés. Même si on les avait
acceptés - l'article 133, c'est différent, mais l'article 23 - ce
sont nos pouvoirs qui ont été entamés et au nom de
l'autonomie provinciale encore une fois et de notre dignité
d'État souverain dans son domaine on devrait réclamer que cela
nous soit remis et que cela le soit sous notre juridiction en prétendant
qu'on est aussi capable d'administrer ce qui est dans l'article 23 selon nos
normes à nous qui sont aussi valables que celles du gouvernement
fédérai. Ce coup de force pour que les autres provinces soient si
mal à l'aise, qu'elles appellent le coup de force du Québec, le
coup de force qui a été imposé au Québec et le
refus du Québec de l'accepter, je pense que c'est une situation de
négociation qui ne devrait pas être abandonnée tant que
nous n'aurons pas obtenu l'essentiel.
Une remarque que je ferais sur les accords du lac Meech, c'est qu'il n'y
a pas de distinction faite - on a mis tout cela en vrac - entre des choses qui
sont importantes, qui sont des pouvoirs nouveaux, et des choses qui sont
fondamentales. La reconnaissance du peuple de langue française du
Québec, cela fait partie des droits et libertés des peuples. On
devrait être aussi exigeant sur cela que sur la liberté de
conscience individuelle ou sur la liberté d'expression. Alors, on a mis
cela en vrac et on dit: Eh bien! écoutez, on a eu tel pouvoir dans
l'immigration, est-ce qu'on ne pourrait pas, quand même, être plus
large sur les questions comme la société distincte et accepter
des atermoiements ou des compromis? C'est une chose fondamentale et, tant qu'on
ne l'a pas obtenue, je crois qu'on doit refuser de signer, ce qui encore une
fois risque d'être considéré comme un abandon de nos
caractéristiques essentielles. Qu'on demande aux autres premiers
ministres s'ils reconnaissent à travers la société
distincte un peuple de langue française ayant tous ses droits de peuple
réel. S'ils nous disent oui, eh bien là! peut-être qu'on
pourra voir. En attendant, soyons sûrs de nous parce qu'après tout
on s'en va dans une voie où encore une fois c'est la Cour suprême
qui nous dira avec le temps, avec un long temps... On s'embarque dans un autre
siècle de confédération où on va batailler contre
des situations, aller en cour pour contester des situations qui vont être
posées et attendre le jugement de la Cour suprême qu'on perdra
probablement, dans la plupart des cas, pour savoir ce qu'est la
société distincte.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Je
reconnaîtrais maintenant un autre représentant de l'Opposition,
étant donné que la formation ministérielle a
épuisé son enveloppe. M. le député de
Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: M. le Président, très
brièvement, je voudrais revenir sur une proposition extrêmement
intéressante que vous avez faite tout à l'heure, M. Angers, quand
vous avez dit au ministre: Proposez donc de remplacer "société
distincte" par "nation québécoise". Proposez-leur, on verra bien
ce qui va se produire. On ne sait pas ce qui s'est passé, en cachette
évidemment, au lac Meech, cela a été des pourparlers
secrets. Le ministre a toujours cru avant aujourd'hui au concept de nation
québécoise, il l'a utilisé très souvent dans ses
écrits, dans ses textes. Peut-être qu'au lac Meech timidement il a
proposé ou invoqué la reconnaissance de la nation
québécoise, mais il s'est buté à une fin de
non-recevoir de la part des premiers ministres des autres provinces et de celui
du Canada. Peut-être même qu'il n'a pas osé aller
jusqu'à proposer de reconnaître la nation
québécoise, en tout cas, le peuple québécois. C'est
une proposition intéressante que vous faites et j'espère ou je
souhaiterais que le ministre et le premier ministre, M. Bourassa, proposent
à leurs pairs, à leurs collègues, à leurs
homologues de remplacer "société distincte" par "nation
québécoise". Remarquez que je suis persuadé qu'on va se
buter à un refus catégorique, j'en suis convaincu. Ce n'est pas
pour rien - vous avez raison là-dessus, MM. Angers et Chaussé -
ce n'est pas pour rien qu'on a choisi le terme de "société
distincte" plutôt que celui qui conviendrait davantage et le mieux, qui
correspondrait davantage à la réalité, celui de "peuple
québécois" et, même, ce qui serait encore mieux, celui de
"nation québécoise".
Ce n'est pas pour rien qu'on a retenu le terme de "société
distincte", c'est parce que cela ne veut rien dire. C'est aussi simple que
cela, cela ne veut rien dire et cela n'a pas vraiment d'implication. C'est sans
aucun doute pour cette raison qu'en secret, au lac Meech, on s'est entendu pour
le concept vague, flou, ambigu de société distincte sans
même le définir le moindrement.
J'aimerais qu'à une autre occasion -parce qu'après chaque
exposé d'un groupe qui défile devant nous, on a toujours droit au
vidéo clip du ministre, la même cassette, l'entente historique,
les points majeurs, les
gains majeurs, l'immigration et patati et patata - j'aimerais
qu'à l'occasion de son vidéo clip la prochaine fois, il fasse une
petite exception, qu'il ajoute un élément nouveau et qu'il nous
dise si vraiment il serait prêt à changer, à mettre
à la place du concept de "société distincte" celui de
"peuple québécois" et même de "nation
québécoise", termes qu'il a largement utilisés lorsqu'il
était professeur en droit constitutionnel.
Alors, je retiens votre proposition, elle est intéressante, et je
vous demande, en terminant, M. Angers: Pensez-vous, vous qui avez une longue
expérience et qui avez d'ailleurs plaidé des causes devant les
tribunaux, qui vous êtes même rendu, nous disait le ministre
tantôt, à la Cour de l'échiquier, pensez-vous qu'avec un
concept flou et vague, je dirais insignifiant, comme celui de
"société distincte" vous pouvez aller bien loin et obtenir des
gains réels devant les tribunaux?
M. Angers: Je ne crois pas que nous puissions obtenir ce que nous
voulons, c'est-à-dire un vrai Québec français, libre de
développer ses institutions, sa langue, selon ce qui est
nécessaire pour son épanouissement. Je suis à peu
près sûr, d'ailleurs. Je ne vois pas pourquoi tous ces jugements
qui sont en train de démolir la loi 101 ne continueraient pas à
être donnés en fonction d'un concept de société
distincte, qui n'est même pas caractérisée comme devant
sauvegarder la langue française, mais qui doit sauvegarder la
dualité canadienne, où la langue française... Mais cette
société distincte n'est même pas considérée
comme un vrai paysage fondamental dans l'organisation de la
confédération. Je le crains fort parce que, quand même,
sans être juriste, des jugements de la Cour suprême et du Conseil
privé, j'en ai lus. Les entortillements que les juristes et les juges
peuvent faire quand ils ont envie d'en venir à une certaine solution,
cela fait qu'on ne peut pas prévoir un jugement de cour quand les cours
ont la latitude de jouer sur un texte tellement vague qu'il permet toutes les
interprétations possibles, avec certaines limites. J'admets que cela
pose certaines limites, mais il nous faut plus que certaines limites, il nous
faut une garantie de notre avenir comme peuple français sur ce
territoire du Québec.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Angers. Le
temps prévu est malheureusement écoulé. Je voudrais, au
nom de tous les membres de cette commission... Oui, M. le ministre.
M. Rémillard: Juste deux minutes pour dire... Vous me
permettez?
Le Président (M. Filion): Cela va.
M. Johnson (Anjou): Si le ministre permet, je le sais, là,
on va s'enqager encore dans un débat qui va durer dix minutes parce que
le ministre qui épuise son temps au début a cette fâcheuse
manie de toujours revenir pour vouloir avoir le dernier mot. S'il veut le
dernier mot, qu'il qarde le temps pour le dernier mot, ou encore on va avertir
nos invités que, dorénavant, il y a un débat d'une
demi-heure après chaque intervention.
Le Président (M. Filion): Donc, il n'y a pas de
consentement.
M. Lefebvre: M. le Président, c'est strictement une
question d'équité. On a indiqué, il y a quatre ou cinq
minutes, qu'il restait deux minutes à la formation de l'Opposition. Je
pense qu'on a dépassé ce temps de trois à quatre minutes.
Je demanderais l'équivalent pour le ministre, M. le Président.
Cela va lui permettre de sortir le député de Lac-Saint-Jean de la
confusion et de son ambiqu?té, M. le Président.
M. Johnson (Anjou): Vous aurez l'occasion de le faire tout
à l'heure avec Mme Duplé.
Le Président (M. Filion): Donc, il n'y a pas de
consentement.
M. Lefebvre: Je comprends, M. le Président, qu'on n'a pas
le consentement du chef de l'Opposition.
M. Rémillard: Est-ce que je peux les remercier? II faut au
moins remercier notre invité.
Le Président (M. Filion): Voulez-vous, on va se comprendre
un peu ici? M. le ministre, M. le leader adjoint et les autres membres...
Une voix: ...
Le Président (M. Filion): Oui, bien sûr. Les autres
membres de cette commission. Nous avons, bien sûr, vous le savez, un
horaire chargé. Une invitée nous attend par la suite. De
consentement - je l'ai fait cet après-midi et à plusieurs
reprises - on a laissé les invités terminer leur pensée ou
un membre de cette commission terminer sa question ou son intervention. Mais
j'aimerais vous rappeler que ceci nous mène dans bien des cas à
des horaires qui sont tout à fait chambardés, d'autant plus - et
vous le savez bien, M. le leader adjoint - que notre charge de travail à
cette commission-ci est particulièrement imposante. En ce sens, si vous
voulez consentir de part et d'autre, je vous donnerai les deux minutes qui
vont
donner des cinq minutes et des dix minutes. Mais je pense que nos
invités comprendront que, malheureusement, le temps pour leur
intervention est déjà écoulé depuis quelques
minutes.
Je voudrais remercier particulièrement M. Angers, M.
Chaussé et M. Drouin de s'être présentés à
cette commission et de nous avoir livré leur pensée sur l'accord
du lac Meech d'une façon aussi précise. Merci.
Je vais suspendre les travaux deux minutes.
(Suspension de la séance à 17 h 32)
(Reprise à 17 h 38)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
La commission reprend ses travaux. Comme on le sait, nous sommes
mandatés par l'Assemblée nationale afin d'entendre les
représentations des groupes, individus ou organismes relativement
à l'entente intervenue au lac Meech le 30 avril 1987 concernant la
constitution canadienne.
Notre prochaine invitée a déjà pris place. Il
s'agit de Mme Nicole Duplé qui est professeure agrégée
à la Faculté de droit de l'Université Laval. Bonjour,
madame.
Mme Duplé (Nicole): Bonjour.
Le Président (M. Filion): Je rappellerai brièvement
les règles du jeu qui sont bien connues des personnes qui viennent nous
voir. C'est 20 minutes pour votre exposé - 20 minutes
interprétées avec souplesse - et 20 minutes de part et d'autre
pour chaque formation politique pour échanger avec vous.
M. Johnson (Anjou): Avec moins de souplesse.
Mme Nicole Duplé
Mme Duplé: Je vous remercie, M. le Président. Je
remercie les membres de cette commission de m'avoir donné l'occasion
d'exprimer mon point de vue sur ce projet de modification qui est
entériné par les onze gouvernements et qui devra se
concrétiser juridiquement par une adjonction dans la constitution
canadienne d'autant d'article3 que de points d'entente qui ont
été pris.
Bien sûr, chacun des points de cette entente mérite un
examen critique approfondi, j'en suis convaincue. Cependant, puisque le temps
m'est compté, j'aimerais plutôt concentrer mes propos sur les deux
points de l'accord qui soulèvent le plus de difficultés et le
plus d'incompréhension de part et d'autre. Par conséquent, je
traiterai de la reconnaissance de la société distincte que
constitue le Québec, d'une part, et de cette tentative de cerner le
pouvoir de dépenser qui est effectuée dans un autre point de
l'accord.
J'ai écouté attentivement le témoignage qui a
précédé le mien et j'ai été
extrêmement sensible à certains arguments. Je n'étais pas
prête à traiter directement, notamment, de la différence
entre "société", "peuple" et "nation". Je serais prête
à le faire, si besoin est, lors d'une période de questions, mais
j'aimerais surtout essayer de clarifier certaines questions qui seront
posées en des termes très simples. Quelle
spécificité se verrait-on reconnaître si l'accord se
concrétisait dans un article de la constitution comme cela est
prévu? Quelle spécificité? Qu'est-ce que cela donnerait,
finalement? Qu'est-ce que cela changerait sur le plan constitutionnel à
l'état actuel des choses? II faut bien, je crois, pour répondre
à ces questions, se garder d'abstraire l'article ou, en tout cas, ce
point du projet qu'on a sous les yeux du contexte dans lequel il sera
inséré, c'est-à-dire la constitution canadienne. L'entente
part de la reconnaissance d'une caractéristique essentielle du Canada,
soit la reconnaissance de la coexistence d'un Canada francophone
concentré mais non limité au Québec et celle d'un Canada
anglophone concentré dans le reste du pays mais présent au
Québec. C'est donc en fonction de la concentration des majorités
linguistiques qu'un clivage est effectué. C'est un clivage qui permet de
distinguer le Québec dont la population est majoritairement francophone,
d'une part, et le reste du Canada où la population est majoritairement
anglophone.
Il y a le Québec, d'une part, et, d'autre part, toutes les autres
provinces qui, indépendamment de leur spécificité
respective, partagent une même caractéristique, soit d'avoir une
population majoritairement anglophone. Ce n'est que subséquemment
à la reconnaissance de cette caractéristique essentielle du
Canada, subséquemment à ce constat qu'on reconnaît, en
l'affirmant, que le Québec forme au sein du Canada une
société distincte. Je crois qu'il n'y a aucun doute. Pour moi,
cela tombe sous le sens que le nouvel article de la constitution
désignerait clairement au moins un des éléments
constitutifs du caractère distinct de la société
québécoise, la lanque et, conséquemment, la culture
qu'elle véhicule. Je dis bien au moins. En effet, il y a une
règle d'interprétation dont il faut tenir compte. Vous
l'apprécierez certainement: Si le législateur ne parle jamais en
vain, a fortiori, cette règle d'interprétation s'applique-t-elle
au constituant?
Or, à la lecture de l'article qui reconnaîtrait la
caractéristique essentielle du Canada, on aurait déjà pu
conclure à la spécificité linguistique et culturelle
du
Québec. Par conséquent, puisqu'on doit écarter la
redondance dans l'interprétation, cela veut dire qu'en reconnaissant le
caractère distinct de la société québécoise
on ajoute d'autres caractères distinctifs, d'autres caractères de
distinction, bien sûr, que la langue et, par conséquent, la
culture.
Certains ont exprimé des inquiétudes au sujet de l'absence
de définition de cette caractéristique québécoise.
Pour ma part, je partage l'inquiétude qui a été
exprimée par de nombreux juristes devant vous - je partage
l'inquiétude - mais, pour moi, je serais inquiète de voir
l'inverse être effectué. J'ai entendu hier un témoin dire:
On a bien défini la pornographie, pourquoi pas la société
distincte? Alors, je ferai remarquer que, d'abord, je vais passer sur ce qu'a
un peu de choquant ce rapprochement. Au-delà de cela, si on
définit la pornographie, c'est précisément pour la cerner,
pour déterminer quels sont les actes qui constituent des actes interdits
et punissables et, par conséquent, pour exclure tous les autres. En
dehors des actes qui sont expressément défendus, interdits, eh
bien, tout est permis. Définir, cerner les caractéristiques qui
vont permettre au Québec de revendiquer sa spécificité, en
dehors du facteur linguistique qui est déjà garanti, je crois que
c'est extrêmement dangereux.
Par ailleurs, j'ai dit que je ne parlerais pas spécifiquement des
autres points de l'accord, mais il faut bien faire référence
à ces pouvoirs accrus que le Québec aurait en matière
d'immigration. De façon très rapide, je rappellerai que l'accord
Cullen-Couture pourrait être constitutionnalisé; il fournirait une
assise très solide, beaucoup plus solide qu'elle ne l'est, au moins une
assise juridique, constitutionnelle au pouvoir du Québec de
sélectionner les étrangers qui voudraient s'implanter sur son
territoire. Mais, de plus, celui-ci aurait la possibilité de renforcer
sa spécificité, en disposant de tous les moyens financiers en
particulier, mais aussi de tous les autres moyens concevables pour
intégrer à sa population, particulièrement, surtout et
avant tout, à sa population francophone, les immigrants qui
désirent vivre avec nous.
Quels seraient les changements par rapport à la situation
constitutionnelle actuelle? L'article dont nous parlons, celui qui traduirait
ce point de l'accord, serait bien un article à la lumière duquel
toute la constitution du Canada devrait être interprétée.
Cela veut dire que non seulement le partage des compétences est
éclairé à la lumière de cet article, mais
également la Charte canadienne des droits et libertés. Cela veut
dire, en termes très concrets, que l'on devrait lire désormais,
dans le partage, dans l'énumération des compétences
fédérales, comme un ajout: le fédéral devra
respecter un élément de la caractéristique fondamentale du
Canada, soit la majorité francophone au Québec. De la même
façon, les compétences provinciales devraient être lues
comme si l'on ajoutait, après l'énoncé de chacune: et, en
ce qui concerne le Québec, le Québec disposera des moyens de
protéqer et de promouvoir sa spécificité. En ce qui
concerne la charte, c'est la même chose. Je crois qu'il est faux de
prétendre que le Québec n'a pas de garanties quant à la
préservation de ce qui constitue, disons-le, son âme, sa culture,
avant tout sa langue. Je crois que c'est faux. Quant aux autres
éléments de sa spécificité, je pense que ce sera
à lui de les faire reconnaître, à la condition, bien
sûr, qu'il s'agisse d'une véritable spécificité.
Mais je crois que cela sera toujours possible.
Venons-en maintenant au pouvoir de dépenser. Je passe sans
transition à ce pouvoir de dépenser. J'ai également
entendu certains des experts qui se sont exprimés devant cette
commission et j'ai été sensihle à certaines de leurs
inquiétudes. Je crois que chacun de ces motifs d'inquiétude qui
ont été avancés mérite d'être examiné,
quant à ses fondements, en tout cas. Alors, j'ai relevé un
premier motif de réticence. Certains estiment, par exemple, qu'en
inscrivant un article dans la constitution traitant du pouvoir
fédéral de dépenser -dans des domaines de
compétence provinciale, bien entendu - nous consacrerions ainsi un
pouvoir qui est incertain à l'heure actuelle. L'existence même du
pouvoir fédéral d'affecter des deniers à des fins autres
que provinciales a déjà été abordée par les
tribunaux, qui n'ont pas eu de réticence à la reconnaître.
Quant au fondement de ce pouvoir, divers articles parmi les compétences
fédérales ont pu en fournir l'assise.
Mais le pouvoir de disposer des deniers fédéraux est une
chose. Le pouvoir d'utiliser cette possibilité d'affecter des deniers
à des fins autres que fédérales, en accompagnant les
octrois financiers de conditions qui sont de telle nature qu'elles constituent
autant d'immixtions dans les domaines de compétence provinciale, n'a
jamais été reconnu par les tribunaux. Est-ce que nous allons
reconnaître un tel droit? En d'autres termes, le fédéral
reçoit, disons-le clairement, le pouvoir dans le cadre des programmes
dont il est question de déterminer des objectifs nationaux. Est-ce qu'en
déterminant ces objectifs nationaux il va pouvoir en faire des
conditions, utilisons un jargon, de nature normative?
Je crois, là encore, qu'il nous faut absolument intégrer
cette partie de l'entente qui deviendra un article dans l'ensemble de la
constitution. Et, encore une fois, la constitution s'interprète de
manière qu'un article s'interprète par rapport à tous
les
autres. Autrement dit, c'est la méthode de la lecture
corrélative. On détermine, on définit ou on cerne les
limites d'un pouvoir à l'aide de l'interprétation des autres
dispositions de ta constitution.
Or, à l'heure actuelle, si le fédéral voulait
occuper un champ qui est actuellement de compétence provinciale,
pourrait-il le faire? Bien sûr que non. Ce qu'il faudrait qu'il fasse, si
vraiment sa volonté était si claire, pour que toute l'affaire
soit constitutionnelle, ce serait procéder à un amendement de la
constitution préalablement. Cet amendement transférerait la
compétence provinciale dans le compartiment de compétence
fédérale et, en vertu d'une nouvelle disposition de l'accord qui
serait également concrétisée, la province aurait non
seulement le droit de se retirer -ce qu'elle a déjà - mais
également le droit à une juste compensation
financière.
Comment peut-on interpréter la disposition qui permet au
fédéral de fixer des objectifs nationaux comme lui permettant de
faire indirectement ce qu'il ne pourrait faire qu'à l'aide de la formule
d'amendement? Cela me paraît extrêmement difficile, et même
impossible. On pourrait toujours alléguer qu'une disposition
spécifique l'emporte sur le général et que, par
conséquent, dans la mesure où nous aurions inclus un article
particulier traitant du pouvoir de dépenser dans des domaines de
compétence provinciale et en reconnaissant au fédéral le
pouvoir de fixer des objectifs nationaux, on aurait ainsi, même pas
implicitement, explicitement donné au fédéral le pouvoir
d'amender le partage des compétences selon son bon vouloir. Je vais
faire remarquer une chose, c'est qu'il y a une autre règle
d'interprétation à savoir que le spécifique doit
être l'exception, doit être interprété
restrictivement.
Pour les besoins du raisonnement, je vais présumer que le nouvel
article serait absolument identique à la formulation que nous avons sous
les yeux, celle de l'accord. L'accord parle d'objectifs nationaux. Qu'est-ce
que cela veut dire, le terme "objectifs"? Est-ce que cela veut dire les moyens
ou est-ce que cela veut dire les fins? Je crois que le sens littéral,
normal du terme, celui que l'on retrouve dans les dictionnaires courants,
réfère précisément aux fins et non pas aux moyens.
Alors, je crois que la lecture corrélative déjà nous
permettrait de conclure qu'en reconnaissant au fédéral ce pouvoir
de déterminer des objectifs nationaux aux programmes à frais
partagés dans des domaines de compétence provinciale, nous ne lui
reconnaîtrions absolument pas le pouvoir de réglementer par ce
moyen. Certaines personnes éprouvent le besoin - je crois que cela peut
être très légitime - de porter à la fois une
ceinture et des bretelles. Je pense qu'il serait possible de blinder toute
cette démarche en spécifiant que le terme "objectifs"
lui-même réfère à la finalité globale des
programmes, un point, c'est tout. Si on prend cette sécurité, je
pense qu'on a circonscrit le pouvoir fédéral de dépenser
dans des domaines de compétence provinciale et on l'a circonscrit de
telle manière qu'on va éviter ce chantage qui est absolument
scandaleux: Je paye et j'envahis ou bien je ne paye pas. La nouvelle
disposition sera: Je paye - c'est le fédéral - et je n'envahis
pas.
Je voudrais maintenant examiner un autre motif de réticence
à propos de cette partie de l'accord. Certains ont prétendu qu'il
n'y avait pas de véritable droit de retrait. J'ai un peu abordé
cette question dans mes propos qui précédaient. Ce serait en
réalité la "constitutionnalisation" du chantage. Je ferai
remarquer que précisément, si l'on élimine cette
possibilité du fédéral de s'introduire dans un domaine de
compétence provinciale, le chantage perd de beaucoup son
caractère scandaleux.
On a également prétendu, et cela est vrai, que, pour les
programmes à frais partaqés, lorsque le fédéral va
déterminer des objectifs nationaux, il va obliger les provinces, dans
certains cas, à bousculer l'ordre des priorités. Il est
très possible, c'est très concevable, que des objectifs nationaux
soient, en même temps, des objectifs provinciaux, mais que ces objectifs
provinciaux ne soient pas prioritaires.
Je crois, pour ma part, que le droit de retrait avec une juste
compensation va obliger le fédéral à effectuer une
certaine planification de ses démarches et qu'en conséquence il
ne mettra pas sur pied des programmes qui seraient aussi vaseux et aussi peu
correspondants à des nécessités provinciales, à des
besoins provinciaux. Je vous ferai remarquer que les citoyens de cette province
peuvent bien réclamer une spécificité à cor et
à cri, et je crie avec eux. Cependant, sur bien d'autres points, ils ont
des besoins qui sont absolument identiques aux habitants et aux citoyens des
autres provinces.
Ce qui serait dangereux, c'est que l'on ait remplacé le chantage:
J'envahis et je paie ou je ne paie pas par le chantage suivant: Le
Québec perd sa spécificité ou bien je ne paie pas. Alors,
voyons cet argument. Est-ce qu'on peut vraiment le soutenir? Est-ce qu'il a un
fondement réel? Si on a peur de tout, évidemment,
arrêtons-nous là. Mais je croîs qu'il faut examiner la
pertinence de ce raisonnement.
Pour examiner l'ampleur de cette menace, il faut encore reqarder la
constitution dans son ensemble. Tous les pouvoirs fédéraux
seraient, à l'avenir, mesurés à la lumière de
l'article, nouveau lui aussi, qui engage le fédéral à
protéger la caractéristique fondamentale du Canada dont un des
éléments, il ne faut pas l'oublier, est
constitué par la concentration d'une population francophone au
Québec. En établissant des objectifs nationaux, le
fédéral, qui voit ses compétences
interprétées à la lumière de cette disposition, ne
pourrait pas déterminer des objectifs nationaux qui seraient contraires
à cette caractéristique.
De son côté, le Québec pourra s'appuyer sur la
reconnaissance de sa spécificité lorsqu'il en sera arrivé
au point où, ayant désiré se retirer d'un programme, il
aura à implanter des programmes qu'il prétend compatibles et, par
conséquent, lorsqu'il réclamera sa compensation. C'est la notion
de compatibilité qui sera examinée et, dans la mesure où
elle ne concernerait que les moyens pour arriver aux fins globales, aux
objectifs globaux, le Québec aurait le choix des moyens et le choix
d'adapter ces moyens afin de protéger et de promouvoir sa
spécificité.
Je crois que mon temps de parole est achevé. J'aurais bien
aimé parler des autres points de l'accord, mais je m'en remets au
règlement.
Le Président (M. Filion): Je voudrais vous remercier, Mme
la professeure Duplé. Tel que convenu, je cède la parole à
M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales
canadiennes.
M. Rémillard: Merci, Mme la professeure Duplé, Vous
êtes consti-tutionnaliste à l'Université Laval et dans
d'autres universités québécoises, canadiennes. Vous
êtes aussi présidente des conférences internationales de
droit constitutionnel, ce n'est pas le moindre de vos titres. C'est donc avec
plaisir que nous vous recevons ce soir pour entendre vos commentaires sur cette
entente du lac Meech, et je vous remercie de vous être
déplacée. Sur les cinq points de l'entente du lac Meech, vous
auriez pu nous parler de la Cour suprême, de l'immigration, de la formule
d'amendement, de la récupération des droits historiques du
Québec en matière donc de droit de veto, mais vous nous avez
parlé surtout de deux points. Vous nous dites qu'il y a des questions
sur ces deux points. Et je voudrais m'attarder surtout sur ces deux points.
Dans un premier temps, société distincte. Je comprends
bien votre pensée lorsque vous nous dites; II ne faut pas définir
"société distincte". Est-ce exact? (18 heures)
Mme Duplé: II ne faut pas définir les
éléments qui constituent le caractère, qui sont à
la base de cette "distinctivité" - je viens de former un nouveau mot -
de ce caractère distinct du Québec. Il ne faut pas le cerner. Je
crois que la société québécoise est en pleine
évolution, comme toutes les autres sociétés. Heureusement,
nous n'avons pas cessé de vivre, de penser et d'espérer. Par
conséquent, il y a bien des éléments de particularisme qui
pourraient se révéler demain et qui n'existent pas encore
aujourd'hui. Je crois qu'il ne faut pas le faire car toute définition
restreint.
M. Rémillard: Mme la professeure, quelle
interprétation donnez-vous à l'alinéa 3, qui donne
à l'Assemblée nationale et au gouvernement, pour la
première fois dans notre droit constitutionnel, le rôle de
protéger et de promouvoir la spécificité
québécoise? Quelle interprétation donnez-vous à
l'alinéa 3?
Mme Duplé: Je pense que je l'ai un peu abordé dans
mon exposé. C'est un article interprétatif. Il fait corps avec
toutes les autres dispositions du même article et il va servir à
éclairer, comme je l'ai dit précédemment, la constitution,
c'est-à-dire qu'il va servir à éclairer à la fois
les compétences provinciales. Il donne, en quelque sorte, un souffle au
Québec. Il lui donne la possibilité, tout en
légiférant dans les domaines de sa compétence, de le faire
de telle manière qu'il va avoir comme objectif et comme finalité
de promouvoir le caractère distinctif de la société
québécoise et de le protéger.
M. Rémillard: Très bien.
Mme Duplé: Pour moi, c'est extrêmement
important.
M. Rémillard: Revenons maintenant au pouvoir de
dépenser. Est-ce que, selon vous, le pouvoir de dépenser existe,
présentement, en droit constitutionnel canadien?
Mme Duplé: Dans les quelques décisions qui ont
été rendues sur le sujet, on a abordé le pouvoir de
dépenser. Les tribunaux ne l'ont abordé que par la bande. Ils
l'ont contesté tellement peu que... Je parle du pouvoir d'affecter des
deniers, pas du pouvoir d'assortir d'une réglementation, n'est-ce pas?
Alors, cela a été tellement peu contesté que, finalement,
la base a pu différer selon le cas. C'était soit le droit de
légiférer relativement à la propriété
publique, c'était soit les dispositions de la constitution relatives au
fonds consolidé du revenu. Mais, de toute façon, il y a une chose
que j'ai oublié de mentionner, c'est que ce pouvoir de dépenser,
a déjà été consacré constitutionnellement.
L'article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui traite de la
péréquation, ne parle de rien d'autre que du pouvoir de
dépenser du fédéral.
M. Rémillard: Donc, vous nous dites que le pouvoir de
dépenser existe
actuellement. Au moment où nous nous parlons, il existe en droit
constitutionnel. Vous nous avez dit, je crois, si j'ai bien compris - vous me
le confirmez - que l'entente du lac Meech permettra de délimiter ce
pouvoir de dépenser et empêchera, à toutes fins utiles, le
fédéral de légiférer dans des domaines de
compétence provinciale.
Mme Duplé: Oui. De la manière dont j'ai
présenté ma réponse tout à l'heure, j'en suis
arrivée à la conclusion que les lectures corrélatives
empêchent de lire ce nouvel article de la constitution d'une autre
manière que la suivante: Le fédéral peut s'engager dans
des programmes à frais partagés à la condition,
finalement, de ne pas imposer autre chose que des objectifs globaux. D'accord?
Est-ce que cela répond à votre question, M. le ministre?
M. Rémillard: Très bien.
Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Merci, Mme Duplé, de votre
exposé. D'abord, je dois vous dire mon admiration pour vous, comme pour
tous les experts, d'avoir accepté de vous adonner à ces exercices
extrêmement difficiles sur le plan intellectuel à partir, encore
une fois, non pas du texte définitif sur le plan juridique, mais d'un
énoncé de principe. Comme on sait qu'une bonne partie du droit de
l'interprétation est basée sur la précision des mots
utilisés, j'admire que vous, comme les douze autres ou à peu
près qu'on aura entendus, vous soyez livrée à un tel
exercice.
Comme vous le savez, madame, nous n'avons pas les textes, le ministre et
le premier ministre, jusqu'à maintenant, ayant refusé de les
fournir.
J'aurais quelques questions très rapidement. J'en ai beaucoup.
D'abord, pour vous, sur le plan du droit de l'interprétation ou de
l'interprétation des lois, je devrais dire, est-ce que c'est le texte
anglais ou le texte français qui va prévaloir?
Mme Duplé: Normalement, les deux textes, les deux versions
devraient prévaloir.
M. Johnson (Anjou): Parfait. Dans la mesure où il y a
quelques nuances entre les deux, la Cour suprême aura recours au texte
français ou au texte anglais, croyez-vous?
Mme Duplé: Elle prendra le sens commun des deux
termes.
M. Johnson (Anjou): Bon, ou le "common sense", dépendant.
Voilà.
Mme Duplé: Hai Cela dépend du juge. Des voix:
Ha! Ha!
M. Johnson (Anjou): Deuxièmement, quand vous parlez de la
règle d'interprétation autour de la société
distincte, si je reprends les dispositions du projet d'accord du lac Meech,
d'une part, à l'article 1, on dit: "L'interprétation de la
constitution du Canada doit concorder avec..." Ensuite, il y a des obligations
aux Législatures, à l'ensemble. Et, troisièmement, il y a
un rôle qui est dévolu à l'Assemblée nationale et au
gouvernement du Québec. "L'interprétation de la constitution du
Canada doit concorder avec..." On le dit, au départ. Donc, l'article
d'interprétation, c'est celui-là. L'article 2 et l'article 3,
quant à eux, établissent non pas une règle
d'interprétation, si je comprends bien, mais, d'une part, une obligation
dans le cas de l'ensemble des Législatures de respecter la
première partie du paragraphe (l)a) et l'article 3 établit ce
qu'on appelle un rôle pour l'Ftat québécois enfin, à
travers son Assemblée nationale ou le gouvernement lui-même, ce
qui a un sens spécifique, je crois.
Mais, dans l'article d'interprétation lui-même, d'une part,
on dit: Reconnaissance de l'existence d'un Canada francophone, concentré
mais non limité à, d'un Canada anglophone concentré dans
le reste du pays mais présent au Québec. Et, deuxièmement,
"la reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada une
société distincte."
Dans un cas de conflit d'interprétation, lequel des deux
paragraphes l'emporte?
Mme Duplé: Il n'y aurait pas de conflit
d'interprétation. Je ne vois pas comment il pourrait y avoir un conflit
d'interprétation. Vous avez effectivement une rèqle
d'interprétation à l'intérieur de cette règle. En
fait, il y en a deux. Une partie de cette rèqle, c'est que le
Québec forme une société distincte au sein de la
Fédération canadienne, mais on parle ensuite du rôle de
l'Assemblée nationale et du qouvernement du Québec de promouvoir
ce caractère distinctif. Mais ce rôle de l'Assemblée
nationale peut s'exercer à travers quoi?
M. Johnson (Anjou): Les lois, les règlements.
Mme Duplé: À travers les lois. Donc...
M. Johnson (Anjou): Des décisions gouvernementales.
Mme Duplé: ...c'est bien à travers l'exercice de sa
compétence Iéaislative que la Législature
québécoise aurait le pouvoir de promouvoir, aurait la
faculté d'utiliser ses compétences législatives dans un
but - ce qui
est son rôle et c'est la constitution qui le reconnaît, -
celui de promouvoir la spécificité québécoise.
M. Johnson (Anjou); Bon, d'accord. Dans un contexte comme
celui-là - et je continue mes questions - par exemple, prenons le cas de
la langue d'affichage. Tout en étant conscient qu'en ce moment c'est
devant les tribunaux, etc..
Mme Duplé: Oui, mais on peut quand même en
parler.
M. Johnson (Anjou): ...comme on est dans un corps
législatif ici, je pense qu'on a des immunités qu'on n'aurait
peut-être pas dans le Journal de Québec ou dans Le
Devoir. Si la Cour suprême - on discute toujours à partir
d'hypothèses - est saisie de l'interdiction qui est faite en vertu de la
loi 101 d'afficher dans une autre langue que le français, sauf des
exceptions spécifiques, à vos yeux, est-ce que les plaideurs et
la Cour suprême devront tenir compte... Est-ce que, pour vous, le
Québec forme, au sein du Canada, une société distincte et
l'emporte sur la reconnaissance de la dualité canadienne?
Mme Duplé: Là, vous me placez dans un contexte
extrêmement précis: un article de loi qui interdit l'affichage
commercial dans une autre langue que l'anglais. D'accord?
M. Johnson (Anjou): C'est ça. Que le français.
Mme Duplé: Que le français. Excusez. C'est la
première fois que je fais cette... Donc, dans une autre langue que le
français. Mais cet article lui-même serait contraire, en admettant
qu'il soit adopté aujourd'hui, à l'engagement qu'a pris le
Québec, comme toutes les autres provinces, de sauvegarder la
caractéristique fondamentale du Canada. D'accord? Cela est clair.
M. Johnson (Anjou): C'est clair.
Mme Duplé: Mats je vais vous dire une chose. Si ce que je
viens de dire est exact -et cela l'est on ne le peut plus, je crois - il y a
quand même une autre possibilité que, comme société
distincte, nous pouvons exercer, c'est dans un cas aussi exceptionnel, je
crois, utiliser la clause de dérogation expresse aux chartes, tant
à la charte québécoise qu'à la charte canadienne.
C'est peut-être un des moments dans notre processus où
précisément il faudrait avoir recours à ce type de
disposition, si tant est que l'on veuille atteindre le même
résultat.
M. Johnson (Anjou): Donc, à sa face même, si on ne
prend que cette partie du texte sans tenir compte de l'utilisation de l'article
33, "nonobstant", si l'Assemblée nationale du Québec devait
adopter les dispositions de la loi 101 concernant l'affichage avec la
disposition suivante: II est interdit d'afficher dans une autre langue que le
français dans les commerces, sauf exception prévue par la loi,
vous me répondez: De toute évidence, avec une disposition comme
celle-là, le Parlement du Québec irait à l'encontre, dans
l'exercice de sa compétence en matière linguistique, de
l'enqagement qui est exigé de lui dans le paragraphe (2) de
protéger la caractéristique fondamentale du Canada qui est son
caractère bilinque.
Mme Duplé: Est-ce que je pourrais ajouter quelque
chose?
M. Johnson (Anjou): Oui, oui.
Mme Duplé: Cela n'interdirait cependant pas au
Québec d'adopter une disposition qui serait, par exemple, que le texte
français doit être en énormes lettres et le texte anglais,
la traduction, en lettres plus petites. Ce sont des accommodements de cette
nature qui sont concevables.
Maintenant, on parle d'une décision qui n'a pas encore
été rendue. Nous avons présupposé qu'au nom de la
liberté d'expression on reconnaîtrait que l'article 58 est
invalide et cela est déjà un point qui n'est pas acquis.
M. Johnson (Anjou): Bon. Troisième
élément... Est-ce qu'il me reste encore un peu de temps?
Le Président (M. Filion): Oui. Il vous reste environ douze
minutes.
M. Johnson (Anjou): Alors, je vais, quand même, y aller
rapidement, madame.
Autre élément. La deuxième règle
d'interprétation, c'est-à-dire le paraqraphe b), "la
reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada une
société distincte", je crois que vous avez dit, dans votre
exposé, qu'à votre avis cela s'applique à l'ensemble de la
constitution.
Mme Duplé: Oui.
M. Johnson (Anjou): Est-ce que je me trompe?
Mme Duplé: En règle générale.
M. Johnson (Anjou): Règle générale.
Mme Duplé: À moins que l'on ne tombe sur une
disposition précise dont le sens est carrément contraire à
la signification de cet
article interprétatif.
M. Johnson (Anjou): D'accord. Donc, on n'utilisera l'article sur
la société distincte que dans la mesure où on a un tel
conflit de loi ou une situation telle qui est présentée devant le
tribunal qu'on n'a pas de réponse ailleurs dans la constitution.
Là, on va se servir de cela pour interpréter la situation. Est-ce
ce que vous me dites?
Mme Duplé: Ce n'est pas tout à fait cela.
M. Johnson (Anjou): Pas tout à fait.
Mme Duplé: Ce n'est pas tout à fait cela. C'est
lorsque l'on va vouloir mesurer l'ampleur, la portée d'un pouvoir
législatif provincial, par exemple, lorsqu'on va vouloir en cerner, si
vous voulez, les paramètres. Jusqu'où va et à partir de
quel moment commence la compétence fédérale? C'est cela,
cerner des pouvoirs législatifs.
C'est à la lumière de cet article que l'on examinera la
portée, le potentiel de l'Assemblée nationale de
légiférer d'une certaine manière et dans un certain
contenu.
M. Johnson (Anjou): Et ce qui en découle sur le plan
juridique, n'est-ce pas la chose suivante? Et je vais reprendre l'exemple que
j'ai utilisé avec un autre expert l'autre jour. On sait que le Mouvement
Desjardins, les coopératives dans le secteur financier chez nous, ont
joué un rôle extrêmement important. D'aucuns
prétendent que cela fait partie de notre tissu comme
société: le monde coopératif, sa présence dans nos
institutions, etc. On sait aussi que l'Assemblée nationale amende
régulièrement les différentes lois qui affectent le
Mouvement Desjardins, tantôt la caisse centrale Desjardins, tantôt
la loi constitutive, une demi-douzaine de lois, à toutes fins utiles,
qui, paradoxalement, passent toujours un peu comme des projets de loi
privés à l'Assemblée, mais dont, paradoxalement, le
parrain est en général un ministre. Il y a une espèce de
"no man's land" un peu particulier pour le Mouvement Desjardins chez nous.
Or, dans nos lois, récemment - et on pourrait être
appelé à le faire à nouveau -on peut donner des pouvoirs
au Mouvement Desjardins de transiger sur le marché des changes, ce qui
ressemble beaucoup à ce qu'on appelle des opérations de
"banking". En admettant qu'un jour un individu, un groupe ou un organisme
décide de contester la capacité du Mouvement Desjardins de
transiger sur le marché des changes et qu'il plaide que ce sont des
opérations de "banking", le Procureur général du
Québec, on l'espère, va défendre cette loi en invoquant
que c'est la société distincte. Ne pourrait-il pas plaider que
c'est la société distincte?
(18 h 15)
Mme Duplé: II plaidera tout simplement l'affaire Canadian
Pioneer dans laquelle la Cour suprême a précisément eu ce
problème à examiner. C'est un problème tellement
délicat de déterminer ce qu'est une activité bancaire par
nature que la Cour suprême y a répugné. Alors, elle a rendu
un jugement qui est très curieux. Elle a dit: Tel organisme, qui
était un organisme provincial assimilable, disons, aux caisses
populaires, ne fait pas d'activités de nature bancaire, je ne veux pas
examiner ses activités. Il n'a pas d'activités de nature bancaire
pour la bonne raison qu'il n'est pas une banque. Vous savez pourquoi il n'est
pas une banque? Parce qu'il n'est pas énuméré dans la
liste des établissements bancaires dans la Loi fédérale
sur les banques. Parce que le fédéral n'a pas dit que
c'était une banque, vous voyez bien qu'il ne fait pas des
opérations bancaires. Alors, vous voyez que, dans l'hypothèse que
vous soulevez, il y a déjà une réponse. Mais ça
n'est pas...
M. Johnson (Anjou): Bon. Maintenant, situons-nous dans le
contexte où, pour les motifs qu'a évoqués la Cour
suprême pour rejeter cette cause, le gouvernement fédéral
décide d'inclure dans la Loi sur les banques le Mouvement Desjardins et
les "Credit Unions" de l'Île-du-Prince-Édouard qui, à ma
connaissance, n'ont dans l'histoire de l'Île-du-Prince-Édouard ni
la tradition ni l'importance du Mouvement Desjardins. Le fédéral
décide d'inclure les deux. Donc, on recommence. De nouveaux
procès. Cour suprême et, là, on a à décider
si, oui ou non, il s'agit d'opérations de nature bancaire. Croyez-vous
qu'on pourrait invoquer la notion de société distincte pour dire:
Dans le cas du Québec, ça fait partie de ce qu'on est comme
société, on peut légiférer dans ce domaine?
Mme Duplét Je regrette, parce que le problème
déjà n'est pas posé comme il devrait l'être. Je
m'excuse de le souligner. Le fédéral a la compétence
d'incorporer les banques et de les créer. Il n'a pas
nécessairement la compétence d'absorber les établissements
provinciaux sous prétexte qu'il estime que ça va devenir des
banques. Le fait que le fédéral les a inclus dans sa liste ne les
transformerait pas nécessairement en banques, parce que là, il
faudrait que ce soit d'autres institutions.
M. Johnson (Anjou): Si je comprends bien, dans votre raisonnement
précédent, vous m'expliquiez que ce qu'avait invoqué la
Cour suprême pour dire que ce n'était pas une banque, c'est qu'il
n'était pas dans la liste.
Mme Duplé: Non, ce n'est pas tout à fait ce
même raisonnement qu'a tenu la Cour suprême. C'est beaucoup plus
simple que cela. La cour a dit: Ce n'est pas une banque, elle n'est pas
énoncée à titre d'institution bancaire canadienne.
M. Johnson (Anjou): Et si elle l'était?
Mme Duplé: Mais ce ne serait pas les caisses populaires
alors. Ce ne serait pas les organismes dont vous parlez.
M. Johnson (Anjou): Vous me dites qu'à toutes fins
utiles...
Mme Duplé: Ce seraient des organismes incorporés
par le fédéral.
M. Johnson (Anjou): Parfait. Donc, vous me dites que la
Législature du Québec dans un contexte comme celui-là peut
permettre au Mouvement Desjardins d'avoir des activités absolument
équivalentes aux activités bancaires au Canada.
Mme Duplé: Si on élimine ce jugement, d'accord, qui
n'en est pas un, disons-le. Si on l'élimine, le problème reste
entier. C'est évident que le Québec, théoriquement et en
pratique également, il faudrait le penser, n'a pas la compétence
d'octroyer à une institution provinciale le pouvoir d'effectuer des
opérations bancaires. Cela est sûr. La compétence sur les
banques et les opérations bancaires, elle est fédérale.
Cela ne se résoudrait pas du tout avec cet article. Ce n'est pas une
compétence provinciale. Point.
M. Johnson (Anjou): Sauf qu'en pratique le Mouvement Desjardins
fait des opérations bancaires.
Mme Duplé: Écoutez, je pense qu'il serait
extrêmement difficile, voire impossible de plaider qu'il est absolument
essentiel pour sauvegarder la caractéristique québécoise
que les caisses populaires reçoivent le pouvoir de faire du
"banking".
M. Johnson (Anjou): Parfait. Oui, d'accord, je pense que je vous
suis très bien. J'ai plutôt tendance à être d'accord
avec vous là-dessus. La société distincte ne pourrait pas
vouloir dire que des instruments de développement économique nous
sont caractéristiques. Je vais prendre un exemple plus simple, Mme
Duplé, si vous le permettez, dans le secteur des communications.
Mme Duplé: Oui.
M. Johnson (Anjou): Disons que ça tombe un peu sous le
sens commun, les communications, la langue, l'éducation,
Radio-Québec; il y a une espèce d'ensemble là
où ça tombe plus ou moins sous le sens que, dans la mesure
où société distincte, cela veut dire quelque chose,
ça doit vouloir dire cela, entre autres. Croyez-vous que, dans le
secteur des communications, par exemple Radio-Québec, on puisse arriver
un jour à un jugement de la Cour suprême qui dirait: Le
Québec formant une société distincte, on comprend que
certaines des lois qu'il a adoptées au nom de sa compétence en
matière d'éducation puissent déborder dans le champ des
communications, que la Cour suprême a décidé être un
champ fédéral en 1978, mais, que, dans le cas de Terre-Neuve ou
de l'Île-du-Prince-Édouard, avec des faits analogues, une loi
semblable décide que c'est un empiétement provincial dans le
secteur fédéral?
Mme Duplé: Non. Là, vous êtes en train
d'essayer de me faire dire que cet article interprétatif de la
constitution modifierait la teneur même des compétences. Je n'ai
jamais dit cela.
M. Johnson (Anjou); Non, mais c'est parce que... C'est cela.
Mme Duplé: Nous n'avons pas au Québec la
compétence sur les moyens: la radiocommunication, la
télévision et le câble; nous n'avons pas cette
compétence. Si on la veut - et je pense qu'on peut la souhaiter
ardemment - il va falloir passer par la formule d'amendement. Il va falloir
négocier et cela se fera dans un second temps. Ce dont nous discutons,
aujourd'hui, c'est de la portée des cinq points de l'accord et cette
portée doit être évaluée indépendamment des
modifications subséquentes dans le partage des compétences.
M. Johnson (Anjou): Je suis d'accord avec vous, madame, mais ce
que je vous citais comme exemple est celui que le ministre donnait, hier,
à la commission alors qu'il disait que la clause d'interprétation
s'applique à toute la constitution et qu'on pourrait, un jour... Et il a
donné lui-même l'exemple de Radio-Québec. Il a dit:
Radio-Québec, langue française, société distincte,
culture, prolongement du secteur de l'éducation; oui, un jour, on
pourrait voir, au nom de la société distincte, le Québec
gagner une cause où serait contestée sa capacité d'aller
dans le secteur des communications, puisque Radio-Québec, qu'on le
veuille ou pas, ce sont des communications. C'est aussi de l'éducation
et c'est comme cela que c'est plaidé depuis les années quarante,
mais là, la clause de la société distincte nous aiderait,
à toutes fins utiles, dans une interprétation du partage des
pouvoirs. Ce que je comprends, c'est que vous me dites: Absolument pas. Vous
dites:
Lea communications, c'est fédéral et, ai on veut, un jour,
obtenir quelque chose de différent, il va falloir négocier un
partage des pouvoirs différent. Ce que vous me dites, dans le fond,
c'est que la clause de la société distincte n'a pas d'influence
et n'affectera pas, au plan de l'interprétation, l'exercice des
juridictions du Québec dans la mesure où il pourrait y avoir
apparence de conflit ou conflit réel entre 91 et 92.
Mme Duplé: Ce n'est pas tout à fait cela que j'ai
dit. J'ai dit que, d'abord, la question mériterait d'être beaucoup
plus nuancée et la réponse aussi. Vous nous avez parlé de
compétences culturelles. Ces compétences culturelles, le
Québec les a indubitablement. Qui plus est - ce que je voudrais
préciser et encore redire - c'est que ce nouvel article de la
constitution lui donnerait err plus le pouvoir, si vous voulez, de renforcer ce
qui fait sa caractéristique, c'est-à-dire sa majorité
francophone, le fait français. Je crois que c'est déjà
énorme. Maintenant, si vous voulez me faire dire que cela va donner au
Québec la compétence de léqiférer relativement aux
radiocommunications, c'est impossible. Mais, avec la marge de manoeuvre que la
constitution laisse à la province en matière d'éducation,
par exemple, il y a effectivement moyen, si vous voulez, de gagner du terrain
avec l'interprétation, la lumière de cet article
interprétatif.
M. Johnson (Anjou): Je vous suis. Est-ce que, pour vous, Me
Duplé, cela pourrait donner, dans les circonstances, que dans le cas du
Québec la Cour suprême reconnaîtrait, dans le cadre d'une
loi ou d'une réglementation, un pouvoir au Québec, au nom de la
société distincte, qu'elle ne reconnaîtrait pas à
une autre province dans des circonstances analogues ou similaires?
Mme Duplé: Là encore, tout dépend de
l'interprétation que l'on donne au terme "pouvoir". Si l'on parle de
compétence strictement définie en relation avec une ou des
matières législatives, je dis clairement non. Mais si l'on parle
de pouvoir au sens de potentiel d'utiliser cette compétence
législative de façon différente en la dirigeant
différemment de ce que pourraient faire les autres provinces, je dis
oui. C'est cela.
M. Johnson (Anjou): Merci, madame.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef de
l'Opposition officielle. Je vais reconnaître maintenant le porte-parole
du groupe ministériel, M. le ministre délégué aux
Affaires intergouvernementales canadiennes.
M. Rémillard: Je veux simplement souligner qu'il m'a fait
plaisir de laisser le chef de l'Opposition continuer à poser ses
questions même si son temps était expiré. Cela me faisait
plaisir parce que c'étaient des questions intéressantes. Et on a
ici des experts pour nous éclairer. Cela peut éclairer le chef de
l'Opposition sur un principe, je pense, qu'il doit comprendre mieux maintenant
parce que vous l'avez dit très clairement: Cette règle
d'interprétation ne change pas le partage des compétences
législatives, c'est évident, mais c'est une règle
d'interprétation qui va s'appliquer au partaqe des compétences
législatives et, qui, en cas d'ambiguïté, pourra jouer d'une
façon très intéressante en faveur du Québec. Que ce
soit dans le cas de Radio-Québec - que j'ai mentionné hier et que
je rappelle - ou des caisses populaires ou d'autres cas qui regardent nos
institutions politiques, économiques - c'est ce que vous avez dit tout
à l'heure, Mme la professeure, je pense que vous avez été
claire là-dessus - il s'agit d'une rèqle d'interprétation
qui pourra servir dans les cas d'ambiguïté d'interprétation.
Ce ne sont pas de nouveaux pouvoirs qui viennent modifier la constitution.
Mme Duplé: Non.
M. Rémillard: C'est une règle
d'interprétation qui va permettre d'interpréter le partage des
compétences législatives. C'est bien cela que vous avez dit.
Mme Duplé: Absolument.
M. Rémillard: Donc, Radio-Québec pourrait servir
à justifier cette compétence.
Mme Duplé: C'est ce que j'ai précisé
subséquernment.
M. Rémillard: Bon, voilà! Alors, il ne faudrait
quand même pas faire ce qui a déjà été fait
et plaider que Radio-Québec n'est pas de compétence provinciale.
Radio-Québec, quant à nous, est de compétence
provinciale.
Passons à un autre sujet. Vous avez parlé, au tout
début, de ces concepts de nation, de peuple et de société
distincte. Le terme "société distincte" est utilisé depuis
1967: la commission Laurendeau-Dunton l'a utilisé, ensuite la commission
Pepin-Robarts, la commission Macdonald et même l'Assemblée
nationale dans une résolution qu'elle votait le 13 novembre 1981.
L'Assemblée nationale adoptait donc cette résolution disant que
le Québec forme, à l'intérieur de l'ensemble
fédéral canadien, une société distincte. Le chef de
l'Opposition a voté pour cette résolution car c'est le
gouvernement péquiste qui l'avait soumise. Alors, le gouvernement
péquiste, le 13
novembre 1981, a soumis une résolution à
l'Assemblée nationale disant que le Québec forme une
société distincte.
Jacques-Yvan Morin, 29 octobre 1983: "La constitution devra d'abord
reconnaître le Québec comme une société distincte."
Si je peux bien modestement me référer à mon livre, parce
que l'Opposition a commencé à le lire - si j'ai bien compris - et
il a deux tomes...
M. Johnson (Anjou): À condition que vous le fassiez
modestementl
M. Rémillard: Oui, modestement. C'est simplement pour vous
dire que vous avez commencé, mais il faut aller jusqu'à la fin,
au deuxième tome. Dans la fin du deuxième tome, M. le chef de
l'Opposition, vous voyez que je recommande, de fait, qu'on utilise le concept
de "société distincte". Dans notre constitution, on utilise
déjà, à l'article 35, le concept de "peuple" en relation
avec tes autochtones. On utilise le mot "nation" en relation avec les cinq
nations autochtones. On utilise aussi le mot "société" à
l'article 1 de la Charte des droits et libertés de la personne...
Mme Duplé: Exactement.
M. Rémillard: ...lorsqu'on se réfère
à une société libre et démocratique. Alors,
j'aimerais vous entendre, Me Duplé, sur ce sens du mot
"société".
Mme Duplé: Alors, j'aurais, justement, si j'avais pu
m'exprimer très longuement sur ce sujet, commencé par dire que le
concept de société distincte n'est pas aussi flou que l'on veut
le laisser entendre. La preuve, c'est que le concept de société
est constitutionnalisé. On le retrouve à l'article 1 et vous
savez que les tribunaux sont amplement à la tâche pour
interpréter ce que ce concept de société libre et
démocratique signifie. À quoi se réfère-t-on
lorsqu'on parle de la société libre et démocratique dans
la charte, si ce n'est au Canada, c'est-à-dire au peuple implanté
sur un territoire qui est doté d'institutions, lesquelles
légifèrent et gouvernent, et auxquelles la charte s'applique? La
charte vient limiter des institutions; alors, on fait bien
référence aux institutions. Alors, en plus du peuple qui peut se
caractériser par divers éléments, il y a cette idée
d'organisations et d'institutions. Ce qu'ajouterait le terme "nation", c'est le
nationalisme précisément. Qu'est-ce que le nationalisme? Eh bien,
c'est ce que certains ont appelé le rêve d'avenir partagé;
autrement dit, c'est une société qui poursuit un rêve
d'avenir partagé. Est-ce que c'est aux autres provinces et au
fédéral de dire au Québec: Vous poursuivez un rêve
d'avenir partagé ou est-ce que c'est au Québec d'avoir ce
sentiment? Je crois que, lorsqu'on a utilisé le terme
"société distincte", on l'a distingué du reste du Canada;
on a identifié une des caractéristiques qui pour, le
Québec, est fondamentale, c'est-à-dire la caractéristique
linguistique. Pour tout le reste, on laisse au Québec le soin d'avoir sa
propre âme, n'est-ce pas? Du moment que les rapports entre le
fédéral et le Québec sont réglés par la
constitution, le reste, c'est l'affaire du Québec.
M. Rémillard: C'est terminé?
Le Président (M. Filion): C'est terminé. Du
côté de l'Opposition...
M. Rémillard: Est-ce que vous aviez des questions?
Vous me permettez, M. le Président, de simplement remercier Mme
la professeure Duplé d'avoir accepté de témoigner devant
nous. Je retiens qu'elle considère comme très intéressant
ce nouveau rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement du
Québec de promouvoir et de protéger la langue française
comme la société québécoise d'une façon
générale. Je suppose qu'elle est satisfaite de l'ensemble de
l'entente du lac Meech. Par conséquent, je peux vous dire que son avis
nous a beaucoup éclairés, et je la remercie.
Le Président (M. Filion): À mon tour, Mme
Duplé, au nom des autres membres de cette commission, de vous remercier
de vous être déplacée, de nous avoir livré vos notes
et d'avoir contribué à cette discussion. Nos travaux sont donc
suspendus jusqu'à 20 heures.
(Suspension de la séance à 18 h 31)
(Reprise à 20 h 18)
Le Président (M. Marcil): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Je demanderais aux représentants de la Fédération
des associations étudiantes collégiales du Québec de
prendre place, s'il vous plaît! La Fédération des
associations étudiantes collégiales du Québec est
représentée par Mme Hélène Saint-Pierre, M. Nicolas
Plourde, de même que par Mme Natalie Brisson.
Nous vous souhaitons la bienvenue à cette commission. Je vais
vous expliquer en bref les règles du jeu. Vous avez 20 minutes pour
présenter votre exposé et 40 minutes sont allouées aux
deux formations politiques pour une période d'échange, questions
et réponses. Sans plus tarder, on vous permet de présenter votre
exposé.
FAECQ M. Plourde (Nicolas): Merci. M. le
Président, messieurs et mesdames les députés,
membres de la commission des institutions, c'est avec plaisir et honneur que
nous avons accepté, ce soir, de venir vous faire part des
préoccupations de l'organisation que nous représentons. C'est
donc avec la plus grande sincérité que nous vous remercions de
cette cordiale invitation.
Par contre, vous comprendrez qu'il subsiste un brin
d'anxiété en mot parce que, ce matin, après un
réveil tardif, j'ai décidé de faire la grasse
matinée. Ainsi, comme à l'habitude, j'ai pris une bonne tasse de
café et je me suis mis à lire La Presse puisque,
évidemment, j'étais à Montréal. Et c'est avec
stupeur que je fus tiré de ma torpeur quand j'appris, en lisant te
journal, que notre organisation était appelée à participer
à la commission parlementaire, aujourd'hui, surtout après avoir
été aussi poliment remerciée, la semaine
précédente.
Ainsi, vous comprendrez également les raisons pour lesquelles
nous ne sommes pas en mesure de vous remettre une version écrite de nos
réflexions.
M. le Président, la Fédération des associations
étudiantes collégiales du Québec, la FAECQ, est une
organisation qui regroupe une dizaine de cégeps à travers la
province. Certains d'entre vous se demandent sûrement les motifs qui
poussent notre fédération à s'intéresser à
la question constitutionnelle. C'est bien simple. Depuis notre courte histoire,
nous avons toujours manifesté un profond intérêt à
la question linguistique. C'est pour cette raison que l'essentiel de notre
intervention portera sur cette problématique. De plus, il faut ajouter
que l'entente du lac Meech, que le gouvernement du Québec
s'apprête à signer, affectera particulièrement notre
génération et les générations subséquentes.
Conséquemment, nous trouvons déplorable que d'autres groupes de
jeunes n'aient pas été invités à s'exprimer sous
prétexte de contrainte temporelle.
Toute cette situation qu'on pourrait qualifier d'à la sauvette
démontre tout le ridicule du pseudo-exercice démocratique qui
entoure l'éventuelle siqnature de l'accord du lac Meech.
Le dossier constitutionnel a tellement d'importance pour l'avenir du
Québec qu'il serait un affront à sa population de
l'expédier aussi rapidement. Le Québec se distingue d'une
façon particulière de l'ensemble nord-américain
principalement par sa culture et par sa langue. Ces caractéristiques
sont les éléments fondamentaux qui marquent la
spécificité du Québec. Ils ont besoin par
conséquent d'une protection immuable si nous ne désirons pas voir
des secteurs aussi névralgiques que l'éducation, l'immigration et
les communications s'effriter. L'allure avec laquelle les discussions sur ces
sujets sont menées est loin de nous rassurer quant au bienfait d'une
prochaine entente.
Plusieurs ont affirmé que même si le Québec
n'obtenait pas tout ce qu'il désirait immédiatement avant
d'adhérer à la constitution il lui serait néanmoins
possible de rouvrir le dossier ultérieurement pour revendiquer de
nouveaux acquis. Cette philosophie est bien contestable. Présentement,
le Québec possède un rapport de force qu'il prendra
nécessairement s'il signe immédiatement l'accord du lac Meech.
Espérer obtenir d'autres gains dans un prochain avenir n'est donc que
peu probable. Il nous faut dès maintenant exiger le juste maximum que
nous sommes en droit d'espérer.
Comme je l'ai dit précédemment, nos préoccupations
touchent principalement la question linguistique. À ce chapitre, il nous
apparaît que l'entente constitutionnelle du lac Meech n'offre pas les
garanties nécessaires au Québec pour qu'il soit en mesure de
promouvoir et de développer le français. Même si le
libellé de l'accord fait allusion à la reconnaissance du
Québec comme société distincte, rien n'indique la
portée réelle de cette déclaration.
Nous n'avons pas la prétention de vouloir nous arroger le savoir
d'éminents juristes, mais il nous apparaît peu judicieux de
remettre l'avenir du Québec entre les mains des tribunaux.
Quant à la dialectique entourant la dualité des termes
"peuple" et "société" à laquelle se livrent politiciens,
constitu-tionnalistes et juristes, nous ne savons plus où donner de la
tête. Ainsi, comme tout bon néophyte en la matière, nous
avons consulté le Petit Robert. Notre position demeure toutefois
toujours aussi nébuleuse devant tant de contradictions.
Par la suite, le texte de l'entente affirme que l'Assemblée
nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de
protéger et de promouvoir le caractère distinct de la
société québécoise. Dans ce cadre, le terme
"rôle" risque de posséder bien peu de poids devant les tribunaux
si bien que toute mesure entreprise par le Québec en ces matières
pourrait subir le même sort que précédemment.
La comparaison entre cette situation potentielle et le vécu de
notre fédération se fait bien. En effet, la FAECQ a
également le rôle - et j'insiste sur le terme "rôle" - de
promouvoir et protéger les intérêts des étudiants.
Malheureusement, lorsque le gouvernement du Parti libéral a
effectué d'importantes coupures dans le régime de l'aide
financière, les mises en qarde des étudiants sont
demeurées vaines. Et pourquoi? Parce que nous n'avions que le rôle
de nous y opposer et non le pouvoir. Conséquemment, le Québec
doit exiger le pouvoir exclusif de légiférer en
matière
linguistique afin d'obtenir les outils nécessaires pour
protéger et promouvoir le caractère distinct du
Québec.
Ainsi, il faudrait inscrire dans la constitution que l'Assemblée
nationale et le gouvernement du Québec possèdent le pouvoir de
protéger et de promouvoir le caractère distinct du Québec
ou, à tout le moins, qu'ils en prennent l'engagement, tout comme il est
dit que le Parlement et les Législatures prennent l'engagement de
protéger le caractère fondamental du Canada bilingue.
Avant de terminer, quelques mots sur le pouvoir de dépenser du
gouvernement fédéral. L'accord du lac Meech stipule que le Canada
doit accorder une juste compensation à toute province qui ne participe
pas à un nouveau programme national à frais partagés dans
un domaine de compétence provinciale exclusive si cette province met en
oeuvre, de son propre chef, une initiative ou un programme compatible avec les
intérêts nationaux. Telle que libellée, cette clause nous
laisse perplexes quant à l'ingérence potentielle du gouvernement
fédéral dans des domaines tels que l'éducation. Le
système d'éducation québécois, on le sait, comporte
plusieurs spécificités qui lui sont propres, dont le
réseau collégial. Il est donc essentiel que cette clause
n'entrave pas le développement distinct de l'éducation au
Québec sous prétexte de la signature de ladite entente.
Ce sont là, è notre avis, les conditions minimales que le
Québec devrait exiger avant la signature de l'entente du lac Meech.
Même si nous nous sommes essentiellement tenus à l'aspect
linguistique, il est clair pour nous que le Québec devrait exiger
fermement plus que ce qui lui est présentement offert concernant
notamment l'immigration et le partage des pouvoirs.
En guise de conclusion, nous aimerions souligner le manque de rigueur
démocratique qui a marqué les discussions sur l'entente du lac
Meech. Quand on pense que certains pays dont les traditions
démocratiques sont moins enracinées ont appelé leur
population aux urnes pour se doter d'une nouvelle constitution, le gouvernement
du Québec devrait avoir honte d'agir de la sorte dans un dossier aussi
vital pour l'avenir des Québécois. Il nous apparaît donc
indispensable que l'accord du lac Meech soit préalablement soumis
à la population du Québec par la voie d'un
référendum. M. le Président, merci.
Le Président (M. Marcil): C'est nous qui vous remercions
de cet exposé. Maintenant, je vais reconnaître le ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et
ministre des Relations internationales. Vous avez 26 minutes, chaque
formation.
M. Rémillard: Merci, M. le Président.
Mlle Saint-Pierre, Mlle Brisson et M. Plourde, je vous remercie de venir
témoigner devant nous ce soir et de vous être
déplacés. C'est stimulant de voir des jeunes comme vous qui
s'intéressent à des questions aussi importantes pour l'avenir du
Québec. Je pense que c'est tout à votre honneur. Les jeunes
doivent s'intéresser à ces questions et il est intéressant
de pouvoir vous entendre.
Vous nous dites que votre position est nébuleuse, mais j'ai quand
même cru comprendre des messages, malgré cette position que vous
dites nébuleuse. Vous vous référez à une rigueur
démocratique. Je crois comprendre que... Donc, vous êtes la
Fédération des associations étudiantes collégiales
du Québec, une fédération assez nouvelle, je crois, qui
reqroupe dix associations de cégep. Je suppose que vous avez fait une
réunion dernièrement pour étudier l'entente du lac Meech
et qu'on vous a donné mandat pour venir représenter la
fédération.
M. Plourde: Premièrement, il faut dire qu'en raison du
laps de temps que vous nous avez accordé nous n'avons malheureusement
pas eu la chance de consulter explicitement nos membres sur l'entente du lac
Meech. Si vous aviez été intéressé à
entendre nos membres sur la question, il aurait fallu nous donner un peu plus
de temps pour aller les consulter d'une façon adéquate.
Cela étant dit, nous avons, par contre, à l'occasion de
plusieurs de nos assises, pris des décisions qui nous donnaient le
mandat de nous exprimer comme je l'ai fait aujourd'hui. Comme vous le savez, je
n'ai pas touché à tous les points, parce que je n'avais pas de
mandat pour tous les points. Par contre, pour la question linguistique
spécifiquement, nous en avons déjà discuté dans nos
instances. Je pense que cela m'octroyait le mandat de venir vous en parler
aujourd'hui.
M. Rémillard: M. Plourde, c'est simplement pour savoir
exactement où vous en êtes. De fait, j'ai cru comprendre que
l'entente du lac Meech, cela ne vous intéresse pas. Vous recommandez au
gouvernement du Québec de ne pas siqner cette entente. Est-ce bien
cela?
M. Plourde: Non, je n'ai jamais dit cela.
M. Rémillard: Non? M. Plourde: Non.
M. Rémillard: Qu'est-ce que vous dites? Qu'est-ce qu'on
devrait faire, selon vous, avec l'entente du lac Meech?
M. Plourde: Premièrement, je n'ai pas
dit que l'entente du lac Meech ne m'intéressait pas, parce que je
ne serais pas ici aujourd'hui.
M. Rémillard: Alors, excusez-moi. Dans le sens que ce
n'était pas particulièrement ce dont le Québec avait
besoin; c'est cela que je voulais dire, parce que l'intérêt, il
est là et je vous félicite pour cet intérêt.
M. Plourde: Non. C'est tout simplement que nous avons voulu
soulever certaines questions en regard de cette entente. Je n'ai pas le mandat
de dire que je suis contre cette entente. J'ai tout simplement soulevé
certaines interrogations, dont des interrogations relatives à la
question linguistique. Je dis tout simplement qu'il serait opportun, pour
être certain qu'il y ait un large consensus au sein de la population, de
porter cette entente à un éventuel référendum,
c'est-à-dire appeler la population à se prononcer sur cette
entente. (20 h 30)
M. Rémillard: Si je comprends bien, M. Plourde, vous
n'avez pas eu le temps de consulter vos gens. Ce que vous pouvez nous dire,
c'est que vous n'êtes pas contre. Vous n'êtes pas pour non plus, je
pense? Est-ce que vous êtes pour? Si vous n'êtes pas contre, est-ce
que vous êtes pour?
M. Plourde: A priori, je pense que les conditions minimales
nécessaires à la signature de cette entente ne sont pas
présentes, entre autres en ce qui concerne la question linguistique.
Donc, si on tire les conclusions qui en découlent...
M. Rémillard: Vous êtes contre. Simplement
dites-nous le!
M. Plourde: Je pense qu'il n'y a pas assez de matière, il
n'y a pas assez de protection pour le Québec pour signer l'entente
actuelle.
M. Rémillard: Dans ce cas, peut-être pourriez-vous
dire: Écoutez, je ne peux pas parler au nom des associations, je ne les
ai pas consultées; de fait, vous êtes peut-être ici à
titre personnel? Personnellement, vous êtes contre. D'accord, on le
comprend.
M. Plourde: Non, j'ai un mandat. On s'est déjà
prononcé dans nos instances sur le fait de promouvoir et de
protéger la langue française au Québec. Je pense que, sous
ce mandat, j'avais la possibilité de venir m'exprimer aujourd'hui.
M. Rémillard: Non, je pense qu'on est très heureux
de vous entendre. Cela me fait plaisir. Peut-être qu'aussi mesdemoiselles
veulent intervenir. Je suppose que votre intérêt va aussi à
différents niveaux politiques. Est-ce que vous participez à des
activités politiques pour faire valoir vos idées''
Mme Brisson (Natalie): Présentement?
M. Rémillard: Oui.
Mme Brisson: Non, absolument pas.
M. Rémillard: Ni l'un ni l'autre? Vous ne participez pas
à d'autres activités pour promouvoir ces idées que vous
faites valoir.
Mme Brisson: Présentement, nous sommes dans une
fédération étudiante. On est là pour promouvoir les
intérêts des étudiants.
M. Rémillard: C'est la même chose pour les trois.
Vous vous limitez strictement à la fédération des
associations étudiantes?
Des voix: C'est bien cela.
Mme Saint-Pierre (Hélène): D'ailleurs, pour
l'automne, nous prévoyons faire une promotion de la langue
française écrite dans les cégeps, parce qu'on
connaît la lacune qu'il y a là. Je pense que nos craintes au sujet
la langue sont assez bien justifiées ici.
M. Rémillard: Vous avez parfaitement raison, il faut
développer la qualité de la langue dans les céqeps et je
suis très content de vous entendre parler comme cela. Je vous remercie.
Ce sont mes questions.
Le Président (M. Marcil): Je vais maintenant
reconnaître M. le chef de l'Opposition, le député
d'Anjou.
M. Johnson (Anjou): Bienvenue à votre premier
baptême d'une rencontre publique avec un ministre du gouvernement
libéral. D'abord, permettez-moi de relever un certain nombre de choses.
Je sais, M. Plourde, Mlle Brisson et Mlle Saint-Pierre, que vous aviez, dans un
premier temps, demandé d'être entendus il y a déjà
deux semaines, que, dès que le leader avait choisi les noms des gens qui
seraient entendus, vous aviez été exclus, et je crois comprendre
que ce n'est que ce matin que vous avez appris qu'effectivement vous seriez
entendus ce soir. Vous avez communiqué à trois reprises avec le
secrétariat pour demander qu'on puisse au moins vous donner quelques
moyens de terminer, de mettre votre intervention sous forme de texte et on vous
a refusé cette possibilité. Vous avez appris ce matin que vous
seriez ici en ondes, dès ce soir, devant le ministre qui, de toute
évidence, en profite.
Je suis un peu frappé par la remise en question de la
légitimité que le ministre a
faite de ce groupe. À ma connaissance, la
Fédération des associations étudiantes collégiales
est une association qui regroupe une dizaine des plus importants cégeps
du Québec. En ce sens, elle a sûrement la légitimé
des organismes auxquels participait, à l'époque où j'y
étais, le député de Bourget, qui va se souvenir de la
FAGECCQ dont il a vu à la mise sur pied alors qu'il y avait à
l'époque, si je me souviens bien, onze collèges qui l'avaient
fondée l'année où nous y étions. Pourtant, cela ne
nous empêchait pas de venir à la commission parlementaire et
ailleurs pour faire des représentations.
M. Trudel: Est-ce que le chef de l'Opposition me permet une
remarque tout de suite, puisqu'on parle de souvenirs? Je reviendrai
tantôt, mesdames et messieurs. Je voudrais simplement dire que la
première élection que j'ai faite dans ma vie s'est mal
terminée, non par sa faute mais probablement par la mienne.
L'organisateur en chef que j'avais était l'actuel chef de l'Opposition,
au moment où nous y étions.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Trudel: Je pense que le chef de l'Opposition était
encore...
Une voix: II avait un mauvais candidat!
M. Trudel: Je dois à la vérité historique de
dire que je m'étais retiré en plein milieu d'une nuit et que mon
organisateur en chef me l'avait amèrement reproché. Il avait
raison à ce moment-là, et depuis lors, je ne me suis jamais
retiré d'une seule élection.
M. Johnson (Anjou): Voilà. Alors, sur le plan
constitutionnel, en pleine nuit, il se passe des choses graves.
M. Trudel: J'en sais quelque chose, d'ailleurs.
Le Président (M. Marcil): S'il vous plaît!
M. Trudel: Je m'excuse, M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Je pense que cela valait la peine
d'être mentionné. J'entends la députée de Vachon;
elle est invitée à venir prendre place, si elle veut
s'exprimer.
Pour revenir rapidement sur cette remarque du député de
Bourget, je dirais que, en dépit de tout cela, j'ai un heureux souvenir
de cette période où, effectivement, c'était un homme qui
entreprenait des choses et qui, malheureusement, m'a fait découvrir
qu'il ne la finirait que partiellement, cette chose. Il s'est retiré
avant la fin de la course...
M. Trudel: J'ai été élu dans une partielle,
d'ailleurs.
M. Johnson (Anjou): ...un peu comme le gouvernement dans ses
demandes constitutionnelles.
M. Trudel: C'est pour cela que j'ai été élu
dans une partielle, M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Le qouvernement s'est déjà
retiré...
J'aimerais revenir à nos invités, cependant, qui ne sont
pas ici, je pense, pour entendre nos élucubrations de souvenirs. Une
chose me frappe dans ce qu'ils nous disent. Sans prétendre se mesurer
à des juristes dont c'est la spécialité, ils nous disent
que, d'instinct, en se servant de leur gros bon sens et sûrement de leurs
connaissances, ils considèrent, d'une part, que te Québec semble
mal protégé autour de la notion de société
distincte, notamment parce qu'ils ne voient pas dans ce texte - et je pense
qu'ils ont raison - une protection spéciale à l'égard,
notamment, de la langue française et de la responsabilité de
l'Assemblée nationale de s'occuper des questions linguistiques. Ils ont
parfaitement raison, parce que l'objet de nos débats depuis quelques
jours, c'est de constater qu'il n'y a pas de pouvoirs pour l'Assemblée
nationale, réels, authentiques.
Nous avons même entendu Me Duplé, juste avant le
dîner, nous dire que, à ses yeux, ta notion de
société distincte ne pourrait pas être plaidée, ou
enfin pourrait bien être plaidée, mais ne serait probablement pas
retenue par la Cour suprême ou par un haut tribunal dans le cas de
l'affichage. Elle nous a dit de façon très claire qu'à ses
yeux le caractère bilingue et fondamental de la fédération
l'emporterait et primerait sur le caractère distinct du Québec
dans une loi comme la loi sur l'affichage commercial.
Je pense que ces étudiants, en dépit du peu de temps
qu'ils ont eu pour finaliser leur réflexion qu'ils ont partagée
avec nous, ont démontré que, d'instinct, ils ont compris quelque
chose de fondamental. Et cela m'apparaît important.
Deuxièmement, je suis frappé du fait qu'ils nous disent
que, pour elles et pour eux, c'est important, l'avenir du français, et
cela, je suis heureux de l'apprendre, parce que circule cette espèce
d'impression, à mon avis non fondée, mais qui probablement se
base sur des phénomènes assez superficiels, que cela
n'intéresse pas la génération qui vient, le progrès
du français. Moi, j'ai la profonde conviction que c'est exactement le
contraire. Ces jeunes, ceux qui font partie
de cette génération ont été
élevés dans un contexte tout à fait différent du
nôtre. Moi, je me souviens de l'époque où, sur la rue
Sainte-Catherine, on rentrait chez Murrays et, au lieu de laisser un pourboire
après avoir pris un café, on laissait un dictionnaire
français-anglais. Disons que la situation a quand même un peu
changé depuis dix ans. Mais ils sont conscients que se
développer, s'enrichir, s'épanouir au Québec, cela doit se
faire en français et je pense que c'est cela qu'ils nous disent. Il y a
là un message d'avenir qui, quant à moi, me
réconforte.
Troisièmement, ils nous disent très clairement - je pense
que les mots ont été un peu sévères, mais je dois
dire que je les partage - qu'à leur avis il y a là quelque chose
qui ressemble à un "travesti" de démocratie et que, finalement,
on va engager l'avenir du Québec. Le ministre pourra bien dire:
Savez-vous, avez-vous consulté vos membres? Je comprends, leurs membres
sont à la fin de l'examen ou ils sont déjà rendus à
leur travail d'été. Les Québécois pourraient
être consultés par vous autres si vous faisiez votre boulot. Eux
nous disent qu'ils ont l'impression que, du côté gouvernemental,
la précipitation à laquelle on se livre en ce moment est quelque
chose qui, d'instinct, encore une fois - je le comprends chez eux - les ennuie,
et je pense qu'ils ont raison.
Je trouve que la génération de ceux qui ont 40 ans,
à laquelle appartiennent le ministre et moi, ainsi que le
député de Bourget - je ne parle pas de la députée
de Vachon? je sais qu'elle est une exception à cette table - a, sur le
plan politique, n'est pas en train de donner à la
génération qui s'en vient un exemple très impressionnant
du fonctionnement démocratique à propos d'un enjeu aussi
fondamental. Ce n'est pas parce qu'on a fait la Révolution tranquille,
qu'on y a participé ou qu'on en a bénéficié qu'on a
participé à l'émergence du nationalisme jusqu'à ce
qu'il se traduise dans un parti politique qui prenne le pouvoir, qu'on a
vécu, un certain nombre d'entre nous, avec déception, le
résultat référendaire, y compris le ministre d'ailleurs,
que cela veut dire qu'il faut que les questions d'avenir et de
développement du Québec se règlent par une
génération qui serait déçue des vingt
dernières années.
Je crois comprendre qu'ils nous disent qu'eux ne sont pas à
l'époque du cynisme et de la déception et que ce qui les
intéresse, ce n'est pas tellement le passé comme l'avenir. En ce
sens, ils nous disent leur attachement à développer le
Québec en français et leur inquiétude devant la
précipitation, l'absence de processus démocratique, la confusion
autour des textes, le côté sûrement très
embrouillé de l'interprétation juridique qu'on peut donner ne
serait-ce qu'à la question de société distincte. En ce
sens, je croîs que nous devions les écouter avec attention et avec
le respect que nous devons à tous les groupes qui viennent ici
d'ailleurs. Je dois dire qu'en dépit du fait qu'ils aient eu très
peu de temps pour préparer leur intervention celle-ci a
été sentie et, deuxièmement, elle est allée
à l'essentiel, même si elle ne prétendait pas faire un tour
de piste exhaustif de toutes les questions techniques. En ce sens, je me
permets de les remercier.
J'aurai une question pour M. Plourde, Mlle Brisson ou Mlle Saint-Pierre,
comme ils juqeront à propos. Je sais que, quand on est actifs dans des
associations comme la vôtre, compte tenu de la nature temporaire des
clientèles - il y a un renouvellement très rapide - ceux et
celles qui s'engagent dans l'action collective dans les associations
étudiantes ont parfois l'impression d'être des exceptions, et avec
raison en bonne partie. Considérez-vous que votre conviction et votre
attachement au développement du français au Québec c'est
quelque chose de caractéristique des milieux les plus actifs,
c'est-à-dire ceux que vous fréquentez, ou est-ce que vous
considérez que c'est un attachement assez répandu chez les
étudiants et les étudiantes des cégeps du
Québec?
Mme Saint-Pierre: C'est sûr qu'en tant que militants nous
sommes peut-être un petit peu plus politisés, donc peut-être
un peu plus au courant de tout ce qui peut se tramer au niveau linguistique, au
niveau du français et c'est sûr que ça nous tient à
coeur. Donc, on est prêts à le défendre et à le
promouvoir, mais de là à dire que les étudiants qui vont
à leurs cours, qui ne militent pas, qui n'ont qu'une chose en
tête, finir leur DEC, je ne pense pas que le français ne soit pas
pour eux une priorité. Je pense que le français fait quand
même partie de notre culture et ça nous suit tout au long de nos
études. Ils ne sont peut-être pas conscients de cet attachement
envers notre langue mais si, un jour, il y a un débat sur cette question
de la langue française au Québec, je ne voudrais pas trop
m'avancer, mais je suis certaine qu'ils s'impliqueraient dans un débat
comme ça; finalement, ça fait partie de nous. On a
été élevés en français, finalement. En ce
sens-là, je me dis qu'aujourd'hui ils ne sont peut-être pas
tellement conscients de tout ce qui est en train de se faire avec l'accord du
lac Meech, mais, s'ils étaient vraiment peut-être un petit peu
plus au courant, à ce moment-là peut-être
s'impliqueraient-ils un petit peu plus. La plus belle preuve qu'on peut avoir
peut-être, c'est que nous, ici, les membres de la
Fédération des associations étudiantes collégiales
du Québec, sommes le seul groupe de jeunes qui a été
autorisé à venir en commission parlementaire. Peut-être
que, si cela avait été un petit peu plus ouvert, il y
aurait sûrement eu d'autres jeunes d'autres milieux, que ce soient
étudiants, des maisons de jeunes, des groupes d'assistés sociaux
qui seraient venus discuter ici. Et sûrement que la langue
française serait rassortie, parce que c'est quand même important
pour tout le monde. (20 h 45)
M. Johnson (Anjou): Je vous remercie.
Le Président (M. Marcil): Je vais maintenant
reconnaître le député de Bourget.
M. Trudel: M, le Président, juste une remarque pour
m'associer de façon générale aux remarques du chef de
l'Opposition jusqu'à un certain point. Je pense que, pour des jeunes
comme vous, à partir du moment où on a 35 ou 40 ans et que nos
enfants sont adolescents, on doit passer pour de vieilles barbes.
Une voix: Vous parlez pour vous.
M. Trudel: Je parle pour moi, en effet, oui. Je parle un peu pour
le chef de l'Opposition parce que la différence d'âge n'est quand
même pas à ce point prononcée. Si vous voulez me laissez
poursuivre...
Je veux vous remercier d'être venus, même avec les
problèmes que vous avez, dites-vous, rencontrés. À mon
âge et à celui du chef de l'Opposition, on a déjà
tendance à jouer sur nos vieux souvenirs. J'admire votre présence
et votre courage, parce que je me souviens qu'en 1964 il y avait dans cette
salle même, non, une salle de comité en bas, je m'excuse, une
commission parlementaire qui était plus permanente que celle-ci, qui
avait été créée par le premier ministre - je le
souligne au chef de l'Opposition - libéral, M. Lesage, sur la
constitution. C'était à l'époque de la commission
Laurendeau-Dunton. Tout le monde comparaissait devant cette commission et,
parmi les membres, il y avait bien sûr, M. Gérin-Lajoie, qui
était le grand expert, à l'époque, de ces
questions-là. Il y avait M. René Lévesque, qui
était ministre dans le gouvernement libéral, à ce
moment-là, il y avait le chef de l'Union Nationale et chef de
l'Opposition, à ce moment-là, M. Daniel Johnson, le père
du chef de l'Opposition actuel. Je me souviens de ma comparution devant cette
commission. Je vous écoutais tantôt et vous avez pris beaucoup
plus d'assurance beaucoup plus rapidement que moi. Je me souviendrai sans doute
toujours de cette journée où on comparaissait devant ces gens
très sérieux et on avait un mémoire de cette
épaisseur qui avait traversé - et ce n'est pas un reproche que je
vous fais en vous disant cela - tout un processus de consultations parce que,
finalement, on avait eu près d'un an pour le préparer.
C'était complètement différent. Les circonstances aussi,
il faut bien le dire. Je vois le député de Gouin qui veut grimper
sur ses grands chevaux.
M. Rochefort: Non, pas du tout.
M. Trudel: Les circonstances étaient différentes et
diable que nous étions nerveux, à l'époque, de
comparaître devant un comité de parlementaires et d'exposer nos
idées!
Les seules remarques que m'inspirent les remarques que vous avez
vous-mêmes faites tantôt, M. Plourde, mesdemoiselles, c'est sur le
français. Je pense qu'il n'y a pas un Québécois, pas une
Québécoise, qui, au fond de lui-même ou d'elle-même,
n'a pas l'ardent désir de vivre dans sa langue, de la protéger et
de la développer. Maintenant, les moyens d'y parvenir, de réussir
cela, sont différents. Vous proposez, à toutes fins utiles... Et
c'est votre seule recommandation puisque, dites-vous, c'est le seul mandat que
vous détenez et je respecte cela. Vous nous dites que la seule
façon de garantir l'existence du français au Québec c'est,
à toutes fins utiles, de l'enchâsser dans la constitution, dans la
société distincte.
Pour des raisons qu'on a évoquées ici depuis maintenant
une semaine et plus, je me permets de diverger d'opinion avec vous. Ce que je
veux que vous sachiez - et je pense que vous le réalisez de toute
façon -c'est que de part et d'autre de cette table, des deux
côtés de la table, les objectifs fondamentaux, je pense, sont
semblables et les façons d'y parvenir peuvent diverger. C'est ce qui
fait qu'on a beaucoup de plaisir et qu'on apprend beaucoup de choses en
écoutant des gens comme vous et les autres groupes qui sont venus nous
dire ce qu'ils pensaient des accords du lac Meech.
Quant à moi, si vous aviez eu le temps de vous préparer
davantage, j'aurais souhaité qu'on ahorde les autres questions parce que
dans l'accord du lac Meech il y a quand même - M. le ministre le
répète souvent et je le comprends de le répéter
souvent - des gains importants, des gains historiques pour le Québec.
Souhaitons qu'on ait l'occasion de vous revoir au moment où vous aurez
eu plus le temps pour vous préparer et on pourra discuter davantage de
l'ensemble des questions constitutionnelles avec vous.
Quant à moi, je vous félicite de vous être
présentés devant nous dans les circonstances que vous relatez.
J'aurai grand plaisir à vous revoir dans un avenir pas trop
lointain.
Le Président (M. Marcil): Merci, M. le
député de Bourget. Maintenant, je vais reconnaître Mme la
députée de Chicoutimi.
Mme Blackburn: M. le Président, je pense que mes premiers
mots seront d'abord pour féliciter les étudiants qui ont eu
le
courage de se présenter ici, à l'instar des
collègues qui ont pris la parole avant moi, et pour déplorer que
le ministre, dans son intervention fort brève, ait trouvé le
moyen à la fois de remettre en question la légitimité du
groupe et tenter de le discréditer en voulant lui accoler ou lui donner
une allégeance politique.
Je trouve cela infiniment déplorable puisqu'il ne l'a fait avec
aucun autre groupe. Il le fait avec des étudiants. Je ne qualifierai pas
l'attitude mais je trouve cela tout à fait inacceptable. Je n'utiliserai
pas un terme fort parce que je pense que le ministre est capable lui-même
de conclure sur ce genre d'attitude.
Si le ministre s'est basé sur l'accueil que j'ai
réservé à ces jeunes, il faudrait peut-être qu'il
sache qu'on a eu l'occasion de se voir à maintes reprises depuis
déjà de nombreuses années puisque j'étais
présidente du Conseil des collèges et que déjà,
contrairement à ce qu'il pense, la FAECQ existait. Cela explique en
partie... Quoique je pense que ce ne sont pas des explications ni des
justifications qu'on a demandées à aucun autre qroupe. Il est
inadmissible qu'on le fasse à l'endroit des étudiants, parce
qu'ils sont jeunes et inexpérimentés. Je ne trouve pas que c'est
un acte de bravoure à souliqner.
Que les étudiants, que la FAECQ exige qu'il y ait
là-dessus une consultation, c'est assez légitime. Pour
accréditer une association étudiante, la toi exige que 25 % des
étudiants se soient prononcés. Vous savez ce que cela veut dire
réunir, dans une université ou dans un collège, 25 % des
votes des étudiants pour faire reconnaître l'accréditation
d'une association étudiante. Quand les jeunes viennent nous dire qu'il
serait important qu'on consulte sur une question majeure qui s'appelle la
modification à la constitution canadienne et l'adhésion du
Québec, je pense que c'est légitime. Je pense que le ministre
jusqu'à ce moment-ci, je dois vous dire cela, a fait preuve de
suffisamment d'élégance, je dirais, vis-à-vis des groupes
qui se sont présentés ici. C'est pourquoi vous comprendrez que je
trouve inacceptable l'attitude qu'il a à l'endroit des jeunes.
J'ai peu de questions finalement, parce que, comme vous l'expliquez
bien, vous n'avez pas eu le temps d'aborder, d'approfondir ces questions. Vous
n'avez pas eu non plus le temps de consulter, et c'est là-dessus que le
ministre met en question la légitimité de votre présence
ici. Je dirais qu'on pourrait adresser la même question à ce
gouvernement, parce que, ce qu'il appelle sa consultation, ce qui était
dans son programme électoral, a été
considérablement modifié par rapport à ce qu'on a sur la
table et, à ce que je sache, il n'y a pas eu de consultation populaire.
Là, on n'est pas en train d'accréditer une association
étudiante.
J'aurais peu de questions, parce que vous réclamez... Cela
tournerait davantaqe autour de la proposition que vous faites: sur une question
aussi majeure, it devrait y avoir un référendum. J'aurais le
qoût de vous demander, dans l'hypothèse où il y aurait un
référendum - j'espère que cela pourrait se faire de
préférence à l'automne au moment où les gens sont
en pleine activité, que ce soit dans les collèges, dans les
écoles ou même dans les différentes institutions:
Croyez-vous qu'on pourrait légitimement s'attendre à une
participation importante des milieux de jeunes? Je ne pense pas juste aux
étudiants. Je pense aux jeunes travailleurs. Je pense aux jeunes dans
les universités, aux jeunes sans travail, aux maisons de jeunes puisque
vous le disiez tout à l'heure.
M. Plourde: Présentement, malheureusement, les jeunes ont
été un peu laissés à l'écart des discussions
sur la présente entente constitutionnelle. Malheureusement, on n'a pas
suscité un débat auprès des jeunes. On ne les a pas
intéressés à la question. Par contre, si un
référendum était organisé sur la question, c'est
évident qu'une intense période d'information devrait
précéder une telle consultation. Il pourrait y avoir, je ne sais
pas, des émissions télévisées pour expliquer la
question en détail, peut-être des tournées de
députés dans les institutions collégiales ou
universitaires pour expliquer aux jeunes et, également, dans les autres
milieux, milieux sociaux, milieux culturels, etc., où beaucoup de jeunes
oeuvrent, dans les différents milieux.
Malgré que présentement peut-être la majorité
des étudiants et des jeunes ne sont pas sensibilisés à la
question, je suis convaincu qu'avec un effort de la part de tous, en
particulier des instances gouvernementales, on pourrait réussir à
intéresser les jeunes à la question, afin de les préparer
à prendre position à l'occasion d'un éventuel
référendum.
Juste pour compléter, vous avez tous un peu peur de nous poser
des questions. C'est évident que nous n'avons pas abordé
l'ensemble de la problématique de l'accord du lac Meech, mais nous avons
quand même touché d'autres points à part ceux du
référendum. Nous avons, entre autres, parlé de
dualité, société, peuple, du rôle de protéger
et de promouvoir. Nous avons parlé également de toute la question
linguistique. Je pense qu'il y a quand même matière à nous
poser certaines questions sur ces sujets. C'est peut-être tout simplement
pour soulever... parce qu'on a l'air un petit peu à l'écart d'une
certaine manière. On a quand même encore des choses à vous
faire part.
Mme Blackburn: Évidemment, comme on n'a pas le texte en
main...
M. Plourde: Oui, c'est déplorable, je le sais.
Mme Blackburn: ...c'est difficile de se rappeler. Sachant, comme
vous l'avez dit tout à l'heure, que vous ne voulez pas vous poser en
spécialistes et que vous n'avez pas pu faire une analyse exhaustive de
ce texte, sur la base de la connaissance que vous avez, est-ce que, selon vous,
les termes "peuple" et "société" sont interchangeables?
M. Plourde: Le problème, c'est que, présentement...
Comme je l'ai dit dans ma présentation, nous avons discuté de la
question. Comme tout bon néophyte, nous nous sommes
référés au Petit Robert, où les
définitions sont très ambiguës. J'ai également
écouté plusieurs experts qui sont passés ici à
cette commission parlementaire et leurs définitions étaient
toutes contradictoires, et avec le dictionnaire, etc. Je ne connais pas, par
contre, la valeur internationale et juridique des termes "peuple" ou
"société". Je suis convaincu qu'il en existe. Mais, du peu qu'on
peut savoir présentement, on n'est pas aptes à prendre position
étant donné que les conclusions que l'on peut tirer entre les
deux termes sont quand même très similaires. II nous
apparaît que les termes "peuple" ou "société" sont
similaires. Durant la commission, on nous a dit qu'un peuple ne faisait pas
appel à un regroupement d'individus en communauté
structurée avec des institutions. J'ai tôt fait de vérifier
dans le dictionnaire la définition de "peuple", et on faisait
immédiatement allusion à une communauté de personnes avec
des institutions. Donc, je ne savais plus exactement où donner de la
tête. Vous voyez qu'à ce sujet, on est un petit peu confus. Il
nous est difficile de suivre les débats à ce chapitre.
M. Brassard: M. le Président, est-ce qu'on pourrait
fournir le dictionnaire au ministre?
Le Président (M. Marcil): Est-ce tout, Mme la
députée?
Mme Blackburn: Oui, merci.
Le Président (M. Marcil): M. le ministre.
M. Rémillard: Oui, il faudrait peut-être fournir le
même dictionnaire au chef de l'Opposition, à tous les
députés de l'Assemblée nationale qui ont voté une
résolution pour qu'on inscrive dans la constitution le terme
"société distincte" et à Jacques-Yvan Morin
également qui a utilisé ces même9 mots, à des
juristes... Je vous recommande quand même de lire un petit peu plus
à ce sujet. Je crois que vous avez raison lorsque vous dites qu'entre
"société distincte" et "peuple" il y a une relation qui se fait,
mais que le mot "peuple" ne se réfère pas nécessairement
à un groupe de personnes qui est politiquement organisé et vit
sur un territoire donné. On dit, par exemple, le peuple juif ou le
peuple acadien, alors que le terme "société" peut se
référer et se réfère normalement à des
institutions, à un qroupe de personnes organisé. Alors, c'est
comme cela, et ce sont des termes qui sont employés en droit
constitutionnel canadien.
Je me permettrais tout simplement de terminer, M. le Président,
en disant que j'ai été heureux d'entendre ces trois
représentants de la Fédération des associations
étudiantes collégiales du Québec. Je voudrais leur dire
que l'entente du lac Meech, pour la première fois dans l'histoire de la
Fédération canadienne, va consacrer le fait que le Québec
est une société distincte et aussi le fait que l'Assemblée
nationale et le gouvernement ont le rôle de promouvoir cette
société distincte. C'est une assise très importante pour
la protection tant de la langue, de la culture que des autres aspects qui
caractérisent le Québec comme société distincte. On
veut par là repartir sur le bon pied. Et vous qui n'avez pas
participé activement à des événements qui se sont
produits dans les dernières années et qui ont affaibli
considérablement le Québec à bien des niveaux, vous
pourrez, je crois, vous impliquer dans l'évolution de la
société québécoise avec le défi de
l'excellence qui est le vôtre, auquel vous, les jeunes, vous êtes
tellement durement confrontés, il faut l'admettre. Vous pourrez
l'aborder à ce moment-là avec des garanties qu'on n'avait pas
jusqu'à présent dans la constitution canadienne. Je vous remercie
de vous être présentés devant nous ce soir. (21 heures)
Le Président (M. Marcil): Merci, M. le ministre.
M. Plourde: On associe, si c'est possible... Puisque les
questions ne viennent pas de votre côté, je vais peut-être
vous en poser une, M. le ministre. Avec les définitions de la
société distincte ou lorsqu'on dit que le Québec aura
dorénavant le rôle de protéger et de promouvoir le
caractère distinct, est-ce que vous pouvez m'assurer qu'avec ces
protections que l'accord du lac Meech offre, par exemple -c'est une question
hypothétique - la Charte de la lanque française ne pourrait subir
l'érosion qu'elle a subie au cours des dernières années et
que ces dispositions offriraient une telle garantie? Cela me rassurerait
évidemment. Je comprendrais votre position qui dit que c'est un pas en
avant, mais avec la modeste interprétation que nous pouvons faire de
notre côté, même
si nous n'avons pas les connaissances juridiques pour le faire, avec du
simple bon sens il nous apparaît que ces dispositions ne sont pas
suffisantes.
M. Johnson (Anjou): Consentement. M. Rémillard:
Consentement? M. Johnson (Anjou): Oui.
M. Rémillard: Avec ces dispositions dans la constitution
concernant la société distincte et concernant ce rôle pour
la première fois bien précisé de l'Assemblée
nationale et du gouvernement de promouvoir et protéger la
spécificité québécoise, je peux vous assurer que
vous avez là une référence d'interprétation dans la
constitution, dans un premier temps - pas dans le préambule, mais dans
la constitution - deuxièmement, une référence
d'interprétation obligatoire pour les tribunaux et une
référence qui va permettre au tribunal de pouvoir établir
le partage des responsabilités à différents niveaux, en
fonction de la spécificité du Québec, que ce soit en
fonction de la tangue ou de la culture ou que ce soit en fonction des
institutions. Je ne peux pas vous garantir une interprétation des
tribunaux et il n'y a personne qui pourra vous la garantir. Quand on
rédige un contrat, lorsqu'on rédige une constitution, il y a
toujours la possibilité qu'il y ait un litige, qu'on ne s'entende pas
sur certaines expressions qu'on a utilisées et c'est un arbitre chez
nous, c'est la Cour suprême en dernier ressort qui va interpréter
cela. Cependant, il faut comprendre que de notre part nous acceptons deux
limites à la compétence législative du Québec. Le
Québec a compétence pour légiférer sur sa langue.
Il y a deux limites, comme vous le savez. Il y a l'article 133 de la
constitution de 1867, qui établit le bilinguisme au Parlement canadien
et ici à l'Assemblée nationale pour que nos anglophones puissent
parler français à l'Assemblée nationale - je sais que vous
ne pouvez pas être contre cela - et l'article 23 qui est ce qu'on appelle
la clause Canada. Des parents qui ont reçu leur éducation en
anglais au primaire dans une province anglaise peuvent venir au Québec
et inscrire leurs enfants dans une école anglaise. Ce sont les
restrictions qui sont là et qu'on accepte. À partir de cela, que
ce soit dans tous les autres domaines, de la culture, de l'éducation, il
y aura une référence obligatoire pour les tribunaux qui aura une
très grande importance. C'est là un acte historique dans
l'évolution de notre société québécoise.
M. Plourde: Peut-être pour compléter, juste pour
terminer, il m'apparaît très peu prudent, même si
évidemment des textes de la constitution font appel à des notions
très larges, de laisser entre les mains des tribunaux l'avenir du
Québec. Je trouve que présentement la définition de la
société distincte est beaucoup trop large. Même la
constitution actuelle fait appel à des articles plus précis.
Donc, je pense que jouer cette carte de la largesse dans
l'interprétation de la société distincte risque
d'être très dangereux, surtout si on attend de voir
l'interprétation que les juristes en feront et qu'on signe
immédiatement. C'est-à-dire qu'on signe pratiquement un
chèque en blanc et on attend de savoir de quel montant il sera.
Le Président (M. Marcil): M. le ministre.
M. Rémillard: M. Plourde, je veux simplement vous dire que
je respecte votre opinion. Vous faites une grande déclaration. Vous
savez, ce n'est pas si simple que cela. On ne peut pas dire comme cela: On
signe un chèque en blanc aux cours de justice, à la Cour
suprême. Il faut voir qu'il y a des règles qu'on doit respecter.
On écrit une constitution, il y a des règles. Ce n'est pas la
première que cela s'écrit, des constitutions ou des amendements
constitutionnels. Vous devez prendre en considération des principes que
nous avons, des contingences qui sont là. Bien sûr, de votre
jeunesse, vous nous dites: II ne faut pas signer un chèque en blanc. Je
comprends que c'est une opinion que vous avez, mais je veux simplement vous
dire: Essayez de lire un peu, il y a des choses qui sont écrites
à ce sujet. Il faut aussi que vous preniez en considération que
c'est plus nuancé que cela. Je peux vous dire sincèrement qu'on
essaie de faire le mieux possible. On est conscient de la responsabilité
qu'on peut avoir, vous savez. Si c'était si simple que cela, ce serait
facile à régler. Ce n'est pas si simple.
Lisez un peu, ce n'est pas toujours facile à comprendre, ces
textes-là, mais je suis certain qu'il y a des amis, des gens que vous
connaissez qui pourront vous aider. Peut-être que cela vous apprendra
à voir les choses de façon différente et à
être un peu plus nuancé. Vous verrez que les choses ne sont pas si
claires, M. Plourde, et méfiez-vous des formules toutes faites, c'est
très dangereux.
M. Johnson (Anjou): M. le Président...
Le Président (M. Marcil): M. le député
d'Anjou.
M. Johnson (Anjou): D'abord, je reconnais au ton du ministre la
patience remarquable de nos invités devant ses conseils d'un
paternalisme que je croyais, quant à moi, mort quelque part entre la
dernière guerre mondiale et le début de la
Révolution tranquille. Deuxièmement, le ministre nous dit
qu'il va faire le mieux possible. Voyons donc, on ne lui demande pas de faire
le mieux possible, ce n'est pas cela, le mandat d'un gouvernement, c'est faire
ce qui est le meilleur dans l'intérêt du Québec. Pas le
mieux possible. Ce n'est pas si mal, on va s'organiser un peu!
Puisque le ministre a abordé la question des articles 133 et 23
quant à la question précise que lui posait M. Plourde, je lui
dirai que, de toute évidence, s'il pouvait enseigner aux 1er, 2e et 3e
cycles à l'université, je pense qu'il n'enseignait pas au
cégep, c'est clair. Prétendre que l'article 133, c'est seulement
pour permettre aux gens de s'exprimer en anglais dans le Parlement, c'est faire
fi du fait que l'article 133 a servi pour casser des pans de mur de la loi 101,
notamment sur la langue de la législation, la langue de la
réglementation, la langue de la justice, la langue de l'administration,
ce qui fait qu'aujourd'hui des avocats plaident en Cour supérieure, au
Québec, pour obtenir des jugements en langue française au
Québec. Pas en Ontario ou à Moose Jaw en Saskatchewan. Au
Québec! Dans la ville de Montréal, il y a des avocats qui ne
peuvent pas obtenir des jugements entiers de la Cour d'appel en langue
française. C'est précisément l'article 133.
De réduire l'article 133 au bilinguisme dans le Parlement, contre
lequel je n'en ai pas du tout, pour que les gens puissent s'exprimer à
la période de questions, au moment où on se fait les voeux de la
St. Patrick ou autre chose, je n'ai pas d'objection à cela. Mais
l'article 133, c'est plus que cela. Ce sont des pans de mur de la loi 101 qui
sont tombés à cause de l'article 133.
Deuxièmement, l'article 23, la clause Canada. Je dirai au
ministre que le jugement de la Cour suprême, qui a invalidé
l'article 72 et l'article 73 de la loi 101, c'est-à-dire les articles
qui touchaient la fréquentation scolaire, est un jugement qui, mot
à mot, dit ceci: "Le constituant - c'est-à-dire ceux qui ont fait
la constitution du Canada en 1982, donc tout le monde à l'exclusion du
Québec - visait spécifiquement, par l'article 23 de la Charte
canadienne, à renverser les dispositions de la loi 101 concernant la
langue de l'école." Ce n'est pas neutre, cela. C'est le même type
de mentalité qui amène le ministre à dire qu'on a besoin
de l'article 23 qui amenait probablement d'autres personnes dans les
années cinquante, à cause des problèmes Roncarelli
Duplessis, a dire: Une chance qu'on a les juges de la Cour 3uprême pour
nous protéger contre nos côtés fascisants. Je ne trouve pas
cela très édifiant pour les générations qui
viennent.
Troisièmement, le ministre ne parle pas de l'application de la
charte canadienne qui, elle aussi, sert à invalider des
éléments de la loi 101. Je pense, notamment, à l'article 6
sur la liberté d'établissement qui sera plaidée par Ies
personnes qui viendront s'installer de Calgary ou d'ailleurs, mais qui diront:
Moi, au nom de la liberté d'établissement, j'ai une protection
particulière dans la charte canadienne, donc qu'on ne m'ennuie pas avec
des règlements de l'Office des professions sur la langue
française dans ma profession. Ce sera plaidé un jour.
Finalement, je dirai au ministre que sa définition de la
société distincte me fait penser à une définition
qui serait étonnante de ce qu'est l'âge de la majorité. Si
on disait à ces jeunes: Vous savez, l'âge de la majorité
qui va vous permettre d'avoir le droit de vote, de disposer librement de vos
biens ou de consommer des alcools, l'âge de la majorité, on va
dire que c'est quand vous êtes plus ou moins grand ou plus ou moins
grande. Non, l'âge de la majorité, c'est 18 ans. Et je dis au
ministre: En matière linguistique, si vous ne voulez pas laisser cela
entre les mains des tribunaux, dites donc c'est quoi afin que ce soit clair!
Qu'on dise: Oui, le Québec a la majorité sur le plan
linguistique. C'est clair, et on va l'écrire dans la constitution; on ne
laissera pas cela aux juges de la Cour suprême qui, pendant huit ans,
vont jouer à la pirouette avec. Qu'on dise que, dans l'application de la
charte canadienne, l'article 133, l'article 23, l'article 6, l'article 27 sur
le multiculturalisme ne pourront jamais être invoqués contre des
lois linguistiques du Québec. Si on veut être clair, si c'est
cela, l'objectif du ministre, s'il prétend qu'on est limité
seulement par l'article 133, pour permettre... Très bien, demandez que
la constitution du Canada soit changée et qu'elle dise ceci à
l'article 133: Les députés de l'Assemblée nationale
pourront s'exprimer en français ou en anglais à la période
de questions et dans tout débat. Pointl Pour tout le reste, c'est le
Parlement du Québec qui va décider de ce qui se passe en
matière linguistique. Cela se demande, cela. Ce n'est pas une fois que
vous aurez signé qu'il va falloir régler cela, parce qu'une fois
que vous aurez signé ce sont les juges de la Cour suprême qui vont
décider.
Je me permets de conclure pour dire au ministre que cela fait
suffisamment de fois, je pense, qu'on l'entend réduire l'article 133
à sa plus simple expression comme si, à toutes fins utiles, le
grand progrès de civilisation qu'on a connu par l'article 133, c'est de
permettre à des gens de parler anglais ici alors qu'en Alberta ils ne
peuvent pas encore le faire... C'est plus que cela. L'article 133, ce sont des
limites concrètes à la loi 101 et à la capacité de
la collectivité québécoise par son Assemblée
dûment élue démocratiquement de décider de notre
avenir
linguistique, comme l'est l'article 23, comme l'est l'article 6, comme
l'est l'article 27, comme l'est la notion de liberté d'expression dans
la charte canadienne qui sera invoquée. Me Duplé, à 18 h
10, nous dit - Me Duplé, de l'Université Laval, a remplacé
le ministre à la Direction des conférences internationales de
droit constitutionnel - que, pour elle, la notion de société
distincte ne l'emporterait pas dans le cas de la langue d'affichage...
Le Président (M. Marcil): En conclusion, M. le chef de
l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): ...et que ce qui l'emporterait, c'est
précisément la liberté d'expression et que la notion de
société distincte ne changerait rien à cela parce qu'il y
a une obligation impartie à notre Parlement: celle de respecter la
dualité canadienne telle que définie dans l'accord du lac
Meech.
En conclusion, je me permets de remercier, encore une fois, ces
étudiants, ces représentants des cégeps du Québec
qui sont venus témoigner devant nous en ayant très peu de temps
pour se préparer. En dépit de cela, je pense qu'ils ont fait une
prestation dont leurs collègues, leurs confrères et leurs
consoeurs peuvent être fiers.
Le Président (M. Marcil): Merci, M. le chef de
l'Opposition et député d'Anjou.
Je reconnaîtrai maintenant M. le ministre. Il vous reste sept
minutes.
M. Rémillard: Oui, M. le Président. Lorsqu'on parle
de l'article 133 de la constitution de 1867, on parle du bilinguisme
institutionnel: le bilinguisme à l'Assemblée nationale et le
bilinguisme au Parlement du Canada, le bilinguisme dans la langue
utilisée dans les débats, dans les documents de
l'Assemblée nationale ou du Parlement et le bilinguisme des tribunaux.
Ce bilinguisme, nous l'acceptons. Nous aimerions même que l'article 133
puisse s'appliquer à l'Ontario. L'Ontario n'est pas une province
officiellement bilingue par la constitution et nous espérons que, dans
un avenir proche, elle pourra être liée par l'article 133. Donc,
non seulement, nous ne refusons pas pour nous l'article 133 parce que nous
sommes conscients que cette minorité anglophone qui est la nôtre
est un apport pour la société québécoise et qu'on
doit lui conserver ses droits, protéger ses droits... Nous
considérons que la minorité anglophone au Québec n'a pas
la même situation que la minorité francophone hors Québec.
Dans le cas de l'article 133, nous aimerions qu'il puisse s'appliquer
également en Ontario. II y a une seule province qui est bilingue au
Canada, c'est le Nouveau-Brunswick, si on veut parler sur le plan
constitutionnel des textes, en vertu de l'article 16 et suivants de la Loi
constitutionnelle de 1982. (21 h 15)
À l'article 23 concernant la clause Canada, il faut bien
comprendre - le chef de l'Opposition l'a bien fait valoir tout à
l'heure; il a parfaitement raison, il s'est référé
à ce que la Cour suprême a appelé "l'intention du
constituant." Cela, c'est très intéressant parce que cela aura
beaucoup d'importance dans ce que nous allons discuter un peu plus tard, ce
soir, lorsque nous parlerons des règles d'interprétation. La Cour
suprême, pour interpréter la constitution, se réfère
à l'intention du constituant. Elle se demande: Qu'est-ce qu'ont voulu
dire ceux qui ont écrit cette constitution? Lorsqu'elle aura à
interpréter cette entente du lac Meech qui deviendra partie de notre
constitution - parce que peu importe le travail qu'on pourra faire, même
si nous sommes extrêmement méticuleux, on ne peut pas tout
prévoir, c'est impossible; il y aura toujours des ambiguïtés
- le tribunal devra interpréter cette partie de la constitution qu'on
ajoutera comme il a à interpréter l'ensemble de la constitution.
À ce moment-là, il pourra se référer à
l'intention du constituant. L'intention de l'article 23 était de donner
des droits aux minorités nationales linguistiques: francophones hors
Québec et anglophones ici au Québec. Comment peut-on être
en désaccord avec cet article 23 si on accepte de vivre dans une
fédération canadienne? Même le fondateur du Parti
québécois, M. Lévesque, était en faveur de la
clause Canada. Il l'écrit dans son livre.
Une voix: Dans la loi 101.
M. Rémillard: II l'écrit dans son livre. Tout ce
qu'on dit, c'est que le Québec a compétence sur sa langue et le
Québec a cette compétence qui sera confirmée par une
règle d'interprétation obligatoire. Je refuse de spéculer
sur un cas qui est devant les tribunaux, la langue d'affichage. Le chef de
l'Opposition, qui a été ministre de la Justice sait de quoi je
parle. Il ne nous appartient pas ici de spéculer sur
l'interprétation que pourrait donner la Cour suprême par
l'utilisation de différentes clauses au moment où la Cour
suprême est saisie de cette affaire. Il ne faudrait pas se servir d'une
immunité parlementaire que nous avons ici en commission
parlementaire...
Des voix: Ha! Ha!
M. Rémillard: ...et de s'en servir pour s'ingérer
dans un système judiciaire qu'on doit protéger et respecter, et
le chef de l'Opposition, comme ancien ministre de la Justice, devrait le
comprendre.
M. Johnson (Anjou): On devrait protéger le Parlement
aussi.
M. Rémillard: Je ne comprends pas... M. le
Président, s'il vous piaît!
Le Président (M. Marcil): S'il vous plaît!
M. Rémillard: Je ne comprends pas et je vois la
réaction du chef de l'Opposition qui, tout à coup, s'excite parce
que je touche un point sensible et je le sais que je touche un point sensible.
Il a été ministre de la Justice et je ne peux pas comprendre
comment le chef de l'Opposition peut se référer directement aune cause qui est pendante devant les tribunaux, devant la Cour
suprême, pour appliquer des principes que nous discutons ici et
s'ingérer directement dans un processus judiciaire.
M. Johnson (Anjou); Parce que vous ne savez pas, c'est quoi
l'immunité parlementaire.
Le Président (M. Marcil): S'il vous plaît, M. le
chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): On est des élus du peuple. On a le
droit.
M. Rémillard: Je sais ce que c'est que notre
système judiciaire et j'ai assez confiance et je respecte assez notre
système judiciaire pour ne pas m'ingérer comme politicien dans ce
système-là.
M. Johnson (Anjou): Mais vous avez l'immunité
parlementaire.
M. Rémillard: Je voudrais terminer en vous remerciant
d'être venus témoigner devant nous et j'espère que vous
allez continuer à vous intéresser à ces questions
constitutionnelles. Je vous remercie.
Le Président (M. Marcil): Merci, M. le ministre.
Mme Saint-Pierre et M. Plourde, de même que Mme Brisson, nous vous
remercions beaucoup de vous être présentés à cette
commission.
Maintenant, nous allons procéder immédiatement à la
présentation de l'Alliance des professeurs de Montréal. Je
demanderais aux représentants de l'Alliance des professeurs de
Montréal de s'avancer, s'il vous plaît.
Alliance des professeurs de Montréal
Nous allons reprendre. L'Alliance des professeurs de Montréal est
représentée par Mme Lorraine Pagé, présidente, M.
Denis Grenon, vice-président - il est absent - et M. Daniel Choquette
également du conseil syndical.
Vous êtes madame?
Mme Drouin (Louise): Louise Drouin, vice-présidente de
l'alliance.
Le Président (M. Marcil): Louise Drouin,
vice-présidente. Nous vous souhaitons la bienvenue à cette
commission parlementaire. Je vous explique les règles. Vous avez 20
minutes pour votre exposé et 40 minutes sont laissées aux deux
formations pour intervenir.
Je vous demanderais de débuter immédiatement. Merci.
Mme Pagé (Lorraine): Parfait. Je commencerai en vous
disant que j'ai remplacé deux hommes par une femme dans notre
délégation. Cela allait nécessairement de soi.
Tout d'abord, je voudrais rassurer tout le monde sur ma
légitimité. Je viens d'être réélue par
acclamation à la tête de L'Alliance des professeurs de
Montréal. De plus, je présente ce soir le point de vue de
l'alliance qui a été développé à maintes
reprises au cours des dernières années, qui a fait l'objet de
débats dans nos rangs et qui a amené l'ensemble des enseignants
et des enseignantes que je représente à établir un
très large consensus sur cette question que je vais vous
présenter.
La dernière fois que je suis venue devant cette commission
parlementaire, c'était au moment où le premier ministre du temps,
M. Pierre Elliott Trudeau, nous parlait de rapatriement de la constitution.
J'avais abordé trois aspects du rapatriement de la constitution:
l'aspect linguistique, les structures scolaires confessionnelles et les
ingérences du fédéral dans l'éducation.
Voulez-vous bien me dire ce qui a changé? On est six ans plus
tard. Il y a, paraît-il, une entente qui va régler nos
problèmes et je vais vous parler des mêmes choses qu'il y a six
ans.
Vous me permettrez, en débutant, de vous signaler qu'il peut y
avoir quelques fautes dans le texte que nous vous remettons. Je m'en excuse.
J'ai appris ce matin en lisant La Presse que j'étais entendue
finalement en commission parlementaire. J'ai eu la confirmation vers 10 h 30.
Cela a été plutôt la course folle dans les bureaux et sur
l'autoroute 20. Je m'excuse s'il y a des lacunes dans le français
écrit. J'essaierai à tout le moins qu'il n'y en ait pas dans le
français parlé.
D'abord, je veux dire à la commission que je ne suis pas une
spécialiste du droit constitutionnel, que je ne suis pas une savante
juriste. Je suis une enseignante et c'est à titre de responsable de
l'éducation de la génération montante, au seul titre,
donc, d'experte en éducation, que j'ai sollicité de pouvoir vous
rencontrer pour vous faire valoir le point de vue des enseignants et des
enseignantes de Montréal sur la question du
débat constitutionnel, même si je me place à la
suite d'experts en droit constitutionnel, en sociologie ou en sciences
politiques.
La prétention de ma démarche serait de vous dire que je
viens vous présenter un mémoire. Je viens tout simplement vous
présenter un avis, faire une intervention publique, légitime et
nécessaire.
Au préalable, je tiens à vous dire que la première
réaction de l'alliance quand le gouvernement a fait connaître son
intention d'entreprendre les pourparlers constitutionnels a été
de dire que les cinq conditions posées étaient insuffisantes.
Nous disons donc maintenant que, les conditions étant insuffisantes,
l'entente ne peut être qu'insatisfaisante.
Le premier aspect que je voudrais traiter, c'est de dire que c'est une
question dite nationale. Pourquoi "dite nationale"? Parce que, même si
nous sommes tous conscientes et conscients que c'est une question vitale pour
l'avenir du peuple québécois, tous les analystes s'accordent
à dire que le débat constitutionnel laisse actuellement la grande
majorité de la population dans l'indifférence. Cela n'a pas
toujours été le cas et nous craignons fort que cette
indifférence ne résulte de la partisanerie qui, trop souvent et
régulièrement, caractérise les interventions politiques
sur cette question.
Si le peuple est absent de ce débat sur son avenir, c'est parce
qu'il en est exclu; exclu comme on l'était avant d'exiger d'y
participer; exclu par l'hermétisme des discours techniques d'experts;
exclu par l'empressement de signer au plus vite sous prétexte que la
conjoncture est favorable; exclu par la nature même de cette consultation
réservée à une commission parlementaire.
Le premier reproche que nous tenons à faire, c'est que le
débat constitutionnel se déroule en vase clos alors qu'il s'agit
de l'avenir de la nation, qu'il se déroule en
accéléré sur les écrans de télévision
pour spectatrices et spectateurs. Pourtant, les citoyennes et les citoyens que
noua sommes avons des choses toutes simples à dire dans ce débat,
des choses qui nous concernent, des choses qui compromettent l'éducation
des Québécoises et des Québécois et qu'on a
oublié ou refusé de considérer parce qu'on était
trop pressé.
Nous avons des questions à poser et nous avons des mises en garde
à faire avant qu'il ne soit trop tard mais, comme je l'ai dit, je ne
suis pas une savante juriste. Je vais donc limiter mon propos aux questions qui
nous interpellent, c'est-à-dire l'éducation
particulièrement.
Nous parlerons donc des droits confessionnels dans les structures
scolaires à Montréal, de la question linguistique à
Montréal et de l'intervention du gouverne- ment fédéral en
matière d'éducation au Québec.
Pour vous situer un peu, je suis rendue à la page 8 du texte.
Alors, l'éducation à Montréal. Je vais tout d'abord vous
décrire ce milieu scolaire montréalais où 100 000
élèves fréquentent les écoles publiques de la CECM.
Des enfants, les miens, mes filles, les vôtres peut-être, des
petits Québécois, des petites Québécoises dont les
parents sont nés et ont grandi ici. D'autres, d'origine anglophone, qui
reçoivent l'éducation dans la langue de leurs parents dans des
écoles publiques, pas à cause du pacte de 1982, mais en vertu
d'une tradition d'ouverture et de générosité du peuple
québécois francophone. Mais aussi de plus en plus d'enfants de
nos écoles qui viennent d'autres souches que celles qui constituent ce
que vous nommez la dualité canadienne. Dans quelques années, ces
jeunes immigrants et immigrantes constitueront la majorité des
élèves de nos écoles montréalaises. C'est tout un
défi autour duquel nous devons assumer des responsabilités. Ces
responsabilités, c'est de les accueillir, bien sûr, mais de les
garder chez nous, de les éduquer dans ce but. L'enjeu est
économique. Ces Néo-Québécois viennent compenser
pour la baisse de la natalité, mais l'immigration est aussi sociale et
politique. C'est d'ailleurs pour cela que le gouvernement a toujours tenu, quel
qu'il soit d'ailleurs, à inscrire dans toute entente constitutionnelle
le droit du Québec à contrôler les paramètres de son
immigration, mais il est évident que ce droit de regard sur
l'immigration perd son sens s'il n'est pas assorti de droits équivalents
en matière d'éducation.
Deuxième aspect que j'aborde, page 11: la question
confessionnelle. Le professeur Dumont, la semaine dernière, disait ici
que la religion catholique n'est plus un critère de la
spécificité québécoise. Le phénomène
d'immigration peut l'expliquer en partie, mais c'est surtout la mutation
sociale, l'évolution des mentalités, de la pratique religieuse de
la majorité des Québécoises et des Québécois
d'origine qui justifient cette transformation sociale.
Or, à Montréal, les structures scolaires publiques sont
établies exclusivement sur le critère religieux au profit des
catholiques d'une part, des protestants d'autre part. Et cela est garanti par
l'article 93 de la constitution de 1867, reconduit par l'article 22 de
l'amendement constitutionnel de 1982.
Ce double système scolaire fondé sur les droits
confessionnels accuse maintenant de sérieuses lacunes. D'une part, les
écoles du réseau catholique accueillent des élèves
francophones et anglophones dans deux secteurs parallèles. Elles
intègrent de plus en plus d'immigrants. D'autre part, le réseau
protestant, qui était traditionnellement réservé aux
anglophones ouvre maintenant ses
portes toutes grandes aux francophones.
Je tiens à vous dire que d'ici quelques années le
réseau protestant sera en majorité formé de francophones
dirigés par des anglophones. Cela sera pire qu'au Manitoba. (21 h
30)
Vis-à-vis de cet enchevêtrement de structures dont les
coûts économiques et sociaux sont énormes, une seule
solution s'impose: restructurer le système scolaire
québécois sur la base du critère linguistique pour
respecter le droit de la minorité anglophone en affirmant la
primauté du français à l'école. Cette
réforme, nous la réclamons depuis 1969. M. Saint-Pierre, ministre
libéral de l'Éducation en 1971, en traitait. Le gouvernement
connaissait ce problème au moment de rédiger les cinq conditions
de son adhésion à la constitution. Malgré nos demandes
répétées, malgré la connaissance du problème
que le gouvernement a, il a fait la sourde oreille et est demeuré
silencieux. De plus, la formule d'amendement qui est prévue nous permet
d'affirmer que les structures scolaires seront dorénavant encore plus
figées dans le béton, que ce sera confessionnel encore pour
longtemps. En n'apportant pas de solution à ce problème, le
projet du lac Meech ne peut recevoir notre adhésion. Ce que je suis venu
vous dire ce soir, c'est qu'il y a un problème sérieux, un vieux
problème, et que l'entente que vous avez conclue ne règle pas ce
problème. Au contraire, elle va le perpétuer.
Page 15, la question linguistique. C'est bel et bien la langue
française qui caractérise la spécificité
québécoise. C'est ce qui structure la pensée, ce qui
véhicule la culture. Les enseignants et les enseignantes le savent
d'expérience à force de combattre quotidiennement l'anglicisation
et l'américanisation des jeunes. Savez-vous que, dans certaines
écoles secondaires françaises de Montréal - pour ne pas en
nommer, Lucien Pagé - on parle davantage l'anglais que le
français à la cafétéria et dans les couloirs? C'est
l'indice de l'émergence d'une nouvelle culture au confluent des races
qui cherche un discours intégrateur que la langue française ne
parvient pas à imposer.
Pourquoi? Parce que celles et ceux qui accueillent les
Néo-Québécois n'ont pas assez souvent la fierté de
ce qu'ils sont ni de modèle à cultiver. La tolérance du
gouvernement à l'endroit des contrevenants à la loi 101 en
matière d'affichage est d'ailleurs éloquente. Vous me direz que
l'affichage n'a rien à faire avec l'éducation. Je vous
répondrai que c'est parce que vous n'êtes pas des enseignantes et
des enseignants.
La qualité de l'enseignement que nous dispensons est tributaire
de l'environnement socio-linguistique dans lequel nous le dispensons. Notre
garantie, notre appui, c'était la loi 101, des prescriptions
énergiques et le droit exclusif du Québec de
légiférer dans les questions linguistiques. Rien dans le projet
du lac Meech ne vient assurer le Québec dans son pouvoir de
légiférer en matière linguistique. Même le
constitutionnaliste Beaudoin avouait devant cette commission que les limites
imposées au pouvoir du Québec en matière de
législation linguistique par le pacte de 1982 ne seront pas
élargies par la reconnaissance de la spécificité
québécoise. Comment assurer ce caractère distinct du
Québec sans possibilité de contrôler la politique
linguistique? La contradiction est flagrante et elle devient même
choquante.
S'il doit y avoir un véritable accord constitutionnel, il faudra
qu'on y reconnaisse la volonté du peuple québécois de
sauvegarder son identité et au premier chef la langue française.
Je sais bien que de savants juristes, qui sont d'ailleurs ministres, disent
que, quand on définit, on rétrécit. Moi, je vous dirai que
j'ai négocié des conventions collectives, je ne suis pas une
juriste, mais je sais que, quand on dit notamment et entre autres, ça
permet de préciser sans limiter.
Le pouvoir de penser, dernière partie. Le droit de
légiférer en matière linguistique n'est pas le seul
pouvoir qui nous semble menacé par le projet d'entente du lac Meech.
L'éducation et les affaires sociales sont des domaines de
compétence provinciale prétendument exclusive. Le Québec
s'est prévalu de ce pouvoir sous tous les gouvernements pour se doter au
cours du dernier quart de siècle d'institutions et de programmes qui
traduisent sa spécificité culturelle au sens large. Il n'a pas
toujours été aisé de résister à
l'ingérence du gouvernement fédéral dont le pouvoir de
dépenser se mesure à son pouvoir fiscal.
Dans le domaine de l'éducation, on pourrait parler de
l'intervention du gouvernement fédéral au niveau de
l'enseignement universitaire qui rend ardu le fait de maintenir une politique
provinciale cohérente. En multipliant les programmes de commandites ou
de subventions, il rend difficiles l'établissement et le respect des
priorités du Québec en matière de recherche et de
développement de son réseau. Mais il y a plus près de nous
le secteur de l'éducation des adultes qui est géré par les
commissions scolaires où c'est le brouhaha le plus complet, le
mélange le plus total et je dois dire, à cet égard, que
tous les gouvernements qui se sont succédé depuis dix ans au
Québec n'ont pas contribué à régler le
problème.
Le projet du lac Meech vient clairement sanctionner cette pratique et
conférerait désormais au gouvernement central le droit
d'intervenir par le biais de programmes partagés dans les domaines de
compétence provinciale. Parce que le
gouvernement fédéral est déjà dans le
domaine de l'éducation, il pourra continuer à y être. Nous,
ce que nous disons, c'est que c'est un problème qu'il y soit. Alors,
arrangez-vous pour le sortir du domaine de l'éducation et, après
cela, vous signerez quelque chose qui lut donne le droit de continuer dans les
domaines où il est présent.
Page 22, en conclusion. Comme vous le voyez, j'ai essayé de
limiter vraiment mon intervention aux sujets que je connais mieux, ceux que je
vis quotidiennement, ceux que les enseignantes et les enseignants de
Montréal vivent quotidiennement. Nous vous demandons de ne pas signer
une entente constitutionnelle fondée sur le projet élaboré
au lac Meech. Nous revendiquons un nouveau projet qui nous permettrait de
répondre, de satisfaire, de trouver des solutions aux problèmes
que nous vous avons identifiés, un projet qui serait
préparé au Québec et soumis, par voie démocratique,
au peuple québécois et à l'Assemblée nationale.
En terminant, je vous dirai que ce qui fait la grande différence
entre le Canada et les États-Unis, c'est le Québec. Et quand on
veut faire du Québec une province comme les autres, on fait du Canada un
satellite des États-Unis. Et quand on veut mettre le Québec sur
le même pied que l'Île-du-Prince-Édouard - vous m'excuserez
le jeu de mots - je pense qu'on est dans les patates.
Le Président (M. Marcil): Merci, Mme Pagé. M. le
ministre, vous avez 20 minutes de chaque côté pour la
période de questions.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. Mmes
Pagé et Drouin, je veux vous remercier de vous être
déplacées et de venir témoigner devant nous. Vous avez
terminé d'une façon particulièrement éloquente, Mme
Pagé, en disant que lorsque l'on compare -je vois que le chef de
l'Opposition quitte la table - le Québec et qu'on le met sur le
même pied que l'Île-du-Prince-Édouard, on est dans les
patates. Eh oui! le 16 avril 1981, c'est ce que le Parti
québécois, le gouvernement péquiste a fait. Ces gens ont
fait en sorte que le Québec s'est retrouvé...
Des voix: Dans les patates.
M. Rémillard: ...sur le même pied que
l'Île-du-Prince-Édouard et que toutes les autres provinces.
Une voix: Dans les patates.
M. Rémillard: Et c'est dans ce contexte-là qu'il a
fallu négocier pour tenter de récupérer les droits
historiques du Québec.
Il y a certaines choses que vous avez dites et sur lesquelles j'aimerais
revenir très brièvement, Mme Pagé, si vous me permettez.
J'aimerais revenir sur certains aspects de votre intervention, entre autres, en
ce qui regarde la définition que vous aimeriez qu'on apporte à ce
concept de société distincte. À peu près tous les
juristes que nous avons consultés jusqu'à présent - ils
sont plus d'une quinzaine - parmi les plus éminents au Québec et
au Canada nous disent qu'il ne faut pas définir parce qu'on limite.
Même si, comme vous mentionnez, on ajoute le mot "notamment" ou "entre
autres", les dangers sont là très présents de limiter la
portée de ce caractère particulier du Québec, que nous
voulons quand même le plus complet possible, bien sûr, en fonction
du fait que le Québec est distinct par sa langue, par sa culture, mais
aussi par son système d'éducation, par son système
judiciaire, son Code civil, par sa façon d'être, en fait, par un
ensemble de facteurs qui font que le Québec est distinct.
Donc, ce que je voudrais simplement vous souligner, Mme Pagé,
c'est que même en ajoutant "notamment" et "entre autres", il y a
d'énormes dangers de restreindre la portée de ce caractère
distinct et cela pourrait être une erreur historique que de limiter la
portée de ce caractère distinct qu'enfin nous voyons dans la
constitution canadienne.
Vous abordez, dans votre mémoire, l'importante question de
l'immigration. Vous avez sans doute regardé l'entente du lac Meech et
vous avez vu que le Québec, par cette entente, récupère le
droit de sélectionner les immigrants qui demandent à immigrer au
Québec de l'extérieur du pays, d'un autre pays, et aussi le droit
de sélectionner les immigrants qui sont déjà sur place par
une entente avec d'autres pays. Cela peut être des étudiants, des
gens en stages, des touristes, même, différentes personnes qui
sont déjà ici. C'est 30 % de nos immigrants, à peu
près. Et aussi - et cela, c'est un point très important, Mme
Pagé - nous acquérons le droit et la juridiction de pouvoir
prendre les mesures d'intégration nécessaires pour donner
à ces gens le goût de demeurer au Québec. Vous savez que
près de 50 % de nos immigrants décident, à un moment
donné, de quitter le Québec pour une autre province. Cela veut
dire de l'éducation, des cours de langue, de la formation, la
possiblité de les intégrer à la société
québécoise. Vous me disiez: Attention, il faut relier cela
à l'éducation! Oui, il y a une relation directe qui se fait avec
l'éducation. La situation qu'on vivait actuellement avec la
compétence qui appartenait au gouvernement fédéral, c'est
que le travailleur pouvait avoir des cours de langue, mais la mère de
famille qui restait à ta maison avec les enfants n'avait pas de cours de
langue, elle était marginalisée, elle ne pouvait pas
s'intégrer. Les enfants, par le
fait même, avaient de la difficulté à
s'intégrer à la société québécoise.
Enfin, nous allons avoir les pouvoirs de prendre les moyens nécessaires
pour intégrer ces immigrants qui viennent avec nous relever le
défi de notre société. Voilà un point
particulièrement important.
En ce qui regarde la question de l'éducation d'une façon
générale, vous soulevez plusieurs questions. Ce que je peux vous
dire, c'est qu'on en a parlé avec M. Charbonneau, de la CEQ, au cours de
cette journée. On a parlé des problèmes que peut poser
l'article 93 de la constitution. On a parlé des problèmes que
peut causer à bien des niveaux la possibilité d'intervention du
fédéral. Il faut comprendre qu'on n'a pas tout
réglé avec l'entente du lac Meech. Ce n'était pas cela, le
but. On avait cinq conditions, et, pour nous, c'est la base. À partir de
cela, on pourra construire. Dans une deuxième étape de
négociations, on va aborder d'autres sujets. Cela pourrait être
éventuellement un sujet qu'on devrait aborder, comme d'autres qui sont
de grandes préoccupations pour le gouvernement québécois
en ce qui regarde le partage des compétences législatives. Au
départ, on voulait y aller étape par étape. Dans l'entente
du lac Meech, il y a de prévu cette deuxième étape de
négociations constitutionnelles qui va débuter dès que la
première sera terminée, ce qui veut dire dès l'automne
prochain. On se retrouvera à une table de négociations, on
discutera du Sénat, on discutera des pêcheries et on discutera
d'autres sujets qui sont importants pour les provinces. Parmi bien des sujets
qui sont importants pour les autres provinces et qui le sont aussi pour le
Québec, je vous donne un sujet qui regarde aussi l'éducation, les
communications, qui sont une priorité aussi pour toutes les autres
provinces et qu'on va retrouver en priorité comme ordre de discussion
dans la deuxième étape de négociations. On pourrait
éventuellement parler aussi d'éducation, bien sûr. Ce que
je peux vous dire, Mme Pagé, c'est qu'on n'a pas tout
réglé au lac Meech, on en est très conscient, mais ce
qu'on a réglé, on est convaincu qu'il s'agit là d'une base
extrêmement solide et de gains historiques pour le Québec.
Une voix: Vous pouvez réagir, madame.
Mme Pagé: Je peux réagir?
Le Président (M. Filion): Certainement.
Mme Pagé: Ce que j'ai compris, M. Rémillard, c'est
ceci: des cinq conditions que le gouvernement posait, il y en a deux qu'il ne
me semble pas régler de façon satisfaisante. Sur l'aspect de la
société distincte, vous m'avez tout expliqué dans votre
grand discours de juriste que j'ai entendu aussi tantôt. Je garde les
mêmes appréhensions, surtout quand on entend ce qui se dit dans
les provinces anglophones. Peut-être que cela limite quand on
écrit, en tout cas, cela empêche le monde de dire le contraire
quand on parle dans des langues différentes. En anqlais, il se dit une
chose et, en français, il s'en dit une autre. Sur le problème de
l'éducation, vous me dites qu'il y a un lien à faire entre
l'immigration et l'éducation, je vous l'ai dit dans le document, oui, il
y en a un à faire. Mais le fondement de notre système scolaire au
Québec, il est vicié. Commencer à construire une maison
par le toit, je n'ai jamais vu cela. On commence par le bas. (21 h 45)
Vous avez beau me dire qu'il va y avoir une deuxième
étape, d'après ce que j'ai lu - je n'ai pas vu les textes
juridiques, c'est vrai, ils ne sont pas écrits - la liste des sujets
dont on va discuter prochainement, au cours des prochaines étapes, ne
mentionne pas l'article 93. Si vous voulez m'en parler dans 20 ans, dans 25
ans, je veux bien, je ne serai plus dans l'enseiqnement, mais le
problème va continuer de grossir pendant ce temps. C'est dans trois ans
qu'on aura 51 % d'immigrants dans les écoles de Montréal, pas
dans 20 ans. On est rendu à 35 % de la clientèle scolaire qui est
immigrante. Là, je ne parle pas des transformations sociales que
connaissent nos Québécoises et nos Québécois de
souche, pour employer cette expression. Je trouve anormal qu'un problème
connu depuis des années de tous les gouvernements - qu'ils aient
été bleu, rouge, jaune, vert, tous les gouvernements ont
été conscients du problème de l'article 93 - je ne
m'explique pas, je ne comprends pas qu'on n'ait pas mis ce sujet dans la
première étape des discussions.
Le menu constitutionnel est fait pour plusieurs années et la
formule d'amendement est telle que, à notre avis, les structures
confessionnelles sont là encore pour des décennies. C'est une
solution que vous n'apportez pas avec l'entente du lac Meech.
Le Président (M. Filion): Merci, Mme Pagé. M. le
ministre a terminé, je reconnais maintenant M. le chef de
l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Mme Pagé, merci de votre exposé
clair, limpide. Je me permets de répéter ici un certain nombre de
réserves parce que je sais que vous n'avez appris que ce matin que vous
pouviez venir témoigner devant notre commission, grâce à la
conception de démocratie accélérée du
gouvernement.
Deuxièmement, je suis conscient que vous avez apporté une
contribution tout à fait particulière et remarquable sur la
dimension de l'éducation dans votre mémoire.
Cela fait déjà quelques jours que je constate que les gens
de votre côté de la table ne se répètent pas au fur
et à mesure qu'ils viennent, disons que c'est plus de ce
côté-là que cela se répète; je veux bien
reconnaître que cela m'arrive aussi de temps en temps, mais disons que
c'est surtout une caractéristique du ministre.
Une voix: On est très distinctifî
M, Johnson (Anjou): En ce sens, la contribution que vous
apportez, je la vois à deux niveaux. D'une part, vous dites, comme bien
d'autres, qu'en dépit des savants exposés du ministre sur la
nécessaire non-limitation de la société distincte sur ia
question linguistique, cela ne vous rassure pas. Ne vous en faites pas, madame,
vous n'êtes pas la seule, vous êtes un club de plus en plus large
au Québec qui considérez que le gouvernement est en train de nous
engager dans l'incertitude des sables mouvants du lac Meech. On a
pénétré un peu à la surface, on est dans la glaise
jusqu'aux genoux autour de la société distincte.
Deuxièmement, vous avez des appréhensions considérables
sur le pouvoir de dépenser et, troisièmement, vous
considérez que les demandes du gouvernement, au départ,
étaient insuffisantes. Il ne faut donc pas s'étonner du fait que
l'entente est insatisfaisante, comme vous le dites dans votre
mémoire.
Je crois que la contribution que vous apportez de façon plus
spécifique, c'est celle autour de cette question de ce que vit en ce
moment, non pas comme vous dites dans 20 ans, mais en ce moment et dans les
quelques années qui viennent, dans les trois, quatre, cinq ans qui
viennent, dans tout le monde scolaire, notamment le monde scolaire
montréalais, à cause, d'une part, de la présence des
nouveaux arrivants dans nos écoles, de la proportion de plus en plus
grande de nouveaux Québécois qui arrivent chez nous, des
immigrants canadiens qui arrivent dans nos écoles. Ils
représentent une proportion de plus en plus élevée des
clientèles scolaires, compte tenu d'une chute remarquable,
évidente et très sensible des enfants en âge de
fréquenter l'école qu'on constate depuis un certain nombre
d'années déjà, à cause du phénomène
de la dénatalité.
Vous dites que ce n'est pas dans 20 ans qu'il faut régler cela.
Je sais que le ministre nous servira encore des arguments comme: Oui, mais ce
n'étaient pas les propositions de 1985, l'affaire de l'article 93. Je
suis parfaitement au courant de cela, d'autant plus qu'à l'époque
je pense qu'on s'en était parlé et qu'on avait dit: Oui, on avait
la loi 3, on était devant les tribunaux, on espérait gagner, puis
tant mieux; si on ne gagnait pas, c'était clair que cela reviendrait
dans le dossier, dans le cadre du type d'échéancier qu'on
proposait.
Une voix: ...
M. Johnson (Anjou): Oui, effectivement, je
référerai le ministre à certaines lectures de
l'époque, lui qui conseille beaucoup aux gens de faire des lectures.
J'aimerais peut-être vous entendre un peu démontrer ce qui
est évident pour moi, peut-être à cause de la
réflexion que j'ai dû y apporter, j'aimerais que vous refassiez
avec un peu plus de détails cette démonstration de ce qui est en
train d'arriver avec les systèmes anglo-protestant et franco-catholique
de Montréal et l'introduction dans tout cela des nouvelles
clientèles immigrantes et les conséquences de tout cela,
d'où la nécessité de revendiquer non pas dans 20 ans, mais
dès maintenant, d'agir pour qu'on se donne des instruments pour y faire
face sur le plan constitutionnel.
Mme Pagé: En 1867, les choses étaient très
simples: on était français et catholique ou anglais et
protestant. Le malheur ou la chance, c'est qu'on est rendu en 1987. II y a donc
de l'eau qui a coulé sous les ponts et la société
québécoise, particulièrement la société
montréalaise, s'est qrandement modifiée.
Que retrouvons-nous maintenant dans nos écoles? Nous avons un
système, la Commission des écoles catholiques de Montréal,
qui gère deux services parallèles: un service francophone et un
service anglophone. Du côté anglophone, anglo-catholique,
disons-nous, la majorité des élèves est, dans les faits,
constituée d'enfants italophones. C'est une génération
d'immigrants qui se sont véritablement anglicisés. C'était
il y a quelques années, me direz-vous, mais c'est quand même la
réalité.
De l'autre côté, nous avons le réseau des
écoles françaises de la CECM qui accueille, au moment où
je vous parle, 35 % d'enfants immigrants, quelque chose comme 90
nationalités différentes. Du côté protestant, cela
fait longtemps qu'on a cessé d'être protestant et anglophone et on
a de plus en plus d'enfants francophones. Alors que dans le réseau
francophone on se dit: Nous aurons une majorité d'enfants immigrants,
dans le réseau protestant, on se dit: D'ici quelques années, nous
aurons une majorité d'enfants francophones. Pourquoi? Parce que ces
enfants-là, compte tenu de la modification des valeurs familiales,
religieuses et culturelles, choisissent de ne pas fréquenter
l'école catholique française, mais bien d'aller dans le
réseau protestant qui est beaucoup plus pluraliste sur le plan de la
religion.
Nous nous retrouvons donc avec, dans la seule ville de Montréal,
quatre réseaux scolaires: un franco-protestant, un anglo-protestant, un
franco-catholique et un anglo-catholique. De plus, dans le réseau
protestant... II y a eu des articles de journaux de publiés
à cet effet, que vous pourrez lire quand vous en aurez le temps, entre
autres, une enquête du journaliste André Noël de La Presse
qui montre qu'au PSBGM, par exemple, où le nombre d'enfants
francophones augmente et est sous le seuil de la majorité, ils sont
vraiment traités comme des citoyens de seconde zone. Tous les
commissaires sont anglophones, on a de la difficulté à avoir les
textes officiels de la commission scolaire en français. C'est la
situation actuelle à Montréal.
Depuis plusieurs années, nous réclamons comme intervenants
dans le monde scolaire de Montréal, que nos structures scolaires soient
adaptées à la réalité du Québec. Nous avons
toujours eu une oreille très sympathique à notre endroit. On a
toujours dit: Oui, c'est vrai, madame, il y a véritablement un
problème. Mais, que voulez-vous, c'est la constitution! Alors, on
repartait avec notre petit paquet en disant: Que voulez-vous, c'est la
constitution! On a rapatrié la constitution, on s'est dit: Bon, enfin,
ils rapatrient la constitution, on va en profiter pour changer cela. Mais non,
on l'a laissé. Là, on dit qu'il y a des pourparlers
constitutionnels. On dit: Bon, enfin, il y a des pourparlers, ils vont le
régler. Mais non, on ne règle pas le problème encore.
Alors, je vous pose la question: Quand allez-vous le régler? Quand?
M. Johnson (Anjou): Mme Paqé, je pense que votre
exposé est clair. Je pense qu'il interroge le gouvernement sur deux
choses. D'une part, est-ce qu'on est conscient de ce qui est en train de se
passer dans le système scolaire et des effets à moyen et à
long terme que cela va produire dans le plus grand centre du Québec, qui
est Montréal? Deuxièmement, vous interrogez le gouvernement sur
quelque chose de très précis: Est-ce qu'il faut considérer
que, dans le "second round", le deuxième "round" comme dit le ministre,
du lac Meech, l'article 93 va être mis en discussion? À notre
connaissance, ce que dit le deuxième "round", c'est le Sénat...
Une voix: Les pêches.
M. Johnson (Anjou): ...et les pêches, pour M. Peckford. Le
reste, évidemment, c'est la clause "grand-père" habituelle, comme
on le dit dans le jargon des relations fédérales-provinciales au
Canada, soit "toute autre question dont on aura convenu." Le problème,
c'est: "dont on aura convenu". Voyez-vous? D'abord, cela présupposerait
que le gouvernement sait ce qu'il veut et nous, nous essayons de savoir cela
depuis un certain nombre de mois déjà et nous ne l'avons pas
obtenu. Deuxièmement, je me permets de croire que nous ne le saurons pas
tellement plus pour l'article 93, compte tenu du fait que l'actuel ministre de
l'Éducation semble avoir fait son choix, lui, soit le maintien des
structures confessionnelles plutôt que des demandes qui permettraient au
Québec de faire face à l'avenir de notre monde scolaire sur une
base qui est celle du bon sens, la base linguistique. Je peux même me
permettre, madame, d'anticiper ce que sera la réponse éventuelle
du gouvernement à cela.
Le ministre, ici, va se permettre de parler sans mandat, mais ce n'est
pas grave; il va le corriger le lendemain et on va faire comme si rien ne
s'était produit, comme d'habitude. Mais je peux même vous dire,
quant à l'article 93, que j'ai une bonne idée de ce qu'on va nous
dire. On va nous dire: Vous savez, si vous demandez des modifications à
l'article 93, vous allez nuire à la bataille des Franco-Ontariens qui
veulent maîtriser leurs écoles et, parce que les Franco-Ontariens
veulent mener leurs écoles, on ne touchera pas à l'article 93
qui, essentiellement, a des conséquences dévastatrices pour le
Québec à moyen terme. On va continuer de faire la bataille des
Franco-Ontariens et, au nom de la bataille des Franco-Ontariens, on va laisser
pourrir ce qui est te noyau essentiel, sans lequel il n'y a même pas de
survie pour les Franco-Ontariens, qui s'appelle la vigueur, la vitalité
du Québec. Tant qu'on n'aura pas compris cela, tant que ce gouvernement
et tant que ce ministre n'auront pas compris qu'il n'y a pas de telle chose que
la symétrie sur le plan linguistique au Canada... Il n'y a pas de
symétrie, il n'y a pas d'image, de miroir inversé. Cela est faux.
Cela amène le Québec à se priver d'instruments de
développement, d'épanouissement, de croissance et
d'enrichissement du fait français sur son territoire au nom des droits
très aléatoires, souvent hypothétiques, d'une
minorité de francophones hors Québec qui, pourtant, ne saurait
à moyen terme survivre et se développer si le Québec, lui,
s'affaiblit.
C'est cela, si vous me passez l'expression, puisque tout le monde est
dans "l'américanitude" ce temps-ci, le "Catch 22" - c'est un roman
américain qui a eu ses heures de gloire au début des
années soixante-dix - le "Catch 22" des droits linguistiques au Canada.
C'est: Si tu permets au Québec de se renforcer sur la question
linguistique, on va dire: Attention, tu affaiblis les francophones hors
Québec; mais si tu veux renforcer les francophones hors Québec,
à toutes fins utiles, tu laisses des situations s'installer comme celle
de Montréal où, effectivement, il y a quatre systèmes
scolaires et cela va représenter pour notre société dans
les années qui viennent une modification incroyable du tissu humain.
Pendant ce temps-là, on est condamné à la paralysie au nom
des
"épivardages" constitutionnels et des grandes théories de
droit où on est au huitième niveau d'abstraction, quand on n'est
pas carrément dans une autre galaxie sur le plan fonctionnel.
En ce sens, je dirai que je prends acte de ce que vous nous avez dit,
madame. Je trouve que cela a été exposé aussi brillamment
que vos prédécesseurs, je prends le cas de l'Union des
producteurs agricoles qui nous a parlé du pouvoir de dépenser.
Vous nous avez parlé avec grande précision des problèmes
de l'éducation et je considère, madame, que c'est une
contribution remarquable à la réflexion. Espérons que cela
influencera quelque peu ce gouvernement. Merci. (22 heures)
Le Président (M. Filion): Voulez-vous réagir, Mme
Pagé?
Mme Pagé: J'ai le mot de la fin?
Le Président (M. Filion): Non. Si vous voulez
réagir aux propos de M. te chef de l'Opposition, il reste encore
quelques minutes.
Mme Pagé: Non.
Le Président (M. Filion): Non? Cela va?
Mme Pagé: Je voudrais simplement...
Le Président (M. Filion): Allez-y, je vous en prie!
Mme Pagé: Non, non, ça va.
Le Président (M. Filion): D'accord. Je vais
reconnaître maintenant un intervenant du coté ministériel.
M. le député de Notre-Dame-de-Grâce.
M. Scowen: Oui. Mme Pagé, j'ai lu avec beaucoup
d'intérêt votre mémoire et je l'ai écouté
aussi. Comme l'a proposé le chef de l'Opposition, comme l'UPA, la
chambre de commerce et les syndicats ce matin, vous êtes arrivée,
aujourd'hui et hier, avec votre ordre du jour pour la réforme
constitutionnelle. Chacun a son ordre du jour. J'imagine que vous êtes
négociateur, vous avez fait des négociations, votre
clientèle vous arrive avec une série de demandes qu'elle aimerait
que vous réalisiez dans le cours d'une négociation. Vous
êtes face au côté patronal. J'imagine que, si vous n'arrivez
pas à réaliser toutes les revendications de tous Ies membres de
votre clientèle, vous sortez finalement avec quelque chose qui est, pour
vous, un pas en avant.
Si vous regardez les cinq choses, les six éléments de la
réalisation de mes collègues, M. Rémillard et le premier
ministre, lors de ces négociations, ils ne prétendent pas avoir
réglé tous les problèmes constitutionnels. Ils ne
prétendent pas que c'est la première fois qu'on fait des
changements à la constitution. Ils ne prétendent pas que ce sera
la dernière fois qu'on fait des changements à la constitution.
Mais, pour ce "round", j'aurais pensé que vous seriez prête
à dire que c'est du progrès. Mais non, vous vous êtes
penchée surtout sur cette question qui est à votre ordre du jour,
la question confessionnelle. Quand vous en avez parlé, ça m'a
fait penser à Camille Laurin. Vous avez dit, en page 11, et je vous
cite: "Comme nous le rappelait pertinemment le professeur Dumont devant cette
commission - c'est certain qu'il l'a dit - la religion catholique n'est plus un
critère de la spécificité québécoise." C'est
une affirmation du professeur Dumont et, maintenant, de vous.
J'ai l'impression qu'amender l'article 93 dans le sens d'abolir le
système confessionnel des écoles au Québec, ce n'est pas
quelque chose qui va susciter une énorme résistance du reste du
pays. Ce n'est pas un débat, je pense, qu'on serait obligés de
faire longtemps avec le reste du Canada si on était capables de
s'entendre ici nous-mêmes entre nous.
La leçon que je tire du dernier mandat de Camille Laurin, c'est
qu'il a commencé, quelques heures après son élection en
1981, un effort de réformer le système scolaire au Québec.
Il a rapidement découvert que l'opinion de Mme Lorraine Pagé
était une opinion fort valable et exprimée d'une façon
très passionnée et avec beaucoup d'expérience pour
l'appuyer, mais qu'il existait quand même beaucoup de monde ici au
Québec qui disait: La religion catholique est toujours un critère
de la spécificité québécoise. Ce n'étaient
pas des gens de l'Ontario qui disaient ça, ce n'étaient pas des
gens d'Ottawa, c'étaient des gens de chez nous qui n'étaient pas
d'accord et, quant à moi, ne sont probablement toujours pas d'accord
avec Mme Pagé.
Je me souviens très bien, par exemple, que du côté
anglophone il y en avait beaucoup qui croyaient que ce serait une très
bonne idée d'avoir deux systèmes linguistiques parallèles
d'éducation ici au Québec. Respecter l'article 23, si vous
voulez, qui est un autre critère, mais abolir les commissions scolaires
confessionnelles. Mais on a découvert, à notre grande
déception, qu'il existe aujourd'hui beaucoup de personnes très
respectables - et vous les connaissez - qui ne partagent pas notre opinion.
Donc, je serais porté à vous dire, avant de pouvoir blâmer
le fédéral, avant de dire qu'il faut que M. Rémillard
règle le problème de la confessionnalité au Québec
dans la constitution, qu'on accepte que la première chose à
faire, c'est de faire ce que M. Laurin n'a pas été capable de
faire pendant cinq ans, soit nous organiser pour
qu'on arrive à un consensus ici au Québec. Le
Président (M. Filion): Mme Pagé.
Mme Pagé: Je voudrais vous faire deux observations, M.
Scowen. Quand vous nous dites que la question confessionnelle ne suscitera pas
une grande résistance dans les autres provinces, je veux bien vous
croire. Mais je vais vous faire part de mon expérience de
négociatrice puisque vous y faites référence. Quand je
négocie, il y a des choses qui sont plus difficiles è passer et
il y en a d'autres qui sont plus faciles. Je profite du fait d'être en
négociation pour faire passer les choses faciles et essayer d'arracher
quelque chose de plus difficile. Je sais très bien que, si je reviens
une deuxième fois avec les choses plus faciles, je vais me faire
répondre ceci: On vient de finir de parler d'un certain nombre
d'affaires, s'il vous plaît, attendez votre tour, on reprendra cela un
peu plus tard. Si vraiment toute la question confessionnelle avait pu se
régler très facilement, très rapidement, parce qu'on
pouvait compter sur la collaboration des autres provinces, je pense
sincèrement que vous auriez dû profiter de la conjoncture
favorable et en disposer.
Deuxièmement...
M. Scowen: Mais on ne s'entend pas ici au Québec.
Mme Pagé: J'en arrive à ma deuxième
observation. Il ne faut pas confondre consensus et unanimité. II ne faut
pas non plus confondre large majorité avec unanimité. Si vous
attendez d'avoir l'unanimité au Québec pour changer les
structures confessionnelles, je vais être morte, vous aussi, on va tous
être morts, et cela va encore être des structures confessionnelles.
Mais, à Montréal, tous les sondages étaient très
éclairants à ce sujet. Il y avait un très fort consensus
pour la modification de nos structures confessionnelles. C'était
très largement répandu.
Il y avait de petits ilôts de résistance. Je vais vous
concéder que l'un des principaux ilôts de résistance, ce
sont les commissaires de la CECM. Mais, cela, que voulez-vous? Ils sont
financés par l'Association des parents catholiques. Ils
véhiculent un point de vue. Mais cela n'empêche pas que le
consensus social était là. Je pense que souvent ce qu'on a fait
c'est entretenir chez les gens la confusion voulant que de ne plus avoir de
structures confessionnelles, c'était se débarrasser du
caractère catholique qui nous tient à coeur. Cela est
entièrement faux. On peut avoir des structures linguistiques, avec un
enseignement religieux et donc préserver le caractère
confessionnel dans l'enseignement pour celles et ceux qui le
désirent.
M. Scowen: Mme Pagé, si c'est aussi facile que vous le
prétendez, est-ce que vous pouvez m'expliquer comment il se fait qu'un
ministre aussi puissant que Camille Laurin s'est cassé la gueule pendant
tout un mandat dans son effort de faire ce que vous prétendez quelque
chose de facile à faire parce qu'il existait des sondages et un large
consensus? Ce n'était pas un ministre faible. C'était un
gouvernement avec une large majorité. Il n'a fait que cela pendant
quatre ans. Cela a été un échec total. Qu'est-il
arrivé?
Mme Pagé: Cela a été un échec total
à Montréal, M. Scowen. Mais les commissions scolaires
linguistiques pourraient se mettre en place demain matin au Québec sans
problème. À Montréal, il y a encore un problème
parce que deux entités veulent préserver leurs
intérêts propres. Le PSBGM veut garder son caractère
protestant alors qu'il n'a de protestant que le nom et la CECM veut garder,
elle, son caractère catholique. Elle, je vais vous concéder
qu'elle n'est pas catholique juste de nom mais cela cause des problèmes.
Et le problème est là. Le consensus était établi
dans notre société mais on se heurte à un article 93 qui
permet à des groupes de prétexter la présence de l'article
93 pour s'opposer et stopper une transformation de notre système
scolaire dans le sens de l'évolution de notre société.
Une voix: Trois minutes.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Notre-Dame-de-Grâce, cela va. Je vais reconnaître maintenant M. le
député de Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: M. le Président, merci. Je pense que ce qui
est intéressant et même très éclairant quand on
reçoit des personnes et des groupes qui oeuvrent, je dirais, sur le
terrain dans des secteurs précis, c'est qu'on a des points de vue
drôlement enrichissants. Le chef de l'Opposition le signalait, cela a
été le cas hier de l'UPA. Des agriculteurs sont venus dire au
gouvernement: Attention, vous n'avez pas pensé à l'agriculture.
Effectivement, tout le secteur agricole a été ignoré, avec
les conséquences que l'on sait. Et M. Proulx était parfaitement
capable, il l'a fait hier, de donner des exemples concrets de ce que pouvait
donner le fait d'oublier le secteur agricole dans les négociations
constitutionnelles. Dans votre cas, enseignants, enseignantes, c'est
évidemment la même chose pour ce qui concerne
l'éducation.
Hier, M. Proulx est venu dire au gouvernement: L'agriculture, vous
devriez en tenir compte quand vous souhaitez encadrer
le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral.
Vous, vous venez dire au gouvernement et à la commission: Puisque vous
êtes en négociations constitutionnelles, pourquoi ne profitez-vous
pas de l'occasion pour modifier l'article 93 afin de l'adapter à la
réalité québécoise actuelle? Je sais qu'il y en a
quelques-uns... Le député de Notre-Dame-de-Grâce vient de
le faire en disant: Oui, mais l'ancien qpuvernement. qu'est-ce qu'il a fait? Il
avait l'occasion. Qu'est-ce qu'il a fait? Je vais vous dire ce qu'on a fait. Le
député de Notre-Dame-de-Grâce a tort quand il dit que le Dr
Laurin n'a pas mené son projet à terme. C'est faux. Le
gouvernement du Parti québécois a mené un projet de loi
sur la restructuration scolaire au Québec, sur une base linguistique,
à terme jusqu'à l'adoption finale è l'Assemblée
nationale. Le projet de loi 3 est devenu une loi. Je ne sais pas si vous
l'ignorez. Il serait... Est-ce que vous siégiez encore à ce
moment? Vous siégiez à ce moment comme député.
M. Rochefort: II a voté contre. M. Scowen: ...
M. Brassard: C'est vrai que, depuis le 5 décembre, on ne
vous voit pas souvent à l'Assemblée nationale. Vous
siégiez à ce moment.
M. Scowen: Eh! Eh! Eh!
M, Brassard: Vous avez oublié que le projet de loi
3...
M. Scowen: Faites attention, là. Je siégeais aussi
souvent que vous et beaucoup plus efficacement.
M. Brassard: ...a franchi toutes les étapes
législatives...
M. Scowen: ...vos commentaires personnels pour
vous-même.
M. Brassard: Vous l'avez oublié? M. Rochefort: M.
le Président... M. Scowen: S'il commence à lancer...
M. Brassard: Je vous demande... Vous avez oublié...
M. Rochefort: M. le Président, question de
règlement.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin, sur une question de règlement.
M. Rochefort: Je crois que le député de
Lac-Saint-Jean, comme les autres députés de l'Opposition, a
pleinement respecté le droit de parole du député de
Notre-Dame-de-Grâce lorsqu'il a bien voulu s'exprimer. Je pense que la
décence serait qu'il nous renvoie l'ascenseur et qu'il respecte notre
droit de parole. S'il a des commentaires à faire, il pourra les faire
à son tour, M. le Président, calmement, sereinement, sans
s'énerver.
M. Scowen: Sur la question de règlement.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Notre-Dame-de-Grâce, sur la question de règlement.
M. Scowen: Très sereinement, pendant mon intervention,
j'ai parlé des idées. Je n'ai attaqué personne. J'ai
été mis en question par le député qui parle et
c'est pourquoi je l'ai arrêté, et, s'il continue à parler,
à faire des attaques personnelles, je vais faire la réplique.
S'il se limite à des commentaires sur le fond de la question, je vais
l'écouter avec beaucoup d'attention.
M. Brassard: C'est ce que je vais faire. Je vais me limiter, M.
le Président, à des commentaires sur le fond simplement pour dire
que le député de Notre-Dame-de-Grâce, semble-t-il, a
oublié - et cela peut arriver -mais il a oublié que le projet de
loi 3 sur la restructuration scolaire, sur une base linguistique, n'est pas
resté au feuilleton. Il a franchi toutes les étapes
législatives. Il a été adopté en troisième
lecture par l'Assemblée nationale en 1984. Ce qui est arrivé par
la suite, cependant, c'est que la Fédération des commissions
scolaires a contesté la légalité et la
constitutionnalité du projet de loi 3 devant les tribunaux. La question
que vous vous posiez: Pourquoi ce n'est pas dans le livre bleu? C'est que les
jugements des tribunaux sur la validité ou la constitutionnalité
de la loi 3 sont arrivés après qu'on eut rédigé le
projet d'accord constitutionnel.
Mais il est évident que, si nous avions eu l'occasion d'amorcer,
d'enclencher des négociations constitutionnelles, le gouvernement du
Parti québécois aurait inclus, vu les décisions des
tribunaux, une modification substantielle de l'article 93. Pourquoi? Parce que,
préalablement, je pense que tout le monde conviendra qu'on avait
manifesté une volonté politique très claire, très
ferme en matière de restructuration scolaire au Québec sur une
base linguistique puisqu'on avait présenté un projet de loi qui
avait fait l'objet d'une large consultation. (22 h 15)
C'est vrai que ce n'était pas unanime, vous avez raison, mais
c'était largement majoritaire» C'était favorable, de
façon très large. On a manifesté une volonté
politique
très claire puisqu'on a fait cheminer ce projet de loi à
travers toutes les étapes législatives jusqu'à son
adoption. Je pense qu'il faut le dire. Donc, il y avait une volonté
politique de la part de notre gouvernement, è l'époque, de faire
en sorte que les structures scolaires au Québec soient non
confessionnelles et regroupées sur une base linguistique. C'était
l'objet du projet de loi 3.
Quant à nous, il est clair que, compte tenu des décisions
des tribunaux, si nous avions eu l'occasion d'enclencher des
négociations constitutionnelles, cela aurait fait partie de nos
conditions constitutionnelles pour faire en sorte que l'article 93
reflète davantage la réalité québécoise des
années mil neuf cent quatre-vingt. Je pense que c'est important de le
siqnaler.
J'aurais simplement une question à vous poser. Lorsque vous
parlez du caractère distinct et de la société distincte,
vous ne semblez pas faire confiance ou souhaiter une définition du
caractère distinct, étant donné que c'est une clause
d'interprétation. Au fond, ce que vous réclamez avec
fermeté, c'est que ce ne soit pas une clause d'interprétation sur
la société distincte, même définie; au fond, ce que
vous réclamez, c'est que l'Assemblée nationale ait pleine et
entière compétence en matière linguistique. Au fond, c'est
la meilleure garantie pour assurer le progrès et la place du
français au Québec. C'est pas mal plus sûr, si j'ai bien
compris votre mémoire, qu'une clause interprétative, aussi bien
définie soit-elle.
Le Président (M. Filion): Mme Pagé.
Mme Pagé: Je suis une enseignante. Quand je veux que mes
élèves comprennent, je dis des choses qu'ils comprennent. Je ne
laisse pas mon directeur d'école ou quelqu'un de l'école voisine
venir leur interpréter ce que je veux qu'ils comprennent. Je ne laisse
pas à d'autres le soin de leur enseigner ce que je pense que je dois
leur enseigner. C'est un peu la même chose pour la société
distincte. Il faut s'assurer que le droit de l'Assemblée nationale pour
légiférer sur les questions linguistiques est garanti. Autrement,
ce seront d'autres qui décideront de nos compétences sur cette
question. Pour nous, un des critères, un des paramètres
essentiels de notre spécificité, c'est l'aspect linguistique. On
m'a dit "si j'écris cela, je limite". Je pense qu'on pourrait se
permettre d'écrire cela sans limiter, surtout si on fait
précéder d'un "notamment" et d'un "entre autres". Mais je pense
qu'il est absolument indispensable d'assurer à l'Assemblée
nationale du Québec, qu'elle soit en majorité libérale,
péquiste ou créditiste s'il y en avait, il faut reconnaître
à l'institution démocratique qu'est l'Assemblée nationale
du Québec le droit de légiférer sur la question
linquistique. C'est notre identité nationale. C'est notre
spécificité comme nation, comme peuple au Canada et en
Amérique du Nord. Je pense que tout débat constitutionnel qui ne
donne pas ces garanties est un débat de juristes qui peut plaire
à certaines personnes, mais qui ne répond pas aux besoins des
Québécoises et des Québécois.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, Mme
Pagé. Je vais reconnaître maintenant M. le député de
Mille-Îles que j'ai inscrit.
M. Bélisle: Je laisse mon droit de parole à M. le
ministre.
Le Président (M. Filion): Vous laissez votre droit de
parole à M. le ministre. M. le ministre, la parole est à
vous.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. Mme
Pagé, le député du Lac-Saint-Jean nous disait tout
à l'heure: Si nous avions eu l'occasion d'entamer des
négociations constitutionnelles, on aurait discuté de cet article
93. Mme Pagé, vous vous souvenez comme moi de ce petit livre bleu
"Projet d'accord constitutionnel". Cherchez dans ce petit livre bleu l'article
93, Le député de Lac-Saint-Jean nous dit: Nous avons reçu
hier l'UPA, les cultivateurs, qui sont venus nous dire: Vous oubliez
l'agriculture. Il nous dit: Nous on n'aurait pas oublié l'agriculture.
Mme Pagé, cherchez donc l'agriculture dans le petit livre bleu.
Après neuf ans au gouvernement et une volonté d'établir un
nouveau système d'éducation basé sur la langue, ils n'ont
pas été capables de s'attaquer au problème. Les questions
que vous a posées mon collègue, le député de
Notre-Dame-de-Grâce, sont particulièrement pertinentes.
C'était intéressant de vous entendre dans cet échange
d'idées, et je ne regrette qu'une chose, madame, je regrette que mon
collègue, le ministre de l'Éducation, n'ait pas été
ici pour participer avec vous -et vous savez comme moi pourquoi le ministre de
l'Éducation n'est pas ici, Mme Pagé. Vous représentez
aussi un groupe, l'Alliance des professeurs de Montréal, qui
présentement est devant les tribunaux, devant la Cour suprême. La
relation que je fais, lorsqu'on parle de l'article 93, on parle de
liberté de religion. Pour certains cela peut aller à l'encontre
de la liberté de religion. Vous êtes devant la Cour suprême
pour contester la loi 62, qui n'existe plus parce qu'elle est morte au
feuilleton. Nous n'avons pas voulu qu'elle survive, cette loi. Je ne me
prononce pas sur le fond, c'est devant les tribunaux, mais nous savons que
cette loi nous empêchait de contester des lois qui empêchaient les
Québécois et les
Québécoises de recourir à cette présomption
d'innocence. Qu'est-ce qu'il y a de plus fondamental dans notre
société libre et démocratique que cette présomption
d'être innocent? Vous l'avez contesté, c'est devant la Cour
suprême. II faut maintenant attendre le jugement parce que cela implique
beaucoup de décisions constitutionnelles. Mais il demeure que, lorsque
vous nous parlez de l'article 93, vous nous dites: Vous l'avez oublié.
Moi je vous dis: Non, nous ne l'avons pas oublié, pas plus que nous
n'avons oublié l'agriculture, comme on est venu nous le dire hier. Ce
que nous avons fait, Mme Pagé? Dans un premier temps, nous avons fait
une première étape, avec cinq points: société
distincte, dualité canadienne, Cour suprême, immigration, droit de
veto, pouvoir de dépenser. À partir de ce fondement, nous voulons
construire, ce qui veut dire que dans une deuxième étape nous
allons aborder ce partage des compétences législatives. Nous
allons aborder le Sénat. Comme dirait le chef de l'Opposition, c'est
prévu. Nous allons aborder les pêcheries, c'est prévu. Nous
allons aborder les communications, nous allons aborder aussi d'autres questions
qu'à ce moment-là nous allons considérer comme
pertinentes. Je peux vous assurer que nous allons étudier
sérieusement tous les problèmes que vous avez soulevés ici
ce soir. Mon temps est terminé, Mme Pagé, mais je voudrais vous
dire que nous avons beaucoup apprécié votre présence. Je
vous remercie de vous être déplacée. Je vous remercie de
nous avoir fait part de ces commentaires.
Le Président (M. Filion): Mme Pagé,
présidente de l'Alliance des professeurs de Montréal, ainsi que
Mme Drouin, vice-présidente, je voudrais, au nom de tous les membres de
cette commission, vous remercier de vous être déplacées
après un avis aussi court. Comme je pense qu'on vous l'a
expliqué, cette commission fonctionne à un rythme très
accéléré. Néanmoins, je dois vous remercier pour la
qualité de votre mémoire ainsi que la collaboration, l'ouverture
que vous avez manifestée durant la période d'échanges avec
les députés. Merci.
Mme Pagé: Je voudrais vous remercier de m'avoir entendue
et j'ose espérer que je serai écoutée.
Le Président (M. Filion): Merci. Nous allons suspendre
quelques minutes, permettant ainsi à notre prochain invité, M.
Pierre-André Côté, de s'approcher de la table des
invités. Nos travaux sont suspendus pour quelques minutes.
(Suspension de la séance à 22 h 25)
(Reprise à 22 h 34)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaîtl Nous reprenons les travaux de la commission.
Avant d'entendre M. Pierre-André Côté, professeur
à la Faculté de droit de l'Université de Montréal -
bonsoir, M. Côté -avec la permission des membres de la commission,
je voudrais accepter le dépôt des mémoires des organismes
suivants, que nous avons entendus cet après-midi: d'abord, le
mémoire du Mouvement national des Québécois, le
mémoire de l'Alliance des professeurs de Montréal, que nous avons
entendu ce soir et, également, du même souffle, le mémoire
du professeur Pierre-André Côté, qui est devant nous et
dont je peux immédiatement accepter le dépôt.
Je pourrais vous rappeler brièvement notre horaire de demain qui
commence à 10 heures jusqu'à midi. Nous avons deux groupes demain
matin, le Parti indépendantiste et la Chambre de commerce de la province
de Québec. Dans l'après-midi, nous entendrons deux autres groupes
et, dans la soirée, trois groupes. Demain soir, nos travaux commenceront
à 19 h 30.
Bienvenue, M. le professeur Pierre-André Côté. Je
voudrais brièvement lui rappeler nos règles internes quant
à cette consultation particulière. Vingt minutes lui sont
allouées pour la présentation de son mémoire et les
minutes restantes, environ 40, sont partagées à parts
égales entre les députés des deux groupes politiques qui
forment cette Assemblée.
Bienvenue, M. Côté, et, sans plus tarder, je vous invite
à présenter votre exposé.
M. Pierre-André Côté
M. Côté (Pierre-André): Merci, M. le
Président. Je veux vous remercier, ainsi que les membres de la
commission de me recevoir ce soir. Comme d'autres personnes qui ont comparu
devant vous, j'ai moi-même rédigé, un peu à la
hâte, aujourd'hui, un petit texte qui vous a été
distribué. Permettez-moi de vous en livrer le contenu. Je ne pense pas
que j'occuperai les 20 minutes qui me sont allouées; cela laissera
davantage de temps pour la discussion.
C'est sous la forme d'une règle d'interprétation
constitutionnelle que le principe du caractère distinct de la
société québécoise doit être inscrit dans la
constitution si on donne suite à l'entente du lac Meech.
Je n'ai aucune prétention au titre de constitutionnaliste.
Cependant, je travaille depuis plusieurs années dans le domaine de
l'interprétation des textes législatifs. Mes observations
porteront non pas sur le fond, non pas sur le contenu du principe
proposé,
ni en particulier sur la portée du terme "société
distincte" - encore qu'on pourra y revenir tantôt - mais plutôt sur
les conséquences qu'il y a à énoncer le principe sous
forme de règle d'interprétation.
Auparavant, permettez-moi brièvement de distinguer une
règle d'interprétation d'une règle de fond. Quelle est la
différence entre ces deux types de règle? On peut dire que, dans
n'importe quel système juridique, on peut distinguer deux niveaux de
règles. Il y a d'abord des règles de premier niveau, des
règles dites de fond du droit, qui régissent les actions de
l'État et des particuliers.
Par exemple, le Code de la sécurité routière
prescrit des règles de comportement routier. Ce sont des règles
qui régissent la conduite - c'est le cas de le dire - des particuliers,
ce sont donc des règles de premier niveau. Il peut se soulever, dans
l'interprétation ou dans l'application de ces règles de fond, de
ces règles de premier niveau, des difficultés qui seront
résolues par la mise en oeuvre d'autres règles, des règles
de second niveau qu'on appellera parfois des règles d'administration du
droit. Par exemple, si quelqu'un est poursuivi pour violation du Code de la
sécurité routière et si un doute surgit dans l'application
du code, il existe une règle d'interprétation qui veut qu'en
matière pénale une difficulté sérieuse
d'interprétation soit résolue en faveur de l'accusé.
En droit constitutionnel, comme dans toutes les autres branches du
droit, il y a des règles de fond et il y a des règles
d'administration du droit. Parmi les règles de fond du droit
constitutionnel, on distinguera, notamment, celles qui déterminent le
champ de compétence législative de chaque ordre de gouvernement
de celles qui consacrent les droits et libertés des citoyens et qui
prescrivent à quelles conditions l'État peut restreindre ces
droits. D'autre part, parmi les règles d'administration du droit
constitutionnel, il y a certains principes qui régissent
l'interprétation de la constitution. Lorsque le droit constitutionnel
emprunte la forme d'un texte, ce qui n'est pas toujours le cas, il y a des
principes qui régissent l'interprétation de ce texte.
Ces principes, ils sont nombreux et leur maniement est délicat.
Ils prennent la forme de directives qui sont adressées à
l'interprète et, ultimement, au juge, directives qui vont
préciser les facteurs qui doivent être pris en
considération et les objectifs que l'on doit s'efforcer d'atteindre. Par
exemple, le juge est censé préférer
l'interprétation qui s'accorde avec le texte de la constitution
plutôt que celle qui lui fait violence. Il doit rechercher le but des
dispositions qu'il interprète et donner sa préférence
à l'interprétation qui s'accordera avec ce but. Il doit faire en
sorte que l'interprétation qu'il donne soit en accord avec certains
principes fondamentaux du droit constitutionnel, par exemple le principe de la
primauté du droit, celui de la souveraineté du Parlement, celui
du fédéralisme, etc. Cette tâche d'interprétation
est délicate à l'extrême car elle exige la prise en
considération de nombreux principes dont aucun n'est en lui-même
déterminant. Pour l'avocat, chaque principe d'interprétation
constitue un point d'appui pour fonder son argumentation.
En résumé, sur ce premier point, lorsque l'on
édicté une règle d'interprétation, on ne change pas
ipso facto les rèqles de fond du droit, on ne modifie pas, du moins
directement, les pouvoirs du législateur ou les prérogatives des
particuliers. Essentiellement, une règle d'interprétation
gouverne l'action du juge, l'exercice du pouvoir judiciaire. Ce n'est
finalement qu'à travers l'action du juge qu'un principe
d'interprétation peut influer sur l'étendue des pouvoirs du
législateur.
Cela m'amène à la question principale: Que peut-on
attendre au plan concret de la consécration sous forme de règles
d'interprétation du principe du caractère distinct de la
société québécoise? Poser cette question, c'est
demander quel usage les juges feront de ce principe dans leurs
décisions. Quel poids accorderont-ils aux arguments que les plaideurs y
puiseront? Malheureusement, je ne crois pas que l'on puisse répondre
à cette question. En effet, un principe d'interprétation, ce
n'est pas une règle stricte, contraignante. On ne peut pour ainsi dire
jamais savoir d'avance de façon précise quelle influence un
principe d'interprétation aura dans un cas concret donné, ni
même de façon générale.
Je vais vous donner un exemple que je tire de notre expérience
québécoise. On s'accorde pour dire que les lois au Québec
-quand je parle de lois, je parle des statuts; je ne parle pas du Code civil,
je parle des lois particulières - ont été
interprétées en général de façon limitative
plutôt que large, restrictive plutôt que large. Dans te doute, les
tribunaux ont, règle générale - je crois que les juristes
s'entendent là-dessus - opté pour l'interprétation
restrictive des statuts plutôt que pour leur interprétation
extensive. Pourtant, il y a dans notre Loi d'interprétation un article
qui y figure sous une forme ou une autre depuis 1868 et qui se lit ainsi. C'est
un texte que vous devez connaître. C'est l'article 41 de la Loi
d'interprétation. Je vous le lis: "Toute disposition d'une loi, qu'elle
soit impérative, prohibitive ou pénale, est réputée
avoir pour objet de remédier à quelque abus ou de procurer
quelque avantage. Une telle loi reçoit une interprétation large,
libérale, qui assure l'accomplissement de son objet et
l'exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens,
esprit et fin."
La Loi d'interprétation énonce un principe
d'interprétation large et libérale des lois et, pourtant, les
tribunaux ont plutôt interprété les lois de façon
étroite et restrictive. Comment expliquer cela?
Eh bien, je crois que l'explication est assez simple. Le principe
qu'énonce l'article 41 n'est qu'un principe d'interprétation
parmi d'autres et il n'a pas l'autorité d'une règle stricte. Il y
a plusieurs autres principes d'Interprétation dans notre système
et, presque tous, ils conduisent à une interprétation restrictive
des lois, le plus souvent au nom de la protection de la liberté et de la
libre jouissance des biens. L'expérience québécoise et
canadienne montre que, de manière générale, Ies tribunaux
ont manifesté plus d'affinité pour les principes
d'interprétation qu'ils avaient eux-mêmes élaborés
que pour ceux que le législateur voulait qu'ils appliquent. Donc, le
législateur ou le constituant peuvent introduire une règle
d'interprétation dans le système juridique, mais
l'expérience montre qu'ils ne peuvent pas obliger les tribunaux à
lui donner une importance déterminante dans leurs décisions. (22
h 45)
Les tribunaux auront, en pratique, à choisir entre la
société distincte et la liberté d'expression, entre la
société distincte et le patrimoine multiculturel du Canada, entre
la société distincte et le caractère bilingue du Canada et
du Québec. Rien ne permet de savoir où ira leur
préférence.
Qu'on me comprenne bien, je ne dis pas que l'inscription du
caractère distinct du Québec dans la constitution ne changera
rien - au point de vue symbolique, cela aura sans doute une grande importance;
au point de vue pratique, un avocat sera heureux de pouvoir s'appuyer sur ce
principe pour défendre sa cause - mais je dis qu'on ne peut pas
prévoir l'importance que les tribunaux voudront donner à ce
facteur dans leurs décisions.
Cette consécration du caractère distinct de la
société québécoise, ce n'est pas rien. C'est
peut-être mieux que rien. Mais il faut comprendre que seul l'avenir nous
dira si c'est vraiment quelque chose. Je vous remercie.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. le
professeur Côté. Chaque groupe parlementaire a environ 25 minutes
et je donne la parole à M. le ministre.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. Je voudrais,
tout d'abord, remercier M. le professeur Pierre-André Côté
d'avoir accepté de venir témoigner devant nous ce soir. Il est 22
h 45. Je sais qu'il a eu une bonne journée de travail, lui aussi. On est
heureux de vous entendre et que vous ayez accepté, malgré l'heure
un peu tardive, de venir témoigner devant nous.
J'ai donc lu avec beaucoup d'attention ce mémoire que vous nous
présentez. Vous nous tracez un peu la toile de fond qui nous permettra
de discuter sur les réelles implications de cette inscription dans la
constitution que le Québec est une société distincte et
que le gouvernement et l'Assemblée nationale ont le rôle de
protéger et de promouvoir ce caractère distinct.
Vous nous faites des observations, professeur Côté, en
disant: Bien que, dans notre Loi d'interprétation, on dise qu'il faut
interpréter les lois de façon large et généreuse,
de fait les tribunaux les ont interprétées d'une façon
restrictive. Je crois que nous sommes tous d'accord, juristes, pour dire que
oui, on a interprété toutes les lois d'une façon
restrictive, les tribunaux se référant à l'intention du
législateur, règle d'or d'interprétation que vous
soulignez, d'ailleurs, très bien dans votre livre qui est un
"best-seller" du droit et de très grande qualité, je vous en
félicite. Cette règle de l'interprétation limitative par
la recherche de l'intention du législateur existe en droit statutaire,
mais est-ce la même chose lorsque les tribunaux interprètent une
constitution'
M. Côté (Pierre-André): Vous voulez que je
réponde?
M. Rémillard: Je vous pose là question.
M. Côté (Pierre-André): La question n'est pas
rhétorique? Bon, d'accord. Vous savez très bien, M. le ministre,
que l'interprétation constitutionnelle se distinque de
l'interprétation des lois ordinaires, comme l'interprétation des
lois ordinaires se distingue de l'interprétation civiliste. Cela ne fait
pas de doute. Maintenant, je vous donnerai un principe d'interprétation
constitutionnelle qui est incontestable: c'est que cette Charte des droits et
libertés que nous avons doit recevoir une interprétation large et
généreuse. C'est un principe, d'ailleurs, qui va à
l'encontre des règles traditionnelles d'interprétation
statutaire.
M. Rémillard: Dans l'affaire Edwards, dans les
années trente, on a reconnu qu'il fallait interpréter la
constitution d'une façon larqe et généreuse, ensuite cet
arrêt, comme vous le savez, a été repris par la Cour
suprême à plusieurs reprises. Donc, je vous comprends bien en
disant que nous mettons de côté l'interprétation
statutaire. Nous sommes ici en matière constitutionnelle. Mettons donc
de côté ce que vous nous dites en ce qui regarde le droit
statutaire. C'est une toile de fond, d'accord. Mais, en ce qui nous regarde,
pour notre toile de fond à nous, il faut nous référer
à une rédaction regardant la constitution, donc, c'est une
interprétation large et généreuse.
M. Côté (Pierre-André): C'est une
interprétation large et généreuse, par exemple, des
dispositions qui consacrent la liberté d'expression. Quand un juge a le
choix entre un avocat qui lui dit interpréter de façon
généreuse la liberté d'expression et un autre qui se fonde
sur la clause de la société distincte pour justifier la
légitimité du pouvoir exercé - imaginons que c'est par le
Québec dans les circonstances - qu'est-ce que le juge fait? Il ne peut
pas interpréter largement les deux dans la mesure où les deux
sont en conflit. Qu'est-ce qu'il fait? Je vous retourne la question.
M. Rémillard: Qu'est-ce que vous en pensez? C'est vous,
l'expert, moi, je suis le politicien.
M. Côté (Pierre-André): Non, non. Pas du
tout, pas du tout. J'ai bien dit que je n'étais pas constitutionnaliste.
Je pense que le sens de mon message, c'est qu'on ne le sait pas. Je vous ai
posé la question et vous me la renvoyez. Je pense que cela
démontre que j'ai raison de dire qu'on ne le sait pas, n'est-ce pas? On
ne sait pas ce que le juge va faire. Est-ce qu'il va accorder plus d'importance
aux valeurs individuelles qui sont consacrées dans la charte, plus
d'importance à ces valeurs collectives que vous voulez, à juste
titre, inscrire dans la constitution? On ne le sait pas. Certains diront,
compte tenu de l'expérience passée, que les tribunaux ont
plutôt tendance à accorder de l'importance aux droits individuels.
Mais moi, je ne sais pas ce que les tribunaux feront une fois qu'on aura
inscrit cette valeur collective dans la constitution. Peut-être que cela
changera, mais, encore une fois, je ne le sais pas.
M. Rémillard: Quand il y a un litige devant les tribunaux,
peu importe, sur l'interprétation d'un terme, est-ce que vous pouvez
prévoir à coup sûr le jugement qu'ils vont rendre?
M. Côté (Pierre-André): Je dirais qu'il faut
probablement distinguer. Si l'affaire est en Cour suprême, les chances
sont minces puisqu'on ne serait pas là s'il y avait eu une bonne
réponse. Si on est en première instance, les chances sont
peut-être plus grandes. Dans bien des cas, on ne peut pas prévoir.
Mais là, c'est à cause de l'imprécision des règles
de droit en général. Ici, ce qu'il faut voir, c'est qu'à
toutes fins utiles les règles que l'on propose d'inscrire ne sont pas
des règles qui définissent le pouvoir du législateur, mais
des règles qui veulent orienter le pouvoir du juge. Je dis bien
orienter, pas dicter au juge la conclusion, orienter, agir sur, influer,
attirer, mais c'est tout. L'attraction peut venir de deux pôles tout
à fait opposés et le juge doit choisir. Je ne voudrais pas
être à sa place.
M. Rémillard: Vous ne voulez pas être juge? Ah! Ah!
Écoutez, on est, bien sûr, dans le contexte d'une règle
d'interprétation. Si je vous lisais ceci: Le style de rédaction
peut également avoir une influence sur l'accent mis sur le texte ou la
finalité. Une rédaction détaillée est de nature
à favoriser l'approche littérale. Elle rend souvent l'objet ou
les principes de la législation difficiles à découvrir et
le législateur ayant supposément pensé à tout,
l'interprète peut se sentir justifié de ne pas penser à
tout, de ne penser à rien et d'appliquer le texte à la lettre
sans y ajouter ou en retrancher et sans s'interroger sur son objet. A
contrario, une rédaction en termes généraux peut rendre
plus facile la connaissance de la finalité de la loi, de sa structure,
de ses principes et elle fait appel pour son application à une
collaboration plus larqe du juge, cette collaboration accentuant l'importance
de l'objet.
M. Côté (Pierre-André): Bien, écoutez,
tout ce que je peux ajouter, c'est qu'une rédaction large accentue le
pouvoir du juge. Je pense que c'est ce que je vous ai dit. À ce moment,
dans un contexte où le juge n'a pas une règle de conduite qui lui
est dictée noir sur blanc, il est obligé de chercher des guides.
Parmi ces guides, il y a le but que recherche la règle. Je pense que
tantôt j'ai énoncé, parmi les règles
d'interprétation constitutionnelle, cette règle qui veut que,
dans le doute, on doive préférer l'interprétation qui
permet à la loi d'atteindre son but.
Maintenant, le but de la clause de la société distincte,
c'est un but. La Charte des droits et libertés a un autre but. À
ce moment, il va y avoir des conflits entre les deux buts ou des conflits entre
tes valeurs. Encore une fois, vous savez très bien, M, le ministre, que
les juges devront trancher ces conflits entre des intérêts, entre
des valeurs, entre des buts contradictoires.
M. Rémillard: M. le professeur, dans ce texte-ci, il est
clair qu'une rédaction en termes généraux peut donc rendre
plus facile la connaissance de la finalité de la loi. Vous êtes
d'accord avec ça?
M. Côté (Pierre-André): Je n'ai aucun
problème avec cela parce que je l'ai écrit.
M. Rémillard: Donc, dans ce contexte, puisque vous l'avez
écrit très bien dans votre livre, il faut comprendre que, si on
laisse les termes d'une façon plus générale, on donne une
interprétation possible en fonction de la
loi. En fait, ce que je voulais discuter par ce premier commentaire,
c'est la possibilité, comme certains nous l'ont suggéré,
de définir ce qu'est la société distincte. J'aimerais
avoir votre opinion sur ce sujet.
M. Côté (Pierre-André): Mon point de vue,
c'est que cela dépend un peu de ce que l'on anticipe dans
l'interprétation. Si je pouvais dire: L'interprétation sera
généreuse, je dirais: Ne définissez pas. Laissez vivre,
laissez croître cet arbre, pour employer les termes de lord Sanbrey. Si
l'on craint que cette interprétation ne soit pas aussi
généreuse qu'on le souhaiterait, alors, je dis: Rédigez,
précisez, mais sans empêcher l'arbre de vivre, c'est-à-dire
réglez certaines questions, assurez-vous que certains
éléments seront dans la société distincte, mais ne
permettez pas à la source de se tarir. Mettez un "notamment" qui va
permettre à l'interprétation de continuer à faire son
travail et à adapter cette disposition aux exigences de l'avenir.
M. Rémillard: Vous me dites donc: Si on veut être
plus précis, on peut prendre le terme "notamment". Pourtant, la tendance
actuelle de la jurisprudence semble être que, même avec des
"notamment", les tribunaux interprètent très restrictivement
l'énumé-ration, soit par l'utilisation de la règle ejusdem
generis, c'est-à-dire qu'on va rechercher un élément du
même genre que ceux qui sont énumérés, ou soit parce
qu'on considère que, si on ne l'a pas compris à
l'intérieur de l'énumération, on l'a exclu de l'intention
du législateur, de la recherche de l'intention du constituant.
Dans ce contexte, il y a, bien sûr, des exemples
particulièrement intéressants dans la constitution canadienne.
Prenons l'article 92.(13), parce qu'on est en matière de
rédaction constitutionnelle, de l'acte de 1867 sur le partage des
compétences législatives. À cet article 92.(13), les
Pères de la confédération ont écrit: Sont de la
compétence des provinces "la propriété et les droits
civils". Et quand on se réfère au débat qu'ont eu les
Pères de la confédération, ici à Québec, en
1864, on s'aperçoit que certains voulaient que ce soit beaucoup plus
précis, qu'on précise et d'autres disaient: Non, il ne faut pas
préciser. Les résultats, vous les connaissez comme moi. Il y a eu
une interprétation large et généreuse. Et, parce que cela
n'a pas été défini par l'article 92.(13), cela a permis
aux provinces de légiférer sur tes assurances, sur les
conventions collectives, les droits des ouvriers, les valeurs
mobilières, en fait sur bien d'autres sujets qu'on a rattachés
à l'article 92.(13) parce que ce n'était pas défini.
À l'article 91, lorsqu'on a établi le principe de ce
pouvoir général de légiférer pour la paix, l'ordre
et le bon gouvernement, - le gouvernement canadien - on a dit: Attention, il va
falloir, quand même, qu'on donne des exemples. Là, on a voulu
donner des exemples en disant: Sans restreindre la
généralité de ces termes. On l'a mis en plus parce qu'on
savait, on avait peur de restreindre. Vous connaissez le résultat de la
jurisprudence qui a même empêché le pouvoir ancillaire de
s'appliquer dans des cas où ce ne sont pas des sujets qui sont
énumérés; interprétation restrictive, là
encore.
À l'article 15 de la Charte canadienne des droits et
libertés sur l'égalité, le principe de non-discrimination,
il y a une énumération. On commence à avoir une
jurisprudence qui nous dit: Avant d'ajouter d'autres sujets, il faudrait
comprendre qu'il faudrait que ce soit du même genre ou bien ce qui n'a
pas été compris a été exclu. Vous avez, à ce
moment-là, l'arrêt Andrews versus Law Society of British Columbia;
vous avez l'affaire de French Laboratories versus Procurator general of Canada;
vous avez des causes que vous connaissez autant que moi, même mieux que
moi. La Cour suprême a considéré récemment que le
thème de l'administration de la justice se limitait à la
constitution, au maintien et à l'organisation des tribunaux provinciaux
et ne pouvait s'étendre à la poursuite en matière
criminelle. C'est l'article 92.(14). Je cite la Cour suprême qui nous
dit: "Le paragraphe 92.(14) réduit donc la portée de la
compétence en matière de droit criminel conférée
par l'article 91, mais seulement quant à ce qui touche la
création, le maintien et l'organisation des tribunaux de justice pour la
province ayant juridiction criminelle." Donc à toutes fins utiles, parce
qu'on a énuméré, on a restreint.
Vous-même, vous nous mettez en garde, dans votre livre, contre
cette technique d'utiliser des clauses "notamment" en disant que c'est un
principe qui peut, peut-être, donner des indications au tribunal, mais
qu'il y a autant de chance que cela puisse aller en sens inverse, que cela
limite, que cela restreigne. Le risque est là. Vous l'écrivez
vous-même à la page 462. (23 heures)
M. Côté (Pierre-André): Je suis conscient des
avantages et des inconvénients de définir. Ici, on a le choix
entre les inconvénients, au fond. Quelqu'un a écrit, et je pense
que c'est très juste, qu'on ne peut pas contrôler
l'interprétation, on ne peut qu'essayer de la prévoir. Je pense
que c'est tout ce qu'on peut faire. S'il y a une volonté
d'interpréter restrictivement ces dispositions - votre propos me laisse
croire que peut-être cela peut exister - effectivement, une
définition, même sans restreindre la portée de ce qui
précède, peut être l'occasion d'une interprétation
restrictive. Je pense que cela illustre encore une fois mon propos. Quand
on rédige pour les jugps, ensuite, ce sont les juges qui
utilisent les textes.
M. Rémillard: Si je comprends bien, professeur, vous nous
dites que, si on définît ou si même on énumère
avec un "notamment", comme vous le disiez tout à l'heure, il y a de
sérieux risques, comme vous l'écrivez à la page 260...
M. Côté (Pierre-André): Si
l'interprétation est généreuse, on ne court aucun
risque.
M. Rémillard: Si vous mettez des
interprétations.
M. Côté (Pierre-André): Si
l'interprétation est généreuse et vous m'avez dit qu'en
matière constitutionnelle l'interprétation doit être
généreuse.
M. Rémillard: Oui, mais c'est vous qui êtes
l'expert. Vous écrivez, à la page 260, qu'il y a des risques
qu'on se retrouve devant une interprétation limitative, restrictive.
Vous citez même des précédents.
M. Côté (Pierre-André): Ce que je dis, c'est
que, si quelqu'un veut donner une interprétation limitative, il peut
trouver là un motif de donner une interprétation limitative.
C'est ce que je dis.
M. Rémillard: Oui, c'est exactement cela. Le motif est
là pour donner une interprétation limitative.
M. Côté (Pierre-André): C'est l'occasion.
M. Rémillard: L'occasion est là.
M. Côté (Pierre-André): L'occasion est
donnée.
M. Rémillard: L'occasion fait le larron.
M. Côté (Pierre-André): Si
l'interprétation est négative et restrictive, on court
peut-être encore plus de risques avec une clause qui n'est pas
définie parce qu'à ce moment-là...
M. Rémillard: D'une part, il y a un risque parce qu'on
dit: Si ce n'est pas défini, il y a un risque; d'autre part, si c'est
défini, il y a un risque aussi. Et là il y a une
interprétation du risque que vous devez faire. Là, vous nous
dites: Cela dépend de l'interprétation globale qu'on va faire. Je
vous suggère quelque chose parce que là, on est devant deux
risques. C'est le beau risque, quoi!
M. Côté (Pierre-André): C'est souvent comme
cela.
M. Rémillard: Professeur Côté, est-ce qu'on
pourrait se référer à l'intention du constituant?
M. Côté (Pierre-André): Vous pouvez me le
décrire, ce constituant?
M. Rémillard: Ce que la Cour suprême a appelé
l'intention du constituant dans l'arrêt Skapinker, entre autres. Vous
vous le rappelez?
M. Côté (Pierre-André): Écoutez, c'est
évident que l'on peut se référer, dans
l'interprétation des lois, à l'intention du législateur ou
du constituant.
M. Rémillard: Donc, le législateur pourrait se
référer à l'intention des onze premiers ministres pour
interpréter la constitution.
M. Côté (Pierre-André): Je crois que vous
connaissez bien la jurisprudence de la Cour suprême là-dessus. Les
tribunaux ont hésité à dire que c'étaient
uniquement les gens qui avaient mis la main à la pâte qu'on devait
considérer comme étant le constituant. Là, cela
m'obligerait à faire des développements sur la possibilité
d'avoir recours à l'intention des personnes qui ont participé au
processus pour établir l'intention du constituant. L'intention du
législateur, est-ce que c'est l'intention du ministre, est-ce que c'est
l'intention du député qui vote pour? Écoutez, c'est un
grand débat.
M. Rémillard: Oui, mais dans l'affaire Skapinker... Le
chef de l'Opposition a fait cette référence cet
après-midi, je pense, en disant qu'il y avait l'intention du constituant
en ce qui regarde l'application de l'article 23 en fonction de l'article 73 de
la loi 101. C'est l'affaire de la toi 101 où on s'est
référé à l'intention du constituant. Â ce
moment-là, vous savez que la Cour suprême a été
assez claire sur l'intention du constituant.
Dans ce contexte, j'essaie simplement de voir avec vous, professeur
Côté, une évaluation du risque. Plusieurs avis juridiques,
de plusieurs sources différentes parmi les plus éminents
juristes, nous disent: Attention, le risque que vous avez en
définissant, même avec un "notamment" et toutes les clauses, est
beaucoup trop élevé par rapport à ce que vous pouvez en
retenir, surtout en prenant en considération l'intention du constituant
qui est, par tous ces exercices démocratiques que nous avons, de plus en
plus évident.
M. Côté (Pierre-André): Vous me parlez de
l'intention du constituant. Si on se met à lire les travaux
préparatoires et qu'on
s'aperçoit que les provinces ont refusé, à toutes
fins utiles, de consacrer par des textes habilitants le caractère
distinct du Québec, je ne sais pas si cela aura beaucoup de poids dans
l'interprétation généreuse de cette clause de
société distincte.
Le Président (M. Filion): Cela va, M. le ministre?
M. Rémillard: Pour le moment, oui.
Le Président (M. Filion): Oui. Je vais reconnaître
maintenant M. le chef de l'Opposition. Vous avez environ 25 minutes.
M. Johnson (Anjou): Le ministre a pris combien de temps?
Le Président (M. Filion): Le ministre a pris 18
minutes.
M. Johnson (Anjou): Alors, professeur Côté, je dois
vous dire comme vous êtes une bouffée d'air frais en dépit
de l'heure ici. Il n'y a pas de fla-fla, il n'y a pas de placotage, c'est
clair, limpide, trois pages et demie qui nous disent quoi? Qui nous disent
précisément que, contrairement, je crois - je ne veux pas
travestir vos propos, professeur Côté - à ce que ce
ministre nous raconte depuis une semaine, la seule chose qu'on peut conclure de
ce qu'on a devant nous, c'est qu'on ne le sait pas. Je crois que c'est cela,
l'objet de votre prose.
M. Côté (Pierre-André): Ce que j'ai
dit.,.
M. Johnson (Anjou): Vous ne venez pas nous dire que c'est bon ou
que c'est mauvais. Vous nous dites: On ne le sait pas et nous aurons la
réponse au fur et à mesure que leurs seigneuries se pencheront
sur les cas.
Deuxièmement, le ministre se promène depuis des semaines
pour expliquer que la batterie des experts, les plus grands du Canada, y
compris quelques-uns assis derrière lui, lui auraient expliqué
que l'énumération est dangereuse. Et alors, lui, de citer le
"Peace, Order and good Government". On se souvient de la clause de 91 qu'on a
faite, si je me souviens bien, en deuxième année de droit, pour
reprendre une expression favorite de quelqu'un qui a déjà
témoigné. Moi, mon souvenir, c'est que la doctrine et la
jurisprudence, contrairement à ce que disait le ministre tout à
l'heure au sujet de l'interprétation restrictive de "Peace, Order and
good Government" à l'article 91, du fait qu'il y avait une liste de
seize éléments énumérés par la suite, y
compris un la) et un 2a).,. Cette interprétation restrictive est venue
du fait que, si ces matières n'avaient pas été dans la
liste de l'article 91, elles auraient été présumées
par définition être dans l'article 92 et c'est pour cela qu'on les
a interprétées restrictivement. Deuxièmement, cela n'a pas
empêché les tribunaux, le ministre s'en souviendra, de
déclarer la théorie des urgences ou des dimensions nationales.
Dans le cas des dimensions nationales, on sait que le Québec l'a
toujours rejetée.
Alors, je pense que le ministre, de ce côté, quant à
la doctrine et même à la jurisprudence, s'est arrêté
à un moment du Conseil privé et qu'il a oublié la suite
des événements, parce que, par la suite, la raison pour laquelle
la théorie du "Peace, Order and good Government" était restreinte
a été parfaitement élaborée par le Conseil
privé. Je pense que le ministre avait des références qui
dataient là-dessus.
Cela dit, professeur Côté, je suis bien conscient que ce
que vous nous dites, c'est: On ne le sait pas. Deuxièmement, je crois
comprendre que vous ne voulez pas être sur la liste du premier ministre
pour la Cour suprême, en disant que vous les plaignez bien, ces juges,
pour le moment en tout cas. Je prends le communiqué du lac Meech.
D'abord, je pose également la question que j'ai posée à Me
Duplé: Est-ce que c'est la version française ou la version
anglaise qui prévaudra dans le cas de la société distincte
devant la Cour suprême, à votre avis?
M. Côté (Pierre-André): La version qu'on ne
connaît pas, alors? Ha! Ha! Ha!
M. Johnson (Anjou): Oui, oui. C'est bien, oui. Ha! Ha! Ha! On n'a
pas les textes.
M. Côté (Pierre-André): Encore une fois, il y
a un principe qui veut que les deux versions aient pareillement
autorité.
M. Johnson (Anjou): Voilà! Et si, pour une raison ou pour
une autre, l'interprétation des mots, compte tenu du cas qui est
étudié, amène des interprétations
différentes en anglais et en français, laquelle
prévaut?
M. Côté (Pierre-André): C'est celle que la
cour décidera de retenir.
M. Johnson (Anjou): Alors, cela peut être le sens commun ou
le "common sense".
M. Côté (Pierre-André): Je vais reprendre le
vocabulaire: celle qui d'après la cour correspondra à l'intention
du constituant.
M. Rémillard: Cela, c'est intéressant.
M. Johnson (Anjou): Ah boni
Deuxièmement, l'intention du constituant. Puisqu'on y est, juste
une remarque pour le ministre. Dans la cause du
Protestant School Board, datée de juillet 1984, les dispositions
des articles 72 et suivants de la loi 101 ont sauté, c'est l'article 23.
Nous, on prévoyait la "clause Québec", on s'en souvient, dans la
loi 101. Le constituant, il faut se comprendre, il a un nom, il s'appelle
Pierre Elliott Trudeau. Il avait décidé que c'était
l'article 23 de la charte canadienne. Le hic, c'est que l'article 23 de la
charte canadienne qui établit la "clause Canada" reprend $ peu
près mot à mot la formulation de la loi 101, mais change le mot
"Québec" pour le mot "Canada". Ce n'était pas bien
compliqué. Je pense qu'il ne fallait pas nécessairement
être à la Cour suprême depuis 50 ans pour constater qu'il y
avait une intention manifeste.
C'est, d'ailleurs, ce que nous disent les juges de la Cour
suprême. Il y a une intention très claire en utilisant ce
vocabulaire, nous dit la Cour suprême, que le but du constituant,
c'est-à-dire Pierre Elliott Trudeau et les autres premiers ministres,
c'était de renverser les dispositions de la loi 101 en matière
d'éducation. Je vais vous dire, entre vous et moi: On l'a donc senti le
jour où il a rapatrié! On n'a pas besoin de la Cour suprême
pour savoir cela. Le jour où on a vu l'article 23, c'était le
décalque des articles de la loi 101, mais on avait changé le mot
"Québec" pour le mot "Canada". Je pense que c'était clair. Pour
le reste, l'intention du constituant, je ne sais pas si ce sont les propos
d'hier soir ou d'avant-hier soir du ministre - et ça, c'est mon
problème - dans la mesure où la Cour suprême
s'intéressera aux échanges que nous avons eus à cette
commission. Pour une raison ou pour une autre, j'en doute. Je pense que le but
du constituant ne sera pas toujours évident, selon que le ministre
parlait à 11 h 15 le matin ou à 11 h 15 le soir sur le même
sujet, deux jours différents, après le témoignage
d'experts différents.
En ce sens, je crois que la sagesse des propos de Me Côté,
c'est de nous dire qu'on ne le sait pas. Et, dans la mesure où on ne le
sait pas, ce sera quoi la portée de la société distincte?
Ce que nous dit Me Côté, c'est que, si vous pensez que, pour la
constitution, l'interprétation va être généreuse,
alors si vous faites une énumération, ils vont être
généreux avec l'énumération et ils vont être
généreux en disant que ce n'est pas limitatif si on met le mot
"notamment". Si vous pensez que l'interprétation par la Cour
suprême, ce sera restrictif à l'égard du Québec -
Dieu sait qu'historiquement, si on regarde les jugements depuis quelques
années, cela a eu tendance à être restrictif - à ce
moment-là, l'énumération vient de vous permettre de sauver
les meubles sur quelques affaires.
Une voix: C'est le contraire.
Une voix: Mais non, mais non, mais non.
M. Johnson (Anjou): Non, non, non, non, non. Absolument pas. Je
m'explique. La société distincte, est-ce que cela veut dire
beaucoup ou pas beaucoup? Si vous pensez que la société
distincte, cela veut dire beaucoup - c'est votre théorie, d'ailleurs;
cela veut dire tout, d'ailleurs; tout est dans tout et rien dans rien; cela m'a
l'air - si vous pensez vraiment que la Cour suprême aura une
interprétation généreuse, là vous diriez, parce que
vous présumez qu'elle risque d'être généreuse: Bien,
n'énumérons rien parce qu'elle sera généreuse et
elle permettra au concept de société distincte de s'appliquer
à tout. Même qu'à un moment donné on va avoir deux
systèmes de partage des pouvoirs au Canada, au bout de quinze ans. Bon.
Par contre, Me Côté nous disait, je crois, que si vous
présumez que l'interprétation est généreuse en
droit constitutionnel, qu'est-ce qui vous empêche
d'énumérer avec le mot "notamment"? Cela n'empêchera pas
que l'interprétation soit généreuse. C'est
l'hypothèse où ils sont généreux dans
l'interprétation.
Maintenant, prenons l'hypothèse où ils sont restrictifs -
ils et elles - à la Cour suprême. S'ils sont restrictifs dans la
notion de société distincte, qu'ils ont décidé que
cela s'appliquait essentiellement au Canada bilinque, que cela restait dans le
paragraphe (1) qui parle au paragraphe (2), et inversement, que cela ne
déborde pas tellement de cela et que cela ne passe pas le test d'une
disposition spécifique, par exemple, de la charte des droits, à
ce moment-là l'intérêt, c'est d'énumérer pour
être sûr qu'on couvre un certain nombre de réalités:
par exemple, la réalité linguistique, la réalité
culturelle, la réalité de toute l'extension - et de ce qu'on peut
formuler le plus clairement possible -de ce que cela signifie, la
société distincte, au moins au sens commun, celui du constituant
et non pas celui de l'incertitude des juges de la Cour suprême.
En ce sens, je demanderais à Me Côté s'il
considère qu'il y a des failles dans mon raisonnement et je lui dirai
qu'il est là pour me les rappeler et que je n'en prendrai pas
ombrage.
M. Côté (Pierre-André): Vous avez
passé. Vous avez la note de passage et beaucoup plus.
M. Johnson (Anjou): Je vous remercie. Vous êtes bien
aimable.
M. Côté (Pierre-André): Pas de
problème, mais je suis dans la correction actuellement. C'est pour cela
que je vous réponds comme cela. Je voudrais que l'on clarifie une
question ici. On a parlé des
constituants. On s'est demandé: Est-ce que la Cour suprême
viendrait voir ce qui s'est dit aujourd'hui ou ce qui s'est dit ailleurs? Je
dois vous dire qu'assez récemment la cour a pris en considération
des propos qui avaient été tenus lors de l'élaboration de
la Charte canadienne des droits et libertés et elle a dit: Le
constituant, ce ne sont pas les gens qui ont travaillé à
l'élaboration de cette constitution. On peut tenir compte de ce qu'ils
ont dit, de ce qu'ils ont voulu, mais l'intention du constituant, c'est
l'intention que le texte manifeste. Si on peut tenir compte de ce qui s'est
dit, il ne faut y accorder qu'un poids minimal, a-t-on dit.
M. Johnson (Anjou): J'aurais une autre question, Me
Côté. Combien de temps nous reste-t-il?
Une voix: Quinze minutes. (23 h 15)
M. Johnson (Anjou): Quinze minutes. Une question assez
brève. Je comprends, encore une fois, qu'on est dans le domaine de la
stratosphère, surtout que vous avez réussi cette culbute qu'on a
imposée à tous nos experts - quand je dis "nos", je parle de ceux
de la commission - à tous ceux que nous avons entendus de devoir
travailler sur autre chose que des textes juridiques. Je dois vous dire que je
reconnais qu'il y a, dans votre attitude, comme dans celle de vos
collègues qui vous ont précédé, je pense, un sens
du risque assez extraordinaire de venir témoigner en l'absence de textes
juridiques. Je vous remercie de cela.
Mais toujours dans cette hypothèse que les principes que nous
avons dans le lac Meech - oui, dans le lac Meech - sont du droit, est-ce que,
d'après vous, la Cour suprême, devant une jurisprudence abondante
autour, par exemple, de la notion de liberté d'expression qui se ferait
au fur et à mesure des années... C'est déjà
commencé, d'ailleurs; 70 % des travaux de la Cour suprême portent
sur l'interprétation de la charte, si je comprends bien. Cela va
continuer de même pendant dix ans. D'après vous, lors de la
contestation d'une loi québécoise par une personne, par exempte,
dans le secteur linguistique, compte tenu de la rédaction que nous
avons, entre un principe élaboré par la Cour suprême sur la
nation de liberté d'expression et Ies mots "société
distincte", lequel des deux va l'emporter comme principe
d'interprétation?
M. Côté (Pierre-André): Je pense que ce que
je vous ai dit, c'est qu'on ne le sait pas.
M. Johnson (Anjou): On ne peut pas affirmer...
M. Côté (Pierre-André): On ne peut pas. On
ne peut que supputer.
M. Johnson (Anjou): On ne peut que supputer. On ne peut pas
affirmer catégoriquement, comme il m'est arrivé de l'entendre,
ici, à plusieurs reprises, qu'il est très clair que la
société distincte permettra, chaque fois qu'il y aura des
conflits, d'éclairer la Cour suprême et de présenter cela
comme une espèce de certitude mathématique que la Cour
suprême va faire en sorte que c'est la société distincte
qui l'emporte tout le temps sur la charte canadienne. On ne peut pas affirmer
cela, si je comprends bien. On ne le sait pas.
M. Côté (Pierre-André): Je ne le crois
pas.
M. Johnson (Anjou): Ca pourrait que ça arrive, mais...
M. Côté (Pierre-André): Effectivement et on a
chacun notre opinion sur les possibilités que ça arrive. On verra
à ce moment. Je vais vous corriger, parce que ce ne sont pas les textes
que la Cour suprême va interpréter sur la liberté
d'expression. Ce sont des textes constitutionnels qui, eux aussi, doivent avoir
une interprétation large et généreuse. On a deux
interprétations généreuses de deux principes
inconciliables peut-être, dans un cas concret.
M. Johnson (Anjou): Voilà. On ne peut pas à la fois
être généreux sur l'extension de la liberté des
personnes et sur le concept de droits collectifs qui s'appelle une
société.
M. Côté (Pierre-André): II faut,
malheureusement parfois, choisir. Il faut choisir.
M. Johnson (Anjou): II faut qu'à un moment donné on
se décide. D'accord. Quant à moi, je pense qu'on a fait pas mal
le tour. Encore une fois, je considère que vos propos sont
extrêmement éclairants, ils sont limpides. En tout cas, ils nous
révèlent des univers d'incertitude devant nous. Mais c'est cela
qui rend le droit intéressant. Je ne suis pas sûr que ça
rend l'avenir des peuples intéressant, mais cela rend le droit
intéressant.
M. Côté (Pierre-André): Je ne veux pas
être juge, mais j'aimerais être avocat.
Le Président (M. Filion): Merci.
M. Rémillard: Oui, vous venez de dire que vous aimeriez
être avocat et, de fait, il faut bien comprendre que c'est la preuve qui
peut faire en sorte que le tribunal penchera d'un côté ou de
l'autre. On n'a pas parlé beaucoup du travail de la preuve devant le
tribunal. Il faut comprendre qu'il y a une plaidoirie à faire et
qu'on devra plaider une société distincte et un rôle qui
appartient maintenant à l'Assemblée nationale et au gouvernement
du Québec de protéger et promouvoir. Vous avez là un jeu
d'interprétation aussi sur lequel je ne vous ai pas entendu et qui donne
donc une base juridique nouvelle que vous n'explicitez pas dans votre texte,
mais qui peut servir, le aussi, à l'interprétation comme
telle.
M. Côté (Pierre-André): Tout à fait.
Je suis tout à fait d'accord.
M. Rémillard: Donc, jusqu'à présent, on n'a
pas tenu compte, dans nos discussions, de ce troisième paragraphe. Je le
gardais pour la fin parce que c'est vraiment un élément qui vient
mettre le chapeau. D'une part, on reconnaît la société
distincte et on en a discuté depuis tout à l'heure. D'autre part,
on confirme un rôle, c'est le rôle - et vous savez quelle
implication on peut donner au point de vue de l'interprétation
législative à ce mot rôle - de protéger et de
promouvoir ce caractère spécifique. Donc, c'est dans ce contexte
que la règle d'interprétation est élaborée et
qu'elle doit s'appliquer.
Dans ce contexte, je me réfère à ce que disait le
juge Turgeon, de la Cour d'appel, en 1980. Vous le citez aussi dans votre
livre, je crois, lorsqu'il dit: "Le terme générique ou collectif
qui complète une énumération se restreint à des
choses du même genre que celles qui sont énumérées
même si, de par sa nature, ce terme générique ou collectif,
cette expression générale est susceptible d'embrasser beaucoup
plus".
M. Côté (Pierre-André): C'est dans
l'interprétation statutaire, n'est-ce pas?
M. Rémillard: C'est dans l'interprétation qui est
à la ligne. On se demande où vraiment le tribunal va tracer cette
ligne, comme vous l'avez dit au départ dans votre exposé.
D'ailleurs, tout votre texte est en fonction d'une interprétation
statutaire. Vous-même, vous avez fait votre texte sur
l'interprétation statutaire. Nous espérons une
interprétation large et généreuse, bien sûr.
Dans ce contexte, je comprends, et je reviens à votre phrase de
départ, lorsque vous dites qu'une rédaction
détaillée est de nature à favoriser l'approche
littérale, lorsqu'on évalue le risque et qu'on se
réfère à l'intention du constituant. Si vous me permettez
une dernière remarque sur l'intention du constituant, en 1982,
c'était peut-être un peu difficile de situer le constituant.
Maintenant, avec la formule d'amendement, le constituant sera beaucoup plus
facile à déterminer puisqu'il y aura des résolutions
législatives avec débats parlementaires dans chacune des
Assemblées législatives et au Parlement canadien.
Vous connaissez mieux que moi les décisions de la Cour
suprême, les décisions du juge Lamer, entre autres, fort
remarquables et remarquées. Dans ce contexte, c'est à nous
d'apprécier ce risque. Pour nous, de par tous les avis que nous avons,
nous sommes convaincus qu'il ne faut pas prendre le risque de définir ou
d'énumérer, mais qu'il faut laisser au tribunal le soin
d'interpréter d'une façon qui soit la plus complète
possible, en se référant à l'intention du constituant et
en se référant à ce passage que vous n'avez pas
commenté - et j'aimerais vous entendre là-dessus, si vous le
permettez - sur ce rôle de l'Assemblée nationale et du
gouvernement de protéger et de promouvoir le caractère
distinct.
M. Côté (Pierre-André): Je pense que j'ai dit
tout à l'heure qu'en pratique c'était mieux d'avoir un argument
que de ne pas en avoir. Je pense que l'avocat qui veut défendre le
pouvoir du Québec se fondera non seulement sur la disposition
d'interprétation, mais également sur cette déclaration de
principe. Je dirais que c'est le rôle de l'Assemblée nationale et
du gouvernement de protéger et de promouvoir ses traits distinctifs.
Maintenant, quand on dit...
M. Rémillard: Vous me permettez...
M. Côté (Pierre-André): ...que c'est le
rôle, est-ce qu'on dit qu'il y a des pouvoirs qui vont avec ce rôle
ou si on dit simplement que les pouvoirs que vous avez déjà, vous
devrez les utiliser de manière à promouvoir et à
protéger les valeurs qui sont décrites plus haut? Je ne sais pas
si on peut considérer que c'est un texte habilitant.
M. Rémillard: M. Côté, vous me dites que
c'est un engagement de principe.
M. Côté (Pierre-André): Je dis que c'est une
déclaration de principe.
M. Rémillard: Une déclaration de principe. Quelle
différence faites-vous - je pense que ce serait important de vous
entendre là-dessus - entre ce rôle de l'Assemblée nationale
et du gouvernement de protéger et de promouvoir la langue
française et le texte qu'on peut retrouver à l'article 36.(2),
que vous avez vous-même commenté, de la Loi constitutionnelle de
1982, qui se lit comme suit: "Le Parlement et le gouvernement du Canada
prennent l'engagement de principe de faire des paiements de
péréquation propres à donner aux gouvernements provinciaux
des revenus
suffisants, -etc?" Vous l'avez vous-même commenté. Je pense
que vous vous souvenez de ce que vous avez écrit en cette
matière.
M. Côté (Pierre-André): Non, je ne le crois
pas. Je pense que là on tombe vraiment dans le droit constitutionnel.
Personnellement, en général, j'ai tendance à croire qu'une
déclaration, qu'elle soit faite sous forme de règle
d'interprétation, qu'elle soit faite dans le préambule ou qu'elle
soit faite à l'intérieur de la loi, mais sous forme de
déclaration de principe, ce n'est pas habilitant en soi. Cela influe sur
l'interprétation des dispositions habilitantes, mais ces dispositions
sont ailleurs, elles sont à l'article 92.
M. Rêmillard: Vous écrivez qu'on ne connaît
pas la portée de l'article 36 qui pourrait être
considéré comme exécutoire ou déclaratoire de
droits.
M. Côté (Pierre-André): Vous pouvez me
rafraîchir la mémoire. Où est-ce que cela a
été publié? Je regrette, je ne me souviens pas.
M. Rémillard: Bien sûr, c'est une déclaration
de principe et c'est écrit ainsi. Je voudrais souligner que, dans la
déclaration du lac Meech, on ne parle pas d'une déclaration de
principe.
M. Côté (Pierre-André): Oui, mais on peut
considérer que cela en est une, même si ce n'est pas
écrit.
M. Rémillard: Vous, vous le considérez ainsi, mais,
quand le constituant a voulu en faire une déclaration de principe, il y
a un précédent dans la constitution, c'est l'article 36.(2)
où il écrit que c'est en principe. Là, il ne l'indique
pas. Est-ce que le constituant a parlé pour ne rien dire?
M. Côté (Pierre-André): Vous connaissez comme
moi l'autorité du principe d'uniformité d'expression. Alors,
parfois il arrive que des constituants s'expriment différemment dans des
circonstances différentes.
M. Rémillard: J'ai terminé et je voudrais vous
remercier d'avoir témoigné.
Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Une dernière question, très
rapidement, je sais que vous êtes concis dans vos réponses,
maître. La Charte canadienne des droits et libertés a comme
objectif - c'est un mot qui n'est pas très populaire de ce temps-ci,
qu'il soit national ou pas - de protéger les droits individuels. Or, il
arrive - c'est ce qui se passe de façon générale devant
les tribunaux - que beaucoup de lois sont contestées au nom des droits
individuels. Or, quant au principe de société distincte, dans une
clause essentiellement d'interprétation et non pas une clause de droit
substantif - je pense qu'on a établi cela tout à l'heure - quelle
est la tendance, en ce moment, des tribunaux entre trancher dans du droit
substantif visant à protéger les droits individuels et
protéger des notions de droit collectif?
M. Côté (Pierre-André): Je pense qu'en
général - je pourrais reprendre ce que j'ai dit au sujet de
l'article 41 de la Loi d'interprétation - les tribunaux,
traditionnellement, se sont montrés plus sensibles aux arguments mettant
de l'avant la protection des droits et libertés individuelles
qu'à des arquments faisant valoir des besoins coltectifs. Est-ce que
l'inscription du principe dans la constitution changera quelque chose? C'est
possible, mais, encore là, on ne le sait pas.
M. Johnson (Anjou): Merci, maître.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Le temps du
groupe ministériel est terminé. J'aurais peut-être une ou
deux questions, professeur Côté. On parle beaucoup, lorsqu'on
étudie cette clause, du caractère distinct du Québec au
paragraphe (3). Je pense que, dans votre exposé, vous avez
exprimé toute la portée, en somme, de l'incertitude de cette
règle d'administration du droit, avez-vous dit.
Je voudrais attirer votre attention sur le paragraphe (2), où le
Parlement canadien et toutes les Législatures provinciales, y compris,
bien sûr, cette Assemblée nationale, prennent l'engagement de
protéger la caractéristique fondamentale du Canada
déjà définie au paragraphe (1) comme étant le
caractère bilingue.
Or, je dois comprendre - vous me corrigerez - qu'il s'agit, là
aussi, d'une rèqle d'administration du droit et non pas de ce que vous
avez défini comme étant une règle de fond du droit. Est-ce
que je me trompe, d'abord, sur ce point?
M. Côté (Pierre-André): Je pense -c'est ce
que je viens d'exprimer - que les paragraphes (2) et (3) présentent
certaines analogies, effectivement, avec des règles d'administration du
droit. Ce ne sont pas des règles qui, à mon avis - là, ce
n'est qu'un avis - créent des pouvoirs, qui imposent des devoirs qui
seraient susceptibles de sanctions; en tout cas, la sanction peut être
extrêmement difficile, autrement qu'à travers
l'interprétation des autres dispositions, des dispositions de fond de la
constitution. C'est
plus clair, me semble-t-il, dans le cas du paragraphe (3) que dans celui
du paragraphe (2).
Le Président (M. Filion): Est-ce que ce que vous venez de
dire me permet de conclure que, finalement, l'engagement de la
Législature québécoise pris au paragraphe (2) et le
rôle qu'on lui confie au paragraphe (3) participent, en somme, de la
même incertitude et que l'on peut aussi bien appliquer l'engagement que
prend l'Assemblée nationale de défendre, de protéger le
caractère bilingue du Québec et du Canada avec plus ou moins de
générosité ou de restriction de la même façon
que vous avez expliqué que la société distincte, telle que
définie au paragraphe (3), ou plutôt le rôle de
l'Assemblée et du gouvernement défini au paraqraphe (3),
soulevait cette incertitude quant à sa portée réelle? (23
h 30)
M. Côté (Pierre-André): Tout à fait.
Et je crois qu'il y a aussi là, en germe, une contradiction entre deux
objectifs qui peuvent se concilier, mais qui peuvent aussi être
contradictoires: celui de préserver le caractère bilingue du
Canada et du Québec, je pense, et celui de promouvoir cette
société distincte. Il y a des cas où ces deux objectifs
vont être en conflit, dans un cas particulier. Encore une fois, il n'y a
pas de règle de hiérarchisation. Ici, on ne dit pas: Le
paragraphe b) est plus important que le paragraphe a); (2) est plus important
que (3). Tout est dans le système et on appréciera.
Le Président (M. Filion): D'accord. Une dernière
question.
M. Rémillard: M. le Président, après,
j'aimerais poser moi aussi des questions.
Le Président (M. Filion): Est-ce vrai, M. le ministre? Si
le consentement est donné.
M. Johnson (Anjou): Vous avez besoin de mon consentement.
Le Président (M. Filion): Juste avant, vous me permettez.
Je pense que mes questions...
M. Johnson (Anjou): On va vous le donner en fin de soirée.
Je vais vous laisser une question.
Le Président (M. Filion): En fin de soirée, bon.
Vous me permettrez de terminer quand même, M. le ministre.
Une voix: Une simple opposition libérale en fin de
soirée.
M. Johnson (Anjou): À condition que vous me donniez le
consentement aussi pour conclure étant donné que c'est sur mon
temps. Merci.
Une voix: Le chef de l'Opposition est libérai.
Le Président (M. Filion): Une deuxième question
d'un tout autre ordre. J'ai été fasciné de voir que. vous
avez résumé à la page 6 de votre mémoire, à
l'avant-dernier paragraphe, de façon aussi concise et précise que
ce qui... En somme ce que je n'aurais pu faire, en tout cas, sûrement
à votre place. Vous dites: "L'expérience québécoise
et canadienne montre que, de manière générale, les
tribunaux ont manifesté plus d'affinité pour les principes
d'interprétation qu'ils avaient eux-mêmes élaborés
que pour ceux que le législateur voulait qu'ils appliquent." Bien
sûr, on ne l'a pas manifesté ce soir, mais le principe de
l'interprétation s'applique évidemment lorsque les règles
de fond sont déficientes et n'apportent , pas une réponse claire
à la situation portée devant les tribunaux. Et à ce
moment, vous nous dites, à la page 6, que les tribunaux qui
eux-mêmes se sont donné des principes d'interprétation ont
tendance, et c'est normal, à se référer à ce
qu'eux-mêmes ont construit plutôt qu'à ce que le
législateur aurait voulu qu'ils utilisent en pareil cas. M. le
professeur, en terminant ma question, j'apprécierais que vous puissiez
détailler un peu cela, s'il vous est loisible de le faire.
M. Côté (Pierre-André): Je pense que
c'était une autre façon d'exprimer ce que j'avais essayé
de démontrer. Les divers principes d'interprétation qui
favorisent l'interprétation restrictive des statuts sont des principes
d'élaboration jurisprudentielle: la protection de l'accusé en
matière pénale, la protection du contribuable en matière
fiscale, l'interprétation restrictive des lois qui limitent la
liberté, qui portent atteinte à la propriété, etc.
Voilà des principes que les tribunaux eux-mêmes ont
détaillés.
D'autre part, le législateur dans la Loi d'interprétation
dit: Mes lois, ne les interprétez pas restrictivement, qu'elles soient
pénales ou autres; interprétez-les généreusement.
Je constate simplement que les tribunaux ont plutôt... Et je pense que
cela va dans le sens des droits individuels, des valeurs collectives. Je pense
que cela recoupe les commentaires qu'on a faits sur cela. La tendance a
été dans le passé, effectivement - je pense qu'il suffit
de le constater et cela correspond à un choix de valeurs - de donner la
préférence à l'interprétation restrictive au nom de
la protection de la liberté et au nom de la protection de la
propriété. Alors, il ne faut pas s'étonner que l'on
affirme que la Charte des droits et libertés est d'interprétation
large et libérale. Pourquoi? Parce qu'elle
protège la liberté. La charte canadienne, peut-être
pas la propriété, mais enfin c'est une Charte des droits et
libertés. Il ne faut pas s'étonner que les tribunaux soient
d'accord pour une interprétation généreuse. Cela
correspond à leur tradition de protection des droits qui est une
tradition dont ils sont fiers, à juste titre.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie. Il nous
reste... Alors, M. le ministre, de consentement.
M. Rémillard: Cela va être pour nous
éclairer, tout le monde. Vous semblez, professeur Côté,
mettre sur un même pied le principe de la dualité et la
reconnaissance du Québec comme société distincte. Au
début, j'ai cru comprendre que ce n'était pas la même
chose. Vous avez dit que l'une était plus restrictive que l'autre mais,
finalement, à la question du président, j'ai cru comprendre que
vous mettiez les deux principes sur un même pied, disons qu'ils pouvaient
se contredire ou...
M. Côté (Pierre-André): J'ai dit que ce sont
deux principes d'interprétation à leur face même, a) et b),
et qu'il n'y a pas de hiérarchie établie entre les deux.
M. Rémillard: Oui. Est-ce que vous avez remarqué...
En fait, vous avez certainement remarqué qu'il y a une rédaction
bien différente entre ce qui regarde la dualité et la
spécificité québécoise. D'une part, on parle de la
reconnaissance de l'existence d'un Canada francophone concentré, mais
non limité au Québec et la suite; d'autre part, on dit que le
Parlement et les Législatures des provinces - alors, c'est seulement au
niveau législatif et non pas gouvernemental dans un premier temps - dans
l'exercice de leurs compétences respectives - donc, la clause de
non-dérogation - prennent l'engagement -donc, c'est un voeu - de
protéger, non pas de promouvoir, mais de protéger, la
caractéristique fondamentale du Canada mentionnée au paragraphe
(l)a). Tandis que vous avez la reconnaissance que le Québec forme au
sein du Canada une société distincte. Il est bien évident
que, si vous reliez cette société distincte au principe de ta
dualité, cela veut dire qu'il y a un fait français qui est
concentré, mais non limité au Québec. Il est
évident qu'on fait référence au fait français dans
la société distincte, au départ. On n'a pas besoin
de...
M. Côté (Pierre-André): ...et au fait
anglais.
M. Rémillard: On n'a pas besoin de chercher. Pardon?
M. Côté (Pierre-André): Et au fait anglais
qui est présent au Québec.
M. Rémillard: C'est cela. Alors, on n'a pas besoin de
chercher bien loin, il est là.
M. COté (Pierre-André): C'est cela.
M. Rémillard: Le paragraphe (3) n'a pas du tout la
même teneur que le paragraphe (2) concernant la dualité. Vous avez
là l'Assemblée nationale et te gouvernement que vous ne
retrouviez pas en ce qui reqarde la dualité, d'une part. Vous trouvez un
rôle et non pas un engagement, et vous trouvez la promotion, pas
seulement la protection. Quand vous regardez cela, est-ce que cela ne vous
amène pas à préparer une certaine relation qui peut
être différente?
M. Côté (Pierre-André): Effectivement. On
doit présumer que des rédactions différentes
témoignent d'intentions différentes. Je serais bien malheureux
d'avoir à vous expliquer toutes les nuances que l'on pourrait apporter
ici. Je veux simplement dire que, de la même façon qu'un avocat
qui veut défendre un loi québécoise en matière
linguistique pourra se fonder sur la reconnaissance que le Québec forme
au sein du Canada une société distincte, l'avocat qui plaide pour
l'autre partie pourra invoquer la présence au Québec d'un Canada
anglophone, et il s'agit de le reconnaître, de ne pas mettre sa survie en
péril. Chacun de son côté invoquera le principe
d'interprétation qui convient à sa cause et c'est de la nature
des principes d'interprétation.
M. Rémillard: Cependant, professeur Côté,
vous conviendrez que l'avocat qui veut faire référence à
la dualité devra plaider que cette loi linguistique est
nécessaire pour la protection en ce qui regarde la dualité alors
qu'il pourra plaider la promotion en ce qui regarde la
spécificité.
M. Côté (Pietre-André): Ce sont...
M. Rémillard: Je crois qu'il ne faudrait pas minimiser cet
aspect, vous le savez autant que moi.
M. Côté (Pierre-André): Effectivement.
M. Rémillard: Si on faisait référence aux
batailles concernant - elles ne sont pas tellement loin, je ne veux pas parler
des choses qui sont devant les tribunaux... Je crois que vous allez très
bien concevoir et que vous êtes prêt à accepter le fait que
promouvoir est différent de protéger et, quand on est devant le
tribunal pour défendre une loi, avoir la possibilité de
démontrer la promotion, cela peut faire toute la différence.
M. Côté (Pierre-André): - Je suis tout
à fait d'accord.
M. Rémillard: Donc, les deux principes ne sont pas
pareils.
M. Côté (Pierre-André): Ce sont deux
principes d'interprétation et donc, ils sont pareils à cet
égard.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
M. Johnson (Anjou): Non, mais... Je pense que c'est important. Je
comprends que le ministre ait, à 11 h 40, un rire qui n'est pas
adressé à notre invité, je sais, mais qui traduit sans
doute sa tension pour des raisons que je peux comprendre. Mais je veux
simplement revenir là-dessus, je pense que Me Tremblay a très
bien établi qu'il ne s'agit pas ici de droits substantifs, mais
strictement de clause d'interprétation et, en ce sens, il ne faut pas
chercher du droit substantif dans ce que sont des clauses
d'interprétation. Deuxièmement, le ministre ne nous a-t-il pas
dit tout à l'heure, quand il posait la question à Me
Tremblay...
Une voix: À Me Côté.
M. Johnson (Anjou): ...à Me Côté, pardon.
D'ailleurs, c'est l'heure, c'est l'heure. Mais moi, ce n'est pas la tension,
voyez-vous, c'est plus l'attention, parce qu'il faut faire attention dans votre
cas. Le ministre ne reconnaît-il pas que Me Côté a bien dit
tout à l'heure: L'avocat qui voudra défendre une loi linguistique
du Québec va dire: Écoutez, c'est dans le cadre du rôle de
l'Assemblée nationale de promouvoir le caractère distinct du
Québec que c'est fait? L'avocat d'Alliance Québec ou du
Protestant School Board ou de l'ingénieur arrivé de Calgary qui
dit: Au nom de la liberté d'établissement, ne m'enquiquinez pas
avec votre réglementation' de l'Office des professions sur le
français, lui, va plaider la protection de la présence anglophone
au Québec. Quand on regarde le reste de la charte canadienne, on se rend
compte qu'il y a une affaire assez dominante en 1982 qui s'appelle la
protection des droits et libertés dans la charte canadienne.
Est-ce que le mot "protection" ne renvoie pas, à toutes fins
utiles, à l'idée même de la charte canadienne et, puisque
ce sont des dispositions de droit substantif, ne prévaudra-t-elle pas
sur une simple clause d'interprétation? Je soumets ça à la
réflexion du ministre et je suis sûr qu'il devra
réfléchir à ça d'ici le 2 juin et peut-être
le 2 janvier, étant donné que les négociations ne sont pas
terminées et qu'il semble que ça pourrait durer bien
au-delà de l'automne.
M. Rémillard: J'aimerais qu'on continue; je trouve
ça passionnant comme discussion. Mais protection veut dire
protéger, donc, conserver, conserver peut-être des droits acquis,
par exemple, alors que promotion veut dire aller plus loin. C'est tout
ça, le sens des deux, n'est-ce pas, M. Côté?
Alors, quand on arrive devant le tribunal et qu'on à
interpréter le sens de ces mots, c'est évident que ça peut
être différent. Je me réfère toujours, Me
Côté, à l'article 36 de la constitution de 1982, où,
à l'article 36, le constituant, le rédacteur de la constitution,
a écrit; concernant la péréquation et les
inégalités régionales: "Le Parlement et le gouvernement du
Canada prennent l'engagement de principe de faire des paiements..."
C'était une déclaration de principe; c'est évident,
c'est écrit. On se souvient de tous les débats autour de cet
article 36, alors que, là, on ne l'a pas, ce mot "principe". Ce n'est
pas par hasard qu'on ne l'a pas, Me Côté. Ce n'est pas par
hasard.
M. Côté (Pierre-André): Imaginons qu'un
gouvernement manque à cet engagement. Qu'est-ce qu'un citoyen peut
faire? Obtenir un ordre du tribunal d'adopter une loi? Effectivement,
peut-être qu'on peut dire que ça va plus loin. Mais ce que j'ai
dit, c'est que c'est un engagement dont on voit mal comment il pourrait
être exécutoire. Là, j'entre dans un domaine où je
reconnais ma totale incompétence.
M. Rémillard: Mais je crois que votre question est
intéressante. On est tous d'accord sur un point - je pense que le chef
de l'Opposition est d'accord et vous l'avez dit aussi - c'est que ces
règles d'interprétation qui sont même une base de pouvoir
en ce qui regarde le paragraphe (3) ne changent pas le partage des pouvoirs,
te! qu'il existe. Vous l'avez mentionné tout à l'heure et vous
avez parfaitement raison. L'assurance-chômage, qui est
fédérale, ne deviendra pas provinciale, parce qu'on a cet
article-là. Cependant, dans les cas d'interprétation du partaqe
des compétences législatives, dans un cas d'ambiguïté
en ce qui regarde tout à coup une compétence dont on ne sait pas
si ça pourra appartenir au gouvernement fédéra! ou aux
provinces, parce qu'on n'a pas tout prévu à 91 et 92, il y a des
cas qui vont poser des problèmes. À ce moment-là, cette
règle pourrait être utilisée, non seulement dans le sens de
la protection, mais - c'est là que ce serait important - de la
promotion. C'est là que le mot "promotion" va prendre tout son sens en
fonction du partage des compétences législatives, en regard de
cette ambiguïté qui, immanquablement, va se retrouver... Tant qu'on
vivra dans cette fédération, il y aura des ambiguïtés
sur le partage des
compétences législatives. C'est évident.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie.
Peut-être que le ministre me permettra, vu que j'ai abordé cette
question des deux paragraphes, de terminer, en ce qui me concerne, avec une
question adressée à M. le professeur Côté.
Le ministre, vis-à-vis de ces deux principes
d'interprétation contenus aux paragraphes (2) et (3) de la clause du
caractère distinct, essaie de faire valoir la différence entre le
mot "engagement" et le mot "rôle", entre les mots "protéger" et
"promouvoir". Mais j'apprécierais peut-être avoir votre
réaction quant à l'expression utilisée au paragraphe (2),
le paragraphe (2), encore une fois, étant celui qui définit
l'engagement de l'Assemblée nationale eu égard au
caractère bilingue du Québec et du Canada, où l'on parle
de protéger la caractéristique fondamentale.
On ne dit pas "une caractéristique fondamentale"; on dit "la
caractéristique" et on dit "fondamentale". Ma question est la suivante,
finalement, et je sais qu'on est en train, de part et d'autre, peut-être,
de faire valoir les arguments que les avocats vont faire valoir, parce qu'on
demande, en définitive, aux juges de trancher nos problèmes, mais
cela, c'est une autre question: Est-ce que l'utilisation, encore une fois, de
ces expressions ne vient pas vous confirmer le fait qu'un principe
d'interprétation est contenu au paragraphe (2) et qu'un autre principe
d'interprétation est contenu au paragraphe (3) et qu'il est bien
possible que, lorsque l'on invoquera le principe d'interprétation du
paragraphe (3), automatiquement, on est à peu près assurés
que l'on invoquera également, spécialement s'il s'agit d'une
matière linguistique, le principe d'interprétation contenu au
paragraphe (2)?
M. Côté (Pierre-André): Pour mettre les
choses un peu plus claires, disons que les principes d'interprétation,
à proprement parler, sont à a) et b). Premièrement, cela
s'adresse au tribunal; deuxièmement, cela s'adresse aux Parlements ou
aux Législatures qui prennent un engagement qui n'est pas un engagement
de principe. D'accord, cela peut être différent, mais vous
concéderez que cela peut être la même chose aussi et que
c'est un engagement en rapport avec le principe énuméré
à a). C'est pour cela qu'on a écrit "la" lorsqu'il s'agit de la
caractéristique mentionnée à (l)a) et non pas "une"
caractéristique mentionnée à (l)a). C'est
celle-là.
Pour ce qui est du troisième paragraphe, c'est le paragraphe b)
qui est vu sous l'angle du rôle de l'Assemblée nationale et du
gouvernement. Encore une fois, on peut se demander si le fait de dire que l'As-
semblée nationale a un rôle, cela veut dire qu'elle a un pouvoir.
Ce que je pense, c'est que cela ne donne pas en soi de pouvoir, mais cela peut
infléchir une interprétation dans le sens de la reconnaissance de
pouvoir.
M. Rémillard: C'est exactement cela.
M. Johnson (Anjou): J'y reviendrais puisque le ministre...
Une voix: ...
M. Johnson (Anjou): Non, non, mais le ministre m'avait
demandé son consentement. Je lui avais dit... Il était
obligé d'accepter que ce serait moi qui conclurais là-dessus,
pour une fois.
Me Côté, je reviens sur vos derniers propos. Vous dites:
Oui, cela pourrait influencer comme règle d'interprétation. Mais
là, je pars du droit d'interprétation et je vais au droit
constitutionnel. D'après vous, est-ce concevable - et si vous
préférez ne pas y répondre en droit constitutionnel, je ne
vous en tiendrai pas rigueur - qu'en vertu de cette règle
d'interprétation qui pourrait possiblement, dans les zones galactiques
d'incertitude qu'on a devant nous, infléchir une décision des
tribunaux quant à une juridiction du Québec, n'est-il pas
possible que l'on décide à un moment donné que, dans le
cas du Québec, telle législation qui est dans un domaine de "no
man's land" entre le qouvernement fédéral et le Québec,
cela, c'est de juridiction québécoise? Puis, dans le cas de
l'Île-du-Prince-Édouard, parce que ce n'est pas une
société distincte, cela ne le serait pas, cela serait
fédéral. Cela serait déclaré provincial dans le cas
du Québec à cause de la société distincte, mais
dans le cas de l'Île-du-Prince-Édouard, cela ne pourrait pas
l'être parce que ce n'est pas une société distincte,
M. Côté (Pierre-André): Je regrette, mais je
préférerais probablement terminer en ne répondant pas
parce que je sais que vous allez recevoir ici d'autres personnes qui sont
beaucoup plus expertes que moi. Est-ce que cette clause-là peut mener
à ce que l'on a appelé un fédéralisme
asymétrique, un fédéralisme asymétrique que les
constituants me paraissent avoir rejeté? C'est une grande question. Je
regrette, mais je ne peux pas y répondre.
M. Johnson (Anjou): Je me permettrai, en terminant, Me
Côté, de vous remercier et de vous dire que oui, en effet, je suis
d'accord avec vous que les constituants, jusqu'à maintenant, ont
rejeté le concept de fédéralisme asymétrique dans
la mesure où il-n'y a rien qui est caractéristique au
Québec dans ce document, sauf une disposition d'une clause
d'interprétation. Mais tout le droit
substantif, à l'exception de la Cour suprême met le
Québec - et cela datait d'avant 1982, 1875....
M. Rémillard: L'immigration.
M. Johnson (Anjou); L'immigration ouverte à toutes les
provinces.
M. Rémillard: Bien voyons, cela fait 150 %. Bien non, cela
n'est pas ouvert à toutes les provinces. Cela n'a pas de bon sens.
M. Johnson (Anjou); Entente concluante entre toutes les provinces
et le gouvernement fédéral.
M. Rémillard: Non.
M. Johnson (Anjou): Dans le cas de la Cour suprême, toutes
les provinces pourront fournir des listes pour la Cour suprême; dans le
cas du Sénat, en attendant que la réforme ait lieu, toutes les
provinces vont fournir des candidatures de sénateurs; dans le cas du
pouvoir de dépenser, toutes les provinces en profitent. Il n'y a rien de
distinctif dans cet accord pour le Québec; la seule chose qu'il y a de
distinctif, c'est que le Québec avait l'air pressé de
régler pour pas grand-chose. Deuxièmement, je crois aussi que je
verrais mal se développer au Canada le fédéralisme
asymétrique a partir d'une simple règle
d'interprétation.
Voyez-vous vraiment cela? Plus de pouvoir au Québec qu'aux autres
provinces à partir d'une règle d'interprétation? Je
comprends qu'on veut en mettre large sur le dos des tribunaux, mais il me
semble que c'est une décision qui relève du politique et non pas
des tribunaux. Le politique me semble avoir écarté cela et au
premier chef, je crois que le gouvernement du Québec l'a rejeté
lui-même dans ses demandes.
Le Président (M. Filion): Professeur Côté,
vous aurez remarqué l'intérêt que tous les membres de cette
commission ont porté à votre exposé et à la
période de discussions. Donc, nos remerciements sont très clairs,
autant pour vous être déplacé avec aussi peu de temps
d'avis que pour avoir préparé ce mémoire qui nous
restera.
Merci. Nos travaux sont ajournés jusqu'à demain 10
heures.
(Fin de la séance à 23 h 51)