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(Dix heures neuf minutes)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Cette séance de la commission des institutions est
déclarée ouverte.
M. Rochefort: M. le Président.
Le Président (M. Filion): Oui, M. le député
de Gouin.
M. Rochefort: M. le Président, je voudrais...
Une voix: II y a un remplacement! Mme Blackburn è la place
de M. Godin.
Le Président (M. Filion): On pourrait permettre, M. le
député de Gouin, à Mme la secrétaire, de nous faire
part des remplacements.
M. Rochefort: Oui.
Le Président (M. Filion): Je demanderais à la
secrétaire, Me Lucie Giguère, de nous faire part des
remplacements.
La Secrétaire: Les remplacements sont les suivants: M.
Godin (Mercier) par Mme Blackburn (Chicoutimi); M. Kehoe (Chapleau) par Mme
Pelchat (Vachon); M. Laporte (Sainte-Marie) par M. Lefebvre (Frontenac); M.
Paré (Shefford) par M. Brassard (Lac-Saint-Jean) et M. Vallières
(Richmond) par M. Séguin (Montmorency).
Organisation des travaux
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin, vous vouliez intervenir avant que je rappelle notre mandat.
M. Rochefort: Oui, M. le Président. Je voudrais adresser
une question au ministre responsable des relations
fédérales-provinciales. Comment dit-on cela maintenant? Le
ministre...
Une voix: Des Affaires intergouvernementales canadiennes.
M. Rochefort: ...des affaires canadiennes. M. le
Président, j'aimerais que le ministre nous fasse part de ses
décisions, étant donné que nous avons été
informés qu'au moins cinq nouveaux experts auraient communiqué
formellement avec le gouvernement et le secrétariat des commissions pour
demander à être entendus par la commission des institutions dont
le mandat est de tenir une consultation au sujet de l'entente du lac Meech. Au
moins cinq nouveaux experts ont communiqué avec les instances
gouvernementales pour demander formellement à être entendus avant
que la commission mette fin à ses travaux. J'aimerais savoir si le
ministre a pris une décision quant à la réponse qu'il
entend donner - en tout cas, j'en ai cinq; il y en a peut-être plus -
à ces cinq nouveaux experts qui ont fait une demande officielle.
Le Président (M. Filion): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, vendredi dernier, le
premier ministre, M. Robert Bourassa, a offert au chef de l'Opposition, M.
Johnson, la formule suivante: premièrement, que l'horaire de la
commission soit réaménagé pour permettre que quatre ou
cinq organismes ou individus suggérés par l'Opposition soient
entendus; deuxièmement, que ces noms soient transmis par M. Martin
Hébert, chef de cabinet du chef de l'Opposition, à M. Ronald
Poupart du cabinet du premier ministre. À ce moment-ci, M. le
Président, nous n'avons pas reçu réponse de l'Opposition
à cette offre. Est-ce qu'on peut connaître la décision de
l'Opposition sur ce point-là?
M. Rochefort: M. le Président, dans un premier temps, il
est important de souligner, si je comprends bien, que ça ne tient pas
compte des cinq nouveaux experts qui ont fait une demande au cours des
dernières heures pour être entendus par la commission si le
ministre se réfère, pour réponse à la demande de
ces cinq personnes d'être entendues par la commission, à une
conversation de vendredi dernier entre le premier ministre et le chef de
l'Opposition. Sauf erreur, ces cinq personnes n'avaient pas encore fait part,
à ce moment-là, de leur demande d'être entendues.
Deuxièmement, il faut être conscient que toute
l'organisation des travaux de cette deuxième partie de la commission
soulève quand même des problèmes importants. Par
les voies habituelles, normales, en suivant la procédure
régulière, 59 groupes et individus avaient formellement
demandé de participer à cette consultation de la commission des
institutions entourant l'entente du lac Meech. La première nouvelle
qu'on a entendue à la suite de ces demandes, c'est que le gouvernement a
décidé, sans aucune consultation avec l'Opposition, de faire
comparaître une quinzaine de groupes. Dans cette liste de groupes, on
retrouve des gens qui n'ont pas demandé formellement, par les voies
habituelles, à être entendus, alors qu'on refuse ce droit à
près de 45 groupes et individus qui avaient demandé par les voies
normales, d'être entendus.
Deuxièmement, la décision du gouvernement quant au choix
des quinze groupes et individus est d'introduire deux nouveaux experts, si on
peut employer l'expression, alors que, maintenant, on se retrouve avec une
demande formelle d'au moins cinq nouveaux experts qui souhaitent, eux aussi,
être entendus. D'autre part, il y a quand même au moins - et
facilement identifiables sans débat - huit groupes d'importance
nationale qui n'ont pas été retenus par le gouvernement. Pensons
à l'Alliance des professeurs de Montréal, à l'Association
québécoise pour la défense des droits des retraités
et des préretraités, au conseil...
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin, une seconde, s'il vous plaîtl
Sur une question de règlement, M. le leader adjoint.
M. Rochefort: Mais, M. le Président, je suis
déjà sur une intervention.
M. Lefebvre: M. le Président...
Le Président (M. Filion): Je vais écouter la
question de règlement du leader adjoint.
M. Lefebvre: ...en ouverture de séance, le
député de Gouin a fait référence à quatre ou
cinq experts. C'est une suggestion qu'il nous fait...
M. Rochefort: Je n'ai pas fait de suggestion, j'ai posé
une question.
M. Lefebvre: C'est une situation qu'il soulève, mais il
fait référence maintenant à une liste d'organismes et
d'intervenants qui souhaitaient, semble-t-il, selon les propos du
député de Gouin, être entendus alors que, finalement, la
commission a retenu quinze intervenants. Alors, il ne faudrait pas soulever
deux problèmes dans cette même intervention du
député de Gouin. J'aimerais bien qu'on dispose, dans un premier
temps, de la question soulevée par le député de
Gouin, è savoir que quatre ou cinq autres experts auraient
manifesté l'intention d'être entendus; j'aimerais que, dans un
premier temps, on règle ce problème. Quant au reste, on verra, M.
le Président.
Le Président (M. Filion): Oui.
M. Rochefort: M. le Président, sur la question de
règlement dans un premier temps et, ensuite, je poursuivrai, avec votre
permission. J'adressais une question très précise au ministre
justement en fonction de cinq nouveaux experts qui se sont ajoutés au
cours des dernières heures et le ministre me répond que cela fait
suite à une décision que le gouvernement a prise sur l'autre
volet, à savoir l'ensemble de la sélection qu'il a faite à
partir de la liste des 59 intervenants. Or, M. le Président, je veux
effectivement couvrir les deux angles, celui que j'avais déjà
ouvert et le nouvel angle qu'a ajouté le ministre dans sa
réaction.
Avec votre permission, M. le Président, j'entends poursuivre pour
vraiment bien situer les problèmes auxquels la commission est
confrontée quant à l'organisation de ses travaux.
Le Président (M. Filion): Oui. Avec votre permission,
effectivement, j'ai écouté attentivement l'intervention du
député de Gouin qui a soulevé, dès le
départ, la question des experts qui auraient manifesté leur
désir d'être entendus durant la fin de semaine. Pour moi, comme
vous le soulignez bien, M. le leader adjoint, il s'agit là d'un volet de
notre problème qui concerne l'ensemble de nos travaux.
Effectivement, j'ai quand même entendu le ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes
répondre à la question du député de Gouin en
faisant référence à une conversation qui concernait
l'ensemble des organismes et des groupes qui, selon les dires, encore une fois,
du député de Gouin, désireraient être entendus mais
n'auraient pas été retenus par le gouvernement. À ce
moment, je vous suqgère de traiter de l'ensemble de cette question dans
un tout parce qu'elle concerne, finalement, nos travaux et l'ensemble de nos
travaux. À ce moment, donc, je vais continuer à laisser la parole
au député de Gouin en rappelant aux membres de la commission que
cette contrainte du temps qui fait en sorte que ces interventions ont lieu,
continue d'exister évidemment pour nos travaux d'aujourd'hui.
M. Rochefort: M. le Président, avec votre permission, ce
que j'étais à dire c'est qu'il y a une décision
gouvernementale qui a été prise de convoquer 15 groupes alors
qu'on sait qu'il y a au moins 59 groupes et individus qui avaient
demandé à être entendus.
Deuxièmement, de ces quinze groupes et individus que le
gouvernement a décidé d'entendre, cinq ne sont pas des groupes
qui avaient formellement demandé à la commission, par les voies
habituelles, d'être entendus au cours de nos travaux de cette
semaine.
Troisièmement, il y a au moins huit groupes d'envergure nationale
qui ont carrément été écartés. On y retrouve
des personnes représentant les retraités et les
préretraités par l'Association québécoise pour la
défense des droits des retraités et des
préretraités qui avait demandé à être
entendue, l'Alliance des professeurs de Montréal, des groupes culturels
comme le Conseil québécois du théâtre, l'Union des
écrivains du Québec, l'Union des artistes. On retrouve des
mouvements nationalistes comme le Mouvement Québec français,
comme la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. On
retrouve aussi des représentants des jeunes du Québec par la
Fédération des associations étudiantes des collèges
du Québec, la FAECQ. Je répète que les huit groupes
auxquels je viens de faire allusion sont des groupes qui eux, contrairement
à cinq des quinzes groupes et individus que le gouvernement a
décidé d'entendre, avaient formellement demandé par les
voies habituelles, normales, d'être entendus par notre commission.
J'ajoute aussi, M. le Président, qu'au moins quatre partis
politiques ou mouvements politiques nationaux, qui avaient demandé eux
aussi formellement d'être entendus par la commission, n'ont pas
été retenus par le gouvernement alors qu'il a
décidé de faire entendre d'autres formations politiques.
Finalement, comme je le disais, en date de ce matin, quant aux informations que
je possède, il y a au moins cinq nouveaux experts qui, dans les
dernières heures, ont demandé à être entendus eux
aussi en suivant les procédures habituelles, normales, les voies
régulières, donc, en communiquant avec les instances
gouvernementales et les instances responsables de l'organisation des travaux de
la commission.
M. le Président, il y a Me Guy Tremblay, qui est un auteur bien
connu dans le domaine constitutionnel, Me José Woehrling, qui elle aussi
est une constitutionnaliste bien connue.
Le Président (M. Filion): Lui aussi.
M. Rochefort: Lui aussi, excusez-moi. Il y a M. Claude Morin, qui
est bien connu pour ses connaissances dans les affaires constitutionnelles
touchant les relations Québec-Ottawa, et M. Daniel Latouche, dont les
écrits ont d'ailleurs été utilisés pas plus tard
que jeudi dernier par le ministre des relations
fédérales-provinciales. J'imagine qu'on lui reconnaît une
certaine notoriété.
Finalement, il y a M. Pierre-André Côté, qui est
probablement reconnu comme un des plus grands experts, sinon comme le plus
grand expert au Canada dans le domaine de l'interprétation des lois. On
sait combien l'interprétation du texte de l'entente du lac Meech sera
importante dans l'avenir du Québec.
Je le répète, on se retrouve avec une décision
unilatérale gouvernementale de convoquer quinze groupes...
Le Président (M. Filion): À l'ordre' M. le
député de Gouin, s'il vous plaît. M. le leader adjoint du
gouvernement, sur une question de règlement.
M. Lefebvre: M. le Président, il ne faudrait pas profiter
d'une question strictement technique pour en faire un débat politique.
Le problème soulevé par le député de Gouin fait
référence, je me répète, au fait que quatre ou cinq
experts auraient manifesté le désir d'être entendus, en
plus de ceux que l'on a entendus la semaine dernière. Qu'on effleure en
passant, à la satisfaction du député de Gouin, le fait que
certains intervenants ne seraient pas, semble-t-il, entendus, cela
pourrait aller, mais il ne faudrait quand même pas qu'on parle plus
longtemps sur ce qui a été soulevé en introduction, soit
les quatre ou cinq experts. Quant au reste, on vous suggérera tout
à l'heure, par l'entremise du ministre, une façon
d'évaluer la vraie question soulevée par le député
de Gouin, soit les quatre ou cinq experts.
Il y a eu quinze organismes et individus qui ont été
retenus à l'occasion d'une séance de travail tenue jeudi soir
dernier. On a eu l'occasion, lors de cette séance de travail, de
comprendre que des discussions qui avaient été tenues entre les
représentants des deux groupes politiques, des ministériels et de
l'Opposition, n'avaient pu accoucher d'un accord commun. Alors, on a dû -
c'est de cette façon qu'on doit procéder lorsqu'on ne peut pas
s'entendre - présenter une motion sur laquelle on a pris un vote,
toujours en séance de travail. C'est sur cette décison que la
commission devra... À partir du moment où vous aurez
disposé de ce problème de procédure soulevé par le
député de Gouin, on entendra les intervenants qui, finalement,
ont été retenus en séance de travail.
Quant au reste, je vous demanderais de reconnaître le ministre qui
attend toujours une réponse du chef de l'Opposition à la suite
d'une proposition faite par le premier ministre vendredi dernier. On est, ce
matin, mardi; on n'a pas encore eu de réponse. Aussi, M. le
Président, M. le ministre a une autre suggestion à faire à
l'Opposition quant à la façon dont on pourrait procéder
pour régler le problème soulevé par le
député de
Gouin.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin, est-ce que vous voulez vous faire entendre sur la question de
règlement?
M. Rochefort: Oui, M. le Président, pour dire que le
député de Frontenac a fait une présentation des faits qui,
quant à moi, nécessite un certain nombre de précisions,
dans sa question de règlement.
On va bien se comprendre, il n'y a pas eu de discussion entre le
gouvernement et l'Opposition sur la liste des intervenants qui ont
été retenus jusqu'à ce jour, M. le Président. On
nous a imposé une liste.
Deuxièmement, M. le Président, on retrouve, dans cette
liste, quelque chose qui est apparu jeudi soir au moment de la séance de
travail: cinq groupes ou individus sur quinze, le tiers, qui n'avaient jamais,
en aucun temps, demandé à être entendus par la commission
des institutions dans le cadre de l'exécution de son mandat de tenir des
consultations entourant l'entente du lac Meech.
D'autre part, il y a 59 groupes et individus qui ont demandé
à être entendus, eux. Aussi, on retrouve dans ces groupes, je l'ai
dit, au moins huit groupes d'envergure nationale qui ne seront pas entendus,
qui regroupent des instances syndicales, des groupes nationalistes, des
organismes de défense de retraités et de
préretraités, des jeunes et des organismes représentant
des groupes culturels.
On retrouve aussi une sélection partielle de formations
politiques à qui on demande de venir se présenter devant nous,
alors qu'on refuse le droit à quatre autres mouvements ou formations
politiques d'être entendues par la commission alors qu'elles ont
demandé formellement de l'être. J'ai ajouté un nouvel
élément qui est survenu après ce que nous a
rapporté le ministre tantôt, qui est la demande formelle, et le
par les voies régulières, de cinq nouveaux experts
constitutionnels qui souhaitent, eux aussi, être entendus par notre
commission.
M. le Président, ce que nous considérons, c'est que ce
n'est pas un réaménagement du temps qui permettra au plus grand
nombre possible de gens d'être entendus par la commission. C'est, au
minimum, une semaine additionnelle de commission parlementaire, de
consultations formelles par la commission des institutions, qui permettrait, un
tant soit peu, de répondre en partie aux nombreuses demandes - on est
rendu à au-delà de 64 - de groupes et individus parmi les plus
importants de notre société qui demandent à participer
à ces réflexions des membres de l'Assemblée nationale
entourant l'accord du lac Meech.
M. le Président, permettez-moi de rappeler qu'il y a peu de pays
dans le monde où on modifie les constitutions par une réunion au
bord d'un lac de onze premiers ministres. La coutume régulière,
habituelle, qu'on retrouve dans l'ensemble des pays est plutôt d'aller en
consultation populaire, donc, un référendum national. Que, nous,
on souhaite qu'il y ait au moins une semaine de plus de commission
parlementaire, ce n'est sûrement pas exagéré par rapport
à ce qui se passe dans les autres pays du monde qui décident de
modifier leur constitution.
Le Président (M. Filion): Avant de vous reconnaître,
M. le ministre, sur la question de règlement, je voudrais uniquement
signaler aux membres de la commission que les interventions qui ont
été faites ce matin ont trait à l'horaire de nos travaux,
à la bonne marche de nos travaux. En ce sens-là, il m'apparatt
préférable de vous indiquer que l'ensemble du problème de
notre horaire devrait faire l'objet d'un seul échange, si l'on veut, et
non pas de diviser nos problèmes en ce qui concerne les cinq experts
nouveaux et les huit groupes ou organismes qui n'ont pu être entendus,
malgré qu'ils aient demandé à l'être, etc.
En ce sens, sur la question de règlement, je disais en votre
absence, M. le leader adjoint, qu'il serait préférable de traiter
de l'ensemble du problème de nos travaux. Les cinq experts qui ont
envoyé des télégrammes durant le week-end, en même
temps que les huit groupes ou organismes qui n'ont pas été
retenus, bien qu'ils aient demandé à l'être, et qui font
partie, a dit le député de Gouin, de groupes d'envergure
nationale, il faudrait donc traiter l'ensemble de ces problèmes d'un
seul coup.
M. le ministre délégué aux Affaires
intergouvernementales canadiennes.
M. Rémi llard: M. le Président...
M. Johnson (Anjou): Si le ministre le permet, je peux lui donner
une réponse sur ces questions.
M. Rémillard: Un instant, ce ne sera pas tellement long;
j'apprécierais que vous me donniez une réponse après.
Tout d'abord, dans un premier temps, je voudrais bien dire qu'il y a eu
consultation, qu'il y a eu discussion, mais il n'y a pas eu entente, c'est
différent. Mais il y a eu consultation, il y a eu discussion; beaucoup
de consultation et beaucoup de discussions, au point de départ.
Deuxièmement, il faut quand même commencer quelque part et finir
quelque part. Si on veut se référer au dernier
précédent, le dernier précédent qui pourrait nous
guider est celui de la commission parlementaire qui a été tenue
par le gouvernement québécois de l'époque, le gouvernement
péquiste, en décembre 1980 et janvier 1981. Pendant sept jours,
on a
entendu 11 personnes et 27 groupes. Cela s'est passé sur le
rapatriement de la constitution, point majeur qui soulevait ici toutes les
questions. Moi-même, comme expert à l'université, à
ce moment-là, je n'ai pas été entendu, mais il y a
d'autres experts très compétents qui ont été
entendus et qui ont fait valoir leur point de vue.
Ce que je veux dire, M. le Président, c'est qu'il est impossible
d'entendre tout le monde. Aujourd'hui, le député de Gouin peut
nous parler de cinq experts; demain, il pourra nous parler de 15, de 20
experts. En fait, il y a beaucoup d'experts qui aimeraient être entendus
et je suis certain que cela pourrait être intéressant pour la
commission, mais il faut comprendre quand même qu'il faut s'arrêter
quelque part.
D'autre part, on soulève des cas comme, par exemple, celui de
l'alliance des professeurs. L'alliance des professeurs, cela fait partie aussi
de la CEQ. La CEQ sera entendue. Il faut s'entendre. Si la CEQ veut venir ici
se faire entendre, elle peut se faire accompagner des gens de l'Alliance des
professeurs, elle peut se faire accompagner d'autres personnes aussi qui sont
membres de cette confédération qu'est la CEQ. (10 h 30)
C'est la même chose pour le Mouvement Québec
français. Ce mouvement regroupe beaucoup d'associations et de
confédérations. La CEQ, la FTQ, le Mouvement national des
Québécois, la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal et l'Union des artistes font partie du Mouvement Québec
français. Si on entend le Mouvement Québec français, je
suis bien d'accord, mais, à ce moment-là, on n'aura pas besoin
d'entendre les autres organismes qui le composent. Que le Mouvement
Québec français vienne avec l'ensemble des organismes qui le
composent, il aura un mandat et ce sera de plus en plus évident.
Ce que je veux dire, en terminant, c'est que le dernier
précédent qui peut nous guider est celui concernant la commission
parlementaire qui a étudié la question du rapatriement de la
constitution. Je le répète, il y a eu 11 personnes incluant les
experts, 27 groupes et cela a duré 7 jours. D'autre part, lorsque le
gouvernement péquiste a fait valoir son projet d'accord constitutionnel,
il n'y a même pas eu de commission parlementaire sur ce projet d'accord.
En outre, il en a informé le gouvernement fédéral avant
d'en informer l'Assemblée nationale. Alors, si on veut se
référer à ce qui a été fait par le
précédent gouvernement, je crois que ce précédent
serait particulièrement éloquent et j'ai de la difficulté
à comprendre les remarques du député de Gouin.
Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.
M. Rémillard: M. le Président, je pourrais faire
une proposition en terminant. On pourrait... Pardon?
M. Johnson (Anjou): Avant d'arriver à sa proposition,
est-ce que le ministre accepterait de m'entendre?
M. Rémillard: Non, je voudrais faire ma proposition et,
ensuite, je vais vous entendre.
Ma proposition serait celle-ci: Que la commission puisse siéger
jeudi soir alors qu'elle ne devait pas siéger...
Le Président (M. Filion): Je m'excuse de vous interrompre
immédiatement, M. le ministre. Il était déjà
prévu que nous siégions jeudi soir.
M. Rémillard: Non, c'est mercredi soir. Excusez-moi.
Le Président (M. Filion): Ah bon! Alors, mercredi
soir...
M. Rémillard: ...mercredi soir et vendredi matin et que,
vendredi après-midi, on termine par nos conclusions de part et d'autre.
On pourrait s'entendre pour une demi-heure de part et d'autre et on conclurait
vendredi après-midi. Voilà la proposition, M. le
Président.
M. Johnson (Anjou): M. le Président.
Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): M. le Président, vous me permettrez
d'abord de relever le fait que le ministre a mentionné l'existence d'une
conversation entre le premier ministre et moi-même, vendredi
après-midi alors que j'étais à Montréal. En effet,
le premier ministre m'a rejoint vendredi après-midi, à mon bureau
de comté. Je demanderais d'abord au ministre: Est-ce qu'il était
présent à la conversation que j'ai eue avec le premier
ministre?
M. Rémillard: Je ne crois pas que j'étais
présent. C'est pour cela que le premier ministre...
M. Johnson (Anjou): Non? Bon. Alors, d'accord. Merci.
M. Rémillard: J'ai simplement rapporté qu'il y
avait eu des conversations.
M. Johnson (Anjou): C'est pour cela que je voudrais
peut-être clarifier les choses, étant donné que
c'était dans le journal et diffusé par les postes de radio ce
matin. Comme chaque fois, d'ailleurs, que le premier ministre m'appelle, cela
se retrouve
soit à la période de questions, soit dans le journal. Le
premier ministre m'a appelé pour discuter d'un certain nombre de choses,
dont le problème des travaux de cette commission. Il a
évoqué l'intérêt que représenterait
peut-être le fait de réaménager du temps, d'ajouter un
mercredi soir, un vendredi matin, possiblement, avait-il dit, mardi de la
semaine prochaine tenant compte de la visite de M. Mitterrand mais que, pour
terminer ces choses, il faudrait que d'autres s'en occupent. J'ai donc saisi
l'occasion pour lui dire que, dans un premier temps, mon chef de cabinet
pourrait entendre ce qu'aurait à dire le stratège de son cabinet,
M. Poupart, je crois, mais que, dans mon esprit, c'était clair que ces
choses-là ne se régleraient pas entre attachés politiques.
Ce n'est pas un dossier qui va se régler entre attachés
politiques. C'est un dossier qui devrait se régler entre parlementaires.
Alors, cela peut se régler entre le premier ministre et moi-même
ou, ce qui serait tout à fait normal, entre les leaders de nos
formations politiques dont c'est la fonction dans notre droit parlementaire de
régler ces questions d'horaires.
Deuxièmement, je ferai quelques remarques sur les derniers propos
du ministre qui a dit: Écoutez, l'alliance des professeurs a
demandé d'être entendue, la CEQ le sera, l'alliance fait partie de
la CEQ. Je ne sais pas, le ministre n'a peut-être pas compris pourquoi...
Je ne sais pas qui décide au gouvernement, le bureau du premier ministre
ou lui-même, mais on va entendre la Chambre de commerce du Québec
et aussi la Chambre de commerce de Montréal. À ma connaissance,
la Chambre de commerce de Montréal fait partie de la Chambre de commerce
du Québec. Et ce n'est pas nous qui avons suggéré cela,
c'est la décision qui a été prise par la majorité
ministérielle ou le bureau du premier ministre, selon le cas. Donc, on
entendrait la Chambre de commerce du Québec et on entendrait aussi la
Chambre de commerce de Montréal. Je ne vois pas pourquoi on n'entendrait
pas aussi l'Alliance des professeurs de Montréal qui est le plus gros
syndicat affilié à la CEQ avec 7000 membres dont des membres,
encore une fois, qui sont concentrés dans la grande région
métropolitaine. Cela a sûrement dans le monde syndical
l'importance que la Chambre de commerce de Montréal a dans le monde
patronal.
Ce type de raisonnement m'apparaît extrêmement dangereux. Il
met surtout en évidence, je crois, l'absence totale de critère
d'équité ou d'approche systématique dans le choix des
groupes, qui a été fait par le bureau du premier ministre ou l'un
quelconque de ses adjoints.
Dans les circontances, M. le Président, je dois souligner qu'il y
a, comme l'a bien indiqué le député de Gouin tout à
l'heure, au moins 8 groupes d'envergure dite nationale qui figurent dans la
liste des 50 groupes initiaux dont les noms n'ont pas été retenus
pour être entendus par la commission. On pense ici, notamment, à
l'Alliance des professeurs de Montréal, à la
Fédération des associations étudiantes des collèges
du Québec, à l'Association québécoise pour la
défense des droits des retraités et des
préretraités, les personnes âgées. Dans le secteur
culturel, on pense évidemment au Conseil québécois du
théâtre, à l'Union des artistes, è l'Union des
écrivains du Québec, puisqu'il n'y a aucun organisme à
vocation culturelle dont le nom a été retenu par la
majorité ministérielle. On pense évidemment è la
Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal qui a
sûrement, par rapport aux mouvements nationaux, l'importance que la
Chambre de commerce de Montréal a par rapport aux mouvements patronaux,
même si elle fait partie du MNQ qui est une forme de
fédération. Et on pense évidemment à l'ensemble des
organismes politiques. Je ne parle pas des groupes locaux ou régionaux,
mais je pense à des partis politiques qui sont inscrits auprès du
bureau du président des élections. Sans compter encore une fois,
M. le Président, que, ce matin, nous avons été
informés que cinq experts, M. Morin, Me Woehrling, Me Tremblay qui avait
déjà envoyé un télégramme la semaine
dernière, Me Pierre-André Côté, de
l'Université de Montréal, ainsi que M. Daniel Latouche que le
ministre cite fréquemment, ont également demandés à
être entendus. J'additionne, huit organismes majeurs, sans compter les
autres formations politiques, alors qu'il y en a une qui a été
retenue, le NPD-Québec qu'on va entendre éventuellement ce matin.
Je ne sais pas pourquoi on n'a pas retenu les autres. Peut-être que le
ministre a une réponse là-dessus.
Mais oublions même les partis politiques juste aux fins de la
discussion. Huit organismes majeurs qui ont demandé à être
entendus n'ont pas été retenus. Deuxièmement, cinq experts
additionnels ont envoyé des demandes, étant donné qu'il ne
semble pas y avoir de règle précise quant à l'heure
à laquelle on doit faire savoir au gouvernement qu'on veut être
entendu. Cela fait treize. Cela fait treize organismes au départ, sans
compter les partis politiques. II y a du travail pour une semaine
là-dedans, pas pour un petit mercredi soir d'une couple d'heures, avec
peut-être une prolongation de deux autres heures vendredi matin. Il y a
du travail pour une semaine. Il me semble que, si le gouvernement était
sérieux, s'il voulait envisager sérieusement ce type de
consultations, les leaders, du côté du gouvernement comme du
côté de l'Opposition, pourraient s'asseoir et voir comment on
pourrait, en procédant à un réaménagement à
la fois cette semaine et la semaine
prochaine, s'organiser pour entendre le plus grand nombre de groupes
possible. Encore une fois, ceux-ci, de bonne foi, ont tous demandé
à être entendus, souhaitent l'être et ont, dans certains
cas, sûrement l'importance relative de certains groupes que le
gouvernement a choisi d'entendre même s'ils n'avaient pas demandé
à être entendus à l'origine.
Le Président (M. Filion): M. le ministre.
M. Rémillard: M. le Président, d'abord je peux vous
dire qu'on est prêt à entendre l'alliance des professeurs,
ça ne pose pas de problème. Je voulais simplement souligner qu'on
entend aussi la CEQ. Lorsqu'on parle, par exemple, du Mouvement Québec
français, il faut comprendre que celui-ci va tenir une manifestation et
on voit là que des associations du Québec français dont la
CSN, la CEQ, la FTQ, l'UPA, la Société Saint-Jean-Baptiste de
Montréal, l'Alliance des professeurs de Montréal, l'Association
québécoise des professeurs de français, l'Union des
écrivains, l'Union des artistes, on va tous les avoir. Que voulez-vous
de plus? Je me dis qu'un précédent a été
créé...
M. Johnson (Anjou): Le ministre dit: On va tous les avoir. Je
m'excuse, dans ceux qu'il a nommés il y en a très peu qui ont
été retenus.
M. Rémillard: ... par le gouvernement. Non, non, la CSN,
la CEQ, la FTQ, l'UPA seront entendues.
M. Johnson (Anjou): Les autres parmi ceux que vous avez
nommés n'ont-ils pas été retenus?
M. Rémillard: Mais on vous offre... Mais écoutez!
Justement, on offre... On pourra aménager le temps. Ce sur quoi je
voudrais revenir, M. le Président, je voudrais qu'on soit clair
là-dessus, c'est que j'ai fait une proposition à savoir qu'on
puisse travailler mercredi soir, vendredi matin et vendredi après-midi.
J'ai fait cette proposition et je considère qu'avec cette proposition on
donne encore plus de temps, si on compare au précédent que nous
avons pour nous guider, qui est celui qui a été établi par
le gouvernement péquiste en 1980-1981 lorsqu'il y avait eu une
commission parlementaire sur le rapatriement, laquelle a duré sept jours
et a entendu 11 personnes et 27 groupes incluant les experts. Jusqu'à
maintenant, nous avons entendu 9 experts. Sans partisanerie, ce sont des
experts qui sont venus témoigner devant nous. Les débats vont
très bien. Ce matin, c'est dommage qu'on perde tout ce temps-là.
On perd un temps précieux. Pourquoi ne pourrions-nous pas régler
tout ça par une séance de travail?
On pourrait faire une séance de travail sur l'heure du
déjeuner avec les deux leaders qui pourront s'entendre sur la liste et
on ne perdra pas de temps.
Laissons-nous guider par les précédents qui sont
créés et soyons conscients qu'on ne pourra quand même pas
satisfaire tous ceux qui veulent être entendus. Je crois que ça
montre l'intérêt de tous les Québécois et toutes les
Québécoises pour cette commission, mais c'est notre
responsabilité comme parlementaires aussi de tirer la ligne quelque part
à un moment donné. Vous l'avez fait en 1980-1981 lors de votre
commission parlementaire. Il faut le faire à celle-ci, c'est tout
à fait normal. Dans ce cadre-là, je vous ai fait une proposition
et je vous propose qu'on puisse aménager la liste lors d'une
séance de travail à l'heure du déjeuner entre les deux
leaders.
M. Rochefort: M. le Président...
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin.
M. Rochefort: ...dans un premier temps, une question au ministre.
Est-ce que l'objet de la séance de travail entre les deux leaders a pour
but d'aménager simplement les séances de mercredi soir et
possiblement de vendredi matin?
M. Rémillard: C'est cela exactement. Et je fais une autre
suggestion, M. le Président, c'est que tous les autres organismes ou
experts puissent nous faire parvenir leur mémoire. On étudiera
leur mémoire parce que cela est intéressant aussi de recevoir les
mémoires. Je sais que d'autres personnes n'ont pas pu être
entendues à la commission de 1980-1981. Ils ont envoyé des
mémoires. Ils se sont fait entendre par des mémoires. Je pense
que c'est une façon de procéder très démocratique
et intéressante. On peut le faire en proposant un mémoire pour
faire valoir ses points de vue. C'est ce qui avait été fait dans
le précédent que vous avez vous-même créé
quand vous étiez au gouvernement en 1980-1981. On pourra se fier
à ce précédent. Suivons les règles que vous avez
vous-même établies.
M. Rochefort: M. le Président.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin.
Motion proposant de tenir des séances
additionnelles
M. Rochefort: J'ai une motion en bonne et due forme à
présenter à la commission qui se lirait comme suit: "Que,
conformément à l'article 175 des Rèqles de
procédure, cette commission fasse rapport à
l'Assemblée nationale de façon intérimaire pour lui
signifier que, compte tenu du nombre de personnes et d'organismes ayant
indiqué leur désir d'être entendus par la commission, il y
aurait lieu que l'Assemblée modifie son ordre du 7 mai 1987 de
façon à permettre que des personnes ou des organismes puissent
être entendus par la commission les 26, 27 et 28 mai 1987 aux heures
où peuvent siéger les commissions, que la séance de
travail prévue à l'article 176 du règlement se tienne,
s'il y a lieu, au plus tard le 29 mai 1987, que le rapport de la commission
soit déposé à l'Assemblée nationale au plus tard le
1er juin 1987 et que ces séances, sauf les séances de travail,
soient télédiffusées, que finalement ces séances
additionnelles soient régies par tes règles
précisées à la motion adoptée par
l'Assemblée le 7 mai 1987 sous réserve des présentes."
M. le Président, j'ai copie...
Le Président (M. Filion)î Est-ce que vous avez une
copie de votre motion, M. le député de Gouin?
M. Rochefort: ...pour vous de la motion.
Le Président (M. Filion): Merci.
M. Rochefort: Si vous me le permettez, je vais la
présenter. M, le Président, c'est pour nous très clair que
la commission qui se tient depuis mardi dernier est extrêmement
importante. Cette commission a pour but de permettre aux membres de
l'Assemblée nationale...
Le Président (M. Filion): Avant que vous n'entriez sur le
fond de votre motion, M. le député, je veux entendre les
arguments sur la recevabilité de la motion. La parole est donc à
M. le leader adjoint. Je lui signale que copie de la motion va lui être
transmise aussitôt que la photocopieuse aura terminé son bon
travail. (10 h 45)
M. Lefebvre: M. le Président, dans un premier temps, je
voudrais que vous m'entendiez sur la recevabilité de la motion
présentée par le député de Gouin. On sait que la
commission des institutions a à évaluer un mandat qui lui a
été confié par l'Assemblée nationale. Alors, je
vous soumets que la motion du député de Gouin est irrecevable. Ce
qui a été également arrêté, c'est que c'est
en séance de travail qu'on a élaboré la structure de la
commission, qu'on a arrêté toute la technique devant s'appliquer
aux travaux de la commission. Dans un premier temps, on présente une
motion qui est irrecevable parce que voulant modifier une décision de
l'Assemblée natio- nale et également parce que dérogeant
à la règle qui veut que les travaux de la commission soient
évalués quant au processus, quant à la procédure...
Autant la durée des travaux que les organismes experts qui devront
être entendus, tout cela doit être décidé en
séance de travail. Alors, la motion du député de Gouin, M.
le Président, je considère que vous devez décider qu'elle
est irrecevable.
En conclusion, je trouve un peu exceptionnel et difficile à
comprendre qu'on se batte pour gagner du temps supposément parce que la
commission ne siégerait pas assez longtemps, alors qu'à une
proposition ferme du ministre on attend toujours une réponse. J'oserais
même dire qu'on a eu comme réponse à la suggestion de
continuer nos travaux mercredi soir de cette semaine et vendredi...
M. Rochefort: M. le Président...
M. Lefebvre! J'en viens à la conclusion que cette
suggestion ministérielle a été refusée par
l'Opposition. J'ai de la difficulté, M. le Président, à
concilier non seulement la procédure, mais le fond également.
Le Président (M. Filion): Sur...
M. Lefebvre: Sur la recevabilité, je considère que
vous devez décider que toute cette discussion, s'il y a lieu, doit se
faire en séance de travail. C'est la sugqestion qu'on fait. Dans un
deuxième temps, j'aimerais qu'on ait une réponse à une
proposition informelle qu'on a faite, soit de siéger mercredi soir de
cette semaine et vendredi. Je souligne qu'on est, par des moyens dilatoires,
à gaspiller une demi-journée de notre commission. Il est 10 h 50
et on n'a rien de fait jusqu'à maintenant.
Le Président (M. Filion): Encore une fois, M. le leader
adjoint, je pense qu'on peut faire le débat sur la question qui est
devant nous, et qui est la motion déposée par le
député de Gouin, sans prêter d'intention à quelque
groupe que ce soit. M. le député de Gouin, sur la
recevabilité.
M. Rochefort: Sur la recevabilité. Vous me permettrez deux
commentaires sur l'argumentation politique qu'a faite le leader adjoint du
gouvernement dans le cadre d'une intervention sur la recevabilité. Je
lui dirai dans un premier temps que si, pour lui, c'est une motion dilatoire
que de permettre a des Québécois et à des
Québécoises représentatifs d'un nombre important d'autres
Québécois et Québécoises de se faire entendre sur
un document aussi important pour l'avenir du Québec, je considère
que trois quarts d'heure pour l'avenir d'un peuple, ce n'est pas quelque chose
de dilatoire et
qui a pour but de faire perdre du temps è qui que ce soit.
Deuxièmement, je dirai que la motion qui est devant nous est une
motion parfaitement recevable. J'inviterais d'ailleurs le leader adjoint du
gouvernement à la lire puisque, justement, on avait prévu
l'intervention et les objections de procédure qu'aurait le leader
adjoint du gouvernement. Le texte même de la motion n'a pas pour but que
la commission aille à l'encontre d'un ordre que lui a donné
l'Assemblée. On est conscient que la commission ne peut défaire
les ordres de l'Assemblée. Elle a pour but d'utiliser les prescriptions
de notre règlement, à l'article 175, qui permettent en tout temps
à une commission de faire motion pour déposer un rapport
intérimaire à l'Assemblée. Cela est parfaitement
respectueux des règles qui nous régissent. L'objet, justement, de
ce rapport intérimaire serait d'informer l'Assemblée nationale
elle-même des problèmes auxquels sont confrontés les
membres de la commission quant à l'organisation des travaux que lui
dicte l'ordre qui a été adopté par l'Assemblée le 7
mai dernier.
En conséquence, nous n'avons pas cette intention parce qu'on ne
peut pas le faire. L'objet de notre motion n'est pas de changer ici l'ordre de
l'Assemblée - on ne peut pas le faire - mais c'est justement d'utiliser
ce que notre règlement fournit comme instrument, en ce sens de permettre
à la commission de demander à l'Assemblée de changer son
ordre pour s'ajuster d'abord à la décision unilatérale et
pas très transparente et ouverte du gouvernement de ne convoquer que 15
groupes dans les 59 qui ont formellement demandé à être
entendus en en ajoutant 5 qui n'ont jamais demandé à être
entendus; deuxièmement, de lui permettre de s'ajuster à
l'évolution que connaît l'intérêt des travaux de la
commission partout au Québec où, déjà, 5 nouveaux
experts au cours des dernières heures - au minimum -ont demandé
à être entendus, comme également les 59 autres groupes qui
l'avaient fait formellement jusqu'à ce jour.
M. le Président, c'est une motion parfaitement recevable et une
motion qui a pour but - les travaux de la semaine dernière nous l'ont
prouvé éloquemment -que les membres de la commission, des deux
côtés, soient bien informés avant de prendre quelque
décision que ce soit qui engagera l'avenir du Québec autour d'un
texte qui, faut-il le rappeler, demeure encore aujourd'hui, une vingtaine de
jours après l'entente du lac Meech, un texte de communiqué de
presse en l'absence totale de textes juridiques. Dois-je le rappeler, M. le
Président?
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint du
gouvernement.
M. Lefebvre: M. le Président, les travaux de la commission
de la semaine dernière avaient été, dans un premier temps,
organisés en séance de travail. C'est la règle que les
travaux d'une commission soient structurés et organisés en
séance de travail. D'ailleurs, jeudi soir dernier - j'ai le
procès-verbal en main - une séance de travail a été
tenue, où on a décidé des travaux de cette semaine,
commençant effectivement ce matin.
Ce que je suggère... En attendant, on pourra justement entendre
les Québécois qui veulent se faire entendre...
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint du
gouvernement,
M. Lefebvre: Ce que je suggère...
Le Président (M. Filion): ...sur la recevabilité de
la motion.
M. Lefebvre: C'est dans ce sens-là que je vous
suggère de rejeter la motion du député de Gouin, celle-ci
étant irrecevable, compte tenu que la suggestion du député
devrait être faite à l'intérieur d'une séance de
travail, ce à quoi nous n'avons aucune objection. Entre-temps, la
commission pourrait tenir ses travaux; c'est ce pourquoi elle a
été constituée.
Le Président (M. Filion): D'accord.
M. Lefebvre: C'est ce que je vous suggère.
Le Président (M. Filion): Alors, je n'ai pas...
M. Rochefort: Un commentaire, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Oui, M. le député
de Gouin.
M. Rochefort: Si, effectivement, M. le leader adjoint du
gouvernement veut qu'on procède rapidement à amorcer l'audition
des groupes prévus pour ce matin, il n'a qu'à donner son accord
à l'adoption, sans débat, de la motion que j'ai
présentée, auquel cas l'Assemblée nationale, donc les deux
leaders, pourra organiser nos travaux de la semaine les 26, 27 et 28 mai.
Alors, il n'y aura pas d'autres débats qui nous empêcheront de
procéder immédiatement à l'audition des groupes.
S'il ne veut pas donner son accord et s'il veut aller se camoufler en
séance de travail, qui est à huis clos, non enregistrée et
non télédiffusée, il n'aura pas notre accord pour faire en
sorte que la majorité impose, par son simple poids, sa façon de
fonctionner, comme elle l'a fait la semaine
dernière en triturant l'organisation des travaux de la
commission.
M. Lefebvre: En conclusion, si vous me permettez...
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint du
gouvernement.
M. Lefebvre: ...M. le Président. On procède
exactement comme on l'a fait en 1980 et en 1981.
Une voix: Tout le temps.
M. Lefebvre: À l'occasion de travaux à peu
près semblables, qui traitaient d'un sujet semblable, c'est comme cela
qu'on a procédé. Je ne crois pas que l'Opposition
libérale, à l'époque, ait soulevé le genre
d'arguments auxquels vient de faire référence le
député de Gouin. Je vous souligne, en terminant, que le
député de Gouin a suggéré jusqu'à
présent trois problèmes à évaluer ou, si vous
voulez, on devra se prononcer sur trois questions soulevées par ce
dernier. C'est dans ce sens que je considère que c'est irrecevable et
cela démontre que c'est en séance de travail que
l'évaluation des questions soulevées par le député
de Gouin doit être faite, à savoir, semble-t-il, d'ajouter quatre
ou cinq experts, de rediscuter du nombre d'organismes et d'ajouter des
séances, ce sur quoi nous sommes d'accord car nous vous l'avons
proposé. On attend toujours une réponse.
M. Rochefort: Puis-je souligner, M. le Président, qu'on
est loin...
Le Président (M. Filion): Sur la question de
recevabilité, M. le leader adjoint du gouvernement et...
M. Lefebvre: M. le Président, si vous me permettez de
conclure.
M. Rochefort: II n'a rien à dire.
Le Président (M. Filion): Non, mais j'aimerais bien qu'on
revienne...
M. Lefebvre: Oui.
Le Président (M. Filion): ...sur ce dont on discute...
M. Lefebvre: Oui, oui.
Le Président (M. Filion): ...à savoir la question
de recevabilité de la motion déposée par le
député de Gouin.
M. Lefebvre: Cela devient évident, M. le Président,
que tout cela démontre que la motion du député de Gouin
est irrecevable parce que ce genre de questions doit être discuté
en séance de travail...
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin, j'aurais une question à poser...
M. Lefebvre: ...de sorte que la commission ne perde pas de
temps...
Le Président (M. Filion): ...au leader adjoint afin de
m'éclairer. M. le leader adjoint du gouvernement, vous avez vu l'article
175; sur quoi vous fondez-vous lorsque vous argumentez que cette commission
peut décider de la motion déposée par le
député de Gouin, mais en séance de travail?
M. Lefebvre: Parce que, dans un premier temps...
Le Président (M. Filion): Pour m'éclairer.
M. Lefebvre: Oui. La commission siège à la suite
d'une décision prise à l'Assemblée nationale. Les travaux
jusqu'à ce matin ont été arrêtés,
évalués, structurés et décidés à
l'occasion de deux séances de travail, M. le Président.
Alors, sur la foi du précédent, à
l'intérieur même de cette commission-ci, vous devriez vous servir
du précédent mis en place depuis quinze jours, le
précédent auquel j'ai fait référence, d'une
commission semblable tenue en décembre 1980 et en janvier 1981, et
également du fait que le procès-verbal du 12 mai fait
référence à une séance de travail qui a
été tenue jeudi soir dernier pour décider des travaux de
cette semaine.
Je vais ajouter aux commentaires du député de Gouin que
nous n'avons aucune objection de principe - mais il reste qu'il faut se
comprendre, M. le Président - à décider tout cela devant
les caméras et au grand public. Mais, entre-temps, on n'entend pas nos
intervenants. Une séance de travail du 14 mai a décidé des
travaux de cette semaine. Si on veut modifier ça, et pour la bonne
marche de nos travaux, je suqgère qu'on le fasse pendant l'heure du
lunch, entre-temps, on pourra disposer des intervenants qui ont hâte
d'être entendus, M. le Président.
Alors, cela a été décidé jusqu'à
maintenant. C'est en séance de travail que les travaux étaient
évalués et décidés. Je suggère qu'on
applique la même règle. À première vue, ça
m'apparaît irrecevable.
Le Président (M. Filion): D'accord. Sur la question de la
recevabilité de la motion, je me considère comme étant
suffisamment informé. Je pense que ça vaut la peine de lire la
motion déposée par le député de
Gouin: "Que, conformément à l'article 175 des
Règles de procédure, cette commission fasse rapport à
l'Assemblée nationale de façon intérimaire pour lui
signifier que, compte tenu du nombre de personnes et d'organismes ayant
indiqué leur désir d'être entendus par la commission, il y
aurait lieu que l'Assemblée modifie son ordre du 7 mai 1987 de
façon à permettre que des personnes ou des organismes puissent
être entendus par la commission les 26, 27 et 28 mai 1987 aux heures
où peuvent siéger les commissions, que la séance de
travail prévue à l'article 176 du règlement se tienne,
s'il y a lieu, au plus tard le 29 mai 1987 que le rapport de la commission soit
déposé à l'Assemblée nationale au plus tard le 1er
juin 1987 et que ces séances, sauf les séances de travail, soient
télédiffusées, que finalement ces séances
additionnelles soient régies par les règles
précisées à la motion adoptée par
l'Assemblée le 7 mai 1987, sous réserve des présentes."
Donc, le contenu de la motion est en ce sens de présenter un rapport
intérimaire à l'Assemblée nationale pour permettre
à nos travaux de se poursuivre la semaine prochaine, les 26, 27 et 28
mai 1987.
Première remarque: La motion n'affecte en rien, si l'on veut, les
décisions qui ont déjà été prises.
Même si cette motion affectait les décisions qui ont
déjà été prises par cette commission en
séance de travail, à ce moment-là, je vous ferais
remarquer l'article 175. Il est important de le lire: "Toute commission peut
déposer un rapport intérimaire à l'Assemblée."
C'est expressément prévu par notre règlement. "Il ne peut
être présenté à cette fin qu'une seule motion par
séance."
La première conclusion de la lecture de l'article 175 de notre
règlement, c'est qu'il est expressément prévu qu'un
rapport intérimaire puisse être adressé par notre
commission à notre mandataire, l'Assemblée nationale.
Deuxièmement, on prévoit même qu'il ne peut être
présenté qu'une seule motion par séance de la nature de
celle-ci. Dans ces circonstances, vous comprendrez qu'il me paraît tout
à fait conforme à notre règlement de débattre cette
motion et, en conséquence, je la déclare recevable.
À ce moment-ci, les droits de parole sont connus des
parlementaires. Il s'agit d'une motion de forme et le proposeur a une
période de 30 minutes qui lui est allouée. Les droits de parole,
par la suite, sont tels que stipulés à l'article 209,
c'est-à-dire une période de dix minutes pour les autres
intervenants.
M. Lefebvre: M. le Président.
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.
M. Lefebvre: J'aimerais bien comprendre la nature de votre
décision. Si vous considérez que la motion est recevable,
à première vue, j'aimerais bien que vous vous prononciez sur la
double conclusion qu'on retrouve dans la motion en question, à savoir...
Vous avez raison de faire référence à l'article 175 qui
prévoit qu'une commission peut déposer un rapport
intérimaire. Déposer un rapport intérimaire qui ferait, je
pense, référence aux travaux tenus à ce jour, cela, c'est
le premier volet. (11 heures)
M. Rochefort: Question de règlement, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin, je vais continuer d'entendre M. le leader adjoint et je vous
reconnaîtrai...
M. Lefebvre: C'est le premier volet...
M. Rochefort: Non, M. le Président, c'est sur ce que dit
le leader.
M. Lefebvre: Bien, vous aurez...
Le Président (M. Filion): Vous soulevez une question de
règlement sur l'intervention du leader adjoint. M. le
député de Gouin, question de règlement.
M. Rochefort: M. le Président, à moins que vous ne
nous fassiez part de votre intention de revenir sur votre propre
décision, je considère que l'intervention du leader adjoint du
gouvernement est non pertinente, puisqu'elle a pour but de vous faire revenir
sur une décision que vous avez déjà rendue. Il est en
train de faire valoir une nouvelle argumentation pour justifier, j'imagine,
dans son esprit, que vous changiez votre décision.
M. le Président, ou vous avez rendu une décision ou non.
Si elle est rendue, je veux effectivement utiliser rapidement mon droit de
parole, en deux ou trois minutes, pour présenter ma motion. Si votre
décision n'est pas rendue, je ne comprends pas trop ce qu'on a fait
durant les quinze dernières minutes.
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, je veux
vous entendre. Évidemment, avec l'expérience parlementaire que
vous avez, avec les responsabilités qui incombent à votre
rôle, vous savez fort bien qu'une fois une décision rendue elle
est rendue et doit être respectée. Néanmoins, je vous
prierais de terminer votre intervention. Je vous écoute.
M. Lefebvre: Je n'ai pas du tout l'intention, M. le
Président - et ce serait inutile de le penser - de vous faire changer
d'avis. On appellera cela une question de
directive plutôt qu'une question de règlement. Je
suggère que la motion du député de Gouin comprend deux
conclusions, à savoir qu'un rapport intérimaire soit fait
à la commission et également qu'on évalue... La
première conclusion, on la retrouve dans les deux ou trois
premières lignes de la motion, alors que tout le reste, ce sont des
suggestions faites par le député de Gouin, sur lesquelles la
commission pourrait se pencher en séance de travail. Il y a deux choses
là-dedans, M. le Président, et j'aimerais vous entendre
là-dessus. Sur quoi voulez-vous qu'on discute, ce matin? Est-ce qu'on
parle du rapport intérimaire qui pourrait être remis à la
commission ou si on discute de tout le reste de la motion qui a
été présentée par le député de Gouin?
Je vous suggère de nous donner des directives dans un sens ou dans
l'autre, parce que te débat ne sera pas le même, selon qu'on
traite d'un volet de la motion ou du deuxième volet de la question du
député de Gouin; ce n'est pas la même chose.
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, je vais
vous répondre immédiatement. La motion qui est devant nous vise
è faire en sorte que cette commission fasse rapport à
l'Assemblée nationale. Le reste de la motion contient les
éléments qui, selon le proposeur, devraient faire partie du
contenu de ce rapport à l'Assemblée nationale. Est-il utile - je
ne le crois pas - de vous rappeler que, bien sûr, quant au contenu du
rapport intérimaire, celui-ci peut être modifié? Si vous
désirez modifier la motion du député de Gouin, vous
pourriez vous prévaloir de votre droit de faire une motion d'amendement.
Je pense que vous me comprenez bien. Quant à la décision rendue,
c'est un rapport intérimaire dont le contenu est partie à la
motion.
À ce moment-ci, le député de Gouin m'a
signifié son intention d'intervenir pendant deux ou trois minutes sur le
fond, si l'on veut, de cette motion de forme.
M. Marcil: Question de règlement.
Le Président (M. Filion): Question de règlement, M.
le député de Beauharnois.
M. Marcil: Oui, étant donné que l'horaire est
chambardé à la suite de cette discussion, il serait
peut-être important d'informer le groupe qu'on devait rencontrer à
11 heures qu'il sera entendu seulement cet après-midi.
Le Président (M. Filion): Le député de Gouin
a déjà manifesté son intention de n'intervenir que pendant
quelques minutes sur la motion déposée à ce moment-ci. Je
vous suggère de disposer de la motion, à la suite de quoi nous
pourrons entrevoir les conséquences de nos débats sur le
déroulement de nos travaux. M. le député de Gouin.
M. Rochefort: M. le Président, effectivement, comme je
vous l'ai indiqué tantôt, même si notre rèqlement
m'accorde 30 minutes pour présenter ma motion, je considère qu'il
est important non pas de la présenter, mais de l'adopter pour permettre
au plus grand nombre de groupes et d'experts d'être entendus sur ce texte
d'entente extrêmement important, lourd de conséquences pour
l'avenir du Québec.
M. le Président, je répète que près de 64
groupes et individus ont déjà demandé, par les
procédures habituelles, d'être entendus par notre commission. Un
nouveau groupe de cinq experts, au minimum, ont demandé formellement
à être entendus. Au moins huit groupes d'envergure nationale ont
été rayés de la liste par le gouvernement: des groupes de
jeunes, des groupes de personnes retraitées, des groupes culturels et
artistiques, des groupes nationalistes, des groupes syndicaux et des formations
politiques nationales.
Je conclus donc que, quand on tient compte de ces groupes d'envergure
nationale, quand on tient compte de ces nouveaux experts qui ont demandé
d'être entendus, il y a matière à accorder, au minimum, une
nouvelle semaine d'audition de groupes, d'individus et d'experts par la
commission parlementaire.
Ce n'est pas satisfaisant, un petit mercredi soir et un petit vendredi
matin, Cela, c'est cinq nouveaux groupes seulement alors qu'il y a, au minimum,
une quinzaine de groupes et d'experts qui doivent être entendus si le
gouvernement maintient sa décision de ne pas entendre tout le monde.
D'ailleurs, dois-je rappeler que déjà le gouvernement a
inséré dans la liste qu'il nous a imposée pour cette
semaine cinq groupes et individus qui n'avaient pas demandé par les
voies normales, régulières et habituelles, d'être entendus
par la commission des institutions? Ces groupes ne figurent même pas sur
la liste que nous a transmise votre service de secrétariat de la
commission.
D'autre part, il faut quand même rappeler que le ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes a
lui-même déclaré, vendredi matin dernier, lors d'une
rencontre avec la presse, qu'il n'était pas trop au courant des
critères qui avaient prévalu à la composition de cette
liste de quinze groupes. Je pense que cela nécessite qu'il reparle
lui-même avec le leader du gouvernement pour faire en sorte que la liste
soit ouverte.
Le ministre nous a parlé tantôt de
précédents. Parlons-en des précédents. On est
d'accord. Le ministre nous a dit que, lorsque
le rapatriement unilatéral de la constitution a eu lieu en
1980-1981, le gouvernement de l'époque, du Parti
québécois, avait entendu 38 groupes et individus.
Une voix: ...
M. Rochefort: Quand on additionne 11 et 27, cela fait 38,
jusqu'à nouvel ordre. Je lui dirai que, justement, en ajoutant une
semaine de travaux, on se rendrait à peu près à 38 groupes
et individus qui seraient entendus par la commission. Dois-je rappeler que
cette commission avait pour but de se pencher sur le rapatriement
unilatéral qui excluait le Québec, qui ne liait pas le
Québec, alors qu'aujourd'hui le ministre veut faire en moins de temps
une consultation plus courte sur un texte d'entente qui engage l'avenir de tout
le Québec pour des décennies à venir peut-être? Il y
a une différence fondamentale entre les deux.
D'autre part, le ministre nous a dit: Oui, mais quand l'ancien
gouvernement a déposé son projet d'accord constitutionnel, il n'a
pas tenu de commission parlementaire. Dois-je lui rappeler qu'il s'agissait
là d'un projet d'accord constitutionnel qui n'a jamais
été, d'aucune façon, l'objet d'une entente entre le
gouvernement du Québec, le gouvernement du Canada et le gouvernement des
neuf autres provinces? Actuellement, il y a entente mais, déjà,
c'était un projet d'accord gouvernemental. On cherche même la
politique du gouvernement libérai actuellement en matière
constitutionnelle. On ne la trouve que dans certaines pages et certains
feuillets de résolutions adoptées ici et là en conseil
général ou en congrès national du Parti libéral du
Québec. Il n'y a même pas d'équivalent à ce texte du
côté gouvernemental au moment où on se parle.
Finalement, au cours des années 1971 à 1986 inclusivement,
sous deux gouvernements, le gouvernement du Parti libéral et le
gouvernement du Parti québécois, il y a eu une trentaine de
précédents de commissions parlementaires très importantes
qui ont été tenues - mais sûrement pas de l'importance de
la commission qui siège actuellement, ici, au salon rouge - et qui ont
entendu des groupes de 40, 50, 60 ou 100 intervenants pour leur permettre de
venir éclairer les membres d'une commission parlementaire sur un sujet
ou l'autre. Pensons à la loi 101 en 1977; la commission avait
siégé durant 207 heures et avait entendu 70 groupes qui
étaient venus participer aux travaux de la commission parlementaire.
Pensons à la commission qu'a tenue le ministre actuel de
l'Éducation, cet hiver, avec ma collègue de Chicoutimi où
73 groupes ont été entendus sur la question du financement des
universités. Et on va nous dire que, sur l'avenir du Québec, sur
sa place à l'intérieur du Canada, une semaine et demie de travaux
en commission pourrait suffire, non pas sur des textes juridiques qui seront
les textes qui lieront le Québec pour des décennies à
venir, mais sur des textes de communiqués de presse.
M. le Président, je conclus en disant que cette motion doit
être adoptée pour permettre au minimum, puisque le gouvernement
refuse toujours d'entendre tous les groupes et individus qui ont demandé
à être entendus, qu'une nouvelle semaine de travail parlementaire
intensif soit organisée afin que nous puissions entendre les 15 à
18 individus experts et groupes nationaux qui, eux, jusqu'à ce jour,
contrairement au tiers de la liste qui nous a été imposé
par le gouvernement, ont demandé formellement, par les voies
régulières et habituelles, à être entendus sur le
projet d'entente constitutionnelle conclu au lac Meech entre le Québec
et les autres provinces et le gouvernement fédéral.
M. le Président, je pense que ce n'est pas trop demander, une
semaine de plus pour débattre l'avenir du Québec à
l'intérieur de la Fédération canadienne. M. le
Président, je répète que de nombreux
précédents sur des sujets importants, mais qui n'avaient pas
l'envergure du sujet qui nous réunit aujourd'hui, ont été
réalisés sous les deux gouvernements, l'actuel gouvernement et le
gouvernement précédent, où 70, 75 et 100 groupes se sont
présentés devant nous. Je pense que, pour l'avenir du
Québec, une semaine de plus de travaux en commission n'est absolument
pas exagérée non seulement pour éclairer l'Opposition et
la population, mais pour éclairer le gouvernement qui, on l'a vu, a
dû modifier son raisonnement à l'occasion de l'audition des
experts qui se sont présentés devant nous. On a vu, à la
suite de ces auditions, le ministre venir rectifier le tir de ses
interprétations qu'il nous avait servies au début de la
commission parce que la commission l'avait influencé, parce que
l'audition des experts l'avait éclairé. M. le Président,
on pense qu'il a besoin encore, lui comme nous, d'être
éclairé avant de poser un geste aussi lourd de
conséquences.
Le Président (M. Filion): M. le ministre.
M. Rémillard: Oui, M. le Président. Je voudrais
tout d'abord déplorer ce débat. On perd du temps au
préjudice des gens qui sont ici et qui devaient intervenir aujourd'hui.
Je crois qu'il aurait été intéressant d'entendre ces gens.
Nous perdons actuellement du temps. Je serai donc bref, M, le
Président.
Le député de Gouin est revenu sur le
précédent de la commission parlementaire qui a
étudié la question du rapatriement de la constitution.
C'était une question essentielle, fondamentale. Nous savons comment cela
s'est passé, ce rapatriement. Il y a eu sept
jours de débats et, pendant ces sept jours, on a entendu 11
personnes et 27 groupes, ce qui est une bonne moyenne. Savez-vous pourquoi il y
a eu une bonne moyenne? Parce que le Parti libéral, qui était
alors dans l'Opposition, n'a pas fait le genre de débat que vous faites
ce matin qui nous fait perdre du temps. On aurait dû faire cette
discussion dans un groupe de travail et non à cette commission,
présentement, où nous perdons du temps.
Je voudrais vous dire que vous ne demandez pas une semaine de plus. Dans
votre motion, vous demandez trois jours de plus. Vous demandez trois jours
alors que nous vous offrons un jour et demi. Nous sommes en train de perdre une
demi-journée. Alors, nous sommes à deux jours maintenant. Au lieu
de faire ce débat sur cette motion en faisant perdre le temps de tout le
monde, cela aurait été beaucoup plus intéressant de
régler cela en groupe de travail. Je veux vous dire tout simplement
notre position. Nous pouvons travailler mercredi soir. Nous pouvons travailler
aussi vendredi matin, vendredi après-midi et conclure vendredi à
la fin de l'après-midi. C'est, à mon sens, la possibilité
d'entendre tous les gens, de tracer la ligne où elle doit être
tracée et de faire en sorte que nous puissions entendre tous les gens
qui doivent être entendus. Quant è ceux qui ne pourront venir
physiquement devant cette commission, nous sommes prêts à les
entendre par des mémoires. Qu'ils nous fassent parvenir leurs
mémoires et nous sommes prêts, bien sûr, à les
étudier très attentivement.
M. le Président, c'est bien évident qu'à un moment
donné il faut tracer la ligne quelque part. On ne peut quand même
pas passer un mois, deux mois en commission parlementaire. Il est bien
évident que l'idéal serait que tous les Québécois
et toutes les Québécoises viennent ici témoigner devant
nous, mais nous sommes dans un régime parlementaire et, tout comme l'a
fait le Parti québécois lorsqu'il formait le gouvernement,
à la commission parlementaire sur la question du rapatriement, nous
devons tracer la ligne. Ce que nous offrons, c'est plus que ce qu'on a fait au
moment du rapatriement, beaucoup plus. Dans ce cas, M. le Président,
notre position est établie et nous demandons à procéder le
plus rapidement possible pour qu'on ne perde pas une demi-journée dans
ces débats.
M. Rochefort: M. le Président, pour procéder... On
peut voter.
M. Johnson (Anjou): Oui, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Oui, M. le chef de
l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Brièvement. Le ministre vient de
prendre huit minutes - non, pardon, sept minutes - pour nous expliquer...
Une voix: Absolument pas, trois minutes.
M. Johnson (Anjou): ...qu'il trouvait qu'on prenait du temps.
Des voix: Trois. (11 h 15)
M. Johnson (Anjou): Je vais en prendre une, M. le
Président. Il y a au minimum une quinzaine de groupes et de personnes
qui devraient être entendus par cette commission, qui n'ont pas
été retenus par le gouvernement qui s'est servi de sa
majorité en séance de travail. Ce n'est pas vrai que vous nous
offrez la moitié du temps qu'on pense que ça va prendre. Vous
nous offrez l'équivalent de trois séances et on vous dit qu'il y
en a pour huit séances ce qui signifie mardi, mercredi et jeudi de la
semaine prochaine à raison de trois fois des séances de deux
heures ou de trois heures, selon les journées. Vous nous offrez
exactement le quart de ça et non pas la moitié. Il y a quand
même des limites!
Je me demande si, en votant, le gouvernement ne signifiera pas, dans le
fond, qu'il est très pressé que tout ça se règle
sans que ce soit su, sans que ce soit au vu et au su des gens, sans que soient
connus les véritables enjeux, sans qu'on accepte d'entendre ici des
groupes et des experts qui ont des choses à vous dire, suffisamment en
tout cas pour que le gouvernement lui-même soit en train de modifier en
conférence de presse, le communiqué de presse du lac Meech au fur
et à mesure que les experts viennent nous expliquer des choses.
Peut-être que le gouvernement a encore besoin d'éclairages
et on lui offre effectivement d'étendre ça sur huit
séances additionnelles, au minimum, et non pas deux et demie ou
trois.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef de
l'Opposition.
M. le leader adjoint.
M. Lefebvre: À cause d'une erreur de stratéqie en
1982, le Québec s'est retrouvé Gros-Jean comme devant. On veut
assurer la population du Québec que, quant à nous, on ne fera pas
la même erreur de stratégie. On a des choses à
évaluer, des problèmes è étudier, on veut entendre
les intervenants. L'offre du gouvernement est è une journée
près de la suggestion faite par l'Opposition, è savoir trois
jours de séances additionnelles - c'est ce qui apparaît dans la
motion - les 26, 27 et 28 mai. On est disposé à siéger
mercredi soir de cette semaine, on est disposé à siéger
vendredi toute la journée. Je
vous rappelle que, jusqu'à maintenant, on a perdu une
demi-journée. Il est 11 h 15 et on se retrouve finalement avec deux
jours d'audiences, ce matin, mercredi et vendredi, alors qu'on nous demande
trois journées d'audiences additionnelles.
Je suggère qu'on appelle le vote sur la motion, qu'on dispose de
ces moyens dilatoires soulevés par l'Opposition et qu'on entende tes
intervenants le plus tôt possible. On sait que, parmi les intervenants
auxquels fait référence l'Opposition, il y a une quinzaine
d'associations du Parti québécois. Elles auront tout le loisir de
se faire entendre au prochain congrès du PQ.
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint... . M.
Rochefort: M. le Président.» Le Président (M.
Filion): ...vos propos...
M. Lefebvre: Ne dépassent pas ma pensée.
Le Président (M. Filion); ...vous le savez, avec
l'expérience que vous avez, sont nettement susceptibles de créer
des débats qui ne font pas partie du cadre de la motion
déposée par le député de Gouin. Ils sont
susceptibles, je vous le rappelle, d'allonger le débat sur la
motion.
M. Rochefort: M. le Président...
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin.
M. Rochefort: ...simplement, avant de procéder au vote, je
dirai au député de Frontenac que, lorsqu'il veut appuyer ses
positions, il pourrait au moins les appuyer sur des faits véridiques et
non pas nous induire en erreur, comme il a tenté de le faire, en
laissant entendre qu'il y a quinze associations du Parti
québécois sur la liste.
Le député sait très bien que ce n'est pas vrai, ce
qu'il dit, et c'est pour cette raison qu'on veut que ce genre de questions soit
débattu en public et non pas en séance de travail, à huis
clos, pour l'empêcher d'en faire un petit peu trop comme
celle-là.
Vote nominal sur la proposition.
Le Président (M. Filion): Donc, j'appelle le vote nominal
sur la motion du député de Gouin dont vous me dispensez de la
lecture?
La Secrétaire: Pour ou contre la motion, M. Bélisle
(Mille-Îles)?
M. Bélisle: Contre.
La Secrétaire: M. Boulerice (Saint-Jacques)?
M, Boulerice: Pour.
La Secrétaire: M. Dauphin (Marquette)?
M. Dauphin: Contre.
La Secrétaire: M. Trudel (Bourget)?
M. Trudel: Contre.
La Secrétaire: M. Doyon (Louis-Hébert)?
M. Doyon: Contre.
La Secrétaire: M. Farrah (Îles-de-la-Madeleine)? M.
Filion (Taillon)?
Le Président (M. Filion): Abstention.
La Secrétaire: Mme Blackburn (Chicou-timi)?
Mme Blackburn: Pour.
La Secrétaire: M. Johnson (Anjou)?
M. Johnson (Anjou): Pour.
La Secrétaire: Mme Pelchat (Vachon)?
Mme Pelchat: Contre.
La Secrétaire: M. Lefebvre (Frontenac)?
M. Lefebvre: Contre.
La Secrétaire: M. Marcil (Beauharnois)?
M. Marcil: Contre.
La Secrétaire: M. Brassard (Lac-Saint-Jean)?
M. Brassard: Pour.
La Secrétaire: M. Scowen (Notre-Darne-de-Grâce)?
M. Scowen: Contre.
La Secrétaire: M. Séguin (Montmorency)?
M. Séguin: Contre.
La Secrétaire: M. Rémillard (Jean-Talon)?
M. Rémillard: Contre.
La Secrétaire: M. Rochefort (Gouin)?
M. Rochefort: Pour.
Le Président (M. Filion): Pour 5; contre 10; abstention 1.
Donc la motion du député
de Gouin est rejetée.
Ai-je besoin de vous rappeler notre mandat qui est d'entendre les
représentations, évidemment, de ses membres c'est
déjà fait - de personnes et d'organismes relativement à
l'entente intervenue le 30 avril 1987 au lac Meech concernant la constitution
du Canada?
Je voudrais vous faire part de notre horaire, ce matin. À 10
heures, était prévu le NPD-Québec; à 11 heures, la
Confédération des syndicats nationaux; à 16 heures, M. Guy
Bertrand; à 17 heures, l'Institut politique de Trois-Rivières;
à 20 heures, la Chambre de commerce de Montréal et, à 21
heures, l'Union des producteurs agricoles.
Est-ce que les membres de cette commission... Oui, M. le leader
adjoint.
M. Lefebvre: M. le Président, est-ce que je dois conclure
que la proposition du gouvernement de tenir une journée et demie
d'auditions additionnelles est refusée par l'Opposition? J'aimerais bien
savoir à quoi m'en tenir.
M. Johnson (Anjou): ...que, conformément à la
conversation que j'ai eue avec le premier ministre vendredi, les leaders se
parlent. Que les leaders se parlent.
Le Président (M. Filion): Est-ce que je pourrais vous
rappeler à nos travaux, M. le leader adjoint?
M. Johnson (Anjou): À moins que le premier ministre n'ait
changé d'idée encore.
Le Président (M. Filion): À moins que vous ne
fassiez une motion de votre proposition, ce que je ne...
M. Lefebvre: Non, M. le Président. Audition
Le Président (M. Filion): Alors, à ce moment-ci, je
vous ramène à nos travaux. Est-ce qu'il y a des propositions
concernant l'horaire ou si... Bon. Donc, j'appelle à la table des
invités les représentants du NPD-Québec.
Je voudrais souhaiter la bienvenue, malgré ce retard, aux
représentants du NPD-Québec et leur rappeler évidemment
que la période qui leur est allouée est de 60 minutes: 20 minutes
pour leur exposé et environ 40 minutes pour une période
d'échange de propos avec les membres de cette commission. Je demanderais
à M. le Président, M. Jean-Paul Harney, de bien vouloir
présenter d'abord les personnes qui composent sa
délégation.
NPD-Québec
M. Harney (Jean-Paul): M. le Président, mesdames et
messieurs de la commission, sont avec moi M. Pierre Rivard, qui est du caucus
des jeunes du Nouveau Parti démocratique du Québec, M. Pierre
Graveline, toujours à ma gauche, membre de l'exécutif national du
NPD-Québec, Mme Claire Brassard aussi membre de l'exécutif
national, c'est-à-dire vice-présidente de l'exécutif
national du NPD-Québec, et M. Maurice Villeneuve, de la ville de
Québec, qui est président de notre groupe d'action parlementaire,
ici, à Québec.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Harney.
Sans plus tarder, je vous invite à présenter votre
exposé.
M. Harney: Merci beaucoup. Je dois vous dire que le retard ne
nous a pas du tout gênés. Il nous reste amplement de temps avant
le dîner. À part cela, c'est quand même un peu encourageant
de voir que la députation a cette habileté de travailler les
règlements car, un beau jour, on sera tous devant le Jugement dernier.
Il sera peut-être utile d'avoir nos parlementaires en place pour invoquer
le règlement afin de retarder la sentence ultime. Comme cela, cela ne
nous dérange pas du tout de voir que les qens peuvent travailler le
règlement comme ils l'ont fait ce matin. Après tout, ce n'est pas
un luxe. C'est une nécessité, en démocratie parlementaire,
de permettre à l'Opposition de s'exprimer.
M. le Président, membres de la commission, au-delà des
manchettes qui ont couronné l'accord du lac Meech, force est de
constater que cet accord ne résiste pas à l'analyse. Le Nouveau
Parti démocratique du Québec rejette l'entente de principe
survenue le 30 avril dernier, tant sur son contenu que sur l'ensemble de la
démarche de négociation entreprise par le gouvernement du
Québec.
Depuis sa fondation en 1985, le NPD-Québec a maintes fois
exprimé son profond désaccord avec les démarches de
négociation constitutionnelle engagées, d'abord, par l'ancien
premier ministre Lévesque, puis par son successeur, M. Pierre Marc
Johnson, et finalement par M. Robert Bourassa. À la lumière des
événements politiques des dernières années, il est
opportun aujourd'hui de rappeler qu'à chaque fois qu'un gouvernement
québécois s'engage dans des négociations
constitutionnelles sans l'appui de la population, le Québec subit un dur
recul.
Une fois de plus, en 1987, le gouvernement du Québec s'est
amené à la table de négociations avec des demandes
élaborées à huis clos. La stratégie de
négociation du gouvernement Bourassa, tout comme celle de son
prédécesseur, laisse perplexe: dans un domaine aussi
important
que l'avenir constitutionnel du Québec, on doit
sérieusement remettre en question la démarche de nos
négociateurs. Un survol des derniers mois suffit pour avoir l'heure
juste: rencontres en privé, navette d'une ville à l'autre,
information livrée au compte-gouttes, déclarations ambiguës
à la veille de ta fameuse rencontre, mise en scène soigneusement
orchestrée. Quel prix la population du Québec devra-t-elle payer,
en fin de compte, pour avoir le privilège d'être témoin
d'un tel scénario?
Le NPD-Québec juge inacceptable et antidémocratique tout
le processus de négociation constitutionnelle tel qu'il s'est
déroulé au cours des derniers mois: un processus entaché
par l'absence d'un vrai débat public qui aurait dû avoir lieu
à l'Assemblée nationale et au sein de la population. Pas
surprenant, donc, de constater, non sans une certaine amertume, que les simples
citoyens se sentent complètement dépassés par cette
dernière ronde de négociations qui leur a totalement
échappé et dont ils saisissent difficilement les
véritables enjeux.
Malheureusement, les enjeux qui découlent de l'entente du lac
Meech sont énormes. Tout d'abord, il y a lieu de s'interroger
sérieusement sur la portée réelle de cette
société distincte, une notion qui, si acceptée sans plus
de précision, nous promet un avenir riche en épiques batailles
politiques et juridiques. Certes, on y reconnaît que le Québec
forme au sein du Canada une société distincte et que
l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le
rôle de protéger et de promouvoir ce caractère distinct,
mais nulle part on n'y précise en quoi consiste ce caractère
distinct. On ne reconnaît même pas le fait que la majorité
québécoise est de langue et de culture françaises et que
cette majorité a un droit collectif de protéger cette langue et
cette culture.
L'interprétation du contenu de la société distincte
est entièrement laissée à la discrétion
éventuelle de la Cour suprême qui n'a pas brillé, dans le
passé, par sa capacité de comprendre et de défendre les
aspirations et les intérêts collectifs et nationaux du
Québec. Non seulement cette reconnaissance du caractère distinct
de la société québécoise est-elle affaiblie par son
imprécision, mais elle est de plus noyée dans une
déclaration générale qui affirme qu'une
caractéristique fondamentale de la fédération est
l'existence d'un Canada francophone concentré, mais non limité au
Québec et celle d'un Canada anglophone concentré dans le reste du
pays, mais aussi présent au Québec - cela fait penser à
une recette à l'endos d'une boîte de moutarde Keen's - et qui
engage le Parlement et les Législatures des provinces à
protéger cette caractéristique fondamentale.
Comment ne pas voir dans cette déclaration des obligations
nouvelles pour le gouvernement québécois à l'endroit du
Canada anglophone qui pourraient le conduire à devoir accepter, sinon
promouvoir, le bilinguisme dans toutes les activités soumises à
ses compétences. Où est la société distincte dans
tout cela?
Un parallèle ici avec 1867: a cette occasion, seul le
Québec a eu le devoir d'être bilingue et les autres provinces
n'ont pas vu ce devoir leur être imposé. C'est ça, la
particularité du Québec. C'est un peu négatif. (11 h
30)
La partie de l'entente du lac Meech qui soulève la plus vive
inquiétude et qui, à tous égards, apparaît
inacceptable pour le Québec est celle qui concerne le pouvoir de
dépenser du gouvernement fédéral. Elle mérite
d'être citée intégralement: "Stipuler que le Canada doit
accorder une juste compensation à toute province qui ne participe pas
à un nouveau programmé national à frais partagés
dans un domaine de compétence provinciale exclusive si cette province
met en oeuvre, de son propre chef, une initiative ou un programme compatible
avec les objectifs nationaux."
Soulignons simplement que ce texte représente une
légitimation constitutionnelle et une reconnaissance par le
Québec du droit du gouvernement fédéral de dépenser
dans un domaine de compétence provinciale exclusive, ce qu'ont toujours
refusé tous les gouvernements québécois. Il
représente un affaiblissement majeur des pouvoirs du Québec dans
ses domaines de compétence exclusive en acceptant de les soumettre
éventuellement à une compatibilité avec les objectifs
nationaux définis par les institutions où il est minoritaire. II
ouvre la porte à des guerres juridiques interminables quant à
l'interprétation de la juste compensation.
Ici, la semaine dernière, un témoin a parlé d'un
cheval de Troie; certes, un cheval de Troie, mais c'est la première fois
que le cheval de Troie va être construit par les Troyens pour en faire
cadeau aux Grecs afin de leur permettre de pénétrer les murs.
L'image est bonne, mais pas complète.
Enfin, on a beaucoup fait l'éloge, au sein du gouvernement
libéral québécois, du succès que représente
la récupération par le Québec d'un droit de veto sur les
institutions fédérales. Or, en ce moment, une seule institution
fédérale fait l'objet d'une véritable volonté de
changement: le Sénat. Une seule question: Y a-t-il eu, au lac Meech,
accord secret entre le premier ministre Bourassa et les autres premiers
ministres provinciaux où, en échange de l'acceptation des
conditions des libéraux québécois, le Québec
accepterait une recomposition du Sénat sur une base
d'égalité formelle entre les dix provinces? Nos
négociateurs se sont contentés de laisser aux juges de la
Cour suprême le soin d'en définir les applications
concrètes en temps et lieu. Est-ce vraiment de cette façon que le
peuple du Québec envisage son avenir culturel, politique et
économique?
Le NPD-Québec estime que la sauvegarde et la promotion de la
langue et de la culture françaises au Québec doivent être
clairement et explicitement incluses dans la constitution, plutôt que
d'être laissées à l'interprétation des juges. Il est
primordial que le Québec ait la compétence exclusive de
légiférer en matière linguistique, tout en respectant les
droits de ses minorités linguistiques.
Le NPD-Québec constate que le Québec sort affaibli de ces
négociations par l'absence de référence à la
sécurité du revenu, à la sécurité sociale,
aux communications, autrefois l'objet d'intenses négociations, mais
surtout par l'effritement de ses compétences exclusives, avec
l'incursion du pouvoir fédéral de dépenser par le biais de
programmes nationaux dans des champs de compétence exclusive des
provinces, et par la normalisation du droit de veto pour toutes les provinces.
Où réside donc la spécificité du Québec,
autrement que dans la référence à la société
distincte? Le Québec ne peut se contenter d'un simple et vague symbole.
C'est comme si les négociateurs avaient tout fait pour reconnaître
d'une façon concrète le caractère distinct du
Québec et que, par pudeur, au lieu de reconnaître que le
Québec n'est pas une province comme les autres, ils avaient
cherché à faire de toutes les provinces des provinces comme le
Québec, On ne veut pas enlever quelque chose aux autres provinces, mais
il faut quand même se le dire: Il n'y a rien de très "distinguant"
pour le Québec dans les aspects concrets de l'accord du lac Meech.
Après les déboires du gouvernement péquiste en
1981, qui a aligné le Québec sur une voie de service sans issue,
c'est au tour du présent gouvernement d'engager le Québec tout
entier dans un sprint, qui, selon nous, va hypothéquer notre avenir
collectif. Le NPD-Québec considère que l'impasse
constitutionnelle dans laquelle le Québec s'est enlisé ne pourra
trouver de véritable solution que lorsque la population du Québec
décidera d'abord de quels pouvoirs elle entend se doter, comment elle
entend les préserver et, ensuite, quels autres elle entend partager avec
le reste du Canada. Rappelons que les Québécoises et les
Québécois n'ont jamais été appelés à
formuler collectivement l'ensemble de leurs revendications.
C'est dans une telle perspective, soit de commencer par le commencement,
que le NPD-Québec envisage l'évolution du dossier
constitutionnel.
Compte tenu des piètres résultats des dernières
années de négociation constitutionnelle, il n'appartient plus
à quelques hommes forts de tel ou tel parti politique d'élaborer
hâtivement les conditions d'une éventuelle adhésion du
Québec à la grande famille canadienne.
C'est pourquoi la population du Québec doit se doter d'une
constitution spécifiquement québécoise dans laquelle elle
pourra exprimer sa volonté quant au régime politique, social et
économique dans lequel elle veut évoluer. Ainsi, par exemple,
dans une telle constitution québécoise, la Charte
québécoise des droits et libertés, la législation
protégeant la langue française, les droits de la minorité
anqlaise, des communautés culturelles et des autochtones y seraient
enchâssés.
L'élaboration d'une telle constitution devrait être
démocratique et faire appel à toutes les composantes du peuple
québécois par le truchement d'une assemblée constituante.
Nous insistons beaucoup sur cet aspect du processus constitutionnel parce que,
chaque fois que le Québec allait devant le reste du Canada, c'est
seulement le moitié du Québec qui y allait et le reste du Canada
s'est toujours servi des absences, que ce soit celle du parti de l'Opposition
aujourd'hui, celle du parti qui était dans l'Opposition en 1980-1981 ou
celle des rouges qui n'étaient pas là en 1964-1965. Nous
étions seulement la moitié du Québec pour négocier
avec les dix autres. C'est un problème très sérieux.
Au terme de cette vaste consultation populaire, ce projet de
constitution devrait être soumis à la population du Québec
pour approbation par référendum. On verra, dès lors,
poindre à l'horizon le début d'une nouvelle dynamique de
négociation avec le reste du Canada, plus prometteuse de renouvellement
de l'union canadienne.
Regardons vers l'avenir: un gouvernement québécois,
constitution québécoise en main, augmentera substantiellement sa
marge de négociation avec le reste du Canada, vu qu'il sera fort de
l'appui et de la légitimité populaire que lui conférera
une telle constitution. Ainsi, la spécificité du Québec
sera clairement déterminée, tant sur le plan culturel que sur le
plan social et économique. La spécificité du
Québec, on la fait ainsi; on ne va pas la chercher dans une constitution
canadienne. Fini les marchandages! Les règles du jeu auront
été changées. La nouvelle constitution canadienne devra
être négociée d'égal è égal entre le
Québec, peuple distinct et entièrement libre de décider de
son avenir, et le reste du Canada.
Nous sommes devant les faits de cette conjoncture. Pour l'instant,
l'entente de principe du lac Meech fait l'objet d'un débat public
limité a l'Assemblée nationale et à
une commission parlementaire. Le prochain rendez-vous des premiers
ministres, prévu pour le début de l'été, aboutira
probablement à une nouvelle entente, laquelle, à son tour, sera
discutée dans chacune des provinces.
Le NPD-Québec estime que la population du Québec n'a pas
à être bousculée dans cette course contre la montre. Nous
sommes devant une alacrité alarmante qui écarte les points de vue
et les opinions de maints groupes importants ici au Québec: les
artistes, les écrivains, surtout les jeunes qui ont comparu devant vous
il y a quelques mois.
On vous dit tout simplement que la constitution, c'est très
important, mais ça ne presse pas, justement parce que c'est important.
Nous réclamons donc que le projet d'accord final fasse l'objet d'un
véritable débat public et soit ensuite soumis à
l'approbation de la population du Québec par référendum,
par le biais du deuxième volet de la loi référendaire,
c'est-à-dire la Loi sur la consultation populaire, qui a
été adoptée ici par cette Assemblée, à la
fin des années soixante-dix. Cette formule permettra à la fois
à l'Assemblée nationale de débattre le texte dans les
délais prévus normalement pour les projets de loi, en trois
études et par trois votes, et, après ça, de le soumettre
à la population pour son approbation avant que ça passe à
l'assentiment royal.
Tout en maintenant son profond désaccord avec l'ensemble du
processus de négociation constitutionnelle, le NPD-Québec estime
qu'à ce stade-ci, à défaut de tout reprendre à
zéro comme il le souhaiterait, la population du Québec doit
être appelée à se prononcer formellement sur
l'éventuel projet d'accord constitutionnel. C'est l'essentielle
démocratie. Ce serait une façon superbe d'indiquer que le
Québec est véritablement une société distincte, que
le Québec reconnaît la souveraineté de son peuple chez lui,
par rapport à ses institutions, et met de côté une vieille
idée de souveraineté, qui est celle de la souveraineté
parlementaire.
C'est une façon superbe et essentielle d'agir d'une façon
qui nous distinguera clairement des autres. Merci.
Le Président (M. Filion): Je voudrais vous remercier, M.
Harney, pour votre exposé. Je rappelle à chaque groupe qu'il
reste une enveloppe d'environ 21 minutes à leur disposition. Je laisse
la parole à M, le ministre délégué aux Affaires
intergouvernementales canadiennes.
M. Rémillard: M. Harney, je vous remercie d'avoir
accepté de venir témoigner devant nous. C'est intéressant
de vous entendre, c'est intéressant de voir le bout de chemin qu'a fait
votre formation politique depuis les cinq dernières années. Dans
un premier temps, vous avez soutenu le rapatriement de la constitution
malgré le Québec et malgré le fait que cela puisse mettre
en cause les droits historiques du Québec et, maintenant, vous
êtes un parti qui avez un discours quasi souverainiste, à certains
égards. C'est intéressant de voir cette évolution.
Je ne sais pas quelle est la relation entre le NPD-Québec et le
NPD national, mais je voudrais citer M. Broadbent, votre chef national, qui
disait ceci en Chambre, le 11 mai 1987: "Mr Speaker, the historic meeting at
Meech Lake with the Prime Minister and the Premiers of all the other provinces
produced what can only be described as a remarkable document." M. Broadbent
qualifie donc l'entente du lac Meech de document remarquable, et on
connaît d'autres commentaires qu'il a faits en ce sens.
Pour votre part, vous nous dites que c'est inacceptable, qu'il s'agit
d'une entente qui ne résiste pas à l'analyse. Comment
conciliez-vous ces deux positions de votre formation politique?
M. Harney: ...si on les prend entières. D'abord, pour
faire un rappel historique, le NPD-Québec, en 1982, était
solidaire des autres partis, ici, en Chambre. Il a refusé l'entente du
rapatriement. Deuxièmement, notre discours est peut-être
souverainiste dans le sens qu'on veut la souveraineté du peuple, mais il
n'est certes pas indépendantiste. Sur ce point, on est très
clair, on déclare qu'on désire l'union canadienne et ce, partout
dans notre document.
La relation entre le NPD-Québec et le NPD fédéral?
Le NPD fédéral est une fédération de partis
provinciaux qui sont autonomes. Le NPD fédéral se
développe selon le modèle d'un Canada dans lequel le
Québec pourrait vivre aisément et pleinement. Nous pouvons
alimenter les travaux du NPD fédéral, mais il y a une valve qui
ne permet pas au NPD fédéral d'intervenir dans nos
décisions. C'est un modèle qu'on prend tous ici, au
Québec, et qui est étudié de près. (11 h 45)
Le chef fédéral n'est pas le chef national. Dans nos
textes constitutionnels, il y a le parti fédéral et le parti
national est ici. Le chef fédéral a fait des déclarations
en Chambre le lendemain de la conférence sur un texte qui n'existait pas
encore, qui n'était pas vraiment devant les parlementaires, il faut se
le rappeler. On avait des coupures de presse et, comme de raison, quand il y a
noce, on ne dit pas que le marié est en boisson. Après tout,
l'occasion était belle de voir tous ces gens-là en accord. La
première réaction a été positive comme elle l'a
été en général dans la population. Mais, même
à cette occasion, M.
Broadbent a exprimé des réserves assez contraignantes
qu'il a reprises, d'ailleurs, lors du débat qui a eu lieu la semaine
dernière à la Chambre des communes. Moi, je trouve qu'il n'y a
pas de contradiction, surtout quand M. Broadbent s'est exprimé par le
truchement de Radio-Canada sur le fait qu'il n'avait rien à
réduire de l'accord du lac Meech, respectant l'essentielle
majorité linguistique francophone du Québec. Je trouve que le
cheminement du NPD-Québec et du NPD-Canada n'est pas un cheminement
jonché de contradictions, mais plutôt un développement
hégélien qui se révélerait fructueux un de ces
beaux jours.
Des voix: Ha! Ha! Ha!
Le Président (M. Filion): M. le ministre. Vous avez
terminé? Alors, M. le député de Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: M. le Président, tout d'abord, je constate
que le NPD-Québec affirme que le processus actuellement en cours est,
pour reprendre l'expression que vous avez utilisée dans votre
mémoire, "entaché par l'absence d'un vrai débat public qui
aurait dû avoir lieu". Si j'ai bien compris vos remarques
préliminaires sur le débat de procédure qui avait eu lieu,
vous affirmez au fond qu'on peut prendre une heure de débat
réglementaire si l'objectif pousuivi est d'étendre le
débat, de donner plus d'extension au débat public, ce qui
était évidemment l'objectif poursuivi par le Parti
québécois au début des travaux de la commission.
Ma deuxième remarque préliminaire, c'est que je constate
avec plaisir que vous souhaitez que te Québec se dote d'une constitution
interne. C'est aussi notre avis, comme vous le savez. Je vous signale
également - c'est peut-être oublié, c'est peut-être
le moment de le rappeler - que c'est l'avis du député de
Jean-Talon, ministre délégué aux Affaires
intergouvernementales canadiennes, et j'espère que cela l'est encore. Je
peux vous citer l'extrait d'un discours qu'il prononçait en 1982, peu de
temps après le rapatriement de la constitution. Je cite M.
Rémillard: "II faudrait doter le Québec d'une constitution comme
le proposaient encore récemment les ministres Camille Laurin et
Jacques-Yvan Morin." Sur ce point, il était au moins d'accord avec M.
Morin, qui est venu comme expert la semaine dernière. "Même si une
telle constitution devait se conformer à la constitution canadienne, il
demeure qu'elle pourrait venir combler bien des lacunes et des
ambiguïtés juridiques tout en donnant aux Québécois
un véritable contrat social qui leur fait tant défaut
actuellement dans la crise économique et sociale que nous vivons.
L'idée n'est pas nouvelle, mais les circonstances font que, maintenant,
elle est devenue une nécessité. Cette constitution consacrerait
tout d'abord l'existence de la nation québécoise"... C'est une
belle expression. Ne la préférez-vous pas à celle de
"société distincte", M. le ministre, "nation
québécoise"?
M. Rémillard: On me pose une question, M. le
Président. Est-ce que je peux y répondre?
M. Brassard: Non, non, vous y répondrez plus tard.
M. Rémillard: Je voudrais répondre à la
question, M. le Président.
M. Brassard: ..."son droit à l'autodétermination -
je suis pleinement d'accord avec cela, moi, que le droit à
l'autodétermination du peuple québécois soit inscrit dans
sa propre constitution - et ses principes démocratiques fondamentaux.
Puis, elle pourrait comprendre la charte québécoise des droits -
tiens! tiens'. - pour ensuite énoncer l'organisation des pouvoirs
législatifs." C'était l'opinion, en 1982, du ministre actuel
délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes. Je
suppose qu'il est encore de cet avis. Au moins sur ce point, tout le monde
serait d'accord, à cette commission, pour une constitution interne du
Québec comprenant ces divers éléments.
J'en viens, M. Harney, à certaines questions sur deux points
majeurs de l'entente du lac Meech où je suis dans l'obligation de
constater des divergences profondes avec M. Broadbent, le chef du NPD-Canada,
tout en reconnaissant, vous l'avez affirmé tantôt, que le
NPD-Québec a une marge d'autonomie qu'il utilise - je le vois -
pleinement. Je pense qu'il est important quand même de clarifier ces deux
points.
D'abord, la société distincte. Vous réclamez une
définition précise de la société distincte de
façon à y inclure le caractère français du
Québec et vous réclamez également - ce que nous
réclamons aussi, nous, je vous le signale - que l'Assemblée
nationale ait pleine compétence en matière linguistique, que le
pouvoir de légiférer en matière linguistique soit
attribué pleinement et entièrement à l'Assemblée
nationale. Sur ce point-là, il y a une divergence, je dois l'admettre,
assez importante avec M. Broadbent. M. Broadbent, de son côté,
estime, il est vrai, qu'on devrait définir la société
distincte, mais il y propose un amendement qui, à mon avis, est aux
antipodes de ce que vous proposez. Il propose: "la reconnaissance que le
Québec forme au sein du Canada une société distincte, du
fait - c'est dans son discours du 11 mai 1987 - que c'est la seule province
à
majorité francophone et à minorité anglophone."
C'est presque une redondance par rapport au premier point où l'on parle
d'un Canada francophone concentré au Québec et d'un Canada
anglophone présent au Québec. C'est presque une redondance. Dans
ce sens-là, il rejoint d'ailleurs Alliance Québec qui, en 1985,
affirmait que le Québec est une société distincte, parce
qu'il est le foyer de la plus importante concentration de Canadiens
d'expression française et celui de la seule minorité d'expression
anglaise du Canada. C'est dans cette perspective, selon Alliance Québec,
que le caractère distinct du Québec doit être compris.
Je signale - c'est le sens de ma première question - que ce que
vous réclamez, ce que vous revendiquez au chapitre de la
société distincte ou du caractère distinct - j'aimerais
que vous le reconnaissiez - est très différent, sinon divergent
de ce que propose M. Broadbent, tout en admettant cependant que vous exercez
l'autonomie dont vous avez parlé tout à l'heure.
M. Harney: Qui, M. le Président. Puisque nous sommes tous
d'accord, semble-t-il, sur le besoin impérieux d'avoir une constitution
québécoise avant de procéder à des tractations
sérieuses avec le reste du Canada, on pourrait peut-être proposer
la levée de la séance et demander aux gens de se mettre au
travail. C'est un point très important. Ce n'est pas la première
fois qu'on parle de constitution québécoise et M. Johnson le sait
très bien. Il a commencé à en parler l'été
dernier et, avant cela, le NPD-Québec, dans son programme sous rubrique
rouge ici, a proposé en 19B5 la constitution québécoise.
M. Rémillard aussi l'a proposée; ça, on le sait
très bien. Ce n'est pas nouveau. Antoine-Aimé Dorion l'avait
proposée. La différence est celle-ci: nous, nous proposons d'y
arriver d'une façon démocratique par le truchement d'une
assemblée constituante élue. Nous ne voulons pas que la
constitution québécoise soit faite ici dans l'enceinte de
l'Assemblée nationale, parce que nous croyons qu'une constitution, cela
appartient au peuple.
Comme de raison, nous avons tous des relations à Ottawa. Le Parti
libéral, une bonne partie de ses membres ici au Québec, des
membres du PLQ sont aussi membres du Parti libéral du Canada. C'est une
relation plus ou moins ouverte. S'il n'y a pas mariage, au moins il y a une
espèce de contrat qui existe entre les deux. Entre le NPD-Québec
et le NPD-Canada, la relation est ouverte, formelle et admise. Il existe quand
même, du côté qu'on disait anciennement bleu, une relation
quelconque qui prend la forme de beaux risques, comme cela a été
le cas en 1984 entre le Parti québécois et le Parti conservateur
ou, encore une fois, si je recule dans le passé, en 1957-1958, dans le
temps de l'Union Nationale et du Parti conservateur et, si je recule encore
plus loin, en 1931, quand il y a eu une relation entre les "bleus"
conservateurs du Québec et Bennett. Comme ça, on a tous des
relations.
Nous, nos relations sont franches et ouvertes. Pour ce qui est de la
position de M. Broadbent, il aura la chance de l'exprimer formellement devant
des textes concrets qui n'existent pas et, s'ils existent, ils existent sur les
lignes télégraphiques entre Ottawa, Québec et ailleurs
maintenant. On ne les connaît pas, ces textes-là. Là, M.
Broadbent et la formation qu'il dirige à Ottawa pourraient se reposer
clairement sur les engagements pris à l'occasion du congrès
fédéral du NPD de mars 1987 et surtout, par rapport à
l'aspect linguistique, sur la clause qui dit: II est résolu de plus que
le NPD explorera de nouvelles dispositions constitutionnelles à la fois
dans le but de protéger les droits linquistiques de la majorité
du Québec et d'assurer la préservation des droits linguistiques
des minorités tels qu'ils existent présentement dans la
constitution.
Il n'y a pas de contradiction, M. le Président et messieurs et
madame membres de la commission. Ce qui déboute si souvent le
Québec sur le plan législatif, ce sont les dispositions
générales de la charte canadienne et non tes dispositions
spécifiques par rapport aux droits linguistiques des minorités;
c'est quand on peut invoquer devant une cour le droit à l'expression
individuelle contre une loi spécifique proposée et adoptée
par l'Assemblée nationale du Québec pour protéger et
promouvoir le fait français au Québec.
Je vois que M. Pierre Marc Johnson est perplexe mais, si on
étudie de près les décisions juridiques depuis plusieurs
années, c'est toujours le cas. Les juges se sont penchés sur la
lecture des textes spécifiques, pardon des textes
généraux, pour contrer, pour débouter une loi
spécifique du Québec. C'est-à-dire que la 133 ne me fait
pas peur mais on ne parlera pas de route ici. Je ne veux pas rentrer dans les
chiffres, je me suis promis de ne pas parler de chiffres.
J'aimerais demander à M. Graveline d'expliciter un peu plus notre
position sur l'idée d'une assemblée constituante et son
importance pour le Québec.
Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.
M. le député de Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: Je veux bien qu'on nous parle d'une assemblée
constituante, mais ma question portait sur le concept de "société
distincte" tel qu'on le retrouve dans l'entente
du lac Meech. Ce que je signalais, vous demandant de le
reconnaître - puisque vous avez parlé d'un cheminement
hégélien tout à l'heure, thèse, antithèse,
synthèse - et que je constate, c'est ceci: la thèse, c'est que le
Québec devrait être français et qu'il devrait avoir pleine
juridiction en matière de législation linguistique;
l'antithèse, c'est celle de M. Broadbent qui reconnaît la
dualité linguistique du Québec et la synthèse, c'est votre
résolution du congrès fédéral?
M. Harney: M. le Président, c'est la voie de la
synthèse. Cela n'a pas encore abouti, mais c'est la direction. On sait
que ces choses-là prennent du temps mais les éléments, les
termes d'une solution sont là. Il faut comprendre que, si on veut faire
partie d'une confédération - c'est ça que le NPD
désire clairement... Ce n'est pas du tout clair que c'est ça que
le PQ désire. Même le PQ ne semble pas être clair
lui-même. II faudra attendre le mois de juin et peut-être encore
plus tard pour le... Nous disons très clairement que nous voulons faire
partie d'une confédération et, dans une constitution
confédérale, certainement qu'il y aura des stipulations, des
dispositions très spécifiques, d'après nous, pour voir
à la protection des minorités linguistiques non seulement au
Québec, mais ailleurs. Mais, là, je parle encore une fois de
dispositions très spécifiques et je ne voudrais pas que les
dispositions générales d'une charte s'appliquent à
l'encontre des lois adoptées par l'Assemblée nationale pour la
protection de la majorité linguistique, ici, au Québec. C'est
ça la distinction. (12 heures)
M. Brassard: M. le Président. J'aurais une autre question
qui porte cette fois-ci sur le pouvoir de dépenser. Vous avez
été très clair et même très
catégorique dans votre exposé, tout à l'heure. Vous
estimez que les dispositions de l'entente du lac Meech à ce sujet
constituent une consécration, en quelque sorte, du principe de
l'intrusion du gouvernement fédéral dans des domaines de
compétence exclusive des provinces et qu'il serait inadmissible de
consacrer ce principe dans la constitution du Canada. D'autre part, vous
estimez également qu'imposer des objectifs nationaux dans des domaines
exclusivement provinciaux, cela risque de limiter justement les juridictions et
les compétences exclusives des provinces.
Je vous signale à ce sujet également -je pense que c'est
important que vous précisiez votre pensée ou votre point de vue
sur ce sujet - que M. Broadbent toujours, qui est votre chef au niveau
fédéral, est pleinement d'accord avec cette disposition de
l'entente du lac Meech et trouve même que la compatibilité avec
les objectifs nationaux n'est pas suffisamment étoffée,
articulée. Dans son discours, toujours du 11 mai 1987, portant sur le
débat constitutionnel il affirme et je le cite: "L'élément
clé, c'est qu'il faut que ces programmes - il s'agit de programmes
nationaux - qui ont des variantes régionales, soient essentiellement
équivalents." Si c'est ce que veut dire l'expression "compatible avec
les objectifs nationaux", c'est parfait. "Une fois de plus -je le cite toujours
- il me semble que l'expression utilisée est sujette à
interprétation. Nous pourrions avoir un programme provincial compatible
avec un programme établi du Parlement du Canada mais qui serait loin,
dans ses modalités, de répondre aux intentions de celui-ci."
Si je comprends bien M. Broadbent, il souhaite qu'en matière
d'objectifs nationaux pour ce qui est des programmes nationaux dans des
domaines réservés exclusivement aux provinces, ces objectifs
soient suffisamment précis, suffisamment articulés, suffisamment
étoffés pour que la marge de manoeuvre des provinces en cette
matière soit finalement concrètement assez mince.
En somme, sur le pouvoir fédéral de dépenser, je
suis obligé de constater là aussi une divergence assez
fondamentale avec votre chef, M. Broadbent, qui, lui, non seulement souhaite
que le principe de l'intrusion fédérale dans des domaines
exclusivement provinciaux soit consacré, mais qui également
réclame qu'en matière d'objectifs nationaux on soit le plus
précis possible et que les provinces soient encadrées le plus
possible.
Au fond, la question, c'est que vous reconnaissez sur ce point aussi...
Ce n'est pas un reproche que je vous fais; au contraire, j'en suis fort aise
parce que la position que vous adoptez sur le pouvoir de dépenser, soit
vos inquiétudes et vos réserves, quant à moi, je les
partage. Donc, ce n'est pas un reproche mais, pour être bien clair, vous
reconnaissez que sur ce point aussi votre point de vue est très
différent et diverge de celui de M. Broadbent au niveau
fédéral.
M. Harney: M. le Président, on peut voir qu'il est
possible, même nécessaire pour un souverainiste de
reconnaître la souveraineté d'un parti québécois,
parce que nous sommes un parti québécois, comme tous les autres
partis qui sont ici en Chambre, des partis québécois, et que nous
avons notre autonomie face au parti fédéral. Mais je m'en tiens
aux déclarations du parti fédéral adoptées en
congrès et ce, récemment, c'est-à-dire que le
Québec doit pouvoir préserver son caractère unique et
qu'un des moyens pour arriver à cette fin, c'est le droit de ne pas
participer à des amendements constitutionnels qui auraient pour effet de
transférer des pouvoirs provinciaux au gouvernement
fédéral. De plus, lorsque de tels changements constitutionnels
ont des implications financières, le Québec a droit à
une
compensation financière équivalente.
Cela, c'est la politique du parti fédéral.
Malheureusement, nos députés en Chambre maintenant sont
confrontés à un document qui dit: On ne fera pas cela pour le
Québec, mais pour tout le monde. Ce qui les tracasse, ce qui les trouble
beaucoup, c'est que le document propose de faire du Canada et surtout du reste
du Canada un pays ingouvernable. Encore une fois, parce que les
négociations et les négociateurs n'ont pas voulu
reconnaître clairement que le Québec est un foyer national, comme
d'ailleurs cela a été reconnu par la Grande-Bretagne en 1774 dans
l'Acte de Québec, ils ont dû faire de la place pour toutes les
provinces. Ils ont offert des choses à des populations provinciales,
ailleurs, qu'elles ne demandaient même pas.
Si on veut chercher un parallèle, ce n'est pas une question de
Régime de rentes du Québec de 1964. Pour moi, c'était
singulier cela. Le Régime de rentes du Canada a pu fonctionner parce
qu'il y avait un régime à part pour le Québec. Mais, s'il
y avait eu un régime de rentes pour l'Ontario, la Saskatchewan,
l'Île-du-Prince-Édouard, etc., cela aurait été la
foutaise complète. C'est justement cela que le document du lac Meech
propose. C'est ça qui trouble M. Broadbent. Si le document disait que le
Québec et le Québec seul avait ce pouvoir, ce serait très
différent. Le3 directions seront très différentes.
Pour ce qui est de nos relations encore avec le fédéral,
je demanderais à Pierre de continuer parce que je peux me laisser
emporter sur cette question.
M. Graveline (Pierre): Si vous me permettez de dire quelques
mots, M. le Président, il me semble que le propos de cette commission,
à moins que je ne me trompe, n'est pas de faire le compte et le
décompte des convergences et des divergences qui existent entre les
partis politiques québécois et leurs vis-à-vis ou
alliés, appelez-les comme vous voulez, sur la scène
fédérale. Si tel devait être le cas, on pourrait commencer
à comparer les positions du Parti libéral du Québec avec
celles du Parti libérai fédéral, celles du Parti
québécois avec celles du Parti conservateur pour qui il a
été appelé à voter aux dernières
élections fédérales. Je ne pense pas que ce soit là
l'objet de cette commission. Par ailleurs, si les membres de cette commission
sont intéressés véritablement à entendre en
détail le point de vue des chefs politiques fédéraux,
qu'ils les invitent à comparaître devant cette commission au
besoin.
Je voudrais aussi, si vous me le permettez, M. le Président,
faire un commentaire...
Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il y a consentement?
Excusez, M. Graveline. Je présume qu'il y a consentement des
parlementaires pour laisser notre invité poursuivre, malgré
l'expiration de l'enveloppe du temps de l'Opposition. Consentement?
M. Johnson (Anjou): Juste avant de laisser continuer M.
Graveline, avec le consentement de l'autre côté, M. Harney, est-ce
que j'ai bien compris ce que vous me disiez parce que j'essaie
d'interpréter ce que dit M. Broadbent depuis quelques jours? Vous le
connaissez beaucoup mieux que moi, vous êtes en relations
fréquentes avec lui. Est-ce que j'ai bien compris que ce que M.
Broadbent reproche à l'entente du lac Meech, c'est de ne pas donner au
Québec un statut particulier? Parce que j'ai cru comprendre que
c'était ça, votre démonstration, tout à l'heure.
Dans le fond, oui, le Québec devrait avoir un certain nombre de
pouvoirs, mais pas les autres provinces canadiennes. Ce que vous me dites,
c'est que la position du NPD fédéral, c'est que le Québec
devrait avoir un statut particulier. Est-ce que c'est bien ça?
M. Harney: Vous savez, ce qui s'est passé essentiellement
dans l'arrière-plan de tout cela, c'est que tout le monde a
été surpris par les propositions du lac Meech. On s'attendait que
le lac Meech soit l'occasion d'une négociation pour intégrer le
Québec à la constitution dans laquelle il était toujours
intégré, mais de l'amener à accepter les amendements
apportés à cette vieille constitution, les amendements de 1982.
Là, on voit que ce n'est pas un accord Québec, c'est un accord
partout.
Quant à moi, j'ai l'occasion de me promener de temps en temps en
Ontario. Quand je lis les journaux, les manchettes et les éditoriaux, on
me parle d'un "Québec accord". Je me fâche parce que ce n'est pas
un accord pour te Québec, c'est un accord pour toutes les provinces. La
réaction au Canada anglais est encore un peu confuse et je comprends
cela, parce qu'on leur dit que c'est un accord pour le Québec et les
gens commencent tout simplement ces jours-ci à constater que c'est un
accord pour toutes les provinces. Je comprends très bien la situation de
M. Broadbent.
Les premières réactions sont certainement un peu plus
confuses parce que ce qui ressort du lac Meech, c'est quelque chose qui est
à la fois surprenant et quand même pas inusité. Depuis bien
des années, depuis 1867, au lieu de reconnaître clairement
l'État national du Québec, on fait tout pour l'éviter. Les
propos de M. Bourassa tenus l'automne dernier ou au début de cet hiver
-sa toute première proposition d'amendement sur les 25% - étaient
des propos qui dénationalisaient le Québec, c'est-à-dire
que toute province qui allait chercher 25% aurait
un droit de veto. Jamais, dam son texte, on ne disait: Parce que le
Québec, c'est le Québec, c'est un foyer national, il a besoin
d'un droit de veto. C'est parce qu'on ne dit pas cela, on ne dit pas cela ici,
on ne dit pas cela devant tes interlocuteurs au fédéral que,
là, on se permet de dire: Bien oui, on va faire cela pour tout le monde.
Là, on donne de plus en plus raison à M. Parizeau; le Canada
deviendrait de plus en plus ingouvernable.
M. Johnson (Anjou): Est-ce que je dois donc comprendre - c'est ma
conclusion de vos propos, M. Harney - que la raison, comme vous le dites, pour
laquelle le NPD fédéral émet des réserves sur
l'entente du lac Meech, c'est le fait qu'on n'a pas consenti au Québec
un statut particulier et qu'en conséquence, c'est une forme de
décentralisation qui va rendre, comme vous le dites, le Canada
ingouvernable? La solution, pour M. Broadbent et le NPD fédéral,
c'est vraiment qu'il faudrait, pour régler cela, un statut particulier
pour le Québec.
M. Harney: Sans me servir de vos phrases, j'accepte ces
principes.
M. Johnson (Anjou): Oui? Ah boni
M. Harney: Parce que les phrases sont importantes en politique,
vous le savez trop bien. Statut particulier, affirmation nationale, tous ces
mots...
M. Johnson (Anjou): Avec les pleins pouvoirs en matière
linguistique pour le Québec...
M. Harney: Pardon?
M. Johnson (Anjou): Avec les pleins pouvoirs pour le
Québec en matière linguistique en étant à l'abri de
la notion d'objectifs nationaux, par exemple, dans la compensation.
M. Harney: On va s'en tenir aux dispositions particulières
et j'espère entendre des propos en Chambre, de la part de M. Broadbent,
si jamais il y avait un texte qui était présenté. Je ne
veux pas écarter toute phrase générale, mais on sait
très bien que des termes généraux, cela peut mener
à toutes sortes de choses. On a aussi dans notre programme, M. Johnson,
en rubrique, en lettres rouges, l'expression "affirmation nationale". On sait
très bien que vous ne voulez pas dire exactement la même chose par
"affirmation nationale" que ce que le NPD-Québec veut dire. Sur le
principe...
M. Johnson (Anjou): À moins que ce ne soit le contraire!
Merci.
Le Président (M. Filion): Alors, je vais reconnaître
maintenant M. le député de Bourget.
M. Trudel: Merci, M. le Président. M. Harney, ce n'est pas
moi qui vais vous reprocher les distances que vous prenez par rapport à
la section fédérale de votre parti, puisqu'en 1962, 1963 ou 1964
- je ne m'en souviens pas trop, j'étais encore étudiant et cela
ne m'a pas rendu très populaire auprès de feu M. Lesage -
j'étais un de ceux qui ont lutté vaillamment, je crois, et
fortement pour que le Parti libéral du Québec devienne une
entité distincte, un peu comme la société distincte que
l'on recherche tous. Alors, ce n'est pas moi qui vais vous mettre en
contradiction avec les propos de votre chef, quoique les positions ne me
semblent pas très claires.
Vous écrivez à la page 1, d'entrée de jeu, que les
négociations constitutionnelles se font sans l'appui de la population.
Je me permettrais, en guise d'introduction, de vous souligner que le Parti
libéral du Québec a été élu, en 1985, avec
un programme et des engagements qui étaient publics et fermes; il
s'agissait des cinq conditions d'adhésion du Québec à la
constitution de 1982. Donc, si vous parlez de négociations
constitutionnelles sans l'appui de la population, je me permettrais
d'être en désaccord avec vous,
À vous écouter tantôt et à vous lire
auparavant, on a un peu l'impression qu'il faut, selon vous, revenir à
1980, c'est-à-dire aux choses qui ont été
réglées par référendum à cette époque
et à celles qui ont également été
réglées en 1981-1982 par la constitution. Voyez-vous, la
différence essentielle, je pense, si je peux me permettre, à tout
le moins, de résumer notre position à nous, c'est qu'on se place
- M. Dion le faisait lui-même la semaine dernière devant nous -
à l'intérieur du cadre constitutionnel de 1982 et, là, on
se dit: Est-ce que l'accord du lac Meech est suffisant pour que le
Québec adhère à cette constitution?
Vous semblez, dans votre texte, revenir beaucoup plus loin en
arrière. Vous parlez de référendum, vous parlez
d'assemblée constituante. C'est, finalement, je pense, ce qui nous
sépare.
Deux questions, M. Harney. On retrouve la première à la
page 2 de votre mémoire. Vous dites, au deuxième paragraphe, pour
vous citer: "II est primordial que le Québec ait la compétence
exclusive de légiférer en matière linguistique, tout en
respectant les droits de ses minorités linguistiques". Est-ce que ce
droit que vous réclamez vous permettrait d'amender l'article 133 et
l'article 23? (12 h 15)
M. Harney: Si le Québec se dote d'une constitution
écrite... Il faut se le dire, on a
une constitution, parce que vous ne seriez pas ici, messieurs, dames,
s'il n'y avait pas de constitution québécoise. Il n'y aurait pas
de lois québécoises; il n'y aurait pas de taxes à payer au
Québec. Il y en a une constitution, c'est reconnu dans la constitution
canadienne et c'est aussi reconnu dans la constitution canadienne que le
Québec peut modifier sa propre constitution. Je ne vous apprends pas
quelque chose.
Mais ce dont on parle, nous, c'est d'une constitution écrite. Si
cette constitution était écrite, on pourrait y voir
enchâssée une Charte de la langue française hors de la
portée des législateurs du jour, soit dit sans vous insulter, et
hors de la portée du gouvernement du jour, aussi.
On pourrait aussi y voir enchâssée une charte des droits
minoritaires. S'il y avait ici, au Québec, une constitution
québécoise, amendable seulement avec l'approbation du peuple
québécois tout entier - je parle d'une constitution
démocratique - là, les minorités au Québec seraient
certainement beaucoup plus sécurisées dans leurs droits
minoritaires et, surtout, leurs droits linguistiques que par les articles
spécifiques de la constitution canadienne. La constitution canadienne
est silencieuse par rapport au système scolaire de langue anglaise qui,
on le sait maintenant, est un système scolaire confessionnel au
Québec. Il n'y a pas un mot à dire par rapport à
ça.
La constitution canadienne ne parle pas du droit de notre
minorité è des services sociaux et à des institutions. On
pourra, nous, mettre ça dans notre constitution
québécoise. Une fois qu'on aura fait ça, comme de raison,
on pourra se retirer de ces aspects-là de la constitution canadienne.
Mais tant qu'on ne l'a pas fait, comme de raison, nous sommes d'accord qu'on
devrait préserver dans la constitution canadienne les aspects de
l'article 23 qui sont acceptés maintenant. Il y en a qui ne sont
déjà pas acceptés par le Québec. Cela, je le dis
formellement.
Pour ce qui est de l'article 133, si on fait partie d'une constitution
confédérale dans un pays où il y a deux groupes
linguistiques, c'est le minimum qu'on respecte l'autre langue pour ce qui est
des débats à la Législature, des lois adoptées par
cette Législature et des cours de justice. Il faut dire que l'article
133 est très restrictif envers l'individu, c'est-à-dire qu'on a
le droit de se présenter devant une cour et parler sa langue, mais on
n'a pas le droit d'exiger que le juge nous comprenne. C'est ça que les
juges viennent nous dire. Comme ça, ce n'est pas un lourd fardeau pour
le Québec.
En passant, j'aurais bien aimé que l'accord du lac Meech impose
ou soumette plutôt l'Ontario aux dispositions de l'article 133. On n'a
pas pensé à ça, encore une fois. C'est pour ça que
M. Peterson s'en sort souriant, lui, parce qu'on ne lui fait pas
d'imposition.
Je ne sais pas si cela répond exactement à votre
question.
M. Trudel: En partie, disons, mais j'aimerais vous en poser une
autre. Vous avez semblé dire, dans une de vos réponses
tantôt, en parlant de la normalisation du droit de veto pour toutes les
provinces, si je vous interprète bien... Je vais vous poser la question:
Est-ce que le fait d'avoir obtenu pour le Québec ce qu'on a donné
aux autres, sauf, bien sûr, le caractère distinct qui a
été reconnu seulement au Québec, diminue quoi que ce soit
des gains du Québec au lac Meech?
M. Harney: La constitution québécoise est
maintenant assortie de plusieurs verrous. C'est presque impossible de la
changer d'une façon positive. Malheureusement, dans le passé, les
démarches québécoises se sont toujours
déroulées d'une façon assez négative. On cherchait
toujours d'autres moyens de se protéger par le truchement de la
constitution canadienne. Ce que veut vraiment le Québec, c'est la
possibilité de s'épanouir non seulement ici au Québec,
mais à l'intérieur de la famille canadienne, et, en donnant le
droit de veto par rapport aux institutions fédérales à
toutes les provinces, on met davantage de verrous. Il serait
complètement impossible d'ouvrir la porte de l'avenir pour le
Québec par le truchement de la constitution canadienne.
On veut aller chercher des pouvoirs additionnels, c'est ce qu'on a
essayé de dire tout à l'heure. On parlait jadis de pouvoirs pour
le Québec en matière de communication, de services sociaux, et
j'en passe. On n'en parle plus, maintenant. Croyez-vous que dans une
constitution où tous les gouvernements avaient le droit de dire non le
Québec irait chercher un champ d'action libre en communications ou en
politique de maintien du revenu ou en politique sociale? C'est fini, "bye-bye"
à tout jamais!
Si vous me permettez, on a eu un petit mot à dire par rapport
à un référendum. On croit que c'est là l'apport
essentiel de notre document. C'est un appel qu'on vous fait afin de transmettre
la décision que nous devons tous prendre ici, au peuple tout entier. Je
demanderais à Claire Brassard de dire un petit mot en réponse
à une question qui nous a été posée plus tôt
et à laquelle on n'a pas pu répondre.
Mme Brassard (Claire): Ce ne sera pas long, M. le
Président. Cette question du référendum a
été soulevée par le député de Bourget il y a
quelques minutes. Le recours à un référendum est
soulevé dans notre mémoire au moment où nous affirmons que
le gouvernement actuel ne détient pas la légitimité
nécessaire pour adopter ce projet
qui va constituer une partie importante de la loi fondamentale. Je
conviens avec le député de Bourget que le Parti libérai
constitue la majorité parlementaire au Québec; cela va de soi.
Cependant, je veux souligner - je trouve dommage que M. Rémillard ne
soit pas ici parce que j'aurais voulu lui adresser ces commentaires plus
particuliers; je pense bien que ses collègues pourront lui transmettre
le message - que ce projet d'accord se joindra aux lois constitutionnelles que
l'on connaît pour constituer la loi fondamentale au Canada.
J'estime que le mode d'adoption des lois est une caractéristique
importante et déterminante de notre régime parlementaire. En ce
sens, je pense qu'une loi fondamentale mérite un traitement particulier,
précisément parce qu'il s'agit d'une loi fondamentale. Les
Législatures provinciales adoptent des lois. Bien entendu, c'est de leur
juridiction. Mais quand il s'agit de lois qui ont les conséquences que
l'on connaft - on les vit et vous les vivez plus particulièrement
à titre de parlementaires chaque fois que vous siégez et par la
quantité de décisions qui sont prises... On connaît les
conséquences des termes de l'adoption d'une loi fondamentale. C'est dans
ce sens qu'on demande à ce gouvernement d'avoir recours à un mode
particulier d'adoption de la loi, c'est-à-dire un recours à une
instance plus large que la vôtre parce que, même si vous
contrôlez l'Assemblée, c'est une loi qui n'est pas là pour
la durée de votre mandat, c'est une loi qui aura une conséquence
à très long terme. Cela nous paraît une démarche
pour assurer le caractère démocratique de cette adoption. En ce
sens, nous demandons le recours au référendum. Dans la situation
actuelle, nous aurions préféré une tout autre
démarche, soit de commencer par le commencement, comme le disait M.
Harney, mais on n'a pas participé au commencement et nous sommes
plutôt près de la fin.
Je demanderais à M. Rémillard, quand il fera son bilan
politique: Pour qui aura-t-il travaillé? S'il travaille, comme il le
fait, comme il persiste à le faire, à faire adopter rapidement
cet accord par l'Assemblée, ici à Québec, peut-être
avant même l'été, pour qui aura-t-il travaillé,
quand il fera son bilan politique? Pour les intérêts politiques
électoraux à court terme de MM. Bourassa et Mulroney ou pour les
intérêts du Québec tout entier, pour l'avenir et pour plus
longtemps que les intérêts électoraux? Je pose vraiment ces
questions à M. Rémillard, parce que je pense que M.
Rémillard peut être sensible à cela. J'arrête ici mon
intervention.
Le Président (M. Filion): Merci, Mme Brassard.
M. le député de Bourget, vous vouliez ajouter un
commentaire?
M. Trudel: Si vous me le permettez, M. le Président, juste
un court commentaire, parce que madame m'a cité au début de sa
réponse, en disant que le député de Bourqet a dit que le
gouvernement avait une majorité. Bien sûr que le gouvernement a
une majorité, mais ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit: Le
gouvernement considère de ce côté-ci de la table qu'il a un
mandat, puisque étaient très clairement établies, à
la fois dans son programme politique et dans son programme électoral,
les cinq conditions d'un éventuel accord constitutionnel. C'est tout ce
que je voulais souligner à Mme Brassard.
Le Président (M. Filion): Bon, alors, écoutez.
M. Harney: M. le Président.
Le Président (M. Filion): Oui, est-ce que notre
invité veut réagir?
M. Harney: Oui, sur cette question de mandat. J'ai
déjà été parlementaire, je veux le redevenir et je
sais très bien qu'un mandat électoral, c'est un mandat
général pour légiférer sur des lois ordinaires, des
lois ordinaires de tous les jours qui peuvent être abrogées par un
Parlement subséquent. Ici, se présente l'adoption d'une loi
fondamentale et c'est cela la différence. Nous croyons fortement que les
lois fondamentales, cela appartient au peuple. Il s'adonne qu'ici au
Québec l'Assemblée nationale s'est dotée d'un instrument,
la Loi sur la consultation populaire. On vous invite à vous en servir et
à demander au peuple de participer d'une façon formelle à
la décision qu'on doit tous prendre par rapport à la loi
fondamentale. Je sais très bien que ce sont des principes que M.
Rémillard a déjà épousés et qu'il
épouse toujours et que la loi fondamentale, c'est quelque chose qui
n'appartient pas à une Assemblée; cela appartient au peuple. Il
n'y a rien dans la démarche proposée ici devant
l'Assemblée qui va reconnaître la souveraineté de ce
peuple. Il existe dans nos lois un moyen de le faire et on vous invite à
le faire.
Le Président (M. Filion): Je vais maintenant
reconnaître M. le député de Beauharnois.
M. Marcil: Oui, M. le Président. J'écoute depuis
tantôt les propos des membres du parti, je pourrais quasiment dire du
Parti québécois, mais c'est le NPD qui... Votre position, sans
référer à votre parti national, uniquement en termes de
parti québécois, comme vous le dites, votre position par rapport
à l'ancien, le Parti québécois, semble exactement la
même que celle que monsieur... On pourrait parler, si on revient à
l'article 1 du programme du
Parti québécois, d'autodétermination du peuple
québécois. Je vous pose ia question aujourd'hui: En quoi votre
position est-elle différente de celle du Parti québécois
présentement en ce qui concerne l'entente constitutionnelle qui est
à négocier? En quoi est-elle différente? Vous êtes
un parti québécois...
Une voix: Fédéraliste.
M. Marcil: ...fédéraliste. Au Québec, il y a
deux formations politiques reconnues, l'une étant à
l'opposé de la nôtre en termes d'idéologie politique.
Une voix: Séparatiste.
M. Marcil: Je me pose la question: Comment vous situez-vous par
rapport au Parti québécois présentement concernant
l'entente? J'ai l'impression que c'est exactement la même chose ou, du
moins, c'est semblable.
Une voix: II y a pas mal...
M. Harney: M. le Président, je voudrais bien
répondre à cette question mais je me trouve dans
l'impossibilité de le faire parce que, malheureusement, je ne comprends
pas la position du Parti québécois.
Une voix: Ah!
Une voix: II ne comprend pas la position du Parti
québécois.
Des voix: Ha! Ha!
Le Président (M. Filion): II reste une trentaine de
secondes, M. le député de Beauharnois.
M. Marcil: Vous dites que vous ne comprenez pas la position du
Parti québécois.
Une voix: Lui non plus.
Une voix: II n'est pas le seul. Dites-lui qu'il n'est pas le
seul.
M. Harney: À l'intérieur du Parti
québécois, il semble que c'est un problème aussi.
M. Marcil: Sur le pouvoir linguistique, vous dites être
d'accord...
Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il y a consentement
des membres de cette commission? Les enveloppes sont épuisées de
part et d'autre.
M. le député de Gouin.
M. Rochefort: M. le Président, le leader adjoint du
gouvernement et moi avons convenu de consentir à ce que nos travaux
soient prolongés d'une heure pour permettre au président de la
centrale des syndicats, de la CSN, de faire son exposé et
d'échanger des propos avec les membres de la commission des deux
côtés, afin de lui permettre de participer à l'ouverture
d'un congrès très important qu'il doit présider à
14 heures. En conséquence, malgré l'intérêt que nous
avons pour la discussion à laquelle donnent lieu les questions du
député de Beauharnois...
Une voix: ...
M. Rochefort: II est nerveux, làl
M. Lefebvre: M. le Président...
Une voix: Le député de Frontenac voudrait
intervenir là-dessus.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le
député de Gouin.
M. le député de Frontenac, leader adjoint.
M. Lefebvre: M. le président de la CSN désire se
faire entendre le plus tôt possible étant donné qu'il est
invité à un congrès qui ouvre à 14 heures cet
après-midi, sauf que le député de Beauharnois en aurait
peut-être pour deux minutes, avec le consentement de l'Opposition. On
entendra immédiatement après M. le président de la CSN,
Cela va?
M. Rochefort: Nous sommes heureux de permettre au
député de Beauharnois de se manifester à
l'Assemblée.
Le Président (M. Filion): Consentement. M. le
député de Beauharnois, la parole est encore à vous.
M. Marcil: Merci, M. le Président. Tenez le temps et vous
verrez que ça prendra 30 secondes. Sur le pouvoir linguistique, vous
sembliez dire tantôt que vous étiez d'accord avec les articles 23
et 133. Je pense que les deux partis présents ici, le Parti
québécois et le Parti libéral, l'ont mentionné
à l'Assemblée nationale...
M. Johnson (Anjou): Un instant, làl Wo! On n'a jamais dit
ça. On est contre.
Le Président (M. Filion): S'il vous plaît! M.
Marcil: Nonobstant ces deux...
Le Président (M. Filion): M. le député de
Lac-Saint-Jean, la parole est à vous.
M. Marcil: Excusezl Ça va prendre un peu plus de 30
secondes à ce moment-là.
M. Brassard: Question de règlement. Est-ce que le
député de Beauharnois pourrait s'abstenir d'exprimer nos
positions s'il vous plaît? On est capable de le faire
nous-mêmes.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Beauharnois, sans susciter de débat. (12 h 30)
M. Marcil: Oui, sans susciter de débat, je lui sortirai
justement les textes où il l'affirme lui-même.
M, Brassard: Cela va être difficile.
M. Marcil: Si on enlève ces deux articles parce que tout
le monde semble être d'accord, je remets en question la position du Parti
québécois, comme semblait le dire le député. En
quoi le gouvernement du Québec n'a-t-il plus le pouvoir de
légiférer sur la langue, non si on retire les deux articles mais
si on accepte ces deux articles? En quoi le gouvernement du Québec ne
peut-il pas légiférer ou en quoi le gouvernement du Québec
n'a-t-il pas pleins pouvoirs de législation en matière de langue
au Québec?
M. Hamey: Pour ce qui est de l'article 133 de la vieille
constitution, on l'a accepté ici, à Québec, en 1365 dans
un vote de la Législature qui siégeait ici, à
Québec. Il est trop tard pour revenir sur cela, cela existe depuis si
longtemps. Pour ce qui est de l'article 23 de la nouvelle charte, on sait tous
que le paragraphe (l)a) n'a pas été accepté par
l'Assemblée nationale et qu'il n'est pas en vigueur. Il faut lire la
charte. Avant que cela entre en vigueur, il faut que l'Assemblée
nationale du Québec lui donne son aval. Comme cela, la première
partie de l'article 23, ce n'est pas un dragon qu'il faut attaquer, car il
n'existe pas encore, ce n'est pas un monstre qui foisonne. Mais s'il doit
exister, cela va dépendre de nous. Faisons une lecture étroite du
document dont nous parlons.
Je répète ce que j'ai dit tout à l'heure: Cela ne
me dérange pas que la constitution canadienne contienne ces dispositions
particulières pour la protection des minorités, mais j'aimerais
que l'article 133 s'applique à l'Ontario. Cela, c'est la politique du
NPD-Canada et du NPD-Ontario, je dois vous le dire. Ce serait une bonne chose
que ce doux fardeau soit partagé par tout le monde.
Ce que je n'admets pas - ici, on en arrive a un point très
important - c'est que les nouvelles dispositions dans la constitution
canadienne, c'est-à-dire les dispositions qui existent depuis 1982,
puissent venir à l'encontre de lois spécifiques sur le plan
linguistique adoptées par l'Assemblée nationale du Québec.
Cette possibilité n'existait pas avant 1982 parce que la constitution du
Canada ne parlait pas de liberté d'expression. Mais cette liberté
est là maintenant. C'est une liberté qui revient aux individus.
Un particulier peut se présenter devant la cour et invoquer cet article.
C'est pour cela, c'est dans ce sens-là que les articles de 1982 ont
beaucoup porté atteinte à la liberté du Québec de
protéger sa majorité linguistique. Si on veut accepter
effectivement les articles de 1982, il faut faire en sorte que l'application de
ces articles soit limitée par une clause très spécifique.
Je peux vous l'écrire, si vous voulez; on n'a pas le temps aujourd'hui
de la débattre, mais à une autre occasion je vais vous
l'écrire et vous montrer comment l'insérer, avec le
libellé, dans une constitution canadienne.
Je vous donne un exemple non totalement parallèle mais un peu
semblable. Si, dans une tradition dans laquelle nous vivions,
c'est-à-dire où nos droits n'étaient pas écrits,
ils existaient dans le droit commun ou le droit civil, tous les droits
s'équivaudraient: c'est-à-dire ma liberté d'expression, sa
liberté de faire grève, tous ces droits seraient
équivalents. Mais une fois qu'on dresse une liste de droits - droit
d'expression, droit d'association - et qu'on n'inclut pas d'autres droits, tels
que le droit de faire grève, ce droit-là n'existe plus, il cesse
d'exister. On a vu dernièrement le jugement de la Cour suprême qui
dit: Le droit de grève n'existe pas. Mais avant cela, il existait. Le
droit que le Québec avait de légiférer pour sa
majorité linguistique, il n'existe plus parce qu'il n'est pas clairement
exprimé. C'est pour cela qu'on rejette l'argument, qui n'a pas
été présenté aujourd'hui mais ailleurs tout
à l'heure, dans d'autres séances, par M. Rémillard et qui
dit: On ne peut pas commencer à définir "société
distincte" parce que, aussitôt qu'on met certaines choses, celles qui ne
sont pas là seraient remises en question. On n'accepte pas du tout cela.
Ce n'est pas une question de définir, de fignoler une définition,
mais de placer dans une constitution un texte concret, des dispositions
particulières pour permettre au Québec de légiférer
pour protéger et promouvoir sa majorité linguistique.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Harney,
ainsi que les gens qui vous accompagnaient.
À ce moment-ci et étant donné que nous avons
accumulé un retard assez impressionnant, je demanderais aux
représentants de la Confédération des syndicats nationaux,
que je vois à l'arrière, de bien vouloir prendre place
immédiatement à la table des invités sans que nous
suspendions nos travaux, à moins qu'une demande ne nous en soit faite.
Je ne crois pas que cela soit nécessaire.
Entre-temps, je voudrais en profiter pour accepter le dépôt
du mémoire du Nouveau Parti démocratique du Québec, tel
que vient de noua le présenter M. Harney, comme faisant partie des
documents de notre commission. Également, je voudrais vous rappeler que,
cet après-midi, nos travaux commenceront à 16 heures, avec M. Guy
Bertrand; a 17 heures, ce sera l'Institut politique de Trois-Rivières;
ce soir, à 20 heures, la Chambre de commerce de Montréal et
à 21 heures, l'Union des producteurs agricoles du Québec.
Je reconnais, au centre de la table des invités, M. Gérald
Larose, à qui je souhaite la plus cordiale des bienvenues. Je reconnais
également les gens qui l'accompagnent mais, pour le Journal des
débats et également les membres de la commission, je
demanderais à M. Larose de bien vouloir nous présenter les
personnes qui l'accompagnent, à la suite de quoi il pourra nous faire
part de son exposé. Les règles du jeu sont connues: une
période de 60 minutes vous est réservée, soit 20 minutes
pour entendre votre exposé, les 40 minutes qui restent étant
partagées entre les deux formations politiques pour permettre des
échanges de vues avec vous.
Donc, bienvenue, M. Larose.
Confédération des syndicats
nationaux
M. Larose (Gérald): En vous remerciant de nous avoir
invités et d'avoir aménagé votre temps pour nous entendre
ce matin, je veux vous présenter, à ma gauche, le
secrétaire général de la Confédération des
syndicats nationaux, M. Michel Gauthier; à sa gauche, M. Michel Rioux,
qui est le responsable du Service de l'information à la
Confédération des syndicats nationaux et en même temps
coordonnateur du dossier constitutionnel et de la langue; à ma droite,
M. Pierre Lamarche, qui est conseiller du président.
M. le Président, de la manière que c'est parti et que cela
évolue, je pense qu'avant longtemps on pourra conclure qu'un simple
citoyen du Québec qui s'achète une "minoune" est plus et mieux
protégé que tout un peuple qui adhère à une
constitution. Il y a des contraintes, dans la Loi sur la protection du
consommateur, qui font qu'un simple citoyen qui a dans la tête de
conclure un accord commercial a en s'achetant une "minoune" des délais.
Il y a des vérifications. Il peut faire tester sa voiture. S'il n'est
pas d'accord, il peut la retourner et se faire rembourser. Mais de la
manière que l'accord du lac Meech roule, on pense qu'on est sur quatre
"flats", sauf qu'on est obligé de prendre la "minoune".
En matière d'accord patronal-syndical, un accord qui vise un
nombre assez limité de six employés, portant sur des
matières relativement restreintes de conditions de travail et de
conditions salariales pour une durée maximale de trois ans, on s'impose
comme organisation syndicale des procédures et des contraintes
démocratiques. La loi nous en impose aussi, notamment, le scrutin
secret. Pour un accord constitutionnel, le tout pourrait être
bâclé sur la base d'un communiqué de presse, en trois
semaines, pour un engagement de trois générations au minimum? On
trouve qu'il y a là un problème extrêmement grave de
démocratie.
C'est pourquoi, en premier lieu, on tient à marquer notre profond
désaccord devant la précipitation dans laquelle tout le
Québec est actuellement obligé d'agir. Nous sommes, en effet,
dans une situation inconfortable où tout ce qui pense,
réfléchit et agit au Québec doit, en l'espace de trois
semaines, se former une opinion sur des enjeux qui risquent d'engager, comme je
le disais, au moins les trois prochaines générations, surtout
que, dans les circonstances, c'est sur la base d'un communiqué de presse
que se débattent des sujets dont on conviendra qu'ils ne sont pas des
plus faciles. Le profane est en situation constante d'y perdre le peu de
certitude qu'il avait pu acquérir et nous avons pu voir, ces derniers
jours, de savants constitutionnalistes opérer des redressements qui,
appliqués aux lois de la physique, auraient pu provoquer en d'autres
matières des écroulements retentissants.
Avouons qu'il faut une dose formidable d'optimisme et de confiance, pour
des profanes comme nous, pour suivre les acrobaties juridico-langagières
des spécialistes et même de nos élus. En effet, où
en sommes-nous dans cette saga constitutionnelle qui n'a eu de cesse depuis
plus d'un siècle, avec des points culminants parfois dramatiques et des
points forts qui ont jalonné cette longue recherche par le peuple
québécois des pouvoirs propres à assurer son
développement? Où en sommes-nous?
Un fait doit être constaté: c'est quand l'ensemble du
peuple québécois a appuyé son gouvernement et
endossé les revendications que le Québec, par son gouvernement, a
marqué des points. C'est aussi quand des débats préalables
avaient été menés largement à tous les niveaux que
le gouvernement québécois, porteur des aspirations populaires, a
pu aller conquérir des pouvoirs renforçant sa capacité
d'intervention.
La CSN constate avec inquiétude que ce n'est pas le cas
aujourd'hui. Le débat actuel autour du communiqué du lac Meech a
toutes les allures d'un "forcing" qui rend difficile l'identification claire
des intérêts supérieurs du Québec. Pour la CSN, cela
n'est pas sain et nous persistons à affirmer que le Québec, sur
une question aussi engageante, ne peut se satisfaire d'un
simulacre de débat, ne peut faire l'économie d'une
réflexion collective que les impératifs de temps ne permettent
pas actuellement.
On nous rétorquera que la réunion des premiers ministres
ne représentera pas, le 2 juin prochain, le point final du processus de
réintégration du Québec au sein de la constitution
canadienne. Une fois couché en termes juridiques et ayant fait l'objet
d'une signature officielle des premiers ministres, le communiqué du lac
Meech sera devenu, à toutes fins utiles, inamovible, que l'on se donne
six ou douze mois avant de le faire adopter par Ies onze Parlements. C'est donc
avant d'en arriver à un accord qu'il faut tenir un débat qui soit
le plus large possible.
On nous a habitués, au Québec, à tenir des forums,
des sommets de toutes sortes, aussi bien régionaux que nationaux ou
encore sectoriels, afin d'en arriver à des consensus à partir
desquels des politiques économiques, sociales et culturelles ont pu
être mises en place. Le processus démocratique tire
généralement profit de ces exercices collectifs. S'il est apparu
utile de le faire pour à peu près tous les sujets, on se
priverait de ce moyen dans un cas, celui de l'adhésion du Québec
à l'accord constitutionnel, qui engage de manière autrement plus
profonde l'ensemble de la société? C'est notre conviction que
rien de durable ni de valable ne pourra ressortir d'un exercice qui, à
sa face même, est vicié. En effet, comment tenir en ces
matières une discussion sérieuse à partir d'un
communiqué de presse?
C'est pourquoi, étant donné l'ampleur du sujet et la
nature des enjeux, la CSN réclame la tenue, cet automne, d'une
assemblée constituante où pourraient être débattus
en profondeur le projet d'accord et les conditions permettant au Québec
d'adhérer à la constitution.
La CSN, comme plusieurs autres organismes, appuyée en cela par
plusieurs personnalités québécoises, a eu souvent
l'occasion de souligner que les cinq conditions mises de l'avant par le
présent gouvernement n'étaient ni suffisantes, ni suffisamment
précises pour constituer la base d'une négociation valable.
C'est en particulier au chapitre de la protection et du
développement de la langue que les conditions avancées par le
gouvernement nous apparaissaient et nous apparaissent encore extrêmement
déficientes. Les termes du communiqué du lac Meech ne permettent
pas d'entretenir quelque espérance que ce soit à ce chapitre.
Et on en veut pour témoin, d'abord, M. Dion qui, dans Le
Devoir du 8 mai, écrivait: "Ce dont le Québec a besoin, ce
n'est pas seulement d'être considéré comme une
société distincte dans la constitution, mais encore il s'impose
que cette expression puisse être d'une étanchéité
absolue quant à sa signification et sa portée, de façon
à ce que l'interprétation qu'en fourniraient les tribunaux puisse
être aussi prévisible que possible et, bien entendu, favorable au
français." (12 h 45)
Le professeur Dion, qui se qualifie de fédéraliste
autonomiste et à qui on reconnaît l'utilisation d'un langage
mesuré, ajoutait ce qui suit: "Pour ma part, je n'oppose pas une fin de
non-recevoir à l'entente de principe survenue au lac Meech mais je tiens
à signifier dès maintenant que si cette entente, une fois
inscrite dans la constitution, laisse le français aussi démuni
qu'il ne l'est è la suite de la constitution de 1982, je serai l'un des
premiers a monter sur la ligne de défense de ma langue maternelle."
L'argumentation claire du professeur Plourde, publiée dans Le
Devoir du 9 mai, vient démontrer à quel point les soucis
exprimés par M. Dion en regard du statut de ta langue sont
fondés. C'est le caractère bilingue du Québec qui est
consacré dans l'accord et c'est ce caractère que tous les
gouvernements du Canada, y compris le nôtre, au Québec, ont le
devoir de protéger, puisqu'il constitue une caractéristique
fondamentale de la Fédération canadienne, ce qui n'est pas le
cas, notons-le, du caractère de société distincte que
forme le Québec au sein du Canada.
M. Plourde disait: "On voit tout de suite dans quelle position
inconfortable et ambiguë se trouveront l'Assemblée nationale et le
gouvernement du Québec qui se voient octroyer le rôle de
protéger et de promouvoir le caractère français du
Québec et imposer en même temps l'obligation de protéger
"la caractéristique fondamentale" d'un Canada bilinguel II ne faut pas
être grand sorcier pour comprendre que "l'obligation" l'emportera
inévitablement sur le "rôle". Si le texte de l'entente de principe
du lac Meech avait vraiment voulu reconnaître le caractère
distinct de la société québécoise, il aurait pris
soin alors de dire les choses clairement et d'éviter toute
ambiguïté. Ce n'est malheureusement pas le cas."
Dans l'état actuel du communiqué du lac Meech, les
obligations découlant des articles (l)a) et (l)b), portant sur le
caractère distinct du Québec, ne sont absolument pas de
même portée. Là-dessus, la CSN partage entièrement
les inquiétudes et les mises en garde qui se sont exprimées de
manière très convaincante depuis quelques jours,
particulièrement devant vous.
Le Québec est ainsi, d'abord et avant tout, une
société bilingue et l'Assemblée nationale prend
l'engagement de protéger la caractéristique fondamentale du
Canada mentionnée au paragraphe (l)a). L'Assemblée nationale doit
se contenter d'un "rôle" dans la protection et la promotion de la
société
distincte.
Un mot sur le pouvoir de dépenser. La question complexe et
même vitale pour le Québec du pouvoir de dépenser est
expédiée en une seule phrase. C'est peu pour beaucoup. Une
question: Pourquoi les termes "juste compensation" et non plus les termes
"pleine compensation"? Il y a là un point d'interrogation et nous
voudrions bien avoir une réponse.
Le droit actuel n'accorde-t-il pas au Québec le pouvoir de
dépenser sans condition préalable? Pourquoi risquer ainsi
d'abandonner des leviers au palier fédéral, reléguant le
Québec, sous certains aspects, au niveau d'une municipalité? Cela
nous semble des questions sérieuses auxquelles il faudrait consacrer
plus de temps pour les étudier à fond.
Sur le droit de veto et de retrait, la CSN constate que les positions de
nombreux spécialistes et hommes politiques ont singulièrement
évolué, pour ne pas dire plus, depuis quelques années.
Ainsi, le premier ministre déclarait dans une longue entrevue
publiée en septembre 1983 dans Le Devoir: "Je considère
que c'est une erreur historique impardonnable de la part de M. Lévesque
d'avoir conclu avec les autres provinces un accord sur la formule d'amendement
qui rabattait le Québec au niveau de toutes les autres provinces, y
compris les moins importantes, sans que le nom du Québec soit
mentionné".
M. Rémillard, à l'époque de son professorat,
signait lui-même dans Le Devoir un article qui s'intitulait "Le
simple droit de retrait n'est pas suffisant".
Aujourd'hui, le premier ministre soutient plutôt, s'il est bien
cité, dans Le Devoir du 7 mai: Le droit de retrait avec pleine
compensation donne les mêmes garanties que le droit de veto et
protège l'avenir... À l'Opposition l'accusant d'avoir battu en
retraite sur le veto qu'il se faisait fort de récupérer, M.
Robert Bourassa répond que le droit de retrait donne, à toutes
fins utiles, les mêmes résultats.
Il n'y a pas seulement du côté gouvernemental qu'on a pu
assister à ce genre d'évolution dont il faut convenir qu'elles
sont difficiles à suivre pour les profanes. M. Morin, ex-ministre du
gouvernement du Parti québécois et grand architecte des relations
fédérales-provinciales, signait dans Le Soleil en janvier 1983 un
article intitulé "Québec ne doit pas oublier son droit de veto".
Pourtant, le même spécialiste, le 31 mars 1984, déclarait
toujours dans Le Devoir: "Mieux que le veto, le droit de retrait permettra au
Québec de se singulariser".
Pour un gouvernement qui se fait fort de propager à
l'extérieur une image de sérieux, il faut craindre les jugements
qu'on pourra porter dans d'autres démocraties libérales qui se
sont donné une constitution en constatant que c'est à la vapeur,
sans texte juridique, quasiment en cachette, à partir d'un
communiqué de presse, qu'un débat visant l'adhésion
historique du Québec à l'ensemble canadien est mené.
Hommes et femmes politiques, spécialistes de ces questions,
partagent aujourd'hui des certitudes, diamétralement opposées,
sur la nature de l'accord connu sous forme de communiqué de presse. Mais
on sent dans la population un flottement à savoir ce que contient
vraiment l'accord en question.
Les déclarations qui nous arrivent chaque jour ne sont pas de
nature à améliorer la fabrication d'une opinion. Au
fédéral, selon qu'on parle vers les Rocheuses ou vers le
Québec, le discours subit un singulier retournement: Mulroney et Murray
rassurent le Canada anglais: Québec n'a gagné aucun pouvoir qu'il
n'avait déjà.
M. Bourassa avait pourtant déclaré sur place, au lac
Meech, que le Québec avait obtenu plus que ce qu'il avait
demandé. Il faut convenir qu'il y a là des trajectoires
difficiles à suivre.
C'est pourquoi la CSN insiste, en terminant, sur la
nécessité absolue de ne pas expédier en trois semaines des
questions qui engageront au moins trois générations. Cette
démarche étant particulièrement sérieuse pour le
peuple québécois, nous réclamons la tenue d'une
assemblée constituante qui pourrait se tenir à l'automne et qui
serait chargée d'identifier à quelles conditions le Québec
pourrait adhérer à la constitution canadienne.
Je terminerai en disant qu'il faut très bien se rendre compte que
dans notre société comme dans les autres sociétés,
pour une constitution qui est une loi fondamentale... On a vu, pas plus tard
qu'il y a quelques semaines, aux Philippines, un référendum sur
une constitution, en Haïti, un référendum sur une
constitution. Toute l'Europe s'est construite à partir de votes
populaires sur la loi fondamentale.
Ou bien il y a un coup fourré, ou bien on ne prend pas exactement
la mesure de ce qu'on est en train de faire mais, pour une
société qui se prétend démocratique, je ne pense
pas qu'on puisse faire l'économie, ni d'un débat, ni d'une
décision de chacun des citoyens de ce pays, que ce soit à
l'intérieur du Québec ou à l'intérieur de tout le
Canada.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Larose. En
même temps, j'accepte le dépôt de votre mémoire pour
faire partie des documents de la commission. Chaque groupe parlementaire
dispose d'un peu plus de 20 minutes pour échanger des propos avec nos
invités. Alors, la parole est maintenant à M. le ministre
délégué aux
Affaires intergouvemementales canadiennes.
M. Rémillard: M. Larose, je voudrais d'abord vous
remercier et remercier votre association, la CSN, de venir témoigner
devant nous. M. Larose, je prends bonne note de ce que vous nous écrivez
à la page 6 de votre mémoire, lorsque vous dites que la CSN tient
à cet égard à rappeler que jamais le Québec ne
s'était retrouvé aussi affaibli qu'au lendemain des discussions
menées par le précédent gouvernement qui, sans mandat ni
appui populaire, l'avait fait.
Bien sûr que vous vous référez - vous l'avez fait
tout à l'heure - à l'entente du 16 avril 1981 où le
précédent gouvernement a accepté, comme formule de
modification d'amendement, le principe que toutes les provinces étaient
égales, principe reconnu pour la première fois en droit
constitutionnel canadien par un gouvernement québécois. Cela ne
s'était jamais vu.
Bien sûr, on a dû composer avec cette réalité.
Lorsque vous faites référence à un article que j'ai
écrit comme professeur, qui s'intitulait - un article publié
dansLe Devoir - "Le simple droit de retrait n'est pas suffisant", ce que
j'écris dans cet article, M. Larose, c'est qu'on peut se retirer d'un
amendement concernant le partage des compétences législatives.
C'est-à-dire que si vous décidez de confier au gouvernement
fédéral la compétence sur les universités, par
exemple, cela se comprend qu'on puisse dire: Nous, du Québec, on veut
garder la compétence des universités; donc, on se retire. Ce que
je dis dans cet article, M. Larose, c'est que, malheureusement, on n'a pas
compris, lorsque le gouvernement québécois, alors le Parti
québécois, a signé cela, qu'on ne se retire pas d'une
institution, du Sénat, de la Chambre des communes, de l'acceptation d'un
nouveau membre dans la fédération.
Alors, la conséquence était que le Québec avait
perdu son droit de veto qui est en fonction de ses droits historiques qu'il a
toujours eus concernant les institutions fédérales, du moins
comme le partage des compétences législatives. C'est en fonction
de ces précédents politiques qui ont été
créés que nous avons dû composer, donc, avec cette
situation et que nous sommes arrivés à cette formule qui nous
permet de récupérer le droit de veto du Québec en ce qui
regarde les institutions. Donc, le Québec se voit garantir, d'une part,
en fonction de ce pouvoir qu'il récupère de dire non, un
amendement constitutionnel qui ne lui conviendrait pas et avec une compensation
financière dans tous les cas de retrait et non pas simplement en ce qui
regarde la culture et l'éducation.
Deuxièmement, ce que la formule donne, c'est un droit de veto au
Québec, comme aux autres provinces d'ailleurs - remarquez, c'est comme
cela - pour ce qui est des institutions, Chambre des communes, le partage des
sièges pour la représentation des provinces à la Chambre
des communes, les pouvoirs du Sénat, la Cour suprême sous certains
aspects et l'acceptation de nouvelles provinces éventuellement dans la
fédération. Voilà un droit de veto qui a été
récupéré et qui est très important. Je tenais
à mentionner cette petite précision.
D'autre part, vous nous mentionnez, dans un premier temps, que
"société distincte", ce n'est pas particulièrement
précis. Vous commentez le professeur Dion qui est venu ici
témoigner. Vous voulez qu'on ajoute certaines précisions à
ce sujet; je reviendrai tout à l'heure là-dessus.
Vous n'avez pas tellement parlé non plus de la Cour suprême
et de l'immigration, parce que, finalement, il y a cinq points dans cette
entente: société distincte et dualité canadienne, la Cour
suprême, l'immigration, la formule d'amendement et le pouvoir de
dépenser. Vous avez soulevé des questions en ce qui regarde la
société distincte et le pouvoir de dépenser. La formule
d'amendement, je viens de vous l'expliquer.
En ce qui regarde la Cour suprême où le Québec va
pouvoir fournir une liste de noms au gouvernement fédéral et
celui-ci devra nommer à la Cour suprême les trois juges qui sont
du Québec à partir de cette liste, c'est quand même un
pouvoir considérable que le Québec acquiert.
D'autre part, en matière d'immigration on acquiert d'une
façon aussi tout à fait exceptionnelle pour le Québec une
compétence sur la sélection de nos immigrants, tant ceux de
l'extérieur que ceux qui sont sur place, de même que la
compétence de pouvoir mettre en place nos moyens d'intégration
pour leur donner le goût de demeurer avec nous. Cela représente un
gain considérable des pouvoirs pour le Québec en ce qui regarde
l'immigration. Vous êtes conscient, M. Larose, qu'on a un problème
avec notre taux de natalité. Lorsqu'on parle du visage français
de Montréal, par exemple, il faut prendre des mesures pour
intégrer nos immigrants. Là, on aura ces pouvoirs avec transfert
d'argent en conséquence; cela représente à peu près
30 000 000 $ que l'on va récupérer pour mettre en place ces
moyens d'intégration. Voilà des pouvoirs qui sont importants.
J'aurais aimé vous entendre aussi sur ces différents aspects pour
avoir un commentaire global.
Maintenant, en ce qui regarde la société distincte, est-ce
que vous avez interrogé vos juristes - je connais personnellement des
juristes qui vous conseillent, qui sont chez vous, qui sont très
compétents - sur la pertinence d'ajouter des précisions, des
définitions à ce concept de
société distincte et à quelle argumentation vous
référez-vous? Vous vous référez à des
témoins' qui sont venus devant nous, à des articles qui ont
été écrits dans les journaux, mais vous témoignez
quand même au nom de la CSN. C'est important, c'est un groupe très
important pour le Québec. Alors, quelle est votre attitude à ce
sujet? (13 heures)
M. Larose: Sur la société distincte, oui, nous
avons interrogé les gens qui nous conseillent et, loin de souscrire
à l'argumentation qu'il est avantageux de ne faire aucune
précision de telle sorte qu'on va ramasser le "jack-pot", les gens
disent: II vaut mieux avoir des précisions avec non pas une copule, mais
un libellé qui, sans limiter ce qui précède,
précise les éléments de la société
distincte.
Mais le problème est plus grave que cela - c'est un défaut
majeur de toute cette constitution - c'est que les politiques abandonnent leur
mandat dans les mains des juges. Ce qui fait que le contenu est à ce
point flou qu'on demande aux juges de le préciser, alors
qu'habituellement les lois sont censées être précises. Les
juges n'ont pas à interpréter les lois, les juges ont à
interpréter les situations et à voir à l'application de la
loi par rapport à la situation. Mais, là, on est cul par-dessus
tête puisqu'on demande au juge de faire la "job" politique alors que les
juges devraient faire la "job" d'interpréter les situations eu
égard à la loi.
Et votre société distincte, pas précisée,
confiez cela à vos juges - il y en a neuf, si j'ai bien compté,
dont six sont d'une tendance, enfin pas d'une tendance, ils sont tous
impartiaux, mais disons qu'ils sont d'une ligne - qui auront à arbitrer
l'article 27, si je ne m'abuse, le patrimoine multiculturel canadien ou
l'article (l)a) qui dit que la caractéristique fondamentale du Canada,
c'est la dualité linguistique, et la société distincte
qui, elle, n'est pas précisée. Puis-je vous dire qu'un juge va
devoir faire du trapèze pour vous donner raison, à savoir que la
loi 101 est valable au Québec. Cela n'a pas de bon sens! Si la
société distincte québécoise n'a pas de langue, je
m'excuse, mais elle va parler deux langues, c'est ce qu'on dit!
Nous pensons que la société québécoise est
distincte et, notamment, quant è sa langue. Et on devrait avoir le
courage politique de dire aux juges: Vous ne jugerez pas n'importe comment,
vous ne nous donnerez pas le contenu de la société distincte, car
c'est nous, notre politique, comme société et comme peuple, qui
allons nous définir nous-mêmes. Dans ce sens-là, la Cour
suprême effectivement... Je veux bien croire que cela nous donne un
immense pouvoir que d'en nommer trois mais, dans le quotidien du peuple,
puis-je vous dire que ce n'est pas cela qui va redonner le visage
français de Montréal, n'est-ce pas? Je m'excuse, mais ce n'est
pas avec l'immigration qu'on va franciser Montréal. Si on avait
l'échine et ta colonne vertébrale pour faire en sorte que la loi
101 ne soit pas dépecée morceau par morceau, c'est par là
qu'on franciserait le Québec. On a réussi à le franciser
un bout, mais on est en train de régresser. C'est mon sentiment par
rapport à la Cour suprême et surtout au fait que, depuis Trudeau -
c'est la "passe" qu'il nous a faite - au lieu de mettre ses culottes et de
définir les choses dans la constitution, on confie à neuf
personnes le soin de mettre les contenus politiques, alors que la "job" des
juges, c'est de juger des situations qui, elles," peuvent être floues par
rapport à une loi qui, elle, devrait être claire.
Le Président (M. Filion): M. le ministre.
M. Rémillard: Vous parlez beaucoup de la question du
mandat que nous avons ou que nous n'avons pas, vous en avez parlé aussi
pour le Parti québécois. Vous faites référence
à une résolution qui a été adoptée par
l'assemblée de la CSN. À quoi faites-vous référence
- je n'ai pas tellement compris dans votre mémoire - pour venir
témoigner aujourd'hui sur l'entente du lac Meech?
M. Larose: Nous faisons référence à un
congrès spécial sur la question nationale que nous avons tenu en
juin 1979, un congrès de trois jours. Un congrès à la CSN,
c'est 2000, 2500 personnes, précédé de six mois de
débats à l'intérieur des organismes. Ce congrès a
donné une déclaration dont vous avez un extrait.
M. Rémillard: Alors, vous vous basez sur un congrès
qui a eu lieu il y a huit ans, c'est cela?
M. Larose: ...qui a eu...
M. Rémillard: ..qui a lieu il y a huit ans, en 1979, si
j'ai bien compris?
M. Larose: En 1979, oui.
M. Rémillard: En 1979, il y a huit ans. D'accord.
M. Larose: Mais disons que la question nationale ne change pas
à tous les six mois. Je pense que la question nationale est une
réalité de trois siècles. On ne pense pas qu'on peut faire
les "about turns" qu'on connaît à l'heure actuelle, à la
faveur d'un lac qui dégèle...
Des voix: Ha! Ha! Ha! Elle est bonne!
M. Larose: ...à notre vie collective. Qu'on l'ait fait en
1979, on pense que c'est encore d'une grande actualité.
Le Président (M. Filion): M. le ministre?
M. Rémillard: J'ai terminé.
Le Président (M. Fiiion)t Terminé. M. le chef de
l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Si je comprends bien, M. Larose, vos derniers
propos ont gelé le ministre un peu.
M. Larose, merci d'être présent. Je sais que vous devez
donner le coup d'envoi d'un congrès à Québec. Je ne vous
garderai pas indéfiniment. Je veux seulement d'abord faire quelques
remarques, dont évidemment, vous le comprendrez, je dois en adresser
certaines au ministre, puisque c'est comme cela que cela se passe ici. Ensuite,
je vous poserai une question.
D'abord, le ministre a sauté - c'est quoi l'expression? - comme
la misère sur le pauvre monde, à la page 6 de votre document,
pour dire qu'il se réjouissait du fait que vous dénonciez ce qui
s'était passé en 1981. Je comprends aussi que la CSN est en train
de vous expliquer que vous vous apprêtez à faire pire et à
engager le Québec pour longtemps. En 1981-1982, le Québec s'est
fait tasser, pour ne pas dire trahir, à bien des égards par les
autres. Là, c'est le Québec qui va être lui-même
l'auteur de son propre "encarcanement" et de la prison tranquille qu'il est en
train de se bâtir dans l'indifférence. Je pense que c'est un peu
à cela qu'appelle le président de la CSN quand il dit, parce que
c'est un homme habitué à la démocratie de participation...
On sait, en particulier dans son syndicat, qu'il y a des assemblées
parfois houleuses. Cela n'est pas réservé seulement aux partis
politiques. Quand il parle de démocratie de participation autour d'un
enjeu comme celui-là, je pense qu'il parle d'expérience. Il vous
dit: Cela n'a pas de bon sens de régler te sort d'une couple de
générations en l'espace de trois semaines. Il me semble qu'il a
raison.
On peut être d'accord ou pas avec M. Larose sur bien des choses,
sur n'importe quel dossier, celui du Manoir Richelieu ou d'autres... La
question n'est pas là. La question, c'est qu'il pose ta
problématique dans le temps en disant: En l'espace de trois semaines,
vous vouiez que le Québec signe pour une période indéfinie
qui risque de s'étaler au minimum sur une génération,
peut-être deux ou trois. Il me semble qu'il y a une certaine sagesse
là-dedans qui nous vient de la représentation du milieu du
travail au Québec et qui, j'ai l'impression, est très
significative de bien des gens. Si je ne m'en tiens qu'à quelques
conversations que j'ai pu avoir avec des travailleurs depuis trois semaines,
ils ont l'impression qu'il y a quelque chose d'anormal dans ce qui se passe en
ce moment.
Il y a peu de qens qui vous appuient, n'est-ce pas? Il faut être
conscient de cela. Vous misez surtout sur l'indifférence et l'apathie,
mais il y a peu de gens qui vous appuient. Dans la mesure où vous avez
entre les mains des éléments importants de l'avenir du
Québec, je trouve cela un peu facile et je dirais même un peu
abusif. Si j'avais le sentiment que vous êtes appuyés fortement
par les gens, ce serait autre chose. Si j'avais le sentiment que vous avez
été élus pour un mandat spécifique qui touche
à cela, ce serait autre chose. Mais il n'y a pas d'appui solide. Il y a
plus d'indifférence. II y a chez ceux qui se prononcent beaucoup plus de
doutes qui s'expriment, de questions qui se posent, d'inquiétudes qui se
manifestent, de remises en cause de la sagesse à ta fois du processus
comme du contenu de ce dans quoi vous êtes en train d'engager le
Québec. Il me semble que vous devriez en tenir compte.
Deuxièmement, quand je vois des contradictions comme celle
à laquelle vient de se livrer le ministre sans s'en apercevoir, parce
qu'il s'est contredit avec quelque chose qui s'est passé ici vers 21 h
15, un soir de la semaine dernière, c'était peut-être
l'effet de la fatigue. C'est normal. On travaille fort ici. On se concentre. On
entend des groupes. On a parfois l'impression qu'on reprend les mêmes
choses. Cela prouve, d'ailleurs, qu'on devrait prolonger ces discussions bien
au-delà de cette semaine, pour travailler dans un contexte
adéquat. Mais le ministre s'est contredit, dis-je, de façon
incroyable par rapport à ce qu'il a dit la semaine dernière, au
sujet du droit de retrait. Je trouve cela frappant. Le ministre nous expliquait
tout à l'heure - je comprends que je vais être un peu technique
mais je pense qu'il va me suivre - que ce qui était important,
c'était de récupérer le droit de veto sur les institutions
comme la Chambre des communes, le Sénat, la création d'une autre
province, la Cour suprême, mais que le droit de retrait avec compensation
dans le cas du partage des pouvoirs, il pouvait vivre avec cela. C'est cela
qu'il avait obtenu et il ne pouvait pas obtenir mieux. À cause de 1981,
évidemment, pour reprendre son moulin à prières.
Mais le ministre a l'air d'avoir oublié quelque chose. Il a l'air
d'avoir oublié la réponse qu'il m'a donnée quand je lui ai
demandé, après le témoignage du professeur Blache, l'autre
soir: Si jamais on veut abolir l'article 33 au Canada anglais: l'article 33 de
la charte canadienne, c'est ce qui permet à la Législature du
Québec de dire: Nonobstant la charte canadienne, nous passons telle loi.
C'est possible que sept provinces représentant 50 % de la population
décident
d'abolir l'article 33, comme le souhaiterait d'ailleurs le Barreau
canadien et comme le souhaite une tendance très lourde chez les juristes
au Canada anglais. Le jour où l'article 33 est aboli, cela veut dire que
le Québec a encore moins de marge de manoeuvre pour délimiter
quelles sont ses orientations et sa législation. Le ministre m'a
répondu l'autre soir vers 22 heures: Non, il n'y a pas de
problème. On pourrait exercer notre droit de retrait, si jamais ils
abolissaient l'article 33. Voyons donc! Le ministre vient de nous faire la
démonstration que le droit de retrait s'applique essentiellement au
partage des pouvoirs et à part cela, dans la mesure où le droit
de retrait, il faut bien se comprendre, est défini à partir d'un
droit de compensation. Comment compensez-vous l'abolition de l'article 33?
Combien cela vaut-il? 500 $, 3 000 000 $, 1 000 000 000 $? C'est la
liberté de l'Assemblée nationale du Québec qui est en
cause. Le ministre a l'air bien sûr qu'il y a un droit de retrait sur
l'abolition de l'article 33. Je ne suis pas sûr de cela. Je pense que
lui-même n'est pas sûr parce qu'il a tenu des propos
différents aujourd'hui de ceux qu'il a tenus la semaine
dernière.
Deuxièmement, je voudrais rappeler au ministre que le Canadian
Bar Association, qui est le Barreau canadien, en fin de semaine
dernière, dans le Globe and Mail, par son président, M.
Brian Williams, déclarait ceci. D'abord, il trouve que ce n'est pas une
bien bonne idée que les provinces nomment les juges de la Cour
suprême, et tout cela. Au-delà de cela, il a déclaré
au sujet de la société distincte: "He does not believe that the
section recognizing Québec as a distinct society means that the province
will have increases powers but -entre guillemets, cette fois-ci - "that amounts
to nothing more than recognition of the existing state of facts of our
society". Ce que dit le président du Barreau canadien, M. Williams,
c'est qu'il considère que l'article sur la société
distincte avec lequel vous avez fait des gorges chaudes, des honneurs et des
enthousiasmes prématurés sur le bord du lac l'autre jour, cela ne
veut rien dire et que cela ne nous confère que le statu quo.
Je crois que M. Williams, à cet égard, ainsi que le
professeur Dion et bien d'autres, ont raison là-dessus. La
société distincte ne signifie pas grand-chose autrement qu'une
vague règle d'interprétation qui ne tiendra pas le coup devant
des articles particuliers de la charte canadienne, comme l'article 6 sur la
liberté d'établissement, comme l'article 23 sur la lanque
d'enseignement, comme possiblement l'article 2 sur la liberté
d'expression, dans la mesure où il y aura des dispositions
particulières, l'article 93 sur le système scalaire, l'article
133 sur le bilinguisme dans nos institutions. Tant qu'il y aura un article
précis qui vise une réalité précise dans la
constitution canadienne, les mots "société distincte" ne pourront
même pas être utilisés pour aller à l'encontre de ces
dispositions. C'est le fond des choses.
Je voudrais peut-être permettre maintenant à M. Larose qui,
je le sais, doit nous quitter bientôt, d'en ajouter un peu. Il
connaît ce que peut être, à l'occasion,
l'indifférence dans le monde syndical. On sait que cela guette le monde
syndical comme le monde politique de temps en temps aussi. Est-ce qu'il
considère qu'au-delà du processus et au-delà des contenus
qu'il a critiqués avec justesse, c'est inconcevable que le Québec
signe à ce moment-ci? J'ai cru comprendre, à un moment
donné, dans son texte que cela faisait un peu plus nuancé, mais
est-ce qu'à ses yeux il faut carrément que le Québec ne
signe pas dans les circonstances actuelles? M. Larose. (13 h 15)
M. Larose: J'ai la conviction intime qu'il se peut que le peuple
du Québec soit d'accord pour adhérer à la
Confédération canadienne. Je dis: Peut-être que le peuple
veut adhérer à la Fédération canadienne. Je pense
que le parti au pouvoir a l'impression que le peuple veut adhérer
à la Fédération canadienne. Quel feu y a-t-il pour faire
cela en trois semaines? II me semble que le temps de faire le processus de
façon larqe, rien que pour vérifier si c'est vrai et si on est
sûr de son affaire, si c'est la conviction intime que l'on a... Ne
néqocions pas comme les Teamsters qui vont "traficoter" cela, en
été, sur le bord d'un 18e trou ou d'un 19e plutôt. Quand
c'est le printemps, effectivement, à la fonte des glaces... Ensuite, tu
arrives et sur la queule, tu dis à l'assemblée que tu n'as pas
convoquée: C'est réglé.
Je dis que, si on a la conviction qu'effectivement le Québec est
prêt à adhérer à la Fédération
canadienne, prenons le temps, "checkons" pour parler latin, organisons-nous
pour asseoir clairement -j'insiste là-dessus - ne faisons pas faire aux
juges la "job" qu'on se refuse de faire nous-mêmes. Soyons clairs sur ce
qu'est la société distincte, etc. Faisons un processus
démocratique: assemblée constituante; cela peut être un
référendum. On n'a même pas parlé de
référendum. Ce qu'on dit, par exemple, c'est qu'habituellement,
pour une loi fondamentale, il n'y a pas qrand pays qui est passé
à côté d'un référendum.
Dans ce sens, nous disons: II faut absolument que le processus soit
clair, propre, démocratique. Plus que cela, si, en 1987, le peuple du
Québec est d'accord pour adhérer à la
Fédération canadienne, je voudrais qu'on ait quelques
mécanismes qui lui permettent, le jour où il ne sera plus
d'accord, de se retirer. Je pense que ce serait un petit peu normal. Donc, pour
ne pas passer pour des "casseux de party",
supposons que, dans 30 ans, on décide qu'on veut voler de nos
propres ailes mais qu'on est considéré comme une peuplade
quelconque qui a décidé de casser la baraque, il me semble que
l'on pourrait prévoir quelques mécanismes qui permettraient de
façon tout aussi libre - la façon libre qu'on a prise
d'adhérer - d'en sortir.
Je pense que cela fait partie de la maturité du peuple du
Québec que de procéder de cette façon, surtout permettre
au monde de suivre la "game". J'avoue qu'il y en a qui ont été
surpris du résultat du lac Meech; j'ai plutôt été
surpris qu'il y ait un résultat. Quand on m'a dit que le calendrier
était de trois semaines, j'ai dit: Hop! Hop! Ce genre de
négociations, du côté syndical, on connaît cela.
Quand il y a une entente qui t'arrive par la porte de la toilette plutôt
que par la porte de la séance, tu dis: Oh! effectivement, cela sent
mauvais! Alors, on voudrait tout simplement qu'on prenne son temps. Si on est
sûr de son affaire, le peuple va suivre. Si on n'est pas sûr,
peut-être qu'il faut aller vite.
Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître
maintenant un intervenant du groupe ministériel. M. le ministre.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. Larose,
j'ai l'impression que vous avez compris la distinction que j'ai faite
tantôt entre le droit de retrait et le droit de veto, mais qu'il y a
encore des doutes qui persistent chez le chef de l'Opposition,
c'est-à-dire qu'il n'a pas encore compris l'erreur qu'ils ont faite le
16 avril, qu'on ne se retire pas d'une institution. Au lac Meech, ce qu'on a
fait, c'est de réparer cette erreur. Vous l'avez compris, je pense,
très bien, c'est assez évident; mais le chef de l'Opposition ne
l'avait pas encore compris.
En ce qui regarde cette clause "nonobstant", c'est cette clause qui
permet de légiférer malgré certains droits et
libertés contenus dans la Charte des droits et libertés. J'ai de
la difficulté à le suivre parce que, s'il fallait qu'on n'ait pas
le droit de se retirer sur un amendement qui enlèverait cette clause 33,
comme d'autres clauses du même genre - je ne dis pas que le gouvernement
québécois serait contre le retrait de l'article 33, comme je ne
dis pas qu'il serait pour qu'on se retire non plus -cela démontrerait
à quel point, encore une fois, le droit de retrait qui a
été accepté par le précédent gouvernement
est un obstacle pour le Québec et non pas un avantage. Mais je persiste
à croire, M. le Président - je tiens à vous dire, M.
Larose -que le Québec, s'il y avait un amendement concernant cette
clause "nonobstant", donc, l'article 33, pourrait s'en retirer, parce que
ça affecte directement la compétence législative du
Québec
En ce qui regarde votre dernière remarque, M. Larose, je voudrais
vous dire que ce sont les juges qui interprètent la constitution du
Canada. Vous qui êtes en relations du travail, vous savez très
bien qu'on ne peut pas faire un contrat pour satisfaire les deux parties et
qu'il n'y ait aucune contestation sur le sens des termes qu'on a
employés. Il y aura toujours de la contestation. On ne peut pas tout
prévoir. C'est normal qu'à un moment donné une tierce
partie puisse se prononcer sur un litiqe qui pourrait survenir. Dans le cas de
la constitution du Canada, ce sont les tribunaux et, en dernier ressort, la
Cour suprême du Canada. C'est donc la Cour suprême qui
interprète.
En ce qui regarde la société distincte, dans un premier
temps, il faut reconnaître que ce n'est pas dans le préambule, que
ce n'est pas simplement une valeur morale qu'on donne à ce
caractère d'une société distincte. C'est bien un article
de la constitution. D'une part, c'est une règle d'interprétation
obligatoire et non pas facultative et, d'autre part, M. Larose - je ne vous ai
pas entendu sur cet aspect-là - il faut voir le dernier paragraphe de
l'entente du lac Meech où on dit bien que l'Assemblée nationale
et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de
promouvoir le caractère distinct de la société
québécoise.
C'est la première fois qu'on mentionne expressément dans
la constitution ce rôle de la constitution. C'est certain que ça
ne règle pas tous les problèmes. Mais il est évident aussi
- tous les intervenants que nous avons entendus sont unanimes pour nous le dire
-que c'est une pierre d'assise qui va nous aider à défendre nos
intérêts. Certains disent: On pourrait en mettre plus et ça
nous aiderait encore plus. D'autres disent: Cela nous aide déjà
beaucoup. En fait, il y a peut-être différentes évaluations
sur l'aide que ça va nous apporter. Mais ce qu'on peut dire à ce
moment-ci, c'est que sera un élément fondamental pour la
défense de la culture et de la lanque française pour le
Québec.
M. Larose: Mon problème est le suivant. Peu importe ce que
le ministre puisse dire ou peu importe ce que le chef de l'Opposition puisse
dire par rapport à chacun des articles, vous ne pesez rien dans la
balance. Ce sont les juqes qui vont décider. C'est ça, le
problème. Si vous ne dites pas carrément que la
société distincte, ça veut dire ceci et cela, le juge,
lui, il va regarder tout le texte et il va dire: Rien que par rapport à
ce texte, il y a une caractéristique fondamentale qui est la
dualité linguistique au Canada. Est-ce que c'est ça qu'il dit ou
si ce n'est pas ça? Il me semble que c'est ça qu'il dit.
II a un rôle qui est une société distincte.
Qu'est-ce que ça mange en hiver? Rien n'est dit. Pas nécessaire
d'être un juge "malversé" ou un juge capoté. Le juge, pour
balancer une caractéristique fondamentale et privilégier le
rôle qu'une Assemblée nationale a de promouvoir une
société distincte dont on ne sait pas qu'est-ce que ça
mange en hiver, sain d'esprit, va décider que c'est la
caractéristique fondamentale qui va prévaloir.
Est-ce que j'ai tort ou si j'ai raison? Je ne suis pas juriste, je ne
suis pas avocat, ni constitutionnaliste. Mais j'ai assez affaire aux juges pour
savoir qu'habituellement ils essaient au moins de se couvrir les fesses. Dans
un cas comme ça, si j'étais juge, moi, c'est ce que je
déciderais.
Dans ce sens-là, ça ne veut rien dire. C'est ça qui
est un petit peu le problème. Deuxièmement, je pense qu'il n'y
aura pas assez de monde au Québec pour dire qu'il y a un vice
fondamental dans la manière de faire sur le plan canadien dans le fait
que les politiques, les mandataires politiques ont décidé
d'abdiquer leur mandat et de ne pas préciser, de ne pas mettre dans les
textes les affaires claires, parce que je prétends, sans être
juriste, que la fonction d'un juge, c'est d'interpréter la situation par
rapport à un texte de loi qui, lui, doit être clair. Là, on
fait le contraire. On fait la loi floue et, là, on va être
"poignés" avec une situation qui pourra être claire, mais le
problème, ce sera le texte flou, la loi floue. Dans ce sens-là,
je pense qu'on se prépare un avenir qui sera encore plus douloureux
parce que, pour faire le trapèze qu'on a connu il y a quinze jours pour
dissocier le droit d'association du droit de négocier, puis-je vous dire
qu'il faut avoir effectivement une loi qui puisse permettre cela? C'est
complètement capoté. C'est comme si on était un club de
bingo ou une association de "Weight-watchers"; on n'est pas des syndicats pour
négocier.
Le Président (M. Filion): M. le ministre, avez-vous
terminé?
M. Rémillard: Oui, je pense que c'est terminé.
Le Président (M. Filion): À ce moment-ci et avec la
permission des membres de la commission, M. Larose, effectivement, votre
argumentation est que le pouvoir des juges de trancher dorénavant les
situations qui se présenteront à eux - il ne faut pas l'oublier,
ce sont toujours sur des situations que les juges se prononcent - sera d'autant
plus énorme maintenant qu'on leur confierait ce nouveau texte. Au
surplus, je signale, quant à moi, qu'il s'agit là d'une
règle d'interprétation qu'on leur confie. Ce n'est pas comme tel
du droit substantif - si on me permet l'expression - qui devra être
apprécié à la lumière d'une autre règle de
droit substantif, mais bien plutôt une règle
d'interprétation à utiliser avec d'autres règles
d'interprétation pour trancher une situation. Je suis hautement
sensible, quant à moi, à cet aspect de votre mémoire.
Je voudrais vous donner l'occasion de vous exprimer un peu plus
longuement que vous ne le faites à la page 8 de votre mémoire sur
l'insuffisance des conditions amenées par le gouvernement du
Québec sur le bord du lac Meech. Serait-il possible pour vous de
préciser cet aspect de votre mémoire?
M. Larose: Nous pensons que le gouvernement n'a pas pris la
mesure exacte du rapport de force du Québec dans sa situation actuelle.
On n'est pas signataire de l'accord de 1982. Et puis cela change quoi? Y a-t-il
des gens qui se voient privés d'affaires? Ceux qui nous courent
après, ce sont les autres. Puis-je vous dire qu'on pourrait avoir
quelques conditions pour qu'ils nous rattrapent? On est, dans les faits, je
dirais - pour reprendre une expression qui a été
popularisée à une autre époque - dans une situation
où on pourrait effectivement finir par négocier d'égal
à égal, où on pourrait se camper comme une partie, je
dirais, légitime, une partie fondatrice, etc. On est dans une situation
où il y a un rapport de forces qui est en train de se construire avec le
temps. Signer cela aujourd'hui dans les conditions qui sont avancées,
à notre avis, ce n'est pas profiter de son rapport de forces et,
surtout, c'est l'annuler, le rendre au point zéro. Alors, les cinq
conditions, qui ne sont même pas avancées, qui ne sont même
pas satisfaites, à notre avis, ne sont pas suffisantes dans ce
sens-là. Cela ne correspond pas au rapport de forces qui est en train de
se développer.
Pourrais-je, avant de terminer... Lorsque M. Harney était ici, le
ministre a parlé du MQF. Oui, nous faisons partie du MQF. Il y a dans
cette organisation plusieurs groupes, mais je voudrais dire que le MQF n'est
pas l'accumulation ou la somme de ces organisations. Le MQF, depuis 15-17 ans,
a été au Québec le principal lieu de convergence quant
à la promotion et à la défense de la langue
française. Dans ce sens-là, il y a une accumulation de notre
histoire et de notre expertise qui aurait pu être soumise aux travaux de
la commission et, même si nous en sommes partie - et nous sommes fiers de
l'être - on ne voudrait pas que notre témoignage soit le
résumé de ce que le MQF aurait pu dire. Cela nous dépasse
à la fois comme expérience, expertise et, à mon avis,
comme témoin historique de la trajectoire du peuple du
Québec.
Le Président (M. Filion): Merci, M.
Larose. M. le député de Bourget.
M. Trudel: Merci, M. le Président. M. Larose, comme il
reste très peu de temps, car on m'a indiqué qu'il restait environ
quatre minutes, je pense, n'est-ce pas?
Le Président (M. Filion): C'est cela.
M. Trudel: Je vais essayer de formuler mon commentaire, d'abord,
et ma question, ensuite, de façon aussi brève que possible.
Depuis le début, vous, nous, ceux de l'autre côté,
on parle un peu au nom de la population. M. le chef de l'Opposition disait
tantôt: J'ai rencontré des travailleurs en fin de semaine. Ils
m'ont parlé de... Moi aussi j'en ai rencontré et à peu
près dans le même secteur que ceux de M. le chef de l'Opposition,
puisqu'on a des comtés voisins. Il est facile de dire qu'on a
rencontré des gens qui nous ont dit que... Cela n'a pas
été tout è fait mon cas. Il faut faire attention quand on
dit qu'on parle au nom des gens.
Deuxièmement, j'ai l'Impression qu'on assiste depuis une semaine,
avec les citations que vous nous avez données dans votre texte par
ailleurs excellent, à mon avis, à une bataille entre, d'une part,
légistes, constitutionnalistes surtout, et sociologues et
politicologues, d'autre part, au sujet notamment de la restriction ou de la
limitation de la définition de "société distincte".
À la page 15, vous parlez vous aussi, comme vos
prédécesseurs du Nouveau Parti démocratique tantôt,
d'une certaine banalisation du Québec, que vous craignez parce qu'on
reconnaît aux autres provinces ce qu'on a reconnu au Québec, sauf,
je vous te ferai remarquer encore une fois, l'élément principal
de "société distincte".
Je veux vous amener - c'est ma question - sur la langue, puisque vous en
traitez longuement de la page 8 à la page 12, encore là, en
citant beaucoup d'articles et, notamment, celui de M. Plourde. Sur la question
des droits linguistiques, est-ce que vous seriez favorable à
l'abrogation de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de
l'article 23, dite clause Canada? D'autre part, est-ce que vous pensez que les
droits linguistiques doivent être assujettis aux différentes
chartes, que ce soit la charte canadienne ou la charte
québécoise? C'est une question qui est quand même un peu
technique, je l'admets.
M. Larose: Je ne voudrais pas précisément
m'inventer une compétence que je n'ai pas, si ce n'est vous soumettre
l'appréciation suivante. J'ai l'impression que, quand on
réfléchit à cette constitution, on y
réfléchit comme si la situation vécue au Québec
était identique à la situation vécue dans le reste du
pays, comme selon l'article (l)a) surtout qui dit qu'il y a un Canada
francophone, concentré au Québec mais pas exclusif au
Québec et qu'il y a un Canada anglophone dans le reste du pays mais
présent aussi au Québec. On essaie de développer une
constitution dont les règles vont s'appliquer de façon
égale dans les deux situations.
Je m'excuse mais la minorité anglophone au Québec est
équipée comme aucune minorité francophone n'est
équipée à l'extérieur du Québec. La
majorité francophone au Québec n'est pas dans une position
dominante ou dans une position assurée, je dirais, comme l'est la
majorité anglophone au Canada anglais. Donc, concevoir une constitution
qui voudrait que les deux majorités, soi-disant majorités, ou les
deux minorités, soi-disant minorités, aient les mêmes
règles, nous pensons que c'est appliquer à des situations
différentes les mêmes règles dont les résultats vont
être aussi différents.
Je m'excuse mais la majorité anglophone dans le reste du pays n'a
pas à se défendre et à promouvoir sa culture, sa langue,
ses institutions, etc., comme on a à le faire au Québec. Au
Québec, c'est une majorité qui est obligée de prendre des
mesures pour se promouvoir elle-même. Au Canada anglais, il n'y a rien de
ça. La minorité au Québec, qui a ses institutions
-l'école, ça fait longtemps qu'ils ont ça et vous venez de
leur donner un bout dans la santé, etc. - est équipée
comme aucune minorité francophone n'est équipée à
l'extérieur du Québec.
Quand vous parlez de l'abrogation de l'article 133, de la clause Canada
et tout le "kit", j'avoue que je n'entrerai pas là-dedans si ce n'est
pour vous assurer que je pense que, comme société, il faut avoir
le pouvoir d'avoir des règles qui assurent la pérennité de
la majorité.
Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître
maintenant le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): M. Larose, je vous remercie d'être venu
témoigner. Je pense qu'avec les questions que vous a posées le
député de Bourget vous avez eu l'occasion d'évoquer la
notion du rapport de force qui est également une notion autour de
laquelle l'action syndicale est largement centrée. On évalue
toujours son rapport de force dans le monde syndical, c'est le propre des
collectivités d'être obligées de le faire. Quand vous dites
que le Québec est parti avec cinq conditions qui négligeaient une
bonne analyse de ce qu'était le rapport de force du Québec, je
n'en disconviens pas avec vous. Quand le premier ministre lui-même
laissait entendre qu'il était sorti de la rencontre du lac Meech avec
plus que ce qu'il n'avait demandé, il ne faut pas s'en étonner,
c'est qu'il avait mal évalué le
rapport de force du Québec.
J'irai plus loin parce que je sais que cela inquiète les gens qui
se disent: Oui, mais voilà la chance historique de signer. Mais non, ce
n'est pas une chance historique de signer. D'abord, c'est un malentendu
historique. Les gens ne votent pas la même chose du tout dans ces textes,
ici, ou selon qu'on est au Barreau canadien ou qu'on s'appelle Pierre Elliott
Trudeau, Don Johnston, le chef du NPD ou le chef du NPD-Québec. Les gens
ne voient pas la même chose dans ces textes. C'est un malentendu
historique.
Deuxièmement, permettez-moi de vous soumettre, M. le
Président, la chose suivante. Je suis convaincu que, si le Québec
ne signe pas le 2 juin, il en ressortira renforcé. Pourquoi? Parce que
la constitution canadienne, en ce moment, s'applique sur le territoire du
Québec et parce que, parmi les choses qui s'appliquent dans la
constitution de 1982, celles qui ont un effet réel négatif pour
le Québec - le reste étant plutôt neutre - c'est
l'application de la charte canadienne qui diminue le droit civil. Vous ne
l'avez pas demandé et vous ne l'avez pas obtenu. Donc, pour le reste, le
Québec a intérêt à ne pas signer. D'abord, parce que
lorsque les dix premiers ministres du Canada, avec celui du Québec, ont
accepté de reconnaître qu'il y a ici une société
distincte, je pense qu'ils ont créé les conditions de ce qu'on
peut appeler parfois en droit constitutionnel, bien que je sache que les
juristes ne s'entendent pas là-dessus, une convention constitutionnelle.
On n'est pas obligé de signer la constitution pour savoir si le Canada
anglais reconnaît qu'on est une société distincte. Ils ont
été unanimes à le reconnaître dans un
communiqué de presse. Unanimes! À partir de ce jour, quoi qu'elle
signifie, cette société distincte que vous n'avez pas
définie, chose certaine, c'est un acquis.
La Cour suprême et l'immigration, ce sont des choses qui existent
et qui sont précisées ou constitutionnalisées, mais qui,
pour l'essentiel, dans le cas de Cullen-Couture, dans le cas de la Cour
suprême, à l'exception de la liste, je n'en disconviens pas, ce
sont des choses qui existent. Le pouvoir de dépenser est dangereux. Le
droit de veto... Une seule réforme constitutionnelle est envisageable
à court terme au Canada et c'est la réforme du Sénat. Or,
le Québec, en vertu de 1867, a déjà, à toutes fins
utiles, un droit de veto. Au total, pourquoi irait-on signer? Pour obtenir
quoi? Alors que je suis convaincu que si an ne signe pas on a avantage, comme
Québécois, comme société distincte, pour reprendre
l'expression du ministre, à laisser jouer le temps. Ce qui est
derrière nous est un acquis. Ce qui est devant nous, le 2 juin, contient
des reculs et, surtout, l'écrasement du rapport de force du
Québec alors que le fait de ne pas signer, face au Canada anglais,
signifierait que le Québec envoie un signal qu'il ne se satisfera pas de
si peu. Même dans la communauté internationale, au moment
où on approche du sommet francophone, je pense que la position du
Québec en ressortirait plus forte qu'antérieurement et qu'en ce
sens il n'y a pas de drame à ne pas sîgner. Au contraire, il y a
plus de danger à signer que de problèmes à ne pas signer.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Alors, au nom des membres de la
commission, M. Larose, je voudrais vous remercier ainsi que les gens qui vous
accompagnent. Je voudrais également vous féliciter pour la
qualité du mémoire que vous avez déposé ainsi que
pour la disponibilité que vous avez démontrée à
cette période de discussion malgré un agenda que je sais
chargé. Merci à vous.
M. Larose: Merci pour nous avoir accommodés. Merci
bien.
Le Président (M. Filion): Merci. Les travaux sont
suspendus jusqu'à 16 heures.
(Suspension de la séance à 13 h 35)
(Reprise à 16 h 6)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Nous poursuivons le mandat que nous avons entamé la semaine
dernière, c'est-à-dire d'entendre les représentations des
groupes, individus et organismes relativement à l'entente intervenue au
lac Meech concernant la constitution canadienne.
Notre horaire de cet après-midi demeure. M. Guy Bertrand a
déjà pris place à la table des invités. Bonjour, M.
Bertrand!
M. Bertrand (Guy): Bonjour!
Le Président (M. Filion): À 17 h 5, nous entendrons
les représentants de l'Institut politique de Trois-Rivières.
M. Bertrand, je pense que vous connaissez un peu les règles du
jeu. Pour cette consultation particulière, 60 minutes vous sont
réservées dont 20 minutes pour votre exposé. Si vous les
dépassez légèrement, comme vous l'avez laissé
entendre tantôt, c'est permis avec le consentement pris entre les groupes
parlementaires. À la suite de cela, une période de 40 minutes est
réservée pour la discusion avec les membres de cette
commission.
Donc, sans plus tarder, Me Bertrand, je vous inviterais à
présenter...
Oui, M. le député de Lac Saint-Jean.
M. Brassard: Ai-je bien compris
qu'après Me Bertrand, ce sera la chambre de commerce?
Le Président (M. Filion): On m'a informé il y a
à peine quelques minutes qu'il n'y avait pas d'inversion, tel que cela
avait circulé, entre la Chambre de commerce de Montréal et
l'Institut politique de Trois-Rivières.
M. Brassard: L'ordre demeure donc inchangé!
Le Président (M. Filion): Selon les informations de
dernière main que je détiens, l'ordre demeurerait
inchangé, selon ce qui m'a été communiqué. Je
cherche des yeux le leader adjoint du gouvernement et j'attrape des yeux
plutôt le leader du gouvernement. Tant mieux pour nous, il nous le
confirme. Notre horaire demeure donc inchangé.
Je disais donc, Me Bertrand, que je vous invite à
présenter la personne qui vous accompagne et à faire votre
exposé.
M. Guy Bertrand
M. Bertrand: Je vous présente Me Claire Moffat qui
travaille plus spécialement en droit constitutionnel et en droit
administratif.
Le Président (M. Filion): Merci.
M. Bertrand: M. le Président, madame et messieurs
distingués membres de cette commission, je ne crois pas, en tant que
juriste et indépendantiste, vous surprendre en vous disant
immédiatement que je m'oppose farouchement à la signature du
"Canada Bill" par le Québec. Laissez-moi vous dire, M. le
Président, ma satisfaction d'être ici aujourd'hui et de pouvoir
témoigner un peu au nom de ceux ou celles qui n'ont pas eu l'occasion
d'être entendus devant cette commission.
Laissez-moi vous dire au tout début que mon opposition principale
est due au fait que le premier ministre du Québec n'a pas le mandat
express de la population de faire entrer le Québec dans une nouvelle
constitution. Nous nous étions plaints déjà, à
plusieurs reprises, que toutes les constitutions, depuis 1760, ont
été imposées aux Québécois. Celle-ci,
contrairement aux autres constitutions qui nous ont été
imposées par la Grande-Bretagne, nous sera imposée ni plus ni
moins que par le Canada, puisque la Cour suprême a déjà
déclaré que l'acte constitutionnel de 1982, quoique étant
illégitime, était, par son rapatriement, légal. Mon
opposition, donc, du fait que le premier ministre n'a pas le mandat de nous
"embarquer" dans une nouvelle constitution et, principalement, que le "Canada
Bill" nous fera perdre le droit, historique pour le
Québec, d'accéder un jour au ranq de pays souverain.
J'aurai l'occasion de vous expliquer plus tard mon point de vue à ce
sujet. Donc, je m'oppose farouchement à toute siqnature du "Canada
Bill".
Peut-être serait-il bon, si vous voulez me le permettre, M. le
Président, d'expliquer ce qu'est le "Canada Bill". En
réalité, c'est d'abord la constitution de 1867 à laquelle
on a joint, en 1982, une charte des droits et une formule d'amendement et,
maintenant, en 1987, une certaine proposition du lac Meech qui constituerait un
amendement à la Loi constitutionnelle de 1982. Pourquoi, M. le
Président, le premier ministre du Québec devrait-il, au nom du
peuple québécois, s'opposer et ne pas signer le "Canada Bill"?
Laissez-moi vous donner certaines raisons. Je tenterai d'en expliquer certaines
davantage et d'en effleurer certaines autres.
Premièrement, parce que cela constituerait une ratification de
l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Ce serait ratifier, M.
le Président, 120 ans d'injustices, de mensonges et de tromperies de la
part de ceux qui dominaient dans cette constitution. Concession après
concession, compromis après compromis, les droits des
Québécois ont dû céder le pas dans cette
constitution canadienne. Laissez-moi vous dire que, si ce mécontentement
depuis 1867 a été persistant, il a atteint son point culminant en
1968 avec la formation du Parti québécois qui avait comme but de
retirer le Québec de la Fédération canadienne et de
négocier une souveraineté-association. Donc, c'était la
culmination du mécontentement de cette constitution et nous
l'accepterions aujourd'hui?
Le Parti québécois avait promis qu'il y aurait un
référendum pour demander à la population si elle
était d'accord pour retirer le Québec de la
Fédération canadienne. En 1980, est-il besoin de rappeler
à cette Assemblée que 50 % des Québécois
francophones ont dit oui à ce mandat de négocier une nouvelle
constitution? Bien sûr, vous me direz que la majorité a choisi de
dire non, mais l'expression de ce droit à l'autodétermination, M.
le Président, n'était-elle pas tout simplement que les
Québécois avaient choisi de demeurer dans la constitution
actuelle ou de subir la constitution actuelle? Bref, l'autodétermination
pouvait s'exercer de trois façons: soit pour sortir de la
confédération, ce que le peuple a refusé en 1980, soit
pour entrer dans une nouvelle constitution, et nous n'avons pas voté
pour cela en 1980. En 1980, c'était la troisième façon
d'exprimer notre droit à l'autodétermination, c'était le
maintien du statu quo. Voilà le message que la population
québécoise a donné il y a sept ans; cela fera sept ans, je
pense, demain.
Voilà pour cet argument principal de ne pas ratifier une
constitution qu'ont dénoncée
à juste titre tous les premiers ministres depuis la
confédération. Ce serait la première fois depuis 1760
qu'un premier ministre du Québec ratifierait une constitution
imposée à une époque où nous étions dans un
régime colonial. Mais quelle différence y a-t-il entre une
constitution imposée par la Grande-Bretagne et une constitution qui nous
serait imposée, comme c'est le cas actuellement, par le reste du
Canada?
La deuxième raison, M. le Président, pour ne pas accepter
le "Canada Bill", c'est qu'il contient une charte des droits et
libertés. Vous savez que par la constitution on a élevé au
rang de souverain la personne humaine, l'individu, par la charte qui est
constitutionnalisée. Dans ce sens, ce n'est plus vrai que le Parlement
seul est souverain. L'individu est souverain. Il a des droits souverains de
sorte que, quand les droits et libertés des citoyens sont violés,
nous nous adressons aux tribunaux où on peut faire casser n'importe
quelle loi et même des actes pris en vertu de la prérogative
royale, comme cela a été le cas dans "Operation dismantle",
où la Cour suprême a accepté d'entendre des citoyens qui
disaient qu'on n'avait pas le droit de permettre les essais nucléaires
sur le territoire canadien parce que cela mettait en danger la
sécurité des Canadiens de la région de l'Ouest.
Donc, cette charte, qui est drôlement importante, reconnaissant la
souveraineté de l'individu peut permettre à n'importe quel
citoyen de battre en brèche des lois québécoises bonnes
pour la collectivité. Je pense à la loi 101, à la charte
québécoise, qui est battue en brèche et qui pourrait
être dévorée de toutes pièces si le "Canada Bill"
était signé. J'expliquerai tout à l'heure pourquoi. C'est
au nom de la liberté d'expression de la charte canadienne,
définie et pensée par la majorité canadienne, puisque le
Québec n'était pas là, c'est au nom de cette
liberté d'expression que des citoyens québécois se sont
adressés aux tribunaux pour dire qu'on violait leurs droits en ne leur
permettant pas d'afficher en anglais. Dans ce sens, la collectivité
québécoise est très fragile, aussi fragile que du cristal,
1,8 % de la population sur le territoire nord-américain étant
dominée par l'économie américaine. Aux postes de radio,
vous n'entendez que des chansons américaines. Le cinéma
américain, la force économique de la puissance
nord-américaine. Nous sommes tout petits. Et seul l'État
québécois doit pouvoir protéger cette entité
québécoise, sa langue, sa culture. Ce n'est certainement pas la
majorité canadienne, même par une charte, qui protégera les
droits de la collectivité québécoise. Donc, pour cette
deuxième raison, je demanderais au premier ministre de ne pas signer le
"Canada Bill".
La troisième raison, c'est la formule d'amendement, M. le
Président. Au sujet de la formule d'amendement, vous vous rappelez, tous
les premiers ministres du Québec se sont opposés à ce
qu'il y ait ce genre de formule d'amendement qui place le Québec dans
une situation intenable. Comment pensez-vous que nous pourrons faire
l'indépendance du Québec un jour, si tant il est vrai que cela
serait la seule possibilité de faire survivre le Québec? Il
faudrait l'accord de sept provinces formant 50 % de la population? Impossible!
Comment pensez-vous, si vous n'êtes pas un indépendantiste - ce
n'est pas nécessaire, vous pouvez souhaiter que nous obtenions plus de
pouvoir, secteur par secteur - que nous pourrions obtenir l'immigration, les
communications, par exemple, tout le domaine de la santé, la
souveraineté linguistique pour le peuple du Québec? Nous serions
obligés d'avoir l'accord de sept provinces formant 50 % de la
population. Vous vous rendez compte que cela est invraisemblable. La Cour
suprême du Canada, en 1982, dans le renvoi no 2, en parlant de la formule
d'amendement, a dit ceci, dans 45 National Report, page 336: "La formule de
modification est une partie importante de l'acte constitutif. La méthode
prévue pour la modification de la constitution est
généralement un aspect essentiel du droit qui régit un
pays,"
M. le Président, cette formule d'amendement, c'est une camisole
de force, en réalité. Vous voyez d'ici le chef
québécois entreprendre des pèlerinages dans chaque
capitale du Canada pour convaincre ou prier humblement chaque premier ministre
de bien vouloir consentir à lui donner un pouvoir additionnel pour le
bien du Québec? Devrions-nous demander la permission à des
provinces qui ne forment pas plus de la moitié de la ville de
Québec au point de vue population? Consentirions-nous à une
constitution qui multipliera par sept les difficultés que nous
créait déjà, avant 1982, le gouvernement central? À
quel marchandage, à quel maquignonnage devrons-nous nous réduire
ou nous plier pour vaincre le barrage de ces sept votes dont nous aurons besoin
pour amender la constitution, pour donner plus de pouvoirs au Québec? En
votant, le 20 mai 1982, pour le maintien du statu quo, la population du
Québec n'a jamais voté pour une nouvelle constitution qui nous
forcerait à accepter une charte des droits et une formule
d'amendement.
Quatrièmement, une autre raison pour demander au premier ministre
de ne pas signer, et jamais, la Loi constitutionnelle de 1982, c'est que le
projet d'accord du lac Meech non seulement ne corrige pas la situation, mais,
au contraire, il fait en sorte que le Québec soit placé ou que le
sort du Québec soit placé maintenant entre les mains de la
majorité canadienne et entre les mains
de la Cour suprême.
Je voudrais, dans le peu de temps qui m'est alloué, vous parler
uniquement de deux questions: la société distincte et la
reconnaissance de la présence du Canada anglophone au Québec. La
société distincte, qu'est-ce que c'est? Vous ne le savez pas,
personne ne le sait. C'est une notion vague et imprécise et, encore une
fois, qu'on laissera aux tribunaux, à la Cour suprême, le soin de
définir, comme c'est le cas pour le droit è la liberté,
à la sécurité, à la vie dans la Charte canadienne
des droits et libertés, comme le délai raisonnable pour subir un
procès, comme la discrimination, comme la liberté d'expression.
Voilà autant de formules que la Cour suprême sera appelée
à définir dans les prochaines années. Elle a
déjà donné certaines définitions comme le
délai raisonnable, en particulier. Est-ce que ce n'est pas parce que nos
législateurs manqueraient de courage qu'on n'oserait pas faire une
définition de la société distincte, M. le
Président? Est-ce parce qu'on a peur de faire peur aux anglophones? Si
on veut définir ou tenter une définition de la
société distincte, le premier ministre du Québec pourrait
s'inspirer de la Charte canadienne des droits et libertés, à
l'article 15, où on utilise le mot "notamment" pour parler de la
discrimination notamment en matière raciale, etc. Et tous les auteurs
s'accordent pour dire que, lorsqu'on veut donner une définition, on peut
utiliser le mot "notamment" où, sans limitation, la
société distincte comprendrait la langue, la culture, l'histoire,
le vouloir-vivre collectif, le territoire, etc., mais ce n'est pas
limitatif.
Bref, il faudrait dire ce qu'est la société distincte.
Mais non! On a choisi de ne pas le dire. Mais laissez-moi vous dire, M. le
Président, que si la société distincte voulait dire la
même chose qu'un peuple ou une nation, alors, pourquoi n'utilise-t-on pas
deux termes qui sont clairs comme le mot "nation", comme le mot "peuple". Ce
sont des termes précis, ce sont des termes clairs. Et, comme avocat,
laissez-moi vous dire que c'est à cause de l'ambiguïté que
nous gagnons notre vie, l'ambiguïté dans les textes de loi. Le
législateur ne peut pas, évidemment, toujours tout
prévoir. Il fait un effort pour essayer de définir certains
termes. On a défini la pornographie dans le Code criminel, on a
essayé. On a défini la pratique illégale de la
médecine à la Corporation professionnelle des médecins. On
est capable de définir ce qu'est la sécurité. Porter
atteinte à la sécurité canadienne, on l'a défini
dans une loi fédérale pour savoir qui pourrait porter atteinte
à la sécurité canadienne. Quand on veut, M. le
Président, donner une définition, on peut. Mais je pense qu'on a
choisi ici de ne pas donner de définition. Si cela veut dire la
même chose, utilisons le mot "nation", le mot "peuple". Je crois que
cette société distincte, cette notion est pâteuse -
permettez-moi l'expression - gélatineuse, "marshmalleuse" si vous
voulez, qui s'étendra dans toutes les directions selon ceux ou celles
qui les utiliseront à leurs fins personnelles pour gagner leur cause ou
leur point de vue.
Maintenant, M. le Président, je voudrais ajouter d'autres
raisons. Pourquoi le premier ministre du Québec ne devrait-il jamais
signer le "Canada Bill"? C'est la principale raison; parce que cela
empêcherait les Québécois et les Québécoises
de réaliser leur objectif politique numéro un, soit de faire du
Québec un État moderne ou, si vous voulez, pour transformer le
Québec de son statut de province en celui de pays.
Le "Canada Bill" nie et ne reconnaît pas les cinq
considérations d'un État moderne. Et la première, c'est le
droit à l'autodétermination. M. le Président, nous sommes
un peuple. Même, nous sommes une nation. Nous avons une langue. Nous
avons une histoire qui est vraiment différente de l'histoire des autres.
Nous avons des coutumes. Nous avons un territoire plus ou moins bien
délimité, si l'on exclut la question du Labrador. Nous avons un
gouvernement doté d'une certaine souveraineté. Bref, nous avons
toutes les caractéristiques du mot "nation" en droit international. Et
le professeur Rémillard, pour qui j'ai toujours eu beaucoup d'estime
comme professeur, que j'ai cité à l'occasion, dans son
traité, nous fait bien cette distinction sur le commencement de la vie
en groupe. On parle de l'individu, on parle ensuite des individus qui se
regroupent pour former une société. De là vient la
communauté et ensuite arrive le peuple, la nation et le pays.
Nous sommes un quasi-pays, nous sommes une nation. On ne peut pas
demander de reculer. Ce qu'il faut, c'est que ce soit clairement
indiqué, que ce soit, au moins, demandé et, si les anglophones du
Canada ne veulent pas entendre parler du mot "nation", on ne signe pas. Et
voilà pour cette question du droit du peuple, la reconnaissance du
peuple québécois.
M. le Président, j'ai examiné certaines lois
québécoises et j'ai découvert que cette reconnaissance du
peuple existe dans nos lois québécoises. Je pense à la Loi
sur l'Assemblée nationale, je pense à la Charte de la langue
française, M. le Président, je pense à la Loi sur le
drapeau officiel et je pense aussi à l'article 15 de la Loi sur
l'Assemblée nationale sur le serment ou la déclaration solennelle
du député qui se lit comme suit: Je, Robert Bourassa - cela peut
être Pierre Marc Johnson - jure ou déclare solennellement que je
serai loyal envers le peuple du Québec, etc. Être loyal envers le
peuple du Québec, c'est au moins exiger
qu'on reconnaisse dans une constitution canadienne qui inclurait le
Québec, si tant qu'il est vrai qu'on veut signer cette constitution...
C'est d'indiquer vraiment que notre serment d'allégeance, c'est
d'être fidèle et loyal au peuple québécois en
annonçant fièrement que nous sommes une nation et en exigeant
qu'on le reconnaisse.
M. le Président, cette nation a également
été reconnue par tous les écrivains et les historiens.
Elle a été chantée par nos poètes, etc. Je n'ai pas
besoin d'insister pour vous dire que nous sommes une nation, nous sommes
quasiment un pays. Qui d'autres l'a dit? M. le ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, M.
Rémillard, dans son traité. Encore une fois, vous me verrez
m'inspirer de son traité parce que, pour moi, c'est un
constitutionnaliste pour qui j'ai toujours eu beaucoup de respect; il a reconnu
que nous étions non seulement un peuple mais une nation. À la
page 350, entre autres, de son volume, tome II, il dit: "Le grand mérite
de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique -et je cite - aura sans
doute été d'avoir permis la naissance de ce
phénomène national québécois, soit
l'émergence de la nation québécoise. Il apparaît,
dit-il à la page 351, indubitable que les Québécois
forment maintenant une nation."
M. le Président, non seulement le "Canada Bill" ne
reconnaît-il pas que nous sommes une nation, mais il ne reconnaît
pas que cette nation a droit à l'autodétermination,
c'est-à-dire peut disposer d'elle-même. C'est important. Ce droit
à l'autodétermination, non seulement apparaît-il dans les
documents internationaux, dont je ne vous parlerai pas cet après-midi,
mais il apparaît également dans une résolution de
l'Assemblée nationale qui a force de loi et qui n'a jamais
été amendée par cette Assemblée nationale. C'est la
résolution no 7038 du 1er décembre 1981 qui dit ceci: Que
l'Assemblée nationale, rappelant le droit du peuple
québécois à disposer de lui-même, déclare
qu'elle ne peut accepter le projet de rapatriement de la constitution, sauf si
on rencontre les conditions suivantes... La première: On devra
reconnaître que les deux peuples qui ont fondé le Canada sont
foncièrement égaux. Donc, cette obligation morale et
légale de ce gouvernement - je vous le soumets respectueusement - fait
en sorte que le premier ministre du Québec n'a ni la
légitimité, M. le Président, ni la légalité
de son côté. Il ne peut pas légalement modifier les termes
de ce que la Cour suprême a appelé une quasi loi, à savoir
une résolution d'un Parlement, sans que le Parlement ait
été réuni et décide de le modifier.
M. le Président, je sais que mon temps court, Me Moffat m'indique
qu'il me reste une minute. Si vous me permettez, je vais tenter d'aborder la
question pour laquelle je pense être ici cet après-midi, c'est que
le "Canada Bill" ne permettra pas au Québec d'accéder à
l'indépendance, c'est-à-dire de récupérer un jour
tous les pouvoirs politiques, juridiques, économiques et financiers.
Laissez-moi vous dire qu'il est utopique de vouloir faire du Québec un
État moderne sans le contrôle de nos importations, de nos
exportations, de notre monnaie, crédit, fiscalité, transport
international, etc. Comment pensez-vous que nous pourrions réussir si un
jour il s'avérait que cette nation, fragile comme du cristal,
était en train de mourir, de manquer d'oxygène et s'il
s'avérait que pour la sauver, comme le disait feu le premier ministre
Daniel Johnson, ce serait peut-être notre devoir de séparer le
Québec de la confédération? Mais là, nous aurons
besoin de sept provinces formant 50 % de la population et peut-être
même de l'unanimité des provinces, selon certains
constitutionnalistes, selon certains professeurs d'université. Comme ce
n'est pas indiqué, ce serait peut-être l'unanimité. (16 h
30)
Alors, voyons ce qui se passerait, M. le Président, à la
suite d'un référendum où la majorité des
Québécois disait: Oui, nous voulons devenir un pays. Nous voulons
devenir membre des Nations Unies. Nous avons soif de participer avec les grands
plutôt que d'être réduits, être une province comme le
Nouveau-Brunswick ou des provinces qui sont intéressantes mais qui n'ont
pas les problèmes que nous avons dans le continent
nord-américain. En supposant que la communauté
québécoise dise oui, nous avons la légitimité en
notre faveur. Au Canada anglais, parce que nous avons choisi d'entrer dans la
constitution en nous donnant une formule d'amendement, donc en nous donnant un
code de procédure qui nous lie parce qu'il est
constitutionnalisé, quelqu'un va porter la cause devant la Cour
suprême en disant: Votre projet est légitime, mais il n'est pas
légal. La Cour suprême devra constater, comme elle l'a fait dans
l'avis sur le rapatriement: Le projet est illégal parce que vous avez
besoin de l'assentiment des provinces. Vous le saviez lorsque vous êtes
entrés dans la confédération, dans la constitution de
1987; vous saviez qu'il y avait un code. Respectez- le maintenant. Et la
légitimité québécoise serait confrontée
à la légalité canadienne.
Laissez-moi vous rappeler que depuis 1867, chaque fois que notre peuple
a été confronté à la légalité,
c'est-à-dire lorsque nous étions dans la
légitimité, c'est la léqalité qui l'a
emporté. Toutes les fois. Laissez-moi vous rappeler la conscription, la
pendaison de Louis Riel, laissez-moi vous rappeler la Loi sur les mesures de
guerre. C'était illégitime d'envahir le Québec avec
l'armée mais on l'a fait parce que c'était légal en vertu
d'une loi, la Loi sur les
mesures de guerre. Lorsqu'on a suspendu le français dans l'air en
1976, c'était illégitime, sous prétexte que c'était
dangereux pour les pilotes. Pourtant la langue française est une langue
reconnue en droit international. J'ai eu le plaisir de plaider cette cause, M.
le Président, mais on a perdu parce que c'était légal de
suspendre le français dans l'air.
M. le Président, le rapatriement de la constitution était
illégitime. Tout le peuple québécois s'y est
opposé. Faut-il se le rappeler? Toute cette Assemblée nationale y
était opposée. De mémoire, je pense que l'Opposition
était contre presque à l'unanimité. Et pourtant, il y a eu
rapatriement de la constitution. Et la Cour suprême a dit que
c'était légal même si les provinces ne consentaient pas et
même si le Québec ne consentait pas. Ce que je veux dire, M. le
Président, si on veut éviter l'anarchie, si on veut éviter
plus tard de se trouver dans une situation déplorable parce que nous
aurions omis de prévoir un droit de retrait, c'est que ce serait non
seulement la fin d'un rêve mais que ce pourrait être
catastrophique.
Je demande au premier ministre du Québec de préserver le
droit historique pour ce peuple qui a été vaincu - l'expression
est utilisée également par le professeur Rémillard dans
son livre - ce peuple qui a été conquis un jour, de reprendre la
place qu'il pense pouvoir être capable d'avoir dans ce forum des Nations
Unies, et je pense que la meilleure façon de donner au Québec son
véritable brevet d'État et de nation, c'est justement de lui
permettre de devenir un État souverain, un État
indépendant. La signature du "Canada Bill" serait la fin.
En terminant, je voudrais juste rappeler sur cette question que la
sécession d'une province ne peut pas se faire sans un amendement
constitutionnel. Si le premier ministre est entouré de savants
professeurs d'université que je reconnais, des amis des deux
côtés, je m'en remettrais au professeur Arbour en droit
international et je m'en remettrai au professeur Rémillard qui le
confirme dans son traité - aux pages 108 et 109 - sur le
fédéralisme canadien au tome II, que je cite: "Pour que la
souveraineté-association se fasse légalement dans le sens
exprimé par le gouvernement québécois dans son livre
blanc, il aurait donc fallu qu'on amende le compromis de 1867 en
conséquence". Et il dit: "La sécession d'une province ne peut se
faire légalement sans un amendement à la constitution".
Voilà, M. le Président, je pense que c'est clair. Je
voudrais, au nom de tous les Québécois indépendantistes,
au nom de tous ceux qui ne sont pas indépendantistes et qui croient
qu'un jour peut-être ce sera la seule façon de permettre à
ce pays, à ce quasi-pays de devenir un pays, je voudrais, si jamais le
premier ministre ne veut pas faire marche arrière, qu'il y ait dans la
constitution canadienne au moins quatre conditions: Que nous sommes un peuple;
deuxièmement, que ce peuple a droit a l'autodétermination y
compris le droit de se retirer de la Confédération canadienne
pour qu'on ne vienne pas nous dire que nous nous sommes
autodéterminés pour devenir Canadiens; troisièmement, que
l'exercice de ce droit ne soit jamais considéré comme une
atteinte à l'intégrité ou à la
sécurité du territoire canadien, ce qui, dans les faits,
justifierait la présence de l'armée et l'application de la Loi
sur les mesures de guerre; quatrièmement, que l'exercice de ce droit ne
justifiera jamais l'application de la formule d'amendement.
À ces seules conditions... Je suis toujours contre
l'adhésion au "Canada Bill", mais au moins - je dis à ces seules
conditions, excusez-moi, il y en a d'autres; disons "entre autres conditions"
parce qu'il y en a d'autres qui ont exprimé... - tout en étant
contre, je me dis que si c'est vraiment si pressant de faire cela et qu'il faut
le faire, au moins, sauvons le droit de nous retirer de la
Fédération canadienne.
Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion); Merci, M. Bertrand. S'il vous
plaît, je rappellerais à notre auditoire qu'en vertu de notre
petite constitution interne, ici à l'Assemblée, il est interdit
de manifester son approbation ou sa désapprobation.
Je vais laisser la parole à M. le ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales
canadiennes.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. Me Bertrand,
je reconnais en vous un juriste à la grande sincérité,
à la sincérité indépendantiste. Vous êtes un
indépendantiste et vous l'avez mentionné très
fièrement. J'ai d'autant plus de respect pour vous que vous exprimez
avec fierté cette idée d'indépendance et que vous avez la
force de vos convictions. Je crois que votre témoignage est
intéressant à entendre. Si on ne partage pas votre idée,
au moins est-il intéressant de voir quelqu'un de votre qualité
témoigner avec votre sincérité et votre force concernant
l'indépendance du Québec.
J'ai été touché de constater que vous avez pris le
temps de lire ce que j'ai écrit -même les deux tomes - et je vous
en remercie. De fait, je crois que le Québec forme un peuple, que le
Québec forme une nation, et ces deux expressions sont utilisées
déjà en droit canadien et québécois. Vous l'avez
souligné à bon titre, on parle dans la constitution du Canada,
depuis 1982 maintenant, des peuples autochtones. Quant aux nations, on utilise
aussi "les nations autochtones". Ce sont des expressions qui sont
utilisées, dans un certain sens, dans le
contexte du droit canadien et québécois. C'est pour cette
raison que, dans mon deuxième tome, je propose le terme
"société" parce que le terme "société" confirme,
dans le contexte québécois et canadien, que nous sommes plus que
des hommes ou des femmes qui ont ensemble ce désir de vivre ensemble.
Nous sommes plus qu'une communauté qui partage une histoire, une langue.
Nous avons aussi des institutions, nous avons un gouvernement et nous avons un
territoire. Nous sommes organisés. Et le terme "société"
dans ce contexte est particulièrement bien choisi, dans le contexte du
droit constitutionnel canadien et québécois, pour signifier cette
réalité.
Me Bertrand, vous nous dites: Si cette entente du lac Meech est
acceptée, on ne pourra plus accéder à
l'indépendance. D'une certaine façon, vous avez raison. Vous avez
raison parce que le but de cette entente est de permettre au Québec de
redevenir un partenaire de plein droit, un partenaire majeur de cette
Fédération canadienne. Le but de l'entente n'est pas de faire
l'indépendance, mais de faire du Québec le partenaire majeur de
cette fédération.
D'autre part, je dis qu'il faut quand même comprendre que si un
jour - ce ne sont pas mes convictions - les Québécois
décidaient, par voie démocratique référendaire,
à la suite d'une question qui serait claire - pas une question
ambiguë, une question claire - par un vote aussi clair, net, sans
ambiguïté, qu'ils voulaient être indépendants, je
crois que la démocratie, que cette légitimité dont vous
avez parlé, imposerait l'indépendance. Donc, il sera toujours
possible pour les Québécois d'exprimer leur désir
d'indépendance. Il faut quand même comprendre que nous vivons dans
un pays démocratique. Là-dessus, je sais que le chef de
l'Opposition partage mes vues. C'est donc dire, Me Bertrand, que j'ai
l'impression qu'il aurait été difficile de trouver une entente
qui aurait pu vous satisfaire. Vous nous l'avez dit au départ: Je ne
pourrai pas adhérer à cette entente, parce que je suis
indépendantiste. Dans ce contexte, ma question serait la suivante:
Qu'est-ce qu'on devrait faire, dans votre cheminement à vous, pour
s'affirmer nationalement ou pour devenir indépendant, ou pour poursuivre
un autre but politique, je ne sais pas? Quel est le cheminement qui, pour vous,
paraît le meilleur?
M. Bertrand: M. le Président, pour répondre au
ministre délégué aux Affaires intergouvernementales
canadiennes, je dirais qu'en droit international il y a toute une
différence entre subir une constitution et y adhérer. On
reconnaît à un peuple le droit à l'autodétermination
dans la mesure où il n'a pas voulu se fondre ou fondre
l'intégrité de son territoire dans celui d'un autre
territoire.
Subir une constitution permet toujours de faire l'indépendance,
mais lorsqu'on y adhère volontairement en connaissant toutes les
conséquences, c'est un droit qui se perd, qui se négocie, le
droit à l'autodétermination. C'est un droit collectif et, comme
un droit individuel, il peut se perdre.
Laissez-moi vous donner un exemple: quelqu'un qui déciderait de
se tirer en bas du pont de Québec et qui crierait "j'ai le droit
à la vie en vertu de la charte" mourrait quand même parce qu'il a
choisi de mourir en se suicidant. C'est la même chose pour un peuple. Il
peut décider de mourir de la façon qu'il voudra, mais il ne peut
pas en même temps invoquer le droit à la vie. Dans ce sens, vous
dîtes: Qu'est-ce que je ferais? Je continuerais à subir
démocratiquement cette constitution et je continuerais aussi à
informer le peuple québécois, la nation québécoise
des avantages à être un pays souverain pour donner la
prospérité au Québec. Je dirais, entre autres, que sur le
plan de l'interdépendance, par exemple, il est possible que dans
quelques années nous devions choisir une association économique
qui ne soit pas exclusive et obligatoire avec les Maritimes qui sont
relativement peu populeuses et pauvres, qui n'apportent pas grand-chose au
Québec sur le plan économique, et aussi avec l'Ouest canadien qui
est trop éloigné. Peut-être devrions-nous choisir de nous
associer économiquement, à 300 milles des frontières
québécoises, avec 125 000 000 de population? Comment allons-nous
faire si nous y adhérons volontairement? Nous devrons encore subir
l'orientation économique du pouvoir dominateur qui est le pouvoir
canadien.
C'est un exemple que je vous donne et c'est la même chose pour le
libre-échange. Comment allons-nous faire pour dire que le
libre-échange n'est pas, encore une fois, pensé et orienté
en fonction de l'Ouest et de l'Ontario? Si nous y adhérons
volontairement encore, sans réserve, sur le plan du
libre-échange, sur le plan économique, nous devrons subir. Pour
répondre à votre question, c'est dire que la meilleure
façon de préparer cette accession du Québec au rang des
pays souverains, c'est dire combien ce serait avantageux si l'on
possédait tous les pouvoirs dont j'ai parlé tout à
l'heure.
On pourrait parler aussi de la culture québécoise
française, de la civilisation québécoise française
qu'il sera impossible d'instaurer dans un régime où on ne peut
avoir une culture dominante donnée. Laissez-moi vous dire que
l'incorporation de la reconnaissance du Canada anglais au Québec, c'est
l'instauration du bilinguisme et du biculturalisme officiel. C'est facile
à comprendre que si vous constitutionnalisez le Canada anglais dans le
Québec, c'est la domination du Canada anglais. Le Canada anglais dira:
Nous avons des droits au même
titre que tes Québécois. Cela deviendra une question de
droits individuels. C'est ce qui est dangereux pour la collectivité
québécoise.
Sur la question de l'indépendance, vous dites qu'elle sera
possible le jour où le peuple québécois le
décidera. Moi aussi, j'ai déjà cru que la seule expression
de 60 % de la population pourrait permettre au pays d'accéder à
l'indépendance. Mais lorsque 40 % dit non et qu'elle a la loi de son
côté, dans une constitution qui reconnaît la
suprématie de Dieu et le "rule of law", la règle de droit, c'est
plus fort que n'importe quoi. (16 h 45)
M. le Président, c'est clair qu'au nom de
l'Intégrité territoriale et de la sécurité
nationale, on n'accepterait pas la légitimité. à ce
moment-là, que fait le Québec? Il adopte une loi obligeant les
citoyens à payer leur impôt. 40 % vont devant la Cour
suprême et la Cour suprême dit: C'est illégal; en
conséquence, ceux qui paient leur impôt à Ottawa sont
encore dans la légalité. C'est ce que je décrivais tout
à l'heure comme le phénomène de l'anarchie.
M. le Président, vous savez que les avocats ont cette manie de
toujours vouloir appuyer leurs opinions sur de la jurisprudence ou des auteurs.
J'ai cherché dans la jurisprudence internationale un
précédent d'un pays qui s'était séparé pour
voir si on avait accepté la légitimité du pays qui
s'était séparé dans un système parlementaire
identique, dans une constitution fédérale, et j'ai trouvé
un précédent, M. le Président. Aux États-Unis, le
Texas s'est séparé en 1869 de la confédération
américaine; non seulement s'est-il séparé, c'était
légitime, mais il a constitué un gouvernement provisoire. M.
White, un citoyen du Texas qui n'était pas d'accord avec cette
séparation, a porté la cause devant la Cour suprême des
États-Unis et, avec une voix, avec un vote, avec une dissidence, pardon,
la Cour suprême a dit ceci, M. le Président: "When, therefore,
Texas became one of the United States, she entered into an indissoluble
relation". Quand le Texas est entré dans les États-Unis,
c'était une relation indissoluble. On dit, quand on adhère
à une constitution, que c'est à perpétuité, pour
toujours. Elle dit plus loin: "It was final. The union between Texas and the
other States was as complete, as perpetual and as indissoluble as the union
between the original States. There was no place for reconsideration or
revocation except through revolution or through consent of the States". Aucune
possibilité pour le Texas de maintenir sa séparation, si ce n'est
par la révolution ou l'accord entre tous les États. Cet accord
légal, le Texas ne l'a pas obtenu et il est revenu à l'endroit
où il était, partie de l'union américaine ou de la
Confédération américaine.
Je sais que les opinions sont partagées,
M. le Président. Tous les jours on me dit: Ce n'est pas
possible que le Canada refuserait l'indépendance du Québec, mais
alors, dans le doute seulement, laissez-moi convaincre le ministre des affaires
canadiennes, M. le Président, que, dans le cas de doute non seulement
faut-il s'abstenir, mais, nom de Dieu, donnez le doute au Québec. Si
jamais vous pensez qu'on pourra un jour faire l'indépendance pour sauver
le Québec, si tant il est vrai que cela pourrait arriver - et
j'espère que cela arrivera un jour - permettez que cela soit inscrit
pour qu'il n'y ait aucune possibilité qu'on nous invoque que
c'était perpétuel, que c'était pour toujours que nous y
avons adhéré. C'est seulement cela, en réalité. Ce
n'est pas grand-chose qu'on vous demande: convaincre les autres que nous
existons comme peuple et comme nation et reconnaître que, si on a le
droit d'y entrer, on a le droit d'en sortir. Ce n'est pas gênant de
demander cela et il me semble qu'il n'y aurait aucune ambiguïté
possible et on serait sûr qu'il n'y aurait pas un combat entre la
légalité et la légitimité.
Le Président (M. Filion): Merci. M. le ministre.
Cela va? M. le député de Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier
Me Bertrand également pour son témoignage et son message on ne
peut plus clair. On peut être en désaccord avec son message, mais
je ne pense pas qu'on puisse nier qu'il soit clair.
J'aurais quelques remarques également et aussi une question sur
la notion de société distincte. Vous avez raison et je pense
qu'il est important de le signaler de nouveau. C'est vrai que certains
s'imaginent peut-être que ce n'est qu'une querelle de mots, une querelle
de sémantique, mais il n'en reste pas moins que le concept de
société distincte n'a absolument, mais alors absolument aucune
consécration en droit international. Cela n'existe nulle part en droit
international, aussi bien dans la charte des Nations Unies que dans les
diverses déclarations émanant des Nations Unies. On ne retrouve
aucune référence à cette notion de société
distincte qui apparaît comme cela, dans une entente au bord d'un lac
où nos premiers ministres et quelques ministres faisaient trempette.
Par contre, le terme consacré en droit international, c'est celui
de peuple et le terme "peuple" - tout le monde le reconnaîtra, vous
l'avez signalé d'ailleurs avec raison - c'est vraiment la pierre
angulaire du droit à l'autodétermination ou du droit des peuples
à disposer d'eux-mêmes. Le terme "peuple" désigne une
entité sociale qui possède une évidente identité
avec des caractéristiques propres, des éléments à
la fois subjectifs et objectifs, en particulier ce
qu'on appelle le vouloir-vivre collectif, la volonté de vivre en
commun, de la part des membres de cette communauté. Cela implique aussi
une relation très évidente à une assise territoriale bien
identifiable.
Ce sont les peuples, en droit international, qui se qualifient pour
exercer le droit à l'autodétermination, je pense que cela est
aussi un fait évident, tous les juristes vont le reconnaître. Par
conséquent, pour qu'une collectivité puisse exercer son droit
à l'autodétermination, il faut qu'elle se qualifie comme
étant un peuple au sens de la charte des Nations Unies, au sens du droit
international.
Et la question qu'on doit se poser dans toute cette discussion autour de
l'entente du communiqué de presse du lac Meech, c'est pourquoi au lac
Meech a-t-on écarté - on en a sans aucun doute discuté,
j'imagine, je le suppose - un terme consacré en droit international, le
terme "peuple", pour un terme et un concept imprécis pour lequel on ne
trouve aucune référence en droit international? Là, la
question est pertinente: Pourquoi les onze premiers ministres, leurs
conseillers, leurs ministres responsables du dossier des affaires
intergouvernementales canadiennes ont-ils écarté ce terme
"peuple" et, donc, de peuple du Québec, de peuple
québécois en ce qui concerne le Québec? On peut se poser
la question et je trouve cela inquiétant que l'on se retrouve avec un
concept, une notion, celle de société distincte, qui
n'apparaît nulle part en droit international et qui n'implique pas
nécessairement l'exercice du droit à
l'autodétermination.
C'est vrai que le ministre vient de nous avouer tantôt - j'ai
hâte de revoir les galées comme de revoir la transcription - que,
oui, le Québec a le droit à l'autodétermination. Et je
comprends que, pour lui, "société distincte" est un terme nouveau
en droit international, en matière de droit des peuples à
disposer d'eux-mêmes; je comprends que le terme "société
distincte" implique pour le Québec le droit à
l'autodétermination. Je ne sais pas si, Me Guy Bertrand, vous avez
compris cela aussi de cette façon. C'est comme cela que
j'interprète ce que vient de nous dire le ministre tantôt. Pour
lui, société distincte, cela a la même valeur que le terme
"peuple" et cela a les mêmes implications en matière de droit
à l'autodétermination. Il opine, je ne sais pas s'il opine, non
il n'opine pasl Ce n'est pas très clair. Par conséquent, j'ai
compris, quant à moi, que pour lui, société distincte,
c'est un terme équivalent de peuple et que, par conséquent, en
utilisant le terme "société distincte", cela impliquait pour le
Québec un droit très clair à
l'autodétermination.
Quant à moi, j'aurais préféré et je
préfère toujours le terme "peuple", parce qu'il a une
consécration internationale. Ceci étant dit, ma question, Me
Bertand, porte sur le droit à l'autodétermination. Est-ce que
vous croyez que ce droit aurait une même valeur et une même force
s'il était inscrit dans une constitution québécoise
écrite, s'il était proclamé dans une constitution
québécoise écrite, tel que d'ailleurs le réclamait,
en 1982, le ministre lui-même? Il souhaitait une constitution
québécoise écrite dans laquelle on retrouverait dès
le départ l'inscription du droit du peuple québécois
à s'autodéterminer, è disposer de lui-même. Est-ce
que - comme cela semble être le cas, le ministre refusant d'inscrire ce
droit dans la constitution canadienne - ce droit à
l'autodétermination du peuple québécois, s'il était
inscrit dans une constitution québécoise écrite,
adoptée et approuvée par les Québécois
eux-mêmes, aurait une même vigueur, une même valeur, une
même force, selon vous?
M. Bertrand: Je ne le crois pas, M. le Président, parce
que la reconnaissance du droit à l'autodétermination qui aurait
été faite dans une situation un peu de désespoir ou
après coup, je ne pense pas qu'en droit international elle aurait une
grande valeur. Si cette déclaration avait été faite
avant... Je vous avoue que j'examine toute cette question sur le plan
juridique, depuis trois semaines avec d'autres juristes, professeurs, etc.,
pour savoir si... Je ne ferais pas de cachette à cette Assemblée,
j'ai trop de respect pour l'Assemblée nationale. Je dois vous dire que
je suis inquiet en ce qui concerne la légalité du processus. On a
parlé de la légitimité. Les gens sont venus
témoigner comme quoi c'était illégitime de nous obliger
à entrer dans une constitution sans que nous soyons consultés.
J'ai des enfants, j'ai une femme, j'ai des amis; on aurait aimé cela
dire quelque chose dans une élection référendaire. Pas
plus que M. Johnson, élu en 1985, aurait eu le droit, sous
prétexte que dans le programme du Parti québécois il est
inscrit qu'un jour on fera la souveraineté, de séparer le
Québec de la confédération en disant: Je suis élu,
bravo, l'Assemblée nationale est souveraine! Les gens auraient
contesté cela devant les tribunaux en disant: C'est de la tromperie, de
la duperie. Pas plus on n'a le droit de nous faire entrer dans une constitution
sans que nous ayons été consultés au moment des
élections. C'était une élection générale et
le gouvernement en place avait choisi de ne pas faire d'élection
référendaire.
En conséquence, M. le Président, quand je vous disais que
je regardais l'aspect de la légalité, comment les tribunaux
interpréteraient cela, je ne dis pas que des procédures seront
prises pour voir si c'est légal de permettre à un premier
ministre un bon matin de rêver a une constitution et de dire: Je vais
vous en donner une; même si
elle était bonne à ses yeux à lui. Il s'agit d'un
processus démocratique, c'est-à-dire que le peuple soit
consulté. Et dans cet examen de l'aspect juridique, nous avons
regardé s'il n'y avait pas une reconnaissance du droit à
l'autodétermination pour avoir une assise légale. Nous avons
trouvé la résolution de 1981 où l'Assemblée
nationale affirme le droit à l'autodétermination comme un droit
historique. Nous avons vu qu'en 1985 M. Gilbert Paquette avait
présenté un projet de loi qui n'avait pas abouti. M. Fabien Roy
en avait également présenté un. Donc, après la
signature du "Canada Bill", pour l'incorporation du Québec dans le grand
territoire canadien, il serait trop tard parce que les Nations Unies, c'est une
expression, je vous le dis humblement... On sait que les experts, les juristes
ne s'entendent jamais. C'est pour cela qu'il y a des avocats et des tribunaux.
D'ailleurs, on a vu les causes que le Québec a perdues en Cour
suprême et, pourtant, il y avait de savants juristes constitutionnalistes
qui disaient: Notre cause est bonne. On avait un droit de veto et on s'est fait
dire qu'on ne l'avait pas et aussi que le rapatriement ne pouvait pas
être fait sans l'accord du Québec. On ne pouvait pas imposer une
constitution. Bref, les experts et les avocats ne s'entendent jamais. C'est
pour cela que je parlais du doute tout à l'heure. Mais en ce qui
concerne le droit international, on dirait: Vous vous êtes
autodéterminés par la souveraineté de votre
Assemblée nationale en choisissant d'entrer dans la constitution
canadienne et vous n'avez pas fait de réserve de sorte que les
participants canadiens ont cru - ce sont toujours les juristes "internationaux"
qui parlent - en votre honnêteté et votre bonne foi et,
maintenant, ils ont acquis des droits sur le territoire
québécois. (17 heures)
C'est tellement vrai qu'ils ont acquis des droits sur le territoire
québécois qu'à midi, dans l'accord du lac Meech, mon
attention a été attirée sur cette phrase qui, au
début, ne m'avait pas frappé. C'est que la constitution du Canada
concordera avec la reconnaissance de I'existence d'un Canada anglophone
présent au Québec. Vous voyez arriver le Canada anglophone
tout-puissant maintenant, qui est présent, il est
constitutionnalisé au Québec. Les Nations Unies, le droit
international, la communauté internationale diraient: Vous vous
êtes autodéterminés. Vous saviez que le Canada anglais
serait présent chez vous. Vous l'avez accepté par votre premier
ministre qui était élu.
Laissez-moi vous dire, en terminant sur cette question, que je sais
qu'on pourra nous rétorquer qu'en régime parlementaire
britannique, c'est le Parlement qui est souverain. On sait que toutes les
constitutions au Canada, ce sont les premiers ministres - excusez l'expression
- qui ont joué dans cela, qui ont tripoté dans cela et qui les
ont imposées au peuple québécois, que ce soit par
l'Angleterre ou que ce soit par le Canada de M. Trudeau en 1981. En
conséquence, malheureusement, cette loi qui arriverait après
l'incorporation du Québec dans le Canada ne pourrait pas jouer en ce qui
concerne le droit international. Cependant, j'ajouterais que la
résolution de 1981 donnerait une assise juridique à quelqu'un qui
voudrait prétendre qu'on a violé une disposition, une loi ou une
quasi loi de l'Assemblée nationale qui reconnaissait que nous sommes un
peuple et que nous avons droit à l'autodétermination, que ce
serait un viol que de ne pas l'inscrire dans la constitution à moins que
l'Assemblée nationale ne se réunisse et ne modifie cette
disposition de 1981.
Je vois quelques têtes qui ne sont pas d'accord avec moi. Est-ce
qu'il me serait possible de vous dire qu'il me semble que le premier ministre
du Québec est lié, lié par la résolution de 1981?
Elle a force de loi et il ne peut signer aucun accord constitutionnel tant
qu'il y aura un impératif de l'Assemblée nationale de 1981 dont
j'ai fait lecture tout à l'heure.
Le Président (M. Filion): Merci. M. le
député de Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: Je demanderais une dernière précision
à Me Guy Bertrand. Si je comprends bien, même si l'entente du lac
Meech ne se concrétisait pas dans un accord constitutionnel, les
difficultés d'exercice du droit du peuple québécois
à l'autodétermination existent quand même, existeraient
quand même. Si j'ai bien compris votre exposé, ces
difficultés sont générées non pas
nécessairement par l'entente et l'accord possible résultant de
l'entente du lac Meech, mais par l'Acte de l'Amérique du Nord
britannique de 1867 lui-même. Au fond, qu'on signe ou qu'on ne signe pas
- vous me direz si j'ai tort - les difficultés d'exercice du droit du
Québec à l'autodétermination ou du droit à la
sécession persistent, elles sont là quand même.
M. Bertrand: J'aurais pu vous dire que l'existence des partis
québécois indépendantistes, par exemple, est
drôlement remise en cause par l'accord du lac Meech dans le sens que
l'objectif d'un parti politique, c'est de pouvoir s'exprimer dans un programme
pour atteindre une fin qui est légitime, qui est légale et, la
fin de trois partis politiques actuellement, c'est la souveraineté. Je
pense au Parti indépendantiste, au RDI, le Rassemblement
démocratique pour l'indépendance et au Parti
québécois qui, jusqu'à nouvel ordre, a encore la
souveraineté dans son programme. En
conséquence, ce serait leurrer la population que d'exprimer qu'un
jour on deviendra souverain, si on sait que c'est impossible à
réaliser. Dans ce sens, je ne suis pas sûr qu'on n'atteigne pas
directement le droit à la liberté d'expression.
J'ajouterais que le premier ministre du Québec, s'il faisait un
référendum demain matin ou une élection
référendaire, je crois qu'il perdrait sur cette question pour les
motifs suivants. Il y a au moins 40 % de la population qui est prête
à faire le saut pour retirer le Québec de la
fédération. Il y a une quantité incroyable de
Québécois qui sont prêts à continuer de subir comme
fédéralistes ou nationalistes, mais qui n'accepteraient pas de
signer un document en blanc donnant à une majorité la
possibilité de faire ce qu'elle veut sur le territoire
québécois, parce que les Québécois comprendraient.
Laissez-moi vous exprimer, M. le ministre délégué aux
Affaires intergouvernementales canadiennes, vous rappeler - vous le savez mieux
que moi - qu'en démocratie, c'est cinquante plus un qui mènent et
que le Québec ne mènera jamais dans le Canada. La seule place
où le Québec peut se faire des lois en conformité avec sa
société québécoise, qui n'est pas française,
une société québécoise qui inclut la culture des
anglophones, des Italiens, etc., et fait que le Québec n'est pas la
France, la seule façon pour nous d'être majoritaires, c'est chez
nous au Québec. Dans ce sens, les Québécois -advenant que
vous fassiez un référendum ou une élection
référendaire - préféreraient s'abstenir dans le
doute, comme ils l'ont fait en 1980, plutôt que de créer une
crise.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Bertrand.
Je vais reconnaître un porte-parole du groupe ministériel. J'ai
inscrit M. le député de Mille-Îles.
M. Bélisle: Merci, M. le Président. M. Bertrand,
j'aimerais vous amener sur le sujet du pouvoir de dépenser. Je suppose
qu'en toute franchise, comme vous êtes très franc avec nous
aujourd'hui, tout ce qui est pouvoir de dépenser du
fédéral est un droit que vous ne reconnaissez pas, si je
présume de votre logique. Le projet de loi C-3, qui s'intitulait Loi
concernant les contributions pécuniaires du Canada aux services de
santé, qui avait fait beaucoup de tapage en 1984 a été
adopté le 17 avril 1984 par le Parlement fédéral. Vous
vous souvenez que le ministre des Affaires sociales de l'époque,
l'actuel chef de l'Opposition, s'était écrié publiquement
à plusieurs reprises que le gouvernement fédéral
s'appropriait des pouvoirs des provinces en matière de définition
d'objectifs et de planification. Il avait fait une longue série
d'annotations sur les articles du projet de loi.
Ce matin, j'ai repris un à un les articles de la loi actuelle,
qui est le chapitre 6 des lois fédérales, et dans cette loi
apparaissent les mêmes dispositions que dans le projet de loi C-3. Je me
pose deux questions. Est-ce que vous en auriez appelé, est-ce que vous
seriez allé devant les tribunaux pour contester le pouvoir
fédéral de dépenser si vous aviez été membre
du gouvernement en 1984, soit entre le 17 avril 1984 et le 2 décembre
1985? Si oui, comment expliquer que l'ancien gouvernement, s'il ne croyait pas
au pouvoir fédéral de dépenser, ne l'ait pas fait?
M. Bertrand: M. le Président, je répondrai au
député que non, je n'aurais pas conseillé d'aller devant
les tribunaux parce que... Je sais qu'un jour les tribunaux pourront
peut-être lire ce que je vais dire là, mais j'ai peur des
tribunaux. Je sais que, devant les tribunaux, c'est souvent l'avocat le mieux
préparé et le plus convaincant qui gagne et les tribunaux sont
obligés de s'en tenir strictement aux règles de droit. C'est
difficile pour la population de faire la distinction entre la
légitimité d'un projet et la légalité. En 1981,
j'ai eu le plaisir de témoigner devant cette Assemblée, devant la
commission relativement au rapatriement de la constitution, et j'avais
modestement recommandé è M. Claude Morin de ne jamais aller
devant les tribunaux avec la question du droit de veto parce que, dans la
meilleure des hypothèses, on risquait de se faire dire qu'on l'avait et,
si on l'avait déjà, on l'a, et dans la pire des hypothèses
on risquait de se faire dire qu'on ne l'avait pas. Je n'aurais certainement pas
recommandé au gouvernement d'aller devant les tribunaux avec cette
question parce que c'est toujours danqereux de se faire dire qu'on n'a pas de
pouvoir.
M. Rémillard: Je vous remercie de cette...
Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître
maintenant M. le ministre déléqué aux Affaires
intergouvernementales canadiennes.
M. Rémillard: ...réponse. Évidemment, quand
vous parliez du droit à l'autodétermination, vous savez que
lorsque M. le chef de l'Opposition était ministre des Affaires
intergouvernementales canadiennes il s'était lui-même
prononcé. Il faudrait que M. le député de Lac-Saint-Jean
puisse se souvenir aussi qu'à ce moment-là il avait
été dit ceci, et je le cite textuellement. Cela a
été publié dans Le Devoir du 25 janvier 1985: "M.
Johnson a fait savoir que le Québec ne réclamera pas le droit
à l'autodétermination. Selon lui, le Québec l'a
déjà, ce droit. Il l'a exercé au moins à deux
reprises, lors de son adhésion à la confédération
en 1867 et lors du référendum de mai 1980. Le droit du peuple
québécois à l'autodétermination
constitue un des fondements mêmes de notre société
sur le plan constitutionnel depuis 200 ans et cela continuera. Au surplus,
estime le ministre, il serait extrêmement dangereux pour le Québec
de se voir opposer un refus à une demande d'inclusion juridique du droit
à l'autodétermination dans la constitution canadienne."
Quant aux expressions "peuple" ou "société", nous avons eu
ici le plaisir de recevoir M. le professeur Jacques-Yvan Morin qui était
ministre au moment où il a fait une déclaration. M. Jacques-Yvan
Morin nous disait, le 29 octobre 1983: "Ce qu'il faut, c'est reconnaître
qu'il existe une société québécoise. La
constitution - je le cite dans le texte - devra d'abord reconnaître
Québec comme une société distincte, ce qui, naturellement,
implique la juridiction exclusive sur la question qui touche sa culture". "Ce
qui naturellement implique", voilà les termes employés par
Jacques-Yvan Morin, professeur maintenant, ex-ministre et internationaliste de
renom. Cette expression a été utilisée, je crois, à
bon droit pour signifier que les Québécois ne sont pas simplement
un peuple, mais plus, parce qu'ils sont politiquement organisés et
qu'ils ont des institutionsc Ce qui nous caractérise, ce n'est pas
simplement une langue, c'est fondamentalement et essentiellement une culture et
une langue françaises, mais, en plus, c'est le fait que nous avons des
institutions, un gouvernement et une façon d'être et de vivre.
C'est ce qui fait que le Québec est distinct, c'est cela qu'on doit
mettre dans la constitution et c'est cela qui apparaît dans l'entente du
lac Meech.
On écrit en toutes lettres, pour la première fois, Me
Bertrand: dans la constitution canadienne, il sera inscrit que le gouvernement
du Québec et l'Assemblée nationale du Québec ont le
rôle de protéger et de promouvoir la spécificité du
Québec, c'est-à-dire tout ce contexte fondé sur une langue
et sur une culture françaises, mais comprenant des institutions, une
façon de vivre et une façon d'être. Ce sera la
première fois, et c'est une conséquence directe de l'entente du
lac Meech. C'est ce qui va nous permettre de plaider devant le tribunal. Vous
savez, vous qui êtes un eminent juriste et qui avez plaidé
à plusieurs reprises devant la Cour suprême, à quel point
une telle règle d'interprétation qui, dans le cas de ce
rôle qu'on donne au gouvernement à l'Assemblée nationale,
est plus qu'une règle d'interprétation, est véritablement
une base juridique d'action confirmant un rôle. Vous savez très
bien à quel point cela permettra au gouvernement et aux individus qui
auront à se présenter devant la Cour suprême de faire
valoir des droits en fonction de cette règle établie qui donne un
fondement juridique.
Cela ne changera pas le partage des compétences
législatives. L'assurance- chômaqe va demeurer
fédérale, mais dans combien de cas où il y a
ambiguïté et dans combien de cas où l'article 1 de la charte
canadienne sera en cause pour le test de la légitimité que vous
connaissez si bien, cet article pourra-t-il être plaidé comme un
élément important, très important, pour convaincre le
tribunal d'une action gouvernementale?
Le Président (M. Filion): En terminant, M. le
ministre.
M. Rémillard: En terminant, M. Bertrand, je voudrais vous
remercier de votre témoignaqe et vous dire que, pour moi, l'entente du
lac Meech est une entente historique qui permettra au Québec de devenir
un partenaire majeur dans la fédération. Vous avez raison, je ne
crois pas qu'elle permettra au Québec de faire l'indépendance,
dans les prochaines années à tout le moins.
Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition, de
consentement, puisque le temps est expiré de part et d'autre. Le temps
du ministre est expiré depuis trois minutes.
M. Lefebvre: Consentement de trois minutes.
M. Rémillard: Une question. S'il me l'adresse, est-ce
qu'il me permet d'y répondre?
M. Lefebvre: Question et réponse, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition, s'il
vous plaît!
M. Johnson (Anjou): Est-ce que le ministre me permettrait une
question? Oui?
Le ministre vient de dire que la clause de la société
distincte est plus qu'une clause d'interprétation. Elle est une base
d'action.
M. Rémillard: Une base juridique.
M. Johnson (Anjou): Une base juridique d'action
législative?
M. Rémillard: Qui pourrait... Oui, je pense que c'est une
base juridique qui, dans certains cas, pourrait aider à
interpréter le partage des compétences législatives.
Voulez-vous que je vous donne un exemple pour illustrer cela?
M. Johnson (Anjou): Oui. (17 h 15)
M. Rémillard: Prenons Radio-Québec qui est un
radiodiffuseur québécois, sous
juridiction québécoise parce qu'il s'agît d'un
radiodiffuseur éducatif. Cependant, vous savez comme moi, M. le chef de
l'Opposition, que c'est contesté presque chaque année et qu'il a
même été porté devant le CRTC à quelques
reprises une argumentation à savoir que le CRTC devrait donner un permis
non seulement en fonction des ondes hertziennes utilisées, mais en
fonction de la programmation de Radio-Québec, ce que le gouvernement
québécois a toujours refusé à bon droit. Cependant,
dans un cas comme celui-là, d'une part, on dit: Radio-Québec,
c'est fédéral parce que c'est de la radiotélévision
et que la radiotélévision, c'est fédéral. D'autres
disent: C'est provincial parce que c'est éducatif et que
l'éducation, c'est provincial. Dans ce cas-là, on pourrait
utiliser cette clause de société distincte et du rôle de
l'Assemblée nationale et du gouvernement pour protéger et
promouvoir cette distinction, pour aider le tribunal, dans son argumentation,
pour confirmer cette compétence du Québec sur
Radio-Québec. C'est un exemple.
M. Johnson (Anjou): Toujours une question additionnelle au
ministre là-dessus: Par contre, il y a TVOntarlo qui existe, qui est
exactement l'équivalent de Radio-Québec. Est-ce que c'est en
vertu du fait que "société distincte" s'appliquerait aussi
à l'Ontario?
M. Rémillard: Tout simplement pour répondre au chef
de l'Opposition, dans l'entente du lac Meech, l'Ontario n'est pas reconnu comme
société distincte. C'est pour cela que nous ne définissons
pas ce qu'on entend par "société distincte" mais qu'on laisse le
contexte très général, parce que, justement, il n'y a pas
deux, trois ou quatre provinces qui ont été reconnues comme
sociétés distinctes, il y en a une et c'est le Québec. On
sait pourquoi, parce que fondamentalement, essentiellement, cette
société québécoise est fondée sur une
langue, est fondée sur une culture française, avec en plus des
institutions, une façon d'être, une façon de vivre. C'est
dans ce contexte, M. le chef de l'Opposition, que l'Ontario n'est pas une
société distincte, n'a pas été reconnu dans
l'entente du lac Meech comme société distincte, mais le
Québec l'est.
M. Johnson (Anjou): Je dois comprendre que le ministre nous
dît que le fait que le Québec soit reconnu comme une
société distincte irait donc bien au-delà simplement d'une
clause d'interprétation. Cela permettrait, par exemple, d'influencer
l'application du partage des pouvoirs.
M. Rémillard: Cela pourrait aider le tribunal à
interpréter des cas d'ambiguïté concernant...
M. Johnson (Anjou); Le partaqe des pouvoirs.
M. Rémillard: ...le partage des pouvoirs. Je dis, je l'ai
dit et je le répète: cela ne change pas, cela ne modifie pas le
partage des pouvoirs. L'assurance-chômage, qui a été
donnée à la compétence fédérale en 1940, ce
n'est pas parce qu'on a une telle clause que cela va devenir de
compétence provinciale. C'est réglé, cela. Mais il y a
quand même beaucoup de cas qui peuvent se présenter où nous
sommes dans des situations d'ambiguïté et où on pourrait se
servir de cette clause pour faire pencher la balance du côté
québécois.
M. Johnson (Anjou): En matière de partage des pouvoirs et
de législation, par exemple dans les secteurs des communications, de la
lanque, de la culture au sens large, de l'éducation, des richesses
naturelles, des affaires municipales, du Code civil, de l'ensemble des
dispositions et des rubriques sous l'article 92?
M. Rémillard: Vous pouvez penser à beaucoup de
choses. Je laisse votre imagination juridique - parce que vous êtes
juriste aussi, non?
M. Johnson (Anjou): Ce n'est pas de l'imagination, on essaie de
faire du droit.
M. Rémillard: Je vous ai donné un exemple pour vous
mettre un peu sur la piste. Je laisse à votre interprétation le
soin de compléter cette piste. Vous voyez - et votre question me le
démontre très bien -l'implication que peut avoir cette clause qui
est interprétative, mais qui a aussi un aspect intéressant comme
base juridique, parce qu'elle fonde pour la première fois un rôle
qui appartient dorénavant au gouvernement et à l'Assemblée
nationale, un rôle qui ne modifie pas le partage des compétences
législatives, mais qui aide à l'interpréter.
M. Johnson (Anjou): Il faut se brancher. Ou bien cela a un effet
sur le partage des compétences ou cela n'a pas d'effet. C'est
là-dessus que j'interroge le ministre ce soir. Je pense que c'est un peu
au coeur des choses quant au non-sens que nous voyons dans
"société distincte" d'autant plus que la société
distincte va être interprétée à la lumière du
Canada bilingue. Il y a aussi une juxtaposition des deux paragraphes qui fait
qu'on dirait que la société distincte est comme une
réponse bien incomplète à nos yeux, du fait qu'il y a le
Canada bilingue qu'il faut aussi protéger et que c'est le rôle
fondamental des Législatures de le protéger. C'est une
caractéristique fondamentale de la fédération. Il y a un
rôle assez vaguement défini autour de la notion de
société
distincte.
Par ailleurs, j'essaie de réconcilier ce que me dit le ministre
avec tout ce que j'ai lu des débats... Comme vous le savez, votre chef
veut m'envoyer au Sénat, alors j'ai commencé à lire un peu
ce qu'il y a au Sénat. J'ai lu beaucoup de débats récents
au Sénat. J'ai lu des déclarations du premier ministre Mulroney
et, à des questions un peu comme celles que je vous pose, lui et M.
Murray opposent un non absolument catégorique; cela n'influencera en
aucune manière le partage des compétences. Quand vous me dites
que cela ne modifie pas le partage des pouvoirs aujourd'hui, mais que cela
pourrait le modifier éventuellement, on se comprend bien, vous vous
inscrivez tout à fait en faux contre ce que dit le premier ministre du
Canada, ce que dit Eugene Forsey, qui est un constitutionnaliste canadien, ce
que dit le sénateur Murray, responsable du dossier dans le cabinet
Mulroney, ce que disent un certain nombre de juristes du côté du
Canada anglais, ce que dit le président du Barreau canadien, M.
Williams, encore hier, qu'en aucune façon ils ne voient dans cette
disposition quelque possibilité qu'elle affecte de près ou de
loin le partage des compétences. Et, vous, vous me dites exactement le
contraire.
M. Rémillard: Non, moi, ce que je vous dis, M. le chef de
l'Opposition - cela confirme ce que le premier ministre du Canada disait et ce
que le sénateur Murray disait - c'est que cela ne modifie pas le partage
des compétences législatives. C'est clair.
L'assurance-chômage va quand même demeurer fédérale.
Cependant, c'est une règle qui pourra servir à interpréter
autant le partage des compétences législatives que d'autres
dispositions de la constitution ou l'article 1 de la charte dans un cas
d'ambiguïté, parce qu'il s'agit d'une règle
d'interprétation qui, dans une certaine partie, est aussi une base
juridique confirmant un rôle pour l'Assemblée nationale et le
gouvernement. Cependant, il est bien clair qu'il ne faut pas s'attendre
qu'à la suite de cette acceptation du fait qu'il y a une
société distincte au Québec dans la déclaration du
lac Meech... C'est un moment historique, c'est très important, mais il
ne faut pas penser que, le lendemain, le Québec a une modification de
son partage des responsabilités législatives comme telles,
formellement. Mais dans un cas d'interprétation devant un tribunal,
c'est un instrument intéressant qui pourra être utilisé par
les plaideurs.
M. Johnson (Anjou): D'accord. Une dernière question au
ministre. Je lui reposerais la même question, mais sous un autre angle.
Est-ce que vous êtes en train de me dire que, dans le fond, la Cour
suprême pourrait a cause de la clause de la société
distincte, disons dans le secteur des communications ou de quelque chose qui
serait plus ou moins vaquement relié à l'idée qu'on se
ferait à ce moment-là de ce qu'est une société
distincte, arriver à dire qu'une législation
québécoise peut être considérée comme
relevant du Parlement du Québec dans un secteur comme celui des
communications parce que c'est le Québec, mais ce ne serait pas le cas
pour les autres provinces au Canada? Et, dans !e fond, îl y aurait deux
sortes de partage des pouvoirs sur le plan des juridictions des provinces: il y
aurait le partage entre le fédéral et l'ensemble des provinces et
le partage entre le Québec et le fédéral.
M. Rémillard: Non, moi, je n'ai pas à me prononcer
ici sur une interprétation judiciaire en fonction des autres provinces.
Ce que je peux vous dire, c'est en fonction ici de l'interprétation qui
pourrait être donnée à des cas concernant le Québec.
Et, dans des cas concernant le Québec, îl est clair que le
tribunal devra tenir compte du fait que, maintenant, le Québec est une
société distincte. Je dis "devra", parce qu'il s'agit d'une
règle d'interprétation qui est obligatoire. Donc, c'est une
clause qui s'applique à l'ensemble de la constitution canadienne. Et le
partage des responsabilités législatives fait partie de la
constitution canadienne. Donc, cela s'appliquera au partage des
compétences législatives comme cela s'appliquera aussi à
l'article 1 de la charte. Cela ne change pas le partaqe des compétences
législatives, pas plus que cela ne change la charte. Ce que cela fait,
cela permet au tribunal d'interpréter en fonction d'une donnée
qui est nouvelle, qui est là pour la première fois dans notre
histoire. Il est là mentionné clairement que le gouvernement et
l'Assemblée nationale ont le rôle de protéger et de
promouvoir le caractère distinct de la société
québécoise.
Lorsqu'on dit qu'on ne définit pas ce caractère distinct,
qu'on ne sait pas si c'est le français, d'une part, je dois vous dire
qu'il n'y a pas d'autres provinces qui sont distinctes, cela se comprend.
D'autre part, en reconnaissant la dualité, on dit bien qu'il y a un
Canada francophone concentré mais non limité au Québec.
Donc, on confirme de fait, on reconnaît de fait la majorité
francophone du Québec.
M. Johnson (Anjou): Je vais essayer de cerner cela parce que je
trouve que les choses commencent à se préciser, en tout cas, dans
l'esprit du ministre; je ne sais pas si cela se précise de la même
façon à Ottawa, mais dans l'esprit du ministre je trouve que cela
commence à être un peu plus précis. Avec le raisonnement
qu'il vient de tenir, puisqu'il dit qu'à ses yeux cette
clause d'interprétation s'appliquerait à l'ensemble de la
constitution, je lui soumets le cas hypothétique suivant, en
étant conscient qu'on travaille sur des hypothèses, on travaille
même sur des bouts de papier de ce temps-ci, les communiqués du
lac Meech.
On sait qu'au Québec le mouvement coopératif a des racines
très profondes depuis M. Desjardins. On sait que ce mouvement
coopératif a des racines très profondes. On sait, par ailleurs,
que le développement du Mouvement Desjardins, qui l'a amené
à avoir des actifs qui sont, il faut en être conscient, dans les
milliards de dollars, est dû à un instrument économique
très important, au point où l'Assemblée nationale du
Québec, à l'occasion, est appelée à modifier...
J'aimerais que le ministre m'écoute attentivement pour être
sûr qu'il ne fera pas juste me relire le communiqué du lac Meech,
tout à l'heure, dans sa réponse; je l'ai lu comme lui, mais je
pose une question précise. Le Mouvement Desjardins se livre, depuis
quelques années, à des opérations de la nature de ce qu'on
appelle du "banking", des activités de nature bancaire dans ses
transactions, notamment sur le pian pancanadien et même sur le plan
international et ce, en vertu de la loi qu'on a adoptée ici, à
l'Assemblée nationale, qui lui permet de le faire.
Êtes-vous en train de me dire que la Cour suprême pourrait
décider, parce qu'on est une société distincte, que nos
dispositions qui autorisent le Mouvement Desjardins à faire des
transactions sur les changes internationaux à Londres ou ailleurs
pourraient être retenues comme faisant partie de la société
distincte, une extension de nos pouvoirs en matière de
propriété et de droits civils de l'article 92 qui nous
permettrait de pénétrer dans la loi des banques
fédérales, ou presque, alors que concernant les "credit unions",
Terre-Neuve, l'Île-du-Prince-Édouard ou une autre
société non distincte - enfin, si nous on l'est, elles doivent
l'être aussi à leur façon - ne pourraient pas adopter de
loi permettant aux "credit unions" de faire du commerce des taux de change, par
exemple, de travailler sur des taux de change et sur le commerce des taux de
change par des instruments internationaux et sur des marchés
internationaux? Ma question est assez précise. J'espère que le
ministre va pouvoir y répondre.
M. Rémillard: Si vous me permettez, je vais retourner
à mon tableau.
M. Johnson (Anjou): Ma question est assez précise...
M. Rémillard: Je vais y répondre parce que je
trouve que vous commencez aussi à comprendre et moi aussi, alors, si
nous commençons tous deux à comprendre, on pourra donner des
explications intéressantes.
Alors, évidemment, il est intéressant de lire la
dualité que vous voyez ici en fonction de l'existence d'un Canada
francophone concentré mais non limité au Québec, mais il
faut le lire avec l'article b) portant sur la reconnaissance que le
Québec forme au sein du Canada une société distincte et
relier le tout à ce dernier paragraphe. L'Assemblée nationale et
le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de
promouvoir le caractère distinct de la société
québécoise mentionné au paragraphe (l)b), ce qui veut dire
que dans un premier temps vous avez une reconnaissance de fait sur la
dualité, vous avez une règle d'interprétation, vous avez
même un engagement, l'engagement que les Parlements et les
Législatures des provinces dans l'exercice de leurs compétences
respectives prennent l'engagement de protéger la caractéristique
fondamentale. Alors, un engagement limité par le partage des
compétences législatives, alors que vous avez ici vraiment
l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec qui ont un
rôle, le rôle de protéger et de promouvoir le
caractère distinct. Donc, comment tout cela pourra-t-il être
interprété par le tribunal dans un cas, par exemple, mettant en
cause le droit civil, parce que je sais que vous tenez beaucoup au droit
civil?
Dans le cas du Mouvement Desjardins et des caisses populaires, vous
savez comme moi que les caisses populaires sont de compétence
provinciale, mais il n'y a quand même pas une décision de la Cour
suprême qui est venue clairement dire que c'est de compétence
provinciale. C'est une institution qui fait partie, je crois, de notre
fondement comme société et qui a fait partie, par son mouvement
coopératif, de notre société québécoise. (17
h 30)
On ne peut pas, parce qu'on a ici mentionné que
l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le
rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de
la société québécoise, aller à l'encontre du
partage des compétences législatives. Cependant, si on doit
utiliser ce qu'on appelle en droit constitutionnel le pouvoir ancillaire,
c'est-à-dire que vous avez le principal et vous devez avoir l'accessoire
qui suit le principal, quelquefois, l'accessoire peut être dans un autre
champ de compétence. Dans ce contexte, pour déterminer
l'accessoire qui suivra le principal, Radio-Québec, qui est
éducative et qui fait de l'accessoire radiotélévision, le
lien entre l'accessoire et le principal pourrait être favorisé par
cet élément qui donne ici à l'Assemblée nationale
et au gouvernement du Québec le rôle de protéger et de
promouvoir le caractère distinct de la société
québécoise.
Alors, c'est un élément qui sera là et qui sera
plaidé. Je ne peux pas vous dire aujourd'hui qu'à coup sûr,
cela va permettre au Québec d'avoir ces compétences
législatives. Ce que je peux vous dire, c'est que cela donne une
possibilité qu'on n'avait pas avant, une possibilité très
sérieuse.
Le Président (M. Marcil: Merci beaucoup, M. le ministre.
Donc, s'il y a.... Juste un instant, s'il vous plaît!
Le Président (M. Filion): Cela va de part et d'autre. Je
voudrais remercier notre invité, Me Guy Bertrand.
Sans plus tarder, je voudrais appeler nos prochains invités, les
représentants de l'Institut politique de Trois-Rivières. Est-ce
que les représentants de l'Institut politique de Trois-Rivières
sont dans la salle?
M. Lefebvre: M. le Président.
Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint du
gouvernement.
M. Lefebvre: M. le Président, je dois vous informer qu'on
ne pourra pas, tel que prévu, entendre M. Thérien,
président de l'Institut politique de Trois-Rivières, parce qu'il
y a eu de la confusion à la suite d'une demande de la Chambre de
commerce de Montréal, qui était l'intervenant prévu
à 20 heures, d'être entendue plutôt à 17 heures.
Cette demande avait été dirigée au secrétariat des
commissions. Par la suite, le bureau du ministre a discuté avec des
représentants de la chambre de commerce en leur indiquant que,
possiblement, il pourrait y avoir un déplacement de leur intervention
à 17 heures plutôt qu'à 20 heures. Finalement, la Chambre
de commerce a retiré sa demande.
Alors, on se retrouve dans la situation suivante. L'Institut politique
de Trois-Rivières, représenté par M. Thérien,
à la suite de toute cette confusion, n'est pas présent. Je
devrai, dans les circonstances, vous demander de suspendre les travaux
jusqu'à 20 heures. J'allais suggérer 19 h 30, sauf que le
député de Gouin m'indique que la formation de l'Opposition ne
peut pas être présente à 19 h 30. Je suggère qu'on
reprenne à 20 heures, M. le Président, et qu'on entende à
20 heures, dans l'ordre, l'Institut politique de Trois-Rivières, la
Chambre de commerce de Montréal et l'Union des producteurs
agricoles.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin, je vais vous donner la parole. Mais juste avant, j'aurais une question
à poser au leader adjoint. Avez-vous dit que les représentants du
bureau du ministre avaient communiqué avec les intervenants?
M. Lefebvre: Non. Le secrétariat des commissions a
informé le cabinet du ministre que la chambre de commerce avait
demandé que son intervention soit déplacée, soit à
17 heures plutôt que 20 heures. Le cabinet du ministre, d'après
une communication, sauf erreur, du représentant de l'Institut politique
de Trois-Rivières, M. Thérien, aurait indiqué que - sans
évidemment décider à votre place, M. le Président -
effectivement la demande aurait pu être agréée.
Subséquemment, il y a eu une discussion au cours de la journée
pour vérifier si on ne pouvait pas convenir de déplacer les
intervenants, mais on sait que vers 15 heures, cet après-midi, la
chambre de commerce a communiqué avec le secrétariat des
commissions pour dire qu'elle préférait finalement être
entendue, comme prévu, à 20 heures. Tout cela a
créé la confusion à laquelle j'ai fait
référence tout à l'heure, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Avant de vous donner la parole,
M. le député de Gouin, je voudrais signaler ceci aux membres de
la commission. D'abord, en ce qui concerne le secrétariat de la
commission, nom avons un horaire qui nous vient d'ailleurs d'une
décision prise en séance de travail et le secrétariat des
commissions, par le biais de sa secrétaire, Mme Giguère, qui est
avec nous, a toujours avisé les personnes, les groupes et les
associations qu'ils devaient se présenter à l'heure
indiquée. Durant le temps dont vous faites mention, à savoir
qu'il y avait possibilité d'intervertir l'ordre de deux groupes,
même à ce moment-là, j'avais demandé à la
secrétaire d'aviser les groupes que l'heure prévue,
jusqu'à nouvel ordre, était l'heure fixée à notre
horaire de travail, ce qu'elle a fait. En ce sens, je me pose
véritablement la question suivante: Comment se fait-il que les
représentants de l'Institut politique de Trois-Rivières ne soient
pas ici, sinon que quelqu'un leur aurait dît de ne pas se
présenter à cette heure-là, mais plutôt de se
présenter à 20 heures, ce que je regrette hautement? En deux
mots, l'horaire de la commission appartient à la commission et, si un de
nos invités ne peut se présenter ou quoi que ce soit, il doit
aviser la commission. Si des cabinets de ministres ou celui du premier ministre
sont intervenus dans l'horaire de nos travaux, je le déplore hautement.
Mais je me pose la question: Comment se fait-il que les représentants de
l'Institut politique de Trois-Rivières ne soient pas ici alors qu'ils
ont manifesté le désir d'être présents?
M. Lefebvre: M. le Président, ce que je vous ai dit, c'est
que le secrétariat de la commission avait indiqué au cabinet du
ministre que la chambre de commerce avait demandé que son intervention
soit dépla-
cée à 17 heures plutôt qu'à 20 heures. J'ai
eu l'occasion, au cours de la journée, d'en discuter avec vous et avec
le député de Gouin ce matin, à 11 heures environ. Â
ce moment-la, on a dit qu'on verrait à accommoder tous Ies intervenants.
Sauf qu'entre-temps - et c'est ce que Je vous ai mentionné tout à
l'heure - la chambre de commerce a retiré sa demande en nous indiquant
que, finalement, 20 heures, cela lui convenait. M. le Président, je ne
vous ai pas mentionné tout à l'heure que le cabinet du ministre
avait autorisé le déplacement de l'horaire. Ce n'est pas ce que
je vous ai dit. Je vous ai dit que le secrétariat des commissions avait
indiqué au cabinet du ministre qu'une demande avait été
faite dans ce sens par les représentants de la chambre de commerce.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Gouin.
M. Rochefort: Oui, M. le Président. Vous me permettrez
d'abord de manifester mon étonnement de voir que les travaux de notre
commission semblent encore une fois être organisés en d'autres
lieux qu'au sein même de la commission ou qu'au secrétariat de
notre commission. C'est assez surprenant de voir l'exécutif,
c'est-à-dire le gouvernement, intervenir directement dans l'organisation
des travaux de la commission. C'est sûrement particulier et propre,
j'imagine, à une nouvelle pratique qui semble vouloir se dessiner autour
du dossier constitutionnel.
D'autre part, dois-je souligner que, ce matin, on nous a reproché
du côté gouvernemental, parce qu'on souhaitait donner la parole
à tous ceux et à toutes celles qui avaient demandé la
parole, de faire perdre leur temps aux membres de la commission, disait-on? Je
note que, par les tergiversations et l'immixtion dans l'organisation de nos
travaux d'instances gouvernementales, nous allons effectivement perdre 30
précieuses minutes qui auraient pu être consacrées à
amorcer l'audition du groupe préalablement prévu à
l'horaire de la commission, à partir de la motion qui avait
été imposée par la majorité ministérielle
à l'occasion de la séance de travail de jeudi dernier. Donc, je
me vois surpris qu'on se retrouve avec une perte d'une trentaine de minutes,
minutes précieuses pendant lesquelles on aurait pu poursuivre notre
travail, compte tenu des interventions auxquelles on a eu droit ce matin, selon
lesquelles on nous reprochait d'offrir ou de vouloir que tous ceux et toutes
celles qui voulaient se faire entendre puissent l'être effectivement.
D'autre part, je tiens à souligner qu'il s'agit d'un
problème d'horaire occasionné par un groupe qui n'a jamais, en
aucun moment, à travers le processus habituel, régulier, normal,
usuel, fait une demande pour être entendu à la commission des
institutions sur l'entente intervenue au lac Meech. Je pense que c'est une
illustration additionnelle de l'état de précipitation, de
l'état d'improvisation, dans lequel baigne l'organisation des travaux de
cette commission depuis que le gouvernement, le premier ministre en tête,
a décidé de limiter cette commission dans le temps, de faire en
sorte que cette commission ne puisse pas travailler à l'intérieur
d'un cadre régulier, qu'elle soit en tout temps forcée d'aller
rapidement à l'intérieur de délais très
serrés, très rapides qui lui sont fixés. Je pense que ce
n'est que le résultat d'une cacophonie, d'une précipitation et
d'une improvisation dans l'organisation du travail de cette commission,
auxquelles le gouvernement a présidé depuis le tout début,
ce qui fait qu'on va perdre 30 minutes précieuses des travaux de notre
commission au cours desquelles on aurait pu entendre des groupes prévus
par le gouvernement lui-même. Donc, je veux souligner ce que je vois,
c'est qu'on nous fait perdre un temps précieux et que c'est encore une
fois dû au fait que trop de gens interviennent dans l'organisation d'un
processus normalement parlementaire et non pas gouvernemental.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le
député de Gouin. M. le leader adjoint du gouvernement.
M. Lefebvre: Contrairement aux prétentions du
député de Gouin, je considère que nos travaux à ce
jour ont respecté le calendrier prévu. La semaine
dernière, tout s'est bien déroulé. Il y a eu des
discussions auxquelles a participé le député de Gouin ce
matin autour d'une demande de la Chambre de commerce de Montréal. Le
député de Gouin était d'accord tout comme moi pour
accommoder la Chambre de commerce de Montréal. Qu'on cherche maintenant
à politiser la demande de la chambre de commerce, M. le
Président, je trouve cela un peu décevant. Pour reprendre la
suggestion du député de Gouin, je vous inviterais, à tire
de président de la commission, à indiquer peut-être au
personnel du secrétariat de ne plus d'aucune façon communiquer
avec un groupe ni avec l'autre, M. le Président, de se limiter à
vous informer vous.
Quant à l'inquiétude du député de Gouin,
à savoir si on pourra reprendre le temps perdu, je suggère que
nous reprenions, M. le Président, non pas à 20 heures, mais
à 19 h 30. De notre côté, nous sommes prêts à
reprendre à 19 h 30. J'ai l'assurance que les représentants de la
chambre de commerce, à partir de 19 h 30, seront disponibles et, quant
à nous, nous n'avons aucune objection à inverser l'ordre des
intervenants. Nous pourrions commencer à 19 h 30 avec M. Daoust,
président de la Chambre de commerce de Montréal, de sorte que, M.
le Président, au lieu de terminer nos travaux à 22 heures, on
terminerait à 22 h 30. Alors, je ne crois qu'il y ait là
matière à faire un très long débat, 22 h 30
plutôt que 22 heures, si on reprenait à 19 h 30 plutôt
qu'à 20 heures, M. le Président.
Le Président (M. Filion): M, le député de
Gouin.
M. Rochefort: Vous me permettrez sûrement un commentaire
pour souligner qu'il semble que le leader adjoint du gouvernement ait
décidé d'organiser les travaux probablement lui-même, M. le
Président, si je comprends bien. Vous êtes en train de nous dire
que la chambre de commerce lui a fait part de sa disponibilité à
19 h 30 non pas à vous, mais au ministre peut-être? Mais vous
venez de dire que vous avez des informations selon lesquelles ils sont
disponibles à compter de 19 h 30, ce n'est sûrement pas au plafond
que vous avez vu apparaître cela.
Une voix: Ah! Ah! Ah!
M. Rochefort: Voyons doneï Alors, M. le Président, de
deux choses l'une: ou il est au courant, ou il n'est pas au courant. S'il n'est
pas au courant, il y a une chose simple, c'est de se taire. M. le
Président, ce que je dirai, c'est qu'effectivement, ce matin, on nous a
sensibilisés à un problème d'organisation des travaux.
Jamais notre réaction ce matin a été de donner une
réponse définitive, on a donné notre réponse cet
après-midi. Contrairement à ce que le leader adjoint vient de
laisser sous-entendre, ce n'est pas à 11 heures ce matin que nous avons
donné notre accord à une inversion de l'organisation et de la
présentation des groupes.
Deuxièmement, M. le Président, il n'a jamais
été prévu dans nos conversations qu'il y aurait l'absence
d'un groupe à un moment où la commission doit siéger, ce
devant quoi nous nous retrouvons.
Troisièmement, M. le Président, effectivement,
l'Opposition n'est pas disponible à 19 h 30, parce nous avions
espéré qu'à l'intérieur de votre improvisation au
moins vous respecteriez les propres horaires que vous avez imposés par
ta force de la majorité, le poids de la majorité, à la
séance de travail. Nous avons effectivement organisé une
réunion du groupe parlementaire de l'Opposition de 18 heures à 20
heures parce que vous n'aviez pas prévu que nous siégerions entre
18 heures et 20 heures. En conséquence, M. le Président, nous
tiendrons notre réunion du caucus. Les retards que nous avons
accumulés dus à l'incapacité de la majorité
ministérielle d'organiser des travaux, parce qu'elle avait
décidé de les organiser elle-même de façon
convenable, feront en sorte qu'on finira avec une heure de retard ce soir au
détriment de l'Union des producteurs agricoles qui avait
été convoqué pour 21 heures et qui ne pourra
comparaître avant 22 heures parce que le gouvernement, encore une fois,
est entré avec ses gros sabots dans l'organisation des travaux de notre
commission, M. le Président.
M. Lefebvre: M. le député de Gouin est d'une
susceptibilité inquiétante. Je n'ai jamais prétendu qu'il
m'avait indiqué ce matin, à 11 heures, qu'il serait d'accord. Ce
que j'ai dit, c'est que depuis 11 heures ce matin on discute d'une demande de
la chambre de commerce en ce sens qu'elle souhaitait être entendue
à 17 heures plutôt que 20 heures. Je n'ai jamais prétendu
qu'il y avait acquiescé. Même nous du côté
ministériel, M. le Président, nous avons dit: On verra. Ce que je
suggère finalement, M. le Président, étant donné
que l'Opposition n'est pas disponible pour 19 h 30, c'est qu'on reprenne nos
travaux à 20 heures.
Quant à l'information que j'ai obtenue depuis 15 heures cet
après-midi et même avant, M. le Président, on essaie de
régulariser la situation provoquée par la confusion due à
une demande faite de bonne foi par la chambre de commerce, qu'on a voulu,
accommoder sans conséquence pour l'avenir du Québec ni non plus
pour celui du Canada. M. le Président, que la chambre de commerce soit
entendue à 17 heures, à 20 heures ou à 22 h 30, je ne
crois pas que ce soit là une raison pour que tout le Québec soit
en état de panique, comme le laisse entendre le député de
Gouin. Il ne faudrait quand même pas exagérer, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): D'accord.
M. Lefebvre: Cela arrivera probablement encore d'ici à la
fin de nos travaux qu'on soit obligé de réajuster l'horaire, M.
le Président. Quant à moi, je ne vois pas de drame à ce
qu'on doive le faire.
Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.
M. Johnson (Anjou): Juste quinze secondes. Je dirai simplement au
député de Frontenac, le leader adjoint du gouvernement, qu'il ne
s'agit pas de mettre le Québec en état de panique. Il s'agit que
vous respectiez un peu le Parlement!
Le Président (M. Filion): Oui. En terminant, je voudrais
signaler ceci aux membres de cette commission. Premièrement,
je n'admettrai pas qu'on cherche à faire porter un blâme,
quel qu'il soit, par le personnel, le dévoué personnel du
secrétariat des commissions parlementaires qui a dû, dans ce
cas-ci, agir avec beaucoup de hâte pour préparer nos travaux, pour
que les avis de convocation soient envoyés, ce qu'il a fait avec
efficacité, dynamisme et grand dévouement. Je sais pertinemment
du personnel du secrétariat qu'il ne donne pas instruction à un
groupe de ne pas se présenter tant qu'il n'y a pas une décision
de prise à cet effet et que je leur communique la décision.
Deuxièmement, quant à l'avenir, pour éviter
semblable confusion, serait-il possible de demander aux différents
membres de personnel de cabinets, que cela soit d'un ministre ou du premier
ministre, ou à qui que ce soit, de bien vouloir s'abstenir
d'interférer dans nos travaux pour qu'on puisse avancer avec un minimum
de décence sur un dossier d'une importance capitale pour le
Québec et dans lequel nous oeuvrons depuis le début sur une base
de contrainte de temps où il y a extrêmement de pression sur
nous.
Troisièmement, nos travaux sont suspendus jusqu'à 20
heures ce soir. Merci.
M. Lefebvre: Si vous permettez...
Le Président (M. Filion): J'ai suspendu les travaux.
Excusez-moi, M. le leader.
(Suspension de la séance à 17 h 47)
(Reprise à 20 h 16)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaîtl
La commission des institutions poursuit le mandat qui lui a
été confié par l'Assemblée nationale. Nous
continuerons ce soir à entendre les représentations des groupes,
individus et organismes relativement à l'entente intervenue au lac Meech
le 30 avril 1987 concernant la constitution canadienne.
Notre horaire d'aujourd'hui a été modifié,
étant donné l'absence bien involontaire des représentants
de l'Institut politique de Trois-Rivières, de sorte que nous entendrons
ce soir les représentants de cet institut. Par la suite, nous entendrons
les représentants de la Chambre de commerce de Montréal et nous
terminerons la soirée avec l'Union des producteurs agricoles.
Sans plus tarder, j'inviterais M. Marcel Thérien,
président de l'Institut politique de Trois-Rivières, à
bien vouloir, tout d'abord, nous présenter la personne à sa
gauche et à nous faire part de son exposé durant environ 20
minutes.
Institut politique de Trois-Rivières
M. Thérien (Marcel): Merci, M. le Président. J'ai
l'honneur de vous présenter Mme Thérèse Landry,
vice-présidente de l'Institut politique de Trois-Rivières.
Quelques mots peut-être sur l'institut politique, organisme
original et non partisan. Original parce qu'il est constitué de
personnes qui appartiennent à différents partis politiques qui
veulent, en se rencontrant, montrer qu'on peut être d'opinions diverses
et être ' des amis. L'institut politique veut aussi intéresser les
jeunes à la politique de diverses façons, et c'est ce qu'il a
fait, par exemple, en instituant le prix Sénateur-Jacques-Bureau,
décerné chaque année à un jeune qui manifeste de
l'intérêt pour la politique.
Nous vous remercions, M. le Président, mesdames et messieurs de
la commission, de nous avoir invités à dialoguer avec vous sur ce
qu'il est convenu d'appeler les accords du lac Meech. Nous considérons,
bien sûr, que c'est un honneur et un privilège et, si nous sommes
devant vous, c'est parce que nous avons la conviction d'être en mesure de
vous apporter des points de vue oriqinaux ou, tout au moins, qui n'ont pas
été très sauvent mis de l'avant. Nous devons dire
immédiatement que nous sommes très heureux d'appuyer le
gouvernement de notre province qui veut reprendre la place qui lui revient dans
la Fédération canadienne.
D'ailleurs, il n'est pas inutile de rappeler que ce sont des
parlementaires québécois, francophones et anglophones, qui, avec
leurs collèques de l'Ontario, du Nouveau-Brunswick et de la
Nouvelle-Écosse, ont été à l'origine de la
confédération. Canadiens français et Canadiens anqlais se
sont alors entendus pour rejeter l'État unitaire et pour promouvoir une
fédération formée de provinces qui étaient
souveraines dans leurs domaines respectifs et qui laissaient à
l'État central un certain nombre de pouvoirs. Ce pays, après 120
ans, est devenu une nation riche et prospère qui occupe les premiers
rangs dans le monde par son produit national brut, par son niveau de vie et,
bien sûr, disons-le aussi, par la qualité de vie qu'on y
trouve.
Au tout début, permettez-moi de féliciter le premier
ministre du Canada et tous les premiers ministres provinciaux, à
commencer bien sûr par l'honorable premier ministre du Québec, M.
Robert Bourassa, pour avoir réussi vraiment ce tour de force de
s'entendre sur un texte qui, s'il est entériné par les
gouvernements provinciaux après avoir été consigné
dans un document juridique, permettra enfin au Québec de reprendre dans
la dignité sa place au sein de la famille canadienne. Nous
félicitons les premiers ministres qui ont mis le pays avant leur parti,
avant les égoïsmes régionaux, avant leurs
égoïsmes culturels, et nous espérons que tous les membres
de
l'Assemblée nationale pourront dire, à l'instar de John
Turner, qu'avant d'être libéraux, conservateurs ou
péquistes ils sont Canadiens.
Nous pensons qu'il est important de mentionner que les électeurs
québécois ont, dans le passé, massivement contribué
à l'élection du gouvernement de Pierre Trudeau à qui nous
devons le rapatriement de la constitution et l'adoption de la Charte canadienne
des droits et libertés. Un fait, qu'on aime ou qu'on n'aime pas, est
indéniable; ce sont les électeurs canadiens-français
partout au Canada où ils avaient quelque influence qui ont élu
des députés du Parti libéral du Canada. Les conservateurs,
d'ailleurs, et les néo-démocrates ont donné leur appui
à la loi du Canada. Notons, encore aujourd'hui, l'unanimité des
partis politiques canadiens à appuyer les accords du lac Meech.
Nous déplorons vivement l'usage d'insultes et d'injures de la
part de ceux qui s'opposent aux accords du lac Meech, injures et insultes dont
ils abreuvent le premier ministre du Québec et tous ceux qui estiment
qu'il est temps que le Québec prenne sa place de membre "senior"
à la table constitutionnelle. Nous pensons que les expressions
"traître", "vendu", "stupide" et "fourbe" que l'on emploie sont indignes.
Nous n'acceptons pas non plus les qualificatifs injustes que l'on associe aux
accords: piège à ours, carcan, machiavélisme, et j'en
passe. Pour nous, tous les parlementaires sont de bonne foi, honnêtes et
intelligents. Je me trompe peut-être, mais c'est ce que je crois. Les
divergences de vues qu'ils manifestent découlent du fait qu'ils ne
s'entendent pas sur des objectifs nationaux à poursuivre. Les uns
veulent que le Canada existe comme nation et ils se disent bons Canadiens tout
en étant de fiers Québécois. Les autres ne parlent jamais
du Canada et de leurs responsabilités comme Canadiens; ils ne pensent
qu'aux intérêts québécois et, encore, ils font
l'erreur d'assimiler Québécois à francophones.
Il n'est jamais facile d'en arriver à un accord dans une
rencontre comme celle du lac Meech, surtout si l'enjeu est
considéré comme plus ou moins important par les parties et que
chacun tient, comme c'est normal, à ses idées. C'est pourquoi
nous devons reconnaître les grands talents de négociateurs des
personnes qui étaient présentes. La négociation,
d'ailleurs, nous devons le reconnaître, se fait par des compromis. Il
faut beaucoup de souplesse, beaucoup de psychologie, beaucoup de respect de
l'autre. Aussi faut-il rendre hommage à toutes ces parties. Et le fait
que les onze premiers ministres se soient entendus pour signer une entente de
principe a été généralement très bien
accueilli. Comme je le disais tantôt, c'est un vrai tour de force. Il ne
manquait pas de gens au Canada pour croire que c'était tant mieux,
d'autres que c'était tant pis pour le Canada si le gouvernement
provincial continuait de refuser de siéger. Le Québec
continuerait à être soumis à la constitution canadienne
avec ses avantages et ses inconvénients parce que personne, la grande
majorité des gens, ne veut pas quitter la fédération. Bien
certainement, le fait que le Québec ne signe pas, cela paralyserait, le
processus constitutionnel, et des réformes souhaitées ne seraient
pas réalisées. Mais la Terre pourrait continuer de tourner et les
réformes souhaitées ne seraient pas réalisées. Mais
pensez qu'en ce moment il serait peut-être très important que le
Québec mette sa signature è l'accord constitutionnel à la
veille du sommet francophone de septembre. Que pensera-t-on du Québec,
qui ne serait pas un membre à part entière du Canada, lors de
cette grande conférence qui se tiendra ici même dans notre
ville?
Les accords du lac Meech, d'ailleurs, reconnaissent l'existence sur le
territoire canadien d'un Canada francophone et d'un Canada anglophone. N'est-ce
pas ce que nous cherchions depuis longtemps? Maintenant, nous l'avons. Le
Parlement canadien et les Législatures s'engagent à
protéger l'une et l'autre de ces communautés selon leur
compétence respective. Nous constatons que ce texte ne limite pas au
Québec la communauté francophone. D'ailleurs, celle-ci a
déjà des droits reconnus par la constitution qui reconnaît
les deux langues officielles. Notons, en passant, que c'est la Loi sur le
Canada et non le "Canada Bill", comme certains l'appellent faussement. Faut-il
répéter que la Loi sur le Canada a été
adoptée dans les deux langues? Ceux qui parlent de cette loi comme
étant le "Canada Bill" rendent un mauvais service à la langue
française et à la vérité.
Dans les accords du lac Meeeh, on parle du Québec comme d'une
société distincte. Il est question, d'ailleurs, du
caractère distinct du Québec. Cette société
distincte qu'on mentionne ne doit pas être confondue avec le Canada
francophone qui, bien sûr, est beaucoup plus vaste.
On a pris soin de ne pas définir ce qu'est la
société québécoise et en quoi elle a un
caractère distinct. Certains voudraient que l'on définisse ces
termes. Quant à nous, avec notre expérience, nous sommes d'avis
que définir, c'est limiter. Il faut bien se rendre compte que les
caractères d'une société ne sont pas statiques. Qui
prétendra que la société québécoise de 1987
est identique à celle que nous avons connue il y a 50 ans? Le
Québec de 1987 s'est radicalement transformé. C'est maintenant
une province industrialisée, très largement urbanisée.
C'est une province dotée de nombreuses universités, de tout un
réseau scolaire et collégial. L'Église et la famille
ont perdu quelque importance. Le Québec est devenu la province,
malheureusement, qui a le taux de natalité le plus faible de toutes les
provinces. La communauté anglophone a perdu beaucoup d'importance dans
la province et, parallèlement, les Canadiens français se sont
affirmés dans tous les domaines: dans l'industrie et le commerce, dans
les banques et les assurances, dans les professions et, en particulier, dans le
génie. On les retrouve ailleurs au Canada, aux États-Unis et dans
le monde et cela est dû à de nombreux facteurs qu'on pourrait
identifier et cela, à l'intérieur d'un cadre
fédératif qui nous régissait, preuve que le cadre
fédératif n'était pas aussi mauvais que certaines
personnes pouvaient le laisser croire.
Mais, hélas, tout n'a pas été positif dans ces
changements. Il faut déplorer le départ de nombreux
Québécois, la faible natalité dont j'ai parlé plus
tôt, l'exode des sièges sociaux, notre incapacité à
attirer les immigrants, le taux élevé de chômage. À
qui la faute? Si la population du Québec n'a augmenté que de 2
000 000 au cours des 40 dernières années, alors que celle de
l'Ontario s'est accrue de 4 000 000, c'est la faute du peuple qui vit dans
cette province d'abord, qui n'a pas été accueillant envers les
étrangers. (20 h 30)
Parlons maintenant de quelques-unes des suggestions précises des
accords du lac Meech. Le Sénat et la Cour suprême. En vertu de ces
accords, la Cour suprême continuera de garder 33 % de ses membres qui
seront des Québécois, 25 % au Sénat, alors que le nombre
de députés restera proportionnel à la Chambre des
communes. Pour l'instant, il n'est pas question que le Sénat, bien
sûr, soit électif mais le gouvernement canadien s'engage à
nommer les sénateurs et les juges à partir de listes fournies
directement par le Québec. Ceci nous semble une excellente suggestion en
attendant l'existence de juges et de sénateurs élus, si
l'ensemble des provinces le souhaite. Le Québec conserve donc dans la
Confédération canadienne son poids politique et judiciaire.
Droits individuels et collectifs. Il y a dans certains milieux une
tendance à opposer droits individuels à droits collectifs. II ne
faudrait pas que l'exercice des droits individuels fasse obstacle aux droits
collectifs. Par ailleurs, ceux-ci ne doivent pas être invoqués
pour brimer le droit des personnes. C'est pourquoi il est important que le
Québec respecte la Charte canadienne des droits et libertés. Nous
pensons que, si le Canada doit rester un pays, il est important que cette
charte ait préséance partout au pays. Le Québec est
destiné, avons-nous dit plus tôt, à conserver une grande
influence à la Chambre des communes. Son poids politique continuera de
s'y faire sentir. Il faudra bien certainement que nous envoyions à
Ottawa des hommes de valeur capables de comprendre leurs responsabilités
vis-à-vis de la nation canadienne et non pas des petits politiciens qui
ne pourraient penser plus loin que leur région.
On a tort en certains milieux de considérer comme un adversaire
le gouvernement fédéral. C'est un gouvernement où les
nôtres ont toujours joué un rôle important. Nos hommes
politiques ont la plupart du temps été très
respectés à Ottawa. Sans doute peut-on citer des exceptions. Si
le Parti conservateur a été longtemps éloigné du
pouvoir au XXe siècle à la Chambre des communes, c'est à
cause de l'absence d'une base solide au Québec et surtout au
Québec français. Et quand ce parti a pris le pouvoir en 1958 et
1984, on a vu qu'il avait réussi à faire élire un bon
nombre de députés au Québec. L'honorable Joe Clark est
tombé en 1979 parce que, lui, il n'avait pas réussi. En 1984,
Mulroney s'est repris et il l'a emporté en faisant élire un
nombre imposant de députés au Québec.
Parlons maintenant de l'immigration. Au lac Meech, on a
élaboré une formule précise pour satisfaire le
Québec dans le domaine de l'immigration, formule qui d'ailleurs avait
été proposée plus tôt par le gouvernement du Parti
québécois. Nous disons bravo, mais il faut réussir. Plus
que cela, il faut garder les immigrants. II faut donner aux enfants de ces
immigrants une solide éducation en langue française et aussi en
langue anglaise. Ce serait malheureux de les priver de moyens qui puissent leur
permettre de communiquer avec les membres de leur communauté ethnique au
Canada ou aux États-Unis si on les privait de la connaissance de
l'anglais.
En parlant d'immigration, il y aurait peut-être lieu
d'étudier les moyens à prendre également pour
empêcher l'émigration des cerveaux, l'émigration des
entrepreneurs. Cela nous a fait mal. Une enquête a démontré
que de nombreux jeunes anglophones songent à quitter le Québec.
Ils sont pourtant des nôtres. Ils sont ici, souvent, depuis 200 ans. Nous
avons la responsabilité de tout faire pour les garder et peut-être
les assimiler comme nous en avons assimilé d'autres.
Le Québec a retrouvé au lac Meech le veto dans certains
domaines et c'est excellent. Quant au droit de retrait avec compensation,
certains se demandent si cette mesure ne nuira pas à la
fédération. Nous ne le pensons pas, parce que le gouvernement
fédéral restera toujours le maître d'oeuvre avec la
collaboration des provinces. Nous pensons que, si les parlementaires
fédéraux issus du Québec et les parlementaires provinciaux
du Québec s'unissaient sur une matière importante, ils auraient
un poids
politique certain dans n'importe quel domaine. Je suis convaincu que si,
un jour, les hommes politiques, quel que soit le parti auquel ils
appartiennent, qu'ils soient à Québec ou à Ottawa,
formaient un bloc, ils réussiraient à faire changer le cours des
choses,.
Faisons des hypothèses. Pourquoi les deux provinces centrales qui
ont de nombreux intérêts communs ne se consulteraient-elles pas
plus fréquemment? Ensemble, elles comptent plus de 60 % de la population
canadienne et elles devraient pouvoir s'entendre. Ensemble, elles pourraient
également mettre sur pied des collaborations dans le domaine culturel.
D'ailleurs, est-ce que cette collaboration n'existe pas déjà dans
le domaine de l'éducation et aussi, pour une certaine part, dans la
radiotélévision? On pourrait accentuer cette collaboration entre
les deux provinces centrales.
Le pouvoir de dépenser. Voilà un domaine qui aura
l'occasion d'être revu attentivement. C'est l'évidence même
que les provinces n'ont pas toutes le même revenu ni les mêmes
responsabilités financières. Le principe de la
péréquation et le droit de retrait sont des subtilités que
le Canada a adoptées dans l'intérêt des provinces et, en
particulier, du Québec. Avec les nouveaux accords, le Québec
pourra profiter de compensations et ne pas dire non à certains
programmes nationaux. Sans doute devra-t-il s'accommoder des objectifs
nationaux qu'il faudra respecter.
Le Canada est un pays avancé sur le plan des avantages sociaux.
Cela est dû à la souplesse de son fédéralisme. Les
Pères de la confédération n'avaient pas tout prévu,
mais ils ont fait confiance aux parlementaires qui seraient élus par les
Canadiens; je pense qu'ils n'ont pas eu tort. Nous devons présumer de la
bonne foi de nos partenaires dans l'établissement du meilleur
régime possible. Nous devons avoir confiance dans l'avenir et aussi
donner moins d'importance aux pessimistes et aux extrémistes qui ne sont
peut-être pas très nombreux, mais qui savent malheureusement faire
les manchettes. Il y a ceux qui voudraient que le Québec redevienne
unilingue anglais. Il y a ceux qui souhaiteraient la disparition de tout
vestige des anglophones. Et, heureusement, il y a ceux qui, avec des nuances,
cherchent la formule idéale. Souhaitons qu'ils soient de plus en plus
nombreux et qu'ils influencent positivement la législation.
Permettez-moi, en terminant cet exposé, de vous dire que nous
estimons que le Canada français et le Canada anglais sont les
éléments constitutifs de la nation canadienne. C'est cette
dualité canadienne qui constitue un des caractères distinctifs,
à des titres divers et d'une façon différente
peut-être, de l'ensemble du pays et de chaque province canadienne. Le
caractère distinctif du Canada et celui de chaque province sont
formés de plusieurs éléments dont l'importance relative
peut varier avec les époques. Imagine-t-on, par exemple, ce qui
arriverait à la Colombie britannique si, un jour, elle accueillait 1 000
000 de Chinois. Cela altérerait évidemment la
société de cette province, mais n'aurait probablement qu'une
légère influence sur la société dans les autres
provinces canadiennes.
La présence en sol québécois d'une minorité
anqlophone vivante et dynamique a eu une influence considérable sur la
société québécoise. Cette influence a
été bénéfique non seulement du point de vue
commercial et industriel, mais également du point de vue culturel,
social et scientifique; certains ont peut-être tendance à
l'oublier. Cette présence anglophone a été
également bienfaisante parce qu'elle nous a permis d'acquérir de
nouveaux citoyens que nous avons assimilés et qui sont maintenant des
Canadiens français, qu'ils s'appellent Johnson, O'Neil ou autrement, qui
ont des noms anglais. Ils sont devenus des vrais Canadiens français, des
vrais Québécois.
Cette présence anglophone au Québec n'a pas
empêché l'épanouissement de la communauté de langue
française. Nous dirions qu'au contraire elle nous a stimulés. Le
Québec s'est transformé grâce aux pouvoirs que lui
conférait l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Le poids de
la société francophone canadienne, fortement appuyé sur le
Québec majoritairement français, a été ressenti
à Ottawa et dans tout le Canada. Cette présence francophone est
maintenant solidement implantée, et de multiples façons, partout
dans notre pays. Cette communauté francophone aura d'ailleurs l'occasion
bientôt de s'affirmer à la face du monde entier à
l'occasion du prochain sommet francophone. Ne serait-ce pas merveilleux si,
pour cette occasion, le Canada pouvait avoir maintenant le Québec
è la table constitutionnelle?
Quelqu'un a dit que jamais les circonstances n'avaient été
aussi favorables au rapprochement du Québec et nous pensons que c'est
vrai. Nous avons un premier ministre canadien qui est un
Québécois et qui comprend bien l'importance du Canada
français. Il y a également à Ottawa deux autres chefs de
parti qui sont très bien disposés envers le Québec et le
fait français, II y a à la Législature de l'Ontario un
premier ministre qui a vécu au Québec et qui parle bien le
français. Par chance, les deux autres chefs de parti à Toronto
parlent également le français et sont également bien
disposés. On ne devrait pas oublier non plus le premier ministre du
Nouveau-Brunswick qui a déjà consacré le caractère
bilingue de sa province.
Messieurs et mesdames, régions vite le problème
constitutionnel et, ensemble,
travaillons à bâtir un Québec fort et puissant,
chaînon important dans un Canada riche et prospère. Travaillons
à l'amélioration de la santé des Québécois.
Attachons-nous à mieux parler et à mieux écrire le
français. Incitons nos jeunes à rechercher l'excellence.
Continuons par nos missionnaires, par nos coopérants à assurer la
présence du Canada français dans le monde. Encourageons nos
artistes, nos scientifiques à développer leurs talents.
En terminant, disons qu'il faudrait peut-être également
préparer les Québécois anglophones et francophones ou,
encore, d'origine slovaque ou suédoise, à regagner la coupe
Stanley pour les Canadiens de Montréal ou les Nordiques de
Québec. Merci.
Le Président (M. Filion): Merci, M. Thérien. Je
vais laisser la parole à M. le ministre délégué aux
Affaires intergouvernementales canadiennes pour amorcer avec vous la
période de discussion.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. M.
Thérien, Mme Landry, je voudrais tout d'abord vous remercier de vous
être déplacés ce soir pour venir témoigner devant
nous. Vous représentez l'Institut politique de Trois-Rivières, un
institut, comme vous me l'avez mentionné, qui n'est pas partisan. Vous
n'êtes pas ici pour représenter un parti politique, mais pour
représenter des idées.
Nous avons pu constater, de par votre mémoire et votre
présentation, que ce sont des idées dont vous avez la conviction.
Vous l'avez exprimée. Vous avez souligné, à très
juste titre, que l'entente du lac Meech était une entente qui
résultait d'un consensus canadien et qui était le résultat
aussi d'une négociation menée fort habilement par le premier
ministre du Québec, M. Bourassa. Vous avez parfaitement raison.
M. Thérien, vous soulignez dans votre exposé un
problème très sérieux auquel est confronté le
Québec: la dénatalité. Vous avez parfaitement raison de
souligner ce problème parce que nous avons un taux de natalité,
comme vous le savez, qui est le deuxième plus bas des pays
industrialisés, immédiatement après l'Allemagne de
l'Ouest. Lorsqu'on sait qu'il faut, en moyenne, environ 2,2 de taux de
natalité pour une société industrialisée pour
maintenir simplement sa population, le Québec avec environ 1,2 de taux
de natalité est évidemment dans une situation
particulièrement difficile. Dans ce contexte, M. Thérien, est-ce
que vous considérez que l'entente du lac Meech, en ce qui regarde
l'immigration, pourrait nous aider à combler ce problème que nous
avons de natalité et de population au Québec? (20 h 45)
M. Thérien (Marcel): C'est une façon sans doute, M.
le Président, mesdames et messieurs. Mais je pense qu'il faudrait peut-
être faire appel aux femmes québécoises pour qu'elles
songent à donner plus d'enfants à la patrie. J'ai
mentionné le fait que nous devrions aussi conserver chez nous les gens
qui y sont, plutôt que de les laisser partir. L'exode des cerveaux, un
exode qui malheureusement nuit à des pays en Europe, en Afrique, ici,
nous a malheureusement fait beaucoup de tort. Je pense que c'est
peut-être quelque chose en plus de l'immigration, mais essayons de
prévenir l'émigration.
Le Président (M. Filion): Cela va. Merci, M. le ministre.
M. le député de Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: Une simple remarque, simple commentaire. Je suis un
peu surpris, M. Thérien, de voir que vous n'ayez pas jugé bon de
dire un seul mot sur la dimension linguistique de la situation
québécoise. Quand vous parlez de société distincte,
qu'elle ne soit pas du tout définie, cela semble vous satisfaire; c'est
du moins ce que vous indiquez. Vous dites qu'il faut bien se rendre compte que
les caractères d'une société ne sont pas statiques. J'en
conviens avec vous. Plusieurs traits caractéristiques d'une
collectivité évoluent dans le temps, certains disparaissent,
d'autres apparaissent. Mais si, un jour, les citoyens et citoyennes qui
habitent le Québec n'ont plus comme trait caractéristique ou
comme composante essentielle de parler français, vous conviendrez avec
moi que le peuple québécois n'existera plus. Il aura tout
simplement disparu.
Vous ne trouvez pas utile qu'à tout le moins pour ce qui est de
la société distincte, comme plusieurs l'ont réclamé
- je pense à M. Dion, à M. Dumont, plusieurs experts qui sont
venus la semaine dernière - on indique, on spécifie cette
composante essentielle qu'est le caractère français du
Québec? Je ne vous demande pas de réclamer, comme d'autres
groupes l'ont fait - je pense à la CSN aujourd'hui - la pleine
juridiction de l'Assemblée nationale en matière linguistique.
Vous ne trouvez pas qu'il serait pour le moins utile, pour ce qui est de la
société distincte, qu'on ajoute cela, comme le suggérait
et le proposait d'ailleurs M. Dion? Il proposait même un amendement
précis qui, justement, indiquait le caractère français du
Québec pour que, lorsque les tribunaux auront à recourir à
cette clause d'interprétation, ils comprennent au moins cette
précision qui n'est pas négligeable et qui n'est pas
secondaire.
M. Thérien (Marcel): Permettez-moi de voua répondre
ceci. J'ai parfaitement confiance en l'avenir du français non seulement
au Québec, mais dans l'ensemble du Canada. Et j'ajouterai ceci. Une
langue ne s'impose pas par la force. Quand on connaît
l'histoire des Polonais, on se rend compte que les Allemands, les
Prussiens et les Russes ont essayé de faire perdre sa langue au peuple
polonais et qu'ils n'ont pas réussi. Je peux dire que nous ne
réussirons pas par la force, mais que nous avons déjà
réussi énormément. Je pense que les progrès que le
français connaît en ce moment partout au Canada et le fait que
nous ayons obtenu que nos partenaires canadiens reconnaissent la dualité
du Canada devraient nous suffire. Je ne crois pas les pessimistes. Quelque
prestigieux que leur nom puisse être, ils sont des pessimistes, et je les
laisse de côté. Moi, je suis un optimiste, et je crois que la
situation actuelle démontre que le français a fait des
progrès immenses. J'ai un âge que je peux dire respectable, et je
peux témoigner du progrès énorme que le français a
réalisé au Québec, à Montréal et dans
l'ensemble du pays.
Le Président (M. Filion): Cela va, M. le
député de Lac-Saint-Jean?
M. Brassard: M. le Président, peut-être un simple
commentaire. Les francophones du Manitoba, du camp de Riel, étaient
aussi très optimistes quant à l'avenir du français au
Manitoba. Us ne préconisaient sans doute pas des moyens contraignants
pour sauvegarder le français. On sait ce qui est arrivé.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le
député de Lac-Saint-Jean. M. le député de
Bourget.
M. Trudel: Merci, M. le Président. M. Thérien, vous
parlez à la page 7 d'une collaboration entre les deux provinces
centrales, dites-vous, que sont l'Ontario ou le Québec, et vous
mentionnez - je vous cite, parce que cela m'a surpris de retrouver cela dans
votre texte - à la quatrième ligne: "Ensemble elles pourraient
également - en parlant des deux provinces, évidemment -mettre sur
pied des collaborations dans le domaine culturel." Je ne sais pas si vous
êtes au courant qu'il existe une commission, une sous-commission,
devrais-je dire, culturelle regroupant l'Ontario et le Québec. J'ai eu
l'honneur et le plaisir de coprésider cette commission lorsque
j'étais sous-ministre aux Affaires culturelles, il y a plusieurs
années, et je pense qu'on a développé là, entre les
deux provinces à tout le moins, un ensemble de projets et de programmes
intéressants. J'aimerais vous entendre là-dessus puisque vous
semblez, quand je vous dis cela, acquiescer, en me disant: Oui, je suis
d'accord, cette chose-là existe.
M. Thérien (Marcel): Cette collaboration existe
déjà dans différents domaines. Je pense en particulier au
domaine de la radio et de la télévision. Elle existe dans le
domaine du tourisme où nous faisons une propagande conjointe pour faire
connaître certaines possibilités touristiques de nos deux
provinces. Elle existe déjà, mais je pense qu'elle devrait se
développer encore davantage. Nous avons intérêt à le
faire de multiples façons. Je ne suis évidemment pas en mesure de
vous les donner d'une façon précise, mais je peux vous dire qu'il
y a des choses qui se font. D'ailleurs, l'Ontario a déjà
commencé en nommant ici, à Québec, un représentant
et je crois que M. Stevenson qui parle un français admirable est
très bien disposé et nous voyons en ce, moment un effort
considérable de la part de l'Ontario pour comprendre le Québec
et, plus particulièrement, le Québec français.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le
député de Bourget. M Thérien, ainsi que Mme Landry, au nom
de tous les membres de cette commission, je veux vous remercier de votre temps
et de l'énergie que vous avez investie à faire votre
mémoire ainsi que de la disponibilité que vous avez
manifestée pour nos discussions.
M. Thérien (Marcel): Merci.
Le Président (M. Filion): Merci. Sans plus tarder,
j'inviterais les représentants de la Chambre de commerce de
Montréal, que j'ai aperçus un peu plus tôt, à bien
vouloir prendre place à la table des invités afin que nous
puissions, sans suspension, entreprendre cette deuxième étape de
nos travaux de la soirée.
Je reconnais au centre M. Marcel Daoust, président de la chambre
de commerce. Bienvenue, bonsoir.
Chambre de commerce de Montréal
M. Daoust (Marcel): Bonsoir.
Le Président (M. Filion): Donc, sans plus tarder, je pense
que vous connaissez déjà nos règles du jeu: 20 minutes
sont consacrées, plus ou moins, à votre exposé, et ensuite
une période de 40 minutes est dévolue aux échanges de
propos avec les parlementaires. Avant votre exposé, je vous inviterais
à présenter les personnes qui vous accompagnent.
M. Daoust: M. le Président, à ma gauche, Me Raynald
Langlois qui est responsable du comité ad hoc pour la préparation
de ce mémoire. À ma droite, Luc Lacharité,
vice-président exécutif de la Chambre de commerce de
Montréal.
La Chambre de commerce de Montréal est heureuse de
répondre à l'invitation qui lui a été faite,
à la fois par le gouvernement et par l'Opposition, d'exposer son
point
de vue sur l'accord du lac Meech. De prime abord, on pourrait être
surpris que la Chambre de commerce de Montréal, qui regroupe
essentiellement des gens d'affaires actifs dans tous les secteurs de notre
économie, soit intéressée à se prononcer sur une
question qui semble aussi éloignée de ses préoccupations
quotidiennes que peut l'être l'avenir constitutionnel du Québec et
du Canada.
En fait, on est trop souvent tenté de croire que la question
constitutionnelle est le territoire réservé des politiciens, des
professeurs d'université et des journalistes qui analysent et qui
commentent les déclarations des premiers et des seconds. Rien n'est
moins vrai. La constitution étant en quelque sorte l'âme d'un
pays, elle a une influence sur toutes les activités de la nation, y
compris ses activités économiques. C'est l'une des raisons qui
motivent notre intérêt, nous de la Chambre de commerce de
Montréal, à l'endroit de l'accord survenu il y a quelques jours
au lac Meech.
Comptant plus de 7500 membres provenant de quelque 2000 entreprises et
institutions, la Chambre de commerce de Montréal, comme vous le savez,
fête cette année son centième anniversaire. Il y a 100 ans,
la chambre a été fondée dans le but de promouvoir les
intérêts des gens d'affaires canadiens-français; le mot
"Québécois" n'était utilisé à
l'époque que pour désigner les citoyens habitant la ville de
Québec. Même si la promotion des intérêts des
Canadiens français par la Chambre de commerce de Montréal
s'exerçait de façon fort différente et souvent plus
pragmatique que dans les milieux universitaires, politiques ou culturels, il
est indéniable qu'elle a participé, au cours des années,
à de très nombreux débats dits nationalistes qui
dépassaient largement les seules questions économiques. Nous n'en
mentionnerons que quelques-uns pour fins de mémoire: l'épineux
débat sur l'avancement des francophones dans l'administration
fédérale durant les années quarante, la création de
l'impôt québécois sur le revenu des particuliers durant les
années cinquante et, plus récemment, tout le débat sur la
langue et la lutte contre le projet de loi S-31 à Ottawa.
Bien que nous n'ayons pas la prétention d'être des
spécialistes des questions constitutionnelles, il nous apparaît
capital d'intervenir, au nom de nos membres, dans le débat actuel et
nous vous sommes reconnaissants de nous avoir permis de le faire dans le cadre
de cette commission parlementaire.
En guise d'entrée en matière, nous voudrions d'abord
souligner à quel point nous trouvons rassurant de constater que notre
régime politique fonctionne toujours aussi bien et qu'après
toutes ces années de déchirement les premiers ministres de toutes
les provinces et celui du Canada soient en mesure de s'asseoir ensemble et de
s'entendre sur ce qu'ils considèrent être le bien commun de toute
la nation.
Sans présumer des modifications qui pourraient résulter de
la présente commission parlementaire, des autres assises semblables qui
se déroulent probablement ailleurs au pays, ou de la négociation
finale qui aura lieu sous peu à Ottawa, la Chambre de commerce de
Montréal tient à souligner à quel point elle
considère urgent qu'une entente acceptable à tous soit
signée. Lorsque cette entente sera enfin signée, il sera à
nouveau passible de concentrer nos efforts sur tout un éventail de
sujets qui commandent notre attention immédiate.
Bien que nous soyons une chambre de commerce, nos préoccupations
en ce domaine ne se limitent certes pas aux seules questions commerciales.
Elles touchent également les aspects sociaux et culturels qui nous
permettront de demeurer cette société distincte que tous, enfin,
semblent accepter comme une réalité.
En signant l'accord constitutionnel, le Québec pourra reprendre
ses activités qui, mieux que toute loi, garantissent son avenir.
L'accord intervenu au lac Meech entre le premier ministre du Canada et les dix
premiers ministres provinciaux constitue un développement
intéressant pour les objectifs que poursuit la Chambre de commerce de
Montréal.
D'abord, la Chambre de commerce de Montréal se réjouit
qu'on soit parvenu à un accord qui permette au Québec d'accepter
le principe de la Loi constitutionnelle de 1982. Il était
déplorable, à la fois pour le Québec et les
Québécois qui y oeuvrent, que la province ait été
isolée depuis la Loi constitutionnelle de 1982. C'était, à
notre avis, une situation anormale qui ne pouvait que nuire au
développement social, politique et économique de la province. (21
heures)
D'un point de vue économique, cet accord contribue à
mettre fin aux incertitudes qui ne peuvent être que néfastes
à la conduite des affaires économiques. La situation
d'affrontement qui a suivi les négociations constitutionnelles de 1981
entre, d'une part, le gouvernement du Québec et, d'autre part, le
gouvernement fédéral et le reste du Canada ne pouvait
qu'être défavorable à l'essor économique de
Montréal, entre autres, en créant un climat d'incertitude, ce qui
est toujours mauvais pour les affaires. Le développement
économique de Montréal ne peut faire autrement que d'avoir un
effet d'entraînement sur la prospérité du reste de la
province. Sous cet aspect, le fait d'en arriver à une entente constitue
un avancement majeur de la position du Québec au sein de la
Fédération canadienne.
À notre avis, il y avait un danger que la situation d'isolement
du Québec persiste et qu'elle fasse en sorte que le Québec soit
absent des grandes décisions sur l'orientation économique du pays
et, par conséquent, de la province. Il y avait danger latent que les
autres provinces et le pouvoir central tendent vers une attitude qui
normaliserait le processus de prise de décision en l'absence du
Québec. Un correctif devait être apporté. Le fait
d'être parvenu à un accord permettra d'aller de l'avant et de
porter plus d'attention à des problèmes importants qui
étaient jusque-là éclipsés par ce qui paraissait
être l'interminable débat constitutionnel. Il est
indéniable que la question du statut constitutionnel est capitale et
c'est pour cela qu'elle devait être réglée en premier lieu.
Oésormais, nous pourrons consacrer toutes nos énergies à
l'amélioration du statut social, culturel et économique des
Québécois.
M. Langlois (Raynald): M. le Président, nous allons
maintenant parier de concertation nationale. Sous cet aspect,
l'enchâssement du principe d'une conférence annuelle des premiers
ministres sur l'économie, prévue actuellement par le protocole
d'entente de février 1985, contribuera à mettre en oeuvre cette
réaffectation des énergies de nos dirigeants. Cet accord, en plus
de faire en sorte que le Québec retrouve sa place au sein de la
Fédération canadienne, a aussi permis le règlement de
certains différends constitutionnels qui font depuis longtemps l'objet
de longues négociations. Nous allons en commenter brièvement
quelques-unes qui intéressent plus particulièrement la chambre de
commerce.
Par le biais d'un moyen constitutionnel reconnu valide depuis longtemps,
on permet la mise en place de programmes qui entraînent une harmonisation
et une concertation à l'échelle nationale dans deux secteurs
économiques qui ont un impact important, sinon déterminant, sur
la vie des citoyens et la conduite des affaires.
En marge de cette concertation nationale, il y a d'abord la clause
concernant le pouvoir de dépenser qui permet de préserver les
particularismes provinciaux. En effet, on y prévoit un droit de retrait
avec compensation dans la mesure où la province accepte de mettre sur
pied des programmes compatibles avec les objectifs nationaux, ceci sans
remettre en cause le processus de concertation et d'harmonisation qui est
à la base.
La Chambre de commerce de Montréal ne partage pas les
appréhensions de ceux qui voient dans cette partie de l'accord un
mécanisme qui, premièrement, consacre un pouvoir
fédéral de dépenser dans des domaines de compétence
provinciale exclusive et, deuxièmement, permet au gouvernement
fédéral d'imposer ses objectifs aux provinces. La
réalité politique nous apparaît toute autre, notamment
à l'égard du Québec. En effet, la simple menace d'un
retrait par une province aussi importante que le Québec d'un programme
national, sans mettre sur pied un programme compatible, devrait constituer une
force de négociation susceptible d'inviter le gouvernement central
à modifier ses priorités afin de les rendre plus compatibles avec
celles de la province ou des provinces récalcitrantes, incluant celle du
Québec. La Chambre de commerce de Montréal ne nie pas que la
déclaration de principe fournit des appuis à ceux qui nourrissent
des appréhensions à l'égard du pouvoir de dépenser
tel qu'il sera dorénavant enchâssé dans la constitution. La
chambre de commerce souhaite que les textes finaux protègent clairement
les priorités provinciales et évitent, dans la mesure du
possible, qu'on puisse déjouer ce que pourraient être les
objectifs véritables de l'accord.
En marge de la concertation nationale, il y a aussi l'immigration.
Compte tenu qu'au Québec l'immigration est un phénomène
surtout présent dans la région montréalaise, l'accord fait
en sorte de rendre plus stable et surtout plus prévisible le processus
de sélection et d'accueil des immigrants dans la société
montréalaise. Cela permettra une intégration plus souple des
immigrants dans la société montréalaise et
québécoise en général. Cela permettra aussi de
respecter les caractéristiques fondamentales de la société
québécoise et de diminuer les frictions inhérentes
à une immigration non contrôlée. A ce chapitre, la Chambre
de commerce de Montréal trouve tout particulièrement
intéressant que l'on soit d'accord pour confier au Québec
l'exclusivité des services en matière de réception et
d'intégration, y compris l'intégration linguistique et
culturelle, des ressortissants étrangers avec une pleine compensation
fédérale.
La Chambre de commerce de Montréal considère qu'en plus de
rendre au Québec la place qu'il n'aurait jamais dû cesser d'avoir
cet accord nous apparaît globalement favorable à la population du
Québec. Cet accord ne couvre évidemment pas tous les risques
inhérents à la cohabitation du Québec avec le reste du
Canada; telle n'est pas non plus sa prétention, du moins, il nous
semble.
La chambre ne peut toutefois conclure sans dire un mot sur le
caractère distinct du Québec. On sait jusqu'à quel point
la région de Montréal a été particulièrement
touchée par les tensions culturelles et sociales des quinze
dernières années. Plusieurs mémoires de la Chambre de
commerce de Montréal adressés à différentes
commissions parlementaires et au gouvernement du Québec, notamment sur
la lanque officielle, ont invité les responsables politiques du
Québec à
rechercher un consensus sur les questions fondamentales qui - ont trait
à l'identité québécoise. À cet égard,
il nous apparaît que l'accord du lac Meech marque un gain important pour
le Québec parce qu'on a réussi à arracher aux partenaires
fédéral et provinciaux une reconnaissance qu'ils s'étaient
refusé de nous accorder jusqu'alors. Certains auraient souhaité
que le caractère distinct soit précisé quant à son
contenu, mais cela nous apparaît irréaliste comme objectif dans le
contexte présent. Le seul fait de la reconnaissance du principe devrait
nous suffire, d'autant plus qu'en définissant le contenu on risque d'en
limiter la portée et d'en empêcher l'évolution.
Il est certain que l'accord du lac Meech n'a pas donné au
Québec et aux Québécois tout ce qu'ils auraient pu
souhaiter obtenir sur le plan constitutionnel. Mais on ne peut se permettre
encore une fois de rater l'occasion qui se présente de faire progresser
la situation du Québec au sein de la Fédération
canadienne. Ceci étant réalisé, nous pourrons nous
consacrer en toute quiétude à d'autres points de l'agenda
politique qui revêtent un caractère beaucoup plus pressant
aujourd'hui. Le développement économique du Québec est
certainement le plus pressant.
Le Président (M. Filion): Merci, M. Daoust et Me Langlois.
Tout d'abord, je voudrais évidemment accepter le dépôt du
mémoire que vous venez de lire et, avec la permission des membres de
cette commission, faire de même pour le mémoire de l'Institut
politique de Trois-Rivières dont j'avais oublié le
dépôt tantôt. Merci de cet exposé.
J'inviterais donc M. le ministre délégué aux
Affaires intergouvernementales canadiennes à amorcer l'échange de
vues avec nos invités.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. le
président Daoust, M. Lacharité, Me Langlois, je voudrais tout
d'abord vous remercier de venir témoigner ce soir devant cette
commission. Votre mémoire est particulièrement intéressant
parce qu'il fait, je crois, le tour de cette entente du lac Meech, dans toutes
ses composantes ou à peu près, et soulève des points
particulièrement importants. Il y en a un qui m'apparaît
très intéressant et que vous venez de souligner, Me Langlois, en
terminant, concernant cette clause qui consacre le caractère distinct du
Québec, disant donc que le Québec est une société
distincte, qui le consacre non pas dans le préambule de la constitution,
mais dans un article de la constitution, qui fera partie de la constitution du
Canada dans son ensemble, qui aura application dans l'ensemble de la
constitution du pays et qui n'est pas facultatif, mais obligatoire. On a bien
le mot "doit", les tribunaux devront en tenir compte. Ce concept de
société distincte, pour la première fois, est
utilisé, relié - vous l'avez très bien souligné -
au fait que, pour la première fois aussi, dans notre droit
constitutionnel, on reconnaît le rôle du gouvernement du
Québec et de l'Assemblée nationale du Québec de
protéqer et de promouvoir cette spécificité
québécoise.
Vous mentionnez, Me Langlois, que, selon vous, il vaut mieux ne pas
définir cette société distincte parce qu'on risque alors
de limiter la portée de ce concept de société distincte.
Vous êtes un éminent juriste. Vous avez plaidé et vous
plaidez toujours très souvent devant tous les tribunaux et devant la
Cour suprême. Vous avez plaidé plusieurs causes très
célèbres du droit constitutionnel canadien. Vous avez donc
l'expérience des tribunaux. Vous avez été aussi - et je
peux en témoigner - un excellent professeur de droit, mais vous
êtes aussi un praticien spécialiste des questions
constitutionnelles. Vous avez même écrit - je devrais le dire
aussi parce que je connais vos écrits - dans les cahiers de droit, entre
autres, sur des points de droit particulièrement intéressants
reliés à la radiocommunication, aux questions de commerce, points
très difficiles. Donc, Me Langlois, de par cette expérience que
vous avez comme juriste, de par cette expérience que vous avez comme
plaideur devant les tribunaux et, en particulier, devant la Cour suprême
du Canada, pourriez-vous expliciter ce point que vous avez
développé brièvement devant nous tout à l'heure,
selon lequel, si on définit, on risque de limiter la portée de ce
concept de société distincte?
M. Langlois: M. le ministre, je vous remercie de vos
commentaires. Je devrais peut-être quitter immédiatement face
à ces commentaires. En fait, voici le dilemme qui se présentait,
j'imagine, à ceux qui avaient à négocier cette question du
caractère distinct du Québec. C'est soit de l'ériger en
principe constitutionnel comme tous les autres, l'insérer dans un
article particulier de la constitution au même niveau que bien d'autres
énoncés de la constitution ou l'élever au rang d'un
article qui doit transcender toute la constitution. L'option qui a
été choisie et qui m'apparaît celle que reflète
l'accord du lac Meech, c'est la deuxième option. C'est de faire du
caractère distinct du Québec une matière qui est un
principe qui doit transcender tous les textes constitutionnels en en faisant un
texte d'interprétation. Dès qu'on fait ce choix, il
m'apparaît incompatible avec ce choix de vouloir définir, parce
que le principe lui-même devient une règle
d'interprétation. C'est dans tous les éléments de la
constitution, que ce soient les textes de 1867 ou les textes plus
récents qui ont été
adoptés à la suite de 1867 jusqu'au texte de 1982; c'est
au contenu de ces textes, interprétés avec le bagage politique,
social et culturel, que Ies tribunaux se réfèrent lorsqu'ils
veulent connaître l'intention du constituant. C'est avec tout ce bagage
que le principe prend vraiment toute son importance et toute sa
réalité.
Nous avons dit, évidemment, dans le texte du mémoire de la
chambre de commerce, pour être bref, qu'à définir on limite
la portée d'un texte. C'est vrai en droit statutaire. C'est encore plus
vrai en droit constitutionnel. D'ailleurs, les grandes décisions en
matière de droit constitutionnel nous enseignent la distinction qui
existe entre une loi constitutionnelle et une loi ordinaire. Une loi ordinaire
est une loi précise, qui règle des problèmes particuliers
et prévoit des remèdes très particuliers, alors qu'un
constitution est un contrat social généralement
rédigé dans des termes beaucoup plus généraux,
beaucoup plus larges, qui prêtent à interprétation parce
qu'on doit permettre à ce texte constitutionnel d'évoluer. Si on
s'était assis, par exemple, en 1867, pour tenter de définir le
caractère distinct du Québec par rapport au reste du pays, on
aurait rédigé rien d'autre que la loi de 1867 telle qu'elle
existe. Si on s'assoit aujourd'hui et qu'on tente de définir ce qu'est
le concept de la société distincte, on a en tête beaucoup
plus que ce que les Pères de la confédération de 1867
avaient ou ceux qui ont été présents aux qrandes
discussions constitutionnelles des années 1926 à 1930 avaient
à l'esprit. Si on voulait limiter, par exemple, le caractère
distinct du Québec à une simple reconnaissance culturelle, toute
importante que soit la question culturelle et linguistique - elle est
fondamentale, quant à moi - ce n'est pas la seule. Il faut penser
à nos institutions financières qui sont très distinctes au
Québec, à nos institutions municipales, à une foule de
choses, à notre droit civil, somme toute, des réalités qui
existent déjà dans des textes constitutionnels. Lorqu'ils
n'existent pas en termes exprès, ils ont été
mentionnés par les grands interprètes de la constitution à
un moment donné lorsque se sont posés des problèmes
particuliers.
Peut-être que c'est ma formation d'avocat qui m'amène - je
conclurai comme suit - à être un peu partial à
l'égard des juges. J'ai très confiance en la quiétude, la
réflexion judiciaire dans le calme des cabinets de juge, en dehors du
brouhaha politique, alors qu'on a le temps de bien analyser les principes. Ils
peuvent évidemment se tromper. Ce sont tou3 d'anciens avocats. Donc, par
définition, ils ne sont pas infaillibles. Mais, de façon
générale, avec tous les mécanismes d'appel qui existent,
on a une réflexion qui est très "mature" normalement. On peut
être en désaccord avec le résultat en certaines
circonstances, mais, lorsque les juqes interprètent la constitution, ils
font vraiment un retour pour être respecteux de l'histoire, respecteux de
l'historique législatif, respecteux également de la
réalité sociale. Et comme on l'a appris depuis au moins 60 ans,
à la suite d'une grande décision bien connue du Conseil
privé, la constitution doit évoluer et les textes doivent
être rédigés de façon à lui permettre
d'évoluer. (21 h 15)
C'est une longue réponse M. le ministre, mais je suis
particulièrement fier de voir que l'on consacre le caractère
distinct non pas dans un article de la constitution comme un autre principe,
c'est un principe transcendant, et cette transcendance lui est
conférée par son caractère d'article
d'interprétation.
M. Rémillard: Évidemment, Me Langlois, vous avez
raison de souligner qu'il s'agit d'une règle d'interprétation. Il
ne s'aqit pas d'un article établissant des nouveaux pouvoirs, mais d'un
article d'interprétation qui pourra servir à l'ensemble de la
constitution, bien sûr, en ce qui regarde le partage des pouvoirs, comme
en ce qui regarde aussi l'application de la Charte canadienne des droits et
libertés, mais ce n'est pas un article qui établit de nouveaux
pouvoirs. C'est un article qui, sur une base juridique, donne un nouveau
rôle qui n'a jamais été donné jusqu'à
présent dans la constitution et qui est donné maintenant au
gouvernement et à l'Assemblée nationale du Québec, celui
de promouvoir et de protéger cette spécificité du
Québec.
Concernant le pouvoir de dépenser, Me Langlois, vous souliqnez un
peu la problématique de ce pouvoir de dépenser. Là encore,
vous avez eu l'occasion de plaider plusieurs causes devant les tribunaux
concernant ce pouvoir de dépenser, à certains égards,
d'une façon directe ou indirecte. Est-ce que, selon vous, ce pouvoir de
dépenser existe en droit constitutionnel ou s'il n'existe pas
présentement, au moment où nous nous parlons?
M. Langlois: Quand le mémoire dit que nous ne partageons
pas les appréhensions de ceux qui voient dans cet accord la
consécration du pouvoir, c'est parce que je suis d'avis - et la chambre
partaqe cet avis - qu'il existe déjà. C'est la première
fois qu'il est mentionné par écrit dans un texte formel, mais il
a été reconnu dans des décisions innombrables. J'ai
d'ailleurs eu l'occasion d'entendre et de lire les propos du professeur
Beaudoin là-dessus et je n'ai rien à ajouter. En matière
d'encyclopédie et de droit constitutionnel, il n'y a pas mieux que le
professeur Beaudoin. Je pense qu'il a attiré votre attention sur toutes
les décisions
qui ont consacré le principe. Ce qui est intéressant dans
l'accord du lac Meech, c'est qu'en fait le droit positif consacre ce que la
jurisprudence a reconnu comme étant un pouvoir inhérent, mais en
le limitant, en l'encadrant. C'est ce qui est important. Il crée aussi
un mécanisme de concertation obligataire. Dans l'esprit de la chambre,
sur le plan des intérêts commerciaux et économiques du
Canada et de la province de Québec, il est important de consacrer ce
mécanisme de concertation et de faire confiance au poids relatif des
intérêts, de manière qu'on ait des programmes nationaux qui
soient compatibles avec les meilleurs intérêts de l'ensemble des
partenaires, tout en respectant les priorités de ceux qui, à un
moment donné dans l'histoire, ne veulent pas faire partie d'un programme
national.
M. Rémillard: Je vous remercie,
M. Langlois: M. le ministre, si vous le permettez, sur la
question du rôle distinct, lorsque vous dites qu'il n'établit pas
un nouveau pouvoir, je ne m'adressais pas au paragraphe (3) de l'entente sur le
caractère distinct. Quant à moi, il y a là un nouveau
pouvoir. Lorsqu'on reconnaît à la Législature un râle
de promotion et de protection du caractère distinct, c'est une
modification importante à l'équilibre des pouvoirs en faveur du
Québec.
M. Rémillard: Est-ce que je vous comprends bien en disant
que vous voyez dans le paragraphe (3) du premier élément de
l'entente du lac Meech une source...
M. Langlois: Une source de pouvoirs. Quand on écrit des
textes, les interprètes de la constitution nous ont dit qu'il faut leur
donner un effet.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre.
M. Johnson (Anjou): J'ai vu la réaction du ministre, M. le
Président, je n'ai pas pu m'empêcher de la voir, il était
un peu embarrassé. Quand ils vont lire cela à Ottawa, demain
matin, cela va les inquiéter un peu. Ils ne voyaient pas cela eux, je
pense. M. Daoust, merci d'être parmi nous avec Me Langlois et votre
associé de la chambre de commerce. Juste pour clarifier une chose, M.
Daoust, c'est un plaisir pour nous que vous soyez là, mais je ne sais
pas qui vous a dit qu'on vous avait invité, nous de l'Opposition...
M. Daoust: M. Johnson, j'ai une lettre qui m'a été
adressée personnellement, en tant que président de la Chambre de
commerce de Montréal, par M, Jean-Guy Parent, député de
Bertrand.
M. Johnson (Anjou): Parfait, excellent. Je suis très
heureux de savoir, M. Daoust, que vous avez choisi d'accepter l'invitation du
bureau du premier ministre qui m'a mentionné, lors d'une conversation
téléphonique que j'ai eue avec lui, que cela vous ennuyait
quelque peu, mais que vous aviez réussi à trouver des
consultants. Malheureusement, vous n'avez pas fait parvenir de
télégramme disant que vous alliez venir à notre
commission. Néanmoins, nous sommes heureux de vous entendre. Vous vous
êtes fait accompagner d'un juriste éminent qui n'a pas toujours
gagné ses causes, c'est évident...
M. Langlois: II faut en plaider pour en perdre!
M. Johnson (Anjou): II faut en plaider pas mal pour en gagner, et
c'est plus ou moins 50-50. Dans le cas de Me Langlois, on sait qu'il en gagne
plus qu'il n'en perd. On sait qu'il a perdu en 1983 dans une tentative de faire
déclarer la Régie du logement inconstitutionnelle, mais il en a
gagné. Par exemple, il a gagné dans l'affaire Blaikie, où
il a réussi à faire invalider des dispositions de la loi 101
concernant la langue de la législation alors qu'il représentait
des gens qui n'étaient pas d'accord avec la loi 101. Il a réussi
aussi en 1984 à faire invalider l'article 72 et l'article 73 de la loi
101 concernant la langue d'enseignement en plaidant l'article 23 de la charte
canadienne dans la cause du Procureur qénéral contre le
Protestant School Board. Me Langlois s'est aussi distinqué par ses
succès et ses trophées de chasse remarquables en droit
constitutionnel alors qu'il a été au dossier dans le renvoi
à la Cour suprême où il représentait le Procureur
général du Canada et a plaidé avec succès que le
gouvernement canadien pouvait rapatrier la constitution de façon
unilatérale. Me Langlois a également gagné en 1982 dans la
cause où il représentait le Procureur général du
Canada également. Il a également plaidé avec succès
le fait que le Québec n'avait pas de droit de veto. M. Daoust, vous avez
donc avec vous, sûrement, un avocat qui a de grands talents et qui l'a
démontré devant nos tribunaux.
Vous avez parlé de constitution et d'économie dans votre
mémoire - ce qui ne m'a pas étonné d'ailleurs. C'est
normal. Je pense que la chambre de commerce joue un rôle
extrêmement important sur le plan économique à
Montréal. J'entends la Chambre de commerce de Montréal, que vous
représentez. Cependant, dans l'ensemble des sondages et des
études que j'ai vu effectuer par votre chambre de commerce, je n'ai
jamais vu comme figurant dans les préoccupations de base de vos membres
le fait que le Québec ait signé ou pas la constitution
canadienne. Je n'ai jamais senti,
en discutant avec beaucoup de vos membres que j'ai eu et que j'ai encore
l'occasion de fréquenter avec plaisir, je n'ai jamais senti, dis-je, que
c'était dans les priorités des membres de la chambre de commerce
qu'il fallait absolument que le Québec signe la constitution de 1982. Je
n'ai pas senti, en tout cas, que c'était dans les préoccupations
quotidiennes de vos membres, ou si cela l'était, cela devait
l'être pour très peu de vos membres en tout cas.
De plus, il y a une chose qui me frappe. Vous n'êtes pas sans
savoir que la constitution canadienne s'applique au Québec en ce moment.
Elle s'applique. Et il y a cette espèce d'attitude qu'on laisse planer
où on laisse entendre que c'est comme s'il nous manquait quelque chose
au Québec du fait de ne pas avoir signé la constitution
canadienne, mais elle s'applique. Elle s'applique tous les jours, d'ailleurs.
Me Langlois, votre conseiller, plaide la charte canadienne
régulièrement devant les tribunaux alors que le Québec n'a
pourtant pas signé en 1982. En d'autres termes, ce que j'essaie de vous
dire, M. Langlois, c'est que cela ne change rien à rien à ce
stade-ci que le Québec ait signé ou pas quant à
l'application des lois sur le territoire du Québec. Je ne crois pas,
encore une fois, qu'en soi il y ait une sorte de mouvement profond dans le
monde de la chambre de commerce, pour qu'on se bouscule absolument pour aller
signer cette entente et surtout à n'importe quel prix. Finalement, si le
Québec ne signait pas le contrat de vente qui ferait suite à la
promesse de vente qu'a signée le premier ministre au lac Meech, je ne
suis pas sûr que cela dérangerait bien du monde, à la
chambre de commerce ou ailleurs. Je ne suis pas sûr, d'ailleurs, que cela
dérangerait qui que ce soit au Québec, finalement. Mais ce que je
sais, cependant, c'est que si le Québec signe il risque de signer pour
un certain temps et il risque de se retrouver dans une position où le
rapport de force qu'il pourrait exercer serait exercé d'une façon
absolument minimaliste, au point où le premier ministre lui-même,
en sortant du lac Meech, laissait entendre aux journalistes qu'il en avait
obtenu plus qu'il n'en avait demandé. Or, tout le monde semble
s'entendre depuis quelques jours pour dire qu'il n'en a pas demandé
beaucoup et que ce qu'il a obtenu est finalement assez mince.
Je vais m'arrêter à la question du pouvoir de
dépenser de façon assez précise. Concrètement,
qu'est-ce que le pouvoir de dépenser? À la chambre de commerce -
j'ai toujours lu vos mémoires annuels présentés au Conseil
des ministres ou à l'Opposition, selon le cas, avec beaucoup d'attention
-vous êtes extrêmement préoccupés par la question du
déficit à la chambre de commerce, je le sais, et c'est une
préoccupation parfaitement normale. Une des grandes sources du
déficit au Canada et du poids de la fiscalité sur les individus
comme sur les entreprises, c'est précisément le pouvoir de
dépenser de l'État fédéral. Je vais vous en donner
une illustration qu'on retrouve dans l'annexe F du dernier budget de M.
Gérard D, Levesque, ministre des Finances, présenté, comme
on le sait, dans des conditions un peu particulières, il y a quelques
semaines, où on démontre que, pour l'essentiel, depuis 30 ans au
Canada, en vertu du pouvoir de dépenser, l'État
fédéral a forcé un certain nombre de programmes dits
nationaux, c'est-à-dire qu'il a dit aux provinces: On va vous verser
50-50. On va payer à 50-50 les frais de l'éducation
postsecondaire et du système de santé et certains des
systèmes sociaux dont l'aide juridique, une partie de l'aide sociale,
etc., à condition que les provinces répondent à ce qu'on
appelle les objectifs nationaux.
Et cela a donné quoi en pratique? Cela a donné que le
fédéral depuis 8 ans, alors qu'il a amené l'ensemble des
provinces, y compris le Québec, à devoir dispenser ces
programmes-là a cessé de financer sur une base
régulière ces mêmes programmes. Qu'est-ce que cela donne
comme résultat? Cela donne la courbe qu'on voit dans l'annexe F du
discours de M. Gérard-D. Levesque, le dernier discours sur le
budget.
On démontre que d'ici à 1992, au rythme où vont les
choses, l'État fédéral ne paiera plus, à toutes
fins utiles, la dispensation des services de santé et d'éducation
sur le territoire du Québec. Cela a quoi comme conséquences, M.
Daoust? Cela veut dire concrètement, comme conséquences, qu'il
n'y aura plus de marge de manoeuvre pour l'État québécois
pour dire, par exemple: Cette année, on va mettre 150 000 000 $ dans le
régime d'épargne-actions. On ne l'aura plus, cet
argent-là, parce qu'on va être pris pour financer
nous-mêmes, à même nos taxes, les programmes dits nationaux
du Canada qui sont, en somme, des programmes sociaux parce que le
fédéral ne garantit pas le financement une fois que la province
est engagée.
Cela veut dire, par exemple, les quelques dizaines de millions de
dollars qu'on a mis dans le programme de rééquipement du secteur
des pâtes et papiers au Québec. On ne pourrait pas le mettre parce
qu'on n'aurait pas la marge de manoeuvre pour le faire. Cela veut dire que la
Société de développement industriel du Québec ou la
Société générale de financement du Québec ne
pourrait pas mettre les dizaines, voire les centaines de millions qui ont
été mis depuis cinq ans pour faire des - passez-moi l'expression
- "joint ventures" avec le secteur privé, que ce soit dans le
développement technologique, que ce soit dans le secteur des richesses
naturelles, que ce soit dans la
robotique, l'informatique, qui sont des programmes qui amènent
l'État québécois à donner un appui à
l'entreprise québécoise. Maia l'exemple le plus évident,
c'est celui du Régime d'épargne-actions et cela, je sais que vos
membres y tiennent. Ils y tiennent pas mal plus qu'à la signature, je
crois, de l'accord constitutionnel et je peux vous dire que, si le
Régime d'épargne-actions a été possible au
Québec, c'est parce que l'État québécois avait un
minimum de marge de manoeuvre dont il pouvait disposer sur le plan de sa
fiscalité.
Au fur et à mesure que le pouvoir de dépenser de
l'État fédéral s'exerce et il va continuer de s'exercer,
le refus du Québec de se plier aux objectifs nationaux fera que le
Québec sera pénalisé en vertu de la formule du lac Meech
comme il l'est actuellement en vertu de l'exercice du pouvoir de
dépenser dans les secteurs de l'éducation et des affaires
sociales dans lesquels on passe 11 000 000 000 $ de vos taxes et des
miennes.
Au fur et à mesure que tout cela va se produire, il y aura de
moins en moins de marge de manoeuvre pour l'État québécois
pour avoir des politiques économiques. Je reste de ceux qui sont
profondément convaincus que, malgré les divergences qu'il puisse
y avoir entre les orientations plus ou moins à gauche ou plus ou moins
sociales des différents partis... Le Parti libéral est un parti
qui, à une certaine époque, avait une vocation sociale; le Parti
québécois en est un et je présume que le NPD a une
vocation sociale. En dépit de ces divergences, l'État
québécois, sur le plan économique, a fait des choses
remarquables depuis dix ans et, s'il a réussi à le faire avec le
monde des affaires du Québec, c'est parce qu'il avait un minimum de
marge de manoeuvre pour le faire. L'exercice du pouvoir de dépenser de
l'État fédéral, c'est la réduction constante de la
marge de manoeuvre de l'État québécois en soumission
à des objectifs dits nationaux qui sont - je vous dirais M. Daoust, pour
ma part, c'est ma conviction -élaborés pour
l'intérêt supérieur de la nation d'un point de vue
canadien, l'intérêt supérieur de la nation se
définissant fort bien comme étant sis autour du lac qui porte ce
nom, le lac Supérieur, en Ontario. C'est comme cela, en
général, que sont élaborés les programmes
nationaux. (21 h 30)
La conférence des premiers ministres qui est
institutionnalisée, je vais vous dire à quoi elle va servir. Elle
va servir essentiellement à créer une pression objective sur Ies
ministres des Finances de chacune des provinces pour qu'ils alignent leur
fiscalité, leurs projets sur des priorités
fédérales. Ce n'est pas marqué dans la constitution que le
budget du ministre des Finances du Québec devra intervenir après
celui du ministre des
Finances du Canada qui va fixer les qrandes orientations canadiennes.
Inutile de vous dire que ce n'est pas toujours dans le sens du Québec,
c'est même plutôt le contraire. Je suis allé à
Toronto récemment, il y a 4 % de chômage à Toronto. II y en
a pas mal plus que cela à Montréal. Mais il va y avoir une
pression objective dans la création de ce mécanisme permanent que
vous voyez comme de la concertation, mais qui va être, en pratique, un
mécanisme de pression sur le Québec pour qu'il s'aliqne sur les
priorités fédérales qui sont largement définies par
les impératifs ontariens et, de façon plus ou moins accessoire,
par les impératifs de l'Ouest canadien, surtout quand il y a un
gouvernement conservateur à Ottawa, pour des raisons
électorales.
C'est comme cela qu'il faut voir la problématique
constitutionnelle. C'est un rapport de forces. Et ce ne sont pas seulement des
chinoiseries d'avocats ou des affaires qui n'intéressent que les
politiciens préoccupés par les questions linguistiques. C'est un
rapport de forces économiques autant que politiques. C'est ma conviction
profonde, M. Daoust, que le Québec a intérêt à ne
pas signer à ce stade-ci. Si le Canada veut tellement avoir le
Québec dans sa constitution, pourquoi n'est-il pas prêt à
lui donner plus? Pourquoi le Québec se contenterait-il de régler
pour le passé plutôt que pour l'avenir? Pourquoi le Québec
ne s'est-il pas taillé des instruments pour se donner des marges de
manoeuvre sur le plan du développement économique? Pour servir
cet entrepreneurship québécois qui a ses caractéristiques,
ses intérêts, ses approches qui sont, il faut le
reconnaître, très souvent différentes des approches et
caractéristiques ontariennes, qui pourtant sont celles qui dominent
l'appareil fédéral objectivement.
En terminant, je poserai une question à Me Langlois, en lui
faisant une petite lecture qui va durer une minute. "Au cours des
conversations, les acteurs devront viser à demeurer en contact
étroit avec leurs populations respectives et les tenir informées
de manière honnête du déroulement des travaux." On parle
ici de négociations constitutionnelles. "Les négociations
constitutionnelles des deux dernières décennies se sont souvent
déroulées dans le secret. On tenait des séances publiques
pour l'édification de la galerie. Les travaux importants se
déroulaient dans la discrétion des bureaux des technocrates."
Et un peu plus loin, évoquant le retour des choses après
Victoria: "Si les gouvernements avaient davantage tenu leurs populations
respectives informées à chaque stade de l'entreprise, on aurait
su bien plus tôt à quoi s'en tenir au sujet de la réaction
du Québec. Cette leçon devra être retenue pour l'avenir.
Les porte-parole du Québec, en particulier, devront éviter de se
laisser
constituer prisonniers, pour ainsi dire, d'ententes secrètes
qu'on pourrait vouloir leur arracher par-dessus la tête de leurs
commettants. Ces porte-parole devront, dans les questions qui engagent
l'avenir, se réserver toujours la faculté de procéder
avant de donner leur consentement aux auscultations de l'opinion dont ils
auront besoin. Il faut viser è ce qu'au terme de l'entreprise le
document constitutionnel qui aura été mis à jour exprime
véritablement et en profondeur les aspirations des populations
concernées. Il faudra aussi faire en sorte qu'en temps opportun il soit
soumis à la ratification publique et solennelle de ces populations. Il
faudra éviter toute précipitation dans la recherche d'accords qui
devront, d'abord et avant tout, être authentiques, c'est-à-dire
procéder de la volonté éclairée et librement
exprimée des parties intéressées. Il faudra éviter
en conséquence de s'enfermer au départ dans le cadran artificiel
d'un échéancier trop serré ou arrêté dans un
esprit technocratique. Il faudra enfin éviter de part et d'autre
l'attitude suivant laquelle il faut absolument en venir à une entente
à tout prix. Dans les négociations à venir, les
représentants québécois devront défendre des
valeurs fondamentales et des principes qui ne prêtent à aucun
troc."
Je suis sûr, Me Langlois, que vous avez reconnu ce document,
puisque c'est vous qui présidiez la commission constitutionnelle du
Parti libéral du Québec qui le rendait public en 1980, et, ma
question, c'est de savoir si sur l'échéancier vous êtes
toujours du même avis.
M. Langlois: Merci de me poser la question. D'abord, je vous suis
reconnaissant d'avoir dressé un peu le profil de mon expérience
en droit constitutionnel. Évidemment, vous avez peut-être omis de
noter que j'ai eu l'occasion de plaider plusieurs causes en matière
constitutionnelle où les intérêts du Québec
étaient concernés, notamment la cause de Caloil sur la protection
du Québec contre la ligne Borden sur l'énergie, l'affaire
Kellogg's concernant les prérogatives du Québec en matière
de protection du consommateur face à la Loi sur la radiodiffusion, les
affaires de Dionne et Capital Cities en matière de cablodistribution.
L'objectivité peut aller des deux côtés. C'est vrai que
j'ai plaidé que le Québec n'avait pas de droit de veto
légalement reconnu, sauf qu'à la différence de ceux de
votre ancien gouvernement, j'avais appris cela en première année
de droit et je n'aurais pas signé l'accord que vous avez signé
qui plaçait le Québec au rang du
l'Île-du-Prince-Édouard, comme vous l'avez fait comme
préalable à la négociation de 1981. Je vous avoue que, de
coeur, avoir eu le choix entre plaider du côté du Québec en
1982 ou du côté fédéral, j'aurais opté du
côté du Québec, mais pas avec le contrat que vous aviez
donné à vos avocats. S'il y a eu un troc des
intérêts fondamentaux du Québec auquel vous devrez
répondre devant l'histoire, c'est bien votre accord de 1981 et les
dés étaient pipés à partir de ce moment-là.
Je tiens à vous le dire et cela fait longtemps que je veux le dire,
d'ailleurs, à un parti qui se prétend défenseur des
intérêts du Québec. M. Johnson, vous avez lu le livre
beige. Vous auriez eu avantage à le lire lorsqu'il a été
publié parce qu'on ne peut pas sortir ce que vous y avez lu de son
contexte global, et vous le savez très bien, avocat que vous êtes
et politicien très intelligent.
Ce que nous avons envisagé dans le livre beige, c'est une
réflexion pour une réforme totale de la constitution dans la
perspective d'un débat qui nous amenait au référendum.
L'échéancier politique, pour toutes sortes de raisons, je n'ai
pas été un des acteurs à ce moment-là et je
comprends que les deux côtés de la Chambre à
l'époque aient voulu que cet échéancier ne soit pas suivi.
On a opté, pour des raisons politiques que je n'ai pas à
défendre ou à critiquer, pour une voie différente à
la suite du référendum. C'est vrai, mais que vous auriez
également pu dire que j'ai fait partie de l'équipe des
consultants à la négociation constitutionnelle de 1981, ayant
été mandaté - cela vous surprendra d'ailleurs - pour
essayer de traduire les priorités provinciales au sein de
l'équipe fédérale de négociations à cause
justement du fait que j'avais participé à la rédaction du
livre beige.
Ce fut une négociation fort sérieuse et on a manqué
un rendez-vous historique sur bien des points, toujours pour la même
raison que celle que vous avez répétée aujourd'hui: quand
on va signer, on va signer pour longtemps. C'est la peur d'avoir peur en
l'avenir du Québec. On pense que, parce qu'un jour on va réussir
à dire ouï, à avancer d'un pas, il sera fini, il n'y aura
plus d'évolution, que le peuple québécois sera sans
épine dorsale, qu'il ne sera plus capable, par un choix judicieux du
gouvernement à Québec, de remettre la pression sur le
fédéral. Tout libéral que je sois - puisque vous l'avez
dit à tout le monde - pour ne pas vraiment déprécier le
mémoire de la chambre là-dessus, je crois que l'avènement
au pouvoir du Parti québécois en 1976 a été une
bonne chose. Cela va vous surprendre. Je le crois. Cela a fait avancer les
choses. Je ne suis pas d'accord avec les orientations de votre parti, mais je
crois au rapport de force à l'intérieur du Québec. Je
parle en mon nom personnel et non pas en celui de la chambre, puisque vous
m'avez - j'utilise le mot - attaqué personnellement. Je crois
fondamentalement au rapport de force. Le peuple québécois a
démontré, dans le passé,
et tout au cours de son histoire, une capacité de
réaction. Il a su créer la pression quand il en avait besoin. Je
crois qu'on a fait le grand pas en 1976. Il y a eu un référendum
et un résultat. Une négociation a suivi et elle a donné
des éléments positifs: la charte des droits, n'en
déplaise, est un avancement considérable; la formule d'amendement
est un progrès fantastique, surtout améliorée comme elle
le sera avec l'implantation des accords du lac Meech. Elle nous a
rapatrié la constitution au Canada pour qu'on puisse en faire ce qu'on
veut en faire. Ce sont là des choses auxquelles il faut maintenant
réagir et prendre part.
Avec le retour au pouvoir d'un gouvernement moins contestataire, si vous
le voulez, que le gouvernement précédent, le nouveau gouvernement
du Québec a réussi, malgré que c'était fini,
à maintenir l'intérêt dans la question constitutionnelle au
point d'aller chercher l'accord du lac Meech. Vous dites que le Canada est
pressé de signer l'accord du lac Meech. Je ne sais pas où vous
vivez, M. Johnson. Les priorités politiques au Canada sont ailleurs que
dans le domaine constitutionnel. Je puis vous dire que, dans la rue, a
l'extérieur de l'Assemblée nationale, dans le milieu que je
fréquente, la plupart des gens ont été extrêmement
étonnés, d'abord, qu'on soit arrivé à un accord.
Deuxièmement, lorsqu'on a lu le texte de l'accord, je peux vous dire
personnellement que quand j'ai entendu les premiers rapports à la radio
je n'en croyais pas mes oreilles. Je disais; Ce n'est pas vrai, ils n'ont pas
consenti le caractère distinct, cela ne se peut pas. Parce que je me
souvenais des conversations auxquelles j'avais été partie lors
des négociations de 1981. Je me souviens également de
l'expérience vécue au cours de plusieurs années à
discuter avec des gens de partout au Canada. Je ne le croyais pas. Quand j'ai
vu que le gouvernement fédéral était prêt à
ce que son pouvoir de dépenser comporte une certaine restriction, comme
la restriction qui est prévue dans les accords du lac Meech, je ne le
croyais pas. Quand j'ai vu qu'on était prêt à
constitutionnaiiser la question de l'immigration, je ne le croyais pas. Quand
j'ai vu qu'on était prêt à constitutionnaiiser
également le droit du Québec de participer à la nomination
des juges de la Cour suprême et de consacrer le nombre de juges
civilistes, je ne le croyais pas non plus. Je me dis: M. Johnson, arrêtez
d'avoir peur d'avoir peur. Le débat n'arrêtera pas aujourd'hui
parce qu'on a signé l'accord du lac Meech...
M. Johnson (Anjou): M. Langlois...
M. Langlois: ...c'est ma conviction profonde. Je me trompe
peut-être mais...
M. Johnson (Anjou): Je vous remercie, M. Langlois, vous avez fait
un bon discours ' politique et je vous en remercie, je sais que vous en
êtes capable.
M. Langlois: Autant que vous. J'aurais gardé le ton aussi
bas si vous ne l'aviez pas monté à mon égard.
M. Johnson (Anjou): Mais la différence, Me Langlois, entre
vous et moi, c'est que moi je suis ici pour cela.
Des voix: Ah! ahl ah! ah!
M. Johnson (Anjou): C'est mon métier, Me Langlois. Je ne
suis pas consultant de la chambre de commerce.
M. Langlois: Moi, je ne suis pas payé pour être ici,
M. Johnson.
M. Johnson (Anjou): Me Langlois, brièvement, puisque vous
dites que vous n'avez pas cru qu'on avait réglé pour cela au lac
Meech, peut-être que pour la petite histoire vous voudriez bien savoir
aussi, vous qui avez été très près, que Michel
Robert, que vous avez bien connu dans d'autres circonstances, m'avait dit en
juin 1982 que cela se réglerait quelque part autour de 1987-1988 et que
cela se réglerait sur la base de quelques pouvoirs en matière
d'immigration et, pour le reste, des choses pareilles pour tout le monde mais
avec deux ou trois petits mots sans de trop grandes conséquences quant
au caractère distinct du Québec. Je dois vous dire que, quant
à moi, il n'y avait rien de si étonnant que cela dans l'accord du
lac Meech.
Je me permets puisqu'il ne me reste que 30 secondes de vous dire, Me
Langlois, que vous venez de me faire quant à moi la démonstration
que le Québec objectivement n'a pas intérêt, en termes du
rapport de force qu'il pourrait exercer pour aller chercher des vrais pouvoirs,
à ce moment-ci à signer. Il signe pour le passé et il ne
signe pas pour l'avenir. Je pense que vous venez de le démontrer encore
une fois, même si ce n'était pas vraiment l'objet de votre propos.
Je respecte vos convictions de la politique des petits pas et de la
capacité du Québec d'exercer un rapport de force qui
ébranle de temps en temps la structure fédérale, mais je
vous dis que, moi, ma conviction est que cet accord pour l'essentiel ne
règle que pour le passé, et encore d'une façon qui est
celle que vous décrivez comme la seule possible dans les circonstances,
que je pourrais décrire comme celle qui résulte du genre de
demandes que le Québec a faites, si le "momentum" était si
bon.
Finalement, même si l'agenda au Canada est surtout
économique, comme j'en suis conscient, je vous dirai que
j'étais
convaincu que cela se réglerait au lac Meech quand j'ai vu que le
Globe and Mail et le Toronto Star à pleines pages, depuis,
deux semaines avant le lac Meech, expliquaient qu'il fallait que cela se
règle. Notamment, le Globe and Mail disait qu'il fallait que cela
se règle "because never in recent memory had Québec asked so
little", jamais le Québec n'avait demandé si peu pour
régler. Je pense qu'objectivement, sur le plan politique, les conditions
étaient là pour que cela se règle mais sur une base
tellement minimaliste et tellement tournée vers le passé.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef de
l'Opposition. Je reconnaîtrai maintenant un membre du groupe
ministériel, M. le député de Bourget.
M. Trudel: Je vous remercie M. le Président. Me Langlois,
ne vous reprochez pas d'avoir fait de la politique ici, vous n'êtes pas
le seul à en avoir fait de ce côté-ci, de cette partie, si
vous voulez, de cette Assemblée. Je me souviens que la semaine
dernière un autre témoin en avait fait en défendant
d'autres idées lui-même. Je pense notamment à Me Jacques
Yvan Morin qui a fait une charge politique à fond de train, ce que je
respecte, moi, comme homme politique.
Je voudrais vous ramener au pouvoir de dépenser avec une question
qui n'aura pas de fioritures. Peut-être que ce n'est pas l'âge
avancé, mais l'heure avancée qui fait que je comprends
peut-être moins bien que je ne le devrais. J'ai l'impression qu'à
la page 8, à moins de me tromper, bien sûr, il y a comme une
contradiction. Je la résume. Vous parlez du pouvoir de dépenser
et vous dites que la chambre, ma question s'adresse également à
M. Daoust et si vous voulez y répondre, M. Daoust... Vous dites, d'une
part, que la chambre ne partage pas les appréhensions de ceux qui voient
dans cette partie de l'accord un mécanisme qui, premièrement,
consacre un pouvoir fédéral de dépenser dans des domaines
de compétence provinciale exclusive et, deuxièmement, permet au
gouvernement fédéral d'imposer ses objectifs aux provinces. (21 h
45)
J'apprécie à sa juste valeur l'exemple que vous donnez du
poids politique du Québec ou d'une province aussi forte que le
Québec qui décide de se retirer d'un programme. Mais, à
l'avant-dernière ligne du dernier paragraphe, vous ajoutez quand
même: La Chambre de commerce de Montréal souhaite que les textes
finaux protègent clairement les priorités provinciales... Ou j'ai
mal compris, ou cela me semble un peu contradictoire avec ce que vous dites
dans le premier paragraphe de la page 8. C'est-à-dire que, d'un
côté, vous dites qu'il n'y a pas de danqer, mais, de l'autre, vous
dites qu'il faut quand même que les priorités provinciales soient
clairement respectées dans les textes. Est-ce que j'ai raison?
M. Langlois: La difficulté que nous avons, c'est que nous
devons interpréter une déclaration de principe. Ce n'est pas le
texte légal, le texte de loi qui aura la rigueur qu'on reconnaîtra
à un tel texte. J'essaie de comprendre... Je comprends, je pense,
l'intention de cette clause qui est à l'effet, justement, de faire en
sorte que les provinces ne soient pas le fourgon de queue du train
fédéral. Il semblerait, d'après les remarques de M.
Johnson, tantôt, que ce soit une de ses craintes. Je dis que ce n'est
sans doute pas l'intention de l'accord puisque, à ce moment-là,
on n'aurait pas intérêt à y souscrire comme province, le
Québec ou toute autre. C'est simplement un avertissement que le
mémoire de la chambre donne de faire bien attention dans la
rédaction du texte final, de faire en sorte que le droit de retrait ne
soit pas un droit de retrait purement aléatoire et qu'il y ait
effectivement limitation du pouvoir fédéral de dépenser
dans des champs de compétence provinciale exclusive.
Cependant, nous notons que, dans le texte de cet accord, de même
que pour les conférences constitutionnelles des ministres sur les
questions économiques, on consacre un mécanisme de concertation
qui a très bien fonctionné au Canada. J'étais
étonné tantôt d'entendre M. Johnson un peu condamner toutes
les ententes conjointes - la péréquation, etc. - qu'on a connues.
Cela m'étonne. C'est vrai que l'on peut donner des exemples où
cela a mal fonctionné. Mais, de façon générale, il
y a eu une redistribution de la richesse au Canada. D'ailleurs, quant à
citer le livre beige, on en a parlé amplement, si on doit
contrôler ou limiter le pouvoir fédéral de dépenser,
il ne faudrait pas le faire au point de faire perdre à la
Fédération canadienne une de ses trouvailles les plus
intéressantes dans l'histoire, soit les mécanismes de
péréquation, des programmes conjoints, etc.
M. Trudel: Merci. Cela va, M. le Président.
Le Président (M. Filion): Cela va, Mme la ministre des
Communautés culturelles et de l'Immigration.
Mme Robic: Merci, M. le Président. M. Daoust, M. Langlois,
je regrette que le chef de l'Opposition semble minimiser l'importance des
pouvoirs que le Québec a acquis par l'entente du lac Meech. Vous en
faites mention dans votre mémoire. Quant au gouvernement du
Québec, pour nous,
l'immigration est fort importante puisque l'avenir même du
Québec en dépend. Nous en avons fait d'ailleurs une de nos
priorités. C'est la raison pour laquelle nous avons exigé d'avoir
l'exclusivité en matière de sélection et de
détermination des niveaux d'immigration, la prépondérance
en matière d'accueil, d'adaptation et de francisation des nouveaux
arrivants. Selon vous, est-ce que ces pouvoirs sont importants pour le
Québec?
M. Langlois: Pour nous particulièrement, pour la Chambre
de commerce de Montréal, c'est fondamental. On connaît
l'importance du bassin d'immigrants qu'il y a dans la région de
Montréal. On s'est plaint, au cours des années passées, du
fait que ces immigrants n'ont pas été accueillis de
manière qu'ils puissent s'insérer dans la société
québécoise et montréalaise, en particulier, en en
respectant le tissu culturel fondamental. On se souvient des tensions qu'il y a
eu, en particulier au milieu des années soixante-dix. On peut même
aller au-delà de cela. Lorsqu'il y a eu la commission Parent, dans les
années soixante, en matière d'éducation, on a noté
jusqu'à quel point notre communauté allophone avait
été mal accueillie, mal intégrée au système
scolaire et que c'étaient des Québécois vivant beaucoup
plus près de la minorité anglaise que de la majorité
française québécoise... En d'autres termes, cela ne
reflétait pas le véritable tissu social du Québec. Le fait
de donner au Québec cette prépondérance, à mon
sens, va faire en sorte qu'on n'aura plus personne d'autre à
blâmer que soi-même si, effectivement, dans l'avenir, les
immigrants ne sont pas intégrés de façon complète
et, je dirais, bien intégrés au milieu social
québécois.
Donc, pour la ville de Montréal, il est important que cette
communauté culturelle soit mise à contribution. Il est important
que l'on ait à Montréal un apport de cette richesse des
communautés extérieures qui veulent venir travailler au Canada.
Il est important, par ailleurs, que le climat social demeure serein, que ce
soit dans l'atelier, dans les usines, que ce soit dans les quartiers, en
d'autres termes, à tous Ies niveaux de la vie sociale
montréalaise et québécoise. Le gouvernement du
Québec, évidemment, est le seul qui soit vraiment adapté
pour fournir un service d'accueil, un service d'intégration et
d'éducation, qui permette à ces nouveaux arrivants de jouer un
plein rôle dans la société québécoise.
Donc, c'est fondamental à l'accord, quant à nous. C'est
pourquoi on le donne comme un des deux exemples de réalisations
importantes de l'accord du lac Meech, au même titre que le pouvoir de
dépenser. Heureusement ou malheureusement, si on regarde le pouvoir de
dépenser, mais, quant à l'immigration, il y a moins de
controverse puisqu'on se trouve à consacrer les accords
antérieurs en allant un pas de plus. Ce pas de plus est fondamental
jusqu'au niveau de l'intégration. C'est là, à mon sens, un
gain très important.
Le Président (M. Filion): Cela va, Mme la ministre?
Mme Robic: Merci.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie. À moins
qu'il n'y ait d'autres intervenants... Oui, je crois qu'il reste à votre
formation politique, M. le ministre, environ quatre minutes. Je vous donne donc
la parole.
M. Rémillard: Très bien. M. le Président, je
vous remercie. Nous avons entendu Me Langlois, M. Daoust et M. Lacharité
qui représentaient la Chambre de commerce de Montréal. Au sujet
de Me Langlois, de par son expérience, qu'a soulignée à
juste titre le chef de l'Opposition - le chef de l'Opposition soulignait toutes
les causes qui avaient été gagnées par Me Langlois - je
pense que, directement, il faisait allusion à sa grande
expérience de la question constitutionnelle et à son
habileté à plaider devant le tribunal. C'est une chose que... Je
dois le reconnaître, j'ai été professeur à
l'université, bien que j'aie été plaideur à
l'occasion, mais professeur à l'université. On est professeur
à l'université, oui, mais lorsqu'on est plaideur, il y a toute
une pratique qui se développe, une habitude des tribunaux. C'est donc
particulièrement intéressant d'avoir les commentaires de Me
Langlois sur cette entente du lac Meech.
En particulier, M. le Président, j'ai particulièrement
apprécié les commentaires de Me Langlois en ce qui regarde la
reconnaissance de la société distincte du Québec. Je crois
que Me Langlois, comme plaideur, et je ne sais pas combien de causés il
a pu plaider en droit constitutionnel canadien... Si j'avais à vous
demander, Me Langlois, combien de causes en droit constitutionnel avez-vous
plaidé devant la Cour suprême?
M. Langlois: Une quinzaine, une vingtaine.
M. Rémillard: Une vingtaine de causes de droit
constitutionnel plaidées devant la Cour suprême parmi les plus
importantes, parce qu'il y a eu des causes aussi pour l'avenir du Québec
qui ont été particulièrement difficiles à plaider
et que Me Langlois a piaidées en ce qui regarde des questions comme
l'affaire Kellogg's, l'affaire Capital Cities concernant la radiodiffusion.
Donc, ce qui est intéressant, c'est de voir les commentaires de Me
Langlois sur cet article
qui va maintenant s'appliquer à l'ensemble de la constitution du
Canada. Me Langlois a fait valoir, à juste titre, non seulement il
s'agit là d'une règle d'interprétation facultative se
rapportant è un seul texte, mais il s'agira là d'une règle
d'interprétation obligatoire pour les tribunaux en ce qui regarde
l'ensemble de la constitution du Canada. Donc, autant la constitution de 1867
que la constitution de 1982, en fait, l'ensemble de la constitution du Canada
devra être interprété en fonction de la reconnaissance de
cette société distincte qu'est le Québec et en fonction de
cet élément tout à fait nouveau que nous retrouvons
maintenant dans notre constitution avec cette entente du lac Meech, selon
lequel l'Assemblée nationale du Québec et le gouvernement du
Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir la
spécificité du Québec.
C'est dans ce contexte qu'il est particulièrement
intéressant, M. le Président, d'entendre les remarques de Me
Langlois qui nous dit, de par son expérience devant les tribunaux:
Attention, il ne faut pas définir, parce que si vous définissez
vous allez restreindre la portée de ce concept de société
distincte. Si vous définissez, vous risquez de limiter la portée
de ce concept et faire en sorte que les institutions, la façon
d'être des Québécois, à tous les niveaux, aux
niveaux social, politique, économique, ne soient pas reconnus à
juste titre comme des éléments constitutifs de ce
caractère distinct.
Bien sûr, Me Langlois l'a reconnu, et tout le monde le
reconnaît, c'est la raison pour laquelle onze premiers ministres sont
arrivés à la conclusion que le Québec était
distinct. On est distinct de par notre langue, de par notre culture. La langue
et la culture françaises sont le fondement même de cette
caractéristique spéciale qui fait que le Québec est une
société distincte. Mais, il y a plus, il y a les institutions, il
y a une façon d'être, il y a un réseau d'activités
sociales, politiques, économiques qui caractérisent cette
distinction. L'expérience de plaideur de Me Langlois en matière
constitutionnelle devant la Cour suprême du Canada nous amène
à la conclusion, à la même conclusion que tous nos experts
nous ont confirmée jusqu'à présent, à savoir qu'il
ne faut pas définir ce concept. Il faut le laisser comme tel pour qu'il
puisse permettre au tribunal une interprétation large et
généreuse. Une interprétation de la constitution se fait
d'une façon large et généreuse. Voilà une
première règle d'interprétation qui a été
décidée par le comité judiciaire du Conseil privé
dans les années trente avec l'arrêt Edwards. Maintenant cette
règle va permettre de développer ce concept de
société distincte et lui donner une véritable assise
juridique.
Je relève aussi une remarque de Me
Langlois, une remarque très intéressante qui voit, dans
cette reconnaissance du Québec comme société distincte et
dans ce rôle du gouvernement et de l'Assemblée nationale de
protéger et de promouvoir cette société distincte, une
assise juridique nouvelle. Possibilité, donc, de construire sur cette
assise juridique une nouvelle argumentation juridique qui, plaidée
devant le tribunal, pourra servir à élaborer des
possibilités nouvelles pour le Québec, tant en fonction du
partage des compétences législatives qu'en fonction de
l'application de la Charte des droits et libertés.
Je sais que le chef de l'Opposition mentionne très
fréquemment la protection du droit civil, protection en fonction de la
Charte canadienne des droits et libertés. Pour ma part, je dis que le
droit civil respecte les droits et libertés. D'autre part, s'il
arrivait, par hypothèse, que le droit civil puisse être en
contradiction avec certains droits et libertés de la charte, parce qu'il
y aurait des valeurs de la société à faire respecter, il y
a la clause "nonobstant", bien sûr, qui est là et qui pourrait
s'appliquer. Mais il y a aussi cette société distincte qui
pourrait servir pour l'interprétation de l'article 1 de la Charte
canadienne des droits et libertés et le principe de la
légitimité.
Donc, M. le Président, je voudrais remercier M. le
président Daoust, M. Lacharité et Me Langlois de s'être
déplacés et d'être venus témoigner devant nous.
Merci messieurs.
Le Président (M. Filion): M. Daoust, je crois que vous
m'aviez demandé la parole. Est-ce exact?
M. Daoust: M. le Président, je vous remercie. Eu
égard à certaines remarques qui ont été faites et
qui ont peut-être comme objectif de jeter un doute sur la
crédibilité de notre organisme qui est la Chambre de commerce de
Montréal, j'aimerais affirmer ici que M. Langlois n'est pas un
consultant dans ce dossier-ci, mais qu'il est bien un membre de la Chambre de
commerce de Montréal, qu'il est en charge du comité. Ce que j'ai
entendu sur M. Langlois, les louanges que j'ai entendues de part et d'autre
rejaillissent sur l'ensemble de notre membership et la valeur de nos
membres.
J'aimerais également relever qu'on a mentionné qu'on
n'avait entendu aucun de nos membres dire que c'était important de
parler de constitution à la Chambre de commerce de Montréal. Je
dois vous dire, d'abord, que j'ai l'accord à 100 % de mon conseil
d'administration sur la position qui a été prise, la même
chose que dans le cas de notre position sur la langue. Je ne sais pas s'il y en
a qui ont entendu les gens de la chambre de commerce dans les corridors dire
que c'était une priorité. Pour nous, à la
Chambre de commerce de Montréal, c'est également
important. J'inviterais le chef de l'Oppposition... Je m'engage même
à lui envoyer, demain matin, une version de notre livre qui a
été publié à l'occasion du centenaire,
intitulé Un siècle à entreprendre, où on
démontre que, de tout temps, la chambre s'est occupée des grands
débats au Québec et qu'elle a pris position. Et on n'a jamais ou
généralement pas attendu qu'on soit en état de crise pour
prendre position. C'est ta raison de notre présence ici ce soir. Enfin,
pour terminer là-dessus, j'aimerais souligner que la
crédibilité d'un organisme est souvent fonction de la valeur que
les gens lui accordent. L'invitation qu'on a du parti de l'Opposition qui nous
dit qu'on aimerait qu'on s'exprime, étant donné la valeur de
notre organisme, tend à relever la crédibilité qu'on a
essayé de mettre en doute tantôt. Je vous remercie, M. le
Président.
Le Président (M. Filion): Merci.
M. Johnson (Anjou): M. le Président...
Le Président (M. Filion): Oui.
M. Johnson (Anjou): ...vous me permettrez, là-dessus,
juste pour rassurer M. Daoust... Je ne sais pas où il a saisi les
problèmes de mise en cause de ta crédibilité de la chambre
de commerce. Il faudra peut-être qu'il relise la transcription pour se
rendre compte que cela n'a jamais été fait. Je me suis
livré cependant à une altercation très précise avec
votre voisin de gauche dont je savais très bien, d'ailleurs, qu'il
était très bien capable de répliquer. C'est son
métier que de répliquer. D'autant plus qu'il a un bon
"background" dans ces choses-là, à tous les niveaux, et on se
connaît depuis quelques années d'ailleurs. Je voudrais vous dire,
M. Daoust, qu'en aucune façon je ne mets en doute la
crédibilité de la chambre de commerce. De plus, c'est simplement
que le premier ministre m'a dit, vendredi, que cela ne vous intéressait
pas de venir et que vous aviez été un peu pris de court du fait
qu'il vous ait demandé de venir comparaître. C'est simplement cela
que j'ai évoqué, M. Daoust. Je me référais aux
propos du premier ministre. Vous comprendrez que ce n'est pas moi qui ai mis en
doute votre crédibilité. Vous demanderez au premier ministre!
M. Daoust: Notre mémoire a été
préparé assez rapidement.
Le Président (M. Filion): D'accord. À mon tour, au
nom de tous les membres de cette commission, M. le président Daoust, M.
le vice-président, M. Lacharité, ainsi que Me Langiois, dont le
rôle a été éclairci par la dernière
intervention de M. Daoust, mais qui a quand même eu la franchise de nous
dire qu'il témoignait à certains moments à titre
personnel, donc, merci.
Nos travaux sont suspendus pour environ trois ou quatre minutes pour
permettre aux invités subséquents de prendre place. Merci.
(Suspension de la séance à 22 h 2)
(Reprise de ta séance à 22 h 9)
Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous
plaît!
Les travaux de la commission reprennent. Je constate avec plaisir que
les représentants de l'UPA ont pris place à la table des
invités. Avant d'amorcer l'exposé, M. le président, avec
votre permission, M. le leader du gouvernement m'a déjà
demandé la parole relativement à nos travaux de la semaine.
M. Gratton: Merci, M. le Président.
Je voudrais simplement informer les membres de la commission de
l'intention du gouvernement, demain, au moment approprié à
l'Assemblée nationale, de modifier l'ordre de l'Assemblée quant
aux heures de séances et quant aux groupes à être entendus
par la commission pour ajouter les heures de séance que j'ai
énumérées tantôt. Si j'informe la commission
à ce moment-ci de ces changements, c'est en fonction de la
nécessité pour le secrétariat de communiquer avec
certaines personnes, peut-être même immédiatement, puisque
nous ajouterons trois heures de travaux demain soir, soit de 20 heures à
23 heures, ce qui nous permettra d'entendre trois organismes.
Jeudi, en soirée, nous siégerons de 19 h 30 à 22 h
30, ce qui permettra encore une fois d'entendre trois organismes. Vendredi, il
y aura trois heures de séance le matin, soit de 9 heures à midi,
et trois autres heures de séance en après-midi, de 14 heures
à 17 heures, ce qui permettra à la commission d'entendre six
personnes ou organismes additionnels. Finalement, lundi, la commission pourra
siéger de 10 heures à 13 heures et de 15 heures à 16
heures pour entendre quatre personnes ou organismes additionnels et pour
terminer ses travaux, tel que l'ordre original de la Chambre le
prévoyait, par deux heures de discussion entre le parti
ministériel et le parti d'Opposition, et ce de 16 heures à 18
heures. Ceci permettra, à ce moment-là, de respecter l'ordre de
l'Assemblée de tenir la séance de travail prévue par le
règlement au plus tard mardi et de procéder au dépôt
du rapport de la commission au plus tard mercredi, tel que la motion
l'indiquait.
Je vous remets, M. le Président, pour que vous en saisissiez le
secrétariat, deux copies de cette liste de personnes ou
organismes additionnels qui seront entendus et ce, aux heures
indiquées de façon à ce qu'on puisse procéder aux
communications qui s'imposent.
Le Président (M. Filion): Merci. Est-ce qu'il y a une
intervention? M, le député de Gouin.
M. Rochefort: Oui, M. le Président, vous me permettrez de
souligner que, finalement, ce que le leader du gouvernement nous annonce, c'est
que le gouvernement est toujours pressé dans le dossier constitutionnel;
il a toujours urgence pour le gouvernement, à un tel point, de
poursuivre la précipitation, l'improvisation et le travail à la
sauvette dans un dossier aussi lourd de conséquences pour l'avenir du
peuple québécois.
Je comprends de l'intervention que vient de faire le leader du
gouvernement quant à l'organisation de nos travaux, que le gouvernement
nous dit une nouvelle fois par la voix du leader du gouvernement, qu'il n'a
toujours pas l'intention d'entendre tous les groupes, tous les experts et tous
les individus qui ont demandé jusqu'à maintenant d'être
entendus par la commission, comme c'était leur droit légitime de
le faire. Il refuse aussi, à ce que je comprends, la demande minimale
que faisait l'Opposition, d'ajouter au moins, une nouvelle semaine de
consultations de groupes, d'experts et d'individus qui en ont fait la demande,
pour permettre un tant soit peu aux groupes d'envergure nationale, au moins, en
partie, d'avoir le droit qu'ils ont demandé, celui d'être entendus
par la commission et, donc, d'éclairer les membres de la commission.
Comme je le disais, je pense que non seulement ils privent l'Opposition, mais
tout le monde, y compris le gouvernement, et peut-être, de façon
particulière, le ministre, d'être éclairés. On a vu
combien ses discours ont évolué entre le premier jour de nos
travaux et la conclusion qu'il faisait lui-même, en conférence de
presse vendredi dernier, de ce qu'il a tiré des enseignements qui lui
ont été donnés par les éminents
constitutionnalistes qui se sont présentés devant nous.
On remarque que le moyen retenu par le gouvernement est d'ajouter des
heures, les unes par-dessus les autres, ce qui fera qu'on siégera en
soirée et qu'on escamotera le cadre dans lequel on permet
habituellement, non pas aux parlementaires, mais aux groupes, de se
présenter et de comparaître devant nous à l'occasion d'une
séance de commission parlementaire. (22 h 15)
Cela dit, je dois quand même souligner que, pour nous, il y a une
évolution positive au fil des jours et des semaines dans l'attitude du
gouvernement quant à la moins grande fermeture qu'il offre aux groupes
qui veulent se présenter devant nous. Il faut se rappeler qu'au sortir
du lac Meech, il n'était même pas évident dans la
tête du premier ministre, d'après ses propres déclarations,
qu'il y aurait une commission parlementaire. Il avait des réserves
importantes, voire des objections, au départ, à ce que cette
commission, si un jour elle devait être retenue, soit
télédiffusée. Par la suite, cela a été la
politique des petits pas. On nous a dit: Peut-être une semaine. Et on a
fini par réussir à se rendre à deux semaines. Finalement,
on va tenter de nous faire faire deux semaines dans une semaine.
Donc, au minimum, on est heureux de noter qu'au fil des semaines, il y a
quand même une petite évolution, une politique des petits pas par
en avant du côté gouvernemental qu'on a, au minimum, réussi
à obtenir par les interventions du chef de l'Opposition vendredi
dernier, par son intervention directe auprès du premier ministre, par
les interventions que nous avons reprises ce matin auprès du ministre
qui, lui, comme à l'habitude, a fait la sourde oreille à nos
demandes. Au minimum, on note que, finalement, l'Opposition aura réussi
à convaincre le gouvernement d'ajouter au moins 16 heures de travaux
à ce qu'il a annoncé en fin de semaine dernière, jeudi
dernier, pour l'organisation des travaux de cette semaine. Et, en ce sens, M.
le Président, toute proposition qui a pour but de permettre à
plus de groupes, à plus d'experts, à plus d'individus qui
s'intéressent aux questions constitutionnelles d'être entendus par
la commission des institutions dans le cadre de nos auditions sur le lac Meech
évidemment, est reçue positivement par l'Opposition, même
si, je le répète, pour nous, cela illustre encore la
précipitation, la sauvette et l'improvisation totale.
M. le Président, je veux souligner immédiatement que nous
réservons notre jugement au gré de l'évolution que
connaîtra probablement encore une fois l'intérêt
auprès des groupes, des experts et des individus qui
s'intéressent à ces questions et qui, comme on l'a vu depuis le
début de nos travaux, s'ajoutent au jour le jour dans les demandes de
comparution devant nous. Donc, nous réservons nos commentaires
définitifs à l'évolution que pourra connaître
l'intérêt parmi ces groupes, parmi ces experts, parmi ces
personnes. Nous maintenons qu'il y a toujours une ouverture manifestée
par le premier ministre lui-même auprès du chef de l'Opposition
dans une conversation qu'ils ont eue ensemble en fin de semaine
dernière, au cours de laquelle le premier ministre a formellement
envisagé ou évoqué la possibilité que nous
puissions poursuivre nos travaux jusqu'à mardi inclusivement. Et nous
considérons, M. le Président, qu'il y a donc, aux dires
mêmes du premier ministre, une
disponibilité de temps qui pourrait nous permettre de poursuivre
nos travaux dans la mesure où d'autres groupes pourraient nous demander
d'être entendus comme cela a été le cas de l'ensemble des
groupes qui ont été ajoutés jusqu'à maintenant.
M. le Président, je conclus mon intervention en disant que pour
nous le dossier est loin d'être fermé, que le premier ministre
lui-même a offert des disponibilités qui pourraient fort
probablement être utilisées pour permettre aux nouveaux groupes de
se présenter et que nous sommes heureux que 16 heures soient
ajoutées, à la suite de nos pressions, mais qu'une bonne
commission dans un dossier important, aussi important pour l'avenir du
Québec, aurait permis à tous ceux et toutes celles qui ont
formellement, par les voies régulières, demandé
d'être entendus de l'être. En ce sens, M. le Président, il
est évident que c'est un bon pas, mais nous sommes loin de l'objectif
d'ouverture, de transparence et d'association de l'ensemble des groupes
concernés et intéressés par ces questions, objectif que
nous aurions voulu retrouver chez le gouvernement.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie M. le
député de Gouin. M. le leader.
M. Gratton: Très brièvement, par courtoisie pour
nos invités qui ne sont pas ici pour nous entendre palabrer sur des
questions de procédure. Je me réserve bien sûr le loisir de
répondre à l'argumentation du député de Gouin au
moment opportun, c'est-à-dire au moment où l'on présentera
demain la motion pour modifier l'ordre de la Chambre à
l'Assemblée nationale. Je lui dis d'ores et déjà qu'avec
les organismes que nous avons l'intention d'ajouter demain, nous aurons
déjà dépassé, au terme des travaux de la
commission, le nombre d'organismes et de personnes qui ont été
entendus en 1980 et en 19B1. On peut blâmer le gouvernement de sa
façon d'agir, mais le résultat est quand même
supérieur dans le cas qui nous préoccupe. Cela étant dit,
M. le Président, je voulais donner avis à la commission de cette
intention du gouvernement demain et nous pourrons reprendre le débat au
moment opportun à l'Assemblée nationale.
Le Président (M. Filion): Donc, M. le leader, sous
réserve évidemment de ce qui va se passer en Chambre et du vote
qui pourrait avoir lieu en Chambre sur cette motion amendée qui
constitue l'ordre de l'Assemblée en vertu duquel nous siégeons
déjà depuis une dizaine de jours.
M. Gratton: Permettez-moi d'ajouter, M. le Président, que
c'est en consultation avec l'Opposition que j'ai choisi d'informer la
commission, en quelque sorte, de donner un préavis à la
commission de notre intention de procéder demain.
Le Président (M. Filion): D'accord, demain
après-midi.
Une voix: Matin. Une voix: Demain après-midi.
Union des producteurs agricoles
Le Président (M. Filion): Donc, de retour à nos
invités, je voudrais les remercier de leur patience; d'abord, il est
déjà 10 h 22. Je ne sais pas s'il y en a qui vont encore dire que
les parlementaires ne travaillent pas fort, vous serez témoins, en tout
cas, de certaines veillées.
Je voudrais, évidemment, saluer M. Jacques Proulx,
président. Bien que je connaisse les personnes qui l'accompaqnent, pour
le bénéfice du Journal des débats et
également pour le bénéfice des membres de cette
commission, j'apprécierais que vous puissiez, M. Proulx, nous
présenter les personnes qui vous accompagnent ce soir. Après
quoi, sans plus tarder, je vous inviterais à commencer l'exposé
de votre mémoire dont copie écrite nous a été
remise, qui a été distribué, je pense, aux membres de
cette commission et qui est donc, aux fins de notre procès-verbal,
déposé en bonne et due forme. M. Proulx.
M. Proulx (Jacques): Merci, M. le Président. Je voudrais
présenter M. François Côté, qui est responsable du
Service des études et recherches, et M. Jean-Yves Duthel, qui est aux
communications à notre orqanisme.
M. le Président, mesdames et messieurs les députés,
je remercie la commission des institutions d'avoir bien voulu nous entendre
bien qu'il nous faille regretter fortement le fait que nous discutons non pas
sur des textes juridiques, mais sur les termes d'un communiqué de
presse. C'est comme si nous, agriculteurs, demandions aux consommateurs
d'acheter un nouveau produit sans qu'ils puissent le voir, simplement en leur
promettant qu'il est bon parce que c'est nouveau.
Nous aurions aussi voulu avoir la latitude de parler de tous les aspects
majeurs dans le domaine agricole que touche l'entente du lac Meech. Faute de
temps, nous en serons réduits à un langage quasi
télégraphique. Je voudrais quand même rappeler que
l'agriculture est le premier secteur primaire au Québec et la
transformation agro-alimentaire le premier secteur industriel
québécois, ce que tout le monde a tendance trop souvent à
oublier.
Lorsque nous sommes, en tant que
producteurs et productrices agricoles, à l'origine
d'investissements de près de 14 000 000 000 $ et de 400 000 emplois
directs et indirects, il va de soi que le cadre constitutionnel qui va
régir notre société et notre peuple
québécois exige une attention particulière. Nous ne
reviendrons pas ici sur tous les aspects de ce projet d'entente. Certains
touchent à la spécificité culturelle
québécoise dans l'ensemble canadien et le Mouvement Québec
français qui, j'espère, est sur la nouvelle liste qui a
été déposée, vous exprimera ses critiques et ses
craintes. En tant que membres de cet organisme, nous l'appuyons
entièrement.
Aujourd'hui, l'UPA veut surtout vous sensibiliser è deux points
de l'entente du lac Meech: le pouvoir de dépenser et l'enchassement dans
la constitution de la conférence annuelle des premiers ministres sur
l'économie. Ces deux points ont et auront un poids déterminant
sur l'agriculture québécoise.
Le pouvoir de dépenser. L'agriculture est une compétence
partagée dans la Confédération canadienne et, selon le
cas, de juridiction exclusivement fédérale ou provinciale ou
encore des deux. De ce partage des compétences découle,
d'ailleurs, un grand nombre des mécontentements historiques des
agriculteurs. Avant de devenir partenaire de la nouvelle constitution
canadienne, le Québec doit enfin obtenir des garanties fermes quant au
partage des pouvoirs et au droit de dépenser. Tel n'est malheureusement
pas le cas dans l'entente du lac Meech qui, à notre niveau de
préoccupation, marque un recul. Citons le texte en question: "...le
Canada doit accorder une juste compensation à toute province qui ne
participe pas à un nouveau programme national à frais
partagés dans un domaine de compétence provinciale exclusive si
cette province met en oeuvre, de son propre chef, une initiative ou. un
programme compatible avec les objectifs nationaux."
En agriculture, nous y retrouvons grosso modo les pouvoirs suivants: le
commerce et la commercialisation interprovinciaux, la vulgarisation,
l'éducation, la formation technique et la formation aux adultes en ce
qui nous concerne, les ressources naturelles, le bois de la forêt en ce
qui nous touche, le régime foncier, le zonage et l'environnement, comme
compétence exclusive du Québec.
Comme compétence exclusive du fédéral, les pouvoirs
suivants: la commercialisation et le commerce interprovinciaux et
internationaux.
Les compétences partagées y sont touchées: le
développement régional, la réglementation des secteurs
laitiers et horticoles, l'utilisation de pesticides, la recherche, la
sécurité des revenus, le contrôle du classement et de
l'inspection des produits agricoles et le financement agricole.
Où en sommes-nous maintenant? Déjà, par le
passé, le Québec n'a pas retiré sa juste part des
dépenses fédérales dans le programme de la stabilisation
parce qu'il mettait sur pied ses propres programmes, conçus de la
manière dont il l'entendait. L'entente du lac Meech maintient
l'ambiguïté, prolonge l'inéquité et, pour l'avenir,
tout programme québécois similaire à un programme
pancanadien bénéficierait d'une juste compensation. Pourquoi pas
une totale compensation d'abord? Et ensuite, si, comme cela risque fort
d'être le cas, les priorités et besoins de développement
agricole québécois ne concordent pas avec ceux du
fédéral, ce dernier ne verserait aucune compensation
financière.
En plus, si d'aventure le gouvernement central décidait d'entrer
de plein pied dans une juridiction provinciale comme l'environnement, le zonage
ou l'éducation, la commercialisation ou la protection des sols,
Québec se verrait en pratique soustraire le pouvoir qu'il
possède. Nous courons au-devant de multiples affrontements, de nouvelles
inéquités, telles que nous avons eu à en vivre avec le
Nid-de-Corbeau. Et une fois cette entente constitutionnalisée, nous ne
pourrons même plus exercer les pressions nécessaires à la
protection des intérêts québécois. Tout gouvernement
du Québec qui voudrait résister à des politiques dites
nationales aurait l'odieux d'en arriver à la double taxation de ses
citoyens. L'exemple de la stabilisation des revenus des producteurs agricoles
est à lui seul fort éloquent.
Quant aux politiques nationales, à part le lait - et encore une
fois parce que les producteurs du Québec comptent pour 49 % de la
production canadienne - où nous pensons être traités
équitablement, le gouvernement canadien a une nette tendance à
assimiler agriculture et céréales, céréales et
Ouest canadien, en oubliant qu'ici aussi nous avons des
céréaticulteurs. Certes, le Canada est un important producteur
céréalier, mais il n'y a pas que cela et loin de là. Dans
la recherche, est-il besoin d'expliquer à quel point il est urgent que
nous recevions non seulement une part équitable des fonds
fédéraux, mais qu'il soit clairement établi que nos
priorités peuvent être différentes de celles du reste du
Canada?
L'adaptation des variétés, par exemple, n'est pas
identique au Québec et dans l'Ouest compte tenu des conditions
climatiques. Les exemples dans le domaine stratégique qu'est la
recherche ne manquent pas. Pour ce qui est du crédit agricole, il est
impensable que le gouvernement fédéral puisse mettre sur pied des
politiques nationales équitables sans tenir compte de facteurs
régionaux. Comment réussira-t-on à maintenir le pouvoir
central dans une stricte
juridiction de financement à lonq terme, alors que sa
Société du crédit agricole fait tout, sauf ce pour quoi
elle a été créée?
Nous concluons cette analyse sur le droit de dépenser par deux
propositions. Dans le cas des juridictions exclusivement provinciales,
Québec doit obtenir un droit de retrait inconditionnel et avec pleine
compensation financière. Au-delà des accords du lac Meech,
Québec a également le devoir d'obtenir ce même retrait
inconditionnel avec pleine compensation dans les juridictions partagées
au niveau agricole. Pour nous, ces demandes devraient couvrir autant les
intrusions du passé que celles de l'avenir. (22 h 30)
La conférence des premiers ministres sur l'économie. Cet
aspect de l'entente soulève pour nous une très grande
inquiétude. En effet, la pression qui s'exercera fatalement dans ces
rencontres à l'endroit des provinces, au niveau budgétaire
spécifiquement, rendra aléatoire pour notre gouvernement toute
velléité d'être différent. Or - qui en doute encore?
- le Québec est différent quant à de nombreuses
priorités sociales et économiques. Et cette différence se
reflète régulièrement dans le budget de l'État.
Comme dans toute logique politique, lorsqu'il y a un nivellement, c'est
plutôt vers le bas. Nous craignons fort que l'Assemblée nationale
finisse par devenir un "rubber stamp" des budgets fédéraux. En
agriculture, cela serait désastreux. Il n'y a, quant à nous, nul
besoin essentiel d'enchâsser dans l'acte constitutionnel ce qui devrait
être une rencontre de concertation, tout au plus, sinon d'information. La
nature politique du Canada porte déjà en elle assez
d'automatismes au niveau budgétaire, d'Ottawa vers Québec, pour
qu'il ne soit pas nécessaire d'en ajouter.
Mmes et MM. les députés, l'histoire de l'agriculture
québécoise, c'est beaucoup l'histoire du Québec. Les
productrices et les producteurs agricoles québécois sont d'abord
en liaison avec le gouvernement qui siège dans la Vieille Capitale. Nous
avons développé, et quel que soit le gouvernement au pouvoir, des
liens nombreux, suivis, forts, efficaces, la plupart du temps, avec le MAPAQ,
le MER, le gouvernement et l'Assemblée nationale. C'est là que
doivent se décider les priorités en agriculture, c'est là
que nous tenons, au nom de l'efficacité et du type d'agriculture que
nous nous sommes donné, à poursuivre le développement
institutionnel de l'agriculture.
En 40 ans, nous avons franchi le pas vers une agriculture
québécoise moderne et compétitive. Ce sont les efforts et
la volonté conjointe des producteurs, des productrices et de tous les
Québécois à travers leurs gouvernements successifs qui ont
permis de nous rendre où nous sommes: une agriculture performante, moins
dépendante de l'État qu'ailleurs, moderne, en expansion
malgré les problèmes inévitables. C'est aussi grâce
à des cadres législatifs conçus à Québec, du
fait qu'ensemble nous sommes capables d'établir nos priorités,
que nous avons réussi à créer une agriculture qui n'a rien
à envier au reste du Canada. Les interventions fédérales
en agriculture sont rarement vraiment satisfaisantes, parce que non
adaptées à nos spécificités et à cause
même du poids de l'Ouest et du Sud ontarien.
Déjà, nous connaissons un manque à gagner de la
part du fédéral. Cette inéquité liée
à des politiques dites nationales s'est comme incrustée dans une
longue tradition canadienne et, bien sûr, à notre total
désavantage. Laisser le gouvernement central empiéter plus encore
sur ce qu'il nous reste de spécificité, lui ouvrir la porte par
le pouvoir de dépenser dans nos juridictions, sans même exiger un
droit de retrait inconditionnel et totalement compensé, c'est inviter le
gouvernement du Canada à nous dicter nos priorités, agricoles et
notre développement agricole.
L'UPA ne peut souscrire à ces accords du lac Meech dont
disposeraient, à ta majorité, neuf juges de la Cour
suprême. L'ambiguïté, d'une part, et les absences, d'autre
part, ne nous inspirent nulle confiance. Afin de ne pas nous engager au niveau
agricole dans un goulot d'étranglement, il est nécessaire que le
Canada reconnaisse notre droit de choisir nos priorités. Ceci n'est
constitutionnellement possible qu'en obtenant un retrait inconditionnel et une
pleine compensation financière, tant dans nos juridictions provinciales
que dans celles qui sont partagées. Si ces conditions ne peuvent
être obtenues, le statu quo est moins dangereux que la signature des
accords du lac Meech. Merci, M. le Président.
Le Président (M. Filion): M. Proulx, merci de votre
mémoire. La parole est maintenant à M. le ministre
délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.
Chaque groupe dispose de près de 25 minutes pour dialoguer avec nos
invités.
M. Rémillard: Merci, M. le Président. MM. Proulx,
Côté et Duthel, je veux tout d'abord vous souhaiter la bienvenue
et vous remercier de venir témoigner devant cette commission. Vous
soulignez, à juste titre, dans votre mémoire, dès le
début, que l'agriculture est le premier secteur primaire au
Québec et que la transformation agroalimentaire est le premier secteur
industriel du Québec. C'est donc particulièrement
intéressant de vous entendre. Je veux vous assurer que le gouvernement
du Québec est particulièrement conscient de cette importance,
surtout dans le contexte actuel
des négociations de libre-échange avec les
États-Unis. Je peux vous dire que cette réalité
québécoise est très présente pour le Québec.
Je peux vous assurer que, dans ce domaine - je l'ai dit en Chambre et je vous
le répète - nous avons un droit de veto en ce qui regarde nos
domaines de compétences législatives et que nous ne
l'abandonnerons pas - vous pouvez en être certain - pour voir aux
intérêts de nos agriculteurs et faire en sorte que ce secteur
d'activité économique important du Québec ne subisse pas
des conséquences néfastes à la suite de ce traité
de libre marché.
M. Proulx, vous nous avez livré une communication
particulièrement intéressante. Vous terminez en nous disant que
l'UPA ne peut souscrire à ces accords du lac Meech. Donc, vous repoussez
les ententes du lac Meech, mais je crois comprendre de votre mémoire et
de votre exposé que vous ne regardez que le pouvoir de dépenser.
Vous n'avez pas étudié le fait que cette entente du lac Meech
consacre la spécificité du Québec, qu'elle donne au
gouvernement et à l'As3emblée nationale le rôle de
promouvoir et de protéger la caractéristique importante
maintenant qui est là et qui, pour la première fois dans notre
droit constitutionnel, sera inscrite comme étant une
société distincte: le Québec, société
distincte. Vous ne mentionnez pas aussi que trois juges de la Cour
suprême, qui viennent du Québec, pourront être nommés
à partir d'une liste fournie par le Québec et qu'en
matière d'immigration, nous allons avoir les pouvoirs de
sélectionner nos immigrants, non seulement ceux qui nous demandent
d'immigrer ici de l'extérieur, mais ceux aussi qui sont
déjà sur place. Nous allons pouvoir aussi leur donner les moyens
de prendre goût à la vie québécoise par des moyens
d'intégration. Nous allons pouvoir même avoir un minimum de
garanties pour l'immigration au Québec. Il y a aussi le pouvoir de veto
que nous récupérons par cette entente du lac Meech. Donc, vous
vous attardez essentiellement au pouvoir de dépenser. C'est, de fait, un
aspect important. Il y en a quatre autres, mais c'est quand même un
aspect important.
Je comprends de votre mémoire, M. Proulx, que vous repoussez le
statu quo, c'est-à-dire que vous considérez comme difficile la
situation actuelle. Vous analysez l'entente du lac Meech en disant: Cela ne
changera rien, parce que, dans des domaines de compétence provinciale
exclusive, ce serait conditionnel à ce que nous puissions établir
un programme québécois similaire. Vous le dites à la page
4 de votre mémoire.
Je voudrais vous dire à ce sujet, M. Proulx, que nous acceptons
de votre part le fait que le pouvoir de dépenser que le gouvernement
fédéral exerce présentement cause des problèmes
à certains égards; je pense qu'on est très conscient de
cela. L'entente du lac Meech a pour objectif de limiter ou de circonscrire
l'application de ce pouvoir de dépenser. D'une part, l'entente du lac
Meech accorde la possibilité aux provinces de se retirer, donc une
possibilité de "opting out" qui n'existe pas actuellement en droit
constitutionnel et qui existerait et, d'autre part, la possibilité de
recevoir des sommes d'argent en conséquence dans la mesure où
l'initiative ou le programme établi par la province est compatible avec
les objectifs nationaux. Je voudrais attirer votre attention sur ce sujet parce
que vous mentionnez à votre mémoire, à la page 4,
"similaire", alors que c'est "compatible". Cela est très
différent, M. Proulx; c'est très différent parce que
justement le premier ministre du Québec, M. Bourassa, a refusé le
mot "similaire" pour avoir celui de "compatible". Compatible veut dire
cohabiter, alors que similaire veut dire identique. Ce n'est pas la même
chose. Si vous reliez ce concept de compatibilité avec les objectifs
nationaux, qui ne sont pas des critères, qui ne sont pas des normes,
mais des objectifs généraux, vous voyez là peut-être
plus de flexibilité que votre mémoire ne pourrait le laisser
croire dans un premier temps. La question que je voudrais vous poser, M.
Proulx, est celle-ci: Si vous rejetez l'entente du lac Meech, est-ce que vous
considérez qu'il serait mieux de conserver le statu quo actuel?
M. Proulx: Je pourrais vous répondre rapidement, je vais
vous dire oui, mais je voudrais vous donner des explications sur cela. Je
voudrais vous dire, avant de répondre à votre question principale
que je suis très heureux de vous entendre dire que vous avez
gardé votre droit de veto sur la question du libre-échange.
J'aimerais quand même que vos confrères soient au courant de cela,
parce que je regarde des déclarations du ministre MacDonald la semaine
dernière -si ma mémoire est bonne - qui a avoué clairement
que... En tout cas, ceci dit en passant, je suis content que vous me le disiez
parce que vous avez participé de très près aux
négociations.
Je voudrais vous dire aussi, comme je l'ai dit au départ, qu'on
n'a pas touché à tous les points. Ce n'est pas que cela ne nous
intéresse pas, mais on a touché à des points qui nous
touchent en particulier. Vous pouvez relever à la page 4,
peut-être que ce n'est pas "similaire", je ne me souviens plus des mots
exacts... Je suis bien prêt à accepter cela. Je voudrais quand
même vous ramener à une réalité qu'on vit en
agriculture - j'imagine qu'on doit vivre dans d'autres secteurs - depuis de
nombreuses années et on sait ce que cela veut dire quand ce ne sont pas
des programmes en conformité avec les autres dans un cadre
fédéral pancanadien. Je vais vous parler de la bataille
qu'on livre depuis six ans - si ma mémoire est bonne - dans la
stabilisation. Nous sommes obligés de poursuivre le gouvernement
fédéral en justice à l'heure actuelle pour aller chercher
la part qui doit revenir aux producteurs du Québec.
Le programme de stabilisation que le Québec s'est donné
est un programme de stabilisation des revenus. La raison pour laquelle le
fédéral, de par ses programmes de stabilisation de prix, ne veut
pas contribuer à celui du Québec, est justement qu'on s'est
donné au Québec un programme de stabilisation différent.
Cela ne répond pas aux critères - appelez cela dans les termes
que vous voudrez - cela ne rentre pas dans le cadre général et
pour eux on doit rentrer dans le moule, on doit standardiser les politiques.
C'est bien logique quand on est là-bas, cela se peut, sauf qu'on a
choisi de se donner autre chose au Québec. On a décidé de
payer pour nous comme producteurs et tout le monde comme citoyens avec les
taxes parce que le gouvernement participe. On juge les gouvernements aussi au
Québec si on est d'accord ou pas d'accord avec les politiques. Je
considère qu'on n'a pas le droit de faire cela.
Je ne vous servirai pas d'autre exemple que la stabilisation, parce que
c'est le plus pertinent. Vous confirmez dans les écrits que vous avez
fait. Ne prenez pas ce qu'on a écrit, le mot "similaire", prenez les
termes que je prends. Je regarde une déclaration de M. Mulroney à
la Chambre des communes, qui dit: "Dans ce jeu constitutionnel, Ottawa aura
donc le double rôle de joueur et d'arbitre. Les provinces qui ne
respecteront pas les conditions fédérales n'auront pas la
compensation financière prévue", affirme-t-il. Les conditions
fédérales, dans l'exemple que je vous donne, c'est que ce soit
une stabilisation de prix plutôt qu'une stabilisation de revenu, que cela
couvre tel ou tel point qui ne doit pas être dépassé.
Je pense que vous allez comprendre rapidement notre grande
inquiétude. Jusqu'à aujourd'hui, on a joué une partie de
poker dans cela. C'est ambigu. De temps en temps on gagne, de temps en temps on
perd. J'ai l'impression que je vais jouer au poker parce que j'aime cela, car
je suis sûr que je n'aurai jamais les cartes parce que je n'aurai plus de
pouvoir politique. Parfois quand on réussit à faire assez de
pression sur les politiciens au fédéral et si on s'approche d'une
élection ou ainsi de suite, on va chercher des grenailles. Maintenant,
cela vient de finir. C'est là où se situe notre problème
dans ce domaine. Je pense que c'est complètement inacceptable. (22 h
45)
Je pense que la meilleure façon, c'est la compensation pleine et
entière. C'est un pouvoir qui est partagé et c'est essentiel
d'avoir cette compensation comme on nous l'a accordée parfois. Je vous
dirai plus, il n'a pas voulu accepter dans certains cas. On a proposé au
gouvernement fédéral, dans le cas de la stabilisation, non pas de
verser la compensation aux agriculteurs pour augmenter la compensation, on lui
a dit: Verser dans le fonds de stabilisation du Québec. On ne venait pas
privilégier des producteurs comparativement à d'autres
producteurs. On dit: Non... Nous avons décidé de nous en donner
un peu plus, c'est un choix de société qu'on a fait. C'est un
exemple, je pourrais vous en donner d'autres. On le vit également dans
d'autres productions; pour les agneaux et les moutons, ils nous doivent 500 000
$ à 600 000 $ à l'heure actuelle; concernant le porc, c'est
au-delà de 15 000 000 $ et dans d'autres productions, ce serait trop
long de les énumérer. Combien de millions ont été
versés aux autres producteurs du pays mais qui n'ont pas
été versés aux producteurs du Québec justement
parce qu'on s'est donné une politique de stabilisation!
M. Rémillard: Oui, M. le président Proulx, vous
savez - vous l'avez mentionné à plusieurs reprises - que
l'agriculture est un domaine de compétence partagée. Le
fédéral et les provinces peuvent donc légiférer en
matière d'agriculture avec une prépondérance du
gouvernement fédéral. C'est dans la constitution de 1867.
Évidemment, le pouvoir de dépenser, c'est le pouvoir pour le
fédéral de dépenser des sommes dans des compétences
exclusives aux provinces. C'est cela l'entente du lac Meech, c'est
là-dessus que cela porte.
Ici, nous ne sommes pas dans un domaine de compétence exclusive,
on est dans un domaine de compétence partagée. À la suite
de votre question, je me demande si vous voulez de nouveaux pouvoirs qui vous
permettraient d'avoir une compétence exclusive pour le Québec en
matière d'agriculture. Là on parle d'un pouvoir de
dépenser, mais on en parle dans le cadre d'un programme partagé.
Les programmes dont vous me faites part, ce sont des programmes que le
fédéral met en place non seulement par son pouvoir de
dépenser, mais par sa compétence simplement législative en
matière d'agriculture. Donc, il faudrait refaire la constitution et
donner cela en exclusivité à la compétence provinciale.
C'est toute une autre affaire dont il faut parler. On ne parle pas du pouvoir
de dépenser. Ce serait, à ce moment, changer la constitution de
1867 et donner à la seule autorité provinciale la
compétence de légiférer en matière d'aqriculture.
Je crois vous comprendre comme cela.
M. Proulx: Absolument pas, M. le ministre. Dans le passé,
le fédéral a
compensé, a versé des sommes et le provincial a soustrait,
dans certains cas, ces compensations. Que des parties soient exclusives au
fédéral ou exclusives au provincial ou que ce soit des programmes
partagés, c'est toujours la même chose dans le quotidien. Vous ne
changez rien de ce qui est sur la table à l'heure actuelle. Vous ne
changez rien; le peu que vous changez, c'est que vous renforcez les arguments
du fédéral pour ne pas nous verser notre part. Jusqu'à
maintenant, on a eu le loisir d'avoir nos politiques au Québec. On a le
crédit agricole depuis près de 40 ans. On s'est donné des
politiques de stabilisation. Il n'y avait rien dans la constitution ou s'il y
avait quelque chose, je ne sais pas, cela n'a pas dérangé. Ce
sont des choix qu'on s'est donnés.
Le problème, c'est que vous n'allez pas davantage chercher la
compensation qui doit nous revenir et pendant ce temps, cela nous coûte
plus cher. Le Québec est obligé de taxer davantage et cela nous
coûte plus cher en tant que producteurs parce qu'on participe à
tel programme. Ce ne sont pas des politiques ad hoc, ce sont des assurances.
Nous participons ainsi que le gouvernement. On a une part qui dort au
fédéral, qu'on n'a pas et qui est versée à d'autres
producteurs.
Les producteurs de porc ontariens, à l'heure actuelle, retirent
la stabilisation du fédéral. Du fait que je réside de ce
côté-ci de la frontière et que je me suis donné une
politique logique, on me la refuse. Vous n'allez pas la chercher avec ce qui
est là. Que cela entre dans le cadre, ou quels que soient les termes
qu'on emploie, ce sont les arguments que le fédéral a toujours
employés et qui se continuent. C'est cela, mon problème. Vous
n'allez pas chercher davantage notre dû, ce qu'il nous doit.
M. Rémillard: M. le président, je veux simplement
vous dire que pour aller chercher plus, dans le cas que vous mentionnez, il
faudrait que l'agriculture soit une compétence exclusive de la province.
Dans ce cas, ce n'est pas le pouvoir de dépenser, c'est tout simplement
en matière d'agriculture, ou en matière de commerce où
c'est aussi un domaine partagé. Le fédéral et les
provinces peuvent agir aussi dans un domaine partagé. On n'est pas dans
des domaines de compétence exclusive; c'est pourquoi il ne faut pas
reprocher cela à l'entente du lac Meech, mais au fait que la
constitution de 1867 ne donne pas une exclusivité aux provinces en
matière d'agriculture. Si vous voulez changer cela, on est prêts
à prendre bonne note de cela et à le défendre dans un
deuxième round de négociations où on va parler de tous ces
sujets concernant le partage des compétences législatives. Mais,
dans un premier temps, ce n'est pas cela, le pouvoir de dépenser,
vraiment, qui retient notre attention.
M. Proulx: Je veux vous dire, M. le ministre, que le quotidien,
l'habitude, ce qui s'est passé, c'est que le fédéral s'est
arrêté de verser aux provinces, aux provinces, au Québec,
pas depuis 1974 quand le gouvernement libéral du temps nous a
donné la loi sur la stabilisation agricole et qu'il a continué
à compenser avec le même programme de stabilisation jusqu'en
1980-1981. Il s'est arrêté autour de 1980-1981. Quand les
pressions des producteurs des autres provinces sont devenues tellement fortes
pour décrier les programmes qu'on s'est donnés au Québec,
là, politiquement, il a reculé et il s'est arrêté de
payer. Je veux dire: Pourquoi pendant des années et de quel droit le
fédéral verse de l'argent de mes taxes à des producteurs
qui produisent la même chose que moi et qu'il ne me le verse pas au
Québec? Ce n'est pas une question de compétence partagée
ou non, il y a des compétences en agriculture qui sont partagées,
d'autres qui ne sont pas partagées. Alors, je ne vois pas de quel droit
le fédéral l'a fait pendant six, sept ou huit ans et qu'à
un moment donné, il arrête parce que les pressions sont assez
fortes. C'est là qu'est le problème» Là, on ne
corrige absolument rien à une situation de fait.
M. Rémillard: Je veux simplement vous dire en terminant.
Qu'est-ce que vous voulez? C'est comme cela qu'ils ont écrit cela en
1867, c'est l'agriculture, c'est l'ensemble de l'agriculture qui est un domaine
partagé, même le commerce est aussi partagé entre les deux
niveaux de gouvernement. Donc, on se retrouve dans un domaine de
compétence législative partagée entre Ies deux niveaux de
gouvernement. Je prends bonne note de votre remarque. D'ailleurs,
j'étais très sensible à cette situation. Et, dans un
deuxième round de négociations concernant le partage des
compétences législatives, je pense qu'il va falloir regarder cela
de plus près, très sérieusement s'asseoir ensemble et
regarder ces problèmes. Pour le moment, pour le pouvoir de
dépenser, ce n'est pas tout à fait relié directement
à cela.
M. Proulx: C'est la même chose pour l'environnement,
l'éducation et la protection des sols. Je veux dire: Le matin qu'il veut
t'enfarger...
M. Rémillard: Pas l'éducation, M.
Proulx.
M. Proulx: Bien les programmes...
M. Rémillard: Pour l'environnement, vous avez
raison...
M. Proulx: ...de formation, l'éducation aux adultes, etc.,
cela va rentrer, ce sera la
même chose, l'environnement, ainsi de suite. Il va- falloir se
donner des politiques standardisées. C'est cela, le problème
qu'on vit depuis des années et qu'on ne vivait pas avant.
C'étaient pourtant les mêmes choses.
Le Président (M. Filion): Cela va, M. le ministre. Merci.
M. le chef de l'Opposition officielle.
M. Johnson (Anjou): Merci, M. Proulx, de votre mémoire.
Les gens disent que, quand on discute des questions constitutionnelles,
à un moment donné, on se répète. Je voudrais vous
dire que, si cela nous arrive de nous répéter de ce
côté-ci, de toute évidence, du côté de nos
invités, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de
répétitions. La contribution du mémoire de l'UPA est
très précise et très particulière au
problème des juridictions partagées et de ses effets, en
pratique, dans le cas de l'agriculture au Québec.
Quand j'écoute l'interprétation que le ministre donne de
l'article 95 du BNA Act, de la constitution canadienne de 1867, je suis un peu
étonné. Il a jugé à propos d'obtenir une
clarification dans le cas de l'immigration qui fait partie de l'article 95.
L'immigration comme l'agriculture sont des domaines, comme il le sait, de
compétences concurrentes en vertu du BNA Act. Or, il se targue, depuis
l'après-midi passé sur le bord du lac, qu'il a obtenu des
précisions en matière d'immigration, un domaine de juridiction
encore une fois qui n'était pas exclusive au fédéral.
C'est un domaine de compétence partagée. Il n'a rien obtenu dans
le cadre du même article, soit l'article 95 de la constitution, dans le
secteur de l'agriculture.
Deuxièmement, je pense que le ministre néglige quelque
chose quant au pouvoir de dépenser, quand il évoque cela. D'une
part, l'article général sur le pouvoir de dépenser ne
touche pas les domaines de compétences concurrentes ou de juridictions
concurrentes. La question qui se pose, c'est que, dans la mesure où le
pouvoir de dépenser de l'État fédéral s'exerce dans
un domaine de juridictions concurrentes, et que le Québec, lui, a un
programme qui n'est pas considéré comme compatible, pour
reprendre son expression, avec le programme fédéral, qu'est-ce
qui arrive? M. Proulx vient de nous expliquer ce qui se passe dans la
réalité et le fait que l'UPA doit poursuivre l'État
fédéral régulièrement pour qu'il contribue au
programme que le Québec s'est donné.
Je trouve que le ministre ne répond pas. Il dit: Ah! vous savez,
on ne parle pas de la même chose. On parle de deux choses: le pouvoir de
dépenser et les juridictions concurrentes. Bien, je regrette! Voici
précisément un exemple de ce que va amener la création
constitutionnelle du pouvoir de dépenser où, à toutes fins
utiles, on va transformer l'ensemble des juridictions exclusives du
Québec, à l'article 92, en équivalent de juridictions
concurrentes, à cause du pouvoir de dépenser.
Je pense que le ministre néglige absolument de répondre
aux problèmes de fond que ça pose. Je trouve que, d'une certaine
façon, ce que l'UPA nous dit, c'est ce qu'elle vit depuis des
années. Quand même, elle ne s'est pas référée
à 1800 tranquille. Elle a parlé des dix ou quinze
dernières années, d'un certain nombre de programmes mis sur pied
en 1974, etc.
Ce qu'elle vit dans le secteur de l'agriculture, les
inéquités qui en ont découlé pour les producteurs
agricoles du Québec, c'est précisément ce qui va
découler de l'article sur le pouvoir de dépenser du
fédéral dans le cas des juridictions exclusives des
provinces.
Je pense que, d'une certaine façon, la description qu'elle nous
fait de ce que vit le monde agricole quand les priorités du
Québec et les priorités du fédéral sont
différentes, c'est exactement ce qu'on va vivre dans la santé,
dans l'éducation, dans la culture, dans les communications, dans
l'environnement et dans l'ensemble des juridictions qui découlent de
l'article 92 qui sont des juridictions exclusives.
Je pense que c'est un pensez-y bien, pour le ministre. J'ai l'impression
que, finalement, il a été passablement ébranlé par
cette démonstration, même si sa réaction initiale ne le
laissait pas voir. J'aimerais peut-être l'entendre un peu
là-dessus, parce que je trouve que c'est extrêmement
pédagogique, ce que vient de nous donner l'UPA et autour d'un exemple,
l'environnement, peut-être.
L'environnement, en ce moment, est-ce que c'est le Québec qui en
a la juridiction? Est-ce que c'est le fédéral? Vous allez me dire
que la Cour suprême n'a pas tranché de façon
définitive. Dieu merci, non! Il y a des sections de l'environnement,
dans la mesure où c'était relié à certains autres
types d'activités... Est-ce que le ministre peut me dire qu'en
matière d'environnement... Cela n'existait pas comme rubrique en 1867.
Ce n'est pas dans la charte de 1982 non plus.
L'environnement, c'est dans les limbes juridiques. Cela va être
décidé par les neuf juges de la Cour suprême. Mais le
Québec est présent dans l'environnement. On prend l'exemple des
pesticides. C'est un exemple bien concret qu'on a devant nous et qui
préoccupe d'une façon extrêmement importante le monde
agricole.
Le fédéral, lui, qui déciderait d'exercer son
pouvoir de dépenser dans le secteur de l'environnement, à la
suite de l'accord du lac Meech, dirait: Voici, c'est quoi les normes. Ah non!
Le ministre me dit non, pas des normes, des objectifs. Très bien, il va
appeler ça des objectifs. Il faut s'occuper
d'appeler ça des objectifs. C'est la loi fédérale
qui va le déterminer. C'est le règlement adopté par le
Conseil des ministres du fédéral en fonction de la loi
fédérale qui va établir les objectifs.
Vous savez que les objectifs, parfois, ça peut entrer dans de
sérieux détails. Qu'est-ce qui va arriver? Il va falloir que le
Québec ait un programme compatible avec les objectifs nationaux s'il
veut être compensé. S'il ne l'est pas, il va lui arriver ce qui
arrive dans l'agriculture. C'est exactement le cas que vient de soulever M.
Proulx dans le cas des régimes de stabilisation. Je pense que c'est dans
le cas des éleveurs de parcs, si je ne me trompe pas. Exactement, parce
que, ultimement, l'Ouest canadien et l'État fédéral ont
dit: Écoutez, ce programme-là n'est pas compatible avec nos
objectifs nationaux. Résultat: Le fédéral ne contribue
pas. Nous, on a un programme, on a établi nos priorités en
fonction de nos besoins et les orientations de base du ministère de
l'Agriculture souvent établies en concertation, quand ce n'est pas suite
à des pressions ou des lobbies du monde agricole. Notre monde agricole,
ce ne sont pas des producteurs de blé de Moose Jaw en Saskatchewan, ce
sont les producteurs du Québec. Le gouvernement sur lequel ces
producteurs ont une certaine préhension, un certain poids, quand ils
revendiquent des choses, c'est le gouvernement du Québec, ce n'est pas
le gouvernement canadien dans le secteur de l'agriculture. (23 heures)
L'autre dimension que, à mon avis, le ministre a
négligé, ce sont les compétences concurrentes de l'article
95, c'est-à-dire l'immigration. On a senti le besoin de préciser
cela dans l'accord du lac Meech, mais on ne l'a pas fait dans le cas de
l'agriculture.
Une autre dimension me paraît être négligée
par le ministre qui la voit, je pense, d'un point de vue technique et
juridique; j'allais presque dire théorique. Ultimement, si on ne
raccorde pas le droit à des choses concrètes, il devient
théorique. Sur le plan fonctionnel, opérationnel, dans le secteur
de l'agriculture, en pratique, son interprétation de l'article 95 c'est
qu'une fois que le fédéral a décidé dans un domaine
de juridiction concurrente, que l'on prenne éventuellement tout ce qui
est dans l'article 92 avec le pouvoir de dépenser, il n'appartient au
Québec que de s'écraser. Il ne peut pas avoir ses
priorités, ses objectifs sans des tracasseries à ne plus finir,
sans être obligé d'exercer un poids politique, un lobby politique,
s'il me permet l'expression, qui permet de temps en temps de "brasser la cage",
mais c'est essouflant. Je comprends qu'à l'UPA, on paie des permanents
à l'année pour faire cela, mais je ne suis pas sûr que les
agriculteurs qui paient des cotisations tiennent absolument à ce que
leur argent soit dépensé tout le temps là-dedans. Mais il
faut faire cela tout le temps.
Je trouve que le ministre ne répond pas concrètement au
fait que l'intervention de l'État québécois en
matière d'agriculture passe aussi par l'environnement. Ce qui guette le
monde agricole au Québec, dans les dix ou quinze prochaines
années, va être largement dominé par les
préoccupations qu'on a dans la société
québécoise à l'égard de l'environnement. Ils le
savent. Ils le sentent. Les producteurs agricoles commencent d'ailleurs
à s'y adapter. Mais est-ce qu'on va appeler cela de l'agriculture
proprement dite ou de l'environnement? En admettant qu'on appelle cela de
l'agriculture, il y a le problème de la compétence
partagée. En admettant qu'on appelle cela de l'environnement, si le
fédéral, lui, a ses programmes d'environnement qui touchent le
monde rural, est-ce que nos programmes vont être compatibles? Quand on va
imposer aux agriculteurs dans les années qui viennent un certain nombre
d'investissements ou de contraintes quant à l'utilisation de certains
produits, au déversement de certains déchets, c'est de
l'environnement, ça. Mais qui cela touche-t-il? Cela touche le monde
agricole.
L'environnement, c'est provincial. Mais chose certaine, il y a un
pouvoir fédéral de dépenser que vous viendrez confirmer et
la nécessité pour le Québec de répondre aux
objectifs nationaux, s'il veut avoir sa compensation. Je vous réponds
qu'il se pourrait qu'au Québec, l'on prépare des programmes
d'environnement à la suite de discussions avec les qroupes
environne-mentalistes ou les groupes préoccupés par ces questions
et le monde agricole, et que les objectifs qui en ressortent aient
été taillés sur mesure pour les producteurs de blé
de l'Ouest canadien ou les producteurs de boeuf de l'Ouest canadien et que nos
programmes ne soient pas considérés, à toutes fins utiles,
comme compatibles. Donc, le Québec se retrouverait dans des programmes
où il aide le monde agricole à répondre à ces
questions d'épuration de déchets, d'utilisation d'un certain
nombre de produits parce qu'on trouve qu'ils dérangent la santé
ou l'environnement des gens, où il investirait des sommes massives
là-dedans avec le monde agricole mais ne pourrait pas être
compensé. Les Québécois continueraient de payer des taxes,
à Ottawa, qui serviraient à appliquer des programmes de
l'environnement fédéral à Moose Jaw et le Québec,
lui, ne pourrait pas obtenir de compensation.
Je pense que ce que vient de nous faire l'UPA comme démonstration
des difficultés fonctionnelles d'un domaine de compétence
partagée, en vertu de l'article 95, c'est pour moi une espèce de
préfiguration de ce qui va arriver dans le domaine agricole pour
l'environnement comme
dans d'autres domaines, qui sont des domaines de juridiction provinciale
en vertu de l'article 92.
Je me permets d'exprimer cela. Je ne sais pas si M. Proulx veut ajouter
des choses à cela, mais je me permets d'engager le dialogue avec le
ministre, là-dessus.
M. Rémillard: Par égard pour nos invités, M.
le chef de l'Opposition, j'aimerais mieux que vous posiez une question à
nos invités qui sont ici pour témoigner. Par politesse, je pense
qu'il faudrait leur poser la question.
M. Johnson (Anjou): Enfin, M. Proulx sait que c'est avec beaucoup
d'attention et d'intérêt qu'on a pris connaissance de son
mémoire. Je trouve que c'est un mémoire d'une limpidité
extraordinaire. En sept pages, l'UPA nous fait une démonstration
remarquable de ce qu'est la différence entre établir des
priorités et des objectifs québécois et des
priorités et des objectifs canadiens, et du genre de problèmes
que cela peut poser concrètement pour les gens, concrètement pour
les contribuables du Québec, concrètement dans le secteur de
l'agriculture et, éventuellement, dans toutes sortes d'autres
secteurs.
Alors, je peux difficilement demander à M. Proulx d'en ajouter.
Je pense qu'il a fait une démonstration que je n'avais pas encore vue
autour de cette table, ni chez nous d'ailleurs, ni chez nos amis d'en face, et
d'une façon très limpide, des problèmes que pose la
question de la compensation à l'égard du pouvoir de
dépenser du gouvernement fédéral, dans un domaine qui est
de compétence concurrente, mais qui pourrait fort bien s'appliquer au
domaine de compétence exclusive en vertu des accords du lac Meech. C'est
pour cela que j'aimerais entendre le ministre là-dessus.
M. Rémillard: Je voudrais, avant, demander à nos
invités s'ils ont quelque chose à ajouter. Il faut quand
même avoir cette politesse-là, ils sont ici pour témoigner
et répondre à vos questions.
M. Johnson (Anjou): Je remercie le ministre de m'expliquer qu'il
faut être polis. On sait tout cela, M. le ministre. J'ai invité M.
Proulx, s'il avait des choses à ajouter, à le faire. J'ai cru
comprendre qu'il n'ajoutait pas à l'affirmation que j'ai faite.
Peut-être que le ministre n'est pas prêt à répondre,
je veux bien et je présume qu'il nous en parlera demain. Je peux
comprendre, il est 11 h 10. Peut-être que le ministre ne veut pas
s'engager dans des choses comme celles-là ce soir, surtout que la
démontration est d'une limpidité extraordinaire et que le
ministre n'y répond pas. Merci, M. Proulx.
Il reste cinq minutes de l'autre côté.
On n'est pas obligés de tout prendre. Si le ministre veut
intervenir...
Le Président (M. Filion): Pour suivre la règle de
l'alternance, M. le chef de l'Opposition, vous avez terminé?
M. Johnson (Anjou): Oui, j'ai terminé et, encore une fois,
j'invite M. Proulx s'il veut ajouter des choses à son mémoire,
à l'exposé que j'ai fait ou s'il veut rentrer dans le
détail de la question de la compensation dans le cas des producteurs de
porc, ce qui est un exemple extrêmement précis des dangers que
recèle la formule du lac Meech, je l'invite sûrement à le
faire.
M. Proulx: En fait, il n'y a pas énormément de
choses à ajouter, mais il vaudrait peut-être mieux y aller sur
certaines autres questions que les membres de la commission pourrait avoir. On
a essayé de faire d'une façon pratique, la différence
entre une discussion - excusez l'expression -de salon et la
réalité quotidienne que l'on vit depuis des années. Cela
peut être très bien dans la constitution. Vous savez, je ne
m'aventurerais pas sur ce terrain parce que je ne pourrais pas parler, mais sur
l'autre terrain je peux aller pas mal loin, parce qu'on a quand même des
années d'expertise autour de cela.
Qu'est-ce que je pourrais ajouter sur la question des juges, parce que
vous l'avez soulevée, M. le ministre? On n'arrivera jamais à rien
en faisant trancher des questions aussi importantes par les juges. C'est
extrêmement dangereux. Si on n'est pas capable comme collectivité,
avec les institutions démocratiques que l'on s'est données, de
trouver des consensus, je trouve extrêmement dangereux que trois, quatre,
cinq ou six personnes aient à décider de ces choses-là.
Quand je me vois obligé d'aller à la Cour suprême, je sais
qu'il n'y a pas de retour. Que la décision fasse mon affaire ou non, il
n'y a plus aucune possibilité. Alors cela ne me console pas beaucoup et
cela ne me rassure pas énormément. Que trois juges viennent du
Québec ou d'ailleurs, pour moi, la justice doit se faire. En tout cas,
je ne vois pas les juges de la Cour suprême se prononcer en ma faveur
parce qu'ils viennent du Québec. Pour moi, la Cour suprême doit
être la plus juste et la plus équitable possible. C'est la logique
qui doit primer.
Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Proulx. Y
a-t-il un autre intervenant du côté ministériel?
M. Rémillard: II nous reste combien de temps?
Le Président (M. Filion): Cinq minutes environ, M. le
ministre.
M. Rémillard: De l'autre côté?
Le Président (M. Filion): De l'autre côté,
environ huit minutes, M. le ministre.
M. Rémillard: Si je comprends bien, M. Proulx, vous
préférez le statu quo à l'entente du lac Meech?
Brièvement, c'est juste pour savoir.
M. Proulx: Je l'ai dit clairement, M. le ministre, dans les
sujets que l'on a soulevés avec vous, on considère que cela nous
met même dans une situation pire qu'avant pour la compensation.
M. Rémillard: Très bien. Je vous remercie.
Le Président (M. Filion): Voulez-vous ajouter quelque
chose, M. Proulx?
M. Proulx: En fait, c'est clair et net. L'important, pour nous,
c'est d'aller chercher notre part, ce qui doit nous revenir,
l'équité en fait, et cela ne nous rassure pas du tout à
l'intérieur de cela. C'est du vécu, M. le ministre.
Pendant des années encore une fois, le gouvernement a
versé même à l'intérieur de nos programmes... Depuis
des années, on s'est donné des politiques particulières,
non seulement en agriculture, mais dans tous les autres secteurs
particuliers.
M. Rémillard: Je vous remercie. M. Brassard: M. le
Président.
Le Président (M. Filion): M. le député de
Lac-Saint-Jean.
M. Brassard: M. le Président, quelques remarques. À
partir du témoignage de l'UPA, je voudrais faire quelques remarques sur
le processus enclenché par le gouvernement. Voilà ce qui arrive
quand on déclenche ou on enclenche un processus tronqué, mal
foutu, comme cela a été le cas de la part du gouvernement. Si le
gouvernement libéral avait procédé de la façon
suivante: d'abord, faire connaître à la population une position
claire, articulée, écrite, adoptée par le Conseil des
ministres, position constitutionnelle, que cette position avait ensuite fait
l'objet d'une consultation populaire, l'UPA se serait présentée
à ce moment pour dire au gouvernement: Attention, vous oubliez quelque
chose dans votre position constitutionnelle, l'agriculture. Et, ils auraient
fait comme ils ont fait là. Ils auraient exposé leur point de
vue, la situation sur le plan agricole, leurs exigences, l'importance de
l'inclure dans les revendications constitutionnelles. Ils auraient
éclairé le gouvernement et, fort probable- ment qu'à ce
moment le gouvernement, devant les faits, devant une démonstration aussi
lumineuse qui vient de nous être faite, aurait probablement inclus dans
sa position constitutionnelle, dans ses revendications constitutionnelles,
l'agriculture, comme il a inclu l'immigration.
À ce moment, il se serait présenté à Ottawa,
au lac Meech en l'occurrence, face aux autres provinces et au gouvernement
fédéral, et il aurait négocié, discuté, avec
les autres provinces et le gouvernement fédéral pour faire en
sorte que l'on tienne compte de l'agriculture et qu'en particulier, en
matière de programmes fédéraux agricoles, on puisse
obtenir une pleine compensation, le droit de retrait inconditionnel comme c'est
réclamé par l'UPA présentement. Mais, comme ce n'a pas
été le processus choisi et privilégié par le
gouvernement, on se retrouve avec une entente conclue par les onze premiers
ministres. Et puis là, devant le témoignage de l'UPA et des
agriculteurs, le gouvernement ne l'avouera pas, mais il vient de se rendre
compte qu'il a oublié l'agriculture. Cela ne m'étonne pas,
remarquez, du gouvernement libéral parce qu'on le connaît. On
connaît sa méconnaissance traditionnelle en matière
agricole. Mais ils l'ont oubliée, l'agriculture. Ils viennent de s'en
rendre compte. Je suis convaincu que le ministre vient de se rendre compte
qu'il a oublié l'agriculture. Mais si cet oubli avait eu lieu au
début d'un processus comme je viens de le mentionner tantôt, la
gravité de cet oubli aurait été moins grande. Maintenant,
on est obligé de constater que l'on se trouve devant un oubli grave de
la part du gouvernement libéral, peut-être probablement
irréparable. Alors, voilà, M. le Président, ce que je
tenais à dire. Mes remarques portaient sur le processus. Si on avait
enclenché un véritable processus démocratique, ouvert,
à partir d'une position connue de la part du gouvernement, probablement
qu'on n'aurait pas connu cette situation.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le
député de Lac-Saint-Jean. M. le ministre.
M. Rémillard: Oui. Alors, M. Proulx, pour terminer, je
voudrais vous dire que je suis particulièrement heureux de vous entendre
parce que vous représentez des gens qui exercent un métier
spécialement noble, celui de fournir des matières
premières pour la nourriture. Je crois que c'est un métier
particulièrement noble, d'autant plus qu'il a joué un rôle
très important dans l'évolution de la société
québécoise. C'est dans ce contexte, M. le président
Proulx, que j'aurais bien aimé avoir le sentiment de vos membres sur le
fait que l'entente du lac Meech va consacrer, pour la première fois dans
la constitution, le fait que le Québec
est une société distincte, et que le gouvernement et
l'Assemblée nationale auront maintenant le rôle de protéger
et de promouvoir cette société distincte qu'est le
Québec.
J'aurais aimé vous entendre sur la Cour suprême, la formule
d'amendement, le droit de veto, sur ces aspects. Nous vous avons entendu sur le
pouvoir de dépenser. Ce que je voudrais simplement vous rappeler sur le
pouvoir de dépenser, c'est que ce pouvoir s'applique dans des cas
d'exclusivité. L'agriculture est un domaine de compétence
partagée. Vous nous avez soulevé beaucoup de cas qui posent
problème. Nous sommes particulièrement conscients de ces
problèmes, M. Proulx. Cependant, c'est un réaménagement
des compétences législatives qu'il va falloir faire. Ce
réaménagement, il va falloir le faire dans un deuxième
"round" de négociations constitutionnelles parce que, dans un premier
temps, nous avons demandé cinq conditions pour adhérer à
la constitution canadienne.
Dans un deuxième temps - cela aussi fait partie de nos conditions
- il y aura un "round" de négociations qui impliquera des aspects
concernant le partage des compétences législatives. De fait, nous
savons que dans le domaine de l'agriculture et d'autres sujets connexes... Le
chef de l'Opposition a parlé de l'environnement. On peut parler du
partage des compétences en matière de commerce également.
Alors, voilà un sujet qui devra être traité et
discuté pour qu'on ait un partage équitable et que le
Québec puisse avoir son propre plan de développement agricole et
que cela soit au bénéfice de ses agriculteurs et de sa
société québécoise. Cependant, lorsqu'on nous dit,
lorsque nos amis d'en face nous disent qu'on a oublié l'agriculture, je
voudrais leur dire qu'il faudrait qu'ils me disent où ce sujet se
retrouve directement impliqué dans le projet d'entente
constitutionnelle, où on fait une étude détaillée
de ce problème de l'agriculture. Alors, dans un cas comme
celui-là, M. le président Prouix, ce que je peux vous dire, c'est
qu'il s'agit dans un premier "round" de préciser une stratégie
qui va nous permettre de limiter la portée du pouvoir de dépenser
du fédéral, mais aussi dans un deuxième "round", de faire
en sorte que le partage des compétences législatives puisse se
faire pour qu'il y ait respect et meilleure coordination entre les deux niveaux
de gouvernement en ce qui regarde l'agriculture.
Je voudrais terminer en vous disant que je vous remercie de votre
présence ici, ce soir. Vos remarques sont venues, je pense,
compléter une réflexion, qui, pour ma part, m'amène
à dire qu'il faut limiter le pouvoir de dépenser mais il faut
aussi, bien sûr, s'attarder sur ce partage des compétences
législatives en matière d'agriculture, qui est partagé
entre deux niveaux de gouvernement et qui pose plusieurs problèmes. Je
vous remercie, messieurs.
Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre.
M. Johnson (Anjou): Je voudrais également remercier M.
Proulx et les gens de l'UPA qui l'accompagnent, encore une fois pour la
qualité et la clarté de leur mémoire et de leur
présentation, en étant conscient que c'est sûrement la
clarté de leur exposé qui a fait qu'on n'a pas eu besoin de leur
poser beaucoup de questions. Merci, M. Proulx.
Le Président (M. Filion): Donc, à mon tour, au nom
des membres de cette commission, M. Proulx, M. Duthel et également M. le
secrétaire, de vous remercier de vous être déplacés
à une heure aussi tardive. Sachez que nous avons apprécié,
à la fois, la qualité de votre mémoire, ainsi que la
collaboration que vous avez démontrée lors de nos discussions.
Nos travaux sont donc ajournés à dix heures demain matin.
Merci.
(Fin de la séance à 23 h 19)