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Version finale

33rd Legislature, 1st Session
(December 16, 1985 au March 8, 1988)

Tuesday, May 19, 1987 - Vol. 29 N° 57

Les versions HTML et PDF du texte du Journal des débats ont été produites à l'aide d'un logiciel de reconnaissance de caractères. La version HTML ne contient pas de table des matières. La version officielle demeure l'édition imprimée.

Audition de personnes et d'organismes relativement à l'entente constitutionnelle du lac Meech


Journal des débats

 

(Dix heures neuf minutes)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

Cette séance de la commission des institutions est déclarée ouverte.

M. Rochefort: M. le Président.

Le Président (M. Filion): Oui, M. le député de Gouin.

M. Rochefort: M. le Président, je voudrais...

Une voix: II y a un remplacement! Mme Blackburn è la place de M. Godin.

Le Président (M. Filion): On pourrait permettre, M. le député de Gouin, à Mme la secrétaire, de nous faire part des remplacements.

M. Rochefort: Oui.

Le Président (M. Filion): Je demanderais à la secrétaire, Me Lucie Giguère, de nous faire part des remplacements.

La Secrétaire: Les remplacements sont les suivants: M. Godin (Mercier) par Mme Blackburn (Chicoutimi); M. Kehoe (Chapleau) par Mme Pelchat (Vachon); M. Laporte (Sainte-Marie) par M. Lefebvre (Frontenac); M. Paré (Shefford) par M. Brassard (Lac-Saint-Jean) et M. Vallières (Richmond) par M. Séguin (Montmorency).

Organisation des travaux

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin, vous vouliez intervenir avant que je rappelle notre mandat.

M. Rochefort: Oui, M. le Président. Je voudrais adresser une question au ministre responsable des relations fédérales-provinciales. Comment dit-on cela maintenant? Le ministre...

Une voix: Des Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rochefort: ...des affaires canadiennes. M. le Président, j'aimerais que le ministre nous fasse part de ses décisions, étant donné que nous avons été informés qu'au moins cinq nouveaux experts auraient communiqué formellement avec le gouvernement et le secrétariat des commissions pour demander à être entendus par la commission des institutions dont le mandat est de tenir une consultation au sujet de l'entente du lac Meech. Au moins cinq nouveaux experts ont communiqué avec les instances gouvernementales pour demander formellement à être entendus avant que la commission mette fin à ses travaux. J'aimerais savoir si le ministre a pris une décision quant à la réponse qu'il entend donner - en tout cas, j'en ai cinq; il y en a peut-être plus - à ces cinq nouveaux experts qui ont fait une demande officielle.

Le Président (M. Filion): M. le ministre.

M. Rémillard: M. le Président, vendredi dernier, le premier ministre, M. Robert Bourassa, a offert au chef de l'Opposition, M. Johnson, la formule suivante: premièrement, que l'horaire de la commission soit réaménagé pour permettre que quatre ou cinq organismes ou individus suggérés par l'Opposition soient entendus; deuxièmement, que ces noms soient transmis par M. Martin Hébert, chef de cabinet du chef de l'Opposition, à M. Ronald Poupart du cabinet du premier ministre. À ce moment-ci, M. le Président, nous n'avons pas reçu réponse de l'Opposition à cette offre. Est-ce qu'on peut connaître la décision de l'Opposition sur ce point-là?

M. Rochefort: M. le Président, dans un premier temps, il est important de souligner, si je comprends bien, que ça ne tient pas compte des cinq nouveaux experts qui ont fait une demande au cours des dernières heures pour être entendus par la commission si le ministre se réfère, pour réponse à la demande de ces cinq personnes d'être entendues par la commission, à une conversation de vendredi dernier entre le premier ministre et le chef de l'Opposition. Sauf erreur, ces cinq personnes n'avaient pas encore fait part, à ce moment-là, de leur demande d'être entendues.

Deuxièmement, il faut être conscient que toute l'organisation des travaux de cette deuxième partie de la commission soulève quand même des problèmes importants. Par

les voies habituelles, normales, en suivant la procédure régulière, 59 groupes et individus avaient formellement demandé de participer à cette consultation de la commission des institutions entourant l'entente du lac Meech. La première nouvelle qu'on a entendue à la suite de ces demandes, c'est que le gouvernement a décidé, sans aucune consultation avec l'Opposition, de faire comparaître une quinzaine de groupes. Dans cette liste de groupes, on retrouve des gens qui n'ont pas demandé formellement, par les voies habituelles, à être entendus, alors qu'on refuse ce droit à près de 45 groupes et individus qui avaient demandé par les voies normales, d'être entendus.

Deuxièmement, la décision du gouvernement quant au choix des quinze groupes et individus est d'introduire deux nouveaux experts, si on peut employer l'expression, alors que, maintenant, on se retrouve avec une demande formelle d'au moins cinq nouveaux experts qui souhaitent, eux aussi, être entendus. D'autre part, il y a quand même au moins - et facilement identifiables sans débat - huit groupes d'importance nationale qui n'ont pas été retenus par le gouvernement. Pensons à l'Alliance des professeurs de Montréal, à l'Association québécoise pour la défense des droits des retraités et des préretraités, au conseil...

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin, une seconde, s'il vous plaîtl

Sur une question de règlement, M. le leader adjoint.

M. Rochefort: Mais, M. le Président, je suis déjà sur une intervention.

M. Lefebvre: M. le Président...

Le Président (M. Filion): Je vais écouter la question de règlement du leader adjoint.

M. Lefebvre: ...en ouverture de séance, le député de Gouin a fait référence à quatre ou cinq experts. C'est une suggestion qu'il nous fait...

M. Rochefort: Je n'ai pas fait de suggestion, j'ai posé une question.

M. Lefebvre: C'est une situation qu'il soulève, mais il fait référence maintenant à une liste d'organismes et d'intervenants qui souhaitaient, semble-t-il, selon les propos du député de Gouin, être entendus alors que, finalement, la commission a retenu quinze intervenants. Alors, il ne faudrait pas soulever deux problèmes dans cette même intervention du député de Gouin. J'aimerais bien qu'on dispose, dans un premier temps, de la question soulevée par le député de

Gouin, è savoir que quatre ou cinq autres experts auraient manifesté l'intention d'être entendus; j'aimerais que, dans un premier temps, on règle ce problème. Quant au reste, on verra, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Oui.

M. Rochefort: M. le Président, sur la question de règlement dans un premier temps et, ensuite, je poursuivrai, avec votre permission. J'adressais une question très précise au ministre justement en fonction de cinq nouveaux experts qui se sont ajoutés au cours des dernières heures et le ministre me répond que cela fait suite à une décision que le gouvernement a prise sur l'autre volet, à savoir l'ensemble de la sélection qu'il a faite à partir de la liste des 59 intervenants. Or, M. le Président, je veux effectivement couvrir les deux angles, celui que j'avais déjà ouvert et le nouvel angle qu'a ajouté le ministre dans sa réaction.

Avec votre permission, M. le Président, j'entends poursuivre pour vraiment bien situer les problèmes auxquels la commission est confrontée quant à l'organisation de ses travaux.

Le Président (M. Filion): Oui. Avec votre permission, effectivement, j'ai écouté attentivement l'intervention du député de Gouin qui a soulevé, dès le départ, la question des experts qui auraient manifesté leur désir d'être entendus durant la fin de semaine. Pour moi, comme vous le soulignez bien, M. le leader adjoint, il s'agit là d'un volet de notre problème qui concerne l'ensemble de nos travaux.

Effectivement, j'ai quand même entendu le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes répondre à la question du député de Gouin en faisant référence à une conversation qui concernait l'ensemble des organismes et des groupes qui, selon les dires, encore une fois, du député de Gouin, désireraient être entendus mais n'auraient pas été retenus par le gouvernement. À ce moment, je vous suqgère de traiter de l'ensemble de cette question dans un tout parce qu'elle concerne, finalement, nos travaux et l'ensemble de nos travaux. À ce moment, donc, je vais continuer à laisser la parole au député de Gouin en rappelant aux membres de la commission que cette contrainte du temps qui fait en sorte que ces interventions ont lieu, continue d'exister évidemment pour nos travaux d'aujourd'hui.

M. Rochefort: M. le Président, avec votre permission, ce que j'étais à dire c'est qu'il y a une décision gouvernementale qui a été prise de convoquer 15 groupes alors qu'on sait qu'il y a au moins 59 groupes et individus qui avaient demandé à être entendus.

Deuxièmement, de ces quinze groupes et individus que le gouvernement a décidé d'entendre, cinq ne sont pas des groupes qui avaient formellement demandé à la commission, par les voies habituelles, d'être entendus au cours de nos travaux de cette semaine.

Troisièmement, il y a au moins huit groupes d'envergure nationale qui ont carrément été écartés. On y retrouve des personnes représentant les retraités et les préretraités par l'Association québécoise pour la défense des droits des retraités et des préretraités qui avait demandé à être entendue, l'Alliance des professeurs de Montréal, des groupes culturels comme le Conseil québécois du théâtre, l'Union des écrivains du Québec, l'Union des artistes. On retrouve des mouvements nationalistes comme le Mouvement Québec français, comme la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal. On retrouve aussi des représentants des jeunes du Québec par la Fédération des associations étudiantes des collèges du Québec, la FAECQ. Je répète que les huit groupes auxquels je viens de faire allusion sont des groupes qui eux, contrairement à cinq des quinzes groupes et individus que le gouvernement a décidé d'entendre, avaient formellement demandé par les voies habituelles, normales, d'être entendus par notre commission.

J'ajoute aussi, M. le Président, qu'au moins quatre partis politiques ou mouvements politiques nationaux, qui avaient demandé eux aussi formellement d'être entendus par la commission, n'ont pas été retenus par le gouvernement alors qu'il a décidé de faire entendre d'autres formations politiques. Finalement, comme je le disais, en date de ce matin, quant aux informations que je possède, il y a au moins cinq nouveaux experts qui, dans les dernières heures, ont demandé à être entendus eux aussi en suivant les procédures habituelles, normales, les voies régulières, donc, en communiquant avec les instances gouvernementales et les instances responsables de l'organisation des travaux de la commission.

M. le Président, il y a Me Guy Tremblay, qui est un auteur bien connu dans le domaine constitutionnel, Me José Woehrling, qui elle aussi est une constitutionnaliste bien connue.

Le Président (M. Filion): Lui aussi.

M. Rochefort: Lui aussi, excusez-moi. Il y a M. Claude Morin, qui est bien connu pour ses connaissances dans les affaires constitutionnelles touchant les relations Québec-Ottawa, et M. Daniel Latouche, dont les écrits ont d'ailleurs été utilisés pas plus tard que jeudi dernier par le ministre des relations fédérales-provinciales. J'imagine qu'on lui reconnaît une certaine notoriété.

Finalement, il y a M. Pierre-André Côté, qui est probablement reconnu comme un des plus grands experts, sinon comme le plus grand expert au Canada dans le domaine de l'interprétation des lois. On sait combien l'interprétation du texte de l'entente du lac Meech sera importante dans l'avenir du Québec.

Je le répète, on se retrouve avec une décision unilatérale gouvernementale de convoquer quinze groupes...

Le Président (M. Filion): À l'ordre' M. le député de Gouin, s'il vous plaît. M. le leader adjoint du gouvernement, sur une question de règlement.

M. Lefebvre: M. le Président, il ne faudrait pas profiter d'une question strictement technique pour en faire un débat politique. Le problème soulevé par le député de Gouin fait référence, je me répète, au fait que quatre ou cinq experts auraient manifesté le désir d'être entendus, en plus de ceux que l'on a entendus la semaine dernière. Qu'on effleure en passant, à la satisfaction du député de Gouin, le fait que certains intervenants ne seraient pas, semble-t-il, entendus, cela pourrait aller, mais il ne faudrait quand même pas qu'on parle plus longtemps sur ce qui a été soulevé en introduction, soit les quatre ou cinq experts. Quant au reste, on vous suggérera tout à l'heure, par l'entremise du ministre, une façon d'évaluer la vraie question soulevée par le député de Gouin, soit les quatre ou cinq experts.

Il y a eu quinze organismes et individus qui ont été retenus à l'occasion d'une séance de travail tenue jeudi soir dernier. On a eu l'occasion, lors de cette séance de travail, de comprendre que des discussions qui avaient été tenues entre les représentants des deux groupes politiques, des ministériels et de l'Opposition, n'avaient pu accoucher d'un accord commun. Alors, on a dû - c'est de cette façon qu'on doit procéder lorsqu'on ne peut pas s'entendre - présenter une motion sur laquelle on a pris un vote, toujours en séance de travail. C'est sur cette décison que la commission devra... À partir du moment où vous aurez disposé de ce problème de procédure soulevé par le député de Gouin, on entendra les intervenants qui, finalement, ont été retenus en séance de travail.

Quant au reste, je vous demanderais de reconnaître le ministre qui attend toujours une réponse du chef de l'Opposition à la suite d'une proposition faite par le premier ministre vendredi dernier. On est, ce matin, mardi; on n'a pas encore eu de réponse. Aussi, M. le Président, M. le ministre a une autre suggestion à faire à l'Opposition quant à la façon dont on pourrait procéder pour régler le problème soulevé par le député de

Gouin.

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin, est-ce que vous voulez vous faire entendre sur la question de règlement?

M. Rochefort: Oui, M. le Président, pour dire que le député de Frontenac a fait une présentation des faits qui, quant à moi, nécessite un certain nombre de précisions, dans sa question de règlement.

On va bien se comprendre, il n'y a pas eu de discussion entre le gouvernement et l'Opposition sur la liste des intervenants qui ont été retenus jusqu'à ce jour, M. le Président. On nous a imposé une liste.

Deuxièmement, M. le Président, on retrouve, dans cette liste, quelque chose qui est apparu jeudi soir au moment de la séance de travail: cinq groupes ou individus sur quinze, le tiers, qui n'avaient jamais, en aucun temps, demandé à être entendus par la commission des institutions dans le cadre de l'exécution de son mandat de tenir des consultations entourant l'entente du lac Meech.

D'autre part, il y a 59 groupes et individus qui ont demandé à être entendus, eux. Aussi, on retrouve dans ces groupes, je l'ai dit, au moins huit groupes d'envergure nationale qui ne seront pas entendus, qui regroupent des instances syndicales, des groupes nationalistes, des organismes de défense de retraités et de préretraités, des jeunes et des organismes représentant des groupes culturels.

On retrouve aussi une sélection partielle de formations politiques à qui on demande de venir se présenter devant nous, alors qu'on refuse le droit à quatre autres mouvements ou formations politiques d'être entendues par la commission alors qu'elles ont demandé formellement de l'être. J'ai ajouté un nouvel élément qui est survenu après ce que nous a rapporté le ministre tantôt, qui est la demande formelle, et le par les voies régulières, de cinq nouveaux experts constitutionnels qui souhaitent, eux aussi, être entendus par notre commission.

M. le Président, ce que nous considérons, c'est que ce n'est pas un réaménagement du temps qui permettra au plus grand nombre possible de gens d'être entendus par la commission. C'est, au minimum, une semaine additionnelle de commission parlementaire, de consultations formelles par la commission des institutions, qui permettrait, un tant soit peu, de répondre en partie aux nombreuses demandes - on est rendu à au-delà de 64 - de groupes et individus parmi les plus importants de notre société qui demandent à participer à ces réflexions des membres de l'Assemblée nationale entourant l'accord du lac Meech.

M. le Président, permettez-moi de rappeler qu'il y a peu de pays dans le monde où on modifie les constitutions par une réunion au bord d'un lac de onze premiers ministres. La coutume régulière, habituelle, qu'on retrouve dans l'ensemble des pays est plutôt d'aller en consultation populaire, donc, un référendum national. Que, nous, on souhaite qu'il y ait au moins une semaine de plus de commission parlementaire, ce n'est sûrement pas exagéré par rapport à ce qui se passe dans les autres pays du monde qui décident de modifier leur constitution.

Le Président (M. Filion): Avant de vous reconnaître, M. le ministre, sur la question de règlement, je voudrais uniquement signaler aux membres de la commission que les interventions qui ont été faites ce matin ont trait à l'horaire de nos travaux, à la bonne marche de nos travaux. En ce sens-là, il m'apparatt préférable de vous indiquer que l'ensemble du problème de notre horaire devrait faire l'objet d'un seul échange, si l'on veut, et non pas de diviser nos problèmes en ce qui concerne les cinq experts nouveaux et les huit groupes ou organismes qui n'ont pu être entendus, malgré qu'ils aient demandé à l'être, etc.

En ce sens, sur la question de règlement, je disais en votre absence, M. le leader adjoint, qu'il serait préférable de traiter de l'ensemble du problème de nos travaux. Les cinq experts qui ont envoyé des télégrammes durant le week-end, en même temps que les huit groupes ou organismes qui n'ont pas été retenus, bien qu'ils aient demandé à l'être, et qui font partie, a dit le député de Gouin, de groupes d'envergure nationale, il faudrait donc traiter l'ensemble de ces problèmes d'un seul coup.

M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémi llard: M. le Président...

M. Johnson (Anjou): Si le ministre le permet, je peux lui donner une réponse sur ces questions.

M. Rémillard: Un instant, ce ne sera pas tellement long; j'apprécierais que vous me donniez une réponse après.

Tout d'abord, dans un premier temps, je voudrais bien dire qu'il y a eu consultation, qu'il y a eu discussion, mais il n'y a pas eu entente, c'est différent. Mais il y a eu consultation, il y a eu discussion; beaucoup de consultation et beaucoup de discussions, au point de départ. Deuxièmement, il faut quand même commencer quelque part et finir quelque part. Si on veut se référer au dernier précédent, le dernier précédent qui pourrait nous guider est celui de la commission parlementaire qui a été tenue par le gouvernement québécois de l'époque, le gouvernement péquiste, en décembre 1980 et janvier 1981. Pendant sept jours, on a

entendu 11 personnes et 27 groupes. Cela s'est passé sur le rapatriement de la constitution, point majeur qui soulevait ici toutes les questions. Moi-même, comme expert à l'université, à ce moment-là, je n'ai pas été entendu, mais il y a d'autres experts très compétents qui ont été entendus et qui ont fait valoir leur point de vue.

Ce que je veux dire, M. le Président, c'est qu'il est impossible d'entendre tout le monde. Aujourd'hui, le député de Gouin peut nous parler de cinq experts; demain, il pourra nous parler de 15, de 20 experts. En fait, il y a beaucoup d'experts qui aimeraient être entendus et je suis certain que cela pourrait être intéressant pour la commission, mais il faut comprendre quand même qu'il faut s'arrêter quelque part.

D'autre part, on soulève des cas comme, par exemple, celui de l'alliance des professeurs. L'alliance des professeurs, cela fait partie aussi de la CEQ. La CEQ sera entendue. Il faut s'entendre. Si la CEQ veut venir ici se faire entendre, elle peut se faire accompagner des gens de l'Alliance des professeurs, elle peut se faire accompagner d'autres personnes aussi qui sont membres de cette confédération qu'est la CEQ. (10 h 30)

C'est la même chose pour le Mouvement Québec français. Ce mouvement regroupe beaucoup d'associations et de confédérations. La CEQ, la FTQ, le Mouvement national des Québécois, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal et l'Union des artistes font partie du Mouvement Québec français. Si on entend le Mouvement Québec français, je suis bien d'accord, mais, à ce moment-là, on n'aura pas besoin d'entendre les autres organismes qui le composent. Que le Mouvement Québec français vienne avec l'ensemble des organismes qui le composent, il aura un mandat et ce sera de plus en plus évident.

Ce que je veux dire, en terminant, c'est que le dernier précédent qui peut nous guider est celui concernant la commission parlementaire qui a étudié la question du rapatriement de la constitution. Je le répète, il y a eu 11 personnes incluant les experts, 27 groupes et cela a duré 7 jours. D'autre part, lorsque le gouvernement péquiste a fait valoir son projet d'accord constitutionnel, il n'y a même pas eu de commission parlementaire sur ce projet d'accord. En outre, il en a informé le gouvernement fédéral avant d'en informer l'Assemblée nationale. Alors, si on veut se référer à ce qui a été fait par le précédent gouvernement, je crois que ce précédent serait particulièrement éloquent et j'ai de la difficulté à comprendre les remarques du député de Gouin.

Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.

M. Rémillard: M. le Président, je pourrais faire une proposition en terminant. On pourrait... Pardon?

M. Johnson (Anjou): Avant d'arriver à sa proposition, est-ce que le ministre accepterait de m'entendre?

M. Rémillard: Non, je voudrais faire ma proposition et, ensuite, je vais vous entendre.

Ma proposition serait celle-ci: Que la commission puisse siéger jeudi soir alors qu'elle ne devait pas siéger...

Le Président (M. Filion): Je m'excuse de vous interrompre immédiatement, M. le ministre. Il était déjà prévu que nous siégions jeudi soir.

M. Rémillard: Non, c'est mercredi soir. Excusez-moi.

Le Président (M. Filion): Ah bon! Alors, mercredi soir...

M. Rémillard: ...mercredi soir et vendredi matin et que, vendredi après-midi, on termine par nos conclusions de part et d'autre. On pourrait s'entendre pour une demi-heure de part et d'autre et on conclurait vendredi après-midi. Voilà la proposition, M. le Président.

M. Johnson (Anjou): M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): M. le Président, vous me permettrez d'abord de relever le fait que le ministre a mentionné l'existence d'une conversation entre le premier ministre et moi-même, vendredi après-midi alors que j'étais à Montréal. En effet, le premier ministre m'a rejoint vendredi après-midi, à mon bureau de comté. Je demanderais d'abord au ministre: Est-ce qu'il était présent à la conversation que j'ai eue avec le premier ministre?

M. Rémillard: Je ne crois pas que j'étais présent. C'est pour cela que le premier ministre...

M. Johnson (Anjou): Non? Bon. Alors, d'accord. Merci.

M. Rémillard: J'ai simplement rapporté qu'il y avait eu des conversations.

M. Johnson (Anjou): C'est pour cela que je voudrais peut-être clarifier les choses, étant donné que c'était dans le journal et diffusé par les postes de radio ce matin. Comme chaque fois, d'ailleurs, que le premier ministre m'appelle, cela se retrouve

soit à la période de questions, soit dans le journal. Le premier ministre m'a appelé pour discuter d'un certain nombre de choses, dont le problème des travaux de cette commission. Il a évoqué l'intérêt que représenterait peut-être le fait de réaménager du temps, d'ajouter un mercredi soir, un vendredi matin, possiblement, avait-il dit, mardi de la semaine prochaine tenant compte de la visite de M. Mitterrand mais que, pour terminer ces choses, il faudrait que d'autres s'en occupent. J'ai donc saisi l'occasion pour lui dire que, dans un premier temps, mon chef de cabinet pourrait entendre ce qu'aurait à dire le stratège de son cabinet, M. Poupart, je crois, mais que, dans mon esprit, c'était clair que ces choses-là ne se régleraient pas entre attachés politiques. Ce n'est pas un dossier qui va se régler entre attachés politiques. C'est un dossier qui devrait se régler entre parlementaires. Alors, cela peut se régler entre le premier ministre et moi-même ou, ce qui serait tout à fait normal, entre les leaders de nos formations politiques dont c'est la fonction dans notre droit parlementaire de régler ces questions d'horaires.

Deuxièmement, je ferai quelques remarques sur les derniers propos du ministre qui a dit: Écoutez, l'alliance des professeurs a demandé d'être entendue, la CEQ le sera, l'alliance fait partie de la CEQ. Je ne sais pas, le ministre n'a peut-être pas compris pourquoi... Je ne sais pas qui décide au gouvernement, le bureau du premier ministre ou lui-même, mais on va entendre la Chambre de commerce du Québec et aussi la Chambre de commerce de Montréal. À ma connaissance, la Chambre de commerce de Montréal fait partie de la Chambre de commerce du Québec. Et ce n'est pas nous qui avons suggéré cela, c'est la décision qui a été prise par la majorité ministérielle ou le bureau du premier ministre, selon le cas. Donc, on entendrait la Chambre de commerce du Québec et on entendrait aussi la Chambre de commerce de Montréal. Je ne vois pas pourquoi on n'entendrait pas aussi l'Alliance des professeurs de Montréal qui est le plus gros syndicat affilié à la CEQ avec 7000 membres dont des membres, encore une fois, qui sont concentrés dans la grande région métropolitaine. Cela a sûrement dans le monde syndical l'importance que la Chambre de commerce de Montréal a dans le monde patronal.

Ce type de raisonnement m'apparaît extrêmement dangereux. Il met surtout en évidence, je crois, l'absence totale de critère d'équité ou d'approche systématique dans le choix des groupes, qui a été fait par le bureau du premier ministre ou l'un quelconque de ses adjoints.

Dans les circontances, M. le Président, je dois souligner qu'il y a, comme l'a bien indiqué le député de Gouin tout à l'heure, au moins 8 groupes d'envergure dite nationale qui figurent dans la liste des 50 groupes initiaux dont les noms n'ont pas été retenus pour être entendus par la commission. On pense ici, notamment, à l'Alliance des professeurs de Montréal, à la Fédération des associations étudiantes des collèges du Québec, à l'Association québécoise pour la défense des droits des retraités et des préretraités, les personnes âgées. Dans le secteur culturel, on pense évidemment au Conseil québécois du théâtre, à l'Union des artistes, è l'Union des écrivains du Québec, puisqu'il n'y a aucun organisme à vocation culturelle dont le nom a été retenu par la majorité ministérielle. On pense évidemment è la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal qui a sûrement, par rapport aux mouvements nationaux, l'importance que la Chambre de commerce de Montréal a par rapport aux mouvements patronaux, même si elle fait partie du MNQ qui est une forme de fédération. Et on pense évidemment à l'ensemble des organismes politiques. Je ne parle pas des groupes locaux ou régionaux, mais je pense à des partis politiques qui sont inscrits auprès du bureau du président des élections. Sans compter encore une fois, M. le Président, que, ce matin, nous avons été informés que cinq experts, M. Morin, Me Woehrling, Me Tremblay qui avait déjà envoyé un télégramme la semaine dernière, Me Pierre-André Côté, de l'Université de Montréal, ainsi que M. Daniel Latouche que le ministre cite fréquemment, ont également demandés à être entendus. J'additionne, huit organismes majeurs, sans compter les autres formations politiques, alors qu'il y en a une qui a été retenue, le NPD-Québec qu'on va entendre éventuellement ce matin. Je ne sais pas pourquoi on n'a pas retenu les autres. Peut-être que le ministre a une réponse là-dessus.

Mais oublions même les partis politiques juste aux fins de la discussion. Huit organismes majeurs qui ont demandé à être entendus n'ont pas été retenus. Deuxièmement, cinq experts additionnels ont envoyé des demandes, étant donné qu'il ne semble pas y avoir de règle précise quant à l'heure à laquelle on doit faire savoir au gouvernement qu'on veut être entendu. Cela fait treize. Cela fait treize organismes au départ, sans compter les partis politiques. II y a du travail pour une semaine là-dedans, pas pour un petit mercredi soir d'une couple d'heures, avec peut-être une prolongation de deux autres heures vendredi matin. Il y a du travail pour une semaine. Il me semble que, si le gouvernement était sérieux, s'il voulait envisager sérieusement ce type de consultations, les leaders, du côté du gouvernement comme du côté de l'Opposition, pourraient s'asseoir et voir comment on pourrait, en procédant à un réaménagement à la fois cette semaine et la semaine

prochaine, s'organiser pour entendre le plus grand nombre de groupes possible. Encore une fois, ceux-ci, de bonne foi, ont tous demandé à être entendus, souhaitent l'être et ont, dans certains cas, sûrement l'importance relative de certains groupes que le gouvernement a choisi d'entendre même s'ils n'avaient pas demandé à être entendus à l'origine.

Le Président (M. Filion): M. le ministre.

M. Rémillard: M. le Président, d'abord je peux vous dire qu'on est prêt à entendre l'alliance des professeurs, ça ne pose pas de problème. Je voulais simplement souligner qu'on entend aussi la CEQ. Lorsqu'on parle, par exemple, du Mouvement Québec français, il faut comprendre que celui-ci va tenir une manifestation et on voit là que des associations du Québec français dont la CSN, la CEQ, la FTQ, l'UPA, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, l'Alliance des professeurs de Montréal, l'Association québécoise des professeurs de français, l'Union des écrivains, l'Union des artistes, on va tous les avoir. Que voulez-vous de plus? Je me dis qu'un précédent a été créé...

M. Johnson (Anjou): Le ministre dit: On va tous les avoir. Je m'excuse, dans ceux qu'il a nommés il y en a très peu qui ont été retenus.

M. Rémillard: ... par le gouvernement. Non, non, la CSN, la CEQ, la FTQ, l'UPA seront entendues.

M. Johnson (Anjou): Les autres parmi ceux que vous avez nommés n'ont-ils pas été retenus?

M. Rémillard: Mais on vous offre... Mais écoutez! Justement, on offre... On pourra aménager le temps. Ce sur quoi je voudrais revenir, M. le Président, je voudrais qu'on soit clair là-dessus, c'est que j'ai fait une proposition à savoir qu'on puisse travailler mercredi soir, vendredi matin et vendredi après-midi. J'ai fait cette proposition et je considère qu'avec cette proposition on donne encore plus de temps, si on compare au précédent que nous avons pour nous guider, qui est celui qui a été établi par le gouvernement péquiste en 1980-1981 lorsqu'il y avait eu une commission parlementaire sur le rapatriement, laquelle a duré sept jours et a entendu 11 personnes et 27 groupes incluant les experts. Jusqu'à maintenant, nous avons entendu 9 experts. Sans partisanerie, ce sont des experts qui sont venus témoigner devant nous. Les débats vont très bien. Ce matin, c'est dommage qu'on perde tout ce temps-là. On perd un temps précieux. Pourquoi ne pourrions-nous pas régler tout ça par une séance de travail?

On pourrait faire une séance de travail sur l'heure du déjeuner avec les deux leaders qui pourront s'entendre sur la liste et on ne perdra pas de temps.

Laissons-nous guider par les précédents qui sont créés et soyons conscients qu'on ne pourra quand même pas satisfaire tous ceux qui veulent être entendus. Je crois que ça montre l'intérêt de tous les Québécois et toutes les Québécoises pour cette commission, mais c'est notre responsabilité comme parlementaires aussi de tirer la ligne quelque part à un moment donné. Vous l'avez fait en 1980-1981 lors de votre commission parlementaire. Il faut le faire à celle-ci, c'est tout à fait normal. Dans ce cadre-là, je vous ai fait une proposition et je vous propose qu'on puisse aménager la liste lors d'une séance de travail à l'heure du déjeuner entre les deux leaders.

M. Rochefort: M. le Président...

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin.

M. Rochefort: ...dans un premier temps, une question au ministre. Est-ce que l'objet de la séance de travail entre les deux leaders a pour but d'aménager simplement les séances de mercredi soir et possiblement de vendredi matin?

M. Rémillard: C'est cela exactement. Et je fais une autre suggestion, M. le Président, c'est que tous les autres organismes ou experts puissent nous faire parvenir leur mémoire. On étudiera leur mémoire parce que cela est intéressant aussi de recevoir les mémoires. Je sais que d'autres personnes n'ont pas pu être entendues à la commission de 1980-1981. Ils ont envoyé des mémoires. Ils se sont fait entendre par des mémoires. Je pense que c'est une façon de procéder très démocratique et intéressante. On peut le faire en proposant un mémoire pour faire valoir ses points de vue. C'est ce qui avait été fait dans le précédent que vous avez vous-même créé quand vous étiez au gouvernement en 1980-1981. On pourra se fier à ce précédent. Suivons les règles que vous avez vous-même établies.

M. Rochefort: M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin.

Motion proposant de tenir des séances additionnelles

M. Rochefort: J'ai une motion en bonne et due forme à présenter à la commission qui se lirait comme suit: "Que, conformément à l'article 175 des Rèqles de

procédure, cette commission fasse rapport à l'Assemblée nationale de façon intérimaire pour lui signifier que, compte tenu du nombre de personnes et d'organismes ayant indiqué leur désir d'être entendus par la commission, il y aurait lieu que l'Assemblée modifie son ordre du 7 mai 1987 de façon à permettre que des personnes ou des organismes puissent être entendus par la commission les 26, 27 et 28 mai 1987 aux heures où peuvent siéger les commissions, que la séance de travail prévue à l'article 176 du règlement se tienne, s'il y a lieu, au plus tard le 29 mai 1987, que le rapport de la commission soit déposé à l'Assemblée nationale au plus tard le 1er juin 1987 et que ces séances, sauf les séances de travail, soient télédiffusées, que finalement ces séances additionnelles soient régies par tes règles précisées à la motion adoptée par l'Assemblée le 7 mai 1987 sous réserve des présentes."

M. le Président, j'ai copie...

Le Président (M. Filion)î Est-ce que vous avez une copie de votre motion, M. le député de Gouin?

M. Rochefort: ...pour vous de la motion.

Le Président (M. Filion): Merci.

M. Rochefort: Si vous me le permettez, je vais la présenter. M, le Président, c'est pour nous très clair que la commission qui se tient depuis mardi dernier est extrêmement importante. Cette commission a pour but de permettre aux membres de l'Assemblée nationale...

Le Président (M. Filion): Avant que vous n'entriez sur le fond de votre motion, M. le député, je veux entendre les arguments sur la recevabilité de la motion. La parole est donc à M. le leader adjoint. Je lui signale que copie de la motion va lui être transmise aussitôt que la photocopieuse aura terminé son bon travail. (10 h 45)

M. Lefebvre: M. le Président, dans un premier temps, je voudrais que vous m'entendiez sur la recevabilité de la motion présentée par le député de Gouin. On sait que la commission des institutions a à évaluer un mandat qui lui a été confié par l'Assemblée nationale. Alors, je vous soumets que la motion du député de Gouin est irrecevable. Ce qui a été également arrêté, c'est que c'est en séance de travail qu'on a élaboré la structure de la commission, qu'on a arrêté toute la technique devant s'appliquer aux travaux de la commission. Dans un premier temps, on présente une motion qui est irrecevable parce que voulant modifier une décision de l'Assemblée natio- nale et également parce que dérogeant à la règle qui veut que les travaux de la commission soient évalués quant au processus, quant à la procédure... Autant la durée des travaux que les organismes experts qui devront être entendus, tout cela doit être décidé en séance de travail. Alors, la motion du député de Gouin, M. le Président, je considère que vous devez décider qu'elle est irrecevable.

En conclusion, je trouve un peu exceptionnel et difficile à comprendre qu'on se batte pour gagner du temps supposément parce que la commission ne siégerait pas assez longtemps, alors qu'à une proposition ferme du ministre on attend toujours une réponse. J'oserais même dire qu'on a eu comme réponse à la suggestion de continuer nos travaux mercredi soir de cette semaine et vendredi...

M. Rochefort: M. le Président...

M. Lefebvre! J'en viens à la conclusion que cette suggestion ministérielle a été refusée par l'Opposition. J'ai de la difficulté, M. le Président, à concilier non seulement la procédure, mais le fond également.

Le Président (M. Filion): Sur...

M. Lefebvre: Sur la recevabilité, je considère que vous devez décider que toute cette discussion, s'il y a lieu, doit se faire en séance de travail. C'est la sugqestion qu'on fait. Dans un deuxième temps, j'aimerais qu'on ait une réponse à une proposition informelle qu'on a faite, soit de siéger mercredi soir de cette semaine et vendredi. Je souligne qu'on est, par des moyens dilatoires, à gaspiller une demi-journée de notre commission. Il est 10 h 50 et on n'a rien de fait jusqu'à maintenant.

Le Président (M. Filion): Encore une fois, M. le leader adjoint, je pense qu'on peut faire le débat sur la question qui est devant nous, et qui est la motion déposée par le député de Gouin, sans prêter d'intention à quelque groupe que ce soit. M. le député de Gouin, sur la recevabilité.

M. Rochefort: Sur la recevabilité. Vous me permettrez deux commentaires sur l'argumentation politique qu'a faite le leader adjoint du gouvernement dans le cadre d'une intervention sur la recevabilité. Je lui dirai dans un premier temps que si, pour lui, c'est une motion dilatoire que de permettre a des Québécois et à des Québécoises représentatifs d'un nombre important d'autres Québécois et Québécoises de se faire entendre sur un document aussi important pour l'avenir du Québec, je considère que trois quarts d'heure pour l'avenir d'un peuple, ce n'est pas quelque chose de dilatoire et

qui a pour but de faire perdre du temps è qui que ce soit.

Deuxièmement, je dirai que la motion qui est devant nous est une motion parfaitement recevable. J'inviterais d'ailleurs le leader adjoint du gouvernement à la lire puisque, justement, on avait prévu l'intervention et les objections de procédure qu'aurait le leader adjoint du gouvernement. Le texte même de la motion n'a pas pour but que la commission aille à l'encontre d'un ordre que lui a donné l'Assemblée. On est conscient que la commission ne peut défaire les ordres de l'Assemblée. Elle a pour but d'utiliser les prescriptions de notre règlement, à l'article 175, qui permettent en tout temps à une commission de faire motion pour déposer un rapport intérimaire à l'Assemblée. Cela est parfaitement respectueux des règles qui nous régissent. L'objet, justement, de ce rapport intérimaire serait d'informer l'Assemblée nationale elle-même des problèmes auxquels sont confrontés les membres de la commission quant à l'organisation des travaux que lui dicte l'ordre qui a été adopté par l'Assemblée le 7 mai dernier.

En conséquence, nous n'avons pas cette intention parce qu'on ne peut pas le faire. L'objet de notre motion n'est pas de changer ici l'ordre de l'Assemblée - on ne peut pas le faire - mais c'est justement d'utiliser ce que notre règlement fournit comme instrument, en ce sens de permettre à la commission de demander à l'Assemblée de changer son ordre pour s'ajuster d'abord à la décision unilatérale et pas très transparente et ouverte du gouvernement de ne convoquer que 15 groupes dans les 59 qui ont formellement demandé à être entendus en en ajoutant 5 qui n'ont jamais demandé à être entendus; deuxièmement, de lui permettre de s'ajuster à l'évolution que connaît l'intérêt des travaux de la commission partout au Québec où, déjà, 5 nouveaux experts au cours des dernières heures - au minimum -ont demandé à être entendus, comme également les 59 autres groupes qui l'avaient fait formellement jusqu'à ce jour.

M. le Président, c'est une motion parfaitement recevable et une motion qui a pour but - les travaux de la semaine dernière nous l'ont prouvé éloquemment -que les membres de la commission, des deux côtés, soient bien informés avant de prendre quelque décision que ce soit qui engagera l'avenir du Québec autour d'un texte qui, faut-il le rappeler, demeure encore aujourd'hui, une vingtaine de jours après l'entente du lac Meech, un texte de communiqué de presse en l'absence totale de textes juridiques. Dois-je le rappeler, M. le Président?

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint du gouvernement.

M. Lefebvre: M. le Président, les travaux de la commission de la semaine dernière avaient été, dans un premier temps, organisés en séance de travail. C'est la règle que les travaux d'une commission soient structurés et organisés en séance de travail. D'ailleurs, jeudi soir dernier - j'ai le procès-verbal en main - une séance de travail a été tenue, où on a décidé des travaux de cette semaine, commençant effectivement ce matin.

Ce que je suggère... En attendant, on pourra justement entendre les Québécois qui veulent se faire entendre...

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint du gouvernement,

M. Lefebvre: Ce que je suggère...

Le Président (M. Filion): ...sur la recevabilité de la motion.

M. Lefebvre: C'est dans ce sens-là que je vous suggère de rejeter la motion du député de Gouin, celle-ci étant irrecevable, compte tenu que la suggestion du député devrait être faite à l'intérieur d'une séance de travail, ce à quoi nous n'avons aucune objection. Entre-temps, la commission pourrait tenir ses travaux; c'est ce pourquoi elle a été constituée.

Le Président (M. Filion): D'accord.

M. Lefebvre: C'est ce que je vous suggère.

Le Président (M. Filion): Alors, je n'ai pas...

M. Rochefort: Un commentaire, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Oui, M. le député de Gouin.

M. Rochefort: Si, effectivement, M. le leader adjoint du gouvernement veut qu'on procède rapidement à amorcer l'audition des groupes prévus pour ce matin, il n'a qu'à donner son accord à l'adoption, sans débat, de la motion que j'ai présentée, auquel cas l'Assemblée nationale, donc les deux leaders, pourra organiser nos travaux de la semaine les 26, 27 et 28 mai. Alors, il n'y aura pas d'autres débats qui nous empêcheront de procéder immédiatement à l'audition des groupes.

S'il ne veut pas donner son accord et s'il veut aller se camoufler en séance de travail, qui est à huis clos, non enregistrée et non télédiffusée, il n'aura pas notre accord pour faire en sorte que la majorité impose, par son simple poids, sa façon de fonctionner, comme elle l'a fait la semaine

dernière en triturant l'organisation des travaux de la commission.

M. Lefebvre: En conclusion, si vous me permettez...

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint du gouvernement.

M. Lefebvre: ...M. le Président. On procède exactement comme on l'a fait en 1980 et en 1981.

Une voix: Tout le temps.

M. Lefebvre: À l'occasion de travaux à peu près semblables, qui traitaient d'un sujet semblable, c'est comme cela qu'on a procédé. Je ne crois pas que l'Opposition libérale, à l'époque, ait soulevé le genre d'arguments auxquels vient de faire référence le député de Gouin. Je vous souligne, en terminant, que le député de Gouin a suggéré jusqu'à présent trois problèmes à évaluer ou, si vous voulez, on devra se prononcer sur trois questions soulevées par ce dernier. C'est dans ce sens que je considère que c'est irrecevable et cela démontre que c'est en séance de travail que l'évaluation des questions soulevées par le député de Gouin doit être faite, à savoir, semble-t-il, d'ajouter quatre ou cinq experts, de rediscuter du nombre d'organismes et d'ajouter des séances, ce sur quoi nous sommes d'accord car nous vous l'avons proposé. On attend toujours une réponse.

M. Rochefort: Puis-je souligner, M. le Président, qu'on est loin...

Le Président (M. Filion): Sur la question de recevabilité, M. le leader adjoint du gouvernement et...

M. Lefebvre: M. le Président, si vous me permettez de conclure.

M. Rochefort: II n'a rien à dire.

Le Président (M. Filion): Non, mais j'aimerais bien qu'on revienne...

M. Lefebvre: Oui.

Le Président (M. Filion): ...sur ce dont on discute...

M. Lefebvre: Oui, oui.

Le Président (M. Filion): ...à savoir la question de recevabilité de la motion déposée par le député de Gouin.

M. Lefebvre: Cela devient évident, M. le Président, que tout cela démontre que la motion du député de Gouin est irrecevable parce que ce genre de questions doit être discuté en séance de travail...

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin, j'aurais une question à poser...

M. Lefebvre: ...de sorte que la commission ne perde pas de temps...

Le Président (M. Filion): ...au leader adjoint afin de m'éclairer. M. le leader adjoint du gouvernement, vous avez vu l'article 175; sur quoi vous fondez-vous lorsque vous argumentez que cette commission peut décider de la motion déposée par le député de Gouin, mais en séance de travail?

M. Lefebvre: Parce que, dans un premier temps...

Le Président (M. Filion): Pour m'éclairer.

M. Lefebvre: Oui. La commission siège à la suite d'une décision prise à l'Assemblée nationale. Les travaux jusqu'à ce matin ont été arrêtés, évalués, structurés et décidés à l'occasion de deux séances de travail, M. le Président.

Alors, sur la foi du précédent, à l'intérieur même de cette commission-ci, vous devriez vous servir du précédent mis en place depuis quinze jours, le précédent auquel j'ai fait référence, d'une commission semblable tenue en décembre 1980 et en janvier 1981, et également du fait que le procès-verbal du 12 mai fait référence à une séance de travail qui a été tenue jeudi soir dernier pour décider des travaux de cette semaine.

Je vais ajouter aux commentaires du député de Gouin que nous n'avons aucune objection de principe - mais il reste qu'il faut se comprendre, M. le Président - à décider tout cela devant les caméras et au grand public. Mais, entre-temps, on n'entend pas nos intervenants. Une séance de travail du 14 mai a décidé des travaux de cette semaine. Si on veut modifier ça, et pour la bonne marche de nos travaux, je suqgère qu'on le fasse pendant l'heure du lunch, entre-temps, on pourra disposer des intervenants qui ont hâte d'être entendus, M. le Président.

Alors, cela a été décidé jusqu'à maintenant. C'est en séance de travail que les travaux étaient évalués et décidés. Je suggère qu'on applique la même règle. À première vue, ça m'apparaît irrecevable.

Le Président (M. Filion): D'accord. Sur la question de la recevabilité de la motion, je me considère comme étant suffisamment informé. Je pense que ça vaut la peine de lire la motion déposée par le député de

Gouin: "Que, conformément à l'article 175 des Règles de procédure, cette commission fasse rapport à l'Assemblée nationale de façon intérimaire pour lui signifier que, compte tenu du nombre de personnes et d'organismes ayant indiqué leur désir d'être entendus par la commission, il y aurait lieu que l'Assemblée modifie son ordre du 7 mai 1987 de façon à permettre que des personnes ou des organismes puissent être entendus par la commission les 26, 27 et 28 mai 1987 aux heures où peuvent siéger les commissions, que la séance de travail prévue à l'article 176 du règlement se tienne, s'il y a lieu, au plus tard le 29 mai 1987 que le rapport de la commission soit déposé à l'Assemblée nationale au plus tard le 1er juin 1987 et que ces séances, sauf les séances de travail, soient télédiffusées, que finalement ces séances additionnelles soient régies par les règles précisées à la motion adoptée par l'Assemblée le 7 mai 1987, sous réserve des présentes." Donc, le contenu de la motion est en ce sens de présenter un rapport intérimaire à l'Assemblée nationale pour permettre à nos travaux de se poursuivre la semaine prochaine, les 26, 27 et 28 mai 1987.

Première remarque: La motion n'affecte en rien, si l'on veut, les décisions qui ont déjà été prises. Même si cette motion affectait les décisions qui ont déjà été prises par cette commission en séance de travail, à ce moment-là, je vous ferais remarquer l'article 175. Il est important de le lire: "Toute commission peut déposer un rapport intérimaire à l'Assemblée." C'est expressément prévu par notre règlement. "Il ne peut être présenté à cette fin qu'une seule motion par séance."

La première conclusion de la lecture de l'article 175 de notre règlement, c'est qu'il est expressément prévu qu'un rapport intérimaire puisse être adressé par notre commission à notre mandataire, l'Assemblée nationale. Deuxièmement, on prévoit même qu'il ne peut être présenté qu'une seule motion par séance de la nature de celle-ci. Dans ces circonstances, vous comprendrez qu'il me paraît tout à fait conforme à notre règlement de débattre cette motion et, en conséquence, je la déclare recevable.

À ce moment-ci, les droits de parole sont connus des parlementaires. Il s'agit d'une motion de forme et le proposeur a une période de 30 minutes qui lui est allouée. Les droits de parole, par la suite, sont tels que stipulés à l'article 209, c'est-à-dire une période de dix minutes pour les autres intervenants.

M. Lefebvre: M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: J'aimerais bien comprendre la nature de votre décision. Si vous considérez que la motion est recevable, à première vue, j'aimerais bien que vous vous prononciez sur la double conclusion qu'on retrouve dans la motion en question, à savoir... Vous avez raison de faire référence à l'article 175 qui prévoit qu'une commission peut déposer un rapport intérimaire. Déposer un rapport intérimaire qui ferait, je pense, référence aux travaux tenus à ce jour, cela, c'est le premier volet. (11 heures)

M. Rochefort: Question de règlement, M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin, je vais continuer d'entendre M. le leader adjoint et je vous reconnaîtrai...

M. Lefebvre: C'est le premier volet...

M. Rochefort: Non, M. le Président, c'est sur ce que dit le leader.

M. Lefebvre: Bien, vous aurez...

Le Président (M. Filion): Vous soulevez une question de règlement sur l'intervention du leader adjoint. M. le député de Gouin, question de règlement.

M. Rochefort: M. le Président, à moins que vous ne nous fassiez part de votre intention de revenir sur votre propre décision, je considère que l'intervention du leader adjoint du gouvernement est non pertinente, puisqu'elle a pour but de vous faire revenir sur une décision que vous avez déjà rendue. Il est en train de faire valoir une nouvelle argumentation pour justifier, j'imagine, dans son esprit, que vous changiez votre décision.

M. le Président, ou vous avez rendu une décision ou non. Si elle est rendue, je veux effectivement utiliser rapidement mon droit de parole, en deux ou trois minutes, pour présenter ma motion. Si votre décision n'est pas rendue, je ne comprends pas trop ce qu'on a fait durant les quinze dernières minutes.

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, je veux vous entendre. Évidemment, avec l'expérience parlementaire que vous avez, avec les responsabilités qui incombent à votre rôle, vous savez fort bien qu'une fois une décision rendue elle est rendue et doit être respectée. Néanmoins, je vous prierais de terminer votre intervention. Je vous écoute.

M. Lefebvre: Je n'ai pas du tout l'intention, M. le Président - et ce serait inutile de le penser - de vous faire changer d'avis. On appellera cela une question de

directive plutôt qu'une question de règlement. Je suggère que la motion du député de Gouin comprend deux conclusions, à savoir qu'un rapport intérimaire soit fait à la commission et également qu'on évalue... La première conclusion, on la retrouve dans les deux ou trois premières lignes de la motion, alors que tout le reste, ce sont des suggestions faites par le député de Gouin, sur lesquelles la commission pourrait se pencher en séance de travail. Il y a deux choses là-dedans, M. le Président, et j'aimerais vous entendre là-dessus. Sur quoi voulez-vous qu'on discute, ce matin? Est-ce qu'on parle du rapport intérimaire qui pourrait être remis à la commission ou si on discute de tout le reste de la motion qui a été présentée par le député de Gouin? Je vous suggère de nous donner des directives dans un sens ou dans l'autre, parce que te débat ne sera pas le même, selon qu'on traite d'un volet de la motion ou du deuxième volet de la question du député de Gouin; ce n'est pas la même chose.

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint, je vais vous répondre immédiatement. La motion qui est devant nous vise è faire en sorte que cette commission fasse rapport à l'Assemblée nationale. Le reste de la motion contient les éléments qui, selon le proposeur, devraient faire partie du contenu de ce rapport à l'Assemblée nationale. Est-il utile - je ne le crois pas - de vous rappeler que, bien sûr, quant au contenu du rapport intérimaire, celui-ci peut être modifié? Si vous désirez modifier la motion du député de Gouin, vous pourriez vous prévaloir de votre droit de faire une motion d'amendement. Je pense que vous me comprenez bien. Quant à la décision rendue, c'est un rapport intérimaire dont le contenu est partie à la motion.

À ce moment-ci, le député de Gouin m'a signifié son intention d'intervenir pendant deux ou trois minutes sur le fond, si l'on veut, de cette motion de forme.

M. Marcil: Question de règlement.

Le Président (M. Filion): Question de règlement, M. le député de Beauharnois.

M. Marcil: Oui, étant donné que l'horaire est chambardé à la suite de cette discussion, il serait peut-être important d'informer le groupe qu'on devait rencontrer à 11 heures qu'il sera entendu seulement cet après-midi.

Le Président (M. Filion): Le député de Gouin a déjà manifesté son intention de n'intervenir que pendant quelques minutes sur la motion déposée à ce moment-ci. Je vous suggère de disposer de la motion, à la suite de quoi nous pourrons entrevoir les conséquences de nos débats sur le déroulement de nos travaux. M. le député de Gouin.

M. Rochefort: M. le Président, effectivement, comme je vous l'ai indiqué tantôt, même si notre rèqlement m'accorde 30 minutes pour présenter ma motion, je considère qu'il est important non pas de la présenter, mais de l'adopter pour permettre au plus grand nombre de groupes et d'experts d'être entendus sur ce texte d'entente extrêmement important, lourd de conséquences pour l'avenir du Québec.

M. le Président, je répète que près de 64 groupes et individus ont déjà demandé, par les procédures habituelles, d'être entendus par notre commission. Un nouveau groupe de cinq experts, au minimum, ont demandé formellement à être entendus. Au moins huit groupes d'envergure nationale ont été rayés de la liste par le gouvernement: des groupes de jeunes, des groupes de personnes retraitées, des groupes culturels et artistiques, des groupes nationalistes, des groupes syndicaux et des formations politiques nationales.

Je conclus donc que, quand on tient compte de ces groupes d'envergure nationale, quand on tient compte de ces nouveaux experts qui ont demandé d'être entendus, il y a matière à accorder, au minimum, une nouvelle semaine d'audition de groupes, d'individus et d'experts par la commission parlementaire.

Ce n'est pas satisfaisant, un petit mercredi soir et un petit vendredi matin, Cela, c'est cinq nouveaux groupes seulement alors qu'il y a, au minimum, une quinzaine de groupes et d'experts qui doivent être entendus si le gouvernement maintient sa décision de ne pas entendre tout le monde. D'ailleurs, dois-je rappeler que déjà le gouvernement a inséré dans la liste qu'il nous a imposée pour cette semaine cinq groupes et individus qui n'avaient pas demandé par les voies normales, régulières et habituelles, d'être entendus par la commission des institutions? Ces groupes ne figurent même pas sur la liste que nous a transmise votre service de secrétariat de la commission.

D'autre part, il faut quand même rappeler que le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes a lui-même déclaré, vendredi matin dernier, lors d'une rencontre avec la presse, qu'il n'était pas trop au courant des critères qui avaient prévalu à la composition de cette liste de quinze groupes. Je pense que cela nécessite qu'il reparle lui-même avec le leader du gouvernement pour faire en sorte que la liste soit ouverte.

Le ministre nous a parlé tantôt de précédents. Parlons-en des précédents. On est d'accord. Le ministre nous a dit que, lorsque

le rapatriement unilatéral de la constitution a eu lieu en 1980-1981, le gouvernement de l'époque, du Parti québécois, avait entendu 38 groupes et individus.

Une voix: ...

M. Rochefort: Quand on additionne 11 et 27, cela fait 38, jusqu'à nouvel ordre. Je lui dirai que, justement, en ajoutant une semaine de travaux, on se rendrait à peu près à 38 groupes et individus qui seraient entendus par la commission. Dois-je rappeler que cette commission avait pour but de se pencher sur le rapatriement unilatéral qui excluait le Québec, qui ne liait pas le Québec, alors qu'aujourd'hui le ministre veut faire en moins de temps une consultation plus courte sur un texte d'entente qui engage l'avenir de tout le Québec pour des décennies à venir peut-être? Il y a une différence fondamentale entre les deux.

D'autre part, le ministre nous a dit: Oui, mais quand l'ancien gouvernement a déposé son projet d'accord constitutionnel, il n'a pas tenu de commission parlementaire. Dois-je lui rappeler qu'il s'agissait là d'un projet d'accord constitutionnel qui n'a jamais été, d'aucune façon, l'objet d'une entente entre le gouvernement du Québec, le gouvernement du Canada et le gouvernement des neuf autres provinces? Actuellement, il y a entente mais, déjà, c'était un projet d'accord gouvernemental. On cherche même la politique du gouvernement libérai actuellement en matière constitutionnelle. On ne la trouve que dans certaines pages et certains feuillets de résolutions adoptées ici et là en conseil général ou en congrès national du Parti libéral du Québec. Il n'y a même pas d'équivalent à ce texte du côté gouvernemental au moment où on se parle.

Finalement, au cours des années 1971 à 1986 inclusivement, sous deux gouvernements, le gouvernement du Parti libéral et le gouvernement du Parti québécois, il y a eu une trentaine de précédents de commissions parlementaires très importantes qui ont été tenues - mais sûrement pas de l'importance de la commission qui siège actuellement, ici, au salon rouge - et qui ont entendu des groupes de 40, 50, 60 ou 100 intervenants pour leur permettre de venir éclairer les membres d'une commission parlementaire sur un sujet ou l'autre. Pensons à la loi 101 en 1977; la commission avait siégé durant 207 heures et avait entendu 70 groupes qui étaient venus participer aux travaux de la commission parlementaire. Pensons à la commission qu'a tenue le ministre actuel de l'Éducation, cet hiver, avec ma collègue de Chicoutimi où 73 groupes ont été entendus sur la question du financement des universités. Et on va nous dire que, sur l'avenir du Québec, sur sa place à l'intérieur du Canada, une semaine et demie de travaux en commission pourrait suffire, non pas sur des textes juridiques qui seront les textes qui lieront le Québec pour des décennies à venir, mais sur des textes de communiqués de presse.

M. le Président, je conclus en disant que cette motion doit être adoptée pour permettre au minimum, puisque le gouvernement refuse toujours d'entendre tous les groupes et individus qui ont demandé à être entendus, qu'une nouvelle semaine de travail parlementaire intensif soit organisée afin que nous puissions entendre les 15 à 18 individus experts et groupes nationaux qui, eux, jusqu'à ce jour, contrairement au tiers de la liste qui nous a été imposé par le gouvernement, ont demandé formellement, par les voies régulières et habituelles, à être entendus sur le projet d'entente constitutionnelle conclu au lac Meech entre le Québec et les autres provinces et le gouvernement fédéral.

M. le Président, je pense que ce n'est pas trop demander, une semaine de plus pour débattre l'avenir du Québec à l'intérieur de la Fédération canadienne. M. le Président, je répète que de nombreux précédents sur des sujets importants, mais qui n'avaient pas l'envergure du sujet qui nous réunit aujourd'hui, ont été réalisés sous les deux gouvernements, l'actuel gouvernement et le gouvernement précédent, où 70, 75 et 100 groupes se sont présentés devant nous. Je pense que, pour l'avenir du Québec, une semaine de plus de travaux en commission n'est absolument pas exagérée non seulement pour éclairer l'Opposition et la population, mais pour éclairer le gouvernement qui, on l'a vu, a dû modifier son raisonnement à l'occasion de l'audition des experts qui se sont présentés devant nous. On a vu, à la suite de ces auditions, le ministre venir rectifier le tir de ses interprétations qu'il nous avait servies au début de la commission parce que la commission l'avait influencé, parce que l'audition des experts l'avait éclairé. M. le Président, on pense qu'il a besoin encore, lui comme nous, d'être éclairé avant de poser un geste aussi lourd de conséquences.

Le Président (M. Filion): M. le ministre.

M. Rémillard: Oui, M. le Président. Je voudrais tout d'abord déplorer ce débat. On perd du temps au préjudice des gens qui sont ici et qui devaient intervenir aujourd'hui. Je crois qu'il aurait été intéressant d'entendre ces gens. Nous perdons actuellement du temps. Je serai donc bref, M, le Président.

Le député de Gouin est revenu sur le précédent de la commission parlementaire qui a étudié la question du rapatriement de la constitution. C'était une question essentielle, fondamentale. Nous savons comment cela s'est passé, ce rapatriement. Il y a eu sept

jours de débats et, pendant ces sept jours, on a entendu 11 personnes et 27 groupes, ce qui est une bonne moyenne. Savez-vous pourquoi il y a eu une bonne moyenne? Parce que le Parti libéral, qui était alors dans l'Opposition, n'a pas fait le genre de débat que vous faites ce matin qui nous fait perdre du temps. On aurait dû faire cette discussion dans un groupe de travail et non à cette commission, présentement, où nous perdons du temps.

Je voudrais vous dire que vous ne demandez pas une semaine de plus. Dans votre motion, vous demandez trois jours de plus. Vous demandez trois jours alors que nous vous offrons un jour et demi. Nous sommes en train de perdre une demi-journée. Alors, nous sommes à deux jours maintenant. Au lieu de faire ce débat sur cette motion en faisant perdre le temps de tout le monde, cela aurait été beaucoup plus intéressant de régler cela en groupe de travail. Je veux vous dire tout simplement notre position. Nous pouvons travailler mercredi soir. Nous pouvons travailler aussi vendredi matin, vendredi après-midi et conclure vendredi à la fin de l'après-midi. C'est, à mon sens, la possibilité d'entendre tous les gens, de tracer la ligne où elle doit être tracée et de faire en sorte que nous puissions entendre tous les gens qui doivent être entendus. Quant è ceux qui ne pourront venir physiquement devant cette commission, nous sommes prêts à les entendre par des mémoires. Qu'ils nous fassent parvenir leurs mémoires et nous sommes prêts, bien sûr, à les étudier très attentivement.

M. le Président, c'est bien évident qu'à un moment donné il faut tracer la ligne quelque part. On ne peut quand même pas passer un mois, deux mois en commission parlementaire. Il est bien évident que l'idéal serait que tous les Québécois et toutes les Québécoises viennent ici témoigner devant nous, mais nous sommes dans un régime parlementaire et, tout comme l'a fait le Parti québécois lorsqu'il formait le gouvernement, à la commission parlementaire sur la question du rapatriement, nous devons tracer la ligne. Ce que nous offrons, c'est plus que ce qu'on a fait au moment du rapatriement, beaucoup plus. Dans ce cas, M. le Président, notre position est établie et nous demandons à procéder le plus rapidement possible pour qu'on ne perde pas une demi-journée dans ces débats.

M. Rochefort: M. le Président, pour procéder... On peut voter.

M. Johnson (Anjou): Oui, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Oui, M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Brièvement. Le ministre vient de prendre huit minutes - non, pardon, sept minutes - pour nous expliquer...

Une voix: Absolument pas, trois minutes.

M. Johnson (Anjou): ...qu'il trouvait qu'on prenait du temps.

Des voix: Trois. (11 h 15)

M. Johnson (Anjou): Je vais en prendre une, M. le Président. Il y a au minimum une quinzaine de groupes et de personnes qui devraient être entendus par cette commission, qui n'ont pas été retenus par le gouvernement qui s'est servi de sa majorité en séance de travail. Ce n'est pas vrai que vous nous offrez la moitié du temps qu'on pense que ça va prendre. Vous nous offrez l'équivalent de trois séances et on vous dit qu'il y en a pour huit séances ce qui signifie mardi, mercredi et jeudi de la semaine prochaine à raison de trois fois des séances de deux heures ou de trois heures, selon les journées. Vous nous offrez exactement le quart de ça et non pas la moitié. Il y a quand même des limites!

Je me demande si, en votant, le gouvernement ne signifiera pas, dans le fond, qu'il est très pressé que tout ça se règle sans que ce soit su, sans que ce soit au vu et au su des gens, sans que soient connus les véritables enjeux, sans qu'on accepte d'entendre ici des groupes et des experts qui ont des choses à vous dire, suffisamment en tout cas pour que le gouvernement lui-même soit en train de modifier en conférence de presse, le communiqué de presse du lac Meech au fur et à mesure que les experts viennent nous expliquer des choses.

Peut-être que le gouvernement a encore besoin d'éclairages et on lui offre effectivement d'étendre ça sur huit séances additionnelles, au minimum, et non pas deux et demie ou trois.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef de l'Opposition.

M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: À cause d'une erreur de stratéqie en 1982, le Québec s'est retrouvé Gros-Jean comme devant. On veut assurer la population du Québec que, quant à nous, on ne fera pas la même erreur de stratégie. On a des choses à évaluer, des problèmes è étudier, on veut entendre les intervenants. L'offre du gouvernement est è une journée près de la suggestion faite par l'Opposition, è savoir trois jours de séances additionnelles - c'est ce qui apparaît dans la motion - les 26, 27 et 28 mai. On est disposé à siéger mercredi soir de cette semaine, on est disposé à siéger vendredi toute la journée. Je

vous rappelle que, jusqu'à maintenant, on a perdu une demi-journée. Il est 11 h 15 et on se retrouve finalement avec deux jours d'audiences, ce matin, mercredi et vendredi, alors qu'on nous demande trois journées d'audiences additionnelles.

Je suggère qu'on appelle le vote sur la motion, qu'on dispose de ces moyens dilatoires soulevés par l'Opposition et qu'on entende tes intervenants le plus tôt possible. On sait que, parmi les intervenants auxquels fait référence l'Opposition, il y a une quinzaine d'associations du Parti québécois. Elles auront tout le loisir de se faire entendre au prochain congrès du PQ.

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint... . M. Rochefort: M. le Président.» Le Président (M. Filion): ...vos propos...

M. Lefebvre: Ne dépassent pas ma pensée.

Le Président (M. Filion); ...vous le savez, avec l'expérience que vous avez, sont nettement susceptibles de créer des débats qui ne font pas partie du cadre de la motion déposée par le député de Gouin. Ils sont susceptibles, je vous le rappelle, d'allonger le débat sur la motion.

M. Rochefort: M. le Président...

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin.

M. Rochefort: ...simplement, avant de procéder au vote, je dirai au député de Frontenac que, lorsqu'il veut appuyer ses positions, il pourrait au moins les appuyer sur des faits véridiques et non pas nous induire en erreur, comme il a tenté de le faire, en laissant entendre qu'il y a quinze associations du Parti québécois sur la liste.

Le député sait très bien que ce n'est pas vrai, ce qu'il dit, et c'est pour cette raison qu'on veut que ce genre de questions soit débattu en public et non pas en séance de travail, à huis clos, pour l'empêcher d'en faire un petit peu trop comme celle-là.

Vote nominal sur la proposition.

Le Président (M. Filion): Donc, j'appelle le vote nominal sur la motion du député de Gouin dont vous me dispensez de la lecture?

La Secrétaire: Pour ou contre la motion, M. Bélisle (Mille-Îles)?

M. Bélisle: Contre.

La Secrétaire: M. Boulerice (Saint-Jacques)?

M, Boulerice: Pour.

La Secrétaire: M. Dauphin (Marquette)?

M. Dauphin: Contre.

La Secrétaire: M. Trudel (Bourget)?

M. Trudel: Contre.

La Secrétaire: M. Doyon (Louis-Hébert)?

M. Doyon: Contre.

La Secrétaire: M. Farrah (Îles-de-la-Madeleine)? M. Filion (Taillon)?

Le Président (M. Filion): Abstention.

La Secrétaire: Mme Blackburn (Chicou-timi)?

Mme Blackburn: Pour.

La Secrétaire: M. Johnson (Anjou)?

M. Johnson (Anjou): Pour.

La Secrétaire: Mme Pelchat (Vachon)?

Mme Pelchat: Contre.

La Secrétaire: M. Lefebvre (Frontenac)?

M. Lefebvre: Contre.

La Secrétaire: M. Marcil (Beauharnois)?

M. Marcil: Contre.

La Secrétaire: M. Brassard (Lac-Saint-Jean)?

M. Brassard: Pour.

La Secrétaire: M. Scowen (Notre-Darne-de-Grâce)?

M. Scowen: Contre.

La Secrétaire: M. Séguin (Montmorency)?

M. Séguin: Contre.

La Secrétaire: M. Rémillard (Jean-Talon)?

M. Rémillard: Contre.

La Secrétaire: M. Rochefort (Gouin)?

M. Rochefort: Pour.

Le Président (M. Filion): Pour 5; contre 10; abstention 1. Donc la motion du député

de Gouin est rejetée.

Ai-je besoin de vous rappeler notre mandat qui est d'entendre les représentations, évidemment, de ses membres c'est déjà fait - de personnes et d'organismes relativement à l'entente intervenue le 30 avril 1987 au lac Meech concernant la constitution du Canada?

Je voudrais vous faire part de notre horaire, ce matin. À 10 heures, était prévu le NPD-Québec; à 11 heures, la Confédération des syndicats nationaux; à 16 heures, M. Guy Bertrand; à 17 heures, l'Institut politique de Trois-Rivières; à 20 heures, la Chambre de commerce de Montréal et, à 21 heures, l'Union des producteurs agricoles.

Est-ce que les membres de cette commission... Oui, M. le leader adjoint.

M. Lefebvre: M. le Président, est-ce que je dois conclure que la proposition du gouvernement de tenir une journée et demie d'auditions additionnelles est refusée par l'Opposition? J'aimerais bien savoir à quoi m'en tenir.

M. Johnson (Anjou): ...que, conformément à la conversation que j'ai eue avec le premier ministre vendredi, les leaders se parlent. Que les leaders se parlent.

Le Président (M. Filion): Est-ce que je pourrais vous rappeler à nos travaux, M. le leader adjoint?

M. Johnson (Anjou): À moins que le premier ministre n'ait changé d'idée encore.

Le Président (M. Filion): À moins que vous ne fassiez une motion de votre proposition, ce que je ne...

M. Lefebvre: Non, M. le Président. Audition

Le Président (M. Filion): Alors, à ce moment-ci, je vous ramène à nos travaux. Est-ce qu'il y a des propositions concernant l'horaire ou si... Bon. Donc, j'appelle à la table des invités les représentants du NPD-Québec.

Je voudrais souhaiter la bienvenue, malgré ce retard, aux représentants du NPD-Québec et leur rappeler évidemment que la période qui leur est allouée est de 60 minutes: 20 minutes pour leur exposé et environ 40 minutes pour une période d'échange de propos avec les membres de cette commission. Je demanderais à M. le Président, M. Jean-Paul Harney, de bien vouloir présenter d'abord les personnes qui composent sa délégation.

NPD-Québec

M. Harney (Jean-Paul): M. le Président, mesdames et messieurs de la commission, sont avec moi M. Pierre Rivard, qui est du caucus des jeunes du Nouveau Parti démocratique du Québec, M. Pierre Graveline, toujours à ma gauche, membre de l'exécutif national du NPD-Québec, Mme Claire Brassard aussi membre de l'exécutif national, c'est-à-dire vice-présidente de l'exécutif national du NPD-Québec, et M. Maurice Villeneuve, de la ville de Québec, qui est président de notre groupe d'action parlementaire, ici, à Québec.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Harney. Sans plus tarder, je vous invite à présenter votre exposé.

M. Harney: Merci beaucoup. Je dois vous dire que le retard ne nous a pas du tout gênés. Il nous reste amplement de temps avant le dîner. À part cela, c'est quand même un peu encourageant de voir que la députation a cette habileté de travailler les règlements car, un beau jour, on sera tous devant le Jugement dernier. Il sera peut-être utile d'avoir nos parlementaires en place pour invoquer le règlement afin de retarder la sentence ultime. Comme cela, cela ne nous dérange pas du tout de voir que les qens peuvent travailler le règlement comme ils l'ont fait ce matin. Après tout, ce n'est pas un luxe. C'est une nécessité, en démocratie parlementaire, de permettre à l'Opposition de s'exprimer.

M. le Président, membres de la commission, au-delà des manchettes qui ont couronné l'accord du lac Meech, force est de constater que cet accord ne résiste pas à l'analyse. Le Nouveau Parti démocratique du Québec rejette l'entente de principe survenue le 30 avril dernier, tant sur son contenu que sur l'ensemble de la démarche de négociation entreprise par le gouvernement du Québec.

Depuis sa fondation en 1985, le NPD-Québec a maintes fois exprimé son profond désaccord avec les démarches de négociation constitutionnelle engagées, d'abord, par l'ancien premier ministre Lévesque, puis par son successeur, M. Pierre Marc Johnson, et finalement par M. Robert Bourassa. À la lumière des événements politiques des dernières années, il est opportun aujourd'hui de rappeler qu'à chaque fois qu'un gouvernement québécois s'engage dans des négociations constitutionnelles sans l'appui de la population, le Québec subit un dur recul.

Une fois de plus, en 1987, le gouvernement du Québec s'est amené à la table de négociations avec des demandes élaborées à huis clos. La stratégie de négociation du gouvernement Bourassa, tout comme celle de son prédécesseur, laisse perplexe: dans un domaine aussi important

que l'avenir constitutionnel du Québec, on doit sérieusement remettre en question la démarche de nos négociateurs. Un survol des derniers mois suffit pour avoir l'heure juste: rencontres en privé, navette d'une ville à l'autre, information livrée au compte-gouttes, déclarations ambiguës à la veille de ta fameuse rencontre, mise en scène soigneusement orchestrée. Quel prix la population du Québec devra-t-elle payer, en fin de compte, pour avoir le privilège d'être témoin d'un tel scénario?

Le NPD-Québec juge inacceptable et antidémocratique tout le processus de négociation constitutionnelle tel qu'il s'est déroulé au cours des derniers mois: un processus entaché par l'absence d'un vrai débat public qui aurait dû avoir lieu à l'Assemblée nationale et au sein de la population. Pas surprenant, donc, de constater, non sans une certaine amertume, que les simples citoyens se sentent complètement dépassés par cette dernière ronde de négociations qui leur a totalement échappé et dont ils saisissent difficilement les véritables enjeux.

Malheureusement, les enjeux qui découlent de l'entente du lac Meech sont énormes. Tout d'abord, il y a lieu de s'interroger sérieusement sur la portée réelle de cette société distincte, une notion qui, si acceptée sans plus de précision, nous promet un avenir riche en épiques batailles politiques et juridiques. Certes, on y reconnaît que le Québec forme au sein du Canada une société distincte et que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir ce caractère distinct, mais nulle part on n'y précise en quoi consiste ce caractère distinct. On ne reconnaît même pas le fait que la majorité québécoise est de langue et de culture françaises et que cette majorité a un droit collectif de protéger cette langue et cette culture.

L'interprétation du contenu de la société distincte est entièrement laissée à la discrétion éventuelle de la Cour suprême qui n'a pas brillé, dans le passé, par sa capacité de comprendre et de défendre les aspirations et les intérêts collectifs et nationaux du Québec. Non seulement cette reconnaissance du caractère distinct de la société québécoise est-elle affaiblie par son imprécision, mais elle est de plus noyée dans une déclaration générale qui affirme qu'une caractéristique fondamentale de la fédération est l'existence d'un Canada francophone concentré, mais non limité au Québec et celle d'un Canada anglophone concentré dans le reste du pays, mais aussi présent au Québec - cela fait penser à une recette à l'endos d'une boîte de moutarde Keen's - et qui engage le Parlement et les Législatures des provinces à protéger cette caractéristique fondamentale.

Comment ne pas voir dans cette déclaration des obligations nouvelles pour le gouvernement québécois à l'endroit du Canada anglophone qui pourraient le conduire à devoir accepter, sinon promouvoir, le bilinguisme dans toutes les activités soumises à ses compétences. Où est la société distincte dans tout cela?

Un parallèle ici avec 1867: a cette occasion, seul le Québec a eu le devoir d'être bilingue et les autres provinces n'ont pas vu ce devoir leur être imposé. C'est ça, la particularité du Québec. C'est un peu négatif. (11 h 30)

La partie de l'entente du lac Meech qui soulève la plus vive inquiétude et qui, à tous égards, apparaît inacceptable pour le Québec est celle qui concerne le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. Elle mérite d'être citée intégralement: "Stipuler que le Canada doit accorder une juste compensation à toute province qui ne participe pas à un nouveau programmé national à frais partagés dans un domaine de compétence provinciale exclusive si cette province met en oeuvre, de son propre chef, une initiative ou un programme compatible avec les objectifs nationaux."

Soulignons simplement que ce texte représente une légitimation constitutionnelle et une reconnaissance par le Québec du droit du gouvernement fédéral de dépenser dans un domaine de compétence provinciale exclusive, ce qu'ont toujours refusé tous les gouvernements québécois. Il représente un affaiblissement majeur des pouvoirs du Québec dans ses domaines de compétence exclusive en acceptant de les soumettre éventuellement à une compatibilité avec les objectifs nationaux définis par les institutions où il est minoritaire. II ouvre la porte à des guerres juridiques interminables quant à l'interprétation de la juste compensation.

Ici, la semaine dernière, un témoin a parlé d'un cheval de Troie; certes, un cheval de Troie, mais c'est la première fois que le cheval de Troie va être construit par les Troyens pour en faire cadeau aux Grecs afin de leur permettre de pénétrer les murs. L'image est bonne, mais pas complète.

Enfin, on a beaucoup fait l'éloge, au sein du gouvernement libéral québécois, du succès que représente la récupération par le Québec d'un droit de veto sur les institutions fédérales. Or, en ce moment, une seule institution fédérale fait l'objet d'une véritable volonté de changement: le Sénat. Une seule question: Y a-t-il eu, au lac Meech, accord secret entre le premier ministre Bourassa et les autres premiers ministres provinciaux où, en échange de l'acceptation des conditions des libéraux québécois, le Québec accepterait une recomposition du Sénat sur une base d'égalité formelle entre les dix provinces? Nos

négociateurs se sont contentés de laisser aux juges de la Cour suprême le soin d'en définir les applications concrètes en temps et lieu. Est-ce vraiment de cette façon que le peuple du Québec envisage son avenir culturel, politique et économique?

Le NPD-Québec estime que la sauvegarde et la promotion de la langue et de la culture françaises au Québec doivent être clairement et explicitement incluses dans la constitution, plutôt que d'être laissées à l'interprétation des juges. Il est primordial que le Québec ait la compétence exclusive de légiférer en matière linguistique, tout en respectant les droits de ses minorités linguistiques.

Le NPD-Québec constate que le Québec sort affaibli de ces négociations par l'absence de référence à la sécurité du revenu, à la sécurité sociale, aux communications, autrefois l'objet d'intenses négociations, mais surtout par l'effritement de ses compétences exclusives, avec l'incursion du pouvoir fédéral de dépenser par le biais de programmes nationaux dans des champs de compétence exclusive des provinces, et par la normalisation du droit de veto pour toutes les provinces. Où réside donc la spécificité du Québec, autrement que dans la référence à la société distincte? Le Québec ne peut se contenter d'un simple et vague symbole. C'est comme si les négociateurs avaient tout fait pour reconnaître d'une façon concrète le caractère distinct du Québec et que, par pudeur, au lieu de reconnaître que le Québec n'est pas une province comme les autres, ils avaient cherché à faire de toutes les provinces des provinces comme le Québec, On ne veut pas enlever quelque chose aux autres provinces, mais il faut quand même se le dire: Il n'y a rien de très "distinguant" pour le Québec dans les aspects concrets de l'accord du lac Meech.

Après les déboires du gouvernement péquiste en 1981, qui a aligné le Québec sur une voie de service sans issue, c'est au tour du présent gouvernement d'engager le Québec tout entier dans un sprint, qui, selon nous, va hypothéquer notre avenir collectif. Le NPD-Québec considère que l'impasse constitutionnelle dans laquelle le Québec s'est enlisé ne pourra trouver de véritable solution que lorsque la population du Québec décidera d'abord de quels pouvoirs elle entend se doter, comment elle entend les préserver et, ensuite, quels autres elle entend partager avec le reste du Canada. Rappelons que les Québécoises et les Québécois n'ont jamais été appelés à formuler collectivement l'ensemble de leurs revendications.

C'est dans une telle perspective, soit de commencer par le commencement, que le NPD-Québec envisage l'évolution du dossier constitutionnel.

Compte tenu des piètres résultats des dernières années de négociation constitutionnelle, il n'appartient plus à quelques hommes forts de tel ou tel parti politique d'élaborer hâtivement les conditions d'une éventuelle adhésion du Québec à la grande famille canadienne.

C'est pourquoi la population du Québec doit se doter d'une constitution spécifiquement québécoise dans laquelle elle pourra exprimer sa volonté quant au régime politique, social et économique dans lequel elle veut évoluer. Ainsi, par exemple, dans une telle constitution québécoise, la Charte québécoise des droits et libertés, la législation protégeant la langue française, les droits de la minorité anqlaise, des communautés culturelles et des autochtones y seraient enchâssés.

L'élaboration d'une telle constitution devrait être démocratique et faire appel à toutes les composantes du peuple québécois par le truchement d'une assemblée constituante. Nous insistons beaucoup sur cet aspect du processus constitutionnel parce que, chaque fois que le Québec allait devant le reste du Canada, c'est seulement le moitié du Québec qui y allait et le reste du Canada s'est toujours servi des absences, que ce soit celle du parti de l'Opposition aujourd'hui, celle du parti qui était dans l'Opposition en 1980-1981 ou celle des rouges qui n'étaient pas là en 1964-1965. Nous étions seulement la moitié du Québec pour négocier avec les dix autres. C'est un problème très sérieux.

Au terme de cette vaste consultation populaire, ce projet de constitution devrait être soumis à la population du Québec pour approbation par référendum. On verra, dès lors, poindre à l'horizon le début d'une nouvelle dynamique de négociation avec le reste du Canada, plus prometteuse de renouvellement de l'union canadienne.

Regardons vers l'avenir: un gouvernement québécois, constitution québécoise en main, augmentera substantiellement sa marge de négociation avec le reste du Canada, vu qu'il sera fort de l'appui et de la légitimité populaire que lui conférera une telle constitution. Ainsi, la spécificité du Québec sera clairement déterminée, tant sur le plan culturel que sur le plan social et économique. La spécificité du Québec, on la fait ainsi; on ne va pas la chercher dans une constitution canadienne. Fini les marchandages! Les règles du jeu auront été changées. La nouvelle constitution canadienne devra être négociée d'égal è égal entre le Québec, peuple distinct et entièrement libre de décider de son avenir, et le reste du Canada.

Nous sommes devant les faits de cette conjoncture. Pour l'instant, l'entente de principe du lac Meech fait l'objet d'un débat public limité a l'Assemblée nationale et à

une commission parlementaire. Le prochain rendez-vous des premiers ministres, prévu pour le début de l'été, aboutira probablement à une nouvelle entente, laquelle, à son tour, sera discutée dans chacune des provinces.

Le NPD-Québec estime que la population du Québec n'a pas à être bousculée dans cette course contre la montre. Nous sommes devant une alacrité alarmante qui écarte les points de vue et les opinions de maints groupes importants ici au Québec: les artistes, les écrivains, surtout les jeunes qui ont comparu devant vous il y a quelques mois.

On vous dit tout simplement que la constitution, c'est très important, mais ça ne presse pas, justement parce que c'est important. Nous réclamons donc que le projet d'accord final fasse l'objet d'un véritable débat public et soit ensuite soumis à l'approbation de la population du Québec par référendum, par le biais du deuxième volet de la loi référendaire, c'est-à-dire la Loi sur la consultation populaire, qui a été adoptée ici par cette Assemblée, à la fin des années soixante-dix. Cette formule permettra à la fois à l'Assemblée nationale de débattre le texte dans les délais prévus normalement pour les projets de loi, en trois études et par trois votes, et, après ça, de le soumettre à la population pour son approbation avant que ça passe à l'assentiment royal.

Tout en maintenant son profond désaccord avec l'ensemble du processus de négociation constitutionnelle, le NPD-Québec estime qu'à ce stade-ci, à défaut de tout reprendre à zéro comme il le souhaiterait, la population du Québec doit être appelée à se prononcer formellement sur l'éventuel projet d'accord constitutionnel. C'est l'essentielle démocratie. Ce serait une façon superbe d'indiquer que le Québec est véritablement une société distincte, que le Québec reconnaît la souveraineté de son peuple chez lui, par rapport à ses institutions, et met de côté une vieille idée de souveraineté, qui est celle de la souveraineté parlementaire.

C'est une façon superbe et essentielle d'agir d'une façon qui nous distinguera clairement des autres. Merci.

Le Président (M. Filion): Je voudrais vous remercier, M. Harney, pour votre exposé. Je rappelle à chaque groupe qu'il reste une enveloppe d'environ 21 minutes à leur disposition. Je laisse la parole à M, le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: M. Harney, je vous remercie d'avoir accepté de venir témoigner devant nous. C'est intéressant de vous entendre, c'est intéressant de voir le bout de chemin qu'a fait votre formation politique depuis les cinq dernières années. Dans un premier temps, vous avez soutenu le rapatriement de la constitution malgré le Québec et malgré le fait que cela puisse mettre en cause les droits historiques du Québec et, maintenant, vous êtes un parti qui avez un discours quasi souverainiste, à certains égards. C'est intéressant de voir cette évolution.

Je ne sais pas quelle est la relation entre le NPD-Québec et le NPD national, mais je voudrais citer M. Broadbent, votre chef national, qui disait ceci en Chambre, le 11 mai 1987: "Mr Speaker, the historic meeting at Meech Lake with the Prime Minister and the Premiers of all the other provinces produced what can only be described as a remarkable document." M. Broadbent qualifie donc l'entente du lac Meech de document remarquable, et on connaît d'autres commentaires qu'il a faits en ce sens.

Pour votre part, vous nous dites que c'est inacceptable, qu'il s'agit d'une entente qui ne résiste pas à l'analyse. Comment conciliez-vous ces deux positions de votre formation politique?

M. Harney: ...si on les prend entières. D'abord, pour faire un rappel historique, le NPD-Québec, en 1982, était solidaire des autres partis, ici, en Chambre. Il a refusé l'entente du rapatriement. Deuxièmement, notre discours est peut-être souverainiste dans le sens qu'on veut la souveraineté du peuple, mais il n'est certes pas indépendantiste. Sur ce point, on est très clair, on déclare qu'on désire l'union canadienne et ce, partout dans notre document.

La relation entre le NPD-Québec et le NPD fédéral? Le NPD fédéral est une fédération de partis provinciaux qui sont autonomes. Le NPD fédéral se développe selon le modèle d'un Canada dans lequel le Québec pourrait vivre aisément et pleinement. Nous pouvons alimenter les travaux du NPD fédéral, mais il y a une valve qui ne permet pas au NPD fédéral d'intervenir dans nos décisions. C'est un modèle qu'on prend tous ici, au Québec, et qui est étudié de près. (11 h 45)

Le chef fédéral n'est pas le chef national. Dans nos textes constitutionnels, il y a le parti fédéral et le parti national est ici. Le chef fédéral a fait des déclarations en Chambre le lendemain de la conférence sur un texte qui n'existait pas encore, qui n'était pas vraiment devant les parlementaires, il faut se le rappeler. On avait des coupures de presse et, comme de raison, quand il y a noce, on ne dit pas que le marié est en boisson. Après tout, l'occasion était belle de voir tous ces gens-là en accord. La première réaction a été positive comme elle l'a été en général dans la population. Mais, même à cette occasion, M.

Broadbent a exprimé des réserves assez contraignantes qu'il a reprises, d'ailleurs, lors du débat qui a eu lieu la semaine dernière à la Chambre des communes. Moi, je trouve qu'il n'y a pas de contradiction, surtout quand M. Broadbent s'est exprimé par le truchement de Radio-Canada sur le fait qu'il n'avait rien à réduire de l'accord du lac Meech, respectant l'essentielle majorité linguistique francophone du Québec. Je trouve que le cheminement du NPD-Québec et du NPD-Canada n'est pas un cheminement jonché de contradictions, mais plutôt un développement hégélien qui se révélerait fructueux un de ces beaux jours.

Des voix: Ha! Ha! Ha!

Le Président (M. Filion): M. le ministre. Vous avez terminé? Alors, M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: M. le Président, tout d'abord, je constate que le NPD-Québec affirme que le processus actuellement en cours est, pour reprendre l'expression que vous avez utilisée dans votre mémoire, "entaché par l'absence d'un vrai débat public qui aurait dû avoir lieu". Si j'ai bien compris vos remarques préliminaires sur le débat de procédure qui avait eu lieu, vous affirmez au fond qu'on peut prendre une heure de débat réglementaire si l'objectif pousuivi est d'étendre le débat, de donner plus d'extension au débat public, ce qui était évidemment l'objectif poursuivi par le Parti québécois au début des travaux de la commission.

Ma deuxième remarque préliminaire, c'est que je constate avec plaisir que vous souhaitez que te Québec se dote d'une constitution interne. C'est aussi notre avis, comme vous le savez. Je vous signale également - c'est peut-être oublié, c'est peut-être le moment de le rappeler - que c'est l'avis du député de Jean-Talon, ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, et j'espère que cela l'est encore. Je peux vous citer l'extrait d'un discours qu'il prononçait en 1982, peu de temps après le rapatriement de la constitution. Je cite M. Rémillard: "II faudrait doter le Québec d'une constitution comme le proposaient encore récemment les ministres Camille Laurin et Jacques-Yvan Morin." Sur ce point, il était au moins d'accord avec M. Morin, qui est venu comme expert la semaine dernière. "Même si une telle constitution devait se conformer à la constitution canadienne, il demeure qu'elle pourrait venir combler bien des lacunes et des ambiguïtés juridiques tout en donnant aux Québécois un véritable contrat social qui leur fait tant défaut actuellement dans la crise économique et sociale que nous vivons. L'idée n'est pas nouvelle, mais les circonstances font que, maintenant, elle est devenue une nécessité. Cette constitution consacrerait tout d'abord l'existence de la nation québécoise"... C'est une belle expression. Ne la préférez-vous pas à celle de "société distincte", M. le ministre, "nation québécoise"?

M. Rémillard: On me pose une question, M. le Président. Est-ce que je peux y répondre?

M. Brassard: Non, non, vous y répondrez plus tard.

M. Rémillard: Je voudrais répondre à la question, M. le Président.

M. Brassard: ..."son droit à l'autodétermination - je suis pleinement d'accord avec cela, moi, que le droit à l'autodétermination du peuple québécois soit inscrit dans sa propre constitution - et ses principes démocratiques fondamentaux. Puis, elle pourrait comprendre la charte québécoise des droits - tiens! tiens'. - pour ensuite énoncer l'organisation des pouvoirs législatifs." C'était l'opinion, en 1982, du ministre actuel délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes. Je suppose qu'il est encore de cet avis. Au moins sur ce point, tout le monde serait d'accord, à cette commission, pour une constitution interne du Québec comprenant ces divers éléments.

J'en viens, M. Harney, à certaines questions sur deux points majeurs de l'entente du lac Meech où je suis dans l'obligation de constater des divergences profondes avec M. Broadbent, le chef du NPD-Canada, tout en reconnaissant, vous l'avez affirmé tantôt, que le NPD-Québec a une marge d'autonomie qu'il utilise - je le vois - pleinement. Je pense qu'il est important quand même de clarifier ces deux points.

D'abord, la société distincte. Vous réclamez une définition précise de la société distincte de façon à y inclure le caractère français du Québec et vous réclamez également - ce que nous réclamons aussi, nous, je vous le signale - que l'Assemblée nationale ait pleine compétence en matière linguistique, que le pouvoir de légiférer en matière linguistique soit attribué pleinement et entièrement à l'Assemblée nationale. Sur ce point-là, il y a une divergence, je dois l'admettre, assez importante avec M. Broadbent. M. Broadbent, de son côté, estime, il est vrai, qu'on devrait définir la société distincte, mais il y propose un amendement qui, à mon avis, est aux antipodes de ce que vous proposez. Il propose: "la reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada une société distincte, du fait - c'est dans son discours du 11 mai 1987 - que c'est la seule province à

majorité francophone et à minorité anglophone." C'est presque une redondance par rapport au premier point où l'on parle d'un Canada francophone concentré au Québec et d'un Canada anglophone présent au Québec. C'est presque une redondance. Dans ce sens-là, il rejoint d'ailleurs Alliance Québec qui, en 1985, affirmait que le Québec est une société distincte, parce qu'il est le foyer de la plus importante concentration de Canadiens d'expression française et celui de la seule minorité d'expression anglaise du Canada. C'est dans cette perspective, selon Alliance Québec, que le caractère distinct du Québec doit être compris.

Je signale - c'est le sens de ma première question - que ce que vous réclamez, ce que vous revendiquez au chapitre de la société distincte ou du caractère distinct - j'aimerais que vous le reconnaissiez - est très différent, sinon divergent de ce que propose M. Broadbent, tout en admettant cependant que vous exercez l'autonomie dont vous avez parlé tout à l'heure.

M. Harney: Qui, M. le Président. Puisque nous sommes tous d'accord, semble-t-il, sur le besoin impérieux d'avoir une constitution québécoise avant de procéder à des tractations sérieuses avec le reste du Canada, on pourrait peut-être proposer la levée de la séance et demander aux gens de se mettre au travail. C'est un point très important. Ce n'est pas la première fois qu'on parle de constitution québécoise et M. Johnson le sait très bien. Il a commencé à en parler l'été dernier et, avant cela, le NPD-Québec, dans son programme sous rubrique rouge ici, a proposé en 19B5 la constitution québécoise. M. Rémillard aussi l'a proposée; ça, on le sait très bien. Ce n'est pas nouveau. Antoine-Aimé Dorion l'avait proposée. La différence est celle-ci: nous, nous proposons d'y arriver d'une façon démocratique par le truchement d'une assemblée constituante élue. Nous ne voulons pas que la constitution québécoise soit faite ici dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, parce que nous croyons qu'une constitution, cela appartient au peuple.

Comme de raison, nous avons tous des relations à Ottawa. Le Parti libéral, une bonne partie de ses membres ici au Québec, des membres du PLQ sont aussi membres du Parti libéral du Canada. C'est une relation plus ou moins ouverte. S'il n'y a pas mariage, au moins il y a une espèce de contrat qui existe entre les deux. Entre le NPD-Québec et le NPD-Canada, la relation est ouverte, formelle et admise. Il existe quand même, du côté qu'on disait anciennement bleu, une relation quelconque qui prend la forme de beaux risques, comme cela a été le cas en 1984 entre le Parti québécois et le Parti conservateur ou, encore une fois, si je recule dans le passé, en 1957-1958, dans le temps de l'Union Nationale et du Parti conservateur et, si je recule encore plus loin, en 1931, quand il y a eu une relation entre les "bleus" conservateurs du Québec et Bennett. Comme ça, on a tous des relations.

Nous, nos relations sont franches et ouvertes. Pour ce qui est de la position de M. Broadbent, il aura la chance de l'exprimer formellement devant des textes concrets qui n'existent pas et, s'ils existent, ils existent sur les lignes télégraphiques entre Ottawa, Québec et ailleurs maintenant. On ne les connaît pas, ces textes-là. Là, M. Broadbent et la formation qu'il dirige à Ottawa pourraient se reposer clairement sur les engagements pris à l'occasion du congrès fédéral du NPD de mars 1987 et surtout, par rapport à l'aspect linguistique, sur la clause qui dit: II est résolu de plus que le NPD explorera de nouvelles dispositions constitutionnelles à la fois dans le but de protéger les droits linquistiques de la majorité du Québec et d'assurer la préservation des droits linguistiques des minorités tels qu'ils existent présentement dans la constitution.

Il n'y a pas de contradiction, M. le Président et messieurs et madame membres de la commission. Ce qui déboute si souvent le Québec sur le plan législatif, ce sont les dispositions générales de la charte canadienne et non tes dispositions spécifiques par rapport aux droits linguistiques des minorités; c'est quand on peut invoquer devant une cour le droit à l'expression individuelle contre une loi spécifique proposée et adoptée par l'Assemblée nationale du Québec pour protéger et promouvoir le fait français au Québec.

Je vois que M. Pierre Marc Johnson est perplexe mais, si on étudie de près les décisions juridiques depuis plusieurs années, c'est toujours le cas. Les juges se sont penchés sur la lecture des textes spécifiques, pardon des textes généraux, pour contrer, pour débouter une loi spécifique du Québec. C'est-à-dire que la 133 ne me fait pas peur mais on ne parlera pas de route ici. Je ne veux pas rentrer dans les chiffres, je me suis promis de ne pas parler de chiffres.

J'aimerais demander à M. Graveline d'expliciter un peu plus notre position sur l'idée d'une assemblée constituante et son importance pour le Québec.

Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.

M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: Je veux bien qu'on nous parle d'une assemblée constituante, mais ma question portait sur le concept de "société distincte" tel qu'on le retrouve dans l'entente

du lac Meech. Ce que je signalais, vous demandant de le reconnaître - puisque vous avez parlé d'un cheminement hégélien tout à l'heure, thèse, antithèse, synthèse - et que je constate, c'est ceci: la thèse, c'est que le Québec devrait être français et qu'il devrait avoir pleine juridiction en matière de législation linguistique; l'antithèse, c'est celle de M. Broadbent qui reconnaît la dualité linguistique du Québec et la synthèse, c'est votre résolution du congrès fédéral?

M. Harney: M. le Président, c'est la voie de la synthèse. Cela n'a pas encore abouti, mais c'est la direction. On sait que ces choses-là prennent du temps mais les éléments, les termes d'une solution sont là. Il faut comprendre que, si on veut faire partie d'une confédération - c'est ça que le NPD désire clairement... Ce n'est pas du tout clair que c'est ça que le PQ désire. Même le PQ ne semble pas être clair lui-même. II faudra attendre le mois de juin et peut-être encore plus tard pour le... Nous disons très clairement que nous voulons faire partie d'une confédération et, dans une constitution confédérale, certainement qu'il y aura des stipulations, des dispositions très spécifiques, d'après nous, pour voir à la protection des minorités linguistiques non seulement au Québec, mais ailleurs. Mais, là, je parle encore une fois de dispositions très spécifiques et je ne voudrais pas que les dispositions générales d'une charte s'appliquent à l'encontre des lois adoptées par l'Assemblée nationale pour la protection de la majorité linguistique, ici, au Québec. C'est ça la distinction. (12 heures)

M. Brassard: M. le Président. J'aurais une autre question qui porte cette fois-ci sur le pouvoir de dépenser. Vous avez été très clair et même très catégorique dans votre exposé, tout à l'heure. Vous estimez que les dispositions de l'entente du lac Meech à ce sujet constituent une consécration, en quelque sorte, du principe de l'intrusion du gouvernement fédéral dans des domaines de compétence exclusive des provinces et qu'il serait inadmissible de consacrer ce principe dans la constitution du Canada. D'autre part, vous estimez également qu'imposer des objectifs nationaux dans des domaines exclusivement provinciaux, cela risque de limiter justement les juridictions et les compétences exclusives des provinces.

Je vous signale à ce sujet également -je pense que c'est important que vous précisiez votre pensée ou votre point de vue sur ce sujet - que M. Broadbent toujours, qui est votre chef au niveau fédéral, est pleinement d'accord avec cette disposition de l'entente du lac Meech et trouve même que la compatibilité avec les objectifs nationaux n'est pas suffisamment étoffée, articulée. Dans son discours, toujours du 11 mai 1987, portant sur le débat constitutionnel il affirme et je le cite: "L'élément clé, c'est qu'il faut que ces programmes - il s'agit de programmes nationaux - qui ont des variantes régionales, soient essentiellement équivalents." Si c'est ce que veut dire l'expression "compatible avec les objectifs nationaux", c'est parfait. "Une fois de plus -je le cite toujours - il me semble que l'expression utilisée est sujette à interprétation. Nous pourrions avoir un programme provincial compatible avec un programme établi du Parlement du Canada mais qui serait loin, dans ses modalités, de répondre aux intentions de celui-ci."

Si je comprends bien M. Broadbent, il souhaite qu'en matière d'objectifs nationaux pour ce qui est des programmes nationaux dans des domaines réservés exclusivement aux provinces, ces objectifs soient suffisamment précis, suffisamment articulés, suffisamment étoffés pour que la marge de manoeuvre des provinces en cette matière soit finalement concrètement assez mince.

En somme, sur le pouvoir fédéral de dépenser, je suis obligé de constater là aussi une divergence assez fondamentale avec votre chef, M. Broadbent, qui, lui, non seulement souhaite que le principe de l'intrusion fédérale dans des domaines exclusivement provinciaux soit consacré, mais qui également réclame qu'en matière d'objectifs nationaux on soit le plus précis possible et que les provinces soient encadrées le plus possible.

Au fond, la question, c'est que vous reconnaissez sur ce point aussi... Ce n'est pas un reproche que je vous fais; au contraire, j'en suis fort aise parce que la position que vous adoptez sur le pouvoir de dépenser, soit vos inquiétudes et vos réserves, quant à moi, je les partage. Donc, ce n'est pas un reproche mais, pour être bien clair, vous reconnaissez que sur ce point aussi votre point de vue est très différent et diverge de celui de M. Broadbent au niveau fédéral.

M. Harney: M. le Président, on peut voir qu'il est possible, même nécessaire pour un souverainiste de reconnaître la souveraineté d'un parti québécois, parce que nous sommes un parti québécois, comme tous les autres partis qui sont ici en Chambre, des partis québécois, et que nous avons notre autonomie face au parti fédéral. Mais je m'en tiens aux déclarations du parti fédéral adoptées en congrès et ce, récemment, c'est-à-dire que le Québec doit pouvoir préserver son caractère unique et qu'un des moyens pour arriver à cette fin, c'est le droit de ne pas participer à des amendements constitutionnels qui auraient pour effet de transférer des pouvoirs provinciaux au gouvernement fédéral. De plus, lorsque de tels changements constitutionnels ont des implications financières, le Québec a droit à une

compensation financière équivalente.

Cela, c'est la politique du parti fédéral. Malheureusement, nos députés en Chambre maintenant sont confrontés à un document qui dit: On ne fera pas cela pour le Québec, mais pour tout le monde. Ce qui les tracasse, ce qui les trouble beaucoup, c'est que le document propose de faire du Canada et surtout du reste du Canada un pays ingouvernable. Encore une fois, parce que les négociations et les négociateurs n'ont pas voulu reconnaître clairement que le Québec est un foyer national, comme d'ailleurs cela a été reconnu par la Grande-Bretagne en 1774 dans l'Acte de Québec, ils ont dû faire de la place pour toutes les provinces. Ils ont offert des choses à des populations provinciales, ailleurs, qu'elles ne demandaient même pas.

Si on veut chercher un parallèle, ce n'est pas une question de Régime de rentes du Québec de 1964. Pour moi, c'était singulier cela. Le Régime de rentes du Canada a pu fonctionner parce qu'il y avait un régime à part pour le Québec. Mais, s'il y avait eu un régime de rentes pour l'Ontario, la Saskatchewan, l'Île-du-Prince-Édouard, etc., cela aurait été la foutaise complète. C'est justement cela que le document du lac Meech propose. C'est ça qui trouble M. Broadbent. Si le document disait que le Québec et le Québec seul avait ce pouvoir, ce serait très différent. Le3 directions seront très différentes.

Pour ce qui est de nos relations encore avec le fédéral, je demanderais à Pierre de continuer parce que je peux me laisser emporter sur cette question.

M. Graveline (Pierre): Si vous me permettez de dire quelques mots, M. le Président, il me semble que le propos de cette commission, à moins que je ne me trompe, n'est pas de faire le compte et le décompte des convergences et des divergences qui existent entre les partis politiques québécois et leurs vis-à-vis ou alliés, appelez-les comme vous voulez, sur la scène fédérale. Si tel devait être le cas, on pourrait commencer à comparer les positions du Parti libéral du Québec avec celles du Parti libérai fédéral, celles du Parti québécois avec celles du Parti conservateur pour qui il a été appelé à voter aux dernières élections fédérales. Je ne pense pas que ce soit là l'objet de cette commission. Par ailleurs, si les membres de cette commission sont intéressés véritablement à entendre en détail le point de vue des chefs politiques fédéraux, qu'ils les invitent à comparaître devant cette commission au besoin.

Je voudrais aussi, si vous me le permettez, M. le Président, faire un commentaire...

Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il y a consentement? Excusez, M. Graveline. Je présume qu'il y a consentement des parlementaires pour laisser notre invité poursuivre, malgré l'expiration de l'enveloppe du temps de l'Opposition. Consentement?

M. Johnson (Anjou): Juste avant de laisser continuer M. Graveline, avec le consentement de l'autre côté, M. Harney, est-ce que j'ai bien compris ce que vous me disiez parce que j'essaie d'interpréter ce que dit M. Broadbent depuis quelques jours? Vous le connaissez beaucoup mieux que moi, vous êtes en relations fréquentes avec lui. Est-ce que j'ai bien compris que ce que M. Broadbent reproche à l'entente du lac Meech, c'est de ne pas donner au Québec un statut particulier? Parce que j'ai cru comprendre que c'était ça, votre démonstration, tout à l'heure. Dans le fond, oui, le Québec devrait avoir un certain nombre de pouvoirs, mais pas les autres provinces canadiennes. Ce que vous me dites, c'est que la position du NPD fédéral, c'est que le Québec devrait avoir un statut particulier. Est-ce que c'est bien ça?

M. Harney: Vous savez, ce qui s'est passé essentiellement dans l'arrière-plan de tout cela, c'est que tout le monde a été surpris par les propositions du lac Meech. On s'attendait que le lac Meech soit l'occasion d'une négociation pour intégrer le Québec à la constitution dans laquelle il était toujours intégré, mais de l'amener à accepter les amendements apportés à cette vieille constitution, les amendements de 1982. Là, on voit que ce n'est pas un accord Québec, c'est un accord partout.

Quant à moi, j'ai l'occasion de me promener de temps en temps en Ontario. Quand je lis les journaux, les manchettes et les éditoriaux, on me parle d'un "Québec accord". Je me fâche parce que ce n'est pas un accord pour te Québec, c'est un accord pour toutes les provinces. La réaction au Canada anglais est encore un peu confuse et je comprends cela, parce qu'on leur dit que c'est un accord pour le Québec et les gens commencent tout simplement ces jours-ci à constater que c'est un accord pour toutes les provinces. Je comprends très bien la situation de M. Broadbent.

Les premières réactions sont certainement un peu plus confuses parce que ce qui ressort du lac Meech, c'est quelque chose qui est à la fois surprenant et quand même pas inusité. Depuis bien des années, depuis 1867, au lieu de reconnaître clairement l'État national du Québec, on fait tout pour l'éviter. Les propos de M. Bourassa tenus l'automne dernier ou au début de cet hiver -sa toute première proposition d'amendement sur les 25% - étaient des propos qui dénationalisaient le Québec, c'est-à-dire que toute province qui allait chercher 25% aurait

un droit de veto. Jamais, dam son texte, on ne disait: Parce que le Québec, c'est le Québec, c'est un foyer national, il a besoin d'un droit de veto. C'est parce qu'on ne dit pas cela, on ne dit pas cela ici, on ne dit pas cela devant tes interlocuteurs au fédéral que, là, on se permet de dire: Bien oui, on va faire cela pour tout le monde. Là, on donne de plus en plus raison à M. Parizeau; le Canada deviendrait de plus en plus ingouvernable.

M. Johnson (Anjou): Est-ce que je dois donc comprendre - c'est ma conclusion de vos propos, M. Harney - que la raison, comme vous le dites, pour laquelle le NPD fédéral émet des réserves sur l'entente du lac Meech, c'est le fait qu'on n'a pas consenti au Québec un statut particulier et qu'en conséquence, c'est une forme de décentralisation qui va rendre, comme vous le dites, le Canada ingouvernable? La solution, pour M. Broadbent et le NPD fédéral, c'est vraiment qu'il faudrait, pour régler cela, un statut particulier pour le Québec.

M. Harney: Sans me servir de vos phrases, j'accepte ces principes.

M. Johnson (Anjou): Oui? Ah boni

M. Harney: Parce que les phrases sont importantes en politique, vous le savez trop bien. Statut particulier, affirmation nationale, tous ces mots...

M. Johnson (Anjou): Avec les pleins pouvoirs en matière linguistique pour le Québec...

M. Harney: Pardon?

M. Johnson (Anjou): Avec les pleins pouvoirs pour le Québec en matière linguistique en étant à l'abri de la notion d'objectifs nationaux, par exemple, dans la compensation.

M. Harney: On va s'en tenir aux dispositions particulières et j'espère entendre des propos en Chambre, de la part de M. Broadbent, si jamais il y avait un texte qui était présenté. Je ne veux pas écarter toute phrase générale, mais on sait très bien que des termes généraux, cela peut mener à toutes sortes de choses. On a aussi dans notre programme, M. Johnson, en rubrique, en lettres rouges, l'expression "affirmation nationale". On sait très bien que vous ne voulez pas dire exactement la même chose par "affirmation nationale" que ce que le NPD-Québec veut dire. Sur le principe...

M. Johnson (Anjou): À moins que ce ne soit le contraire! Merci.

Le Président (M. Filion): Alors, je vais reconnaître maintenant M. le député de Bourget.

M. Trudel: Merci, M. le Président. M. Harney, ce n'est pas moi qui vais vous reprocher les distances que vous prenez par rapport à la section fédérale de votre parti, puisqu'en 1962, 1963 ou 1964 - je ne m'en souviens pas trop, j'étais encore étudiant et cela ne m'a pas rendu très populaire auprès de feu M. Lesage - j'étais un de ceux qui ont lutté vaillamment, je crois, et fortement pour que le Parti libéral du Québec devienne une entité distincte, un peu comme la société distincte que l'on recherche tous. Alors, ce n'est pas moi qui vais vous mettre en contradiction avec les propos de votre chef, quoique les positions ne me semblent pas très claires.

Vous écrivez à la page 1, d'entrée de jeu, que les négociations constitutionnelles se font sans l'appui de la population. Je me permettrais, en guise d'introduction, de vous souligner que le Parti libéral du Québec a été élu, en 1985, avec un programme et des engagements qui étaient publics et fermes; il s'agissait des cinq conditions d'adhésion du Québec à la constitution de 1982. Donc, si vous parlez de négociations constitutionnelles sans l'appui de la population, je me permettrais d'être en désaccord avec vous,

À vous écouter tantôt et à vous lire auparavant, on a un peu l'impression qu'il faut, selon vous, revenir à 1980, c'est-à-dire aux choses qui ont été réglées par référendum à cette époque et à celles qui ont également été réglées en 1981-1982 par la constitution. Voyez-vous, la différence essentielle, je pense, si je peux me permettre, à tout le moins, de résumer notre position à nous, c'est qu'on se place - M. Dion le faisait lui-même la semaine dernière devant nous - à l'intérieur du cadre constitutionnel de 1982 et, là, on se dit: Est-ce que l'accord du lac Meech est suffisant pour que le Québec adhère à cette constitution?

Vous semblez, dans votre texte, revenir beaucoup plus loin en arrière. Vous parlez de référendum, vous parlez d'assemblée constituante. C'est, finalement, je pense, ce qui nous sépare.

Deux questions, M. Harney. On retrouve la première à la page 2 de votre mémoire. Vous dites, au deuxième paragraphe, pour vous citer: "II est primordial que le Québec ait la compétence exclusive de légiférer en matière linguistique, tout en respectant les droits de ses minorités linguistiques". Est-ce que ce droit que vous réclamez vous permettrait d'amender l'article 133 et l'article 23? (12 h 15)

M. Harney: Si le Québec se dote d'une constitution écrite... Il faut se le dire, on a

une constitution, parce que vous ne seriez pas ici, messieurs, dames, s'il n'y avait pas de constitution québécoise. Il n'y aurait pas de lois québécoises; il n'y aurait pas de taxes à payer au Québec. Il y en a une constitution, c'est reconnu dans la constitution canadienne et c'est aussi reconnu dans la constitution canadienne que le Québec peut modifier sa propre constitution. Je ne vous apprends pas quelque chose.

Mais ce dont on parle, nous, c'est d'une constitution écrite. Si cette constitution était écrite, on pourrait y voir enchâssée une Charte de la langue française hors de la portée des législateurs du jour, soit dit sans vous insulter, et hors de la portée du gouvernement du jour, aussi.

On pourrait aussi y voir enchâssée une charte des droits minoritaires. S'il y avait ici, au Québec, une constitution québécoise, amendable seulement avec l'approbation du peuple québécois tout entier - je parle d'une constitution démocratique - là, les minorités au Québec seraient certainement beaucoup plus sécurisées dans leurs droits minoritaires et, surtout, leurs droits linguistiques que par les articles spécifiques de la constitution canadienne. La constitution canadienne est silencieuse par rapport au système scolaire de langue anglaise qui, on le sait maintenant, est un système scolaire confessionnel au Québec. Il n'y a pas un mot à dire par rapport à ça.

La constitution canadienne ne parle pas du droit de notre minorité è des services sociaux et à des institutions. On pourra, nous, mettre ça dans notre constitution québécoise. Une fois qu'on aura fait ça, comme de raison, on pourra se retirer de ces aspects-là de la constitution canadienne. Mais tant qu'on ne l'a pas fait, comme de raison, nous sommes d'accord qu'on devrait préserver dans la constitution canadienne les aspects de l'article 23 qui sont acceptés maintenant. Il y en a qui ne sont déjà pas acceptés par le Québec. Cela, je le dis formellement.

Pour ce qui est de l'article 133, si on fait partie d'une constitution confédérale dans un pays où il y a deux groupes linguistiques, c'est le minimum qu'on respecte l'autre langue pour ce qui est des débats à la Législature, des lois adoptées par cette Législature et des cours de justice. Il faut dire que l'article 133 est très restrictif envers l'individu, c'est-à-dire qu'on a le droit de se présenter devant une cour et parler sa langue, mais on n'a pas le droit d'exiger que le juge nous comprenne. C'est ça que les juges viennent nous dire. Comme ça, ce n'est pas un lourd fardeau pour le Québec.

En passant, j'aurais bien aimé que l'accord du lac Meech impose ou soumette plutôt l'Ontario aux dispositions de l'article 133. On n'a pas pensé à ça, encore une fois. C'est pour ça que M. Peterson s'en sort souriant, lui, parce qu'on ne lui fait pas d'imposition.

Je ne sais pas si cela répond exactement à votre question.

M. Trudel: En partie, disons, mais j'aimerais vous en poser une autre. Vous avez semblé dire, dans une de vos réponses tantôt, en parlant de la normalisation du droit de veto pour toutes les provinces, si je vous interprète bien... Je vais vous poser la question: Est-ce que le fait d'avoir obtenu pour le Québec ce qu'on a donné aux autres, sauf, bien sûr, le caractère distinct qui a été reconnu seulement au Québec, diminue quoi que ce soit des gains du Québec au lac Meech?

M. Harney: La constitution québécoise est maintenant assortie de plusieurs verrous. C'est presque impossible de la changer d'une façon positive. Malheureusement, dans le passé, les démarches québécoises se sont toujours déroulées d'une façon assez négative. On cherchait toujours d'autres moyens de se protéger par le truchement de la constitution canadienne. Ce que veut vraiment le Québec, c'est la possibilité de s'épanouir non seulement ici au Québec, mais à l'intérieur de la famille canadienne, et, en donnant le droit de veto par rapport aux institutions fédérales à toutes les provinces, on met davantage de verrous. Il serait complètement impossible d'ouvrir la porte de l'avenir pour le Québec par le truchement de la constitution canadienne.

On veut aller chercher des pouvoirs additionnels, c'est ce qu'on a essayé de dire tout à l'heure. On parlait jadis de pouvoirs pour le Québec en matière de communication, de services sociaux, et j'en passe. On n'en parle plus, maintenant. Croyez-vous que dans une constitution où tous les gouvernements avaient le droit de dire non le Québec irait chercher un champ d'action libre en communications ou en politique de maintien du revenu ou en politique sociale? C'est fini, "bye-bye" à tout jamais!

Si vous me permettez, on a eu un petit mot à dire par rapport à un référendum. On croit que c'est là l'apport essentiel de notre document. C'est un appel qu'on vous fait afin de transmettre la décision que nous devons tous prendre ici, au peuple tout entier. Je demanderais à Claire Brassard de dire un petit mot en réponse à une question qui nous a été posée plus tôt et à laquelle on n'a pas pu répondre.

Mme Brassard (Claire): Ce ne sera pas long, M. le Président. Cette question du référendum a été soulevée par le député de Bourget il y a quelques minutes. Le recours à un référendum est soulevé dans notre mémoire au moment où nous affirmons que le gouvernement actuel ne détient pas la légitimité nécessaire pour adopter ce projet

qui va constituer une partie importante de la loi fondamentale. Je conviens avec le député de Bourget que le Parti libérai constitue la majorité parlementaire au Québec; cela va de soi. Cependant, je veux souligner - je trouve dommage que M. Rémillard ne soit pas ici parce que j'aurais voulu lui adresser ces commentaires plus particuliers; je pense bien que ses collègues pourront lui transmettre le message - que ce projet d'accord se joindra aux lois constitutionnelles que l'on connaît pour constituer la loi fondamentale au Canada.

J'estime que le mode d'adoption des lois est une caractéristique importante et déterminante de notre régime parlementaire. En ce sens, je pense qu'une loi fondamentale mérite un traitement particulier, précisément parce qu'il s'agit d'une loi fondamentale. Les Législatures provinciales adoptent des lois. Bien entendu, c'est de leur juridiction. Mais quand il s'agit de lois qui ont les conséquences que l'on connaft - on les vit et vous les vivez plus particulièrement à titre de parlementaires chaque fois que vous siégez et par la quantité de décisions qui sont prises... On connaît les conséquences des termes de l'adoption d'une loi fondamentale. C'est dans ce sens qu'on demande à ce gouvernement d'avoir recours à un mode particulier d'adoption de la loi, c'est-à-dire un recours à une instance plus large que la vôtre parce que, même si vous contrôlez l'Assemblée, c'est une loi qui n'est pas là pour la durée de votre mandat, c'est une loi qui aura une conséquence à très long terme. Cela nous paraît une démarche pour assurer le caractère démocratique de cette adoption. En ce sens, nous demandons le recours au référendum. Dans la situation actuelle, nous aurions préféré une tout autre démarche, soit de commencer par le commencement, comme le disait M. Harney, mais on n'a pas participé au commencement et nous sommes plutôt près de la fin.

Je demanderais à M. Rémillard, quand il fera son bilan politique: Pour qui aura-t-il travaillé? S'il travaille, comme il le fait, comme il persiste à le faire, à faire adopter rapidement cet accord par l'Assemblée, ici à Québec, peut-être avant même l'été, pour qui aura-t-il travaillé, quand il fera son bilan politique? Pour les intérêts politiques électoraux à court terme de MM. Bourassa et Mulroney ou pour les intérêts du Québec tout entier, pour l'avenir et pour plus longtemps que les intérêts électoraux? Je pose vraiment ces questions à M. Rémillard, parce que je pense que M. Rémillard peut être sensible à cela. J'arrête ici mon intervention.

Le Président (M. Filion): Merci, Mme Brassard.

M. le député de Bourget, vous vouliez ajouter un commentaire?

M. Trudel: Si vous me le permettez, M. le Président, juste un court commentaire, parce que madame m'a cité au début de sa réponse, en disant que le député de Bourqet a dit que le gouvernement avait une majorité. Bien sûr que le gouvernement a une majorité, mais ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit: Le gouvernement considère de ce côté-ci de la table qu'il a un mandat, puisque étaient très clairement établies, à la fois dans son programme politique et dans son programme électoral, les cinq conditions d'un éventuel accord constitutionnel. C'est tout ce que je voulais souligner à Mme Brassard.

Le Président (M. Filion): Bon, alors, écoutez.

M. Harney: M. le Président.

Le Président (M. Filion): Oui, est-ce que notre invité veut réagir?

M. Harney: Oui, sur cette question de mandat. J'ai déjà été parlementaire, je veux le redevenir et je sais très bien qu'un mandat électoral, c'est un mandat général pour légiférer sur des lois ordinaires, des lois ordinaires de tous les jours qui peuvent être abrogées par un Parlement subséquent. Ici, se présente l'adoption d'une loi fondamentale et c'est cela la différence. Nous croyons fortement que les lois fondamentales, cela appartient au peuple. Il s'adonne qu'ici au Québec l'Assemblée nationale s'est dotée d'un instrument, la Loi sur la consultation populaire. On vous invite à vous en servir et à demander au peuple de participer d'une façon formelle à la décision qu'on doit tous prendre par rapport à la loi fondamentale. Je sais très bien que ce sont des principes que M. Rémillard a déjà épousés et qu'il épouse toujours et que la loi fondamentale, c'est quelque chose qui n'appartient pas à une Assemblée; cela appartient au peuple. Il n'y a rien dans la démarche proposée ici devant l'Assemblée qui va reconnaître la souveraineté de ce peuple. Il existe dans nos lois un moyen de le faire et on vous invite à le faire.

Le Président (M. Filion): Je vais maintenant reconnaître M. le député de Beauharnois.

M. Marcil: Oui, M. le Président. J'écoute depuis tantôt les propos des membres du parti, je pourrais quasiment dire du Parti québécois, mais c'est le NPD qui... Votre position, sans référer à votre parti national, uniquement en termes de parti québécois, comme vous le dites, votre position par rapport à l'ancien, le Parti québécois, semble exactement la même que celle que monsieur... On pourrait parler, si on revient à l'article 1 du programme du

Parti québécois, d'autodétermination du peuple québécois. Je vous pose ia question aujourd'hui: En quoi votre position est-elle différente de celle du Parti québécois présentement en ce qui concerne l'entente constitutionnelle qui est à négocier? En quoi est-elle différente? Vous êtes un parti québécois...

Une voix: Fédéraliste.

M. Marcil: ...fédéraliste. Au Québec, il y a deux formations politiques reconnues, l'une étant à l'opposé de la nôtre en termes d'idéologie politique.

Une voix: Séparatiste.

M. Marcil: Je me pose la question: Comment vous situez-vous par rapport au Parti québécois présentement concernant l'entente? J'ai l'impression que c'est exactement la même chose ou, du moins, c'est semblable.

Une voix: II y a pas mal...

M. Harney: M. le Président, je voudrais bien répondre à cette question mais je me trouve dans l'impossibilité de le faire parce que, malheureusement, je ne comprends pas la position du Parti québécois.

Une voix: Ah!

Une voix: II ne comprend pas la position du Parti québécois.

Des voix: Ha! Ha!

Le Président (M. Filion): II reste une trentaine de secondes, M. le député de Beauharnois.

M. Marcil: Vous dites que vous ne comprenez pas la position du Parti québécois.

Une voix: Lui non plus.

Une voix: II n'est pas le seul. Dites-lui qu'il n'est pas le seul.

M. Harney: À l'intérieur du Parti québécois, il semble que c'est un problème aussi.

M. Marcil: Sur le pouvoir linguistique, vous dites être d'accord...

Le Président (M. Filion): Est-ce qu'il y a consentement des membres de cette commission? Les enveloppes sont épuisées de part et d'autre.

M. le député de Gouin.

M. Rochefort: M. le Président, le leader adjoint du gouvernement et moi avons convenu de consentir à ce que nos travaux soient prolongés d'une heure pour permettre au président de la centrale des syndicats, de la CSN, de faire son exposé et d'échanger des propos avec les membres de la commission des deux côtés, afin de lui permettre de participer à l'ouverture d'un congrès très important qu'il doit présider à 14 heures. En conséquence, malgré l'intérêt que nous avons pour la discussion à laquelle donnent lieu les questions du député de Beauharnois...

Une voix: ...

M. Rochefort: II est nerveux, làl

M. Lefebvre: M. le Président...

Une voix: Le député de Frontenac voudrait intervenir là-dessus.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de Gouin.

M. le député de Frontenac, leader adjoint.

M. Lefebvre: M. le président de la CSN désire se faire entendre le plus tôt possible étant donné qu'il est invité à un congrès qui ouvre à 14 heures cet après-midi, sauf que le député de Beauharnois en aurait peut-être pour deux minutes, avec le consentement de l'Opposition. On entendra immédiatement après M. le président de la CSN, Cela va?

M. Rochefort: Nous sommes heureux de permettre au député de Beauharnois de se manifester à l'Assemblée.

Le Président (M. Filion): Consentement. M. le député de Beauharnois, la parole est encore à vous.

M. Marcil: Merci, M. le Président. Tenez le temps et vous verrez que ça prendra 30 secondes. Sur le pouvoir linguistique, vous sembliez dire tantôt que vous étiez d'accord avec les articles 23 et 133. Je pense que les deux partis présents ici, le Parti québécois et le Parti libéral, l'ont mentionné à l'Assemblée nationale...

M. Johnson (Anjou): Un instant, làl Wo! On n'a jamais dit ça. On est contre.

Le Président (M. Filion): S'il vous plaît! M. Marcil: Nonobstant ces deux...

Le Président (M. Filion): M. le député de Lac-Saint-Jean, la parole est à vous.

M. Marcil: Excusezl Ça va prendre un peu plus de 30 secondes à ce moment-là.

M. Brassard: Question de règlement. Est-ce que le député de Beauharnois pourrait s'abstenir d'exprimer nos positions s'il vous plaît? On est capable de le faire nous-mêmes.

Le Président (M. Filion): M. le député de Beauharnois, sans susciter de débat. (12 h 30)

M. Marcil: Oui, sans susciter de débat, je lui sortirai justement les textes où il l'affirme lui-même.

M, Brassard: Cela va être difficile.

M. Marcil: Si on enlève ces deux articles parce que tout le monde semble être d'accord, je remets en question la position du Parti québécois, comme semblait le dire le député. En quoi le gouvernement du Québec n'a-t-il plus le pouvoir de légiférer sur la langue, non si on retire les deux articles mais si on accepte ces deux articles? En quoi le gouvernement du Québec ne peut-il pas légiférer ou en quoi le gouvernement du Québec n'a-t-il pas pleins pouvoirs de législation en matière de langue au Québec?

M. Hamey: Pour ce qui est de l'article 133 de la vieille constitution, on l'a accepté ici, à Québec, en 1365 dans un vote de la Législature qui siégeait ici, à Québec. Il est trop tard pour revenir sur cela, cela existe depuis si longtemps. Pour ce qui est de l'article 23 de la nouvelle charte, on sait tous que le paragraphe (l)a) n'a pas été accepté par l'Assemblée nationale et qu'il n'est pas en vigueur. Il faut lire la charte. Avant que cela entre en vigueur, il faut que l'Assemblée nationale du Québec lui donne son aval. Comme cela, la première partie de l'article 23, ce n'est pas un dragon qu'il faut attaquer, car il n'existe pas encore, ce n'est pas un monstre qui foisonne. Mais s'il doit exister, cela va dépendre de nous. Faisons une lecture étroite du document dont nous parlons.

Je répète ce que j'ai dit tout à l'heure: Cela ne me dérange pas que la constitution canadienne contienne ces dispositions particulières pour la protection des minorités, mais j'aimerais que l'article 133 s'applique à l'Ontario. Cela, c'est la politique du NPD-Canada et du NPD-Ontario, je dois vous le dire. Ce serait une bonne chose que ce doux fardeau soit partagé par tout le monde.

Ce que je n'admets pas - ici, on en arrive a un point très important - c'est que les nouvelles dispositions dans la constitution canadienne, c'est-à-dire les dispositions qui existent depuis 1982, puissent venir à l'encontre de lois spécifiques sur le plan linguistique adoptées par l'Assemblée nationale du Québec. Cette possibilité n'existait pas avant 1982 parce que la constitution du Canada ne parlait pas de liberté d'expression. Mais cette liberté est là maintenant. C'est une liberté qui revient aux individus. Un particulier peut se présenter devant la cour et invoquer cet article. C'est pour cela, c'est dans ce sens-là que les articles de 1982 ont beaucoup porté atteinte à la liberté du Québec de protéger sa majorité linguistique. Si on veut accepter effectivement les articles de 1982, il faut faire en sorte que l'application de ces articles soit limitée par une clause très spécifique. Je peux vous l'écrire, si vous voulez; on n'a pas le temps aujourd'hui de la débattre, mais à une autre occasion je vais vous l'écrire et vous montrer comment l'insérer, avec le libellé, dans une constitution canadienne.

Je vous donne un exemple non totalement parallèle mais un peu semblable. Si, dans une tradition dans laquelle nous vivions, c'est-à-dire où nos droits n'étaient pas écrits, ils existaient dans le droit commun ou le droit civil, tous les droits s'équivaudraient: c'est-à-dire ma liberté d'expression, sa liberté de faire grève, tous ces droits seraient équivalents. Mais une fois qu'on dresse une liste de droits - droit d'expression, droit d'association - et qu'on n'inclut pas d'autres droits, tels que le droit de faire grève, ce droit-là n'existe plus, il cesse d'exister. On a vu dernièrement le jugement de la Cour suprême qui dit: Le droit de grève n'existe pas. Mais avant cela, il existait. Le droit que le Québec avait de légiférer pour sa majorité linguistique, il n'existe plus parce qu'il n'est pas clairement exprimé. C'est pour cela qu'on rejette l'argument, qui n'a pas été présenté aujourd'hui mais ailleurs tout à l'heure, dans d'autres séances, par M. Rémillard et qui dit: On ne peut pas commencer à définir "société distincte" parce que, aussitôt qu'on met certaines choses, celles qui ne sont pas là seraient remises en question. On n'accepte pas du tout cela. Ce n'est pas une question de définir, de fignoler une définition, mais de placer dans une constitution un texte concret, des dispositions particulières pour permettre au Québec de légiférer pour protéger et promouvoir sa majorité linguistique.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Harney, ainsi que les gens qui vous accompagnaient.

À ce moment-ci et étant donné que nous avons accumulé un retard assez impressionnant, je demanderais aux représentants de la Confédération des syndicats nationaux, que je vois à l'arrière, de bien vouloir prendre place immédiatement à la table des invités sans que nous suspendions nos travaux, à moins qu'une demande ne nous en soit faite. Je ne crois pas que cela soit nécessaire.

Entre-temps, je voudrais en profiter pour accepter le dépôt du mémoire du Nouveau Parti démocratique du Québec, tel que vient de noua le présenter M. Harney, comme faisant partie des documents de notre commission. Également, je voudrais vous rappeler que, cet après-midi, nos travaux commenceront à 16 heures, avec M. Guy Bertrand; a 17 heures, ce sera l'Institut politique de Trois-Rivières; ce soir, à 20 heures, la Chambre de commerce de Montréal et à 21 heures, l'Union des producteurs agricoles du Québec.

Je reconnais, au centre de la table des invités, M. Gérald Larose, à qui je souhaite la plus cordiale des bienvenues. Je reconnais également les gens qui l'accompagnent mais, pour le Journal des débats et également les membres de la commission, je demanderais à M. Larose de bien vouloir nous présenter les personnes qui l'accompagnent, à la suite de quoi il pourra nous faire part de son exposé. Les règles du jeu sont connues: une période de 60 minutes vous est réservée, soit 20 minutes pour entendre votre exposé, les 40 minutes qui restent étant partagées entre les deux formations politiques pour permettre des échanges de vues avec vous.

Donc, bienvenue, M. Larose.

Confédération des syndicats nationaux

M. Larose (Gérald): En vous remerciant de nous avoir invités et d'avoir aménagé votre temps pour nous entendre ce matin, je veux vous présenter, à ma gauche, le secrétaire général de la Confédération des syndicats nationaux, M. Michel Gauthier; à sa gauche, M. Michel Rioux, qui est le responsable du Service de l'information à la Confédération des syndicats nationaux et en même temps coordonnateur du dossier constitutionnel et de la langue; à ma droite, M. Pierre Lamarche, qui est conseiller du président.

M. le Président, de la manière que c'est parti et que cela évolue, je pense qu'avant longtemps on pourra conclure qu'un simple citoyen du Québec qui s'achète une "minoune" est plus et mieux protégé que tout un peuple qui adhère à une constitution. Il y a des contraintes, dans la Loi sur la protection du consommateur, qui font qu'un simple citoyen qui a dans la tête de conclure un accord commercial a en s'achetant une "minoune" des délais. Il y a des vérifications. Il peut faire tester sa voiture. S'il n'est pas d'accord, il peut la retourner et se faire rembourser. Mais de la manière que l'accord du lac Meech roule, on pense qu'on est sur quatre "flats", sauf qu'on est obligé de prendre la "minoune".

En matière d'accord patronal-syndical, un accord qui vise un nombre assez limité de six employés, portant sur des matières relativement restreintes de conditions de travail et de conditions salariales pour une durée maximale de trois ans, on s'impose comme organisation syndicale des procédures et des contraintes démocratiques. La loi nous en impose aussi, notamment, le scrutin secret. Pour un accord constitutionnel, le tout pourrait être bâclé sur la base d'un communiqué de presse, en trois semaines, pour un engagement de trois générations au minimum? On trouve qu'il y a là un problème extrêmement grave de démocratie.

C'est pourquoi, en premier lieu, on tient à marquer notre profond désaccord devant la précipitation dans laquelle tout le Québec est actuellement obligé d'agir. Nous sommes, en effet, dans une situation inconfortable où tout ce qui pense, réfléchit et agit au Québec doit, en l'espace de trois semaines, se former une opinion sur des enjeux qui risquent d'engager, comme je le disais, au moins les trois prochaines générations, surtout que, dans les circonstances, c'est sur la base d'un communiqué de presse que se débattent des sujets dont on conviendra qu'ils ne sont pas des plus faciles. Le profane est en situation constante d'y perdre le peu de certitude qu'il avait pu acquérir et nous avons pu voir, ces derniers jours, de savants constitutionnalistes opérer des redressements qui, appliqués aux lois de la physique, auraient pu provoquer en d'autres matières des écroulements retentissants.

Avouons qu'il faut une dose formidable d'optimisme et de confiance, pour des profanes comme nous, pour suivre les acrobaties juridico-langagières des spécialistes et même de nos élus. En effet, où en sommes-nous dans cette saga constitutionnelle qui n'a eu de cesse depuis plus d'un siècle, avec des points culminants parfois dramatiques et des points forts qui ont jalonné cette longue recherche par le peuple québécois des pouvoirs propres à assurer son développement? Où en sommes-nous?

Un fait doit être constaté: c'est quand l'ensemble du peuple québécois a appuyé son gouvernement et endossé les revendications que le Québec, par son gouvernement, a marqué des points. C'est aussi quand des débats préalables avaient été menés largement à tous les niveaux que le gouvernement québécois, porteur des aspirations populaires, a pu aller conquérir des pouvoirs renforçant sa capacité d'intervention.

La CSN constate avec inquiétude que ce n'est pas le cas aujourd'hui. Le débat actuel autour du communiqué du lac Meech a toutes les allures d'un "forcing" qui rend difficile l'identification claire des intérêts supérieurs du Québec. Pour la CSN, cela n'est pas sain et nous persistons à affirmer que le Québec, sur une question aussi engageante, ne peut se satisfaire d'un

simulacre de débat, ne peut faire l'économie d'une réflexion collective que les impératifs de temps ne permettent pas actuellement.

On nous rétorquera que la réunion des premiers ministres ne représentera pas, le 2 juin prochain, le point final du processus de réintégration du Québec au sein de la constitution canadienne. Une fois couché en termes juridiques et ayant fait l'objet d'une signature officielle des premiers ministres, le communiqué du lac Meech sera devenu, à toutes fins utiles, inamovible, que l'on se donne six ou douze mois avant de le faire adopter par Ies onze Parlements. C'est donc avant d'en arriver à un accord qu'il faut tenir un débat qui soit le plus large possible.

On nous a habitués, au Québec, à tenir des forums, des sommets de toutes sortes, aussi bien régionaux que nationaux ou encore sectoriels, afin d'en arriver à des consensus à partir desquels des politiques économiques, sociales et culturelles ont pu être mises en place. Le processus démocratique tire généralement profit de ces exercices collectifs. S'il est apparu utile de le faire pour à peu près tous les sujets, on se priverait de ce moyen dans un cas, celui de l'adhésion du Québec à l'accord constitutionnel, qui engage de manière autrement plus profonde l'ensemble de la société? C'est notre conviction que rien de durable ni de valable ne pourra ressortir d'un exercice qui, à sa face même, est vicié. En effet, comment tenir en ces matières une discussion sérieuse à partir d'un communiqué de presse?

C'est pourquoi, étant donné l'ampleur du sujet et la nature des enjeux, la CSN réclame la tenue, cet automne, d'une assemblée constituante où pourraient être débattus en profondeur le projet d'accord et les conditions permettant au Québec d'adhérer à la constitution.

La CSN, comme plusieurs autres organismes, appuyée en cela par plusieurs personnalités québécoises, a eu souvent l'occasion de souligner que les cinq conditions mises de l'avant par le présent gouvernement n'étaient ni suffisantes, ni suffisamment précises pour constituer la base d'une négociation valable.

C'est en particulier au chapitre de la protection et du développement de la langue que les conditions avancées par le gouvernement nous apparaissaient et nous apparaissent encore extrêmement déficientes. Les termes du communiqué du lac Meech ne permettent pas d'entretenir quelque espérance que ce soit à ce chapitre.

Et on en veut pour témoin, d'abord, M. Dion qui, dans Le Devoir du 8 mai, écrivait: "Ce dont le Québec a besoin, ce n'est pas seulement d'être considéré comme une société distincte dans la constitution, mais encore il s'impose que cette expression puisse être d'une étanchéité absolue quant à sa signification et sa portée, de façon à ce que l'interprétation qu'en fourniraient les tribunaux puisse être aussi prévisible que possible et, bien entendu, favorable au français." (12 h 45)

Le professeur Dion, qui se qualifie de fédéraliste autonomiste et à qui on reconnaît l'utilisation d'un langage mesuré, ajoutait ce qui suit: "Pour ma part, je n'oppose pas une fin de non-recevoir à l'entente de principe survenue au lac Meech mais je tiens à signifier dès maintenant que si cette entente, une fois inscrite dans la constitution, laisse le français aussi démuni qu'il ne l'est è la suite de la constitution de 1982, je serai l'un des premiers a monter sur la ligne de défense de ma langue maternelle."

L'argumentation claire du professeur Plourde, publiée dans Le Devoir du 9 mai, vient démontrer à quel point les soucis exprimés par M. Dion en regard du statut de ta langue sont fondés. C'est le caractère bilingue du Québec qui est consacré dans l'accord et c'est ce caractère que tous les gouvernements du Canada, y compris le nôtre, au Québec, ont le devoir de protéger, puisqu'il constitue une caractéristique fondamentale de la Fédération canadienne, ce qui n'est pas le cas, notons-le, du caractère de société distincte que forme le Québec au sein du Canada.

M. Plourde disait: "On voit tout de suite dans quelle position inconfortable et ambiguë se trouveront l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec qui se voient octroyer le rôle de protéger et de promouvoir le caractère français du Québec et imposer en même temps l'obligation de protéger "la caractéristique fondamentale" d'un Canada bilinguel II ne faut pas être grand sorcier pour comprendre que "l'obligation" l'emportera inévitablement sur le "rôle". Si le texte de l'entente de principe du lac Meech avait vraiment voulu reconnaître le caractère distinct de la société québécoise, il aurait pris soin alors de dire les choses clairement et d'éviter toute ambiguïté. Ce n'est malheureusement pas le cas."

Dans l'état actuel du communiqué du lac Meech, les obligations découlant des articles (l)a) et (l)b), portant sur le caractère distinct du Québec, ne sont absolument pas de même portée. Là-dessus, la CSN partage entièrement les inquiétudes et les mises en garde qui se sont exprimées de manière très convaincante depuis quelques jours, particulièrement devant vous.

Le Québec est ainsi, d'abord et avant tout, une société bilingue et l'Assemblée nationale prend l'engagement de protéger la caractéristique fondamentale du Canada mentionnée au paragraphe (l)a). L'Assemblée nationale doit se contenter d'un "rôle" dans la protection et la promotion de la société

distincte.

Un mot sur le pouvoir de dépenser. La question complexe et même vitale pour le Québec du pouvoir de dépenser est expédiée en une seule phrase. C'est peu pour beaucoup. Une question: Pourquoi les termes "juste compensation" et non plus les termes "pleine compensation"? Il y a là un point d'interrogation et nous voudrions bien avoir une réponse.

Le droit actuel n'accorde-t-il pas au Québec le pouvoir de dépenser sans condition préalable? Pourquoi risquer ainsi d'abandonner des leviers au palier fédéral, reléguant le Québec, sous certains aspects, au niveau d'une municipalité? Cela nous semble des questions sérieuses auxquelles il faudrait consacrer plus de temps pour les étudier à fond.

Sur le droit de veto et de retrait, la CSN constate que les positions de nombreux spécialistes et hommes politiques ont singulièrement évolué, pour ne pas dire plus, depuis quelques années. Ainsi, le premier ministre déclarait dans une longue entrevue publiée en septembre 1983 dans Le Devoir: "Je considère que c'est une erreur historique impardonnable de la part de M. Lévesque d'avoir conclu avec les autres provinces un accord sur la formule d'amendement qui rabattait le Québec au niveau de toutes les autres provinces, y compris les moins importantes, sans que le nom du Québec soit mentionné".

M. Rémillard, à l'époque de son professorat, signait lui-même dans Le Devoir un article qui s'intitulait "Le simple droit de retrait n'est pas suffisant".

Aujourd'hui, le premier ministre soutient plutôt, s'il est bien cité, dans Le Devoir du 7 mai: Le droit de retrait avec pleine compensation donne les mêmes garanties que le droit de veto et protège l'avenir... À l'Opposition l'accusant d'avoir battu en retraite sur le veto qu'il se faisait fort de récupérer, M. Robert Bourassa répond que le droit de retrait donne, à toutes fins utiles, les mêmes résultats.

Il n'y a pas seulement du côté gouvernemental qu'on a pu assister à ce genre d'évolution dont il faut convenir qu'elles sont difficiles à suivre pour les profanes. M. Morin, ex-ministre du gouvernement du Parti québécois et grand architecte des relations fédérales-provinciales, signait dans Le Soleil en janvier 1983 un article intitulé "Québec ne doit pas oublier son droit de veto". Pourtant, le même spécialiste, le 31 mars 1984, déclarait toujours dans Le Devoir: "Mieux que le veto, le droit de retrait permettra au Québec de se singulariser".

Pour un gouvernement qui se fait fort de propager à l'extérieur une image de sérieux, il faut craindre les jugements qu'on pourra porter dans d'autres démocraties libérales qui se sont donné une constitution en constatant que c'est à la vapeur, sans texte juridique, quasiment en cachette, à partir d'un communiqué de presse, qu'un débat visant l'adhésion historique du Québec à l'ensemble canadien est mené.

Hommes et femmes politiques, spécialistes de ces questions, partagent aujourd'hui des certitudes, diamétralement opposées, sur la nature de l'accord connu sous forme de communiqué de presse. Mais on sent dans la population un flottement à savoir ce que contient vraiment l'accord en question.

Les déclarations qui nous arrivent chaque jour ne sont pas de nature à améliorer la fabrication d'une opinion. Au fédéral, selon qu'on parle vers les Rocheuses ou vers le Québec, le discours subit un singulier retournement: Mulroney et Murray rassurent le Canada anglais: Québec n'a gagné aucun pouvoir qu'il n'avait déjà.

M. Bourassa avait pourtant déclaré sur place, au lac Meech, que le Québec avait obtenu plus que ce qu'il avait demandé. Il faut convenir qu'il y a là des trajectoires difficiles à suivre.

C'est pourquoi la CSN insiste, en terminant, sur la nécessité absolue de ne pas expédier en trois semaines des questions qui engageront au moins trois générations. Cette démarche étant particulièrement sérieuse pour le peuple québécois, nous réclamons la tenue d'une assemblée constituante qui pourrait se tenir à l'automne et qui serait chargée d'identifier à quelles conditions le Québec pourrait adhérer à la constitution canadienne.

Je terminerai en disant qu'il faut très bien se rendre compte que dans notre société comme dans les autres sociétés, pour une constitution qui est une loi fondamentale... On a vu, pas plus tard qu'il y a quelques semaines, aux Philippines, un référendum sur une constitution, en Haïti, un référendum sur une constitution. Toute l'Europe s'est construite à partir de votes populaires sur la loi fondamentale.

Ou bien il y a un coup fourré, ou bien on ne prend pas exactement la mesure de ce qu'on est en train de faire mais, pour une société qui se prétend démocratique, je ne pense pas qu'on puisse faire l'économie, ni d'un débat, ni d'une décision de chacun des citoyens de ce pays, que ce soit à l'intérieur du Québec ou à l'intérieur de tout le Canada.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Larose. En même temps, j'accepte le dépôt de votre mémoire pour faire partie des documents de la commission. Chaque groupe parlementaire dispose d'un peu plus de 20 minutes pour échanger des propos avec nos invités. Alors, la parole est maintenant à M. le ministre délégué aux

Affaires intergouvemementales canadiennes.

M. Rémillard: M. Larose, je voudrais d'abord vous remercier et remercier votre association, la CSN, de venir témoigner devant nous. M. Larose, je prends bonne note de ce que vous nous écrivez à la page 6 de votre mémoire, lorsque vous dites que la CSN tient à cet égard à rappeler que jamais le Québec ne s'était retrouvé aussi affaibli qu'au lendemain des discussions menées par le précédent gouvernement qui, sans mandat ni appui populaire, l'avait fait.

Bien sûr que vous vous référez - vous l'avez fait tout à l'heure - à l'entente du 16 avril 1981 où le précédent gouvernement a accepté, comme formule de modification d'amendement, le principe que toutes les provinces étaient égales, principe reconnu pour la première fois en droit constitutionnel canadien par un gouvernement québécois. Cela ne s'était jamais vu.

Bien sûr, on a dû composer avec cette réalité. Lorsque vous faites référence à un article que j'ai écrit comme professeur, qui s'intitulait - un article publié dansLe Devoir - "Le simple droit de retrait n'est pas suffisant", ce que j'écris dans cet article, M. Larose, c'est qu'on peut se retirer d'un amendement concernant le partage des compétences législatives. C'est-à-dire que si vous décidez de confier au gouvernement fédéral la compétence sur les universités, par exemple, cela se comprend qu'on puisse dire: Nous, du Québec, on veut garder la compétence des universités; donc, on se retire. Ce que je dis dans cet article, M. Larose, c'est que, malheureusement, on n'a pas compris, lorsque le gouvernement québécois, alors le Parti québécois, a signé cela, qu'on ne se retire pas d'une institution, du Sénat, de la Chambre des communes, de l'acceptation d'un nouveau membre dans la fédération.

Alors, la conséquence était que le Québec avait perdu son droit de veto qui est en fonction de ses droits historiques qu'il a toujours eus concernant les institutions fédérales, du moins comme le partage des compétences législatives. C'est en fonction de ces précédents politiques qui ont été créés que nous avons dû composer, donc, avec cette situation et que nous sommes arrivés à cette formule qui nous permet de récupérer le droit de veto du Québec en ce qui regarde les institutions. Donc, le Québec se voit garantir, d'une part, en fonction de ce pouvoir qu'il récupère de dire non, un amendement constitutionnel qui ne lui conviendrait pas et avec une compensation financière dans tous les cas de retrait et non pas simplement en ce qui regarde la culture et l'éducation.

Deuxièmement, ce que la formule donne, c'est un droit de veto au Québec, comme aux autres provinces d'ailleurs - remarquez, c'est comme cela - pour ce qui est des institutions, Chambre des communes, le partage des sièges pour la représentation des provinces à la Chambre des communes, les pouvoirs du Sénat, la Cour suprême sous certains aspects et l'acceptation de nouvelles provinces éventuellement dans la fédération. Voilà un droit de veto qui a été récupéré et qui est très important. Je tenais à mentionner cette petite précision.

D'autre part, vous nous mentionnez, dans un premier temps, que "société distincte", ce n'est pas particulièrement précis. Vous commentez le professeur Dion qui est venu ici témoigner. Vous voulez qu'on ajoute certaines précisions à ce sujet; je reviendrai tout à l'heure là-dessus.

Vous n'avez pas tellement parlé non plus de la Cour suprême et de l'immigration, parce que, finalement, il y a cinq points dans cette entente: société distincte et dualité canadienne, la Cour suprême, l'immigration, la formule d'amendement et le pouvoir de dépenser. Vous avez soulevé des questions en ce qui regarde la société distincte et le pouvoir de dépenser. La formule d'amendement, je viens de vous l'expliquer.

En ce qui regarde la Cour suprême où le Québec va pouvoir fournir une liste de noms au gouvernement fédéral et celui-ci devra nommer à la Cour suprême les trois juges qui sont du Québec à partir de cette liste, c'est quand même un pouvoir considérable que le Québec acquiert.

D'autre part, en matière d'immigration on acquiert d'une façon aussi tout à fait exceptionnelle pour le Québec une compétence sur la sélection de nos immigrants, tant ceux de l'extérieur que ceux qui sont sur place, de même que la compétence de pouvoir mettre en place nos moyens d'intégration pour leur donner le goût de demeurer avec nous. Cela représente un gain considérable des pouvoirs pour le Québec en ce qui regarde l'immigration. Vous êtes conscient, M. Larose, qu'on a un problème avec notre taux de natalité. Lorsqu'on parle du visage français de Montréal, par exemple, il faut prendre des mesures pour intégrer nos immigrants. Là, on aura ces pouvoirs avec transfert d'argent en conséquence; cela représente à peu près 30 000 000 $ que l'on va récupérer pour mettre en place ces moyens d'intégration. Voilà des pouvoirs qui sont importants. J'aurais aimé vous entendre aussi sur ces différents aspects pour avoir un commentaire global.

Maintenant, en ce qui regarde la société distincte, est-ce que vous avez interrogé vos juristes - je connais personnellement des juristes qui vous conseillent, qui sont chez vous, qui sont très compétents - sur la pertinence d'ajouter des précisions, des définitions à ce concept de

société distincte et à quelle argumentation vous référez-vous? Vous vous référez à des témoins' qui sont venus devant nous, à des articles qui ont été écrits dans les journaux, mais vous témoignez quand même au nom de la CSN. C'est important, c'est un groupe très important pour le Québec. Alors, quelle est votre attitude à ce sujet? (13 heures)

M. Larose: Sur la société distincte, oui, nous avons interrogé les gens qui nous conseillent et, loin de souscrire à l'argumentation qu'il est avantageux de ne faire aucune précision de telle sorte qu'on va ramasser le "jack-pot", les gens disent: II vaut mieux avoir des précisions avec non pas une copule, mais un libellé qui, sans limiter ce qui précède, précise les éléments de la société distincte.

Mais le problème est plus grave que cela - c'est un défaut majeur de toute cette constitution - c'est que les politiques abandonnent leur mandat dans les mains des juges. Ce qui fait que le contenu est à ce point flou qu'on demande aux juges de le préciser, alors qu'habituellement les lois sont censées être précises. Les juges n'ont pas à interpréter les lois, les juges ont à interpréter les situations et à voir à l'application de la loi par rapport à la situation. Mais, là, on est cul par-dessus tête puisqu'on demande au juge de faire la "job" politique alors que les juges devraient faire la "job" d'interpréter les situations eu égard à la loi.

Et votre société distincte, pas précisée, confiez cela à vos juges - il y en a neuf, si j'ai bien compté, dont six sont d'une tendance, enfin pas d'une tendance, ils sont tous impartiaux, mais disons qu'ils sont d'une ligne - qui auront à arbitrer l'article 27, si je ne m'abuse, le patrimoine multiculturel canadien ou l'article (l)a) qui dit que la caractéristique fondamentale du Canada, c'est la dualité linguistique, et la société distincte qui, elle, n'est pas précisée. Puis-je vous dire qu'un juge va devoir faire du trapèze pour vous donner raison, à savoir que la loi 101 est valable au Québec. Cela n'a pas de bon sens! Si la société distincte québécoise n'a pas de langue, je m'excuse, mais elle va parler deux langues, c'est ce qu'on dit!

Nous pensons que la société québécoise est distincte et, notamment, quant è sa langue. Et on devrait avoir le courage politique de dire aux juges: Vous ne jugerez pas n'importe comment, vous ne nous donnerez pas le contenu de la société distincte, car c'est nous, notre politique, comme société et comme peuple, qui allons nous définir nous-mêmes. Dans ce sens-là, la Cour suprême effectivement... Je veux bien croire que cela nous donne un immense pouvoir que d'en nommer trois mais, dans le quotidien du peuple, puis-je vous dire que ce n'est pas cela qui va redonner le visage français de Montréal, n'est-ce pas? Je m'excuse, mais ce n'est pas avec l'immigration qu'on va franciser Montréal. Si on avait l'échine et ta colonne vertébrale pour faire en sorte que la loi 101 ne soit pas dépecée morceau par morceau, c'est par là qu'on franciserait le Québec. On a réussi à le franciser un bout, mais on est en train de régresser. C'est mon sentiment par rapport à la Cour suprême et surtout au fait que, depuis Trudeau - c'est la "passe" qu'il nous a faite - au lieu de mettre ses culottes et de définir les choses dans la constitution, on confie à neuf personnes le soin de mettre les contenus politiques, alors que la "job" des juges, c'est de juger des situations qui, elles," peuvent être floues par rapport à une loi qui, elle, devrait être claire.

Le Président (M. Filion): M. le ministre.

M. Rémillard: Vous parlez beaucoup de la question du mandat que nous avons ou que nous n'avons pas, vous en avez parlé aussi pour le Parti québécois. Vous faites référence à une résolution qui a été adoptée par l'assemblée de la CSN. À quoi faites-vous référence - je n'ai pas tellement compris dans votre mémoire - pour venir témoigner aujourd'hui sur l'entente du lac Meech?

M. Larose: Nous faisons référence à un congrès spécial sur la question nationale que nous avons tenu en juin 1979, un congrès de trois jours. Un congrès à la CSN, c'est 2000, 2500 personnes, précédé de six mois de débats à l'intérieur des organismes. Ce congrès a donné une déclaration dont vous avez un extrait.

M. Rémillard: Alors, vous vous basez sur un congrès qui a eu lieu il y a huit ans, c'est cela?

M. Larose: ...qui a eu...

M. Rémillard: ..qui a lieu il y a huit ans, en 1979, si j'ai bien compris?

M. Larose: En 1979, oui.

M. Rémillard: En 1979, il y a huit ans. D'accord.

M. Larose: Mais disons que la question nationale ne change pas à tous les six mois. Je pense que la question nationale est une réalité de trois siècles. On ne pense pas qu'on peut faire les "about turns" qu'on connaît à l'heure actuelle, à la faveur d'un lac qui dégèle...

Des voix: Ha! Ha! Ha! Elle est bonne!

M. Larose: ...à notre vie collective. Qu'on l'ait fait en 1979, on pense que c'est encore d'une grande actualité.

Le Président (M. Filion): M. le ministre?

M. Rémillard: J'ai terminé.

Le Président (M. Fiiion)t Terminé. M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Si je comprends bien, M. Larose, vos derniers propos ont gelé le ministre un peu.

M. Larose, merci d'être présent. Je sais que vous devez donner le coup d'envoi d'un congrès à Québec. Je ne vous garderai pas indéfiniment. Je veux seulement d'abord faire quelques remarques, dont évidemment, vous le comprendrez, je dois en adresser certaines au ministre, puisque c'est comme cela que cela se passe ici. Ensuite, je vous poserai une question.

D'abord, le ministre a sauté - c'est quoi l'expression? - comme la misère sur le pauvre monde, à la page 6 de votre document, pour dire qu'il se réjouissait du fait que vous dénonciez ce qui s'était passé en 1981. Je comprends aussi que la CSN est en train de vous expliquer que vous vous apprêtez à faire pire et à engager le Québec pour longtemps. En 1981-1982, le Québec s'est fait tasser, pour ne pas dire trahir, à bien des égards par les autres. Là, c'est le Québec qui va être lui-même l'auteur de son propre "encarcanement" et de la prison tranquille qu'il est en train de se bâtir dans l'indifférence. Je pense que c'est un peu à cela qu'appelle le président de la CSN quand il dit, parce que c'est un homme habitué à la démocratie de participation... On sait, en particulier dans son syndicat, qu'il y a des assemblées parfois houleuses. Cela n'est pas réservé seulement aux partis politiques. Quand il parle de démocratie de participation autour d'un enjeu comme celui-là, je pense qu'il parle d'expérience. Il vous dit: Cela n'a pas de bon sens de régler te sort d'une couple de générations en l'espace de trois semaines. Il me semble qu'il a raison.

On peut être d'accord ou pas avec M. Larose sur bien des choses, sur n'importe quel dossier, celui du Manoir Richelieu ou d'autres... La question n'est pas là. La question, c'est qu'il pose ta problématique dans le temps en disant: En l'espace de trois semaines, vous vouiez que le Québec signe pour une période indéfinie qui risque de s'étaler au minimum sur une génération, peut-être deux ou trois. Il me semble qu'il y a une certaine sagesse là-dedans qui nous vient de la représentation du milieu du travail au Québec et qui, j'ai l'impression, est très significative de bien des gens. Si je ne m'en tiens qu'à quelques conversations que j'ai pu avoir avec des travailleurs depuis trois semaines, ils ont l'impression qu'il y a quelque chose d'anormal dans ce qui se passe en ce moment.

Il y a peu de qens qui vous appuient, n'est-ce pas? Il faut être conscient de cela. Vous misez surtout sur l'indifférence et l'apathie, mais il y a peu de gens qui vous appuient. Dans la mesure où vous avez entre les mains des éléments importants de l'avenir du Québec, je trouve cela un peu facile et je dirais même un peu abusif. Si j'avais le sentiment que vous êtes appuyés fortement par les gens, ce serait autre chose. Si j'avais le sentiment que vous avez été élus pour un mandat spécifique qui touche à cela, ce serait autre chose. Mais il n'y a pas d'appui solide. Il y a plus d'indifférence. II y a chez ceux qui se prononcent beaucoup plus de doutes qui s'expriment, de questions qui se posent, d'inquiétudes qui se manifestent, de remises en cause de la sagesse à ta fois du processus comme du contenu de ce dans quoi vous êtes en train d'engager le Québec. Il me semble que vous devriez en tenir compte.

Deuxièmement, quand je vois des contradictions comme celle à laquelle vient de se livrer le ministre sans s'en apercevoir, parce qu'il s'est contredit avec quelque chose qui s'est passé ici vers 21 h 15, un soir de la semaine dernière, c'était peut-être l'effet de la fatigue. C'est normal. On travaille fort ici. On se concentre. On entend des groupes. On a parfois l'impression qu'on reprend les mêmes choses. Cela prouve, d'ailleurs, qu'on devrait prolonger ces discussions bien au-delà de cette semaine, pour travailler dans un contexte adéquat. Mais le ministre s'est contredit, dis-je, de façon incroyable par rapport à ce qu'il a dit la semaine dernière, au sujet du droit de retrait. Je trouve cela frappant. Le ministre nous expliquait tout à l'heure - je comprends que je vais être un peu technique mais je pense qu'il va me suivre - que ce qui était important, c'était de récupérer le droit de veto sur les institutions comme la Chambre des communes, le Sénat, la création d'une autre province, la Cour suprême, mais que le droit de retrait avec compensation dans le cas du partage des pouvoirs, il pouvait vivre avec cela. C'est cela qu'il avait obtenu et il ne pouvait pas obtenir mieux. À cause de 1981, évidemment, pour reprendre son moulin à prières.

Mais le ministre a l'air d'avoir oublié quelque chose. Il a l'air d'avoir oublié la réponse qu'il m'a donnée quand je lui ai demandé, après le témoignage du professeur Blache, l'autre soir: Si jamais on veut abolir l'article 33 au Canada anglais: l'article 33 de la charte canadienne, c'est ce qui permet à la Législature du Québec de dire: Nonobstant la charte canadienne, nous passons telle loi. C'est possible que sept provinces représentant 50 % de la population décident

d'abolir l'article 33, comme le souhaiterait d'ailleurs le Barreau canadien et comme le souhaite une tendance très lourde chez les juristes au Canada anglais. Le jour où l'article 33 est aboli, cela veut dire que le Québec a encore moins de marge de manoeuvre pour délimiter quelles sont ses orientations et sa législation. Le ministre m'a répondu l'autre soir vers 22 heures: Non, il n'y a pas de problème. On pourrait exercer notre droit de retrait, si jamais ils abolissaient l'article 33. Voyons donc! Le ministre vient de nous faire la démonstration que le droit de retrait s'applique essentiellement au partage des pouvoirs et à part cela, dans la mesure où le droit de retrait, il faut bien se comprendre, est défini à partir d'un droit de compensation. Comment compensez-vous l'abolition de l'article 33? Combien cela vaut-il? 500 $, 3 000 000 $, 1 000 000 000 $? C'est la liberté de l'Assemblée nationale du Québec qui est en cause. Le ministre a l'air bien sûr qu'il y a un droit de retrait sur l'abolition de l'article 33. Je ne suis pas sûr de cela. Je pense que lui-même n'est pas sûr parce qu'il a tenu des propos différents aujourd'hui de ceux qu'il a tenus la semaine dernière.

Deuxièmement, je voudrais rappeler au ministre que le Canadian Bar Association, qui est le Barreau canadien, en fin de semaine dernière, dans le Globe and Mail, par son président, M. Brian Williams, déclarait ceci. D'abord, il trouve que ce n'est pas une bien bonne idée que les provinces nomment les juges de la Cour suprême, et tout cela. Au-delà de cela, il a déclaré au sujet de la société distincte: "He does not believe that the section recognizing Québec as a distinct society means that the province will have increases powers but -entre guillemets, cette fois-ci - "that amounts to nothing more than recognition of the existing state of facts of our society". Ce que dit le président du Barreau canadien, M. Williams, c'est qu'il considère que l'article sur la société distincte avec lequel vous avez fait des gorges chaudes, des honneurs et des enthousiasmes prématurés sur le bord du lac l'autre jour, cela ne veut rien dire et que cela ne nous confère que le statu quo.

Je crois que M. Williams, à cet égard, ainsi que le professeur Dion et bien d'autres, ont raison là-dessus. La société distincte ne signifie pas grand-chose autrement qu'une vague règle d'interprétation qui ne tiendra pas le coup devant des articles particuliers de la charte canadienne, comme l'article 6 sur la liberté d'établissement, comme l'article 23 sur la lanque d'enseignement, comme possiblement l'article 2 sur la liberté d'expression, dans la mesure où il y aura des dispositions particulières, l'article 93 sur le système scalaire, l'article 133 sur le bilinguisme dans nos institutions. Tant qu'il y aura un article précis qui vise une réalité précise dans la constitution canadienne, les mots "société distincte" ne pourront même pas être utilisés pour aller à l'encontre de ces dispositions. C'est le fond des choses.

Je voudrais peut-être permettre maintenant à M. Larose qui, je le sais, doit nous quitter bientôt, d'en ajouter un peu. Il connaît ce que peut être, à l'occasion, l'indifférence dans le monde syndical. On sait que cela guette le monde syndical comme le monde politique de temps en temps aussi. Est-ce qu'il considère qu'au-delà du processus et au-delà des contenus qu'il a critiqués avec justesse, c'est inconcevable que le Québec signe à ce moment-ci? J'ai cru comprendre, à un moment donné, dans son texte que cela faisait un peu plus nuancé, mais est-ce qu'à ses yeux il faut carrément que le Québec ne signe pas dans les circonstances actuelles? M. Larose. (13 h 15)

M. Larose: J'ai la conviction intime qu'il se peut que le peuple du Québec soit d'accord pour adhérer à la Confédération canadienne. Je dis: Peut-être que le peuple veut adhérer à la Fédération canadienne. Je pense que le parti au pouvoir a l'impression que le peuple veut adhérer à la Fédération canadienne. Quel feu y a-t-il pour faire cela en trois semaines? II me semble que le temps de faire le processus de façon larqe, rien que pour vérifier si c'est vrai et si on est sûr de son affaire, si c'est la conviction intime que l'on a... Ne néqocions pas comme les Teamsters qui vont "traficoter" cela, en été, sur le bord d'un 18e trou ou d'un 19e plutôt. Quand c'est le printemps, effectivement, à la fonte des glaces... Ensuite, tu arrives et sur la queule, tu dis à l'assemblée que tu n'as pas convoquée: C'est réglé.

Je dis que, si on a la conviction qu'effectivement le Québec est prêt à adhérer à la Fédération canadienne, prenons le temps, "checkons" pour parler latin, organisons-nous pour asseoir clairement -j'insiste là-dessus - ne faisons pas faire aux juges la "job" qu'on se refuse de faire nous-mêmes. Soyons clairs sur ce qu'est la société distincte, etc. Faisons un processus démocratique: assemblée constituante; cela peut être un référendum. On n'a même pas parlé de référendum. Ce qu'on dit, par exemple, c'est qu'habituellement, pour une loi fondamentale, il n'y a pas qrand pays qui est passé à côté d'un référendum.

Dans ce sens, nous disons: II faut absolument que le processus soit clair, propre, démocratique. Plus que cela, si, en 1987, le peuple du Québec est d'accord pour adhérer à la Fédération canadienne, je voudrais qu'on ait quelques mécanismes qui lui permettent, le jour où il ne sera plus d'accord, de se retirer. Je pense que ce serait un petit peu normal. Donc, pour ne pas passer pour des "casseux de party",

supposons que, dans 30 ans, on décide qu'on veut voler de nos propres ailes mais qu'on est considéré comme une peuplade quelconque qui a décidé de casser la baraque, il me semble que l'on pourrait prévoir quelques mécanismes qui permettraient de façon tout aussi libre - la façon libre qu'on a prise d'adhérer - d'en sortir.

Je pense que cela fait partie de la maturité du peuple du Québec que de procéder de cette façon, surtout permettre au monde de suivre la "game". J'avoue qu'il y en a qui ont été surpris du résultat du lac Meech; j'ai plutôt été surpris qu'il y ait un résultat. Quand on m'a dit que le calendrier était de trois semaines, j'ai dit: Hop! Hop! Ce genre de négociations, du côté syndical, on connaît cela. Quand il y a une entente qui t'arrive par la porte de la toilette plutôt que par la porte de la séance, tu dis: Oh! effectivement, cela sent mauvais! Alors, on voudrait tout simplement qu'on prenne son temps. Si on est sûr de son affaire, le peuple va suivre. Si on n'est pas sûr, peut-être qu'il faut aller vite.

Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître maintenant un intervenant du groupe ministériel. M. le ministre.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. Larose, j'ai l'impression que vous avez compris la distinction que j'ai faite tantôt entre le droit de retrait et le droit de veto, mais qu'il y a encore des doutes qui persistent chez le chef de l'Opposition, c'est-à-dire qu'il n'a pas encore compris l'erreur qu'ils ont faite le 16 avril, qu'on ne se retire pas d'une institution. Au lac Meech, ce qu'on a fait, c'est de réparer cette erreur. Vous l'avez compris, je pense, très bien, c'est assez évident; mais le chef de l'Opposition ne l'avait pas encore compris.

En ce qui regarde cette clause "nonobstant", c'est cette clause qui permet de légiférer malgré certains droits et libertés contenus dans la Charte des droits et libertés. J'ai de la difficulté à le suivre parce que, s'il fallait qu'on n'ait pas le droit de se retirer sur un amendement qui enlèverait cette clause 33, comme d'autres clauses du même genre - je ne dis pas que le gouvernement québécois serait contre le retrait de l'article 33, comme je ne dis pas qu'il serait pour qu'on se retire non plus -cela démontrerait à quel point, encore une fois, le droit de retrait qui a été accepté par le précédent gouvernement est un obstacle pour le Québec et non pas un avantage. Mais je persiste à croire, M. le Président - je tiens à vous dire, M. Larose -que le Québec, s'il y avait un amendement concernant cette clause "nonobstant", donc, l'article 33, pourrait s'en retirer, parce que ça affecte directement la compétence législative du Québec

En ce qui regarde votre dernière remarque, M. Larose, je voudrais vous dire que ce sont les juges qui interprètent la constitution du Canada. Vous qui êtes en relations du travail, vous savez très bien qu'on ne peut pas faire un contrat pour satisfaire les deux parties et qu'il n'y ait aucune contestation sur le sens des termes qu'on a employés. Il y aura toujours de la contestation. On ne peut pas tout prévoir. C'est normal qu'à un moment donné une tierce partie puisse se prononcer sur un litiqe qui pourrait survenir. Dans le cas de la constitution du Canada, ce sont les tribunaux et, en dernier ressort, la Cour suprême du Canada. C'est donc la Cour suprême qui interprète.

En ce qui regarde la société distincte, dans un premier temps, il faut reconnaître que ce n'est pas dans le préambule, que ce n'est pas simplement une valeur morale qu'on donne à ce caractère d'une société distincte. C'est bien un article de la constitution. D'une part, c'est une règle d'interprétation obligatoire et non pas facultative et, d'autre part, M. Larose - je ne vous ai pas entendu sur cet aspect-là - il faut voir le dernier paragraphe de l'entente du lac Meech où on dit bien que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise.

C'est la première fois qu'on mentionne expressément dans la constitution ce rôle de la constitution. C'est certain que ça ne règle pas tous les problèmes. Mais il est évident aussi - tous les intervenants que nous avons entendus sont unanimes pour nous le dire -que c'est une pierre d'assise qui va nous aider à défendre nos intérêts. Certains disent: On pourrait en mettre plus et ça nous aiderait encore plus. D'autres disent: Cela nous aide déjà beaucoup. En fait, il y a peut-être différentes évaluations sur l'aide que ça va nous apporter. Mais ce qu'on peut dire à ce moment-ci, c'est que sera un élément fondamental pour la défense de la culture et de la lanque française pour le Québec.

M. Larose: Mon problème est le suivant. Peu importe ce que le ministre puisse dire ou peu importe ce que le chef de l'Opposition puisse dire par rapport à chacun des articles, vous ne pesez rien dans la balance. Ce sont les juqes qui vont décider. C'est ça, le problème. Si vous ne dites pas carrément que la société distincte, ça veut dire ceci et cela, le juge, lui, il va regarder tout le texte et il va dire: Rien que par rapport à ce texte, il y a une caractéristique fondamentale qui est la dualité linguistique au Canada. Est-ce que c'est ça qu'il dit ou si ce n'est pas ça? Il me semble que c'est ça qu'il dit.

II a un rôle qui est une société distincte. Qu'est-ce que ça mange en hiver? Rien n'est dit. Pas nécessaire d'être un juge "malversé" ou un juge capoté. Le juge, pour balancer une caractéristique fondamentale et privilégier le rôle qu'une Assemblée nationale a de promouvoir une société distincte dont on ne sait pas qu'est-ce que ça mange en hiver, sain d'esprit, va décider que c'est la caractéristique fondamentale qui va prévaloir.

Est-ce que j'ai tort ou si j'ai raison? Je ne suis pas juriste, je ne suis pas avocat, ni constitutionnaliste. Mais j'ai assez affaire aux juges pour savoir qu'habituellement ils essaient au moins de se couvrir les fesses. Dans un cas comme ça, si j'étais juge, moi, c'est ce que je déciderais.

Dans ce sens-là, ça ne veut rien dire. C'est ça qui est un petit peu le problème. Deuxièmement, je pense qu'il n'y aura pas assez de monde au Québec pour dire qu'il y a un vice fondamental dans la manière de faire sur le plan canadien dans le fait que les politiques, les mandataires politiques ont décidé d'abdiquer leur mandat et de ne pas préciser, de ne pas mettre dans les textes les affaires claires, parce que je prétends, sans être juriste, que la fonction d'un juge, c'est d'interpréter la situation par rapport à un texte de loi qui, lui, doit être clair. Là, on fait le contraire. On fait la loi floue et, là, on va être "poignés" avec une situation qui pourra être claire, mais le problème, ce sera le texte flou, la loi floue. Dans ce sens-là, je pense qu'on se prépare un avenir qui sera encore plus douloureux parce que, pour faire le trapèze qu'on a connu il y a quinze jours pour dissocier le droit d'association du droit de négocier, puis-je vous dire qu'il faut avoir effectivement une loi qui puisse permettre cela? C'est complètement capoté. C'est comme si on était un club de bingo ou une association de "Weight-watchers"; on n'est pas des syndicats pour négocier.

Le Président (M. Filion): M. le ministre, avez-vous terminé?

M. Rémillard: Oui, je pense que c'est terminé.

Le Président (M. Filion): À ce moment-ci et avec la permission des membres de la commission, M. Larose, effectivement, votre argumentation est que le pouvoir des juges de trancher dorénavant les situations qui se présenteront à eux - il ne faut pas l'oublier, ce sont toujours sur des situations que les juges se prononcent - sera d'autant plus énorme maintenant qu'on leur confierait ce nouveau texte. Au surplus, je signale, quant à moi, qu'il s'agit là d'une règle d'interprétation qu'on leur confie. Ce n'est pas comme tel du droit substantif - si on me permet l'expression - qui devra être apprécié à la lumière d'une autre règle de droit substantif, mais bien plutôt une règle d'interprétation à utiliser avec d'autres règles d'interprétation pour trancher une situation. Je suis hautement sensible, quant à moi, à cet aspect de votre mémoire.

Je voudrais vous donner l'occasion de vous exprimer un peu plus longuement que vous ne le faites à la page 8 de votre mémoire sur l'insuffisance des conditions amenées par le gouvernement du Québec sur le bord du lac Meech. Serait-il possible pour vous de préciser cet aspect de votre mémoire?

M. Larose: Nous pensons que le gouvernement n'a pas pris la mesure exacte du rapport de force du Québec dans sa situation actuelle. On n'est pas signataire de l'accord de 1982. Et puis cela change quoi? Y a-t-il des gens qui se voient privés d'affaires? Ceux qui nous courent après, ce sont les autres. Puis-je vous dire qu'on pourrait avoir quelques conditions pour qu'ils nous rattrapent? On est, dans les faits, je dirais - pour reprendre une expression qui a été popularisée à une autre époque - dans une situation où on pourrait effectivement finir par négocier d'égal à égal, où on pourrait se camper comme une partie, je dirais, légitime, une partie fondatrice, etc. On est dans une situation où il y a un rapport de forces qui est en train de se construire avec le temps. Signer cela aujourd'hui dans les conditions qui sont avancées, à notre avis, ce n'est pas profiter de son rapport de forces et, surtout, c'est l'annuler, le rendre au point zéro. Alors, les cinq conditions, qui ne sont même pas avancées, qui ne sont même pas satisfaites, à notre avis, ne sont pas suffisantes dans ce sens-là. Cela ne correspond pas au rapport de forces qui est en train de se développer.

Pourrais-je, avant de terminer... Lorsque M. Harney était ici, le ministre a parlé du MQF. Oui, nous faisons partie du MQF. Il y a dans cette organisation plusieurs groupes, mais je voudrais dire que le MQF n'est pas l'accumulation ou la somme de ces organisations. Le MQF, depuis 15-17 ans, a été au Québec le principal lieu de convergence quant à la promotion et à la défense de la langue française. Dans ce sens-là, il y a une accumulation de notre histoire et de notre expertise qui aurait pu être soumise aux travaux de la commission et, même si nous en sommes partie - et nous sommes fiers de l'être - on ne voudrait pas que notre témoignage soit le résumé de ce que le MQF aurait pu dire. Cela nous dépasse à la fois comme expérience, expertise et, à mon avis, comme témoin historique de la trajectoire du peuple du Québec.

Le Président (M. Filion): Merci, M.

Larose. M. le député de Bourget.

M. Trudel: Merci, M. le Président. M. Larose, comme il reste très peu de temps, car on m'a indiqué qu'il restait environ quatre minutes, je pense, n'est-ce pas?

Le Président (M. Filion): C'est cela.

M. Trudel: Je vais essayer de formuler mon commentaire, d'abord, et ma question, ensuite, de façon aussi brève que possible.

Depuis le début, vous, nous, ceux de l'autre côté, on parle un peu au nom de la population. M. le chef de l'Opposition disait tantôt: J'ai rencontré des travailleurs en fin de semaine. Ils m'ont parlé de... Moi aussi j'en ai rencontré et à peu près dans le même secteur que ceux de M. le chef de l'Opposition, puisqu'on a des comtés voisins. Il est facile de dire qu'on a rencontré des gens qui nous ont dit que... Cela n'a pas été tout è fait mon cas. Il faut faire attention quand on dit qu'on parle au nom des gens.

Deuxièmement, j'ai l'Impression qu'on assiste depuis une semaine, avec les citations que vous nous avez données dans votre texte par ailleurs excellent, à mon avis, à une bataille entre, d'une part, légistes, constitutionnalistes surtout, et sociologues et politicologues, d'autre part, au sujet notamment de la restriction ou de la limitation de la définition de "société distincte". À la page 15, vous parlez vous aussi, comme vos prédécesseurs du Nouveau Parti démocratique tantôt, d'une certaine banalisation du Québec, que vous craignez parce qu'on reconnaît aux autres provinces ce qu'on a reconnu au Québec, sauf, je vous te ferai remarquer encore une fois, l'élément principal de "société distincte".

Je veux vous amener - c'est ma question - sur la langue, puisque vous en traitez longuement de la page 8 à la page 12, encore là, en citant beaucoup d'articles et, notamment, celui de M. Plourde. Sur la question des droits linguistiques, est-ce que vous seriez favorable à l'abrogation de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l'article 23, dite clause Canada? D'autre part, est-ce que vous pensez que les droits linguistiques doivent être assujettis aux différentes chartes, que ce soit la charte canadienne ou la charte québécoise? C'est une question qui est quand même un peu technique, je l'admets.

M. Larose: Je ne voudrais pas précisément m'inventer une compétence que je n'ai pas, si ce n'est vous soumettre l'appréciation suivante. J'ai l'impression que, quand on réfléchit à cette constitution, on y réfléchit comme si la situation vécue au Québec était identique à la situation vécue dans le reste du pays, comme selon l'article (l)a) surtout qui dit qu'il y a un Canada francophone, concentré au Québec mais pas exclusif au Québec et qu'il y a un Canada anglophone dans le reste du pays mais présent aussi au Québec. On essaie de développer une constitution dont les règles vont s'appliquer de façon égale dans les deux situations.

Je m'excuse mais la minorité anglophone au Québec est équipée comme aucune minorité francophone n'est équipée à l'extérieur du Québec. La majorité francophone au Québec n'est pas dans une position dominante ou dans une position assurée, je dirais, comme l'est la majorité anglophone au Canada anglais. Donc, concevoir une constitution qui voudrait que les deux majorités, soi-disant majorités, ou les deux minorités, soi-disant minorités, aient les mêmes règles, nous pensons que c'est appliquer à des situations différentes les mêmes règles dont les résultats vont être aussi différents.

Je m'excuse mais la majorité anglophone dans le reste du pays n'a pas à se défendre et à promouvoir sa culture, sa langue, ses institutions, etc., comme on a à le faire au Québec. Au Québec, c'est une majorité qui est obligée de prendre des mesures pour se promouvoir elle-même. Au Canada anglais, il n'y a rien de ça. La minorité au Québec, qui a ses institutions -l'école, ça fait longtemps qu'ils ont ça et vous venez de leur donner un bout dans la santé, etc. - est équipée comme aucune minorité francophone n'est équipée à l'extérieur du Québec.

Quand vous parlez de l'abrogation de l'article 133, de la clause Canada et tout le "kit", j'avoue que je n'entrerai pas là-dedans si ce n'est pour vous assurer que je pense que, comme société, il faut avoir le pouvoir d'avoir des règles qui assurent la pérennité de la majorité.

Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître maintenant le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): M. Larose, je vous remercie d'être venu témoigner. Je pense qu'avec les questions que vous a posées le député de Bourget vous avez eu l'occasion d'évoquer la notion du rapport de force qui est également une notion autour de laquelle l'action syndicale est largement centrée. On évalue toujours son rapport de force dans le monde syndical, c'est le propre des collectivités d'être obligées de le faire. Quand vous dites que le Québec est parti avec cinq conditions qui négligeaient une bonne analyse de ce qu'était le rapport de force du Québec, je n'en disconviens pas avec vous. Quand le premier ministre lui-même laissait entendre qu'il était sorti de la rencontre du lac Meech avec plus que ce qu'il n'avait demandé, il ne faut pas s'en étonner, c'est qu'il avait mal évalué le

rapport de force du Québec.

J'irai plus loin parce que je sais que cela inquiète les gens qui se disent: Oui, mais voilà la chance historique de signer. Mais non, ce n'est pas une chance historique de signer. D'abord, c'est un malentendu historique. Les gens ne votent pas la même chose du tout dans ces textes, ici, ou selon qu'on est au Barreau canadien ou qu'on s'appelle Pierre Elliott Trudeau, Don Johnston, le chef du NPD ou le chef du NPD-Québec. Les gens ne voient pas la même chose dans ces textes. C'est un malentendu historique.

Deuxièmement, permettez-moi de vous soumettre, M. le Président, la chose suivante. Je suis convaincu que, si le Québec ne signe pas le 2 juin, il en ressortira renforcé. Pourquoi? Parce que la constitution canadienne, en ce moment, s'applique sur le territoire du Québec et parce que, parmi les choses qui s'appliquent dans la constitution de 1982, celles qui ont un effet réel négatif pour le Québec - le reste étant plutôt neutre - c'est l'application de la charte canadienne qui diminue le droit civil. Vous ne l'avez pas demandé et vous ne l'avez pas obtenu. Donc, pour le reste, le Québec a intérêt à ne pas signer. D'abord, parce que lorsque les dix premiers ministres du Canada, avec celui du Québec, ont accepté de reconnaître qu'il y a ici une société distincte, je pense qu'ils ont créé les conditions de ce qu'on peut appeler parfois en droit constitutionnel, bien que je sache que les juristes ne s'entendent pas là-dessus, une convention constitutionnelle. On n'est pas obligé de signer la constitution pour savoir si le Canada anglais reconnaît qu'on est une société distincte. Ils ont été unanimes à le reconnaître dans un communiqué de presse. Unanimes! À partir de ce jour, quoi qu'elle signifie, cette société distincte que vous n'avez pas définie, chose certaine, c'est un acquis.

La Cour suprême et l'immigration, ce sont des choses qui existent et qui sont précisées ou constitutionnalisées, mais qui, pour l'essentiel, dans le cas de Cullen-Couture, dans le cas de la Cour suprême, à l'exception de la liste, je n'en disconviens pas, ce sont des choses qui existent. Le pouvoir de dépenser est dangereux. Le droit de veto... Une seule réforme constitutionnelle est envisageable à court terme au Canada et c'est la réforme du Sénat. Or, le Québec, en vertu de 1867, a déjà, à toutes fins utiles, un droit de veto. Au total, pourquoi irait-on signer? Pour obtenir quoi? Alors que je suis convaincu que si an ne signe pas on a avantage, comme Québécois, comme société distincte, pour reprendre l'expression du ministre, à laisser jouer le temps. Ce qui est derrière nous est un acquis. Ce qui est devant nous, le 2 juin, contient des reculs et, surtout, l'écrasement du rapport de force du Québec alors que le fait de ne pas signer, face au Canada anglais, signifierait que le Québec envoie un signal qu'il ne se satisfera pas de si peu. Même dans la communauté internationale, au moment où on approche du sommet francophone, je pense que la position du Québec en ressortirait plus forte qu'antérieurement et qu'en ce sens il n'y a pas de drame à ne pas sîgner. Au contraire, il y a plus de danger à signer que de problèmes à ne pas signer. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Alors, au nom des membres de la commission, M. Larose, je voudrais vous remercier ainsi que les gens qui vous accompagnent. Je voudrais également vous féliciter pour la qualité du mémoire que vous avez déposé ainsi que pour la disponibilité que vous avez démontrée à cette période de discussion malgré un agenda que je sais chargé. Merci à vous.

M. Larose: Merci pour nous avoir accommodés. Merci bien.

Le Président (M. Filion): Merci. Les travaux sont suspendus jusqu'à 16 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 35)

(Reprise à 16 h 6)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

Nous poursuivons le mandat que nous avons entamé la semaine dernière, c'est-à-dire d'entendre les représentations des groupes, individus et organismes relativement à l'entente intervenue au lac Meech concernant la constitution canadienne.

Notre horaire de cet après-midi demeure. M. Guy Bertrand a déjà pris place à la table des invités. Bonjour, M. Bertrand!

M. Bertrand (Guy): Bonjour!

Le Président (M. Filion): À 17 h 5, nous entendrons les représentants de l'Institut politique de Trois-Rivières.

M. Bertrand, je pense que vous connaissez un peu les règles du jeu. Pour cette consultation particulière, 60 minutes vous sont réservées dont 20 minutes pour votre exposé. Si vous les dépassez légèrement, comme vous l'avez laissé entendre tantôt, c'est permis avec le consentement pris entre les groupes parlementaires. À la suite de cela, une période de 40 minutes est réservée pour la discusion avec les membres de cette commission.

Donc, sans plus tarder, Me Bertrand, je vous inviterais à présenter...

Oui, M. le député de Lac Saint-Jean.

M. Brassard: Ai-je bien compris

qu'après Me Bertrand, ce sera la chambre de commerce?

Le Président (M. Filion): On m'a informé il y a à peine quelques minutes qu'il n'y avait pas d'inversion, tel que cela avait circulé, entre la Chambre de commerce de Montréal et l'Institut politique de Trois-Rivières.

M. Brassard: L'ordre demeure donc inchangé!

Le Président (M. Filion): Selon les informations de dernière main que je détiens, l'ordre demeurerait inchangé, selon ce qui m'a été communiqué. Je cherche des yeux le leader adjoint du gouvernement et j'attrape des yeux plutôt le leader du gouvernement. Tant mieux pour nous, il nous le confirme. Notre horaire demeure donc inchangé.

Je disais donc, Me Bertrand, que je vous invite à présenter la personne qui vous accompagne et à faire votre exposé.

M. Guy Bertrand

M. Bertrand: Je vous présente Me Claire Moffat qui travaille plus spécialement en droit constitutionnel et en droit administratif.

Le Président (M. Filion): Merci.

M. Bertrand: M. le Président, madame et messieurs distingués membres de cette commission, je ne crois pas, en tant que juriste et indépendantiste, vous surprendre en vous disant immédiatement que je m'oppose farouchement à la signature du "Canada Bill" par le Québec. Laissez-moi vous dire, M. le Président, ma satisfaction d'être ici aujourd'hui et de pouvoir témoigner un peu au nom de ceux ou celles qui n'ont pas eu l'occasion d'être entendus devant cette commission.

Laissez-moi vous dire au tout début que mon opposition principale est due au fait que le premier ministre du Québec n'a pas le mandat express de la population de faire entrer le Québec dans une nouvelle constitution. Nous nous étions plaints déjà, à plusieurs reprises, que toutes les constitutions, depuis 1760, ont été imposées aux Québécois. Celle-ci, contrairement aux autres constitutions qui nous ont été imposées par la Grande-Bretagne, nous sera imposée ni plus ni moins que par le Canada, puisque la Cour suprême a déjà déclaré que l'acte constitutionnel de 1982, quoique étant illégitime, était, par son rapatriement, légal. Mon opposition, donc, du fait que le premier ministre n'a pas le mandat de nous "embarquer" dans une nouvelle constitution et, principalement, que le "Canada Bill" nous fera perdre le droit, historique pour le

Québec, d'accéder un jour au ranq de pays souverain. J'aurai l'occasion de vous expliquer plus tard mon point de vue à ce sujet. Donc, je m'oppose farouchement à toute siqnature du "Canada Bill".

Peut-être serait-il bon, si vous voulez me le permettre, M. le Président, d'expliquer ce qu'est le "Canada Bill". En réalité, c'est d'abord la constitution de 1867 à laquelle on a joint, en 1982, une charte des droits et une formule d'amendement et, maintenant, en 1987, une certaine proposition du lac Meech qui constituerait un amendement à la Loi constitutionnelle de 1982. Pourquoi, M. le Président, le premier ministre du Québec devrait-il, au nom du peuple québécois, s'opposer et ne pas signer le "Canada Bill"? Laissez-moi vous donner certaines raisons. Je tenterai d'en expliquer certaines davantage et d'en effleurer certaines autres.

Premièrement, parce que cela constituerait une ratification de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867. Ce serait ratifier, M. le Président, 120 ans d'injustices, de mensonges et de tromperies de la part de ceux qui dominaient dans cette constitution. Concession après concession, compromis après compromis, les droits des Québécois ont dû céder le pas dans cette constitution canadienne. Laissez-moi vous dire que, si ce mécontentement depuis 1867 a été persistant, il a atteint son point culminant en 1968 avec la formation du Parti québécois qui avait comme but de retirer le Québec de la Fédération canadienne et de négocier une souveraineté-association. Donc, c'était la culmination du mécontentement de cette constitution et nous l'accepterions aujourd'hui?

Le Parti québécois avait promis qu'il y aurait un référendum pour demander à la population si elle était d'accord pour retirer le Québec de la Fédération canadienne. En 1980, est-il besoin de rappeler à cette Assemblée que 50 % des Québécois francophones ont dit oui à ce mandat de négocier une nouvelle constitution? Bien sûr, vous me direz que la majorité a choisi de dire non, mais l'expression de ce droit à l'autodétermination, M. le Président, n'était-elle pas tout simplement que les Québécois avaient choisi de demeurer dans la constitution actuelle ou de subir la constitution actuelle? Bref, l'autodétermination pouvait s'exercer de trois façons: soit pour sortir de la confédération, ce que le peuple a refusé en 1980, soit pour entrer dans une nouvelle constitution, et nous n'avons pas voté pour cela en 1980. En 1980, c'était la troisième façon d'exprimer notre droit à l'autodétermination, c'était le maintien du statu quo. Voilà le message que la population québécoise a donné il y a sept ans; cela fera sept ans, je pense, demain.

Voilà pour cet argument principal de ne pas ratifier une constitution qu'ont dénoncée

à juste titre tous les premiers ministres depuis la confédération. Ce serait la première fois depuis 1760 qu'un premier ministre du Québec ratifierait une constitution imposée à une époque où nous étions dans un régime colonial. Mais quelle différence y a-t-il entre une constitution imposée par la Grande-Bretagne et une constitution qui nous serait imposée, comme c'est le cas actuellement, par le reste du Canada?

La deuxième raison, M. le Président, pour ne pas accepter le "Canada Bill", c'est qu'il contient une charte des droits et libertés. Vous savez que par la constitution on a élevé au rang de souverain la personne humaine, l'individu, par la charte qui est constitutionnalisée. Dans ce sens, ce n'est plus vrai que le Parlement seul est souverain. L'individu est souverain. Il a des droits souverains de sorte que, quand les droits et libertés des citoyens sont violés, nous nous adressons aux tribunaux où on peut faire casser n'importe quelle loi et même des actes pris en vertu de la prérogative royale, comme cela a été le cas dans "Operation dismantle", où la Cour suprême a accepté d'entendre des citoyens qui disaient qu'on n'avait pas le droit de permettre les essais nucléaires sur le territoire canadien parce que cela mettait en danger la sécurité des Canadiens de la région de l'Ouest.

Donc, cette charte, qui est drôlement importante, reconnaissant la souveraineté de l'individu peut permettre à n'importe quel citoyen de battre en brèche des lois québécoises bonnes pour la collectivité. Je pense à la loi 101, à la charte québécoise, qui est battue en brèche et qui pourrait être dévorée de toutes pièces si le "Canada Bill" était signé. J'expliquerai tout à l'heure pourquoi. C'est au nom de la liberté d'expression de la charte canadienne, définie et pensée par la majorité canadienne, puisque le Québec n'était pas là, c'est au nom de cette liberté d'expression que des citoyens québécois se sont adressés aux tribunaux pour dire qu'on violait leurs droits en ne leur permettant pas d'afficher en anglais. Dans ce sens, la collectivité québécoise est très fragile, aussi fragile que du cristal, 1,8 % de la population sur le territoire nord-américain étant dominée par l'économie américaine. Aux postes de radio, vous n'entendez que des chansons américaines. Le cinéma américain, la force économique de la puissance nord-américaine. Nous sommes tout petits. Et seul l'État québécois doit pouvoir protéger cette entité québécoise, sa langue, sa culture. Ce n'est certainement pas la majorité canadienne, même par une charte, qui protégera les droits de la collectivité québécoise. Donc, pour cette deuxième raison, je demanderais au premier ministre de ne pas signer le "Canada Bill".

La troisième raison, c'est la formule d'amendement, M. le Président. Au sujet de la formule d'amendement, vous vous rappelez, tous les premiers ministres du Québec se sont opposés à ce qu'il y ait ce genre de formule d'amendement qui place le Québec dans une situation intenable. Comment pensez-vous que nous pourrons faire l'indépendance du Québec un jour, si tant il est vrai que cela serait la seule possibilité de faire survivre le Québec? Il faudrait l'accord de sept provinces formant 50 % de la population? Impossible! Comment pensez-vous, si vous n'êtes pas un indépendantiste - ce n'est pas nécessaire, vous pouvez souhaiter que nous obtenions plus de pouvoir, secteur par secteur - que nous pourrions obtenir l'immigration, les communications, par exemple, tout le domaine de la santé, la souveraineté linguistique pour le peuple du Québec? Nous serions obligés d'avoir l'accord de sept provinces formant 50 % de la population. Vous vous rendez compte que cela est invraisemblable. La Cour suprême du Canada, en 1982, dans le renvoi no 2, en parlant de la formule d'amendement, a dit ceci, dans 45 National Report, page 336: "La formule de modification est une partie importante de l'acte constitutif. La méthode prévue pour la modification de la constitution est généralement un aspect essentiel du droit qui régit un pays,"

M. le Président, cette formule d'amendement, c'est une camisole de force, en réalité. Vous voyez d'ici le chef québécois entreprendre des pèlerinages dans chaque capitale du Canada pour convaincre ou prier humblement chaque premier ministre de bien vouloir consentir à lui donner un pouvoir additionnel pour le bien du Québec? Devrions-nous demander la permission à des provinces qui ne forment pas plus de la moitié de la ville de Québec au point de vue population? Consentirions-nous à une constitution qui multipliera par sept les difficultés que nous créait déjà, avant 1982, le gouvernement central? À quel marchandage, à quel maquignonnage devrons-nous nous réduire ou nous plier pour vaincre le barrage de ces sept votes dont nous aurons besoin pour amender la constitution, pour donner plus de pouvoirs au Québec? En votant, le 20 mai 1982, pour le maintien du statu quo, la population du Québec n'a jamais voté pour une nouvelle constitution qui nous forcerait à accepter une charte des droits et une formule d'amendement.

Quatrièmement, une autre raison pour demander au premier ministre de ne pas signer, et jamais, la Loi constitutionnelle de 1982, c'est que le projet d'accord du lac Meech non seulement ne corrige pas la situation, mais, au contraire, il fait en sorte que le Québec soit placé ou que le sort du Québec soit placé maintenant entre les mains de la majorité canadienne et entre les mains

de la Cour suprême.

Je voudrais, dans le peu de temps qui m'est alloué, vous parler uniquement de deux questions: la société distincte et la reconnaissance de la présence du Canada anglophone au Québec. La société distincte, qu'est-ce que c'est? Vous ne le savez pas, personne ne le sait. C'est une notion vague et imprécise et, encore une fois, qu'on laissera aux tribunaux, à la Cour suprême, le soin de définir, comme c'est le cas pour le droit è la liberté, à la sécurité, à la vie dans la Charte canadienne des droits et libertés, comme le délai raisonnable pour subir un procès, comme la discrimination, comme la liberté d'expression. Voilà autant de formules que la Cour suprême sera appelée à définir dans les prochaines années. Elle a déjà donné certaines définitions comme le délai raisonnable, en particulier. Est-ce que ce n'est pas parce que nos législateurs manqueraient de courage qu'on n'oserait pas faire une définition de la société distincte, M. le Président? Est-ce parce qu'on a peur de faire peur aux anglophones? Si on veut définir ou tenter une définition de la société distincte, le premier ministre du Québec pourrait s'inspirer de la Charte canadienne des droits et libertés, à l'article 15, où on utilise le mot "notamment" pour parler de la discrimination notamment en matière raciale, etc. Et tous les auteurs s'accordent pour dire que, lorsqu'on veut donner une définition, on peut utiliser le mot "notamment" où, sans limitation, la société distincte comprendrait la langue, la culture, l'histoire, le vouloir-vivre collectif, le territoire, etc., mais ce n'est pas limitatif.

Bref, il faudrait dire ce qu'est la société distincte. Mais non! On a choisi de ne pas le dire. Mais laissez-moi vous dire, M. le Président, que si la société distincte voulait dire la même chose qu'un peuple ou une nation, alors, pourquoi n'utilise-t-on pas deux termes qui sont clairs comme le mot "nation", comme le mot "peuple". Ce sont des termes précis, ce sont des termes clairs. Et, comme avocat, laissez-moi vous dire que c'est à cause de l'ambiguïté que nous gagnons notre vie, l'ambiguïté dans les textes de loi. Le législateur ne peut pas, évidemment, toujours tout prévoir. Il fait un effort pour essayer de définir certains termes. On a défini la pornographie dans le Code criminel, on a essayé. On a défini la pratique illégale de la médecine à la Corporation professionnelle des médecins. On est capable de définir ce qu'est la sécurité. Porter atteinte à la sécurité canadienne, on l'a défini dans une loi fédérale pour savoir qui pourrait porter atteinte à la sécurité canadienne. Quand on veut, M. le Président, donner une définition, on peut. Mais je pense qu'on a choisi ici de ne pas donner de définition. Si cela veut dire la même chose, utilisons le mot "nation", le mot "peuple". Je crois que cette société distincte, cette notion est pâteuse - permettez-moi l'expression - gélatineuse, "marshmalleuse" si vous voulez, qui s'étendra dans toutes les directions selon ceux ou celles qui les utiliseront à leurs fins personnelles pour gagner leur cause ou leur point de vue.

Maintenant, M. le Président, je voudrais ajouter d'autres raisons. Pourquoi le premier ministre du Québec ne devrait-il jamais signer le "Canada Bill"? C'est la principale raison; parce que cela empêcherait les Québécois et les Québécoises de réaliser leur objectif politique numéro un, soit de faire du Québec un État moderne ou, si vous voulez, pour transformer le Québec de son statut de province en celui de pays.

Le "Canada Bill" nie et ne reconnaît pas les cinq considérations d'un État moderne. Et la première, c'est le droit à l'autodétermination. M. le Président, nous sommes un peuple. Même, nous sommes une nation. Nous avons une langue. Nous avons une histoire qui est vraiment différente de l'histoire des autres. Nous avons des coutumes. Nous avons un territoire plus ou moins bien délimité, si l'on exclut la question du Labrador. Nous avons un gouvernement doté d'une certaine souveraineté. Bref, nous avons toutes les caractéristiques du mot "nation" en droit international. Et le professeur Rémillard, pour qui j'ai toujours eu beaucoup d'estime comme professeur, que j'ai cité à l'occasion, dans son traité, nous fait bien cette distinction sur le commencement de la vie en groupe. On parle de l'individu, on parle ensuite des individus qui se regroupent pour former une société. De là vient la communauté et ensuite arrive le peuple, la nation et le pays.

Nous sommes un quasi-pays, nous sommes une nation. On ne peut pas demander de reculer. Ce qu'il faut, c'est que ce soit clairement indiqué, que ce soit, au moins, demandé et, si les anglophones du Canada ne veulent pas entendre parler du mot "nation", on ne signe pas. Et voilà pour cette question du droit du peuple, la reconnaissance du peuple québécois.

M. le Président, j'ai examiné certaines lois québécoises et j'ai découvert que cette reconnaissance du peuple existe dans nos lois québécoises. Je pense à la Loi sur l'Assemblée nationale, je pense à la Charte de la langue française, M. le Président, je pense à la Loi sur le drapeau officiel et je pense aussi à l'article 15 de la Loi sur l'Assemblée nationale sur le serment ou la déclaration solennelle du député qui se lit comme suit: Je, Robert Bourassa - cela peut être Pierre Marc Johnson - jure ou déclare solennellement que je serai loyal envers le peuple du Québec, etc. Être loyal envers le peuple du Québec, c'est au moins exiger

qu'on reconnaisse dans une constitution canadienne qui inclurait le Québec, si tant qu'il est vrai qu'on veut signer cette constitution... C'est d'indiquer vraiment que notre serment d'allégeance, c'est d'être fidèle et loyal au peuple québécois en annonçant fièrement que nous sommes une nation et en exigeant qu'on le reconnaisse.

M. le Président, cette nation a également été reconnue par tous les écrivains et les historiens. Elle a été chantée par nos poètes, etc. Je n'ai pas besoin d'insister pour vous dire que nous sommes une nation, nous sommes quasiment un pays. Qui d'autres l'a dit? M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, M. Rémillard, dans son traité. Encore une fois, vous me verrez m'inspirer de son traité parce que, pour moi, c'est un constitutionnaliste pour qui j'ai toujours eu beaucoup de respect; il a reconnu que nous étions non seulement un peuple mais une nation. À la page 350, entre autres, de son volume, tome II, il dit: "Le grand mérite de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique -et je cite - aura sans doute été d'avoir permis la naissance de ce phénomène national québécois, soit l'émergence de la nation québécoise. Il apparaît, dit-il à la page 351, indubitable que les Québécois forment maintenant une nation."

M. le Président, non seulement le "Canada Bill" ne reconnaît-il pas que nous sommes une nation, mais il ne reconnaît pas que cette nation a droit à l'autodétermination, c'est-à-dire peut disposer d'elle-même. C'est important. Ce droit à l'autodétermination, non seulement apparaît-il dans les documents internationaux, dont je ne vous parlerai pas cet après-midi, mais il apparaît également dans une résolution de l'Assemblée nationale qui a force de loi et qui n'a jamais été amendée par cette Assemblée nationale. C'est la résolution no 7038 du 1er décembre 1981 qui dit ceci: Que l'Assemblée nationale, rappelant le droit du peuple québécois à disposer de lui-même, déclare qu'elle ne peut accepter le projet de rapatriement de la constitution, sauf si on rencontre les conditions suivantes... La première: On devra reconnaître que les deux peuples qui ont fondé le Canada sont foncièrement égaux. Donc, cette obligation morale et légale de ce gouvernement - je vous le soumets respectueusement - fait en sorte que le premier ministre du Québec n'a ni la légitimité, M. le Président, ni la légalité de son côté. Il ne peut pas légalement modifier les termes de ce que la Cour suprême a appelé une quasi loi, à savoir une résolution d'un Parlement, sans que le Parlement ait été réuni et décide de le modifier.

M. le Président, je sais que mon temps court, Me Moffat m'indique qu'il me reste une minute. Si vous me permettez, je vais tenter d'aborder la question pour laquelle je pense être ici cet après-midi, c'est que le "Canada Bill" ne permettra pas au Québec d'accéder à l'indépendance, c'est-à-dire de récupérer un jour tous les pouvoirs politiques, juridiques, économiques et financiers. Laissez-moi vous dire qu'il est utopique de vouloir faire du Québec un État moderne sans le contrôle de nos importations, de nos exportations, de notre monnaie, crédit, fiscalité, transport international, etc. Comment pensez-vous que nous pourrions réussir si un jour il s'avérait que cette nation, fragile comme du cristal, était en train de mourir, de manquer d'oxygène et s'il s'avérait que pour la sauver, comme le disait feu le premier ministre Daniel Johnson, ce serait peut-être notre devoir de séparer le Québec de la confédération? Mais là, nous aurons besoin de sept provinces formant 50 % de la population et peut-être même de l'unanimité des provinces, selon certains constitutionnalistes, selon certains professeurs d'université. Comme ce n'est pas indiqué, ce serait peut-être l'unanimité. (16 h 30)

Alors, voyons ce qui se passerait, M. le Président, à la suite d'un référendum où la majorité des Québécois disait: Oui, nous voulons devenir un pays. Nous voulons devenir membre des Nations Unies. Nous avons soif de participer avec les grands plutôt que d'être réduits, être une province comme le Nouveau-Brunswick ou des provinces qui sont intéressantes mais qui n'ont pas les problèmes que nous avons dans le continent nord-américain. En supposant que la communauté québécoise dise oui, nous avons la légitimité en notre faveur. Au Canada anglais, parce que nous avons choisi d'entrer dans la constitution en nous donnant une formule d'amendement, donc en nous donnant un code de procédure qui nous lie parce qu'il est constitutionnalisé, quelqu'un va porter la cause devant la Cour suprême en disant: Votre projet est légitime, mais il n'est pas légal. La Cour suprême devra constater, comme elle l'a fait dans l'avis sur le rapatriement: Le projet est illégal parce que vous avez besoin de l'assentiment des provinces. Vous le saviez lorsque vous êtes entrés dans la confédération, dans la constitution de 1987; vous saviez qu'il y avait un code. Respectez- le maintenant. Et la légitimité québécoise serait confrontée à la légalité canadienne.

Laissez-moi vous rappeler que depuis 1867, chaque fois que notre peuple a été confronté à la légalité, c'est-à-dire lorsque nous étions dans la légitimité, c'est la léqalité qui l'a emporté. Toutes les fois. Laissez-moi vous rappeler la conscription, la pendaison de Louis Riel, laissez-moi vous rappeler la Loi sur les mesures de guerre. C'était illégitime d'envahir le Québec avec l'armée mais on l'a fait parce que c'était légal en vertu d'une loi, la Loi sur les

mesures de guerre. Lorsqu'on a suspendu le français dans l'air en 1976, c'était illégitime, sous prétexte que c'était dangereux pour les pilotes. Pourtant la langue française est une langue reconnue en droit international. J'ai eu le plaisir de plaider cette cause, M. le Président, mais on a perdu parce que c'était légal de suspendre le français dans l'air.

M. le Président, le rapatriement de la constitution était illégitime. Tout le peuple québécois s'y est opposé. Faut-il se le rappeler? Toute cette Assemblée nationale y était opposée. De mémoire, je pense que l'Opposition était contre presque à l'unanimité. Et pourtant, il y a eu rapatriement de la constitution. Et la Cour suprême a dit que c'était légal même si les provinces ne consentaient pas et même si le Québec ne consentait pas. Ce que je veux dire, M. le Président, si on veut éviter l'anarchie, si on veut éviter plus tard de se trouver dans une situation déplorable parce que nous aurions omis de prévoir un droit de retrait, c'est que ce serait non seulement la fin d'un rêve mais que ce pourrait être catastrophique.

Je demande au premier ministre du Québec de préserver le droit historique pour ce peuple qui a été vaincu - l'expression est utilisée également par le professeur Rémillard dans son livre - ce peuple qui a été conquis un jour, de reprendre la place qu'il pense pouvoir être capable d'avoir dans ce forum des Nations Unies, et je pense que la meilleure façon de donner au Québec son véritable brevet d'État et de nation, c'est justement de lui permettre de devenir un État souverain, un État indépendant. La signature du "Canada Bill" serait la fin.

En terminant, je voudrais juste rappeler sur cette question que la sécession d'une province ne peut pas se faire sans un amendement constitutionnel. Si le premier ministre est entouré de savants professeurs d'université que je reconnais, des amis des deux côtés, je m'en remettrais au professeur Arbour en droit international et je m'en remettrai au professeur Rémillard qui le confirme dans son traité - aux pages 108 et 109 - sur le fédéralisme canadien au tome II, que je cite: "Pour que la souveraineté-association se fasse légalement dans le sens exprimé par le gouvernement québécois dans son livre blanc, il aurait donc fallu qu'on amende le compromis de 1867 en conséquence". Et il dit: "La sécession d'une province ne peut se faire légalement sans un amendement à la constitution".

Voilà, M. le Président, je pense que c'est clair. Je voudrais, au nom de tous les Québécois indépendantistes, au nom de tous ceux qui ne sont pas indépendantistes et qui croient qu'un jour peut-être ce sera la seule façon de permettre à ce pays, à ce quasi-pays de devenir un pays, je voudrais, si jamais le premier ministre ne veut pas faire marche arrière, qu'il y ait dans la constitution canadienne au moins quatre conditions: Que nous sommes un peuple; deuxièmement, que ce peuple a droit a l'autodétermination y compris le droit de se retirer de la Confédération canadienne pour qu'on ne vienne pas nous dire que nous nous sommes autodéterminés pour devenir Canadiens; troisièmement, que l'exercice de ce droit ne soit jamais considéré comme une atteinte à l'intégrité ou à la sécurité du territoire canadien, ce qui, dans les faits, justifierait la présence de l'armée et l'application de la Loi sur les mesures de guerre; quatrièmement, que l'exercice de ce droit ne justifiera jamais l'application de la formule d'amendement.

À ces seules conditions... Je suis toujours contre l'adhésion au "Canada Bill", mais au moins - je dis à ces seules conditions, excusez-moi, il y en a d'autres; disons "entre autres conditions" parce qu'il y en a d'autres qui ont exprimé... - tout en étant contre, je me dis que si c'est vraiment si pressant de faire cela et qu'il faut le faire, au moins, sauvons le droit de nous retirer de la Fédération canadienne.

Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion); Merci, M. Bertrand. S'il vous plaît, je rappellerais à notre auditoire qu'en vertu de notre petite constitution interne, ici à l'Assemblée, il est interdit de manifester son approbation ou sa désapprobation.

Je vais laisser la parole à M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. Me Bertrand, je reconnais en vous un juriste à la grande sincérité, à la sincérité indépendantiste. Vous êtes un indépendantiste et vous l'avez mentionné très fièrement. J'ai d'autant plus de respect pour vous que vous exprimez avec fierté cette idée d'indépendance et que vous avez la force de vos convictions. Je crois que votre témoignage est intéressant à entendre. Si on ne partage pas votre idée, au moins est-il intéressant de voir quelqu'un de votre qualité témoigner avec votre sincérité et votre force concernant l'indépendance du Québec.

J'ai été touché de constater que vous avez pris le temps de lire ce que j'ai écrit -même les deux tomes - et je vous en remercie. De fait, je crois que le Québec forme un peuple, que le Québec forme une nation, et ces deux expressions sont utilisées déjà en droit canadien et québécois. Vous l'avez souligné à bon titre, on parle dans la constitution du Canada, depuis 1982 maintenant, des peuples autochtones. Quant aux nations, on utilise aussi "les nations autochtones". Ce sont des expressions qui sont utilisées, dans un certain sens, dans le

contexte du droit canadien et québécois. C'est pour cette raison que, dans mon deuxième tome, je propose le terme "société" parce que le terme "société" confirme, dans le contexte québécois et canadien, que nous sommes plus que des hommes ou des femmes qui ont ensemble ce désir de vivre ensemble. Nous sommes plus qu'une communauté qui partage une histoire, une langue. Nous avons aussi des institutions, nous avons un gouvernement et nous avons un territoire. Nous sommes organisés. Et le terme "société" dans ce contexte est particulièrement bien choisi, dans le contexte du droit constitutionnel canadien et québécois, pour signifier cette réalité.

Me Bertrand, vous nous dites: Si cette entente du lac Meech est acceptée, on ne pourra plus accéder à l'indépendance. D'une certaine façon, vous avez raison. Vous avez raison parce que le but de cette entente est de permettre au Québec de redevenir un partenaire de plein droit, un partenaire majeur de cette Fédération canadienne. Le but de l'entente n'est pas de faire l'indépendance, mais de faire du Québec le partenaire majeur de cette fédération.

D'autre part, je dis qu'il faut quand même comprendre que si un jour - ce ne sont pas mes convictions - les Québécois décidaient, par voie démocratique référendaire, à la suite d'une question qui serait claire - pas une question ambiguë, une question claire - par un vote aussi clair, net, sans ambiguïté, qu'ils voulaient être indépendants, je crois que la démocratie, que cette légitimité dont vous avez parlé, imposerait l'indépendance. Donc, il sera toujours possible pour les Québécois d'exprimer leur désir d'indépendance. Il faut quand même comprendre que nous vivons dans un pays démocratique. Là-dessus, je sais que le chef de l'Opposition partage mes vues. C'est donc dire, Me Bertrand, que j'ai l'impression qu'il aurait été difficile de trouver une entente qui aurait pu vous satisfaire. Vous nous l'avez dit au départ: Je ne pourrai pas adhérer à cette entente, parce que je suis indépendantiste. Dans ce contexte, ma question serait la suivante: Qu'est-ce qu'on devrait faire, dans votre cheminement à vous, pour s'affirmer nationalement ou pour devenir indépendant, ou pour poursuivre un autre but politique, je ne sais pas? Quel est le cheminement qui, pour vous, paraît le meilleur?

M. Bertrand: M. le Président, pour répondre au ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, je dirais qu'en droit international il y a toute une différence entre subir une constitution et y adhérer. On reconnaît à un peuple le droit à l'autodétermination dans la mesure où il n'a pas voulu se fondre ou fondre l'intégrité de son territoire dans celui d'un autre territoire.

Subir une constitution permet toujours de faire l'indépendance, mais lorsqu'on y adhère volontairement en connaissant toutes les conséquences, c'est un droit qui se perd, qui se négocie, le droit à l'autodétermination. C'est un droit collectif et, comme un droit individuel, il peut se perdre.

Laissez-moi vous donner un exemple: quelqu'un qui déciderait de se tirer en bas du pont de Québec et qui crierait "j'ai le droit à la vie en vertu de la charte" mourrait quand même parce qu'il a choisi de mourir en se suicidant. C'est la même chose pour un peuple. Il peut décider de mourir de la façon qu'il voudra, mais il ne peut pas en même temps invoquer le droit à la vie. Dans ce sens, vous dîtes: Qu'est-ce que je ferais? Je continuerais à subir démocratiquement cette constitution et je continuerais aussi à informer le peuple québécois, la nation québécoise des avantages à être un pays souverain pour donner la prospérité au Québec. Je dirais, entre autres, que sur le plan de l'interdépendance, par exemple, il est possible que dans quelques années nous devions choisir une association économique qui ne soit pas exclusive et obligatoire avec les Maritimes qui sont relativement peu populeuses et pauvres, qui n'apportent pas grand-chose au Québec sur le plan économique, et aussi avec l'Ouest canadien qui est trop éloigné. Peut-être devrions-nous choisir de nous associer économiquement, à 300 milles des frontières québécoises, avec 125 000 000 de population? Comment allons-nous faire si nous y adhérons volontairement? Nous devrons encore subir l'orientation économique du pouvoir dominateur qui est le pouvoir canadien.

C'est un exemple que je vous donne et c'est la même chose pour le libre-échange. Comment allons-nous faire pour dire que le libre-échange n'est pas, encore une fois, pensé et orienté en fonction de l'Ouest et de l'Ontario? Si nous y adhérons volontairement encore, sans réserve, sur le plan du libre-échange, sur le plan économique, nous devrons subir. Pour répondre à votre question, c'est dire que la meilleure façon de préparer cette accession du Québec au rang des pays souverains, c'est dire combien ce serait avantageux si l'on possédait tous les pouvoirs dont j'ai parlé tout à l'heure.

On pourrait parler aussi de la culture québécoise française, de la civilisation québécoise française qu'il sera impossible d'instaurer dans un régime où on ne peut avoir une culture dominante donnée. Laissez-moi vous dire que l'incorporation de la reconnaissance du Canada anglais au Québec, c'est l'instauration du bilinguisme et du biculturalisme officiel. C'est facile à comprendre que si vous constitutionnalisez le Canada anglais dans le Québec, c'est la domination du Canada anglais. Le Canada anglais dira: Nous avons des droits au même

titre que tes Québécois. Cela deviendra une question de droits individuels. C'est ce qui est dangereux pour la collectivité québécoise.

Sur la question de l'indépendance, vous dites qu'elle sera possible le jour où le peuple québécois le décidera. Moi aussi, j'ai déjà cru que la seule expression de 60 % de la population pourrait permettre au pays d'accéder à l'indépendance. Mais lorsque 40 % dit non et qu'elle a la loi de son côté, dans une constitution qui reconnaît la suprématie de Dieu et le "rule of law", la règle de droit, c'est plus fort que n'importe quoi. (16 h 45)

M. le Président, c'est clair qu'au nom de l'Intégrité territoriale et de la sécurité nationale, on n'accepterait pas la légitimité. à ce moment-là, que fait le Québec? Il adopte une loi obligeant les citoyens à payer leur impôt. 40 % vont devant la Cour suprême et la Cour suprême dit: C'est illégal; en conséquence, ceux qui paient leur impôt à Ottawa sont encore dans la légalité. C'est ce que je décrivais tout à l'heure comme le phénomène de l'anarchie.

M. le Président, vous savez que les avocats ont cette manie de toujours vouloir appuyer leurs opinions sur de la jurisprudence ou des auteurs. J'ai cherché dans la jurisprudence internationale un précédent d'un pays qui s'était séparé pour voir si on avait accepté la légitimité du pays qui s'était séparé dans un système parlementaire identique, dans une constitution fédérale, et j'ai trouvé un précédent, M. le Président. Aux États-Unis, le Texas s'est séparé en 1869 de la confédération américaine; non seulement s'est-il séparé, c'était légitime, mais il a constitué un gouvernement provisoire. M. White, un citoyen du Texas qui n'était pas d'accord avec cette séparation, a porté la cause devant la Cour suprême des États-Unis et, avec une voix, avec un vote, avec une dissidence, pardon, la Cour suprême a dit ceci, M. le Président: "When, therefore, Texas became one of the United States, she entered into an indissoluble relation". Quand le Texas est entré dans les États-Unis, c'était une relation indissoluble. On dit, quand on adhère à une constitution, que c'est à perpétuité, pour toujours. Elle dit plus loin: "It was final. The union between Texas and the other States was as complete, as perpetual and as indissoluble as the union between the original States. There was no place for reconsideration or revocation except through revolution or through consent of the States". Aucune possibilité pour le Texas de maintenir sa séparation, si ce n'est par la révolution ou l'accord entre tous les États. Cet accord légal, le Texas ne l'a pas obtenu et il est revenu à l'endroit où il était, partie de l'union américaine ou de la Confédération américaine.

Je sais que les opinions sont partagées,

M. le Président. Tous les jours on me dit: Ce n'est pas possible que le Canada refuserait l'indépendance du Québec, mais alors, dans le doute seulement, laissez-moi convaincre le ministre des affaires canadiennes, M. le Président, que, dans le cas de doute non seulement faut-il s'abstenir, mais, nom de Dieu, donnez le doute au Québec. Si jamais vous pensez qu'on pourra un jour faire l'indépendance pour sauver le Québec, si tant il est vrai que cela pourrait arriver - et j'espère que cela arrivera un jour - permettez que cela soit inscrit pour qu'il n'y ait aucune possibilité qu'on nous invoque que c'était perpétuel, que c'était pour toujours que nous y avons adhéré. C'est seulement cela, en réalité. Ce n'est pas grand-chose qu'on vous demande: convaincre les autres que nous existons comme peuple et comme nation et reconnaître que, si on a le droit d'y entrer, on a le droit d'en sortir. Ce n'est pas gênant de demander cela et il me semble qu'il n'y aurait aucune ambiguïté possible et on serait sûr qu'il n'y aurait pas un combat entre la légalité et la légitimité.

Le Président (M. Filion): Merci. M. le ministre.

Cela va? M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: Merci, M. le Président. Je voudrais remercier Me Bertrand également pour son témoignage et son message on ne peut plus clair. On peut être en désaccord avec son message, mais je ne pense pas qu'on puisse nier qu'il soit clair.

J'aurais quelques remarques également et aussi une question sur la notion de société distincte. Vous avez raison et je pense qu'il est important de le signaler de nouveau. C'est vrai que certains s'imaginent peut-être que ce n'est qu'une querelle de mots, une querelle de sémantique, mais il n'en reste pas moins que le concept de société distincte n'a absolument, mais alors absolument aucune consécration en droit international. Cela n'existe nulle part en droit international, aussi bien dans la charte des Nations Unies que dans les diverses déclarations émanant des Nations Unies. On ne retrouve aucune référence à cette notion de société distincte qui apparaît comme cela, dans une entente au bord d'un lac où nos premiers ministres et quelques ministres faisaient trempette.

Par contre, le terme consacré en droit international, c'est celui de peuple et le terme "peuple" - tout le monde le reconnaîtra, vous l'avez signalé d'ailleurs avec raison - c'est vraiment la pierre angulaire du droit à l'autodétermination ou du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le terme "peuple" désigne une entité sociale qui possède une évidente identité avec des caractéristiques propres, des éléments à la fois subjectifs et objectifs, en particulier ce

qu'on appelle le vouloir-vivre collectif, la volonté de vivre en commun, de la part des membres de cette communauté. Cela implique aussi une relation très évidente à une assise territoriale bien identifiable.

Ce sont les peuples, en droit international, qui se qualifient pour exercer le droit à l'autodétermination, je pense que cela est aussi un fait évident, tous les juristes vont le reconnaître. Par conséquent, pour qu'une collectivité puisse exercer son droit à l'autodétermination, il faut qu'elle se qualifie comme étant un peuple au sens de la charte des Nations Unies, au sens du droit international.

Et la question qu'on doit se poser dans toute cette discussion autour de l'entente du communiqué de presse du lac Meech, c'est pourquoi au lac Meech a-t-on écarté - on en a sans aucun doute discuté, j'imagine, je le suppose - un terme consacré en droit international, le terme "peuple", pour un terme et un concept imprécis pour lequel on ne trouve aucune référence en droit international? Là, la question est pertinente: Pourquoi les onze premiers ministres, leurs conseillers, leurs ministres responsables du dossier des affaires intergouvernementales canadiennes ont-ils écarté ce terme "peuple" et, donc, de peuple du Québec, de peuple québécois en ce qui concerne le Québec? On peut se poser la question et je trouve cela inquiétant que l'on se retrouve avec un concept, une notion, celle de société distincte, qui n'apparaît nulle part en droit international et qui n'implique pas nécessairement l'exercice du droit à l'autodétermination.

C'est vrai que le ministre vient de nous avouer tantôt - j'ai hâte de revoir les galées comme de revoir la transcription - que, oui, le Québec a le droit à l'autodétermination. Et je comprends que, pour lui, "société distincte" est un terme nouveau en droit international, en matière de droit des peuples à disposer d'eux-mêmes; je comprends que le terme "société distincte" implique pour le Québec le droit à l'autodétermination. Je ne sais pas si, Me Guy Bertrand, vous avez compris cela aussi de cette façon. C'est comme cela que j'interprète ce que vient de nous dire le ministre tantôt. Pour lui, société distincte, cela a la même valeur que le terme "peuple" et cela a les mêmes implications en matière de droit à l'autodétermination. Il opine, je ne sais pas s'il opine, non il n'opine pasl Ce n'est pas très clair. Par conséquent, j'ai compris, quant à moi, que pour lui, société distincte, c'est un terme équivalent de peuple et que, par conséquent, en utilisant le terme "société distincte", cela impliquait pour le Québec un droit très clair à l'autodétermination.

Quant à moi, j'aurais préféré et je préfère toujours le terme "peuple", parce qu'il a une consécration internationale. Ceci étant dit, ma question, Me Bertand, porte sur le droit à l'autodétermination. Est-ce que vous croyez que ce droit aurait une même valeur et une même force s'il était inscrit dans une constitution québécoise écrite, s'il était proclamé dans une constitution québécoise écrite, tel que d'ailleurs le réclamait, en 1982, le ministre lui-même? Il souhaitait une constitution québécoise écrite dans laquelle on retrouverait dès le départ l'inscription du droit du peuple québécois à s'autodéterminer, è disposer de lui-même. Est-ce que - comme cela semble être le cas, le ministre refusant d'inscrire ce droit dans la constitution canadienne - ce droit à l'autodétermination du peuple québécois, s'il était inscrit dans une constitution québécoise écrite, adoptée et approuvée par les Québécois eux-mêmes, aurait une même vigueur, une même valeur, une même force, selon vous?

M. Bertrand: Je ne le crois pas, M. le Président, parce que la reconnaissance du droit à l'autodétermination qui aurait été faite dans une situation un peu de désespoir ou après coup, je ne pense pas qu'en droit international elle aurait une grande valeur. Si cette déclaration avait été faite avant... Je vous avoue que j'examine toute cette question sur le plan juridique, depuis trois semaines avec d'autres juristes, professeurs, etc., pour savoir si... Je ne ferais pas de cachette à cette Assemblée, j'ai trop de respect pour l'Assemblée nationale. Je dois vous dire que je suis inquiet en ce qui concerne la légalité du processus. On a parlé de la légitimité. Les gens sont venus témoigner comme quoi c'était illégitime de nous obliger à entrer dans une constitution sans que nous soyons consultés. J'ai des enfants, j'ai une femme, j'ai des amis; on aurait aimé cela dire quelque chose dans une élection référendaire. Pas plus que M. Johnson, élu en 1985, aurait eu le droit, sous prétexte que dans le programme du Parti québécois il est inscrit qu'un jour on fera la souveraineté, de séparer le Québec de la confédération en disant: Je suis élu, bravo, l'Assemblée nationale est souveraine! Les gens auraient contesté cela devant les tribunaux en disant: C'est de la tromperie, de la duperie. Pas plus on n'a le droit de nous faire entrer dans une constitution sans que nous ayons été consultés au moment des élections. C'était une élection générale et le gouvernement en place avait choisi de ne pas faire d'élection référendaire.

En conséquence, M. le Président, quand je vous disais que je regardais l'aspect de la légalité, comment les tribunaux interpréteraient cela, je ne dis pas que des procédures seront prises pour voir si c'est légal de permettre à un premier ministre un bon matin de rêver a une constitution et de dire: Je vais vous en donner une; même si

elle était bonne à ses yeux à lui. Il s'agit d'un processus démocratique, c'est-à-dire que le peuple soit consulté. Et dans cet examen de l'aspect juridique, nous avons regardé s'il n'y avait pas une reconnaissance du droit à l'autodétermination pour avoir une assise légale. Nous avons trouvé la résolution de 1981 où l'Assemblée nationale affirme le droit à l'autodétermination comme un droit historique. Nous avons vu qu'en 1985 M. Gilbert Paquette avait présenté un projet de loi qui n'avait pas abouti. M. Fabien Roy en avait également présenté un. Donc, après la signature du "Canada Bill", pour l'incorporation du Québec dans le grand territoire canadien, il serait trop tard parce que les Nations Unies, c'est une expression, je vous le dis humblement... On sait que les experts, les juristes ne s'entendent jamais. C'est pour cela qu'il y a des avocats et des tribunaux. D'ailleurs, on a vu les causes que le Québec a perdues en Cour suprême et, pourtant, il y avait de savants juristes constitutionnalistes qui disaient: Notre cause est bonne. On avait un droit de veto et on s'est fait dire qu'on ne l'avait pas et aussi que le rapatriement ne pouvait pas être fait sans l'accord du Québec. On ne pouvait pas imposer une constitution. Bref, les experts et les avocats ne s'entendent jamais. C'est pour cela que je parlais du doute tout à l'heure. Mais en ce qui concerne le droit international, on dirait: Vous vous êtes autodéterminés par la souveraineté de votre Assemblée nationale en choisissant d'entrer dans la constitution canadienne et vous n'avez pas fait de réserve de sorte que les participants canadiens ont cru - ce sont toujours les juristes "internationaux" qui parlent - en votre honnêteté et votre bonne foi et, maintenant, ils ont acquis des droits sur le territoire québécois. (17 heures)

C'est tellement vrai qu'ils ont acquis des droits sur le territoire québécois qu'à midi, dans l'accord du lac Meech, mon attention a été attirée sur cette phrase qui, au début, ne m'avait pas frappé. C'est que la constitution du Canada concordera avec la reconnaissance de I'existence d'un Canada anglophone présent au Québec. Vous voyez arriver le Canada anglophone tout-puissant maintenant, qui est présent, il est constitutionnalisé au Québec. Les Nations Unies, le droit international, la communauté internationale diraient: Vous vous êtes autodéterminés. Vous saviez que le Canada anglais serait présent chez vous. Vous l'avez accepté par votre premier ministre qui était élu.

Laissez-moi vous dire, en terminant sur cette question, que je sais qu'on pourra nous rétorquer qu'en régime parlementaire britannique, c'est le Parlement qui est souverain. On sait que toutes les constitutions au Canada, ce sont les premiers ministres - excusez l'expression - qui ont joué dans cela, qui ont tripoté dans cela et qui les ont imposées au peuple québécois, que ce soit par l'Angleterre ou que ce soit par le Canada de M. Trudeau en 1981. En conséquence, malheureusement, cette loi qui arriverait après l'incorporation du Québec dans le Canada ne pourrait pas jouer en ce qui concerne le droit international. Cependant, j'ajouterais que la résolution de 1981 donnerait une assise juridique à quelqu'un qui voudrait prétendre qu'on a violé une disposition, une loi ou une quasi loi de l'Assemblée nationale qui reconnaissait que nous sommes un peuple et que nous avons droit à l'autodétermination, que ce serait un viol que de ne pas l'inscrire dans la constitution à moins que l'Assemblée nationale ne se réunisse et ne modifie cette disposition de 1981.

Je vois quelques têtes qui ne sont pas d'accord avec moi. Est-ce qu'il me serait possible de vous dire qu'il me semble que le premier ministre du Québec est lié, lié par la résolution de 1981? Elle a force de loi et il ne peut signer aucun accord constitutionnel tant qu'il y aura un impératif de l'Assemblée nationale de 1981 dont j'ai fait lecture tout à l'heure.

Le Président (M. Filion): Merci. M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: Je demanderais une dernière précision à Me Guy Bertrand. Si je comprends bien, même si l'entente du lac Meech ne se concrétisait pas dans un accord constitutionnel, les difficultés d'exercice du droit du peuple québécois à l'autodétermination existent quand même, existeraient quand même. Si j'ai bien compris votre exposé, ces difficultés sont générées non pas nécessairement par l'entente et l'accord possible résultant de l'entente du lac Meech, mais par l'Acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 lui-même. Au fond, qu'on signe ou qu'on ne signe pas - vous me direz si j'ai tort - les difficultés d'exercice du droit du Québec à l'autodétermination ou du droit à la sécession persistent, elles sont là quand même.

M. Bertrand: J'aurais pu vous dire que l'existence des partis québécois indépendantistes, par exemple, est drôlement remise en cause par l'accord du lac Meech dans le sens que l'objectif d'un parti politique, c'est de pouvoir s'exprimer dans un programme pour atteindre une fin qui est légitime, qui est légale et, la fin de trois partis politiques actuellement, c'est la souveraineté. Je pense au Parti indépendantiste, au RDI, le Rassemblement démocratique pour l'indépendance et au Parti québécois qui, jusqu'à nouvel ordre, a encore la souveraineté dans son programme. En

conséquence, ce serait leurrer la population que d'exprimer qu'un jour on deviendra souverain, si on sait que c'est impossible à réaliser. Dans ce sens, je ne suis pas sûr qu'on n'atteigne pas directement le droit à la liberté d'expression.

J'ajouterais que le premier ministre du Québec, s'il faisait un référendum demain matin ou une élection référendaire, je crois qu'il perdrait sur cette question pour les motifs suivants. Il y a au moins 40 % de la population qui est prête à faire le saut pour retirer le Québec de la fédération. Il y a une quantité incroyable de Québécois qui sont prêts à continuer de subir comme fédéralistes ou nationalistes, mais qui n'accepteraient pas de signer un document en blanc donnant à une majorité la possibilité de faire ce qu'elle veut sur le territoire québécois, parce que les Québécois comprendraient. Laissez-moi vous exprimer, M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes, vous rappeler - vous le savez mieux que moi - qu'en démocratie, c'est cinquante plus un qui mènent et que le Québec ne mènera jamais dans le Canada. La seule place où le Québec peut se faire des lois en conformité avec sa société québécoise, qui n'est pas française, une société québécoise qui inclut la culture des anglophones, des Italiens, etc., et fait que le Québec n'est pas la France, la seule façon pour nous d'être majoritaires, c'est chez nous au Québec. Dans ce sens, les Québécois -advenant que vous fassiez un référendum ou une élection référendaire - préféreraient s'abstenir dans le doute, comme ils l'ont fait en 1980, plutôt que de créer une crise.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Bertrand. Je vais reconnaître un porte-parole du groupe ministériel. J'ai inscrit M. le député de Mille-Îles.

M. Bélisle: Merci, M. le Président. M. Bertrand, j'aimerais vous amener sur le sujet du pouvoir de dépenser. Je suppose qu'en toute franchise, comme vous êtes très franc avec nous aujourd'hui, tout ce qui est pouvoir de dépenser du fédéral est un droit que vous ne reconnaissez pas, si je présume de votre logique. Le projet de loi C-3, qui s'intitulait Loi concernant les contributions pécuniaires du Canada aux services de santé, qui avait fait beaucoup de tapage en 1984 a été adopté le 17 avril 1984 par le Parlement fédéral. Vous vous souvenez que le ministre des Affaires sociales de l'époque, l'actuel chef de l'Opposition, s'était écrié publiquement à plusieurs reprises que le gouvernement fédéral s'appropriait des pouvoirs des provinces en matière de définition d'objectifs et de planification. Il avait fait une longue série d'annotations sur les articles du projet de loi.

Ce matin, j'ai repris un à un les articles de la loi actuelle, qui est le chapitre 6 des lois fédérales, et dans cette loi apparaissent les mêmes dispositions que dans le projet de loi C-3. Je me pose deux questions. Est-ce que vous en auriez appelé, est-ce que vous seriez allé devant les tribunaux pour contester le pouvoir fédéral de dépenser si vous aviez été membre du gouvernement en 1984, soit entre le 17 avril 1984 et le 2 décembre 1985? Si oui, comment expliquer que l'ancien gouvernement, s'il ne croyait pas au pouvoir fédéral de dépenser, ne l'ait pas fait?

M. Bertrand: M. le Président, je répondrai au député que non, je n'aurais pas conseillé d'aller devant les tribunaux parce que... Je sais qu'un jour les tribunaux pourront peut-être lire ce que je vais dire là, mais j'ai peur des tribunaux. Je sais que, devant les tribunaux, c'est souvent l'avocat le mieux préparé et le plus convaincant qui gagne et les tribunaux sont obligés de s'en tenir strictement aux règles de droit. C'est difficile pour la population de faire la distinction entre la légitimité d'un projet et la légalité. En 1981, j'ai eu le plaisir de témoigner devant cette Assemblée, devant la commission relativement au rapatriement de la constitution, et j'avais modestement recommandé è M. Claude Morin de ne jamais aller devant les tribunaux avec la question du droit de veto parce que, dans la meilleure des hypothèses, on risquait de se faire dire qu'on l'avait et, si on l'avait déjà, on l'a, et dans la pire des hypothèses on risquait de se faire dire qu'on ne l'avait pas. Je n'aurais certainement pas recommandé au gouvernement d'aller devant les tribunaux avec cette question parce que c'est toujours danqereux de se faire dire qu'on n'a pas de pouvoir.

M. Rémillard: Je vous remercie de cette...

Le Président (M. Filion): Je vais reconnaître maintenant M. le ministre déléqué aux Affaires intergouvernementales canadiennes.

M. Rémillard: ...réponse. Évidemment, quand vous parliez du droit à l'autodétermination, vous savez que lorsque M. le chef de l'Opposition était ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes il s'était lui-même prononcé. Il faudrait que M. le député de Lac-Saint-Jean puisse se souvenir aussi qu'à ce moment-là il avait été dit ceci, et je le cite textuellement. Cela a été publié dans Le Devoir du 25 janvier 1985: "M. Johnson a fait savoir que le Québec ne réclamera pas le droit à l'autodétermination. Selon lui, le Québec l'a déjà, ce droit. Il l'a exercé au moins à deux reprises, lors de son adhésion à la confédération en 1867 et lors du référendum de mai 1980. Le droit du peuple québécois à l'autodétermination

constitue un des fondements mêmes de notre société sur le plan constitutionnel depuis 200 ans et cela continuera. Au surplus, estime le ministre, il serait extrêmement dangereux pour le Québec de se voir opposer un refus à une demande d'inclusion juridique du droit à l'autodétermination dans la constitution canadienne."

Quant aux expressions "peuple" ou "société", nous avons eu ici le plaisir de recevoir M. le professeur Jacques-Yvan Morin qui était ministre au moment où il a fait une déclaration. M. Jacques-Yvan Morin nous disait, le 29 octobre 1983: "Ce qu'il faut, c'est reconnaître qu'il existe une société québécoise. La constitution - je le cite dans le texte - devra d'abord reconnaître Québec comme une société distincte, ce qui, naturellement, implique la juridiction exclusive sur la question qui touche sa culture". "Ce qui naturellement implique", voilà les termes employés par Jacques-Yvan Morin, professeur maintenant, ex-ministre et internationaliste de renom. Cette expression a été utilisée, je crois, à bon droit pour signifier que les Québécois ne sont pas simplement un peuple, mais plus, parce qu'ils sont politiquement organisés et qu'ils ont des institutionsc Ce qui nous caractérise, ce n'est pas simplement une langue, c'est fondamentalement et essentiellement une culture et une langue françaises, mais, en plus, c'est le fait que nous avons des institutions, un gouvernement et une façon d'être et de vivre. C'est ce qui fait que le Québec est distinct, c'est cela qu'on doit mettre dans la constitution et c'est cela qui apparaît dans l'entente du lac Meech.

On écrit en toutes lettres, pour la première fois, Me Bertrand: dans la constitution canadienne, il sera inscrit que le gouvernement du Québec et l'Assemblée nationale du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir la spécificité du Québec, c'est-à-dire tout ce contexte fondé sur une langue et sur une culture françaises, mais comprenant des institutions, une façon de vivre et une façon d'être. Ce sera la première fois, et c'est une conséquence directe de l'entente du lac Meech. C'est ce qui va nous permettre de plaider devant le tribunal. Vous savez, vous qui êtes un eminent juriste et qui avez plaidé à plusieurs reprises devant la Cour suprême, à quel point une telle règle d'interprétation qui, dans le cas de ce rôle qu'on donne au gouvernement à l'Assemblée nationale, est plus qu'une règle d'interprétation, est véritablement une base juridique d'action confirmant un rôle. Vous savez très bien à quel point cela permettra au gouvernement et aux individus qui auront à se présenter devant la Cour suprême de faire valoir des droits en fonction de cette règle établie qui donne un fondement juridique.

Cela ne changera pas le partage des compétences législatives. L'assurance- chômaqe va demeurer fédérale, mais dans combien de cas où il y a ambiguïté et dans combien de cas où l'article 1 de la charte canadienne sera en cause pour le test de la légitimité que vous connaissez si bien, cet article pourra-t-il être plaidé comme un élément important, très important, pour convaincre le tribunal d'une action gouvernementale?

Le Président (M. Filion): En terminant, M. le ministre.

M. Rémillard: En terminant, M. Bertrand, je voudrais vous remercier de votre témoignaqe et vous dire que, pour moi, l'entente du lac Meech est une entente historique qui permettra au Québec de devenir un partenaire majeur dans la fédération. Vous avez raison, je ne crois pas qu'elle permettra au Québec de faire l'indépendance, dans les prochaines années à tout le moins.

Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition, de consentement, puisque le temps est expiré de part et d'autre. Le temps du ministre est expiré depuis trois minutes.

M. Lefebvre: Consentement de trois minutes.

M. Rémillard: Une question. S'il me l'adresse, est-ce qu'il me permet d'y répondre?

M. Lefebvre: Question et réponse, M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition, s'il vous plaît!

M. Johnson (Anjou): Est-ce que le ministre me permettrait une question? Oui?

Le ministre vient de dire que la clause de la société distincte est plus qu'une clause d'interprétation. Elle est une base d'action.

M. Rémillard: Une base juridique.

M. Johnson (Anjou): Une base juridique d'action législative?

M. Rémillard: Qui pourrait... Oui, je pense que c'est une base juridique qui, dans certains cas, pourrait aider à interpréter le partage des compétences législatives. Voulez-vous que je vous donne un exemple pour illustrer cela?

M. Johnson (Anjou): Oui. (17 h 15)

M. Rémillard: Prenons Radio-Québec qui est un radiodiffuseur québécois, sous

juridiction québécoise parce qu'il s'agît d'un radiodiffuseur éducatif. Cependant, vous savez comme moi, M. le chef de l'Opposition, que c'est contesté presque chaque année et qu'il a même été porté devant le CRTC à quelques reprises une argumentation à savoir que le CRTC devrait donner un permis non seulement en fonction des ondes hertziennes utilisées, mais en fonction de la programmation de Radio-Québec, ce que le gouvernement québécois a toujours refusé à bon droit. Cependant, dans un cas comme celui-là, d'une part, on dit: Radio-Québec, c'est fédéral parce que c'est de la radiotélévision et que la radiotélévision, c'est fédéral. D'autres disent: C'est provincial parce que c'est éducatif et que l'éducation, c'est provincial. Dans ce cas-là, on pourrait utiliser cette clause de société distincte et du rôle de l'Assemblée nationale et du gouvernement pour protéger et promouvoir cette distinction, pour aider le tribunal, dans son argumentation, pour confirmer cette compétence du Québec sur Radio-Québec. C'est un exemple.

M. Johnson (Anjou): Toujours une question additionnelle au ministre là-dessus: Par contre, il y a TVOntarlo qui existe, qui est exactement l'équivalent de Radio-Québec. Est-ce que c'est en vertu du fait que "société distincte" s'appliquerait aussi à l'Ontario?

M. Rémillard: Tout simplement pour répondre au chef de l'Opposition, dans l'entente du lac Meech, l'Ontario n'est pas reconnu comme société distincte. C'est pour cela que nous ne définissons pas ce qu'on entend par "société distincte" mais qu'on laisse le contexte très général, parce que, justement, il n'y a pas deux, trois ou quatre provinces qui ont été reconnues comme sociétés distinctes, il y en a une et c'est le Québec. On sait pourquoi, parce que fondamentalement, essentiellement, cette société québécoise est fondée sur une langue, est fondée sur une culture française, avec en plus des institutions, une façon d'être, une façon de vivre. C'est dans ce contexte, M. le chef de l'Opposition, que l'Ontario n'est pas une société distincte, n'a pas été reconnu dans l'entente du lac Meech comme société distincte, mais le Québec l'est.

M. Johnson (Anjou): Je dois comprendre que le ministre nous dît que le fait que le Québec soit reconnu comme une société distincte irait donc bien au-delà simplement d'une clause d'interprétation. Cela permettrait, par exemple, d'influencer l'application du partage des pouvoirs.

M. Rémillard: Cela pourrait aider le tribunal à interpréter des cas d'ambiguïté concernant...

M. Johnson (Anjou); Le partaqe des pouvoirs.

M. Rémillard: ...le partage des pouvoirs. Je dis, je l'ai dit et je le répète: cela ne change pas, cela ne modifie pas le partage des pouvoirs. L'assurance-chômage, qui a été donnée à la compétence fédérale en 1940, ce n'est pas parce qu'on a une telle clause que cela va devenir de compétence provinciale. C'est réglé, cela. Mais il y a quand même beaucoup de cas qui peuvent se présenter où nous sommes dans des situations d'ambiguïté et où on pourrait se servir de cette clause pour faire pencher la balance du côté québécois.

M. Johnson (Anjou): En matière de partage des pouvoirs et de législation, par exemple dans les secteurs des communications, de la lanque, de la culture au sens large, de l'éducation, des richesses naturelles, des affaires municipales, du Code civil, de l'ensemble des dispositions et des rubriques sous l'article 92?

M. Rémillard: Vous pouvez penser à beaucoup de choses. Je laisse votre imagination juridique - parce que vous êtes juriste aussi, non?

M. Johnson (Anjou): Ce n'est pas de l'imagination, on essaie de faire du droit.

M. Rémillard: Je vous ai donné un exemple pour vous mettre un peu sur la piste. Je laisse à votre interprétation le soin de compléter cette piste. Vous voyez - et votre question me le démontre très bien -l'implication que peut avoir cette clause qui est interprétative, mais qui a aussi un aspect intéressant comme base juridique, parce qu'elle fonde pour la première fois un rôle qui appartient dorénavant au gouvernement et à l'Assemblée nationale, un rôle qui ne modifie pas le partage des compétences législatives, mais qui aide à l'interpréter.

M. Johnson (Anjou): Il faut se brancher. Ou bien cela a un effet sur le partage des compétences ou cela n'a pas d'effet. C'est là-dessus que j'interroge le ministre ce soir. Je pense que c'est un peu au coeur des choses quant au non-sens que nous voyons dans "société distincte" d'autant plus que la société distincte va être interprétée à la lumière du Canada bilingue. Il y a aussi une juxtaposition des deux paragraphes qui fait qu'on dirait que la société distincte est comme une réponse bien incomplète à nos yeux, du fait qu'il y a le Canada bilingue qu'il faut aussi protéger et que c'est le rôle fondamental des Législatures de le protéger. C'est une caractéristique fondamentale de la fédération. Il y a un rôle assez vaguement défini autour de la notion de société

distincte.

Par ailleurs, j'essaie de réconcilier ce que me dit le ministre avec tout ce que j'ai lu des débats... Comme vous le savez, votre chef veut m'envoyer au Sénat, alors j'ai commencé à lire un peu ce qu'il y a au Sénat. J'ai lu beaucoup de débats récents au Sénat. J'ai lu des déclarations du premier ministre Mulroney et, à des questions un peu comme celles que je vous pose, lui et M. Murray opposent un non absolument catégorique; cela n'influencera en aucune manière le partage des compétences. Quand vous me dites que cela ne modifie pas le partage des pouvoirs aujourd'hui, mais que cela pourrait le modifier éventuellement, on se comprend bien, vous vous inscrivez tout à fait en faux contre ce que dit le premier ministre du Canada, ce que dit Eugene Forsey, qui est un constitutionnaliste canadien, ce que dit le sénateur Murray, responsable du dossier dans le cabinet Mulroney, ce que disent un certain nombre de juristes du côté du Canada anglais, ce que dit le président du Barreau canadien, M. Williams, encore hier, qu'en aucune façon ils ne voient dans cette disposition quelque possibilité qu'elle affecte de près ou de loin le partage des compétences. Et, vous, vous me dites exactement le contraire.

M. Rémillard: Non, moi, ce que je vous dis, M. le chef de l'Opposition - cela confirme ce que le premier ministre du Canada disait et ce que le sénateur Murray disait - c'est que cela ne modifie pas le partage des compétences législatives. C'est clair. L'assurance-chômage va quand même demeurer fédérale. Cependant, c'est une règle qui pourra servir à interpréter autant le partage des compétences législatives que d'autres dispositions de la constitution ou l'article 1 de la charte dans un cas d'ambiguïté, parce qu'il s'agit d'une règle d'interprétation qui, dans une certaine partie, est aussi une base juridique confirmant un rôle pour l'Assemblée nationale et le gouvernement. Cependant, il est bien clair qu'il ne faut pas s'attendre qu'à la suite de cette acceptation du fait qu'il y a une société distincte au Québec dans la déclaration du lac Meech... C'est un moment historique, c'est très important, mais il ne faut pas penser que, le lendemain, le Québec a une modification de son partage des responsabilités législatives comme telles, formellement. Mais dans un cas d'interprétation devant un tribunal, c'est un instrument intéressant qui pourra être utilisé par les plaideurs.

M. Johnson (Anjou): D'accord. Une dernière question au ministre. Je lui reposerais la même question, mais sous un autre angle. Est-ce que vous êtes en train de me dire que, dans le fond, la Cour suprême pourrait a cause de la clause de la société distincte, disons dans le secteur des communications ou de quelque chose qui serait plus ou moins vaquement relié à l'idée qu'on se ferait à ce moment-là de ce qu'est une société distincte, arriver à dire qu'une législation québécoise peut être considérée comme relevant du Parlement du Québec dans un secteur comme celui des communications parce que c'est le Québec, mais ce ne serait pas le cas pour les autres provinces au Canada? Et, dans !e fond, îl y aurait deux sortes de partage des pouvoirs sur le plan des juridictions des provinces: il y aurait le partage entre le fédéral et l'ensemble des provinces et le partage entre le Québec et le fédéral.

M. Rémillard: Non, moi, je n'ai pas à me prononcer ici sur une interprétation judiciaire en fonction des autres provinces. Ce que je peux vous dire, c'est en fonction ici de l'interprétation qui pourrait être donnée à des cas concernant le Québec. Et, dans des cas concernant le Québec, îl est clair que le tribunal devra tenir compte du fait que, maintenant, le Québec est une société distincte. Je dis "devra", parce qu'il s'agit d'une règle d'interprétation qui est obligatoire. Donc, c'est une clause qui s'applique à l'ensemble de la constitution canadienne. Et le partage des responsabilités législatives fait partie de la constitution canadienne. Donc, cela s'appliquera au partage des compétences législatives comme cela s'appliquera aussi à l'article 1 de la charte. Cela ne change pas le partaqe des compétences législatives, pas plus que cela ne change la charte. Ce que cela fait, cela permet au tribunal d'interpréter en fonction d'une donnée qui est nouvelle, qui est là pour la première fois dans notre histoire. Il est là mentionné clairement que le gouvernement et l'Assemblée nationale ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise.

Lorsqu'on dit qu'on ne définit pas ce caractère distinct, qu'on ne sait pas si c'est le français, d'une part, je dois vous dire qu'il n'y a pas d'autres provinces qui sont distinctes, cela se comprend. D'autre part, en reconnaissant la dualité, on dit bien qu'il y a un Canada francophone concentré mais non limité au Québec. Donc, on confirme de fait, on reconnaît de fait la majorité francophone du Québec.

M. Johnson (Anjou): Je vais essayer de cerner cela parce que je trouve que les choses commencent à se préciser, en tout cas, dans l'esprit du ministre; je ne sais pas si cela se précise de la même façon à Ottawa, mais dans l'esprit du ministre je trouve que cela commence à être un peu plus précis. Avec le raisonnement qu'il vient de tenir, puisqu'il dit qu'à ses yeux cette

clause d'interprétation s'appliquerait à l'ensemble de la constitution, je lui soumets le cas hypothétique suivant, en étant conscient qu'on travaille sur des hypothèses, on travaille même sur des bouts de papier de ce temps-ci, les communiqués du lac Meech.

On sait qu'au Québec le mouvement coopératif a des racines très profondes depuis M. Desjardins. On sait que ce mouvement coopératif a des racines très profondes. On sait, par ailleurs, que le développement du Mouvement Desjardins, qui l'a amené à avoir des actifs qui sont, il faut en être conscient, dans les milliards de dollars, est dû à un instrument économique très important, au point où l'Assemblée nationale du Québec, à l'occasion, est appelée à modifier... J'aimerais que le ministre m'écoute attentivement pour être sûr qu'il ne fera pas juste me relire le communiqué du lac Meech, tout à l'heure, dans sa réponse; je l'ai lu comme lui, mais je pose une question précise. Le Mouvement Desjardins se livre, depuis quelques années, à des opérations de la nature de ce qu'on appelle du "banking", des activités de nature bancaire dans ses transactions, notamment sur le pian pancanadien et même sur le plan international et ce, en vertu de la loi qu'on a adoptée ici, à l'Assemblée nationale, qui lui permet de le faire.

Êtes-vous en train de me dire que la Cour suprême pourrait décider, parce qu'on est une société distincte, que nos dispositions qui autorisent le Mouvement Desjardins à faire des transactions sur les changes internationaux à Londres ou ailleurs pourraient être retenues comme faisant partie de la société distincte, une extension de nos pouvoirs en matière de propriété et de droits civils de l'article 92 qui nous permettrait de pénétrer dans la loi des banques fédérales, ou presque, alors que concernant les "credit unions", Terre-Neuve, l'Île-du-Prince-Édouard ou une autre société non distincte - enfin, si nous on l'est, elles doivent l'être aussi à leur façon - ne pourraient pas adopter de loi permettant aux "credit unions" de faire du commerce des taux de change, par exemple, de travailler sur des taux de change et sur le commerce des taux de change par des instruments internationaux et sur des marchés internationaux? Ma question est assez précise. J'espère que le ministre va pouvoir y répondre.

M. Rémillard: Si vous me permettez, je vais retourner à mon tableau.

M. Johnson (Anjou): Ma question est assez précise...

M. Rémillard: Je vais y répondre parce que je trouve que vous commencez aussi à comprendre et moi aussi, alors, si nous commençons tous deux à comprendre, on pourra donner des explications intéressantes.

Alors, évidemment, il est intéressant de lire la dualité que vous voyez ici en fonction de l'existence d'un Canada francophone concentré mais non limité au Québec, mais il faut le lire avec l'article b) portant sur la reconnaissance que le Québec forme au sein du Canada une société distincte et relier le tout à ce dernier paragraphe. L'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise mentionné au paragraphe (l)b), ce qui veut dire que dans un premier temps vous avez une reconnaissance de fait sur la dualité, vous avez une règle d'interprétation, vous avez même un engagement, l'engagement que les Parlements et les Législatures des provinces dans l'exercice de leurs compétences respectives prennent l'engagement de protéger la caractéristique fondamentale. Alors, un engagement limité par le partage des compétences législatives, alors que vous avez ici vraiment l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec qui ont un rôle, le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct. Donc, comment tout cela pourra-t-il être interprété par le tribunal dans un cas, par exemple, mettant en cause le droit civil, parce que je sais que vous tenez beaucoup au droit civil?

Dans le cas du Mouvement Desjardins et des caisses populaires, vous savez comme moi que les caisses populaires sont de compétence provinciale, mais il n'y a quand même pas une décision de la Cour suprême qui est venue clairement dire que c'est de compétence provinciale. C'est une institution qui fait partie, je crois, de notre fondement comme société et qui a fait partie, par son mouvement coopératif, de notre société québécoise. (17 h 30)

On ne peut pas, parce qu'on a ici mentionné que l'Assemblée nationale et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société québécoise, aller à l'encontre du partage des compétences législatives. Cependant, si on doit utiliser ce qu'on appelle en droit constitutionnel le pouvoir ancillaire, c'est-à-dire que vous avez le principal et vous devez avoir l'accessoire qui suit le principal, quelquefois, l'accessoire peut être dans un autre champ de compétence. Dans ce contexte, pour déterminer l'accessoire qui suivra le principal, Radio-Québec, qui est éducative et qui fait de l'accessoire radiotélévision, le lien entre l'accessoire et le principal pourrait être favorisé par cet élément qui donne ici à l'Assemblée nationale et au gouvernement du Québec le rôle de protéger et de promouvoir le caractère distinct de la société

québécoise.

Alors, c'est un élément qui sera là et qui sera plaidé. Je ne peux pas vous dire aujourd'hui qu'à coup sûr, cela va permettre au Québec d'avoir ces compétences législatives. Ce que je peux vous dire, c'est que cela donne une possibilité qu'on n'avait pas avant, une possibilité très sérieuse.

Le Président (M. Marcil: Merci beaucoup, M. le ministre. Donc, s'il y a.... Juste un instant, s'il vous plaît!

Le Président (M. Filion): Cela va de part et d'autre. Je voudrais remercier notre invité, Me Guy Bertrand.

Sans plus tarder, je voudrais appeler nos prochains invités, les représentants de l'Institut politique de Trois-Rivières. Est-ce que les représentants de l'Institut politique de Trois-Rivières sont dans la salle?

M. Lefebvre: M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le leader adjoint du gouvernement.

M. Lefebvre: M. le Président, je dois vous informer qu'on ne pourra pas, tel que prévu, entendre M. Thérien, président de l'Institut politique de Trois-Rivières, parce qu'il y a eu de la confusion à la suite d'une demande de la Chambre de commerce de Montréal, qui était l'intervenant prévu à 20 heures, d'être entendue plutôt à 17 heures. Cette demande avait été dirigée au secrétariat des commissions. Par la suite, le bureau du ministre a discuté avec des représentants de la chambre de commerce en leur indiquant que, possiblement, il pourrait y avoir un déplacement de leur intervention à 17 heures plutôt qu'à 20 heures. Finalement, la Chambre de commerce a retiré sa demande.

Alors, on se retrouve dans la situation suivante. L'Institut politique de Trois-Rivières, représenté par M. Thérien, à la suite de toute cette confusion, n'est pas présent. Je devrai, dans les circonstances, vous demander de suspendre les travaux jusqu'à 20 heures. J'allais suggérer 19 h 30, sauf que le député de Gouin m'indique que la formation de l'Opposition ne peut pas être présente à 19 h 30. Je suggère qu'on reprenne à 20 heures, M. le Président, et qu'on entende à 20 heures, dans l'ordre, l'Institut politique de Trois-Rivières, la Chambre de commerce de Montréal et l'Union des producteurs agricoles.

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin, je vais vous donner la parole. Mais juste avant, j'aurais une question à poser au leader adjoint. Avez-vous dit que les représentants du bureau du ministre avaient communiqué avec les intervenants?

M. Lefebvre: Non. Le secrétariat des commissions a informé le cabinet du ministre que la chambre de commerce avait demandé que son intervention soit déplacée, soit à 17 heures plutôt que 20 heures. Le cabinet du ministre, d'après une communication, sauf erreur, du représentant de l'Institut politique de Trois-Rivières, M. Thérien, aurait indiqué que - sans évidemment décider à votre place, M. le Président - effectivement la demande aurait pu être agréée. Subséquemment, il y a eu une discussion au cours de la journée pour vérifier si on ne pouvait pas convenir de déplacer les intervenants, mais on sait que vers 15 heures, cet après-midi, la chambre de commerce a communiqué avec le secrétariat des commissions pour dire qu'elle préférait finalement être entendue, comme prévu, à 20 heures. Tout cela a créé la confusion à laquelle j'ai fait référence tout à l'heure, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Avant de vous donner la parole, M. le député de Gouin, je voudrais signaler ceci aux membres de la commission. D'abord, en ce qui concerne le secrétariat de la commission, nom avons un horaire qui nous vient d'ailleurs d'une décision prise en séance de travail et le secrétariat des commissions, par le biais de sa secrétaire, Mme Giguère, qui est avec nous, a toujours avisé les personnes, les groupes et les associations qu'ils devaient se présenter à l'heure indiquée. Durant le temps dont vous faites mention, à savoir qu'il y avait possibilité d'intervertir l'ordre de deux groupes, même à ce moment-là, j'avais demandé à la secrétaire d'aviser les groupes que l'heure prévue, jusqu'à nouvel ordre, était l'heure fixée à notre horaire de travail, ce qu'elle a fait. En ce sens, je me pose véritablement la question suivante: Comment se fait-il que les représentants de l'Institut politique de Trois-Rivières ne soient pas ici, sinon que quelqu'un leur aurait dît de ne pas se présenter à cette heure-là, mais plutôt de se présenter à 20 heures, ce que je regrette hautement? En deux mots, l'horaire de la commission appartient à la commission et, si un de nos invités ne peut se présenter ou quoi que ce soit, il doit aviser la commission. Si des cabinets de ministres ou celui du premier ministre sont intervenus dans l'horaire de nos travaux, je le déplore hautement. Mais je me pose la question: Comment se fait-il que les représentants de l'Institut politique de Trois-Rivières ne soient pas ici alors qu'ils ont manifesté le désir d'être présents?

M. Lefebvre: M. le Président, ce que je vous ai dit, c'est que le secrétariat de la commission avait indiqué au cabinet du ministre que la chambre de commerce avait demandé que son intervention soit dépla-

cée à 17 heures plutôt qu'à 20 heures. J'ai eu l'occasion, au cours de la journée, d'en discuter avec vous et avec le député de Gouin ce matin, à 11 heures environ. Â ce moment-la, on a dit qu'on verrait à accommoder tous Ies intervenants. Sauf qu'entre-temps - et c'est ce que Je vous ai mentionné tout à l'heure - la chambre de commerce a retiré sa demande en nous indiquant que, finalement, 20 heures, cela lui convenait. M. le Président, je ne vous ai pas mentionné tout à l'heure que le cabinet du ministre avait autorisé le déplacement de l'horaire. Ce n'est pas ce que je vous ai dit. Je vous ai dit que le secrétariat des commissions avait indiqué au cabinet du ministre qu'une demande avait été faite dans ce sens par les représentants de la chambre de commerce.

Le Président (M. Filion): M. le député de Gouin.

M. Rochefort: Oui, M. le Président. Vous me permettrez d'abord de manifester mon étonnement de voir que les travaux de notre commission semblent encore une fois être organisés en d'autres lieux qu'au sein même de la commission ou qu'au secrétariat de notre commission. C'est assez surprenant de voir l'exécutif, c'est-à-dire le gouvernement, intervenir directement dans l'organisation des travaux de la commission. C'est sûrement particulier et propre, j'imagine, à une nouvelle pratique qui semble vouloir se dessiner autour du dossier constitutionnel.

D'autre part, dois-je souligner que, ce matin, on nous a reproché du côté gouvernemental, parce qu'on souhaitait donner la parole à tous ceux et à toutes celles qui avaient demandé la parole, de faire perdre leur temps aux membres de la commission, disait-on? Je note que, par les tergiversations et l'immixtion dans l'organisation de nos travaux d'instances gouvernementales, nous allons effectivement perdre 30 précieuses minutes qui auraient pu être consacrées à amorcer l'audition du groupe préalablement prévu à l'horaire de la commission, à partir de la motion qui avait été imposée par la majorité ministérielle à l'occasion de la séance de travail de jeudi dernier. Donc, je me vois surpris qu'on se retrouve avec une perte d'une trentaine de minutes, minutes précieuses pendant lesquelles on aurait pu poursuivre notre travail, compte tenu des interventions auxquelles on a eu droit ce matin, selon lesquelles on nous reprochait d'offrir ou de vouloir que tous ceux et toutes celles qui voulaient se faire entendre puissent l'être effectivement.

D'autre part, je tiens à souligner qu'il s'agit d'un problème d'horaire occasionné par un groupe qui n'a jamais, en aucun moment, à travers le processus habituel, régulier, normal, usuel, fait une demande pour être entendu à la commission des institutions sur l'entente intervenue au lac Meech. Je pense que c'est une illustration additionnelle de l'état de précipitation, de l'état d'improvisation, dans lequel baigne l'organisation des travaux de cette commission depuis que le gouvernement, le premier ministre en tête, a décidé de limiter cette commission dans le temps, de faire en sorte que cette commission ne puisse pas travailler à l'intérieur d'un cadre régulier, qu'elle soit en tout temps forcée d'aller rapidement à l'intérieur de délais très serrés, très rapides qui lui sont fixés. Je pense que ce n'est que le résultat d'une cacophonie, d'une précipitation et d'une improvisation dans l'organisation du travail de cette commission, auxquelles le gouvernement a présidé depuis le tout début, ce qui fait qu'on va perdre 30 minutes précieuses des travaux de notre commission au cours desquelles on aurait pu entendre des groupes prévus par le gouvernement lui-même. Donc, je veux souligner ce que je vois, c'est qu'on nous fait perdre un temps précieux et que c'est encore une fois dû au fait que trop de gens interviennent dans l'organisation d'un processus normalement parlementaire et non pas gouvernemental.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de Gouin. M. le leader adjoint du gouvernement.

M. Lefebvre: Contrairement aux prétentions du député de Gouin, je considère que nos travaux à ce jour ont respecté le calendrier prévu. La semaine dernière, tout s'est bien déroulé. Il y a eu des discussions auxquelles a participé le député de Gouin ce matin autour d'une demande de la Chambre de commerce de Montréal. Le député de Gouin était d'accord tout comme moi pour accommoder la Chambre de commerce de Montréal. Qu'on cherche maintenant à politiser la demande de la chambre de commerce, M. le Président, je trouve cela un peu décevant. Pour reprendre la suggestion du député de Gouin, je vous inviterais, à tire de président de la commission, à indiquer peut-être au personnel du secrétariat de ne plus d'aucune façon communiquer avec un groupe ni avec l'autre, M. le Président, de se limiter à vous informer vous.

Quant à l'inquiétude du député de Gouin, à savoir si on pourra reprendre le temps perdu, je suggère que nous reprenions, M. le Président, non pas à 20 heures, mais à 19 h 30. De notre côté, nous sommes prêts à reprendre à 19 h 30. J'ai l'assurance que les représentants de la chambre de commerce, à partir de 19 h 30, seront disponibles et, quant à nous, nous n'avons aucune objection à inverser l'ordre des

intervenants. Nous pourrions commencer à 19 h 30 avec M. Daoust, président de la Chambre de commerce de Montréal, de sorte que, M. le Président, au lieu de terminer nos travaux à 22 heures, on terminerait à 22 h 30. Alors, je ne crois qu'il y ait là matière à faire un très long débat, 22 h 30 plutôt que 22 heures, si on reprenait à 19 h 30 plutôt qu'à 20 heures, M. le Président.

Le Président (M. Filion): M, le député de Gouin.

M. Rochefort: Vous me permettrez sûrement un commentaire pour souligner qu'il semble que le leader adjoint du gouvernement ait décidé d'organiser les travaux probablement lui-même, M. le Président, si je comprends bien. Vous êtes en train de nous dire que la chambre de commerce lui a fait part de sa disponibilité à 19 h 30 non pas à vous, mais au ministre peut-être? Mais vous venez de dire que vous avez des informations selon lesquelles ils sont disponibles à compter de 19 h 30, ce n'est sûrement pas au plafond que vous avez vu apparaître cela.

Une voix: Ah! Ah! Ah!

M. Rochefort: Voyons doneï Alors, M. le Président, de deux choses l'une: ou il est au courant, ou il n'est pas au courant. S'il n'est pas au courant, il y a une chose simple, c'est de se taire. M. le Président, ce que je dirai, c'est qu'effectivement, ce matin, on nous a sensibilisés à un problème d'organisation des travaux. Jamais notre réaction ce matin a été de donner une réponse définitive, on a donné notre réponse cet après-midi. Contrairement à ce que le leader adjoint vient de laisser sous-entendre, ce n'est pas à 11 heures ce matin que nous avons donné notre accord à une inversion de l'organisation et de la présentation des groupes.

Deuxièmement, M. le Président, il n'a jamais été prévu dans nos conversations qu'il y aurait l'absence d'un groupe à un moment où la commission doit siéger, ce devant quoi nous nous retrouvons.

Troisièmement, M. le Président, effectivement, l'Opposition n'est pas disponible à 19 h 30, parce nous avions espéré qu'à l'intérieur de votre improvisation au moins vous respecteriez les propres horaires que vous avez imposés par ta force de la majorité, le poids de la majorité, à la séance de travail. Nous avons effectivement organisé une réunion du groupe parlementaire de l'Opposition de 18 heures à 20 heures parce que vous n'aviez pas prévu que nous siégerions entre 18 heures et 20 heures. En conséquence, M. le Président, nous tiendrons notre réunion du caucus. Les retards que nous avons accumulés dus à l'incapacité de la majorité ministérielle d'organiser des travaux, parce qu'elle avait décidé de les organiser elle-même de façon convenable, feront en sorte qu'on finira avec une heure de retard ce soir au détriment de l'Union des producteurs agricoles qui avait été convoqué pour 21 heures et qui ne pourra comparaître avant 22 heures parce que le gouvernement, encore une fois, est entré avec ses gros sabots dans l'organisation des travaux de notre commission, M. le Président.

M. Lefebvre: M. le député de Gouin est d'une susceptibilité inquiétante. Je n'ai jamais prétendu qu'il m'avait indiqué ce matin, à 11 heures, qu'il serait d'accord. Ce que j'ai dit, c'est que depuis 11 heures ce matin on discute d'une demande de la chambre de commerce en ce sens qu'elle souhaitait être entendue à 17 heures plutôt que 20 heures. Je n'ai jamais prétendu qu'il y avait acquiescé. Même nous du côté ministériel, M. le Président, nous avons dit: On verra. Ce que je suggère finalement, M. le Président, étant donné que l'Opposition n'est pas disponible pour 19 h 30, c'est qu'on reprenne nos travaux à 20 heures.

Quant à l'information que j'ai obtenue depuis 15 heures cet après-midi et même avant, M. le Président, on essaie de régulariser la situation provoquée par la confusion due à une demande faite de bonne foi par la chambre de commerce, qu'on a voulu, accommoder sans conséquence pour l'avenir du Québec ni non plus pour celui du Canada. M. le Président, que la chambre de commerce soit entendue à 17 heures, à 20 heures ou à 22 h 30, je ne crois pas que ce soit là une raison pour que tout le Québec soit en état de panique, comme le laisse entendre le député de Gouin. Il ne faudrait quand même pas exagérer, M. le Président.

Le Président (M. Filion): D'accord.

M. Lefebvre: Cela arrivera probablement encore d'ici à la fin de nos travaux qu'on soit obligé de réajuster l'horaire, M. le Président. Quant à moi, je ne vois pas de drame à ce qu'on doive le faire.

Le Président (M. Filion): M. le chef de l'Opposition.

M. Johnson (Anjou): Juste quinze secondes. Je dirai simplement au député de Frontenac, le leader adjoint du gouvernement, qu'il ne s'agit pas de mettre le Québec en état de panique. Il s'agit que vous respectiez un peu le Parlement!

Le Président (M. Filion): Oui. En terminant, je voudrais signaler ceci aux membres de cette commission. Premièrement,

je n'admettrai pas qu'on cherche à faire porter un blâme, quel qu'il soit, par le personnel, le dévoué personnel du secrétariat des commissions parlementaires qui a dû, dans ce cas-ci, agir avec beaucoup de hâte pour préparer nos travaux, pour que les avis de convocation soient envoyés, ce qu'il a fait avec efficacité, dynamisme et grand dévouement. Je sais pertinemment du personnel du secrétariat qu'il ne donne pas instruction à un groupe de ne pas se présenter tant qu'il n'y a pas une décision de prise à cet effet et que je leur communique la décision.

Deuxièmement, quant à l'avenir, pour éviter semblable confusion, serait-il possible de demander aux différents membres de personnel de cabinets, que cela soit d'un ministre ou du premier ministre, ou à qui que ce soit, de bien vouloir s'abstenir d'interférer dans nos travaux pour qu'on puisse avancer avec un minimum de décence sur un dossier d'une importance capitale pour le Québec et dans lequel nous oeuvrons depuis le début sur une base de contrainte de temps où il y a extrêmement de pression sur nous.

Troisièmement, nos travaux sont suspendus jusqu'à 20 heures ce soir. Merci.

M. Lefebvre: Si vous permettez...

Le Président (M. Filion): J'ai suspendu les travaux. Excusez-moi, M. le leader.

(Suspension de la séance à 17 h 47)

(Reprise à 20 h 16)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaîtl

La commission des institutions poursuit le mandat qui lui a été confié par l'Assemblée nationale. Nous continuerons ce soir à entendre les représentations des groupes, individus et organismes relativement à l'entente intervenue au lac Meech le 30 avril 1987 concernant la constitution canadienne.

Notre horaire d'aujourd'hui a été modifié, étant donné l'absence bien involontaire des représentants de l'Institut politique de Trois-Rivières, de sorte que nous entendrons ce soir les représentants de cet institut. Par la suite, nous entendrons les représentants de la Chambre de commerce de Montréal et nous terminerons la soirée avec l'Union des producteurs agricoles.

Sans plus tarder, j'inviterais M. Marcel Thérien, président de l'Institut politique de Trois-Rivières, à bien vouloir, tout d'abord, nous présenter la personne à sa gauche et à nous faire part de son exposé durant environ 20 minutes.

Institut politique de Trois-Rivières

M. Thérien (Marcel): Merci, M. le Président. J'ai l'honneur de vous présenter Mme Thérèse Landry, vice-présidente de l'Institut politique de Trois-Rivières.

Quelques mots peut-être sur l'institut politique, organisme original et non partisan. Original parce qu'il est constitué de personnes qui appartiennent à différents partis politiques qui veulent, en se rencontrant, montrer qu'on peut être d'opinions diverses et être ' des amis. L'institut politique veut aussi intéresser les jeunes à la politique de diverses façons, et c'est ce qu'il a fait, par exemple, en instituant le prix Sénateur-Jacques-Bureau, décerné chaque année à un jeune qui manifeste de l'intérêt pour la politique.

Nous vous remercions, M. le Président, mesdames et messieurs de la commission, de nous avoir invités à dialoguer avec vous sur ce qu'il est convenu d'appeler les accords du lac Meech. Nous considérons, bien sûr, que c'est un honneur et un privilège et, si nous sommes devant vous, c'est parce que nous avons la conviction d'être en mesure de vous apporter des points de vue oriqinaux ou, tout au moins, qui n'ont pas été très sauvent mis de l'avant. Nous devons dire immédiatement que nous sommes très heureux d'appuyer le gouvernement de notre province qui veut reprendre la place qui lui revient dans la Fédération canadienne.

D'ailleurs, il n'est pas inutile de rappeler que ce sont des parlementaires québécois, francophones et anglophones, qui, avec leurs collèques de l'Ontario, du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, ont été à l'origine de la confédération. Canadiens français et Canadiens anqlais se sont alors entendus pour rejeter l'État unitaire et pour promouvoir une fédération formée de provinces qui étaient souveraines dans leurs domaines respectifs et qui laissaient à l'État central un certain nombre de pouvoirs. Ce pays, après 120 ans, est devenu une nation riche et prospère qui occupe les premiers rangs dans le monde par son produit national brut, par son niveau de vie et, bien sûr, disons-le aussi, par la qualité de vie qu'on y trouve.

Au tout début, permettez-moi de féliciter le premier ministre du Canada et tous les premiers ministres provinciaux, à commencer bien sûr par l'honorable premier ministre du Québec, M. Robert Bourassa, pour avoir réussi vraiment ce tour de force de s'entendre sur un texte qui, s'il est entériné par les gouvernements provinciaux après avoir été consigné dans un document juridique, permettra enfin au Québec de reprendre dans la dignité sa place au sein de la famille canadienne. Nous félicitons les premiers ministres qui ont mis le pays avant leur parti, avant les égoïsmes régionaux, avant leurs égoïsmes culturels, et nous espérons que tous les membres de

l'Assemblée nationale pourront dire, à l'instar de John Turner, qu'avant d'être libéraux, conservateurs ou péquistes ils sont Canadiens.

Nous pensons qu'il est important de mentionner que les électeurs québécois ont, dans le passé, massivement contribué à l'élection du gouvernement de Pierre Trudeau à qui nous devons le rapatriement de la constitution et l'adoption de la Charte canadienne des droits et libertés. Un fait, qu'on aime ou qu'on n'aime pas, est indéniable; ce sont les électeurs canadiens-français partout au Canada où ils avaient quelque influence qui ont élu des députés du Parti libéral du Canada. Les conservateurs, d'ailleurs, et les néo-démocrates ont donné leur appui à la loi du Canada. Notons, encore aujourd'hui, l'unanimité des partis politiques canadiens à appuyer les accords du lac Meech.

Nous déplorons vivement l'usage d'insultes et d'injures de la part de ceux qui s'opposent aux accords du lac Meech, injures et insultes dont ils abreuvent le premier ministre du Québec et tous ceux qui estiment qu'il est temps que le Québec prenne sa place de membre "senior" à la table constitutionnelle. Nous pensons que les expressions "traître", "vendu", "stupide" et "fourbe" que l'on emploie sont indignes. Nous n'acceptons pas non plus les qualificatifs injustes que l'on associe aux accords: piège à ours, carcan, machiavélisme, et j'en passe. Pour nous, tous les parlementaires sont de bonne foi, honnêtes et intelligents. Je me trompe peut-être, mais c'est ce que je crois. Les divergences de vues qu'ils manifestent découlent du fait qu'ils ne s'entendent pas sur des objectifs nationaux à poursuivre. Les uns veulent que le Canada existe comme nation et ils se disent bons Canadiens tout en étant de fiers Québécois. Les autres ne parlent jamais du Canada et de leurs responsabilités comme Canadiens; ils ne pensent qu'aux intérêts québécois et, encore, ils font l'erreur d'assimiler Québécois à francophones.

Il n'est jamais facile d'en arriver à un accord dans une rencontre comme celle du lac Meech, surtout si l'enjeu est considéré comme plus ou moins important par les parties et que chacun tient, comme c'est normal, à ses idées. C'est pourquoi nous devons reconnaître les grands talents de négociateurs des personnes qui étaient présentes. La négociation, d'ailleurs, nous devons le reconnaître, se fait par des compromis. Il faut beaucoup de souplesse, beaucoup de psychologie, beaucoup de respect de l'autre. Aussi faut-il rendre hommage à toutes ces parties. Et le fait que les onze premiers ministres se soient entendus pour signer une entente de principe a été généralement très bien accueilli. Comme je le disais tantôt, c'est un vrai tour de force. Il ne manquait pas de gens au Canada pour croire que c'était tant mieux, d'autres que c'était tant pis pour le Canada si le gouvernement provincial continuait de refuser de siéger. Le Québec continuerait à être soumis à la constitution canadienne avec ses avantages et ses inconvénients parce que personne, la grande majorité des gens, ne veut pas quitter la fédération. Bien certainement, le fait que le Québec ne signe pas, cela paralyserait, le processus constitutionnel, et des réformes souhaitées ne seraient pas réalisées. Mais la Terre pourrait continuer de tourner et les réformes souhaitées ne seraient pas réalisées. Mais pensez qu'en ce moment il serait peut-être très important que le Québec mette sa signature è l'accord constitutionnel à la veille du sommet francophone de septembre. Que pensera-t-on du Québec, qui ne serait pas un membre à part entière du Canada, lors de cette grande conférence qui se tiendra ici même dans notre ville?

Les accords du lac Meech, d'ailleurs, reconnaissent l'existence sur le territoire canadien d'un Canada francophone et d'un Canada anglophone. N'est-ce pas ce que nous cherchions depuis longtemps? Maintenant, nous l'avons. Le Parlement canadien et les Législatures s'engagent à protéger l'une et l'autre de ces communautés selon leur compétence respective. Nous constatons que ce texte ne limite pas au Québec la communauté francophone. D'ailleurs, celle-ci a déjà des droits reconnus par la constitution qui reconnaît les deux langues officielles. Notons, en passant, que c'est la Loi sur le Canada et non le "Canada Bill", comme certains l'appellent faussement. Faut-il répéter que la Loi sur le Canada a été adoptée dans les deux langues? Ceux qui parlent de cette loi comme étant le "Canada Bill" rendent un mauvais service à la langue française et à la vérité.

Dans les accords du lac Meeeh, on parle du Québec comme d'une société distincte. Il est question, d'ailleurs, du caractère distinct du Québec. Cette société distincte qu'on mentionne ne doit pas être confondue avec le Canada francophone qui, bien sûr, est beaucoup plus vaste.

On a pris soin de ne pas définir ce qu'est la société québécoise et en quoi elle a un caractère distinct. Certains voudraient que l'on définisse ces termes. Quant à nous, avec notre expérience, nous sommes d'avis que définir, c'est limiter. Il faut bien se rendre compte que les caractères d'une société ne sont pas statiques. Qui prétendra que la société québécoise de 1987 est identique à celle que nous avons connue il y a 50 ans? Le Québec de 1987 s'est radicalement transformé. C'est maintenant une province industrialisée, très largement urbanisée. C'est une province dotée de nombreuses universités, de tout un réseau scolaire et collégial. L'Église et la famille

ont perdu quelque importance. Le Québec est devenu la province, malheureusement, qui a le taux de natalité le plus faible de toutes les provinces. La communauté anglophone a perdu beaucoup d'importance dans la province et, parallèlement, les Canadiens français se sont affirmés dans tous les domaines: dans l'industrie et le commerce, dans les banques et les assurances, dans les professions et, en particulier, dans le génie. On les retrouve ailleurs au Canada, aux États-Unis et dans le monde et cela est dû à de nombreux facteurs qu'on pourrait identifier et cela, à l'intérieur d'un cadre fédératif qui nous régissait, preuve que le cadre fédératif n'était pas aussi mauvais que certaines personnes pouvaient le laisser croire.

Mais, hélas, tout n'a pas été positif dans ces changements. Il faut déplorer le départ de nombreux Québécois, la faible natalité dont j'ai parlé plus tôt, l'exode des sièges sociaux, notre incapacité à attirer les immigrants, le taux élevé de chômage. À qui la faute? Si la population du Québec n'a augmenté que de 2 000 000 au cours des 40 dernières années, alors que celle de l'Ontario s'est accrue de 4 000 000, c'est la faute du peuple qui vit dans cette province d'abord, qui n'a pas été accueillant envers les étrangers. (20 h 30)

Parlons maintenant de quelques-unes des suggestions précises des accords du lac Meech. Le Sénat et la Cour suprême. En vertu de ces accords, la Cour suprême continuera de garder 33 % de ses membres qui seront des Québécois, 25 % au Sénat, alors que le nombre de députés restera proportionnel à la Chambre des communes. Pour l'instant, il n'est pas question que le Sénat, bien sûr, soit électif mais le gouvernement canadien s'engage à nommer les sénateurs et les juges à partir de listes fournies directement par le Québec. Ceci nous semble une excellente suggestion en attendant l'existence de juges et de sénateurs élus, si l'ensemble des provinces le souhaite. Le Québec conserve donc dans la Confédération canadienne son poids politique et judiciaire.

Droits individuels et collectifs. Il y a dans certains milieux une tendance à opposer droits individuels à droits collectifs. II ne faudrait pas que l'exercice des droits individuels fasse obstacle aux droits collectifs. Par ailleurs, ceux-ci ne doivent pas être invoqués pour brimer le droit des personnes. C'est pourquoi il est important que le Québec respecte la Charte canadienne des droits et libertés. Nous pensons que, si le Canada doit rester un pays, il est important que cette charte ait préséance partout au pays. Le Québec est destiné, avons-nous dit plus tôt, à conserver une grande influence à la Chambre des communes. Son poids politique continuera de s'y faire sentir. Il faudra bien certainement que nous envoyions à Ottawa des hommes de valeur capables de comprendre leurs responsabilités vis-à-vis de la nation canadienne et non pas des petits politiciens qui ne pourraient penser plus loin que leur région.

On a tort en certains milieux de considérer comme un adversaire le gouvernement fédéral. C'est un gouvernement où les nôtres ont toujours joué un rôle important. Nos hommes politiques ont la plupart du temps été très respectés à Ottawa. Sans doute peut-on citer des exceptions. Si le Parti conservateur a été longtemps éloigné du pouvoir au XXe siècle à la Chambre des communes, c'est à cause de l'absence d'une base solide au Québec et surtout au Québec français. Et quand ce parti a pris le pouvoir en 1958 et 1984, on a vu qu'il avait réussi à faire élire un bon nombre de députés au Québec. L'honorable Joe Clark est tombé en 1979 parce que, lui, il n'avait pas réussi. En 1984, Mulroney s'est repris et il l'a emporté en faisant élire un nombre imposant de députés au Québec.

Parlons maintenant de l'immigration. Au lac Meech, on a élaboré une formule précise pour satisfaire le Québec dans le domaine de l'immigration, formule qui d'ailleurs avait été proposée plus tôt par le gouvernement du Parti québécois. Nous disons bravo, mais il faut réussir. Plus que cela, il faut garder les immigrants. II faut donner aux enfants de ces immigrants une solide éducation en langue française et aussi en langue anglaise. Ce serait malheureux de les priver de moyens qui puissent leur permettre de communiquer avec les membres de leur communauté ethnique au Canada ou aux États-Unis si on les privait de la connaissance de l'anglais.

En parlant d'immigration, il y aurait peut-être lieu d'étudier les moyens à prendre également pour empêcher l'émigration des cerveaux, l'émigration des entrepreneurs. Cela nous a fait mal. Une enquête a démontré que de nombreux jeunes anglophones songent à quitter le Québec. Ils sont pourtant des nôtres. Ils sont ici, souvent, depuis 200 ans. Nous avons la responsabilité de tout faire pour les garder et peut-être les assimiler comme nous en avons assimilé d'autres.

Le Québec a retrouvé au lac Meech le veto dans certains domaines et c'est excellent. Quant au droit de retrait avec compensation, certains se demandent si cette mesure ne nuira pas à la fédération. Nous ne le pensons pas, parce que le gouvernement fédéral restera toujours le maître d'oeuvre avec la collaboration des provinces. Nous pensons que, si les parlementaires fédéraux issus du Québec et les parlementaires provinciaux du Québec s'unissaient sur une matière importante, ils auraient un poids

politique certain dans n'importe quel domaine. Je suis convaincu que si, un jour, les hommes politiques, quel que soit le parti auquel ils appartiennent, qu'ils soient à Québec ou à Ottawa, formaient un bloc, ils réussiraient à faire changer le cours des choses,.

Faisons des hypothèses. Pourquoi les deux provinces centrales qui ont de nombreux intérêts communs ne se consulteraient-elles pas plus fréquemment? Ensemble, elles comptent plus de 60 % de la population canadienne et elles devraient pouvoir s'entendre. Ensemble, elles pourraient également mettre sur pied des collaborations dans le domaine culturel. D'ailleurs, est-ce que cette collaboration n'existe pas déjà dans le domaine de l'éducation et aussi, pour une certaine part, dans la radiotélévision? On pourrait accentuer cette collaboration entre les deux provinces centrales.

Le pouvoir de dépenser. Voilà un domaine qui aura l'occasion d'être revu attentivement. C'est l'évidence même que les provinces n'ont pas toutes le même revenu ni les mêmes responsabilités financières. Le principe de la péréquation et le droit de retrait sont des subtilités que le Canada a adoptées dans l'intérêt des provinces et, en particulier, du Québec. Avec les nouveaux accords, le Québec pourra profiter de compensations et ne pas dire non à certains programmes nationaux. Sans doute devra-t-il s'accommoder des objectifs nationaux qu'il faudra respecter.

Le Canada est un pays avancé sur le plan des avantages sociaux. Cela est dû à la souplesse de son fédéralisme. Les Pères de la confédération n'avaient pas tout prévu, mais ils ont fait confiance aux parlementaires qui seraient élus par les Canadiens; je pense qu'ils n'ont pas eu tort. Nous devons présumer de la bonne foi de nos partenaires dans l'établissement du meilleur régime possible. Nous devons avoir confiance dans l'avenir et aussi donner moins d'importance aux pessimistes et aux extrémistes qui ne sont peut-être pas très nombreux, mais qui savent malheureusement faire les manchettes. Il y a ceux qui voudraient que le Québec redevienne unilingue anglais. Il y a ceux qui souhaiteraient la disparition de tout vestige des anglophones. Et, heureusement, il y a ceux qui, avec des nuances, cherchent la formule idéale. Souhaitons qu'ils soient de plus en plus nombreux et qu'ils influencent positivement la législation.

Permettez-moi, en terminant cet exposé, de vous dire que nous estimons que le Canada français et le Canada anglais sont les éléments constitutifs de la nation canadienne. C'est cette dualité canadienne qui constitue un des caractères distinctifs, à des titres divers et d'une façon différente peut-être, de l'ensemble du pays et de chaque province canadienne. Le caractère distinctif du Canada et celui de chaque province sont formés de plusieurs éléments dont l'importance relative peut varier avec les époques. Imagine-t-on, par exemple, ce qui arriverait à la Colombie britannique si, un jour, elle accueillait 1 000 000 de Chinois. Cela altérerait évidemment la société de cette province, mais n'aurait probablement qu'une légère influence sur la société dans les autres provinces canadiennes.

La présence en sol québécois d'une minorité anqlophone vivante et dynamique a eu une influence considérable sur la société québécoise. Cette influence a été bénéfique non seulement du point de vue commercial et industriel, mais également du point de vue culturel, social et scientifique; certains ont peut-être tendance à l'oublier. Cette présence anglophone a été également bienfaisante parce qu'elle nous a permis d'acquérir de nouveaux citoyens que nous avons assimilés et qui sont maintenant des Canadiens français, qu'ils s'appellent Johnson, O'Neil ou autrement, qui ont des noms anglais. Ils sont devenus des vrais Canadiens français, des vrais Québécois.

Cette présence anglophone au Québec n'a pas empêché l'épanouissement de la communauté de langue française. Nous dirions qu'au contraire elle nous a stimulés. Le Québec s'est transformé grâce aux pouvoirs que lui conférait l'Acte de l'Amérique du Nord britannique. Le poids de la société francophone canadienne, fortement appuyé sur le Québec majoritairement français, a été ressenti à Ottawa et dans tout le Canada. Cette présence francophone est maintenant solidement implantée, et de multiples façons, partout dans notre pays. Cette communauté francophone aura d'ailleurs l'occasion bientôt de s'affirmer à la face du monde entier à l'occasion du prochain sommet francophone. Ne serait-ce pas merveilleux si, pour cette occasion, le Canada pouvait avoir maintenant le Québec è la table constitutionnelle?

Quelqu'un a dit que jamais les circonstances n'avaient été aussi favorables au rapprochement du Québec et nous pensons que c'est vrai. Nous avons un premier ministre canadien qui est un Québécois et qui comprend bien l'importance du Canada français. Il y a également à Ottawa deux autres chefs de parti qui sont très bien disposés envers le Québec et le fait français, II y a à la Législature de l'Ontario un premier ministre qui a vécu au Québec et qui parle bien le français. Par chance, les deux autres chefs de parti à Toronto parlent également le français et sont également bien disposés. On ne devrait pas oublier non plus le premier ministre du Nouveau-Brunswick qui a déjà consacré le caractère bilingue de sa province.

Messieurs et mesdames, régions vite le problème constitutionnel et, ensemble,

travaillons à bâtir un Québec fort et puissant, chaînon important dans un Canada riche et prospère. Travaillons à l'amélioration de la santé des Québécois. Attachons-nous à mieux parler et à mieux écrire le français. Incitons nos jeunes à rechercher l'excellence. Continuons par nos missionnaires, par nos coopérants à assurer la présence du Canada français dans le monde. Encourageons nos artistes, nos scientifiques à développer leurs talents.

En terminant, disons qu'il faudrait peut-être également préparer les Québécois anglophones et francophones ou, encore, d'origine slovaque ou suédoise, à regagner la coupe Stanley pour les Canadiens de Montréal ou les Nordiques de Québec. Merci.

Le Président (M. Filion): Merci, M. Thérien. Je vais laisser la parole à M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes pour amorcer avec vous la période de discussion.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. Thérien, Mme Landry, je voudrais tout d'abord vous remercier de vous être déplacés ce soir pour venir témoigner devant nous. Vous représentez l'Institut politique de Trois-Rivières, un institut, comme vous me l'avez mentionné, qui n'est pas partisan. Vous n'êtes pas ici pour représenter un parti politique, mais pour représenter des idées.

Nous avons pu constater, de par votre mémoire et votre présentation, que ce sont des idées dont vous avez la conviction. Vous l'avez exprimée. Vous avez souligné, à très juste titre, que l'entente du lac Meech était une entente qui résultait d'un consensus canadien et qui était le résultat aussi d'une négociation menée fort habilement par le premier ministre du Québec, M. Bourassa. Vous avez parfaitement raison.

M. Thérien, vous soulignez dans votre exposé un problème très sérieux auquel est confronté le Québec: la dénatalité. Vous avez parfaitement raison de souligner ce problème parce que nous avons un taux de natalité, comme vous le savez, qui est le deuxième plus bas des pays industrialisés, immédiatement après l'Allemagne de l'Ouest. Lorsqu'on sait qu'il faut, en moyenne, environ 2,2 de taux de natalité pour une société industrialisée pour maintenir simplement sa population, le Québec avec environ 1,2 de taux de natalité est évidemment dans une situation particulièrement difficile. Dans ce contexte, M. Thérien, est-ce que vous considérez que l'entente du lac Meech, en ce qui regarde l'immigration, pourrait nous aider à combler ce problème que nous avons de natalité et de population au Québec? (20 h 45)

M. Thérien (Marcel): C'est une façon sans doute, M. le Président, mesdames et messieurs. Mais je pense qu'il faudrait peut- être faire appel aux femmes québécoises pour qu'elles songent à donner plus d'enfants à la patrie. J'ai mentionné le fait que nous devrions aussi conserver chez nous les gens qui y sont, plutôt que de les laisser partir. L'exode des cerveaux, un exode qui malheureusement nuit à des pays en Europe, en Afrique, ici, nous a malheureusement fait beaucoup de tort. Je pense que c'est peut-être quelque chose en plus de l'immigration, mais essayons de prévenir l'émigration.

Le Président (M. Filion): Cela va. Merci, M. le ministre. M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: Une simple remarque, simple commentaire. Je suis un peu surpris, M. Thérien, de voir que vous n'ayez pas jugé bon de dire un seul mot sur la dimension linguistique de la situation québécoise. Quand vous parlez de société distincte, qu'elle ne soit pas du tout définie, cela semble vous satisfaire; c'est du moins ce que vous indiquez. Vous dites qu'il faut bien se rendre compte que les caractères d'une société ne sont pas statiques. J'en conviens avec vous. Plusieurs traits caractéristiques d'une collectivité évoluent dans le temps, certains disparaissent, d'autres apparaissent. Mais si, un jour, les citoyens et citoyennes qui habitent le Québec n'ont plus comme trait caractéristique ou comme composante essentielle de parler français, vous conviendrez avec moi que le peuple québécois n'existera plus. Il aura tout simplement disparu.

Vous ne trouvez pas utile qu'à tout le moins pour ce qui est de la société distincte, comme plusieurs l'ont réclamé - je pense à M. Dion, à M. Dumont, plusieurs experts qui sont venus la semaine dernière - on indique, on spécifie cette composante essentielle qu'est le caractère français du Québec? Je ne vous demande pas de réclamer, comme d'autres groupes l'ont fait - je pense à la CSN aujourd'hui - la pleine juridiction de l'Assemblée nationale en matière linguistique. Vous ne trouvez pas qu'il serait pour le moins utile, pour ce qui est de la société distincte, qu'on ajoute cela, comme le suggérait et le proposait d'ailleurs M. Dion? Il proposait même un amendement précis qui, justement, indiquait le caractère français du Québec pour que, lorsque les tribunaux auront à recourir à cette clause d'interprétation, ils comprennent au moins cette précision qui n'est pas négligeable et qui n'est pas secondaire.

M. Thérien (Marcel): Permettez-moi de voua répondre ceci. J'ai parfaitement confiance en l'avenir du français non seulement au Québec, mais dans l'ensemble du Canada. Et j'ajouterai ceci. Une langue ne s'impose pas par la force. Quand on connaît

l'histoire des Polonais, on se rend compte que les Allemands, les Prussiens et les Russes ont essayé de faire perdre sa langue au peuple polonais et qu'ils n'ont pas réussi. Je peux dire que nous ne réussirons pas par la force, mais que nous avons déjà réussi énormément. Je pense que les progrès que le français connaît en ce moment partout au Canada et le fait que nous ayons obtenu que nos partenaires canadiens reconnaissent la dualité du Canada devraient nous suffire. Je ne crois pas les pessimistes. Quelque prestigieux que leur nom puisse être, ils sont des pessimistes, et je les laisse de côté. Moi, je suis un optimiste, et je crois que la situation actuelle démontre que le français a fait des progrès immenses. J'ai un âge que je peux dire respectable, et je peux témoigner du progrès énorme que le français a réalisé au Québec, à Montréal et dans l'ensemble du pays.

Le Président (M. Filion): Cela va, M. le député de Lac-Saint-Jean?

M. Brassard: M. le Président, peut-être un simple commentaire. Les francophones du Manitoba, du camp de Riel, étaient aussi très optimistes quant à l'avenir du français au Manitoba. Us ne préconisaient sans doute pas des moyens contraignants pour sauvegarder le français. On sait ce qui est arrivé.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de Lac-Saint-Jean. M. le député de Bourget.

M. Trudel: Merci, M. le Président. M. Thérien, vous parlez à la page 7 d'une collaboration entre les deux provinces centrales, dites-vous, que sont l'Ontario ou le Québec, et vous mentionnez - je vous cite, parce que cela m'a surpris de retrouver cela dans votre texte - à la quatrième ligne: "Ensemble elles pourraient également - en parlant des deux provinces, évidemment -mettre sur pied des collaborations dans le domaine culturel." Je ne sais pas si vous êtes au courant qu'il existe une commission, une sous-commission, devrais-je dire, culturelle regroupant l'Ontario et le Québec. J'ai eu l'honneur et le plaisir de coprésider cette commission lorsque j'étais sous-ministre aux Affaires culturelles, il y a plusieurs années, et je pense qu'on a développé là, entre les deux provinces à tout le moins, un ensemble de projets et de programmes intéressants. J'aimerais vous entendre là-dessus puisque vous semblez, quand je vous dis cela, acquiescer, en me disant: Oui, je suis d'accord, cette chose-là existe.

M. Thérien (Marcel): Cette collaboration existe déjà dans différents domaines. Je pense en particulier au domaine de la radio et de la télévision. Elle existe dans le domaine du tourisme où nous faisons une propagande conjointe pour faire connaître certaines possibilités touristiques de nos deux provinces. Elle existe déjà, mais je pense qu'elle devrait se développer encore davantage. Nous avons intérêt à le faire de multiples façons. Je ne suis évidemment pas en mesure de vous les donner d'une façon précise, mais je peux vous dire qu'il y a des choses qui se font. D'ailleurs, l'Ontario a déjà commencé en nommant ici, à Québec, un représentant et je crois que M. Stevenson qui parle un français admirable est très bien disposé et nous voyons en ce, moment un effort considérable de la part de l'Ontario pour comprendre le Québec et, plus particulièrement, le Québec français.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de Bourget. M Thérien, ainsi que Mme Landry, au nom de tous les membres de cette commission, je veux vous remercier de votre temps et de l'énergie que vous avez investie à faire votre mémoire ainsi que de la disponibilité que vous avez manifestée pour nos discussions.

M. Thérien (Marcel): Merci.

Le Président (M. Filion): Merci. Sans plus tarder, j'inviterais les représentants de la Chambre de commerce de Montréal, que j'ai aperçus un peu plus tôt, à bien vouloir prendre place à la table des invités afin que nous puissions, sans suspension, entreprendre cette deuxième étape de nos travaux de la soirée.

Je reconnais au centre M. Marcel Daoust, président de la chambre de commerce. Bienvenue, bonsoir.

Chambre de commerce de Montréal

M. Daoust (Marcel): Bonsoir.

Le Président (M. Filion): Donc, sans plus tarder, je pense que vous connaissez déjà nos règles du jeu: 20 minutes sont consacrées, plus ou moins, à votre exposé, et ensuite une période de 40 minutes est dévolue aux échanges de propos avec les parlementaires. Avant votre exposé, je vous inviterais à présenter les personnes qui vous accompagnent.

M. Daoust: M. le Président, à ma gauche, Me Raynald Langlois qui est responsable du comité ad hoc pour la préparation de ce mémoire. À ma droite, Luc Lacharité, vice-président exécutif de la Chambre de commerce de Montréal.

La Chambre de commerce de Montréal est heureuse de répondre à l'invitation qui lui a été faite, à la fois par le gouvernement et par l'Opposition, d'exposer son point

de vue sur l'accord du lac Meech. De prime abord, on pourrait être surpris que la Chambre de commerce de Montréal, qui regroupe essentiellement des gens d'affaires actifs dans tous les secteurs de notre économie, soit intéressée à se prononcer sur une question qui semble aussi éloignée de ses préoccupations quotidiennes que peut l'être l'avenir constitutionnel du Québec et du Canada.

En fait, on est trop souvent tenté de croire que la question constitutionnelle est le territoire réservé des politiciens, des professeurs d'université et des journalistes qui analysent et qui commentent les déclarations des premiers et des seconds. Rien n'est moins vrai. La constitution étant en quelque sorte l'âme d'un pays, elle a une influence sur toutes les activités de la nation, y compris ses activités économiques. C'est l'une des raisons qui motivent notre intérêt, nous de la Chambre de commerce de Montréal, à l'endroit de l'accord survenu il y a quelques jours au lac Meech.

Comptant plus de 7500 membres provenant de quelque 2000 entreprises et institutions, la Chambre de commerce de Montréal, comme vous le savez, fête cette année son centième anniversaire. Il y a 100 ans, la chambre a été fondée dans le but de promouvoir les intérêts des gens d'affaires canadiens-français; le mot "Québécois" n'était utilisé à l'époque que pour désigner les citoyens habitant la ville de Québec. Même si la promotion des intérêts des Canadiens français par la Chambre de commerce de Montréal s'exerçait de façon fort différente et souvent plus pragmatique que dans les milieux universitaires, politiques ou culturels, il est indéniable qu'elle a participé, au cours des années, à de très nombreux débats dits nationalistes qui dépassaient largement les seules questions économiques. Nous n'en mentionnerons que quelques-uns pour fins de mémoire: l'épineux débat sur l'avancement des francophones dans l'administration fédérale durant les années quarante, la création de l'impôt québécois sur le revenu des particuliers durant les années cinquante et, plus récemment, tout le débat sur la langue et la lutte contre le projet de loi S-31 à Ottawa.

Bien que nous n'ayons pas la prétention d'être des spécialistes des questions constitutionnelles, il nous apparaît capital d'intervenir, au nom de nos membres, dans le débat actuel et nous vous sommes reconnaissants de nous avoir permis de le faire dans le cadre de cette commission parlementaire.

En guise d'entrée en matière, nous voudrions d'abord souligner à quel point nous trouvons rassurant de constater que notre régime politique fonctionne toujours aussi bien et qu'après toutes ces années de déchirement les premiers ministres de toutes les provinces et celui du Canada soient en mesure de s'asseoir ensemble et de s'entendre sur ce qu'ils considèrent être le bien commun de toute la nation.

Sans présumer des modifications qui pourraient résulter de la présente commission parlementaire, des autres assises semblables qui se déroulent probablement ailleurs au pays, ou de la négociation finale qui aura lieu sous peu à Ottawa, la Chambre de commerce de Montréal tient à souligner à quel point elle considère urgent qu'une entente acceptable à tous soit signée. Lorsque cette entente sera enfin signée, il sera à nouveau passible de concentrer nos efforts sur tout un éventail de sujets qui commandent notre attention immédiate.

Bien que nous soyons une chambre de commerce, nos préoccupations en ce domaine ne se limitent certes pas aux seules questions commerciales. Elles touchent également les aspects sociaux et culturels qui nous permettront de demeurer cette société distincte que tous, enfin, semblent accepter comme une réalité.

En signant l'accord constitutionnel, le Québec pourra reprendre ses activités qui, mieux que toute loi, garantissent son avenir. L'accord intervenu au lac Meech entre le premier ministre du Canada et les dix premiers ministres provinciaux constitue un développement intéressant pour les objectifs que poursuit la Chambre de commerce de Montréal.

D'abord, la Chambre de commerce de Montréal se réjouit qu'on soit parvenu à un accord qui permette au Québec d'accepter le principe de la Loi constitutionnelle de 1982. Il était déplorable, à la fois pour le Québec et les Québécois qui y oeuvrent, que la province ait été isolée depuis la Loi constitutionnelle de 1982. C'était, à notre avis, une situation anormale qui ne pouvait que nuire au développement social, politique et économique de la province. (21 heures)

D'un point de vue économique, cet accord contribue à mettre fin aux incertitudes qui ne peuvent être que néfastes à la conduite des affaires économiques. La situation d'affrontement qui a suivi les négociations constitutionnelles de 1981 entre, d'une part, le gouvernement du Québec et, d'autre part, le gouvernement fédéral et le reste du Canada ne pouvait qu'être défavorable à l'essor économique de Montréal, entre autres, en créant un climat d'incertitude, ce qui est toujours mauvais pour les affaires. Le développement économique de Montréal ne peut faire autrement que d'avoir un effet d'entraînement sur la prospérité du reste de la province. Sous cet aspect, le fait d'en arriver à une entente constitue un avancement majeur de la position du Québec au sein de la Fédération canadienne.

À notre avis, il y avait un danger que la situation d'isolement du Québec persiste et qu'elle fasse en sorte que le Québec soit absent des grandes décisions sur l'orientation économique du pays et, par conséquent, de la province. Il y avait danger latent que les autres provinces et le pouvoir central tendent vers une attitude qui normaliserait le processus de prise de décision en l'absence du Québec. Un correctif devait être apporté. Le fait d'être parvenu à un accord permettra d'aller de l'avant et de porter plus d'attention à des problèmes importants qui étaient jusque-là éclipsés par ce qui paraissait être l'interminable débat constitutionnel. Il est indéniable que la question du statut constitutionnel est capitale et c'est pour cela qu'elle devait être réglée en premier lieu. Oésormais, nous pourrons consacrer toutes nos énergies à l'amélioration du statut social, culturel et économique des Québécois.

M. Langlois (Raynald): M. le Président, nous allons maintenant parier de concertation nationale. Sous cet aspect, l'enchâssement du principe d'une conférence annuelle des premiers ministres sur l'économie, prévue actuellement par le protocole d'entente de février 1985, contribuera à mettre en oeuvre cette réaffectation des énergies de nos dirigeants. Cet accord, en plus de faire en sorte que le Québec retrouve sa place au sein de la Fédération canadienne, a aussi permis le règlement de certains différends constitutionnels qui font depuis longtemps l'objet de longues négociations. Nous allons en commenter brièvement quelques-unes qui intéressent plus particulièrement la chambre de commerce.

Par le biais d'un moyen constitutionnel reconnu valide depuis longtemps, on permet la mise en place de programmes qui entraînent une harmonisation et une concertation à l'échelle nationale dans deux secteurs économiques qui ont un impact important, sinon déterminant, sur la vie des citoyens et la conduite des affaires.

En marge de cette concertation nationale, il y a d'abord la clause concernant le pouvoir de dépenser qui permet de préserver les particularismes provinciaux. En effet, on y prévoit un droit de retrait avec compensation dans la mesure où la province accepte de mettre sur pied des programmes compatibles avec les objectifs nationaux, ceci sans remettre en cause le processus de concertation et d'harmonisation qui est à la base.

La Chambre de commerce de Montréal ne partage pas les appréhensions de ceux qui voient dans cette partie de l'accord un mécanisme qui, premièrement, consacre un pouvoir fédéral de dépenser dans des domaines de compétence provinciale exclusive et, deuxièmement, permet au gouvernement fédéral d'imposer ses objectifs aux provinces. La réalité politique nous apparaît toute autre, notamment à l'égard du Québec. En effet, la simple menace d'un retrait par une province aussi importante que le Québec d'un programme national, sans mettre sur pied un programme compatible, devrait constituer une force de négociation susceptible d'inviter le gouvernement central à modifier ses priorités afin de les rendre plus compatibles avec celles de la province ou des provinces récalcitrantes, incluant celle du Québec. La Chambre de commerce de Montréal ne nie pas que la déclaration de principe fournit des appuis à ceux qui nourrissent des appréhensions à l'égard du pouvoir de dépenser tel qu'il sera dorénavant enchâssé dans la constitution. La chambre de commerce souhaite que les textes finaux protègent clairement les priorités provinciales et évitent, dans la mesure du possible, qu'on puisse déjouer ce que pourraient être les objectifs véritables de l'accord.

En marge de la concertation nationale, il y a aussi l'immigration. Compte tenu qu'au Québec l'immigration est un phénomène surtout présent dans la région montréalaise, l'accord fait en sorte de rendre plus stable et surtout plus prévisible le processus de sélection et d'accueil des immigrants dans la société montréalaise. Cela permettra une intégration plus souple des immigrants dans la société montréalaise et québécoise en général. Cela permettra aussi de respecter les caractéristiques fondamentales de la société québécoise et de diminuer les frictions inhérentes à une immigration non contrôlée. A ce chapitre, la Chambre de commerce de Montréal trouve tout particulièrement intéressant que l'on soit d'accord pour confier au Québec l'exclusivité des services en matière de réception et d'intégration, y compris l'intégration linguistique et culturelle, des ressortissants étrangers avec une pleine compensation fédérale.

La Chambre de commerce de Montréal considère qu'en plus de rendre au Québec la place qu'il n'aurait jamais dû cesser d'avoir cet accord nous apparaît globalement favorable à la population du Québec. Cet accord ne couvre évidemment pas tous les risques inhérents à la cohabitation du Québec avec le reste du Canada; telle n'est pas non plus sa prétention, du moins, il nous semble.

La chambre ne peut toutefois conclure sans dire un mot sur le caractère distinct du Québec. On sait jusqu'à quel point la région de Montréal a été particulièrement touchée par les tensions culturelles et sociales des quinze dernières années. Plusieurs mémoires de la Chambre de commerce de Montréal adressés à différentes commissions parlementaires et au gouvernement du Québec, notamment sur la lanque officielle, ont invité les responsables politiques du Québec à

rechercher un consensus sur les questions fondamentales qui - ont trait à l'identité québécoise. À cet égard, il nous apparaît que l'accord du lac Meech marque un gain important pour le Québec parce qu'on a réussi à arracher aux partenaires fédéral et provinciaux une reconnaissance qu'ils s'étaient refusé de nous accorder jusqu'alors. Certains auraient souhaité que le caractère distinct soit précisé quant à son contenu, mais cela nous apparaît irréaliste comme objectif dans le contexte présent. Le seul fait de la reconnaissance du principe devrait nous suffire, d'autant plus qu'en définissant le contenu on risque d'en limiter la portée et d'en empêcher l'évolution.

Il est certain que l'accord du lac Meech n'a pas donné au Québec et aux Québécois tout ce qu'ils auraient pu souhaiter obtenir sur le plan constitutionnel. Mais on ne peut se permettre encore une fois de rater l'occasion qui se présente de faire progresser la situation du Québec au sein de la Fédération canadienne. Ceci étant réalisé, nous pourrons nous consacrer en toute quiétude à d'autres points de l'agenda politique qui revêtent un caractère beaucoup plus pressant aujourd'hui. Le développement économique du Québec est certainement le plus pressant.

Le Président (M. Filion): Merci, M. Daoust et Me Langlois. Tout d'abord, je voudrais évidemment accepter le dépôt du mémoire que vous venez de lire et, avec la permission des membres de cette commission, faire de même pour le mémoire de l'Institut politique de Trois-Rivières dont j'avais oublié le dépôt tantôt. Merci de cet exposé.

J'inviterais donc M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes à amorcer l'échange de vues avec nos invités.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. M. le président Daoust, M. Lacharité, Me Langlois, je voudrais tout d'abord vous remercier de venir témoigner ce soir devant cette commission. Votre mémoire est particulièrement intéressant parce qu'il fait, je crois, le tour de cette entente du lac Meech, dans toutes ses composantes ou à peu près, et soulève des points particulièrement importants. Il y en a un qui m'apparaît très intéressant et que vous venez de souligner, Me Langlois, en terminant, concernant cette clause qui consacre le caractère distinct du Québec, disant donc que le Québec est une société distincte, qui le consacre non pas dans le préambule de la constitution, mais dans un article de la constitution, qui fera partie de la constitution du Canada dans son ensemble, qui aura application dans l'ensemble de la constitution du pays et qui n'est pas facultatif, mais obligatoire. On a bien le mot "doit", les tribunaux devront en tenir compte. Ce concept de société distincte, pour la première fois, est utilisé, relié - vous l'avez très bien souligné - au fait que, pour la première fois aussi, dans notre droit constitutionnel, on reconnaît le rôle du gouvernement du Québec et de l'Assemblée nationale du Québec de protéqer et de promouvoir cette spécificité québécoise.

Vous mentionnez, Me Langlois, que, selon vous, il vaut mieux ne pas définir cette société distincte parce qu'on risque alors de limiter la portée de ce concept de société distincte. Vous êtes un éminent juriste. Vous avez plaidé et vous plaidez toujours très souvent devant tous les tribunaux et devant la Cour suprême. Vous avez plaidé plusieurs causes très célèbres du droit constitutionnel canadien. Vous avez donc l'expérience des tribunaux. Vous avez été aussi - et je peux en témoigner - un excellent professeur de droit, mais vous êtes aussi un praticien spécialiste des questions constitutionnelles. Vous avez même écrit - je devrais le dire aussi parce que je connais vos écrits - dans les cahiers de droit, entre autres, sur des points de droit particulièrement intéressants reliés à la radiocommunication, aux questions de commerce, points très difficiles. Donc, Me Langlois, de par cette expérience que vous avez comme juriste, de par cette expérience que vous avez comme plaideur devant les tribunaux et, en particulier, devant la Cour suprême du Canada, pourriez-vous expliciter ce point que vous avez développé brièvement devant nous tout à l'heure, selon lequel, si on définit, on risque de limiter la portée de ce concept de société distincte?

M. Langlois: M. le ministre, je vous remercie de vos commentaires. Je devrais peut-être quitter immédiatement face à ces commentaires. En fait, voici le dilemme qui se présentait, j'imagine, à ceux qui avaient à négocier cette question du caractère distinct du Québec. C'est soit de l'ériger en principe constitutionnel comme tous les autres, l'insérer dans un article particulier de la constitution au même niveau que bien d'autres énoncés de la constitution ou l'élever au rang d'un article qui doit transcender toute la constitution. L'option qui a été choisie et qui m'apparaît celle que reflète l'accord du lac Meech, c'est la deuxième option. C'est de faire du caractère distinct du Québec une matière qui est un principe qui doit transcender tous les textes constitutionnels en en faisant un texte d'interprétation. Dès qu'on fait ce choix, il m'apparaît incompatible avec ce choix de vouloir définir, parce que le principe lui-même devient une règle d'interprétation. C'est dans tous les éléments de la constitution, que ce soient les textes de 1867 ou les textes plus récents qui ont été

adoptés à la suite de 1867 jusqu'au texte de 1982; c'est au contenu de ces textes, interprétés avec le bagage politique, social et culturel, que Ies tribunaux se réfèrent lorsqu'ils veulent connaître l'intention du constituant. C'est avec tout ce bagage que le principe prend vraiment toute son importance et toute sa réalité.

Nous avons dit, évidemment, dans le texte du mémoire de la chambre de commerce, pour être bref, qu'à définir on limite la portée d'un texte. C'est vrai en droit statutaire. C'est encore plus vrai en droit constitutionnel. D'ailleurs, les grandes décisions en matière de droit constitutionnel nous enseignent la distinction qui existe entre une loi constitutionnelle et une loi ordinaire. Une loi ordinaire est une loi précise, qui règle des problèmes particuliers et prévoit des remèdes très particuliers, alors qu'un constitution est un contrat social généralement rédigé dans des termes beaucoup plus généraux, beaucoup plus larges, qui prêtent à interprétation parce qu'on doit permettre à ce texte constitutionnel d'évoluer. Si on s'était assis, par exemple, en 1867, pour tenter de définir le caractère distinct du Québec par rapport au reste du pays, on aurait rédigé rien d'autre que la loi de 1867 telle qu'elle existe. Si on s'assoit aujourd'hui et qu'on tente de définir ce qu'est le concept de la société distincte, on a en tête beaucoup plus que ce que les Pères de la confédération de 1867 avaient ou ceux qui ont été présents aux qrandes discussions constitutionnelles des années 1926 à 1930 avaient à l'esprit. Si on voulait limiter, par exemple, le caractère distinct du Québec à une simple reconnaissance culturelle, toute importante que soit la question culturelle et linguistique - elle est fondamentale, quant à moi - ce n'est pas la seule. Il faut penser à nos institutions financières qui sont très distinctes au Québec, à nos institutions municipales, à une foule de choses, à notre droit civil, somme toute, des réalités qui existent déjà dans des textes constitutionnels. Lorqu'ils n'existent pas en termes exprès, ils ont été mentionnés par les grands interprètes de la constitution à un moment donné lorsque se sont posés des problèmes particuliers.

Peut-être que c'est ma formation d'avocat qui m'amène - je conclurai comme suit - à être un peu partial à l'égard des juges. J'ai très confiance en la quiétude, la réflexion judiciaire dans le calme des cabinets de juge, en dehors du brouhaha politique, alors qu'on a le temps de bien analyser les principes. Ils peuvent évidemment se tromper. Ce sont tou3 d'anciens avocats. Donc, par définition, ils ne sont pas infaillibles. Mais, de façon générale, avec tous les mécanismes d'appel qui existent, on a une réflexion qui est très "mature" normalement. On peut être en désaccord avec le résultat en certaines circonstances, mais, lorsque les juqes interprètent la constitution, ils font vraiment un retour pour être respecteux de l'histoire, respecteux de l'historique législatif, respecteux également de la réalité sociale. Et comme on l'a appris depuis au moins 60 ans, à la suite d'une grande décision bien connue du Conseil privé, la constitution doit évoluer et les textes doivent être rédigés de façon à lui permettre d'évoluer. (21 h 15)

C'est une longue réponse M. le ministre, mais je suis particulièrement fier de voir que l'on consacre le caractère distinct non pas dans un article de la constitution comme un autre principe, c'est un principe transcendant, et cette transcendance lui est conférée par son caractère d'article d'interprétation.

M. Rémillard: Évidemment, Me Langlois, vous avez raison de souligner qu'il s'agit d'une règle d'interprétation. Il ne s'aqit pas d'un article établissant des nouveaux pouvoirs, mais d'un article d'interprétation qui pourra servir à l'ensemble de la constitution, bien sûr, en ce qui regarde le partage des pouvoirs, comme en ce qui regarde aussi l'application de la Charte canadienne des droits et libertés, mais ce n'est pas un article qui établit de nouveaux pouvoirs. C'est un article qui, sur une base juridique, donne un nouveau rôle qui n'a jamais été donné jusqu'à présent dans la constitution et qui est donné maintenant au gouvernement et à l'Assemblée nationale du Québec, celui de promouvoir et de protéger cette spécificité du Québec.

Concernant le pouvoir de dépenser, Me Langlois, vous souliqnez un peu la problématique de ce pouvoir de dépenser. Là encore, vous avez eu l'occasion de plaider plusieurs causes devant les tribunaux concernant ce pouvoir de dépenser, à certains égards, d'une façon directe ou indirecte. Est-ce que, selon vous, ce pouvoir de dépenser existe en droit constitutionnel ou s'il n'existe pas présentement, au moment où nous nous parlons?

M. Langlois: Quand le mémoire dit que nous ne partageons pas les appréhensions de ceux qui voient dans cet accord la consécration du pouvoir, c'est parce que je suis d'avis - et la chambre partaqe cet avis - qu'il existe déjà. C'est la première fois qu'il est mentionné par écrit dans un texte formel, mais il a été reconnu dans des décisions innombrables. J'ai d'ailleurs eu l'occasion d'entendre et de lire les propos du professeur Beaudoin là-dessus et je n'ai rien à ajouter. En matière d'encyclopédie et de droit constitutionnel, il n'y a pas mieux que le professeur Beaudoin. Je pense qu'il a attiré votre attention sur toutes les décisions

qui ont consacré le principe. Ce qui est intéressant dans l'accord du lac Meech, c'est qu'en fait le droit positif consacre ce que la jurisprudence a reconnu comme étant un pouvoir inhérent, mais en le limitant, en l'encadrant. C'est ce qui est important. Il crée aussi un mécanisme de concertation obligataire. Dans l'esprit de la chambre, sur le plan des intérêts commerciaux et économiques du Canada et de la province de Québec, il est important de consacrer ce mécanisme de concertation et de faire confiance au poids relatif des intérêts, de manière qu'on ait des programmes nationaux qui soient compatibles avec les meilleurs intérêts de l'ensemble des partenaires, tout en respectant les priorités de ceux qui, à un moment donné dans l'histoire, ne veulent pas faire partie d'un programme national.

M. Rémillard: Je vous remercie,

M. Langlois: M. le ministre, si vous le permettez, sur la question du rôle distinct, lorsque vous dites qu'il n'établit pas un nouveau pouvoir, je ne m'adressais pas au paragraphe (3) de l'entente sur le caractère distinct. Quant à moi, il y a là un nouveau pouvoir. Lorsqu'on reconnaît à la Législature un râle de promotion et de protection du caractère distinct, c'est une modification importante à l'équilibre des pouvoirs en faveur du Québec.

M. Rémillard: Est-ce que je vous comprends bien en disant que vous voyez dans le paragraphe (3) du premier élément de l'entente du lac Meech une source...

M. Langlois: Une source de pouvoirs. Quand on écrit des textes, les interprètes de la constitution nous ont dit qu'il faut leur donner un effet.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre.

M. Johnson (Anjou): J'ai vu la réaction du ministre, M. le Président, je n'ai pas pu m'empêcher de la voir, il était un peu embarrassé. Quand ils vont lire cela à Ottawa, demain matin, cela va les inquiéter un peu. Ils ne voyaient pas cela eux, je pense. M. Daoust, merci d'être parmi nous avec Me Langlois et votre associé de la chambre de commerce. Juste pour clarifier une chose, M. Daoust, c'est un plaisir pour nous que vous soyez là, mais je ne sais pas qui vous a dit qu'on vous avait invité, nous de l'Opposition...

M. Daoust: M. Johnson, j'ai une lettre qui m'a été adressée personnellement, en tant que président de la Chambre de commerce de Montréal, par M, Jean-Guy Parent, député de Bertrand.

M. Johnson (Anjou): Parfait, excellent. Je suis très heureux de savoir, M. Daoust, que vous avez choisi d'accepter l'invitation du bureau du premier ministre qui m'a mentionné, lors d'une conversation téléphonique que j'ai eue avec lui, que cela vous ennuyait quelque peu, mais que vous aviez réussi à trouver des consultants. Malheureusement, vous n'avez pas fait parvenir de télégramme disant que vous alliez venir à notre commission. Néanmoins, nous sommes heureux de vous entendre. Vous vous êtes fait accompagner d'un juriste éminent qui n'a pas toujours gagné ses causes, c'est évident...

M. Langlois: II faut en plaider pour en perdre!

M. Johnson (Anjou): II faut en plaider pas mal pour en gagner, et c'est plus ou moins 50-50. Dans le cas de Me Langlois, on sait qu'il en gagne plus qu'il n'en perd. On sait qu'il a perdu en 1983 dans une tentative de faire déclarer la Régie du logement inconstitutionnelle, mais il en a gagné. Par exemple, il a gagné dans l'affaire Blaikie, où il a réussi à faire invalider des dispositions de la loi 101 concernant la langue de la législation alors qu'il représentait des gens qui n'étaient pas d'accord avec la loi 101. Il a réussi aussi en 1984 à faire invalider l'article 72 et l'article 73 de la loi 101 concernant la langue d'enseignement en plaidant l'article 23 de la charte canadienne dans la cause du Procureur qénéral contre le Protestant School Board. Me Langlois s'est aussi distinqué par ses succès et ses trophées de chasse remarquables en droit constitutionnel alors qu'il a été au dossier dans le renvoi à la Cour suprême où il représentait le Procureur général du Canada et a plaidé avec succès que le gouvernement canadien pouvait rapatrier la constitution de façon unilatérale. Me Langlois a également gagné en 1982 dans la cause où il représentait le Procureur général du Canada également. Il a également plaidé avec succès le fait que le Québec n'avait pas de droit de veto. M. Daoust, vous avez donc avec vous, sûrement, un avocat qui a de grands talents et qui l'a démontré devant nos tribunaux.

Vous avez parlé de constitution et d'économie dans votre mémoire - ce qui ne m'a pas étonné d'ailleurs. C'est normal. Je pense que la chambre de commerce joue un rôle extrêmement important sur le plan économique à Montréal. J'entends la Chambre de commerce de Montréal, que vous représentez. Cependant, dans l'ensemble des sondages et des études que j'ai vu effectuer par votre chambre de commerce, je n'ai jamais vu comme figurant dans les préoccupations de base de vos membres le fait que le Québec ait signé ou pas la constitution canadienne. Je n'ai jamais senti,

en discutant avec beaucoup de vos membres que j'ai eu et que j'ai encore l'occasion de fréquenter avec plaisir, je n'ai jamais senti, dis-je, que c'était dans les priorités des membres de la chambre de commerce qu'il fallait absolument que le Québec signe la constitution de 1982. Je n'ai pas senti, en tout cas, que c'était dans les préoccupations quotidiennes de vos membres, ou si cela l'était, cela devait l'être pour très peu de vos membres en tout cas.

De plus, il y a une chose qui me frappe. Vous n'êtes pas sans savoir que la constitution canadienne s'applique au Québec en ce moment. Elle s'applique. Et il y a cette espèce d'attitude qu'on laisse planer où on laisse entendre que c'est comme s'il nous manquait quelque chose au Québec du fait de ne pas avoir signé la constitution canadienne, mais elle s'applique. Elle s'applique tous les jours, d'ailleurs. Me Langlois, votre conseiller, plaide la charte canadienne régulièrement devant les tribunaux alors que le Québec n'a pourtant pas signé en 1982. En d'autres termes, ce que j'essaie de vous dire, M. Langlois, c'est que cela ne change rien à rien à ce stade-ci que le Québec ait signé ou pas quant à l'application des lois sur le territoire du Québec. Je ne crois pas, encore une fois, qu'en soi il y ait une sorte de mouvement profond dans le monde de la chambre de commerce, pour qu'on se bouscule absolument pour aller signer cette entente et surtout à n'importe quel prix. Finalement, si le Québec ne signait pas le contrat de vente qui ferait suite à la promesse de vente qu'a signée le premier ministre au lac Meech, je ne suis pas sûr que cela dérangerait bien du monde, à la chambre de commerce ou ailleurs. Je ne suis pas sûr, d'ailleurs, que cela dérangerait qui que ce soit au Québec, finalement. Mais ce que je sais, cependant, c'est que si le Québec signe il risque de signer pour un certain temps et il risque de se retrouver dans une position où le rapport de force qu'il pourrait exercer serait exercé d'une façon absolument minimaliste, au point où le premier ministre lui-même, en sortant du lac Meech, laissait entendre aux journalistes qu'il en avait obtenu plus qu'il n'en avait demandé. Or, tout le monde semble s'entendre depuis quelques jours pour dire qu'il n'en a pas demandé beaucoup et que ce qu'il a obtenu est finalement assez mince.

Je vais m'arrêter à la question du pouvoir de dépenser de façon assez précise. Concrètement, qu'est-ce que le pouvoir de dépenser? À la chambre de commerce - j'ai toujours lu vos mémoires annuels présentés au Conseil des ministres ou à l'Opposition, selon le cas, avec beaucoup d'attention -vous êtes extrêmement préoccupés par la question du déficit à la chambre de commerce, je le sais, et c'est une préoccupation parfaitement normale. Une des grandes sources du déficit au Canada et du poids de la fiscalité sur les individus comme sur les entreprises, c'est précisément le pouvoir de dépenser de l'État fédéral. Je vais vous en donner une illustration qu'on retrouve dans l'annexe F du dernier budget de M. Gérard D, Levesque, ministre des Finances, présenté, comme on le sait, dans des conditions un peu particulières, il y a quelques semaines, où on démontre que, pour l'essentiel, depuis 30 ans au Canada, en vertu du pouvoir de dépenser, l'État fédéral a forcé un certain nombre de programmes dits nationaux, c'est-à-dire qu'il a dit aux provinces: On va vous verser 50-50. On va payer à 50-50 les frais de l'éducation postsecondaire et du système de santé et certains des systèmes sociaux dont l'aide juridique, une partie de l'aide sociale, etc., à condition que les provinces répondent à ce qu'on appelle les objectifs nationaux.

Et cela a donné quoi en pratique? Cela a donné que le fédéral depuis 8 ans, alors qu'il a amené l'ensemble des provinces, y compris le Québec, à devoir dispenser ces programmes-là a cessé de financer sur une base régulière ces mêmes programmes. Qu'est-ce que cela donne comme résultat? Cela donne la courbe qu'on voit dans l'annexe F du discours de M. Gérard-D. Levesque, le dernier discours sur le budget.

On démontre que d'ici à 1992, au rythme où vont les choses, l'État fédéral ne paiera plus, à toutes fins utiles, la dispensation des services de santé et d'éducation sur le territoire du Québec. Cela a quoi comme conséquences, M. Daoust? Cela veut dire concrètement, comme conséquences, qu'il n'y aura plus de marge de manoeuvre pour l'État québécois pour dire, par exemple: Cette année, on va mettre 150 000 000 $ dans le régime d'épargne-actions. On ne l'aura plus, cet argent-là, parce qu'on va être pris pour financer nous-mêmes, à même nos taxes, les programmes dits nationaux du Canada qui sont, en somme, des programmes sociaux parce que le fédéral ne garantit pas le financement une fois que la province est engagée.

Cela veut dire, par exemple, les quelques dizaines de millions de dollars qu'on a mis dans le programme de rééquipement du secteur des pâtes et papiers au Québec. On ne pourrait pas le mettre parce qu'on n'aurait pas la marge de manoeuvre pour le faire. Cela veut dire que la Société de développement industriel du Québec ou la Société générale de financement du Québec ne pourrait pas mettre les dizaines, voire les centaines de millions qui ont été mis depuis cinq ans pour faire des - passez-moi l'expression - "joint ventures" avec le secteur privé, que ce soit dans le développement technologique, que ce soit dans le secteur des richesses naturelles, que ce soit dans la

robotique, l'informatique, qui sont des programmes qui amènent l'État québécois à donner un appui à l'entreprise québécoise. Maia l'exemple le plus évident, c'est celui du Régime d'épargne-actions et cela, je sais que vos membres y tiennent. Ils y tiennent pas mal plus qu'à la signature, je crois, de l'accord constitutionnel et je peux vous dire que, si le Régime d'épargne-actions a été possible au Québec, c'est parce que l'État québécois avait un minimum de marge de manoeuvre dont il pouvait disposer sur le plan de sa fiscalité.

Au fur et à mesure que le pouvoir de dépenser de l'État fédéral s'exerce et il va continuer de s'exercer, le refus du Québec de se plier aux objectifs nationaux fera que le Québec sera pénalisé en vertu de la formule du lac Meech comme il l'est actuellement en vertu de l'exercice du pouvoir de dépenser dans les secteurs de l'éducation et des affaires sociales dans lesquels on passe 11 000 000 000 $ de vos taxes et des miennes.

Au fur et à mesure que tout cela va se produire, il y aura de moins en moins de marge de manoeuvre pour l'État québécois pour avoir des politiques économiques. Je reste de ceux qui sont profondément convaincus que, malgré les divergences qu'il puisse y avoir entre les orientations plus ou moins à gauche ou plus ou moins sociales des différents partis... Le Parti libéral est un parti qui, à une certaine époque, avait une vocation sociale; le Parti québécois en est un et je présume que le NPD a une vocation sociale. En dépit de ces divergences, l'État québécois, sur le plan économique, a fait des choses remarquables depuis dix ans et, s'il a réussi à le faire avec le monde des affaires du Québec, c'est parce qu'il avait un minimum de marge de manoeuvre pour le faire. L'exercice du pouvoir de dépenser de l'État fédéral, c'est la réduction constante de la marge de manoeuvre de l'État québécois en soumission à des objectifs dits nationaux qui sont - je vous dirais M. Daoust, pour ma part, c'est ma conviction -élaborés pour l'intérêt supérieur de la nation d'un point de vue canadien, l'intérêt supérieur de la nation se définissant fort bien comme étant sis autour du lac qui porte ce nom, le lac Supérieur, en Ontario. C'est comme cela, en général, que sont élaborés les programmes nationaux. (21 h 30)

La conférence des premiers ministres qui est institutionnalisée, je vais vous dire à quoi elle va servir. Elle va servir essentiellement à créer une pression objective sur Ies ministres des Finances de chacune des provinces pour qu'ils alignent leur fiscalité, leurs projets sur des priorités fédérales. Ce n'est pas marqué dans la constitution que le budget du ministre des Finances du Québec devra intervenir après celui du ministre des

Finances du Canada qui va fixer les qrandes orientations canadiennes. Inutile de vous dire que ce n'est pas toujours dans le sens du Québec, c'est même plutôt le contraire. Je suis allé à Toronto récemment, il y a 4 % de chômage à Toronto. II y en a pas mal plus que cela à Montréal. Mais il va y avoir une pression objective dans la création de ce mécanisme permanent que vous voyez comme de la concertation, mais qui va être, en pratique, un mécanisme de pression sur le Québec pour qu'il s'aliqne sur les priorités fédérales qui sont largement définies par les impératifs ontariens et, de façon plus ou moins accessoire, par les impératifs de l'Ouest canadien, surtout quand il y a un gouvernement conservateur à Ottawa, pour des raisons électorales.

C'est comme cela qu'il faut voir la problématique constitutionnelle. C'est un rapport de forces. Et ce ne sont pas seulement des chinoiseries d'avocats ou des affaires qui n'intéressent que les politiciens préoccupés par les questions linguistiques. C'est un rapport de forces économiques autant que politiques. C'est ma conviction profonde, M. Daoust, que le Québec a intérêt à ne pas signer à ce stade-ci. Si le Canada veut tellement avoir le Québec dans sa constitution, pourquoi n'est-il pas prêt à lui donner plus? Pourquoi le Québec se contenterait-il de régler pour le passé plutôt que pour l'avenir? Pourquoi le Québec ne s'est-il pas taillé des instruments pour se donner des marges de manoeuvre sur le plan du développement économique? Pour servir cet entrepreneurship québécois qui a ses caractéristiques, ses intérêts, ses approches qui sont, il faut le reconnaître, très souvent différentes des approches et caractéristiques ontariennes, qui pourtant sont celles qui dominent l'appareil fédéral objectivement.

En terminant, je poserai une question à Me Langlois, en lui faisant une petite lecture qui va durer une minute. "Au cours des conversations, les acteurs devront viser à demeurer en contact étroit avec leurs populations respectives et les tenir informées de manière honnête du déroulement des travaux." On parle ici de négociations constitutionnelles. "Les négociations constitutionnelles des deux dernières décennies se sont souvent déroulées dans le secret. On tenait des séances publiques pour l'édification de la galerie. Les travaux importants se déroulaient dans la discrétion des bureaux des technocrates."

Et un peu plus loin, évoquant le retour des choses après Victoria: "Si les gouvernements avaient davantage tenu leurs populations respectives informées à chaque stade de l'entreprise, on aurait su bien plus tôt à quoi s'en tenir au sujet de la réaction du Québec. Cette leçon devra être retenue pour l'avenir. Les porte-parole du Québec, en particulier, devront éviter de se laisser

constituer prisonniers, pour ainsi dire, d'ententes secrètes qu'on pourrait vouloir leur arracher par-dessus la tête de leurs commettants. Ces porte-parole devront, dans les questions qui engagent l'avenir, se réserver toujours la faculté de procéder avant de donner leur consentement aux auscultations de l'opinion dont ils auront besoin. Il faut viser è ce qu'au terme de l'entreprise le document constitutionnel qui aura été mis à jour exprime véritablement et en profondeur les aspirations des populations concernées. Il faudra aussi faire en sorte qu'en temps opportun il soit soumis à la ratification publique et solennelle de ces populations. Il faudra éviter toute précipitation dans la recherche d'accords qui devront, d'abord et avant tout, être authentiques, c'est-à-dire procéder de la volonté éclairée et librement exprimée des parties intéressées. Il faudra éviter en conséquence de s'enfermer au départ dans le cadran artificiel d'un échéancier trop serré ou arrêté dans un esprit technocratique. Il faudra enfin éviter de part et d'autre l'attitude suivant laquelle il faut absolument en venir à une entente à tout prix. Dans les négociations à venir, les représentants québécois devront défendre des valeurs fondamentales et des principes qui ne prêtent à aucun troc."

Je suis sûr, Me Langlois, que vous avez reconnu ce document, puisque c'est vous qui présidiez la commission constitutionnelle du Parti libéral du Québec qui le rendait public en 1980, et, ma question, c'est de savoir si sur l'échéancier vous êtes toujours du même avis.

M. Langlois: Merci de me poser la question. D'abord, je vous suis reconnaissant d'avoir dressé un peu le profil de mon expérience en droit constitutionnel. Évidemment, vous avez peut-être omis de noter que j'ai eu l'occasion de plaider plusieurs causes en matière constitutionnelle où les intérêts du Québec étaient concernés, notamment la cause de Caloil sur la protection du Québec contre la ligne Borden sur l'énergie, l'affaire Kellogg's concernant les prérogatives du Québec en matière de protection du consommateur face à la Loi sur la radiodiffusion, les affaires de Dionne et Capital Cities en matière de cablodistribution. L'objectivité peut aller des deux côtés. C'est vrai que j'ai plaidé que le Québec n'avait pas de droit de veto légalement reconnu, sauf qu'à la différence de ceux de votre ancien gouvernement, j'avais appris cela en première année de droit et je n'aurais pas signé l'accord que vous avez signé qui plaçait le Québec au rang du l'Île-du-Prince-Édouard, comme vous l'avez fait comme préalable à la négociation de 1981. Je vous avoue que, de coeur, avoir eu le choix entre plaider du côté du Québec en 1982 ou du côté fédéral, j'aurais opté du côté du Québec, mais pas avec le contrat que vous aviez donné à vos avocats. S'il y a eu un troc des intérêts fondamentaux du Québec auquel vous devrez répondre devant l'histoire, c'est bien votre accord de 1981 et les dés étaient pipés à partir de ce moment-là. Je tiens à vous le dire et cela fait longtemps que je veux le dire, d'ailleurs, à un parti qui se prétend défenseur des intérêts du Québec. M. Johnson, vous avez lu le livre beige. Vous auriez eu avantage à le lire lorsqu'il a été publié parce qu'on ne peut pas sortir ce que vous y avez lu de son contexte global, et vous le savez très bien, avocat que vous êtes et politicien très intelligent.

Ce que nous avons envisagé dans le livre beige, c'est une réflexion pour une réforme totale de la constitution dans la perspective d'un débat qui nous amenait au référendum. L'échéancier politique, pour toutes sortes de raisons, je n'ai pas été un des acteurs à ce moment-là et je comprends que les deux côtés de la Chambre à l'époque aient voulu que cet échéancier ne soit pas suivi. On a opté, pour des raisons politiques que je n'ai pas à défendre ou à critiquer, pour une voie différente à la suite du référendum. C'est vrai, mais que vous auriez également pu dire que j'ai fait partie de l'équipe des consultants à la négociation constitutionnelle de 1981, ayant été mandaté - cela vous surprendra d'ailleurs - pour essayer de traduire les priorités provinciales au sein de l'équipe fédérale de négociations à cause justement du fait que j'avais participé à la rédaction du livre beige.

Ce fut une négociation fort sérieuse et on a manqué un rendez-vous historique sur bien des points, toujours pour la même raison que celle que vous avez répétée aujourd'hui: quand on va signer, on va signer pour longtemps. C'est la peur d'avoir peur en l'avenir du Québec. On pense que, parce qu'un jour on va réussir à dire ouï, à avancer d'un pas, il sera fini, il n'y aura plus d'évolution, que le peuple québécois sera sans épine dorsale, qu'il ne sera plus capable, par un choix judicieux du gouvernement à Québec, de remettre la pression sur le fédéral. Tout libéral que je sois - puisque vous l'avez dit à tout le monde - pour ne pas vraiment déprécier le mémoire de la chambre là-dessus, je crois que l'avènement au pouvoir du Parti québécois en 1976 a été une bonne chose. Cela va vous surprendre. Je le crois. Cela a fait avancer les choses. Je ne suis pas d'accord avec les orientations de votre parti, mais je crois au rapport de force à l'intérieur du Québec. Je parle en mon nom personnel et non pas en celui de la chambre, puisque vous m'avez - j'utilise le mot - attaqué personnellement. Je crois fondamentalement au rapport de force. Le peuple québécois a démontré, dans le passé,

et tout au cours de son histoire, une capacité de réaction. Il a su créer la pression quand il en avait besoin. Je crois qu'on a fait le grand pas en 1976. Il y a eu un référendum et un résultat. Une négociation a suivi et elle a donné des éléments positifs: la charte des droits, n'en déplaise, est un avancement considérable; la formule d'amendement est un progrès fantastique, surtout améliorée comme elle le sera avec l'implantation des accords du lac Meech. Elle nous a rapatrié la constitution au Canada pour qu'on puisse en faire ce qu'on veut en faire. Ce sont là des choses auxquelles il faut maintenant réagir et prendre part.

Avec le retour au pouvoir d'un gouvernement moins contestataire, si vous le voulez, que le gouvernement précédent, le nouveau gouvernement du Québec a réussi, malgré que c'était fini, à maintenir l'intérêt dans la question constitutionnelle au point d'aller chercher l'accord du lac Meech. Vous dites que le Canada est pressé de signer l'accord du lac Meech. Je ne sais pas où vous vivez, M. Johnson. Les priorités politiques au Canada sont ailleurs que dans le domaine constitutionnel. Je puis vous dire que, dans la rue, a l'extérieur de l'Assemblée nationale, dans le milieu que je fréquente, la plupart des gens ont été extrêmement étonnés, d'abord, qu'on soit arrivé à un accord. Deuxièmement, lorsqu'on a lu le texte de l'accord, je peux vous dire personnellement que quand j'ai entendu les premiers rapports à la radio je n'en croyais pas mes oreilles. Je disais; Ce n'est pas vrai, ils n'ont pas consenti le caractère distinct, cela ne se peut pas. Parce que je me souvenais des conversations auxquelles j'avais été partie lors des négociations de 1981. Je me souviens également de l'expérience vécue au cours de plusieurs années à discuter avec des gens de partout au Canada. Je ne le croyais pas. Quand j'ai vu que le gouvernement fédéral était prêt à ce que son pouvoir de dépenser comporte une certaine restriction, comme la restriction qui est prévue dans les accords du lac Meech, je ne le croyais pas. Quand j'ai vu qu'on était prêt à constitutionnaiiser la question de l'immigration, je ne le croyais pas. Quand j'ai vu qu'on était prêt à constitutionnaiiser également le droit du Québec de participer à la nomination des juges de la Cour suprême et de consacrer le nombre de juges civilistes, je ne le croyais pas non plus. Je me dis: M. Johnson, arrêtez d'avoir peur d'avoir peur. Le débat n'arrêtera pas aujourd'hui parce qu'on a signé l'accord du lac Meech...

M. Johnson (Anjou): M. Langlois...

M. Langlois: ...c'est ma conviction profonde. Je me trompe peut-être mais...

M. Johnson (Anjou): Je vous remercie, M. Langlois, vous avez fait un bon discours ' politique et je vous en remercie, je sais que vous en êtes capable.

M. Langlois: Autant que vous. J'aurais gardé le ton aussi bas si vous ne l'aviez pas monté à mon égard.

M. Johnson (Anjou): Mais la différence, Me Langlois, entre vous et moi, c'est que moi je suis ici pour cela.

Des voix: Ah! ahl ah! ah!

M. Johnson (Anjou): C'est mon métier, Me Langlois. Je ne suis pas consultant de la chambre de commerce.

M. Langlois: Moi, je ne suis pas payé pour être ici, M. Johnson.

M. Johnson (Anjou): Me Langlois, brièvement, puisque vous dites que vous n'avez pas cru qu'on avait réglé pour cela au lac Meech, peut-être que pour la petite histoire vous voudriez bien savoir aussi, vous qui avez été très près, que Michel Robert, que vous avez bien connu dans d'autres circonstances, m'avait dit en juin 1982 que cela se réglerait quelque part autour de 1987-1988 et que cela se réglerait sur la base de quelques pouvoirs en matière d'immigration et, pour le reste, des choses pareilles pour tout le monde mais avec deux ou trois petits mots sans de trop grandes conséquences quant au caractère distinct du Québec. Je dois vous dire que, quant à moi, il n'y avait rien de si étonnant que cela dans l'accord du lac Meech.

Je me permets puisqu'il ne me reste que 30 secondes de vous dire, Me Langlois, que vous venez de me faire quant à moi la démonstration que le Québec objectivement n'a pas intérêt, en termes du rapport de force qu'il pourrait exercer pour aller chercher des vrais pouvoirs, à ce moment-ci à signer. Il signe pour le passé et il ne signe pas pour l'avenir. Je pense que vous venez de le démontrer encore une fois, même si ce n'était pas vraiment l'objet de votre propos. Je respecte vos convictions de la politique des petits pas et de la capacité du Québec d'exercer un rapport de force qui ébranle de temps en temps la structure fédérale, mais je vous dis que, moi, ma conviction est que cet accord pour l'essentiel ne règle que pour le passé, et encore d'une façon qui est celle que vous décrivez comme la seule possible dans les circonstances, que je pourrais décrire comme celle qui résulte du genre de demandes que le Québec a faites, si le "momentum" était si bon.

Finalement, même si l'agenda au Canada est surtout économique, comme j'en suis conscient, je vous dirai que j'étais

convaincu que cela se réglerait au lac Meech quand j'ai vu que le Globe and Mail et le Toronto Star à pleines pages, depuis, deux semaines avant le lac Meech, expliquaient qu'il fallait que cela se règle. Notamment, le Globe and Mail disait qu'il fallait que cela se règle "because never in recent memory had Québec asked so little", jamais le Québec n'avait demandé si peu pour régler. Je pense qu'objectivement, sur le plan politique, les conditions étaient là pour que cela se règle mais sur une base tellement minimaliste et tellement tournée vers le passé.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le chef de l'Opposition. Je reconnaîtrai maintenant un membre du groupe ministériel, M. le député de Bourget.

M. Trudel: Je vous remercie M. le Président. Me Langlois, ne vous reprochez pas d'avoir fait de la politique ici, vous n'êtes pas le seul à en avoir fait de ce côté-ci, de cette partie, si vous voulez, de cette Assemblée. Je me souviens que la semaine dernière un autre témoin en avait fait en défendant d'autres idées lui-même. Je pense notamment à Me Jacques Yvan Morin qui a fait une charge politique à fond de train, ce que je respecte, moi, comme homme politique.

Je voudrais vous ramener au pouvoir de dépenser avec une question qui n'aura pas de fioritures. Peut-être que ce n'est pas l'âge avancé, mais l'heure avancée qui fait que je comprends peut-être moins bien que je ne le devrais. J'ai l'impression qu'à la page 8, à moins de me tromper, bien sûr, il y a comme une contradiction. Je la résume. Vous parlez du pouvoir de dépenser et vous dites que la chambre, ma question s'adresse également à M. Daoust et si vous voulez y répondre, M. Daoust... Vous dites, d'une part, que la chambre ne partage pas les appréhensions de ceux qui voient dans cette partie de l'accord un mécanisme qui, premièrement, consacre un pouvoir fédéral de dépenser dans des domaines de compétence provinciale exclusive et, deuxièmement, permet au gouvernement fédéral d'imposer ses objectifs aux provinces. (21 h 45)

J'apprécie à sa juste valeur l'exemple que vous donnez du poids politique du Québec ou d'une province aussi forte que le Québec qui décide de se retirer d'un programme. Mais, à l'avant-dernière ligne du dernier paragraphe, vous ajoutez quand même: La Chambre de commerce de Montréal souhaite que les textes finaux protègent clairement les priorités provinciales... Ou j'ai mal compris, ou cela me semble un peu contradictoire avec ce que vous dites dans le premier paragraphe de la page 8. C'est-à-dire que, d'un côté, vous dites qu'il n'y a pas de danqer, mais, de l'autre, vous dites qu'il faut quand même que les priorités provinciales soient clairement respectées dans les textes. Est-ce que j'ai raison?

M. Langlois: La difficulté que nous avons, c'est que nous devons interpréter une déclaration de principe. Ce n'est pas le texte légal, le texte de loi qui aura la rigueur qu'on reconnaîtra à un tel texte. J'essaie de comprendre... Je comprends, je pense, l'intention de cette clause qui est à l'effet, justement, de faire en sorte que les provinces ne soient pas le fourgon de queue du train fédéral. Il semblerait, d'après les remarques de M. Johnson, tantôt, que ce soit une de ses craintes. Je dis que ce n'est sans doute pas l'intention de l'accord puisque, à ce moment-là, on n'aurait pas intérêt à y souscrire comme province, le Québec ou toute autre. C'est simplement un avertissement que le mémoire de la chambre donne de faire bien attention dans la rédaction du texte final, de faire en sorte que le droit de retrait ne soit pas un droit de retrait purement aléatoire et qu'il y ait effectivement limitation du pouvoir fédéral de dépenser dans des champs de compétence provinciale exclusive.

Cependant, nous notons que, dans le texte de cet accord, de même que pour les conférences constitutionnelles des ministres sur les questions économiques, on consacre un mécanisme de concertation qui a très bien fonctionné au Canada. J'étais étonné tantôt d'entendre M. Johnson un peu condamner toutes les ententes conjointes - la péréquation, etc. - qu'on a connues. Cela m'étonne. C'est vrai que l'on peut donner des exemples où cela a mal fonctionné. Mais, de façon générale, il y a eu une redistribution de la richesse au Canada. D'ailleurs, quant à citer le livre beige, on en a parlé amplement, si on doit contrôler ou limiter le pouvoir fédéral de dépenser, il ne faudrait pas le faire au point de faire perdre à la Fédération canadienne une de ses trouvailles les plus intéressantes dans l'histoire, soit les mécanismes de péréquation, des programmes conjoints, etc.

M. Trudel: Merci. Cela va, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Cela va, Mme la ministre des Communautés culturelles et de l'Immigration.

Mme Robic: Merci, M. le Président. M. Daoust, M. Langlois, je regrette que le chef de l'Opposition semble minimiser l'importance des pouvoirs que le Québec a acquis par l'entente du lac Meech. Vous en faites mention dans votre mémoire. Quant au gouvernement du Québec, pour nous,

l'immigration est fort importante puisque l'avenir même du Québec en dépend. Nous en avons fait d'ailleurs une de nos priorités. C'est la raison pour laquelle nous avons exigé d'avoir l'exclusivité en matière de sélection et de détermination des niveaux d'immigration, la prépondérance en matière d'accueil, d'adaptation et de francisation des nouveaux arrivants. Selon vous, est-ce que ces pouvoirs sont importants pour le Québec?

M. Langlois: Pour nous particulièrement, pour la Chambre de commerce de Montréal, c'est fondamental. On connaît l'importance du bassin d'immigrants qu'il y a dans la région de Montréal. On s'est plaint, au cours des années passées, du fait que ces immigrants n'ont pas été accueillis de manière qu'ils puissent s'insérer dans la société québécoise et montréalaise, en particulier, en en respectant le tissu culturel fondamental. On se souvient des tensions qu'il y a eu, en particulier au milieu des années soixante-dix. On peut même aller au-delà de cela. Lorsqu'il y a eu la commission Parent, dans les années soixante, en matière d'éducation, on a noté jusqu'à quel point notre communauté allophone avait été mal accueillie, mal intégrée au système scolaire et que c'étaient des Québécois vivant beaucoup plus près de la minorité anglaise que de la majorité française québécoise... En d'autres termes, cela ne reflétait pas le véritable tissu social du Québec. Le fait de donner au Québec cette prépondérance, à mon sens, va faire en sorte qu'on n'aura plus personne d'autre à blâmer que soi-même si, effectivement, dans l'avenir, les immigrants ne sont pas intégrés de façon complète et, je dirais, bien intégrés au milieu social québécois.

Donc, pour la ville de Montréal, il est important que cette communauté culturelle soit mise à contribution. Il est important que l'on ait à Montréal un apport de cette richesse des communautés extérieures qui veulent venir travailler au Canada. Il est important, par ailleurs, que le climat social demeure serein, que ce soit dans l'atelier, dans les usines, que ce soit dans les quartiers, en d'autres termes, à tous Ies niveaux de la vie sociale montréalaise et québécoise. Le gouvernement du Québec, évidemment, est le seul qui soit vraiment adapté pour fournir un service d'accueil, un service d'intégration et d'éducation, qui permette à ces nouveaux arrivants de jouer un plein rôle dans la société québécoise.

Donc, c'est fondamental à l'accord, quant à nous. C'est pourquoi on le donne comme un des deux exemples de réalisations importantes de l'accord du lac Meech, au même titre que le pouvoir de dépenser. Heureusement ou malheureusement, si on regarde le pouvoir de dépenser, mais, quant à l'immigration, il y a moins de controverse puisqu'on se trouve à consacrer les accords antérieurs en allant un pas de plus. Ce pas de plus est fondamental jusqu'au niveau de l'intégration. C'est là, à mon sens, un gain très important.

Le Président (M. Filion): Cela va, Mme la ministre?

Mme Robic: Merci.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie. À moins qu'il n'y ait d'autres intervenants... Oui, je crois qu'il reste à votre formation politique, M. le ministre, environ quatre minutes. Je vous donne donc la parole.

M. Rémillard: Très bien. M. le Président, je vous remercie. Nous avons entendu Me Langlois, M. Daoust et M. Lacharité qui représentaient la Chambre de commerce de Montréal. Au sujet de Me Langlois, de par son expérience, qu'a soulignée à juste titre le chef de l'Opposition - le chef de l'Opposition soulignait toutes les causes qui avaient été gagnées par Me Langlois - je pense que, directement, il faisait allusion à sa grande expérience de la question constitutionnelle et à son habileté à plaider devant le tribunal. C'est une chose que... Je dois le reconnaître, j'ai été professeur à l'université, bien que j'aie été plaideur à l'occasion, mais professeur à l'université. On est professeur à l'université, oui, mais lorsqu'on est plaideur, il y a toute une pratique qui se développe, une habitude des tribunaux. C'est donc particulièrement intéressant d'avoir les commentaires de Me Langlois sur cette entente du lac Meech.

En particulier, M. le Président, j'ai particulièrement apprécié les commentaires de Me Langlois en ce qui regarde la reconnaissance de la société distincte du Québec. Je crois que Me Langlois, comme plaideur, et je ne sais pas combien de causés il a pu plaider en droit constitutionnel canadien... Si j'avais à vous demander, Me Langlois, combien de causes en droit constitutionnel avez-vous plaidé devant la Cour suprême?

M. Langlois: Une quinzaine, une vingtaine.

M. Rémillard: Une vingtaine de causes de droit constitutionnel plaidées devant la Cour suprême parmi les plus importantes, parce qu'il y a eu des causes aussi pour l'avenir du Québec qui ont été particulièrement difficiles à plaider et que Me Langlois a piaidées en ce qui regarde des questions comme l'affaire Kellogg's, l'affaire Capital Cities concernant la radiodiffusion. Donc, ce qui est intéressant, c'est de voir les commentaires de Me Langlois sur cet article

qui va maintenant s'appliquer à l'ensemble de la constitution du Canada. Me Langlois a fait valoir, à juste titre, non seulement il s'agit là d'une règle d'interprétation facultative se rapportant è un seul texte, mais il s'agira là d'une règle d'interprétation obligatoire pour les tribunaux en ce qui regarde l'ensemble de la constitution du Canada. Donc, autant la constitution de 1867 que la constitution de 1982, en fait, l'ensemble de la constitution du Canada devra être interprété en fonction de la reconnaissance de cette société distincte qu'est le Québec et en fonction de cet élément tout à fait nouveau que nous retrouvons maintenant dans notre constitution avec cette entente du lac Meech, selon lequel l'Assemblée nationale du Québec et le gouvernement du Québec ont le rôle de protéger et de promouvoir la spécificité du Québec.

C'est dans ce contexte qu'il est particulièrement intéressant, M. le Président, d'entendre les remarques de Me Langlois qui nous dit, de par son expérience devant les tribunaux: Attention, il ne faut pas définir, parce que si vous définissez vous allez restreindre la portée de ce concept de société distincte. Si vous définissez, vous risquez de limiter la portée de ce concept et faire en sorte que les institutions, la façon d'être des Québécois, à tous les niveaux, aux niveaux social, politique, économique, ne soient pas reconnus à juste titre comme des éléments constitutifs de ce caractère distinct.

Bien sûr, Me Langlois l'a reconnu, et tout le monde le reconnaît, c'est la raison pour laquelle onze premiers ministres sont arrivés à la conclusion que le Québec était distinct. On est distinct de par notre langue, de par notre culture. La langue et la culture françaises sont le fondement même de cette caractéristique spéciale qui fait que le Québec est une société distincte. Mais, il y a plus, il y a les institutions, il y a une façon d'être, il y a un réseau d'activités sociales, politiques, économiques qui caractérisent cette distinction. L'expérience de plaideur de Me Langlois en matière constitutionnelle devant la Cour suprême du Canada nous amène à la conclusion, à la même conclusion que tous nos experts nous ont confirmée jusqu'à présent, à savoir qu'il ne faut pas définir ce concept. Il faut le laisser comme tel pour qu'il puisse permettre au tribunal une interprétation large et généreuse. Une interprétation de la constitution se fait d'une façon large et généreuse. Voilà une première règle d'interprétation qui a été décidée par le comité judiciaire du Conseil privé dans les années trente avec l'arrêt Edwards. Maintenant cette règle va permettre de développer ce concept de société distincte et lui donner une véritable assise juridique.

Je relève aussi une remarque de Me

Langlois, une remarque très intéressante qui voit, dans cette reconnaissance du Québec comme société distincte et dans ce rôle du gouvernement et de l'Assemblée nationale de protéger et de promouvoir cette société distincte, une assise juridique nouvelle. Possibilité, donc, de construire sur cette assise juridique une nouvelle argumentation juridique qui, plaidée devant le tribunal, pourra servir à élaborer des possibilités nouvelles pour le Québec, tant en fonction du partage des compétences législatives qu'en fonction de l'application de la Charte des droits et libertés.

Je sais que le chef de l'Opposition mentionne très fréquemment la protection du droit civil, protection en fonction de la Charte canadienne des droits et libertés. Pour ma part, je dis que le droit civil respecte les droits et libertés. D'autre part, s'il arrivait, par hypothèse, que le droit civil puisse être en contradiction avec certains droits et libertés de la charte, parce qu'il y aurait des valeurs de la société à faire respecter, il y a la clause "nonobstant", bien sûr, qui est là et qui pourrait s'appliquer. Mais il y a aussi cette société distincte qui pourrait servir pour l'interprétation de l'article 1 de la Charte canadienne des droits et libertés et le principe de la légitimité.

Donc, M. le Président, je voudrais remercier M. le président Daoust, M. Lacharité et Me Langlois de s'être déplacés et d'être venus témoigner devant nous. Merci messieurs.

Le Président (M. Filion): M. Daoust, je crois que vous m'aviez demandé la parole. Est-ce exact?

M. Daoust: M. le Président, je vous remercie. Eu égard à certaines remarques qui ont été faites et qui ont peut-être comme objectif de jeter un doute sur la crédibilité de notre organisme qui est la Chambre de commerce de Montréal, j'aimerais affirmer ici que M. Langlois n'est pas un consultant dans ce dossier-ci, mais qu'il est bien un membre de la Chambre de commerce de Montréal, qu'il est en charge du comité. Ce que j'ai entendu sur M. Langlois, les louanges que j'ai entendues de part et d'autre rejaillissent sur l'ensemble de notre membership et la valeur de nos membres.

J'aimerais également relever qu'on a mentionné qu'on n'avait entendu aucun de nos membres dire que c'était important de parler de constitution à la Chambre de commerce de Montréal. Je dois vous dire, d'abord, que j'ai l'accord à 100 % de mon conseil d'administration sur la position qui a été prise, la même chose que dans le cas de notre position sur la langue. Je ne sais pas s'il y en a qui ont entendu les gens de la chambre de commerce dans les corridors dire que c'était une priorité. Pour nous, à la

Chambre de commerce de Montréal, c'est également important. J'inviterais le chef de l'Oppposition... Je m'engage même à lui envoyer, demain matin, une version de notre livre qui a été publié à l'occasion du centenaire, intitulé Un siècle à entreprendre, où on démontre que, de tout temps, la chambre s'est occupée des grands débats au Québec et qu'elle a pris position. Et on n'a jamais ou généralement pas attendu qu'on soit en état de crise pour prendre position. C'est ta raison de notre présence ici ce soir. Enfin, pour terminer là-dessus, j'aimerais souligner que la crédibilité d'un organisme est souvent fonction de la valeur que les gens lui accordent. L'invitation qu'on a du parti de l'Opposition qui nous dit qu'on aimerait qu'on s'exprime, étant donné la valeur de notre organisme, tend à relever la crédibilité qu'on a essayé de mettre en doute tantôt. Je vous remercie, M. le Président.

Le Président (M. Filion): Merci.

M. Johnson (Anjou): M. le Président...

Le Président (M. Filion): Oui.

M. Johnson (Anjou): ...vous me permettrez, là-dessus, juste pour rassurer M. Daoust... Je ne sais pas où il a saisi les problèmes de mise en cause de ta crédibilité de la chambre de commerce. Il faudra peut-être qu'il relise la transcription pour se rendre compte que cela n'a jamais été fait. Je me suis livré cependant à une altercation très précise avec votre voisin de gauche dont je savais très bien, d'ailleurs, qu'il était très bien capable de répliquer. C'est son métier que de répliquer. D'autant plus qu'il a un bon "background" dans ces choses-là, à tous les niveaux, et on se connaît depuis quelques années d'ailleurs. Je voudrais vous dire, M. Daoust, qu'en aucune façon je ne mets en doute la crédibilité de la chambre de commerce. De plus, c'est simplement que le premier ministre m'a dit, vendredi, que cela ne vous intéressait pas de venir et que vous aviez été un peu pris de court du fait qu'il vous ait demandé de venir comparaître. C'est simplement cela que j'ai évoqué, M. Daoust. Je me référais aux propos du premier ministre. Vous comprendrez que ce n'est pas moi qui ai mis en doute votre crédibilité. Vous demanderez au premier ministre!

M. Daoust: Notre mémoire a été préparé assez rapidement.

Le Président (M. Filion): D'accord. À mon tour, au nom de tous les membres de cette commission, M. le président Daoust, M. le vice-président, M. Lacharité, ainsi que Me Langiois, dont le rôle a été éclairci par la dernière intervention de M. Daoust, mais qui a quand même eu la franchise de nous dire qu'il témoignait à certains moments à titre personnel, donc, merci.

Nos travaux sont suspendus pour environ trois ou quatre minutes pour permettre aux invités subséquents de prendre place. Merci.

(Suspension de la séance à 22 h 2)

(Reprise de ta séance à 22 h 9)

Le Président (M. Filion): À l'ordre, s'il vous plaît!

Les travaux de la commission reprennent. Je constate avec plaisir que les représentants de l'UPA ont pris place à la table des invités. Avant d'amorcer l'exposé, M. le président, avec votre permission, M. le leader du gouvernement m'a déjà demandé la parole relativement à nos travaux de la semaine.

M. Gratton: Merci, M. le Président.

Je voudrais simplement informer les membres de la commission de l'intention du gouvernement, demain, au moment approprié à l'Assemblée nationale, de modifier l'ordre de l'Assemblée quant aux heures de séances et quant aux groupes à être entendus par la commission pour ajouter les heures de séance que j'ai énumérées tantôt. Si j'informe la commission à ce moment-ci de ces changements, c'est en fonction de la nécessité pour le secrétariat de communiquer avec certaines personnes, peut-être même immédiatement, puisque nous ajouterons trois heures de travaux demain soir, soit de 20 heures à 23 heures, ce qui nous permettra d'entendre trois organismes.

Jeudi, en soirée, nous siégerons de 19 h 30 à 22 h 30, ce qui permettra encore une fois d'entendre trois organismes. Vendredi, il y aura trois heures de séance le matin, soit de 9 heures à midi, et trois autres heures de séance en après-midi, de 14 heures à 17 heures, ce qui permettra à la commission d'entendre six personnes ou organismes additionnels. Finalement, lundi, la commission pourra siéger de 10 heures à 13 heures et de 15 heures à 16 heures pour entendre quatre personnes ou organismes additionnels et pour terminer ses travaux, tel que l'ordre original de la Chambre le prévoyait, par deux heures de discussion entre le parti ministériel et le parti d'Opposition, et ce de 16 heures à 18 heures. Ceci permettra, à ce moment-là, de respecter l'ordre de l'Assemblée de tenir la séance de travail prévue par le règlement au plus tard mardi et de procéder au dépôt du rapport de la commission au plus tard mercredi, tel que la motion l'indiquait.

Je vous remets, M. le Président, pour que vous en saisissiez le secrétariat, deux copies de cette liste de personnes ou

organismes additionnels qui seront entendus et ce, aux heures indiquées de façon à ce qu'on puisse procéder aux communications qui s'imposent.

Le Président (M. Filion): Merci. Est-ce qu'il y a une intervention? M, le député de Gouin.

M. Rochefort: Oui, M. le Président, vous me permettrez de souligner que, finalement, ce que le leader du gouvernement nous annonce, c'est que le gouvernement est toujours pressé dans le dossier constitutionnel; il a toujours urgence pour le gouvernement, à un tel point, de poursuivre la précipitation, l'improvisation et le travail à la sauvette dans un dossier aussi lourd de conséquences pour l'avenir du peuple québécois.

Je comprends de l'intervention que vient de faire le leader du gouvernement quant à l'organisation de nos travaux, que le gouvernement nous dit une nouvelle fois par la voix du leader du gouvernement, qu'il n'a toujours pas l'intention d'entendre tous les groupes, tous les experts et tous les individus qui ont demandé jusqu'à maintenant d'être entendus par la commission, comme c'était leur droit légitime de le faire. Il refuse aussi, à ce que je comprends, la demande minimale que faisait l'Opposition, d'ajouter au moins, une nouvelle semaine de consultations de groupes, d'experts et d'individus qui en ont fait la demande, pour permettre un tant soit peu aux groupes d'envergure nationale, au moins, en partie, d'avoir le droit qu'ils ont demandé, celui d'être entendus par la commission et, donc, d'éclairer les membres de la commission. Comme je le disais, je pense que non seulement ils privent l'Opposition, mais tout le monde, y compris le gouvernement, et peut-être, de façon particulière, le ministre, d'être éclairés. On a vu combien ses discours ont évolué entre le premier jour de nos travaux et la conclusion qu'il faisait lui-même, en conférence de presse vendredi dernier, de ce qu'il a tiré des enseignements qui lui ont été donnés par les éminents constitutionnalistes qui se sont présentés devant nous.

On remarque que le moyen retenu par le gouvernement est d'ajouter des heures, les unes par-dessus les autres, ce qui fera qu'on siégera en soirée et qu'on escamotera le cadre dans lequel on permet habituellement, non pas aux parlementaires, mais aux groupes, de se présenter et de comparaître devant nous à l'occasion d'une séance de commission parlementaire. (22 h 15)

Cela dit, je dois quand même souligner que, pour nous, il y a une évolution positive au fil des jours et des semaines dans l'attitude du gouvernement quant à la moins grande fermeture qu'il offre aux groupes qui veulent se présenter devant nous. Il faut se rappeler qu'au sortir du lac Meech, il n'était même pas évident dans la tête du premier ministre, d'après ses propres déclarations, qu'il y aurait une commission parlementaire. Il avait des réserves importantes, voire des objections, au départ, à ce que cette commission, si un jour elle devait être retenue, soit télédiffusée. Par la suite, cela a été la politique des petits pas. On nous a dit: Peut-être une semaine. Et on a fini par réussir à se rendre à deux semaines. Finalement, on va tenter de nous faire faire deux semaines dans une semaine.

Donc, au minimum, on est heureux de noter qu'au fil des semaines, il y a quand même une petite évolution, une politique des petits pas par en avant du côté gouvernemental qu'on a, au minimum, réussi à obtenir par les interventions du chef de l'Opposition vendredi dernier, par son intervention directe auprès du premier ministre, par les interventions que nous avons reprises ce matin auprès du ministre qui, lui, comme à l'habitude, a fait la sourde oreille à nos demandes. Au minimum, on note que, finalement, l'Opposition aura réussi à convaincre le gouvernement d'ajouter au moins 16 heures de travaux à ce qu'il a annoncé en fin de semaine dernière, jeudi dernier, pour l'organisation des travaux de cette semaine. Et, en ce sens, M. le Président, toute proposition qui a pour but de permettre à plus de groupes, à plus d'experts, à plus d'individus qui s'intéressent aux questions constitutionnelles d'être entendus par la commission des institutions dans le cadre de nos auditions sur le lac Meech évidemment, est reçue positivement par l'Opposition, même si, je le répète, pour nous, cela illustre encore la précipitation, la sauvette et l'improvisation totale.

M. le Président, je veux souligner immédiatement que nous réservons notre jugement au gré de l'évolution que connaîtra probablement encore une fois l'intérêt auprès des groupes, des experts et des individus qui s'intéressent à ces questions et qui, comme on l'a vu depuis le début de nos travaux, s'ajoutent au jour le jour dans les demandes de comparution devant nous. Donc, nous réservons nos commentaires définitifs à l'évolution que pourra connaître l'intérêt parmi ces groupes, parmi ces experts, parmi ces personnes. Nous maintenons qu'il y a toujours une ouverture manifestée par le premier ministre lui-même auprès du chef de l'Opposition dans une conversation qu'ils ont eue ensemble en fin de semaine dernière, au cours de laquelle le premier ministre a formellement envisagé ou évoqué la possibilité que nous puissions poursuivre nos travaux jusqu'à mardi inclusivement. Et nous considérons, M. le Président, qu'il y a donc, aux dires mêmes du premier ministre, une

disponibilité de temps qui pourrait nous permettre de poursuivre nos travaux dans la mesure où d'autres groupes pourraient nous demander d'être entendus comme cela a été le cas de l'ensemble des groupes qui ont été ajoutés jusqu'à maintenant.

M. le Président, je conclus mon intervention en disant que pour nous le dossier est loin d'être fermé, que le premier ministre lui-même a offert des disponibilités qui pourraient fort probablement être utilisées pour permettre aux nouveaux groupes de se présenter et que nous sommes heureux que 16 heures soient ajoutées, à la suite de nos pressions, mais qu'une bonne commission dans un dossier important, aussi important pour l'avenir du Québec, aurait permis à tous ceux et toutes celles qui ont formellement, par les voies régulières, demandé d'être entendus de l'être. En ce sens, M. le Président, il est évident que c'est un bon pas, mais nous sommes loin de l'objectif d'ouverture, de transparence et d'association de l'ensemble des groupes concernés et intéressés par ces questions, objectif que nous aurions voulu retrouver chez le gouvernement.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie M. le député de Gouin. M. le leader.

M. Gratton: Très brièvement, par courtoisie pour nos invités qui ne sont pas ici pour nous entendre palabrer sur des questions de procédure. Je me réserve bien sûr le loisir de répondre à l'argumentation du député de Gouin au moment opportun, c'est-à-dire au moment où l'on présentera demain la motion pour modifier l'ordre de la Chambre à l'Assemblée nationale. Je lui dis d'ores et déjà qu'avec les organismes que nous avons l'intention d'ajouter demain, nous aurons déjà dépassé, au terme des travaux de la commission, le nombre d'organismes et de personnes qui ont été entendus en 1980 et en 19B1. On peut blâmer le gouvernement de sa façon d'agir, mais le résultat est quand même supérieur dans le cas qui nous préoccupe. Cela étant dit, M. le Président, je voulais donner avis à la commission de cette intention du gouvernement demain et nous pourrons reprendre le débat au moment opportun à l'Assemblée nationale.

Le Président (M. Filion): Donc, M. le leader, sous réserve évidemment de ce qui va se passer en Chambre et du vote qui pourrait avoir lieu en Chambre sur cette motion amendée qui constitue l'ordre de l'Assemblée en vertu duquel nous siégeons déjà depuis une dizaine de jours.

M. Gratton: Permettez-moi d'ajouter, M. le Président, que c'est en consultation avec l'Opposition que j'ai choisi d'informer la commission, en quelque sorte, de donner un préavis à la commission de notre intention de procéder demain.

Le Président (M. Filion): D'accord, demain après-midi.

Une voix: Matin. Une voix: Demain après-midi.

Union des producteurs agricoles

Le Président (M. Filion): Donc, de retour à nos invités, je voudrais les remercier de leur patience; d'abord, il est déjà 10 h 22. Je ne sais pas s'il y en a qui vont encore dire que les parlementaires ne travaillent pas fort, vous serez témoins, en tout cas, de certaines veillées.

Je voudrais, évidemment, saluer M. Jacques Proulx, président. Bien que je connaisse les personnes qui l'accompaqnent, pour le bénéfice du Journal des débats et également pour le bénéfice des membres de cette commission, j'apprécierais que vous puissiez, M. Proulx, nous présenter les personnes qui vous accompagnent ce soir. Après quoi, sans plus tarder, je vous inviterais à commencer l'exposé de votre mémoire dont copie écrite nous a été remise, qui a été distribué, je pense, aux membres de cette commission et qui est donc, aux fins de notre procès-verbal, déposé en bonne et due forme. M. Proulx.

M. Proulx (Jacques): Merci, M. le Président. Je voudrais présenter M. François Côté, qui est responsable du Service des études et recherches, et M. Jean-Yves Duthel, qui est aux communications à notre orqanisme.

M. le Président, mesdames et messieurs les députés, je remercie la commission des institutions d'avoir bien voulu nous entendre bien qu'il nous faille regretter fortement le fait que nous discutons non pas sur des textes juridiques, mais sur les termes d'un communiqué de presse. C'est comme si nous, agriculteurs, demandions aux consommateurs d'acheter un nouveau produit sans qu'ils puissent le voir, simplement en leur promettant qu'il est bon parce que c'est nouveau.

Nous aurions aussi voulu avoir la latitude de parler de tous les aspects majeurs dans le domaine agricole que touche l'entente du lac Meech. Faute de temps, nous en serons réduits à un langage quasi télégraphique. Je voudrais quand même rappeler que l'agriculture est le premier secteur primaire au Québec et la transformation agro-alimentaire le premier secteur industriel québécois, ce que tout le monde a tendance trop souvent à oublier.

Lorsque nous sommes, en tant que

producteurs et productrices agricoles, à l'origine d'investissements de près de 14 000 000 000 $ et de 400 000 emplois directs et indirects, il va de soi que le cadre constitutionnel qui va régir notre société et notre peuple québécois exige une attention particulière. Nous ne reviendrons pas ici sur tous les aspects de ce projet d'entente. Certains touchent à la spécificité culturelle québécoise dans l'ensemble canadien et le Mouvement Québec français qui, j'espère, est sur la nouvelle liste qui a été déposée, vous exprimera ses critiques et ses craintes. En tant que membres de cet organisme, nous l'appuyons entièrement.

Aujourd'hui, l'UPA veut surtout vous sensibiliser è deux points de l'entente du lac Meech: le pouvoir de dépenser et l'enchassement dans la constitution de la conférence annuelle des premiers ministres sur l'économie. Ces deux points ont et auront un poids déterminant sur l'agriculture québécoise.

Le pouvoir de dépenser. L'agriculture est une compétence partagée dans la Confédération canadienne et, selon le cas, de juridiction exclusivement fédérale ou provinciale ou encore des deux. De ce partage des compétences découle, d'ailleurs, un grand nombre des mécontentements historiques des agriculteurs. Avant de devenir partenaire de la nouvelle constitution canadienne, le Québec doit enfin obtenir des garanties fermes quant au partage des pouvoirs et au droit de dépenser. Tel n'est malheureusement pas le cas dans l'entente du lac Meech qui, à notre niveau de préoccupation, marque un recul. Citons le texte en question: "...le Canada doit accorder une juste compensation à toute province qui ne participe pas à un nouveau programme national à frais partagés dans un domaine de compétence provinciale exclusive si cette province met en oeuvre, de son propre chef, une initiative ou. un programme compatible avec les objectifs nationaux."

En agriculture, nous y retrouvons grosso modo les pouvoirs suivants: le commerce et la commercialisation interprovinciaux, la vulgarisation, l'éducation, la formation technique et la formation aux adultes en ce qui nous concerne, les ressources naturelles, le bois de la forêt en ce qui nous touche, le régime foncier, le zonage et l'environnement, comme compétence exclusive du Québec.

Comme compétence exclusive du fédéral, les pouvoirs suivants: la commercialisation et le commerce interprovinciaux et internationaux.

Les compétences partagées y sont touchées: le développement régional, la réglementation des secteurs laitiers et horticoles, l'utilisation de pesticides, la recherche, la sécurité des revenus, le contrôle du classement et de l'inspection des produits agricoles et le financement agricole.

Où en sommes-nous maintenant? Déjà, par le passé, le Québec n'a pas retiré sa juste part des dépenses fédérales dans le programme de la stabilisation parce qu'il mettait sur pied ses propres programmes, conçus de la manière dont il l'entendait. L'entente du lac Meech maintient l'ambiguïté, prolonge l'inéquité et, pour l'avenir, tout programme québécois similaire à un programme pancanadien bénéficierait d'une juste compensation. Pourquoi pas une totale compensation d'abord? Et ensuite, si, comme cela risque fort d'être le cas, les priorités et besoins de développement agricole québécois ne concordent pas avec ceux du fédéral, ce dernier ne verserait aucune compensation financière.

En plus, si d'aventure le gouvernement central décidait d'entrer de plein pied dans une juridiction provinciale comme l'environnement, le zonage ou l'éducation, la commercialisation ou la protection des sols, Québec se verrait en pratique soustraire le pouvoir qu'il possède. Nous courons au-devant de multiples affrontements, de nouvelles inéquités, telles que nous avons eu à en vivre avec le Nid-de-Corbeau. Et une fois cette entente constitutionnalisée, nous ne pourrons même plus exercer les pressions nécessaires à la protection des intérêts québécois. Tout gouvernement du Québec qui voudrait résister à des politiques dites nationales aurait l'odieux d'en arriver à la double taxation de ses citoyens. L'exemple de la stabilisation des revenus des producteurs agricoles est à lui seul fort éloquent.

Quant aux politiques nationales, à part le lait - et encore une fois parce que les producteurs du Québec comptent pour 49 % de la production canadienne - où nous pensons être traités équitablement, le gouvernement canadien a une nette tendance à assimiler agriculture et céréales, céréales et Ouest canadien, en oubliant qu'ici aussi nous avons des céréaticulteurs. Certes, le Canada est un important producteur céréalier, mais il n'y a pas que cela et loin de là. Dans la recherche, est-il besoin d'expliquer à quel point il est urgent que nous recevions non seulement une part équitable des fonds fédéraux, mais qu'il soit clairement établi que nos priorités peuvent être différentes de celles du reste du Canada?

L'adaptation des variétés, par exemple, n'est pas identique au Québec et dans l'Ouest compte tenu des conditions climatiques. Les exemples dans le domaine stratégique qu'est la recherche ne manquent pas. Pour ce qui est du crédit agricole, il est impensable que le gouvernement fédéral puisse mettre sur pied des politiques nationales équitables sans tenir compte de facteurs régionaux. Comment réussira-t-on à maintenir le pouvoir central dans une stricte

juridiction de financement à lonq terme, alors que sa Société du crédit agricole fait tout, sauf ce pour quoi elle a été créée?

Nous concluons cette analyse sur le droit de dépenser par deux propositions. Dans le cas des juridictions exclusivement provinciales, Québec doit obtenir un droit de retrait inconditionnel et avec pleine compensation financière. Au-delà des accords du lac Meech, Québec a également le devoir d'obtenir ce même retrait inconditionnel avec pleine compensation dans les juridictions partagées au niveau agricole. Pour nous, ces demandes devraient couvrir autant les intrusions du passé que celles de l'avenir. (22 h 30)

La conférence des premiers ministres sur l'économie. Cet aspect de l'entente soulève pour nous une très grande inquiétude. En effet, la pression qui s'exercera fatalement dans ces rencontres à l'endroit des provinces, au niveau budgétaire spécifiquement, rendra aléatoire pour notre gouvernement toute velléité d'être différent. Or - qui en doute encore? - le Québec est différent quant à de nombreuses priorités sociales et économiques. Et cette différence se reflète régulièrement dans le budget de l'État.

Comme dans toute logique politique, lorsqu'il y a un nivellement, c'est plutôt vers le bas. Nous craignons fort que l'Assemblée nationale finisse par devenir un "rubber stamp" des budgets fédéraux. En agriculture, cela serait désastreux. Il n'y a, quant à nous, nul besoin essentiel d'enchâsser dans l'acte constitutionnel ce qui devrait être une rencontre de concertation, tout au plus, sinon d'information. La nature politique du Canada porte déjà en elle assez d'automatismes au niveau budgétaire, d'Ottawa vers Québec, pour qu'il ne soit pas nécessaire d'en ajouter.

Mmes et MM. les députés, l'histoire de l'agriculture québécoise, c'est beaucoup l'histoire du Québec. Les productrices et les producteurs agricoles québécois sont d'abord en liaison avec le gouvernement qui siège dans la Vieille Capitale. Nous avons développé, et quel que soit le gouvernement au pouvoir, des liens nombreux, suivis, forts, efficaces, la plupart du temps, avec le MAPAQ, le MER, le gouvernement et l'Assemblée nationale. C'est là que doivent se décider les priorités en agriculture, c'est là que nous tenons, au nom de l'efficacité et du type d'agriculture que nous nous sommes donné, à poursuivre le développement institutionnel de l'agriculture.

En 40 ans, nous avons franchi le pas vers une agriculture québécoise moderne et compétitive. Ce sont les efforts et la volonté conjointe des producteurs, des productrices et de tous les Québécois à travers leurs gouvernements successifs qui ont permis de nous rendre où nous sommes: une agriculture performante, moins dépendante de l'État qu'ailleurs, moderne, en expansion malgré les problèmes inévitables. C'est aussi grâce à des cadres législatifs conçus à Québec, du fait qu'ensemble nous sommes capables d'établir nos priorités, que nous avons réussi à créer une agriculture qui n'a rien à envier au reste du Canada. Les interventions fédérales en agriculture sont rarement vraiment satisfaisantes, parce que non adaptées à nos spécificités et à cause même du poids de l'Ouest et du Sud ontarien.

Déjà, nous connaissons un manque à gagner de la part du fédéral. Cette inéquité liée à des politiques dites nationales s'est comme incrustée dans une longue tradition canadienne et, bien sûr, à notre total désavantage. Laisser le gouvernement central empiéter plus encore sur ce qu'il nous reste de spécificité, lui ouvrir la porte par le pouvoir de dépenser dans nos juridictions, sans même exiger un droit de retrait inconditionnel et totalement compensé, c'est inviter le gouvernement du Canada à nous dicter nos priorités, agricoles et notre développement agricole.

L'UPA ne peut souscrire à ces accords du lac Meech dont disposeraient, à ta majorité, neuf juges de la Cour suprême. L'ambiguïté, d'une part, et les absences, d'autre part, ne nous inspirent nulle confiance. Afin de ne pas nous engager au niveau agricole dans un goulot d'étranglement, il est nécessaire que le Canada reconnaisse notre droit de choisir nos priorités. Ceci n'est constitutionnellement possible qu'en obtenant un retrait inconditionnel et une pleine compensation financière, tant dans nos juridictions provinciales que dans celles qui sont partagées. Si ces conditions ne peuvent être obtenues, le statu quo est moins dangereux que la signature des accords du lac Meech. Merci, M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. Proulx, merci de votre mémoire. La parole est maintenant à M. le ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes. Chaque groupe dispose de près de 25 minutes pour dialoguer avec nos invités.

M. Rémillard: Merci, M. le Président. MM. Proulx, Côté et Duthel, je veux tout d'abord vous souhaiter la bienvenue et vous remercier de venir témoigner devant cette commission. Vous soulignez, à juste titre, dans votre mémoire, dès le début, que l'agriculture est le premier secteur primaire au Québec et que la transformation agroalimentaire est le premier secteur industriel du Québec. C'est donc particulièrement intéressant de vous entendre. Je veux vous assurer que le gouvernement du Québec est particulièrement conscient de cette importance, surtout dans le contexte actuel

des négociations de libre-échange avec les États-Unis. Je peux vous dire que cette réalité québécoise est très présente pour le Québec. Je peux vous assurer que, dans ce domaine - je l'ai dit en Chambre et je vous le répète - nous avons un droit de veto en ce qui regarde nos domaines de compétences législatives et que nous ne l'abandonnerons pas - vous pouvez en être certain - pour voir aux intérêts de nos agriculteurs et faire en sorte que ce secteur d'activité économique important du Québec ne subisse pas des conséquences néfastes à la suite de ce traité de libre marché.

M. Proulx, vous nous avez livré une communication particulièrement intéressante. Vous terminez en nous disant que l'UPA ne peut souscrire à ces accords du lac Meech. Donc, vous repoussez les ententes du lac Meech, mais je crois comprendre de votre mémoire et de votre exposé que vous ne regardez que le pouvoir de dépenser. Vous n'avez pas étudié le fait que cette entente du lac Meech consacre la spécificité du Québec, qu'elle donne au gouvernement et à l'As3emblée nationale le rôle de promouvoir et de protéger la caractéristique importante maintenant qui est là et qui, pour la première fois dans notre droit constitutionnel, sera inscrite comme étant une société distincte: le Québec, société distincte. Vous ne mentionnez pas aussi que trois juges de la Cour suprême, qui viennent du Québec, pourront être nommés à partir d'une liste fournie par le Québec et qu'en matière d'immigration, nous allons avoir les pouvoirs de sélectionner nos immigrants, non seulement ceux qui nous demandent d'immigrer ici de l'extérieur, mais ceux aussi qui sont déjà sur place. Nous allons pouvoir aussi leur donner les moyens de prendre goût à la vie québécoise par des moyens d'intégration. Nous allons pouvoir même avoir un minimum de garanties pour l'immigration au Québec. Il y a aussi le pouvoir de veto que nous récupérons par cette entente du lac Meech. Donc, vous vous attardez essentiellement au pouvoir de dépenser. C'est, de fait, un aspect important. Il y en a quatre autres, mais c'est quand même un aspect important.

Je comprends de votre mémoire, M. Proulx, que vous repoussez le statu quo, c'est-à-dire que vous considérez comme difficile la situation actuelle. Vous analysez l'entente du lac Meech en disant: Cela ne changera rien, parce que, dans des domaines de compétence provinciale exclusive, ce serait conditionnel à ce que nous puissions établir un programme québécois similaire. Vous le dites à la page 4 de votre mémoire.

Je voudrais vous dire à ce sujet, M. Proulx, que nous acceptons de votre part le fait que le pouvoir de dépenser que le gouvernement fédéral exerce présentement cause des problèmes à certains égards; je pense qu'on est très conscient de cela. L'entente du lac Meech a pour objectif de limiter ou de circonscrire l'application de ce pouvoir de dépenser. D'une part, l'entente du lac Meech accorde la possibilité aux provinces de se retirer, donc une possibilité de "opting out" qui n'existe pas actuellement en droit constitutionnel et qui existerait et, d'autre part, la possibilité de recevoir des sommes d'argent en conséquence dans la mesure où l'initiative ou le programme établi par la province est compatible avec les objectifs nationaux. Je voudrais attirer votre attention sur ce sujet parce que vous mentionnez à votre mémoire, à la page 4, "similaire", alors que c'est "compatible". Cela est très différent, M. Proulx; c'est très différent parce que justement le premier ministre du Québec, M. Bourassa, a refusé le mot "similaire" pour avoir celui de "compatible". Compatible veut dire cohabiter, alors que similaire veut dire identique. Ce n'est pas la même chose. Si vous reliez ce concept de compatibilité avec les objectifs nationaux, qui ne sont pas des critères, qui ne sont pas des normes, mais des objectifs généraux, vous voyez là peut-être plus de flexibilité que votre mémoire ne pourrait le laisser croire dans un premier temps. La question que je voudrais vous poser, M. Proulx, est celle-ci: Si vous rejetez l'entente du lac Meech, est-ce que vous considérez qu'il serait mieux de conserver le statu quo actuel?

M. Proulx: Je pourrais vous répondre rapidement, je vais vous dire oui, mais je voudrais vous donner des explications sur cela. Je voudrais vous dire, avant de répondre à votre question principale que je suis très heureux de vous entendre dire que vous avez gardé votre droit de veto sur la question du libre-échange. J'aimerais quand même que vos confrères soient au courant de cela, parce que je regarde des déclarations du ministre MacDonald la semaine dernière -si ma mémoire est bonne - qui a avoué clairement que... En tout cas, ceci dit en passant, je suis content que vous me le disiez parce que vous avez participé de très près aux négociations.

Je voudrais vous dire aussi, comme je l'ai dit au départ, qu'on n'a pas touché à tous les points. Ce n'est pas que cela ne nous intéresse pas, mais on a touché à des points qui nous touchent en particulier. Vous pouvez relever à la page 4, peut-être que ce n'est pas "similaire", je ne me souviens plus des mots exacts... Je suis bien prêt à accepter cela. Je voudrais quand même vous ramener à une réalité qu'on vit en agriculture - j'imagine qu'on doit vivre dans d'autres secteurs - depuis de nombreuses années et on sait ce que cela veut dire quand ce ne sont pas des programmes en conformité avec les autres dans un cadre

fédéral pancanadien. Je vais vous parler de la bataille qu'on livre depuis six ans - si ma mémoire est bonne - dans la stabilisation. Nous sommes obligés de poursuivre le gouvernement fédéral en justice à l'heure actuelle pour aller chercher la part qui doit revenir aux producteurs du Québec.

Le programme de stabilisation que le Québec s'est donné est un programme de stabilisation des revenus. La raison pour laquelle le fédéral, de par ses programmes de stabilisation de prix, ne veut pas contribuer à celui du Québec, est justement qu'on s'est donné au Québec un programme de stabilisation différent. Cela ne répond pas aux critères - appelez cela dans les termes que vous voudrez - cela ne rentre pas dans le cadre général et pour eux on doit rentrer dans le moule, on doit standardiser les politiques. C'est bien logique quand on est là-bas, cela se peut, sauf qu'on a choisi de se donner autre chose au Québec. On a décidé de payer pour nous comme producteurs et tout le monde comme citoyens avec les taxes parce que le gouvernement participe. On juge les gouvernements aussi au Québec si on est d'accord ou pas d'accord avec les politiques. Je considère qu'on n'a pas le droit de faire cela.

Je ne vous servirai pas d'autre exemple que la stabilisation, parce que c'est le plus pertinent. Vous confirmez dans les écrits que vous avez fait. Ne prenez pas ce qu'on a écrit, le mot "similaire", prenez les termes que je prends. Je regarde une déclaration de M. Mulroney à la Chambre des communes, qui dit: "Dans ce jeu constitutionnel, Ottawa aura donc le double rôle de joueur et d'arbitre. Les provinces qui ne respecteront pas les conditions fédérales n'auront pas la compensation financière prévue", affirme-t-il. Les conditions fédérales, dans l'exemple que je vous donne, c'est que ce soit une stabilisation de prix plutôt qu'une stabilisation de revenu, que cela couvre tel ou tel point qui ne doit pas être dépassé.

Je pense que vous allez comprendre rapidement notre grande inquiétude. Jusqu'à aujourd'hui, on a joué une partie de poker dans cela. C'est ambigu. De temps en temps on gagne, de temps en temps on perd. J'ai l'impression que je vais jouer au poker parce que j'aime cela, car je suis sûr que je n'aurai jamais les cartes parce que je n'aurai plus de pouvoir politique. Parfois quand on réussit à faire assez de pression sur les politiciens au fédéral et si on s'approche d'une élection ou ainsi de suite, on va chercher des grenailles. Maintenant, cela vient de finir. C'est là où se situe notre problème dans ce domaine. Je pense que c'est complètement inacceptable. (22 h 45)

Je pense que la meilleure façon, c'est la compensation pleine et entière. C'est un pouvoir qui est partagé et c'est essentiel d'avoir cette compensation comme on nous l'a accordée parfois. Je vous dirai plus, il n'a pas voulu accepter dans certains cas. On a proposé au gouvernement fédéral, dans le cas de la stabilisation, non pas de verser la compensation aux agriculteurs pour augmenter la compensation, on lui a dit: Verser dans le fonds de stabilisation du Québec. On ne venait pas privilégier des producteurs comparativement à d'autres producteurs. On dit: Non... Nous avons décidé de nous en donner un peu plus, c'est un choix de société qu'on a fait. C'est un exemple, je pourrais vous en donner d'autres. On le vit également dans d'autres productions; pour les agneaux et les moutons, ils nous doivent 500 000 $ à 600 000 $ à l'heure actuelle; concernant le porc, c'est au-delà de 15 000 000 $ et dans d'autres productions, ce serait trop long de les énumérer. Combien de millions ont été versés aux autres producteurs du pays mais qui n'ont pas été versés aux producteurs du Québec justement parce qu'on s'est donné une politique de stabilisation!

M. Rémillard: Oui, M. le président Proulx, vous savez - vous l'avez mentionné à plusieurs reprises - que l'agriculture est un domaine de compétence partagée. Le fédéral et les provinces peuvent donc légiférer en matière d'agriculture avec une prépondérance du gouvernement fédéral. C'est dans la constitution de 1867. Évidemment, le pouvoir de dépenser, c'est le pouvoir pour le fédéral de dépenser des sommes dans des compétences exclusives aux provinces. C'est cela l'entente du lac Meech, c'est là-dessus que cela porte.

Ici, nous ne sommes pas dans un domaine de compétence exclusive, on est dans un domaine de compétence partagée. À la suite de votre question, je me demande si vous voulez de nouveaux pouvoirs qui vous permettraient d'avoir une compétence exclusive pour le Québec en matière d'agriculture. Là on parle d'un pouvoir de dépenser, mais on en parle dans le cadre d'un programme partagé. Les programmes dont vous me faites part, ce sont des programmes que le fédéral met en place non seulement par son pouvoir de dépenser, mais par sa compétence simplement législative en matière d'agriculture. Donc, il faudrait refaire la constitution et donner cela en exclusivité à la compétence provinciale. C'est toute une autre affaire dont il faut parler. On ne parle pas du pouvoir de dépenser. Ce serait, à ce moment, changer la constitution de 1867 et donner à la seule autorité provinciale la compétence de légiférer en matière d'aqriculture. Je crois vous comprendre comme cela.

M. Proulx: Absolument pas, M. le ministre. Dans le passé, le fédéral a

compensé, a versé des sommes et le provincial a soustrait, dans certains cas, ces compensations. Que des parties soient exclusives au fédéral ou exclusives au provincial ou que ce soit des programmes partagés, c'est toujours la même chose dans le quotidien. Vous ne changez rien de ce qui est sur la table à l'heure actuelle. Vous ne changez rien; le peu que vous changez, c'est que vous renforcez les arguments du fédéral pour ne pas nous verser notre part. Jusqu'à maintenant, on a eu le loisir d'avoir nos politiques au Québec. On a le crédit agricole depuis près de 40 ans. On s'est donné des politiques de stabilisation. Il n'y avait rien dans la constitution ou s'il y avait quelque chose, je ne sais pas, cela n'a pas dérangé. Ce sont des choix qu'on s'est donnés.

Le problème, c'est que vous n'allez pas davantage chercher la compensation qui doit nous revenir et pendant ce temps, cela nous coûte plus cher. Le Québec est obligé de taxer davantage et cela nous coûte plus cher en tant que producteurs parce qu'on participe à tel programme. Ce ne sont pas des politiques ad hoc, ce sont des assurances. Nous participons ainsi que le gouvernement. On a une part qui dort au fédéral, qu'on n'a pas et qui est versée à d'autres producteurs.

Les producteurs de porc ontariens, à l'heure actuelle, retirent la stabilisation du fédéral. Du fait que je réside de ce côté-ci de la frontière et que je me suis donné une politique logique, on me la refuse. Vous n'allez pas la chercher avec ce qui est là. Que cela entre dans le cadre, ou quels que soient les termes qu'on emploie, ce sont les arguments que le fédéral a toujours employés et qui se continuent. C'est cela, mon problème. Vous n'allez pas chercher davantage notre dû, ce qu'il nous doit.

M. Rémillard: M. le président, je veux simplement vous dire que pour aller chercher plus, dans le cas que vous mentionnez, il faudrait que l'agriculture soit une compétence exclusive de la province. Dans ce cas, ce n'est pas le pouvoir de dépenser, c'est tout simplement en matière d'agriculture, ou en matière de commerce où c'est aussi un domaine partagé. Le fédéral et les provinces peuvent agir aussi dans un domaine partagé. On n'est pas dans des domaines de compétence exclusive; c'est pourquoi il ne faut pas reprocher cela à l'entente du lac Meech, mais au fait que la constitution de 1867 ne donne pas une exclusivité aux provinces en matière d'agriculture. Si vous voulez changer cela, on est prêts à prendre bonne note de cela et à le défendre dans un deuxième round de négociations où on va parler de tous ces sujets concernant le partage des compétences législatives. Mais, dans un premier temps, ce n'est pas cela, le pouvoir de dépenser, vraiment, qui retient notre attention.

M. Proulx: Je veux vous dire, M. le ministre, que le quotidien, l'habitude, ce qui s'est passé, c'est que le fédéral s'est arrêté de verser aux provinces, aux provinces, au Québec, pas depuis 1974 quand le gouvernement libéral du temps nous a donné la loi sur la stabilisation agricole et qu'il a continué à compenser avec le même programme de stabilisation jusqu'en 1980-1981. Il s'est arrêté autour de 1980-1981. Quand les pressions des producteurs des autres provinces sont devenues tellement fortes pour décrier les programmes qu'on s'est donnés au Québec, là, politiquement, il a reculé et il s'est arrêté de payer. Je veux dire: Pourquoi pendant des années et de quel droit le fédéral verse de l'argent de mes taxes à des producteurs qui produisent la même chose que moi et qu'il ne me le verse pas au Québec? Ce n'est pas une question de compétence partagée ou non, il y a des compétences en agriculture qui sont partagées, d'autres qui ne sont pas partagées. Alors, je ne vois pas de quel droit le fédéral l'a fait pendant six, sept ou huit ans et qu'à un moment donné, il arrête parce que les pressions sont assez fortes. C'est là qu'est le problème» Là, on ne corrige absolument rien à une situation de fait.

M. Rémillard: Je veux simplement vous dire en terminant. Qu'est-ce que vous voulez? C'est comme cela qu'ils ont écrit cela en 1867, c'est l'agriculture, c'est l'ensemble de l'agriculture qui est un domaine partagé, même le commerce est aussi partagé entre les deux niveaux de gouvernement. Donc, on se retrouve dans un domaine de compétence législative partagée entre Ies deux niveaux de gouvernement. Je prends bonne note de votre remarque. D'ailleurs, j'étais très sensible à cette situation. Et, dans un deuxième round de négociations concernant le partage des compétences législatives, je pense qu'il va falloir regarder cela de plus près, très sérieusement s'asseoir ensemble et regarder ces problèmes. Pour le moment, pour le pouvoir de dépenser, ce n'est pas tout à fait relié directement à cela.

M. Proulx: C'est la même chose pour l'environnement, l'éducation et la protection des sols. Je veux dire: Le matin qu'il veut t'enfarger...

M. Rémillard: Pas l'éducation, M.

Proulx.

M. Proulx: Bien les programmes...

M. Rémillard: Pour l'environnement, vous avez raison...

M. Proulx: ...de formation, l'éducation aux adultes, etc., cela va rentrer, ce sera la

même chose, l'environnement, ainsi de suite. Il va- falloir se donner des politiques standardisées. C'est cela, le problème qu'on vit depuis des années et qu'on ne vivait pas avant. C'étaient pourtant les mêmes choses.

Le Président (M. Filion): Cela va, M. le ministre. Merci. M. le chef de l'Opposition officielle.

M. Johnson (Anjou): Merci, M. Proulx, de votre mémoire. Les gens disent que, quand on discute des questions constitutionnelles, à un moment donné, on se répète. Je voudrais vous dire que, si cela nous arrive de nous répéter de ce côté-ci, de toute évidence, du côté de nos invités, je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de répétitions. La contribution du mémoire de l'UPA est très précise et très particulière au problème des juridictions partagées et de ses effets, en pratique, dans le cas de l'agriculture au Québec.

Quand j'écoute l'interprétation que le ministre donne de l'article 95 du BNA Act, de la constitution canadienne de 1867, je suis un peu étonné. Il a jugé à propos d'obtenir une clarification dans le cas de l'immigration qui fait partie de l'article 95. L'immigration comme l'agriculture sont des domaines, comme il le sait, de compétences concurrentes en vertu du BNA Act. Or, il se targue, depuis l'après-midi passé sur le bord du lac, qu'il a obtenu des précisions en matière d'immigration, un domaine de juridiction encore une fois qui n'était pas exclusive au fédéral. C'est un domaine de compétence partagée. Il n'a rien obtenu dans le cadre du même article, soit l'article 95 de la constitution, dans le secteur de l'agriculture.

Deuxièmement, je pense que le ministre néglige quelque chose quant au pouvoir de dépenser, quand il évoque cela. D'une part, l'article général sur le pouvoir de dépenser ne touche pas les domaines de compétences concurrentes ou de juridictions concurrentes. La question qui se pose, c'est que, dans la mesure où le pouvoir de dépenser de l'État fédéral s'exerce dans un domaine de juridictions concurrentes, et que le Québec, lui, a un programme qui n'est pas considéré comme compatible, pour reprendre son expression, avec le programme fédéral, qu'est-ce qui arrive? M. Proulx vient de nous expliquer ce qui se passe dans la réalité et le fait que l'UPA doit poursuivre l'État fédéral régulièrement pour qu'il contribue au programme que le Québec s'est donné.

Je trouve que le ministre ne répond pas. Il dit: Ah! vous savez, on ne parle pas de la même chose. On parle de deux choses: le pouvoir de dépenser et les juridictions concurrentes. Bien, je regrette! Voici précisément un exemple de ce que va amener la création constitutionnelle du pouvoir de dépenser où, à toutes fins utiles, on va transformer l'ensemble des juridictions exclusives du Québec, à l'article 92, en équivalent de juridictions concurrentes, à cause du pouvoir de dépenser.

Je pense que le ministre néglige absolument de répondre aux problèmes de fond que ça pose. Je trouve que, d'une certaine façon, ce que l'UPA nous dit, c'est ce qu'elle vit depuis des années. Quand même, elle ne s'est pas référée à 1800 tranquille. Elle a parlé des dix ou quinze dernières années, d'un certain nombre de programmes mis sur pied en 1974, etc.

Ce qu'elle vit dans le secteur de l'agriculture, les inéquités qui en ont découlé pour les producteurs agricoles du Québec, c'est précisément ce qui va découler de l'article sur le pouvoir de dépenser du fédéral dans le cas des juridictions exclusives des provinces.

Je pense que, d'une certaine façon, la description qu'elle nous fait de ce que vit le monde agricole quand les priorités du Québec et les priorités du fédéral sont différentes, c'est exactement ce qu'on va vivre dans la santé, dans l'éducation, dans la culture, dans les communications, dans l'environnement et dans l'ensemble des juridictions qui découlent de l'article 92 qui sont des juridictions exclusives.

Je pense que c'est un pensez-y bien, pour le ministre. J'ai l'impression que, finalement, il a été passablement ébranlé par cette démonstration, même si sa réaction initiale ne le laissait pas voir. J'aimerais peut-être l'entendre un peu là-dessus, parce que je trouve que c'est extrêmement pédagogique, ce que vient de nous donner l'UPA et autour d'un exemple, l'environnement, peut-être.

L'environnement, en ce moment, est-ce que c'est le Québec qui en a la juridiction? Est-ce que c'est le fédéral? Vous allez me dire que la Cour suprême n'a pas tranché de façon définitive. Dieu merci, non! Il y a des sections de l'environnement, dans la mesure où c'était relié à certains autres types d'activités... Est-ce que le ministre peut me dire qu'en matière d'environnement... Cela n'existait pas comme rubrique en 1867. Ce n'est pas dans la charte de 1982 non plus.

L'environnement, c'est dans les limbes juridiques. Cela va être décidé par les neuf juges de la Cour suprême. Mais le Québec est présent dans l'environnement. On prend l'exemple des pesticides. C'est un exemple bien concret qu'on a devant nous et qui préoccupe d'une façon extrêmement importante le monde agricole.

Le fédéral, lui, qui déciderait d'exercer son pouvoir de dépenser dans le secteur de l'environnement, à la suite de l'accord du lac Meech, dirait: Voici, c'est quoi les normes. Ah non! Le ministre me dit non, pas des normes, des objectifs. Très bien, il va appeler ça des objectifs. Il faut s'occuper

d'appeler ça des objectifs. C'est la loi fédérale qui va le déterminer. C'est le règlement adopté par le Conseil des ministres du fédéral en fonction de la loi fédérale qui va établir les objectifs.

Vous savez que les objectifs, parfois, ça peut entrer dans de sérieux détails. Qu'est-ce qui va arriver? Il va falloir que le Québec ait un programme compatible avec les objectifs nationaux s'il veut être compensé. S'il ne l'est pas, il va lui arriver ce qui arrive dans l'agriculture. C'est exactement le cas que vient de soulever M. Proulx dans le cas des régimes de stabilisation. Je pense que c'est dans le cas des éleveurs de parcs, si je ne me trompe pas. Exactement, parce que, ultimement, l'Ouest canadien et l'État fédéral ont dit: Écoutez, ce programme-là n'est pas compatible avec nos objectifs nationaux. Résultat: Le fédéral ne contribue pas. Nous, on a un programme, on a établi nos priorités en fonction de nos besoins et les orientations de base du ministère de l'Agriculture souvent établies en concertation, quand ce n'est pas suite à des pressions ou des lobbies du monde agricole. Notre monde agricole, ce ne sont pas des producteurs de blé de Moose Jaw en Saskatchewan, ce sont les producteurs du Québec. Le gouvernement sur lequel ces producteurs ont une certaine préhension, un certain poids, quand ils revendiquent des choses, c'est le gouvernement du Québec, ce n'est pas le gouvernement canadien dans le secteur de l'agriculture. (23 heures)

L'autre dimension que, à mon avis, le ministre a négligé, ce sont les compétences concurrentes de l'article 95, c'est-à-dire l'immigration. On a senti le besoin de préciser cela dans l'accord du lac Meech, mais on ne l'a pas fait dans le cas de l'agriculture.

Une autre dimension me paraît être négligée par le ministre qui la voit, je pense, d'un point de vue technique et juridique; j'allais presque dire théorique. Ultimement, si on ne raccorde pas le droit à des choses concrètes, il devient théorique. Sur le plan fonctionnel, opérationnel, dans le secteur de l'agriculture, en pratique, son interprétation de l'article 95 c'est qu'une fois que le fédéral a décidé dans un domaine de juridiction concurrente, que l'on prenne éventuellement tout ce qui est dans l'article 92 avec le pouvoir de dépenser, il n'appartient au Québec que de s'écraser. Il ne peut pas avoir ses priorités, ses objectifs sans des tracasseries à ne plus finir, sans être obligé d'exercer un poids politique, un lobby politique, s'il me permet l'expression, qui permet de temps en temps de "brasser la cage", mais c'est essouflant. Je comprends qu'à l'UPA, on paie des permanents à l'année pour faire cela, mais je ne suis pas sûr que les agriculteurs qui paient des cotisations tiennent absolument à ce que leur argent soit dépensé tout le temps là-dedans. Mais il faut faire cela tout le temps.

Je trouve que le ministre ne répond pas concrètement au fait que l'intervention de l'État québécois en matière d'agriculture passe aussi par l'environnement. Ce qui guette le monde agricole au Québec, dans les dix ou quinze prochaines années, va être largement dominé par les préoccupations qu'on a dans la société québécoise à l'égard de l'environnement. Ils le savent. Ils le sentent. Les producteurs agricoles commencent d'ailleurs à s'y adapter. Mais est-ce qu'on va appeler cela de l'agriculture proprement dite ou de l'environnement? En admettant qu'on appelle cela de l'agriculture, il y a le problème de la compétence partagée. En admettant qu'on appelle cela de l'environnement, si le fédéral, lui, a ses programmes d'environnement qui touchent le monde rural, est-ce que nos programmes vont être compatibles? Quand on va imposer aux agriculteurs dans les années qui viennent un certain nombre d'investissements ou de contraintes quant à l'utilisation de certains produits, au déversement de certains déchets, c'est de l'environnement, ça. Mais qui cela touche-t-il? Cela touche le monde agricole.

L'environnement, c'est provincial. Mais chose certaine, il y a un pouvoir fédéral de dépenser que vous viendrez confirmer et la nécessité pour le Québec de répondre aux objectifs nationaux, s'il veut avoir sa compensation. Je vous réponds qu'il se pourrait qu'au Québec, l'on prépare des programmes d'environnement à la suite de discussions avec les qroupes environne-mentalistes ou les groupes préoccupés par ces questions et le monde agricole, et que les objectifs qui en ressortent aient été taillés sur mesure pour les producteurs de blé de l'Ouest canadien ou les producteurs de boeuf de l'Ouest canadien et que nos programmes ne soient pas considérés, à toutes fins utiles, comme compatibles. Donc, le Québec se retrouverait dans des programmes où il aide le monde agricole à répondre à ces questions d'épuration de déchets, d'utilisation d'un certain nombre de produits parce qu'on trouve qu'ils dérangent la santé ou l'environnement des gens, où il investirait des sommes massives là-dedans avec le monde agricole mais ne pourrait pas être compensé. Les Québécois continueraient de payer des taxes, à Ottawa, qui serviraient à appliquer des programmes de l'environnement fédéral à Moose Jaw et le Québec, lui, ne pourrait pas obtenir de compensation.

Je pense que ce que vient de nous faire l'UPA comme démonstration des difficultés fonctionnelles d'un domaine de compétence partagée, en vertu de l'article 95, c'est pour moi une espèce de préfiguration de ce qui va arriver dans le domaine agricole pour l'environnement comme

dans d'autres domaines, qui sont des domaines de juridiction provinciale en vertu de l'article 92.

Je me permets d'exprimer cela. Je ne sais pas si M. Proulx veut ajouter des choses à cela, mais je me permets d'engager le dialogue avec le ministre, là-dessus.

M. Rémillard: Par égard pour nos invités, M. le chef de l'Opposition, j'aimerais mieux que vous posiez une question à nos invités qui sont ici pour témoigner. Par politesse, je pense qu'il faudrait leur poser la question.

M. Johnson (Anjou): Enfin, M. Proulx sait que c'est avec beaucoup d'attention et d'intérêt qu'on a pris connaissance de son mémoire. Je trouve que c'est un mémoire d'une limpidité extraordinaire. En sept pages, l'UPA nous fait une démonstration remarquable de ce qu'est la différence entre établir des priorités et des objectifs québécois et des priorités et des objectifs canadiens, et du genre de problèmes que cela peut poser concrètement pour les gens, concrètement pour les contribuables du Québec, concrètement dans le secteur de l'agriculture et, éventuellement, dans toutes sortes d'autres secteurs.

Alors, je peux difficilement demander à M. Proulx d'en ajouter. Je pense qu'il a fait une démonstration que je n'avais pas encore vue autour de cette table, ni chez nous d'ailleurs, ni chez nos amis d'en face, et d'une façon très limpide, des problèmes que pose la question de la compensation à l'égard du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral, dans un domaine qui est de compétence concurrente, mais qui pourrait fort bien s'appliquer au domaine de compétence exclusive en vertu des accords du lac Meech. C'est pour cela que j'aimerais entendre le ministre là-dessus.

M. Rémillard: Je voudrais, avant, demander à nos invités s'ils ont quelque chose à ajouter. Il faut quand même avoir cette politesse-là, ils sont ici pour témoigner et répondre à vos questions.

M. Johnson (Anjou): Je remercie le ministre de m'expliquer qu'il faut être polis. On sait tout cela, M. le ministre. J'ai invité M. Proulx, s'il avait des choses à ajouter, à le faire. J'ai cru comprendre qu'il n'ajoutait pas à l'affirmation que j'ai faite. Peut-être que le ministre n'est pas prêt à répondre, je veux bien et je présume qu'il nous en parlera demain. Je peux comprendre, il est 11 h 10. Peut-être que le ministre ne veut pas s'engager dans des choses comme celles-là ce soir, surtout que la démontration est d'une limpidité extraordinaire et que le ministre n'y répond pas. Merci, M. Proulx.

Il reste cinq minutes de l'autre côté.

On n'est pas obligés de tout prendre. Si le ministre veut intervenir...

Le Président (M. Filion): Pour suivre la règle de l'alternance, M. le chef de l'Opposition, vous avez terminé?

M. Johnson (Anjou): Oui, j'ai terminé et, encore une fois, j'invite M. Proulx s'il veut ajouter des choses à son mémoire, à l'exposé que j'ai fait ou s'il veut rentrer dans le détail de la question de la compensation dans le cas des producteurs de porc, ce qui est un exemple extrêmement précis des dangers que recèle la formule du lac Meech, je l'invite sûrement à le faire.

M. Proulx: En fait, il n'y a pas énormément de choses à ajouter, mais il vaudrait peut-être mieux y aller sur certaines autres questions que les membres de la commission pourrait avoir. On a essayé de faire d'une façon pratique, la différence entre une discussion - excusez l'expression -de salon et la réalité quotidienne que l'on vit depuis des années. Cela peut être très bien dans la constitution. Vous savez, je ne m'aventurerais pas sur ce terrain parce que je ne pourrais pas parler, mais sur l'autre terrain je peux aller pas mal loin, parce qu'on a quand même des années d'expertise autour de cela.

Qu'est-ce que je pourrais ajouter sur la question des juges, parce que vous l'avez soulevée, M. le ministre? On n'arrivera jamais à rien en faisant trancher des questions aussi importantes par les juges. C'est extrêmement dangereux. Si on n'est pas capable comme collectivité, avec les institutions démocratiques que l'on s'est données, de trouver des consensus, je trouve extrêmement dangereux que trois, quatre, cinq ou six personnes aient à décider de ces choses-là. Quand je me vois obligé d'aller à la Cour suprême, je sais qu'il n'y a pas de retour. Que la décision fasse mon affaire ou non, il n'y a plus aucune possibilité. Alors cela ne me console pas beaucoup et cela ne me rassure pas énormément. Que trois juges viennent du Québec ou d'ailleurs, pour moi, la justice doit se faire. En tout cas, je ne vois pas les juges de la Cour suprême se prononcer en ma faveur parce qu'ils viennent du Québec. Pour moi, la Cour suprême doit être la plus juste et la plus équitable possible. C'est la logique qui doit primer.

Le Président (M. Filion): Je vous remercie, M. Proulx. Y a-t-il un autre intervenant du côté ministériel?

M. Rémillard: II nous reste combien de temps?

Le Président (M. Filion): Cinq minutes environ, M. le ministre.

M. Rémillard: De l'autre côté?

Le Président (M. Filion): De l'autre côté, environ huit minutes, M. le ministre.

M. Rémillard: Si je comprends bien, M. Proulx, vous préférez le statu quo à l'entente du lac Meech? Brièvement, c'est juste pour savoir.

M. Proulx: Je l'ai dit clairement, M. le ministre, dans les sujets que l'on a soulevés avec vous, on considère que cela nous met même dans une situation pire qu'avant pour la compensation.

M. Rémillard: Très bien. Je vous remercie.

Le Président (M. Filion): Voulez-vous ajouter quelque chose, M. Proulx?

M. Proulx: En fait, c'est clair et net. L'important, pour nous, c'est d'aller chercher notre part, ce qui doit nous revenir, l'équité en fait, et cela ne nous rassure pas du tout à l'intérieur de cela. C'est du vécu, M. le ministre.

Pendant des années encore une fois, le gouvernement a versé même à l'intérieur de nos programmes... Depuis des années, on s'est donné des politiques particulières, non seulement en agriculture, mais dans tous les autres secteurs particuliers.

M. Rémillard: Je vous remercie. M. Brassard: M. le Président.

Le Président (M. Filion): M. le député de Lac-Saint-Jean.

M. Brassard: M. le Président, quelques remarques. À partir du témoignage de l'UPA, je voudrais faire quelques remarques sur le processus enclenché par le gouvernement. Voilà ce qui arrive quand on déclenche ou on enclenche un processus tronqué, mal foutu, comme cela a été le cas de la part du gouvernement. Si le gouvernement libéral avait procédé de la façon suivante: d'abord, faire connaître à la population une position claire, articulée, écrite, adoptée par le Conseil des ministres, position constitutionnelle, que cette position avait ensuite fait l'objet d'une consultation populaire, l'UPA se serait présentée à ce moment pour dire au gouvernement: Attention, vous oubliez quelque chose dans votre position constitutionnelle, l'agriculture. Et, ils auraient fait comme ils ont fait là. Ils auraient exposé leur point de vue, la situation sur le plan agricole, leurs exigences, l'importance de l'inclure dans les revendications constitutionnelles. Ils auraient éclairé le gouvernement et, fort probable- ment qu'à ce moment le gouvernement, devant les faits, devant une démonstration aussi lumineuse qui vient de nous être faite, aurait probablement inclus dans sa position constitutionnelle, dans ses revendications constitutionnelles, l'agriculture, comme il a inclu l'immigration.

À ce moment, il se serait présenté à Ottawa, au lac Meech en l'occurrence, face aux autres provinces et au gouvernement fédéral, et il aurait négocié, discuté, avec les autres provinces et le gouvernement fédéral pour faire en sorte que l'on tienne compte de l'agriculture et qu'en particulier, en matière de programmes fédéraux agricoles, on puisse obtenir une pleine compensation, le droit de retrait inconditionnel comme c'est réclamé par l'UPA présentement. Mais, comme ce n'a pas été le processus choisi et privilégié par le gouvernement, on se retrouve avec une entente conclue par les onze premiers ministres. Et puis là, devant le témoignage de l'UPA et des agriculteurs, le gouvernement ne l'avouera pas, mais il vient de se rendre compte qu'il a oublié l'agriculture. Cela ne m'étonne pas, remarquez, du gouvernement libéral parce qu'on le connaît. On connaît sa méconnaissance traditionnelle en matière agricole. Mais ils l'ont oubliée, l'agriculture. Ils viennent de s'en rendre compte. Je suis convaincu que le ministre vient de se rendre compte qu'il a oublié l'agriculture. Mais si cet oubli avait eu lieu au début d'un processus comme je viens de le mentionner tantôt, la gravité de cet oubli aurait été moins grande. Maintenant, on est obligé de constater que l'on se trouve devant un oubli grave de la part du gouvernement libéral, peut-être probablement irréparable. Alors, voilà, M. le Président, ce que je tenais à dire. Mes remarques portaient sur le processus. Si on avait enclenché un véritable processus démocratique, ouvert, à partir d'une position connue de la part du gouvernement, probablement qu'on n'aurait pas connu cette situation.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le député de Lac-Saint-Jean. M. le ministre.

M. Rémillard: Oui. Alors, M. Proulx, pour terminer, je voudrais vous dire que je suis particulièrement heureux de vous entendre parce que vous représentez des gens qui exercent un métier spécialement noble, celui de fournir des matières premières pour la nourriture. Je crois que c'est un métier particulièrement noble, d'autant plus qu'il a joué un rôle très important dans l'évolution de la société québécoise. C'est dans ce contexte, M. le président Proulx, que j'aurais bien aimé avoir le sentiment de vos membres sur le fait que l'entente du lac Meech va consacrer, pour la première fois dans la constitution, le fait que le Québec

est une société distincte, et que le gouvernement et l'Assemblée nationale auront maintenant le rôle de protéger et de promouvoir cette société distincte qu'est le Québec.

J'aurais aimé vous entendre sur la Cour suprême, la formule d'amendement, le droit de veto, sur ces aspects. Nous vous avons entendu sur le pouvoir de dépenser. Ce que je voudrais simplement vous rappeler sur le pouvoir de dépenser, c'est que ce pouvoir s'applique dans des cas d'exclusivité. L'agriculture est un domaine de compétence partagée. Vous nous avez soulevé beaucoup de cas qui posent problème. Nous sommes particulièrement conscients de ces problèmes, M. Proulx. Cependant, c'est un réaménagement des compétences législatives qu'il va falloir faire. Ce réaménagement, il va falloir le faire dans un deuxième "round" de négociations constitutionnelles parce que, dans un premier temps, nous avons demandé cinq conditions pour adhérer à la constitution canadienne.

Dans un deuxième temps - cela aussi fait partie de nos conditions - il y aura un "round" de négociations qui impliquera des aspects concernant le partage des compétences législatives. De fait, nous savons que dans le domaine de l'agriculture et d'autres sujets connexes... Le chef de l'Opposition a parlé de l'environnement. On peut parler du partage des compétences en matière de commerce également. Alors, voilà un sujet qui devra être traité et discuté pour qu'on ait un partage équitable et que le Québec puisse avoir son propre plan de développement agricole et que cela soit au bénéfice de ses agriculteurs et de sa société québécoise. Cependant, lorsqu'on nous dit, lorsque nos amis d'en face nous disent qu'on a oublié l'agriculture, je voudrais leur dire qu'il faudrait qu'ils me disent où ce sujet se retrouve directement impliqué dans le projet d'entente constitutionnelle, où on fait une étude détaillée de ce problème de l'agriculture. Alors, dans un cas comme celui-là, M. le président Prouix, ce que je peux vous dire, c'est qu'il s'agit dans un premier "round" de préciser une stratégie qui va nous permettre de limiter la portée du pouvoir de dépenser du fédéral, mais aussi dans un deuxième "round", de faire en sorte que le partage des compétences législatives puisse se faire pour qu'il y ait respect et meilleure coordination entre les deux niveaux de gouvernement en ce qui regarde l'agriculture.

Je voudrais terminer en vous disant que je vous remercie de votre présence ici, ce soir. Vos remarques sont venues, je pense, compléter une réflexion, qui, pour ma part, m'amène à dire qu'il faut limiter le pouvoir de dépenser mais il faut aussi, bien sûr, s'attarder sur ce partage des compétences législatives en matière d'agriculture, qui est partagé entre deux niveaux de gouvernement et qui pose plusieurs problèmes. Je vous remercie, messieurs.

Le Président (M. Filion): Merci, M. le ministre.

M. Johnson (Anjou): Je voudrais également remercier M. Proulx et les gens de l'UPA qui l'accompagnent, encore une fois pour la qualité et la clarté de leur mémoire et de leur présentation, en étant conscient que c'est sûrement la clarté de leur exposé qui a fait qu'on n'a pas eu besoin de leur poser beaucoup de questions. Merci, M. Proulx.

Le Président (M. Filion): Donc, à mon tour, au nom des membres de cette commission, M. Proulx, M. Duthel et également M. le secrétaire, de vous remercier de vous être déplacés à une heure aussi tardive. Sachez que nous avons apprécié, à la fois, la qualité de votre mémoire, ainsi que la collaboration que vous avez démontrée lors de nos discussions. Nos travaux sont donc ajournés à dix heures demain matin. Merci.

(Fin de la séance à 23 h 19)

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