(Quinze heures trois minutes)
Le
Président (M. Bernier) : À l'ordre, s'il
vous plaît. Donc, ayant constaté le
quorum, je déclare la séance de la Commission
des finances publiques ouverte. Et, bien sûr,
je demande à toutes les personnes
dans la salle d'éteindre la
sonnerie de leurs téléphones cellulaires.
Mémoires
déposés
Avant de
débuter, je désire déposer deux mémoires concernant l'étude détaillée du projet de loi n° 88 qui s'est terminée la semaine dernière.
M. le secrétaire, je vous remets ces documents.
La commission
est réunie afin de poursuivre les consultations
particulières et les auditions publiques dans le cadre de son
mandat d'initiative portant sur le phénomène du recours aux paradis fiscaux.
Y a-t-il
consentement afin de permettre, M. le secrétaire, des remplacements? Est-ce
qu'il y a consentement? Oui.
Le Secrétaire : Oui.
M. Bonnardel (Granby) est remplacé par M. Martel (Nicolet-Bécancour).
Le Président (M. Bernier) :
Merci beaucoup.
Une voix : ...
Le
Président (M. Bernier) : Bien, moi, je vous donne le
consentement de participer, M. le député. Vous pensiez que Jean-Denis ne
voudrait pas? Bien non, ça nous fait plaisir que vous participiez à cette
commission parlementaire.
Donc, cet
après-midi, nous allons recevoir les représentants de PricewaterhouseCoopers,
Deloitte et Ernst & Young.
Auditions (suite)
Donc, je vous
souhaite la bienvenue, M. Pierre Lessard et M. Eric Labelle, ça nous
fait plaisir que vous participiez à
cette commission. Pour les fins d'enregistrement, je vous demande de bien
vouloir vous présenter lorsque vous prenez la parole. Je vous rappelle
que vous allez disposer de 15 minutes pour votre exposé, par la suite nous
procéderons à des échanges avec les parlementaires.
M. Merlini : M. le Président.
Le Président (M. Bernier) : Oui?
M. Merlini : Je fais motion qu'on
puisse assermenter nos invités.
Le
Président (M. Bernier) : Oui, je reçois cette motion. Donc, j'invite
donc M. le secrétaire à procéder à l'assermentation
des témoins, conformément à l'article 52 de la Loi sur l'Assemblée
nationale. Donc, je vous demande de vous lever et de lire à haute voix
la déclaration qui vous sera fournie.
Assermentation de M.
Eric Labelle
M. Labelle (Eric) : Je, Eric
Labelle, déclare sous serment que je dirai toute la vérité et rien que la
vérité.
Assermentation de M.
Pierre Lessard
M. Lessard
(Pierre) : Je, Pierre Lessard, déclare sous serment que je
dirai toute la vérité et rien que la vérité.
Le
Président (M. Bernier) : Je vous remercie, messieurs. Vous bénéficiez donc de l'immunité pour votre témoignage.
Vous pouvez commencer, et la parole est à vous pour une période de
15 minutes. Merci.
PricewaterhouseCoopers
M. Lessard (Pierre) : Alors, M. le
Président et membres de la commission, permettez-moi d'abord de nous présenter. Mon nom est Pierre Lessard, associé au
sein de PwC Canada et membre du groupe de fiscalité depuis plus de
30 ans, dont 10 ans en tant que responsable de la pratique fiscale
pour les régions du Québec et de l'Est du Canada. À mes côtés, M. Eric
Labelle, également associé de PwC Canada et responsable de notre
service de fiscalité internationale au Québec.
D'abord,
nous tenons à mentionner que nous respectons le travail de la commission,
de son président et de ses membres.
Notre refus de nous présenter le 12 mai dernier tenait au fait que, pour représenter
les vues de la profession comptable,
il était primordial pour nous que les quatre grands cabinets soient présents.
Dans le cas contraire, nous étions d'avis
que le meilleur organisme pour représenter la profession était l'Ordre des CPA
du Québec. Cet enjeu est derrière nous, et nous
participons aux travaux de la commission.
Au cours des prochaines minutes, nous allons
couvrir les points suivants : qui sommes-nous, l'évolution de la législation
fiscale internationale au Canada et les enjeux actuels.
D'abord,
qui sommes-nous? Nous sommes ici à titre de représentants de PwC Canada, membre du réseau international de PwC. Ce réseau est composé de
sociétés membres, chacune distincte
sur le plan juridique. PwC est présent dans
157 pays. Au Québec, PwC Canada emploie 915 personnes, incluant
79 associés et 836 membres du personnel. Fort d'une expérience de plus de 100 ans d'excellence
au Québec, PwC Canada fournit des services d'audit et certification,
services-conseils et services fiscaux à des sociétés ouvertes et fermées
oeuvrant dans des secteurs d'activité variés.
Notre mission
est de préserver la confiance du public et de résoudre des problèmes complexes.
Nous accompagnons les entreprises
et les individus dans la création de valeur ajoutée en leur fournissant des
services de haute qualité. Notre mission
s'articule autour de trois valeurs fondamentales, soit l'excellence, l'esprit d'équipe et le
leadership. Nous agissons en
conformité avec la législation, les normes professionnelles et la réglementation au Canada, ainsi qu'avec les politiques internes du cabinet. De plus, PwC a adopté
un code de conduite qui régit nos valeurs et fournit un cadre pour la prise de
décision éthique, dans le respect de chacun.
Toutes les sociétés membres du réseau international de PwC se sont engagées à respecter ce
code de conduite global.
Nous évoluons
dans un environnement où les pays mettent en place des lois et
concluent des conventions avec d'autres
pays afin de déterminer les modalités d'imposition des entreprises
et des contribuables. Ces lois sont interprétées par les contribuables,
les autorités fiscales et parfois, en dernier ressort, par les tribunaux.
Il est admis
que les contribuables ont le droit de gérer leur fiscalité dans les limites
autorisées par la loi. Cependant,
en raison de la dimension internationale du monde des affaires ainsi que de la complexité et des priorités
différentes des lois nationales, il n'est pas toujours évident de
définir des principes clairs.
En plus du
code de conduite dont je viens de vous parler, les entités membres du réseau
PwC ont adopté, en 2005, le
code de conduite en matière fiscale. Ce code spécifie que les membres du réseau
PwC ne travaillent qu'avec des clients qui
démontrent une légitimité forte et une très grande intégrité dans leurs activités
opérationnelles et financières. Avant d'accepter
un nouveau client ou de continuer à travailler avec des clients existants, les
membres de notre réseau vérifient que le client en question
a l'intention de respecter ses obligations juridiques et réglementaires en matière fiscale.
• (15 h 10) •
Nos conseils
fiscaux s'appuient sur des fondements de droit fiscal et s'accompagnent d'une
discussion sur les risques plus largement impliqués, incluant les
aspects économiques, commerciaux et de réputation. PwC propose ou recommande la mise en oeuvre de solutions
uniquement si celles-ci satisfont le cadre légal et nos règles du code de
conduite fiscal. Tous nos associés et membres du personnel doivent
appliquer les principes de ce code dans leurs activités d'affaires.
Alors, le deuxième point consiste en l'évolution
de la législation fiscale internationale au Canada. De façon générale, la fiscalité est une discipline qui est
pratiquée dans trois domaines bien définis : la conformité fiscale, qui
consiste à garantir le respect des
obligations du contribuable, la planification fiscale, qui cherche à maximiser la position
fiscale des contribuables, et le litige fiscal, qui consiste à résoudre
les différends entre les contribuables et les autorités fiscales.
Il est
nécessaire de distinguer la planification fiscale de l'évasion fiscale. La première sera
réalisée dans le cadre de
transactions d'affaires véritables et consistera à maximiser la position
fiscale du contribuable conformément
à la loi. La seconde, soit
l'évasion fiscale, est une opération illégale que PwC condamne vigoureusement.
Il est admis
que la fiscalité est un domaine d'activité d'une grande complexité. Les gouvernements s'en servent non seulement pour prélever les sommes requises
pour assurer les services publics, mais aussi pour redistribuer la richesse,
influencer les comportements et structurer l'économie. La complexité des lois
fiscales est aussi grandement tributaire de
la volonté des gouvernements d'assurer l'équité, la neutralité, l'intégrité
et la compétitivité du régime fiscal.
Cette
complexité fait en sorte que la ligne est mince entre une planification fiscale légitime et une planification
fiscale dite agressive. Les autorités fiscales ont constaté des abus à la loi,
ce qui a amené le gouvernement fédéral à introduire
une règle générale antiévitement en 1988 et le gouvernement du Québec à
mettre en place, en 2009, des règles visant à contrer les planifications
fiscales agressives.
Maintenant, dans le contexte de la commission,
il est important de définir ce qu'est un paradis fiscal. Notre définition s'apparente à celle de l'OCDE. Cette
définition repose sur trois critères qui visent à déterminer si un pays est
considéré un paradis fiscal, soit un taux d'imposition
bas ou nul, une absence de transparence et une administration fiscale
non collaborative à l'échange de renseignements.
Il est
important de noter que le Canada a signé, depuis 2009, 23 ententes d'échange d'information, dont 22 sont en vigueur. Le Canada est en négociation avec sept autres pays, de sorte que le nombre d'ententes sera bientôt de 30. Parmi ces pays, on note les Bermudes, les Bahamas et les
îles Caïmans. Or, la plupart de ces pays ont une fiscalité très avantageuse,
et on parle même de taux d'impôt de 0 %
pour plusieurs d'entre eux. Le ministre des Finances du Canada a
décidé d'offrir à ces pays le même
statut privilégié qui est offert aux pays qui ont une convention fiscale avec
le Canada. Par
exemple, une société qui gagne un revenu d'entreprise exploitée activement aux Bermudes pourra verser un dividende à sa société mère
au Canada qui ne sera assujetti à aucun impôt
supplémentaire. En échange de ce statut privilégié, le pays concerné devra collaborer avec le Canada
et lui fournir des renseignements si le Canada le lui demande. Toutefois, on comprend que, dans le langage
populaire, la notion de paradis fiscal semble plutôt faire référence à un pays
où la fiscalité est plus avantageuse par rapport à un autre.
Maintenant,
il est important de discuter des règles relatives aux investissements des sociétés canadiennes à l'étranger.
Le
système de fiscalité actuel applicable aux sociétés étrangères affiliées
est en vigueur depuis plusieurs années. Depuis
1987, en dépit de nombreuses propositions de modification au régime, celui-ci n'a pas fait l'objet de
réforme. Il exempte d'imposition au Canada
les revenus provenant d'entreprises exploitées activement dans les pays
conventionnés et ceux avec lesquels
le Canada a conclu une entente d'échange d'information. Les
revenus passifs sont imposés sur une base de comptabilité d'exercice.
Dans
son budget de 2007, le gouvernement
fédéral avait introduit une disposition, soit celle de l'article 18.(2)
de la Loi de l'impôt sur le revenu, visant à
empêcher la double déduction de certains frais d'intérêt sur des fonds
empruntés pour investir dans une
société étrangère affiliée. Cette
annonce avait été mal accueillie par les entreprises canadiennes
oeuvrant à l'étranger, car elle affectait leur compétitivité sur la scène internationale.
Deux
mois plus tard, le gouvernement fédéral retirait temporairement cette disposition, et, en novembre 2007, le ministre
des Finances annonçait la création
d'un groupe consultatif dont le mandat était, entre autres, de recommander
des façons d'améliorer la compétitivité, l'efficacité et l'équité du régime fiscal international canadien. En décembre 2008, le groupe consultatif
remettait son rapport, et, bien qu'il reconnaissait d'emblée qu'une telle
recommandation pouvait avoir un effet de surprise chez certains
observateurs, recommandait de ne pas réintroduire l'article 18.(2).
Bien
que certains pays aient instauré des règles qui refusent expressément le
bénéfice des déductions multiples, le
ministre des Finances confirmait le retrait définitif de l'article 18.(2)
à l'occasion de son budget du 27 janvier 2009. Environ deux mois
plus tard, la ministre des Finances du Québec annonçait aussi le retrait
définitif de la disposition québécoise
correspondante. Ce retrait confirmait l'avancée des sociétés multinationales
canadiennes à l'effet que le système actuel
leur permet de demeurer compétitives sur la scène internationale. Il est
important de noter qu'il ne réduit en rien l'assiette fiscale
canadienne.
Finalement,
au niveau des enjeux actuels, aujourd'hui le terrain de jeu des sociétés
multinationales québécoises est
planétaire. Les entreprises font des affaires partout, et le système de
taxation ne s'est pas adapté pour faire face à cette nouvelle réalité.
De fait, nous sommes face à une crise internationale en matière de taxation.
Pascal Saint-Amans, de l'OCDE, a affirmé que
le système est brisé, et nous sommes en accord avec lui. L'initiative BEPS et
son plan d'action en 15 points mis de l'avant par l'OCDE ne font que
démontrer l'énormité de la tâche qui nous attend.
Pendant
que l'OCDE poursuit son travail, on observe toutefois que les gouvernements à
travers le monde continuent de faire
preuve de créativité pour déployer de nouveaux incitatifs fiscaux.
Conséquemment, la compétition entre les diverses régions du globe a créé un système où les allégements fiscaux ou encore
le report de l'impôt à payer sont utilisés pour attirer les entreprises, et à
ce chapitre le Québec ne fait pas exception à la règle. Les parties prenantes — gouvernements, institutions internationales, entreprises
multinationales et conseillers fiscaux — doivent travailler de concert pour trouver
des solutions.
Parmi
les éléments de solution, notons la nécessité d'une plus grande transparence en
ce qui a trait à l'information reliée
à la planification fiscale. Déjà, plusieurs mesures existent, telles que les
formulaires T106, T1134 ou T1135, qui fournissent de l'information
additionnelle au gouvernement.
Le
Canada vient de souscrire à la recommandation de l'OCDE en mettant en place un
régime de déclaration pays par pays, communément appelé «country-by-country
reporting», et nous sommes d'avis qu'il s'agit d'un élément qui ajoutera
à la transparence souhaitée.
Finalement, il faut
se rappeler que la dépense d'impôt à l'État des résultats d'une entreprise
représente entre 20 % et 40 % de
son profit avant impôt et que les dirigeants ont le droit de planifier leurs
affaires afin de gérer cette dépense d'impôt
au même titre que toute autre dépense. L'utilisation de la planification
fiscale respectant la loi fait partie des tâches des dirigeants d'entreprise, et ils n'ont pas d'autre option que de le
faire pour demeurer compétitifs et pour favoriser leur expansion au pays
et à l'étranger.
En
conclusion, PwC appuie et encourage le travail de votre commission. Vos
recommandations auront un impact dans l'élaboration des politiques
fiscales futures.
Nous aimerions vous
suggérer quelques pistes de solution.
D'abord,
s'assurer d'obtenir des données adéquates. Nous recommandons l'octroi à un
organisme indépendant d'un mandat
d'étudier la situation en profondeur et de s'assurer de colliger l'information
pertinente. L'écart entre les recettes fiscales
prévues et réelles des gouvernements est très important, et il faut déterminer
les causes de cet écart, par exemple déterminer quelle partie provient
du travail au noir comparativement à celle provenant des planifications
fiscales agressives. Afin de poser les bons
gestes et d'établir les politiques adéquates, le gouvernement doit savoir
quelles cibles privilégier.
Deuxièmement,
favoriser la transparence dans l'échange d'information entre les pays. Nous
vous encourageons à supporter
l'initiative du gouvernement fédéral dans la mise en place de mesures reliées à
la déclaration pays par pays.
Troisièmement, ne pas faire de geste de façon unilatérale. Il
est important de minimiser les disparités entre les législations
des différents pays. Une meilleure uniformisation entraînera une meilleure
conformité.
Et
finalement ne pas augmenter l'impôt au-delà d'un seuil
psychologique acceptable. Le régime fiscal québécois doit demeurer
compétitif afin d'encourager les entreprises à venir s'établir ici, pour assurer la
prospérité de l'économie du
Québec.
Merci pour l'écoute.
Nous sommes maintenant prêts à répondre à vos questions.
• (15 h 20) •
Le
Président (M. Bernier) : Merci, M. Lessard, de votre présentation,
nous apprécions. Donc, nous allons donc
passer aux échanges avec les parlementaires. M. le
député de La Prairie, est-ce que c'est vous qui débutez? Ou M. le député de Trois-Rivières, oui.
M. Girard :
Combien de temps, M. le Président?
Le Président (M.
Bernier) : On a environ une vingtaine de minutes.
M.
Girard : Une vingtaine de
minutes. Merci beaucoup, M. le
Président. Merci beaucoup, messieurs. Merci d'être ici avec nous.
Vous
n'êtes pas sans savoir que nous avons eu de vos compatriotes qui vous ont
précédés, avec lesquels nous avons discuté,
et effectivement j'ai eu des bonnes discussions avec eux. On parle
beaucoup de planification fiscale, planification
fiscale agressive, évasion fiscale et
évitement fiscal, on a tous nos définitions et... L'important, c'est de comprendre comment on
fait pour pouvoir éviter de payer de l'impôt au Canada et au Québec
et quelles sont les stratégies et les stratagèmes qui nous amènent à nous permettre, comme
entrepreneurs ou comme contribuables, à ne pas payer les impôts que l'on
devrait payer. Que l'on appelle ça de
l'évasion fiscale, de l'évitement ou une planification fiscale
agressive, le résultat est le
même : il y a un manque à gagner pour le Québec, pour le Canada.
Vous
mentionnez... Dans vos recommandations, vous parlez de l'écart entre les recettes
fiscales prévues et réelles des gouvernements, qui est très important, et il faut donc «déterminer les causes de cet
écart. Par exemple, déterminer quelle partie provient du travail
au noir comparativement à celle
provenant des planifications fiscales agressives.» Donc, je comprends que vous admettez qu'il y a
au Québec des planifications fiscales agressives. Jusqu'à maintenant,
on n'a pas vu personne qui en fait,
des planifications fiscales agressives, tout le monde dit : On n'en fait pas, on ne touche pas à ça, on est selon les règles, et tout. Là, on nous dit carrément
que probablement ça vient de planifications fiscales
agressives. Moi, j'aimerais bien savoir c'est qui, les gens au
Québec qui font des planifications fiscales agressives pour permettre à
certains contribuables de ne pas payer leurs impôts.
Le Président (M.
Bernier) : M. Lessard.
M. Lessard (Pierre) : Oui. Comme j'ai dit dans mon texte, le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec ont légiféré pour adopter, par exemple, au fédéral, la règle générale antiévitement et, au Québec,
les règles concernant les planifications fiscales agressives. Donc, je suis d'accord
avec vous, ça doit se faire. Maintenant, le cabinet PwC ne fait pas ce type de planification,
autant dans l'évasion fiscale que de la planification fiscale agressive.
J'aimerais,
au niveau de la sémantique, qu'on puisse entendre que
l'évasion fiscale, c'est illégal, la planification
fiscale agressive est une planification qui peut respecter la lettre de la loi mais non son esprit, et on a une
planification fiscale
légitime, et cette planification légitime, elle est permise au contribuable.
Alors,
chez nous, on a un code d'éthique qui est très strict. On va travailler à l'intérieur des lois, on va travailler à
l'intérieur... avec les faits et
circonstances applicables à chaque client. On va développer des solutions qui
lui permettent de maximiser sa position fiscale à l'intérieur du cadre
des lois prévu.
On a également chez
nous une politique de gestion de risques, et voici comment ça fonctionne :
on fait une planification, l'associé A prépare, l'associé B la révise, et au
besoin on a un comité des politiques qui va revoir la planification afin de
s'assurer qu'on respecte la loi et qu'on ne franchit pas la ligne des planifications fiscales agressives. Alors,
c'est la façon dont on fonctionne, de façon à s'assurer que les conseils que
nous donnons à nos clients sont à
l'intérieur de la loi en tout temps.
Le Président (M.
Bernier) : Merci. M. le député de Trois-Rivières.
M. Girard :
Donc, il y a probablement des planifications fiscales agressives qui se font,
mais le défi, c'est de trouver où elles se font, parce qu'il n'y pas un cabinet
qui se respecte qui en fait, en tout cas de ce qu'on entend.
Moi,
je suis un entrepreneur, j'ai
plusieurs entreprises, je cherche une façon de pouvoir réduire mes impôts, de
façon légale autant que possible, je veux
réduire mes impôts, je vais commencer à magasiner des firmes qui vont pouvoir
m'aider à faire une meilleure planification
fiscale. Si moi, comme individu, je me dis : Bien, moi, je veux à tout
prix sauver de l'impôt, je suis prêt
à prendre les risques qu'il faut et je cherche vraiment la meilleure firme pour
m'aider, je cogne à plusieurs portes,
dont la vôtre... Ça doit arriver que les entrepreneurs, les gens des
entreprises vont frapper à votre porte, disent : Bien, moi, j'ai un comptable XYZ, j'ai des
conseillers XYZ et je cherche à améliorer ma situation. Quelle est votre
offre? Comment vous pouvez m'aider? Qu'est-ce qui vous démarque des autres
firmes? Comment vous considérez... Qu'est-ce
qui vous rend plus attrayants? Et, vu que vous ne faites pas de planification
fiscale agressive, bien, moi, je vais dire :
Bien, si vous n'êtes pas en mesure de me faire sauver de l'impôt, je vais aller
ailleurs. Comment vous faites pour attirer vos clients et garder vos
clients chez vous?
M. Lessard (Pierre) : C'est une excellente question. À l'intérieur de la planification
fiscale légitime, il y a une panoplie
d'actions qui peuvent être accomplies. Ce que nous vous disons, c'est que, si
vous venez chez nous, vous cognez à
notre porte et vous nous demandez de participer à quelque planification que ce
soit qui est dans le cadre d'une évasion fiscale ou d'une planification
fiscale agressive, nous allons refuser de le faire.
J'aimerais
bien être clair avec tous les membres de la commission ici. PwC, son plus grand
actif, c'est PwC, c'est notre marque
de commerce, c'est notre nom. Il n'y a pas un client, il n'y a pas un mandat,
il n'y a pas un honoraire assez gros pour qu'on tombe dans l'illégalité.
Alors, je ne
sais pas où ça se fait, mais ça ne se fait pas chez nous. On ne mettra pas tout
ça à risque pour quel que soit l'honoraire.
Le Président (M. Bernier) :
Merci. M. le député de Trois-Rivières.
M. Girard : Merci, M. le Président.
À la page 3 de votre intervention, vous parlez, entre autres, de ce qui
est considéré comme un paradis fiscal :
un taux d'imposition qui est bas ou voire même nul, une absence de
transparence, une administration
fiscale non collaborative à l'échange de renseignements, bien sûr, avec
d'autres pays. Si c'est un paradis fiscal,
donc, c'est un endroit où on va faire éventuellement une planification fiscale
agressive ou on va tenter de faire de l'évitement
fiscal. Y a-t-il des pays, à votre connaissance, des endroits à travers le
monde qui ont des taux d'imposition bas ou nuls, qui ont une absence de
transparence et/ou qui ont une à une administration fiscale non collaborative?
M. Lessard (Pierre) : Je vais
laisser la parole à Eric pour répondre à cette question.
Le Président (M. Bernier) :
M. Labelle, qui est associé chez... C'est simplement pour fins
d'enregistrement. Simplement vous nommer, M. Labelle.
M. Labelle
(Eric) : Eric Labelle, PwC.
Pour répondre à votre question, la définition, telle qu'on l'a défini dans
l'OCDE, je vous dirais que, depuis quelques
années, du moins, vis-à-vis le Canada, il y a une des conditions qui a tombé.
Quand on parle de la condition où il n'y aura pas d'échange d'information... On
vous a dit dans notre texte que, depuis
2009, on a maintenant 22 ententes d'échange d'information. Parmi ces pays,
on retrouve Guernesey, Jersey, les îles Caïmans, les Bahamas. Ce sont
tous des pays où on a une fiscalité à zéro.
Maintenant,
vous avez dit tantôt que c'est des pays, parce que c'est un paradis fiscal, où
nécessairement on va faire de
l'évasion fiscale. Ce n'est pas vrai. Si... On peut avoir un client qui va se
construire un hôtel aux Bahamas, on va pouvoir
l'accompagner, se créer une filiale là-bas, puis il va bénéficier du régime
favorable fiscal canadien. Mais ces pays-là, maintenant, ont des
échanges d'information avec le Canada.
Donc, des pays qui sont encore opaques, je vous
dirais qu'il en reste très peu. Le Canada est en négociation, présentement,
avec sept autres pays, puis la porte sur l'opacité est en train de se refermer
de façon très rapide.
Le Président (M. Bernier) :
Merci. M. le député.
• (15 h 30) •
M.
Girard : Si je comprends bien, vous me dites qu'à votre connaissance
les entreprises qui ont, pour x raisons, une compagnie à numéro... Parce qu'on sait qu'il y a des entreprises
que, si on regarde l'organigramme, ça devient un spaghetti qui est assez difficile à comprendre. On a plusieurs entités,
propriétaires d'entités qu'on rajoute des fiducies familiales dans ça, etc. Et vous me dites que, si
une entreprise fait affaire dans un de ces pays, c'est qu'elle a vraiment...
bon, on veut se bâtir un hôtel, veut se
construire quelque chose. Moi, j'ai des doutes. Je crois sincèrement qu'il y a
des entreprises canadiennes qui sont
enregistrées dans ce genre de pays et qui n'ont pas vraiment d'activités... ou,
s'ils ont des activités, c'est relativement minime.
Est-ce qu'on est en mesure... Est-ce que c'est quelque chose qui se fait, à votre connaissance, de pouvoir transférer de la profitabilité,
des profits des revenus faits au Canada vers d'autres juridictions par un système
de transfert de dividendes, d'actionnariat,
etc., pour être en mesure d'éviter de payer l'impôt, en ayant un tentacule
dans un de ces pays-là, sans toutefois avoir des opérations qui vont
être énormes dans ce pays-là?
M. Labelle (Eric) : Votre question
est bonne. Écoutez...
Le Président (M. Bernier) : M.
Labelle.
M. Labelle
(Eric) : ... — excusez-moi — nos
règles fiscales sont très, très bien faites, et je vous expliquerai tout à l'heure comment elles fonctionnent lorsqu'on fait affaire à l'étranger, on l'a abordé un petit peu, mais c'est impossible de réduire
l'assiette fiscale en faveur d'un paradis
fiscal et économiser de l'impôt. De la façon que nos règles
fonctionnent, c'est que, si une
compagnie canadienne, par exemple, incorpore une filiale à la Barbade et
qu'elle y verse des sommes, des
honoraires de gestion, des frais de recherche et développement ou autres, nos
règles, communément appelées revenus étrangers accumulés tirés de
biens — en
anglais, on parle de FAPI — fait
en sorte que la déduction de la compagnie canadienne
va être refusée, de sorte que le revenu gagné à la Barbade va être imposé au
Canada. Donc, on ne peut pas réduire
l'assiette fiscale de façon légitime en faveur d'un paradis fiscal.
L'inverse — je
pourrais vous expliquer — c'est faisable si on attaque le marché étranger.
Donc, une
société canadienne, en toute légalité, ne peut pas s'incorporer une filiale à
l'étranger et y verser des sommes,
parce que les sommes qui sont ainsi versées vont être automatiquement
imposables au Canada. Et, si on le fait comme il faut... Vous savez, il
y a des règles de transparence à respecter. Lorsqu'une société canadienne a une
filiale à l'étranger, elle est obligée de
produire un formulaire T1134. Dans ce formulaire-là, on indique la présence de
la société, le pays où elle est
située, on doit produire les états financiers. Donc, il y a une transparence.
Donc, une société qui ferait ce type d'arrangement
là légalement ne pourrait pas sauver d'impôt. Ils pourraient avoir d'autres
motifs, mais ils ne pourraient pas sauver d'impôt de façon légale.
Le Président (M.
Bernier) : Merci.
M.
Girard : On est entre nous, on se parle tous les deux. Vous me
dites : L'entreprise ne peut pas en toute légalité. Si on lit entre les lignes, dans l'illégalité, ça peut
se faire. Je sais que votre entreprise ne le fait pas. Vous êtes des experts.
Est-ce que c'est des choses que l'on peut
voir, qui vont être considérées illégales, mais qu'on ait des gens au Canada...
Parce qu'on a des manques à gagner au niveau
fiscal, on doit en avoir quelque part. Est-ce que, selon vous, ça se fait?
Oui, c'est peut-être illégal, mais est-ce
que ça se fait, qu'on transfère des revenus vers d'autres juridictions et que
l'on ne paie pas les impôts?
Le Président (M.
Bernier) : M. Labelle.
M. Labelle (Eric) : Je ne peux pas commenter sur ce que les autres font. On l'a dit, chez
PwC ce serait de l'évasion fiscale, on ne pourrait pas en faire.
Le Président (M.
Bernier) : Donc, à ce moment-là, ça devient strictement de l'évasion
fiscale.
M. Labelle (Eric) : À moins qu'on ne déclare les revenus. Donc, il peut y avoir un motif
commercial d'avoir une société à
l'étranger, puis on verse des sommes, mais, si on s'impose puis on respecte les
règles de FAPI, on le fait dans la légalité des choses.
Mais,
si quelqu'un venait chez nous pour vouloir mettre de l'argent à l'étranger,
vider une compagnie canadienne en faveur
d'une compagnie à l'étranger, sans respecter les règles de FAPI, on ne peut pas
faire la transaction. On ne la fera pas.
Le Président (M.
Bernier) : Merci. M. le...
M.
Girard : Merci, M. le Président. Bien, j'ai hâte qu'on puisse trouver
comment les gens fonctionnent et avec qui
ils travaillent, parce qu'il n'y a personne qui travaille à l'étranger, mais on
sait qu'il y a des impôts qui se perdent.
Ma dernière question,
et je vais ensuite laisser la parole à mon collègue. Vous êtes des experts,
vous semblez vouloir — puis je vous crois aussi — travailler avec le gouvernement, dire...
bon, vous donnez des recommandations, et tout. On sait que c'est
complexe. On a vu avec d'autres intervenants que la loi de l'impôt a commencé
ça d'épais, et aujourd'hui c'est rendu ça
d'épais. Plus il y a de restrictions et plus c'est compliqué, plus c'est votre
travail de trouver, entre guillemets,
les failles pour sauver de l'impôt, dans la légalité mais pour sauver de
l'impôt. Seriez-vous prêts à travailler avec le gouvernement, et, quand on voit une faille, au lieu d'en faire
bénéficier un client, de dire : Revenu Canada, Revenu Québec, il y a une faille là, et il y a
beaucoup de clients qui réussissent à sauver de l'impôt à cause de telle
faille? Vous êtes les experts, vous
êtes probablement ceux... les premiers à voir comment pouvoir s'insérer dans
les craques de plancher, qu'on
pourrait dire, pour vraiment sauver de l'impôt. Seriez-vous prêts à aller
jusqu'à vous asseoir avec l'Agence du
revenu du Canada ou avec Revenu Québec pour être capables de trouver ces
failles-là, pour améliorer le système fiscal, pour réduire l'évitement
fiscal?
Le Président (M.
Bernier) : M. Labelle.
M. Labelle (Eric) : Je vous dirais qu'en termes de fiscalité internationale l'ARC, il y a
quelques années, là, on l'a dit, a eu
un comité consultatif où on a questionné tous les experts à travers le Canada
pour la fiscalité canadienne, internationale vis-à-vis le Canada. Donc, nos règles ont été analysées, le fameux
article 18.(2) auquel on faisait référence a été analysé, c'est
connu, et on a déterminé que ça donnait un avantage compétitif à nos sociétés
canadiennes.
Donc, nous, les experts, on contribue de façon
quotidienne avec l'Agence du revenu, avec vous, puis ce qu'on fait,
c'est connu, donc, ce n'est pas secret. Puis, oui, on va vous aider autant
qu'on peut.
Le Président (M.
Bernier) : Merci. M. le député de La Prairie.
M.
Merlini : Merci beaucoup, M. le Président. Merci, messieurs, pour votre présentation. Vous
faites honneur à votre firme.
J'aimerais
revenir sur quelques paragraphes qui m'ont vraiment frappé l'imaginaire.
«Il est admis — ça, c'est à la page 2 — que les contribuables ont le droit de gérer leur fiscalité dans
les limites autorisées par la loi. Cependant, en raison de la dimension internationale du monde des affaires ainsi que de
la complexité et des priorités différentes des lois nationales, il n'est
pas toujours évident de définir des principes clairs.»
Qu'est-ce
que vous entendez par des principes clairs? Et, selon vous, selon votre
expertise, chez PwC, quels seraient des
exemples de principes clairs qui faciliteraient votre travail et le nôtre,
évidemment, aller chercher, là, ce qu'il nous manque en recettes?
Le Président (M.
Bernier) : M. Lessard.
M. Lessard (Pierre) : Oui, Pierre Lessard. La difficulté qu'on a
surtout, c'est quand on rentre dans la disparité des différentes législations entre les pays, quand on parle de
planification à l'étranger. Alors, différents pays compétitionnent pour attirer les entreprises chez elles et offrent
une panoplie d'avantages. Certains pays, on va offrir des allègements de taux.
Certains pays, on va offrir des allègements
pour la détention de propriété intellectuelle ou même, comme au Québec, on va
essayer de favoriser, par exemple, la recherche et développement.
Ces
disparités et ces façons de fonctionner entre les pays font en sorte que ça
ouvre des brèches, et ça permet, à ce
moment-là, aux contribuables d'en prendre avantage. Donc, c'est important pour
vous autres de vous assurer qu'on maintient
une uniformité d'action entre les différents gouvernements, pour être capable
d'uniformiser le plus possible les législations.
Le Président (M.
Bernier) : Merci. M. le député.
M.
Merlini : Merci. «PwC propose ou recommande la mise en oeuvre de
solutions uniquement si celles-ci satisfont le cadre légal et nos règles du code de conduite fiscal.» Alors, est-ce
que c'est une, comment je pourrais dire... ça devient une obligation? Autrement dit, si vous avez
quelque chose, vous avez une planification ou des solutions qui satisfont le
cadre légal mais qui ne rencontrent pas
votre code, qu'est-ce que vous faites à ce moment-là? C'est comme quand vous
faites la recherche de clients et vous dites... S'ils demandent, comme disait
mon collègue, une planification fiscale agressive,
vous dites : Non, ça, ce n'est pas pour nous, on ne le fera pas. Mais là,
quand vous arrivez dans des solutions puis là vous dites : Elles
doivent satisfaire le cadre légal et nos règles...
M. Lessard (Pierre) : ...un pléonasme, en fait. Les règles légales et notre code d'éthique,
notre code d'éthique nous demande d'agir à l'intérieur des règles et des
règlements des diverses juridictions dans lesquelles on oeuvre.
M. Merlini :
Votre code de conduite fiscal, il est le même à travers toutes les branches de
PwC?
M. Lessard (Pierre) : Il s'applique au niveau global. Il date de 2005. En fait, on a été la
première firme à mettre en place un code de conduite en matière fiscale,
en 2005.
M.
Merlini : Et ça doit être difficile parce que, lorsque... Je reviens
au paragraphe précédent. Quand on dit qu'il n'est pas toujours évident de définir des principes clairs, au moins
votre code de conduite, lui, il est clair à travers toutes vos filiales.
Mais là l'application des règles légales diffère...
M. Lessard
(Pierre) : Entre les différents pays, les règles sont différentes...
M. Merlini :
Les règles sont différentes.
M. Lessard
(Pierre) : ...et il faut se conformer aux règles de chacun des pays où
nos clients font des affaires.
M.
Merlini : Votre première recommandation, à la fin, vous dites de
recommander à un organisme indépendant le mandat d'étudier la situation
en profondeur et de s'assurer de colliger l'information pertinente. Que
voyez-vous ou qui voyez-vous, je devrais
dire, dans cet organisme indépendant? C'est-u un organisme ou un regroupement,
disons, de chercheurs universitaires, ou des gens de l'industrie, ou...
Comment voyez-vous ça?
• (15 h 40) •
M. Lessard (Pierre) : C'est probablement un organisme indépendant. La difficulté qu'on a,
c'est que, dans les séances
antérieures, il y a un fameux chiffre, là, de 800 millions qui a été mis
de l'avant, et je le trouvais important. J'ai essayé de le réconcilier et j'ai trouvé le document de Luc Monty, le
sous-ministre des Finances, qui l'a remis au président de la commission au
29 septembre 2015, dans lequel on essaie d'estimer cet écart-là, et c'est
vraiment une estimation. Alors, si je
prends la façon dont il a défini... Et il l'a très bien fait, là, quand il fait
les parties qui sont reliées à la non-divulgation de revenus illégaux qui s'apparentent au travail
au noir, la non-divulgation des revenus illégaux qui est le crime organisé,
ainsi que la désobéissance aux règles et la fausse facturation, tout ça
regroupé sous le vocable d'évasion fiscale. C'est parfait, c'est exact, c'est très bien fait.
L'autre côté, c'est l'évitement. Alors, quand il vient le temps de faire son
calcul de 800 millions parce
qu'il devait tenter de l'estimer, si on va un peu dans le document, on voit
très bien qu'il dit qu'à part la
partie reliée au travail au noir, où le ministère des Finances a fait du
travail et l'estime à 3,9 milliards, la partie reliée aux deux
autres portions d'évasion fiscale, il n'est pas en mesure de l'estimer, pas
plus qu'il n'est en mesure d'estimer ce
qui vient de l'évitement fiscal. Dans un effort de donner des ordres de
grandeur, il se réfère à l'étude de Gabriel Zucman, qui est fonction d'une série d'hypothèses et d'algorithmes, et on arrive à déterminer qu'il y aurait
apparemment 300 milliards
de liquidités détenues par les particuliers dans les paradis fiscaux ou ce
qu'il appelle les centres financiers extra... extrafrontaliers — ça va aller mieux comme ça. Et donc... Et,
quand on fait le corollaire au Québec, on arrive à 47 milliards de
liquidités détenus par des individus qui seraient dans les paradis fiscaux, qui
généreraient un manque à gagner de 800 millions, par les individus, à ce
moment-ci, soit 800 millions juste au niveau des individus. Moi, des
milliardaires, au Québec, là, je n'en
connais pas bien, bien, là. On va peut-être se rendre à 12, si on cherche, mais
on n'en a pas des tonnes, là. Alors,
à partir de là, je trouve le chiffre important. Je ne dis pas qu'il n'est pas
exact, mais il est important. Et, même
si on prenait le 1 % des contribuables, qui représenterait peut-être
60 000, 65 000 contribuables au Québec qui sont supposément très riches, il faudrait que chacun
d'eux ait 700 000 $ dans les paradis fiscaux. Alors, s'il y avait
65 000 personnes qui faisaient ça, là, on saurait tous qui
fait ça, je pense qu'on saurait tous qui fait ça.
Aussi, une autre chose qui est
importante, c'est que, quand vient le temps de parler de l'évitement fiscal, là
il se rabat sur une étude du Fonds
monétaire international, où le Fonds monétaire estime à peu près que les pays
perdent 5 % de leurs revenus, dû
à l'évitement fiscal. Et l'évitement fiscal, M. Monty le définit très bien
dans son document, c'est de la planification
fiscale agressive, c'est comme ça
qu'il définit son terme. Donc, à ce
moment-là, quand on rentre dans cette
fenêtre-là, 5 %, c'est une moyenne. Il ne tient pas compte de la qualité des
impôts du pays, il ne tient pas compte de la qualité de l'administration fiscale. Et il dit lui-même dans le dernier
paragraphe : Les dernières données nous montrent que c'est
peut-être un peu plus bas.
Alors,
moi, quand je regarde l'ensemble, puis c'est la raison de cette
recommandation-là, il y a
77 milliards de recettes
autonomes dans le budget 2015 du gouvernement
du Québec, il y a
3,9 milliards de pertes fiscales provenant du travail au noir, puis on parle de peut-être
200 millions reliés à l'évitement fiscal des compagnies.
Alors, si on a besoin de mettre
l'emphase, dans un monde où on a des ressources limitées, je pense qu'on a une
bonne idée vers où diriger nos cibles. Mais c'est pour ça qu'on a besoin
de plus de viande, pour trouver où on va aller.
Le Président (M.
Bernier) : Merci. M. le député de Rousseau.
M. Marceau :
Oui, merci. Tout d'abord, bonjour, MM. Lessard et Labelle. Merci d'être
là.
Juste
sur ce que Zucman dit puis sur l'interprétation qui en est faite par le ministère des Finances, moi, je veux juste
vous dire que Zucman dit très clairement que sa méthode constitue une borne
inférieure et non pas une borne supérieure,
là, on parle d'une borne inférieure, parce que sa méthode ne... en anglais, «it
only captures financial wealth and
disregards real assets», donc ne tient pas compte, là, de la richesse qui est
accumulée sous forme d'actif réel, que ce soit de l'immobilier... En particulier par les gens très riches, on sait que
c'est une façon très simple d'accumuler de la richesse. Et moi, je vous dirais en fait que la personne
très riche, là, va détenir une très grande partie de sa richesse sous forme
d'actif réel. Enfin, bref, je veux
juste clarifier ça. J'ai trouvé à l'époque que le ministère des Finances — je le dis en tout respect pour le ministère des Finances — aurait dû dire ça dans son rapport, dans le
rapport qu'il a remis à la commission, parce qu'encore une fois Zucman, qui était l'inspiration pour eux, estime que
c'est une borne inférieure et non pas supérieure. Alors, soyons clairs, là, c'est probablement des
montants supérieurs à ceux qui sont indiqués dans le document du ministère
des Finances.
Écoutez,
je vous ai bien écoutés puis je trouve que ce que vous dites est... Il y a
beaucoup de choses que je comprends,
là. D'une certaine manière, vous nous dites : Une partie des problèmes
découlent des choix qui ont été faits par
les gouvernements, par les autorités fiscales, et puis moi, je suis entièrement
d'accord. Entre autres, vous savez, ici, que l'Assemblée nationale a adopté récemment une motion pour que le
gouvernement fédéral revoie la convention fiscale qui lie le Canada à la Barbade. Et on sait que
c'est effectivement un geste intentionnel du gouvernement fédéral. Dans les années 90, on a clairement
intentionnellement, volontairement changé la loi et le Règlement de l'impôt
pour permettre à des entreprises
d'exporter leurs profits puis de les réimporter sans taxation. Bon. Ça fait que
vous avez raison de dire... je suis
d'accord avec vous qu'une partie du problème découle des gouvernements, puis
ça, on s'en occupe. C'est ça, notre plan. C'est notre plan.
Le Président (M.
Bernier) : C'est notre plan et c'est les recommandations qu'on
nous allons faire.
M.
Marceau : Mais, bon, il y a la question, évidemment, du rôle
des contribuables. Et ça, on comprend que les contribuables, évidemment, ils veulent payer le moins d'impôt possible.
Il reste les intermédiaires, les gens au milieu, vous, les banques, au sujet desquels on a de la difficulté, là, à avoir
de l'information, puis en fait une des choses qu'on aimerait savoir ici,
c'est qu'est-ce qu'on peut faire pour mieux encadrer les intermédiaires.
Juste vous lire deux
paragraphes d'un texte qui est paru le 20 janvier 2016 dans un journal qui
s'appelle le Sud Ouest, un journal français, texte qui s'intitule Les
plombiers de l'optimisation fiscale, et les deux derniers paragraphes, je
vous les lis... enfin, je ne vous lis pas
tout, mais un bout, donc : «L'affaire LuxLeaks, qui avait révélé les
rescrits fiscaux dont bénéficient les
multinationales au Luxembourg, avait mis en valeur le rôle du "Big
Four" dans la conception de ces accords
très avantageux pour les sociétés. KPMG, Deloitte, PricewaterhouseCoopers et
Ernst & Young, géants de l'expertise comptable, conseillers privilégiés à la fois des
entreprises et des administrations fiscales des États, sont ainsi pointés comme
des acteurs majeurs de ces stratégies d'optimisation.»
Et
là j'arrive au petit bout qui m'intéresse : «En 2013, un rapport de la
Chambre des communes du Royaume-Uni révélait
que ces cabinets peuvent proposer un système de planification fiscale à des
clients dès lors qu'il présente à peine 50 % de probabilité d'être
légal.»
Alors,
c'est là-dessus que je voudrais vous entendre. Est-ce que ce calcul de la
probabilité, qu'un schéma que vous proposez
à un client soit légal 40 %, 50 %, 60 %... Est-ce que c'est un
calcul qui se fait chez vous? Et, s'il ne se fait pas chez vous, à quoi,
dans ce cas-là, réfère cet article?
Le Président (M.
Bernier) : M. Lessard.
M. Lessard (Pierre) : En ce qui concerne le LuxLeaks, c'est un bris de confidentialité, il
n'y a pas de lien avec des éléments d'évasion ou de planification
fiscale agressive.
Pour
répondre à votre question, c'est la jurisprudence qui a défini ces termes-là,
la jurisprudence fiscale a déterminé que
«more likely that not» voudrait dire 50 % et que d'autres expressions,
bon, c'est 90 %, et ainsi de suite. Ces définitions-là proviennent de la jurisprudence qui a été donnée
par les lois et qui guide les contribuables dans leur façon de planifier
leurs affaires.
Donc,
ce que la loi nous dit, c'est : Quand la planification est dans un
contexte où les gens qui la montrent ou les gens qui la regardent arrivent à la conclusion qu'on rencontre la loi
dans la grande majorité ou à plus de 50 %, à partir de ce moment-là, on ne tombe pas dans les règles
de planification fiscale agressive, on rentre dans un débat de discussion
avec les autorités, à savoir sur un point
donné, et comme ça se fait régulièrement, pour qu'on puisse déterminer la meilleure
position à adopter. Mais c'est le point de
départ d'une discussion de ce qui est acceptable et qui peut être... de faire
part de discussions avec les autorités.
Ce qui est en
bas de ça, ce n'est pas sur la table. Au-dessus de ça, c'est des choses qu'on
peut discuter. Et c'est établi par les tribunaux, les tribunaux ont
établi ces choses-là.
M. Marceau :
Bien, c'est la prépondérance de preuve, là, mais... Puis ça, je veux bien qu'a
posteriori on puisse juger de cette
manière-là, mais ex ante, là, du point de vue de vous qui conseillez un client,
vous ne croyez pas que d'avoir un
critère stipulant que la probabilité est plus grande, qu'elle s'approche de
100 % ou, en tout cas, disons qu'elle est loin de 50 % puis plus proche de 100 %...
vous ne croyez pas que ce serait plus raisonnable? C'est un peu là-dedans que
je veux aller parce que, je répète,
moi, je m'intéresse au rôle des cabinets comptables, là. Parce que je veux bien
qu'on pointe du doigt l'État, les contribuables, mais, à un moment donné,
c'est vous qui êtes là devant moi; moi, je veux arriver à améliorer les choses. Là, vous me dites : Si
je pense que 49 % du cas c'est illégal, bien, je suis «safe» parce que,
dans le fond, les tribunaux ont
utilisé ce critère-là dans le passé. Moi, je me demande : Est-ce qu'il n'y
aurait pas lieu de resserrer ça?
Est-ce qu'il n'y a n'aurait pas lieu de demander aux cabinets, dans le fond,
là, d'avoir une quasi-assurance que c'est légal? Je ne vous dis pas que...
Enfin, je vous écoute. Allez-y.
Le Président (M. Bernier) :
M. Lessard.
M. Lessard (Pierre) : Je vais
laisser la parole à Eric.
Le Président (M. Bernier) :
M. Labelle.
M. Labelle
(Eric) : Écoutez, si ça
devient une question de moralité, pour nous, de savoir si on doit agir ou non...
Nous, on lit la loi. C'est le législateur
qui les écrit; notre rôle, c'est de les interpréter, c'est tout. Puis les
tribunaux ont reconnu ça, là.
• (15 h 50) •
Le Président (M. Bernier) : Merci.
M.
Marceau : ...je vous dirais
que, si, dans la société, tout
le monde fonctionnait en se demandant
si ce qu'il fait est 50 % du temps légal puis 50 % pas légal,
je vous garantis que ça ne fonctionnerait pas dans notre société. Puis moi...
En tout cas, écoutez, je vous laisse votre
réponse, là, mais, si c'est ça, votre réponse, regardez, moi, je vous dis et
répète qu'une société dans laquelle
tout le monde fonctionne en se disant : Est-ce que je suis en train de
franchir... est-ce que je suis sur la ligne du 50 %?, c'est une société
qui déraperait totalement, totalement. Je comprends que... Là, regardez,
ce n'est pas... écoutez, je ne suis pas très
à l'aise avec ce que vous dites, puis moi, j'estime que ça devrait aller
beaucoup plus loin que ça.
Vous allez me
permettre d'aborder un autre point tout de suite, c'était... Parce que moi, je
vous entends nous dire : Ce
n'est pas la loi... enfin, ce n'est pas de notre faute, c'est les lois qui ne
sont pas correctes, mais, dans un cas récent, un cas du traité que le Canada a signé avec Hong Kong en 2012, vous avez
fait partie de ceux qui ont incité le gouvernement fédéral à établir une convention fiscale avec Hong
Kong. Donc, oui, vous prenez les lois telles qu'elles sont, mais vous avez aussi joué un rôle, appelons ça, de lobby
pour tenter de faire ajouter une autre convention fiscale entre le Canada et,
dans ce cas-ci, Hong Kong.
Je vous lis un paragraphe tiré du site
Web de CBC, 7 février 2011, donc antérieurement à l'adoption du traité
avec Hong Kong : «Officials from
PriecewaterhouseCoopers wrote to Mr. Flaherty in late January as part of
prebudget consultations to recommend that
the Government's efforts to enter into trade agreements and tax treaties be
increased, particularly in respect of
nations that comprise emerging markets in Asia, South America, and Africa.» Alors, moi, je vous entends me dire que vous prenez la loi telle qu'elle est, mais en même
temps je vois que, dans le passé, puis on ne parle pas d'il y a 20 ans, là, on parle d'il y a
quelques années, vous avez poussé pour que d'autres traités, d'autres
conventions fiscales dont on sait qu'elles mènent au phénomène qui nous
intéresse ici... Vous avez poussé pour ça.
Alors, est-ce
qu'aujourd'hui vous êtes du même avis? Est-ce que vous êtes de l'avis,
aujourd'hui, là, qu'il faut avoir
encore plus de conventions fiscales, qui vont permettre encore plus de ces
planifications fiscales que nous, là, on essaie de combattre ici?
M. Lessard
(Pierre) : Le système de
fiscalité canadien fonctionne très bien, et d'avoir une convention fiscale avec
Hong Kong qui permet à nos entreprises québécoises de s'exporter à l'étranger,
d'être capables d'aller faire des opérations,
même s'ils sont taxés là-bas... Parce que le Canada ne perd rien, là, quand on
ouvre une convention fiscale avec
Hong Kong, là, c'est les revenus gagnés à l'étranger qui sont imposés là-bas.
Et, qu'ils soient imposés à un petit taux plutôt qu'à un taux de 30 %, là, qu'ils soient imposés à 3 %
plutôt que 30 %, l'écart est 27 %, j'ai 27 % de plus de
liquidités que je ramène au Canada,
parce que les filiales étrangères canadiennes ne gardent pas les liquidités à
l'étranger. Ça permet à nos
entreprises québécoises et... ça a permis et ça continue de leur permettre de
s'exporter à l'étranger. On parle beaucoup de fuite de sièges sociaux. Notre fiscalité à l'international,
permettant d'avoir des revenus gagnés à l'étranger à des taux faibles pour lesquels les liquidités sont revenues au
Canada, sont ramenées au Canada, a permis à nos entreprises québécoises et les fleurons québécois que vous
connaissez... a permis de leur permettre de grandir, d'avoir des sièges sociaux
plus grands, de payer de meilleurs salaires,
d'avoir des centres de recherche et nous protège de la perte de sièges sociaux.
Alors, si
vous partez du principe que tout le monde qui est à l'étranger, c'est des
tricheurs, c'est sûr qu'on ne part pas du bon pied. Mais, si on pense
que... si on regarde nos entreprises, le système fiscal fonctionne très bien.
Le Président (M. Bernier) :
M. le député de... Oui, allez-y, M. le député, oui.
M. Marceau : ...au moins une
chose, là. Regardez, je ne pars pas du principe que tout le monde qui opère à l'étranger est un bandit, ce n'est pas ça que je
dis. Sauf que je sais qu'il y a beaucoup de personnes, des bandits, qui
utilisent l'étranger pour éviter de payer de l'impôt.
Ça fait que
moi, je reconnais les deux réalités. Je ne suis pas sûr que vous reconnaissiez
les deux réalités. Moi, je reconnais les deux réalités. Il y a des
entreprises québécoises qui veulent croître à l'étranger, qui s'installent à l'étranger puis qui ont besoin, effectivement,
d'avoir des filiales là-bas, je reconnais ça sans problème. Vous, est-ce que
vous reconnaissez la réalité qu'il y a des
entreprises canadiennes et québécoises qui ne paient pas leurs impôts? Est-ce
que vous le reconnaissez, qu'elles utilisent
des filiales à l'étranger pour ne pas payer leurs impôts? Moi, je reconnais les
deux réalités; je ne suis pas sûr que c'est votre cas.
Le Président (M. Bernier) :
M. Lessard.
M. Lessard
(Pierre) : Bien, moi, si je
peux me permettre, oui, on reconnaît que nos entreprises québécoises qui
vont à l'étranger et qui respectent la loi
ont accès à un régime qui leur est favorable. Pour ce qui est d'autres
personnes qui utilisent le régime à
des fins illégales, c'est les rumeurs, c'est ce qui se dit, c'est ce qu'on
voit, c'est ce qu'on entend, fort possiblement que ça existe. Si vous me
demandez si ça se fait chez nous, c'est non.
Le Président (M. Bernier) : ...l'OCDE
travaille aussi, c'est sur ça que l'OCDE travaille aussi.
M. Lessard (Pierre) : Oui.
Le Président (M. Bernier) : M. le
député de Rosemont.
M. Lisée : Merci, M. le
Président. M. Lessard, M. Labelle, je vous souhaite la bienvenue.
Donc, vous
avez dit tout à l'heure que les évaluations que le ministère
des Finances du Québec
avait faites à partir des hypothèses
de Zucman du fait qu'il y aurait 47 milliards
de dollars québécois
cachés dans les paradis fiscaux...
vous dites : Bien, ça ferait 700 000 $ par personne,
parmi le 1 %, et donc vous pensez que c'est impossible.
Le Président (M. Bernier) :
M. Lessard.
M. Lessard
(Pierre) : Moi, je trouve ça
beaucoup. Personnellement, je trouve ça beaucoup. Si c'était de cette ampleur-là, ça aurait pignon sur rue, et on
connaîtrait ces gens-là, là. Ça me semble beaucoup. Peut-être, je me trompe,
mais ça me semble beaucoup.
M. Lisée :
Quand vous avez vu les Panama Papers, là, vous qui êtes là-dedans tous les
jours depuis des années puis qui
connaissez ça, qu'est-ce que vous ne saviez pas que vous avez appris, quand on
a vu les Panama Papers, dans la façon de structurer l'évasion fiscale
qui était là?
Le Président (M. Bernier) :
M. Lessard.
M. Lessard
(Pierre) : Oui. Je n'ai pas
vraiment de... En fait, les Panama Papers, c'est récent, là, c'est sorti il y a
à peu près deux mois, alors je n'ai
pas de détail sur toute la liste d'entreprises, qu'est-ce qu'ils font là,
est-ce qu'ils sont là de façon
légitime, est-ce qu'ils sont là de façon illégitime. Tout ce que je vous dis,
c'est : S'il y a des allégations que des gens étaient là pour les mauvaises raisons, ce qui reste à déterminer,
c'est quelque chose que nous condamnons au même titre que vous le
condamnez, là.
Le Président (M. Bernier) :
M. le député de Nicolet-Bécancour, avez-vous des questions?
M.
Martel : Oui, oui,
absolument. Bonjour, M. Labelle. Bonjour, M. Lessard.
J'arrive un
peu sur le pouce à cette commission, mais j'ai quand même des questions qui
m'intriguent à vous poser. Moi, je...
Sortons de PwC, là, puis, n'importe quelle institution, comme la vôtre, on
prend pour acquis qu'on ne fait rien d'illégal,
tout est... mais il s'insère des individus dans vos organisations qui peuvent
profiter un peu de la structure, du nom
pour dire : Regarde, moi, je suis en contact avec des bons clients, je
vais faire une partie qui est tout à fait légale, je vais recevoir mes contributions, mes chèques de
paie de l'institution, mais, compte tenu que je suis en contact avec des clients qui sont peut-être potentiellement
intéressés à faire du contournement fiscal, je vais être bien placé puis je
vais pouvoir retirer une bonne commission de ça.
À
votre avis, est-ce qu'il existe des mécanismes de défense, dans des
organisations comme vous autres ou n'importe quelle institution financière, là, pour s'assurer... Parce que moi, je
peux très bien concevoir que ça peut être une façon, tu sais. Votre
organisation — moi,
je le crois — vous
n'essaierez pas de perdre votre nom en faisant de la fraude, mais il y a
peut-être des individus qui sont moins vertueux que votre organisation, non?
Le Président (M. Bernier) :
M. Lessard.
M. Lessard
(Pierre) : Bon, d'abord, non
seulement on a un code de conduite, mais on a des mesures pour s'assurer
qu'il est respecté. Chaque année, nos gens
doivent signer une déclaration annuelle indiquant qu'ils respectent le code de
conduite.
Deuxièmement,
tout ce qui sort de chez nous doit être approuvé par un associé. Donc, un
employé intermédiaire ne pourrait pas émettre de lui-même une opinion
fiscale, ça doit être revu par un associé.
Et on n'est pas rémunérés à la pièce, les
associés sont rémunérés sur une base de profit nationale. Et, dans ce
contexte-là, on évite les tentations de ce genre, que vous avez mentionnées.
Le Président (M. Bernier) :
Merci. M. le député.
M.
Martel :
Il ne peut pas y avoir de contact, de lien direct, de transaction personnelle
entre un analyste chez vous puis une entreprise avec qui vous faites
affaire?
M. Lessard (Pierre) : Impossible.
M.
Martel : O.K. Dans vos
recommandations, j'essaie de comprendre. Vous dites, la première
recommandation : «Nous
recommandons l'octroi, à un organisme indépendant, le mandat d'étudier la
situation en profondeur et de s'assurer...» Premièrement... Non, je vais
y aller juste là-dessus : Qu'est-ce que vous parlez, à qui vous pensez
quand vous parlez d'organisme indépendant? J'essaie de comprendre. Puis...
Bien, commencez par ça, là. À qui vous pensez?
Le Président (M. Bernier) :
M. Lessard.
• (16 heures) •
M. Lessard
(Pierre) : Oui. On pourrait
mandater une université, un organisme qui est bien reconnu. Moi, ce que je dis, c'est que le problème, il est là. Je ne
nie pas qu'il y ait un problème de pertes fiscales. Maintenant, il faut savoir
quelles mesures adopter et quelles cibles viser.
Alors là, on a des chiffres qui viennent
d'estimations, qui viennent d'études qui ne sont pas nécessairement des choses de chez nous. Il y a peut-être
moyen de faire du travail avec les universités, avec différentes chaires, Sherbrooke, par exemple, qui a un programme de maîtrise, et de travailler avec eux pour qu'on
puisse vraiment identifier les sources. J'entends les enjeux par rapport à la planification fiscale, mais le travail au noir est énorme,
et, si on règle le travail au noir, on va peut-être
régler le problème des paradis fiscaux, parce que c'est peut-être
le même argent qui s'en va là-bas. Alors, à partir de là, je pense que ça
vaut la peine de déterminer les cibles à viser.
Le
Président (M. Bernier) :
Oui, M. le député... Parce
qu'en ce qui regarde le travail au noir puis ce qu'on appelle l'évasion fiscale on a vu quand même, lorsqu'on a
rencontré les gens du secteur bancaire, qu'il y a beaucoup de mesures qui sont mises en place pour contrôler les
transactions au niveau de l'évasion fiscale. À moins d'être un mulet qui
transporte de l'argent à partir de
lui-même, là, dans un paradis, là, ce qu'on peut voir, c'est que de plus en
plus il y a des règles, là, qui sont quand même assez sévères, là, pour être
capable de contrer l'évasion fiscale par les banques, et ça, on ne met pas ça en doute, ça. Le seul domaine où on
regarde, nous autres, là, c'est l'évitement fiscal, là, c'est le secteur qui
nous préoccupe actuellement.
Oui, M. le député. Si vous voulez poursuivre.
M.
Martel :
On sort de nos organisations, on n'est pas députés, vous n'êtes pas... on jase
ensemble. Vous suivez l'actualité, vous suivez les problèmes budgétaires
des gouvernements puis vous regardez le niveau de taxation, etc. Est-ce que vous convenez que les gouvernements
devraient... ont un problème par rapport à des pertes de revenus fiscaux?
Est-ce que votre opinion, c'est que... Tantôt, j'ai entendu — je ne
me souviens pas c'est lequel des deux — parler de 700 millions de dollars sur 77 milliards
de recettes fiscales. Est-ce, que pour vous — j'aimerais ça avoir peut-être chacun de votre côté, là, votre opinion — c'est un faux débat qu'on est en train de
discuter, il n'y a pas nécessairement une perte de revenus importante
pour les gouvernements qui découle des paradis fiscaux?
Le Président (M. Bernier) :
M. Lessard, M. Labelle? M. Labelle.
M. Labelle
(Eric) : Écoutez, il y a des
chiffres qui existent. Est-ce qu'ils sont bons? Est-ce qu'ils ne sont pas bons?
Chaque dollar d'impôt qui serait évité nous coûte
tous de l'argent, donc moi, je suis juste favorable à ce qu'on trouve une
solution.
M.
Martel :
Mais est-ce qu'on vit un problème? C'est ça que je veux savoir. À votre avis,
on discute-tu de quelque chose qui n'est pas si dramatique que ça ou
c'est quelque chose qu'il faut s'attaquer?
M. Labelle (Eric) : La seule chose que je peux vous affirmer, c'est
que, dans ma vie quotidienne, ce que je fais, je ne fais pas perdre un
sou d'impôt à l'État, au contraire, on ramène de l'argent. Mais je peux parler
pour moi.
M.
Martel :
Je ne vous accuse pas, monsieur...
M. Labelle
(Eric) : Non, non, mais...
M.
Martel : ...je vous dis : On sort de notre cadre, là,
on jase, on prend une bière, on jase puis on dit... Pas une bière? On
jase, puis là on dit... on essaie de trouver des...
Une voix :
...
M.
Martel : Oui, oui, oui. On essaie de trouver des problèmes à
la fiscalité, au budget du gouvernement du Québec, puis on dit : Regardons ça. À votre avis,
est-ce qu'on fait fausse route, ce n'est pas nécessairement un domaine où on
pourrait récupérer des sous?
M. Labelle (Eric) : Comme le disait mon collègue, on a peine à réconcilier les chiffres,
puis peut-être que le travail au noir est le plus gros problème.
Le Président (M.
Bernier) : O.K. M. Lessard, avez-vous une opinion sur le sujet?
M. Lessard (Pierre) : Ce que j'allais dire va dans la même... À notre avis, l'évasion fiscale
est un problème plus important pour... et le deuxième n'est pas
négligeable, là, mais il y a beaucoup plus de recettes à aller gagner pour le
gouvernement rapidement, plus facile que d'essayer de combattre l'évitement
fiscal agressif.
Maintenant, les
règles, l'OCDE y travaille, le gouvernement fédéral y travaille, les règles
vont se resserrer d'elles-mêmes, et il faut continuer à les encourager et les
supporter, mais je pense, moi, personnellement, que nos ressources, si elles
sont limitées, devraient être mises sur l'évasion fiscale qui se fait chez
nous.
Le
Président (M. Bernier) : Est-ce que vous croyez que les paradis
fiscaux sont en effondrement actuellement de par les législations américaine et européenne sur l'obligation de
divulguer les clients à ces pays-là? Et on vient de faire la même chose
du côté du Canada. Est-ce que vous croyez que les paradis fiscaux sont en train
de s'écrouler?
M. Labelle (Eric) : Eric Labelle. Je suis convaincu que oui. Écoutez, l'opacité est en
train de tomber, et ça, c'était le
plus gros barrage, je crois, là. L'opacité tombe avec nos ententes d'échange
d'information, je pense que le gouvernement sait ce qu'il fait. Et puis, comme l'OCDE est en train de travailler sur...
on a divulgation sur tout, là, «treaty by country», tout ça, donc on
s'en va vraiment dans la bonne direction. La réponse à ça, c'est oui.
Le
Président (M. Bernier) : Oui.
Si on vous demande de collaborer versus une législation au niveau
de l'information nécessaire
pour être capable de mieux... Parce qu'on a vu qu'il y avait quand même des
ramifications puis il y avait
quand même... Ce qui était difficile, c'était d'identifier
les entreprises, d'identifier les personnes. On voit, là,
dans les informations qui sont sorties dernièrement, dans les Panama Papers, il
y a une tonne d'information. Si on légiférait, vous demandant de collaborer justement
dans cette identification-là, vous seriez prêts?
M. Labelle
(Eric) : Bien, encore une fois, dans ce qu'on fait, nous, tout est
divulgué. Le prix de transfert est adéquat, les T1134 sont faits, les T1135. L'information,
elle est là.
Donc, on parle
d'évasion fiscale. On veut les trouver, les coupables.
Le
Président (M. Bernier) :
Merci. Merci de votre présence, M. Lessard, M. Labelle, de PricewaterhouseCoopers. Merci d'avoir participé à la Commission
des finances publiques.
Je vais suspendre
quelques instants afin de permettre aux gens de chez Deloitte de prendre place.
(Suspension de la séance à
16 h 6)
(Reprise à 16 h 8)
Le Président (M.
Bernier) : À l'ordre, s'il vous plaît! Nous reprenons nos travaux.
Donc, nous recevons les représentants de chez Deloitte, M. Marc Perron,
assistant-directeur pour le Québec, et M. François Champoux, associé
responsable de la pratique de fiscalité internationale pour la région de Québec.
Bienvenue, messieurs. M. le député.
M. Merlini :
Alors, M. le Président, je fais motion pour qu'on assermente nos invités, s'il
vous plaît.
Le
Président (M. Bernier) :
J'invite donc M. le secrétaire à procéder à l'assermentation des témoins,
conformément à l'article 52 de la Loi sur l'Assemblée nationale. Et je vous demande de vous lever et de lire à
haute voix la déclaration qui vous sera fournie.
Assermentation de
M. François Champoux
M. Champoux (François) : Merci. Je, François Champoux, déclare sous
serment que je dirai toute la vérité et rien que la vérité.
Assermentation de M. Marc Perron
M. Perron
(Marc) : Je, Marc Perron, déclare sous serment que je dirai toute la
vérité et rien que la vérité.
• (16 h 10) •
Le Président (M. Bernier) : Je vous remercie. Vous bénéficiez donc de
l'immunité pour votre témoignage. Vous pouvez maintenant commencer votre
présentation. Vous avez 15 minutes.
Deloitte LLP
M. Perron (Marc) : Merci. M. le Président de la commission,
membres de la commission, bonjour. Je me présente : Je suis Marc Perron, je suis l'associé directeur
de Deloitte au Québec. Je travaille au sein de ce cabinet-là depuis le début
de ma carrière, donc depuis près de
20 ans. Je suis aujourd'hui accompagné de mon collègue, François Champoux,
associé au cabinet Deloitte avec moi
depuis 18 ans. François est avocat de formation et spécialiste en
fiscalité, il est responsable de la
pratique de fiscalité internationale et aussi de notre pratique de fusions et
acquisitions chez Deloitte au Québec, et lui aussi, François, a fait
l'ensemble de sa carrière au cabinet jusqu'à maintenant.
Le
4 mai 2016, l'Ordre des CPA du Québec a préparé un mémoire qui a été
transmis à la commission, qui était intitulé
Réflexions sur le phénomène du recours aux paradis fiscaux. Ce mémoire reflète le point de vue de Deloitte sur les questions
qui sont examinées par la commission, et c'est pourquoi d'entrée de jeu ou à prime
abord nous avions jugé que nous
n'avions rien de supplémentaire à ajouter. Par contre, nous apprécions néanmoins
l'occasion qui nous est donnée aujourd'hui de répondre aux questions de
la commission afin de nous aider collectivement à faire la lumière sur le phénomène du recours aux paradis fiscaux, un enjeu
d'importance, évidemment, pour les
Québécois mais aussi pour la profession comptable en général.
Tout
d'abord, si vous me le permettez, j'aimerais dire quelques mots sur Deloitte.
Deloitte est l'un, sinon le plus grand
cabinet de services professionnels au Québec et au Canada. Nous sommes aussi
l'une des plus grandes entreprises du
Québec, avec nos 2 300 employés répartis dans 29 bureaux sur
l'ensemble du territoire de la province. Nous sommes engagés envers le Québec, ses communautés, nos
clients et nos gens depuis plus de 150 ans. Ensemble, nous travaillons
à renforcer la position du Québec dans
l'économie mondiale, dans l'objectif de se positionner comme une province qui
se démarque par ses investissements,
ses occasions d'affaires, ses occasions d'emploi, de par son innovation mais
aussi de par sa productivité. Nous sommes très fiers de contribuer avec
d'autres à cet effort.
M. Champoux
traitera dans quelques minutes de la différence que nous observons entre
l'évasion fiscale et l'évitement fiscal. En
tant qu'associé directeur de chez Deloitte au Québec, je veux toutefois
d'entrée de jeu vous assurer que nos
activités n'ont jamais consisté et ne consisteront jamais à conseiller nos
clients ni à les aider à faire de l'évasion fiscale. Deloitte est
commis, déterminé à fournir à ses clients des conseils responsables et éthiques
qui sont à la fois conformes aux lois et
adéquats pour leurs entreprises. Nous conseillons donc nos clients sur la
manière de se conformer à la
législation fiscale et les aidons à respecter leurs obligations d'information
et de conformité fiscale. Je dirais aussi que, plus largement, notre objectif est d'aider nos clients à résoudre les
défis et problématiques auxquels ils font face et les aider aussi à saisir les opportunités et les
occasions d'affaires qui se présentent à eux afin, c'est important, qu'ils
puissent réussir dans un contexte économique complexe et de plus en plus
mondialisé.
Dans
ce contexte, je considère qu'il est utile de vous décrire brièvement nos
processus, qu'on considère robustes et
efficaces, en matière d'assurance qualité. Tout d'abord, nous avons mis en
place un processus rigoureux d'acceptation des clients qui inclut, entre autres, une vérification des antécédents
pour tout nouveau client. En ne s'associant qu'avec des clients qui rencontrent nos normes ainsi que
nous valeurs et en sachant avec qui on fait affaire, nous réduisons les risques au travail que nous faisons pour eux. Il
est impératif pour nous de protéger notre marque, de protéger notre réputation
afin de poursuivre notre réussite dans le monde des affaires. Nous suivons
aussi des processus tout aussi rigoureux d'assurance
de qualité au niveau de l'ensemble de nos missions, basés sur des règles
strictes, établis selon les meilleures pratiques
afin d'en assurer la conformité. Nous observons aussi un code d'éthique et
sommes assujettis, comme vous le savez,
aux règles d'association professionnelle qui nous gouvernent. Nous investissons
dans nos gens en leur offrant de multiples
occasions de se perfectionner. Selon nous, tous ces éléments nous permettent de
conseiller efficacement nos clients et de leur fournir des services qui
rencontrent les normes les plus élevées en matière de qualité.
Là-dessus, j'aimerais
céder la parole à mon collègue, M. Champoux.
M. Champoux
(François) : Merci, Marc. Merci aux membres de la commission.
Le Président (M.
Bernier) : Merci. M. Champoux.
M. Champoux (François) : Dans un premier temps, j'aimerais d'abord vous
entretenir sur le contexte dans lequel nous prodiguons des conseils
fiscaux. Lorsqu'ils fournissent des conseils à nos clients, nos fiscalistes se
conforment toujours aux lois, comme Marc le
mentionnait, et aux règlements en vigueur, et ça, que ce soit au Québec, au
Canada ou ailleurs dans le monde. Ces
conseils vont normalement permettre à nos clients d'organiser leurs affaires de
façon efficace et surtout de façon légitime.
Puis j'aimerais préciser qu'en termes
simples il y a une différence énorme entre l'évasion fiscale, que personne
n'approuve, et l'évitement fiscal, que l'on
peut aussi appeler planification fiscale et qui inclut des choses aussi simples
qu'une cotisation à un REER. Et je comprends que le terme «évitement» a un sens
péjoratif négatif, mais les lois définissent l'évitement comme étant toute transaction, toute opération qui donne un
avantage fiscal, quel qu'il soit, donc une chose aussi simple que de contribuer à un REER constitue, en vertu de la loi,
essentiellement une transaction d'évitement. Et j'aimerais aussi préciser, comme Marc le disait, que nos activités n'ont
jamais et ne consisteront jamais à prodiguer des conseils afin de faire
de l'évasion fiscale.
Si vous permettez, je citerais à cet égard un passage de la soumission qui a été faite par CPA Québec,
qui disait essentiellement : «L'évasion
fiscale consiste en l'intention délibérée de ne pas agir conformément aux lois,
ce qui inclut le fait de ne pas
sciemment déclarer des revenus, de réclamer de fausses dépenses ou de falsifier
de l'information ou des documents. Le
fait de "cacher" des revenus à l'étranger — donc, entre autres, quand on parle des
paradis fiscaux — constitue
clairement de l'évasion, laquelle est du ressort des instances criminelles.
«Il
va de soi que toute recommandation formulée par un CPA en vue d'inciter un
contribuable à de tels agissements ou le fait pour lui d'y participer
directement ou indirectement est contraire à la loi et aux règles
déontologiques de sa profession puisqu'il s'agit d'activités criminelles.»
L'évasion
fiscale, donc, comme je le mentionne, implique le non-respect des lois et la
non-divulgation d'actifs ou de
revenus. Deloitte, en tant que firme professionnelle, n'accepte pas et
n'acceptera jamais de participer dans de telles opérations. Par ailleurs, la
planification légitime, la planification fiscale légitime est permise par
l'ensemble des lois, et les autorités
fiscales ont à leur disposition des outils afin de contester celles-ci
lorsqu'elles jugent qu'elles sont abusives ou agressives.
Le droit fiscal est
évidemment extrêmement complexe — et je pense que vous pourriez en
témoigner — en
particulier le droit fiscal international,
qui implique l'application non seulement de plusieurs lois, mais de plusieurs
traités fiscaux à la même situation. Et,
lorsqu'il s'agit de lois et de traités fiscaux, il y a toujours matière à
interprétation. Les contribuables et
les autorités fiscales ne s'entendent pas toujours non plus sur
l'interprétation des lois ou des conventions fiscales. D'ailleurs, la majorité de ces différends, même lorsqu'il y a
mésentente, les autorités fiscales et les contribuables, la majorité de
ces différends vont se régler entre les autorités fiscales et les
contribuables, mais il arrive que ça aille devant
les tribunaux, ce qui démontre la complexité de l'interprétation des lois. Et,
preuve que c'est complexe, il arrive souvent
également que le tribunal de première instance, qui va interpréter la loi d'une
certaine façon en faveur des autorités fiscales
ou en faveur du contribuable, va lui-même être renversé par une instance
supérieure. Il y a énormément de causes fiscales qui se sont retrouvées jusqu'à la Cour suprême. Et, malgré tout
le respect qu'on doit aux tribunaux, que ce soit pour nous ou pour nos
clients, aller devant les tribunaux pour régler une question fiscale, ce n'est
jamais agréable.
À
cet égard-là, si vous permettez, j'irais à une deuxième citation de CPA Québec,
qui dit essentiellement : «L'évitement peut être généralement
défini comme étant le recours à la planification fiscale légitime dans le but de
minimiser les impacts fiscaux. Cependant, et
ce, essentiellement en raison de la complexité de la législation, les litiges
opposant les contribuables aux autorités
fiscales donnent souvent lieu à des débats d'interprétation.» On parle de lois,
donc on parle inévitablement d'interprétation.
Maintenant,
si on parle de la fiscalité canadienne et de la fiscalité québécoise, sans
entrer nécessairement dans des
détails techniques très complexes au niveau des lois fiscales, en vertu des
lois fiscales canadiennes il y a un principe qui est assez simple, un principe de base qui prévoit que le revenu
d'entreprise des filiales étrangères de sociétés canadiennes n'est généralement pas imposé au Canada lorsqu'il
est rapatrié au Canada. Donc, une multinationale canadienne qui a des filiales étrangères, qui exploite des entreprises,
lorsque ses profits sont rapatriés au Canada, ils ne sont pas sujets à une
deuxième imposition, et c'en est de même
dans la plupart des pays, la majorité des pays ont un régime similaire. Ceci
permet évidemment d'éviter la double
imposition. Et les multinationales peuvent créer des sociétés dans différents
pays, notamment des pays qu'on
prétend être des paradis fiscaux, il y en a qui en sont, il y en a qui ne sont
pas nécessairement des paradis
fiscaux, mais ces filiales-là sont créées pour différentes fins d'affaires. Il
est possible que ces filiales-là soient admissibles à des régimes
fiscaux avantageux, à des incitatifs fiscaux, puis, tel que mentionné, ces
sociétés servent normalement à des fins d'affaires, les sociétés de
portefeuille, de financement ou de licence en sont des exemples. Et généralement l'utilisation de ces sociétés par des
multinationales canadiennes ne réduit pas l'impôt canadien payé, car le revenu d'entreprise gagné par les filiales
étrangères, comme je disais, n'est pas assujetti à l'impôt canadien lorsqu'il
est rapatrié.
Chaque
pays est souverain en termes de législation et, évidemment, en termes de
législation fiscale également. Des
pays comme le Canada et des provinces comme le Québec veulent que leurs régimes
fiscaux soient concurrentiels, de
toute évidence. De tels régimes aident à attirer des investissements et des
emplois. De plus, les pays veulent faire en sorte que les sociétés qui
ont leur siège social sur leur territoire profitent d'un régime fiscal
concurrentiel par rapport à ceux d'autres
pays où leurs concurrents étrangers sont situés. La fiscalité, en d'autres
mots, est essentiellement un des leviers que les différents pays
utilisent pour être concurrentiels.
• (16 h 20) •
On fait beaucoup de bruit, de ce temps-ci, sur les paradis fiscaux, mais il y a également des pays du
G7 qui offrent des régimes fiscaux
avantageux aux entreprises. Par exemple, si on prend le Royaume-Uni ou d'autres
pays, ils vont offrir des régimes
fiscaux avantageux notamment à des sociétés qui exploitent des brevets, ce
qu'on appelle dans notre jargon fiscal
à nous, si vous voulez, des «patent box». Et d'ailleurs le Québec, dans le
dernier budget, a adopté une législation sur les brevets qui permet essentiellement à une entreprise qui génère
des revenus à même des brevets d'être taxée à un taux fiscal avantageux
de 4 %, comparativement à une autre entreprise qui ne génère pas le même
type de revenus.
L'OCDE,
évidemment, a entrepris, comme vous le savez puis on vous en a parlé sûrement
avant, une initiative majeure
essentiellement contre l'érosion de la base d'imposition puis le transfert des
bénéfices entre les différents pays, et ce, sous l'égide du G20. Compte tenu de la
concurrence fiscale entre les pays, le G20, donc, comme je disais, et l'OCDE
ont lancé le projet pour lutter contre
l'érosion de la base d'imposition puis le transfert des bénéfices. Ce projet
vise l'adoption d'approches plus
communes en matière de fiscalité internationale. Ces recommandations-là ont été
publiées, on parle des «action items»
de l'OCDE essentiellement. Certaines ont été adoptées par certains pays,
d'autres n'ont pas encore été adoptées.
D'ailleurs, dans son dernier budget fédéral, le gouvernement fédéral a adopté
l'adoption de certaines recommandations,
nommément ce à quoi on fait référence comme étant le «country-by-country
reporting». Essentiellement, ce que ça veut dire, c'est qu'une
multinationale qui fait affaire dans plusieurs pays va devoir essentiellement
faire du reporting dans chaque pays, et ce
reporting-là va notamment devoir mentionner quels sont les revenus gagnés dans
chaque pays, le nombre d'employés
dans chaque pays, les profits ou les pertes dans chaque pays, les actifs dans
chaque pays, etc.
Nous
pensons que c'est la bonne approche. Chaque pays, comme je le mentionnais
précédemment, est souverain et chaque
pays va vouloir garder sa souveraineté en termes de législation fiscale. Par
ailleurs, notre expérience, chez Deloitte, nous démontre que les multinationales respectent les lois, les lois
fiscales. Donc, c'est aux gouvernements à déterminer les lois et de
faire en sorte qu'elles soient claires et qu'elles évitent toute ambiguïté.
Les
multinationales ont également besoin de certitudes, les entreprises qui font
affaire à l'international ont besoin de certitudes, et nous pensons qu'elles ne
peuvent pas agir uniquement face à des notions qui sont extrêmement subjectives, telles que l'équité ou la moralité.
Je lirais également un passage du rapport de CPA Québec à cet égard, qui
mentionnait essentiellement : «Sous l'angle de ce qui est acceptable et
[de] ce qui ne l'est pas, plusieurs réclament des
sociétés qu'elles paient leur "juste part" d'impôt, une notion qui
renvoie au concept de moralité et qu'il est difficile, voire impossible de définir. La question de savoir
si les sociétés devraient payer une juste part quelconque d'impôt est une question éminemment stratégique à laquelle il
incombe aux gouvernements de répondre.» Et je pense qu'on pourrait tous convenir que la notion de moralité ou
d'équité, même si on comprend tous ce que ça veut dire, peut être extrêmement
subjective d'un contribuable à l'autre.
De façon générale, les lois québécoises,
évidemment, sont appuyées sur les lois fédérales en termes de fiscalité, et les
deux sont alignées, et on croit également que c'est la bonne approche, la
collaboration entre les gouvernements.
Maintenant,
si je reviens brièvement sur l'évasion fiscale, comme mon collègue Marc
mentionnait, au niveau de nos
conseils fiscaux, nous avons des processus robustes d'acceptation de client,
d'assurance de la qualité, de gestion des risques en ce qui a trait à tout ce que nous proposons à nos clients en
termes de planification fiscale. Vous êtes préoccupés, le public est
préoccupé par des gens qui utilisent certains paradis fiscaux ou d'autres
moyens afin de ne pas déclarer des revenus,
de cacher des actifs, et je pense que tout le monde est du même avis à cet
égard-là. Et comme firme, comme nous l'avons mentionné, nous ne
participons pas à ces activités.
Par
ailleurs, le Canada a conclu des traités fiscaux et des ententes sur l'échange
de renseignements fiscaux avec de
nombreux pays, et ces ententes-là sont extrêmement importantes pour la
fiscalité du Canada, pour protéger l'assiette fiscale canadienne. Et j'aimerais revenir sur le concept de traités
fiscaux. Les conventions fiscales sont d'abord et avant tout là pour
éviter la double imposition et permettre aux pays d'échanger des informations
fiscales...
Le
Président (M. Bernier) : Merci. Nous allons passer aux échanges
avec les parlementaires parce que malheureusement nous sommes limités
dans le temps. Donc, M. le député de Trois-Rivières.
M. Girard :
Merci, M. le Président. Merci, messieurs, d'être ici présents avec nous pour
parler de fiscalité.
Je
me doute déjà de la réponse, mais je me dois de vous poser une question que
j'ai posée à chaque intervenant que
nous avons rencontré jusqu'à maintenant. Selon le FMI, 50 % des
transactions financières internationales passent par les paradis fiscaux. On y mentionne que près de
4 000 banques y sont présentes, deux tiers des «hedge funds» mondiaux
passent par les paradis fiscaux,
2 millions de sociétés-écrans sont créées dans les paradis fiscaux. Toutes
les firmes qui sont venues nous voir
jusqu'à maintenant nous ont dit : Nous, on ne fait pas ça, ce n'est pas
nous autres. Si ce n'est pas vous, c'est qui qui conseille ces
entreprises-là?
Le Président (M.
Bernier) : M. Champoux.
M. Champoux
(François) : Oui. Dans un premier temps, j'aimerais mentionner que les
multinationales, les entreprises qui font affaire à l'international ont des
structures extrêmement complexes, ces sociétés-là peuvent faire affaire dans
20, 30 pays et avoir des filiales dans 20, 30 pays. Et très souvent,
à titre d'exemple, ces sociétés-là vont vouloir
avoir des sociétés holdings qui vont chapeauter l'ensemble de leurs sociétés,
pour différentes raisons, et ce n'est pas
nécessairement des raisons fiscales, ça peut être des raisons
d'affaires, ça peut être des raisons de reporting financier, il y a
différentes raisons. Et, par conséquent, ces sociétés-là, lorsqu'elles décident
d'établir des sociétés holdings, des sociétés de portefeuille ou d'autres types
de sociétés, doivent décider dans quelle juridiction ces sociétés-là vont être établies, et il est possible que dans certains cas
ce soient des pays qui représentent ce qu'on appelle des paradis fiscaux. Par contre, ce n'est pas nécessairement pour des raisons
fiscales que les sociétés sont établies dans ces pays-là.
Le Président (M.
Bernier) : M. le député.
M.
Girard : O.K. Mais pour quelle raison les entreprises vont s'installer
dans des endroits comme le Luxembourg, la
Barbade, les îles Jersey, Guernesey, si ce n'est pas pour la fiscalité?
M.
Champoux (François) : Comme
je mentionnais précédemment, les entreprises canadiennes qui ont des filiales
étrangères, les revenus que ces filiales
étrangères là gagnent, lorsqu'ils reviennent au Canada, ne sont pas
nécessairement... ne sont pas assujettis à l'impôt canadien dans la mesure où c'est ce
qu'on appelle des entreprises actives, ce qui est la très grande majorité des entreprises, évidemment. Donc,
par conséquent, le fait d'établir une société de holding, une société de portefeuille, comme vous mentionnez, au
Luxembourg, ailleurs, n'aura pas nécessairement pour effet de réduire l'impôt
canadien qui est payable par ces sociétés-là.
Le Président (M. Bernier) : M. le
député de Trois-Rivières.
M.
Girard : Je vous amène dans un autre registre. Je suis un
entrepreneur, je vais vous rencontrer. J'ai plusieurs entreprises, plusieurs entités, je pense à
m'installer à l'international. Je désire réduire mon fardeau fiscal. Je m'en
vais vous rencontrer, vous me faites une proposition, on fait des choses
ensemble.
Lorsque vous faites une planification fiscale,
lorsque vous faites une planification financière, fiscale pour une entreprise, de quelle façon vous êtes rémunérés, à
votre société, avec un client qui vous demande une planification fiscale,
pour un entrepreneur avec plusieurs sociétés?
Le Président (M. Bernier) :
M. Champoux.
M. Champoux
(François) : Notre mécanisme
de rémunération est assez simple. Essentiellement, nos clients sont
facturés sur une base horaire, donc les heures travaillées sur le dossier.
M.
Girard : Donc, le fait de réduire le fardeau fiscal, dans votre
société, il n'y a aucun impact sur la rémunération.
M.
Champoux (François) : Non.
D'ailleurs, le gouvernement du Québec a établi... a adopté des règles sur les
planifications fiscales agressives qui
réputent un niveau d'agressivité lorsqu'il y a une rémunération qui est
essentiellement en pourcentage des
économies d'impôt, même si la planification n'est pas nécessairement agressive,
là. Donc, il y a comme une espèce de présomption.
Mais, non, je vous dirais que les services que
nous rendons sont sur une base de tarif horaire.
M.
Girard : Et qu'est-ce qui ferait que, comme entrepreneur, j'irais chez
vous plutôt que chez une autre firme?
M. Champoux (François) : J'espère,
la qualité de nos services. J'espère, notre expertise.
Le Président (M. Bernier) : M. le
député.
M.
Girard : Merci. D'autres intervenants nous disaient que plusieurs
entrepreneurs vont avoir un pied-à-terre dans certains paradis fiscaux, mais habituellement, on nous a dit, c'est
parce qu'ils font des affaires là, bon, un hôtel à la Barbade, etc.
Avez-vous des clients qui font affaire dans des
endroits comme le Luxembourg, la Barbade, les îles Jersey ou Guernesey?
Le Président (M. Bernier) :
M. Champoux.
M. Champoux (François) : Vous
comprendrez qu'on ne peut pas parler des affaires de nos clients de façon spécifique. Ce que je peux vous dire, c'est que
vous avez tous lu par ailleurs... tout le monde a vu dans les journaux des
multinationales qui ont des filiales dans
différents pays, incluant certains des pays que vous avez mentionnés, mais, je
répète encore une fois, ce n'est pas nécessairement pour éviter... ce n'est pas
pour éviter de l'impôt canadien que ces sociétés-là ont des filiales dans ces
pays-là.
M.
Girard : Donc, si je comprends bien, si ces sociétés-là ont des
filiales dans ces pays-là, c'est pour faire des affaires dans ces
pays-là, la plupart du temps.
M. Champoux (François) : Oui.
M. Girard :
J'ai fait une petite recherche rapide : à la Barbade, 290 604 habitants; Jersey, Guernesey,
163 000 habitants, c'est à peu
près gros comme la ville de Trois-Rivières et l'arrondissement. Je trouve que
ça en fait pas mal, de monde qui font affaire là, pour une si petite
population. Quelle sorte d'affaires ils peuvent faire dans ces pays-là?
Le Président (M. Bernier) : M.
Champoux.
M.
Champoux (François) : Comme
je vous disais, il y a toutes sortes de sociétés qui y sont établies, et
souvent certaines de ces sociétés-là
vont être ce qu'on appelle des sociétés de holding, qui vont détenir d'autres
sociétés qui, elles, exploitent des
entreprises qui sont opérantes. Donc, ce n'est pas nécessairement des sociétés
qui vont avoir 1 000 employés, mais c'est des sociétés, par
contre, qui vont avoir énormément d'actif.
• (16 h 30) •
M. Girard : Mais pourquoi le holding
est là? Si ce n'est pas pour la fiscalité, là, pourquoi...
M.
Champoux (François) : Comme
je vous disais, il y a des raisons qui ne sont pas fiscales. Il peut y avoir
des raisons fiscales, par ailleurs.
Il y a des conventions fiscales qui ont été négociées entre tous les pays. Il
peut arriver, par exemple, que, si
vous alliez faire affaire dans le pays B, si votre société de holding est
dans le pays A, le pays B va vous donner un régime fiscal
préférentiel, et ce qui est tout à fait légal en vertu de la convention fiscale en vigueur, des lois des deux pays. En
fait, si on prend le Canada, le pays de holding et le pays où la filiale
opérante est, c'est tout à fait légal en
vertu des lois des trois pays, en vertu des conventions fiscales, il n'y a absolument
rien d'illégal dans ça.
Le Président (M. Bernier) : M.
le député.
M. Girard : Non, ce n'est pas que c'est illégal, mais ça peut
être très, très, très sur la ligne pour sauver le l'impôt. Et est-ce
que le fait, une question
que j'ai posée aussi à d'autres, qu'on m'a dit que non, je sais que ce n'est
pas légal, mais j'ai des gros doutes
que ça se fait... Est-ce que c'est possible soit de transférer des pertes par
le holding vers le Canada ou encore de transférer des profits, des gains
vers le holding, qui va être imposé? Vous allez me dire que non, mais... ça ne
se fait pas chez vous, j'en suis convaincu. Est-ce que
ça peut se faire? Est-ce que c'est quelque
chose qui peut se faire actuellement?
Le Président (M. Bernier) :
M. Champoux.
M.
Champoux (François) : Je
vais essayer de ne pas être trop technique, mais les règles fiscales canadiennes
prévoient essentiellement que, si un
revenu sort du Canada pour aller dans une société
d'un pays étranger qui est une filiale d'une société canadienne, ce
revenu-là va être taxé au Canada, lorsqu'il est gagné par la filiale étrangère.
Donc, la loi canadienne donne une espèce d'extraterritorialité au Canada en termes de taxation de ces revenus-là. Donc, je vous dirais que non, techniquement ça ne fonctionne pas. Et
d'exporter ou d'importer des pertes fiscales, ça ne fonctionne pas non plus. Donc, des pertes fiscales, à titre d'exemple
une société canadienne qui a une filiale dans un autre pays, qui a des
pertes fiscales, ces pertes fiscales là ne peuvent pas être importées au Canada
en vertu du régime fiscal actuel.
M.
Girard : Donc, la loi ne le permet pas, et vous me dites que ça ne
peut pas se faire non plus, ce serait illégal, oui, mais est-ce que vous
croyez...
M.
Champoux (François) : Je ne
vous dis pas que ça... Non, mais je ne veux pas juste dire que ça serait
illégal; je ne connais pas de
technique qui permettrait de le faire. Donc, la loi ne le permet pas, la loi
est rédigée de sorte à ce que ce n'est pas possible de le faire.
M. Girard : Dernière question :
Avez-vous des points de service dans ces pays-là, dans ce genre d'endroit?
Avez-vous un pied-à-terre, comme société, dans ces pays-là?
M. Perron
(Marc) : Bien, dans
certaines, oui. On a un bureau au Luxembourg, évidemment, on fait des affaires
au Luxembourg. Mais je n'ai pas la liste de l'ensemble
de nos cabinets à travers le monde, là, mais, dans certains des pays que
vous avez mentionnés, oui, on a des points de... on a des bureaux, oui.
Le Président (M. Bernier) :
Merci, M. Perron.
M. Girard : Merci. Ça fait le tour,
M. le Président.
Le Président (M. Bernier) :
M. le député de Sainte-Rose.
M.
Habel : Merci, M. le Président. L'évitement fiscal ou la planification
fiscale agressive puis l'évasion fiscale, c'est quelque chose que le mandat de la commission s'est donné de
regarder cette situation-là. On sait que ça affecte la société de manière très globale parce qu'on a des
besoins en termes de revenus pour investir en santé, en éducation, pour les familles du Québec, puis c'est 800 millions,
une estimation, là, qu'on pourrait perdre, là, à cause de ces stratagèmes.
On verse d'importants, aussi, montants aux
firmes comptables pour des mandats qui sont conférés par le gouvernement
du Québec.
Peut-être une
question rapide, mon collègue l'a abordé aussi, de Trois-Rivières : Est-ce
que vous contribuez de près ou de loin à ce genre de stratégie fiscale?
Le Président (M. Bernier) :
M. Champoux.
M. Champoux (François) : La réponse,
comme j'ai mentionné, c'est non, nous n'avons aucune activité qui représente de l'évasion fiscale. L'évasion
fiscale, comme je le mentionnais, c'est de ne pas rapporter des revenus, de
cacher des biens. Nous ne participons pas dans ces activités-là.
D'ailleurs,
si vous me permettez, là-dessus les lois canadiennes, également, et les lois du
Québec fonctionnent de sorte à ce que
tout contribuable qui a des biens à l'étranger doit les rapporter. Donc, il y a
des formulaires qui doivent être
remplis par chaque contribuable canadien qui a des biens à l'étranger, que ce
soient les sociétés ou les particuliers. Et, dans tous les cas, on
assiste nos clients dans la préparation de ces formulaires-là.
Le
Président (M. Bernier) : Merci. M. le député de Sainte-Rose.
M.
Habel : On est ici aussi pour apporter des modifications qui
pourraient permettre de récupérer ces charges fiscales là, puis je sais que l'ensemble de mes collègues sont aussi
attablés à cette situation, il y a plusieurs possibilités.
Vous
avez parlé légèrement du reporting par pays. J'aimerais savoir comment vous
entrevoyez l'évaluation de ce reporting
par pays là à court terme, à moyen terme et à long terme. Pensez-vous que c'est
applicable rapidement? Et est-ce qu'il
devrait y avoir des modifications à la loi comptable internationale pour
appliquer ces règles de reporting par pays?
M. Champoux
(François) : Je vous dirais que, dans la mesure où les autorités
fiscales ont, évidemment, les ressources
pour passer à travers l'information qu'il y a dans ces documents-là, c'est un
excellent outil, oui, le reporting «country by country».
M. Habel :
Donc, ça pourrait être applicable rapidement pays par pays?
M. Champoux (François) : Comme
je vous dis, on n'a aucun contrôle sur ce que les autorités fiscales vont en
faire, mais, oui, c'est un excellent outil. Vous avez essentiellement le
portrait global avec ce reporting-là.
M.
Habel : Donc, au niveau... Par exemple, pour les gens qui nous écoutent, là, le reporting par pays, là, c'est
de dévoiler ses résultats
financiers, là, avec les montants des ventes intragroupe et extérieures au
groupe, les achats ventilés de la
même façon, le coût de financement
qui est ventilé aussi, les charges sociales, le résultat avant impôt, les
impôts versés au gouvernement, avec son lieu d'activité, les pays dans lesquels ils opèrent. Donc, vraiment,
c'est quelque chose qui se
passe dans chaque pays.
Puis,
la complexité pour les entreprises d'appliquer ce modèle-là, est-ce qu'il est complexe ou il est facilement
applicable?
Le Président (M.
Bernier) : M. Champoux.
M. Champoux (François) : Je dirais que, si vous regardez l'ensemble des déclarations fiscales, des formulaires que
les entreprises ont à remplir, ça devient extrêmement complexe. Puis vous pouvez vous douter que, pour une société qui a des dizaines et des dizaines
de filiales, ça devient extrêmement complexe, tous ces formulaires-là.
Par contre,
toutes les multinationales canadiennes, québécoises respectent la législation
et produisent ces formulaires-là lorsqu'ils
doivent être produits, à ma connaissance. Et je vous dirais également qu'il y a
plusieurs de ces reportings-là
auxquels vous faites référence qui existent déjà depuis de nombreuses années.
Si on prend... Encore là, sans être
trop technique, mais il y a un formulaire qui s'appelle, essentiellement, T106, en vertu duquel toute société canadienne doit
montrer toutes ses transactions avec des filiales étrangères, et il y a
d'autres formulaires qui existent depuis un nombre
d'années aussi, qui s'appellent des T1134 et des T1135, où une société
canadienne doit essentiellement produire un
formulaire pour chacune de ses filiales étrangères et mentionner certaines informations financières sur sa filiale étrangère.
Le Président (M.
Bernier) : Merci. M. le député.
M.
Habel : Oui, merci, M. le Président. Peut-être aussi pour les gens qui nous écoutent, là, en
quoi le reporting par pays pourrait mettre en lumière une certaine
distorsion au niveau des prix de transfert, là, qui apporterait à Revenu Québec ou d'autres instances qui évaluent la fiscalité, là, de pouvoir peut-être
émettre un son de cloche, là? En quoi le
reporting par pays pourrait mettre en lumière cette distorsion des prix de
transfert mais aussi pourrait peut-être révéler des holdings que je vais qualifier
d'agressifs, aussi?
Le Président (M.
Bernier) : M. Champoux.
M. Champoux (François) : Les lois canadiennes prévoient déjà que les sociétés
canadiennes qui ont des opérations avec
des filiales, avec des sociétés étrangères qui leur sont liées, avec lesquelles
elles sont liées, donc, lorsqu'il y a un actionnariat,
essentiellement doivent rapporter leurs transactions
intercompagnies. La différence du «country by country», c'est que maintenant ce reporting-là va devoir être fait pour chaque
pays. Donc, essentiellement, ce que ce reporting-là va permettre, si vous
permettez l'expression, c'est de diviser encore davantage l'information et d'aller de façon encore plus précise dans l'information.
M.
Habel : Est-ce que,
par exemple, ce reporting par pays là ne pourrait pas, par exemple, révéler qu'il y a beaucoup
de dépenses, par exemple, dans un pays
comme, par exemple, la Barbade et plus de revenus dans d'autres pays?
Est-ce que ça pourrait révéler ce type d'information là, qui pourrait peut-être apporter un son de cloche, là, aux autorités
fiscales?
Le Président (M.
Bernier) : M. Champoux.
M. Champoux (François) : Oui, absolument, oui, ça
va le faire. Mais je reviens à ce que je disais tantôt, les règles
de prix de transfert actuelles, en principe, permettent déjà de le faire. Mais,
oui, ça va le faire.
Le Président (M. Bernier) :
Ça va? M. le député de La Prairie, vous avez une question?
M. Merlini :
Oui, oui, tout à fait. Merci beaucoup, M. le Président.
Vous avez
mentionné dans votre allocution que vous offrez des conseils conformes à la loi
et adéquats pour les compagnies et
que vous offrez comme conseils aussi à vos clients de saisir des occasions
d'affaires. C'est quoi, pour vous, saisir
des occasions d'affaires? Parce qu'évidemment il y a des possibilités
d'investissement, il y a des possibilités d'aller à l'international, mais c'est assez général comme
descriptif de dire «saisir des occasions d'affaires». Comment voyez-vous
ça? C'est quoi, pour vous, quand vous offrez ce conseil-là à vos clients?
M. Perron
(Marc) : Bien, mon
commentaire était très... était général, pas nécessairement juste relié à la
question fiscale, mais évidemment ce
qu'on veut, c'est supporter nos clients qui font des investissements ici, au
Canada, au Québec, ailleurs à l'étranger pour qu'ils soient capables,
là, d'être compétitifs puis de saisir, comme je disais, des occasions
d'affaires qui peuvent se présenter un peu partout sur la planète, parce que
c'est important pour les entreprises ici de prospérer,
puis une partie de la prospérité vient par l'exportation puis l'investissement
qu'on peut faire ailleurs à l'étranger pour prospérer dans ces
marchés-là aussi.
Le Président (M. Bernier) :
Merci. M. le député.
• (16 h 40) •
M.
Merlini : Merci, M. le Président. Évidemment, saisir les occasions
d'affaires dans un monde qui est complexe... On a entendu les gens de PwC parler de la complexité des lois fiscales à
travers le monde. Mon collègue de Sainte-Rose a fait allusion, là, évidemment, et vous l'avez soulevé dans votre
présentation, que le «country-by-country reporting» est un outil essentiel. Ça doit être quand même assez complexe pour vous d'en même temps
conseiller et de donner des suggestions d'investissement et des occasions d'affaires à l'international et aussi par rapport au Québec, vous voyez certainement des législations
où, pour un client ça va être plus fiscalement avantageux d'aller, je ne sais
pas, je vais dire ça comme ça, en Grande-Bretagne, au lieu d'investir à
Tadoussac, par exemple. Je dis ça comme ça, comme exemple, là.
M.
Champoux (François) : ...nos
clients vont prendre d'abord et avant
tout des décisions d'affaires et
après vont venir nous demander :
Quelles sont mes obligations fiscales par rapport à cette occasion
d'affaires là?, mais nos clients ne
prennent pas leurs décisions d'occasion d'affaires basés d'abord et avant tout sur la fiscalité. Nos clients vont avoir
une occasion d'affaires et vont venir nous
demander : Quelles sont nos obligations fiscales par rapport à cet investissement, à cette occasion d'affaires?
M.
Merlini : Dans votre
présentation, vous avez parlé de l'acceptation des clients selon vos normes et
vos valeurs. PwC parlait qu'eux ont mis en place un code de conduite
spécifique à leur entreprise. Avez-vous quelque chose de semblable? Et, si vous pouvez, sans dévoiler de
secret professionnel, quelles sont,
pour vous, ces normes et ces valeurs qui
fait que vous acceptez les clients ou, quand vous sollicitez, là, vous faites du
démarchage pour des nouveaux clients?
Le Président (M. Bernier) :
M. Perron.
M. Perron
(Marc) : Oui, on a un
processus d'acceptation de client, comme je le mentionnais, où on regarde les
antécédents de ces clients-là pour s'assurer
de leur bonne conduite, de leur réputation. On veut s'associer avec des clients
qui ont une réputation qui va être similaire à la nôtre, donc, parce qu'on veut
conserver notre réputation.
On a un code
d'éthique, évidemment, pour chacun de nos employés. À chaque année, nous aussi,
chacun de nos gens, chacun de nos employés et chacun de nos associés
doit se soumettre à un questionnaire qui est très détaillé, là, au-dessus de 100 questions, par rapport au code
d'éthique et par rapport à l'ensemble de ces obligations-là. Et évidemment
tout manquement au code d'éthique ou à nos politiques internes serait
sanctionné, sans l'ombre d'un doute.
Le
Président (M. Bernier) : Juste une sous-question : Est-ce
que vous recommandez à vos clients de faire une divulgationvolontaire
si vous constatez qu'ils ont effectivement des argents dans les paradis
fiscaux?
M.
Champoux (François) :
Absolument. En fait, la première question qu'on va se poser, c'est évidemment
si on accepte ce client-là, si on est
prêts à faire affaire avec ce client-là. Et il est évident que, si un client...
si on accepte de faire affaire avec quelqu'un qui a des revenus ou des actifs
non déclarés à l'étranger, la première chose qu'il va devoir faire,
c'est une divulgationvolontaire, absolument.
Le Président (M. Bernier) :
Continuez, M. le député.
M. Merlini : Merci beaucoup, M. le
Président. Vous êtes ici et vous avez l'opportunité de venir présenter un mémoire. Maintenant, si vous aviez une
recommandation à proposer, quelle serait-elle? PwC en a fait une série, là,
mais, selon vous... Parce que, le
phénomène, vous avez parlé du travail de l'OCDE et les actions fiscales à
l'international qui sont à faire,
c'est un premier pas, mais vous, comme compagnie, comme Deloitte, qu'est-ce que
vous proposeriez au gouvernement du
Québec pour qu'on puisse rester compétitifs mais pour qu'en même temps on
puisse être capables de récupérer ces sommes
qu'il nous manque, là, par l'évasion ou l'évitement fiscal... pas l'évitement
fiscal, mais, je veux dire, l'évasion fiscale?
Le Président (M. Bernier) :
M. Champoux.
M. Champoux (François) : On pense que la solution passe effectivement par...
on pense que ça passe effectivement par
un effort concerté comme ce que l'OCDE fait, comme ce que les pays du G20 font.
C'est-à-dire que, comme je le mentionnais
précédemment, chaque pays, évidemment, est souverain en termes de législation
fiscale, et c'est uniquement des
efforts concertés qui permettent, essentiellement, de faire en sorte que la
fiscalité à travers les pays, à travers la majorité des pays, à tout le
moins, ait une certaine continuité, si on veut.
M.
Merlini : Bien, je vais aller un petit peu plus loin. PwC, leur
première recommandation, c'est de s'assurer d'obtenir des données adéquates en donnant un mandat à un organisme
indépendant d'étudier la situation en profondeur et de s'assurer de colliger l'information pertinente
parce que c'est vaste, c'est international. Oui, je comprends l'idée de
l'effort concerté, l'effort que fait
l'OCDE, mais voyez-vous un organisme indépendant le faire, sur lequel vous
pourriez siéger comme représentants
ou que l'ordre pourrait siéger, comme représentants de l'ordre, pour justement
faciliter le travail de concertation dont vous parlez?
M. Champoux (François) : Je ne suis pas certain de comprendre à quelles
données ils faisaient référence quand ils
parlaient d'un organisme indépendant pour collecter les données. Parce qu'ils
parlaient de collecter les données sur les
revenus non déclarés, sur les actifs non déclarés, sur essentiellement
l'économie souterraine en vertu de laquelle des revenus sont non déclarés. Si c'est ce à quoi ils font référence, je
pense qu'on n'aurait absolument aucune objection avec une initiative
comme ça.
Le Président (M.
Bernier) : Merci. M. le député de Rosemont.
M. Lisée : Merci, M. le Président. Bonjour, MM. Perron et Champoux.
Je veux vous parler de ce que vous faites dans la légalité. En 2013, un
des bras de Deloitte a publié un document qui s'appelle Investing in Africa through
Mauritius, à travers l'île
Maurice, et le document, qui est public, qui a été présenté à un certain nombre
d'investisseurs, dit : Bien, écoutez, si
vous investissez, par exemple, au Mozambique, vous allez payer des taxes, vous
allez payer des taxes de 20 % et
ensuite, sur les gains de capitaux,
des taxes de 32 %, mais il y a un truc pour ne pas en payer : créez
un holding dans l'île Maurice, et on
va vous aider à faire ça, nous, à Pricewaterhouse... nous, à Deloitte,
excusez-moi, peut-être que les autres le feront aussi, mais nous, à Deloitte, on va vous aider à faire ça, et, en
faisant ça, vous allez payer juste 8 % de taxe, plutôt que 36 % ou plutôt que 20 %. Alors, vous baissez vos
taxes de 20 % à 8 %, puis le gain de capital, zéro, de 32 % à
zéro. Bien, évidemment, c'est génial
pour l'entreprise, mais ça veut dire que le Mozambique, qui est l'exemple
utilisé par Deloitte dans son
document, où la moitié de la population vit sous le seuil de la pauvreté, va
perdre énormément de revenus fiscaux. C'est ce que vous faites dans la
vie.
Le Président (M.
Bernier) : M. Champoux.
M. Champoux (François) : La réponse à la dernière question, c'est non, ce
n'est pas ce qu'on fait dans la vie.
Maintenant,
oui, il y a de la planification fiscale qui se fait, et je vous dirais... Puis
je n'ai pas, évidemment, là, la référence au document auquel... mais il
existe de toute évidence, là. Mais ce qu'il faut comprendre aussi, c'est que le
Mozambique a de toute évidence accepté de
signer un traité avec Mauritius, dans ce cas-ci, avec l'île Maurice, dans ce
cas-ci, qui dit que, si la société qui
dispose du bien, parce qu'on parle des gains en capital, ou qui réalise le
revenu est une société qui est dans
votre pays, à ce moment-là, l'impôt va être réduit à 8 %. C'est le
Mozambique, c'est le Mozambique, dans ce cas-ci, qui a accepté de signer
la convention fiscale. Et, comme je vous disais précédemment, les lois fiscales
internationales, les conventions fiscales sont extrêmement complexes, mais
certains pays, pour différentes raisons...
M. Lisée :
Oui, évidemment. Vous n'avez pas inventé l'accord fiscal entre le Mozambique et
l'île Maurice. L'île Maurice a décidé d'être
la porte d'entrée pour l'Afrique et a créé ce système-là, donc, de genre de
paradis fiscal qui permet aux
entreprises de passer par l'île Maurice, de laisser quelques sous au passage
mais à peine pour ne pas payer d'impôt
dans les autres pays. Évidemment, les autres pays ont signé l'entente aussi.
Peut-être ont-ils eu des conseils pour faire ça, de mauvais conseils.
Mais vous, donc, vous arrivez puis vous dites : Bon, bien, il est là, le
truc. O.K.? Et cet article de The
Observer explique que vos collègues britanniques ont tenu une conférence
pour... devant des gens de Citibank, J.P.
Morgan, Standard Bank, des firmes chinoises, et donc vous propagez à des gens
qui peut-être ne l'auraient pas vu, ne l'auraient pas su, seraient allés
au Mozambique et auraient payé leurs taxes. Là, vous dites : Non, non,
non, ne faites pas ça, là. Nous autres, on
va vous charger de l'argent pour venir voir la conférence, puis ensuite, si
vous êtes notre client, on va
structurer ça, on va faire en sorte que légalement vous soyez au Mozambique,
vous faisiez des affaires, mais que vous payiez beaucoup moins de taxes.
Le Président (M.
Bernier) : M. Champoux.
M. Champoux (François) : Il faut bien comprendre que le truc auquel vous
faites référence, c'est une loi, c'est des conventions fiscales qui ont
été signées par les pays et qui permettent ce type d'incitatifs fiscaux là.
Le Président (M.
Bernier) : M. le député.
M. Lisée :
Le document, on l'a ici, il est en ligne. Je ne dis pas que c'est illégal, je
ne dis pas que ça n'existe pas, mais
c'est intéressant parce que l'exemple que ça donne, c'est pour les compagnies
chinoises, hein, vous avez «a Chinese holding compagny», puis les Chinois ne sont
peut-être pas aussi alertes que les compagnies européennes. Et donc vous
êtes légalement dans la dissémination
d'information permettant d'utiliser des échappatoires légales dont la
résultante est qu'il y a moins
d'impôt dans les coffres d'un pays dont 50 % de la population est sous le
seuil de la pauvreté. Vous n'avez pas de malaise?
Le Président (M. Bernier) :
M. Champoux.
M.
Champoux (François) : Comme
je vous mentionnais, dans la mesure où ça a été fait, c'était en respect des
conventions fiscales que le Mozambique lui-même
a signées avec l'île Maurice. Le Mozambique, le gouvernement du Mozambique lui-même a signé cette
convention fiscale là et accorde... en
vertu de ses lois internes, donne
vigueur à cette convention fiscale là.
• (16 h 50) •
M. Lisée : Je comprends. Mais vous travaillez pour votre entreprise,
vous voulez avoir des clients. Pour avoir des clients, il faut utiliser les méthodes légales qui leur permettent
de payer le moins d'impôt possible, et, si vous, vous ne l'offrez pas, il y a quelqu'un
d'autre qui va l'offrir. Mais il me
semble que, dans ce système-là,
là, vous ne travaillez pas pour le bien commun.
Le Président (M. Bernier) :
M. Champoux.
M. Champoux (François) : Écoutez,
comme je vous dis, ça respecte les lois du Mozambique, ça respecte la convention fiscale. La société
qui va, essentiellement, déclarer son gain en vertu de la convention fiscale entre le Mozambique et
l'île Maurice, dans ce cas-ci, là, va être en respect de toutes les lois en
vigueur.
M. Lisée : O.K. Alors, il est
certain...
M.
Champoux (François) : Et là
on revient à la question dont on parlait au début, la moralité, l'éthique,
mais...
M. Lisée : ...business, vous
faites de la business légale, mais ça a cette conséquence-là.
Je reviens à
l'autre question. Bon, vous, vous dites : On est dans le
cadre de la légalité. On a eu vos prédécesseurs qui ont dit : Bien, nous, on regarde, là, si on pense qu'on est sur
la ligne du 50,1 % légal, on le
recommande; si on est en bas de ça,
on ne le recommande pas. Mon collègue de Rousseau a dit : Bien, il me
semble que vous devriez recommander 90 %
légal, là, pas être sur la ligne. Mais moi, je comprends que vous êtes en
compétition avec d'autres compagnies comme la vôtre, qui, eux autres,
ils vont être sur la ligne, puis, si vous n'êtes pas sur la ligne, vous allez
perdre votre client.
Mais là il y
en a qui sont de l'autre bord de la ligne, il y en a qui disent : Bien là,
il y a juste 15 % de chances que ce
soit légal, mais on va s'essayer, et donc vous, vous allez dire : Bien
non, nous, on ne fait pas ça. Trouvez... Allez ailleurs. Je vais essayer de vous dire de ne pas faire ça,
ce n'est pas une bonne idée, vous allez aller ailleurs. Et c'est sûr qu'ils
vont ailleurs, parce qu'il y a des milliards de dollars qui vont
ailleurs.
Alors, est-ce
qu'il vous est arrivé d'avoir connaissance, peut-être pas d'un de vos clients,
parce que vous avez un devoir de
réserve, mais d'avoir connaissance qu'il y avait un stratagème illégal qui
était en train de s'organiser autour de...
bien, pas dans votre compagnie, mais dont vous avez la connaissance, vous avez
pris le téléphone puis vous avez appelé Revenu Canada pour dire :
Il y a quelque chose qui se passe, là, qui est illégal?
Le Président (M. Bernier) :
M. Champoux.
M.
Champoux (François) : En
fait, la réponse à votre question, c'est non. Je ne pense pas qu'il nous est
arrivé... puis je ne pourrais pas
parler pour tout le monde dans l'ensemble de la firme, mais je ne pense pas
qu'il nous est arrivé d'appeler Revenu Canada ou Revenu Québec puis de
dire : Écoutez, il y a quelque chose d'illégal qui se passe, allez
enquêter. La réponse, c'est non.
M. Lisée : Parce que?
M. Champoux (François) : Ceci étant
dit...
M. Lisée : Mais ce n'est pas
arrivé parce que vous n'avez jamais rien vu d'illégal?
M. Champoux (François) : Bien,
premièrement, encore là, sur le terme «illégal», comme je vous disais, la
planification fiscale que l'on fait, elle est conforme aux lois fiscales, donc...
M. Lisée :
Je ne parle pas de vous, là, hein? Je dis : Ça ne se peut pas que des spécialistes
de la planification fiscale comme
vous ne sachiez pas qu'il existe à Montréal, à Québec, à Toronto des gens qui
font tous les jours à temps plein, à 500 $ de l'heure, de la
planification fiscale agressive illégale. Moi, je ne peux pas croire ça.
M.
Champoux (François) : Je
peux vous assurer qu'en 25 ans de carrière je n'en connais pas, je ne
connais pas une personne qui fait ça.
M. Lisée : Puis
vous n'avez pas de soupçons? Puis, les clients qui ne veulent pas être chez
vous parce que vous êtes trop pointilleux, vous ne savez pas où est-ce
qu'ils vont? Vous ne savez pas comment ils font ça?
M. Champoux (François) : Comme firme, on a des procédures, de toute
évidence, des procédures qui vont faire en sorte essentiellement qu'on va recommander ou ne pas recommander une
planification fiscale à un client. Et, si une planification fiscale est
trop agressive, elle ne sera pas recommandée au client.
Le Président (M.
Bernier) : Merci. M. le député de Rosemont.
M.
Lisée : Monte Fonseca, au Panama, bon, là, on a tous su que ça
existait, on a tous su que ce que ça faisait dans la vie, c'est trouver, organiser des écrans
fiscaux pour faire de l'évitement et de l'évasion fiscale, hein? Mossack
Fonseca.
Alors, vous, quand vous avez vu ça dans le
journal, qu'il y a des entreprises, il y a des individus au Québec, au
Canada qui sont sur la liste, est-ce que vous en aviez déjà entendu parler?
Le Président (M.
Bernier) : M. Champoux.
M. Champoux
(François) : La réponse, c'est non.
M.
Lisée : Vous avez découvert ça le jour où c'est sorti dans le
journal? Est-ce que vous saviez qu'il y a des gens au Canada, au Québec
qui utilisait le Panama pour éviter de payer de l'argent?
M. Champoux (François) : Je vous dirais que le Panama n'est pas reconnu
comme un paradis fiscal. Et ce que je comprends...
Et je pense qu'il faut faire attention aussi, parce que, là, on semble partir
avec la prémisse que tout ce qui a été fait
dans les Panama Papers est illégal ou de l'évasion fiscale, mais... enfin, je
ne suis pas en mesure de le dire, je n'ai pas regardé tout ce qui est
là, mais...
M. Lisée :
Disons qu'on est sûrs qu'il y en a une partie, on est pas mal sûrs qu'il y en a
une partie.
M. Champoux (François) : Peut-être. Supposons qu'il y en a une partie.
Mais, comme je vous dis, le Panama n'est
pas un paradis fiscal. Donc, ce qui a été fait dans les Panama Papers, je ne
peux pas vous dire ce qui a été fait, je ne connais pas les détails,
mais je serais très surpris que ce soit d'utiliser le Panama comme paradis
fiscal.
M.
Lisée : Qu'est-ce que
vous pensez de l'évaluation qui est faite par le ministère des Finances et qui nous dit que, d'après eux, il y a 47 milliards de dollars qui sont des avoirs de Québécois
qui sont parqués dans des paradis fiscaux? Est-ce que vous pensez que c'est raisonnable comme estimation?
Le Président (M.
Bernier) : M. Champoux.
M. Champoux (François) : Encore là, ça dépend comment on définit cela. Par exemple,
si ça inclut un holding qui détient 20 filiales opérantes...
M. Lisée :
Non, non, ils ne calculent pas ça, là.
M. Champoux
(François) : Donc, si on parle simplement d'argent que des Canadiens
ou des Québécois...
M. Lisée :
Des Québécois.
M. Champoux (François) : ...auraient, disons caché dans des paradis
fiscaux, j'ai énormément de difficultés à concevoir comment ça peut être possible.
M.
Lisée : Ils
considèrent que c'est la borne inférieure. Ce que je n'arrive pas à comprendre...
On vous a entendus, vous, on a
entendu KPMG, on a entendu les gens de Pricewaterhouse, on va en entendre
d'autres. C'est comme si vous tombiez
des nues qu'il y a... C'est sûr qu'il y a des milliards de
dollars d'argent québécois dans les paradis fiscaux. Vous, vous n'en faites
pas, vous ne connaissez pas de clients qui en font, vous ne savez pas comment
ça s'organise, vous n'en avez jamais entendu parler. Si vous étiez assis
à ma place, est-ce que vous croiriez ça?
Le Président (M.
Bernier) : M. Champoux.
M. Champoux (François) : Je me répète et je m'excuse, là, mais nous ne
faisons pas d'évasion fiscale.
M.
Lisée : Non, non,
mais pas vous, là. Mais vous vivez avec des comptables, des compagnies, tout le monde est là-dedans, vous parlez de fiscalité tous les jours avec tout le monde, vous voyez ça, vous lisez ça, puis vous n'êtes pas au courant qu'il y a des milliardaires,
des millionnaires, des gens d'affaires, au Québec, qui ont caché de l'argent
là? Puis ils ne l'ont pas fait tout
seuls, là, à dos de mulet, là, il y a du monde qui les ont aidés, puis il y a
du monde qui devaient être vos camarades de classe aux HEC qui font ça
dans la vie. Mais là vous me dites : Jamais entendu parler de ça.
M.
Champoux (François) : Je
peux vous dire que, dans notre pratique, dans ma pratique, si quelqu'un
venait me voir pour me dire : Je
veux cacher de l'argent, je veux transférer de l'argent,
cacher de l'argent, faire de l'évasion fiscale dans un des pays...
M. Lisée : Ce n'est pas ma question, ce n'est pas ma question.
Est-ce que vous savez qu'à Montréal il y a
des gens qui font ça dans la vie,
conseiller des riches Québécois pour cacher leur argent illégalement, ou vous
me dites ici que vous n'avez jamais
entendu parler de ça, même dans vos cocktails avec vos amis, vos anciens
camarades de classe, que... C'est comme s'ils existent dans un univers
parallèle qui n'a pas d'intersection avec le nôtre?
M. Perron
(Marc) : S'ils existent, on
ne les connaît pas. En tout cas, moi, je ne les connais pas puis je n'ai jamais entendu
parler — puis
je suis dans le monde des affaires — quelqu'un
qui m'a dit : Marc, j'ai trouvé une combine pour placer de l'argent dans des paradis fiscaux, ou : Aide-moi à
faire ça, ou : Connais-tu quelqu'un pour faire ça? Ça ne m'est jamais...
Le Président (M. Bernier) : M.
le député de Nicolet-Bécancour.
M.
Martel : Bonjour, M. Perron, M. Champoux. Moi,
je n'essaierai pas de vous faire dire que vous travaillez dans une boîte qui essaie de faire des
arrangements pour frauder la fiscalité, je ne pense pas que vous fassiez ça. Je
ne veux pas vous le faire dire parce qu'aussi,
si vous le disiez, je pense que vous n'auriez pas de job en retournant chez
vous, puis vous avez l'air de des bons gars, puis je ne veux pas que
vous perdiez votre job.
Le Président (M. Bernier) : ...pour
créer de l'emploi.
M.
Martel : Oui. Mais j'en parlais tout à l'heure, tu sais, nous, on est au
niveau politique, on vit dans une époque où la fiscalité, c'est difficile. Tu sais, il y a des gens qui font
leurs rapports d'impôt actuellement, là, puis ils arrivent... ils ont des enfants dans les CPE, ils vont payer
plus cher d'impôt que prévu. Il y a des cas parmi la société, des Québécois
qui paient de l'impôt, c'est vraiment étouffant. Malgré ça, c'est difficile.
Même si on est dans une période budgétaire difficile,
il faut couper des services, il faut... C'est difficile, les choix
gouvernementaux, les choix par rapport à la fiscalité, actuellement.
Moi, je
voudrais juste savoir... Puis on imagine qu'il y a des gens qui ne paient pas
leur juste part d'impôt. Moi, je voudrais
savoir — puis
j'aimerais ça que vous sortiez un petit peu du voile corporatif, là, que vous
vous mettiez au niveau du
citoyen : Est-ce que vous reconnaissez qu'il y a une problématique au
Québec, qu'on perd de l'argent, au Québec, parce qu'il y a des gens qui
mettent des sous à l'abri de l'impôt dans des paradis fiscaux?
Le Président (M. Bernier) :
M. Perron.
• (17 heures) •
M. Perron (Marc) : Si je peux me
permettre, si l'étude de Revenu Québec qu'on citait tantôt dit qu'il y a 47 milliards qui échappent au gouvernement parce qu'il est caché dans des paradis fiscaux
puis non déclaré, évidemment, c'est
perturbant. Un, je ne sais pas comment le chiffre a été bâti, mais, si c'est le
cas, je pense qu'il faut s'attaquer à ça, comme société, puis avoir des mesures très, très précises pour cibler
ces individus-là, ces organisations-là, parce que ce qu'ils font, on l'a dit d'entrée de jeu, c'est
criminel. Donc, s'il y a cette base fiscale là qui nous échappe, il y a
beaucoup d'argent là, comme société, il faut s'attaquer à ça, c'est
clair.
M.
Martel : Ce n'est
pas tout à fait ma question. Ma question, c'est : Est-ce que vous croyez
qu'il existe des paradis fiscaux, qu'on fait
face à ce problème-là? Je vous le dis, là, sortez de Deloitte, faites les
citoyens, tantôt je faisais une
blague en disant : On prend une bière, mais est-ce qu'à votre avis... Vous
êtes des professionnels, vous avez du vécu. Ça se peut qu'un jour vous fassiez de la politique, là, il y a des
comptables qui... Est-ce qu'à votre avis on a un problème d'évasion fiscale, au Québec, ou bien non, tu
sais, on parle de quelque chose qui n'est pas problématique? Moi, j'aimerais ça
avoir votre opinion, là, personnelle.
Le Président (M. Bernier) :
M. Champoux.
M.
Champoux (François) : Moi,
je pense que les lois canadiennes, les lois québécoises sont structurées de
sorte à faire en sorte que les
contribuables canadiens qui font affaire à l'étranger doivent se taxer au
Canada sur les revenus qui doivent
être taxés au Canada et je pense qu'il y a des systèmes de reporting qui font
en sorte que cette information-là est
disponible. Oui, il y a possiblement un problème d'évasion fiscale, mais je
pense qu'on rentre dans un autre domaine dans lequel aucun des deux, on n'est experts, c'est plus l'économie
souterraine, c'est la non-déclaration de revenus, la non-déclaration d'actif, et je vous avoue
humblement que je n'ai pas cette expertise-là. Ce n'est pas ce que nous faisons
dans notre quotidien, ce n'est pas notre profession. Ce n'est pas ce que nous
faisons.
M. Perron
(Marc) : Donc, on n'a pas
l'expertise de dire : Est-ce qu'il y a plus d'argent à aller chercher
parce qu'il est caché dans des pays
étrangers illégalement ou souterrain ici, au Québec, illégalement, on n'a pas
cette expertise-là parce que ce n'est pas notre champ de compétence.
Mais, oui, cet argent-là caché, de n'importe quelle façon, on doit s'attaquer à
ça.
M.
Martel : J'ai
commencé en vous disant : Je ne veux pas vous faire dire des affaires...
Puis je vous crois, moi, tu sais, que
vous n'êtes pas des fraudeurs puis vous n'êtes pas... je n'ai pas de doute par rapport à ça. Mais là vous convenez qu'il
y a possiblement des gens qui se
mettent à l'abri de l'impôt de façon frauduleuse. Vous êtes des comptables,
vous avez une expertise, vous avez
une connaissance. Les gens qui peuvent profiter de ces systèmes-là, ce n'est
pas... ils sont soutenus, ils ont des
trucs, ils ont des stratagèmes. Si vous aviez une recommandation à nous faire,
dire : Regardez, on n'est pas
des experts là-dedans, mais on a quand même une compétence en comptabilité, en
structure d'entreprise, etc., compte
tenu, c'est vrai, qu'il doit y avoir un problème par rapport à ça, moi,
M. Perron, M. Champoux, là, moi, je vous dirais : Comme
comptables, là, vous devriez faire ça, qu'est-ce que ce serait?
Le Président (M. Bernier) :
M. Champoux.
M.
Champoux (François) : Ce
n'est pas une question simple, ce n'est pas une question simple parce qu'on est
dans un système d'autocotisation, hein, c'est-à-dire que notre système fiscal
est un système en vertu duquel chaque contribuable
produit sa déclaration d'impôt, chaque contribuable déclare ses revenus.
Évidemment, celui ou celle qui a un
T4, c'est facile parce que, bon, il y a un document qui provient d'ailleurs,
mais on est dans un système d'autocotisation. Et donc, à partir du moment où on est dans un système d'autocotisation,
les seules mesures, je pense, qui vont permettre d'arriver à ce que vous mentionnez, c'est essentiellement des mesures
qui vont être essentiellement répressives sur les gens qui ne déclarent
pas leurs revenus, qui ne déclarent pas leurs actifs qui sont à l'étranger.
M.
Martel : Mais pour
les prendre, là, pour les...
M. Perron
(Marc) : C'est un travail de
juricomptable, je pense, pour prendre ces gens-là qui font de l'évasion fiscale. Puis on le sait, on parle beaucoup du big
data, etc., que le croisement des données et les systèmes deviennent de plus
en plus sophistiqués par rapport à ça. Il y a peut-être une possibilité là ou
un potentiel à ce niveau-là.
M.
Martel : Combien de
temps qu'il me reste?
Le Président (M. Bernier) :
Une minute.
M.
Martel :
Une minute. Ce n'est pas une pogne, là, mais tantôt mon collègue, je pense que
c'est de Trois-Rivières, vous a
demandé si vous aviez des succursales ou des bureaux, Luxembourg, l'île de
Jersey ou... Vous avez dit oui. C'est quoi, l'objectif d'être dans ces
endroits-là?
M. Perron
(Marc) : L'île de Jersey, honnêtement, il faudrait que je vérifie. Je ne pense pas, je ne le sais pas, je
n'ai jamais entendu parler qu'on avait un cabinet là. Je sais
qu'au Luxembourg on a un cabinet avec plusieurs personnes, parce qu'il y a des entreprises, évidemment, au Luxembourg qu'on
sert.
M.
Martel : À la
Barbade, aux îles Caïmans?
M. Perron (Marc) : Pour servir les entreprises
qui sont là.
Le Président (M. Bernier) :
Des entreprises canadiennes ou des entreprises de l'extérieur?
M.
Champoux (François) : Des
entreprises de partout dans le monde, des entreprises de partout dans le monde.
M.
Martel : Mais
admettons qu'une... Est-ce qu'il me reste du temps? Oui?
Le Président (M. Bernier) : 30 secondes.
M.
Martel : On parlait tantôt, je pense, de la Barbade, là,
100 quelques mille de population. J'imagine, ça ne doit pas être un gros
bureau qui est là, il ne doit pas y avoir... il doit y avoir un ou deux...
M.
Champoux (François) : ...un
ou deux employés à la Barbade, je ne pourrais pas vous dire combien qu'il y a d'employés, mais...
M. Perron
(Marc) : Ce n'est pas un
gros bureau, mais je ne sais pas combien d'employés, malheureusement.
Mais ce n'est pas gros comme le bureau de Montréal, là.
Le
Président (M. Bernier) :
Merci. Merci à M. Marc Perron, M. François Champoux de votre participation à la Commission des finances
publiques.
Je vais
suspendre quelques instants afin de permettre aux représentants
d'Ernst & Young de prendre place. Merci d'avoir participé.
(Suspension de la séance à 17 h 6)
(Reprise
à 17 h 9)
Le Président (M.
Bernier) : À l'ordre s'il vous plaît! Nous reprenons nos travaux.
Donc, nous recevons les représentants de chez Ernst & Young,
Mme Anne-Marie Hubert et M. Albert Anelli.
M. Girard :
M. le Président, je fais motion pour assermenter Mme Hubert et
M. Anelli.
Le Président (M.
Bernier) : Merci. J'invite donc M. le secrétaire à procéder à
l'assermentation des témoins, conformément à
l'article 52 de la Loi sur l'Assemblée nationale. Je vous demande de vous
lever et de lire à haute voix la déclaration qui vous sera fournie.
Assermentation de Mme Anne-Marie Hubert
Mme Hubert (Anne-Marie) : Je, Anne-Marie Hubert, déclare sous serment que
je dirai toute la vérité et rien que la vérité.
Assermentation de M. Albert Anelli
M. Anelli
(Albert) : Je, Albert Anelli, déclare sous serment que je dirai toute
la vérité et rien que la vérité.
• (17 h 10) •
Le
Président (M. Bernier) : Je vous remercie. Vous bénéficiez donc de l'immunité pour votre
témoignage. Merci. Vous avez 15 minutes pour votre présentation.
Ernst & Young
Mme Hubert (Anne-Marie) : Merci,
M. le Président. MM. les membres de
la commission. Je suis Anne-Marie Hubert et j'ai le
privilège de travailler chez EY depuis plus de 30 ans. J'occupe le poste
d'associée directrice pour le Québec.
EY
est fière de son histoire, qui remonte à plus de 150 ans au pays. Depuis
le début, notre réputation est fondée sur
la qualité, la confiance et l'intégrité. Nous sommes aussi fiers de nos gens,
850 personnes au Québec qui se lèvent tous les matins pour faire une différence, des hommes et des femmes qui
amènent leurs points de vue et leurs expériences complémentaires pour contribuer à renforcer la
confiance des marchés et les diverses économies du monde. Nous formons des leaders exceptionnels qui unissent leurs
forces pour assurer le respect de nos engagements envers nos parties prenantes. Ce faisant, nous jouons un rôle crucial en
travaillant ensemble à bâtir un monde meilleur pour nos gens, nos clients et
nos collectivités.
Les valeurs que nous
partageons et notre engagement envers la qualité définissent qui nous sommes.
Notre engagement envers la qualité, ça signifie entre autres de recruter et de développer les meilleurs talents. Ça, c'est au coeur
de nos priorités. Quand on fait des sondages de satisfaction auprès de nos
clients, ils nous disent qu'un des éléments distinctifs
d'EY est notre capacité de travailler en équipe et d'amener les meilleurs
talents. Intégrité, respect, travail d'équipe font partie de nos valeurs. Le courage de faire les bonnes choses est
une autre de nos valeurs fondamentales. Les valeurs, c'est important, ça a une influence sur la façon dont on
travaille et on collabore les uns avec les autres ainsi que sur la façon dont nous servons nos clients et entretenons
des relations avec toutes les parties prenantes, dont les organismes de réglementation,
les autorités fiscales et les collectivités.
À titre de société de
services professionnels, nous fournissons des services d'audit, de fiscalité,
des services consultatifs et des services
consultatifs transactionnels à nos clients. Les normes les plus exigeantes en
matière d'intégrité, de
professionnalisme, d'objectivité, d'indépendance, de rigueur intellectuelle,
d'acceptation client, de continuation client, d'acceptation de mandat client, le code d'éthique, les valeurs, c'est le
fondement de ce que nous faisons. Ce sont les pierres angulaires de la
prestation de tous nos services.
Aujourd'hui, on parle
d'un sujet complexe, et, comme nous le ferions pour tout client, j'ai amené
avec moi la personne la mieux placée pour répondre aux questions de la
commission, Albert Anelli. Albert dirige notre groupe de fiscalité
internationale au sein d'EY Canada, il travaille au bureau d'EY à Montréal
depuis plus de 25 ans. Albert.
Le Président (M.
Bernier) : M. Anelli.
M. Anelli (Albert) : Merci, Anne-Marie. Merci à la commission de nous avoir invités à
s'adresser à vous aujourd'hui.
C'est
évident que la fiscalité, et surtout la fiscalité internationale et les
diverses questions qui s'y rapportent, entre autres, est compliqué. Ne serait-ce que pour cette raison, nous sommes
ravis d'avoir l'occasion de vous donner notre point de vue, à la
commission.
Je tiens à insister
sur un point fondamental pour apprécier l'actuel débat : L'évasion fiscale
est une infraction criminelle. C'est le fait
de ceux qui ne se conforment pas à la loi, et ça, de façon délibérée. Cela est
bien loin de la planification fiscale légitime qui respecte la loi ainsi
que l'esprit de la loi.
De
nos jours, l'éventail des parties s'intéressant aux questions fiscales tend à
se diversifier. Nous nous réjouissons que
la fiscalité ne soit plus l'affaire exclusive des experts techniques et experts
en politique fiscale des gouvernements et
des professionnels de la fiscalité. Nous pensons que le débat public ainsi que
le travail de la commission sont sains et qu'ils pourraient contribuer à
l'amélioration du régime fiscal.
Maintenant,
parlons de nos politiques, nos pratiques et nos normes. EY rejette les
pratiques illégales ou contraires à
l'éthique, quelles que soient les circonstances. Nous condamnons la fraude et
l'évasion fiscale comme toutes les autres pratiques illégales ou contraires à l'éthique. Nous sommes fiers de
l'organisation, que nous avons bâtie sur notre réputation d'intégrité,
de qualité et de professionnalisme.
Soyons
clairs, nous ne risquerions jamais, et je répète, jamais de compromettre notre
entreprise ou notre réputation en
aidant quiconque à commettre une fraude fiscale ou à poser des actes d'évasion
fiscale. EY a une politique de tolérance zéro à l'égard des pratiques illégales ou contraires à l'éthique, et
nous avons adopté des politiques et procédures que tous les membres de notre cabinet doivent respecter
afin de s'assurer que ce genre de pratique n'a pas cours. Nous nous sommes dotés d'un processus
d'acceptation de client et de mandat rigoureux qui nous permet de nous assurer
que nous nous conformons aux normes
professionnelles et que nous offrons des services uniquement à des clients de bonne réputation. Nous avons un code de conduite mondial exhaustif,
et chaque année tous les professionnels doivent confirmer qu'ils le
respectent.
Pour ce qui
est des opinions que nous livrons, des protocoles de révision par plusieurs
associés nous permettent de veiller à
ce que nos opinions soient exactes sur le plan technique et conformes à l'esprit
de la loi. Nous avons un comité d'examen
en fiscalité qui réunit des associés
séniors de nos différentes sous-gammes de services, chargés de vérifier que nos
conseils respectent en tout point la lettre et l'esprit de la législation
fiscale applicable, incluant la règle générale antiévitement et l'analyse
textuelle, contextuelle et téléologique unifiée telle que dictée par la Cour
suprême.
Nous sommes soumis à une foule de codes de
déontologie et à la supervision de nombreux organismes de réglementation. En outre, tous nos professionnels de la fiscalité
reçoivent une formation sur l'éthique et sont unis par de fortes valeurs.
Grâce à une ligne d'assistance téléphonique sans frais sur l'éthique, nos gens,
nos clients et le public en
général peuvent signaler, sous le couvert de l'anonymat, s'ils le désirent,
tout comportement inapproprié ou contraire à l'éthique dont ils sont au
courant.
Parlons maintenant de vocation sociale à titre
de société de services professionnels. La clientèle d'EY est fort diversifiée. De très grandes entreprises,
que ce soit publiques ou privées, en font partie, mais nous servons aussi un grand nombre
d'entrepreneurs, d'entreprises familiales et de nouvelles PME, qui sont les
moteurs de la croissance économique. Nos clients sont les créateurs des
emplois dont notre société a besoin pour atteindre son plein potentiel.
Il est important
de souligner que des gouvernements et des autorités fiscales ici et ailleurs
dans le monde font aussi partie de notre clientèle. Les services que
nous offrons aux gouvernements comprennent la formulation, l'analyse de politiques fiscales ainsi que tout un éventail des
services non liés à la fiscalité visant à aider les gouvernements à améliorer
leur efficacité. Certains gouvernements nous
ont aussi demandé d'offrir des services de formation technique en fiscalité.
Dans le domaine de la vérification, les points
de vue et les services de qualité que nous offrons contribuent à renforcer la confiance envers les marchés
financiers et les diverses économies du monde. À titre de vérificateurs d'états
financiers, notre rôle est de prôner la
transparence et la reddition de comptes, ainsi que le respect des normes
d'intégrité les plus rigoureuses. En
ce qui concerne la fiscalité, nous aidons le secteur privé, les gouvernements
et les autorités fiscales à collaborer les uns avec les autres pour
favoriser l'observation fiscale coopérative.
Le droit
fiscal est complexe. Pourtant, notre régime est fondé sur les principes
d'autocotisation et d'observation volontaire.
Notre expertise et nos services contribuent à rendre un tel régime possible. À
notre humble avis, un régime comme celui-là serait tout simplement
impossible sans experts et conseillers en fiscalité professionnels
indépendants.
Que ce soit à
l'échelle locale ou mondiale, les services d'observation fiscale de base en
matière d'impôt des sociétés, d'impôt
des particuliers et de taxes indirectes constituent un volet très, très
important des services que nous offrons. C'est pour cette raison précisément qu'une partie considérable de notre groupe
de fiscalité se consacre à ce que nous appelons le «global compliance and reporting», afin d'aider
nos clients à s'assurer qu'ils respectent à la lettre toutes leurs obligations de déclarer à l'échelle mondiale en temps
opportun, et en déployant beaucoup d'outils technologiques pour le faire.
De plus en
plus, nous sommes appelés, dans la prestation de nos services, à aider nos
clients dans le cadre d'initiatives multijuridictionnelles complexes en
matière de transparence fiscale — on a souvent entendu ce mot-là aujourd'hui, «transparence», j'imagine — comme la déclaration pays par pays
introduite par l'OCDE, que souvent on fait référence à du «country-by-country reporting». Comme il a été annoncé
dans le dernier budget fédéral, la déclaration pays par pays sera
obligatoire pour les multinationales canadiennes et québécoises dont le revenu
total annuel du groupe consolidé s'élève à au moins 700 millions d'euros,
et ce, pour les années d'imposition débutant après l'année 2015.
• (17 h 20) •
Lorsque les
gouvernements instaurent des incitatifs fiscaux pour atteindre des objectifs de
politiques sociales et économiques, nous aidons nos clients à bien
comprendre ces incitatifs et s'y adapter de sorte que nous favorisons la réalisation des objectifs des politiques sociales
et économiques des gouvernements. EY
a à coeur de participer activement et
totalement à la conception et à l'application d'un régime fiscal qui sera bien adapté au
XXIe siècle. Nous jouons et vont continuer
de jouer un rôle très proactif dans les réformes mondiales mises en place par
l'OCDE, le G20, la Commission
européenne, les Nations unies et de nombreux gouvernements, dont notamment
celui du Québec et du Canada.
Maintenant, regardons les politiques fiscales visant à
renforcer l'attrait de la compétitivité du Québec et du Canada sur
la scène internationale. Les échanges internationaux sont un inducteur
clé de prospérité économique. Les gouvernements continueront
donc de rivaliser pour attirer et garder les ressources de talent et les investissements. Des incitatifs et des régimes fiscaux intéressants, aussi
clairs et certains que possible, constituent des éléments essentiels dans le
contexte concurrentiel mondial actuel.
Le gouvernement du Québec a toujours eu des politiques fiscales visant à renforcer l'attrait et la
compétitivité du Québec
sur la scène internationale. Un exemple récent est l'instauration d'un régime
d'imposition avantageux à l'égard des
revenus attribuables aux brevets dans le dernier budget du Québec.
On peut aussi penser au crédit
d'impôt remboursable offert à l'égard des
activités de recherche et de développement exercées au Québec, à l'amortissement
accéléré ou bonifié pour les immobilisations dans la province et au crédit
d'impôt pour les titres multimédias,
qui a sûrement joué un rôle majeur en attirant de grandes
entreprises du multimédia au Québec.
Tel que
mentionné plus tôt, il est très, très important de faire la distinction entre l'évasion fiscale
et la planification fiscale, qui cadre avec la politique
gouvernementale pour améliorer la compétitivité
internationale. La politique fiscale visant
à rehausser la compétitivité internationale des multinationales canadiennes
n'est pas un phénomène nouveau. Voici
une traduction libre de ce qu'affirmait
David Dodge, ancien sous-ministre du ministre des Finances et ancien gouverneur
de la Banque du Canada, dans le cadre d'un
processus de comité permanent des comptes publics en 1992 — et là je lis : «Il est absolument essentiel, de nos jours, et de
plus en plus chaque jour, que les entreprises établies au Canada, celles
dont le siège social se trouve au Canada,
celles qui exercent des activités de recherche et de développement au Canada,
celles dont les activités à forte valeur
ajoutée sont ici, demeurent ici et soient en mesure de livrer concurrence dans
le monde entier en étant sur le même pied
que des entreprises dont le siège social est à l'étranger.» Voilà l'idée
fondamentale. Aux yeux de ce
gouvernement, il est donc impératif que le régime fiscal ne décourage pas ces
entreprises canadiennes de faire affaire
à l'étranger et ne décourage pas les Canadiens qui vont à l'étranger de
rapatrier leurs revenus, de manière à pouvoir créer des emplois ici, au Canada. Le point fondamental est que nous
voulons que notre propre droit fiscal ne fasse pas en sorte que les
entreprises canadiennes se retrouvent en situation d'inégalité.
C'est évident
que ce phénomène s'applique également aux multinationales basées au Québec et
que le phénomène est toujours très,
très pertinent. Soyons clairs, cette déclaration traite de la compétitivité
fiscale internationale grâce à la planification fiscale internationale
appropriée, respectant la loi et l'esprit de la loi. Elle n'a rien à voir avec
l'évasion fiscale, qui, comme nous l'avons
dit tantôt, est le fait de ceux qui ne se conforment pas à la loi, et ce, de
façon délibérée.
Il est toutefois difficile d'éliminer la
controverse dans une économie de plus en plus mondiale, parce que l'accroissement de la compétitivité internationale
d'une administration peut être perçu comme étant abusif, voire dommageable, et décrié par une autre
administration. En fin de compte, nous croyons qu'une plus grande transparence
et un échange de renseignements accru, ainsi
que d'autres formes de collaboration entre les gouvernements et entre les
gouvernements et le secteur privé, régleront bon nombre de ces préoccupations.
Voilà
exactement ce que recherche l'OCDE dans le cadre de son projet BEPS, et, de
fait, des progrès importants ont déjà été réalisés à ce chapitre. Le
12 mai dernier, six autres pays ont signé l'accord multilatéral entre
autorités compétentes de l'OCDE portant sur
l'échange automatique des déclarations «country by country», ce qui porte le
nombre des pays signataires à 39.
Bon, tout
ceci étant dit, qu'est-ce que les gouvernements peuvent faire de plus? Le Québec
et le Canada font figure de chefs de file pour l'élaboration de la mise
en oeuvre de politiques,
processus et systèmes visant à lutter contre l'évasion fiscale et l'évitement fiscal abusif, que ce soit
chacun de leur côté ou en collaborant l'un avec l'autre et avec les
autres administrations. Nous soutenons vigoureusement ces efforts dans
l'intérêt de tous les Québécois et Québécoises ainsi que les autres contribuables honnêtes qui respectent la loi et des milieux professionnels
qui leur fournissent des services. Par
exemple...
Le Président (M. Bernier) :
Monsieur... Oui, O.K., allez-y. Finissez votre...
M. Anelli
(Albert) : Oui, j'ai
quasiment fini. Je voulais parler qu'en 2007 le Canada avait introduit un
concept, les «tax information
exchange agreements», les TIEA, vous en avez sûrement entendu parler. Aujourd'hui, le Canada a
92 conventions fiscales et 22 TIEA de signés.
En ce qui a trait aux initiatives qui sont déjà là et qui ont déjà été mises en place, on parle
des règles au Québec pour la déclaration obligatoire des opérations d'évitement fiscal...
Il y en a un en particulier que je veux mentionner. On
parle beaucoup d'information exhaustive à fournir relativement aux filières étrangères appartenant à des
contribuables canadiens, tu sais, on parle des T106, des T1134. Ce que le «country-by-country
reporting» va faire, c'est qu'au lieu d'avoir une pile de T1134 haut de même, ça va rendre ça facile, sur deux, trois
pages. Alors, c'est un survol à 30 000 pieds des activités des
multinationales, alors ça va simplifier un petit peu la tâche des
administrations fiscales.
Ces mesures
devraient contribuer à réduire les pertes fiscales. Par contre, elles reposent
sur le respect de la loi. Or, comme nous l'avons souligné, l'évasion fiscale
est le fait de ceux qui ne se conforment pas à la loi, et ce, de façon délibérée. La question est complexe, et, selon
nous, toute solution efficace doit forcément passer par la coopération, la
transparence et le partage d'information.
Nous saluons
le travail de la commission parlementaire et nous pressons toutes les parties
en cause à entendre les
consultations, qui mèneront à des décisions éclairées, propices à la création
d'un environnement favorisant le Québec. Merci, monsieur...
Le Président (M. Bernier) :
Merci, M. Anelli. M. le député de Trois-Rivières.
M. Girard : Merci beaucoup, M. le
Président. Mme Hubert, M. Anelli, merci d'être ici avec nous.
J'ai
l'impression qu'on se répète depuis le début de nos auditions, mais il faut
quand même revenir à l'essentiel. On
parle de revenus manquants pour l'État, pour le Québec, pour le Canada. On sait
que l'évasion fiscale... Je fais référence à une émission qu'il y avait
eu à Radio-Canada, l'émission Enquête, qui disait L'évasion
fiscale : le crime des riches. L'évasion
fiscale, c'est les gens qui ont un niveau de revenus élevé, qui ont un niveau
de richesse élevé. Dans cette émission, que je vous invite à prendre connaissance si vous ne l'avez pas déjà
regardée, on dit : «Avec un complice muni d'une caméra cachée, notre journaliste, Marie-Maude Denis, a
enquêté pendant six mois sur les stratagèmes de fraude que des comptables,
des avocats ou autres
consultants proposent à des riches contribuables pour mettre de l'argent à
l'abri de l'impôt. Notre périple
commence à Toronto et se termine à la Barbade.» Ça se fait, il y a des gens qui
le font. C'est des gens qui ont un niveau
de revenus élevé, c'est des gens qui ont un niveau de richesse élevé.
Habituellement, ces gens-là sont souvent des entrepreneurs, des gens qui ont réussi à se créer une richesse, souvent,
dans les entreprises, et souvent ces gens-là sont des clients des
grandes firmes de comptabilité au Canada.
Ce qu'on comprend dans cet article-là, dans ce
reportage-là, c'est qu'on voit qu'il y a des comptables ou des avocats de firmes plus petites ou privées qui
feraient ce genre de travail là. Est-ce que vous avez déjà eu connaissance,
est-ce que vous êtes conscients de ce qui
peut se passer par des comptables, des avocats, des courtiers, peu importe,
pour faire ce genre d'évasion fiscale
là? C'est probablement des clients qui sont chez vous qui sont également
clients à des endroits comme ça pour
pouvoir profiter de ce système-là. Est-ce que vous avez déjà eu vent? Est-ce
que c'est quelque chose dont vous avez déjà eu connaissance, de ce type
d'évasion fiscale?
Le Président (M. Bernier) :
M. Anelli.
• (17 h 30) •
M. Anelli
(Albert) : Non, écoutez,
c'est évident qu'on ne peut pas commenter ou offrir un point de vue sur des
cas spécifiques, que ce soit une société, un
particulier ou des compétiteurs, que ce soient nos compétiteurs qui ont comparu
avant nous ou des petits bureaux de comptables
ou légaux. La seule chose que je vais mentionner, puis il faut le dire, c'est
que l'évasion fiscale est fondée et se
propage dans la noirceur. Et que ce soient des fonds qui proviennent de
l'économie souterraine, je ne peux
pas vous le dire, parce qu'honnêtement, puis, tu sais, tout le monde l'a répété
à maintes reprises, on ne travaille
pas dans ce domaine-là. Par contre, si on veut avancer au niveau de la
transparence et au niveau du partage de
l'information automatique, qui, selon nous, réduirait de façon considérable les
incidences où les gens, justement, peuvent rester au noir, selon nous cela va faire une grande, grande différence.
On n'a qu'à penser aux règles qui ont été introduites aux États-Unis, les règles FATCA. Là,
dernièrement, on a vu les normes communes de déclaration, ce qu'on appelle les
«common reporting standards». Tout ça va
être adopté, qui fera en sorte que, s'il y a des gens qui essaient de cacher
puis rester dans le noir, les données
électroniques feront en sorte qu'ils ne seront plus capables de le faire, selon
nous, parce que justement les pays se
sont mis d'accord pour justement adopter ça à l'échelle mondiale. Le Canada
fait partie de plus de 90 juridictions qui ont déjà... engagées à
adopter les normes communes de déclaration.
Alors, la question, elle est très, très bonne,
mais, autre qu'offrir ce volet-là, je ne sais pas trop quoi dire.
Le Président (M. Bernier) :
M. le député.
M.
Girard : Merci. Vous dites «s'il y a des gens». Moi, j'enlèverais le
«si» parce qu'on le voit, il y a des caméras cachées, on voit qu'il y a
des gens qui le font. Ce n'est pas des «si», ça se fait.
Et, de votre
côté, est-ce que vous êtes en accord avec les chiffres que l'on avance, que ce
soit de Revenu Québec, de différents
organismes, sur les pertes fiscales, sur les actifs qui peuvent être à
l'étranger? Est-ce que vous acquiescez dans
ce sens? Est-ce que, pour vous, ce sont des chiffres qui tiennent la route? Et
est-ce que vous abondez dans le même sens
que, oui, ça se fait et qu'effectivement il y a probablement des pertes pour
nos gouvernements et qu'il y a des actifs à l'étranger? Pas à la cent
près, il peut y avoir des écarts, mais est-ce que, de votre côté, vous êtes en
accord avec les différentes études et les différents montants qui ont été
avancés?
Le Président (M. Bernier) :
M. Anelli.
M. Anelli
(Albert) : Je suis d'accord
avec le concept de l'étude qui... mais je suis mal placé pour essayer de voir
si un chiffre en particulier est raisonnable dans les circonstances. Si on
pense juste à du revenu de biens qui est caché à l'extérieur et qui gagnerait un retour de 4 %, 5 %, tu sais,
on parle d'un montant énorme, de 50 milliards, qui serait caché, alors
j'ai de la misère à... pas à croire mais à penser que ça peut être une réalité.
Mais je
reviens au point que j'avais fait tantôt, c'est : L'évasion fiscale est
fondée dans la noirceur. Alors, si ce sont
des fonds qui proviennent par l'économie souterraine, que les gens essaient de
continuer à rester cachés... Je suis mal placé, mais j'imagine qu'il y a
sûrement un lien entre les deux.
Le Président (M. Bernier) :
M. le député.
M.
Girard : Je comprends votre intervention, mais, ne serait-ce que
10 milliards ou 15 milliards au lieu de 50, est-ce que, selon
vous... Vous êtes quand même un expert, vous connaissez la fiscalité. On parle
d'argent, on parle de noirceur. Je suis
d'accord avec vous, oui, c'est illégal, mais, si moi, je suis un contribuable
qui a beaucoup d'argent, selon vous,
est-ce que je peux rencontrer des gens demain matin, à Montréal, à Québec, qui
vont pouvoir me donner un coup de main, et que je vais pouvoir placer de
l'argent à un endroit où je vais être à l'abri de l'impôt?
Le Président (M. Bernier) :
M. Anelli.
M. Anelli (Albert) : S'il y en a,
puis je n'en connais pas, ce serait un acte criminel.
Mais il y a
une chose. Parce que, là, on parle de l'argent qui est placé à l'extérieur puis
on a parlé des règles... des normes communes. Je vais vous donner un
exemple bête, mais l'exemple, je pense, c'est bien pour comprendre qu'est-ce qui va arriver. Si on produit notre
déclaration d'impôt et, dans notre T4, dans nos déductions à la source, au lieu de marquer qu'on
s'est fait retenir 3 400 $, on marque 4 300 $, on fait une
erreur sur le clavier, bien, vous allez recevoir une cotisation automatique qui dit : Non, vous vous êtes
trompé, vous avez mis le mauvais numéro, alors vous nous devez de l'argent. Même chose si vous oubliez
un T5 d'un petit compte de banque que vous avez oublié puis vous avez
gagné 20 $ d'intérêts, vous allez être cotisé de façon automatique.
Ce que les
normes communes cherchent à faire, c'est d'envoyer de façon automatique ce type
d'information là à toutes les autorités fiscales. Et, comme firme, notre
rôle à nous, c'est d'aider nos clients à s'y adapter et à produire, comme il faut, ces normes-là. Alors, je pense
que la technologie et les changements de loi vont faire en sorte que ces gens-là, ils auront de la misère à rester au noir longtemps.
Le Président (M. Bernier) : M.
le député.
M. Girard : Je ne veux pas avoir de
nom ou de quantité, mais avez-vous des clients qui font des affaires à la Barbade, qui font des affaires aux îles Jersey,
qui font des affaires au Luxembourg, et ce sont des clients québécois
qui ont des tentacules à l'international?
M. Anelli
(Albert) : Bien, comme j'ai
dit tantôt, on ne parlera pas de clients spécifiques ou des...
que ce soient des sociétés ou des particuliers, mais c'est sûr qu'une multinationale
canadienne et québécoise avec un portefeuille d'investissement dans plusieurs pays va effectivement, dans certains cas, passer par le Luxembourg, par la Barbade, par
les Bermudes et plein d'autres, le Royaume-Uni et plein d'autres.
M. Girard : Quand on parle de
plusieurs pays, deux, ça en fait plusieurs. Est-ce qu'on peut avoir seulement Canada
et Barbade et seulement Canada et Luxembourg?
M. Anelli
(Albert) : Bien, ça revient
à la question de politique fiscale et ce que j'avais lu tantôt.
Si la politique fiscale
canadienne et québécoise permet aux multinationales canadiennes de prendre de
l'expansion à l'extérieur du Canada et de
gagner du revenu d'entreprise, et la façon dont la structure est faite suit la
loi, incluant l'esprit de la loi, si on passe par un pays, deux pays, trois pays, il n'y a rien qui les empêche
de le faire, à l'exception des règles qui vont être applicables dans
différents pays.
Ce n'est pas
différent que les règles au Canada en ce qui a trait à l'investissement au
Canada, on a des règles qui sont
différentes de celles qui s'appliquent aux multinationales canadiennes. Puis,
si on regarde les cinq dernières années, on a eu des changements incroyables pour justement limiter ce que les
multinationales étrangères peuvent faire avec leurs filiales canadiennes, que ce soit leur ratio
d'endettement, les investissements que les sociétés... les filiales canadiennes
font.
Alors, la
politique fiscale est en évolution constante, que ce soit au Canada ou
ailleurs. Alors, pour répondre à votre question, un, deux, trois, quatre
pays, ça dépend des circonstances.
M. Girard : Ma dernière
question : Est-ce que vous croyez qu'il y a plus d'évasion fiscale au
niveau des particuliers, les riches
particuliers qui vont directement placer des avoirs, des actifs à l'étranger,
ou on le voit plus dans les sociétés,
qui vont avoir des organigrammes très complexes avec différents holdings pour
être capables de transférer des
revenus à l'extérieur, ou la problématique se retrouve plus chez un
particulier, un entrepreneur qui a retiré des sommes et qui, de façon
personnelle, va aller placer des sommes d'argent à la Barbade?
M. Anelli
(Albert) : Très, très bonne
question. J'aimerais vous donner une réponse intelligente, mais honnêtement
je ne le sais pas.
Ce que je
peux vous dire, c'est qu'en ce qui a trait à des clients comme chez EY on fait
tout pour s'assurer qu'ils respectent
les lois et qu'ils font leur conformité en bonne et due forme. On prend un
exemple. Si la société veut investir de
l'argent dans une société aux Bermudes puis ne rien faire avec, elle veut juste
gagner du revenu d'intérêts, bien, ce revenu-là
sera taxable au Canada. Alors, on va produire un formulaire qui dit : On a
mis un certain montant dans la société aux Bermudes, on a gagné tant
d'intérêts, et on va l'imposer au Canada direct.
La question est très, très bonne. Moi, je
reviendrais au travail que le ministère du Revenu fait pour contrer l'économie souterraine, parce que, selon moi, il y
a sûrement un lien entre de l'argent qui a été gagné au noir et qui veut
demeurer dans la noirceur.
Le Président (M. Bernier) :
Merci. M. le député de La Prairie.
M. Merlini :
Merci beaucoup, M. le Président. M. Anelli, vous avez fait référence, dans
votre présentation, votre partie de
la présentation d'Ernst & Young, là, de la transparence fiscale,
vous avez fait référence à la transparence fiscale dans votre présentation. Vous êtes le leader de la
pratique de fiscalité internationale pour le Canada. C'est quoi, pour vous,
une planification fiscale internationale?
Pouvez-vous élaborer un peu plus? Moi, j'arrive, je suis un client potentiel,
j'ai des argents à investir. C'est quoi, pour vous, une planification
fiscale internationale?
Le Président (M. Bernier) :
M. Anelli.
• (17 h 40) •
M. Anelli
(Albert) : Ça revient... Toute planification fiscale a derrière elle un but commercial. Alors, si un
client arrive chez nous et nous
dit — je vais
prendre un exemple : On pense à faire une acquisition en Europe et on va
l'intégrer en
partie avec nos opérations qui sont déjà en Europe, alors on va leur demander
ensuite : Bon, où est-ce que vous allez trouver les fonds pour financer l'acquisition? Est-ce que vous allez
emprunter au Canada? Est-ce que vous allez emprunter en Europe? Est-ce que vous allez emprunter en dollars
canadiens, ou en euros, ou en livres sterling? Alors, la planification commence à ce niveau-là. Suite à ça, on dit :
Bon, avez-vous besoin de faire des paiements de capital pour repayer vos
dettes? Et, suite à ça, on commence à mettre en place une stratégie qui est
alignée avec leurs besoins commerciaux.
Et des fois
on peut passer par une société de portefeuille, ce qu'on appelle des holdings,
on peut passer par des sociétés de
financement, mais tous ces pays-là, c'est des pays dont le Canada a soit une
convention fiscale ou un TIEA avec.
Alors, tu sais, on parle de transparence,
échange d'information; tout est déjà là. Et dorénavant elle sera même reproduite dans le cadre du «country-by-country
reporting». Elle est déjà reproduite avec les T1134 et les T106, mais là on
va aller au-delà de ça puis essayer de
simplifier, disons, ce qu'on appelle le «footprint» mondial d'une
multinationale.
M. Merlini : Bien, justement, dans
la déclaration pays par pays, vous avez dit tantôt que ça donne un portrait d'ensemble; au lieu d'avoir une pile de papiers
accumulés — et Dieu sait que les entrepreneurs détestent
la paperasse — que
ça donne un portrait d'ensemble. Ne craignez-vous pas qu'il risque de manquer
des informations qui pourraient être pertinentes dans la transparence fiscale?
Est-ce que c'est dans le but de simplifier ou c'est un portrait qui va être incomplet, qui va justement permettre peut-être
plus d'évasion fiscale d'une autre façon, en omettant certaines informations?
Parce qu'on prend un portrait d'ensemble. Un
portrait d'ensemble, on ne voit pas nécessairement tout le détail des transactions,
des holdings qui opéraient, les compagnies opérantes, et tout ça.
M. Anelli
(Albert) : Bien, le détail
va continuer à exister quand même. Alors, le «country-by-country reporting»,
sa seule, vraiment, raison d'être, c'est d'essayer de simplifier ce qui est déjà
là.
Puis n'oublions pas que l'OCDE, dans leur cadre
des cinq recommandations, ils ont aussi parlé de modifier l'approche pour la documentation de prix de
transfert. Alors, ils vont préconiser une approche plus standard où... là, je
vais utiliser des termes en anglais,
tu sais, on parle d'un «master file» qui va donner les grandes lignes, l'aperçu
mondial de l'entreprise et des fichiers locaux qui vont donner plus un
aperçu de ce qui se passe dans le pays en particulier.
Alors, tout
ça confondu, que ce soit le «country-by-country reporting», les données qui
sont déjà là, les nouvelles méthodologies
puis les approches au niveau des prix de transfert, feront en sorte qu'il y en aura plein, de transparence, alors je ne suis pas trop inquiet à
cet égard-là.
Le Président (M. Bernier) : M.
le député de Rousseau.
M. Marceau : Oui, merci,
M. le Président. Alors, bonjour,
Mme Hubert, M. Anelli. Écoutez, effectivement, les questions finissent par se ressembler un peu, mais
peut-être essayer de reposer certaines questions de façon
plus... en tout cas, de
vous les poser dans d'autres mots. J'ai posé la question à d'autres, à ceux qui
vous ont précédés. Vous savez qu'on a
au Canada et au Québec, donc, une convention fiscale avec la Barbade.
Bon, vous, je sais que vous avez des bureaux à la Barbade, Ernst & Young, il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup d'entreprises québécoises et canadiennes qui ont des filiales à la Barbade. On sait que les lois de
l'impôt puis les règlements de l'impôt ont été modifiés dans les
années 90, entre autres, par le gouvernement fédéral pour faciliter
le transfert de profits vers là-bas.
Alors, quand
j'ai parlé de ça à d'autres de vos collègues, ils m'ont dit essentiellement : La raison pour laquelle il y a
tout près de 80 milliards
d'investissement à la Barbade, c'est parce que les entreprises québécoises et
canadiennes veulent prendre de l'expansion à l'international. Bon, j'imagine que vous allez me dire que, dans
vos clients, il y a donc des entreprises qui ont des filiales à la Barbade puis que c'est
pour prendre de l'expansion à l'international,
mais on sait que l'activité économique réelle à la Barbade
ne s'approche pas, là, des montants qui sont investis là-bas,
c'est essentiellement des transferts financiers qui passent par la
Barbade. Alors, tout le monde ici pense qu'il y a aussi là-dedans
beaucoup de planification fiscale, il y a l'évitement
fiscal mais relativement agressif, qui sert à, donc, éviter de l'impôt, tout
simplement.
Donc, peut-être
une question très simple : Est-ce que vous pensez que ça
existe, des entreprises canadiennes ou québécoises qui ont des filiales à la
Barbade strictement pour réduire leurs impôts, strictement pour ça, là, pas parce
qu'ils ont le désir de prendre de l'expansion à l'international, la seule chose qui les intéresse, c'est de réduire la facture,
puis il y a, avec la Barbade, une manière d'y arriver? Est-ce que vous pensez
que ça existe?
M. Anelli
(Albert) : Pas à ma connaissance, parce que, dans les cas que... dans les planifications qu'on a faites, la Barbade a
plus souvent qu'autrement été utilisée comme une société de portefeuille, une société de financement.
Et souvent, comme on dit, l'argent va passer par la Barbade parce qu'elle peut être une société de portefeuille, ou de financement,
ou d'autres activités, mais, comme vous avez dit, il y avait très, très peu
d'activités vraiment commerciales, mais il peut y en avoir quand même.
J'ai vu la résolution qui a été adoptée à
l'Assemblée nationale, il y a trois volets. Le premier, «condamne les pratiques liées aux paradis fiscaux, qui privent
l'État québécois de sommes considérables et violent le principe de l'équité
fiscale», pleinement d'accord avec ça. Le
deuxième dit : «Que l'Assemblée nationale rappelle que tous les
contribuables doivent payer leur juste part d'impôt.» Pleinement
d'accord avec ça. C'est le troisième où j'ai un petit peu de misère à comprendre, parce que, là, on vise la Barbade,
mais on ne semble pas tenir compte de la politique fiscale qui dit : On peut investir à l'étranger, gagner un revenu
d'entreprise, rapatrier les profits au Canada. Et, suite à 2007, avec
l'introduction des TIEA... C'est là
où j'ai de la misère avec la résolution, c'est parce que c'est le troisième
volet que j'ai un petit peu de la misère à comprendre.
Mais
la question est bonne. Puis effectivement c'est un des pays qui est utilisé,
justement parce qu'il offre certains avantages pour effectuer la planification
auprès d'autres pays, et pas rien à voir avec le Canada.
Le Président (M.
Bernier) : M. le député.
M.
Marceau : Oui, mais, écoutez, les conventions fiscales, au
départ, c'était pour éviter la double imposition, ce avec quoi on peut... moi, je pense que c'est
raisonnable d'éviter la double imposition. Mais ce n'est pas pour faire en
sorte qu'il y ait zéro imposition non
plus, et vous savez très bien comme moi que, grâce à des planifications fiscales,
on est capable de faire en sorte que les profits ne soient jamais taxés,
ou à peu près jamais taxés, ou en tout cas à des taux proches de zéro, vous connaissez comme moi toutes les histoires qu'on a
entendues à propos des Google, Amazon et autres grandes entreprises.
Puis
je voyais dans les documents que vous avez conseillé des entreprises, je ne
sais pas c'était quoi, il y avait Disney,
je pense, il y avait des entreprises pharmaceutiques, on transfère des brevets,
on se sert des prix de transfert. Bon, ce
n'est pas vrai qu'il y a une activité économique réelle nécessairement là-bas,
il y a juste des coquilles qui font des prêts ou qui reçoivent des
brevets, puis, bon, on sait très bien comment ça marche, là, on est tous au
courant de ça.
J'ai
beaucoup de misère à suivre exactement où vous voulez en venir quand vous dites
que ce n'est pas bien d'avoir ciblé
la Barbade. Évidemment, on a ciblé la Barbade parce que ça, c'est un cas
patent, là. Il y en a d'autres. Mais, sur le principe plus général de
refermer ces trous-là, est-ce que vous êtes d'accord ou est-ce que vous...
• (17 h 50) •
M. Anelli (Albert) : Bien, on est d'accord avec ce que l'OCDE fait, mais il reste que les
pays vont essayer de se garder un avantage, puis certains pays n'ont pas
grand-chose à offrir, autre qu'un régime qui est intéressant et un réseau de conventions fiscales. Alors, veux veux
pas, la compétition entre pays va exister. Tu sais, j'ai fait référence tantôt
à la motion dans le budget provincial du Québec pour les brevets, c'est un
exemple, mais, encore une fois, c'est un changement de loi qui est fait pour
attirer quelqu'un.
L'OCDE, ce qu'elle préconise, c'est, bon, oublions
ces pratiques-là, oublions le fait qu'on peut, disons, magasiner un
arbitrage fiscal, oublions le fait qu'on peut traiter de façon différente un
instrument, alors ce qu'on appelle les «hybrid
mismatches». Alors, il y a beaucoup de recommandations dans l'OCDE qui vont être adoptées
par différents pays, mais ça va
être la responsabilité de chaque pays à adopter ces règles-là. Mais
j'ose croire que chaque pays va tenir compte de la compétitivité de leurs propres multinationales et en même temps protéger leurs propres bases fiscales. Tu sais, je l'ai mentionné tantôt, les règles, dans les cinq
dernières années, dans le domaine «inbound», elles ont été mises à l'envers
justement parce que le Canada a dit : Non, on va essayer de réduire que
les multinationales étrangères viennent réduire leur fardeau fiscal canadien.
Alors, chaque pays, selon moi, va aborder dans cette façon-là.
Le Président (M.
Bernier) : M. le député.
M.
Marceau : Non, mais je
comprends très bien que la concurrence entre pays, entre juridictions
est très forte, je comprends très, très
bien ça. Puis je comprends très bien que, pour le Canada, d'avoir offert aux
multinationales canadiennes un
trou qui permettait aux entreprises de réduire leur fardeau effectif... je comprends
très bien que c'était la stratégie qui a été adoptée à la fin des années 90, dans le cas de la
Barbade. Ça ne change pas le fait que, dès lors qu'on fait ça, on met sur
des pieds... sur deux niveaux différents les
entreprises qui ont les moyens puis la capacité de
s'organiser pour avoir des opérations
à l'étranger, qui, elles, paient des fardeaux fiscaux beaucoup
plus faibles que les entreprises, elles, autrement, qui ne sont pas capables de s'organiser pour avoir des
activités à l'étranger, de la même manière que le
contribuable normal et moyen, moi,
mes collègues autour de la table, eux autres, nous, on n'est
pas capables de s'organiser pour avoir des filiales à l'étranger.
Alors, dans le fond,
vous plaidez pour que les gens qui sont les grands et les gros puis qui sont
capables de s'organiser à l'étranger continuent d'avoir la capacité d'avoir des
avantages équivalents au Canada que ceux qu'ils obtiendraient ailleurs dans le monde, c'est ça que vous êtes en train de
me dire. Je comprends très bien que la réalité, c'est qu'on va perdre des entreprises,
peut-être, si on n'est pas capables de leur offrir des avantages fiscaux
équivalents, je comprends très bien
ça, là, mais il n'en demeure pas moins qu'il
y a un moment où c'est tout le monde autour d'ici qui paie, là, ce n'est pas...
Le Président (M.
Bernier) : M. Anelli.
M. Anelli
(Albert) : Absolument, mais ça, ça revient à la question de l'évasion.
M. Marceau :
Non, ce n'est pas de l'évasion, là, ce n'est pas de l'évasion.
M. Anelli
(Albert) : Non, mais...
M. Marceau :
On parle de choses parfaitement légales, là.
Le Président (M. Bernier) :
On parle d'évitement.
M. Anelli
(Albert) : Mais, si on peut
investir à l'extérieur du... Je n'ai jamais, et je répète, jamais
vu une structure de planification internationale qui n'a été faite que pour planifier quelque chose à l'international, il y a toujours une raison commerciale.
Alors, si une société québécoise, une PME veut prendre une expansion en dehors
du Canada, toutes les firmes, tous les
avocats, ils vont essayer de les aider à mieux gérer leurs affaires et en
gardant dans l'esprit les lois, l'esprit de la loi. Selon moi, ce n'est pas une question de : Vous pouvez
structurer vos affaires pour réduire votre fardeau fiscal, vous pouvez réduire votre fardeau fiscal en
prenant de l'expansion à l'étranger, mais en jumelant ça avec une vraie
opération commerciale.
Tu
sais, l'assiette fiscale canadienne, elle est très, très, très bien protégée
par les règles qui sont là. Il y a un exemple
bête, mais je le donne souvent pour mieux
comprendre ce volet-là : il n'y a pas une multinationale canadienne
qui n'a pas déjà établi, mettons, un centre d'appels à l'extérieur du Canada, justement pour des raisons commerciales. Mais, quand la
compagnie canadienne verse un montant
pour les services rendus par leur filiale, que ce soit n'importe où, bien, ce
même profit-là, il est taxable au Canada, justement
parce qu'il y a un paiement fait par
la compagnie canadienne vers une société étrangère. Alors, les règles
font en sorte que l'assiette canadienne est protégée.
Alors, c'est pour ça
que j'y reviens toujours. Il y a toujours un moyen où l'assiette canadienne est
protégée.
M.
Marceau : Mais, avec les prix de transfert, vous me dites que les prix
de transfert qui exagèrent les... enfin, avec lesquels, vous savez, il est très possible de délocaliser des
profits en exagérant les recettes à un endroit puis les dépenses à un
autre... Vous me dites que c'est protégé?
M. Anelli
(Albert) : Les transferts, ce n'est pas une science exacte.
M. Marceau :
On s'entend.
M. Anelli (Albert) : On s'entend. Par contre, dans l'exemple que je viens de donner, au-delà
du prix de transfert, les règles
canadiennes font en sorte qu'aussitôt que tu paies un montant à une filiale,
dans le cas que je viens de donner, pour un service qui est rendu, le montant est attribuable au Canada,
nonobstant si le montant est raisonnable ou non. Alors, pour...
M.
Marceau : ...on s'entend, mais, si les montants ne sont pas
raisonnables puis si les prix de transfert sont exagérés puis on étire
toujours, vient un moment où la base fiscale canadienne est en danger, c'est...
M. Anelli (Albert) : Pas dans ce cas-ci, parce qu'on prend le cas... Si, mettons, on paie 100 $ pour un service,
puis là on dit : On va conseiller quelqu'un
de prix de transfert, et puis ils disent : Non, on va charger 150 $,
puis là l'agence arrive puis
dit : Non, non, regarde, ça n'a pas de bon sens, 150 $, ça aurait dû
être 100 $, mais, peu importe, dans un cas comme j'ai décrit, le 150 $ demeure taxable au Canada.
Alors, que vous montiez le montant à 150 $, à 200 $, les règles
font en sorte que la base canadienne est protégée.
Le Président (M.
Bernier) : M. le député de Nicolet-Bécancour.
M.
Martel :
Ah oui? Déjà? Bonjour, Mme Hubert, M. Anelli.
Un
peu comme je mentionnais tantôt, je ne m'attends pas à ce que vous nous disiez
que la firme pour qui vous travaillez
contribue à faire de la fraude fiscale puis je ne m'attends pas à ce que vous
disiez que vous-mêmes, vous en faites.
Puis je n'ai pas de doute, je ne pense pas... Je pense que la firme que vous
représentez, c'est une firme honnête, je
n'ai pas de problème avec ça. Moi, je veux m'adresser plus aux experts
comptables ou aux experts fiscalistes parce que mon but, c'est d'essayer de voir où est-ce qu'on doit attaquer.
Parce que, de façon générale, on convient un peu tout le monde que c'est une problématique. On ne sait pas
trop combien qu'il y a d'argent, mais on sait que ça peut se faire. On ne
sait pas trop comment ça arrive là, mais je pense que, de façon naturelle, puis
tantôt les gens qui étaient avant vous le mentionnaient
aussi... Moi, je n'ai pas l'expertise de mon collègue de Rousseau, là, mais
quand même on a tous une base, je
dirais. Si je prends un cartel de la drogue, O.K., puis ils font beaucoup
d'argent, puis ils prennent leur argent puis ils envoient ça dans des
paradis fiscaux, c'est assez facile d'imaginer... pas comment qu'ils peuvent
faire ça, je n'ai pas d'idée, mais que ça peut se faire, tu sais, l'argent
part, elle est sale, puis elle s'en va dans un endroit...
Le Président (M.
Bernier) : Pour se faire laver.
M.
Martel :
Pardon?
Le Président (M.
Bernier) : Elle s'en va dans un endroit pour se faire laver.
M.
Martel :
Oui, c'est ça.
M. Anelli
(Albert) : Mais là on s'éloigne pas mal de nos clients, on est
d'accord?
M.
Martel : Oui, oui, oui. Absolument, absolument. Non, puis je
ne parle pas de vos clients. Ce que je vous dis... C'est vraiment votre expertise. Où est-ce que j'ai
un problème, c'est qu'il y a des entreprises, par exemple, au Québec qui sont
tout à fait légales, dans les services, dans les produits, puis qui peuvent
produire un service, générer des revenus puis s'en aller dans des
paradis fiscaux comme ça.
À votre avis, à votre avis,
est-ce que c'est possible, je ne vous dis pas comment, je ne vous dis pas... Est-ce
qu'avec l'expertise... C'est sûr que c'est
des manoeuvres illégales, là, on n'est pas dans le légal, là, mais, vous, c'est
facile d'imaginer que ça peut se faire, ça, pour vous?
Le Président (M. Bernier) :
M. Anelli.
M. Anelli
(Albert) : J'ose croire que
oui. On a les données du ministère des Finances, il y a de l'argent qui est
disparu. Mais, tu sais, pour prendre votre
exemple, c'est de l'argent qui a été gagné au noir, puis ces gens-là essaient
de le garder au noir. J'ose croire
que les avancements au niveau informatique, les avancements au niveau des
règles qui seront adoptées par les
différents pays, tu sais — j'ai fait référence tantôt aux normes communes — feront en sorte que, ces gens-là, leurs
revenus vont être déclarés puis signalés aux autorités compétentes dans un pays
ou l'autre.
Mais je
reviens à l'économie souterraine, et, tu sais, Revenu Québec a fait un travail
extraordinaire dans certains domaines
justement en utilisant des données informatiques, à mieux contrôler ces
aspects-là. Alors, je suis confiant que la révolution et l'adaptation dans tous ces pays-là de normes standards
fera en sorte que ce sera de plus en plus difficile pour ces voleurs-là
de continuer à cacher leur argent.
Le Président (M. Bernier) : M. le
député. Dernière question.
• (18 heures) •
M.
Martel :
Nicolet-Bécancour. On comprend
qu'avec les conventions, tu sais, il
y a une partie... je pense, tout le
monde va convenir qu'il y a
une partie de la solution qui est par des ententes au niveau
international, là. Mais, si on regarde
par rapport au Québec, avec l'expertise que vous avez, pour lutter de
façon plus efficace, puis là je ne parle pas du crime organisé, là, c'est d'autre chose, est-ce qu'à votre avis on peut y arriver, on
peut être plus efficaces en mettant, par
exemple, plus de ressources à Revenu Québec ou en ayant des systèmes
informatiques peut-être plus efficaces, je ne sais pas, mais pensez-vous
qu'on pourrait en faire un peu plus, au Québec, pour être plus efficaces par
rapport à ça?
Le Président (M. Bernier) :
M. Anelli.
M. Anelli
(Albert) : Je pense que oui.
Puis je pense qu'il faut suivre de près ce qui se passe avec l'Agence du revenu
du Canada, ce qui se passe avec l'OCDE et de s'assurer qu'on est prêts à en
profiter, de ces données-là qu'on va avoir à un moment donné. Mais,
selon moi, si on est capables de mieux gérer ce qui se passe chez nous pour
contrer l'économie souterraine, on va
contrôler les deux volets. Avec les données informatiques, on va aller
récupérer ce qui est déjà caché, et on va éviter qu'il y en ait d'autres
qui quittent.
Le
Président (M. Bernier) : M. Anelli, Mme Hubert, on croit
fermement, nous, la commission, qu'il y a de l'argent dans les paradis
fiscaux, O.K., et que cet argent-là n'arrive pas là par miracle. Il y a des
organisations quelque part... il doit y en
avoir au Québec, parce qu'on en a qui... au fur et à mesure que les
informations sortent dans le public grâce à des lanceurs d'alerte, grâce
à des journalistes d'enquête, grâce à des recherches faites par Revenu Canada
ou Revenu Québec, qu'on doit identifier et qu'on doit travailler.
En ce qui regarde l'évasion fiscale, on s'entend tous, et même les
banques qu'on a reçues ici, on s'est entendus qu'il y avait des mesures de
prises pour venir contrer l'évasion fiscale, l'évasion
fiscale, et d'ailleurs vous dites que vous avez une ligne téléphonique pour
dénoncer ces choses-là, O.K., mais nous, en ce qui nous concerne, on croit
également qu'il y a de l'évitement fiscal, puis ce qu'on veut, c'est de contrer
les stratégies qui sont mises en
place et qui existent et, avec le travail de l'OCDE, avec le travail des
États-Unis, avec le travail du Canada, venir diminuer et venir éliminer
le plus possible l'évitement fiscal.
On est
conscients que les paradis fiscaux, dans le moment, tendent à s'écrouler, O.K.,
et ils le font parce qu'il y a des
gouvernements qui ont passé des lois qui obligent les banques à dénoncer et à
identifier ces organisations-là ou les gens
qui sont dans les paradis fiscaux. Donc, on croit fermement que, notre travail,
ce travail-là est utile pour la société et on croit fermement qu'il
devra y avoir de la collaboration, que ce soit au niveau des banques, comme on
a vu, mais il devra y avoir également de la
collaboration avec des organisations comme la vôtre aussi pour être capable
d'appliquer des lois et des
règlements que nous aurons l'occasion de voter ici, à l'Assemblée nationale, ou
au gouvernement canadien.
Merci de votre participation.
(Fin de la séance à 18 h 3)