(Quinze heures cinq minutes)
Le Président (M. Jutras): Alors, si vous voulez prendre place, nous allons commencer sans plus tarder. Je constate donc que nous avons quorum et je déclare la séance de la Commission de l'économie et du travail ouverte. Je rappelle le mandat de la commission. Alors, l'objet de cette séance est de procéder à des consultations particulières sur le document intitulé Le secteur énergétique au Québec ? Contexte, enjeux et questionnements.
Mme la secrétaire, est-ce que vous avez des remplacements à annoncer?
La Secrétaire: Oui, M. le Président. Mme Houda-Pepin (La Pinière) remplace Mme James (Nelligan) et Mme Dionne-Marsolais (Rosemont) remplace M. Boucher (Johnson).
Le Président (M. Jutras): Par ailleurs, certains députés, à l'occasion, voudront se joindre à nos travaux, alors, plutôt que d'annoncer les remplacements, s'ils veulent intervenir, bien, à ce moment-là, il y aura lieu que la commission consente à ce que ces députés, qui se joignent à nos travaux, là, puissent intervenir, à ce moment-là qu'il y ait consentement quant à leur intervention.
Alors, je donne lecture de l'ordre du jour d'aujourd'hui, mercredi 1er décembre 2004. Alors, à 15 heures, remarques préliminaires du groupe parlementaire formant le gouvernement; à 15 h 15, remarques préliminaires des députés de l'opposition; à 15 h 30, nous entendrons M. Pierre Fortin; à 16 h 30, nous entendrons M. Joseph A. Doucet; pour ajourner à 17 h 30.
Alors, nous nous sommes entendus au préalable pour que nos séances de travail fonctionnent de la façon suivante, là, dans le cadre de la présente consultation. Alors, ce sera donc une heure pour chacun des experts, et le temps sera réparti ainsi: 20 minutes pour la présentation par l'expert lui-même; 20 minutes de discussion générale avec le groupe ministériel; et 20 minutes de discussion générale avec les députés de l'opposition.
Remarques préliminaires
Alors, nous en sommes donc rendus aux remarques préliminaires. Alors, j'invite donc le groupe parlementaire formant le gouvernement à nous faire part de leurs remarques. M. le ministre des Ressources naturelles.
M. Sam Hamad
M. Hamad: Merci, M. le Président. Chers collègues, membres de la commission, nous sommes réunis ici pour amorcer ensemble un processus qui mènera à l'adoption d'une stratégie énergétique pour le Québec. L'énergie est au coeur de notre quotidien. L'énergie maintient notre qualité de vie. L'énergie constitue aujourd'hui un incontournable enjeu stratégique pour l'avenir de notre société. Nous l'avons souvent dit, et je le répète: Notre gouvernement a la responsabilité d'assurer la sécurité énergétique des Québécois et de prendre, dès maintenant, les moyens d'y arriver, d'où notre besoin d'une stratégie de l'énergie à la mesure de nos aspirations.
Les récents événements ont largement confirmé le besoin d'un tel échange sur l'énergie. Dans ce contexte, le Québec a besoin de considérer toutes les options qui s'offrent afin de faire des choix qui se révéleront vitaux pour assurer l'avenir de notre société. Parmi ces enjeux, la fiabilité et la sécurité de nos approvisionnements en énergie sont d'une importance capitale; personne ne met cela en doute.
Or, comme vous le savez, le 30 juin dernier, la Régie de l'énergie rendait un avis à l'égard des approvisionnements électriques des Québécois. Ce document avait alors mis en relief la situation relativement précaire dans laquelle les filiales de Distribution et de Production d'Hydro-Québec, notre société d'État, se trouvaient. Il faisait aussi ressortir très clairement le contexte de croissance soutenue de la demande électrique que connaît le Québec et faisait entrevoir une éventuelle et inacceptable dépendance aux importations d'électricité.
Je vous rappelle qu'à la suite de cet avis notre gouvernement a immédiatement posé des gestes concrets pour améliorer la sécurité énergétique des Québécois. Premièrement, nous avons demandé à notre société d'État d'augmenter ses approvisionnements en énergie éolienne avec un ajout de 1 000 MW, soit 3,2 TWh de la production d'énergie éolienne, ce qui équivaut à la consommation de 120 000 résidences en électricité. Deuxièmement, nous avons demandé à Hydro-Québec d'accroître son objectif d'économie d'énergie de 3 TWh à l'horizon de 2010, ce qui équivaut à l'approvisionnement électrique de 113 000 résidents. Troisièmement, nous avons demandé à notre société d'État de recourir à 800 MW, soit 6,2 TWh de cogénération, ce qui équivaut à 234 000 résidences alimentées à l'électricité. Enfin, nous avons donné l'autorisation pour la construction de la centrale de cogénération de Bécancour qui aura une capacité de production de 507 MW.
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(15 h 10)
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Ces mesures visaient à assurer notre approvisionnement électrique à court et moyen terme. Bien que la pluie de l'été a permis de relever le niveau d'eau des réservoirs, le gouvernement considère que la sécurité énergétique des Québécois ne doit pas se baser sur la météo.
Enfin, compte tenu de divers facteurs et de nouvelles données, le Conseil des ministres a retiré, comme vous le savez, son autorisation au projet du Suroît, étant donné qu'il ne s'agissait plus d'un projet réalisable et opportun dans les circonstances.
À partir de ces constats et des décisions prises, nous devons maintenant aller plus loin et convenir ensemble d'une vision d'avenir, d'une vision à long terme de ce que nous voulons pour le Québec de demain. L'adoption d'une stratégie énergétique constitue donc une occasion rêvée pour favoriser les échanges, dans la plus grande transparence, sur la sécurité et l'avenir énergétique des Québécois. C'est ce que souhaite notre gouvernement.
Nous espérons par-dessus tout que cet exercice nous permettra d'accéder au plus large consensus possible. D'ailleurs, vous serez d'accord avec moi, certains sujets obtiennent d'ores et déjà l'assentiment de la population québécoise. On n'a qu'à penser au développement durable, à la mise en valeur des énergies propres et renouvelables comme l'hydroélectricité et l'énergie éolienne et à l'efficacité énergétique.
Au sujet du développement durable, je vous rappelle que mon collègue le ministre de l'Environnement, M. Thomas Mulcair, a déposé, jeudi dernier, un plan avant-gardiste. Ce plan permettra au Québec de conjuguer au quotidien et dans toutes les sphères d'activités les aspects sociaux, économiques et environnementaux de son développement et d'assurer la cohérence de toutes ses actions.
Nous croyons que les Québécois sont également très sensibles à des questions d'importance capitale, telles que la sécurité d'approvisionnement énergétique, la fiabilité des réseaux de transport en énergie, de même que l'énergie à prix concurrentiel. Incidemment, ces sujets sont tous des éléments clés de la prospérité du Québec et plus particulièrement des régions qui le composent. Ces éléments sont importants pour favoriser la pérennité et la gestion intégrée de nos ressources. Ce sont enfin des prérequis essentiels pour maintenir notre qualité de vie dans le respect des communautés et de notre environnement.
À cet égard, je vous rappellerai que, jusqu'ici, le Québec a connu un développement énergétique exemplaire. Nous disposons de la force de l'eau, et certaines régions bénéficient de la force du vent. Nous sommes d'ailleurs la province qui émet le moins de gaz à effet de serre par habitant au Canada grâce à ces énergies propres et renouvelables que nous exploitons à prix concurrentiel. Notre gouvernement ne s'est jamais caché de vouloir poursuivre dans cette voie, et d'ailleurs notre premier ministre s'y est de nouveau engagé tout récemment. C'est le moment où nous devons saisir l'occasion remarquable de soutenir notre développement économique et de contribuer à la création de richesses partout au Québec.
Dans le document intitulé Briller parmi les meilleurs, le gouvernement a fait connaître ses orientations et ses intentions afin de rendre l'ensemble du Québec plus prospère. Dans l'axe de Briller parmi les meilleurs, la stratégie énergétique qui découlera du processus de consultation s'inscrit aussi dans les orientations résultant du Forum des générations, notamment celles qui ont trait au développement économique et durable. Nous entendons non seulement faire de la sécurité et de l'avenir énergétiques des Québécois une priorité, mais nous souhaitons également faire du secteur énergétique l'une des pierres angulaires de notre développement social et économique, d'où l'importance de disposer d'une stratégie énergétique cohérente, éclairante et innovante.
Évidemment, lorsque vient le moment de renouveler une politique comme celle-ci, plusieurs options s'offrent à nous. Nous avons examiné ce qui s'est fait ici et ce qui s'est fait ailleurs. Après avoir consciencieusement soupesé les moyens à notre disposition et les délais à respecter pour ne pas nuire à notre sécurité énergétique, nous avons arrêté notre choix sur une façon de faire qui, j'en suis convaincu, encouragera la discussion et nous permettra d'atteindre un consensus.
Pour parvenir à l'adoption d'une stratégie énergétique, nous avons retenu le processus consultatif suivant. Tout d'abord, j'ai rendu public, le 17 novembre dernier, un document portant sur le contexte énergétique actuel, les enjeux auxquels le Québec fait face et les questionnements relatifs à trois volets importants: un, les questions entourant la demande en énergie et les sources d'approvisionnement dont dispose le Québec; deux, les questions traitant de l'importance de l'énergie dans notre développement économique et régional; et enfin les considérations relatives au développement durable.
Cette publication trace un portrait factuel et sommaire de la situation énergétique québécoise et vise à informer le lecteur des différents éléments qui doivent être soupesés dans sa réflexion sur l'avenir énergétique du Québec. Ce document sert donc de base à la réflexion afin de permettre d'effectuer des choix éclairés pour répondre aux défis auxquels notre collectivité fait face. Souhaitons également qu'il servira à sensibiliser les citoyens aux enjeux auxquels le Québec est confronté.
Dans un deuxième temps, comme convenu initialement et après avoir consulté nos collègues de l'opposition, nous avons convoqué la présente commission parlementaire sur la sécurité et l'avenir énergétique du Québec. Cette commission se déroule en deux temps: les élus pourront d'abord entendre des experts externes et indépendants du gouvernement qui présenteront leur rapport. C'est ce qu'ils feront dans un moment en nous livrant leur avis sur divers sujets touchant l'avenir énergétique du Québec. Ils répondront alors à des questions précises relativement à la sécurité et au développement énergétiques du Québec... et d'aborder les thèmes suivants: la sécurité énergétique et les filières thermiques, la sécurité énergétique et la filière éolienne, l'efficacité énergétique, les exportations d'électricité et leur impact sur notre développement économique et régional, les ressources en hydrocarbures au Québec, le développement durable. Cet exercice nous permettra d'avoir en main toutes les informations nécessaires pour prendre des décisions éclairées. Les rapports des experts externes seront évidemment rendus publics, aujourd'hui et demain, dans le cadre de la présente commission parlementaire.
Par la suite, à compter du 25 janvier prochain, les membres de cette commission étudieront les mémoires que les citoyens et les regroupements nous auront fait parvenir. À cet effet, je vous signale que les intéressés pourront, jusqu'au 4 janvier, déposer des mémoires pour faire valoir leurs points de vue. Dans un troisième temps, nous élaborerons et diffuserons un énoncé de stratégie énergétique du Québec.
Finalement, dès le printemps 2005, nous verrons à tenir un forum de consultation en ligne relativement à l'énoncé de stratégie énergétique afin de favoriser la plus grande participation qui soit. Internet nous apparaît en effet un moyen privilégié de rejoindre le plus de Québécois possible. Internet permet d'abattre les frontières tant géographiques que culturelles ou sociales. Ainsi, les citoyens pourront influencer les orientations et les initiatives du gouvernement en matière d'énergie, puisque tous et chacun pourront réagir à l'énoncé de stratégie énergétique. Nous analyserons attentivement les propos recueillis de nos concitoyens et nous établirons les grands constats qui se dégagent de cette consultation. Puis, guidés par les intérêts supérieurs du Québec, nous définirons, adopterons et rendrons publique la nouvelle stratégie énergétique du Québec. En somme, le rapport des experts, les mémoires qui seront entendus, lors de la commission parlementaire, de même que les opinions émises dans le cadre du forum de consultation constituent les jalons de la stratégie énergétique que nous élaborerons.
Nous entamons donc un exercice démocratique, vital pour le Québec. C'est pourquoi, avant de terminer, je profite de l'occasion pour inviter l'ensemble des Québécois à prendre part au processus. Ces questions fondamentales sont très importantes pour notre avenir. Inutile de vous dire que, pour agir efficacement et dans l'intérêt de tous, nous sommes convaincus qu'il est préférable de partager avec les Québécois une même vision de ce que nous voulons pour l'avenir de notre société. C'est aussi le moyen d'adopter une stratégie énergétique qui reflétera véritablement nos valeurs et nos intérêts. Ensemble, nous devons prendre le temps de nous interroger et de trouver un juste équilibre pour assurer au Québec un brillant avenir énergétique.
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(15 h 20)
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Ainsi, à partir de maintenant et tout au long des différentes étapes menant à l'élaboration de la stratégie énergétique du Québec, notre gouvernement se place en mode écoute. L'opinion de tous les Québécois importe. Aujourd'hui et demain, nous sommes ici pour entendre certains d'entre eux considérés comme des experts dans les questions qui ont trait à l'énergie. Nous exercerons notre rôle de parlementaires. Ainsi, nous pourrons utiliser le contenu de leur rapport pour nous éclairer dans le cadre de cette commission parlementaire menant à une nouvelle stratégie énergétique du Québec. Nous devons agir avec sagesse et vision, car la question de notre sécurité et de notre avenir énergétiques ne saurait souffrir d'aucune improvisation.
M. le Président, l'ordre du jour étant chargé, je m'arrête ici, et je souhaite à tous une excellente commission. Merci de votre attention.
Le Président (M. Jutras): Alors, merci, M. le ministre. J'inviterais maintenant Mme la députée de Rosemont, porte-parole de l'opposition en matière d'énergie, de nous livrer vos remarques préliminaires.
Mme Rita Dionne-Marsolais
Mme Dionne-Marsolais: Merci, M. le Président, et je dois saluer tous ceux qui sont ici, ainsi que mes collègues d'en face. C'est avec beaucoup de plaisir qu'on se retrouve à cette table pour discuter des enjeux énergétiques, et on partage la même ambition du ministre d'arriver à une définition moderne des bases de notre sécurité énergétique.
Le processus ? parce que c'est un processus dans lequel on s'engage, là ? c'est un processus qui a été amorcé dès le mois de mars dernier et qui finalement arrive à une commission que nous attendions, que nous espérions beaucoup, et le ministre le sait. Nous allons avoir, avant Noël, deux courtes journées ? malheureusement, ce n'est pas beaucoup, mais on va travailler fort pour les maximiser ? avec des hommes d'ailleurs ? parce que je ne pense pas que j'aie vu de femmes, là, dans les experts qui vont venir partager avec nous leurs connaissances ? et on les attend avec beaucoup, beaucoup d'espoir.
Je pense que... je souhaiterais en fait que nous commencions cette discussion sur des bases constructives, et donc j'espère qu'on va parler de l'avenir, parce que c'est ça qui nous importe. Je sais qu'à plusieurs égards... et je souhaiterais que les collègues députés, qui nous servent souvent un retour sur le passé énergétique, se rappellent les propos du président d'Hydro-Québec, en 2004, le 16 avril, quand il répondait à La Presse d'ailleurs, à une question qui lui était posée à l'effet: Est-ce que c'est vraiment... est-ce que le ministre a raison de faire porter la responsabilité d'un soi-disant déficit énergétique sur le gouvernement précédent?
Bien, je vais vous dire tout de suite que sa réponse était essentiellement, avant la période du gouvernement du Parti québécois, qu'il aurait fallu prendre un certain nombre de décisions, et il rappelait l'importance de tenir compte des autochtones dans la dynamique du processus de choix énergétiques, surtout en matière hydroélectrique. Donc, j'espère qu'on va écarter cette question-là pour parler vraiment des enjeux de fond.
Je rappelle aussi que, depuis maintenant 10 ans, l'Hydro-Québec révise à la baisse son taux moyen annuel d'augmentation de la demande prévue. C'est la première fois, en 2004, où elle l'a maintenue. Toutes les autres années, elle l'avait baissée de 1/10 de 1 % par année. Alors, ces données-là sont importantes, parce que ça traduit quoi? Ça traduit que, quand on fait les prévisions de demande d'électricité, on doit se baser sur un certain nombre de données et que ces données-là doivent être projetées dans le temps et qu'on fonctionne toujours avec des taux moyens de croissance de la demande et non pas des taux annuels, sauf pour la variation annuelle évidemment de l'approvisionnement en électricité.
Alors, aujourd'hui, et je pense que, si j'ai bien compris le ministre, cela va durer jusqu'au printemps, on veut donc mettre à jour et bien partager sur les changements structurels qui pourraient avoir affecté le marché nord-américain de l'électricité et de l'énergie depuis 10 ans. Et on comprend que les experts que nous allons commencer à entendre aujourd'hui ont reçu un mandat de clarifier un certain nombre de choses. Mais je dois vous dire que nous pensons que leur contribution sera très appréciée, chez nous en tout cas, et je suis persuadée qu'ils apporteront une valeur ajoutée à notre politique énergétique ou à celle que vous allez maintenant redéfinir.
Je pense que c'est important de rappeler, comme vous l'avez fait, M. le ministre, que nous sommes à la croisée des chemins en matière énergétique et que nous devons nous ajuster aux grandes tendances du marché nord-américain. Les choix envisagés pour l'avenir sont-ils bons? Dans la politique qui nous sert encore de référence, L'énergie au service du Québec: une perspective de développement durable, le gouvernement précédent avait fait une certaine réflexion et un certain nombre de choix. Il faudrait regarder maintenant si ces choix méritent d'être changés, améliorés, modifiés.
On comprend qu'il y a beaucoup d'attentes, dans le milieu gazier effectivement, pour augmenter l'apport du bilan énergétique pour le gaz naturel, et je crois que c'est certainement un objectif valable. Ça améliore la diversification de notre portefeuille, puisque c'est de ça qu'il s'agit. Comment? Ça, c'est un peu ce dont on va discuter.
Est-ce qu'aussi les outils que nous nous sommes donnés pour suivre la performance de nos politiques énergétiques, est-ce que ces outils-là sont encore pertinents? Est-ce qu'il n'y aurait pas lieu de les revoir?
Je pense qu'il faut constater que le cadre réglementaire du secteur énergétique a des lacunes aujourd'hui, et elles ont été mises en lumière, en particulier depuis un an et demi. Et je suis certaine que l'ensemble des intervenants vont nous en parler.
La Loi sur la Régie de l'énergie avait été mise en place pour assurer un débat transparent non seulement sur les questions tarifaires, mais également sur les choix des différentes filières de production d'électricité, et visiblement le dernier avis qu'elle a donné, à la fin juin, confirme que c'était un choix pertinent.
Bien sûr, la saga du Suroît nous a montré un certain nombre de limites à la réglementation actuelle. Plutôt que d'assister à un débat transparent, la régie a plutôt constaté qu'Hydro-Québec vivait une crise de confiance aux yeux de la population. Et toute la question par exemple de la gestion confidentielle des réservoirs par Hydro-Québec a provoqué de sérieuses remises en question sur le type de contrôle que nous devrions avoir sur nos réserves hydrauliques. Et la régie a même dit, et je la cite: Elle «considère que l'intérêt public milite en faveur du dévoilement de ces informations. Elle n'a pas été convaincue du préjudice commercial allégué par le Producteur. Par ailleurs, le sentiment de sécurité collectif, la transparence, tout comme l'efficience des règles de marché doivent primer sur le secret commercial.» Autre lacune évidemment: le choix des filières de production. Le marché québécois de la production électrique n'offre pas à l'ensemble des filières, à tout le moins pas encore, l'accès concurrentiel et non discriminatoire voulu par la Loi sur la Régie.
Enfin, la Loi sur la Régie, telle que modifiée par la loi n° 116, elle avait été conçue pour garantir aux Québécois des tarifs d'électricité bas. Or, on le constate depuis plus d'un an, ces tarifs ne sont pas au rendez-vous, et, si la Régie de l'énergie dit oui à Hydro-Québec dans la présente cause tarifaire, c'est-à-dire 7,1 % d'augmentation, ce serait 7,1 % d'augmentation que nous aurions subie, comme clients d'Hydro-Québec, depuis 15 mois.
Je pense que... La récente volonté aussi du premier ministre de construire de nouveaux équipements hydroélectriques dans le but d'exporter de notre électricité va soulever beaucoup de discussions et de préoccupations, pas parce que ce n'est pas catholique, mais parce qu'on peut s'attendre à ce qu'il y ait une facture pour la construction de ces équipements et que, d'une manière ou d'une autre, ce sont les consommateurs québécois qui vont finir par la payer.
Donc, il devient urgent de connaître les coûts de production d'électricité parce que ces nouveaux équipements vont produire de l'électricité qui est de provenance de plus en plus éloignée, donc de plus en plus coûteuse. Et il ne faut pas que ce soient les consommateurs québécois qui paient pour ces nouveaux équipements qui vont servir aux autres pour engranger des profits pour Hydro-Québec et le gouvernement. Les consommateurs québécois ne comprennent pas, et ça, c'est important: si Hydro-Québec, dans l'ensemble, fait des profits records comme elle le fait maintenant, pourquoi est-ce qu'on demande une troisième hausse tarifaire en 15 mois?
Alors, bien sûr, il y a toutes sortes de réponses, mais je voudrais reformuler, en terminant, la proposition que je faisais au ministre, la semaine dernière, d'abroger la loi n° 116, qui soustrait le droit de regard de la régie sur les activités de production et réglementer ses opérations de production au même titre que celles de Transport et de Distribution.
D'ailleurs, Hydro-Québec vient de déposer une demande à la régie où elle demande que les autoproducteurs soient réglementés par la régie. Alors, c'est donc dire qu'elle s'attend à ce qu'elle-même soit réglementée par la régie. Nous croyons qu'il faut revenir à la première version de cette loi, qui était la loi n° 50, pour permettre non seulement une réglementation efficace pour les tarifs, mais également pour que tout ce qui a trait à la conception ou au concept de la planification intégrée des ressources, un concept bien connu, bien accepté... pour que ce consensus, qui avait été établi lors du débat en 1995 et qui réussit dans certaines juridictions américaines, pour que cela s'applique chez nous.
Alors, M. le ministre, je participerai sincèrement, honnêtement à ces discussions, comme tous vos collègues et mes collègues et les membres de notre formation politique, pour que l'avenir et la sécurité énergétiques des Québécois soient assurés en harmonie avec les valeurs de développement durable pour longtemps encore. Merci.
n(15 h 30)nLe Président (M. Jutras): Alors, merci, Mme la députée. J'inviterais maintenant M. le député de Vanier à nous faire part de ses remarques préliminaires.
M. Sylvain Légaré
M. Légaré: Merci, M. le Président. Chers collègues, d'abord, bonjour à tous réunis... gens réunis dans le salon rouge. C'est un plaisir pour moi d'être ici, aujourd'hui, et de participer aux travaux de la commission, puis étudier aussi le document Le secteur énergétique au Québec ? Contexte, enjeux et questionnements. C'est un plaisir parce que l'ADQ, ce n'est pas d'hier qu'on parle de revenir sur des grands projets et d'augmenter notre production d'hydroélectricité, jumelée évidemment à l'énergie éolienne. Il s'agit pour nous évidemment de s'assurer qu'Hydro-Québec, elle soit capable de répondre évidemment à la demande intérieure mais aussi d'être capable d'exporter à des prix très intéressants. Je pense que c'est très important pour l'avenir évidemment du Québec et la richesse du Québec.
Je pense que, le Québec, les Québécois, on est extrêmement fiers d'Hydro-Québec. Les années soixante, soixante-dix, quatre-vingt ont donné souvent l'impression d'une hydroélectricité très abondante, et je ne crois pas que ce soit le cas. Peut-être deux conséquences majeures de ça: le Suroît, un projet qui a été abandonné, à ma grande joie d'ailleurs, et c'était un projet qui venait un peu à l'encontre... qui était irrespectueux de l'environnement, et ça a été accueilli chez nous avec une certaine joie. Il y a eu aussi... On ne se fera pas de cachette, je pense que le Québec est devenu un importateur, bon, un importateur net. Alors, je pense que la conséquence... et le bilan des 10 dernières années est un peu néfaste, et ça va être important... Et, tantôt, on parlait d'avenir. Mme la députée parlait d'avenir tantôt, et je crois qu'il faut remettre... c'est une commission qui est très importante aujourd'hui: parler évidemment de l'avenir du Québec au niveau hydroélectricité.
Évidemment, on a vu un congrès du Parti libéral, il y a de ça quelques semaines, où est-ce qu'on parlait d'énergie renouvelable, et, moi, j'ai des petites interrogations par contre sur les projets qui sont sur la table présentement, et il va falloir évidemment... Bon, on parle des projets à l'étude et puis sur la planche à dessin. Je crois qu'il va falloir mettre l'emphase... mettre un peu Hydro-Québec en mode croissance. Alors, ça va être important. C'est encore une fois doublement important, cette commission-là.
C'est sûr qu'il faut devenir un exportateur. On en parle beaucoup. On parle de grands projets hydroélectriques. Alors, oui, il faut aussi... Nous, à l'ADQ, on est très fiers, lorsqu'on entend le gouvernement du Parti libéral parler d'éoliennes. Alors, ça va aussi dans la même saveur de notre parti, de notre programme électoral.
Alors, évidemment, on parle de dividendes qu'il faut remettre dans les poches du gouvernement; autrement dit qu'Hydro-Québec redonne des dividendes pour payer nos services publics. Alors, c'est une commission qui sera extrêmement importante.
Encore une fois, je parlais du Suroît tantôt. On a perdu énormément de temps à parler du Suroît, à accepter... annoncer en grande pompe le Suroît, l'abandonner. Alors, on a perdu, dans les derniers mois, dans les dernières années, énormément de temps, et je crois qu'il faut remettre les priorités aux bons endroits, parler évidemment de... on a des objectifs à atteindre à l'intérieur, ici, du Québec, mais aussi on parle d'exportations.
Alors, commission très importante qu'il nous fait extrêmement plaisir d'être ici. Et j'espère qu'on va pouvoir remettre les beaux objectifs et remettre les enjeux aux bons endroits pour les prochaines années parce qu'on parle d'avenir. Et, moi, j'aurais pu parler du bilan, mais je pense qu'il est pas mal plus important de parler d'avenir, et c'est une bonne chose, cette commission-ci. Alors, merci, M. le Président.
Auditions
Le Président (M. Jutras): Alors, merci, M. le député de Vanier. Ça met donc fin aux remarques préliminaires. Je demanderais maintenant au premier expert, M. Pierre Fortin... si vous voulez vous avancer, M. Fortin, vous installer à la table.
Alors, M. Pierre Fortin, bienvenue à cette commission. Je vous explique de quelle façon nous fonctionnons. Vous disposez somme toute de une heure: 20 minutes pour la présentation de votre mémoire; par la suite, il y aura discussion avec le groupe ministériel pour une période de 20 minutes et, par la suite, avec les députés de l'opposition pour une autre période de 20 minutes. Je comprends que vous êtes seul pour la présentation de votre rapport? Oui. Alors donc, je vous laisse la parole. Vous avez 20 minutes pour la présentation de votre mémoire.
M. Pierre Fortin
M. Fortin (Pierre): Est-ce que je tourne moi-même les diapos ou si elles sont tournées automatiquement?
Le Président (M. Jutras): Est-ce qu'il y a un technicien qui est disponible? Je pense qu'il va falloir que vous le fassiez vous-même. Est-ce qu'il y a un...
Une voix: ...
M. Fortin (Pierre): D'accord.
Le Président (M. Jutras): Pardon?
Une voix: ...
Le Président (M. Jutras): À moins que ce soit...
M. Fortin (Pierre): Je peux les tourner moi-même.
Des voix: ...
M. Fortin (Pierre): Bon, en tout cas, enfin... O.K.
Le Président (M. Jutras): Alors, vous allez être capable de vous organiser? Oui? Allez-y.
M. Fortin (Pierre): Je vais faire mon gros possible.
Des voix: Ha, ha, ha!
M. Fortin (Pierre): M. le Président, je vous remercie de votre accueil; saluer M. le ministre, les membres de l'opposition et du parti gouvernemental...
Le Président (M. Jutras): Je m'excuse, auriez-vous besoin... Il y a un député qui se porte volontaire. Est-ce que ça vous aiderait?
M. Fortin (Pierre): Non, je vous remercie, là. On...
Le Président (M. Jutras): Ça va? Alors...
M. Fortin (Pierre): Dans le pitonnage, je m'y connais, là. Avec le nombre d'enfants que j'ai, qui m'expliquent ça tous les jours, là, ça va.
Je voudrais d'abord féliciter le ministère d'avoir produit un excellent document de travail pour lancer la discussion là-dessus. C'est également mon avis que l'avis de la Régie de l'énergie, de juin dernier, était d'une facture technique et pédagogique excellente. Souvent, on dit des choses négatives sur les fonctionnaires, mais je pense que, dans le domaine des ressources naturelles, le Québec est bien doté de gens qui sont à la fois clairvoyants et compétents.
Ma présentation va durer 15 min 44 s bien timées. Permettez-moi, pour commencer, d'abord, de bien situer l'importance des exportations d'électricité du Québec dans l'ensemble des ventes d'Hydro-Québec. En moyenne, de 1994 à 2003, l'entreprise Hydro-Québec a exporté 18 TWh, c'est-à-dire 18 milliards de kWh d'électricité par année. Elle a aussi importé 4 TWh par année, pendant cette période-là, en moyenne. Alors, importer est évidemment payant quand on peut acheter bon marché hors pointe pour revendre à meilleur prix en pointe. Cela donne la moyenne annuelle de 14 TWh d'exportation nette, c'est-à-dire exportation moins importation, qui sont des sorties nettes des réservoirs d'Hydro-Québec. Ça représente seulement 10 % des ventes au Québec. Ce n'est pas énorme en pourcentage des ventes au Québec, mais néanmoins Hydro-Québec est un joueur important sur les marchés du nord-est du continent.
Le Québec fait ici une contribution importante à la sécurité, la stabilité et la propreté du continent. C'est un atout stratégique qu'il ne faut jamais oublier et qui doit être maintenu et valorisé. En 2003, cependant, l'activité d'Hydro-Québec a été trois ou quatre fois moins importante que la moyenne de la dernière décennie. Les sorties nettes des réservoirs pour l'exportation, en 2003, ont atteint à peine 4 TWh, soit 2,4 % des 167 TWh vendus au Québec.
L'historique des 10 dernières années montre que le résultat de 2003 n'est pas arrivé tout d'un coup. En fait, les exportations nettes d'électricité sont en baisse depuis 1995, l'année où la phase II des travaux du Complexe La Grande a été complétée, et particulièrement depuis 1999. De plus, plusieurs contrats d'exportation à long terme se sont terminés entre 2000 et 2002, de sorte que les ventes hors Québec à long terme, qui n'ont jamais constitué un pourcentage élevé des exportations de toute façon, n'atteignent plus que 1,5 % du volume des ventes locales. Le seul gros contrat restant est celui du groupe des distributeurs du Vermont.
n(15 h 40)n Si on veut bien évaluer les perspectives d'avenir, il est essentiel de comprendre pourquoi nos exportations d'électricité sont en nette diminution depuis 10 ans et en particulier qu'on importe, à toutes fins pratiques... on a importé en fait au premier semestre de 2004. En deux mots, l'explication est que, depuis 1995, la marge de manoeuvre d'Hydro-Québec a fondu comme neige au soleil. Cette notion de marge de manoeuvre est tellement fondamentale que vous allez me permettre de prendre un instant pour définir ce qu'elle est, et c'est très directement connecté aux exportations. Il s'agit en fait de la réserve de capacité de production qu'Hydro-Québec essaie de se garder par prudence, chaque année, par-dessus les besoins d'énergie attendus dans des conditions d'offre et de demande jugées normales.
Naturellement, les conditions peuvent s'avérer anormales. Par exemple, côté besoins, l'économie peut demander plus d'énergie que prévue ou les températures peuvent être plus froides que la normale. Côté capacité, les apports d'eau dans les bassins peuvent être inférieurs à la moyenne ou la mise en service des nouvelles centrales peut être en retard sur l'échéancier prévu. Ces aléas défavorables peuvent frapper la capacité et les besoins n'importe quand.
C'est justement pour ça que la marge de manoeuvre existe, c'est-à-dire comme coussin de sécurité qui absorbe les contrecoups et cherche à empêcher les stocks d'eau de baisser sous la norme sécuritaire. Si la malchance est telle que la marge de manoeuvre est insuffisante pour tout absorber, alors Hydro-Québec va encaisser une baisse des niveaux d'eau et essayer de reconstituer les stocks avec la marge de manoeuvre de l'année suivante ou après, et c'est ici que les exportations surviennent.
Si la marge de manoeuvre n'est pas entièrement utilisée ou si des aléas favorables font diminuer les besoins ou augmenter la capacité par rapport aux prévisions, alors l'excédent réalisé peut justement être exporté, et ce sera rentable parce que les exportations vers les réseaux voisins rapportent un bon prix au kilowattheure. La marge de manoeuvre peut augmenter ou diminuer avec les années: par exemple, si la puissance installée d'Hydro-Québec augmente plus vite que la tendance de la demande d'énergie, la marge va augmenter.
Malheureusement, c'est précisément le contraire qui s'est produit de 1995 à 2003: la demande a progressé de 20 %, tandis que la puissance a crû seulement de 4 %. C'est que la reprise économique a été très forte, et, par suite de l'échec de Grande-Baleine, l'opinion publique a imposé un moratoire sur la construction de nouvelles centrales.
Une autre tendance lourde est que le Nord-du-Québec a vécu une sécheresse presque non-stop de 1995 à 2003. Il a plu pour la peine seulement en 1999. Les apports d'eau dans les réservoirs ont accusé un déficit cumulatif de 76 TWh. Rappelez-vous que c'est 167 TWh, donc un peu plus que le double de ça qu'on vend au Québec, chaque année. Donc, 76, c'est un gros chiffre comme déficit cumulatif, ça mobilise une marge de manoeuvre.
Pour répondre à la demande intérieure débridée et faire remonter les niveaux d'eau, Hydro-Québec a donc dû mettre la pédale douce sur les exportations. Le comble a été atteint en 2003, vraiment une année de malheur. Annus horribilis, comme on dit: il a fait froid, il n'a pas plu, et la demande a été explosive, au point qu'à la fin de l'année la réserve énergétique dans les bassins d'eau avait baissé à 75 TWh, soit 30 TWh sous la norme sécuritaire de 105. Le choc était d'autant plus difficile à absorber qu'Hydro-Québec avait entrepris l'année 2003 avec une marge de manoeuvre que plusieurs années de forte demande d'énergie et d'absence de construction avait réduit à un mince 12 TWh, alors qu'elle était à un confortable 18 TWh en 1998.
C'est dans ce contexte que se fit la promotion du Suroît. Ce projet devait ajouter 6,5 TWh à la capacité de production annuelle dans un délai très court afin de répondre à une situation d'urgence sur le plan énergétique. Comme on sait, le projet a été abandonné en 2004, à la fois parce que l'opinion publique s'y est carrément opposée, que les fortes précipitations ont relevé les stocks énergétiques à 110 TWh, légèrement au-dessus de la norme sécuritaire, que le projet avait pris beaucoup de retard et que le partenaire technologique et financier, General Electric, avait perdu patience.
Cependant, l'action réparatrice des pluies de 2004 n'a pas modifié la marge de manoeuvre, qui reste autour de 10 TWh. Si 2003 se répète, rien n'assure qu'un déluge viendra à nouveau sauver la situation l'année suivante. Les prières des soeurs du Bon-Conseil ne suffiront peut-être pas cette fois-ci.
La priorité des années à venir sera donc de reconstituer la marge de manoeuvre d'Hydro-Québec. Comment attaquer ce problème? Relever la marge de manoeuvre signifie ralentir la demande d'énergie et accélérer la capacité de produire. C'est ce que l'avis présenté, en juin dernier, par la Régie de l'énergie propose. D'une part, l'organisme suggère de discipliner la demande en améliorant l'efficacité énergétique et en rejetant les nouvelles demandes de gros blocs d'énergie faites par les alumineries et autres entreprises métallurgiques. D'autre part, la régie appuie la construction accélérée de nouvelles centrales hydroélectriques, éoliennes et de cogénération.
Mais quel niveau de marge de manoeuvre faut-il viser? Pour illustrer la fragilité de la situation de 2004, disons qu'en moyenne une marge de 10 TWh par année sera insuffisante pour absorber les aléas défavorables une année sur trois. On va être dans le trou une année sur trois avec seulement 10 TWh. Cela est très risqué, car en l'occurrence il faudra importer ? on a commencé à le faire d'ailleurs ? et encaisser une chute des stocks d'eau dans les réservoirs. On a même 85 % de chances de ne pas avoir fini de remonter les stocks au niveau sécuritaire avant la prochaine insuffisance de la marge de manoeuvre. À 20 TWh par contre, la marge sera insuffisante seulement une année sur six. C'était le cas avant 2000 et c'était beaucoup plus confortable. Mais freiner la demande et construire de nouvelles centrales est coûteux, et c'est ici que les exportations jouent un rôle économique fondamental.
La possibilité d'exporter chaque année la portion inutilisée de la marge de manoeuvre de 20 TWh permet de rentabiliser cette amélioration de notre sécurité énergétique. Si on prend, par exemple, le projet d'aménagement de l'Eastmain-Sarcelle-Rupert, son coût est estimé à moins de 0,06 $ du kilowattheure, transport et pertes inclus. Comme il n'est guère douteux que le prix de l'électricité à l'exportation soit au moins de 0,075 $ du kilowattheure, on peut anticiper que le gain de 0,015 $ ? 0,075 $ moins 0,06 $ ? appliqué aux 8,5 TWh du projet procurera à Hydro-Québec un revenu net de 130 millions de dollars par année. Il en ira de même pour les autres types de centrales, éoliennes ou autres, chaque fois que le prix de revient sera inférieur à 0,075 $ du kilowattheure.
Pour l'instant, en supposant que la centrale nucléaire de Gentilly ne soit pas en opération en 2012, il appert que les mesures et projets déjà prévus amèneront la marge de manoeuvre à 15 TWh à cet horizon. C'est insuffisant. Atteindre une marge de manoeuvre de 20 TWh exigera des efforts supplémentaires, du côté offre comme du côté demande. Du côté offre, les projets d'éoliennes et de cogénération vont bon train. Dans le cas du projet de l'Eastmain-Rupert, il est primordial d'éviter les délais indus dans l'émission des permis. Dans le cas des projets des rivières de Minganie, Romaine et Petit-Mécatina, il faut compléter sans tarder les études techniques, économiques et environnementales et négocier de façon honorable avec les communautés locales, ce qu'évidemment la «Paix des Braves» permet de faire avec beaucoup plus d'optimisme que c'était le cas il y a 10 ans.
Pour atteindre 20 TWh, il faudrait aussi aller plus loin du côté demande: premièrement, sur l'octroi de gros blocs d'énergie; deuxièmement, sur la tarification d'électricité; j'ajouterais aussi, troisièmement, en passant dans une certaine mesure du chauffage à l'électricité au chauffage au gaz.
Les gros blocs d'énergie consentis aux entreprises énergivores imposent un coût astronomique à la société québécoise. En 2003, par exemple, les participants à ces contrats de partage de risques ont payé l'électricité 0,025 $ du kilowattheure, alors que le prix moyen obtenu par Hydro-Québec à l'exportation a été 0,085 $ le kilowattheure. Appliquée aux 20,3 TWh de ces contrats, la différence de 0,063 $ signifie que la subvention aux alumineries et autres a été de 1,3 milliard en 2003. Elle peut varier évidemment d'une année à l'autre, mais elle sera toujours énorme. Il faut une politique ferme et définitive qui rejette clairement l'octroi de nouveaux blocs. Il importe de réfléchir également, dès aujourd'hui, aux conditions auxquelles les contrats de ce type, qui sont échus dans 10 ans, pourront être renouvelés.
n(15 h 50)n Toujours du côté demande, pardonnez-moi d'être politiquement incorrect et d'affirmer qu'une révision de la tarification de l'électricité s'impose si on veut vraiment discipliner la demande québécoise pour atteindre et maintenir une marge de manoeuvre de 20 TWh. Le Québec a choisi de distribuer le revenu de l'électricité à ses citoyens en leur faisant cadeau de très bas tarifs pour cette ressource. Du fait qu'ils ont payé leur électricité beaucoup moins cher qu'au sud, les Québécois ont ainsi économisé, en 2003, un montant total de 7,9 milliards de dollars. Le tarif moyen au Québec était de 0,051 $ le kilowattheure, tandis que, si on ajoute les frais de distribution de 0,01 $ le kilowattheure au prix moyen à l'exportation de 0,088 $, le prix extérieur moyen à la consommation aurait été de 0,098 $. La subvention de 7,9 milliards est calculée en appliquant l'écart de 0,047 $ entre le prix intérieur et le prix extérieur aux 167 TWh consommés au Québec en 2003. Cette subvention est un incitant majeur à la surconsommation d'électricité au Québec.
Si les Québécois avaient payé le prix international pour l'électricité, en 2003, les dividendes versés par Hydro-Québec au gouvernement n'auraient pas été de 800 millions mais de 8 milliards. C'est plus que le montant reçu par l'Alberta en redevances pétrolières et gazières. La différence est que, contrairement au Québec, l'Alberta ne subventionne pas massivement la consommation de pétrole et de gaz par ses citoyens. L'essence ne se vend pas 0,20 $ le litre à Calgary. L'Alberta retourne sous d'autres formes à ses citoyens le revenu tiré de ces ressources: meilleurs services publics, baisses d'impôts, fonds publics de placements à long terme, remboursement de la dette. Son choix est simplement différent de celui du Québec.
Les tarifs de l'électricité au Québec ne sont pas seulement bas, ils frappent divers groupes très inégalement. En 2003, le secteur général institutionnel payait 0,065 $ le kilowattheure, le secteur résidentiel, 0,061 $; les entreprises industrielles, 0,038 $; les alumineries, etc., 0,025 $. Le secteur industriel notamment a consommé 43 % de l'électricité québécoise mais a payé 32 % de la facture. Cette inégalité coûte cher. Si le secteur industriel avait payé un tarif égal à la moyenne de ce qui est perçu des autres utilisateurs québécois, le produit des ventes d'Hydro-Québec aurait été plus élevé de 1,7 milliard de dollars.
Bref, la politique tarifaire québécoise a deux lacunes. D'une part, les bas tarifs engendrent la surconsommation; d'autre part, la structure tarifaire est inéquitable et coûteuse. Il est souhaitable d'augmenter les tarifs un peu plus vite que l'inflation pendant quelque temps, tout en gardant un écart avec nos principaux concurrents. Il faut noter en particulier qu'une hausse du tarif moyen aussi modeste que 10 % ou 0,005 $ le kilowattheure devrait faire diminuer la consommation d'électricité de 8 TWh, soit bien plus que n'importe quel plan d'efficacité énergétique peut en rêver à l'heure actuelle et sans investissement de la part d'Hydro-Québec. Il faut enfin introduire plus d'équité entre les groupes en appliquant de plus fortes augmentations au secteur industriel et de plus faibles aux petits utilisateurs du secteur général.
Une demande plus disciplinée et la construction sans délai de nouvelles centrales mentionnées donneraient à Hydro-Québec la marge de manoeuvre souhaitée de 20 TWh en 2015. En temps normal, cette marge de manoeuvre donnerait lieu à autant d'exportations propres, stabilisatrices et rentables sur les marchés de court terme hors Québec. Comme on aurait gagné un meilleur contrôle sur les ventes de long terme au Québec, il deviendrait alors possible d'explorer prudemment les marchés de long terme aux États-Unis et en Ontario. Cela exigera d'élargir la clientèle et de développer les interconnexions qui pourront soutenir un volume un peu plus abondant d'exportations. L'Ontario en particulier a d'énormes besoins d'énergie que certains chiffrent à 25 000 MW d'ici 2020. Quoi qu'il en soit, exporter notre électricité renouvelable, à court ou à long terme, rentabilisera notre sécurité énergétique, aidera nos voisins à atteindre les cibles du Protocole de Kyoto et contribuera au développement de nos communautés locales et régionales. Je vous remercie.
Le Président (M. Jutras): Alors, merci, M. Fortin. J'inviterais maintenant les membres du groupe ministériel. M. le ministre.
M. Hamad: Merci, M. le Président. M. Fortin, merci pour l'excellent travail. Félicitations! C'est un document très intéressant. Ça nous donne beaucoup d'éclairage sur la question.
Maintenant, dans la page 8, vous parlez des prix d'exportation qui... En 1995, il a passé de 0,025 $ vers 0,088 $ le kilowattheure, donc il y a une augmentation rapide des prix. Et vous avez dit aussi que le marché... l'augmentation en fait, l'évolution, l'ouverture du marché et la gestion des réservoirs d'Hydro-Québec allaient contribuer beaucoup à augmenter l'exportation, c'est-à-dire qu'en 2003, Hydro-Québec, avec l'exportation, en fait elle a fait un profit net de 596 millions et elle a exporté seulement 4 TWh.
La question en fait que je pose: Quelle est votre vision à long terme sur l'augmentation du prix de l'exportation... sur le prix c'est-à-dire de l'électricité à l'exportation? Est-ce que, pour vous, c'est un incitatif important pour que l'Hydro-Québec développe davantage des centrales hydroélectriques pour finalement exporter davantage?
M. Fortin (Pierre): Dans la prévision, il y a un grand économiste qui a gagné le prix Nobel, dans les années soixante-dix, Paul Samuelson, qui a dit: Ou bien on prédit ce qui va arriver sans dire quand ça va arriver ou bien on prédit quand ça va arriver, mais sans dire exactement ce qui va arriver. Si on fait les deux, on est cuits.
Je pense que le document du ministère est assez proche de ce que j'en pense ? c'est un hasard, là, on ne s'est pas consultés là-dessus ? à savoir que la pression mondiale sur les ressources naturelles, notamment des hydrocarbures, va être très, très forte. Elle est déjà très forte sur le pétrole. Sur le gaz naturel, il va y avoir de la construction de terminaux méthaniers, qui a commencé aux États-Unis et qui va continuer. Il y en a, je pense, une trentaine ou une quarantaine, de projets, qui... Bon. Alors, tout ça indique qu'il y a des pressions considérables. Il va y avoir un certain relâchement de cette pression-là, dans deux, trois ans peut-être, mais la demande asiatique est absolument extraordinaire, et, si on pense que ces gens-là vont éventuellement rejoindre les niveaux de vie d'ici, il faut faire la prévision qu'à long terme les prix des ressources alternatives ? gaz naturel et pétrole ? vont continuer d'augmenter à bon train.
Et je pense que tous les projets qui ont déjà été envisagés par Hydro-Québec ? je ne pense pas seulement à Petit-Mécatina et Romaine, là, qui sont présentement à l'étude, mais également peut-être un retour à Grande-Baleine ou Gull Island, éventuellement ? et d'autres plus tard, vont devenir, tôt où tard, rentables. Et par conséquent la perspective à long terme est que, pour Hydro-Québec, ce sera rentable de continuer à construire et que l'écart entre les prix internationaux et le coût, au kilowattheure, de construire va rester avantageux.
En particulier, c'est très important, le... ce qu'il faut surveiller, c'est le prix du gaz naturel, parce que, de plus en plus, les nouvelles centrales de génération d'électricité, aux États-Unis, sont au gaz naturel et que les prix d'électricité suivent directement les prix du gaz naturel. Alors, il faut regarder ça pas à pas.
En fait, ça se peut qu'il y ait 10 projets qui soient rentables, mais commençons immédiatement par faire celui qui est le plus rentable et qui est le plus urgent à faire débloquer, à faire déboucher, c'est-à-dire celui d'Eastmain-Rupert, la dérivation, là, et tout ça. Et j'espère que les autorités environnementales vont aboutir à des décisions quand même avec diligence, dans des délais normaux, là-dessus. Il faut évidemment tout regarder attentivement, mais il ne faut pas prendre de retard là-dessus.
Le Président (M. Jutras): M. le député de Roberval.
n(16 heures)nM. Blackburn: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Fortin, merci d'abord de votre présentation. C'était très intéressant. Ce qu'on comprend et ce qu'on peut constater, c'est qu'avec l'électricité c'est une foule d'ingrédients qui permettent d'assurer, si on veut, le plein potentiel du développement hydroélectrique, entre autres au Québec, et du développement énergétique. On parle bien sûr de production, on parle bien sûr d'inventaire, on parle bien sûr d'exportation, avec aussi un coup de main de mère Nature, c'est ce qui fait qu'on est capable d'arriver avec un produit qui va nous permettre de réaliser nos objectifs.
Dans votre présentation, M. Fortin, vous avez fait part tout à l'heure d'éléments extrêmement importants quant à la sécurité énergétique bien sûr du Québec et par rapport aussi au potentiel que ça peut apporter vis-à-vis nos voisins du Sud. Et je vais vous citer, à la page 7 de votre présentation: «Si Hydro-Québec tire de bons prix de ses exportations, c'est qu'elle rend des services appréciés par ses clients du Sud. Elle accroît leur sécurité énergétique, stabilise les prix et contribue à mieux équilibrer l'offre et la demande d'énergie.» Alors, dans ce contexte-là, M. Fortin, vous concluez dans le fond que le fait d'avoir une sécurité énergétique ici peut être aussi un avantage stratégique qu'il faut valoriser davantage. Donc, est-ce que vous faisiez un lien entre la sécurité énergétique ici, au Québec, et la possibilité d'assurer aussi une stabilité énergétique sur le continent nord-américain pour Hydro-Québec?
M. Fortin (Pierre): Absolument. Premièrement, on a absolument besoin d'élargir notre marge de manoeuvre. Je veux dire, capoter une fois à tous les trois ans, on ne peut pas se permettre ça, là. Je veux dire, il faut dépasser ça. Et donc on a absolument besoin de toute façon d'élargir notre marge de manoeuvre. Ce que je dis, c'est que d'une part ça va être rentable de le faire, parce que notre marge de manoeuvre va s'agrandir. Si elle s'agrandit à 20 TWh, les années où on n'en aura pas besoin, bien, on va l'exporter, puis on va faire de l'argent avec. Les années où on en aura besoin, bien là on ne l'exportera pas, puis on va la garder pour nous, puis on va être en sécurité.
Et aussi, ce que vous ajoutez ? je n'ai peut-être pas assez insisté là-dessus, je vous remercie de le faire, là ? c'est que, du point de vue des marchés nord-américains, on les aide à stabiliser. Premièrement, on est gros, au Québec, par rapport au marché du nord-est du continent, et, dans ces marchés-là, le fait qu'on achète... qu'on importe de l'électricité hors pointe quand les prix sont bas et puis qu'on la réexporte en pointe quand les prix sont élevés, ça aide les Américains parce que ça réduit... On n'est pas marginaux là-dedans. Quand on vend sur les marchés américains, on a une influence sur les prix américains, ça fait baisser les prix aux États-Unis. Eux autres, ils aiment ça, non? Et c'est pour ça qu'on leur rend un service important. Et, dans la politique étrangère canadienne, c'est un atout qui n'est pas négligeable du tout, évidemment, pour les relations internationales du Québec avec les États limitrophes, comme le Vermont et l'État de New York, qui sont des États importants, les États de la Nouvelle-Angleterre aussi, les autres, Boston et... C'est essentiellement ça que je veux dire.
Bref, élargir notre marge de manoeuvre, on en a absolument besoin. Deuxièmement, c'est payant. Et troisièmement, c'est à notre avantage politique et stratégique. Alors, je veux dire, c'est certainement mieux d'être riche et en santé que pauvre et malade.
M. Blackburn: Merci, M. Fortin.
Le Président (M. Jutras): Merci, M. le député de Roberval. Mme la députée de La Pinière.
Mme Houda-Pepin: Merci, M. le Président. M. Fortin, bienvenue. Merci pour l'éclairage que vous apportez à la commission. Tantôt, vous avez abordé la notion de la marge de manoeuvre. Cette marge de manoeuvre, vous dites qu'elle est un peu tributaire de deux facteurs: les prévisions de la consommation, avec ce que ça peut comporter comme erreur, et les fluctuations de la température. En quelque sorte, la gestion du risque, c'est un peu la gestion de l'imprévisible. Et vous dites qu'il faudrait exporter ce que nous allons dégager comme marge de manoeuvre, ces fameux surplus, finalement.
Est-ce que vous pensez que cette marge de manoeuvre pourrait être vue, perçue comme un fardeau à assumer par les Québécois ou est-ce que vous estimez qu'en toute circonstance ce serait rentable finalement d'exporter ces surplus?
M. Fortin (Pierre): C'est entièrement et totalement rentable dans l'avenir prévisible, c'est-à-dire jusqu'en 2015. Par la suite, ça va dépendre, comme M. le ministre l'a mentionné tout à l'heure, des prix mondiaux, des alternatives en termes d'énergie comme le gaz naturel et le pétrole. Mais, pour l'instant, c'est nulle autre chose que très payant d'avoir une marge de manoeuvre. C'est ça, la beauté de la chose, c'est-à-dire qu'on en a absolument besoin pour des raisons sécuritaires, de sécurité, mais en même temps non seulement ce n'est pas un fardeau, mais ça va être payant d'utiliser cette marge-là pour l'exporter les années où on n'en aura pas besoin. Mais les années suivantes, évidemment, si on en a besoin, bien là on cesse d'exporter puis on peut le faire à très court terme. Ça se fait de façon absolument instantanée, là, exporter plus ou exporter moins, et immédiatement on peut rapatrier notre marge de manoeuvre dès qu'on a le moindre signe qu'on en a besoin. Et c'est la beauté de l'immensité des réservoirs d'Hydro-Québec et de leur flexibilité de nous permettre ça.
Mme Houda-Pepin: Très rapidement, j'aimerais peut-être avoir un éclairage sur le point que vous soulevez au niveau de la stratégie du Québec qui a opté pour un tarif réduit d'électricité comparativement, par exemple, à l'Alberta, qui sont allés plutôt vers la commercialisation, constitution d'un fonds, réinvestissement dans les services. Je pense que finalement ça revient au même, ultimement, mais j'aimerais quand même vous entendre. Est-ce que vous remettez en question la stratégie du Québec d'y aller par des tarifs réduits? Et vous le soulevez aussi par rapport au soutien à l'industrie. Vous dites que ce n'est pas équitable, que cette politique tarifaire, finalement elle est contre-productive même du point de vue économique.
M. Fortin (Pierre): Je pense que mon point de vue, c'est qu'on doit faire un pas dans la direction de l'Alberta sans les imiter totalement. On a, dans le passé, donc maintenu des tarifs relativement bas. En fait, ils apparaissent de plus en plus bas parce que les prix à l'exportation sont devenus de plus en plus élevés.
Alors là, j'étais entièrement d'accord avec ce que le premier ministre a dit l'autre jour, c'est-à-dire qu'on pourrait très bien avoir des revenus, des redevances ou enfin des dividendes d'Hydro-Québec aussi considérables que l'Alberta a des redevances pétrolières et gazières, mais, pour ça, évidemment il faudrait complètement changer notre stratégie. Et je pense que...
Moi, j'ai confiance dans notre monde que, s'ils comprennent qu'on ne peut pas avoir à la fois le beurre puis l'argent du beurre, ils vont être d'accord pour dire que, oui, peut-être que, pendant un certain temps, il faudrait augmenter nos tarifs d'électricité, etc., surtout dans le contexte de financement des services publics qui est extrêmement... qui est pratiquement en crise présentement. Le Québec, il a une marge de manoeuvre de... Nos revenus fiscaux augmentent de 1,5 milliard par année, puis la santé va en chercher 1,4. Où est-ce que c'est qu'on s'en va, dans tous les autres ministères, avec ça?
Alors, si on veut augmenter les argents disponibles pour améliorer les services publics, il faut pendant un certain temps essayer d'ajuster nos tarifs pour les amener un peu plus proches des tarifs nord-américains sans pour autant les rejoindre nécessairement, mais garder notre avantage concurrentiel. Et, par exemple, on pourrait, pendant 10 ans, avoir la stratégie: Bon, on augmente nos tarifs de 3 % ou 4 % par année alors que l'inflation est de 2 %, les augmenter un peu plus que le coût de la vie, et en particulier peut-être moins que ça dans le secteur résidentiel mais en relevant le secteur industriel. Je ne vois pas pourquoi le secteur industriel en Ontario paie 50 % plus cher que chez nous puis ils font très bien. Je veux dire, les entreprises ne s'enfuient pas d'Ontario, là.
Et donc je pense qu'il faut voir les choses un peu comme à la fois un élément d'efficacité puis d'apport de fonds pour les services publics et d'autre part aussi un élément d'équité entre les divers groupes qui paient plus ou moins cher l'électricité.
Mme Houda-Pepin: Merci.
Le Président (M. Jutras): M. le député de Saint-Jean.
M. Paquin: Merci, M. le Président. M. Fortin, merci de votre présentation, c'est très, très, très intéressant. Mon Dieu! je pense qu'on a une heure puis on en aurait pour des journées sinon des semaines parce que vous allez en profondeur à des milliers de questions qu'on pourrait vous poser. Il y en a plusieurs qui m'intéressent, mais je vais me permettre de vous en poser une.
n(16 h 10)n En pages 10 et 11 de votre... vous avez retenu l'année 2003 comme exemple d'une année extrêmement difficile, défavorable concernant la demande d'hydroélectricité. Principalement, on parle d'une perte de 31 TWh, un impact qu'il a fallu affronter avec une marge de manoeuvre de seulement 12 TWh, ce qui aurait amené Hydro-Québec à proposer un programme de reconstruction des stocks de 30 TWh sur cinq ans. Pourtant, à la page 14 de votre mémoire, vous dites qu'avec la forte hydroélectricité prévue pour 2004 le plan de reconstruction de la réserve est devenu caduc ainsi que le projet de Suroît.
Ma question est donc la suivante: Selon vous, est-ce que la forte hydroélectricité de 2004 est suffisante pour affronter les aléas à venir sur la demande d'hydroélectricité et ainsi assurer la sécurité énergétique des Québécois pour 2005-2007?
M. Fortin (Pierre): O.K. Deux réponses à ça. La période qui est encore à risque pour notre marge de manoeuvre de la capacité par rapport à la demande, c'est jusqu'à 2006. Passé 2006, là, les nouvelles constructions vont commencer à devenir disponibles, et on va être moins serrés dans notre marge de manoeuvre, et finalement on n'aura pas besoin d'un appoint supplémentaire comme le Suroît. Le problème est qu'on a tellement placoté autour du Suroît longtemps que, pendant qu'on placotait, le temps a passé. Et puis, au début, c'était un projet qu'on voulait réaliser ? quand je dis «on», ça exclut la personne qui parle, là, c'était Hydro-Québec ? on voulait le réaliser pour la fin de 2006 puis finalement on était rendu à croire que ce n'était pas possible de le réaliser avant 2009. Or, en 2009, on va en avoir une certaine abondance, de projets qui vont venir à être mis en service et puis on n'aura pas besoin du Suroît à ce moment-là.
Deuxièmement, on a toujours besoin de plus de marge de manoeuvre bien sûr si on veut atteindre 20 TWh. Mais là la question pour moi, en ce qui concerne le Suroît, ce n'est pas qu'on a besoin ou non de ces térawattheures-là ? six et demi, là, ce n'est pas rien, là, c'est beaucoup de jus ? mais c'est tout simplement qu'il faut regarder comment on veut utiliser le gaz naturel dans notre bilan énergétique. Est-ce qu'on veut utiliser le gaz naturel à produire de l'électricité, comme dans le Suroît, ou si on veut l'utiliser dans le chauffage des maisons? Moi, je pense que, comme les ingénieurs nous le disent, chauffer au gaz naturel, on utilise 90 % du gaz naturel en termes d'efficacité, alors que, pour produire de l'électricité dans une centrale, on l'utilise à 60 % seulement. Donc, on a une perte de 40 % dans une centrale, alors que, chauffer dans les maisons, on a une perte seulement de 10 %. Alors, si vous calculez ce que ça peut envoyer dans l'atmosphère ensuite pour réchauffer la planète, c'est bien sûr que, comme option, c'est préférable de mettre le paquet sur le virage progressif. Je veux dire, il faut respecter les gens qui ont suivi les signaux d'Hydro-Québec dans les années quatre-vingt; ils se sont installé le chauffage électrique, mais progressivement, dans les nouvelles constructions, c'est certain que ça va être avantageux de chauffer au gaz naturel. Le reste du monde chauffe au gaz naturel et parce que justement il y a cet avantage concurrentiel du gaz, là. Donc, j'utiliserais le gaz naturel beaucoup plus du côté chauffage résidentiel ou des immeubles en général que du côté construction de nouvelle...
Ceci dit, je ne suis pas contre les nouvelles centrales à cogénération qui sont construites. On en a besoin notamment pour réduire la consommation de pétrole dans les usines de toutes sortes, là, dans nos régions. Et c'est un beau projet que d'en faire un certain nombre pendant un certain temps pour rapprocher la propreté des régions et des usines, par exemple de pâtes et papiers.
Le Président (M. Jutras): M. le député de Rouyn-Noranda?Témiscamingue.
M. Bernard: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Fortin. Il nous reste peu de temps, alors je vais être très rapide sur ma question. À la page 14, vous dites qu'une marge de manoeuvre de 15 TWh en 2012 serait nécessaire. Puis c'est très important, le débat que vous avez fait. Puis la perception que j'en ai, je pense que vous êtes encore conservateur à ce niveau-là, puis je vais vous dire pourquoi, puis je veux avoir votre avis là-dessus: c'est que vous exprimez votre terme de marge de manoeuvre en termes absolus, c'est-à-dire 10 et 20 TWh. Mais, si on revient en rapport à la demande énergétique, en 2004, la réserve représente 6 % de la demande totale de 10 TWh, et, avec la projection du scénario mi-fort, en 2011, si on ne voit à peine que le 15... le 15 TWh va être encore simplement 7 % de la demande totale. Donc, on améliore peu votre scénario si... La manière que je le comprends en termes relatifs de la demande, proportionnels donc, ma perception, c'est qu'il faudrait même être encore plus agressif dans la stratégie du 20 TWh pour avoir une marge de manoeuvre tout le temps en fonction de la demande globale. Est-ce que je suis correct en pensant ça?
Le Président (M. Jutras): En conclusion, M. Fortin.
M. Fortin (Pierre): Parfaitement correct. Autant j'étais politiquement incorrect, autant vous êtes techniquement correct. Quand je dis «politiquement incorrect», c'est de proposer des augmentations un peu plus rapides de tarifs que ça a été le cas dans le passé. On va regarder par la fenêtre pour voir si j'ai déclenché une émeute, là. À chaque fois qu'on parle d'augmenter d'une petite affaire, là, ça déclenche une émeute.
Mais, pour la raison suivante... Mais je pense que la stratégie à adopter, c'est de regarder tous les projets possibles, et puis de les faire un par un, puis de mettre des choses en marche au moment où ça a l'air que ça va être payant. En fait, un de mes messages principaux ici, c'est que c'est payant d'augmenter la marge de manoeuvre, et, tant que ça l'est, je veux dire, on ne perd rien à devancer les choses parce que, pendant tout le temps où on n'en aura pas besoin, bien là on va pouvoir rentrer de l'argent, puis finalement payer pour les soins de santé de nos parents, là, qui commencent à dépasser 65 ans.
Le Président (M. Jutras): Alors, merci. Maintenant, un député de l'opposition. Mme la députée de Rosemont.
Mme Dionne-Marsolais: Merci, M. le Président. D'abord, M. Fortin, bonjour et bienvenue. Je dois vous dire que j'ai trouvé votre mémoire extrêmement intéressant bien qu'il y ait beaucoup de choses qui m'ont étonnée, surtout de votre part, mais je veux les préciser. Puis je vais... Je ne vous demande pas de réagir, mais vous réagirez si vous voulez, parce que j'ai ensuite une question... enfin, on a un certain nombre de questions assez précises.
Moi, je suis très étonnée de... je ne suis pas étonnée que vous fassiez la démonstration de l'intérêt de l'exportation parce que, je pense qu'on est tous d'accord, c'est extrêmement payant d'exporter de l'électricité. Et d'ailleurs Hydro le fait depuis ses premières lignes d'interconnexion importantes, au début des années soixante-dix. Par contre, il y a une différence entre faire un programme d'équipement en fonction d'augmenter les exportations et exporter en fonction des surplus disponibles de notre programme d'équipement essentiellement hydroélectrique. Deuxièmement, il y a une différence aussi entre les opérations de courtage d'Hydro et les exportations à contrat ou autre de l'entreprise.
Votre constat sur la profitabilité des exportations m'inquiète parce que, dans cette période, d'abord vous prenez seulement 10 ans ? vous auriez pu aller peut-être sur 20 ans, 25 ans même, hein, parce que je vous rappelle que la première centrale de La Grande, c'était 1979, puis ça a été la période où est-ce qu'effectivement on a commencé à exporter beaucoup aux États-Unis pour des raisons de disponibilité, au fur et à mesure où les équipements arrivaient en ligne, en service ? et vous donnez vos chiffres en dollars canadiens. Est-ce que je me trompe en pensant que, s'il y a une variation dans le dollar américain, qui pourrait et qui semble fondre comme neige au soleil, si on le projetait dans le temps, peut-être que les prévisions de rentabilité aussi pourraient en être affectées? Vous pourrez réagir, je n'ai pas de difficulté là-dessus. Mais c'est clair que, dans les années quatre-vingt-dix et jusqu'à il y a un an, le dollar américain était vraiment très élevé, et c'était très payant pour nous. Donc, il y a cet effet aussi, puis, dans les rapports financiers de l'Hydro, on l'indique très clairement.
Ce qui m'a frappée dans votre rapport, c'est que vous avez fait une déclaration qui, moi, j'avoue, me trouble beaucoup. Quand vous avez fait les calculs... Et j'ai repris les calculs du rapport annuel d'Hydro sur la catégorie des consommateurs, parce que votre propos essentiellement, c'est qu'il faut augmenter les tarifs de l'industriel, ils ne paient pas assez. Puis ensuite vous l'avez élargi tout à l'heure, en disant: Il faut que tout le monde paie plus. Ils pourraient payer plus parce qu'effectivement c'est la tendance du marché nord-américain. Je ne conteste pas ça. Mais, si je fais vos calculs, c'est la structure tarifaire d'Hydro que vous contestez parce que, quand on regarde votre ratio, là ? je ne me souviens plus trop à quelle page ? vous dites: 32 % de la facture pour 43 % de la...
Une voix: Page 16.
n(16 h 20)nMme Dionne-Marsolais: ... ? page 16, oui ? pour 43 % de la consommation d'énergie électrique faite par l'industriel. J'applique le même calcul, ça veut dire que les abonnés domestiques et agricoles, ils paient 41 % de la facture pour 34 % de la consommation. Eux autres, ils devraient avoir une baisse de tarifs. Puis, quand on regarde l'institutionnel et le général, ils paient 24 % de la facture pour 19 % de la consommation. Alors, je questionne beaucoup le raisonnement que vous abordez quand vous dites: L'industriel ne paie pas assez. D'autant que, vous le savez, la raison d'être d'Hydro-Québec, ça a été: rendre l'électricité accessible à tous, à travers tout le Québec, au même prix partout, justement pour que le développement industriel du Québec soit réparti sur tout le territoire. Alors, moi, je ne peux pas partager votre conclusion là-dessus, à moins que vous nous disiez qu'il faut qu'Hydro-Québec révise sa structuration des tarifs ? ce qui n'est pas impossible, on est prêts à regarder ça ? mais ça, c'est au gouvernement à le décider.
Autre point. Je suis tout à fait d'accord avec vous que, sur le plan de la diversification du portefeuille énergétique des Québécois, si on est pour prendre une avenue d'exportation massive, il faudrait commencer par se poser une... et que la conséquence soit des centrales hydroélectriques de plus en plus loin et une marge de manoeuvre par une production plus stable, qu'on comprend qui devrait être du thermique... Si c'est pour être du thermique, je serais d'avis comme vous que l'on s'oriente plus vers l'utilisation par le consommateur ultime du réseau gazier pour fin de chauffage et pour fin industrielle plutôt qu'utiliser l'électricité dans des processus qui sont finalement plus efficaces avec le gaz naturel.
Alors, encore là, c'est une décision qu'il faudra prendre. Parce que la logique du choix du chauffage par l'électricité, c'était que chaque dollar du kilowattheure consommé au Québec, ça restait au Québec. C'était ça, la logique à l'époque. Rappelez-vous les grandes présentations qui étaient faites ici, en commission parlementaire, j'étais à votre place à l'époque, et on disait: Bien, c'est pas mal mieux de consommer de l'électricité pour se chauffer que de brûler du pétrole. On n'en a pas, de pétrole ici. Alors, au moins, l'argent reste ici. Bon, peut-être que c'était un raisonnement fallacieux, mais à l'époque il tenait; aujourd'hui, peut-être qu'il faut le changer. C'est un peu le sens des discussions qu'on a aujourd'hui.
Et je termine en... Vous êtes économiste, vous avez fait une démonstration que la rente collective, c'était un choix, et que... Vous, vous dites: Ce serait peut-être préférable d'augmenter les tarifs pour payer nos autres services; mais, moi, je soumets humblement: Augmenter les tarifs pour aller chercher plus de dividendes et éventuellement payer d'autres services, est-ce que ce n'est pas un peu régressif par rapport à augmenter les impôts qui, elle, est une taxe progressive et qui taxe les gens qui en ont plus? Les tarifs d'électricité, là, c'est pour tout le monde, qu'on soit sur la sécurité du revenu ou qu'on soit très riche. Alors, je pense qu'encore là il y a une réflexion, au niveau de la société, qu'il faut avoir, et je ne peux pas dire que je partage vos conclusions à cet effet-là.
Je termine en disant: N'en déplaise au ministre, la disponibilité d'énergie électrique au Québec, elle dépend de la température, parce que nous avons une production hydraulique, et cette production-là d'origine hydraulique, elle a des cycles, elle est liée, et les études, depuis que les études de température se font, nous démontrent qu'il y a des cycles d'hydraulicité ? ils étaient avant de neuf, 10 ans, ils sont rendus à 15 ans ? mais ces choses-là se prévoient, et c'est comme ça que nos sociétés font des prévisions de disponibilité d'énergie. Je veux vous entendre, puis, après ça, je vais passer la parole à mon collègue qui souhaite aussi ajouter à ces réflexions-là.
Le Président (M. Jutras): M. Fortin.
M. Fortin (Pierre): Oui. En ce qui concerne la première remarque, le dollar canadien, c'est certain que ça fait partie des risques à regarder. Mon sentiment, c'est que ça va dépasser 0,90 $ bientôt, et puis on va s'en aller peut-être vers 1 $, mais je ne sais pas exactement où est-ce qu'on va s'arrêter, et c'est qu'à long terme c'est très difficile de voir comment les Américains vont se sortir du gouffre financier dans lequel le président actuel les a plongés avec ses réductions d'impôts et ses augmentations de dépenses. C'est certain que ça demeure... qu'il faut être prudent là-dessus, puis les calculs qui seront faits, à mesure que les projets se développeront, devront évidemment en tenir compte.
En ce qui concerne l'augmentation... En fait, mon intervention en ce qui concerne les tarifs touche, comme vous avez mentionné, à la fois le niveau moyen des tarifs et la structure des tarifs. Lorsqu'on parle justement de... J'ai fait exactement les mêmes calculs que vous en ce qui concerne les autres secteurs que le secteur industriel et je me suis bien rendu compte que le secteur résidentiel payait une proportion plus importante que sa consommation d'électricité en pourcentage. Mais ce qui est proposé ici évidemment a... Cette observation-là que vous avez faite, qui est tout à fait juste, a comme conséquence, dans un programme, par exemple, où on augmenterait de 1 % ou 2 % de plus que l'inflation par année, pendant un certain nombre d'années, les tarifs d'électricité, qu'au niveau résidentiel l'augmentation serait tout simplement moins forte que dans le secteur industriel. Les augmenter plus vite dans le secteur industriel aurait tout simplement comme conséquence que, plutôt que de retourner dans les... je ne veux pas faire de démagogie ici, mais plutôt que de retourner dans les poches des actionnaires des grandes compagnies métallurgiques nord-américaines, ça retournerait dans les poches des Québécois, parce que là on serait sûr que cet argent-là qu'on ramasserait finirait par retourner dans les services publics.
Donc, bref, il n'y a pas de régressivité dans ça, là. Dans un sens, on fait augmenter les tarifs, notamment au niveau résidentiel, pour les indexer au coût de la vie. On indexe les prestations d'aide sociale au coût de la vie. On indexe les tarifs d'électricité au coût de la vie. C'est, bon, pour le secteur résidentiel, peut-être un peu plus pendant un certain temps, mais ce ne serait certainement pas le secteur qui encaisserait les plus importantes hausses.
Et finalement, pour les kilowattheures qui restent au Québec, oui, mais on n'a pas le choix, ça nous prend une marge de manoeuvre. Il faut produire plus que ce qu'on consomme en temps normal au cas où il ne pleuvrait pas, au cas où la demande exploserait ou au cas où il ferait froid. Je veux dire, on n'a pas le choix de ne pas construire... de ne pas avoir de capacité de produire au-dessus de nos besoins de façon qu'on puisse utiliser cette marge-là quand on en a besoin. Et les exportations servent essentiellement à... plutôt que de regarder l'eau couler en dessous des... dans nos rivières, de l'exporter quand on n'en a pas besoin tout simplement, puis de la rapatrier immédiatement lorsqu'on en a besoin. C'est tout simplement une question de bonne gestion de l'environnement risqué dans lequel on vit.
Le Président (M. Jutras): M. le député de René-Lévesque.
M. Dufour: Oui. Bonjour, M. Fortin. C'est la deuxième occasion qu'on a de se rencontrer en commission parlementaire. Alors, je dois y aller très rapidement, mais je dois vous dire que j'ai le respect de l'opinion que vous avez par rapport à votre mémoire, mais j'en ai une toute autre. Alors, je vous explique. Je vais y aller rapidement, mais je vais avoir une belle piste d'atterrissage, vous allez voir, vous êtes un économiste.
Vous parlez de blocs énergétiques dans votre dossier, moi, je vais vous parler du dossier de la modernisation d'Alcoa, à Baie-Comeau, un dossier... la modernisation de l'aluminerie Alcoa, à Baie-Comeau, d'accord? Il faut vous expliquer d'entrée de jeu que M. André Caillé m'a déjà répondu en commission parlementaire qu'il y avait un bloc d'énergie de 175 MW à octroyer à Alcoa, à Baie-Comeau, énergie progressive jusqu'en 2010, dans la phase finale de la modernisation. Je ne sais pas si vous êtes déjà venu sur la Côte-Nord, mais Alcoa est un peu le donneur d'ouvrage, c'est le fleuron de l'industrie sur la Côte-Nord. Ce n'est pas compliqué, il faut savoir que la modernisation, à Baie-Comeau, c'est non pas une expansion, mais une modernisation, donc on consolide 1 500 emplois. Pas de modernisation, à Baie-Comeau, M. Fortin, c'est une perte sèche de 900 emplois directs. Ce n'est pas compliqué, vous le multipliez par trois au niveau des emplois indirects, ça fait 2 700 emplois. Et, si vous calculez la démographie au niveau des familles, c'est 5 000 personnes, sans compter que, dans la phase III, c'étaient 5 400 emplois par rapport à la construction et à la modernisation. Alcoa est un acteur économique incontournable, et la modernisation est un incontournable aussi à Baie-Comeau, aussi par rapport à l'occupation du territoire.
Alors, je vous dirais que, quand on a appris, la semaine dernière, qu'on venait de penser à exporter de l'énergie, ça a été la première gifle qu'on a eue, O.K.? Je vais vous expliquer la deuxième, mais qui est venue en juin, l'année dernière. Je ne sais pas si vous avez pris La part des choses, parce que le maire de Baie-Comeau, M. Ivo Di Piazza, qui était le porte-parole de la coalition, était à La part des choses avec M. Drainville. Et il y avait un dénommé M. Landry, non pas parent avec Bernard Landry, le chef de l'opposition officielle, mais c'est un monsieur qui gère des portefeuilles à Montréal. Et il a répondu à deux reprises à Ivo Di Piazza, le maire de Baie-Comeau, que, si les régions ressources ? puis il ne mettait pas rien que Baie-Comeau, là, la Gaspésie, le Saguenay, l'Abitibi ? si les régions avaient besoin de l'État pour survivre, il fallait qu'on mette la clé dans la porte et qu'on déménage sur l'île de Montréal. Je vais vous dire que c'est insultant. Pour une région comme la nôtre, Baie-Comeau, où on fournit au niveau de la forêt, les mines, l'aluminium et 31 % de l'énergie au Québec... Ça veut dire que la Côte-Nord fournit à la richesse collective de la société québécoise 31 % de l'énergie. On pensait, M. Fortin, qu'on avait le droit à un retour du balancier sur ce qu'on donne à l'ensemble de la société québécoise.
n(16 h 30)n Alors, ce n'est pas compliqué, je vais vous donner mes questions. Vous dites qu'il ne faut plus allouer de nouveaux blocs d'énergie aux alumineries, car il serait plus payant pour le Québec de vendre son électricité sur les marchés d'exportation. Alors, vous êtes économiste, M. Fortin, il y a beaucoup de monde qui vont nous écouter soit en reprise en fin de semaine... Il y a même du monde, dans la salle, de la Côte-Nord ici, aujourd'hui. De la même façon que vous vous êtes attardés aux retombées économiques des projets d'hydroélectricité, avez-vous calculé les retombées économiques des projets comme ceux d'Alcoa au niveau de sa modernisation à Baie-Comeau, au niveau des salaires, des retombées fiscales, des dépenses, des impôts, des immobilisations et de l'occupation du territoire? J'aimerais vous entendre là-dessus, M. Fortin.
C'est extrêmement important pour notre région, au-delà de ce qu'on peut exporter, quand c'est le temps d'exporter, mais au-delà de ce qu'on peut faire dans nos régions ressources, parce qu'on a fait profiter l'ensemble de la société québécoise par rapport aux ressources qu'on a chez nous.
Le Président (M. Jutras): M. Fortin.
M. Fortin ((Pierre): Merci. Je vais vous dire la même chose: je respecte votre opinion mais je diverge tout à fait avec vous. Non pas sur l'importance du développement régional, au contraire je pense qu'on s'accorde tous là-dessus, mais sur les moyens de le faire.
J'ai étudié assez attentivement le projet d'expansion d'Alcoa à Deschambault. Non pas à Baie-Comeau. mais ça revient dans le fond... c'est exactement le même principe. Ce n'est pas la même sorte de projet, mais l'idée est qu'il y a eu une demande à Deschambault de la part d'Alcoa de donner un 500 MW supplémentaire de puissance pendant 25 ans.
Le coût pour le gouvernement du Québec de ce projet-là, qui était de 1 milliard de dollars, était de 2 milliards de dollars. Le gouvernement du Québec subventionnait, à hauteur de 2 milliards de dollars, un projet de 1 milliard de dollars. 2 milliards de dollars, dans n'importe quelle région du Canada, ça crée habituellement 20 000 emplois. Or, le projet en question, à Deschambault, devait en créer 250; avec retombées un peu partout, on peut augmenter ça jusqu'à 2 000 emplois, si l'on veut. Mais c'est 10 fois moins important en termes de création d'emplois que ce que 2 milliards investis par n'importe quel gouvernement au Canada, dans n'importe quelle région, pourrait créer autrement. Or, ce que je dis, et là on est à 10... Je ne dis pas qu'on doit revenir sur le passé, il faut regarder les conditions auxquelles les projets qui ont déjà été subventionnés, existants, pourraient être reconduits, mais ce que je dis, c'est qu'il faut regarder les moyens alternatifs de créer de l'emploi. Avec 2 milliards de dollars, plutôt que de créer 250 emplois, on pourrait peut-être en créer 10 fois plus avec 10 fois moins d'argent et en créer 10 fois... 10 fois le 250 emplois ou le 1 000... le 2 000 emplois dans toutes les autres régions du Québec, et c'est ça qu'il faut regarder.
Bref, au bout de cet exercice-là qu'il faut faire, qui n'est pas encore fait, dans le développement régional, il faut penser à des méthodes autres de créer de l'emploi et qui pourraient même, avec les mêmes montants d'argent, doubler le nombre d'emplois à Baie-Comeau ou dans d'autres régions du Québec. C'est que 2 milliards pour 250 emplois, c'est beaucoup, beaucoup, beaucoup demander aux Québécois, y compris... même si on ajoute à ça des retombées que n'importe quel projet d'investissement a par ailleurs.
Le Président (M. Jutras): Oui, M. le député de René-Lévesque.
M. Dufour: Je vous ferais remarquer que vous m'avez parlé du projet de Deschambault, mais, moi, c'était le projet de modernisation de Baie-Comeau où Alcoa investissait 1 milliard de dollars. Et ce qui a achoppé dans la négociation avec le gouvernement, c'est au niveau de l'assurance tarifaire due aux hausses d'électricité. C'est ça qui a accroché. Parce qu'on a réouvert une entente, mon cher monsieur, c'est ça qui a accroché dans ce dossier-là. Et, je vous ferais remarquer, je peux comprendre que, dans une région de Montréal, 2 700 emplois, ça peut se remplacer; expliquez-moi donc, dans une région comme Baie-Comeau, comment on fait, au niveau de la diversification économique, pour remplacer 2 700 emplois bien rémunérés? Parce que Alcoa, à Baie-Comeau, comme d'autres d'ailleurs, sont les donneurs d'ouvrage pour la petite et moyenne entreprise. J'aimerais vous entendre là-dessus.
M. Fortin (Pierre): Vous aimeriez m'entendre? Vous allez m'entendre. Alors, ce que je dis, c'est que, avec 1 milliard de dollars, créer 200 ou 400 emplois, c'est beaucoup trop dans n'importe quelle région du Québec, dans n'importe quelle région du Québec, comme subvention du gouvernement pour créer de l'emploi, et que c'est un exercice à faire... Il faut d'abord reconnaître que c'est beaucoup d'argent à demander à tous les Québécois. Par exemple, les contrats à partage de risques présentement, dans les alumineries, c'est 1 milliard par année qu'on demande aux Québécois de donner aux alumineries pour produire et exporter leur production. Il y a deux étapes: la première, c'est de reconnaître que c'est beaucoup d'argent à demander, pas seulement aux Montréalais, à tous les Québécois, y compris ceux qui sont ici, dans le bas de la ville, à Saint-Sauveur, O.K.? À tous les Québécois, c'est beaucoup d'argent, là, à demander. Et, deuxièmement, une fois qu'on a reconnu ça, c'est de se creuser les méninges puis de trouver des projets alternatifs et de le faire avec la meilleure bonne volonté du monde. C'est mon opinion.
n(16 h 40)nLe Président (M. Jutras): Alors, merci, M. Fortin. C'est tout le temps que nous avions. Alors, merci pour votre présentation.
(Changement d'organisme)
Le Président (M. Jutras): M. le ministre, vous êtes prêt? Mme la députée de Rosemont? Alors, nous continuons donc nos travaux sans plus tarder.
Alors, M. Joseph Doucet, je vous souhaite la bienvenue à la Commission de l'économie et du travail. Nous allons procéder sans plus tarder. Je vous rappelle les règles: vous avez 20 minutes pour la présentation de votre rapport; par la suite, le groupe... il y a aura un échange de 20 minutes avec le groupe ministériel et, par la suite, un autre échange de 20 minutes avec les députés de l'opposition. Alors, si vous voulez, procédez dès maintenant à votre présentation.
M. Joseph A. Doucet
M. Doucet (Joseph A.): Merci beaucoup, M. le Président, et bonjour. M. le ministre, messieurs mesdames, bonjour. Je suis très heureux d'être ici avec vous ? il a été question, dans les dernières présentations, à quelques reprises, de l'Alberta où j'habite maintenant, donc je vous amène les salutations de l'Alberta ? pour discuter de la place de l'énergie thermique dans un parc de production comme celui du Québec. Et d'entrée de jeu j'aimerais vous présenter un aperçu, si vous voulez, des conclusions de l'avis d'expert que j'ai soumis.
Dans un premier temps, il est important de noter que la place de la filière thermique ici, au Québec, découle ou découlera d'un choix de société plutôt que d'une optimisation économique ou technique quelconque. Ce n'est pas pour dire qu'il ne doit pas y avoir des études très poussées au niveau économique ou au niveau technique, mais je pense que la discussion, le débat sur les choix de société sont incontournables dans l'éventualité des décisions qui se poseront sur le choix de la filière thermique. Maintenant, la filière thermique à mon avis doit être évaluée dans le contexte actuel, c'est-à-dire dans le contexte d'un système hydroélectrique, d'un grand système hydroélectrique, et dans ce sens on ne doit pas tout simplement comparer les avantages et les inconvénients de différentes filières, mais on doit davantage tenter d'évaluer de quelle façon que le développement d'une filière thermique peut être à l'avantage de l'opération du système actuel.
Ceci étant dit, il est clair que, compte tenu des ressources actuelles et des ressources qui peuvent être développées au Québec, la filière thermique restera marginale. Tout en étant marginale, tout en étant petite en termes de taille, je crois qu'il y a des possibilités intéressantes d'utilisation de la filière thermique pour assurer la fiabilité, assurer la sécurité et assurer une meilleure gestion des réservoirs et de la richesse hydroélectrique québécoise.
Les impacts économiques et environnementaux du développement d'une filière thermique sont à mon avis relativement minimes, c'est-à-dire que, peu importe le choix que fera Hydro-Québec ou les choix que fera la société québécoise sur le développement de cette filière, elle sera tout de même minime en termes de taille et donc en termes d'impact sur les tarifs, impact sur les coûts et impact sur l'environnement. Je ne vois pas d'impacts très, très importants. Et finalement je rappelle que la filière thermique pourrait avoir une valeur non négligeable dans la gestion des réservoirs.
Alors, la question qu'on m'a demandé d'étudier est la suivante: Sur la base de principes technico-économiques reconnus, quelle pourrait être la place de l'énergie thermique dans un parc de production d'électricité comme celui du Québec? Je dois dire que l'approche que j'ai choisie pour aborder la question était beaucoup plus qualitative que quantitative. Donc, il ne s'agit pas de chiffrer, de localiser, d'identifier quel projet ou quel endroit devrait être choisi mais plutôt de soulever des questions qui doivent être considérées pour étudier la valeur et le potentiel de cette filière thermique.
Pour situer la filière, je pense qu'il faut bien situer la situation québécoise et là-dessus je m'appuie sur le document émis par la Régie de l'énergie sur le projet du Suroît, et j'identifie quatre éléments qui sont à mon avis importants pour bien comprendre où pourrait... ou quelle place pourrait prendre la filière thermique. D'une part, il y a la croissance de la demande qui est très forte, qui est certainement une bonne nouvelle pour le Québec parce que c'est signe d'une économie qui est de plus en plus robuste. Deuxièmement, il y a le fait que, dans la situation actuelle, l'offre existante et prévue au Québec sera presque entièrement sollicitée, donc il y a besoin de faire quelque chose, de développer des nouvelles ressources. Troisièmement, dans un parc hydroélectrique important comme celui du Québec, l'incertitude au sujet de l'hydraulicité est un des aléas importants, majeurs auxquels il faut faire face. Et finalement, en termes de possibilités ou d'options que nous avons au Québec, il y a des importations, mais on note qu'il y a des limites, et des limites importantes et potentiellement sévères aux importations, ce qui fait en sorte que les importations ne seront pas nécessairement disponibles pour pallier à tous les imprévus.
Donc, les contributions possibles de cette filière doivent être examinées dans le contexte d'un système hydroélectrique où la filière éolienne est appelée à prendre de plus en plus de place. Donc, il faut comprendre les besoins du système actuel et tenter d'identifier une stratégie qui somme toute minimisera les coûts sociaux, donc l'ensemble des coûts pour la société, pour atteindre une stabilité et une efficacité énergétiques.
Au niveau de la fiabilité du réseau électrique, il est important de parler un peu du côté technique, et j'identifie deux caractéristiques de l'électricité, deux caractéristiques qui sont très, très importantes dans les choix stratégiques. D'une part, il y a cette nécessité d'équilibrer le système en tout temps. Il faut que l'offre soit aussi importante que la demande en tout temps, il en va de la sécurité même et la stabilité du réseau. Deuxièmement, il faut noter qu'il n'y a pas de substitut évident pour la plupart des utilisations de l'électricité, pas dans un sens immédiat. Donc, le délestage, l'interruption des clients n'est pas une option à choisir, ce qui veut dire que la fiabilité doit être assurée en tout temps, et donc on doit... on doit faire des investissements dans le temps pour assurer qu'on assure cette fiabilité-là, et ceci au moindre coût.
Maintenant, il y a toujours une tension entre la fiabilité et les coûts. On ne peut pas avoir l'argent du beurre et le beurre en même temps. Si on veut plus de fiabilité, ça demande plus d'investissements, et il faut bien sûr tenir compte des caractéristiques des différentes filières, des différentes options qui sont disponibles.
Tout équipement de production, que ce soit hydroélectrique, nucléaire, thermique, ou autres, tout équipement de production amène au moins deux caractéristiques au système, c'est-à-dire la puissance et l'énergie. La puissance représente la quantité qui peut être produite ou consommée à tout moment donné ? donc, on parle de mégawatts ? alors que l'énergie représente le flux d'énergie qui est produit ou demandé pendant une période de temps, et tout équipement amène de la puissance et de l'énergie. Maintenant, tous les équipements ne sont pas pareils. Toutes les filières n'amènent pas les mêmes caractéristiques en termes de fiabilité, en termes d'heures d'opération, en termes de coûts, en termes d'impact sur l'environnement, donc il faut examiner l'ensemble des filières, l'ensemble des filières disponibles.
En termes d'options, dans pratiquement toutes les régions, on peut recourir à plusieurs types d'option ou plusieurs stratégies pour remplir ces demandes de puissance et d'énergie: on peut construire plus de capacité à l'interne, on peut agir sur la demande pour réduire la demande ou bien on peut renforcir ou construire des nouvelles interconnexions avec les marchés voisins pour importer.
Il y a des préoccupations de court, moyen et de long terme. Dans le court terme, sur la prochaine année ou les 18 prochains mois, il est, à toutes fins pratiques, impossible d'ajouter de la capacité de production pour répondre à la demande. Dans le plus long terme, sur 10, 15 ans, on peut ajouter beaucoup de capacité, et bien souvent les discussions et les analyses sur la filière thermique se jouent davantage sur le moyen terme: Qu'est-ce que ça peut apporter dans les deux à cinq prochaines années? Dans le court terme, on s'intéresse à la stabilité; dans le long terme, on s'intéresse aux coûts et aux types de filières qu'on va ajouter; mais dans le moyen terme on s'intéresse à des ajustements de stratégie. Par exemple, de quelle façon est-ce que la filière thermique peut aider à pallier certaines incertitudes, certaines préoccupations sur l'hydraulicité en attendant que des projets majeurs hydroélectriques soient en marche?
n(16 h 50)n Donc, dans le moyen terme, j'identifie encore des préoccupations... ou je souligne les préoccupations identifiées par la régie, soit: la croissance de la demande et le besoin de puissance, notamment le besoin de puissance l'hiver dû au chauffage électrique, qui est très important ici, au Québec; il y a le développement de la filière éolienne, mais la reconnaissance que la filière éolienne a des incertitudes ou comporte des incertitudes au niveau de l'offre, des incertitudes au niveau des apports électriques... plutôt des apports hydriques; et finalement les contraintes sur les interconnexions et donc les limites aux importations.
Donc, le système québécois, somme toute, dans le moyen terme, sur les quatre, cinq prochaines années, a besoin d'une approche pour pallier le risque et assurer la fiabilité. Et la fiabilité sera et sera toujours dépendante d'un certain nombre de facteurs liés à la composition du parc d'équipement. Donc, le parc actuel étant largement hydroélectrique, la plus grande incertitude du côté de l'offre est liée aux apports hydriques. Puis la valeur du développement thermique doit être analysée dans ce contexte-là: de quelle façon est-ce que le thermique pourrait ou non, et à quel coût, apporter plus de flexibilité, une meilleure marge de manoeuvre et plus de valeur ajoutée au parc de production hydroélectrique?
Il y a de l'existence... ici, je parle d'incertitude et de fiabilité, puis l'incertitude existe au niveau de l'offre et la demande bien sûr, comme a été discuté précédemment. On doit investir pour faire face à cette incertitude, et dans ce sens-là il faut évaluer les coûts des différentes options et la façon que les différentes options aident à pallier à l'incertitude. Donc, le choix du niveau d'investissement doit être en fonction des coûts et de la fiabilité apportée.
Puis je vous soumets juste un exemple d'une façon qu'on peut voir ce genre d'analyse qu'on ferait. Dans un système hydroélectrique comme on a ici, au Québec, on pourrait choisir de surinvestir en hydroélectricité, donc on pourrait choisir d'augmenter nos marges de manoeuvre de façon importante. Il faut reconnaître qu'il y a un coût important associé à ce surinvestissement-là, et je voudrais aussi noter qu'un surinvestissement qui amènerait beaucoup de capacités dans les réservoirs pourrait être très coûteux, non seulement du côté coûts d'investissement, mais aussi du fait qu'il n'est pas toujours possible d'écouler les réserves, les stocks d'énergie.
Il peut y avoir des situations où les marchés sont propices à ces exportations, à ces développements de nouveaux marchés, mais il peut très bien y avoir aussi des moments où un surinvestissement en hydroélectricité risquerait de produire trop d'eau dans les réservoirs, et cette eau aurait peut-être très peu de valeur. Donc, on aurait, à ce moment-là, payé pour investir dans les réservoirs sans nécessairement pouvoir se servir de cette très grande marge de manoeuvre. Pas pour dire qu'aucune marge de manoeuvre n'est nécessaire, oui, il faut une marge de manoeuvre, mais il faut faire un calcul, je crois, posé et réfléchi sur la taille de la marge de manoeuvre qui est nécessaire.
En comparant ce genre d'approche là de surinvestissement en hydroélectricité, on pourrait se demander: Bien, est-ce qu'il est possible d'investir dans une filière thermique qui donnerait le même type de marge de manoeuvre, qui permettrait de gérer l'eau dans les réservoirs à un moindre coût? C'est toujours possible. Je ne dis pas que c'est nécessairement le cas, mais c'est certainement un type d'analyse qu'il faudrait faire.
Dans mon document, j'ai soumis trois cas de systèmes hydroélectriques qui ressemblent un peu au système du Québec pour simplement offrir la réflexion que les problèmes qui se posent, les réflexions qu'on fait présentement au Québec ne sont pas uniques au Québec, et il y a d'autres systèmes où on fait le même type d'analyse. Par exemple, en Colombie-Britannique, où le système est largement hydroélectrique mais se trouve très bien situé, entre le système thermique albertain et le nord-ouest des États-Unis, en Colombie-Britannique, on se sert d'une puissance thermique à l'intérieur de la province pour gérer les réservoirs. Et même, si vous allez sur le site de BC Hydro, la compagnie d'État qui produit l'électricité, ils disent de façon explicite qu'ils se servent du thermique pour mieux gérer l'ensemble de leurs ressources.
Autre exemple. Au Brésil, dans l'année 2000-2001, il y a eu des apports hydriques très, très faibles, qui ont résulté dans des problèmes de délestage. On a coupé énormément d'énergie dans l'ensemble du pays. Par la suite, le Brésil s'est rendu compte qu'il n'y avait pas assez de flexibilité, pas assez de marge de manoeuvre, donc ils se sont empressés à développer d'autres types de ressources, des nouvelles ressources hydroélectriques mais aussi des ressources thermiques. Ils ont aussi modifié leur système de tarification.
Finalement, dans le système norvégien, qui est, à toutes fins pratiques, presque à 100 % hydroélectrique, on est un net importateur de la Suède, et la question qu'on se pose présentement en Norvège, c'est: Est-ce qu'on demeure un net importateur ou est-ce qu'on construit des nouvelles ressources à l'intérieur du pays? Donc, ce n'est pas pour dire que le Québec devrait suivre l'un ou l'autre de ces cas-là mais tout simplement pour offrir la réflexion que l'analyse est pertinente, l'analyse de d'autres cas est pertinente.
Maintenant, il y a des faits bien sûr qui sont spécifiques au Québec. J'offrirais, par exemple, que, nonobstant la nouvelle structure réglementaire, le système énergétique... le système plutôt électrique ici, au Québec, est somme toute un système qui est relativement traditionnel. L'électricité est très importante dans le bilan énergétique, et le fait que la pointe hivernale soit très liée au chauffage électrique pose un problème dans le sens que mon collègue Pierre Fortin l'a soulevé: il est beaucoup plus efficace de chauffer les locaux avec un système thermique.
Dans le système québécois actuel, faire la migration vers un système où on essaierait de privilégier, dans les nouveaux développements, le chauffage thermique serait difficile, ne serait-ce qu'en raison des faibles prix de l'électricité. Il est très difficile de convaincre quelqu'un de chauffer au gaz naturel lorsque les prix de l'électricité, l'alternative, sont relativement faibles et somme toute en dessous des prix de marché.
Bon. En termes de tarification, c'est les mêmes points que j'ai ici, que l'électricité est tarifée somme toute d'une façon réglementée. C'est un choix de société, ça se comprend. Mais il faut comprendre que la plupart des autres sources d'énergie sont tarifées ou les prix sont déterminés sur des marchés concurrentiels, et donc la tarification de l'électricité qui a été choisie, au Québec, amène somme toute à une surconsommation d'électricité.
Possibilités d'importation futures. À l'heure actuelle, il y a beaucoup d'électricité disponible dans le Nord-Est américain. Ce ne sera pas nécessairement toujours le cas, notamment en raison de la situation pénible que vit l'Ontario. Je pense que le système ontarien est en crise. Ça va s'empirer avant que ça s'améliore, et l'éventuelle demande sur les marchés de l'importation de l'Ontario pourrait très bien limiter les importations, pas l'an prochain, mais dans cinq ou 10 ans, au Québec. Donc, c'est une autre problématique.
Et finalement, en termes de développement du thermique ici, au Québec, si le thermique est développé et remplace certaines importations, dans le bilan environnemental par exemple, il faudrait se demander quels types d'importation sont substitués pour cette production au Québec. Donc, il est possible qu'il y ait des bénéfices environnementaux d'un certain développement thermique au Québec.
Alors, en conclusion, la filière thermique comporte des avantages et des désavantages comme toutes les filières. Je la vois, dans le contexte hydroélectrique, comme complémentaire à l'hydroélectricité. Il faut bien sûr avoir un point de vue ou une vision de système et regarder la fiabilité et le coût du système tout entier, pas juste filière par filière. Certains avantages du thermique sont sa planification et construction rapide, la performance, qui est bien connue, et donc qui permettrait une très grande disponibilité l'hiver, pendant la pointe. Le ratio des coûts fixes aux coûts variables est très intéressant, notamment dans cette perspective de gestion de portefeuille et de minimisation du risque.
Donc, il y a une complémentarité entre les ressources hydroélectriques pour augmenter la valeur de l'eau dans les réservoirs. La localisation du thermique est beaucoup plus facile, si vous voulez, que l'hydroélectrique, permettrait de sauver sur les coûts de transport et peut-être d'augmenter la stabilité du réseau à moindre coût que d'autres types d'investissements dans le transport. Et, malgré que le thermique peut être polluant, il faut reconnaître que les nouvelles centrales sont beaucoup moins polluantes que certaines centrales qui pourraient être remplacées par le thermique.
n(17 heures)n Bien sûr, au niveau de désavantages ? il n'y a pas juste des avantages ? au niveau désavantages, les coûts variables sont incertains et volatiles. Il y a des émissions avec des impacts locaux et globaux, et, bien sûr, comme vous le savez mieux que moi, le thermique ne fait pas unanimité, loin de là; donc il y a de l'opposition de la part du public. Et donc, pour conclure, le thermique pourrait contribuer à la stratégie énergétique québécoise, sa place somme toute demeurera limitée donc avec des impacts environnementaux et économiques limités, mais je pense qu'ignorer d'entrée de jeu la place potentielle du thermique ne serait pas de bien servir les consommateurs et contribuables québécois. Merci beaucoup.
Le Président (M. Jutras): Alors, merci, M. Doucet. Nous passons aux 20 minutes d'échange avec le groupe ministériel. M. le ministre.
M. Hamad: Merci, M. le Président. M. Doucet, félicitations, merci de votre contribution. J'ai deux questions. À l'introduction de votre mémoire, vous avez limité la portée de votre avis en disant... en précisant que selon vous la place du thermique, c'est plutôt un choix de société qu'une optimisation technique et économique. Je comprends bien, et, sans évidemment diminuer les impératifs sociaux et l'importance de choix de société, moi, j'aimerais savoir, sur le plan technique et économique quand même, pour le Québec, quels sont les critères que vous pensez qui sont importants quand on fait ce choix-là?
M. Doucet (Joseph A.): Bien, je pense que le critère fondamental doit être celui de l'assurance de la fiabilité et de la stabilité du réseau dans le respect des coûts, dans le respect de l'ensemble des coûts. Donc, on doit évaluer ce que le thermique pourrait apporter à un système hydroélectrique comme celui du Québec, compte tenu des projets qui sont en évolution et des projets potentiels.
Qu'est-ce que le thermique pourrait apporter dans ce parc? De quelle façon est-ce que ça pourrait assurer la stabilité et quel en serait le coût? Est-ce qu'il vaut mieux, par exemple, de construire du thermique au Québec ou est-ce qu'il vaut mieux de renforcir les interconnexions avec New York et la Nouvelle-Angleterre pour importer davantage à d'autres moments? C'est vraiment dans ce sens-là qu'il faut évaluer la place potentielle du thermique, et je n'ai pas la réponse pour vous, malheureusement. Ça va bien au-delà de l'étude que j'ai pu faire, mais je pense que c'est le genre d'analyse, une analyse systématique du parc actuel, le parc existant, et la façon que le thermique pourrait ajouter à ce parc-là, compte tenu de l'incertitude au niveau de l'offre et de la demande.
M. Hamad: La deuxième question: On se comprend que la filière thermique, ce n'est pas uniquement du gaz, là; on parle biomasse, on parle cogénération, on parle aussi de mazout, diesel, etc., là. La filière thermique, c'est plus large que le gaz.
Mais je reviens à votre point que vous avez mentionné tantôt, le chauffage, le point de chauffage. On a parlé d'efficacité. C'est clair sur le plan technique, au point de vue efficacité de deux systèmes, il est clair que le thermique en termes d'efficacité est meilleur que l'électricité. Ça, il n'y a pas de doute. Maintenant, si on voit ça dans un ensemble, en fait un ensemble, c'est-à-dire la proximité du réseau du gaz ou résidentiel ou d'autres, en termes d'équipements installés dans les résidences chez les clients, et tout ça, comment vous voyez ça par rapport à l'électricité et comment la faisabilité de... mettons, on dit, demain matin, on sait qu'au Québec, 40 % du chauffage au Québec, c'est à l'électricité, d'ailleurs, c'est le plus élevé au monde actuellement, mais, comment, au point de vue faisabilité technique et économique, s'inscrit le chauffage au gaz dans nos résidences ou dans les... au Québec?
Le Président (M. Bachand): M. Doucet.
M. Doucet (Joseph A.): Bien, au Québec, ce serait certainement possible techniquement d'accroître la pénétration du gaz naturel dans cette filière de chauffage résidentiel; ce serait certainement techniquement possible. Il faut voir par ailleurs que le gaz est moins disponible ici, au Québec, dans le secteur résidentiel qu'il l'est aux États-Unis et en Ontario, en Alberta, en partie en raison du choix stratégique qui a été fait ici, au Québec, de... le choix pour l'électricité, du développement de l'électricité. À toutes fins pratiques, 98 %, 99 % des nouvelles résidences sont chauffées à l'électricité, donc il y a moins de possibilité de pénétration du gaz. Donc, les installations et les équipements de distribution ne sont pas développés de la même façon ici qu'ailleurs.
Ceci étant dit, si on voulait développer le gaz naturel comme combustible de chauffage, je pense que la plus grande contrainte serait sans aucun doute une contrainte économique. Encore une fois, pensez au choix que ferait le propriétaire en regardant, aujourd'hui, les tarifs d'électricité. Il est, à toutes fins pratiques, impossible de battre le chauffage électrique avec le gaz naturel au Québec, compte tenu des tarifs qui sont à mon sens artificiellement bas.
Et donc, dans ce contexte-là, il est actuellement impossible de penser à une plus grande pénétration du gaz naturel, malgré le fait que somme toute le gaz est plus efficace dans le chauffage direct que dans la production d'électricité pour ensuite alimenter un système de chauffage à l'électricité.
Le Président (M. Bachand): Merci, M. Doucet. M. le ministre? Une autre intervention? M. le député de Saint-Jean, j'ai cru comprendre que vous vouliez intervenir. À vous la parole, M. le député de Saint-Jean.
M. Paquin: Vous avez bien compris, M. le Président. Merci beaucoup. M. Doucet, merci de votre mémoire, c'est passionnant, et c'est un sujet qui est extraordinaire, puis c'est l'avenir du Québec, en tout cas une grande partie qu'on discute, aujourd'hui, puis qu'on va discuter, dans les prochains jours ou les prochaines semaines.
Une question qui interpelle beaucoup les gens dans la population et beaucoup de députés dans tous les domaines: la sécurité énergétique au Québec. Plusieurs personnes ont déclaré que la sécurité énergétique au Québec, en 2005-2006, était, comment dirais-je, vulnérable. Plusieurs disent que c'est le cas, d'autres disent que non. Vous, pensez-vous qu'elle est vulnérable?
Et mon autre question parce que c'est une question en deux volets, même trois volets: Est-ce que, dans les 10 dernières années, on a posé des gestes favorables en fonction de protéger justement cette possibilité de manque d'énergie pour 2005-2006? Puis, si on ne l'a pas fait, qu'est-ce qu'on doit faire principalement pour la protéger, ou pour l'améliorer, ou pour que ça n'arrive plus dans l'avenir?
Le Président (M. Bachand): M. Doucet.
M. Doucet (Joseph A.): Quant à votre première question, j'ose croire ou j'ose espérer que, malgré qu'il y ait des marges de manoeuvre qui sont relativement minces sur les prochaines années, j'ose espérer qu'il n'y aura pas de problème majeur au Québec sur les deux, trois prochaines années. Et par la suite je pense que la situation va se stabiliser quelque peu, notamment en raison des nouveaux projets qui vont venir en production.
Toujours est-il qu'il pourrait y avoir des problèmes, sur les deux prochaines années, notamment parce qu'il y a de l'incertitude, à la fois au niveau de l'offre et de la demande. Au niveau de l'offre, c'est certain que certains équipements pourraient ne pas être en service, il pourrait y avoir des interruptions majeures dans le système; tout peut arriver. Et, du côté de la demande, il y a énormément d'incertitudes liées non seulement à la température, mais au climat économique. Est-ce qu'on aurait pu faire différemment ou autrement, dans les dernières années? Bon, c'est clair que la situation qu'on vit actuellement au Québec, avec cette marge de manoeuvre qui est relativement mince, aurait pu être anticipée, et il y a certains projets, certains travaux qui auraient pu être entamés plus tôt.
Je peux vous donner comme exemple: moi, j'ai travaillé, il y a une douzaine d'années, sur le projet Grande-Baleine. Il y a eu des travaux, pendant un certain temps, sur ce projet-là, et par la suite ça a été mis de côté, peut-être pour des bonnes raisons, mais ce genre d'attente... Et je pense que le système québécois est peut-être un peu plus susceptible de ce genre de problème, notamment en raison de la taille des projets.
Si on compare avec beaucoup de systèmes électriques au Canada et aux États-Unis, on arrive à faire développer beaucoup de petits projets plus rapidement, alors qu'au Québec, bon, ça a été positif en termes de développement, ça a été positif en termes de coûts de ces grands projets, mais n'empêche qu'il est très difficile de faire avancer et d'avaler dans le marché un seul grand projet qui arrive en bloc. Donc, c'est une des particularités qui a ses avantages et ses inconvénients.
M. Paquin: Merci, M. Doucet.
Le Président (M. Bachand): Merci. M. le député de Saint-Jean. D'autres interventions? Donc, M. le député de Rouyn-Noranda?Témiscamingue.
M. Bernard: Merci, M. le Président. Merci, M. Doucet, pour votre présentation qui est... votre présentation synthèse, ça va être très pratique.
n(17 h 10)n Au bas de la page 8 de votre mémoire, vous dites, en parlant des différentes filières énergétiques, là, vous dites: «Pour ce qui est de la comparaison des options, il faut reconnaître d'entrée de jeu que chaque option est en fait un ensemble de caractéristiques, certaines économiques, certaines techniques et d'autres sociales. Il est impossible qu'une option domine toutes les autres sur toutes les caractéristiques.» Et, plus loin, en haut de la page 9, vous dites: «Dans le but de traiter toutes les options de façon cohérente, dans la mesure du possible, il peut être intéressant de monnayer les différentes caractéristiques.» Moi, j'aimerais, là, un peu plus d'éclaircissement puis que vous précisiez davantage qu'est-ce que vous parlez quand vous parlez de monnayer les différentes caractéristiques.
Le Président (M. Bachand): M. Doucet.
M. Doucet (Joseph A.): Tout à fait. Lorsqu'on regarde des filières thermiques par exemple, il est très facile de comparer les coûts des différents combustibles, que ce soit le mazout, le mazout léger, le gaz naturel, le charbon, etc. Ce qu'on arrive à faire plus difficilement, c'est d'évaluer certaines caractéristiques ou conséquences qui ne sont pas échangées sur les marchés, par exemple certaines émissions atmosphériques. N'empêche que toutes les filières ont des impacts sur l'environnement, l'hydroélectricité y compris, et il peut être intéressant de tenter d'évaluer en chiffres, comparer en dollars les niveaux de ces impacts-là.
C'est un exercice qui est très difficile à faire, qui n'est pas sans être controversé, parce que, si on regarde le prix du gaz naturel, bien il y a un marché où ce gaz s'échange, donc il est facile de prendre ce point de repère là, alors que, pour l'impact de l'inondation d'hectares ou d'émissions de gaz à effet de serre, il est beaucoup plus difficile. Mais ça peut être fait, et c'était le sens que je voulais donner à la discussion dans l'avis.
Le Président (M. Bachand): M. le député, oui.
M. Bernard: Oui. Puis ce qui m'amène à une question complémentaire. Vous parlez d'impacts environnementaux, puis, à ce moment-là, dans le cadre de... vous en avez brièvement parlé aux termes de désavantages, mais, dans ce contexte-là, comment qu'on peut réconcilier par exemple l'énergie thermique dans une dynamique de gaz à effet de serre puis dans la perspective de l'accord de Kyoto? C'est un sujet de débat très important, puis j'aimerais quand même avoir votre opinion là-dessus.
Le Président (M. Bachand): M. Doucet.
M. Doucet (Joseph A.): Bien, vous avez raison que la filière thermique, notamment la filière thermique avec l'utilisation du gaz naturel comme combustible, est responsable pour des émissions de gaz à effet de serre. Ceci étant dit, c'est... on peut voir ça comme un des côtés négatifs, j'en conviens, mais il faut aussi reconnaître qu'il y a un ensemble d'activités, d'activités sociales et économiques dans lesquelles nous participons, qui sont toutes responsables d'émissions de gaz à effet de serre. Donc, moi...
M. Bernard: Dont les véhicules automobiles.
M. Doucet (Joseph A.): Pardon?
M. Bernard: Dont les véhicules automobiles.
M. Doucet (Joseph A.): Dont les véhicules automobiles. Et ma perspective d'évaluation de la filière par rapport à ses contributions de gaz à effet de serre serait davantage de tenter de dire ou tenter d'évaluer de quelle façon est-ce qu'un choix ou un autre se compare à d'autres options potentielles pour atteindre le même but. Par exemple, est-il possible d'agir du côté de la demande somme toute à un meilleur coût et avec moins d'impacts sur l'environnement? Mais vous avez entièrement raison de dire que la filière thermique, alimentée au gaz naturel, est responsable pour des émissions de gaz à effet de serre. Ceci étant dit, c'est vrai pour l'ensemble d'activités. Donc, il faut non pas identifier ou isoler cet impact-là mais le regarder dans une approche de système.
M. Bernard: Merci, M. le Président.
Le Président (M. Bachand): Merci, M. le député. Mme la députée de La Peltrie.
Mme Hamel: Merci, M. le Président. Merci, M. Doucet, de vous être présenté devant nous, d'avoir fait ce long voyage. Vous avez abordé, tout comme M. Fortin avant vous, là, les tarifs d'électricité au Québec. Tout le monde sait qu'ils sont les plus bas au Canada, et on veut garder cet avantage concurrentiel, c'est certain, là. Vous l'abordez à la page 11, au deuxième paragraphe, vous indiquez que «les prix très faibles de l'électricité au Québec réduisent le potentiel des approches liées à la demande». Alors, selon vous, quel serait le juste prix de l'électricité au Québec et comment serait-il établi?
M. Doucet (Joseph A.): Vous voulez que je vous donne le juste prix.
Des voix: Ha, ha, ha!
Mme Hamel: ...vous approcher.
M. Doucet (Joseph A.): Bien, je pense que j'abonderais un peu dans le même sens que mon collègue Pierre Fortin. J'ai l'impression que l'électricité ne se vend pas assez cher au Québec. C'est le point de départ. Jusqu'où devrait-on ou pourrait-on augmenter le prix? Je pense que la question est plus difficile et plus délicate et je n'ai pas de chiffre magique à vous soumettre.
Mais je vous dirais qu'une façon de voir ou une façon pour moi de comprendre que le prix est trop faible, c'est vraiment dans la notion de coût d'opportunité. Que pourrait-on faire avec l'électricité? Et qu'est-ce que le prix qui, je juge, est trop faible aujourd'hui, qu'est-ce que ce prix-là incite en termes de comportement sur le marché? Bien, lorsque le prix est faible pour un bien ou un service, on sait tous, on consomme trop; mais on consomme trop par rapport à d'autres options, d'autres choix, d'autres types d'échanges qui pourraient avoir lieu.
Vu que le système québécois est lié au système nord-américain de par les interconnexions avec l'Ontario, le Nouveau-Brunswick, le Nord-Est américain, j'ai l'impression qu'il serait plus avantageux d'avoir un prix plus élevé qui permettrait de donner des meilleurs signaux aux Québécois, aux entreprises installées au Québec et aux voisins avec qui on voudrait échanger. Dans ce sens-là ? puis là je reviens au document et la partie que vous avez citée: dans ce sens-là, le choix ou la décision que voudrait prendre un résident ou un consommateur québécois sur l'isolation de sa résidence, ce choix-là serait d'autant plus motivé et mieux fondé, si vous voulez, si la comparaison entre le coût d'isolation et le coût de maintenir la même isolation mais consommer plus d'électricité reflétait le coût d'opportunité de cette électricité-là sur les marchés d'échange.
Ceci étant dit, il faut reconnaître que le Québec a choisi, depuis plusieurs années, d'adopter des tarifs relativement faibles. Et des investissements qui ont été faits, des investissements privés et publics, il faut reconnaître et être respectueux de ces investissements-là, et ce serait irréaliste et inconcevable de changer trop drastiquement, trop rapidement. Mais en même temps je pense qu'il y aurait des bénéfices pour les Québécois, en termes de contribuables et en termes de propriétaires, si vous voulez, d'Hydro-Québec, il y aurait des bénéfices de faire augmenter les prix pour avoir des meilleurs choix économiques, une meilleure utilisation de l'électricité et une meilleure disposition de l'électricité sur les marchés. Mais je n'ai pas répondu à votre question sur...
Mme Hamel: Non, mais...
M. Doucet (Joseph A.): ...le niveau exact.
Mme Hamel: ...j'ai une bonne idée. Merci.
Le Président (M. Jutras): M. le député de Portneuf.
M. Soucy: Merci, M. le Président. Dans votre exposé, M. Doucet, vous avez fait souvent allusion au fait que la filière thermique pourrait être un complémentaire à la production d'électricité. Et puis on sait que, dans le cas du Suroît, on voulait prendre... on voulait même transformer le gaz en électricité. Et, tantôt, dans votre exposé, vous nous dites aussi: Bien, écoutez, peut-être qu'on pourrait utiliser le gaz au niveau du chauffage. Et, dans le rapport qui nous a été présenté par la Régie de l'énergie, au mois de juin, on nous dit que ce sont les grandes entreprises qui sont les plus grandes consommatrices d'électricité. Alors, est-ce qu'il n'y aurait pas lieu de faire davantage de mariages entre les très grandes entreprises et la filière thermique, considérant que, là, il y aurait moins de coûts ou de services à la clientèle, il y aurait moins de pertes en termes de mauvaises créances? Est-ce qu'il n'y a pas là un virage à prendre pour la grande entreprise ou bien si vraiment... Et puis comment vous allez... comment vous la voyez, vous, la complémentarité: en termes de production directe de transformation de gaz en électricité ou bien en termes complémentaires, on s'assure seulement du chauffage ou d'autres éléments plus pointus qui consomment davantage d'électricité?
M. Doucet (Joseph A.): Lorsque je parle de complémentarité, ce que je veux dire, c'est que l'utilisation de la filière thermique, qui est somme toute plus flexible et plus prévisible que d'autres filières dans le sens où, lorsqu'on construit une centrale par exemple avec des turbines à gaz, on est, à toutes fins pratiques, assurés d'une disponibilité 90 % du temps... Il y a un 10 % de l'année où on ne peut pas utiliser la centrale en raison de l'entretien et autres, mais autrement la centrale est disponible, ce qui n'est pas nécessairement le cas avec l'éolien, avec le solaire, avec l'hydroélectricité en raison des variations des apports hydriques, etc.
Donc, la disponibilité, la très grande disponibilité de la filière thermique permettrait de jumeler cette production avec l'hydroélectricité pour, par exemple, chercher à emmagasiner davantage, à certains moments, l'eau dans les réservoirs, quitte à l'utiliser à un moment où cette eau-là, transformée en électricité, aurait plus de valeur.
n(17 h 20)n C'est un peu ce que fait le Québec actuellement avec ses échanges avec le Nord-Est américain. Mais toujours est-il, comme la régie l'a noté dans son rapport, les interconnexions avec le Nord-Est américain risquent d'être contraignantes dans le futur, et donc on n'aura plus cette marge de manoeuvre là.
Autre forme de complémentarité: lorsqu'il y a baisse dans l'hydraulicité et qu'il n'y a tout simplement pas assez d'eau disponible, à ce moment-là, on peut faire activer les centrales thermiques. Donc, il y a une complémentarité, en termes de police d'assurance, si vous voulez.
Vous avez aussi raison de souligner que les gros consommateurs industriels d'électricité sont souvent aussi des gros consommateurs de gaz naturel. Notamment dans certains marchés, on voit de plus en plus l'autoproduction avec des centrales de cogénération où une entreprise construit sa propre centrale, produit de l'électricité et de la vapeur industrielle pour ses propres besoins et arrive, à certains moments, avec des surplus d'électricité qu'elle peut vendre sur le marché. Donc, c'est certainement une autre piste, une piste qui est très intéressante dans beaucoup de marchés; on le voit en Ontario, on le voit certainement en Alberta.
Encore une fois, un peu comme mon intervention sur la question du chauffage résidentiel, avec les tarifs d'électricité que vous avez ici, au Québec, il est moins intéressant pour une entreprise de développer un projet de cogénération; pas que ça ne peut pas se faire, mais il est moins intéressant, compte tenu du fait que l'électricité est déjà à très bon marché. Donc, produire de l'électricité avec le gaz naturel, avec les prix qu'on connaît dans le gaz naturel, n'est pas nécessairement concurrentiel, compte tenu des très faibles tarifs d'électricité.
Le Président (M. Jutras): Merci. M. Doucet, nous allons passer à l'autre bloc de 20 minutes; le groupe ministériel, là, les 20 minutes sont terminées. Alors, Mme la députée de Rosemont.
Mme Dionne-Marsolais: Bonjour, M. Doucet. Bienvenue, merci d'être là. Alors, je vais, si vous me permettez, d'abord faire quelques commentaires et avant de passer la parole à ma collègue de Matapédia qui a des questions un peu plus précises.
Je comprends bien que votre mandat, là, c'était d'évaluer la place de l'énergie thermique dans un parc de production comme celui du Québec. Dans vos commentaires, vous en parlez d'ailleurs, de cette place du thermique, et j'en veux pour preuve: à la page 18 de votre rapport, vous dites... dans la dernière partie, là, vous dites: «Le ratio des coûts fixes aux coûts variables des ressources thermiques est moins élevé qu'est le cas de l'hydroélectricité, suggérant que la filière thermique est une solution économique pour répondre à la fine pointe.» Hein, vous vous souvenez de ça? Bon. Alors ça, c'est assez intéressant. Je pense que, dans le débat, dans la discussion qu'on a aujourd'hui, c'est une composante importante.
Vous dites aussi, un peu plus loin, qu'il y a un certain nombre d'incertitudes dans les... à la fois au niveau de l'hydraulique et du thermique, et, dans le thermique, bien, il y a évidemment le prix du combustible dont on parle, et on vous suit très bien, là, là-dessus, parce que, comme vous le dites à la page 11: «Les impacts des nouvelles structures de marché en Amérique du Nord [...] doivent [...] être analysés. Il y a évidemment beaucoup d'incertitude sur l'évolution que prendront certains marchés et certains segments de marché, notamment quant aux [...] grands réseaux de transports américains.» On parle ici évidemment du thermique, donc j'imagine que c'est du gaz.
Maintenant, je veux juste vous apporter un complément d'information, parce que vous parlez toujours du choix de société que le Québec va devoir faire, hein? Et, à la page 4, en note en bas de page, vous dites: «Notons que la place de l'électricité dans le bilan énergétique du Québec est le résultat de politiques et de stratégies explicites qui ont été choisies pour encourager le développement hydroélectrique.» Ce n'est pas le cas, c'était pour encourager le développement social, économique et régional du Québec. Je pense que c'est ça qu'il faut dire, pas... L'option hydroélectrique est l'option qui a été retenue parce que c'était celle qui était la plus avantageuse pour les Québécois durant cette période qu'on peut dire passée.
Alors, je voudrais vous lire et vous allez me dire si c'est encore vrai... J'ai recherché pour savoir... Je vous connaissais de nom mais je ne me souvenais pas de ce que vous aviez écrit, puis j'ai trouvé sur Internet une étude, qui datait de juillet 1999, que vous avez signée avec Corinne Chaton. Elle s'intitule: Uncertainty and Investment in Electricity Generation: the Case of Hydro-Québec. Et, dans cette étude-là, j'ai trouvé ça bien intéressant puis je veux savoir si c'est encore de mise aujourd'hui. Dans la conclusion, vous dites ceci: «The results obtained have been interpreted in light of current market activity in the northeast ? on parle de 1999 ? and in terms of Hydro-Québec's plans and strategies. One broad conclusion that can be reached at this point is that Hydro-Québec's strategy of increased energy exports, may not be realistic, given available information on market conditions. Given the current cost of ? combined cycle gas turbine ? [...]which are likely to be the marginal units in most neighboring systems, it may be difficult to justify large investments and large-scale hydro projects based on export opportunities.» Est-ce que ce constat est toujours vrai?
Le Président (M. Jutras): M. Doucet.
M. Doucet (Joseph A.): Je pense que somme toute le portrait est toujours vrai, oui, de la façon suivante. Il demeure vrai que développer des centrales ? des centrales d'envergure, des centrales importantes au Québec ? dans le seul but d'exporter pourrait être difficile et devrait être examiné en fonction des perspectives et des possibilités d'exportation dans le marché du Nord-Est américain.
Il faut aussi comprendre que, lorsque cette étude ? l'étude que vous avez citée ? a été réalisée, les prix du gaz naturel... je ne me souviens pas exactement, mais les prix du gaz naturel se chiffraient autour de 2,20 $, 2,50 $ du gigajoule. Aujourd'hui, le gaz naturel se transige, dans le Nord-Est américain, autour de 6,50 $ ou 7 $ du gigajoule.
Donc, malgré que les mises en garde sont à mon avis toujours exactes, il faut reconnaître que la situation concurrentielle, en termes de coût d'opportunité, dans le Nord-Est a changé considérablement. À toutes fins pratiques, à la fin des années quatre-vingt-dix, il n'y a personne dans le marché gazier qui pouvait anticiper et qui a anticipé la flambée des prix qu'on a vue les trois ou quatre dernières années. Donc, donc, il est possible que des projets hydroélectriques qui n'auraient pas été rentables en 1999 le seraient aujourd'hui, compte tenu de ce coût d'opportunité, la possibilité d'échanger dans un marché qui a dramatiquement changé en raison de l'évolution du prix du combustible.
Mme Dionne-Marsolais: L'inverse aussi.
M. Doucet (Joseph A.): Pardon?
Mme Dionne-Marsolais: Et le risque inverse aussi.
M. Doucet (Joseph A,): Oui.
Mme Dionne-Marsolais: Merci.
Le Président (M. Jutras): Mme la députée de Matapédia.
Mme Doyer: Merci, M. le Président. Bonjour, M. Doucet. Alors, M. Doucet, vous avez écrit... Dans votre mémoire, à la page 14, vous avez écrit: «Le système électrique québécois, malgré sa nouvelle structure réglementaire, ressemble beaucoup à un système relativement traditionnel.» Vous avez dit aussi: «Au niveau de la production, il y a de la concurrence à la marge pour les nouvelles sources de production via les appels d'offres d'Hydro-Québec Distribution.» Et, dans ma région, on a eu, en Gaspésie et la région de Matane, un appel d'offres de 1 000 MW, et Hydro en a lancé un dernièrement aussi de 1 000 MW.
Alors, dans l'avis de la Régie de l'énergie, qui date du 30 juin, tout récent... pourtant, dans cet avis-là, on dit ceci, M. Doucet: «Le cadre législatif actuel de l'approvisionnement post-patrimonial en électricité des Québécois repose sur l'hypothèse d'existence d'un marché de libre concurrence. Or, sa mise en oeuvre mène présentement et inexorablement à la filière thermique ou à la filière de la grande hydraulique, dont le producteur a le monopole ? il était entendu Hydro-Québec Production. La Régie constate que le marché voulu par le législateur ne s'est pas matérialisé ni qu'il se matérialisera dans les conditions actuelles. Le marché n'est pas neutre à l'égard du choix des filières.»n(17 h 30)n Alors, j'ai une première question puis je vais en avoir une autre après. Ma première, c'est: Reconnaissez-vous que la procédure d'approvisionnement pour les besoins excédant le bloc d'électricité patrimonial n'offre pas un marché de concurrence pour l'ensemble des filières de production? Parce que c'est... le bloc patrimonial étant 165 Twh, hein, comme on le sait, qui est vendu à 0,0279 $ ? autour ? du kilowattheure, et, ce qui est excédentaire, c'est 0,006 $ du kilowattheure. Le thermique, la grande hydraulique, on pourrait dire que c'est capable de produire pour ça, à ces coûts-là, et, l'éolien par exemple, ça tourne autour de 0,008 $. Alors, moi, je voudrais vous faire réagir une première fois sur cette question-là, puis je vais avoir une autre question.
M. Doucet (Joseph A.): Votre question est à savoir si cette procédure d'approvisionnement est concurrentielle ou non?
Mme Doyer: Je redis ma question: Reconnaissez-vous que la procédure d'approvisionnement pour les besoins excédant le bloc d'électricité patrimonial n'offre pas un marché de concurrence pour l'ensemble des filières de production si vous vous référez au cadre réglementaire ? parce qu'on parlait de la nouvelle structure réglementaire, tout le bloc de production traditionnel et ce qui est excédentaire de ça?
M. Doucet (Joseph A.): Permettez-moi de répondre de la façon suivante: Nonobstant la redéfinition du cadre réglementaire, le système québécois n'est... le système d'électricité québécois n'est pas très concurrentiel, et, par cela, ce que je veux dire, c'est qu'il y a une distinction importante entre un système qui est réglementé ou non et un système qui est concurrentiel ou non.
Le simple fait de ne pas être réglementé, ce qui est le cas d'Hydro-Québec Production, ne veut pas nécessairement dire que le marché de la production au Québec est nécessairement concurrentiel. D'autant plus que, comme vous l'avez souligné, le bloc patrimonial, l'importance de ce bloc-là et l'établissement d'un tarif a priori sur ce bloc, fait en sorte que la grande majorité de la production d'Hydro-Québec est déjà déterminée en termes d'acheminement et de prix.
Dans ce sens-là et dans le sens où il y a un distributeur, à toutes fins pratiques, pour l'ensemble du Québec et c'est ce distributeur-là qui lance des appels d'offres, malgré qu'à la marge on puisse dire que c'est une procédure, si vous voulez, concurrentielle parce qu'il y a invitation à soumettre pour répondre à ces appels d'offres, malgré ça, dans le système où il y a un gros joueur et quelques petits qui peuvent à la marge soumettre... soumettre des projets, c'est un système qui est semi-concurrentiel ou qui a un peu de concurrence à l'abord, mais ce n'est pas un système qu'on appellerait réellement concurrentiel. Je ne sais pas si ça répond à votre question.
Mme Doyer: Oui. Puis je vais reformuler puis je vais probablement regarder... Selon vous, est-ce que le cadre réglementaire actuel doit être changé pour permettre à toutes les filières de production d'avoir une chance égale dans les appels d'offres d'Hydro-Québec Distribution? Parce que, vous, vous vous êtes penché sur le thermique. Dans ma région, on voit l'émergence de l'éolien, et le gouvernement actuel, comme l'antérieur, a dit qu'il voulait faire une ouverture à l'énergie éolienne. Alors, s'il y avait des changements au cadre réglementaire actuel, est-ce que vous... qu'est-ce que vous verriez?
M. Doucet (Joseph A.): Bien, dans le cadre actuel, à moins que je ne m'abuse, toutes les filières, tous les entrepreneurs peuvent soumettre suivant des appels d'offres du distributeur. Dans ce sens-là, la concurrence est ouverte.
Si vous voulez dire par «manque de concurrence» ou «difficulté de concurrence» le fait que différentes filières ont différents coûts qui leur sont associés, différents problèmes techniques, ne serait-ce que l'intermittence du vent, etc., ça fait en sorte que ces filières vont être évaluées différemment, mais c'est un peu l'objectif, n'est-ce pas, d'un appel d'offres: on veut aller chercher un portefeuille de ressources, donc on veut aller chercher un portefeuille de ressources avec des caractéristiques qui sont différentes.
Dans ce sens-là, à moins que vous ne suggériez de changer le cadre pour favoriser une certaine filière, ce qui serait certainement possible, ce serait le choix du gouvernement, disons, mais, à moins qu'on veuille établir cette préférence pour une ou l'autre filière, je pense que l'appel d'offres, dans ce sens-là, traite l'ensemble des ressources potentielles de façon équitable, reconnaissant qu'elles sont différentes.
Mme Doyer: Merci.
Le Président (M. Jutras): Mme la députée de Rosemont.
Mme Dionne-Marsolais: M. Doucet, vous parlez ? je pense, c'est vous qui avez parlé de ça, là... En fait, il est beaucoup question des faibles coûts, du faible prix de l'électricité, hein, au Québec et ? merci, je cherchais, là, je pensais que je n'avais plus de temps mais... À la page 16, bon. Et vous dites que «des prix plus élevés réduiraient le besoin d'accroître l'offre». J'aimerais ça que vous m'expliquiez comment vous voyez ça. Comment les prix plus élevés, compte tenu du pourcentage élevé actuel du chauffage électrique, là, comment ça va réduire l'offre... le besoin d'offre, pardon?
M. Doucet (Joseph A.): Il faut comprendre que la demande d'électricité dépend d'un grand nombre de facteurs, un grand nombre de paramètres, dont le prix. Si on annonçait, aujourd'hui, une intention de majorer les prix de l'électricité, d'augmenter par un certain pourcentage et qu'il y avait un engagement de le faire sur un certain nombre d'années, il en découlerait des réactions et des comportements des utilisateurs d'électricité pour substituer d'autres types d'investissements pour une consommation accrue d'électricité. Et, pour moi, c'est clair que des prix plus élevés ? toute chose étant égale par ailleurs ? amèneraient une demande moins forte et donc une moins grande obligation du côté de l'offre.
Maintenant, quelle serait la réaction exacte des consommateurs, dans quel segment de marché par rapport à quel prix? C'est toutes des questions techniques qui sont compliquées. Comme je l'ai dit auparavant, il est clair qu'il faudrait penser à ce type d'augmentation de prix dans une approche réfléchie et respectueuse des investissements qui ont été entrepris dans le passé. Mais, ceci étant dit, je pense qu'il y aurait moyen de réduire la nécessité d'augmenter du côté de l'offre avec des prix plus élevés.
Mme Dionne-Marsolais: Ce que vous nous dites, c'est que l'électricité de la demande s'applique aussi au niveau de la demande d'électricité, en théorie. Mais en pratique est-ce que votre expérience, avec le secteur de consommation du gaz naturel ou même du pétrole, depuis les fortes augmentations des dernières années, est-ce qu'il y a eu dans les faits des baisses de consommation globalement?
M. Doucet (Joseph A.): Oui.
Mme Dionne-Marsolais: De combien pour chaque augmentation de prix du gaz, par exemple?
M. Doucet (Joseph A.): Bien, je ne peux pas vous donner... je n'ai pas de chiffre.
Mme Dionne-Marsolais: Depuis cinq ans.
M. Doucet (Joseph A.): Pardon?
Mme Dionne-Marsolais: Depuis cinq ans. Vous êtes d'Alberta, donc vous devez suivre ça quasiment au jour le jour, non?
M. Doucet (Joseph A.): En Alberta, il est clair que la demande par exemple pour l'installation de fournaises à haute efficacité a augmenté de façon importante depuis cinq ans, en Alberta. En Californie où, à l'année 2000-2001, on a vu des augmentations importantes dans les tarifs d'électricité, il y a eu une baisse, si je me souviens bien... À l'automne 2001, je crois, il y a eu une baisse d'à peu près 9 % de la demande de pointe en Californie. Mais il faut comprendre que la demande de pointe en Californie, c'est une demande d'été, qui est associée à la climatisation.
Mme Dionne-Marsolais: À la température.
M. Doucet (Joseph A.): Mais, dans ce sens-là, je pense que l'analogie est intéressante avec la demande au Québec. Je ne suggère pas qu'il pourrait y avoir le même type de baisse de demande de l'électricité au Québec, l'hiver, mais, pour moi, puis j'admets d'entrée de jeu que je suis économiste, donc je crois dans les questions d'offre et demande et d'élasticité de la demande par rapport au prix, je crois que c'est une vérité qu'il pourrait y avoir une baisse de la demande avec une augmentation du prix. Encore une fois, quelle baisse, quel prix seraient nécessaires, etc., c'est une question qu'il faudrait analyser.
Mme Dionne-Marsolais: Est-ce que vous connaissez des experts qui auraient étudié la question de l'électricité de la demande, à la fois pour l'électricité, pour le gaz naturel et pour le pétrole, à la lumière des augmentations des 10 dernières années, si vous voulez, au niveau du pétrole et au niveau de l'électricité? Parce que, quand on regarde les chiffres du Québec ? et on les a regardés, il n'y a pas tellement longtemps ? au niveau du pétrole, les augmentations de prix n'ont pas entraîné une baisse de la consommation.
n(17 h 40)n Alors, je me pose la question, parce que j'essayais de documenter un peu ces commentaires-là qui apparaissent comme des faits, théoriquement. Mais, quand on les applique dans la vraie vie, le comportement humain ? et vous le savez, en économie, il y a beaucoup d'humains aussi ? le comportement humain vient souvent influencer les décisions de choix d'investissement ou de choix de consommation des individus. Et, par rapport aux augmentations de gaz naturel des dernières années qui ont été très élevées, si on regarde juste le nord-est, je serais très intéressée à savoir quel a été l'impact sur l'augmentation de la demande en milliers de pieds cubes de gaz naturel dans l'Est du... dans le Nord-Est Canada?États-Unis, là, si effectivement il y a eu une baisse. Parce que le prix est maintenant très élevé, vous l'avez dit vous-même: il est passé de 2 $ à 6 $, je pense, du gigajoule, là. Moi, je ne sais pas comment ça fait l'équivalent en mètres cubes, là, je ne sais pas, mais...
M. Doucet (Joseph A.): Je pense que vous touchez à une question très, très importante dans la perspective de la tarification et de l'utilisation, c'est-à-dire le temps ou le délai de changement dans les habitudes de consommation.
Si on regarde l'évolution du prix de l'essence, dans la dernière année par exemple, le prix de l'essence a augmenté de façon importante et maintenant soutenue, et n'empêche que la plupart des consommateurs d'essence n'ont pas changé leur véhicule. Pourquoi? Bien, parce qu'il faut comprendre qu'une auto, pour la plupart d'entre nous, ça ne se change pas à chaque semaine; la fournaise qui consomme du gaz naturel chez moi, ça ne se change pas à chaque semaine; le système de chauffage électrique que vous avez peut-être dans votre résidence, ça ne se change pas à chaque semaine. Et c'est dans ce sens-là qu'il faut comprendre que les changements qui résultent... les changements de consommation qui résultent de changements de prix ne sont pas instantanés.
Bien souvent, ce qu'on voit dans l'ensemble des secteurs, c'est qu'on voit des changements plus rapides dans le secteur industriel, notamment dans les industries où il y a des possibilités de substitution entre différents combustibles ou différentes sources de chauffage par exemple, alors que pour le résidentiel, que ce soient les moyens de transport, et donc l'essence, que ce soit le chauffage, gaz naturel, l'électricité, ou autre, le changement va être plus lent et plus progressif.
Ceci étant dit, je reviens là-dessus: je suis convaincu que, dans la consommation des sources énergétiques, dans le moyen et long terme, les consommateurs s'ajustent au prix. Et vous n'avez... pour passer à un exemple: vous n'avez qu'à regarder les types de véhicules que nous avons ici, en Amérique du Nord, et ce qu'ont nos confrères et consoeurs en Europe, où l'essence se vend à 2 $, 2,20 $ le litre. Bien, ce n'est pas la seule différence qu'il y a et ce n'est pas la seule raison qu'on a des plus petites voitures, etc., mais c'en est une importante. Et, si vous voulez comparer entre le Québec et l'Alberta par exemple, où l'essence se vend moins cher, vous avez là aussi une différence dans les types de véhicules, la taille des véhicules. Mais ce ne sont pas des changements qui s'opèrent de façon instantanée, ce ne sont pas des changements qui vont se faire rapidement. Et encore une fois je reviens sur le point en termes de ce qu'on pourrait vouloir voir comme changement de prix ou de tarif de l'électricité: je maintiens que, oui, il faudrait les changer au Québec, d'après moi, mais il faudrait le faire d'une façon progressive et respectueuse des investissements qui ont été faits.
Le Président (M. Jutras): Alors, M. Doucet, le temps est terminé. Alors, je vous remercie pour votre présentation.
Et, la commission ayant accompli son mandat, les travaux sont ajournés à demain, jeudi 2 décembre, après les affaires courantes.
(Fin de la séance à 17 h 44)