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Version finale

35th Legislature, 2nd Session
(March 25, 1996 au October 21, 1998)

Wednesday, December 4, 1996 - Vol. 35 N° 28

Consultations particulières sur le projet de loi n° 50 - Loi sur la Régie de l'énergie


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Table des matières

Auditions


Intervenants
M. Christos Sirros, président
M. François Beaulne, président suppléant
M. Guy Chevrette
M. Normand Cherry
M. Régent L. Beaudet
M. Richard Le Hir
M. Michel Côté
M. Benoît Laprise
*M. Alain Ferland, Ultramar Canada inc.
*M. Pierre Desrochers, Compagnie pétrolière Impériale ltée
*M. Claude Larochelle, idem
*M. Serge Parent, Les Pétroles Irving inc.
*M. Jacques Viau, Petro-Canada
*M. Domenic Pilla, idem
*M. André Dumais, Produits Shell Canada ltée
*M. Gratien D'Amours, UPA
*M. Patrice Dubé, idem
*M. Jean-Yves Roy, ADIP
*M. Gérard N. Bétournay, idem
*M. Jean Noël, idem
*M. Pierre Crevier, idem
*M. Pierre Dupuis, AHCQ
*M. Marc Blais, idem
*M. Yves Blanc, CCUM
*M. Éric Dunberry, idem
*M. Marc Laviolette, CSN
*M. Peter Bakvis, idem
*M. Clément Godbout, FTQ
*M. Robert Demers, idem
*Mme Daphna Castel, Mouvement Au Courant
*M. Philippe Dunsky, Centre Hélios
*M. Philip Raphals, idem
*Témoins interrogés par les membres de la commission

Journal des débats


(Onze heures seize minutes)

Le Président (M. Sirros): MM. et Mmes les membres de la commission, ainsi que nos invités, j'aimerais déclarer la séance de la commission de l'économie et du travail ouverte. Je vous rappelle le mandat de la commission qui est de procéder à des consultations particulières et tenir des auditions publiques dans le cadre de l'étude détaillée du projet de loi n° 50, Loi sur la Régie de l'énergie.

Mme la secrétaire, est-ce qu'il y a des remplacements?

La Secrétaire: Oui, M. le Président. M. Désilets (Maskinongé) remplace M. Pelletier (Abitibi-Est) et M. Gendron (Abitibi-Ouest) remplace Mme Simard (La Prairie).

Le Président (M. Sirros): Merci. Et je vous rappelle tout simplement, pour nos invités qui vont être appelés à témoigner, que chacun a un 15 minutes de présentation de chacun des groupes et que 30 minutes d'échanges sont allouées par la suite, divisées entre les parlementaires qui sont ici.

Nous commencerons peut-être immédiatement nos audiences en invitant la compagnie pétrolière Ultramar à se présenter à la table pour qu'on puisse entamer nos travaux, qui débutent avec la présentation de la compagnie Ultramar. Alors, je crois bien que c'est M. Ferland?

M. Ferland (Alain): Oui, c'est bien ça.

Le Président (M. Sirros): Alors, si vous pouviez identifier les gens qui vous accompagnent, pour les fins de nos travaux...

M. Ferland (Alain): D'accord.

Le Président (M. Sirros): ...et nous procéderons par la suite.

M. Ferland (Alain): Je vais le faire dans mon allocution, si vous me permettez.

Le Président (M. Sirros): C'est correct. D'accord. On vous écoute.


Auditions


Ultramar Canada inc.

M. Ferland (Alain): Alors, en mon nom personnel et en celui de mes collègues, j'aimerais d'abord remercier les membres de la commission de nous avoir invités à donner notre opinion sur le projet de loi n° 50.

Permettez-moi tout d'abord de vous présenter les personnes qui m'accompagnent. À mon extrême droite, Charles Patry, vice-président, Exploitation-raffinage; ici, Louis Forget, directeur principal des Affaires publiques et gouvernementales; M. Louis Guévremont, à ma gauche, vice-président, Approvisionnement et ventes en gros; et M. Pierre Martel, à mon extrême droite, vice-président, Marchés chauffage et commercial, ventes et services. Mon nom est Alain Ferland. Je suis président d'Ultramar ltée.

Nous sommes heureux d'avoir aujourd'hui l'occasion de donner notre avis sur le projet de loi n° 50, puisque celui-ci affectera de façon importante l'industrie pétrolière québécoise en général et Ultramar en particulier. Nous nous permettrons aussi de dire quelques mots sur les autres mesures annoncées récemment par le ministre des Ressources naturelles et qui doivent, à notre avis, être prises en considération dans l'examen du projet de loi n° 50.

Il n'est pas inutile de rappeler certaines données sur notre entreprise. Ultramar est une société de raffinage et de commercialisation de produits pétroliers. Elle se distingue des grandes pétrolières intégrées, puisqu'elle ne possède aucune activité d'exploration et de production de pétrole brut. Ultramar emploie directement et indirectement plus de 6 000 personnes au Québec, dont 300 personnes à sa raffinerie de Saint-Romuald.

Cette raffinerie, l'une des plus modernes et des plus efficaces en Amérique du Nord, produit chaque jour 150 000 barils de produits pétroliers, principalement de l'essence, du carburant diesel et du mazout domestique. Quant à notre réseau de distribution, il compte au Québec plus de 900 stations-service, 38 postes d'approvisionnement par carte magnétique et distribue du mazout domestique à pas moins de 80 000 foyers.

Ultramar est un apport important à l'économie québécoise. Chaque année au Québec, Ultramar verse 50 000 000 $ en salaires et en avantages sociaux. Nos achats de biens et services auprès des entreprises du Québec totalisent quelque 60 000 000 $ par année. Depuis 25 ans, nous avons investi 645 000 000 $ à notre raffinerie de Saint-Romuald. Nous avons également investi plus de 400 000 000 $ dans notre réseau de distribution au détail, et ce n'est pas fini. D'ici l'an 2000, nous investirons au Québec 140 000 000 $ dans notre réseau de stations-service pour le moderniser et y construire plus de 300 dépanneurs, créant ainsi plus de 2 500 emplois. En plus, nous planifions investir près de 200 000 000 $ à notre raffinerie de Saint-Romuald pour assurer le maintien des bonnes opérations, améliorer l'environnement et rendre l'usine plus concurrentielle. Nous avons donc besoin d'un climat politique favorable pour convaincre nos actionnaires de continuer à investir ici, au Québec. Or, il est reconnu qu'un marché réglementé ne favorise pas l'investissement.

(11 h 20)

Avant d'examiner plus précisément les articles du projet de loi qui nous concernent, il nous semble nécessaire d'analyser de façon plus large les principes et le contexte dans lequel s'inscrit cette nouvelle loi. De façon générale, et comme vous le mentionnez dans la politique énergétique rendue publique la semaine dernière, le secteur énergétique en Amérique du Nord est engagé dans un processus de restructuration qui conduira à une libéralisation des marchés de gros et qui aboutira à plus long terme à une déréglementation des marchés de détail.

Le Sommet sur l'économie et l'emploi tenu le mois dernier à Montréal n'a-t-il pas été l'occasion pour le gouvernement d'adopter un nouveau décret portant sur l'allégement des normes de nature législative ou réglementaire? Nous retenons, entre autres, de cette déclaration pour l'emploi que la croissance économique constitue le principal moteur du développement de l'emploi, que la productivité, l'efficacité, la rentabilité et la compétitivité des entreprises sont des facteurs essentiels à la croissance économique. Cette volonté maintes fois répétée de diminuer la réglementation vise à améliorer la situation concurrentielle des entreprises dans le respect des principes de libre concurrence, ce qui constitue la meilleure garantie pour le consommateur; celui-ci veut obtenir les meilleurs services aux meilleurs coûts. Or, l'intention du gouvernement de réglementer les prix de l'essence et du carburant diesel avec son projet de loi n° 50 nous semble aller à l'encontre de ces grands principes du discours gouvernemental.

Cela étant dit, si le gouvernement désire toujours aller de l'avant avec une partie de son projet, nous sommes disposés à collaborer afin de trouver une solution acceptable pour tous les intervenants. Ainsi, de confier à la Régie un mandat de surveillance des prix de l'essence et de vouloir interdire aux détaillants d'afficher des prix à la pompe inférieurs à ceux de la vente en gros sont en soi des dispositions et mesures que nous sommes prêts à appuyer, en autant, bien entendu, que celles-ci s'appliquent à tous les intervenants sans exception. Par contre, de vouloir fixer annuellement un montant par litre au titre des coûts d'exploitation et de déterminer des zones s'avère, selon nous, de l'ingérence dans la bonne marche et la gestion financière d'une entreprise. Le contenu de l'article 59 est à ce point vague quant à la détermination de ce montant et des coûts d'exploitation admissibles que, pour certains, ce montant pourrait s'avérer être une marge bénéficiaire. Ceci risque de décourager la recherche d'une plus grande efficacité et pourrait constituer un frein à l'investissement. En effet, une entreprise aurait peu d'avantages à améliorer sa capacité de production ou à investir dans son réseau de distribution si elle ne peut retourner ses gains d'efficacité aux consommateurs. Dans un marché très concurrentiel comme le nôtre, les gains d'efficacité nous permettent de conserver notre clientèle et d'en attirer une nouvelle. Vous n'êtes pas sans savoir qu'il s'agit en effet d'un privilège fondamental du consommateur que de pouvoir profiter de l'efficacité d'une entreprise motivée par la libre concurrence.

En ce qui concerne l'approvisionnement en produits pétroliers, laissez-moi vous dire que le marché québécois est particulièrement compétitif, puisque le Canada est le seul pays où les produits raffinés comme l'essence, le carburant et le mazout domestique entrent sans aucune barrière tarifaire. Nous n'avons donc pas la même facilité que nos concurrents européens lorsque vient le temps d'exporter nos produits vers l'Europe, par exemple.

Plus de 11 000 000 de barils d'essence et de distillats ont été importés au Québec en 1995. Ce montant sera sensiblement supérieur cette année et il est en hausse constante depuis les dernières années. Donc, la rentabilité des raffineurs est déjà assujettie aux pressions de la libre concurrence mondiale. La parité à l'importation a comme conséquence de plafonner nos revenus.

En ce qui a trait au marché de détail, la capacité de commercialisation, mesurée par le nombre de stations-service, reste forte malgré les nombreuses fermetures. Je me permets ici de souligner que, contrairement à ce que certains pourraient croire et malgré la diminution du nombre de stations-service, elles emploient plus de gens aujourd'hui qu'il y a 10 ans.

Ces dernières années, l'industrie n'a pas nécessairement porté attention et répondu aux besoins changeants des consommateurs qui réclamaient de meilleurs prix. Ultramar a compris le message, et le programme Valeur plus vise essentiellement à répondre à la demande du consommateur qui recherche le meilleur prix avant tout. Plutôt que d'offrir toutes sortes de primes comme le font nos concurrents, nous avons choisi de concentrer nos efforts sur le prix à la pompe en égalant les prix de nos concurrents. Peut-on condamner cette pratique?

Nous aimerions maintenant vous faire part de quelques commentaires plus pointus sur certains aspects du projet de loi et proposer des avenues de solution. Le coeur du projet de loi, pour notre industrie tout comme pour notre compagnie, se trouve à l'article 45.1, et je cite: «Pratique abusive dans la vente de l'essence et du carburant diesel».

Comme je l'ai indiqué précédemment, bien que nous soyons fondamentalement contre toute forme de réglementation, nous sommes disposés à appuyer l'initiative du gouvernement de vouloir interdire à tous les intervenants de notre industrie, qu'il s'agisse de détaillants, de grossistes, de distributeurs, de revendeurs ou de raffineurs, d'afficher des prix d'essence à la pompe qui seraient inférieurs aux prix de la vente en gros.

Pour ce faire et afin d'éviter toute iniquité et toute lourdeur administrative, la Régie devrait se limiter à utiliser le prix à la rampe de chargement, que ce soit Montréal ou Québec, ou même New York, et y ajouter toutes les taxes, fédérales et provinciales, pour identifier un prix plancher. Ce prix deviendrait le point de référence pour dissuader la vente en bas du coût, des prix coûtants. La somme de ces deux montants représente en effet le prix coûtant minimum devant être affiché à la pompe par tous les détaillants, et ce, peu importe la région, puisque ce calcul tiendrait aussi compte des rabais de taxes en région périphérique et éloignée. De plus, ces coûts sont transparents, puisqu'ils sont publics et disponibles quotidiennement, la référence étant le «Oil Buyer's'Guide», OBG.

Nous estimons qu'il serait néfaste pour l'économie québécoise et regrettable que la Régie soit autorisée à fixer un montant, une marge, par litre, au titre des coûts d'exploitation et de déterminer des zones. En effet, la proposition gouvernementale risque, à notre avis, d'être très difficilement applicable, puisque la détermination d'une marge d'exploitation et des zones devrait tenir compte de multiples facteurs: les coûts du transport, d'entreposage, de crédit, des salaires, des taxes municipales et d'une multitude d'autres frais difficilement comparables d'une région à l'autre ou même d'une entreprise à l'autre.

Ce désir du gouvernement de vouloir déterminer une marge d'exploitation serait un projet lourd à administrer et inéquitable, en plus d'être très onéreux à appliquer de par sa complexité. L'objectif du gouvernement devrait se limiter à dissuader la vente d'essence à un niveau inférieur aux coûts et non pas à garantir une marge bénéficiaire ou un profit aux intervenants de notre industrie.

Par ailleurs, nous sommes surpris de constater que le projet de loi n° 50 s'étend maintenant non seulement à la vente d'essence, mais aussi à celle du carburant diesel. Nous n'en voyons pas la nécessité, d'autant plus que la vaste majorité des volumes sont vendus non pas aux stations-service, mais plutôt dans des postes de ravitaillement par carte magnétique ou des centres routiers. Ces installations ne sont d'ailleurs nullement comparables à une station-service.

Afin de mieux comprendre la différence entre les intervenants et les différentes installations, nous aimerions d'ailleurs suggérer d'inclure leur nomenclature complète et détaillée à l'article 2.

À l'article 7, vous mentionnez que la Régie procédera à l'engagement de nouveaux régisseurs. Nous souhaitons donc que le gouvernement nomme au moins deux régisseurs qui jouissent d'une excellente connaissance de l'industrie pétrolière québécoise.

Bien que l'objet de cette commission parlementaire porte sur les mesures contenues dans le projet de loi n° 50, c'est-à-dire essentiellement la création de la Régie de l'énergie, Ultramar souhaite profiter de l'occasion qui lui est offerte pour vous faire part de ses commentaires sur les autres mesures annoncées par le gouvernement le 17 octobre 1996, puisque celles-ci auront un impact important sur la viabilité de l'industrie pétrolière québécoise.

En effet, le gouvernement a décidé que SOQUIP agirait à titre d'entreprise-conseil pour les distributeurs indépendants de façon à favoriser un accès plus facile au marché d'approvisionnement international. Nous avons bien du mal à comprendre la logique de cette décision quand le Comité spécial d'examen de la situation du marché de l'essence au Québec lui-même en arrive à deux constats qui vont totalement à l'encontre de cette mesure. En effet, à la page 54 de ce rapport, on peut y lire que les importations pénétreront le marché du Québec aux dépens de la production intérieure et mettront en péril la viabilité des raffineurs locaux.

(11 h 30)

Au Québec, notre industrie a déjà beaucoup souffert en termes d'emplois. Faut-il rappeler que le Québec comptait sept raffineries en 1982 et qu'il n'en reste que trois aujourd'hui? En favorisant l'achat de produits raffinés à l'extérieur du Québec, SOQUIP subventionnerait les raffineurs étrangers. Les raffineurs qui investissent et créent de l'emploi au Québec seraient-ils aidés ou subventionnés par le gouvernement? Nous n'avons rien vu en ce sens jusqu'à maintenant. Le gouvernement entend-il accentuer les pressions sur les raffineurs d'ici, qui doivent plus que jamais concurrencer avec ceux du bassin de l'Atlantique? D'autant plus que le rendement du capital investi est inférieur à celui de l'industrie manufacturière dans son ensemble.

Le gouvernement entend même financer des études visant la mise en place d'un mécanisme de regroupement d'achats de produits pétroliers pour les distributeurs indépendants. Nous n'avons aucune objection à ce que ceux-ci se regroupent pour effectuer leurs achats, c'est leur droit. Pour votre information, ils sont clients chez nous et sont libres de choisir le meilleur prix offert par les raffineurs ou les exploitants de terminaux indépendants qui, eux, s'approvisionnent régulièrement sur le marché international. Toutefois, nous ne comprenons pas pourquoi le gouvernement soutiendrait financièrement pareille démarche.

Ultramar salue l'initiative du gouvernement de créer un fonds de décontamination des sols, ce qui devrait aider un grand nombre de détaillants à se conformer aux normes environnementales. Nous espérons que ce fonds bénéficiera à toutes les entreprises, sans distinction, et nous sommes prêts à collaborer à sa mise sur pied.

Ultramar a toujours agi en bon citoyen corporatif et continuera de le faire. Il serait cependant illusoire de croire que cette législation et les autres mesures annoncées par le gouvernement le 17 octobre 1996 n'auront pas d'impact sur notre industrie, sur notre entreprise et sur l'économie québécoise. Le Comité spécial d'examen de la situation du marché de l'essence au Québec reconnaît lui-même que toutes les interventions gouvernementales sur le contrôle des prix de l'essence se sont habituellement soldées par une augmentation des prix à la pompe. Nous ne voyons pas comment le Québec pourrait échapper à ce phénomène.

De plus, nous trouvons que l'ensemble des mesures annoncées sont en parfaite contradiction avec les politiques gouvernementales sur la déréglementation de l'économie, notamment avec le décret adopté par le Conseil des ministres le 6 novembre 1996. Partout en Amérique du Nord souffle un vent de libéralisation qui a d'ailleurs amené le ministre d'État des Ressources naturelles à ouvrir le marché de l'électricité aux étrangers. Alors, pourquoi réglementer davantage dans le secteur pétrolier québécois?

Enfin, les mesures gouvernementales, surtout celle concernant la marge d'exploitation prédéterminée, sont, à notre avis, une démotivation pour l'amélioration de la performance et de la position concurrentielle des entreprises, ce qui aura pour effet de décourager les investissements futurs dans ce secteur au Québec en plus de mettre en péril des emplois hautement qualifiés et rémunérés.

Voilà pourquoi nous croyons que la responsabilité de la Régie de l'énergie devrait se limiter à dissuader tous les intervenants de notre industrie à afficher des prix de l'essence à la pompe inférieurs à ceux de la vente en gros. Pour ce faire, la Régie devrait déterminer le prix plancher en tenant compte des prix en vigueur à la rampe de chargement à Montréal, Québec ou New York et à y ajouter les taxes fédérales et provinciales. À moins que le gouvernement veuille changer les règles du jeu pour permettre aux entreprises moins efficaces de survivre, nous sommes disposés à collaborer pour aider le gouvernement à atteindre ses objectifs de création d'emplois et de développement économique sans pénaliser le consommateur.

Voilà, M. le Président et distingués membres de cette commission, l'essentiel de nos commentaires. Mes collègues et moi sommes maintenant prêts à répondre à vos questions, s'il y en a.

Le Président (M. Sirros): Merci beaucoup, M. Ferland. Effectivement, je pense que votre mémoire va susciter des questions et des commentaires, en commençant avec M. le ministre.

M. Chevrette: Oui, je vous remercie, M. le Président. Merci à la compagnie Ultramar de nous avoir présenté son mémoire.

Je vous dirai, quand j'ai déposé à l'Assemblée nationale ce projet de loi, que mon vis-à-vis de Saint-Laurent déclarait ceci: Pour Normand Cherry, critique du PLQ dans le dossier de l'énergie, «le gouvernement a fait ce qu'il fallait faire, mais quatre mois trop tard». Il me reprochait de ne pas avoir été assez vite. Il ajoutait même que j'ai oublié l'huile à chauffage. Je pensais recevoir une volée de bois franc, puis c'est le contraire, je ne suis pas allé assez loin! Il y a également la Fédération de l'entreprise indépendante du Québec qui s'est déclarée en accord avec une intervention gouvernementale.

Suite à ce que vous connaissez probablement mieux que moi, les mois de juin et juillet, en particulier, passés, il y a eu énormément de pressions de créées, dû en grande partie, à mon point de vue, au fait que certaines... Je n'essaierai pas de qualifier, ni qui, là. Je ne suis pas un enquêteur, puis ce n'est pas mon rôle de jouer Don Quichotte. Je vais plutôt m'arrêter, puis je vais vous poser une question, vous allez comprendre ce que je veux dire. Selon vous, est-il normal d'observer sur le marché un prix de détail inférieur au prix du gros, au prix de gros du détaillant?

M. Ferland (Alain): Ceci n'est pas normal, M. le Président, effectivement, et c'est pour ça que, dans les mesures que nous recommandons aujourd'hui, il s'agirait tout simplement de faire l'addition du prix disponible aux «racks», aux rampes de chargement des pétrolières à Montréal ou à Québec et d'y additionner les taxes fédérales et provinciales pour fixer un prix qu'on pourrait appeler le prix plancher et qui serait un peu le barème. Alors, ce n'est pas normal. Ce sont des situations de concurrence extrême dont personne ne voit le bénéfice. Alors, pour répondre à votre question, ce n'est pas normal, effectivement.

M. Chevrette: Tel que je lis à la page 4, sur le projet de loi n° 50, le quatrième paragraphe, vous nous dites un peu comment vous voyez, vous, le cadre législatif dans lequel le gouvernement pourrait oeuvrer, si j'ai bien compris. Si je compare ça à la législation qu'on a à étudier, ça ressemble étrangement au «Below Cost Sales Act» qu'on retrouve dans certains États américains. Est-ce que je me trompe?

M. Ferland (Alain): Peut-être ça me permettrait ici de donner un peu d'explications sur les prix de l'essence et illustrer à l'aide d'un graphique ce que, nous, nous proposons. Alors, si on veut bien... Est-ce qu'on pourrait distribuer ce document-là? Alors, si vous voulez bien prendre le document qui s'intitule «Québec, 4 décembre 1996». J'en ai profité ce matin pour saisir le prix de l'essence à la pompe ici, dans la région de Québec, qui, on me dit, en moyenne est alentour de 0,64 $ par litre, ce que vous voyez au haut de cette page. Si vous analysez le détail de ce prix à la pompe, vous allez retrouver trois composants importants.

Le premier composant, en bas à droite, est le coût du produit à la rampe, c'est-à-dire 0,24 $ le litre, c'est le coût de l'essence disponible lorsqu'elle est fournie à tous les intervenants au poste de chargement d'une raffinerie ou d'un terminal d'importance ici, à Québec, sur la rive nord, exemple. Également, il faut additionner toutes les taxes, fédérales et provinciales, et il y en a une panoplie que je ne détaillerai pas, mais le total est de 0,331 $ par litre, qu'on retrouve à gauche. Et pour faire le total de 0,64 $ par litre, il manque, en haut à droite, 0,069 $ par litre qui représente l'ensemble des coûts pour amener l'essence par camion jusqu'à la station-service, pour opérer la station-service, les taxes municipales, l'entretien, l'électricité, les commissions données aux détaillants, qu'ils soient des employés de l'entreprise ou encore des détaillants indépendants, etc., et les profits.

Or, notre recommandation, c'est de regarder à tout moment deux chiffres, 0,24 $ plus 0,33 $; 0,33 $ varierait éventuellement dans les régions, puisqu'il y a certaines régions périphériques, etc., qui n'ont pas 0,33 $, mais on ferait le total de ces deux chiffres-là. C'est très transparent, parce qu'il est possible de voir le 0,24 $ à tous les jours, tout le monde peut le regarder, il est publié à toutes les semaines dans des documents, et ceci sera un minimum, 0,33 $ plus 0,24 $, d'une façon transparente, claire, nette et précise. Quiconque vendrait en bas de ce coût vendrait en bas du coût, finalement.

Ce n'est pas vraiment le «below cost» américain, c'est plutôt une solution québécoise, si je peux dire, à un problème d'ici. Vous recherchez, M. le ministre, des solutions particulières chez nous. Elles ont l'avantage d'être simples, précises, un peu universelles pour la province et transparentes pour tout le monde.

M. Chevrette: Donc, vous dites: Il y a deux choses immuables qui fixeraient un prix plancher, les taxes plus le prix à la rampe.

M. Ferland (Alain): Exactement.

M. Chevrette: Et, en haut de ça, tout ce qui est en haut de ça, ce serait la concurrence d'une pétrolière à une autre avec soit ses filiales ou soit ses indépendants qui achètent chez elle. Mais, à la pompe, il ne pourrait y avoir un prix inférieur à 0,58 $, 0,571 $, dans l'exemple que vous donnez.

M. Ferland (Alain): Dans l'exemple que je donne. Entendu que le 0,069 $ est exactement l'inverse. Il s'agit des coûts particuliers par entreprise, il s'agit des coûts de livraison par zone, il s'agit des profits particuliers par entreprise. Si on tente de s'ingérer dans cette fraction-là, on tombe dans les choses qui sont discrétionnaires, qui appartiennent à une entreprise plutôt qu'à une autre, qui ne sont pas transparentes, parce que les coûts par entreprise ne sont pas connus de tous et ils sont différents. Alors, comment réglementer ça? Je ne le vois pas. Je m'en tiendrais à 0,24 $ plus 0,33 $ tout simplement. C'est simple, clair, ça exige peu d'administration du gouvernement.

(11 h 40)

M. Chevrette: Oui, mais ce que vous proposez – je veux bien comprendre, je pense que c'est important que je le scrute avec vous... Si je comprends bien ce que vous proposez, dorénavant il pourrait y avoir libre concurrence, mais exclusivement en haut des prix combinés ou du prix combiné des taxes et du pétrole à la rampe. Ça veut dire qu'une compagnie, par exemple, comme... Prenons un rival. C'est toujours embêtant d'en choisir un, mais prenons Esso. Pour les besoins de la cause, ils me pardonneront de l'avoir pris. M. Desrochers est là, c'est pour ça que je l'ai pris, là. Lui, il décide qu'il veut aller prendre une part du marché. Il vend à ses indépendants, même s'il paie 0,24 $ à la rampe, il décide de vendre 0,20 $ plus les taxes, 0,33 $, ça fait 0,53 $. Et vous dites, vous... la Régie: Bon, bien, il ne pourra pas aller en bas de 0,57 $. Donc, vous ne permettez donc plus la concurrence en deçà des taxes puis du prix à la rampe, alors qu'une compagnie, pour une campagne publicitaire, par exemple, pourrait aller chercher une partie du marché – ça arrive ça, et si c'est arrivé, c'est parce que c'était permissible...

Ce n'est pas ça, l'esprit de la loi. L'esprit de la loi, ce n'était pas pour dire qu'il n'y a pas de concurrence entre Esso et Ultramar ou entre Esso et Shell, ou entre vous autres, tous les quatre ensemble, ou les cinq. C'était de dire: Vous ne ferez pas crever le petit. Si vous lui vendez 0,30 $, ou 0,35 $, ou 0,40 $ le litre, vous ne pourrez pas... Le vendeur qui serait, en l'occurrence, Esso – pour ne pas vous prendre, là – Esso ne pourrait pas afficher moins que le prix qu'elle vend au gros plus une certaine marge qui tiendrait compte des taxes ou du transport, etc. Mais ça n'empêchait pas qu'un acheteur d'Esso plutôt que d'Ultramar... ça n'empêche pas Esso, s'ils ont décidé de mettre 10 000 000 $ dans une campagne... en autant qu'il respecte le fait de ne pas faire mourir ou étouffer son client, il se lie avec son client par rapport au prix de vente en gros.

Là, ce que vous dites... puis vous vous portez à la défense du consommateur, j'ai l'impression que vous allez plus loin que le législateur veut aller, et je m'explique. Moi, si c'est ce que le législateur a voulu, puis, avec les questions que j'ai eues en Chambre, ça correspondait à cela, c'est que les gens disaient: Il y a un réseau de x milliers d'indépendants qui ont le droit de vivre. C'est un choix politique, ça. Mais on n'a pas dit qu'on voulait empêcher la concurrence pour le consommateur.

Si, moi, je suis Esso Impériale et vous êtes Ultramar, vous vendez 0,40 $ le litre ou bien vous le vendez 0,24 $ plus 0,33 $ – je vais prendre exactement votre exemple – vous vous en allez à 0,571 $, puis vous donnez, je ne sais pas, 0,01 $ à... vous décidez que la marge à votre détaillant... pas votre détaillant mais votre acheteur, c'est 0,01 $ du litre que vous lui donnez – qu'il crève ou qu'il ne crève pas, c'est ça que vous lui donnez – vous affichez un prix à la pompe, qu'est-ce qui empêche Esso de respecter le pattern ou de respecter l'engagement de ne pas vendre à ses essenceries moins cher qu'au prix du gros, mais qui décide de vous faire la guerre à vous autres puis qui le descend à 0,40 $ pendant 15 jours pour s'accaparer d'une part du marché – il y a des compagnies qui ont déjà fait ça? – est-ce que vous n'allez pas plus loin vis-à-vis du consommateur que là où le législateur veut aller? Peut-être que je comprends mal.

M. Ferland (Alain): Ce que l'on a essayé de proposer aujourd'hui, c'est une solution pour faire écho aux commentaires qui ont été faits d'éviter toute guerre de prix sauvage. Or, il s'agit de définir un cadre pratico-pratique, comme on dit, visible, simple à comprendre pour tous et valable pour tous, pour tous les concurrents. Et cette proposition-là va dans ce sens-là. En d'autres mots, la façon, pour répondre à votre question, c'est qu'on ferait, la Régie ferait le tour des stations-service et découvrirait à ce moment-là si, oui ou non, il y a des prix inférieurs à 0,571 $ par litre. S'il y en a, un concurrent ou l'autre, ce concurrent-là vendrait sous le prix du gros, et il y aurait là matière pour la Régie de prendre action, ou encore, en suivant les mécanismes qu'elle se sera donnés, de prendre action. Alors, voilà pratiquement qu'est-ce qu'on propose pour faire écho ou répondre aux commentaires de notre ministre qui dit: Je veux éviter les guerres sauvages en mettant en place des mécanismes.

Au même moment que ce mécanisme-là sera en place, il laisserait une marge de manoeuvre à tous les concurrents, en l'occurrence le 0,069 $, pour faire la concurrence et procurer aux consommateurs les gains d'efficacité que les concurrents pourront amener de par leur bonne gestion, de par la libre concurrence, de par l'investissement, pour amener ces gains d'efficacité vers les consommateurs. Tout le monde est gagnant.

M. Chevrette: Oui, jouer avec un cadre, avec un prix plancher. Mais ma question va plus loin. Je reprends l'exemple d'Esso. Si Esso décide qu'elle est prête à manger 20 000 000 $ dans une campagne pour s'accaparer une part du marché, elle ne pourrait pas dans les circonstances, parce qu'on en fait un prix plancher national, elle ne pourrait pas, tout en respectant le fait de ne pas étouffer un détaillant indépendant... elle pourrait se conformer à la loi puis vous livrer une guerre sans merci, une concurrence sans merci, 20 000 000 $, puis en arriver à s'accaparer une part du marché, puis le consommateur pourrait payer son essence, pour un bout de temps... Puis, si vous suivez, vous suivez; si vous ne suivez pas, vous ne suivez pas, parce qu'il y a toujours une liberté pour une compagnie de suivre ou de ne pas suivre une concurrence correcte. Parce que l'objectif de la loi était à la fois... ce n'était pas d'étouffer la concurrence entre les pétrolières – ça a été compris de même au début. Ce n'est pas ça. L'objectif de la loi, puis je pense que je ne m'en suis jamais caché, c'est de dire: C'est inconcevable qu'une pratique commerciale aussi déloyale que d'afficher à ses propres essenceries moins cher qu'au prix du gros... c'est ça qui constitue en fait une pratique déloyale, à mon point de vue. Il y en a... Vous n'acceptez pas le vocabulaire, vous autres, c'est votre choix, vous avez le droit, à part de ça, puis je respecte ça. Mais comprenez-vous que, dans votre proposition, je trouve que vous allez plus loin que là où le législateur voulait aller?

Je remarque aussi, toujours dans le paragraphe 4, vous dites même que le détaillant, lui, qui achèterait chez vous, je ne sais pas, moi, Harnois, qui achèterait chez Ultramar – on va utiliser des noms pour bien se comprendre – si vous lui vendez 0,24 $ à la pompe... à la rampe, je veux dire, il devra afficher minimum 0,57 $. Mais, dans le cas présent, il pourrait afficher 0,60 $ puis vous pourriez afficher 0,57 $. Puis, s'il affiche seulement 0,57 $, il ne fait pas une maudite cenne; son coût de transport n'est pas dedans, ses taxes ne sont pas dedans. Il change quatre trente-sous pour une piastre. Il ne vit pas, lui. En tout cas, il ne vivra pas longtemps. S'il a construit des essenceries puis qu'il a aménagé des choses, il ne vivra pas longtemps. Il va craquer. Je trouve qu'on mêle le but de la loi. Je ne sais pas si vous me suivez dans mon raisonnement. J'ai de la difficulté à comprendre votre proposition par rapport à l'objectif de la loi.

M. Ferland (Alain): Si l'objectif de la loi est de protéger un certain groupe de concurrents, ça revient à réglementer les profits. En d'autres mots, dans mon exemple, dans cet objectif-là, il s'agirait que tout le monde vende à 0,64 $ pour garantir des profits aux différents concurrents. Mais je ne pense pas que ce soit vraiment l'objectif de la loi de garantir les profits; veut garantir une certaine libre concurrence dans le marché et ne veut pas favoriser nécessairement un concurrent plutôt que l'autre, puisque, autrement, il n'y a plus libre concurrence.

M. Chevrette: C'est exact.

(11 h 50)

M. Ferland (Alain): Le prix vendu aux rampes de chargement, faut-il encore expliquer que lui-même est fonction des marchés internationaux? Cet indépendant a, tous les jours, deux choix vis-à-vis de son approvisionnement. Il peut aller voir un raffineur local, qu'il soit Ultramar, Esso ou encore Shell, Petro-Can, et obtenir son produit à la rampe à un certain prix, ou encore il peut se rendre chez un importateur, ce qu'on appelle dans le métier un opérateur de terminal – il y en a ici, à Québec, il y en a Montréal; ce ne sont pas des raffineurs – et ceux-ci, à tous les jours, peuvent fournir aux indépendants le produit à un prix très concurrentiel qui dépend du marché international.

Vous savez, vous et moi pouvons prendre un téléphone cet après-midi, appeler un broker à New York et obtenir 200 000 barils d'essence, s'il vous plaît, à être livrés à Montréal dans les 10 jours. Et le prix qu'on paierait aujourd'hui pour obtenir cette essence, c'est 0,24 $. Et, à tous les jours, nos indépendants font l'exercice. Ils font de l'arbitrage, qu'on appelle dans le métier, ils soumettent le raffineur à la même règle implacable de la concurrence mondiale. Et le 0,24 $ est très transparent, il est «arbitragé», comme on dit, à tous les jours.

Alors, à ce chapitre-là, la façon de contrôler, pour répondre à votre question, la situation, ce serait de regarder dans cette proposition, qui en est une parmi d'autres, mais c'est la nôtre, de regarder le prix à la pompe et de dire: Laissons la libre concurrence se faire, mais mettons-y un minimum; évitons les guerres extrêmes, comme vous les avez qualifiées, M. le ministre, sauvages; mettons un plancher qui serait simple à comprendre pour tous et chacun et qui éviterait la question de un contre l'autre ou de fournir... Ce serait vraiment transparent à la pompe.

Le Président (M. Sirros): Merci. Avec ça, on passera maintenant du côté de l'opposition officielle. M. le député de Saint-Laurent.

M. Cherry: Merci, M. le Président. On va continuer dans la même veine, parce que, dans le fond, c'est ça qui est le noeud du problème. Permettez-moi un bref historique. La perception qu'on a eue – et ce n'est pas important de savoir qui l'a déclenchée – c'est que le résultat net, c'est que la perception au niveau de la population... C'est que les majeures étaient sur une approche qui aurait eu comme résultat – c'était la perception – que c'était pour écraser les petits. Des représentations ont été faites des deux côtés à l'effet que les majeures faisaient des conditions différentes à des indépendants qu'eux faisaient à leurs propres clients à l'extérieur, avec le résultat que la perception... et je pense que c'est ça qui a amené la prise de position du gouvernement et les commentaires que le ministre a cités tantôt.

Vous arrivez devant nous aujourd'hui en disant: Écoutez, nous, ce qu'on souhaiterait, c'est que ça marche comme ailleurs, puis c'est la libre concurrence, c'est le marché. Mais vous dites: On est prêt à vous soumettre une idée – c'en est une, c'est la nôtre, d'autres pourront le faire également – qui assurerait le gouvernement qu'il n'y aurait plus de guerres sauvages mais qui, en même temps, permettrait une libre concurrence. Avec une approche comme celle-là, et c'est important de l'approfondir, parce que, si on pouvait trouver la façon d'atteindre l'objectif qui fait l'objet du débat ce matin, ça nous permettrait de permettre une saine concurrence sans retomber. Mais les majeures nous disaient à l'époque: Nous, on fournit les indépendants, puis, pour nous, compétitionner... bien souvent, eux autres aussi décident de le vendre plus bas, et là, le programme, cet été: On va surveiller qui fait quoi puis, nous autres, on va s'ajuster, avec le résultat que, finalement, on est devant ça.

Comment est-ce qu'on pourrait se sentir à l'aise dans l'objectif qui était prévu de ne pas... que ça ne soit pas perçu comme vouloir protéger les petits? Mais, en même temps – et je me permets de le dire – il ne faut pas non plus que ça protège l'inefficacité, il ne faut pas que ça permette une marge qui fait que des gens peuvent s'asseoir confortablement là-dessus et n'améliorent pas, ne modernisent pas. Alors, comment est-ce qu'on peut s'assurer que ce que vous souhaitez puisse être la manne... comment est-ce que, ça, ça pourrait maintenir une libre concurrence tout en protégeant de retourner dans ce qu'on a vécu cet été, M. Ferland?

M. Ferland (Alain): Tout est dans le 0,069 $, c'est la zone de concurrence. Si vous regardez les composants de ce 0,07 $ le litre, vous allez retrouver – et je donnais les données du domaine public – regardez les rapports annuels des entreprises, vous avez à peu près 0,01 $ de profit, et la balance, ce sont toutes sortes de coûts qui sont différents, des régions, des concurrents. Comment on protège l'ensemble de l'exercice? Comment on fait des gagnants partout?

Première des choses, le client, le consommateur, lui, à travers la variance du 0,069 $ entre les entreprises, entre les endroits, pourra tirer avantage et obtenir des gains d'efficacité de la concurrence à ce chapitre-là. La somme du 0,24 $ et du 0,33 $, on s'en est inspiré de la Loi sur la concurrence dans ce pays, ici. Cette loi dit, grosso modo, qu'un concurrent ne peut pas à dessein, par stratégie, vendre en bas de son coût dans l'objectif avoué de déloger un concurrent. Alors, de cette façon-là, on récupère cet objectif-là en soumettant à une revue régulière, sous la revue de la Régie, les prix de l'essence dans la province avec un plancher qui est égal à 0,24 $ plus 0,33 $. Tous les concurrents pourront, dans cet environnement-là, fonctionner et trouver des moyens, leurs forces.

Par exemple, certains ont la force suivante, disons, des coûts relativement bas. Ils ne sont pas des grandes entreprises avec des sièges sociaux qui doivent être payés à tous les jours. C'est des très bons concurrents. Alors, ces meilleurs concurrents qui ont des coûts qui sont bas pourront faire la concurrence au sein du 0,069 $ par litre, dans mon exemple, varier ce coût-là; d'autres auront d'autres outils pour concurrencer, que ce soient des programmes différents de ceux du prix, et, nous, nous aurons le prix aussi pour travailler, le jumelage du prix dans les zones, comme on en a fait la promotion.

M. Cherry: O.K. Parce que les guerres de l'essence font la démonstration qu'il y a très peu de loyauté de la clientèle. Ce qui est le choix du consommateur, c'est le prix qui est affiché. Et quand il réalise que, de l'autre côté de la rue, le prix est plus bas, il n'insiste pas, c'est là qu'il va s'approvisionner. Les gens ne font que surveiller ça, dans le domaine de l'essence-service.

On réalise que de plus en plus les entreprises, les stations-service, à cause des investissements que ça requiert, choisissent des endroits stratégiques – ça fait partie des plans d'affaires – investissent des sommes importantes, et l'essence ne devient qu'une activité pour attirer les gens et, bon, ça devient... Est-ce qu'il ne pourrait pas y avoir là des entreprises qui ont les moyens de faire ça, utiliser cette forme de profit là pour donner une réduction sur l'essence ou sur la marge, ce qui aurait comme résultat que d'autres qui ne sont pas aussi bien situées... Mais, ça, c'est la libre concurrence; ça, c'est le marché. Est-ce qu'on n'est pas en train de décrire un peu... Est-ce qu'on n'est pas en train d'évoluer vers de moins en moins de petites stations de coin de rue qui n'avaient que ça pour survivre, avec, maintenant, cette forme de compétition là? Parce qu'il me semble que c'est ça qu'on retrouve de plus en plus.

M. Ferland (Alain): C'est la libre concurrence, c'est la libre concurrence. Chaque concurrent tente de charmer le client. Vous avez mentionné tantôt les prix. Il est peut-être important de reconnaître, dans les études de marché, que, pour 100 clients, il y a 40 % de la clientèle qui est particulièrement sensible au prix. Il y a 60 % de la clientèle qui est sensible à d'autres choses. Alors, parmi tous ces autres ensembles de potentiels ou de choses, ça laisse beaucoup d'espace pour tous les concurrents de se donner une image différente, de se donner une personnalité différente.

Et certains d'entre eux... prenons le petit détaillant qui opère à Sainte-Mélanie, près de Joliette, il est très bien positionné parce qu'il connaît tous les gens du coin. Ultramar a beaucoup de difficulté à faire la concurrence dans ce patelin-là parce que le monsieur connaît tous les gens. Il leur offre son produit. Souvent, le prix est très secondaire, entre vous et moi, parce qu'ils vont à la messe le dimanche matin puis ils font le plein en revenant et puis ils parlent un peu au monsieur. C'est ce genre de concurrence, qui est leur caractéristique, qui est très, très, très difficile à déloger pour un autre concurrent.

Par contre, peut-être, chez Ultramar, nous, on a un programme, dans les années qui viennent, d'installer de plus en plus de dépanneurs. Alors, on a noté que le client, lui, ce qu'il veut, c'est un bon prix, mais, quand il arrête à la station-service, il veut d'autres choses, soit son journal ou même encore une transaction bancaire, et il fait ça tout d'un coup. On essaie d'offrir ce produit-là à lui parce qu'on n'arrive pas à offrir nécessairement ce que peut offrir le détaillant particulier à Sainte-Mélanie, à Joliette.

Alors, voilà l'espace de libre concurrence qui serait possible à l'intérieur de cette proposition-là qui éviterait les guerres de prix sauvages et qui se conforme à l'esprit même de la Loi fédérale sur la concurrence.

(12 heures)

M. Cherry: Cinq minutes? O.K. J'ai une dernière question et, ensuite, j'ai mon collègue d'Argenteuil, et celui d'Iberville m'indique...

Si le gouvernement maintenait... ou si on ne réussit pas à trouver une avenue, là, celle qu'on discute ce matin, est-ce que le gouvernement ne devrait pas, en logique, maintenir le même genre d'approche et, quand un important marché d'alimentation s'installe dans un coin, dans une région, légiférer pour protéger les plus petits? Est-ce que, quand, pour ne pas le nommer, RO-NA s'installe quelque part, on ne devrait pas protéger les quincailliers localement? Jusqu'où, là, on est prêt... J'aimerais ça vous entendre réagir à ça, c'est des arguments que j'ai entendus.

M. Ferland (Alain): L'entreprise Ultramar est en faveur de la libre concurrence. C'est avec cette hypothèse qu'elle planifie son futur, ses investissements, sa raffinerie ou même son réseau. On est en faveur de la libre concurrence. Il faut laisser de l'espace à la libre concurrence. Évidemment, je ne peux pas prendre position pour d'autres industries, je ne travaille vraiment pas dans ces industries, je les connais plus ou moins. Ce qu'on a essayé de faire ici, c'est de trouver un compromis où on retrouverait des gagnants partout dans notre milieu.

Vous savez, nous, chez Ultramar, on opère ici, dans la province de Québec, c'est notre milieu, c'est notre patelin. On offre des services à toute la population, on a des millions de clients. On est là depuis 25 ans puis on a bien l'intention de continuer d'être là. On veut opérer en harmonie avec notre environnement. On ne peut pas créer des choses très difficiles à accepter pour tous les citoyens de cette province-là, alors on essaie de trouver une solution simple, transparente, qui pourrait faire des gagnants de tous les intervenants.

Le Président (M. Sirros): Une courte question pour le député d'Argenteuil et, par la suite, le député d'Iberville.

M. Beaudet: M. le Président, hier, j'ai parlé d'un prix plancher et, ce matin, vous nous revenez avec la même proposition. À ce moment-là, on nous avait répondu que c'était le terrain favorable pour augmenter les profits des grosses pétrolières parce que le petit ne pourrait pas concurrencer sur l'efficacité, sur la productivité, dans son coin. Vous, vous parlez de la carte magnétique, mais, le petit, il ne sera pas capable de l'avoir, donc vous allez augmenter votre profit parce que le prix va avoir été fixé selon la région.

Dans ce sens-là, est-ce qu'on ne serait pas mieux d'accepter que le prix plancher soit variable selon la pétrolière pour permettre ce que le ministre mentionnait tantôt, la compétition entre les grosses pétrolières? Si on décide de mettre 20 000 000 $ dans une campagne puis de baisser son prix à la rampe, alors qu'Esso ne peut pas, dans ses détaillants, vendre moins cher que le prix à la rampe qui serait le prix du détaillant indépendant, alors, le détaillant indépendant va aller s'approvisionner évidemment chez Esso pendant le temps où la guerre de prix va durer entre les grosses, mais les détaillants d'Esso ne pourront pas vendre en bas du prix. De sorte que, si vous voulez les suivre, vous les suivrez, mais le petit aura toujours la possibilité de s'approvisionner au même prix plancher parce que lui aura le choix d'aller ou chez Ultramar, où le prix plancher sera plus élevé parce que vous n'êtes pas entré encore dans la guerre de prix, ou d'aller chez Esso, qui est dans une guerre de prix, puis il va payer moins cher.

À ce moment-là, on respecterait la libre concurrence entre les grosses pétrolières, on permettrait la survie des petits, parce qu'ils peuvent aller s'approvisionner chez celui qui a ouvert la guerre de prix, donc à un prix encore plus bas, mais, à ce moment-là, on va maintenir le prix favorable au maintien du marché. Parce que, ce qu'on mentionne, nous, c'est qu'à un moment donné on va devoir légiférer sur tout ce qui est accessible au consommateur, que ce soit une bouteille d'eau gazeuse, ou un pain, ou une barre de chocolat. On n'en finira plus.

M. Ferland (Alain): Je peux utiliser un... Pour moi, ce n'est pas du tout la libre concurrence, cette proposition-là. C'est un peu comme si notre gouvernement, en face de deux citoyens qui auraient les mêmes revenus par année, décidait que le citoyen A aura un taux d'imposition de 20 % et le citoyen B aura un taux d'imposition de 30 % parce qu'il considère qu'ils ont deux visages différents. Il faut que la règle soit valable pour tout le monde dans un marché de libre concurrence. Il ne faut pas que le législateur se mette à dire: je préfère tel groupe ou tel groupe et je vais leur mettre des charges ou des taxes différentes.

M. Beaudet: M. le président, je pense que vous n'avez pas compris, là. Ce n'est pas le prix fixé par le gouvernement, c'est la pétrolière qui décide de baisser son prix à la rampe. Qu'elle le fasse! À ce moment-là, l'indépendant pourra aller s'approvisionner chez cette multi-là, puis vous, si vous voulez suivre l'autre multi qui a baissé son prix, bien, vous le ferez. Si vous ne voulez pas, vous resterez en haut.

M. Ferland (Alain): D'accord. Aujourd'hui, n'importe quelle pétrolière peut baisser son prix à la rampe. Aujourd'hui.

M. Beaudet: Sauf que vous allez tuer les indépendants.

M. Ferland (Alain): Comment? Il y a une concurrence immédiatement, au prix à la rampe, là. Aujourd'hui. Toutes les pétrolières tentent... Encore une fois, les indépendants sont nos clients, en passant. La personne qui vend aux indépendants est à côté de moi. Et lui, son métier dans la vie, c'est de réussir à vendre à ces indépendants-là. Quand l'indépendant va ailleurs, va consulter un opérateur de terminal et que cet opérateur de terminal lui dit: Moi, je peux te vendre à 0,25 $, automatiquement, l'indépendant va aller voir mon vendeur, ici, qui peut le vendre à 0,24 $. Si l'indépendant, demain, va voir l'opérateur de terminal qui importe son produit d'Europe et que cet opérateur lui offre 0,23 $, il va bouder mon vendeur ici. Alors, lui, il n'a pas le choix, il doit s'ajuster en tout temps, à tout moment, à la concurrence.

Ce mécanisme-là existe aujourd'hui. Le prix à l'interne d'une entreprise, pour votre information, entre le raffineur et le vendeur, dans une entreprise, que ce soit comme Ultramar, Shell et Petro-Can, c'est deux entités séparées qui doivent survivre et fonctionner. L'interface, c'est le 0,24 $. Il y a un arbitrage qui se fait. Vous n'avez pas à vous inquiéter de ça, il est très actif dans le marché aujourd'hui, et ceux qui en bénéficient, c'est vraiment tous les distributeurs ou les détaillants, à ce point-ci.

Le Président (M. Sirros): Merci. Oui, M. le député d'Iberville, rapidement, s'il vous plaît.

M. Le Hir: Oui. Alors, si vous me permettez, moi, je vais aborder un autre sujet. Vous avez parlé des investissements que vous faisiez pour optimiser votre réseau de distribution. Un des gros arguments utilisés par les gens qui souhaitent le genre de législation qui est devant nous est que c'est une façon de protéger l'emploi au Québec, notamment en région. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez à répondre là-dessus.

M. Ferland (Alain): J'en ai fait état un peu tantôt. En date d'aujourd'hui, on a un programme d'investissement dans nos réseaux de stations-service de 200 000 000 $ canadiens, 450 dépanneurs. Parce qu'on croit que le client, c'est ce qu'il recherche. Encore une fois, c'est le client qui nous alimente. Dans l'Est du Canada, au cours des trois prochaines années, on va créer des emplois, 2 500 emplois, parce que ces dépanneurs-là seront opérés par les employés de l'entreprise; non pas en franchise, mais par les propres employés. Des emplois de qualité: formation, avantages sociaux, possibilité de carrière dans l'entreprise. Donc, 2 500 emplois, de l'investissement dans nos stations-service, à notre raffinerie. Tout ce qu'on demande, c'est un climat, ici, dans la province, pour que des Québécois, comme ils sont autour de cette table, qui dirigent l'entreprise, puissent progresser et procurer ces emplois-là aux autres citoyens ici. Laissez-nous fonctionner dans un climat favorable, dans la libre concurrence, limitée, ça, on le voit bien à travers cette proposition-là, mais quand même possible, pour qu'on puisse progresser.

M. Le Hir: Êtes-vous en train de nous dire que vous ne ferez pas ces investissements-là si vous n'avez pas ce climat?

M. Ferland (Alain): Ces investissements-là sont faits sur une base étapiste, station par station, dépanneur par dépanneur. Quand on prend la décision d'aller de l'avant, on considère tous les facteurs économiques, mais on considère aussi le climat dans lequel on opère. On est en concurrence pour ce qui est de l'appropriation de ces ressources. Dans une grande entreprise... Il y a notre division de la Californie qui en veut, des dollars, pour investir; il y a la division du Texas qui en veut, des dollars. Alors, laissez-nous, les gestionnaires ici, le moyen de défendre notre cas, de défendre notre programme d'investissement. Je pense que le potentiel est fantastique ici, dans la province. On peut offrir davantage à notre clientèle, toutes sortes de nouveaux produits; on peut créer de l'emploi très, très positif. Je ne sais pas ce qui va se passer, mais je sais qu'au chapitre de l'approvisionnement, des ressources, du dollar qu'on investira, je suis en concurrence avec d'autres. Alors, aidez-moi à faire de mon cas un meilleur cas.

Le Président (M. Sirros): M. Ferland, je vous remercie beaucoup. J'imagine qu'une des choses que vous souhaitez, c'est qu'il n'y ait pas de suite au niveau de la réglementation, au niveau des dépanneurs, et, avec cette dernière remarque, je vous remercie pour votre présentation.

J'inviterais par la suite la Compagnie pétrolière Impériale ltée. Veuillez prendre place aussitôt que possible, s'il vous plaît.

(Consultation)

Le Président (M. Sirros): D'accord. Merci. M. Pierre Desrochers, je crois bien? Si vous pouviez peut-être vous identifier, avec celui qui vous accompagne. On vous écoutera pendant 15 minutes, durant l'exposé, puis on aura une période d'échanges de 30 minutes par la suite.

(12 h 10)


Compagnie pétrolière Impériale ltée

M. Desrochers (Pierre): Absolument. Merci. M. le Président, M. le ministre, Mmes et MM. les membres de la commission, nous aimerions tout d'abord nous présenter. Mon nom est Pierre Desrochers, je suis le directeur des Affaires publiques et corporatives pour le Québec de la Compagnie pétrolière Impériale ltée. M'accompagnant, M. Claude Larochelle, qui est directeur de la division Automobilistes pour l'Est du Québec et qui, au cours des prochaines minutes, vous fera un résumé de notre mémoire.

Toutefois, avant de procéder, nous tenons à remercier la commission de nous permettre de donner le point de vue de l'Impériale et de vous faire part de nos préoccupations et des différentes modifications que nous proposons au projet de loi n° 50 et aux amendements précis à la Loi sur l'utilisation des produits pétroliers. Par la suite, il nous fera plaisir de répondre à vos questions.

M. Larochelle (Claude): Merci, Pierre. Mesdames et messieurs de la commission, nos commentaires porteront spécifiquement sur le chapitre V, articles 55 à 59, du projet de loi n° 50: Surveillance des prix de la vapeur et des produits pétroliers, et également sur les modifications qui seront apportées à la Loi sur l'utilisation des produits pétroliers.

La pétrolière Impériale Esso croit que la loi et les modifications proposées imposeront un fardeau financier tout à fait inutile aux consommateurs du Québec. Nous nous inquiétons du contenu de la législation qui sera mise en place si le gouvernement décide d'aller de l'avant en dépit des arguments solides à l'effet que cette loi ne sert pas les meilleurs intérêts des consommateurs du Québec et nous souhaitons, pour cette raison, soumettre des observations et des recommandations quant aux changements qui permettraient d'en améliorer l'efficacité.

Le Québec, comme le reste de l'Est du Canada, a connu à l'été de 1996 une guerre des prix assez intense. Cet épisode n'est seulement qu'un des nombreux exemples de la compétitivité du marché des produits pétroliers au Québec. Le rapport du Comité spécial d'examen de la situation du marché de l'essence au Québec a souligné avec justesse dans ses conclusions: «Les guerres de prix, c'est-à-dire lorsque l'essence se vend en bas du prix théorique, sont le résultat d'un déséquilibre du marché et visent le maintien ou l'appropriation de parts de marché. Il s'agit d'un phénomène de saine concurrence.» Fin de la citation.

L'effet de la guerre des prix de l'été dernier a été exagéré par plusieurs intervenants. Si cette guerre des prix a été plus importante en durée et en étendue que beaucoup d'autres, ce fut, malgré tout, seulement une guerre de prix. Et, comme pour toutes les guerres de prix dans le secteur de la vente au détail de l'essence, tous les participants ont perdu de l'argent et la lutte, en conséquence, a été relativement brève. Le rapport du Comité spécial d'examen de la situation du marché de l'essence abonde dans le même sens lorsqu'il déclare que – début de la citation – : «La logique économique fait en sorte que les prix, à terme, ont tendance à remonter à un niveau se situant plus près du prix théorique.» Fin de la citation.

En raison de la lourdeur des taxes, les prix de l'essence au Québec sont déjà parmi les plus élevés au Canada. La loi proposée pourrait, d'après notre compréhension, entraîner une hausse de prix pouvant atteindre les 250 000 000 $ par année en moyenne, si l'on souscrit aux affirmations des indépendants qui prétendent que leur survie est menacée si la marge de commercialisation est inférieure à 0,08 $ le litre. Ce fardeau additionnel n'est rien d'autre qu'une subvention au commerce de détail de l'essence de près de 0,04 $ le litre ou 80 $ par véhicule automobile, si on se compare à des réseaux efficients comme ceux de l'Ontario ou des États-Unis.

Toutes les grandes pétrolières, dont l'Impériale, profiteraient de cette subvention directe à notre industrie. Le consommateur individuel, lui, n'obtiendra aucun avantage en contrepartie, et nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire d'imposer une législation de marge minimale garantie pour assurer un secteur de commercialisation indépendant efficient. Cette subvention garantira des profits à une industrie qui doit améliorer considérablement son efficacité, comme le faisait remarquer d'ailleurs le rapport du Comité spécial d'examen dans ses conclusions, lorsqu'il souligne que le marché de détail de l'essence au Québec n'est pas aussi rentable ni aussi efficient que les marchés américains et ontariens.

En outre, nous croyons que ce type de législation, au lieu de favoriser une efficience accrue, aura exactement l'effet contraire. Au lieu de réduire le nombre de stations-service et de permettre une augmentation des volumes de ventes, la législation envisagée encouragera un accroissement du nombre de stations-service en fixant des prix-planchers tout à fait artificiels.

Notre conclusion à l'effet que ce fardeau financier additionnel sera supporté par les consommateurs du Québec est d'ailleurs reprise dans le rapport sur la situation des marchés de l'essence au Québec, lorsqu'il souligne qu'un certain nombre d'agences gouvernementales américaines en sont arrivées à la conclusion que ce type de législation avait mené à des prix à la pompe plus élevés et souvent à une baisse de services. Si, en dépit des arguments à l'effet qu'une telle loi est inutile, le gouvernement décide d'aller de l'avant avec le projet de loi, nous tenons à exprimer nos inquiétudes relativement à certains aspects de la législation envisagée.

Nous croyons notamment, tel que prévu à l'article 109, que les directives distinctes destinées à assurer l'efficacité et le meilleur prix possible aux consommateurs devraient être données à la Régie et que le projet de loi devrait être modifié de façon à inclure les éléments suivants: Premièrement, il faut absolument une définition du coût d'acquisition minimum adoptée comme étant la moyenne des prix rampe de chargement publiés par tous les grossistes à Montréal; deuxièmement, l'élimination du coût de transport comme facteur indépendant et ajout de ce coût aux coûts d'exploitation qui seront déterminés par la Régie de l'énergie; troisièmement, l'adoption de dispositions permettant aux détaillants de se protéger contre les pratiques des concurrents; quatrièmement, ajout de dispositions à l'effet que le fardeau de la preuve doit consister à démontrer que les pratiques du détaillant ont pour but ou pour effet d'éliminer des concurrents ou de leur nuire; cinquièmement, une définition d'un nombre minimal de zones, visant à réduire la possibilité de conflits entre zones limitrophes; et, dernièrement, l'ajout de dispositions confiant aux tribunaux le pouvoir de déclarer et de traiter les cas de poursuites déraisonnables dans le but de décourager les poursuites frivoles.

La plupart de nos recommandations reposent sur le principe que les détaillants devraient être en mesure de déterminer facilement si eux-mêmes ou leurs concurrents contreviennent à la loi et d'éviter ainsi d'avoir à intenter des poursuites judiciaires coûteuses dans le seul but d'établir les faits. En outre, comme le projet de loi semble s'inspirer en grande partie des lois interdisant la vente sous le coût de revient adoptées par un certain nombre d'États américains, nous avons étudié les lois américaines et nous recommandons l'ajout de plusieurs des dispositions qu'elles renferment au projet de loi n° 50 et aux modifications à la Loi sur l'utilisation des produits pétroliers.

Dans le cas des définitions, le projet de loi actuel prête à confusion et les détaillants risquent de contrevenir à la législation sans même le savoir. Dans la version actuelle du projet de loi, il semble que la législation exigera qu'un détaillant détermine le coût d'acquisition minimum et le coût de transport tant de son produit – ce qui devrait aller assez bien – que du produit de ses concurrents pour établir si lui-même ou ses concurrents sont en infraction. Comme le coût d'acquisition et le coût de transport sont tous deux des renseignements de nature privée, nous voyons mal comment un détaillant pourrait déterminer les coûts de ses concurrents sans obtenir ces renseignements par l'entremise de poursuites en justice.

Il s'agit là d'une façon très fastidieuse et dispendieuse de déterminer si un concurrent a enfreint la loi ou non. Nous croyons qu'en raison des très nombreuses méthodes de calcul possibles et des différences de coût importantes d'un détaillant à l'autre, la solution la plus équitable consiste à intégrer au texte de loi une définition du coût d'acquisition minimum très précise. De plus, nous recommandons que ce coût soit défini comme étant le prix de gros quotidien publié de toutes les entreprises annonçant leurs prix rampe de chargement disponibles à Montréal à tous les jours.

Nous recommandons également, pour des raisons de simplification du système, que le coût de transport soit éliminé de l'alinéa 45.1 et ajouté aux coûts d'exploitation qui seront déterminés par la Régie de l'énergie. De cette manière, le plus bas prix de vente au détail de l'essence serait déterminé par la Régie de l'énergie et serait égal à la moyenne des prix de rampe de chargement publiés quotidiennement par les grossistes à Montréal, majorés du coût de transport aux différentes zones déterminées par la Régie de l'énergie et des taxes applicables et de la marge d'exploitation, déterminée aussi par la Régie de l'énergie. Une telle méthode permettrait aux détaillants de déterminer avec une relative facilité si eux-mêmes ou leurs concurrents contreviennent à la loi.

(12 h 20)

Une autre des lacunes du projet de loi actuel est de ne pas tenir compte de l'utilisation d'escomptes, de rabais, de remises, de promotions sur le prix de détail à la pompe. Le projet de loi pourrait donc être modifié de façon à inclure les déductions appliquées directement au prix sous la forme d'escomptes, de remises et rabais sur la vente d'essence automobile, comme, par exemple, les bons-rabais de Canadian Tire. Cette solution a toutefois le désavantage de ne pas tenir compte des remises indirectes, tels que les bons Airmiles de Shell, les dividendes de la Coopérative fédérée ou le programme de fidélisation Petro-points de Petro-Canada.

Outre ces programmes spécifiques, par ailleurs, les détaillants utilisent déjà de nombreuses autres formes de promotion ne se rapportant pas directement à l'essence mais qui influent sur les décisions du consommateur. Citons, à titre d'exemple, l'offre de prix réduits sur certains produits comme les boissons gazeuses ou encore le lavage à prix réduit ou gratuit avec l'achat qu'une quantité minimale d'essence.

Le fait de ne pas tenir compte de ces escomptes, rabais, remises et promotions ouvre la porte aux abus. Dans un contexte de guerre des prix, par exemple, un concurrent pourra simplement augmenter la valeur des rabais accordés au lieu de réduire les prix à la pompe. Si la législation s'intéresse seulement au prix de l'essence, les consommateurs, eux, considèrent toujours l'offre globale qui leur est faite et tiennent donc compte du fait qu'une entreprise offre une incitation additionnelle en plus du prix affiché sur ses pompes.

Il s'agit là d'un problème très difficile. Modifier la législation de manière à inclure ces divers escomptes, remises, rabais et promotions ajoutera considérablement au fardeau administratif et à la complexité du processus et sera également contraire au principe voulant qu'un détaillant soit en mesure de déterminer si lui-même ou ses concurrents contreviennent à la loi, puisqu'il sera impossible pour un détaillant de connaître le coût des escomptes, rabais, remises et promotions de ses concurrents.

Concernant maintenant les pratiques des concurrents. Dans sa version actuelle, le projet de loi prévoit que tout détaillant vendant sous un prix déterminé est coupable d'infraction même s'il le fait uniquement pour soutenir la concurrence. Nous croyons que cette disposition est tout à fait déraisonnable. Le marché de détail de l'essence est un marché très compétitif et il est faux de croire qu'un détaillant ne cherchera pas à riposter aux prix les plus bas d'un compétiteur même s'il contrevient, ce faisant, à la loi. Il choisira à la place de régler la question devant les tribunaux.

Comme même les poursuites menées dans les meilleurs délais peuvent prendre des mois et des mois, un détaillant qui se refuserait pendant aussi longtemps à soutenir la concurrence fermerait ses portes avant d'avoir obtenu un jugement en sa faveur. La plupart des lois américaines – 17 lois sur 21 – interdisant la vente sous le coût de revient ont trouvé une solution à ce problème. Il s'agit du principe de protection contre les pratiques des concurrents, ou encore «competitive defence». En vertu de ce type de disposition, un détaillant capable de prouver qu'il a vendu à un prix égal ou plus élevé que le prix de son concurrent n'est coupable d'aucune infraction même s'il a vendu sous le coût de revient.

La loi de l'Arkansas en particulier dispose que – début de la citation: «Rien dans le présent article ne doit empêcher un détaillant de vendre, ou offrir, ou faire la promotion en toute bonne foi du carburant au détail à un prix visant à soutenir la concurrence d'un compétiteur vendant au même prix que lui ou à un prix inférieur.» Fin de la citation. Nous croyons qu'il s'agit là d'une protection raisonnable et nous encourageons fortement la commission à incorporer une disposition de ce type au projet de loi à l'étude.

De la même façon, la majorité, soit 19 des 21 lois américaines adoptées par les États américains, et que nous avons étudiées, pour interdire la vente sous le coût de revient prescrivent qu'il y a infraction seulement lorsque la baisse de prix a pour but ou pour effet de nuire aux concurrents ou de les éliminer. Cette prescription a été adoptée parce que l'objectif de ce type de législation est d'assurer l'exercice de la concurrence et non pas la gestion des prix. Par conséquent, si les prix chutent en-deçà du prix minimum sans qu'aucun préjudice ne soit infligé aux entreprises concurrentes, les législateurs estiment qu'aucune intervention de leur part n'est nécessaire. Une telle disposition serait conforme à l'intention du projet de loi n° 50 et aux modifications à la Loi sur l'utilisation des produits pétroliers qui visent à préserver l'existence des détaillants indépendants au Québec.

Nous croyons, en conséquence, que la législation devrait être modifiée de manière à inclure les dispositions à l'effet que l'action du contrevenant doit avoir pour but ou pour effet de nuire à la concurrence et de causer préjudice. La législation envisagée oblige la Régie de l'énergie à déterminer tant les coûts d'exploitation que les zones d'application de la loi. L'établissement de zones suscite des problèmes considérables de gestion dans les régions limitrophes et risque de désavantager certains détaillants par rapport à ces concurrents.

Par exemple, deux zones peuvent présenter des différentiels de coûts de transport et de rentabilité entraînant un écart qui pourrait atteindre 0,03 $ le litre entre le prix minimum à la pompe de deux détaillants concurrents situés de part et d'autre d'une zone frontière arbitraire. Dans un contexte de guerre des prix, le détaillant avantagé pourrait réduire son prix de 0,03 $ le litre par rapport au prix de son concurrent, rendant ainsi la position de ce dernier intenable. Le même type de problème prévaudra dans les régions du Québec qui partagent une frontière avec le Nouveau-Brunswick, l'Ontario, les États-Unis, et un détaillant installé au Québec sera dans l'impossibilité de riposter aux guerres de prix de ses concurrents des territoires voisins.

La mise en place de barèmes progressifs visant à compenser l'écart entre le Québec et ses voisins au chapitre des taxes occasionne déjà des coûts administratifs considérables. Nous recommandons, pour cette raison, que les zones soient aussi peu nombreuses et aussi étendues géographiquement que possible de manière à minimiser les conflits entre régions limitrophes.

Concernant les poursuites frivoles maintenant. L'intention du législateur est de confier aux tribunaux civils le soin de traiter les cas d'infraction. Le projet de loi accorde également aux tribunaux la possibilité de fixer non seulement des dommages et intérêts compensatoires, mais également des dommages et intérêts exemplaires. De telles dispositions risquent de mener à des poursuites frivoles, compte tenu des avantages que certains pourraient tirer de poursuites, en particulier contre de grandes sociétés, intentées en vertu des dispositions du projet de loi à l'étude. Nous croyons fortement que la loi doit prévoir des mesures de dissuasion. À cet égard, nous croyons approprié de confier aux tribunaux le pouvoir d'imposer des dommages et intérêts aux auteurs de poursuites frivoles.

Le Président (M. Sirros): Alors, je sais que vous êtes rendu à peu près à votre résumé, mais nous sommes rendus à la fin du temps disponible. On pourrait peut-être profiter des échanges pour faire ressortir les faits saillants. Alors, M. le ministre.

M. Chevrette: Oui. Étant donné que vous assistiez à mon questionnement tantôt, je vais aller droit au but avec les questions. Je vais vous reposer la même question que j'ai posée tantôt à Ultramar. Selon vous, est-il normal d'observer sur le marché un prix de détail inférieur au prix de gros du détaillant?

M. Larochelle (Claude): Je dirais, M. le ministre, que ce n'est absolument pas normal d'observer une situation semblable sur une base constante. Ce n'est sûrement pas une façon normale de faire du commerce et d'assurer une rentabilité à quelque entreprise que ce soit ou à quelque joueur qui agit sur le marché. J'ajouterais que cette situation-là, qui est arrivée l'été dernier, ç'a été quand même de relativement courte durée. Si on regarde, depuis le début de 1994, il est peut-être arrivé à deux reprises où une telle situation s'est produite. Mais, non, ce n'est pas normal.

M. Chevrette: Et vous répondez: de façon constante. Est-ce donc dire, si c'est inconstant... Parce que vous avez dit, vous avez bien spécifié, vous avez utilisé le mot «constant»: ce n'est pas normal de façon constante. J'espère que ce n'est pas normal de façon constante! Mais ce n'est une pratique déloyale en soi, une pratique commerciale déloyale, même si ce n'est pas constant?

M. Larochelle (Claude): Je dirais que, dans le cas de l'essence, M. le ministre, comme dans le cas d'autres produits, ce n'est pas normal de vendre en bas du prix coûtant.

M. Chevrette: C'est beau. Là j'ai compris. C'est parce que le mot «constant»... Je suis un ancien professeur puis je cherche chaque mot.

Deuxième question. Vous proposez d'être très explicites et de rapatrier du «Below Cost Sales Act» américain certaines choses qui ne figurent pas dans notre projet de loi. Est-ce que vous ne croyez pas que la Régie peut être très sérieuse dans la définition de la marge de base qui empêcherait les indépendants de craquer, à toutes fins pratiques, puis craquer dans le sens de faire faillite? C'est sûr que vous avez bien compris ce que je voulais dire.

M. Larochelle (Claude): Je crois que la Régie peut être très sérieuse, définitivement. L'importance pour nous, puis c'est ce qu'on n'a pas à la lecture de la loi n° 50 pour l'instant, c'est l'importance d'avoir des définitions claires et précises de ce qu'on veut et surtout que ce soit clair et précis pour chacun des détaillants d'essence du Québec si, oui ou non, il contrevient à la loi. Pour lui, peut-être qu'il va pouvoir savoir facilement quel est son coût de revient ou son coût de transport, ces différents éléments-là, mais quand il s'agit maintenant de se retourner vers son compétiteur de l'autre côté de la rue, est-ce que ce compétiteur-là a exactement le même coût de revient, exactement les mêmes coûts de transport, les mêmes quantités livrées à chaque fois, la même structure de coûts? Je pense que le message qu'on voulait vous passer ici, c'est que, si on va de l'avant avec la loi, ça va être très important d'avoir des définitions claires et précises et d'éviter de s'embourber dans des poursuites judiciaires à tout venant.

(12 h 30)

M. Chevrette: Oui, mais surtout qu'il y en a qui ne sont pas capables de vous suivre. Ça se joue sur les deux bords, ça; vous le savez très très bien. Je voudrais faire le même raisonnement que j'ai fait tantôt. Vous avez assisté au raisonnement que je faisais à Ultramar en disant que, moi, je pensais qu'on pouvait maintenir une concurrence entre les pétrolières, mais que c'est chaque pétrolière vis-à-vis de son acheteur en gros. C'est ça que le projet de loi dit. Si Esso veut vendre 0,21 $ à la rampe, c'est de son affaire. Vingt et une cents plus 0,37 $, ça fait 0,48 $. Ce qu'on dit, nous, dans le projet de loi: Il y aura 0,21 $, 0,37 $, ça fait 0,48 $, plus la petite marge à définir par la Régie. Si c'est 0,03 $, si c'est 0,04 $, je ne sais pas, je ne veux pas m'improviser juge. Tout ce à quoi Esso s'engage, c'est vis-à-vis de ses acheteurs, ses détaillants qui achètent chez elle, mais ça ne lie pas l'autre compagnie. Si Ultramar veut aller à 0,22 $, elle ira à 0,22 $. Si Irving veut aller à 0,16 $, il ira à 0,16 $.

Je vous avoue que j'arrive mal à prendre une leçon pour le consommateur, quand le projet de loi ouvre la porte à la concurrence, mais veut garder le respect du détaillant indépendant. J'ai de la difficulté à comprendre les différents mémoires jusqu'à date. Pourtant, je ne suis pas le plus lent dans le Parlement.

M. Desrochers (Pierre): Si je puis répondre à cette question-là, je pense qu'on essaie de comparer deux marchés qui, à notre avis, sont tout à fait différents. Il y a un marché de gros qui a sa propre dynamique, et c'est une dynamique qui est reliée, tout de même... Et ça a été confirmé par le rapport du Comité spécial d'examen, que les prix de gros sont en relation avec les prix internationaux. Et, au Québec, évidemment, c'est fait, c'est confirmé, il n'y a pas de discussion à savoir ça.

Il y a une autre dynamique qui s'appelle le prix de détail, et le prix de détail répond lui-même à sa propre dynamique, et souvent, oui, il y a des guerres de prix qui se déclenchent. Il faut peut-être revoir cette dynamique de guerre de prix là, parce que, dans plusieurs cas, ce n'est pas nécessairement les compagnies majeures ou l'Impériale... On réagit, toutefois, c'est clair, parce que, nous aussi, on veut conserver notre part de marché. Mais, dans bien des cas, ce sont les même gens qui aujourd'hui réclament de l'aide qui génèrent ces guerres de prix là. Il y a eu, à un moment donné, effectivement des écarts de prix, et ces écarts de prix, aujourd'hui, n'existent plus entre les indépendants et les majeurs. Tout simplement, je pense, les données l'on dit clairement, maintenant, les consommateurs sont de plus en plus préoccupés par les prix. Donc, des écarts de prix qui ont déjà existé n'existent plus actuellement. Et d'ailleurs, ce n'était un droit acquis pour personne, ça.

M. Chevrette: Mais, M. Desrochers...

M. Desrochers (Pierre): Oui.

M. Chevrette: Supposons que la Régie – je fais une supposition devant vous – dit: Dans telle zone, pour ceux qui s'alimentent – je ne sais pas – à Montréal, c'est 0,01 $ du litre pour le transport, c'est 0,01 $ en ce qui regarde les taxes, les frais de gestion, puis c'est 0,01 $ pour quelque chose... Mettons que c'est 0,03 $, pour les besoins de l'exemple. On arrive à 0,03 $. Quel que soit le prix que vous vendrez à vos détaillants, moi, je m'en fous. Quelle que soit la guerre que vous voudriez faire à Ultramar, à Irving, à Shell, je m'en fous. Le projet de loi, il ne vise pas à attaquer le consommateur, il laisse toute la latitude de la concurrence du marché jouer. Ce qu'on dit, au Québec, et ça a été un choix politique, ça a été de dire: On a un réseau indépendant, il ne faut pas faire exprès pour le faire mourir. Et vous savez très bien qu'il y a des pétrolières, M. Desrochers... Sans doute, vous allez me dire: Ce n'est pas chez nous. Ha, ha, ha! Chacun va me répondre ça. Ce n'est jamais dans la cour de quelqu'un. Mais, supposez que ce n'est pas chez vous. Mais vous savez qu'il y a des concurrents qui n'iront pas s'établir dans des petits marchés non achalandés puis que c'est grâce à des détaillants indépendants qu'on a un service au client. Ce que je veux vous faire comprendre, c'est: Vous ne pensez pas que ce soit au moins une bonne chose qu'on garde la concurrence entre les pétrolières, mais qu'on assure la survie du détaillant indépendant?

M. Desrochers (Pierre): Je pense que c'est une bonne chose qu'on garde la concurrence. D'ailleurs, la concurrence existe. J'aimerais répondre à la première question, qui parle des régions. Je pense que, encore là, je vais utiliser le rapport du Comité spécial. Dans les régions, je pense qu'il y a une bonne distribution entre les indépendants et les compagnies majeures. Et je ne suis pas personnellement préoccupé par le fait des régions, parce qu'on est bien représenté, et les indépendants sont bien représentés.

Deuxièmement, oui, effectivement, on doit encourager la concurrence et on doit encourager la concurrence au bénéfice du consommateur. Il a toutefois été établi, dépendant du niveau qui pourrait être donné par cette Régie-là, du type de marge, que ça pourrait devenir une rente et que ça pourrait devenir un coût extraordinaire pour le consommateur. Et, plutôt que d'encourager une mutation dans le marché, que tout le monde reconnaît nécessaire, ça va plutôt encourager l'inefficacité, et cette inefficacité-là sera au détriment du consommateur. Et, nous, ce qu'on plaide dans ce cas-là, c'est qu'on préfère que... Le marché devrait fondamentalement permettre d'établir cette dynamique-là qui permettra aux plus performants et à d'autres de s'adapter, par exemple, parce que dans n'importe quel contexte il faut s'adapter, mais de devenir aussi performants et de pouvoir survivre, et c'est ce qu'on espère. Ils devraient être en mesure de le faire.

M. Chevrette: Dans un de vos textes, en résumé... J'ai lu votre résumé, parce que, à un moment donné, j'essayais de vous suivre... Probablement que vous avez résumé votre mémoire dans un texte. Mais, ayant lu le résumé de votre mémoire qu'on a reçu, c'est marqué: «Nous croyons fermement et fondamentalement que cette loi n'est ni justifiée ni nécessaire.» Ça, c'est un jugement ab hominem, qu'on appelle dans notre jargon politique. Si elle n'est ni nécessaire ni justifiée, qu'est-ce que vous me suggérez de faire quand il m'arrive des folies comme il m'en est arrivé en juin puis juillet?

M. Desrochers (Pierre): Bien, il faut reconnaître que ces folies-là... et lorsqu'elles arrivent... Elles sont arrivées à très peu d'occasions. Et je pense que tout le monde reconnaît l'aberration de la situation du mois de juillet, une aberration qui, je crois, a été amplifiée par la réaction des concurrents et, entre autres, des indépendants pour probablement justifier leur point. Mais je comprends la situation, et c'en est une, aberration. Les solutions proposées, à notre avis, c'est de... Le libre marché réglera ces choses-là, parce que ce n'est pas soutenable, autant pour nous que pour n'importe qui dans l'industrie. Et, à très court laps de temps, le marché revient à son prix théorique, et ça revient automatiquement. On a pu voir ça au cours des années, qu'une guerre de prix, plus elle va être profonde, plus on va revenir au prix théorique, parce que ce n'est pas soutenable pour tous les intervenants, quels qu'ils soient.

M. Chevrette: Je recevais tantôt une information d'un de mes «chums», dans cette salle, qui me disait ceci: La proposition que font des pétrolières, bien souvent, passe sous silence la possibilité qu'elles ont, comme grandes pétrolières, bien sûr, de faire de l'interfinancement de leurs coûts de marketing et de distribution à partir des profits qu'elles réalisent en amont. Vous autres, si vous proposez d'ajouter des dimensions du «Below Cost Sales Act», qu'Ultramar propose qu'on tienne compte de deux dimensions où il n'y a à peu près plus de concurrence, vous avez sans doute la possibilité, comme pétrolières, de faire des profits, de dégager vos profits dans plusieurs activités avant de le mettre sur le marché, et vous êtes libres de le vendre au prix que vous voulez aux détaillants indépendants, qu'est-ce qui vous empêche, dans vos propres essenceries, de garantir que vous ne serez pas inférieurs à un réseau de détaillants, qui crée quand même... Ultramar m'a dit qu'elle créait 2 500 jobs, tantôt; j'ai été sensible à ça. J'en veux en maudit, mais je ne voudrais pas en perdre 10 000 en perdant le réseau indépendant. Vous ne pensez pas que vous avez des opportunités, au niveau de tout le raffinage, le marketing, la mise en distribution, l'interfinancement, de vous assurer les marges de manoeuvre nécessaires sans que vous ayez à jouer nécessairement sur le prix, au niveau des essenceries qui vous sont propres?

M. Desrochers (Pierre): Bon, je vais répondre à la question d'interfinancement. Il serait probablement stupide de notre part de faire de l'interfinancement. Nous avons de grands investissements dans le raffinage, et le raffinage doit se justifier lui-même pour justifier sa rentabilité. Et la façon dont on le fait, c'est que le raffinage vend au prix du gros, le prix à la rampe, et ça justifie d'avoir ou de ne pas avoir une raffinerie, parce que, à ce moment-là, il serait aussi bien d'importer le produit. C'est-à-dire, si je ne suis pas capable de rentabiliser une raffinerie avec mon prix de gros, je suis aussi bien de la fermer, cette raffinerie-là, puis de l'importer. Moi, comme gestionnaire, je ne pense pas que je ferais un bon travail. Même chose au niveau du détail, et on y a un prix de transfert qui est ce prix à la rampe là. Il serait inutile de notre part... Et je vais prendre un chiffre canadien, on a tout près de 700 000 000 $ d'investis dans notre réseau de détail. Si je ne suis pas capable de le rentabiliser, je suis aussi bien de sortir et de donner ça à d'autres personnes et de ne garder que le raffinage. Donc, on ne fait pas cet interfinancement-là, parce que ça serait économiquement non acceptable de pouvoir le faire.

(12 h 40)

M. Larochelle (Claude): Et chacun des investissements dans le réseau de détail – si tu permets, Pierre – doit se justifier par lui-même. On vient d'investir 2 000 000 $ ici, à Charlesbourg, au coin de 4e et de la 41e. Cet investissement-là doit par lui-même pouvoir justifier les dollars que les actionnaires nous ont prêtés pour mettre ici, à Charlesbourg. Le prix à la pompe, lui, c'est les forces du marché qui le dictent. On ne peut pas se permettre de vendre en bas du «cost» ou à zéro dollar de profit sur les carburants évidemment.

Le Président (M. Sirros): Merci beaucoup. Avant de passer la parole à l'opposition officielle, j'aimerais juste rappeler aux personnes présentes que les téléphones cellulaires ne sont pas permis. Si vous les avez, s'il vous plaît, mettez-les sur «off», si on peut parler ainsi. Alors, M. le député de Saint-Laurent.

M. Cherry: Oui, merci, M. le Président. Une courte question, et ensuite mon collègue d'Argenteuil enchaînera. C'est une question qui me vient suite à une des dernières remarques du ministre, et là-dessus il dit: J'étais bien sensible d'entendre qu'Ultramar va créer 2 500 jobs, mais, il dit, je ne voudrais pas qu'on en perde 10 000 dans les indépendants. Parce que la perception, c'est que l'objectif des majeurs, c'est de faire disparaître les indépendants. Donc, l'objectif, c'est de créer des jobs au Québec.

Par contre, quand je lis le rapport qui a été présenté au ministre, et une partie découle du rapport d'Esso, on dit: «Esso note – c'est en bas de la page 27 – que, de 1989 à 1996, la part du marché détenue par les indépendants a progressé. Cette hausse s'explique par le retard que la rationalisation a prise chez les indépendants par rapport aux grandes pétrolières.» En citant les propos de Chemarketing, Esso illustre le phénomène que, de 1992 à 1996, les grandes pétrolières ont fermé 21 % des essenceries, alors que, durant la même période, les indépendants augmentaient de 9 %. Et je ne doute pas de ce que vous avez dans votre rapport. Comment est-ce qu'on a pu en arriver avec des arguments qu'il ne va disparaître que des indépendants, pendant que les chiffres ont prouvé que, dans les cinq, six années précédentes, c'est le contraire qui est arrivé?

M. Desrochers (Pierre): Je pense... vous répondez à la question. Effectivement, au cours des ans, en raison des marges disponibles, il a fallu rationaliser nos réseaux. On doit les rationaliser, c'est la seule façon qu'on a, avec les marges disponibles que le marché peut nous donner, d'être rentables. Les indépendants, durant cette même période là, se sont retrouvés à ramasser un paquet de stations ou à développer des stations qui malheureusement aujourd'hui, dans un contexte où les marges disponibles sont très faibles, ne leur permettent pas d'être rentables dans ce contexte-là.

M. Cherry: Merci.

Le Président (M. Sirros): M. le député d'Argenteuil.

M. Beaudet: Oui, merci, M. le Président. Merci, M. Desrochers et M. Larochelle, de venir partager avec nous vos préoccupations sur le projet de loi n° 50. À la page 7 de votre mémoire, vous mentionnez: «L'intention du projet de loi actuel est d'empêcher tout compétiteur de vendre au détail à un prix inférieur au prix du gros majoré des coûts d'exploitation inhérents à un commerce de détail.» Je ne suis pas sûr que, si je suis bien ce que le ministre a mentionné tantôt, et puis je pense que c'est un petit peu la ligne que j'ai mentionnée tantôt avec Ultramar... Est-ce qu'il serait possible d'envisager que le compétiteur, il lui serait interdit de vendre à son groupe de détail à un prix inférieur à son prix à la rampe, de sorte qu'on pourrait maintenir le marché entre les multinationales ou celles qui vendent à la rampe et on permettrait, par ce fait, aux consommateurs de bénéficier de guerres de prix sans, pour ce fait, mettre en danger les indépendants, qui auraient toujours la possibilité d'aller s'approvisionner à la rampe la moins chère? Parce qu'ils sont libres d'aller à gauche ou à droite. En allant à la rampe la moins chère, ils pourraient garder leur situation compétitive.

Est-ce que ça vous apparaîtrait quelque chose d'envisageable, plutôt que de mettre un prix plancher plus tous les frais d'exploitation inhérents, ce qui est très difficile à gérer? Ce n'est presque pas gérable, ne serait-ce que sur les taxes municipales. Quelqu'un sur un coin de rue, lui, il a une taxe très élevée, puis l'autre, qui est à trois coins de rues, il n'a presque pas de taxe.

M. Desrochers (Pierre): M. le député, le prix à la rampe est fixé en fonction des prix internationaux, et c'est vraiment ce qui dicte le prix à la rampe. Si, par la suite, il y a des débats ou des guerres de prix au niveau du détail, éventuellement le prix à la rampe influence. Et il y a une corrélation dans le temps entre le prix à la rampe et le prix à la pompe. Je veux dire, il faut qu'il soit... Mais il reste que les deux répondent quand même à des dynamiques tout à fait différentes. Un répond à ce qu'on voit sur le marché international et donc réagit en fonction de ça et n'est pas fixé en fonction de ce qui se passe au détail. Et c'est comme ça que les prix sont établis. Le prix de détail réagit en fonction du prix de détail. Évidemment, il y a certains moments donnés, comme on a pu connaître, où, à cause de cette concurrence-là – et je pense que c'est un signe de concurrence – les prix se retrouvaient à des niveaux qui n'étaient pas acceptables, autant pour nous que pour d'autres.

M. Cherry: Si je comprends bien, vous voulez me dire que, pendant la guerre de prix, Esso vendait à ses détaillants Esso plus cher que ce que le détaillant vendait au consommateur...

Une voix: Non.

M. Cherry: ...ou, s'il le payait à la rampe, le prix, pour pouvoir le détailler au prix du marché...

M. Desrochers (Pierre): Définitivement, dans le cas de notre réseau de détaillants Esso, il faut comprendre que notre détaillant Esso qui a une franchise Esso, il a une entreprise indépendante et il n'a pas le choix, non plus, d'obtenir tout le support nécessaire de son fournisseur pour pouvoir survivre puis afficher des prix.

M. Beaudet: C'est ce que je vous dis.

M. Larochelle (Claude): Je peux vous dire que, règle générale, ce n'est pas le détaillant Esso nécessairement, surtout dans les pires cas qu'on a vécus au cours de l'été, qui a été l'instigateur des coupures de prix. Mais nous, on a définitivement supporté nos détaillants, ça fait partie de notre engagement envers eux puis de notre engagement envers notre clientèle de ces détaillants Esso qui ont leur entreprise. Puis je vous dirais qu'à ces niveaux déraisonnables là, même si on pouvait vendre à notre détaillant Esso à des prix que je considérais déraisonnables, même à ces niveaux-là, le détaillant Esso ne rencontrait pas nécessairement ses frais. Mais, au moins, on l'assurait d'un minimum qui ne le mettait pas dans le trou à chaque litre qui sortait de ses pompes.

M. Beaudet: J'accepte ça, vous répondez à ma question. Finalement, une multinationale vend à ses détaillants le prix à la rampe, à ce moment-là, où la guerre de prix... Alors, à ce moment-là, on peut le faire...

M. Larochelle (Claude): On le vend à un prix qui lui permet d'être compétitif dans son marché.

M. Beaudet: C'est ça, c'est exactement ce que je veux dire. Alors, ça pourrait se faire entre les multinationales et vous pourriez répondre... Une dernière brève question. Les régions sont souvent desservies par des indépendants. Alors, parce que la vente n'est pas suffisante, les multinationales ont abandonné les régions. Est-ce que c'est vrai? Parce que vous avez fermé des stations, on en a même fermé au-delà de presque 300 depuis un an, un an et demi. Mais, moi, je ne voudrais pas que le consommateur en région, à cause de cette situation-là, se voie pénalisé et paie sa gazoline beaucoup plus cher parce qu'il est éloigné. Est-ce que vous avez une solution à ça?

M. Larochelle (Claude): Bien, je dois dire, comme Pierre l'a mentionné tantôt, la balance entre indépendant et majeur, en région, est comparable à celle qu'on a en ville. Il y a des stations...

M. Beaudet: C'est comparable?

M. Larochelle (Claude): Comparable.

M. Desrochers (Pierre): Oui, absolument. Si vous vous référez au tableau 5 du rapport du Comité spécial d'examen, il spécifie que les proportions, qu'elles soient en région ou qu'elles soient ailleurs, sont équivalentes. Et je pense qu'ils reprennent ça directement à une de leurs conclusions – et là je tente de trouver laquelle – la conclusion n° 7, que cette répartition des essenceries entre les compagnies majeures et les indépendants... qu'il y a peu d'écart par rapport à la moyenne provinciale, pour chacun des deux groupes dans chacune des régions. Donc, les régions, je pense qu'il y a un mythe à l'effet que ce n'est que les indépendants. Je pense que la proportion est équivalente.

M. Larochelle (Claude): Puis je peux vous dire que, personnellement, je suis responsable de tous les marchés...

M. Beaudet: Ça répond à ma question.

M. Larochelle (Claude): ...hors Montréal, et on a des détaillants partout, à Lebel-sur-Quévillon, à Radisson, en Gaspésie, des détaillants Esso ou des propriétés, puis on fait beaucoup d'efforts pour rester là et avoir des détaillants en meilleure santé possible. Et loin de nous l'idée d'abandonner les régions.

M. Beaudet: Merci.

M. Le Hir: M. Desrochers, j'ai posé tout à l'heure la question aux représentants d'Ultramar relativement aux dépenses qu'ils faisaient pour créer de l'emploi, dans le but justement d'essayer de comprendre quelle pouvait être la relation entre l'investissement et l'emploi et aussi avoir une idée de l'importance relative de la contribution des indépendants par rapport aux majeures. Vous avez parlé tout à l'heure d'une rationalisation des réseaux. Est-ce qu'à l'heure actuelle vous êtes toujours en phase de rationalisation ou bien si vous êtes en phase d'optimisation de votre réseau et si vous faites des investissements? Et quel peut être l'impact de ces investissements, s'il y en a, sur la création d'emplois?

(12 h 50)

M. Larochelle (Claude): Effectivement, je vous dirais que la phase de rationalisation, dans notre cas – et je parle évidemment pour Esso – tire un peu à sa fin. Au cours des trois dernières années, on a investi environ 50 000 000 $ dans notre réseau de détail au Québec pour améliorer l'offre qu'on fait à nos clients, à notre clientèle. On est très à l'écoute, comme nos amis d'Ultramar, des besoins des clients québécois, des consommateurs québécois. Aujourd'hui, on ne peut plus se contenter d'avoir un simple gaz-bar, on doit offrir plus à notre clientèle, qu'on parle dans le domaine de la restauration rapide, du dépannage, du guichet bancaire, etc., lave-auto, évidemment. On a investi fortement au cours des dernières années dans ce domaine-là et puis on désire continuer à investir dans le marché québécois au même rythme qu'on l'a fait dans le passé pour améliorer notre réseau, rendre notre structure de coûts la plus compétitive possible pour que finalement notre client, en bout de ligne, puisse bénéficier de prix compétitifs et avantageux pour lui.

M. Le Hir: Êtes-vous en mesure de chiffrer l'effet de cet investissement-là sur la création d'emplois?

M. Larochelle (Claude): Écoutez, je ne serais pas en mesure de vous fournir des chiffres très précis. Peut-être qu'il y a beaucoup d'experts dans la salle, ici, qui pourraient me dire, un investissement en capital en construction de 50 000 000 $ sur trois ans, ça représente combien d'emplois. Je n'ai pas malheureusement de chiffres avec moi.

Le Président (M. Sirros): Merci. Peut-être que vous me permettrez, à ce moment-là, étant donné qu'il y a quelques minutes, une clarification, pour moi. Quand on parle de prix à la rampe, j'ai cru comprendre que tout le monde s'entend généralement pour dire c'est le prix payé basé sur la livraison internationale. J'ai cru comprendre qu'à des moments on parlait du prix à la rampe à des raffineries précises, ce qui ne doit pas être nécessairement la même chose.

M. Desrochers (Pierre): Non, peut-être pour tenter d'expliquer, oui, il y a un prix à la rampe...

Le Président (M. Sirros): Parce que ce n'est pas Esso, par exemple, qui a un prix à la rampe, c'est le prix à la rampe international?

M. Desrochers (Pierre): Nous, on a notre propre prix à la rampe, au terminal de l'Impériale. D'un autre côté, ce prix-là est un reflet du prix international. Il y en a d'autres qui ont d'autres prix à la rampe...

Le Président (M. Sirros): Un reflet fidèle?

M. Desrochers (Pierre): Oui, très fidèle et qui tient compte des variations qu'il peut y avoir au niveau international. Et, encore là, je vais vous encourager à lire le rapport du Comité spécial. Ils ont fait l'analyse, et effectivement, au cours des années, ils sont capables de confirmer que les prix à la rampe au Québec ont été un reflet des prix internationaux. Donc, les indépendants au Québec n'ont pas été lésés, d'aucune façon.

Le Président (M. Sirros): Est-ce que, à ce moment-là, je peux vous demander c'est quoi, votre réaction par rapport à la proposition d'Ultramar, qui est de fixer un prix plancher, basé sur le prix à la rampe international, plus les taxes qui s'appliquent, ce qui, à mon point de vue, laisserait... En tout cas, c'est quoi, votre réaction face à ça?

M. Desrochers (Pierre): Ce serait probablement peut-être une des façons pour assurer le maximum d'efficacité dans le marché. Nous, ce qu'on recherche, autant pour les intervenants, c'est que ce soit clair pour eux: Est-ce qu'ils sont à l'intérieur ou à l'extérieur de la loi? Est-ce qu'ils y contreviennent ou n'y contreviennent pas? D'où notre suggestion d'avoir des définitions très claires sur ce qui devrait être. Ça, c'est une façon d'avoir une définition très claire de ce que sont les taxes et de ce que sont les...

Le Président (M. Sirros): Dois-je comprendre que vous serez d'accord avec cette approche-là parce que, selon vous, ça établit les mêmes règles pour tout le monde en permettant également aux indépendants d'aller s'approvisionner à ce prix-là, plus les taxes applicables, et, par la suite, c'est, comme disait Ultramar, la concurrence qui s'applique au niveau de la possibilité de livrer la marchandise, transport, etc., et que le marché réglera tout ça, plutôt que de voir la Régie déterminer les marges?

M. Desrochers (Pierre): Vous savez, à moindre mal, je vous dirais oui.

Le Président (M. Sirros): Merci.

M. Chevrette: Mais le pétrole qui rentre sans aucun contrôle de qualité, de normes, du Venezuela et de tout, là...

M. Desrochers (Pierre): Évidemment, il faudrait...

M. Chevrette: ...qu'est-ce qu'on va faire avec ça, avec votre bebelle de plancher?

M. Desrochers (Pierre): ...et je pense que c'est une...

M. Chevrette: Je ne suis pas sûr, moi. En tout cas, moi, je ne suis pas mordu, mordu, hein!

Le Président (M. Sirros): M. le ministre... Il reste encore quelques secondes, si vous voulez répondre.

M. Chevrette: Excusez.

M. Desrochers (Pierre): J'ai peut-être la seule réponse – et je pense que le ministre a tout à fait raison – qu'il faut absolument établir des normes pour assurer que le produit qui rentre au Québec est un produit qui ne baissera pas les standards de qualité qu'on connaît déjà au Québec. Et ça, absolument, il faut que ça soit fait, sinon ce sera l'environnement du Québec qui paiera. Et je pense que j'appuie le ministre dans ce commentaire-là.

Le Président (M. Sirros): Une courte question avant d'ajourner pour le prochain groupe. Est-ce que ces protections existent à l'heure actuelle? Les protections par rapport à ces normes de qualité existent à l'heure actuelle?

M. Desrochers (Pierre): Actuellement, il y a des standards qui existent. Ces standards-là sont en révision actuellement par le Conseil canadien des ministres de l'Environnement, et on espère qu'éventuellement ces standards-là seront publiés pour assurer que... Il y a eu des propositions qui ont été faites, et là je vais parler de l'Institut canadien des produits pétroliers, pour éventuellement arriver avec des standards minimum. Il y a actuellement des propositions pour établir des standards minimums qui feraient que le produit qui rentrerait à compter de ce moment-là respecterait au moins un standard minimum.

Le Président (M. Sirros): Je dois malheureusement arrêter là, quoique ce serait intéressant de poursuivre, pour inviter le prochain groupe, qui est Les Pétroles Irving inc., à se présenter à la barre, s'il vous plaît.

En attendant, il faudrait souligner aux membres de la commission ainsi qu'à ceux qui suivent nos travaux que nous serons confrontés à une décision quant au temps dont nous disposons pour écouter le groupe et poser nos questions. La fin de nos travaux est prévue pour 13 h 15. Alors, si vous voulez faire autre chose que ça, il faudrait que vous me fassiez des propositions, sinon je serai obligé de mettre fin à nos travaux à 13 h 15. Alors, en essayant d'accélérer la cadence un petit peu, j'aimerais, si possible...

Des voix: ...

Le Président (M. Sirros): Alors, il y a un consentement pour que nos travaux puissent continuer jusqu'à 13 h 30, ce qui nous donne 35 minutes, si nous débutons tout de suite. Alors, je vous inviterais peut-être à vous identifier et à passer à la présentation de votre rapport en tenant compte un peu de cette contrainte que le temps nous impose.

M. Parent (Serge): Je serai très bref.

Le Président (M. Sirros): Voilà. M. Parent, je crois bien?

Une voix: ...

M. Parent (Serge): Pardon? Non, je n'ai pas de document, mais je pourrais vous en faire parvenir un après la réunion, si vous désirez.

Le Président (M. Sirros): Alors, M. Parent, on vous écoute.


Les Pétroles Irving inc.

M. Parent (Serge): O.K. Alors, je représente la compagnie Irving. Je suis le directeur régional du territoire de la région de Québec, qui couvre la région de Charlevoix, Québec, Trois-Rivières, Sherbrooke, Montréal, ce territoire-là.

Alors, M. le Président, M. le ministre, membres du comité, il est de notre opinion que l'implantation d'une réglementation régissant les prix au détail résultera à long terme en une augmentation des prix à la pompe, bien que celle-ci aurait comme effet bénéfique d'éviter de sévères guerres de prix comme on en a connu cet été.

Suite à la décision du ministre d'État des Ressources naturelles, M. Guy Chevrette, de déposer un projet de loi régissant les prix de l'essence au Québec, nous avons étudié diverses informations à ce sujet provenant du service d'information américain PIRA. Quoiqu'il soit difficile de tirer des conclusions concrètes dû à plusieurs facteurs déterminants, ces informations démontrent qu'en comparant les États avec des marchés d'essence libres versus les États avec des marchés réglementés, ces derniers affichent généralement des prix à la pompe avant taxes plus élevés.

Alors, si on prend comme exemple les États avoisinants d'Alabama, de la Georgie et de la Floride, l'Alabama et la Floride ont un marché d'essence réglementé, tandis que l'État de Georgie a un marché d'essence libre. Selon l'information reçue de PIRA, le prix moyen à la pompe avant taxes est demeuré entre 0,03 $ à 0,04 $ plus bas en Georgie, depuis 1992, comparativement à l'Alabama et à la Floride. Alors, si on traduit ça en termes de cents au litre, on parle d'environ 0,01 $ à 0,015 $ le litre.

Par contre, si toutefois le gouvernement québécois a vraiment l'intention d'implanter une réglementation régissant le prix à la pompe, nous croyons qu'il faudrait prévoir dans le calcul du prix le coût supplémentaire au détaillant qui offre le service complet dans ses stations, ce qui s'élève à approximativement 0,02 $ le litre. Ce montant représente une portion importante de la marge au détail et doit être pris en considération lors de la fixation des prix à la pompe, sans quoi les détaillants risquent de subir des pertes importantes s'élevant jusqu'à 0,02 $ le litre, ainsi contournant la raison d'être de cette loi. C'est en gros ce que ça dit.

Le Président (M. Sirros): Alors, vous avez tenu parole. Ça été bref. Alors, M. le ministre.

M. Chevrette: C'est ce qu'on appelle «short and sweet».

M. Parent (Serge): «Short and sweet».

Le Président (M. Sirros): L'essentiel.

(13 heures)

M. Chevrette: J'aurais une question puis j'aurais un commentaire. Je m'aperçois qu'il va falloir qu'on explique ce qu'il y a dans le projet de loi, parce que ce n'est pas d'enlever la concurrence entre les pétrolières. Je ne conçois pas que ce soit perçu de même, d'ailleurs, parce qu'on n'a jamais voulu fixer même de prix plancher, nous autres. C'était de faire en sorte que chaque pétrolière puisse jouer à sa façon. Même s'il y a un marché new-yorkais, au port de New York, qui définit le prix à partir du baril au brut, on sait très, très bien qu'une pétrolière peut avoir des gains de productivité sur le raffinage, sur le marketing, sur n'importe quoi, puis elle peut être en compétition avec une autre pétrolière.

Et ce qu'on a voulu simplement faire, et je le réitère très calmement, c'est de s'assurer qu'on n'étouffe pas le réseau d'indépendants au Québec. C'est tout, il n'y a pas d'autres motifs puis il n'y a pas d'autres... Et, au contraire, on ne voudrait surtout pas, en passant – puis j'espère qu'on ne mordra pas à ça – être responsable de la réduction de la concurrence. Parce que j'ai des propositions sur la table qui me font flairer que le prix pourrait précisément s'étaler plus haut puis que ça élimine une concurrence vis-à-vis du consommateur. Ce n'est pas ça que le législateur veut. Je n'ai pas non plus entendu un parlementaire en cette Chambre dire ça. Donc, on va faire des efforts de pédagogie entre nous et vis-à-vis du public.

Question: Irving, au Nouveau-Brunswick, avez-vous des problèmes? Contez-moi donc ça. Ils sont de quelle nature? Sont-ils semblables au Québec?

M. Parent (Serge): Je ne suis pas responsable du Nouveau-Brunswick.

M. Chevrette: Non, mais vous devez savoir ce qui se passe là, j'en suis sûr.

M. Parent (Serge): C'est sûr qu'au courant de l'année le marché du Nouveau-Brunswick a été passablement secoué suite à l'avènement de certains programmes; la même chose qu'au Québec. Nous, si on regarde le processus des guerres de prix – prenons ce qui s'est passé aux mois de juin, juillet, août – dans notre idée à nous, la chose est très simple. Ce qui fait qu'à un moment donné on atteint un certain prix de pompe et puis que ça baisse graduellement de jour en jour, lorsqu'on regarde c'est quoi, la raison en arrière de ça, c'est tout simplement une station libre-service et une station avec service qui compétitionnent au niveau du prix à la pompe. Alors, on a dit, lors d'un meeting, auparavant, avec le comité d'examen sur l'essence: Il y a comme une loi non écrite, dans le marché, qui dit qu'une station libre-service normalement devrait vendre à un prix moindre qu'une station avec service, ou vice-versa. Une station avec service devrait avoir un prix supérieur à celui d'une station libre-service.

Alors, je peux vous parler d'un cas bien concret, chez nous, qu'on a vécu cet été. Nous avons une station sur le boulevard Hamel. Nous sommes libre-service, et puis notre compétiteur, c'est un Ultramar qui était avec service. Alors, lorsque le programme Valeur plus a commencé, ça a déboulé. Il y a toujours eu 0,002 $ de différence entre les deux stations, depuis très longtemps. Alors, ce qui s'est passé, c'est qu'en deux jours on a peut-être changé le prix 50 fois, à la baisse, et puis, à un moment donné, ça a arrêté à 0,389 $...

M. Chevrette: Pouviez-vous le faire sans escabeau?

M. Parent (Serge): Non, ça a été très bon pour la ligne des détaillants, ça, je peux vous le dire!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Parent (Serge): C'était à coup de 0,002 $, tout le temps. Alors, supposons qu'on part d'un prix de 0,599 $ et puis que l'autre est à 0,601 $, là, lui, il descendait à 0,599 $, nous, on descendait à 0,597 $, et ainsi de suite.

M. Chevrette: Est-ce que le gouvernement du Nouveau-Brunswick a commencé à s'occuper de ce dossier?

M. Parent (Serge): Je sais qu'il y a eu des réunions dernièrement à Fredericton là-dessus, mais je ne peux pas vous en dire plus.

M. Chevrette: Est-ce que vous avez été mis au courant qu'il y a un rapport en préparation au niveau du ministère de l'Énergie du Nouveau-Brunswick?

M. Parent (Serge): Excusez-moi, je n'ai pas compris votre question.

M. Chevrette: Est-ce que vous êtes au courant s'il y a un rapport en élaboration au Nouveau-Brunswick, pour le ministère de l'Énergie?

M. Parent (Serge): Non.

M. Chevrette: O.K.

M. Parent (Serge): Je pourrais m'informer à ce sujet-là.

M. Chevrette: Je vais vous poser la même question que j'ai posée aux deux autres. Je suis un détaillant indépendant, j'achète chez vous, trouvez-vous normal que vous affichiez, à vos propres essenceries, un prix moindre que celui que vous m'avez chargé au prix du gros?

M. Parent (Serge): Ce n'est pas du tout normal. Mais la question que je me pose: Est-ce que, ça, c'est la cause ou la conséquence?

M. Chevrette: Bien, que ce soit une cause ou une conséquence, ça demeure une anomalie. Est-ce que vous considérez que c'est une pratique loyale en matière de commerce?

M. Parent (Serge): Si on prend le prix d'une station, aujourd'hui, qui vend à 0,644 $ – exemple – comme la région de Québec présentement, et que, pour une raison ou pour une autre, dans une semaine, le prix est rendu à 0,539 $, est-ce que le problème est le prix qui a été vendu au détaillant lorsque son prix était à 0,604 $? Ou qu'est-ce qui a causé le fait que le prix est rendu maintenant à 0,539 $? C'est la question qu'on s'est posée. Et puis le facteur principal qu'on a découvert à ce moment-là, c'est vraiment la différence entre le service et le libre-service. Dans nos propres stations, nous affichons 0,02 $ le litre de plus pour le service que le libre-service.

M. Chevrette: Je comprends bien. Mais je vous donne un exemple. Là où il y a du service, vous vendez à votre détaillant indépendant. Je suppose que vous le vendez, mettons 0,40 $... Pas 0,40 $, parce que, les 0,37 $ de taxes, il faut que je m'en occupe un peu. Mettons que vous le vendez 0,25 $ à votre détaillant indépendant qui a un libre-service. Ça n'a aucune importance qu'il soit libre-service ou pas, lui, si vous le vendez tant à la rampe, 0,24 $ ou 0,25 $. C'est vous vis-à-vis de lui... Ce que je vous demande comme question, ce n'est pas lui, entre eux autres. Vous, vis-à-vis de lui, est-ce que vous affichez à vos propres essenceries moins cher que lui?

M. Parent (Serge): Premièrement, on ne revend pas, nous, à des réseaux indépendants. On ne revend notre produit que dans des stations qui affichent notre bannière.

M. Chevrette: C'est vrai. Dans votre cas, c'est vrai.

M. Parent (Serge): Alors, on n'est pas touchés de ce côté-là.

M. Chevrette: D'ailleurs, à Louiseville, on en a bénéficié plusieurs années. Je passais là, puis c'était une guerre épouvantable. Vous en avez déjà fait, des guerres épouvantables. Avez-vous écouté Ultramar ce matin?

M. Parent (Serge): Oui. J'étais là.

M. Chevrette: Comment vous trouvez leur suggestion?

M. Parent (Serge): Je pense qu'il n'y a pas de suggestion miracle, il n'y a pas de solution miracle. Par contre, vous allez me trouver entêté, mais je reviens à dire que, si on veut limiter de sévères crises ou de sévères guerres de prix d'essence, je crois que, si on établit un différentiel, dans la province de Québec, pour les stations qui s'affichent avec service et les autres qui s'affichent libre-service, ça va régler bien des problèmes. Et, si une station ou une pétrolière comme nous décide d'investir 1 800 000 $ dans une nouvelle station, on décide de mettre le service aux pompes, on décide de donner des cravates à nos pompistes, des chemises, un costume, de donner un service professionnel, et que le client, lui, décide: Moi, je suis d'accord pour payer 0,02 $ le litre pour me faire servir de façon professionnelle, alors, laissons le client choisir.

M. Chevrette: Mais je n'ai rien contre ça, moi. Ce n'est pas là-dessus que le projet de loi vient imposer des balises. Si vous voulez leur mettre un petit casque sur la tête, vous en mettrez un, ça ne me dérange pas pantoute. Ce que je veux vous dire, c'est que, ce que je veux réglementer, ou ce que nous voulons réglementer, comme Assemblée nationale, ce n'est pas le fait qu'il y a du marketing, que vous donnez une tasse, que vous donnez un verre, que vous donnez un rabais, au Canadian Tire, que vous donnez de l'argent de papier qui est transformable en dollars canadiens, ce n'est pas ça. Ce qu'on veut réglementer, c'est que, comme vendeur, comme pétrolière qui vend à des détaillants indépendants... On ne veut pas que le détaillant indépendant se voit concurrencé par son propre vendeur, qui est une pétrolière. Ce n'est pas plus que ça.

J'insiste et j'ai l'air d'être redondant, mais je veux que ça rentre. Parce que ce n'est pas faire en sorte qu'il n'y ait pas de concurrence entre les pétrolières, en plus. Si Shell veut vendre 0,24 $, puis Esso dit: Moi, je suis bon pour 0,23 $, puis que c'est bon pour le consommateur, tant mieux. Si Ultramar, dans un nouveau programme, dit: Je vais à 0,20 $, ce qu'on ne veut pas, c'est qu'Ultramar se paie sur le dos des indépendants, sur la guerre des prix, c'est tout. Ce n'est pas trop, trop malin, ça, mais c'est exactement ça. Est-ce que vous saisissez bien ce que je veux dire?

M. Parent (Serge): Oui.

M. Chevrette: Et trouvez-vous que ça a de l'allure?

M. Parent (Serge): Écoutez, c'est sûr que ça a une certaine forme d'allure, mais je ne pense pas que cela va régler l'instabilité du marché actuellement. Et ça n'empêchera pas qu'à un moment donné, dans six mois ou dans huit mois, on va peut-être connaître une autre guerre de prix, qu'à un moment donné... O.K. Si, mettons, il n'y a pas de «below cost», on établit un prix plancher. Ça va éviter des guerres comme on en a eu en juillet, mais ça n'empêchera pas les détaillants de perdre leur marge de profit éventuellement, avec des guerres d'essence.

M. Chevrette: Merci.

Le Président (M. Sirros): Merci beaucoup. M. le député de Saint-Laurent.

M. Cherry: Merci, M. le Président. Dans le mémoire que vous avez présenté à la table au mois d'août, on ne voit nulle part... Irving, vous avez combien de stations au Québec?

M. Parent (Serge): Au Québec?

M. Cherry: Oui.

M. Parent (Serge): Environ 250.

M. Cherry: Environ 250.

M. Parent (Serge): Oui.

M. Cherry: Principalement dans les régions, même si...

M. Parent (Serge): Notre gros bassin de population part de Trois-Rivières-Est jusqu'au Bas-Saint-Laurent–Gaspésie, Saguenay–Lac-Saint-Jean, Côte-Nord. C'est le gros de notre marché.

(13 h 10)

M. Cherry: O.K. C'est là que vous êtes et vous en avez 250?

M. Parent (Serge): Oui.

M. Cherry: Et, dans ces 250 là, vous en avez combien avec service et combien libre-service?

M. Parent (Serge): Bonne question. Je peux vous parler de mon territoire, mais l'ensemble de la province... En tout cas, je peux vous dire que, pour l'ensemble de mon territoire, c'est d'environ 20 %.

M. Cherry: Vingt pour cent avec service?

M. Parent (Serge): Oui.

M. Cherry: O.K. Parce que je vois dans le tableau de la page 2, qui est le type d'essenceries, on parle de stations-service avec atelier. On peut y faire faire de la réparation, je présume?

M. Parent (Serge): C'est ça.

M. Cherry: O.K. Est-ce que, ça, c'est considéré comme avec service?

M. Parent (Serge): Bien, si vous regardez le marché, la plupart des stations qui font des réparations mécaniques offrent le service, normalement. Normalement, vous allez voir le mécanicien qui va aller donner le service aux pompes, ou un pompiste, dépendamment du volume de la station.

M. Cherry: On ne veut pas empêcher la concurrence, on ne veut pas empêcher le consommateur de pouvoir en profiter. Puis vous venez de clarifier tantôt que, comme vous ne distribuez qu'à ceux qui portent votre bannière, ce qui a causé le conflit ne s'applique pas dans votre cas.

M. Parent (Serge): Exact.

M. Cherry: Mais vous êtes impliqué parce qu'au moment où vos compétiteurs le font, pour ne pas perdre votre part de marché, vous êtes obligés de suivre.

M. Parent (Serge): Nous sommes impliqués au niveau du détail, ça c'est sûr.

M. Cherry: O.K. Correct. Réjean?

Le Président (M. Sirros): J'aurais juste une petite question. Savez-vous si, au Nouveau-Brunswick, les raffineries Irving vendent à des détaillants indépendants ou à d'autres bannières qu'Irving?

M. Parent (Serge): Non. Nous ne vendons que dans nos propres stations. Nous allons exporter du produit outre-mer, mais, pour ce qui est du réseau de détail, nous ne vendons que dans nos stations.

Le Président (M. Sirros): Et les détaillants Irving, ici, au Québec s'approvisionnent chez les raffineries du Nouveau-Brunswick?

M. Parent (Serge): Non. Depuis environ deux ou trois ans, nous prenons notre produit à la raffinerie d'Ultramar, nous ajoutons nos additifs et nous livrons dans nos stations.

Le Président (M. Sirros): Mais Irving, lui, n'est pas obligé de vendre à des détaillants qui n'ont pas sa bannière?

M. Parent (Serge): Juste pour clarifier la situation, si vous voyez un camion Irving sur la route, ce camion-là n'ira pas livrer à une bannière indépendante, il va livrer dans une station Irving seulement.

Le Président (M. Sirros): Merci beaucoup. Alors, la commission suspend ses travaux jusqu'après 15 heures.

(Suspension de la séance à 13 h 13)

(Reprise à 15 h 11)

Le Président (M. Beaulne): À l'ordre, s'il vous plaît! La commission de l'économie et du travail poursuit ses consultations particulières dans le cadre de l'étude du projet de loi n° 50, la loi créant la Régie de l'énergie.

Nous accueillons en ce début d'après-midi les représentants de Petro-Canada qui nous feront part de leurs commentaires. Je vous rappellerai que vous avez 15 minutes pour nous présenter votre mémoire et, par la suite, chaque groupe parlementaire procédera à des échanges avec vous. Alors, vous avez la parole. Si vous voulez bien vous identifier pour les fins de la transcription, s'il vous plaît.


Petro-Canada

M. Viau (Jacques): M. le Président, Mmes et MM. les membres de la commission, mon nom est Jacques Viau et je suis le directeur des communications à Petro-Canada. Je suis accompagné aujourd'hui de M. Domenic Pilla, directeur général, ventes et distribution. Nous remercions la commission de l'économie et du travail pour cette occasion de présenter les commentaires de notre société au sujet du projet de loi n° 50.

Dans notre brève présentation, nous mentionnerons l'importance de notre entreprise dans l'économie québécoise. Petro-Canada veut aussi rappeler à cette commission les conclusions de notre présentation au Comité spécial d'examen de la situation du marché de l'essence, déposée à Québec le 3 septembre. De plus, nous voulons souligner que les conclusions du rapport du Comité spécial présenté au ministre le 8 octobre appuient une des recommandations de Petro-Canada, à savoir que le gouvernement ne devrait pas intervenir dans le marché de l'essence. Cette position est bien reflétée aussi dans le communiqué de presse du ministre d'État des Ressources naturelles indiquant l'intention du gouvernement de déréglementer le secteur énergétique.

Finalement, nous voulons souligner notre inquiétude à ce que l'Assemblée nationale adopte cette loi avant de procéder à une étude d'impact. Ceci est d'ailleurs requis par le décret 1362 du gouvernement du Québec concernant l'organisation et le fonctionnement du Conseil exécutif et les règles relatives à l'allégement des normes de nature législative ou réglementaire sur tout projet de loi dont les normes comportent un impact significatif sur les entreprises. Selon nous, les législations canadienne et québécoise actuelles assurent la protection des consommateurs de sorte qu'ils puissent obtenir des produits de qualité et des services à un prix très concurrentiel. Nous recommandons donc une évaluation complète des coûts et avantages de la loi n° 50 en ce qui a trait aux produits pétroliers afin que celle-ci ne soit pas préjudiciable à l'économie et aux consommateurs québécois. Petro-Canada serait d'ailleurs partie prenante à cette étude d'impact.

Je demanderais à M. Pilla de poursuivre.

M. Pilla (Domenic): Merci, Jacques. M. le Président, Petro-Canada est une société pétrolière intégrée qui jouit d'une importante présence au Québec dans les secteurs du raffinage et de la mise en marché des produits pétroliers. Notre présence au Québec est un facteur important de l'activité économique de la province. En effet, si la société emploie directement plus de 600 personnes, environ 4 700 emplois sont reliés à ses activités. De plus, quelque 350 000 000 $ sont dépensés chaque année par la société au Québec.

Petro-Canada possède à Montréal une raffinerie ayant une capacité nominale de 92 000 barils par jour et qui est en exploitation depuis 1955. Cette raffinerie est l'un des plus importants moteurs économiques de l'est de la ville de Montréal. Elle compte plus de 350 employés permanents et jusqu'à 500 employés contractuels reliés à la sous-traitance des travaux d'entretien.

Le degré de perfectionnement et de souplesse de la raffinerie de Petro-Canada à Montréal est le plus élevé dans l'Est du Canada. Cette usine est la seule au Québec capable de manufacturer des produits chimiques à partir du pétrole. D'autres usines chimiques importantes, Pétromont, Himont et Coastal, par exemple, regroupant plus de 700 emplois, dépendent de l'approvisionnement en matières premières de notre raffinerie à Montréal. Dans les cinq dernières années, Petro-Canada a investi plus de 100 000 000 $ dans ses installations de raffinage. Le pétrole traité à notre raffinerie provient principalement du Venezuela, du Mexique et de la mer du Nord.

Directement à partir de la raffinerie, Petro-Canada approvisionne en essence et en distillats des distributeurs indépendants. La raffinerie vend localement et sur le marché de l'exportation une grande variété de produits chimiques, tels le benzène, le toluène, le xylène et plusieurs autres. La raffinerie produit et vend aussi du bitume au Québec et dans le Nord-Est des États-Unis. Petro-Canada est le plus grand producteur et fournisseur de bitume au Québec.

Petro-Canada vend ses produits pétroliers à travers plusieurs canaux de distribution. Le principal et le plus connu est celui des ventes au détail. Malgré une rationalisation de plus de 200 établissements depuis 1992, les 474 stations-service Petro-Canada qui demeurent au Québec vendent plus de 1 000 000 000 de litres de carburant par année. Au cours des cinq dernières années, Petro-Canada a investi dans son réseau plus de 70 000 000 $ et, aujourd'hui, son réseau est le plus efficace au Québec.

À la demande du ministre d'État des Ressources naturelles, Petro-Canada a préparé et déposé un rapport pour le Comité d'examen présidé par le sous-ministre Michel Clair, et, à cet effet, nous avons eu l'occasion de nous entretenir avec des membres du Comité le 3 septembre dernier.

Petro-Canada a procédé à l'étude de plusieurs aspects du marché, dont la dynamique du marché, les guerres de prix, la revue de la réglementation dans d'autres provinces canadiennes et États américains. La conclusion de notre étude, comme notre recommandation au Comité spécial d'examen ainsi qu'à cette commission, demeure la même. Selon nous, les législations actuelles assurent la protection des consommateurs et l'intervention du gouvernement dans le marché de l'essence comporterait des risques importants pour l'économie. On ne devrait donc pas procéder sans une étude d'impact.

Le 8 octobre 1996, le sous-ministre Michel Clair a déposé à M. le ministre le rapport du Comité spécial d'examen. Ce rapport reflète en grande partie les conclusions et les recommandations de notre entreprise. À la page 116 de son rapport, on peut lire, et je cite: «Le Comité est d'avis que le gouvernement ne devrait pas intervenir directement sur le marché pour garantir des marges de commercialisation...»

Cependant, Petro-Canada est étonnée et déçue de la décision du Comité de recommander au gouvernement une intervention dans le marché malgré sa propre conclusion et celle de la plupart des intervenants invités par le ministre à présenter leurs études au Comité spécial d'examen. Nous référons ici à la recommandation n° 4, «...de confier à la Régie de l'énergie le rôle de déterminer un montant (en cents le litre) qui tiendrait compte des coûts directs d'exploitation d'une essencerie». En particulier, le projet de loi, dans l'article 59, prévoit que «la Régie fixe annuellement un montant, par litre, au titre des coûts d'exploitation». Si le gouvernement pense qu'il doit intervenir, nous sommes de l'opinion qu'il faudrait au préalable procéder à des études d'impact pour bien cibler la problématique.

Le 25 novembre dernier, le ministre des Ressources naturelles émettait un communiqué concernant la nouvelle politique énergétique du gouvernement du Québec, que j'ai ici. Dans ce communiqué, il est mentionné, et je cite: «Les objectifs du gouvernement sont clairs. En se préparant à la déréglementation du secteur de l'énergie sur le continent, le Québec vise à tirer parti des occasions de développement qui se présentent...» Plus loin, dans le même communiqué: «Afin de s'assurer que cette libéralisation s'effectue dans le respect du principe de développement durable, la future Régie de l'énergie aura le mandat de donner son avis au gouvernement sur les façons de déréglementer ou de soustraire de sa compétence en tout ou en partie la production d'électricité.»

Il est de l'opinion de Petro-Canada que le processus de déréglementation du marché énergétique nord-américain dans lequel nous sommes engagés doit effectivement être mené à terme. Ce processus, toutefois, ne doit pas se limiter qu'à un seul secteur de l'électricité mais bien englober toutes les formes d'énergie. Les consommateurs québécois bénéficient depuis déjà plusieurs années des avantages de la déréglementation du marché de l'essence et des carburants diesels, comme l'a déjà démontré Petro-Canada dans son mémoire. Ce fait n'est d'ailleurs pas remis en cause par ce même Comité dans son rapport au ministre. En conséquence, nous croyons que le gouvernement du Québec se doit d'entretenir les mêmes objectifs de déréglementation au niveau des carburants fossiles qu'au niveau du gaz ou de l'électricité.

(15 h 20)

La déréglementation du marché québécois de l'essence et des carburants diesels s'inscrit d'ailleurs dans le même respect du principe de développement durable souhaité par le ministre des Ressources naturelles. Tout type de législation visant à assurer un prix minimal pour les divers types de carburants fossiles vendus sur le territoire québécois ne saurait que momifier le marché dans sa structure actuelle et freiner tout développement et recherche d'efficacité futurs.

Le décret 1362 du gouvernement du Québec concernant l'organisation et le fonctionnement du Conseil exécutif et les règles relatives à l'allégement des normes de nature législative ou réglementaire stipule que «tout projet de législation ou de réglementation soumis au Conseil des ministres dont les normes comportent un impact significatif sur des entreprises doit être accompagné d'une étude d'impact».

Il est également mentionné à l'article 3 que l'étude d'impact doit démontrer, pour résoudre cette situation, que des solutions non législatives ou réglementaires tels l'information, l'éducation ou des mécanismes de type marché ont été envisagées au même titre que la solution projetée; deuxièmement, indiquer, pour chacune des solutions envisagées, les avantages escomptés et les coûts prévisibles, comparativement au statu quo, ceux-ci étant évalués en termes quantitatifs. L'étude d'impact doit en outre, en ce qui concerne plus particulièrement la solution proposée, démontrer que les coûts ont été minimisés, en s'inspirant des principes suivants: les exigences doivent demeurer compétitives, principalement en regard du contexte nord-américain, et ne devraient pas être plus élevées que celles des principaux partenaires commerciaux du Québec, notamment l'Ontario et les États américains limitrophes.

Sur ce sujet, Petro-Canada souhaite apporter les commentaires suivants. Le rapport émis par le Comité spécial d'examen de la situation du marché de l'essence au ministre ne démontre pas que des solutions non législatives ou réglementaires ne peuvent pas constituer une avenue acceptable en termes de résolution. Le même rapport ne démontre pas, en outre, que les avantages et les coûts prévisibles, comparativement au statu quo, ont été évalués en termes quantitatifs. Le rapport ne traite pas notamment des conséquences possibles de la législation proposée sur le contribuable québécois quant aux prix futurs qu'il aura à débourser pour s'approvisionner en carburant.

Le rapport du Comité spécial est également incomplet en ce sens qu'il aborde la problématique des prix de l'essence et des carburants diesels principalement sous l'optique défendue par certains détaillants indépendants, mais ne traite pas des conséquences à court, moyen ou long terme de la solution proposée sur les raffineurs québécois notamment au niveau de leurs plans futurs de dépenses en immobilisation et leurs projets de développement et des conséquences sur l'emploi et sur l'économie québécoise de tels plans. Dans un dernier temps, il est également de l'opinion de Petro-Canada que les recommandations émises par le Comité spécial ne prennent pas en considération la directive concernant le besoin pour ces futures exigences de demeurer compétitives et de ne pas être plus élevées que celles des principaux partenaires commerciaux du Québec, à savoir l'Ontario et les États américains limitrophes.

En terminant, il est de notre avis que les conclusions du Comité spécial d'examen ne se retrouvent pas dans les recommandations au ministre et que le texte même de la loi n° 50 en ce qui concerne les produits pétroliers ne prend pas en considération les vues très claires du ministre de déréglementer le secteur de l'énergie. Nous recommandons à la commission le retrait de certains articles ayant trait aux produits pétroliers, spécifiquement l'article 59 et l'article 138.

Maintenant, on est prêts à répondre à des questions du comité, M. le Président.

Le Président (M. Beaulne): Merci. Alors, je cède la parole au ministre des Ressources naturelles.

M. Chevrette: Oui, monsieur – je ne me souviens pas de son nom...

M. Pilla (Domenic): Pilla.

M. Chevrette: M. Pilla. D'abord, je dois vous dire que vous êtes un petit cachottier, tout en faisant une boutade. Parce que vous avez lu une phrase, vous avez dit ceci: «Le Comité est d'avis que le gouvernement ne devrait pas intervenir directement sur le marché pour garantir des marges de commercialisation...» Vous avez dit ça textuellement.

M. Pilla (Domenic): Oui.

M. Chevrette: Mais vous êtes arrêté après la virgule.

M. Pilla (Domenic): Oui.

M. Chevrette: Parce qu'il est écrit ceci après: «...mais plutôt pour éviter que la concurrence ne dégénère au point de mettre en péril des entreprises rentables.» Vous n'avez pas dit ça dans votre mémoire, mais c'est dans la même phrase. C'est une virgule qui séparait ce que vous avez dit par rapport à ce qui est écrit.

M. Pilla (Domenic): Oui.

M. Chevrette: Donc, le Comité, à qui vous semblez devoir dire qu'ils sont incohérents, si vous aviez tout lu la phrase, le Comité n'aurait pas eu l'air fou autant que dans votre mémoire. Vous reconnaissez ça?

M. Pilla (Domenic): Je ne reconnais pas ça, M. le ministre...

M. Chevrette: Bien, écoutez, page 116, monsieur, c'est écrit noir sur blanc, puis c'est à ça que vous vous référez. Vous ne reconnaissez pas ça?

M. Pilla (Domenic): Est-ce que je peux répondre à la question?

M. Chevrette: Oui, mais ne dites pas que vous ne reconnaissez pas ça, c'est dit noir sur blanc, c'est un rapport. Je veux l'honnêteté intellectuelle, c'est ça que je veux vous dire.

M. Pilla (Domenic): Pardon?

M. Chevrette: J'aime ça, l'honnêteté intellectuelle.

M. Pilla (Domenic): Pardon?

M. Chevrette: J'aime l'honnêteté intellectuelle.

M. Pilla (Domenic): M. le ministre, je suis une personne très intègre...

M. Chevrette: Je n'en doute pas.

M. Pilla (Domenic): ...et Petro-Canada aussi.

M. Chevrette: Vous ne reconnaissez pas que c'est écrit ça?

M. Pilla (Domenic): Deuxièmement, je reconnais que c'est écrit ça.

M. Chevrette: Ah!

M. Pilla (Domenic): On a cité cette phrase-là, mais je pourrais en citer cinq ou six autres équivalentes. Le rapport du Comité spécial d'examen démontre clairement que, dans beaucoup de cas, l'intervention gouvernementale a, dans d'autres États, dans d'autres provinces canadiennes, étudié qu'il y a eu une hausse de prix d'essence dans tous les cas. On pourrait en citer d'autres, on pourrait passer à travers le rapport, on pourrait le regarder étroitement. J'en cite un à titre d'exemple. Il y a d'autres occasions où le Comité spécial d'examen a appuyé les recommandations de Petro-Canada dans sa conclusion. Vous avez raison, j'en ai cité un à titre d'exemple, mais il y a d'autres exemples. Et, nous, Petro-Canada, on ne recommande pas ni le rapport d'examen ni celui de Petro-Canada. Ce qu'on recommande, c'est qu'il y ait une étude d'impact quantitative, parce qu'on trouve que personne ne la fait, ni nous, ni le Comité spécial d'examen. C'est un rapport qualitatif qui a été fait et non pas quantitatif. Et on demande à cette commission de procéder avec cette étude d'impact là. Les phrases qui sont là ont toutes été qualitatives de toute façon, jamais appuyées de chiffres.

M. Chevrette: Non, non, je comprends, mais c'est parce que vous dites que vous en citez une, une phrase du rapport, et vous avez dit... Je vous ai juste dit que vous citiez un membre de phrase. Vous savez qu'avec des virgules et des mots on peut faire pendre du monde. De la manière que vous l'avez lue devant nous, c'est comme si le rapport, les rédacteurs du rapport avaient dit qu'on ne recommandait pas de législation. Ils ne recommandent pas une législation, c'est-à-dire dans le sens de la marge de commercialisation, mais plutôt pour éviter que la concurrence dégénère... Ils recommandent un type de législation, qu'on pense avoir mis dans le projet de loi, nous autres. C'est ça que je veux dire. Je ne veux pas attaquer votre intégrité, là.

M. Pilla (Domenic): Merci.

M. Chevrette: Mais je vous dis que, quand vous dites que vous avez cité une phrase, vous avez cité un bout de phrase. Ça, c'est plus précis. Et je connais ceux qui ont rédigé le rapport, puis il est très cohérent par rapport à leurs conclusions. On n'a pas pris toutes les conclusions du rapport, effectivement, dans le projet de loi. On a pris certaines recommandations. C'est comme n'importe quel comité de travail, on prend les recommandations qu'on veut bien prendre, et on a pris une conclusion qui nous amenait non pas à tuer la concurrence entre les compagnies, mais bien pour éviter que les compagnies tuent certains groupes, tuent d'autres compagnies. Ça, c'était notre évaluation politique. En d'autres mots, on ne voulait pas que vous étouffiez les indépendants parce qu'on ne mettait rien dans le projet de loi. Ce projet de loi là n'est pas venu au monde de rien. Même l'opposition officielle trouvait que j'avais attendu trop longtemps, puis même, eux autres, ils mettraient l'huile à chauffage. On n'a pas mis l'huile à chauffage, on a pris assez notre temps, merci, on a déposé un projet de loi qu'on veut discuter correctement.

Je vais vous poser deux petites questions. La première: Trouvez-vous normal que le détaillant indépendant puisse payer plus cher... le détaillant indépendant qui achète chez vous puisse payer plus cher qu'à vos propres essenceries?

M. Pilla (Domenic): Premièrement, si vous définissez un détaillant indépendant comme un détaillant qui a la marque de commerce Petro-Canada mais qui est un commerçant indépendant...

M. Chevrette: Commerçant indépendant.

M. Pilla (Domenic): ...ou des détaillants indépendants qui ont d'autres marques de commerce, deux personnes différentes...

M. Chevrette: Celui qui achète chez vous, là.

M. Pilla (Domenic): Les deux achètent chez nous mais sont... Premièrement, qu'est-ce qui...

M. Chevrette: Il n'a pas votre bannière, il achète son essence brute chez vous.

(15 h 30)

M. Pilla (Domenic): O.K. La question que vous avez posée, je pense, c'est: Est-ce que c'est normal? Nous, on ne considère pas ça normal, puis ce n'est pas parce qu'on fait un jugement sur ça, si on fait un constat des faits, que ça n'arrive pas souvent. Alors, on dit que ce n'est pas normal parce que ça ne semble pas arriver souvent, malgré qu'au Québec ça arrive à l'occasion, c'est arrivé cette année, mais, dans d'autres provinces canadiennes, c'est arrivé aussi. Moi, j'ai vécu l'expérience de voir zéro cent le litre à Winnipeg en 1989. Alors, ce n'est pas normal, puis ça arrive, ça n'arrive pas souvent, puis ça arrive de courte durée. Est-ce que ça amène une problématique structurelle dans l'industrie? C'est là que Petro-Canada exige, demande, est partie prenante à regarder une étude d'impact quantitative pour dire: Est-ce que cette aberration temporaire, «infréquente», est vraiment un problème structurel dans l'industrie? C'est avec ça qu'on est en désaccord. On ne vous dit pas que c'est normal; ce n'est pas normal. Ça n'arrive pas souvent, c'est de courte durée, ça arrive ailleurs. Où, nous, on pose la question: Est-ce que, du fait que c'est arrivé en 1996, on peut déduire de ce fait-là qu'on a maintenant un problème structurel dans notre industrie? On aimerait faire une étude d'impact quantitative pour déterminer si on a un problème structurel.

M. Chevrette: M. Pilla, je «peux-tu» vous dire que deux mois, pour certains petits entrepreneurs, de luttes stériles et de pratiques déloyales, c'est trop? Pour plusieurs centaines de travailleurs à l'intérieur de ça... Il y a des détaillants qui n'ont pas les reins forts comme vous autres. Il faut que vous compreniez ça un petit peu. C'est souvent dans des petits marchés, des histoires de familles, des histoires de salariés au salaire minimum tout juste, qui gagnent leur pitance tant bien que mal – et ils ne sont pas sur la sécurité du revenu, au moins – et qui desservent des populations que les pétrolières n'envient pas parce que le marché n'est pas assez grand ou assez gros. Il faut se dire ça aussi, il y a plusieurs petits indépendants qui desservent des petites populations et qui donnent des services. On ne peut pas endurer vos humeurs pendant deux mois; c'est déjà trop pour eux autres. Ils ont de la misère à boucler.

Vous ne proposez rien d'autre que de retirer le projet de loi. Au moins, Ultramar, ce matin, et Esso ont proposé des modifications, des formules nouvelles. Avez-vous quelque chose de positif à proposer?

M. Pilla (Domenic): On a quelque chose de très positif à apporter, M. le ministre, et je vais vous donner un exemple. La guerre de prix n'a pas duré deux mois, elle a duré exactement trois semaines. C'est ça qu'on veut dire par «une étude quantitative et non philosophique». Les régions sont pleines de majeures. Ce ne sont pas juste des détaillants indépendants qui desservent les régions. D'ailleurs, Petro-Canada vient d'annoncer une acquisition importante dans une région périphérique. Alors, il y a des mythes dans certaines allégations qui sont faites. Nous, on veut éclaircir ces mythes-là avec des faits et des études quantitatives. Si l'étude quantitative démontre une vraie problématique – et, nous, on est prêts à être partie prenante de cette étude-là – on va se plier à cette étude-là. Mais, présentement, ce qu'on vous dit, c'est qu'il y a beaucoup de mythes mélangés avec des faits, et ce n'est pas clair pour nous qu'il y a vraiment une problématique.

La guerre de prix, exemple, n'a pas duré deux mois, mais c'est convenu par beaucoup de médias, beaucoup de gens, que c'est deux mois, parce que ça a été dit. En effet, de nos données – ce sont juste des données de Petro-Canada – on estime que ça a duré trois semaines. C'est ça qu'on veut dire par du quantitatif, M. le ministre.

M. Chevrette: Je vous remercie. Je dois me retirer. Ce n'est pas parce que je ne suis pas intéressé – je sais que mon temps est écoulé – mais je dois me retirer pour une mission spéciale de 15 minutes. Donc, je m'excuse devant vous. Ce n'est pas... Il n'y a aucune raison autre que celle de la mission que je dois faire.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. le ministre. Alors, M. le député de Saint-Laurent.

M. Cherry: Merci, MM. Viau et Pilla. Un des avantages d'être la quatrième pétrolière devant nous, c'est que, bien sûr, des questions qu'on aurait souhaité vous poser l'ont déjà été à d'autres. Des réponses nous ont été données. Je suis content que vous souleviez certains arguments, que vous qualifiez de mythes, parce que la perception qui a amené aux décisions du mois d'octobre était basée sur perception, sur des faits... Perception, c'est qu'il y a 2 000 stations-service de trop au Québec. Donc, la perception, c'était que des indépendants, que des petits étaient pour disparaître, pendant que le rapport nous démontre qu'il y a un nombre important de stations des majeures qui ont fermé parce que l'économie ne justifiait plus ça, j'en suis convaincu.

Ce que vous soulevez, vous dites: Ce qui serait important pour nous, c'est qu'il y ait une étude d'impact quantitative de ce qui se passe. Vous dites: un, c'est un engagement que le gouvernement a pris à partir du sommet, qu'avant d'introduire toute nouvelle législation maintenant il serait important de savoir ce que ça veut dire: Est-ce que ça facilite le commerce ou est-ce que ça ajoute des tracasseries administratives?

Alors, si la loi procédait comme tel – voulez-vous un peu rapidement, parce que j'ai mon collègue d'Argenteuil qui souhaiterait vous poser une question aussi – qu'est-ce que ça voudrait dire pour vous autres, avec les zones et tout ça, s'il fallait que le projet de loi fonctionne tel quel?

M. Pilla (Domenic): Premièrement, notre expérience: on opère dans toutes les provinces canadiennes, on opère aux États-Unis un peu. Notre expérience, puis, encore une fois, notre expérience quantitative – ça ne veut pas dire que c'est l'expérience de l'industrie ou des différents paliers de gouvernement – démontre clairement – l'étude quantitative que, nous, on fait, on l'a déposée dans notre mémoire au Comité spécial d'examen – que dans tous les cas, quand il y a eu une intervention du gouvernement, à n'importe quel palier, que ça soit «below cost», que ça soit le «divorcement», que ça soit le type de législation envisagé ici, que ça soit la réglementation plus rigide comme elle existe à l'Île-du-Prince-Édouard, notre étude démontre que dans tous les cas ça a eu comme impact d'augmenter les prix pour le consommateur. Ça a eu l'impact aussi de momifier la structure de l'industrie, au moment où la loi a été mise en place.

Et tout ce qu'on peut vous dire, c'est ça, c'est notre étude. On ne vous dit pas que c'est les faits, c'est notre perception des faits, c'est notre étude, c'est nos quantitatifs. Qu'est-ce qu'on recommande à la commission? Prenez donc le temps de le faire comme il faut, quantitativement. Nous, on est prêts à partager l'information qu'on a, mais allez la chercher chez d'autres et vérifiez par vous-mêmes si on a raison.

Le Président (M. Beaulne): M. le député d'Argenteuil.

M. Beaudet: Oui. Merci, M. le Président. Je ne sais pas si vous étiez là ce matin lors de la présentation d'Ultramar et d'Esso.

M. Pilla (Domenic): Oui, j'étais là.

M. Beaudet: Dans le marché qui nous est proposé dans le projet de loi, où on parle de régimenter ou réglementer le prix plus les coûts d'opération, qui vont varier, évidemment, d'une région... puis même à l'intérieur d'une même ville, dépendant des taxes du terrain sur lequel est située la station, bien, à ce moment-là, celui-là, ses coûts vont être plus élevés que l'autre à trois coins de rue plus loin. Alors, on va avoir le même prix et, à trois coins de rues de différence, les coûts d'opération ne seront pas les mêmes. Il y en a un qui va en bénéficier. Et on revient toujours, parce qu'on nous a avertis de ça hier clairement, que, si on faisait cette démarche-là, d'avoir un plancher, ceux qui en tireraient profit, ce seraient les «majors». Bon. Alors, conscient de cela, le ministre a commencé à réorienter son tir puis il a parlé d'un plancher, mais un plancher variable selon la pétrolière et selon le prix à la rampe.

Est-ce que, pour vous, d'avoir un prix plancher par «major», par pétrolière majeure, avec le même prix à la rampe que dans votre réseau de distribution, c'est quelque chose qui vous conviendrait comme démarche, permettant le jeu du marché entre les différentes pétrolières? Ce n'est pas l'idéal, j'en conviens, j'accepte ça. Une fois qu'on accepte qu'il faut qu'il y ait une réglementation puis qu'on sait qu'elle va passer, on est aussi bien de s'arranger pour que ça fasse le moins mal possible. J'essaie de voir une démarche par laquelle on a conservé les lois du marché entre les différentes pétrolières et qu'en même temps on permette aux indépendants de survivre.

M. Pilla (Domenic): J'ai quelques commentaires là-dessus. Premièrement, au niveau de l'implantation du projet de loi tel qu'on le voit, nous autres, incluant les constatations qu'on a faites lors des deux derniers jours, notre analyse démontre qu'il y a énormément de problèmes d'implantation, beaucoup plus que prévu et représenté jusqu'à maintenant. Ça, c'est encore une fois notre perspective: énormément de problèmes d'implantation. Vous en soulignez un qui est: comment établir la marge, la définition d'un distributeur? Est-ce qu'on le fait quotidiennement, journalièrement, mensuellement, par année?

D'ailleurs, on a probablement des dizaines de problèmes qu'on pourrait travailler avec le comité pour essayer d'éclaircir comment implanter ce type de loi; il y a énormément de problèmes d'implantation. Mais ce n'est pas là qu'on veut en venir, nous. Avant de même en venir à parler de ces problèmes-là, on veut commencer plus loin pour dire: Assurons-nous qu'on en a besoin, de cette intervention-là, assurons-nous de façon quantitative qu'on en a besoin, ensuite, passons à l'étape de comment la mettre en place. Je pense qu'on a sauté... Petro-Canada pense qu'on a sauté une étape.

M. Beaudet: L'étude.

M. Pilla (Domenic): Et, nous, on veut être partie prenante de cet exercice-là, l'exercice d'étude d'impact, et ensuite aussi l'exercice d'implantation. On a de l'expérience dans le domaine puis on est prêt à être partie prenante comme un des intervenants. Mais je pense qu'on va trop vite, on va trop vite arriver dans ces points-là, dans ces points de détail là et on n'est pas nécessairement tous experts dans ce domaine-là, parce qu'on va trop vite, justement.

Alors, si on a une recommandation à faire, c'est: Faisons l'étape comme il faut. Ensuite, Petro-Canada est définitivement intéressée à participer aux commissions législatives, à travailler sur des petites problématiques comme ça. Mais il n'y a pas juste celles-là, il y en a énormément, il y en a des dizaines, de problèmes.

(15 h 40)

M. Beaudet: Je partage votre inquiétude à savoir quel serait l'impact d'aller légiférer dans un marché. Bon, on veut déréglementer, mais on va réglementer en même temps. On a un problème là, j'en suis très conscient. Et je suis aussi conscient qu'à chaque fois qu'on réglemente il y a toujours des hausses de prix; puis c'est ça qui va arriver, j'en suis très conscient.

M. Pilla (Domenic): Mais, ça, on ne le prévoit pas par jugement. Je veux juste souligner que...

M. Beaudet: Non, mais vous...

M. Pilla (Domenic): ...chez Petro-Canada, ils ne disent pas «par jugement»...

M. Beaudet: Non, mais vous le savez par expérience.

M. Pilla (Domenic): ...ils le disent par expérience: On l'a vécu ailleurs.

M. Beaudet: C'est ça. J'accepte ça, c'est par expérience. Maintenant, quand vous nous dites qu'on n'a pas fait l'évaluation par une étude quantitative, quelles seraient les répercussions? Si on en fait une, ça prend combien de temps?

M. Pilla (Domenic): Ah, bien, là...

M. Beaudet: Une idée, là: deux ans, deux mois, deux...

M. Pilla (Domenic): Si vous prenez nos données comme des faits, ça va être très vite, on l'a déjà fait.

M. Beaudet: Mais on ne peut pas faire ça. Si on veut faire une étude, on fait une étude, là.

M. Pilla (Domenic): Probablement des mois; probablement quelques mois.

M. Beaudet: J'ai très confiance en vous, là, vous allez comprendre, mais...

M. Pilla (Domenic): Je ne le sais pas, probablement quelques mois.

M. Beaudet: C'est quoi, quelques mois, six mois?

M. Pilla (Domenic): De trois à six mois, je dirais.

M. Beaudet: On a partagé, ce matin, le fait que la perception, c'était que les majeures n'étaient pas en région. Dans le rapport de M. Clair, on voit bien que les majeures sont en région. Comment on est arrivé à cette perception-là, que les régions, c'était quasiment le monopole des indépendants, alors que les majeures se sont retirées parce que le marché n'est pas assez gros? Alors, comment on est arrivé à cette notion-là, alors que dans le rapport ce n'est pas ça qu'on lit, là?

M. Pilla (Domenic): Je n'ai pas de commentaires là-dessus. Nous, on a partagé avec le Comité nos emplacements, où ils sont, leur débit. On est prêts à partager cette information-là, ce n'est pas une cachette pour nous. Comme je vous l'ai dit, on vient d'annoncer, cette semaine, une acquisition ou...

M. Beaudet: Un investissement.

M. Pilla (Domenic): ...un investissement important dans la région, et on est présents dans les régions. Alors, je ne le sais pas.

M. Beaudet: O.K.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. le député d'Argenteuil. Alors, c'est tout le temps que nous avons pour échanger avec vous. Je vous remercie de vous être prêtés à cet exercice, et j'appelle maintenant les représentants de Produits Shell Canada.

Bienvenue à la commission! Vous connaissez les règles, je n'ai pas besoin de les répéter, puisque vous avez participé aux autres témoignages. Alors, si vous voulez bien vous identifier pour les fins de la transcription. Vous avez un maximum de 15 minutes pour présenter votre mémoire.


Produits Shell Canada ltée

M. Dumais (André): Merci, M. le Président. Mon nom est André Dumais, vice-président marketing pour le Québec et les Maritimes pour les Produits Shell Canada. Je suis localisé ici, à Montréal. Ici, à Montréal; il y a une virgule, comme je l'ai entendu tout à l'heure.

Une voix: Ici, à Québec.

M. Dumais (André): Ici, à Québec; ici, au Québec, à Montréal. Ah, on n'embarquera pas là-dedans! Ha, ha, ha! Tout d'abord, merci au ministre et aux membres de la commission pour nous inviter à partager nos commentaires avec vous. Juste un bref rappel sur les activités de Shell Canada. Nous sommes ici, au Québec, depuis plus de 85 ans, et nous avons été, au cours de ces années-là, un générateur économique important pour la province et pour tous les gens qui sont ici. Nous avons trois raffineries principales à travers le pays et notre principale raffinerie est ici, située à Montréal, et cette raffinerie raffine environ 40 000 000 de barils de brut par année. Juste pour vous donner une idée de l'ordre de grandeur monétaire, c'est environ 1 000 000 000 $ qui est raffiné dans notre raffinerie, ici.

Au Québec, Shell Canada génère au-delà de 600 emplois directs et plus de 4 500 emplois indirects. Donc, vous comprenez qu'il est très important pour nous de pouvoir participer à cette commission parlementaire, parce que c'est important pour notre entreprise et nos emplois de continuer d'être compétitifs et de croître dans un environnement d'affaires propice au développement de notre industrie, de notre compagnie, et surtout un environnement d'industries qui est équitable pour tous les intervenants.

Selon le premier article du projet de loi n° 50, la nouvelle Régie de l'énergie aura pour mandat de surveiller et d'intervenir dans tous les secteurs énergétiques, et ce, de façon plus ou moins indirecte – si on comprend bien – selon qu'il s'agit ou non d'un monopole énergétique. Nous pouvons donc espérer que les règles d'équité entre les diverses formes d'énergie et parmi ces divers intervenants pourront ainsi être respectées, et ce, dans le meilleur intérêt des consommateurs. Nous n'avons qu'à penser au chauffage domestique, qui représente premièrement une opportunité ou un exemple concret où une équité entre les diverses formes d'énergie peut se retrouver au bénéfice des consommateurs.

Bien que les interventions et les décisions de la Régie auront un impact plus direct et régulatoire dans le domaine de l'énergie électrique et du gaz naturel, il n'en demeure pas moins que le mandat proposé de la Régie de l'énergie lui conférera une présence et un rôle accrus dans les activités du secteur pétrolier. Nous comprenons, dans notre compagnie et selon les communications antérieures de la part du ministre, que ce rôle de surveillance accru se veut en fait une réponse directe aux situations telles celle qui a affecté le secteur des ventes d'essence au détail au cours des derniers mois.

Nous nous permettons donc d'en déduire que l'objectif poursuivi par le ministre en présentant ce projet de loi n° 50 n'implique, de la part de la Régie, qu'une intervention minime restreinte aux situations où se trouverait entravée une compétitivité saine et normale dans le secteur de vente d'essence au détail, permettant ainsi aux forces d'un marché libre de jouer pleinement leur rôle pour le plus grand intérêt des consommateurs. Et nous voulons réaffirmer ici que nous demeurons fermement convaincus qu'un marché totalement libre et opérant selon les règles d'une compétition saine est encore la meilleure approche à être utilisée tant pour l'avantage du consommateur que pour celui de l'industrie québécoise.

Nos commentaires à l'intérieur de ce bref mémoire vont se concentrer sur un sujet bien précis: le secteur du pétrole, où nous avons six recommandations précises à soumettre, et le fonctionnement même de la Régie, où nous avançons cinq suggestions. J'y vais assez rapidement dans le secteur du pétrole, je ne les prendrai pas en détail, parce que vous avez les documents devant vous.

La première recommandation concerne le coût d'exploitation pour le carburant diesel. Prenant en considération que le secteur pétrolier, par sa composition et par son intense compétitivité, est assez complexe, on voit que l'ajout que la Régie ait à déterminer un coût d'exploitation pour le carburant diesel, on voit ça comme une période un peu grise comme mandat pour la Régie. Autant le marché de la gazoline est assez précis avec ses stations-service, autant le marché du diesel est beaucoup plus complexe, beaucoup plus élaboré, beaucoup plus large, parce que les canaux de distribution sont différents, les coûts, les escomptes, les infrastructures. Les gens achètent le diesel pour leur propre compagnie. On a juste à penser aux secteurs minier, forestier, etc. Donner un mandat à la Régie de trouver le coût d'exploitation pour le diesel, c'est comme ouvrir une boîte avec... C'est un «Rubik cube», si je peux prendre l'expression. Donc, il nous apparaît inapproprié et extrêmement complexe d'assujettir les ventes au détail de carburant diesel à la surveillance de la Régie de l'énergie, dont le mandat consisterait à rechercher un coût d'exploitation représentatif.

On a des recommandations qu'on fait pour changer les textes, on a aussi certaines réserves avec la définition de «distributeur pétrolier» telle qu'elle est énoncée au chapitre I, article 2. Ce qu'on trouve un peu risqué à l'intérieur de ça, c'est que ça ouvre sujet à interprétation future. Et si on prend textuellement les mots comme ils sont écrits: «quiconque approvisionne un commerçant au détail de produits pétroliers», on pourrait en arriver ici que quiconque importe du produit pour son propre réseau ou encore qui produit et approvisionne seulement ses propres stations et installations au détail ne serait pas couvert par la loi. Donc, on suggère un libellé un peu plus large qui inclurait tous les gens qui fabriquent, approvisionnent et qui font le commerce, pour s'assurer qu'il n'y a pas des trous qui se retrouvent à l'intérieur de la loi.

(15 h 50)

Un montant par litre au titre de coût d'exploitation. C'est important, selon nous, que ce montant, s'il est à être déterminé, selon notre compréhension, serve de référence pour la Régie et pour le côté légal dans l'application de la présomption, là, de l'exercice de ses droits par un distributeur qui aurait voulu prendre avantage peut-être ou gérer une situation compétitive non saine. Selon nous, il est impératif que la Régie de l'énergie s'assure que ce coût d'exploitation et de référence, comme on l'appelle, nous, reflète une réalité économique saine d'un réseau de distribution efficace, afin que le consommateur ne soit pas pénalisé par un coût moyen d'exploitation artificiellement trop élevé. Et le moyen qu'on suggère pour arriver à ça, c'est: un, de s'assurer que tous les intervenants du secteur pétrolier soient invités lors des audiences publiques pour empêcher, dans un sens, que les seuls qui sont invités sont ceux qui ont des structures trop élevées, ou très élevées, ou inefficaces, ce qui pourrait entraîner une artificialité du coût d'exploitation utilisé.

De plus, on souligne que le moyen ou la façon dont les audiences devraient se faire, ça devrait rencontrer les limites et les restrictions imposées par la loi fédérale sur la concurrence, de façon à ne pas mettre les intervenants dans des positions compromettantes au point de vue légal.

Nous suggérons également que, dans le libellé, une notion d'efficacité soit ajoutée au libellé, qui tienne compte des volumes et qui tienne compte du trafic, de façon que ça ne devienne pas nominalement inefficace. Une station qui vend 100 litres par année a certainement un besoin, un coût d'exploitation qui est extrêmement plus élevé qu'une station qui vend 2 000 000 ou 1 000 000 de litres par année, ce qui fait qu'il y a des notions d'efficacité à rentrer à l'intérieur de ça.

La Régie peut déterminer des zones. Encore là, il y a une référence à des municipalités. On suggérerait que la définition soit plus large et contienne un aspect commercial. Et le point peut-être le plus sensible, c'est l'article 5, ou la suggestion 5, c'est la qualité des produits commercialisés. On retrouve, au chapitre V et au chapitre IX: Selon nous, dans un contexte de globalisation des marchés et d'une grande accessibilité aux importations des produits pétroliers, il est primordial, un, pour la protection de l'environnement et, deux, pour la viabilité de l'industrie pétrolière québécoise que des normes précises en matière de qualité de produits soient établies et appliquées de manière uniforme relativement à tous les produits pétroliers commercialisés au Québec. De telles normes pourraient s'appliquer, à titre d'exemple, en matière de teneur de souffre, benzène et/ou aromatiques contenus dans les divers produits pétroliers commercialisés au Québec. À cette fin, on croit que le ministre pourrait se servir peut-être de son pouvoir de directive, tel qu'énoncé au chapitre IX, ou encore l'instituer directement dans le projet de loi n° 50. Ceci a pour but d'empêcher que des produits environnementaux non conformes au point de vue souffre, benzène, etc., puissent accéder à des marchés québécois, alors que ces mêmes produits-là ne peuvent avoir accès au marché américain ou au marché canadien, même ailleurs.

On a aussi des recommandations sur la modification à la Loi sur l'utilisation des produits pétroliers. C'est encore des contextes de clarification. En ce qui concerne le fonctionnement de la Régie elle-même, dans la composition, on souligne que, vu la complexité du secteur pétrolier, qui est un secteur à compétition ouverte, qui est assez complexe, à plusieurs canaux d'opération, il serait important de s'assurer qu'au moins deux des commissaires à être nommés aient une connaissance du secteur pétrolier.

On mentionne deux commissaires parce qu'on considère qu'il est aussi important que la Régie soit capable de tenir des audiences en parallèle – deux séries d'audiences – et ce n'est certainement pas trop demander que d'avoir au moins deux commissaires qui connaissent un peu le pétrole, qui représente tout de même 41 % ou une part égale de l'énergie de l'électricité au Québec.

On reconnaît que la Régie peut édicter des règles de régie interne pour la conduite de ses affaires. Ce qu'on aimerait suggérer, c'est, lorsqu'il y a des changements qui affectent la procédure d'audiences, c'est-à-dire qu'il y a une tierce partie qui est le public, que la Régie se serve des audiences publiques et ne puisse pas le faire de façon autocratique. Qu'il y ait aussi une consultation si sa régie interne implique la participation du public.

On a déjà mentionné... les audiences publiques, selon l'article 59, là, que tous les gens du pétrole soient invités. On aimerait aussi rappeler que, dans la procédure d'audiences publiques, il soit clairement indiqué que de telles audiences vont être tenues en accord les principes énoncés par la législation fédérale applicable en matière de concurrence, pour empêcher que ça devienne un conflit légal et politique.

Le financement de la Régie. Je crois, on pense que, ayant deux monopoles, l'électricité et le gaz naturel, et une troisième forme d'énergie déjà dans un marché ouvert qu'est le pétrole, la majorité de l'énergie, du temps et des activités de la Régie va être concentrée sur les deux premiers secteurs. Et on suggère que la Régie prenne en considération le temps et les activités alloués à chacun des secteurs lorsqu'on fait la part et la définition des redevances à être payées par chacun des intervenants.

Finalement, un dernier commentaire qui est beaucoup plus commentaire qualitatif que suggestion. Dans l'article 164 du chapitre XII, la loi spécifie que la Régie de l'énergie aurait six mois pour donner son avis au gouvernement sur la façon de déréglementer ou soustraire de sa compétence en tout ou en partie la production d'électricité. Cet article-là ne nous affecte pas personnellement, mais, si on prend la vitesse à laquelle le calendrier se déroule, six mois, pour une nouvelle Régie de l'énergie à être mise en place, à être formée, à mettre des commissaires, à édicter ses règles de procédure à avancer et en même temps faire une étude de cette envergure-là, on veut juste suggérer que peut-être le six mois est un peu court, selon nous, mais c'est un jugement purement, comment je dirais ça donc, informatif.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. Dumais. Avant de céder la parole à la formation gouvernementale, je voudrais excuser le ministre des Ressources naturelles, qui était ici il y a quelques minutes, qui a dû s'absenter brièvement pour une question d'urgence. Comme vous le savez, aujourd'hui, c'est la réunion du Conseil des ministres. M. Chevrette joue un rôle important dans ce cabinet. Il faut s'attendre, cet après-midi, à ce qu'il soit appelé de temps à autre. Sur ce, je cède la parole au député de La Peltrie.

M. Côté: Merci, M. le Président. M. Dumais, bienvenue à cette commission, et je vous félicite pour votre mémoire. On vous remercie également parce qu'il y a de nombreuses propositions, je pense, qu'il faut vraiment prendre en considération. Soyez assuré qu'on va les relire, certainement.

Ma première question serait sur... D'abord, le gouvernement est tout à fait d'accord avec l'idée d'appliquer de manière uniforme des normes précises en matière de qualité, que vous suggérez dans votre présentation; ça fait partie de la nouvelle politique énergétique également. Pouvez-vous nous expliquer en quoi le fait de confier à la Régie ce mandat additionnel de surveillance serait plus avantageux que la situation actuelle où c'est le ministère des Ressources naturelles qui assume cette responsabilité-là? D'après vous, est-ce que...

M. Dumais (André): Je vais vous répondre bien simplement et bien directement...

M. Côté: Ou encore est-ce qu'il y aurait des nouvelles façons de faire?

M. Dumais (André): Notre préoccupation personnelle est beaucoup plus à l'effet que ça s'applique et que ça s'applique de la façon la plus rapide possible. Est-ce que le mandat devrait se retrouver avec le ministère des richesses naturelles? Lorsque je relisais le projet de loi, je voyais le mandat donné à la Régie qui était sur les approvisionnements, les infrastructures, les coûts d'exploitation, les marges. Soudainement, ça semblait relativement clair dans ma tête que ça rentre un peu dans la même dimension.

À cette heure, est-ce que, opérationnellement, ça implique le besoin d'inspection ou le besoin de rapport? Et puis est-ce que c'est la Régie qui devrait faire ça, versus le ministère des Ressources naturelles? C'est peut-être plus opérationnel du côté des Ressources naturelles. Je ne suis peut-être pas bien équipé pour répondre dans le contexte opérationnel, mais, en autant que c'est fait par un des deux et que c'est fait rapidement, je pense que c'est là qu'est notre préoccupation principale, parce qu'il y a un impact direct sur la profitabilité et la survie des raffineries à Montréal, quand le produit rentre et «by-pass» le système dans ce contexte-là. Mais peut-être que les inspecteurs, comme on dit, ça implique des rapports, des inspections. C'est peut-être plus avec le ministère des richesses naturelles, mais je vous laisse juge là-dedans. Ça ne répond pas à votre question, mais...

M. Côté: Oui, ça me va, ça. Dans un autre ordre d'idées, vous dites aussi, à la page 5 du mémoire, vous suggérez d'ajouter à l'article 59.1: Elle peut fixer des montants différents selon les zones qu'elle détermine. Cependant, ces montants devront prendre en considération des volumes et des coûts moyens d'exploitation représentatifs d'une opération de vente au détail efficace. Bon. Est-ce qu'il y aurait d'autres dispositions qui pourraient peut-être s'ajouter à cette proposition-là ou à cette suggestion-là?

(16 heures)

M. Dumais (André): Au départ, si on ne joue pas avec les mots, disons que c'est une forme de réglementation. O.K.? Ça fait que toute réglementation, ça implique un coût fixe qui est payé par le consommateur, en bout de ligne. Si, pour des raisons de société, le Québec décide d'aller dans une certaine forme de réglementation et que tout le monde est d'accord pour la mettre en place, ou que les élus sont d'accord pour la mettre en place, le défi, à cette heure, est de s'assurer que cette forme de réglementation là ne devienne pas au détriment des consommateurs, O.K.? La réglementation la plus simple, c'est ce qui existe présentement à l'Île-du-Prince-Édouard et ce qui existait antérieurement en Nouvelle-Écosse. Et, aujourd'hui, à l'Île-du-Prince-Édouard, toutes taxes séparées, le prix est toujours de 0,63 $, 0,64 $, et il y a à peu près 0,06 $, 0,07 $, je pense, de différence de taxes avec le Québec.

Ça fait que, si on s'en va dans une réglementation minime où il y a des audiences annuelles, ce qu'il faut, je pense, que le mécanisme de la Régie assure, c'est que ça soit au moins représentatif d'une industrie saine. Parce que le danger qui existe à l'intérieur de ça, c'est de perpétuer la non-efficacité – le mot dont on se sert depuis longtemps – mais c'est de perpétuer la survie d'entreprises qui, à toutes fins pratiques, devraient peut-être orienter leurs activités vers autre chose. Parce que, pour prendre un exemple bien simple, si les seuls qui se présentent devant les audiences sont ceux qui ont 300 000 litres par année de ventes puis que les taxes municipales sont de 15 000 $, c'est facile à calculer quel devrait être le minimum.

Donc, il y a des normes d'équité, que j'appellerais, d'opération. Il y a déjà des moyennes de volumes qui existent autant pour les indépendants que pour les majeures – parce qu'on ne parle pas de sites sur le coin de la rue Saint-Laurent et «whatever» à Montréal – mais il y a des normes qui existent. Tu dis: O.K., c'est ça qui est un réseau représentatif, c'est aussi vers ça que le Québec tend comme réseau et, à l'intérieur de ça, il y a quelque chose qui reflète une certaine réalité économique, c'est l'aspect des frais, c'est l'aspect des taxes d'opération et le volume en tant que tel. Et la Régie, je pense, elle pourrait édicter ou s'assurer qu'elle reçoit la bonne information et qu'elle a ses barèmes puis qu'elle est capable de voir qu'est-ce qui se passe. Parce qu'il y a des indépendants qui vendent 3 000 000, 4 000 000, 5 000 000 de litres par année, comme il y a des majeures qui en vendent 3 000 000, 4 000 000, 5 000 000 de litres par année. Il y a des majeures qui vendent 600 000 litres par année puis il y a des indépendants qui en vendent 600 000 litres par année. Ça fait qu'il n'y a pas de petit chiffre magique. Mais, bien des fois, le chiffre qu'on entend le plus, c'est celui qui crie le plus fort, qui a peut-être plus de temps à crier parce qu'il vend moins de litres. Ça, c'est un commentaire personnel.

M. Côté: Ensuite, concernant la détermination des zones, là aussi vous faites une suggestion lorsque vous mentionnez qu'il faudrait tenir compte, lors de l'établissement de ces zones-là, de l'aspect municipalités locales, non seulement de l'aspect municipalités locales, mais également de ce qu'il serait approprié d'appeler des zones de marché compétitives naturelles et réelles. Comment est-ce qu'on va pouvoir gérer tout ça, cette proposition-là? Il me semble que ça va être... Est-ce que vous pourriez nous expliquer davantage, peut-être, comment on pourrait gérer ça?

M. Dumais (André): Je pense qu'au départ il y a déjà, je pense, beaucoup d'informations qui existent, avec l'ancienne structure du... qui fonctionnait avec de l'information, au Québec; il y avait beaucoup d'informations qui existaient déjà dans ce contexte-là. Mais c'est assez facile – je dis ça dans notre cas, c'est peut-être plus facile lorsqu'on est dans le domaine, mais avec... c'est peut-être des consultations, c'est peut-être des discussions. Mais le point qu'on souligne ici, c'est que, si on restreint la définition de zone à municipalité, bien, je pourrais... pas «je pourrais», vous pourriez nous donner vous-même des exemples où, dans la même municipalité, finalement, il y a une rivière qui passe en plein milieu et il y a effectivement deux marchés. Ici, à Québec, si on prend l'exemple qui est le plus proche de vous autres, il y a un marché qui s'appelle Sainte-Foy et la haute-ville, et, lorsque vous traversez de l'autre côté, à Lévis, bien, ce n'est pas tout à fait le même marché, il y a une distance. C'est la même chose dans des régions. Ça fait qu'à l'intérieur d'une même région il peut y avoir des barrières réelles qui peuvent être une autoroute, qui peuvent être une rivière, qui peuvent être n'importe quoi, qui font que, dans une même municipalité, il y a deux ou trois marchés. Tu as aussi l'inverse qui existe: c'est que, dans certaines régions, un marché peut être trois, quatre municipalités parce que tous les gens sont autour de la même région. Donc, peut-être qu'une zone serait trois, quatre municipalités, dans un autre contexte. Ce qu'on veut rajouter... on suggère de rajouter une dimension commerciale et économique à la définition de zone, et non pas simplement une dimension cadastre, si je peux prendre l'expression.

M. Côté: J'aurais une dernière question...

Le Président (M. Beaulne): M. le député de La Peltrie, malheureusement, on nous signale qu'on nous appelle au vote. Alors, vous allez nous excuser quelques minutes, et nous poursuivrons notre échange par la suite avec les membres de l'opposition.

(Suspension de la séance à 16 h 5)

(Reprise à 16 h 15)

Le Président (M. Beaulne:) À l'ordre, s'il vous plaît, la commission va poursuivre ses auditions.

M. Dumais, je vais maintenant céder la parole au député de Saint-Laurent, le porte-parole officiel de l'opposition, pour échanger avec vous. M. le député, vous avez la parole.

M. Cherry: Merci, M. le Président. Merci, M. Dumais. Vous êtes la cinquième pétrolière; comme vous avez assisté probablement au moins...

M. Dumais (André): Cinquième juste dans l'ordre de présentation. Ce n'est pas ça que vous vouliez dire, là.

M. Cherry: Vous êtes la cinquième, probablement par ordre alphabétique; «s», c'est en dernier, je présume.

M. Chevrette: On vous appelle «M. Shell».

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Dumais (André): Ha, ha, ha! Parce que ce n'est pas comme ça qu'on se voit.

M. Cherry: Non, non, non.

M. Dumais (André): O.K.

M. Cherry: Aucunement, aucunement mon intention de vous placer par ordre d'importance, uniquement, vous êtes le... Alors, j'allais vous dire que... vous reposer les mêmes questions qu'on a posées aux autres, je pense que ce serait redondant puis ce serait manquer, il me semble, manquer de respect pour votre intelligence.

Je voudrais attirer votre attention. Lors de votre contribution au rapport du Comité spécial d'examen de la situation du marché de l'essence, vous avez présenté une vision globale en disant: Le mémoire... contre l'évolution du réseau au détail au Canada, particulièrement depuis les années quatre-vingt, a fait valoir qu'il y avait 20 000 stations-service en activité en 1990, qu'il y en a plus de 5 000 qui ont fermé. Puis là le rapport continue en disant qu'il en reste 15 000 puis que 13 000, ce serait suffisant. En ce qui concerne Shell pour le Québec, vous en avez combien, M. Dumais?

M. Dumais (André): C'est une question qui est assez complexe parce que la structure est complexe. D'abord, au départ, les chiffres que vous mentionnez, c'est les chiffres qu'on citait de la revue Octane , qui est une revue extérieure...

M. Cherry: Oui, c'est ça.

M. Dumais (André): ...donc ce n'est pas notre appréciation à nous autres.

Ici, au Québec, personnellement, à Shell, on a 130 stations corporatives, qu'on pourrait appeler – ça, ça inclut la région de Hull–Gatineau, toute la province de Québec au complet – et, au total, il y a 754 bannières Shell. Et j'appelle ça «bannières Shell» parce que, si vous enlevez les premières 130, qui sont les corporatives, les 620 autres, à peu près, qu'il reste, c'est soit des locataires, ou des détaillants, ou ce qu'on appelle dans notre jargon à nous autres des «RAD». Je pense que les mots, c'est mon distingué confrère de Petro-Canada qui parlait avant d'une acquisition. Un «RAD», c'est Distribution Saint-Laurent, qui est un distributeur exclusif pour la région de la Gaspésie. Dans les 754 bannières Shell, il y en avait 85 qui étaient avec M. Crevier, sous la formule «RAD», qu'on appelle, c'est des stations qui sont avec lui et qui travaillent avec lui, et la seule chose qu'il y a, c'est, disons, l'opportunité de montrer la bannière Shell. Ça fait que, si on enlève les 130, tous les autres sont soit des locataires ou détaillants propriétaires, des hommes et des femmes d'affaires indépendants, mais qui travaillent sous la bannière Shell. Ça fait que c'est 754 au total, et environ 450 qui sont dans notre réseau de vente au détail, avec nous autres, incluant les détaillants locataires. Ça fait que ce n'est pas... Je ne sais pas si ça répond à votre question, mais c'est...

M. Cherry: Oui, ça va.

M. Dumais (André): Il y a plusieurs tranches, hein.

M. Cherry: O.K. Maintenant, un des mémoires qu'on a entendus cet avant-midi, je crois que c'est celui d'Irving, on disait qu'un des problèmes, une distinction à faire au niveau des prix, c'est les stations avec service et d'autres qui sont libre-service. Dans vos 754, le partage se ferait comment, M. Dumais?

M. Dumais (André): Bien, en fait, c'est peut-être l'image de donner ce service avec service. C'est qu'en général les stations libre-service sont des stations qu'on appelle corporatives, c'est-à-dire qu'elles sont gérées par des agents à commission, comme des franchisés, pour prendre le bon mot.

M. Cherry: O.K., des franchisés.

M. Dumais (André): Et, dans ces stations-là, le produit appartient à la compagnie jusqu'à temps qu'il soit vendu au consommateur. Ça fait que, nous autres... il y en a 130 dont c'est nous autres qui réglons le prix. Les autres stations sont des gens qui achètent le produit de Shell et le revendent selon les forces du marché.

M. Cherry: O.K. Régent.

M. Beaudet: Oui. D'abord, merci beaucoup de venir partager avec nous. Vous mentionnez dans votre rapport que Shell produit 40 000 000 de barils à sa raffinerie. Êtes-vous capable de me dire quel est le pourcentage que vous vendez à des indépendants? Non pas à ceux qui ont des bannières Shell, je parle à des indépendants, totalement en dehors du marché de Shell. Une idée?

(16 h 20)

M. Dumais (André): On n'est pas un des plus gros... on n'est pas un des gros fournisseurs indépendants ici, au Québec. On fournit... Il y a une portion qui va... C'est un marché qui sert aussi à balancer la raffinerie. Mettons que ça dépend des temps. Si on est en «shutdown», pour prendre le mot anglais, à la raffinerie, on met en stockage pour notre propre réseau. Mais si c'est en pleine production, 135 000, 140 000 barils par jour, là où tu as du produit le plus disponible, et si le marché est là pour l'accepter aussi... Tu as toujours l'opportunité, dans une raffinerie, dans un sens. Si quelqu'un importe un bateau, comme je le mentionnais tout à l'heure, puis que le prix est – comment je dirais ça – anormalement bas ou malhonnêtement bas, tu ne vas pas compétitionner contre ce baril-là avec ton produit qui est déjà... Tu ne vas pas compétitionner à perte. Ça fait que ton volume peut varier.

Mettons que ça peut être entre 5 % et 10 %, 15 %, je dirais, globalement. Mais ça dépend des produits encore. Parce que, là, il y a de la gazoline, il y en a beaucoup moins que tu vas vendre aux indépendants parce que ton réseau en passe une portion. Tu en vends beaucoup plus au point de vue distillat, qui est diesel et huile à chauffage. T'en vends énormément au point de vue huile lourde, et même chose au point de vue asphalte. Et ça dépend des secteurs; aviation, on va fournir des compagnies aussi à l'occasion, comme Les Pétroles Therrien, ou d'autres compagnies indépendantes. Je ne suis pas capable de vous dire le chiffre exact.

M. Beaudet: C'est variable. O.K.

M. Dumais (André): Mais, dans un ordre de grandeur, ce serait à l'intérieur de ça.

M. Beaudet: De 5 % à 10 %. Est-ce qu'il serait envisageable qu'un jour les majeures – elles ne peuvent pas se donner la main, parce que ça devient un cartel, mais elles le feraient une après l'autre parce qu'elles ont besoin de tout le pétrole raffiné – elles décideraient de ne plus vendre du tout aux indépendants, à la rampe? Est-ce que c'est quelque chose qui est envisageable?

M. Dumais (André): Je pense que... pas «je pense», mais, légalement parlant, t'as pas le droit de refuser de vendre à quiconque à la rampe au prix de vente listé, le «rack price». Vous vous présentez demain matin à n'importe quel dépôt, vous voulez acheter un camion de produit puis vous avez l'argent sur la table...

M. Beaudet: Vous êtes obligés de le vendre.

M. Dumais (André): ...vous êtes obligés de vendre. À cette heure, si les gens se parlent entre eux autres, c'est une autre paire de manches, mais ça deviendrait drôlement évident assez rapidement dans ce contexte-là.

M. Cherry: Ça dépend, sur la table.

M. Beaudet: Hein?

M. Cherry: Il a dit: Vous avez de l'argent sur la table.

M. Beaudet: Oui, oui.

M. Dumais (André): Mais décider de ne pas vendre, si ton produit est là, t'es là.

M. Beaudet: Mais, si vous en avez besoin pour votre marché, vous ne seriez pas obligés de vendre.

M. Dumais (André): Là où ça deviendrait... Si on en a besoin pour notre marché, il va toujours y avoir des fluctuations. Là où ça peut devenir peut-être plus complexe, c'est si... Mettons qu'il n'y a pas de raffinerie Shell à Montréal, je suis exactement dans le même bateau que n'importe quel indépendant; il faut que j'achète mon produit quelque part. Est-ce que, moi, je vais acheter du produit pour lui revendre après? Là, je suis sur la même «game» que lui.

Lorsque vous jouez dans le contexte de raffinage, dans notre structure à nous autres, moi, j'achète mon produit de la raffinerie Shell, avec un coût de transfert qui est basé sur le coût de New York, comme n'importe quel marché. Ça fait que j'ai déjà une gestion à l'intérieur dans ce contexte-là.

Il y a trois raffineries au Québec puis il y a 55, 60 bannières en opération au Québec. Donc, il y a au moins entre 52 et 57 personnes qui achètent du produit qui est disponible. Ça fait que la question, elle devient hypothétique, là...

M. Beaudet: Hypothétique, O.K.

M. Dumais (André): ...très largement, selon moi.

M. Beaudet: Vous parlez à un moment donné de la détermination des zones commerciales, et j'y ai glissé un mot tantôt. À l'intérieur d'une même ville, l'établissement des coûts de revient pourrait être très différent d'un coin de rue à l'autre, dépendant du niveau de taxe du terrain sur lequel est établie la station. Est-ce que vous avez un moyen... avez-vous imaginé un moyen quelconque à proposer à la Régie, voir comment elle établirait ces zones-là, comme facilité de fonctionnement? Parce que ça ne sera pas facile, ça, là.

M. Dumais (André): Non. O.K. J'ai peut-être une clarification. Dans mes mots, je n'étais peut-être pas assez clair. Lorsqu'on parle du coût d'exploitation, le coût d'exploitation, de la manière qu'on le comprend, ça va être un coût de référence qui va être établi une fois par année, avec des audiences, ça va être un coût moyen. O.K.? Et, dans ce coût moyen là, bien, il faut s'assurer que ce que j'appellerais une opération typique, ou moyenne, efficace, soit prise en considération. Ça, c'est le contexte de l'établissement du coût.

T'as aussi, à l'intérieur de ça, éventuellement, l'aspect que, selon les municipalités ou selon les régions, il va peut-être y avoir, comme vous dites, des coûts de taxe qui sont différents. Mais il faut faire la distinction entre le calcul du prix de référence, qui ne devrait pas varier tellement, quand on regarde les taxes puis qu'on regarde les salaires, parce que les gens travaillent autour du salaire minimum, paient des taxes qui sont relativement les mêmes un peu partout, l'électricité coûte le même prix... C'est facile, calculer le coût d'opération d'une station-service. Vous prenez la bâtisse, vous mettez du monde dedans, vous mettez l'électricité, puis c'est ça que ça vous coûte quand vous payez vos taxes. Ça fait que, grosso modo, t'es capable de vivre avec ça. Ce qui devient nécessaire, c'est de s'assurer que ces coûts moyens là sont répartis sur une opération typique, efficace, et non pas sur une opération... Si ça coûte 40 000 $ par année pour faire vivre une station, il faut que ça soit sur un volume moyen qui est efficace, qui représente une opération efficace, et non pas sur 100 000 litres.

M. Beaudet: Mais, si, dans une zone donnée, vous avez deux stations; l'une est avec service, une petite station-service avec possibilité de mécanique, et l'autre est un libre-service, avec la carte-services, alors, je me dis: Il y en a une qui va avoir des coûts beaucoup plus élevés que l'autre. Alors, vous allez faire un coût moyen. Mais celui qui a la carte-services, c'est le libre-service, il n'y a personne là, son coût d'exploitation est beaucoup moins élevé que l'autre station qui donne des services. Alors, celui-là va profiter de la montée du prix moyen, parce que, lui, il n'y en a pas, de services.

M. Dumais (André): Mais c'est peut-être là, quand on parle de... puis vous touchez des points. Je pense qu'il ne faut pas juste dire: C'est un chiffre magique, puis, demain matin... On a entendu des chiffres, on a dit: C'est 0,08 $...

M. Beaudet: Ce n'est pas simple, là.

M. Dumais (André): ...le litre que vous rajoutez au coût. Vous allez avoir du monde qui va sourire, puis beaucoup de monde qui va se lancer en affaires.

M. Beaudet: Alors, c'est ça, la station libre-service, elle va sourire...

M. Dumais (André): Mais la station, quand vous...

M. Beaudet: ...puis le petit détaillant indépendant, lui, il va arriver juste encore.

M. Dumais (André): Mais, en général, la station libre-service a aussi d'autres coûts de structure qui sont différents, O.K.? Dans les stations libre-service, t'as aussi des dépanneurs, t'as aussi des lave-auto, t'as aussi des pièces de terrain qui sont pas mal plus grandes, tes taxes sont plus grandes, elles sont situées dans des quartiers ou des villes où c'est plus cher. Et, sur l'autre côté, la station avec service, il ne faut pas minimiser aussi le fait que ces gens-là ont deux revenus, c'est deux commerces aussi là-dessus. Ça fait que, si t'as l'électricité à payer, il faut que l'électricité soit payée par non pas juste la gazoline – parce qu'il y a de la mécanique, il y a de la gazoline, il y a ci, il y a ça. Mais ce qu'on suggère ou ce qu'on recommande, c'est que, lorsque les audiences vont être tenues, c'est que ça soit fait de façon éclairée, que la Régie, quand elle sort son prix, ou un prix magique, ce ne soit pas un prix – excusez l'expression – il y a un prix politique, mais que ce soit un prix qui reflète le genre d'infrastructure de l'industrie qu'on veut avoir au Québec pour les années qui viennent, et que ça soit...

M. Beaudet: O.K.

M. Dumais (André): ...reflétant les opérations.

M. Beaudet: Une très courte question qui nécessite une très courte réponse.

M. Dumais (André): Je vais faire mon possible.

M. Beaudet: À la page 5, vous parlez: «...afin que le consommateur ne soit pas pénalisé par un coût moyen d'exploitation artificiellement trop élevé.» Est-ce que vous avez l'impression que le consommateur va payer plus?

M. Dumais (André): Avec?

M. Beaudet: Avec le projet de loi tel qu'il est.

M. Dumais (André): Bien, là, je vous ramène avec le... Très court.

M. Beaudet: Vite, vite, dites un oui ou un non. Ha, ha, ha!

M. Dumais (André): Vite, vite, vite, là, page 2 de mon mémoire, on est convaincus...

M. Beaudet: Oui ou non?

M. Dumais (André): ...que le marché ouvert est toujours le meilleur marché. N'importe quelle forme de réglementation implique une artificialité dans un coût qui est imposé versus le marché ouvert. Donc, effectivement, le consommateur, à court, à moyen ou à long terme, va toujours payer plus dans un marché réglementé de quelque façon que ce soit.

M. Beaudet: C'est bien ce que je pense. Merci.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. le député d'Argenteuil. Une brève question de la part du ministre.

M. Chevrette: C'est parce que je l'ai posée à tout le monde puis je voudrais bien vous la poser aussi. Je suis détaillant indépendant, je m'en vais chez vous, j'achète mon pétrole, vous me le vendez 0,40 $ et vous affichez 0,38 $ à la pompe. Comment vous trouvez ça?

M. Dumais (André): Je ne prendrai pas vos mots, parce que je sais qu'est-ce que... J'ai entendu vos mots souvent aussi à la télévision.

M. Chevrette: Ah, ce n'est pas si mal.

M. Dumais (André): Mais si...

M. Chevrette: «Pratique déloyale».

M. Dumais (André): C'est ça.

M. Chevrette: Vous pouvez le dire.

M. Dumais (André): Non, mais là vous répondez à ma place.

M. Chevrette: Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Cherry: C'est de cette façon-là qu'il répond aux arguments: il pose la question puis il se donne les réponses. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Dumais (André): Je pense que le sentiment, on peut le mettre dans les deux sens: ça va être soit un sentiment de sympathie ou de victimisation. Si le détaillant, effectivement, vient chez moi et achète son produit plus cher qu'il est capable de le vendre à la pompe... Parce que, moi aussi, je suis pris, comme industrie, comme compagnie, à faire la même chose, parce que je suis obligé de lui vendre... je lui vends le prix, mais, dans le marché, ou certains marchés, les phases du marché ont descendu ça plus bas à cause de certains comportements, puis là il y a un partage de sympathie de victime à victime. Par contre, si ce détaillant-là a la ferme conviction, pour prendre des expressions historiques, que c'est moi le coupable parce que j'amène ça en bas, bien, là, il y a peut-être un sentiment de victimisation dans l'autre sens, puis ce n'est peut-être pas...

M. Chevrette: Mais si c'est vous qui commencez? Si vous n'êtes pas entraîné par, mettons, Ultramar, Esso, Irving – je vais tous les nommer pour ne pas me faire... – Shell, Petro-Can... pas Shell, vous ne pouvez pas vous concurrencer vous-mêmes. Mais, si c'est vous qui me vendez 0,40 $, puis Petro-Can ne va pas baisser, c'est vous qui décidez de faire une lutte pour aller chercher une part du marché, puis vous baissez à 0,38 $, puis vous venez de le vendre 0,40 $ deux heures avant, je ne vous aimerai pas bien, bien.

M. Dumais (André): Puis, je vais vous dire, mon patron ne m'aimera pas bien, bien non plus, parce que...

M. Chevrette: Si vous faisiez ça?

M. Dumais (André): ...mon patron, il est aussi intéressé à ce que, lorsque je vends de la gazoline, je ramène un retour pour les actionnaires. Et ça, ça dépend de chacun...

M. Chevrette: Oui, mais à moins que ce soit un plan planifié pour aller vous chercher une part de marché.

(16 h 30)

M. Dumais (André): Oui, mais là... C'est ça. Et là on rentre une tierce partie qui s'appelle d'autres... soit des consultants ou des études... etc., là il va essayer de patiner assez bien, là...

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Dumais (André): Mais il y a un objectif d'affaires en arrière de ça, O.K.? Puis, avant que quelqu'un décide de vendre à perte – puis c'est ça, la réalité, là, c'est de vendre à perte – il faut que tu sois convaincu en Hérode – excusez l'expression – ...

M. Chevrette: Non, ça passe bien.

M. Dumais (André): ...il faut qu'il soit convaincu fermement que ça va rapporter quelque chose. Parce que le consommateur, dans les derniers cinq ans, selon nos études, est devenu supersensibilisé au prix. Votre station sur un coin de la rue est 0,002 $ plus haut que le compétiteur de l'autre bord de la rue. Si vous pompez 4 000 000, 5 000 000 puis qu'il y a des autos à tout bout de champ, le meilleur signal, c'est qu'il n'y a plus personne sur votre terrain. Et là, c'est bien simple, le gars sort dehors, il va voir sur le bord de la rue puis il regarde. T'as même plus besoin de faire ça... Nos clients Shell rentrent dans la station et disent: Aïe! quand est-ce que tu baisses les prix? Ou ils attendent sur le coin de la station qu'on baisse le prix, parce qu'à 0,002 $, c'est quasiment... C'est une perception et non pas une réalité. Et la moyenne d'un plein, c'est 25 litres. Si on fait un calcul vite, c'est 0,05 $. On a même, en farce, pensé avoir une stratégie où on se mettrait sur le coin de la station puis on donnerait des 0,05 $ pour dire au monde: Viens chez nous même avec ton 0,05 $. Mais le consommateur est sensibilisé à ce point-là.

Donc, avant d'embarquer dans une stratégie comme vous mentionnez, il faut que tu prennes le bien-être non seulement des actionnaires, mais que tu considères aussi ton réseau, parce que, si tu ne fais pas d'argent dans ton réseau, tu n'as pas d'investissement; si tu ne fais pas d'investissement, éventuellement tu roules sur l'autre bord. Ça fait que votre question est assez hypothétique, dans un sens, mais je pense que le sentiment qu'on partage avec nos gens, c'est de victime à victime.

M. Chevrette: Merci.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. le ministre. Merci, M. Dumais. Vous avez sûrement constaté, par la dernière question du ministre, que le terrain glissant sur lequel doivent évoluer les hommes et les femmes politiques n'est pas toujours facile. Je vous remercie et j'invite maintenant les représentants de l'Union des producteurs agricoles à prendre place à la table.

Je souhaite la bienvenue aux représentants de l'Union des producteurs agricoles. Pour les fins de la transcription, je vous prierais de vous identifier, en vous rappelant que vous avez 15 minutes pour présenter votre mémoire et, par la suite, chaque groupe parlementaire disposera de 15 minutes pour vous interroger. Alors, vous avez la parole.


Union des producteurs agricoles (UPA)

M. D'Amours (Gratien): Merci. M. le Président de la commission, M. le ministre, membres de cette commission, d'abord vous présenter les gens qui m'accompagnent: M. Mario Hébert et M. Patrice Dubé, de la direction recherche chez nous.

L'Union des producteurs agricoles tient à remercier les membres de la commission de l'économie et du travail de l'opportunité qu'elle lui offre d'exprimer son point de vue sur le projet de loi n° 50. C'est avec beaucoup d'empressement et grand intérêt que l'UPA a accepté de venir partager ses inquiétudes concernant la création d'une régie de l'énergie au Québec.

Bien que notre organisation dispose d'une expertise limitée dans le domaine énergétique, nous sommes tout de même d'avis qu'il est de notre responsabilité d'attirer votre attention sur certains effets potentiellement indésirables qui découleraient de l'actuel projet de loi pour les milieux agricoles ruraux du Québec. Malgré que les intérêts économiques du secteur agricole dans le domaine de l'énergie soient doubles, en tant que producteurs et utilisateurs d'énergie, notre présence à cette commission est essentiellement motivée par nos intérêts à titre de consommateurs d'énergie.

Rappelons que l'agriculture québécoise consacre environ 250 000 000 $ annuellement pour satisfaire ses besoins directs en énergie. Si on ajoute à ce montant les 200 000 000 $ consentis à l'achat de pesticides et d'engrais pour la production des végétaux, fabriqués grâce à un apport énergétique substantiel, c'est près de 20 % du coût total de la production en agriculture qui est directement attribuable aux dépenses en énergie. Donc, sur une base individuelle, l'électricité constitue l'intrant énergétique le plus important en agriculture, juste avant le diesel, l'essence, le mazout léger, le gaz propane. Il faut toutefois noter que ce portrait général varie énormément en fonction des productions agricoles. Nonobstant la grande hétérogénéité des productions agricoles en matière énergétique, l'accessibilité à des intrants énergétiques abordables est essentielle pour assurer le développement de leur compétitivité.

Alors, un rappel de notre position concernant la création d'une régie. Dans son mémoire déposé dans le cadre du débat public sur l'énergie, l'UPA s'était montrée plutôt favorable à la création d'une régie de l'énergie. Ce n'était cependant pas notre opinion privilégiée, puisque nous proposions d'abord la mise en place d'un conseil de l'énergie disposant d'un pouvoir de recommandation ainsi que d'un rôle de coordination et d'expertise en matière énergétique. À l'époque, nous envisagions seulement la mise en place d'une régie de l'énergie dans la mesure où le conseil de l'énergie n'aurait pas éliminé de façon raisonnable les abus observés dans le secteur énergétique.

L'approche par étape proposée dans notre mémoire a été précisée lors de notre congrès général de décembre 1995. Les délégués de l'UPA ont alors adopté une résolution demandant au gouvernement québécois d'examiner sérieusement la possibilité de créer une régie ou toute autre forme décisionnelle agissant comme arbitre dans le secteur énergétique.

Le projet de loi n° 50. D'entrée de jeu, soulignons que l'analyse de certaines dispositions du projet de loi n° 50 suscite de grandes inquiétudes chez les producteurs et productrices agricoles. C'est pourquoi il nous importe de vous présenter nos préoccupations, en espérant qu'elles s'avèrent non fondées afin de nous réconcilier avec l'idée de l'utilité d'une régie dans le secteur énergétique québécois.

Nos inquiétudes sont de trois ordres: premièrement, nous nous questionnons sur l'impact du mandat accordé à la Régie en matière de fixation ou de modification tarifaire dans le domaine de l'électricité pour les résidents des régions rurales et pour le secteur agricole; deuxièmement, l'UPA s'interroge sur le bien-fondé de reconduire intégralement les formules servant actuellement à déterminer la rentabilité des projets dans le secteur du gaz naturel; en dernier lieu, l'UPA considère que la définition des produits pétroliers est trop restrictive car elle permet au gaz liquéfié, comme le gaz propane, d'échapper à certains pouvoirs de la Régie.

Fixation ou modification tarifaire: des effets incertains. Alors, les interrogations de l'UPA concernant le mandat accordé à la Régie en matière de fixation ou de modification tarifaire reposent essentiellement sur le fait que certaines dispositions du projet de loi semblent floues et sujettes à des interprétations aussi contradictoires qu'indésirables pour les résidents des régions rurales ainsi que pour les producteurs agricoles. Plus spécifiquement, nous vous invitons à examiner la portée de l'article 49, alinéa 6, du projet de loi. L'alinéa 6 prévoit que la Régie aura à veiller à l'adoption d'une grille tarifaire qui tiendra compte notamment des coûts de service, des risques différents inhérents à chaque catégorie de consommateurs, de la concurrence entre les formes d'énergie et de l'équité entre les classes tarifaires.

À première vue, cet alinéa semble difficilement contestable en raison de son caractère vertueux. Son application pourrait s'avérer très difficile en raison des contradictions qu'elle sous-tend. Par exemple, une notion comme celle de coût de service laisse planer la possibilité que la Régie aurait le mandat de réduire, voire d'éliminer l'interfinancement entre les classes tarifaires dans le domaine de l'électricité. Un tel mandat serait à nos yeux inacceptable.

D'ailleurs, à la suite de la publication de la nouvelle politique ministérielle en matière d'énergie, nos craintes semblent se confirmer. En effet, la politique mandate explicitement la Régie de se pencher sur l'interfinancement dans le domaine de l'électricité. De plus, la déréglementation partielle dans la production d'électricité, annoncée dans le cadre de la nouvelle politique énergétique, pourrait se traduire par une hausse marquée de la facture d'électricité de la clientèle résidentielle en réduisant la demande d'électricité produite par la société d'État, ne lui laissant d'autre choix que de recourir à une hausse des tarifs pour rentabiliser les investissements déjà réalisés.

En outre, la déréglementation préconisée dans la politique ministérielle et les dispositions contenues dans le projet de loi pourraient ouvrir la porte à une tarification distincte et moins avantageuse pour les régions rurales en raison des coûts plus élevés à supporter par une plus faible densité de population et par une concentration moindre de la consommation que dans les régions urbaines.

(16 h 40)

D'autre part, l'alinéa 6 suggère la notion de concurrence entre les formes d'énergie. Au contraire de la notion de coût de service, ce principe devrait à prime abord jouer en faveur des résidents des régions rurales ainsi que du secteur agricole. En effet, les résidents des milieux ruraux et les agriculteurs n'ont souvent pas accès à des approvisionnements diversifiés en énergie, comme en fait foi la faible pénétration du gaz naturel dans ces régions. Toutefois, le projet de loi demeure imprécis sur ces questions. Il n'est pas clair si la notion de concurrence s'applique dans le but de protéger les producteurs ou les consommateurs d'énergie.

Comme on peut le constater, l'ambiguïté qui entoure le projet de déréglementation du gouvernement et le mandat confié à la Régie ont pour résultat de rendre imprévisibles les orientations futures en matière de tarification électrique. Nous osons espérer que l'intention des législateurs n'est pas d'accorder un mandat à la Régie de l'énergie qui viserait à lui permettre de rendre, à l'instar d'autres organismes réglementaires comme le CRTC ou l'actuelle Régie du gaz naturel, des décisions qui auront pour effet de cautionner des politiques tarifaires et de rentabilité dont les conséquences seraient de traiter différemment, et surtout de manière désavantageuse, les résidents et les secteurs économiques des régions rurales en ne leur fournissant pas les mêmes services aux mêmes coûts que ceux offerts à la population urbaine.

D'ailleurs, les membres de la Table de consultation du débat public sur l'énergie recommandaient de ne pas appliquer de tarification différenciée par région dans le domaine de l'électricité, notamment en raison du fait que l'uniformisation des tarifs d'électricité fut à la fois l'un des moteurs et un acquis de la nationalisation du secteur électrique québécois.

De plus, le rapport soulignait que l'application d'une tarification différenciée dans le secteur électrique aurait pour conséquence de favoriser des régions comme Montréal, Laval, Québec, tandis que le Bas-Saint-Laurent–Gaspésie, région éloignée, pauvre en ressources hydroélectriques et faiblement peuplée, serait l'une des vraies perdantes de l'opération.

L'UPA avait également soulevé de sérieuses réserves face à une élimination totale ou partielle de l'interfinancement, dans son mémoire déposé dans le cadre du débat public sur l'énergie. Nous reconnaissions à l'époque, tout comme aujourd'hui, que la réduction de l'interfinancement pourrait se traduire par une réduction des tarifs pour les PME présentement assujetties au tarif de la petite et moyenne puissance. Toutefois, nous insistons pour que d'autres moyens soient envisagés afin d'améliorer la compétitivité des PME sans venir miner le rôle social qu'Hydro-Québec doit continuer d'assumer.

Nos arguments s'appuyaient sur la reconnaissance que l'énergie électrique constitue un service essentiel et non substituable dans plusieurs fonctions de la vie moderne, dont l'éclairage et le fonctionnement de divers appareils. De plus, le faible coût de l'électricité au Québec en comparaison aux autres provinces canadiennes et aux États-Unis représente un avantage compétitif important pour les exploitations agricoles actuellement assujetties au tarif domestique. Rappelons à ce sujet que la plupart des compagnies d'électricité au Canada exigent de la part de leurs exploitations agricoles des tarifs d'électricité équivalents aux tarifs résidentiels. Qui plus est, certaines provinces vont plus loin et offrent des tarifs d'électricité plus avantageux aux secteurs agricoles qu'à leur clientèle résidentielle.

Bref, l'UPA demande au gouvernement du Québec de clarifier l'actuel projet de loi afin d'éliminer toute ambiguïté concernant la volonté de maintenir l'interfinancement dans le domaine de l'électricité et ainsi reconfirmer le rôle social qu'Hydro-Québec doit continuer de jouer. De plus, le projet de loi doit établir clairement que les citoyens du milieu rural, comme ceux du milieu urbain, pourront bénéficier d'un tarif unique à l'intérieur d'une même catégorie tarifaire sur l'ensemble du territoire québécois.

Le gaz naturel: une source d'énergie strictement urbaine et industrielle. Ceci nous amène à discuter de notre deuxième sujet de préoccupation, qui concerne les critères utilisés par la future Régie de l'énergie pour déterminer la rentabilité des projets gaziers. Malheureusement, les formules actuellement utilisées tendent à favoriser le milieu urbain et le secteur industriel au détriment des milieux ruraux et agricoles. Par conséquent, reconduire les mêmes critères dans l'actuel projet de loi équivaudrait à fermer définitivement la porte à toute modification à ce chapitre.

Pourtant, l'UPA s'est toujours montrée favorable à des initiatives qui permettraient un maillage plus serré entre la filière du gaz naturel et le secteur agricole, car le gaz naturel représente une option énergétique intéressante et souvent très convoitée par les agriculteurs et les agricultrices. Selon nous, plusieurs facteurs militent en faveur d'une utilisation accrue du gaz naturel dans le secteur agricole. Tout d'abord, le Québec dispose déjà d'importants approvisionnements en gaz naturel. Qui plus est, la construction éventuelle de lignes de transport pourrait permettre une plus grande diversification de nos sources d'approvisionnement en gaz naturel.

On pense ici à l'éventuelle construction d'une ligne de transport reliant l'Île-de-Sable, en Nouvelle-Écosse, à l'Est canadien. De plus, un autre oléoduc pourrait également voir le jour prochainement reliant le Québec au marché de Boston. Cette nouvelle ligne de transport viendrait à elle seule ajouter deux autres sources d'approvisionnement en gaz naturel pour le Québec, soit en provenance du golfe du Mexique et du centre des États-Unis.

Par ailleurs, le gaz naturel est relativement moins cher que certaines autres sources d'énergie. En effet, l'écart marqué entre le prix du gaz naturel et le prix du gaz propane justifie à lui seul l'intérêt porté par les producteurs agricoles vis-à-vis du gaz naturel. Par exemple, une ferme céréalière de taille moyenne ayant accès au gaz naturel pourrait bénéficier d'une économie de l'ordre de 7 000 $ annuellement au seul chapitre du séchage du maïs. Cette économie de plus de 6 $ par tonne de maïs sec se traduirait par une baisse des dépenses de séchage de l'ordre de 13 450 000 $ annuellement pour l'ensemble de la production de maïs au Québec. Tout nous porte à croire que des économies de la même amplitude pourraient également être réalisées dans d'autres productions nécessitant le chauffage de bâtiments agricoles, comme, par exemple, dans le secteur de la volaille et de la serriculture. De plus, ce calcul ne tient pas compte des effets positifs qu'engendrerait indéniablement l'arrivée du gaz naturel en milieu rural sur les prix des sources d'énergie concurrentes. À cette économie substantielle s'ajoutent les quantités intrinsèques du gaz naturel qui en font une source d'énergie difficilement substituable pour certaines fonctions comme le séchage en plus de représenter une source d'énergie beaucoup moins polluante que d'autres sources d'énergie d'origine fossile.

Malgré ces indéniables avantages, le gaz naturel est toujours peu présent dans le secteur agricole. Notre secteur est encore aujourd'hui cantonné dans un rôle de support aux infrastructures gazières servant à approvisionner des clientèles industrielles ou urbaines au lieu d'être considéré comme un débouché sérieux pour les compagnies gazières. Trop souvent, les agriculteurs assistent à la construction et au passage d'oléoducs à proximité ou même sur leurs terres agricoles sans en bénéficier.

Par exemple, un regroupement de producteurs agricoles de l'UPA de la région de Venise-en-Québec a réclamé une extension du réseau de gaz qui se rendait à Bedford, situé à proximité. À la demande de la Régie du gaz naturel, les producteurs agricoles et Gaz Métro ont collaboré à la réalisation d'une étude de rentabilité qui concluait que les rendements du projet variaient entre 3,6 % et 5,75 % selon les zones d'extension. Ces rendements ont été jugés insuffisants, puisque le seuil de rentabilité fixé par la Régie est de 10,49 %. Le projet n'a donc jamais vu le jour. Notons que d'autres cas similaires se sont produits dans d'autres régions du Québec.

Précisons immédiatement que les producteurs agricoles du Québec ne souhaitent pas que l'État subventionne le développement de la filière du gaz naturel sur l'ensemble du territoire québécois. Ce que les producteurs agricoles désirent avant tout, c'est que le gouvernement du Québec s'engage à prendre les mesures nécessaires afin de permettre minimalement aux agriculteurs résidant dans des paramètres de distance raisonnable des infrastructures gazières de s'approvisionner en gaz naturel. Nous demandons donc que le projet de loi prévoie des dispositions permettant à la Régie d'assouplir les formules de rentabilité lorsqu'un projet en milieu agricole lui est soumis. Plusieurs avenues peuvent être envisagées, dont une réévaluation des critères de rentabilité utilisés dans les formes actuelles – exemple: point mort tarifaire – ou une meilleure planification et une évaluation élargie de la rentabilité à partir d'un portefeuille de projets.

Nous sommes d'avis également qu'un outil méthodologique de calcul permettant d'incorporer les externalités, comme ce sera le cas avec l'utilisation de la planification intégrée des ressources déjà annoncée dans la nouvelle politique énergétique, pourrait également contribuer à l'atteinte de cet objectif. À ce chapitre, soulignons que la prise en compte d'externalités, comme la création d'emplois et le développement local et régional, pourrait stimuler la pénétration... comme la création d'emplois... excusez, et l'industrie agroalimentaire. Rappelons que cette industrie compte pour environ 15 % de l'ensemble des emplois du Québec. Ceci dit, nous croyons que l'application de la politique dans les filières énergétiques réglementées est une condition nécessaire mais sans doute pas suffisante à l'optimisation du réseau gazier en milieu rural.

Le gaz propane. Le secteur agricole représente un débouché de première...

Le Président (M. Beaulne): M. D'Amours, je vous rappelle qu'il vous reste une minute.

M. D'Amours (Gratien): Excellent, je pense que je vais y arriver. Le secteur agricole représente un débouché de première importance pour les distributeurs de propane au Québec. En effet, les statistiques du ministre des Ressources naturelles nous apprennent que le secteur agricole s'accapare de plus de 12 % du gaz propane consommé au Québec. La Fédération des producteurs de cultures commerciales du Québec, qui regroupe les producteurs de maïs et qui est affiliée à l'UPA, a fait connaître à maintes reprises son insatisfaction concernant les variations de prix du gaz propane auprès des distributeurs ainsi qu'auprès du Bureau de la politique de concurrence, sans aucun résultat. Ces plaintes reposent sur le fait qu'à chaque année une fluctuation marquée des prix du gaz propane au Québec se produit durant la période où les besoins en approvisionnement des producteurs sont les plus importants, c'est-à-dire du 15 septembre au 15 novembre. De leur côté, les distributeurs affirment n'avoir aucun contrôle sur les prix, puisqu'ils dépendent essentiellement de l'industrie pétrolière pour leurs approvisionnements.

Donc, en guise de conclusion, par le passé, l'UPA s'est montrée plutôt favorable à la création d'une régie de l'énergie en tant qu'arbitre dans le secteur énergétique québécois. Cependant, à la lumière des dispositions prévues à l'actuel projet de loi, notre organisation émet de sérieuses inquiétudes sur l'utilité d'une telle régie pour les résidents des milieux ruraux et le secteur agricole. Si ces craintes s'avéraient fondées, elles pourraient nous forcer à réévaluer notre appui de départ quant à la création de cette régie.

(16 h 50)

Nos réserves s'appuient sur les effets cumulés et indésirables que pourrait avoir le projet de loi sur les orientations préconisées dans la nouvelle politique énergétique sur le coût et l'accessibilité de l'énergie pour notre secteur et les régions rurales. Notre mémoire soulève l'impact négatif de l'élimination de l'interfinancement dans le domaine de l'électricité et dénonce le statut quo proposé en ce qui a trait aux formules utilisées pour déterminer la rentabilité des projets gaziers en milieu agricole. De plus, l'UPA s'explique mal que le projet de loi ne permette pas à la Régie d'intervenir dans le marché du gaz propane afin de protéger les producteurs agricoles contre des pratiques commerciales jugées abusives. C'est pourquoi nous exigeons que le gouvernement du Québec prenne les mesures nécessaires et qu'il prévoie les dispositions appropriées dans le présent projet de loi afin d'enrayer ou d'atténuer les effets indésirables soulevés dans notre mémoire.

Seules les modifications réclamées permettront de réconcilier les producteurs et les résidents de milieux ruraux avec la nécessité de mettre en place une régie qui, fondamentalement, se doit d'être au service de l'ensemble des Québécois et des Québécoises sur l'ensemble du territoire.

Les demandes soulevées dans ce mémoire sont primordiales pour les agriculteurs et agricultrices du Québec, puisqu'elles nous permettraient dans une certaine mesure de relever plus facilement le défi de l'ouverture des marchés ainsi que de maintenir notre position concurrentielle avec nos compétiteurs de l'Ontario et des États-Unis. Mais, par-dessus tout, une politique et une réglementation dans le domaine de l'énergie plus sensibles aux besoins particuliers de notre secteur et des régions rurales constitueraient un jalon important dans la reconnaissance de l'égalité des chances pour les entreprises et les personnes qui choisissent ou qui n'ont d'autre choix que de s'établir dans des régions répondant à des réalités autres que celles qui prévalent dans les grands centres urbains. Et je vous remercie.

Le Président (M. Beaulne): Merci. M. le ministre, vous avez la parole.

M. Chevrette: Merci, M. le Président. Quelques questions rapides. Est-ce que vous avez pris des informations à savoir si les tarifs d'électricité dans les autres provinces canadiennes sont différents, des milieux ruraux et agricoles, de ceux des milieux urbains?

M. Dubé (Patrice): Je pourrais vous dire que, de façon générale, au niveau du secteur agricole, les compagnies d'électricité des autres provinces donnent minimalement, si on veut, le tarif accordé aux résidences. Certaines provinces vont plus loin et vont offrir des tarifs qui sont plus faibles que ceux offerts au secteur résidentiel. Il y a aussi, par exemple en Ontario, ce qui est offert par Hydro Ontario, ce qu'on appelle le «rural rate assistance», qui fait en sorte que les gens des régions rurales vont payer moins cher que ceux des villes. Alors, parfois les producteurs agricoles vont bénéficier de tarifs qui sont plus faibles que ceux des résidences et parfois ils vont bénéficier, comme personnes vivant dans des régions rurales, de tarifs plus faibles que ceux vivant dans les villes. Mais, minimalement, ils ont au moins le tarif résidentiel.

M. Chevrette: Mais résidentiel différent, résidentiel campagne, résidentiel ville?

M. Dubé (Patrice): Dans les provinces, il y a des tarifs différents entre la ville et les régions rurales. Entre autres en Ontario, ce que je disais qui est offert par Hydro Ontario. Il y a aussi des «municipal utilities», en Ontario, qui fonctionnent différemment. Mais Hydro Ontario applique un «rural rate assistance», alors, un tarif plus faible en région rurale.

M. Chevrette: Est-ce que ce n'est pas parce qu'ils gèrent entité thermique par entité thermique qui fait qu'ils peuvent donner des coûts, et que ce n'est pas un monopole de fait, dans le sens que toute l'immobilisation est comptabilisée à un même endroit?

M. Dubé (Patrice): Ça, voir les raisons pourquoi la grille tarifaire a été construite de cette façon-là, ça, il faudrait le voir. Je n'ai pas de réponse par rapport à ça. Mais c'est ce qui existe en termes de tarification pour les gens en région rurale.

M. Chevrette: L'article 49.6, vous craignez quoi concrètement?

M. Dubé (Patrice): Bon. L'article 49.6, essentiellement, on l'a pris comme exemple, hein. Je veux dire, il faut s'entendre, il y a d'autres...

M. Chevrette: Oui, mais c'est un exemple très pointu, 49.6.

M. Dubé (Patrice): Un exemple très pointu.

M. Chevrette: C'est ça.

M. Dubé (Patrice): Mais c'est pour illustrer ce qu'on pourrait appeler les effets indésirables au projet de loi. Fondamentalement, on voit que dans cet article-là il y a ce qu'on appelle, nous, des contradictions, ce qui nous semble être des contradictions. Parce qu'on le questionne, on ne peut rien affirmer à ce niveau-là.

Par exemple, on amène des notions au niveau des coûts de services. On amène aussi une notion au niveau de la concurrence entre les formes d'énergie. Alors, nous autres, on regarde ça puis on dit: Au niveau des régions rurales, quand on parle de coût de services, c'est peut-être une façon de parler aussi de vérité des prix. Et, par expérience, lorsqu'on parle de vérité des prix, comme c'est le cas au CRTC, comme c'était le cas aussi avec la Régie du gaz naturel au niveau de la rentabilité, ça veut dire qu'on exclut le monde rural parce qu'on n'a pas suffisamment de consommateurs, la consommation n'est pas suffisante pour rencontrer ces critères-là qui sont essentiellement faits pour des zones urbaines ou industrielles.

Alors, fondamentalement, nous, on regarde ça, on dit: Si on parle de concurrence entre les formes d'énergie, ça semble nous protéger, en tant que citoyens des régions rurales, parce qu'on n'a pas accès à des sources d'énergie comme le gaz naturel, qui est quand même une source d'énergie très convoitée dans notre secteur et au niveau des régions rurales. Mais, d'un autre côté, une notion comme le coût de service, qui sous-tend la vérité des prix, ça veut dire que l'interfinancement va être probablement éliminé, ça veut dire qu'on peut assister à une tarification différente entre les régions rurales et les villes. Alors, à ce moment-là, nous, on dit, à l'analyse de ce qu'on voit: C'est quoi, le résultat pour les gens qui vivent en milieu rural? Parce que, dans les autres types ou organismes réglementaires, souvent ça a des effets qui ont pour conséquence d'exclure les gens en région rurale.

M. Chevrette: Vous dites ceci. Par exemple, vous affirmez qu'on devrait subventionner le réseau gazier. Vous savez qu'avant d'avoir une régie, c'étaient les reproches qu'on entendait d'Hydro-Québec. Hydro-Québec disait: Je suis concurrente avec le gaz naturel. Vous subventionnez un gazoduc. Cependant, ils ont la force de se présenter devant une régie qui peut tenir compte de ces subventions-là et faire en sorte d'avoir un tarif raisonnable, alors que c'est le Parlement qui fixe les tarifs d'Hydro-Québec, puis vous ne subventionnez pas Hydro-Québec, vous faites des ponctions dedans, de sorte que les énergies ne sont pas sur pied d'égalité au niveau concurrentiel. Et on forme une régie pour qu'il y ait une équité. J'ai de la misère à comprendre votre point de vue.

M. Dubé (Patrice): Peut-être, là-dessus, juste une précision: on ne parle pas de subventionner le gaz naturel, au contraire. Ce qu'on dit essentiellement, c'est qu'on ne veut pas que le gouvernement amène le gaz naturel partout, dans toutes les régions. Sauf que notre demande, ce qui nous semble raisonnable dans le contexte, c'est que, minimalement, les producteurs agricoles qui sont près des oléoducs ou des lignes de transport, qu'eux aient accès au gaz naturel. On a donné l'exemple de Venise-en-Québec et aussi d'autres exemples au Québec de la même situation où des gens... Dans le fond, on se sert des terres agricoles et des régions rurales comme support aux infrastructures, mais ces gens-là n'y ont pas accès. Et ce qu'on a amené comme notion, c'est une notion de paramètres de distance raisonnable, parce que, en toute franchise, on n'a pas défini combien de kilomètres ça peut représenter. Mais je pense que c'est fondamental que ces gens-là puissent avoir accès à des sources d'énergie abordables et compétitives, que les producteurs agricoles y aient accès, parce que, dans d'autres provinces, si on parle, entre autres, de l'Ontario, si on prend aussi les États-Unis, qui sont quand même des concurrents immédiats au niveau du secteur agricole, ils ont un plus grand accès au gaz naturel qu'on peut l'avoir ici, au Québec.

M. Chevrette: Vous parlez d'un rôle social d'Hydro-Québec. Le rôle social d'Hydro, est-ce que ça consiste exclusivement à rabattre des tarifs pour certaines clientèles ou si... Je vais vous donner un exemple. Quand on parle soit de vérité des prix ou encore du juste prix, prenez quelqu'un qui a converti sa cabane à sucre en salle de spectacle, qui veut avoir le tarif résidentiel, alors que tu as une petite entreprise qui paie le tarif d'une petite entreprise puis qui peut être aussi mal prise que le propriétaire de la cabane à sucre qui a changé sa cabane à sucre en salle de spectacle.

J'ai eu des revendications. Vous savez que, après 20 ans de vie politique, il n'y a pas grand-chose que tu n'as pas vu dans ton bureau de comté, hein! Puis il m'apparaît, moi, qu'il faudrait classifier bien clairement, chez vous, ce que c'est que la tarification électrique pour des grandes entreprises commerciales, versus une entreprise familiale très petite, versus les tarifs d'hydroélectricité domestiques, comme un autre qui consomme à un tarif domestique. Est-ce que vous avez fait des travaux là-dessus pour essayer de décortiquer clairement? Sinon, je vous avoue qu'on a de la difficulté à juger d'une demande ou du bien-fondé d'une demande, parce qu'on y va toujours par comparaison quand on a à juger d'une demande très précise. La cabane à sucre commerciale qui reçoit 10 000 repas, par exemple, ou 20 000 repas, je ne sais pas, moi, ça commence à être une bebelle qui n'est pas trop familiale, ça.

M. D'Amours (Gratien): M. le ministre, je vais répondre à cette question, sur la question du rôle social. Vous savez, souvent on va dans le passé pour des fois projeter l'avenir.

M. Chevrette: Exact.

(17 heures)

M. D'Amours (Gratien): Quand Hydro-Québec a été mise en place... Puis je vous dirais, moi, que je suis d'une des régions qui a comme bénéficié d'Hydro-Québec qui est arrivée, parce que j'habitais la région du Bas-Saint-Laurent, et je vous dirais qu'à l'époque la compagnie de pouvoir du Bas-Saint-Laurent avait une facturation qui était drôlement différente de l'ensemble des autres compagnies d'électricité, et ça a permis de donner accès à une plus grande équité à travers toute la province, à un tarif uniforme. Je pense que ça a été vraiment un point de justice pour la population du Québec.

Ce qu'on voudrait, c'est qu'Hydro puisse continuer à jouer ce rôle-là, parce que les sociétés d'État, pour nous, ça a comme ce mandat-là aussi. Bien sûr qu'il ne faut pas... Je pense qu'il y a toujours où ça commence et où ça finit, la notion du raisonnable, puis je pense que, nous, on souscrit à la notion du raisonnable et on voudrait qu'Hydro puisse continuer la mission pour laquelle elle a été créée.

Pour l'exemple que vous apportez, des cabanes à sucre, oui, on a clarifié ça, chez nous. L'exemple que vous donnez, ce n'est pas une entreprise admissible au tarif domestique, c'est une entreprise qui est admissible au tarif commercial. Il faut qu'on fasse une distinction des activités commerciales et domestiques, Et, nous, ça, c'est très clair, les activités qui ont une nature de commerce, c'est traité sur le même pied que les autres commerces. Je pense que nos notions d'équité, il faut qu'on les tienne jusqu'au bout.

M. Chevrette: Quant au choc tarifaire que vous semblez craindre aussi, parce que c'est en filigrane, à peine, dans votre mémoire – ça m'apparaît très apparent – à la page 26 de la politique énergétique, nous nous sommes gardé un pouvoir de directive précisément pour éviter les chocs tarifaires. Est-ce que vous avez pu lire la partie de la politique là-dessus? Ça ne vous satisfait pas?

M. Dubé (Patrice): Non. Je pense que, essentiellement, nous, fondamentalement, on s'oppose à la réduction d'interfinancement, tout en reconnaissant que, s'il y avait une réduction d'interfinancement, il y aurait des avantages pour des PME, en mettant moins de pression sur la hausse des tarifs pour les PME ou pour ceux qui sont assujettis au tarif de petite et moyenne puissance. C'est parce que, éventuellement, on va regarder l'interfinancement au niveau du tarif domestique. Bon, si on se base sur le coût moyen, c'est 13 % d'augmentation; si on se base sur le coût marginal, c'est 60 %. Ça, c'était à l'époque; probablement qu'aujourd'hui c'est un peu moins. Mais c'est un cumul, éventuellement, bon, avec d'autres types de services – je donnais l'exemple de la téléphonie, etc. – qui font que, quelque part, les régions rurales sont toujours pénalisées.

Et là on a quand même développé ce système-là; la pénétration de l'électricité dans les régions rurales s'est faite quand même à partir du fait qu'il y avait un interfinancement; et maintenant, là, on a un marché captif puis on décide de changer les règles du jeu. Là on se dit, nous autres: Présentement, l'électricité, ça représente un avantage compétitif pour nos exploitations agricoles. Est-ce qu'il faut absolument perdre sur tous les tableaux? C'est un avantage compétitif. Alors, on va nous le retirer, et ça, en raison de la structure de coûts d'Hydro-Québec, pas parce qu'on a un tarif plus avantageux, par exemple, aux résidences, comme je l'expliquais tout à l'heure. Est-ce qu'on peut maintenir cet avantage compétitif qui, dans le fond, est fondé ou repose sur des faits historiques?

M. Chevrette: Merci.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. le ministre. M. le député de Roberval, en vous rappelant qu'il vous reste deux minutes.

M. Laprise: Très bien. Merci beaucoup, M. le Président. En termes de reconnaissance d'une ferme laitière, à partir de quelle production une ferme est reconnue commerciale ou domestique?

M. D'Amours (Gratien): Bien, ce qu'il faut comprendre, c'est que l'activité agricole comme telle est admissible au tarif domestique; donc, dans la réglementation qui existe, on décrit l'agriculture comme la culture des végétaux et l'élevage des animaux. Donc, je pense que, ça, c'est une activité agricole admissible au tarif domestique.

Lorsqu'on caractérise certaines entreprises commerciales, c'est lorsqu'elles ont des activités de commerce. Je reviens à l'exemple de M. Chevrette. Une cabane à sucre, c'est un produit agricole, sauf qu'on en fait un hôtel ou un restaurant. Il est impensable que cette entreprise-là puisse avoir le tarif qui est accessible à l'agriculture. Moi, je pense que c'est ça, la notion de différence. Donc, nous, c'est très clair que c'est indéfendable, cette question-là. Dès qu'il y a des activités de commerce, c'est une autre situation. Si un agriculteur, en même temps, a une activité de commerce à côté, bien, c'est bien de valeur, mais ce n'est plus la même affaire du tout. Puis, nous, on a fait des choix là-dessus.

M. Laprise: Mais, si on s'en tient à une ferme laitière, c'est considéré comme domestique?

M. D'Amours (Gratien): Oui, exact.

Le Président (M. Beaulne): M. le député de Saint-Laurent, vous avez maintenant la parole.

M. Cherry: Merci, M. le Président. Messieurs, dans l'introduction de votre mémoire, vous dites que les coûts d'énergie annuellement, c'est 250 000 000 $ par année. Et, bien sûr, là vous faites la liste de tous ces produits-là. Vous commencez par dire que l'électricité constitue l'intrant énergétique le plus important. Ensuite, vous parlez du diesel, de l'essence, du mazout léger et du gaz propane. Est-ce que vous les avez par ordre d'importance? Ma question, c'est: Avez-vous une grille de combien, par exemple, l'électricité par rapport aux autres formes d'énergie... Comment on décortique le 250 000 000 $?

M. Dubé (Patrice): Je m'excuse d'un petit retard, on va vous donner la réponse. Bon, essentiellement, si on prend, par exemple, le pourcentage dans le total agricole, qui est votre question, ce qu'il faut savoir, le portrait général, c'est que les sources d'énergie d'origine fossile dominent globalement, à 70 %, et l'électricité, elle, compte pour environ 29 %. Mais, si on les prend sur une base individuelle, bien, c'est l'électricité qui prédomine avec 29,9 %; ensuite de ça, on a le diesel, à 26,4 %; ensuite, on retrouve le mazout léger, à 18,1 %; l'essence, à 17,6 %; le propane, à 5,5 %; et là, après, on a du kérosène et du mazout lourd, à 1 %.

Mais ce qu'il faut savoir, comme on le disait dans notre mémoire aussi, ce qui est important à savoir, c'est que, par production agricole, le portrait varie énormément. Parce que, si on prend la production de maïs, par exemple, le propane est une source d'énergie extrêmement importante, là.

M. Cherry: Évidemment, dépendant de la nature de l'activité, c'est ce que vous dites. Dans le séchage, par exemple, là, la présence du propane est bien importante. En écoutant vos remarques tantôt, il semble évident qu'à cause de la presque inexistante présence du gaz naturel vous êtes un peu beaucoup une clientèle captive de l'électricité, et c'est dans ce sens-là que vous souhaitez qu'on en tienne compte. C'est peut-être probablement pour ça, puis le ministre vous a soulevé cette question-là aussi, qu'à la page 4 de votre mémoire, juste avant le gaz naturel, vous dites: «...demande au gouvernement du Québec de clarifier l'actuel projet de loi afin d'éliminer toute ambiguïté concernant la volonté de maintenir l'interfinancement dans le domaine et ainsi reconfirmer le rôle social qu'Hydro-Québec doit continuer de jouer» dans votre milieu.

La réponse de monsieur tantôt, c'est que vous avez pris votre région, vous avez indiqué ce que la présence d'Hydro-Québec, telle qu'on la connaît aujourd'hui, ça a voulu dire. Et là, c'est quoi, la nature des inquiétudes que vous avez maintenant? Parce que vous indiquez, au début de votre mémoire, que vous auriez souhaité, avant de devenir une régie, que ça prenne une autre forme d'abord. Vous utilisez les mots «par étape». C'est quoi, la différence que vous auriez trouvée si on avait procédé selon votre suggestion plutôt que d'arriver directement à la Régie?

M. Dubé (Patrice): Bon, essentiellement – je comprends votre question, là – c'est la différence entre le conseil de l'énergie puis la régie de l'énergie, là. Nous, ce qu'on voyait comme différence: le conseil de l'énergie, premièrement, n'aurait pas eu un pouvoir exécutoire au niveau des décisions, ça aurait été un pouvoir de recommandation. À prime abord, on avait pris cette position-là parce que ça nous semblait un peu difficile à expliquer qu'une régie réglemente une société d'État. Quelque part, ça nous semblait un petit peu paradoxal, là. Alors, on disait: Bon, peut-être que, dans une première étape, on devrait commencer par un conseil de l'énergie et donner une chance à cette forme d'organisme là. Si, par la suite, on s'apercevait qu'avec les pouvoirs de recommandation uniquement on ne règlait pas les pratiques ou ce qui est jugé abusif dans le domaine de l'énergie, à ce moment-là on pourrait passer à une régie de l'énergie. Alors, c'était une proposition par étape qui, par la suite, a été précisée au niveau de notre congrès annuel demandant la mise en place d'une régie. Alors, ça a cheminé entre le dépôt de notre mémoire et le congrès qu'on a eu quelques mois après.

Le Président (M. Beaulne): M. le député d'Argenteuil.

M. Beaudet: Oui, merci, M. le Président. Tantôt, le député de Roberval vous posait une question sur l'activité des fermes laitières et vous n'avez pas donné de limite. Une ferme laitière qui produit, je ne sais pas, moi, des millions de litres par année, elle est soumise aux mêmes normes que celle qui en produit 50 000 litres quant à son coût énergétique?

(17 h 10)

M. D'Amours (Gratien): Écoutez, bien sûr, on n'a pas établi de limite. Je pense que, juste se rappeler le caractère des fermes du Québec, qui sont des fermes familiales, qu'on appelle familiales, je n'ai pas besoin de vous dire que ça ramène les choses à une dimension beaucoup plus restreinte. C'est la raison pour laquelle, pour nous, tout ce qui est activité de production agricole, ça se fait dans le cadre de fermes familiales, et, pour nous, on pense que c'est la raison pourquoi on devrait tenir compte de cet élément-là. On pense que c'est ça qui justifie ça. Je vous donne l'exemple du Québec: la moyenne des fermes laitières est d'un peu plus de 40 vaches par ferme; donc, vous voyez à peu près la dimension que ça donne.

M. Beaudet: Bien oui, mais, si on a une moyenne de 40 vaches, il y en a qui en ont 400 et d'autres qui en ont quatre, là.

M. D'Amours (Gratien): Il y a peut-être une ou deux exceptions.

M. Beaudet: Ha, ha, ha!

M. D'Amours (Gratien): Mais je vous dirais, sur 12 000 entreprises, une ou deux exceptions qui tirent vers le haut et qui confirment la règle.

M. Beaudet: À la page 4 – juste une brève question en terminant – vous mentionnez, à la fin de votre troisième paragraphe: «Qui plus est, certaines provinces vont plus loin et offrent des tarifs d'électricité plus avantageux au secteur agricole qu'à leur clientèle résidentielle.» Si vous mentionnez ça, j'assume que c'est quelque chose que vous souhaiteriez avoir.

M. D'Amours (Gratien): Bien, écoutez, nous, on a fait des démarches pour la tarification de l'agriculture. Présentement, en ce qui concerne le tarif domestique en agriculture, les agriculteurs sont d'accord avec ce tarif-là. Je pense que, pour nous, notre position, c'est le maintien du tarif domestique pour l'agriculture. On n'a pas de demande à ce chapitre-là.

Le Président (M. Beaulne): Ça va? Je vous remercie, M. le député. Alors, nous vous remercions de votre mémoire, et j'inviterais maintenant l'Association des distributeurs indépendants de produits pétroliers à prendre place.

Bienvenue aux représentants de l'Association des distributeurs indépendants de produits pétroliers. Comme vous avez pu le constater parce que vous êtes ici depuis longtemps, la commission a entendu pendant trois heures le point de vue de cinq grandes sociétés pétrolières. Nous sommes à l'écoute de tout le monde, aussi bien les grands que les petits, et c'est avec grand intérêt que la commission attend votre présentation. Alors, sur ce, je vous invite à vous identifier pour les fins de la transcription, en vous précisant que vous aurez 15 minutes pour présenter votre mémoire et que, par la suite, les deux formations politiques pourront vous interroger.


Association des distributeurs indépendants de produits pétroliers (ADIP)

M. Roy (Jean-Yves): Bonjour, mon nom est Jean-Yves Roy, vice-président de l'Association des distributeurs indépendants de produits pétroliers, ici, à Québec, sous le nom des entreprises Jean-Yves Roy. À ma droite, Jean Noël, membre du conseil d'administration de l'Association et co-propriétaire de Les Pétroles Ronoco; à mon extrême gauche, René Blouin, consultant auprès de l'Association, suivi de M. Pierre Crevier, membre du conseil d'administration et propriétaire des Pétroles Crevier, suivi de M. Maurice Maisonneuve, président des services de l'automobile, qui nous accompagne; et, à ma gauche, M. Gérard Bétournay, porte-parole de l'Association, qui va vous présenter notre mémoire.

Le Président (M. Beaulne): Allez-y, M. Bétournay.

M. Bétournay (Gérard N.): Merci. M. le Président, M. le ministre, M. le porte-parole de l'opposition officielle, Mmes et MM. les membres de la commission, nous vous remercions de l'occasion que vous nous donnez d'aborder l'importante question de l'accessibilité des produits pétroliers à des coûts raisonnables pour l'ensemble de la population du Québec. Il s'agit d'un secteur de l'économie québécoise qui appartient en grande partie à des compagnies étrangères. Ces compagnies contrôlent complètement le secteur du raffinage. Bien qu'encore limitée la place que se sont taillée les Québécois dans l'importation des produits finis, dans la distribution et la vente au détail des produits pétroliers constitue un atout pour le Québec. Cette percée québécoise s'est surtout concrétisée au cours de la dernière décennie.

En effet, les indépendants québécois représentent 300 entreprises de distribution et 2 400 entrepreneurs oeuvrant dans le commerce du détail. Dix mille emplois, surtout répartis dans les régions, dépendent de l'entrepreneurship québécois du secteur pétrolier. De plus, une récente étude de la Chaire d'études socioéconomiques de l'Université du Québec constate que les indépendants québécois réinvestissent dans les régions du Québec et conclut qu'Ultramar, Esso et Shell ont, au cours des deux dernières années, transféré aux États-Unis et ailleurs 2 600 000 000 $ de profits. Elles ont en plus pratiqué au Québec un sous-investissement marqué en comparaison avec le niveau d'investissement qu'elles choisissent de réaliser aux États-Unis. En prenant connaissance de cette étude qui tire ses données des états financiers canadiens des compagnies majeures, les médias ont alors conclu, et je cite: «...qu'elles pompaient leurs profits aux États-Unis et ailleurs.»

Dans la vente au détail, les indépendants du Québec, grâce à leur efficacité supérieure à celle des compagnies majeures, ont réussi à desservir jusqu'à 30 % du marché québécois au début de la décennie 1990. Cette situation de concurrence accrue dans le secteur pétrolier a alors irrité considérablement les compagnies majeures qui, depuis 1991, ont entrepris de mener une lutte à finir avec les indépendants québécois. Cette stratégie d'élimination de la concurrence s'est développée en plusieurs volets qui ont tous un point en commun: diminuer les marges nécessaires à la conduite des opérations, sans lesquelles les entreprises d'ici sont acculées à la faillite.

Qu'on se comprenne bien, nous ne parlons pas de marge de profit, mais simplement de marge couvrant le coût de faire des affaires. Quelques exemples illustrent nettement ce que nous venons d'évoquer. En 1992, les compagnies majeures modifient, presque toutes en même temps, les modalités de crédit consenties aux indépendants. Ce qui auparavant devait être payé à 30 jours du mois suivant devient exigible dans les 10 jours après la livraison. Cette décision a pour effet direct de diminuer considérablement la liquidité des compagnies québécoises. Les compagnies majeures obligent ensuite les indépendants à se doter d'équipements coûteux qui mesurent dorénavant les produits pétroliers en fonction d'une température fixée à 15 °C. Cette décision, apparemment de nature technique, est prise par toutes les compagnies majeures, entraîne d'importants déboursés, et le refus de se doter de ces équipements entraînerait une perte annuelle de près de 10 000 000 $ pour les indépendants québécois, qui sont donc contraints d'assumer des dépenses additionnelles.

(17 h 20)

Mais, depuis, toutes ces mesures ne suffisent pas à venir à bout des indépendants. Les compagnies majeures mènent parallèlement depuis l'automne 1991 une persistante guerre de prix qui connaîtra son paroxysme en juin dernier. Au fond, la stratégie est simple: il s'agit, pour les compagnies majeures qui contrôlent à la fois le prix du gros et le prix du détail, de prendre les moyens de diminuer les marges d'opération des compétiteurs indépendants au point où ils doivent cesser leurs opérations dorénavant déficitaires.

Il est bon de noter, au passage, l'originalité du secteur pétrolier, qui est le seul secteur économique où les entreprises qui fabriquent le produit fixent le prix du gros et aussi le prix offert aux consommateurs, en raison, évidemment, de leur position dominante dans le secteur de la vente au détail. C'est cette position unique qui permet aux grandes pétrolières d'envisager efficacement l'élimination des concurrents indépendants.

La stratégie d'élimination de la concurrence des compagnies majeures est contraire aux principes des lois fédérales de la concurrence, qui, autant au Canada qu'au États-Unis, ont le défaut d'être d'une inefficacité chronique. Elle s'oppose aussi aux pratiques reconnues de fonctionnement normal de l'économie du marché. Cette stratégie déloyale est calquée sur des plans d'élimination de la concurrence conçus aux États-Unis et auxquels se sont opposés 21 États américains en adoptant les lois qui maintiennent la saine concurrence dans le secteur pétrolier, seule garantie des bons prix à long terme pour le consommateur.

L'exemple récent d'Ultramar ne peut fournir de meilleures illustrations de ce que nous venons d'évoquer, puisqu'il est un calque exact d'un plan d'élimination de la concurrence de la pétrolière américaine ARCO, qui a pratiquement réussi à faire disparaître la concurrence des indépendants en Californie, puisqu'elle ne dessert plus maintenant que 6,8 % du marché, selon la California Energy Commission.

Il est bon de noter que ce sont maintenant les consommateurs californiens qui, aux États-Unis, déboursent le plus pour se procurer des produits pétroliers. Il n'est pas sans intérêt d'établir les faits suivants: Comme pour Ultramar, ARCO a commencé par acheter les indépendants déstabilisés par une guerre de prix. Ultramar a acquis le réseau d'indépendants Sergaz, qui était à bout de souffle. Son rapport annuel de 1995 exprime d'ailleurs sa volonté de récupérer sous son contrôle l'ensemble des opérations actuellement aux mains d'indépendants affiliés; comme ARCO, qui s'est délestée de ses stations dans l'Est des États-Unis pour en acquérir dans l'Ouest des États-Unis, Ultramar a échangé ses stations-service de l'Ontario contre celles de Sunoco situées au Québec; comme ARCO a divisé la Californie en 171 zones afin de venir à bout plus efficacement des indépendants, Ultramar a divisé le Québec en 300 zones. ARCO prévoyait une campagne massive de relations publiques axée sur la séduction des consommateurs par des bas prix passagers. Ultramar n'a pas manqué, là encore, de suivre le plan à la lettre. Nous, les indépendants, on se rappelle bien de la promotion Valeur plus.

Le président d'ARCO, M. Morrison, qui a signé un document stratégique que j'ai en main, y précise d'ailleurs que son objectif vise à faire disparaître le système de marché traditionnel à deux niveaux fondé sur la coexistence des compagnies majeures et des indépendants. Et je cite textuellement: «The root problem that really must be changed is the two tier market system for gazoline», écrit-il dans un élan de franchise. M. Morrison prévoit que la période de guerre de prix fera diminuer temporairement les profits de la compagnie ARCO mais sera suivie par ce qu'elle appelle une récompense, c'est-à-dire davantage de profits.

Précisons toutefois que, si récemment Ultramar a été la plus agressive et la plus systématique dans ses stratégies d'élimination de la concurrence, il ne faut pas surtout penser que les autres compagnies majeures sont sans reproches. Ces manoeuvres d'élimination de la concurrence ne peuvent fonctionner efficacement que si l'ensemble des compagnies majeures jouent le jeu. À cet égard, elles sont, depuis quatre ans, formées d'une équipe qu'on peut qualifier de solidaire.

Les pratiques déloyales des compagnies majeures ont été largement étudiées. Leur comportement est souvent qualifié de «monopoleur». Les scientifiques qui ont étudié le fonctionnement du libéralisme économique plaident d'ailleurs ardemment en faveur de la concurrence. À ce sujet, ils reconnaissent à l'État un rôle de sûreté et de protection en assurant un cadre juridique permettant le jeu des échanges. Les pratiques regroupées sous le nom de prédation, qui consistent à forcer des entreprises efficaces à quitter le marché, sont sévèrement réprouvées par la classe scientifique. À cet égard, les chercheurs considèrent qu'une entreprise qui s'engage dans une guerre de prix dommageable pour elle-même et ruineuse pour ses concurrents n'a qu'un objectif: chasser ces derniers du marché et compenser ses pertes temporaires par des profits de monopole futur.

Or, voilà exactement ce à quoi le Québec est confronté. Dans ces circonstances, le gouvernement et l'Assemblée nationale ont choisi de s'inscrire dans la mouvance d'une vingtaine d'États américains regroupant 90 000 000 de citoyens qui ont, eux aussi, décidé de poser des gestes pour maintenir la saine concurrence, qui est la seule garantie de la véritable protection des intérêts des consommateurs.

Dans cette démarche, les parlementaires ne sont pas isolés, ils sont au contraire appuyés. Selon un sondage Léger & Léger, 73 % des Québécois souhaitent l'intervention du gouvernement du Québec pour maintenir la saine concurrence dans le secteur pétrolier; 78,6 % d'entre eux estiment d'ailleurs que les grandes compagnies augmenteraient les prix de l'essence advenant la disparition des indépendants québécois.

Les parlementaires sont clairement appuyés par les éditorialistes de La Presse , Le Devoir , et presque la totalité des commentaires des médias régionaux. L'Association des consommateurs du Québec et l'Association pour la protection des automobilistes, qui n'ont aucun lien d'affaire avec les compagnies majeures et dont les seuls intérêts sont la protection du public, dénoncent les pratiques déloyales dans le secteur pétrolier et appuient elles aussi l'intervention de l'Assemblée nationale. Les parlementaires sont aussi soutenus sans équivoque par la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante, qui réclame une intervention législative afin de garantir le maintien de la saine concurrence dans le secteur pétrolier québécois. Il est bon de rappeler que la Fédération représente 18 000 PME québécoises.

Aux États-Unis, l'organisme de défense des consommateurs, Citizen Action, a réalisé une grande étude intitulée «La destruction de la concurrence et la hausse des prix: comment les grandes compagnies pétrolières ont pris le contrôle du marché de l'essence aux États-Unis». L'étude de cet organisme établi à Washington conclut que dans les États où les grandes compagnies contrôlent le marché, après avoir éliminé la concurrence des indépendants, les consommateurs paient en moyenne un gallon d'essence entre 0,05 $ et 0,10 $ de plus qu'ailleurs aux États-Unis. Même le U.S. Department of Energy considère que, dans un contexte où il y a une pratique de prix d'éviction, on devait s'attendre à long terme à des prix plus bas lorsqu'une loi, même sévère, du type «divorcement» a été adoptée.

En cela, le U.S. Department of Energy n'est pas seul, puisque The Committee of Judiciary of the American Senate – excusez l'expression – a fait en 1992 une étude approfondie de la question et conclut, à la page 18 de son rapport, qu'une loi prévenant la disparition des indépendants est à l'avantage du consommateur, qui, dans ces conditions, bénéficie de prix plus bas à la pompe et de services plus efficaces.

Il est aussi important de constater que les principaux partis politiques québécois ont unanimement reconnu la nécessité d'une intervention législative pour garantir aux Québécois un marché pétrolier axé sur la concurrence que doivent se livrer les compagnies majeures et les indépendants. Dans les circonstances, il n'est pas superflu de signaler le courage politique dont a fait preuve le ministre des Ressources naturelles, les prises de position claires qu'a énoncées le porte-parole de l'opposition officielle et l'appui qu'a donné le chef de l'Action démocratique du Québec, chacun ayant agi dans les meilleurs intérêts des Québécois. Nous croyons que cette attitude honore ces personnes et est de nature à redonner confiance en nos institutions à ceux et celles qui douteraient de leur capacité d'agir dans l'intérêt commun.

Le projet de loi n° 50, dont vous procéderez sous peu à l'étude détaillée, contient des dispositions législatives dont le but est de maintenir au Québec un marché de produits pétroliers libre et concurrentiel. Dans cette perspective, nous soumettons à la commission des remarques qui doivent, selon nous, l'amener à ajouter le secteur de l'huile à chauffage, qui est manifestement aux prises avec des difficultés potentielles de même ordre que celui des carburants.

(17 h 30)

En effet, ce sont les mêmes compagnies majeures qui, dans une phase plus récente, ont commencé à malmener les indépendants qui oeuvrent dans ce domaine. Qu'on en juge: Depuis trois ans, les marges des distributeurs indépendants ont été réduites de près de 60 %, comme dans le secteur des carburants. Cette stratégie vise à provoquer l'essoufflement financier des concurrents indépendants. Une récente étude menée par la firme comptable Forcier, Beaudry démontre que, si cette tendance se maintient, les entreprises indépendantes de distribution d'huile à chauffage seront déficitaires en 1998.

Nous sommes à même de démontrer que les compagnies majeures ont, là encore, débuté l'utilisation de pratiques déloyales d'élimination de la concurrence en abaissant les prix du détail même en deçà des prix de gros offerts aux indépendants. Ces pratiques, pour le moment limitées dans le temps, indiquent clairement la direction qu'adoptent les compagnies majeures. Comme pour le secteur de l'essence, les compagnies majeures ont réduit considérablement les liquidités des compagnies québécoises en révisant presque simultanément leurs modalités de crédit, qui sont passées encore de 30 du mois suivant à 10 jours après l'achat. Elles ont obligé les indépendants à se doter de coûteux équipements qui mesurent l'huile à chauffage à 15 °C.

Le secteur de l'huile à chauffage se dirige vers une crise majeure qu'il est encore temps d'enrayer avant qu'elle n'atteigne les proportions de celle des carburants. Nous croyons, compte tenu de la nette orientation qu'adoptent les compagnies majeures, qu'il ne faut pas attendre que la situation des indépendants québécois du secteur se détériore au point de mettre leur existence en jeu. Nous sommes d'avis que le législateur dispose de suffisamment d'éléments pour encadrer ce secteur afin d'assurer le maintien de la saine concurrence dont doivent continuer à bénéficier les 400 000 ménages québécois et les milliers d'entreprises qui utilisent cette source d'énergie.

Nous avons accueilli avec beaucoup d'espoir les parties du projet de loi n° 50 qui visent à garantir le maintien de la libre concurrence dans le secteur pétrolier. Nous avons procédé à une analyse approfondie des articles qui poursuivent cet objectif essentiel à la protection du consommateur du Québec. Notre analyse est menée à partir des principes suivants. D'abord, la loi doit être juste, en s'appliquant à tous ceux et celles qui oeuvrent dans ce secteur d'activité. Ensuite, elle doit être efficace, en évitant qu'on puisse la contourner et en prévoyant des mesures qui garantissent son application. Enfin, elle doit être complète, en intégrant le secteur d'huile de chauffage. Sans remettre en cause les principes de la loi, nous croyons que certains amendements en garantiront l'efficacité. Nous les présentons succinctement à la commission.

D'abord, nous suggérons l'institution d'un recours pénal dont le caractère dissuasif contribuera à garantir l'efficacité de la loi. Ce recours permettra au gouvernement de voir au respect de la loi lorsqu'un détaillant dans une région n'aurait pas les ressources pour intenter des recours civils. Nous croyons que la Régie pourrait tenir des auditions efficaces si la réglementation fixe une liste de facteurs pour établir les coûts d'exploitation, comme cela existe dans bon nombre de lois américaines. Nous soumettons à la commission que la présomption prévue au projet de loi doit être renforcée et le droit à l'injonction réservé au cas où les délais des recours pénaux ou civils s'avèrent trop longs. Il faut également exiger des raffineurs qu'ils rendent leurs produits disponibles, en quantité équivalente, à toute personne qui veut en acheter aux mêmes conditions que celles offertes à leurs propres détaillants. Un recours en injonction doit supporter cette exigence.

Nous concluons en citant l'«American Petroleum Institute», qui regroupe et représente les compagnies pétrolières majeures américaines. L'organisme publie une étude dans laquelle il rappelle que la plupart des recherches démontrent que, lorsque quatre compagnies majeures contrôlent entre 45 % et 59 % du marché, il y a une probabilité qu'apparaissent des activités de collusion. Est-il nécessaire de rappeler qu'au Québec les majeures contrôlent actuellement au-delà de 75 % du marché? Cette situation inquiétante et les stratégies déloyales d'élimination de la saine concurrence auxquelles elles se livrent au Québec depuis quelques années justifient pleinement l'intervention législative que l'Assemblée nationale a décidé de mener.

L'entrepreneurship québécois dans le secteur pétrolier compte sur cette intervention. La survie de 300 entreprises oeuvrant dans la distribution de carburants et d'huile à chauffage l'exige, 2 423 entreprises oeuvrant majoritairement en région dans le commerce au détail en ont besoin, 10 000 emplois semi-spécialisés et non spécialisés en dépendent largement et trois Québécois sur quatre le souhaitent. Merci.

Le Président (M. Beaulne): Merci de votre présentation. Et j'inviterais maintenant le ministre des Ressources naturelles à échanger avec vous. M. le ministre.

M. Chevrette: Merci, M. le Président. J'irai de façon pointue pour essayer de poser toutes mes questions.

À la page 1 de votre mémoire, il est écrit, à l'avant-dernier paragraphe: «Qu'on se comprenne bien, nous ne parlons pas de marges de profit mais simplement de marges couvrant le coût de faire des affaires». Pour vous, le coût de faire des affaires, ça comprend quoi?

M. Bétournay (Gérard N.): Ça comprend les coûts normaux tels que le coût d'investissement, les taxes foncières, les taxes, évidemment, de commerce. Ça comprend les employés, le coût des employés, l'électricité. Ça comprend tous les coûts normaux que toutes entreprises, incluant celles des majeures, doivent assumer en opérant un poste d'essence.

M. Chevrette: Est-ce que vous reconnaissez que ces coûts peuvent être différents d'un endroit à un autre?

M. Bétournay (Gérard N.): Ces coûts, sûrement, peuvent varier dépendamment, évidemment, de l'investissement, primo: le site en question, la location, c'est certain que, si vous avez un site de 2 000 000 $ d'investis sur un coin au centre de Montréal, ça va vous coûter plus cher en taxes puis en coûts d'investissement. C'est des investissements somptueux; on parle de 1 000 000 $, 1 500 000 $ par site, alors que, chez quelques indépendants ou d'autres stations majeures, vous avez 300 000 $, 400 000 $ d'investis. Les coûts vont être moindres, sûrement que les coûts vont varier.

M. Chevrette: Qu'est-ce que vous répondez à l'argumentaire des pétrolières qui dit à peu près ceci: Étant donné qu'il y en a que c'est vétuste, c'est peu de coûts, négligence, les taxes sont basses dans le milieu, elles paient leurs personnes au salaire minimum, le coût de transport est faible parce qu'il n'est pas loin de l'approvisionnement, quand même, lui, il bénéficierait d'une marge, que la Régie pourrait décréter, de x, au détriment de celui qui s'est modernisé puis dont la marge serait très, très faible? Est-ce que ce n'est pas d'encourager la négligence, etc.? Vous avez écouté, ce matin?

M. Bétournay (Gérard N.): Absolument, j'ai écouté.

M. Chevrette: Qu'est-ce que vous répondez à ça?

M. Bétournay (Gérard N.): Je réponds que, premièrement, on ne cherche pas à encourager l'incompétence dans le marché. On sait fort bien d'ailleurs qu'il s'est déjà fermé à peu près 6 000 stations-service au Québec depuis 25 ans et qu'il va s'en fermer encore quelques-unes...

Une voix: ...

M. Bétournay (Gérard N.): ...3 000 depuis, puis il va s'en fermer encore, parce que c'est sûr et certain... On donnait des exemples ce matin, il est un petit peu illusoire de dire: des stations de 100 000 litres. Des stations de 100 000 litres, ça n'existe pas. La moyenne au Québec est à peu près de 1 500 000, pour tout l'ensemble des stations-service. Et puis c'est évident que la station qui ne sera pas efficace au niveau des opérations, au niveau même du volume – un coût par litre, évidemment, va être plus haut – ces stations-là sont prêtes à disparaître. On ne demande pas de charité, on veut évidemment de l'efficacité.

En plus de ça, c'est qu'effectivement, nous, on peut opérer à des coûts moindres que les compagnies majeures. On n'a pas le gros «establishment» à supporter. Chacune des entreprises est indépendante, avec, évidemment, un support administratif qui est limité. On a prouvé dans le passé qu'on pouvait opérer à 0,02 $ meilleur marché que toutes les compagnies majeures. Même durant mon propre terme chez une compagnie majeure, qui est encore assez récent, on allait étudier les indépendants parce qu'ils étaient plus efficaces que Shell. Ça fait: Qu'on arrête de dire que les indépendants sont moins efficaces puis que ça va coûter plus cher.

M. Chevrette: Mais prenons un exemple, monsieur.

M. Bétournay (Gérard N.): Oui.

M. Chevrette: La Régie déciderait, mettons, de 0,04 $ – je vous donne un exemple théorique, là – puis quelqu'un pourrait l'opérer à 0,02 $ parce qu'il n'a pas fait d'immobilisation, puis il a un petit marché, puis c'est traditionnel, puis c'est une petite entreprise familiale, ils se paient un salaire global à la gang. Par rapport à celui qui a investi, qui a modernisé, qui a revampé son affaire puis que, lui, son 0,04 $, ça représente 0,04 $ véritablement, alors que le 0,04 $ décrété par la Régie donne 0,02 $ de profit net à l'entreprise délabrée, qu'est-ce que vous répondez à ça?

M. Bétournay (Gérard N.): Bien, je réponds, premièrement, que, si on parle de régie puis si on parle de fixer un montant d'exploitation, on parle, pas de marge bénéficiaire, mais de marge d'exploitation. Je pense que la loi doit s'appliquer, comme on l'a dit dans notre mémoire, à tout le monde. S'il y a un petit indépendant qui peut opérer à 0,03 $, 0,04 $ meilleur marché qu'une compagnie majeure, il doit avoir le droit, dû à sa compétence, dû à la satisfaction de son établissement, le fait qu'il va peut-être faire des réparations... Il ne demande pas, lui, d'investir 1 000 000 $ sur un terrain. L'apparence, pour lui, c'est secondaire; l'efficacité prime. Donc, je pense que... Exactement comme la compagnie majeure; si la compagnie majeure peut prouver qu'elle peut opérer une station-service dans un milieu donné à x sous, ils auraient le droit, si ce prix est en bas du prix du compétiteur, que ce soit une autre compagnie majeure ou un indépendant, ils pourraient, selon la règle que je comprends, la réglementation, vendre en bas du prix, mais pas d'une façon «prédatoire».

(17 h 40)

M. Chevrette: On a entendu aujourd'hui qu'il y a encore trop de stations d'essence au Québec. Qu'est-ce que vous répondez à ça?

M. Bétournay (Gérard N.): Mais, moi, je l'entends depuis quelques années. D'abord, je pense qu'il est important d'établir la densité de la population par kilomètre carré pour fixer les besoins de la population. Les compagnies majeures citent des exemples au Canada, à Toronto, aux États-Unis. Il faut penser que la densité de population par kilomètre carré aux États-Unis est de 27 habitants. En Ontario, c'est 11. Au Québec, il y en a cinq. On constate donc que, pour offrir les mêmes services à la population, on devrait, au Québec, toujours avoir un plus grand nombre de points de vente par rapport à notre population, à moins de la doubler, sinon les automobilistes seront pénalisés. Ils vont être obligés de faire des dizaines de kilomètres pour aller chercher de l'essence.

Puis j'aimerais quand même aussi... Ils disent: Qu'on laisse jouer la concurrence; si les stations ne sont pas efficaces, qu'elles se ferment, que ce soient celles décidées par une compagnie majeure, ou par un indépendant privé, ou par une chaîne d'indépendants. Vous savez qu'on va les fermer, parce que, nous aussi, on est quand même des hommes d'affaires puis on veut être capables de rentabiliser nos investissements. Je suis d'accord qu'ils sont moins grands, nos investissements, que ceux des compagnies majeures, parce que, eux autres, ils investissent dans des grands centres à coups de millions. Nous autres, on ouvre une station, ça coûte 300 000 $, 400 000 $.

M. Chevrette: J'ai deux autres questions. L'autre, c'est que vous avez abordé la comparaison avec certains États américains. Ce que j'aimerais savoir, c'est: Est-ce que vous jugez ce qui est dans le projet de loi sur la Régie plus ou moins sévère que la législation... je ne parle pas du «Divorcement Act», mais je parle du «Below Cost Sales Act».

M. Bétournay (Gérard N.): Je vais demander, si vous me permettez, à M. Noël de répondre à cette question.

M. Chevrette: Et au cas où je n'aurais pas le temps de poser la dernière, je vais la poser tout de suite. Vous avez entendu une proposition de la compagnie Ultramar ce matin qui disait que le prix à la rampe plus 0,331 $ de taxes devait être la marge et que la compétition devait se faire exclusivement sur la marge de 0,069, si ma mémoire est fidèle. Quelle est votre réaction vis-à-vis...

M. Bétournay (Gérard N.): Moi, je vais répondre à celle-là. Celle-là, effectivement, elle est recommandée dans leur but, encore une fois, d'éliminer les indépendants. Parce que vous avez un prix au quai de chargement, il faut apporter le produit à la station, puis il y a un coût d'opération à la station. Ça fait que c'est évident qu'ils veulent encore éliminer la concurrence.

M. Noël (Jean): Pour répondre à votre question relativement à la comparaison avec les lois américaines, alors, effectivement, si on compare avec le «Divorcement Act» qui existe aux États-Unis, qui exclut les compagnies majeures de l'opération au détail, évidemment, c'est plus radical que la proposition qu'on nous soumet. Évidemment, la solution québécoise est beaucoup plus modérée et équilibrée dans ce sens-là, puisqu'elle ne fixe pas les prix. Aussi, elle maintient la libre concurrence et les bons prix pour les consommateurs. Et, troisièmement, elle évite les pratiques déloyales et une augmentation des prix ultérieure pour le consommateur. Alors, tel est l'avantage de la solution qu'on connaît ici, au Québec, la solution québécoise.

M. Chevrette: Vous proposez, vous faites une proposition extrêmement difficile. Vous dites: Nous croyons que la Régie pourra tenir des auditions efficaces si la réglementation fixe une liste de facteurs pour établir les coûts d'exploitation, comme cela existe dans un bon nombre de lois américaines. Donnez-moi donc des facteurs.

M. Noël (Jean): Je peux vous en faire une dénomination. Le but étant d'augmenter l'efficacité, si ces facteurs-là sont déterminés dans les règlements, la Régie n'aura qu'à mettre des coûts au bout de ces facteurs-là, mais ils auront été établis au préalable. Alors, une liste de ceux-là serait: les salaires et avantages sociaux, l'électricité, chauffage et téléphone – alors, c'est des coûts normaux, évidemment, d'opération de poste d'essence – escompte sur les ventes, coupons-rabais, primes-cadeaux, taxes, licence, permis, loyer, location d'équipement, assurances, coûts de main-d'oeuvre et vêtements de travail, frais de traitement et de cartes de crédit, publicité et promotion, comptabilité, honoraires professionnels, frais bancaires, financement de l'inventaire, perte de l'inventaire, frais généraux reliés à l'administration, frais financiers, amortissement, mauvaises créances. Ce sont tous des coûts...

M. Chevrette: Je pense que vous êtes mieux d'arrêter là.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Noël (Jean): Mais ce sont tous des coûts à subir avant de faire le moindre bénéfice.

M. Chevrette: Vous savez qu'il y a des économies d'échelle dépendant de la grosseur d'une entreprise, il y a des économies d'échelle dépendant du volume de ventes, il y a des économies d'échelle dans certaines choses. Il va falloir laisser un jugement à la Régie, quand même. Parce que, si on devait établir des prix avec la ribambelle des facteurs, je ne suis pas sûr qu'on obtiendrait l'objectif vis-à-vis de tout le monde. Il va falloir parler, à un moment donné... avoir un moyen, si on veut une seule décision, ou bien ce serait du cas par cas, ce qui m'apparaît donc impossible à gérer, d'autre part, si on allait à du cas par cas. Vous devriez réfléchir là-dessus, parce que ça me paraît assez complexe comme formule à trouver, si on s'en va avec une définition des facteurs ad infinitum. J'ai déjà chaud, moi, pour les gens de la Régie.

M. Bétournay (Gérard N.): Oui, mais permettez-moi d'intervenir, s'il vous plaît.

M. Chevrette: Bien sûr.

M. Bétournay (Gérard N.): Dans certains États, ça existe déjà, des facteurs. Ce qui nous inquiète, nous, les indépendants, c'est qu'ayant des opérations locales ou régionales et le coût des administrations... les coûts sont tous assumés par nos propres opérations, tandis qu'une compagnie majeure a la possibilité d'absorber les coûts au niveau des bureaux-chefs, au niveau d'ailleurs. On voudrait s'assurer que, quand on va comparer une pomme, on va la comparer avec une pomme; ce ne sera pas une pomme avec une orange. C'est ça qu'on demande. La liste, on peut la limiter, mais on voudrait avoir des comparaisons qui sont équitables et valables.

M. Chevrette: Quand vous demandez un recours pénal?

M. Noël (Jean): C'est pour augmenter l'efficacité de la loi. Étant donné que ça donne un pouvoir dissuasif, ça pourrait permettre d'éviter des poursuites frivoles, dans un premier temps, et, dans un deuxième temps, dans une région où l'indépendant est dépourvu des moyens pour mettre une poursuite en branle, que le gouvernement puisse intervenir et faire une poursuite à ce niveau-là.

Le Président (M. Beaulne): M. le député de Roberval, pour une très brève question, puisqu'il vous reste une minute.

M. Laprise: Simplement, c'est quand même délicat de poser un geste comme ça pour le gouvernement, d'intervenir dans le libre marché. Maintenant, les demandes de vérification que vous demandez là, en termes de coûts pour la Régie, ça va représenter des coûts assez importants, au niveau des demandes que vous demandez de vérifier, là.

M. Noël (Jean): Bien, écoutez, ce que je comprends, c'est que la Régie va fixer une marge qui va couvrir les coûts d'exploitation. Alors, il faut bien comprendre qu'il ne faut pas que la Régie ait à être devant des généralités. Si la Loi sur l'utilisation des produits pétroliers détermine exactement les facteurs dont la Régie doit tenir compte, bien, à ce moment-là, ça va être efficace. La Régie va savoir sur quoi se pencher et sur quoi déterminer les coûts. Mais il est important de bien cerner tous les paramètres, comme le disait M. Bétournay... sont importants pour comparer les pommes avec des pommes.

M. Laprise: O.K.

Le Président (M. Beaulne): M. le député de Saint-Laurent.

M. Cherry: Merci, M. le Président. Dans la page 1 de votre mémoire, vous parlez qu'à la fin de la décennie quatre-vingt-dix vous avez réussi à desservir jusqu'à 30 % du marché québécois. Aujourd'hui, c'est quoi, 20 %, 22 %?

M. Bétournay (Gérard N.): À peu près 20 %, 21 %, oui.

M. Cherry: C'est 20 %, 21 %. O.K. Et vous attribuez cette diminution-là à quoi? Et ça s'est passé quand dans...

M. Bétournay (Gérard N.): Bien, depuis 1991, on est en guerre de prix, pas aussi dramatique que celle qu'on a connue cet été, mais on a connu évidemment, depuis 1991, des guerres de prix qui nous donnaient des marges d'opération qui variaient... Avant 1990, elles étaient de 0,12 $ du litre, ça a diminué à peu près à 0,05 $ en 1991, et puis, évidemment, c'est devenu 0,05 $ négatif au mois de juin. Donc, c'est évident que les parts de marché, nous autres, on les a perdues, parce que, depuis 1991, aussi, il est important de noter que les compagnies majeures ont décidé de ne plus donner ce différentiel de prix à la pompe aux détaillants indépendants. Avant 1991, on allouait un 0,002 $, 0,003 $, 0,004 $ de moins cher à l'indépendant parce que l'indépendant n'avait pas de promotion, n'avait pas de points Club Z, n'avait pas de publicité nationale. Il n'avait pas cette notoriété dans le marché, pas de télévision. Donc, on le laissait tranquille sur le coin jusqu'à temps qu'on réalise que ce petit monsieur là commençait à prendre une part de marché.

Et aussi, l'autre raison assez valable pour laquelle on a augmenté ou on a diminué nos parts de marché, c'est l'abandon des petits postes d'essence par les compagnies majeures, là où les gens voulaient continuer aussi à opérer dans le secteur parce qu'ils vivaient de ce commerce-là. Ça fait qu'ils s'en sont allés chez les indépendants, donc on a eu un «recru». Après ça, on a eu une baisse par la guerre des prix. Mais je vous assure qu'en ayant des prix raisonnablement concurrentiels la part des marchés des indépendants devrait quand même se maintenir entre 20 % et 30 %, dépendamment des secteurs.

(17 h 50)

M. Cherry: O.K. Maintenant, comme on établit que maintenant, au Québec, la part, c'est aux environs de 20 %, 22 %, si on comparait ça aux provinces environnantes, c'est quoi, l'apport du marché des indépendants?

M. Bétournay (Gérard N.): Non, je pense que c'est beaucoup moins. L'Ontario, je pense que c'est en bas de 10 %. Et ils ont déjà été presque tous éliminés par les compagnies majeures; il en reste à peu près deux, indépendants. Dans l'Ouest, les majeures ont éliminé quasi totalement les indépendants. Ils sont arrivés au Québec puis ils ont un peu plus de difficultés. Puis le fait aussi, c'est qu'on a un peu d'importations qui rentrent chez nous, ce qui nous permet évidemment d'aller chercher des prix puis de réaliser, si vous voulez, essayer de subsister. Mais, depuis quelques années, c'est – excusez l'expression – la débandade parce que là on nous serre. On rencontre des prix à l'importation.

Les prix, à Montréal, depuis deux ans, ça ne s'est jamais vu, sont meilleur marché que le prix cash à New York. Puis la raison, elle est simple, c'est que, si on élimine les distributeurs indépendants ou l'importateur, il n'y en aura plus, d'indépendants. Où est-ce qu'on va aller acheter? Malgré que la loi fédérale de la concurrence dit à une compagnie majeure: Vous ne pouvez pas refuser de vendre... mais ils ne disent pas à quel prix. Puis, si on accepte les termes de crédit, on dit: Vous êtes réellement un danger, payez-nous comptant. Bientôt, il va falloir payer avant d'aller chercher le produit. On nous met des barrières extraordinaires pour nous empêcher de continuer à vivre. C'est ça qu'on fait depuis cinq ans. Mais, évidemment, depuis cet été, ç'a été dramatique, puis on a pu le démontrer par le fait que les prix sont affichés à la pompe. Mais c'est depuis cinq ans qu'on a des difficultés. Il faut que ça arrête, sans ça les PME québécoises vont disparaître. C'est aussi clair que ça.

M. Cherry: Vous venez d'utiliser l'expression «payer cash à la livraison». On me dit que c'est vrai que les lois du marché ont changé. Dans certains cas, on me dit qu'autrefois ce n'était pas rare que les compagnies avaient 45 ou 90 jours, mais que maintenant ça s'est rapetissé à 30, puis il y a des endroits que c'est 10. Puis il y a même des endroits qui disent: C'est cash; à la livraison, tu paies cash.

M. Bétournay (Gérard N.): Quand vous êtes manufacturier et que vous contrôlez non seulement le prix du gros, vous contrôlez les conditions... Les lois du marché, qui est-ce qui les fait? C'est les compagnies majeures. Le marché, c'est quoi? C'est le 75 % qui est contrôlé par les compagnies majeures. Quand on parle des lois du marché, c'est eux qui décident quoi faire, quand le faire. Nous autres, écoutez, on est réellement... On parlait de victimes tantôt. On est victimes, on est obligés de suivre. Jusqu'à maintenant, on a dit: On va tenter de passer au travers. Mais, quand on commence à nous vendre, à nous autres, à 0,54 $ puis qu'on vend 0,39 $ à la pompe, ce n'est pas logique.

M. Noël (Jean): Je m'excuse, mais pour complémenter là-dessus...

M. Cherry: Ha, ha, ha! C'est ça, le but, on échange. C'est ça, c'est correct.

M. Noël (Jean): Pour complémenter là-dessus, il faut comprendre que, quand on a changé les termes de crédit, ils ont tous, presque, dans une très, très courte période de temps, adopté la même politique. On est en droit de se demander, s'ils avaient été 11 au lieu de quatre, si ces adoptions, ces changements de règles du marché se seraient produits aussi rapidement. Je pose la question. À quatre, c'est extrêmement facile. On appelle ça le parallélisme conscient, qu'on appelle ça au fédéral, et qui est accepté en preuve. Alors, il va en être quoi s'il n'y a plus d'indépendants, s'il n'y a plus de concurrence? Ça va être tellement facile de s'entendre que les prix vont prendre une allure exponentielle. Ça va monter, ça va être extraordinaire. Ça va être trop facile de s'entendre. Et ça, 21 États américains l'ont constaté et s'en sont prémunis. On n'a pas pris de chance dans ce sens-là. Et les préambules des lois américaines le mentionnent très bien qu'il faut protéger la saine concurrence pour protéger des bons prix à long terme pour les consommateurs.

M. Cherry: On me dit que, par exemple et pour illustrer les changements, puis je vous invite à commenter, c'est des informations que j'ai ramassées... On me dit par exemple que, et pour ne pas la nommer, on me dit qu'Alcan exigeait qu'elle, elle paie ses factures à 60 jours et qu'il n'y a qu'une majeure qui a accepté cette règle-là. Alors, il n'y en a rien qu'une qui lui fournit du pétrole maintenant. Les autres on dit: Nous autres, notre règle, on ne peut pas accepter ça. Et on me dit que maintenant... Alors, est-ce que vous êtes au courant de ça puis...

M. Bétournay (Gérard N.): On est au courant de ça.

M. Cherry: En d'autres mots, ce n'est pas quelque chose... si ce que je dis est vrai, de la façon dont je le présente, ce n'est pas uniquement en fonction de dire: Les petits par rapport aux autres. Mais c'est que les règles du marché, même à l'intérieur des majeures, maintenant, changent. Et dans certains cas on va parler, puis vous avez utilisé tantôt le «cash à la pompe»: Tu t'appelles n'importe qui, quand tu vas «tanker», il faut que tu payes.

M. Bétournay (Gérard N.): Je vous rappelle que le secteur pétrolier est le seul secteur où le manufacturier contrôle le prix du gros et le prix du détail. On est comme le jambon dans le sandwich. On fixe, on augmente le prix au quai de chargement, ce qu'on appelle le «rack price», et on prend trois, quatre jours, cinq jours avant de l'augmenter – c'est-à-dire, «on», les compagnies majeures, parce qu'elles contrôlent 75 % par leur voie de gros sites – d'augmenter les prix. Ça fait que nous... Puis je vais vous dire aussi que ce n'est pas étrange quand, dans une journée, tous nos fournisseurs, dont les trois compagnies majeures dont je parle et la quatrième, qui ne vend pas – Irving a des indépendants – ils montent le prix quasiment en même temps. Puis, nous, on est pris là puis on attend qu'eux autres augmentent le prix, puis ils ne l'augmentent pas, ça fait qu'ils nous «squeezent». Au lieu de faire 0,05 $, s'ils l'ont monté de 0,02 $, bien, on fait 0,03 $. Puis, à 0,03 $, personne ne peut exister. Il n'y a pas une compagnie majeure aujourd'hui qui peut opérer une station-service en bas de 0,06 $ ou 0,07 $ du litre, garanti. Si on donne tous les coûts véridiques puis ce qu'on appelle les «allocations off cost», qui viennent de l'extérieur, il faut tout mettre. C'est pour ça, comme je parlais tantôt, qu'il faut comparer des pommes avec des pommes, sans ça on va se faire planter.

Le Président (M. Beaulne): Oui, M. le député d'Argenteuil.

M. Beaudet: M. le Président, merci. Je vous remercie de venir partager avec nous, parce que je pense que tout le débat qu'on vit, évidemment, a trait aux indépendants.

Dans votre mémoire, il y a des choses qui m'inquiètent, quand même. À la page 2, au dernier paragraphe, vous mentionnez: «Ultramar a acquis le réseau indépendant Sergaz qui était à bout de souffle.» Heureusement qu'ils l'ont acquis, parce que ces gens-là auraient perdu leurs jobs.

M. Bétournay (Gérard N.): Absolument.

M. Beaudet: Alors, il faut...

M. Bétournay (Gérard N.): Non, mais, «heureusement»... Non, non, écoutez, «heureusement»...

M. Beaudet: Bon. C'en est un exemple où une majeure...

M. Bétournay (Gérard N.): Heureusement!

M. Beaudet: ...a sauvé des jobs. C'est important!

M. Bétournay (Gérard N.): Heureusement, hein! Mais ce qui est malheureux, par exemple, c'est devenu une compagnie américaine, où les fonds et les profits s'en vont aux États-Unis. Avant, c'étaient des Québécois, une opération québécoise, l'argent restait au Québec. Mais, malheureusement, puis on avait...

M. Beaudet: Ils n'ont pas survécu, malheureusement. Alors...

M. Bétournay (Gérard N.): Ils n'ont pas survécu parce qu'on ne les a pas laissés. On les a écrasés avec des guerres de prix.

M. Beaudet: Écoutez, moi, je suis très sympathique à votre cause, sauf qu'à un moment donné vous parlez qu'il faut comparer des pommes avec des pommes puis vous me dites: Bien là, il y a des frais d'exploitation qui sont payés au bureau-chef. Bien, écoutez, Provigo, Provigo...

M. Bétournay (Gérard N.): Le coût de cartes de crédit, il faut... non, non, mais...

M. Beaudet: Laissez-moi parler, s'il vous plaît, on va vous laisser parler tantôt.

M. Bétournay (Gérard N.): Oui, d'accord.

M. Beaudet: Provigo puis Métro font la même chose, ils paient au bureau-chef, eux autres aussi. Alors, est-ce qu'à cause de ça on va dire: Bien, on va protéger les petits indépendants avec les dépanneurs contre Provigo puis Métro? Parce que, si on en est rendus là, il va falloir que le gouvernement s'implique dans le prix de la pinte de lait, dans le prix du pain, dans le prix du pied de céleri, on ne finira plus. Et ça, ça m'est...

M. Bétournay (Gérard N.): Métro ne manufacture pas de boîtes, Métro ne manufacture rien.

M. Beaudet: Je comprends, mais ça m'inquiète. Parce que vous nous dites qu'on a fait disparaître tous les indépendants dans l'Ouest du Canada. Et pourtant, au Québec, on est la province où on paie la gazoline le plus cher.

M. Bétournay (Gérard N.): Ce n'est pas tout à fait vrai.

M. Beaudet: J'ai un problème.

M. Bétournay (Gérard N.): Je regrette, ce n'est pas tout à fait vrai, ça. Ce n'est pas le cas.

M. Beaudet: Bien, ça m'inquiète, ça.

M. Bétournay (Gérard N.): Prenez en considération les taxes, puis ce n'est pas vrai.

M. Beaudet: Puis ça m'inquiète.

M. Crevier (Pierre): Hors taxes, ce n'est pas ceux-là.

M. Bétournay (Gérard N.) : La différence, c'est les taxes. C'est ça. Puis ça, on n'a rien contre les taxes, en autant qu'on puisse survivre.

M. Beaudet: Moi, je suis inquiet de ça. Et, tantôt, vous mentionniez le nombre de stations qu'on a au Québec. Alors, par 1 000 habitants, on est l'endroit en Amérique du Nord où il y a le plus de stations; on est à 0,8, alors qu'aux États-Unis on est à 0,72 et, en Ontario, on est à 0,54. Je comprends qu'on n'est pas une grosse population par territoire, j'accepte tout ça. J'accepte aussi le fait qu'on est celle qui vend le moins de débit par station; c'est la moitié de celles de l'Ontario pratiquement, et le tiers de celles des États-Unis. Je peux comprendre qu'il y a des stations qui en arrachent, je peux comprendre qu'elles en arrachent! Si on en vend trois fois moins par station que celles qu'il y a aux États-Unis, il y a peut-être trop de stations. Il faudrait qu'il y ait une consolidation en quelque part qui se fasse. Bon.

Puis ce n'est pas tout vrai que c'est tout en région, parce que, moi, je passe à Montréal puis, à un moment donné, je vois que, sur le même coin de rue, il y a trois stations de gazoline. Alors, je n'ai pas besoin de faire bien, bien des kilomètres pour aller d'une à l'autre, je traverse la rue puis je suis rendu, là. Alors, peut-être qu'il y en a trop aussi, des stations. Alors, il va falloir que l'industrie se réglemente elle-même, sans que le ministère, ou le ministre, ou la Régie ait à intervenir.

(18 heures)

Et, moi, quand je vois ces éléments-là, je demeure inquiet. Je demeure inquiet. Quand vous me dites qu'on vous avait laissés, en 1990, 0,12 $ le litre additionnels puis qu'on est rendus à 0,05 $, bien, moi, et ma question, puis c'est tout le but de ce que je viens de vous dire, en une seule chose: Qui a payé le 0,12 $ le litre de plus si ce n'est pas le consommateur? Alors que vous me dites qu'à ce moment-là vous aviez 25 % du marché, les indépendants, et que maintenant vous en avez 20 %, puis on avait chargé au consommateur 0,12 $ le litre de plus. Alors, quel est votre rôle dans l'industrie, si vous me dites que c'est pour maintenir la concurrence, puis que, lorsqu'il y avait le plus de concurrence, c'est-à-dire le plus d'indépendants, c'est là que le consommateur a payé le plus cher, en favorisant un écart de 0,12 $? J'ai un problème avec ça. Êtes-vous capable de me répondre?

Une voix: Oui, mais...

M. Crevier (Pierre): Quand les indépendants...

Le Président (M. Beaulne): M. Crevier.

M. Crevier (Pierre): Oui. Quand les indépendants ont commencé à progresser, au Québec, vers 1985, les marges étaient de 0,15 $ à 0,16 $. Déjà, en 1989, on les avait diminuées à 0,11 $ et notre efficacité les amenait déjà encore plus bas. Ce qui est arrivé après ça... Il y a quand même une certaine limite à l'efficacité. Ce qui est arrivé, c'est que les grosses compagnies les ont amenées en bas des vrais coûts d'exploitation. C'est ça qui amène le problème que l'on vit présentement.

Puis, au niveau du volume par station-service, que vous disiez tantôt, juste au niveau de la population, au Québec, il y a cinq habitants au kilomètre carré, en Ontario, il y en a 11, puis, aux États-Unis, il y en a 26. Ça fait déjà une partie de la différence de volume par site.

M. Beaudet: Mais vous allez admettre avec moi que, s'il y a moins de population par kilomètre, à un moment donné, si vous mettez plus de stations, elles vont être moins rentables.

M. Crevier (Pierre): C'est qu'il faut quand même en avoir dans certains sites.

M. Beaudet: J'admets ça.

M. Crevier (Pierre): Vous ne pouvez pas les avoir à 50 km l'une de l'autre.

M. Beaudet: Mais, pour vous rendre rentable, et c'est là que je rejoins ce que je disais tantôt, pour vous rendre rentable, il va falloir que le consommateur paie plus cher, sans ça vous ne serez jamais rentable.

M. Crevier (Pierre): Non, non, pas nécessairement.

Une voix: Pas nécessairement.

M. Beaudet: Bien, j'ai un problème à vous comprendre.

M. Crevier (Pierre): Mais, par contre, il y a l'effet aussi de dire: Ce n'est pas vrai que nécessairement une station-service de 7 000 000 ou 5 000 000 de litres va coûter moins cher au litre qu'une station de 1 500 000. Ce n'est pas vrai, parce que le coût d'investissement va être quatre fois, cinq fois, six fois plus fort. Ça fait que les coûts d'opération vont être plus forts au litre. Le pourcentage va se faire. On l'a même démontré à la commission Clair. Ça fait que ce n'est pas nécessairement vrai qu'une station à haut volume va coûter moins cher au litre. Puis, ça, on est prêt à en faire la démonstration encore.

M. Beaudet: C'est important! C'est important!

Le Président (M. Beaulne): Oui, M. Noël.

M. Noël (Jean): Il y a deux points, je pense, importants à comprendre, c'est l'historique 1985-1990. Avant 1985, il était pratiquement impossible d'importer, et l'importation a fait en sorte d'augmenter les marges bénéficiaires autant aux indépendants. Et, à partir de 1985, date à laquelle les indépendants contrôlaient environ 15 % du marché, l'augmentation de la marge bénéficiaire a fait entrer de la concurrence dans le marché, d'autres indépendants, et, en 1990, la marge bénéficiaire a été ramenée au même niveau qu'avant 1985 à cause de l'augmentation de la concurrence. À ce moment-là, en 1985, quand l'importation est arrivée, les compagnies majeures ont été obligées de baisser leur prix de «rack» pour concurrencer l'importation. Alors, à ce moment-là, en 1990, quand les indépendants se sont retrouvés avec 30 % de la part du marché et que la marge était rendue au même niveau qu'avant 1985, les économies que la concurrence a permis d'aller chercher au prix de gros ont été transmises aux consommateurs à cause de la concurrence, et c'est à ce moment-là que les compagnies majeures ont dit: Woop! il faut que ça arrête. Alors, on a constaté la même chose qu'en Californie, il fallait sortir le plan ARCO pour dire: Il faut changer les règles du marché. Alors, on a sorti la notion efficacité.

Au niveau de la notion efficacité, ce qu'il faut comprendre, puis ça, c'est extrêmement important de le savoir, c'est que la notion efficacité, autant en Amérique du Nord qu'en Europe, a toujours été développée par les indépendants; que ce soient les systèmes automatiques, la carte magnétique, que ce soient les dépanneurs – aux États-Unis, Seven-Eleven; ici, au Québec, vous avez Provi-Soir, à la fin des années soixante-dix, Alimentation Couche-Tard, au début des années quatre-vingt... Alors, au niveau de l'efficacité, il n'y en a pas, de problème. L'innovation et la création... La créativité est toujours venue des indépendants, et ce, autant en Europe qu'en Amérique du Nord. À ce moment-là, à ce niveau-là, de concurrencer sur l'efficacité, il n'y en a pas, de problème. Et c'est le pourquoi des analyses des lois américaines. Des comités qui ont sorti les lois aux États-Unis sont arrivés à la conclusion qu'il est aberrant que les joueurs les plus efficaces soient éjectés d'un marché. Alors, c'est pour ça que les États ont légiféré, pour se garantir la saine concurrence et les bons prix à long terme.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. Noël. La commission vous remercie de votre mémoire enflammé.

Avant de suspendre, j'aimerais rappeler que les représentants de la Chambre de commerce du Québec ont fait l'éloge, hier, de la déréglementation, et en particulier de celle qui prévaut aux États-Unis, sans mentionner cependant les balises qui ont été élaborées aux États-Unis mêmes pour assurer la libre concurrence. Alors, je vous remercie de nous les avoir rappelées, parce que, lorsqu'on s'inspire de quelque chose, il faut s'en inspirer entièrement. Merci.

Et j'ajourne les travaux de la commission jusqu'à 20 heures.

(Suspension de la séance à 18 h 5)

(Reprise à 20 h 8)

Le Président (M. Beaulne): À l'ordre, s'il vous plaît! J'inviterais les représentants de l'Association de l'huile à chauffage du Québec et de la Corporation de chauffage urbain de Montréal à prendre place à la table de la commission, et les collègues également.

Alors, bienvenue, messieurs, à nos audiences particulières sur le projet de loi n° 50 créant la Loi sur la Régie de l'énergie. Comme vous êtes deux groupes qui font une présentation conjointe, vous aurez 30 minutes pour vos présentations, 15 minutes chacun. Par la suite, il y aura 15 minutes à la disposition de chaque groupe parlementaire pour vous interroger. Qui...

M. Dupuis (Pierre): Oui, on peut commencer.

Le Président (M. Beaulne): Oui, allez-y. Et puis, si vous voulez bien vous identifier.


Association de l'huile à chauffage du Québec inc. (AHCQ) et Corporation de chauffage urbain de Montréal (CCUM)

M. Dupuis (Pierre): D'accord. Alors, j'aimerais, premièrement, présenter mes assistants, si on peut les appeler ainsi. À ma droite, j'ai M. Marc Blais, qui est administrateur de l'Association de l'huile à chauffage du Québec et qui est aussi directeur commercial pour la compagnie Les Réservoirs d'acier Granby. À ma gauche – il m'a demandé de changer un peu son nom, mais je vais utiliser son nom tel qu'il est – M. Marc Lalonde – je ne veux pas réveiller de mauvais souvenirs nulle part – qui est premier vice-président de l'Association de l'huile à chauffage du Québec...

M. Chevrette: ...

M. Dupuis (Pierre): Pardon?

M. Chevrette: ...

M. Dupuis (Pierre): Non, non, mais, pour certaines personnes, évidemment. Il ne faut pas généraliser dans la vie.

M. Chevrette: ...

(20 h 10)

M. Dupuis (Pierre): Et qui est aussi directeur général du Centre de confort Esso pour les villes de Montréal et Québec. Et, moi-même, mon nom est Pierre Dupuis; je suis président de l'Association de l'huile à chauffage du Québec et aussi directeur général et actionnaire de Joseph Élie ltée, à Montréal.

Alors, nous vous remercions de votre invitation à participer aux audiences particulières afin que nous puissions faire part au gouvernement de notre point de vue sur le projet de loi n° 50 créant la Régie de l'énergie. L'Association de l'huile à chauffage du Québec regroupe des membres que l'on peut diviser en trois catégories: premièrement, les fournisseurs de mazout opérant sous une bannière de marque majeure et étant en partie – je souligne «en partie» – des pétrolières intégrées; deuxièmement, des manufacturiers d'équipements de chauffage et de réservoirs québécois, qui fournissent à eux seuls la majorité des équipements de chauffage au mazout vendus sur le marché du Québec; et, troisièmement, des fournisseurs de produits et services hors Québec.

En ce qui a trait aux fournisseurs de mazout, leur commerce s'effectue principalement dans les villes majeures et représente environ 70 % du marché de leur secteur. Les membres de l'Association génèrent environ 3 700 emplois directs et indirects dans l'industrie. En comparaison, les membres de l'ADIP représentent ou détiennent 38 % du marché de mazout domestique et sont présents dans toutes les régions du Québec.

L'Association de l'huile à chauffage du Québec existe depuis maintenant 39 ans. Ses principaux mandats sont les suivants: promouvoir les intérêts communs de l'industrie du mazout domestique et commercial; promouvoir les intérêts des utilisateurs et du public; recueillir et diffuser de l'information à l'industrie et au grand public; et, finalement, représenter l'industrie auprès des gouvernements et autres intervenants.

Au cours des dernières années, nombreuses furent les représentations faites par l'AHCQ et l'ADIP afin de contribuer à la reconnaissance du mazout par les différents organismes publics et commerciaux tant en région que dans les grands centres urbains. Il en reste que, malgré certaines divergences, les deux associations continuent conjointement à promouvoir, premièrement, l'huile à chauffage comme source attrayante d'énergie, promouvoir l'efficacité énergétique et, finalement, le progrès du secteur de la chauffe résidentielle et commerciale au mazout. D'ailleurs, au cours des trois dernières années, les deux associations ont participé conjointement à une campagne promotionnelle agressive afin de faire valoir les bénéfices du mazout auprès du grand public.

La situation énergétique du Québec s'est transformée considérablement depuis le début des années quatre-vingt, soit depuis que la part du pétrole dans le bilan énergétique global a diminué. De 50 % qu'elle était au début des années quatre-vingt, la part du marché du mazout québécois se situe maintenant entre 17 % et 20 %. Les produits pétroliers, plus spécifiquement le mazout, bien qu'ayant subi une forte diminution de la demande, n'en demeurent pas moins un produit dit essentiel au maintien de l'équilibre des sources énergétiques au Québec. Géographiquement, c'est la région de Montréal qui consomme le plus de mazout léger, soit 30 % du total du Québec. Avec la Montérégie, Québec et la Mauricie–Bois-Francs, ces régions obtiennent plus de 60 % du volume total des ventes de mazout léger. Le secteur résidentiel consomme la majeure partie du mazout léger au Québec avec 1 500 000 m³, soit 77 % du total. Le secteur commercial utilise, pour sa part, 20 % du mazout léger, soit 393 000 m³.

Important à souligner: selon une étude de Brais, Martrès et Associés, une firme spécialisée en génie énergétique, réalisée en 1995, chauffer à l'électricité aujourd'hui coûte environ 40 % plus cher que chauffer à l'huile. La même constatation peut aussi être faite avec le chauffage au gaz naturel, qui est plus dispendieux que le chauffage au mazout. Et ces chiffres grimperont en fonction des augmentations tarifaires qui seront accordées à Hydro-Québec et à Gaz Métropolitain au cours des prochaines années.

Dans le cadre de ses mandats, l'Association de l'huile à chauffage du Québec a, lors de consultations publiques sur la future politique énergétique du Québec, soumis un mémoire dans lequel elle présentait sa position sur plusieurs questions. Les objectifs de l'Association dans ce contexte étaient les suivants: encourager l'introduction d'une politique énergétique globale permettant à tous les intervenants énergétiques d'y trouver leur juste part; encourager une compétition loyale entre les sources d'énergie au Québec au profit du consommateur; que le gouvernement du Québec fasse en sorte que le vrai tarif de l'électricité soit passé directement au consommateur et non par des mesures de taxation dérivées; et, finalement, que le gouvernement du Québec encourage des projets-pilotes de chauffage biénergie mazout-électricité dans la maison neuve.

Par suite de la publication du projet de loi n° 50, dans lequel le mandat et les modalités de l'opération de la Régie de l'énergie sont décrits, l'Association tient à faire connaître son point de vue sur ce projet de loi, particulièrement en relation avec le marché de la chauffe au Québec. Le rôle de la Régie, tel que proposé dans le projet de loi n° 50, cadre avec la réalité du marché énergétique québécois et fait preuve de souplesse vu la diversité des formes de marchés qui existent dans le domaine de la chauffe. Le rôle et les modalités d'opération proposés varient selon qu'il y a libre jeu de la concurrence dans les marchés visés ou non. Par exemple, la Régie fixe les tarifs dans les domaines où il y a monopole et surveille les marchés où il y a libre concurrence et déréglemente là où il y a un intérêt pour le consommateur. Nous sommes d'accord avec ce principe et croyons donc qu'il serait contradictoire de vouloir réglementer le domaine du chauffage à l'huile.

Nous rappelons que le mazout a un rôle essentiel à jouer dans le portefeuille énergétique du Québec. En ce qui concerne l'établissement de la tarification, nous souhaitons voir la Régie tenir compte des vrais coûts dans le calcul des tarifs tant pour l'électricité que pour le gaz naturel. Dans le domaine de la chauffe, le choix de la forme d'énergie doit incomber au consommateur et son choix doit être fait à la lumière des coûts réels de chacune de ces formes d'énergie. Nous souhaitons également voir la Régie contrôler les programmes de subvention d'équipements avancés par les grands monopoles, car ceux-ci ont un impact immédiat et fondamental sur l'évolution du portefeuille énergétique du Québec. Il en ressort que des règles de jeu équivalentes doivent exister pour toutes les formes d'énergie. Nous voyons en cela un des principes fondamentaux qui devraient gouverner les activités de la Régie.

Au plan de la surveillance, nous soulignons que le consommateur peut directement se renseigner sur les prix exigés par un revendeur de mazout en contactant ce dernier, que cette pratique est très courante – peut-être trop – et qu'elle est bien établie. Dans le contexte du marché du mazout, cet aspect du rôle de la Régie nous apparaît superflu. Au plan des modifications apportées à la Loi sur l'utilisation des produits pétroliers, nous notons l'exclusion du mazout dans l'application d'une présomption légale en matière de prix de vente. Les aspects fondamentaux du marché du mazout justifient pleinement cette exclusion.

L'Association reconnaît le bien-fondé de la fonction consultative et des pouvoirs d'inspection et d'enquête dont jouira la Régie. Ces fonctions et pouvoirs seront essentiels à l'exercice de son mandat.

Nous allons maintenant dire quelques mots des aspects fondamentaux du marché du mazout. Tout comme le sucre et le café, le mazout est un produit de base échangé sur les marchés internationaux. Au Québec, le prix de gros du mazout présente une forte corrélation avec le prix sur le marché international du port de New York. De nombreuses sociétés pétrolières publient leur prix de mazout à la rampe de chargement, c'est-à-dire le prix qu'elles demandent aux clients qui achètent de forts volumes. Ces prix de gros sont influencés par le cours du produit à New York, les frais de transport entre New York et Montréal, le coût de manutention dans un dépôt de distribution et les jeux de la concurrence locale.

Le coût d'approvisionnement des revendeurs indépendants ou associés de mazout, tels que Joseph Élie, Super Econo, Norco ou Coop fédérée, est généralement lié à la rampe de chargement. Au prix payé, ils ajoutent leurs frais d'exploitation et leur marge bénéficiaire. Cependant, le prix auquel ils peuvent revendre le mazout sur le marché dépend du prix demandé par les revendeurs concurrents. Des considérations d'ordre stratégique, comme le désir d'accroître sa part de marché, peuvent inciter un revendeur à vendre son mazout à un prix inférieur. Ce libre choix constitue une pierre angulaire du libre jeu de la concurrence. D'autres marchés, tel que celui de l'essence, arborent des prix aux consommateurs qui sont périodiquement inférieurs au coût d'approvisionnement des revendeurs indépendants. Cette dynamique a été perçue comme une menace à leur survie. Sur ce plan, le marché du mazout diffère fondamentalement de celui de l'essence.

D'une part, les prix payés par les revendeurs indépendants ou associés pour leur approvisionnement de mazout sont systématiquement inférieurs aux prix offerts aux consommateurs. D'autre part, les revendeurs indépendants ou associés jouissent généralement d'une participation beaucoup plus grande dans le marché du mazout que celui de l'essence, particulièrement dans les grands marchés comme ceux de Montréal et de Québec.

Le consommateur ayant opté pour le mazout comme forme d'énergie pour son chauffage résidentiel ou commercial bénéficie donc de ce jeu de la libre concurrence, car il en retire un prix de marché compétitif et plusieurs alternatives d'approvisionnement s'offrent à lui. Cette dynamique de marché contraste fortement avec celle des autres formes d'énergie dans le domaine de la chauffe. En effet, le mazout concurrence de véritables monopoles, comme le gaz ou l'électricité, dans lesquels les consommateurs n'ont généralement aucune alternative d'approvisionnement une fois qu'ils y sont engagés. Lorsqu'on considère l'évolution historique des formes d'énergie, la concurrence entre les diverses formes d'énergie plutôt qu'entre les revendeurs de mazout devrait retenir l'attention.

Mécanismes législatifs avancés par certains intervenants. Trois propositions ont été avancées par les revendeurs indépendants pour atténuer les répercussions sur leur commerce des guerres de prix dans le marché de l'essence. Nous jugeons utile de faire le point sur chacune de ces propositions en rapport avec le marché du mazout.

Premièrement, parlons du cloisonnement. Aux États-Unis, seulement cinq États et le district de Columbia pratiquent actuellement le cloisonnement du marché de détail. Le cloisonnement interdit à une pétrolière intégrée d'exploiter soit directement, soit par l'entremise d'agents ou de sociétés affiliées des stations-service. Plusieurs études sur le sujet ont conclu que le cloisonnement du commerce au détail de l'essence a provoqué une hausse des prix de l'essence à la pompe. Dans le marché du mazout au Québec, la majorité des participants sont des revendeurs indépendants ou associés, de sorte que le marché se trouve déjà en grande partie cloisonné.

Deuxièmement, la loi interdisant la vente à un prix inférieur au prix coûtant. Le deuxième scénario proposé pour soulager le fardeau des indépendants est celui d'une loi interdisant la vente à un prix inférieur au prix coûtant. Les coûts comprennent généralement les coûts supportés par le commerçant pour exploiter son commerce, en plus du prix que ce dernier doit payer le produit qu'il revend. Généralement, la marge minimale se rapproche des coûts supportés par l'entreprise la moins efficiente. Une étude de l'American Petroleum Institute conclut que, dans les États qui appliquent une telle loi, le prix payé par le consommateur est plus élevé.

(20 h 20)

Contrairement au marché de l'essence, les prix qu'ont à payer les revendeurs indépendants ou associés pour leur approvisionnement en mazout ont été systématiquement inférieurs aux prix offerts aux consommateurs. Les facteurs influençant le prix du mazout offert par un revendeur sont les fluctuations de prix du gros, ses coûts d'exploitation, sa marge bénéficiaire ainsi que des questions d'ordre stratégique. Dans ce contexte de libre jeu de la concurrence, l'Association de l'huile à chauffage du Québec inc. croit que d'imposer une marge minimum entraînerait une hausse de prix aux consommateurs et désavantagerait le mazout comme forme d'énergie concurrentielle.

Troisièmement, une loi plus sévère réglementant le prix d'éviction. L'alinéa 50.1.c de la Loi sur la concurrence interdit déjà la vente de produits à des prix déraisonnablement bas ayant pour effet ou tendance à réduire sensiblement la concurrence ou à éliminer un concurrent. Cette disposition de la loi, souvent désignée comme l'article contre les prix d'éviction, prévoit que le concurrent lésé peut intenter des poursuites en dommages et intérêts ainsi qu'au criminel. Les cas de jurisprudence sont peu nombreux, mais, d'après l'interprétation qu'on en fait généralement, cette disposition ne s'applique qu'aux situations où le marchand vend à un prix inférieur à son prix coûtant et non pas lorsque ce dernier ne cherche qu'à égaler le prix de ses concurrents. L'Association de l'huile à chauffage du Québec croit que la Loi sur la concurrence couvre adéquatement la question des prix d'éviction en ce qui concerne le marché du mazout et qu'une loi plus sévère réglementant les prix d'éviction serait inutile.

Dans l'élaboration des tarifs, nous souhaitons voir la Régie tenir compte des vrais coûts. L'Association, en partenariat avec l'Association des distributeurs indépendants de produits pétroliers, soutient depuis longtemps déjà que, dans le domaine de la chauffe résidentielle et commerciale, l'interfinancement des classes tarifaires constitue en fait une subvention cachée, qu'il en résulte une concurrence déloyale par rapport aux autres formes d'énergie et que sa conséquence a un impact structurel important. Pour se convaincre de cet impact, il suffit de comparer les taux d'utilisation de l'électricité dans le domaine de la chauffe résidentielle et commerciale au Québec et ailleurs en Amérique du Nord.

Dans le domaine de la chauffe, plusieurs formes d'énergie se font concurrence. Le choix des consommateurs aura des répercussions sur leur latitude d'approvisionnement énergétique à moyen terme ainsi que sur l'évolution de la filière énergétique au Québec. Il est donc primordial que, d'une part, les activités des grands monopoles énergétiques soient contrôlées et que, d'autre part, les tendances de marché soient étudiées dans le contexte de leur impact à long terme.

En conclusion, nous croyons qu'il serait inefficace, voire même périlleux, dû aux aspects fondamentaux qui régissent en quelque sorte le marché du mazout, de tenter de l'inclure dans les formes d'énergie que la Régie devrait contre-expertiser lors de demandes de modification tarifaire. Étant donné que le prix du mazout est en directe corrélation avec le prix du brut et qu'il est en plus un produit saisonnier, contrairement à l'essence, ses variations sont beaucoup plus significatives. Il devient donc important pour les sociétés pétrolières de pouvoir ajuster rapidement le prix du mazout selon les fluctuations des marchés internationaux, donc que le produit soit traité au même titre que tout autre bien essentiel où le prix du brut est hors de contrôle des distributeurs.

Si le mazout ne devenait plus compétitif dû à un message faussé du prix des autres formes d'énergie, ceci engendrerait de sérieuses pertes d'emplois et de revenus pour toutes les parties impliquées, particulièrement dans les régions. Nous pensons que les intervenants du domaine du chauffage au mazout devraient concentrer et joindre leurs efforts en vue d'augmenter leur part de marché en faisant valoir aux consommateurs les bienfaits du service offert par notre industrie ainsi que les prix avantageux du mazout pour qu'en bout de ligne nous soyons en mesure de conserver les emplois actuels et d'en créer d'autres. Ensemble, nous constituons un partenaire fiable, qui offre une concurrence saine et avantageuse pour les Québécois. Tel que mentionné, nous croyons que, pour le bienfait de notre industrie, l'intervention de l'État doit être limitée.

En définitive, l'avenir de notre industrie au Québec s'annonce très prometteur. Si l'on tient compte des réserves de pétrole prouvées de par le monde, des développements technologiques en cours et des possibilités d'alliance stratégique, nous pouvons affirmer que notre génération ainsi que plusieurs générations futures pourront se chauffer au mazout pendant encore bien longtemps à des prix qui ne leur donneront pas froid dans le dos.

Nous sommes fiers de pouvoir faire profiter tous les Québécoises et les Québécois de produits de qualité supérieure et d'équipements plus performants que jamais. C'est notre façon à nous de contribuer au bien-être de la collectivité et plus particulièrement à celui des consommateurs, puisqu'il n'y a rien de plus nocif pour la santé mentale et physique qu'une facture salée. Ainsi, nous croyons sincèrement que la thérapie que se paie présentement l'industrie du chauffage au Québec bénéficiera à tous les consommateurs en permettant à ceux-ci de jouir de la liberté de choisir la meilleure source d'énergie au moindre coût. Finalement, le transfert d'énergie dans l'industrie du chauffage au Québec, c'est une question de santé économique et sociale.

Finalement, comme recommandations, nous demandons de laisser les forces du marché jouer leur rôle; de limiter l'intervention de la Régie de l'énergie à une fonction consultative et de pouvoirs d'inspection et d'enquête dans le domaine de la chauffe résidentielle et commerciale au mazout. Toute autre forme d'intervention éliminerait une partie de l'industrie, particulièrement en région; ne pas imposer à l'industrie du chauffage au mazout des mécanismes administratifs ou bureaucratiques qui feraient en sorte que les consommateurs ne bénéficient plus du jeu de la libre concurrence, ce qui amènerait ainsi une réduction du parc de mazout. Est-ce qu'il y a des questions?

Le Président (M. Beaulne): J'inviterais maintenant les représentants de l'autre groupe à présenter leur mémoire.

M. Blanc (Yves): M. le ministre, Mmes et MM. membres de l'Assemblée nationale, mesdames et messieurs, mon nom est Yves Blanc. Je suis directeur général de la Corporation de chauffage urbain de Montréal et vice-président de l'Association canadienne du chauffage urbain. Notre mémoire est présenté sous ces deux titres. Je suis accompagné par Me Éric Dunberry, du cabinet Ogilvy Renault, qui sera là pour présenter l'aspect plus technique de l'évolution de la législation dans notre industrie.

Nous avons pris connaissance du projet de loi n° 50 et nous avons des commentaires à faire au chapitre V, les articles 55 et 59. L'objet du projet de loi, pour ces articles-là, est d'assujettir à la surveillance d'une régie l'activité de la distribution de la vapeur au Québec. Notre point de vue, c'est que cet assujettissement n'est pas dans l'intérêt des personnes concernées, n'est pas dans l'intérêt du gouvernement, et c'est ce que nous allons vous présenter comme argument.

Tout d'abord, notre industrie est mal connue. Je voudrais vous préciser un peu quelles sont les frontières de cette activité. Dans le projet de loi n° 50, on parle de la vapeur, mais la vapeur n'est qu'un des produits transformés. C'est un caloporteur qui transforme de l'énergie prête à l'emploi. D'autres caloporteurs peuvent être utilisés: c'est l'eau chaude; c'est l'eau refroidie pour la climatisation. Donc, on peut s'interroger pourquoi le projet de loi ne se préoccupe – et les gens qui l'ont conçu – que de la vapeur. Il faudrait peut-être plutôt s'intéresser – c'est un peu notre point de vue – à la production et à la distribution de l'énergie thermique distribuée par réseau urbain.

Deuxièmement, le projet de loi fait référence à une distinction entre le chauffage des espaces et la vapeur utilisée à d'autres fins. Cette distinction nous semble ne pas correspondre à la réalité. Les usages de la vapeur de l'énergie thermique sont multiples et une même molécule d'eau peut être fabriquée dans une chaudière, passer dans une turbine pour faire l'électricité qui va être vendue à Hydro-Québec, continuer et passer dans un processus de fabrication – séchage de quelque chose – et il reste encore de l'énergie là-dedans et ça peut être utilisé par l'entreprise pour, par exemple, le chauffage des locaux. Donc, pourquoi distinguer l'un et l'autre et comment faire cette distinction?

J'aimerais maintenant vous présenter un peu plus précisément ce qu'est la production et la distribution de vapeur. La vapeur n'est pas un combustible primaire comme le sont le gaz, l'électricité, l'huile, le charbon, etc. Il suffit de constater que les clients de notre industrie, eux, paient plus cher qu'ils ne paieraient l'énergie primaire: le gaz, etc., bien entendu, puisque nous transformons ce gaz, ou ce charbon, ou ce pétrole, en vapeur. Donc, nous utilisons des équipements, nous utilisons donc des chaudières, nous avons du personnel, et là est le prix additionnel par rapport à l'énergie primaire. Nous sommes, nous, des consommateurs d'énergie primaire. Et le projet de loi, qui s'intéresse à l'énergie primaire, fait une exception et vient nous surveiller, nous qui sommes des consommateurs et non pas des producteurs d'énergie primaire.

Par ailleurs, notre activité peut se faire non seulement à partir d'une de ces énergies primaires, mais – et ce sera important par la suite, j'y reviendrai – à partir soit de rejets, de rebuts comme les ordures ménagères. Par exemple, l'incinérateur de la Communauté urbaine de Québec, qui vend de la vapeur à la compagnie Daishowa – donc, il y a un commerce – le fait à partir des ordures ménagères. Et on peut trouver d'autres cas, à Oujé-Bougoumou, par exemple, où la communauté d'Oujé-Bougoumou fait le commerce d'énergie thermique qui est produite à partir de déchets de bois.

(20 h 30)

Elle peut aussi être le résultat, cette vapeur ou cette eau chaude, d'une récupération d'énergie. Comme, par exemple, dans les raffineries, on peut aller récupérer de l'énergie qui autrement est dispersée par des cheminées et la transformer en vapeur ou en eau chaude – plus précisément, dans ce cas-là, techniquement, ce sera de l'eau chaude – pour l'utilisation, pour le chauffage d'hôpitaux ou d'autre chose.

Donc, ce que je voudrais vous présenter, ce sur quoi je voudrais insister, c'est que, finalement, la vapeur, la distribution de vapeur se situe en aval de l'activité des fournisseurs traditionnels de combustible et que notre industrie n'est pas du tout en concurrence, ne se situe pas au niveau de Gaz Métropolitain, d'Hydro-Québec ou des pétrolières. Bien au contraire, nous sommes leurs clients.

La personnalité des intervenants. Les fournisseurs de vapeur. D'abord vous rappeler, avec ce que je vous ai expliqué, qu'on doit distinguer dans l'activité: la production, le transport et la distribution. Le projet de loi ne précise pas ces questions-là, et on ne voit pas pourquoi on devrait s'occuper de l'un ou de l'autre et le surveiller. Par exemple, je pourrais, moi, acheter – et j'ai une entente avec la Place Victoria pour ce faire – de la vapeur de la Place Victoria, qui la produirait, mettre un réseau sous la rue Notre-Dame ou Saint-Antoine, excusez-moi, ou Saint-Jacques – je m'excuse de cette imprécision – pour résoudre le problème de l'édifice Quebecor, qui a des chaudières qui sont vieillissantes.

Qui veut-on surveiller et pourquoi? La Place Victoria, parce qu'elle va m'en vendre? Moi, parce que je vais la transporter ou, éventuellement, celui qui aurait l'entreprise privée qui va faire la gestion du chauffage dans le bâtiment de Quebecor et qui va m'acheter cette vapeur pour revendre ses services à Quebecor?

En troisième lieu, je voudrais insister sur le fait qu'il y a très peu de différence entre la façon conventionnelle, connue de la plupart des gens, de faire du chauffage et celle de l'impartition que nous faisons. Alors, par exemple, une université a une chaufferie. Elle peut me revendre sa chaufferie. Moi, je vais l'opérer et je vais lui vendre sa vapeur. Pourquoi me surveiller et pourquoi ne pas surveiller la même situation si l'université ne me demande pas d'acheter sa chaufferie mais me demande seulement de l'opérer? On ne voit pas trop le pourquoi de s'intéresser à ces activités-là.

En quatrième lieu, j'aimerais vous souligner qu'il existe un nombre considérable de distributeurs de vapeur, et je crois que c'est mal connu. Je me demande si, quand on a conçu ces articles, on s'est vraiment intéressé à cet éventail de producteurs. Par exemple, il y a des entreprises privées, comme la nôtre, comme Montreal Fast Print, qui est une entreprise textile, qui a sa chaufferie et qui vend de la vapeur au chauffage des bâtiments qui sont autour, sur la rue Saint-Laurent, dans le nord de Montréal; Chaufferie Saint-Malo, à Québec. Voilà un genre d'exemples. D'autres exemples, ce sont des industries comme la papetière Cascades, qui, dans sa ville de siège social, vend de l'énergie thermique. Il y a tout un tas... Et c'est là que se fait le plus gros commerce de la vapeur, à notre sens, c'est les entreprises publiques qui vendent de la vapeur. Alors, ça va être la SIQ, qui vend de la vapeur à la ville de Montréal; ça va être l'Université McGill, qui vend de la vapeur à l'hôpital Royal Victoria; c'est l'hôpital de Chicoutimi, qui vend de la vapeur au cégep et à l'université de Chicoutimi; c'est la centrale de la Communauté urbaine de Québec, dont j'ai parlé tout à l'heure, etc.

En fait, on a l'impression que le projet de loi prévoit que le gouvernement va se réglementer lui-même, essentiellement, et on ne voit pas trop quel est l'intérêt de ce faire. Il va percevoir auprès des hôpitaux et des universités des redevances pour financer l'activité de surveillance, qui ne nous semble pas tout à fait utile, financer, donc, l'activité de la Régie, et on ne voit pas trop l'utilité. Il y a aussi des organisations de type coopératif, comme la bande indienne d'Oujé-Bougoumou, qui, elle, va être sujette à cette surveillance.

Les consommateurs de vapeur, qui sont-ils? Bon. D'abord, les consommateurs de vapeur, qu'est-ce qu'ils cherchent? Au lieu de faire leur propre vapeur dans leur édifice, ils se disent: Pourquoi est-ce que quelqu'un d'autre ne le ferait pas à l'extérieur? En fait, ce sont des gens qui se disent: Les coûts d'investissement dans les chaudières, l'expertise, payer le personnel et s'occuper des produits chimiques et acheter tous ces combustibles de base, ce sont des choses trop compliquées pour moi, qui ne m'intéressent pas, je vais demander à un expert de le faire à ma place. Il va le faire dans une chaufferie centrale; probablement que ce sera plus efficace que si je le fais moi-même. Or donc, ces clients-vapeur, ce sont des personnes morales qui ont la même taille que les fournisseurs. Il n'y a pas de déséquilibre de forces, il n'y a pas de problèmes de monopole, il n'y a pas de problèmes d'oligopole, c'est un marché dispersé, où les lois du marché fonctionnent bien.

Il n'y a donc, au niveau du fournisseur, aucun monopole de droit et pas de monopole naturel non plus. Les contrats sont négociés de gré à gré, contrairement aux contrats d'adhésion d'Hydro-Québec, ou des pétrolières, ou de Gaz Métro. Nos contrats, dans la plupart des cas, enfin, en tout cas, ceux de ma compagnie et ceux que je connais, comprennent des clauses d'indexation, des clauses d'arbitrage qui protègent tout à fait le consommateur et qui ont d'ailleurs été choisis de plein gré par le consommateur, puisqu'il s'agit de contrats négociés de gré à gré.

Mais, depuis 1988, les règles des tribunaux de droit commun gèrent cette activité sans problème, et je vais demander à Me Dunberry de vous faire l'historique de l'évolution de la législation dans ce domaine.

M. Dunberry (Éric): Je vous remercie. M. le ministre, MM. les députés, mesdames et messieurs, refaire l'historique serait certainement difficile dans un délai très court, alors, je n'ai pas l'intention de tenter de le faire, sinon que de vous référer à l'annexe de notre mémoire qui présente succinctement l'histoire de la régulation de la vapeur.

Se pose aujourd'hui, par le projet de loi n° 50, la question de l'assujettissement de la vapeur à une régie. Or, cette question-là n'est pas une question nouvelle. En fait, de 1939 à 1988, soit pour une période de près de 50 ans, la vapeur a été d'une façon ou de l'autre régulée par une multitude de régies. Je pense que le législateur d'aujourd'hui doit d'abord tenir compte d'un passé législatif d'environ 50 ans et s'interroger aujourd'hui sur l'utilité et le bien-fondé d'assujettir la vapeur à une régie.

Alors, rapidement, les grandes lignes de cette évolution sont les suivantes. D'abord, la vapeur, de 1939 jusqu'à 1975, a fait l'objet d'un assujettissement à plusieurs régies. Et je suis aux paragraphes 6.1 à 6.4 du mémoire; je vous laisserai le lire. Simplement les faits saillants. Ces régies sont: la Régie des services publics, la Régie provinciale des transports et communications, la Régie de l'électricité et du gaz. Donc, la vapeur a été dans le giron d'une multitude d'organismes administratifs qui l'ont bien connue.

Pendant ces 50 années, la vapeur a fait l'objet d'un pouvoir de surveillance et de contrôle du même type que celui qui est prévu aux articles 55 à 59. Alors, le pouvoir qui est considéré aujourd'hui dans le projet de loi n° 50 est typiquement et essentiellement le même que celui que ces régies, pendant plus de 50 ans, ont pu exercer.

Le fondement juridique était le suivant. C'est qu'à l'époque on considérait la vapeur comme une entreprise publique, au même titre qu'on peut considérer l'hydroélectricité comme étant une activité détenue par une entreprise publique. Or, cette réalité, qui pendant 50 ans a justifié l'assujettissement de la vapeur – typiquement le CN au centre-ville de Montréal – n'est plus aujourd'hui compatible avec les faits.

Effectivement, en 1975, on a reconnu par un amendement que la vapeur n'était plus une activité menée par une entreprise publique. La loi a été modifiée et on a simplement assujetti les activités des entreprises qui faisaient de la vente, de la production et de la distribution de la vapeur. La réalité historique qui avait justifié l'assujettissement à une régie n'était donc plus une réalité contemporaine dans les années 1975.

En 1988, la Loi sur la Régie du gaz naturel est adoptée et, à cette époque, une assemblée comme celle qui préside aujourd'hui s'est posée la même question: Allons-nous, oui ou non, assujettir la vapeur? La décision qui a été prise à l'époque était que non et, par loi, la Loi sur la Régie du gaz naturel, la vapeur a été désassujettie. Donc, il y a environ huit ans de ça.

La question qui se pose aujourd'hui, c'est: Doit-on réassujettir la vapeur à une régie, au-delà des 50 ans d'expérience connus? M. Blanc vous a présenté une série d'arguments pour vous expliquer les raisons économiques, les raisons de marché qui ne justifient pas, selon nous, le réassujettissement de la vapeur. Les raisons historiques ne sont plus là, il n'y a plus d'entreprises publiques, mais il s'agit dans ce cas-ci d'une entreprise privée. Il n'y a pas de monopole, il n'y a pas de conditions du type de celles qui sont généralement requises pour un assujettissement à la Régie, et je vous soumets que les conditions qui ont justifié à l'époque le gouvernement de désassujettir la vapeur sont les mêmes aujourd'hui, et elles sont explicitées dans le mémoire.

(20 h 40)

Encore qu'on pourrait se poser la question: Y a-t-il eu une erreur en 1988 et doit-on aujourd'hui corriger une erreur en réassujettissant la vapeur à une régie? Or, je vous soumets que, pendant ces huit années où la vapeur a été finalement laissée aux forces du marché et aux règles de droit, on a constaté un ordre contractuel remarquable, une paix et une stabilité dans l'industrie de la vapeur, et on pourra en témoigner.

Alors, je vous soumets respectueusement que cette histoire de la vapeur au Québec doit être prise en compte pour concevoir le projet de loi n° 50 et nous mène à conclure qu'il n'y a pas d'utilité, d'un point de vue strictement juridique, tenant compte de l'histoire juridique, de réassujettir la vapeur. Alors, s'il y a des questions particulières, on pourra y revenir. Je vous remercie.

M. Blanc (Yves): En conclusion, donc...

Le Président (M. Beaulne): Je m'excuse, on pourra procéder aux échanges. Alors, M. le ministre, vous avez la parole.

M. Chevrette: On va commencer par ceux qui avaient l'air à être réglementés et on finira par les déréglementés.

Tout d'abord, je voudrais savoir, actuellement sur le marché, est-ce que le prix du mazout domestique est le reflet réel de ce qu'il en coûte pour le mettre en marché?

M. Dupuis (Pierre): Oui. On peut dire que oui, de façon générale, le prix qui est offert, auquel est vendu le produit – c'est sûr qu'il peut y avoir des variations d'une région à l'autre pour des raisons particulières – représente une marge qui, bien que serrée, est une marge relativement saine pour un opérateur efficace.

M. Chevrette: Si on se fie, nous autres, aux nombreuses plaintes que reçoit le ministère, il semble que la pratique courante veut que les détaillants baissent artificiellement les prix en début de saison pour attirer des nouveaux clients et que, une fois la saison de chauffage entamée ou commencée, le prix remonte de façon abrupte. Quel est votre point de vue là-dessus?

M. Dupuis (Pierre): Il y a deux facteurs qui créent cette situation qui effectivement existe jusqu'à un certain point. Le premier facteur, c'est que le mazout, étant un produit saisonnier, sa valeur, avec le temps, au fur et à mesure que la demande augmente en hiver, le prix que les différents acteurs doivent payer ainsi que le prix à New York augmentent. C'est un produit qui est très saisonnier. Donc, le prix que j'offre à un client au début de la saison peut se voir augmenté. Effectivement, souvent, on doit augmenter le prix parce que le prix que, par exemple, Joseph Élie doit payer pour acheter son produit augmente, parce que c'est un facteur saisonnier.

Deuxièmement, il se produit sur une base assez pointue pour attirer la nouvelle clientèle. Quand je dis «assez pointue», ça ne se fait pas sur une grande masse, mais ça se fait client par client. On offre un escompte temporaire à un client. Exemple, on lui dit: Bon, je vais te faire un prix de sollicitation, si on peut l'appeler ainsi, mais, au bout de deux livraisons, exemple, le prix va être augmenté, ou au bout de... ou jusqu'à telle date; ce prix-là est bon jusqu'à telle date.

Si on peut faire un parallèle – puis je donne souvent cette comparaison-là à des clients qui m'appellent directement – moi, je suis abonné au journal La Presse depuis 12 ans. Je reçois La Presse tous les matins chez moi et je paie le prix normal de La Presse . Il arrive qu'un autre journal... et même La Presse , quelquefois ils se mélangent dans leur liste, m'appellent et m'offrent trois mois gratuits si je veux être abonné à La Presse . Alors, je comprends très bien que c'est une offre temporaire, c'est une offre pointue de ceux qui, eux, perçoivent quelqu'un qui n'achète pas leur produit chez eux. Ils peuvent être abonnés à la Gazette , au Journal de Montréal . Et je comprends très bien que La Presse ne puisse pas offrir ce spécial-là à tous les gens qui achètent La Presse .

Donc, les deux facteurs, c'est des rabais temporaires, parce que le mazout est un produit quand même non différencié, et la seule façon, souvent, d'intéresser un client à changer de compagnie, c'est sur une base d'escompte temporaire. Ça se produit dans d'autres domaines, ça se produit dans quoi que ce soit. Alors, effectivement, mais ce n'est pas pour leurrer le client. Les gens dans le marché sont relativement très intègres sur ce point-là. On dit: C'est temporaire, c'est pour les deux prochaines livraisons. Je te ferai ce prix-là jusqu'au 1er janvier. Au 1er janvier, tu tombes au prix normal du marché. Mais il arrive que les pétrolières – puis c'est vrai pour les indépendants puis pour les majeures – que mon prix affiché soit mon prix de détail suggéré au mois de septembre. Je dois l'augmenter en janvier ou en décembre parce que le prix que je paie, lui, a augmenté à la rampe parce que c'est un produit très saisonnier. Et, depuis que la rampe de chargement, le prix est en fonction relativement directe avec ce qui se passe à New York, quand les Américains éternuent, bien, nous, on attrape la grippe. Alors, tout ce qui se passe avec l'Irak puis les inventaires qui sont bas aux États-Unis, on a connu des augmentations assez faramineuses du prix du mazout à la rampe de chargement depuis une couple d'années.

M. Chevrette: À la page 3 de votre mémoire, le paragraphe immédiatement avant la position de l'AHCQ sur le projet de loi n° 50, vous affirmez qu'il y a une étude de Brais, Martrès et Associés qui arrive à la conclusion que ça coûte 40 % plus cher de chauffer à l'électricité qu'à l'huile.

M. Dupuis (Pierre): Oui, si on regarde BTU pour BTU...

M. Chevrette: Je voudrais savoir...

M. Dupuis (Pierre): Oui?

M. Chevrette: Oui, je vais finir ma question. Ha, ha, ha!

M. Dupuis (Pierre): Oh, excusez-moi. Oui.

M. Chevrette: Est-ce qu'ils comptaient le coût d'immobilisation de la fournaise?

M. Dupuis (Pierre): Non, effectivement. Mais, si on compare un chauffage à air chaud pulsé électrique avec un chauffage à air chaud pulsé au mazout, là, c'est des équipements semblables, avec des conduits d'air et un système de ventilation et un système de contrôle. À ce moment-là, les immobilisations sont similaires. Si on tient compte des BTU et des coûts, et des efficacités relatives, il en coûte 40 % moins cher de chauffer au mazout qu'à l'électricité. Par contre, lorsqu'on...

M. Chevrette: Vous allez aller aux Îles...

M. Dupuis (Pierre): Oui?

M. Chevrette: Vous allez aller aux Îles-de-la-Madeleine, vous autres.

M. Dupuis (Pierre): Oui.

M. Chevrette: Parce qu'ils disent que c'est... Ce n'est pas ça, on doit même leur rembourser combien? C'est 30 % du coût de l'huile à chauffage, sous prétexte que ça... C'est vrai que l'huile, rendue là, est un petit peu plus chère, je comprends, que dans la région de Montréal, là.

M. Dupuis (Pierre): Oui, effectivement.

M. Chevrette: Je suis prêt à tout reconnaître ça, là.

M. Dupuis (Pierre): Effectivement. Par contre, si...

M. Chevrette: Mais la différence entre eux autres puis vous autres, vous seriez à 70 %, là. De là à être 70 %, ça ne marche pas trop non plus.

M. Dupuis (Pierre): Bien, écoutez, ça, c'est les coûts... Si on regarde la quantité de BTU contenus dans un litre de mazout versus la quantité de BTU contenus dans un kWh – parce qu'on peut tout ramener ça à un kWh, en BTU, en mégajoule...

M. Chevrette: Oui, je comprends.

M. Dupuis (Pierre): ...là, je ne veux pas jouer à l'expert technique – et qu'on regarde le tarif résidentiel et qu'on regarde le prix de vente du mazout, et même en tenant compte des efficacités, parce qu'une fournaise au mazout, aujourd'hui, est efficace à environ 80 %, comparativement à l'électricité, où on dit que l'efficacité est de 97 %... Malgré tout ça et selon les études d'une firme extérieure – d'ailleurs, M. Normand Brais, qui a un doctorat en génie énergétique, donne aussi des cours chez Gaz Métro, donc il a une certaine crédibilité – malgré tout ça, à équipement égal, il en coûte moins cher pour chauffer au mazout, avec la structure des prix actuels.

Par contre, si on compare une maison chauffée avec des plinthes électriques et qu'on tient compte du coût d'immobilisation, ça ne coûte rien, des plinthes. Vous savez, il faut regarder aussi, avec des plinthes électriques, au point de vue confort, il est quasiment impossible d'humidifier adéquatement une maison, de climatiser adéquatement une maison, de faire une circulation d'air saine, et ça cause des problèmes de santé assez sérieux, les maisons à plinthes électriques, parce que les gens vivent dans un sac de plastique, souvent. Les maisons sont trop isolées. Donc, quand on compare des comparables à des comparables, oui, effectivement, le mazout est moins cher. Au niveau du gaz naturel, la différence est moins grande.

M. Chevrette: On vous a bien compris, oui.

M. Dupuis (Pierre): Pardon?

M. Chevrette: C'est pour le chauffage.

M. Dupuis (Pierre): Oui, oui. Au niveau du gaz naturel, la différence est moins grande. Si on devait tout ramener en cents par litre-mazout, le mazout est environ... Évidemment, il y a des fluctuations. Si on prend un prix de référence à 0,33 $ le litre, le gaz naturel, toutes choses étant égales, c'est 0,38 $ le litre; l'électricité est environ 0,47 $ le litre. Ça, c'est en date des chiffres de 1995, lorsque l'étude a été complétée.

M. Chevrette: Merci. Vous savez que la vapeur fait partie du bilan énergétique? Vous êtes au courant de ça?

M. Blanc (Yves): Pardon? Je n'ai pas entendu la...

M. Chevrette: J'ai dit: Vous êtes sans doute au courant que la vapeur fait partie du bilan énergétique.

M. Blanc (Yves): Oui.

M. Chevrette: Oui. Qu'on a parlé de la vapeur comme faisant partie du bilan énergétique, dans la politique énergétique.

M. Blanc (Yves): Oui.

M. Chevrette: Avez-vous pu lire le paragraphe qu'on avait là-dessus dans la politique énergétique?

M. Blanc (Yves): Oui.

M. Chevrette: Oui? Avez-vous remarqué qu'on ne cherche pas à réglementer trop, trop, sauf à se donner un pouvoir minimum de surveillance?

M. Blanc (Yves): Absolument, M. le ministre, oui.

M. Chevrette: Et, si je comprends bien, c'est la surveillance qui vous agace?

M. Blanc (Yves): Bien, elle ne nous semble pas ni justifiée ni utile et elle nous semble créer effectivement, éventuellement, des inconvénients à l'avenir. Pour vous donner un exemple: L'hôpital Côte-des-Neiges vend de la vapeur au collège Notre-Dame. Il vend ça à 7 $, parce qu'il n'inclut pas ses frais d'immobilisation, parce que, effectivement, à l'intérieur du gouvernement, on n'a pas de frais financiers ou de frais d'amortissement. Donc, 7 $ ou 8 $. Si, demain, il va le vendre au Rockhill, qui est en face de la rue, il va le vendre à 12 $, tout ça dans des contrats qui sont de gré à gré, et le Rockhill va venir se plaindre en disant: Pourquoi est-ce qu'on me vend à 12 $ quand l'hôpital Côte-des-Neiges vend à 8 $ au collège Notre-Dame? Je ne vois pas l'utilité pour la Régie de surveiller ça et, pour le Rockhill, d'avoir cette possibilité de recours. Il existe des tribunaux de droit commun qui peuvent très bien régler cette question. Encore une fois, M. le ministre, personne n'a de monopole dans le domaine de la vapeur, il m'apparaît donc que les lois du marché fonctionnent. Il ne m'apparaît donc pas justifié, opportun ni bénéfique de réglementer ou de surveiller, pardon.

(20 h 50)

M. Chevrette: Pouvez-vous nous dire s'il existe des mécanismes de contrôle qui sont exercés à différents niveaux, par exemple, par des gouvernements européens dans ce secteur?

M. Blanc (Yves): Dans des gouvernements?

M. Chevrette: Européens.

M. Blanc (Yves): Européens.

M. Chevrette: Oui.

M. Blanc (Yves): Alors, si vous voulez, à travers le monde, les choses varient d'une place à l'autre. En Europe, particulièrement en France, la distribution de vapeur ou d'énergie thermique est un monopole des municipalités. Étant un monopole, lorsque les municipalités le transfèrent, ce droit de monopole, à une entreprise privée, ça se fait sous forme de concession. Il n'y a pas d'autre réglementation que les contrats de concession qui, en France, sont assujettis à un système légal particulier.

En Europe du Nord, la distribution d'énergie thermique vapeur-eau chaude est généralement l'activité de régie municipale. Il n'y a donc pas de réglementation, à ma connaissance, en Europe du Nord, puisque c'est une application d'une régie municipale. À travers le Canada, en Ontario ou ailleurs – donc, encore une fois, on n'a pas fait une étude exhaustive, nous n'en avions pas les moyens – par exemple, en Ontario, le gouvernement de l'Ontario délègue aux municipalités le droit d'accorder l'activité de distribution de l'énergie dans la municipalité, et c'est le contrat, pas de concession, mais le contrat d'exercice de l'activité qui va faire cette réglementation ou cette régulation, si vous voulez, certaines municipalités ne mettant aucune clause dans leur contrat, d'autres mettant des clauses un peu plus sévères.

Aux États-Unis, à notre connaissance – mais, encore une fois, nous n'avons pas fait d'étude exhaustive – les choses sont très variables et les seuls endroits où il y a une réglementation ou une régulation, c'est des endroits où actuellement on songe à déréglementer et déréguler cette activité, encore une fois, car il n'y a ni monopole de droit ni monopole de fait.

M. Chevrette: Donnez-moi donc des exemples d'effets négatifs de ce qu'on vous propose?

M. Blanc (Yves): Il m'apparaît que l'effet négatif va être d'abord, encore une fois – et je parle là au nom de l'Association – au niveau des activités comme la CUQ, qui actuellement est en négociations avec Daishowa. Il nous apparaît que la possibilité pour Daishowa d'aller devant une régie plutôt que de renégocier son contrat avec la CUQ ou d'aller devant un tribunal ordinaire, qui est là pour ça, va déséquilibrer, si vous voulez, le rapport qui existe entre le producteur, qui est la CUQ, et Daishowa.

En fait, actuellement on a un équilibre entre les producteurs et les consommateurs. Ce sont des gens qui ont signé des contrats de gré à gré, ou qui ont la possibilité de le faire, qui sont de taille équivalente, et on va rentrer dans une juridiction qui est complètement différente et ôter à des mécanismes qui fonctionnent bien la possibilité de fonctionner.

M. Chevrette: On va regarder ça.

M. Dunberry (Éric): M. le ministre, si je peux me permettre d'ajouter un commentaire de quelques secondes.

M. Chevrette: Yes, sir.

M. Dunberry (Éric): Une régie, c'est quand même une organisation exceptionnelle, c'est-à-dire que les règles de droit, les règles du marché s'appliquent généralement, et lorsqu'on retire du marché libre une activité, je pense qu'il doit y avoir une raison pour le faire, parce que, la régulation ou la réglementation, on fait toujours un bilan. Il y a les avantages et les désavantages. Et on retire du marché libre parce que les avantages sont supérieurs aux désavantages. Dans le domaine social, dans le domaine des télécommunications, dans le domaine de l'énergie, il y a un bilan qui doit se faire.

Lorsqu'on introduit une régie, on introduit un élément d'imprévisibilité, on introduit un élément de perte de contrôle pour ceux qui sont dans le marché libre et cette imprévisibilité, cette perte de contrôle déstabilisent les relations. Alors, quand on fait ce bilan-là, il faut voir les avantages et les désavantages. Et, au niveau des avantages de l'assujettissement de la vapeur, historiquement, il n'y en a jamais eu. Si on refait l'évolution complète autant de la jurisprudence que de l'ensemble des décisions des régies, il n'y a jamais eu de gain réalisé par l'assujettissement de la vapeur, qui est une forme d'énergie quand même assez marginale au Québec, il faut l'avouer. Il n'y a jamais eu d'avantage.

Il y a une imprévisibilité, il y a des coûts, il y a une perte de contrôle et les avantages, comme tel, sont différents. Alors, je soumettrais peut-être que c'est une question de fardeau de la preuve. Pour exclure du marché libre la vapeur, il faut expliquer pourquoi. Historiquement, il n'y a pas de raison, et c'est ce qui a amené le gouvernement, historiquement, à ne pas s'occuper de la vapeur, sauf sur papier, parce que, dans les faits, il n'y a pas eu beaucoup d'activités administratives ou réglementaires de la vapeur, et, en 1988, de conclure finalement qu'il n'y avait pas intérêt à maintenir cette activité-là. Alors, c'est une question peut-être de bilan et de fardeau.

M. Chevrette: Merci.

Le Président (M. Beaulne): Merci. Merci, M. le ministre. M. le député de Saint-Laurent.

M. Cherry: Merci, M. le Président. Ma première question s'adresse aux gens de l'huile à chauffage. Est-ce que, dans votre secteur d'activité économique, on peut parler de guerre de prix comme on en a connue dans l'essence?

M. Dupuis (Pierre): Non, non, du tout, du tout. Écoutez, il n'y a pas de vente systématique et généralisée par un concurrent quelconque en bas de son prix d'acquisition, comme on l'a vu dans les stations-service. S'il y a un acteur qui l'a fait sur une base temporelle très courte, c'est un indépendant qui l'a fait à Montréal, mais il n'y a pas une compagnie majeure qui pratique ce genre d'approche marketing là. Écoutez, moi, ça fait des années que je suis là-dedans puis... Il peut arriver, pour un cas très particulier, un client, sur une base de sollicitation pointue, pour des raisons valables, qu'on le fasse. Mais une annonce à pleine page en disant: Voici le prix auquel je vends, ça ne se produit pas du tout, ça.

M. Cherry: Donc, depuis le nombre d'années, si j'ai bien compris, que vous êtes là-dedans, ce qu'on a retrouvé, que le gouvernement a senti l'obligation d'intervenir, on n'a pas retrouvé ce genre d'activité ou de guerre sauvage – c'est ça, le mot qu'on utilisait – ça ne s'est pas retrouvé dans votre secteur d'activité économique, dans un premier temps.

Dans un deuxième temps, je pense qu'il est facile de concevoir que, contrairement à l'essence, où, en tout cas, on s'est fait dire – des gens pourront diverger d'opinion – que la fidélité, de nos jours, est beaucoup plus en fonction du prix affiché que votre station-service habituelle, les gens, aujourd'hui, regardent le prix, puis c'est le prix affiché qui fait qu'ils vont de ce côté-là plutôt que de ce côté-là. J'imagine, si je me souviens de la période où j'étais moi-même un utilisateur d'huile à chauffage, c'est quelque chose que tu négocies: on vient t'offrir des services, on vient t'offrir une fournaise, on vient t'offrir un chauffe-eau, on te parle d'un service d'entretien. Si tu as des problèmes, quelqu'un va venir, 24 heures par jour. Donc, ce n'est pas le même type de relation qu'on peut trouver par rapport à mettre de l'essence dans sa voiture.

M. Dupuis (Pierre): Écoutez, il y a une connotation très différente. Premièrement, je ne crois pas que les compagnies, dans le domaine de l'essence, ont réussi, aux yeux de la clientèle, à développer ce qu'on appelle une valeur ajoutée. De l'essence, c'est de l'essence. C'est rendu qu'on se sert soi-même, on paye nous-mêmes d'abord. Donc, il n'y a pas de valeur différenciée, il n'y a pas un service attaché.

Au niveau de l'huile à chauffage, les compagnies d'une certaine envergure, en plus du mazout... Moi, je dis souvent chez mes gens... On vend un produit dont les gens ne voient que les services. Alors, on met beaucoup d'emphase sur les services connexes, par exemple: location, financement d'appareils, nettoyage de conduits d'air, un paquet de choses qui sont connexes au mazout et qui font que le client ne change pas à toutes les livraisons.

On a développé des valeurs ajoutées, beaucoup, une plus grande loyauté. Moi, j'ai des clients que ça fait 35 ans qu'ils font affaire chez Joseph Élie. C'est sûr qu'ils ont été sollicités à un prix plus bas, qui est un prix temporaire, mais le chauffage, vous savez, c'est le confort, c'est la sécurité, c'est une connotation différente qu'un produit comme de l'essence, qui est un produit d'utilisation courante. Alors, ce n'est pas la même dynamique de consommation du tout.

M. Cherry: O.K. Je retiens aussi dans votre mémoire, en page 2B, vous soulignez le fait que «des manufacturiers d'équipements de chauffage et de réservoirs québécois fournissent à eux seuls la majorité – et j'ai souligné le mot – des équipements de chauffage au mazout vendus sur le marché». Pouvez-vous, pour mon bénéfice, m'indiquer des entreprises au Québec et où elles sont situées géographiquement?

M. Dupuis (Pierre): Bien, il y a trois entreprises majoritairement québécoises qui vendent la grande majorité des appareils au Québec. Il y a la compagnie Dettson, à Sherbrooke, qui est une entreprise québécoise, et il y a la compagnie Brock, à Montréal, et la compagnie Lincoln Barrière, qui est située à Laval. Ce sont trois entreprises québécoises, situées au Québec, qui manufacturent, construisent des appareils de chauffage, et aussi pour l'eau chaude, les chauffe-eau, au Québec. Ce sont les trois acteurs majeurs.

Il y a aussi des gens qui vendent des fournaises qui sont fabriquées en Ontario, mais, majoritairement, ce sont des appareils québécois, conçus, développés et améliorés au Québec. Et les réservoirs, bien, Les Réservoirs d'acier de Granby, la majorité des réservoirs sont fabriqués par Les Réservoirs d'acier de Granby et aussi par la compagnie Lincoln Barrière, qui fabrique des réservoirs. Pardon?

M. Beaudet: Une publicité, en passant.

M. Dupuis (Pierre): Oui, oui, c'est ça, il a bien fait. Habituellement, il me donne un coup de pied.

M. Cherry: Non, mais ce que je...

M. Blais (Marc): Je «peux-tu» ajouter un volet à ça?

M. Cherry: Oui.

(21 heures)

M. Blais (Marc): Je voudrais ajouter un volet aussi, qu'avec ce qu'on a connu dans le marché – les gens ont cité des chiffres, même les gens de l'ADIP – notre marché était en diminution. Il a fallu augmenter de façon significative notre propre productivité. Et puis on est un des principaux exportateurs, aussi, présentement aux États-Unis. On va exporter au-delà de 70 000 réservoirs cette année. Donc, ça fait un très, très bon créateur d'emplois.

M. Cherry: Non, c'est parce que, en faisant la lecture du mémoire, tu sais, ça nous oblige à repenser à des choses ou auxquelles on ne pense plus ou qu'on prend pour acquises. Alors, il me semble que c'est une occasion comme celle-là de le soulever. Parce que, quand je voyais: 3 700 emplois... Vous allez chercher votre produit aux «docks»; c'est le camionneur, c'est les gens de service. Mais, pour arriver à 3 700 emplois, il faut que vous teniez compte de tous les gens qui fabriquent des produits au Québec, ou pour l'installation locale ou, comme monsieur vient d'expliquer, pour une partie à l'exportation. O.K.

Le dernier commentaire que j'ai à vous faire, avant de faire un commentaire, c'est que, avec une capacité de compétition qui fait que vous êtes 40 %, je me demande comment ça se fait que vous ayez une part si faible du marché. Il y a un potentiel pour vous autres. Dormiez-vous avant? Qu'est-ce qui se passe?

M. Dupuis (Pierre): Effectivement. D'ailleurs, c'est pour ça qu'on a commencé une campagne de publicité depuis trois ans. On a sauté une génération de mazout; excusez le terme anglais, on a dormi sur la «switch» un peu parce qu'on a été submergés par des programmes de subventions gouvernementales, des programmes «off oil», on disait aux gens: Débarquez du mazout. Mais on s'est caché dans les placards pendant longtemps. Mais là on revient puis on croit qu'on a un produit qui est compétitif, qui présente une alternative attrayante. Et, en plus, les manufacturiers québécois – et je dois les en féliciter – ont développé de beaucoup l'efficacité énergétique dans les appareils de chauffe au mazout. Lorsqu'on parlait des vieilles bouilloires ou des vieilles chaudières au mazout, on parlait d'une efficacité de 65 %. Aujourd'hui, on fonctionne au-dessus de 80 % d'efficacité. Alors, l'efficacité énergétique, ça fait longtemps qu'on est là-dedans, nous. On a commencé un petit peu avant Hydro-Québec, et depuis les années quatre-vingt qu'on vend et qu'on développe de plus en plus des appareils très efficaces au point de vue énergétique, et au Québec, ça, c'est fait au Québec.

M. Cherry: Je suis bien conscient que, comme société, tu sais, on a poussé sur l'électricité, on a tout fait ça pour vous remplacer. Mais on réalise que, avec des coûts d'économies comme celles-là, il serait important qu'on se rappelle que vous existez puis que vous êtes là.

M. Dupuis (Pierre): Effectivement.

M. Cherry: Quant à vos voisins d'à côté, les gens de la vapeur, j'ai l'impression qu'après l'échange qui s'est passé entre vous et le ministre... J'ai l'impression que les dernières remarques du ministre, quand il a dit: On va regarder ça... Ma façon de travailler avec lui m'indique que vous avez réussi à faire vos points. Et puis, si je voulais vous aider, il y a un proverbe anglais qui dit: «Quit while you're ahead». Alors, je ne vous poserai pas de questions.

M. Chevrette: That's better.

Des voix: Ha, ha, ha!

Le Président (M. Beaulne): M. le député d'Argenteuil.

M. Beaudet: M. le Président, merci. Je m'adresserai, moi aussi, à l'Association de l'huile à chauffage. D'abord, je dois vous remercier pour votre document, et vous aussi, d'ailleurs. Mais je dois d'abord vous féliciter pour le positivisme qu'on retrouve dans votre document. Vous ne venez pas pleurer. Vous venez faire face au marché, et vous y faites face avec les moyens du bord. Et je dois vous dire que, ça, ça m'impressionne.

À la page 4, on voit, à un moment donné, que vous marquez: «...la Régie [...] et déréglemente là où il y a un intérêt pour le consommateur.» C'est un mot qu'on n'a pas entendu souvent aujourd'hui, je dois vous dire, «consommateur». On a l'impression qu'il est perdu dans la brume, mais c'est l'élément important, l'élément important. D'ailleurs, c'est peut-être là un des problèmes pourquoi l'huile à chauffage a des difficultés... pas des difficultés, mais une moins grande part du marché. C'est qu'on a eu tellement de publicité d'Hydro-Québec, tout le monde s'est converti à l'électricité, puis s'en aller à l'huile, ça va nous coûter un bras. Ça fait qu'on reste à l'électricité puis on l'endure. Puis, tout ce temps-là, on dit: Ça va baisser, ça va baisser. Puis ça ne baisse jamais.

Mais ça me touche profondément de voir que vous avez été très positifs devant ça. Comme, cet après-midi, on nous mentionnait que les coûts avaient augmenté dans la déréglementation – pas par la réglementation, mais par la déréglementation – où les indépendants étaient disparus. En particulier, en Californie, il y avait ARCO. Ce qu'il aurait fallu qu'on nous dise à ce moment-là, c'est que le pétrole, ou l'essence, en Californie, elle est plus raffinée que n'importe quelle autre essence en Amérique. Donc, elle coûte plus cher. Alors, ce n'est pas nécessairement à cause d'ARCO. En tout cas, il faut en prendre puis en laisser.

À la page 5, vous nous parlez aussi que les consommateurs... que «des considérations d'ordre stratégique, comme le désir d'accroître sa part de marché, peuvent inciter un revendeur à vendre son mazout à un prix inférieur». Puis vous acceptez ça, puis ça fait partie de la «game», ça fait partie du marché. Et ça, je trouve ça très positif comme démarche, parce que, même à un prix inférieur, vous autres, vous y voyez une opportunité.

Êtes-vous capable, même si ça ne vous concerne pas comme tel... mais il doit y avoir une comparaison entre votre marché puis celui du pétrole?

M. Dupuis (Pierre): De l'essence, vous voulez dire?

M. Beaudet: De l'essence, oui. Il doit y avoir une certaine comparaison. Comment se fait-il que, vous autres, vous voyez ça comme une opportunité et que les gens de l'indépendant, au pétrole, voient ça comme une menace?

M. Dupuis (Pierre): Bien, écoutez, si je peux faire une comparaison, puis je le dis souvent, c'est que, au niveau de l'essence, les gens qui sont dans l'essence, leurs compétiteurs, ce sont des gens de l'essence. Ils se compétitionnent entre eux. Nous, non seulement on se compétitionne entre gens de mazout, ce qui est sain, mais on se compétitionne aussi entre d'autres formes d'énergie. On vit depuis 20 ans une compétition qui nous tient un peu réveillés, on doit le dire, avec les autres formes d'énergie. Vous savez, s'il y a beaucoup d'indépendants aussi qui sont disparus dans le mazout, ce n'est pas tellement à cause des guerres de prix dans le mazout, c'est à cause des autres formes d'énergie, qui ont fait qu'à un moment donné les revendeurs, les opérateurs n'avaient plus une base de clientèle assez grande pour survivre. Alors, ils vendaient ce qui leur restait puis ils faisaient autre chose. Alors, la dynamique est différente parce que notre historique est très différent. On est habitués à cette forme de compétition là. Et, depuis le temps où, moi, je suis dans le mazout, puis mes confrères aussi, des guerres de prix généralisées en bas du «cost», on n'a jamais vu ça.

Premièrement, si on regarde les opérateurs dans le mazout, les deux seules compagnies intégrées qui continuent d'opérer dans le mazout, ce sont Esso et Ultramar. Joseph Élie, même si on arbore le sigle Petro-Canada, on n'est pas une compagnie intégrée. Moi, j'achète mon produit de Petro-Canada. Coop fédérée, qui est dans l'Association, achète son produit sur le marché libre. Et Shell Norco, qui était dans l'Association – temporairement, ils ont pris une vacance au Club Med, mais ils vont revenir – eux autres aussi achètent à la rampe de chargement. Donc, on est pas mal tous sur le même pied. Et, en dehors des grands centres urbains, Esso, exemple, ce sont des revendeurs identifiés. Alors, ce sont des gens qui achètent tous à la rampe de chargement et, de façon générale, on vit la même structure de prix d'achat, et de prix de vente, et de coûts d'opération. Donc, c'est peut-être pour ça qu'il n'y a pas de folies qui se produisent. Le seul, comme je vous dis, c'est un indépendant de l'Ouest du pays, mais, lui, c'est des raisons de marketing très particulières qui le font agir de la sorte. Donc, c'est ça, la différence.

M. Beaudet: Merci beaucoup de votre réponse. En fait, je continue un petit peu dans la même ligne. À la page 6, lorsque vous citez les trois points: le cloisonnement du marché, la loi interdisant la vente à prix inférieur ou la loi, plus sévère, réglementant les prix d'éviction, là encore vous y trouvez des raisons d'être positif. Et, sur le cloisonnement, vous dites même, à la fin du paragraphe, à la page 6: «Plusieurs études sur le sujet...» Ce n'est pas ça qu'on a eu comme information cet après-midi, c'est qu'il y avait eu 21 États, mais on ne savait pas si c'était plus cher ou moins cher. Mais là vous dites: «Plusieurs études sur le sujet ont conclu que le cloisonnement du commerce au détail de l'essence a provoqué une hausse des prix de l'essence à la pompe.» Moi, ça m'inquiète, parce que c'est ça qu'on veut faire là. Alors, je trouve ça des éléments d'information qui sont fort positifs.

Évidemment, on va aller à la cueillette d'information un peu plus poussée. Mais je trouve ça très enrichissant, en tout cas c'est très éclairant de voir que vous nous donnez ces informations-là. Dans le projet de loi qui nous est présenté, je pense que ce sera des éléments de débat avec M. le ministre pour essayer de le convaincre du bien-fondé, s'il y a lieu, si les informations qu'on nous donne sont bonnes. Mais c'est ça qui est notre problème, c'est d'avoir la bonne information.

M. Blais (Marc): Est-ce que je peux ajouter à ce que vous dites? La semaine dernière, l'Association de l'huile à chauffage, on a été invités à l'École de technologie supérieure avec Hydro-Québec et avec Gaz Métropolitain. Eux autres, ils font face à partir de 1997. On faisait partie du même panel et, au lieu de se grafigner pour dire: Tu m'as volé des clients, ou des choses comme ça, les trois, on était assis à la même table et on a tous décelé une opportunité. Premièrement, dans le cas d'Hydro-Québec et dans le cas de Gaz Métropolitain, dans une déréglementation totale avec le libre-échange, eux autres voient une possibilité d'exportation comme jamais. M. Chevrette les force à se structurer de façon plus rentable et qu'ils soient plus efficaces, puis les force en même temps à regarder des marchés externes.

M. Beaudet: Ils nous l'ont clairement dit.

M. Blais (Marc): Du côté de Gaz Métropolitain et d'Hydro, ils ont dit: Vous, le mazout, on va avoir besoin de vous autres, on va avoir besoin de vous autres pour les marchés qui sont non rentables au Québec; ces clients-là doivent continuer à être desservis à des prix compétitifs. Donc, la «game», elle change tout, là.

M. Beaudet: Merci beaucoup.

M. Dupuis (Pierre): Juste un dernier, très rapidement, je sais que le temps avance. Écoutez, on est en affaires. Moi, je suis en affaires. S'il y avait des politiques de prix en bas du «cost», moi, comme j'achète à la rampe de chargement, je serais peut-être bien malheureux de vous parler aujourd'hui. Quand on est en affaires, il faut l'être pour les bons jours puis les mauvais jours. Il y a quelques années, on a connu des très bonnes marges dans le mazout, au-dessus de 0,10 $ puis 0,12 $ le litre. Et si, à ce moment-là, on avait dit aux gens du marché: On va réglementer à 0,08 $, je crois qu'il y aurait eu des pleurs et des grincements de dents. Puis c'est cyclique. Maintenant que les marges sont plus serrées, il faut être plus efficaces et se serrer la ceinture, bien, on est bien mal placés de chialer un petit peu. Quand ça fait notre affaire... On ne les a pas passées au consommateur, ces grosses marges là, pas plus que l'ADIP, personne. En affaires, il y a des bonnes années puis il y a des mauvaises années. Et là on a des années difficiles, mais ce n'est pas dramatique, comme les guerres de prix de l'essence, dans le mazout.

(21 h 10)

M. Beaudet: J'apprécie vos commentaires.

M. Cherry: Merci beaucoup.

M. Dupuis (Pierre): Merci.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. le député. Avant de passer la parole aux autres, il reste une minute, et j'aimerais m'arroger cette minute pour vous demander s'il serait possible... À la page 3 de votre mémoire, vous faites allusion à une étude de Brais, Martrès et Associés selon laquelle chauffer à l'électricité coûte environ 40 % plus cher que chauffer à l'huile. Les membres de la commission aimeraient que vous nous fassiez parvenir une copie de cette étude.

Deuxièmement, j'aimerais partager l'optimisme de mon collègue d'Argenteuil, mais, comme député de la Montérégie, qui est un marché important pour l'huile à chauffage, malheureusement j'ai des détaillants qui sont venus me voir et qui ne m'ont pas donné exactement la même version que vous avez donnée ici. Alors, j'aimerais que vous nous confirmiez si, oui ou non, il existe deux pratiques différentes dans vos facturations: aux indépendants, d'une part, et à ceux qui fonctionnent sous la bannière d'une entreprise. C'est dans le sens où je me suis laissé dire, et je pourrai même vous donner des noms précis, que, pour certains, on demande d'être payé au bout de 10 jours, alors que, pour d'autres, c'est au bout de 30 jours.

M. Dupuis (Pierre): Si je peux faire un point. L'Association de l'huile à chauffage du Québec ne regroupe pas des fournisseurs de produits. Nous ne sommes pas des fournisseurs, nous vendons au détail. Alors, la question que vous me demandez au point de vue fournisseurs, moi, je suis...

Le Président (M. Beaulne): Non, non, je vous parle des vendeurs au détail, des détaillants d'huile à chauffage...

M. Dupuis (Pierre): Oui. O.K.

Le Président (M. Beaulne): Parce qu'une des questions qui est à l'ordre du jour ici, c'est d'amender le projet de loi pour y ajouter l'huile à chauffage également pour les indépendants.

M. Dupuis (Pierre): Mais j'aimerais bien comprendre votre demande, pour être sûr. Vous nous demandez qu'on vous montre quoi au juste?

Le Président (M. Beaulne): Non, non, je vous demande, au nom des collègues de l'Assemblée ici...

M. Dupuis (Pierre): Oui.

Le Président (M. Beaulne): Mais tout ce que je dis, c'est...

M. Dupuis (Pierre): Ah!

Le Président (M. Beaulne): Je fais un commentaire et je dis que j'ai des cas, que je pourrai vous mentionner, qui me disent que ça ne va pas nécessairement dans le meilleur des mondes.

M. Dupuis (Pierre): O.K.

Le Président (M. Beaulne): Alors, sur cela, je demanderais aux représentants de la Confédération des syndicats nationaux et de la FTQ de s'avancer à la table.

À l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons reprendre nos travaux. Vous êtes tous très diligents. Alors, la commission souhaite la bienvenue aux représentants de la CSN et de la FTQ. Vous connaissez les règles de participation. Comme vous faites une présentation conjointe, vous aurez 30 minutes pour votre présentation, c'est-à-dire 15 minutes pour chaque groupe, et, par la suite, les formations parlementaires pourront vous interroger chacune pendant 15 minutes. Alors, qui veut commencer? Bon. La CSN.

Une voix: Commencez par le groupe à droite.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Laviolette (Marc): Tout est relatif, hein! À vos yeux, j'ai l'air à droite; vu de ce côté-ci, je suis à gauche. Ça fait que... Bon.

Le Président (M. Beaulne): Alors, écoutez, pour que ceux qui nous liront puissent savoir qui parle, je vous demanderais de vous identifier pour les fins de transcription. Vous avez 15 minutes pour commencer votre présentation.


Confédération des syndicats nationaux (CSN) et Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)

M. Laviolette (Marc): O.K. Je vous remercie, M. le Président. Mon nom est Marc Laviolette, je suis vice-président de la Confédération des syndicats nationaux, et je suis accompagné par Peter Bakvis, qui est à ma gauche – à votre droite – qui est adjoint à l'exécutif de la CSN, et par Robert Mercier, qui est conseiller au Service santé-sécurité-environnement de la Confédération.

D'abord, je voudrais vous remercier de prendre ces quelques instants pour entendre les commentaires de la CSN sur le projet de loi n° 50. D'entrée de jeu, je voudrais vous dire que la CSN accueille positivement la création de la Régie de l'énergie, particulièrement en ce qui concerne son rôle général, ses orientations qui la gouvernent, notamment par la réglementation de l'ensemble des secteurs énergétiques. Nous aimerions également souligner la décision du gouvernement de réglementer le secteur pétrolier, entre autres pour empêcher que le genre d'opération dont on a été témoins durant l'été se reproduise.

Aussi, même si ce n'est pas le propos de la loi n° 50, on voudrait vous dire qu'on accueille avec intérêt la nouvelle politique énergétique. Je pense que c'est un document clé qui nous aide à comprendre... qui donne un éclairage sur les orientations de la loi n° 50, puis on est disposés aussi, si jamais vous faites des consultations sur la politique, à vous faire nos commentaires à son sujet.

(21 h 20)

Mais il y a peut-être deux points où on est critiques de façon importante. Il y a d'abord l'article 164, sur la déréglementation. C'est l'article qui parle d'ouverture des marchés d'électricité et de la déréglementation qui est associée à cette démarche-là. En mettant en place les outils nécessaires à l'ouverture des marchés puis en réglementant uniquement les entreprises qui assumeront la distribution de l'énergie sur le territoire québécois et non l'ensemble des producteurs, on considère que le gouvernement va à l'encontre de la recommandation qui venait de la Table de consultation, et qui était importante, parce que cette dernière proposait que le gouvernement se penche sur les modalités qui entourent la déréglementation, mais, aussi, elle conseillait au gouvernement d'agir avec prudence et de préciser les enjeux d'une telle approche pour le Québec. Et ce qu'on voit, bon, bien, dans six mois, elle va fournir un avis sur le... Elle plonge directement dans la déréglementation. On trouve que... il me semble que la Régie se met, pour reprendre une expression latine, sur le «kick down», et c'est assez consommateur d'énergie quand on fait ça. Et puis quand on entend les commentaires d'Hydro-Québec à l'effet que six mois, c'est trop, bien, là, ça nous inquiète encore plus.

Je pense que d'ailleurs, dans la politique énergétique, les arguments de prudence et les impacts négatifs que ça pourrait avoir sont identifiés. Et on pense que ce débat-là devrait être public, parce que déréglementer Hydro-Québec, ou du moins déréglementer les marchés d'électricité, avec l'importance que ça a au Québec, ça doit faire partie du débat public. Surtout, les impacts qu'il pourrait y avoir, c'est entre autres: Qu'est-ce qui arriverait avec l'uniformité tarifaire entre groupes de consommateurs, entre régions? S'il y a introduction de transit d'énergie entre le Québec et les États-Unis, on va aussi être obligés d'en faire autant à l'intérieur du Québec? L'impact de l'ouverture des marchés, quel impact ça va avoir sur la société d'État et sa santé financière? L'avantage qu'on a pour attirer des entreprises ici avec nos prix d'électricité, si ça n'existe plus, qu'est-ce qui va arriver? C'est tous des aspects qui doivent être pris en compte lorsqu'on étudie ça, et on pense que la façon dont on plonge, il me semble qu'on risque de frapper une roche, si on ne fait pas un débat public là-dessus.

L'autre remarque importante qu'on a à faire, c'est sur le rôle et les fonctions d'Hydro-Québec. Je pense qu'Hydro se voit assurer un rôle de distributeur, de transporteur, de promoteur des différentes technologies liées à la production, au transport et à la distribution de l'énergie électrique. Ces forces, Hydro les a, mais, quand on regarde dans la politique énergétique et qu'on voit que les 50 MW et moins vont être à l'entreprise privée, bien là, ça, ça nous inquiète. C'est vrai que c'est fini, les temps des gros projets au Québec, mais que ce créneau-là, qu'on l'abandonne au secteur privé... Je pense qu'Hydro, depuis 35 ans, a un rôle de maître d'oeuvre en matière de production énergétique, elle ne devrait pas nécessairement abandonner tout ça au secteur privé, puis surtout avec ce qui ressort de la commission Doyon, même si ce n'est pas fini. En tous les cas, il y a suffisamment de matière à s'inquiéter, si on laisse ça seulement aux promoteurs privés. Ça pourrait mettre aussi, on pense, en péril la cohérence de l'ensemble de la stratégie de développement hydroélectrique au Québec en minant le rôle dirigeant qu'Hydro-Québec a toujours eu et qu'il doit continuer à avoir. Ça fait que, ça, c'est deux remarques importantes.

Ensuite, on a des remarques sur différents articles de loi. Entre autres, sur l'article 8, pour ce qui est de la sélection des régisseurs, on y voit que le gouvernement peut, par règlement, établir une procédure de sélection des régisseurs. On aimerait qu'il y ait un résultat d'obligation là-dessus. C'est que ça se fasse par règlement, particulièrement, qu'il y ait un comité de sélection pour que tout ça soit transparent.

À l'article 16, on voit que les régisseurs décident à trois une série de décisions, mais il y a des exceptions, pour lesquelles ça prend un seul régisseur, et elles sont identifiées dans l'article 16. Mais il y a au moins deux fonctions dont on pense qu'elles devraient être décidées à trois, entre autres, la justification des besoins énergétiques et la question des contrats à l'exportation, à l'article 73. On pense que l'importance de ces décisions-là... elles ne devraient pas être prises par un seul régisseur mais devraient être décidées à trois régisseurs, comme c'est la règle dans l'article 16.

Au niveau de l'article 25, la participation du public. Les audiences, au niveau de l'obligation de la participation du public, c'est seulement pour les questions tarifaires. Il existe une possibilité de donner des audiences publiques sur des sujets qui relèvent de la compétence de la Régie, mais, encore une fois, il n'y a rien qui oblige la Régie à le faire. Et on pense que devraient être rajoutés, comme obligation de la participation du public, tout l'article 71, qui concerne les plans de ressources, l'article 72, pour ce qui est de la construction, de l'acquisition d'actifs pour le transport et la distribution. La question, aussi, de la justification des besoins énergétiques devrait faire appel à la participation du public et, bien entendu, l'article 164, qui est la déréglementation, comme je l'indiquais tantôt.

L'article 31. La compétence de la Régie est limitée seulement aux distributeurs que sont Hydro-Québec puis les distributeurs de gaz naturel du Québec. On pense qu'elle devrait s'appliquer à tout distributeur d'électricité et de gaz naturel, pas seulement à ceux qui sont identifiés là.

À l'article 49, là on trouve qu'il y a une ambiguïté, pour ce qui est de ce que la Régie peut faire pour un consommateur ou une catégorie de consommateurs, pour fixer le tarif, pour financer les économies d'énergie non rentables pour le distributeur. C'est parce que c'est «pour un consommateur». C'est quoi, un consommateur? «C'est-u» un individu? On sait que ça peut être une entreprise. Mais, un individu, il me semble que c'est... en tout cas, c'est flou. On aimerait peut-être mieux le concept que la Régie peut, pour l'ensemble des consommateurs ou une catégorie de consommateurs, fixer un tarif, pour ne pas avoir la notion, en tout cas, d'individu comme telle dans cet article-là.

Sur les articles 53 et 54, c'est-à-dire que le gouvernement garde le pouvoir de négocier un contrat directement avec des consommateurs et puis définir les modalités d'approvisionnement pour ces derniers, je pense que ça va, que le gouvernement ait ça, mais il faut être prudent là-dessus. Je pense que toute l'histoire des contrats secrets nous enseigne qu'il faut faire attention. C'est pour ça qu'on pense que le gouvernement devrait être minimalement obligé de soumettre à la Régie tout contrat qu'elle négociera avec des acheteurs éventuels afin de confirmer que de tels engagements sont conformes aux mandats généraux de la Régie, pour ne pas répéter les erreurs du passé à ce niveau-là.

(21 h 30)

Bien entendu, les plans, à l'article 71. À la définition des obligations des distributeurs, on pense que devrait être rajouté pour les distributeurs: Les plans de ressources devront être soumis pour approbation au processus d'audiences publiques qui vont être sous la responsabilité de la Régie de l'énergie. Ça devrait être rajouté, ça.

L'article 72, je pense qu'il faudrait soumettre les producteurs privés d'énergie aux mêmes obligations qu'Hydro-Québec et les distributeurs de gaz naturel. Il faut que ces producteurs privés là aient les mêmes autorisations que tout le monde. Présentement, c'est muet sur ces questions-là.

Pour ce qui est des directives du gouvernement à la Régie, à l'article 109, on pense que le gouvernement devrait obliger la Régie de l'énergie à tenir compte des accords internationaux en matière de protection de l'environnement que le Québec s'est engagé à respecter. Je pense entre autres aux accords sur la protection de la biodiversité puis sur le contrôle des gaz à effet de serre; le gouvernement s'est engagé à respecter ça. Ça devrait faire partie des directives que le gouvernement donne à la Régie, l'obligeant à en tenir compte.

À l'article 115, les amendes pénales, si tu ne les respectes pas... Je pense qu'un petit 2 000 $, puis 4 000 $, puis 50 000 $, ça ne veut pas vraiment... On se demande où est l'effet dissuasif, là-dedans. Je sais que les gouvernements, en tout cas avec les syndicats, des fois, ils nous en mettent, des effets dissuasifs. On a vu ça dans la loi 160. Ça fait qu'on se demande... Il me semble que ce n'est pas bien, bien dissuasif.

M. Godbout (Clément): Là, ils ne le feront plus.

M. Laviolette (Marc): Ils ne feront plus? Non? Le président de la FTQ me dit qu'ils ne feront plus. Pour moi, il est «plogué» sur un gros tuyau, je ne le sais pas.

Une voix: Ha, ha, ha!

Une voix: Non, il est déconnecté.

M. Laviolette (Marc): Ha, ha, ha! Mais je pense que vous le savez. Il y a du monde, dans le gouvernement, qui sait où sont les sensibilités de ce genre de monde là. Je pense qu'ils devraient être identifiés puis qu'on devrait vraiment avoir des mesures dissuasives, parce que, franchement, ce qu'il y a comme mesures dans l'article 115, c'est très faible.

La déréglementation, j'en ai parlé tantôt, l'article 164. Le débat sur l'énergie et les consensus qui en étaient sortis étaient clairs là-dessus: on devait étudier l'impact d'une déréglementation avant de décider de s'embarquer là-dedans. Le projet de loi dit qu'on s'embarque là-dedans. La politique énergétique identifie les mêmes dangers sur la société québécoise d'une déréglementation potentielle. On pense que la Régie devrait se donner 12 mois pour faire son étude d'impact puis soumettre ça au débat public avant de donner le feu vert là-dessus.

Je pense qu'il y a une décision très importante qui a été prise par le gouvernement en 1995, puis avec l'accord de l'opposition, c'était de faire un débat public sur l'énergie. Beaucoup de gens ont participé à ça. Je pense que ce qui avait été annoncé, puis on était d'accord avec ça, c'est que les grandes décisions en matière d'énergie ne seraient plus prises dans les garde-robes puis à la cachette, puis derrière des portes closes, mais soumises aux consultations publiques. Mais il ne faudrait pas, maintenant qu'on se donne les outils pour réglementer l'énergie au Québec, qu'on retourne en arrière des portes closes. Ça fait que de là l'importance que, sur cette question, il y ait un débat public, puis autour des impacts potentiels d'une déréglementation. Ça fait que c'est, en gros, les commentaires de la CSN sur le projet de loi n° 50.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. Laviolette. Je cède maintenant la parole à M. Godbout.

M. Godbout (Clément): Merci, M. le Président. Alors, je suis accompagné de M. Robert Demers, qui est responsable à la FTQ du dossier santé, environnement et de la politique énergétique. Nous sommes aussi heureux d'être présents, surtout pour parler d'énergie. Par les temps qui courent, on en a besoin. Et on en aura encore besoin dans les jours qui viennent, je suppose.

Pour la FTQ, l'analyse du projet de loi sur la Régie de l'énergie ne peut décemment être faite sans nous remettre dans le contexte général de la politique gouvernementale déposée la semaine dernière par le ministre. Alors, on n'a pas eu grand temps pour se préparer, et, si on a été silencieux sur certains points, ça ne veut pas dire, M. le ministre, qu'on accepte des choses. On a fait notre possible pour résumer notre point.

La Régie de l'énergie, ça a été un consensus, à notre point de vue, qui a été abusé, parce que la Table de consultation avait réussi à établir un consensus autour d'une régie de l'énergie qui, par sa juridiction sur l'ensemble des formes d'énergie, pourrait enfin nous permettre de mieux faire les choix, tant par la planification intégrée des ressources que par la recherche du moindre coût social, en intégrant les externalités économiques, sociales et environnementales.

En place et lieu et malgré la mise en garde et l'appel à la prévoyance lancés par la Table, nous nous trouvons devant une régie ligotée à une politique de déréglementation qui, à terme, banalisera la politique énergétique sur la simple base de la plus haute rentabilité immédiate, aux plus bas coûts unitaires, sur la base stricte du marché établi en fonction d'intérêts privés.

Alors, nous disons donc non à une régie pour réglementer la déréglementation. La FTQ s'oppose à ce que s'inscrive dans la loi constitutive de la Régie un mandat impératif sur les façons de déréglementer la production de l'électricité, comme on le retrouve à l'article 164. Nous croyons qu'il faille revenir plutôt à la formulation retenue par la Table de consultation, à la page 20, laquelle demandait d'analyser rapidement le devenir du secteur électrique et d'en identifier les éléments qui assureraient l'ouverture sur le modèle américain, tout en préservant les acquis jugés essentiels.

La situation particulière du Québec a par ailleurs été mise en relief par la Table de consultation, particulièrement le désavantage, dans un système déréglementé, des filières énergétiques nécessitant des investissements à fort contenu de capital. Le caractère public d'Hydro-Québec et la faible partie des coûts de production – 15 %, rappelons-le – que représentent les frais d'exploitation limitent grandement tout gain escompté par des mesures de restructuration imitées de nos voisins.

L'ensemble des mandats décisionnels de la Régie: taux de rendement, plan de ressources, intégration des externalités, justification des projets, consultation du public, repose sur l'exercice de la fixation du tarif par les distributeurs réglementés. C'est à ce moment que l'on devra tenir compte de la planification intégrée des ressources, de la justification des projets, des préoccupations économiques, sociales et environnementales et de l'adéquation entre l'offre et la demande. Les articles 31 et 49.

Dans un contexte du marché ouvert et déréglementé, cet exercice de fixation des coûts réels d'une ressource, incluant les externalités, est vain et utopique, puisque cela suppose que les paramètres d'évaluation seront partagés par l'ensemble des producteurs non seulement au Québec, mais à l'échelle du continent nord-américain. S'il fallait, par exemple, sur une échelle de 20, fixer des points de mérite-démérite à de l'électricité produite au charbon aux États-Unis et à l'hydroélectricité produite au Québec, quelle différence de tarif pourrait être justifiée pour l'utilisation d'une ressource non renouvelable, si les impacts négatifs devaient être reflétés dans le prix?

De même, la planification intégrée des ressources n'est pas seulement un exercice de fixation de prix. Elle doit également diriger les choix en envoyant des messages clairs du véritable prix à payer pour l'utilisation de telle et telle ressources. Elle pourrait même traiter inégalement certaines ressources dont l'acceptabilité sociale et environnementale serait douteuse.

Le Bureau des audiences publiques sur l'environnement. Nous avons à plusieurs reprises déploré que le mandat du BAPE soit souvent étendu à la justification d'un projet, à la véracité des prévisions de la demande. Le projet de loi, contrairement aux recommandations de la Table de consultation, ne voit pas à définir les liens existant entre un nouvel organisme, la Régie, et le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement. On voit ça à la page 39.

L'article 72 du projet de loi nous apparaît, à ce chapitre, fort décevant, considérant que la Table allait même jusqu'à proposer un mécanisme de collaboration allant jusqu'à la tenue d'audiences publiques conjointes. Encore une fois, les délais entre la présentation d'un projet et son acceptation se retrouveront augmentés, alors que la rapidité d'exécution lors d'investissements stratégiques commanderait le contraire.

La déréglementation de la production de l'électricité et la production privée. L'orientation claire et ferme du gouvernement de déréglementer la production d'électricité, telle qu'exprimée dans son énoncé de politique, se traduit par l'exclusion, dans le projet de loi n° 50, de la production privée d'électricité, puisqu'elle n'est pas distributrice d'électricité. La Régie, en sus, n'aura pas à considérer, comme le disait Marc Laviolette tout à l'heure, les projets de moins de 50 MW, dont le gouvernement retire dorénavant à Hydro-Québec le droit de possession et de gérance. Toutes les autres formes de production d'électricité sont illimitées a priori, sans autre enfarge.

L'article 113 du projet soulève des interrogations et des inquiétudes quant au sort dévolu à notre société d'État. Le dépôt du projet de loi n° 70, Loi modifiant la Loi sur Hydro-Québec, nous amène à conclure dans le même sens. Hydro-Québec devra adopter des méthodes et pratiques comptables généralement reconnues par des organismes de réglementation. Pour faciliter l'analyse de la Régie, Hydro-Québec devra prévoir une comptabilité séparée des services de production, de transport, de distribution.

On augure déjà d'un éventuel fractionnement des activités d'Hydro-Québec un signe annonciateur partout dans le monde de privatisation totale et partielle. Nous croyons que le Québec, son développement puis son avenir ne passent pas par là. C'est un peu comme si les États-Unis, pour se débarrasser d'un monopole, décidaient de vendre la NASA à l'Iraq.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Godbout (Clément): Nous nous inscrivons en faux contre toute atteinte aux pouvoirs, droits et obligations confiés et accordés à Hydro-Québec. Il nous apparaît pour le moins équitable que les producteurs privés, même s'ils ne distribuent pas au Québec leur électricité, soumettent leur plan d'affaires à la Régie et justifient la pertinence de leurs projets avec la même qualité que celle exigée par les producteurs-distributeurs.

(21 h 40)

L'article 32 du projet de loi accorde à la Régie le pouvoir de déterminer de sa propre initiative ou à la demande d'une personne intéressée le taux de rendement d'Hydro-Québec ou des distributeurs de gaz naturel. Le taux de rendement d'Hydro-Québec, propriété collective des Québécois et des Québécoises, ne saurait souffrir de comparaison avec l'entreprise privée de distribution gazière. Il ne faut pas confondre ici les dividendes versés à l'État actionnaire unique, lesquels reposent sur une capitalisation préalable de 25 % avant d'être versés au gouvernement. La nature même d'une entreprise à haute teneur en capital investissant dans le long terme entre en contradiction avec le profit rapide, la rentabilité immédiate et le retour direct aux actionnaires des dividendes. Si Hydro-Québec n'est pas à vendre, pourquoi alors vouloir augmenter son taux de rendement?

Peut-être que la hausse de tarif qui va inévitablement s'ensuivre aura-t-elle pour effet d'augmenter le coût marginal de la fourniture d'électricité et ainsi favoriser l'émergence de producteurs privés qui ne pourraient autrement concurrencer Hydro, leurs coûts de revient étant supérieurs à ceux de la Société d'État. Ce serait une manière subtile de privatiser la production de l'électricité sans privatiser ce qui pourrait rester d'Hydro-Québec après un tel régime d'amaigrissement. Puis, quand on parle d'amaigrissement, on ne parle pas de la couche d'ozone.

La fin éventuelle de l'interfinancement, la hausse incontournable des tarifs pour les pauvres citoyens ainsi que la remise en question de l'universalité des tarifs ne font pas partie de notre credo, à la FTQ. Il existe une autre façon de faire jouer les lois du marché sans vendre son panier.

Cette confiance aveugle au marché pour rencontrer les exigences du développement durable confine plus à la profession de foi qu'à l'analyse de la réalité. Au royaume du libre marché, chez nos voisins américains, 56 % de l'électricité produite l'est encore au charbon, parce que c'est encore pour eux la solution la plus économique, même si elle est loin et aux antipodes du développement durable acceptable.

S'il faut avancer l'argument du positionnement stratégique du Québec comme plaque tournante de l'énergie dans le Nord-Est du continent, nous en sommes, mais pas pour en devenir le marché aux puces. Il est illusoire de croire que seule l'ouverture au transit de l'énergie pourra satisfaire quelque accord de réciprocité que ce soit. Un jour ou l'autre, le marché de détail et la distribution seront fatalement sur la planche à désosser. On ne transite pas de l'énergie pour le seul plaisir de la ballade, mais bien pour atteindre un client et réaliser une affaire profitable. La réciprocité devra s'appliquer dans toutes ses dimensions. Nous ne souscrivons pas à une telle réduction de nos horizons sociaux et économiques.

Lorsqu'il fut temps de mettre collectivement nos culottes pour faire du Québec une société moderne avec des outils de développement appropriés, dont Hydro-Québec, nous nous sommes assurés d'avoir un véritable sentiment populaire, lequel s'est même exprimé lors d'une élection quasi référendaire sur la nationalisation de l'électricité au Québec.

Nous croyons que la politique actuelle du gouvernement, bien au-delà du projet de loi n° 50, exige la tenue d'une réflexion spécifique sur la façon dont le Québec veut se développer, y compris dans le domaine énergétique. Nous sommes convaincus que plusieurs valeurs, plusieurs credos néolibéraux qui sous-tendent l'énoncé d'orientation n'ont pas encore passé l'étape d'une validation populaire, comme ce fut le cas lors de la nationalisation de l'électricité. Nous croyons que le gouvernement devrait retourner à la lecture du rapport de la Table de consultation, confronter sa vision, lors d'audiences publiques, avec ceux et celles qui en font une lecture qui ne nous menait pas à la dilapidation de nos acquis collectifs.

La FTQ s'oppose à toute déréglementation débridée du secteur de l'énergie. Nous tenons à vous rappeler que la FTQ et l'ensemble de ses affiliés ont réitéré, au congrès, leur engagement collectif à supporter et à défendre les principes suivants: l'indivisibilité d'Hydro-Québec; l'exclusivité de la production, du transport, de la répartition et de la distribution électrique par Hydro-Québec; l'étude, le développement et la promotion des ressources alternatives par Hydro-Québec; le maintien du recours à la filière hydroélectrique comme principale source de production; l'établissement de programmes d'économie d'énergie; que le Québec, le gouvernement ou l'ensemble des entreprises productrices et distributrices d'énergie doivent assumer les programmes d'économie d'énergie, dans le domaine de l'efficacité énergétique.

Nous allons prendre notre place et toute notre place dans ce débat que nous souhaitons sur le devenir et le développement de nos ressources pour le plus grand bien de l'ensemble des Québécois et des Québécoises.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. Godbout. J'invite maintenant le ministre à vous poser des questions.

M. Chevrette: Ou à faire des commentaires.

Le Président (M. Beaulne): Ou à faire des commentaires.

M. Chevrette: Oui. J'en ai quelques-uns à faire. Tout d'abord, je voudrais, au niveau de la CSN, les rassurer sur quelques points. Parce qu'il y a des inquiétudes que vous soulevez puis qui méritent que j'y réponde. Tout d'abord, les projets de 50 MW. Vous savez que c'était le ministre qui s'en occupait, pour les projets de 25 MW. Il y en a très peu entre 25 MW et 50 MW. Le grand changement par rapport à antérieurement, c'est que, au lieu d'être confiés au privé, c'est pour les communautés locales et régionales, avec des partenariats autant avec la FTQ que possiblement avec l'entreprise privée, mais pour fins de retombées économiques, pour des projets structurants, sur le plan économique, dans les régions. C'est une approche carrément différente. Vous pouvez ne pas être d'accord quand même, mais c'est un changement de cap par rapport à ce qui existait dans le programme antérieur, qui était géré par le ministère, pour le 25 MW et moins. Et d'ailleurs Hydro ne les gérait pas, les petits projets; au contraire, elle s'en départissait. Vous savez qu'il y en a certains qui sont partis, d'ailleurs à bon marché. Il y a en quelques-uns qui sont partis à une couple de 100 000 $ puis qui avaient eu des réparations une année antérieure, à 3 500 000 $. Je préfère que ce soient des retombées autant pour les communautés autochtones que pour les communautés locales ou régionales.

Donc, également, pour les régisseurs, je prends note. Mais il y avait un point qui m'avait... Il y avait une autre interrogation que vous souleviez, la première de tout... Concernant la déréglementation, ça revient autant dans le mémoire de la FTQ que dans le vôtre, vous dites: Oui, mais il prend six mois. Vous proposez 12 mois, vous. Je vous rappellerai qu'à la table de l'énergie on demandait de soumettre rapidement la question de la déréglementation à l'analyse. C'était textuel, à la page 20, je crois, du rapport de la Table, si ma mémoire est fidèle, ils demandaient au gouvernement de confier rapidement, pour fins d'analyse, toute la question de déréglementation...

M. Laviolette (Marc): C'était sur l'opportunité, c'était plus faire une étude d'impact avant de décider qu'on déréglemente, c'était de regarder, si on déréglementait, quels seraient les impacts sur la situation financière d'Hydro-Québec, sur la tarification uniforme à travers le Québec, sur notre capacité d'attirer les entreprises parce qu'on a un bon prix d'électricité. Ça fait que c'était sur l'opportunité. Là, ce qui marqué, c'est: Dites-nous comment on déréglemente dans six mois. C'est assez différent comme orientation.

Une voix: Et, à la page 20, je pense que...

M. Chevrette: Regardez le deuxième alinéa de l'article 164: «La Régie doit, dans les six mois...» Là il y a une obligation de faire – correct? – ...

M. Laviolette (Marc): Oui.

M. Chevrette: ...conformément à la rapidité qu'on nous demandait. «Après avoir pris connaissance de l'avis de la Régie, le gouvernement peut». Vous connaissez la différence entre «peut» et «doit», parce que vous nous le faites changer, à une occasion dans votre propre mémoire.

M. Laviolette (Marc): Oui, oui, on fait ça... Quand on signe des conventions, on le sait, la différence qu'il y a entre «peut» puis «doit».

M. Chevrette: Oui, mais c'est pour ça. Vous la savez tellement que j'attire votre attention sur le deuxième paragraphe.

M. Godbout (Clément): Ce paragraphe-là aussi rajoute: Tout en préservant les acquis jugés essentiels pour le Québec. On le marque clairement.

M. Chevrette: Oui, oui, ça, je le reconnais. Mais je voulais faire quelques remarques. Je vais en faire une chez vous aussi, dans ce cas-là. Prenons le mémoire de la FTQ...

M. Laviolette (Marc): Mais notre message...

M. Chevrette: Je vais vous revenir, vous, là

M. Laviolette (Marc): O.K.

M. Chevrette: C'est parce que je veux lui en passer une petite vite, à lui aussi.

M. Laviolette (Marc): Ah! bon. Moi, je n'en pas vu passer, de vite, là.

M. Chevrette: Moi, j'en ai vu une, vite.

M. Laviolette (Marc): Pour moi, elle passait trop vite!

M. Chevrette: M. Godbout, vous avez caricaturé un peu, je crois, beaucoup, pas mal, passablement, aux pages 11 et 12: «...la rentabilité immédiate et le retour direct aux actionnaires des dividendes. Si Hydro-Québec n'est pas à vendre, pourquoi alors augmenter son taux de rendement?» Je «peux-tu» vous dire qu'à 3,3 % le taux de rendement, par rapport à 9,5 % d'intérêts sur la dette d'Hydro-Québec, c'est assez inquiétant, merci! Est-ce que le Fonds de solidarité me le ferait pas, à 3,3 %?

M. Godbout (Clément): Non, mais je ne change pas de président à tous les trois mois, moi.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Chevrette: Non, vous ne changez pas de président à tous les trois mois. Mais, ça, c'est une façon habile de vous esquiver de la question. Vous savez pertinemment que, à 3,3 %, c'est inconcevable. C'est 12 000 000 000 $ d'actifs d'Hydro-Québec que les Québécois ont payés, puis ils doivent s'attendre au moins à un taux de rendement assez important, dans les circonstances. Vous savez très bien que ça exigeait un redressement.

(21 h 50)

Je vous donne un exemple. Puis on est chanceux, à part de ça. Vous faites allusion aux structures, aux comptabilités distinctes. Vous savez ce que le FERC américain exigeait au départ? Mme Muller voulait qu'on devienne toutes des filiales: filiale production, filiale transport, filiale distribution. Puis, à force de discuter puis de se concerter avec les gens sur le plan international, on a réussi à dire: Comptabilités distinctes. C'est déjà beaucoup qu'on ait sauvé ça. Parce qu'on ne pourra pas s'attendre indéfiniment, et je suis sûr que vous le savez, un syndicat international comme le vôtre, à constitution québécoise maintenant aussi... Vous ne pourrez pas longtemps avoir une route qui vous conduit vers les États, puis que les États ne voudront pas utiliser votre autoroute. C'est évident, ça.

M. Godbout (Clément): Mais, pour ça, on n'est pas obligé de leur vendre, de leur laisser...

M. Chevrette: Non.

M. Godbout (Clément): Et l'autre élément que j'ajouterai à ça, c'est que finalement la gestion d'Hydro, de la façon dont les choses se sont faites, c'est bien certain qu'il y a du travail à faire. Moi, ça fait trois ou quatre fois que je soulève la question de ce que coûtent à Hydro-Québec puis au Québec les firmes d'ingénieurs-conseils, sous forme d'études. Tout ça, il y a pas mal de millions qui ont passé au cash, et ça n'a pas fait avancer les affaires bien, bien. À un moment donné, je pense qu'il y a une question de gérer.

Il y a une question aussi qui est importante, à notre point de vue. On ne le dit pas dans notre mémoire, mais on commence à s'en préoccuper. Hydro-Québec appartenait aux Québécois et aux Québécoises; depuis un bout de temps, elle appartient au gouvernement. Ça aussi, ça serait important que ça appartienne au monde puis qu'on ait quelque chose à dire. Puis on se dit, là-dedans: Écoutez, dans ce qu'on veut faire avec Hydro-Québec... Nous, on a salué l'arrivée du rapport de la commission, parce que la commission a sorti un certain nombre de points très importants. Puis, à un moment donné, il nous semble que la politique énergétique passe complètement à côté de ce que la commission vous a recommandé, et ça, ça nous préoccupe au plus haut niveau. Puis la voie qu'on voit, puis le tunnel qu'on voit, la lumière dedans, c'est de dire: Bien, c'est la privatisation, là-dedans. Là, on va s'organiser pour désosser tranquillement. Finalement, Hydro va rester quoi? Tout simplement une machine qui va faire en sorte de venir «ploguer» l'électricité chez nous. Alors, il faut qu'on ait... que ça serve... Hydro, c'est le vaisseau amiral de la flotte québécoise dans le domaine du développement économique. Il ne faut pas la donner, il ne faut pas la vendre, il faut la garder.

M. Chevrette: Mais vous aurez remarqué, en tout cas, que, dans la politique, M. Godbout, il est bel et bien dit que la privatisation n'est pas à l'ordre du jour. Vous pouvez être d'accord ou pas d'accord, me croire ou ne pas me croire, mais je dois vous dire une chose, c'est qu'on ne peut pas non plus manquer les opportunités de percer les marchés américains. On est les mieux positionnés, on a l'énergie la moins polluante, on a l'énergie la moins coûteuse, on a des chances énormes de percer les marchés américains puis de faire en sorte...

Par exemple, il y a une centrale comme la vôtre qui réclamait Eastmain lors du sommet, lors des deux sommets, alors qu'on a 3 000 MW en surplus. Si on ne profite pas de notre position stratégique pour liquider nos surplus... Vous savez très bien qu'on bâtit en fonction de la demande, on ne bâtit pas pour le plaisir de bâtir, on ne peut pas stocker pour le plaisir de stocker, parce qu'ils nous voient venir avec des gros sabots, puis qu'ils nous disent: On le sait que tu en as en surplus, puis ça dort chez vous, on va t'offrir 0,02 $ sur le «spot market». Alors que, si tu réponds à une demande, puis que la demande est là, tu peux avoir des prix, puis c'est avantageux... Ce n'est pas à vous autres que je vais apprendre ça. Vous donnez des cours en région présentement avec la collaboration du SDR, dont je suis le titulaire, pour montrer à gérer puis montrer à préparer des montages financiers.

M. Godbout (Clément): Moi, j'ai un petit problème. Je ne suis pas certain que j'ai vu qu'il y avait bien, bien de surplus. Deuxièmement, c'est qu'on a dit...

M. Chevrette: Bien, là...

M. Godbout (Clément): On a dit également, M. le ministre, puis il me semble qu'on devrait être d'accord avec ça, que, si on avait un peu plus d'électricité puis qu'on en produisait un peu plus, peut-être qu'on offrirait des tarifs beaucoup meilleurs à notre petite et moyenne entreprise et qu'on aurait plus d'emplois à créer aussi; pas juste des grandes entreprises. On pourrait peut-être favoriser, avec notre énergie, le développement de l'emploi.

M. Chevrette: Ce n'est pas ce que la Table me dit. Moi, à la table de l'énergie, ce que j'ai compris, c'est qu'il faut qu'on produise en fonction d'une demande, et non seulement en fonction d'une demande, mais on doit tout faire pour éviter que la demande s'accroisse, en créant une agence d'efficacité énergétique...

Une voix: Oui, mais ça...

M. Chevrette: ...puis miser sur la compensation sur des objets et des projets d'efficacité énergétique pour venir à bout précisément de compenser pour les très grands travaux qu'on n'a pas à faire parce qu'on réussit à sauver des mégawatts. Et, au lieu de travailler sur des gadgets américains, en ce qui regarde l'efficacité énergétique, on va travailler sur des vrais programmes, à partir du programme PRIME qu'on veut étendre à la grandeur du Québec, à partir du programme d'Hydro-Québec sur l'enveloppe thermique, de 400 000 000 $. Voilà des choses concrètes, génératrices d'emplois. Vous avez la FTQ-construction qui me dit à tour de bras que la rénovation crée plus d'emplois que la construction. Moi, je me dévoue comme un diable dans l'eau bénite...

M. Laviolette (Marc): Mais, M. le ministre, de la manière dont je vous entends vendre les bienfaits de la déréglementation, ça m'inquiète encore plus. La décision est prise. Nous, ce qu'on dit, c'est: Y aurait-il moyen de regarder les impacts que ça va avoir, par exemple sur l'interfinancement?

M. Chevrette: Oui.

M. Laviolette (Marc): Ça «va-t-u» avoir un impact sur notre capacité d'attirer et de garder ici, au Québec, les compagnies parce qu'on a un avantage comparatif à cause de nos tarifs qui sont bas. Je vous donne juste l'exemple... Ce phénomène-là s'est produit pour les régions, quand on a nationalisé l'électricité. Je viens de Beauharnois, moi, ça fait qu'on est juste à côté de la centrale...

M. Chevrette: Ils vont le réparer, votre barrage, là.

M. Laviolette (Marc): Oui, oui, j'ai tout vu ça. Mais, avant la nationalisation de l'électricité, on avait un avantage comparatif dans la région. Il y a une grosse centrale, il y avait de l'énergie disponible. Mais, avec la nationalisation, ça a été à la grandeur du Québec. Et je ne suis pas contre ça. Je pense que ça a été une bonne décision, cette décision-là, sauf que ça risque d'avoir l'effet sur le Québec, la déréglementation, que ça a eu au niveau de la nationalisation de l'électricité sur les régions. Parce que, là, pourquoi les compagnies viendraient au Québec s'installer, si elles ont le même prix d'énergie...

M. Chevrette: Oui, bien, on va s'en parler, de ça, tout de suite. Il y a eu...

M. Laviolette (Marc): Moi, tout ce que je voulais vous dire comme message, c'est que ce débat-là, il faut qu'il soit public au Québec, sur les impacts que ça va avoir, parce que c'est important pour les citoyens québécois. Hydro-Québec, c'est un joyau. Et, si on décide de déréglementer sans avoir fait ce débat public là, on risque d'avoir des problèmes. Je ne pense pas que le monde va être d'accord avec ça.

M. Godbout (Clément): Nous autres, on pense que ça peut vouloir dire une élection là-dessus.

M. Laviolette (Marc): Il y a eu une élection justement pour la créer.

M. Godbout (Clément): Et, vous voyez, quand vous en parlez, vous vous emballez beaucoup, et vous avez le droit, autour de l'économie de l'énergie puis des...

M. Chevrette: Bien, c'est vous qui provoquez mon emballement.

M. Godbout (Clément): Et l'efficacité énergétique...

M. Laviolette (Marc): Ah! On voit que ça vous excite.

M. Godbout (Clément): Mais, M. le ministre, je pense que vous allez noter que, dans les pays où on l'a mis en marche au maximum et où on a poussé l'économie d'énergie au bout, quand on a atteint 30 %, on a été chanceux en titi. Et puis ici, au Québec, avec les ressources financières que le Québec a – de ce temps-ci, ils nous en parlent à toutes les demi-heures – ce n'est pas vrai qu'on va payer toutes les fenêtres et les châssis et les portes à changer dans les maisons, dans le Québec. On va dire: Si tu changes toutes tes fenêtres, on va te donner 10 %. Ils ne changeront pas, là. Les gens n'ont pas d'argent. On vient de lire encore ce matin, parce que les politiques des deux niveaux de gouvernements... Depuis quelques années, finalement, il y a 700 000 personnes qui viennent à bout de vivre à cause qu'elles pigent dans leurs REER.

Alors, la politique d'économie d'énergie, là, c'est des voeux qu'on peut tous partager, on est tous pour la vertu, mais ça ne créera pas l'emploi qu'on pense et ce n'est pas vrai que ça va sauver l'énergie qu'on pense non plus.

M. Chevrette: Non, mais, à supposer que ce n'est pas les résultats escomptés...

M. Godbout (Clément): Il y en a un bout à faire.

M. Chevrette: ...M. Godbout... Il y a un bout à faire, comme vous dites.

M. Godbout (Clément): Ah oui, ah oui.

M. Chevrette: Dans Shawinigan, quand ils ont parti le projet PRIME, c'est du monde qui s'est pris en main, avec l'aide d'un petit programme de rien au niveau du ministère des Richesses naturelles, et ils ont embarqué dedans. On l'étend à trois régions cette année. On demande à Hydro de participer à un programme d'économie d'énergie sur l'enveloppe thermique. On demande à Hydro-Québec de dégager un bloc de 500 MW, en toute transparence, pour attirer l'industrie de seconde transformation, parce que le ratio, dans les alumineries, était 1 000 000 $ par emploi créé, dans les industries énergivores, 1 000 000 $ pour un emploi, dans l'investissement, alors qu'on pense qu'avec 500 MW on peut créer plus d'emplois. Si on regarde le ratio investissement-emplois dans la seconde transformation...

M. Godbout (Clément): Mais...

M. Chevrette: Qu'est-ce qu'il y a? Vous m'avez arrêté dans mon meilleur, là. Ha, ha, ha!

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Godbout (Clément): ...dans notre mémoire, là, si je résume notre mémoire en une phrase: On a bâti Hydro à travers les années et, à un moment donné, dans les années soixante, il y a un ministre qui a pris son bâton et qui a fait face aux multinationales puis aux grandes corporations puis aux grands monopoles. Il s'appelait René Lévesque, et il a dit: C'est assez, on va le développer, le Québec. Aujourd'hui, ni la FTQ, ni la CSN, ni le gouvernement actuellement n'a le droit de remettre ça en question sans aller voir ce que le monde pense.

M. Chevrette: Bien, je vous ai dit que ce n'était même pas à l'ordre du jour dans la politique énergétique, M. Godbout.

M. Godbout (Clément): Bravo, mais ce n'est pas ça qu'on comprend dans la politique énergétique.

M. Chevrette: Et je vous dis, plus que ça. Il y a eu un très grand ministre en 1960 et il y a un petit ministre en 1996 qui disent la même chose, que c'est un joyau québécois et que la privatisation n'était pas à l'ordre du jour.

Une voix: Bravo.

M. Laviolette (Marc): Oui, mais le but de...

M. Chevrette: Puis ça a été mon père en politique, ton grand ministre.

(22 heures)

M. Laviolette (Marc): ...la création d'Hydro-Québec, c'était que les Québécois aient accès à une énergie à bon marché pour tout le monde. Et on peut très bien garder Hydro-Québec comme elle est là. Et, si on déréglemente et que ça nous enlève ça... Parce qu'Hydro-Québec a d'abord été faite pour ça. D'ailleurs, dans la politique énergétique, on voit que ça fonctionne, parce que nos coûts sont les plus bas. Les Québécois sont les moins énergivores, en plus. Je pense que ce sont des grosses qualités qu'on a.

Mais, je veux dire, si on déréglemente, on va garder Hydro-Québec propriété du gouvernement, sauf que les avantages pour les consommateurs, l'interfinancement, tout ça risque d'être remis en question. Et puis, qu'on prenne juste au Québec, nos usines qui fonctionnent parce qu'elles ont des bas tarifs, si on perd ces avantages-là, ça va avoir un impact aussi sur leur compétitivité. Les coûts d'énergie, dans tes coûts de production, c'est important, ça...

M. Chevrette: Oui.

M. Laviolette (Marc): ...si on échappe ça. Alors, ce sont tous ces impacts-là qu'il faut regarder avant de dire que c'est bon. Ce que je constate dans votre argumentation, vous nous dites: C'est bon, c'est bon, c'est bon. Ça, ça m'inquiète. C'est le débat public qu'il faut faire là-dessus. C'est ça, le message.

M. Chevrette: C'est bon et c'est la première fois au Québec qu'il y a un débat public sur la politique énergétique, d'abord. C'est la première fois que les citoyens consommateurs vont pouvoir aller devant une régie et dire ce qu'ils pensent du plan de ressources et ce qu'ils pensent de tout. Ce ne sera pas des parlementaires qui, pendant treize heures, vont décider de la tarification d'Hydro-Québec et du plan de ressources d'Hydro-Québec, les consommateurs vont pouvoir aller en audiences publiques le dire.

M. Laviolette (Marc): Mais le 164 n'est pas soumis...

M. Chevrette: Sur toute question. Vous lirez comme il faut l'article. Je pense qu'on peut peut-être s'expliquer. De toute façon, il faut que je finisse, je n'ai plus de temps. Mais je vous remercie parce que votre mémoire a des idées et ça brasse des idées. Je ne déteste pas ça quand ça brasse des idées, ça nous permet de sortir des sentiers battus et de voir où sont les parties sensibles et de vous dire qu'avec votre collaboration... D'ailleurs, j'en profite, M. Godbout, pour féliciter à la fois les syndicats d'Hydro-Québec et Hydro-Québec d'avoir conclu un contrat social d'une durée de cinq ans. Et j'ose espérer que les relations de travail seront merveilleuses à l'intérieur de la boîte.

Le Président (M. Beaulne): Merci, M. le ministre, et je cède maintenant la parole au député de Saint-Laurent.

M. Cherry: Merci, M. le Président. Le débat était tellement bien engagé qu'on va continuer sur cette piste-là. Le ministre a manqué de temps, je vais vous offrir la possibilité. Vous exprimez bien clairement des craintes sur la rapidité avec laquelle le gouvernement veut s'engager dans la déréglementation. Vous-autres, si je vous ai bien compris, vous dites: Ça, si on suit la Table, il fallait évaluer ça, et ça exige, si je vous comprends bien, d'abord un débat public. Vous dites: Ce n'est pas vrai que c'est la table de concertation, même si le gouvernement voulait l'interpréter de même, qui justifierait le gouvernement d'aller là-dedans aussi rapidement qu'il semble vous l'indiquer.

Je veux juste vous dire qu'hier des gens qui étaient à votre place, des gens d'Hydro-Québec, à qui celui qui vous parle soulevait qu'il me semblait que six mois, c'est rapide et qu'il y a des régies américaines déjà installées qui ont pris entre trois et cinq ans pour arriver là, je me suis fait répondre: Habituez-vous à ça, pour une fois qu'on va aller vite. Et il y a des règlements qui vont être publiés très, très incessamment. Vous allez voir, ça s'en vient.

Alors, votre sentiment que c'est du «oui, oui, oui, go, go, go», vous ne vous trompez pas; c'est ça qui s'en vient. Si vous pensez que c'est trop vite et que le gouvernement n'a pas le mandat pour faire ça, vous avez la responsabilité de le soulever haut et fort, parce qu'on a le même sentiment ici, si c'est ça.

M. Laviolette (Marc): Mais c'est exactement ça, et on espère que notre message va être entendu. Parce qu'on ne peut pas passer à côté de ça. Je pense que Clément, tout à l'heure, l'a bien dit: ça s'est construit sur une élection quasi référendaire et c'était la croix et la bannière, hein, il faut se rappeler. René Lévesque se faisait traiter de communiste, il nationalisait des compagnies privées. Dans ce temps-là, le gouvernement n'avait pas peur de la haute finance et des grosses compagnies. Ç'a donné des bons résultats. C'étaient des libéraux. Bien oui, c'étaient des libéraux.

Une voix: On n'avait pas de dettes.

M. Cherry: On n'avait pas de dettes.

Une voix: On n'avait pas de dettes, dans le temps, vous vous souvenez de ça?

M. Laviolette (Marc): Mais c'est ça qui s'est passé. Et là il me semble qu'on y va les quatre barils ouverts. On plonge sans savoir. Ce qu'on dit, si on plonge rapidement de même: Faites attention, la piscine est peut-être vide, là, ça fait qu'on risque de se casser la gueule.

M. Cherry: O.K. L'autre affaire que je veux vous dire, comme argument que j'ai entendu aussi, c'est que, quand il faut assujettir tout l'ensemble de l'avenir que pourrait avoir Hydro-Québec à la Régie, il y a des gens qui nous ont dit: S'il avait fallu que cette loi-là existe à l'époque, jamais la Baie-James ne se serait construite. Il y a des gens qui ont prétendu que le gouvernement devrait toujours se conserver une responsabilité de. Il ne peut pas se substituer à une régie pour l'ensemble de tout ce que doit être le devenir d'Hydro-Québec. Vous autres, est-ce que les pouvoirs de la Régie devraient englober tout ça?

M. Demers (Robert): On s'est toujours prononcé pour le maintien du pouvoir de directive du gouvernement, qui va être imputable des décisions qu'il a prises. C'est pour ça d'ailleurs qu'on est ici et qu'on n'est pas devant une régie; je pense que, ça, on ne le remet pas en question. Ce qu'on met en question sur le projet de loi n° 50, c'est que, derrière ça, en le regardant comme il faut, on se rend compte que, si on ne le regarde pas avec l'énoncé de politique et ses grandes orientations, on manque de patinoire. Et tout ce qu'on dit, c'est tout simplement, tout honnêtement, qu'on aimerait que cette orientation-là qui encadre l'interprétation du projet de loi n° 50, on y revienne tranquillement en se posant les vraies questions au bon moment, parce qu'on est partis en disant: On pense, nous, qu'on ne retrouve pas dans l'énoncé de politique les consensus de la Table de consultation.

Alors, expliquez-nous où sont les consensus maintenant, si ce n'est pas ceux sur lesquels on s'était entendu. On aimerait être capables d'y revenir pour être capables de comprendre des législations et des réglementations que vous nous annoncez et qui vont nous venir à la pièce alors qu'on n'aura pas eu le temps de regarder le menu. En ce sens-là, je pense qu'on se rejoint tous là-dedans. On aimerait se revoir pour vérifier s'il y a une solidité de consensus, s'il y en a une, si elle est bien traduite et comment, dans l'énoncé de politique, elle va se traduire dans les législations puis les réglementations qui vont venir.

M. Laviolette (Marc): Mais il y a une chose qu'il faut se rappeler, et, ça, je pense que c'est important: si on en est là aujourd'hui et si on a une politique énergétique, c'est vrai que le gouvernement a des responsabilités, et ça, il n'y a pas de problème là-dessus...

M. Demers (Robert): C'est clair.

M. Laviolette (Marc): ...sauf qu'on a vu dans le débat sur Grande-Baleine que, même si c'est le gouvernement qui est responsable, on a intérêt à mettre les choses en lumière, à mettre ça dans le débat public. C'est de là que sont venus les consensus autour de l'énergie. On a salué ça, et l'opposition était d'accord avec le gouvernement là-dessus, qu'il fallait absolument prendre ça par le gros bout, c'est-à-dire par la politique énergétique, et puis se donner une vision globale, et, après ça, on y va.

Mais, je veux dire, il faut que ce soit cohérent, tout ça. On se donne une politique et, après ça, les projets de loi qu'on met au menu, il faut que ça fitte dans cette politique-là. Et puis, là, c'est la déréglementation. Mais il me semble qu'à tout le moins – et c'est le gouvernement qui va prendre la décision en bout de ligne – avec la sensibilité que ça a, on est mieux de faire un débat public sur cette question-là avant de plonger. On dit juste ça: On est mieux. Parce que, de toute façon, on ne fera pas l'économie du débat, ça fait qu'on est mieux de le faire encadrer. De toute façon, si le gouvernement plonge et que le 164, il l'applique, il va y avoir un débat public sur la question. Peut-être que le gouvernement va dire: O.K., je prends mes responsabilités, je serai imputable. Mais, à force de dire «je serai imputable», aux prochaines élections, à un moment donné, la pile va être rendue assez haute qu'il va être imputable et le monde va dire: «Next»! Ça fait que, des fois, on a intérêt à faire des débats publics.

M. Godbout (Clément): On est conscient de l'ouverture qu'il faut créer, avec la réalité de ce qui s'en vient sur le marché avec les Américains; on en est très conscient. D'ailleurs, je pense qu'il y a des choses à regarder dans ce qui se passe ailleurs pour essayer de se guider un peu, comme Europe 92, quand il est arrivé, il y a eu tout un paquet de chambardements, un paquet d'études, etc., sauf que vous remarquerez qu'en Angleterre ils n'ont pas touché à la British aérospatiale. Il y a certains à propos desquels des pays ont dit: Là-dedans, on ne touche pas à ça. Et, à un moment donné, on se dit: Québec, attention à l'Hydro. C'est ce qui nous préoccupe, parce que la politique – peut-être qu'on a mal compris – émise ne va pas dans la foulée du consensus de la Table. Et ça, ça nous fatigue beaucoup, parce qu'on sent que là les chemins sont séparés. Alors donc, l'orientation est pas mal différente par rapport à ce qu'on a vu comme consensus autour de la table de travail. En tout cas, c'est ce qu'on a saisi dans la lecture de la politique et du consensus.

M. Cherry: O.K. Maintenant, la FTQ, en page 9, vous faites référence au dépôt du projet de loi n° 70, Loi modifiant la Loi sur Hydro-Québec. Je peux vous dire qu'elle a été passée un, deux, trois dans la même soirée, la 70, là. O.K.? Et juste pour que ce soit bien clair, vu que c'était un projet de loi d'un seul article, O.K., et que c'était pour permettre à Hydro-Québec de comptabiliser, d'étaler sur plusieurs années, les arguments qui m'ont été fournis et qui ont fait que j'ai donné ma collaboration et qu'on a passé ce projet de loi là dans la même journée, on m'a dit que c'était uniquement, uniquement pour permettre les départs assistés des 6 000 et quelques cents employés d'Hydro-Québec qui doivent partir, pour qu'ils ne soient pas tous comptabilisés à l'intérieur de la même année.

M. Godbout (Clément): Nous, on a compris ça également, que c'était ça.

M. Cherry: Mais on m'a dit que c'était uniquement ça, pas d'autre chose.

M. Godbout (Clément): Moi, c'est ce que j'ai compris.

M. Chevrette: Je peux vous confirmer, moi, que c'était pour ratifier...

M. Godbout (Clément): L'ouverture de la retraite.

M. Chevrette: On sait qu'autrement Hydro-Québec aurait dû comptabiliser dans la même année un montant x, et le Vérificateur général n'acceptant pas l'étalement...

(22 h 10)

M. Cherry: C'est ça.

M. Chevrette: ...s'il n'y a pas une loi qui donne l'assise juridique pour ça, c'était uniquement ça. Mais j'en profite, durant qu'il me reste deux mots, pour vous inciter à lire la politique énergétique, page... le rapport de la Table, page 36. Dans la colonne de gauche du rapport de la Table, c'est exactement dans ce sens-là qu'on s'inscrit. Je suis sûr qu'un des membres de cette Table, qui est assis devant nous, se rappellera de ce paragraphe qui nous a inspiré, qui nous inspire et qui nous inspirera.

M. Godbout (Clément): Il y en a plusieurs, lequel?

M. Laviolette (Marc): Oui, il va répondre.

M. Chevrette: C'est le paragraphe dernier à gauche. L'avant dernier.

M. Laviolette (Marc): Peter était membre de la Table, ça fait que, explique-nous donc.

M. Bakvis (Peter): Bien, explique... J'étais effectivement signataire avec 13 ou 12 autres personnes. On a effectivement débattu beaucoup de la question de la déréglementation, même examiné en détail l'expérience de la Californie. On est arrivé à la conclusion qu'il y avait finalement plus de questions que de réponses, même en Californie, où ils sont assez avancés sur la question. Alors, ce qu'on recommande, et je pense que c'est quand même dans les paragraphes que vous nous indiquiez, M. le ministre, qu'il faut, dans ce cas-là, préciser les enjeux pour le Québec. Et, dans une page précédente, page 20, je crois, on dit qu'il faut exercer la prudence, Québec n'est pas demandeur et n'est pas forcé de se précipiter dans les mouvements de consommation en cours.

J'en profite pour dire qu'il me semble qu'on est en train de regarder une situation à court terme. Effectivement, le Québec, Hydro-Québec dispose de surplus assez importants. Vous avez annoncé récemment certaines politiques qui pourraient aider à écouler les surplus, en favorisant les industries à forte consommation. Mais qu'est-ce qui va arriver au bout de trois, quatre ans, lorsque les surplus seront écoulés? Là, on est en train de modifier ou, enfin, on propose une modification substantielle des règles du jeu en fonction de circonstances à court terme. Il me semble qu'on peut bien décider que ça va faciliter les stratégies d'Hydro-Québec sur le marché «spot» aux États-Unis, mais on sait aussi qu'au début des années quatre-vingt-dix on a annulé le projet ou, enfin, on a été obligé de remettre le projet Grande-Baleine parce qu'on n'avait plus les contrats aux États-Unis. Alors, est-ce qu'on va pouvoir justifier les constructions de nouvelles centrales? J'en doute fortement, à moins que le prix du gaz se mette à monter en flèche ou qu'il y ait beaucoup d'autres circonstances qui changent.

Donc, c'est dans ce sens-là qu'on souhaite que, si c'est pour tirer profit de quelques conditions de marché à court terme, mais qu'on change de fond en comble tout ce qui nous régit... Je pense qu'il faut être conscient qu'une fois qu'on est engagé dans l'engrenage il n'y a plus de recul possible, une fois qu'on applique les principes de réciprocité.

M. Godbout (Clément) : Moi, ce qui me frappe dans ce que vous dites, M. le ministre, là-dessus, le paragraphe que vous citez dit ceci: Les débats entourant la déréglementation pourraient être l'occasion de telles audiences publiques afin, par exemple, d'en préciser les enjeux. Mais l'article 164 que vous proposez dit: «Après avoir pris connaissance de l'avis de la Régie, le gouvernement peut par décret...» puis là il continue, puis à un moment donné il dit... Avant ça: «...dans les six mois de l'entrée en vigueur de l'article 4, donner son avis au gouvernement sur les façons de déréglementer ou soustraire de sa compétence...» C'est toute une autre «game», si je sais lire, moi, ça. Ce n'est pas pantoute dans la foulée de l'article puis du paragraphe dont vous parlez, ça va beaucoup plus loin. On dit: sur la façon de déréglementer puis de soustraire sa compétence à l'Hydro ou en partie de la production d'électricité. Ce n'est pas ça que la commission disait, la commission disait: Écoutez, essayons de préciser les enjeux. Ici, on dit, dans le projet: Voyons la façon de déréglementer. On parle d'un chat puis d'une chatte, on ne parle pas de la même chose tout à fait. D'après moi, en tout cas.

M. Chevrette: En tout cas, c'est votre perception. Le projet de loi, tu ne lis pas ça un article isolé d'un autre article, c'est un tout. Sur toute question, la Régie peut faire des audiences publiques. Vous l'avez vu, cet article-là?

Le Président (M. Beaulne): M. le ministre...

M. Chevrette: Excusez, excusez.

Le Président (M. Beaulne): ...dans la ferveur des échanges, je tolère une certaine souplesse. Nous n'avons pas d'objection à vous entendre répondre, mais il faudrait avoir le consentement de mes collègues de l'opposition.

M. Cherry: Il a des questions à poser.

Le Président (M. Beaulne): Et, justement, je cède la parole au député d'Argenteuil.

M. Beaudet: On a laissé beaucoup de latitude au ministre. Il comprend combien on apprécie ses débats avec les gens de la FTQ et de la CSN, mais j'aimerais juste préciser à M. Laviolette que, dans la déréglementation qui va se faire, les Québécois ne perdront pas les avantages que l'on a actuellement avec Hydro-Québec. Parce que, si notre coût de revient d'électricité – puis c'est comme ça que ça va être déterminé – est inférieur à ce qui se produit ailleurs, bien, on va garder ces mêmes avantages là chez nous. Par ailleurs, et si j'ai bien compris l'intervention de M. Cayer hier, ça va nous permettre l'accès à un marché américain important, qui va donner au Québec un enrichissement collectif. Et peut-être que c'est à courte vue. Je reconnais l'intervention qui a été faite: à court terme, peut-être dans trois ans, dans cinq ans. D'un autre côté, d'aller s'engager dans la construction d'un barrage pour des milliards sans savoir si on a accès à d'autres marchés, je ne suis pas sûr que c'est ce qu'on voudrait faire comme collectivité. Alors, je ne sais pas si vous avez des commentaires là-dessus, mais, moi, je ne vois pas comment, à cause de la déréglementation, nous, comme collectivité, on va perdre les avantages qu'on a déjà, c'est-à-dire avoir accès à l'électricité moins chère.

M. Godbout (Clément): Moi, je ne peux pas être en désaccord avec ce que vous dites, mais ce qu'on dit: Attention, pas trop vite, prenons le temps de regarder, faisons l'étude des enjeux puis regardons à quelle place la chatte doit mettre ses petits là-dedans.

M. Beaudet: Cela avait été prévu.

M. Godbout (Clément): Parce qu'on ne veut se ramasser au bout de la ligne gros Jean comme devant, là.

M. Beaudet: Les audiences avaient été prévues d'ailleurs dans le plan. L'article 164 ne répond pas à ça. Il y a une imposition de rapidité de déréglementation et de voir comment on va le faire.

M. Godbout (Clément): Je sais, c'est pour ça qu'on chiale.

M. Beaudet: Bon. Ça, ce n'est pas moi qui l'ai, elle est dans la loi. On peut bien se débattre puis dire: Bien, ce n'est pas six mois, ça va être six ans. Je pense qu'elle va être annexée, elle aussi, parce qu'il ne faudrait pas manquer le bateau, il part. Le train passe, il ne faut pas le regarder passer, parce que, encore une fois, on va manquer la parade.

M. Bakvis (Peter): Bien, si vous permettez, pour répondre à votre question: Quels sont les risques ou les pertes possibles? Enfin, on a qu'à lire – vous l'avez sûrement fait – la nouvelle politique énergétique du gouvernement, je pense que c'est autour des pages 55, 56. Enfin, on en a cité des extraits assez substantiels en page 12 de notre mémoire. On parle que l'ouverture pourrait affecter la santé financière d'Hydro-Québec, toucher indifféremment les consommateurs, qu'ils soient grands ou petits. C'est ce qu'on a constaté en Californie, d'ailleurs. Les grands consommateurs, ceux qui ont le pouvoir de négociation, s'en tirent très bien; les petits... On a posé des questions: Qu'est-ce qu'on fait avec les petits? Les gens nous répondaient: Bien, on va peut-être, dans quelques années, être obligé de reréglementer pour les petits, parce que ce n'est pas du tout évident qu'ils vont en tirer des avantages. Et on sait qu'au Québec on a quand même une politique tarifaire qui privilégie le secteur résidentiel et également les PME.

On mentionne aussi ce que M. Laviolette et M. Godbout ont mentionné, le risque que, si on offre aux entreprises concurrentes à l'extérieur du Québec un meilleur accès à l'électricité, c'est la compétitivité de notre industrie manufacturière qui peut en souffrir. Et, dernièrement, on a dit: Bien, ce n'est pas sûr non plus que l'ouverture des marchés ne va pas faire accroître le recours à des sources d'approvisionnement qui sont plus dommageables pour l'environnement. Les risques, ils sont même identifiés...

Une voix: Dans la politique.

M. Bakvis (Peter): ...comme des risques possibles dans la politique du gouvernement. Alors, c'est pour ça qu'on dit: Ne parlons pas des façons de déréglementer, parlons plutôt de l'opportunité de déréglementer. Ce n'est pas grand-chose, ce qu'on propose, finalement, c'est échanger un mot, permettre un délai raisonnable et stipuler qu'il y ait effectivement des audiences publiques, ce qui n'est pas obligatoire. Effectivement, c'est possible, mais ce n'est pas obligatoire là-dessus.

M. Beaudet: Une dernière question, s'il vous plaît, M. le Président. M. Godbout, vous avez mentionné tantôt, en page 7 de votre rapport... D'ailleurs, vous en parlez: il ne faudrait pas que... Les tarifs pourraient être justifiés pour l'utilisation d'une ressource non renouvelable si les impacts négatifs devaient être reflétés dans le prix. Hier soir, on a eu un groupe qui est venu nous parler, MM. Lefebvre et Neuman, qui nous ont justement dit: Si c'est une énergie qui est non renouvelable et polluante, puis qu'on la vend plus cher, puis que celui qui la produit reçoit plus d'argent, bien, on n'y gagne rien. C'est lui qui s'en va avec tout l'argent dans sa poche.

M. Godbout (Clément): Non, mais on a des réglementations qui entourent...

M. Beaudet: Bien, c'est ça. Alors, si jamais on vend l'énergie qui est polluante plus chère, il faudrait que la différence de prix n'aille pas à celui qui la produit mais aille au gouvernement, qu'il puisse au moins essayer de corriger les dommages faits à l'environnement.

M. Godbout (Clément): Cette phrase-là, nous, on s'inspire du rapport Brundtland, qui disait justement ceci: On devrait avoir une taxe pour le pollueur, qui sert à dépolluer.

M. Beaudet: D'accord.

M. Godbout (Clément): Et favoriser l'énergie...

M. Beaudet: Non polluante.

M. Godbout (Clément): ...non polluante.

M. Beaudet: O.K.

M. Godbout (Clément): Le développement durable.

(22 h 20)

M. Beaudet: D'accord, on se comprend.

M. Demers (Robert): Puis ce qu'on voulait également souligner, c'est la difficulté dans un contexte comme ça, quand on n'a pas les mêmes règles entre producteurs et distributeurs dans différentes régions en Amérique du Nord, quand on n'a pas les mêmes paramètres pour fixer des points de mérite ou de démérite. Quand on prend l'exemple d'une électricité produite à partir de charbon puis d'une électricité à partir de l'hydroélectricité, l'une qui vient du Québec puis l'autre qui vient des États-Unis, nous, notre ressource, ce n'est pas l'électricité, c'est l'eau. Puis l'électricité produite avec du charbon, la ressource, ce n'est pas l'électricité, c'est le charbon.

Comment on va faire pour faire de la planification intégrée des ressources sur une base intelligente dans un marché ouvert, faire de la planification intégrée des ressources dans le sens où on l'entend à la Table de consultation, et tout ça, avec des paramètres qui ne sont pas encore discutés, dans un marché qui va être ouvert, sans considération pour le type d'énergie consommée?

M. Beaudet: On n'est pas rendu à la cuisine, c'est-à-dire à déterminer le taux de taxe sur une énergie polluante qui est non renouvelable, mais, quand tu seras rendu là, il faudra qu'on le garde en mémoire de sorte qu'on puisse se faire un fonds pour corriger les dommages.

M. Demers (Robert): Quand on parle d'équité, de justice et de réciprocité, ça exige...

M. Beaudet: Ça doit être considéré.

M. Demers (Robert): ...ça demande des règles spéciales, communes et acceptées par les parties.

M. Beaudet: Bien d'accord.

M. Laviolette (Marc): Puis les États-Unis sont loin de là. Puis vous dites: On n'est pas rendu là. L'article 164 dit...

M. Beaudet: Six mois.

M. Laviolette (Marc): Dites-moi comment je peux faire. Donc, lui, il est rendu là. Tu comprends? Ça fait que...

M. Beaudet: On apprécie ça.

Le Président (M. Beaulne): Merci. Voilà! Malheureusement, tout le temps...

M. Laviolette (Marc): Il a un peu trop le gaz au fond.

M. Chevrette: ...sur le «cruise control».

Le Président (M. Beaulne): C'est malheureusement tout le temps que nous avons pour nos échanges avec vous; nous vous remercions. Et j'appelle maintenant les représentants du Centre Hélios et le Mouvement Au Courant à s'approcher de la table.

À l'ordre, s'il vous plaît! Nous allons débuter nos travaux. Je vous rappellerai que, puisque c'est une présentation conjointe de deux groupes, vous avez 15 minutes par groupe pour votre présentation et, par la suite, chaque formation politique aura 15 minutes pour vous interroger. Je ne sais pas quel groupe va commencer, mais vous pourrez vous identifier pour les fins de la transcription.


Mouvement Au Courant et Centre Hélios

Mme Castel (Daphna): Merci, M. le Président. Mon nom est Daphna Castel, je représente le Mouvement Au Courant. Je vais commencer, avec votre permission. M. le Président, nous tenons à vous remercier et à remercier tout particulièrement le ministre d'État aux Ressources naturelles, M. Guy Chevrette, d'avoir invité le Mouvement Au Courant à commenter le projet de loi n° 50. Si je procède avec mes commentaires, c'est parce que je pense qu'il y a encore des débats à faire sur les sujets qui viennent d'être discutés ici, à la table.

Au Courant a été fondé il y a maintenant sept ans afin de veiller à une mise en valeur durable des ressources naturelles et à la démocratisation du processus de planification et de décision. Nous sommes particulièrement impliqués dans le secteur énergétique, où nous intervenons de manière intensive, surtout dans le sous-secteur de l'électricité. C'est d'ailleurs pourquoi nos commentaires porteront principalement sur les aspects du projet de loi reliés à l'électricité.

Je vais faire des commentaires brefs d'ordre général et quelques recommandations. Notre mémoire n'est pas exhaustif, mais on avait décidé de toucher juste des questions qui, pour nous, sont d'importance particulière. Nous nous présentons ce soir devant vous en ayant des sentiments très partagés. Nous avons en effet travaillé intensivement au cours des ans afin de convaincre les gouvernements successifs et les différentes catégories de décideurs de l'importance de mettre en place une régie de l'énergie, une institution qui symbolise la volonté d'une société de prendre des décisions transparentes et équitables dans un secteur économique fortement monopolistique.

L'exercice des débats publics sur l'énergie, les rapports de la Table qui s'inspiraient, en particulier, de la politique progressiste et des institutions modernes dont la Colombie-Britannique s'est dotée, l'engagement du ministre Chevrette à endosser, à appliquer les recommandations de ces rapports nous avaient laissé espoir que le Québec allait finalement adopter une politique énergétique viable et mettre en place une régie ayant pour mandat de fonder des décisions sur des principes de développement durable: l'équité et la transparence. Nous sommes donc fortement déçus de la proposition de régie, en général, mais surtout des considérations qui la sous-tendent. Nous croyons qu'elle est vouée à l'échec.

Le projet de loi contient bien sûr d'excellentes propositions: l'élargissement de l'actuelle Régie du gaz naturel, un cadre de référence qui s'appuie sur le principe de développement durable et la planification intégrée des ressources, ainsi qu'un pouvoir de détermination de la plupart des tarifs. Dans d'autres circonstances, nous nous serions réjouis. Cependant, quand on examine ce projet de loi à la lumière, en particulier, de la réorganisation d'Hydro-Québec et de la nouvelle politique énergétique, nous ne pouvons faire autrement que de conclure qu'à toutes fins pratiques cette consultation nous apparaît, avec tout le respect que nous devons à la commission, futile.

Il est en effet évident que les règles du jeu de l'énergie sont déjà arrêtées. Or, la proposition publique de régie est illogique et même incompatible avec les règles du jeu déjà établies. Ça ne peut pas fonctionner. Une régie de l'énergie a pour objet d'appliquer les aspects d'une politique énergétique qui lui sont confiés et, en particulier, d'utiliser les mécanismes régulateurs nécessaires dans l'intérêt public. Or, tout dans les déclarations du premier ministre de la nouvelle politique énergétique et dans le projet de loi révèle la volonté ferme de favoriser le libre commerce de l'énergie et, en particulier, de l'exportation de l'électricité en déréglementant et en privatisant des activités énergétiques qui seraient soustraites à la Régie.

(22 h 30)

Cette stratégie représente en fait une mise à jour néolibérale de la politique «L'énergie, force motrice du développement économique». On espère que la brochette des nouveaux joueurs, placés en situation de concurrence et autorisés à produire et à vendre de l'électricité, donneront l'apparence de contribuer à la relance de l'économie. Dans ces conditions, la Régie pourrait être limitée à faire de la figuration – si vous permettez l'anglais «window dressing» – tout en préparant sa retraite du secteur, tel que lui dicte le projet de loi.

Dans cette perspective, ce serait le marché nord-américain qui déciderait du rythme et de la nature du développement électrique, d'une partie de développement régional, de l'affectation des rivières du Québec et du niveau de pollution atmosphérique supplémentaire que la population devrait subir afin de rassasier le milieu des affaires.

La véritable question est donc de savoir: Pourquoi adopte-t-on de nouvelles règles du jeu qui favorisent la production électrique alors que le Québec en particulier et le Nord-Est en général nagent dans la surcapacité?

On nous dit que le développement et l'exportation d'électricité sont prioritaires car ils représentent des investissements, du développement régional, de la création d'emplois et une source de profits. J'aimerais ajouter ici que, après à peu près 130 jours d'audiences de la commission Doyon, on n'a pas encore vu d'évidence de développement régional, mais on a vu de l'évidence d'absence de développement régional. Alors, compte tenu de l'historique du développement électrique au Québec – par cela, je voudrais dire le fait qu'il n'a pas su nous enrichir – il y a lieu d'être sceptique. C'est peut-être la stratégie la plus avantageuse pour un gouvernement qui cherche à produire des résultats économiques immédiats. Il est cependant absolument impensable que le gouvernement du Parti québécois songe à revenir à l'approche duplessiste de développement économique. La société n'a pas à en payer le prix, encore une fois, pendant des générations. Il est donc essentiel que cette stratégie soit soumise à un rigoureux examen public afin d'en établir les coûts et les bénéfices à long terme pour le Québec.

Ne serait-il pas sage dans cette perspective d'inscrire dans la loi de la Régie la responsabilité d'évaluer les coûts et les bénéfices sociaux du développement tous azimuts de l'électricité comme stratégie de développement économique, de lui confier le mandat de définir les paramètres sociaux, économiques et environnementaux de long terme qui devraient encadrer le développement électrique et l'exportation à court, moyen et long terme, de lui demander de déterminer le rôle et les incidences de la production privée sur le marché de l'électricité au Québec et en particulier pour Hydro-Québec? Les conclusions et recommandations de la Régie pourraient alors guider le gouvernement sur les mérites relatifs de la privatisation de l'exportation et de la contribution de la Régie même sur ces questions déterminantes.

J'aurais quelques recommandations à proposer. Il nous apparaît absolument primordial que le principe d'un cadre uniforme et universel – encore, excusez l'anglais, «level playing field» – auquel seraient soumis tous les acteurs, de la production à la vente d'électricité, constitue le fondement même du fonctionnement du système énergétique. Les agents économiques, qu'ils soient du secteur public ou du secteur privé, doivent être assujettis aux mêmes règles et aux mêmes modalités de fonctionnement. L'équité et la simple cohérence l'exigent. Il ne peut y avoir deux types de règlement sur la même patinoire.

Une première recommandation: le gouvernement ne devrait autoriser aucun nouveau développement électrique ni aucun renouvellement de contrat de vente d'électricité sans que ces projets aient été soumis à un processus formel de justification sociale sous l'autorité de la Régie. D'ailleurs, une des principales tâches de la Régie devrait être d'établir, d'une part, la valeur sociétale réelle de long terme des forces hydrauliques et, d'autre part, la contribution réelle du développement électrique au développement du Québec en général et au développement des régions en particulier.

2. L'ajout de production thermique d'électricité, alimentée par les énergies fossiles, y inclus la cogénération, devrait être défendu, à moins de circonstances exceptionnelles.

3. Aucune nouvelle autorisation de production ou de vente d'électricité à l'étranger ne devrait être autorisée, à moins qu'un contrat ferme entre les parties ait été passé. Ceci a pour but d'éviter que les promoteurs de toutes sortes tentent d'obtenir et de mettre en banque des autorisations de produire pour usage futur.

4. Tout projet d'investissement de production électrique qui pourrait avoir comme résultat de rendre non économiques des équipements actuels de production et, conséquemment, de générer des coûts incompressibles devrait faire l'objet d'un examen attentif.

5. La Régie devrait adopter les moyens nécessaires, probablement l'utilisation de tarifs modulés dans le temps et basés sur les coûts marginaux de long terme, afin de faire en sorte que les objectifs de conservation et d'efficacité énergétique ne restent pas lettre morte comme d'habitude.

6. La Régie devrait avoir la responsabilité d'établir les modalités d'élimination de l'interfinancement qui sera supporté presque exclusivement par les clientèles maintenant captives, dû aux politiques des gouvernements successifs et d'Hydro-Québec. Leur capacité de payer et l'équité de la mesure devraient être évaluées attentivement.

En conclusion, on ne peut que souhaiter la meilleure des chances à la Régie, en espérant qu'on ne la limitera pas à jouer le rôle de rassurer les citoyennes et citoyens du Québec sur les avantages et l'équité des nouvelles règles du jeu mises en place dans le secteur énergétique au profit de ceux qui peuvent en tirer avantage à court terme. Les pouvoirs et les moyens qui seront accordés à la Régie indiqueront clairement si nous continuerons à nous enliser comme société dans des stratégies tiers-mondistes ou si nous avons véritablement la volonté d'adopter des politiques et de mettre en place des institutions qui nous renforceront véritablement. Je vous remercie.

Le Président (M. Beaulne): Je vous remercie. Alors, maintenant, je cède la parole aux représentants du groupe Hélios.

M. Dunsky (Philippe): Merci, M. le Président. Je me présente rapidement, Philippe Dunsky, directeur du Centre Hélios; mon collègue, à ma gauche – à votre droite – M. Philip Raphals, directeur adjoint.

Je vais d'abord vous parler rapidement de certains enjeux majeurs, de certains éléments les plus importants que nous avons soulignés dans notre mémoire, que, je pense, vous avez tous reçu.

Une voix: On ne l'a pas.

M. Dunsky (Philippe): Vous ne l'avez pas?

M. Chevrette: Oui, oui, je l'ai.

Une voix: On l'a reçu.

M. Dunsky (Philippe): Vous l'avez reçu. Alors, si vous l'avez reçu... Sinon, on a plusieurs...

Le Président (M. Beaulne): Le mémoire a été envoyé au bureau des députés.

M. Dunsky (Philippe): Je voudrais donc procéder, puisque le temps coule.

Nous avons procédé, comme vous avez pu voir dans le mémoire qu'on vous a soumis, à une analyse assez exhaustive du projet de loi n° 50. Dans un premier temps, et on veut être assez clairs là-dessus, on est heureux d'appuyer l'esprit de ce projet de loi qu'on considère historique, qu'on considère d'une importance primordiale pour l'avenir énergétique du Québec. On appuie l'esprit qui était derrière la rédaction de cette loi, comme l'esprit qui était derrière la rédaction de la politique énergétique.

(22 h 40)

Et avec tout appui vient, bien sûr, un conditionnel, et le conditionnel, c'est le «par contre»; «par contre», parce qu'on a identifié toutefois des lacunes, certaines lacunes importantes même, des lacunes qui risquent de remettre en cause même les objectifs que nous partageons, que le gouvernement essaie de nous donner, au secteur énergétique du Québec. Je vais donc commencer par vous entretenir de trois de ces éléments ou trois de ces lacunes-là et je vais laisser mon collègue vous parler d'autres.

Les trois dont je vais vous parler concernent la déréglementation, bien sûr, la mission de la Régie de l'énergie et, enfin, l'efficacité énergétique. Et pour commencer avec la déréglementation, je pense qu'il faut d'abord souligner ou faire un rappel, un rappel des objectifs qui viennent du rapport du débat public sur l'énergie et un rappel des objectifs qui sortent clairement de la politique énergétique du Québec qui a été déposée récemment. Et ces objectifs, pour les résumer rapidement, tournent autour d'un objectif de minimiser l'ensemble des coûts et l'ensemble des risques économiques, sociaux et environnementaux pour la société québécoise. Et le moyen qui est privilégié par la politique comme par le rapport du débat sur l'énergie s'appelle la planification intégrée des ressources, comme moyen. Or, il faut le dire, la déréglementation peut remettre en cause, remet en cause bon nombre de ces objectifs-là, remet en cause la capacité même d'atteindre l'objectif de minimiser les coûts, économiques, sociaux, environnementaux, pour l'ensemble de la société.

Cela étant dit, il faut également distinguer, je pense, les fins des moyens. La planification intégrée des ressources est un moyen pour arriver aux fins de minimiser les coûts de tous ordres à la société. La déréglementation remet en cause ces objectifs-là, mais, par contre, peut être modifiée, peut être faite de façon à garantir ces mêmes objectifs là. On veut le souligner, parce que la politique énergétique le souligne, et la politique énergétique, je pense, avec éloquence, souligne notamment, aux pages 55 et 56, je crois, la nécessité qu'advenant toute déréglementation du secteur de l'énergie au Québec le Québec puisse toujours protéger ces objectifs-là: assurer la réalisation des grands potentiels d'efficacité énergétique sur le territoire du Québec, assurer le développement futur de nouvelles filières d'énergie renouvelable, la recherche-développement et la protection des plus démunis. Et ce sont ces enjeux-là ou ces objectifs-là qui sont remis en cause par la déréglementation, à moins qu'on ne prévoie pas des mécanismes correctifs, si je peux dire.

Très rapidement, en ce qui concerne l'efficacité énergétique. Pour faire de l'efficacité énergétique via la planification intégrée des ressources, ça prend une planification centrale. Or, la déréglementation permet une concurrence, bien sûr, on le sait, tout dépendant du modèle de déréglementation dont on parle... peut permettre un pool, la gestion par un pool, ou peut permettre la concurrence libre au marché du détail. Il y a un ensemble de possibilités qui sont ouvertes. Mais la déréglementation remet en cause la capacité d'atteindre les objectifs en matière d'efficacité énergétique qui représentent des bénéfices de plusieurs milliards de dollars pour le Québec. C'est la même chose pour les énergies renouvelables, comme pour la recherche-développement.

Nous proposons donc, dans le cadre du projet de loi, d'ajouter un article, après l'article 164, qui offrirait des garanties à la population, parce qu'on le voit, on l'a vu tantôt, puis, je pense, on le voit depuis quelques semaines, la déréglementation soulève beaucoup de soucis, beaucoup de craintes dans la population dans son ensemble. Comme j'ai dit tantôt, nous n'avons pas de problème de fond, mais il faut garantir qu'il y ait des mécanismes qui vont protéger ces objectifs-là, et ça, ça peut se faire par l'ajout d'un article 164. Je vois que mon temps coule plus rapidement que j'avais prévu.

Je vais donc vous parler dans un deuxième temps de la mission de la Régie de l'énergie. La mission actuellement... je pense que l'esprit qui a guidé la rédaction de la Régie, comme je l'ai dit tantôt... la rédaction est la bonne et suit les recommandations du rapport de la Table de consultation. Par contre, le libellé même ou la terminologie même qui est utilisée dans le cadre de la mission de la Régie est insuffisante. On parle de prendre en considération des impacts ou des préoccupations, par contre, environnementales et sociales, alors qu'on devra, dans le cadre de la planification intégrée des ressources, qui est l'approche préconisée par le gouvernement, parler d'un mandat de minimiser les coûts et les risques économiques, environnementaux et sociaux. Et je ne veux pas avoir l'air de parler de question de jeux de mots, mais ces jeux de mots sont d'une importance primordiale et le deviendront surtout plus tard, lorsque les débats se feront devant la Régie et que les gens auront à interpréter des notions comme «tenir compte de préoccupations», ou plutôt, ce que nous proposons, «minimiser l'ensemble des coûts». Et cette modification-là est essentielle pour garantir encore les objectifs que nous croyons que le gouvernement essaie de mettre de l'avant.

En troisième lieu, juste avant de terminer, permettez-moi aussi de parler rapidement de l'efficacité énergétique qui, je pense encore... Il y a eu un excellent effort dans le projet de loi pour traiter de cette question de l'efficacité énergétique. Par contre, il y a certaines modifications qui nous paraissent essentielles pour garantir surtout qu'il n'y ait pas de discrimination envers les options d'efficacité énergétique en faveur des options du côté de la production. Et toutes ces modifications, bien sûr, se retrouvent dans notre mémoire, et on pourrait en discuter davantage.

Je vais demander à mon collègue, M. Raphals, de vous entretenir davantage sur d'autres questions.

M. Raphals (Philip): Bonsoir. M. le ministre, M. le Président, messieurs, mesdames, j'aimerais prendre cette opportunité pour parler de quelques autres aspects du projet de loi n° 50. Je vais parler surtout en termes généraux, mais nous avons des propositions concrètes dans notre mémoire que vous avez.

J'aimerais d'abord vous parler du rôle du public dans les travaux de la Régie. Le projet de loi n° 50 vise évidemment à favoriser la participation du public. Cependant, ce projet de loi permet que la Régie exerce plusieurs de ses pouvoirs sans nécessairement impliquer le public. Par exemple, la Régie conserve une grande discrétion quant à la tenue des audiences publiques. Elle n'est pas obligée d'en tenir avant d'émettre des règlements ou avant d'approuver les plans de ressources, la construction de nouvelles centrales, des contrats d'exportation ou même avant de déréglementer la production d'électricité, comme prévu à l'article 164. À notre avis, la tenue d'audiences publiques devra être rendue obligatoire dans toutes ces situations. De la même façon, nous croyons que l'article 71 devait être amendé pour préciser que les plans de ressources devront être rédigés à la suite d'une consultation avec le public et selon des méthodologies déterminées par la Régie.

En parlant des plans de ressources, il y a à notre avis un lien qui devrait être fait entre ces plans et les demandes éventuelles d'autorisation pour la construction de centrales. Afin de s'assurer que tout projet autorisé par la Régie fait partie d'un plan qui minimise les coûts et les risques pour la société québécoise, la loi devrait préciser qu'aucune demande d'autorisation pour une nouvelle centrale ne peut être soumise à la Régie si le projet en question ne fait pas déjà partie d'un plan de ressources déjà approuvé. Autrement, la Régie n'aurait pas les moyens de s'assurer que tout développement énergétique sert à l'intérêt public.

Dans le même ordre d'idées, nous sommes laissés perplexes par le fait que les producteurs privés ne sont pas soumis directement à la juridiction de la Régie. À notre avis, cela ne reflète pas le consensus dégagé par le débat public sur l'énergie en faveur d'une réglementation qui inclut toutes les formes d'énergie et toutes les filières de production. La raison d'être d'une telle réglementation est d'assurer que seulement les développements énergétiques qui servent l'intérêt public sont autorisés et requiert que toute nouvelle centrale soit jugée sur ce même critère et non seulement celui d'Hydro-Québec.

Par ailleurs, ce nouveau contexte de transit vers les marchés d'exportation crée d'autres raisons encore pour soumettre des producteurs privés à la réglementation. Sinon, le résultat sera de placer Hydro-Québec dans une position concurrentielle désavantageuse. Hydro-Québec a invoqué cet argument dans le mémoire qu'elle vous a présenté hier pour réclamer que la production d'électricité soit carrément exclue de la juridiction de la Régie. L'exclusion des producteurs privés nous amènerait donc inévitablement à la déréglementation de toute la production, ce qui va directement à l'encontre des voeux des Québécois tels qu'ils les ont exprimés au débat public.

L'on pourrait faire l'argument qu'une telle réglementation serait redondante avec le régime d'évaluation environnementale qui s'applique toujours aux projets privés. Mais, à notre avis, ce n'est pas suffisant. La Loi sur la qualité de l'environnement exige que tout projet requière un certificat d'autorisation et indique la nature du processus qui devrait être suivi. Cependant, la loi ne précise pas selon quels critères un projet devrait être autorisé ou non. Elle n'exige pas un arbitrage entre les coûts et les bénéfices d'un projet de la perspective sociétale et donc ne peut pas en soi garantir que les projets autorisés servent à l'intérêt public. Bien sûr, on pourrait songer à amender la loi à cet effet, mais il serait à notre avis plus logique de donner cette responsabilité à la Régie, qui est mieux adaptée pour faire ce genre d'arbitrage qui est d'ailleurs tout à fait semblable à celui qu'elle fera déjà en analysant les plans de ressources.

On peut remarquer, comme le fait Hydro-Québec d'ailleurs dans son mémoire, qu'aux États-Unis la concurrence commerciale est souvent jugée en contrôle suffisant pour la production. Or, même si une concordance réelle pouvait s'établir dans la production d'électricité au Québec, ce qui n'est pas du tout évident, elle seule ne permettrait nullement d'atteindre les objectifs de la protection de l'environnement et des communautés humaines. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'aux États-Unis, justement, c'est la FERC, une régie fédérale quasi judiciaire qui a le mandat d'autoriser tout projet hydroélectrique. Qui plus est, la loi gouvernant la FERC stipule précisément qu'avant d'autoriser tout projet hydraulique, la FERC doit se satisfaire que le projet soit dans l'intérêt public et que d'autres valeurs, comme la conservation de l'énergie, la protection des habitats et d'autres aspects de la qualité de l'environnement reçoivent une considération équivalente.

(22 h 50)

Bref, avant de pouvoir se passer d'une réglementation de la production même pour les producteurs privés, il faudra réviser en profondeur la Loi sur la qualité de l'environnement.

Permettez-moi maintenant de vous parler des exportations. Le régime proposé dans la loi n° 50 n'est pas adéquat pour assurer qu'à l'avenir ces exportations répondent toujours à l'intérêt public. D'abord, le nouveau régime est extrêmement complexe et il risque fort de mener à la confusion, voire à l'impossibilité de le mettre en application de façon cohérente. En plus, ce régime comporte plusieurs éléments discrétionnaires au point de rendre difficile tout jugement concernant la nature d'autorisation requise pour un contrat donné.

Qui plus est, ce régime ne s'applique qu'à l'électricité de source hydraulique et donc exclut de la juridiction de la Régie toute exportation d'énergie thermique. Cette particularité est créée par l'article 1 de la loi sur les exportations, qui se base sur les baux et cessions de droits hydrauliques. À notre avis, rien ne justifie que les exportations d'électricité produite par les centrales thermiques ne soient pas traitées de la même façon.

Nous savons tous que les marchés d'électricité subissent une transformation sans précédent. Or, le régime doit s'adapter à cette nouvelle réalité. Dans les cas des nouveaux... par exemple, des échanges se feront probablement sans que les contrats soient signés en avance. La Régie ne serait donc pas appelée à approuver ces exportations. Pour éviter une telle échappatoire et aussi pour favoriser la participation à de nouveaux marchés, la Régie devrait avoir le pouvoir de fixer des balises de quantité et de prix à l'intérieur desquelles le producteur serait libre de vendre son énergie à son gré, avec vérification post factum.

La façon la plus élégante de faire tous ces changements que nous souhaitons voir sur le dossier exportations serait carrément d'abroger la loi sur les exportations tout en intégrant ses dispositions à la Loi sur la Régie. Cependant, nous croyons qu'à cette date tardive ce n'est pas réaliste. Nous proposons donc d'ajouter une phrase à l'article 1 de la loi sur les exportations pour la faire appliquer à toutes les filières et d'amender l'article 6 de la même loi pour donner à la Régie la responsabilité d'autoriser tout contrat d'exportation hors du Québec.

Il me reste malheureusement très peu de temps. Dans notre mémoire, nous avons aussi traité d'autres sujets, tels la réglementation des réseaux municipaux et privés, la sélection des régisseurs, les directives du gouvernement, la tarification, etc. Nous avons également proposé des modifications précises sur 24 articles du projet de loi ainsi que deux articles nouveaux. Nous espérons donc que vous garderez notre mémoire à la portée de vos mains lorsque vous procéderez à la lecture détaillée du projet de loi n° 50.

Nous vous remercions encore pour nous avoir accordé l'opportunité de nous adresser sur ce projet de loi historique et nous accueillons vos questions sur ces propos ou, bien sûr, sur d'autres éléments traités dans notre mémoire. Merci.

Le Président (M. Beaulne): Je vous remercie. Je cède la parole au ministre des Ressources naturelles.

M. Chevrette: Oui, je vais m'adresser à Mme Castel d'abord. J'ai quatre questions, c'est-à-dire au moins deux commentaires. Premièrement, vous dites, à la page 2, premier paragraphe, en haut: «Nous croyons qu'elle est vouée à l'échec», en parlant de la place de la Régie. Pourquoi?

Mme Castel (Daphna): On pense qu'il est impossible pour une régie de fonctionner d'une façon efficace dans un monde énergétique qui est divisé entre une partie qui est réglementée publique et une partie qui est privée et non réglementée. On pense qu'une régie peut fonctionner avec une règle du jeu qui s'applique d'une façon équitable mais égale à tous les joueurs. C'est la condition essentielle au potentiel de succès de travail d'une régie. Les circonstances qui vont être créées en donnant aux parties privées la liberté d'agir sans être réglementées vont peut-être faire en sorte que la partie réglementée sera en compétition inégale, et les conditions vont faire en sorte que soit le règlement va tomber, soit que la partie, comme Hydro-Québec, va être désavantagée.

M. Chevrette: Mais en quoi pouvez-vous affirmer que le privé est complètement déréglementé, alors qu'il est soumis à toutes les études environnementales du BAPE, alors qu'il doit obtenir les droits hydrauliques d'Hydro, si c'est un projet hydroélectrique... du ministère, je veux dire, pas d'Hydro, alors qu'il est soumis au tarif de transit parce que c'est pour l'ouverture aux marchés externes? Comment pouvez-vous affirmer noir sur blanc qu'il n'y a aucune réglementation?

Mme Castel (Daphna): Je peux vous fournir un exemple. L'application de la planification intégrée des ressources, par exemple, qui fait partie intégrante de l'approche réglementaire, c'est une approche intégrale, et le mot même le dit: la planification intégrée des ressources. Et, dans cette approche...

(Consultation)

M. Chevrette: Excusez, madame.

Mme Castel (Daphna): Oui, certainement.

M. Chevrette: Mais je me suis retrouvé.

Mme Castel (Daphna): Je voulais vous apporter l'exemple de la planification intégrée des ressources comme un élément qui ne gère pas la production privée mais qui fait partie de la gestion publique. Dans cette approche, on prend en considération les coûts sociaux et les impacts à long terme, tandis que les exigences sur la production privée sont de nature beaucoup plus limitée et ne sont pas du tout l'équivalent de l'approche planification intégrée des ressources.

Aussi, le privé, en ayant l'opportunité de développer, à condition, bien sûr, qu'il passe les impacts environnementaux...

M. Chevrette: Mais, par l'article 71 du projet de loi, qui parle du plan des ressources, qui donne suite à la page 68 de l'approche retenue par la Table, et, dans la politique énergétique, à la page 23, on parle précisément... recommande de demander à la table de l'énergie... Comment pouvez-vous affirmer qu'il n'y a rien sur le plan intégré des ressources?

Mme Castel (Daphna): Ce n'est pas qu'il n'y a rien, c'est que ce n'est pas l'équivalent et ce n'est pas de la même rigueur ou de la même dimension. Je pense que, pour être efficace, une régie devrait pouvoir planifier et gérer l'ensemble de la production en allant jusqu'aux ventes d'électricité. Si elle essaie de le faire en partie, elle va se trouver dans une situation de compétition, c'est inévitable et, dans ce cas-là, elle ne pourra pas fonctionner d'une façon efficace.

M. Chevrette: D'accord.

Mme Castel (Daphna): Et, à un moment donné, elle arrivera à un choix, soit d'autodestruction ou d'étendre ses pouvoirs d'une façon plus large.

M. Chevrette: Au paragraphe 4: «Il est en effet évident que les règles du jeu de l'énergie sont déjà arrêtées.» Pourriez-vous me les faire connaître?

Mme Castel (Daphna): Encore une fois, en donnant cette opportunité à la production privée de faire la compétition avec Hydro-Québec du côté de la production jusqu'à 50 MW et du côté de la vente à l'exportation, on a ouvert le marché électrique, au Québec, au secteur privé. À mon avis, on fait beaucoup plus de la privatisation qu'on ne fait de la déréglementation, parce que, en effet, on n'a pas eu vraiment beaucoup de réglementation encore. Ce qui distingue les actions présentes du gouvernement, c'est qu'on permet au secteur privé de jouer un rôle beaucoup plus important dans le champ qui était réservé à Hydro-Québec auparavant, et c'est ça, les règles de jeu actuelles: on ouvre le marché d'électricité à la production privée et à la compétition, on cherche les règles du marché... ce qui est la pensée néolibérale à laquelle on fait référence un petit peu plus loin. On pense de solutionner ou de créer de l'activité économique basée sur une compétition entre producteurs, mais on n'a pas démontré que la production électrique favorise le développement économique au Québec.

M. Chevrette: Bien sûr. Au paragraphe 5, vous dites: «...en privatisant des activités énergétiques». Pourriez-vous me nommer les activités énergétiques que l'on privatise?

Mme Castel (Daphna): Comme je viens de le mentionner, la permission aux producteurs privés d'avoir accès, exclusif même, au potentiel de 50 MW et moins, d'un côté...

M. Chevrette: Vous étiez dans la salle quand je l'ai expliqué, tantôt, madame?

Mme Castel (Daphna): Oui, M. le ministre.

(23 heures)

M. Chevrette: Vous vous rappellerez, je l'ai expliqué à la CSN et à la FTQ. Puis, quand je parle de la politique énergétique, c'est pour faire reconnaître des retombées économiques sur les populations locales pour fins de développement économique. Si vous avez tout basé votre argumentaire sur l'ancien programme qui était affecté à du privé-privé, c'est votre choix, mais, quand vous affirmez quelque chose... Puis vous saviez très bien ce que j'ai dit lors de la présentation de la politique énergétique là-dessus...

Mme Castel (Daphna): Oui.

M. Chevrette: ...Hydro-Québec n'exploitait même pas les projets de 25 MW et moins antérieurement. Il y a très peu de projets entre 25 MW et 50 MW. On a mis 50 MW. Point final. Vous semblez faire un drame avec ça, alors que c'est voulu par toutes les régions du Québec, toutes les communautés locales. Je viens même, avec les autochtones... Parce qu'à un moment donné je ne sais plus sur quel pied danser: vous défendez les autochtones dans l'utilisation de leurs ressources, on leur trouve une porte de sortie, ça ne marche plus le lendemain. «Y pourrait-u» y avoir de temps en temps, au lieu de beaucoup d'entourloupettes dans vos positions, là, y avoir une ligne droite de temps en temps pour savoir où vous vous en allez?

Mme Castel (Daphna): Mais je pense, M. Chevrette, qu'on défend toujours la même ligne. Cette ligne...

M. Chevrette: Oui? J'ai bien de la misère à vous suivre, d'abord.

Mme Castel (Daphna): Bon. J'aimerais juste établir que, pour nous, l'importance, c'est de démontrer qu'il y a un véritable gain économique et social pour le Québec en développant ses ressources électriques. On prétend que la démonstration n'a pas été faite pendant le débat public sur l'énergie et n'a pas été faite aux audiences de la commission Doyon. On n'a pas vu d'évidence de développement économique. On comprend que les municipalités aimeraient avoir la capacité de développer des projets hydroélectriques, mais sans savoir si c'est au bénéfice, au total, à long terme, de la communauté. On propose que cette question soit posée avant qu'on aille de l'avant avec...

M. Chevrette: Prenez le paragraphe 7. Vous dites que c'est les Américains qui vont classer nos rivières.

Mme Castel (Daphna): Oui.

M. Chevrette: Bonne mère du ciel! c'est en toutes lettres dans la politique que c'est les milieux, les régions qui vont être mis à contribution, les communautés autochtones peut-être de façon spécifique. C'est rendu que c'est les Américains qui vont affecter nos rivières!

Mme Castel (Daphna): S'ils trouvent marché aux...

M. Chevrette: Bonyeu!

Mme Castel (Daphna): S'ils trouvent marché aux États-Unis, ils vont être incités à faire ce développement, mais à quel...

M. Chevrette: Bien oui, mais, si on a classé rivière patrimoniale, madame... Je veux bien qu'on en mette dans la balance, je veux bien qu'on charrie un tantinet, qu'on utilise le mot «hyperbole» pour venir à bout d'atteindre la vérité, mais là c'est franchement trop!

Mme Castel (Daphna): M. Chevrette, à quel prix est-ce qu'on développe les rivières pour vendre la capacité aux États-Unis? Est-ce que la vente par Hydro-Québec à 0,018 $ ou 0,02 $ le kWh aux États-Unis a un impact sur les rendements moins intéressants du côté financier d'Hydro-Québec? Est-ce qu'on va se trouver avec la même problématique dans le contexte de la production privée, qu'elle soit municipale ou privée-privée?

M. Chevrette: Mais qu'est-ce que vous nous dites, là? Vous nous dites: Si tu n'as pas de contrat ferme avec les États-Unis, tu ne peux pas vendre?

Mme Castel (Daphna): Mais il ne faudra pas...

M. Chevrette: Vous dites ça, hein? L'année passée, si on n'avait pas vendu sur le «spot market» les surplus énergétiques qu'on a, qu'est-ce qu'on aurait fait avec le 600 000 000 $ qu'on a vendu? Pensez-y un petit peu, là. On est pris avec des surplus, il y a une conjoncture. On n'aurait pas vendu 600 000 000 $. Au lieu d'avoir quelque 300 000 000 $ de bénéfices nets, on serait 300 000 000 $ dans le trou. Pensez-vous que ça se défend, ça, une affaire de même?

Mme Castel (Daphna): Mais, justement, si on avait une régie de l'énergie, si on avait eu la planification intégrée des ressources il y a cinq ans, on n'aurait pas été pris avec des surplus.

M. Chevrette: Je ne vous ai pas demandé de venir ici ce soir, madame, pour nous parler d'il y a cinq ans.

Mme Castel (Daphna): Non. Mais je veux...

M. Chevrette: Je vous parle d'une politique énergétique du futur puis d'un projet de loi qui est devant nous, puis...

Mme Castel (Daphna): Mais il n'y a rien à gagner.

M. Chevrette: ...vous jugez le passé.

Mme Castel (Daphna): On perd de l'argent en vendant de l'électricité à moins de 0,02 $ le kWh. Si on la vend à l'exportation ou aux alumineries, ça revient au même, on perd de l'argent.

M. Chevrette: Mme Castel, Mme Castel, arrêtez 30 secondes et on va se comprendre; 30 secondes. Si je ne la vends pas sur le «spot market» à 0,02 $ puis que ça dort ici, où ça va? Dans la nature?

Mme Castel (Daphna): Mais il ne faut pas créer des conditions pour en rajouter dans l'avenir. On est pris avec la réalité, mais il faut faire en sorte qu'il n'y aura plus de surplus de cette taille dans l'avenir. Qu'on réglemente et qu'il y ait une régie pour s'assurer que cet effet n'arrive pas encore une fois, comme c'est arrivé plusieurs fois dans le passé. C'est ça, la valeur d'une réglementation.

M. Chevrette: Les pouvoirs de la Régie sont les suivants: fixer ou modifier les tarifs d'électricité et de gaz; approuver les plans de ressources des distributeurs; autoriser les projets des distributeurs et les exportations d'électricité; assurer une meilleure utilisation de l'énergie par une planification intégrant les préoccupations sociales, économiques, environnementales; surveiller, enquêter les prix de la vapeur et des produits pétroliers; fixer annuellement un montant... Vous parlez de décence, etc.

Mme Castel (Daphna): Mais c'est excellent, M. Chevrette.

M. Chevrette: Et là vous écrivez, à la dernière page, à l'avant-dernière page – là j'ai marqué à côté de ça: Franchement! – : «Il est cependant absolument impensable que le gouvernement du Parti québécois songe à revenir à l'approche duplessiste du développement économique.» Franchement! Je répète ce que j'ai écrit en marge.

Mme Castel (Daphna): M. Chevrette, c'est la question de vendre nos ressources à bas prix sans tenir compte des effets sociaux, environnementaux, économiques à long terme qui nous concerne. Et c'est pour ça qu'on trouve que les pouvoirs et les responsabilités donnés à la Régie sont excellents. On aimerait qu'ils soient étendus à toute la production énergétique et qu'ils durent, qu'ils ne soient pas terminés dans un proche avenir.

M. Chevrette: Trois questions rapides, parce qu'ils vont le faire, eux autres. À la page 5 de votre mémoire, le groupe Hélios, vous mentionnez notamment que le régime touchant les exportations décrit dans le projet de loi n'est pas bien adapté aux marchés qui s'ouvrent aux États-Unis. J'aimerais que vous puissiez m'expliciter un peu cette affirmation.

La deuxième, je suis aussi bien de vous la donner, et prenez-la en note parce que je ne veux pas empiéter trop sur le temps des autres, ils ont été très gentils toute la journée et je veux finir gentiment...

M. Dunsky (Philippe): Je vais demander à M. Raphals de...

M. Chevrette: Vous évoquez, toujours à la page 5, le consensus du débat public sur l'énergie en faveur d'une réglementation de toute la production d'électricité au Québec. J'aimerais savoir de quelle façon, à votre avis, la Régie devrait-elle aborder la question de la production privée destinée à l'exportation, par rapport à la production d'électricité destinée au marché québécois.

Et la dernière, c'est à la page 10. Vous rappelez que la British Columbia Utilities Commission a tenu un processus public sur la question de la déréglementation en 1995. Pourriez-vous me résumer les résultats?

M. Dunsky (Philippe): Tout à fait. Je vais demander à M. Raphals de répondre aux deux premières questions et j'arriverai donc avec les réponses à la troisième.

M. Raphals (Philip): Oui, notre commentaire sur la difficulté d'adaptation aux nouveaux marchés était surtout en considération des pools ou des bourses qui sont en train de s'établir dans l'État de New York, par exemple au Massachusetts et ailleurs, où on peut difficilement parler de contrats d'exportation; il y a des offres et des achats qui se font à un rythme quotidien. Et donc, si la Régie doit avoir une responsabilité sur ces ventes, ça doit être post facto. Donc, l'idée de donner à la Régie ou même au gouvernement un contrôle sur les contrats d'exportation s'adapte difficilement, à notre avis, à ces ventes, aux bourses.

La même chose est vraie aussi, dans un sens un peu différent, pour les ventes sur les marchés de détail aux États-Unis, où on parle de contrats, mais de contrats d'abord de caractère privé, confidentiel, et souvent de petites quantités. Et donc, il serait de la même façon difficile selon nous de voir comment la Régie ou le gouvernement pourrait exercer une juridiction sur ces ventes.

M. Chevrette: La deuxième?

M. Raphals (Philip): Pouvez-vous répéter la question?

M. Chevrette: C'est: De quelle façon, à votre avis, la Régie devrait-elle aborder la question de la production privée destinée à l'exportation, par rapport à la production de l'électricité destinée au marché québécois?

M. Raphals (Philip): D'abord, nous croyons que la responsabilité de la Régie d'autoriser toute construction de centrale, qui est prévue à l'article 72, je pense, pour les distributeurs, devrait aussi s'appliquer pour les producteurs privés, c'est-à-dire que toute nouvelle centrale a besoin d'une approbation de la Régie. Maintenant, pour le distributeur, c'est la problématique de minimiser les coûts économiques, sociaux et environnementaux pour alimenter les vrais besoins des Québécois. Pour l'exportation, la problématique change un petit peu, mais, quand même, il y a l'équilibrage entre les coûts économiques, sociaux et environnementaux d'un projet contre les bénéfices de la société. Donc, nous croyons que la Régie devrait avoir le mandat de faire ce genre de réflexion. Par exemple, pour un projet donné, si on juge que les coûts environnementaux sont assez élevés et que les bénéfices pour la société, incluant la région où il se trouve, ne sont pas très grands, il ne serait donc pas nécessairement dans l'intérêt public que ce projet se fasse.

(23 h 10)

M. Dunsky (Philippe): Je vais répondre à la troisième question, en ce qui concerne la page 10 de notre mémoire, où on parle du processus qui a été entamé en Colombie-Britannique par la British Columbia Utilities Commission, essentiellement la Régie de l'énergie de la Colombie-Britannique. Eux autres, c'est très intéressant, parce qu'ils ont étudié justement la question de la déréglementation. Et c'est intéressant, parce que c'est à peu près la seule région en Amérique du Nord qui ressemble de façon très, très près au Québec, en raison de sa structure hydroélectrique principalement et pour d'autres raisons, incluant sa structure industrielle.

La British Columbia Utilities Commission a étudié différents modèles de restructuration, de déréglementation des marchés et est arrivée à la conclusion que la déréglementation n'était pas dans l'intérêt de la Colombie-Britannique. Pourquoi? Pour les raisons suivantes: La première raison, en fait, c'était la raison... J'ai eu l'occasion justement de parler avec le président de la Régie de l'énergie de la Colombie-Britannique sur ce sujet, et la première chose qui lui paraissait très claire, c'est que les gains que les Américains essaient de chercher par la déréglementation, c'est-à-dire une baisse des prix, ce n'est finalement pas possible dans des régions comme la Colombie-Britannique, le Manitoba ou le Québec. Pourquoi? Parce que, par exemple, la Californie, elle a des tarifs actuellement à 0,11 $ le kWh, parce qu'ils ont fait des erreurs dans le passé, ils ont investi dans le nucléaire, qui coûtait très cher, et aujourd'hui ils peuvent construire une nouvelle centrale à 0,05 $. Ça fait qu'ils ont intérêt à réglementer pour baisser les prix. Nous, on a investi dans l'hydroélectricité, à 0,03 $; ensuite à 0,035 $, 0,04 $, 0,045 $, parce que c'est les coûts marginaux croissant naturellement. Donc, il n'y a pas d'économie à aller chercher par cette déréglementation. C'était donc la première conclusion.

Il y en avait plusieurs autres qui traitaient notamment des questions de la remise en cause de la planification intégrée des ressources, à laquelle tient beaucoup cette régie en Colombie-Britannique, je sais, qui concernaient également les questions d'efficacité énergétique, mais, bref, pour un ensemble de raisons, ils ont conclu que ce n'était pas dans l'intérêt de la Colombie-Britannique de procéder à cette déréglementation.

M. Raphals (Philip): M. le Président, si je peux ajouter un complément à cette réponse, j'ai eu l'opportunité de faire une étude sur la réglementation en Colombie-Britannique pour votre ministère il y a peut-être deux ans et donc j'aimerais ajouter sur la question du processus. Ce processus, en Colombie-Britannique, a pris sept mois. Il a commencé avec des séances d'information pour tous les intervenants, pour que tout le monde soit informé de ce que ça veut dire, la déréglementation, qu'est-ce que ça veut dire, la restructuration. Il y avait plusieurs étapes qui ont mené finalement aux audiences formelles à l'intérieur de sept mois. Notre préoccupation avec le délai qui est prévu à l'article 164 est aussi attachée au fait que dans votre politique, la nouvelle régie aura plusieurs audiences génériques très importantes à tenir dans ses premiers mois d'existence, entre autres, sur le taux de rendement, sur les méthodes d'allocation des coûts et aussi, très important, sur les méthodes de calcul des filières. Donc, on voit difficilement comment on pourrait faire un examen profond sur toutes ces questions reliées à la restructuration en même temps et dans un délai très court.

Le Président (M. Beaulne): Merci. M. le député de Saint-Laurent.

M. Cherry: Merci, M. le Président. C'est la deuxième journée consécutive que, personnellement, je trouve que les dernières interventions de la journée nous donnent un stimulus de réflexion. Hier soir, ça s'est trouvé la même chose. Des fois, on pourrait penser qu'à la fin de la journée... mais, au contraire, comme débat, je trouve ça très stimulant. Je peux vous assurer, les deux groupes, que vos documents vont faire partie de notre quotidien dans l'étude article par article et, encore une fois, je profite de l'occasion pour souligner la qualité de la façon dont c'est fait. Il est évident, de par vos commentaires, la compétence que vous possédez, la connaissance de ce dossier-là... Bien sûr, il y a des divergences d'opinions, mais, par contre, pour les gens qui ont travaillé à la Table, vous soulignez dans vos documents que vous ne retrouvez pas ce qui avait fait les objets de consensus à la Table, de la façon dont c'est écrit. Si ce n'est pas ça, la volonté du gouvernement, il s'agirait simplement de le rédiger de façon à ce que ça reflète vraiment ce qui a été le consensus. Sinon, le gouvernement nous expliquera lors de l'étude article par article pourquoi il a choisi de l'écrire de telle façon et c'est quoi, les objectifs visés.

Dans chacun des mémoires qui touchaient ces sujets-là, l'article 164 comme le 71 et le 72 sont revenus presque de façon constante. On voit qu'il y a là une préoccupation. Et, si vous étiez dans la salle – je crois que certains d'entre vous y étiez – au moment où les centrales sont venues présenter les leurs, ils ont invoqué les mêmes préoccupations au point de vue de la façon rapide avec laquelle le gouvernement semble vouloir procéder. Ils ont invoqué en des termes, je pense, on ne peut plus clairs ni plus directs ni plus francs que, comme c'est un débat qui ne peut être évité, on est mieux de le faire avant que de le faire après. Vous l'exprimez, il me semble, de façon différente, mais on retrouve là la même préoccupation et la même volonté non seulement de protéger ce qu'on a, mais de nous assurer d'un développement harmonieux et de maximiser le potentiel qu'on retrouve là-dedans.

Alors, j'ai le sentiment d'avoir bien saisi ça et, par vos gestes d'approbation, il semble que ça communique, là. Mais je veux juste vous assurer – je ne veux pas vous empêcher de faire des commentaires – que vos documents comme tels vont nous accompagner et qu'on se permettra, quand on le jugera nécessaire, peut-être d'échanger des compléments d'information pour nous assurer de la précision avec laquelle... L'objectif de ça, c'est de bonifier ce projet de loi là, d'en faire ce qu'il y a de mieux possible pour la collectivité québécoise. Qu'on ne s'entende pas sur où est-ce qu'on devrait être à l'intérieur du Canada ou pas, ça, c'est bien clair. Mais, par rapport à ce qu'est Hydro-Québec, par rapport à ce qu'est notre potentiel en Amérique du Nord, par rapport à cela, je pense que, comme Québécois, on a tous la volonté que ça, ça marche bien, et, dans ce sens-là, on va y travailler ensemble. Et même si, des fois, il y a des points qui peuvent sembler divergents, il s'agit qu'à la fin de la journée, là, on puisse... Comme on dit, «at the end of the day», tout le monde arrive ensemble dans ce sens-là. Pour le temps qu'il nous reste, M. le Président, je voudrais permettre à notre collègue d'Argenteuil d'y aller de quelques remarques, à moins que vous souhaitiez répondre immédiatement aux commentaires que je viens de faire.

M. Dunsky (Philippe): En fait, juste une petite précision, parce que vous avez posé la question sur la façon hâtive, un peu, de regarder toute la question de la déréglementation, et on voulait aussi soulever un autre point qu'on a souligné dans le mémoire. Ça peut paraître aller dans le sens contraire, mais, en fait, je pense que c'est important de le dire. On parle, dans le projet de loi, à 164, de déréglementer la production d'électricité. Or, nous croyons qu'on est mieux de parler de restructurer les marchés de l'électricité. Pourquoi? Parce qu'on est mieux d'avoir une vue d'ensemble. Parce que, si on veut aborder cette question immense, complexe, de restructuration des marchés, on est mieux de ne pas le faire à la pièce. Donc, ça, c'est juste quelque chose que je voulais souligner davantage.

M. Cherry: O.K.

Le Président (M. Beaulne): M. le député d'Argenteuil.

M. Beaudet: Merci, M. le Président. Moi aussi, mes commentaires rejoignent ceux de mon confrère de Saint-Laurent à l'égard de vos deux mémoires qui sont fort intéressants. Il est amusant de voir que ce sont souvent les plus jeunes qui nous donnent la plus grande motivation.

Des voix: Ha, ha, ha!

M. Dunsky (Philippe): Ha, ha, ha!

M. Beaudet: Mais elle est là quand même. Mme Castel, dans votre document, vous nous faites des recommandations. J'en ai soulevé quelques-unes, là, en particulier: les première, troisième, quatrième, cinquième, et je vois mal que vous nous fassiez des recommandations quant au projet de loi, alors que, dans les articles 71, 72, 73 et 74, ça couvre presque dans son entier les recommandations que vous nous faites là-dedans. En tout cas, peut-être que je me trompe, mais tout me semble couvert là-dedans. Bon, ça me laisse un petit peu pantois. Par ailleurs, à la deuxième recommandation, et je rejoins ma question, quand vous parlez de production thermique, que vous parlez du nucléaire, j'assume, mais ça pourrait rejoindre, votre recommandation pourrait rejoindre la vapeur.

Mme Castel (Daphna): En effet, quand on parle de la cogénération.

M. Beaudet: Et, à ce moment-là, il faudrait qu'on rejoigne les présentateurs précédents qui nous ont parlé de sortir la vapeur de ce projet-là. Alors, est-ce que vous les rejoignez ou vous vous en éloignez?

Mme Castel (Daphna): Ha, ha, ha! Je pense que je m'en éloigne.

M. Cherry: Ha, ha, ha!

M. Beaudet: O.K.

Mme Castel (Daphna): La vapeur fait en sorte qu'un projet de cogénération...

M. Beaudet: Oui.

Mme Castel (Daphna): ...a un rendement plus efficace qu'un projet thermique pur, puis, dans ce cas-là, ses impacts environnementaux sont un petit peu moindres; pas énormément, d'après notre compréhension, mais il y a quand même un avantage.

(23 h 20)

Mais, selon notre opinion, s'il n'est pas nécessaire, pour des raisons particulières... Parce qu'on a dit: À moins de circonstances exceptionnelles. On vise surtout la production de cogénération sur une base biomasse, mais, à moins qu'il y ait des circonstances exceptionnelles, on voit mal pourquoi on développerait l'énergie, l'électricité thermique, même si elle est de cogénération, avec l'ajout de la vapeur, pour en vendre sur le marché de l'exportation. C'est une production électrique qui ajoute à la pollution atmosphérique et à la contribution de gaz à effet de serre et, compte tenu de nos engagements envers la réduction de ces gaz, on voit mal pourquoi le Québec se permet ces jours-ci, après avoir su éviter ce type de production jusqu'à maintenant, de commencer à produire de l'énergie que, finalement, tout le monde demande de réduire.

M. Beaudet: Merci. M. Dunsky, juste une brève question avant de terminer. M. le Président, je sais que l'heure file. Lorsque vous parlez de déréglementation au Québec, ma perception, en tout cas, ma lecture de tout ce dossier-là, il est évident qu'elle rejoint la nécessité, pour Hydro-Québec en particulier et les producteurs privés éventuellement, d'avoir accès au marché américain. Ce sera un des prérequis pour avoir accès au marché américain et ça sera qu'on soit déréglementé. Même si eux ne sont pas prêts à venir faire partie ou d'utiliser notre réseau, ils exigeront, avant qu'on y ait accès, d'avoir une déréglementation, en s'ouvrant la porte pour un avenir plus ou moins rapproché.

Alors, dans cette ligne de pensée là, on n'aura pas le choix, si on veut écouler notre surplus énergétique, on n'aura pas le choix de déréglementer pour pouvoir l'écouler. Ce faisant, on sait très bien qu'on ouvre la porte à une éventuelle entrée de l'énergie américaine advenant un besoin particulier. Et je peux juste citer un désastre bien simple: il y a un tremblement de terre demain matin puis le barrage à la Baie James, ça saute. On aura besoin de l'énergie américaine, probablement, ou ontarienne, et on devra faire à ce moment-là le marché inverse. Alors, on ne peut pas manger le gâteau et le garder, il va falloir qu'on embarque dans le jeu ou qu'on en sorte. Et, si on veut entrer dans ce marché important pour justement aller chercher une richesse nouvelle pour les Québécois et les Québécoises, ce que je pense, et si on exporte pour 1 000 000 000 $ ou 2 000 000 000 $ par année d'énergie, bien, c'est une richesse dont, collectivement, on devra bénéficier. Alors, il va falloir qu'en retour on accepte qu'on ouvre la porte, puis, éventuellement, peut-être qu'ils entreront. Peut-être qu'ils n'entreront pas, mais il va falloir qu'on soit là.

M. Dunsky (Philippe): Je pense que vous posez la bonne question et de la bonne façon. La question, c'est: Est-ce qu'on peut ne pas se permettre de se précipiter dans ces marchés-là? Quelles seraient les pertes qu'on encourrait si on ne le faisait pas...

M. Beaudet: Il y a un coût.

M. Dunsky (Philippe): ...et quels sont les gains qu'on peut aller chercher? Je voudrais juste préciser... parce que je n'ai pas les réponses à ces questions-là, je pense qu'elles sont des questions extrêmement complexes, qui ne sont pas évidentes pour l'instant.

Premièrement, il faut clarifier certaines choses. Les exportations que nous faisons depuis quelques années, l'écoulement de nos surplus à 0,02 $ le kWh peut continuer, il n'y a pas de problème, sans la réciprocité de ce côté-ci.

M. Beaudet: Pour le moment.

M. Dunsky (Philippe): Lorsqu'on parle de déréglementer, de permettre le transit de notre électricité, c'est une chose particulière autre que l'utilisation de nos lignes pour la production d'autres qu'Hydro-Québec. Mais Hydro-Québec peut continuer, dans le cadre du contexte actuel, à exporter son électricité à 0,02 $ le kWh à NYPA, à VJO, etc., ça, il n'y a pas de problème. La question, c'est: Est-ce qu'il y a des gains supplémentaires à aller chercher dans le court terme en échange d'une précipitation dans ce sens-là? Et c'est à cette question que je dis: Je n'ai pas de réponse.

Par contre, ce que je dis, c'est qu'il faut nous donner des garanties à certains niveaux. Si on veut faire la déréglementation, si on fait cette analyse-là et qu'on arrive à la conclusion qu'effectivement la déréglementation nous offre plus de bénéfices que de coûts, il y a des moyens de faire la déréglementation d'une façon à garantir l'efficacité énergétique, à garantir l'énergie renouvelable, à garantir la recherche et le développement technologique. Et ces éléments-là, qui sont des objectifs fondamentaux de la nouvelle politique énergétique, qui ont été des recommandations fondamentales du rapport que j'ai signé, du débat public sur l'énergie, peuvent être garantis avec l'ajout d'un article au projet de loi n° 50 qui le spécifierait. Et c'est l'ajout qu'on propose, le 164 et demi, si vous le permettez.

M. Beaudet: Le 164.1.

M. Dunsky (Philippe): Alors, en résumé, je n'arrive pas ici en vous disant: La déréglementation est mauvaise ou la déréglementation est bonne.

M. Beaudet: Il y a des façons de la faire.

M. Dunsky (Philippe): La déréglementation, ce n'est pas évident, puis il faudrait l'étudier, puis il faudrait l'étudier sérieusement, puis en détail. Mais, avant de l'étudier, il faudrait nous donner les garanties essentielles quant aux objectifs les plus importants de la nouvelle politique énergétique.

M. Beaudet: Merci. Merci, M. le Président.

Mme Castel (Daphna): Est-ce que vous permettez, M. le Président?

Le Président (M. Beaulne): Alors, très brièvement.

Mme Castel (Daphna): Très brièvement, je voulais juste ajouter... Ce n'est pas vraiment... Ce qui nous est demandé pour participer au marché américain, ce n'est pas nécessairement la déréglementation comme la réciprocité, et la réciprocité, ça veut dire qu'on permet que l'électricité soit transmise en notre direction, comme dans l'autre. Et, pour le faire, il faut réglementer le transport de l'électricité. Alors, ce n'est pas la déréglementation en soi qui est requise.

M. Beaudet: Merci.

Le Président (M. Beaulne): Alors, on vous remercie de cette présentation, surtout dans un délai si bref.

Et, sur ce, j'ajourne les travaux de la commission jusqu'à 11 heures demain matin, après la période des affaires courantes.

(Fin de la séance à 23 h 26)


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